L'Afrique, berceau de l'écriture. Volume 1: Et ses manuscrits en péril Des origines de l'écriture aux manuscrits anciens (Egypte pharaonique, Sahara, Sénégal, Ghana, Niger) 9782296998841, 2296998844

Ce livre collectif en 2 volumes est un cri d'alarme de l'Afrique pour éveiller ses dirigeants et le monde à la

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L'Afrique, berceau de l'écriture. Volume 1: Et ses manuscrits en péril Des origines de l'écriture aux manuscrits anciens (Egypte pharaonique, Sahara, Sénégal, Ghana, Niger)
 9782296998841, 2296998844

Table of contents :
Sommaire
Première Partie Origines africaines de l’écriture
Deuxième Partie Livres manuscrits ouest-africains
Annexes
Index

Citation preview

Conception de la couverture par Sati Penda Armah Caractères par Natalia Kanem

L’AFRIQUE, BERCEAU DE L’ECRITURE Et ses manuscrits en péril

DAKAR AIDE TRANSPARENCE et RESEAU AFRICAIN D’ECHANGES D’INFORMATION ET ÉDUCATION POUR LA PRÉSERVATION DU LIVRE MANUSCRIT en collaboration avec les associations de bibliothécaires, les bibliothèques publiques et privées et les chercheurs africains 2014

Ce livre a été publié pour la première fois en trois volumes, en langues française (volumes 1 et 2) et anglaise (volume 3). Les contenus des volumes 1 et 2 ont été réalisés grâce au généreux soutien financier de la Fondation Ford. Aide Transparence lui exprime sa profonde gratitude à cet égard. Publié par L’Harmattan et Aide Transparence (15 Cité SAGEF, ZAC Mbao, Dakar, Sénégal) - BP 5409, Dakar-Fann, Sénégal www.africanmanuscripts.org

Tous droits réservés. Aucune partie de cette publication ne doit être reproduite ou transmise sous aucune forme ou moyen électronique ou mécanique que ce soit, y compris la photocopie, l’enregistrement ou l’usage de toute unité d’emmagasinage d’information ou de système de retrait d’information, sans la permission préalable d’Aide Transparence. Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs. Elles ne reflètent nullement les idées ou vues politiques d’Aide Transparence (AT) et n’indiquent en rien le soutien d’AT ou de L’Harmattan par rapport aux idées des auteurs. Par conséquent, toute citation émanant de cette publication doit être directement imputée à l’auteur et non à AT ou à L’Harmattan. Mise en page effectuée par Sati Penda Armah

Distribué par L’Harmattan

Aide Transparence

Association pour la sauvegarde et la valorisation des manuscrits et la défense de la culture islamique

L’AFRIQUE, BERCEAU DE L’ECRITURE Et ses manuscrits en péril Sous la direction de

Jacques Habib Sy Volume 1 Des origines de l’écriture aux manuscrits anciens (Egypte pharaonique, Sahara, Sénégal, Ghana, Niger)

© L’HARMATTAN, 2014 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-99884-1 EAN : 9782296998841

Sommaire VOLUME I Première Partie

Origines africaines de l’écriture

Chapitre 1 Introduction générale

L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés Jacques Habib Sy

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Cheminement des graphies préhistoriques africaines L’écriture négro-égyptienne aux origines de l’invention de l’écriture L’islam et l’avènement de l’écriture arabe en Afrique Présentation de l’ouvrage

Chapitre 2

L’Afrique, berceau de l’écriture Théophile Obenga

80

Résumé Importance de l’écriture dans l’histoire humaine Papyrus et papier : supports universels de l’écriture Histoire de la route du papier de l’Asie en Occident Invention de l’écriture en Afrique et sa diffusion en Occident Manuscrits africains anciens : protection, conservation et exploitation Conclusion

Chapitre 3

L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture Aboubacry Moussa Lam

93

Résumé L’Afrique et le berceau de l’écriture L’histoire de l’écriture : de l’Egypte ancienne à la période contemporaine Conclusion

Deuxième Partie

Livres manuscrits ouest-africains

Chapitre 4

Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle) Henri Sène 

138

Résumé Le Soudan occidental : un espace économique Le contexte intellectuel et culturel du Soudan occidental Livres, manuscrits et papier : production et diffusion Conclusion

Chapitre 5

Repères historiques de l’écriture manuscrite ouest-africaine Mohamed-Saïd Ould Hamody  Résumé Localisation géographique des collections de manuscrits Les richesses nationales Contenus, état des lieux et perspectives Etat des lieux et perspectives L’état des manuscrits Perspectives GLOSSAIRE

175

Chapitre 6

Savoirs endogènes, quête de sens et écritures ouest-africaines Mamadou Cissé 

202

Résumé Ecriture et antiquité soudano-sahélienne Contacts et apports L’ajami Le mythe de l’oralité exclusive Défis de l’ajami en Afrique de l’Ouest Les manuscrits anciens Les manuscrits comme traces et sources Conclusion

Chapitre 7

Le fonds Gilbert Vieillard et les manuscrits de l’IFAN Cheikh Anta Diop Souleymane Gaye et Maïmouna Kane 

228

Résumé Présentation du Laboratoire d’islamologie de l’IFAN Cheikh Anta Diop Thèmes et pays couverts Gilbert Vieillard Analyse bibliographique du fonds Vieillard Conservation des collections Analyse synthétique des manuscrits

Chapitre 8

Les manuscrits anciens du Ghana Seyni Moumouni  Résumé Historique de la collection des manuscrits du Ghana Etude codicologique de la collection Les conditions de conservation des manuscrits avant 2003 Conclusion

268

Chapitre 9

L’ ajami, à l’épreuve, au Niger Moulaye Hassane 

284

Résumé Aperçu historique Création et diffusion des manuscrits Echantillons de manuscrits et analyse synthétique de leur contenu. Les manuscrits : une source inépuisable de connaissances

Chapitre 10

Aspects de l’esclavage au Niger Dioulde Laya 

338

Résumé Points de repère Routes et sites anciens Les mines Intégration, développement, prospérité Rapports sociaux Place de l’esclavage Témoignages écrits Héritages Etude à l’initiative de Timidria Conclusion

Annexes 

388 Auteurs ayant contribué à cet ouvrage Acronymes Addis Abeba Declaration on The African Manuscript Book Charters International Conference on the Preservation of Ancient Manuscripts in Africa Final resolution on the preservation of heritage archives in Africa Final report

Index

423

Ce livre est dédié aux peuples africains qui ont inventé l’écriture et inscrit des pages immortelles de la pensée et de l’invention au registre du patrimoine manuscrit de l’humanité

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Remerciements Jacques Habib Sy

Cet ouvrage collectif est une trace, un jalon parmi d’autres, dans la redécouverte du passé africain et de sa réécriture. Il était, en effet, devenu impératif de rétablir les faits historiques dans leur simplicité et leur vérité éclatantes. L’objectif central de cette entreprise, qui suit celle de l’Unesco dans son Histoire générale de l’Afrique en plusieurs volumes, est plus précisément de déconstruire la fable d’une Afrique « sans écriture » et, par conséquent, d’Africains « sans histoire », plongés dans la préhistoire depuis les origines les plus lointaines de l’humanité. Les vestiges du rôle non seulement pionnier, mais encore d’impulsion des Africains dans l’élévation spirituelle et matérielle de l’humanité, à travers l’invention de l’écriture et sa matérialisation, dans une constellation de contenus et de supports médiatiques et cognitifs, sont exposés dans cet ouvrage sous leurs aspects les plus divers. Plusieurs auteurs, tous guidés par la volonté de contribuer au mouvement de réinvention de la « nouvelle histoire » africaine et de préservation des manuscrits anciens, témoins directs de l’aventure scripturaire, intellectuelle et scientifique du foyer ancestral de l’humanité, ont proposé une nouvelle chronologie de l’histoire de l’écriture, décrit l’état désastreux des collections existantes de manuscrits anciens et exposé l’importance capitale des contenus extraordinaires de vitalité que recèlent les gisements archivistiques pluri-centenaires abandonnés à l’activité destructrice du temps, des rongeurs, des hommes et des circonstances souvent extrêmes de conservation. Cet ouvrage témoigne, par ailleurs, de l’état de détresse extrême dans lequel sont conservés les manuscrits africains.

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Au Sénégal, au moment de notre passage en 2010, les fonds manuscrits collectés au XIXe siècle par les colons français et leurs chercheurs de service, alors en fonction à l’Institut français d’Afrique noire, sont conservés de façon inadéquate. La photothèque, avec des pièces d’une très grande valeur, est dans un état de dénuement préoccupant, cependant que la section des « notes et études documentaires » est laissée à l’abandon dans un sous-sol des plus insalubres. Certaines pièces archéologiques avec des signes graphiques qui datent du néolithique sont jetées pêle-mêle dans un ancien hangar en décrépitude. La collection de manuscrits ajami rassemblée entre les XIXe et XXe siècles a été pillée au fil du temps, en raison du laxisme avec lequel elle a été gérée. Au Kenya, et notamment dans la région de Mombassa, les collections de manuscrits anciens en ajami, sont, pour la plupart, entre des mains inexpertes, dans des malles en bois ou en fer, sans protection particulière. A Lamu, en particulier, en fin 2009, les pièces les plus intéressantes avaient disparu des étagères de la bibliothèque du musée principal ou des abris provisoires où elles avaient été entassées. Il n’y reste plus que quelques exemplaires d’un Coran du XIXe siècle et des pièces manuscrites éparses, malheureusement attaquées par l’humidité et les infections microbiennes. Dans l’arrière-pays proche de la côte de l’Océan Indien, des archives anciennes écrites par des Africains depuis le XVIIe siècle sont restées aux mains des descendants d’anciens cadis, d’imams et d’enseignants. Ces vieux ouvrages subissent l’outrage du temps et de facteurs humains et environnementaux quand ils ne sont pas simplement achetés pour des miettes par des collectionneurs publics et privés d’Oman et du Moyen-Orient, à la recherche de livres rares d’origine arabe dont la trace a été perdue depuis fort longtemps. Au sous-sol des Archives nationales de Nairobi, l’état de délabrement des documents anciens des XVIIIe et XIXe siècles, au moment de notre passage en 2010, était tout simplement hallucinant : les manuscrits étaient dans une température ambiante contraire aux normes reconnues et débordaient d’étagères vieillottes, ou étaient abandonnés à même le sol et donc inaptes à leur utilisation par les chercheurs et les étudiants, sans compter le grand public. Les pièces d’archives les plus importantes ont été emportées par les colons anglais et transférées dans les musées et bibliothèques de l’ancienne puissance coloniale.

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Les archives anciennes du Nord Nigéria bien que mieux traitées, notamment à l’université d’Ibadan, à Arewa House (Kaduna) et dans une moindre mesure à Jos (où sont conservés des traités d’astronomie écrits par des Africains, il y a plusieurs siècles), nécessitent encore des efforts considérables de conservation, au-delà des budgets inadéquats alloués aux universités locales. Il est vrai que le musée de Lagos a récemment entrepris, sans succès, de réhabiliter les pièces d’art et quelques manuscrits dont l’existence avait été malmenée par des décennies de laisser-aller gouvernemental. La négligence coupable des gouvernements successifs du Nigéria, concernant la gestion archivistique de ce pays, pourtant doté de richesses considérables et de ressources humaines de très grande qualité, donne à penser que les élites africaines sont encore prisonnières d’une aliénation culturelle d’une telle intensité, qu’elle les condamne à l’auto-flagellation et à la destruction matérielle des derniers vestiges d’un passé pourtant glorieux. En Mauritanie, l’Institut mauritanien pour la recherche scientifique (IMRS) garde à grand peine des manuscrits des XVIIIe et XIXe siècles encore mal catalogués et conservés, malgré les efforts méritoires d’experts étrangers et nationaux pour les protéger de la dépréciation et d’une mauvaise gestion ainsi que du pillage caractérisé. Des dizaines de manuscrits sont ainsi soustraits de leur fonds d’origine et peut-être perdus à jamais. La récente expérience de coopération croisée entre l’Italie et les villes historiques où sont conservés les plus importants gisements de trésors manuscrits, est prometteuse en ce sens qu’elle démocratise le savoir-faire de conservation exogène, et le met à la disposition de l’IMRS et de mini-bibliothèques artisanales perdues dans les océans sablonneux des anciennes pistes du savoir et du commerce transsaharien. A Tombouctou, épicentre du gisement écrit ancien le plus considérable d’Afrique, et témoin de la place éminente occupée par ce foyer intellectuel central de la zone soudano-saharienne, les défis de la conservation des livres manuscrits anciens ont été récemment aggravés par l’occupation militaire de hordes intégristes et pseudo-nationalistes qui n’ont pas hésité à profaner des tombes de saints personnages appartenant à une lignée d’illustres penseurs et d’hommes de foi, et même, paraîtrait-il, à voler d’anciens manuscrits pour se procurer l’argent liquide nécessaire à l’achat d’armes légères et au paiement

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de bandes de mercenaires sans foi ni loi. Les manuscrits conservés à l’Institut des hautes études et de recherches islamiques Ahmed Baba (IHERIAB) et dans plusieurs dizaines de bibliothèques anciennes réhabilitées grâce à l’action philanthropique bilatérale et multilatérale, et aux efforts gouvernementaux n’ont jamais encouru d’aussi graves dangers depuis l’occupation marocaine de cette ville à la fin du XVIe siècle. Avant cette séquence malheureuse de son histoire, Tombouctou a été prise d’assaut, au cours des décennies passées, par une foultitude d’organisations et d’intérêts privés, à travers une ruée fulgurante vers l’« or brun », chacun voulant sa part de copies ou d’originaux de trésors manuscrits dont certains sont restés, pendant des siècles, introuvables et inaccessibles aux collectionneurs occasionnels et aux chasseurs de pièces rares. La législation et les mécanismes de traçage des manuscrits et œuvres culturelles volés restent encore dérisoires et inefficaces face aux moyens financiers considérables mis en jeu par les contrebandiers ou le pillage culturel couvert d’un manteau de respectabilité étatique qui ne s’embarrasse d’aucune morale. C’est ainsi que sont gardés dans les musées et les bibliothèques des anciennes puissances colonisatrices, des ouvrages et des objets culturels, des monuments, des sculptures, des vestiges écrits antiques volés à l’Afrique et aux Africains. Les Africains doivent impérativement se mobiliser pour le rapatriement de ce patrimoine dans leur terre d’enfantement1 . Après les révélations 1. A titre d’illustration on peut citer les nombreux cas de vols des biens culturels africains par des colons européens qui ont commis les pires atrocités, assimilées aujourd’hui à des crimes contre l’humanité mais restés impunis et non suivis d’effets pratiques opérationnels et visibles dans les musées et bibliothèques européens. Et surtout, aucun acte de repentance ou de demande d’absolution sincère face à ces crimes d’une cruauté inimaginable, n’a encore été enregistré. Hassan Musa, recense ici quelques-uns des cas les plus épiques qui aient été documentés : Michel Leiris, dans L’Afrique fantôme, raconte comment, avec Marcel Griaule, ils se sont introduits, contre la volonté des villageois, dans la case rituelle du Kono (un masque sacrificiel) et comment ils ont volé des objets du culte sous le regard des villageois ébahis : « Griaule et moi demandons que les hommes aillent chercher le Kono. Tout le monde refusant, nous y allons nous-mêmes, emballons l’objet saint dans la bâche et sortons comme des voleurs, cependant que le chef affolé s’enfuit.[...] Nous traversons le village, devenu complètement désert et, dans un silence de mort, nous arrivons aux véhicules.[...] Les 10 francs sont donnés au chef et nous partons en hâte, au milieu de l’ébahissement général et parés d’une auréole de démons ou de salauds particulièrement puissants et osés. »

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fort troublantes de l’intellectuel et artiste soudanais Hassan Musa, montrant le célèbre Marcel Griaule, dont toute la réputation a été bâtie sur le dos des Dogons, volant les reliques sacrées de ses grâcieux hôtes dogons qui l’ont pourtant initié à leurs rites sacrés et leur philosophie. De même, n’eut été la pugnacité du gouvernement de Nelson Mandela, les Sud-Africains n’auraient jamais pu faire rapatrier, avec les honneurs dus à son rang, les restes d’une de leurs princesses, empalée pendant des siècles et exposée derrière une vitrine muséale, après avoir subi les pires outrages de son vivant. En Ethiopie, l’Empereur Hailé Sélassié, en raison de l’attention qu’il prêtait à l’importance des parchemins anciens dont certains datent du IVe siècle, avait réussi à protéger une grande partie des collections anciennes dans une bibliothèque nationale et à l’Institut d’études éthiopiennes. Mais cela n’a pas empêché le vol de pièces rares manuscrites et de biens culturels par des institutions et des aventuriers occidentaux, à telle enseigne qu’aujourd’hui, le patrimoine écrit éthiopien est dispersé dans les musées et bibliothèques européens (français, italiens et allemands, principalement) et nord-américains. Il n’est pas jusqu’aux graffitis très anciens de l’Abyssinie qui n’aient été subtilisés frauduleusement, soit par le clergé européen ou les missions diplomatiques et certaines des congrégations religieuses étrangères. Il est heureux que le nouveau Chef de l’Etat éthiopien, le Premier ministre Dessalegn ait décidé de poursuivre l’œuvre de récupération du patrimoine culturel soustrait à cette nation africaine, la seule qui n’ait jamais connu la colonisation sur une longue période, et dont les plus anciens vestiges écrits en gé’éz, connus de la communauté scientifique, datent du IVe siècle de notre ère, c’est-à-dire, onze siècles avant la découverte de la machine à imprimer de Gutenberg et la généralisation de l’écriture en Europe.



Hassan Musa évoque également les circonstances dans lesquelles, en septembre 1931, Leiris et les membres de la Mission Dakar Djibouti tels Eric Lutten et Maracel Griaule se sont livrés à des actes de pillage et de vol inqualifiables. Musa rappelle également l’horreur des hommes et des femmes africains empaillés et exposés jusque récemment dans les musées européens, et ce, pendant des siècles, sans que l’opinion publique ne s’en soit émue.

Cf. Musa Hassan, « Les fantômes d’Afrique dans les musées d’Europe », Africultures, n°70, 6 novembre 2008, < http://www.indigenes-republique.fr/article.php3?id_article=204 >.

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L’ancienne Egypte est généralement perçue comme un pays extraafricain, tant est éclatante la portée de sa contribution à la culture universelle, aux arts, aux sciences, à la pensée et à l’invention des premiers fondements de l’innovation dans tous les domaines. Les papyrus anciens en sa possession restent encore cloisonnés par rapport au reste de l’Afrique noire qui est pourtant la terre nourricière de sa culture et de ses traditions scripturaires, étincelantes de génie. Les batailles épiques menées par Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga, et, avant eux, par une longue lignée d’intellectuels et de savants d’origine africaine, ont permis de faire basculer le mur épais qui séparait les Africains, des siècles durant, de leur passé littéraire, scripturaire et artistique. Le plus dur reste peut-être à faire : intégrer complètement les faits historiques africains – scripturaires et littéraires, en particulier – dans la conscience historique de la majorité des Africains, dans les programmes universitaires et scolaires, et dans le vécu quotidien des populations. En dehors de l’Egypte pharaonique classique, les plus anciennes pièces littéraires rares d’Afrique sont ainsi menacées par le double péril du délitement géographique et de la conspiration internationale qui continuent de perpétuer l’idée que l’Afrique n’aurait pas inventé l’écriture et qu’elle serait exclusivement la terre d’élection de l’oralité. Le drame dans cet enchevêtrement de circonstances, c’est que la très grande majorité des Africains, et, encore plus tragiquement des intellectuels, sont maintenus dans l’ignorance totale des faits majeurs ainsi décrits. Les gouvernements africains sont en très grande partie responsables de cette situation alarmante et sont même coupables, dans certains cas, d’avoir contribué au pillage des trésors manuscrits du continent. L’ancien Président de la République du Sénégal, Abdoulaye Wade, n’a pas hésité à théoriser l’indigence des Africains face aux défis de la conservation des archives anciennes, son argument étant que les manuscrits pourraient être mieux conservés pendant des siècles encore par les Occidentaux. Il ne s’est évidemment guère préoccupé du fait que, ce faisant, les Africains seraient sevrés pour des siècles encore de la nourriture culturelle et de la sève nourricière de leur passé, passé sans lequel leur avenir est condamné à être confiné dans les marges de l’histoire et du mouvement universel de renouveau et de progrès de la pensée et de l’innovation scientifique et culturelle.

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L’organisation non gouvernementale (ONG) Aide Transparence, en coopération avec la SAVAMA-DCI et les bibliothèques privées d’autres parties du continent africain, les chercheurs et une large palette d’experts et de preneurs de décision venus d’horizons divers, tient à remercier très sincèrement la Fondation Ford pour son appui financier, appui sans lequel, il aurait été difficile de tenir, dans des conditions de confort opérationnel et de liberté intellectuelle totale, la conférence internationale sur la Préservation des manuscrits anciens, à Addis Abéba, du 17 au 19 décembre 2010, avec la participation de 15 pays d’Afrique et de la diaspora négro-africaine. Nos remerciements vont, en particulier, à Luis Ubeñas, président de la Fondation Ford qui s’est investi sans compter pour faire de la réhabilitation des manuscrits anciens de Tombouctou, en particulier, une réalité palpable que de tragiques évènements décrits dans l’introduction générale de cet ouvrage viennent perturber, temporairement, il faut l’espérer. Adhiambo Odaga, ancienne représentante de la Fondation Ford en Afrique de l’Ouest, et, surtout, avant elle, Nathalia Kanem, ancienne vice-présidente de la Fondation Ford ont posé les jalons administratifs et opérationnels qui ont rendu possible le transfert de fonds importants au profit des bibliothèques privées et des familles qui conservaient, dans des conditions lamentables, jusque récemment, les trésors écrits légués par leurs ancêtres depuis des siècles. Il convient de signaler qu’à part la Fondation Ford, plusieurs institutions bilatérales et multilatérales de financement du développement culturel, plus particulièrement l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), ont également prêté main forte aux Maliens et aux Africains pour s’acquitter au mieux de la responsabilité historique d’allonger de plusieurs siècles la préservation de leur patrimoine écrit, patrimoine le plus ancien de l’humanité dont les vestiges sont gravement menacés par la négligence et le mal-développement, à l’exception, peut-être, de l’Egypte et de l’Afrique du Sud. Les encouragements du regretté professeur Sékéné Mody Cissokho ne m’ont jamais fait défaut chaque fois que je me suis rendu dans l’arrièrepays malien en passant par Bamako où il avait construit une vaste école d’enseignement secondaire baptisée Cheikh Anta Diop, son mentor du temps où il enseignait à l’université de Dakar. A travers ses écrits et ses cours que j’ai suivis au tout début des années 1970, il a été une source vivifiante d’informations de première main sur Tombouctou et

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les civilisations de la boucle du Niger. Les professeurs Bakari Kamian, Ali Mazrui et Djibril Tamsir Niane n’ont pas hésité à m’encourager, et, pour certains, à me prodiguer leurs conseils avisés, contribuant par làmême, au fourmillement historique et idéel qui parcourt cet ouvrage. Mes remerciements vont également aux nombreux contributeurs au succès de la conférence d’Addis Abéba parmi lesquels le professeur Ayele Bekerie de l’université de Mekelle en Ethiopie qui a grandement contribué à l’implication des plus hautes autorités éthiopiennes dans la tenue de la conférence en Ethiopie, l’ambassadeur Mohamed Saïd Ould Hamody de la Mauritanie, président du panel de la conférence citée sur les enjeux stratégiques de la préservation et de l’utilisation des manuscrits anciens africains, pour son entregens et son immense érudition, Papa Toumané NDiaye, spécialiste de programmes, direction de la Culture et de la communication, Islamic, Educational, Scientific and Cultural Organization (ISESCO), rapporteur général de la conférence et dont l’appui besogneux a été d’un grand concours, professeur Boubacar Barry qui a dirigé avec brio le panel de la conférence d’Addis Abéba sur l’analyse de contenu et la portée historique des manuscrits anciens africains, professeur Aboubacry Moussa Lam du département d’Histoire de l’université Cheikh Anta Diop pour sa participation et ses encouragements en matière d’édition, professeur Mahmoud Hamman, ancien directeur d’Arewa House, Kaduna, dont les encouragements ne nous ont jamais fait défaut, Dr Kabiru Chafe, directeur d’Arewa House, qui a presidé le panel sur la radioscopie des collections de manuscrits anciens africains, Mamitu, directrice du Musée national d’Addis Abéba qui a joué un rôle clé dans l’organisation de l’exposition régionale sur les manuscrits anciens africains, Demeka Berhane, anciennement paléographe à l’Institut d’études éthiopiennes, Atakilt Assafe, ancien directeur des Archives et de la bibliothèque nationale d’Ethiopie auquel a succédé Ahmed Aden qui s’est, lui aussi, dépensé sans compter. Mes remerciements vont également à Rita et Richard Pankhurst dont le travail immense en matière d’études éthiopiennes et de bibliographies anciennes a joué un rôle significatif dans le développement des études éthiopiennes et du fonds de la bibliothèque de l’université d’Addis Abéba.

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Au Mali, je tiens à remercier l’ONG SAVAMA-DCI dont le président, Abdel Kader Haïdara, nous a permis d’accéder à une partie des fonds manuscrits de la SAVAMA-DCI et de Mamma Haïdara qu’il dirige avec esprit de suite, et, à diverses personnes-ressources, au cours de mes prestations de terrain en tant que conseiller technique de la SAVAMADCI. Une mention particulière est due à mon vieil ami de barricades estudiantines soixante-huidardes, Cheikh Cissokho, ancien ministre de la Culture, durant mes pérégrinations fréquentes à Tombouctou, au Dr Mohamed Gallah Dicko, ancien directeur de l’Institut Ahmed Baba de Tombouctou qui a toujours encouragé la coopération inclusive entre les parties prenantes publiques et privées de la conservation du patrimoine archivistique du Mali, et à tous les experts du ministère de l’Enseignement supérieur du Mali, en particulier, à M. Diakité et Mme Siby Ginette Bellegarde, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique qui m’ont vivement encouragé, sans la langue de bois caractéristique des preneurs de décision, dans notre quête incessante de solutions pratiques pour développer la conservation des archives anciennes africaines. Une mention spéciale doit être faite de la discussion importante que mes collègues Mohamed Saïd Ould Hamody, Papa Toumani Ndiaye et moi-même avons eue avec le professeur Mahmoud Zouber, premier directeur du Centre Ahmed Baba de Tombouctou et chercheur émérite, qui a grandement contribué à l’expansion du portefeuille d’acquisitions livresques et documentaires de ce pivot régional des archives anciennes africaines. Je remercie également l’hospitalité et les marques d’attention d’Abdel Kader Haïdara, directeur de la bibliothèque commémorative Mamma Haïdara de Tombouctou, d’Es Sayouti, imam de la Grande mosquée de Jinguiraber de Tombouctou, léguée à la postérité par le grand Kankan Moussa, d’Ismaël Diadié Haïdara, directeur de la bibliothèque Fondo Kati de Tombouctou, de Sidi Mokhtar, directeur de la bibliothèque Al Wangari de Tombouctou, de l’imam Sidi Yahya de la mosquée historique Sidi Yahya de Tombouctou, de Hadj ould Salem, érudit de Tombouctou, de Mohamed Dédéou dit Hammou, érudit émérite de Tombouctou, de l’équipe dévouée de chercheurs et de techniciens de grand mérite qui ont tenu fermement avec le Dr Mohamed Gallah Dicko le gouvernail de l’IHERIAB, et d’une longue liste d’amis et d’informateurs qu’il serait fastidieux de tous énumérer ici, et qui poursuivent un travail admirable de conservation, dans l’un des avant-postes les plus considérables du complexe archivistique ouest-africain.

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Les encouragements et les informations circonstanciées à caratère stratégique de notre doyen Amadou Makhtar Mbow, ancien directeur général de l’Unesco, nous ont été d’un grand concours et une source renouvelée d’optimisme, venant d’un artisan inlassable de la communication égalitaire entre peuples et civilisations du monde et la promotion de l’histoire africaine. C’est sous sa responsabilité que le Centre d’études et de documentation (CEDRAB) du Mali, le Celtho de Niamey, la réhabilitation des archives africaines et le projet d’Histoire générale de l’Afrique ont pu être opérationnalisés dans des conditions optimales de succès. Qu’il en soit remercié, car sans son œuvre pionnière et politiquement courageuse, les auteurs de cet ouvrage n’auraient pu avantageusement tirer parti de la moisson intellectuelle et sociohistorique qui a servi de terreau à cette entreprise. Je voudrais associer à cet hommage Cheikh Anta Diop et le professeur Théophile Obenga qui ont été une source constante d’inspiration pour nous. Le professeur Obenga a accepté, malgré un calendrier congestionné par des urgences stratégiques et scientifiques de tous ordres, de prononcer le discours inaugural de la conférence d’Addis Abéba et de participer au panel sur les défis stratégiques auxquels sont confrontés les Africains dans la gestion de leur patrimoine archivistique. Bien que regrettablement absent des assises d’Addis Abéba, Cheikh Anta Diop a instruit ses débats puisqu’il a été l’un des pionniers émérites de la restauration de la conscience historique africaine, notamment à travers ses travaux sur la linguistique, l’histoire et l’apparition de l’écriture en Afrique noire, en une période où la plupart des Africains peinaient encore à croire que l’ancienne civilisation pharaonique classique est partie intégrante de la culture et de la civilisation africaines. Durant mes années de collaboration étroite avec ce savant d’une humilité qui force le respect, j’ai beaucoup appris à ses côtés, grâce à une fréquentation assidue de ses innombrables réunions scientifiques ou politiques, et, de discussions passionnantes en tête-à-tête. Cheikh Anta Diop a inspiré de bout en bout ce projet d’ouvrage sur les manuscrits anciens africains et l’invention de l’écriture par les Africains. Nous tenons, à titre posthume, à lui rendre hommage et à le remercier pour le travail prométhéen qu’il a accompli, dans des conditions d’adversité intellectuelle et politique extrêmes.

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Je tiens particulièrement à remercier les correcteurs de cet ouvrage qu’ont été mon vieil ami, le Professeur Dialo B. Diop du Centre hospitalier universitaire de Fann, et le Professeur Falilou Ndiaye de l’Université Cheikh Anta Diop, ainsi que Sati Penda Armah, virtuose de la mise en page, qui ont laissé leur empreinte sur chacune des pages de ce livre. Je dois une dette de reconnaissance à Son Excellence, Monsieur Gilma Wolde Giorgis, Président de la république démocratique fédérale d’Ethiopie, qui nous a fait l’insigne honneur de présider la cérémonie de clôture de la conférence, malgré les efforts physiques impressionnants qu’il a dû consentir à cet égard, Son Excellence, Hailemariam Dessalegn, alors Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de la république démocratique fédérale d’Ethiopie, Son Excellence, M. Amin Abdelkader, ministre de la Culture et du tourisme d’Ethiopie et l’ambassadeur Abdelkader, chef de la mission diplomatique éthiopienne au Sénégal, qui ont tous généreusement contribué au succès de la conférence et de l’exposition sur « L’Afrique, berceau de l’écriture », au Centre international de conférences des Nations unies d’Addis Abéba. Qu’ils trouvent ici l’expression de ma déférence et de ma gratitude renouvelée. A ma compagne de toujours, Yassine Fall, j’exprime toute ma gratitude pour ses encouragements, son intrépidité intellectuelle et sa générosité, et à mes enfants, Nafissatou, Biram Sobel, Sandjiri Ndjan Gana, Samori Sombel et Sophie Nzinga je leur suis redevable de leur soutien affectueux et de leur patience devant mes voyages répétés et mes pérégrinations solitaires à travers la galaxie cognitive des manuscrits de nos ancêtres.

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Carte des principaux sites de manuscrits anciens dans des bibliothèques, familles et institutions religieuses en Afrique, selon les estimations disponibles (détaillés ci-après)1

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1. Afrique du Sud : Cape Town University et communautés musulmanes

du Cap.

2. Algérie : Musée, Alger ; Rodoussi Qadour bin Mourad Tourki ; Fondation Ghardaia - Médersas : Tlemcen ; Alger - Zawiyyas, Temacine ; Wargla ; Adjadja ; al Hamel - Grande mosquée : Alger - Imprimerie Tha Alibi – Annexes, Bibliothèque nationale : Frantz Fanon ; Bejaia (Ibn Khaldoun) ; Tiaret (Jacques Berque) ; Adrar ; Annaba ; Constantine ; Tlemcen ; Lmuhub Ulahbib ; Bejaia. 3. Burkina Faso : manuscrits de Dori, Djibo, Bobo-Dioulasso. 4. Cameroun : Bibliothèque royale de Foumban ; Bibliothèque nationale, Yaoundé. Manuscrits Bagam, London School of Oriental Studies.

5. Côte d’Ivoire : manuscrits anciens du Nord de la Côte d’Ivoire ;

manuscrits de Bruly Bouabré (IFAN, université Cheikh Anta Diop, Dakar).

6. Egypte : Daar al Kutub ; Nag Hammady ; Bibliothèque nationale ; bibliothèque d’Alexandrie ; Deir Al-Moharraq, près d’Assiout ; musée copte du Caire et couvent Père Fidoul ; Zeidane, Caire ; Center for Documentation of Cultural and Natural Heritage ; American University. 7. Erythrée : très peu d’informations et d’études de terrain récentes sont

disponibles ; voir Bibliothèque nationale de Paris, Aix-en-Provence, Oxford et Rome.

8. Ethiopie : National Archives and Library of Ethiopia ; Institute of

Ethiopian Studies ; Ethiopian Orthodox Tewahdo Church Patriarchate Library ; Authority for Research and Conservation of Culture Heritage ; Musée national ; liste des inventaires de manuscrits (); pour la facilitation d’accès aux manuscrits en arabe ou ajami contacter Islamic Supreme Council, Addis Ababa). La récente découverte de la collection de manuscrits appartenant à l’Ethiopian Orthodox Tewahedo Church et gardée au monastère d’Abba Gärima près d’Adwa a complètement bouleversé les données historiques concernant l’apparition de l’écriture en Afrique. En effet, la technique de datation au Carbone 14 appliquée à ces manuscrits les fait remonter au IVe siècle de notre ère, ce qui semble suggérer que l’écriture gé’éz remonte à une période encore plus ancienne dite « préhistorique ». Une révision en profondeur des livres de l’histoire universelle s’impose à cet égard. De petites collections de manuscrits en Amharic, Tigrinya, Tigre et d’autres langues des familles sémitiques, couchitiques et nilotiques sont signalées ainsi que des manuscrits datant de l’Etat chrétien de Nubie (VIe-XIIe siècle).

xxiii

9. Gabon : des manuscrits ont probablement été laissés par les résistants

à la guerre coloniale qui ont été exilés au Gabon comme Almamy Samori Touré, empereur du Wassoulou et Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la Confrérie mouride.

10. Gambie : plusieurs collections de manuscrits de qualité datant des XVIIIe et XIXe siècles ont été signalés dans ce pays qui faisait partie du royaume du Gabou et des principautés du Bour Sine.

11. Ghana : Institut d’études africaines de l’université d’Accra ; Tamala ; Kumasi ; Boigutantigo. 12. Guinée : d’anciennes fouilles ont été opérées en pays Toma qui a fourni une écriture authentiquement africaine et au Fouta Djallon, centre d’impulsion d’un vaste mouvement religieux et politique qui s’est étendu à travers tout le Sahel africain. Manuscrits de Kankan. 13. Guinée-Bissau : des manuscrits anciens (XIXe siècle) ont été signalés

à Bafata et ailleurs. Les manuscrits restants en papier filigrané semblent peu nombreux et mériteraient un traitement urgent.

14. Kenya : Bibliothèque nationale de Nairobi ; île de Lamu ; manuscrits signalés dans tout le Zanzibar et les villages et villes secondaires limitrophes de Mombassa. 15. Lesotho : alphabet authentiquement africain signalé par des missionnaires européens. 16. Libéria : Bibliothèque nationale et certaines familles. La guerre civile

qui a déchiré ce pays pendant une longue période a favorisé la disparition ou la destruction d’anciens manuscrits Vaï. Ce patrimoine est à reconstruire.

17. Libye : Bibliothèque nationale de Tripoli et Syrthe. A la faveur d’une guerre récente, ce pays a été dévasté avec ses fonds bibliothécaires. Une nouvelle évaluation est en cours. 18. Madagascar : d’anciens manuscrits royaux existent dans ce pays mais sont mal connus. Certains manuscrits ont été conservés en France. 19. Mali : Institut des hautes études et de recherches islamiques Ahmad Baba,

Tombouctou ; Mouhamad bin Oumar Al Murji, Mourdja, cercle de Nara ; Ahmad Al Qari, Bamako ; Mouhamad Al Iraqui, Bamako ; Ahmad Baba Bin Abil Abbas Al Husni, Tombouctou ; mosquée Sankoré, Tombouctou ; Mouhamad Mahmoud bin Cheikh Arouni, Tombouctou ; Binta Gongo ; Gandame ; Touka Bango ; Imboua ; Kounta ; Sidy Aali ; Koul Ozza ; Koul Souk, Gao ; Zeynia, Boujbeha ; imam Ben Es-Sayouti ; Al Gadi Mouhamad

xxiv

Bin Cheikh al Aouni ; Ahmad Bin Arafa Atoukni le Tombouctien ; Qadi Ahmad Baba bin Abil Abbas Al Husni ; Fondo Kati (Mohamad Ka-ati) ; Djingarey Ber, Tombouctou ; Zeinia, village des Abu Jubeiha ; Mahamad Mahmoud, village de Ber, Mama Haidara, Tombouctou (voir la carte détaillée des manuscrits de Tombouctou et environs dans cet ouvrage). Une grande partie des manuscrits en ajami ou en arabe sont dispersés en France (bibliothèques nationale, d’Aix-en-Provence, de Richelieu etc.), au Niger, au Sénégal, en Mauritanie, au Burkina Faso, au Bénin, au Togo, au Ghana, en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire, en République centrafricaine, au Tchad, à l’île Maurice, à Madagascar, à Lamu, Kenya, en Tanzanie, au Cameroun, en Afrique du Sud, au Soudan, en Somalie, aux Seychelles (pour plus de détails, voir les différents chapitres de cet ouvrage, volumes 1 à 3).

20. Maroc : Voir les bibliothèques privées suivantes : Mohamed Ben Jaafar El Kettani ; Abdel Hay El Kettani ; Thami El Glaoui ; Ibrahim El Glaoui ; Mohamed Hassan El Hajoui ; Mohamed El Mokri. Cf. aussi la bibliothèque des archives nationales et la bibliothèque Hassanya de Rabat. Plus loin, Benebine passe en revue de façon détaillée l’évolution des bibliothèques et des manuscrits au Maroc et au Maghreb plus largement 21. Mauritanie : manuscrits des villes historiques de Walata; Tichitt;

Wadane ; Chinguetti ; Nouackchott ; collections de manuscrits anciens signalés dans les campements, regroupements familiaux, mosques, médersas suivants : Ideille, Hay Al Beitara, Hay Al Breij, Al Soukh, Al Safha, Ehl Babé, Ehl Moulaye Abdallah, tous dans la région du Hodh Echargui ; des collections sont également signalées dans les bibliothèques traditionnelles de Néma, Djiguenni, Timbedra, Tamchekket, Oum Lemhar, Sed Al Talhayet, Aghweinit, Al Marveg, Al Mebrouk, Kiffa, , Al Jedidé, Saguattar, Boulenouar, Assaba Kankossa, Assaba Guérou, Kaédi, Brakna, Trarza,, Boutilimit, Mederdra, Atar, Tagant Tidjika, Tiris Zemmour (Zoueiratt; Akjoujt) ; manuscrits des XVIIIe et XIXe siècles de Garag (Rosso).

22. Niger : Institut de recherche en sciences humaines, Département des

manuscrits arabes et ajami, Niamey ; Institut de recherche et d’histoire des textes ; manuscrits des villes d’Agadez, Difta, Zinder, Maradi, Abalak, Tahoua, Dosso, Téra.

23. Nigéria : Abdu Samad, Sokoto ; Mouhamad bin Mahjoub Al Murakuchi,

Sokoto ; université Ibadan ; Zaria ; Arewa House, Kaduna ; Jos ; Nasiru Kabara Library, Kano ; voir aussi la collection détenue par la Melville J. Herskovits Library of African Studies, Northwestern University, Etats-Unis, qui comprend entre autres la Umar Falke Collection et la John Paden Collection rattachée à Kano ; collections de manuscrits de Waziri Junaidu History and Culture Bureau, Sokoto, des Archives nationales de Kaduna, de l’History Bureau,

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Kano, de la collection privée de Waziri junaidu, Sokoto, du Center for TransSaharan Studies, Maiduguri et du Centre for Islamic Studies, Sokoto.

24. République arabe sahraouie démocratique : dans ce pays en guerre, la plupart des manuscrits anciens sont dispersés dans les zawyas et les enclos privés de certains imams. Pour des sources récentes, voir les travaux d’Ahmed Baba Miské. 25. Sénégal : Laboratoire d’islamologie de l’IFAN, université Cheikh Anta Diop ; Daaray Kamil, Touba ; famille Cheikh Moussa Kamara, Ganguel (Matam) ; famille Sy, Tivaouane ; Pire ; famille Niassènes ; famille Limamoulaye, Yoff/Cambérène ; des manuscrits sont dispersés à Saint-Louis, Rufisque, Thiès, Diourbel ; Madina, Kolda, Sédhiou, Matam, Podor, Ndioum, Galoya, Cas-Cas, Mbouba, Bakel, Rosso, Linguère, Tambacounda et dans plusieurs zawyas à travers le Sénégal, la Mauritanie, la Guinée Bissau et la Gambie. 26. Sierra Leone : ce pays regorge de manuscrits mais ils ont été dispersés ou détruits à la faveur d’une longue et brutale guerre civile. Des fouilles en profondeur paraissent maintenant nécessaires pour sauver les fonds restants de manuscrits en péril. 27. Somalie : manuscrits de Kismayu. On ne sait pas grand chose des

manuscrits conservés dans ce pays resté longtemps sans Etat et en guerre.

28. Soudan : Bibliothèque nationale de Khartoum ; manuscrits détenus dans des familles à travers le pays.

29. Tanzanie : Archives nationales de Zanzibar (WNA), Zanzibar Stone Town. Vaste fonds de manuscrits repertoriés en partie dans cet ouvrage. Voir aussi les bibliothèques du Sultanat d’Oman qui avait conquis le Zanzibar entre les XVIIIe et XIXe siècles. Swahili Manuscripts Database de la School of Oriental and African Studies, université de Londres. 30. Tchad : manuscrits d’Abéché (sud-est). En raison d’une longue guerre

civile les manuscrits anciens de ce pays ont été dévastés. Un travail de conservation et de catalogage doit y être envisagé de toute urgence.

31. Tunisie : Al Manar ; Bibliothèque Atique Al Assali ; Nouri bin Mouhamad

Nouri ; Chazeli As Zawq ; Bibliothèque nationale, Tunis

J. H. S.

xxvi

______________ 1. Les sources utilisées pour la compilation des informations contenues dans cette carte proviennent principalement des résultats de recherche présentés par les éminents auteurs de cet ouvrage et complétés par des recherches sur la toile mondiale. Le lecteur voudra bien noter que les bibliothèques et familles détentrices de manuscrits anciens africains (de 3500 avant notre ère au XXe siècle) ou de statues et de bas-reliefs avec des signes graphiques localisés en Europe (France, Grande Bretagne, Espagne, Portugal, Pays-Bas, Italie, Vatican, Finlande), en Russie, en Chine, en Amérique du Sud, au Canada, aux Etats-Unis, dans les pays arabes (Oman, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Quatar), etc. n’ont pas été prises en compte ici. Une telle entreprise, se situant hors de notre propos, aurait, en effet, nécessité des compilations et des recherches menées à partir de sources primaires et secondaires et s’étalant sur plusieurs siècles. Des efforts substantiels ont été accomplis en ce domaine par des institutions plurilatérales comme l’Unesco ainsi que des bibliothèques et institutions universitaires africaines et non africaines.

xxvii

Première Partie Origines africaines de l’ecriture

chapitre 1

Introduction générale

L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés Jacques Habib Sy

M

algré un faisceau de faits historiques attestés à travers les travaux d’éminents savants africains1 et occidentaux2, la civilisation africaine est encore perçue comme le lieu par excellence de l’oralité et de sociétés qui n’auraient pas connu l’écriture. Cette perception générale a été instrumentalisée, durant une longue période, à présent révolue, à travers l’entreprise idéologique et révisionniste consistant à 1. Anténor Firmin, l’un des précurseurs africains de l’égyptologie, a publié au XIXe siècle, comme le montre T. Obenga (« Hommage à Anténor Firmin, 1850-1911, égyptologue haïtien », ANKH, no 17, 2008, p. 133-145) une œuvre majeure, De l’égalité des races humaines : Anthropologie positive, Librairie Cotillon, Paris, 1885 rééditée en 2003 par L’Harmattan. Cf. aussi toute la bibliographie et les revues livresques proposées par T. Obenga sur le même sujet et par la revue d’égyptologie ANKH . Cf. aussi Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture, Présence Africaine, Paris, 1954 ainsi que les travaux de Leclant, J.F. Champollion, etc., cités par Diop et T. Obenga. 2. Ibid., p. 135-136. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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soustraire l’Egypte pharaonique du substrat africain dont elle est partie intégrante3. Les mêmes réticences ont instruit le débat obsolète sur la thèse monogénétique de l’apparition de l’homme portée au niveau d’un concept opératoire par le regretté Cheikh Anta Diop4 qui a démontré que l’Afrique est le berceau de l’humanité. La chronologie relative à l’histoire de la communication sociale, du stade de l’apparition de la parole à l’invention de l’écriture, reste encore méconnue du public non averti. L’histoire générale de la communication sociale5 en relation avec les faits dominants qui établissent la thèse monogénétique de l’origine de l’humanité reconnaît que l’hominidé a parlé pour la première fois en Afrique même. Ce processus d’invention de la parole, et sa traduction en un langage intelligible à de petites communautés, qui se sont élargies par la suite à l’époque de la sédentarisation des peuplements anciens6 et au gré des migrations, a probablement traversé toute la période allant de -20000 à environ -3400, c’est-à-dire durant la longue période « préhistorique » marquée par l’absence supposée d’écriture et donc de supports suffisamment robustes pour libérer l’esprit et la pensée. La périodisation d’un phénomène donné consiste à identifier les modalités de sa transformation à travers les différentes étapes de son évolution. Jusqu’ici, les difficultés auxquelles se sont heurtées les écoles de pensée qui se sont penchées sur l’histoire des communications7 participent de l’absence de profondeur historique et d’interaction entre les disciplines générales et particulières (histoire, anthropologie, communicologie, paléographie, linguistique, etc.), surtout lorsque ces dernières sont appliquées au contexte africain, puis général, des processus 3. Les conclusions du Colloque international du Caire sous les auspices de l’Unesco avec la participation des têtes de file de l’égyptologie contemporaine reconnaissent finalement en 1974 que « l’Egypte pharaonique était africaine par la culture, le caractère, le tempérament, la pensée, le sens, la langue ». Cf. T. Obenga, op. cit., p. 135. 4. Op.cit. 5. Cf. Demba Jacques Habib Sy, Capitalist Mode of Communications, Telecommunications Underdevelopment and Self-Reliance: an Interdisciplinary Approach to Telecommunications History and Satellite Planning on a Pan-African Scale, Ph.D. Dissertation, Howard University, 1984, p. 46-92. 6. Cf. Louise-Marie Diop-Maes, Afrique noire, démographie, sol et histoire: une analyse pluridisciplinaire et critique, Présence Africaine, Khepera, Paris, 1996. 7. Sy, op. cit.

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

et des effets de la communication sociale. Les éléments constitutifs de tout processus de communication sociale impliquent de prendre en considération les facteurs suivants : l’environnement social et culturel, l’agencement historique des faits de communication considérés, les moyens de communication utilisés, les canaux de communication en relation avec ces moyens, les rapports de communication entretenus au sein et en dehors des communautés considérées, les messages dans leur valeur intrinsèque; c’est-à-dire signifiante, et les facteurs qui en conditionnent le façonnement et l’intelligibilité, les messagers euxmêmes pris individuellement et collectivement, enfin les processus de rétroaction (ou feedback) et d’anticipation (ou feedforward) qui sont l’essence même de l’acte de communication (« être en relation avec », du latin communicare). L’historiographie africaine a longtemps maintenu une barrière rigide entre la période préhistorique et historique. Les sources principales de l’investigation historique (les archives écrites, l’archéologie et la tradition orale renforcées par la linguistique et l’anthropologie) sont en pleine mutation mais ont réussi pour l’essentiel à s’extirper de la gangue coloniale et raciste qui en obscurcissait parfois le propos et la finalité. L’interdisciplinarité, la nécessité d’aborder l’histoire de l’Afrique de l’intérieur, celle non moins importante de l’approche holistique considérant l’histoire des peuples africains en tant que totalité, et le principe méthodologique selon lequel l’histoire doit être abordée non pas exclusivement du point de vue de la narration basée sur la description des batailles et des « héros », mais bien sur « les fondements mêmes des civilisations, des institutions, des structures, des techniques, et des pratiques sociales, politiques, culturelles et religieuses »8. En somme, l’histoire doit être prise en charge par tous les éléments de cette nouvelle vision historiographique africaine à laquelle ont grandement contribué Cheikh Anta Diop et T. Obenga. Cette vision doublée de percées paradigmatiques d’une portée sans précédent a radicalement transformé l’observation et l’analyse historiques, à telle enseigne que la problématique de la périodisation des différentes étapes de la communication sociale devient possible.

8. Joseph Ki-Zerbo (ed.), General History of Africa (abridged edition), volume I, Methodology And African Prehistory, East African Educational Publishers/ Unesco, Nairobi, 1989, p. 6-9. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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Cheminement des graphies préhistoriques africaines Durant la période préhistorique, l’apparition progressive de la parole et des langues à travers lesquelles les homo sapiens sapiens communiquent, dans une mesure et à une échelle jusque-là inconnues, représentent la première rupture fondamentale dans le phénomène de socialisation de l’homme, en Afrique d’abord, et, graduellement, à travers l’Eurasie. Cette période voit la taille crânienne des hominidés s’affiner avec une complexification croissante du cerveau et de ses fonctions. Pour la première fois, mais probablement sur une très longue période, l’homme acquiert l’intelligence, et, avec elle, la mémoire qui décuple ses fonctions analytiques, d’archivage et de stockage, métaphysique et de sa relation au temps, à la distance et à la vitesse9. D’où l’importance de l’astronomie durant toute l’antiquité comme l’indiquent les ouvrages phares de Mayassis et d’Antoniadi10 sur les classiques grecs, élèves studieux des anciens prêtres égyptiens. La relation entre l’observation astronomique et l’apparition des signes graphiques et de l’écriture a été établie par Antoniadi dans une mesure rarement égalée dans la littérature disponible. Dès son Afrique dans l’antiquité11 publié en 1973, Obenga identifie les foyers culturels de l’Afrique antique avec leurs graphismes et leurs systèmes d’écriture respectifs sur la base d’une périodisation qui trouve ses fondements dans l’antériorité des systèmes d’écriture hiéroglyphiques de l’Egypte ancienne et de ses dérivés que sont le démotique et le méroïtique12, ainsi que toutes les graphies utilisées par la suite en Afrique même, et dans les principaux foyers de civilisation

9. Op. cit., p. 284-94. Cf. aussi T. Obenga, Pour une nouvelle histoire, Présence Africaine, Paris, 1980. 10. Cf. Serge Mayassis, Le livre des morts de l’Égypte ancienne est un livre d’initiation : matériaux pour servir à l’étude de la philosophie égyptienne, Bibliothèque d’archéologie orientale, Athène 1955. et E. M. Antoniadi, L’astronomie égyptienne depuis les temps les plus reculés jusqu’à la fin de l’époque alexandrine, GauthiersVilliers, Paris, 1934. 11. Cf. notamment Théophile Obenga, L’Afrique dans l’Antiquité : Egypte pharaonique, Afrique noire, Présence Africaine, Paris, 1973. Du même auteur, voir aussi « Africa, Cradle of Writing », ANKH, n° 8-9, 1999-2000, p. 86-95. Cet article capital a été repris avec de nouveaux arguments par l’auteur dans cet ouvrage au chapitre 2. 12. Obenga, L’Afrique dans l’antiquité, p. 17-52.

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

de l’antiquité, y compris, notamment, en son rameau égypto-nubien. L’auteur conclut ainsi ses observations : Si l’on prend en considération les civilisations du Nil moyen, de l’ensemble égypto-nubien, du croissant fertile Nil-Sahara, du Sahara montagnard, du Soudan occidental (plateau central nigérien ; ruines Lobi), de Nok, au Nigéria (plateau de Jos), entre 900 avant notre ère et 200 de notre ère, de Ntereso, au Ghana, des villes fortifiées de jadis (San, Zimbabwe), des pétroglyphes sénégambiens, maliens, nigérians, éthiopiens, sud-africains, des centres métallurgiques nubiens, des ruines du Soudan méroïtique, des temples et tombeaux (pyramides) de l’Egypte pharaonique, une seule conclusion s’impose : dans l’Antiquité négro-africaine, l’Afrique noire était littéralement couverte, sur la presque totalité de son étendue (l’Afrique noire s’étendait alors au Sahara, au nord de celui-ci, au bord de la Méditerranée), d’importants foyers culturels qui n’ont pas manqué de diffuser des éléments de civilisation tant matériels que spirituels, à travers le continent noir tout entier13.

Ce sont indubitablement les mêmes traits culturels dérivés du principe vitaliste selon lequel le verbe créateur, le nommo dogon14 se fond dans le principe même de la création de l’univers, de l’ici-bas et de l’au-delà, de l’esprit et de la matière unis en un même jaillissement dialectique15, que l’on retrouve dans les éléments fondateurs de l’écriture inscrits dans le sacré et confondus dans l’émergence de Ptah en tant que siège même de l’invention de l’univers et de « l’engendrement des paroles divines circonscrites dans les hiéroglyphes »16. Thot inventeur de l’écriture, nous dit Obenga, apprend aux humains les signes de l’écriture en se servant de graphèmes « habillant » une langue, la prêtant à l’intelligibilité du sens, de la spéculation et de l’analyse. Ainsi, « pour les anciens Egyptiens, l’Ecriture comporte encore une autre dimension : la graphie d’un étant, le sens de l’être, de l’étant en tant qu’étant se présentant derrière la graphie même. L’Etre s’ordonne derrière l’Ecriture. Lire un

13. Ibid., p. 51-52. 14. Cf. les travaux de Griaule et Dieterlen sur les Dogons et notamment Dieu d’Eau : entretiens avec Ogotemmêli. Arthème Fayard, Paris, 1975. 15. Demba Jacques Habib Sy, « T. Obenga : at the Forefront of Egypto-Nubian and Black African Renaissance in Philosophy », dans Ivan Van Sertima, Egypt revisited, Journal of African Civilization, 1989, p. 277-285. 16. Obenga, L’Afrique dans l’antiquité, p. 154. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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texte hiéroglyphique, c’est faire apparaître la présence (souligné par l’auteur) de l’être. »17 En dehors des témoignages de la prodigieuse activité néolithique dans le plateau central nigérien (ce même site où furent découvertes les premières activités artistiques des Africains du néolithique inscrites dans des grottes ou des abris rocheux), on note l’existence de pétroglyphes à travers toute l’Afrique, souvent sculptés dans la pierre même, de forme phallique, appelant les divinités mâles et femelles à s’accoupler pour produire la végétation, source de vie et d’élévation matérielle et spirituelle18 (voir Fig. 1 montrant les signes gravés sur l’un des monolithes phalliques de Tundidarou – notons la similitude avec le wolof tundd i daaru ou « le tumulus de Daaru »).

Photographies : J. Habib Sy (Bibliothèque de l’IFAN Cheikh Anta Diop) Figure 1 : A gauche, l’un des monolithes phalliques trouvés à Tundidarou19 ; à droite, détails des gravures sur le monolithe 17. Ibid., p. 153. 18. Ibid., p. 18-20. Cf. aussi l’ouvrage collectif de Michel Raimbault et Kléna Sanogo, Recherches archéologiques au Mali : prospections et inventaire, fouilles et études analytiques en zone lacustre, Karthala, Paris, 1991, p. 473-510. 19. Saliège , Person , Barry , Person et Fontes ont daté ce monument par la radiochronologie et le C14 à la première moitié du VIIe siècle de notre ère (Premières datations de tumulus pré-islamiques au Mali : site mégalithique de Tundidarou,

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Ces pétroglyphes annoncent déjà, comme le suggère Cheikh Anta Diop, la « forme transposée, déguisée, d’une métaphysique qui évoluera sans interruption vers l’idéalisme »20. En dehors des signes sacrés architecturaux d’Egypte, du Zimbabwe, du pays Yorouba ou Nok du Nigéria, les courants civilisateurs liés à la métallurgie, la poterie, l’habitat sous les formes les plus variées, notamment dans le Croissant fertile (Nil moyen - Egypte, Nil moyen - Sahara central), aux alentours du lac Tchad, les hommes et femmes néolithiques, soudanais en particulier, ont laissé des traces indélébiles attestées et datées par l’archéologie et la paléontologie. Comme le montrent les études de terrain remarquables d’Henri Lhote, les palettes artistiques riches et variées inscrites dans les grottes du Tassili et qui ne cessent de nous émerveiller aujourd’hui encore, sont en partie et suivant les périodes, d’inspiration négro-africaine21, comme le montrent si éloquemment les Peuls de l’ère néolithique dessinés et peints avec un réalisme saisissant dans les figures 2 et 3. Ces premières tentatives d’abstraction, d’analyse et de reproduction fidèle ou idéalisée, réaliste ou métaphysique, de l’environnement immédiat et de la totalité cosmique dans lesquels évoluent les populations néolithiques du Sahara sont d’une importance considérable. Car elles marquent la deuxième rupture fondamentale dans tous les processus de communication connus jusque-là (langage, parole sacrée, incantations individuelles ou de groupe, en public ou dans la sphère du sacré et donc du message caché, codé qui ne se donne au déchiffrement qu’à l’initié). En effet, pour la première fois, l’humanité pensante réussit la séparation physique entre le messager et le message dont il est porteur. Elle fixe sur un médium de type nouveau (la roche sculptée ou peinte), les préoccupations sociales des élites sociales par rapport au règne animal (en abondance dans le Sahara néolithique avant la période des grandes sécheresses et la désertification) et par rapport aux cultes religieux, en tous cas métaphysiques. C’est ce premier élan de l’homme vers la pensée et la spéculation scientifique qui marque entre -6000 et -3000, la première utilisation organisée, et attestée à une échelle jusque-là inconnue, du tracé, de D-646, 24 Nov. 1980). 20. Ibid., p. 20. 21. Ibid., p. 40-41. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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Photographie : BIFAN Figure 2 : Reproduction par Lhote d’un Africain de l’ère néolithique de type Peul (Cf., Le peuplement du Sahara néolithique)

Photographies : BIFAN Figure 3 : Jeunes filles peules, abri de Jabbaren, Sahara central néolithique (H. Lhote, Peintures préhistoriques du Sahara, Paris, 1957)

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

la ligne, de la courbe et de toutes sortes de figures géométriques, de masques ou de symboles en tant que reproduction du réel et/ou médiation entre le Verbe créateur et la matière, le créé, que ce dernier soit extrait ou l’expression du règne animal, végétal ou minéral voire humain. Les ateliers découverts dans les principaux sites culturels préhistoriques montrent que dans leurs activités, les premiers « dessinateurs » ou « peintres » du néolithique africain se sont surtout servis de macérés végétaux ou de poudres rocheuses, d’excréments d’oiseaux ou d’essences ligneuses carbonisées22 destinées à reproduire des nuances coloriées au détail près et des plans exécutés de main de maître et encore inconnus de l’Homme. Les processions magico-religieuses et les masques de cette période montrent des postures, une vision artistique et des antécédents ontologiques qui se rapprochent en tous points des registres artistiques et culturels découverts dans la période historique à travers le continent africain (voir les scènes, les personnages et les masques reproduits aux figures 2, 4 et 5). Les images laissées par l’homme préhistorique à la postérité restent le premier livre ouvert d’histoire naturelle et d’art, et, sans doute, les premiers signes qui précèdent l’écriture et rendent dans le détail les premières pulsions de l’organisation humaine, de son degré d’ingéniosité technologique, mais aussi, de sa capacité à élever l’esprit aux abstractions métaphysiques et religieuses. Exécutés avec brio, ces dessins, ces peintures et ces engravures sur pierre annoncent, à travers plus d’un million de sites africains dispersés parmi les hauts plateaux, les falaises et les abris élevés qu’offre parfois l’environnement saharien, les premières abstractions idéogrammatiques découvertes en amont de la chronologie scripturaire africaine et universelle. La dispersion géographique des arts rupestres se déroule suivant les axes suivants : -- à n’en pas douter, le Sahara représente le site le plus diversifié avec un nombre inégalé de graphismes et de peintures rupestres du Tassili N’Ajjer en territoire algérien, au sud marocain, à la Libye aux massifs du Ténéré (Niger), au Tibesti tchadien et aux monts sablonneux et rocailleux de Tichitt en Mauritanie ;

22. Ki-Zerbo, op.cit, p. 284-294. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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Photographies : BIFAN Figure 4 : Ce masque africain a été trouvé par Lhote dans les abris d’Aouamrhet (Cf. Lhote, Le Peuplement du Sahara néolithique, op.cit)

Photographies : BIFAN Figure 5 : Ces scènes tirées des peintures du Sahara décrites par Lhote pourraient avoir inspiré l’artiste italien Amédéo Clemente Modigliani au début du XXe siècle

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Graphique 1 : Chronologie des premiers signes graphiques sahélo-sahariens

-- en Afrique de l’Est, en Tanzanie et dans les hauts plateaux éthiopiens; -- en Afrique australe, à travers l’Etat d’Orange, la rivière du Vaal, le Transvaal et les cavernes du Cango. Du point de vue de la chronologie, on peut admettre avec les auteurs du volume 1 de l’Histoire générale de l’Afrique publiée par l’Unesco, les principales périodes suivantes : Pour s’affranchir de la tyrannie de la communication gestuelle, puis orale, de personne à personne, de personne à groupe ou de groupe à groupe, le processus d’osmose entre la parole et sa signification écrite, codifiée et pensée au bout de très longues périodes, l’homo sapiens sapiens est passé par plusieurs ruptures dans son évolution : -- domestication du Verbe, donc de la parole et des langues ; -- invention de l’abstraction graphique à travers les abris se distribuant du Sahara néolithique au finistère de Bloemfontein, en Afrique du Sud, sous la forme de peintures et de graphismes inscrits, peints ou gravés dans la roche durant de longues périodes qui témoignent de peuplements très anciens par diverses civilisations soudanaises, peules puis berbères ; L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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Source : T. Obenga, L’Afrique dans l’antiquité, op.cit. Figure 6 : Communauté d’origine du démotique et du méroïtique

-- invention de l’écriture hiéroglyphique en Egypte, dans les basreliefs d’Abydos, avec en toile de fond la notion du Verbe créateur, de Ptah et son corollaire Thot, Dieu de l’écriture, clés de voûte du système graphique africain inscrit dès le depart dans le registre du sacré, donc des cosmogonies et du vitalisme qui en constituent la substantifique moelle. De son examen des foyers culturels de l’antiquité africaine, Obenga tire la double conclusion que les « Indo-Européens » n’atteignent les franges méditerranéennes du Maghreb qu’environ 1500 ans avant notre ère, et que la première grande capitale de l’islam médiéval, Kairouan, n’émerge pas avant 666 de notre ère23. De ce constat, le savant congolais, 23. Obenga, L’Afrique dans l’antiquité.

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

aborde la problématique du rapport de l’écriture à la chronologie dans le second chapitre de cet ouvrage. Le lecteur voudra donc bien se reporter à cette nouvelle suggestion déjà discutée, par ailleurs, dans les colonnes de la revue ANKH (Paris) et par l’historien et égyptologue sénégalais Aboubacry Moussa Lam au chapitre 3 de cet ouvrage.

L’écriture négro-égyptienne aux origines de l’invention de l’écriture La troisième grande rupture dans le cycle universel de la communication sociale intervient avec l’invention de l’écriture. A la suite d’autres historiens24, T. Obenga montre qu’après avoir été le berceau de l’humanité, l’Afrique a aussi été le berceau de l’écriture25. La tentative la plus récente du savant congolais (voir le chapitre 2 de cet ouvrage) réfute la thèse selon laquelle la Mésopotamie (la civilisation sumérienne située dans les frontières actuelles du sud de l’Iraq) aurait inventé l’écriture vers 3060 avant notre ère. Sur la base d’une revue critique des textes anciens (le Livre de Sanchoniathon de la Phénicie, Platon, Socrate), des travaux de Sir Arthur John Evans, notamment son Scripta Minoa montrant que les glyphes crétois étaient d’origine égyptienne, et de la découverte du Dr Günther Dreyer qui, à travers des fouilles à Abydos, en Haute Egypte, a mis en évidence des signes hiéroglyphiques datant de 3400 avant notre ère, T. Obenga établit fermement l’antériorité de l’écriture égyptienne pharaonique sur toutes les autres et propose une chronologie universelle de l’écriture26. Ici encore, l’étudiant sérieux des origines négro-africaines de l’écriture ne saurait faire l’impasse sur les œuvres monumentales de Cheikh Anta Diop27 et T. Obenga28 établissant la parenté génétique entre l’égyptien ancien et les langues négro-africaines. Obenga montre, à travers un sondage sur l’identité des graphèmes égyptiens et nubiens, notamment durant la XXVIe dynastie, entre 663 et 525 avant notre ère, la radicalité 24. Cheikh Anta Diop, Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines, IFAN, Dakar, 1977. 25. Obenga, L’Afrique dans l’antiquité. 26. Ibid., p. 110-115. 27. Diop, Parenté... 28. Obenga, L’Afrique dans l’antiquité, p. 18-20. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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Photographie : BIFAN Figure 7 : Gravure d’I-n-Itinen, période des « têtes Rondes », reproduit par Henri Lhote dans Le peuplement du Sahara neolithique

de la parenté des « deux systèmes graphiques de la vallée du Nil, le méroïtique et le démotique »29 (voir Fig. 7). Le même exercice est reconduit à partir de la méthode comparative et inductive appliquée aux lexèmes extraits de l’ancien égyptien, du copte et du mbosi. L’auteur en tire la conclusion que ces lexèmes sont « manifestement hérités », particulièrement au vu de l’analyse des faits historico-linguistiques et des concordances de vocabulaire qui montrent que les « correspondances et comparaisons (instruction des formes, règles de correspondances phonétiques, restitution des formes antérieures communes) donnent à penser, conformément aux méthodes en usage en linguistique comparée, que l’égyptien et les langues modernes de l’Afrique noire renvoient à une langue originelle commune. Celle-ci a pour nom, faute de mieux : le négro-égyptien »30. S’exprimant sur la signification des « Têtes rondes » découvertes près du 26e parallèle au Sahara (voir Fig. 7), Henri Lhote n’hésite pas à qualifier de « Négroïdes » les personnages, les symboles et les tatouages qui y sont découverts et qui dateraient de 5000 ans « au moins » avant notre ère. Il suggère que les peintures découvertes dans certains des sites sahariens « seraient antérieures à l’art pharaonique et même à 29. Ibid., p. 110-115. 30. Ibid., p. 40-41.

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

celui de la période prédynastique » et que, par voie de conséquence, « elles ne peuvent pas avoir été influencées par l’Egypte ». Il va même plus loin en suggérant que les vues théoriques antérieures qui isolaient l’Afrique noire de son rameau égyptien devraient être abandonnées au profit d’une vision qui rattacherait le patrimoine culturel et scripturaire de l’ancienne Egypte à son foyer culturel d’origine qui se situe en Afrique au sud du Sahara31. Pour en revenir à la découverte d’Abydos, on peut estimer que celle-ci installe définitivement pour l’instant l’antériorité du système hiéroglyphique égyptien par rapport aux tablettes en argile de la Mésopotamie, qui avaient jusque-là servi d’étalon immuable pour ce qui concerne l’invention de l’écriture. L’Egypte négro-africaine précède donc de trois siècles la Mésopotamie dans l’invention de l’écriture. Les systèmes graphiques dispersés à travers le continent africain reflètent, comme nous l’avons vu plus haut, non seulement l’unité culturelle des peuples noirs qui la composent mais aussi les flux migratoires du Sud au Nord-Est et de l’Est à l’Ouest32. C’est pourquoi il est important de rappeler la grande homogénéité socio-culturelle et le degré élevé d’intégration des routes commerciales et de production sahélo-sahariennes comme l’indique la carte 1. L’intégration des routes commerciales transsahariennes à l’entrelacs de voies de communications mises en place à travers les royaumes et les empires ouest-africains du IXe au XVIIIe siècle favorise la circulation du papier en provenance d’Italie et d’Andalousie, comme le montre Henri Sène dans son chapitre sur l’émergence du commerce florissant des livres importés d’Italie, d’Espagne mais aussi de l’Egypte, de tout le Moyen-Orient et du Maghreb, voire de la Turquie. La pénétration de l’islam par le Maghreb, des côtes de l’Océan Indien à l’Est et à travers les grandes passerelles que sont les empires ouest africains durant l’ère des Askya, en particulier jusqu’au Kanem-Bornou et aux franges du lac Tchad, favorise l’alphabétisation des Africains à une échelle jusquelà méconnue dans cette partie du monde, à l’exception de l’Ethiopie 31. Henri Lhote, « Le peuplement du Sahara néolithique d’après l’interprétation des gravures et des peintures rupestres », Journal de la Société des Africanistes, XI, vol. 40, n° 40-2, 1970, p. 96-101. 32. Cf. C. A. Diop, L’unité culturelle de l’Afrique noire, Présence Africaine, Paris 1959. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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Source : http://en.wikipedia.org/wiki/Trade_route Carte 1 : Routes commerciales transsahariennes et du Nord Est africain

Source : Ghislaine Lydon, On Trans-Saharan Trails, Cambridge Univ. Press Carte 2 : Axes commerciaux transsahariens

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

à partir du IVe siècle de notre ère (voir le volume 3 de cet ouvrage sur les manuscrits éthiopiens). Les migrations berbères et arabes, des côtes méditerranéennes vers l’Egypte et l’espace sahélo-saharien allant jusqu’à l’océan Atlantique, ont été favorisées par un système de transhumance nomadique et commerciale tantôt portée par des chariots rudimentaires, tantôt par le chameau et les chevaux en tant que vecteurs du trafic caravanier et d’expansion à la fois militaire et commerciale33 (voir Carte 2), Tombouctou, déjà décrite au XIIe siècle par Jean Léon L’Africain34 comme un havre culturel avec l’université de Sankoré, de renommée mondiale, recevant jusqu’à 25 000 étudiants et des savants dont les publications font autorité (voir le chapitre 14), a été l’épicentre d’un système de gestion des connaissances favorisé par des empereurs prenant en charge un corps de jurisconsultes respectés et responsables de la justice et de la correspondance protocolaire (voir le chapitre 17). Il est attesté que les rois du Soudan créèrent les premières générations d’étudiants soudanais lettrés en les envoyant en Egypte et au Maroc, tout en favorisant l’immigration de savants du Maghreb et du MoyenOrient. L’islamisation progressive de la zone soudano-sahélienne marque donc un point de rupture fondamental dans l’évolution des peuples non seulement d’Afrique de l’Ouest, du Nord-Est mais aussi de l’Est et plus particulièrement de la Corne de l’Afrique (Ethiopie, Erythrée, Somalie) où l’islam a pu, à travers des migrations forcées en Ethiopie, protéger son avant-garde jihadiste et assurer son expansion. Au IVe siècle, le clergé éthiopien, utilisant le gé’éz écrit des pages remarquées de la littérature liturgique chrétienne, et, à partir du prosélytisme local et paysan alors de mise face à la montée islamique et aux invasions, réussit à developper les belles lettres, les arts, la philosophie et la production livresque au sein des couches supérieures d’une société encore fragmentée par un système féodal pluricentenaire. A partir du XVIe siècle, la production livresque, administrative et juridique de l’intelligentsia ouest-africaine s’intègre aux langues du terroir – wolof, sonrhaï, djerma, soninké, haussa, pulaar, hassanya, berbère, etc. – et crée une nouvelle catégorie dite ajami (« non arabe ») 33. Amadou Aboubacar, « Les relations entre les deux rives du Sahara du XIe au début du XXe siècle », Série Conférences (22), université Mohammed V-Souissi, Institut des études africaines, Rabat, 2005, p. 18. 34. Jean Léon l’Africain, Description de l’Afrique, Maisonneuve, Paris, 1956, t : 2. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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utilisant l’alphabet arabe et largement appropriée à ce jour par les différentes confréries islamiques et les paysanneries locales, selon un format qui a peu évolué au cours des siècles (voir les chapitres de Abdel Cheikh Wedoud, Moulaye Hassane, Seyni Moumouni et Demba Tëwe). Les sytèmes d’écriture africains ont évolué à l’intérieur des grandes zones culturelles décrites par les historiens à partir des sources écrites, de l’archéologie, de l’anthropologie, de la paléographie et de la tradition orale ou orature. Les fondements méthodologiques de telles recherches ayant été largement pris en charge par Ki-Zerbo35 et Djibril Tamsir Niane36, il paraît plus utile de passer en revue les repères essentiels qui fondent l’évolution de l’écriture et de ses diverses manifestations en Afrique. Il convient tout d’abord de lever l’équivoque sur la signification profonde de l’apparition de l’écriture. Ki-Zerbo s’est nettement démarqué de la tendance inaugurée par les historiens de la vieille école37 selon lesquels, l’écriture marquerait la frontière intangible entre la préhistoire et l’histoire parce qu’elle permettrait de décrire, d’analyser et de confronter les sources écrites qui sont des repères plus fiables et qui se prêteraient le mieux aux différentes approches méthodologiques de l’histoire38, de l’archéologie et de la linguistique voire de la philosophie. D’autres auteurs, notamment Diouldé Laya39 et Mamadou Cissé40 ont mis en relief l’importance de la tradition orale en 35. Ki-Zerbo, op.cit. p. 1-28, 34-42. 36. Joseph Ki-Zerbo, Djibril Tamsir Niane (eds.), « Africa from the Twelfth to the Sixteenth Century », General History of Africa (Abridged edition), Unesco, vol. IV, 1997. 37. Cf. la revue qui en a été faite par Ki-Zerbo op. cit., p. 10-15. 38. De Morgan (Ancient Society) à Hegel, Marx et Engels, l’anthropologie européenne ne s’est pas privée de décréter avec des relents racistes ouverts et choquants que l’Afrique ne ferait pas partie de l’histoire et qu’on serait en peine d’y trouver ne serait-ce que des traces lointaines d’une civilisation qui se serait éloignée de la barbarie (d’où l’ouvrage-repère de Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie, Présence Africaine, Paris, 1981 ; cf. aussi l’ouvrage d’Amady Ali Dieng, Hegel, Marx, Engels et les problèmes de l’Afrique noire, Dakar : Nubie, 1978) et les travaux remarquables de T. Obenga sur cette question, notamment dans L’Afrique dans l’antiquité et Pour une nouvelle Histoire. 39. Cf. plus loin le chapitre 10 de cet auteur. 40. Mamadou Cissé, « Ecrits et écritures en Afrique de l’Ouest », Sud Langues [en ligne], n° 6, juin 2006,

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Photographie : J. Habib Sy Figure 8 : Tablette en bois largement utilisée en Afrique soudanaise

Source : S. Sauneron, Priests of Ancient Egypt, N. Y., Grove, 1960 Figure 9 : Tablette en bois pour les inventaires des prêtres du Temple de Maat à Karnak

tant que complément parfois indispensable de l’historiographie écrite, surtout dans le contexte ouest-africain. Plus généralement, l’histoire des communications qui n’a pas encore été décolonisée relate surtout la prééminence de la civilisation écrite occidentale41 sur toutes les autres, avec comme point de départ le miracle grec42. 41. Cf. Sy, op.cit., p. 42-44. 42. Cf. George G. M. James, Stolen Legacy, Greek Philosophy is Stolen Egyptian Philosophy, Africa World Press, Trenton, N. J., 1992. Sur la même lancée, Obenga, Van Sertima et beaucoup d’autres auteurs africains-américains ont ouvert des pistes extrêmement fécondes montrant que les découvertes attribuées aux Grecs représentent en réalité le plus souvent des emprunts aux corpus scientifiques et L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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Kathleen Hau a cherché à légitimer la thèse de l’influence d’autres peuples arabes ou occidentaux, dans les premiers efforts connus d’invention de nouveaux alphabets notés chez les Vaïs du Libéria et de la Sierra Léone, les Mendés, les Tomas de la Guinée et du Libéria et les Kpellés et les Bassas du Libéria43, autour des anciennes routes commerciales de la période des empires du Mali et du Ghana ainsi qu’autour des activités de troc liées aux transactions aurifères comprises dans le triangle allant de Tombouctou par les fleuves Niger et Bani (écritures ou « signes graphiques » Dogons et Bozos), entre les confluents du Kangaba et du Sankarani (systèmes graphiques Bambaras et Mandés) pour s’élargir aux zones golfières situées entre Saint-Paul et Cavally (écritures mendé, vaï, toma et guerzé ou kpellé). Hau est même allée jusqu’en Méditerranée, en Amérique du Nord et au ProcheOrient pour expliquer l’influence du commerce à longue distance dans l’apparition de l’écriture en Afrique de l’Ouest. Cette obsession de vouloir trouver une influence extra-africaine dans l’apparition de l’écriture en Afrique paraît avoir guidé les premières investigations de l’ethnologie coloniale sur la question. Cette erreur méthodologique et factuelle a été sévèrement critiquée par les historiens, notamment les tenants de la « nouvelle histoire »44. Delafosse a tenté, pour sa part, de rattacher l’écriture vaï aux traditions hiéroglyphiques de l’ancienne Egypte pharaonique45, sans être en mesure d’attester les correspondances linguistiques et les faits historiques qui expliquent la longue transition entre les périodes de formulation des hiéroglyphes et le passage de la graphie des signes à leur signification parlée. Les débuts de l’écriture qui doivent être situés au cœur de l’Afrique durant la basse époque néolithique au moins, ont été passés en revue par l’ethnologue français D. Zahan entre 1948 et les années 1950. Il a réussi à reproduire des centaines de signes dogons et bambaras tracés au doigt, dans le sable, par leurs auteurs. Il en a conclu que ces signes philosophiques de l’ancienne Egypte pharaonique. Cf. Ivan Van Sertima, Egypt Revisited et la revue ANKH publiée à Paris sous la direction de T. Obenga. 43. Kathleen Hau, « Pre-Islamic Writing in West Africa », Bulletin de l’IFAN, t. 35, série B, n° 1, 1973. 44. Cf. les ouvrages cités ci-dessus de l’Unesco, Diop, Obenga et Van Sertima. 45. Maurice Delafosse, Les Vaï ; leur langue et leur système d’écriture, L’Anthropologie, vol. X, 1989, p. 129-151, 294-314.

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sont de véritables pictogrammes de portée universelle pouvant être lus par nimporte quel prêtre dogon ou bambara. Ces pictogrammes peuvent être classés dans le registre des graphèmes qui ont précédé l’islam de plusieurs siècles et qui appartiennent en propre au foyer culturel soudanais. Zahan suggère également, comme l’a fait Obenga plus récemment, la parenté profonde entre les systèmes graphiques bambaras et dogons et l’écriture Nsibidi des Ekois et Ibibios du SudEst nigérian46. Au titre des systèmes d’écriture préislamiques, on peut noter avec Germaine Dieterlen47 que l’écriture glà glà zo des Bambaras, comportant 226 à 266 signes, semble avoir été utilisée par les scribes des cours royales qui gravaient sur des tableaux de bois des messages sous forme de laissez-passer ou de comptes statistiques concernant les greniers du roi et gardés par la suite dans les archives royales. Les femmes de la noblesse, à partir d’un certain âge, pouvaient utiliser cette écriture, probablement en rapport avec les prescriptions religieuses et coutumières de la société secrète bambara. Sur la base de témoignages recueillis auprès des sources informées de la société traditionnelle bambara, l’auteur suggère qu’en toute probabilité, les systèmes d’écriture bambaras étaient fondamentalement d’essence religieuse et n’avaient pas atteint un stade universel au sein des couches sociales aisées, à fortiori parmi les couches les plus démunies. Obenga établit la parenté génétique des langues africaines actuelles dites « négro-africaines » et du « négro-égyptien » sur la base des mots dont les formes radicales, parce que les plus stables, représentent des faits plus probants que les comparaisons basées sur la ressemblance de mots. Sur la base d’une nouvelle classification des langues africaines en trois grandes familles linguistiques, le négro-égyptien, le berbère et le khoisan (voir la carte linguistique n° 3), Obenga décrit et analyse les systèmes graphiques africains en les divisant en deux périodes : préhistorique et historique. La période préhistorique est celle que nous avons essayé de décrire plus haut et qui est représentée par les signes graphiques rupestres du Sahara, de l’Ouest et du Sud de l’Afrique. La période historique voit, selon l’érudit africain, l’émergence et le développement de l’écriture 46. Dominique Zahan, « Pictographic Writing in the Western Sudan », Man, n° 218219, 1950, p. 136-137. 47. Germaine Dieterlen, Essai sur la religion Bambara, PUF, Paris, 1951. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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Source : T. Obenga, L’Afrique dans l’Antiquité, op.cit., p. 323 Carte 3 : Familles linguistiques africaines selon Obenga : 1) Le négro-égyptien (égyptien ; langues nilotiques ; langues couchitiques ; langues bantu ; langues soudanaises) ; 2) Le berbère (zuaua ; rifain ; beni-snous ; cheilh’a ; zenaga ; tuaregh ; kel-ouï ; ghât ; ghdamès ; zenatia ; chauïa ; siwa) ; 3) Le khoisan (nama ; kung ; korana).

sous ses formes mnémotechnique (cordelettes à cauris des Yoruba dites arókò — voir Fig. 10), pictographique (chaque chose est décrite par une représentation figurée), idéographique (un signe représente une idée) et phonographique ou phonétique (signes verbaux ; écriture syllabique ; écriture alphabétique)48. Obenga considère les cordelettes à cauris yoruba comme un système graphique achevé, ce qu’il démontre à travers le déchiffrement de huit 48. Ibid., p.355s.

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Source : T. Obenga, op.cit., p. 371 Figure 10 : Lettres écrites en arókò

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textes arókò49 et une discussion approfondie des faits syntaxiques et lexicaux considérés et du contexte socio-historique de ceux-ci. Il analyse ensuite les systèmes d’écriture gicandi, nsibidi, mende, toma, vai et mum à travers une analyse approfondie de l’évolution, dans le temps et l’espace, de ces systèmes historiques de communication50. Il y a un échantillon beaucoup plus étendu d’écritures autochtones africaines qui appartiennent au substrat culturel africain (voir Fig.11 à 21), même si elles ont pu, soit disparaître (cas des Bagam du Cameroun ou d’autres systèmes scripturaires utilisant le sable comme support principal, ce qui a accéléré leur disparition au fil du temps)51, soit opérer des emprunts à d’autres écritures avec lesquelles elles ont cohabité pendant de longues périodes (cas de l’arabe et des langues européennes). Sous ce rapport, il y a encore un vaste travail de dépistage de ces anciennes écritures et des traces qu’elles ont laissées et qui sont encore portées aujourd’hui par les sociétés africaines comme une preuve vivante du rôle pionnier qu’a joué l’Afrique dans l’invention et la domestication de l’écriture depuis la plus haute antiquité.

49. Ibid., p. 361-78. 50. Ibid., p. 370-71. 51. Cf. l’échantillonnage proposé par Saki Mafundikwa, Afrikan Alphabets: the Story of Writing in Afrika, Mark Batty, New York, 2007.

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Source : S. W. Koelle, Outlines of a Grammar of the Vei Language, London, Church Missionary House, 1854 Figure 11 : Alphabet vaï L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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Source : Saki Mafundikwa, Afrikan Alphabets; the Story of Writing in Afrika, New York, Mark Batty, 2007 Figure 12 : Alphabet loma (Guinée ; Libéria)

Source : Saki Mafundikwa, Afrikan Alphabets; the Story of Writing in Afrika, New York, Mark Batty, 2007 Figure 13 : Alphabet bambara (Mali)

Source : Saki Mafundikwa, Afrikan Alphabets; the Story of Writing in Afrika, New York, Mark Batty, 2007 Figure 14 : Alphabet mendé (Mali ; Guinée ; Libéria; Côte d’Ivoire)

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Source : Rovenchak A (2009). Bagam script. Afrikanistik online, Vol. 2009. (urn:nbn:de:0009-10-19125) Figure 15 : Ecriture Bamum d’après Schmitt (1963)

L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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Source : T. Obenga, L’Afrique dans l’antiquité, op.cit. Figure 16 : Alphabet tifinagh (Bérbère)

Source : T. Obenga, L’Afrique dans l’antiquité, op.cit. Figure 17 : Ecriture hiéroglyphique (Egypte pharaonique négro-africaine)

Source : T. Obenga, L’Afrique dans l’antiquité, op.cit. Figure 18 : Alphabet loma

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Source : T. Obenga, L’Afrique dans l’antiquité, op.cit. Figure 19 : Pictogrammes égyptiens (à gauche) et nsibidi

L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Source : M. Griaule, Systèmes graphiques des Dogons, 1951 Figure 20 : Ecriture pictographique Sanga (Mali)

Source : Bruly Bouabre, BIFAN Figure 21 : Ecriture bété (Côte d’Ivoire)

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L’islam et l’avènement de l’écriture arabe en Afrique Aboubacry Moussa Lam, Henri Sène, Moulaye Hassane, Seyni Moumouni et Demba Tëwë abordent la question dans cet ouvrage. La description qu’ils donnent de cette rencontre entre l’écriture coranique, vecteur par excellence du prosélytisme islamique, et les cultures ouest africaines, retrace le chemin sinueux des dynamiques sociales, commerciales, religieuses et scripturaires qui ont favorisé l’adoption de l’écriture arabe par les élites africaines d’abord, suivies par de petites communautés lettrées s’émancipant graduellement de la tyrannie du secret qui a entouré l’usage de l’écriture en terre africaine, notamment à partir de la chute des dynasties pharaoniques négro-africaines. A partir de là, la pratique scripturaire africaine a été ensevelie dans des considérations métaphysiques et religieuses propres aux sociétés secrètes (voir les écritures secrètes du Hodh relatées par Aboubacry Moussa Lam au chapitre 3), aux hégémonismes locaux détenteurs du pouvoir politique et religieux, que ce soit en Ethiopie ou dans la zone soudano-saharienne et aux confins du lac Tchad et des vallées fertiles et accidentées du levant africain (Omo I et II ; traces graphiques de la préhistoire africaine découvertes par les Leakey en Tanzanie et au Kenya). La localisation géographique et historique de l’Afrique en tant que territoire et culture a connu diverses fortunes à travers l’histoire52. Dans l’abondante littérature qui existe sur cette question, l’étude d’Aboubacry Moussa Lam attire particulièrement l’attention lorsqu’elle passe en revue plusieurs siècles de confusion entretenue autour du concept idéologique et du parti-pris géographique relatifs à la dénomination « Afrique », enregistrée avec des variations considérables selon les foyers culturels avec lesquels l’Afrique est entrée en contact, durant les périodes préhistorique et historique. L’Africain-Brésilien Paulo Fernando de Moraes Farias examine, dans son œuvre relative aux épigraphies de Gao, les premiers signes épigraphiques arabes des pierres tombales étudiées (IXe-XVe siècle). Il analyse avec sagacité le discours caché construit par la classe intellectuelle songhaï à travers les chroniques de Tombouctou (les deux Tarikh) pour construire une légitimité à la fois religieuse et politique 52. Cf. Obenga, Pour une nouvelle histoire, op.cit.

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des classes régnantes sur une longue période. Il montre, après la fresque de R. Mauny sur l’Ouest africain53, que la période médiévale ouest africaine est marquée par une effervescence intellectuelle d’une vigueur jusque-là insoupçonnée et par l’existence de scribes, de jurisconsultes, d’analystes, de politologues, d’historiens et de grammairiens dont le niveau intellectuel n’avait rien à envier à celui des foyers intellectuels du monde arabo-berbère ou d’Europe occidentale de leur temps54. Le mérite de Moraes Farias est d’avoir réussi à déceler la superposition de visions révisionistes de l’histoire des royautés autochtones, visions alimentées par des historiens de renom (al-Saadi, en 1653 et 1656 pour ce qui concerne le Tarikh al-Sudan et Ibn al-Mukhtar en 1664 dans le Tarikh al-Fettach et, éventuellement, Baba Goro dans la Notice historique écrite entre 1657 et 1669) pour crédibiliser une nouvelle alliance politique entre les Askyas, les Armas, la classe moyenne et les couches populaires, pour redorer le blason terni des élites régnantes55, après la désastreuse invasion marocaine de 1591 menée par le renégat Jaoudar Pacha56. Madina Ly met également en doute l’authenticité du contenu du Tarikh el-Fettach attribué à Mahmoud Kaati ben el-Hadj elMotaouakkel Kaati et l’un de ses petits-fils sous le titre « Chronique du chercheur pour servir à l’histoire des villes, des armées et des principaux personnages du Tekrour ». De la confrontation des différentes parties du Fettach, elle conclut qu’il est vraisemblable que cet ouvrage ait pu être écrit par Mahmoud Kaati l’ancien, l’Alfa Kaati et ibn El-Mokhtar57, accréditant ainsi les hypothèses antérieurement posées par Hunwick58.

