L'administration des provinces romaines: gage de pérennité pour l'hégémonie impériale : d'après l'Histoire Auguste, IIe-IIIe siècles ap. J.-C. 9782343064864, 2343064865

L'histoire de Rome et de l'univers romain a multiplié ses spécialistes et adeptes de manière vertigineuse ces

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L'administration des provinces romaines: gage de pérennité pour l'hégémonie impériale : d'après l'Histoire Auguste, IIe-IIIe siècles ap. J.-C.
 9782343064864, 2343064865

Table of contents :
PRÉFACE
REMERCIEMENTS
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
I. LE STATUT DES PROVINCES ET L’AMENAGEMENT DE LEURS TERRITOIRES
II. LE DEVELOPPEMENT DES PROVINCES ROMAINES ET LEUR APPORT DANS LA PROSPERITE DE L’EMPIRE
III. LA GESTION DES HOMMES DANS L’ADMINISTRATION DES PROVINCES
IV. LA SECURITE DES BIENS ET DES PERSONNES
V. LA REPRESSION DES ABUS DES PROMAGISTRATS
CONCLUSION
ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
INDEX SIGLORVM (Index des sigles)
CARTES
(Corpus des empereurs romains, d’Hadrien à Numérien)
(Index des noms propres)
(Index des auteurs anciens678)
TABLE DES MATIÈRES

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Alexis Mengue m’Oye

L’a dministr ation des provinces romaines : gage de pérennité pour l’hégémonie impériale

D’après l’Histoire Auguste (IIe-IIIe siècles ap. J.-C.)

L’administration des provinces romaines : gage de pérennité pour l’hégémonie impériale

© L’HARMATTAN, 2015 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-06486-4 EAN : 9782343064864

Alexis MENGUE m’OYE

L’administration des provinces romaines : gage de pérennité pour l’hégémonie impériale D’après l’Histoire Auguste (IIe-IIIe siècles ap. J.-C.)

A mon épouse Lucie, lux mea

Dion Cassius, Histoire romaine, LXXII, 10 : « C’est ainsi que mourut Pertinax, pour avoir entrepris de tout réformer en peu de temps ; malgré sa grande expérience des affaires, il n’avait pas compris qu’il est impossible de corriger en une fois de nombreux abus sans s’exposer à des dangers, et que la constitution d’un Etat, plus qu’aucune autre chose, exige du temps et de la prudence ». Ibid., LXXVIII, 8 : « Les destinées se manifestent sous bien des formes différentes ; les dieux accomplissent beaucoup de choses contre notre attente, et celles que nous attendions n’arrivent pas ; mais un dieu fraye la voie aux événements imprévus ». Zosime, Histoire nouvelle, I, 57, 1 : « Il vaut la peine de raconter en détail les événements qui ont précédé la ruine des Palmyréniens, même si évidemment je rédige mon histoire en me hâtant, étant donné l’intention que j’ai définie dans le préambule ; en effet, tandis que Polybe a exposé comment les Romains ont fondé leur Empire en peu de temps, je vais narrer comment ils le détruisirent rapidement par leur folle présomption ».

« Les siècles de l’Antiquité tardive ont été trop souvent disqualifiés comme une période de désintégration, de fuite vers l’au-delà, où des âmes débiles, délicates, de ‘belles âmes’, s’arrachaient à la société qui s’écroulait autour d’eux pour chercher refuge dans une autre cité, la cité céleste. Il n’y a (cependant) guère eu de périodes dans l’histoire de l’Europe qui ait légué aux siècles suivants autant d’institutions aussi durables : les codes du droit romain, la structure hiérarchique de l’Eglise catholique, l’idéal d’un empire chrétien, le monarchisme ; de l’Ecosse à l’Ethiopie, de Madrid à Moscou, combien d’hommes ont vécu de cet imposant héritage et n’ont cessé de se référer à ces créations de l’antiquité tardive pour y chercher comment organiser leur vie en ce monde » ? Cf. P. Brown, Religion and Society in the Age of Saint Augustine, Londres, 1972, p. 13. « Au lieu de croire qu’il existe une chose appelée ‘’les gouvernés’’, par rapport à laquelle ‘’les gouvernants’’ se comportent, considérons qu’on peut traiter ‘’les gouvernés’’ selon les pratiques si différentes, selon les époques, que lesdits gouvernés n’ont guère que leur nom de commun. On peut les discipliner, c’est-àdire leur prescrire ce qu’ils doivent faire (si rien n’est prescrit, ils ne doivent pas bouger) ; on peut les traiter comme des sujets juridiques : certaines choses sont interdites, mais, à l’intérieur de ces limites, ils se déplacent librement ; on peut les exploiter, et c’est ce qu’ont fait beaucoup de monarchies : le prince a mis la main sur un territoire peuplé, comme il aurait fait d’un pâturage ou d’un étang poissonneux, et il prélève, pour vivre et faire son métier de prince parmi les autres princes, une part du produit de la faune humaine qui peuple se domaine (tout l’art étant de ne pas tondre jusqu’à écorcher). Cette faune, on dira en termes satiriques que le prince la plonge dans l’incurie politique ; en style de flatteur, qu’il ‘’rend’’ son peuple heureux ; en termes neutres, qu’il laisse son peuple être heureux… » ; Cf. P. Veyne, Comment on écrit l’histoire [« Foucault révolutionne l’histoire », Seuil, Paris, 1971 (1978)], p. 390.

PRÉFACE

Il y a peu de temps – deux années ? que dis-je ? une année ! –, Alexis a commis chez l’Harmattan, un ouvrage de très bonne facture portant sur la femme romaine aux deux premiers siècles de l’Empire à travers les sources littéraires. Après avoir en effet interrogé les témoins les plus en vue de l’époque, qu’ils s’appelassent Suétone, Tacite, Sénèque, Pline le Jeune, Pline l’Ancien, Stace, etc., il parvint ainsi à présenter la femme issue de cet univers sous toutes ses coutures et la dépeignit telle qu’elle fut, avec sa diversité et sa complexité. Grâce à sa plume alerte, tenue avec soin et maestria, le tout combiné avec une connaissance profonde et fine de la langue latine qu’il manie aussi allègrement que sa langue d’origine, le Fang, il réussit ainsi le tour de force de nous faire connaître cet être tout spécial, que Dieu créa « à partir de la côte de l’homme après l’avoir endormi » (dixit la Sainte Bible) pour être sa compagne afin « qu’il ne fût pas seul » (ibid.), et que les Romains appréhendèrent comme un « mal nécessaire ». Dans cette foulée, il nous montra, non pas une femme, ce qui aurait pu faire accréditer l’idée d’un être unique, interchangeable, connaissable d’un seul tenant, mais plusieurs femmes, comme pour dire que dans la Rome ancienne les femmes étaient différentes les une des autres, et donc qu’elles ne pouvaient être regardées comme un tout et être jugées à partir d’une image d’Epinal. Comme pour dire : Rome, dans l’Antiquité, ne fut pas emplie d’une femme ! Elle était constituée de femmes. Elles étaient plurielles ! Autant il y eut une Messaline, autant il y eut une Agrippine, une Julie, une Livie, une Cornelia…, chacune se présentant dans sa vie quotidienne avec son individualité, sa personnalité, ses faits, hauts et bas. Si certaines étaient pétries de vertu, imbibées de uirtus ; d’autres vivaient dans le vice, le uitium, la pétulance. Certaines furent belles, attirantes, aguichantes quand d’autres au contraire étaient plutôt dégoutantes, repoussantes, vilaines ! Une peinture rigoureuse, réaliste, serrée et digne d’un orfèvre donc que nous permit d’obtenir Alexis ! Alors que nous pensions qu’il allait marquer un temps d’arrêt pour permettre à son lectorat, féru de « choses de l’esprit » bien « assaisonnées » de « digérer » ce premier cru, mais aussi parce que nous savons qu’une bonne étude sur Rome présente des difficultés en raison non seulement de la

langue, le Latin, que certains esprits étriqués ont tôt fait de considérer et de faire considérer à tort comme une « langue morte », mais également de la complexité que présente cet environnement qui a ses propres réalités, ses propres codes comme ses propres repères et qui nécessite qu’on les ait au préalable maîtrisés, voilà qu’il produit, quelques mois seulement après, un autre opus, une œuvre de haute tenue, dont le titre est à lui seul tout un programme : L’administration des provinces romaines comme gage de pérennité pour l’hégémonie impériale d’après l’Histoire Auguste (IIe-IIIe siècles ap. J.-C.) Les provinces ? Les Romains les appelaient prouinciae, prouincia, au singulier. Il s’agissait de territoires que Rome avait conquis et qu’elle avait placés sous son orbite. La province était l’excroissance, l’arrière-cour, le prolongement de Rome ! Après avoir lancé dans la bataille ses légions, « meilleure armée du monde, dixit Yann Lebohec), unité que soutenaient les auxilia, les troupes auxiliaires, puis, plus tard la marine, procédant ainsi à la conquête, elle envoyait ensuite des Romains, citoyens pour l’essentiel, sénateurs et soldats à la retraite pour la majeure partie d’entre eux, qui s’installaient sur des terres, le plus souvent fertiles, et les mettaient en valeur en son nom. Outre leurs pratiques culturales, ils transplantaient leur langue, qui devenait ainsi la langue franche, la lingua franca, et qui s’imposait ainsi aux idiomes locaux. Ils servaient ainsi de poste avancé à Rome, et étaient parfois soutenus par une garnison ! C’était la seconde étape de son implantation, avant qu’elle n’y mît pied définitivement, par la troisième et ultime phase, la romanisation. Dominer un territoire, l’assujettir, le placer sous son orbite, c’était un fait ; mais il restait le second, l’autre : l’administration de l’espace conquis ! C’était donc une œuvre d’importance. Pour la faire comprendre, Monsieur le Professeur Jean-Pierre Martin, cet érudit français, dont la maîtrise de l’histoire de Rome fut une féconde particularité, commit, alors qu’il était Professeur d’Histoire Romaine à l’Université de Paris IV-Paris Sorbonne, un opus magnum, chez Sedes, en 1990, intitulé Les provinces romaines d’Europe centrale et occidentale, 31 avant J.-C.-235 après J.-C. Sur plus de deux cents pages, écrites avec soin et forte autorité, il montra ainsi comment les Romains s’étaient ingénié, tout au long de la période qu’il avait retenue, à gérer cet ensemble de territoires qu’il avait mis dans son escarcelle, après avoir lancé à corps perdu ses légionnaires dans les batailles diverses, et à lui donner un corps et une colonne, de manière à disposer d’un ensemble harmonieux. De l’avènement d’Octavien devenu Auguste, Augustus, en 31 av. J.-C. à la mort du dernier empereur de la dynastie des Sévères, Sévère Alexandre, en 235 ap. J.-C., qui boucla aussi l’ère de prospérité de Rome, cette entité territoriale et ses dépendances furent ainsi gérées selon un mode que les Romains avaient élaboré savamment, qui lui permettait de s’imposer et d’imposer sur l’orbis terrarum son autorité et lui évitait d’être mise en sourdine. Ce furent ainsi des « rouages spécifiques », entre autres les gouverneurs et leurs 14

collaborateurs, qui eurent pour mission de veiller à la gestion de cet ensemble hétérogène. Une année peu après, un autre ouvrage du même tonneau fut produit par le même auteur, cette fois en centrant sa réflexion sur les religions. Sa seconde œuvre fut ainsi dénommée Société et Religions dans les provinces romaines d’Europe Centrale et occidentale, 31 avant J.-C. – 235 après J.-C., Paris, Sedes, 1991. L’objectif fut sans fioritures : « Après l’étude de l’extension et de l’organisation de la défense de ces provinces, après une évaluation de la structure administrative qui avait permis la durée de la domination romaine sur ces régions, il était nécessaire de porter l’attention sur les hommes. L’historien se doit de suivre ceux qui sont à la tête des Empires dans leur tâche quotidienne, et il lui est nécessaire de définir les cadres juridiques qui régissent les rapports des gouvernants et de leurs administrés ; mais il ne saurait négliger les hommes qui peuplent ces provinces. Il lui faut définir leur statut juridique et savoir s’il est possible à chacun de monter dans l’échelle sociale ; qui est susceptible d’atteindre ce couronnement social que représente la citoyenneté romaine ? Il lui faut aussi montrer dans quel cadre ces hommes vivaient… » (p. 7). Près de quinze ans plus tard, voilà donc Alexis qui s’engage, à son tour, sur la même voie : « étudier les rouages de l’administration des provinces romaines » (p. 26) et s’efforcer de comprendre « comment, avec de si faibles moyens en hommes et en ressources, Rome put contrôler et faire siens des territoires aussi immenses, put continuer à agrandir son espace géographique… » (ibid.). Un sujet entier donc ! Une question entière ! Une question à tout le moins essentielle et inachevée ! Car comment comprendre que cet espace qui se limitait à ses origines à quelques kilomètres carrés et qui était peuplé de populations frustres, grossières, des gens inculturés, des pâtres, des paysans qui ne savaient nullement conceptualiser, réussit-il le tour de force de dominer de vastes espaces et de les gérer pendant treize siècles consécutifs avec autorité et savoir-faire ; chose que personne avant elle ne fit ? Les légions romaines, surentraînées par définition, que soutenaient les troupes auxiliaires, en furent-elles les seules responsables ? Et la religion ? Y contribua-t-elle ? D’autres facteurs jouèrent-ils leur partition ? Si oui, jusqu’à quel niveau ? Comment les sources romaines peuvent-elles faire ressortir cette réalité ? Monsieur le Professeur Jean-Pierre Martin s’y était engagé, avec science et autorité, nous l’avons dit, mais il n’avait pas épuisé toute la question ! Des zones d’ombre demeuraient entières ! C’est à cette « complétude » que s’est essayé Alexis. Habilité à Diriger les Recherches (HDR) d’Histoire Romaine à l’Université de Paris IV- Sorbonne, Maître de Conférences inscrit sur les Listes d’Aptitude du CAMES, Alexis ne pouvait ne pas s’y engager avec hardiesse. N’est-il pas un esprit brillant ? Regard luisant, dont les yeux restent en permanence cachés derrière d’épaisses lunettes qui trahissent son affection oculaire, crâne dégarni comme tout intellectuel qui s’est essayé toute sa vie à la réflexion, à l’intense réflexion, Alexis ne laisse personne 15

indifférent ; c’est un homme qui sait ! Et il le démontre à qui prend la peine de l’écouter ou de le lire ! Au contraire de son premier opus où il interrogea plusieurs témoins, allant de l’un à l’autre allègrement, Alexis a, cette fois, tourné son regard vers une source originale, l’Histoire Auguste. L’Histoire Auguste ? Il ne s’agit pas d’une œuvre réalisée par le fondateur du principat, Auguste, mais d’une œuvre dont l’auteur fut inconnu et que André Chastagnol a mise au point et traduite, permettant ainsi de la rendre plus accessible qu’elle ne l’était. D’ailleurs, des auteurs qui s’y sont appesantis ne l’ont-elles pas considérée comme éminemment énigmatique, tant en raison de l’identité de son auteur que de la période exacte de sa réalisation ? Voici d’ailleurs les termes par lesquels Alexis la présente, sur la foi d’un de ceux qui eurent aussi l’occasion de s’y intéresser, en l’occurrence Xavier Loriot, rappelé ad patres il y a peu, mais dont les écrits restent d’une réelle densité : « … comme chacun peut le constater, quoique suffisamment favorable, l’opinion sur l’Histoire Auguste n’en inspire-t-elle pas moins la méfiance, tant le biographe s’est prêté au jeu de la fantaisie, de manière parfois si délibérée que certains des renseignements qu’il donne ressemblent bien plus à des vues de l’esprit… » (in « Les premières années de la grande crise du IIIe siècle », ANRW, II, 1975, pp. 662-663). L’Histoire Auguste, alors, une source par défaut ? Que nenni ! Car Alexis y a puisé des informations abondantes et enrichissantes sur le sujet étudié ; informations par ailleurs complétées par bien d’autres puisées à bonne source, chez d’autres auteurs. Qu’on en juge par ces extraits saisissants sur un certain nombre de thématiques qu’il développe dans son œuvre : « Auguste avait légué à la postérité un Empire au périmètre connu et dont les bases fondamentales de gestion avaient été conçues par lui, dans le souci d’y décourager toute velléité de soulèvement susceptible de compromettre l’ordre ainsi établi. Un tel souci imposait en premier lieu des règles de gestion de l’espace et des hommes répondant à des critères précis au double plan territorial et sociologique. L’annexion à Rome d’Etats nouveaux entraînait d’abord comme conséquence la confrontation des réalités locales à la vision romaine de la gestion des peuples. Dès lors, ce qui a pu se passer comme règle établie dans ces dépendances a souvent dû se soumettre à un remodelage, en vue de se conformer aux aspirations et intérêts du conquérant : Rome » ; « L’Histoire Auguste donne… la composition de l’Empire romain en décrivant la désolation générale qui a suivi l’assassinat d’Alexandre sévère » ; « le terme de prouincia servit surtout à désigner une unité territoriale dans laquelle un magistrat devait exercer des attributions précises au nom de l’Empereur et du Sénat romains. Très vite, l’apport de ces provinces dans la prospérité de Rome, de l’Italie ou de l’Empire détermina l’attitude des Romains vis-à-vis d’elles et leur imposa la nécessité d’une administration aussi rigoureuse que possible » ; « l’économie dans l’Antiquité, reposant essentiellement sur un système de production assurée 16

par la main-d’œuvre servile, le tribut et divers impôts prélevés aux territoires conquis…, plaçait les provinces au centre des sources de revenus comme aujourd’hui les matières premières dans la plupart des pays en voie de développement » ; « souvent, les provinciaux ont joué leur sort à travers leurs différents choix lors des multiples conflits qui se sont déroulés sur leurs territoires respectifs. La situation était d’ailleurs la même dans le cas d’événements qui, bien que survenus à Rome ou dans une autre province, généraient des répercussions touchant l’ensemble des composantes de l’Empire ». Des points de vue éclairants ! Des indications qui méritaient d’être portées à la connaissance du public, non seulement profane mais aussi savant ! Une leçon fort d’à propos, sur un domaine où – une fois de plus et sûrement pas la dernière – les Anciens supplantent d’ingéniosité les Modernes que nous sommes, en se montrant dignes d’un appareil administratif adapté à la régence de l’univers, alors que nous peinons tant aujourd’hui à assurer la gouvernance de nos Etats « morcelles », sans gabegie, forfaiture ou turpitudes… Encore un domaine où l’Histoire ancienne est si actuelle, dont les préceptes gagneraient à conduire chacune de nos orientations de l’heure, de même qu’à inspirer nos gouvernants et autres maîtres de nos consciences individuelles et collectives. Au total, une œuvre bien écrite, qui se lit aisément, sans aspérité, et qui offre l’occasion de connaître Rome dans l’Antiquité sur un sujet capital et qui méritait d’être approfondi, touillé ! Pr. Dominique Ngoïe Ngalla Professeur Titulaire en Histoire et Civilisations Africaines à l’Université Marien Ngouabi (UMNG), Brazzaville (Congo)

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REMERCIEMENTS

Nos recherches n’auraient peut-être pas abouti – en tout cas nous aurions peiné davantage à les mener à terme – sans la bonne volonté et l’assistance de plusieurs personnes que cependant je ne puis toutes citer nommément ici. Qu’il me soit tout de même permis de marquer ma reconnaissance particulière au personnel de la Bibliothèque d’Histoire romaine A. Chastagnol que Monsieur le Professeur Jean-Pierre Martin a eu la bonté de mettre à mon entière disposition. Il s’agit de Mesdemoiselles Isabelle Louvel puis Marion Franchet et de Madame Céline de Jonquieres. J’espère que Céline de Jonquieres pourra reconnaître entre les lignes qui vont suivre les traits de plusieurs de ses remarques qu’elle a jugées utiles après avoir pris la patience de relire la première mouture de ce travail, de même que certains traits de nos multiples discussions, malgré les contraintes liées à ses propres recherches doctorales. Il ne me vient même pas à l’esprit d’imaginer comment aurais-je organisé mon travail sans les conditions offertes par cette structure de recherches que j’ai eu le plaisir de partager avec mes disciples Eliane Bouendja, Roselyne Immongaut, Pascal Ndong Ngoua et Christian Obiang N’nang qui, à l’époque, préparaient tous un Doctorat en Histoire romaine sous la direction de notre maître commun, Monsieur le Professeur Jean-Pierre Martin. C’est dans ce même local que j’avais le plaisir de rencontrer Monsieur le Professeur Yann Le Bohec, Président du jury de ma thèse de Doctorat en 1987 à Reims, qui n’y passait parfois, m’aura-t-il avoué par la suite, que dans le but de s’enquérir de l’évolution de mes recherches et de m’encourager à les faire aboutir. Je serais si fier et heureux de savoir que plusieurs des erreurs soulignées le 25 mai lors de la soutenance de ma thèse ont été, même partiellement, corrigées ici. Que tous les membres de mon jury d’Habilitation à Diriger des Recherches soient eux-aussi associés à ces remerciements. Il s’agit de, outre ceux déjà cités ci-dessus, M. Christophe Badel, Professeur à l’Université de Rennes ; M. Michel Molin, Professeur à l’Université d’Angers, aujourd’hui Doyen de la Faculté des Lettres de Paris VIII et M. François Bertrandy, Professeur à l’Université de Savoie. Je tiens également à remercier les personnels des Bibliothèques du Centre Glotz et de l’Institut de Droit Romain pour leur extrême sollicitude. Malgré

la solitude qui caractérise le monde de la recherche, il est fort agréable de constater qu’il s’agit aussi d’une grande expérience de vie communautaire où chaque geste – si petit soit-il – compte tant pour « soigner » le moral du chercheur. Parfois et même bien souvent, un simple sourire a permis de vaincre les subtilités d’un texte latin des plus ardus, en redoublant mon ardeur au travail pour me convaincre de le mériter … Enfin, je voudrais tout particulièrement marquer ma reconnaissance à Madame Nicole Moine, qui avait déjà tant fait auparavant pour me familiariser davantage à l’univers si dense de l’histoire romaine (à l’Université Champagne Ardenne de Reims, jusqu’à l’obtention de mon Doctorat), pour m’avoir librement offert de relire en entier ce travail avec sa perspicacité habituelle. Sa rigueur associée à sa bienveillance aurait sans doute enrichi cette réflexion grâce à des conseils et suggestions qui m’auraient évité tant d’écueils, si mes contraintes de retour précipité au pays ne m’avaient ne m’avaient pas aliéné une si salutaire contribution. Comme j’aimerais qu’elle se reconnaisse cependant à travers plusieurs des choix opérés dans ce volume !

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AVANT-PROPOS

Ce travail est né de l’initiative de préparer une Habilitation à Diriger des Recherches à l’Université de Paris4-Sorbonne. Projet ardu, car depuis bien longtemps, trop longtemps ai-je souvent eu l’impression, des dispersions extra académiques avaient entamé mon assiduité à la recherche. Et, lorsque j’acceptai, peu après un mandat parlementaire plutôt tumultueux, la proposition que m’a faite M. Jean-Pierre Martin de travailler sur l’Administration des provinces romaines d’après l’Histoire Auguste, je ne disposais alors d’aucun élément me permettant de mesurer la dimension de la tâche à laquelle allait m’engager une telle étude. N’ayant eu que très peu d’occasions de nous entretenir à ce sujet à Libreville où il était invité pour participer aux « Etats Généraux de l’Enseignement Supérieur au Gabon », je m’étais alors laissé séduire par la perspective de m’ouvrir à une ère de l’histoire générale de Rome à laquelle je m’étais jusque-là fort peu familiarisé, grâce à un auteur que je ne connaissais pratiquement que par l’allusion qu’en a faite P. Petit qui, dans son Guide de l’étudiant en histoire ancienne (Paris, 1959, p. 93) où il regrettait le caractère généralement nébuleux d’une œuvre dont il soulignait sans la résoudre l’énigme de « ses six scriptores », a fait remarquer notamment : « Enfin, pour terminer, une note attristante : le problème de l’Histoire-Auguste, un des loci desperati de l’érudition moderne. Les Scriptores Historiae Augustae ont écrit les biographies des empereurs depuis Hadrien jusqu’à Dioclétien exclu ; certaines sont très longues, par exemple celle d’Alexandre Sévère. Les auteurs, au nombre de six, et tous inconnus, prétendent écrire sous Constantin, auquel parfois ils s’adressent ». Je pensais en effet qu’un tel travail allait élargir mon champ d’appréciation de l’Antiquité romaine en complétant des connaissances que mes recherches pour le doctorat ont pu me permettre d’acquérir sur les premiers siècles du principat créé par Auguste, vu que le sujet de ma thèse, elle aussi dirigée par Monsieur J.-P. Martin, portait sur La femme dans la littérature romaine, de 50 à 150 après J.-C. Surtout qu’en arrivant à la Sorbonne, Monsieur Martin avait déjà pris des dispositions pour me faire rencontrer de grands savants de la période en question, qui m’ont fait l’honneur de m’accorder des entretiens très suggestifs sur mon projet. Il

s’agit, dans l’ordre chronologique des rencontres, de Messieurs M. Humbert, Directeur de l’Institut de Droit Romain, M. Christol, Ferrery, Redde et Madame Demougin, tous Professeurs à la Sorbonne. Ils m’ont tous prévenu du caractère complexe de l’auteur et de son œuvre que j’allais ainsi embrasser. Qu’il me soit permis de souligner ici que ce travail est aussi le fruit de leurs séminaires que j’ai eu le plaisir de suivre à l’Ecole Supérieure des Hautes Etudes sur Epigraphie romaine et Histoire sociale du monde romain animé par Madame Demougin, Histoire des idées politiques dans le monde romain par Monsieur Ferrary et enfin Histoire et Archéologie des provinces frontières de l’Empire romain par Monsieur Reddé. C’est donc avec enthousiasme que je me suis lancé dans cette étude dont les difficultés se sont confirmées tout de suite au moment d’en concevoir un plan thématique. En effet, une étude de l’administration des provinces romaines devrait normalement comporter un certain nombre de détails qui en déterminent les principaux aspects. Il s’agit, par exemple, du nombre et la nature des services, du plan des différentes carrières, des rétributions, des conditions d’accès aux magistratures ou de révocation à certains postes… Mais l’Histoire Auguste ne portant pas elle-même, comme nous aurions pu en attendre d’une œuvre monographique d’un autre type, sur l’administration de l’Empire mais plutôt sur les res inlustres des empereurs romains (sans oublier les usurpateurs et quelques-uns de leurs corégents), nous n’avons pas pu établir un plan linéaire grâce aux allusions éparses que des péripéties de ces différentes Vies ont fournies sur des questions liées à l’administration des provinces romaines. Aujourd’hui, je puis cependant dire que l’objectif principal qui, rappelons le, était de me familiariser avec une période qui suscite même une guerre de terminologies pour la désigner – entre Bas-Empire ou Antiquité Tardive – a été atteint et je me réjouis désormais d’avoir eu l’occasion d’éclaircir certaines notions stéréotypées de l’Antiquité romaine dont on use souvent par tradition, sans se donner le temps ni les moyens de les préciser ou d’en mesurer les contours. Une relecture de certaines œuvres hier encore très fréquentées et fondées sur les notions de « déclin » ou encore de « crise » pour caractériser cette période se révèle dès lors vivement conseillée à chacun, afin d’appréhender à sa juste mesure la grandeur d’un passé auquel nous devons plus que nous n’en avons habituellement conscience et qui devrait guider notre réflexion sur notre propre monde. L’Afrique, où tant de choses restent à faire, à refaire ou à parfaire, demeure la partie de notre monde la plus concernée par l’étude d’un passé dont plusieurs épisodes constituent autant de leçons utiles à certains de nos égarements de l’heure. Je ne saurais oublier d’avoir élaboré le présent travail à l’ère de l’ivoirité enivrante, dévastatrice, génocidaire… ; pendant que j’étais en train de tomber en admiration devant la contribution des empereurs illyriens (c’est-à-dire d’origine étrangère par rapport à Rome) à la pérennité de l’Empire … romain. Et des mots de notre biographe plein de malices de 22

me venir à l’esprit : Soles quaerere, Constantine maxime, quid sit, quod hominem Syrum et alienigenam talem principem fecerit, cum tot Romani generis, tot aliarum prouinciarum repperiantur improbi, impuri, crudeles, abiecti, iniusti, libidinosi ; lire : « Tu te demandes fréquemment, Très Grand Constantin, comment il se fait qu’un Syrien, un étranger, ait pu devenir un prince d’une telle envergure [il s’agit d’Alexandre Sévère dont le règne fut unanimement reconnu par nos sources comme globalement positif], alors que tant d’autres, Romains de souche ou venus de provinces différentes, se sont révélés indignes, corrompus, cruels, abjects, injustes, débauchés » ; Histoire Auguste, Alexandre Sévère, LXV, 1. Ainsi du « Bas-Empire » qui pourrait continuer à désigner une période donnée de l’histoire de Rome, consécutive au Haut-Empire sur le plan strictement chronologique, mais dont il faut absolument se garder de glisser vers cette vision du monde romain caractérisé par une période faste suivie d’une série de crises ; tant il est vrai, comme l’a savamment souligné H.-I. Marrou, que « … si grave qu’ait pu être, notamment sur le plan politique ou économique, la crise qui a ébranlé le système de la Rome impériale au cours du IIIe siècle, elle n’avait pas entraîné une rupture brutale, un effondrement aussi total que celui que l’Occident allait connaître entre le Ve et le VIIe siècle sous le coup des invasions barbares » (cf. Décadence romaine ou antiquité tardive : IIIe-VIe siècle, Paris, 1977, p. 24). Ainsi également de l’Histoire Auguste elle-même, dont la maniabilité et le maniement n’étaient point évidents pour les chercheurs francophones jusqu’à un passé encore récent, avant qu’A. Chastagnol ne nous en propose une traduction ample si riche en notes et en commentaires qui, ajoutés aux efforts entrepris par d’autres savants avant lui – c’est ici le lieu de penser aux divers travaux de J.-P. Callu aussi bien sur l’établissement du texte que sur la critique de la source, de même qu’à l’édition anglaise de ce recueil de biographies impériales communément appelée Loeb – ouvre de nouvelles perspectives sur la compréhension de cette période victime de tant de prédications dont plusieurs remontent aux sources littéraires qui nous aident à l’étudier. Ainsi enfin de l’Administration romaine proprement dite, dont on ne se doute pas toujours assez qu’elle a forcément contribué à l’effort de romanisation des peuples conquis par Rome ; et, même quand on en a quelque peu conscience, c’est toujours sans en appréhender la véritable mesure dans l’édification d’un Empire romain qui avait usé les valeurs traditionnelles de la seule force militaire comme fer de lance de la romanisation des peuples conquis. Le beau-père de Tacite, Agricola, n’usa-til pas de stratagèmes subtils pour asservir les habitants « barbares » de Bretagne au lieu de recourir systématiquement à la force, comme le rapporte son gendre dans la biographie qu’il lui a consacrée, Vie d’Agricola, XXI, 1-3 : … namque ut homines dispersi ac rudes eoque in bella faciles quieti et otio per uoluptates adsuescerent, hortari priuatim, adiuuare publice, ut 23

templa, fora, domos exstruerent, laudando promptos, castigando segnis : ita honoris aemulatio pro necessitate erat. Iam uero principum filios liberalibus artibus erudire, et ingenia Britannorum studiis Gallorum anteferre, ut qui modo lingauam Romanam abnuebant, eloquentiam concupiscerent. Inde etiam habitus nostri honor et frequens toga ; paulatimque discessum ad delenimenta uitiorum élégentiam ; idque apud inperitos humanitas uocabatur, cum pars seruitutis esset ; lire : « … pour habituer par les jouissances à la paix et à la tranquillité des hommes disséminés, sauvages et par là même disposés à guerroyer, il exhortait les particuliers, il aidait les collectivités à édifier temples, forum, maisons, louant les gens empressés, gourmandant les nonchalants : ainsi l’émulation dans la recherche de la considération remplaçait la contrainte. De plus, il faisait instruire dans les arts libéraux les fils des chefs, et préférait les dons naturels des Bretons aux talents acquis des Gaulois, si bien qu’après avoir naguère dédaigné la langue de Rome, ils se passionnaient pour son éloquence. On en vint même à priser notre costume et souvent à porter la toge ; peu à peu, on se laissa séduire par nos vices, par le goût des portiques, des bains et des festins raffinés ; dans leur inexpérience, ils appelaient civilisation ce qui contribuait à leur asservissement » ? Qu’il me soit à nouveau permis de témoigner ma reconnaissance à Monsieur le Professeur Jean-Pierre Martin pour m’avoir fait découvrir et tenter de décrypter un si vaste et riche champ d’étude. C’est à lui également que je dois d’avoir pu suivre des séminaires très enrichissants pour mes investigations ; à savoir, en dehors des siens sur l’exploitation historique des Res Gestae Diui Augusti puis sur le commentaire des Epistulae de Fronton, ceux d’éminents intervenants de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Je ne puis moins qu’espérer ne pas avoir trop trahi ses espérances et tous ses enseignements à travers l’aboutissement du présent travail. Tout au moins suis-je convaincu de garantir par cet opus une importante fréquentation de l’œuvre qui est tout, sauf de maniement aisé et qui est loin d’avoir ni livré tout son contenu ni dévoilé autant ses secrets tous enfouis dans d’innombrables et astucieuses facéties.

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INTRODUCTION

La présente étude, qui a pour ambition d’étudier les rouages de l’administration des provinces romaines à la lumière de l’Histoire Auguste, pose, d’entrée, de sérieux problèmes au niveau de la nécessité d’apporter des éclaircissements relatifs à un phénomène aussi important1, sur la base de renseignements tirés d’une œuvre qui n’en a pas fait son thème central. Qu’elle nous aurait été utile, cette monographie sur notre sujet dont l’auteur de l’Histoire Auguste lui-même n’a fait que mentionner l’existence et la qualité, en nous parlant de la formation du jeune Maximin, sans malheureusement en révéler ne serait-ce que le titre : Grammatico latino usus est… oratore Titiano, filio Titiani senioris, qui prouinciarum libros pulcherrimos scripsit…2 ! 1

La grandeur de Rome se mesure d’abord au périmètre de l’Empire qu’Auguste avait des raisons de considérer comme suffisamment agrandi, ne nécessitant désormais que des dispositions de bonne gouvernance de la part de chaque empereur. Les guerres de conquêtes autant que celles de pacification qu’il a pu entreprendre n’ont servi alors – et il en fut toujours de même par la suite, ne serait-ce que sous ses successeurs immédiats julio-claudiens – qu’à garantir à Rome tout ce qu’elle tirait des territoires conquis : main d’œuvre servile, richesses fiscales, hommes de troupes, denrées et essences diverses. Plus loin, nous étudierons à travers l’attitude de certains empereurs sur des sujets touchant aux provinces romaines combien comptaient-elles pour le trône et l’État romain en général. Nous avons mesuré leur impact sur la prospérité de l’Empire dans « Aspects de la contribution des provinces… », C.H.A., V (numéro spécial), décembre 2003-juin 2004, Libreville, pp. 49-66. 2 Histoire Auguste. Les empereurs romains des IIe et IIIe siècles, texte établi et traduit par A. Chastagnol, Robert Laffont, Paris, 1994 (désormais Scriptores...), Les deux Maximins, XXVII, 5. Un passage de la Vie de Macrin donne déjà le ton et amplifie notre désarroi, le biographe y reprochant à un certain Junius Cordus d’avoir indiqué des détails superfétatoires à ses yeux alors que ceux-ci nous auraient tant édifié aujourd’hui ; ibid., Opilius Macrin, I, 2-4 : Non enim est quisquam, in uita non ad diem quodcumque fecerit. Sed eius qui uitas aliorum scribere orditur, officium est digna cognitione prescribere. Et Iunuio quidem Cordo studium fuit eorum imperatorum uitas edere, quos obscuriores uidebat ; qui non multum profecit. Nam et pauca repperit et indigna memoratu adserens se minima quaeque persequuturum, quasi uel de Traiano aut Pio aut Marco sciendum sit, quotiens processerit, quando cibos uariauerit et quando uestem mutauerit et quos quando promouerit ; lire : « Il n’y a en effet personne qui au cours de sa vie n’ait fait chaque jour quelque chose. Mais le rôle de celui qui entreprend d’écrire la biographie d’autrui est de ne garder que les faits dignes de mémoire. C’est ainsi que Junius Cordus s’est appliqué à publier la vie des empereurs qu’il

Nous y apprenons simplement que ce jeune homme eut, entre autres maîtres, l’orateur Titianus, auteur d’une très belle œuvre sur les provinces. Peut-être portait-elle sur leur administration générale ou comportait-elle simplement – ce dont nous sommes sûrs à tout le moins – un ou plus d’un chapitre proche de nos préoccupations du moment ? Peut-être s’y trouvait même un corpus des carrières provinciales précisant pour chaque magistrat sa situation sociale, la durée de ses fonctions, des détails sur son éventuelle carrière antérieure…3 ? Il nous semble incontestable de noter que l’élaboration d’une telle œuvre mais surtout le ton admiratif du biographe (libros pulcherrimos) illustrent mieux que tout autre démonstration, l’importance du sujet pour les Romains de l’époque et, partant, pour nous. Car en effet, le charme de l’histoire générale de Rome résidera toujours à nos yeux, avant tout, dans cette curiosité qui a déjà retenu l’attention de M. J.-P. Martin en sélectionnant, parmi les nombreux problèmes que soulève la question des provinces romaines, celui « de tenter de comprendre comment, avec de si faibles moyens en hommes et en ressources, Rome a pu contrôler et faire siens des territoires aussi immenses, a pu continuer à agrandir son espace géographique… Le petit nombre d’hommes qui lui a été nécessaire est éclatant, que ce soit du côté des militaires (il n’y a de concentration militaire que sur les frontières menacées ou des zones particulièrement remuantes, alors que de vastes régions comme les Trois Gaules sont presque totalement dépourvues de présence militaire), ou du côté des civils (le gouverneur d’une province, ses adjoints, avec leurs bureaux respectifs ne représentent que quelques dizaines d’hommes par province). Ni la présence d’une force armée, ni une écrasante bureaucratie n’ont été les moyens de domination des Romains »4. Il apparaît donc que le moyen qui par excellence a permis aux Romains d’imposer, en même temps que leurs lois, leur civilisation, a justement été la qualité de leur administration. Au fil des ans, de règne en règne, l’appareil administratif impérial a connu un développement éclatant marqué par une gestion minutieuse aussi bien des choses que des hommes. Un tel dispositif a fait de l’Empire une véritable monarchie administrative voyait mal connus ; mais le résultat en fut médiocre, car il n’a trouvé que peu d’informations, et qui ne méritaient guère de passer à la postérité. Il soutenait qu’il devait exposer les détails les plus infimes, comme si, même pour un Trajan, un Antonin le Pieux ou un Marc, il nous importait de savoir combien de fois ils se sont montrés en public, à quel moment ils ont modifié leur régime alimentaire, quand ils ont changé de vêtements ou à qui, et en quelle occasion, ils ont accordé des promotions ». 3 D’où le caractère précieux de l’inestimable travail de H. G. Pflaum sur Les carrières procuratoriennes…, Paris, 1960-1961 précédé d’autres réflexions de moindre densité mais tout aussi utiles dont « A propos des Préfets d’Égypte », Latomus, X, 1951, p. 471 sq. ; Principes de l’administration romaine…, B.F.L., Strasbourg, 1958 ; « La mise en place des procuratèles financières… », R.H.D., XLVI, 1968, pp. 367-388 ou encore Abrégé des procurateurs…, Paris, 1974. 4 Cf. Les provinces romaines…, Paris, 1990, p. 9.

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dans laquelle la fonction politique a fini par céder le pas à une forme plus participative de gouvernement, à travers le transfert de certains secteurs traditionnellement sénatoriaux aux autres couches de la société romaine. Administrare, c’est concevoir et appliquer un système de gestion d’une ou de plusieurs collectivités. Par son sens originel, l’administration relève naturellement du caractère autoritaire d’un pouvoir établi et incarne l’expression de sa transcendance sur les populations qui la subissent. En d’autres termes, il s’agit d’une gestion des biens publics et privés « par l’application de lois et de directives gouvernementales, qu’exécutent des agents de l’État dépendant (de ses) institutions publiques »5. Dans les provinces soumises aux lois romaines, l’administration commandait donc à toutes les options de la vie publique comme privée. Elle s’imposait, malgré les poches de résistance qu’on ne saurait ni taire ni nier, grâce à la prépondérance que ses légionnaires avaient assurée à l’Vrbs, au prix de multiples conquêtes, quand il ne s’agissait pas de retombées heureuses d’intenses activités diplomatiques6. D’ordinaire, l’objectif de l’administration s’attache essentiellement aux tâches concrètes qui lui incombent dans le double cadre de la vie publique et privée et dont les choix aussi bien que les orientations définiront les conditions de son assimilation. Nous pourrions ici emprunter au droit moderne sa compréhension de ce phénomène dans laquelle « administrer » consiste à gérer, comme précédemment indiqué, un ensemble de biens publics et privés par l’application de lois et de directives gouvernementales dont l’exécution est assurée par des agents de l’État, conformément à l’esprit et à la lettre de ses institutions en vigueur. Aussi a-t-on pu constater des disparités considérables dans l’évolution de la romanisation des peuples conquis. Ces différences étaient liées pour la plupart aux compétences des magistrats affectés à matérialiser dans les mœurs et usages des provinciaux la supériorité de la civilisation romaine, sans minimiser les prédispositions d’assimilation du peuple à romaniser7. On ne saurait mieux définir les rayons 5

Cette définition est proposée par E. Demougeot dans un article où elle reprenait la thèse d’Histoire du droit de l’Allemand K. L. Noethlichs ; cf. « Le fonctionnariat du BasEmpire… », Latomus, XLV, 1986, p. 160. 6 Sans nier la prédominance de la valeur des légions dans les succès de l’ensemble des conquêtes romaines, il faut cependant convenir avec C. Auliard que depuis la fondation de l’Vrbs, de multiples tractations avant, pendant et après les conflits, d’une part ; et, d’autre part, plusieurs contacts à caractère diplomatique dans des contextes de paix, ont également contribué à la promotion de l’hégémonie romaine ; cf. La diplomatie romaine…, P.U.R., Rennes, 2006. 7 La stratégie d’Agricola lors de son mandat à la tête de la province nous éclaire suffisamment à ce propos. Tacite nous révèle en effet qu’il conçut des attitudes tout à fait différentes selon la propension de ses administrés à assimiler les règles de vie romaine indiquées ou même exigées par lui ; voir Vie d’Agricola, texte établi et traduit par E. de Saint-Denis, Les Belles Lettres, Paris, 1942 (désormais Agr.), XXI, 1-3 : … namque ut homines dispersi ac rudes eoque in bella faciles quieti et otio per uoluptates adsuescerent, hortari priuatim, adiuare publice, ut templa, fora, domos exstruerent, laudando promptos, castigando segnis : ita

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d’action d’une administration que par les justes mots de P. le Roux qui a ainsi précisé le cahier de charges des Romains appelés à servir en province : « Les quatre registres essentiels de l’administration provinciale touchaient à l’armée et à l’ordre public, à la justice, aux finances et aux intérêts du prince »8. La perception de la lourde tâche dévolue à l’empereur de Zozime, historien de l’histoire tardive de Rome, qui avait tant de siècles d’histoire impériale à ausculter, ne manque pas de perspicacité pour déterminer les contours particuliers du rôle de princeps, à travers son historique de l’hégémonie romaine : « (Après la mort d’Alexandre et la dislocation de son Empire qui s’en suivit) … la Fortune livra aux Romains le reste de l’Europe… aussi longtemps que l’aristocratie demeura au pouvoir, ils continuèrent à augmenter leur empire d’année en année, chacun des consuls rivalisant avec son collègue pour l’emporter par ses mérites ; mais les guerres civiles de Sulla et de Marius, et ensuite de Jules César et de Pompée le Grand ayant détruit leur État, ils abandonnèrent le régime aristocratique et choisirent Octavien comme monarque ; en confiant toute la charge du gouvernement à son libre arbitre, ils risquèrent sur un coup de dés, et sans s’en rendre compte eux-mêmes, l’avenir de tous les hommes et confièrent à la décision et au pouvoir d’un seul les hasards d’un si grand empire. En effet, ou bien il choisissait de gouverner avec droiture et justice, et il ne parviendrait pas à garantir à chacun la sollicitude nécessaire, puisqu’il lui serait impossible de venir en aide sans délai à ceux qui se trouvaient les plus éloignés, et aussi de trouver en si grand nombre des subordonnés qui rougiraient de trahir la confiance mise en eux, enfin par ailleurs de réduire les oppositions de tant de coutumes ; ou bien, renversant les limites du pouvoir impérial, il se laissait emporter à la tyrannie, bouleversant les pouvoirs établis,

honoris aemulatio pro necessitate erat. Iam uero principum filios liberalibus artibus erudire, et ingenia Britannorum studiis Gallorum antefere, ut qui modo linguam Romanam abnuebant, eloquentiam concupiscerent. Inde etiam habitus nostri honor et frequens toga ; paulatimque discessum ad delenimenta uitiorum, porticus et balnea et conuiuiorum elegantiam ; idque apud inperitos humanitas uocabantur, cum pars seruitutis esset ; lire : « … pour habituer par les jouissances à la paix et à la tranquillité des hommes disséminés, sauvages et par là même disposés à guerroyer, il exhortait les particuliers, il aidait les collectivités à édifier temples, forums, maisons, louant les gens empressés, gourmandant les nonchalants : ainsi l’émulation dans la recherche de la considération remplaçait la contrainte. De plus, il faisait instruire dans les arts libéraux les fils des chefs, et préférait les dons naturels des Bretons aux talents acquis des Gaulois, si bien qu’après avoir dédaigné la langue de Rome, ils se passionnaient pour son éloquence. On en vint même à priser notre costume et souvent à porter la toge ; peu à peu, on se laissa séduire par nos vices, par le goût des portiques, des bains et des festins raffinés ; dans leur inexpérience, ils appelaient civilisation ce qui contribuait à leur asservissement ». 8 Cf. Le Haut-Empire…, Paris, 1982, p. 122 ; lire aussi M. Bats et alii, L’Empire romain…, Paris, pp. 162-163 : « L’administration impériale des provinces doit répondre à plusieurs objectifs : la perception du tribut, l’exercice de la justice, le maintien de l’ordre, d’où la recherche d’un équilibre favorable à la prospérité des provinciaux et à l’enrichissement du prince, autant d’impératifs qui justifient une habile et efficace répartition des fonctions ».

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fermant l’œil sur les débordements, vendant la justice aux enchères, considérant ses sujets comme des serviteurs… »9.

L’ampleur de la tâche administrative, corollaire de l’évolution de l’expansion romaine à travers le monde, a généré la création de services appropriés et la multiplication des agents chargés de les assumer : ces derniers devaient suivre la ligne maîtresse tracée par Rome, afin d’éviter d’aboutir à une gestion anarchique. C’est pourquoi l’administration des provinces s’est traduite dans les faits, essentiellement, par la théorisation et l’observation d’une série de règles que les magistrats romains étaient tenus d’appliquer, afin d’assurer la conformité des comportements individuels et collectifs de leurs administrés des provinces, suivant les priorités du pouvoir central. Encore que, directement liée aux campagnes militaires qui finirent par s’imposer aux yeux des Romains comme la plus efficace des activités productrices, grâce à leur machine de guerre elle-même considérée comme le meilleur instrument de l’acquisition de nouvelles richesses, l’administration de l’Empire se révéla rapidement un fervent exercice d’imagination constante devant continuellement s’adapter à des conditions sans cesse fluctuantes. Il en fut toujours ainsi, depuis le démarrage des conquêtes, comme l’a joliment souligné A. Schiavone : « L’organisation ‘’provinciale’’ de l’Empire au-delà des anciennes frontières de l’Italie (qui s’étendait en gros de l’Emilie à la Calabre) fut un chef d’œuvre de brillante improvisation administrative de la part de la noblesse qui se fixa ensuite lentement dans une pratique de gouvernement codifié par la coutume »10. La province proprement dite, dont nous tenterons une meilleure définition ailleurs, entendue comme entité administrative sous tutelle, ne manque pas non plus de complexité. P. Le Roux, s’intéressant à l’organisation et au gouvernement des territoires provinciaux, s’étant aperçu que chaque province avait conservé son statut traditionnel, a exprimé l’essentiel de cette complexité en ces termes : « C’est (…) le signe que la province, identifiée de mieux en mieux par son territoire et par un statut lié au rang de son gouverneur, n’en demeurait pas moins une structure hétérogène. Ni territoire annexé au sens moderne, ni territoire autonome, la province était une construction ambiguë et originale »11. Une étude sur l’administration des provinces romaines consiste donc à réunir autant de détails que possible sur l’application des lois et la marche des services publics, toutes deux assurées par des agents minutieusement choisis, conformément aux directives et orientations définies par le pouvoir central à Rome. On remarque d’ailleurs à ce propos l’emploi assez fréquent

9 Zozime, Histoire nouvelle, texte établi et traduit par F. Paschoud, Les Belles Lettres, Paris, 2000 (désormais Hist. nouv.), I, 5, 1-3. 10 Cf. L’histoire brisée…, Belin, Langres, 2003, p. 98. 11 Cf. P. le Roux, Op. cit., pp. 121-122.

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d’expressions comme ... redditae Romanis legibus…12 ; in nostra iura restituit…13 ; nostram perpeti sanctimoniam14 ou … in Aureliani potestatem redegit15 par lesquelles le biographe indique le statut des provinces qui se caractérisait par le fait d’être placées sous le contrôle du pouvoir central romain, c’est-à-dire soumises aux lois romaines pour signifier plus simplement qu’elles étaient devenues (souvent par la conquête) et demeuraient des dépendances romaines. Il s’agit, somme toute, de s’intéresser à la gestion ou à la direction des affaires en province, selon les volontés et priorités impériales. Une lettre16 de Valérien aux Gaulois à l’occasion de sa nomination à la tête de leur province précise, dans une certaine mesure, le cahier de charges du gouverneur d’une province romaine : « Nous avons nommé Postumus commandant de la zone frontière transrhénane et gouverneur de la Gaule : c’est un homme … dont la présence constituera une garantie pour les soldats dans le camp, pour le droit au forum, pour les procès au tribunal, pour la dignité dans la Curie, et qui assurera à chacun son bien propre ; … il mérite de plein droit de représenter l’empereur [sur place]… »17.

12 Scriptores..., Aurélien, XLI, 8 : Ille uincente Illyricum restitutum est, redditae Romanis legibus Thraciae ; lire : « Par ses victoires l’Illyricum fut reconquis et les provinces des Thraces replacées dans la juridiction romaine ». 13 Scriptores..., Aurélien., XLI, 9 : Ille, pro pudor, orientem femineo pressum iugo in nostra iura restituit… ; lire : « C’est grâce à lui que l’Orient qui – quelle honte ! – ployait sous le joug d’une femme [il s’agit de Zénobie, l’épouse d’Odénath] fut à nouveau soumis à nos lois… ». 14 Scriptores..., Tacite, III, 5 : Iam si nihil de Persicis motibus nuntiatur, cogitate tam leues esse mentes Syrorum, ut regnare uel feminas cupiant potius quam nostram perpeti sanctimoniam ; lire : « Et même si aucun mouvement n’est actuellement constaté du côté des Perses, songez que les Syriens sont si écervelés qu’ils préfèrent voir même des femmes régner sur eux plutôt que de se soumettre à notre loyale autorité ». 15 Scriptores..., Probus, IX, 5 : Pugnauit etiam contra Palmyrenos Odenati et Cleopatrae partibus Aegyptum defendetes, primo feliciter, postea temere, ut paene caparetur, sed postea refectis uiribus Aegyptum et orientis maximam partem in Aureliani potestatem redegit ; lire : « Il lutta aussi contre les Palmyréniens qui défendaient l’Égypte pour le compte d’Odenath et de Cléopâtre [ici Zénobie], avec succès d’abord, puis d’une manière si imprudente qu’il faillit être capturé ; mais il finit par réorganiser ses forces et ramena l’Égypte et la plus grande partie de l’Orient sous l’autorité d’Aurélien ». 16 L’Histoire Auguste regorge de lettres de ce genre dont l’authenticité n’est nullement établie. Toutefois, ce qui est surtout à remettre en cause, c’est plus le fait d’avoir été effectivement conçues et rédigées par leurs auteurs déclarés que leur quintessence. Ici par exemple, nous nous attachons davantage à la capacité de cette epistula supposée de Valérien d’indiquer ce que l’on attendait prioritairement d’un gouverneur de province. 17 Scriptores..., Les XXX Tyrans, III, 9 : Transrenani limitis ducem et Galliae praesidem Postumum fecimus, uirum … praesente quo non miles in castris, non iura in foro, non in tribunalis, non in curia dignitas pereat… et qui locum principis mereatur iure… Pour les tâches administratives en province, consulter l’étude monographique de W. Meyers, L’administration de la province romaine…, Brugge, 1964.