53. Raymond Mauny, « Tableau géographique de l’Ouest africain au Moyen Age », Mémoires de l’Institut français d’Afrique noire, vol. 61, 1961. 54. Paulo Fernando de Moraes Farias, « The Oldest Extant Writing of West Africa : Medieval Epigraphs from Essuk, Saney and Egef-n-Tawaqqast (Mali) », Journal des Africanistes, t. 60, fascicule 2, 1990, p. 65-113. 55. Paulo Fernando de Moraes Farias, « Intellectual Innovation and Reinvention of the Sahel: the Seventeeth-Century Timbuktu Chronicles » in Shamil Jeppie and Souleymane Bachir Diagne, The Meanings of Timbuktu, Cape Town, 2008, p. 104105. 56. Ismaël Diadié Haïdara, Jawder Pasha et la conquête saâdienne du Songhay (15911599), Institut des études africaines, Rabat, 1996. 57. Madina Ly, « Quelques remarques sur le Tarikh el-Fettach », Bulletin de l’IFAN, t. 34, série B, n°3, 1972, p. 472-493. 58. John Hunwick, « Studies in the Tarikh al-Fattash, its Authors and Textual History », Research Bulletin Centre of Arabic Documentation, University Of Ibadan, vol. 5, 1969, p. 57-65. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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En dehors de ces chroniques historiques, genre littéraire encore inconnu dans la boucle du Niger au moment de leur publication au XVIIe siècle, le R. P. Joseph M. Cuoq situe l’âge d’or de la littérature autochtone en langue arabe ou ajami à partir de la période qui suit la publication des Tarikh. Il rappelle opportunément que les premiers témoignages écrits en arabe, par des Arabes, sur l’Afrique débutent avant 728 de notre ère avec le texte de Wahb B. Munabbih sur Origines des Sŭdàn et constate qu’en huit siècles (du VIIIe au XVIe siècle), seuls 72 auteurs sont recensés, parmi lesquels on retrouve al-Umari, Ibn Battŭta et Ibn Khaldŭn. Il ne manque pas de déplorer les innombrables répétitions d’œuvre en œuvre, ce qui donne à penser que jusqu’au XVe siècle, les auteurs arabes se sont surtout contentés de sources de seconde main, et, qu’au total, « ce que les auteurs arabes nous disent (du Bilàd al Sŭdàn) représente peu de choses par rapport à son étendue, à la complexité de ses imbrications ethniques, à la richesse de ses traditions et de ses coutumes »59. Le XVe siècle marque un tournant capital avec l’apparition de témoignages écrits de meilleure qualité produits par des historiens et géographes arabes comme Léon l’Africain, certainement teintés de parti-pris, puis par les premiers explorateurs européens. C’est à partir du XVIIe siècle, avec la publication des deux Tarikh par des auteurs africains s’exprimant en arabe, qu’émerge une production écrite connue de qualité, en langue arabe. Cuoq ajoute aux Tarikh « les nombreux ouvrages des juristes et des théologiens, dont certains jouirent d’une réputation dépassant leur pays, comme Ahmad Bàbà de Tombouctou »60. En vérité, bien avant le XVIIe siècle existe une littérature écrite en ajami (langues « non arabes », c’est-à-dire africaines, utilisant la graphie arabe), comme en témoignent les chapitres de Seyni Moumouni et Moulaye Hassane sur les manuscrits du Niger et de Cheikh Abdel Weddoud sur ceux de la Mauritanie. Ahmad Bàbà a lui-même signalé dans son autobiographie les noms de centaines d’érudits avec les titres de leurs ouvrages61. Hunwick parvient à la même conclusion quant à l’abondance de la littérature ajami dans tout le Sahel ouest-africain62, 59. Joseph M. Cuoq, Recueil des sources arabes concernant l’Afrique occidentale du VIIIe au XVIe siècle (Bilad al-Sudàn), CNRS, Paris, 1975, p. 29. 60. Ibid., p. 28. 61. Sur la production d’Ahmad Bàbà, voir Mahmoud A. Zouber, Ahmad Bàbà de Tombouctou (1556-1627), sa vie et son œuvre, Maisonneuve et Larose, Paris, 1977. 62. Hunwick, op.cit. Du même auteur voir également « Arabic Manuscripts in the Niger Bend » in Attilio Gaudio, Les bibliothèques du désert ; recherches et études

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de même que Cheikh Abdel Weddoud dans son chapitre ci-inclus sur la Mauritanie. On ne saurait clore ce survol de l’évolution scripturaire authentiquement négro-africaine et de la littérature arabo-africaine secrétée à partir du XVIIe siècle en Mauritanie et un peu plus tôt au XIe siècle sur les stèles funéraires de Gao, sans passer en revue les arguments soulevés par l’authenticité même de ces discours écrits et, par voie de conséquence, leur évolution épistémologique à l’échelle du temps « historique » justement remis en cause par Mlaili Condro, lorsqu’on met celui-ci en situation dans le dispositif hégémonique de l’idéologie dominante européenne. On ne saurait, en effet, rester insensible aux arguments sémiotiques et discursifs de Condro qui critique sévèrement, et à juste raison, l’approche déterministe et fonctionnaliste qui a longtemps prévalu dans les études relatives à l’histoire et l’évolution de l’écriture en Afrique noire. Condro estime que l’« unilatéralité » de l’épistémologie « auto-définitionnelle » de la pensée occidentale amène celle-ci à diviser le monde en « sociétés pour historiens » et « sociétés pour ethnologues »63, et à poser le mythe du modèle grec comme une borne historique « efficace et indépassable »64, vue à laquelle des auteurs africains-américains comme Ivan Van Sertima65 et, un peu en amont, George James66, ont opposé une vigoureuse répartie argumentée à travers l’exégèse des textes fondateurs grecs et pharaoniques de l’antiquité. James a publié un ouvrage érudit intitulé Stolen Legacy (« Héritage volé ») qui montre, dès 1954, les « emprunts », pour ne pas dire les plagiats des auteurs grecs par rapport à la littérature philosophique de l’ancienne Egypte pharaonique négro-africaine67. Dénonçant ce qu’il appelle l’impérialisme des alphabets arabes et latins, Condro suggère une « requalification » des écritures négro-africaines, comme s’y est essayé le Sultan Njoya en « regroupant des signes traditionnels dans un nouveau système soumis à la parole », mais utilisé en même temps comme support pour écrire Histoire et coutumes des Bamoum, ainsi sur un millénaire d’écrits, L’Harmattan, Paris, 2002, p. 123-145. 63. Mlaili Condro, L’écriture et l’idéologie en Afrique noire : le cas du syllabaire vai, Thése de doctorat, université de Limoges, mars 2008, p. 83. 64. Ibid., p. 101. 65. Op. cit. 66. James, Op. cit. 67. Théophile Obenga, La philosophie africaine de la période pharaonique 2780-330 avant notre ère, L’Harmattan, Paris 1990. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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qu’à d’autres usages multiples liés à l’alphabétisation et aux rigueurs de l’administration publique et du commerce68. Constant Hamès s’interroge opportunément sur l’absence de données factuelles et de vestiges écrits en ce qui concerne les cinq siècles qui séparent les débuts de l’islamisation en Afrique noire (VIIe siècle) des premiers signes d’écriture arabe notés à Gao sur les stèles funéraires (XIe siècle) et décrits par Farias69. Comme la plupart des auteurs qui l’ont précédé dans la recherche de vestiges écrits en Afrique noire, Hamès ne prend pas en compte l’existence des « signes graphiques soudanais » non reconnus par les historiens occidentaux, comme nous l’avons vu plus haut, en tant que discours pensé, avec une passerelle franche entre les langues autochtones et les systèmes scripturaux qui les véhiculent. Le mythe de sociétés négro-africaines sans écriture est passé par là et ne permet pas à cet auteur d’examiner d’autres pistes qui puissent apporter des éléments satisfaisants de réponse à la question de savoir si l’Afrique noire a pu continuer d’écrire, sans discontinuité, de la décadence de l’Egypte pharaonique négro-africaine avec les ocupations successives perse, grecque, romaine et arabe à l’avènement de l’invasion scripturaire arabe dans la zone sahélo-saharienne, au Nord-Est, à l’Est et dans les îles africaines de l’Océan Indien. Si l’on retient la thèse de la « nouvelle histoire » défendue par KiZerbo, Niane, Lam et surtout Obenga aux plans archéo-linguistique et paléographique, l’historiographie africaine devrait être en mesure d’explorer, avec de meilleures chances d’apporter des réponses satisfaisantes, les pistes qui suivent. Tous ceux qui ont étudié la question de l’histoire du papier et son cheminement en Afrique noire (voir à cet égard les chapitres de T. Obenga et d’Henri Sène) se sont heurtés à la rareté des sources concernant l’approvisionnement en papier, voire sa fabrication, dans la zone sahélosaharienne. Nous savons que l’Egypte pharaonique classique fabriquait le merveilleux support écrit qu’a été le papyrus trois millénaires avant notre ère (voir le chapitre 2 de T. Obenga). Ce medium reste le plus ancien support écrit de l’humanité et a traversé avec bonheur les âges, en 68. Condro, op.cit., p. 209. 69. Constant Hamès, « Les manuscrits arabo-africains : des particularités ? », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée (REMMM), n° 99-100, 2002, p. 172-173.

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se préservant des facteurs environnementaux et anthropiques adverses notés dans les zones soudanaise et mauritanienne où subsistent encore, en grand nombre, d’anciens documents arabo-africains manuscrits, en papier filigrané, datant du XVIe au XIXe siècle. Dans la corne de l’Afrique, l’Ethiopie a été le siège d’un mode d’écriture unique, le gé’éz, et a légué à l’humanité une tradition littéraire et philosophique des plus brillantes, dont les vestiges écrits sur parchemin les plus anciens datent pour l’instant du IVe siècle et sont conservés à la bibliothèque nationale et dans les églises et monastères d’Addis Abeba et d’autres parties du territoire éthiopien (voir les chapitres sur l’Ethiopie dans le volume 3 de cet ouvrage). Les textes hiéroglyphiques appartiennent au stock culturel négro-africain et restent le passage obligé pour expliquer la continuité – et non un élément de rupture – entre la production littéraire de l’Egypte antique et celle de l’Afrique noire, malheureusement restée figée, au plan scripturaire, par l’hermétisme et le culte initiatique secret (voir les travaux de M. Griaule et G. Dieterlen sur les longues et difficiles étapes de cette initiation)70 pendant de long siècles, sous la houlette d’un clergé autochtone, en nombre réduit. Les efforts entrepris par T. Obenga, et exposés ci-dessus, devraient être poursuivis pour établir, en plus grand nombre, des concordances crédibles entre les anciennes écritures égyptiennes et celles d’Afrique noire, avant la pénétration de l’islam. Au plan des supports écrits utilisés par les Africains, on a surtout cherché à trouver les pistes du papier européen, italien en particulier ou en provenance du Moyen-Orient, d’Egypte plus particulièrement, ainsi que du Maroc. Le nombre élevé de marginalia relevé dans les manuscrits de Tombouctou (famille Mahmoud Kati), du Niger, du Nigéria et d’autres parties du continent nous amène à penser qu’il a dû y avoir de fréquentes ruptures de stock de papier au cours des siècles passés, ce qui a amené les scribes sahélo-soudanais à écrire dans les marges de leurs ouvrages manuscrits dont les folios étaient détachés, et non reliés le plus souvent. Au cours de nos fréquentes visites de terrain à Tombouctou et dans les zones environnantes, il nous a souvent été donné de constater cette pratique en parcourant les manuscrits de différentes collections. L’un des arrières petits-fils de Mahmoud Kati, Ismaël Diadié Haïdara, conservateur de la bibliothèque Fondo Kati, nous a fait part d’un projet de recherche analytique assez avancé sur les 70. Cf. Dieterlen, op.cit. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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marginalia de sa collection privée essentiellement composée d’écrits laissés par ses aïeuls. Il notait qu’il y avait suffisamment de matière pour alimenter plusieurs ouvrages sur cette question. Notre attention a également été attirée par l’existence d’un support assez rare et curieux : un manuscrit écrit sur peau de poisson et traitant de biologie aurait été découvert au cours de fouilles plus ou moins récentes dans la région de Tombouctou. Nous ignorons s’il s’agit d’une pratique ancienne perdue au fil du temps ou s’il s’agirait plus simplement d’un support, qu’un copieur aurait trouvé plus commode d’utiliser, en l’absence de papier. Nous ignorons pour l’instant la date de ce manuscrit non encore répertorié dans les catalogues connus du grand public, mais qui m’a été signalé par Abdel Kader Haïdara, conservateur de la bibliothèque commémorative Mamma Haidara de Tombouctou. Il convient de signaler l’existence de divers autres supports d’écriture à travers le Sahel allant des peaux de gazelle, récemment remis au goût du jour par un calligraphe de Tombouctou, aux tablettes en bois (voir les Fig. 8 et 9 qui montrent la longévité extraordinaire de ces tablettes en bois déjà utilisées par les anciens Egyptiens, 3000 ans avant notre ère), aux parchemins en peau de mouton d’Ethiopie, et, bien entendu, au sable. Les scribes sahéliens et d’Afrique australe, jusqu’aux confins du Kalahari, utilisent presque instinctivement le sable naturel pour y tracer des graphies locales (chez les Mendé, les Dogons et les Bambaras ainsi que les Khoï-San du Kalahari) ou des indications géographiques (chez les Lébous de la presqu’île du Cap-Vert, par exemple)71. Il n’est pas impossible que ce vieux réflexe africain corresponde à une pratique ancienne, ce qui pourrait expliquer, en partie, la fragilité des systèmes graphiques et des écritures aujourd’hui disparus, en raison de l’évanescence du sable en tant que support médiatique. Bruly Bouabré suggère qu’en milieu bété la pierre polie de petite dimension taillée sous les formes les plus diverses, et dans des couleurs et des tons différents, a probablement dû servir de système d’écriture72, cependant que Niangoran Bouah analyse avec pertinence les poids 71. Georges Balandier, L’Afrique ambiguë, PUF, Paris, 2008. 72. Voir Théodore Monod, « Un nouvel alphabet ouest-africain. Le bété (Côted’Ivoire) », Bulletin de l’IFAN, série B, vol. 20, no 3-4, 1958, p. 432-440 et Frédéric Bruly Bouabré, Une méthodologie de la nouvelle écriture africaine, « Bété » : l’alphabet de l’Ouest africain, Champollion, Paris 1984.

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à peser des cultures baoulé et akan comme des symboles avec des significations attestées et un mode de communication dominant dans le dispositif commercial et politique de l’Afrique précoloniale. Il n’est pas jusqu’aux calames, aux plumes obtenues à partir de tiges de roseaux affutées, aux encriers et aux encres négociées à partir de substances végétales à travers tout le Sahel africain et dans l’ancienne Egypte, tels que nous les décrit Aboubacry Moussa Lam (chapitre 3) qui ne nous ramènent à la parenté entre le vieux substrat culturel africain et sa filleule égyptienne. Il faut se départir pourtant de la tentation diffusionniste ou basée sur de simples ressemblances et relever, après les arguments défendus à cet égard par Cheikh Anta Diop et T. Obenga, l’interpellation majeure de Simon Battestini quant à la piste d’une Afrique prétendument « sans écriture » poursuivie par l’ethnologie et l’anthropologie au service de l’entreprise coloniale et impérialiste. C’est que Battestini ne s’embarasse guère des apriorismes sans fondement scientifique de Lévi-Bruhl, Balandier, Hegel, Marx, Engels, etc, pour qui l’Afrique n’avait pas d’écriture, donc guère de passé historique parce qu’incapable de s’élever au-dessus du stade de la pictographie et de l’idéographie pour atteindre la plénitude de la phonématique, ou en tous cas, du signe réussissant la symbiose entre le langage, le signe et la pensée ouverte à l’utilisation et l’interprétation universelles. Introduisant une remise en cause à la fois théorique et méthodologique dans le vaste champ des signes écrits africains, à partir d’une posture sémiotique de l’écriture, transdisciplinaire par essence, ouverte à l’examen des relations de l’écrit avec les différentes instances culturelles (arts, religion, mythologie), les discours et les pouvoirs politiques, ainsi que les paroles (l’orature) telles qu’elles « s’exercent dans le texte social » et la texture dont elles émanent, Batestini s’éloigne des lieux communs73. Il élargit le champ de l’écriture en tant que « toute trace encodée d’un texte », c’est-à-dire « la matérialité résultant d’un geste ayant pour origine une intention de communication d’un texte dans le temps ou dans l’espace », et, à travers « un ensemble fini d’éléments et de leurs possibilités d’articulations, produit par un choix de signes, acceptés et utilisés collectivement (= script)74 ». « A ce stade, 73. Simon Battestini, Ecriture et texte, contribution africaine, Presses université Laval, Québec, 1997, p. 20. 74. Ibid., p. 22. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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postule Battestini, l’écriture, au sens sémiotique, a pour fonction de représenter non pas la parole ou la langue – hypothèse généralement admise en Occident, mais des pensers (…). Il est simplement abusif, sinon faux, de perpétuer le mythe d’écritures phonétiques supérieures à d’autres systèmes de signes ayant également pour fonction de conserver et de communiquer des textes. Fondamentalement, l’écrit et le dit sont deux moyens différents de mettre les pensers en représentation. »75 Malgré la grande pertinence du renversement paradigmatique proposé par Battestini, il faut néanmoins prendre ses distances devant les réserves injustifiées formulées par cet auteur vis-à-vis de Cheikh Anta Diop, T. Obenga et Ivan Van Sertima qu’il accuse, à tort, de glorifier les cultures africaines qui ont créé l’écriture, et auraient « tout inventé dans ce domaine »76. Cette sentence est d’autant plus injuste que chacun de ces auteurs a pris le soin de montrer que l’Africain n’a aucune raison de tirer une « gloriole » particulière – pour reprendre le terme souvent utilisé par Cheikh Anta Diop – de l’avance historique prise par l’Egypte ancienne et la Nubie, africaines rappelons-le, dans l’invention de l’écriture. Il s’est simplement agi, et la bataille a été des plus âpres, notamment dans les années 1950 à 1980, de combattre, avec des arguments scientifiques et factuels attestés, l’éviction honteuse de l’Afrique, non seulement de l’écriture, mais de son invention, fait surdéterminant à présent accepté par l’establishment africaniste occidental et ses Africains de service, incapables de se définir autrement qu’à travers les prismes déformants de l’ethnologie et de l’anthropologie dominantes. Pour louable qu’elle soit, la démarche de Battestini et de Mlaili Condro paraît excessive en ce sens qu’elle reconnaît à tout ensemble de signes et de « parlers » le statut d’écriture, même lorsque cet ensemble n’engage pas ses protagonistes à communiquer contradictoirement à l’échelle du temps, comme les auteurs grecs classiques, par exemple – et là gît, sans doute, le caractère innovant de la rupture épistémologique que ces derniers introduisent dans la philosophie et l’étude des sciences exactes empruntées aux anciens Egyptiens. C’est davantage le caractère volontairement restreint et immuable des discours écrits africains post-pharaoniques qui les rendent problématiques lorsqu’ils se présentent en tant que vecteurs primordiaux de la parole sacrée, donc 75. Ibid., p. 102. 76. Ibid., p. 79.

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non contradictoire, ce qui les a ossifiés comme outils prépondérants du développement des connaissances, de la science et de la technologie, au service du progrès social. Même lorsqu’elles ont accompli des progrès formidables dans les domaines scientifiques les plus élevés (astronomie, géométrie, mathématique, architecture, médecine, agriculture, archivistique, etc.), les écritures hiéroglyphiques devenues démotiques pour l’usage commun, n’ont pas réussi, durant la révolution idéologique d’envergure tentée par Akhnaton, par exemple, à accéder au stade de la pensée critique, détachée de la sphère du sacré et transcendant la sphère métaphysique ou l’attribut du mythe fondateur et du culte d’Osiris et d’Isis et de la Maat77. A travers la trilogie tempsespace-distance, les écritures africaines remplissent certes les fonctions fondamentales de la spéculation intellectuelle et philosophique, de l’archivage, de la transmission des croyances, des idées, de l’information et des nouvelles (talking drums), mais on peut suggérer, qu’en se donnant au déchiffrement, à la lecture et à la compréhension, elles se sont essentiellement comportées en attributs et moyens dominants du pouvoir politique et religieux hégémonique. Les systèmes de communication des sociétés africaines ont réussi de façon remarquable à remplir les fonctions archivistiques liées à toute entreprise complexe de production écrite des idées et du corpus de savoirs indispensables au fonctionnement des mécanismes sensoriels, psychologiques, de feedforward et de feedback immanents aux processus et aux effets de la communication sociale. Il est cependant regrettable que l’intelligentsia africaine des siècles passés ait été amputée de la capacité de passer du stade de l’auto-dépassement permanent de la pensée et de l’utilisation des symboles conventionnels parlés ou écrits, à des formes de gestion des connaissances qui se prêtent davantage à l’usage et la critique du plus grand nombre. C’est en ce sens que les Tarikh des XVIe-XVIIe siècles représentent des discours spéculatifs de rupture, même s’ils ont eu une fonction de manipulation et de domination idéologico-politique au service de la sphère hégémonique du pouvoir absolu, et s’ils n’ont été probablement accessibles qu’à un nombre très réduit de lecteurs – ce qui, rappelons-le, était aussi la norme dominante en Europe occidentale et dans tout le bassin méditerranéen. Le discours de Kurukanfuga en milieu mandé a rempli la même fonction de rupture épistémologique, en son temps, quelques siècles avant les écrits de Machiavel, pour instruire 77. Cf. Serge Sauneron, The priests of Ancient Egypt, Grove Press, New York, 1960. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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une charte éthique et politique destinée à induire un niveau supérieur de gouvernance et de citoyenneté78.

78. Djibril Tamsir Niane, Kouroukan Fouga, Soundjata et l’assemblée des peuples : la charte du Mandé, NEA, Dakar, 2010.

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Présentation de l’ouvrage Les deux premiers volumes en français de cet ouvrage ainsi que le troisième volume en langue originale anglaise sont le résultat de la conférence internationale sur la Préservation des manuscrits anciens en Afrique tenue à Addis Abéba du 17 au 19 décembre 2010, sous l’égide de l’ONG Aide Transparence, de la SAVAMA-DCI de Tombouctou et des ministères des Affaires étrangères et de la Culture d’Ethiopie, avec la participation de bibliothécaires, d’historiens, d’administrateurs de musée, de spécialistes du livre, d’institutions religieuses, de membres actifs de la société civile et des représentants consulaires et d’organisations régionales et internationales d’Afrique et d’autres parties du monde79. Une vingtaine de pays africains et de communautés de la diaspora africaine ont débattu des problématiques liées : 1/ à la radioscopie des principales collections africaines de manuscrits anciens datant pour l’essentiel du XIIe au XIXe siècle ; 2/ à l’analyse du contenu de ces manuscrits et aux conditions historiques et sociales dans lesquelles ils ont été produits ; et, 3/ aux enjeux stratégiques, culturels et éducationnels relatifs à leur utilisation par les systèmes scolaires et universitaires, les industries culturelles et les artisans du livre, dans un continent aux prises avec le délitement de ses cadres sociaux, étatiques et de gouvernance. Le premier volume comprend trois parties réparties en quatorze chapitres cependant que le second volume se présente en deux parties composées de dix chapitres. Les volumes trois et quatre comprennent une quarantaine de chapitres divisées en trois parties couvrant l’Afrique du Nord (Egypte), l’Afrique de l’Ouest (le Cameroun, le Nigéria), la Corne de l’Afrique (l’Ethiopie), l’Afrique de l’Est (le Kenya et la Tanzanie) et l’Afrique du Sud. La première partie propose une chronologie sur la longue durée établissant la contribution africaine sans précédent dans l’invention de l’écriture et son utilisation par une civilisation qui a illuminé le monde entier pendant plus de trois millénaires sans interruption avant de 79. Cf. l’ouvrage repère cité par Ould Cheikh : Ulrich Rebstock et Ahmad W. Muhammad Yahya, Handlist of Manuscripts in Shinqît and Wadân, al-Furqân Islamic Heritage Foundation, London, 1997. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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sombrer sous les coups de boutoir de nouvelles puissances émergentes dirigées par les Hyksos, les Perses, les Grecs, les Romains et les Arabes. Dans le chapitre 2, T. Obenga suggère une nouvelle chronologie qui prend en compte l’antériorité de l’écriture hiéroglyphique gravée dans les bas-reliefs d’Abydos en Egypte il y a 3200 ans avant notre ère soit trois siècles avant les tablettes alphabétiques en argile de la Mésopotamie (l’Iraq actuel). Dans ce texte fondateur dont la version originale a déjà été publiée ailleurs (voir le texte d’Aboubacry Moussa Lam sur la contribution essentielle de T. Obenga en ce qui concerne l’invention de l’écriture par l’Afrique noire), l’auteur propose une chronologie longue de l’histoire de l’écriture à partir de son berceau originel africain, de l’invention du papyrus, premier support médiatique de l’histoire, celle du papier par la Chine et des différentes écritures qui descendent de leur foyer ancestral égyptien. Le chapitre 3 d’Aboubacry Moussa Lam montre l’ubiquité des systèmes graphiques de l’ancienne Egypte et leur appartenance au stock culturel africain (à la fois lexical et syntaxique, mythologique et religieux, philosophique et scientifique), depuis la plus haute antiquité. A. M. Lam propose, par ailleurs, les facteurs explicatifs du déclin africain au plan du développement de la pensée écrite et de reproduction voire du modèle scripturaire, scientifique et littéraire pharaonique. Les textes fondateurs de T. Obenga et d’A. M. Lam représentent un fil conducteur essentiel à la compréhension de l’histoire de l’écriture à travers les âges, et son invention par les Africains qui ont toujours utilisé l’écriture, contrairement à un mythe tenace qui voudrait faire de l’Afrique noire le terrain par excellence de l’oralité, à l’exclusion de l’écriture que l’on a voulu faire naître, pour des raisons idéologiques et politiques, ailleurs que dans la vieille Afrique, berceau de l’humanité. La deuxième partie intègre la dimension ouest-africaine des graphismes et de la production livresque introduits dans des circonstances sociohistoriques particulières, sous l’influence de l’écriture arabe, décrite, respectivement, par Ali Ould Sidi de Tombouctou et Moulaye Hassane du Niger, comme le « latin » de l’Afrique et le cadre d’expression privilégié des élites de la boucle du Niger durant la période des grands empires qu’ont été le Ghana de l’ère Soninké, le Mali des Mandingues, le Songhoï, le Yatenga des Mossi et toutes les communautés qui ont

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embrassé l’islam. Ce faisant, les sphères sociales hégémoniques ont fait de l’arabe un puissant véhicule de communication, favorisant par là-même l’expansion des langues africaines à travers l’adoption de cette écriture comme un moyen privilégié, notamment à partir du XIIe siècle (Gao), d’archivage, de diffusion et de spéculation de la pensée religieuse, politique, culturelle, commerciale et scientifique. Henri Sène retrace, au chapitre 4, la trajectoire de la bibliothèque ouestafricaine du VIIIe siècle à la période contemporaine en évaluant la part jouée par auteurs et copistes, marchands et colporteurs, la circulation du papier et ses centres de fabrication, les institutions scolaires et la circulation des livres manuscrits, ainsi que la dynamique instruite par les établissements commerciaux et les commerçants étrangers avec les populations et les pouvoirs locaux. L’érudit mauritanien, Mohamed Saïd Ould Hamody, propose (chapitre 5) une vaste fresque des vestiges manuscrits légués à la postérité par l’intelligentsia ouest-africaine. Il passe au peigne fin les principales collections de manuscrits et les lieux à partir desquels ils ont été produits et finalement conservés notamment au Niger, au Sénégal, au Mali et en Mauritanie, ainsi qu’à travers les bibliothèques et archives des anciennes métropoles coloniales européennes et leurs démembrements administratifs locaux. La construction de savoirs endogènes dans les langues africaines portées par la graphie arabe, avec des modifications calligraphiques dictées par les conditions historiques de production des livres manuscrits à travers toute l’Afrique occidentale, est abordée par Mamadou Cissé au chapitre 6. Rappelant que les femmes ouest-africaines ont contribué à l’excellence de la littérature ajami, notamment à travers l’œuvre considérable de Nana Asma’u, fille d’Ahmed Dan Fodio (XIXe siècle), en hausa et en peul (on aurait pu ajouter la prose féminine mauritanienne à une époque antérieure), M. Cissé décrit la trajectoire méconnue de l’ajami et évoque les grands défis auxquels il est confrontée de nos jours. Souleymane Gaye, conservateur de la section islamique des archives de l’IFAN créées durant la colonisation par Théodore Monod, et Maïmouna Kane doctorante à l’Ecole des bibliothécaires et archivistes de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, ont respectivement présenté L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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l’historique du fonds Vieillard de l’IFAN (historique qui avait déjà été produit en termes plus approfondis par Boubacar Barry et d’autres historiens) et une synthèse des contenus éclatés véhiculés par ces fonds, et donc leur intérêt pour l’historiographie ouest-africaine et peut-être africaine. Il convient de signaler que la bibliothèque de l’IFAN tout comme celles qui ont été créées par les colons français à Niamey, Abidjan, Ouagadougou, Saint-Louis du Sénégal, Nouackchott, Porto Novo, Cotonou, Lomé, Bangui, Ndjaména et Yaoundé sont comme des horloges dont la mécanique s’est grippée depuis le départ des colons : les dotations anciennes sont restées pour l’essentiel les mêmes ou se sont singulièrement détériorées, sans aucune valeur ajoutée organisant et analysant le contenu ou protégeant des archives « nationales » insuffisamment prises en charge par des budgets opérationnels lilliputiens. La détérioration générale des archives manuscrites anciennes partout en Afrique est d’autant plus regrettable que ces collections sont insuffisamment connue des jeunes générations de chercheurs Africains qui se servent encore de « la natte des autres », pour reprendre l’expression de Joseph Ki-Zerbo, désignant par là le processus d’extraversion totale des fausses indépendances africaines. Au chapitre 8, Seyni Moumouni passe en revue les collections de manuscrits en ajami de l’université de Legon à Accra où sont conservés, dans un piteux état, les manuscrits rescapés de pillages antérieurs ou constitués de dons et acquisitions et déposés à l’Institut des études africaines de la même université. Cette collection d’environ cinq cents titres dont 80% en langue arabe et 20% en Haoussa, Dagomba, Gonja, Fulfuldé et Mamprulé, datent du XVIIIe au XXe siècle. Comme partout ailleurs en Afrique occidentale, les manuscrits en ajami sont couchés dans un style dit « soudanais » et comprennent des chroniques historiques ou tarikhs, des textes mystiques de l’école de pensée soufie, de la jurisprudence islamique (fiqh), de la littérature, de l’astrologie, de la poésie, des traités de pharmacopée et de médecine locale, des traités politiques, des notices hagiographiques, des pamphlets, des correspondances diplomatiques, etc. D’un point de vue codicologique, ce sont là des mines inépuisables de connaissances relatives au passé africain et aux préoccupations de l’intelligentsia oust-africaine. Moulaye Hassane (chapitre 9) se livre au même exercice descriptif et analytique en ce qui concerne la collection de manuscrits laborieusement montée par Boubou Hama, Président du Parlement du Niger. Parmi

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les manuscrits présents, on note la célèbre histoire en prose, de style soudanais, intitulé Dhikr Ba’ad al-Waqâ’i’a al-Ta’rîkhîyya al-Latî Shahadathâ Ähir fî Fatra mâ Bayna Äm 1202 wa 1307 (récit de certains événements historiques qu’a connu l’Aïr entre 1202 et 1307 de l’hégire). Cette narration prosée porte sur un cycle de famine qui s’est abattu sur l’Aïr et sur les démêlés qui ont opposé Ousmane Dan Fodio au puissant roi du Bornou en 1222 de l’hégire (1807 de notre ère) et qui se sont soldés par la chute de ce dernier. On note également l’ouvrage biographique probablement collectif (Misbah al-Zalam fi wafayat a’yan ulama’u qarn al-Rabi’ asra bi Agadez) portant sur les générations de savants d’Agadez au XIXe siècle de notre ère. Ce document en voie de traduction de l’arabe au français, tout comme l’ouvrage autobiographique d’Ahmed Baba de Tombouctou relatant la production livresque de près de 300 savants de son temps dans la seule région de Tombouctou80, témoigne de la vitalité de la pensée autochtone face aux problèmes transcendants de la gouvernance, de la justice sociale, de la gestion du pouvoir, des conflits armés, de la résolution des conflits, et des connaissances prodigieuses révélées par les vestiges manuscrits de Dan Fodio sur la pharmacopée traditionnelle et le niveau élevé d’érudition médico-botanique rendu possible grâce à l’activité inlassable d’observation, d’expérimentation et de pratique médicale et homéopathique de générations d’érudits du terroir. Les populations locales se soignent aujourd’hui encore sur la base de telles traditions pharmaceutiques, ce qui rend d’autant plus actuels les bénéfices considérables que les Africains pourraient encore tirer d’une tradition médicale, botanique, pharmacologique et toxicologique de leurs terroirs respectifs dont les ressources végétales sont presque en voie de disparition et nécessitent, par conséquent, d’être régénérés à une échelle de masse. Le chapitre 10 de Diouldé Laya, sur l’esclavage au Niger, à partir de l’exégèse de manuscrits disponibles, nous renvoie, d’un point de vue interne et géopolitique, aux motivations à la fois commerciales et hégémoniques qui ont caractérisé la traite ignominieuse dont le soubassement reste le pillage des ressources naturelles et l’exploitation d’une main-d’œuvre servile pour des besoins d’expansion commerciale et d’accumulation de richesses. Ce survol historique, à partir d’une revue de littérature combinant les résultats de recherche les plus 80. Cf. Ahmed Baba sur les savants de Tombouctou dans l’ouvrage cité de Zouber. L’Afrique et l’écriture : un paradigme à reconstruire, des manuscrits négligés

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récents, à une exploration fraîche des manuscrits anciens africains, rend possible une réinterprétation de l’activité esclavagiste du Niger au Mali, et aux confins du Nord Nigéria (Kanem-Bornou, Kano, Kawar) qui sont autant de bastions de l’esclavage domestique dont les motivations profondes, pour similaires qu’elles aient été par moments avec celles de la traite négrière transatlantique, n’en sont pas moins différentes quant à l’échelle et la profondeur de leur impact socio-historique sur l’Afrique et les Africains, et, bien entendu, sur les économies des puissances esclavagistes et leurs opinions publiques respectives.

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Chapitre 2 L’Afrique, berceau de l’écriture Théophile Obenga Résumé Cet article1 dresse succintement l’état des lieux relatif au paradigme transcendant de la relation de l’Afrique à l’écriture et du rôle pionnier qu’elle a joué en ce domaine ainsi que l’impact africain sur les systèmes d’écriture qui se sont succédés par la suite.

A

u niveau de la pure constatation empirique des faits, on n’est pas beaucoup éloigné de la vérité en affirmant que toutes les conférences importantes organisées en Afrique sont rarement de l’initiative propre des Africains, que ce soit les débats sur la crise alimentaire, la protection de l’environnement, la vente des matières premières ou le développement dit « durable », comme s’il existait un développement « non durable », car le développement est ou n’est pas. D’ailleurs, le « développement » est une notion quelque peu inadéquate qui relève plutôt de l’ontogenèse dans le cadre de l’évolution. On avait voulu installer dans la conscience des Africains l’idée de « sous1. Cet article récemment repris par la revue Ankh (Paris) (voir en particulier le lien Internet suivant : ) sous le titre L’Afrique, berceau de l’écriture, est le prolongement d’un premier article présenté par l’auteur dans la revue Imhotep Newsletter (“Africa, cradle of Writing”, No 5, Mai 1999), revue créée et publiée par Théophile Obenga, du temps où il était professeur d’histoire ancienne et Chef du département des Etudes africaines-américaines à l’université d’Etat de San Francisco, aux Etats-Unis. Le titre général de cet ouvrage a été inspiré par cette source essentielle de l’histoire de l’écriture et par les travaux antérieurs de Cheikh Anta Diop.

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développement », à l’instar d’un fait naturel, fatal et invincible, propre au « Tiers-Monde » où se dessinent néanmoins, aujourd’hui, des pays appelés, avec fierté, « pays émergeants », qui ignorent cependant eux-mêmes cette superbe terminologie occidentale. La sémantique géopolitique et géostratégique n’est pas neutre. Quoiqu’il en soit, il faut rendre hommage à la décision heureuse des organisateurs de cette conférence internationale sur la Conservation des manuscrits anciens en Afrique, conférence panafricaine inédite, due à l’incomparable talent du professeur Habib Sy. Le succès de cette conférence en est garanti par l’expérience et l’autorité scientifique de tant de savants, de tant d’intellectuels et de tant de leaders politiques africains à qui je m’empresse d’adresser nos sentiments de profonde estime et de haute considération. J’aborderai l’un après l’autre les points suivants : l’importance de l’écriture dans l’histoire humaine, le papyrus et le papier comme supports universels de l’écriture, l’histoire de la route du papier de l’Asie en Occident, l’invention de l’écriture en Afrique et sa diffusion en Occident, les manuscrits anciens : leur protection, leur conservation et leur exploitation.

Importance de l’écriture dans l’histoire humaine Pour qu’il y ait des manuscrits, il faut des écritures, des systèmes graphiques, des scribes, des lettrés, des intellectuels, des savants, des communautés instruites, des centres d’apprentissage et d’éducation, des lieux propices à la conservation et à la vente de papyrus, de manuscrits et de livres, des bibliothèques publiques ou privées. Voici ce que conserve l’écrit, l’inscrit et le transcrit : des connaissances sociales, économiques, politiques, littéraires, culturelles, scientifiques, philosophiques et spirituelles. Sont également concernées la psychologie des peuples, la santé de l’esprit humain, la transmission des savoirs, l’expansion universelle des écritures et des manuscrits, la diffusion des images et des cultures sur la planète entière. C’est certainement par l’image et l’écrit que notre humanité entrera en contact avec les intelligences éventuelles d’autres civilisations galactiques. L’Afrique, berceau de l’écriture

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L’écriture se maintiendra toujours, à côté de la vidéo, de l’image et d’autres moyens de communication visuelle. Cette importance de l’écriture dans l’histoire humaine est nette. Ibn Khaldūm (1332-1406), le Tunisien, dans son Discours sur l’histoire universelle (al-Muqaddima), soit les « Prolégomènes » à sa philosophie de l’histoire, définissait déjà, à juste titre, l’écriture (avec la calligraphie arabe) comme « un noble art ».

Papyrus et papier : supports universels de l’écriture Sans le papyrus et sans le papier, il n’y aurait guère de manuscrits anciens, surtout ceux qui nous transmettent l’héritage culturel grécolatin jusqu’au Moyen Age, l’héritage culturel classique araboislamique, de même que l’héritage hébraïque. Les tablettes d’argile de la Mésopotamie, support matériel de l’écriture cunéiforme, sont absolument inappropriées pour se constituer en manuscrits, facilement transportables et maniables. D’où vient le papyrus ? Et d’où vient le papier ? Le papyrus est uniquement originaire de l’Egypte pharaonique où il fut fabriqué pour la première fois vers 3400 av. notre ère, l’écriture hiéroglyphique étant déjà en existence vers 3500 av. notre ère. Les anciens Egyptiens fabriquaient le papyrus à partir de la tige des Cypéracées qui poussent aux bords du Nil, c’est-à-dire à partir des tiges ils fabriquaient des feuilles, lisses, légères, tissées en rouleaux, et fort adéquates à recevoir l’écriture hiératique égyptienne, une cursive des hiéroglyphes. Ce fut un commerce de longue durée, celui des rouleaux de papyrus égyptiens, dans toute l’Antiquité méditerranéenne : Phéniciens, Grecs, Romains, Juifs, Turcs, Arabes, Chrétiens, etc., n’ont eu que le papyrus égyptien pour leurs ouvrages écrits à la main, précisément des manuscrits. C’est-à-dire que sans le papyrus égyptien, l’héritage scientifique et philosophique de la Grèce, de Rome et des premières chrétientés ne serait pas parvenu jusqu’à nous, en si grande quantité, même relativement.

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Figure 1 : Histoire de la route du papier de l’Asie en Occident

Source : ANKH - Journal of Egyptology and African Civilizations (www.ankhonline.com)

Le papyrus égyptien est, avant le papier, le seul support de la pensée écrite, dans l’Antiquité. Quant au papier (du latin papyrus), il est une matière faite de substances végétales réduites en une pâte étalée et séchée en couche mince, et qui sert à écrire, à imprimer, à envelopper, etc.

Histoire de la route du papier de l’Asie en Occident La route de la soie est connue et célébrée, comme celle des épices (notamment de l’opium), mais la route du papier l’est beaucoup moins. La figure 1 décrit l’itinéraire spatio-temporel du papier. Ainsi donc, le cheminement du papier de la Chine en Europe occidentale a duré près de 14 siècles. Les Chinois ont donné au monde le papier, et les anciens Egyptiens le papyrus : deux contributions exceptionnelles au progrès de l’humanité entière.

Invention de l’écriture en Afrique et sa diffusion en Occident L’écriture (du latin scriptura) est la représentation des sons d’une langue par des signes graphiques conventionnels. Ecriture et phonétique s’influencent réciproquement. L’écriture note la parole, c’est-à-dire sentiments et pensées des hommes en société pour les communiquer graphiquement et visuellement. Vers 3500 av. notre ère, les anciens Egyptiens avaient déjà inventé des signes appelés par les Grecs hiéroglyphes pour noter les sons de leur langue nationale. Ils nommaient eux-mêmes leur langue par l’expression medou netcher, c’est-à-dire « mots de Dieu », donnant à penser que leur langue était un don divin et que l’étaient aussi, de ce fait, les signes de leur système graphique. L’alphabet phénicien sémitique dérive directement de l’écriture égyptienne, d’après la Bible de Sanchoniathon (Cosmogonies 6 et 8),

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Figure 2 : Généalogie de l’alphabet grec

IXe siècle de notre ère

Source : ANKH - Journal of Egyptology and African Civilizations (www.ankhonline.com)

(fin VIIIe siècle av. notre ère)

e (IXnotre (IXe siècle av. ère ; Homère, 850 av. notre ère

(3500 av. notre ère) : hiéroglyphe hiératique démotique au Ve siècle av. notre ère

- Sanchoniathon, est un Phénicien de l’époque des Séleucides (règne : 312 / 305-64 av. notre ère). Arthur John Evans (1851-1941), célèbre archéologue anglais qui a fouillé en Crète, au sud-est de la Grèce, dans la Méditerranée orientale, est affirmatif, preuves à l’appui : les glyphes crétois dérivent des signes hiéroglyphiques égyptiens (voir son ouvrage Scripta Minoa, Oxford, 1909, avec 132 illustrations, 13 planches et 26 tableaux). Vers 1000 ans av. notre ère, l’écriture grecque dérive de l’alphabet sémitique phénicien : c’est évident au niveau de la forme et des noms des signes (alpha pour aleph, beta pour bayit, delta pour daleth, gamma pour gimmel, etc.).

Manuscrits africains anciens : protection, conservation et exploitation Les manuscrits africains anciens sont écrits en hiératique, en démotique, en copte, en ge’ez, en arabe et dans d’autres écritures. Ces manuscrits appartiennent soit à des institutions publiques (universités), soit à des lieux de prière et d’étude sacrée (écoles coraniques, monastères), soit encore à des collections familiales privées. On les trouve en Egypte, en Ethiopie, au Soudan, au Maghreb et en Afrique occidentale, notamment en Mauritanie et au Sénégal, au Mali et au Niger, etc. Il faudra des méthodes modernes d’archivage pour traiter ces manuscrits anciens, les protéger des intempéries et des pillages, les conserver avec une extrême précaution. Il faut encourager et aider le travail qui se fait déjà dans des centres en Mauritanie et au Mali par exemple. Les spécialistes qui se consacrent à ce travail d’érudition stricte méritent tous les encouragements des communautés africaines du monde. Des manuscrits anciens africains existent aussi dans des écritures moins connues, telle l’écriture bamum, royaume de Njoya, au Cameroun.

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L’exploitation de tous ces manuscrits coptes, arabes, ge’ez et bamum pourrait fournir des renseignements inattendus sur l’histoire, la géographie, la pharmacopée, les sciences, les techniques, les philosophies et les spiritualités de l’Afrique précoloniale. Il est urgent pour les Africains de s’éveiller à cette question qui concerne leur patrimoine intellectuel.

Conclusion L’Afrique a donné au monde le papyrus, soit le papier de l’Antiquité jusqu’au Moyen Age. Il est aussi historiquement prouvé que toutes les

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Figure 3 : Généalogie de l’alphabet arabe

Source : ANKH - Journal of Egyptology and African Civilizations (www.ankhonline.com)

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Figure 4 : Généalogie de l’alphabet ge’ez (éthiopien)

Source : ANKH - Journal of Egyptology and African Civilizations (www.ankhonline.com)

écritures aujourd’hui utilisées au Proche-Orient et en Europe dérivent lointainement du système graphique pharaonique. L’immense richesse insoupçonnée des manuscrits africains anciens peut renouveler du tout au tout de nombreux domaines du savoir, au bénéfice de l’Afrique et de l’humanité.

Les tout premiers témoignages écrits dans l’histoire du monde (3400 av. notre ère) Ces documents proviennent d’Abydos, en Haute-Egypte, des fouilles du Dr Günter Dreyer, archéologue et égyptologue allemand2.

Figure 5 : Cette tablette donne le nom d’une huile rituélique spécifique : l’huile bak. Le signe hiéroglyphique « arbre » derrière « l’oiseau » est employé comme déterminatif

2.  Günter Dreyer,« Recent Discoveries at Abydos Cemetery U », in The Nile Delta in Transition: 4th-3rd millenium B.C., proceedings of the seminar held in Cairo, 21.24. October 1990 at the Netherlands Institute of Archaeology and Arabic Studies, Edwin C. M. van den Brink editor, 1992, p. 293-299.

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Figure 6 : Le texte de cette tablette se lit : djw akh, « Montagne de Lumière », c’est-à-dire l’Est, l’Orient, d’où se lève le soleil. Le serpent (dj) est un signe utilisé comme complément phonétique du signe « montagne » (djw)

Figure 7 : « Serpent » et « colline et vallée » sont pour djw, « montagne ». Le signe suivant est pour « obscurité, nuit », c’està-dire l’Ouest, l’Occident. Le tout se lit : djw grh, « Montagne des Ténèbres », c’est-à-dire l’Occident, là où le soleil se couche L’Afrique, berceau de l’écriture

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Figure 8 : Les noms des jours et des mois en amharique

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CHAPITRE 3 L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture Aboubacry Moussa Lam Résumé La naissance de l’écriture en Egypte ne doit rien au hasard : c’est un concours de conditions favorables qui serait à l’origine de cette grande conquête. Juste au sud de l’Egypte, Koush adopta et adapta le système égyptien. Quant à l’écriture éthiopienne, encore plus au sud, son caractère autochtone et autonome a été défendu, il y a déjà plus de dix ans par Ayele Bekerie. Avec la fin de l’indépendance égyptienne et la dispersion des populations à l’intérieur du continent, les conditions qui avaient favorisé la naissance et l’épanouissement de l’écriture ayant changé, celle-ci ne disparut pas totalement pour autant : elle se réfugia plutôt dans le symbolique et l’ésotérique en attendant de renaître, dans bien des régions, avec l’arrivée des caractères arabes d’abord et latins ensuite. Contrairement à deux idées très répandues, l’Afrique noire a connu l’écriture dès ses débuts et ne l’a jamais perdue malgré les vicissitudes de son histoire.

A

u moment où l’Afrique décide enfin de s’intéresser sérieusement à ses manuscrits et de les mettre au service de son développement, il est tout à fait logique de voir d’abord quelle est la place du continent dans l’invention et l’utilisation de l’écriture. Celle-ci fut sans doute l’une des plus grandes conquêtes de l’humanité : ne permet-elle pas en effet à l’homme de pallier les défaillances de sa mémoire et de communiquer L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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ses pensées à ses semblables à travers le temps et l’espace sans contact physique obligatoire ? Evidemment, comme il fallait s’y attendre, une trouvaille aussi précieuse allait déclencher entre les races et les peuples les convoitises les plus passionnées : qui a inventé l’écriture ? Qui a dû l’emprunter à son voisin ? Sans surprise, les spécialistes occidentaux, qui furent, pour les raisons que l’on sait, les seuls à avoir voix au chapitre, estimèrent que l’Afrique devait d’emblée être exclue de la course à la couronne : elle était le continent de l’oralité. Mais ce ne fut qu’en usant d’artifices géographiques qu’ils parvinrent à leurs fins. Le but de ce texte est de montrer que, contrairement au point de vue des spécialistes occidentaux, l’Afrique occupe une place très importante dans l’invention de l’écriture ; que celle-ci, une fois inventée, n’a jamais totalement disparu du continent même si sa présence à revêtu des formes qui ont échappé à la plupart des observateurs. Après avoir rétabli l’Afrique dans son bon droit, nous nous attacherons à analyser les conditions qui expliquent la naissance de l’écriture dans la vallée du Nil, ainsi que celles qui ont motivé son éclipse puis sa renaissance à l’intérieur du continent. C’est le lieu d’indiquer que nous insisterons particulièrement sur les aspects négligés, volontairement ou par ignorance, par la majorité des spécialistes occidentaux, en particulier la continuité historique entre l’Egypte des pharaons et l’intérieur du continent, à la suite de la chute du pouvoir pharaonique ainsi que l’interprétation ou la valorisation particulières que chaque peuple africain fit de l’héritage commun pris dans ce que Cheikh Anta Diop appela à juste raison le « berceau nilotique ».

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

L’Afrique et le berceau de l’écriture C’est quoi l’écriture ? Jean Bottéro, parlant de l’écriture dans la civilisation mésopotamienne, affirme « qu’il s’agit bel et bien d’une innovation révolutionnaire1 ». En effet « passer de la tradition orale à la tradition écrite, ce n’était pas seulement changer de mode de la communication entre hommes, c’était transformer fondamentalement la propre qualité de ses messages, la façon de les voir et de les recevoir, la manière de penser2 ». Il insiste particulièrement sur les multiples avantages du message écrit : indépendance vis-à-vis de son auteur, disponibilité permanente vis-àvis du récepteur, cohérence et clarté accrues et surtout, inaltérabilité par rapport au message oral3. Cette appréciation de Bottéro est parfaitement conforme à celle qui ouvre l’article d’Achille Weinberg dans le dossier sur « Les logiques de l’écriture ». de la revue Sciences Humaines et qui commence ainsi : « l’écriture ne se limite pas à la transcription de la parole. Comme le montre l’histoire de ses signes, c’est un outil intellectuel qui permet d’augmenter la mémoire, de favoriser l’élaboration d’une réflexion abstraite et complexe, de “restructurer la pensée4” ». L’invention de l’écriture est donc très importante pour l’homme ; elle est si importante pour lui que « les historiens [en ont fait] la frontière entre la préhistoire et l’histoire5 ». Mais qu’est ce que l’écriture ? « L’écriture est la représentation de la pensée et du langage humains par des signes. Elle est un moyen durable et privilégié de communication entre les hommes6 ». C’est là 1.  Bottéro Jean, « Ecriture et civilisation en Mésopotamie » In Naissance de l’écriture : cunéiformes et hiéroglyphes, n° 28-31, Réunion des Musées nationaux, Paris, 1998. 2.  Ibid., p. 29. 3.  Ibid., p. 29. 4.  Weinberg Achille, « Un tremplin pour la pensée », Sciences Humaines, n°109, 2000, p. 22-23. 5.  Rédaction de Sciences Humaines 2000, p. 21. 6.  André-Leicknam Béatrice, et Ziegler Christiane, Naissance de l’écriture, in Naissance de l’écriture : cunéiformes et hiéroglyphes, Réunion des Musées nationaux, Paris, 1992, p. 9. L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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la définition que donnent les deux commissaires de l’exposition sur la naissance de l’écriture, organisée au Grand Palais du 7 mai au 9 août 1982 ; des voix autorisées donc. La définition que donne Théophile Obenga, qui s’est beaucoup intéressé à la question de l’écriture en Afrique7, a le mérite de compléter et d’approfondir celle de nos deux commissaires : « let us specify that a given script is the visual representation of a language, i. e. voice sounds. A system of writing an organized set of symbols or written signs used to serve as material objects representing invisible voice sounds. To write is to form signs, i. e. characters or symbols on a surface such as stone, wood, ivory, clay, papyrus, paper with an instrument such as a chisel or a pen8 » . Toujours dans la définition de l’écriture, l’égyptologue Pascal Vernus affirme vigoureusement que « l’écriture est un système de signes concrets, essentiellement visuels, capable d’encoder des énoncés linguistiques [souligné par l’auteur], et donc de transposer leur matérialité phonique en matérialité optique (ou tactile dans le cas du Braille9) ». Pour bien se faire comprendre et écarter toute ambigüité, l’auteur assène : « … l’écriture au sens propre est un code capable de fixer des énoncés linguistiques [souligné par l’auteur], et c’est cette capacité même qui doit être utilisée comme critère pour décider parmi les systèmes de notation symboliques ceux qui relèvent de l’écriture et ceux qui n’en relèvent point10 ». Il est clair que pour ces auteurs tout ce qui brille n’est pas or et tout système de notation symbolique n’est pas forcément une écriture. Pourtant d’autres auteurs, s’appuyant sur une approche sémiotique11 de l’écriture, pensent que sa définition devrait être moins restrictive. C’est le cas de Jean Battestini, qui dans son fameux livre Ecriture et texte. 7.  L’Afrique dans l’Antiquité : Egypte pharaonique, Afrique noire, Présence Africaine, Paris 1973, p. 355-443. 8.  « Africa, the cradle of writing », ANKH, 8/9, 1999 - 2000, n° 86-95, Article repris de Imhotep Newsletter, n° 5, may 1999, p. 88. 9.  Vernus Pascal, « La naissance de l’écriture dans l’Egypte ancienne », ArchéoNil, n° 3, 1993, p. 75. 10.  Vernus 1993, p. 76. 11.  Dubois Jean, Giacomo Mathée, Guespin Louis, Marchellesi Christiane, Marchellesi Jean-Baptiste, et Mével Jean-Pierre, Dictionnaire de linguistique, Larousse, Paris, 1984, p. 434-435.

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Contribution africaine dont le chapitre V est intitulé « L’art comme mode d’écriture et le contexte de l’art », écrit : « rappelons qu’au sens sémiotique, la notion d’écriture englobe les écritures alphabétiques, syllabiques, mythographiques et logographiques, qu’en Afrique les trois dernières étaient les plus fréquemment représentées. D’autres artéfacts, tels que des objets domestiques, des sculptures et textiles peuvent servir de supports mnémoniques ; ils peuvent alors manifester le signifiant de l’orature12 ». De la même manière Condro Mlaili, dans sa thèse L’écriture et l’idéologie en Afrique noire. Le cas du syllabaire vai13, milite pour une définition qui prendrait en charge les expériences africaines dont les plus nombreuses (voir citation de Battestini) ne seraient pas prises en considération si on ne s’en tenait qu’à la définition de Pascal Vernus pour ne citer que le dernier. Certes le but de ce texte n’est pas de trancher entre les deux camps mais, compte tenu des réalités actuelles (symboles, logos et idéogrammes utilisés en informatique, dans les gares, aéroports et routes), il faut accepter avec R. Haris et A. Weinberg que « l’écriture n’est pas un écho graphique de la parole, mais un système de représentation des idées qui possède sa propre autonomie14». En effet « les cunéiformes comme les hiéroglyphes forment d’emblée un système de signes indépendant de la parole. C’est le cas aujourd’hui de l’écriture mathématique avec ses symboles abstraits (5, 9, +, =). L’opération 5 + 4 = 9 peut se lire dans des langues différentes “cinq + 4” en français, “five and four” en anglais. Une notation graphique peut véhiculer du sens indépendamment de la représentation d’un mot de la langue parlée15 ». Autrement dit, la réalité commande de reconnaître la complexité de l’écriture et d’en avoir une définition qui tienne compte de tous ses aspects. Venons-en maintenant au débat sur le berceau de l’écriture.

12.  Battestini Simon, Ecriture et texte : contribution africaine, Québec et Ottawa : Les Presses de l’université de Laval/Présence Africaine, 1997, p. 274. 13.  Thèse de doctorat unique, université de Limoges, 2008. Il faut préciser ici que la thèse de Condro a été soutenue au Centre de recherches sémiotiques de l’université de Limoges, thèse mise en ligne, et donc consultable, depuis le 1er juillet 2008. 14.  Weinberg, p. 23 ; il s’appuie sur R. Harris. 15.  Ibid. ce que reconnait Pascal Vernus 1997, 101. L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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Où se trouve le berceau de l’écriture ? Comme on pouvait s’y attendre, les origines de l’écriture ont passionné les savants, et l’un des points les plus débattus de cette question est sans doute l’endroit où pour la première fois l’Homme a écrit. Deux pays cependant ont retenu le consensus des spécialistes : Sumer et l’Egypte. Mais avant d’aller plus loin, il convient d’abord de régler le problème de l’appartenance géographique de l’Egypte. Cela pourrait étonner certains mais l’évidence géographique qui aurait dû s’imposer à tout observateur objectif n’a pas empêché des spécialistes de classer le pays des pharaons parmi les pays orientaux. Ils refusent sans doute de lire Hérodote, le « père de l’Histoire », qui, contestant le point de vue des Ioniens qui réduisent l’Egypte au Delta, soutient que la vraie Egypte c’est la Thébaïde, c’est-à-dire la région de Thèbes, ville située au sud du pays, donc bien à l’intérieur du continent africain16. Un tel forcing se comprend bien si l’on voit ce que représente la civilisation pharaonique dans l’histoire de l’humanité surtout dans la formation des civilisations orientales et occidentales17. Les descendants actuels des Grecs et des Romains, qui se sont abondamment abreuvés aux sources de la civilisation égyptienne18, ne peuvent pas se faire à l’idée que l’Egypte se trouve bel et bien en Afrique et soit également une civilisation nègre19. Dès lors nombre d’entre eux n’ont pas hésité à abandonner sans état d’âme le manteau de la science pour revêtir celui de l’idéologie : Gaston Maspero (1846-1916), l’un des pères fondateurs de l’égyptologie française, n’hésita pas à classer les Egyptiens parmi les peuples orientaux. En effet l’édition de 1912 de son œuvre, devenue 16.  Hérodote, Histoires : livre II, Euterpe. Les Belles Lettres, Paris, 1972, p. 75-76 (II, 15-16 pour les puristes). 17.  Diop Cheikh Anta, Antériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité historique ? Présence Africaine, Paris, 1967 ; Diop, Nations nègres et culture : De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui, Présence Africaine, Paris, 1954 ; Civilisation ou barbarie, Présence Africaine, Paris, 1981. 18.  Obenga Théophile, L’Egypte, la Grèce et l’école d’Alexandrie : histoire interculturelle dans l’Antiquité, aux sources égyptiennes de la philosophie grecque, Khepera, L’Harmattan, Paris, 2005. 19.  Les déboires de Cheikh Anta Diop commencèrent avec sa thèse complémentaire intitulée : Qu’étaient les Egyptiens prédynastiques ? Cette thèse, il l’avait inscrite sur les registres de la Sorbonne en 1951 ; comme il fallait s’y attendre, elle ne fut jamais soutenue !

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livre de chevet de générations d’égyptologues20, porte comme titre Histoire ancienne des peuples de l’Orient. I, Egypte Ɛ Chaldée21 ! Voilà donc l’Egypte, pays africain, transplantée sur les rives de l’Euphrate et placée à côté de la Chaldée (Basse Mésopotamie). Le grand savant, insultant presque la mémoire de ceux qui sont peut-être les premiers à avoir eu une histoire écrite, affirma avec aplomb que « les Egyptiens paraissent avoir perdu de bonne heure le souvenir de leur origine22» ; et, corrigeant les témoignages oculaires des voyageurs des XVIIe et XVIIIe siècles qui affirmaient que les Coptes, descendants métissés des anciens Egyptiens, « présentaient plusieurs des traits caractéristiques de la race nègre23 », assène doctement que le peuple égyptien, « loin d’offrir les particularités ou l’aspect général du nègre, avait la plus grande analogie avec les belles races blanches de l’Europe et de l’Asie Occidentale24 ».Voilà l’Egypte et les Egyptiens occidentalisés ou orientalisés. Maspero fit des émules dont de nombreux égyptologues, lesquels présentent généralement l’Egypte comme un pays oriental25. Parmi eux figurent les deux commissaires de l’exposition sur la naissance de l’écriture évoquée plus haut. En atteste ce passage de leur préface : « les plus anciens témoignages écrits qui nous soient parvenus proviennent du Proche-Orient : deux pays, deux civilisations différentes, la Mésopotamie et l’Egypte, ont inventé l’écriture presque simultanément, il y a plus de 5000 ans26 ». Le rappel de P. Grandet et de B. Matieu que l’égyptien ancien « est traditionnellement classé dans le groupe des langues dites chamitosémitiques27 » dont le berceau se trouve au Proche-Orient, nous ramène 20.  Yoyotte Jean, Égyptologie : leçon inaugurale au Collège de France, Collège de France, n° 114, Paris, 1992, p. 11. 21.  Maspero Gaston, Histoire ancienne des peoples de l’Orient classique : Egypte Ɛ Chaldée, Hachette, Paris, 1912. 22.  Ibid., p.15. 23.  Ibid., p.16. 24.  Ibid., p.17. 25.  C’est le cas de Claire Lalouette qui enseignait des cours de civilisation égyptienne à la Sorbonne dans les années 1977-1980. 26.  André-Leicknam et Ziegler, p. 13. 27.  Groupe vivement contesté par Théophile Obenga, « Le “chamito-sémitique” n’existe pas », ANKH, n°1, 1992, p. 51-58. « L’égyptien ancien n’est pas une langue sémitique, ni une langue chamitoL’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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à l’ignorance délibérée de la sage mise en garde d’un monument de l’égyptologie, Sir Alan Gardiner, qui écrivait dans l’introduction de son chef-d’œuvre (toujours utilisé par les égyptologues de toutes catégories) : In spite of these resemblances, Egyptian differs from the Semitic tongues a good deal more than any one of them differs from any other, and at least until its relationship to the African languages is more closely defined, Egyptian must certainly be classified as standing outside the Semitic group28.

Gardiner pressentait ainsi l’africanité de la langue égyptienne dès 1927. Les faits lui donnèrent raison au colloque du Caire de 1974. En effet dans le compte rendu des débats de ce colloque, il est clairement rapporté sous la plume du professeur Jean Devisse le consensus suivant : « l’égyptien ne pouvait être isolé de son contexte africain et le sémitique ne rendait pas compte de sa naissance ; il était donc légitime de lui trouver des parents ou des cousins en Afrique29 ». Il est utile de rappeler que ce colloque sur Le peuplement de l’Egypte ancienne et le déchiffrement de l’écriture méroïtique avait réuni pour la première fois les meilleurs spécialistes occidentaux et africains et permis un débat direct entre eux. Comme le montre la citation ci-dessus, les égyptologues occidentaux acceptaient enfin que l’égyptien ancien n’était pas une langue sémitique mais plutôt africaine. Cheikh Anta Diop, dès 197730 et Théophile Obenga, en 199331, montrèrent que l’égyptien appartenait bel et bien à la famille négroafricaine. Les travaux paraissant dans la revue Ankh depuis 1992

sémitique, mais une langue négro-africaine : Réponse à Pascal Vernus », ANKH, n° 10/11, 2001 - 2002, p. 73-83. 28.  Gardiner Alan, Egyptian Grammar: Being an introduction to the study of hieroglyphs, Griffith Institute, Oxford, 1976, p. 3. 29.  Unesco, Le peuplement de l’Egypte ancienne et déchiffrement de l’écriture méroïtique, in Histoire générale de l’Afrique : études et documents, vol. I, Paris, 1978, p. 100. 30.  Diop, C.A., Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négroafricaines, IFAN, Dakar, 1977. 31.  Obenga, T., Origine commune de l’égyptien ancien, du copte et des langues négro-africaines modernes : introduction à la linguistique historique africaine, L’Harmattan, Paris, 1993.

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apportent, avec chaque numéro qui paraît de nouveaux éléments allant dans ce sens32. En conclusion, l’Egypte est bien un pays africain et sa civilisation et sa langue sont négro-africaines. Nous pouvons maintenant voir qui de l’Egypte ou de la Mésopotamie a eu le mérite d’avoir inventé l’écriture. Après avoir rappelé que l’écriture n’était pas naturelle mais un fait de civilisation, Jean Bottéro situe son invention en Mésopotamie. En effet selon lui « c’est dans la partie inférieure de ce qui est aujourd’hui l’Iraq, entre Bagdad et Bassorâ, aux alentours de -3000, qu’est apparu, pour la première fois au monde, un procédé calculé pour extérioriser et fixer tout ce que le langage peut exprimer de la pensée humaine. L’écriture est d’abord un fait de la civilisation mésopotamienne ancienne33 ». Poursuivant sur sa lancée, l’auteur soutient également la thèse selon laquelle toutes les autres écritures, dans l’espace et temps, s’inspirent du « prototype mésopotamien34 ». Le tableau chronologique consacré à l’évolution comparée de l’Egypte ancienne, de la Mésopotamie, de l’Elam, du Levant et de l’Anatolie donne des faits plus précis que ceux fournis par Bottéro. En effet, on peut y lire : « vers 3300 : Uruk, niveau IVb apparition de l’écriture35 ». Le même tableau nous apprend que l’écriture égyptienne, elle, ne vit le jour que sous Narmer et vers 3100 av. J.-C. Pierre Amiet va un peu plus loin dans l’analyse de la naissance des écritures mésopotamienne et égyptienne. Il souligne que les deux systèmes, bien qu’indépendants l’un de l’autre, apparaissent dans l’une des rares périodes où les deux pays furent en contact. Ayant écrit cela, l’auteur comme s’il estimait avoir fait trop d’honneur à l’Egypte, affirme vigoureusement que l’Asie Antérieure, à travers Sumer, « posséda au départ une nette avance36 » sur l’Egypte. Et c’est tout naturellement 32.  Ngom Gilbert, « Variantes graphiques hiéroglyphiques et phonétique historique de l’égyptien ancien et des langues négro-africaines modernes», ANKH, n° 6/7, 1997 - 1998, p. 75-88 et Obenga T., « Comparaisons morphologiques entre l’égyptien ancien et le dagara », ANKH, n° 12/13 : 2003 - 2004, p. 49-63. 33.  Bottéro, p. 28. 34.  Ibid. 35.  Réunion des musées nationaux, Naissance de l’écriture : cunéiformes et hiéroglyphes, Paris, 1998, p. 38. 36.  Amiet 1998, p. 17. L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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donc qu’il émet l’hypothèse selon laquelle l’Egypte aurait reçu de Sumer un coup de fouet décisif à travers des colonies commerciales qui auraient essaimé au nord et à l’ouest37 ; ce qui lui aurait permis de se doter d’une institution monarchique originale, de développer une architecture inspirée de celle de la Mésopotamie mais surtout de créer « son écriture d’un seul coup, sans tâtonnements préliminaires, à une époque à peine plus récente que les Sumériens (vers 3100 av. J.-C)38 ». David Dalby qui a consacré à l’écriture égyptienne une exposition intitulée L’Afrique et la lettre rejoint le concert des pro-mésopotamiens et émet l’hypothèse « [qu’] il se pourrait qu’un inventeur égyptien ait été inspiré par l’invention légèrement antérieure d’un système d’écriture tout à fait différent en Mésopotamie39 ». Cependant les choses allaient évoluer avec les nouvelles découvertes faites en Egypte par l’équipe archéologique de Günter Dreyer. Rendant compte de ces découvertes dans Le Monde de la Bible n° 162, Jochem Kahl écrit : « l’intérêt de cette découverte ne saurait être surestimé. D’un seul coup, l’âge des hiéroglyphes a reculé d’environ 200 ans. Et la question de l’apparition de l’écriture s’est posée à frais nouveaux : est-elle d’abord née en Egypte ou en Mésopotamie ? Difficile de répondre40 » [souligné par nous]. Même si Jochem Kahl, devant le renversement de perspective effarant et ses conséquences prévisibles, refuse de répondre parce que « la question d’une datation exacte des premières inscriptions ( en Egypte comme en Mésopotamie) pose encore de gros problèmes41 », la belle certitude qu’affichaient les pro-mésopotamiens a bel et bien disparu ; et ce que Kahl ne dit pas, c’est que l’incertitude qui caractérisait les datations antérieures n’avait pas empêché les spécialistes de désigner la Mésopotamie comme le berceau de l’écriture. Tous ceux qui savent lire entre les lignes peuvent comprendre, s’ils lisent le texte de Kahl, que le berceau a bien changé de continent ! 37.  Amiet 1998, p. 17. 38.  Amiet 1998, p. 19. 39.  Dalby David, L’Afrique et la lettre. Centre culturel français, Fête de la Lettre, Lagos, Paris, 1986. Introduction au catalogue. 40.  Kahl Jochem, « Naissance des hiéroglyphes », Le Monde de la Bible, n°162 : 2004, p. 26. 41.  Ibid.

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Si le berceau quitte l’Asie, il ne peut aller qu’en Afrique, et pour être plus précis, en Egypte. L’origine égyptienne de l’écriture avait déjà été tranchée depuis 1822 dans le document même qui fondait l’égyptologie : la fameuse Lettre à monsieur Dacier. En effet Champollion y expliquait que c’étaient les Egyptiens qui avaient inventé l’alphabet ; mieux, selon lui « il serait possible de retrouver dans cette ancienne écriture phonétique égyptienne, quelque imparfaite qu’elle soit en elle-même, sinon l’origine, du moins le modèle sur lequel ont été calqués les alphabets des peuples de l’Asie occidentale, et surtout ceux des nations voisines de l’Egypte42 ». Et le premier égyptologue de citer « les alphabets que nous appelons hébreu, chaldaïque, et syriaque43 ». La cause aurait donc été entendue depuis longtemps si l’idéologie ne l’avait pas emporté sur la science et poussé les « savants » à vouloir imposer la Mésopotamie comme berceau de l’écriture. Mais la roue de l’histoire tourne et en 1992 c’était un autre égyptologue, membre actif du GLECS (Groupe d’étude des langues chamito-sémitiques44) qui, dans un article consacré à La naissance de l’écriture dans l’Egypte ancienne, était obligé de faire un aveu que lui imposent des faits émanant des résultats des fouilles de Günter Dreyer. Ces faits sont les suivants : dans la tombe U-j d’Um el-Qaab, qui appartient au contexte archéologique de Nagada II a 2 c’est-à-dire vers 315045 ans av. J.-C. d’après Vernus, les premières traces d’une vraie écriture ont été trouvées sur des étiquettes en os ou en ivoire. Et l’auteur de conclure : « voilà qui remet en cause l’antériorité supposée des écritures mésopotamiennes46 » [souligné par nous].Vernus aurait dû dire l’antériorité imposée par l’idéologie47! Le perfectionnement des techniques de fouille et l’avènement des 42.  Champollion Jean-François, Lettre à M. Dacier, Secrétaire Perpétuel de l’académie des Inscriptions et Belles Lettres, relatives à l’alphabet des hiéroglyphes phonétiques employés par les Egyptiens pour inscrire sur leurs monuments les titres, les noms et les surnoms des souverains grecs et romains, Paris le 22 septembre 1822, A. Fontfroide, Paris, 1989, p. 42. 43.  Ibid. 44.  Nous avons vu supra, note 27, que pour T. Obenga la famille chamito-sémitique n’existait pas. 45.  L’auteur fait tout pour abaisser l’âge de l’écriture en Egypte : en réalité on pourrait se retrouver à 3300 au lieu de 3150 avant J.-C. 46.  Vernus, p. 86. 47.  Voir Obenga,1999/2000, p. 87. L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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méthodes de datation absolue sont en train de faire tomber tous les échafaudages idéologiques antérieurs. Vivian Davies et Renée Friedman, dans un livre consacré à l’Egypte et publié en 1998, vont dans le même sens que Pascal Vernus. En effet ils écrivent que : « until recently it was thought that the earliest writing system was invented by the Sumerians in Mesopotamia towards the end of the fourth millennium BC and that the idea was borrowed by the Egyptians at the beginning of the first Dynasty (c. 3100 BC). However, recent discoveries at Abydos have shown that the Egyptians had an advanced system of writing even earlier than the Mesopotamians, some 150 years before Narmer. Remarkably, there is no evidence that this writing developed from a more primitive pictographic age. Already, at the very beginning, it incorporated signs for sound48 » [c’est nous qui soulignons]. Les deux auteurs ajoutent que, contrairement au système mésopotamien qui a évolué progressivement, celui de l’Egypte apparait comme plus ou moins fini dès sa conception49. Autrement dit, l’écriture mésopotamienne n’a pas pu donner naissance à celle de l’Egypte parce que celle-ci serait non seulement antérieure à elle mais également différente d’elle. Théophile Obenga, dans un article publié pour la première fois dans Imhotep Newsletter50 et repris par la revue Ankh51 et intitulé « Africa, the cradle of writing », est encore plus catégorique que ses collègues cités supra. En effet, après avoir fait le tour des travaux les plus récents sur la question de l’origine de l’écriture, il écrit que « this critical issue is now almost solved, thanks to the excavations led by Dr. Günter Dreyer52… » Et se faisant plus précis, il continue sa démonstration : « it is a question of script because texts written, use ideograms as phonograms, that is, signs have phonetic value. These labels in ivory were dated by radiometric methods, and they are older than Sumerian script, which will give birth to the cuneiform system of writing53 » [souligné par nous]. Insistant sur l’âge des pieces datées, Obenga affirme qu’elles 48.  Davies Vivian et Friedman Renée, Egypt, British Museum Press, Londres, 1998, p. 36. 49.  Ibid. 50.  Obenga 1999 (Imhotep Newsletter 5). 51.  Ibid. p. 88. 52.  Ibid., p. 88. 53.  Ibid., p. 91.

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Source : Obenga, Ankh 1999/2000, fig. 4, p. 92 Figure 1a : Tableau de dispersion du système égyptien

sont « the first written records in the world, dating back to 3400 B.C. and found at Abydos in Upper Egypt by Dr. Dreyer54 » [souligné par nous]. Voilà donc qui est clair : l’Egypte devient, scientifiquement parlant, le berceau de l’écriture. En effet nous avons vu plus haut que le tableau chronologique élaboré par les organisateurs de l’exposition du Grand Palais sur la naissance de l’écriture avait largement mis en tête la Mésopotamie (3300) au détriment de l’Egypte (3100), ainsi mise en seconde position. Mieux, Obenga dresse un tableau55 qui montre que toutes les écritures de l’Orient et de l’Occident dérivent plus ou moins directement de celle de l’Egypte (voir Fig. 1a) ; ce qui signifie que le système sumérien n’a pas connu de développement spatial et temporel. C’est là un indice sur la trop grande importance que les spécialistes ont voulu donner à ce système d’écriture. Mario Beatty, un égyptologue américain, qui a vu l’exposition faite au Metropolitan Museum en 2000 sur l’Ancien Empire et suivi les 54.  Ibid., p. 92 (fig. 4). 55.  Ibid., p. 87-92. L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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conférences qui y étaient associées, a eu l’heureuse idée d’en faire le compte rendu pour la revue Ankh56. Parlant de la conférence de Dreyer intitulée Beginnings of writing in Ancient Egypt, il affirme que celui-ci place « the origin of writing in Ancient Egypt at approximately 3400 B.C.57 ». Mais dans cette conférence, la conclusion vaut un détour : He concluded his presentation by noting similarities between specific Egyptian and Mesopotamian objects and suggesting that perhaps there is an initial influence of Egyptian writing on Mesopotamia because there are signs on Mesopotamian objects that are only « readable » from the standpoint of the Egyptian language, but not the Mesopotamian language58 [souligné par nous].

Si Mario Beatty a rapporté fidèlement les propos de l’égyptologue allemand et si l’hypothèse de celui-ci se vérifiait un jour, ce serait une belle revanche pour l’Egypte : elle serait non seulement la première à avoir écrit mais celle qui a inspiré tout le monde59. Et on ne peut s’empêcher de penser aux propos de Champollion rappelés supra. En conclusion de cette partie de notre étude, nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que les faits les plus objectifs et les plus récents dont dispose aujourd’hui la communauté scientifique, attestent que le berceau de l’écriture se trouve en Afrique, et que linguistiquement, les inventeurs de génie de cet acquis fondamental de l’humanité appartenaient à la famille des langues négro-africaines. En effet, les héritiers de Champollion qui avaient refusé de le suivre et d’écouter Sir Alan Gardiner ont été contraints par les faits, au colloque du Caire de 1974, de reconnaître la stérilité de la piste sémitique, même si, aujourd’hui encore, beaucoup d’entre eux refusent de s’avouer vaincus ! Maintenant que la question du berceau de l’écriture est tranchée, nous pouvons voir l’histoire de l’écriture en Afrique noire.

56.  Beatty Mario, « Recent finds in Predynastic Egypt », ANKH, n° 8/9, 1999/2000, p. 215-217. 57.  Ibid., p. 215. 58.  Ibid. 59.  C’est ce que pensent celles qui se sont entretenues avec G. Dreyer (Arnaud et Kiner 2006, 63).

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L’histoire de l’écriture : de l’Egypte ancienne à la période contemporaine L’Egypte et Koush Nous avons vu à quel moment l’écriture a fait son apparition en Egypte. Il est important à présent que nous nous intéressions aux conditions qui ont présidé à sa naissance. Dans sa contribution présentée à l’occasion du centenaire de la loi de 1905, loi « concernant la séparation des églises et de l’Etat60 », Jean Leclant, Secrétaire Perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles lettres, écrivait à propos des débuts de la civilisation égyptienne ces quelques lignes fort pertinentes : « Après les longs tâtonnements de la Pré- et de la Protohistoire, la civilisation égyptienne semble naître, d’un coup, un peu avant l’an 3000. Dès lors apparaissent tout à la fois l’écriture (les premiers hiéroglyphes), l’institution pharaonique et sans doute, encore qu’on en discute, une irrigation concertée61 ». Malicieusement l’académicien se demande lequel de ces trois faits culturels fut le fait moteur ? Selon lui, les réponses dépendent des chapelles historiques : les matérialistes diront que c’est l’irrigation ; les spiritualistes choisiront l’écriture et les politiques pencheront pour l’institution pharaonique. Sans trancher le débat, puisque ce n’était pas son objectif, Jean Leclant affirme cependant que la civilisation égyptienne plonge ses racines dans « la culture contemporaine de la grande faune paléo-africaine attestée par les gravures rupestres, répandues sur une large bande sahélienne qui se déploie depuis la Nubie, par le Tibesti et le Hoggar, jusqu’au lointain Occident des actuels confins algéro-marocains62». Et de poursuivre que le pharaon n’est que le successeur du chef de chasse de cette époque63. Voilà qui nous mène loin de la fameuse race dynastique qui serait venue d’Asie, thèse défendue par D. E. Derry64, entre autres. C’est le lieu de rappeler, à l’appui de la thèse de Leclant, que certains rois de la 60.  Damien A., Préface, in Etat et religion, Presses universitaires de France, Paris, 2005, p. 3. 61.  « Pharaon : Prêtre et souverain », in Etat et religion, Presses Universitaires de France, Paris, 2005, p. 12. 62.  Ibid. 63.  Ibid. 64.  Derry Douglas Erith, « The Dynastic Race in Egypt », Journal of Egyptian Archaeology, n° 42, 1956, p. 80-85. L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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Dynastie 0 portent effectivement des noms qui renvoient aux animaux de cette faune ; beaucoup de signes hiéroglyphiques se rapportent également à cette même faune65. La simultanéité des naissances de l’Etat et de l’écriture constatée par Leclant est corroborée par Vivian Davies et Renée Friedman dans leur ouvrage mais les deux auteurs semblent voir un lien entre les besoins administratifs et bureaucratiques de l’appareil pharaonique et l’invention de l’écriture. En effet, certains des premiers signes renvoient à l’enregistrement de taxes, notamment l’origine des denrées et leur date de production66. Ainsi donc, la naissance de l’écriture serait liée aux besoins croissants de l’administration pharaonique67, qui nous apparait à travers ses premières manifestations connues comme déjà fort bien organisée : le verso de la Palette de Narmer68 atteste l’existence du TAty c’est-à-dire du chef de l’administration pharaonique. Au Nouvel Empire, cette administration devint encore plus complexe et mieux organisée69. Que dire maintenant des origines lointaines de l’écriture ? Abandonnant totalement la piste extérieure (pour ne pas dire mésopotamienne), Pascal Vernus exploite les dessins figurant sur les poteries amratiennes et gerzéennes et arrive à la conclusion que « le système hiéroglyphique participe d’une culture qui plonge ses racines fort haut dans la préhistoire70 ». Cette opinion est partagée par Nicolas Grimal qui rejetait déjà en 1988 l’idée de « l’importation ou de l’apparition spontanée de l’écriture71 » en Egypte et affirmait qu’à travers les « représentations nagadiennes sur vases […] on peut suivre tout le cheminement de la stylisation progressive, des végétaux aux animaux en passant par les 65.  Arnaud Bernadette et Kiner Aline, « Les dynasties oubliées », Sciences et Avenir, n° 711, mai 2006, p. 64, le tableau intitulé « Un millénaire de rois ». 66.  Davies et Friedman, p. 36. 67.  L’Etat a fait l’objet de plusieurs colloques : celui de Cracovie et celui de Toulouse (Midant-Reynes Béatrix, Aux origines de l’Egypte pharaonique : entretiens avec Béatrix Midant-Reynes. Le Monde de la Bible, n° 162, 2004, p. 24. 68.  Grimal Nicolas, Histoire de l’Egypte, Fayard, Paris, 1988, p. 50 (fig. 12) ; Freu 2000, 97-98 qui signale le TAty sur la tête de massue de Narmer. 69.  C’est ce que laissent voir les titres et fonctions de l’époque amarnienne (13521336) : cf. Hari Robert, « Répertoire onomastique amarnien », Aegyptica Helvetica, vol. 4, 1976, p. XIII-XIV. 70.  Vernus, p. 82. 71.  Grimal, p. 40.

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Source : Collier et Manley, 1998, p. 3 Figure 1b : Alphabet égyptien avec des signes pictographiques

danses rituelles, pour aboutir aux enseignes divines qui sont déjà autant de hiéroglyphes72 ». On le voit, l’écriture égyptienne, pour ne pas dire la civilisation égyptienne, plonge profondément ses racines dans la terre africaine et c’est d’ailleurs le fait que ses nombreux signes (de 700 à l’Ancien Empire à plus de 3000 à la période gréco-romaine73) renvoient à l’univers nilotique et africain, qui a ramené à la raison tous ceux dont la première réaction fut d’abord de lui chercher des origines extérieures : une écriture conçue en Mésopotamie et transplantée en Egypte devait présenter un tout autre profil. C’est ici le lieu d’insister sur l’énorme apport que le caractère pictographique du système hiéroglyphique originel a eu dans la manifestation de la vérité (voir Fig. 1b). Comme l’écrivit Champollion dans sa fameuse grammaire, l’écriture égyptienne s’appelait sS n mdw nTr c’est-à-dire « caractère de la parole de Dieu » ; belle définition que celle du père de l’égyptologie74. La langue égyptienne elle-même était appelée mdw nTr, « the god’s words » d’après le grand grammairien Alan Gardiner75. Est-il besoin de remarquer que les Egyptiens avaient une haute idée de leur langue et de leur écriture ? 72.  Ibid. 73.  Vernus, p. 131. 74.  Champollion, p. 2. 75.  Gardiner, p. 1. L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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Cette écriture va évoluer et se transformer au cours de la longue histoire de l’Egypte. En effet, entre les périodes Thinite et Romaine, elle s’est beaucoup enrichie. Les Egyptiens utilisèrent avant tout ce que Champollion appelle « les hiéroglyphes proprement dits76 ». Les caractères de cette écriture, qui avait indéniablement une dimension artistique et décorative, étaient surtout utilisés sur des supports tels que la pierre, le bois et servaient à rendre essentiellement les grands textes religieux et politiques. Dès l’Ancien Empire apparut une cursive dénommée hiératique77, qui avait comme support courant les rouleaux de papyrus. A partir du VIIIe siècle apparaît le démotique, une cursive encore moins soignée que le hiératique et qui était surtout réservée aux actes de la vie de tous les jours et qui était accessible au peuple égyptien. En Egypte ancienne, le métier de scribe, c’est-à-dire le spécialiste de l’écriture, était un métier prisé78 et les Egyptiens accordaient beaucoup de prix à l’écrit : Christiane Desroches-Noblecourt nous le rappelle dans l’ouvrage collectif Naissance de l’écriture. Cunéiformes et hiéroglyphes, en puisant dans le Papyrus Chester Beatty : L’homme périt, son corps redevient poussière, tous ses semblables retournent à la terre, mais le livre fera que son souvenir soit transmis de bouche en bouche. Mieux vaut un livre qu’une solide maison ou bien qu’un temple dans l’Occident, mieux qu’un château fort encore, ou qu’une stèle dressée dans un sanctuaire [.…] Ils ont passé les savants prophètes et leurs noms seraient oubliés si leurs écrits ne perpétuaient leurs souvenirs79.

Les Egyptiens ont été très sensibles à ces paroles. Voilà pourquoi ils ont beaucoup écrit, étant convaincus que l’écrit reste ; scripta manent dirent plus tard les Romains. C’est donc grâce à cette place privilégiée que l’écriture eut dans la civilisation égyptienne que nous avons pu bien connaître celle-ci. En Egypte même, malgré la perte d’indépendance, les hiéroglyphes demeurèrent et ce n’est que sous Théodose (vers 346395) que, le christianisme devenant religion d’Etat, ils finirent par être 76.  Champollion, p. 2. 77.  Fischer Henry Georges, L’écriture et l’art de l’Egypte ancienne : quatre leçons sur la paléographie et l’épigraphie pharaonique, Presses Universitaires de France, Paris, 1986, 24 sq. 78.  Cf. entre autres, Lalouette Claire, Textes sacrés et textes profanes de l’ancienne Egypte : I, des pharaons et des hommes, Gallimard, Paris, 1984, p. 192-197 (La satyre des métiers). 79.  Cf. Réunion des musées nationaux.

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délaissés : la dernière inscription hiéroglyphique connue remonte au 24 août 394. Avec l’arrivée des Grecs, une nouvelle écriture utilisant des caractères grecs que complètent 7 caractères tirés du démotique, finit par s’imposer (IIe-IIIe siècle après J.-C.). Le copte disparut progressivement à son tour au profit de l’arabe, après la conquête du pays par les Arabes en 641. L’écriture égyptienne, la sS n mdw nTr, avait un aspect sur lequel nous nous permettrons d’attirer l’attention du lecteur : son caractère magico-religieux. Un caractère pouvait être « chargé », positivement ou négativement et était même censé pouvoir s’animer. Voilà pourquoi les signes représentant des serpents ou certains animaux dangereux étaient coupés en deux ou transpercés de couteaux sur les parois des édifices funéraires ou sur les rouleaux des papyrus funéraires. C’était

Source : Les Cahiers de Science & Vie, n° 79, p. 83 Figure 1c : Alphabet méroïtique inspiré de l’égyptien.

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manifestement pour qu’ils ne puissent pas nuire au mort80. Certains signes positivement chargés pouvaient, suivant la même logique, devenir des amulettes. C’est par exemple le cas des signes et (wrs¸anx) sur lesquels nous reviendrons d’ailleurs. Il était nécessaire de souligner un tel fait car c’est sous leur forme magico-religieuse que beaucoup de signes hiéroglyphiques se conserveront, longtemps après avoir quitté la vallée du Nil, au sein des sociétés négro-africaines de l’intérieur du continent. Comme il fallait s’y attendre, cette écriture égyptienne allait essaimer en Afrique. C’est ainsi qu’elle donna naissance, immédiatement au sud de l’Egypte, et plus précisément à Koush, à l’écriture méroïtique. Pour mémoire, rappelons qu’entre le VIIe siècle avant J.-C. et le IVe siècle après J.-C., Koush constitua un grand ensemble politique qui réussit même à dominer l’Egypte à travers la fameuse XXVe Dynastie (747656). L’écriture méroïtique utilise deux types de caractères que Jean Leclant décrit ainsi : « d’une part, des hiéroglyphes empruntés au répertoire égyptien mais tournés en sens inverse, ce qui a offert une difficulté fondamentale au déchiffrement ; cependant la majeure partie des textes est écrit dans une cursive très peu soignée, dont les signes sont empruntés, dans l’ensemble, au démotique égyptien. Dans chacune des séries, les signes sont au nombre de vingt trois : il s’agit donc d’un alphabet avec cependant quelques bilitères81 » (voir Fig. 1c). Au total, les spécialistes ont recueilli environ neuf cent textes à travers tout le territoire de Koush82, mais, malheureusement, si on sait lire le méroïtique, on n’a pas encore réussi, malgré les efforts de la communauté scientifique, à en saisir le sens, exception faite de quelques noms de divinités et de toponymes. Le reste de l’Afrique noire Longtemps après les hiéroglyphes, vient ce que Ayele Bekerie appelle The Ethiopic writing system, auquel il donne trois mille ans d’existence sur la base des inscriptions relevées sur les monuments de l’Ethiopie du nord. L’auteur reconnaît cependant que la plupart des manuscrits 80.  Fischer, p.130-132. 81.  Leclant, p. 136. 82.  Ibid., p. 135.

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littéraires éthiopiens remontent au XIIe siècle et qu’en vérité la date exacte de la création du système reste inconnue83. Bekerie a consacré un livre entier aux écritures éthiopiennes et contesté vivement la classification qui les met dans la famille des écritures sémitiques : tout le livre est une réfutation méthodique de cette thèse que l’auteur tente de remplacer par celle de l’africanité des écritures éthiopiennes. A l’appui de sa thèse, il cite le Kibrä Nägäst (La Gloire des Rois) qui classe le ge’ez « as a language of the house of Ham » alors que le Book of the Mistery of Heaven and Earth qui date du XVIe siècle fait la même chose84. Et l’auteur d’en tirer la conclusion que si c’est le ge’ez qui ne peut pas être sémitique, les autres langues éthiopiennes le sont sans doute encore moins85. Pourtant Théophile Obenga qui écrivait, il faut le reconnaître, en 1973, pensait que le ge’ez et l’amharique « are written with the Ethiopic syllabic alphabet which suggests a connection whith other Semitic writings86 ». Ayele Bekerie, à l’appui de sa thèse, invoque les relations entre l’Egypte pharaonique et l’Ethiopie : il rappelle opportunément les expéditions de l’Ancien Empire, la similitude des calendriers égyptien et éthiopien avec les 5 à 6 jours qui sont ajoutés à l’année pour la compléter. On aurait même découvert une stèle dédiée au dieu Horus à Aksoum87. Ayele Bekerie présente également des exemples de similitude entre les hiéroglyphes et le système éthiopien88. Malgré la conviction avec laquelle Ayele Bekerie présente sa thèse, force est de reconnaître cependant qu’en s’en tenant uniquement à l’aspect extérieur des écritures éthiopiennes, il est difficile de nier leur similitude avec l’hébreu, par exemple89.

83.  Bekerie Ayele, Ethiopic: An African Writing System, its History and Principles, The Red Sea Press Inc, Lawranceville, Asmara, 1997, p. 11. 84.  Ibid., p. 49. 85.  Ibid. 86.  Obenga 1999/2000, p. 89-92. 87.  Sur tout cela, voir Bekerie, p. 52-55. 88.  Ibid., p. 56-58. 89.  Voir particulièrement Bekerie, p. 71 (table 4), p. 78 (table 9). L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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Si nous quittons la vallée du Nil pour l’intérieur du continent, a-t-on trouvé des systèmes d’écriture ? Si oui, sont-ils indépendants du système hiéroglyphique qui a influencé le Proche-Orient et l’Occident ? (voir Fig. 1a). La réponse à ces deux questions est positive. En effet, malgré la réputation faite à l’Afrique noire d’être un continent de l’oralité, les spécialistes qui se sont penchés sur cette question reconnaissent que l’Afrique a connu l’écriture. Ainsi D. Dalby écrit : « l’Afrique n’est pas une île, elle a sa part, avec d’autres continents, dans la grande réalisation humaine : la lettre. Mais elle a sa propre histoire à raconter dans l’évolution de l’écriture90 ». Dalby veut dire ici que toutes les écritures africaines n’entrent pas dans la définition étriquée qu’adoptent certains spécialistes (voir la section « C’est quoi l’écriture ? »). Dans une définition moins stricte de l’écriture, Dalby, présentant l’exposition L’Afrique et la lettre, affirme que « dans cet espace se trouve réuni un panorama de presque cinquante systèmes d’écriture ou symbolismes graphiques différents91, employés en Afrique au cours des derniers 5000 ans92 ». Ces écritures africaines seraient relativement récentes, à en croire Gérard Galtier qui a consacré un article à l’écriture traditionnelle mandingue93. D’après lui, de nombreux systèmes remontent à la période coloniale. Ainsi, le Masaba des Bambaras Masasi a été élaboré en 1930 ; le syllabaire mendé en 1921 ; l’alphabet basa du Libéria en 1920 ; trois alphabets somalis entre 1922, 1928 et 1930 ; l’alphabet yorouba en 1927 ; l’alphabet des Ibibio-Efik du Nigéria en 1930 ; les syllabaires toma et kpellé du Libéria dans les années 193094. Pour le Libéria, il faut ajouter le vaï inventé en 1833. N’oublions pas le bamoun inventé depuis 1903. En Afrique de l’Ouest, le tifinagh des Touaregs, les alphabets cryptographiques du Hodh95 (sud-est de la Mauritanie), 90.  Dalby David, L’Afrique et la lettre. Centre culturel français, Fête de la Lettre, Lagos, Paris, 1986. Introduction. 91.  Pour Battestini, le continent compte une vingtaine de systèmes d’écriture et l’Afrique de l’Ouest 14 systèmes (Battestini, p. 66). 92.  Dalby, Introduction. 93.  Galtier Gérard, « Un exemple d’écriture traditionnelle mandingue : “Le Masaba” » des Bambara-Masasi du Mali. Journal de la Société des Africanistes, n° 57 (1-2), 1987, p. 255-266. 94.  Galtier, p. 264. 95.  Sur ces alphabets, cf. Monteil Vincent, « La cryptographie chez le Maures : Notes sur quelques alphabets du Hodh », Bulletin de l’Institut français d’Afrique

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Photographie : Coll. IFAN ; Dakar ; Sénégal, 1961 Figure 2 : Manuscrit arabe. L’écriture arabe s’imposa assez tôt en Afrique noire et bloqua sans doute le développement de systèmes graphiques locaux

Figure 3 : Titre intérieur du Tarikh elFettach, édition de 1913 ; exemplaire conservé à la bibliothèque Universitaire de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar

Figure 4 : Page en arabe du Tarikh el-Fettach en caractères d’imprimerie

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Source : T. Obenga, L’Afrique dans l’antiquité, p. 388 Figure 5 : Nsibidi et égyptien. Comme on le voit, certains hiéroglyphes égyptiens ont été conservés dans l’écriture nsibidi malgré l’espace et le temps entre les deux systèmes



Source : Condro,2008 : 403, op. cit.

Figure 6 : Tableau du syllabaire loma (créé dans les années 1930 par Wido Zobo de Boneketa, au Libéria)

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Source : V Monteil, « La cryptographie chez les Maures », BIFAN, série B, T. XIII, n° 4, 1951, p. 1259 Figure 7 : Alphabets secrets du Hodh

le nsibidi (écriture commune à certains groupes du Nigéria), ainsi que les inscriptions rupestres des grottes de Bamako et de Kita (Mali), sans oublier les idéogrammes mandingues et dogons, remontent à la période précoloniale96. Quant à l’écriture sacrée du Danxome97, elle serait déjà en place au moins au milieu du XVIe siècle et compterait près de deux cents graphèmes98 (et la liste n’est pas exhaustive). Les systèmes d’écriture dogon et bambara compteraient chacun deux cent soixante six idéogrammes99. noire, t. XIII n° 4, 1951, p. 1257-1264. 96.  Galtier, p. 259. 97.  Gomez Jean-Charles, « Etude comparée de l’écriture sacrée du Danxomé et des hiéroglyphes de l’ancienne Egypte », ANKH, n° 1, 1992, p. 59-78. 98.  Gomez, p. 65. 99.  Griaule Marcel, et Dieterlen Germaine, Signes graphiques soudanais, Herman et Cie, Paris, 1951, p.8, 31. L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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On le voit, l’Afrique était loin d’être un continent de l’oralité. Mais pourquoi la naissance de toutes ces écritures entre 1900 et 1960 ? Condro donne une réponse pour l’un des systèmes les plus célèbres, l’écriture vaï. En effet pour lui, l’originalité du système du syllabaire vaï ne peut se comprendre « qu’à partir de la présence saillante des écritures arabe ou latine et de la connaissance pleine du principe phonographique. En d’autres termes elles tendent à montrer qu’un changement historique et culturel significatif s’est opéré dans la société vai ou encore une « rupture épistémologique100 ». La thèse de Condro est très intéressante. En effet elle met en avant les effets stimulants combinés de la présence des écritures arabe et latine et des transformations socioculturelles sur la naissance du système vaï. On pourrait donc étendre le raisonnement aux autres systèmes autochtones. Mais à ce stade on rencontre une difficulté : en analysant les systèmes en question, on constate qu’ils ne s’expliquent pas seulement par l’environnement contemporain de leur naissance mais aussi par un héritage historique plus ancien. Et cet héritage nous ramène aux hiéroglyphes égyptiens. Tout d’abord les spécialistes constatent que dans la naissance de certains systèmes interviennent le babouin et l’ibis. Or le babouin et l’ibis étaient les deux avatars de Thot, le dieu des écritures des anciens Egyptiens101. C’est le cas au Nigéria pour l’écriture nsibidi. A ce propos la question de Dalby qui va suivre est d’un intérêt particulier : peut-on mettre en parallèle l’association d’un babouin sacré avec Thot, l’inventeur divin des hiéroglyphes, et la révélation des symboles traditionnels nsibidi par un babouin au Nigéria ? La réponse est assurément, oui. De son côté, Alain Anselin qui s’est penché sur « l’Ibis du Savoir », affirme, avec vigueur, que « tous ces échassiers, égyptien, bantous, mandingues sont les patrons divins de l’initiation, les Masques de la parole et de l’écriture, par quoi l’homme s’inventa, dans le lointain, des temps

100.  Condro Mlaili, L’écriture et l’idéologie en Afrique noire : le cas du syllabaire vai. Thèse de Doctorat Unique, Université de Limoges, 2008, p. 257. 101.  Hornung Erik, Les dieux de l’Egypte : l’un et le multiple, Flammarion, Paris, 1992, p. 303 pour nous en tenir à un document égyptologique facile d’accès ; cf. aussi Anselin A. L’Ibis du Savoir. Ankh, 1 : 79-87, 1992, p. 79-87 et Volokhine Youri, « Le dieu Thot et la parole », Revue de l’Histoire des Religions, vol. 221, n° 2, 2004, p. 131-156.

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lointains102 ». C’est dire que pour lui la parenté culturelle mise en question par Dalby ne se discute pas. Après avoir signalé que chez les Ekoi de la région de la Cross River, au Nigéria, ce sont des cynocéphales qui sont censés avoir inventé l’écriture103, Battestini nous apprend que chez les Sénoufo, c’est un ibis ou un calao (oiseaux au bec long) qui est censé porter une grossesse faite des signes de l’écriture104. De son côté Théophile Obenga, s’appuyant en partie sur la thèse de Talbot qui soutient que sur plusieurs points l’écriture nsibidi rappelle les hiéroglyphes égyptiens, écrit : « les pictogrammes nsibidi ressemblent de façon extrêmement étonnante aux pictogrammes égyptiens : une telle ressemblance structurale, c’est-à-dire relative à la forme même de ces pictogrammes, met d’emblée en évidence les rapports intimes et lointains qui existent entre les hiéroglyphes égyptiens et l’écriture nsibidi105 [c’est nous qui soulignons] ». Toujours sur la parenté entre les hiéroglyphes égyptiens et les systèmes d’écriture africains, Coovi Jean-Charles Gomez, après avoir réfléchi sur le symbolisme de certains signes de l’écriture du Danxome, conclut : « ce système est incontestablement un héritage de l’ancienne Egypte. Les rapprochements qui seront proposés n’ont justement qu’une finalité : montrer la parenté des signes graphiques dahoméens et égyptiens106 ». Ainsi donc, la parenté entre les hiéroglyphes et les systèmes d’écriture de l’intérieur du continent, et, on pourrait même dire de sa partie ouest, semble devoir s’imposer, surtout si l’on sait que l’ampleur et la profondeur des faits, qui dépassent la simple écriture107, ne peuvent faire l’objet d’une réfutation objective. 102.  Anselin, p. 83. 103.  Battestini, p. 28. 104.  Ibid. 105.  Obenga, p. 384. 106.  Gomez, p. 66. 107.  Cf., pour nous en tenir aux documents facilement consultables, Lam Le Sahara ou la vallée du Nil ? IFAN/Khepera, Dakar, 1994. Les chemins du Nil : Les relations entre l’Egypte ancienne et l’Afrique noire, Présence Africaine, Paris, 1997. La vallée du Nil berceau de l’unité culturelle de l’Afrique noire, Presses Universitaires de Dakar, Khepera, Paris, 2006 L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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La question légitime que certains, peu au fait du dossier Egypte ancienne/Afrique noire, peuvent légitimement se poser est la suivante : comment des faits culturels ont-ils pu pratiquement traverser tout le continent et finir dans sa partie ouest ? Cheikh Anta Diop est celui qui s’est le plus penché sur cette question à travers ses différents travaux. Dans Nations nègres et culture, le chapitre VI est consacré au « Peuplement de l’Afrique à partir de la vallée du Nil108 » ; dans L’Afrique noire précoloniale, c’est le chapitre X qui s’intitule « Migrations et formation des peuples actuels de l’Afrique109 » ; dans Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire, il explique les raisons de ces migrations qui seraient dues, d’après lui, à l’occupation de l’Egypte par les Perses (525, conquête du pays par Cambyse) ; enfin en 1973, il publie dans le Bulletin de l’IFAN, un article, au titre révélateur, intitulé « Introduction à l’étude des migrations en Afrique centrale et occidentale : identification du berceau nilotique du peuple sénégalais110 ». Il faut dire que Yoro Dyâo, s’appuyant sur les traditions orales wolof, avait déjà ouvert la voie, en commettant en 1913, un texte dont le titre se passe de commentaire : Les six migrations venant de l’Egypte auxquelles la Sénégambie doit son peuplement111. Les traditions orales112 des Soninkés, des Songhay, des Peuls, des Mandingues, des Fons113, etc., parlent également de la vallée du Nil, comme lieu d’origine des populations. Ainsi donc on peut retenir que c’est avec la chute de l’Egypte pharaonique que les différents groupes de populations se sont dispersés à travers le continent, emportant chacun des éléments de l’héritage nilotique commun. Cet héritage se conserva plus ou moins bien en fonction des aléas de l’histoire de chacun d’entre eux. Pour l’écriture, les choses ont été encore plus difficiles. En effet, nous avons vu que la naissance de l’écriture, et nous pouvons ajouter, 108.  Diop 1979, p. 371-403. 109.  Diop 1987, p. 201-222. 110.  Diop 1973, p. 769-792. 111.  Dyâo 1913, p. 123-131 ; voir également Lam Aboubakry Moussa, « Les migrations entre le Nil et le Sénégal : les jalons de Yoro Dyâo », Annales de la faculté des Lettres et sciences humaines, UCAD, n° 21, 1991, p. 117-139. 112.  Lam 1997, p. 51-62. 113.  Gomez, p. 61.

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son épanouissement, sont intimement liés à l’Etat, un Etat fort et centralisateur comme celui de l’Egypte pharaonique. C’est le lieu de rappeler que l’Etat Egyptien avait réuni des conditions favorables à la pérennité de l’écriture : un pouvoir fort et centralisateur ; un espace à la dimension de l’homme (1000 km de long, sur une vingtaine de km de large) ; une économie prospère (celle de l’Egypte l’était, particulièrement pour l’époque) ; un temps suffisamment long pour le cumul des progrès ; un corps de spécialistes de l’écriture, les scribes. Or, ces conditions ne seront jamais toutes réunies en même temps à l’intérieur du continent : l’une ou l’autre aura souvent fait défaut. La reconstitution d’entités étatiques suffisamment significatives ne se fit pas immédiatement : Ghana, qui fut le premier Etat d’importance en Afrique de l’Ouest, ne rayonna véritablement qu’entre les VIe et XIe siècles. Et pourtant on sait, en croisant les données disponibles114, que les Soninkés qui allaient fonder Ghana ont quitté l’Egypte sous Darius (522-486) et n’ont fait en route que trois mois avant d’atteindre Koumbi, la future capitale de Ghana115. Cela illustre bien les difficultés qui ont dû retarder, voire rendre impossible la reproduction du modèle pharaonique. Et l’écriture dont Anselin dit « [qu’]elle s’installe près du pouvoir comme son apanage et sa prérogative116 » dût sans doute péricliter, au point d’être perdue ou revêtir une autre forme, comme le suppose Louise-Marie Diop-Maes en analysant les poids akan : « ils ne servaient pas seulement à la pesée, ils transmettaient des proverbes, mémorisaient des événements, les plantes utiles ou d’autres enseignements et probablement les chiffres et les lettres d’un système d’écriture perdu. Il en était de même pour les tissus. L’écriture, comme la monnaie, était multiforme117 ».

114.  Lam, p. 181-185. 115.  Dieterlen Germaine, Sylla Diarra, Soumaré Mamadou Collab, Cissé Lamine Collab, Cissé Youssouf Tata collab. [et al.], L’empire de Ghana : le Wagadou et les traditions de Yéréré, Karthala : ARSAN, Paris 1992, p. 61. 116.  Anselin, p. 80. 117.  Diop-Maes L. M., Afrique noire : Démographie, sol et histoire, Présence Africaine, Paris, 1996, p. 176 ; cf. également Niangoran Bouah Georges, L’univers akan des poids à peser l’or, Nouvelles Editions Africaines, MLB, Paris Vol I : Les poids non figuratifs, 1984 ; Vol II : Les poids figuratifs, 1985 ; Vol III : Les poids dans la société, 1987. L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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Avec l’islamisation de Ghana, du Mali, du Songhay et du Tékrour, l’écriture arabe, désormais plus valorisante, va contribuer davantage à marginaliser le peu qui restait des systèmes ancestraux. Désormais, l’élite préfère s’exprimer dans ce code graphique118, d’où la naissance de grands travaux tels que le Tarikh el-Fettach119 et le Tarikh esSudan120, ou tels que les Qacida, comme celle de Mouhamadou Aliou Tyam121. Bien sûr l’ajami122, c’est-à-dire, des écrits en langues négroafricaines mais avec des caractères arabes, va se développer et produire une floraison d’œuvres, surtout poétiques. La traite négrière123 qui s’installe pour trois ou quatre siècles, puis la domination coloniale124, vont consacrer « la chute, l’un après l’autre, des Etats florissants et leur déclin jusqu’à insignifiance, non simplement au sens politique, mais en ce qui concerne la population125 ».

118.  C’est le cas d’El Hadj Oumar (1794/1797-1864) ; cf. Samb Amar, « Essai sur la contribution du Sénégal à la littérature d’expression arabe », Mémoires de l’Institut fondamental d’Afrique noire, n° 87, 1972, p. 40-72. 119.  Ecrit par Mahmoud Kati (XVIe-XVIIe). 120.  Ecrit par Abderrahman Es- Sa’di (XVIIe). Pour les deux ouvrages, voir Diop 1987, p. 165-176. 121.  La vie d’El Hadj Omar Qacida en Poular. Transcription, traduction, notes et glossaire par Henri Gaden. Posener, G., Sauneron, S., Yoyotte, J., Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Hazan, Paris, 1970. Cet ouvrage a été publié par Henri Gaden en 1935. 122.  Cissé Mamadou, « L’emprunt de la graphie arabe dans le processus de l’inscription du sens : Le cas de l’Afrique occidentale », in Revue sénégalaise d’études arabes, n° 2, 2006, p. 8-21. 123.  Malowist M., « The struggle for international trade and its implications for Africa », in B. A. Ogot (ed.), « Africa from the Sixteenth to the Eighteenth Century », General History of Africa, vol. V, Unesco, Paris, 1985, p. 1-22 ; Imkori Joseph E., « Africa in world history: the export slave trade from Africa and the emergence of Atlantic economic order », in General History of Africa. VI, The nineteenth century until 1880, Heinemann International/Unesco, Oxford, 1989, p. 74-112 ; Diop-Maes, p.201-236. 124.  Adu, Boahen A., « Africa and the colonial challenge », in A. Adu Boahen (ed.), «Africa Under Colonial Domination 1880-1935 », General History of Africa, vol. VII, Unesco, University of California Press, 1985, p. 1-18 ; Uzoigwe Godfrey N., « European partition and conquest of Africa: an overview », in A. Adu Boahen (ed.), « Africa Under Colonial Domination 1880-1935 », General History of Africa, vol. VII, Unesco, Paris, 1985, p.19-44 ; Diop-Maes, p. 237256. 125.  Diop-Maes, p. 221.

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Pourtant, malgré tout cela, les traces de l’écriture égyptienne sont demeurées au sein des sociétés africaines, mais à travers des formes qui ne sont pas faciles à identifier. C’est dans les langues mêmes que les traces de l’égyptien ont pu être retrouvées. Les travaux de Lilias Homburger qui vont suivre sont très éclairants à ce sujet : Les langues africaines modernes et l’égyptien ancien126; Dialectes coptes et mandés127 ; Les représentants de quelques hiéroglyphes égyptiens en peul128 ; La morphologie nubienne et l’égyptien129. Evidemment dans ce domaine, on ne saurait oublier les travaux de Cheikh Anta Diop et de Théophile Obenga, les plus représentatifs : Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines130 et Origine commune de l’égyptien ancien, du copte et des langues négro-africaines modernes. Introduction à la linguistique historique africaine131. De manière plus précise, les travaux que nous-mêmes avons menés et portant notamment sur la civilisation matérielle, apportent de nouveaux éclairages. En effet, de nombreux signes hiéroglyphiques représentant des objets, des outils ou des éléments de la nature se retrouvent dans les langues africaines et désignent les mêmes choses et avec les mêmes termes. C’est le cas du signe mr qui représente un outil multifonctionnel mais essentiellement agricole. Ce qui est curieux, c’est que l’outil garde le même nom, mais également la même technique de fabrication, de la vallée du Nil à celle du fleuve Sénégal. Mais plus que cela, les concepts socio-économiques qui dérivent de l’objet se retrouvent également en Afrique de l’Ouest, dans les langues comme le pulaar, le seereer, le wolof et le mandingue132. Il en est de même, pour ce qui concerne les bâtons, les sceptres et les massues d’Egypte et d’Afrique auxquels nous avons consacré une étude comparative. Ce 126.  Homburger Lilias, Les langues africaines modernes et l’égyptien ancien, Mémoires de la Société de Linguistique de Paris, t. XXIII, fasc. 3, Paris, 1929. 127.  Homburger, « Dialectes coptes et mandés », Bulletin de la Société de Linguistique de Paris, t. XXX : 1930, p. 1-57. 128.  Homburger, « Les représentants de quelques hiéroglyphes égyptiens en peul», Mémoires de la Société de Linguistique de Paris, t. XXIII, fasc. 5, 1930, p. 277328. 129.  Homburger, La morphologie nubienne, Imprimerie nationale, Paris, 1931. 130.  Diop 1977. 131.  Obenga 1993. 132.  Lam 1994, p. 33-41. L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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sont, en effet, les mêmes noms, mais également les mêmes objets ; et le doute ne peut être permis ici, étant donné que les déterminatifs et les signes-mots égyptiens permettent d’identifier les objets en question133. De manière encore plus précise et pour illustrer notre propos, l’égyptien sxnt, « pilier », « bâton fourchu », correspond bien au pulaar salndu, « pilier » mais également aux bâtons fourchus des vieillards égyptiens et africains134. La fameuse massue piriforme que Pharaon utilise pour massacrer ses ennemis se retrouve aussi en Afrique à travers les massues des Bihés et des Babuhas, populations de l’ancien Congo Belge135. Quant au sabre des Sakaras, il rappelle bien le xpS égyptien (cimeterre), arme rendue dans l’écriture hiéroglyphique par un signe de la catégorie des déterminatifs136. Le fameux sceptre wAs des Egyptiens, qui symbolise à la fois l’autorité, la gloire mais avant tout la prospérité, est bien identifiable en Afrique de l’Ouest à travers le loŋdu des Peuls, le bâton des Nankanas (Burkina Faso) ou la crosse de voleur rituel des Dogons. Le radical pulaar waas-/ was- rend bien l’idée de prospérité et de gloire137. Dans le même ordre d’idées, le signe hiéroglyphique (lettre k ; Gardiner, Signlist V31) qui représente un ustensile est parfaitement identifiable à travers le karaŋ du Fuuta-Tooro-Tooro, qui est une sorte d’écuelle en bois, avec une anse (fig. 8b). Le nom pulaar de l’objet dont la première articulation est k pourrait donner raison à Gardiner qui écrit « for unknown reason, phon. k ». La précision de Gardiner que l’objet égyptien est une corbeille en vannerie138 doit être revue à la lumière des faits que voilà. Toujours dans le même ordre d’idées, Yoporeka Somet vient d’identifier avec précision un signe hiéroglyphique ( ) que Gardiner n’avait pas réussi à identifier et que Gustave Lefebvre identifia comme « sorte de battoir en bois139 » : c’est au Burkina Faso et au Mali que les femmes utilisent de nos jours un objet similaire pour tasser et lisser le sol des terrasses ou taper le bazin. Plus intéressant 133.  Ibid., p. 44. 134.  Ibid., p. 44, 55 (fig. 1). 135.  Ibid., p. 55 (fig. 2). 136.  Ibid., p. 55 (fig. 2) ; Gardiner 1976, p. 531 (Sign-list, T 16). 137.  Lam 1994, p. 56 (fig. 4), p. 58 (fig. 6) ; voir aussi Lam 1993, p. 226-233 pour la comparaison détaillée wAs/ loŋdu des Peuls. 138. Gardiner 1976, p. 525 (Sign-list, V 31). 139. Lefebvre Gustave, Grammaire de l’égyptien classique, Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale, Bibliothèque d’étude, vol.12, Le Caire, 1955, p. 425.

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encore, ce trilitère qui se lit sqr, « frapper », « battre », renvoie à simpan en dagra, simpande en moore et simpanda en pulaar (noms de l’objet dans ces langues). On constate ainsi que les deux termes égyptien et négro-africain débutent par la même lettre : s. Et Yopreka, de proposer que ce signe hiéroglyphique, qui est placé par Gardiner et Lefebvre dans la catégorie des signes non identifiés, rejoigne la section U c’est-àdire celle des « Instruments agricoles et outils divers140 ». La conclusion de l’auteur est que l’Egypte ancienne et l’Afrique noire s’éclairent mutuellement ; ce qui confirme, pour en revenir à notre sujet, que les hiéroglyphes égyptiens se sont conservés en Afrique même, si ce n’est pas toujours, sous la forme d’un système d’écriture élaboré. Nous terminerons l’illustration de cette conservation par l’aspect magico-religieux. Là les exemples ne manquent pas mais nous nous contenterons de deux, celui du signe de l’appui-tête ( ) et celui du signe de l’ankh ( ). La particularité de ces deux signes (ils ne sont pas les seuls dans ce cas), c’est d’être également des amulettes que les Egyptiens utilisaient à des fins magico-religieuses. L’appui-tête (wrs) accompagnait le défunt dans l’au-delà, en modèle de taille normale sur lequel reposait souvent la tête de la momie141 ou en modèle miniaturisé glissé dans les plis du linceul142. Quant à l’ankh, c’est l’un des objets que l’on voit sur les monuments d’Egypte entre les mains des dieux ou des pharaons, pour donner la vie ou la recevoir. En Egypte l’amulette de l’appui-tête était censée élever le défunt vers le ciel pour assurer sa résurrection143 ou veiller sur son intégrité physique pendant son sommeil éternel dans l’au-delà144. En Afrique les Ngombés de l’ancien Congo Belge exposaient leurs dignitaires morts la tête sur un appui-tête spécial145. Chez les Dogons l’appui-tête avait la même fonction de résurrection que chez les anciens Egyptiens. En effet, décrivant l’exemplaire qui était enterré avec le Hogon (chef politico-religieux suprême), Germaine Dieterlen écrit : « le support de 140.  Lefebvre, p. 417. 141.  Lam 2003, p. 73-74. 142.  Lam 2003, p. 74 ; La vallée du Nil berceau de l’unité culturelle de l’Afrique noire, Presses Universitaires de Dakar, Khepera, Paris, 2006, p. 51. 143.  Lam 2003, p. 81. 144.  Ibid., p. 80. 145.  Ibid., p. 142. L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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Figure 8a : Appui-tête dogon (musée africain Théodore Monod, Dakar)

Figure 8b : Ecuelle en bois (musée africain Théodore Monod, Dakar)

Photographie : A. M. Lam Figure 8c : Chaussure à lanières : ensemble et détail ; la boucle de l’ankh est bien visible

tête du Hogon (dont) les (deux) parties sont reliées par l’axe du monde communique la vie ; (car) l’une est le ciel et l’autre est la terre146 ». Précisons ici que la forme générale de l’objet était la même en Egypte et en Afrique noire (voir fig. 8a). Pour ce qui est de l’ankh, Gardiner avait déjà identifié le signe comme « tie or strap, specially sandal-strap (as the symbol of the life known as the ankh147) ». L’ankh était en Egypte, comme l’écrit Gardiner, le symbole de la vie. Mais pourquoi avoir choisi une boucle de chaussure pour symboliser la vie ? C’est le pulaar, le wolof et le dogon qui nous permettent d’en saisir la raison. En pulaar, cet élément de chaussure porte le nom de kinhinól, de kine « narines », organes qui permettent à l’individu de respirer l’air et donc de le faire vivre. Et le principe de vie lui-même s’appelle woŋki, réalisation presque identique à celle de l’égyptien anx (ankh). En wolof, la même partie de la chaussure s’appelle bakkanu dàll, de bakkan « narines » et de dàll « chaussure ». Or, dans cette langue, bakkan signifie également « vie », donc la lanière de cuir signifie littéralement « la vie de la chaussure » (voir fig. 8c.). 146.  Dieterlen Germaine, Le titre d’honneur des Arou : Dogon-Mali, Mémoires de la Société des Africanistes, Paris, 1982, p. 68. Lam 2003, p. 142. 147.  Gardiner, p. 508 (Sign-list, S 34).

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Figure 8d : Différentes formes de l’adinya kini des Dogons ; la boucle de l’ankh est ici aussi bien visible (Dieterlen et Griaule, 1951, Figure 42).

Chez les Dogons où le signe existe, apparemment sans rapport avec la chaussure, mais plutôt en relation avec le dieu créateur Amma, les choses sont encore plus claires : Le signe est dit également adinya kini « vie (litt. : nez) du monde » […] Ce signe ne se fait jamais en public. Lorsqu’un membre de la famille est atteint d’une maladie grave et qu’une issue fatale est envisagée, les vieillards de la parenté le tracent sur une surface de terre meuble étalée dans une des pièces de la grande maison de famille. Cette terre est placée ensuite sur la tête du malade, et en cas de guérison, éparpillée dans l’habitation. En cas de mort, elle est placée dans la tombe. L’image de la création est ainsi reproduite pour tenter de recréer le malade et de le remettre dans la vie normale148 (voir fig. 8d).

On le voit, le nom que les anciens Egyptiens donnèrent au signe hiéroglyphique (mais également à l’amulette) a été conservé par le pulaar à travers woŋki. L’identité du signe proprement dit a été conservée, à la fois par le pulaar et le wolof (kinhinól et bakkanu dàll), alors que la puissance magico-religieuse, elle, a été plutôt conservée par les Dogons. 148.  Griaule et Dieterlen, p. 22-24 ; voir les différentes variantes du signe, fig. 41, p. 22 et 42, p. 23 et dans le présent texte, fig. 2e. L’Afrique noire : naissance et évolution de l’écriture

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Mais ce n’est pas tout, car les Ashantis auraient également conservé l’ankh égyptien sous la forme d’une statuette qui assure la protection de l’enfant ou la fertilité de la femme, toutes choses en relation avec la vie149. Ladislas Segy est convaincu que l’akua’ba a des liens étroits avec l’ankh égyptien150. Il est clair ici que les différentes populations négro-africaines ont conservé certains signes de l’écriture égyptienne, chacune en fonction des aléas de son histoire. En puisant chez chacune d’entre elles, on arrive presque à reconstituer l’héritage légué par l’Egypte ancienne.

Conclusion En refermant notre texte, tout lecteur objectif aura constaté que la place que l’historiographie occidentale a voulu donner à l’Afrique dans l’histoire de l’écriture est loin de refléter la réalité des faits. Il apparait que ce continent réputé être celui de l’oralité, était incontestablement le berceau de l’écriture. Il apparait également que celle-ci n’y a jamais totalement disparu. Elle s’y est conservée à travers des formes plus discrètes parce que l’Etat, la condition essentielle de son existence, a été la sphère la plus atteinte dans la longue nuit que l’Afrique a traversée entre la fin de l’indépendance égyptienne et la reconquête de la souveraineté internationale par les pays africains dans les années 1960. Le cliché de l’oralité qui colle à la peau de l’Afrique ne se justifie donc plus par la science, mais relève maintenant de préjugés idéologiques reposant sur la nécessaire supériorité du Blanc sur le Noir, lesquels mettront du temps à disparaître. Mais tout espoir n’est pas perdu : comme celui de l’homme, le berceau de l’écriture finira certainement un jour par être fixé définitivement en Afrique par ces mêmes savants qui ont tout fait pour le mettre en Mésopotamie.

149.  Segy Ladislas, « The Ashanti Akua’ba as Archetype and the Egyptian Ankh: A theory of morphological assumptions », Anthropos, vol. 58, n°5-6, 1963, p. 856. 150.  Ibid., p. 858-864.

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Deuxième Partie livres manuscrits ouestafricains

CHAPITRE 4 Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle) Henri Sène Résumé Cette étude traite de la place de l’écriture de langue arabe et de ses supports de diffusion en Afrique occidentale, dans une période historique allant du VIIIe au XXe siècle. Elle intègre les conditions et le contexte social qui ont permis l’introduction et la diffusion du livre, du manuscrit et du papier, dans cette partie de l’Afrique. L’étude s’intéresse, aussi, aux acteurs qui, par leurs écrits et leurs publications, auteurs et copistes notamment, ont largement contribué à implanter la culture arabo-islamique dans les sociétés africaines, grâce, en grande partie, à l’enseignement et aux véhicules tels que l’écriture, le livre, le manuscrit et le papier.

L

a littérature écrite en langue arabe, produite en Afrique noire, prend son origine historique dans le vaste mouvement d’islamisation que les peuples et les sociétés de cette région, ceux du Soudan occidental en particulier, ont connu entre les VIIIe et XVIIe siècles. Ainsi, les commerçants et les prédicateurs arabes qui sont venus du Nord du Sahara, ont apporté, dans ce qu’ils appelaient alors le Bilad-Al-Sudan, non seulement des biens de consommation et une nouvelle religion, mais aussi une nouvelle technique d’expression et de communication, l’écriture et son support privilégié de l’époque, le livre. De nombreux chercheurs ont étudié les textes littéraires qui ont été produits, à cette époque, sous forme de livres ou de manuscrits, par

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des intellectuels, des savants, des religieux, ou des hommes politiques qui avaient adopté l’islam comme religion, et, le livre et l’écrit de langue arabe, comme outils de formation et de communication, dans des sociétés qui avaient perdu l’usage de l’écriture durant une période encore mal délimitée. La plupart de ces travaux de recherche concernent des études de type bibliographique : inventaires, catalogues, bibliographies, répertoires, dans lesquels les manuscrits et les livres arabes ont été inventoriés, décrits et classés par auteurs, par fonds, par régions, par types de documents et par disciplines. Le recueil des collections de manuscrits de l’Institut fondamental d’Afrique noire de Dakar (IFAN) appartient à cette catégorie. D’autres chercheurs, plus rares, se sont plutôt intéressés aux textes eux-mêmes, en mettant l’accent sur les études de contenus. Ces différents travaux représentent d’importantes contributions à la connaissance de la littérature africaine d’expression arabe. Toutefois, en se limitant soit à des compilations statistiques et bibliographiques, soit à des études de contenus, ces travaux ont généralement très peu fait cas de toute la superstructure idéologique, religieuse et politique, et de l’infrastructure économique, qui ont permis l’introduction de l’écriture et de l’écrit de langue arabe dans les sociétés africaines, ainsi que l’éclosion et la diffusion d’une riche littérature religieuse et profane, utilisant le livre et le manuscrit comme supports. Il nous semble, en effet, que toute réflexion sur la littérature devrait tendre à étudier, dans leurs interactions réciproques, le support matériel et le contenu intellectuel. Ces deux instances devront être intégrées dans un circuit déterminé de production et de diffusion, tant il est vrai que « la littérature est une forme de l’idéologie, de la superstructure intellectuelle, plus ou moins, conditionnée par l’infrastructure économique. La sociologie de la littérature aura pour rôle de dévoiler l’idéologie1 » . Le livre est, non seulement, le véhicule d’un message, mais il est aussi un produit éminemment social destiné à être diffusé et utilisé. 1. Estivals Robert, La bibliométrie bibliographique, Thèse de doctorat, Université de Lille 3, vol.1, 1971, p. 543. Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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Il se trouve inséré dans un réseau complexe qui va d’un émetteurproducteur à un récepteur-utilisateur, en passant par divers circuits techniques, économiques, commerciaux et culturels. Chacun de ces secteurs agissant avec plus ou moins d’efficacité, non seulement sur l’objet lui-même, mais aussi sur ceux qui le conçoivent, le diffusent et l’utilisent. A ce titre, notre réflexion s’inscrit dans une perspective de sociologie bibliologique qui « a pour objet de considérer, dans l’explication sociologique totale, des faits se rapportant au facteur “livre”, et, réciproquement, de chercher à expliquer les phénomènes du livre par des explications sociologiques2 » . Le présent chapitre s’inscrit, précisément, dans cette perspective. En considérant le livre comme un fait social, il cherche à montrer quelle fut la place de l’écrit de langue arabe et quel rôle ses supports de diffusion que furent les livres, les manuscrits et le papier, ont joué dans les sociétés d’Afrique au sud du Sahara et dans sa partie occidentale en particulier, jusqu’au début du XXe siècle. Cette étude s’intéresse plus particulièrement aux conditions de l’introduction du livre et de l’écriture en langue arabe dans cette partie de l’Afrique, au contexte qui a permis leur diffusion, aux acteurs de cette propagation. Ce faisant, nous tenterons de montrer quels furent, au plan local, les producteurs de textes écrits et ceux à qui ils étaient destinés. Nous analyserons, enfin, les circuits de production, de conservation, de diffusion et de consommation des livres et des manuscrits en langue arabe. L’introduction de la langue arabe dans ces régions et son utilisation par la frange lettrée de la population autochtone a été à l’origine de la naissance d’une abondante production littéraire, au niveau local. Les auteurs de ces œuvres ont utilisé des techniques, des supports et des circuits qui leur permettaient de produire et de diffuser leurs écrits dans un contexte social, économique, politique, culturel et géographique bien précis. En conséquence, cela revient à poser la question suivante qui fonde toute la problématique de notre réflexion : comment, pourquoi et dans quelles conditions, à un moment donné de l’histoire, dans cette partie de l’Afrique, des hommes et des femmes se sont mis à écrire,

2. Cf. Otlet Paul, Traité de documentation : le livre sur le livre : théorie et pratique, Ed. Mundaneum, Bruxelles, 1934. Ricard Alain, « Islam et littérature en Afrique de l’Ouest », Revue française d’études politiques africaines, n° 113, mai 1975.

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puis à produire des œuvres littéraires, en utilisant la graphie arabe et le papier ? Quelles en furent les conséquences ? Cette étude ne sera donc pas un travail de synthèse, mais une contribution partielle à la clarification de la problématique de la communication non verbale, utilisant le mode de l’écrit, en prenant comme exemple l’Afrique occidentale, et en tenant compte des spécificités historiques et sociologiques des sociétés et des peuples de cette région.

Le Soudan occidental : un espace économique On peut affirmer sans conteste que, jusqu’à la fin de la période allant du VIIe au XVIIIe siècle, l’histoire du développement des institutions culturelles, politiques, sociales et économiques de l’Afrique subsaharienne en général, et du Soudan occidental en particulier, est intimement liée à un facteur capital pour la compréhension de l’évolution des sociétés africaines : il s’agit de l’islam. Sous la poussée arabe et berbère émerge, à partir du VIIe-VIIIe siècle, un nouvel espace politique et culturel : le Bilad-al-Sudan, ou « le pays des Noirs », selon l’expression consacrée des auteurs et des chroniqueurs arabes de l’époque. Le Bilad-al-Sudan s’étend au sud du Sahara, entre l’Atlantique et la mer Rouge, principalement dans les régions où se sont développés de grands empires soudanais. Il s’agit essentiellement des bassins des fleuves Sénégal et Niger et de la région du Lac Tchad. C’est dans ce vaste espace que, durant plus de sept siècles, se succédèrent diverses structures sociales et politiques, fortement marquées du sceau de l’islam et de la civilisation arabo-berbère. Il est donc possible de parler d’une unité spatiale, malgré la diversité des peuples et des cultures dans le Bilad-al-Sudan, mais aussi d’une unité dans le temps, « car, comme l’écrit Mauny, la période allant de 622 à 1434 a une unité qu’il convient de souligner dès maintenant : celle au cours de laquelle l’influence civilisatrice arabo-berbère, musulmane a été la seule à s’exercer sur l’Ouest africain. Ces huit siècles de contacts ont été déterminants pour le pays, particulièrement pour le désert et la savane qui portent la marque indélébile de cette civilisation3 » . 3. Mauny Raymond, « Tableau géographique de l’Ouest africain au Moyen Age, Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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Du point de vue géographique, le Bilad-al-Sudan constitue, en effet, la charnière entre le Sahara et la zone forestière. Une zone tampon entre deux régions qui se distinguent nettement par le climat, le peuplement, l’économie et la culture. Sa partie septentrionale, le Sahel, constitue, étymologiquement, le rivage auprès duquel aboutissaient les caravanes, après la longue traversée du Sahara, pour atteindre les capitales et les principales villes des empires et royaumes du Soudan proprement dit. Ces cités furent, jusqu’au XVIIe siècle, les plaques tournantes d’un commerce florissant qui concernait aussi bien les hommes que des marchandises de toutes sortes. Awdaghost, Ghana, Gao, Dienné, Kano, Manan, Tombouctou, pour ne citer que les plus célèbres, furent les villes les plus connues, les plus fréquentées et les plus prospères. Abderrahman Es-Sa’di, originaire de Tombouctou, fut un contemporain de cette période de prospérité économique et de développement culturel du Soudan occidental. Il décrit Djenné comme étant, à l’époque, « un grand marché du monde musulman. Là, se rencontrent les marchands de sel provenant du Teghâzza et ceux qui apportent l’or des mines de Bitou… Tout le monde y trouve grand profit à s’y rendre pour y faire du commerce… On y voyait affluer des caravanes de tous les pays et de grands savants, de pieux personnages. Des gens riches de toutes races et de tous pays s’y fixèrent : il y en avait de l’Egypte, de Audjla, du Fezzan, de Ghadamès, du Touât, du Dra, du Tafilalet, de Fez, de Sous, de Bitou, etc.4 » Au Sud, la zone forestière constitue la limite du Bilad-al-Sudan aux points de contact et de débouché des routes fluviales et terrestres par lesquelles circulent, principalement, l’or et les esclaves venus du Sud. « Les arabo-berbères ne dépassaient guère cette limite, le climat des régions plus méridionales ne leur étant pas favorable et, au surplus, ils n’y étaient plus maîtres du pays. Cette concentration d’éléments arabo-berbères, originaires du Maghreb en général, dans cette bande sahélienne relativement urbanisée, va permettre la formation d’une société lettrée qui implantera, au sud du Sahara, mœurs, coutumes, lettres et arts du monde arabe qui seront diffusés de là, par l’exemple d’après les sources écrites, la tradition et l’archéologie », Mémoires de l’IFAN, Institut fondamental d’Afrique noire, n° 61, Dakar, 1961, p. 18. 4. Es Sa’di Abderrahman, Tarikh es-Sudan. trad. de l’arabe par O. Houdas, Librairie d’Amérique et d’Orient Adrien Maisonneuve, Paris, 1881, p. 22-23.

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et le contact, dans les autres sociétés soudanaises »5. En fait, cette influence culturelle et religieuse s’implantera surtout par la prédication et l’enseignement des sciences islamiques dans les grands centres intellectuels et religieux des grandes villes où l’écrit, le livre et les manuscrits de langue arabe occupaient une place importante. Dans sa biographie des savants et saints hommes de Tombouctou, Es-Sa’di brosse un tableau saisissant de tous ces jurisconsultes, lexicographes, grammairiens, géographes, théologiens, prosodistes, calligraphes et autres « traditionnistes » qui ont vécu à Tombouctou, à diverses époques. Ils y occupaient de hautes fonctions. Ils étaient des enseignants, des imams ou des cadis. Ils connaissaient, commentaient et enseignaient les œuvres majeures de la pensée et de la littérature arabe. La Modaouana, la Risâla, le Mokhtasar de Khelil, l’Alfiya, la Selâldjiya furent, par exemple, parmi les ouvrages de droit islamique, partie du programme des études des étudiants de Tombouctou, selon Es-Sa’di. Dans sa biographie, il cite l’exemple du grand père du célèbre cadi Ahmed Baba « qui s’occupa de science, toute sa vie. Ses livres furent nombreux, écrits de sa main, avec de copieuses annotations. A sa mort, il laissa environ 700 volumes6 » . Les nombreuses routes commerciales qui existaient, à cette époque, ont favorisé un incessant va-et-vient entre le monde arabe et l’Afrique noire. Ils ont, ainsi, permis à cette classe d’intellectuels composés de religieux, d’érudits, d’enseignants et de chefs politiques d’entretenir des relations, non seulement avec des homologues dans les pays du Maghreb et en Orient, mais aussi avec d’autres foyers intellectuels et religieux du Soudan occidental. L’hégémonie que les Arabes exerçaient sur le plan économique dans cette région, aura pour conséquence majeure l’expansion de la culture arabo-musulmane et de ses principaux attributs et outils : l’écrit, le livre, le manuscrit et le papier. L’apprentissage du Coran et l’étude des traditions et des sciences islamiques supposaient la maîtrise de la technique de l’écriture et de la lecture, à des fins de formation et d’éducation. Il supposait aussi la disponibilité sur place de livres et de textes écrits, destinés à nourrir les activités et les réflexions des élèves et membres de l’élite intellectuelle 5. Mauny, p. 220 6. Es Sa’di, p. 61-63. Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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arabisante. Cela sera rendu possible grâce aux transactions et aux échanges qui s’effectuaient à travers le Sahara, entre les Arabo-berbères et les autochtones des régions soudano-sahéliennes. Le Bilad al Sudan a donc été une zone où s’est effectué un vaste brassage social, culturel et intellectuel. Par conséquent, les natifs de ces différentes régions, en particulier les élites islamisées, ont été en mesure, non seulement de recevoir et d’utiliser des biens de consommation de valeur, mais aussi d’acquérir, d’étudier et d’assimiler la production intellectuelle et scientifique de l’époque, importée d’Afrique du Nord et, parfois même, d’Europe. C’est ainsi que « des produits de tous ordres ont été importés : des drogues, des parfums, le tasarghant en particulier, du bois de pin, des livres de droit musulman, en particulier, très prisés au Soudan.7 »

Le contexte intellectuel et culturel du Soudan occidental Tous ceux qui ont eu à étudier l’histoire de cette partie du continent africain ont mis en évidence l’existence incontestable, avant la pénétration européenne, d’une vie culturelle et intellectuelle intense dans des centres urbains qui jouèrent un rôle capital dans le processus d’implantation et de diffusion de la civilisation arabo-islamique, civilisation du livre et de l’écrit par excellence. « Les capitales d’Etats, telles que Tekrour, Koumbi-Saleh ou Silla, avaient, bien entendu, dès le départ, tenu ce rôle. Mais nombre de souverains dont ceux du Ghana, du Mali et du Songhaï ont, parfois, changé de résidence pour s’installer dans les cités nées du commerce transsaharien.8 » La boucle du Niger, avec des villes comme Tombouctou, Gao et Djenné, fut, en effet, le centre intellectuel vers lequel convergeaient savants, érudits, étudiants, prédicateurs arabes ou autochtones, et, aussi, à partir duquel la culture arabo-islamique la plus élaborée et la plus raffinée se répandit progressivement à travers toutes les régions du Soudan occidental.

7. Mauny, p. 373. 8. Diagne, Pathé, Pouvoir politique et traditionnel en Afrique occidentale: essai sur les institutions politiques précoloniales, Présence africaine, Paris, 1967.

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Ainsi, les lettrés du Soudan occidental seront constamment en relation avec l’intelligentsia du monde arabe de leur époque et, par là même, au fait des idées, des découvertes, des courants de pensée et des doctrines politiques, économiques, sociales, religieuses et philosophiques qui avaient cours dans les sociétés du Maghreb ou de l’Orient. Les questions de l’Askia Mohammed à El Maghili, et les réponses de celui-ci sur la légitimité du pouvoir politique et sur les conditions de son exercice, restent l’un des exemples les plus connus de ce courant d’échanges et d’influences réciproques entre le Maghreb et le Soudan9. Les lettrés du Soudan nigérien, note Pathé Diagne, resteront d’autant mieux avertis des problèmes de leur époque, que l’islam qu’ils vivent ne perdra jusqu’au XIXème siècle rien de sa vitalité. L’ancienneté même de leur contribution au développement de la pensée islamique et la connaissance qu’ils en auront toujours, les placera, de tout temps, au cœur de l’actualité de leur époque. L’érudition et l’œuvre d’Ahmed Baba, connues en Afrique du Nord et au-delà de l’Egypte, ou celle plus récente de Dan Fodio, sont les meilleurs échos de ce contact ininterrompu avec l’extérieur. Les penseurs nigéro- soudanais du Haussa, du Trarza ou du Fouta Djallon ont été, à tout moment, avertis des événements essentiels de la pensée de l’univers islamique. Leur érudition est, sur ce point, incontestable10.

Dès lors, il n’est pas étonnant que ce fut dans cette région de la boucle du Niger et des pays environnants, où existèrent des structures politiques anciennes et dynamiques, et où la pensée islamique fut la plus solidement implantée et la mieux assimilée par une intelligentsia fortement influencée par les valeurs de la civilisation arabo-islamique, que se développa une littérature autochtone, écrite en langue arabe dont l’importance, la richesse et la fécondité ne font plus de doute, et où la notoriété de certains lettrés fut incontestable sur le plan intellectuel. La monopolisation de la culture écrite par une classe d’intellectuels, utilisant le manuscrit ou le livre comme supports d’accès au savoir et à la connaissance, la langue et l’écriture arabes comme véhicules de leurs idées et de leurs pensées, a été, en partie, due au fait que l’islam qui s’était implanté dans les villes pour les raisons politiques et 9. Al Maghili Muhammad Ben Abd Al Karim, « Un aperçu de l’islam songhaï ou réponses d’Al Maghili aux questions posées par Askia El Hadj Muhammad, empereur de Gao », trad. et annoté par El Hadj Rawane Mbaye, Bulletin de l’Institut fondamental d’Afrique noire, série B, n° 2, Dakar, 1972, p. 237-267. 10. Diagne, p. 160. Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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économiques dont nous avons déjà parlé, avait appuyé son expansion et son développement sur un système d’enseignement et de formation reposant sur un important réseau d’écoles coraniques, de médersas et d’universités où les livres, les manuscrits et le travail des copistes occupaient une place centrale. Le développement de l’enseignement dans les villes du Soudan et le niveau de formation de certains intellectuels autochtones arabophones ont, très tôt, attiré dans ces contrées de nombreux juristes, théologiens, lettrés et scientifiques originaires du Maghreb, de l’Egypte, de l’Andalousie, et d’autres pays arabes. Leurs activités dépassaient, pour nombre d’entre eux, le cadre du simple prosélytisme, et débouchaient sur un enseignement de haut niveau et une production littéraire et scientifique de qualité, portant sur les matières suivantes : grammaire, philosophie, rhétorique, fiqh et méthodologie du droit, Hadith et exégèse, astrologie11. Selon le Tarikh-Es-Sudan, il y a eu, à diverses époques, jusqu’à 4 200 oulémas à Djenné, tous exerçant partiellement ou à temps plein un enseignement dans les domaines les plus divers des sciences humaines ou exactes12. Si ce chiffre peut laisser perplexe, il permet tout de même de se faire une idée de la place qu’occupaient, dans les sociétés soudanaises, les activités touchant, non seulement à l’éducation religieuse, mais aussi à la formation intellectuelle des étudiants. Au XVIe siècle, au moment où Sankoré représente un grand centre universitaire et le foyer intellectuel le plus important du Soudan, il existait à Tombouctou, selon Kati, 150 à 180 écoles dispensant un enseignement de niveau primaire ou supérieur13. Dans ce contexte, les livres et les manuscrits en langue arabe étaient donc connus et largement utilisés au Soudan, bien avant l’arrivée des Européens. Les biens culturels ont occupé une grande place parmi les marchandises qui ont été importées des pays du Maghreb et de l’Orient 11. Zouber, Mahmoud A., Ahmed Baba de Tombouctou : sa vie et son œuvre, Maisonneuve et Larose, Paris, 1977, p. 52-54. 12. Es Sa’di, p. 24. 13. Kati Mahmoud Ben Hadj, Tarikh El Fettach ou chronique du chercheur pour servir à l’histoire des villes, des armées et des principaux personnages du Tekrour, trad. de l’arabe par O. Houdas et M. Delafosse, Adrien Maisonneuve, Paris, 1964, p. 30-31.

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vers le Soudan. C’est ainsi que Léon l’Africain note qu’à Tombouctou, le marché des livres manuscrits dépassait en bénéfice toutes les autres marchandises14. Les copies du Coran furent, naturellement, les plus nombreuses, mais il y avait aussi beaucoup de livres de droit musulman, de philosophie, de théologie, de grammaire, notamment. C’est ainsi que se constituèrent, chez certains oulémas, imams, cadis et érudits, de véritables bibliothèques de livres imprimés, importés des pays arabes et de manuscrits copiés sur place, soit chez des particuliers, soit dans les centres d’enseignement. L’Askia Daoud, fils et successeur de l’Askia Mohammed, fut, selon le Tarikh El Fettach, l’un des premiers souverains à se faire construire des bibliothèques où il conservait les manuscrits que lui copiaient des scribes qui étaient à son service et qui travaillaient dans ce que l’on pourrait appeler une école de copistes15. Selon le Tarikh-Es-Soudan, le célèbre jurisconsulte, théologien et grammairien de Tombouctou, Ahmed Ben Omar Acit, grand père du no moins célèbre Ahmed Baba, laissa à sa mort plus de 700 volumes écrits de sa main16. Au total, une trentaine d’ouvrages constituant la base des études islamiques était au programme des enseignements et « les bibliothèques de Tombouctou comprenaient, à peu près, toute la littérature arabe. Les productions d’Espagne et du Maghreb y côtoyaient les œuvres d’Egypte et d’Iraq17 ». Ainsi, grammairiens, poètes, juristes, théologiens, lexicographes, mathématiciens du Soudan occidental connaissaient et étudiaient les œuvres majeures de la littérature universelle de leur époque, par l’intermédiaire du livre de langue arabe. Pour reprendre Cheikh Anta Diop, « quatre siècles avant la rédaction de “la mentalité primitive” de Lévy Brühl, l’Afrique noire musulmane commentait “la logique formelle” d’Aristote et était “dialecticienne.”18 » 14. Jean Léon l’Africain, Description de l’Afrique, Maisonneuve, vol. II, Paris, 1956, p. 468-469. 15. Kati, p. 177-178. 16. Es Sa’di, p. 61. 17. Zouber, p. 55. 18. Diop Cheikh Anta, L’Afrique noire précoloniale : étude comparée des systèmes politiques et sociaux de l’Europe et de l’Afrique noire de l’antiquité à la formation des Etats modernes, Présence Africaine, Paris, 1960, p. 133. Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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Les connaissances et le savoir des penseurs et des lettrés du Soudan ne furent pas seulement livresques. Par les commentaires, les exégèses et les interprétations qu’ils firent des œuvres majeures de l’islam et de la littérature arabe, et par les œuvres qu’ils produisirent eux-mêmes, ils apportèrent une contribution de valeur aux idées religieuses et scientifiques de leur époque, passant ainsi du stade de la simple consommation ou de la compilation à celui de la réflexion et de la création littéraire. Ils furent, de ce fait, à même de produire des œuvres originales et majeures, quantitativement importantes et d’un niveau intellectuel et scientifique de qualité. D’aucuns, note Sékéné Mody Sissoko, ont contesté la créativité de l’université soudanaise et n’ont vu dans les docteurs de Tombouctou que de pâles compilateurs, des exégètes d’une science sans vie. Rien de plus faux qu’un tel jugement. Il faut situer les hommes et les faits dans leur contexte historique pour les évaluer. L’université de Tombouctou, loin de se vouer à une simple compilation, a fait l’effort louable de retrouver la vérité première par une interprétation savante de la science de l’islam universel. Elle ne consomma pas un savoir tout fait, mais elle chercha, elle-même, à retrouver les sources originales de la vérité.19

L’islam s’était propagé dans toute l’Afrique occidentale, à partir de ses foyers religieux de la boucle du Niger. Cette expansion avait, aussi, favorisé la diffusion de la culture écrite et de ses supports, livres et manuscrits, dans toutes les autres régions de cette partie du continent. E. Destain qui a séjourné au Sénégal entre 1907 et 1910 a ainsi pu recueillir et étudier un certain nombre de manuscrits arabes publiés par des lettrés autochtones et dont les sujets couvraient les branches du savoir les plus diverses, allant de la théologie aux mathématiques, en passant par la poésie, le droit, la métrique, la grammaire, l’histoire, l’astronomie et l’astrologie, entre autres20. En dehors des ouvrages d’Ahmed Baba et des œuvres publiées aux XVe et XVIe siècles à Tombouctou ou à Djenné, tels que les Tarikh, les figures les plus marquantes de cette littérature d’expression arabe, en Afrique de l’Ouest, furent des marabouts réformateurs, tels que Ousmane Dan 19. Cissoko Mody Sékéné, Tombouctou et l’empire Songhay, Nouvelles éditions africaines, Dakar, Abidjan, 1975, p. 217. 20. Destain Edmond, « Notes sur des manuscrits arabes de l’Afrique occidentale», Revue Africaine, vol. 55 à 57, 1911 - 1913, p. 1911-1913.

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Fodio, Souleymane Bäl, El Hadj Omar, des auteurs comme Cheikh Moussa Kamara, Khali Madiakhaté Kala, ou des chefs religieux comme Cheikh Ahmadou Bamba et El Hadji Malick Sy, sans compter les très nombreux manuscrits qui ont été rédigés par des auteurs anonymes. Avec la ruine du commerce transsaharien, consécutive au déclin de l’empire du Ghana au XIe siècle, la région du fleuve Sénégal et celle du Haut-Sénégal devinrent les foyers à partir desquels l’islam va continuer à rayonner en Afrique de l’Ouest, dès le XIIe siècle. Ainsi, depuis les régions du Fouta, des bassins des fleuves Saloum, Gambie et Sénégal, les marchands et les marabouts d’Afrique du Nord, de Mauritanie ou originaires de ces contrées ont essaimé dans les pays environnants et jusqu’au Niger. En contact permanent avec les populations de ces régions, les poulars et les soninkés en particulier, ils furent jusqu’au XIXe siècle à la fois d’ardents propagateurs de l’islam et des commerçants actifs, non seulement au Fouta-Toro et au Fouta-Djalon, mais aussi parmi les populations wolof, sérère, diola et, au-delà, au Niger, au Mâsina et jusqu’au nord du Cameroun. Maîtrisant parfaitement la langue arabe et son écriture, de nombreux lettrés de ces régions ont été les auteurs de textes manuscrits rédigés en langue arabe, mais aussi dans les langues locales. Les contenus de ces manuscrits portent en général sur l’histoire, la littérature, la religion, la linguistique, l’ethnosociologie et des disciplines telles que la géographie et les mathématiques. Beaucoup de ces manuscrits nous sont parvenus. Si des manuscrits restent encore détenus par des particuliers ou des familles, un certain nombre d’entre eux sont, à l’heure actuelle, conservés dans de grandes bibliothèques en Afrique ou en Europe où ils ont fait l’objet de traitement et de classement. On peut citer, à titre d’exemple en Afrique, l’importante collection des manuscrits arabes, peuls et burkinabés de l’Institut fondamental d’Afrique noire de Dakar21. Les activités commerciales ont accompagné et soutenu la propagation de l’islam dans ces nouvelles régions. En effet, les caravanes qui venaient des pays du Maghreb et du Proche Orient apportaient, en même temps que la religion et la civilisation arabo-islamique, des produits et 21. Diallo Thierno, Mbacke Mame Bara, Trifkovic Mirjana, Barry Boubacar, Catalogue des manuscrits de l’IFAN, Institut fondamental d’Afrique noire. Catalogues et documents n° XX, Dakar, 1966. Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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des biens de consommation. C’est ainsi que les chroniqueurs arabes rapportent que dans la ville de Takrur, capitale de l’Etat du même nom, « se rendent les gens du Maghreb al-Aska (Maroc). Ils y portent de la laine, du cuivre, des verroteries et en rapportent l’or et les esclaves22 » . Leurs déplacements saisonniers au milieu des populations autochtones, ou leur présence permanente parmi celles-ci, en ont fait les piliers de la propagation de l’islam dans ces régions. Les activités qu’ils menaient dans les villes ou les villages où ils s’installaient leur ont non seulement permis de diffuser leur religion, mais aussi les supports de celle-ci à partir de son livre saint : le Coran. Traitants, artisans, maîtres d’écoles, marchands ou chefs religieux, ils intégrèrent progressivement, les sociétés où ils évoluaient en y introduisant les préceptes de la religion musulmane ainsi que l’école, l’enseignement, l’écriture, le livre et le papier, éléments distinctifs, par excellence, d’une culture fondée sur l’écrit et qui étaient, jusqu’alors, inconnues des populations autochtones. Depuis le Maghreb et la Mauritanie, en effet, les chefs religieux ont, de tout temps, entretenu des relations suivies avec les marabouts autochtones, soit personnellement, soit par l’intermédiaire de disciples établis sur place ou itinérants. Au Sénégal, l’influence des cheikhs maures restera importante, même à l’époque où l’islam sénégalais fondera ses propres confréries, certaines d’entre elles étant affiliées à des ordres religieux dont les foyers se trouvaient, en partie, en Mauritanie ou au Maroc. Un rapport officiel, datant de 1907 et destiné au gouverneur général de l’Afrique occidentale française, relève que « nombre de petits marabouts ont constitué sur la Gambie des établissements de plus ou moins grande importance ; ce sont presque tous les élèves de grands personnages religieux de la Mauritanie, Cheikh Saad Bou et Cheikh Sidia. A Basse, habitait le célèbre chérif maure Békhaï, avec environ 150 talibés recrutés parmi les Mandingues, les Maures d’Ouled Delim, les Peulhs du Fouta Djallon et surtout les Toucouleurs du Fouta Toro » (Archives du Sénégal, 1906-1916). C’est par l’intermédiaire de ces chefs religieux et de ces commerçants que transitaient une grande partie des imprimés en provenance des pays du Maghreb et du MoyenOrient, que l’on retrouvait, dans les milieux lettrés, des communautés 22. Cuoq Joseph M., Recueil des sources arabes concernant l’Afrique occidentale du VIIIe au XVIe siècle (Bilad al-Sudàn), CNRS, Paris, 1975, p. 129.

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musulmanes du Sénégal : le papier, mais aussi les livres, les journaux, les brochures, les gravures. Ces commerçants étaient, généralement, installés dans les villes, les centres religieux ou dans les escales qui jalonnaient les principales voies de communication, notamment dans la région du fleuve et le long des voies ferrées qui constituaient des points de traite très importants. A ces commerçants, il faut ajouter les chefs religieux et les prédicateurs étrangers qui, à l’occasion des visites qu’ils rendaient aux marabouts autochtones, vendaient aussi des livres et des imprimés de toute sorte en arabe23. Au Sénégal, les marchands et colporteurs mandingues et toucouleurs jouèrent aussi un rôle non négligeable dans la diffusion de l’islam dans les différentes régions du pays. Aux XVIe et XVIIIe siècles, les Mandingues et les Soninkés ont le contrôle du commerce en Casamance et dans le Haut-Sénégal. Les échanges s’effectuent essentiellement avec les Maures et les Français qui possédaient des comptoirs dans la région. Le plus connu de ces établissements commerciaux était le Fort Saint Joseph dans le Galam. En échange de l’or, du morfil, du fer et des esclaves, les commerçants recevaient des céréales, des toiles, des armes à feu, des objets de verroterie et du papier ainsi que d’autres produits qu’ils revendaient aux populations de l’intérieur du Sénégal et même au-delà, puisque leurs activités s’étendaient jusque vers la boucle du Niger. Réputés actifs et ayant le sens du négoce, ils ont, de ce fait, constitué des communautés dynamiques et industrieuses dont les élites, dans leur grande majorité, maîtrisaient généralement la langue et l’écriture arabes et utilisaient le livre ou le papier, dans le cadre de leurs activités professionnelles ou religieuses. Ils ont ainsi formé, sur le plan social, une aristocratie dont les valeurs et les références reposaient sur un modèle culturel où l’écrit et le livre occupaient une place très importante. Ils ont ainsi contribué à la diffusion et à la popularisation du livre et de l’écrit au sein des populations indigènes. En 1728, le Père Labat note que « les peuples appelés mandingues (…) se sont établis dans le royaume de Galam. Ils y sont en très grand nombre, unis et confédérés, de manière qu’ils composent une espèce de république qui ne craint point le roi, qui ne le reconnaît que par bienséance et dans ce qu’elle juge à propos. Tout le commerce est 23. Sène Henri, « Le commerce du livre de langue arabe au Sénégal jusqu’au début du XXe siècle », Libri, vol. 36, n°2, 1986, p. 153-154. Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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entre leurs mains, ils le portent de tous côtés et se servent de ce moyen pour amener des richesses et introduire le Mahométisme partout où ils peuvent pénétrer. On peut dire qu’ils en sont les prédicateurs et les missionnaires.24 » Les progrès de l’islam au Sénégal ne seront donc pas seulement dus aux succès militaires remportés par les réformateurs sur des pouvoirs considérés comme idolâtres ou sur des populations infidèles. Ils ont aussi été la conséquence de l’introduction et de l’implantation progressive, dans les milieux les plus divers des sociétés africaines, d’une nouvelle forme de culture fondée sur l’écrit et le livre. Dans son ouvrage sur L’islam au Sénégal, Paul Marty rapporte que le marabout Mamadou Lamine se déplaçait toujours, lors de ses campagnes, avec une collection de trois cent corans richement reliés et portés par une dizaine d’esclaves somptueusement vêtus. Dans ce sens, l’école, l’enseignement, le livre, la lecture et l’écriture ont joué un rôle capital dans les mutations sociales qui vont s’opèrer au sein de la société sénégalaise. Comme le fait remarquer Marty, le prestige dont jouissent les chefs religieux parmi les populations qui ne possèdent pas l’écriture et le livre, est surtout dû à leur culture. « Ces marabouts représentent l’instruction, l’autorité du livre et de l’écriture. Ils sont toujours assurés du succès. La planchette fait passer le Coran et l’écriture, la prière islamique.25 » Par un processus d’occultation entretenu depuis l’époque coloniale, l’écriture, le livre et l’enseignement, en tant qu’éléments d’un système éducatif et culturel, sont toujours apparus comme étant des éléments introduits en Afrique noire par les colonisateurs européens dans leur mission « civilisatrice ». C’est ainsi que les œuvres littéraires produites par les autochtones islamisés, et l’écriture arabe utilisée par ces derniers pendant des siècles, furent souvent considérées comme des manifestations d’une culture marginale et sans grande valeur, au plan intellectuel, au profit de la littérature utilisant les langues et les systèmes d’écriture d’origine européenne. Or, il est historiquement établi que ce sont les marchands, les explorateurs et les prédicateurs arabo-berbères qui précédèrent, sur le continent, leurs homologues portugais, français, 24. Labat Jean Baptiste R., Nouvelle relation de l’Afrique occidentale contenant une description exacte du Sénégal et des pays situés entre le Cap Blanc et la rivière Sérrélionne (...), t. 1, G. Cavelier, Paris, 1728. 25. Marty Paul, Etudes sur l’islam au Sénégal, t. 1 les personnes, E. Leroux, Paris, 1917, p. 9.

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anglais ou espagnols. Il en est de même des attributs culturels de la civilisation islamique par rapport à ceux de la civilisation européenne. L’écriture, le livre et le papier, qui constituent les principaux véhicules qui ont permis à la culture arabo-islamique de rayonner à travers le monde, étaient donc connus par des Africains et utilisés par ceux-ci, cinq siècles avant qu’en « 1446, Denis Fernandez, passant l’extrémité occidentale de l’Afrique, découvrit les îles de la Madeleine, Gorée et le Cap-Vert… y planta une croix de bois sur le rivage et se hâta de porter cette glorieuse nouvelle au prince Henri de Portugal26 » . Le baron Roger qui exerça les fonctions de commandant et d’administrateur du Sénégal et Dépendances entre 1821 et 1827 et qui fut un témoin oculaire de la situation socio-culturelle de la colonie révèle, dans un article daté de 1827, à un moment où l’école française en était encore à ses débuts et constatait ses premiers échecs, que dans la région du Waalo, « l’on rencontre des villages dans lesquels il existe plus de nègres sachant lire et écrire l’arabe qui est, pour eux, une langue morte et savante qu’on ne trouverait, encore aujourd’hui, dans beaucoup de campagnes de France de paysans sachant lire et écrire le français27 » . On a très peu insisté jusqu’ici sur un fait, à savoir, l’existence d’un environnement socio-culturel et intellectuel qui permit à l’islam, par l’intermédiaire de la langue arabe, de populariser de nouvelles techniques de communication, de transmission, d’acquisition et de diffusion des connaissances, grâce à l’enseignement d’une part, et d’autre part, par l’introduction dans les sociétés africaines traditionnelles d’un nouveau modèle culturel fondé sur l’écrit et ayant le livre pour véhicule principal. De ce point de vue, le système éducatif mis en place, dans le cadre de l’islamisation du Soudan occidental et des régions avoisinantes, sera un des moyens privilégiés sur lequel s’appuiera l’islam pour s’implanter définitivement dans cette partie du continent. Au début du XIXe siècle, Mollien notait déjà l’importance de cet élément culturel, lorsqu’il expliquait l’islamisation du Kadyoor, en partie, par l’existence des 26. Boilat David, Esquisses sénégalaises. Physionomie du pays. Peuplades, commerces, religions, P. Bertrand, Paris, 1853, p. 41. 27. Roger Baron, « Notice sur le gouvernement, les mœurs et les superstitions des nègres du pays Waalo », Bulletin de la société de géographie, n° 56, t. 8, décembre 1827, p. 355. Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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« écoles publiques tenues par les Marabouts, et fréquentées par tous les enfants28 » . Dans les sociétés traditionnelles africaines, l’accès au savoir et à la connaissance était fortement socialisé. Il relevait avant tout de la responsabilité de groupes sociaux structurés autour d’éléments, tels que les classes d’âge, les spécialisations professionnelles ou les distinctions d’ordre familial ou clanique. L’école, le livre, la lecture et l’écriture, introduits par l’islam dans ces sociétés, vont modifier progressivement le mode ancestral d’éducation et de formation. L’école et le livre s’inscrivent, en effet, dans un contexte de relations plus individualisées, dans lequel le rapport de maître à élève est privilégié et met principalement l’accent sur les capacités intellectuelles de chaque individu à assimiler le savoir et la connaissance. L’utilisation du livre, de l’écriture et de la lecture comme outils pédagogiques, pour l’acquisition d’une culture individuelle, qu’elle soit religieuse ou profane, étaient donc en rupture avec les méthodes socio-éducatives traditionnelles où le savoir acquis par l’enfant ou l’adulte n’avait de sens et de valeur que par référence aux normes et aux systèmes de valeur en vigueur dans les sociétés d’où ils étaient issus. L’introduction de l’enseignement par le livre et l’écriture dans les sociétés africaines constituera donc un facteur de mutations importantes, aux plans social, culturel et intellectuel, pour des peuples qui, jusqu’alors, privilégiaient la tradition, la parole, la mémoire collective et la communication orale comme outils et moyens d’accès à la connaissance et au savoir. Avec l’islamisation, « cette présence de la graphie arabe inscrit l’écriture au cœur des cultures de l’Afrique de l’Ouest. Certes, celle-ci s’est souvent engagée dans l’imitation et la compilation, mais elle a été une utilisation neuve d’un médium écrit. Que ce médium ait été, d’abord, utilisé pour écrire l’histoire ou la poésie religieuse n’a rien d’étonnant. Les littératures écrites offrent, à leurs débuts, de semblables configurations génériques.29 »

28. Mollien Gaspard Théodore, Voyage à l’intérieur de l’Afrique, aux sources du Sénégal et de la Gambie, fait en 1818 par ordre du gouvernement français, Imprimerie veuve Lourcier, Paris, 1820, p. 82. 29. Ricard Alain, « Islam et littérature en Afrique de l’ouest », Revue française d’études politiques africaines, n° 113, mai 1975, p. 83.

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Les populations islamisées d’Afrique de l’Ouest ont, certes, adopté ces nouveaux medias en les utilisant comme outils d’étude, de réflexion et de communication. Et nombre d’entre eux les ont exploités pour produire des œuvres littéraires. Il faut cependant avoir présent à l’esprit que ces mutations n’ont pas bouleversé ni modifié radicalement les fondements et les circuits originels de la communication au sein des sociétés qui avaient adhéré à l’islam. Les sociétés africaines sont restées, sur le plan socio-culturel, des sociétés de l’oralité, malgré l’existence de structures sociales utilisant le livre, l’écriture et la lecture comme moyens d’éducation et de formation. La culture traditionnelle n’a pas disparu et n’a pas été remplacée par une culture écrite à la faveur de l’introduction de l’islam dans les sociétés africaines. Certaines de ces sociétés ont même intégré ces nouveaux médias dans leur vision du monde et dans leur rapport au sacré. En effet, la maîtrise par les marabouts de la langue arabe, langue de la révélation du message divin, de même que l’usage de l’écriture et de la copie pour transcrire le texte sacré de l’islam, au sein de populations encore largement attachées à une culture religieuse traditionnelle, ont, sans doute, contribué à donner au livre et à l’écrit une dimension sacrée dans certaines circonstances. L’utilisation de textes écrits en langue arabe, pour des pratiques de types religieux ou divinatoires, est un des exemples caractéristiques du syncrétisme né de la rencontre de l’écrit, comme support privilégié du texte sacré des musulmans, avec les croyances religieuses traditionnelles. Le texte écrit en arabe et tiré du Coran serait ainsi doué d’une puissance capable de protéger ou de nuire. Au Sénégal, il est intéressant de noter que les wolofs désignent le livre et le talisman par le même terme : « téré ».

Livres, manuscrits et papier : production et diffusion L’enseignement musulman s’appuyait sur des textes écrits, aussi bien dans les écoles coraniques que dans les institutions d’enseignement de niveau supérieur. Il était nécessaire que les maîtres et les élèves aient à leur disposition les textes correspondant à leur programme d’enseignement, pour l’apprentissage du Coran ou l’étude du droit islamique, de la théologie, de l’exégèse coranique ou de la littérature.

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Les documents écrits en langue arabe et utilisés par les musulmans, dans le cadre d’une éducation formelle, peuvent être classés en trois catégories. Il y avait, tout d’abord, les copies exécutées par des scribes, à partir d’exemplaires d’ouvrages imprimés en langue arabe. Ensuite, venaient les textes en arabe rédigés par certains lettrés autochtones. Enfin, suivait un nombre relativement restreint d’ouvrages édités et imprimés en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient et importés par les commerçants nord-africains. Nous nous intéresserons, plus particulièrement, aux publications faites localement par des lettrés, sous forme de copies, ou d’œuvres originales et qui ont constitué l’essentiel des textes écrits qui étaient utilisés dans le milieu des lettrés et des enseignants. La transcription du Coran et des œuvres majeures de la littérature islamique est une tradition très ancienne dans les régions islamisées du Soudan occidental. Liées au phénomène de l’islamisation, la rédaction de textes écrits et la reproduction, par la copie, de certains textes se développèrent au rythme de l’expansion de l’enseignement et de l’implantation des foyers intellectuels et religieux, notamment dans la bouche du Niger. Léon l’Africain qui visita cette région au XVIe siècle souligne, dans sa relation de voyage, l’importance de la vente des ouvrages manuscrits provenant de l’Afrique du Nord dans les transactions commerciales qui s’étaient instituées entre cette partie du continent et les royaumes et empires du Soudan30. En effet, dans les régions où l’islam s’était solidement implanté et où la vie culturelle et intellectuelle était dominée par l’intelligentsia musulmane, les manuscrits et, plus tard, les livres imprimés provenant du Maghreb ou d’Egypte étaient connus et largement utilisés dans les milieux des lettrés arabo-berbères et autochtones islamisés. Pour les besoins de l’enseignement et de l’édification des fidèles, les lettrés du Soudan occidental ont ainsi importé, recopié et diffusé, parmi les communautés musulmanes de l’ouest africain, les œuvres majeures de la littérature islamique de leur époque. Parmi celles-ci, le Coran reste l’ouvrage qui a été le plus transcrit. Viennent ensuite des ouvrages de théologie, de jurisprudence, de morale, d’histoire et de littérature. Selon Marty, « les livres n’ont jamais manqué à Tombouctou. Au temps où 30. Jean Léon l’Africain, p. 468-469.

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l’imprimerie n’était pas encore répandue, les commerçants du Nord faisaient déjà le trafic des ouvrages manuscrits.31 » Par l’originalité de leurs travaux et la fécondité de leur pensée, les lettrés soudanais des XIVe, XVe et XVIe siècles seront les précurseurs des auteurs qui, aux XVIIIe et XIXe siècles, donneront à la littérature soudanaise d’expression arabe ses lettres de noblesse. Le développement de l’enseignement et l’importance du nombre de livres importés ou rédigés localement ont permis aux membres de l’intelligentsia, d’une part, de se tenir au courant des évolutions majeures des idées et des courants de pensée du monde islamique de leur époque et, d’autre part, ont favorisé l’émergence d’une littérature écrite en arabe ou dans les langues locales. C’est ainsi que naquit et se développa au Soudan occidental et plus tard dans les régions islamisées de l’Afrique de l’Ouest, selon A. Cherbonneau, un véritable « mouvement littéraire32», ayant le livre ou le manuscrit comme supports, et l’écriture comme véhicule de transmission dans des milieux sociaux où la communication orale était encore largement prédominante. La quasi-totalité des écrits rédigés par des lettrés autochtones nous sont parvenus sous forme manuscrite. Le développement de la recherche historique sur les institutions politiques, culturelles et sociales de l’Africain de l’Ouest, à partir du XIXe siècle a permis, sous l’impulsion d’islamologues et de chercheurs africains et européens, d’africanistes ou d’administrateurs coloniaux, de retrouver, rassembler, classer, conserver, étudier et, parfois, traduire, de nombreux manuscrits écrits en langue arabe. L’ensemble de cette littérature constitue, à l’heure actuelle, une source très importante pour l’histoire politique, culturelle et religieuse des sociétés soudanaises. Elle a été recensée dans divers répertoires bibliographiques. En Afrique de l’Ouest, nous citerons le Catalogue of the Arabic Manuscripts Preserved in the University Library of Ibadan de W.E.B. Kensdale, les collections de manuscrits arabes de la bibliothèque de Kaduna, Kano et Zaria au Nigeria et, enfin, le fonds arabe de la 31. Marty Paul, Etudes sur l’islam et les tribus du Soudan, E. Leroux. 4 vol, Paris, 1920, p. 87. 32. Cherbonneau Auguste, Essai sur la littérature arabe au Soudan d’après le Tekmilet-Ed-Dibadje d’Ahmed Baba de Tombouctou, Annuaire de la Société archéologique de Constantine, 1854 - 1855, p. 35. Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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bibliothèque de l’Institut fondamental d’Afrique noire de Dakar. En Europe, les collections les plus importantes sont celles de la bibliothèque de l’Institut de France où sont conservés les manuscrits rapportés par la mission Gironcourt en 1920, le fonds Archinard de la bibliothèque nationale à Paris, répertorié en 1924 par Blochet et, enfin, les « whitting papers » de la Cambridge University Library qui recensent les manuscrits arabes collectés en Afrique occidentale et conservés dans les bibliothèques et dépôts d’archives de Grande Bretagne. Il existe aussi des collections de manuscrits arabes à l’Institute of African Studies de l’université de Legon au Ghana. Pour des informations plus complètes sur les fonds de manuscrits en Afrique, on consultera avec profit l’article de Vincent Monteil consacré aux Manuscrits historiques arabo-africains33. L’utilisation de l’écriture à des fins de correspondance ou de publication littéraire restera cependant l’apanage d’une minorité de lettrés, généralement issus de l’aristocratie religieuse ou traditionnelle. Leur niveau d’instruction ou les fonctions qu’ils occupèrent au sein de la société : chefs religieux, enseignants, cadi, interprètes notamment, les ont portés plus naturellement que leurs autres coreligionnaires à s’intéresser à tout ce qui touche au livre, en général et à la littérature produite dans le monde arabe, en particulier. Dans son récit de voyage, J. B. Labat note que les marabouts mandingues « sont de bons gens, civils et honnêtes, hospitaliers, fermes dans leurs paroles, laborieux et industrieux et très propres à apprendre les sciences et les arts. Jusqu’à présent toute leur habileté consiste à savoir lire et écrire la langue arabe.34 » Ces marabouts étaient, pour certains, à la fois des religieux et des enseignants. Ils pouvaient être attachés à une confrérie religieuse ou vivre dans l’entourage d’un chef religieux. Ils complétaient leur enseignement par la transcription d’ouvrages tels que le Coran, des livres de théologie, de droit, de jurisprudence, etc. Certains d’entre eux pouvaient être aussi au service de notables et de souverains locaux auprès desquels ils assumaient les fonctions de secrétaire, d’interprète ou de juge. Les marabouts, Momar Anta Sali en 1868-1869 et Mori 33. Monteil Vincent, « Les manuscrits historiques arabo-africains. Bilan provisoire ». Bulletin de l’IFAN, t. 27, série B, n° 2-4, 1965. 34. Labat Jean Baptiste, p. 371-372.

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Kumba en 1877, de même que l’écrivain Khali Madiakhaté Kala en 1886, occupèrent les fonctions de secrétaire auprès de Lat Dior, le Damel du Cayor. Durant l’époque coloniale, les marabouts, seuls détenteurs de l’écriture, furent les intermédiaires indispensables entre l’administration française et les souverains autochtones. « Le marabout secrétaire était chargé de la correspondance en arabe du roi avec les autorités coloniales. Il se révélait souvent un lettré de grand talent, un excellent interprète versé dans le droit islamique ; il occupait des fonctions de cadi, de juge et de conseiller pour le roi35 » . Il existait également des scribes qui travaillaient pour leur propre compte et qui constituaient, en quelque sorte, une corporation d’écrivains publics. Selon Marty, « le papier étant fourni par le client, le copiste travaille chez lui avec son matériel propre, calame et encre3 6 ». Au Sénégal, les copistes et un petit nombre de lettrés furent, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les principaux producteurs de documents écrits en milieu islamisé (voir fig. 1). Les premières œuvres écrites connues, publiées par des auteurs sénégalais d’expression arabe, sont, en effet, relativement récentes, puisqu’elles remontent à la deuxième moitié du XIXe siècle. Les travaux effectués par les scribes ont ainsi permis la diffusion, dans les cercles restreints de l’intelligentsia arabophone, des œuvres les plus importantes de la littérature islamique. Pour des raisons de prosélytisme et d’éducation religieuse, il y avait, tout d’abord, les œuvres ayant trait à la littérature religieuse et plus particulièrement le Coran. Toutefois, d’autres classiques de la littérature arabe eurent, de même, les faveurs des copistes qui les ont reproduits pour les besoins des enseignants, des chefs religieux et des membres de l’intelligentsia qui s’intéressaient au droit musulman, à la théologie, à la poésie, à la grammaire, à la philosophie ou aux sciences exactes. Le travail de reproduction se faisait soit à partir d’ouvrages imprimés importés d’Afrique du Nord par les commerçants arabes, soit à partir d’autres manuscrits exécutés sur place ou provenant de l’étranger. Jusqu’au début du XXe siècle, la totalité de la littérature écrite produite au Sénégal a été manuscrite. L’absence d’infrastructures d’imprimerie 35. Samb Amar, « L’islam et l’histoire du Sénégal », Bulletin de l’Institut français d’Afrique noire. série B, t. 28, 1971, p. 468. 36. Marty, 1920, p. 257. Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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Source : Photothèque IFAN, Dakar Figure 1 : Apprentissage coranique de la région soudano-sahélienne durant la période coloniale

sur place pour la reproduction des documents écrits en est la cause principale. Dans des sociétés qui n’avaient pas de tradition écrite récente, les imprimeries, les maisons d’édition et les librairies n’existaient pas. La production et la diffusion des manuscrits étaient des activités réservées à des spécialistes ou à des lettrés qui maîtrisaient l’écriture et la langue arabe. A part quelques scribes qui travaillaient pour leur propre compte et qui faisaient office d’écrivains publics, la majorité des copistes étaient généralement des marabouts ou des étudiants rompus dans l’art d’écrire et dont le travail répondait à des besoins précis liés à des activités religieuses ou d’enseignement. La plupart des scribes ne vivaient pas de leur plume, celle-ci était plutôt mise au service des besoins des exégètes et des savants de leur communauté religieuse, d’une part, et d’autre part, de l’enseignement. Nous avons vu de quelle façon cet enseignement s’est révélé être un puissant facteur de diffusion non seulement de la langue et de l’écriture arabes, mais aussi de la religion musulmane. Par le biais de la reproduction de textes par la copie, ils participaient à la diffusion des préceptes de l’islam, mais aussi de l’idéologie véhiculée à travers les écrits qu’ils reproduisaient. Ces textes étaient devenus, pour

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Source : Abbé David Boilat, « Esquisses sénégalaises », Paris, Khartala, 1984, pl. X Figure 2 : Marabout mandingue du Bambouk près d’une rivière non loin du fort de Lampsar dessiné par Boilat en 1853

l’élite islamisée à laquelle ils étaient destinés, les seuls auxquels les lettrés se référaient, du point de vue moral, philosophique et juridique. Le livre et la littérature étant des faits sociaux intimement liés à l’idéologie dominante, il est indéniable, comme le dit Maxime Rodinson, que « l’écriture arabe a été choisie, en raison de son rôle social, comme signe d’appartenance du contenu des écrits à la civilisation musulmane, à la civilisation dont l’islam, avec son livre sacré arabe et son Prophète arabe, est l’idéologie centrale37 » . La reproduction manuscrite avait ses propres limites. D’une part, à cause de la quantité restreinte d’ouvrages que pouvait reproduire un copiste, d’autre part, parce que les scribes étaient, somme toute, peu nombreux. Le manuscrit restera néanmoins le support principal utilisé

37. Rodinson Maxime, « Le monde islamique et l’extension de l’écriture arabe», in L’écriture et la psychologie des peuples, Librairie Armand Colin, Paris, 1963. Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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par les écrivains sénégalais de langue arabe jusqu’au début du XXe siècle. L’absence d’ateliers d’imprimerie au Sénégal jusqu’au XIXe siècle permet de comprendre pourquoi la majorité des œuvres publiées par les écrivains sénégalais d’expression arabe sont parvenues sous forme manuscrite. Il faudra en effet attendre le début du XXe siècle pour voir certains auteurs, comme Ahmadou Bamba ou El Hadji Malick Sy, faire imprimer certaines de leurs œuvres à Tunis, Beyrouth ou Fez soit à l’occasion de voyages effectués dans les pays du Maghreb ou au Moyen-Orient, soit par l’intermédiaire de commerçants arabes qui faisaient le commerce des livres dans la colonie. Selon Paul Marty, vingt-six ouvrages d’El Hadji Malick Sy ont été ainsi imprimés à Tunis, chez l’éditeur Bel Hassem et Frères, entre 1914 et 1915. Au Sénégal par exemple, la première imprimerie fut ouverte à Saint Louis en 1855. Elle était en priorité destinée à satisfaire les besoins en imprimés des services administratifs de la colonie. Elle avait aussi en charge l’impression des journaux officiels de l’époque et des rapports et comptes rendus qui étaient publiés périodiquement par l’administration coloniale. L’arrêté du 31 décembre 1904 du Gouvernement Général Roume, créant à Gorée une imprimerie du Gouvernement général de l’Afrique occidentale française, stipulait dans son article 3 « que cette imprimerie était chargée de la publication de tous les documents officiels et des travaux de typographie et de reliure. Un texte annexe à cet arrêté précisait, en outre, que les ouvrages en langue étrangère seront payés avec augmentation d’un cinquième des prix du tarif et en langue arabe 50 % en sus38 » . On peut raisonnablement penser que l’impression de publications en langue arabe n’a pas été une préoccupation ou une priorité pour les imprimeries officielles de la colonie. Donc, elles n’ont pas produit de documents significatifs en langue arabe. Pour des raisons politiques et culturelles, les autorités coloniales de l’époque avaient pris des mesures administratives destinées à contenir et à contrôler l’expansion de la langue et de la culture arabes au Sénégal, à défaut d’une interdiction. Elles surveillaient de très près l’importation et la circulation dans la colonie des documents en langue étrangère et particulièrement ceux 38. Journal officiel de l’AOF, décembre 1904.