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Toutes charges ainsi résumées par L. Harmand : « … à partir des principes généraux, (l’administration d’une province consiste à) élaborer des règles particulières, introduire, le cas échéant, des exceptions, provoquer, s’il en est besoin, des remaniements ou des modifications indispensables, fractionner ou remembrer, isoler ou rattacher d’après les exigences de la situation »18. Cependant, quel est le potentiel de crédibilité de l’Histoire Auguste pour inspirer, à titre principal, une étude d’une telle envergure19 ? Voilà une question primordiale sur cette œuvre dont A. Chastagnol a lui-même20 reconnu en avant-propos de son édition française qu’elle passe certainement pour « … l’ouvrage le plus énigmatique que nous ait légué l’Antiquité, et, par suite, celui qui a été le plus discuté par les spécialistes durant les cent dernières années »21 ; l’énigme résidant aussi bien sur l’identité formellement établie de son auteur22 et la période exacte de sa rédaction23, 18

Cf. Un aspect social et politique du monde romain…, Paris, 1989, p. 113. Outre toutes les autres difficultés dont regorge cette œuvre, il faut souligner de prime abord que l’administration des provinces romaines proprement dite ne l’a presque jamais préoccupée de manière significative, comme nous pouvons en lire l’intention chez Tacite dans les Annales, texte établi et traduit par P. Wuilleumier, 2° tirage revu et corrigé, Les Belles Lettres, Paris, 1978 (désormais Ann.), IV, 6, 1 : Congruens crediderim recensere ceteras quoque rei publicae partes, quibus modis ad eam diem habitae sint… ; lire : « Il me parait opportun de passer aussi en revue les autres parties de l’administration, en montrant quelles règles y furent appliquées jusqu’à cette date… ». 20 Les chercheurs modernes doivent à ce professeur l’essentiel des connaissances les mieux établies aujourd’hui relatives à cette œuvre portant sur une période qui a occupé une large place dans ses propres recherches et surtout la très documentée édition française qu’ils nous en a léguée, comblant ainsi un vœu que plusieurs érudits modernes ont formulé tant de fois avant cette heureuse initiative. Nous avons encore à l’esprit le désarroi de P. Petit en présentant l’Histoire Auguste parmi les textes anciens disponibles dans son Guide de l’Étudiant…, Paris, 1959, p. 93 : « Enfin, pour terminer, une note attristante : le problème de l’Histoire Auguste, un des loci desperati de l’érudition moderne. Les Scriptores Historiae Augustae ont écrit les biographies des empereurs depuis Hadrien jusqu’à Dioclétien exclu ; certaines sont très longues, par exemple celle d’Alexandre Sévère. Les auteurs, au nombre de six, et tous inconnus, prétendent écrire sous Constantin, auquel parfois ils s’adressent ». 21 Cf. son Avant-propos de l’Histoire Auguste, Robert Laffont, Paris, 1994. 22 L’Histoire Auguste, telle qu’elle nous est parvenue, affiche successivement six auteurs : Aélius Spartianus, Julius Capitalinus, Volcanius Galicanus, Aélius Lampidius, Trébellius Pollio et Flavius Vopiscus. Mais nous savons aujourd’hui que H. Dessau avait raison en affirmant (et cela contre son maître Th. Mommsen) qu’il n’y a pas eu six auteurs mais un seul qui n’a nulle part donné son vrai nom et s’était camouflé derrière six pseudonymes ; cf. Scriptores..., Introduction, p. XV. Outre bien d’autres réflexions où A. Chastagnol a pu revenir sur cet aspect de la question, on sera attentif aux indications globales ou particulières que donne A. Birley, « The Augustan History », L.B., 1967, p. 113 sq. ; de même, lire absolument P. White, « The Authorship of the H. A. », J.R.S., LVII, 1967, p. 115 sq. ; R. Syme, « The Bogus Names in the H. A. », B.H.A.C., 1964-1965, p. 257 sq. et W. Seston, « Notes critiques… », Scripta Varia, E.F.R., XLIII (I), 1980, p. 509 sq. 23 Bien sûr, il y a longtemps que les chercheurs ont renoncé, comme pour le nom exact de l’auteur de ces biographies, de préciser outre mesure la date exacte de leur rédaction, se bornant à des post et ante quem plus ou moins raisonnables ou vraisemblables. C’est ainsi que 19

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que sur le titre véritable de l’œuvre à sa première livraison au public de son époque24. Aussi nous plait-il d’emprunter à A. Gaden les interrogations suivantes : « … malgré (ses) maladresses, pouvons-nous faire crédit à l’auteur ? Pouvons-nous nous fier aux renseignements qu’il fournit ? Sait-il choisir (ses) documents ? A-t-il, dans l’ensemble, l’attitude d’un historien »25 ? Ses propres intentions, exprimées dans la conclusion de la dernière Vita, sont d’ailleurs fort révélatrices là-dessus et témoignent, elles, de sa volonté manifeste de faire œuvre utile pour la postérité. Il y a indiqué en effet, à l’endroit du destinataire présumé de sa compilation :

H. Stern écrivait en 1953 : « … nous sommes amené à en placer la rédaction entre le 22 mai 337, date du décès de Constantin, et le 3 novembre 361, date de l’arrivée au trône de Julien » ; cf. Date et destinataire…, Paris, Les Belles Lettres, 1953, p. 15. Lire aussi avec profit J. Schwartz, « A propos des données chronologiques… », B.H.A.C., 4, 1964-1965, p. 197 sq. et « Arguments philologiques pour dater… », Historia, XV, 1966, p. 454 sq. ; A. Chastagnol, « Le problème de l’Histoire Auguste… », B.H.A.C., 1963, p. 43 sq. ; « Emprunts de l’Histoire Auguste aux Caesares… », R. Ph., XLI, 1967, p. 97 où il est conclu qu’« en raison de l’utilisation directe des Caesares d’Aurélius Victor, l’Histoire Auguste a été écrite et publiée postérieurement à 360 et que, pour s’être également servie du Breuiarum d’Eutrope, sa rédaction a pour terminus post quem 369 ». En 1955, il est revenu sur cette question pour dire : « A notre avis, écrit-il alors, l’Histoire Auguste a donc été rédigée après 357 et avant la réforme de 398 » ; cf. « Notes chronologiques… », (Historia, 1955) Aspect de l’Antiquité tardive, 1994, p. 188 ; avant de nous faire une dernière proposition devant tenir compte du terminus post quem d’après la mort de Gratien en Août 383 et de l’ante quem d’environ 440 ap. J.-C. (année qui précède la piraterie maritime des Vandales) pour la rédaction probable de l’Epitoma rei militaris (l’une des trois œuvres de Végèce qui nous sont toutes parvenues) qu’a beaucoup utilisée le biographe ; cf. Végèce… », B.H.A.C., 1971, p. 59 ; consulter également Recherches…, Bonn, 1970, pp. 4-5. 24 Dans un excellent article J.-P. Callu s’est demandé en quel lieu se lisait l’Histoire Auguste, sous quel titre et sous quelle composition au VIe siècle de notre ère. Il y soulève savamment la question de la première livraison au public de cette œuvre et donne une idée (quoiqu’approximative) d’un décalage entre la période présumée de sa conception et sa vulgarisation effective ; cf. « La première diffusion de l’Histoire Auguste », B.H.A.C., 19821983, p. 89 sq. Lire tout aussi utilement l’Historia Augusta Papers de R. Syme, Oxford, 1983, p. 12 sq. 25 Cf. « Structure et portée historique… », Ktéma, I, 1976, p. 135. Plusieurs autres études d’érudits modernes se sont interrogées sur les sources du biographe, les unes pour établir son utilisation de certains auteurs antérieurs, d’autres pour mesurer les limites de la fantaisie créatrice de cet auteur unique aux six pseudonymes ; cf. T. D. Barnes, The sources…, Latomus (CLV), Bruxelles, 1978 ; A. Chastagnol, « Emprunts de l’Histoire Auguste … », L’ERMA, 1994, p. 199 sq. et « Végèce… », B.H.A.C., 1971, p. 59 sq. ; H.-G. Pflaum, « La valeur de la source inspiratrice… », B.H.A.C., 1964-1965, p. 143 sq. et 1968-1968, p. 173 sq. ; R. Syme, The Historia Augusta. The call…, Bonn, 1971… A ceux-là vient s’ajouter G. Barbieri qui, se démarquant carrément de l’avis de bon nombre de ses pairs qui s’accordent sur Marius Maximus comme la principale source inspiratrice de l’Histoire Auguste, opte pour un autre auteur méconnu, plus sobre que ce dernier, bien que, reconnaît-il, l’Histoire Auguste de toute évidence, ne l’ait pas cité par son nom. Il y voit justement une astuce de plus pour truffer le texte de la source principale par de brèves additions, en général de nature scandaleuse ; cf. « Marius Maximus », Riv. Fil., XXXII, 1954, pp. 33-36 et 262-275.

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« … je l’ai publié non pour ses qualités stylistiques mais pour sa valeur documentaire. J’ai eu surtout à cœur d’éviter qu’un écrivain de valeur désireux de présenter une histoire des princes ne manque de matériaux nécessaires, puisque mes modestes livres seront au service de son art. Prends les donc, je te prie, comme ils sont et je suis persuadé que nous avons eu l’intention d’écrire mieux que nous n’avons réussi à le faire »26.

Sa dernière phrase donne presque l’impression que l’auteur avait pleinement conscience de toutes les fantaisies et autant de scories disséminées dans ses libelli et qui nous mettent tant mal à l’aise aujourd’hui ; alors que pour lui, ce n’était finalement – pourquoi pas – peut-être qu’une simple question de « style »27. C’est pourquoi nous nous sommes imposé, au préalable, une large prospection d’une série d’études portant spécifiquement sur l’Histoire Auguste elle-même, dans le but d’en évacuer certaines zones d’ombre et, les cas échéant, d’en saisir certaines subtilités28. A la lumière de cette étude prospective des différents commentaires sur cette œuvre, nous convenons de conclure avec A. Gaden que « Le lecteur est donc amené à considérer … l’Histoire Auguste comme un document intéressant parce qu’il s’agit là d’un 26

Scriptores..., Carus, XXI, 2-3 : … non eloquentiae causa sed curiositas in lumen edidi, id praecipue agens, ut, si quis eloquens uellet facta pricipum reserare, materiam non requiret, habiturus meos libellos ministros eloquii. Te quaeso, sis contentus nosque sic uoluisse scribere melius quam potuisse contendas. Le biographe reprenait d’ailleurs ainsi une profession de foi déjà faite à d’autres reprises, comme ici dans la Vie de Claude, XI, 5 : Vera dici fides cogit, simul ut sciant hi, qui adulatores nos aestimari cupiunt, id, quod historia dici postulat, non tacere ; lire « Nous sommes contraint de dire toute la vérité, par honnêteté d’abord et pour que ceux qui veulent nous faire passer pour des flatteurs sachent que nous ne cachons pas ce que l’objectivité historique exige de dire ». Il faut cependant ne pas perdre de vue que nous avons là une parodie typique des déclarations d’impartialité auxquelles nous ont accoutumé tant d’historiens et autres hommes de Lettres de l’Antiquité. 27 Lire là-dessus un commentaire d’A. Chastagnol : « Avec cette déformation intéressée, a-t-il écrit à propos du iudicum magnum de la Vita Probi, accompagnée d’une transposition de mots, on touche du doigt la méthode de composition et, presque, le processus même de la falsification. L’auteur se révèle ici à nous, avec son sourire narquois et son humour ‘’canularesque’’ qui nous le rendent au total si sympathique. Il a joué avec un bon renseignement en le défigurant et, en définitive, en le falsifiant pour mieux l’adapter à la tendance pro sénatoriale qu’il voulait mettre en valeur… : il s’agit, une fois la source identifiée ou l’information de base suffisamment cernée, de comprendre la déformation que lui fait subir notre ‘’ami’’. Les transferts de mots et de sens, les transpositions d’une époque à l’autre ou d’un contexte à l’autre constituent assurément l’un de ses procédés favoris » ; cf. « A propos du ‘’IVDICIVM MAGNVM… », B.H.A.C., 1966-1967, p. 71. 28 Parmi elles, The Historia Augusta…, Bonn, 1971 de R. Syme ; « The Lacune… », B.H.A.C., IV, 1972-1973 d’A. Birley ou « Des gloses introduites… », B.H.A.C., 1982-1983, pp. 1-20. Sur la critique proprement dite de ce recueil de biographies d’empereurs romains des IIe et IIIe siècles, plusieurs études décisives sont disponibles. On consultera notamment, en plus de certaines d’entre elles déjà signalées : A. Chastagnol, « Le problème de l’Histoire Auguste … », B.H.A.C., 1963, pp. 43-71 et Recherches…, Bonn, 1970 ; W. Seston, « Notes critiques… », Scripta Varia, E.F.R., XLII, 1980, pp. 509-518 et 519-530 ; L. Homo, « Les document de l’Histoire Auguste … », R.H., I, 1926, pp. 162-198 et II, pp. 1-31.

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des rares témoignages littéraires dont nous disposions sur cette époque, mais aussi comme une œuvre qu’il faut toujours utiliser avec circonspection, car elle fourmille d’envers et, qui sait, de mensonges »29. Comme cet auteur et recommandant pratiquement les mêmes précautions30, J.-M. Carrié accepte de considérer cette œuvre comme historiquement utile, à condition d’être préparé à une certaine vigilance : « Eclairé aujourd’hui par une critique raisonnée succédant à une période de rejet hypercritique, ce texte est redevenu une source historique passionnante, en particulier par le témoignage qu’il apporte sur la mentalité païenne de l’extrême fin du IVe siècle dont il est une émanation en même temps qu’il reflète le gout de l’époque pour un burlesque allant de la plaisanterie triviale au pastiche… Ainsi, l’étude critique de cette œuvre tour à tour engagée, facétieusement fictive, parodique, anachronique surtout, et le démontage de ses mécaniques narratives et discursives ont-ils permis de réédifier sur d’autres bases la valeur documentaire du texte en le déplaçant de l’époque de son objet vers celle de son élaboration »31. 29

Cf. « Structure et portée historique… », Ktéma, I, 1976, p. 144. Le moins que l’on puisse dire est que le biographe ne jouit pas d’une opinion clémente chez plusieurs chercheurs de nos jours, à l’instar d’E. Cizek qui ne le ménage guère dans un article où il démontre pourtant que son œuvre tient une place non négligeable dans le concert des témoignages sur certains événements des IIe et IIIe siècles en écrivant notamment, à propos des sources citées dans l’Histoire Auguste : « L’habile faussaire, qui est le rédacteur de l’Histoire Auguste, a pu inventer certaines (d’entre elles), tout comme il a forgé de toutes pièces les ‘’auteurs’’ de son propre ouvrage et peut-être même quelques usurpateurs du pouvoir impérial » ; cf. « Les textes relatifs… », Latomus, XLV, 1986, p. 149. Plusieurs autres historiens modernes ont en effet recommandé une vigilance soutenue pour toute exploitation historique de l’Histoire Auguste ; lire par exemple A. Chastagnol qui reconnaît que « … les indices de falsifications (y) sont si nombreux et si puissants qu’il devient presque fastidieux d’en ajouter d’autres, même si leur relevé complet demeure extrêmement utile » ; cf. Recherches…, Bonn, p. 32 et « Au total, la rédaction des quatre biographies n’a été pour l’auteur qu’un exercice plein de fantaisie, pour lequel il a puisé à plusieurs sources en adoptant, avec un sourire narquois, une attitude d’impertinence désinvolte… » ; ibid., p. 98 ; A. Gaden, Op. cit., p. 137 : « Dans l’ensemble, l’Histoire Auguste se caractérise par une sécheresse qui laisse souvent le lecteur sur sa faim » ; E. Dack : « On ne peut pas faire foi aux affirmations de l’Histoire Auguste avant qu’elles ne soient confirmées de l’une ou de l’autre façon par une autre source » ; cf. « Alexandre le Grand dans l’Histoire Auguste », B.H.A.C., 1986-1989, p. 46, s’appuyant en cette occurrence sur une argumentation d’A. Chastagnol. La méfiance ainsi suscitée par cette œuvre a inexorablement abouti à des idées fixes, des prédications de la part de certains érudits modernes comme T.D. Barnes qui l’a avoué en ces termes : « Since trunth and falsehoud are so closely intertwined, it is highly improbable that my assessment has invariably been correct… In the past, avoue-t-il dans sa note 5 de cet article, I have made one serious misjudgement about the Historia Augusta » ; cf. « The sources… », Latomus, CLV, Bruxelles, 1978, p. 125 ; ou encore X. Loriot : « Bien qu’il ne soit pas de notre propos d’évoquer ici le problème général de l’Histoire Auguste …, il nous faut nous arrêter un instant sur cette source, ne serait-ce que pour justifier notre parti-pris de n’y recourir qu’à défaut de tout autre, et, pour ainsi dire, à la première extrémité » ; cf. « Les premières années de la grande crise du IIIe siècle… », A.N.R.W., II, 1975, p. 662. 31 Cf. L’Empire en mutation…, Paris, 1999, p. 90. Lire également H.-G. Pflaum : « Mais malgré ces obstacles considérables, l’étude que nous nous proposons de mener dans les pages 30

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Ainsi, comme chacun peut le constater, quoique suffisamment favorable, l’opinion sur l’Histoire Auguste n’en inspire-t-elle pas moins la méfiance, tant le biographe s’est prêté au jeu de la fantaisie, de manière parfois si délibérée que certains des renseignements qu’il donne ressemblent bien plus à des vues de l’esprit32. Qu’on en juge par ce passage relatif aux manies pantagruéliques relevées sur un banquet du fantasque Elagabal : « Il était bel et bien empereur lorsqu’il fit apporter dix mille souris, mille belettes et mille musaraignes… »33.

La crédibilité historique des renseignements livrés par l’Histoire Auguste, pour être établie, exige une attention particulière et constante, au-delà même de la controverse qu’a suscitée l’œuvre, avant qu’A. Chastagnol ne nous en rende l’exploitation relativement plus commode, en en éclaircissant plusieurs terrae incognitae et en en évacuant autant de contre-vérités. L’espoir réside également dans la constance du regain d’intérêt de cette œuvre atypique qui n’arrête pas de susciter des études pointues, reculant chaque jour davantage l’horizon de nos incertitudes. On ne pouvait s’attendre à moins avec un auteur adepte de mystères et de malices qui s’est parfois permis de rire de l’Histoire, avouant même à l’occasion la déformer volontairement, au motif d’estimer ne pas innover en la matière. N’a-t-il pas en effet fourni à la postérité une véritable apologie du mensonge ou de la falsification historique à travers cette conversation qu’il aurait eue avec le préfet de la Ville Junius Tibérianus :

suivantes ne sera pas sans profit… » ; cf. « La valeur de la source inspiratrice de la Vita Pii… », B.H.A.C., 1964-1965, p. 143 et « Il est superfétatoire d’insister sur l’importance primordiale des biographies impériales de l’Histoire Auguste comme source de l’histoire du IIe siècle. Rien ne doit être laissé de côté pour mieux pouvoir apprécier l’historicité des faits allégués, toutes les données doivent être contrôlées, recoupées, authentifiées » ; cf. ibid., 1968-1969, p. 173 et enfin, entre bien d’autres encore, E. Dack : « L’attitude critique de l’Histoire Auguste vis-à-vis des sources, si l’on ose dire, est – contre toute attente – assez nuancée » ; cf. « Alexandre le Grand…», B.H.A.C., 1986, p. 45. 32 X Loriot, en avouant son « parti-pris de n’y recourir qu’à défaut de tout autre (source) et, pour ainsi dire, (qu’) à la dernière extrémité », a justifié comme suit son attitude, avant tout de même de reconnaître l’utilité indéniable de l’œuvre pour les chercheurs : « Ce mystificateur de génie a non seulement truffé son texte de ‘’documents’’ apocryphes, cité de fausses autorités et mis en scène des personnages créés de toutes pièces, mais, ce qui est plus grave encore, inventé des épisodes entiers et sciemment déformé les événements qu’il prétendait relater en fonction de préoccupations inspirées par l’actualité de son temps. Certes, il est évident que ses notices, trop souvent empreintes de la fantaisie la plus débridée, nous transmettent aussi des informations excellentes et puisées de bonnes sources… Mais on conçoit que l’historien ait, dans bien des cas, les plus grandes difficultés à séparer le bon grain de l’ivraie et soit continuellement exposé à tomber, par excès de crédulité, dans l’anachronisme, voire le contresens caractérisé » ; cf. « Les premières années de la grande crise du IIIe siècle… », A.N.R.W., II, 1975, pp. 662-663. 33 Scriptores..., Élagabal, XXVII, 2 : Iam imperator iubebat sibi et decem milia murum exhiberi, mille mustelas, mille sorices.

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« …Tibérianus (ayant soutenu) qu’une bonne partie de l’œuvre de Pollion34 était bourrée de négligences et trop succincte…, je rétorquai que, dans le domaine de l’Histoire, aucun écrivain n’est exempt de mensonges, et je lui citai même des passages dans lesquels Tite-Live, Salluste, Cornélius Tacite ainsi que Trogue [Pompée] peuvent être confondus par des preuves irréfutables »35 ?

Mais fort heureusement, aussi bien que nous venons de le souligner, plusieurs recherches plus ou moins récentes, en appui à l’œuvre monumentale d’A. Chastagnol, se sont employées à rétablir la vérité lorsque celle-ci a pu y être édulcorée, à la lumière d’autres supports d’investigation, notamment l’Epigraphie, l’Archéologie ou la Numismatique36, sans oublier les aveux et allusions d’auteurs de la même époque37. Il en ressort que 34

Il s’agit de Trébellius Pollion, auteur d’une biographie des empereurs depuis les deux Philippes jusqu’à Claude II. Celle-ci ne nous est cependant pas parvenue. 35 Scriptores..., Aurélien, II, 1 : … multa breuiter fuit adserente Tiberiano, quod Pollio incuriose, multa breuiter prodidisset, me contra dicente neminem scriptorum, quantum ad historiam pertinet, non aliquid esse mentitum, prodente quin etiam, in quo Liuius, in quo Sallustius, in quo Cornelius Tacitus, in quo denique Trogus manifestis testibus conuincerentur… Peut-être le biographe avait-il lu, entre autres, le philosophe stoïcien Sénèque qui a affirmé que les historiens donnaient, dans leurs différentes œuvres, libre cours à leur imagination, sans obligation de prouver leurs assertions ; voir L’apocoloquintose…, I, 2 : Quis unquam ab historico iuratores exegit ; lire : « Depuis quand exige-t-on à l’historien des garants assermentés » ? Ce type d’agression d’historiens devait être assez courant chez les hommes de Lettres de l’Antiquité tardive car Tertullien ne se montre pas du tout tendre, lui non plus, à l’égard de Tacite dans son Apologétique, texte établi et traduit par J.-P. Waltzing avec la collaboration d’A. Severyns, Les Belles Lettres, Paris, 1929 (désormais Apol.), XVI, 1-3 : Hanc Cornelius Tacitus suspicionem huiusmodi inseruit. Is enim, in quarto Historiarum suarum de bello Iudaico exorsus ab origine gentis et tam de ipsa origine quam de nomine et religione gentis quae uoluit historia refert… At enim idem Cornelius Tacitus sane ille mendaciorum loquocissimus, in eadem historia refert… ; lire : « Ce soupçon d’un pareil culte, c’est Cornélius Tacite qui l’a fait entrer dans les esprits. En effet, dans le quatrième livre de ses Histoires, qui traite de la guerre des Juifs, il remonte à l’origine de cette nation et, sur l’origine même, sur le nom et la religion de ce peuple, il expose tout ce qui lui plait… Cependant ce même Tacite, cet intarissable conteur de mensonges, rapporte encore, dans la même histoire… ». Sur ce point, lire notre article sur « La dialectique de la vérité historique… », Annales, Libreville, 1999, pp. 133-161. 36 Nous avons surtout utilisé l’excellent recueil des monnaies à légende latine de H. Mattingly et E. A. Sydenham, The Roman…, Londres, 1968. Nous convenons là-dessus avec X. Loriot, Op. cit., p. 664 que « La relative abondance du matériel épigraphique (en général) permet ainsi de compenser dans une certaine mesure la carence de nos sources littéraires dans les domaines de la chronologie et de la prosopographie, non sans parfois éclairer d’une vive lueur les événements historiques eux-mêmes ». 37 Nous nous sommes largement inspiré des études d’érudits modernes qui se sont intéressés à la question de situer l’auteur de l’Histoire Auguste et son œuvre par rapport à la littérature de leur temps ; lire utilement A. Chastagnol, Zozime II, 38 et l’Histoire Auguste », B.H.A.C., 1964-1965, pp. 43-78 ; « Emprunts de l’Histoire Auguste aux Caesares d’Aurélius Victor », R.Ph., XLI, 1965, 85-97 ; « L’Histoire Auguste et les Douze Césars de Suétone », B.H.A.C., 1970, pp. 109-123 ; « Végèce et l’Histoire Auguste », B.H.A.C., 1971, pp. 59-80 ; « Rencontres entre l’Histoire Auguste et Cicéron (A propos d’Alexandre Sévère, VI, 2) », M.E.F.R. (1987), 1994, pp. 283-299 ; « Notes chronologiques sur l’Histoire Auguste et le Laterculus de Polémius Sivius », Aspects de l’Antiquité tardive, Paris, 1994, pp. 179-198…

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l’exploitation historique de l’Histoire Auguste engage tout chercheur à un devoir de vigilance quasi permanente. Chaque fois que possible, il demeure primordial de confronter certaines de ses affirmations à d’autres sources ; d’où l’utilité annoncée de l’Épigraphie, la Numismatique, la Prosopographie d’une part et le recours aux sources antiques plus ou moins contemporaines du biographe, d’autre part. En effet, le recours à des auteurs susceptibles d’avoir inspiré le biographe ou encore d’avoir accédé aux mêmes sources que lui a notamment servi à mieux asseoir certains des témoignages de l’Histoire Auguste, chaque fois que même une simple allusion a pu les appuyer. Ainsi pensons-nous arriver à cerner autant que possible non seulement une sorte de cliché d’ensemble de notre période, mais aussi l’idéologie, la mentalité générale et les options – entendues comme centres d’intérêt – de l’auteur qui nous intéresse à titre principal. Car en effet, il ne nous est pas indifférent d’identifier puis de saisir les motivations profondes qui ont poussé l’auteur des « Vies » à se pencher sur cette histoire antérieure à son époque de près et même de plus d’un siècle. Par ailleurs, un travail comme le nôtre ne pouvant se réduire à un inventaire horizontal des allusions de l’auteur sur le domaine qui nous préoccupe, le recours à divers corpus s’est révélé tout autant indispensable38. Leurs découvertes aussi bien que leurs conclusions nous sont d’un apport inestimable. Elles ont permis, dans une large mesure, de conforter avec plus d’aise ou d’aisances certaines affirmations de l’Histoire Auguste. Nous avons eu ainsi, sur un certain nombre de ses témoignages, la possibilité d’évaluer ou d’établir la fiabilité de l’ensemble des renseignements fournis par le biographe. De ce point de vue, chaque affirmation du biographe nécessiterait d’être confortée par une confirmation numismatique et/ou épigraphique ; ou encore, à la rigueur, par une allusion convaincante provenant d’une source littéraire de son temps. Ce qui nous pose tout de même un problème de conscience sérieux : devrions-nous systématiquement douter des aveux de l’Histoire Auguste sur la seule base du silence des autres sources concernant le sujet en question, sans savoir si celui-ci relève chez elles d’un manque d’intérêt ou même de l’ignorance ? Nous ne devons pas oublier que l’historien opère toujours un choix pour attribuer à des Sur un plan plus général, E. Cizek a mené une étude fort intéressante portant sur l’ensemble des témoignages relatifs à cet épisode pittoresque de l’histoire romaine où il note que « Les problèmes liés à l’étude des sources… ont toujours été compliqués. Les abus que l’on a parfois commis pour les résoudre ont fini par inspirer méfiance et dégoût. Néanmoins, cette étude est nécessaire pour affronter certaines questions posées par les textes antiques. Elles (les recherches qui aident à une meilleure manipulation des sources de la période) sont surtout indispensables pour saisir l’origine des renseignements fournis par les historiens du BasEmpire… » ; cf. « Les textes relatifs… », Latomus, XLV (1), 1986, p. 147. 38 Essentiellement le C.I.L. (Corpus Inscriptionum Latinarum) et l’A.E. (Année Épigraphique).

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événements un caractère historique. C’est ce qui ressort par exemple de cette conclusion de la Vie de l’usurpateur Bonosus, dans l’Histoire Auguste : « Voilà ce que j’ai souvenir d’avoir lu sur Bonosus. J’aurais certes pu passer sous silence la vie de ces quatre tyrans qui n’intéressent personne. Néanmoins, pour rester fidèle à ma méthode, j’ai jugé bon de faire également connaître ce que j’avais appris à leur sujet » 39.

Il en résulte que l’Histoire Auguste elle-même, qui se présente sous forme de recueil de biographies d’empereurs romains, d’Hadrien à Numérien, renferme une mine de renseignements sur les provinces romaines dont on ne saurait se douter avant une attentive fréquentation de cette compilation. Les raisons en sont, somme toute, fort simples. D’abord, plusieurs des empereurs auxquels s’intéresse le biographe ont été en contact avec une ou plus d’une province de l’Empire, avant d’en devenir le responsable suprême par l’accession au trône. Plusieurs empereurs ont en effet mené une carrière provinciale considérable avant de devenir princeps comme Hadrien qui fut, tour à tour, affecté en Mésie Inférieure comme tribun de légion, avant de servir en Germanie Supérieure ; avant d’être envoyé en Pannonie Inférieure comme légat prétorien, contrairement aux convenances car, normalement, le legatus praetorius était un consulaire que lui n’était pas encore à cette époque. Nous disposons d’ailleurs de plusieurs inscriptions funéraires immortalisant les péripéties de la vie de bon nombre d’empereurs ou de prétendants à l’Empire, on trouve invariablement des renseignements sur leurs carrières provinciales respectives ; mais on y remarque plus souvent collé aux titres légaux traditionnels celui de proconsul pour affirmer que celui-ci était aussi le maître des provinces provinciales, comme nous le constatons sur les deux inscriptions suivantes, toutes deux dédiées à Septime Sévère, entre autres40. 39 Scriptores…, Firmus…, XV, 9 : Haec me legisse teneo de Bonoso. Et potui quidem hotum uitam praeterire, quos nemo quaerebat, attamen, ne quid fidei deesset, etiam de his, quae didiceram, intimanda curaui. Encore que des réserves émises là-dessus par A. Jardé nous paraissent fort pertinentes : « Tout ce qui, dans la uita (Alexandri), s’accorde avec le texte de Dion n’est pas nécessairement une réalité, puisque ce peut être dans les deux cas un simple vœu ou projet, mais tout ce qui, dans la uita, dépasse le discours de Mécène peut être tenu pour chimérique et doit probablement être rejeté comme imaginaire. Lorsque, dans de trop nombreux cas, nous n’avons d’autre témoignage que celui de la uita, nous sommes bien obligés de nous en tenir à ce critérium de vraisemblance » ; cf. Études critiques…, E. De Boccard, Paris, 1925, p. 32. 40 Sur la carrière d’Hadrien, voir Scriptores..., Hadrien, II, 3 : Post haec in inferiorem Moesiam translatus extremis iam Domitiani temporibus et ibid., III, 9 : Legatus postea praetorius in Pannoniam inferiorem missus… Pour les inscriptions, il y a par exemple, dans le C.I.L. VI, 1259 : Imperator Caesar diui Marci Antonini Pii Germanici Sarmatici filius / diui Commodi frater diui Antonini Pii nepos diui Hadriani pronepos / diui Traiani Parthici abnepos diui Neruae adnepos / Lucius Septimius Severus Pius Pertinax Augustus… tribunicia potestate VIII imperator XI … proconsul… ; lire : « Imperator César Lucius Septime Sévère Pius Pertinax Auguste, fils du divin Marcus Antonin Pius Germanicus Sarmaticus, frère du divin Commode, petit-fils du divin Antonin le Pieux, arrière-petit-fils du divin Hadrien,

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Certains d’entre eux en sont originaires41 : la fréquence du principe d’un « provincial » à la tête de Rome se trouve d’ailleurs ainsi soulignée dans la Vita S. Severi adressée par l’auteur à l’empereur Constantin : « Tu te demandes fréquemment, Très Grand Constantin, comment il se fait qu’un Syrien, un étranger, ait pu devenir un prince d’une telle envergure, alors que tant d’autres, Romains de souche ou venus de provinces différentes, se sont révélés indignes, corrompus, cruels, abjects, injustes, débauchés »42.

C’est ce que soulignait ainsi A. Schiavone à propos des crises que connut l’Empire dès le IIe siècle et des solutions envisagées pour en sortir : « Dans la tentative d’endiguer la catastrophe et d’éviter la désagrégation, les groupes dirigeants de l’Empire – désormais dans une très large mesure d’origine provinciale – opérèrent, de l’époque des Sévères jusqu’aux années de Dioclétien et de Constantin, une série de réajustements sans précédent dans la structure du pouvoir, devenu fortement militarisé… »43. descendant de Trajan Parthicus et du divin Nerva…, investi de la neuvième puissance tribunicienne, imperator onze fois … proconsul… ». D’après la neuvième puissance tribunicienne, notre inscription date probablement de 200-201. Puis dans l’A.E. 1982, 811 : Imperatori Caesari Lucio Septimio Severo Pio Pertinaci Augusto… / imperatori XI tribunicia potestate VI consuli II … proconsuli… ; lire : « A l’empereur César Lucius Septimius Severus, Pieux, Pertinax, Auguste…, dans sa onzième salutation impériale, dans sa sixième puissance tribunicienne, consul deux fois, proconsul… ». La titulature des princes (avec Septime Sévère, Caracalla et le César Géta) fait dater cette inscription de l’année 198. 41 Nous pouvons citer, entre autres, le cas d’Hadrien, Scriptores..., I, 1 : Origino imperatoris Hadriani uetustior a Picentibus, posterior ab Hispaniensibus manat… ; lire : « Le plus ancien lieu d’origine familiale de l’empereur Hadrien se situe chez les Picentins, le plus récent chez les Espagnols… » ; celui d’Antonin le Pieux, ibid., I, 1 : Tito Aurelio Fuluo Boionio Antonino Pio paternum genus e Gallia Transalpina, Nemausense scilicet ; lire : « Titus Aurélius Fulvus Boionus Antonin le Pieux était originaire, du côté paternel, de la Gaule Transalpine, précisément de Nîmes » ; celui de Septime Sévère, ibid., I, 1-2 : Interfecto Didio Iuliano Seuerus Africa oriendus imperium optnuit. Cui ciuitas Lepti, pater Geta… ; lire : « Après l’assassinat de Didius Julianus, Sévère, originaire d’Afrique, obtint le pouvoir. Né à Leptis, il avait pour père Géta… » ; ou encore celui d’Alexandre Sévère, ibid., I, 2 et III, 3 : … urbe Arcena genitus… grammaticum in patria Graecum Nehonem ; lire : « … (Alexandre Sévère était) originaire d’Arcéna (ou Arca, localité située au nord de l’actuel Liban, à quelque distance au nord-ouest de Tripoli)… dans sa patrie, il étudia la grammaire grecque avec Ného… » ; c’est bien de lui qu’il est question dans le texte cité infra, note suivante : … quod hominem Syrum… Se référer à ce propos au chapitre de l’histoire romaine animée par les « empereurs illyriens », qui commandèrent aux destinées de Rome presque de manière ininterrompue, de 268 à 378 et auxquels l’Université de Strasbourg a accordé une attention particulière au cours d’un colloque organisé du 11 au 13 octobre 1990 et dont les actes ont été édités quelques années plus tard par E. Frézouls et H. Jouffroy. Parmi les thèmes largement débattus à ces assises, signalons : E. Frézouls, « L’accession au pouvoir… », Strasbourg, 1998, pp. 5-10 ; T. Zawadzki, « L’Histoire Auguste… », pp. 21-28 ; X Loriot, « Un sénateur illyrien… », pp. 43-56 ; H. Huvelin, « Le début du règne… », pp. 87-96. 42 Scriptores..., Alexandre Sévère, LXV, 1 : Soles quaerere, Constantine maxime, quid sit, quod hominem Syrum et alienigenam talem principem fecerit, cum tot Romani generis, tot aliarum prouinciarum repperiantur improbi, impuri, crudeles, abiecti, iniusti, libidinosi. 43 Cf. L’histoire brisée…, Langres, 2003, p. 225.

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En outre, plusieurs autres, sinon tous, ont eu à y intervenir, ici ou là, lors des diverses campagnes de pacification que nécessitait sans cesse la stabilité de l’Empire44. Tous enfin ou presque, en tant qu’empereurs, s’y sont rendus pour des missions de diverses natures45. Pour ce qui est du cadre chronologique de notre étude, la nature même de sa source principale nous en donne les limites sommaires quoique nécessairement quelque peu excessives46 : de 117 dès l’avènement d’Hadrien à 285 avec la mort de Numérien. Mais ces dates peuvent paraître aussi, à juste titre, quelque peu arbitraires, vu que les réalités relatives à l’ensemble des provinces romaines, aussi bien en ce qui concerne leurs repères topographiques que leurs contraintes de gestion, n’évoluent pas au même rythme que l’ondoyance parfois tumultueuse des mutations à la tête de l’Empire romain. Du reste, il arrive souvent que par omission ou par absence ou encore par pénurie de détails, le biographe ne fasse aucune allusion ou simplement que des allusions évasives aux provinces à travers toute une Vita d’empereur (ou d’usurpateur)47. 44 Se rapporter là-dessus à l’étude toujours décisive de R. Rémondon, La crise de l’Empire romain…, Paris, P.U.F., 1964, p. 74 sq. Le regain d’intérêt dont a bénéficié le Bas-Empire en général ces derniers temps a fait multiplier des études sur divers aspects de cette période de l’histoire romaine. On trouvera une bibliographie très actualisée dans la réédition du titre que M. Christol a consacré à l’analyse de l’instabilité politique de l’Empire à ladite période ; cf. L’empire romain au IIIe siècle…, Errance, 1998, pp. 259-289. 45 A l’exception d’Antonin le Pieux qui ne quitta jamais Rome, même en temps de guerre, préférant s’en remettre à l’efficacité de ses légats ; voir Scriptores..., Antonin le Pieux, V, 4 : Per legatos suos plurima bella gessit ; lire : « Il livra de nombreuses guerres, mais par l’intermédiaire de ses légats ». Ses raisons de se comporter ainsi sont connues, ibid., VII, 11 : Nec ullas expeditiones obiit, nisi quod ad agros suos profectus est et ad Campanaim dicens grauem esse prouincialibus comitatum principis, etiam nimis parci ; lire : « Il n’entreprit guère de voyages, sinon pour se rendre sur ses terres en Campanie car, disait-il, la suite d’un empereur – si économe fût-il – était une lourde charge pour les provinciaux ». 46 A. Chastagnol fait remarquer à ce propos que « L’Histoire Auguste constitue assurément la source littéraire la plus abondante pour une longue période de 167 ans, pendant laquelle on ne dispose du reste la plupart du temps que d’une documentation historique extrêmement maigre » ; cf. « Le problème de l’Histoire Auguste », B.H.A.C., 1963, p. 44. Il s’agit en effet d’étudier plus d’un siècle d’histoire à travers l’action administrative de plus d’une quarantaine d’empereurs qui se sont succédé à la tête de l’Etat, avec des fortunes plus ou moins heureuses et à travers des témoignages très inégaux d’un empereur à un autre. On ne saurait en effet comparer aux Vies d’Alexandre Sévère, de Claude le Gothique ou d’Aurélien, si denses, à celles des Maximiens, des Gordiens ou autres Galliens dont le manque d’intérêt dans l’Histoire Auguste est déjà matérialisé par ces ‘’jumelages’’ ; sans oublier l’impasse volontaire (?) mais toujours inexplicable qui passe sous silence les Vies de Philippe l’Arabe et de son fils homonyme (qui ont régné de 244 à 249), de Dèce et de son fils Hostilien (249251), de Trébonien Galle et Volusien (251-253), d’Émilien (253) et enfin de Valérien (253260) ; soit, au total, une lacune de pratiquement seize ans d’histoire impériale. 47 C’est souvent le cas dans les Vies où le biographe s’est montré particulièrement laconique, soit en raison de leur brièveté, soit par leur manque de relief, leur platitude. Écoutons-le par exemple prévenir ses lecteurs de ne pas disposer de bien grand-chose sur Aélius : Scriptores..., Aélius, I, 3 : Et quoniam nimis pauca dicenda sunt, nec debet prologus informior esse quam fabula, de ipso tam loquar ; lire : « Et, puisqu’il y a assez peu de choses

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Le cadre géographique s’avère plus délicat encore à définir ou à délimiter. Certes, par d’autres moyens, nous sommes à mesure de fournir des précisions utiles sur le périmètre et la configuration administrative réels des provinces romaines au moment de telle ou telle autre Vita des empereurs de l’Histoire Auguste 48, mais la nature de l’œuvre en elle-même ne convient pas à la conception d’une vue d’ensemble d’un phénomène fondamentalement évolutif et dont les mouvements ne correspondent pas nécessairement, en tout cas assez rarement, au déroulement des événements à Rome. De plus, il y a des provinces dont l’œuvre parle plus souvent et avec force détails que d’autres, généralement lorsqu’il s’agit de foyers de tensions latentes. C’est pourquoi A. Chastagnol, pour attirer l’attention sur ce phénomène, a tenu à sérier les vies d’empereurs qui composent l’Histoire Auguste, séparant ainsi les Vies jugées « principales » des « secondaires » et des « intermédiaires »49. Bien sûr, la dernière véritable politique d’annexion de nouveaux territoires à Rome remonte à Trajan (donc antérieure à notre période) ; mais les provinces romaines, même en nombre constant, ne posent pas les mêmes problèmes aux mêmes moments : elles ne sont pas d’égale étendue, ne se soulèvent pas ensemble, n’exigent pas les mêmes effectifs pour leur régence, ne se romanisent pas au même rythme sans compter que les administrateurs romains quant à eux ne se comportent pas de manière identique d’une province à une autre… D’où certains cas d’abandon de provinces – dont la discussion pour en établir les circonstances exactes ou, en d’autres termes, les mobiles fondamentaux, continue de diviser plusieurs Modernes – enregistrés sous les règnes d’Hadrien50, celui du fils présumé de Bassianus à dire (sur lui) et que le prologue ne doit pas être plus long que la pièce, je vais parler de lui sans attendre ». 48 Cf. Carte administrative de l’Empire avant la crise du IIIe siècle en Annexe. 49 Conformément à cette répartition, les règnes d’Hadrien, Antonin le Pieux, Marc Aurèle, Vérus, Commode, Pertinax, Didius Julianus, Septime Sévère, Caracalla et Alexandre Sévère constituent les « Vies » principales ; les secondaires : Aélius, Avidius Cassius, Pescennius Niger, Clodius Albinus et Géta ; tandis que les règnes de Macrin, Diaduménien, Élagabal, les deux Maximins, les trois Gordiens, Maxime et Balbin représentent le prototype des « Vies » intermédiaires ; cf. intr. gén. de son édition de l’Histoire Auguste, Robert Laffont, Paris, pp. XXXVII-XL. 50 Lorsque le biographe en parle pour la première fois, il ne s’agit que de l’abandon par Hadrien d’une toute petite cité dans l’Osrhoène située au-delà de l’Euphrate et du Tigre, qui devait d’ailleurs demeurer cliente de Rome ; Scriptores..., Hadrien, V, 3 : Quare omnia trans Eufraten ac Tigrim reliquit exemplo, ut dicebat, Catonis, qui Macedonas liberos pronuntiauit, quia tueri non poterant ; lire : « C’est pourquoi il abandonna tout le pays situé au-delà de l’Euphrate et du Tigre, à l’exemple, comme il disait, de Caton qui déclara libres les Macédoniens parce qu’on ne pouvait les protéger ».Toutefois, plus loin, il semble qu’il y ait eu un mouvement plus significatif ; ibid., IX, 1 : Inter haec tamen et multas prouincias Traiano adquisitas… ; lire : « Pourtant au même moment il abandonna bien des provinces conquises par Trajan… ». Cependant et plus d’une fois, Festus Abrégé des haut faits du peuple romain, texte établi et traduit par P.-M. Arnaud-Lindet, Les Belles Lettres, Paris, 1994 ; (désormais Breu.) quant à lui affirme comme une certitude absolue qu’Hadrien se

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Hélagabal51 ou d’Aurélien52. Il faut d’ailleurs reconnaître au passage que, plus que jamais, l’exercice du pouvoir impérial à Rome n’avait rien d’une sinécure. Aussi peut-on comprendre les appréhensions d’Antonins le Pieux à la nouvelle de son adoption par Hadrien qui le désignait pratiquement ainsi comme son dauphin et successeur : « Mais quand il eut appris qu’Hadrien l’avait adopté, il éprouva plus d’effroi que de joie et c’est à contre cœur qu’invité à se transporter dans la maison privée d’Hadrien, il quitta la maison de sa mère. Et, peut-on lire dans l’Histoire Auguste, comme ses familiers lui demandaient pourquoi il accueillait avec tristesse son adoption par l’empereur, il leur fit un exposé sur les maux inhérents au pouvoir »53.

comporta ainsi par pure jalousie de l’immense œuvre expansionniste de son prédécesseur. D’abord en XIV, 3 : Ad extremum sub Traiano principe regi maioris Armeniae diadema sublatum est per Traianum Armenia, Mesopotamia, Assyria et Arabia prouinciae factae sunt ac limes Orientis supra ripam Tigridis et institutus. Sed Hadrianus reddidit ac inter Perrsas et Romanos Auphraten esse uoluit ; lire : « A la fin, sous le principat de Trajan, le diadème fut enlevé au roi d’Arménie majeure et, grâce à Trajan, l’Arménie, la Mésopotamie, l’Assyrie et l’Arabie devinrent des provinces, et la frontière orientale fut même établie au-delà du Tigre. Cependant Hadrien, le successeur de Trajan, rendit volontairement l’Arménie, la Mésopotamie, l’Assyrie, et voulut que l’Euphrate constitue la ligne de partage entre Perses et Romains » ; puis plus loin, XX, 4 : Hadrianum gloriae Traiani certum est inuidisse. Qui successor in imperio sponte propria reuocatis exercitibus Armeniam, Mesopotamiam, Assyriam reddidit ac medium inter Persas et Romanos Auphraten esse uoluit ; lire : « Il est certain qu’Hadrien eut en haine la gloire de Trajan, lui qui, quand il recueillit la succession impériale, après avoir rappelé de sa propre volonté les armées, abandonna l’Arménie, la Mésopotamie, l’Assyrie et voulut que l’Euphrate constitue la ligne de partage entre Perses et Romains. 51 Scriptores..., Alexandre Sévère, LVI, 6 : Terras interamnanas [Mesopotamiae scilicet] neclectas ab inpura illa belua recepimus ; lire : « Nous avons récupéré les territoires qui s’étendent entre les deux fleuves et que cette bête immonde [Élagabal] avait abandonnés ». A. Chastagnol précise cependant que la Mésopotamie ici concernée n’a jamais été abandonnée par Élagabal ; cf. sa note 2, p. 624. 52 Scriptores..., Aurélien, XXXIX, 7 ; texte cité infra, note 142. Pour des détails supplémentaires sur cette nouvelle province dont la capitale était Serdica (Sofia), cf. A. Chastagnol, Introduction de la Vie d’Aurélien, pp. 961-962. 53 Scriptores..., Marc Aurèle, V, 3-4 : Vbi autem comperit se ab Hadriano odptatum, magis est deterritus quam laetatus issusque in Hadriani priuatum domum migrare inuitus de maternis hortis recessit. Cumque ab eo domestici quaererent, cur tristis in adoptionem regiam transiret, disputauit, quae mala in se contineret imperium. Le biographe fera une fois encore allusion à la complexité des charges dévolues à l’empereur à travers une anecdote relative au dessein d’usurper le pouvoir d’un certain Ovinius Camillus au cours du règne d’Alexandre Sévère. On peut en effet y lire, ibid., Alexandre Sévère, XLVIII, 1 : Cum quidam Ouinius Camillus senator antiquae familiae delicatissimus rebellare uoluisset tyrannidem adfectans eique nuntiatum esse ac statim probatum, ad Palatium eum rogauit eique gratias egit, quod curam rei p(ublicae), quae recusantibus bonis inponeretur, sponte reciperet… ; lire : « Un certain Ovinius Camillus, sénateur de vieille souche mais grand viveur, avait projeté de fomenter une rébellion pour s’emparer du pouvoir. Quand Alexandre Sévère fut mis au courant du projet et sitôt qu’il eût des preuves, il le convoqua au palais et le remercia de vouloir assurer spontanément la responsabilité de l’État que les citoyens d’élite

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Comment concevoir alors les limites géographiques de cette étude dans la perspective d’une meilleure compréhension des mécanismes de l’unification et de l’intégration de l’Empire54 ? Question simple et ardue car, d’un côté, il semble suffisant de prendre en considération les périmètres-repères de l’Empire aux temps d’Hadrien et de Numérien ; mais justement, il s’agit de ce point de vue d’étudier l’œcoumène (c’est-à-dire le « monde entier »55) de l’époque, dont l’administration, même répondant à un fil conceptuel unique et à des objectifs identiques, a forcément varié, d’une province à une autre. Convenons plus simplement avec l’analyse de L. Harmand qui a dit des provinces romaines, parlant spécifiquement de la Gaule, de l’Espagne, de la Bretagne et de l’Afrique du Nord que : « … n’ayant pas connu la même histoire, ces contrées ne pouvaient se prévaloir de la même civilisation : aucune homogénéité dans la physionomie qu’elles tenaient d’un passé nécessairement inégal et disparate…, il fallait (pour en assurer l’administration), tenir compte à la fois de bien des contraintes : celles de la géographie d’abord, les limites naturelles imposant leurs lois – celles de la tradition ensuite, le mépris de certaines démarcations ancrées dans un passé plus ou moins lointain risquant de provoquer les doléances des administrés – sans parler des impératifs de l’administration elle-même »56. On peut en dire autant du reste des provinces romaines. Qui prétendrait en effet assimiler, par exemple, la Germanie à l’Afrique ou à la Bretagne57 ? Il convient plutôt n’acceptaient qu’à contrecœur… ». Ces deux textes sont également cités infra, V, note 523. A noter aussi la même conviction chez Pline le Jeune, texte établi et traduit par M. Durry, 4e tirage, Les Belles Lettres, Paris, 1972 (désormais Let. ou Pan.), Pan., VII, 3 : Assumptus es in laborum curarumque consortium, nec te prospera et laeta stationis istius, sed aspera et dura ad capessendam eam compulerunt : suscepisti imperium, posquam alium suscepti paenitebat ; lire : « Tu as été appelé à la participation des peines et des inquiétudes, et ce n’est pas ce que ce poste a de facile et d’agréable, mais ce qu’il y a de difficile et de pénible qui t’a poussé à l’accepter ; tu t’es chargé de l’Empire parce qu’un autre regrettait de s’en être chargé ». 54 Ce thème constitue la principale préoccupation de F. Jacques et J. Scheid, auteurs de Rome et l’intégration de l’Empire…, Paris, 1990, tome I, au chapitre traitant de « L’Emprise romaine sur l’Empire romain », p. 161 sq. ; mais surtout le tome II qui se présente sous forme d’une véritable monographie sur les provinces romaines. 55 En raison des limites de leurs connaissances géographiques mais également par le souci de vanter l’accomplissent d’une expansion romaine exceptionnelle et inédite, les Romains parlaient volontiers de « l’univers » pour désigner le périmètre du monde placé sous leur juridiction. Cette inclinaison, bien antérieure à l’Histoire Auguste, n’y fait point défaut. Pour ce qui est de son temps, ladite pratique ne lui est pas non plus exclusive. Orose, I, 2, 106, par exemple, avait tout autant la conviction de décrire l’univers (orbem totius terrae) en préludes de ses Histoires, lorsqu’il y a déclaré : Percensui breuiter ut potui prouincias et insulas orbis uniuersi ; lire « J’ai passé en revue brièvement, comme je l’ai pu, les provinces et les îles du monde entier ». 56 Cf. L’Occident romain…, Paris, 1960, p. 113 sq. 57 Le tempérament des habitants de cette province fraîchement confiée à son beau-père Agricola a été examiné par Tacite, Agr., XI, 3-6, qui aurait tant fait s’il avait mis ces connaissances en la matière à la disposition du nouveau promu : In uniuersum tamen aestimanti Gallos uicinam insulam occupasse credibile est. Eorum sacra deprehendas, ac superstitionum persuasiones ; sermo haud multum diuersus, in deposcendis periculis eadem

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de se résoudre à l’effort de tenir suffisamment compte de leurs spécificités respectives qui ont d’ailleurs modelé, dans une large mesure, l’histoire « nationale » de chacune d’elles. Dans une exhortation adressée à un jeune Romain pressenti au gouvernement d’une province, Juvénal nous montre bien sa pleine conscience de l’exception de chaque province romaine en insistant sur l’exigence d’adapter la politique romaine aux différentes réalités locales : « Peut-être méprises-tu les lâches Rhodiens et Corinthe parfumée ; tu n’aurais pas tort : que pourront te faire de jeunes gens passés à la résine, et ses nations entières aux jambes sans poil ? Mais il faut te garder de l’Espagne velue, du ciel de la Gaule, et des bords illyriens. Epargne aussi ces moissonneurs qui nourrissent notre ville uniquement occupée du cirque et de la scène. Et, d’ailleurs, quel serait, pour un crime si funeste, le bénéfice, puisque les Africains se trouvent réduits à rien, détroussés naguère par Marius ? Il faut avoir soin, surtout, de ne pas exercer de trop injuste violence contre des hommes vaillants et malheureux »58.