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rédigés en arabe. Dans ces conditions, et pour des raisons d’affinités religieuses ou intellectuelles, les auteurs qui écrivaient et qui produisaient dans cette langue préféraient, comme nous l’avons vu précédemment, faire imprimer et éditer leurs publications en Afrique du Nord ou dans les pays du Moyen-Orient, lorsqu’ils en avaient les possibilités et les moyens. En ce qui concerne le papier utilisé par les copistes, il fait partie des nombreux produits manufacturés qui furent importés du Maghreb et d’Europe et introduits dans les pays du Soudan occidental et, plus tard, en Afrique de l’Ouest. Le livre, comme nous l’avons vu, a occupé une place non négligeable dans les activités commerciales des musulmans, durant tout le Moyen Age et pendant l’époque coloniale. Toutefois, parmi tous les articles qui ont fait l’objet de transactions commerciales entre les populations des pays de l’Afrique de l’Ouest et les commerçants venus de l’extérieur, celles portant sur le papier restent dans l’ensemble relativement marginales. Les chroniqueurs arabes ont très peu fait cas du papier dans l’éventail des produits commercialisés au Soudan avant la pénétration européenne. Faisant le point sur le commerce d’importation, au Moyen Age, en Afrique de l’Ouest, Raymond Mauny révèle que les échanges qui s’effectuaient dans le sens nord-sud concernaient essentiellement les produits d’alimentation, les chevaux, les étoffes, les métaux, les divers minéraux, tels que le corail, les perles, et les objets de verre, les cauris et, enfin, divers objets manufacturés, en particulier « les livres de droit et d’autres rapportés par les pèlerins ou achetés à Tombouctou (et qui) ont été, de leur côté, le support matériel de l’éveil intellectuel et religieux de tout le Sahel et d’une bonne partie du Soudan39 ». Nulle part, il n’est question de papier parmi les produits importés et mis en vente par les commerçants ou les voyageurs venant d’Afrique du Nord ou d’autres pays arabes. Il semble néanmoins que le papier était connu au Soudan occidental bien avant l’arrivée des Européens, et qu’il était même utilisé par certains autochtones comme support de l’écriture. Al-Ouari, en 1338, nous révèle que l’empereur du Mali, Mansa Moussa, fit « parvenir à sa majesté, le sultan du Caire, un mémoire en écriture maghrébine 39. Mauny, p. 375. Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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sur une large feuille, sans intervalle… Il l’avait fait écrire de la main d’un de ses familiers qui vint en pèlerinage avec lui » . L’écrivain Al Kalhashandi qui vécut au début du XVe siècle nous a laissé des informations intéressantes sur la correspondance du roi du Bornou avec les sultans de l’Afrique du Nord. Il note, en substance, que « l’usage reçu dans la correspondance (du souverain du Bornou) est d’écrire sur une feuille in quarto en écriture comme celle des Maghrébins, quand on dépasse ce format, on écrit au verso »40. Si ces chroniqueurs arabes ne donnent dans leurs relations aucune précision sur la nature du matériau utilisé par les souverains du Mali et du Bornou pour écrire leurs lettres, on peut penser qu’il s’agissait de feuilles de papier. Les Arabes en connaissaient en effet l’existence et l’usage. C’est par leur intermédiaire que ce produit, originaire de Chine, avait été introduit, dès le VIIIe siècle, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord puis en Europe, en Espagne plus précisément, et plus tard en France. Il est possible que les premiers marchands arabes aient pu, dès le VIIIe siècle, l’introduire en Afrique noire, d’abord pour leur propre usage dans le cadre de leurs transactions commerciales ou d’échange de correspondances, ensuite pour les besoins d’une intelligentsia locale qui devait l’utiliser dans l’enseignement, la correspondance ou la rédaction de manuscrits. Il semble, toutefois que le papier n’était pas d’une utilisation courante dans les sociétés soudanaises, où la maîtrise de la langue et de l’écriture arabes restait l’apanage d’une minorité arabo-berbère ou autochtone. Si l’islamisation des populations soudanaises fut une réalité tangible, la culture écrite restera longtemps limitée au cercle des aristocraties régnantes et de l’intelligentsia dans les villes et les foyers religieux. Elle toucha très peu les populations. Il n’est donc pas étonnant que les moyens de diffusion de cette nouvelle culture fondée sur l’écrit, tels que l’écriture, le livre et le papier, soient restés pendant longtemps monopolisés par une élite de lettrés et de religieux arabophones. En outre, étant donné que la majorité des autochtones n’utilisaient pas l’écriture comme moyen de communication ou d’expression, les documents écrits et publiés sur place étaient peu nombreux. Ceux-ci se limitaient, pour l’essentiel, aux copies exécutées par les scribes et aux ouvrages manuscrits publiés par des marabouts et par des lettrés. 40. Cuoq, p. 279 et 376.

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Il faut néanmoins noter que certains souverains locaux ont entretenu une correspondance avec leurs homologues d’Afrique du Nord ou d’Egypte. Plusieurs chroniqueurs arabes du Moyen Age, tels que Al Omari, Ibn Battuta ou Al Kalhashandi, ont donné en effet des détails précis sur le format des feuilles et le type d’écriture utilisés dans les correspondances ainsi que sur la manière d’écrire sur ce qui était, sans doute, des feuilles de papier. C’est ainsi que Al Kalhashandi rapporte, à propos d’une lettre envoyée en 1371 par le souverain du Bornou au Sultan du Caire, « qu’elle est écrite sur une feuille in quarto en lignes serrées, en écriture maghrébine, sans marge ni entête, ni sur les côtés, la fin de la lettre est écrite au verso, au bas de la feuille41 » . L’utilisation de la langue et de la graphie arabes pour correspondre était une tradition solidement établie chez certains chefs politiques et religieux. Lors de son voyage dans l’intérieur du Sénégal, effectué en 1818, Mollien affirme s’être muni de sauf-conduits sous forme de lettres délivrées par l’Almamy du Fouta-Toro et rédigées en arabe, afin de pouvoir traverser ses Etats. Devant le refus d’un des chefs de province de le laisser traverser son territoire, il nous rapporte ceci : « je lui répondis que j’avais vu l’Almamy et que ce prince m’avait permis de traverser ses Etats. “Pourquoi ne vous a-t-il pas donné une lettre ?” me répliqua-t-il42 » . Si le message écrit a remplacé, dans certaines situations, la communication de type oral, il reste que cette tradition épistolaire demeure marginale et épisodique parce que limitée à une minorité de lettrés. La plupart des souverains qui entretenaient une correspondance soit avec l’étranger, soit avec les pouvoirs politiques locaux étaient eux-mêmes souvent illettrés. Leur correspondance était en général rédigée par des marabouts qui faisaient office de secrétaires comme nous l’avons indiqué précédemment dans le cas de la correspondance du Damel du Kadyoor, Lat-Dior. Il en est de même pour Al Bouri dont la correspondance en arabe a été écrite sous la dictée à des marabouts qui vivaient dans son entourage. Utilisé dans des circonstances particulières par une minorité de lettrés, le papier semble être un produit rare et cher au Moyen Age, d’où le 41. Ibid., p. 377. 42. Mollien, p. 138. Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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peu de place qu’il occupe dans les échanges commerciaux entre les autochtones et les marchands arabes. Et, contrairement à ce qu’affirme Durand, dans sa relation de voyage parue en 180243, ce ne furent pas les Français qui firent connaître le papier aux habitants du Sénégal. C’est à la faveur de l’islamisation d’une part, et du commerce transsaharien d’autre part, que le papier a été introduit dans les pays du Soudan occidental. Au début du XVIIIe siècle, qui correspond au réveil intellectuel et culturel de l’islam en Afrique de l’Ouest et à une époque où le négoce transsaharien est largement en déclin par rapport à celui mis en place par les Européens à travers l’Atlantique, le Père Labat note que « les caravanes de Tripoly (…) portent aux nègres de Tombut à peu près les mêmes marchandises que nous portons aux nègres de Galam, c’est-àdire des draps ou verges bleues, vertes, violettes, jaunes et rouges (…); ils en portent, ordinairement, pour vingt mille écus, pour autant de toutes sortes de verroteries qu’on leur apporte de Venise et autres lieux d’Europe. Du corail travaillé de différentes façons, pour douze mille écus et pour dix mille écus de papier44 » . Auparavant et pendant tout le XVe siècle, les liaisons maritimes qui s’étaient instaurées entre l’Europe, les côtes d’Afrique et les Amériques, devaient contribuer à jeter les bases d’un commerce qui sera monopolisé plus tard par les fameuses compagnies à Chartes. C’est en effet à partir du XVIe siècle que les traitants européens, prenant le relais des commerçants arabes, créèrent des comptoirs le long des côtes occidentales de l’Afrique. Divers biens de consommation et des produits manufacturés furent ainsi importés d’Europe. Armes, alcool, tabac, étoffes, le papier et divers objets de moindre valeur furent échangés contre l’or, la gomme, le fer, les esclaves, notamment. A partir de 1638, les Français s’installèrent au Sénégal en créant à l’embouchure du Sénégal, dans l’Ile de Bocos, le premier comptoir fixe où ils laissèrent en permanence des commis chargés de commercer avec les populations autochtones. 43. Durand Jean Baptiste Léonard, Voyage au Sénégal, ou Mémoires historiques, philosophiques et politiques sur les découvertes, les établissemens et le commerce des Européens dans les mers de l’Océan atlantique, depuis le Cap-Blanc jusqu’à la rivière de Serre-Lionne inclusivement, 2 vol., H. Agasse, Paris, 1802, p. 122123. 44. Labat, p. 365.

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Pour bénéficier de la liberté et du monopole du commerce, les directeurs des compagnies, et plus tard les gouverneurs, avaient l’habitude de payer aux rois, aux princes et aux notables locaux des redevances en nature appelées « coutumes ». Si l’on se réfère aux relations de voyage datant de cette époque, le papier a occupé une place non négligeable parmi les articles qui étaient dus à titre d’impôt. Ainsi, selon les termes du traité conclu le 10 mai 1785 entre le roi des Braknas et le directeur de la Compagnie du Sénégal, ce dernier s’engageait, chaque fois que la Compagnie faisait la traite de la gomme, à payer annuellement à Hamet Moktar, roi des Braknas, diverses marchandises à titre d’impôt, dont une quantité de papier s’élevant à cent vingt mains. Le Père Labat précise d’ailleurs sur ce sujet, qu’entre 1697 et 1702, dans « le département du Sénégal, les coutumes indispensables que l’on paie aux Rois et aux Grands, si on veut être en bonne correspondance avec eux et avoir la traite libre, s’élevaient, pour le papier, à douze mains, à la traite du sel à Bieur, (ville située à l’embouchure du fleuve Sénégal), une main pour la traite des écailles et des huîtres pour faire de la chaux, quatorze mains au Damel et à ses officiers, trente sept mains au Brac et à ses officiers, six mains au petit Brac, une main à Mouftar, chef des Maures, trente cinq mains au roi Siratique, à ses femmes et à ses officiers, six mains au roi de Galam45 » , soit au total, cinq rames et cinq mains de papier. Si l’on considère qu’une main équivaut à vingt cinq feuilles de papier, c’est quelques deux mille sept cent feuilles de papier qui étaient, annuellement et gratuitement, distribuées aux souverains et notables des royaumes du Sénégal. Le papier semble avoir été considéré par les traitants comme un article de luxe au même titre que les lames d’épée, les miroirs, le miel, les pierres à fusil, les peignes, les sabres, les rubans de soie. Utilisés comme présents, ils étaient surtout destinés à s’attirer les faveurs de quelques chefs politiques et religieux qui avaient la possibilité et les moyens de faciliter le commerce aux traitants. Labat rapporte d’ailleurs l’anecdote suivante, à propos d’André Brüe qui fut un des directeurs de la Compagnie du Sénégal : invité à une cérémonie de circoncision, « ce fut avec bonne provision de vin et d’eau de vie, de la verroterie pour les griots (sic) et du papier pour les Marabouts que le sieur Brüe partit

45. Ibid., p. 360, p. 363. Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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du Fort Saint-Louis le 31 décembre 170046 » . C’est encore Labat qui rapporte que « l’on compte un captif pour dix-huit pagnes. Il est vrai qu’on donne à souper à celui qui l’amène… une feuille de papier, un peigne de bois, un miroir en carton, et quelques clous de girofle pour le tago ou le congé47 » . Il arrivait cependant que le papier soit inclus par les traitants européens dans la gamme des nombreux produits qu’ils proposaient aux autochtones en échange du sel, de la gomme ou de l’or. En 1715, le quintal de gomme équivalait à vingt mains de papier (vingt feuilles, la main). Le prix de la rame de papier revenant à 2 livres en France et à 8 livres au Sénégal48. Au regard de tous les autres produits importés dans la colonie et qui étaient soit offerts, soit vendus, soit échangés, il semble que le papier ait occupé une place très restreinte dans le volume global des transactions commerciales effectuées par les commerçants ou les traitants européens, en raison sans doute du nombre très limité de personnes qui pouvaient être intéressées par ce produit. Il faut enfin noter selon certaines sources, l’utilisation de supports végétaux pour l’écriture. Dans sa relation de voyage, Mollien rapporte l’anecdote suivante : « un Noir dont la vue était très faible me demanda un gris-gris. Je l’écrivis sur une feuille de rônier que l’on emploie en Afrique quand on n’a pas de papier49 » . Il est possible, comme l’affirme Mollien, qu’on ait utilisé des feuilles de rônier pour la rédaction de talismans dont le contenu était généralement constitué de phrases très courtes ou de simples mots d’arabe extraits ou non du Coran. Ces feuilles pouvaient convenir à ce genre de support. Il n’y a rien d’étonnant à cela. Les écorces d’arbres et certaines feuilles, comme celles du palmier, dont le rônier est une variété, ont sans doute été les premières matières à être utilisées pour l’écriture. Les mots grec et latin qui désignent le livre, biblos et liber, ne signifient-ils pas « écorce » ? Il est néanmoins peu probable que les feuilles de rônier aient été utilisées couramment pour écrire ou transcrire des documents plus longs, tels que les lettres ou les ouvrages. Pour des raisons d’ordre pratique, d’une part, et de conservation des documents, d’autre part, 46. Ibid., p. 274. 47. Ibid., p. 356-357 48. Ibid., p. 166-168. 49. Mollien, p. 184.

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il semble que les tablettes en bois et surtout le papier ont été préférés aux supports végétaux. Ce papier qui, à en croire Marty, « est presque toujours du fort papier blanc sur lequel les indigènes aiment recopier leurs manuscrits et qui ressemble au papier timbré utilisé dans notre procédure française50 » . Si l’on se réfère, en définitive, aux documents manuscrits qui nous sont parvenus et qui constituent l’essentiel de la littérature sénégalaise d’expression arabe, on constate que parmi tous les supports qui ont pu être employés pour l’écriture, le papier a été le matériau le plus utilisé par les auteurs et les copistes.

Conclusion L’écrit, le livre et les manuscrits ont donc joué un rôle de premier plan dans les dynamiques à partir desquelles l’islam a imposé sa culture et ses modèles en Afrique noire en général, et dans sa partie occidentale en particulier. Instruments par excellence du prosélytisme musulman et de la diffusion de la culture arabo-islamique en Afrique, on peut considérer qu’ils furent à la base des principales mutations qu’ont connues les sociétés du Soudan occidental et de l’Afrique de l’Ouest. Sur le plan social, en effet, l’islam n’atteindra sa véritable dimension populaire, et ne se transformera en véritable force politique, qu’à partir du moment où ses adeptes, en particulier la frange constituée d’érudits et de lettrés qui avait assimilé une nouvelle culture de type écrit, en s’appuyant sur un système éducatif performant et de qualité, purent faire évoluer leurs sociétés respectives grâce aux idées et aux savoirs auxquels ils avaient pu accéder par l’entremise de l’écrit et du livre, ces nouveaux médias qui furent les vecteurs privilégiés de l’implantation et de l’expansion de la nouvelle religion. « Ainsi, non seulement, une masse relativement importante conquit l’écriture et s’en servit, mais un public aux exigences nouvelles, un public moins polarisé par les thèmes religieux et moins marqué par la forme des modèles arabes fit son apparition, et donna le ton aux lettrés musulmans, qu’il obligera même à évoluer.51 »

50. Marty, 1917, p. 136. 51. Sow Alpha Ibrahim, « Notes sur les procédés poétiques dans la littérature des peuls du Fouta-Djalon », Revue présence africaine, n° 54, 1965, p. 181. Le livre manuscrit arabe en Afrique occidentale (VIIIe – XXe siècle)

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L’adoption de nouveaux modèles culturels dont l’écrit et le livre furent les ferments, contribuera à créer, au niveau social, de nouveaux rapports de force. Les lettrés musulmans, après avoir écarté du pouvoir économique, puis politique, les anciennes chefferies traditionnelles, occuperont ainsi une position dominante au sein de la société. Le niveau de culture et de connaissance qu’ils avaient atteint, la qualité et la valeur de leurs productions littéraires, leur cosmopolitisme, leur grande maîtrise de la langue et de la graphie arabes furent autant de facteurs qui contribuèrent à faire d’eux, dans leurs propres sociétés, des symboles de progrès social et culturel.

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CHAPITRE 5 Repères historiques de l’écriture manuscrite ouest-africaine Mohamed-Saïd Ould Hamody Résumé Ce chapitre1 traite des questions relatives au référencement des collections existantes de livres manuscrits anciens et prend en charge les exigences de « traçabilité » des manuscrits africains tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de la région africaine. Une vue panoramique de l’état des collections existantes et des perspectives de leur sauvegarde et de leur valorisation est proposée en utilisant le cas spécifique de la Mauritanie.

D

u manuscrit, le Petit Larousse donne la définition suivante : « ouvrage écrit à la main ». En Afrique subsaharienne d’expressions officielles francophone et anglophone, le livre manuscrit ancien se confond avec l’islamisation de la région, l’émergence d’une élite locale arabophone, l’usage de l’arabe comme langue de communication et de culture, et l’ascension de son alphabet pour transcrire les langues soudanaises. 1.  Ce chapitre est une reproduction mise à jour et corrigée de la communication présentée par l’auteur au colloque international sur Les bibliothèques nationales en Afrique francophone au XXIe siècle sous les auspices de l’Ecole des bibliothécaires, archivistes et documentalistes de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, 5-7 mai 2003. Repères historiques de l’écriture manuscrite ouest-africaine

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Ce manuscrit africain est souvent un original ou une copie (conforme ou commentée par un exégète), de l’œuvre d’un auteur de « Dar el Islam » en dehors de l’Afrique subsaharienne. Il émane, quelquefois, d’un auteur de la région « soudanaise ». A ces deux catégories s’ajoutent les traductions et la publication de la mémoire écrite ou orale ouestafricaine par des Européens, anciens ou contemporains et par certains de leurs collaborateurs africains. Les thèmes de ces manuscrits et leur intérêt historique varient suivant les régions d’origine de leurs auteurs. Ainsi, les manuscrits écrits par des Soudanais privilégient souvent le fiqh ou droit musulman (sunnite et malékite) et les enseignements liturgiques. Incontestablement, les chroniques des événements locaux, les biographies des notables temporels ou spirituels, les Rihal ou voyages (souvent vers Jérusalem, Médine et la Mecque) et des exposés sommaires du savoir local (théories de médecine, pharmacopée, astrologie, astronomie, etc.) sont d’un intérêt central, aux yeux des historiens soucieux de reconstruire le passé de l’Afrique, tout en le déconstruisant à travers des plateformes transdisciplinaires offertes par la paléographie, l’archéologie, la linguistique, la socio-anthropologie, l’analyse historique, la géographie... Les manuscrits en provenance du reste du monde musulman d’alors (au gré de voyages et de transactions diverses), sont souvent des copies de texte ou des exégèses du Coran, des recueils des traditions (hadith ou sounnah du Prophète Mohammed, PSL), du fiqh et des traités de sciences profanes de l’époque (médecine, géographie, astrologie, métrique, poétique et autres lettres, mathématiques, etc.). L’écrasante majorité des manuscrits ouest-africains sont en langue arabe. Toutefois, une partie non négligeable de ces manuscrits, même si les caractères arabes sont utilisés, est rédigée dans des langues soudanaises : bambara, dyula, soninké, sonhray, wolof, mais surtout pulaar et hausa, en plus du tamacheq ou d’autres langues berbères. Ces manuscrits appartiennent encore à des personnes physiques (individuellement ou collectivement) ou morales (Etats, congrégations de confréries, institutions etc.), ouest-africaines. Les collections sont, le plus souvent, des propriétés familiales et, de ce fait, dorment dans les « bibliothèques » du clan ou de la tribu, si on peut appeler ainsi, les malles, armoires rudimentaires et coins de chambres qui servent de « refuges » pour ces trésors. Des collections sont mieux conservées

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dans les instituts publics ou privés2, plus rarement, et des bibliothèques publiques ou privées des universités, écoles supérieures ou mahadrah. D’autres collections, au gré des hasards de la colonisation et des migrations ou, plus récemment, par le truchement de rachats licites ou illicites de manuscrits prisés, sont allées enrichir des bibliothèques d’Europe occidentale et des Etats-Unis, mais aussi d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient, du Japon, etc.

Localisation géographique des collections de manuscrits A l’extérieur de la zone soudanaise, une grosse partie des manuscrits d’Afrique francophone subsaharienne se trouve en Occident : en France (notamment les 518 « manuscrits arabes » inventoriés de la bibliothèque nationale de Paris et les 223 pièces du Fonds Gironcourt à l’Institut de France, etc.), en Grande Bretagne (au British Museum et à Oxford Library, etc.), aux Etats-Unis (à la Library of Congress, dans diverses bibliothèques d’universités et notamment à Harvard, Chicago, Philadelphie et ailleurs), à la bibliothèque du Vatican, dans plusieurs bibliothèques d’universités espagnoles (Barcelone, Salamanque, Escorial, etc.), portugaises (Torre de Tombre), allemandes (Tübingen, Hambourg, etc.). Une autre partie des manuscrits soudanais expatriés se trouve dans le monde arabe, en Egypte (notamment certains manuscrits provenant de l’actuel Mali et le « Fonds Mohamed Mahmoud Ould Tlamid Torkzi Chinghitti » dit Chin Chin), à la bibliothèque nationale d’Alger (notamment « le Fonds Ben Hamoud des manuscrits de Tombouctou), à la bibliothèque générale du Maroc, à Rabat (où sont catalogués les manuscrits maliens du « Fonds Archinard ») et à la bibliothèque de la faculté des Lettres et sciences humaines de l’université Mohamed V à Rabat qui renferme plusieurs collections dont un fonds de monographies et autres manuscrits sur l’histoire de Bilad Chenghett (les pays maures). Les manuscrits restés en Afrique subsaharienne anglophone se rencontrent au Ghana (un à deux mille manuscrits inventoriés et catalogués par l’Institute of African Studies de l’université du Ghana), 2.  Ces institutions sont héritières pour certaines des antennes territoriales de l’ancien Institut français d’Afrique noire devenu, par la suite, l’Institut fondamental d’Afrique noire. Repères historiques de l’écriture manuscrite ouest-africaine

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sur les cinq à dix mille que compte le pays, suivant l’estimation faite par Vincent Monteil, en 1965. Le Nigéria qui s’est doté de nombreuses institutions de conservation et d’exploitation, dispose, en plus de ceux qui existaient du temps colonial, de milliers de manuscrits (ouvrages traitant de tous les sujets et documents archivistiques importants pour l’histoire), dans des instituts, centres et bibliothèques à Ibadan, Ifé, Kaduna, Kano, Lagos, Sokoto, etc., et dans les bibliothèques privées des héritiers de grandes familles musulmanes hausa, fulani et yoruba du nord et de l’ouest. Quatre pays de l’Afrique subsaharienne d’expression officielle francophone retiennent l’attention, car ils détiennent la quasi-totalité des manuscrits de l’ancienne Afrique occidentale française. Il s’agit du Niger, du Sénégal, du Mali et de la Mauritanie. Ces pays, terres d’Islam depuis plusieurs siècles, ont toujours compté et comptent encore des générations d’érudits qui ont une parfaite maîtrise du savoir religieux et de la langue arabe. Ceci explique l’impressionnant héritage qu’ils ont laissé, produit de leurs passions de documentalistes ou de leurs écrits.

Les richesses nationales Niger Le siège des anciennes assemblées territoriales, puis nationales, abrite la plus grande partie de la collection publique du pays. Depuis 1935, Boubou Hama, qui présidera plus tard l’organe législatif nigérien, a rassemblé 1 500 manuscrits, la plus ancienne pièce de la collection, trouvée chez une famille d’origine arabe, à Tahoua, étant un traité d’astrologie, le Kitab al Anouar (Livre des lumières), d’un certain Ahmed Babe Alibas. Elle contient un exemplaire en peul du fameux kitab (le livre) d’Ousmane Dan Fodio (vers 1890), des manuscrits en hausa, œuvres de savants et marabouts du Nigéria et des manuscrits rédigés en ajami peul du Burkina Faso. Une autre pièce rare du Fonds rassemblé par le Président Hama est le volumineux manuscrit non daté et trouvé, également à Tahoua, de 546 pages collectées et commentées par le savant maure Cheikh Sidi al Mokhtar al Kounti (décédé en 1226 de l’hégire). Il parle de toute la correspondance entretenue entre les membres de la tribu maure (dite encore arabe) des Kounta du Niger

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et les tribus sahariennes de l’Azawad, de la Mauritanie, du Sahara occidental, du sud marocain et du sud-ouest algérien. Cette collection renferme l’original d’une très intéressante monographie sur les origines et le développement de la puissante confédération tribale maure des R’gaybatt. En plus de ce fonds d’une grande richesse, il existe, à Niamey, deux autres centres qui détiennent d’importantes collections de manuscrits en arabe, haussa, peul, djerma, etc. Il s’agit du Centre national de recherches et des sciences humaines (l’ancien centre IFAN de Niamey, créé dans les années quarante et qui publiait, entre autres activités, les Etudes nigériennes) et le département de Manuscrits arabes et étrangers (MARA) créé en 1962 et qui fait partie de l’Institut de recherches en sciences humaines (IRSH) de l’université Abdou Moumouni de Niamey. Ce département rassemblerait plusieurs centaines d’unités3 réparties entre les sujets suivants : textes et sciences du Coran, traditions du prophète (hadith et sira), chronologies, monographies, biographies, lettres, fiqh, médecine, rihal (voyages), etc. Mali Mohamed Hassan al Wazzan que la chrétienté connaît sous le nom de captivité de Jean-Léon l’Africain, à son retour de périple des contrées qui deviendront par la suite le Mali et la Mauritanie dans leurs frontières actuelles, écrivait, en 1550, dans sa Description de l’Afrique : « A Tombouctou, le commerce du livre est de loin plus lucratif que celui de n’importe quelle marchandise4 ». Né six ans plus tard, à Tombouctou précisément, le mufti et savant pluridisciplinaire, Ahmed Baba, écrit dans son ouvrage Kifâyat al-Mouhtâj : « Je suis au sein de ma famille, celui qui possède le moins de livres. On m’en a enlevé 1 600 » (in kifayat al mouhtaj). Ce chiffre considérable permet de penser qu’il y avait un nombre extraordinairement élevé d’ouvrages dans cette contrée, à la lisière de la boucle nigérienne et du désert saharien.5 3.  Voir une description plus détaillée des acquisitions de ce département dans les chapitres 8 et 9 rédigés par Seyni Moumouni et Moulaye Hassane. 4.  Jean Leon l’Africain, Description de l’Afrique, Maisonneuve, vol. II, Paris, 1956. 5.  Traduction de MSOH in Hunwick J.O., « A New Source for the Biography of Ahmad Baba al-Tinbukti (1556-1627) », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, t. 27, no 3,1964, p. 568–593. Repères historiques de l’écriture manuscrite ouest-africaine

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L’éminent spécialiste du manuscrit ouest-africain, John Hunswick, qui dirigeait, dans les années soixante, le Centre of Arabic Documentation (CAD), au sein de l’Institute of African Studies (IAS) de l’université d’Ibadan, au Nigéria et ancien membre du département d’histoire de Northwestern University dans l’Illnois, écrivait, il n’y a guère, « la boucle du Niger est à l’Afrique de l’Ouest, ce que la Vallée du Nil est à l’Egypte : un trésor écologique et un aimant de civilisation ». Cette région a vécu, en effet, un islam intellectuel florissant durant la période de ses empires (Mali, Songhay, Macina, Torodo, etc.) et de ses cités carrefour (Djenné, Gao, Hamdalaye, Nioro, Tombouctou, Ségou, etc.). Le Mali actuel ou anciennement le Soudan occidental (le Bilad es-Soudan, terme préféré des Arabes), est la patrie d’une pléthore de faghih, ouléma, alama, cadis émérites (Ahmed Baba de Tombouctou, Cadi Mahmoud ben Oumar de Tombouctou, Abderahmane Es-Saadi, Mahmoud Kati, etc., et de centaines de penseurs de génie). Tant de talents justifient les déclarations émerveillées d’explorateurs anciens et des siècles postérieurs devant la diversité, le volume et l’importance qualitative que représentent, pour l’histoire de l’ensemble ouestafricain et ses relations avec le Maghreb occidental, les manuscrits de la République du Mali. Il est difficile de se hasarder à fournir une évaluation exacte du nombre total de ces manuscrits. Toutefois, l’Unesco estime les trésors de la seule région de Tombouctou à 60 000 (soixante mille) unités dans les années 2000. Ce chiffre est ramené à 40 000 (quarante mille) par Mohamed Gallah Dicko, directeur général de l’Institut des hautes études et de recherches islamiques Ahmed Baba. Il constitue, vraisemblablement, les trois quarts de l’ensemble malien (voir les estimations plus récentes rapportées par Da Mboa Obenga au chapitre 23 et celles de Jacques Habib Sy au chapitre 18 qui propose une évaluation chiffrée nettement plus importante). Les documents élaborés par des auteurs locaux en sont la minorité. Mais, le témoignage qu’ils fournissent de la mémoire passée de la région en accroît énormément l’importance. Cependant, ils varient pour leur intérêt historique et pour leur volume. En effet, certains ouvrages, en un ou plusieurs tomes, décrivent des événements cruciaux (œuvres de Mahmoud Kati, d’Ahmed Baba, d’Es-Sa’adi ou les chroniques sur la Dina Peul du Macina, etc.). D’autres documents d’un, deux ou trois feuillets seulement, consignent de simples actes de vente d’or, de fer, de cauris, de tabac, de plumes d’autruche, de sel, de tissus, de bétail, de céréales, mais aussi des actes fonciers, des ventes

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de manuscrits et même d’esclaves. Ces manuscrits lèvent le voile sur le commerce transsaharien au Moyen Age ainsi que les activités commerciales et culturelles des Marocains à Tombouctou, au début du 20ème siècle et sans doute bien avant. A l’instar des autres pays de la région, il existe, au Mali, beaucoup de moyennes et petites collections familiales de manuscrits divers. Nous citerons, comme exemple, celle de la famille Kel es-Souk, à Boujbéa, au nord-est de Tombouctou, qui possède 600 manuscrits arabes. Il est vraisemblable que dans les villages et campements de l’Azawad subsistent des dizaines de bibliothèques en danger. Au Mali, en plus des grandes collections, il existe trois autres centres secondaires : Gao, Kayes et Ségou, totalisant 9 000 manuscrits. Rappelons que la centaine de manuscrits saisis de la bibliothèque de Cheikh Hamahoullah Ould Seydina Oumar (dit encore Cheikh Hamahoullah), par l’administration coloniale, lors de son arrestation, ont été restitués, après les indépendances, à la bibliothèque de la confrérie, à Nioro. Cette modeste bibliothèque compte seulement quelques centaines de pièces écrites acquises aux XIXe et XXe siècles. Sénégal Plus de la moitié des manuscrits estimés du Sénégal (peut-être 10 000, au total), sont conservés à l’IFAN. Le reste des collections est la propriété privée de lettrés en arabe, d’héritages familiaux, notamment dans la Vallée du fleuve Sénégal et au Waalo, dans les bibliothèques des confréries ou des associations culturelles islamiques. L’IFAN a le privilège de disposer de quatre fonds exceptionnels dans son département « manuscrits », fondé depuis 1965 et qui sont : le Fonds Brevié, le Fonds Figaret, le Fonds Vieillard (voir le chapitre 7 de Souleymane Gaye sur le Fonds Vieillard) et le Fonds Kamara. L’examen plus approfondi du contenu de ces « Fonds » donnera une idée exacte de leur très grande importance historique. La contribution de Sénégalais et les efforts « d’exhumation », de traduction et d’impression de pièces rares par des « orientalistes » ou des administrateurs français au Sénégal rend ce pays incontournable pour l’étude du manuscrit africain. Ces Sénégalais, entre autres, ont pour nom Yoro Diaw pour ses « Cahiers », Amadou Wade pour sa « Geste », Siré Abass Sow pour son manuscrit et Cheikh Moussa Kamara pour son abondante production, absolument Repères historiques de l’écriture manuscrite ouest-africaine

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inégalable. Les Français concernés sont Faidherbe, Binger, Gaden, Delafosse, Houdas et Clozel, en plus de l’équipe de l’IFAN : Charles Mauny et Vincent Monteil, en particulier. Mauritanie « Les tribus nomades qui parcourraient le désert mauritanien n’étaient pas seulement formées de riches marchands, mais également hommes d’études, des savants et des lettrés qui nous ont transmis des écrits concernant tous les domaines de la connaissance humaine : c’était le monde de “l’université des sables” , une université itinérante à chameau... », s’étonne une italienne, Mme Laura Alunno, attachée culturelle de l’ONG Africa 70, en découvrant la Mahadrah, cette université itinérante et cet outil didactique, avec ses dizaines de milliers de « curieux » manuscrits. Il existerait, sur le territoire mauritanien, 300 bibliothèques de familles6, clans et tribus. La quasi totalité de ces manuscrits sont la propriété d’individus et collectivités maures ou pulaar. Cependant, certaines collections existent en milieu soninké et wolof. L’Institut mauritanien de recherches scientifiques (IMRS), créé en 1974, a pu rassembler, à lui seul et par rachat, près de 7 000 manuscrits. Un autre établissement public, l’Institut scientifique d’études et de recherches islamiques (ISERI), a racheté près de 4 000 pièces. Le reste, entre 80 000 et 90 000 unités dorment, dangereusement menacées par les intempéries, les insectes, la brutalité des usagers, la piraterie et l’oubli, dans des « bibliothèques » privées ou ce qui en tient lieu. En dehors de Nouakchott et des deux centres publics précités, il y a les quatre cités caravanières qui abritent des bibliothèques privées. Il y a aussi certaines capitales de Wilaya, de Moughata’a qui abritent des collections. Cependant, l’exception existe, concernant des agglomérations, rurales et nomades, que nous verrons plus loin. A titre d’exemple, à Chinguetti et Ouadane, villes décrétées patrimoine de l’humanité par l’Unesco, la seule bibliothèque privée (il en existe 34 autres), de la famille Habott de Chinguetti conserve près de 1 500 manuscrits dont certains sont des pièces uniques dans l’ensemble du « Dar el Islam ». L’autre exception du manuscrit mauritanien, c’est le volume de sa production propre dont 6.  Sous ce rapport, voir les statistiques fournies dans cet ouvrage, respectivement par Abdel Wedoud Ould Cheikh et Mario Sassetti

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les trois quarts sont écrits par des auteurs mauritaniens7. Ces manuscrits écrits localement sont des anthologies en arabe classique ou en arabe parlé mauritanien hassaniya, nawazel, des fatwas, chroniques, traités de sciences et techniques traditionnelles locales, monographies tribales, biographies, rihal, correspondances, jugements de cadis, testaments, etc. Il existe aussi des milliers de manuscrits archivistiques qui ont trait aux seules transactions commerciales et bancaires : reconnaissances de prêts, actes de ventes, contrats de services.

Contenus, état des lieux et perspectives Contenus Sénégal Le contenu des collections sénégalaises évoqué ici concernera les manuscrits proprement dits et les « manuscrits » assimilés. Les « manuscrits » assimilés concernent le travail d’Européens, qui ont compilé, traduit et imprimé des manuscrits et des témoignages relevant de la tradition orale en langues soudanaises (pulaar ou wolof). Ce sont : Béranger-Féraud pour ses Contes populaires de la Sénégambie, (Ed. Leroux, Paris,1880) ; Binger, Louis (1856-1936), ordonnance et homme à tout faire de Faidherbe dans ses Langues sénégalaises (1886); Clozel, Marie-François (1860-1918), diplômé d’arabe, gouverneur général de l’Afrique occidentale française (AOF), en 1915-17, à l’origine de la création du Bulletin du comité d’études historiques et scientifiques (BCEHS) de l’AOF, en 1915 ; Delafosse, Maurice (18701926), diplômé de l’Ecole des langues orientales (ELOV), et professeur de langues soudanaises ; Chroniques du Fouta, à partir du manuscrit de Siré Abass Sow (Ed. Leroux, Paris, 1913) ; Dezeltner, Franz, Contes du Sénégal et du Niger, (Ed. Leroux, Paris, 1913) ; Diaw (Dyao) Yoro, (1847-1919), chef de canton et écrivain, Cahiers de Dyao Yoro sur l’histoire du Kadyoor et du Waalo ; Equilibicq, François-Victor, Essai 7.  Sur la qualité et le volume des manuscrits mauritaniens, se référer au phénomène de « rumination » ou répétition du contenu de ces manuscrits d’auteur en auteur, au fil des siècles, décrit par Abdel Wedoud Ould Cheikh au chapitre 11. Cette vision est perçue comme réductrice par M. S. Ould Hamody. Repères historiques de l’écriture manuscrite ouest-africaine

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sur la littérature merveilleuse des Noirs, Tome I, (Ed. Leroux, Paris, 1915), Contes indigènes de l’ouest africain, tome II, (Ed. Leroux, Paris 1919) et La légende de Samba Guéladio Diégui, prince du Fouta, (Ed. NEA, Abidjan, Dakar, Paris, 1984) ; Faidherbe, Louis (1818-1889), Langues Sénégalaises ; Gaden, Henri (1867-1939), commissaire, puis gouverneur de Mauritanie (1917-1927) auteur de Tezkirett en-Nissian (1912-1914), Glossaire des chroniques du Fouta-30 (1925) et Proverbes peulhs et toucouleurs (1931) ; Houdas, Octave (1840-1916), professeur d’arabe à l’ELOV, traducteur du Tarikh es-Sudan (1898), du Tarikh el Fettach (1913) et Tezkirett en-Nissian (1912-13914) ; Steff (Capitaine), Histoire du Fouta Toro, rapport inédit logé dans la bibliothèque des Archives du Sénégal ; Wade, Amadou (1886-1961), un Wolof qui a écrit en wolofal ou ajami les Chroniques du Waalo sénégalais, 1185-1855, traduit en français par Cissé Bassirou en 1941, puis publié et commenté par Vincent Monteil de l’IFAN. Les manuscrits à proprement parler qui relèvent du fonds de livres manuscrits arabo-africains de l’IFAN sont décrits en 1959 par l’Anglais Charles Smith comme étant de « très grande importance historique ». Ils comprennent les titres suivants : Chronique de Walata (958-1329 H) par Mohamed al Mustapha Ben Oumar Ben Sidi Mohamed (copie en date de 1329 H, 1911 AD, Fonds Brévié 6) ; Histoire anonyme d’El Hadj Omar (FB 2) ; Miracles d’Ahmadou, fils d’El Hadj Omar (FB 12) ; consultation juridique (fatwa) du Cheikh Mokhtar ould Ebi Bark al Kounti Sur la différence entre le butin et le vol (FB 18) ; copies (1840) d’une correspondance entre Mohamed Bello, Emir haussafulani de Sokoto, et, l’Emir Ahmadou du Macina (FB 17) ; Lettre de Mohamed al Maghîli à l’Askia Mohamed (deux copies, datées respectivement de 1715 et 1822 (FB 20 et 22) ; sept questions posées par l’Askia Sonrai (1493-1528), au théologien algérien al Maghilî au sujet de takfir (apostasie) ; Histoire du Fouta-Djallon par Modi Diallo Ben Modi Abdallah, (1287 H, 1870 AD), FB 27 ; Tedhkirett en-Nissian, copie du texte de 1751, édité et traduit par Houdas (voir plus haut) ; copie datée de l’année 1855 du Tezyîn al waraqât d’Abdallah Dan Fodio (frère d’Ousmane) ; Sur l’histoire du Mali et du Tekrour, compilation d’œuvres de Ja’far ben al Mehdi avec traduction jointe (FB 5) ; Infâq al maysûr de Mohamed Bello, texte édité par Whitting en 1949 (FB 14) ; les huit premiers chapitres du Tarikh es-Sudan (FB 25).

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Les manuscrits « autochtones » du Fonds Vieillard (l’inventaire de cette collection) a été fait, en 1966, par le spécialiste guinéen Thierno Diallo. Il concerne le Fouta Djallon, le Niger et le Macina. Citons, parmi ses composantes originales le Tarikh des peuples de Guinée et un coran bilingue arabe/peul. Le Fonds Cheikh Moussa Kamara comprend : a) des manuscrits à caractère historique : Tarikh de Dara sur les Zagawas (4 feuillets manuscrits, IFAN 8) ; Auto-biographie (64 feuillets, mss.1) ; Exhortations des partisans du jihad, (36 feuillets mss 95) ; Chefs maures et peuls du Fouta de 1937 (183 feuillets, mss. 5 et 134, feuillets mss.6) ; Histoire des Yalalbés (105 feuillets, mss.7 et 50 feuillets, mss.11) ; Histoire du Fouta Toro en 1921 (867 feuillets, mss. 2 et 3) ; b) des manuscrits à caractère religieux (8 mss.) ; c) des manuscrits juridiques (4 mss. dont un sur la licéité du tabac en usage modéré (« raf’i el hazji ») ; d) des manuscrits scientifiques sur la médecine chez les Peuls, les Bambaras et les Toucouleurs ; e) des manuscrits littéraires (4mss.) : grammaire-commentaire de l’Alfiya d’ibn Malek ; exégèse des Mou’alaghat, ouvrage sur les sciences métriques et prosodiques ; un commentaire sur une œuvre d’Al Souyouti ; Cheikh Moussa Kamara. Mali Les noms de Mahmoud Kati, Ahmed Baba et Abderahmane Es-Saadi symbolisent le passé et le présent de ces manuscrits. a) Mahmoud Kati est l’auteur du Tarikh el Fettach ou Chronique du chercheur qui retrace les événements du Soudan occidental au Moyen Age. Trois mille manuscrits, dont des originaux de sa main et des ouvrages de l’Askia Mohamed appartenant à l’historien Ismaïel Diadié Haïdara ont été, depuis le 27 septembre 2000, transformés en « Fonds Kati ». Dans la note biographique, Tedzkirett al Ikhwan (Le rappel des frères) sur sa famille d’Espagne, il se Repères historiques de l’écriture manuscrite ouest-africaine

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présente comme « Mahmoud Ben Al Billahi Ziyyad al quouti al Andaloussi al Wakari ». En effet, les Banu-l-qûti (Ka’ti) ont quitté Toléde en mai de l’an 1468. Ali Ben Ziyyad, le père de Mahmoud Kati, s’installait, aussitôt, à Goumbou en pays soninké. Il contracte mariage en 1470, avec une Sylla, la mère de Mahmoud. Plus tard, la famille des Kati se métisse avec des « renégats » portugais, en 1591 et avec des commerçants Séfarades à Fès, en 1766. b) Ahmed Baba a son nom lié au Centre Ahmed Baba de Tombouctou créé, à l’initiative de l’Unesco, par le gouvernement malien, en 1970. Le Centre, inauguré en 1973 et devenu l’Institut des hautes études et de recherches islamiques Ahmed Baba (IHERIAB), rassemble et protège plus de 25 000 manuscrits. Il est, à ce jour, pour le nombre d’unités, la plus importante institution spécialisée en manuscrits. En plus des documents provenant de l’Orient musulman, l’Institut renferme l’essentiel de la mémoire de l’Afrique de l’Ouest et, en particulier, des sociétés maure et touareg, haoussa, pulaar, sonrai, soninké et manding. Tous les manuscrits sont écrits en alphabet arabe, quoique beaucoup de pièces sont rédigées dans d’autres langues soudanaises, comme le peul, et le sonrai surtout. Depuis mai 1997, il existe, parallèlement à l’Institut, une association culturelle et scientifique dénommée Club Ahmed Baba. Son but statutaire est de « jeter les ponts entre les générations, entre les cultures, entre passé et présent, francophones et arabophones, érudits et les autres (...) ».

Fils d’un exégète du medh de la famille Mohamed Aghit, Ahmed Baba est né à Tombouctou le 26 octobre 1556 (certains historiens le font naître à Arawan en 1553). Durant l’invasion de Tombouctou, en 1591, par les troupes marocaines, il est déporté dans ce pays en 1593, puis relâché mais interdit de séjour au Soudan. Il entreprend de rendre des fatwas mais refuse d’exercer les fonctions officielles de moufti. Il rédige, à partir de sa résidence forcée au Maroc, la moitié de ses 58 œuvres. Il est enfin autorisé, en 1601, à revenir au Soudan où il s’éteint le 22 avril 1621.

c) Abderahmane es-Sa’adi est né le 28 mai 1596 à Tombouctou. Il achève son Tarikh es-Sudan (Histoire du Soudan) en 1655 et serait mort peu après. Contrairement à ses prédécesseurs, ce grand chroniqueur n’aurait pas laissé de bibliothèque.

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Photographie : Kane Figure 1 : Pages intérieures du Tarikh es-Sudan de Saadi

Mauritanie On se contentera ici, d’établir une liste significative des ouvrages les plus importants par leur charge symbolique et historique, et qui, pour la plupart, continuent d’alimenter le savoir traditionnel, dans les grandes écoles, instituts et facultés modernes, mais aussi dans les « universités du désert », les fameuses mahadrah. Ces ouvrages-symboles qui font le bonheur de tous les bibliophiles mauritaniens sont recherchés et pieusement conservés comme les « joyaux » de la malle ou de la pièce des manuscrits. Histoire des faits et idées Le plus ancien des manuscrits est le Siyasse ew el ichara fi tedbiri el imara (La politique ou les indications de la conduite de l’émirat) dont l’auteur, Ebi Bakr ibn Al Hassen Al Mouradi Al Hadrami, serait le fameux El imam al Hadrami, conseiller écouté du chef Almoravide mort à Azougui en 489 de l’hégire. Le manuscrit, splendide traité d’un machiavélisme avant la lettre, a été publié en arabe, au Maroc, en 1981, Repères historiques de l’écriture manuscrite ouest-africaine

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par le Dr Sami Ennechar, aux éditions Dar Theghafa de Rabat. Un autre auteur du sud-ouest mauritanien (la guebla), Cheikh Mohamed al Yedaly 1096 H/1685-1166 H/1753), a écrit trois traités qui éclairent sur l’histoire de cet important émirat, le Trarza, limitrophe du Sénégal. Ils ont pour titre Chiyem Zewaya (Caractère des hommes de lettres ou marabouts), Amr al wali Nasser ed-din (Les vertus de Nasser ed-din), Rissalet en-nashiya (Epitre de conseils). Le manuscrit est publié en 1911 par les éditions Leroux sous le titre Chroniques de la Mauritanie sénégalaise, avec traduction française et notes de Ismaïl Hamet. En I990, le professeur Mohameden Ould Babah les republie avec notes et présentation. Presque partout à travers le pays, des chroniques ont été retrouvées dans les mosquées où les événements proches ou éloignés étaient plus ou moins régulièrement consignés ; elles ont joué un rôle significatif dans l’enregistrement de l’histoire du pays et des contrées voisines. Parmi elles, celles de Néma et de Oualata, annotées et traduites par Paul Marty, et Tichitt, annotée et traduite par Vincent Monteil, toutes publiées par la Revue des études islamiques. Les manuscrits mauritaniens renferment des centaines de monographies tribales et plusieurs ouvrages de biographies d’ayan (célébrités politiques, spirituelles et intellectuelles). Le plus remarquable recueil de biographies reste Fath Choukour fi tarjameti Oudebaa Tekrour (Biographies des lettrés du Tékrour) de Mohamed ibn el Benani el Bertely de Oualata (décédé en 1805) qui présente plus de 200 intellectuels ou érudits qui ont vécu entre 1650 et 1800. Les collections des bibliothèques de Mauritanie contiennent des centaines de récits de gens pieux relatant les heurs et malheurs de leurs voyages aux Lieux saints de l’islam. La plus célébre de ces chroniques reste celle de Taleb Ahmed Ould Toueir al Jenna de Ouadane (mort en 1265H, 1849), publiée, en anglais, en 1977, par Norris qui a utilisé le manuscrit 2722 de l’IMRS ; la chronique a été éditée au Maroc, en 1995, dans sa version originale. Anthologies, recueils et odes Les anthologies poétiques et les manuscrits de recueils sont souvent à la place d’honneur dans les collections publiques et privées. Ils peuvent

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varier des louanges versifiées du Prophète (les Medh), aux odes traitant de l’amour courtois ou de la complainte de l’exilé, jusqu’aux compositions codifiant la grammaire, le droit islamique ou la médecine traditionnelle. Le plus ancien poète dont on ait conservé le manuscrit de ses œuvres est Sidi Abdoullah ibn Maham el Alawi Chinguitti dit Ould Razga (10601144 H) dont le Diwan (recueil) a été publié en 1886. Le célèbre traité de médecine traditionnelle de Aoufa Ould Abou Bekrin Ould Etfagha Massar (1780-1850), composé en 1182 vers, est de la forme dite ennadhem (écrit en vers) employée, couramment, pour les ouvrages didactiques. Le poème El’ Omda (« la base, l’appui du médecin ») qui existait en 7 manuscrits a été traduit et publié en français, en 1943, dans le tome 5 du Bulletin de l’Institut français d’Afrique noire (BIFAN). Ecrits religieux La plus grande partie des collections de manuscrits mauritaniens, localement écrits ou commentés dans les marges ou représentant des exégèses d’autres écrits appartenant à des sphères de différentes civilisations, traite de sujets strictement religieux : sciences du Coran (copies du Livre saint, exégèses des écritures, traditions du prophète, biographies du prophète, etc.), fiqh (notamment nawazel, fatawas sur la jurisprudence « mauritanienne » et traités de malékisme), etc.

Etat des lieux et perspectives L’état des collections et les perspectives les concernant seront envisagés par rapport au seul contexte mauritanien. Cependant, les similitudes de genres, d’époques, de conditions de conservation présente, et les faiblesses des moyens humains et financiers dont disposent les institutions culturelles des pays francophones subsahariens atténuent aussi les disparités. A ce titre, les solutions que la Mauritanie découvrira pour sauvegarder, puis valoriser son héritage en manuscrits pourraient servir de modèle aux autres pays de la sous-région confrontés à des défis comparables. La république islamique de Mauritanie est, comme le disait le directeur général de l’Unesco, Amadou Makhtar Mbow, dans son appel de 1981, qui introduit l’opuscule Cités-mémoires du désert : campagne internationale pour la sauvegarde des villes anciennes de

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Mauritanie, « (une) ... terre carrefour où se rencontrent l’Andalousie, le monde arabe et l’Afrique sahélienne [...] ».

L’état des manuscrits Considérons, d’abord, les caractéristiques spécifiques du « manuscrit mauritanien » : Ambivalence des fonds. Cela peut aller, par exemple, de l’ouvrage volumineux de plusieurs tomes au menu reçu de reconnaissance de dettes d’un quart de page. De ce point de vue, il ressemble au manuscrit médiéval occidental qui n’établissait pas de démarcation entre le livre et le document archivistique. Propriété et détention privées des Fonds. Les collections publiques, avant la création de l’IMRS, puis de l’ISERI de Nouakchott, se limitaient aux Awghaf (mainmortes de bienfaiteurs à usage public, inaliénables) des mosquées et de certaines cités précoloniales. Toute approche de sauvegarde, ou autre, exige de se préoccuper, en priorité, de l’encadrement, du soutien et du suivi des « bibliothèques » privées. Patrimoine familial. Les collections constituent un emblème, un écusson, un blason pour la famille, le clan ou la tribu. L’accès en est réservé quand la confidentialité de certaines pièces n’est pas totale. Importance et extrême dispersion. Au minimum, la Mauritanie compte, tous genres confondus, entre 80 000 et 90 000 manuscrits dont 80% de fonds privés, selon les estimations de l’IMRS. Dangers qui menacent les manuscrits et efforts déjà entrepris. « En Mauritanie où la masse des manuscrits anciens dépasse en volume et en importance ceux de la plupart des pays du Sahel, un travail d’identification et de sauvegarde a été entrepris, avec persévérance et succès, par les chercheurs et les spécialistes aussi bien Mauritaniens qu’étrangers [...] », nous dit Attilio Gaudio, ce grand connaisseur de la Mauritanie et du Sahara. Et ils en avaient bien besoin, ces manuscrits mauritaniens victimes du prestige tout nouveau de l’imprimé, de la dépréciation des disciplines traditionnelles dont ils étaient le matériel didactique, par excellence. L’action de réhabilitation est venue de trois directions complémentaires : l’Etat mauritanien seul ou en coopération

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Photographie : Hamody Figure 2 : Lettrés mauritaniens examinant des manuscrits

avec des partenaires étrangers, les familles ou communautés propriétaires de fonds de manuscrits, des mécènes de l’extérieur sensibilisés, pour une raison ou une autre, au sujet des déplorables conditions de conservation des manuscrits. Depuis 1974, les pouvoirs publics mauritaniens ont créé l’Institut mauritanien de recherches scientifiques avec, entre autres, mission de se charger « [...] de la collecte des manuscrits, de leur micro-filmage, de l’établissement de leur inventaire et de leur exploitation [...] ». Entre les années 1978 et 2000, l’IMRS a pu acquérir près de 8 000 manuscrits sur fonds propres et assurer, en 1990-1994, le catalogage de 250 de ses manuscrits grâce à un financement espagnol. Avec l’aide de la République fédérale d’Allemagne, l’IMRS a réalisé le micro-filmage de 2 500 manuscrits et le micro-fichage de 10 250 autres. Avec des financements français (publics et privés), l’Institut a pu mener à bien l’inventaire complet de 1 200 manuscrits au Tagant et au Gorgol et 2 000 autres en Assaba. Avec la même coopération française, un catalogage est en cours pour les 4 000 manuscrits de Chinguetti et Ouadane en Adrar. L’IMRS a bénéficié également d’aides ponctuelles de L’Unesco Repères historiques de l’écriture manuscrite ouest-africaine

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et d’une organisation islamique de Londres, Al Furqan Islamic Heritage, pour diverses actions. Les propriétaires de bibliothèque se remarquent, de plus en plus, par un activisme né de leur prise de conscience de l’importance (historique, affective et comme élément de prestige, mais économique aussi), de leurs trésors familiaux en manuscrits. Depuis les années 1980, on a constaté, de leur part, sur fonds propres ou grâce à des aides, des actions sérieuses de réhabilitation d’importantes bibliothèques traditionnelles telle la fondation Cheikh Mohamed el Mamy à Nouakchott, la bibliothèque El Habott à Chinguetti, la Zaouiya de Sidi Abdoullah Ould Hadj Brahim à Tidjikja, la bibliothèque El Taleb Mohamed à Tidjikja, la bibliothèque commune d’Ehl abd El Moumen à Tichit, la bibliothèque de Haroun Ould Cheikh Sidiya à Boutilimit (objet d’un catalogage). Ajoutons, pour en finir avec les grandes réalisations des bibliothèques privées, leur initiative de créer, en 2000, une association nationale, pour se rassembler et traiter tant avec le gouvernement mauritanien qu’avec tout autre partenaire. Une action individuelle menée par le spécialiste allemand, Ulrick Rebstock, en collaboration avec Ahmed Ould Mohamed Yahya, responsable du département des manuscrits à l’IMRS, pour le compte de « Al Furqan », mérite d’être mentionnée. Il s’agit de la publication, en 1994, à Londres, d’un catalogue intitulé Handlist of Islamic Manuscripts of Shinqit and Wadan. Le catalogue décrit 1 406 manuscrits selon les normes internationales de catalogage. Al Furqan a également publié dans son Volume IV of World Survey of Islamic Manuscripts, d’importantes sources d’information, après avoir visité 13 localités et répertorié 2 239 manuscrits de 96 bibliothèques. Mme Balagna, ancienne responsable des manuscrits à l’Institut du monde arabe assure que le document « [...] (est) un travail de valeur capitale pour l’histoire de la Mauritanie et celle du livre arabe [...] », (in « Handlist of Islamic Manuscripts of Shinqit and Wadan »).

Perspectives Il n’y a assurément pas de perspectives sans une politique claire, programmée et réaliste de sauvegarde, puis de valorisation des manuscrits

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et qui exige de faire le bilan des diverses actions déjà entreprises ; de procéder au recensement de ce qui reste à faire ; d’entreprendre des actions suivies, balisées juridiquement (par des conventions et une législation interne) ; de pallier l’absence de personnel local qualifié par une formation théorique et pratique (gestion des bibliothèques, inventaire, catalogage, micro-fichage, numérisation, encouragement des vocations). Pendant longtemps, les adversaires de cette politique ont nié l’importance et l’urgence de la sauvegarde du patrimoine écrit de l’Afrique de l’Ouest en général, et de la Mauritanie en particulier. Ils estimaient, en effet, que « les manuscrits étaient des redondances (copies et/ou copies de copies) d’anciens textes ou de textes trop récents ( XIXe ou XXe siècles) ou qu’ils ne traitent que de sujets islamiques ». Nous sommes, bien entendu, opposés à de telles vues. Pour la sauvegarde/valorisation du patrimoine mauritanien de manuscrits, nous nous limiterons à présenter quelques actions significatives de notre point de vue. Le ministère de la Culture et des affaires islamiques a défini sa « stratégie quinquennale d’action culturelle 1997-2001 », en matière de manuscrits comme suit : collecte des manuscrits auprès de leurs détenteurs ; publication de ceux dont l’originalité est avérée ; appui aux bibliothèques privées ; création de centres de manuscrits dans les villes et villages de l’intérieur ; mise à la disposition des chercheurs des manuscrits ; mise en place d’un laboratoire de restauration des ouvrages abimés. Et comme le disait, avec son inépuisable humour et sa très grande sagesse, le professeur émérite Théodore Monod : « Les manuscrits conservés en Mauritanie n’ont pas attendu d’être découverts ».

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GLOSSAIRE AJAMI : terme arabe qui veut dire celui qui ne parle pas l’arabe. Indistinctement de sa religion. ALFIYA : dite encore « alfiyett » ; ibn Malik, « codification en vers de la grammaire arabe ». AL SOUYOUTI (Jelal Ed-dine) : auteur d’un livre de référence de son époque (vers 1500) intitulé Kitab ar-rahmane fi tibb we el Hikma, littéralement « le livre du miséricordieux pour le bien et la sagesse ». ASSABA : région historique et wilaya de Mauritanie. AZOUGUI : village et oasis à quelques kilomètres de la ville d’Atar, chef-lieu de l’Adrar mauritanien. Azougui aurait été la dernière capitale des Almoravides en Mauritanie, avant les épopées marocaine et andalouse des Almoravides. Des fouilles y ont révélé également les fondations de comptoirs portugais du XVe siècle. BAMBARA : ethnie du groupe des mandingues et parler qui servit longtemps de lingua franca au Soudan occidental. Son centre est l’actuel Mali. BILAD CHENGHETT : « [...] the name of town (shinqit and Chinguetti in French) was letter extended to embrace the territory now occupied by Islamic Republic Of Mauritania and Spanish Sahara [...] » H. T. NORRIS, in Bulletin de l’IFAN, Tome XXIV, n° 3-4, Dakar, juilletoctobre 1962, page 394, note 5. BOUTILIMITT : importante agglomération datant du début de la colonisation. Ville de l’importante personnalité religieuse et historique, Babe Ould Cheïkh Sidiya. Elle est entourée de nombreuses et réputées Zaouiya(s) et mahadrah(s). Sa bibliothèque est de grande notoriété. CHEIKH MOUSSA KAMARA : lettré torodo (1864-1945), ami et disciple de Cheikh Saad Bouh, protégé du gouverneur de Mauritanie, Henri Gaden ; il rédigea, dans les années 1920, une Histoire des Noirs, le Zuhûr al-basâtin fi Ta’rikh al-Sawâdin (Florilège au jardin de l’histoire des Noirs). Cet ouvrage raconte les chroniques des périodes de gloire de Sokoto, du Mali, du Macina, du Wagadou, du Mandé, de Ségou, du

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Kaarta, du Khasso, du Gajaga, du Guidimakha et du Hayré. Le volume I de cette monumentale œuvre, consacré au Fouta Toro, a été publié sous la direction de Jean Schmitz par les éditions du CNRS à Paris, en 1998. Ce travail de titan place, assurément, Cheikh Moussa Kamara au niveau des grands chroniqueurs « maliens » et « mauritaniens ». En tant que biographe, Cheikh Moussa Kamara est, pour la Mauritanie du sud, ce que Sid Ahmed Ould el Elemine el Alawi, au début du siècle passé, a été pour la Mauritanie du nord. Par la diversité de ses écrits et son érudition universelle, il rappelle un autre Mauritanien, disparu il y a quelques années, l’encyclopédiste Mokhtar ould Hamidoun. CHINGUETTI : ville mauritanienne de l’Adrar datant du XIIe siècle et décrétée, par l’Unesco, « patrimoine protégé de l’humanité », mémoire architecturale, réservoir de bibliothèques familiales. Elle se trouvait sur la route caravanière qui reliait le Tafilalet marocain à l’ouest du Soudan occidental (actuel Mali) ; voir la note bibliographique du professeur Norris. DYULA : terme qui désigne « le commerçant » en bambara et une variante de ce parler. FATAWA(S) : (sing. Fatwa) opinion ou décision concernant la doctrine ou le droit religieux émise et rendue publique par une autorité reconnue, souvent un mufti. FIGH (FIQH) : jurisprudence. Science qui traite de l’observation des rituels, des principes des cinq piliers de l’islam et de la législation sociale. FOUTA : régions et entités politiques précoloniales habitées par les Hal poular (ceux qui parlent la langue des peuls ou foulbés), les plus notoires étant le Fouta Djallon et le Fouta Toro. FOUTA TORO : région sur les deux rives mauritanienne et sénégalaise du fleuve Sénégal, essentiellement, poullophone et Etat théocratique islamique indépendant avant la colonisation. FULANI : synonyme du terme endogène « poular » (pulaar) ou parler des « hal poular » ou « ceux qui parlent le poular ».

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GORGOL : région historique, wilaya de Mauritanie et nom d’un affluent du fleuve Sénégal. Elle jouxte le pays du même nom avec lequel elle partage une des langues nationales et une longue histoire. HABOTT : famille mauritanienne de Chinguitti qui possède une importante bibliothèque de manuscrits rassemblés au XIXe siècle par leur ancêtre éponyme. HADITH : aphorismes, dires, sentences, etc., du prophète rapportés par ses proches (famille et compagnons). HAOUSA : parler et ethnie ouest-africaine, essentiellement, localisés au Nigéria et au Niger. JIHAD : littéralement, lutte. Elle veut dire lutte religieuse de conquête et /ou de résistance, mais aussi lutte mystique intérieure dite encore « El jihad el ADHAM » ou la grande lutte. Kifâyat al Mouhtâj : recueil de biographies (662) des docteurs de l’école malikite publié par Ahmed Baba de Tombouctou en 1005H/1596. Son intitulé complet est « Kifâyet al-mouhtâj li ma’rifeti men layssa fi edibaj » ou « choses suffisantes pour celui qui a besoin de connaître ceux que le “Dibaj” ne mentionne pas. » (Il s’agit du Dibaj el mathaheb rédigé en 805 H/1397 par le savant médinois Ibn Farhoun). HASSANIYA : dialecte arabe par référence aux tribus Beni Hassan qui s’installèrent au Sahara Atlantique à partir du XVe siècle. Appelé aussi « maure » et est le parler des arabophones du Draa, du Sahara occidental, de la Mauritanie et de la région nord-occidentale du Mali. KAYOOR (KADYOOR) : importante région du Sénégal, en pays wolof ; a été un royaume. KIFAYET EL MOUHTAJ : la traduction de cette opuscule est : « la chose qui suffit à celui qui est dans le besoin. Besoin, ici, est « spirituel». MEDERSAH : école théologique islamique. A prêté aussi son nom aux premières écoles d’« otages » puis des « fils de chefs » ou « franco-arabes » en Mauritanie, Tombouctou, Saint-Louis du Sénégal, notamment.

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MEDH : glorification d’Allah et panégyrique de son Prophète (comme le Gospel afro-américain). Essentiellement pratiquée par les esclaves et assimilés dans les pays maures. MOUALAGHATT : littéralement « les suspendus ». Tantôt sept poèmes, tantôt dix (suivant les versions) primés durant des « olympiades » antéislamiques de la poésie que les arabes organisaient en une foire, à Okaz (située dans le territoire de l’actuelle Arabie Saoudite). Les meilleurs poèmes étaient suspendus dans les tentes des grands notables, en guise de distinction honorifique. MOUGHAT’A : sous divison, en Mauritanie, de la wilaya ( région). Le pays compte une soixantaine de moughat’a (s) et treize wilaya (s). NAWAZEL(S) : question « posée » en matière de figh ou droit religieux. Recueil de consultations juridiques sur des cas inédits. L’autorité qui émet un avis utilise souvent le qiyass ou l’exemple. NEMA : ville mauritanienne du Hodh oriental (près du Mali) ; date du XVIIe siècle. OUADANE : ville mauritanienne de l’Adrar datant du XIe siècle et décrétée, par l’Unesco, « patrimoine protégé de l’humanité », mémoire architecturale, réservoir de bibliothèques familiales et située au milieu d’une véritable mine de trésors archéologiques. Elle se trouvait sur la route caravanière qui reliait le Tafilalet marocain à l’ouest du Soudan occidental (actuel Mali). OUALATA : ville historique mauritanienne du Hodh oriental datant du XIe siècle et décrétée, par l’Unesco, « patrimoine protégé de l’humanité », mémoire architecturale. Elle se trouvait sur la route caravanière qui reliait le Tafilalet marocain à l’ouest du Soudan occidental (actuel Mali). POULAR (PULAAR) : également désigné sous les vocables suivants : « Peulh », « foulbé » et « toucouleur », cette dernière dénomination étant d’origine coloniale. Le poular est le parler d’un très important groupe linguistique, essentiellement, localisé au Mali, en Mauritanie, au Sénégal, mais aussi au Cameroun, au Nigéria et au Niger, cependant, disséminé, en réalités, en de nombreux autres pays de la bande sahélienne africaine.

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SIRE ABASS SOW : auteur torodo, auteur d’un fameux livre sur l’histoire du Fouta Toro sénégalo-mauritanien. SIRRA : biographie. Mais, en Islam, ce mot a le sens de la narration de la vie du Prophète Mohammed. SONHRAY (SONRAÏ) : ethnie malienne à l’origine de l’empire soudanais du même nom qui englobait, notamment Gao, Tombouctou, etc. SONINKE : (dit quelquefois « Sarakollé » dans d’autres langues). Ce groupement humain, essentiellement, localisé sur les deux bords du Fleuve Sénégal, entre Kayes et Kaédi, au Mali, du Sénégal à la Mauritanie, serait à l’origine de l’empire du Ghana. SOUDAN : ici, il s’agit du Soudan occidental (actuel Mali et des parties importantes du Burkina, Mauritanie, Nigéria, Niger, Sénégal, etc.), qui est un diminutif de « Bilad Soudan » ou « pays des Noirs ». SOUNNAH : usage (PL. Sunan). Terme général appliqué aux us et coutumes des nations. Mais, en islam, elle désigne, avant tout, les paroles et les actes de Prophète Mohammed donnés en exemple, comprenant ce qu’il a approuvé, autorisé ou absous lorsque, sous la pression de circonstances, il a dû se prononcer sur les actes, les décisions et les pratiques de tiers. La Sunnah englobe, aussi, ce qu’il s’est, lui-même, abstenu de faire, ce qu’il désapprouvait. TAGANT : région historique, émirat et wilaya (gouvernorat) de Mauritanie. Situé au centre du pays, elle renferme le tombeau d’Aboubakar Ibn Amer, fondateur de la dynastie des Almoravides. TAMACHEQ : parler berbère de la grande famille amazigh. Il est parlé par les Touaregs (Algérie, Mali, Niger, Burkina Faso, etc.). TEKROUR : nom d’un Etat mythique qui s’étendait depuis Tombouctou jusqu’au Fouta Toro, en passant par les actuels Hodhs mauritaniens. C’est, peut-être, de là que vient l’expression « toucouleur » pour « Hal poularen » complétement inconnue et ignorée par les intéressés. TEZYINE AL WARAQAT : qui veut dire : « l’amélioration, la décoration des documents ».

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TICHITT : ville historique mauritanienne du Tagant datant du XIe siècle et décrétée, par l’Unesco, « patrimoine protégé de l’humanité », mémoire architecturale et réservoir de bibliothèques familiales de manuscrits. Elle était située sur la route caravanière qui reliait le Tafilalet marocain à l’ouest du Soudan occidental (actuel Mali). TIDJIKJA : importante ville de la Mauritanie, chef lieu de la wilaya du Tagant ; elle compte une trentaine de bibliothèques familiales de manuscrits. TORODO : classe hal pulaar de lettrés de la vallée sénégalomauritanienne du fleuve Sénégal qui se consacrent à l’acquisition du savoir religieux (islamique) et à sa diffusion. Contrairement à l’échec de la révolution des lettrés maures à la fin du XVIIIe siècle, ils ont réussi la leur en créant leur système politique dirigé par des Almamys (chefs religieux) cooptés par des pairs. WAALO : importante région et royaume du Sénégal vers l’embouchure du fleuve faisant face à la région et émirat du Trarza mauritanien. WOLOF : ethnie sénégalaise et lingua franca au Sénégal ; les wolofs se rencontrent aussi en Gambie et en Mauritanie. YALALABES : région du fleuve Sénégal (mauritano-sénégalaise) habitée par des locuteurs poular. YORUBA : ethnie et parler ouest-africains. Les Yorouba sont, essentiellement, localisés dans l’ouest du Nigéria, ils se rencontrent, aussi, au Benin, Togo, etc. ZAOUIYA : dérivé de « zaoui », littéralement, lettré, marabout. Lieu pour enseigner (mahadrah) ou siège d’une confrérie islamique.

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CHAPITRE 6 Savoirs endogènes, quête de sens et écritures ouest-africaines Mamadou Cissé Résumé Depuis la plus haute Antiquité, l’Afrique a toujours connu l’écriture. Cependant, les distorsions historiques empreintes d’idéologie coloniale et d’assimilation culturelle, ont essayé de démontrer le contraire. Cet article vise à rétablir les faits sur les systèmes graphiques endogènes et à interroger les manuscrits anciens en langues locales avec la graphie arabe (ajami), en tant que sources de construction des savoirs en Afrique de l’Ouest. Une telle démarche est urgente et doit être menée en parallèle avec le catalogage et la numérisation des manuscrits. Ceux-ci doivent être réhabilités comme sources incontournables d’informations de première main qui doivent être soumises au discours scientifique sur l’histoire de l’Afrique. Décrits, analysés et interprétés, ils pourront contribuer à une meilleure compréhension des réalités africaines.

L

’Afrique serait-elle un continent sans écriture et, par conséquent, en dehors de l’histoire, comme le soutiennent encore les thèses afro-pessimistes ? Comment se fait-il que de telles affirmations, scientifiquement et rationnellement infondées, tiennent encore une bonne place dans certains de nos manuels scolaires, dans nos ouvrages les plus prestigieux et dans les médias ?

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L’Afrique regorge, depuis la haute antiquité, d’un foisonnement de systèmes d’écritures et de signes d’inscription du sens. Une conception révisionniste de l’écriture et de l’histoire voudrait l’exclure de cette grande aventure de l’humanité. Marginalisés, niés, ou simplement occultés, ces codes ont été péjorativement stigmatisés et mal interprétés par le discours ethnographique. Savoirs cachés, ils demeurent des lieux de mémoires à revisiter et à réhabiliter pour une meilleure compréhension de l’Afrique dans son passé, son présent et ses aspirations futures légitimes. Il ne s’agit donc point de la re-traditionnaliser, mais d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherches transversales. Que l’Afrique occidentale ait, par la suite, emprunté des systèmes d’écriture étrangers, n’a rien d’extraordinaire. C’est un phénomène courant dans les civilisations d’ouverture. Le coréen, par exemple, a emprunté 70% de ses idéogrammes au chinois. La plupart des langues du monde utilisent des caractères latins comme base d’écriture. Empruntée ou non, tant qu’une écriture aura servi à inscrire du sens, produire des connaissances et communiquer des valeurs, elle mérite qu’on s’y intéresse et qu’on l’interroge comme source d’informations et de traces. Surtout lorsqu’elle est marginalisée.

Ecriture et antiquité soudano-sahélienne S’il est vrai que l’origine de l’écriture permet de retracer les grandes lignes de l’aventure humaine dans le domaine de la représentation graphique, les faits historiques en Afrique et, à bien des égards, dans d’autres cultures et en d’autres lieux du monde, viennent corroborer le fait que l’Afrique a toujours écrit. Ceci amène à s’interroger sur le concept même d’écriture. Si l’on définit l’écriture comme un moyen de communication visuelle dont le but est de se substituer au langage articulé, on confirmera avec Battestini1, que cette aventure a été initiée en Afrique qui est aussi le berceau de l’humanité. La survie de tout groupe humain passe nécessairement par l’exploitation de l’inscription du sens. L’inscription du sens découle 1.  Battestini Simon, African Writing and Text, Legas, Ottawa, 2000 [transl. by Henri G.J. Evans from Ecriture et texte, contribution africaine, Les Presses de l’université Laval, Québec, Présence Africaine, Paris, 1997, voir ch. 10. Savoirs endogènes, quête de sens et écritures ouest-africaines

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de la reproduction des lignes et symboles graphiques sur n’importe quel support. On en conclura que le concept d’un continuum, allant de l’idéogramme au phonogramme, et celui de l’écriture, conçue comme système de transcription de l’oral, n’est valable que dans une conception très restreinte de la communication. Les signes et les symboles des systèmes graphiques endogènes d’Afrique expriment concrètement ce que la parole ne dit pas. Ils n’ont pas pour fonction de la figer. La parole n’est qu’un moyen d’expression parmi tant d’autres. Tous les modes graphiques servant à conserver et transmettre les savoirs endogènes sont des éléments centraux dans le processus de réflexion autour de la genèse de la communication écrite. Un siècle après le décryptage de leur écriture, lit-on dans Le Monde du 3 avril 2010, on sait maintenant que l’idiome parlé par les bâtisseurs du « pays koush », dans l’actuel Soudan, était purement africain, le premier du genre à être écrit. Ils ont laissé de vastes nécropoles, des pyramides pointues, des palais majestueux. Ils ont régné sur toute la vallée du Nil entre les VIIIème et VIIème siècle avant notre ère.

En dépit de l’étude critique de ces faits bien établis qui devraient bouleverser nombre de perspectives considérées comme acquises, l’Afrique continue encore d’être qualifiée de continent sans écriture, ou qui n’en aurait pas du tout. L’écriture lybique (nom que donnaient les Grecs à toute l’Afrique), aux VIIe et VIe siècles avant notre ère, est dite empruntée au phénicien, via le punique. Elle fut frappée d’anathème, pour des raisons théologiques et associées à des pratiques païennes et magico-religieuses. Le tifinagh est, selon Delafosse2, « utilisé par les Touaregs pour des rites magiques. Ses caractères sont très proches du grec. Quelques femmes seulement en détiennent l’usage, et s’en servent pour tracer des devises sur des tambours, des boucliers de cuir ou autre objets ; on rencontre parfois des inscriptions tifinar (sic), mais les descendants de ceux qui les ont tracées sont incapables de les lire ». D’ailleurs, le tifinagh est, toujours selon lui, « excessivement rare chez les Touaregs du Soudan et du Sahara soudanais [...] Quant au Lybicoberbère, poursuit-il, les Zenagah en ont complètement désappris le maniement3 ». Le vaï (1833) et le bamoun (début des années 20) sont, à 2.  Delafosse Maurice, Haut-Sénégal-Niger (Soudan français). Première série. Tome I, Le pays, les peuples, les langues, E. Larose, Paris, 1912, p. 375-389. 3.  Ibid.

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ses yeux, les seules langues nègres qui possèdent un système graphique non emprunté. Ils sont de création contemporaine et d’inspiration aisément traçable. L’écriture va au-delà d’une conception qui veut la restreindre dans le modèle phonologique, synthétique et analytique. La rupture épistémologique se situe au niveau du rapport entre les signes symboliques et leurs divers supports. Pour que les signes agissent comme catalyseurs, les liens de filiation de l’écrit avec son support graphique ne doivent pas être interrompus. Même avec l’avènement des phénomènes d’emprunt graphique, l’Afrique a su répartir les rôles de chaque système (endogène et exogène), comme dans tout syncrétisme. Ce qui a abouti à une sorte de spécialisation des fonctions. Dans ce continuum historique, le continent a modelé le paysage de ses croyances, de ses institutions, de ses politiques économiques et sociales. La conception évolutive de l’inscription du sens, allant de l’écriture figurative à la pictographie synthétique, jusqu’à la représentation directe des objets par leur forme, n’est qu’une vue de l’esprit. En effet, dans les systèmes graphiques endogènes d’Afrique, l’objet ne signifie pas ce qu’il représente, mais plutôt ce qu’il suggère. Les objets tracés sur des rochers, des écorces ou des bouts de bois, des peaux tannées deviennent des images. Mais, les images ne sont plus des signes, ce sont des représentations de sens qui transcrivent aussi des concepts abstraits. Ils expriment, entre autres, le besoin de se souvenir ou des soucis comptables. C’est ainsi que ces objets deviennent des lieux de mémoire et de communication, des connaissances et des valeurs partagées. La nature ésotérique de ce système de représentations et son caractère initiatique ont été une entrave à sa diffusion, mais aussi une volonté de la part de ses légataires, de lui préserver sa continuité fonctionnelle. Potiers, tisserands, teinturiers, bijoutiers, forgerons, cordonniers et sculpteurs traditionnels réservaient l’usage de leur savoir aux seuls initiés, l’objectif étant de tout insérer dans les rituels existants. Ces corporations de métiers traditionnels sont divisées en structure hiérarchisées. Il ne s’agit pas de castes comme on l’a souvent avancé en comparaison avec l’Inde. Ces structures des sociétés africaines, surtout de l’ouest, correspondent plutôt à des catégories socio-professionnelles artisanales juxtaposées et souvent exogames.

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L’artisanat traditionnel demeure donc le plus grand réservoir de ces connaissances et de ces savoir-faire endogènes. Il a conservé tout un répertoire de signes et de symboles, de corpus composés, mêlés, qui se croisent à travers la continuité. Il témoigne de leur caractère récurrent et permanent. Leur rapport avec le sacré nous rappelle cette même fonction que remplissaient les hiéroglyphes. L’existence de ces signes symboliques a été longtemps marginalisée. Cependant, ils sont comme les gravures rupestres, les épitaphes et autres inscriptions sur les stèles, des traces et les vestiges du passé. A ce titre, ils peuvent scientifiquement contribuer au processus de reconstruction du sens. Une trace ne parle pas d’elle-même. Elle vaut autant par ce qu’elle révèle que par ce qu’elle ne révèle pas. Il revient alors à l’histoire, en tant que science, de lui donner un sens. On rappellera, à la suite de Battestini, que les formules des sciences exactes (physique, chimie, mathématiques et autres) permettent bien des communications très élaborées entre spécialistes de langues différentes. Il en est ainsi avec la sténographie et la notation musicale. Quel rôle devrait-on alors attribuer, dans le processus de reconstruction du sens, aux signes graphiques endogènes et au porteur de ces sens? Tatouages, attributs royaux, emblèmes de chefferies traditionnelles, bâton de circoncis, ou même celui du maître de la parole (Bélin tigui, en mandingue) portent tous, le plus souvent, des signes qui ont une valeur symbolique et emblématique avérée. Les encoches transcrites sur ces bâtons sont souvent des marques mnémoniques. Même si la pratique esthétique de ces signes symboliques prime aujourd’hui sur leur valeur d’entrepôts de la mémoire et de la communication de valeurs culturelles, ils demeurent des traces à investir. Ils sont porteurs d’anciennes connaissances qui restent indispensables pour une meilleure compréhension du passé et du présent de l’Afrique, et de son apport au patrimoine de l’humanité. Toute écriture est, en tant que savoir en partage, affaire de convention. Elle peut être restreinte ou ouverte selon les besoins des sociétés qui l’initient ou l’empruntent. A côté de son système graphique endogène, l’Afrique a aussi emprunté d’autres systèmes, comme celui de l’arabe. L’interrogation de ce système graphique est d’autant plus intéressante qu’il est le plus répandu et le plus courant en Afrique de l’Ouest. Cette

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sous-région du continent détient le plus grand réservoir de manuscrits anciens utilisant cette graphie qui remonterait au VIIe siècle. Ce système d’écriture est plus connu sous l’appellation ajami4.

Contacts et apports Des fouilles archéologiques, menées à Gao, ont mis à jour des inscriptions en arabe datant du XIe siècle. Elles ont permis d’authentifier et de dater avec certitude les rencontres entre les populations de la zone soudano-sahélienne et celles de culture arabo-musulmane. Ces contacts remonteraient aux VIIIe et IXe siècles de notre ère. Le Sahara n’a jamais été un obstacle au commerce transsaharien. Pendant plus de 1000 ans, il a été le point de rencontre et d’échanges fructueux entre l’Afrique de l’Ouest et le monde arabo-musulman. Les voyageurs et géographes arabes ont rapporté, en fins observateurs et chroniqueurs, que durant le XIe siècle, la zone soudano-sahélienne de l’Ouest-africain a connu un afflux de populations d’origine berbère, les zanagas. Ces premiers contacts directs favorisèrent la conversion d’une partie de la population locale à la religion musulmane, sous l’influence de la confrérie soufie des Almoravides. Ceux-ci étaient durant cette période les pivots de l’islamisation dans la zone soudano-sahélienne. Riche creuset de diversité culturelle, la région a su fondre dans une prodigieuse synthèse tous les apports extérieurs drainés par l’échange, le commerce sur fond de libre-circulation des biens, des personnes et des idées. La plupart des langues d’Afrique occidentale ont emprunté aussi bien à l’arabe qu’au berbère de nombreux vocables, parmi lesquels figurent un important vocabulaire religieux et technique (les jours de la semaine, quelques formules d’adresse, le calendrier de l’hégire5…). Cependant, le phénomène le plus important issu de ce brassage reste, sans conteste, l’adoption des lettres arabes pour écrire des langues africaines, telles que le fulfulde, le mandingue, le haoussa et le wolof, pour ne citer que celles-là parmi une trentaine d’autres. 4.  Du mot arabe « ajamiyyu », qui signifie non arabe. 5.  Le départ du Prophète Muhammad de la Mecque en direction de Médine. Ce voyage marque la première date dans la chronologie musulmane (622 après J.C.) Savoirs endogènes, quête de sens et écritures ouest-africaines

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L’ajami D’abord apanage d’une classe de lettrés en arabe essentiellement, composée d’érudits musulmans et de quelques membres des familles aristocratiques, les premières tentatives ont suivi un long processus de maturation. Cette évolution s’est effectuée en fonction des populations, des langues parlées et de leur rapport avec l’arabe. Cependant, la transcription des langues autochtones de la zone soudano-sahélienne a toujours été liée à l’expansion de l’islam tant pour son initiation et son élaboration que pour sa diffusion. La possession de la technique graphique équivalait aussi à une certaine emprise sur l’exercice même du pouvoir politique et économique qui reposait surtout sur le commerce. Plus tard, des lettrés musulmans s’approprièrent l’innovation tout en lui conservant son caractère tacite et sa base conventionnelle. En effet, comment pouvait-il en être autrement des langues de cette partie d’Afrique où les consonnes et les voyelles jouent le même rôle, alors qu’en arabe, les racines sont trilitères et que les voyelles servent tout aussi bien à la vocalisation qu’à la morphologie ? Le problème devient plus complexe face aux langues à tons, comme le haoussa ou le mandingue. On reproduisait les sons des langues africaines, en les rapprochant ou en les calquant sur le son arabe dont on convenait que la prononciation était la plus proche. Cette pratique s’intègre dans le grand phénomène de transcription des langues non-arabes, principalement africaines (ajami). Il est très difficile de préciser quand s’est effectué l’aménagement complémentaire des systèmes graphiques utilisant les caractères arabes pour écrire les langues concernées. On imagine que ce fut un long et lent processus parsemé d’embûches et d’interdits. Car, en tant que phénomène sociolinguistique, relevant à la fois du spirituel et du temporel, cette adoption reste difficilement cernable. A cet égard, retenons simplement que le Coran, le livre sacré des musulmans, est révélé en arabe. Les lettres de cette langue doivent, par conséquent, du moins pour certains musulmans, n’être réservées qu’à un usage religieux. Certaines personnes recourent à cet argument pour leur justifier la réserve et la retenue dans l’utilisation de cette graphie pour transcrire leurs langues. Avec l’adoption des signes diacritiques, les langues d’Afrique de l’Ouest acquièrent leur autonomie en tant que langues écrites et langues

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d’écriture dotées d’une graphie complète, affranchie de l’arabe et des considérations uniquement religieuses. A la lumière de cette évolution, une terminologie a été forgée à partir de concepts arabes dans le but de faciliter la compréhension des textes arabes de base à des locuteurs de langues d’Afrique de l’Ouest qui apprenaient cette langue. Cette stratégie permit aux langues autochtones locales de dépasser leur aire culturelle verbale et de s’ouvrir à des souffles féconds venus d’ailleurs. Que ce soit dans les traductions à partir de l’arabe ou dans les productions endogènes, le souci de construction et de partage du savoir a prévalu. D’inspiration religieuse ou profane, la pratique entre dans la vie sociale, culturelle et littéraire des populations. Si les formes littéraires issues du fond culturel ouest-africain, comme les récits épiques, les contes, les chants initiatiques et autres créations littéraires, n’ont pas fait l’objet de l’attention des lettrés en ajami, ce serait peut-être en raison de leur crainte de profaner les caractères arabes, considérés vénérables, parce que constituant le support matériel de la révélation coranique. En dépit de la richesse de ces productions, la pratique demeure décentralisée et non harmonisée.

Le mythe de l’oralité exclusive Pour des raisons politiques, l’idéologie coloniale s’est refusée de reconnaître à l’Afrique, surtout dans sa partie occidentale, la connaissance de l’écriture telle qu’elle est généralement conçue. Ce refus en dissimule un autre qui est simplement le refus de l’accès à la dignité humaine. Ce sont des jugements de valeur sans fondement. Malheureusement, ce point de vue est relayé et farouchement défendu par des intellectuels africains. Selon les promoteurs de cette optique, les Africains noirs étaient des analphabètes avant l’arrivée des missions chrétiennes qui leur ont, par la suite, appris à lire et à écrire. La version écrite de leurs différentes langues locales n’aurait été élaborée qu’au XIXe siècle à partir des caractères latins. « Sauf exception notable (Ethiopie), écrit Philippe Hugon, l’Afrique ne connaissait pas, jusqu’au XIXe siècle, l’écriture6 ». 6.  Hugon Philippe, L’économie de l’Afrique, Edition la Découverte, Paris, 1993, p. Savoirs endogènes, quête de sens et écritures ouest-africaines

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Cette approche des faits est une réminiscence de la hiérarchie des cultures et des civilisations dans l’empire colonial français. Dans cette hiérarchie, l’Afrique occidentale était une sorte de tabula rasa, sans aucune forme écrite des langues ni de tradition de littérature écrite. Les notions de « civilisations anciennes » et de « langues prestigieuses » n’étaient appliquées qu’à l’Indochine, aux Arabes et aux Malgaches7, à cause, surtout, de l’existence d’une tradition d’écriture. L’Afrique était de facto exclue de ce signe caractéristique de civilisation. Les premiers Européens à être entrés en contact avec les populations locales d’Afrique de l’Ouest, les Portugais, évoquent pourtant, dans leurs chroniques, la pratique de la graphie arabe par ces populations. L’attitude d’intolérance adoptée par les autorités coloniales face aux cultures locales ne s’explique que par la mission hégémonique de diffusion de la culture et de la langue françaises qu’elles se sont assignées. Elles ont appliqué un contrôle très sévère et une censure exceptionnelle quant à la circulation des documents manuscrits en caractères arabes. Ce contrôle est souvent passé par l’autodafé des livres des marabouts récalcitrants. En 1890, le colonel Louis Archinard organise la prise de la ville de Ségou, au Mali, et pille, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la bibliothèque8 d’Ahmadou Sékou, fils d’El Hadj Omar, chef de l’Etat musulman basé dans cette même localité. Contenus dans quatre caisses, ces manuscrits sont déposés à la bibliothèque nationale de France. N’empêche que certains traités passés entre la France et les royaumes de l’époque furent établis sous cette forme. Labat9, un chroniqueur français, l’évoque dans ses écrits en 1728. Jean Dard, le fondateur de l’école franco-wolof de Saint-Louis du Sénégal, en 1812, et auteur d’une grammaire du wolof en 1826, le commente brièvement.