Ces analyses ethnographiques étaient d'une importance capitale et devaient déterminer les décideurs à choisir les voies de gestion appropriées à chaque province, conformément aux données caractéristiques répertoriées. Malgré toutes les difficultés inhérentes au texte proprement dit, ce travail se propose tout de même de s’inspirer du regard de l’auteur de l’Histoire Auguste pour tenter d’établir le rôle et la place des provinces romaines dans l’Empire à un moment où Rome avait, nécessairement sans le déclarer officiellement, adopté la convenance d’arrêter les conquêtes, la gestion de

audacia et, ubi aduenere, in detrectandis eadem formido. Plus tamen ferociae Britanni praeferunt, ut quos nondum longa pax emollerit ; nam Gallos quoque in bellis floruisse accepimus ; mox segnitia cum otio intrauit, amissa uirtute pariter ac libertate. Quod Britannorum olim uictis euenit : ceteri manent quales Galli fuerunt ; lire : « Cependant, en gros, on peut croire que les Gaulois ont envahi l’île en raison de sa proximité. On peut y remarquer leur culte, leurs croyances superstitieuses ; les langues diffèrent peu ; même audace à réclamer les périls, et, les périls venus, même hâte craintive à s’y soustraire. Néanmoins les Bretons montrent plus de fougue, parce qu’une longue paix ne les a pas encre amollis ; car les Gaulois aussi, nous le savons, ont été de brillants guerriers ; ensuite l’indolence s’introduisit avec la paix ; ils perdirent la vaillance en même temps que la liberté. Il en fut de même pour ceux des Bretons qui furent autrefois vaincus ; les autres sont encore ce que furent les Gaulois ». 58 Juvénal, Satires, texte établi et traduit par P. de Labriolle et F. Villeneuve, 8ème éd., 1964 (désormais Sat.), VIII, 112-122 : … Despicias tu / forsitan inbellis Rhodios unctamque Corinthon ; / descipias merito ; quid resinata iuuentus / cruraque totius facient tibi leuia gentis ? / Horrida uitanda est Hispania, Gallicus axis / Illyricumque latus ; parce et messoribus illis / qui saturant urbem circo scaenaeque uacantem ; / quanta autem inde feres tam dirae praemia culpae, / cum tenuis nuper Marius discinxerit Afros ? / Curandum in primis ne magna iniuria fiat / fortibus et miseris…

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l’acquis ne comptant déjà plus pour une tâche aisée59. Une telle ambition procède essentiellement d’une double interrogation. Comment s’y prendre pour que les Romains puissent tirer des provinces tout ce dont Rome avait besoin pour sa prospérité et sa pérennité, tout en inculquant aux provinciaux la légitimité d’ainsi demeurer soumis à un peuple convaincu de la supériorité de son genre de vie auquel tous les autres devaient absolument s’identifier60 ? Et, quelle attitude adopter pour que cette ingérence forcément traumatisante ne génère point de vastes mouvements de répulsion ou de résistance à la romanisation ? Voilà comment peut s’exprimer la délicatesse des rapports de vassalité exceptionnelle ainsi établis entre la métropole romaine et ses provinces qui, dans une large mesure, modelèrent considérablement leurs attitudes respectives. Lorsqu’Auguste lui-même prescrivait à ses successeurs la logique des conquêtes permanentes en déclarant leur avoir légué un empire illimité aussi bien dans le temps que dans l’espace, hissant la postérité romaine au sommet du monde61, il ne se doutait guère que cette exaltante aventure aurait pour 59 Cf. supra, notes 50-53. Nous ne tairons toutefois pas l’existence de ces velléités de reculer les limites de l’Empire que l’Histoire Auguste atteste parmi les intentions de Marc Aurèle, XXIV, 5 : Voluit Marcomanniam prouinciam, uoluit etiam Sarmatiam facere, et fecisset, nisi Auidius Cassius rebellasset sub eodem in oriente ; lire : « Il voulut transformer en province le pays des Marcomans et agir de même pour la Sarmatie, et il y serait parvenu si Avidius Cassius n’avait pas pris les armes contre lui en Orient ». 60 Telle était en effet la priorité chez les Romains dont le souci permanent visait, par-dessus tout, la pérennité d’une Rome à la tête du monde. C’est ce qui apparaît clairement par exemple à travers ce engagement solennel qu’aurait pris le « tyran » Marius lors de sa tentative d’usurpation du pouvoir ; Scriptores..., Les XXX Tyrans, VIII, 11 : Enitar denique, ut omnis Alamannia omnisque Germania cum ceteris, quae adiacent, gentibus Romanum populum ferratam putent gentem, ut spécialiter in nobis ferrum timeant ; « Je (Marius) mettrai donc tout en œuvre pour que l’ensemble de l’Alamanie et de la Germanie ainsi que les autres populations voisines considèrent le peuple romain comme une nation de fer et regardent notre propre fer comme particulièrement redoutable ». 61 Virgile, Énéide, texte établi par H. Goelzer et traduit par A. Bellessort, Les Belles Lettres, Paris, 1964, I, 278-279 : His ego nec metas rerum nec tempora pono / imperium sine fine dedi. Quin aspera Iuno, / quae mare nunc terrasque metu caelumque fatigat, / consilia in melius referet, mecumque fuebit / Romanos, rerum dominos gentemque togatam ; lire : « Je n’assigne de borne ni à leur puissance ni à leur durée : je leur ai donné un empire sans fin. Mieux encore : l’âpre Junon, qui fatigue aujourd’hui de sa crainte et la mer et la terre et le ciel, reviendra à des sentiments meilleurs et protégera comme moi, le peuple qui portera la toge, les Romains maîtres du monde ». Encore que ces vers s’avèrent plutôt contradictoires par rapport à la prudence qu’il aurait lui-même conseillée à ses successeurs, s’agissant des limites de l’Empire, à en croire Tacite et Suétone. Le premier affirme notamment, à propos de la situation générale de l’Empire à l’aube de l’avènement de Tibère ; Ann., I, 3, 6 : Bellum ea tempestate nullum nisi aduersus Germanos supererat, abolendae magis infamiae ob amissum cum Quintilio Varo exercitum quam cupidine proferendi imperii aut dignum ob praemium ; lire « La seule guerre qui restât à cette époque était dirigée contre les Germains et elle visait à effacer l’opprobre du désastre subi par Quintilius Varus et son armée, plus qu’elle ne répondait au désir d’étendre l’Empire ou à la recherche d’un avantage substantiel ; voir aussi ibid., 11, 4. Quant à Suétone, Vies des XII Césars, texte établi et traduit par H. Ailloud, Les Belles Lettres, Paris, 1931-1932 (désormais Suétone, Aug. selon la Vie), on peut également

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corollaire une incontournable dépendance des Romains vis-à-vis des territoires conquis. Dans tout processus de colonisation, dans l’Antiquité comme de nos jours, les rapports entre les Etats finissent toujours ou tout au moins souvent, par conjugaison, à établir une interdépendance qui se manifeste toujours par l’attachement de la métropole au sort du territoire placé sous son joug. Dans certains cas, la qualité des hommes ou des cultures de l’Etat conquis arrive même à s’imposer sur l’envahisseur, en accentuant son poids sur plusieurs domaines clés de la vie quotidienne par un système de dépendance inversée. Plus qu’en son temps, les mots d’Horace qui disait que la Grèce vaincue par Rome l’avait à son tour civilisée : Graecia capta ferum uictorem cepit et artes / Intulit agresti Latio62,

se sont révélés d’une extrême justesse. Soumises par les armes, on aurait dû lire dans les relations bilatérales entre les provinces romaines et le pouvoir central une mainmise totale du vainqueur sur les vaincus. Or, il n’en est rien. Bien au contraire, l’impression d’ensemble semble dominée par une série d’attentions de la part des Romains visant à ménager leurs provinces. Ne conseille-t-on pas de soigner lire dans sa biographie d’Auguste, XXI, 4 : Nec ulli genti sine iustis et necessariis causis bellum intulit tantumque afuit a cupiditate quoque modo imperium uel bellicam gloriam augendi, ut quorundam barbarorum principes in aede Martis Vltoris iurare coegerit mansuros se in fide ac pace quam peterent… ; lire : « D’ailleurs, il ne fit jamais la guerre à aucune nation sans raison légitime et sans nécessité, car il était si loin de vouloir étendre l’Empire pour accroître sa gloire militaire qu’il obligea les notables de certains peuples barbares à jurer dans le temple de Mars Vengeur de respecter leurs engagements ainsi que la paix demandée par eux ». 62 Horace, Epitres, II, 1, 156-157. Il nous semble d’ailleurs tout autant opportun d’écouter ses propres propos à ce sujet ; Res gestae diui Augusti, texte établi et traduit par J. Scheid, Les Belles Lettres, Paris, 2007, XXVI, 1-5 : Omnium prouinciarum populi Romani, quibus finitimae fuerunt gentes, quae non parerent imperio nostro fines auxi. Gallias et Hispanias prouincias item Germaniam, qua includit Oceanus a Gadibus ad ostium Albis fluminis, pacaui. Alpes a regione ea, quae proxima est Hadriano mari, ad Tuscum pacari feci nulli genti bello per iniuriam inlato. Classis mea per Oceanum ab ostio Rheni ad solis orientis regionem usque ad fines Cimbrorum nauigauit, quo neque terra neque meri quisquam Romanus ante id tempus adit, Cimbrique et Charydes et Semnones et eiusdem tractus alii Germanorum populi per legatos amicitiam meam et populi Romani patierunt. Meo iussu et auspicio ducti sunt duo exercitus eodem fere tempore in Aethiopiam et in Arabiam, quae appellatur Eudaemon… ; lire : « J’ai agrandi les frontières de toutes les provinces du peuple romain, dont étaient voisines des nations qui n’obéissaient pas à notre pouvoir. J’ai pacifié les provinces des Gaules et des Hispanies, ainsi que la Germanie, tout le territoire que délimite l’Océan entre Gadès et l’embouchure de l’Elbe. J’ai pacifié les Alpes, de la région qui est proche de la mer adriatique jusqu’à la mer Tyrrhénienne, sans jamais faire la guerre de manière injuste à un peuple. Ma flotte a navigué sur l’Océan de l’embouchure du Rhin vers les régions orientales jusqu’au pays des Cimbres, où aucun Romain n’était jamais parvenu jusqu’à cette date, ni par terre ni par mer. Les Cimbres, Les Charydes et les Semnons, ainsi que d’autres peuples germains de cette région, ont demandé par des ambassadeurs mon amitié et celle du Peuple romain. Sous mon commandement et mes auspices, deux armées ont été conduites à peu près en même temps en Éthiopie et dans l’Arabie qu’on appelle Heureuse... ».

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sa monture pour s’assurer son efficacité ? C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre diverses attitudes d’empereurs à l’encontre de certaines exactions commises par des Romains en provinces. La stratégie, nous le verrons, consistait à mettre en pratique une système de gestion des province qui n’irritât personne parmi les administrés et qui garantît un meilleur rendement grâce à une administration romaine simplifiée, légère et surtout, du moins en apparence, particulièrement rigoureuse vis-à-vis des Romains qui y étaient affectés. Cette pratique, sur ce dernier point, ne datait d’ailleurs pas de la période des empereurs de l’Histoire Auguste63. En somme, un regard horizontal sur l’ensemble des allusions que l’auteur de l’Histoire Auguste a faites à des sujets liés à l’administration des provinces romaines dégagent une double concentration des préoccupations des Romains à ce sujet. D’une part, on ressent un vif souci de préserver la paix autant à Rome que dans les provinces comme gage de stabilité et de prospérité. D’autre part, on perçoit assez aisément les avantages que les Romains tiraient de cette stabilité : une meilleure exploitation des territoires conquis et romanisés. Cette dualité nous a guidé dans la division du présent travail en un certain nombre de centres d’intérêt qui constituent, dans une large mesure, les principales articulations de notre corps d’étude. Il s’agira, dans l’ensemble : - De cerner les contours juridiques des provinces romaines à travers leurs statuts respectifs et l’aménagement de leur territoire ; - D’analyser les mécanismes de valorisation des provinces romaines et d’en dégager les objectifs pour la métropole ; - De mettre à jour les normes de gestion des hommes affectés à servir en province préconisées par les Romains autant pour intensifier le rendement des provinces que pour y assurer la sécurité des biens et des personnes… Notre recherche, à n’en point douter, ne prétend pas à l’exhaustivité. Nous l’avons conçue sous la forme d’une réflexion nécessaire sur des thèmes susceptibles de contribuer à une compréhension somme toute indispensable de cette arme autrement plus efficace que le glaive pour Rome qu’était son administration, à travers l’expression de l’ensemble de ses mesures concernant les provinces romaines connues de l’Histoire Auguste. Au seuil de cet ouvrage, il nous est particulièrement agréable de réaffirmer notre profonde gratitude à Monsieur Jean-Pierre Martin, Professeur Emérite à Paris-IV en Sorbonne, pour en avoir suscité le thème et conduit les investigations lors de la préparation de notre dossier d’Habilitation à Diriger des Recherches, avec sa traditionnelle et attentive bienveillance. Ses remarques critiques, toujours constructives, nous ont 63

Cf. infra le chapitre qui traite de la répression des abus des promagistrats, en V de la présente étude.

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permis de nuancer certains de nos jugements initiaux un peu trop hâtifs ; mais surtout de développer les moyens d’une meilleure lecture pour une exégèse fructueuse des textes anciens. Que tout ce que l’on puisse trouver dans ce volume de positif reflète les divers conseils et orientations qu’il en a suggérés. Cependant, un très grand respect de nos positions personnelles le dispense de la responsabilité des écueils qu’il renferme sans doute ici et là, partageant le sort commun à toute œuvre humaine.

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I. LE STATUT DES PROVINCES ET L’AMENAGEMENT DE LEURS TERRITOIRES

« De grandes différences, au début du principat, distinguaient, sur le plan du droit, des cités préexistantes à la conquête et maintenant intégrées au monde romain… Trois types de cités pérégrines peuvent être dégagés avec, au départ, des statuts inégaux. Les cités ‘’libres et fédérées’’ possédaient le statut le plus avantageux puisque, en théorie, elles avaient conclu avec Rome un traité sur un pied d’égalité… Les cités libres tenaient leur statut d’un acte unilatéral de Rome et les avantages accordés pouvaient être modifiés… Toutes les autres cités étaient réputées ‘’stipendiaires’’ ». Cf. J.-P. Martin et alii, Histoire…, A. Colin, Paris, 2009, pp. 265-266.

Auguste avait légué à la postérité un Empire au périmètre connu et dont les bases fondamentales de gestion avaient été conçues par lui, dans le souci d’y décourager toute velléité de soulèvement susceptible de compromettre l’ordre ainsi établi. Un tel souci imposait en premier lieu des règles de gestion de l’espace et des hommes répondant à des critères précis au double plan territorial et sociologique. L’annexion à Rome d’États nouveaux entraînait d’abord comme conséquence la confrontation des réalités locales à la vision romaine de la gestion des peuples. Dès lors, ce qui a pu passer comme règle établie dans ces dépendances a souvent dû se soumettre à un remodelage, en vue de se conformer aux aspirations et intérêts du conquérant : Rome. Des propres aveux du premier princeps contenus dans les Res Gestae Diui Augusti, il est possible de se faire une idée assez précise de la configuration de l’Empire romain de son époque : « J’ai agrandi toutes les provinces du peuple romain, situées à la frontière des nations qui n’étaient pas soumises à notre Empire. J’ai pacifié les Gaules, les Espagnes et la Germanie, là où elles sont baignées par l’Océan, depuis Gadès jusqu’à l’embouchure de l’Elbe. J’ai fait pacifier les alpes depuis la contrée voisine de la mer Adriatique jusqu’à la mer Tyrrhénienne, sans porter chez aucun

de ces peuples une guerre injuste. Ma flotte, partie de l’embouchure du Rhin, s’est dirigée vers l’Orient jusqu’au territoire des Cimbres, en un lieu où nul Romain n’avait pénétré auparavant, ni par terre ni par mer… Par mon ordre et sous mes auspices, deux armées sont allées presque en même temps en Éthiopie et en Arabie qu’on appelle Heureuse… J’ai annexé l’Égypte à l’Empire du peuple romain. Après le meurtre du roi Artaxès (roi de la grande Arménie)…, j’ai préféré confier ce royaume à Tigrane (au lieu de le réduire en province comme il aurait pu aisément le faire et qu’il fera d’ailleurs plus tard, ce peuple ayant tenté de s’affranchir du joug romain) » 64.

Par rapport au périmètre de l’Empire deux à trois siècles plus tard, il n’y a que la Bretagne, conquise par Claude I en 43 ap. J.-C., qui ne comptait pas parmi les « réalisations » d’Auguste. Comment ne pas lui accorder d’estimer avoir ainsi suffisamment reculé les frontières de l’Empire et qu’il ne suffisait à ses successeurs que de se contenter de l’administrer convenablement ? S’il faut là-dessus croire au témoignage de Tacite, Auguste aurait en effet, dans son testament, ajouté à tous ces détails le conseil ou même la recommandation de ne pas reculer les bornes de l’Empire, sans qu’on sache si c’était par crainte ou sous l’effet de la jalousie, a-t-il souligné cependant à la suite de son témoignage65.

I – 1 : La configuration de l’Empire romain aux IIe et IIIe siècles ap. J.-C. Depuis le premier princeps (et même au temps de la République des conquêtes, malgré des normes administratives différentes) l’Empire romain c’est, d’un côté, le pouvoir central officiellement exercé de la Ville par l’empereur avec l’appui du Sénat ; et, de l’autre, un ensemble fluctuant de territoires soumis aux lois romaines généralement par la conquête mais également par le biais de tractations diplomatiques aussi nombreuses que complexes qu’ont pu réussir à entreprendre et à faire aboutir certains des empereurs romains. Dans l’Histoire Auguste, Antonin le Pieux passe pour le plus habile dans cette matière qui s’avérait plus compatible avec son tempérament hostile au recours systématique à la force pour asseoir l’autorité romaine sur les autres peuples. On peut y lire notamment : « Le roi Pharasmane vint voir Antonin à Rome et se montra plus déférent à son égard qu’il ne l’avait été pour Hadrien. Antonin donna Pacorus comme roi aux Lazis. Par une simple lettre il dissuada le roi des Parthes d’engager une 64 Hauts faits du Divin Auguste, texte établi et traduit par R. Marache, Les Belles Lettres, Paris, 2007 (désormais Res…), XXVI-XXVII. 65 Ann., I, 11, 4 : … Augustus addideratque consilium coercendi intra terminos imperii, incertum metu an per inuidiam. Voir aussi supra, note 61. Le sentiment d’Eutrope sur cette question est moins mitigé : VIII, 2 : Romani imperii, quod post Augustum defensum magis fuerat quam nobiliter ampliatum… ; lire : « Il étira en long et en large l’étendue de l’empire romain qui, après Auguste, avait été plus défendu que notablement agrandi… ».

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campagne contre les Arméniens ; de sa seule autorité il fit revenir le roi Agbar des régions orientales. Il mit fin à des conflits entre rois. En dépit des demandes réitérées du roi des Parthes, il refusa de lui restituer le trône royal qu’avait emporté Trajan ; il rendit à Rhoémétalcès le royaume de Bosphore après avoir pris connaissance de la rivalité qui l’opposait à Eupator. Il envoya des troupes auxiliaires dans le Pont pour soutenir les habitants d’Olbiopolis contre les Thauroscythes, qu’il vainquit au point de les forcer à livrer des otages à Obiopolis. Nul n’eut autant de prestige que lui auprès des nations étrangères car il aima toujours la paix… » 66.

Le Pseudo-Aurélius Victor affirme également une tendance à s’allier les autres peuples autrement que par les armes chez Hadrien : « Ayant obtenu la paix de nombreux rois par des présents secrets, il répétait ouvertement qu’il avait plus acquis par son abstention que les autres empereurs par leurs armes » 67.

Il corrobore ainsi certains témoignages du biographe sur l’art diplomatique de cet empereur : « Dans le même temps, une guerre contre les Parthes en était seulement à sa phase préliminaire quand Hadrien l’arrêta grâce à des pourparlers » ; et : « Il multiplia les faveurs à bien des rois, acheta la paix à plusieurs d’entre eux, mais fut méprisé par quelques-uns ; à beaucoup il offrit de riches présents, les plus

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Antonin le Pieux, IX, 6-10 : Pharasmanes rex ad eum Romam uenit plusque illi quam Hadriano detulit. Pacorum regem Lazis dedit. Parthorum regem ab Armeniorum expugnatione solis litteris reppulit. Abgarum regem ex orientis partibus sola auctoritate deduxit. Causas regales terminauit. Sellam regiam Parthorum regi repetenti, quam Traianus ceperat, pernegauit. Rhoemetalcen in regnum Bosforanum audito inter ipsum et Eupatorem negotio remisit. Olbiopolitis contra Tauroscythas in Pontum auxilia misit et Tauroscythas usque ad dandos Olbiopolitis obsides uicit. Tantum sane auctoritatis apud exteras gentes nemo habuit, cum semper amauerit pacem… ; lire : Cette performance lui est reconnue par nos autres sources, presque en des termes identiques ; Eutrope, VIII, 2 : … regibus amicis uenerabilis non minus quam terribilis, adeo ut barbarorum plurimae nationes depositis armis ad eum controuersias suas litesque deferrent sententiaeque parerent ; lire : « A l’égard des rois amis, il se montrait non moins respectable que redoutable au point que de très nombreuses nations barbares, après avoir déposé les armes, lui déféraient leurs querelles et leurs litiges et se rangeaient à sa décision » ; Pseudo-Aurélius Victor, XV, 2 : … quamuis eum Numae contulerit aetas sua, cum orbem terrae nullo bello per annos uiginti tres auctoritate sola rexerit, adeo trementibus eum atque amantibus cunctis regibus nationibusque et populis ut parentem seu patronum magis quam dominum imperatoremue reputarent, omnesque in morem caelestium propitium optantes de controuersiis inter se iudicem poscerent ; lire : « … cependant son époque le compara à Numa, parce qu’il gouverna le monde pendant vingt-trois ans sans aucune guerre, par sa seule autorité ; tous les rois, toutes les nations et tous les peuples le craignaient et l’aimaient au point de le considérer plus comme un père ou un patron que comme un maître ou un empereur et que tous, le souhaitant bienveillant à la manière des dieux, le demandaient comme juge des différends survenus entre eux ». Seul Aurélius Victor reste muet sur ce détail de l’administration de l’Empire par Antonin le Pieux. 67 XIV, 10 : A regibus multis pace occultius muneribus impetrata, iactabat palam plus se otio adeptum quam armis ceteros

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splendides au roi des Ibères qui, entre autres magnifiques cadeaux, obtint un éléphant et une cohorte de cinq cents hommes »68.

Pline le Jeune a quant à lui, en son temps, stigmatisé le caractère onéreux et infructueux de ces pratiques dans le Panégyrique de Trajan : « Nous recevons désormais des otages, nous ne les achetons plus ; nous ne négocions plus, a-t-il ajouté, au prix d’énormes sacrifices et d’immenses largesses des victoires imaginaires. On demande, on supplie ; nous accordons ou nous refusons, toujours ainsi qu’il sied à la majesté de l’Empire ; ceux qui ont obtenu satisfaction nous rendent grâce ; ceux qui ont essuyé un refus n’osent se plaindre »69.

Dans l’ensemble, sans aucunement prétendre être particulièrement doué pour l’interprétation des songes, nous pouvons cependant conseiller d’appréhender un aperçu des contours de l’archétype du monde romain, tel qu’il en ressort d’un rêve de Septime Sévère, bien avant de devenir princeps : « Envoyé alors en Espagne, il fit un rêve dans lequel … il contemplait, du haut d’une montagne très élevée, le monde entier et la ville de Rome, tandis que chantaient en chœur les provinces au son de la lyre et de la flûte »70.

Une telle configuration de l’Empire revient souvent dans les différentes allusions de nos sources à des titres divers, comme ici chez Eutrope parlant des bonnes dispositions de Trajan envers ses administrés : « Il surpassa cependant sa gloire militaire par une attitude pleine de considération et de modération, se comportant à Rome et dans les provinces comme l’égal de tous… »71 ;

Tout comme dans ce passage où Pline le Jeune nous propose une sorte d’apologie de l’adoption parmi les différents modes de succession au trône impérial : « Quand on va transmettre le Sénat et le peuple romain, les armées, les provinces, les alliés à un seul chef, peut-on n’accepter pour successeur que

68

Voir Scriptores ..., Hadrien, XII, 8 : Bellum Parthorum per idem tempus in motu tantum fuit, idque Hadriani conloquio repressum est ; et ibid., XVII, 10-11 : Regibus multis plurimus detulit, a plerisque uero etiam pacem redemit, a nonnullus contemptus est, multis ingentia dedit munera, sed nulli maiora quam Hiberorum, cui et elephantum et quiquagenariam cohortem post magnifica dedit dona. 69 XII, 2 : Accipimus obsides ergo, non emimus, nec ingentibus damnis immensisque muneribus paciscimur ut uicerimus. Rogant, supplicant ; largimur, negamus, utrumque ex imperii maiestate ; agunt gratias qui impetrauerunt ; non audent queri quibus negatum est. 70 Scriptores ..., Sévère, III, 4-5 : Tunc ad Hispaniam missus somniauit … ex altissimi montis uertice orbem terrarum Romamque despexit continentibus prouinciis lyra, uoce uel tibia. 71 Eutrope, VIII, 4, 1 : Gloriam tamen militarem ciuilitate et moderatione superauit. Romae et per prouincias aequalem se omnibus exhibens…

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l’enfant donné par sa femme et chercherait-on l’héritier du pouvoir suprême seulement à l’intérieur de sa maison »72 ?

L’Histoire Auguste donne elle aussi la composition de l’Empire romain en décrivant la désolation générale qui a suivi l’assassinat d’Alexandre Sévère : « Quant au peuple romain, à l’ensemble du Sénat et à tous les provinciaux, jamais ils n’avaient reçu une nouvelle plus affligeante et plus bouleversante… »73.

Les différents territoires ainsi intégrés à l’Empire sont communément appelés provinces romaines. M. Bats74 nous en offre – pour la partie occidentale de l’Etat – la commodité d’un aperçu général précisant leurs dénomination, capitale et statut en 192 ap. J.-C., année de la mort du tristement célèbre fils du vertueux et très cultivé Marc Aurèle, Commode. Aussi M. Christol a-t-il souligné avec des mots justes que « L’image du corps de l’Empire était (…) présente dans les esprits. Elle renforçait l’idée de son unité, celle de la cohérence entre ses diverses parties. Ces notions ou ces images correspondaient bien à la description d’un ensemble politique vaste mais cohérent, s’étendant des bords de l’Océan au désert de Syrie et d’Arabie et des rives du Rhin puis du Danube jusqu’aux zones subdésertiques de l’Afrique. Multiplicité des pays et des paysages, multiplicité des peuples, avec leurs langues, leurs coutumes, leurs religions : telles étaient quelques données essentielles qui caractérisaient la construction impériale »75. Bien sûr, leur nombre et leur statut ont régulièrement suivi l’évolution linéaire de l’histoire impériale romaine dont certaines périodes, sous le tempérament de chaque empereur et l’emprise d’un certain nombre d’autres éléments liés aux spécificités constitutives des différents territoires concernés, ont connu tantôt une accélération, tantôt un ralentissement du processus d’annexion, d’intégration et d’exploitation des territoires conquis, bousculant parfois certaines réalités contenues dans le tableau suivant :

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Pan., VII, 5 : An senatum populumque Romanum, exercitus, prouincias, socios transmissurus uni successorem e sinu uxoris accipias summaeque potestatis heredem tantum intra domum tuam quaeras ? 73 Scriptores ..., Alexandre Sévère, LXIII, 2 : Populus uero Romanus senatusque omnis cum prouincialibus cunctis neque tristius umquam neque asperius acceperunt… 74 Il s’agit d’un ouvrage collectif intitulé L’Empire romain au IIIe siècle…, Paris, 1997, pp. 157-159. Nous avons-nous-même examiné les principaux contours des contributions multiformes de ces dépendances romaines à la prospérité de l’Empire fondé par Auguste dans un article intitulé « Aspects de la contribution des provinces à la prospérité de l’Empire romain … », C.H.A., V, Libreville, juin 2003- juin 2004, Libreville, pp. 49-66. 75 Cf. L’Empire romain du IIIe siècle…, Errance, Paris, 1997, p. 7.

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Provinces occidentales en 192 ap. J.-C. Provinces Germanie supérieure (Germania superior)

Capitale Mongonitiacum (Mayence)

Statut prov. impériale de rang consulaire

Germanie inférieure (Germania inferior)

Colonia Agripiniensium (Cologne)

prov. impériale de rang consulaire

Bretagne (Britannia)

Londinium (Londres)

prov. impériale de rang consulaire

Belgique (Gallia Belgica)

Durocortorum (Reims)

prov. impériale de rang prétorien

Lyonnaise (Gallia Lugdunensis)

Lugdunum (Lyon)

prov. impériale de rang prétorien

Aquitaine (Aquitania)

Burdigala (Bordeaux)

prov. impériale de rang prétorien

Narbonnaise (Narbonensis)

Narbo Martius (Narbonne)

prov. du Sénat et du peuple romain de rang prétorien

Alpes Maritimes (Alpes Maritimae)

Cemelenum (Cimiez)

prov. impériale gérée par des chevaliers (préfets puis procurateurs)

Alpes Grées (Alpes Graiae) Axima (Aime)

prov. impériale gérée par des chevaliers (préfets puis procurateurs)

Alpes Cottiennes (Alpes Cottiae)

Segusio (Suse)

prov. impériale procuratorienne

Alpes Pennines (Alpes Poeninae)

Octodorus (près de Martigny)

prov. impériale procuratorienne

Bétique (Baetica)

Corduba (Cordoue)

prov. du Sénat et du peuple romain de rang prétorien

Hispanie Citérieure ou Tarraconaise (Hispania Citerior ou Tarraconensis)

Tarraco (Tarragone)

prov. impériale de rang consulaire

Lusitanie (Lusitania)

Augusta Emerita (Merida)

prov. impériale de rang prétorien

Afrique (Africa)

Carthago (Carthage)

prov. du Sénat et du peuple romain de rang consulaire

Maurétanie Tingitane (Mauretania Tingitana)

Tingis (Tanger)

prov. impériale gérée par un chevalier (préfet puis procurateur)

Maurétanie Césarienne (Mauretania Caesariensis)

Caesarea (Cherchell)

prov. impériale gérée par un chevalier (préfet puis procurateur)

Corse (Corsica)

Aleria

prov. impériale procuratorienne

Sardaigne (Sardinia)

Carale (Cagliari)

prov. impériale procuratorienne

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Sicile (Sicilia)

Syracusae (Syracuse)

prov. du Sénat et du peuple romain de rang prétorien

Rétie (Raetia)

Augusta Vindelicorum (Augsburg)

prov. impériale de rang prétorien

Norique (Noricum)

Ouilaua (Wels)

prov. impériale de rang prétorien

Pannonie supérieure (Pannonia superior)

Carnuntum

prov. impériale de rang consulaire

Pannonie inférieure (Pannonia inferior)

Aquincum (Ofen)

prov. impériale de rang consulaire

Dalmatie (Dalmatia)

Salonae (Split)

prov. impériale de rang consulaire

Dacie Porolissensis (Dacia Porolissensis)

Sarmizegetusa

prov. impériale de rang consulaire (légat sénateur)

Dacie Apulensis (Dacia Apulensis)

Apulum

prov. impériale de rang consulaire (procurateur chevalier)

Dacie Maluensis (Dacia Maluensis)

Polisum

prov. impériale de rang consulaire (procurateur chevalier)

Mésie supérieure (Moesia superior)

Naïssus (Nish)

prov. impériale de rang consulaire

Mésie inférieure (Moesia inferior)

Tomi

prov. impériale de rang consulaire

Achaïe (Achaia)

Corinthus (Corinthe)

prov. du Sénat et du peuple romain de rang prétorien

Macédoine (Macedonia)

Thessalonica (Thessalonique)

prov. du Sénat et du peuple romain de rang prétorien

Thrace (Thracia)

Perinthus (Périnthe) Serdica ?

prov. impériale de rang prétorien

Epire (Epirus)

Nicopolis

prov. impériale procuratorienne

Asie (Asia)

Ephesus (Ephèse)

prov. du Sénat et du peuple romain de rang consulaire

Pont-Bithynie (Pontus-Bithynica)

Nicomedia (Nicomédie) pour le Pont et Amastris pour la Bithynie

prov. impériale de rang consulaire

Galatie (Galatia)

Ancyra (Ankara)

prov. impériale de rang consulaire

Cappadoce (Cappadocia)

Caesarea (Césarée de Cappadoce)

prov. impériale de rang consulaire

Lycie (Lycia)

Myra

prov. du Sénat et du peuple romain de rang prétorien

Pamphylie (Pamphylia)

Attalea (Antalia)

prov. du Sénat et du peuple romain de rang prétorien

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Cilicie (Cilicia)

prov. impériale de rang prétorien

Tarsus (Tarse)

Mésopotamie (Mesopotamia) Nisibis (Nisibe) recréée par Septime Sévère

prov. impériale gérée par des chevaliers (préfet)

Syrie (Syria)

Antiochia (Antioche)

prov. impériale de rang consulaire

Syrie-Palestine (Syria-Palestina)

Caesarea Maritima (Césarée de Palestine)

prov. impériale de rang consulaire

Arabie (Arabia)

Bostra

prov. impériale de rang prétorien

Chypre (Cyprus)

Paphus (Paphos)

prov. du Sénat et du peuple de rang prétorien

Crète (Creta)

Gortyn (Gortyne) pour la Crète Cyrene (Cyrène) pour la Cyrénaque

Egypte (Aegyptus)

Alexandria (Alexandrie)

prov. impériale gérée par des chevaliers (préfet) ; Interdite aux sénateurs

La condition de dépendance qu’exprime aujourd’hui le terme prouincia se trouve finalement assez proche de son sens premier qui se rapportait à une sphère d’activité, un domaine d’attributions, une mission déterminée, une charge ou encore une fonction spécifiques76. Progressivement et au rythme de l’évolution de Rome, le terme de prouincia servit surtout à désigner une unité territoriale dans laquelle un magistrat devait exercer des attributions précises au nom de l’empereur et du Sénat romains. Très vite, l’apport de ces provinces dans la prospérité de Rome, de l’Italie ou de l’Empire détermina l’attitude des Romains vis-à-vis d’elles et leur imposa la nécessité d’une administration aussi rigoureuse que possible, modelant ainsi la conception romaine des rôles et place des prouinciae au sein de l’Empire. Plusieurs de ces provinces regorgeaient en effet d’innombrables richesses multiformes utiles et même indispensables à la réalisation de l’idéal romain qu’il fallait notamment mettre à l’abri des autres prédateurs qui ne manquaient du reste pas, comme ce fut le cas, entre bien d’autres, en Asie, à l’époque de Gallien. Zozime nous rapporte en effet comment les richesses de Bithynie ont-elles dressé des Barbares les uns contre les autres et

76 Ainsi a-t-on entendu Cicéron, XVIII, 52 accuser Catilina d’avoir réclamé la « mission » de l’assassiner au cours d’un plaidoyer en faveur de P. Sylla en ces termes : … tum tuus pater, Corneli, id quod tandem aliquando confitetur, illam sibi officiosam prouinciam depoposcit ut, cum prima luce consulem salutatum ueniret, intromissus et meo lectulo trucidaret ; lire : « … c’est alors que ton père, Cornélius, comme il l’avoue enfin, sollicita pour lui l’obligeante mission d’aller au point du jour présenter ses hommages au consul, et, introduit auprès de lui, suivant mon usage et les privilèges de l’amitié, de m’égorger sur mon lit de repos ».

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déclenché l’intervention des légions romaines ; toutes les parties prioritairement mues que par l’attrait du gain : « Les Boranes, les Goths, les Carpes et les Urugondes – ces peuplades sont installées autour du Danube – finirent par ne laisser aucune partie de l’Italie ou l’Illyrie intacte… [Les Scythes ravageant tout ce qu’ils rencontraient, les habitants des côtes du Pont se retirèrent vers les places situées à l’intérieur des terres et très bien fortifiées… [Ils (les Scythes) s’emparèrent très facilement de la place et, après l’avoir vidée de sa garnison, ils continuèrent plus avant… La ville une fois prise de cette façon, les Barbares devinrent maîtres d’une quantité extraordinaire de richesses et de prisonniers de guerre… après avoir détruit les temples, les édifices ainsi que tout ce qui avait été créé pour suggérer une impression de beauté ou de grandeur, et avoir fait en outre des incursions dans le reste du pays, ils rentrèrent chez eux avec une très grande quantité de navires. [Lorsque les Scythes des régions voisines virent les richesses qu’ils ramenaient avec eux, ils conçurent le désir d’entreprendre une expédition semblable et équipèrent des navires… [Ils s’avancèrent vers Nicomédie, ville très importante et prospère, des plus renommées pour sa richesse et l’abondance de ses ressources dans tous les domaines… [Lorsque Valérien apprit ce qui se passait en Bithynie, il n’osa pas, par défiance, confier à aucun de ses généraux le soin de résister aux Barbares, (mais) envoya Félix tenir Byzance et s’avança lui-même d’Antioche jusqu’en Cappadoce… »77.

C’est donc pour nous tout à fait à propos de nous intéresser à la propre perception des Romains des place, rôle et importance des territoires conquis dans leur mentalité collective. Le choix des politiques à y mener dépendant principalement de cette perception, l’administration des provinces romaines ne consista toujours qu’à mettre en application les différentes mesures propices à l’atteinte des objectifs assignés à leur exploitation.

I – 2 : Les provinces dans la conception romaine de l’Empire L’économie dans l’Antiquité, reposant essentiellement sur un système de production assurée par la main d’œuvre servile, le tribut et divers impôts prélevés aux territoires conquis…, plaçait les provinces au centre des sources de revenus comme aujourd’hui les matières premières dans la plupart des pays en voie de développement. Des mots que Tacite prête à Tibère répondant à des sénateurs qui s’insurgeaient contre l’extrême forte propension au luxe chez les Romains de haute société permettent d’apprécier la portée de ce phénomène pour Rome : « Les victoires extérieures nous ont appris à dissiper le bien d’autrui, les guerres civiles à prodiguer même le nôtre… Et, si les ressources des provinces ne

77 Zozime, Hist. nouv., I, XXXI, 1 ; XXXII, 1 ; XXXIII, 1, 3 ; XXXIV, 1 ; XXXV, 1 ; XXXVI, 1.

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subviennent plus un jour aux besoins des maîtres, des esclaves et des champs, ce sont apparemment nos parcs et nos résidences qui nous mettront à l’abri »78.

L’Histoire Auguste a, elle aussi et plus d’une fois, illustré cette importance capitale des provinces pour les Romains de son temps qu’a ainsi résumée A. Schiavone en insistant sur l’implication des « élites citadines » dans la vie de l’Empire sous le règne d’Hadrien : « En plein deuxième siècle, écrit-il, ces couches sociales, dispersées dans les espaces urbains de tout le territoire des provinces, parfaitement assimilées dans les équilibres d’une organisation politique capillaire de l’empire, constituaient un réservoir de disponibilité et de compétences administratives et politiques, de productivité et d’accumulation de richesses, qui faisaient d’elles la véritable colonne vertébrale de l’appareil hégémonique romain »79. Tout empereur n’ayant pas su mesurer l’impact des provinces romaines sur la stabilité de l’Empire a dû le payer au prix fort, comme le souligne excellemment P. Cosme à propos du règne de Maximin de Thrace : « Ce règne qui s’achevait comme il avait commencé avait révélé le pouvoir que conservait encore le Sénat dans l’Empire, de même que l’impossibilité de gouverner le monde romain en ignorant les cités »80. Ainsi apprenons-nous que Trajan, au déclin de sa vie et de son règne, à un moment où il inclinait à choisir Nératius Priscus pour successeur plutôt que son futur fils adoptif Hadrien, le lui aurait révélé en ces termes : « Je te confie les provinces s’il m’arrivait malheur »81.

Bien sûr, il s’agit là, selon les propres termes du biographe, de « rumeur » quoique « fréquemment rapportée » : Frequens sane opinio, précise le biographe dans ce passage ; mais il est tout de même piquant de constater que les provinces ici symbolisent l’Empire alors que traditionnellement, on recourait, depuis la création du principat, à d’autres symboles82. On note en 78

Tacite, Ann., III, 54, 3-4 : Externis uictoriis aliena, ciuilibus etiam nostra consumere didicimus… Ac, nisi prouinciarum copiae et dominis et seruitiis et agris subuenerint, nostra nos scilicet nemora nostraeque uillae tuebuntur. Tibère insinuait ainsi que la fortune privée de plusieurs Romains avaient atteint de telles proportions qu’elle pouvait subvenir aux besoins de l’État et affranchir Rome de sa dépendance économique vis-à-vis de ses provinces. 79 Cf. L’histoire brisée…, Belin, Langres, 2003, pp. 18-19. 80 Cf. L’État romain…, Paris, 1998, p. 107. 81 Scriptores ..., Hadrien, IV, 8 : … commando tibi prouincias, si quid mihi fatale contigerit. Cette aversion de Trajan de voir Hadrien lui succéder est attestée, sans la moindre équivoque, par Eutrope, VIII, 6, 1 : Defuncto Traiano, Aelius Hadrianus creatus est princeps, sine aliqua quidam uoluntae Traiani, sed operam dante Plotina, Traiani uxore, nam eium Traianus, quamquam consobrinae suae filium, uiuus nouerat adoptare ; lire : « A la mort de Trajan, Aélius Hadrien fut nommé empereur, sans que cela fût le moins du monde la volonté de Trajan, mais grâce aux intrigues de Plotine, épouse de Trajan ; car, de son vivant, Trajan n’avait pas voulu l’adopter, bien qu’il fût le fils de sa cousine ». 82 Suétone fait allusion à la gravité de cette maladie et au découragement d’Auguste qu’elle entraîna dans Aug ., XXVIII, 1 : … ac rursus taedio diurturnae ualitudinis… Lire à ce dernier

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effet grâce à un témoignage de Sénèque rapporté toujours par Suétone la même attitude chez Tibère qui, affaibli par la maladie, retira son anneau visiblement dans l’intention de le remettre à quelqu’un, le désignant de facto comme celui qui devait régner après lui : « D’après Sénèque, lorsqu’il se sentit défaillir, il retira son anneau comme pour le donner à quelqu’un… »83.

Exactement dans les mêmes circonstances, Antonin le Pieux confia à Marc Aurèle, avec toute la solennité requise, la statue d’or de la déesse Fortuna comme symbole du pouvoir impérial : « … comme il voyait que son état empirait, il confia à Marc Antonin, en présence des préfets, l’État et sa fille et lui fit apporter la statue d’or de la Fortune qui était traditionnellement placée dans la chambre à coucher des empereurs »84.

Avec deux fils légitimes qu’il souhaita ardemment instituer comme successeurs, Septime Sévère eut quant à lui la tâche plus ardue et dut recourir à un stratagème qui du reste fut sans effet : « Il avait d’autre part décidé de faire exécuter un double de la statue de la Fortune impériale qui accompagnait habituellement les empereurs et était placée dans leur chambre à coucher, afin de laisser cette sacro-sainte effigie à chacun de ses deux fils. Mais quand il se rendit compte que sa dernière heure était toute proche, il demanda que la statue de la Fortune fût placée alternativement un jour sur deux dans la chambre de chacun de ses fils d’empereurs »85.

Il faut enfin souligner que cette forme de désignation n’attendait pas toujours les circonstances exceptionnelles que nous venons d’énumérer, comme le démontre le cas d’Hadrien qui obtint de Trajan une distinction analogue, grâce à des exploits militaires en Dacie : « Pendant la seconde guerre dacique, Trajan le plaça à la tête de la première légion Minervienne et l’emmena avec lui ; il s’illustra à ce moment par des exploits remarquables. Aussi obtint-il en récompense un diamant que Trajan tenait de Nerva, ce qui le conforta dans l’espoir de la succession »86. sujet l’article de Ph. Bruggisser, « Septime Sévère et le projet de gémination… », B.H.A.C., 1986-1989, pp. 13-20. 83 Suétone, Tib., LXXIII, 4 : Seneca eum scribit intellecta defectione exemptum anulum quasi alicui traditurum parumper tenuisse… ; voir aussi ibid., Cal., XII. 84 Scriptores ..., Antonin le Pieux, XII, 5 : … cum se grauari uideret, Marco Antonino rem publicam et filiam praesentibus praefectis commendauit Fortunamque auream, quae in cubiculo principum poni solebat, transferri ad eum iussit. 85 Scriptores ..., Sévère, XXIII, 5-6 : Fortunam deinde regiam, quae comitari principes et in cubiculis poni solebat, geminare statuerat, ut sacritissimum simulacrum utrique relinqueret filiorum ; sed cum uideret se perurgeri sub hora mortis, iussisse fertur, ut alternis diebus apud filios imperatores in cubiculis Fortuna poneretur. 86 Scriptores ..., Hadrien, III, 6-7 : Secunda expeditione Dacica Traianus eum primae legioni Mineruiae praeposuit secumque duxit ; quando quidem multa egregia eius facta claruerunt.

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Le pouvoir impérial s’est donc toujours illustré à Rome par le biais de divers signa imperii dont il est aussi question, entre bien d’autres illustrations de cette pratique, dans un passage du Pseudo-Aurélius Victor à propos de l’avènement au trône de Claude II : « Claude II fut désigné empereur selon le vœu de Gallien mourant, qui lui avait fait remettre les insignes impériaux dans son cantonnement de Ticinum par Gallonius Basilius »87.

Auguste est, en tant qu’initiateur du régime impérial, tout naturellement le premier à s’être comporté de la sorte sous la menace de la maladie. Au cours de l’année 23 av. J.-C. en effet, croyant sa dernière heure arrivée, il avait donné à Agrippa une bague pour ainsi le désigner comme son successeur à la tête de l’État, malgré la part d’auctoritas dévolue à Marcellus grâce à son mariage avec Julie, la petite-fille d’Auguste. Une réalisation d’Hadrien montre elle aussi combien les provinces romaines comptaient-elles pour le pouvoir central. Il a en effet, nous révèle l’Histoire Auguste, fait construire à Tibur une villa extraordinaire (uillam mire) pratiquement, dirions-nous, en leur honneur, avec leurs noms respectifs sur les différentes parties du domaine : « Il construisit à Tibur une villa extraordinaire : sur les différentes parties du domaine étaient inscrits les noms des provinces et des sites les plus célèbres »88.

Bien entendu, nous nous doutons bien que l’empereur a sûrement voulu ainsi immortaliser des lieux fréquentés par lui et qu’il a dû apprécier particulièrement ; mais la valeur symbolique d’une telle entreprise est indéniable dans un monde où la représentation iconographique marquait très fortement les mentalités collectives. Sur un tout autre plan, le biographe souligne l’attention exceptionnelle qu’Antonin le Pieux accordait à tout sujet relatif aux provinces, en révélant que cet empereur ne prenait jamais aucune des décisions relatives à ce domaine, sans au préalable s’en être référé aux conseils de ses amis : « Il ne prenait aucune décision concernant les provinces ou tout autre domaine sans en avoir au préalable référé à ses amis et formulait ses décrets en tenant lieu de leur avis »89. Quare adamante gemma, quam Traianus a Nerua acceperat, donatus ad spem successionis erectus est. 87 XXXIV, 2 : Hic Claudius Gallieni morientis sententia imperator designatur, ad quem Ticini positum per Gallonium Basilium indumenta regia direxerat… 88 Scriptores ..., Hadrien, XXVI, 5 : Tiburtinam uillam mire exaedificauit, ita ut in ea et prouinciarum et locurum celeberrima nomina inscriberet. Eutrope atteste lui aussi l’esprit d’entreprise d’Hadrien par une formule laconique propre à la nature de son œuvre ; VIII, 7, 2 : Orbem Romanum circumuit : multa aedificauit ; lire : « Il fit le tour du monde romain et y édifia de nombreuses constructions ». 89 Scriptores ..., Antonin le Pieux, VI, 11 : Neque de prouinciis neque de ullis actibus quicquam constituit, nisi quod prius ad amicos retulit, atque ex eorum sententia formas

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Quelle que soit l’explication donnée à une telle attitude, il faut reconnaître que l’empereur prenait tout de même soin ainsi d’impliquer chacun des membres du Conseil impérial aux décisions touchant à un domaine somme toute sensible, sinon délicat. Il réduisait de la sorte, non seulement les risques d’erreurs, mais également sa propre responsabilité en cas de dérive. Nous verrons plus tard, à travers d’autres textes, qu’il ne fut point le seul des empereurs romains à y avoir attaché autant d’importance90. Comment s’en étonner vu qu’il semble même que l’expression réelle de l’exercice du pouvoir impérial a fini par s’exprimer en termes de contrôle des provinces soumises à Rome ? N’est-ce pas là la conclusion la plus évidente de la confusion qui caractérisa la double intronisation de Probus et de Florien que Zozime relate par une balkanisation de l’Empire ? « A la suite de ces événements (les assassinats de Maximin et d’Aurélien), la situation se dégrada au point que des troubles civils éclatèrent, car les Orientaux choisirent Probus comme empereur et ceux de Rome Florien ; Probus eut en son pouvoir la Syrie, la Phénicie, la Palestine et toute l’Egypte, Florien les territoires qui s’étendaient de la Cicilie à l’Italie ; les provinces situées au-delà des Alpes, la Gaule et l’Espagne, ainsi que l’île de Bretagne, et en plus toute l’Afrique et les tribus maures lui étaient également soumises »91.

L’administration des provinces romaines préoccupait donc au plus haut point et de manière permanente l’opinion ; c’est en tout cas ce qui ressort de ces félicitations de Fronton à l’endroit d’Hadrien qui venait de prendre d’heureuses décisions qu’exigeaient des problèmes survenus dans des composuit. Leçon de gouvernement de l’Empire bien apprise et parfaitement assimilée par son successeur qui l’étendit même à tous les domaines de l’exercice du pouvoir ; Scriptores ..., Marc Aurèle, XXII, 3-4 : Semper sane cum optimatibus non solum bellicas res sed etiam ciuiles, priusquam faceret aliquid, contulit. Denique sententia illius praecipua semper haec fuit : « Aequius est, ut ego tot talium amicorum consilium sequar, quam ut tot tales amici meam unius oluntatem sequantur ; lire : « Avant de prendre une décision, il débattait avec des personnalités de choix, dans des domaines aussi bien militaires que civils. Voici en effet quelle était sa pensée profonde : ‘’Il est plus juste que je suive l’avis de tant d’amis de cette qualité que si tant d’amis de cette qualité ne recevaient des ordres que de moi seul’’ ». 90 Nous pouvons déjà citer, à titre strictement indicatif, entre bien d’autres, les exemples des empereurs Hadrien et Aurélien. Le biographe souligne du premier qu’il s’informait avec scrupule des ressources qu’on pouvait attendre des provinces, afin de suppléer aux manques qui se produiraient ici ou là, Scriptores ..., Hadrien, XI, 1 : Laborat… reditus quoque prouinciales solerter explorans, ut alicubi quippiam deesset, expleret ; et, de l’autre, toute la rigueur attendue des Romains affectés dans les provinces, à travers les prescriptions imposées à ses hommes de troupes, Scriptores ..., Aurélien, VII, 5 : Nemo pullum alieum rapiat, ouem nemo contingat. Vuam nullus auferat, segetem nemo dederat, oleum, salem, lignum nemo exigat, annona sua contentus sit. De praeda hostis, non de lacrimis prouincialium habeant ; lire « Que personne ne s’empare d’un poulet ou ne touche à un mouton appartenant à autrui. Que personne ne grappille de raisin, ne saccage les moissons, ne se fasse donner huile, sel ou bois, que chacun se contente de sa propre ration. Ce que chacun possède doit provenir du butin et non des larmes des provinciaux ». 91 Zozime, Hist. nouv., I, 64, 1.

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provinces, sans malheureusement nous en préciser la nature, les auteurs ni tout au moins le lieu où ceux-ci se sont posés : « Excuse-moi auprès de ton père, notre seigneur, que je voudrais voir bien portant, ainsi que vous. Je redouble d’amour et de vénération pour lui depuis que je sais qu’il a bien jugé dans le Sénat de ce qui pouvait être salutaire pour les provinces, et qu’il n’a adressé qu’une douce réprimande aux coupables »92.

Ce n’est point excessif de supposer qu’il faisait ainsi allusion à un de ces innombrables procès mettant en cause un (ou plusieurs) gouverneur (s) ou encore tout autre promagistrat dont les exactions ont en effet suscité plusieurs recours à l’arbitrage de l’empereur ou du Sénat. Il convient également de souligner que l’œuvre sur commande impériale qui nous est parvenue de Festus se présente sous la forme expresse d’une étude exhaustive sur les provinces romaines : leur nombre, l’ordre de leur acquisition, leurs ressources… : « Je vais donc exposer brièvement de combien s’accrut Rome sous ces trois types de gouvernement, à savoir royal, consulaire, impérial. [Sous les sept rois, pendant deux cent quarante-trois ans, le pouvoir romain ne s’étendit que jusqu’à Portus et Ostie, dans les limites de dix-huit milles depuis les portes de la ville de Rome… [Sous les consuls, d’entre lesquels certains furent parfois aussi dictateurs, pendant quatre cent soixante-sept ans au total, voici que l’Italie fut occupée jusqu’au-delà du Pô, l’Afrique fut soumise, les Espagnes s’ajoutèrent, les Gaules et les Bretagnes furent rendues tributaires. Ensuite, en Illyrie, les Istriens, les Liburnes, les Dalmates furent vaincus ; on passa en Achaïe ; les Macédoniens furent soumis, les Mésiens et les Thraces, et on parvint jusqu’au Danube… [Sous les empereurs quant à eux, pendant quatre cent sept ans, alors que des princes gouvernèrent avec une fortune diverse pour la République, les Alpes maritimes, les Alpes cottiennes, les Rhéties, les Noriques, les Pannonies, les Mésies s’ajoutèrent au monde romain, et toute la région du Danube fut réduite en province. Tout le Pont, l’Arménie mineure, l’Orient dans son ensemble, avec la Mésopotamie, les Assyries, l’Arabie et l’Egypte, passèrent sous la juridiction du peuple romain. [Quant à l’ordre dans lequel la République romaine obtint chaque province, le voici… »93.

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Fronton, III, XXI : Excusa me domino nostro patri tuo, quem (ita uos saluos habeam !) magno pondere grauius amo et colo, quem tam bene in senatu iudicatum est, quod etprouinciis saluti esset et reos clementer obiurgasset. La récurrence de ces abus sera étudiée dans la dernière partie de ce travail, en V. 93 Festus, Abrégé des hauts faits du peuple romain, texte établi et traduit par M.-P. ArnaudLindet, Les Belles Lettres, Paris, 1994 (désormais Breu.), III, 1-3 ; IV, 1 : Sub his igitur tribus imperandi generibus, hoc est regio consulari imperatorio, quantum Roma profecerit, breuiter intimado… [Sub regibus septem per annos CCXLIII non amplius qua musque Portum atque Ostiam intra octauum decimum miliarium a portis urbis Romae… [Sub consulibus, inter quos nonnumquam et dictatores fuerunt, per annos simul CCCCLXVII ita usque trans Padum Italia occupata est, Africa subacta est, Hispaniae accesserunt, Galliae et Brittaniae tributariae factae sunt. Deinde Illyrico, Histri, Liburni, Dalmatae domiti sunt ; ad Achaiam transitum est ; Macedones subacti ; cum Dardanis, Moesis et Thracibus bellatum est, et ad

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A ce propos, il ne nous semble pas du tout vain de rappeler que Suétone, en son temps, dressant un tableau sinistre de l’état de l’Empire romain au moment où l’empereur Tibère s’était désintéressé complètement des affaires politiques qui relevaient de ses compétences, a mis en évidence plusieurs carences relevant de l’administration des provinces ; on peut y mesurer combien la stabilité dans les provinces romaines participait-elle à celle du pouvoir central en général : « Une fois revenu dans son île, Tibère se désintéressa si complètement des affaires publiques, qu’à partir de cette date il ne compléta jamais les décuries des chevaliers, ne fit aucune mutation parmi les tribuns militaires, les commandants de cavalerie et les gouverneurs de provinces, laissa pendant bon nombre d’années l’Espagne et la Syrie sans lieutenants consulaires, permit aux Parthes d’occuper l’Arménie, aux Daces et aux Sarmates, de ravager la Mésie, et aux Germains, les Gaules, à la grande honte, mais aussi au grand péril de l’Empire »94.

Le ton de Suétone ici indique bien que ces manquements graves concernaient les principaux dossiers qui matérialisaient l’exercice effectif du pouvoir impérial par le princeps. En effet, il en était bien ainsi, comme l’a enseigné Polybe à travers une leçon relave aux pouvoirs du Sénat romain sous la République et qui incomberont au princeps dès l’établissement du régime impérial : « Pour sa part le Sénat a, en premier lieu, l’autorité sur le trésor : il contrôle toutes les recettes, de même que les dépenses. En effet, sans un décret du Sénat, les questeurs ne peuvent faire aucune dépense pour les besoins particuliers, sauf les versements destinés aux consuls ; et la dépense qui est de loin la plus importante et la plus lourde de toutes, celle que les censeurs engagent tous les cinq ans pour réparer ou construire les bâtiments publics, est soumise à l’autorisation du Sénat, qui donne son accord aux censeurs. De la même façon, pour tous les crimes commis en Italie qui appellent une enquête officielle – par exemple les cas de trahison, de conjuration, d’empoisonnement, de meurtre – c’est le Sénat qui a juridiction. En outre, si la conduite d’un particulier ou d’une Danubium usque peruentum… [Sub imperatoribus uero, per annos CCCCVII cum diuersa rei publicae fortuna multi principes imperarent, accesserunt Romano orbi Alpes Maritimae, Alpes Cottiae, Raetiae, orica, Pannoniae, Moesiae, et omnis ora Danubii in prouincias est redacta. Ponctus omnis, Armenia minor, Oriens totus cum Mesopotamia, Assyriis, Arabia et Aegypto sub imperii Romani iura transuit. [Quo ordine autem singulas prouincias Roman ares publica adsecuta sit, infra ostenditur… L’historien exécutait ainsi une tâche sollicitée par l’empereur Valens (Breuem fieri clementia tua praecepit…, lit-on en levée de rideau de son œuvre), comment ne pas y voir la commande d’un « dossier » indispensable à la gestion d’un Empire surtout particulièrement ébranlé par les multiples soubresauts annonciateurs de sa dislocation ? 94 Suétone, Tib., XLI : Regressus in insulam rei p(ublicae)quidem curam usque adeo abiecit, ut postea non decurias equitum umquam supplerit, non tribunos militum praefectosque, non prouinciarum praesides ullos mutauerit, Hispaniam et Syriam per aliquot annos sine consularibus legatis habuerit, Armeniam a Parthis occupari, Mesiam a Dacis Sarmatisque, Gallia a Germanis uastari neglexerit, magno dedecore imperii nec minore discrimine.