11. 7.  Mutibwa Phares M., « Madagascar, 1800-1880 », in J. F. Ade Ajayi (dir.) « L’Afrique au XIXe siècle jusque vers les années 1880 », Histoire générale de l’Afrique, vol. 6, Unesco, Gallimard, Paris, p. 453-488. 8.  Comptant plus de 500 volumes, l’essentiel de cette bibliothèque a fait l’objet d’un catalogue particulier rédigé par une équipe du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) composée de N. Ghali, S. M. Mahibou et L. Brenner. Il est intitulé Inventaire de la bibliothèque umarienne de Ségou, CNRS, Paris, 1985. 9.  Labat Père J. B., Nouvelles relations de l’Afrique Occidentale, Cavelier, t. II , Paris, 1728.

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Selon lui, cette utilisation se cantonnait à une minorité. Pour cette raison et parce qu’elle n’était pas accessible aux Européens, il n’y accorda que très peu d’intérêt. D. Bouche10 cite dans sa thèse d’Etat les propos d’un responsable de l’enseignement en Afrique occidentale : « Dès mon arrivée au Sénégal, j’ai été frappé de voir les Noirs de SaintLouis griffonner leur signature en arabe [nous soulignons], quoique ne sachant pas un mot de cette langue ». Les travaux des chroniqueurs arabes, qui sont d’importantes sources de l’histoire de l’Afrique, attestent de l’existence de l’ajami, mais l’attribuent à la gloire de la présence arabe dans la région. On retiendra, à titre d’illustration, quelques ouvrages qui ont subsidiairement mentionné l’ajami de manière subtile comme la Description de l’Afrique de l’Ouest, par El Bekri (1068), traduite en français par De Salane, publiée à Paris en 1859 ou la Description de l’Afrique, par Léon l’Africain11 (1485-90). Les lettrés d’Afrique occidentale ont aussi écrit en arabe d’importants ouvrages qui sont, également, des sources historiques fiables parmi lesquelles figurent en bonne place Tarikh es-Sudan12, par Es Saa’di, écrit vers 1655, traduit en français par Houdas et publié en 1898 en France ; Taarikh el Fattaach13, par Muhamad Kati, publié en 1519, traduit par Houdas et Delafosse, et publié à Paris en 1913 ; Une histoire du Fouta Djalon, par Modi Abdallah (il en existe une copie à l’IFAN de Dakar, qui date de 1870) ; Tazyiin el Waraqaat, par Abdellah Ben Foudi de Sokoto, en 1813 (une copie qui date de 1855 se trouve à l’IFAN) ; Zuhuur el Basaatiin Fii Taariikh as-Sawaadiin14, par Cheikh Moussa Camara (1864-1945). Dans ce domaine, les femmes ne sont pas en reste. Nana Asma’u (17931864), la fille d’Ahmed Dan Fodio (1754-1817), en est une excellente illustration. Auteur prolifique en arabe, en haoussa et en peul, elle a

10.  Bouche D., L’enseignement dans les territoires français de l’Afrique occidentale de 1870 à 1920, tome I, 1970, p.84 (thèse d’Etat non publiée). 11.  Connu dans le monde arabe sous le nom d’Al Hassan Ibn Muhammad El Wazzani. 12.  Chronique du Soudan. 13.  Chronique de l’observateur. 14.  L’ouvrage porte sur les événements sociopolitiques et mouvements qui se sont déroulés au Fouta entre le VIe et le XXe siècle. Savoirs endogènes, quête de sens et écritures ouest-africaines

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produit et traduit pas moins de 60 œuvres religieuses et profanes, en poésie comme en prose. Elle est aussi une traductrice avérée du Coran. En réalité, à l’époque médiévale, l’arabe a joué en Afrique le même rôle que le latin en Europe. D’une langue liturgique, il s’est progressivement mué en langue d’apprentissage, d’administration et de justice. Il a été exploité, simultanément, pour écrire des langues autochtones. Ce constat consolide notre postulat selon lequel la démarche de recherche et de collecte des manuscrits anciens doit s’ouvrir sur des perspectives de recherches transversales impliquant africanistes et orientalistes. C’est seulement en dressant de telles passerelles interdisciplinaires que sera dépassé le mythe de l’oralité africaine qui veut qu’elle soit la seule marque distinctive des cultures africaines et le seul moyen de convoquer leur histoire et de l’établir. La mémoire humaine ne peut, en aucun cas, être sélective au point de se substituer aux bibliothèques. Mais, à travers l’incessante répétition non contredite, le mythe finit par devenir une évidence qui survit aux théories les mieux fondées. La célèbre boutade d’Amadou Hampâté Bâ (1900-1991)15 selon laquelle en Afrique, lorsqu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle doit être remise en question et convenablement replacée dans son contexte. Elle aura significativement contribué à la construction du mythe de l’oralité. Ce mythe est une conception erronée de l’oralité qui sous-tend que la richesse en traditions orales est incompatible avec l’usage de l’écriture.

Défis de l’ajami en Afrique de l’Ouest En dépit du refus de reconnaissance de son statut réel, les détracteurs de l’ajami y ont souvent recouru pour sensibiliser une importante proportion de la population, en particulier dans les zones rurales. C’est pour ces raisons pragmatiques que l’administration coloniale l’a souvent utilisé pour la diffusion de documents officiels sur la santé, l’hygiène, le commerce et l’agriculture. Une enquête du ministère du Développement du Sénégal révèle qu’en 1960, il y avait dans les villages une majorité de gens capable d’écrire et de lire une langue véhiculaire du pays en caractères arabes. Vincent Monteil, revient largement sur

15.  Ecrivain et ethnologue malien.

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ces observations dans un article intitulé « Sur l’arabisation des langues négro-africaines16. » Malgré ces réalités historiques, l’ajami a été et continue d’être occulté dans les études linguistiques portant sur les langues d’Afrique occidentale. Une des principales raisons de cet état des choses est que son expansion a pour corollaire la diffusion de l’islam et des langues qui en font l’usage. Cela constituait pour les autorités coloniales une entrave à leur hégémonie et pour les Etats nouvellement indépendants, une menace pour la construction d’Etats laïques et pluriethniques ayant comme langue officielle celle des anciens maîtres. Dans les études orientalistes traditionnelles, mais également dans les sources historiques et ethnographiques, l’ajami n’a été que subsidiairement mentionné. Dans le monde arabe, les institutions culturelles l’ont généralement marginalisé au profit des écrits arabes d’Afrique de l’Ouest. Il n’a pas, de ce fait, capté l’intérêt des recherches arabisantes. Cette marginalisation se jauge à l’aune de la glorification de la présence arabe dans la sous-région ou tout simplement d’une interprétation historico-religieuse de la culture. L’ALESCO (Organisation pour l’éducation, les sciences et la culture de la Ligue arabe), grâce à son centre de recherches sur les études et la documentation arabo-africaines, s’est beaucoup investie dans le recensement et la collecte des manuscrits africains en arabe. La raison en est qu’il y va du prestige de la langue arabe, de son influence et de sa propagation en Afrique. C’est dans cette logique que les publications de la maison d’édition Al Furqan, basée à Londres, ne vont pas au-delà de la simple mention de l’existence de quelques manuscrits écrits en caractères arabes sans essayer de mieux les faire connaître. Bien souvent, les publications sont sous forme de textes ou de poèmes religieux qui ne sont suivis d’aucune traduction, en quelque langue que ce soit17.

16. Monteil Vincent, « Sur l’arabisation des langues négro-africaines», Genèves Afrique, vol. 2, n°1, 1963, p. 12-20. 17.  Amor Sidi, ben Ali et Abdel Mouhsin Abbès, Inventaire des manuscrits du Centre de documentation et de recherches historiques Ahmed Baba de Tombouctou, vol. 2, Dar el Furkan, Londres, 1996-1997. Savoirs endogènes, quête de sens et écritures ouest-africaines

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Figure 1 : Page intérieure de Taxaw en wolofal (ajami ou caractères arabes utilisés pour écrire le wolof, langue majoritaire au Sénégal) du mensuel du Rassemblement national démocratique, parti politique d’opposition créé par Cheikh Anta Diop en 1976

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Un grand nombre de commerçants, d’artisans et d’agriculteurs continuent d’utiliser l’ajami pour la gestion de leurs affaires courantes. Ils sont communément appelés « lettrés coraniques » pour avoir appris à lire et à écrire dans les écoles coraniques. La façon la plus simple pour ces semi-alphabétisés en arabe d’exploiter leurs acquis est l’ajami. La langue arabe devenant juste un moyen pour apprendre à lire et à écrire. D’ailleurs, au Sénégal, dans les années 1980, certains journaux de l’opposition, tels que And Jëf18 et Soppi19 avaient essayé d’inclure des pages d’ajami wolof dans leurs éditions. Ils avaient été précédés, dans cette voie, par le magazine Kaddu20. Il existait, aussi, un magazine Ndigël21 qui paraissait en France, jusqu’en 1994. Au Burkina Faso, l’Association pour la promotion de l’élevage au Sahel et en savane (APESS) publie encore un journal bilingue (ajami/fulfulde/français) nommée Jawdi men. En Guinée, au Fouta Djallon, Allouwal et Sabou sont deux célèbres journaux écrits en ajami et financés par le projet guinéen de réhabilitation de l’agriculture. Il existe une quantité impressionnante de documents ajami en circulation libre. On peut très facilement se les procurer dans les rues des capitales et grandes villes, en particulier, à Dakar, à Bamako et à Kano. Les marchands ambulants ou les bibliothèques « par terre » ne sont que des continuateurs des librairies Hilal et Kettani22. Ces imprimés sont des polycopiés de discours de chefs religieux, de manuels de pratique religieuse diffusés par les confréries soufies, d’information sur les techniques agricoles ou sur l’éducation sanitaire émanant des services gouvernementaux ou de certaines organisations non-gouvernementales ou encore de services de coopération tels que l’USAID. Certains instituts évangéliques et des missions protestantes y publient des extraits de la Bible ou des textes de dialogues interreligieux. Jusque dans les années 1980, les statistiques officielles recensaient les usagers de la graphie arabe comme analphabètes. L’ISESCO (Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture) n’a d’ailleurs pas manqué de 18.  Signifie en wolof, l’union pour l’action. 19.  Signifie en wolof, le changement 20.  Signifie la parole, le sens donné au verbe oral ou écrit. Ce périodique a été coédité en mode reprographique par le cinéaste Sembene Ousmane et le linguiste Pathé Diagne. 21.  Il reparaît au Sénégal, depuis 1996. 22.  Deux libraires, respectivement libanais et marocain, à s’être investis les premiers dans la production et la diffusion des thèmes religieux en wolofal au Sénégal. Savoirs endogènes, quête de sens et écritures ouest-africaines

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noter à cet égard qu’« il est rare que les statistiques officielles prennent en compte les personnes qui savent lire et écrire les langues nationales, en utilisant une graphie non latine23 ». Derrière cette digraphie des langues véhiculaires locales (caractères latins et caractères arabes), coexistent deux mondes qui s’ignorent mutuellement. L’un, officiel, utilise les caractères latins et tire sa force des décrets officiels, l’autre, bien que très répandu et bien intégré, ne bénéficie d’aucun soutien institutionnel. Face à cette situation, l’Unesco a décidé, en 1983, d’accorder une attention toute particulière aux usagers de la graphie arabe dans certains Etats d’Afrique de l’Ouest. Il avait alors été constaté que, dans certains pays de la région, près d’un tiers des enfants avait pour base fondamentale de leur alphabétisation l’écriture arabe qu’ils avaient acquise dans le secteur formel ou informel du système éducatif. De plus, dans la majorité des pays d’Afrique de l’Ouest, près de 60 % de la population a appris, dans sa prime jeunesse, l’écriture arabe dans le cadre des obligations religieuses. En effet, pour prier, les musulmans doivent savoir lire et réciter le Coran. Selon les résultats d’une enquête que nous avons menée en 2003, au Sénégal, dans des zones rurales, à Diourbel (région centrale), à Matam et Podor (régions Nord), 75% des adultes pouvaient lire et écrire en caractères arabes. Les statistiques sont plus élevées au Fouta Djallon, notamment dans la région de Labé, en Guinée. Le taux des femmes adultes alphabétisées, grâce à l’enseignement coranique, y atteint les 20-25%. Dans les régions haoussaphones, plus de 80 % de la population sait lire et écrire la graphie arabe. Ces résultats ne sont-ils pas une occasion d’éradiquer l’analphabétisme et d’atteindre l’un des objectifs fondamentaux du millénaire ? En effet, l’alphabétisation, par le biais de la transcription en caractères arabes, peut être une bonne occasion de réduire considérablement et à un moindre coût, les problèmes d’analphabétisme.

23. ISESCO, Rapport final de l’atelier régional sur l’Introduction des techniques modernes de transcription des caractères arabes harmonisés dans la lutte contre l’analphabétisme, Niamey, Niger, 20-24 septembre 1999.

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Les manuscrits anciens Nous avons dans nos investigations accordé une attention particulière aux manuscrits et autres écrits anciens moins accessibles au grand public. La plus grande partie de ces documents anciens est répandue dans la zone située entre le Niger, le Mali et la Mauritanie. La visite des différents centres de diffusion de l’ajami nous a permis d’évaluer l’étendue et l’impact du phénomène à partir de ses sources nourricières. Dans plusieurs de ces sites et localités, les écoles coraniques semblent prendre la relève des anciens grands centres d’apprentissage qu’étaient Djenné, Sankoré (Mali), Agadez (Niger), Sagnakhor, Koki et Pire (Sénégal). Un réseau de confréries soufies nous a accueilli et nous a facilité la consultation et la collecte de documents et de manuscrits inédits. D’anciens manuscrits très importants sont encore à découvrir à Touba, centre de rayonnement de la confrérie mouride et de renouveau du wolofal (ajami wolof), à Allowaar (Sénégal), en terre Malinké en Guinée, au sud du Mali, dans les districts de Wench (Ghana), au Togo dans les zones fulfulde, au Macina (Mali), à Dori (Burkina Faso), dans les zones haoussaphones, à Zinder (Niger), à Kano, Kaduna et Sokoto (Nigéria). Les écoles coraniques des turuq24, dont des milliers sont disséminées dans les zones rurales, sont des réservoirs d’une abondante et riche littérature en ajami ancienne et contemporaine, d’inspiration religieuse ou profane. A preuve, les grands marabouts d’Afrique de l’Ouest, érudits de surcroît, ont composé des vers ou rédigé de la prose dans les langues locales (haoussa, malinké, songhay/zarma, fulfulde, wolof, soninké, tamacheq…), ou ont traduit différentes disciplines et différentes sciences, de l’arabe vers les langues véhiculaires locales. Ousmane Dan Fodio (1754-1817) a écrit El Kitaab25, qui a été traduit en haoussa et en fulfulde, à la même époque. Au début du XIXe siècle, Thierno Samba Moumbéya (1765-1850) a traduit l’un des chefs d’œuvre de la culture arabo-musulmane, Les prairies d’or de Mas’uudi, en pulaar.

24.  Confréries religieuses. 25.  Le livre. Savoirs endogènes, quête de sens et écritures ouest-africaines

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Ils ont tous eu une démarche de vulgarisation. L’alphabétisation n’étant, en définitive, rien d’autre que le passage d’un savoir implicite et oral vers un code explicite et écrit, grâce à l’enseignement ou la traduction. Dans ces centres comme dans les bibliothèques nationales, nous avons relevé une grande négligence ou une ignorance délibérée dans laquelle a été maintenu ce vaste champ d’investigations. Les poèmes religieux en ajami, souvent évoqués à l’occasion, ne sont que la partie la plus accessible de cette énorme élaboration des savoirs. Ils sont polycopiés, chantés, enregistrés et largement diffusés. Sur l’intégralité des documents ajami répertoriés dans les bibliothèques nationales d’Afrique occidentale comme l’IFAN, un bon nombre sont essentiellement constitués de poèmes. Le reste se retrouve entreposé dans des malles en fer et exposé aux aléas climatiques. Il est d’ailleurs curieux qu’ils ne soient que du ressort des départements d’islamologie. Car, contrairement à ce que l’on a toujours voulu démontrer, le phénomène ne concerne pas seulement les écrits musulmans ou les préoccupations confrériques et religieuses. Il existe également une importante production contemporaine en prose et en vers dans laquelle se retrouvent des thèmes religieux et profanes. L’héritage culturel et littéraire véhiculé par ces documents, que ce soit sous forme de correspondances, de mémoires, de pharmacopée, de divination, de pratiques magico-religieuses, d’écrits épiques ou de textes plus anciens, est, malheureusement, menacé de disparition. Pour certains détenteurs de ces manuscrits hérités de père en fils, il ne fait aucun doute que leurs « secrets » les investissent d’une certaine légitimité de chefs spirituels et les pérennisent dans la baraka26. A cela s’ajoute le fait qu’il n’existe aucun centre de collecte systématique de ces documents. Ils sont éparpillés sur toute l’étendue du territoire national et à l’étranger. Certains documents, souvent les plus vieux, sont gardés en Europe dans des bibliothèques privées ou publiques, notamment en France et au Portugal. Ils y sont généralement catalogués sous la rubrique « indéchiffrable » ou « arabe illisible ». Comme il n’existe pas, à proprement parler, de bibliothèques — ou très peu — où sont conservés ces documents, les manuscrits sont exposés à de nombreux dangers : feu, inondations, intempéries. De plus, certaines personnes 26.  Bénédiction divine.

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les portent comme talismans et gris-gris protecteurs. L’éparpillement s’accentue, surtout lors des partages d’héritages. Du volume complet d’un livre, on ne retrouve, par la suite, qu’une ou deux pages. Le reste étant éparpillé entre les héritiers. Les chefs de certaines familles maraboutiques ont tenté, en vain, de décider les détenteurs de ces documents à les mettre au profit du savoir, en les confiant aux bibliothèques publiques ou universitaires, ou simplement les centraliser. Mais la méfiance envers les institutions demeure la règle. En 1977, le chef spirituel des Mourides au Sénégal lança un appel dans lequel il demandait à tous les détenteurs d’écrits de Cheikh Ahmadou Bamba (1853-1927) de les remettre à la bibliothèque qui porte le nom du fondateur de la confrérie, afin qu’ils puissent servir ceux qui s’y intéressent. Pas moins de 166 000 ouvrages furent collectés. Il n’en demeure pas moins qu’il y eut beaucoup de réticences mais aussi d’exceptions. Certains considèrent les ouvrages en leur possession comme des trésors personnels. Les raisons évoquées pour justifier la prise en otage de ces écrits sont généralement d’ordre émotif ou dogmatique. La plupart de leurs détenteurs les considèrent comme des sources de charisme et des symboles de richesse et de bien-être. Ils adoptent une attitude de méfiance fondée sur l’adage populaire qui tient que « ce qui est à la portée de tout le monde n’émerveille plus » et que « n’est plus science, ce que tout le monde sait ». Ils refusent donc de les prêter, à plus forte raison de les céder dans le but d’une éventuelle vulgarisation.

Les manuscrits comme traces et sources Les manuscrits ne doivent pas être seulement des reliques ou des pièces de musée à exposer comme curiosités linguistiques et anthropologiques. Ils doivent, désormais, être appréhendés comme des traces. C’est-à-dire, des empreintes délibérées ou non, laissées par le passage de l’homme ou par un événement quelconque. La trace peut être sujette à l’analyse, par ce qu’elle dit ou ce qu’elle cache. Car elle découle aussi bien d’une interrogation que d’une construction mentale : poser des questions et tenter d’y apporter des réponses, tout en répondant à des questions qui ne sont pas posées. Avant tout, comme le dit Gaston Bachelard27, 27.  Bachelard Gaston, La formation de l’esprit scientifique, Virin, Paris, 1965, p.14. Savoirs endogènes, quête de sens et écritures ouest-africaines

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il faut savoir poser des problèmes. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas de questions, il ne peut y avoir de connaissances scientifiques. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. La problématique est de savoir comment reconstruire des savoirs à partir des manuscrits anciens. Comment les analyser et les interpréter pour les intégrer dans le long processus de l’inscription du sens en Afrique. A l’issue de cette étape, on devrait déboucher sur l’accès à une inestimable mine d’informations longtemps figées dans le temps et l’espace qui n’ont pas été scientifiquement exploitées. On pourra ainsi repousser les frontières de nos connaissances actuelles sur l’Afrique pour les confronter à certains de ses aspects qui nous semblaient bien établis. Il en découlera une meilleure compréhension de ce continent, de son passé et de son présent pour une meilleure anticipation de son avenir et de sa renaissance. En tant que sources, les manuscrits anciens constituent un domaine d’investigations très intéressant dans la construction du savoir, fut-il historique, sociologique, politique ou économique. Car, si grandioses soient-elles, les réalisations humaines se fondent toutes dans le grand creuset de la fabrication vitale des connaissances. Les manuscrits anciens permettent effectivement d’explorer la vie des gens, des fragments de leur monde matériel et mental. En histoire par exemple on retiendra que c’est grâce à Yéro Dyâo (1847-1919), que Rousseau publie, en 1933, « Le Sénégal d’autrefois, Etudes sur le Walo, Cahier de Yoro Diaw », dans le Bulletin d’études historiques et scientifiques de l’Afrique occidentale française. De sources orales, les informations qu’il publie, d’abord en 1864, ont été léguées à Yéro par sa famille, sous forme de textes ajami. Ces textes sont d’une importance particulière quant à l’origine égyptienne des peuples de la Sénégambie, notamment pour ce qui est des noms patronymiques et des grands mouvements migratoires depuis la vallée du Nil. Traduites en français par Bassirou Cissé en 1941, publiées et commentées par Vincent Monteil la même année, Les chroniques sénégalaises 1185-1855 de Amadou Wade sont aussi issues d’un manuscrit en ajami wolof. De quelles autres sources aurions-nous

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pu disposer pour écrire l’histoire de ces royaumes, sur une si longue période ? Lorsque des raisons politiques se mêlèrent à des arguments linguistiques, la transcription des langues nationales du Sénégal s’est heurtée à une levée de boucliers. Les débats d’alors sur la gémination en wolof illustrent parfaitement la situation. La gémination est un phénomène phonologiquement attesté comme pertinent en wolof. Il devrait, en principe, être graphiquement marqué par un redoublement de la note phonique concernée. Seulement, un décret présidentiel de l’époque stipulait sans appel que la gémination n’est marquée qu’exceptionnellement, c’est-à-dire qu’en cas d’homonymie ou d’étymologie. Ce à quoi la communauté des linguistes sénégalais a réagi, en mettant en exergue les inconvénients techniques qui en découlaient. Ces pressions juridiques débouchèrent sur une tension, entre la communauté scientifique et l’Etat, qui aboutit à la censure du film du cinéaste Sembène Ousmane, Ceddo28. En effet, selon le décret présidentiel, il ne fallait qu’un seul d au titre. Il en fut de même pour le journal Sopi dont le titre devrait avoir un seul p au lieu de deux. Ce journal obtempéra au risque de se voir interdire de parution, alors que Sopi signifie « le changement »29 en wolof. Le Rassemblement national démocratique de Cheikh Anta Diop opta pour Taxaw30, au lieu de Siggi31, contournant ainsi la contrainte juridique de ce décret présidentiel sur la gémination. On recourra finalement à l’ajami comme ancienne source scripturale de la langue, qui trancha en faveur de la gémination qui est marquée par une shadda (un signe diacritique signalant le redoublement). L’Afrique de l’Ouest s’est très tôt définie comme espace de commerce, d’échange et de production, du sud du Sahara aux confins du désert, en passant par les savanes de l’intérieur, et même jusque dans les zones forestières. Les commerçants Dyula32 sillonnaient, entre les VIIe et IXe siècle, ce vaste carrefour où se rencontraient le monde arabo-musulman, 28.  Ceddo signifie « guerrier païen » en wolof. 29.  Sopi signifie « le changement » en wolof. 30.  Taxaw signifie « être debout » en wolof. 31.  Siggi signifie « relever la tête » en wolof. 32.  Pseudo-ethnique. Le vocable signifie en mandingue, « commerçant » ; « corporation de commerçants musulmans » surtout. Savoirs endogènes, quête de sens et écritures ouest-africaines

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l’Andalousie et l’Afrique noire. Pour des soucis purement comptables, ces commerçants ont, en lettrés musulmans, produit des documents en ajami. Il serait intéressant d’y rechercher la part de responsabilité africaine dans la traite négrière. Leur maîtrise des chaînes de solidarité, à travers les réseaux transfrontaliers de parenté et d’alliance, sont des connaissances qui font encore défaut. Comment prévenir et gérer les conflits au-delà des identités sont autant d’interrogations sur lesquelles les sources ajami pourraient fournir des réponses endogènes indispensables à l’instauration de la culture de paix et d’acceptation, voulue de l’autre. Les chroniques locales ou celles issues des voyages, aussi bien que des exposés sommaires sur la pharmacopée, des codifications de la médecine traditionnelle ou de procédures de guérison, peuvent être identifiées comme matière d’investigation et d’interrogation. Les manuscrits anciens ont voyagé et ont fait l’objet de transactions avec le reste du monde arabo-musulman d’alors. Creuset de civilisation et point de jonction, l’Afrique de l’Ouest a participé significativement aux réseaux de distribution du savoir. Sur les traités religieux ou profanes écrits en arabe figurent, souvent en annexe, en copie conforme, ou sous forme de commentaires, des textes ajami. Ces commentaires sur la marge du corps de texte sont nommés marginalis. M. Delafosse écrit, à propos de cette pratique bien courante, que « parfois, les instituteurs musulmans, pour se rappeler le sens d’une expression arabe peu usuelle qu’ils avaient à expliquer à leurs élèves, transcrivent en marge du texte arabe ou dans l’interligne, la traduction de cette expression en langue indigène ». Mais, poursuit-il, cela « ne saurait constituer une littérature33 ». En effet, la vocation première des marginalis n’est pas de se constituer en littérature ou de se substituer à un autre texte. Ce sont des empreintes mnémoniques et des témoins potentiels du voyage des textes anciens dans le temps et l’espace. En Afrique de l’Ouest, l’intensité des échanges commerciaux (sel, cuivre, or, esclaves), impliquant la libre circulation des biens et des personnes, avait comme corollaire le mouvement des manuscrits et des idées. Aide-mémoires, commentaires, bribes ou fragments de textes posés sur les feuilles de garde de manuscrits produits localement ou venus d’ailleurs, sont des mines d’information pour ce qui est du papier, de sa commercialisation et de son éventuelle 33.  Delafosse, p. 380.

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fabrication dans la région. Les premières traces écrites de la langue française sont matérialisées par le serment de Strasbourg du 14 février 84234. Bien qu’incomplètes et retranscrites, ces traces sont d’une importance primordiale du point de vue linguistique : elles attestent de l’existence d’une langue romane en France où prédominait alors le latin. D’égale importance, les manuscrits anciens en ajami de la diaspora devraient nous révéler une pléthore de données inconnues, non exploitées, porteuses de connaissances susceptibles de jeter la lumière sur des aspects de la construction des savoirs endogènes africains. Revisiter les contenus des textes anciens, comme sources inestimables dans la construction du sens, est un souci d’endogénéité socio-culturelle. Mais, il embrasse les dimensions intégrantes d’un humanisme qui se veut universel. Il faut d’abord s’enraciner pour mieux s’ouvrir aux souffles féconds venus d’ailleurs, afin de se réserver grâce à un généreux apport une place au rendez-vous du donner et du recevoir, comme l’aurait dit L. S. Senghor35 (1906-2001).

Conclusion Nous avons entrouvert des pistes de recherches prometteuses dont les réponses ne peuvent provenir que du terrain et des recherches urgentes à mener. Il est désormais acquis que l’Afrique n’a cessé, depuis l’antiquité, de produire des documents historiques écrits. S’ils sont restés inconnus, c’est justement à cause d’une conception biaisée de l’histoire et de l’écriture. Il est urgent de sauver ce patrimoine et cette mémoire de l’oubli ou d’une irrémédiable destruction. Un meilleur accès du public (élèves, enseignants, éducateurs, universitaires et surtout décideurs), ferait des manuscrits anciens des bibliothèques vivantes et non des pièces de musée et des reliques. Cela est d’autant plus nécessaire que la partie littéraire constitue les premiers monuments de la littérature nationale des pays concernés. Tout savoir qui n’est pas utilement exploité finit par nuire.

34.  Walter Philippe, Naissance de la littérature française. IXe - XVe siècle : anthologie, Grenoble, 1993. 35.  Poète, écrivain et homme politique sénégalais. Premier président de la République du Sénégal. Savoirs endogènes, quête de sens et écritures ouest-africaines

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L’état de dispersion dans lequel se trouvent des documents anciens, n’est certainement pas de nature à faciliter la tâche qui se fondera surtout sur des débouchés réels et non sur des déclarations d’intention ni de récupération de prestige. Dès lors, une approche pluridisciplinaire et interdisciplinaire s’impose, pour une meilleure exploitation de ces legs. Leur traduction et leur annotation permettront de mieux les prendre en compte. Malheureusement, même l’infime partie de ces anciens manuscrits qui se trouve dans les instituts de recherche des pays de l’Afrique occidentale, comme l’IFAN, ou l’Institut national des recherches en sciences humaines (IRSH) du Niger, n’est ni bien conservée ni bien exploitée par les chercheurs et les universitaires, ce qui n’aidera pas à sa collecte et à sa centralisation. Cette tâche est compliquée par de nouvelles menaces. En effet, les collectionneurs d’objets d’art et les réseaux de trafiquants ont déjà commencé à convoiter les anciens manuscrits ajami. Les calligraphies utilisées (le maghribi, le kufi, le ruqai, l’ifriiqi) sont d’une grande qualité artistique. Cette nouvelle menace risque d’hypothéquer très sérieusement la préservation de ces documents et leur exploitation académique. Les recherches devraient être menées selon une synergie plus agissante et garantir une meilleure exploitation des données collectées ou à collecter. Jusqu’à ce jour, elles n’ont le plus souvent été recueillies que de façon superficielle ou partielle, ou abordées essentiellement sous un angle africaniste ou arabisant. Or, une vision plus large s’impose, car il s’agit de préserver tout un pan de la culture africaine. Des moyens technologiques devront être mis en œuvre pour numériser et restaurer les textes collectés. Il conviendrait ensuite de les transcrire, de les traduire, de les analyser, de les interpréter et de les comparer. Tout manuscrit ancien qui se perd emporte avec lui une partie et une mémoire du patrimoine universel commun.

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Walter Philippe, Naissance de la littérature française, IXème– XVème siècle : anthologie, Ellug, Grenoble, 1993.

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CHAPITRE 7 Le fonds Gilbert Vieillard et les manuscrits de l’IFAN Cheikh Anta Diop Souleymane Gaye et Maïmouna Kane Résumé Ce chapitre est une analyse bibliographique du fonds Gilbert Vieillard conservé au Laboratoire d’islamologie de l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Après une brève présentation du Laboratoire d’islamologie de l’IFAN puis de Gilbert Vieillard, l’étude présente une analyse synthétique du fonds Vieillard et dresse brièvement une perspective d’ensemble sur la conservation des collections dans un institut qui a été l’un des meilleurs laboratoires de recherches africaines en son temps. La section relative à l’analyse synthétique d’un échantillon réduit de manuscrits de l’IFAN a été rédigée par Maimouna Kane, cependant que les autres parties sont l’œuvre de Souleymane Gaye.

D

ans le processus de développement des connaissances et du savoir, la recherche scientifique et technique, à l’instar de l’enseignement, occupe une place de choix. Sous ce rapport, l’IFAN de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar regorge, dans son Laboratoire d’islamologie, d’une mine d’informations portant sur le continent africain. Ces informations transcrites en arabe, en français et en langues locales (ajami), renferment de pertinentes réponses à des questions d’ordre sociétal qui intéressent non seulement le continent africain, mais aussi l’humanité toute entière.

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Présentation du Laboratoire d’islamologie de l’IFAN Cheikh Anta Diop C’est l’un des quatre laboratoires qui constituent le département des Langues et civilisations. Créé le 1er janvier 1965 par le professeur Vincent Monteil, le Laboratoire d’islamologie était, au départ, un département à part entière. En 1984, il est restructuré en un laboratoire ayant deux missions principales : a) collecter, inventorier, classer et conserver les manuscrits rédigés avec des caractères arabes en langue arabe ou en langues locales ou ajami de manière générale ; b) exploiter les manuscrits collectés pour en faire des publications sous forme d’ouvrages et d’articles (publiés le plus souvent dans des revues marocaines et tunisiennes) et aussi dans le cadre des études (mémoires et thèses). Jusqu’en 1980, le département d’islamologie avait cinq chercheurs dont quatre Sénégalais et un Belge. Présentement, son personnel comprend deux chercheurs et un conservateur. Le patrimoine du Laboratoire d’islamologie est composé, essentiellement, de manuscrits dont le nombre est estimé à environ 2 000 ouvrages, de microfilms et de cassettes audio. Les manuscrits sont classés en huit grands fonds que sont les fonds Vieillard, Figaret, Crémer, Gaden, Cheikh Moussa Kamara, Vincent Monteil, Amar Samb et le fonds des régions. La collecte des manuscrits a été initiée par l’administration coloniale française. Depuis le départ de l’administration coloniale, des efforts louables ont certes été consentis pour améliorer l’état de conservation de fonds très riches du point de vue de l’historiographie africaine. Mais les efforts de collecte de nouveaux manuscrits n’ont pas été probants et nécessitent présentement un appui marqué des autorités publiques et de la communauté internationale, tant est massive la demande dans les domaines du catalogage, de la restauration et de la valorisation de fonds interpellés en permanence par chercheurs et étudiants. Quant aux ouvrages dont dispose le laboratoire, ils ont été offerts par des pays tels la Libye, l’Arabie Saoudite, la Tunisie et le Koweït.

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Thèmes et pays couverts Les fonds ont trait à la civilisation arabo-islamique, la culture négroafricaine, l’exégèse islamique, l’histoire, l’astronomie, la grammaire, les traditions orales, le droit, la théologie, etc. Les zones géographiques couvertes sont le Sénégal et les pays de la sous-région (Mauritanie, Guinée, Mali et Burkina Faso). Trois catalogues ont été publiés sous les titres suivants : Catalogue des manuscrits de l’IFAN (1966) ; Supplément au premier catalogue (1973) et le Nouveau catalogue des manuscrits de l’IFAN Cheikh Anta Diop (1989).

Gilbert Vieillard Gilbert Vieillard est né le 31 décembre 1899, au Havre. Formé à l’Ecole coloniale de Paris, il devient un administrateur, linguiste et ethnologue de valeur. Il commence sa carrière africaine en 1926. Il a exercé au Fouta Djallon (Guinée), au Niger et en Haute Volta. Il s’est beaucoup intéressé à la langue et aux traditions et coutumes peuls. D’après Mamadou Bah1, G. Vieillard a effectué beaucoup de voyages dans le Fouta Djallon pour étudier d’abord le peul commercial qui est le peul vulgaire des grandes villes, que les autres ethnies peuvent apprendre, difficilement. Ensuite, pour mieux comprendre l’histoire du Fouta, il apprend le peul littéraire. Il finit par bien maîtriser cette langue, de telle sorte que certains l’appelaient, au Fouta Djallon, « pullo timudo » ; c’està-dire le peul complet. Il a fait un travail digne d’intérêt sur l’ethnologie et la linguistique peules, ce qui fait dire à Claude Malon que les notes de Gilbert Vieillard demeurent, encore aujourd’hui, incontournables pour ceux qui font des études sur les bibliographies africaines. En 1938, l’administrateur-adjoint des colonies, Gilbert Vieillard est affecté à l’Institut français d’Afrique noire (IFAN), chargé par intérim de la direction des archives et bibliothèques du Gouvernement général et des questions concernant les Archives et bibliothèques des colonies du groupe, durant une brève période. A en croire Claudy Malon, c’est une rencontre décisive avec Théodore Monod qui a permis à Gilbert Vieillard de travailler à l’IFAN, comme chercheur et archiviste. Il 1.  Bah, Mamadou, « Notre ami Vieillard », Notes africaines. Bulletin d’information et de correspondance de l’Institut français d’Afrique noire, n° 19, 1943, p. 1-2.

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quittera l’institution à l’approche de la seconde guerre mondiale et n’y retournera plus jamais par la suite. Il meurt prématurément à l’âge de 41 ans. G. Vieillard était très aimé et estimé au Fouta Djallon. Mamadou Bah soutient que lorsqu’il quittait la subdivision de Dalaba pour rejoindre Mamou où il avait été affecté, un chant lui avait été improvisé. Les nombreux documents qu’il a rédigés ou collectés sont conservés au Laboratoire d’islamologie.

Analyse bibliographique du fonds Vieillard C’est le plus grand fonds du Laboratoire d’islamologie. Ce fonds est entré à l’IFAN à la suite d’échanges de lettres entre le professeur Théodore Monod et Mme Gilbert Vieillard, du 7 août 1942 au 23 juillet 1947. Il regroupe des documents dont certains ont été collectés, et d’autres rédigés par Gilbert Vieillard lui même, entre 1927 et 1939, à travers des missions de terrain. Ces documents, très nombreux, sont conservés dans une cinquantaine de casiers métalliques qui leur servent d’abri. Support Le fonds Vieillard ne renferme ni papyrus, ni parchemin. Il est constitué de documents sur support papier, d’une dimension comprise entre 20 et 22 cm pour la majeure partie des manuscrits, et entre 27 et 31 cm pour le reste. C’est un papier un peu plus épais que celui que nous utilisons de nos jours mais qui, depuis un certain temps, commence à jaunir. On y trouve également des papiers filigranés. Toutefois, il convient de signaler que les feuillets des manuscrits ne sont pas reliés. Encre L’encre, utilisée pour les manuscrits rédigés avec les caractères arabes, est le plus souvent de couleur noire, à base de carbone (encre traditionnelle), rouge ou bleue pour la vocalisation haraka, le nom d’Allah ou de Son prophète Muhammad (PSL), et quelques termes répétitifs qui terminent les vers, tandis que celle utilisée pour les documents transcrits en caractères latins est noire ou violette (encre de l’administration coloniale). Le fonds Gilbert Vieillard et les manuscrits de l’IFAN Cheikh Anta Diop

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Cahiers Le cahier représente ce qu’est le dossier pour les archives. Autant le dossier contient une ou plusieurs pièces, autant le cahier contient un ou plusieurs manuscrits. A titre d’exemple nous pouvons citer le cahier n° 25 F.D. (Fouta Djallon) qui contient un seul manuscrit arabe sur La guerre sainte au Fouta Djallon, et le cahier n° 59 F.D. (Fouta Djallon) qui en comporte 9, écrits en arabe et en peul avec quelques traductions en français, et des transcriptions en caractères latins. Les cahiers, au nombre de 220, tous numérotés, sont mis dans des boîtes logées dans les casiers métalliques. Classement Le classement du fonds Vieillard s’est fait suivant la provenance des documents. Il est géographique. De ce fait, nous avons quatre zones : Fouta Djallon, Masina, Niger et pays voisins, et Mauritanie. A l’intérieur de ce classement, il y a un sous-classement thématique, par ordre alphabétique : A : documents historiques ; B : documents littéraires et linguistiques ; C : documents ethnosociologiques ; D : documents religieux et magiques ; E : documents scientifiques ; F : documents divers. Pays couverts Les pays et localités couverts par le fonds Vieillard sont, notamment, le Fouta Djallon, le Masina, le Niger et la Mauritanie. Thèmes abordés Ce sont les thèmes traités dans le fonds Vieillard qui ont conduit au classement thématique cité plus haut. Une analyse de leur contenu

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permet de constater que les manuscrits du fonds Vieillard sont rédigés en français (pour les notes), en arabe ou en ajami (fulfuldé, hausa, djerma). On y trouve également, des manuscrits transcrits en caractères latins, et ensuite traduits en français. Ces manuscrits (environ 481) sont d’un grand intérêt scientifique. Ils abordent plusieurs disciplines dont l’histoire, la culture, les sciences profanes et religieuses. Le plus ancien manuscrit du fonds Vieillard date de 1851. Il a été rédigé par Sa‘d Ibn Ibrahim ; son intitulé est : Liqâ al-Muslimîn wa al-Kâfirîn qaryat Kalin fî balad sankullâ. L’IFAN en détient une copie qui est conservée dans le cahier n° 54 F.D. Il est suivi par un manuscrit, un peu moins ancien, qui date de 1864. Il s’agit du manuscrit d’Abd Allah Ibn Barr, plus connu sous le nom de Cheikh Hamîd ou . î al-Darr. Ce manuscrit arabe de 2 feuillets, traitant des préparatifs au jihâd, est l’un des rares documents du fonds qui respectent la méthodologie d’écriture d’un manuscrit. L’auteur commence par le basmalah, puis le hamdalah, ensuite le tasliyah et introduit son nom et l’intitulé de son travail après le terme wa ba‘d. A la fin, il met la date hégirienne après avoir formulé des prières. Ce qui n’est pas le cas de beaucoup de manuscrits du fonds Vieillard. Nous avons consulté chaque rubrique du classement thématique et en avons déduit ce qui suit. Documents historiques Il comprennent des târîkhs et chroniques qui relatent l’origine des Peuls, les notabilités, les généalogies, les relations avec le pouvoir central, le règne des Almamys tels qu’Alfaya, Soriya, Bocar Biro, Yaya, mais également les guerres saintes ou jihâd, les préparatifs aux combats et des poèmes sur les victoires et les martyrs. Documents littéraires et linguistiques Ce sont des notes linguistiques et des éléments de grammaire de la langue peule. On y trouve également des notes de vocabulaire, des historiettes, des devises de villages, des études sur la poésie du Masina, des recueils de poèmes et de chants, des dictons et proverbes peuls, des contes et fables islamisés et récits mythologiques dont la majeure partie a été racontée par Si Gungu Maïga.

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Documents ethno-sociologiques Ces documents renferment des notes sur les pays et villages du Masina, des essais sur les coutumes peules, des titres familiaux et des noms d’honneur. Ils regorgent aussi de notes sur les habitants et les groupes sociaux, ainsi que des relations d’hérédité entre groupes sociaux, sur les différentes étapes de la vie de l’enfance à l’âge adulte, en passant par l’initiation dans la case de l’homme (la circoncision). Il y a également des renseignements sur le mariage, les castes, les métiers, l’élevage avec la description du bétail et le calendrier pastoral, les incantations, les cérémonies d’enterrement et enfin quelques éléments sur les émigrés en Sierra Léone. Documents religieux et « magiques » Nous avons ici, d’une part, des documents sur la vie religieuse, sur l’enseignement et l’éducation des enfants, quelques éléments de jurisprudence islamique, des poèmes religieux, des indications sur les talismans, une traduction du Coran en langue peule, des textes sur la fête du ramadan, sur l’Aïd al-Kabîr, des écrits sur les jours et heures néfastes, et, d’autre part, des textes sur la magie, le mauvais sort, les danses rituelles, les paroles et gestes de bon augure et le culte traditionnel. Documents scientifiques Ils traitent de la zoologie, avec une description des différentes espèces d’oiseaux, leurs noms et des animaux sauvages ; de la botanique, avec les noms des plantes médicinales et leur propriété ; et de l’économie domestique. Documents divers Ces documents sont composés de correspondances administratives sur les missions, de circulaires, de lettres entre l’IFAN et la Croix-Rouge, lors de la disparition de Gilbert Vieillard, de correspondances entre Henri Gaden et Vieillard de 1929 à 1939, et des papiers personnels de Gilbert Vieillard.

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Conservation des collections La grande salle du laboratoire d’islamologie fait environ 13 m de long sur 6 m de large. A l’image du fonds Vieillard, presque tous les manuscrits des autres fonds du laboratoire ont pour support le papier. Seul le fonds Brévié renferme quelques papyrus. Certains manuscrits ont été écrits avec l’encre traditionnelle, et d’autres, avec celle qu’utilisaient les colons (l’encre violette). Dans le souci de sauvegarder ces documents, quelques uns ont été depuis longtemps microfilmés. Cependant, à l’heure actuelle, l’appareil de lecture pour ces microfilms n’est pas disponible à l’IFAN et cette méthode de conservation n’est plus utilisée par l’Institut.

Photographie : IFAN Figure 1 : Manuscrit en état de dégradation de la collection de manuscrits du fonds Vieillard de l’IFAN

Le laboratoire ne dispose pas d’équipement pour la restauration ou la conservation des documents. Nous n’avons ni atelier, ni armoire, encore moins des outils ou produits pour lutter contre l’acidité, l’humidité ou les insectes.

Le fonds Gilbert Vieillard et les manuscrits de l’IFAN Cheikh Anta Diop

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Les problèmes de conservation et de restauration perdurent. Malheureusement, le laboratoire n’a pas de budget propre pour faire face aux aléas biologiques (insectes) et chimiques (humidité, acidité). Certains manuscrits ont commencé depuis longtemps à jaunir et, le texte, à devenir illisible ; d’autres se cassent parce que le papier est très acide. Quelques manuscrits sont dans un état de dégradation très avancée et nécessitent une urgente restauration.

Photographie : IFAN Figure 2 : Exemple d’un manuscrit presque illisible de la collection du fonds Brévié de l’IFAN, université Cheikh Anta Diop (Dakar)

Ce dont le laboratoire dispose comme matériel se limite à un ordinateur, une imprimante, des casiers métalliques (200) pour les manuscrits, un rayonnage pour les monographies (livres), une petite armoire pour les documents de référence, une grande table et des chaises pour les utilisateurs qui viennent consulter les documents, un bureau pour le conservateur et un split (climatiseur). Donc pour la conservation proprement dite, nous n’avons que les casiers métalliques et le split. Cependant, du fait que les technologies de l’information et de la communication permettent d’avoir de nouveaux supports, et d’autres méthodes de conservation de l’information, il est impératif que l’institut profite des avancées technologiques pour la sauvegarde des manuscrits.

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Photographie : IFAN Figure 3 : Notes de G. Vieillard

Les manuscrits, comme les archives et certains documents précieux de la bibliothèque, sont sérieusement menacés. Néanmoins, quelques efforts ont été fournis dans le partenariat entre l’université de Toulouse 2 le Mirail et l’IFAN, à travers le projet Biens culturels africains. C’est un projet de numérisation des documents textuels, iconographiques, sonores et audiovisuels de l’IFAN Quelques documents ont été numérisés et sont accessibles par internet à l’adresse http://bca.ucad.sn:8180/jspui/. Dans ce projet, deux équipes de numérisation ont été mises sur pied. Il s’agit de l’équipe audiovisuelle qui représente le service audiovisuel de l’IFAN et de l’équipe textuelle composée du Laboratoire d’islamologie, du service de la Documentation, du service des Archives et du service des Publications. Le service de la Documentation dispose de deux scanners qui ont permis aux autres services de l’équipe textuelle de numériser quelques documents. La digitalisation des manuscrits est en cours et se poursuit timidement, le laboratoire d’islamologie ne disposant pas de matériel de numérisation qui lui est propre. Numériser est une forme de conservation qui permet de sauvegarder le contenu du document, mais Le fonds Gilbert Vieillard et les manuscrits de l’IFAN Cheikh Anta Diop

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pour sauver le manuscrit et son support, il faut indubitablement une bonne restauration et une bonne conservation. Ces manuscrits d’une valeur inestimable, qui retracent l’histoire de l’Afrique de l’Ouest et de plusieurs parties du continent africain, méritent une grande considération et une attention particulière. Ce patrimoine constitue une mine d’informations sur lesquelles se sont basés beaucoup de scientifiques, d’historiens, d’ethnologues pour mieux comprendre la vie de manière générale et mieux faire avancer les sociétés africaines vers le progrès. En négligeant de sauvegarder ces documents, l’Afrique risque de perdre un pan entier de son histoire. Pour faire profiter la communauté scientifique nationale et internationale (chercheurs, professeurs et étudiants, etc.) de cette richesse inestimable que représentent les manuscrits, le traitement, la sauvegarde, la diffusion et la valorisation de ces derniers s’avèrent nécessaires sinon impératifs.

Photographie : IFAN Figure 4 : Décision confirmant l’affectation de G. Vieillard à la direction des Archives du Gouvernement général

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Photographie : IFAN Figure 5 : Première correspondance adressée à Mme Vieillard pour l’envoi du fonds de son défunt mari à l’IFAN

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Analyse synthétique des manuscrits Histoire du Soudan Les trois documents suivants traduits par Octave Houdas ne sont pas disponibles à l’IFAN ni à la bibliothèque universitaire de Dakar. Cependant, leurs références et descriptions sommaires sont disponibles sur l’internet, à l’adresse suivante : http://fr.encarta.msn.com/Tarikh es Soudan de O.Houdas.htm du Soudan. 1.

Titre du document : Tarikh es-Sudan

Auteur : Abderahman Ben Abdallah Ben ‘Imran Ben ‘Amir EsSa’adi ; traduction et édition par O. Houdas, Edm. Benoist Date : Paris, reproduction photographique 1981 de l’édition originale de 1898-1900 Nombre de feuillets : Vol. I 326 pages. — Vol. II XIX-540 pages. Dimension : 18,80 x 13,60 cm. Description sommaire : ce texte arabe a été rédigé vers 1650 par un érudit de Tombouctou. Le Tarikh es-Sudan, Histoire du pays des Noirs retrace l’histoire du Soudan occidental : il traite des grands empires (Ghana, Mali, Songhaï), des souverains et des événements survenus dans les vallées du Sénégal et du Niger, depuis l’arrivée de l’islam (XIe siècle). Ce document, le seul écrit et aussi complet sur cette période, sert aujourd’hui de référence, tout comme le Tarikh el-Fettach, pour l’étude de l’histoire de l’Afrique occidentale. L’intérêt du Tarikh es-Sudan tient également à sa diversité descriptive : Abderrahman es-Sa’adi y décrit l’architecture, l’état d’esprit de la population, les faits d’armes et les lâchetés, les coutumes et les anecdotes de la vie quotidienne. Il évoque cette période tragique où l’expédition marocaine détruisit l’Empire songhaï (1591). Il dépeint aussi, en partie, la splendeur de Tombouctou. Retrouvé à Djenné par Félix Dubois, le manuscrit du Tarikh es-Sudan a été étudié et traduit à Paris par un spécialiste des langues orientales. Sommaire : Vol. I : Texte arabe — Errata du texte arabe et variantes du manuscrit. Vol. II : Introduction par O. Houdas — Doxologie — Introduction — Chap. I : Liste des princes du Songhaï — Chap. II : Origine des

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Sonni — Chap. III : Le roi de Melli, Kankan-Mousa — Chap. IV : Le royaume de Melli — Chap. V : Description de Dienné : notice historique à son sujet — Chap. VI : Biographie des savants de Dienné— Chap. VII : Tombouctou et sa fondation — Chap. VIII : Notice sur les Touareg — Chap. IX : Biographie des principaux savants et saints personnages qui ont habité à Tombouctou à diverses époques (Dieu leur fasse miséricorde, leur témoigne sa satisfaction et nous fasse profiter de leur influence dans ce monde et dans l’autre !) - Mention de leurs mérites et de leurs œuvres — Chap. X : Biographie des savants de Tombouctou — Chap. XI : Mention par ordre chronologique des imams de la grande mosquée et de la mosquée de Sankoré — Chap.XII : Sonni-’Ali — Chap. XIII : Askia-EI-HâdjMohammed — Chap. XIV : Askia-Mousa et AskiaMohammed-Benkan — Chap. XV : Askia-Isma’ïl — Chap.XVI : Askia.Ishâq — Chap. XVII : Askia-Daoud — Chap. XVIII : Askia-el-Hâdj — Chap. XIX : Askia-Mohammed-Bano — Chap. XX : Askia-Ishâq II, fils de Askia-Daoud — Chap. XXI : Venue du pacha Djouder au Soudan — Chap. XXII : Askia-Mohammed-Kagho - AskiaNouh - Révolte de Dienné — Chap. XXIII : Liste des chefs de Dienné - Les Touareg attaquentTombouctou — Chap. XXIV: Lutte contreAskia-Nouh Mort du pacha Mahmoud-ben-Zergoun - Expédition contre le Mâsina — Chap.XXV : Le pacha ‘Ammâr - Lutte contre le Mâsina — Chap. XXVI : Les rois du Mâsina — Chap. XXVII: Les pachas Selimân, Mahmoud-Lonko — Chap. XXVlII : Décadence de la dynastie régnante au Maroc en punition des excès qu’elle avait commis au Soudan — Chap. XXIX : Révolte de Es-Saouri contre Maulay Zidân au Maroc — Chap. XXX : Obituaire et récit de divers événements par ordre chronologique (1591-1613) — Chap. XXXI : Le pacha Aliben-Abdallah-et-Telemsani - Ahmed-ben-Yousef-el-’Euldji-‘Ammar - Haddou-ben-Yousef-el-Adjenasi - Mohammed-ben-Ahmed-el-Massi - Hammou-ben-Ali-ed-Der’i - Yousef-ben-’Omar-el-Qasri - Ibrahimben-Abdelkerim- el-Djerari et Ali-ben-Abdel-Kader — Chap. XXXII : Voyage de l’auteur au Mâsina pour la conclusion d’un traité de paix — Chap. XXXIII : Le pacha Ali-ben-Abdelkader - Sa lutte contre Kagho et sa mort — Chap. XXXIV : Obituaire et récit des événements qui se sont passés de l’année 1021 à l’année 1042 (4 mars 1612 - 19 juillet 1632) — Chap. XXXV : Expédition contre le Mâsina - Les pachas du Soudan de l’année 1042 à l’année 1063 de l’hégire (1632-1653) — Chap. XXXVI : Obituaire et récit des événements de l’année 1042 (19 Le fonds Gilbert Vieillard et les manuscrits de l’IFAN Cheikh Anta Diop

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juillet 1632 - 8 juillet 1633) à la fin de l’année 1063 (2 décembre 1652 - 22 novembre 1653) — Chap. XXXVII : Liste par ordre chronologique des principaux fonctionnaires de Dienné et de Tombouctou, depuis l’occupation marocaine jusqu’à l’année 1653 — Chap. XXXVIII : Evénements qui s’accomplirent de l’année 1064 à l’année 1066 de l’hégire (1654 et 1655) — Index alphabétique — Errata

2. Titre du document : Tarikh el-Fettach fi Akhbâr El-Bouldân wa-L-Djouyouch wa-Akâbir En-Nâs « Chronique du chercheur pour servir à l’histoire des villes, des armées et des principaux personnages du Tekrour » Auteur(s) : Mahmoud Kati Ben El-Hadj El-Motawakkel Kati et l’un de ses petits fils ; trad. O. Houdas, M. Delafosse Date : Paris, reproduction photographique 1964, réimpression Paris, 1981. Nombre de feuillets : 2 vol. en 1, Vol. I Texte arabe, 186 pages — Vol. II Traduction française, XX-362 pages, 1 croquis du Soudan Nigérien hors texte Dimension : 18,80 x 13,60 cm. Description sommaire : rédigé aux XVIe et XVIIe siècles, le Tarikh el-Fettach retrace l’histoire du Soudan occidental (ou Tekrour) depuis l’arrivée de l’islam jusqu’à la moitié du XVIIe siècle. Aujourd’hui, le Tarikh el-Fettach est considéré par les spécialistes, avec le Tarikh esSudan, comme l’ouvrage de référence pour l’étude historique du Soudan. A la fin du XIXe siècle, la découverte à Djenné (Mali) du manuscrit du Tarikh es-Sudan convainc les érudits de l’Ecole des langues orientales du passé prestigieux du Soudan occidental. Sur place, on demande aux administrateurs et aux spécialistes des « affaires indigènes » de « rechercher les ouvrages ayant trait à l’histoire du pays ». C’est ainsi qu’en 1911, l’un d’eux découvrit un ouvrage rare relatant l’histoire des rois du Soudan : il s’agissait d’un ouvrage évoqué dans le Tarikh esSudan, sous le nom de Fetassi, et qui le complète sur de nombreux points. Les recherches sur la genèse de l’ouvrage montrent que l’auteur est mort bien avant la fin de la rédaction de l’ouvrage qui aurait probablement été achevé par son petit-fils, en 1665. Sommaire : Vol. I : Avertissement — Texte arabe — Appendice. Vol.II : Introduction — Avertissement — Indications de l’auteur — Doxologie —

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Préface — Chap. I : Principales particularités de la vie et du règne de l’askia EI-Hâdj Mohammed — Chap. II : Kankan-Moussa et l’Empire du Mali — Chap. III : Le royaume du Kaniâga ou royaume de Diâra — Chap. IV : L’empire des kayamaga — Chap. V : Histoire des rois du Songaï de la dynastie des chi et notamment du chi Ali — Chap. VI : Biographie de l’askia Mohammed — Chap. VII : Règne de l’askia Moûssa — Chap. VIII : Règne de l’askia Mohlammed-Bounkan — Chap. IX : Règne de l’askia Ismâïl — Chap. X : Règne de l’askia Ishâq — Chap. XI : Règne de l’askia Dâoûd — Chap. XII : L’askia El-Hâdj et le câdi de Tombouctou El-’Aqib — Chap. XIII: :L’askia Mohammed-Bâni — Chap. XIV : L’askia Ishâq II — Chap. XV : L’askia Mohammed-Gâo et la chute du royaume de Gâo — Chap. XVI : Les pachas marocains de Tombouctou et Noûh, askia du Dendi. Appendice — Deuxième appendice — Index alphabétique.

3. Titre du document : Tezkiret-en-Nissian fi Akhbar Molouk esSoudan « Rappel à l’oubli : biographie des Pachas du Soudan » Nom de l’auteur : Inconnu Traduction française, texte arabe édité par O. Houdas avec la collaboration de Edm. Benoist. Date : 1899-1901, Paris, reproduction photographique 1966 de l’édition originale de 19131914 Nombre de feuillets : XIV-415 pages de traduction française et 232 pages de texte arabe. Dimension : 19 x 14 cm Langue : français. Description sommaire : ce volume contient deux ouvrages d’inégale importance : le Tedzkiret-en-Nisiân, biographie des pachas du Soudan, et un fragment de l’Histoire du Sokoto, biographie de trois princes ayant règné sur cette contrée au début du XIXe siècle. Le Tedzkiret-enNisiân est important par l’intérêt des informations qu’il rapporte sur l’occupation marocaine à Tombouctou. Ces renseignements font, en effet, suite à ceux fournis par le Tarikh es-Sudan, tout en étant présentés sous une forme un peu différente. Le Tedzkiret-en-Nisiân n’est pas rédigé sous la forme d’un véritable ouvrage historique : c’est simplement un dictionnaire biographique de tous les pachas de Tombouctou depuis l’année 1590 jusqu’en 1750. Les notices des pachas mentionnés dans le Tarikh-es-Soudân ont été reproduites textuellement par le Tedzkireten-Nisiân. On voit par là que l’auteur du Tedzkiret-en-Nisiân avait à sa

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disposition l’ouvrage d’es-Sa’adî et qu’il y a puisé largement pour toute la période antérieure à 1656. Sommaire : Introduction - Traduction du Tedzkiret-en-Nisian ou Biographie des pachas du Soudan - Histoire du Sokoto - Appendice : Tableau chronologique des pachas de Tombouctou - Index alphabétique du Tedzkiret-en-Nisian - Index alphabétique de l’Histoire du Sokoto Liste par ordre alphabétique des pachas dont la biographie est donnée par le Tedzkiret-en-Nisian - Errata de la traduction du Tedzkiret-enNisian et de l’Histoire du Sokoto - Texte en arabe Fonds Brevié – Figaret 4.

Titre du manuscrit : Tarikh Walata « Histoire de Walata »

Nom de l’auteur : Mohamed al Mustapha Ben Omar Ben Sidi Mohamed Nom du copiste : Inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 1 Fonds Brevié – Figaret, IFAN, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal Date : inconnue Nombre de feuillets : 26 Couleurs des encres : noire Nombre de lignes par page : 31 - 16 Dimension du manuscrit : 27,5 x 21,5 cm Dimension du texte : 25,5 x 19 cm ; 18 x 23 cm Langue : français. Description sommaire : comme son titre l’indique, ce document retrace chronologiquement l’histoire de Walata à savoir la succession des rois et des différents évènements qui ont marqué le royaume de Walata. En effet, le pays était peuplé de Maures, de Peulhs, d’Arabes et de Touaregs. Cette diversité ethnique serait à l’origine des guerres entre les populations. D’autre part, nous assistons à l’appel aux guerres saintes contre les peuples qui ne respectaient pas la loi musulmane et refusaient de payer l’impôt.

5. Titre du manuscrit : Tarikh El hadj Omar « Histoire d’El Hadj Omar » Nom de l’auteur : inconnu Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre: cahier n° 10 Fonds Brevié – Figaret, IFAN, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal Date : inconnue Nombre de feuillets : 49 Type d’écriture : caractères latins Couleurs des encres : noire

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Nombre de lignes par page : 30 - 32 Dimension du manuscrit : 30 x 19,5 cm Dimension du texte : 23,5 x 15 cm Langue : français. Description sommaire : ce document relate les commandements de la guerre sainte par El Hadj Omar. En plus, l’auteur note les différents lieux de combat, les villages qui étaient sous la tutelle du Cheikh, les noms de quelques chefs qui lui ont succédé et d’autres infidèles qu’il a combattus à Dinguiray et Hamdalaye.

6. Titre du manuscrit : Târikh Ahmad Ibn « Histoire d’Ahmadou, fils d’El Hadj Omar » Nom de l’auteur : Makki Tall Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n°12 Fonds Brevié – Figaret, IFAN, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal Date : inconnue Nombre de feuillets : 6 Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire Nombre de lignes par page : 17 – 18 Dimension du manuscrit : 17,5 x 11,5 cm Dimension du texte : 14 x 9 cm ; 14,5 x 11 cm Langue : arabe. Description sommaire : ce document historique relate d’importants événements qui ont eu lieu entre Ahmadou fils d’El Hadj Omar Tall et les Français. L’auteur y évoque également les différents commandements d’Ahmadou Tall, les différentes étapes de leurs combats contre les colonisateurs, l’appel à la guerre sainte comme le fit son père.

7. Titre du manuscrit : Bilaadi-t-tekruurfii taarikhInfaaqu-lmaysuur « L’histoire du Tekrur (Fouta Toro) » Nom de l’auteur : Muhammad Bello ben Ousmane ben Fodé Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 8 Fonds Brevié – Figaret, IFAN, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal Date : inconnue Nombre de feuillets : 61 Type d’écriture : Maghrébin Couleurs des encres : noire et rouge Nombre de lignes par page : 23 Dimension du manuscrit : 21 x 15,5 cm Dimension du texte : 16 x 10,5cm ; 16 x 10 cm Langue : arabe.

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Description sommaire : ce manuscrit traite de l’histoire du royaume du Tekrur, de ses peuples et de ses provinces. Nous avons également l’histoire du Nigéria à l’époque coloniale. L’auteur incite à la renaissance de la religion musulmane, à la guerre sainte. Il développe, par ailleurs, quelques points sur la jurisprudence islamique.

8. Titre du manuscrit : Târîkh Fûta Djalou « Histoire du Fouta Djallon » Chroniques du Fouta à partir des manuscrits de Siré Abass Sow Nom de l’auteur : Tierno Yahya Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 24 Fonds Brevié – Figaret, IFAN, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal Date : 1937 Nombre de feuillets : 5 Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire Nombre de lignes par page : 9 Dimension du manuscrit : 10,5 x 10 cm Dimension du texte : 7 x 7 cm Langue : arabe. Description sommaire : dans cette chronique du Fouta Djallon, l’auteur évoque la guerre sainte menée par le roi de Labé contre les « infidèles ». Sont également évoquées la succession des différents rois, leur généalogie, leurs conquêtes et les différentes provinces du royaume.

9. Titre du manuscrit: Tadhkiratun-nisyan fi akhbari muluki assudan « Rappel à l’oubli : biographie des Pachas de Tombouctou » Nom de l’auteur : inconnu Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 20 Fonds Brevié – Figaret, IFAN, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal. Date : 1164H Nombre de feuillets : 236 p. Type d’écriture : Maghrébin Couleurs des encres : noire Nombre de lignes par page : 20 ; 21 ; 24 Dimension du manuscrit : 21,5 x 15 cm Dimension du texte : 18 x 12,5 cm ; 18 x 13 cm Langue : arabe. Description sommaire : ce manuscrit retrace l’histoire chronologique des Pachas de Tombouctou suivant un ordre alphabétique avec leur biographie et leurs différentes périodes de règne.

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Photographie : IFAN Figure 6: Tadhkiratun-nisyan fi akhbari muluki as-sudan « Rappel à l’oubli : biographie des Pachas de Tombouctou »

Table des matières : Liste des Pachas de Tombouctou par ordre alphabétique (p. 2 – 45) – Liste des Pachas dont la lettre commence par la lettre ‫( م‬Mim) (p. 45 – 83) – Liste des Pachas dont la lettre commence par la lettre ‫( س‬Sin) p. 83 – Liste des Pachas dont la lettre commence par la lettre ‫( ح‬Ha’) p. 114 – Liste des Pachas dont la lettre commence par la lettre ‫( ب‬Ba’) p. 189 – Liste des Pachas dont la lettre commence par la lettre ‫( ن‬Nun) p. 212 – Liste des Pachas dont la lettre commence par la lettre (Fa’) p. 214.

10.

Titre du manuscrit : Histoire du Fouta Djallon

Nom de l’auteur : Makki Tall Nom du copiste : Modi Mohamed ben Modi Abdullah Numéro d’ordre : cahier n° 24 Fonds Brevié – Figaret, IFAN, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal. Date : inconnue Nombre de feuillets : 3 Type d’écriture : caractères latins Couleurs des encres : noire Nombre de lignes par page : 32 ; 31 Dimension du

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manuscrit : 30 x 19,5 cm Dimension du texte : 26,5 x 15,5 cm ; 26 x 15,5 cm Langue : français. Description sommaire : il faut noter que le début du texte manque. L’auteur retrace ici l’histoire de la succession des Almamys du Fouta Djalon et leurs différentes conquêtes. Parmi ces Almamys, on peut noter selon l’ordre de leur succession : Sori, Abdoulaye Bâ, Abdul Kadir, Boubakar Dhikrou, Boubakar, Oumarou, Ibrahima. Documents religieux 11. Titre du manuscrit : Ajwibatu Shaykh Mukhtar Ibn Abi Bakr al Kunti « Les réponses de Cheikh Mukhtar ibn Abi Bakr al Kunti » Nom de l’auteur : Cheikh Mukhtar al Kunti Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 21 Fonds Brevié – Figaret, IFAN, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal. Date : 1321 H Nombre de feuillets : 7 Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire et rouge Nombre de lignes par page : 19 – 20 – 24 – 26 – 6 Dimension du manuscrit : 22,5 x 16,5 cm Dimension du texte : 17,5 x 12 cm ; 16,5 x 12 cm ; 19 x 12 cm ; 21 x 12 cm Langue : arabe. Description sommaire : dans ce texte, le Cheikh répond à la question qui lui a été posée à savoir s’il y’a une différence entre les biens pris aux guerriers et ceux pris aux coupeurs de route. Il a ainsi apporté des réponses avec de nombreuses citations et des livres indispensables aux cadi,s soit des ouvrages sur le droit musulman.

12. Titre du manuscrit : Risalatu Muhammed Abdul Karim al Maghili ila Askia Muhammed « Lettre de Mouhamed Abdul Karim al Maghîli à Askia Mouhamed » Nom de l’auteur : Mouhamed Abdul Karim al Maghîli Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 22 Fonds Brevié – Figaret, IFAN, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal Date : 1822 Nombre de feuillets : 14 Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire Nombre de lignes par page : 24 ; 29 Dimension

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du manuscrit : 20,5 x 15 cm Dimension du texte : 16 x 11 cm; 19,5 x 11,5 cm Langue : arabe. Description sommaire : dans cette lettre, Mouhamed al Maghîli répond à Askia Mouhamed sur différents thèmes théologiques : la croyance en Allah, le choix des compagnons ou disciples (faire le bon choix pour la bonne gestion de son royaume), des questions sur la morale religieuse, l’interdiction du mal surtout les grands péchés. Il incite le roi à la foi en Dieu et donne aussi de bons conseils concernant les comportements à l’égard de ses sujets.

13. Titre du manuscrit : Risalatu Muhammed Bellu Amiru Sukutu ila amiru Masina « Correspondance de Mouhamed Bello, l’émir de Sokoto à l’émir Ahmadou du Macina » Nom de l’auteur : Cheikh Ahmed ben Mohamed ben Abu Bekr Nom du copiste : Mahmoud Numéro d’ordre : cahier n° 7 Fonds Brevié – Figaret, IFAN, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal Date : inconnue Nombre de feuillets : 8 Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire Nombre de lignes par page : 29 – 31 – 26 Dimension du manuscrit : 21,5 x 16 cm Dimension du texte : 19 x 13 cm ; 18,5 x 13 cm ; 11,5 x 14 cm Langue : arabe. Description sommaire : correspondance adressée au Cheikh Ahmed ben Mohamed ben Abu Bekr ben Sa‘id. Dans cette lettre, l’Emir Mohamed Bello répond à l’Emir du Macina, lui présentant ses condoléances suite à la lettre qu’il lui avait écrite pour lui annoncer la mort de leur Emir. Mohamed Bello donne ensuite des conseils sur ses relations avec ses frères musulmans, en prenant comme référence des versets coraniques et des hadiths du Prophète (PSL). Des conseils sur l’amitié, la piété, l’envie sont prodigués ainsi que sur le respect du pacte signé avec les deux Cheikh : le Cheikh Sayyid Mohamed et le Cheikh Abdallah.

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Documents linguistiques 14.

Titre du manuscrit : Proverbes peuls et toucouleurs

Nom de l’auteur : collectés par Gaden Nom du copiste : Henri Gaden Numéro d’ordre : cahier n° 41, Fonds Gaden, IFAN, Date : inconnue Nombre de feuillets : 1238 fiches de proverbes peuls et 157 fiches sur le vocabulaire. Type d’écriture : caractères latins Couleurs des encres : noire et crayon Nombre de lignes par page : 6 – 8 – 5 Dimension du manuscrit : 15,5 x 11,5 cm ; 10 x 15 cm Dimension du texte : 7 x 13 cm Langue : français et pulaar. Description sommaire : recueil de proverbes et de vocabulaire peuls collectés par Henri Gaden sur des fiches, et écrits en caractères latins, avec une traduction française. Fonds Vieillard Documents historiques 15.

Titre du manuscrit : Tarikh du Fouta Djallon

Nom de l’auteur : Nouh Nom du copiste : Mouhamed Salih ibn Thierno Ousmane Numéro d’ordre : cahier n° 1 Fonds Vieillard, IFAN, UCAD Date : inconnue Nombre de feuillets : 5 Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire et rouge Nombre de lignes par page : 15 - 16 - 13 Dimension du manuscrit : 20 x 16,5 cm ; 11,5 x 9 cm Dimension du texte : 16,5 x 12,5 cm ; 15,5 x 12 cm ; 12,5 x 13 cm ; 9 x 8,5 cm Langue : pulaar en caractères arabes. Description sommaire : ce manuscrit retrace l’origine des Peuls du Fouta Djalon. L’auteur y donne une liste des rois du Fouta et précise les périodes de règne. L’origine de ces rois serait rattachée, selon cet auteur, à Fass (ou Fez du Maroc), donc à une lignée arabe passée par Diawbé, en pays mandingue, avant de s’installer définitivement au Fouta Djalon. L’auteur évoque également la déclaration de la guerre sainte des princes musulmans aux infidèles qui sera marquée par la domination des Foulahs. Le texte contient une généalogie des Fulbé (Peuls).

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Photographie : IFAN Figure 7 : Tarikh du Fouta Djallon

16. Titre du manuscrit : Al Qur’an al Karim bi-l-lugha al ‘arabiyya wa-l-fullaniyya « Coran bilingue arabe et peul » Nom de l’auteur : Signalé par Ahmadou Hampaté Bâ Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 99 Fonds Vieillard, IFAN Date : inconnue Nombre de feuillets : 1240 Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire et rouge Nombre de lignes par page : 16 ; 18 Dimension du manuscrit : 20 x 15,5 cm Dimension du texte : 19 x 13 cm ; 18 x 13 cm Langue : arabe et pulaar en caractères arabes. Description sommaire : Saint Coran avec la traduction juxtaposée en langue peule du Fouta Djallon.

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Fonds Henri Gaden 17.

Titre du manuscrit : Histoire du Fouta Toro

Nom de l’auteur : Steff (Capitaine) Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n°2, Fonds Gaden, IFAN, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal Date : 1913 Nombre de feuillets : 70 p. Type d’écriture : dactylographié Couleurs des encres : noire Nombre de lignes par page : Dimension du manuscrit : 30,5 x20,5 cm Dimension du texte : 22 x 17 cm Langue : français. Description sommaire : dans ce texte, le capitaine français Steff fait l’historique du Fouta, de l’année 271 de l’hégire à la conquête des Français, d’après les renseignements recueillis dans le Gorgol et ses environs. Est aussi évoquée la succession des différentes dynasties qui ont gouverné le Fouta et y ont habité : les Diagos d’origine wolof (271 à 571) ; Les Manas (Sarakolé) de 571 à 701 ; les Toudiang (Sérères) de 701 à 821 ; les Lantermesses (Peulhs Diaobés) de 821 à 851 ; les Lamtagas (Maures du Littama) de 851 à 891 ; les Déniankés (Malinkés) de 891 à 1191 ; et enfin les Torodos (Toucouleurs) de 1191 à 1308 avant la conquête du pays par les Français.

18. Titre du manuscrit : Cahier de Yoro Diao sur l’histoire du Cayor et du Oualo Nom de l’auteur : Yoro Diao Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n°9 Fonds Gaden, IFAN Date : inconnue Nombre de feuillets : 1 Type d’écriture : caractères latins Couleurs des encres : noire Dimension du manuscrit : 31 x 20 cm Dimension du texte : 23 x 18 cm Langue : français. Description sommaire : notes sur les chefs du Walo ayant signé avec le Brak Omar Mbodj le traité de 1819 (le Brack Amar Mbodj, Birame Coura, Mâlo Ndyak Ndougo et Diogomaye Dyak Diao).

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19.

Titre du manuscrit : Carte de Tombouctou

Auteur : Service géographique des colonies Numéro d’ordre : cahier n°27 carte n°14 Fonds Gaden (Fouta Toro), IFAN Date : [1900 – 1910] Nombre de feuillets : 1 Typologie : carte topographique Couleurs : carte en couleur Dimension de la carte : 76 cm x 56 cm Dimension de la carte pliée : 38 cm x 28 cm. Description sommaire : carte de l’Afrique occidentale française. Légende des différents secteurs d’activités socio-économiques et politico-culturelles de Tombouctou.

Photographie : IFAN Figure 8 : Carte de Tombouctou

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20.

Titre : Carte de la boucle du Niger

Auteur : Service géographique de l’armée Numéro d’ordre : cahier n°27 carte n°21 Fonds Gaden (Fouta Toro), IFAN, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal Date : 1898 Nombre de feuillets : 1 Typologie : carte topographique Couleurs : carte en couleur Dimension de la carte : 53,5 cm x 43,5 cm Dimension de la carte pliée : 27cm x 22 cm.

Photographie : IFAN Figure 9 : Carte de la boucle du Niger.

Description sommaire : Carte des différents cours d’eau, voies et chemins de fer de la Boucle du Niger. Sont signalées la frontière francoallemande et la limite des zones d’influence française.

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

21. Titre du manuscrit : Notes sur le peul, sérère, soninké et au plan linguistique Nom de l’auteur : Henri Gaden Nom du copiste : Gaden Numéro d’ordre: cahier n° 50, Fonds Gaden, IFAN Date : inconnue Nombre de feuillets : 13 Couleurs des encres : noire Dimension du manuscrit : 31 x 20 cm Langue : Français, Peul, Sérère, Sarakolé (en caractères latins). Description sommaire : étude comparative de quelques langues sénégalaises (wolof, pulaar, sérère et soninké), avec une traduction des mots en français. Fonds Vincent Monteil 22.

Titre du manuscrit : Premiers chapitres du Tarikh es-Sudan

Nom de l’auteur : Sadi Ibn Lahbib Baba Ibn Mouhamed Ibn Mouhamed al Hadi Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 1 Fonds Vincent Monteil, IFAN Date : inconnue Nombre de feuillets : 68 Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire Nombre de lignes par page : 18 Dimension du manuscrit : 21 x 27 cm (oblongue) Dimension du texte : 10 x 14,5 cm Langue : arabe. Description sommaire : L’auteur montre d’abord les étapes de son travail de recherches. Il informe qu’il s’est inspiré des compagnons du prophète (PSL) comme exemple, pour écrire ce manuscrit de l’histoire du Soudan. Il y évoque le peuple Songhaï, leur histoire, leurs récits, l’origine des Soni, la province de Melli, description de Djenné avec une note historique et une biographie de ses savants, les différentes conquêtes des rois du Songhaï, la ville de Tombouctou et sa fondation et enfin des notes sur les Touaregs. Fonds Cheikh Moussa Kamara 23. Titre du manuscrit : Al jawabu al sahl-as-sayagha an su’ali « Réponse aux questions de Monsieur Bozalé relatives à l’histoire de Zaghawa ou l’histoire de Daara »

Le fonds Gilbert Vieillard et les manuscrits de l’IFAN Cheikh Anta Diop

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Nom de l’auteur : Cheikh Moussa Kamara Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 8 Fonds Cheikh Moussa Kamara, IFAN Date : inconnue Nombre de feuillets : 4 Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : violet Nombre de lignes par page : 24 – 25 – 26 Dimension du manuscrit : 23 x 17,7 cm Dimension du texte : 20,5 x 15 cm ; 21,5 x 15 cm Langue : arabe. Description sommaire : Cheikh Moussa Kamara répond à M. Bozalé sur l’origine de Daara. En effet, c’est Al Hadj Saloum Souaré qui a fondé la province de Diakhaba, Bambouk. A sa mort, ses enfants et certains de ses disciples se sont dispersés dans les contrées environnantes, à Boundou, à Labé, Tombouctou pour donner naissance au peuple de Zaghawa. Ils sont donc originaires du Soudan, de trois ethnies différentes : Sarakholé, Tamandougou et Mandingues.

24. Titre du manuscrit : Al Majmuu‘-an-nafis sirran wa ‘alaaniya : « Recueil précieux sur l’histoire de quelques chefs maures et peuls » Nom de l’auteur : Cheikh Moussa Kamara Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 5 et 6, Fonds Cheikh Moussa Kamara, IFAN Date : inconnue Nombre de feuillets : 365p. et 268 p. (tome 1 et 2) Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noires Nombre de lignes par page : 21 – 22 – 26 - 19 Dimension du manuscrit : 27 x 21 cm 26,5 x 20 cm Dimension du texte : 25 x 16 cm ; 20,5 x 14 cm ; 21,5 x 16 cm ; 23 x 18 cm ; 17 x 15 cm Langue : Arabe Description sommaire : aperçu de l’histoire en trois parties : 1/ récit sur les Maures du désert du Tekrour ; 2/ les peuples du Fouta Djallon ; et 3/ les peuples du Fouta Toro. Dans le second tome, l’auteur traite de l’histoire des chefs Maures, de celle du Fouta Djallon et du Fouta Toro et présente des notes sur les fleuves Sénégal, Gambie, Fouta et la Falémé.

25. Titre du manuscrit : Achha-l-‘ulum wa atyab al-khabari fi sirati ash Shaykh al Haj ‘Umar « La vie d’El Hadj Omar »

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Photographie : IFAN Figure 10 : Achha-l-‘ulum wa atyab al-khabari fi sirati ash Shaykh al Haj ‘Umar « La vie d’El Hadj Omar »

Nom de l’auteur : Cheikh Moussa Kamara Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 9 fonds Cheikh Moussa Kamara, IFAN Date : 1935 Nombre de feuillets : 97 Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire Nombre de lignes par page : 20 – 23 – 19 Dimension du manuscrit : 21 x 15,5 cm Dimension du texte : 19 x 13 cm ; 18 x 13 cm ; 14 x 13 cm Langue : arabe. Description sommaire : ce manuscrit traite de différents thèmes : commandements d’El Hadj Omar ; son voyage pour le pèlerinage à la Mecque ; son jihad et ses démêlés avec Ahmad III ; mérite des « Tall », tribu d’El Hadj Omar ; son rôle de sauveur et sa fierté pour le Fouta, en particulier, pour le Sénégal et l’Afrique, en général.

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26. Titre du manuscrit : Salamat al-Muslim manuta bi tark alkibari wa-l-kadhib wa qit‘ati –r-rihabi « Histoire des Yaalalbé » Nom de l’auteur : Cheikkh Moussa Kamara Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 10 Fonds Cheikh Moussa Kamara, IFAN, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal Date : inconnue Nombre de feuillets : 50 (100 p.) Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire et bleue Nombre de lignes par page : 23 – 33 – 14 – 31 Dimension du manuscrit : 31 x 21 cm Dimension du texte : 18,5 x 17 cm ; 27,5 x 18 cm ; 26 x 18 cm Langue : arabe. Description sommaire : Ce document traite de la morale et de l’histoire de différentes ethnies du Fouta Toro qui se croient supérieures aux autres, à savoir les Yaalalbé, les Déniankobé, les Wanwanbé et les Talakoré.

27. Titre du manuscrit : Zuhur al-Basatin fi tarikh as-Sawadin « Florilège au jardin de l’histoire des Noirs » Nom de l’auteur : Cheikh Moussa Kamara Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 2 Fonds Cheikh Moussa Kamara, IFAN Date : 1924 Nombre de feuillets : 872 Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : violette et noire Nombre de lignes par page : 14 - 16 - 17 - 19 Dimension du manuscrit : 21,5 x 17 cm Dimension du texte : 15 x 13,5 cm ; 15,5 x 13 cm ; 17 x 13,5 cm Langue : arabe. Description sommaire : collection monumentale d’œuvres à caractère historique, ethno-anthropologique des Noirs de la vallée du fleuve Sénégal depuis leur origine jusqu’aux années 1920, date du début de cette étude. Dans cette chronique du Fouta Toro, l’auteur met en exergue l’histoire de beaucoup de tribus du Fouta Toro. En plus de leurs origines, il évoque les coutumes des Booseya, des Haaniyaabé, des Diawbé, des Yirlaabé. Il traite également de l’histoire du Boundou, de Ségou. Concernant le Boundou, il renseigne sur les différentes ethnies qui ont peuplé le Fouta, le règne des Almamys qui s’y sont succédé depuis la fondation du royaume jusqu’à l’arrivée d’El Hadj Omar et la pénétration française qui sera la cause de la division du pays. Enfin, nous avons des notes sur le Dagana et le Djolof.

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Table des matières : Histoire de Bosséya : 1-81 ; Histoire d’Abdul Bokar Ibn Amidou : 81-153 ; Histoire des Hebbiyâbé : 154-164 ; Histoire des Diawbé : 164-268 ; Histoire des Yirlâbé : 269-315 ; Histoire de Lâw : 316-474 ; Histoire des Halaybé : 475-544 ; Histoire de Salsalbé : 545- 610 (559 à 599 manquent) ; Histoire de Sîloubé : 610-622 ; Histoire de Dienka : 622-628 ; Histoire de Wodabé : 628-681 ; Histoire de Dimat et Boul : 681-708 ; Conclusion sur la famille peule de Hammé Diouldé Kane : 708-719 ; Histoire de Fanay (Dagana) : 719-724 ; Histoire de Halwar, du Walo et du Djolof : 724-872.

28. Titre du manuscrit : Ajwibafi masa’il-l-fiqhi-l-islamiy « Réflexions sur le droit islamique » (Réponses aux autorités françaises sur les questions relatives au droit musulman et traditions du Fouta Toro) Nom de l’auteur : Cheikh Moussa Kamara Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 14 Fonds Cheikh Moussa Kamara, IFAN Date : inconnue Nombre de feuillets : 462 Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire, rouge, verte et violet Nombre de lignes par page : 17 - 16 - 22 - 21 Dimension du manuscrit : 23,5 x 18 cm Dimension du texte : 16 x 14,5 cm ; 15 x 14 cm ; 19,5 x 14,5 cm ; 19 x 14,5 cm Langue : arabe. Description sommaire : cet ouvrage comprend un avant-propos, une introduction, soixante trois chapitres et une conclusion. Il serait parmi les derniers, sinon le dernier, à être composé par Cheikh Moussa Kamara. Entrant dans le vif du sujet en répondant à trois interrogations dont la première sur l’usage de la propriété, la deuxième sur la mise en gage ou la vente de son propre fils et la troisième sur la différence entre la propriété mobilière et immobilière, l’auteur traite d’abord des questions relatives au droit musulman, avant d’apporter des réponses concernant les traditions et les coutumes du Fouta Toro. Table des matières Introduction p. 1-25 ; La famille, p. 26-44 ; Le mariage, p. 76-115 ; Les principes du mariage, p. 115-228 ; Le divorce, p. 232-276 ; La Le fonds Gilbert Vieillard et les manuscrits de l’IFAN Cheikh Anta Diop

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Photographie : IFAN Figure 11 : Ajwibafi masa’il-l-fiqhi-l-islamiy « Réflexions sur le droit islamique »

propriété, p. 276-480 ; Les ventes, p. 480-522 ; Le don et l’aumône, p. 522-549 ; La procuration, p. 549-788 ; Testament du père, p. 790-866 ; Conclusion : notes sur quelques coutumes et traditions du Tekrour, p. 868-914.

29.

Titre du manuscrit : « L’élimination des péchés »

Nom de l’auteur : Cheikh Moussa Kamara Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 19 Fonds Cheikh Moussa Kamara, IFAN Date : inconnue Nombre de feuillets : 50 (100 pages) Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire Nombre de lignes par page : 20-23 Dimension du manuscrit : 29,5 x 21 cm Dimension du texte : 19 x 15 cm ; 21 x 15 cm Langue : arabe.

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Photographie : IFAN Figure 12 : L’élimination des péchés

Description sommaire : l’auteur évoque dans ce manuscrit des thèmes de jurisprudence islamique, en particulier, sur la licéité du tabac en usage modéré, le fait d’abandonner son voisin musulman, l’interdiction de rompre les relations entre frères musulmans, l’interdiction de rendre licite ce que Dieu et son Prophète (PSL) ont rendu illicite et d’ordonner illicite ce qu’ils ont rendu licite, le fait qu’il n’y ait pas de différence entre le Coran et la Sunna du Prophète (PSL). Il convient cependant de noter que le document n’est pas complet.

30.

Titre du manuscrit : Sur la prière

Nom de l’auteur : Cheikh Moussa Kamara Nom du copiste : inconnu Date : inconnu Nombre de feuillets : 50 (100 pages) Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire Nombre de lignes par page : 20 – 23 Dimension du manuscrit : 29,5 x 21 cm Dimension du texte : 19 x 15 ; 21 x 15 cm Langue : arabe. Description sommaire : dans ce document de jurisprudence islamique, l’auteur traite de la prière de façon exhaustive : la prière de Le fonds Gilbert Vieillard et les manuscrits de l’IFAN Cheikh Anta Diop

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la nuit, la prière en communauté, l’imamat de manière générale et celui de l’esclave en particulier, les oublis dans la prière. NB : le début du texte manque ainsi que le titre exact de ce manuscrit.

31. Titre du manuscrit : Kada al Ilti’am an yakun bayna din an-Nasara wa-l-Islam « Possibilité d’entente entre les religions chrétienne et musulmane » (L’islam et le Christianisme) Nom de l’auteur : Cheikh Moussa Kamara Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 16 Fonds Cheikh Moussa Kamara, IFAN Date : inconnue Nombre de feuillets : 34 Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire et bleue Nombre de lignes par page : 23 – 22 – 16 – 8 Dimension du manuscrit : 23 x 18 cm Dimension du texte : 20,5 x 15 cm ; 20 x 15 cm ; 13,5 x 15 cm ; 14 x 7,5 cm Langue : arabe. Description sommaire : dans ce manuscrit, Cheikh Moussa Kamara fait le rapprochement entre l’Islam et le Christianisme, en dégageant les arguments qui vont dans ce sens ; il exalte les affinités qui unissent ces deux religions en essayant d’apporter des explications sur les mouvements du Christianisme, les livres du Judaïsme et les quatre Evangiles, l’introduction de certaines notions dans l’Islam par les mouvements soufis et chiites extrémistes, il parle également du Wahabisme et évoque, dans la conclusion, le problème de la foi.

32. Titre du manuscrit : Aktharur-raghibina fil-jihad ba‘da-nNabiyyina man yakhtaruz-zuhura wa milkal-bilad, wa la yubali biman halaka fi jihadihi minal-‘ibad « La plupart de ceux qui font la guerre après les Prophètes ne font que de l’ostentation et ne s’occupent pas des gens qui meurent dans la guerre sainte » ou « La condamnation des partisans de la guerre sainte » Nom de l’auteur : Cheikh Moussa Kamara Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : cahier n° 15, Fonds Cheikh Moussa Kamara, IFAN Date : inconnue Nombre de feuillets : 36 feuillets (72 pages) Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire Nombre de lignes

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Photographie : IFAN Figure 13 : « La condamnation des partisans de la guerre sainte »

par page : 15 – 18 – 23 – 10 – 11 Dimension du manuscrit : 21 x 11,5 cm Dimension du texte : 17 x 13 cm ; 17,5 x 12 cm ; 18 x 12,5 cm ; 9 x 12 cm ; 9,5 x 12 cm Langue : arabe. Description sommaire : l’auteur évoque dans ce manuscrit la tradition des peuples du Fouta, après la décadence du royaume des Déniankobés. Il porte ainsi un jugement sévère sur ce que les musulmans appellent « guerre sainte » et condamne toute force armée dirigée contre des êtres humains. Selon l’auteur, depuis la mort du Prophète (PSL), les guerres saintes sont d’ordre matériel, ou participent d’ambitions personnelles (se rendre célèbre, acquérir le pouvoir, etc.). Son argumentation repose sur des versets coraniques et la Sunna prophétique. En concluant son propos, l’auteur rend compte de son admiration pour les autorités coloniales françaises.

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33. Titre du manuscrit : Quelques pages sur la médecine traditionnelle Nom de l’auteur : Cheikh Moussa Kamara Nom du copiste : inconnu Numéro d’ordre : Acquis auprès de Moustapha Kamara Date : inconnue Nombre de feuillets : 7 (14 pages) Type d’écriture : maghrébin Couleurs des encres : noire Nombre de lignes par page : 17 – 18 Dimension du manuscrit : 29,5 x 21 cm Dimension du texte : 21 x 17,5 cm ; 21,5 x 17 cm Langue : arabe.

Photographie : IFAN Figure 14 : Quelques pages sur la médecine traditionnelle

Description sommaire : dans ce manuscrit nous avons quelques notes sur la médecine traditionnelle. Il faut noter que ce document est incomplet, ce qui explique que nous n’avons pas pu avoir son titre exact. N.B : le manuscrit de Cheikh Moussa Kamara sur la médecine traditionnelle a disparu des fonds de l’IFAN. Cependant, quelques feuillets ont pu être retrouvés auprès de l’un de ses petits fils, Moustapha Kamara, de même qu’un manuscrit sur la prière.

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34. Titre du manuscrit: Tabšîr al-khâ’if al-Hayrân bi si‘at rahmat Allah al-Karîm al-Mannân « Annonce des bonnes nouvelles à l’éffrayé confus pour lui rappeler la grandeur de la clémence d’Allah, le Généreux et le Bienveillant ». Nom de l’auteur : Cheikh Moussa Kamara Cahier n°1 Fonds Cheikh M. Kamara, IFAN.

35.

Titre du manuscrit : Tàrìkh labbé « Târîkh de Labé »

Nom de l’auteur : Alì Ibn Muhammad (Alioune Bouba Ndiyan) Numéro d’ordre : Cahier n° 2 Fonds Vieillard (Fouta Djallon), IFAN.

36. Titre du manuscrit : Asl qabà’il al-Fulàniyyìn « Origine des tribus peules » Nom de l’auteur : Bah, Muhammadu Numéro d’ordre : Cahier n° 5 Fonds Vieillard (Fouta Djallon), IFAN.

37.

Titre du manuscrit : Histoire d’El Hadj Omar

Nom de l’auteur : Thiam, Muhammadu Aliyyun Numéro d’ordre : Cahier n° 20 Fonds Gaden (Fouta Toro), IFAN.

38. Titre du manuscrit : yo musibbe jangen alla farlii jangugol o fodii e monle baraaji mawdi to warjagol = « Encouragement à l’étude » Nom de l’auteur : Thierno Aliyyu Buuba Ndiyan Numéro d’ordre : Cahier n° 58 texte n° 6 Fonds Vieillard (Fouta Djallon), IFAN.

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39. Titre du manuscrit : Infâqu-l-maysùr fî tàrìkh bilàd al-Takrùr « Dépense du riche dans l’histoire du Tekrur » Nom de l’auteur : imam Muhammad Bello ibn Ousmane ibn Fodio Numéro d’ordre : Cahier n° 8 Fonds Brévié (Tékrur, Fouta Toro), IFAN.

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REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Bah, Mamadou, « Notre ami Vieillard » Notes africaines. Bulletin d’information et de correspondance de l’Institut français d’Afrique noire. n° 19, 1943, p. 1-2.

Diallo Thierno, Mbacke Mame Bara, Trifkovic Mirjana, Barry Boubacar, Catalogue des manuscrits de l’IFAN, Institut Fondamental d’Afrique noire, Catalogues et documents n° XX, Dakar, 1966.

Kâ Thierno, Mbacké Khadim, « Islam et société au Sud du Sahara », Nouveau catalogue des manuscrits de l’IFAN, n° 8, Dakar, 1989, p. 165-199.

Mbaye El Hadj Rawane, Mbaye Babacar, « Supplément au

catalogue des manuscrits de l’IFAN », Bulletin de l’IFAN, t. 37, série B, n° 4, 1975.

Mbaye El Hadj Rawane, L’islam au Sénégal. Thèse de doctorat de 3ème cycle, université de Dakar, Dakar, 1976.

Monteil Vincent, « Contribution à la sociologie des Peuls », Fonds Gilbert Vieillard, Bulletin de l’IFAN, t. 25, série B, n° 3-4, 1963.

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CHAPITRE 8 Les manuscrits anciens du Ghana Seyni Moumouni Résumé La collection de manuscrits arabes et ajamis de l’université du Ghana est, sans doute, l’une des plus importantes qui ait été constituée en Afrique de l’Ouest. Elles proviennent, essentiellement, du nord du pays, point de rencontre de deux influences culturelles : celle des Wangara et des Haoussa. Des africanistes se sont intéressés à cette collection et plusieurs travaux d’édition et de traduction ont été menés. Le travail sur les manuscrits n’a véritablement commencé qu’avec la création de l’Institut des études africaines en 1961. L’Institut offrit un cadre d’études et de recherche à la première génération des chercheurs qui se sont engagés dans la sauvegarde, l’exploitation et la valorisation des manuscrits africains, en écriture arabe et ajami.

L

es sources manuscrites, à travers les chroniques, jouent un rôle de premier plan dans l’histoire du Ghana. Il ressort de l’analyse historique, culturelle et religieuse des manuscrits de ce pays, divers courants d’influence qui ont contribué à la mise en place d’une tradition manuscrite. Le terme Ghana, ville du Soudan médiéval localisée à Kumbi Sâlih1 qui signifie « souverain » dans l’Awkâr. Par extension, 1. Paulo Fernando de Moraes Farias, Arabic Medieval Inscriptions from the Republic of Mali. Epigraphy, Chronicles and Songhay-Tuareg History (Oxford, Oxford University Press pour la British Academy, coll. « Fontes Historiae Africanae », New Series), 2003.

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Figure 1 : Carte de localisation des bibliothèques publiques et privées d’Afrique de l’Ouest et du nombre estimé des manuscrits anciens

il a désigné la capitale du premier royaume noir du Soudan central. Ghana est mentionné dans les récits des auteurs arabes. Al-Fazâri (800) cite, le premier, « Ghana pays de l’or », puis par al-Ya’kûbî (870) et surtout Ibn al-Fakih al-Hamadhânî (mort, probablement, en 903) qui, dans son Kitâb al-Buldan donne quelques indications sur la localisation et les habitants du royaume du Ghana. Le premier rapport de voyage émanant d’un témoin oculaire est celui d’Ibn Hawkal. Il écrit en 977 le Kitâb al-Masâlik wa-l-mamalik où il reconnaît avec admiration que « le roi du Ghana est le plus riche de la terre à cause des mines d’or… ». Des auteurs arabes, tels que al-Umari (1349) et Es-Sa’adi (1655), ont magnifié, dans leurs écrits, l’importance du commerce caravanier, essentiellement lié à l’or, et au développement des centres d’instruction islamiques. Plusieurs courants d’influence musulmane ont contribué à l’enracinement de l’islam au Ghana actuel. Le premier centre musulman d’où se ramifièrent de nombreuses communautés musulmanes de la Côte d’Ivoire et du Ghana, fut établi à Begho. Un autre ancien centre Les manuscrits anciens du Ghana

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important était celui de Wa. Ces centres furent des foyers d’intenses activités musulmanes dans la région voltaïque. Un second courant d’influence musulmane provint du Nord-Est. Des marchands musulmans des Etats Hausa auraient, selon le témoignage de la « Chronique de Kano », exercé leur influence, dès le milieu du XVe siècle. Avec l’expansion du commerce au XVIIIe siècle, l’immigration Haoussa au Ghana augmenta considérablement et d’importants réseaux de culture islamique prospérèrent dans les centres commerciaux du nord, tels que Salaga, Yendi et Tamalé. A la fin du XVIe siècle, la conversion à la religion musulmane de l’aristocratie Malinké-Bambara de Gonja, par le cheikh Ismael de Begho et son fils Muhammad al-Abyad, a permis la diffusion de l’islam dans les autres communautés. Au début du XVIIIe siècle, les principaux Etats du Ghana septentrional, Gonja, Dagomba et Mamprusi, avaient à leur tête des souverains musulmans. Au début du XIXe siècle, des communautés musulmanes s’établirent à Kumasi, capitale de l’empire Ashanti, plus au sud. Des lettrés musulmans firent partie du conseil royal et occupèrent de hauts postes à la chancellerie. Les mouvements de réforme musulmane du début du XIXe siècle entrepris, ça et là, en Afrique de l’Ouest, notamment celui du cheikh Uthman dan Fodio qui aboutit à la fondation de l’empire théocratique de Sokoto, eurent des répercussions sur les communautés musulmanes du Ghana comme celles de Yendi et Salaga. C’est ce prestigieux passé du royaume du Ghana qui a amené le Dr Kwame Nkrumah, leader politique de la Gold Coast, à nommer le pays Ghana, lors de l’accession à l’indépendance, en 1957. Cette filiation historique est une marque de prestige inaugural renforcée par la réhabilitation du patrimoine écrit, à travers la création de la bibliothèque de manuscrits de l’université du Ghana.

Historique de la collection des manuscrits du Ghana Avant la colonisation anglaise, le Ghana disposait de quantités considérables de manuscrits conservés sur tout le territoire, dans des bibliothèques de mosquées, de zawouyas, de medersas, ainsi que dans des bibliothèques familiales. La provenance de ces manuscrits était variée : les collections héritées du prestigieux passé islamique des

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centres islamiques du nord ; le commerce et l’exode des musulmans ouest-africains du Sahel vers les villes côtières, accompagné d’un transfert d’écrits de toutes sortes et en grandes quantités ; les manuscrits venus d’autres pays musulmans d’Afrique, notamment du Nigéria, du Mali, du Niger, de la Mauritanie, etc. Durant la période coloniale, beaucoup de manuscrits du Ghana ont été détruits lors d’expéditions militaires dont les exactions en faisaient disparaître un bon nombre. Outre les diverses formes de destruction, certains manuscrits furent pillés et transférés dans les bibliothèques européennes. La bibliothèque de la School of Oriental Studies à Londres possède une collection des manuscrits du Ghana2. Il existe également au Danemark une collection de manuscrits arabes provenant du Ghana. Cette collection fut localisée à la Kongelige Bibliothek de Copenhague Codex arabicus CCCII. D’après Bradford Martin3 (Séminaire de Legon), ces manuscrits datés de 1808 à 1818 seraient tombés entre les mains d’un certain Romer, traitant danois de Christians-borg près d’Accra. Les manuscrits de la collection actuelle de l’université du Ghana sont les rescapés sauvés de ces exactions par de rares amis de la science. A la fin du XIXe siècle, une collection des manuscrits arabes de Gonja a été réunie au Ghana par Krause4. La collection des manuscrits arabes et ajamis de l’université de Legon a été rassemblée à partir de 1960. Des africanistes5 se sont intéressés à cette collection et plusieurs travaux d’édition et de traduction ont été menés. Sous l’impulsion de son directeur Thomas Hodgkin6 et grâce aux enquêtes menées par Igor Wilks7 ainsi que l’engagement et l’aide technique des chercheurs locaux, 2. Selon Vincent Monteil certaines traductions de cette collection ont été publiées, à Accra, par Withers Gill, in Bulletin de l’IFAN, t.27, série B, n° 3-4, 1965, 1920 - 1924, p. 531. 3. Auteur d’une description complète de la Côte de Guinée (Tilforladelig om Kysten Guinea), parue en 1760. 4. Il existe une collection des manuscrits arabes provenant du Ghana à la bibliothèque du School of Oriental and African Studies, à Londres et au Kongelige Bibliothek de Copen-hague (Danemark). 5. Van Zech (fin du XIXe siècle), Withers Gill (1922), Dunkan Johnstone (1930) et Jack Goody (1954). 6. Le professeur Thomas Hodgkin est historien et spécialiste de la pensée islamique en Afrique. 7. Ivor Wilks, « The growth of Islamic learning in Ghana », Ibadan, Journal of the Les manuscrits anciens du Ghana

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l’Institut des études africaines (IEA) a lancé une vaste campagne de collecte des manuscrits africains en écriture arabe et ajami. L’Institut possède actuellement environ 500 manuscrits sous forme de copies inventoriées et cataloguées. Ces manuscrits ont été reproduits par la « xérographie » au nombre de 50 copies dont une dizaine sont remises à chaque propriétaire. La particularité de cette collection réside dans le fait qu’elle a été rassemblée par d’éminents chercheurs, ce qui explique la faible quantité des titres, par rapport aux autres collections8. Le choix était porté sur des manuscrits à caractère historique et culturel. Jusqu’au milieu des années 1980, la section des manuscrits arabes et ajamis de l’IEA a joué un rôle central dans la construction de savoir historique en Afrique. La réécriture de l’histoire à partir des sources africaines, telles que les manuscrits arabes, était le leitimotiv de ces chercheurs rassemblés autour de Thomas Hodgkin9. Dans le même mouvement et à la même période, d’autres centres d’archivage de manuscrits africains en écriture arabe et ajami ont été créés. On pourrait citer la création du Centre of Arabic Documentation d’Ibadan (Nigéria), le Centre Ahmad Baba de Tombouctou (Mali), le département des Manuscrits arabes de l’Institut de recherche en sciences humaines de Niamey (Niger), la section des manuscrits arabes de l’Institut fondamental de l’Afrique noire de Dakar (Sénégal).

Historical Society of Nigeria, vol. 2, n° 4, 1963, p. 409-417 8. Il est évident que les manuscrits ne présentent pas tous le même intérêt scientifique. Certains, notamment les copies du Coran et les grands recueils islamiques, mis à part quelques particularités liées à l’aspect physique, n’apportent pas, au niveau du contenu, un message particulier. 9. Dans les années 1970, le choix et la légitimité des matériaux de recherche divisent les africanistes en deux camps, l’un porté sur les sources orales, l’autre sur les sources écrites. L’histoire africaine était prise en otage entre l’oralité et l’écriture. De même, certains érudits africains ont accordé une importance considérable à la tradition orale africaine au point de cultiver l’idée d’une « Afrique sans écriture », en glorifiant l’oralité et la mémoire de ceux qui n’écrivent pas. C’est ainsi que Léopold Sédar Senghor (1906-2001) dit : « L’encre du scribe est sans mémoire ». Amadou Hampaté BA (1901-1991) adopte le même point de vue quand il dit qu’ « en Afrique lorsqu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle… »

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Etude codicologique de la collection L’Institut des études africaines de l’université de Legon possède environ 500 manuscrits inventoriés et catalogués. A l’exception de rares achats, ces manuscrits ont été empruntés à leurs propriétaires et reproduits par photocopie. On estime que sur les cinq cents titres du répertoire, 80% sont en langue arabe et 20% en langue africaine (Haoussa, Dagomba, Gonja, Fulfuldé, Mamprule). Certains manuscrits remontent au début du XVIIIe siècle, mais la plupart sont du XIXe et du XXe siècle. Sur le plan codicologique, les manuscrits du Ghana partagent les mêmes aspects que les manuscrits conservés dans les autres pays de la sousrégion. Ils commencent par un incipit comportant des formules pieuses, le titre de l’ouvrage et le nom de l’auteur. Le style d’écriture (Sudanî et Maghrebî) est semblable à ce qui se pratique couramment dans la région. Le corps du texte comporte des séparateurs, tels amma ba’d, intaha, etc., qu’on trouve, également, dans d’autres manuscrits, et, s’achève par un explicit et un colophon. L’absence des originaux dans la collection empêche certaines analyses descriptives, notamment, liées aux couleurs et médaillons. Les supports Les tablettes et le papier sont les principaux supports sur lesquels l’écriture est posée. L’ensemble de la collection est fixée sur du support papier. Le papier provenait du Maghreb, et, plus tard, d’Occident, en passant par les grands centres culturels et commerciaux, tels que Walata (Mauritanie), Tombouctou (Mali) et Kano (Nigéria)10. Le public L’élite urbaine tenait en haute estime le livre et la connaissance qu’il offre. La parole s’imposait comme élément fondateur, source du plaisir et du savoir : discours édifiants des imams, récits merveilleux des conteurs, leçons et discussions savantes des maîtres. L’écrit venait par la suite pour codifier, conserver, transmettre des dires qui risquaient de

10. Des marchands musulmans des Etats Hausa auraient, selon le témoignage de la Chronique de Kano, exercé sur le Ghana leur influence dès le milieu du XVe siècle. Les manuscrits anciens du Ghana

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se perdre pour les mémoires. Les œuvres de cette époque étaient écrites pour être lues devant un auditoire. Les lieux de publication étaient : les grandes mosquées (Sankoré et Jingareyber, à Tombouctou), l’esplanade du marché (rahbat) aux livres et les lieux d’enseignement des maîtres. Le texte n’existe que parce qu’il y a des lecteurs pour lui donnent une signification. Les œuvres sont lues avant ou après les séances de prière, durant les grandes fêtes, mais aussi lors de la grande prière du vendredi qui était l’occasion de grandes lectures publiques. On estimait qu’une œuvre était publiée à partir du moment où elle était lue devant un public, malgré le fait qu’elle pouvait être inconnue auparavant. L’auditoire était composé à la fois d’un public instruit et analphabète. Les œuvres conçues pour être lues en public sont relativement courtes pour ne pas lasser l’auditoire. Elles sont composées pour être lues en fragments et n’apparaissent jamais en entier, mais chaque partie (al-bâb), chaque chapitre (al-fasl) fait l’objet d’une lecture particulière, ce qui explique la diversité des styles dans les textes. Le contenu On trouve deux types de manuscrits : les manuscrits en langue et écriture arabe et les manuscrits dits ajami. La tradition manuscrite s’appuie sur l’enseignement de l’écriture sacrée. La conséquence a été l’invention d’une autre forme d’écriture, telle que l’écriture dite ajami, produite à partir d’un système de transcription des langues locales, par l’adoption de l’alphabet arabe. Ce type d’écriture a permis de fixer des langues jusqu’alors orales : Haoussa, Fulfuldé, Sonrai, Gonja, Mampurlé, Wolof, Swahili… Les disciplines traitées dans les manuscrits sont les suivantes : l’histoire (at-tarikh) en particulier celle de l’époque précoloniale et coloniale, la mystique musulmane (at- tasawuf : soufisme), la dissertation en jurisprudence musulmane (al-fiqh), la littérature arabe (al-adab-alarabi), l’astrologie (ilm-al-falak), la poésie en langue arabe et africaine, (al-unshudat-diniyya), la pharmacopée (as-saydala), la médecine traditionnelle (at-tib-al-mahalli), les traités politiques (ar-rasa’il-assiyasiyya), les notices hagiographiques des personnalités politiques et religieuses (manaqib-rijal-ad-din was-siyâsa) et de nombreux ouvrages, pamphlets et correspondances.

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Une bonne partie de ces manuscrits sont de caractères plus au moins historiques : chaînes de transmission (silsila), listes de rois ou de cadi, généalogie, chroniques (tarîkh). Ces derniers concernent les haoussas, les peuls, les mossis, les mampursis et les gonjas. Le Kitâb Gonja, terminé en 1751, est de grande importance historique ; il indique que les rois de Gonja se convertirent à l’islam vers 1550 ; il donne une liste des souverains pour les XVIe et XVIIe siècles. On y trouve les œuvres des auteurs de la pensée islamique ouest-africaine, tels que Cheikh Usman dan Fodio, Abdullah dan Fodio, Muhammad Bello, Cheikh Al-Hajj Umar Futî, Cheikh Al-Hajj Marhaba, Al-Hajj Umar Abi Bakr Krakye, Cheikh Muhmud Karantaw, etc. Parmi les manuscrits à caractère historique, le manuscrit : Khabar jihãd Basariyu Wa Yana Abdu-l-Lãhi (Cote : IAS AR 375) est un récit de Basariyu Wa Yana Abdu-l-Lãhi consacré à la pénétration de l’islam au Ghana et au jihad. Le manuscrit relate avec précision le conflit qui a éclaté entre les dogombas et basiriyus, suite au vol d’une bague portée par la fille du Sultan de Yalzal, au marché de Naqimba. Il signale la durée du règne de certains rois, la résistance des dagombas, face aux forces d’occupation, et les relations qui existent entre le roi de Ghana et les souverains de Ouagadougou. Dans le manuscrit Du’a’u Yãsin (Cote : IAS AR/67), l’auteur rapporte un certain nombre d’invocations tirées des chapitres du Saint Coran, notamment la sourate Yasine, la sourate dite Al-Ikhlas. Il explique, en marge du document, comment ces invocations sont utilisées, le nombre de fois qu’il faut les réciter. Il en expose, en fin de document, les vertus et les récompenses. Enfin, le manuscrit intitulé Qasidatu Ali b. Muhammad al-Mashhur bibaraw (Cote : IAS AR/408) est composé sous forme de poèmes. Dans ce manuscrit, l’auteur relate et expose les qualités de son maître qu’il considère comme le fleuve du savoir, le « Cheikh des Cheikhs », l’Endurant, l’Unique à son époque, le maître des talibés, etc. On trouve, dans la collection des manuscrits de l’université de Legon, les manuscrits écrits en ajami. L’écriture ajami a donné, aux cours des siècles derniers, une vitalité à certaines langues africaines. Pendant la période coloniale, l’écriture ajami a été utilisée par les administrateurs

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coloniaux pour communiquer et faire passer des messages auprès des populations comme en témoignent les textes ci-après : Texte ajami Haussa :

Traduction11 : Au nom de Dieu, Clément et Miséricordieux, A l’attention des rois des Gonjas et des Dogombas, à tous les autres rois. Salutations, sincérités et loyautés,

11. Heritage of African Languages Manuscripts – Ajami, Helmi Sharawy (ed.), Bamako, Afro-Arab cultural Institute, Mali, 2005.

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A propos de l’invasion acridienne, Baba Batûré de Tamale est venu nous informer de l’arrivée des criquets, et le danger qu’ils présentent pour nos cultures. Il demande aux populations de les combattre et de les empêcher de nuire. Nous constatons que, jusqu’à présent, rien n’a été fait et qu’il y a encore des criquets. Ceux qui refusent de combattre les criquets doivent nous le faire savoir en présence de Baba Batûré. Car il nous a apporté son soutien pour lutter contre l’invasion des criquets. Nous vous avons informé de la présence des criquets et l’urgence de les combattre. Je vous informe qu’ils se reproduisent pendant l’hivernage, si vous les voyez, tuez les vite, ne leur laissez aucune chance de se reproduire, car si vous les laissez, ils vont manger tous les vivres. Peut-être d’autres sont morts à cause de la famine qui perdure. Il est donc urgent que vous vous mettiez à combattre les criquets partout où ils se trouvent, à la maison comme en brousse. Si vous trouvez une colonie de criquets en brousse, informez vite les chefs locaux.

Texte ajami Haussa :

Traduction : Au nom de Dieu, Clément et Miséricordieux, Cette lettre a été écrite par Baba Kumassi de Tamalé. Les manuscrits anciens du Ghana

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A l’attention des rois des Gonjas et des Dogonbas et tous les autres. Salutations, sincérités et loyautés Aux rois et à tout le monde, Ecoutez bien ! Tout ceux ou toute personne qui a un lépreux, enfant ou adulte, chez lui et dans sa famille doit le faire recenser. Je vous informe que nous venons de recevoir les remèdes contre cette maladie.

Aujourd’hui encore, l’écriture ajami est utilisée dans certaines régions du Niger, dans les relations sociales et culturelles (histoire locale, contrats, avis juridiques, enseignement, chants, etc). Il existe de nombreux manuscrits ajamis contenant des contes et chants populaires extrêmement utiles aux chercheurs. L’étude du corpus ajami permet aussi de comprendre les mutations sociales, politiques et linguistiques des pays africains concernés. Les manuscrits ci-dessus montrent qu’à l’époque coloniale l’administration s’est souvent appuyée sur l’écriture ajami pour faire passer des informations liées à la prévention des maladies et de la famine. L’utilisation de ce type d’écriture par les populations répond à un besoin de communication sociale, culturelle, politique et a permis aux langues locales de vivre et de se développer en symbiose avec le système de la langue arabe. A travers ces deux manuscrits, il nous paraît important de souligner, ici, le rôle crucial que les manuscrits peuvent jouer dans l’étude et la pratique de la recherche fondamentale, dans diverses disciplines. Les travaux entamés sur les contenus des manuscrits, et plus particulièrement les textes ajami12, doivent se poursuivre, afin de mettre à la disposition des chercheurs des éléments d’étude liés aux réalités socio-culturelles des peuples africains. Conservation Les manuscrits arabes et ajamis de l’IEA sont des copies conservées dans des enveloppes par liasses de 40 à 50 copies, superposées les unes sur les autres13. Le travail sur les manuscrits s’est ralenti à la fin des 12. Op. cit. 13. Lors d’un séjour à Legon, en 2003, nous avons trouvé l’ensemble du fonds au

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Photographie : Seyni Moumouni Figure 2 : conditions de conservation des manuscrits de l’Institut des études africaines de l’université de Legon à Accra. Vue de gauche : entreposage de manuscrits et de sculptures en bois. Photo de droite : vue de l’éxiguité de la salle unique de lecture qui abrite en même temps des étagères en bois, des classeurs, etc.

années 8014. Toute la collection a été abandonnée aux milieux d’objets de toutes sortes, dans de vieux locaux. Les manuscrits sont couverts de poussière, attaqués par les agents microbiens et de multiples insectes. Les conditions de conservation rendent leur état critique. Si certains sont dans un bon état, ceux qui nécessitent une protection urgente sont nombreux. Dans le nouveau bâtiment abritant l’IEA, (portant le nom de Kwame Nkrumah), à l’initiative du professeur Takyiwaa Manuh, directrice de l’Institut, un local a été attribué pour la conservation et l’exploitation des manuscrits arabes et ajamis. Ce local d’une superficie d’environ 15m², sert à la fois de lieu de conservation et de consultation des manuscrits. Il s’agit d’un bâtiment contemporain réalisé avec des matériaux modernes et présentant donc peu d’inertie thermique, bien que le Ghana ait un climat de type tropical, avec deux saisons des pluies (d’avril à mai et d’août à octobre). Il existe à Accra un microclimat caractérisé par un régime de précipitations réduit. La mer est chaude toute l’année et occasionne une forte humidité. L’extrême nord du pays est touché par une forte chaleur qui dure environ six mois. En ce qui concerne l’aération, la solution retenue était de traiter le bâtiment, non pas en ventilation, mais en climatisation globale.

milieu de vieux meubles et matériels usagés couverts de poussière. 14. On note l’absence de représentant du Ghana au séminaire international sur les manuscrits arabes en Afrique tenu du 26 au 30 août 1986 à Bamako. Les manuscrits anciens du Ghana

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Les conditions de conservation des manuscrits avant 2003 La température ambiante expose les documents à une humidité environnante élevée, entraînant la dégradation du papier par hydrolyse et oxydation de la cellulose, principales causes de vieillissement du papier. A cela, il faut ajouter l’absence de personnel technique pour veiller à l’entretien des locaux, à la surveillance de la température ambiante et à la prévention des sinistres. Catalogage La collection des manuscrits arabes et ajamis de l’université de Legon a fait l’objet d’inventaire et de catalogage. Plusieurs chercheurs ont contribué aux travaux d’inventaire, de classification et de catalogage de la collection. Le premier projet d’inventaire des manuscrits a été effectué en 1965, sous la direction du Pr Thomas Hodgkin, par l’équipe composée des savants, tels que Ivor Wilks, B. G. Martin et Eshaka Boyo15. En 1982, Dadid Skinner a travaillé sur un projet de catalogage de la collection. Ce travail qui n’a pas été publié ne donne pas beaucoup d’informations sur les manuscrits et constitue néanmoins un début de catalogage de la collection. En 2003, avec l’aide d’un assistant technique, Hafiz Muhammad, j’ai coordonné un projet de catalogage suivant les normes internationales en vigueur16. La section ci-dessous donne une vue synthétique et diversifiée de cette collection de manuscrits.

15. Arabic collection projet reports, Research Review, vol 2, n°3, University of Ghna, 1966. p. 9-19 16. Seyni Moumouni et Hafiz Mohammad, Catalogue of arabic and ajami manuscripts at the Institute of African Studies University of Ghana, en cours de publication.

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Quelques échantillons du contenu de manuscrits

1.

Références du manuscrit : IAS / AR / 169

Nom de l’auteur : Cheikh Umar Karaki Style d’écriture : maghrébine Nombre de pages : 4 Nombre de lignes par folio : 17 Dimensions du texte : 7 cm x 4 cm Date : non disponible. Incipit (début) : Explicit (fin) : Résumé synthétique : ce manuscrit est un poème, en langue haoussa, dans lequel l’auteur explique en partie les circonstances historiques entourant son séjour à Karachi ainsi que les attitudes méprisables des puissances coloniales. Remarque : le caractère alphabétique n’est pas bien pris en charge. A cela s’ajoute le fait que les noms des lieux locaux et des personnes rend la lecture de ce manuscrit difficile.

2.

Références du manuscrit : IAS/AR /256

Nom de l’auteur : Baba Kumasi - Tamale Style d’écriture : Koufi Date de copie : Shawal 1383 H /1963 AD Nombre de pages : 4 Nombre de lignes par folio : 15; 13; 11 Dimensions du texte : 15 cm x 10 cm Incipit : Explicit : Résumé synthétique : il s’agit d’une lettre dans laquelle l’écrivain appelle les chefs du Nord du Ghana à s’impliquer dans une campagne visant à détruire les sauterelles. NB. : Ce manuscrit récent témoigne de l’importance de l’écriture ajami pour toucher de larges audiences à travers la partie nordique du Ghana.

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3.

Références du manuscrit : IAS/AR /377

Titre : Man jadda fil ilmi wajad Nom de l’auteur : Alhaj Ibrahim Gushegu Style d’écriture : Koufi Date : Jumada al ulaal 1384 H/ 1964 Nombre de pages : 5 Nombre de lignes par folio : 12 Dimensions du texte : 6 cm x 5 cm Incipit : Explicit : Résumé synthétique : poème écrit par l’auteur afin d’encourager ses contemporains et ses élèves à rechercher la connaissance.

4.

Références du manuscrit : IAS/AR/ 408

Auteur : Aliyu bin Mohammed dit Barau. Style d’écriture : Magrébin Date : 1340 H/1920 AD Source de la copie : « Koforidua » Date de la copie : 1965 Nombre de pages : 3 Nombre de lignes par folio : 12 Dimensions du texte : 5,5 cm x 4 cm Incipit : Explicit : Résumé synthétique : poème en réponse à une question posée sur un séisme et un tremblement de terre au Ghana.

Conclusion Le Ghana contemporain a rehaussé, dans une région aux bords du golfe de Guinée, le nom de l’ancien empire soudanais. L’attention portée à la tradition manuscrite, au lendemain des indépendances, participe d’un recadrage de l’histoire africaine en s’appuyant sur son riche héritage culturel islamique.

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La collection des manuscrits de l’université de Legon est, sans doute, l’une des collections les plus importantes de manuscrits arabes et ajamis du Ghana et d’Afrique de l’Ouest. Les manuscrits du Ghana proviennent essentiellement du nord du pays, point de rencontre de deux influences culturelles : les Wangaras et les Haoussas. Il existe encore beaucoup de manuscrits qui n’ont pas été collectés. Ces manuscrits se trouvent dans des bibliothèques familiales, des mosquées et des zawiyas. Les bibliothèques privées représentent un important héritage culturel. Elles ont été transmises de génération en génération. Une prospection réalisée en 1965 a permis de localiser au Ghana près de dix mille manuscrits. La section des manuscrits arabes et ajami de l’Institut des études africaines a fortement besoin d’être redynamisée. Il est urgent de trouver des locaux adaptés à la conservation des manuscrits et de mettre en place un projet de sauvegarde et d’acquisition des nouveaux manuscrits. En s’appuyant sur la prospection, la sauvegarde et l’acquisition des nouveaux manuscrits, le projet s’intéressera aux conditions et au devenir même des bibliothèques des grandes personnalités (cheikhs) qui ont joué un rôle important dans la vie sociale et religieuse du pays.

Figure 3 : Symboles Adinkra du Ghana

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CHAPITRE 9 L’ ajami, à l’épreuve, au Niger Moulaye Hassane Résumé Cette étude offre un panorama de l’évolution sociale et historique qui a instruit, au cours des siècles passés, l’utilisation de l’écriture utilisant la graphie arabe mais charriant une variété de langues africaines du terroir ainsi que les préoccupations religieuses, économiques, politiques, juridiques et sociales des populations qui en ont eu la charge. L’attention étant centrée sur le Niger, l’auteur analyse de façon synthétique un échantillon réduit de manuscrits conservés au département de Manuscrits arabes et ajamis de l’université Abdou Moumouni de Niamey. Il décrit aussi l’état préoccupant des collections existantes et propose des stratégies de conservation aptes à mieux préserver des manuscrits en papier fragilisés par des siècles de méthodes inadéquates de gestion endogène.

A

vec l’introduction de l’islam, une nouvelle situation s’est créée en Afrique subsaharienne. Cette nouvelle religion est intimement liée à l’écriture (Kitàb), donc à la lecture (al-qur’an)1. Cette écriture qui doit être lue en raison du message sacré dont elle est porteuse, a été révélée dans la langue d’un prophète, Muhammad (Paix et Salut sur Lui), dont la langue maternelle est l’arabe. 1. Plusieurs versets coraniques (C. 59-21, 12-2, 39-28) affirment que le Saint Coran est une écriture, par excellence, qui ne souffre d’aucune défectuosité. Il est destiné à la purification des âmes.

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Tout naturellement, ce message destiné à l’humanité, transmis en langue arabe, une langue qui s’est dotée d’une graphie spécifique, va progressivement, pendant des siècles, influencer toutes les sphères des sociétés qui y ont adhéré2, particulièrement dans le domaine de la graphie. Ainsi, l’histoire de l’écriture de certaines langues africaines subsahariennes va être liée à l’évolution de l’islam.

Aperçu historique Les quatorze siècles de présence effective de l’islam en Afrique subsaharienne ont fait l’objet de nombreuses études dans plusieurs langues. N’empêche, le sujet est loin d’être épuisé3. Il n’est cependant pas superflu de procéder à un rappel des temps forts de la trajectoire islamique en Afrique. Période allant du VIIe au XVe siècle L’expédition victorieuse de ‘Uqba b. Nàfi’ al-Fihri en 666, dans le Fezzan, puis dans le Kawar, marque le premier contact militaire de l’islam avec l’Afrique subsaharienne4. Toutefois, il n’est pas exclu que les échos de la nouvelle religion soient parvenus aux populations avant cet événement historique inaugural, en particulier, dans les frontières de l’Ethiopie actuelle dont les ressortissants étaient bien connus en Arabie Saoudite. L’islam prend contact avec l’Afrique par le Sahara, après avoir franchi la mer Rouge (al bahr al-Ahmar). Il traverse l’Egypte (alfustàt), la Cyrénaïque (tarabulus al-garb), l’Ifriqiya (al-ifriqiyya) et le Maghreb extrême (al-magrib al-aqsà). Les liaisons, à travers le désert, entre le Nord et le Sud du Sahara, étant intenses et très anciennes, c’est tout naturellement que l’islam emprunte les pistes caravanières préexistantes 2. Voir Raymond Daniel, « Croyances religieuses et vie quotidienne. Islam et Christianisme à Ouagadougou », Recherches Voltaïques, 1970. 3. Le projet le plus remarquable reste : l’Histoire générale de l’Afrique rédigée sous l’égide de l’Unesco dont une version abrégée a été traduite en kiswahili. Cependant, les versions hausa et peule sont en chantier. Pour la période classique, voir Joseph Cuoq, Recueils des sources arabes concernant l’Afrique Occidentale du VIIIe au XVe s., CNRS, Paris, 1975. 4. L’islam aujourd’hui, ISESCO, n° 2, avril 1984, p. 199-206. L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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qui relient les différents centres commerciaux du Nord à ceux du Sud, de ceux de l’Est à ceux de l’Ouest de l’Afrique. Durant cette première phase, les éléments arabes et berbères ont souvent été cités pour avoir joué un rôle important dans ce processus5. La diversité des mœurs liée à la multiplicité des groupes ethniques laisse penser, cependant, que les rythmes et les voies de ce processus de pénétration de l’islam sont multiples et suivent les phases de l’évolution historique, politique, économique et sociale des sociétés concernées. Il a fallu attendre plusieurs siècles pour que l’islam pénètre progressivement le substrat social et religieux, en s’appuyant sur deux facteurs : l’instruction, à partir du Coran dont la connaissance, même partielle, est indispensable à tout croyant devant accomplir les cinq prières quotidiennes, l’un des cinq piliers de l’islam ; l’éducation, inséparable de l’instruction, en Islam. Car ces deux éléments entretiennent des relations de complémentarité. Si la première apprend à lire, à écrire et à comprendre le message (al-risàla) et les sciences annexes qui le vulgarisent, la seconde a pour but de prendre en charge l’individu, dès l’enfance, en lui donnant les moyens moraux et matériels indispensables à la formation de sa personnalité. Elle vise en outre son insertion dans la communauté des croyants (Umma) où il deviendra un agent de développement. Le lieu initialement affecté à cette tâche fondamentale était la mosquée (masjid) qui servait de lieux de prières, de débats. Elle touchait la vie de la communauté. Certaines sont devenues progressivement de hauts lieux de savoir, dans différentes disciplines, au-delà des sciences religieuses6. Les centres de savoir vont jouer le rôle de phares à partir desquels la culture et les connaissances islamiques vont être diffusées en Afrique subsaharienne par les savants itinérants et leurs étudiants.

5. Abdellah Laroui, Histoire du Maghreb, Maspéro, Paris, 1970, p. 218-19. 6. Ainsi, de nombreux africains du Sud du Sahara ont été formés dans les célèbres mosquées universitaires : Al-Qarawiyyin à Fas, à la Zaïtuna de Tunis, à Kayrawan et à al-Azhar as-Sharif du Caire. Cf. El-Fasi Mohammed, Ivan Hr-Bek, « Etapes du développement de l’islam et de sa diffusion en Afrique », in Mohammed El-Fâsî et Ivan HR-BEK (dirs), « L’Afrique du VIIe au XIe siècle », Histoire générale de l’Afrique, vol. 3, Unesco, Paris, 1990, p. 81-116.

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Période allant du XVe au XVIIIe siècle Les efforts consentis durant les siècles précédents par les savants, les étudiants et l’encouragement des grands souverains et de certaines corporations comme les commerçants, vont être les catalyseurs d’une renaissance politique et économique se traduisant par l’émergence d’une classe de lettrés locaux qui prendra le relais des savants venus du Nord. Ainsi, après la disparition des grands centres comme Aoudaghost, Koumbi Saleh et Walata, d’autres grands lieux prestigieux comme Niani, Djenné, Tombouctou, Gao, Tigidda et Agadez deviennent, tour à tour ou concomitamment, des pôles très vigoureux sur le plan culturel et religieux. Des érudits, formés à Fès, dispensent leur enseignement dans différentes mosquées, devenues de véritables universités non dans le sens occidental du terme, mais en tant que centres de gestion et d’impulsion des connaissances les plus élevées. Les imams (imâm), cadis (qadi) et secrétaires (Kàtib) étaient en majorité originaires de l’Empire du Ghana et de l’empire du Mali à l’Ouest, et de l’Empire du Kanem Bornou à l’Est, suivant un chronogramme différencié. L’islam devient ainsi une religion africaine à part entière, tout au moins dans de nombreuses localités, cependant que l’école coranique est complètement intégrée aux structures sociales et adaptée aux besoins7. Cette période se caractérise par la redynamisation de l’islam, sous la bannière des confréries soufies réformistes dont la plus ancienne est la Qadiriyya. Cette confrérie s’est structurée d’abord en Algérie, avant d’être diffusée en Afrique subsaharienne à Tombouctou, en Mauritanie, au Sénégal, puis dans le Sud par les Touaregs et les Maures Kounta, très influents à l’époque. Son succès a été couronné par la création, au XIXe siècle, d’Etats théocratiques comme celui de la Dîna de Hamdallay, le Califat de Sokoto et de nombreuses principautés se réclamant de la loi islamique, la Shariya.

7. Hamani Djibo, Contribution à l’histoire de l’islamisation des populations nigériennes avant la colonisation (document provisoire), université de Niamey, Niamey, 1981. L’auteur a dressé une liste significative de lettrés ayant joué un rôle important dans l’activité intellectuelle. Voir p. 26-31. Voir, aussi, Histoire générale de l’Afrique, vol. VI, l’Afrique de 1800 a 1889, chap. sur les révolutions islamiques. L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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Période coloniale La culture musulmane était implantée dans un nombre significatif de centres urbains d’Afrique subsaharienne, à la veille de la pénétration européenne dans les territoires susnommés. Les sciences islamiques et les lettres arabes étaient appréciées de façon inégale du fait de l’existence ou non, dans de nombreux bourgs, d’un centre d’apprentissage du Coran et des sciences islamiques. Le dynamisme de cette religion musulmane n’a d’ailleurs pas laissé indifférente l’administration coloniale, d’autant plus que le terrain qu’elle convoitait était déjà investi par l’action des savants depuis plusieurs siècles. A l’époque, c’était les confréries, Qadiriyya, Tijaniyya, Sanusiyya, Khalwatiyya et leurs ramifications qui avaient la charge de revivifier l’islam8. L’islam a toujours cohabité avec les religions animistes et syncrétistes9. Cependant, dans toutes les régions, il paraît bien imbriqué dans les rouages des systèmes de gestion politique et sociale, et sert de socle pour l’unité des groupes ethniques aux intérêts souvent divergents. Cette montée de l’islam s’est manifestée à travers une résistance conduite sous sa bannière par certains lettrés musulmans10. On comprend, dès lors, pourquoi l’administration coloniale, pour asseoir sa politique et concrétiser ses ambitions hégémoniques, va s’employer à déstabiliser les foyers de diffusion du savoir religieux qu’elle considère comme des centres de formation de récalcitrants, hostiles à sa présence. Pour ce faire, elle adopte une stratégie qui s’articule autour de trois volets : -- saper les bases de cette culture religieuse de résistance en s’attaquant aux « écoles » coraniques traditionnelles, en marginalisant l’arabe, langue du savoir de l’époque, et en installant son propre modèle, avec un arsenal de lois et de décisions qui l’accompagnent ;

8. Concernant le rôle joué par les religieux, face à l’implantation coloniale, voir Kimba Idrissa, Guerres et sociétés, les populations du (Niger) occidental au XIXe siècle et leurs réactions à la colonisation, 1896-1906, Etudes nigériennes n° 46, p. 48-49. 9. Voir l’étude de Gravand sur les religions séréers du Sénégal. 10. Salifou André, Le Damagaram ou Sultanat de Zinder au XIXe siècle, Etudes Nigériennes, n°27, 1971, p. 66.

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-- contrôler systématiquement ceux qui sont considérés comme indifférents à son égard, en l’occurrence les marabouts ; socialement représentatifs mais qualifiés de charlatans et de vagabonds ; -- associer ceux considérés comme « compréhensifs » à l’œuvre coloniale, et réprimer et déporter les plus ouvertement hostiles et résistants11. Cette pratique de contrôle et de répression n’a pas pour autant entamé le dynamisme de l’islam. Certes, le niveau d’instruction a fortement régressé, pour des raisons davantage liées à sa dynamique et aux conditions de vie des populations qu’au succès de la politique coloniale. Ainsi, durant la période coloniale, le constat est que l’instruction religieuse s’est propagée horizontalement par l’élargissement de sa base, tout en s’appauvrissant verticalement avec le relâchement de l’emprise confrérique. Il a été précédemment indiqué que l’islam est une religion africaine à part entière, depuis plusieurs siècles. De ce fait, son message imprègne progressivement le tissu social, en commençant d’abord par la conception religieuse ancienne des communautés, en consolidant celle qu’elles avaient déjà d’un Dieu omnipotent, au-dessus de tout, mais qu’elles associaient à d’autres divinités secondaires capables de protéger ou de menacer la famille ou la tribu. L’islam va donc recentrer la croyance en Un Dieu Unique, sans associés, en effaçant lentement l’idée des dieux secondaires. Il va introduire ensuite une nouvelle philosophie sociale en essayant, tant bien que mal, de niveler les différenciations basées sur les barrières linguistiques ou de castes, et en stimulant l’édification de communautés supra tribales (al-umma) dont les références s’inspirent du modèle de l’islam. Apport linguistique du Coran aux langues Quant au champ social, il va être réorganisé par le biais des différentes sciences islamiques, notamment celle de la jurisprudence (al-fiqh). Toute la philosophie sociale et les pratiques traditionnelles (mariage, naissance, éducation et instruction) vont être influencées à divers degrés. L’apport du Coran ne s’est pas limité à la philosophie 11. Traoré Alioune, Islam et colonisation en Afrique, Shaykh Hamahoullah, homme de foi et résistant, Maisonneuve et Larose, Paris, 1983, voir l’Introduction. L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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Photographie : Moulaye Hassane Figure 1 : Maître coranique s’appliquant avec son calame sur une planchette en bois

religieuse et sociale, il a aussi concerné le domaine des langues que nous savons en perpétuel mouvement, selon la situation des locuteurs. Les cas du swahili, du fulfulde, du haoussa et du songhay sont édifiants. Nombreuses sont les langues des communautés musulmanes africaines du Soudan qui ont eu recours aux emprunts des termes coraniques, soit pour exprimer certaines situations ou notions jusque-là inconnues, soit pour remplacer des termes qui sont peu utilisés, ou pour enrichir leur répertoire lexical. Certains emprunts gardent le sens d’origine et, dans bien d’autres cas, il y a extension ou restriction. Par ailleurs, sur le plan de la phonétique, certains emprunts sont gardés tels quels en arabe; par contre, d’autres ont subi le phénomène d’accommodation qui permet à une langue d’emprunter en intégrant des préfixes ou des suffixes, ou encore de plier certains sons à ses propres caractéristiques. Ce phénomène d’emprunt s’opère directement de l’arabe à une langue africaine ou par transit, d’une langue africaine qui a emprunté, à une autre langue africaine. Les lettrés ont eu recours à cette graphie coranique pour transcrire leurs langues. Cette graphie coranique adaptée est connue sous l’appellation de « a’jamî ». En langue arabe, c’est un relatif qui s’applique plus à la langue transcrite qu’à la graphie proprement dite.

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En effet, étymologiquement, « a’jamî » s’applique à tout ce qui est affecté d’incompréhension ou de barbarisme «’ Ujma » ; d’où son application à toutes les langues qui ne sont pas comprises des Arabes. Ces derniers l’opposaient à l’éloquence « fasâha » qui, selon eux, est la caractéristique même de la langue arabe. Historiquement, la notion existait avant l’islam, puisqu’elle préoccupait les poètes de la période anté-islamique « shuára’al-jahiliyya ». A cette époque, « a’jamî » s’appliquait plus généralement aux langues des peuples voisins que sont les Perses (al-furs) dont la langue est incomprise des Arabes et plus tard aux Berbères « al-barbar » pour la même raison12. Par conséquent, faut-il noter que le sens de ce mot est fonction de celui qui l’utilise et du contexte? Ainsi, au Soudan précolonial, l’ajami est largement usité à côté de l’arabe et cela dans toutes les activités intellectuelles par les lettrés et les masses populaires alphabétisées dans les échanges épistolaires, en particulier durant la période coloniale. Dans l’état actuel de nos connaissances, rien ne permet d’indiquer avec certitude la période à laquelle les lettrés ont senti la nécessité de recourir à cette graphie et de développer cette littérature au Soudan. Nous ne disposons pas non plus d’éléments de références permettant d’indiquer si c’est une imitation des autres communautés musulmanes (les Perses et les Berbères) qui ont eu à l’adopter, probablement, longtemps avant les peuples du Soudan central. L’hypothèse défendue par la tradition orale affirme que l’utilisation de la graphie coranique est ancienne. Elle remonterait au XVIIe siècle, mais son utilisation et sa grande diffusion dateraient du XVIIIe siècle, lorsque l’islam s’est progressivement répandu aux couches populaires peu alphabétisées13. Il a donc fallu trouver une méthode adaptée à la situation et au fait que la large majorité des croyants ignorait l’arabe, restée langue savante14.

12. Bearman P.J., Th. Bianquis, C.E. Bosworth, E. van Donzel, et W.P. Heinrich, Encyclopédie de l’islam, t.1, Brill, 1995. < http://referenceworks.brillonline. com/browse/encyclopedie-de-l-islam > 13. Op. cit. 14. Op. cit. L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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Donc, pour mieux vulgariser le savoir religieux et les connaissances, il a fallu trouver le moyen le plus proche du croyant. Ainsi, les lettrés locaux (milieux confrériques plus particulièrement) se sont versés dans la composition de textes en langues locales. Et pour libérer la mémoire, la graphie coranique était l’unique recours à leur portée. Cette graphie va donc être utilisée en fonction de la spécificité de chaque langue et en tenant compte des variantes pour celles qui en ont. Par ailleurs, nous savons aussi que cette littérature ajami fut mise à contribution, méthodiquement, comme moyen de combat dans le cadre de la réforme religieuse, djihad, engagée par le cheikh Uthman Dan Fodio et dans la consolidation politique de l’empire théocratique de Sokoto. A ses débuts, chaque lettré pourrait avoir eu sa propre méthode de transcription, car tous les phonèmes de l’alphabet coranique ne sont pas retenus, parce qu’ils ne se trouvaient pas dans les répertoires des langues du Soudan, comme le ayn \Sâd\,shîn\,dâd. Et pour certaines comme ([g], [p], [mb], [nd], [nh], [nj], [c], [yh]) existantes dans les langues du Soudan mais qui ne se trouveraient pas dans le répertoire coranique, il a fallu les inventer par l’adoption de lettres proches, en y intégrant un signe distinctif. Mais cette anarchie apparente n’a point constitué une barrière entre auteurs, puisque les uns et les autres se comprenaient sur une base d’intuition minimale.

Création et diffusion des manuscrits Historique du département des Manuscrits arabes et ajami de l’Institut de recherches en sciences humaines (IRSH) Le département des Manuscrits arabes et ajamis est à présent l’un des sept départements scientifiques qui composent l’IRSH de l’université Abdou Moumouni de Niamey. La dernière estimation qui remonte à la fin du catalogage réalisé en 2006 donne un chiffre de 4 038 manuscrits, une partie du fonds n’étant pas encore répertoriée. Les premiers volumes de la collection proviennent de la bibliothèque de feu Boubou Hama, président de l’Assemblée nationale du Niger, de 1958 à 1974. Ce grand homme d’Etat était surtout un passionné des sciences humaines et de la culture. Les riches collections de sa bibliothèque

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Photographie : Hassane Figure 2 : Tablettes coraniques en bois couramment utilisées au Niger et dans le Sahel

logée dans les locaux de l’Assemblée nationale et ses travaux en sont la preuve. Il s’est rendu compte, très tôt, de l’extrême importance des manuscrits arabes et ajamis et des traditions orales comme sources inépuisables d’informations pouvant être exploitées dans les travaux en histoire, en sociologie et dans toutes les branches du savoir sur les populations africaines en général, celles de l’Afrique subsaharienne en particulier. Au Niger, nous pouvons affirmer sans crainte d’être démenti, qu’il fut le pionnier en matière de collecte des traditions orales et des sources écrites. Une partie de ces éléments d’information a constitué des matériaux de base pour ses ouvrages qui demeurent encore des références appréciables pour nombre d’étudiants et chercheurs. Cependant, ses travaux sont en fait le fruit d’une partie de la masse d’informations dont la plus importante attend d’être répertoriée et transcrite (pour ce qui concerne les traditions orales) ou cataloguée et exploitée, s’agissant des manuscrits. En 1970, une liste de manuscrits dressée par les soins de Boubou Hama indique que 428 manuscrits étaient disponibles dans sa bibliothèque privée dont 16 en ajami (haoussa et fulfulde). Ils avaient été achetés, légués ou reprographiés et provenaient de l’intérieur du Niger, mais aussi des pays voisins par l’intermédiaire de collaborateurs. On peut, cependant, regretter le manque de datation, pour une partie des manuscrits ; nombreux sont les auteurs et copistes qui précisent L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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cet élément d’information essentiel. Ce rapport contient un résumé analytique de 41 manuscrits et une traduction de 21 autres. Quant aux moyens, au départ, ils sont assurés par ses ressources personnelles, très vite relayées par celles mises à sa disposition par l’Etat ou par des entreprises nationales de l’époque, telles que la Banque de développement du Niger (BDRN) et la Société nationale de commercialisation des arachides (SONARA). La méthode d’acquisition reposait essentiellement sur un réseau d’informateurs tissé à travers le pays et à l’extérieur. Leur mission était de collecter les informations servant à localiser des traditionalistes de renom et des manuscrits de valeur. Alors, le président usait de sa notoriété et de ses moyens pour atteindre son objectif. Des correspondances font état du séjour de nombreux hommes de savoir, africains et non africains, à l’Assemblée nationale, dans le cadre de la recherche et de la coopération scientifique. Après le coup d’Etat militaire d’avril 1974, les manuscrits sont restés à l’Assemblée nationale avant d’être transférés dans les locaux actuels de l’IRSH, à l’époque Centre nigérien de recherches en sciences humaines (CNRSH), fondé en 1964 à la place de l’ancien Institut français d’Afrique noire (IFAN), lui même créé en 1944 par feu le professeur Théodore Monod. L’IRSH fut intégré à l’université de Niamey en 1974 et on confia au département des Manuscrits arabes et ajamis les missions suivantes : acquisition, entretien, classement et conservation des manuscrits arabes et ajamis ; aide, orientation en méthodologie et bibliographie des étudiants (civilisation et études islamiques, littérature arabe, etc.) ; soutien aux étudiants dans l’exploitation des manuscrits arabes et la traduction des plus représentatifs ; études ponctuelles sur l’islam en général et sur celui du Niger en particulier ; publication dans les revues spécialisées. Depuis, l’Etat consacre, dans le cadre des subventions accordées à l’université Abdou Moumouni de Niamey, des sommes annuellement affectées pour la poursuite des acquisitions et pour la conservation. L’Unesco, de son côté, a apporté son soutien financier et cela, durant plusieurs années, notamment pour la construction du dépôt actuel de son équipement.

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A la différence de la liste de 1970 qui donne des informations précises mais brèves sur chaque manuscrit cité et une traduction des quelques chroniques, celle de 1979 composée en arabe ne comporte ni introduction ni détails, et est, de ce fait, peu utilisable. Le dernier manuscrit enregistré de la liste de 1979 porte le numéro 1551, ce qui est considérable. Ce progrès dans le domaine des acquisitions, traduit les efforts déployés et les moyens mis à la disposition du département par l’Etat et les différents partenaires. A son installation progressive, plusieurs chercheurs nationaux et étrangers ont contribué à la gestion du dépôt des manuscrits : certains ont encouragé les traductions des chroniques mises à la disposition des étudiants en histoire ou en sociologie, d’autres ont mené une campagne d’acquisition de nouveaux manuscrits de valeur inestimable. Certains ont privilégié la reprographie et l’établissement de microfilms pour les anciennes copies en décomposition. Cependant, faute de moyens, le département n’a pas pu dresser des listes analytiques qui auraient permis de mieux faire connaître au monde scientifique intérieur et extérieur ces documents originaux. La dernière liste de manuscrits date de septembre 1985. Elle a été dressée à la demande de l’Unesco et se termine par un chiffre rond de 3 000. Les détails qu’elle comporte démontrent un progrès relatif dans le domaine de la présentation. Les missions étendues du département des Manuscrits arabes et ajamis participent à la collecte, la protection, la conservation, l’indexation, l’identification et l’exploitation des manuscrits arabes et ajamis sur toute l’étendue du territoire national. Or, le pays renferme un nombre incalculable de manuscrits encore inconnus des chercheurs. Ces manuscrits constituent, pour l’Afrique subsaharienne en général et pour le Niger en particulier, une banque de données et une source inépuisable de connaissances, mais peu exploitées. En effet, ce trésor retrace quatorze siècles d’installation progressive et de rayonnement de l’islam en Afrique subsaharienne. Donc, il renferme des éléments qui permettent de savoir comment l’islam a marqué et façonné presque toutes les pratiques et les coutumes à des degrés divers. La langue arabe écrite a exercé au fil des siècles, une influence certaine sur toutes les communautés qui ont adhéré au message. L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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Ainsi, le patrimoine culturel qui précède immédiatement la période coloniale est écrit en arabe ou transcrit avec la graphie coranique (ajami), à quelques exceptions près (caractères tifinaghs). Par conséquent, son exploitation repose inévitablement sur une bonne connaissance de la langue arabe. Cependant, il y a lieu de constater que les élites universitaires censées mettre en valeur cette richesse ont été formées, surtout en Occident, loin du terrain baignant dans une culture musulmane et africaine depuis un millénaire. La langue arabe n’a pas été prise en compte dans la formation de celle-ci, en dehors de quelques cas isolés ou des rares chercheurs qui s’y sont mis consciencieusement, par la suite, d’où la rareté des manuscrits arabes ou plutôt le net déséquilibre dans les références des travaux de recherche sur l’Afrique subsaharienne. D’autre part, les premières vagues d’élites arabophones formées dans les pays arabes s’intéressent d’avantage aux sciences religieuses et sont peu enclines à recourir aux méthodologies de la recherche scientifique, notamment celles relevant des sciences historiques et sociales. Heureusement, ces dernières années, il s’est produit une prise de conscience générale de l’importance des manuscrits. En effet, nombreux sont les jeunes universitaires qui choisissent des thèmes portant sur l’héritage culturel islamique africain comme sujets de mémoire ou de thèse et sillonnent les pays à la recherche de références manuscrites. Par conséquent, il est de notre devoir de sauvegarder cet héritage culturel légué par l’histoire, afin qu’il puisse aider à faire connaître le passé et préparer l’avenir des générations futures. Description du manuscrit ou codicologie Cette partie est en quelque sorte une présentation détaillée de l’identité du document. Elle traite donc des points suivants : le domaine traité, c’est-à-dire s’il est en sciences sociales et humaines (jurisprudence, histoire, théologie, littérature, sciences occultes), ou en sciences exactes et naturelles (pharmacopée, médecine, astronomie, mathématique, etc.) ; la thématique unique ou diversifiée. Type de composition du manuscrit Cette partie permet de savoir le type de composition du manuscrit et d’en déconstruire l’étude selon qu’il s’agit d’une compilation, d’un commentaire, d’une dissertation, d’un traité, d’un récit (de voyage), etc.

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Catalogage ou identification complète L’identification complète, comme son nom l’indique, est un examen approfondi et plus élaboré du manuscrit qui reprend, de façon plus détaillée, certains aspects de l’identification initiale. Le catalogage se fait en laboratoire dans le cadre de manuscrits acquis ou dans le cadre d’un consentement et d’une demande expresse du détenteur d’une bibliothèque privée ou de manuscrits de famille. Il procède de phases opératoires qui vont de l’examen physique à l’examen interne, l’étude du contenu et le résumé succinct de ce dernier. Les opérations préliminaires nous permettent de connaître le numérotage, l’auteur, la discipline concernée, l’état du document (si c’est un original, une copie ou autres, sa date ou son année de composition, si c’est une copie, le nom du copiste, la date ou l’année de la copie), la provenance du manuscrit et, si possible, son commanditaire. Mais, les opérations essentielles les plus importantes sont l’examen physique du document, son examen interne et l’étude de son contenu. Examen physique Il concerne la graphie, les dimensions : du papier, les dimensions : de l’écriture, l’état physique du manuscrit, les encres utilisées, notamment, l’encre du texte, souvent noire, l’encre des annotations ou des explications, rouge ou violette et l’ornement. Examen interne Il commence par la lecture : Le début du manuscrit ou basmala ou formule initiale, qui porte généralement sur les deux premières pages du manuscrit, contient les formules de salutations, le titre du manuscrit, le nom de l’auteur, du manuscrit et la nature du manuscrit (original, copie ou copie de copie). Quant à la fin du manuscrit ou « hamdalla » ou formule finale, elle concerne généralement la dernière page du manuscrit et contient notamment la date ou l’année. Cette datation peut être complexe, c’està-dire, elle peut être en chiffres, en lettres ou un composé de mots.

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Etude du contenu Elle comprend deux étapes qui consistent à déterminer la nature et le résumé du manuscrit. La nature concerne la compilation, le(s) commentaire(s), la dissertation, le traité, etc. Tendances thématiques générales Disciplines traitées par l’usage de la graphie Les manuscrits en ajami légués par les générations antérieures permettent d’avoir une idée des disciplines concernées par ce genre de graphie. Il faut, certes, se garder de généraliser dans un domaine aussi vaste et peu connu, mais notre échantillon peut être considéré comme représentatif15. En fait, l’ajami a concerné tous les domaines d’activités des lettrés. Ainsi, il existe des traités dans les domaines ciaprès : at-tib al-mahalli, la description et le traitement traditionnel des maladies ; as-saydala, les propriétés des plantes et le mode l’emploi ; Ilm al-asrâr, des textes servant dans le domaine des sciences occultes ; des traductions d’ouvrages ou textes arabes vers une langue africaine ; il existe de nombreux textes à caractère administratif et diplomatique (échanges épistolaires entre sultans ou chefs de provinces, entre personnes alphabétisées). Mais, le domaine religieux demeure le plus concerné par cette graphie, puisqu’elle a interpelé les disciplines suivantes : wa’zi (la jurisprudence), la poésie, l’histoire, etc. Exhortation à la purification de la foi ou «wa’zi» en haoussa Elle consiste à raffermir les relations entre les différentes communautés rurales et urbaines, développer une personnalité musulmane consciente, capable de discerner les clivages sociaux et les problèmes religieux. Les textes sont en prose ou en vers (qasîda/mandhûma) et renferment de nombreuses thématiques. Les références à partir desquelles ils sont composés sont : le Coran, la biographie du Prophète, sîra, les récits historiques édifiants, les extraits de la biographie des envoyés et prophètes, qisas al-anbiyâ’ et les traditions prophétiques hadith. 15. Nous sommes partis sur la base de 70 documents ajamis conservés au département des Manuscrits arabes et ajamis de l’IRSH. Ils proviennent tous de différentes régions de l’Afrique subsaharienne.

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Dans notre contexte, cette discipline est d’autant plus importante que les auteurs de ces textes s’adressent à des croyants dont beaucoup sont restés encore attachés à des pratiques ancestrales qu’ils intègrent à l’islam. Les thématiques sont fonctions du contexte du milieu et du moment et gardent leurs caractères didactiques d’enseignement simplifié accessible au grand public. Deux grandes orientations se dégagent en parcourant les textes : le tawhid et le fiqh. Discipline du tawhîd Elle affirme donc l’unicité de Dieu sans associé, une prescription du Saint Coran à laquelle nombre de musulmans de l’espace soudanais contemporain se soumettent difficilement. Certes, l’écrasante majorité exécute régulièrement les principes pratiques de l’islam, mais ils continuent de s’adonner aux cultes des religions traditionnelles ancestrales proscrits par le Coran et les traditions prophétiques islamiques. Les auteurs puisent leurs argumentaires dans les versets qui traitent du paradis, récompense pour les fidèles décrite à partir des images contenues dans le Coran et soigneusement intégrées à celles de l’environnement immédiat des populations. Sont également prises en considération la menace du châtiment éternel de l’enfer pour les syncrétistes pervers suivant la même procédure méthodologique ainsi que certaines déviations à caractère métaphysique. L’échantillon cidessous donne une idée de l’ingéniosité des compositeurs.

IRSH/UAM n° 389 Auteur : al-Imâm Abû Halim b. Sâlay b.zawji Marâfa Titre : Manzûma fi-l- wa’az wa-l- irshâd Thème : poésie religieuse Caractéristiques : graphie maghrébine, encre violette et rouge, bon état, vocalisé L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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Résumé : Texte en vers, composé en songhay-zarma (l’une des langues parlées dans la partie Ouest du Niger et dans les zones de Tombouctou et Gao, du Mali). Les éléments constituants sont des extraits du Coran, de la tradition prophétique, de la jurisprudence musulmane, de la biographie d’hommes illustres et de références culturelles locales spécifiques. En plus de la diversité de sa composition, il traite de thématiques multiples qui vont de l’enseignement des principes religieux au code de conduite du croyant. C’est un genre littéraire sorti des profondeurs de la méditation des maîtres mystiques des écoles soufis, il témoigne de l’apport original inestimable du terroir africain au savoir religieux musulman universel.

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Jurisprudence musulmane, fikh Elle a pour objectif d’exposer les éléments de savoir consignés dans le Coran et dans les livres de vulgarisation des jurisconsultes malikites (Ecole juridique la plus répandue au Soudan occidental et central), en particulier les chapitres qui touchent la vie quotidienne et les rapports sociaux entre croyants. En complément, les auteurs puisaient dans les récits historiques qisas al-anbiyâ extraits du commentaire coranique, certains récits bibliques al-israiliyyât, le tout dilué dans les éléments de la culture locale qui ne sont pas ouvertement contraires aux principes évoqués plus haut. Le but recherché par cette discipline est d’exposer un modèle de comportement exemplaire qui, s’il est suivi, permettrait d’atteindre un double objectif : une obéissance à Dieu devant conduire à une vie stable ici-bas et un salut dans l’au-delà qui sera matérialisé par le Paradis. Au Soudan, son influence à travers les siècles a donné naissance à un rapprochement progressif puis à une unification relative des ethnies qui étaient souvent marquées par des différences comportementales, professionnelles, de castes ou ontologiques qui pouvaient tourner au drame. L’une des conséquences visibles de cette influence est le brassage linguistique et racial entre sahéliens et sahariens à travers les intermariages. De nos jours, les us et coutumes des communautés sont influencés à un degré ou à un autre, certains sont relégués aux oubliettes et d’autres sont en voie de l’être. C’est la dynamique en dents de scie de cette discipline, alimentée par le manque d’équité dans la gestion politique, qui serait à la base de la revendication, par moments, dans l’histoire des populations de certaines anciennes cités religieuses, de l’application complète de la loi islamique sharîyya. Poésie élogieuse dédiée à la mémoire des Prophètes et des Envoyés Appelée en haoussa « Yabon Annabi » et en songhay-arma « annabi sifey », la poésie est surtout centrée sur le Prophète Muhammad (PSL) et vient en appoint à la jurisprudence en ce sens quelle intervient dans l’optique de transformer le terrain social. Composée d’extraits hagiographiques des personnages considérés comme purifiés de Dieu, ils sont présentés comme des modèles à imiter chacun selon sa spécificité. Cette discipline puise, à l’instar des autres compositions religieuses originales du Soudan, dans les référents culturels du terroir, L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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IRSH/UAM n° 925 Version en hausa de l’ouvrage connu sous le titre Adjarumiyya. Très prisé en Afrique subsaharienne dans les écoles coraniques, en particulier par les apprenants qui s’initient à la grammaire arabe. L’auteur traite dans cet ouvrage des différents problèmes de base de cette discipline à travers plusieurs chapitres.

ce qui explique en partie son emprise sur les populations. La production était d’abord orale avant d’être transcrite en ajami L’ajami durant la période post-coloniale Nous n’avions fait que survoler le rapport entre l’administration coloniale et les lettrés, détenteurs du savoir religieux. S’il est vrai que de nouvelles orientations avaient été prises par rapport à l’enseignement du Coran, notamment l’encouragement et la promotion des medersas, il n’en demeure pas moins que l’administration léguée par les colonisateurs (surtout française) est restée méfiante vis-à-vis du milieu des lettrés musulmans. Certes, ceux qui ont pris les rênes du pouvoir sont issus de la campagne donc culturellement proches des lettrés. Mais le pouvoir

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IRSH/UAM N°3988 Poèmes composés par Shaykh uthmân dan Fodio à l’honneur du Prophète Muhammad (sas).Composé en ajami fulfulde et en arabe, ce texte renferme des éléments de culture locales très diversifiés

réel était encore entre les mains de la métropole, ce qui explique que dans certains cas la stratégie adoptée était peu différente de celle du colonisateur. Elle s’articule autour des points suivants : -- édifier un Etat laïc conforme à l’idéal politique de la puissance colonisatrice qui a du reste laissé dans un premier temps ses conseillers dans les chancelleries des Etats naissants ; -- prendre en compte le fait que la majorité de la population soit musulmane, mais éviter l’avènement d’un Etat islamique qui serait considéré comme un échec à leur mission « civilisatrice », argument de base de l’entreprise coloniale ; -- privilégier les relations avec les pays arabes, en particulier les plus riches pour les aides indispensables au développement économique L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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et social du pays, coupant ainsi l’herbe sous les pieds de ceux qui peuvent, sous la bannière de l’islam, exploiter la misère des croyants et formuler des revendications à caractère politique. En matière d’éducation, tout en encourageant la création des medersas, nos Etats vont surtout privilégier le modèle colonial d’où sont issues les élites locales de l’administration. La tendance en faveur de l’école coloniale va s’accentuer avec l’indépendance et les jeunes générations vont être absorbées par l’école occidentale. Le fossé va donc se creuser entre les générations de parents évoluant en campagne dans une culture traditionnelle influencée par l’islam et leurs enfants, devenus des élites évoluant dans les grands centres urbains et plus attirés par les valeurs occidentales dont l’école « moderne » est la promotrice. En moins d’un siècle et demi, ce modèle géré par une administration locale devenait une source d’inspiration pour la classe des futurs décideurs. En revanche, dans les milieux des lettrés restés attachés à la culture traditionnelle largement façonnée par l’islam, les initiés à l’ajami continuent de l’utiliser dans leurs activités épistolaires, et les écoles coraniques continuent de dispenser l’enseignement à partir du Coran. Cette dualité est l’une des caractéristiques de l’école en Afrique au sud du Sahara. Mais de nos jours, force est de constater que la plupart des langues africaines sont transcrites avec l’alphabet latin et la linguistique enseignée dans les universités en langues latines. L’ajami sera donc progressivement supplantée à terme. Cependant, il existe une lueur d’espoir car, devant le constat d’insuffisance et parfois d’échec des programmes du système éducatif adopté après les indépendances et la persistance des populations à utiliser de plus en plus l’ajami, les Etats de la sous région (Guinée, Mali, Sénégal, Niger, Tchad) ont mis en place des programmes nationaux d’alphabétisation en ajami avec des appuis techniques et financiers de l’UNESCO, l’ISESCO et de l’ALECSO. Bien plus, des tables rondes ont été organisées afin d’harmoniser les systèmes de transcriptions et la mise au point d’une stratégie collégiale de travail. Les résultats préliminaires font sortir un programme opérationnel d’alphabétisation en ajami harmonisé, qui servira d’outil de formation de proximité en phase avec la mentalité des populations.

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En somme, la graphie coranique a servi d’outil de préservation et de conservation d’éléments culturels longtemps resté oraux de peuples appartenant à la même communauté de foi, à travers le legs de documents inestimables dans différentes disciplines, et cela durant plusieurs siècles. Son harmonisation est une initiative salutaire parce qu’elle aidera sans doute à mieux rapprocher les utilisateurs. Mais son utilisation à grande échelle, en tant qu’outil d’alphabétisation de proximité efficace, va poser, dans le contexte actuel de compétition pour le leadership entre les langues et par voie de fait les cultures, des problèmes de choix politique que certains Etats économiquement démunis auront à opérer. C’est pourquoi la volonté politique qui est le pilier de cette entreprise devrait s’appuyer sur une gestion conséquente en harmonie avec les moyens, ainsi que les hommes qui auront la charge de l’application. Quant à la population concernée par la question, elle demeure encore attachée à l’ajami lié au Coran, Livre sacré de l’islam.

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Echantillons de manuscrits et analyse synthétique de leur contenu. Histoire Cote : 42 * Transcription titre : Dhikr Ba’ad al-Waqâ’i’a al-Ta’rîkhîyya al-Latî Shahadathâ Ähir fî Fatra mâ Bayna Äm 1202 wa 1307 Traduction du titre : Récit de certains événements historiques qu’a connu l’Aïr entre 1202 et 1307 de l’hégire Nom de l’auteur : anonyme Discipline : Histoire en prose. Support : copie microfilm de l’original. Etat physique : bon état non vocalisé. Graphie : soudanienne. Date de composition : non mentionnée. Folios : 6 en papier. Nombre de lignes par page : 21. Dimensions : 21 x 27 cm. Espace écrit : 10 x14 cm, non relié. Provenance : Agadez (Niger). Acquisition : achat. Synthèse : Ces événements sont, entre autres, le conflit de Takada de 1202 de l’hégire, le conflit entre Uthmân Dan Fodio et le roi du Bornou en 1222H qui s’est soldé par la chute de ce dernier, la guerre menée par al-Djîlânî au cours de laquelle Sheikh Umar a trouvé la mort en 1228 H et le pillage de l’Aïr par des éléments conduits par Mamiman, fils du sultan Abdu-l-Djalîl venus de Bilma en 1266 H. Enfin, en 1307, une famine avait ravagé l’Aïr emportant femmes et enfants.

Cote : 43 Transcription titre : Târîkh Saltanat Ader Traduction du titre : Histoire du Sultanat de l’Ader Nom de l’auteur : anonyme

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Discipline : Histoire en prose Support : copie manuscrite établie à partir de l’original. Etat physique : état moyen et vocalisé par endroits. Graphie : maghrébine. Encre : noire. Date de composition : non mentionnée. Folios : 2. Nombre de lignes par page : 12. Dimensions : 13,5 x 21 cm. Espace écrit : 10 x15cm non relié. Provenance : Agadez (Niger). Rapporté par : Malam Hamidane Saidî. Acquisition : achat. Synthèse : Ce document comporte des informations sur la fondation du Sultanat, depuis la domination de Kebbi jusqu’à la libération par Muhammad al-Mubârak et l’installation de son fils Agabba. D’autres informations s’y trouvent ; elles sont identiques à celles que l’on trouve dans les numéros 30 et 78 : le lecteur est prié de s’y rapporter.

Cote : 44



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Transcription titre : Bahth ‘An Ta’rîkh Dâmarghu Traduction du titre : Résultats d’une enquête sur l’histoire du Damergou. Nom de l’auteur : Shaykh Husayn b. al-Hâdj al-Aghdasî Discipline : Histoire en prose Support : copie manuscrite de l’original. Etat physique : moyen et non vocalisé. Graphie : saharienne. Encre : bleue. Date de composition : non mentionnée. Folios : 8. Nombre de lignes par page : 20. Dimensions : 15,5 x 20,5 cm. Espace écrit : 17 x 10,5 cm, relié. Provenance : Agadez (Niger). Acquisition : achat. Synthèse : Sawrî ou Sûrî, d’origine béribéri (Kanuri), serait le premier fondateur de la cité du Damergou qui se serait installé à Zawza jusqu’à sa mort. Une liste non exhaustive de ses successeurs est mentionnée, ainsi que les événements historiques, notamment les relations conflictuelles avec les voisins touaregs. Le document note quelques traditions ancestrales telles que l’héritage auquel la femme n’a pas L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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droit ; les biens du père décédé seront gérés par le fils aîné. Dans le cas d’enfant illégitime, la mère donne dix (10) moutons en compensation à la famille.

Cote : 45



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Transcription titre : Tazkiratu al-Nisyân la Nubdha an Asl Saltanati Burnû Traduction du titre : Rappel contre l’oubli et esquisse d’histoire sur l’origine du Sultanat du Bornou Nom de l’auteur : ash-Shaykh al-Mukhtâr b. ash- Shaykh Abdu-lQâdir al-Haktî Discipline : Histoire en prose Support : copie manuscrite de l’original. Etat physique : 3 copies microfilms ; incomplet (sans fin) bon état et non vocalisé. Graphie : soudanienne. Date de composition : non mentionnée. Folios : 8, en papier. Lignes par page : 20. Dimensions : 12,5 x 17,5 cm. Espace écrit : 10, 5 x14 cm. Provenance : Agadez (Niger). Acquisition : achat. Synthèse : Document relatant certains événements historiques importants dans l’Aïr, notamment la famine de 1027, la bataille de Akaraw et la fameuse bataille de Ta’wâdja qui se serait déroulée en 1096 de l’hégire. On y trouve aussi des informations sur le Bornou et le rôle politique majeur de la tribu des Sandal dans la configuration politique à Agadez. Et enfin, la relation entre politique et islam.

Cote : 46



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Transcription titre : Bahth an Asl Qabâil Ähir wa Dhikr al-Masâdjid al-Mashhûra Fihâ

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Traduction du titre : Recueil historique sur les tribus de l’Aïr et les mosquées importantes de la région Nom de l’auteur : Amân b. Ahmad Bknû al-Ansârî Discipline : Histoire en prose Support : copie manuscrite de l’original. Etat physique : en bon état et non vocalisé. Graphie : soudanienne. Date de composition : 1377 de l’hégire.Folios : 10, en papier. Lignes par page : 17. Dimensions : 21 x 27cm. Espace écrit : 20, 5 x 16,5 cm, non relié. Provenance : Agadez (Niger). Acquisition : achat. Synthèse : L’origine des tribus touarègues de l’Aïr et leur histoire politique. Les Sanhadja seraient les dominateurs, ils prélevaient des tributs sous l’autorité politique du Bornou. Cette pression fiscale annuelle engendra des révoltes qui avaient débouché sur la libération de cette hégémonie : l’Aïr se dota ainsi d’un sultanat sous la couverture turque. Cet acte politique attira la sympathie des autres tribus, principalement les Kel Ewey, Kel Tadouk et les Kel Gress. Les Willimanden, à leur tour, tentèrent de constituer une coalition avec les Kel Ferman et les Kel Tadouk. La dernière partie du document est consacrée aux mosquées célèbres de l’Aïr : Tafass, Tafkam, Assouday, Azarou-Saloufat. L’auteur indique que la mosquée de Tafass est l’œuvre de Moulaye Idris b. Abdul-Lahi, fondateur de la prestigieuse cité de Fez-Meknes en 177 de l’hégire. Jurisprudence musulmane

Cote : 237 * Transcription titre : Mas’alatu an-Nawm Traduction du titre : Questions relatives à la vie du couple légalement établi Nom de l’auteur : anonyme

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Discipline : Jurisprudence et société Support : photocopie à partir de l’original. Etat physique : bon et non vocalisé. Graphie : soudanienne. Date de composition : non mentionnée.Folios : 6, en papier. Lignes par page : 14. Dimensions : 12 x 18,5 cm. Espace écrit : 16, 5 x10 cm. Provenance : Niamey (Niger). Acquisition : achat. Synthèse : Ce document expose quatre types de sommeils : nawmul-Ghaflatu, nawmu-l-illatu, nawmu-l-‘uqûbatu et nawmu-r-râhatu. Il rapporte des conseils donnés par le Prophète (SLS) à ‘Alî b Abî Tâlib pouvant lui être utiles dans sa vie conjugale en général et les conditions favorables pour commercer avec sa femme, c’est-à-dire, les manières, les moments et les lieux.

Cote : 1169 * Transcription titre : Kitâb fî al-mîrâth Traduction du titre : Traité dans le domaine de l’héritage Nom de l’auteur : Al-Imâm Muhammad b. Ibrâhîm Discipline : Jurisprudence Copie manuscrite : copie d’auteur. Etat physique : copie en bon état et non vocalisée. Graphie : soudanienne. Date de composition : non mentionnée.Folios : 10. Support : papier. 19 lignes par page. Dimensions : 17 x 23 cm. Espace écrit : :19 x14 cm, non relié.Provenance : non mentionnée. Acquisition : achat. Synthèse : Document traitant de différentes questions d’héritage, selon les sources : le Coran, les traditions prophétiques et les coutumes qui ne s’opposent pas aux préceptes islamiques.

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Cote : 2507 * Transcription titre : Risâla fî hukm zakât al-fitr Traduction du titre : Traité dans le domaine de l’aumône et de la rupture du jeûne Nom de l’auteur : anonyme Discipline : Jurisprudence Copie manuscrite : copie manuscrite de l’original. Etat physique : copie très ancienne, exposée à l’humidité, en état moyen, non vocalisée. Graphie : maghrébine. Encres : noire et rouge. Date de composition : non mentionnée. Folios : 16. Support : papier. Lignes par page : 18. Dimensions : 10 x 16 cm. Espace écrit : 7 x13 cm, non relié. Provenance : non mentionnée. Acquisition : achat. Synthèse : Document traitant différentes questions relatives à l’aumône de rupture de jeûne et mettant en exergue les points suivants : - les traditions prophétiques qui traitent de la question, - les écoles juridiques orthodoxes de l’islam qui ont traité des opinions y afférentes, - la diversité d’opinions des savants sur certaines questions pointues, - les catégories de personnes qui peuvent en bénéficier et les produits alimentaires indexés.

Cote : 564 * Transcription titre : Nâzilatun fî al-fiqhi Traduction du titre : Discussion sur des sujets de la jurisprudence

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Nom de l’auteur : al-Mukhtâr b. Ahmad b. Abû-Bakr al-Kuntî Discipline : Jurisprudence Copie manuscrite : photocopie de microfilm de la copie manuscrite originale. Etat physique : copie très ancienne, en bon état, non vocalisé. Graphie : Saharienne. Date de composition : non mentionnée. Folios : 16. Support : papier. Lignes par page : 18. Dimensions 10 x 16 cm. Espace écrit : 7 x13 cm, non relié. Provenance : Tombouctou (Mali). Acquisition : achat par la BDRN . Synthèse : Questions suivies de réponses au sujet du mariage et du divorce en islam. Ce document expose d’abord les modalités du contrat : la présence d’un tuteur (al-wâlî), de deux témoins et la dot. Les responsabilités de la vie conjugale se trouvent entre les mains du mari exclusivement, la femme doit obéir à toute directive donnée sans poser de condition. A la fin du document, l’auteur expose les modalités du divorce et ses catégories.

Cote : 692 * Transcription titre : Kitâb fî al-fatwa Traduction du titre : Opinion juridique Nom de l’auteur : Muhammad al-Mawlûd b.Muhammad b. alMukhtâr Nom du copiste : Abdu-l-lâh al-Ma’rûf bi Abbâs b. Muhammad Discipline : Jurisprudence Copie manuscrite : copie manuscrite de l’original. Etat physique : copie très ancienne, en bon état, non vocalisé. Graphie : maghrébine. Date de composition : non mentionnée. Folios : 7. Support : papier. Lignes par page : 21. Dimensions 15 x 20 cm. Espace écrit : 8 x 17 cm, non relié. Provenance : Zinder (Niger). Acquisition : achat.

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Synthèse : Document entièrement en vers traitant de la question de l’avis juridique. L’auteur expose en quelques grandes lignes les caractéristiques des avis juridiques et ses sources, les grandes questions qui amènent les savants à y avoir recours, les catégories des avis que l’auteur classe en trois, les qualificatifs d’un bon Mufti.

Cote : 2515 * Transcription titre : Sha’ni al-nasâra inda dukhûlihim fi al-Sahrâ’i Traduction du titre : A propos des chrétiens lors de leur pénétration dans le Sahara occidental. Nom de l’auteur : Muhammad al-Mawlûd b.Muhammad b. alMukhtâr Nom du copiste : Abdu-l-lâh al-Ma’rûf bi Abbâs b. Muhammad. Discipline : Jurisprudence Copie manuscrite : copie manuscrite de l’original. Etat physique : copie très ancienne, en bon état, non vocalisé. Graphie : maghrébine. Date de composition : non mentionnée. Folios : 7. Support en papier, Lignes par page : 21. Dimensions : 15 x 20 cm. Espace écrit : 8 x17 cm, non relié. Provenance : Zinder (Niger). Acquisition : achat. Synthèse : Ecrit sur la question de la cohabitation des musulmans avec les français au moment de leur première pénétration dans le Sahara occidental. Le thème traité est relatif à la coexistence pacifique entre les Français et les populations locales, notamment les Touaregs dans le Sahara occidental. Le manuscrit y traite aussi de la question de traités de paix dans l’islam, le comportement que doit adopter le souverain face à ses sujets, et la réponse donnée aux allégations de certains savants Touaregs relatives au traité de paix en se basant sur les versets coraniques, la tradition prophétique et le consensus des ulémas.

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Politique Cote : 67 * Transcription titre : Qasîdatu al-Raddi ‘Alâ Risâlati Faqîhâni Hadâhadâ Wa Hâmîdtu Ilâ al-Sultân Traduction du titre : Réplique à une note composée par deux jurisconsultes : Hadahada et Hamidtou contre le Sultan Muhammad alTafrîdj (1621/1654 de l’hégire) Nom de l’auteur : Muhammad b. Ahmad b. Hâmid, connu sous le pseudonyme de sa mère Ibn Tiguinâ. Discipline : Histoire en vers Support : Photos tirée du microfilm de l’original. Etat physique : très bon/non vocalisé. Graphie : soudanienne. Date de composition : non mentionnée. Folios : 8, microfilm. Lignes par page : 15. Dimensions : 12,5 x 18 cm. Espace écrit : 11 x 14 cm, non relié. Provenance : Tchintabaden (Niger). Acquisition : par achat. Synthèse : La première partie des vers expose les propos des deux savants ; à savoir des obscénités et des allégations tendant à salir la personnalité du Sultan dans le but de le faire démissionner. La deuxième partie est une critique du fond et de la forme de la lettre, en s’appuyant sur le peu de maîtrise des règles de la poésie et de la grammaire arabes par ces deux auteurs. La troisième partie expose les qualités, selon l’auteur, du Sultan ; son combat pour la justice, ses œuvres de bienfaisance pour l’islam à l’endroit de la communauté. La quatrième partie est une justification du trône ; un guide est une obligation pour toute communauté et la soumission à lui est attestée par le Coran et la sunna du Prophète (PSL). Il termine en soulignant que la désobéissance à un Sultan n’a pas de fondement et que les dirigeants méritent le respect, les invocations, les remerciements et la soumission.

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Cote : 68 * Transcription titre : Risâla hawla masâ’il al-hukm fi -l-Islâm Traduction du titre : Recommandations autour des questions de gouvernance en islam Nom de l’auteur : anonyme Discipline : Histoire en prose Support : copie manuscrite de l’original. Etat physique : très bon, non vocalisé. Graphie : maghrébine. Date de composition : non mentionnée. Folios : 36, microfilm. Lignes par page : 18. Dimensions 19,5 x 23,5 cm. Espace écrit 18 x 14,5 cm, non relié. Provenance : Agadez (Niger). Acquisition : achat. Synthèse : Recommandations et méthodes de gouvernance islamique destinées aux Sultan al-Tafrîdj. Une mention est faite sur la nécessité de conduire la guerre, destinée à diffuser l’islam, à le purifier et à éviter la polémique au sein de la communauté. L’auteur se refere à un ouvrage rédigé par un certain Abû Muhammad, intitulé « le message ».

Cote : 70 * Transcription titre : Murâsalâtu Amîr Ibrâhîm Guélâdjo. Traduction du titre : Correspondances de Amir Ibrahim Guélâdjo rédigées par Zeine al-Abidîn. Nom de l’auteur : Zeine al-Abidîn. Discipline : Correspondances Date de composition : non mentionné. Etat physique : copies de microfilms en bon état. Graphie : soudanienne. Folios : 2, support en papier. Lignes par page : 11. Dimensions : 21 x 27 cm. Espace écrit : 16 x14. Provenance : Say (Niger). Acquisition : par achat L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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Synthèse : Trois correspondances dont la première est du jurisconsulte Zeine al-Abidîn al-Djannâwî destinée à l’Emir des croyants Ibrâhîm b. Guélâdjo, lui demandant un soutien financier pour réaliser un voyage à Dori (Burkina Fasso). La seconde est de Abdu-l-Qadir b. Muhammad b. Djibrîl destiné à Hama Bodédjo, demandant un soutien matériel. Et la dernière est de Muhammad Bonkano b. Abdu-l-Qâdir, demandant à l’Emir de lui venir en aide.