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ville en Italie appelle un arbitrage, un blâme, l’envoi d’un secours, d’une garnison, c’est le Sénat qui s’occupe de tout cela. De plus, quand il est nécessaire d’envoyer une ambassade hors d’Italie pour rendre un arbitrage, donner un conseil, voire un ordre, recevoir une soumission, déclarer une guerre, c’est le Sénat qui y pourvoit. De la même façon, pour les ambassadeurs qui arrivent à Rome, l’accueil qui doit être fait dans chaque cas et la réponse qui doit être donnée sont des affaires traitées entièrement par le Sénat »95.

En somme, les raisons de tant d’attention à l’endroit des provinces romaines sont simples à percevoir, notamment entre les lignes de ce texte : la meilleure manifestation de la stabilité de l’Empire ne se mesurait-elle pas d’abord et surtout à travers le thermomètre de l’équilibre des rapports entre les provinces et Rome d’une part, et ceux des rapports entre les provinces elles-mêmes, d’autre part ? La Vita Hadriani, qui inaugure l’Histoire Auguste, donne une belle illustration des différents types de situations difficiles auxquelles devaient assez souvent faire face les empereurs romains, au risque de voir l’Empire se disloquer, comme cela arrivera fatalement quelques siècles plus tard. Voici son témoignage sur le plus que sombre tableau de l’Empire à l’avènement de ce dernier : « …tandis que les nations que Trajan avait soumises se soulevaient, les Maures se montraient remuants, les Sarmates prenaient l’offensive, les Bretons refusaient la domination romaine, l’Egypte était en proie à la rébellion, la Libye enfin et la Palestine manifestaient un esprit de révolte… Quant à Parthamasiris, que Trajan avait imposé comme roi aux Parthes, il voyait qu’il avait peu d’autorité auprès d’eux et, en conséquence, le donna pour roi à d’autres peuples voisins »96.

Plus d’une fois en effet, le sort de l’Empire, comme le souligne ici l’auteur de l’Histoire Auguste non sans appréhension, a failli basculer à la suite de mouvements d’humeur initiés par des provinciaux : « Si, de la même manière que les Goths et les Perses, les Germains avaient fait irruption, et si ces peuples avaient uni leurs forces sur le territoire romain, c’en eût été fait de ce vénérable Empire qui porte le nom de Romain »97.

Selon le biographe donc, l’incapacité des provinciaux à faire cause commune face aux Romains aura évité à l’Empire, de justesse, sa dislocation. Il convient du reste de souligner que l’histoire conjuguée de Rome à la tête de ses dépendances est notoirement jalonnée d’épisodes de 95

Histoires, texte établi et traduit par R. Weil, 1977 (désormais Hist.), VI, 13, 1-7 ; XVI, 1 et 4. Scriptores ..., Hadrien, V, 2, 4 : Nam deficientibus his nationibus, quas Traianus subegerat, Mauri lacessebant, Sarmatae bellum inferebant, Brittanni teneri sub Romana dicione non poterant, Aegyptus seditionibus urgebatur, Libya denique ac Palaestina rebelles animos efferebant… Parthamasirin, quem Traianus Parthis regem fecerat, quod eum non magni ponderis apud Parthos uideret, proximis gentibus dedit regem. 97 Scriptores ..., Les XXX tyrans, V, 7 : Qui si eo genere tunc euasissent, quo gothi et Persae, consentientibus in Romano solo gentibus uenerabile hoc Romani nominis obscura est, ut et ipsius imperium. L’historien grec Zozime souligne une situation tout aussi chaotique à l’époque du règne de Valérien, soutenu par son fils Gallien ; Hist. nouv., XXX-XXXVI. 96

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remise en cause de sa suzeraineté sur elles et, depuis Auguste, plusieurs noms de provinciaux s’y sont illustrés : Tacfarinas en Afrique, Arminius en Germanie, tous deux sous Tibère, Cagacus en Bretagne pendant le gouvernorat d’Agricola … Ce que Rome pouvait gagner par sa « politique extérieure » d’empêcher ou de décourager toute velléité d’union des peuples barbares est aussi souligné dans la biographie du beau-père de Tacite, à travers la lecture que son auteur a faite de l’activité militaire et politique des habitants de la province de Bretagne : « Leur force est dans l’infanterie ; certaines peuplades font aussi la guerre avec des chars ; le plus noble conduit, ses vassaux combattent en avant. Autrefois ils obéissaient à des rois ; maintenant ils sont tiraillés entre plusieurs chefs par les querelles et les passions partisanes. Rien ne sert mieux nos intérêts contre les peuples les plus puissants que leur manque de collaboration. Il est rare que deux ou trois États se liguent pour repousser un péril commun ; ainsi combattent-ils séparément ; tous ensemble sont vaincus »98.

Il devient alors aisé de comprendre comment et surtout pourquoi l’un des objectifs de la romanisation était justement d’entretenir une série de disparités entre les provinces, à travers des programmes d’assimilation diversifiés dont le premier mérite était sans doute de susciter la concurrence entre des provinciaux chaque jours plus désireux d’améliorer leur propre sort par le biais d’une plus grande obédience, corollaire à une plus grande dépendance, vis-à-vis de la Rome métropolitaine. Marc Aurèle excellait dans ce domaine, en n’accordant pas aux délégations envoyées auprès de lui par les provinciaux les mêmes attentions et privilèges : « Marc Antonin ne recevait pas de la même manière les ambassadeurs de toutes les nations qui s’adressaient à lui, mais selon que chacune d’elles méritait de recevoir soit le droit de cité romaine, soit l’immunité, soit une remise, perpétuelle ou temporaire, du tribut, soit un subside à perpétuité. Aussi les Lazyges lui ayant été fort utiles, il leur fit remise de plusieurs ou plutôt de toutes les conditions imposées, à l’exception de celles qui se rapportaient aux réunions et au commerce, à la défense de faire usage de leurs propres barques et à l’interdiction des Iles de l’Ister. Il leur permit de faire le commerce avec les Roxolans, à travers la Dacie, toutes les fois qu’ils y seraient autorisés par le gouverneur de cette province »99.

Souvent, les provinciaux ont joué leur sort à travers leurs différents choix lors des multiples conflits qui se sont déroulés sur leurs territoires respectifs. 98

Tacite, Agr., XII, 1-4 : In pedite robur ; quaedam nationes et curru proeliantur ; honestior auriga, clientes propugnant. Olim regibus parebant, nunc per principes factionibus et studiis trahuntur. Nec aliud aduersus ualidissimas gentis pro nobis utilius quam quod in commune non consulunt. Rarus duabus tribusue ciuitatibus ad propulsandum commune periculum conuentus : ita singuli pugnant, uniuersi uincuntur. 99 Hist. rom., LXXI, 19.

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La situation était d’ailleurs la même dans le cas d’événements qui, bien que survenus à Rome ou dans une autre province, généraient des répercussions touchant l’ensemble des composantes de l’Empire. C’est donc sous forme de récompense, pour service rendu, que les Lazygues furent ainsi favorisés par l’empereur philosophe. A contrario, l’attitude à leur égard aurait été tout à fait différente, s’ils ne s’étaient pas montré « fort utiles » lorsque Rome en a eu grandement besoin ou si, comme l’auront fait les Antiochiens peu avant l’avènement au trône de Septime Sévère, ils avaient choisi un camp hostile au futur empereur : « (Septime Sévère) était particulièrement monté contre les Antiochiens qui l’avaient tourné en dérision lorsqu’il gouvernait en Orient et qui avaient aidé (Pescennius) Niger, même après sa défaite »100.

Il convient naturellement d’ajouter à ces mouvements récurrents de populations provinciales le nombre toujours croissant d’usurpateurs et d’usurpations101 dont les ambitions ont été consécutives à des charges remplies en provinces ; chacun des magistrats romains affectés en province ayant tendance à considérer le territoire placé sous son autorité comme une véritable praeda exploitable à sa guise. C’est pourquoi un effort particulier et constant d'aménagement des territoires conquis par Rome s’est toujours révélé indispensable pour garantir de meilleures conditions de leur gestion, selon leurs statuts respectifs, grâce à des systèmes de contrôle voulus plus efficients et à une technicité accrue placés sous la responsabilité de collaborateurs à l’expertise avérée. Les Romains avaient du reste droit aux retombées de l’effort d’assujettissement du monde qu’ils ont consenti comme le meilleur des gages de leur propre prospérité.

I – 3 : Le statut des provinces romaines Au plan juridique, le schéma politique, caractérisé par l’action conjuguée de l’empereur et du Sénat pour assurer le bien-être du peuple romain, a fortement influencé la gestion des territoires acquis à la cause romaine. Ici, les usages n’ont théoriquement guère changé depuis l’organisation administrative augustéenne qui a su y prolonger le système dualitaire officiellement établi à Rome : l’existence des deux ordres sénatorial et 100

Scriptores ..., Sévère, IX, 4 : Antiochensibus iratior fuit, quod et administrantem se oriente inriserant et Nigrum etiam uictum iuuerant. 101 Phénomène particulièrement fréquent à la période qui intéresse l’Histoire Auguste et dont le paroxysme se mesure à travers l’épisode inédit des trente tyrans qui regroupe essentiellement des personnages ayant aspiré à l’Empire, sans parvenir réellement à y accéder ou, l’ayant fait, à s’y maintenir. Ce travail n’a malheureusement pas pu s’enrichir des conclusions de la thèse de doctorat de J. Sella qui traite de L’usurpation dans l’Empire romain, également sous la direction de M. J.-P. Martin.

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équestre dans l’État. L’administration des provinces romaines reposera toujours sur cette base et, à l’époque de l’Histoire Auguste, on ne note que quelques réformes et différences d’attitudes chez certains empereurs sous l’emprise des nécessités du moment ou des calculs personnels. En effet, l’histoire de l’expansionnisme romain, depuis les guerres puniques, n’a jamais été rien d’autre que la recherche permanente d’un équilibre entre les victoires militaires et l’impérieux devoir d’améliorer les conditions d’existence de toutes les couches sociales concernées par ce vaste mouvement hégémonique. Le monde devint ainsi, dans l’esprit du commun des Romains, un interminable ager publicus dont parlait un jour Polybe, sans masquer son admiration indéfectible pour la réussite romaine, en ces termes : « A partir de cette date (Carthage venait de capituler), l’histoire aboutit à former un tout organique, les événements d’Italie et d’Afrique s’entrelacent avec ceux d’Asie et de Grèce et l’ensemble tend à une seule et même fin »102.

A) Des prescriptions générales sur le gouvernement des provinces Ainsi donc depuis Auguste, les provinces romaines se distinguent-elles, au plan statutaire, par leur degré de pacification et, partant, de romanisation. C’est en tout cas ainsi que Suétone justifie cette différence de statut entre les provinces romaines depuis le premier des principes : « Parmi les provinces, affirme-t-il, il se chargea lui-même des plus puissantes, qu’il n’aurait pas été commode ni prudent de faire gouverner par des magistrats annuels, et confia les autres à des proconsuls tirés au sort ; pourtant, il lui arriva d’en changer quelques-unes de catégorie, et la plupart des unes et des autres furent assez fréquemment visitées par lui »103.

Mais il est tout aussi certain que les ressources et particularités de la province concernée pesaient considérablement sur la décision de l’empereur de s’adjuger l’administration directe de telle ou telle province. Le prix de l’évergétisme impérial ne pouvait laisser le prince insensible aux richesses que pouvaient lui générer les provinces conquises. L’Empire compta ainsi deux catégories de provinces : les provinces impériales et celles sénatoriales, avec des modes de désignation des magistrats chargés de leur administration variant – du moins à l’origine et toujours au niveau des usages affichés – selon leur statut. Nous savons ainsi que les gouverneurs des provinces impériales y servaient avec le titre de légat d’Auguste propréteur (Legatus Augusti pro praetore). Les critères de leur choix de même que leurs prérogatives ont ainsi été rappelés par J.-P. Martin : « Les légats d’Auguste propréteurs 102

Histoires, I, 3, 4. Suétone, Aug., XLVII, 1 : Prouincias ualidiores et quas annuis magistratuum imperiis regi nec facile nec tutum erat, ipse suscepit, ceteras proconsulibus sortito permisit ; et tamen nonnullas commutauit interdum atque ex utroque genere plerasque saepius adiit.

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gouvernent les provinces impériales les plus importantes. Ils peuvent être consulaires ou prétoriens, selon l’importance de la province et surtout en fonction du nombre des troupes qui s’y tiennent en garnison. Quand il n’y a qu’une seule légion, avec des troupes auxiliaires, le gouverneur est un prétorien ; quand y tiennent garnison plusieurs légions, il ne peut s’agir que d’un consulaire ; en effet, les légats de légion (les commandants en chef d’une légion) sont eux-mêmes des prétoriens et ne peuvent être placés que sous les ordres d’un sénateur qui a déjà rempli le consulat. L’imperium que possèdent ces gouverneurs est total, puisqu’il comprend le commandement militaire, et ils restent en place suivant la volonté de l’empereur (rarement plus de quatre ou cinq ans cependant). A leurs fonctions militaires s’adjoignent des pouvoirs administratifs et judiciaires étendus ; en particulier, ils possèdent le ius gladii. Ils sont précédés par cinq licteurs (ils sont appelés de ce fait, quinquefascales) »104. Au IIe et surtout dans la première moitié du IIIe siècles, un certain nombre de gouverneurs de provinces impériales prétoriennes portent le titre de consularis, exactement comme leurs collègues des provinces impériales consulaires généralement dévolues à des sénateurs qui ont obtenu le consulat. Il faut là-dessus se garder de croire que la fréquence du titre consularis ne pouvait signifier que tous avaient effectivement géré le consulat ; il convient plutôt de suivre B. Rémy qui a avancé l’hypothèse pour certains d’entre eux d’avoir été adlecti inter consulares. Réfutant l’idée d’une quelconque tendance à l’usurpation sans limites de ce titre insinuée par A. Stein, il a notamment fait observer : « … que (le titre) de consularis, loin d’être les simples équivalents de gouverneur, (était) en fait réservés dans les provinces impériales prétoriennes aux seuls gouverneurs qui avaient obtenu le consulat in absentia ou, à tout le moins, étaient consuls désignés. Par ce raccourci, on indiquait que ce sénateur avait franchi une étape décisive dans sa carrière. Non seulement il était désormais apte à accéder aux plus importantes fonctions de l’administration romaine et notamment à la légation des provinces impériales consulaires et au proconsulat des grandes provinces du Sénat, mais surtout il assurait à sa famille l’entrée dans une aristocratie qui restait, malgré l’augmentation du nombre des consuls suffects, très fermée »105. Du reste, cette pratique de désigner au consulat par l’inscription sur la liste des futurs consuls de l’année suivante les gouverneurs des provinces impériales prétoriennes est bien antérieure au IIe siècle. On ne peut non plus exclure péremptoirement que les usages aient connu un glissement vers une généralisation – ou une tendance à le faire – de l’attribution du poste de gouverneur d’une province impériale qu’aux seuls candidats susceptibles de 104

J.-P. Martin, Les provinces romaines…, Paris, 1990, p. 101. Cf. « YIIATIKOI et consulares dans les provinces impériales prétoriennes… », Latomus, XLV, 2, Bruxelles, 1986, p. 319. 105

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prétendre au consulat, pour en marquer l’importance et probablement aussi pour juguler des ambitions. Quant aux provinces sénatoriales, considérées comme entièrement ou suffisamment pacifiées et, à ce titre, ne présentant a priori pas de danger notoire aux yeux des Romains, leur administration ne nécessitaient pas de présence militaire permanente. Leurs gouverneurs, tous choisis à l’intérieur de l’ordre sénatorial parmi les anciens préteurs ou les anciens consuls, portaient le titre de proconsul (Proconsul, sans être nécessairement ancien consul) et ne demeuraient en poste qu’un an, selon les usages en matière de magistratures à Rome ; sans doute une réminiscence des pratiques républicaines. L’élection comme critère officiel du choix des proconsuls est attesté, parmi d’autres témoignages, par Dion Cassius relatant les péripéties de la promotion de M. Aufidius Fronton à cette fonction que son homonyme Marcus Cornélius en son temps, le précepteur de Marc Aurèle, a reconnu avoir ardemment convoitée : « … et comme le temps de son administration était court (Festus venait de recevoir le gouvernement de la prestigieuse province d’Asie, en remplacement d’Asper), il ordonna que Festus la gouvernerait encore l’année suivante au lieu d’Aufidius Fronton. Fronton, en effet, n’eut, bien que l’ayant tirée au sort, ni l’Afrique, à cause de la demande des habitants, ni l’Asie, malgré un changement antérieur de désignation. Macrin, néanmoins, fut d’avis de lui donner, bien que resté dans ses foyers, les deux cent cinquante mille drachmes de traitement qui lui seraient revenus. Mais Fronton refusa de les recevoir, disant que ce n’était pas d’argent, mais d’un gouvernement qu’il avait besoin… »106.

Dans l’ensemble, les deux sphères de compétence et les prérogatives respectives à chacun des deux ordres ainsi définies ont souvent varié selon les circonstances et surtout selon les empereurs qui contrôlaient indifféremment aussi bien les provinces impériales que celles dites sénatoriales. Certes, on peut encore entendre Clodius Albinus affirmer dans l’Histoire Auguste que : « C’est au Sénat qu’il appartient de commander, de répartir les provinces, de nous faire consuls » 107 ;

mais les circonstances particulières de cette affirmation de Clodius Albinus indiquent elles-mêmes que le choix de ses mots, leur sens et leur ton visaient plus l’apaisement de ses troupes – que la nouvelle de la mort de Commode pouvait pousser au désordre – que leur conformité aux usages. En effet, en plus d’une stratégie fort habile de s’assurer la sympathie indéfectible du 106

Hist., LXXVIII, 22. Scriptores..., Clodius Albinus, XIII, 10 : Senatus imperet, prouincias diuidat, senatus nos consules faciat. A ce propos, E. Stein souligne avec raison que « L’influence considérable que les sénateurs détenaient, aux Ier et IIe siècles, n’était pas fondée sur la participation constitutionnelle du Sénat à la souveraineté de l’Empire, mais sur les grandes charges de gouverneurs au service de l’empereur » ; cf. Histoire…, I, Bruxelles, 1959, p. 48. 107

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Sénat, Clodius Albinus avait tout à craindre de l’éventualité que cette nouvelle fût, comme ce fut d’ailleurs le cas, fausse. Dans ce dernier cas, il s’exposait aux représailles de Septime Sévère dont la férocité a été maintes fois soulignée par le biographe : « Le Sénat eut plus de sympathie pour lui (Clodius Albinus) que pour aucun des autres empereurs, surtout par haine de Sévère dont les sénateurs détestaient violemment la cruauté. Aussi, après sa défaite, un grand nombre de sénateurs furent-ils mis à mort par Sévère pour avoir pour avoir pris son parti ou pour en avoir été soupçonnés… Il ne me parait pas hors de propos d’expliquer pourquoi Clodius Albinus s’attira la sympathie du Sénat : tandis qu’il commandait, sur l’ordre de Commode, les armées de Bretagne lui parvint la nouvelle – fausse à ce moment-là – que l’empereur avait été tué. Bien que Commode l’eût déjà investi du titre de César, il se présenta devant les soldats et leur tint ce discours... »108.

La réalité dans les faits, observée entre autres par J.-P. Martin, démontre plutôt que « La latitude laissée au Sénat dans « ses » provinces est de peu d’ampleur ; les sénateurs sont dépendants de l’empereur dans leur accession aux charges du cursus honoré, dans leur carrière en général ; il ne peut être question pour le Sénat de désigner un gouverneur qui ne soit pas agréé par l’empereur »109. A. Schiavone a constaté la même évolution dans les pratiques administratives de l’époque impériale en général : « A la dyarchie inégale des deux ordres, sénatorial et équestre, a-t-il affirmé, propre à la vieille cité républicaine – qui ne survécut que sur un plan presque uniquement formel pour marquer les étapes des carrières politiques et administratives – se substitua un milieu de notables agrario-bureaucratique… »110. 108

Scriptores..., Clodius Albinus, XII, 1-2 ; XIII, 3-4 : A senatu tantum amatus est, quantum nemo principum, in odium speciatim Seueri, quem uehementer ob crudelitatem oderant senatores. Denique uicto eo plurimi senatores a Seuero interfecti sunt, qui eius partium uel uere fuerant uel esse uidebantur … Non ab esse credimus causas ostendere, quibus amorem senatus Clodius Albinus meruerit : cum Brittannicos exercitus regeret iussu Commodi atque illum interemptum adhuc falso comperisset, cum sibi ab ipso Commodo Caesareanum nomen esset delatum, processit ad milites et hac contione usus est… 109 Cf. J.-P. Martin, Les provinces romaines…, Paris, 1990, p. 100. En d’autres termes mais pour souligner le même phénomène, P. Le Roux écrit : « Entre droit et pratique, entre continuité et mutation, la question de l’administration des provinces achève de compléter, sous un angle différent, les éclairages possibles sur la part impériale et la responsabilité du prince dans la direction des affaires. En termes de répartition, l’Auguste l’emportait largement sur les provinces du peuple représenté par le Sénat. La distinction administrative entre les provinces en fonction du mode de désignation des gouverneurs était assez formelle et n’impliquait pas de limite juridique à l’intervention impériale. Les instructions concernaient indifféremment proconsuls et légats ou procurateurs ; le transfert d’un gouvernement d’une responsabilité à une autre n’impliquait pas toujours la consultation du Sénat ; la vacance d’un poste de proconsul pour cause de décès recevait une solution de l’empereur, parfois même à la demande du Sénat ; la prorogation d’un mandat pouvait se faire sur intervention du prince ; les cités s’adressaient directement à l’empereur sans égard pour le statut de la province où elles se trouvaient » ; cf. Le Haut-Empire romain…, Seuil, Paris, p. 123. 110 Cf. A. Schiavone, Op. cit., p. 216.

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Cette tendance est bien antérieure à l’époque qu’étudie l’Histoire Auguste car, sous la menace des révoltes conduites par Tacfarinas en Afrique, on a bien vu la décision de désigner un général pour y mettre un terme incomber au seul Tibère : « Peu de temps après, rapporte Tacite, un message de Tibère au Sénat apprit que l’Afrique était de nouveau troublée par une incursion de Tacfarinas et que le choix des sénateurs devait se porter sur un proconsul expert en l’art militaire, doué de vigueur physique et capable d’affronter la guerre…, on décida que César choisirait l’homme à qui confier (l’Afrique) »111.

Les raisons profondes de cette responsabilisation de l’empereur en toute matière aussi délicate nous sont d’ailleurs révélées par Tibère lui-même qui s’excusait un jour, au Sénat, d’avoir un avis tout à fait contraire aux autres sur le sujet du jour : « On exige d’un prince plus de grandeur et d’élévation, s’est-il expliqué ; et, quand chacun tire à soi la gloire du bien qui s’accomplit, sur lui seul retombe l’odieux des fautes commises par tous »112.

Autant de ne s’en remettre qu’à sa seule décision, qu’il serait tout aussi seul à assumer, surtout en cas de dérive, en sa qualité d’unique ou principal comptable de la gestion globale de l’Etat. Orose, dans son œuvre moralisatrice où il s’est ingénié à démontrer que l’absence de piété chez les hommes de son époque constituait la principale source de leurs malheurs, a indiqué lui aussi le déterminisme évident qu’il y a entre le comportement du prince et le destin de l’Empire : « … César Auguste envoya son petit-fils Gaius pour prendre des dispositions dans les provinces d’Egypte et de Syrie. Ce dernier, traversant la Palestine en venant d’Egypte, dédaigna de prier à Jérusalem dans le temple de Dieu, alors saint et très fréquenté, selon ce que rapporte Suétone. Quand Auguste apprit la chose par Gaius, il le loua d’avoir agi sagement. C’est pourquoi, la quarantehuitième année du pouvoir de César, une famine s’en suivit pour les Romains, à ce point cruel que César prescrivit de chasser de Rome les troupes de gladiateurs et tous les étrangers, ainsi que de grandes masses d’esclaves, à l’exception des médecins et des professeurs. Ainsi, conclut-il, tandis que le prince péchait contre le sanctuaire de Dieu, et que la famine s’emparait du peuple, la qualité de la vengeance montra l’importance de l’offense »113.

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Tacite, Ann., III, 32, 1-2 : Neque multo post, missis ad senatum litteris, Tiberius motam rursum Africam incursu Tacfarinatis docuit iudicioque patrum deligendum pro consule gnarum militiae, corpore ualidum et bello suffecturum… de Africa decretum ut Caesar legeret cui mandanda foret. 112 Tacite, Ann., III, 53, 3 : Maius aliquid et excelsius a principe postulatur ; et, cum recte factorum sibi quisque gratiam trahant, unius inuidia ab obnibus peccatur. 113 Orose, Hist., VII, 3, 4-6 : … Gaium nepotem suum Caesar Augustus ad ordinandas Aegypti Syriaeque prouincias misit. Qui praeteriens ab Aegypto fines Palaestinae, apud Hierosolymam in templo Dei tunc sancto et celebri adorare contemsit, sicut Suetonius

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Ce texte démontre clairement qu’en raison de leurs positions respectives au sein de L’Empire, le petit-fils puis fils adoptif d’Auguste aurait dû éviter d’offenser Dieu et Auguste lui-même de l’en féliciter pour s’épargner un tel désastre. Dion Cassius ne proclame-t-il pas, sans la moindre équivoque que : « Rien, en effet, ne pousse au bien ou au mal, soit une armée, soit n’importe quel corps ayant besoin d’un commandement, comme les mœurs et la manière de vivre de celui qui est en tête ; car la multitude se conforme aux pensées et aux actes de ceux qui la guident : comme elle les voit agir, ainsi elle se comporte, soit sincèrement, soit par feinte »114 ?

C’est en tout cas ce qu’aurait affirmé Aurélius Victor, lui qui était si convaincu de l’influence indéniable des actes des grands sur l’avenir de l’État : « Tant il est vrai, a-t-il professé, qu’il n’y a rien de bon ou de mauvais dans l’État qui ne puisse devenir le contraire de ce qu’il était par le comportement de ceux qui gouvernent … (Aussi a-t-il rapporté de Trajan qu’il) avait tant de confiance en la vertu qu’en présentant, selon la coutume, au préfet du prétoire Suburbains un poignard comme insigne de son pouvoir, il lui donna le conseil suivant : ‘’Je te le confie pour me défendre, si je me conduis bien ; sinon, sers-t ’en plutôt contre moi’’ ; car il n’est pas permis au maître de toutes choses de commettre une faute, même par erreur »115.

Un témoignage du Pseudo-Aurélius Victor relatif à la mort de l’empereur Claude nous montre qu’il ne s’agit point là de vains mots : « Claude apprit des livres sibyllins, dont il avait ordonné la consultation (suite à l’usurpation de Victorinus), que le remède exigé était la mort de celui qui était le premier à donner son avis au Sénat ; comme Pomponius Bassus, qui était alors cet homme, se proposait, Claude, n’admettant pas qu’on éludât la réponse, fit don de sa vie à l’État après avoir affirmé que personne d’autre que l’empereur n’occupait le premier rang d’un ordre aussi prestigieux »116. Tranquillus refert. Quod Augustus ubi per eum conperit, prauo usu iudicio prudenter fecisse laudauit. Itaque anno imperii Caesaris quadraguissimo octauo, adeo dira Romanos fames consecuta est ut Caesar lanistarum familias omnesque peregrinos, seruorum quoque maximas copias, exceptis medicis et praeceptoribus, trudi Vrbe praeceperit. Ita peccante principe in sanctum Dei et correpto per famem populo quantitatem offensionis qualitas ultionis ostendit. 114 Hist., (Divers), II, 14. La leçon n’est pas nouvelle, vu que nous en connaissons les prescriptions depuis des penseurs bien antérieurs à Dion Cassius et à Orose, comme en témoigne cette maxime juvénalienne à l’endroit de Ponticus, Sat., VIII, 140-141 : Omne animi uitium tanto conspectius in se / crimen habet, quanto maior qui peccat habetur ; lire : « Toute perversion de l’âme porte en elle un scandale d’autant plus visible que le coupable est réputé grand ». 115 Aurélius Victor, XIII, 7, 9 : Adeo boni maliue in republica nihil est, quod in diuersum traduci nequeat moribus praesidentium … ; usque eo innocentiae fidens, uti praefectum praetorio Suburanum nomine, cum insigne potestatis, uti mos erat, pugionem daret, crebro monuerit : « Tibi istum ad munimentum mei committo, si recte agam, sin aliter in me magis. 116 Pseudo-Aurélius Victor, XXXIV, 3 : Claudius uero, cum ex fatalibus libris, quos inspici praeceperat, cognouisset sententiae in senatu dicendae primi morte remedium desiderari,

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Nous savons pourtant que Claude le Gothique mourut en 270 ap. J-C., emporté par la peste. Alors, dans quel autre intérêt l’abréviateur a-t-il imaginé cette fin hautement symbolique que de mettre en relief sa propre vision de la responsabilité suprême du princeps sur le sort de l’Empire et celui de ses administrés ? Une telle séance au Sénat, bien que fictive, a cependant le mérite de placer chacun de ses membres devant la portée réelle de ses responsabilités dans l’appareil fonctionnel de l’État. L’auteur exprime ainsi son propre sentiment sur la conception du rôle du prince, notamment lorsqu’un péril déterminé menace sérieusement l’Empire, en choisissant comme fait illustratif une présumée réaction d’un éminent acteur de l’histoire impériale que d’autres biographes ont loué en des termes d’une ampleur particulièrement dithyrambique, parmi lesquels l’auteur de l’Histoire Auguste. A propos de sa fin, le biographe affirme sans tournure que l’empereur Claude II mourut de maladie (cependant non précisée) : Finito sane bello Gothico grauissimus morbus increbruit, tunc cum etiam Claudius adfectus morbo mortalis reliquit et familiare uirtutibus suis petit caelum117.

Cette leçon de l’implication de la qualité des actes de l’empereur dans le destin collectif du peuple romain trouve également une illustration matérielle assez claire dans cette attitude de Helvius Pertinax qui, pour lutter contre l’attrait du luxe à Rome, réduisit d’abord son propre train de vie : « Les dépenses énormes engagées pour les festins impériaux, il les réduisit à une limite bien précise et rogna sur tout le train de vie de Commode. Alors, à l’exemple de l’empereur qui menait une vie spécialement parcimonieuse, tout le monde se restreignit, ce qui entraîna la baisse des prix. Il avait en effet, en supprimant le superflu, diminué de moitié les dépenses de la cour »118.

Pomponio Basso, qui tunc erat, se offerente, ipse uitam suam, haud passus responsa frustrari, dono rei publicae dedit, praefatus neminem tanti ordinis primas habere quam imperatorem. 117 Scriptores ..., Claude, II, 2. 118 Scriptores ..., Helvius Pertinax, VIII, 9-11 : Conuiuium imperatorium ex inmenso ad certum reuocauit modum. Sumptus etiam omnes Commodi recidit. Exemplo autem imperatoris, cum ille parcius se ageret, ex omnium continentia uilitas nata est ; nam imperatorium sumptum pulsis non necessariis ad soliti dimidium. S’il faut en croire Tacite, une telle attitude n’était pas toujours à la portée de tous les dirigeants. Il affirme en effet comme une exception remarquable, ayant mentionné une égale abstinence au débordement lors du mandat de son beau-père en Bretagne, que ce fut d’abord en s’imposant à lui-même et aux siens une extrême rigueur dans la conduite que ce dernier put faire passer sa politique de réformes administratives en Bretagne ; Agr., XIX, 2 : A se suisque orsus primum domum suam coercuit, quod plerisque haud minus arduum est quam prouinciam regere ; lire : « Commençant par lui-même et par les siens, il réduisit d’abord son train de maison, ce qui, pour beaucoup, n’est pas moins difficile que de gouverner une province ».

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On trouve encore cette conviction dans les derniers mots (ultima uerba) que l’Histoire Auguste prête à Septime Sévère peu avant de mourir : « Voici, dit-on, ses ultimes paroles : ‘’L’État était en proie aux pires désordres quand je l’ai reçu ; je le laisse pacifié, même en Bretagne. Maintenant, vieux et podagre, je lègue à mes chers Antonins, un Empire qui restera fort s’ils se comportent bien, mais deviendra faible s’ils se comportent mal’’ »119.

Nous savons cependant que tant de conseils et de précautions se révélèrent vains, tant l’avidité d’accéder au pouvoir était forte chez Caracalla qui ne recula pas devant le meurtre ignominieux de son frère pour y parvenir. Engagé à un niveau si élevé dans la préservation et la promotion du destin des Romains, l’empereur est donc tenu d’être en permanence informé des moindres faits survenus aux quatre points cardinaux de l’Empire, afin de pouvoir intervenir aussi rapidement que l’impose chaque événement. C’est ce qu’exprima le dernier des Gordiens, dans une présumée lettre adressée à son beau-père Timésithée, que pour une raison inconnue le biographe nomme Misithée : « Mon beau-père, ce que je voudrais te dire est vrai : malheureux l’empereur qui est tenu à l’écart de la vérité et qui, ne pouvant se promener en public à sa guise, doit se contenter d’écouter et d’ajouter foi à ce qu’il a entendu dire ou à ce que la majorité a affirmé »120.

En fait, l’ampleur des « crises »121 amorcées dès le règne d’Hadrien et amplifiées à partir des derniers Antonins a pratiquement effacé de l’esprit 119

Scriptores ..., Sévère, XXIII, 3 : Vltima uerba eius dicuntue haec fuisse : « Turbatam rem p(ublicam) ubique accepi, pacatam etiam Britannis relinquo, senex ac pedibus aeger firmum imperium Antoninis meis relinquens, si boni erunt, imbecillum, si mali ». Ces mots rejoignent l’allusion faite en XXI, 10 à un discours du vieil empereur à son fils aîné Caracalla : Qui quidem diuinam Sallusti orationem, qua Micipsa filios ad pacem hortatur, ingrauatus morbo misisse filio dicitur maiori ; lire : « On raconte qu’à un moment où sa maladie le faisait particulièrement souffrir, il envoya à son fils aîné le sublime discours composé par Salluste et dans lequel Micipsa exhorte ses fils à la paix ». 120 Scriptores ..., Les trois Gordiens, XXV, 4 : Mi pater, uerum audias uelim : miser est imperator, apud quem uera reticentur, qui cum ipse publice ambulare non possit, necesse est, ut audiat et uel audita uel a plurimis roborata confirmet. 121 En accord avec J.-M. Carrié, L’Empire en mutation…, Paris, 1999, p. 9, qui a fait remarquer qu’« Au pluriel, le mot ‘’crise’’ perd de sa dramaticité, il ne résonne plus comme le glas d’une civilisation », nous utilisons ce terme au sens le plus large possible où il désigne le moment d’un disfonctionnement des institutions établies sous la forme d’un changement plus ou moins radical de l’ordre établi et non pour exprimer le sentiment d’un vaste chaos qui aurait suivi la splendeur du Haut-Empire. Il y a en effet bien longtemps que le Bas-Empire a cessé d’être la plate phase de transition qu’elle a représentée jusqu’à une certaine date aux yeux des Modernes eux-mêmes victimes des connotations péjoratives que les sources qui nous en parlent ont multipliées, perpétuant volontairement ou non le discrédit sur cette période. Comme une sorte de lendemain du rayonnement fantastique durant le Haut-Empire, elle matérialisait globalement un processus de « chute de l’Empire » qui passait sous silence tant d’épisodes salutaires à l’affermissement et à la pérennité du pouvoir impérial secoué par

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des Romains le principe des provinces « sénatoriales » dans le sens de la définition communément admise, tant chacune d’elles était devenue un foyer potentiel de tension. Et lorsque le biographe nous signale, pour bien plus tard par rapport au premier princeps de notre compilation, que Probus accorda aux sénateurs : « … le droit de juger en appel au-dessus des grands juges, de nommer les proconsuls, de désigner les légats consulaires, de confier aux gouverneurs l’autorité judiciaire122 et de ratifier par leurs propres sénatus-consultes des lois qu’il (Probus) promulguerait »123,

c’est bien la preuve que plusieurs de ces compétences sur « leurs » provinces, y compris celles non mentionnées dans ce texte, leur avaient échappé depuis un certain temps. Nous avons là encore une réminiscence des pratiques d’Auguste en cette matière, à en croire le biographe Suétone qui a en effet précisé que ce dernier ne s’en tint pas toujours à cette catégorisation des provinces romaines : … et tamen nonnullas commutauit interdum atque ex utroque genere plerasque saepius adiit124.

Dans l’Histoire Auguste, des mesures concrètes visant à passer outre les dispositions traditionnelles relatives à la répartition des compétences sur les provinces romaines entre l’empereur et le Sénat sont signalées de manière explicite sous le règne de Marc-Aurèle qui s’est permis de :

des maux que générait, au fil des années, sa prodigieuse longévité. Aussi plusieurs études proposent-elles une relecture du terme « crise » pour caractériser le Bas-Empire, rompant ainsi avec la vision des auteurs comme E. Gibbon, Histoire du déclin …, Paris, 1992 ou surtout Rostovtseff, Histoire économique…, Paris, 1988, p. 392 qui il affirma sans ambages : « La révolution sociale du IIIe siècle, qui détruisit les fondements de la vie économique, sociale et intellectuelle du monde antique, ne pouvait engendrer aucune réalisation positive. Sur les ruines d’un État prospère et bien organisé, qui avait pour bases la civilisation classique séculaire et l’autonomie politique des cités, elle édifia un État fondé sur l’ignorance générale, sur la contrainte et la violence, sur l’esclavage et la servilité, sur la corruption et la malhonnêteté ». Lire à ce propos, en plus de l’œuvre collective de J.-M. Carrié : X. Loriot, « Les premières années de la grande crise du IIIe siècle… », ANRW, II, p. 659 sq. ; H.-I. Marrou, Décadence romaine…, Paris, 1977, p. 120 sq. ; Cameron, L’Antiquité…, Mentha, Paris, 1992… 122 A. Chastagnol rappelle que « Dans le système de la procédure extraordinaire qui triomphe dans le cours du IIIe siècle, les gouverneurs de province sont devenus dans leurs ressorts les juges normaux de la première instance au civil comme au criminel », mais doute qu’il soit possible d’ainsi placer sous le règne de Probus l’étape principale de cette évolution ; voir Scriptores ..., Probus, note 1, p. 1088. 123 Scriptores ..., Probus, XIII, 1 : … (Probus) permisit patribus, ut ex magnorum iudicum appellationibus ipsi cognoscerent, proconsules, crearent, legatos consulibus darent, ius praetorium praesidibus darent, leges, quas Probus ederet, senatus consultis propriis consecrarent. 124 Suétone, Aug., XLVII ; texte cité supra, note 93.

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« (transformer) des provinces proconsulaires en consulaires et les provinces consulaires en prétoriennes, selon les nécessités de la stratégie »125.

Le biographe signale la même attitude chez Alexandre Sévère qui : « confia à des gouverneurs de rang équestre un grand nombre de provinces qui étaient administrées par des légats et réorganisa les provinces proconsulaires en accord avec les souhaits du Sénat »126.

Que faut-il comprendre par l’expression ex senatus uoluntate à côté de ces réformes de l’empereur ? Surtout pas la manifestation concrète des prérogatives sénatoriales sur la gestion des provinces romaines qui relevaient – sur le papier – de leurs compétences ; mais plutôt une stratégie habile d’Alexandre Sévère visant à s’assurer la sympathie des sénateurs par leur implication affichée (mais aussi bien fictive) dans la prise de ces décisions qu’il pouvait pourtant avoir initiées tout seul. C’est qu’en effet, au temps de son règne, le pouvoir de l’illustre Assemblée avait déjà été réduit à sa plus simple expression. N’a-t-on pas vu Septime Sévère devoir « insister » pour qu’un sénatus-consulte interdise à l’empereur de mettre à mort un sénateur sans l’avis du Sénat ? « Il insista pour que fût voté un sénatus-consulte qui interdirait à l’empereur de mettre à mort un sénateur sans l’avis du Sénat »127,

peut-on lire dans l’Histoire Auguste. L’avènement de Septime Sévère au trône mérite une attention particulière pour comprendre le malaise qui s’était insidieusement installé entre le préposé au principat et l’illustre Assemblée. Habituée à se mêler du choix de l’empereur le cas échéant, les sénateurs avaient manifestement soutenu les adversaires de Septime Sévère qui ne put s’abstenir de sévir avec une

125

Scriptores ..., Marc Aurèle, XXII, 9 : Prouincias ex proconsularibus consulares aut ex consularibus proconsulares aut praetorias pro belli necessitate fecit. 126 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXIV, 1 : Prouincias legatorias praesidales plurimas fecit, proconsulares ex senatus uoluntate ordinauit. 127 Scriptores ..., Sévère, VII, 5 : Fieri etiam senatus consultum coegit, ne liceret imperatori inconsulto senatu occidere senatorem. Tous scrupules dont il ne s’embarrassera pas face aux partisans de son antagoniste Clodius Albinus ; ibid., XII, 1 : Interfectis innumeris Albini partium uiris, inter quos multi principes ciuitatis, multae feminae inlustres fuerunt, omnium bona publicata sunt aerariumque auxerunt ; cum et Hispanorum et Gallorum proceres multi occisi sunt ; lire : « On mit à mort d’innombrables partisans d’Albinus, parmi lesquels se trouvaient maints notables de la cité et maintes femmes de l’aristocratie ; ils subirent tous la confiscation de leurs biens qui allèrent grossir le Trésor public. Beaucoup de nobles espagnols et gaulois furent aussi massacrés ». Même Hadrien, bien avant lui, bien qu’il aimât « répéter dans l’Assemblée du peuple et au Sénat que sa mission était de gouverner l’État en sachant que l’État appartenait au peuple et non à lui », ibid., Hadrien, VIII, 3 : Et in contione et in senatu saepe dixit ita se rem publicam gesturum, ut sciret populi rem esse, non propriam, ne s’en prit pas moins à d’illustres personnages de son temps – dont plusieurs sénateurs – sous des motifs divers, ibid., XV, 2-9.

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cruauté extrême les coupables de divers ordres, les vouant à la peine capitale : « Il sévit violemment contre beaucoup gens qui avaient suivi (Pescennius) Niger. De nombreuses cités également qui avaient pris son parti subirent injustices et dommages. Il mit à mort les sénateurs qui avaient combattu dans l’armée de Niger au titre de généraux ou de tribuns… Par ailleurs il fit déchiqueter les corps des sénateurs qui avaient été tués au cours de la guerre… Donc, après avoir réprimé très violemment la révolte d’Albinus par d’innombrables massacres et par l’extermination de toute sa famille, il se dirigea vers Rome, rempli de colère contre le peuple et les sénateurs… Il évoqua ensuite sa propre clémence, bien qu’il se fût montré de la plus grande cruauté en mettant à mort les sénateurs dont voici la liste… »128.

Visiblement, l’interdiction de mise à mort de tout sénateur romain décrétée par Septime Sévère a dû donc n’entrer en vigueur qu’après l’épuration vengeresse de l’empereur victorieux : clémence bien tardive mais assurément propice à ramener le calme au sein de la population, gage de la pérennité du pouvoir fraîchement établi. Les deux textes relatifs aux réformes des dispositions traditionnelles en matière de partage des pouvoirs sur les provinces entre le Sénat et l’empereur divergent d’ailleurs en un point capital : le premier correspond effectivement à une situation de guerre (pro belli necessitate) qu’affrontait Marc le philosophe ; tandis que le second, concernant Alexandre Sévère dont le règne fut relativement tranquille, relève d’une volonté délibérée de l’empereur de réformes visiblement conçues dans le but d’une plus grande affirmation de son propre pouvoir. Qu’il est bien loin ce temps où l’attitude d’un empereur pouvait nourrir la rumeur, fausse ou fondée, d’avoir songé à s’en remettre au Sénat, dans l’incertitude de se trouver un digne successeur, comme ce fut le cas sous le règne de Trajan : « Bien des auteurs affirment aussi que Trajan aurait eu, à l’exemple d’Alexandre de Macédoine, l’intention de mourir sans avoir désigné de successeur ; beaucoup prétendent qu’il aurait voulu envoyer au Sénat un message pour demander à l’Assemblée, s’il lui arrivait quelque chose, de donner elle-même un prince à l’État romain, en ajoutant cependant une liste de noms parmi lesquels le Sénat choisirait le meilleur »129 !

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Scriptores ..., Sévère, IX, 6-8 ; XI, 5 ; XII, 7-9 : In multos se animauertit, praeter ordinem senatorium, qui adfecit et damnis. Eos senatores occidit, qui cum Nigro militauerant ducum uel tribunorum nomine… Senatorum deinde, qui in bello erant interempti, cadauera dissipari iussit… Vltus igitur grauiter Albinianam defectionem interfectis plurimis, genere quoque eius extincto iratus Romam et populo et senatoribus infamibus displicuisse dixit, ut appareret eum apertissime furere. Post hoc de sua clementia disseruit, cum crudelissimus fuerit et senatores infra scriptos occiderit. 129 Scriptores ..., Hadrien, IV, 9 : Etmulti quidem dicunt Traianum in animo id habuisse, ut exemplo Alexandri Macedonis sine certo successore moreretur, multi ad senatum eum

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D’après nos renseignements sur cette question, il est permis de douter qu’Hadrien compta parmi ses successeurs potentiels et que son nom figura sur cette liste. Or, nous notons que c’est avec ce dernier que le Sénat aura, à quelques nuances près, ses dernières véritables lettres de noblesse, avant la fatidique déchirure de ses rapports avec ledit empereur tout à la fin de son règne, au point que celle-ci souhaitât l’annulation de ses actes et lui refusât la divinisation (sort traditionnellement réservé à des empereurs de la trempe de Commode)130. Avant cette situation extrême en effet, l’Histoire Auguste donne une foule de détails illustrant de très bonnes relations entre le prince et l’auguste Assemblée, bien que n’ayant pas été choisi par elle pour succéder à Trajan131; ne s’entourant que des collaborateurs unanimement approuvés par le Sénat lors des procès qu’il devait présider132… Celles des révélations que le biographe fait sur l’attitude d’Antonin le Pieux vis-à-vis du même Sénat, quoique n’infirmant pas cette tendance, attestent toutefois, implicitement, que cette Assemblée avait depuis quelque temps été vidée de sa substance traditionnelle : « Antonin avait une telle volonté de ne condamner à mort aucun sénateur qu’il se contenta d’exiler dans une île déserte un parricide qui avait pourtant avoué son crime, en donnant comme justification que les lois de la nature n’autorisaient pas un tel homme de vivre »133.

Le texte ne précise cependant pas les griefs reprochés à l’auteur de ce drame familial. Ces différentes réformes et attentions tout de même révolutionnaires illustrent avant tout la position de l’empereur face à la situation générale d’un Empire de plus en plus exposé aussi bien à des périls extérieurs qu’à des antagonismes politiques et sociaux intérieurs. L’interpellation de sa responsabilité directe, marquant le glissement du principat créé par Auguste vers une plus grande affirmation du pouvoir d’un seul134, a inexorablement orationem uoluisse mittere petiturum, ut, si quid ei euenisset, principem Romanae rei publicae senatus daret, additis dum taxat nominibus ex quibus optimum idem senatus eligeret. 130 D’après Scriptores ..., Hadrien, XXVII, 1-2 : Acta eius inrita fieri senatus uolebat. Nec appellatus esset dius, nisi Antoninus rogasset. 131 Scriptores ..., Hadrien, VI, 2. 132 Scriptores ..., Hadrien, XVIII, 1. 133 Scriptores ..., Antonin le Pieux, VIII, 10 : Vsque adeo sub eo nullus percussus est senator, ut etiam parricida confessus in insula deserta poneretur, qui uiuere illi naturae legibus non licebat. 134 Les conditions de l’accession au trône de Septime Sévère – à l’issue d’une confrontation avec les troupes de Pescennius Niger et de Clodius Albinus – ont inauguré le principe pour les soldats de choisir les empereurs à leurs seules et exclusives convenances, du moins depuis la succession au trône de Nerva qui a librement confié l’Empire aux vertus de Trajan. La récurrence de cette pratique est ainsi soulignée par le biographe dans la Vie d’Alexandre Sévère, I, 6 : Milites iam insueuerant sibi imperatores et tumultuario iudicio facere et item facile mutare, adserentes nonnumqquam ad defensionem se idcirco fecisse, quod nescissent

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entraîné des adaptations de la politique provinciale de Rome à des situations diverses et souvent pressantes, par le biais d’aménagements circonstanciels des territoires administrés par elle, en fonction d’un certain nombre de particularités qui firent de l’Egypte, par exemple, une composante de l’Empire totalement à part. B) Du statut particulier de l’Egypte Aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire du principat romain, la place de l’Egypte s’est toujours révélée particulière par rapport aux autres provinces. En effet, alors que ces dernières faisaient partie du patrimoine public de l’Empire, le « pays des pharaons », lui, relevait exclusivement de celui de l’empereur qui en confiait l’administration à des chevaliers, contrairement aux autres qui revenaient à des sénateurs, anciens consuls ou anciens préteurs, à en croire Tacite : « L’Egypte et les troupes destinées à la garder sont commandées, depuis le divin Auguste, par des chevaliers romains, qui y remplacent les rois… »135.

Son exceptionnelle adresse politique, son ingéniosité qui pousse souvent à le comparer à Romulus et son intelligente vision de l’avenir lui ayant prescrit de s’attribuer exclusivement la très riche terre d’Egypte, le prince ne pouvait s’exposer aux risques multiformes que présumait l’éventualité d’en confier la gestion à un potentiel prétendant à l’Empire. Fidèle à cette prescription, aucun empereur parmi ses successeurs ne laissa jamais personne s’y aventurer sans son autorisation. Nous nous rappellerons qu’un voyage en Egypte sans l’avis de l’empereur compta parmi les principaux griefs de Tibère contre son neveu Germanicus : « Sous le consulat de M. Silanus et de L. Norbanus, Germanicus part pour l’Egypte, afin d’en connaître les antiquités… Tibère, après avoir critiqué en termes modérés sa mise et son allure, lui reprocha très vivement d’avoir enfreint les règlements d’Auguste en entrant à Alexandrie sans l’aveu du prince. Car Auguste, entre autres ressorts secrets de sa domination, en interdisant aux senatum principem appellasse ; lire : « Mais les soldats avaient pris l’habitude de se choisir des empereurs par des procédés expéditifs et d’en changer avec la même facilité, en prétendant parfois, pour se justifier, avoir agi ainsi parce qu’ils ignoraient que le Sénat avait élu un prince ». Depuis lors, la vie politique romaine ne cessa d’opposer les partisans d’un régime civil directement inspiré par le principat augustéen aux tenants d’une monarchie militaire ouvertement sous-tendue par l’armée. Il en résulta, bien après la période qui intéresse l’œuvre du biographe, un régime appelé « dominât », essentiellement caractérisé par le caractère sacré et monarchique de l’empereur proclamé dominus et deus ; terme utilisé par les Modernes mais dont n’usèrent cependant point les Romains de l’époque concernée. Pour de plus amples détails ou une analyse plus approfondie de ce phénomène aux traits plutôt traditionnels – dont la terminologie ne remonte cependant pas à l’Antiquité –, lire, à titre indicatif, J.-M. Carrié…, L’Empire romain…, Paris, 1999, p. 55 sq. 135 Tacite, Hist., I, 11, 1 : Aegyptum copiasque, quibus coerceretur, iam inde diuo Augusto equite e Romani obtinent loco regnum...

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sénateurs et aux chevaliers romains de premier rang d’y pénétrer sans son autorisation, avait séquestré l’Egypte, pour éviter que l’Italie ne fût affamée par quiconque s’établirait dans cette province où, tenant les clés de la terre et de la mer, on pourrait, même avec une faible garnison, résister à d’immenses armées »136.

Le témoignage de Suétone, aussi bien sur ce voyage que sur la réaction de Tibère, ne diffère guère : « De plus, rapporte-t-il, comme Germanicus s’était rendu à Alexandrie, sans l’avoir consulté, à l’occasion d’une famine terrible et soudaine, il s’en plaignit au Sénat »137.

C’est sûrement pour les mêmes raisons qui ont poussé Tibère à tellement s’émouvoir du périple de son neveu et fils adoptif Germanicus dans cette région aux ressources multiformes – aussi bien sur le plan matériel que spirituel – que bien des siècles plus tard, Aurélien défendit à Saturninus de s’aventurer en Egypte : « Saturninus était d’origine gauloise, de cette race d’hommes pleine de turbulence et toujours impatiente de se créer un prince ou un gouvernement propre. Comme il était, sinon en réalité, du moins en apparence, doué d’une grande valeur, Aurélien lui confia, en le préférant à tous les autres généraux, le commandement de la frontière orientale, mais lui prescrivit avec sagesse de ne jamais mettre les pieds en Egypte. Car cet empereur si perspicace tenait compte, nous semble-t-il, du caractère des Gaulois et craignait que, si Saturninus entrait en contact avec une cité en pleine effervescence, il ne fût d’autant plus tenté de s’associer à sa population qu’il y était naturellement porté par son tempérament »138.

Depuis Auguste donc, la particularité ou même l’exception de la province d’Egypte s’explique par des considérations d’ordre stratégique et économique : il y a d’une part une position géographique assurant la main mise sur une bonne partie de l’Empire par le contrôle des voies terrestres et maritimes (… terrae ac maris quamuis leui…) ; d’autre part, il s’agit, outre 136 Tacite, Ann., II, 59, 1-3 : M. Silano L. Narbono consulibus, Germanicus Aegyptum proficiscitur cognoscendae antiquitatis… Tiberius, cultu habituque eius lenibus uerbis perstricto, acerrime increpuit quod, contra instutita Augusti, non sponte principis Alexandriam introisset. Nam Augustus, inter alia dominationis inlustribus, seposuit Aegyptum, ne fame urgeret Italiam quisquis eam prouinciam claustraque terrae ac maris quamuis leui praesidio aduersum ingentes exercitus insedisset. 137 Suétone, Tib., LII, 5 : Quod uero Alexandream propter immensam et repentinam famem inconsulto se adisset, questus est in senatu. 138 Scriptores ..., Le Quadrige des tyrans, VII, 1-3 : Saturninus oriundo fuit Gallus, ex gente hominum inquientissima et auida semper uel faciendi principis uel imperii. Huic inter ceteros duces, quod uere summus uir esset, certe uideretur, Aurelianus limitis orientalis ducatum dedit, sapienter praecipiens, ne umquam Aegyptum uideret. Cogitabat enim, quantum uidemus, uir prudentissimus Gallorum naturam et uerebatur, ne, si praeturbidam ciuitatem uidisset, quo eum natura ducebat, eo societate quoque hominum duceretur.

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son rayonnement culturel et scientifique tout aussi exceptionnel, d’une terre dont l’ensemble des richesses assure l’essentiel de l’approvisionnement de Rome. Les mécanismes de son administration, aussi bien en termes d’orientations générales qu’en ce qui concernait le choix des agents appelés à y remplir des fonctions civiles ou militaires fut toujours en rapport avec cette particularité139. A l’époque de l’Histoire Auguste, rien n’avait véritablement changé et l’Egypte avait continué de constituer un enjeu incontestable pour la stabilité du pouvoir impérial romain. Nous en avons une illustration sans équivoque dans le conflit qui opposa Septime Sévère à son principal antagoniste Pescennius Niger – qui s’était fait élire empereur par les armées de Syrie qu’il commandait –, durant lequel la principale préoccupation du vainqueur fut de s’assurer que ce dernier ne s’emparerait pas de l’Egypte : « Il envoya cependant des légions en Afrique pour empêcher (Pescennius) Niger de l’occuper en traversant la Libye et l’Egypte et d’accabler le peuple romain sous le poids de la disette »140.

C’est ce qui arriva d’ailleurs sous le règne de Gallien I lorsque, profitant de tous les désordres consécutifs à la capture de Valérien, Aémilianus réussit à priver Rome des denrées égyptiennes : « Au même moment Aémilianus prit le pouvoir en Egypte et, s’emparant des greniers à blé, réduisit à la famine un grand nombre de villes »141.

On note également une certaine constance dans la tendance – romaine bien entendu – à justifier l’attitude des Romains vis-à-vis de l’Egypte par l’hostilité des populations de cette province. Tacite écrivait déjà en son temps, comme pour justifier le statut particulier qu’Auguste conçut pour cette province, que : « … c’était le moyen utile qu’on avait trouvé pour qu’une province d’accès difficile, fertile en blé, rendue par son fanatisme et ses excès turbulente et

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Sur les rouages de l’administration de l’Égypte romaine et les rapports entre les Romains et les autochtones égyptiens, lire l’article d’A. K. Bowman et D. Rathbone, « Cities and Administration… », J.R.S., LXXXII, 1992, p. 113 sq. 140 Scriptores ..., Sévère, VIII, 7 : Ad Africam tamen legiones misit, ne per Libyam atque Aegyptum Niger Africam occuperet ac p(opulum) R(omanum) penuria rei frumentariae perurgeret. Détail repris, avec un peu plus de précisions, dans la Vie de Pescennius Niger, V, 4-5 : Sane illud fecit proficiscens, ut legiones ad Africam mitteret, ne eam Pescennius occuparet et fame populum Romanum perurgueret. Et uidebatur autem id facere posse per Libyam Aegyptumque uicinas Africae, difficili licet itinere ac nauigatione ; lire : « Il ne manqua pas, à son départ, d’envoyer des légions en Afrique pour éviter que Pescennius (Niger) ne s’en empare et ne réduise le peuple romain à la famine. Cette éventualité paraissait du reste réalisable en traversant la Libye et l’Égypte qui jouxtent l’Afrique, même si les déplacements s’avéraient difficiles par terre comme par mer ». 141 Scriptores ..., Les deux Galliens, IV, 1 : Per idem tempus Aemilianus apud Aegyptum sumpsit imperium occupatisque horreis multa oppida malo famis pressit.

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capricieuse, étrangère à nos lois, ignorant nos magistrats, fût maintenue dans le domaine impérial »142.

Le texte est clair et établit péremptoirement que le faible taux de romanisation de l’Egypte imposait un tel traitement d’exception de la part des Romains à son endroit. L’Histoire Auguste souligne elle aussi cette turbulence des Egyptiens, avec un ton proche de la diatribe, à travers les raisons que son auteur avance pour justifier l’interdiction de se rendre en Egypte que décida Aurélien à l’endroit de Saturninus : « Car les Egyptiens, tu ne l’ignores pas, sont des gens frivoles, évaporés, frénétiques, hâbleurs, insolents et, qui plus est, versatiles, frondeurs, montrant jusque dans leurs chants populaires leur goût pour les bouleversements politiques, férus de vers, d’épigrammes, d’astrologie, de divination et de médecine. On trouve en effet parmi eux des chrétiens, des Samaritains et tous ceux qui ne cessent, avec un esprit d’indépendance immodéré, de vitupérer le temps présent. Et pour qu’aucun Egyptien ne s’en prenne à moi en imaginant que les indications que j’ai données sont de mon invention, je vais citer une lettre d’Hadrien, empruntée aux ouvrages de son affranchi Phlégon et qui révèle parfaitement le comportement des Egyptiens »143.

Les termes de cette prétendue lettre – une de plus – au-delà de la fragile fiction d’une Egypte sombre et anarchique, dissimulent à peine un épanouissement de sa population et un essor économique que la Rome péninsulaire n’atteignit guère, sinon jamais. Il s’agit d’ailleurs d’un réflexe habituel chez les Romains de tout temps, visiblement complexés devant l’acuité et la vivacité de l’esprit d’entreprise des Egyptiens. Tout familier de la littérature latine a pu lire ça ou là des piques hargneuses stigmatisant l’extrême présence des Egyptiens dans plusieurs domaines d’activités où leur expertise, bien que mal perçue ou non tolérée, s’impose sur les autres. Limitons-nous là-dessus à ne signaler que ces vers particulièrement acides de Juvénal qui se rapportent, eux, à l’éclectisme religieux des Egyptiens : « Qui ne sait, ô Volusius Bithynicus, à quels monstres l’Egyptien adresse son culte ? Les uns adorent le crocodile, les autres se sentent saisis d’effroi devant l’ibis gorgé de serpents. On voit briller la statue dorée du cercopithèque sacré, là 142

Tacite, Hist., I, 11, 1 : ... ita uisum expedire, prouinciam aditu difficilem, annonae fecundam, superstitione ac lasciuia discordem et mobilem, insciam legum, ignaram magistratuum, domi retinere. 143 Scriptores ..., Le Quadrige des tyrans, VII, 4-6 : Sunt enim Aegyptii, ut statis nosti, uani, uentosi, furibundi, iactantes, iniuriosi atque adeo uarii, liberi, nouarum rerum usque ad cantilenas publicas cupientes, uersificatores, epigrammatarii, mathematici, haruspices, medici. Nam eis Christiani, Samaritae et quibus praesentia semper tempora cum enormi libertate displiceant. Ac ne quis mihi Aegyptiorum irascatur et meum esse credat, quod in litteras rettuli, Hadriani epistolam promam ex libris Flegontis liberti eius proditam, ex qua penitus Aegyptiorum uita detegitur. Les termes de cette epistola, sûrement apocryphe comme tant d’autres, sont cités infra, note 130.

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où résonnent les accords magiques de la statue tronquée de Memnon et où gît ensevelie l’antique Thèbes aux cents portes. Des villes entières révèrent, ici, des chats, là, le poisson du fleuve ; là, le chien : quant à Diane, personne n’a cure d’elle. C’est un sacrilège que d’outrager, en y mettant la dent, le poireau de l’oignon. Dévotes populations, dont les divinités poussent dans les jardins »144.

Le moins qu’on puisse en dire, à titre de conclusion, est que les hommes de Lettres de l’Antiquité romaine ne se doutèrent peut-être jamais que leurs propres aveux sur la prospérité de cette région et sur le développement très élevé de l’esprit d’entreprise de ses habitants contenus dans leurs différents témoignages – bien que conçus comme autant de critiques violentes et dévastatrices de métropolitains complexés face à la supériorité attestée de l’expertise du sujet soumis – trahissaient plutôt leur hostilité collective au rayonnement corollaire de velléité d’autonomie d’une des dépendances romaines, du reste parmi les plus prospères ; à défaut d’être la plus prospère. Nous lisons par exemple, cette, des aveux fort parlants d’un retour d’excursion en Egypte d’Hadrien, dans l’Histoire Auguste : « L’Egypte dont tu me chantais les louanges… (s’adressant à son beau-frère, le consul Julius Vrsus Servianus) m’est apparue comme une nation pleine de légèreté et de versatilité, virevoltant au gré de toutes les impulsions de la rumeur publique… C’est une race d’hommes séditieux, frivoles et insolents à l’extrême. Leur cité, opulente, riche, prospère, ne laisse personne dans l’oisiveté. Certains soufflent le verre, d’autres fabriquent le papier, on voit du moins tout le monde filer le lin ou pratiquer quelque artisanat ou métier. Les podagres y trouvent du travail ainsi que les eunuques ; les aveugles ont de quoi s’occuper ; même les gens atteints de goutte aux mains n’y restent pas inactifs. Ils n’ont qu’un seul dieu, l’argent, qu’adorent les chrétiens, les Juifs, ainsi que toutes les autres catégories de population. Quel dommage que cette cité (parlant sans doute d’Alexandrie) ait si mauvais esprit, car elle mérite assurément, par sa productivité et sa grandeur, d’être la capitale de l’Egypte entière »145. 144

Juvénal, Sat., XV, 1-11 : Quis nescit, Volusi Bithynice, qualia demens / Aegyptos portenta colat ? Crocodilon adorat / pars haec, illa pauet saturam serpentibus ibin ; / effigies sacri nitet aurea cercopitheci, / dimidio magicae resonant ubi Memnone chordae / atque uetus Thebe centum iacet obruta portis ; / illic aeluros, hic piscem fluminis, illic / oppida tota canem uenerantur, nemo Dianam. / Porrum et caepe nefas uiolare et frangere morsu ; / o sanctas gentes quibus haec nascuntur in hortis / numina. 145 Scriptores ..., Le Quadrige des tyrans, VIII, 1, 5-7 : Aegyptum, quam mihi laudabas…, totam didici leuem, pendulam et ad omnia famae momenta uolitantem… Genus hominum seditiosissimum, uanissimum, iniurisissimum, ciuitas opulenta, diues, fecunda, in qua nemo uiuat otiosus. Alii uitrum conflant, aliis chartha conficitur, omnes certe [linifiones] cuiuscumque artis uitrum [linifiones] uidentur ; habent podagrosi, quod agant, habent praecisi, quod agant, habent caeci, quod faciant, ne chiragrici quidem apud eos otiosi uiuunt. Vnus illis deus nummus est. Hunc Christiani, hunc omnes uenerantur et gentes. Et utinam melius esset marata ciuitas, digna profecto, quae pro sui fecunditate, quae pro sui magnitudine totius Aegypti teneat principatum. Les mêmes causes provoquant souvent les mêmes effets, il nous plait de comparer ce texte à l’hostilité juvénalienne à l’endroit des Grecs ; Sat., III, 75-85 : … Quemuis hominem secum attulit ad nos : / grammaticus, rhetor,

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Nous avons déjà souligné que ces epistulae ne relevaient que d’une traditionnelle opération intellectuelle ou plus simplement d’une technique littéraire fréquente chez des hommes de Lettres romains et qu’elles ne sauraient donc prétendre à aucune valeur propre de document typiquement historique. Il n’est cependant pas exclu que le biographe y exprimait ainsi une forme de complexe d’infériorité astucieusement dissimulé sous cette avalanche d’attaques violentes qu’A. Chastagnol a d’ailleurs lui aussi rapprochées, à juste titre, de plusieurs vers satiriques de Juvénal, reflétant probablement par ce biais l’écho d’un certain état d’esprit de ses contemporains concernant l’Egypte et ses habitants. En tout état de cause, il faut bien convenir que la diversité naturelle qui caractérise les provinces romaines et qui les sépare entre elles d’après des critères qui varient avec les différentes préoccupations de la métropole, imposait inévitablement une certaine catégorisation de ces entités provinciales en vue d’en concevoir de meilleures perspectives d’administration. Les mesures à y préconiser devaient ainsi prendre en compte, en plus des richesses proprement dites, le tempérament des populations locales déterminé par leur degré d’appropriation des valeurs inhérentes à la romanisation, les conditions d’établissement des relations avec la métropole et, dans une certaine mesure, l’impact des préceptes culturels en vigueur dans les régions à occuper. Les échecs, tout comme les réussites enregistrés en cette matière par les différents empereurs concernés sont difficiles à apprécier de manière comparative, en raison précisément des critères qui ont chaque fois varié d’un prince à un autre, indépendamment de leurs tempéraments et aptitudes respectifs. Il demeure cependant que chacun d’eux dut se soumettre à l’aménagement des territoires placés sous sa juridiction, en vue de favoriser les orientations d’administration qu’il envisageait d’y proposer.

I – 4 : L’aménagement des territoires provinciaux La conscience de l’originalité des modes de vie à l’intérieur des espaces que Rome greffait à son Empire est à l’origine de la nécessité impérieuse d’aménagement des territoires provinciaux, sous peine d’aboutir à une vaste anarchie, chaque unité de l’État livrée à agir, se mouvoir et décider à sa singulière convenance. A Rome comme de nos jours, l’aménagement des geometres, pictor, aliptes, / augur, schoenobates, medicus, magus, omnia nouit / Graecules esuriens ; in caelum, iusseris, ibit. / In summa non Maurus erat neque Sarmata nec Thrax / qui sumsit pinnas, mediis sed natus Athenis ; lire : « … – savez-vous, dites-moi, ce que c’est qu’un Grec ? Il nous apporte avec soi un homme à tout faire : grammairien, rhéteur, géomètre, peintre, masseur, augure, funambule, médecin, magicien, un Grec famélique sait tous les métiers. Vous lui commanderiez de monter au ciel, il y monterait ! – Pour tout dire, il n’était point Maure, ni Sarmate, ni Thrace, celui qui s’attacha des ailes : c’est en pleine Athènes qu’il était né ».

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territoires consiste à la localisation des relations entre différents éléments qui relèvent des domaines techniques, financiers, politiques et sociologiques. Cette démarche est intimement liée à la géographie avec laquelle elle partage le souci de l’observation et de la théorisation des interférences à l’intérieur des groupes humains et entre eux dans leur environnement spécifique. L’aménagement des territoires ambitionnait donc – ici, sans que cette notion soit de nature à susciter une assimilation spontanée de nos réalités contemporaines – de concevoir l’Empire comme un espace de relations multisectorielles : politiques146, bien sûr, à titre principal. Mais les relations bilatérales entre une métropole et sa dépendance ne sauraient se départir d’une codification des considérations économiques147 et religieuses. En effet, malgré une tolérance établie et reconnue en matière de religions, il est souvent avéré que l’empereur se saisisse des questions qui y sont relatives, notamment lorsque la pratique d’une religion donnée avait tendance à mettre en péril la stabilité des institutions officielles, comme ici sous le règne de Septime Sévère : « Il interdit, sous peine de graves châtiments, les conversions au judaïsme et prit la même mesure à l’encontre du christianisme »148.

Nous ne discuterons pas ici des raisons avancées par K. H. Schwarte pour rejeter cette affirmation de l’Histoire Auguste149. Toujours est-il que l’implication de l’empereur dans ce domaine est attestée à plusieurs reprises, à travers des mesures préconisées par plusieurs d’entre eux pour y mettre de l’ordre partout où cela s’imposait à leurs yeux. C’est en tout cas ce qu’atteste clairement cette interrogation de Tertullien : « Que penser donc de ces lois que seuls exécutent contre nous [les chrétiens] des princes impies, injustes, infâmes, cruels, extravagants, insensés, que Trajan éluda en partie en défendant de rechercher les chrétiens, que ne fit jamais appliquer un Vespasien, bien qu’il fût le destructeur des Juifs, jamais un Hadrien, scrutateur

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A Rome sont conçues les principales maximes utiles à la romanisation. Il s’agit de mettre sur pied des mécanismes de gestion de l’ensemble, de manière à préserver la mission romaine de promouvoir un modèle de vie décrétée comme le meilleur et qui devrait sortir les autres de la Barbarie. L’adhésion spontanée et volontaire à cet idéal est primordiale, d’où l’implication des populations concernées à une lecture « romaine » de leur propre processus d’émergence et de promotion sociale. 147 Il s’agit surtout de faire de Rome la destination de toutes les richesses connues. Les mots de Claude I s’avèrent ici fort illustratifs de cette politique économique des Romains : Iam moribus, artibus, adfinitatibus nostris mixti aurum et opes suas inferant potius quam separati habeant ; voir Tacite, Ann., XI, 24, 6 ; texte amplement cité infra, note 394. La libre circulation des produits naturels ou manufacturés, les échanges monétarisés et bien d’autres mesures servent à attirer vers Rome tous les vecteurs de production et des choses produites. 148 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XVII, 1 : Iudaeos fieri sub graui poena uetuit. Idem etiam de Christianis sanxit. 149 Cf. son article paru dans la revue Historia, XI, 1963, pp. 185-208 cité par André Chastagnol, Scriptores ..., note 4, p. 328.

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de toutes les choses curieuses, jamais un Antonin le Pieux, jamais un Vérus »150 ?

Dès le règne d’Hadrien, on enregistre un certain nombre de mesures plus ou moins courageuses ayant comme base fondamentale l’espace régional, dans des perspectives plus globales qui impliquaient très étroitement les territoires provinciaux au destin de l’Empire151. Chez ce premier empereur de l’Histoire Auguste, c’est souvent dans le but de préserver, maintenir ou établir la paix qu’il eut à réformer certaines configurations provinciales, notamment, comme nous l’avons souligné en introduction, par l’abandon de certaines parties de l’Empire difficiles à contrôler ou simplement par une cession du pouvoir à un roi local. Ainsi renonça-t-il à l’autorité romaine sur tout le pays situé au-delà de l’Euphrate et du Tigre, convaincu de ne plus pouvoir y assurer la souveraineté impériale : « C’est pourquoi il abandonna tout le pays situé au-delà de l’Euphrate et du Tigre, à l’exemple, comme il disait, de Caton qui déclara libres les Macédoniens parce qu’on ne pouvait les protéger »152 ;

Il fit en outre remplacer le roi des Parthes : « Quant à Parthamasiris, que Trajan avait imposé comme roi aux Parthes, il voyait qu’il avait peu d’autorité auprès d’eux et, en conséquence, le donna pour roi à d’autres peuples voisins »153.

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Apol., V, 7 : Quales ergo leges istae, quas aduersus nos soli exsequuntur impii iniusti, turpes truces, uani dementes, quas Traianus ex parte frustratus est uetando inquiri Christianos, quas nullus Vespasianus, quamquam Iudaeorum debellator, nullus Hadrianus, quamquam omnium curiositatum explorator, nullus Pius, nullus Verus impressit. Sur l’attitude plutôt conciliante de Trajan envers les chrétiens, voir ses échanges épistolaires avec son gouverneur en Bithynie Pline le Jeune, Let., X, 96 (97), 1 ; 97 (98), 1 ; 49 (58), 1-2. Il existe également dans l’Histoire Auguste plusieurs détails sur les attitudes respectives de certains empereurs romains face au christianisme ou, plus généralement, au judaïsme comme sous les règnes d’Élagabal, III, 5 ou d’Alexandre Sévère, XXII, 4 ; XXIX, 2 ; XLII, 5-6 ; XLIX, 6. Pour l’essentiel des interférences entre le pouvoir et les religions à Rome, on lira avec intérêt l’œuvre de J.-P. Martin, Pouvoir et religions…, Paris, 1998, p. 15 sq. 151 La cité, au centre de la vie aussi bien en Italie que dans le reste de l’Empire, fait l’objet d’une attention particulière en tant que terrain d’exécution de toutes les orientations et décisions administratives préconisées par le pouvoir central. Une telle position privilégiée au plan juridique de la cité remonte à une période plus lointaine comme il est établi dans l’ouvrage de Ch. Saumagne, Le droit latin et les cités romaines…, Paris, 1965. Cette étude aide à un meilleur maniement du vocabulaire technique du droit romain relatif à l’univers municipal et, bien que portant essentiellement sur des questions juridiques, elle a le mérite de souvent recourir aux circonstances historiques qui s’y rapportent. 152 Scriptores ..., Hadrien,V, 3 : Quare omnia trans Eufraten ac Tigrim reliquit exemplo, ut dicebat, Catonis, qui Macedonas liberos pronuntiauit, quia tueri non poterant. 153 Scriptores ..., Hadrien, V, 4 : Parthamasirin, quem Traianus Parthis regem fecerat, quod eum non magni ponderis apud Parthos uideret, proximis gentibus dedit regem.

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De même, ce fut sous la pression du soulèvement des Sarmates et des Roxolans qu’il réunit en une seule juridiction les provinces de Pannonie et de la Dacie en les plaçant sous l’autorité d’un seul gouverneur : « Il conféra à Marcius Turbo, après son retour de Maurétanie, les insignes de préfet et lui confia le gouvernement temporaire de la Pannonie et de la Dacie »154.

Le ad tempus revêt ici une importance fondamentale car l’expression indique clairement qu’il s’agit d’une mesure strictement ponctuelle dont la durée dépendait du seul jugement du prince. Enfin, nous signalerons que sa haine des Antiochéens lui fit envisager des mesures coercitives quelque peu draconiennes à leur encontre : « Pendant cette période, il manifesta tant de haine à l’égard des Antiochéens qu’il voulut séparer la Syrie de la Phénicie afin qu’Antioche ne puisse plus être appelée métropole de tant de cités »155.

Ces dernières mesures qu’auraient prises Hadrien portent à équivoque et pourraient cependant n’être qu’une anticipation de la division de la Syrie en deux provinces par Septime Sévère qui comptait probablement parmi les grandes décisions envisagées pour rétablir la situation en Orient156 d’où Pescennius Niger était en train de menacer son pouvoir : « Sévère avait appris de surcroît que Pescennius Niger s’était fait proclamer empereur par les légions de Syrie. Mais il réussit à intercepter, grâce à la complicité des messagers chargés de les transmettre, les édits et les lettres que ce dernier destinait au peuple et au Sénat, évitant ainsi qu’ils ne fussent portés à la connaissance du peuple ou lus dans la Curie… Puis il partit rétablir la situation en Orient, sans faire encore aucune mention publique de Niger »157.

Mais la réforme la plus spectaculaire en matière d’aménagement du territoire de l’Empire fut sans doute celle d’Aurélien : l’évacuation de la Dacie158. Vu son ampleur et les circonstances particulièrement sensibles dans 154

Scriptores ..., Hadrien, VI, 7 : Marcium Turbonem post Mauretaniam praefecturae infulis ornatum Pannoniae Daciaeque ad tempus praefecit. 155 Scriptores ..., Hadrien, XIV, 1 : Antiochenses inter haec ita odio habuit, ut Syriam a Phoenice separare uoluerit, ne tot ciuitatum metropolis Antiochia diceretur. 156 Sur la question du caractère anachronique de ce témoignage, se référer à la note 4 de la Vie d’Hadrien d’A. Chastagnol, p. 36 où il a précisé que la division en deux de la province de Syrie avait plutôt eu lieu sous le règne de Septime Sévère. 157 Scriptores ..., Sévère, VI, 7-8 ; VIII, 6 : His accessit quod comperit Pescennium Nigrum a Syriacis legionibus imperatorem appellatum. Cuius edicta et litteras ad populum uel senatum intercepit per eos, qui missi fuerant, de uel proponerentur populum uel legerentur in curia… Ad orientis statum confirmandum profectus est nihil adhuc de Nigro palam dicens. 158 Ce n’est cependant pas la première fois qu’un empereur romain pensa à une mesure de peuplement de la Dacie, s’il faut en croire Eutrope qui atteste, dans des circonstances toutefois différentes, que Trajan y transféra plusieurs citoyens romains ; voir VIII, 6, 2 : … propterea quia Traianus uicta Dacia ex toto orbe Romano infinitas eo copias hominum transtulerat ad agros et urbes colendas. Dacia enim diuturno bello Decibali uiris fuerat

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lesquelles elle eut lieu, on ne s’étonnera jamais assez du peu d’intérêt que lui accorda le biographe à travers une Vita qui ne compte pourtant pas parmi les moins denses. En effet, on y lit simplement : « Quant il vit l’Illyricum dévastée et la Mésie anéantie, il abandonna la province de Dacie qu’avait créée Trajan au-delà du Danube, après en avoir fait évacuer troupes et provinciaux, car il n’espérait plus pouvoir s’y maintenir. Puis il installa les populations ainsi déportées en Mésie, dans une région qu’il appela sa Dacie et qui sépare aujourd’hui les deux Mésies »159.

Le biographe aurait sans doute fait œuvre plus utile en nous fournissant davantage de détails sur une décision administrative d’une telle envergure. Peut-être aurait-il ainsi épargné aux Modernes toutes les interrogations d’ordres divers qu’elle a pu susciter jusqu’aujourd’hui et dont, même si nous avons pu enregistrer de nettes avancées sur certains points, plusieurs subsistent encore. L’évacuation aurélienne de la Dacie a-t-elle été une réaction instantanée et brutale face à un fléau ponctuel et incontrôlable survenu durant son règne ? Et, dans cette perspective, à quelle date160 ? Ou at-elle plutôt été l’aboutissement inexorable d’une situation qui avait commencé à se détériorer bien avant lui, notamment sous Gallien ? Le trouble vient surtout des témoignages qui nous sont parvenus sur cette question d’autres auteurs relativement de la même période que le biographe : - Aurélius Victor : « …et les pays d’au-delà du Danube, que Trajan avait conquis, furent perdus »161 ; - Orose : « ... car la Dacie est perdue pour toujours »162 ; - Eutrope : « La Dacie qui, au-delà du Danube, avait été annexée à l’Empire par Trajan fut alors perdue (par Gallien) »163 ;

exhauta ; lire : « … Trajan y avait en effet, après sa victoire sur la Dacie, transféré de tout le monde romain une quantité considérable d’hommes pour y occuper des terres et des villes ; la Dacie avait en effet été dépeuplée par la longue guerre contre Décibale ». 159 Scriptores ..., Aurélien, XXXIX, 7 : Cum uastatum Illyricum ac Moesiam deperdidam uideret, prouinciam Transdanuuinam Daciam a Traiano constitutam sublato exercitu et prouincialibus reliquit, desperans eam posse retineri, abductosque ex ea populos in Moesia conlocauit appellauitque suam Daciam, quae nunc duas Moesias diuidit. La capitale de cette nouvelle province était Serdica, la Sofia actuelle. 160 Une discussion trop étendue sur l’aspect chronologique de cette question ou sur bien d’autres encore nous éloignerait de notre sujet. Nous nous contentons donc de renvoyer à l’article d’E. Cizek, « L’évacuation… », Latomus, I, 1986, pp. 147 sq. 161 Aurélius Victor, XXXIII, 3 : « … et amissa trans Istrum, quae Traianus quaesiuerat ». L’auteur concluait ainsi les termes d’un tableau dramatique de la spirale d’invasions qui secouèrent l’Empire de part et d’autre (dès l’année 261 avec l’incursion des Alamans) et dont presque tous les auteurs de son époque ont parlé avec des nuances qui n’éloignent cependant pas entre eux leurs différents témoignages. 162 Orose, VII, 22, 7 : … nam Dacia trans Danuuium in perpetuum aufertur. 163 Eutrope, IX, 8, 2 : Dacia, quae a Traiano ultra Danubium fuerat adiecta, amissa est.

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- « La province de Dacie, que Trajan avait constituée au-delà du Danube, il la laissa tomber, désespérant de pouvoir la maintenir après la dévastation de L’Illyrie et de la Mésie ; les Romains qu’il avait retirés des villes et des campagnes de Dacie, il les établit dans la Mésie centrale, et appela Dacie cette région qui aujourd’hui sépare les deux Mésies et se trouve sur la rive droite du Danube, alors qu’elle était auparavant sur la rive gauche »164 ; - Festus : « Trajan vainquit les Daces commandés par le roi Décébale et fit de la Dacie transdanubienne, située sur le sol du pays barbare, une province qui avait mille milles de pourtour ; cependant, elle fut perdue sous l’empereur Gallien et, après le transfert des Romains, deux Dacies furent constituées par Aurélien dans les régions de Mésie et de Dardanie »165.

Comme on peut le constater, loin de suppléer au laconisme de l’Histoire Auguste, ces auteurs ne se répandent pas non plus sur le sujet. Ils s’accordent à leur tour à ne mentionner uniquement que la perte de ces territoires de manière tellement allusive qu’aucune attention permettant de mesurer les souffrances et le désespoir des populations n’est accordée à l’immensité d’un tel désastre. Au demeurant, ils créent plutôt un dilemme par des divergences qui ne manquent pas d’intérêt, comme le souligne E. Cizek : « En l’occurrence, cinq auteurs prêtent à Gallien le divorce entre la Dacie et le reste de l’Empire. Deux de ces auteurs le font d’ailleurs de manière exclusive, c'est-à-dire sans faire état d’un retrait ultérieur, qui se serait déroulé sous un autre empereur. Il s’agit d’A. Victor et d’Orose. Quatre autres affirment, en donnant ordinairement plus de détails que dans le cas de Gallien, que les Romains avaient quitté la Dacie, sous le règne d’Aurélien. Parmi eux un seul, l’auteur de l’Histoire Auguste, ne mentionne nullement Gallien et n’attribue la perte de la Dacie qu’au grand empereur d’origine illyrienne. En somme, trois auteurs … semblent avancer que l’abandon de la

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Eutrope, IX, 15, 1 : … prouinciam Daciam, quam Traianus ultra Danubium fecerat, intermisit, uastato omni Illyrico et Moesia, desperans eam posse retinere ; abductosque Romanos ex urbibus et agris Daciae, in media Moesia collocauit ; et est in dextra Danubio in mare fuenti, cum antea fuerit in laeua. 165 Festus, Breu., VIII : Traianus Dacos sub rege Decibalo uicit et Daciam trans Danuuium in solo barbariae prouuinciam fecit, quae in circuitu habuit decies centena milia passuum ; sed sub Gallieno imperatore amissa est et per Aurelianum, translatis exinde Romanis, duae Daciae in regionibus Moesiae ac Dardaniae factae sunt. Eutrope, VIII, 2, 2 a donné à cette province un périmètre à peu près équivalent dans un passage qui comporte bien d’autres similitudes avec le témoignage de Festus : Romani imperii, quod post Augustum defensum magis fuerat quam nobiliter ampliatum, fines longe lateque diffudit. Vrbes trans Rhenum in Germania reparauit. Daciam Decibalo uicto subegit, prouincia trans Danubium facta in his agris quos nunc Taifali, Victohali et Teruingi habent. Ea prouincia decies centena milia passuum in circuitu tenuit ; lire : « Il étendit en long et en large l’étendue de l’Empire romain qui, après Auguste, avait été plus défendu que notablement agrandi. Il rétablit des villes audelà du Rhin, en Germanie ; il soumit la Dacie après la défaite de Décibale, créant une province au-delà du Danube, sur les terres qu’occupent aujourd’hui les Taïphales, les Victophales et les Tervinges. Cette province s’étend sur un pourtour d’un million de pas ».

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Dacie s’est déroulé en deux étapes : d’abord, sous Gallien, ensuite, au temps d’Aurélien »166. Mais c’est surtout l’analyse des raisons profondes de cet exode spectaculaire qui nous aide à percevoir le lien subtil entre l’aménagement des territoires provinciaux et la stabilité de l’Empire en général. En effet, sans nier les causes communément admises167, on aura retenu que l’insécurité de la Dacie a été principalement consécutive au vandalisme de peuplades voisines qui ne s’opposaient pas foncièrement à l’autorité romaine sur la région mais qui ont fini, par la force des choses, à la menacer au point de l’ébranler fatalement. La politique romaine en Dacie répondait ainsi, avant tout, à des objectifs sécuritaires pour arriver à l’objectif principal : la démolition de l’État parthe qui constituait une entrave au contrôle effectif des Romains de cette partie du monde connu. En d’autres termes, nous pouvons dire que ce sont des mouvements de Barbares, sans que ce fût expressément contre les Romains, qui sont à l’origine de ce vaste déplacement de population. L’Histoire Auguste est claire là-dessus en mettant en relief un élément décisif pour justifier cet acte qui mérite d’attirer notre attention : Cum uastatum Illyricum ac Moesiam deperdidam uideret… En cela les raisons d’Aurélien rejoignent, dans cette région, les motivations de Trajan en son temps lorsqu’il convint de s’assurer son contrôle ; il s’agissait avant tout de « … diminuer et renforcer la ligne de défense de l’Empire »168. Le contrôle de l’ensemble étant devenu aléatoire, l’empereur se résolut à circonscrire l’influence romaine à la seule partie de la Dacie réputée encore gouvernable par Rome. On note d’ailleurs du règne d’Aurélien qui n’aura guère duré que cinq ans (270-275) qu’il a dû faire face assez fréquemment à ce type de situation, comme ici : « … il partit pour les Gaules et délivra les Vindéliciens de l’occupation des Barbares ; puis il revint vers l’Illyricum et, ayant mis sur pied une armée importante sans être gigantesque, déclara la guerre aux Parthes dont il avait déjà brillamment triomphé à l’époque où il avait vaincu Zénobie »169.

C’est pour prévenir de telles conséquences que l’aménagement des territoires ici ne s’est jamais confiné qu’à la seule approche géographique d’une planification spatiale des provinces romaines. Il implique, outre les 166

« L’évacuation… », Latomus, XLV, 1, 1986, p. 147. Sur les enjeux économiques et d’autres considérations liées à cette évacuation, voir E. Cizek, L’empereur Aurélien…, Paris, 1994, p. 124 sq. ; voir également ses commentaires dans C.A.H., XII, 1965, p. 150 sq. 168 Selon les mots d’E. Cizek, L’empereur Aurélien…, Paris, 1994, p. 123. 169 Scriptores ..., Aurélien, XXXV, 4 : His gestis ad Gallias profectus Vindelicos obsidione barbarica liberauit, deinde ad Illyricum redit paratoque magno potius quam ingenti exercitu Persis, quos eo quoque tempore, quo Zenobiam superauit, gloriosissime iam uicerat, bellum indixit. 167

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volets de géophysique et de géostratégie, le souci d’assurer la prospérité de l’Empire à travers le développement des provinces avec une ouverture humaine, sociale, économique et culturelle conforme aux normes de la civilisation romaine ; tant il est vrai que le rôle des provinces dans la stabilité et la prospérité de l’Empire romain – certaines d’entre elles bien plus que d’autres – était considérable, voire vital à certains égards.

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II. LE DEVELOPPEMENT DES PROVINCES ROMAINES ET LEUR APPORT DANS LA PROSPERITE DE L’EMPIRE

« Puisque vient enfin le jour tant attendu où tu reçois le gouvernement d’une province, mets un frein et des bornes à ta colère, mets un frein à ta cupidité ; compatis à la misère des alliés : tu vois qu’ils n’ont plus rien que des os sucés à fond et vidés de leur moelle. Considère ce que les lois prescrivent, ce qu’ordonne la Curie, les récompenses qui attendent les gens de bien, le coup qui a justement foudroyé et Capiton et Numitor, ces pirates des Ciliciens, condamnés par le Sénat ». Juvénal, Sat., VIII, 87-94.

L’idéal des Romains, que C. Moati appelle la « Raison de Rome »170, se trouve au centre du testament politique d’Auguste (gravé après sa mort devant son mausolée avant d’être répercuté dans tout l’Empire). A travers cette rétrospective personnelle de son œuvre, nous avons pu mesurer les ambitions presque démesurées d’Auguste sur le chapitre de l’agrandissement de l’Empire créé par lui, réalisant ainsi le rêve avoué de son oncle et père adoptif César, qu’on a en effet entendu s’indigner de n’avoir encore rien fait 170

C’est là le titre d’un ouvrage très fouillé sur la construction de l’identité collective romaine propice au destin universel de Rome, paru à Paris en 1997. Cette œuvre, malgré qu’elle concerne la période de la République, nous intéresse ici parce que justement les fondements profonds de la conviction romaine de disposer des autres peuples se sont développés, pour l’essentiel, à cette période ; notamment vers la fin de la République. Lire à ce propos les très récentes analyses de J.-M. David, La République romaine…, notamment le chapitre sur les « enjeux de la conquête », pp. 62-89. Il n’est certes pas question de taire que nous ne sommes là que face à l’aboutissement d’un processus aux origines bien plus lointaines, comme l’a bien compris A. Schiavone qui le relie à l’épisode de la guerre contre les Sabins, menée en 290 av. J.-C. par Manlius Curius Dentatus, à travers ce qu’elle aurait représenté pour Fabius Victor. Ce dernier y a vu les prémices d’un changement économique d’envergure dans le monde romain ; cf. L’histoire brisée…, Belin, Langres, 2003, pp. 72-73 : « … ‘’Ce fut alors, a-t-il lu dans un bref passage de l’historien romain, transcrit par Strabon, peut-être par l’intermédiaire de Polybe, que les Romains connurent pour la première fois les bienfaits de leur richesse, à partir du jour où ils se furent rendus maîtres de cette population’’ ».

de considérable, à l’âge où Alexandre avait déjà conquis le monde171. Dans ce testament politique d’une force de suggestion et d’une efficacité tournées vers l’avenir de l’Empire, Auguste soulignait bien, avec emphase, qu’il fut le premier dans l’histoire de Rome depuis sa fondation dont l’investiture ne s’était pas limitée à la seule péninsule italique mais avait engagé le reste des provinces par un élan collectif et spontané qui présageait de la grandeur – bien sûr – en même temps qu’il garantissait la perpétuité attendue de son œuvre. Plusieurs fois il souligne avec force l’exception de ses réussites, ouvrant à Rome les portes de territoires jusque-là jamais soupçonnés. On y décèle d’emblée l’intérêt pour la métropole d’étendre son monopole sur des territoires annexés dont elle allait dépendre de plus en plus, à mesure que reculaient ses frontières. La grandeur de Rome ne constituant pas qu’une simple question d’extension territoriale, les Romains avaient à cœur un net et très perceptible sentiment de faire de leurs provinces des creusets de solutions à leurs propres problèmes liés aux impératifs de leur vie quotidienne. Vaste projet de société dont la matérialisation imposait que les provinces romaines fussent elles-mêmes dotées de structures de production à la hauteur de telles attentes. E. Cizek a bien souligné, dans le cadre d’une analyse de la politique administrative de Trajan – si rigoureuse et qui représente en quelque sorte le prélude des attitudes en cette matière de ses successeurs auxquels s’est intéressée l’Histoire Auguste – que « L’appareil central de l’empereur, destiné à mettre en pratique les idées de l’absolutisme et du paternalisme, n’aurait pu fonctionner d’une manière adéquate sans un contrôle sévère et compétent de la vie des provinces. L’on devait assurer aux habitants des provinces, citoyens romains ou pérégrins, une certaine dignitas, mais leur persona, leur rôle, impliquait la discipline, le devoir de servir les intérêts primordiaux de Rome, l’ordre et l’efficacité, ceci en vue de conserver l’équilibre intérieur et de réaliser l’expansion de l’Empire »172. C’est pourquoi les Romains se sont attelés à une politique de développement des régions conquises en vue d’une exploitation plus profitable. 171

Suétone rapporte en effet qu’à Gadès, ayant remarqué une statue d’Alexandre le Grand, César se serait indigné de sa propre inaction en prenant conscience qu’il n’avait lui-même encore rien fait de mémorable à l’âge où Alexandre avait déjà soumis toute la terre ; Cés., VII, 1 : … quasi pertaesus ignauiam suam, quod nihil dum a se memorabile actum esset in aetate, qua iam Alexander orbem terrarum subegisset… 172 E. Cizek, L’époque…, Paris, 1983, p. 258. Sur les principaux aspects de la rupture entre les politiques administratives de Trajan et les choix de ses successeurs immédiats, lire, entre autres, L. Homo, Le siècle d’or…, Paris, 1969, p. 108 : « L’expérience de collaboration loyale avec le Sénat, l’idée maîtresse du règne de Trajan, venait d’échouer une fois de plus, et toujours pour la même raison : l’incapacité de l’aristocratie à jouer le rôle capital que l’empereur lui destinait. Hadrien, qui l’avait vue à l’œuvre et savait à quoi s’en tenir sur son compte, se trouva bon gré mal gré obligé de s’adresser ailleurs. Cet appui solide que le Sénat ne pouvait lui fournir, il le chercha dans la centralisation et le fonctionnarisme, ce qui entraîna comme conséquence logique, sur le terrain administratif, une lutte sourde contre l’assemblée ».

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II – 1 : Le développement des provinces Le rôle des provinces vis-à-vis de la métropole étant fondamentalement, comme nous venons de le souligner, de subvenir à l’ensemble de ses besoins, seuls de véritables processus d’essor économique et social garantis à chacune d’elles pouvaient permettre aux Romains d’assurer la prospérité et la pérennité de Rome grâce au patrimoine provincial. Probus l’a très bien compris, aussi a-t-il entrepris en Egypte de grands travaux dont la finalité était, on s’en doute, de rendre plus accessibles les richesses de cette terre de prédilection : « Il subsiste en maintes villes d’Egypte des bâtiments qu’il fit ériger par ses troupes, témoigne le biographe. Les travaux importants qu’il entreprit sur le Nil lui permirent d’accroître les rapports de l’impôt sur le blé173. Il construisit, en faisant travailler ses soldats, des ponts, des temples, des portiques, des basiliques, dégagea l’embouchure de nombreux fleuves et assécha un grand nombre de marais qu’il transforma en terres à céréales et autres cultures »174.

Comme lui plusieurs autres empereurs ont mis un point d’honneur à assurer une certaine prospérité aux provinces, à travers divers investissements susceptibles d’y encourager la production au sens le plus large du terme. Combien d’empereurs auraient souhaité s’entendre dire qu’ils avaient bien gouverné les peuples qui leur étaient soumis ; c’est-à-dire avec conscience, veillant sur les choses et les personnes comme si elles lui avaient appartenu personnellement175 ? Par vocation ou par nécessité, presque tous, en raison justement des attendus fondamentaux de leurs charges à la tête de l’Etat.

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Sur plusieurs aspects liés au ravitaillement en blé de Rome, consulter les actes du colloque international organisé par le Centre J. Bérard : Le ravitaillement en blé de Rome et des centres urbains…, EFR, Naples-Rome, 1994. De même, on pourra lire utilement S. Mrozek, Les distributions d’argent et de nourriture…, Bruxelles, 1987. Ces études viennent en appui à l’excellent travail de D. Van Berchem, Les distributions de blé et d’argent…, New York, 1975 dont la mémoire a été honorée à Genève, du 28 au 29 novembre 1989, par un colloque sur le thème : « Nourrir la Plèbe ». Bien sûr, plusieurs des thèmes débattus concernent essentiellement la période du Haut-Empire mais ils permettent néanmoins une bonne appréhension de ce phénomène dont les mécanismes principaux sont du reste demeurés presque identiques jusqu’à la période qui nous intéresse. 174 Scriptores ..., Probus, IX, 3-4 : Extant apud Aegyptum eius opera, quae per milites struxit, in plurimis ciuitalibus. In Nilo autem tam multa fecit, ut uectigal frumentarium solus adiuerit. Pontes, templa, porticus, basilicas labore militum struxit, ora fluminum multa patefecit, paludes plerasque siccauit atque in his segetes agrosque constituit. 175 C’est le bilan que dresse l’Histoire Auguste du règne d’Antonin le Pieux, VII, 1 : Tanta sane diligentia subiectos sibi populos rexit, ut omnia et omnes, quasi sua essent, curaret. Prouinciae sub eo cunctae floruerunt ; lire : « Il gouverna avec conscience les peuples qui lui étaient soumis au point de veiller sur les choses et les personnes comme si elles lui appartenaient en propre. Sous son règne, toutes les provinces furent florissantes ». Tout lecteur avisé trouve derrière les mots Prouinciae sub eo cunctae floruerunt leur garantie de la splendeur économique de la Rome métropolitaine.

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Il faut surtout se garder de croire que cet intérêt pour les provinces ne répondait qu’à des considérations d’ordre civique. Au plan individuel, plusieurs Romains enrichis par divers négoces en provinces sont connus. Tel Helvius Pertinax, ne disposant au départ que d’une fortune de bien peu d’importance, qui est brusquement devenu immensément riche, ayant profité de son affectation d’abord en Syrie puis dans bien d’autres provinces, en qualité de gouverneur : « Jusqu’à son gouvernement de Syrie, Helvius Pertinax resta intègre, atteste le biographe. Mais, après la mort de Marc, il chercha à s’enrichir, ce qui lui valut même d’être la cible des lazzis du peuple. Après avoir gouverné quatre provinces consulaires, il fit son entrée, riche désormais, dans la curie romaine, qu’il n’avait jamais vu depuis qu’il était sénateur, car il avait exercé son consulat loin de Rome… En tant que simple particulier, il n’échappa pas à l’accusation de cupidité pour avoir agrandi ses terres de Vado Ligure (un port près de Savone), aux dépens de propriétaires accablés de dettes… Beaucoup d’auteurs, poursuit le biographe, ont par ailleurs rapporté que, même dans les provinces qu’il avait gouvernées comme consulaire, il avait eu un comportement sordide : il avait en effet vendu des congés temporaires et des charges de légat de légion. En tout cas, malgré l’exiguïté de son patrimoine et sans avoir touché aucun héritage, il devint brusquement riche »176.

Révélateurs sont aussi ces termes que le biographe prête à Avidius Cassius peu après qu’il fut proclamé empereur : « … mais dois-je appeler proconsuls, dois-je appeler gouverneurs ces gens qui considèrent que le Sénat et Antonin leur ont octroyé des provinces pour s’enrichir ? Tu as entendu parler du préfet du prétoire de notre philosophe, qui, trois jours avant sa nomination, n’était qu’un pauvre gueux et qui est devenu brusquement riche. Et comment, je te le demande, sinon avec les entrailles de l’État et la fortune des provinciaux »177 ?

Et que dire du consul Gordien I (Horum Gordianus senior), à la richesse et à l’influence établies, qui possédait à Rome – probablement parmi bien d’autres concessions – la maison du plus célèbre adversaire de Jules César et dont les domaines dans les provinces étaient aussi nombreux qu’étendus : 176

Scriptores ..., Helvius Pertinax, III, 1-2 ; IX, 4, 6-7 : Integre se usque ad Syriae reginem Pertinax tenuit. Post excessum uero Marci pecuniae studuit ; quare etiam dictis popularibus lacessitus. Curiam Romanam post quattuor prouincias consulares, quia consulatum absens gesserat, iam diues ingressus est, cum eam senator antea non uidissset… Auaritiae suspicione priuatus non caruit, cum aput Vada Sabatia oppressis fenore possessoribus latius suos tenderet fines… Multi autem eum etiam in prouinciis, quas consularis gessit, sordide se egisse in litteras rettulere ; nam uacaciones et legationes militares dicitur uendidisse. Denique cum parentum minimum esset patrimonium et nulla hereditas obuenisset, subito diues est factus. 177 Scriptores ..., Avidius Cassius, XIV, 7-8 : … an ego proconsule, an ego praesides putem, qui ob hoc sibi a senatu et ab Antonino prouincias datas credunt, ut luxurientur, ut diuites fiant ? Audisti praef. Praetorii nostri philosophi ante triduum quam fierit mendicum et pauperem, sed subito diuitem factum. Unde, quaeso, nisi de visceribus rei p. prouincialiumque fortunis ?

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« … lui-même, écrit le biographe parlant du premier des trois Gordiens, fut un consul très riche et très influent : il possédait à Rome la maison de Pompée et, dans les provinces, plus de terres qu’aucun autre homme privé »178 ?

Il n’est pas à exclure, pensons-nous, qu’une partie de sa fortune – sinon toute sa fortune – ait été d’origine de ces mêmes provinces romaines où il avait réussi à s’approprier tant de domaines fonciers. Le qualificatif priuatus indique naturellement qu’un prince en tant que tel devait en posséder davantage. Il ne pouvait d’ailleurs pas en être autrement car sa position au sein de l’Empire comme ses prérogatives sur la promotion des fonctionnaires provinciaux faisaient de lui le principal bénéficiaire de tout ce que l’on pouvait tirer des différents territoires dépendants. La prépondérance de cette position se manifeste clairement à travers le statut de l’Égypte, communément admise dans l’Antiquité comme la terre la plus prospère des régions connues179, qui en faisait une propriété personnelle des empereurs. L’Histoire Auguste nous fournit elle-même, à travers des mots qu’il prête à Hadrien et malgré un ton proche de la diatribe propre à son style satirique sur certains sujets, un très net aperçu de l’essor économique de cette province en la peignant comme un monde où le taux de chômage – comme nous dirions aujourd’hui – était presque nul ; tout le monde trouvant à s’occuper, y compris les moins favorisés par la nature : Aegyptum, quam mihi laudabas, Seruiane carissime, totam didici leuem, pendulam et ad omnia famae momenta uolitentem… ciuitas opulenta, diues, fecunda, in qua nemo uiuat otiosus. Alii uitrum conflant, aliis chartha conficitur, omnes certe [linifiones] cuiuscumque artis et 178

Scriptores ..., Les Trois Gordiens, II, 3 : … ipse consul ditissimus ac potentissimus, Romae Pompeianam domum possidens, in prouinciis tantum terrarum habens quantum nemo priuatus. Située sur les basses pentes de l’Esquilin dans le quartier des Carènes, cette demeure avait déjà appartenu à Marc Antoine, puis à Tibère ; voir Suétone, Tib., XV, 1. 179 Plusieurs thèmes ont amené l’auteur de l’Histoire Auguste à évoquer la prospérité exceptionnelle de l’Égypte. A côté d’innombrables énumérations de produits divers provenant des bords du Nil, il nous révèle une initiative évergétique presque inédit que les richesses égyptiennes ont permis à Aurélien de prendre en faveur de ses administrés ; voir Scriptores ..., Aurélien, XLV, 1 : Vectigal ex Aegypto urbi Romae Aurelianus uitri, chartae, lini, stuppae atque anabolicas species aeternas constituit ; lire : « Aurélien attribua à perpétuité à la ville de Rome les recettes en nature provenant d’Égypte : verre, papier, lin, étoupe et produits procurés par la taxe appelée anabolicum ». On trouve une confirmation de cette extrême opulence de l’Égypte autant que de son importance aux yeux des Romains dans le ton grave qu’a employé Pline le Jeune pour rendre compte à Trajan des conséquences d’une sécheresse du Nil aussi inhabituelle que lourde de conséquences, Pan. XXX, 1 : Aegyptus alendis augendisque seminibus ita gloriata est ut nihil imbribus caeloque deberet, siquidem proprio semper amne perfusa nec alio genere aquarium solita pinguescere quam quas ipsa deuexerat, tantis segetibus induebatur ut cum feracissimis terris quasi numquam cessura certaret ; lire : « L’Égypte a pu se vanter de nourrir et multiplier les semences sans rien devoir aux pluies ni au ciel : toujours arrosée par un fleuve à elle, habituée à ne s’engraisser que grâce aux eaux qu’elle-même avait charriées, de si riches moissons la couvraient qu’elle rivalisait avec les terres les plus fertiles comme si sa victoire devait durer toujours ».

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uidentur ; et habent podagrosi, quod agant, habent praecisi, quod agant, habent caeci, quod faciant, ne chiragrici quidem apud eos otiosi uiuunt. Vnus illis deus nummus est. Hunc Christiani, hunc Iudaei, hunc omnes uenerantur et gentes. Et utinam melius esset morata ciuitas, digna profecto, quae pro sui fecunditate, quae pro sui magnitudine totius Aegypti teneat principatum180.

Ces derniers mots concernent naturellement, comme nous l’avons déjà suggéré, la cité d’Alexandrie. Mais il ne pouvait en aucun cas suffire aux Romains de proclamer ou d’afficher la volonté de tirer profit de ses provinces. Encore leur fallut-il mettre en œuvre des mécanismes appropriés pour y permettre une vitalité économique proportionnelle à leurs ambitions. C’est ce qui explique, pensons-nous, la réalisation d’un certain nombre d’investissements par les Romains en terres provinciales et surtout l’écho qu’en a si souvent fait le biographe tout au long de son œuvre. Outre ces mobiles strictement économiques, Pline le Jeune montre comment des réalisations de ce genre participaient-elles à la renommée de l’empereur auprès de ses administrés. En effet, dans une lettre où il plaide pour la reconstruction d’un aqueduc en Nicomédie, il n’oublie pas de rappeler cet aspect à Trajan : « Ce que je puis t’affirmer, c’est que l’utilité de l’ouvrage et sa beauté sont tout à fait dignes de ton règne »181.

Dans l’ensemble, ces investissements tendaient prioritairement à résoudre certains problèmes relevant de la stratégie militaire d’une part ; d’autre part et de manière plus générale, à promouvoir une vie urbaine « à la romaine » propice à divers échanges surtout commerciaux, mais aussi culturels et religieux. A) De la stratégie militaire Nous connaissons plusieurs travaux de génie militaire entrepris pour la construction de camps (castra) et d’autres bâtiments à usage militaire. Il s’agit souvent de tâches confiées à des légionnaires pour leur éviter la nonchalance de l’oisiveté. Les exemples les plus parlants ici nous sont fournis par Avidius Cassius et Probus dont le biographe affirme qu’ils détestaient par-dessus tout de voir leurs soldats inoccupés, oisifs et exposés aux activités avilissantes. Voici quelle était en l’occurrence la philosophie d’Avidius Cassius à ce sujet :

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Scriptores ..., Hadrien, VIII, 1, 5-7 ; texte cité supra, note 129. Le personnage auquel s’adresse cette lettre, L. Julius Vrsus Servianus, trois fois consul et époux de Paulina, était le beau-frère d’Hadrien ; voir ibid., Hadrien, I, 2 : … soror Paulina nupta Seruiano… ; lire : « … sa sœur, mariée à Servien… ». 181 Pline le Jeune, Let., X, 37 (46), 3 : Ego illud unum adfirmo et utilitatem operis et pulchritudinem saeculo tuo esse dignissimam.

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« Il est lamentable, disait-il en effet, que les athlètes, les chasseurs d’amphithéâtre et les gladiateurs s’entraînent et que les soldats ne le fassent pas. Du reste la fatigue leur paraîtrait moins pénible s’ils s’y étaient habitués »182.

Quant à Probus, on peut lire dans l’Histoire Auguste : « … par les soins de ses soldats qu’il ne voulait jamais voir inoccupés »183.

Le biographe énumère à la suite de ce texte bien d’autres travaux de génie civil toujours exécutés par les soldats de Probus dans la même région. La pratique n’est pas nouvelle car Tacite l’a également relevée en parlant des motifs de l’insurrection des légionnaires romains, au commencement du règne de Tibère, à travers deux passages relatifs à la mutinerie de Germanie. Une première fois en ces termes : « Trois légions occupaient ensemble les quartiers d’été sous le commandement de Junius Blaésus, qui, en apprenant la fin d’Auguste et l’avènement de Tibère, avait, en signe de deuil en signe ou de réjouissance, interrompu les services ordinaires. Ce fut l’origine du mal : les soldats s’émancipaient, ne s’entendaient plus, prêtaient l’oreille aux propos des fortes têtes, finissaient par souhaiter la dissipation et l’oisiveté, par se dégoutter de la discipline et du labeur »184.