Cote : 2011 * Transcription titre : Kitâb bayân wudjûb al-hidjra ‘alâ al-‘ibâd/ wa bayân wudjûb nasab al-imâm wa iqâmat al-djihâd. Traduction du titre : Il s’agit ici de deux ouvrages. L’un est un recueil d’éléments de défense et la nécessité de s’exiler pour tout croyant par temps de menace et l’autre est le droit de la communauté sur son guide et l’exercice du djihad. Noms de l’auteur : ‘Uthmân b. Muhammad b. Fodio et Muhammad b. ‘Un thmân Discipline : Histoire en prose. Support : copie à partir de l’original. Etat physique : copie en bon état et non vocalisé. Graphie : soudanienne. Date de composition : 1221 de l’hégire. Folios : 69, en papier. Lignes par page : 26. Dimensions : 20 x 31,5 cm. Espace écrit : 53 x15 cm. Provenance : Sokoto (Nigéria). Acquisition : achat. Synthèse : Chaque document est composé de deux parties essentielles. Le premier traite de la nécessité, sinon l’obligation pour tout croyant de s’exiler en cas de menace avérée, les conditions et les modalités juridiques dans lesquelles tout doit s’opérer. Le second ouvrage traite de la nécessité d’investir un imam qui doit guider la communauté, les modalités de son investiture, le devoir de

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se soumettre à lui et le devoir qui lui incombe de protéger les croyants vivants dans la cité. Il traite ensuite de l’obligation du djihad, et il en existe quatre, conformément au Coran et au consensus ; - Le djihad par le cœur, c’est-à-dire combattre Satan et résister devant l’illicéité. - Le djihad par la main ; les dirigeants doivent sanctionner les malfaiteurs. - Le djihad par la bouche ; autoriser le bien et interdire le mal. - Le djihad par l’épée ; combattre pour la survie de l’islam contre les infidèles et pour le rayonnement de la foi islamique. La fin du document est consacrée au fonctionnement de la cité musulmane et de son organisation.

Cote :1414 * Transcription titre : Usûlu al-Siyâsa. Traduction du titre : Les principes. Noms des l’auteurs : Muhammad Bello b. ‘Uthmân b. Muhammad b. Fodio et Muhammad b. ‘Uthmân, mort en 1253/1837. Discipline : Science politique. Support : copie à partir de l’original. Etat physique : copie manuscrite en bon état et non vocalisé. Graphie : soudanienne. Encre : noire et rouge. Date de composition : 1221 de l’hégire. Folios : 8, en papier. Lignes par page : 19. Dimensions : 17 x 23,5 cm. Espace écrit : 13 x18,5 cm. Provenance : Sokoto (Nigeria). Acquisition : achat. Synthèse : Document sur l’organisation administrative et sociale de la cité, les rapports entre administrateurs et administrés, le rôle des L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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savants en tant que lanternes en milieu social, les modalités pour être un administrateur modèle et le clivage entre bon et mauvais administrateur. Pour appuyer ses arguments, l’auteur avance deux récits : « La justice d’un dirigeant d’un jour, vaut mieux qu’une adoration durant soixante-dix ans ». « Le regard d’Allah ne croisera pas le visage de trois catégories de personnes au Jour de la Résurrection : un dirigeant menteur, un vieux qui fornique, un vieux orgueilleux et hautain ». A la fin du document, l’auteur propose quelques principes fondamentaux d’une bonne gouvernance : la piété, la souplesse, la patience, l’esprit fort ; la proximité avec les savants (al-‘Ulamâ’), en les consultant pour la prise de décisions ; administrer avec justice et équité ; exiger la justice entre croyants en milieu social. Science de l’unicité de Dieu

Cote : 147 * Transcription titre : Taqrîb darûrî al-dîn Traduction du titre : Rapprochement indispensable de l’islam Nom de l’auteur : Uthmân b. Muhammad b. al-Fûdî b. Uthmân b. Sâlah al-Fullânî. Discipline : Histoire en prose Copie manuscrite : copie à partir de l’original. Etat physique : copie en bon état et non vocalisé. Graphie : maghrebine. Date de composition : non mentionnée. Folios : 1. Support : papier. Lignes par page : 22. Dimensions : 18 x 23 cm. Espace écrit : 16, 5 x 12,5 cm. Provenance : Sokoto (Nigéria). Acquisition : achat. Synthèse : L’auteur indique dans ce document qu’il existe trois choses qui nous rapprochent de Dieu : croire en Dieu, en ses Anges, aux Livres,

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au Jour du jugement dernier et au destin, qu’il soit bon ou mauvais ; l’islam ; la bienfaisance (la charité).

Cote : 636 * Transcription titre : Kitâb fî al-tawhîd Traduction du titre : Traité sur l’unicité de Dieu. Nom de l’auteur : non mentionné. Discipline : Religion Date de composition : non mentionnée. Etat physique : copie d’auteur en bon état. Graphie : soudanaise, vocalisée. Encre : noir et rouge. Folios : 9, support en papier. Lignes par page : 12. Dimensions : 19 x 23 cm. Espace écrit : 16 x 13 cm. Provenance : Zinder (Niger). Acquisition : achat par la BDRN. Synthèse : Document traitant de la question de l’unicité de Dieu laquelle est, selon l’auteur, le pilier fondamental de la religion musulmane, les bonnes œuvres ne peuvent être valables qu’en se basant sur ce pilier. Une définition détaillée du concept est donnée à la fin du document.

Cote : 1947 * Transcription titre : ‘Awnu rabbi l-‘Âlamîn ‘alâ sharh al-sullam fî al-mantiq li-l-mu’allimîn wa-l-muta’allimîn. Traduction du titre : Aide du Seigneur des Mondes pour l’explication des évolutions de la logique pour les enseignants et les apprenants. Nom de l’auteur : al-Tâlib Muhammad b. Abî Bakr al-Siddîq b. Abdl-Lâhi b. Muhammad al-Burtulî al-Wallâtî.

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Discipline : Logique. Date de composition : non mentionnée. Etat physique : copie d’auteur en bon état. Graphie : maghrébine, non vocalisée. Encre : noire. Folios : 11. Support : papier. Lignes par page : 22. Dimensions : 16 x 22 cm. Espace écrit : 11,5 x 16 cm. Provenance : non mentionnée. Acquisition : achat. Synthèse : Ouvrage contenant les parties suivantes : • Définition de la logique en tant que science. • Les sciences humaines qui contribuent à l’approfondissement de la logique : la philosophie, l’histoire, la géographie etc. • Etude approfondie de certains concepts et les nuances qui existent entre les mots et les expressions. • L’apport des versets coraniques, des traditions prophétiques et des propos de savants tendant à défendre, prouver et développer une idée donnée. • Exposé de quelques courants de pensées (exemple de Mutazilites). • Un exposé sur le Prophète Muhammad (SLS), en tant que meilleure créature et démonstration de la véracité de cette position par des arguments.

Cote : 326 * Transcription titre : IRSHâd Ahl al-Sûdân . Traduction du titre : orientation des habitants du Soudan. Nom de l’auteur : Ahmad Bâba b. Yûsuf b. al-Salâm b. Ibrâhîm alDabâsî al-Zâghawî. Discipline : Science de l’unicité de Dieu.

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Date de composition : non mentionnée. Etat physique : copie d’auteur en bon état. Graphie : maghrébine, non vocalisée. Encre : bleue. Folios : 12. Support : papier. Lignes par page : 16. Dimensions : 21 x 27 cm. Espace écrit : 17 x 21 cm. Provenance : non mentionnée. Acquisition : achat. Synthèse : Document qui énumère les pratiques et les mœurs néfastes des populations du soudan occidental, contraires aux principes coraniques et à la sunna. Parmi celles-ci : le charlatanisme, la magie, la sorcellerie etc. Il y a aussi ceux qui croient aux jours de bonheur et de malheur, aux malédictions et aux rêves, qui font des sacrifices dans les cimetières, dans la montagne et au pied de certains arbres. L’auteur dit que tout cela n’est qu’égarement, hérésie, débauche et turpitude et que le salut est dans le retour à une orthodoxie islamique pur.

Cote : 2901 * Transcription titre : Manzûma bad’i al-amâlî. Traduction du titre : vers poètique. Nom de l’auteur : ‘Alî b. ‘Uthmân b. Muhammad b. Sulaymân al-Fardjânî al-Awsî al-Hanafî Sirâdju-d-Dîn Abû-l-Hasan, mort en 575/1179. Discipline : Science de l’unicité de Dieu Date de composition : non mentionnée. Etat physique : copie d’auteur en bon état. Graphie : saharienne, vocalisée. Encre : noire et rouge. Folios : 5. Support : papier. Lignes par page : 11. Dimensions : 16 x 12 cm. Espace écrit : 17 x 12 cm. Provenance : non mentionnée. Acquisition : achat. Synthèse : Document sur les attributs de Dieu, sur la responsabilité de l’homme par rapport à ses actes, sur la certitude que l’on peut voir Dieu, sans voile (couverture), le Jour de la résurrection, sur le bien et le mal et la récompense, sur le Prophète Muhammad (SLS) en tant que

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dernier Imâm et l’arrivée de Moïse pour restaurer la justice et parfaire la pratique religieuse.

Soufisme Cote : 611 * Transcription titre : Mawâhibu al-rabbânîya fî tahqîqi al-tarîqa alqâdirîya. Traduction du titre : Dons divins sur la voie mystique de la qâdirîya. Nom de l’auteur : al-Masâliha al-Wazîru ‘Abdu-l-Qâdir b. al-Wazîru Ghidâdu b. Laym. Discipline : Mystique musulmane Date de composition : 1272 de l’hégire. Etat physique : copie très récente en bon état. Graphie : soudanienne. Folios : 14. Support : papier. Lignes par page : 15. Dimensions : 17,5 x 23cm. Espace écrit : 17 x13 cm. Provenance : Sokoto (Nigéria). Acquisition : achat. Synthèse : Exposé de quelques invocations qui permettraient au croyant de connaître une fin heureuse, de bénéficier de l’intercession de Abdu-l-Qâdir al-Djîlânî par un secours et la satisfaction des besoins. La fin du document est consacrée à l’itinéraire d’un soufi qadarite, une mise au point concernant l’abandon de Ahmad Bello de la qadirîya pour la tidjanîya.

Cote 3051 * Transcription titre : Tâdju-l -‘arifîn. Traduction du titre : La couronne des pieux connaisseurs. Nom de l’auteur : Abû wafâ’ Hammâd al-Bâs.

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Discipline : Sciences occultes Date de composition : non mentionnée. Etat physique : copies en bon état. Graphie : soudanienne. Folios : 6. Support : papier. Lignes par page : 6. Dimensions : 21 x 9 cm. Espace écrit : 5,5 x8, non relié. Provenance : Bobo Dioulasso (Burkina Faso). Acquisition : achat Synthèse : Invocations et prières pour obtenir un soulagement ou une satisfaction face à un problème. Pour ce faire, l’auteur aligne quarante noms de saints, à commencer par Sîdî Abdu-l-Qâdir al-Djîlânî, par les faveurs dont ils bénéficient auprès de Dieu votre sollicitation sera entendue et satisfaite dans le meilleur délai.

Cote 678 * Transcription titre : Tâ’atu al-khallâq bi makârim al-akhlâq. Traduction du titre : La soumission au Créateur par la conduite honorable. Nom de l’auteur : non mentionné. Discipline : Morale Date de composition : 1246 de l’hégire. Etat physique : photocopie en bon état. Graphie : soudanienne. Folios : 4. Support : papier. Lignes par page : 18. Dimensions : 17 x 22,5cm. Espace écrit : 16 x 13 cm. Provenance : Sokoto (Nigéria). Acquisition : achat. Synthèse : Document traitant des questions de la conduite de l’homme, du renoncement aux plaisirs terrestres par l’éducation. L’auteur définit la noblesse du caractère par l’abstinence, la patience, la soumission, l’aide et l’assistance aux nécessiteux.

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Cote 260 * Transcription titre : an-Naba’u-l -hâdî ilâ ahwâl al-imâm al-mahdî. Traduction du titre : Les circonstances qui conduisent à l’apparition du Mahdî. Nom de l’auteur : Uthmân b. Muhammad b. al-Fûdî b. Uthmân b. Sâlah al-Fullânî. Discipline : Mystique Date de composition : non mentionnée. Etat physique : photocopie en bon état. Graphie : maghrébine. Folios : 5. Support : papier. Lignes par page : 14. Dimensions : 16 x 20 cm. Espace écrit : 16 x 13 cm. Provenance : Birni-Kebbi (Nigeria). Acquisition : achat. Synthèse : traité sur l’apparition de l’imam mahdi attendu à la fin des temps, la lutte qu’il va mener au nom de l’Islam contre les mécréants et les égarés. Ce document donne des détails sur les différentes étapes de son action jusqu’à la restauration, selon l’auteur, de la religion originelle.

Cote : 1827

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Transcription titre : Kitâb fî ‘âdâbi talab a-‘ilm. Traduction du titre : Traité sur la quête du savoir. Nom de l’auteur : anonyme. Discipline : Education. Date de composition : non mentionnée. Etat physique : copie manuscrite en bon état. Graphie : maghrébine. Folios : 17. Support : papier. Lignes par page : 14. Dimensions : 14 x 22,5cm. Espace écrit : 11,5 x 16 cm. Provenance : Sokoto (Nigéria). Acquisition : achat

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Synthèse : l’auteur expose dans ce document la manière dont on doit se comporter lorsque l’on veut s’instruire, en commençant par la conduite à tenir vis-à-vis de ses enseignants. Puis il énumère les critères qui reposent essentiellement sur l’effort et la patience, éléments purificateurs de l’âme. Il insiste enfin sur la nécessité pour le savant d’utiliser les connaissances dans sa vie quotidienne, autrement il n’échappera pas à la tentation du Satan ; l’escroquerie condamnée par Dieu.

Sciences occultes

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Transcription titre : Istid’a’ mulûk al-Djinn. Traduction du titre : Comment se mettre en rapport avec les djinns. Nom de l’auteur : Abdu-l-Qâdir b. Muhammad. Discipline : Sciences occultes. Date de composition : 27-Shawwâl 1366 de l’hégire. Etat physique : copie très ancienne, vocalisée et en bon état. Graphie : soudanienne. Folios : 7. Support : papier. Lignes par page : 19. Dimensions : 16 x 22 cm. Espace écrit : 16 x12 cm, non relié. Provenance : Bobo Dioulasso (Burkina Faso). Acquisition : achat Synthèse : Ce document explique comment on procède quand on veut se mettre en contact avec les esprits. Dans un premier temps, il faut connaître les noms des grands djinns, tels que : Maykayâ’ilu, Djabrâ’ilu ou encore Rayqayâ’ilu. Ensuite il faut citer trois cent treize (313) fois le terme « yâ qawîyu ». Puis louange à Allah, Seigneur de l’univers cent (100) fois. Le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux, cent (100) fois. L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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Maître du Jour de la Rétribution, cent (100) fois. C’est Toi que nous adorons et c’est à Toi que nous implorons secours, cent (100) fois. Guide-nous dans le droit chemin, cent (100) fois. Le chemin de ceux que Tu as comblés de faveurs, cent (100) fois. Non pas de ceux qui ont encouru Ta colère, ni des égarés, cent (100) fois. Âmîn, cent (100) fois. Yâ al-Lâhu, cent (100) fois.

Cote 196 * Transcription titre : Kafîyat al -‘amal bi-t-tawâsul ilâ arwâhi alawliyâi. Traduction du titre : comment œuvrer pour atteindre l’esprit des saints devanciers. Nom de l’auteur : ‘Uthmân b. Muhammad b. Fodio. Discipline : Sciences occultes. Date de composition : non mentionné. Etat physique : copies de microfilms en bon état. Graphie : soudanienne. Folios : 4. Support : papier. Lignes par page : 18. Dimensions : 15 x 19,5 cm. Espace écrit : 10 x 13 cm. Provenance : Bobo Dioulasso (Burkina Faso). Acquisition : achat Synthèse : Document expliquant la procédure à suivre pour celui qui veut se mettre en relation spirituelle avec les saints devanciers. Pour ce faire, il propose l’exécution de deux génuflexions (raqa’a) ; dans la première on lit la sourate (al-fâtiha ) et celle de l’ouverture (sûrat ash-Sharh). Dans la seconde, on lit la sourate (al-fâtiha) et celle du jour

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montant (al-Duhâ). Et à la fin, on répète l’invocation sur le Prophète cent fois (as-Salâtu ‘lâ n-Nabiyi).

Cote 2906 * Transcription titre : Kîtâb fî al-‘ad’iya (sirru talab al-mâl). Traduction du titre : Traité en invocation (science occulte pour implorer le bien terrestre). Nom de l’auteur : anonyme. Discipline : Sciences occultes Date de composition : non mentionné. Etat physique : copie manuscrite de l’original en bon état. Graphie : soudanienne. Encres : noire et rouge, vocalisé. Folios : 22. Support : papier. Lignes par page : 12. Dimensions : 11 x 15cm. Espace écrit : 12 x 7 cm. Provenance : non mentionnée. Acquisition : achat. Synthèse : Ce document vise à attirer les richesses pour celui qui l’utilise à bon escient ou celui qui en fait la commande. Il est composé d’un certain nombre de sourates : al-wâqi’a = l’événement ; placé en tête, al-Muzammil = l’enveloppé, al-Layl = la nuit, al-Kawthar = l’abondance, al-Masad = les fibres, al-Ikhlâs = le monothéisme pur, alFalaq = l’aube naissante et an-Nâs = les hommes ; insérées au milieu d’autres invocations tirées des traditions prophétiques, le tout donne un corpus cohérent.

Cote 2671 * Transcription titre : Kîtâb fî ta’bîr al-ru’ya. Traduction du titre : Traité en interprétation du rève. Nom de l’auteur : anonyme. L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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Discipline : Sciences occultes Date de composition : non mentionné. Etat physique : copie manuscrite de l’original en bon état. Graphie : soudanienne. Encre : noire, non vocalisé.Folios : 6. Support : papier. Lignes par page : 15. Dimensions : 18 x 23,5 cm. Espace écrit : 15 x 19 cm. Provenance : Doutchi (Niger). Acquisition : achat, transmis par Imâm Muhammad b. Ibrâhîm ; Synthèse : Exposé d’un certain nombre de rêves et propositions de sens, d’explication éventuelle de chaque. L’auteur donne une panoplie de recettes de sacrifices à offrir pour la réalisation lorsque le rêve est constructif ou se mettre à l’abri lorsqu’il est destructeur. Il propose en exemples : 1- Celui qui a rêvé en train de marcher sur un fleuve, son rêve signifierait qu’il a commis trop de péchés, il doit sacrifier une vache et écrire soixante dix (70) fois la sourate al-fâtiha et la boire. 2- Celui qui a rêvé en train de manger de la viande d’oiseau, son rêve signifierait qu’il gagne illicitement sa vie, il doit alors sacrifier un mouton qui n’est pas blanc et réciter la sourate ar-rahmân. 3- Celui qui voit en rêve un porc, son rêve signifierait qu’il y aura chez lui une tragédie ( fitna),il doit alors réciter la sourate al-zilzila soixante-dix (70) fois. Médecine traditionnelle et pharmacopée

Cote : 467 * Nom de la plante : al-qawlu al-shâfî Nom de l’auteur : Muhammad Bello b. Amîr al-Mu’minîn alMudjadid ash-Shaykh Uthmân b. Fodio. Discipline : Plantes et propriétés

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Copie manuscrite : copie d’auteur. Etat physique : en bon état et non vocalisé. Graphie : soudanienne. Encres : noire et rouge. Date de composition : non mentionnée. Folios : 6. Support : papier. Lignes par page : 14. Dimensions : 23,51 x 19 cm. Espace écrit : 20, 5 x18 cm. Provenance : Dosso (Niger). Acquisition : achat. Synthèse : Il s’agit d’une plante connue sous l’appellation de Assanâ ou Assinâ en arabe, Balbaléhi en peul, Aguirguiri en Tamashek et Filasku dans bien d’autres langues. C’est un arbuste que l’on trouve dans bien des pays, en Arabie, au Soudan et dans l’Air, par exemple. Selon ce document, il est utilisé pour soigner les maladies gastriques et autres. Une tradition prophétique est rapportée pour appuyer ses bienfaits. Les conditions dans lesquelles sa consommation doit se faire sont décrites ; par exemple, à l’état liquide, il se boit tiède, se consomme dilué dans du miel ou du tamarin. Par contre, il est déconseillé de le boire lorsqu’il fait frais ou de trop bouger après l’avoir bu. Les effets secondaires et les causes qui peuvent rendre inefficace son utilisation sont mentionnés.

Cote : 278 * Nom de la plante : Kitâb Tib al-musâfirîna Nom de l’auteur : Muhammad Bello b. Amîr al-Mu’minîn alMudjadid ash-Shaykh Uthmân b. Fodio. Discipline : Traité de médecine pour voyageur Copie manuscrite : photocopie de l’original. Etat physique : bon et non vocalisé. Graphie : soudanienne. Encre : noire. Date de composition : non mentionnée. Folios : 8. Support : papier. Lignes par page : 17. Dimensions : 20 x 29 cm. Espace écrit : 15 x 11 cm. Provenance : Birni Kabbi (Nigeria). Acquisition : achat. Synthèse : Document indiquant la nécessité d’une mise en condition physique et psychologique pour celui qui entreprend un long voyage et définit le régime alimentaire avant, pendant et arrivé à destination. Il note certains aliments qui permettent de supporter la douleur comme l’ail, le miel et l’oignon. L’ ajami, à l’épreuve, au Niger

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Cote : 468 * Nom de la plante : Tanbîh al-Ikhwân ‘Alâ Adwiyati al-Dîdân. Traduction du titre : Mise en garde des frères au sujet des médicaments consignés. Nom de l’auteur : Muhammad Bello b. Amîr al-Mu’minîn alMudjadid ash-Shaykh Uthmân b. Fodio. Discipline : Information en hygiène Copie manuscrite : copie d’origine. Etat physique : bon et non vocalisé. Graphie : soudanienne. Encres : noire et rouge. Date de composition : non mentionnée. Folios : 7. Support : papier. Lignes par page : 14. Dimensions : 17,5 x 22,5 cm. Espace écrit : 20 x13 cm. Provenance : Dosso (Niger). Acquisition : achat. Synthèse : Ce document dresse un inventaire des bêtes vecteurs de maladies comme les mouches et les vers qui causent les maux de ventre et la diarrhée. Il énumère aussi les fruits et les légumes pourris ou mal lavés dont la consommation peut transmettre les microbes. Et enfin, il décrit les symptômes de différentes maladies et les précautions à prendre pour y faire face.

Cote : 300 * Nom de la plante : Kitâb fî fadl hirth al-ard. Traduction du titre : Traité sur les bienfaits de la culture de la terre. Nom de l’auteur : Idrîs Konaté. Copiste : al-Hâdj Mahmûd al-Karnatî, m. en 1343 de l’hégire. Discipline : Agriculture

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Copie manuscrite : copie de l’original. Etat physique : bon et vocalisé. Graphie : soudanienne. Encres : noire et verte. Date de composition : non mentionnée. Folios : 9. Support : papier. Lignes par page : 10. Dimensions : 15,5 x 20 cm. Espace écrit : 7,5 x13 cm. Provenance : Bobo Dioulasso (Burkina-Faso). Acquisition : achat. Synthèse : Ce document démontre combien il est important de cultiver la terre et d’exploiter ses richesses. Cela permet de gagner sa vie légalement et trouve son fondement dans la religion qui nous informe que celui qui cultive la terre sera récompensé par Dieu et se présentera au Jour du jugement dernier le visage brillant comme la pleine lune. Et enfin, l’auteur cite des invocations contre les ennemis des cultures comme les criquets.

Cote : 1052 * Nom de la plante : Masûgh al-ludjayn fî tib amrâd al-‘ayn. Traduction du titre : traitement des maladies de l’oeil. Nom de l’auteur : Muhammad Bello b. Amîr al-Mu’minîn alMudjadid ash-Shaykh Uthmân b. Fodio. Copiste : mentionné. Discipline : Traitement médical, médecine Copie manuscrite : copie photo de l’original. Etat physique : bon et non vocalisé. Graphie : soudanienne. Encre : noire. Date de composition : 1244 de l’hégire. Folios : 37, support photos, Lignes par page : 15. Dimensions : 15,5 x 21 cm. Espace écrit : 16,5 x13,5 cm. Provenance : Sokoto (Nigeria). Synthèse : Ce document décrit la structure de l’œil humain en commençant par la partie externe puis les parties internes. Selon l’auteur, cent deux maladies peuvent affecter l’œil et propose un traitement pour chacun des cas en définissant l’agent causal, ses manifestations et sa

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forme. A la fin du document, il donne un certain nombre de conseils en matière d’alimentation. Astronomie.

Cote : 2910 * Transcription titre : Muqaddima ilm al-falak Traduction du titre : Introduction à la science astronomique. Nom de l’auteur : Abdu-r-Rahmân b.Muhammad b. Ahmad alTâdjûrî ? Discipline : Astronomie Date de composition : non mentionné. Etat physique : document très ancien en très bon état. Graphie : maghrébine. Encres : noire et rouge. Folios : 15. Support : papier. Lignes par page : 12. Dimensions : 21,5 x 16 cm. Espace écrit : 10,5 x 16,5 non relié. Provenance : non mentionnée. Acquisition : achat. Synthèse : Document structuré en plusieurs chapitres : 1. Sur les quatre saisons, le début de chacune, le mouvement des vents et le soleil qui les déterminent. 2. Les différentes phases de la nuit, le coucher du soleil et son apparition. 3. Les moments des cinq prières à travers les différents repères : le soleil, la lune et les silhouettes. 4. Les directions : est, ouest, sud, nord et la position de la Ka’aba par rapport à chacune des directions. 5. Les calendriers grégorien et musulman et le jour de l’an pour chacun.

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6. Le changement du temps, le décalage horaire et l’allongement des jours ou des nuits.

Cote : 331 * Transcription titre : kitâb fî al-falak Traduction du titre : Traité d’astronomie. Nom de l’auteur : Siddîq b. Hasan Konaté, mort à la fin du XVIII éme siècle. Discipline : Astronomie Date de composition : non mentionné. Etat physique : document très ancien en état moyen. Graphie : maghrébine. Encre : noire, non vocalisé, nombreuses annotations. Folios : 1. Support : papier. Lignes par page : 9. Dimensions : 15 x 21 cm. Espace écrit : 11 x 17 cm, non relié . Provenance : Bobo (Burkina Faso). Acquisition : achat. Synthèse : Fragment de document traitant de la variation du temps dans l’espace autour du soleil, il explique le sens donné au mois, les saisons et la coloration que prenait le soleil en fonction de sa position et son influence sur la lune.

Les manuscrits : une source inépuisable de connaissances Les manuscrits constituent, pour l’Afrique subsaharienne en général et le Niger en particulier, une banque de données et une source inépuisable dans les domaines religieux, culturel, historique, sociologique encore peu exploitées. En effet, ce trésor qui retrace quatorze siècles d’installation progressive et de rayonnement de l’islam en Afrique subsaharienne se trouve, en grande partie, dans un état de décomposition avancée, car certains manuscrits sont difficilement récupérables, si rien n’est fait pour les sauver de toute urgence. D’autres sont encore en place. Ils sont cependant souvent conservés dans des conditions déplorables dans des

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fonds familiaux, à la portée des principaux ennemis du papier que sont les termites, les insectes, le feu, l’humidité, etc. Au regard de ce qui précède, on peut formuler les recommandations suivantes : -- Dans un premier temps, approfondir méthodiquement les contacts avec les réseaux déjà existants des familles détentrices de manuscrits par le biais des personnalités religieuses et coutumières et, au besoin, de l’autorité administrative. Dans cette phase, il s’agira d’aider les détenteurs privés de manuscrits à faire face aux menaces qui pèsent sur ce patrimoine en leur apportant des informations pouvant contribuer à l’amélioration des conditions de conservation et de préservation. Par la localisation – en dressant une carte – et par le recensement – en établissant une liste analytique – nous pouvons mieux situer les manuscrits à travers les pays pour une évaluation d’ensemble et pour une politique de coordination entre les principaux détenteurs de manuscrits dans les villes et les campagnes. Ainsi, nous espérons sortir ces manuscrits de l’anonymat en les signalant aux institutions qui protègent le patrimoine d’une manière générale, aux universitaires spécialisés, aux chercheurs et aux étudiants nationaux et étrangers qui peuvent les mettre en valeur. -- Dans un second temps, après l’évaluation des résultats de la première phase et les corrections nécessaires, il conviendra de prendre un train de mesures urgentes pour le sauvetage des manuscrits en mauvais état : la duplication des copies, la reliure de certains manuscrits, l’achat de produits spécifiques pour la protection des manuscrits... -- Pour les manuscrits déjà répertoriés et sécurisés, un programme de mise en valeur à long terme impliquant les milieux universitaires doit être élaboré. Avec les moyens de communication de plus en plus perfectionnés et accessibles, le département des Manuscrits peut et doit évoluer vers une gestion plus moderne et plus autonome par rapport à sa situation présente : des installations appropriées pour la restauration, la conservation, la numérisation, la mise en ligne des divers produits et, enfin, l’ouverture à des partenaires extérieurs œuvrant en ce sens.

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-- Sur le plan local, les étudiants de l’université islamique de Say viennent régulièrement consulter les manuscrits. Il y a aussi ceux du département d’Histoire de la faculté des Lettres de l’université Abdou Moumouni de Niamey. Nous recevons également des étudiants et chercheurs en provenance d’Europe, d’Asie, d’Amérique et du Maghreb. La nouvelle salle de lecture, inaugurée en juin 2006, offre un espace approprié aux chercheurs et aux étudiants qui viennent consulter les manuscrits. Le département organise ponctuellement des journées d’études porte ouverte sur les manuscrits africains en écriture arabe et ajami. Ces journées s’adressent aux élèves, aux étudiants et chercheurs intéressés par les sources écrites de l’histoire africaine. La première a été plus particulièrement consacrée au thème de la tradition manuscrite dans la société africaine. Sur le plan international, le département a organisé un colloque sur « Les manuscrits africains comme sources historiques », du 30 janvier au 3 février 2007. Cette rencontre internationale a réuni des chercheurs et spécialistes d’horizons divers travaillant sur des manuscrits dans le cadre de leurs études. Cette initiative doit se poursuivre en s’associant à d’autres partenaires. Dans le domaine de la traduction, l’équipe du département travaille sur le manuscrit n° 58 MARA/IRSH/UAM. Son intitulé est : Misbah al-Zalam fi wafayat a’yan ulama’u qarn al-Rabi’asra bi Agadez, que nous traduisons provisoirement par « l’éclairage sur les générations de savants du XIVe siècle de l’ère musulmane à Agadez ». Il s’agit en résumé d’un traité d’histoire relatif à l’histoire et la biographie de trente-un savants sous le règne du sultan Abdou Rahim Tagama de la cité historique d’Agadez.

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CHAPITRE 10 Aspects de l’esclavage au Niger Dioulde Laya Résumé Ce chapitre passe en revue les différentes thèses sur l’esclavage au Niger et le replace dans le contexte africain d’une traite inhumaine qui a affaibli durablement cette partie du monde. Les textes anciens ont été mis à contribution pour montrer les motivations économiques et géopolitiques liées à l’esclavagisme. Les conflits entre les Etats qui se disputèrent le leadership sous-régional (Kanem-Borno, Kano, Kawar, etc.) sont soutendus par le besoin en main-d’œuvre servile pour exploiter les richesses naturelles, développer le commerce et faire face aux menaces extérieures. Les hégémonismes internes, marqués par des inégalités criantes entre les migrants berbérophones et les populations noires, sont mis en exergue de même que le rôle des Etats autochtones dans l’entretien et l’intensification du commerce des esclaves. L’examen d’un échantillon réduit de manuscrits anciens synthétisés et commentés amène l’auteur à tirer des conclusions sur l’esclavage et à encourager la recherche de témoignages des descendants des esclaves eux-mêmes et à partir des sources manuscrites anciennes confrontées aux faits historiques.

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n peut considérer que les recherches sur l’esclavage en Afrique ont pris de l’ampleur à partir de la publication de l’ouvrage édité par Meillassoux1. Mais auparavant, la traite transatlantique avait été 1. Meillassoux Claude, (dir.) L’esclavage en Afrique précoloniale, Anthropos,

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abordée à cause de son rôle dans le développement d’une vaste partie du monde2. Elle est aussi beaucoup mieux connue de nos jours3. Enfin, cette partie de l’Afrique a pris sa place dans les débats actuels depuis les années 1990 : du 26 au 30 mars de cette année-là, l’université Ahmadu Bello de Zaria (Nigéria) organisa à Kaduna une « conférence mondiale sur Esclavage et société dans l’histoire » à laquelle participèrent de très nombreux spécialistes. Non seulement des études sur l’esclavage ont été réalisées4, mais les débats sur son origine, sa nature et sa place dans les sociétés se poursuivent. Après avoir donné quelques points de repère, nous évoquerons brièvement les « routes » et « sites » de l’esclavage, car le Niger présente une particularité de ce point de vue. Puis, sera abordée la période de l’extraordinaire développement à partir du XVIe siècle. La colonisation vécut ses contradictions jusqu’à la proclamation, en 1960, de l’indépendance « nominale » : le Niger indépendant s’est doté, en 2003, d’une loi criminalisant l’esclavage, mais il y a des difficultés à assurer l’égalité de tous les citoyens5.

Paris,1975. 2. Curtin Philip D., The Atlantic Slave Trade. A. Census; University of Wisconsin Press, Madison, 1969. Inikori J.E. (ed.), Forced migration, The Impact of Export Slave Trade on African Societies, Hutchinson & Co, London, 1982. 3. Kwaa Prah Kwesi, (ed) Reflexions on Arab- Led Slavery of Africans, Casas Book, Series, Cape Town, 2005. 4. Derman William, Serfs, Peasants and Socialists. A Former Serf Village in the Republic of Guinea, University of California Press, Berkeley, 1973. Cissé Salmana, L’esclavage «domestique» dans la partie gourma du Moyen Niger (Mali) : structure sociale et comportements de classe, thèse de doctorat de 3ème cycle, université Paris VII, Paris, 1978. Bâ Boubacar, Les problèmes agraires et la question de l’esclavage en Mauritanie ; l’exemple des Tagat du Brakna, mémoire du DEA, EHESS, Paris, 1985. Memel-Fote Harris, L’esclavage dans les sociétés lignagères d’Afrique noire : exemple de la Côte d’Ivoire précoloniale, 1700-1920, thèse de doctorat d’Etat, EHESS, Paris, 1998. 5. Botte Roger, « Rimaybe, haratin, Iklan: les damnés de la terre, le développement et la démocratie », in André Bourgeot (dir.), Horizons nomades en Afrique sahélienne : Sociétés, développement et démocratie, Karthala, Paris, 1999, p. 55-79. Galy Kadir Abdelkader, L’esclavage au Niger : aspects historiques et juridiques, Karthala, Agence Universitaire de la Francophonie, Paris, 2010. Aspects de l’esclavage au Niger

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Points de repère Compte tenu du contexte politique actuel, il convient de rappeler que l’esclavage est apparu, selon L. H. Morgan6, au stade supérieur de la barbarie qui « commence avec la fabrication du fer et s’achève avec l’invention d’un alphabet et l’usage de l’écriture (…). C’est le début de la civilisation ». Abordant le développement de l’idée de propriété, il affirme qu’avec l’apparition du possesseur individuel, prend naissance l’esclavage systématique lié à la propriété7. Friedrich Engels, l’ami de Marx, se chargea de présenter les recherches de Morgan. Il souligne, entre autre, que « l’accroissement de la production dans toutes branches (…) accrut en même temps que la somme quotidienne de travail qui incombait à chaque membre (…). Il devint souhaitable de recourir à de nouvelles forces de travail. La guerre les fournit : les prisonniers de guerre furent transformés en esclaves »8. Par ailleurs, avec la séparation de l’agriculture et de l’artisanat, « l’esclavage devient maintenant un composant essentiel du système social. Les esclaves cessent d’être de simples auxiliaires ; c’est par douzaines qu’on les pousse au travail, dans les champs et dans l’atelier.9 » Des recherches ethnologiques sur l’existence (ou l’inexistence) de l’esclavage et la proportion des esclaves dans les sociétés humaines ont été faites. La première, de Niebor10, a porté essentiellement sur les sociétés dites « primitives » : c’est pourquoi, la seconde édition ne classe plus, parmi les « sauvages » les Fulbe, Hausa et Tuareg. D’ailleurs, un texte court mais très stimulant lui a été consacré par Kleinen11 dans l’ouvrage paru sous la direction de Condominasse. Pour nous, le travail de Niebor est une contribution majeure à la lutte contre l’idéalisme et à la décolonisation, un demi-siècle avant les luttes de 6. Morgan Levis H., La société archaïque, Anthropos, Paris, 1971, p. 11-12. 7. Morgan, p. 627-628. 8. Engels Friedrich, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, Editions Sociales, Paris, 1954. 9. Ibid. 10. Niebor H.J., Slavery as an industrial system : ethnological researches, Burt Franklin, New York, 1971, p. 157, note 1. 11. Kleinen John, « L’odysée d’un livre ou naufrage d’une théorie ? » in Georges Condominas (ed.), Formes extrêmes de dépendance : contributions à l’étude de l’esclavage en Asie du Sud-Est, École des Hautes Études en Sciences Sociales (Civilisations et Sociétés ; 96), Paris, 1998, p. 25-31

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libération nationales, de l’ethnologie. Orlando Patterson, lui, considère son ouvrage, « Slavery and Social death », comme une réponse au défi lancé à l’érudition par Niebor : il élargit les bases de comparaison et énumère, en annexe12, les sociétés et pays ayant détenu (ou détenant) des esclaves ainsi que le pourcentage de la population servile. Il qualifie ainsi, en hommage à Niebor, l’ouvrage Slavery and Social Death : This book, in short, is a response to scholarly challenge laid down eighty years ago. It is my hope that I have done some small justice to so worthy a challenger13.

Enfin, Goody a consacré un article remarquable à l’esclavage en Afrique et ailleurs dans l’ouvrage édité par Watson. Son texte s’ouvre par la critique des concepts de « mode africain de production » et « mode de production esclavagiste ». Il rappelle que des sources écrites anciennes, de la Mésopotamie par exemple, font référence à l’esclavage. Il examine l’apport de la recherche ethnologique à la connaissance du problème, puis revient à l’Afrique où l’esclave n’est ni un serf ni un domestique, encore moins un produit de la traite transatlantique14. L’apparition de l’esclavage, sa disparition ou sa persistance, ses implications politiques actuelles pour les pays concernés et les relations internationales requièrent que l’on essaie de relever, avec la plus grande objectivité, les aspects saillants du phénomène dans un espace créé par la colonisation et regroupant des Blancs (Arabes et Touaregs) et des Noirs (Boudoumas, Gourmantchés, Haoussas, Kanouris, Peuls, Tchangas, Toubous, Zarma-Songhays). Tous ces peuples ont fait partie de vastes Etats. L’Ouest a conservé les héritages des empires du Ghana, du Mallé (Mali) et du Songhay, l’Est ayant relevé de la mouvance du Kanem-Bornou (dont le millénaire a été célébré en 2007); au Sud, les Etats Hausa avaient prolongé la route Oualata-Tombouctou-DjennéSia-Bighu-Gonja à Kano avant 1452 : le développement du sultanat de l’Ayar (Aïr) s’en trouvera accéléré. Cet espace ne sera pas épargné par la révolution islamique du XIXe siècle : si le Massina semble lointain

12. Patterson Orlando, Slavery and Social Death : A Comparative Study, Harvard University Press, Cambridge, 1982, p. 345-364. 13. Patterson 1982, p. XI 14. Goody Jack, « Slavery in Time and Space », in James Watson (ed.), Asian and African Systems of Slavery, Blackwell, Oxford, 1980, p. 16-42. . Aspects de l’esclavage au Niger

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(en théorie seulement), l’existence de l’empire de Sokoto a laissé des traces presque partout15. Nous résumerons les aspects les plus saillants de l’esclavage à partir du XVIe siècle avant de présenter des traits spécifiques mentionnés par les manuscrits anciens. Des propositions de recherches complètent ce texte.

Routes et sites anciens Au fur et à mesure que les recherches progressent, en particulier grâce au projet Unesco La route de l’esclave, quelques informations anciennes rares, mais de valeur, prennent plus de relief. Routes anciennes L’une des caractéristiques du Niger actuel est qu’il a été traversé par deux routes anciennes. De la première, reliant l’Egypte au Ghana (Egypte-Malsana-Mourawat-Maranda-Kawkaw-Ghana), on ne connaît pas bien l’histoire, et elle a été abandonnée au IXe siècle16. Même chez J. Devisse, pourtant si minutieux, nous n’avons pas rencontré d’informations sur les marchandises prenant cet itinéraire. Mais, il écrit que « l’ostracisme » prononcé par Ibn Hawkal correspond probablement à des changements économiques profonds survenus entre le IXe et le Xe siècle17. Chez T. Lewicki18, nous n’avons pas également trouvé de références aux produits échangés. Mais, pour ces deux auteurs, notre hâte en est certainement la cause.

15. Galy, p. 37-38. 16. Cuoq Jean-Marie, Recueil des sources arabes concernant l’Afrique Occidentale du VIIIe au XVIe siècle (Bilad al-Sudan), CNRS, Paris, 1975, p. 49-54, 72. 17. Devisse Jean, « Commerce et routes de trafic en Afrique Occidentale » in Mohammed El-Fâsî et Ivan HR-BEK (dir.), « L’Afrique du VIIe au XIe siècle », Histoire générale de l’Afrique, vol. 3, Unesco, Paris, 1990, p.403-404. 18. Lewicki Tadeusz, « Le rôle du Sahara et des Sahariens dans les relations entre le Nord et le Sud », in Mohammed El-Fâsî et Ivan HR-BEK (dir.), « L’Afrique du VIIe au XIe siècle », Histoire générale de l’Afrique, vol. 3, Unesco, Paris, 1990, p. 309-310.

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Quels étaient donc les produits circulant sur la route Ghana-Egypte ? Quelle était la proportion des esclaves ? Vers quelle époque la route a-telle commencé à être utilisée ? La seconde route reliait le sud du lac Tchad à Tripoli en passant par le Kawar, le Djado, le Tibesti et le Fezzan. L’étude d’anthropologie économique et politique que Hamit lui a consacrée19 a apporté des éléments nouveaux. Mauny20 la présente ainsi : Des Ethiopiens troglodytes chassés par les Garamantes sur leurs chars (…) aux habitants du pays d’Agisymba, où l’on trouve le rhinocéros (…) nous sommes assurés que les Anciens, sur l’axe Tripoli-Fezzan-Toummo, avaient atteint au sud le piémont du Tibesti et le Djado, sinon même le Kawar, sans doute pour s’y procurer des bêtes pour le cirque, des rhinocéros en particulier. Et ce n’est pas par hasard que les Arabes d’Oqba ben Nafi vont, suivant la même voie millénaire débouchant au sud du lac Tchad, arriver dès 666 au Kawar.

Le Fezzan est le pays de Garamantes. Le texte d’Hérodote21 fournirait donc un portrait assez complet et ressemblant des Toubous22. La localisation du pays d’Agisymba n’est pas aisée. Mais le recours à la tradition orale, plus précisément au calcul à partir des générations, a permis à Dikwa-Akwa nya Bonambela de suivre l’itinéraire de ses ancêtres depuis l’Egypte, en passant par Ngessimba (Agisymba) dans la région du lac Tchad où l’intervention des Saos (Soo, Sow) les poussèrent jusqu’au sud du Cameroun. Lors de ses voyages d’étude au Niger, plus particulièrement au Kawar, Hamit23 a pu dresser une liste des villages dans lesquels avaient vécu les premiers Saos (Bourni Hadjarab, Chirfa, etc.). 19. Hamit Abdoulhadi, La piste du commerce transsaharien Tripoli-lac Tchad : étude d’anthropologie économique et historique, thèse de doctorat d’état, Université de Paris VII, Paris, 1998. 20. Mauny Raymond, « Tableau géographique de l’ouest Africain au Moyen Age d’après les sources écrites, la tradition et l’archéologie », Mémoires IFAN, n° 61, Dakar, 1967, p. 130. 21. Hérodote, Histoires, Livre IV Melpomène, Editions Les Belles Lettres, Paris, 1960, paragraphes 168 -183, le dernier surtout. 22. Chapelle 1982, p. 33-37. 23. Hamit 1998, p. 495-496 Aspects de l’esclavage au Niger

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Les informations sur les échanges sont nombreuses et détaillées. En voici des exemples. Selon A. Mahjoubi24 : Les pays transsahariens fournissaient de l’or, en premier lieu, depuis les temps puniques jusqu’à l’époque arabo-musulmane ; les routes de l’or qui reliaient les placers de Guinée aux pays de la Méditerranée varièrent, mais chacune d’entre elles marqua, d’une certaine manière, l’histoire de l’Afrique du Nord. Le commerce caravanier apportait aussi les esclaves noirs, les plumes d’autruche, les fauves, les émeraudes et les escarboucles du Sahara. En échange, les provinces romaines fournissaient du vin, des objets de métal, des poteries, des textiles et de la verrerie, comme l’ont montré, notamment, les fouilles des nécropoles du Fezzan.

Pour Wai-Andah25 : Apparemment, après avoir remplacé les Carthaginois sur la côte Tripolitaine dans la seconde moitié du IIème siècle avant notre ère, les Romains, à leur tour, importèrent du Soudan de l’ivoire et des esclaves, les Garamantes continuant à jouer le rôle d’intermédiaires.

Le professeur J. Devisse se montre encore26 prudent sur le rôle des Garamantes, mais admet que l’axe Lac Tchad-Tripoli ait pu servir « à l’exportation d’esclaves depuis une date impossible à préciser ». Selon Lewicki27 : C’est sans doute par cette route (de Djarma, ancien Garama) que l’on importait les esclaves qui formaient le tribut payé aux Arabes par les gens du Waddan. Il s’agissait de captifs noirs provenant des pays du Kawar, du Tibesti et du Kanem. Le transport de ces captifs se faisait probablement par la même route que, selon Hérodote, les anciens Garamantes empruntèrent pour donner la chasse aux troglodytes éthiopiens.

24. Mahjoubi I. A., « La période romaine et post-romaine en Afrique du Nord: I la période romane », in G. Mokhtar, « Afrique ancienne », Histoire générale de l’Afrique, vol. 2, Unesco, Paris, 1999, p. 501-538. 25. Wai Andah B., « L’Afrique de l’Ouest avant le VIIème siècle »,in G. Mokhtar, « Afrique ancienne », Histoire générale de l’Afrique, vol. 2, Unesco, Paris, 1999, p. 641-671. 26. Devisse, p. 402-403 27. Lewicki, p. 311.

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Il ajoute un peu plus loin28, que, s’agissant de l’ancienne civilisation des Garamantes, son héritier était connu par les auteurs arabes médiévaux sous le nom de Fezzan ; ses principales ressources étaient les cultures de palmiers et de céréales… Mais, l’essentiel de l’activité était le commerce transsaharien grâce auquel dattes, ivoire et pierres précieuses arrivaient aux ports tripolitains. Il précise29 : Dès l’aube de l’époque musulmane, les Fezzanais s’adonnèrent aussi à la traite des esclaves noirs. Les relations commerciales s’exerçaient le long d’une très ancienne route qui était déjà connue des Garamantes au Vème siècle avant l’ère chrétienne et qui reliait Tripoli aux autres villes de la côte tripolitaine, au Kawar et au Kanem, en Afrique centrale… Les commerçants de Zawila exportaient surtout des esclaves noirs pris parmi les peuples soudanais de Mîrî, de Murrû, de Zagâwa et d’autres appartenant en grande partie au groupe de Teda-Daza.

Enfin, Hamit consacre les quatre premiers chapitres de son étude à la période qui s’étend de l’Antiquité au XIIe siècle30. Il examine les bases économiques et démographiques des relations antiques entre les pays du bassin tchadien et Tripoli, précise la chronologie plus récente, enfin, fixe son attention sur les rapports entre la Tripolitaine et le Fezzan en signalant, au passage, la révolte d’Abou Yazid dont le nom se retrouve sous diverses formes dans les traditions du Soudan central. Après les Garamantes, explique-t-il, une seconde phase de la traite a commencé avec la population berbère ibâdite de Zawila qui fait le commerce d’esclaves soudanais (Mira, Zaghawa, Maruwa) et de cuir31. A leur tour, les Kawariens, détenteurs eux-mêmes d’esclaves, servirent d’intermédiaires entre les commerçants du Fezzan et du lac Tchad ; quand les rois Zaghawas s’emparèrent du Kawar, Arku (1023-1067) installa ses esclaves à divers endroits : à cette époque, le roi faisait esclave qui il voulait32. Grâce à Hamit, on connaît les « pourvoyeurs », « acquéreurs », « intermédiaires », « pays de destination » ainsi que le « privilège »

28. 29. 30. 31. 32.

ibid., p. 313-315. ibid., p. 316-317. Hamit, p. 17-200. Hamit, p. 23-25 Ibid., p. 28-49 Aspects de l’esclavage au Niger

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dont jouissait, au moins, le roi zaghawa. Sur les « témoins » de la traite par cette route, on peut relever l’opinion de P. Salama : Quant aux modernes Haratins des oasis algériennes, ils seraient avant tout, malgré quelques métissages, des descendants locaux de ces « Ethiopiens » sédentaires d’Hérodote, asservis par les riches Garamantes.

Pour notre part, nous avions essayé de replacer cette période de la traite dans son contexte historique33. Dans nos recherches, ce sont les facteurs internes que nous avions privilégiés : des travaux sur la distribution, à cette époque, du peuplement « noir » et « berbère » dans le Sahara et sur les traces du patrimoine laissé par les Noirs aussi bien « francs » que descendants d’esclaves aideront à consolider les bases de l’unité africaine. Sites de la servitude Par ce nom, il faut entendre les lieux où les activités sont essentiellement exercées par les esclaves. Ainsi, la ville de Taghaza était « un site de la servitude34 ». Célèbre pour sa mine, elle était habitée par les esclaves de Massufa chargés de l’extraction et du découpage en plaquettes du sel : ils en tiraient leur seul moyen de subsistance. Dans le présent texte, la notion de « site » se réfère, d’une part, à la mine de cuivre de Takadda35 exploitée par les esclaves, d’autre part, aux nombreuses mines d’alun du Kawar, en particulier celle d’Ankalas36. Les mines, comme les oasis qui seront très brièvement évoquées, ont été choisies en raison des questions et réflexions qu’elles suscitent.

33. Laya, « Soudanais “sans Dieu ni maître” : esclavage et traite trans-saharienne dans le Soudan sénégalo-nigéro-tchadien avant 1800 », in Kwesi Kwaa Prah (ed.), Reflections on Arab-led slavery of Africans, papers from the Conference on Arab-led Slavery of Africans held in Johannesburg, South Africa, on 22 February 2003, Centre for the Advanced Studies of African Society (CASAS), Cape Town (South Africa), 2005, p. 22-25. 34. Mauny Raymond, « Tableau géographique de l’ouest Africain au Moyen Age d’après les sources écrites, la tradition et l’archéologie », Mémoires IFAN, n° 61, Dakar, 1967, p. 327 ; Cuoq, p. 95, p. 199. 35. Cuoq, p. 116-121. 36. Ibid., p. 156-158.

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Les mines Celles de cuivre de Takadda (Aïr) et d’alun (Kawar) sont particulièrement intéressantes. Nous en préciserons les localisations et les dates, en évoquerons l’importance économique, avant d’aborder la question relative à la condition sociale de la main-d’œuvre. Le cuivre de Takadda Le choix de Takadda a été motivé par les informations données par Ibn Battuta37 : Les habitants de Takadda se font gloire du grand nombre de leurs esclaves des deux sexes (…) et (…) ne vendent de ces femmes esclaves qui sont instruites que rarement et à un prix élevé (…). La mine de cuivre est en dehors de Takadda. (Les gens) creusent le sol pour trouver (le minerai), qu’ils apportent dans la ville. Ils le fondent dans leurs maisons et c’est le travail des esclaves des deux sexes…

Sur la ville visitée par Ibn Battuta en 1353, existent plusieurs travaux scientifiques38. Le professeur Hamani a très clairement résumé ce qu’il a appelé, avec humour, la « bataille de Takadda » autour de la localisation et de la nature du minerai exploité, sel ou cuivre. Il a fallu commencer par situer le site archéologique : les recherches ont conduit à considérer que l’actuelle ville d’Azelik correspond à Takadda39. Notons que Suzanne Bernus et Patrice Cressier sont membres d’une équipe ayant élaboré et exécuté un programme archéologique d’urgence qui donne une datation40 : Les traces de cette activité métallurgique peuvent être suivies, d’après les datations en notre possession, du VIIème siècle jusqu’au début de l’ère chrétienne (…). Il reste, toutefois, à expliquer pourquoi, après une période de véritable exploitation métallurgique, des minerais disponibles — et 37. Ibid., p. 318. 38. Cf. Mauny ; Cuoq, p. 289-323 ; Hamani, 1989 ; Bernus Suzanne et Cresier Patrice, (dir.) « La région d’In Gall-Tigidda N’Tessumt IV Azelik-Takadda et l’implantation sédentaire médiévale », Niamey, IRSH, Etudes Nigériennes, n° 51, 1991. 39. Cuoq, p. 316-321 ; Hamani, p. 95-98 ; Bernus et Cressier, p. 34. 40. Bernus Suzanne et Cresier Patrice, p. 139-140. Aspects de l’esclavage au Niger

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après une période de non activité — on assiste à une sorte de « régression technologique », l’utilisation du cuivre natif ayant d’ordinaire précédé la réduction du minerai (…).

De son côté, Hamani indique l’année 540 av. J.-C. pour Tigidda (Azelik), mais des dates plus anciennes pour deux sites voisins : -1360 jusqu’à 90 de notre ère dans la vallée de Sekkiret, 21 à ± 90 av. J.-C. à Afunfun, ce qui correspond au « premier âge du cuivre ». Il se pose, donc, « la question de savoir quand et pourquoi Tigidda est devenu, après une interruption de plusieurs siècles, un centre de métallurgie du cuivre, au profit du Inussufa41... » . En effet, quelques pages auparavant, il avait récapitulé42 les dates d’arrivée des groupes touaregs comme suit : 1) au cours du VIIIème siècle ou début du IXème, quatre s’étaient installés à l’ouest de l’Ayar (Aïr) ; 2) au cours du XIIème siècle et au début du XIIIème, deux autres avaient quitté leur habitat centre – saharien ; 3) pour les autres, il est difficile de donner une date, même approximative (…)

A ce stade, grâce à Hamani, Bernus et Cressier, on peut récapituler les lieux qui témoignent d’activités liées à la métallurgie du cuivre. Les uns sont des « villes », les autres des « quartiers » de centres urbains. Ce sont : Takadda (Azelik wan Birni, Tigidda), Tadghaght, In Zazan, Bangu Beri, Gelele, Tigiddan Tesemt, Maranda. Mais, pour en revenir à l’esclavage, citons un passage des archéologues43 relatif à la seconde technique : « (…) La petite quantité de produit à fondre peut expliquer que cette activité soit artisanale, par rapport à l’aspect industriel (…) ». Le programme archéologique, ayant tenté de reconstituer le processus, n’est pas parvenu à le faire à Azelik (Takadda) : il a eu recours au forgeron d’un autre village. Mais il a donné44, pour le cuivre travaillé, la répartition suivante : lingots, barres, fils, lamelles, bâtonnets. Hamani cite45 des tiges 41. 42. 43. 44. 45.

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Ibid., p.106. Ibid., p. 88. Ibid., p. 140. Bernus et Cressier, p. 141-145. Ibid., p. 106 L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

(baguettes), signalées par Ibn Battuta. Elles correspondent certainement aux barres de la liste précédente et servaient de monnaie d’échange. Le cuivre était un produit d’exportation46. S’appuyant sur Ibn Battuta et d’autres auteurs, Hamani est parvenu à citer une liste très longue de pays importateurs de cuivre, ou, tout au moins, ayant des relations commerciales avec Takadda. Ce sont : l’Egypte, le Zaghawa et Bornou à l’est, le Maghreb au nord, le Songhay et le Mali à l’ouest, Gobir et Hausa au sud, enfin, Nupe, Yoruba, le Bénin, le delta du Niger à l’extrême sud. De Bornou viennent « de belles esclaves, des jeunes gens et des étoffes teintes au safran47 ». Selon Y. I. Bitiyong (1993 : 397 - 414), on ne peut exclure que le cuivre de la région d’Agadez ait atteint l’Egypte ainsi que l’étain à la fin du 2ème millénaire. Malgré la lenteur des recherches, c’est là un aspect important, car la région était traversée par la vieille route Ghana-Egypte et il reste beaucoup de zones d’ombre dans les rapports entre l’Egypte ancienne et l’Afrique centrale et occidentale. On le voit, le cas de Takkada soulève quelques questions. Si nous nous référons aux recherches scientifiques48, les opérations constituant la technique employée sont les suivantes : ramassage (extraction dans la mine), fragmentation pour obtenir le cuivre natif, fonte dans des creusets, travail sur place dans des ateliers fixes. Pour expliquer cette « régression technologique », l’équipe a avancé comme hypothèse, l’abondance du fer dont le traitement se serait fait partout. Quelques années auparavant, Hamani49 écrivait que la métallurgie du cuivre avait été reprise après l’établissement des royaumes Inussufa : venus aux environs du VIIIe ou IXe siècle, ces « convoyeurs parfaitement au courant de la rareté du cuivre dans toute l’Afrique occidentale, ont pu pousser à la reprise de l’exploitation, malgré la pauvreté du minerai local ». Toutes les opérations ci-dessus étaient effectuées, semble affirmer Ibn Battuta, par les esclaves des deux sexes. Il est tout à fait possible que le voyageur ait simplement repris les propos des « maîtres » de l’heure. 46. 47. 48. 49.

Cuoq, p. 319 ; Hamani, p. 105, p. 107 Hamani, p. 319 Bernus et Cressier, p. 140. Hamani, p. 106. Aspects de l’esclavage au Niger

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La condition sociale de la main-d’œuvre est une question pratique et Hamani50 a proposé des explications. Considérant la déclaration d’Ibn Battuta, il admet que l’extraction du cuivre ait pu être réalisée par les esclaves, mais ils ne pouvaient réaliser que ce travail-là, car il n’y avait pas, dans cette région sahélienne, d’exemple de forgeron de condition servile, ni chez les Touaregs, ni chez leurs voisins Hausa. Cependant, la question mérite un débat. Les populations noires autochtones, descendantes probables des métallurgistes du cuivre, en assuraient, sans aucun doute, la production. Analysant les conséquences de l’immigration des Touaregs, il pense que les « petits groupes de chasseurs-cueilleurs-pasteurs et paysans qui voulaient se maintenir coûte que coûte en Ayar (…) malgré la pression des Touaregs, ont dû, sans aucun doute, constituer les premiers Iklan (esclaves) (…) ». Il démontre que « les Soudanais de la période touareg ont quitté l’Ayar, soit après des défaites militaires, soit, tout simplement pour éviter l’asservissement (…) ». Il conclut que l’Ayar, « progressivement, devint une terre presqu’exclusivement touareg, où les populations noires autochtones ne se retrouvèrent que dans quelques centres sédentaires (…) dans la mesure où elles n’ont pas été asservies et incorporées au monde touareg avec le statut d’Iklan51 ». En tout état de cause, cette main-d’œuvre servile a contribué à la prospérité des habitants de Takadda, qui n’ont pas d’autre occupation que le commerce, et vivent dans le bien-être et l’aisance52. L’importance des esclaves se mesure aussi bien à leur effectif (impossible à déterminer) qu’à la valeur marchande de leur production, laquelle permet d’acquérir des esclaves — un autre indice de la rentabilité de l’esclavage. Déjà, à cette époque, est révélé le fait qu’Ibn Battuta n’a pas réussi à acquérir une esclave instruite et qu’il a quitté Takadda dans une caravane comprenant environ 600 esclaves femmes53. Enfin, Hamani54 écrit : « cette acquisition d’esclaves a, certainement, amélioré la situation des Imghads (vassaux) en renforçant la cohésion du groupe blanc immigré contre les Noirs autochtones, en libérant les Imghads des tâches pénibles (…) ». 50. 51. 52. 53. 54.

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Hamani, p. 106, p. 130-131 Ibid., p. 130-131. Cuoq, p. 318. Ibid., p. 318, p. 321. Hamani, p. 130. L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

L’alun du Kawar Le nom « kawâri » est paru dans une publication écrite en 1332, soit quelques années avant le séjour d’Ibn Battuta à Takadda, mais les informations essentielles datent du XIIe siècle55. Notons que l’explorateur allemand, Nachtigal, a vu, en 1871, une strate d’alun près d’une oasis et une autre dans une plaine56 dans le Borkou (Tchad). Raymond Mauny57 avait examiné plusieurs aspects relatifs à la production de l’alun : nature, mines, exportation, etc. Hamit58 a également évoqué l’exportation de ce minerai. Nous reprenons les questions de la localisation des mines, la commercialisation, l’usage (avec nos hypothèses) et le statut des travailleurs impliqués dans la production de l’alun. Au sujet des lieux de production, Mauny émet une hypothèse59 pour Kalala, mais renonce à identifier, avec « certitude », Abzar et Tamalma. Aujourd’hui, il est possible, grâce aux recherches60, de dresser la liste par ordre alphabétique des « villes » citées : Abzar, Ankalas (Kalala), Kasr Umm Isa (Bilma) et Tamalma/Talamla. Sur la qualité de l’alun, les renseignements sont très précis : à Abzar, il est « d’excellente qualité, mais, étant trop mou, se désagrège », à Ankalas, l’alun est « pur, de qualité supérieure », à Kasr Umm Isa, il est « leur revenu dominant », enfin, à Talamla, « la mine est d’un petit rendement, car elle est sillonnée par de nombreuses veines de terre61 ».

55. Ibid., p. 126 - 165, p. 250. 56. Fisher Allan C., Humphrey J. Fisher, Gustav Nachtigal, Sahara and Sudan, Vol. 2 : Kawar, Bornu, Kanem, Borku, Ennedi, C Hurst & Co Publishers Ltd, Londres. 1980, p. 371, p. 406. 57. Mauny, 1967, p. 334 - 336. Mauny, « Les contacts terrestres entre Méditerranée et Afrique tropicale occidentale pendant l’antiquité », Afrique noire et Monde Méditerranéen, 1978, p. 122-146. 58. Hamit Abdoulhadi, La piste du commerce transsaharien Tripoli-lac Tchad : étude d’anthropologie économique et historique, thèse de doctorat d’état, Université de Paris VII, Paris, 1998. 59. Mauny, p. 335. 60. Cf. Cuoq ; Hamit, p. 140, p. 156-157, p. 35 - 39. 61. Cuoq, p. 140, p. 156 - 157. Aspects de l’esclavage au Niger

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Au sujet de l’exportation, Mauny62 écrit : Par contre, plus recherché paraît avoir été à l’époque considérée, l’alun du Soudan Central et Oriental, fait qui semble avoir échappé à l’attention des historiens modernes… Les auteurs modernes n’en parlent pas, sans doute parce qu’il n’a plus de valeur commerciale : c’est un simple sous-produit de l’exploitation des salines.

Or, à l’époque considérée, les pays de destination étaient l’Egypte, Ouargla et autres territoires du Maghreb al Aksa. Toutes les « villes » citées s’adonnaient au commerce : Ankalas était la plus commerçante ; Kasr Umm Isa « n’est pas une ville bien grande, cependant, ses habitants sont riches, ils ont des chameaux, avec lesquels ils voyagent (…). La principale marchandise (…) est l’alun qui est leur revenu dominant » ; celui de Tamalma est vendu aux marchands du Kawar qui le mélangent au bon alun et l’exportent ensuite partout63. Ce qui précède se résume dans l’idée que cet alun pur, abondant, exporté vers tous les pays, est inépuisable, car « il pousse comme une plante et croît continuellement64 ». On comprend que Mauny65 ait parlé de « cette richesse du pays au XIIe siècle ». Dans la recherche des explications à la valeur marchande de l’alun, ses usages viennent immédiatement à l’esprit. Mauny a indiqué66 qu’il servait à fixer les teintures des étoffes. Dans la réflexion sur les questions, nous commençons par l’usage. En effet, nous avons découvert que, d’une part, lors de la momification dans l’Egypte ancienne, on procédait, entre autres, à la salaison du corps avec du natron (au temps des Ramsès) ; d’autre part, à Taïzerbo, a été relevée67 une coutume funéraire ancienne, car les « anciens sultans tibbu – jusqu’il y a deux siècles – avaient la très louable habitude de se faire embaumer, selon une méthode de pharaonique mémoire (…) ».

62. Mauny, p. 334 - 335. 63. Cuoq, p. 140, 156 -157. 64. Ibid., p. 158. 65. Mauny, p. 336. 66. Ibid., p. 335. 67. Chapelle Jean, Nomades noirs du Sahara : les Toubous, l’Harmattan, Paris, 1982, p. 27.

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Les produits du Kawar (sel, natron, alun), plus généralement du « Soudan central et oriental » atteignaient-ils l’Egypte ancienne ? Ici encore, se pose le problème des rapports historiques et culturels de cette partie de l’Afrique avec l’Egypte ancienne. Si le rapprochement ci-dessus relève de la spéculation, « le statut de la main-d’œuvre » mobilisée dans le processus d’exploitation et de commercialisation de l’alun n’est pas facile à déterminer. En effet, deux villes sont construites sur des montagnes : Talamla est située sur une montagne petite, mais difficile d’accès sur tous les bords ; il n’y a aucune indication sur l’emplacement de la mine, que ce soit dans la montagne, ou près de l’oasis. On peut supposer que la présence « de nombreuses veines de terre » accroît la quantité de travail tout comme, chez les marchands, la demande de main-d’œuvre pour le mélange en vue de l’exportation. A Ankalas, « l’alun existe en abondance dans la montagne, mais les habitants le sélectionnent suivant la pureté et la qualité68 ». Par ailleurs, toutes les villes sont dans des oasis : à Abzar, il y a des palmiers, et non loin, un grand lac dans lequel se trouve, en grand nombre, un gros poisson, pêché, salé et exporté dans tout le Kawar. A Kasr Umm Isa, on trouve des palmiers. A Talamla, il y a peu de palmiers, mais les dattes sont excellentes69. Pour le travail dans les oasis (plantations de dattiers, jardins, etc.), on peut supposer qu’au moins une partie de la main-d’œuvre était d’origine servile. Enfin, le trafic caravanier, par exemple à Kasr Umm Isa, exigeait de la main-d’œuvre pour le chargement, la sécurité, etc. Toutes ces activités, créatrices de richesses et d’aisance, étaient-elles individuelles, communautaires, comme le ramassage de l’or, ou bien avaient-elles recours à la main-d’œuvre servile ? Il faut supposer la participation des esclaves, parce que les habitants (Kanouris, Toubbous) étaient depuis longtemps entrés en contact avec des sociétés possédant des esclaves : les textes, eux, prouvent qu’ils avaient les moyens de s’en procurer. Pour conclure cette réflexion sur les « routes » et les « sites », il faut noter deux faits essentiels. D’une part, selon Ibn Battuta70, un notable 68. Cuoq, p. 140, p. 157 69. Ibid., p. 157-158. 70. Mauny, p. 323. Aspects de l’esclavage au Niger

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massufa, résidant dans le Gobir et ami du sultan, a été obligé de racheter son fils à la mort de ce dernier : en effet, le monarque était accompagné dans ce cas de « quelques-uns de ses intimes et de ses esclaves (…) ». Le Gobir n’était plus en Abzin (Ayar) mais plus au sud : dans le Sahel, de telles traditions pouvaient difficilement se maintenir. D’autre part, dans l’Ayar de la seconde moitié du XVe siècle, « les dirigeants », les « gouverneurs » (chefs de région, tribu ou groupe) sont tout puissants : cela ressort de l’examen attentif de documents écrits et particulièrement de la fatwa, adressés à Al-Suyuti par Muhammad b. Muhammad b. Ali Al-Lamtumi71. Le demandeur y dénonce les exactions que commettent divers « dirigeants » (confiscation des biens des héritiers, réduction des hommes libres en esclavage, surimposition, etc.), les divertissements, les pratiques polythéistes et le comportement des savants musulmans accusés « de vivre perpétuellement auprès et au crochet des souverains, et de couvrir leurs mauvais actes, soit par peur, soit par cupidité72 ».

Intégration, développement, prospérité Alors qu’à l’ouest, l’Empire de Gao connut, en 1492, un changement dynastique avec l’accession au pouvoir d’Askia Mohammed, son homologue le Kanem-Borno et les Etats Hausa vont atteindre l’apogée de leur prospérité. Grâce aux sources internes du Kanem-Borno et de Kano73 et aux travaux récents74, on peut suivre le développement de 71. Hamani, 1989, p.161-169. 72. Ibid., p. 165-169. 73. Palmer Herbert Richmond, « Sudanese Memoirs », Cass library of African studies. General studies, Frank Cass & Co, no 47, 1967, p. 1-82 ; p. 92-132 ; Lange Dierk, « Le Diwan des sultans du Kanem-Bornu de la fin du Xème siècle jusqu’à 1808 », Chronologie et histoire d’un royaume africain, Steiner, Studien zur Kulturkunde u2, Wiesbaden, 1977 ; East R.M., Labarun Hausawa da Makwabtansu. Littafi Na Biyu, in Mohammed El-Fâsî et Ivan HR-BEK (dir.), « L’Afrique du VIIe au XIe siècle », Histoire générale de l’Afrique, vol. 3, Unesco, Paris, 1990, p. 117-141. 74. Cf. Hamani ; cf. Hamit ; Barkindo Bawuro Mubi, « Le Kanem-Borno: ses relations avec la Méditerranée, le Baguirmi et les autres États du bassin du Tchad », in B. A. Ogot (dir.), « L’Afrique du XVIe au XVIIIe siècle », Histoire générale de l’Afrique, vol. 5, Unesco, Paris, 1999, p. 577-602 ; Diagne, ibid., p. 43-68 ; Laya, ibid., p. 537-576 ; Laya Diouldé, « A l’écoute des paysans et des éleveurs du Sahel » ENDA, Environnement Africain, vol. 1, n° 2, Dakar, 1975, p. 57-101.

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trois Etats de la région : Kano (représentant des Etats Hausa), KanemBorno et Ayar. Une rapide revue du développement économique et de l’organisation politique et administrative est indispensable pour l’analyse de leurs structures sociales et de la place de l’esclavage au cours de la période 1500-1800. Production-échanges Après avoir résumé les événements importants survenus au cours du XVe siècle, dans la région comprise entre le lac Tchad et le Moyen Niger, Hamani précise75 le rôle des divers Etats et écrit : Son devenir (d’Agadès) fut, dès le départ, partie intégrante de celui du monde Hausa, jusque-là en gestation et qui, à l’entrée du XVème siècle, allait s’inscrire durablement dans le champ des relations économiques, politiques, intellectuelles et religieuses de l’Afrique du Nord-Ouest. C’est l’expansion économique du Hausa qui explique la fortune d’Agadès, porte de passage obligatoire du commerce vers le nord. Seul… (le) Hausa pouvait permettre à Agadès de jouer un rôle comparable à celui de Walata (…) Le (Kanem-Borno) a joué un rôle indubitablement plus important qu’aucun autre dans l’ensemble des systèmes des relations entre Darfour et MoyenNiger, entre Sahara et Golfe de Guinée.

Concernant les Etats Hausa, Laya a relevé l’intégration du négociant hausa à la classe des grands commerçants africains et insisté sur les surplus agricoles, la division du travail et l’artisanat très florissant. Si l’Ayar n’est pas un milieu très favorable à l’agriculture, Kano76 et le Kanem-Borno77 produisent en abondance des céréales (mil, sorgho, maïs). L’oignon, le piment, le tabac, le coton, l’indigo, le manioc et la canne à sucre poussent à Kano, le blé dans le Kanem-Borno, alors que ce dernier et l’Ayar entretiennent des dattiers. Partout, on élève caprins, ovins, bovins. L’Ayar et le Kanem-Borno comptant un grand nombre de camelins. La chasse et la pêche se pratiquent essentiellement au Kanem-Borno.

75. Hamani, p. 155, p. 157, p. 210-212. 76. Lovejoy, p. 64-66 ; Laya, 1999, p. 559-563. 77. Barkindo, p. 582, p. 585-588. Aspects de l’esclavage au Niger

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Le travail du fer et du cuir est bien connu partout, avec des spécialisations évidentes (sandales, bottes, etc.), mais Kano et le Kanem-Borno sont réputés pour la poterie, le tissage, la teinture et la couture. Enfin, l’extraction du sel et du natron continuent de faire la renommée du Kanem-Borno. Etudiant l’expansion des activités commerciales du Hausa et du Kanem-Borno, Lovejoy78 indique qu’elles sont progressivement étendues vers le sud et le sud-ouest, tout en se maintenant avec le nord. Boahen79, décrivant les échanges des Akans avec les autres, signale que le commerce avec le Hausa et le Borno n’a pas cessé, même si la part de l’or enregistre une baisse80. A destination de l’Afrique du Nord, le Hausa exportait esclaves, objets en cuir, cuirs et peaux, plumes d’autruche, textiles et divers objets de valeur. Hamit81 donne une liste très détaillée des échanges du Kanem-Borno avec l’Afrique du Nord, l’Egypte, et les pays méditerranéens à travers le Fezzan et Tripoli. Barkindo82 est très précis : le Borno avait obtenu « du Mandara la fourniture régulière de fer et d’esclaves, tandis que le Kotoko et le Baguirmi l’approvisionnèrent en peaux de bêtes, en ivoire et en esclaves ». Le natron et le sel étaient exportés vers la côte atlantique, le Hausa, le bassin de la Volta, Abzin (Ayar) et l’Adar ; quant au poisson séché, il était envoyé dans la métropole, au Mandara, au Hausa et dans les oasis. Enfin, esclaves, eunuques, peaux, ivoire, parfum, cuir et or allaient vers l’Afrique du Nord et l’Egypte, d’où venaient chevaux, armures, bronze et divers produits d’Europe et d’Afrique du Nord. L’Ayar, lui, exportait les produits locaux (dattes, sabres, couteaux, objets en cuir, camelins, sel de Bilma) ainsi que les produits venus d’Europe et d’Afrique du Nord. Le commerce se faisait essentiellement avec Katsina et Kano. 78. Lovejoy, p. 35-37, p. 57, p. 123-125. 79. Boahen A. Adu, « Les Etats et les cultures de la Côte de Guinée Inférieure», in B. A. Ogot (dir.), « L’Afrique du XVIe au XVIIIe siècle », Histoire générale de l’Afrique, vol. 5, Unesco, Paris, 1999, 480-482. 80. Laya 2005, p. 37. 81. Hamit, p. 421-438 82. Barkindo, p. 587-588.

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Etat et Gouvernement Nous présentons le souverain et l’administration centrale en mettant l’accent sur l’organisation militaire avant d’énumérer les ressources de l’Etat. Le pouvoir politique le plus récent dans la région reste le sultanat de l’Ayar. Grâce aux travaux de Hamani, on peut saisir, pratiquement sur le vif, une première spécificité. Le sultan était le « souverain suprême » qui avait pour mission de rassembler toutes les tribus et d’arbitrer les conflits. Ce rôle était confié à un aneslemen (religieux)… Son élection est la prérogative des Itesayan, en concertation avec les Kel Ferwan et Imakkitan. Les tribus électrices pouvaient également (le) destituer à tout moment… « Mais, l’amani, “Etats généraux” de l’Ayar, tout comme la cérémonie d’intronisation, était utilisé par les dirigeants pour refaire l’unité de leur peuple. Pendant des siècles, donc, grâce à ces deux cérémonies, le sentiment (ou la fiction) d’une unité autour du sultan fut sauvegardé83 ». Diverses croyances entouraient le Sarkin Kano et le Maï du KanemBorno. Les maisons royales, s’appuyant sur l’islam, leurs ressources économiques et des rapports sociaux beaucoup moins oppressifs que dans d’autres régions de l’Afrique, donnent l’image d’un pouvoir « contrôlé ». Dans la gestion des affaires, le souverain est aidé par une administration centrale chargée de fonctions administratives, religieuses, militaires, de police et de relation (avec les divers groupes et sous-groupes) en Ayar84. A Kano, le souverain est désigné par un conseil électoral, comme au Katsina, au Gobir et au Zanfara85. Certains groupes autochtones, les immigrants, la communauté islamique, certaines cités, les corporations sont très bien représentés dans l’administration. La situation au KanemBorno semble plus simple, mais il est possible que ce soit en apparence seulement. Le Maï, chef suprême de l’Etat, préside le majlis, appareil qui se trouve au sommet de l’Etat : l’homogénéisation est encore plus marquée86. 83. 84. 85. 86.

Hamani 1989, p. 286-288, p. 299. Ibid., p. 292-297. Laya 1999, p. 550. Barkindo, p. 599. Aspects de l’esclavage au Niger

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S’agissant de l’organisation militaire, tous les souverains sont les chefs suprêmes de l’armée. Mais, l’Ayar présente une deuxième spécificité. En effet, au cours de l’amani, le sultan reçoit les responsables des tribus, « sans armes, sauf le Tambari du Imakitanes et l’Agolla de Kel-Tadek, tribus qui se trouvent plus spécialement sous les ordres du sultan et qui ont sa confiance », écrit Hamani citant Gadel. Il précise ensuite, que le Kel-Tadek et les Imakitanes étaient « deux des plus vieilles tribus de l’Ayar et ont toujours servi de boucliers au sultan. Une troisième (…), celle de Imaggoghan, était là aussi, mais pour les prières faites avant le début de la réunion87 ». Il est intéressant de relever des éléments de l’armement et de l’organisation militaire de Kano et du Kanem-Borno : alors que pour le premier, on voit que le processus s’est étendu sur une longue période, au Kanem-Borno, c’est un Maï bien précis qui a su allier génie politique et stratégie militaire. Pour Kano, voici, d’après Palmer88, les innovations introduites par les souverains : le bouclier (en peau d’éléphant), caparaçons, casques en fer, cottes de mailles, chameaux, chevaux (de parade) caparaçonnés avec leurs écuyers, création du titre de « hipparque des Destriers » petit bouclier rond du Nupe, mousquets, constitution d’une garde de mousquetaires. Les données relatives au Kanem-Borno sont tirées du manuscrit, The Kanem wars of Maï Idriss Alooma, de l’imam Ahmad Ibn Furtuwa89. Barkindo90 a exploité ce document. Hamit91 propose des dates différentes de celles indiquées par Palmer et fait des commentaires sur toutes les expéditions. Effectivement, l’héritage de mousquetaires, la constitution d’une flottille et la création d’un corps de chameliers pour le transport de l’armée, l’existence de corps de porteurs de boucliers, d’archers, des cottes de mailles, etc. sont des indices de perfectionnement de l’appareil militaire. Si, à titre d’illustration, nous récapitulons les conflits ayant opposé Kano à d’autres grands Etats, du règne de Abdullahi Muh. Rumfa (1499-1509) à celui de Alhaji Kabe (1743-1753), on obtient à peu près la distribution suivante : Zanfara, Zazzau :1 ; Gobir : 2 ; Kwararafa : 3 ; Borno : 4 ; Katsina : 10. 87. 88. 89. 90. 91.

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Hamani 1989, p. 298. Palmer, p. 101-126. Palmer, p. 1-82. Barkindo, p. 582-584. Hamit, p. 283-313. L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

On peut y ajouter ceux qui ont opposé l’Ayar aux autres Etats pour avoir une idée plus complète de leurs effets dévastateurs. Grâce à Hamani, on peut tenter un recensement complet, mais nous nous limitons à la période qui conduit à « l’instabilité chronique » qui s’est instaurée après92. Des affrontements ont eu lieu avec les Etats : Borno, deux fois (1667, 1679) ; Gobir, trois fois (1689, 1690), le souverain du Gobir serait mort au cours du dernier; Kebbi, une fois (1674, pendant lequel mourut Kanta) ; Zanfara, deux fois (1685, 1686, l’Ader fut créé à la suite de la défaite du Zanfara). L’auteur remet93 tous les faits à leur juste place : Les guerres de l’Ayar contre les Etats Hausa furent toujours des ripostes. Il s’agit non pas d’étendre le territoire contrôlé par les sultans d’Agadez, mais de défendre la sécurité des routes caravanières pour ces derniers… Il y eut en tout 4 affrontements entre les troupes de l’Ayar et celles du Hausa entre 1720 et la fin du siècle, 3 contre le Gobir et un contre le Katsina(ou le Zanfara). Ils furent tous menés par des troupes Kel Away, et parfois sous la conduite de l’Ag-Adode, leur Amenokal.

Concernant les ressources de l’Etat, et après avoir rappelé les observations de Barth en 1850, Hamani94 récapitule les revenus du Sultan : diverses taxes, produits des amendes, biens tombés en déshérence, divers tributs, fraction du zakkat et du butin, produits des salines personnelles mises en valeur par les esclaves. Le souverain de Kano tire ses ressources95 des impôts, taxes, droits de douane, dons, butins. Celui du Kanem-Borno tirait les siennes, selon Barkindo96, du zakkat, des droits du péage routier, de divers tributs (en blé par exemple), du butin, des taxes de marché, etc.

Rapports sociaux Il est difficile de décrire le processus de différenciation qui se produisit progressivement jusqu’à la période du djihad d’Usman Dan Fodio.

92. 93. 94. 95. 96.

Hamani, 1989, p. 233-267. Ibid., p. 263. Ibid., p. 290-291. Laya 1999, p. 556-558. Barkindo, p. 588, p. 598-599. Aspects de l’esclavage au Niger

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Nous résumons l’essentiel des rapports sociaux avant de souligner l’importance de l’esclavage. Aristocrates et citoyens Par « aristocratie », il faut entendre un grand nombre de groupes, différents par l’origine et l’activité, mais gravitant autour du pouvoir. Au sommet de la hiérarchie, « l’aristocratie de naissance » comprend le souverain et sa dynastie, les représentants des dynasties évincées, les gouverneurs des provinces, régions et villes, les représentants des « populations autochtones » et des immigrants. Il s’agit d’une alliance entre « aristocraties locales » pour la gestion d’une grande entité politique. Ce sous-groupe est assisté dans diverses fonctions par un grand nombre de dignitaires (nobles, roturiers, esclaves). Les fonctions administratives et militaires rapprochent des affaires politiques et leur influence pourra être très grande. Précisons qu’à Kano et au KanemBorno, les femmes jouaient un rôle très important : la mère, la sœur et les épouses du souverain étaient très influentes dans les affaires de l’Etat97. Il trouve ses appuis les plus solides auprès de « l’aristocratie du savoir ». La région, entrée très tôt en contact avec l’islam, a été visitée par de très célèbres « érudits » en matière islamique : Maghrébins, Wangarawa, Fulbés, Bornoans ont rendu Kano et Katsina célèbres. La profondeur de l’islamisation se mesure surtout à la maîtrise de l’arabe dont les caractères serviront à écrire les langues locales, donc en ajami98. « L’aristocratie d’argent » est composée des grands commerçants, des grands producteurs des céréales, des grands propriétaires de bétail et des grands artisans. La division du travail dans l’artisanat (maroquinerie, tissage, teinture, broderie) accroît la production pour l’exportation. Le 97. Barkindo, p. 596 ; Laya, p. 550-552. 98. Dramani Issoufou Zakari, « L’islam en tant que système social en Afrique depuis le VIIème siècle », in Mohammed El-Fâsî et Ivan HR-BEK (dir.), « L’Afrique du VIIe au XIe siècle », Histoire générale de l’Afrique, vol. 3, Unesco, Paris, 1990, p. 130-139 ; Barkindo, p. 595-596 ; Laya, p. 573-574 ; Hamani Djibo, L’islam au Soudan Central : histoire de l’islam au Niger du VIIe au XIXe siècle, L’Harmattan (Etudes africaines), Paris, 2007, p. 81-177.

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développement du commerce s’accentue avec l’Afrique du Nord et le sud-ouest de l’Afrique occidentale d’où venait, entre autres, la kola. L’ensemble de ces sous-groupes se range dans la catégorie des personnes proches des détenteurs du pouvoir, (masu sarauta, en hausa). Ils le servent, le conseillent, et bénéficient de sa sollicitude. La majorité de la population est composée de talakawa (sing. talaka), « hommes du commun », « roturiers » : ce terme est commun en songhay (talka), fulfuldé (talka), moore (talga), kanuri (tala’a), etc. Elle comprenait des petits producteurs (paysans, éleveurs, artisans), la division très franche du travail n’étant pas faite partout de la même manière ni au même rythme. Progressivement, les rapports sociaux s’étaient clarifiés, simplifiés au moment où la traite négrière (transatlantique) commençait. Tout au bas de l’échelle, se situait l’esclave, bawa en hausa, jon en mandingue.

Place de l’esclavage Nous avons vu précédemment la situation en Ayar où l’arrivée de Kel-Ayar a créé des rapports inégaux entre les Noirs autochtones et les immigrants Blancs. L’étude de la structure sociale des Touaregs de l’Ayar a amené Hamani à repérer des « couches bien individualisées » dont la hiérarchisation, de haut en bas99, est la suivante : imajaghan « classe dirigeante », ineslemen « religieux », inaden « forgerons » (maroquiniers), ikanawan « potiers », ighawallan « affranchis », idarfan « affranchis », iklan « esclaves ». Nous proposons une traduction à partir de l’auteur ; et on voit tout de suite qu’il y a deux catégories d’affranchis et d’artisans. Ces précisions nous permettent de mieux appréhender l’évolution de l’esclavage dans cette société. L’auteur insiste sur le caractère hiérarchisé et fortement inégalitaire de la société Kel Tamajaq précoloniale, laquelle a fait preuve d’une remarquable cohésion. Essayant de comprendre pour quelle raison 99. Hamani, p. 302-312. Aspects de l’esclavage au Niger

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Source : Société des historiens du Congo Brazzaville,

Figure 1 : Africains victimes de la traite esclavagiste transatlantique

les « subordonnés » n’ont pas cherché une plus grande émancipation et même un renversement du pouvoir, il en arrive à expliquer « cette apparente résignation par la dispersion, l’abrutissement par le travail, l’aliénation de la personnalité et leur exclusion des affaires militaires100». Cet auteur nous oblige à mieux étudier l’esclavage interne en Afrique, car nous nous étions indignés101 qu’il n’y ait pas eu, comme dans le Soudan occidental, des révoltes d’esclaves. Nous allons maintenant considérer les cas de Kano et du KanemBorno pour avoir des éléments d’information sur le développement de l’esclavage interne. Dans son étude sur les structures politiques, économiques et sociales africaine, Diagne souligne102 qu’avec l’implantation de l’islam et du christianisme, d’une part, le jonya (bauta, en hausa), système de captivité propre à l’Afrique noire, a été remplacé par le système importé de l’Europe et du Moyen-Orient, d’autre part, le mansaya (sarauta, 100. Hamani, p. 311-312. 101. Laya 2005, p. 36-38. 102. Diagne, p. 43-51.

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Source : IFAN, UCAD, Dakar, Sénégal Figure 2 : Toute l’Afrique noire a été prise dans le tourbillon de l’esclavage pendant des siècles

en hausa), système d’Etat africain ayant succédé au lamana, système africain d’occupation des terres, allait petit à petit se transformer en « émirat ». Il revient à la recherche de dégager les caractéristiques propres de l’esclavage interne en Afrique, car c’est sûrement cette évolution qui a contribué à renforcer ces rapports de domination et à les maintenir. Commençons par Kano103. Laya a largement abordé104 l’approvisionnement en esclaves, grâce aux campagnes menées par les souverains ou les dignitaires, ainsi que les traitements infligés par les seconds aux premiers. A Kano, existe aussi une tradition ancienne d’échange de chevaux contre des esclaves et des eunuques. Au cours du règne de Kanajeji (1390-1410), le Kwararafa (Jukun) consentit à lui livrer 200 esclaves. Le souverain revint à Kano et expédia des chevaux au Kawrarafa qui lui 103. Palmer, p. 92-132. 104. Laya 1999, p. 556, p. 568. Aspects de l’esclavage au Niger

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fit parvenir des esclaves. Il semble que ce souverain prélevait, dans « les villages des captifs royaux », un certain nombre de jeunes, garçons et filles105. Un peu plus tard, Yakubu Abdullahi Barja (1452-1463) envoya au souverain de Nupe dix chevaux en échange d’eunuques : le souverain lui envoya douze eunuques106. Concernant le Kanem-Borno, notre attention a été retenue par les expéditions d’Idris Alawoma107. Nous avons relevé des indications sur la rançon, une modalité de partage des captifs, les difficultés de l’alimentation, les transactions qui peuvent se faire non loin des champs de bataille. Lors de la première expédition, l’ennemi a été chassé : The Wazir only returned from the pursuit at evening. The Wazir Idriss Ibn Harun found among the captives two noble youths of the Bulala royal house of Sultan Kadai and Sultan Abdul Jalil. He brought them to our Sultan in a state of great fear thinking they would be executed. When a ransom was settled, the Sultan released them owing to his tender heart and pity for all men; and forgiving nature108.

Lors de la seconde expédition, il fut procédé au rassemblement et au partage du butin : Here the Sultan commanded the public crier to proclaim to all who had made captives, that they should bring them to the Sultan’s « fasher» … Straightaway, everyone brought all his captives, free and slaves without concealing a single one, to the house of the Sultan as was ordered. The Sultan first gave order that free (captives) should be separated from the slaves. He made this division irrespective of sex. Afterwards, he assembled all the free and sent them to their relatives, friends or tribes. He set apart the slaves to be distributed. This act of our Sultan… was in accord with… his high principles… Albeit he remembered the doing of the Sultans of the Bulala in golden times. When they invaded the land of Bornu, they never release the free men whom they captured, and a female, free or slave, was alike to them, as was a male slave and a free man109.