Puis, plus loin, on peut lire la réaction des mutins à l’intervention de Germanicus qui leur rappelait les principes ancestraux de la subordination et de la discipline dans l’armée romaine : « ils mirent tous ensemble leur corps à nu et lui montrèrent avec colère les cicatrices que leur avaient laissées leurs blessures, les marques que leur avaient faites les coups de verges ; puis les cris se mêlèrent et mirent en cause le trafic des exemptions, l’exiguïté de la solde, la dureté des travaux qu’ils spécifièrent : retranchements, fossés, transports de fourrage, de matériaux, de bois à brûler, bref tout ce qu’exigent les besoins du service ou la nécessité de préserver un camp de l’oisiveté »185.

Mais le chantier militaire le plus représentatif et qui ne manque pas de poser quelques problèmes selon la version de l’Histoire Auguste est 182

Scriptores ..., Avidius Cassius, VI, 4 : Dicebat enim miserum esse, cum exercerentur athletae, uenatores et gladiatores, non exerceri milites ; quibus minor esset futurus labor, si consuetus esset. 183 Scriptores ..., Probus, IX, 2 : … per milites, quos otiosos esse numquam est passus. Il s’agit d’un tombeau imposant que l’empereur fit ériger en Afrique pour honorer un adversaire qu’il avait vaincu mais dont il tenait à sublimer la valeur. 184 Ann., I, 16, 2 : Castris aestitius tres simul legiones habebantur, praesidente Iunio Blaeso, qui, fine Augusti et initiis Tiberi auditis, obiustitium aut gaudium intermiserat solita munia. Eo principio lasciuire miles discordare, pessimi cuiusque sermonibus praebere auris, denique luxum et otium cupere, disciplinam et laborem aspernari. 185 Ann., 35, 1 : … nudant uniuersi corpora, cicatrices ex uulneribus, uerberum notas exprobant ; mox indiscretis uocibus pretia uacationum, angustias stipendii, duritiam operum ac propriis nominibus incusant uallum, fossas, pabuli, materiae, lignorum adgestus, et si qua alia ex necessitate aut aduersus otium castrorum quaeruntur

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assurément la construction du mur de Bretagne. Trois passages du biographe nous en parlent, chacun se rapportant à un règne différent : - Hadrien : « Après avoir réformé l’armée comme il convenait à un souverain, il gagna la Bretagne, où il corrigea de nombreux abus et, pour la première fois, construisit un mur destiné à séparer les Romains des Barbares sur une longueur de quatre-vingt mille pas »186 ; - Antonin le Pieux : « Il fut vainqueur des Bretons grâce à son légat L. Vrbicus et, une fois les Barbares repoussés, fit aménager un second mur construit en mottes de gazon »187 ; - Septime Sévère : « L’entreprise la plus glorieuse de son règne fut de protéger la Bretagne en construisant un mur qui coupait toute l’île en deux côtés aux bords de l’Océan. C’est ce qui lui valut le titre de Britannique »188.

En première lecture, on aurait l’impression que, d’Hadrien à Septime Sévère, trois murs ont été érigés en Bretagne à l’occasion de campagnes militaires que chacun d’eux y aurait menées, soit personnellement, soit par l’intermédiaire de leurs légats. Les témoignages d’Eutrope, d’Aurélius Victor et d’Orose n’aident d’ailleurs guère à trancher cette question. L’un rapporte en effet de Septime Sévère : « (qu’il) mena une dernière guerre en Bretagne et, afin de protéger en toute sécurité les provinces qu’il avait prises, il établit de mer en mer un retranchement s’étendant sur cent trente-deux mille pas »189.

Aurélius Victor à son tour confirme cette entreprise en insistant lui aussi sur le caractère particulièrement remarquable de l’initiative : « S’attaquant à une entreprise encore plus considérable, après avoir repoussé l’ennemi, il protégea la Bretagne, aussi loin que le pays lui était utile, à l’aide

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Scriptores ..., Hadrien, XI, 2 : Ergo conuersis regio more militibus Brittaniam petit, in qua multa correxit murumque per octoginta milia passuum primus duxit, qui barbaros Romanosque diuideret. Des constructions analogues sont tout de même signalées sur le limes germano-rhétique : ibid., XII, 6 : Per ea tempora et alias frequenter in plurimis locis, in quibus barbari non fluminibus sed limitibus diuiduntur, stipitibus magnis in modum muralis saepis funditus iactis atque conexis barbaros separauit ; lire : « A cette époque et bien d’autres fois encore, dans de multiples endroits où la frontière avec les Barbares était marquée non par des fleuves mais par une limite artificielle, il fit aménager une barrière formée de pieux profondément enfoncés et liés entre eux, comme une sorte de muraille séparative ». 187 Scriptores ..., Antonin le Pieux, V, 4 : Nam et Brittannos per Lollium Vrbicum uicit legatum alio muro cespiticio summotis barbaris ducto… 188 Scriptores ..., Sévère, XVIII, 2 : Brittanniam, quod maximum eius imperrii decus est, muro per transuersam insulam ducto utrimque ad finem Oceani muniuit. Unde etiam Brittannici nomen acccepit. 189 Eutrope, VIII, 19, 1 : Nouissimum bellum in Britannia habuit, utque receptas prouincias omni securitate muniret, uallum per CXXXII passuum milia a mari ad mare deduxit.

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d’un mur qui traversait toute l’île et atteignait à ses deux extrémités les bords de l’Océan »190.

Quant au troisième, nous pouvons lire dans ses Histoires : « (Septime) Sévère, vainqueur, est entraîné en Bretagne par la défection de presque tous les alliés. Après avoir livré d’importants et durs combats, il estima qu’il fallait séparer par un rempart la partie reconquise de l’île du reste des peuples insoumis. C’est pourquoi il traça un grand fossé et un retranchement très solide, renforcé en outre par de nombreuses tours, sur cent trente-deux mille pas, de la mer à la mer »191.

Mais il convient là-dessus de suivre A. Chastagnol qui estime que Septime Sévère n’aura entrepris qu’une simple restauration du mur d’Hadrien et non la construction d’un mur supplémentaire192. Le biographe n’aurait donc que plagié ses deux prédécesseurs, sans la moindre tentative de recouper l’information obtenue. En définitive, la Bretagne n’aura jamais compté en son sein que deux murs : ceux d’Hadrien et d’Antonin le Pieux ; le second étant tombé en désuétude après le règne de Commode, ce qui aura suscité la restauration entreprise par Septime Sévère193. Tout autre interprétation nous semble à ce sujet plutôt fallacieuse tant elle peinerait à 190

Aurélius Victor, XX, 18 : His maiora agressus, Britanniam, quoad ea utilis erat, pulsis hostibus, muro muniuit per transuersam insulam ducto utriumque ad finem Oceani ; renseignement particulièrement appuyé chez le Pseudo-Aurélius Victor, De uita…, XX, 4 : Hic in Britannia uallum per triginta duo passuum milia a mari ad mare deduxit. 191 Orose, VII, 17, 7 : Seuerus uictor in Britannias defectu paene omnium sociorum trahitur. Vbi magnus grauibusque proeliis saepe gestis, receptam partem insulae a ceteris indomitis gentibus uallo distinguedam putauit. Itaque magnam fossam firmissimumque uallum, crebris insuper turribus communitum, per centum triginta et duo milia passuum a mari ad mare duxit… 192 Cf. sa note 7, p. 330 de la Vita Seueri. Les murs d’Hadrien et d’Antonin ont du reste fait l’objet de très nombreuses études de dimensions variées dont une esquisse de bibliographie utile se trouve dans le livre de P. Galliou, Le mur …, p. 150 sq. 193 Nous n’enregistrons en effet aucun fait d’armes notoire après ce règne. L’Histoire Auguste y mentionne – mais sans certitude absolue – l’assassinat d’Alexandre Sévère, LIX, 6, dans des conditions loin d’établir une effervescence militaire locale effective : Denique agentem eum cum paucis in Brittannia, ut alii uolunt in Gallia, in uico cui Sicilia nomen est, non ex omnium sententia, sed latrocinantium modo quidam milites et hi praecipue, qui Heliogabali praemiis efflouerunt, cum seuerum principem pati non possent, occiderunt ; lire : « C’est pourquoi, alors qu’il séjournait avec une petite escorte en Bretagne – ou selon d’autres en Gaule – dans un village appelé Sicilia, quelques soldats, qui agissaient non pas pour obéir au vœu général mais comme de vrais bandits, l’assassinèrent. C’étaient surtout des gens qui avaient profité des largesses d’Elagabal et qui ne pouvaient supporter un empereur si sévère ». Plus loin, le biographe souligne, de manière manifestement allusive cette fois aussi, que la Bretagne compta parmi les réussites guerrières de Probus, XVIII, 5 : Deinde, cum Proculus et Bonosus apud Aggrippinam in Gallia imperium arripuissent omninesque sibi iam Brittannias, Hispanias et bracatae Galliae prouincias uindicarent, barbaris semet iuuantibus uicit ; lire : « Puis, comme Proculus et Bonosus avaient pris le pouvoir à Cologne, en Gaule, et émettait la prétention d’avoir la haute main sur les provinces de Bretagne, d’Espagne et de Gaule Narbonnaise, il triompha d’eux avec l’aide des Barbares ».

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s’appuyer sur les sources actuellement disponibles. La province de Bretagne a été approchée pour la première fois par J. César mais sa pacification n’a presque jamais été globalement acquise194 et la démarcation de la zone sous contrôle romain a dû connaître une certaine constance qu’à partir du règne de Septime Sévère. B) De l’urbanisation Rome ne pouvait tirer le maximum de profits de ses provinces que dans la mesure de ses propres capacités d’y promouvoir de véritables mécanismes de production dans divers domaines, mais surtout d’y encourager une véritable politique favorable à la consommation. Il s’agissait avant tout pour elle de permettre l’essor d’une véritable urbanisation des principaux centres provinciaux – sans toutefois laisser mourir les campagnes pourvoyeuses, à titre principal, des denrées utiles aux citadins – et d’y multiplier les possibilités d’échanges divers entre la métropole et ses dépendances. Même si nous ne pouvons compter sur l’Histoire Auguste195 pour établir des statistiques fiables illustrant exhaustivement les réalisations romaines en matière de développement des centres urbains dans les provinces, nous notons cependant toute une série d’allusions attestant la volonté des empereurs romains de faire des villes provinciales – notamment leurs chefslieux – de véritables doublures de la Rome métropolitaine. Voyons, à ce propos, ce que donne, pris au hasard, l’inventaire de passages faisant état d’investissements divers initiés dans des cités provinciales par des empereurs romains : - Hadrien : « A la même époque, il fit élever à Nîmes en l’honneur de Plotine une basilique d’une construction admirable. II gagna ensuite les Espagnes et passa l’hiver à Tarragone, où il restaura à ses frais le temple d’Auguste »196 ; 194

Lire à ce sujet nos commentaires dans un article intitulé « L’empereur Claude et la Bretagne… », Revue du CAMES, XII, 2011, 1-15. 195 En cela toutefois, le biographe ne constitue pas un cas isolé. Nos auteurs font généralement preuve d’un laconisme regrettable sur des questions importantes pour nous, probablement influencés par le fait que certains détails, connus de tous à leur époque, risquaient d’alourdir inutilement leur exposé. Par exemple, s’intéressant aux réalisations de Septime Sévère durant tout son règne, ne lit-on pas seulement dans l’œuvre d’Eutrope, VIII, 18, 4 : Multa toto orbe Romano reparauit ; lire : « Il restaura beaucoup de monuments dans tout le monde romain » ? Bien sûr, il convient d’admettre, notamment pour ce cas précis, qu’on ne saurait attendre plus de développement des sujets abordés par un abréviateur. 196 Scriptores ..., Hadrien, XII, 2-3 : Per idem tempus in honorem Plotinae basilicam apud Nemausum opere mirabili extruxit. Post haec Hispanias petit et Tarracone hiemauit, ubi sumptu suo aedem Augusti restituit. Il s’agit d’ailleurs, pour le premier empereur de l’Histoire Auguste, que d’un prolongement de la politique de son prédécesseur qui ne ménagea jamais ses efforts dans ce domaine. Eutrope, VIII, 4, par exemple affirme de lui : … orbem terrarum aedificans multa, inminutates ciuitatibus tribuens… ; lire : « [Trajan] édifia des monuments dans le monde entier, attribuant de nombreux privilèges aux cités… ». Avec un peu plus de détails, Aurélius Victor, XIII, 3-4, loue lui aussi son esprit d’entreprise : … et

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- « Enfin, après l’Afrique il retourna à Rome, d’où il partit aussitôt pour l’Orient en passant par Athènes : il y dédia des monuments qu’il y avait commencés, tel le temple de Jupiter Olympien et l’autel consacré à lui-même, et, pendant sa traversée d’Asie, consacra également des temples à son nom »197 ; - « Dans presque toutes les villes il fit construire des édifices et donna des jeux. A Athènes, il présenta dans le stade une chasse avec mille bêtes sauvages »198 ; - « S’il construisit partout d’innombrables ouvrages, il n’y inscrivit pourtant jamais son nom, sauf sur le temple dédié à son père Trajan »199 ; - « Il construisit à Tibur200 une villa extraordinaire : sur les différentes parties du domaine étaient inscrits les noms des provinces et des sites les plus célèbres ; y figuraient entre autres le Lycée, l’Académie, le Prytanée, le Canope, le Poécile et Tempé ; et, pour ne rien oublier, il y représenta même les enfers »201 ; - « Tout en n’aimant pas qu’on place des inscriptions (à son nom) sur les édifices (publics), il appela beaucoup de cités Hadrianopolis, entre Carthage et une partie de la ville d’Athènes »202. - « Il fonda la ville d’Hadrianothérae dans un site où il avait une fois chassé avec succès et tué une ourse »203 ; - Antonin le Pieux : « (De lui subsistent les bâtiments publics suivants) : à l’extérieur, le phare (d’Alexandrie) qu’il répara, le pont de Gaète et le pont de Terracine qui furent rénovés, les thermes d’Ostie, l’aqueduc d’Auzio, les temples

inter ea iter conditum per feras gentes, quo facile ab usque Pontico mari in Galliam permeatur. Castra suspectioribus aut opportunis locis exstructa, ponsque Danubio impositus, ac deductae coloniarum pleraeque ; lire : « … et entre temps, à travers des pays sauvages, on établit une route, pour se rendre facilement depuis le Pont Euxin jusqu’en Gaule. On construisit des camps retranchés aux endroits dangereux ou propices, on jeta un pont sur le Danube et l’on fonda de nombreuses colonies ». 197 Scriptores ..., Hadrien, XIII, 6 : Denique post Africam Romam redisset, statim ad orientem profectus per Athenas iter fecit atque opera, quae apud Athenienses coeperat, dedicauit, ut Iouis Olympii aedem et aram sibi, eodemque modo per Asiam iter faciens templa sui nominis consecrauit. 198 Scriptores ..., Hadrien, XIX, 2-3 : In omnibus paene urbibus et aliquid aedificauit et ludos edidit. Athenis mille ferarum uenationem in stadio exhibuit. 199 Scriptores ..., Hadrien, XIX, 9 : Cum opera ubique infinita fecisset, numquam ipse nisi in Traiani patris templo nomen suum scripsit. 200 Ville voisine de Rome à une trentaine de kilomètres, sur l’Anio ; elle est appelée aujourd’hui Tivoli. 201 Scriptores ..., Hadrien, XXVI, 5. Texte déjà cité supra, note 87. Une telle villa pour honorer « toutes les parties du monde » n’étonne pas de la part d’un Hadrien qui a occupé son règne à sillonner l’Empire d’un bout à l’autre. 202 Scriptores ..., Hadrien, XX, 4 : Et cum titulos in operibus non amaret, multas ciuitates Hadrianopolis appellauit, ut ipsam Karthaginem et Athenarum partem. 203 Scriptores ..., Hadrien, XX, 13 : Oppidum Hadrianotheras in quodam loco, quod illic et feleciter esset uenatus et ursam occidisset aliquando, constituit. Dion Cassius, LXIX, 10, précise que la ville d’Hadrianothères fut fondée en 123 ap. J.-C.

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de Lanuvium. Il aida en outre par des subventions bien des cités pour qu’elles construisent de nouveaux édifices ou en réparent d’anciens… »204 ; - Septime Sévère : « Envoyé en Espagne, il fit un rêve dans lequel il lui était d’abord enjoint de restaurer le temple d’Auguste qui tombait en ruine… »205 ; - « Il a doté maintes cités de magnifiques constructions »206 ; - Clodius Albinus : « Ces lettres constituent donc une preuve de l’esprit d’initiative d’Albinus, qu’illustre tout spécialement le fait qu’il envoya de l’argent pour restaurer des cités ravagées par Niger afin de s’attirer plus facilement la sympathie de leurs habitants »207 ; - « Le droit de cité fut donné à tout le monde indistinctement, un grand nombre de villes furent fondées, développées, restaurées et embellies, et particulièrement chez les Puniques à Carthage, que le feu avait terriblement ravagée, en Asie Ephèse, et en Bithynie Nicomédie, toutes deux détruites par un tremblement de terre… »208 ; - Alexandre Sévère : « Il affecta le produit des impôts municipaux aux constructions publiques des cités »209 ; - « … il fit construire… à Baïes un palais avec un lac qui, aujourd’hui encore, porte le nom de Mammaéa. Il créa, toujours à Baïes, des bâtiments magnifiques toujours en l’honneur de ses parents et des lacs extraordinaires alimentés en eau de mer. Il restaura presque tous les ponts que Trajan avait bâtis çà et là, en édifia même quelques nouveaux, mais conserva à ceux qu’ils avaient restaurés le nom de Trajan »210 ; - « Il créa dans toutes les régions [de la Ville211] des greniers publics où pouvaient déposer leurs denrées ceux qui ne possédaient pas de magasins 204

Scriptores ..., Antonin le Pieux, VIII, 3 : Fari restitutio, Caietae portus, Terracinensis portus restitutio, lauacrum Ostiense, Antianium aquae ductus, templa Lanuuiana. Multas etiam ciuitates adiuuit pecunia, ut opera uel noua uel facerent uel uetera restituerent… 205 Scriptores ..., Sévère, III, 4 : Tunc ad Hispaniam missus somniauit primo sibi dici, ut Templum Tarraconense Augusti, quod iam labebatur… 206 Scriptores ..., Sévère, XXIII, 1 : Sunt per plurimas ciuitates opera eius insignia. 207 Scriptores ..., Clodius Albinus, XI, 1 : Et istae igitur epistulae constantem uirum Albinum fuisse indicant, et illud praecipue, quod ad eas ciuitates instaurandas, quas Niger adtriuerat, pecuniam misit, quo facilius sibi earum accolas conciliaret. 208 Aurélius Victor, XVI, 12 : Data cunctis promiscue ciuitas Romana, multaeque urbes conditae, repositae ornataeque, atque in primis Poenorum Carthago, quam ignis foede consumpserat. Asiaeque Ephesus, ac Bithyniae Nicomedia, constratae terrae motu… 209 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXI, 1 : Vectigalia ciuitatibus ad proprias fabricas deputauit. 210 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXVI, 9-10 : … faceret … in Baiano palatium cum stagno, quod Mammaeae nomine hodieque censetur. Fecit et alia in Baiano opera magnifica in honorem adfinium suorum et stagna stupenda admisso mari. Pontes, quos Traianus fecerat, instauratis paene in omnibus locis, aliquos etiam nouos fecit, sed instauratis nomen Traiani reseruauit. 211 Exceptionnellement, nous n’avons pas voulu suivre A. Chastagnol qui trouve en toutes ces constructions des réalisations entreprises à l’intérieur de Rome, préférant rapprocher ce texte du chapitre XXI, 1 de cette même Vie d’Alexandre Sévère (cf. note 187) qui indique tout

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personnels. Il dota toutes les régions qui s’en trouvaient dépourvues d’établissements thermaux, dont aujourd’hui encore beaucoup portent le nom de ‘’bains d’Alexandre’’. Il fit également construire de splendides habitations qu’il offrit à ses amis, surtout à ceux qui étaient irréprochables »212 ; - De nombreuses villes sinistrées à la suite d’un tremblement de terre se virent accorder, pour réparer leurs bâtiments publics et privés, des subventions qu’il préleva sur les impôts »213 ; - Probus : « Il subsiste en maintes villes d’Egypte des bâtiments qu’il fit ériger par ses troupes. Les travaux importants qu’il entreprit sur le Nil lui permirent d’accroître le rapport de l’impôt sur le blé. Il construisit, en faisant travailler ses soldats, des ponts, des temples, des portiques, des basiliques, dégagea l’embouchure de nombreux fleuves et assécha un grand nombre de marais qu’il transforma en terre à céréales et autres cultures »214 ; - « En effet, comme Hannibal avait couvert de plantations d’oliviers la plus grande partie de l’Afrique grâce au travail de ses légions, dont il considérait le repos comme préjudiciable à l’État et à leurs généraux, de la même manière Probus fit couvrir de vignes la Gaule, la Pannonie et les collines de Mésie… »215 ; - « Il permit aux Gaulois et aux Pannoniens d’avoir des vignes. Par la main d’œuvre militaire il fit planter de vignes le mont Alma près de Sirmium et le mont d’Or en Mésie supérieure »216…

Il serait fastidieux et quelque peu superfétatoire d’allonger outre mesure des textes traitant du même thème. Signalons plutôt, à l’appui des témoignages retenus, le ton lourd de reproche que le biographe emploie pour simplement que l’empereur « affecta le produit des impôts municipaux aux constructions publiques des cités » : Vectigalia ciuitatibus ad proprias fabricas deputauit. Rien en effet, à nos yeux du moins, ne précise de manière irréfutable que les omnibus regionibus désignent exclusivement des quartiers de Rome. Par contre, nous faisons remarquer que, lorsqu’il s’agit vraiment de Rome, souvent le biographe tient à le préciser généralement par l’expression in urbe comme au XXV, 8 : Statuas colossas in urbe multas locauit artificibus undique conquisitis où il signale les célèbres statues qu’il y a fait ériger en sollicitant des artistes d’origines diverses. Pour tout dire, nul ne peut trancher cette question de manière péremptoire et en emporter la décision, sur l’unique base des sources actuellement disponibles. 212 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXXIX, 3-5 : Horrea in omnibus regionibus publica fecit, ad quae conferrent bona hi, qui priuatas custodias non haberent. Balnea omnibus regionibus addidit, quae forte non habebant. Nam hodieque multa dicuntur Alexandri. Fecit et domos pulcherrimas easdemque amicis suis maxime integri uiris donauit. 213 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLIV, 8 : Multis ciuitatibus, quae post terrae motus deformes erant, sumptus ad instaurationem operum et publicorum et priuatorum [pecuniam] ex uectigalibus dedit. 214 Scriptores ..., Probus, IX, 3-5 ; texte cité supra, note 169. 215 Eutrope, XXXVII, 3 : Namque, ut ille (Hannibale) oleis Africae pleraque per legiones, quarum otium rei publicae atque ductoribus suspectum rebatur, eodem modo hic Galliam Pannoniasque et Moesorum colles uinetis repleuit… 216 Pseudo-Aurélius Victor, XXXVII, 3 : Vineas Gallos et Pannonias habere permisit ; opere militari Almam montem apud Sirmium et Aureum apud Moesiam superiorem uineis coneruit.

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signaler l’incompétence et l’incapacité de Commode à honorer la mémoire de son père en menant à terme les constructions d’édifices publics entamés par celui-ci de son vinant : « Il ne subsiste de lui aucun bâtiment public, sinon les thermes que Cléandre avait fait construire en son nom… Il n’acheva pas davantage ceux (des bâtiments publics) que son père avait commencés »217.

Bien évidemment, nous considérons, encore une fois, que les termes patris … sui opera se rapportent à des projets initiés par Marc Aurèle sur l’ensemble de l’Empire et non uniquement à Rome. Des ambitions si prononcées de créer ou de développer des centres urbains218 d’un bout à l’autre de l’Empire avaient nécessairement pour corollaire l’existence ou – tout au moins – la conception de réseaux de communication susceptibles de permettre une plus grande mobilité des produits et des personnes. Là-dessus aussi, nous savons, grâce à l’Histoire Auguste, que les Romains se sont ingéniés à créer (ou à développer) des infrastructures terrestres et navales pour relier entre elles toutes les composantes de l’Empire. Bien sûr, nous ne disposons pas de données si fiables que nous puissions élaborer un plan routier219 proprement dit ou des itinéraires maritimes220 établis de manière exhaustive. Mais l’Histoire Auguste atteste bien, par exemple, de l’intensité du trafic maritime lorsqu’elle fait allusion, par exemple, à la création d’une flotte par Commode : « Il créa une flotte africaine destinée à servir de renfort au cas où le blé venant d’Alexandrie viendrait à manquer »221.

Dans son récit de la marche de Septime Sévère vers Rome où Didius Julianus s’était emparé du pouvoir, le biographe fait également allusion à la flotte de Ravenne sur l’Adriatique : 217

Scriptores ..., Commode, XVII, 5, 7 : Opera eius praeter lauacrum, quod Cleander nomini ipsius fecerat, nulla exstant…Nec patris autem sui opera perfecit. 218 Lire sur cet aspect les conclusions intéressantes d’A. Tranoy, « Centralisme… », p. 282. 219 Sur les voies de communication routière à travers les provinces romaines, voir J.-P. Martin, Société et religions…, p. 42 sq. Dans le cadre plus général de l’ensemble des moyens de déplacement des Anciens que l’auteur qualifie « tous de voyageurs », consulter R. Chevallier, Voyages et déplacements…, Paris, 1988, qui a passé en revue les modalités de voyages par terre, p. 33 sq. et par voies d’eau, p. 83 sq. Il s’y est également intéressé aux différents types de voyages entre ceux liés aux impératifs administratifs, aux missions diplomatiques, aux campagnes militaires, à la culture ou aux religions, aux affaires ou encore à la simple villégiature… 220 Se rapporter là-dessus sur l’ouvrage de J. Rougé, La marine…, PUF, Paris, 1975 ; mais aussi sur les Actes des Ve et VIe Rencontres Internationales d’Archéologie et d’Histoire d’Antibes (1984-1985) sur « L’exploitation de la mer de l’Antiquité à nos jours », Valbonne, 1985 : La mer, lieu de production et 1986 : La mer comme lieu d’échanges et de communication. 221 Scriptores ..., Commode, XVII, 7 : Classem Africanam instituit, quae subsidio esset, si forte Alexandrina frumenta cessassent.

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« Mais pendant que Didius Julianus prenait ces mesures, Septime Sévère s’empara de la flotte de Ravenne… »222 ;

ce qui présume de l’existence d’une flotte analogue partout où elle était indispensable. De même, il est signalé un poste de commandant de la flotte dans la Vie de Caracalla : « Les complices du meurtre (de Caracalla) furent … Marcius Agrippa, le commandant de la flotte… »223.

Bien plus, sur le plan du réseau routier de l’époque, le récit des voyages d’empereurs ou des déplacements de leurs troupes, en temps de paix comme en campagne, témoigne mieux des capacités de se déplacer qu’offraient les voies de communication de l’époque224. Suivons pour nous en convaincre Hadrien, qui passe pour le plus mobile des empereurs romains de tous les temps225, au rythme de ses différents périples à travers l’Empire :

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Scriptores ..., Didius Julianus, VI, 3 : Sed dum haec egit Julianus, Seuerus classem Rauennatem occupat… 223 Scriptores ..., Caracalla, VI, 7 : Conscii caedis fuerunt… (Marcus Agrippa), qui classi praeerat… 224 L’existence d’un service spécifique chargé du secteur routier est d’ailleurs attesté par Tacite, Ann., III, 31, 5 : Idem Corbulo, plurima per Italiam itinera fraude mancipum in incuria magistratuum interrupta et imperuia clamitando… ; lire : « Le même Corbulon, à force de crier que de nombreuses routes d’Italie étaient coupées et rendues impraticables par la fraude des entrepreneurs et la négligence des magistrats… ». Il s’agit là d’un extrait du procès qu’a intenté le susnommé contre un jeune homme qui lui avait manqué d’égard lors d’un spectacle de gladiateurs. Des travaux pour l’entretien du réseau routier sont signalés par l’Histoire Auguste parmi les principales mesures administratives préconisées par Helvius Pertinax ; Scriptores ..., Pertinax, IX, 1-2 : Aerarium in suum statum restituit. Ad opera publica certum sumptum constituit. Reformandis uiis pecuniamm contulit ; lire : « Le Trésor fut remis en état et un budget fixé pour les travaux publics. Il affecta des fonds à la réfection des routes … ». 225 De l’avis même du biographe, « Il n’y eut guère (à Rome) d’autre empereur pour parcourir ainsi tant de pays avec une telle rapidité » ; Hadrien, XIII, 5 : Nec quisquam fere principium tantum terrarum tam celeriter peragrauit et Aélius, II, 1 : Ceionius Commodus, qui et Aelius Verus appellatus est, quem sibi Hadriano aeuo ingrauescente morbis tristioribus pressus peregrato iam orbe terrarum adoptauit… ; lire : « Céionius Commodus, qui fut aussi appelé Aélius Vérus, avait été adopté par Hadrien au moment où ce dernier, après avoir parcouru l’univers en long et en large, commençait à sentir le poids des ans et à souffrir de maladies pernicieuses » ; ayant même précisé que ce trait de son caractère ne répondait pas qu’aux seules contraintes liées aux charges impériales, XVII, 8 : Peregrinationis ita cupidus, ut omnia, quae legerat de locis orbis terrarum, praesens uellet addiscere ; lire : « Il avait une telle passion pour les voyages qu’il voulait connaître sur le terrain tout ce qu’il avait lu à propos des sites du monde entier ». Cette particularité remarquable de son caractère pourrait également se confirmer par cette allusion de Tertullien, Apol., V, 7, s’étonnant de compter Hadrien parmi les empereurs tolérants ou même sympathiques vis-à-vis des Chrétiens et de leur religion, avec autant de connaissances empiriques que ce dernier avait sur le monde et les choses : Quales ergo leges istae… nullus Hadrianus, quamquam omnium curiositatum explorator… impressit ; texte cité supra, note 132.

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« Ayant ainsi relevé de la préfecture tous ceux auxquels il devait l’Empire, il se rendit en Campanie, soulagea toutes les villes de cette région par des bienfaits et largesses… ; Il partit ensuite pour les Gaules et y soulagea toutes les cités par des libéralités variées. De là il passa en Germanie… ; il gagna la Bretagne ; Il avait mené à bien les affaires de la Bretagne et était passé en Gaule lorsqu’il fut alarmé par la nouvelle d’une émeute éclatée à Alexandrie… (où il se rendit nécessairement rétablir la sérénité et l’ordre). A la même époque, il fit élever à Nîmes en l’honneur de Plotine une basilique d’une construction admirable. Il gagna ensuite les Espagnes et passa l’hiver à Tarragone, où il restaura à ses frais le temple d’Auguste… Après cela, traversant l’Asie et les îles, il arriva par mer à Achaïe où il se fit initier au mystère d’Eleusis226… Il embarqua ensuite pour la Sicile et y fit l’ascension de l’Etna pour contempler le lever du soleil… De là il revint à Rome, puis se rendit en Afrique… Enfin, après l’Afrique il revint à Rome, d’où il partit aussitôt pour l’Orient en passant par Athènes… »227.

Il en ressort que les possibilités d’atteindre les différentes provinces romaines à partir de Rome ne manquaient pas (d’où l’adage bien connu de tous : ‘’Tous les chemins mènent à Rome’’ ; ce qui témoigne de leur intérêt pour le pouvoir central qui avait pleine conscience de leur contribution à l’essor économique de l’Empire tout entier. Cette intense mobilité des hommes de l’époque est ici soulignée par Pline le Jeune qui plaidait en faveur de l’affectation d’un centurion légionnaire à Juliopolis, petite ville située à la frontière de la Galatie : « D’ailleurs tout ce que tu feras pour les Juliopolitains profitera en outre à la province entière ; ils sont à l’entrée de la Bithynie et leur territoire sert de passage aux nombreux voyageurs qui la traversent »228. 226

Les mystères de Déméter en son temple d’Eleusis étaient célèbres surtout par l’exigence de pureté imposée à ses initiés qui ne pouvaient y entrer qu’à la condition de se savoir irréprochables ; voir Scriptores ..., Alexandre Sévère, XVIII, 2. 227 Scriptores ..., Hadrien, IX, 6 ; X, 1-2 ; XI, 2 ; XII, 1-5, 7-8 ; XIII, 1-6 : Summotis his a praefectura, quibus debebat imperium, Campaniam petit eiusque omnia oppida beneficiis et largitionibus… Post haec profectus in Gallias, omnes cas uariis liberalitatibus subleuauit. Inde in Germaniam transiit... Brittanniam petit… Conpositis in Brittania rebus transgressus in Galliam Alexandrina seditione turbatus… Per idem tempus in honorem Plotianae basilicam apud Nemausum opere mirabili extruxit. Post haec Hispanias petit et Tarracone hiemauit, ubi sumptu suo aedem Augusti restituit… Germanis regem constituit, motus Maurorum compressit… Bellum Parthorum per idem tempus in motu tantum fuit, idque Hadriani conloquio repressum est… Post haec per Asiam et insulas ad Achaiam nauigauit et Eleusinia sacra … suscepit… Post in Siciliam nauigauit, in qua Aetnam montem conscendit, ut solis ortum uideret arcus specie… Inde Romam uenit atque ex ea in Africam transiit… Denique cum post Africam Romam redisset, statim ad orientem profectus per Athenas iter fecit … 228 Pline le Jeune, Let., X, 77 (81), 3 : Quidquid autem Iuliopolitanis praestiteris, id etiam toti prouinciae proderit. Sunt enim in capite Bithyniae plurimisque per eam commeantibus transitum praebent. La réponse de l’empereur Trajan confirme cette exceptionnelle fréquentation de cette région ; ibid., 78 (82), 1 : Ea condicio est ciuitatis Byzantiorum confluente undique in eam commeantium turba, ut secundum consuetudinem praecedentium temporum honoribus eius praesidio centurionis legionarii consulendum habuerimus ; lire :

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Dans l’ensemble, la position de Rome à la tête de l’univers a contraint « les Romains (à) toujours (avoir) une vision globale du monde qu’ils dominaient ; les limites provinciales ne (jouant) plus dans ce domaine qu’un rôle mineur »229.

II – 2 : Les provinces dans l’économie romaine L’auteur de l’Histoire Auguste a souvent souligné, peut-être sans en avoir implicitement l’intention, la nature des relations que les Romains entendaient établir entre leurs dépendances et eux, nous permettant ainsi de constater que les provinces romaines constituaient véritablement le nerf de l’économie de l’Empire. Il n’en est d’ailleurs point autrement aujourd’hui où toute forme de colonisation repose, à titre principal, sur l’exploitation de la colonie aux fins de résoudre des problèmes survenus ou susceptibles de se poser aux colonisateurs230 : en plus de l’exploitation de diverses matières premières de leur sol et sous-sol, les colonies aident également à la résorption du chômage en métropole par le biais de la coopération, à l’éloignement de certains sujets indésirables ici ou là, à la perspective de nouveaux débouchés pour ses produits manufacturés... Les finances de l’État romain avaient alors231 des besoins financiers de plus en plus pressants dont la conséquence directe fut justement un « La situation de Byzance est telle, avec l’affluence des voyageurs qui arrivent de partout, que selon l’usage de nos prédécesseurs, nous avons décidé de confier à la garde d’un centurion légionnaire la défense de ses privilèges ». 229 Cf. J.-P. Martin, Sociétés et religion..., Paris, 1991, p. 43. 230 Plusieurs pays d’Afrique aujourd’hui, pour la plupart anciennes colonies surtout françaises et britanniques, ressentent comme une iniquité fondamentale le déséquilibre apparent ou réel qui caractérise leurs relations bilatérales avec leurs anciennes métropoles. Le désarroi vient principalement de l’espoir non satisfait de voir leurs potentialités mises à la disposition de leurs partenaires historiques (or, diamant, manganèse, uranium, gaz naturel, bois, pétrole…) susciter de véritables mécanismes de développement en Afrique. Vienne rapidement le jour où le Tiers-Monde en général comprendra qu’aucun processus de colonisation n’a jamais visé des objectifs strictement philanthropiques, qu’il y a une certaine « légitimité » de fait – à défaut d’une légitimité certaine – chez tout colonisateur de privilégier ses intérêts nationaux et qu’il leur est finalement indispensable de maximiser leur propre investissement au développement de leur continent, notamment par une meilleure gouvernance, une adhésion plus franche à la démocratie, des politiques plus courageuses de formation, de soins… 231 Eutrope, VIII, 2, 2 – 3, 1-2 (déjà partiellement sollicité supra, note 65) quant à lui en parle plus largement avec des précisions utiles sur le périmètre des territoires annexés à l’Empire par Trajan : Romani imperii, quod post Augustum defensum magis fuerat quam nobiliter ampliatum, fines longe lateque diffudit. Vrbes trans Rhenanum in Germania reparauit. Daciam Decibalo uicto subegit, prouincia trans Danubium facta … Vsque ad Indiae fines et mare Rubrum accessit atque ibi tres prouincias fecit, Armeniam, Assyriam, Mesopotamiam, cum his gentibus quae Madenam attingunt… ; lire : « Il étendit de long en large les frontières de l’Empire romain qui, après Auguste, avait été plus défendu que notablement agrandi. Il rétablit des villes au-delà du Rhin, en Germanie ; il soumit la Dacie après la défaite de Décibale, créant une province au-delà du Danube… Il s’avança jusqu’aux confins de l’Inde et

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renforcement de la politique d’exploitation des provinces, matérialisée, à titre principal, par une augmentation substantielle des impôts et des contributions de natures diverses exigées aux provinciaux. Il ne faut surtout pas perdre de vue que le règne du prédécesseur immédiat d’Hadrien, Trajan, a été marqué par une extension remarquable des frontières de l’Empire grâce à de nombreuses conquêtes que signale l’Histoire Auguste en ces termes : « Pourtant au même moment il abandonna bien des provinces conquises par Trajan… »232.

Le biographe a plus d'une fois montré comment cette politique fiscale trop lourde a-t-elle conduit certains empereurs à revenir sur certaines décisions par des mesures d’allègement allant parfois jusqu’à l’annulation pure et simple des sommes dues au Trésor public par des provinciaux incapables de s’en acquitter. Sans malheureusement donner de chiffres, l’Histoire Auguste permet de mesurer l’ampleur de ce phénomène à travers les attitudes respectives de certains empereurs dont Hadrien qui : « s’efforçait d’exercer un contrôle strict sur les magasins de l’armée et s’informait avec scrupule des ressources qu’on pouvait attendre des provinces, afin de suppléer éventuellement aux manques qui se produiraient ici et là »233.

Antonin le Pieux quant à lui est réputé de s’être particulièrement soucié d’avoir une connaissance parfaite des comptes de toutes les provinces ainsi que la somme des impôts qu’elles rapportaient234. Une telle rigueur dans la politique fiscale, imposée plus par les circonstances que par une simple expression de la domination issue des victoires militaires romaines, a inexorablement entraîné une multiplication substantielle d’impôts supplémentaires parfois jusqu’aux limites de l’acceptable. Tel fut le cas sous Pescennius Niger qui, sous la pression du coût des investissements liés à sa charge, aurait rétorqué à des provinciaux excédés par la lourdeur de leur tribut qu’il regrettait plutôt de ne pouvoir leur en exiger davantage : « Enfin, comme les Palestiniens lui demandaient d’alléger leurs impositions qui avaient été alourdies, il leur répondit : ‘’ Vous voulez qu’on allège l’imposition

à la mer Rouge et y établit trois provinces, l’Arménie, l’Assyrie, la Mésopotamie auxquelles il joignit les peuples qui touchent la Madène ». Sur les conquêtes de Trajan, lire G.-H. Pflaum, Tendances…, p. 113 et 115 sq. 232 Scriptores ..., Hadrien, IX, 1 : Inter haec tamen et multas prouincias a Traiano adquisitas reliquit… 233 Scriptores ..., Hadrien, XI, 1 : Laborabat praeterea, ut condita militaria diligenter agnosceret, reditus quoque prouinciales solerter explorans, ut alicubi quippiam deesset, expleret. 234 Scriptores ..., Antonin le Pieux, VII, 8 : Rationes omnium prouinciarum adprime sciuit et uectigalium.

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de vos terres, alors que moi, même l’air que vous respirez, je voudrais le frapper d’une imposition’’ »235.

Hadrien bien avant lui, d’un tempérament tout à fait différent, probablement face à une situation analogue, s’y était pris bien autrement : « Ne négligeant rien de ce qui pouvait lui gagner les faveurs du peuple, il fit remise de sommes très importantes dues au fisc par des débiteurs privés à Rome et en Italie ; pour ceux des provinces, la remise porta sur les arriérés et concerna aussi les montants énormes : les reconnaissances de ces dettes furent brûlées au forum du divin Trajan afin que tous se sentent plus rassurés »236.

Orose attribue quant à lui des mesures analogues plutôt à Marc Aurèle, sans que nous puissions établir, de manière sûre, si le biographe a fait ici une confusion ou même une falsification de plus, vu qu’aucun des autres auteurs de la période ne mentionne ce détail ni à propos d’Hadrien, ni en ce qui concerne Marc Aurèle. L’historien rapporte en effet qu’en accédant au trône, l’empereur philosophe allégea les provinces des lourdes charges fiscales qui pesaient sur elles grâce à de nouvelles lois : « … il fit remise des tributs, même ceux de l’époque passée, dans toutes les provinces, et ordonna en même temps que tous les registres trafiqués des affaires fiscales soient brûlés après avoir été rassemblés au Forum, et il tempéra les lois trop sévères par de nouvelles constitutions »237.

Nous savons par ailleurs d’Hadrien qu’en accédant au pouvoir à Rome, il prit une série de mesures pour inaugurer son règne sous de bons auspices ; parmi elles compte la suppression du tribut auquel son père avait assujetti les Mésopotamiens : « Il n’exigea pas des Mésopotamiens le tribut auquel les avait assujettis Trajan »238, écrit le biographe.

235

Scriptores ..., Pescennius Niger, VII, 9 : Idem Palaestinis rogantibus, ut eorum censitio lauaretur, idcirco quod esset grauata, respondit : « Vos terras uestras leuari censitione ultis : ego uero etiam aerem uestrum censere uellem ». 236 Scriptores ..., Hadrien, VII, 6 : Ad colligendam autem gratiam nihil praetermittens infinitam pecuniam, quae fisco debebatur, priuatis debitoribus in urbe atque Italia, in prouinciis uero etiam ex reliquis ingentes summas remisit syngrafis in foro diui Traiani, quo magis securitas omnibus roboraretur, incensis. 237 Orose, VII, 15, 12 :… praetereti etiam temporis per omnes prouincias tributa donauit, omniaque simul fiscalium negotiorum calumniosa monumenta congesta in foro iussit incendi, seuerioresque leges nouis constitutionibus temperauit. Naturellement, s’il fallait trancher la question de savoir lequel des deux princes était plus enclin à de telles mesures, notre faveur irait plus volontiers à Antonin le Pieux, son tempérament étant globalement plus compatible à de tels étalages de compassion au sort des autres qu’il a d’ailleurs tant de fois manifesté à travers de nombreux actes d’un altruisme avéré, déjà en tant que priuatus et davantage une fois devenu princeps. 238 Scriptores ..., Hadrien, XXI, 12 : Mesopotamenos non exigit tributum, quod Traianus inposuit.

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Le reste des provinces, y compris l’Italie, avait bénéficié de mesures tout aussi salvatrices : « Il fit remise à l’Italie de l’or coronaire et en diminua le montant dans les provinces, non sans avoir exposé complaisamment et minutieusement les difficultés dont en souffrirait le Trésor »239.

L’intérêt politique d’une telle attitude de l’empereur est visible : il s’agit d’attirer l’attention des bénéficiaires de la mesure sur le sacrifice consenti en l’accordant, malgré le manque à gagner pour l’Etat. Il n’est pas rare de constater comme ici que la constance du besoin jamais émoussé des empereurs romains de s’assurer du soutien du peuple, même au sommet de leur gloire au trône, comptait parmi les principaux automatismes (avec ou sans conviction, c’est-à-dire réels ou feints) des princes. Le peuple romain, enrichi des provinciaux, était du reste friand de ces étalages de mansuétude qui représentaient à leurs yeux les meilleurs gages d’amélioration de leur vie quotidienne. L’Histoire Auguste signale également une politique d’allègement fiscal sous Alexandre Sévère, fidèle à la réputation de bon prince qu’elle lui donne volontiers, dans le souci de purger Rome de toutes les turpitudes de son prédécesseur Elagabal : « Il réduisit les impôts publics, si bien que les gens qui sous Elagabal acquittaient dix pièces d’or ne payaient plus qu’un tiers de pièce d’or, soit trente fois moins »240.

Cependant, nous se saurions prendre pour argent comptant cet autre témoignage dithyrambique du biographe à propos justement d’Alexandre Sévère tant des traits indéniables de partialité émaillent ce récit. En avouant sans ambages sa sympathie pour le jeune empereur mais également une hostilité lancinante vis-à-vis de son prédécesseur immédiat Elagabal, l’historien n’a pas pu s’empêcher de polir l’un pour mieux condamner l’autre. A contre-pied de la splendeur peinte de bout en bout de cette biographie qui ne manque pas d’ailleurs d’énormes contradictions, nous savons que la « mandature » d’Alexandre Sévère se révèle plutôt terne, incertaine et même balbutiante, englué qu’il était entre l’emprise d’une mère impérieuse, d’une épouse peut-être caractérielle et d’une cour où pullulaient 239

Scriptores ..., Hadrien, VI, 5 : Aurum coronarium Italiae remisit, in prouinciis minuit, et quidem difficultatibus aerarii ambitiose ac diligenter expositis. L’aurum coronarium consistait en offrande de couronnes d’or apportées par les cités d’Italie et des provinces à l’occasion des grandes fêtes propres à chaque règne ; notamment l’avènement, les triomphes… En insistant ainsi sur le manque à gagner pour le Trésor public d’une telle décision, Hadrien attirait habilement l’attention des uns et des autres sur sa propre mansuétude, les contraignant presque à lui témoigner leur reconnaissance en retour. 240 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXXIX, 6 : Vectigalia publica in id contraxit, ut qui decem aureos sub Heliogabalo praestiterant, tertiam partem aurei praestarent, hoc est tricensimam partem.

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tant de gens avides de mettre à profit son inexpérience pour asseoir leur propre influence. Et, concernant plus précisément ce présumé allègement d’impôt, nous sommes enclin à en douter, en raison de la situation chaotique que les débordements et la licence d’Elagabal ont justement léguée à la postérité romaine. En effet, l’avènement d’Alexandre Sévère se présente sous les auspices d’une antithèse du règne particulièrement chaotique de son prédécesseur : « Sitôt donc qu’il se fut mis à exercer son rôle d’empereur, il commença par écarter des services publics, des bureaux et autres postes tous les fonctionnaires que cet être abject y avait propulsés en les choisissant parmi les gens les plus vils. Puis il épura le Sénat et l’ordre équestre. Il épura ensuite les tribus et ceux qui se prévalaient de privilèges militaires ; il épura également son propre palais et toute la cour en révoquant des charges auliques tous ceux qui étaient de mauvaises mœurs ou de mauvaise réputation et ne maintint dans les services du palais que les gens indispensables. Puis il s’engagea par serment à ne pas recruter de soldats exemptés de service, c’est-à-dire des surnuméraires, pour que le montant de leurs rations n’alourdisse pas les charges de l’État. Il qualifiait en effet de fléau public un empereur qui engraisserait de la substance des provinciaux des hommes aussi peu nécessaires et utiles à l’État. Il défendit que l’on puisse jamais voir dans aucune cité la justice exercée par des voleurs, et ordonna aux gouverneurs de province, s’ils en trouvaient, de les déporter. Il surveilla soigneusement l’annone des soldats et condamna de mort les tribuns qui les avaient lésés en se procurant des profits illicites. Il décida que les procès et causes judiciaires seraient en un premier temps examinés et instruits par les chefs de bureaux ainsi que par les juristes les plus compétents et les plus dévoués à sa personne – le principal était alors Ulpien – avant d’être soumis à son jugement… [Il promulgua un grand nombre de lois raisonnables sur les droits du peuple et du fisc… »241.

Le redressement et la correction incontournables des conditions de vie à Rome et dans le reste de l’Empire plaident plutôt pour des mesures inverses. Sans pouvoir rejeter en bloc l’effectivité des réformes recensées dans l’Histoire Auguste, nous confessons la délicatesse de leur maniement, en 241

Scriptores ..., Alexandre Sévère, XV, 1-6 ; XVI, 1 : Vbi ergo Augustum agere coepit, primum remouit omnes iudices a re p. et a ministeriis atque muneribus, quos inpurus ille ex genere hominum turpissimo prouexerat ; deinde senatum et equestrem ordinem purgauit. Ipsas deinde tribus et eos, qui militaribus nituntur praerogaatiuis, purgauit et Palatium suum comitatuque omnem abiectis ex aulico ministerio cunctis obscenis et infamibus nec quemquam passus est esse in Palatinis non necessarium hominem. Iure iurando deinde se constristrinxit, nequem adscriptum, id est uacanitum, haberet ne annonis rem p. prauaret, dicens malum publicum esse imperatorem, qui ex uisceribus prouincialium homines non necessarios nec rei p. utiles pasceret. Fures iudicare iussit in ciuitatibus ullis numquam uideri et, si essent uisi, deportari per rectores prouinciarium. Annonam militum diligenter inspexit. Tribunos, qui stellaturas militibus aliquid tulissent, capitali poena adfecit. Negotia et causas prius a scriniorum principibus et doctissimis iuris peritis et sibi fidelibus, quorum primus tunc fuit, tractari ordinarique atque ita referri ad se praecepit… [Leges de iure populi et fisci moderatas et infinitas sanxit…

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souscrivant aux réserves déjà exprimées depuis fort longtemps : « … parmi les nombreuses réformes qui y sont signalées, comment distinguer celles qui ont été réalisées, celles qui sont restées à l’état de projet, celles qui sont simplement nées de l’imagination d’un panégyriste. Pour le plus grand nombre, tout moyen de contrôle fait défaut »242. Le chercheur est ainsi contraint à un exercice permanent de confrontation avec les témoignages de Dion Cassius et d’Hérodien, moins complices, mais surtout plus proches des événements concernés pour les avoir vécus directement. Le tout, comme nous y invite A. Jardé, en se gardant de tout esprit de « … tradition hostile à Sévère Alexandre qui s’opposerait à une tradition favorable, représentée par l’Histoire Auguste. Ce qui est vrai, poursuit-il, c’est que Dion, Hérodien, Dexipos ont un plus grand souci de la vérité historique et que leur sympathie pour Sévère Alexandre ne les empêche pas de voir les ombres du tableau »243. D’une manière générale, durant la période qui nous intéresse, la fiscalité s’impose comme l’un des principaux maillons générateurs de certaines des crises ayant déstabilisé le régime impérial. Parmi les raisons fondamentales qui ont poussé les soldats à assassiner Alexandre Sévère malgré un règne qui ne manqua tout de même pas d’éclat, il figure, en bonne place, sa politique fiscale jugée trop contraignante : « Voici ce qu’on reprocha à Alexandre, peut-on lire dans l’Histoire Auguste : de répugner à passer pour Syrien, d’aimer l’or, d’être d’une méfiance excessive, de créer une foule d’impôts, de vouloir s’identifier à Alexandre le Grand, d’être trop dur envers les soldats, de s’immiscer dans les affaires privées, toutes tendances qu’il avait manifestées au cours de son gouvernement »244.

Le ton nostalgique du biographe parlant du rêve qui serait devenu réalité si Probus avait régné assez longtemps pour faire aboutir ses réformes de l’État constitue à ce sujet un témoignage des plus poignants : « Quelle félicité aurait enfin resplendi si, sous ce prince, il n’y avait plus eu de soldats ! Aucun provincial ne serait astreint à l’impôt en nature, aucune solde militaire ne serait payée par le Trésor impérial, l’État romain garderait éternellement ses richesses, le prince n’aurait rien à débourser, le propriétaire n’aurait aucun impôt à acquitter : c’était effectivement permettre l’âge d’or »245.

242

Cf. A. Jardé, Etudes critiques…, E. De Boccard, Paris, 1925, p. 26. Cf. A. Jardé, Etudes critiques…, E. De Boccard, Paris, 1925, p. 98. 244 Scriptores ..., Alexandre Sévère, LXIV, 3 : Reprehensa sunt in Alexandro haec : quod Syrus esse nolebat, quod aurum amabat, quod suspiciosissimus erat, quod uectigalia multa inueniebat, quod se Magnum Alexandrum uideri uolebat, quod nimis seuerus in milites erat, quod curas priuatis agebat. Quae omnia in re p(ublica) instituerat. 245 Scriptores ..., Probus, XXIII, 2 : Quae deinde felicitas emicuisset, si sub illo principe milites non fuissent ? Annonam prouincialis daret nullus, stipendia de largitionibus nulla erogarentur, aeternosthesaurus haberet Romana res p., nihil expenderetur a principe, nihil a possessore redderetur : aureum profecto saeculum promittebat. 243

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Une allusion à cet « aurelum saeculum » se trouve également chez Eutrope qui affirme qu’après de nombreuses campagnes victorieuses, Probus aurait déclaré : « Bientôt, il n’y aurait plus besoin de soldats »246.

Pure vue de l’esprit, pourrions-nous dire aujourd’hui sans excès, car la réalité imposa aux Romains une dépendance de plus en plus accrue vis-à-vis des provinces romaines aux frontières interminables et de plus en plus difficiles à sécuriser. Les provinces constituant en effet autant de « greniers de Rome » pour diverses denrées, la nécessité impérieuse de trouver des débouchés à une population métropolitaine excédentaire et en permanente croissance, la perspective de voies d’importation et d’exportation de multiples produits utiles à un univers commercial toujours plus ouvert… rendirent leur contribution au développement économique de l’Empire incontournable. Cette contribution des provinces aussi bien au rayonnement de Rome qu’à sa stricte subsistance se situe ainsi à un niveau dual. Il y a la collecte de divers impôts qui alimentaient la caisse de l’État comme celle de l’empereur, d’une part ; et, d’autre part, la production, dans les provinces, de diverses denrées dont elle ne disposait pas du tout ou en quantité et qualité suffisantes aux besoins incompressibles, pour la subsistance des citoyens romains de la métropole. Nous pouvons donc regrouper l’ensemble de ces contributions provinciales en un seul terme générique de « ressources » provinciales. A) Des ressources provinciales Il s’agit ici de faire une sorte d’inventaire de tout ce que l’Histoire Auguste signale comme ayant profité aux Romains mais de provenance provinciale. On note ainsi deux grands ensembles constitués de produits en nature d’une part ; et, d’autre part, de rentrées financières issues de diverses opérations fiscales. 1) Les produits barbares L’esprit et la lettre d’une correspondance présumée de Probus au Sénat illustrent bien l’état de dépendance des Romains face aux territoires conquis. Faisant allusion au butin prélevé en Germanie, il y a dressé un tableau de l’idéal romain quant à l’approvisionnement de Rome de manière générale : « Désormais tous les Barbares labourent pour vous, sont à votre service et combattent contre les peuplades de l’univers… Les champs gaulois sont labourés par les bœufs barbares247, les attelages germaniques pris à l’ennemi courbent la 246

Eutrope, IX, 17, 3 : … dixit breui milites necessarios non futuros. Il faut comprendre avec E. Frézouls que « Le mot barbarus et le concept correspondant, empruntés aux Grecs, ont été appliqués d’abord par les Comiques, dans les palliatae, aux non-

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nuque sous le joug de nos agriculteurs, les troupeaux de diverses nations paissent pour pourvoir à notre alimentation…, nos greniers regorgent de blé barbare… »248.

Ce texte présume de l’intensité et de la diversité des activités productrices menées en provinces et ayant pour principale finalité d’assurer à Rome une suffisance alimentaire infaillible. Les provinces fournissent ainsi à la capitale du monde produits maraîchers, céréales, viandes… Le côté idyllique d’un tel cliché a dû favoriser l’image que certains Modernes ont pu se faire des Romains qui donnaient ainsi la fâcheuse impression d’un peuple désœuvré et paresseux, sous l’emprise de certains auteurs antiques comme Juvénal. Dans plusieurs autres passages, le biographe atteste de la fourniture à Rome de denrées et de produits multiples en provenance des provinces. Ainsi peut-on noter que Septime Sévère a assuré une distribution quotidienne et gratuite d’une denrée alimentaire exotique au peuple romain, grâce à Tripoli : « Il apporta à Tripoli, son pays d’origine, une parfaite tranquillité en écrasant des peuplades belliqueuses et accorda en permanence au peuple romain une abondante ration d’huile quotidienne et gratuite »249.

De même, confronté aux troupes de Pescennius Niger, les premières précautions de Septime Sévère visèrent à empêcher que ce dernier ne plaçât

Grecs et particulièrement aux Romains. Pour que, par un glissement de sens, leur fût attribuée une signification originale, opposant aux autres peuples les Grecs et les Romains, il fallait non seulement qu’entre ces derniers le lien s’approfondît, mais que se fortifiât le sentiment d’appartenir à une communauté bien différenciée, étendue jusqu’à de véritables frontières ethnolinguistiques, séparant des modes de vie différents. Ni les envahisseurs gaulois ni les migrants de l’Apennin, à l’époque républicaine ancienne ou moyenne, ne sont ressentis comme des Barbares. En revanche les populations incorporées à des provinces romaines et donc partiellement touchées par la romanisation, mais nettement extérieures à l’Italie, sont indistinctement qualifiées de barbares par Cicéron, Ad Quintum fratrem, I, 1, 27 : … quod si te sors Afris aut Gallis praefecisset, immanibus ac barbaris nationibus… » ; cf. « Les deux politiques de Rome face aux Barbares … », AECR, Strasbourg, 1983, p. 175. 248 Scriptores ..., Probus, XV, 2, 6 : Omnes iam barbari uobis arant, uobis iam seruiunt et contra interiores gentis militant… Arantur Gallicana rura barbaris bubus et iuga Germanica captiua praebent nostris colla cultoribus, pascuntur ad nostrorum alimoniam gentium pecora diuersarum, aquinum pecus nostro iam fecundatur equitati, frumento barbarico plena sunt horrea. 249 Scriptores ..., Sévère, XVIII, 3 : Tripolim, unde oriundus erat, contusis bellicosissimis gentibus securissimam reddidit ac p. R. diurnum oleum gratuitum et fecundissimum in aeternum donauit. Nous ne pensons nullement avoir forcé ce texte en concluant que l’oleum dont il y est question provient effectivement de Tripoli, celui-ci ne le précisant manifestement pas. La production d’huile par Tripoli et surtout son exportation vers Rome sont d’ailleurs attestées aussi par Aurélius Victor, XLI, 19 : Remotae olei frumentique aduenticiaepraebitiones, quibus Tripolis as Nicaea acerbius angebantur… ; lire : « On supprima les redevances extraordinaires en huile et en blé, dont Tripoli et Nicée étaient fort cruellement affligées… ».

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sous son contrôle des positions déterminantes pour des raisons évidentes contenues dans le texte : « Il ne manqua pas, à son départ, d’envoyer des légions en Afrique pour éviter que Pescennius ne s’en empare et ne réduise le peuple romain à la disette »250.

Nous savons également que sous Gordien III furent installés plusieurs dépôts de vivres afin d’empêcher toute pénurie à Rome dans ce domaine : « Misithée … avait partout installé des dépôts de vivres afin d’empêcher que le ravitaillement des Romains ne vienne à manquer »251.

Un autre passage enfin, entre bien d’autres, établit la provenance des provinces d’étoffes raffinées très en vogue parmi les Romains nantis : « Que dirais-je des étoffes de lin importées d’Egypte252 ? de celles importées de Tyr et de Sidon, si fines qu’elles en paraissent transparentes, rutilantes de pourpre, célèbres pour la difficulté qu’on a à les broder »253 ?

Vu tout ce qui précède, on comprend alors très aisément le souci d’Alexandre Sévère de faire de Rome un axe central en matière de commerce international. Pour y arriver, il aurait accordé de très grands avantages financiers aux marchands grossistes, peut-être sous forme d’allègement des taxes dues à l’État, afin qu’ils consentent à se rendre massivement à Rome et à y investir leurs capitaux254. Pendant les campagnes255, on s’en doute, cette sollicitation des provinces, principalement pour assurer la ration des troupes, s’avère plus indispensable, 250 Scriptores ..., Pescennius Niger, V, 4 : Sane illud fecit proficiscens ut legiones ad Africam mitteret, ne eam Pescennius occuparet et fame populum Romanum perurgueret. 251 Scriptores ..., Gordien III, XXIX, 2 : Misetheus tantum ubique…, habuerat conditorum, ut uacillare dispositio Romana non posset… 252 Cf. supra, notes 162-163. 253 Scriptores ..., Carin, XX, 5 : Iam quid lineas petitas Aegypto loquar ? Quid Tyro et Sidone tenuitate perlucidas, micantes purpura, plumandi difficultate pernobiles ? 254 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXII, 1 : Negotiatoribus, ut Romam uolentes concurrerent, maximam inmunitatem dedit. Il est encore question de ces avantages financiers substantiels accordés aux marchands à Rome en XXXII, 5 : Aurum negotiatorium et coronarium Romae remisit ; lire : « Il fit remise à Rome de l’impôt en or des marchands et de l’or coronaire ». 255 Il va de soi que le menu des troupes participe, pleinement, à leurs prouesses au front. Septime Sévère en fit une expérience qui faillit lui être fatale lors d’une confrontation contre les Parthes, n’eût été son opiniâtreté, à en croire l’Histoire Auguste, Sévère, XVI, 1-2 : Aestate igitur iam exeunte Parthiam ingressus Ctesifontem pulso rege peruenit et cepit hiemali prope tempore, quod in illis regionibus melius per hiemem bella tranctantur, cum herbarum radicibus milites uiuerent atque inde morbos aegritunesque contraherent. Quare cum obsistentibus Parthis, fluente quoque per insuetudinem cibi aluo militum longius ire non posset, tamen perstitit et oppidum cepit regem fugauit et plurimos interemit et Parthicum nomen meruit ; lire : « Donc, tandis que l’été touchait à sa fin, il envahit la Parthie, mit le roi en déroute et atteignit Ctésiphon dont il s’empara au début de l’hiver – car dans ces régions l’hiver est le meilleur moment pour faire la guerre – bien que ses soldats contraints de se nourrir de racines végétales, en aient contacté maladies et indigestions. C’est pourquoi la

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voire incompressible. L’effort de production de produits vivriers en provinces devait alors tenir compte, en sus, de la ration des hommes de troupes. En effet, la pratique de faire porter l’essentiel de leur ration aux soldats en expédition se révéla rapidement incommode, surtout avec des campagnes toujours de plus en plus éloignées de Rome. Et, même si les transports avaient bénéficié d’une attention particulièrement grâce au développement permanent des infrastructures qui préoccupa invariablement tous les empereurs romains, il fallut chaque fois tenir compte également des conditions de conservation des produits vivriers souvent périssables. Nous connaissons là-dessus des mesures préconisées par Pescennius Niger qui, malgré une réputation de rigueur quelque peu austère (voire excessive), étaient imposées par les circonstances : « Il interdit également aux boulangers de suivre les expéditions, obligeant les soldats et tous les autres à être réduits au pain de munition »256.

On comprend mieux alors les décisions d’Alexandre Sévère visant à alléger utilement les contraintes des légionnaires relatives à leur ravitaillement : « Il décida que pendant les campagnes (militaires) les soldats toucheraient leurs annones dans les greniers de la poste et ne porteraient pas, comme c’était l’habitude, dix-sept jours de vivres – sauf en pays barbare257 –, tout en les soulageant par l’utilisation des mulets et des chameaux ; il disait en effet que la santé de ses soldats lui importait plus que la sienne propre, car c’est d’eux que dépendait le salut de l’État »258.

Il apparaît évident qu’en préconisant de telles mesures, les empereurs à la tête de leurs troupes ne pouvaient que compter sur les provinces romaines les plus proches de leurs camps pour assurer leur ravitaillement. Mais l’essentiel de ce que Rome tirait de ses provinces était constitué de la somme des divers impôts qu’une fiscalité de plus en plus raffinée rapportait au fiscus, la caisse officielle de l’État, en même temps qu’au patrimoine personnel du prince.

résistance des Parthes ainsi que les dérangements intestinaux que causait à ses soldats cette nourriture inhabituelle l’empêchèrent d’avancer plus loin. Mais il s’accrocha néanmoins sur le terrain, s’empara de la ville, mit le roi en fuite et tua un grand nombre d’ennemis, ce qui lui valut le titre de ‘’Parthique’’ ». 256 Scriptores ..., Pescennius Niger, X, 4 : Idem pistores sequi expeditionem prohibuit, bucellato iubens milites et omnes contestos esse. 257 C’est-à-dire les territoires encore plus ou moins hostiles, pas ou partiellement romanisés. 258 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLVII, 1 : Milites expeditionis tempore sic disposuit, ut in mansionibus annonas acciperent nec portarent cibaria decem et septem, ut solent, dierum nisi in barbarico, quamuis et illic mulis eosdem atque camelis adiuuerit dicens milites se magis seruare quam se ipsum, quod salus publica in his esset.

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2) Le prélèvement des impôts L’empire romain qui intéresse l’Histoire Auguste, comme nous l’avons déjà dit, commence par le règne d’Hadrien qui inaugure le nouveau climat, bien différent du règne heureux de Trajan. Le règne de ce dernier clôture en quelque sorte la séquence de vie plutôt paisible à Rome à partir du Ier siècle positif, ce qui a fait adopter, pour caractériser la nouvelle ère, le terme générique de « crise »259, source volontaire ou déductive du « Bas-Empire » en gestation. A peine installé au trône, Hadrien dut en effet faire face à une situation quelque peu chaotique que dépeint ainsi le biographe : « … car, tandis que les nations que Trajan avait soumises se soulevaient, les Maures se montraient remuants, les Sarmates prenaient l’offensive, les Bretons refusaient la domination romaine, l’Egypte était en proie à la rébellion, la Libye enfin et la Palestine manifestaient un esprit de révolte »260.

Autant déclarer que l’Empire était menacé de dislocation de toute part. L’abréviateur Eutrope n’a d’ailleurs pas hésité de comparer la guerre qu’Hadrien mena contre les Marcomans aux guerres puniques : « Sous ce prince, écrit-il en parlant de ce règne plutôt tumultueux, d’heureuses actions furent réalisées contre les Germains. Il ne mena en personne que la guerre contre les Marcomans, mais on en garde plus que d’aucune autre le souvenir au point de la comparer aux guerres puniques, car elle fut plus terrible encore puisque des armées romaines tout entières y avaient péri »261.

Les différentes offensives antérieures à sa prise du pouvoir, loin d’éliminer les dangers qui guettaient les Romains aux frontières de l’Empire, ont au contraire allongé ou multiplié les fronts à tenir262, réduisant l’efficacité d’une armée romaine dont les effectifs se révélaient chaque jour 259

Se rappeler nos réserves sur les limites de ce terme exprimées dans le précédent chapitre, note 110. 260 Scriptores ..., Hadrien, V, 2 : Nam deficientibus his nationibus, quas Traianus subegerat, Mauri lacessebant, Sarmatae bellum inferebant, Brittanni teneri sub Romana dicione non poterant, Aegyptus seditionibus urgebatur, Libya denique ac Palestina rebelles animos efferebant. Quel contraste avec le tableau du règne de son prédécesseur dressé par Orose, VII, 12, 2 : Apud Agrippinam Galliae urbem insignia sumpsit imperii ; mox Germaniam trans Rhenum in pristinum statum reduxit ; trans danuuium multas gentes subegit ; regiones autem trans Euphraten et Tigrin sitas prouincias fecit… ; lire : « Il [Trajan] prit les insignes du pouvoir impérial dans la ville gauloise d’Agrippina ; bientôt il ramena la Germanie transrhénane à son statut ancien ; il soumit de nombreux peuples au-delà du Danube ; quant aux régions situées au-delà de l’Euphrate et du Tigre, il en fit des provinces… ». 261 Eutrope, VIII, 12, 2 : Contra Germanos eo principe res feliciter gestae sunt. Bellum ipse unum gessit Marcomannicum ; sed quantum nulla memoria fuit, adeo ut Punicis conferatur. Nam eo grauius est factum qud uuniuersi exercitus Romani parierant. 262 Parlant des offensives militaires du règne de Marc Aurèle par exemple, le biographe écrit notamment dans sa Vie, XXII, 7 : Et multi nobiles bello germanico siue Marcomannico immo plurimarum gentium interierunt… ; lire : « Au cours de la guerre germanique qu’il mena contre les Marcomans, ou plutôt contre une infinité de peuples, avaient péri un très grand nombre de nobles… ».

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insuffisants face à l’ampleur de la tâche. Encore qu’il ne s’agit là que d’agressions extérieures auxquelles il convient d’ajouter l’écho qu’Aurélius Victor a fait des causes endogènes de certains mouvements insurrectionnels, indigné de voir l’armée romaine se détourner de sa vocation première pour orienter ses armes vers et contre Rome : « Depuis cette époque, écrit-il parlant de la fin du règne d’Alexandre Sévère, les empereurs, plus soucieux d’imposer leur domination à leurs concitoyens que de soumettre les peuples étrangers, et prenant les armes plutôt les uns contre les autres, ont pour ainsi dire précipité l’État romain sur une pente abrupte ; on a vu indistinctement se jeter sur le pouvoir des bons et des mauvais, des nobles et des basses naissances, ainsi qu’une foule de Barbares »263.

S’engager à redresser une telle situation devait nécessairement exiger de lourds sacrifices, notamment en ce qui concerne l’entretien général des troupes. Nous savons que justement, dans la perspective de ces campagnes, l’empereur : « accorda aux soldats une double gratification pour l’inauguration de son règne »264.

Alexandre Sévère, qui consentit d’énormes moyens pour mettre ses légionnaires à l’abri du besoin, fonda même essentiellement sa confiance à ses troupes sur cet argument : « Les soldats, pour leur part, rapporte le biographe, aimaient leur jeune empereur comme un frère, comme un fils, comme un père ; ils avaient des uniformes décents, des chaussures tout à fait convenables, des armes excellentes et étaient pourvus de chevaux avec selles et mors de qualité, si bien que, lorsqu’on avait vu l’armée d’Alexandre, on se rendait compte de ce qu’était l’État romain… il ne redouta jamais l’armée parce qu’on ne pouvait formuler aucune critique contre sa conduite en prétendant que des tribuns ou des généraux se seraient appropriés une partie de la solde des hommes. Il avait coutume de dire : ‘’Le soldat n’est pas redoutable s’il est habillé, armé, chaussé, s’il a le ventre plein et quelques pièces dans sa trousse’’ »265.

Ces allégations sont-elles réelles par rapport à l’intéressé ? Sans prétendre que cela nous importe peu, il demeure cependant établi qu’elles illustrent la 263

Aurélius Victor, XXIV, 9 : Abhinc, dum dominandi suis quam subigendi externos cupientiores sunt atque inter se armantur magis, Romanum statum quasi abrupto praecipitauere, immissique in imperium promiscue boni malique, nobiles atque ignobiles, ac barbariae multi. 264 Scriptores ..., Hadrien, V, 7 : Militibus ob auspicia imperii duplicem largitionem dedit. 265 Scriptores ..., Alexandre Sévère, L, 3 ; LII, 3 : Iam uero ipsi milites iuuenem imperatorem sic amabant ut fratrem ut filium ut parentem, uestiti honeste, calciati etiam ad decorem, armati nobiliter, equis etiam instructi et efippiis ac frenis decentibus, prorsus ut Romanam rem p(ublicam) intellegerent… nec exercitum umquam timuerit, idcirco quod in uitam suam dici nihil posset, quod umquam tribuni uel duces de stipendiis militum quicquam accepisset, dicens : « Miles non timetur, si uestitus, armatus, calciatus et satur et habens aliquid in zonula », idcirco quod mendicitas militaris ad omnem desperationem uocaret armatum.

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conviction profonde du biographe relative à la gestion conceptuelle du corps militaire. Eutrope a souligné lui aussi le caractère onéreux de l’entretien des troupes, à propos d’Antonin le Pieux dont la fortune personnelle se trouva considérablement réduite par les différentes contraintes liées à ses charges impériales parmi lesquelles, citée en premier lieu, la solde des légionnaires : « Très riche avant d’accéder à l’Empire, il diminua sa fortune par la solde qu’il versait à ses troupes et par ses libéralités à l’égard de ses amis… »266.

Du reste, nous ne connaissons guère de règne dans l’Histoire Auguste qui n’ait été perturbé par des campagnes militaires dont les succès étaient invariablement tributaires d’un surcroît d’efforts exigé à tout l’Empire, certes, mais surtout aux provinces parmi les plus riches. De l’avis de l’ensemble de nos sources qui se sont intéressés à cet aspect de son mandat impérial, seul Antonin le Pieux aurait connu un règne manifestement tranquille : « Peut-être l’absence de triomphe apparaît-elle comme un signe de faiblesse, conclut Aurélius Victor ; mais la vérité est tout autre, car, à coup sûr, il y a plus de grandeur encore à obtenir que personne n’ose troubler la paix et à renoncer soi-même à combattre des nations paisibles pour se mettre personnellement en valeur » 267.

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Eutrope, VIII, 8, 3 : Hic ante imperium ditissimus opes quidem omnes suas stipendiis militum et circa amicos liberalitatibus minuit… Malgré un bilan globalement plus que positif à la tête de l’État, Antonin le Pieux connut plusieurs soubresauts durant son règne que nous révèle ainsi l’Histoire Auguste, Antonin, le Pieux, V, 4-5 : … alio muro cespiticio summotis barbaris ducto et Mauros ad pacem postulandam coegit et Germanos et Dacos et multas gentes atque Iuadaeos rebellantes contudit per praesides ac legatos ; In Achaia etiam atque Aegyptum rebelliones repressit . Alanos molientis saepe refrenauit ; lire : « … une fois les barbares (bretons) repoussés…, il força les Maures à demander la paix et, par l’action des légats et des gouverneurs, écrasa les Germains, les Daces, de nombreuses autres nations, ainsi que les Juifs qui s’étaient révoltés. En Achaïe et en Égypte, il réprima aussi des rebellions et stoppa fréquemment les tentatives des Alains ». 267 Aurélius Victor, XV, 5 : Nisi forte triumphorum expertem socordiae uidetur ; quod longe secus est, cum maius haud dubie sit neque quemquam turbare ausum composita, neque ipsum ostentandi sui bellum fecisse quietis gentibus ; Eutrope, VIII, 2 : Vixit ingenti honestate priuatus, maiore in imperio, nulli acerbus, cunctis benignus, in re militari moderata gloria, defendere magis prouincias quam amplificare studens… ; lire : « Il vécut d’une façon extrêmement honorable en tant qu’homme privé, plus encore lorsqu’il fut empereur ; rigoureux contre personne, bienveillant à l’égard de tous, il n’acquit dans le domaine militaire qu’une gloire modérée, plus soucieux de défendre les provinces que de les accroître… ». Tous deux non contredits par l’Histoire Auguste, Antonin le Pieux, IX, 10 qui rappelle à ce sujet un mot de Scipion que ce vertueux empereur répétait assez souvent : Tantum sane auctoritatis apud exteras gentes nemo habuit, cum semper amauerit pacem, eo usque ut Scipionis sententiam frequentarit, qua ille dicebat malle se unum ciuem seruare quam mille hostes occidere ; lire : « Nul n’eut autant de prestige que lui auprès des nations étrangères car il aima toujours la paix au point de citer sans cesse une formule de Scipion, qui disait préférer sauver un seul citoyen plutôt que de tuer mille ennemis ». Malgré tout, on peut tout de même lire

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Nous notons cependant une nuance qui nous semble en nette contradiction avec les derniers mots de cette Vita : « Seul peut-être de tous les empereurs, il vécut sans verser le sang de ses concitoyens et de ses ennemis, dans la mesure où cela dépendait de lui ; c’est à juste titre qu’on le compara à Numa, avec lequel il eut toujours en commun la chance, la piété, la tranquillité et le respect de la religion »268.

Le maître-mot de cette affirmation est sans doute prope qui exprime ses indéniables limites. En effet, nous assistons même à un cas de « gel » de déclaration d’une guerre contre les Marcomans sous le règne de son successeur, pour des raisons ainsi précisées par l’Histoire Auguste : « Pendant que se déroulait la guerre contre les Parthes, éclata celle contre les Marcomans qu’avait longtemps différée par la diplomatie ceux qui étaient en charge dans cette région, afin qu’on puisse n’ouvrir ce nouveau front que lorsque la guerre serait terminée en Orient ». Ce témoignage permet de supposer qu’il s’agit là d’un conflit latent, né du règne d’Antonin le Pieux et que ce dernier n’en manqua donc pas. Le biographe n’a-t-il pas déjà rapporté qu’« il livra de nombreuses guerres, mais par l’intermédiaire de ses légats »269.

Lorsqu’il ne s’agit pas d’usurpateurs menaçant le pouvoir établi, l’empereur au trône est presque constamment exposé aux assauts de peuples insoumis avides de pillages ou à des velléités d’affranchissement des territoires conquis mais encore imparfaitement romanisés270. Il n’était donc pas rare que les caisses de l’État se vidassent pour soutenir un tel effort de guerre comme ce fut le cas avec Marc Aurèle à l’issue d’une énième confrontation contre les Germains que le biographe a d’ailleurs qualifiée de : « … plus difficile de toutes les guerres »271 ;

particulièrement à cause d’une terrible peste survenue alors et qui avait en même temps décimé des milliers de civils et de soldats : sous la plume du biographe qu’il « (dut réprimer) les rébellions, où qu’elles se fussent produites, sans cruauté mais avec pondération et fermeté », Ibid., XII, 2 : Seditiones ibicumque factas non crudelitate sed modestia et grauitate compressit. 268 Scriptores ..., Antonin le Pieux, XIII, 4 : … solusque omnium prope principum prorsus ciuili sanguine et hostili, quantum ad se ipsum pertinet, uixit et qui rite comparetur Numae, cuius felicitatem pietatemque et securitatem cerimoniasque semper optinuit. 269 Marc Aurèle, XII, 13 : Dum Parthicum bellum geritur, natum est Marcomannicum, quod diu eorum, qui aderant, arte suspensum est, ut finito iam orientali bello Marcomannicum agi posset ; surtout s’il nous faut également prendre en compte cette affirmation bien que trop allusive du biographe, Antonin le Pieux, V, 4 : Per legatos suos plurima bella gessit. 270 Nous avons là un des principaux mobiles de l’évacuation de la Dacie par l’empereur Aurélien qui dut convenir de cette nécessité de séparer la Dacie contrôlable par les Romains – donc romanisée – de celle qui lui était restée hostile. Cette vaste évacuation d’hommes est évoquée infra, note 142 sq. 271 Scriptores ..., Marc Aurèle, XVII, 2 : … (bellum Marcomannicum) sed quantum nulla umquam memoria fuit… et eo quidem tempore, quo pestilentia grauis multa milia et popularium et militum interemerat.

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« Comme il avait, pour mener cette guerre, complètement vidé le Trésor public mais n’avait pas l’intention d’exiger des provinces une contribution supplémentaire, il organisa au forum du divin Trajan une vente publique d’objets de valeur appartenant à la famille impériale ; c’est ainsi qu’il vendit des coupes en or, en cristal et en murrhe, des vases d’origine royale, un des vêtements de sa femme, en soie et rebrodée d’or, ainsi qu’un grand nombre de pierres précieuses qu’il avait trouvées dans une cachette d’Hadrien particulièrement inviolable »272.

Ce témoignage concorde presque mot pour mot avec celui d’Eutrope : « Comme, pour payer les frais de cette guerre, il ne pouvait, vu l’épuisement du trésor, faire aucune largesse, et ne voulant rien imposer aux provinciaux ou au Sénat, il fit disperser dans une vente, sur le forum du divin Trajan, le mobilier de l’apparat royal… »273.

Sans être sous la pression d’une campagne militaire, Alexandre Sévère a lui aussi organisé une telle vente mais plutôt pour renflouer les caisses de l’État, profitant par ce biais de censurer certaines dérives morales en vogue chez certains de ses administrés, sans épargner les membres de la cour impériale au premier rang desquels lui-même et ses proches parents : 272

Scriptores ..., Marc Aurèle, XVII, 4 : Cum autem ad hoc bellum omne aerarium exhausisset suum neque in animum induceret, ut extra ordinem prouincialibus aliquid imperaret, in foro diui Traiani auctionem ornamentorum imperialium fecit uendiditque aurea pocula et cristallina et murrina, uasa etiam regia et uestem uxoriam sericam et auratam, gemmas quin etiam, quas multas in repostorio sanctiore Hadriani reppererat… Sur cette vente, voir aussi ibid., XXI, 9 : Et, ne prouincialibus esset molestus, auctionem rerum aulicarum, ut diximus, fecit in foro diui Traiani, in qua praeter uestes et pocula et uasa aurea etiam signa cum tabulis magnorum artificium uendidit ; lire : « Et, pour ne pas alourdir les charges des habitants des provinces, il organisa, comme nous l’avons dit, au forum de Trajan une vente publique des objets de valeur de la cour : il y vendit non seulement des vêtements, des coupes et des vases en or, mais aussi des statues et des tableaux d’artistes de renom » ; et ibid., Elagabal, XIX, 1 : Nam primus omnium priuatorum toros aureis toralibus texit, quia tunc ex Antonini Marci auctoritate id fieri licebat, qui omnem apparatum imperatorium publice uendiderat ; lire : « C’est ainsi qu’[Elagabal] fut le premier particulier à habiller les lits de couvertures lamées d’or ; à cette époque en effet, cela était autorisé depuis Antonin Marc qui avait vendu aux enchères tout le mobilier impérial ». Cette opération est confirmée par le Pseudo-Aurélius Victor, XVI, 9 : Hic, cum aerario exhausto largitiones quas militibus impenderet non haberet, neque indicere prouincialibus aut senatui aliquid uellet, instrumentum regii cultus facta in foro Traiani sectione distaxit, uasa aurea, pocula crystallina et murrina, uxoriam ac suam sericam et auream uestem, multa ornamenta gemmarum, ac per duos continuos menses uenditio habita est multumque auri redactum ; lire : « N’ayant pas, à cause de l’épuisement du Trésor public, de quoi dépenser largement pour les soldats, mais se refusant à imposer une contribution aux provinciaux ou au Sénat, il fit vendre en détail aux enchères, sur le forum de Trajan, du mobilier de la Maison de l’empereur : des vases en or, des coupes en cristal et en myrrhe, un vêtement de sa femme et l’un des siens, en soie et or, de nombreuses pierres montées ; la vente dura deux mois consécutifs et rapporta une grande quantité d’or ». Sur le tableau sombre de l’Empire romain à l’avènement de Marc Aurèle, voir, entre autres, le Pseudo-Aurélius Victor, XVI, 1-3. 273 Eutrope, VIII, 13, 2 : Ad huius belli sumptum cum aerario exhausto largitiones nullas haberet neque indicere prouincialibus aut senatui aliquid uellet, instrumentum regii cultus, facta in foro diui Traiani sectione…

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« Il mit en vente toutes les pierreries qu’il possédait et en affecta le produit au Trésor public en disant que les hommes n’avaient pas besoin de pierreries et que les femmes de la maison impériale devaient se contenter d’une résille, d’une paire de boucles d’oreilles, d’un collier de perles, d’une tunique-manteau brodée d’or et d’une robe de cérémonie dont les ornements ne dépassent pas six onces d’or »274.

Ces attentions sont à inscrire au registre des mesures heureuses qui caractérisent le règne de ce prince parvenu au trône encore nubile et dont l’action à la tête de l’Empire ne peut trouver un meilleur résumé que celui du Pseudo-Aurélius Victor : « Il fit le bonheur de la République, mais son malheur à lui »275.

La pratique n’est pas nouvelle à Rome. En effet, l’Histoire Auguste a déjà mentionné cette même attitude chez Antonin le Pieux, pour des motifs non précisés, de même qu’elle ne nous a pas révélé la destination réelle du produit de tous les articles ainsi proposés aux enchères : « Il vendit des objets superflus et des domaines de la maison impériale et vécut dans ses propres biens patrimoniaux en variant sa résidence selon les saisons »276.

274

Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLI, 1 : Gemmarum quod fuit, uendidit et aurum in aerarium contulit dicens gemmas uiris non esse, matronas regias contentas esse debere uno reticulo, atque inauribus et bacato monili et corona, cum qua sacrificium facerent, et tunicopallio auro sparso et cyclade, quae sex unicias auri plus non haberet. Témoignage repris en L, 1 où il précise l’origine des pierres ainsi vendues : Dona regia in templis posuit ; gemmas sibi oblatas uendidit muliebre esse aestimans gemmas possidere, quae neque militi dari possint neque a uiro haberi ; lire : « Il déposa dans les temples les cadeaux que lui avaient faits des rois ; mais les pierres précieuses, qu’on lui avait données, il les vendit car il estimait que c’était se comporter comme une femme que d’avoir des pierres précieuses, qu’on ne devait pas offrir à un soldat et qu’un homme digne de ce nom ne devait pas posséder ». 275 Pseudo-Aurélius Victor, XXIV, 1 : Hic, bonus rei publicae, fuit aerumnosus sibi. La plupart de nos sources s’accordent en effet à reconnaître que son règne fut globalement positif. On peut en effet lire chez l’auteur de l’Histoire Auguste, Elagabal, XIII, 5 : … ipse secessit ad hortos Spei ueteris, quasi contra nocuum iuuenem uota concipiens, relicta in Palatio matre et auia et consobrino suo iussitque, ut trucidaretur iuuenis optimus et rei p(ublicae) necessarius ; lire : « [Elagabal] laissa au palais sa mère, sa grand-mère et son cousin, se retira dans les jardins [du temple] de Spes Vétus dans l’intention de formuler des vœux à l’encontre de ce jeune homme innocent et donna l’ordre d’assassiner ce jeune homme plein de vertu et précieux pour l’État » ; ibid., Alexandre Sévère, I, 2 : … ad remedium generis humani Aurelius Alexander… accepit imperium ; lire : « Aurélius Alexandre reçut le pouvoir impérial pour le plus grand bien du genre humain » ; Aurélius Victor, XXIV, 2, 7 : Qui, quanquam adolescens, ingenio supra aeuum tamen… Neque ultra annos tredecim imperio functus, rem publicam reliquit firmatam undique ; lire : « Bien que tout jeune encore, il fait pourtant preuve d’un génie au-dessus de son âge… Après un règne qui ne dépassa pas treize ans, il laissa l’État partout renforcé ». 276 Scriptores ..., Antonin le Pieux, VII, 10 : Species imperatorias superfluas et praedia uendidit et in suis propriis fundis uixit uarie ac pro temporibus.

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Il n’est pas impossible, connaissant le tempérament de cet homme si attentif aux dépenses tant privées que publiques, que sa décision ne visât effectivement que l’unique souci de se débarrasser du superflu. En revanche, ce fut bien pour résorber un déficit budgétaire (comme nous dirions de nos jours) l’empêchant de tenir certains de ses engagements que Helvius Pertinax mit aux enchères les biens laissés par Commode : « Il mit aux enchères les biens de Commode et fit même vendre ses gitons et concubines, sauf ceux qui, semblait-il, avaient été amenés de force au palais. Parmi ceux qu’il avait fait vendre, beaucoup, rappelés ensuite au service, servirent aux plaisirs du vieillard… Les bouffons, auxquels s’attachait l’ignominie de noms obscènes, furent mis aux enchères et vendus. Le bénéfice de cette vente, qui fut énorme, il le convertit en un donatiuum pour les soldats »277.

Ces révélations de l’Histoire Auguste concordent parfaitement avec le témoignage de l’historien grec Dion Cassius qui nous parle ainsi du gab financier qu’a hérité Helvius Pertinax en accédant à l’Empire : « Tel était alors l’état d’épuisement du fisc qu’on y trouva que vingt mille drachmes. Aussi Helvius Pertinax eut-il de la peine, avec l’argent qu’il tira des statues, des armes, des chevaux, des meubles et des mignons de Commode à payer aux prétoriens la somme qui leur avait été promise et environ cent drachmes au peuple. En effet, tout ce que Commode avait acheté pour son luxe, pour ses combats de gladiateurs, pour ses courses de chars, fut mis à l’encan, la plus grande partie pour être vendue, et aussi tant pour montrer quelles étaient les occupations et les manières de vivre de ce prince, que pour connaître ceux qui les achèteraient »278.

L’État et l’empereur avaient donc des charges et des besoins financiers de plus en plus importants279, si bien que le système fiscal pesa considérablement sur les contribuables ; c’est-à-dire, en premier lieu, sur les provinces qui, comme nous l’avons indiqué plus haut, constituaient la principale source des revenus de l’Empire romain. Tous les empereurs n’ayant pas eu, à n’en point douter, la même délicatesse ou les mêmes 277

Scriptores ..., Helvius Pertinax, VII, 8-11 : Auctionem rerum Commodi habuit, ita ut et pueros et concubinas uendi iuberet, exceptis his qui per uim Palatio uidebantur inserti. Et de his, quos uendi iussit, multi postea reducti ad ministerium oblectarunt senem… Scurras turpissimorum nominum dedecora perferentes proscripsit ac uendidit. Cuius nundinationis pecuniam, quae ingens fuit, militibus donatiuo dedit. Des précisions sur les objets ainsi vendus sont fournies en VIII, 1 sq. 278 Dion Cassius, Hist. rom., LXXI, 5. 279 Lire, à propos des principaux facteurs à prendre en considération pour mesurer le poids des contraintes financières des empereurs, P. Cosme, L’État romain…, Paris, 1988, p. 87 : « Le développement de l’administration, notamment de la chancellerie impériale, pesait sur le budget… Les diverses manifestations de l’évergétisme impérial, constructions diverses, congiaires distribués à la plèbe frumentaire…, grevaient aussi les finances publiques. Plus généralement, les progrès de l’urbanisation et des échanges s’était accompagné d’un développement de l’économie monétaire dans le monde romain, qui suscitait ainsi une demande accrue de numéraire ».

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scrupules que Marc Aurèle sur ce chapitre. L’analyse de X. Loriot concernant la politique fiscale de l’empereur Maximin pourrait bien s’appliquer à plusieurs règnes des empereurs de l’Histoire Auguste. Il en a notamment souligné que « Plus que d’un ‘’terrorisme’’ qui ne frappait qu’une minorité restreinte, l’ensemble de la population eut à souffrir du brutal accroissement de la pression fiscale. Maximin a dû en effet faire face, pour financer ses campagnes contre les Barbares, à des dépenses considérables dont le poids, compte tenu de l’impossibilité pour les légions de vivre sur le territoire ennemi, est retombé pour l’essentiel sur les contribuables et plus particulièrement sur ceux des provinces. Aux frais occasionnés par la solde et l’entretien des troupes, viennent s’ajouter ceux de la réfection systématique du réseau routier »280. C’est en d’autres termes ce qu’avait constaté à ce propos Pline le Jeune : « Les très nombreuses charges de l’Empire, a-t-il souligné avec raison, ont rendu nécessaire l’institution d’impôts aussi utiles à la communauté que dommageables aux particuliers »281.

De nos jours, la constitution du budget282 d’un État constitue un exercice d’une extrême complexité autour de deux chapitres fondamentaux qui n’ont jamais varié depuis l’Antiquité : les recettes d’une part, les dépenses de l’autre. Les recettes désignent naturellement le montant total des rentrées financières enregistrées par le Trésor public, tandis que les dépenses englobent toute somme allouée aussi bien à la réalisation de nouveaux projets (Investissement) qu’aux règlements de diverses factures qui relèvent des exigences traditionnelles de la vie quotidienne au sein dudit État (Fonctionnement). S’agissant précisément des recettes, nos ministères concernés ont recours à divers procédés comme à des ressources nouvelles inconnus à l’époque antique. C’est ici le lieu de nous interroger sur l’origine des entrées du Trésor romain dont dépendait, à côté de la caisse de l’empereur, la concrétisation de toutes les initiatives publiques. A en croire l’Histoire Auguste donc, l’essentiel des ressources de l’Aerarum comme du Fiscus romains provenait de ses provinces ; d’où l’attitude de certains empereurs comme Antonin le Pieux qui tint particulièrement à les préserver de charges selon lui subsidiaires :

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Cf. « Les premières années de la grande crise du IIIème siècle… », ANRW, II, 1975, p. 681. Pline le Jeune, Pan., XXXVII, 1 : Onera imperii pleraque uectigalia institui ut pro utilitate communi ita singulorum iniuriis coegerunt. Bien sûr, l’épistolier ne faisait pas ici directement allusion aux charges fiscales des provinces romaines ; mais on se doute bien que la situation n’y était guère différente, sinon plus préoccupante qu’à Rome. 282 Terme entendu selon son acception moderne pour désigner l’ensemble des comptes qui décrivent, pour une année civile, toutes les ressources et toutes les charges de l’État, des autres collectivités publiques et des établissements publics. 281

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« Il gouverna avec conscience les peuples qui lui étaient soumis au point de veiller sur les choses et les personnes comme si elles lui appartenaient en propre… Il n’entreprit guère de voyages, sinon pour se rendre sur ses terres ou en Campanie car, disait-il, la suite d’un empereur – si économe fût-il – était une lourde charge pour les provinciaux »283.

On note exactement le même souci de ne point obérer inutilement l’économie des provinces, sur un tout autre plan, chez Alexandre Sévère : « Puis il s’engagea par serment à ne pas recruter de soldats exempts de service, c’est-à-dire des surnuméraires, pour que le montant de leurs rations n’alourdisse pas les charges de l’État. Il qualifiait en effet de fléau public un empereur qui engraisserait de la substance des provinciaux des hommes aussi peu nécessaires qu’inutiles à l’État »284.

Parlant toujours d’Alexandre Sévère, cette fois à propos de sa magnificence vis-à-vis des soldats, le biographe écrit : « Il distribuait rarement de l’or et de l’argent, sauf aux soldats, car, disait-il, il était immoral que le répartiteur des finances publiques détourne au profit de ses caprices ou de ceux de ses amis les contributions versées par les provinciaux »285.

Le biographe rapporte plus loin une réaction des plus condescendantes du prince à des soldats qui avaient hué sur lui lors d’une mutinerie : « Pourquoi ne renoncez-vous pas à ces vociférations, qui sont nécessaires contre l’ennemi pendant le combat mais ne le sont pas contre votre empereur ? Bien sûr, vos instructeurs vous ont appris à les pousser contre les Sarmates, les Germains et les Perses, mais pas contre un homme qui vous a distribué l’annone fournie par les provinciaux, des vêtements et votre solde »286. 283

Scriptores ..., Antonin le Pieux, VII, 1 ; 11 : Tanta sane diligentia subiectos sibi populos rexit, ut omnia et omnes, quasi sua essent, curaret… Nec ullas expeditiones obiit, nisi quod ad agros suos profectus est et ad Campaniam dicens grauem esse prouincialibus comitatum principis, etiam nimis parci (texte exploité par ailleurs, supra, note 157 et infra, note 549). Cette attitude marquée par une extrême simplification de la gestion du pouvoir impérial chez cet empereur est déjà annoncée en VI, 4 : Imperatorium fastigium ad summam ciuilitatem deduxit ; unde plus creuit recusantibus aulicis ministris, qui illo nihil per internuntios agente nec terrere poterant homines aliquando nec ea, quae occulta non erant, uendere ; lire : « Il réduisit la pompe impériale à la plus extrême simplicité, ce qui accrut son prestige malgré l’opposition des fonctionnaires de la cour qui, du fait que l’empereur agissait désormais sans intermédiaires, ne pouvaient plus terroriser les gens ni se faire payer des informations qui n’étaient plus secrètes ». 284 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XV, 3 ; texte cité plus amplement supra, note 235. 285 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXXII, 4 : Aurum et argentum raro cuiquam nisi militi diuisit, nefas esse dicens, ut dispensator publicus in delectationes suas et suorum conuerteret id, quod prouinciales dedissent. On aura noté au passage que le biographe emploie invariablement les expressions ex uisceribus prouincialium et prouinciales pour signifier exactement la même chose. 286 Scriptores ..., Alexandre Sévère, LIII, 8-9 : « Quin continuistis uocem, in bello contra hostem, non contra imperatorem uestrum necessariam ? Certe campidoctores uestri hanc uos

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De même, enfin, peut-on lire dans la Vie d’Aurélien cette réaction de Valérien à la perspective d’augmenter les émoluments de certains magistrats romains sur la base de mérites établis : « Nous aurions vraiment voulu accorder à chaque citoyen particulièrement dévoué à l’État des avantages beaucoup plus importants que ceux requis par leur rang, surtout lorsque leur vie fait honneur à leur charge…, mais la rigueur administrative interdit à quiconque de recevoir sur les recettes des provinces plus que ce qui correspond à son grade dans la hiérarchie »287.

On a presque l’impression d’entendre les fins mots de Tibère à l’endroit de certains de ses gouverneurs véreux : Praesidibus onerandas tributo prouincias suadentibus rescripsit « boni pastoris esse tondere pecus, non deglubere »288.

La meilleure expression d’une bonne administration des provinces romaines suppose donc une vive et constante attention en matière de gestion des hommes et des ressources, comme semble l’indiquer le biographe dans son jugement de la politique de Marc Aurèle : « Il gouverna donc désormais les provinces avec beaucoup de modération et de bienveillance »289.

Ces différents textes traduisent de manière significative l’état d’esprit des Romains en général sur la contribution des provinces au budget de l’État. En effet, le glissement itératif qu’opère le biographe pour exprimer le principe des dépenses de l’État en termes d’« utilisation des recettes des provinces » s’avère, chaque fois, fort révélateur à ce propos. Toutefois, il convient de souligner très rapidement que la nature de l’Histoire Auguste ne peut permettre une appréhension exhaustive du système fiscal romain. Comme dans plusieurs de nos sources, ce sujet très technique n’apparaît souvent que de manière allusive, excluant ainsi toute possibilité d’en démontrer les mécanismes ou de définir les divers impôts docuerunt contra Sarmatas et Germanos ac Persas emittere, non contra eum, qui acceptam a prouincialibus annonam, qui uestem, qui stipendia uobis adtribuit ». 287 Scriptores ..., Aurélien, IX, 2 : Vellemus quidem singulis quibusque deuotissimis rei p(ublicae) uiris multo maiora deferre compendia, quam eorum dignitas postulat, maxime ubi honorem uita commendat …, sed facit rigor publicus, ut accipere de prouinciarum inlationibus ultra ordinis sui gradum nemo plus possit. 288 Suétone, Tib., XXXII ; texte cité infra, note 549. Nous connaissons là-dessus l’embarras de Pline le Jeune, Let., X, 108 (109), 1 qui, nouvellement affecté en Bithynie, a dû recourir à l’arbitrage de Trajan pour trancher sur une question relative à des pratiques fiscales instituées dans cette province par ces prédécesseurs : Quid habere iuris uelis et Bithynas et Ponticas ciuitates in exigendis pecuniis, quae illis uel ex locationibus uel ex uenditionibus aliisue causis debeantur rogo, domine, rescribas. Ego iuueni a plerisque proconsulibus concessam iis protopraxiam eamque prolege ualuisse ; texte exploité infra, note 290. 289 Scriptores ..., Marc Aurèle, XVII, 1 : Ergo prouincias post haec ingenti moderatione ac benignitate tractauit.

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eux-mêmes : leur assiette, leur répartition, le nombre et la qualité de ceux qui en assuraient la perception… Il ne nous est guère plus envisageable, grâce à notre source principale, de déterminer qui payait quel impôt290. Une lettre de Pline le Jeune donne cependant une idée approximative des différents secteurs imposables dans les provinces : « Je te demande de me faire savoir par rescrit, a-t-il écrit à son maître Trajan, quel droit doivent avoir à ton avis les cités de Bithynie et du Pont dans le recouvrement des sommes qui leur sont dues pour locations, ventes ou autres causes. Je vois que la plupart des proconsuls leur ont accordé la protopraxie et que cette pratique a pris force de loi »291.

L’expression aliisue causis traduit cependant le fait que la fiscalité s’imposait sur plusieurs secteurs de la vie économique des populations concernées. Bien sûr, à certaines occasions, le biographe s’est permis quelques allusions relatives au personnel financier, mais sans nous permettre la moindre possibilité de les identifier et encore moins de préciser les contours techniques de l’exercice de leur fonction. C’est ainsi qu’une fois il nous 290

X. Loriot, Op. cit., p. 682 a exprimé un malaise analogue en étudiant la politique fiscale de l’empereur Maximin : « Notre documentation n’est pas assez fournie pour que nous puissions étudier de façon suffisamment détaillée la politique fiscale de Maximin. Il semble d’ailleurs avoir eu recours de préférence aux diverses méthodes relevant de (la) parafiscalité… : procès de maiestate suivis de confiscation des biens du condamné ; contributions extraordinaires imposées aux provinces ou aux cités ; détournement au profit du Trésor impérial du produit des impôts ou taxes levés par les collectivités locales ; ‘’sécularisation’’ des biens des temples ; saisies des œuvres d’art et autres réquisitions arbitraires, etc. ». Ce n’est pourtant pas une raison permettant de prétendre que ces divers aspects n’ont pas encore été largement débattus. Des références bibliographiques très utiles à l’étude de la fiscalité romaine au BasEmpire sont fournies par A. Chastagnol dans un article intitulé « Problèmes fiscaux… ». Aspects de l’Antiquité tardive, p. 331 sq. Dans cette étude, il fait noter précisément que les détails qui nous sont parvenus sur le système fiscal de l’Antiquité ne sont guère de qualité égale pour toute cette période et que c’est seulement l’ère de Dioclétien qui nous en a laissé de meilleurs repères : « Divers textes… attribuent explicitement au règne de Dioclétien l’organisation du système fiscal qui est ensuite resté en vigueur dans tout l’Empire pendant plusieurs siècles, souligne-t-il. On a l’habitude de considérer… que l’organisation fiscale du Bas-Empire est bien connue, en tout cas qu’elle l’est mieux que beaucoup d’autres périodes de l’Antiquité. C’est peut-être vrai en un certain sens, dans la mesure où nous disposons de sources relativement nombreuses qui s’y rapportent ou y font allusion et qui insistent sur quelques-uns de ses traits, en particulier la lourdeur de l’impôt, son caractère exigent et inexorable, les contraintes auxquelles il donna lieu pour les individus et les groupements de contribuables : cet aspect… est lié à tout le contexte politique postérieur à la crise du IIIe siècle, au développement de la centralisation aménagée par les réformes de Dioclétien… ». Lire également F. Lot, Nouvelles recherches sur l’impôt foncier…, Paris, 1955, p. 50 sq. 291 Pline le Jeune, Let., X, 108 (109), 1 : Quid habere iuris uelis et Bithynas et Ponticas ciuitates in engendis pecuniis, quae illis uel ex locationibus uel ex uenditionibus aliisue causis debeantur rogo, domine, rescribas. Ego inueni a plerisque proconsulibus concessam iis protopraxiam eamque pro lege ualuisse. La protopraxie désignait chez les Latins une forme de créance privilégiée.

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révèle les ordres donnés à ses procurateurs par Antonin le Pieux, relatives à la perception des impôts dans les provinces : « Il donna l’ordre à ses procurateurs de se comporter avec modération dans la perception des impôts et enjoignit à ceux qui dépassaient la juste mesure de rendre compte de leurs actions ; jamais il ne se réjouit des revenus acquis en pressurant les provinciaux »292.

Une autre fois il rapporte l’animosité viscérale qu’Alexandre Sévère avait envers les préposés aux affaires financières : « … il éprouvait du reste de l’aversion à leur égard, même s’ils étaient honnêtes, et les définissait comme ‘’ un mal nécessaire ‘’ »293.

Ailleurs il souligne la responsabilité d’un agent du fisc dans les mouvements de révolte survenus en Afrique, entraînant la malheureuse tentative de déposer Maximin pour le remplacer par Gordien qui avait la faveur du Sénat : « En effet, sous le règne de Maximin, un homme cruel et féroce, il gouvernait l’Afrique comme proconsul, accompagné de son fils déjà consulaire, que le Sénat lui avait donné comme légat, lorsqu’un contrôleur financier se mit à sévir contre une foule d’Africains avec plus de rigueur que Maximin lui-même ne le permettait. Il proscrivait un grand nombre d’entre eux, en tuait beaucoup et assumait plus de pouvoir qu’il n’en seyait à un procurateur ; rappelé à l’ordre par le proconsul et son fils, il menaça de mort ces personnages nobles et consulaires »294.

Mais la politique impériale ne se limitait pas qu’aux mesures visant à renflouer les caisses de l’État. L’empereur devait en même temps – et plutôt quotidiennement – veiller à la subsistance du peuple à sa charge. Un tel devoir conduisait inévitablement les différents empereurs romains à réduire chacune des provinces soumises à leurs lois d’abord au statut de « greniers de Rome ».

292

Scriptores ..., Antonin le Pieux, VI, 1 : Procuratores suos et modeste suscipere tributa iussit et excedentes modum rationem factorum suorum reddere praecepit nec umquam ullo laetatus est lucro, quo prouincialis oppressus est. 293 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLVI, 5 : … eosque, si boni essent, oderat, malum necessarium uocans. 294 Scriptores ..., Les trois Gordiens, VII, 2 : Nam cum cum temporibus Maximini, hominis saeuis atque truculenti, pro consule Africam regeret, iam ex consulibus filio sibimet legato a senatu dato, cumque quidam rationalis acrius contra plurimus Afrorum saeuiret quam Maximinus ipse pateretur, proscribens plurimos, interficiens multos et sibi ultra procuratorem omnia uindicans, retunsus deinde a proconsule atque legato nobilibus et consularibus uiris ipsis minaretur excidium, Afri tam insolentesiniurias ferre nequiuerunt et primum ipsum rationalem adiunctis sibi plerisque militibus occidderunt.

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B) De l’utilisation par Rome des ressources provinciales A l’époque de l’Histoire Auguste, il y a bien longtemps que Rome ne pouvait plus se passer de ses provinces et prétendre venir à bout de tous les besoins de ses citoyens en produits divers, tout comme de la facture de toutes les exigences de la magnificence romaine. Sans nous attarder sur l’utilisation de toutes les richesses provenant des provinces, nous aimerions ici nous intéresser exclusivement à la destination des produits en nature. Il ne s’agit surtout plus pour nous de prouver que Rome tirait l’essentiel de ses produits de première nécessité ou d’utilités diverses de ses provinces, mais plutôt de mesurer l’impact de ce phénomène à travers l’ensemble des passages y relatifs dans notre recueil de biographies impériales. Car en effet, bien plus qu’aujourd’hui, la responsabilité du prince dans la subsistance quotidienne de ses administrés s’avère autrement primordiale ; la tâche de l’empereur consistant aussi à garantir – en tout temps – sa ration à la plèbe frumentaire295 qui composait la majeure tranche du Populus Romanus, d’une manière générale. De nos jours, les efforts déployés par les pouvoirs publics à travers nos différents ministères de l’Agriculture dans le domaine de la subsistance de l’ensemble des contribuables ne sauraient être assimilés aux réalités romaines ni prétendre viser les mêmes objectifs. Certes y est-il bien question d’autosuffisance alimentaire – concept conventionnel comme tant d’autres pour signifier les limites d’orientations politiques souvent nébuleuses et pêchant presque toujours par leur sublime abstraction – mais sans que cela implique pour l’État une responsabilité réellement perceptible dans la nécessité impérieuse et quotidienne pour chacun de se nourrir296. Il en va tout à fait autrement dans l’Antiquité romaine où se dégage une nette impression de sportule collective à travers les différentes distributions de vivres au peuple rapportées par nos sources et qui ont inspiré au satiriste Juvénal les vers devenus célèbres dont les subtilités ont été étudiées par P. Veyne297. Le satiriste romain s’y indignait du triste sort des Romains de son temps qui, 295

Il est cependant arrivé, s’il faut là-dessus croire Suétone, que ces distributions concernent des couches plus élevées de la société romaine lorsque les circonstances l’imposaient ; voir Nér., X, 2 : Diuisis populo uiritim quadringenis nummis, senatorum nobilissimo cuique, sed a re familiari destituto annua salaria et quibusdam quingena constituit, item praetorianis cortibus frumentum menstruum gratuitum ; lire : « Il fit distribuer au peuple quatre cents sesterces par tête, puis décida que tous les sénateurs issues de très nobles familles, mais ruinés, auraient des appointements annuels, s’élevant pour certains à cinq cents mille sesterces, et les cohortes prétoriennes, une distributions gratuite de blé, tous les mois ». 296 En Afrique Noire par exemple, la plupart des États pourtant officiellement indépendants depuis des décennies ont curieusement privilégié, en matière agricole, l’Agroalimentaire dont les produits ne sont accessibles qu’à moins d’un tiers des masses de consommateurs. Dans le même temps, personne ne daigne convenir de l’urgence et de la plus grande utilité d’encourager une amélioration substantielle des structures agricoles dites de subsistance mais dont la production pèse plus efficacement dans l’autosuffisance alimentaire des populations. 297 Cf. son œuvre toujours actuelle intitulée Le pain et le cirque…, Seuil, Paris, 1976.