105. Palmer, p. 107. 106. Ibid., p. 121. 107. Ibid., p. 1-82. 108. Palmer, p. 26 ; East, p. 128. 109. Palmer, p. 36 ; East, p. 137.

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Les deux informations ci-dessus tendent à souligner l’observance par le sultan des règles édictées en la matière, mais elles permettent au moins de connaître celles-ci, leur respect étant fonction de la décision du vainqueur. Au cours de la quatrième expédition, il y eut un très sérieux problème d’alimentation de l’armée : « We halted in the desert to feed the people (…) But eating in this place was only possible with great difficulty for cooking was always done by the women and girls slaves and could not be well done by men and men slaves. On this journey, not one girl could come with us. For this reason cooked food was very difficult to obtain and very expensive.110 » Sur le chemin de retour de la sixième expédition, des transactions eurent lieu entre le sultan et des marchands : From (Mardali) the route laid to Ghuwikafokwa where also a halt was made. Bands of itinerant merchants from Bornu came in accompanied by men of Bulma, Kawar and Gazbi who had brought caravans from Fezzan. A meeting took place between them and the Sultan in the town. The Sultan bought from them a large stock of horses… and spent Saturday in the town of Ghuwikafokwa. In the morning the Sultan did not march owing to his preoccupation with the horses and observed the sunday two o’clock prayer. Then after completing his transactions in new horses, he set out westwards and travelled at a fast pace until he reached Girgir in the late afternoon111.

Comme l’auteur ne précise pas si le sultan a payé en espèces, nous supposons qu’il a échangé les esclaves contre les chevaux : il a dû faire un très grand nombre de captifs, puisque le lendemain il a acquis d’autres chevaux. Les exemples au Kanem-Borno et à Kano illustrent le rôle de l’Etat dans la « production des esclaves ». La traite interne se poursuivait en même temps que florissait la longue traite transsaharienne et que se renforçait la traite transatlantique. Trois auteurs nous permettent de clore cette partie. Nous avons déjà fait allusion aux passages qui se sont opérés en Afrique à propos de 110. Palmer, p. 46 ; East, p. 141. 111. Palmer, p. 65-66 ; East, p. 166-167. Aspects de l’esclavage au Niger

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l’esclavage et du pouvoir, selon Diagne, qui ajoute112 des explications convaincantes à propos du commerce des esclaves : Lorsque les guerres entre aristocraties rivales ne fournirent plus un nombre suffisant de prisonniers, l’habitude fut prise d’organiser des razzias dans les campagnes (…). Les élites au pouvoir délaissèrent l’agriculture au profit des razzias pour lesquelles elles utilisaient les services des hommes libres et des esclaves qu’elles capturaient. (…) Le pillage des zones rurales ainsi que la capture et l’asservissement des masses paysannes atteignirent des proportions gigantesques.

A propos de la traite négrière en Afrique, Inikori va être plus précis113 dans l’étude de la violence où il souligne le rôle très négatif du commerce des esclaves : Il a favorisé les guerres fréquentes qui ont désorganisé les structures politiques et sociales des sociétés africaines. L’une des distorsions les plus importantes a été la création d’aristocraties militaires qui acquirent une telle influence politique qu’elles déterminèrent la ligne politique de presque tous les grands Etats africains de l’époque.

Dans sa comparaison de l’esclavage interne en Afrique à celui des autres continents, Goody114 examine le rôle des esclaves dans l’économie et note que, contrairement à l’Amérique du Nord, le prix de la femme y est plus élevé que celui de l’homme et en donne l’explication, avant de poursuivre : This contrast with North America is reinforced by the escape mechanism that existed for slaves of both sexes whereby slavery was a sliding status. But the very fact that it was liberal for some meant future slavery for others. Thus, it offered the carrot of freedom for the offspring of present slaves at the cost of continuous replacement from outside.

112. Diagne, p. 59-60. 113. Inikori J.E., « L’Afrique dans l’histoire du monde: la traite des esclaves à partir de l’Afrique et l’émergence d’un ordre économique dans l’Atlantique », in B. A. Ogot (dir.), « L’Afrique du XVIe au XVIIIe siècle », Histoire générale de l’Afrique, vol. 5, Unesco, Paris, 1999, p. 139-140. 114. Goody, p. 30-42.

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Témoignages écrits Les nombreux manuscrits arabes collectés et en cours d’étude permettent d’explorer de l’intérieur divers aspects de la vie politique, économique, sociale et intellectuelle de la région. Sept documents ont été retenus. Les trois premiers appartiennent au Centre Ahmed Baba de Tombouctou (IHERIAB anciennement CEDRAB). Parmi eux, le premier relate un différend au sujet d’une esclave : les deux autres sont des attestations d’affranchissement d’esclaves. Pour chaque lettre, sont indiqués l’expéditeur, le destinataire, l’objet, le texte (souvent légèrement révisé par nous) suivi d’un commentaire. Toutes suscitent questions et/ou réflexion. Manuscrit 5655(1) (document 1) Nature : Compte-rendu établi par un jurisconsulte Objet : Différend à propos d’une esclave [Après les salutations d’usage], que le lecteur sache qu’une dispute a éclaté entre Fatima Aicha (fille du juriste consulte) et quelques-uns de ses frères et sœurs au sujet d’une esclave dénommée (fille de Diba) qui était en état de servitude depuis plus de 40 ans et était considérée comme un bien qu’elle prêtait à qui elle voulait. Elle l’utilisait, se servait d’elle, au vu et au su de tout le monde, du vivant de son père. Au moment du partage des biens du défunt père, elle ne faisait pas partie du legs, puisqu’elle appartenait à Fatima Aicha. Elle la donna ensuite en mariage, en présence des héritiers et les informa de cet acte sans aucune contestation de leur part. On lui a remis publiquement la Figure 3 : Manuscrit 5655 (1) dot. Cette dernière a eu des enfants et après certains frères de Fatima Aicha étaient venus les récupérer sous prétexte qu’ils leur revenaient de droit, ce qui revient à ne pas tenir compte du statut de leur mère. Aspects de l’esclavage au Niger

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Commentaire : Ce document souligne la qualité, « bien, richesse », de l’esclave en même temps que la difficulté d’y échapper. C’est un problème juridique très compliqué. La date de la rédaction de ce manuscrit n’est pas indiquée. Manuscrit 3851/6 (document 2) Nature : Attestation Objet : Affranchissement

Figure 4 : Manuscrit 3851/6

Il témoigne que le défunt Djamiou Ibn Scheik Moroca a libéré une servante appelée Sorko, pour obtenir la miséricorde divine et qu’elle jouisse de la liberté parfaite comme femme musulmane. L’acte de libération a été signé en 1176 H qui correspond à 1762. NB : A cette même date, la décision est arrivée à la mère du défunt. Sa sœur a ordonné à quelqu’un de faire une copie de la décision telle qu’elle a été écrite par le défunt.

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Manuscrit 3851/1/0 (document 3) Nature : Attestation Objet : Affranchissement Un maître libère une fille Batala pour qu’elle puisse jouir de la liberté parfaite comme femme musulmane. Commentaire : Cet acte d’affranchissement a été écrit à la veille de la fête d’El-Fitr, en 1200 de l’hégire. Les quatre autres ont été tirés du Journal de recherches de Boubou Hama : il y a rassemblé des notes d’enquêtes, des articles de journaux, des extraits d’ouvrages publiés, des commentaires personnels et des manuscrits en arabe. Nous avons, à Niamey, pu consulter seulement quatre tomes : septembre et octobre 1964 (Tome 1 : 454 p.), novembre 1964 - mars 1965 (Tome 2 : 278 p.), août 1967 - mars 1968 (457 p.), mars 1968 - mai 1969 (437 p.). Dans ce dernier, nous avons sélectionné (p. 263-286) quatre lettres dont trois datent du XIXe siècle : la première traite des rapports entre Etats, les deux suivantes de l’esclavage et la dernière de la justice. Lettre adressée par Hatoutou, au juge Sidi Mohamed (document 7) Objet : Les esclaves sont responsables de la perte des chameaux. Sidi Ben Abbad m’a informé que Sidi et ses adversaires étant venus lui soumettre leur litige, il leur rendit qu’il ne pourrait le trancher qu’en ma présence. Lorsque nous nous sommes retrouvés, j’ai été informé de l’objet du litige et je leur dis que, selon la loi coranique, les esclaves ont eu tort et, en plus, ont porté atteinte aux droits du propriétaire des chameaux. En effet, au lieu de les abandonner en plein désert, les esclaves auraient pu les rendre au propriétaire. Ils ne l’ont pas fait et, par leur faute, les chameaux sont égarés, ou peut être même morts : les esclaves sont donc responsables de cette perte.

Commentaire : C’est le compte-rendu qu’un juge (Hatoutou) fait à son ami juge (Sidi Mohamed). Le juge Sidi Ben Abbadh a exigé la présence de Hatoutou pour examiner un litige entre le sieur Sidi et ses Aspects de l’esclavage au Niger

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adversaires. Ayant entendu l’objet du litige, Hatoutout rejeta le tort sur les esclaves. En effet, explique-t-il, ceux-ci n’ont pas rendu les chameaux au propriétaire : ils sont égarés et peut-être morts. C’est ainsi que Hatoutou a établi la responsabilité des esclaves. Le refus de Sidi Ben Abbah de trancher le litige en l’absence de Hatoutou et le compterendu de ce dernier à son collègue Sidi Mohamed sont des preuves de la qualité intellectuelle et morale des juges du Soudan Central (bien qu’aucune date n’ait été donnée). Le comportement des esclaves peut relever aussi bien d’un acte volontaire que de la simple négligence. Concernant l’éventuel remboursement, il est probable que les esclaves sont propriétaires de quelques chameaux, mêmes s’ils les cachent. Lettre adressée par Sarkin Gobir Ali Dan Yakuba (1817-1835) à Mohamed Ben Cheikh (document 5) Objet : Enlèvement d’une servante par un esclave. Je porte à votre connaissance que le sieur Bizou de la famille Guinda (relevant de l’autorité du) Sarkin Mambi, vient de voler, sur la place de notre marché, sa sœur Tabizou qui est déjà la servante d’une femme Peule. Cette servante avait accompagné sa maîtresse qui venait juste d’arriver chez nous en visite, il y a quelques jours. Constatant la disparition de la servante, la maîtresse est venue nous en informer ; c’est pourquoi, nous insistons auprès de vous, afin que vous fassiez tout pour nous rendre la servante Tabizou pour que nous la remettions à sa maîtresse.

Commentaire : Le rapt opéré sur la place du marché est une très grave atteinte à l’autorité du Sarki, responsable, sur son territoire, de la sécurité des personnes et de leurs biens. D’autre part, la femme était venue en visite au Gobir : « celui qui l’accueille » a le devoir de protéger « la personne accueillie ». Enfin la mention du groupe ethnique (Peul) de la maîtresse expliquerait l’insistance du Sarki : entre Gobiraxa et Fulbe existe la relation de parenté à plaisanterie, ou cousinage. C’est à cause de l’expression « sa sœur » que nous supposons que le « rapteur », le brigand, est un esclave. Nous n’avons pu avoir des précisions sur l’identité du destinataire : il pourrait s’agir d’un Sarkin Adar, vassal du sultan de l’Ayar (mais c’est peu probable), du représentant du premier dans la zone de Mambe ou alors d’un lettré influent de ladite zone.

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Lettre adressée par l’imam Mohamed Bello (1817-1837) au savant Sidi Wasshar Yakuba (document 4)

Figure 5 : Lettre adressée par l’imam Mohamed Bello (1817-1837) au savant Sidi Wasshar Yakuba

Objet : Dénonciation des actes de brigandages d’Ibrahim (en personne) ainsi que des esclaves de Kel Geres. Cher frère Wachar, (Salutations au destinataire et à son entourage, très probablement des compagnons et des fils… Expression de l’amitié). Nous pensons que vous n’ignorez pas comment Ibrahim en personne pille et traite, d’une façon inhumaine, nos voyageurs. Vous devez également être informé des problèmes que nous créent, depuis un certain temps, les esclaves Kel Geres qui, abusant de notre bonté, s’infiltrent dans notre territoire, mais ne partent jamais sans nous avoir volé. A propos de nos pasteurs qu’ils pillent tous les jours, nous pensons que vous en êtes informés aussi. Ces esclaves Kel Geres, contrairement à nous, ne nous rendent jamais ce qu’il nous ont volé, tandis que nous, nous leur avons toujours restitué ce qu’ils prétendaient leur appartenir.

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De toutes les manières, nous ne vous en voulons pas, car nous savons parfaitement que vous ne pouvez rien contre ces malfaiteurs. Nous présentons nos excuses du fond du cœur. Toutefois, nous vous prions de ne pas nous en vouloir pour ce que nous comptons leur faire. Comme vous nous connaissez déjà assez, vous savez que nous n’avons jamais pu supporter la tyrannie et l’oppression. Seul Dieu est capable de régler les litiges entre les peuples du monde et c’est vers lui que nous irons.

Commentaire : Cette lettre était adressée au cheikh Wasshar, celuilà même qui fut « parmi les partisans les plus convaincus de Ousmane Dan Fodio ». Ibrahim, lui, était un Sarkin Adar partisan du Gobir opposé à Mohamed Bello. Sur les relations complexes entre les touaregs de Sokoto, on consultera avec profit l’éclairage apporté par les travaux de Last et de Hamani.115 Toutefois, l’imam présente ses excuses, d’avance, pour toute action qu’il engagerait. Lettre de l’Emir des croyants Abubakar Atiku b. Usma, D. Fodio (1837-1842) à Sidi Mahmoud (document 6) Objet : Rachat des prisonniers musulmans. Cher frère Sidi Mahmoud, Nous avons bien reçu votre lettre dans laquelle vous renouvelez votre entier attachement ainsi que vos sincères sentiments d’amitié. Que Dieu vous récompense de ce que vous faites pour nous et pour l’islam. A notre tour, permettez-nous de vous exprimer toute notre gratitude et vous renouveler toute notre confiance et notre profonde amitié ; ainsi, de part et d’autre, nous pourrons continuer à coopérer dans un esprit de confiance et de fraternité. En ce qui concerne les prisonniers musulmans que vous voulez racheter, sachez que nous avons eu les mêmes difficultés que vous, et tout comme vous, nous étions très touchés par cette affaire douloureuse.

115. Hamani Djibo, « Contribution à l’étude de l’histoire des Etats hausa: l’Adar précolonial, République du Niger », Études nigériennes, Institut de recherches en sciences humaines, no 38, 1975, p. 156-157 ; Hamani 1986, p. 360-362.

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Néanmoins, nous vous prions d’attendre l’arrivée chez nous de Kabalawou. Dès que ce dernier arrivera, nous conclurons cette affaire et, dans tous les cas, nous vous informerons du résultat. Salut.

Commentaire : L’émir des croyants utilise la formule « Chers frères », car le destinataire doit être le fils du cheikh Wasshar, l’un des religieux touaregs Kel Geres ayant pris très tôt le parti de Ousmane Dan Fodio. On en trouve confirmation dans une lettre de Mohamed Bello à Sarkin Magori : l’historien Hamani116 nous permet de distinguer le cheikh du Sarkin Adar. Il semble que l’émir ait déjà tenté, mais sans succès, de faire la même opération. On doit supposer que le « trafiquant » préfère négocier directement avec lui, ce qui peut garantir des bénéfices. Nous n’avons aucune information sur l’identité de Kabalaou, le « traitant ».

Héritages Jean Rouch117 a consacré un article « aux conquêtes zerma (zarma) dans le Gurunsi ». Il y montre comment les « vaillants guerriers », wangaari, de l’époque du djihad d’Usman Danfodio s’étaient transformés en « chasseurs d’esclaves » d’abord mercenaires des Dagombas, puis pour leur propre compte : Bâbâtou, le dernier chef de ces Zarma, vaincu en mars 1897 par Chanoine, se battra de 1897 à 1900 contre les Anglais, avant d’affronter les Allemands en 1900. De toutes ces aventures est née une très forte relation de parenté à plaisanteries (ou cousinage) entre Gurunsi et Zarma-Songhay. Recherche scientifique De nombreux travaux ont été consacrés à l’esclavage comme legs historique au Niger. Puisque l’étude de Galy118 est basée essentiellement sur les écrits des spécialistes nigériens, nous n’évoquerons que quelques contributions. 116. Hamani 1975, p. 156-157 ; Hamani 1989, p. 359-362. 117. Rouch Jean, « Les cavaliers aux vautours. Les conquêtes zerma dans le Gurunsi, (1856-1900) », Journal des Africanistes, 1991, p. 3-36. 118. Galy Kadir Abdelkader, L’esclavage au Niger : aspects historiques et juridiques, Karthala, Agence Universitaire de la Francophonie, Paris, 2010. Aspects de l’esclavage au Niger

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Ces travaux ont été réalisés par des historiens, ethnologues, anthropologues, géographes, etc. Qu’ils portent sur une « région traditionnelle » (Damagaram, Adar, Abzin/Ayar), un sous-groupe ou un groupe ethnique (Arawa/Mawri, Kanuri, Twareg, Tubu, etc), certains peuvent aujourd’hui faire l’objet d’une synthèse. On peut, compte tenu de notre point de départ, affirmer qu’aucun groupe ethnique du Niger ne semble avoir ignoré l’esclavage, à la seule exception possible des Tchangas119qui, peu nombreux au Niger, constituent au Bénin et au Nigéria, un groupe ethnique bien représenté, avec sa langue propre. Encore que leurs voisins Hausa, Baatombu et Songhay (Dendi) aient pu influencer leur société. Il convient de lire attentivement les remarques faites par les explorateurs, en particulier, Barth120 et Nachtigal121, sur ce qu’ils ont observé ou entendu. Simplement, il ne faut pas oublier le climat politique qui régnait en Europe, à propos de l’esclavage. Il est inutile de continuer à chercher des excuses pour l’esclavage interne en Afrique. Parmi les auteurs, une place à part doit être réservée à Boubou Hama qui a rédigé en 1980 une note à notre intention sur l’esclavage, et publié (entre 1955 et 1957) des documents sur les « problèmes domaniaux » et les « problèmes fonciers » qui demeurent fondamentaux. André Salifou122 donne des informations générales : acquisition, partage, rançon, utilisation, statut, affranchissement, eunuques du Damagaram, en particulier à propos des esclaves de Touareg (Iklan, Bella, Bougagé). 119. Ayouba S.G., La question de l’établissement des populations songhaydendi en pays tchanga : cas de Garou et Madikali, in Elisée Soumonni, Diouldé Laya, Boubé Gado, Jean-Pierre Olivier de Sardan (dir.), Peuplement et migrations : actes du premier colloque international de Parako, OUA, CELHTO, Niamey, 2000, p. 101-111. Bako-Arifari Nassirou, « Peuplement et population dendi du Bénin : approches anthropo-historiques », in Elisée Soumonni, Diouldé Laya, Boubé Gado, JeanPierre Olivier de Sardan (dir.), Peuplement et migrations : actes du premier colloque international de Parako, OUA, CELHTO, Niamey, 2000, p. 113-146. 120. Barth Heinrich, Travels and Discoveries in North and Central Africa in the years 1849-1855, Frank Cass & Co, London, 1965. 121. Fisher and Fisher, 1974, 1980. 122. Salifou André, Colonisation et sociétés indigènes au Niger de la fin du XIXème siècle au début de la Deuxième Guerre Mondiale, Thèse de doctorat d’état, université de Toulouse- Le Mirail, Toulouse, 1976, p. 238-260.

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Il affirme ne pas connaître leur origine et remarque leur assimilation par la langue, les costumes, les mœurs, les coutumes, etc. Un autre historien, Kimba Idrissa123, a également fourni des statistiques, des éléments sur les territoires d’origine, l’utilisation, la circulation, etc. Le troisième, Hamani124, est l’auteur de toutes les données relatives à l’Abzin (Ayar). Olivier de Sardan a publié en 1982 un essai d’encyclopédie du savoir local songhay-zarma : il est le premier à avoir donné la parole aux descendants d’esclaves, parvenant ainsi à mettre à jour ce qui est généralement absent des études sur l’esclavage en Afrique. Concernant la route lac Tchad-Tripoli, Hamit125 traite des produits échangés entre le Nord et le Sud, en particulier les esclaves, ainsi que de ses voyages d’études. Il faut relire très attentivement la récente publication de la pionnière Marguerite Lecoeur sur le Kawar126. Il convient de mentionner les deux thèses de Clare Oxby127 et de Lina Lee Brock128. La première fit ses enquêtes chez les Kel Ferwan : autant l’idée de distinguer une « sous-culture touarègue de l’esclave » et « une sous-culture touarègue du forgeron » nous semble une bonne direction de recherche dans la compréhension des rapports de domination, autant il aurait été intéressant de connaître l’histoire de deux vieilles esclaves qui parlaient encore un peu fulfulde129. Lina L. Brock s’est intéressée au groupe Tamejirt dépendant des Iwilliminden Kel Dinnig. Il nous semble qu’elle aussi nous fait progresser dans la compréhension des rapports de domination. Elle pose une question et propose une réponse : 123. Idrissa Kimba, La formation de la Colonie du Niger 1880-1902 : du Mythe à la politique du mal « nécessaire», thèse de doctorat d’état, Paris, université de Paris VII, Paris, 1987, p. 444-475. 124. Hamani 1989. 125. Hamit, p. 394-535. 126. Lecoeur Marguerite, « Les oasis du Kawar, une route, un pays : tome I, le passé précolonial », IRSH, Etudes Nigériennes, n° 54, Niamey, 1985. 127. Oxby Claire, Sexual Division and Slavery in Tuareg Community. A Study of Dependence, Ph.D. Thesis, School of Oriental and African studies, University of London, London, 1978. 128. Brock Lina Lee, The Tamejirt : Kinship and social history in a Twareg Community. PhD. Thesis, Graduate School of Arts and Sciences, Columbia University, 1984. 129. Oxby, p. 158-1599 ; p. 144. Aspects de l’esclavage au Niger

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What contributed to the apparent absence of rebellion among Tuareg captives? Part of the answer may have lain in a cultural context permeated by a « theater of power» and conjointed with parternalism. But beyond this, a significant channel for the improvement of captives conditions in Tuareg society lay in the passage from servitude in the camp of individual Tuareg masters to membership in a captive kin group (taushet), settled apart from their masters, retaining their status as eklan, but gaining control over their own social reproduction as group.130

Cette réponse sonne comme un écho à ce qu’a écrit Hamani131 à propos de l’Ayar. Au sujet de l’esclavage dans les sociétés Kel Tamajaq, l’on peut dire que la documentation est riche, variée et laisse entrevoir des possibilités d’orientation d’une éventuelle « lutte démocratique » : il faut y ajouter la nouvelle édition des Etudes sur les Touaregs de Nicolaïsen et Bernus132.

Etude à l’initiative de Timidria L’Association Timidria de Niamey a réalisé, avec l’aide de Anti Slavery - International de Londres, une étude intitulée L’esclavage au Niger : aspects historiques et juridiques. Elle vient d’être publiée133. Très bien faite, elle a permis à l’Assemblée nationale du Niger de voter une loi inscrivant dans le code pénal des incriminations de « crime d’esclavage » et de « délit d’esclavage »134. L’auteur a mis beaucoup de soin dans ce travail. La partie consacrée à « Esclavage, droit positif nigérien et droits de la personne humaine »135 est rigoureuse, très fouillée et insiste à très juste titre, sur les difficultés juridiques auxquelles se heurtera l’application de la loi. Au lieu de réfléchir aux questions soulevées, on s’est contenté d’être choqué par l’estimation du nombre total d’esclaves. Ainsi que l’étude toute récente 130. Brock, p. 146. 131. Hamani 1989, p. 311-312. 132. Nicolaïsen J. et Bernus Edmond, « Etudes sur les Touaregs », IRSH, Etudes Nigériennes n° 7 et 9, Niamey, 1982. 133. Cf. Galy. 134. Botte Roger, « Le droit contre l’esclavage », Politique Africaine n° 90, 2003, p. 129. 135. Galy, p. 101 et sq.

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de Moustapha Kadi Oummani le mentionne clairement, on aurait pu demander à l’auteur de présenter la démarche ayant abouti à un total de « 870 363 individus dont 602 250 pour la seule région de Tillabéry »136. Kadi Oummani a lui-même fait des enquêtes, en a publié137 les résultats, avant de conclure : « (…) l’essentiel est et demeure l’éradication de ce phénomène abject, même s’il ne concerne qu’une seule personne138 ». Aussi, pour se faire une opinion objective, l’on doit prendre connaissance des travaux d’Olivier de Sardan (1975, 1976, 1984) surtout pour la région de Tillabéry. En matière de statistiques, parmi les plus complètes et les plus récentes figurent celles données par Patterson139 et en particulier l’appendice C., « The Large Scale Slaves Systems140 ». De telles proportions semblent acceptables, mais là n’est pas l’aspect le plus important de l’esclavage. Pendant que nous mettions en ordre nos données personnelles, nous avons pris connaissance d’un article de Genovese, paru dans l’ouvrage L’esclave, facteur de production141. Son titre est Le traitement des esclaves dans les différents pays : problèmes d’application de la méthode comparative. Selon Genovese142 les trois sens du mot « traitement » peuvent être ainsi résumés : 1. « Conditions de vie quotidienne » : qualité et quantité de la nourriture, les vêtements, le logement, la longueur de la journée de travail, conditions générales de travail. 2. « Conditions de vie » : sécurité familiale, possibilité d’une vie religieuse et sociale indépendante, les développements culturels qui (…) peuvent avoir un effet profond sur la personnalité de l’esclave. 136. Kadi Oummani 2005, p. 219 ; Galy 2010, p. 155-158. 137. Oummani, p. 219-223. 138. Ibid., p. 228. 139. Patterson, p. 345-364. 140. Ibid., p. 554-555. 141. Mintz, 1980. 142. Genovese Eugene D., « Le traitement des esclaves dans les différents pays : problèmes d’application de la méthode comparative », in Sydney Mintz (dir.), Esclave = facteur de production : l’économie politique de l’esclavage, Dunod, Paris, 1981, p. 173. Aspects de l’esclavage au Niger

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3. « Accès à la liberté et à la citoyenneté (…) » : On voit immédiatement qu’il n’existe aucun lien organique entre cette dernière définition et la première et que la deuxième et troisième définition ne sont apparentées qu’indirectement. Nous nous arrêterons au seul thème du règne de la violence dans l’étude de Galy143. On pourrait classer les traitements depuis la privation des biens matériels jusqu’au fait de déshabiller l’esclave en famille ou le jeter dans un puits. Si, comme le laisse croire Diagne, l’esclavage européen et moyen oriental a remplacé le jonya, la recherche doit s’attaquer, écrit Genovese144 : à une autre question importante et passionnante : de quelle façon le milieu particulier des classes inférieures (et leur traitement dans chaque sens du terme) par les individus et les classes au pouvoir conditionnent-ils leur niveau de conscience, et leur appréhension du réel ? Dans quelle mesure milieu et traitement influencent-ils l’étendue et les modalités de leur volonté de révolution ?

Et il faut, grâce à des projets conjoints, sortir de l’ombre cette face cachée de notre histoire.

Conclusion L’occupation coloniale se déroula en une période très défavorable, pour les populations de l’ouest du Niger, en particulier. Selon Alpha Gado145 : Entre 1901 et 1903, dans de nombreuses localités de la boucle du Niger, la situation alimentaire était très critique. La famine qui prit le nom de « Ize Nere » (vente d’enfants) dans l’ouest du Niger a incontestablement touché une partie très importante du Sahel (...)

Dans l’Annexe 2146, il signale qu’elle s’appelle aussi Zarmaganda. Le nom « vente d’enfants » reflète l’intensité de la souffrance, car l’on avait certainement franchi le stade de la mise en gage (tolme) 143. Galy, p. 158-164. 144. Ibid., p. 181. 145. Gado, p. 43. 146. Ibid., 178.

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des neveux utérins, « woyme ize » pour vendre ses propres enfants. Nous avons également recueilli147 des informations sur la famine dite « Zarmaganda ». Nous venions de commencer nos enquêtes sur l’esclavage quand un vieillard nous parla des pillages, rapts et ventes d’enfants. La situation d’ensemble était caractérisée par les guerres intestines, les raids intra-ethniques et inter-ethniques, ce qui a facilité la colonisation. L’adoption par le Niger de la loi criminalisant l’esclavage est une étape très importante, mais les recherches doivent se poursuivre. En premier lieu, il faut retrouver le maximum de témoignages écrits par les Soudanais sur les divers aspects de l’esclavage : traités, actes, (achat, vente, héritage, affranchissement), etc. En même temps, on collectera tous les textes (poèmes, chants, rites) et toutes les manifestations culturelles des descendants d’esclaves. Un très bel exemple est Makori, or the Triumph of slaves de Nditi Ba148, chant dans lequel une esclave se jette dans un puits en flammes pour relever le défi, et « se créer un nom ». Un second exemple est illustré par les textes sur le génie « Zataw », publiés par Fatimata Mounkaila, dans son Anthologie de la littérature orale songhay-zarma.149 Ces textes nous plongent dans la mythologie songhay-zarma150. En effet, Zataw s’était fait esclave pour nourrir ses frères Dongo et Sarki : la cérémonie du yenendi, « c’est-à-dire le rituel de pluie qui, chaque année, établit un pacte de pluie et de feu entre les hommes et les dieux du ciel151 », ne se déroule qu’en présence de Dongo, « génie magistral, maître de la foudre » mais captif et de Zataw, « maître du sol », mais captif de Peul. Les témoignages des descendants de tous les acteurs doivent être également recueillis, en prenant la « voie » d’Olivier de Sardan (1976). 147. Laya Diouldé, « A l’écoute des paysans et des éleveurs du Sahel » ENDA, Environnement Africain, vol. 1, n° 2, Dakar, 1975, p. 68. 148. Bâ Nditi, « Makori or the Triumph of Slaves » in Esi Sutherland-Addy and Aminata Diaw (eds), Women writing Africa: West Africa and the Sahel, Feminist Press, University of New York, New York, 2005, p. 129-133. 149. Mounkaïla Fatimata, Anthologie de la littérature orale songhay-zarma. Saveurs Sahéliennes, L’Harmattan, Etudes Africaines, Paris, 2008, p. 193-211. 150. Rouch, 1989, p. 63-64. 151. Rouch, « Les hommes et les dieux du fleuve », Editions Artcom’, Regard d’Ethnographe, Paris, 1997, p. 264. Aspects de l’esclavage au Niger

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Ce sera une contribution politique et culturelle majeure à la renaissance africaine.

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Aspects de l’esclavage au Niger

387

Annexes

AUTEURS AYANT CONTRIBUE A CET OUVRAGE

Cissé Mamadou, socio-linguiste, faculté des Lettres et Sciences Humaines, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal

Gaye Souleymane, conservateur, département d’Islamologie, Institut fondamental d’Afrique noire, université Cheikh Anta Diop, Dakar,

Sénégal

Haidara Abdel Kader, président exécutif de l’ONG SAVAMA-DCI, Timbuktu, Mali

Hassane Moulaye, ancien directeur de MARA, HIRSH, université Abdoul Moumouni, Niamey, Niger

Laya Dioulde, socio-linguiste et historien, ancien directeur du CELTHO, Niamey, Niger

Moumouni Seyni, directeur du département de Manuscrits arabes et ajami de l’Institut de recherches en sciences humaines, université Abdoul Moumouni, Niamey, Niger

Obenga Théophile, linguiste, historien et égyptologue, professeur émérite, président de la revue d’égyptologie et d’histoire Per Ankh, auteur d’ouvrages fondamentaux sur l’Afrique, Brazzaville, République du Congo

Ould Hamody Mohamed-Said, spécialiste des manuscrits anciens africains, ancien Ambassadeur de la Mauritanie aux Nations Unies, Mauritanie

Sène Henri, professeur en sciences bibliothécaires, conservateur, bibliothèque de l’université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal

Sy Jacques Habib, Professeur en communications, Directeur, Aide Transparence, Dakar, Sénégal

Annexes

389

ENALA :

Ethiopian National Archives and Library Agency (AddisAbaba, Ethiopie)

EMML :

Ethiopian Manuscripts Microfilm Library (AddisAbaba, Ethiopie)

HMML :

Hill Museum & Manuscript Library (Collegeville, USA) ICC : International Color Consortium

IEEE :

Institute of Electrical and Electronics Engineers (NewYork, USA)

IHERI-AB : Institut des hautes études et de recherche islamique Ahmed Baba (Tombouctou, Mali) IMRS :

Institut mauritanien de (Nouakchott, Mauritanie)

ISERI :

Institut supérieur d’études et de recherches islamiques (Nouakchott, Mauritanie)

ISO :

International Organization for Standardization (Organisation internationale de normalisation) – Genève (Suisse)

MTF :

Modulation Transfer Function (Fonction de Transfert par Modulation)

OECF :

Opto-Electronic Conversion Function (Fonction de Conversion Opto-électronique)

SI :

Système d’information

TI :

Technologies de l’information

UA :

Union africaine

Unesco :

United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization – Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, Paris (France)

390

recherche

L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

scientifique

Addis Abeba Declaration on The African Manuscript Book Charters Preambule The Participants in the Conference and in the Regional Exhibition on Preserving Ancient Manuscripts in Africa that were held at the United Nations International Center in Addis Ababa from the 17th to the 19th of December 2010, ü Recalling that the decisions taken by the African States to ensure the protection of the whole of the African heritage and to enhance it for the benefit of present and future generations; ü Recalling the numerous national, sub-regional, regional and international meetings that were held during the past decades that engaged the responsibility of the States, the universities, the resource and research centers, the libraries and the holders of ancient manuscript books from Africa; ü Aware of the key importance of ancient African manuscript books to promote African cultures and of implementing strategies that are capable of ensuring their safeguard and their passing on to future generations, while acting as markers for peoples who are concerned with preserving their culture, together with the identity related thereto, and with making quality reference documents out of them for the development of their culture industries;

Annexes

391

ü Concerned with inventorying the management of the manuscript books and, more generally, of the wide variety of mediums for the transmission, the processing and the storage of thought and knowledge; ü Engaged with the African Network for the Exchange of Information and for Training regarding the Preservation of Ancient Manuscripts in Africa (AFRILIN) in fighting for a balanced and sustainable management of manuscript books by public and private libraries as well as by African museums who generally do not have any kind of expertise in preserving, inventorying, cataloguing and restoring ancient manuscript books that are more often than not in an alarming state of conservation, which contributes to the destruction of entire chapters of African historiography; ü Dismayed by the growing illicit trafficking the ancient manuscripts books are subjected to, as well as by the attitude of the former colonial powers who refuse to return the cultural goods of all kinds, notably those that testifies to the material and immaterial African cultural heritage that was plundered during the colonial occupation; ü Considering the formal commitment made by the African States in the framework of the different national, regional and international instruments aiming at ensuring the protection of manuscripts and material and immaterial cultural goods of the African people;

ü Reasserting their attachment to the promotion of African cultures and, in particular, of manuscripts as the source of African historiography and as vehicles of the rebirth of knowledge and of the development of cultural industries; Agree on the following:

392

L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

PART ONE: THE RIGHTS RELATING TO THE PROTECTION OF THE MANUSCRIPTS

Article 1 The participants in the Conference on Preserving Ancient Manuscript Books in Africa and the members of the AFRILIN network representing the experts, public and private libraries, the cultural managers and the African museums recognize the crucial importance of manuscripts as defined in this Charter and commit to encouraging, in non-prohibitive timelines, the States and institutions to take legislative and regulatory measures to protect these ancient manuscript books, to disseminate their quintessence in order to contribute to the development of African historiography, of cultural tourism and of the learnings and knowledge made available to student and scientific communities on the African continent and worldwide.

Article 2 The manuscript is what is written by hand on any medium. The present Charter defines as an ancient manuscript book any text, work, original folio or written copy or copy that is handwritten by the author himself or by professional copyists and which is a unique object in its very nature, one that is not multiplied through mechanical processes. It is defined by its medium (parchment, papyrus and paper), by the number of lines per page and of words per page, by the type of writing and by the color of the inks.

Article 3 In the present Charter, a “public document” means all the original documents, archives, parchments, manuscript books, handwritten letters, dossiers, books, brochures, journals, periodicals, maps, plans, photographs, letters, copies of letters, papers of any sort or other documents, irrespective of their form or medium, that are in the possession of a country’s ministries or governmental bodies or any municipal administration or other public office of African States; the Annexes

393

present definition also covers those documents that used to be part of the dossiers of these ministries, bodies or offices. Moreover, a “manuscript” book is defined as any work or set of loose pages but belonging to the same intellectual construction, written by hand.

Article 4 Any person holding manuscript books of a historical nature or that come under the cultural and scientific heritage of the community he comes from is entitled to the enjoyment of the full intellectual and other rights relating to these manuscripts or to their digitized copies, this in compliance with the legal, constitutional and supranational provisions relating to the protection of cultural heritage and goods that come under the category of public goods and heritage that are protected in the name of collective national and international interests which the State where the holder is a resident has the right to requisition in case of a sale.

Article 5 Any private individual that holds ancient manuscript books is entitled to assistance from the State he is a citizen of or from any other State or not-for-profit organization, provided this assistance contributes to the physical integrityof the manuscripts and to their protection as constituents of the national cultural heritage.

Article 6 Assistance from the States to the private holders of manuscripts must be provided on a non-discriminatory basis.

Article 7 The participants commit to reminding the African States of their obligations to protect the ancient manuscript books that are held in resource and research centers, public libraries and museums, notably to

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

require that these institutions have the necessary layout and systems to ensure the security and the physical integrity of the ancient manuscript books. The States are also responsible for the reinforcement of the institutional framework, through the creation of libraries and of centers that are in charge of conserving the ancient manuscript books and of disseminating their content. In this regard, the digitization of the ancient manuscript books must be made systematic to avoid the deterioration of the original and their theft.

Article 8 The States are also responsible for the reinforcement of the legal framework for the protection of manuscript books as cultural goods and to thwart their illicit trafficking, in order to subscribe to the international conventions on the protection of cultural goods. To this end, the States must set out precise legal definitions for the notions of heritage, cultural goods and property, including a legal definition for ancient manuscript books, and to bring these definitions in line with the international conventions.

Article 9 The States must be encouraged to engage in effectively and relentlessly fighting the illegal trafficking of manuscripts books and cultural goods, notably through the training of the police force, of the gendarmerie and of customs agents at the borders and within the States, and through dealing with offenders to the full extent of the law.

Article 10 African States should engage without delay in carrying out all the necessary steps with the former colonial powers to guarantee the restitution and the return to Africa of ancient manuscript books, as well as of the other cultural goods of a graphics, plastic and audio-visual nature that were looted and kept in public institutions or by private individuals thus depriving the peoples of Africa of their enjoyment.

Annexes

395

Article 11 Anyone has the right of access to the ancient manuscript books or to their digitized copies made public in compliance with the regulations in force in each country and resource institution or library as well as to the manuscripts held by privately- or family-owned libraries in compliance with the security requirements defined by the latter.

Article 12 The sale of ancient manuscript books of public interest that fall within the historical heritage and held by eligible parties is prohibited with the exception of the cases provided for by law and regulations. The manuscripts cannot be the object of lawful or unlawful sales or of transactions of a legal nature or of any other kind that aim at their migration outside of their national homes of origin. The Signatories of the present Charter encourage the States to create a “National Solidarity Fund” for the repurchase of cultural goods, notably of the ancient manuscript books, to avoid their purchase by non-national institutions or private individuals.

PART TWO: MANUSCRIPTS

THE

PRESERVING

OF

THE

Article 13 The States are encouraged to ensure that sub-regional buying groups are put in place for the inputs and tools needed for the preserving, conserving, restoring, filing and the digitization of the ancient manuscript books in order to obtain competitive purchase and sale prices and to benefit the concerned institutions as much as possible.

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L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

Article 14 To fight the deterioration of the manuscripts, sustainable ecological and environmental solutions as well as some proven traditional methods should be preferred to the abusive and indiscriminate use of pesticides and other chemical or industrial agents that are hazardous, costly and harmful to those who handle them and to the environment.

Article 15 Sustained awareness raising actions in the fields of protection, conservation and restoration should systematically be carried out with the private holders of manuscripts and the public and extended nationwide in each country.

Article 16 The participants commit to promoting the training of curators and librarians in private and public institutions with the State and the private sector, in cooperation with national and international partners, as well as the reform of the teaching of librarian science in the course of higher education by integrating subjects as essential as paleography, codicology, papyrology, the study of paper, the study of pests that are harmful to the manuscripts, the study of the chemical inputs that compose the ancient manuscripts, in other words the conventional techniques and traditional conservation and restoration methods of ancient manuscript books, the organization of a stock exchange for cultural goods and manuscripts in particular, all subjects that are not taught yet in most African university and schools for librarians.

Article 17 The conservation activities must not be decentralized to the detriment of the access to the ancient manuscript books or their digitized copies by the researchers.

Annexes

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Article 18 Wherever the ancient manuscript books are in danger, their urgent safeguard and treatment is particularly recommended both to the public authorities and to the private owners. In this perspective, the use of conventional techniques and traditional preventive conservation methods are recommended, notably fumigation and the quarterly treatment of the library rooms and of the ancient manuscript books as well as physical conservation through systematic dusting, the use of cardboard conservation boxes, etc.

Article 19 The method consisting in microfilming ancient manuscript books is preferred with the concomitant utilization of means that are nonetheless indispensable to reproduce the manuscripts on electronic aids that tend to be high-spending since they constantly need to be updated according to the latest technologies.

Article 20 The manuscripts must be the objects of systematic descriptions as recorded in appropriate cataloguing protocols.

THE DIGITIZATION OF THE MANUSCRIPTS Article 21 The States are encouraged to set up agreed decision-making mechanisms regarding the digitization of ancient manuscript books and their photocopying according to national, sub-regional and regional schemes, and, according to the formal recommendations of the National Plans for Telecommunication Infrastructures and Information Systems. Furthermore, they are encouraged to ensure that the libraries that hold ancient manuscript books have access to a sufficiently powerful

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broadband that can meet the legitimate service needs of the providers when it comes to using the worldwide web and its resources.

Article 22 The private owners of ancient manuscript books commit to cooperating fully with the States, the universities, researchers and public libraries to find concrete solutions to make operational their respective development plans. The private holders of ancient manuscript books commit to recognizing that the public scientific or cultural institutions in charge of preserving the ancient manuscript book have the right to inspect their collections, and to communicating their inventory lists as well as their catalogues to them. In return, these institutions commit to systematizing the relations of technical and scientific assistance to the private holders and to contributing to theiragents’ in-house training.

DUTIES Article 23 The curators commit to taking any measure that aims at ensuring the traceability of their collections of ancient manuscript books in a sufficiently transparent and operational manner for them to be controlled and treated as efficiently as possible.

Article 24 The curators commit to inventorying, cataloguing and digitizing the manuscripts at their disposal.

Article 25 The librarians and the families that hold ancient manuscript books commit to applying conservation and treatment measures to the Annexes

399

documents specified in this Charter, as far as their resources permit, and if need be, by resorting to private, national and/or philanthropic aid.

Article 26 The researchers, curators, holders of manuscripts and the universities commit to respecting this Charter and to make sure it is respected.

Article 25 All the concerned parties commit to promoting the involvement of women’s communities in preserving ancient manuscript books, their copies, calligraphy and the creation of artisanal objects related to the different book­related professions, or are encouraged to do so, in order to ensure an income generation that is crucial to sustainably manage the collections of ancient manuscript books.

Article 26 The Signatories of this Charter and the Representatives of the States encourage a reflection on and an agreed action with regard to the involvement of the national or international private sector to build efficient and secure bridges between museums, manuscript collections and mass and tailor-made cultural tourism which is the only way of ensuring the sustainable generation of an income that is urgently needed by all the parties concerned.

Article 27 The Signatories of this Charter commit to promoting inter-state and inter-institution cooperation with a view to sharing the information relating to the preserving, restoring, inventorying and cataloguing of the manuscripts, to their treatment, and the availability for researchers and students of the digitized copies of some manuscripts on individualized and joint Websites that are suited for scientific research.

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Article 28 The Signatories of this Charter commit to setting-up AFRILIN and to making it operational without any delay and to concomitantly create a Secretariat in charge of publishing an electronic information and analysis bulletin, to provide assistance to the member parties and the States requesting it regarding the elaboration of projects and the mobilization of funds managed transparently by the beneficiaries. Charter adopted in Addis Ababa, on the 19th of December 2010, by the stakeholders to the Conference on Preserving Ancient Manuscripts in Africa.

Stakeholders: Botswana (Prof. Mohammed Haron, Religious Studies Dept., Univ. du Botswana), Cameroon (Dr. Hamadu Adama, University of Ngaoundere; Mr. Idrissou Njoya, Fine Arts School, Yaounde), Central-African Republic (Prof. Diki-Kidiri, Researcher, LLACAN (CNRS, France), Republic of Congo (Prof. Theophile Obenga, Professor of History, Egyptology and Linguistics; Dr. DaMboa Obenga, Head of the Projects on Information Management), Côte d’Ivoire (Prof. Ndri Th. Assié Lumumba, Fellow World Academy of Art & Science; Professor, Cornell Univ., Africana Studies & Res. Centre, Ithaca, New York), Egypt (Prof. Yusef Ziedan, Director of the Manuscripts Division, Bibliotheca Alexandrina; Dr. Mohamed Yousry, Deputy Director, Bibliotheca Alexandrina; Dr. Mohamed Soliman, Deputy Director, Bibliotheca Alexandrina; Dr. Salem Abla Salam, Director, Department of Egyptian Antiquities, Ministry of Culture, Cairo; Mr. Othman Moamen, Curator, Cairo Museum), Ethiopia (Dr. Ayele Bekerie, Mekele Univ; Mr. Atkilt Assafa, Director of the Archives and of the National Libray of Ethiopia; Mr. Hailemariam , Ethiopian Cultural Institute; Mme Mamit Yilma , Director of the National Museum, Addis Ababa, Prof. Richard Pankhurst, founder of the Institute for Ethiopian Studies; Mme Rita Pankhurst, Librarian formerly at the University of Addis Ababa; Prof. Getachew Haile, Curator, Ethiopian Study Center, Regents Professor of Medieval Studies, Cataloguer of Easter Studies of Manuscripts, Professor Emeritus and MacArthur Fellow; Mr. Haile Gezae, Curator, Univ. of Mekele; Mr. Yosef Demissie, Enala; Mr. Hassen Mohamed, Linguistics Dept, Adis Annexes

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Ababa University; Mr. Demeka Berhane, Paleographer; Mr. Daniel Seifemicahel, Curator and Professor, Orthodox Church; Mr. Ahmed Adem, Enala, Addis Ababa), Kenya (Dr. Tom Olali, Department of Linguistics and Languages, Univ. of Nairobi), Mali (Mr. Abdel Kader Haidara, President Savama-dci; Prof. Hamidou Magassa, socio-linguist and consultant), Morocco (Prof. Ahmed Chaouqui Benbine, Director of the Rabat Royal Library; Mr. Mkadem Abdelhamid Boujdad, Librarian, Rabat); Mauritania (Prof. Abdel Wedoud Ould Cheikh, Univ. Paul Verlaine, Metz, France; Amb. Mohamed-Said Ould Hamody, Former Ambassador of Mauritania to the United Nations, Curator and President of the National Human Rights Organization; Mr. Jiyid Ould Abdi, Director of the IMRS; Dr. Mohamedou Mohameden Meyine, Dept. of History, University of Nouakchott; Mr. Sidi Mohamed Abidine Sidi, Curator, Library of Ouadane), Niger (Prof. Seyni Moumouni, Head of the Department of Arab Manuscripts and Ajami, IRSH, University Abdoul Moumouni, Niamey; Prof. Dioulde Laya, Historian, former Director of the Celtho, Niamey); Nigeria (Prof. G. Oluwabunmi Alegbeleye, Dean of the School for Librarians of Ibadan; Dr Kabir Chafe, Director, Arewa House, Kaduna; Dr Mahmoud Hamman, Immediate Past Director, Arewa House, Kaduna; Dr. Sule Muhammad, Director, Northern History Research Scheme of Ahmadu Bello University; Mr. Salisu Bala, Program Coordinator, Nigeria Arabic Manuscript Project; Mr. Musa S. Muhammad, Arewa House Archivist; Prof. Amidu Sanni, Lagos State University; Dr. Mukhtar Bunza, Kaduna; Dr. Adamu Abdalla Uba, Dept of Mass Communications, Bayero University, Kano), Senegal (Prof. Boubacar Barry, Coordinator of the Book Project in several volumes on regional integration in Africa ; Prof. Aboubacry Moussa Lam, History Dept., Ch. A. Diop University, Dr. Mamadou Cisse, Linguistics Professor, Cheikh Anta Diop Univ.; Ms. Nafissatou Bakhoum, Director African Cultural Goods Project, IFAN, Cheikh Anta Diop Univ.; Mr. Souleymane Gaye, Curator, Manuscripts Section, IFAN, Cheikh Anta Diop Univ.; Mr. Demba Tewe, Librarian, Islamic Institute, Dakar; Mme Yassine Fall, President, African Women Millennium Initiative; Prof. J. Habib Sy, Executive Director and Founder of Aide Transparence, Professor of Communications and Information Technologies), Tanzania (Dr. Hamdun Ibrahim Suleyman, Muslim University of Morogoro), United States (Dr. Charles Finch, MD, former Professor at Morehouse Univ., Atlanta ; Prof. Ghislaine Lydon, UCLA History Department; Mrs. Ira Revels, Librarian, Cornell University, Ithaca).

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International Conference on the Preservation of Ancient Manuscripts in Africa AFRICA (ADDIS ABABA December 17-19, 2010)

FINAL RESOLUTION ON THE PRESERVATION OF HERITAGE ARCHIVES IN AFRICA For nearly half a century, Africa has been aimlessly seeking to preserve its centuries old archives from destruction and oblivion. Internal and external investments were unfortunately unavailable to face the quadruple challenges of conservation, restoration, inventory and cataloging of Africa’s ancient manuscripts dating from 12th to 19th centuries, which represents an invaluable cultural and civilization heritage both for Africa and the world. For this reason, and undoubtedly because Africa is the continent whose needs in the codicology area still remain well below standards observed elsewhere, time has come to remove this major hurdle endangering Africa’s cultural and cognitive heritage. The International Conference on the Preservation of Ancient Manuscripts in Africa, held in Addis Ababa from 17th to 19th December 2010, is particularly important because it is taking place during Africa’s fiftieth independence anniversary and the first decade of a century marked by globalization threats and still evasive promises. Massive funding in knowledge industries dominated by transnational corporations has added to the complexity of already considerable difficulties. And everywhere one hears the same cry from Algiers to Cape Town and from Dakar to Djibouti: bread before the mind game, infrastructure before info-structure. And relegated to the status of the fifth wheel of the development coach, culture is increasingly perceived as a poor link Annexes

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to growth and prosperity. Yet, it is at the heart of an hegemonic service economy in Northern industrialized nations and at the center of global capitalist and financial activity, which represents over 53% of GDP amongst G8 countries. This means that culture is selling very well, but in Africa it is shelved away despite a recent warning from Nobel Prize economist Amartya Sen who has established with the precision of an astronomer the dialectical relationship between cultural development and economic and social development. Way before him, African voices preached in the desert and were buried in the rubble of dying but still quite destructive (under)development models. It is to mitigate the effects of impoverishment and cultural underdevelopment that this document is presented for critical review of all those still interested in preserving Africa’s ancient manuscripts and creating innovative and relevant cultural/knowledge industries based on the continent’s brilliant scientific and cultural achievements through the ages.

CREATION OF A GLOBAL FUNDING MECHANISM FOR THE PRESERVATION OF CULTURAL HERITAGE The purpose of this initiative is twofold: • To make available to existing higher education librarian sciences institutions the necessary human resources and materials for their development through training and scientific research; • To lay the foundation for a genuine division of labor and the setting up of areas of specializations to revitalize dying libraries both in the private and public sectors, as well as craftsmanship, cultural trade and tourism.

TRAINING PRIORITIES The first priority in the field of academic training in manuscripts conservation will be to safely keep for generations to come Africa’s

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ancient manuscripts through exploration, cataloguing and restoration. It may go beyond traditional thematic areas such as image processing (art history, multimedia), archival archeology, contemporary history and paleography and to broaden future African trainees’ career goals in the areas of content analysis, paleography, rare books technical care and historical analysis, calligraphy, etc. This goal may be achieved thanks to a large number of adults and young people open to utilizing digital technology applied to cultural heritage and historical research through masters degree courses, internships and short training courses tailored to small libraries’ specific needs. The trainers themselves need to rely on a body of high-level specialists, but also on Codicology Ph.D students and research assistants increasingly rare in universities in crisis. Access to training courses may be managed on a competitive basis so as to allow an optimal level of highly skilled students. In order to be sustainable over time, these training centers may use existing facilities, rely on internal expertise wherever possible and be coordinated by a light coordinating mechanism based in an institution with solid expertise and high concentration of rare manuscripts. Sustainability may also be maintained through a reasonable number of competitive scholarship grants and other government and private sector sponsored grants. During their tenure, students will be able to assist existing libraries through paid internships once they will have completed their assignments. Museum, architectural and archaeological heritage trainees may as well fill vacant teaching positions in universities, schools of Fine Arts, Architecture and Librarian Sciences or other research institutions. It is from this point of view and the necessity to producing highly trained and skilled workforce mostly available outside but not inside of Africa that the creation of these centers may be seen as a sine qua non for Africa to face its huge responsibilities in this particular knowledge area. In addition, it may bring an end to the pitfalls of outward oriented and inadequate training often seen in most of Africa’s libraries and museums. The recruitment of foreign students wishing to specialize in Africa may open fresh avenues and may be encouraged in view of the devastating effects of seclusion and cultural autarchy. This may be enhanced by Annexes

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inter-university agreements through which several courses especially in paleography and archival cultural heritage may be open to international and African graduate students pursuing Master of Arts degrees in History.

REGIONAL CONCENTRATION

AND

SUB-REGIONAL

The training program described will have a twofold focus: regional and sub­regional. • Regional Focus. An institution of higher education with a regional focus may serve as a link for the validation of educational programs (M.A; Ph.D) and acceptance of diplomas awarded according to recognized regional and international standards. • Sub-regional Focus. Given Africa’s large territorial size and its linguistic diversity, it may be preferable and less complicated, to create 3 academic training centers covering co-hosted by libraries with a high concentration of rare manuscripts collections and universities with Library Sciences Departments: 1/ Francophone Northern, Western and Central Africa; 2/ Anglophone Western and North Eastern Africa and; 3/ Anglophone Horn of Africa, Eastern and Southern Africa. The identification of specific criteria and objectives will undoubtedly help to make a judicious choice between these institutions, and to choose the most suitable to house these long-term training programs based on national and sub-regional consultations. The sub-regional outreach of institutions listed above will enable African and international students access to in-depth interdisciplinary and comparative studies especially in their areas of focus. It is hoped that CAMES will validate the programs and approve courses taught through competitions and competitive processes that will allow professors to advance in grade similarly to their colleagues in other disciplines.

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International instructors may be authorized and assisted to spend short sabbatical periods and to discuss their research results through publications and conferences in different cities or universities. Continuing education may be designed according to private libraries’ needs, libraries that are mostly in charge of ancient manuscript collections. Special sessions will allow people in need of furthering their analytical skills in history whether as beginners or senior students to study subjects such as paleography or learning how to explore and analyze heritage objects such as handwritten books and ancient photos. These seminars will be held in evenings or on Saturdays. Several of the Master degree courses included in the paleography classes will be assessed by independent assessors as part of a continuing education package supported by the employer. Specifically designed training courses may also be organized to meet the particular training needs of public and private sectors.

The following disciplines may be covered: Sources of ancient history and period of great Empires in Africa: Berber, Ethiopian, Egyptian and other African cultural zones’ paleography; archival science and diplomatic relations; ancient African languages and writing systems; history of civil and canonical law; archeology; art history from great empires period to the XIXth century; etc. Sources of modern and contemporary history: African paleography; archival studies and diplomacy; history of institutions; history and companies’ archival records; oral surveys; media history; history of technology; history of art. • Manuscripts and literature of great empires era: paleography; codicology; illuminated manuscripts and medieval iconography; literary texts from early periods; African philology.

Annexes

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• Printed books and the media: history of the printed book in modern times; history of contemporary publishing; modern and contemporary photography; audio-visual sources. • History of art and archeology: arts from great empires era to contemporary period; history of printmaking; archeology; illuminated manuscripts and medieval iconography. • Digital technology in archives, libraries and museums: cataloging; structuring data; electronic publications; digital documents and scanning procedures; design and production of electronic teaching tools. • Digital technology and research: statistical research; mapping and geographic information systems; digital processing; and electronic metrology.

SCIENTIFIC PRIORITIES • Principles of restoration of rare manuscripts • Practice of and schools of thoughts on cataloguing Transdisciplinary, polydisciplinary and comparative studies • Critical analysis, operation and interpretation of historical sources (written, graphic, audio, animation, archaeological, artistic or monumental sources) with an emphasis on methodology, production of reference instruments and the critical editing of sources, from the great empires era to modern times. • Views on the constitution, conservation and transmission of heritage culture, which led to the production of hand made and handwritten books and archival documents or monuments not only as objects of professional practice, but as memorial sites.

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RESEARCH AND PUBLICATIONS Publication of theses or conference proceedings and journals. Publication of methodology in auxiliary sciences, bibliographies, collections of documents or editing source documents. • Webliography and maintenance of state-of-the-art website using multimedia and satellite technologies. • Instructors and students’ research results such as theses and dissertations will be published in the Institute’s website and kept in databases and catalogs.

TRAINING CENTRES’ LIBRARIES One of the most important criteria for selecting sub-regional training centers will be their capacity to host an already existing functional library well endowed with rich old and modern archival and modern books, documents and ancient manuscripts. During the first 5 years, the libraries acquisitions may be strengthened so that they will be closely related to training centers’ research and teaching activities as well as promoting income generating activities and fund raising campaigns carried out by retired professionals and librarians. The classification of these libraries may accurately reflect subjects taught: bibliography, palaeography and codicology, sources of African history, philology of African languages, Latin and Romance languages, history of law and archeology. The classification will be mainly focused on the ancient and medieval periods as well as on sources related to the history of Africa’s main cultural cradles. In addition, without pretending to compete with other highly specialized libraries, these training centers’ libraries may provide to their students and instructors and authorized readers the main tools and materials commonly used in modern librarianship. Annexes

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The future training centers to be created may be public institutions with a scientific, cultural and professional status and may be entrusted in the medium to long terms with the same status than larger institutions. Managed by a Director but overseen by a Board of Directors and a Scientific Council, these training centers may be conceived as institutions with optimal operationality fully capable of integrating risks factors in their workload and avoid errors that have crippled most African institutions in a recent past.

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Addis Ababa, 19 December 2010

Final Report International Conference on the Preservation of Ancient Manuscripts in Africa (United Nations Conference Center, Addis Ababa, 17-19 December 2010) The International Conference on the Preservation of Ancient Manuscripts in Africa took place in Addis Ababa from December 17th to 19th 2010 at the United Nations International Conference Center. The meeting was coordinated by Aid Transparency and organized in co-operation with Africa’s main Librarian Associations and Experts, the Government of the Federal Democratic Republic of Ethiopia, thanks to a generous financial support of The Ford Foundation, and with the technical support of the Office of the Minister of Culture and Tourism of Ethiopia, the Ethiopian Agency of National Archives and Library (Enala), the United Nations Economic Commission for Africa and the United Nations Conference Center in Addis Ababa. The Conference brought together the delegations of the following countries: Botswana, Cameroun, Congo, Egypt, Ethiopia, France, Great Britain, Kenya, Mali, Mauritania, Morocco, Niger, Nigeria, Senegal, South Africa, Tanzania, Uganda and the United States of America.

Annexes

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I. Keynote Speakers

Keynote speakers were as follows: Mr. Abdel Kader Haidara, President, Savama-Dci, Mali; Ambassador Mohamed Said Ould Hamody, Professor Emeritus Theophile Obenga; Prof. Andreas Eshete, President, Addis Ababa University; H.E., Mr. Amin Abdoulkadir, Minister of Culture and Tourism H.E., Professor Hailemariam Desalegn, Deputy Prime Minister and Minister of Foreign Affairs. Speeches dealt mostly with the historical role played by ancient book manuscripts in furthering Africa’s cognitive heritage, their transmission to present and future generations and threats facing them. Prof. Theophile Obenga delivered his keynote speech on the history of writing, the anteriority of Africa’s writing systems, African writing systems’ influence on various civilizations and their unparalleled and lasting impact on world civilizations. Following the opening ceremony, the Deputy Prime Minister and Minister of Foreign Affairs of Ethiopia, the Minister of Culture and Tourism of Ethiopia and several personalities and members of the diplomatic community in Addis Ababa and Conference participants inaugurated an Exhibition on Africa’s Writing Systems and Graphic Signs From Antiquity to the XIXth Century in the exhibition area of the United Nations International Conference Center. A sample of original ancient manuscript books (14th to 19th century) from Egypt, Ethiopia, Mali, Mauritania, Nigeria, Senegal and specimens of ancient manuscripts and an iconography of South Africa, Egypt, Ethiopia, Libya, Mali, Mauritania, Nigeria and Senegal were presented. The Conference closing ceremony was chaired by H.E., Mr. Girma Wolde Giorgis, President of the Federal Democratic Republic of

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Ethiopia, in presence of the Minister of Culture and Tourism, Mr. Amin Abdulkadir, the diplomatic corps representatives and international organizations, the Librarian Associations and research institutions Representatives, the staff of Aid Transparency and participants.

Speakers were: Dr. J. Habib Sy, Director of Aid Transparency Senegal H.E., Mr. Amin Abdoulkadir, Minister of Culture and Tourism H.E., Mr. Girma Wolde Georgis, President of the Republic. The speeches related to the assessment of the Conference and the prospects for the preservation and development of ancient manuscripts in Africa. The delivery of honorary diplomas to personalities and institutions, as a testimony of satisfaction of Africa for their efforts in the safeguarding of ancient manuscripts, put an end to this ceremony. II . Proceedings After the opening session, three panels were organized on December 17th, 2010. They related to: 1. Radioscopy of ancient manuscripts: challenges of collection and preservation 2. Research in history and written systems through African ancient manuscripts 3. Strategies for preserving ancient manuscripts of Africa. The papers of the keynote speakers and the various discussions were th debated at the two plenary sessions of December 17th and 18 , 2010. During these sessions, which proceeded in the form of a roundtable, the papers and discussions converged, in a recurring fashion, towards six main axes of reflection relating to the following points: 1 The role of the State as a legislator in the safeguard of ancient manuscripts; Annexes

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2 Training of professionals and centers concerned; 3 Collection and on-line dissemination of the contents of ancient manuscripts as information sources for research and teaching; 4 The contribution of ancient manuscripts in the rehabilitation of African languages and the cultures which they convey, as well as knowledge related to them, so as to promote the development of the African continent; 5 Co-operation of the institutions in charge of preserving ancient manuscripts and the relevant networks of professionals; 6 The need for highlighting the historical contribution of African women in authoring key texts and literature in Africa’s ancient manuscripts. With regard to the first item, it reiterates and summarizes the concerns of professionals and researchers as to the institutional limits in the safeguard of ancient manuscripts. In this respect, while the need for legislation and regulation were highlighted, it was underscored that they would be without effect in the absence of a political will to implement them. Three projects representing a cross-section of views that were presented in different papers deal with Africa’s outstanding training issues in the areas of manuscripts conservation, analysis and restauration. Projects on the creation of sub-regional manuscripts restauration and preservation training centers were presented by Savama-Dci (Timbuktu, Mali) for a coverage of West African francophone needs while the President of Addis Ababa University presented the case for a training centre covering restauration and preservation needs in East Africa. Arewa House (Kaduna, Nigeria) proposed the setting up of a training center covering anglophone West Africa in the areas of codicology, preservation, restoration and documentation of rare African manuscripts. These three projects whose objectives are complementary, especially given the scarcity of the training centers in Sub-Saharan Africa, were thoroughly discussed. Strong recommendations were made stressing the complementarity of these projects and calling for research and librarian institutions to fully cooperate for the achievement of their respective strategic goals and action plans. The geographical and linguistic distribution of these projects covering African countries using English, French and Amharic as official languages made all these projects even

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more appealing and complementary. The Alexandrina Library (Egypt) suggested to host short yearly training sessions targeting small groups of African trainees depending on the availability of financial resources. Participants in Panel # 3 stressed the importance of content analyzing Africa’s old manuscripts in view of revisiting old paradigms and bringing new evidence on historical, social and political trends between the earliest stages in antiquity and the XIXth century. Emphasis was also placed on the utilization of communication and information technologies. It was also recognized that electronic and digital information capturing and dissemination were essential in ensuring that adequate metadata, manuscripts digitalization and the like can allow researchers and decision takers to have speedy and optimal access to Africa’s written treasures not only to the benefit of African researchers but indeed on regional and international scales. Participants also recognized the vital necessity to train Africans in the linguistic areas covered by ancient manuscripts and using Africa’s major lingua franca such as Hausa, Yoruba, Fulfulde, Soninke, Hassanya, Berber, Wolof, Swahili, Arabic, etc. Panel # 2 placed emphasis on the normative value of ancient manuscripts in the rehabilitation of African languages and the cultures, which they convey, as well as the knowledge related to them so as to promote development. Key papers presented new evidence on African writing systems, literature and scientific achievements in a movement that predated all the other writing systems including Mesopotamia. Professor Theophile Obenga strongly suggested in his main keynote address and in panel discussions that Africa is the cradle of humankind and the cradle of writing. Several historians, linguists and sociologists supported this paradigm shift and brought new evidence in several parts of Africa. These views were completed by a holistic approach positing that Africa should emphasize the study of its languages and writing systems and use such a knowledge in present development processes and in view of boosting Africa’s scientific and technological sectors. Discussions related to inter-institutional cooperation between libraries holding important collections of ancient manuscripts in Africa and between relevant professional networks dealt with Africa’s high expectations on the successful launching of AFRILIN, the African Annexes

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Network for Learning and Information Exchange in the area of Manuscript Preservation in Africa at this conference. AFRILIN is about training and knowledge sharing between private and public libraries and museums dealing with old manuscripts in Africa. It was suggested that these institutions do not often have the expertise to preserve, restore, inventory and catalog ancient manuscripts. In that perspective, AFRILIN was seen by several participants as a major mechanism and tool for social mobilization amongst private manuscripts owners as well as a forum for keeping track of endangered manuscripts and seeking ways to preserve them in a sustainable manner as full components of Africa’s cultural and intellectual heritage. It was also suggested to maintain connections between training centers, museums and research institutions on ancient manuscripts and between high schools, universities and student populations. A strong gender dimension on the study of ancient manuscripts was accepted by a sizable number of participants as an area of research worthy of being further investigated upon. It was indeed recognized that African women played a vital role in writing, calligraphy, literature, religion and scientific discourse. Participants stressed the need to recognize the outstanding contribution of African women in Africa’s heritage literature including in shaping Africa’s cognitive heritage as well as the mastery of political and sacerdotal power. Cultural property rights were also discussed. It was felt that African audiences were not well informed on the immense treasures they have at hand with ancient manuscripts of great value to humankind. Participants underlined the pressing need for creating restoration laboratories and to undertake more vigorously codicological studies of these ancient manuscripts. Finally, several contributions held that this International Conference on the Preservation of Ancient Manuscripts in Africa was a major step forward in rasing regional and global awareness on the importance of ancient manuscripts as a corpus of knowledge in all fields of thoughts and the urgent necessity to preserve them from being destroyed or mishandled with fatal consequences. In his closing remarks, Prof. Théophile Obenga stated that the Addis Ababa Conference was the starting point for a robust promotion of ancient manuscripts in Africa

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along with similar efforts that were made in the areas of arts, literature and oral tradition. In a final plenary session, participants endorsed the following recommandations and road map:

Recommendations: During the Conference, it seemed essential to the participants, affiliated to university institutions and research centers, as well as various associations of librarians, to define broadly a strategic framework that would take account of all ancient manuscripts preservation, analysis, promotion and restoration issues. Specific recommendations were brought to the attention of States, intergovernmental and nongovernmental organizations, public and private institutions, as well as Librarians. Five fundamental points were stressed as follows: 1. Providing opportunities for institutional strengthening and growth through the creation and equipment of libraries and manuscripts restoration centers and the launching of an African Institute of Codicology; 2. Reinforcing existing national and supra-national legal frameworks for protecting cultural properties in general and ancient manuscripts in particular and resolutely fighting ancient manuscripts and cultural treasures illicit and illegal trafficking; 3. Joining international conventions on the protection of cultural property; 4. Disseminating the content of ancient manuscripts and exhibiting them in order to ascertain Africa’s outstanding contribution to universal civilization and more specifically to writing, arts, science and literature; 5. Accelerating the training of professionals for preserving ancient manuscripts, furthering the aims of codicological methodology and science as well as key ethical values attached to librarianship. Annexes

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On the basis of these points and Ø Considering the importance of ancient manuscripts as elements of African cultural and intellectual heritage; Ø Aware of their fundamental role in knowing Africa’s past and the depth of its knowledge in all fields; Ø Convinced of the massive threats weighing on African ancient manuscripts, particularly the risks associated with their rapid deterioration due to entropic, environmental and illicit trafficking factors; Ø Knowing that any ancient manuscript is unique; Ø Considering that any theft or disappearance of an ancient manuscript constitutes an irreversible loss for Africa and universal cultural and intellectual heritage; Participants recommended:

I/ To African States: 1. To create libraries and resource centers in charge of preserving ancient manuscripts and disseminating their content; 2. To associate curators of ancient manuscripts to the architectural design of these libraries and resource centers; 3. To give more significance to ancient manuscripts in training, educational, scientific, cultural and documentary research programs; 4. To promote awareness raising of populations, especially ancient manuscripts owners on their importance as cultural property and reference documents on the past and knowledge of Africa; 5. To introduce studies of ancient manuscripts in higher education, librarian training and museum professional programs; 6. To conduct national inventories of ancient manuscripts and use them as official legal documents for tracing cultural archives;

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7. To encourage the private and family-owned libraries possessing manuscripts to follow suit and to send the lists of their inventory to national libraries and research centres; 8. To adopt and enforce adequate legislation and regulations for the protection of ancient manuscripts; 9. To establish precise legal definitions of the notions of heritage, cultural goods and property, including a legal definition of ancient manuscripts, and to harmonize such definitions with international conventions; 10. To harmonize the methods for fighting against illicit trafficking of cultural property, ancient manuscripts in particular, at international, regional and sub­regional levels; 11. To sign and ratify the international conventions for the protection of cultural property and the fight against the trafficking of such property; 12. To establish and disseminate red lists of threatened and coveted ancient manuscripts; 13. To create a “National Solidarity Fund” for the purchasing of cultural property, notably ancient manuscripts, to avoid their massive evasion outside of Africa by more powerful institutions and individuals; 14. To collaborate more closely with the international organizations that contribute to the protection of cultural property, such as UNESCO, ISESCO, International Council of Museums (ICOM), INTERPOL, World Customs Organization (WCO), etc.; 15. To develop relations of cooperation and exchange between their various research institutions; 16. To organize ancient manuscripts exhibitions at national, sub-regional, regional and international levels, in order to illustrate the historical contribution of Africa, notably its sub-Saharan part, to universal intellectual heritage; 17. To ensure the systematic establishment, in public and private institutions holding ancient manuscript collections of safety standards and protocols relative to cataloguing, preservation, restoration, humidity, theft, pests, fire and water damages;

Annexes

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18. To promote the preservation and the exhibition of ancient manuscripts in museums as cultural properties representative of the African cultural and intellectual heritage.

II/ To intergovernmental organizations:

and

nongovernmental

1. To organize an international conference in order to standardize the terminology of ancient manuscript sciences and to publish its proceedings; 2. To promote training programs for librarians and preservation professionals; 3. To strengthen financial, scientific and technical support to African public and private institutions preserving manuscripts and disseminating their content; 4. To organize regional meetings on the protection of ancient manuscripts and the fight against their illicit trafficking; 5. To elaborate and disseminate a manual to help the States fight efficiently against the illicit trafficking of cultural property; 6. To elaborate and disseminate a manual to help public and private institutions in charge of preserving ancient manuscripts systematically establish and enforce the safety and protocol standards related to humidity, theft, pests, fire and water damages.

III/ To the public institutions in charge of preserving ancient manuscripts: 1. To systematically digitize their ancient manuscript collections and disseminate these documents through electronic media for their use by teachers, researchers and students, as well as to deter illicit trafficking; 2. To include theses and dissertations in public and private libraries’ catalogues in cooperation with universities; 3. To institutionalize technical and scientific support to public and private libraries holding ancient manuscripts; 4. To contribute to in-house training of Librarians;

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5. To create and ensure the enforcement of codes of ethics by Librarians and staff responsible for managing ancient manuscripts collections; 6. To systematically notify Interpol in the event an ancient manuscript or its sheets have disappeared; 7. To systematically establish in their institutions safety standards relating to humidity, theft, pests, fire and water damages;

IV/ To private and family institutions holding ancient manuscripts: 1. To recognize that the public scientific or cultural institutions in charge of preserving ancient manuscripts have the right to inspect private collections, and have private owners communicate their inventory lists as well as their catalogues to such institutions; 2. To develop relations of cooperation, training and technical and scientific support with these institutions, particularly for inventory and cataloguing purposes; 3. To digitize their collections of ancient manuscripts and disseminate these documents through electronic media for their best use by teachers, researchers and students, and to deter illicit trafficking; 4. To offer thesis and dissertation topics from their catalogue of ancient manuscripts, in collaboration with universities; To promote ancient manuscripts exhibitions at national, sub-regional, regional and international levels; 5. To create and ensure the enforcement of ethical rules by the agents in charge of their preservation; 6. To systematically notify Interpol in case an ancient manuscript or its sheets have disappeared; 7. To systematically establish in their institutions safety standards relative to humidity, the fight against theft, pests, fire and water damages; 8. To ensure the enforcement of safety standards relating to humidity, theft, pests, fire and water damages.

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V/ To professional librarians preserving ancient manuscripts: 1. To adopt and disseminate a “code of ethics for the profession of ancient manuscript curators”; 2. To ensure the systematic enforcement of the rules of ethics in their work; 3. To ensure the systematic enforcement of the safety instructions relative to humidity, theft, pests, fire and water damages.

Addis Ababa, 19 December 2010.

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Index A acquisition 155, 156, 201, 285, 296, 297, 376, 377 administration 161, 164, 183, 214, 215, 231, 233, 234, 280, 290, 304, 306, 359, 360, 396 administration coloniale 164, 183, 214, 231, 233, 234, 290, 304, 305 Afrique précoloniale 340, 341 Ahmed Baba xvi, xxi, xxviii, 75, 145, 147, 148, 150, 151, 159, 173, 176, 181, 182, 183, 187, 188, 198, 203, 215, 217,

369, 393 ajami xiv, xxv, xxvii, 180, 186, 204, 209, 210, 211, 213, 214, 215, 216, 217, 219, 220, 222, 223, 224, 225, 226, 230, 231, 235, 270, 274, 276, 277, 278, 279, 280, 282, 283, 285, 286, 293, 298, 300, 304, 305, 306, 307, 337, 362 Almoravide 189 alphabet xxvi, 66, 105, 177, 178, 276, 294, 306, 342 archivage 274

B bibliothèque Fondo Kati xxi

privée 184, 295, 299

Bibliothèque nationale xxv, xxvi, xxviii biographie 145, 187, 200, 245, 246, 248, 249, 257, 258, 300, 301

Boubou Hama 180, 294, 295, 371, 376

C captif 170, 381 Carte xxiv, 255, 256, 257, 271 catalogage xxviii, 193, 194, 195, 204, 231, 282, 294, 299 catalogue 104, 194, 212, 232, 269, 424 Centre de documentation et de recherche Ahmed Baba (CEDRAB) xxii, 369 privée xxviii

voir aussi Institut des hautes études et de recherches islamiques Ahmed Baba (IHERIAB) collecte 193, 195, 214, 215, 219, 220, 226, 231, 274, 295, 297 collection xiv, xxv, xxvii, xxviii, 151, 154, 180, 181, 187, 270, 272, 273, 274, 275, 277, 281, 282, 285 voir aussi bibliothèque publique 180 Index

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colon xiv, xvi, 237

commentaire 187, 298, 299, 300, 369

colonie 155, 164, 165, 170, 279

commerçant 197, 223

colonisateur 305

commerce xv, 144, 151, 153, 154, 164, 165, 168, 169, 170, 174, 175, 181, 183, 210, 214, 215, 223, 224, 271, 272, 273, 340, 345, 346, 347, 352, 353, 354, 357, 358, 359, 363, 368, 386 272, 273, 340, 345, 346, 347, 352, 353, 354, 357, 358, 359, 363, 368, 386 transsaharien xv, 144, 151, 153, 154, 164, 165, 168, 169, 170, 174, 175, 181, 183, 210, 214, 215, 223, 224, 271, 272, 273, 340, 345, 346, 347, 352, 353, 354, 357, 358, 359, 363, 368, 386

colonisation xvii, 179, 196, 197, 272, 289, 290, 291, 338, 339, 341, 343, 364, 381 caravanier xv, 144, 151, 153, 154, 164, 165, 168, 169, 170, 174, 175, 181, 183, 210, 214, 215, 223, 224, 271, 272, 273, 340, 345, 346, 347, 352, 353, 354, 357, 358, 359, 363, 368, 386 du livre xv, 144, 151, 153, 154, 164, 165, 168, 169, 170, 174, 175, 181, 183, 210, 214, 215, 223, 224, 271, confrérie 160, 183, 201, 209, 219, 221, 289 copiste 163, 164, 246, 247, 248, 249, 250, 251, 252, 253, 254, 257, 258, 260, 262, 263, 264, 265, 266, 299, 314, 315 Coran xiv, 157, 158, 159, 160, 161, 162,

170, 171, 178, 181, 191, 210, 214, 218, 236, 253, 263, 274, 277, 286, 288, 290, 291, 300, 301, 302, 303, 304, 306, 307, 312, 316, 319 Voir aussi Lettres correspondance 160, 166, 167, 168, 169, 180, 181, 232, 241, 269

D Djenné 146, 148, 150, 151, 182, 219, 242, 243, 244, 289, 343 islamique 145, 157, 161, 191, 261, 262

droit musulman 149, 161, 162, 178, 250, 261

E échanges commerciaux 168, 224 école coranique 289 écoles coraniques 157, 158, 217, 219, 304, écoles coraniques Voir aussi Medersas écriture hiéroglyphique du Ghana 151, 200

424

Voir aussi Enseignement

306 Voir aussi Hiéroglyphe empire du Mali 289

L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

encre 161, 233, 234, 274, 299, 301, 302 enseignement xix, 140, 148, 149, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 163, 166, 213, 218, 220, 227, 230, 236, 276, 280, 289, 302, 304, 305, 306 esclavage 340, 341, 342, 343, 344, 348, 350, 352, 356, 357, 363, 364, 365, 368,

371, 375, 376, 377, 378, 379, 380, 381, 383, 384, 385, 386, 387, 388 esclavagiste 343, 364 esclave 264, 343, 344, 352, 363, 369, 370, 372, 377, 379, 380, 381 Es-Sa’adi Abderhamane 182, 242, 271

F fatwa 186, 314, 356

fiqh 148, 178, 181, 191, 276, 291, 301

G gé’éz xvii, xxv graphie arabe 124, 143, 156, 212, 217, 218,

Voir aussi Systèmes Graphiques, Signes graphiques 286

H Habott 184, 185

I IHERIAB (Institut des hautes études et de recherches islamiques Ahmed Baba) xvi, xxi, 188, 369 immigration 272, 352 Voir aussi Migration imprimé 192, 193 imprimerie 159, 161, 162, 164 IMRS Consulter particulièrement les chapitres

11 et 12 IMRS (Institut mauritanien pour la recherche scientifique) xv, 184, 190, 192, 193, 194, 203, 393, 405 Institut français d’Afrique noire (IFAN) xiv, 61, 116, 161, 175, 179, 191, 232, 269, 296, 386 Consulter particulièrement le chapitre 7 islamisation 140, 155, 156, 166, 168, 177, 209, 289, 338, 362

J Jean-Léon l’Africain 181 jurisprudence 158, 160, 191, 197, 248,

263, 264, 276, 291, 300, 302, 303, 304, 313 Voir aussi Droit musulman

K Kanem Bornou 289

Consulter particulièrement le chapitre10 Index

425

L lettré 161, 196, 201, 294, 372

M méroïtique 102

Musée xx, xxv

migration 341, 386, 399

N néolithique xiv, 45 Niger xx, xxvii, 62, 143, 146, 147, 150, 151, 153, 158, 180, 181, 182, 185, 186, 198, 200, 206, 218, 219, 226, 227, 228, 234, 235, 242, 256, 257, 273, 274, 280, 286, 290, 294, 295, 296, 297, 302, 306, 307, 308, 309, 310, 311, 312, 315, 316,

317, 321, 330, 331, 332, 335, 338, 340, 341, 344, 345, 351, 362, 363, 414, 374, 375, 376, 377, 378, 380, 381, 384, 385, 386, 389, 405, 415 numérisation 195, 204, 239, 240, 336 Consulter particulièrement le chapitre 22

O l’or 123, 144, 152, 153, 168, 169, 170, 271, 346, 355, 358 oralité xviii, 157, 211, 214, 274

Voir aussi Tradition orale ouléma 182 Voir uléma

P paléographie 112, 178 papier xxvi, 140, 142, 143, 145, 152, 153, 155, 157, 158, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 171, 224, 233, 237, 238, 275, 282, 286, 299, 308, 310, 311, 312, 313, filigrané xxvi papyrus xviii, 233, 237, 396 parchemin 233

314, 315, 317, 318, 319, 320, 321, 322, 323, 324, 325, 326, 327, 328, 329, 330, 331, 332, 333, 334, 335, 336, 391 consulter particulièrement les chapitres 4 et 12 poésie 156, 161, 162, 199, 214, 235, 276, 300, 301, 303, 316

R reliure 164, 336 restauration xxii, 195, 231, 237, 238,

426

240, 326, 336, 417 consulter particulièrement le chapitre 12

L’Afrique, berceau de l’écriture et ses manuscrits en péril

S Sankoré xxvi, 148, 219, 243, 276 consulter particulièrement le chapitre 15

sel 144, 169, 170, 182, 224, 349, 355, 358, 359

sauvegarde v, 191, 192, 194, 195, 238, 240, 270, 285 consulter particulièrement le chapitre 12

signe Voir aussi Système graphique

SAVAMA-DCI xix, xxi, 391

Sultan Njoya consulter particulièrement le chapitre 21

scribe 274

système

scripturaire xiii, xviii graphique 208, 209 hiéroglyphique

Voir Hiéroglyphe

T Tarikh el-Fettach 61, 242, 243, 244 tradition orale 185, 274, 293, 345 Voir aussi Oralité la traite 169, 224, 340, 341, 347, 348,

Es-Soudan 149 363, 367, 368, 386 traité 169, 180, 189, 191, 243, 254, 298, 299, 300, 313, 315, 337

U uléma Voir aussi Lettré de Sankoré Voir chapitre 5 du Ghana (Legon) 160, 273, 275, 277, Université Cheikh Anta Diop (UCAD) 122, 252,

université 281, 282, 285 consulter particulièrement le chapitre 8 365

V vaï 206

Index

427

Achevé d’imprimer par Corlet Numérique - 14110 Condé-sur-Noireau N° d’Imprimeur : 111962 - Dépôt légal : octobre 2014 - Imprimé en France

Cel i v r ec ol l ec t i f ét a bl i ts a nsc ompl a i s a nc el ac ont r i but i ondel ’ Af r i queda nsl ’ i nv ent i ondel ’ éc r i t ur eets a domes t i c a t i ons url al onguedur ée , a ubénéc edupr ogr èss c i ent iqueett ec hnol ogi que . L at r a j ec t oi r e a f r i c a i neda nsc edoma i nees ta bor déed’ unqua dr upl epoi ntdev ue: 1/Àt r a v er sl al onguec ha î ned’ i nnov a t i onsetd’ i nv ent i onsquiontj a l onnél apr éhi s t oi r eetl ’ hi s t oi r e , quel l ees tl ac i v i l i s a t i onqui , l apr emi èr e , ai nv ent él ’ éc r i t ur e? 2/L ’ Af r i que ,t er r ed’ or a l i t é ,e x c l us i v ement ,et / oud’ éc r i t ur e ,oul esdeuxàl af oi s ,et ,dur a ntquel l es pér i odes? 3/Da nsquel ét a ts et r ouv entl esc ol l ec t i onsdema nus c r i t sa nc i ensduc ont i nenta f r i c a i n, et , c omment l espr és er v erdel adégr a da t i one x t r êmequil esdét r ui ti ne x or a bl ement ,f a i s a nta i ns ic our i r ,a ux génér a t i onsf ut ur es , l er i s quedeper dr el eurhér i t a ges c r i pt ur a i r eetl i t t ér a i r e? 4/Quel ss ontl esenj euxgéos t r a t égi quesetc ul t ur el sl i ésàl ' e x pl oi t a t i ondesma nus c r i t sa nc i ens a f r i c a i nsda nsl esdoma i nesdel ' éduc a t i on,del ar ec her c hehi s t or i ogr a phi que ,a nt hr opol ogi que , pa l éogr a phi queetc odi c ol ogi queet , pl usgénér a l ement , despr ogr èss c i ent iquesett ec hnol ogi ques a ubénéc edespeupl esa f r i c a i ns? F a c ea uxa s s a ut sr épét ésdel ’ hi s t or i ogr a phi edomi na nt e , c etouv r a ger ét a bl i tl ’ Af r i queda nss esdr oi t s , etmont r e , s url aba s edef a i t shi s t or i quesets c i ent iquesa t t es t és , qu’ el l ees tl eber c ea udel ’ éc r i t ur e , et quel ’ a bonda nt el i t t ér a t ur eetl esnombr euxs y s t èmesd’ éc r i t ur el éguéspa rs ess a v a nt sda nst ousl es doma i nes( a s t r onomi e ,hi s t oi r e ,a r c hi t ec t ur e ,dr oi t ,pha r ma c opée ,médec i ne ,c hi r ur gi e ,i r r i ga t i on, ma t héma t i ques , géomét r i e , t r i gonomét r i e , a r t s , l i t t ér a t ur e , poés i e , a r t sdéc or a t i f s ,s c ul pt ur e , et c )àl a pos t ér i t és ontunpr éc i euxhér i t a gepourt ous . Cel i v r e ,endeuxv ol umes ,es tunc r id’ a l a r medel ’ Af r i quepourév ei l l ers esdi r i gea nt s ,l emondeet l ’ huma ni t ét out eent i èr e , àl anéc es s i t édes a uv erl esma nus c r i t senpér i l del ’ Af r i que , etdel est i r erde l ’ oubl ietdel ’ a ba ndon.Unv i br a ntpl a i doy erdesc her c heur s ,desbi bl i ot héc a i r esetdespr eneur sde déc i s i onAf r i c a i nsr éuni sàAddi sAbéba( 1719Déc embr e2010)pr opos edess ol ut i onsc onc r èt eset r éa l i s t esdec ons er v a t i ondest r és or sma nus c r i t sa f r i c a i nsqui s ontpa r t i ei nt égr a nt eetl ’ undesma i l l ons es s ent i el sdupa t r i moi nec ul t ur el del ’ huma ni t é . L epr emi erv ol umeat r a i tàl ’ év ol ut i onhi s t or i quedel ’ Af r i quedupoi ntdev ues c r i pt ur a i r e , etàl ’ e x a men desc ol l ec t i onse x i s t a nt esdema nus c r i t sa nc i ens , pl uspa r t i c ul i èr ementenAf r i quedel ’ oues t , duc ent r e etdunor d,pr i nc i pa uxba s t i onsdel ’ a r ts c r i pt ur a i r eetdel ac odi c ol ogi epor t a nts url ’ a s t r onomi e ,l e dr oi t , l amédec i ne , l ’ a r c hi t ec t ur e , l aphi l os ophi e , l agr a mma i r e , et c . L ev ol ume2r epr és ent eune x a mendesc ont enusetdespr i nc i pa uxenj euxdel ac ons er v a t i onàt r a v er s di ffér ent spa y sd' Af r i ques ubs a ha r i enne . L esenj euxgéos t r a t égi quess ontpa s s ésenr ev ueàl al umi èr e despr omes s esdesnouv el l est ec hnol ogi esdel ' i nf or ma t i onetdel ac ommuni c a t i on.

J a c quesHa bi bS y of es s eurens c i enc esdel ’ i nf or ma t i onetdel a ,pr c ommuni c a t i on,aens ei gnéda nspl us i eur suni v er s i t ésa f r i c a i neset a mér i c a i nesetapubl i édesouv r a gess url agouv er na nc edémoc r a t i que etl ’ i mpa c ts oc i opol i t i queetc ul t ur eldest ec hnol ogi esa v a nc éesdel a c ommuni c a t i on. L ’ a ut eures tl ef onda t eurdut hi nkt a nkr égi ona l a f r i c a i n Ai dT r a ns pa r enc y et ,v i entdec r éer ,a v ecdess péc i a l i s t esdeha ut ni v ea u,unI ns t i t uta f r i c a i ndec odi c ol ogi e( s c i enc edesma nus c r i t s ) , enc or eenges t a t i on. I S BN: 9782296998841

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