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hybrides et désœuvrés à l’extrême, ne comptaient plus que sur l’évergétisme des hauts magistrats pour se nourrir (panem) et se divertir (circenses)298. Suivons par exemple la perception qu’Aurélius Victor a eue de l’avènement du principat d’Auguste : « Au bout de sept cent vingt-deux ans environ, la coutume s’établit à Rome d’obéir à un seul maître. En effet, Octavien, fils d’Octave, à la suite de son adoption par son grand-oncle, reçut le surnom de César, puis, en vertu d’un décret des grands et pour avoir exploité avec douceur la victoire de son parti, celui d’Auguste ; après avoir gagné les soldats par ses largesses et la foule en affichant un grand souci des approvisionnements, il soumit sans difficulté tout le reste des Romains »299.

Deux passages de l’Histoire Auguste montrent clairement, parmi bien d’autres naturellement mais peut-être moins expressifs, que la subsistance du peuple constitue une affaire d’État dans laquelle l’implication personnelle de l’empereur s’avère entière. Il y a par exemple ce texte où nous entendons Septime Sévère reprocher au Sénat sa sympathie pour son antagoniste Clodius Albinus, malgré tous les hauts faits dont il a lui-même fait bénéficier à Rome et aux Romains, parmi lesquels l’approvisionnement de la Ville en produits de première nécessité : « J’ai approvisionné l’État en blé, j’ai fait pour l’État de nombreuses guerres, j’ai fourni au peuple romain presque autant d’huile qu’en a jamais produit la terre »300.

Préférer un autre candidat au trône à celui qui a autant gavé le peuple romain grâce aux produits de tant de campagnes relevait de la plus grande iniquité et d’une extrême ingratitude, du moins du point de vue du premier concerné, auteur de ces mots. Le bilan de l’ensemble de son œuvre ne manque d’ailleurs pas de mettre en exergue ce qui, à ses yeux, passait pour la réussite la plus appréciable et sans doute aussi la plus appréciée : « A sa mort, il laissait un excédent de blé correspondant à sept ans du contingent fiscal annuel et suffisant pour pouvoir distribuer quotidiennement soixantequinze mille boisseaux. Quant à l’huile, il en laissait de quoi subvenir aux 298

Sat., X, 80-81 : … atqueduas tantum res anxius optat, / panem et circenses... ; lire : « … et [elle] ne souhaite plus anxieusement que deux choses : du pain et des jeux) ! Le satiriste stigmatisait ainsi l’asservissement de la plèbe romaine par les empereurs qui, en les gratifiant de blé, d’argent et en la gavant de spectacles, la détournèrent du souci de revendiquer leurs droits politiques pour lesquels elle avait pourtant lutté passionnément autrefois. 299 Aurélius Victor, I, 1 : Anno urbis septingentesimo fere uicesimoque duobus etiam, mos Romae incessit uni prorsus parendi. Namque Octauianus, patre Octauio, atque adoptione magni auunculi, Caesaris, ac mox procerum consulto, ob uictoriam partium placide exercitam, Augusti cognomento dictus, illectis per dona militibus atque annonae curandae specie uulgo, ceteros haud difficulter subegit. 300 Scriptores ..., Clodius Albinus, XII, 7 : Ego frumenta rei p(ublicae) detuli, ego multa bella pro re p(ublica) gessi, ego pupulo Romano tantum olei detuli, quantum rerum natura uix habuit.

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besoins non seulement de Rome mais même de toute l’Italie qui en manquait »301.

Nous citerons en outre ce témoignage de l’excellente réussite d’Alexandre Sévère dans ce domaine vital : « Il prit à cœur l’approvisionnement du peuple romain, si bien que les réserves frumentaires qu’Elagabal avait dilapidées, il les reconstitua à l’identique en achetant du blé de ses propres deniers »302.

Il est visible qu’Elagabal avait ainsi annihilé des efforts fournis par son prédécesseur en cette matière. C’est avec Alexandre Sévère notamment que le biographe révèle que ces distributions ne concernaient pas uniquement les denrées alimentaires mais pouvaient s’étendre à d’autres produits de plus ou moins égale importance : « Il supprima les distributions de vêtements qu’Elagabal avait restaurées et pourvut les soldats dits de parades d’uniformes peu coûteux mais élégants et rutilants… »303

Et nous savons avec Juvénal que ces actes de soulagement des soucis quotidiens du peuple avaient depuis longtemps cessé de ne concerner que les seules basses couches de la société romaine et qu’on y décelait, outre des patriciens anonymes, quelques noms bien connus de familles traditionnellement illustres : « Aujourd’hui une mince sportule attend à l’entrée du vestibule la foule en toge qui va se jeter dessus. Encore le patron dévisage-t-il préalablement les gens, dans sa terreur que l’un se substitue à l’autre et réclame sa part sous un nom supposé. Une fois identifié, vous recevrez votre pitance. Il ordonne au crieur de faire l’appel des descendants mêmes des Troyens ; car, eux aussi, ils assiègent la porte avec nous. – ‘’D’abord au préteur, puis au tribun’’ ! – Mais un affranchi passe le premier : ‘’Moi d’abord, s’écrie-t-il. Pourquoi hésiterais-je, par peur, à défendre ma place ? Je suis né, c’est vrai, sur les bords de l’Euphrate. Les lucarnes voluptueusement ouvertes dans mes oreilles le décèleraient, si je voulais le nier. Mais les cinq boutiques me procurent les quatre cent mille sesterces. Quel avantage procure la large bande de pourpre, puisqu’un Corvinius fait paître dans la région de Laurente les troupeaux loués ? J’ai plus d’argent, moi, que Pallas et que les Licini’’… Si les plus hauts magistrats supputent au bout de l’année ce que rend la sportule et de combien elle accroît leurs revenus, que feront les clients qui tirent de la toge, souliers, pain, et jusqu’aux tisons de leur foyer ? Toute une file de litières vient quêter les cent quarts d’as. A la suite du mari fait 301

Scriptores ..., Sévère, XXIII, 2 : Moriens septem annorum canonem, ita ut cottidiana septuaginta quinque milia modium expendi possent, reliquit ; olei uero tantum, ut per quinquennium non solum , sed et totius Italiae, quae oleo eget, sufficeret. 302 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXI, 9 : Commeatum populi Romani sic adiuit, ut, cum frumenta Heliogabalus euertisset, hic empta de propria pecunia loco suo reponeret. 303 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXXIII, 3 : Pretiosas uestes, quas Heliogabalus dederat, [et] sustulit milites, quos ostensionales uocant, non pretiosis claris uestibus ornabat…

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aussi sa tournée la femme, malade ou enceinte. Déjà rompu à son stratagème familier, en voilà un qui réclame pour l’absente ; il montre au lieu de son épouse la litière vide et close. – C’est Galla, ma femme, déclare-t-il ; expédiez-moi bien vite… Vous n’avez pas confiance ? … Galla, sors la tête !... Allons, ne la tracassez pas ! Elle dort’’ »304.

Le ton tient de la satire mais l’extrapolation propre au genre n’amplifie ici qu’un phénomène bien familier aux Romains de l’époque. Naturellement, d’un bout à l’autre de l’Histoire Auguste, bien d’autres textes fournissent maints détails sur le devoir – voire l’exigence – d’évergétisme des empereurs305, de même que de bien d’autres hauts magistrats romains envers leurs administrés. Le lecteur y découvre, outre les auteurs des actes indexés, leurs bénéficiaires, les conditions et circonstances d’acquisition, la régularité des initiatives… ; ce qui peut lui permettre d’envisager une typologie, même caricaturales de ces actes, comme ceux-ci l’amener à s’interroger sur leur efficience réelle : - Hadrien : « Devenu préteur sous le second consulat de Sura et Servien, il (Hadrien) reçut de Trajan deux millions de sesterces »306 ; - Puis, pour effacer la très fâcheuses opinion qu’on pouvait avoir de lui parce qu’il avait permis le meurtre en un même moment de quatre consulaires, il se rendit à Rome… ; et, pour faire cesser les bruits qui circulaient à son propos, il distribua personnellement au peuple un congiaire en double, tout en lui ayant accordé trois pièces d’or par tête quand il était encore absent de Rome… Il 304

Juvénal, Sat., VIII, 1-20 : Stemmata quid faciunt, quid prodest, Pontice, longo / sanguine conseri, pictos ostendere uultus / maiorum et stantis in curribus Aemilianos / et Curios iam dimidios umerosque minorem / Coruinum et Galbam auriculis nasoque carentem, / quis fructus, generis tabula iactare capaci / Coruinum, posthac multa contingere uirga / fumosos equitum cum dictatore magistros, / si coram Lepidis male uiuitur ? Effigies quo / tot bellatorum, si luditur alea pernox / ante Numantinos, si dormire incipis ortu / Luceferi, quo signa duces et castra mouebant ? Cur Allobrogicis et magna gaudeat ara / natus in Herculeo Fabius lare, si cupidus, si / uanus et Euganea quantumuis mollior agna, / si tenerum attritus Catinensi pumice lumbum / squalentis traducit auos emptorque ueneni / frangenda miseram funestat imagine gentem ? / Tota licet ueteres exornent undique cerae / atria, nobilitas sola est atque unica uirtus. 305 Le mobile fondamental de si bonnes dispositions nous est fourni par le biographe qui justifia ainsi la magnanimité de Marc Aurèle, XX, 5 : Erat enim famae suae curiosissimus, requirens ad uerum, quid quisque de se diceret, emendas quae bene reprehensa uiderentur ; lire : « Car il était très soucieux de sa réputation, s’informant en détail de ce que l’on disait de lui et tenant compte des critiques qui lui paraissaient fondées ». Mais on a bien vu avec Commode qu’un manque de vigilance dans le domaine de l’approvisionnement en général pouvait aboutir à des catastrophes pour le peuple romain ; voir ibid., Commode, XIV, 1 : Per hanc autem neglegentiam, cum et annonam uastarent hi, qui tunc rem p(ublicam) gerebant, etiam inopia ingens Romae exorta est, cum fruges non deessent ; lire : « Par suite de son incurie, et comme ceux qui administraient alors les affaires publiques pillaient les approvisionnements annonaires, une grande famine s’abattit sur Rome, bien que l’on ne manquât pas de produits ». 306 Scriptores ..., Hadrien, III, 8 : Praetor factus est sub Sura[no] bis et Seruiano iterum conss. cum sestertium uicies ad ludos edendos a Traiano accepit.

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accorda une libéralité supplémentaire à l’intention des garçons et des filles auxquels Trajan avait déjà accordé des pensions alimentaires. Quant aux sénateurs qui s’étaient appauvris sans qu’il y ait eu de leur faute, il compléta leur patrimoine au niveau requis pour la déclaration de fortune propre à leur ordre en tenant compte du nombre de leurs enfants et fit en sorte que, dans la plupart des cas, la somme qui leur était allouée fût versée sans délai pour la durée de leur vie. Il fit de nombreuses largesses, non seulement à ses amis, mais aussi à beaucoup d’autres personnages pour leur permettre d’exercer leurs magistratures. Il vint en aide par des subventions à quelques femmes afin qu’elles puissent avoir le nécessaire pour vivre. Il donna des jeux de gladiateurs pendant six jours consécutifs et exhiba mille bêtes sauvages le jour de son anniversaire »307 ; - « Il enrichit ses amis même quand ils ne le demandaient pas, tout en ne refusant rien à ceux qui demandaient »308 ; - « Souvent, lors des fêtes des Saturnales ou des Sigillaires, il adressait inopinément à ses amis les cadeaux traditionnels… Il surpassa tous les rois par sa munificence… : il vit un jour un vétéran, qu’il avait connu pendant sa période d’activité, se racler le dos et le reste du corps contre la paroi ; il lui demanda pourquoi il se frottait ainsi contre le marbre pour se récurer et se vit répondre que c’était parce qu’il n’avait pas d’esclave pour le faire ; Hadrien lui donna alors des esclaves et de l’argent. Mais un autre jour, comme plusieurs vieillards se frottaient contre la paroi pour susciter en leur faveur la générosité du prince, il les fit venir et leur ordonna de se frictionner mutuellement »309 ; - « En l’honneur de cette adoption (celle de Céionius Commodus Vérus), il offrit des jeux du cirque et distribua un donatiuum au peuple et aux soldats… Mais le voyant en mauvaise santé, il ne cessait de répéter : ‘’C’est sur un mur chancelant que nous nous sommes appuyés et nous avons perdu les quatre cent millions de

307 Scriptores ..., Hadrien, VII, 3, 8-12 : Vnde statim Hadrianus ad refellendam tristissimam de se opinionem, quod occidi passus esset uno tempore quattuor consulares, Romam uenit… et ad conprimendam de se famam congiarium duplex praesens populo dedit ternis iam per singulos aureis se absente diuisis… Pueris ac puellis, quibus etiam Traianus alimenta detulerat, incrementum liberalitatis adiecit. Senatoribus, qui non uitio suo decoxerant, patrimonium pro liberorum modo senatoriae professionis expleuit, ita ut plerisque in diem uitae suae dimensum sine dilatione praestiterit. Ad honores explendos non solum amicis, sed etiam passim aliquantis multa largitus est. Feminas nonnullas ad sustentandam uitam sumptibus iuuit. Gladiatorium munus per sex dies continuos exibuit et mille feras natali suo edidit. 308 Scriptores ..., Hadrien, XV, 1 : Amicos ditauit et quidem non petentes, cum petentibus nil negaret. 309 Scriptores ..., Hadrien, XVII, 3, 5-7 : Saturnalicia et Sigillaricia frequenter amicis inopinantibus misit… Omnes reges muneribus suis uicit… nam cum quodam tempore ueteranum quendam notum sibi in militia dorsum et ceteram partem corporis uidisset adterere , percontatus, cur se marmoribus destringendum daret, ubi adiuit hoc idcirco fieri, quod seruum non haberet, et seruis eum donauit et sumptibus. Verum alia die cum plures senes ad prouocandam liberalitatem principis parieti se adtererent, euocari eos iussit et alium ab alio inuicem defricari.

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sesterces que nous avons donnés au peuple et aux soldats pour l’adoption de Commodus’’ »310 ; - Antonin le Pieux : « Le trait qu’on rapporte de lui est la réponse qu’il fit à sa femme qui lui reprochait de donner aux siens des présents trop mesquins : ‘’Sotte, depuis que nous sommes parvenus au pouvoir, nous avons perdu même ce que nous avions auparavant’’. Il distribua à ses frais un congiaire aux soldats et leur accorda aussi ce que son père leur avait promis »311 ; - « Il donna un congiaire au peuple et distribua un donatiuum aux soldats, organisa une fondation alimentaire en l’honneur de Faustine pour les jeunes filles qu’on appela Faustiniennes »312 ; - « Lorsqu’il maria sa fille Faustine à Marc Antonin, il fêta les noces en présence d’une foule immense et alla jusqu’à distribuer aux soldats un donatiuum… Il donna des spectacles au cours desquels il montra des éléphants, des animaux appelés corocottae, des tigres, des rhinocéros, des crocodiles ainsi que des hippopotames et, en même temps que les tigres, toutes sortes de bêtes provenant de la terre entière. Il alla jusqu’à présenter cent lions en exhibition »313 ;

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Scriptores ..., Hadrien, XXIII, 12 : Ob cuius adoptationem ludos circenses dedit et donatiuum populo ac militibus expendit. Le biographe revient sur cette estimation à près de quatre cent millions de sesterces pour ce banquet dans la Vie d’Aélius, III, 3 : Datum etiam populo congiarium causa eius adoptionis conlatumque militibus sestertium ter milies, circenses editi, neque quicquam praetermissum, quod posset laetitiam publicam frequentare ; lire : « On distribua même un congiaire au peuple pour marquer son adoption, on versa trois cent millions de sesterces aux soldats, on donna des jeux du cirque et rien ne fut omis qui pût accroître la liesse publique » ; et aussi en VI, 1-3 : Pro eius adoptione infinitam pecuniam populo et militibus Hadrianus dedit. Sed cum eum uideret homo paulo argutior miserrimae ualetudinis, ita ut scutum solidius iactare non posset, dixisse fertur : « Ter milies perdimus, quod exercitui populoque dependimus ; si quidem satis in caducum parientem incubuimus et qui non ipsam rem publicam, sed nos ipsos sustentare uix possit ; lire : « A l’occasion de l’adoption d’Aélius, Hadrien octroya au peuple et aux soldats une somme d’argent considérable. Mais quand, en homme clairvoyant, il se rendit compte qu’il était d’une si piètre santé qu’il était incapable de manier un bouclier un peu lourd, il déclara, dit-on : ‘’C’est trois cent millions de sesterces que nous venons de perdre en les distribuant à l’armée et au peuple, car le mur sur lequel nous nous sommes appuyé est bien chancelant et inapte à soutenir ni l’État ni nous-même’’ ». La différence d’un million de sesterces pourrait s’expliquer par la prise en compte du coût des activités qui ont accompagné les distributions d’argent proprement dites. 311 Scriptores ..., Antonin le Pieux, IV, 8-9 : Huius primum hoc fertur, quod, cum ab uxore argueretur quasi parum nescio quid suis largiens, dixerit : « Stulta, posteamque ad imperium transiuimus, et illud, quod habuimus ante, perdimus ». Congiarium militibus populo de proprio dedit et ea, quae pater promiserat. 312 Scriptores ..., Antonin le Pieux, VIII, 1 : Congiarium populo dedit, militibus donatiuum addidit. Puellas alimentarias in honorem Faustinianas constituit. 313 Scriptores ..., Antonin le Pieux, X, 2, 9 : Nuptias filiae suae Faustinae, cum Marco Antonino eam coniungeret, usque ad donatiuum militum celeberrimas fecit… Edita munera, in quibus elephantos et corocottas et tigrides et rhinocerotes, crocodillos etiam atque hippopotamos et omnia ex toto orbe terrarum cum tigridibus exhibuit. Centum etiam leones una missione edidit.

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- Marc Aurèle : « En période de famine, il gratifia les cités italiennes de blé venant de Rome et s’occupa de tous les problèmes frumentaires… Il organisa de façon rigoureuse l’approvisionnement en blé »314 ; - « Pour les jeux publics, il fit preuve de magnificence au point de présenter pour un seul spectacle cent lions, que l’on tuait à coup de flèches »315 ; - « Il s’associa alors Commode comme collègue à la puissance tribunicienne, fit une distribution d’argent au peuple et donna de splendides spectacles… Il célébra le mariage de son fils avec la fille de Bruttius Praésens, comme s’il s’agissait de noces de simples particuliers, nouvelle occasion pour lui de faire une distribution d’argent au peuple »316 ; - « Le jour où Vérus prit la toge virile, Antonin le Pieux, qui consacrait à cette occasion un temple à son père, fit des largesses au peuple et Vérus put s’asseoir entre Antonin le Pieux et Marc Aurèle lorsque, devenu questeur, il offrit au peuple un spectacle »317 ; - Vérus : « Il donna un festin célèbre et qui – pour la première fois, dit-on – réunit douze participants, en dépit du dicton bien connu relatif au nombre de convives… Il offrit à chacun les beaux jeunes gens qui les servaient ainsi que les maîtres d’hôtel et la vaisselle ; chacun reçut aussi en cadeau des animaux vivants, domestiques ou sauvages, oiseaux ou quadrupèdes, de ceux qu’on leur avait présentés à table ; il gratifia également chacun de coupes utilisées pour chaque boisson tout au long du banquet, en murrhe ou en cristal d’Alexandrie ; il fit encore don de coupes en or, en argent, ornées de pierreries, et même de couronnes à rubans d’or entrelacés de fleurs hors saison, de vases en or remplis de parfum et affectant la forme des vases [à parfum] en albâtre ; et, pour rentrer chez eux, de voitures en mules, muletiers et harnais d’argent. Le banquet lui serait revenu au total à six millions de sesterces »318 ;

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Scriptores ..., Marc Aurèle, XI, 3, 5 : Italicis ciuitatibus famis tempore frumentum ex urbe donauit omnique frumentariae rei consuluit… Rei frumentariae grauiter prouidit. 315 Scriptores ..., Marc Aurèle, XVII, 7 : In munere autem publico tam magnanimus fuit, ut centum leones una missione simul exhiberet [et] sagitis interfectos. 316 Scriptores ..., Marc Aurèle, XXVII, 5, 8 : Commodum deinde sibi collegam in tribuniciam potestatem iunxit, congiarium populo dedit et spectacula mirifica… Filio suo Brutti Praesentis filiam iunxit nuptiis celeberatis exemplo priuatorum, quare etiam congiarium dedit populo. 317 Scriptores ..., Vérus, III, 1-2 : Qua die togam uirilem Verus accepit, Antoninus Pius ea occasione, qua patris templum dedicabat, populo liberalis fuit, mediusque inter Pium et Marcum idem [se] resedit, cum quaestor populo munus daret. 318 Scriptores ..., Vérus, V, 1-5 : Et notissimum eius quidem fertur tale conuiuium, in quo primum duodecim accubuisse dicitur, cum sit notissimum de numero conuiuiarum : « Septem conuiuium, nouem uero conuicium » ; donatos autem pueros decoros, qui ministrabant, singulis, donatos etiam structores et lances singulis quibusque, donata et uiua animalia uel cicurum uel ferarum auium uel quadripedum, quorum cibi adpositi erant, donatos etiam calices singulis per singulas potiones, myrrinos et crystallinos Alexandrinos, quotiens bibitum est ; data etiam aurea atque argentea pocula et gemmata, coronas quin etiam datas lemniscis aureis interpositis et alieni temporis floribus, data et uasa aurea cum unguentis ad speciem alabastrorum, data et vehicula cum mulabus ac mulionibus cum iuncturis argenteis, ut ita de

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- Helvius Pertinax : « Il s’acquitta des donatiuums et des distributions d’argent que Commode avait promis [à l’armée et au peuple] et s’occupa avec un soin tout particulier de l’approvisionnement en blé »319 ; - Il accorda au peuple une distribution [congiaire] de cent deniers par tête. Il avait promis aux prétoriens douze mille sesterces pour chacun d’eux mais n’en donna que six mille »320 ; - Macrin : « L’empereur Macrin dit alors : ‘’Eh bien, compagnons, recevez pour l’attribution du pouvoir impérial trois pièces d’or et pour celle du nom d’Antonin cinq pièces d’or, ainsi que les promotions habituelles, mais doublées. Les dieux nous permettront de renouveler fréquemment ces dons. En tout cas, nous vous distribuerons tous les cinq ans les mêmes sommes que nous vous avons affectées aujourd’hui »321 ; - Alexandre Sévère : « ‘’Pour vous (citoyens), nous promettons une distribution d’argent et demain nous donnerons au Cirque des jeux Persiques’’… Le lendemain, après avoir offert des jeux du cirque et des spectacles de théâtre, il fit une distribution d’argent au peuple romain. Puis, à l’instar d’Antonin le Pieux qui avait créé une confrérie de fillettes faustiniennes, il en créa une de fillettes mammaéennes et garçons mammaéens »322…

Il convient de s’étonner de la disparition de la mention de ces actes évergétiques des empereurs postérieurs au règne d’Alexandre Sévère, vu que ces derniers ne purent s’affranchir de cet impératif lié à leurs charges à la tête de l’État. Nous en voulons pour preuve cette distribution de vivres au peuple dont nous parle bien Zozime, mais tout à fait absente du récit de notre biographe : « C’est dès lors (une fois les campagnes orientales terminées), qu’il (Alexandre Sévère) distribua publiquement des nouvelles pièces d’argent monnayé, non sans avoir prévu que la plèbe restitue en échange les pièces de mauvais aloi ; par ce

conuiuio redirent. Omne autem conuiuium aestimatum dicitur sexagies centenis milibus sestertiorum. 319 Scriptores ..., Helvius Pertinax, VII, 5-6 : Donatiua et congiaria, quae Commodus promiserat, soluit. Annonae consultissime prouidit. 320 Scriptores ..., Helvius Pertinax, XV, 7 : Congiarium dedit populo denarios centenos. Praetorianis promisit duodena milia nummum, sed dedit sena. 321 Scriptores ..., Diadumène Antonin, II, 1 : Macrinus imperato dixit : « Habete igitur, commilitiones, pro imperio aureos ternos, pro Antonini nomine aureos quinos et solitas promotiones sed geminatas. Di facient, ut haec saepius fiant. Dabimus autem per cuncta quinquennia hoc, quod hodie putauimus ». 322 Scriptores ..., Alexandre Sévère, LVII, 1, 6-7 : « Vobis (Quirites) congiarium pollicemur, cras ludos circences Persicos dabimus »… Alia die actis circensibus et item ludis scenis deinceps congiarium populo Romano dedit. Puellas et pueros, quemammodum Antoninus Faustinianas instituerat, Mammaeanas et Mammaeanos instituit.

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moyen, il écarta toute confusion de transactions commerciales ; en plus de cela, il organisa aussi une distribution de pain en l’honneur du peuple romain… »323.

A travers les uns et les autres de ces différents témoignages, le caractère primordial des distributions de vivres au peuple par l’empereur est nettement mis en relief. Septime Sévère les tient pour indispensables, en tout cas au même titre que des prouesses militaires pour mériter l’Empire ; tandis qu’Alexandre Sévère n’hésite pas de sacrifier sa fortune personnelle pour réparer une ineptie d’Elagabal dans ce domaine particulièrement sensible de l’administration de l’État. Ce qui confirme que l’empereur ne puisait pas que dans la caisse officielle (l’aerarium) pour faire face à cette catégorie de ses charges. N’a-t-on pas vu Antonin le Pieux recourir à ses propres ressources pour pallier une pénurie de vivres à Rome : « Pour venir à bout d’une pénurie de vin, d’huile et de blé, il en acheta sur son propre trésor et les distribua au peuple »324 ?

Cependant, il n’y a pas lieu de prendre le peuple romain pour un groupe de subsides désœuvrés et accrochés aux seules distributions de vivres pour se nourrir. L’Histoire Auguste parle en même temps – et même assez souvent – d’initiatives en faveur de l’agriculture et de l’élevage en terres romaines, attestant ainsi une activité agricole indéniable. Nous savons par exemple d’Alexandre Sévère qu’il accorda des prêts aux taux d’intérêt étudiés à des gens de modestes conditions désireux d’acheter des terres à exploiter : « Il consentit des prêts publics à 4% ; mais quand il s’agissait de gens modestes qui désiraient acheter des terres, il avançait à beaucoup d’entre eux sans intérêt des sommes qu’ils remboursaient en nature »325.

Des travaux d’irrigation de terres arides et d’assèchement de marais entrepris pour y cultiver des céréales et autres cultures sont également signalés sous le règne de Probus : « Il … dégagea l’embouchure de nombreux fleuves et assécha un grand nombre de marais qu’il transforma en terres à céréales et autres cultures »326.

Tous témoignages qui poussent à supposer qu’une partie au moins du « blé venant de Rome » que Marc Aurèle distribua à des cités italiennes pouvait provenir d’une production locale :

323

Zozime, Hist. nouv., I, 61, 3. Nous nous abstenons avec peine de croire qu’un tel silence a pu être volontaire chez le biographe soucieux de taire les bons offices des successeurs de son prince préféré, pour garantir plus d’éclat à son seul règne. 324 Scriptores ..., Antonin le Pieux, VIII, 11 : Vini, olei et tritici penuriam per aerarii sui damna emendo et gratis populo dando sedauit. 325 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXI, 2 : Fenus publicum trientarium exercuit, ita ut pauperibus plerisque sine usuris pecunias dederit ad agros emendos, reddendas de fructibus. 326 Scriptores ..., Probus, IX, 4 déjà cité supra, note 190.

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« En période de disette, il gratifia les cités italiennes de blé venant de Rome et s’occupa de tous les problèmes frumentaires »327.

En l’absence de toute production locale d’envergure, le biographe n’aurait donc parlé ici que du blé importé à Rome, de provenance essentiellement africaine et égyptienne. Nous pouvons également citer ici la réaction ingénieuse d’Alexandre Sévère face à la flambée des prix des viandes porcine et bovine à Rome survenue sous son règne, consécutive à une trop faible production par rapport à la demande : « Un jour que le peuple romain réclamait l’abaissement des prix, il fit demander par le crieur public quel genre de produit lui paraissait trop cher. Les gens s’écrièrent immédiatement que c’était la viande de bœuf et de porc. Alors, au lieu de procéder à une baisse des prix, il défendit à quiconque de tuer truie, cochon de lait, vache ou veau : il y eut au bout de deux ans ou même guère plus d’an, une telle quantité de porc et de bœuf, que les sortes de viande qui coûtaient auparavant huit pièces d’argent la livre n’en coûtèrent plus que deux ou même une »328.

Mais le fait social de la distribution de vivres au peuple demeure très présent dans l’esprit collectif des Romains pour que le biographe ait, comme nous avons déjà pu nous en rendre compte, tant insisté sur ce détail au fil des règnes auxquels il s’est intéressé. Certaines distributions, ponctuelles, servaient à donner de l’éclat à une haute magistrature, comme en usa Elagabal : « Lorsqu’il inaugura son consulat, il distribua au peuple, non pas des pièces d’argent ou d’or, des friandises ou de petits animaux, mais des bœufs engraissés, des chameaux, des ânes et des cerfs à dépecer. Il prétendait que c’était là un geste vraiment impérial »329.

327 Scriptores ..., Marc Aurèle, XI, 3 : Italicis ciuitatibus famis tempore frumentum ex urbe donauit omnique frumentariae rei consuluit. Le biographe venait tout juste de souligner la justesse des mesures préconisées par l’empereur en matière d’approvisionnement public ; ibid., 2 : De alimentis publicis multa prudenter inuenit. Curatores multis ciuitalibus, quos latius senatorias tenderet dignitates, a senatu dedit ; lire : « En matière d’approvisionnement public, il prit un grand nombre de sages mesures. Il accorda à de nombreuses cités des procurateurs issus du Sénat afin d’étendre encore les prérogatives sénatoriales ». 328 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXII, 7-8 : Cum uilitatem populus Romanus ab eo peteret, interrogauit per curionem, quam speciem caram putarent. Illi continuo exclamauerunt carnem bubulam atque porcinam. Tunc ille non quidem uilitatem proposuit, sed iussit, ne quis suminatam occideret, ne quis lactantem, ne quis uaccam, ne quis damalionem, tantumque intra biennium uel prope annum porcinae carnis fuit et bubulae, ut cum fuisset octominutalis libra, ad duos unumque utriusque carnis libra redigeretur. 329 Scriptores ..., Élagabal, VIII, 3 : Cum consulatum inisset, in populum non nummus uel argenteos uel aureos bellaria uel minuta animalia, sed boues opimos et camelos et asinos et ceruos populo diripiendos abiecit, imperatorium id esse dictitans.

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Ce descendant de J. Bassianus d’origine douteuse suivait ainsi – l’extravagance et autres turpitudes naturellement en moins – l’exemple du plus vertueux des Antonins, Antonin le Pieux, qui, à son avènement au trône, avait gratifié le peuple et les soldats d’importantes largesses330. C’était presque une règle établie qu’un empereur fraîchement promu gratifiât ainsi ses administrés de largesses multiples. La splendeur de ses actes de munificence était ordinairement admise comme une présomption de règne heureux. La pratique remonte à Auguste dont nous retenons qu’il eut la sagesse de masquer la somme des multiples et divers horreurs ayant jalonné son parcours vers l’Empire par un étalage de prodigalités qui ont agi sur les survivants des guerres civiles à Rome comme une véritable cure d’anesthésie collective. Dans l’ensemble et en règle générale valable même pour la suite du règne, ces distributions faisaient partie intégrante des cahiers des charges impériales et le biographe le confirme en faisant noter de Maximin l’Ancien qu’ : « Il ne retira jamais à quiconque sa ration de vivres »331,

comme s’il s’agissait d’une mesure fiscale ou d’une prescription relevant d’un quelconque autre chapitre administratif. C’est à ce titre qu’on saisit mieux le ton plutôt laudatif du biographe – dont les règnes de Septime et d’Alexandre Sévère nous donnent en cette occurrence une belle illustration – chaque fois qu’il a tenu à souligner la réussite d’un empereur dans ce domaine somme toute essentiel : - sur Septime Sévère : « Il s’occupa si efficacement de l’approvisionnement en blé – qu’il avait trouvé très déficient – qu’à sa mort il laissait dans les greniers du peuple romain un contingent correspondant à l’apport fiscal de sept années »332 ; - sur Alexandre Sévère : « Les distributions d’huile que Sévère avait accordées au peuple, mais qu’Elagabal avait réduites en confiant la préfecture de l’annone à des gens de la pire espèce, il les rétablit dans leur intégralité… »333 ;

330

Le biographe rapporte en effet qu’au tout début de son règne, il décréta la distribution, sur fonds propres, d’un congiaire aux soldats et au peuple et leur assura la concrétisation des promesses que son père leur avait faites ; Antonin le Pieux, IV, 9 : Congiarium militibus populo de proprio dedit et ea, quae pater promiserat ; texte plus amplement exploité supra, note 303. 331 Scriptores ..., Les deux Maximins, VIII, 3 : Numquam ille annonam cuiuspiam tulit. 332 Scriptores ..., Sévère, VIII, 5 : Rei frumentariae, quam minimam reppererat, ita consuluit, ut excedens uita septem annorum canonem p(opuli) R(omani) relinqueret. 333 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXII, 2 : Oleum, quod Seuerus populo dederat quodque Heliogabalus inminuerat turpissimis hominibus praefecturam annonae tribuendo, integrum restituit.

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et : - « Il créa dans toutes les régions (de la Ville) des greniers publics où pouvaient déposer leurs denrées ceux qui ne possédaient pas de magasins propres »334.

En somme, développer ses provinces en vue d’y assurer une conjoncture économique positive supposait pour Rome la conception d’autant de mesures appropriées à une telle ambition, d’une part ; mais également, d’autre part, la mise en œuvre d’une politique rigoureuse de gestion des hommes qui allait être les véritables artisans de la concrétisation de ses orientations directrices pour atteindre les objectifs assignés. En effet, le pouvoir central ne pouvait compter tirer profit de ses provinces sans reposer son action sur des hommes sûrs, capables et pénétrés de l’importance de la mission universelle de Rome. Leurs différents rôles, conformément à leurs attributions respectives, consistaient à faire des provinces romaines des creusets de solutions idéales aux problèmes que devait affronter chaque empereur au trône, pour assurer la pérennité du pouvoir impérial par la prospérité de toutes les composantes de l’Empire. Ils leur incomba ainsi constamment d’assurer une bonne circulation des biens et des personnes par les voies connues de l’époque (la route et l’eau) ; de promouvoir des mécanismes de production propices à en essor économique qu’exigeaient des villes à fonder ou à développer, de modeler les populations provinciales afin de les rendre conformes à la romanité grâce à l’élaboration de divers moyens d’assimilation par l’application en province de la loi romaine, l’apprentissage du latin… Finalement, il ne s’est agi là, en fait, que de la continuité d’une politique de gestion des provinces romaines bien antérieure au premier règne de l’Histoire Auguste, du reste déjà bien définie par Tacite lorsqu’il décrivait l’attitude de son beau-père Agricola face aux Bretons : « … pour habituer par les jouissances à la paix et à la tranquillité des peuples disséminés, sauvages et par là même disposés à guerroyer, il exhortait les particuliers, il aidait les collectivités à édifier temples, forums, maisons, louant les gens empressés, gourmandant les nonchalants : ainsi l’émulation dans la recherche de la considération remplaçait la contrainte. De plus, il faisait instruire dans les arts libéraux les fils des chefs, et préféraient les dons naturels des Bretons aux talents acquis des Gaulois, si bien qu’après avoir naguère dédaigné la langue de Rome, ils se passionnaient pour son éloquence. On en vint même à priser notre costume et souvent à porter la toge ; peu à peu, on se laissa séduire par nos vices, par le goût des portiques, des bains et des festins raffinés ; dans leur inexpérience, ils appelaient civilisation ce qui contribuait à leur asservissement »335.

334

Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXXIX, 3 : Horrea in omnibus regionibus publica fecit, at quae conferrent bona hi, qui priuatas custodias non haberent. 335 Tacite, Agr., XXI, 1-3 : … namque ut homines dispersi ac rudes coque in bella faciles quieti et otio per uoluptates adsuescerent, hortari priuatim, adiuuare publice, ut templa, fora, domos exstruerent, laudando promptos, castignando segnis : ita honoris aemulatio pro

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Ce texte expose, dans sa cruauté la plus cinglante, l’absurdité de la théorie de la compétition des civilisations, de l’Antiquité à nos jours. Deux aspects peuvent à ce propos retenir notre attention. Premièrement, l’éducation exclusive des fils de chefs (Iam uero principum filios liberalibus artibus erudire) qui consacre l’accès contrasté au Savoir qui prédestine à l’Action, sans que le mode de sélection réponde au critère d’excellence avérée. Les Romains s’assuraient-ils la contribution des mieux prédisposés à la production grâce à des valeurs intrinsèques réelles, en s’aliénant ainsi celle du reste de la population locale où ne manquait pas, pensons-nous, d’esprits éveillés en plus grand nombre ? Ensuite, toute collaboration impose-t-elle forcément une substitution culturelle, seule condition pour admettre que les provinciaux ne pouvaient bien ou mieux garantir les attendus de Rome et des Romains qu’en toge, en adeptes de la licence des portiques et des bains publics… ? Nous soulevons par ces interrogations, l’épineuse question des techniques de gestion des hommes pour un pouvoir central ambitieux auquel ne saurait échapper la nécessité de concilier ses attentes avec sa politique globale d’utilisation des ressources humaines disponibles.

necessitate erat. Iam uero principum filios liberalibus artibus erudire, et ingenia Britannorum studiis Gallorum anteferre, ut qui modo linguam Romanam abnuebant, eloquentiam concupiscerent. Inde etiam habitus nostri honor et frequens toga ; paulatimque discessum ad delenimenta uitiorum, porticus et balnea et conuiuiorum elegantiam ; idque apud inperitos humanitas uocabatur, cum pars seruitutis esset.

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III. LA GESTION DES HOMMES DANS L’ADMINISTRATION DES PROVINCES

« Un régime nouveau ne saurait assurer la marche des affaires s’il écartait tous les serviteurs du régime déchu et c’est un type pour ainsi dire normal que celui du bon fonctionnaire servant avec zèle les divers gouvernements que les révolutions amènent successivement au pouvoir. Une fois entré dans la carrière des honneurs, le jeune romain, d’ordre sénatorial ou équestre, poursuivait sa route d’un pas quasi automatique, quels que fussent les empereurs ». Cf. A. Jarde, Etudes critiques…, Paris, 1923, p. 61.

L’Histoire Auguste ne nous offre guère la commodité de disposer d’éléments suffisants pour l’élaboration d’une pyramide constante des autorités et des services en matière d’administration provinciale. Nous savons naturellement que l’administration des provinces reposait essentiellement sur les bases administratives en vigueur à Rome – autre trait parmi les plus forts de la romanisation – et qu’un effectif plus ou moins important de fonctionnaires impériaux était partout nécessaire pour matérialiser la domination romaine sur les provinces. Le biographe rappelle la volonté chez les Romains de calquer sur l’administration centrale les principales normes utiles à l’administration des provinces à travers cette allusion à la création par Marc Aurèle d’un service réglementant les naissances dans les provinces : « Dans les provinces, atteste-t-il, il créa le corps des archivistes publics, auprès desquels les formalités relatives à la naissance étaient les mêmes que celles qui, à Rome, étaient remplies auprès des préfets du Trésor »336.

Nous savons également du gouverneur des Pannonies Aélius qu’il avait à son service, comme l’empereur à Rome, des chefs de bureaux qui auraient participé à l’élaboration du discours qu’il avait préparé à l’intention d’Hadrien pour le remercier de sa promotion à la tête de cette province : 336

Scriptores ..., Marc Aurèle, IX, 8 : Per prouincias tabulariorum publicorum usum instituit, apud quos idem de organibus fieret, quod Romae apud praefectos aerarii…

« Aélius, en effet, de retour de sa province, avait préparé – soit tout seul, soit avec le concours des chefs de ses bureaux ou de ses maîtres d’éloquence – un très beau discours, qu’on lit encore aujourd’hui, pour rendre grâce à son père Hadrien le jour des calendes de janvier… »337.

Il n’y a d’ailleurs rien d’étonnant à ce propos s’agissant d’un Empire romain qu’a ainsi savamment défini J. Gascou : « C’est un fait bien connu, a-t-il affirmé, que les communes dans l’Antiquité romaine n’ont rien de comparable avec nos communes : ce sont de véritables res publicae, dotées d’un trésor propre, de magistrats élus, d’un ordo à l’imitation du Sénat romain, qu’elles sont en principe autonomes (du moins pour ce qui est de leur organisation intérieure) et constituent en quelque sorte des États en réduction »338. Pourtant, seuls quelques-uns de ces fonctionnaires figurent dans le récit des règnes contenus dans l’Histoire Auguste. Il s’agit prioritairement de magistrats provinciaux (ou promagistrats) dont le rang et les charges impliquaient un contact plus ou moins direct avec la personne de l’empereur, conformément à la nature de son œuvre ainsi définie par le biographe luimême : « J’ai l’intention, Dioclétien Auguste, le plus grand de tant de princes, de porter à la connaissance de Ta Divinité non seulement la vie de ceux qui ont occupé la place de princes au poste que tu détiens, ainsi que je l’ai fait jusqu’au divin Hadrien, mais aussi de ceux qui eurent le titre de Césars sans devenir ni princes ni Augustes ou qui, d’une façon ou d’une autre, passèrent dans l’opinion publique pour avoir atteint le principat ou eurent l’espoir d’y parvenir »339 ;

puis : « Car je me suis proposé, Dioclétien Auguste, de faire figurer dans mon ouvrage tous ceux qui, légalement ou illégalement, ont porté le titre d’empereur, afin de faire connaître, Auguste, tous ceux qui ont revêtu le pourpre »340.

337

Scriptores ..., Aélius, IV, 7 : Nam cum de prouincia Aelius redisset atque orationem pulcherrimam, quae hodieque legitur, siue per se seu per scriniorum aut dicendi magistros paresset, qua kalendis Ianuariis Hadriano patri gratias ageret... 338 Cf. La politique municipale de l’Empire romain…, E.F.R., Paris, 1972, p. 62. 339 Scriptores ..., Aélius, I, 1 : In animo mihi est, Diocletiane Auguste, tot principum maxime, non solum eos, qui principum locum in hac statione, quam temperas, retentarunt, ut usque ad diuum Hadrianum feci, sed illos etiam, qui uel Caesarum nomine appellati sunt nec principes aut Augusti fuerunt uel quolibet alio genere aut in famam aut in spem principatus uenerunt, cognitioni numinis tui sternere. 340 Scriptores ..., Avidius Cassius, III, 3 : Proposui enim, Diocletiane Auguste, omnes, qui imperatorium nomen siue iniusta habuerunt, in litteras mittere, ut omnes purpuratos, Auguste, cognosceres.

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Il convient donc de souligner de prime abord que s’il nous est relativement facile d’imaginer les provinces administrées selon les normes de l’administration de la capitale de l’Empire, ce l’est beaucoup moins, s’aidant de l’Histoire Auguste, d’inventorier et de sérier l’ensemble des magistratures sur lesquelles reposait l’administration des provinces soumises à Rome. A défaut d’un registre de l’ensemble des services provinciaux que la nature de nos sources rend quasiment impossible, nous avons dû nous résoudre à un inventaire de tous les passages concernant des personnages connus, non identifiés ou fictifs, que signale notre principale source comme ayant rempli des fonctions dans une ou plusieurs des provinces romaines. Notre démarche vise à regrouper des désignations des différentes charges provinciales pour une meilleure vue d’ensemble. Elle nous affranchit ainsi, dans une certaine mesure, de l’exigence de la réalité absolue des personnages concernés, notamment en prenant conscience de la nature de notre source principale dont nous avons noté plus haut, à plusieurs reprises, y compris sur des sujets d’une délicatesse certaine, une tendance malicieuse à la facétie. Car, en effet, nous pensons que le fait de mentionner un personnage fictif en charge d’une promagistrature en établit, à tout le moins, l’existence dans l’architecture administrative romaine.

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III – 1 : Corpus des magistrats romains affectés en provinces, nommément cités dans l’Histoire Auguste Nom P. AELIVS HADRIANVS = Imp. CAESAR TRAIANVS HADRIANVUS AVG. = Hadrien

Expression de la fonction

Réf. dans les Script.

-Post haec in inferiorem Moesiam Hadrien, II, 3 translatus extremis iam Domitiani Hadrien, II, 5 temporibus (Il fut ensuite transféré en Hadrien, III, 6 Mésie inférieure vers la fin du règne de Hadrien, III, 9 (voir aussi Domitien) -Traiano a Nerua adoptato ad ibid., 10) gratulationem exercitus missus in Hadrien, Germaniam superiorem translatus est IV, 1 (Lorsque Trajan fut adopté par Nerva, Hadrien, IV, 6 Hadrien fut chargé de lui transmettre les Hadrien,XIX, félicitations de l’armée et [pour cela] 1 envoyé en Germanie supérieure) -Secunda expeditione Dacica Traianus eum primae legioni Mineruiae praeposuit secumque duxit… (Pendant la seconde guerre dacique, Trajan le plaça à la tête de la première légion Minervienne et l’emmena avec lui…) -Legatus postea praetorius in Pannoniam inferioremmissus (Il fut ensuite envoyé comme légat prétorien en Pannonie inférieure) -Vsus Plotinae quoque fauore, cuius studio etiam legatus expeditiionis Parthicae tempore destinatus est (Il usa aussi de la faveur de Plotine, par l’influence de laquelle il fut désigné également comme légat à l’époque de la guerre parthique) -Quintum iduum August. Diem legatus Suriae litteras adoptionis accepit… (Le 5 des ides d’août [le 9 août], alors qu’il légat de Syrie), il reçut la lettre d’adoption) -In Etruria preturam imperator egit. Per Latina oppida dictator et aedilis et duumuir fuit, apud Neapolim demarchus, in patria sua quinquennalis et item Hadriae quinquennalis, quasi in alia patria, et Athenis archon fuit (Pendant qu’il était empereur, il exerça la préture en Etrurie, fut dictateur, édile et duumvir dans les cités du Latium, démarque à Naples, magistrat quinquennal dans sa patrie ainsi qu’à Hadria, qui était pour lui comme une seconde patrie, et archonte à Athènes)

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Réf. autres sources Dion Cassius, LXIX, 1-2 : « ... il eut l’administration de la Syrie dans la guerre contre les Parthes… Hadrien, lorsqu’il fut proclamé empereur, était à Antioche, métropole de la Syrie dont il était gouverneur » (voir aussi ibid., LXVIII, 33, 1 ; LXIX, 1-2)

L. CATILIVUS -…praepositoque SyriaeCatilio Hadrien, V, 10 Groag…, Prosop., SEVERVS Seuero… (… il [Hadrien] plaça Catilius II, 558 IVLIANVS Sévérus à la tête de la Syrie) CLAVDIVS REGINVS = Catilius Séuérus Q. MARCIVS TVRBO FRONTO PVBLICVS SEVERVS = Marcius Turbo

-Marcium Turbonem post Mauretaniam Hadrien, VI, 7 Groag…, Prosop., …Pannoniae Daciaeque ad tempus Hadrien, VII, V, 249 praefecit (… il confia à Marcius Turbo, 3 (voir aussi Dion après son retour de Maurétanie, le Cassius, LXIX, gouvernement temporaire de la 18, 1 et 7, 3) Pannonie et de la Dacie) ; -… Romam uenit Dacia Turboni credita, titulo Aegyptiacae praefecturae, quo plus auctoritatis haberet, ornato… (… il se rendit à Rome après avoir confié le Dacie à Turbo avec le rang de préfet d’Egypte afin d’accroître son autorité)

L. CEIONVS COMMODVS = L. AELIVS CAESAR = Céionus Commodus = Vérus

-Quem praetura honorauit ac statim Hadrien, Pannonis inposuit decreto consulatu XXXIII, 13 cum sumptibus (Il honora Commodus Aélius, III, 2 de la préture et le plaça à la tête des Pannonies en lui conférant le titre de consul accompagné des crédits nécessaires…) -… satatimque praetor factus et Pannonis dux ac rector inpositus… (Il fut aussitôt fait préteur et légat et gouverneur à la tête des Pannonies…)

IMP. CAESAR -Ab Hadriano inter quattuor T. AELIVS consulares, quibus Italia HADRIANVS committebatur, electus est ad eam ANTONIVS partem Italiae regendam, in qua AVGVSTVS plurimum possidebat… (Hadrien le PIVS = T. désigna pour être l’un des quatre AVRELIVS consulaires chargés d’administrer FVLVVS l’Italie et lui confia la région de l’Italie BOIONIVS dans laquelle il possédait la plupart de ARRIVS ses domaines…) ANTONINVS = -Proconsulatum Asiae sic egit, ut solus Antonin le Pieux auum uinceret (Il géra si bien son proconsulat d’Asie qu’il fut le seul à surpasser son grand-père)

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Antonin le Pieux, II, 11 (voir aussi III, 8) Antonin le Pieux, III, 2

Groag…, Prosop., II, 606 : Legati diuersarum urbium graecarum missi ad eum in Pannoniam, Lacedaemoniorum I.G., 5, 1, 37, laedicenorumI.G. R., 4, 862 (voir aussi Dion Cassius, LXIX, 20, 1) Groag…, Prosop., II, 1, 1513 (voir aussi A.E., 1919, 96 [9])

Q. LOLLIVS -Nam et Brittannos per Lollium Antonin le VRBICVS = Vrbicum uicit legatum341… (Ainsi, il Pieux, V, 4 Lollius Vrbicus [Pius] fut vainqueur des Bretons grâce à son légat Lollius Urbicus…) Atidius Cornélianus

-Fuit eo tempore etiam Parthicum Marc Aurèle, bellum, quod Vologessus paratum sub VIII, 6 Pio Marci et Veri tempore indixit fugato Atidio Corneliano, qui Syriam tunc administrabat (A ce moment éclata avec les Parthes une nouvelle guerre, que Vologèse avait préparée du temps de Pius et qu’il déclara sous le principat de Marc et de Vérus, après avoir mis en fuite Atidius Cornélianus, qui gouvernait alors la Syrie)

Statius Priscus

-Gestae sunt res in Armenia prospere Marc Aurèle, per Statium Priscum Artaxatis, IX, 1 delatumque Armeniacum nomen utrique principum (La campagne d’Arménie se déroula favorablement sous la conduite de Statius Priscus qui s’empara d’Artaxata, et l’on décerna à chacun des deux empereurs le titre d’Arméniaque)

Marcus Vérus et -Antiochiam posteamquam uenit, ipse Vérus, VII, 1 alii quidem se luxuriae dedit. Duces autem confecerunt Parthicum bellum. Statius Priscus et Auidius Cassius et Marcus Verus per quadriennium, ita ut Babylonem et Mediam peruenirent et Armeniam uindicarent (Arrivé à Antioche, il se laissa complètement aller à la débauche, et ce sont ses généraux Statius Priscus, Avidius Cassius et Marcus Vérus qui, atteignant Babylone et la Médie et reconquérant l’Arménie, mirent fin en quatre ans à la guerre contre les Parthes) « On dit aussi que Vérus, envoyé le premier en Syrie342, province dont il avait reçu le gouvernement… »

341

Groag…, Prosop., 327

Dion Cassius, LXXI, 29

Personnage dont A. Chastagnol précise qu’il fut effectivement légat consulaire dans la province de Bretagne en 139. Africain de la région de Cirta (Constantine), il occupa également le poste de préfet de Rome en 150, avant de mourir, toujours dans cette fonction, dix ans plus tard ; cf. note 2, p. 96 dans la Vita Pii. 342 L’historien grec mentionne plus loin qu’Avidius Cassius y avait lui aussi servi comme gouverneur et que ce fut à cette occasion qu’il s’était révolté contre Marc Aurèle dont une rumeur avait établi et répandu la mort ; voir Scriptores…, Avidius Cassius, LXXI, 31.

150

M. ANNIVS -… cum Libonem quendam patruelem suum LIBO = Libo Marcus legatum in Syriam misisset… (… Marc avait envoyé comme légat en Syrie un certain Libo, son cousin germain…)

Vérus, IX, 2 Groag…, Prosop., (voir aussi II, 668 Avidius Cassius, V, 9 et VII, 4)

IMP. CAESAR P. HELVIVS PERTINAX AVGVSTV S = Helvius Pertinax

-Dein praefectus cohortis in Syriam Helvius profectus, Tito Aurelio imperatore… (Puis il Pertinax, I, 6 partit pour la Syrie comme préfet de cohorte) Helvius -Post in Moesia rexit alam… Inde classem Pertinax, II, Germanicam rexit... Inde ad ducenum 2, 4 sestertiorum stipendium translatus in Helvius Daciam… (Il commanda ensuite une aile en Pertinax, II, Mésie… ; après quoi il commanda la flotte en 10-11 Germanie… De là il fut transféré en Dacie Helvius avec un salaire de deux cent mille Pertinax, III, 1 (voir aussi sesterces…) -Cassiano motu conposito e Syria ad Danubi Ibid., III, 5 tutelam profectus est atque inde Moesiae sq. ; IV, 2) utriusque, mox Daciae regimen accepit. Bene gestis his prouinciis Syriam meruit (Quand la rébellion de Cassius eut été réprimée, il quitta la Syrie pour protéger la région du Danube puis fut chargé du gouvernement des deux Mésies et bientôt de la Dacie. Sa réussite dans ces provinces lui valut d’obtenir la direction de la Syrie) -Integre se usque ad Syriae regimen Pertinax tenuit (Jusqu’à son gouvernement de la Syrie, Pertinax resta intègre)

IMP. CAESAR M. DIDIVS SEVERVS IVLIANVS AVGVSTV S = Didius Julianus

-Post praeturam legioni VS praefuit in Germania uicensimae secundae Primigeniae. Inde Belgicam sancte ac diu rexit. Inde Dalmatiam regendam accepit… Post Germaniam inferior rexit (Après sa préture, il obtint le commandement de la 22e légion Primigénia [basée] en Germanie. Puis il gouverna la Belgique de façon irréprochable. Il reçut alors le gouvernement de la Dalmatie… Puis il gouverna la Germanie inférieure) -Asolutus iterum ad regendam prouinciam missus est. Bithyniam deinde rexit… Fuit consul cum Pertinace et in in proconsulatu Africaesuccessit et semper ab eo collega est et successor appellatus (Une fois acquitté, Didius fut à nouveau invité à gouverner une province. C’est la Bithynie qu’il gouverna ensuite… Il fut consul avec Pertinax, auquel il succéda comme proconsul d’Afrique et qui l’appela toujours « son collègue et successeur »)

151

Groag…, Prosop., IV, 73 (voir aussi Dion Cassius, LXXII, 9, 2 ; LXXIII, 4, 1 et 15, 4)

Didius Julianus, I, Groag…, Prosop., 6-7, 9 (voir III-2, 77 aussi Ibid., II, 1) Didius Julianus, II, 2-3 (voir aussi Helvius Pertinax, XIV, 5 ; Sévère, II, 2)

L. SEPTIMIVS SEVERVS = IMP. CAESAR L. SEPTIMIVS SEVERVS PERTINAX AVGVSTVS = Septime Sévère

-Postquaesturam sorte Beaticam accepit atque inde Africam petit, ut mortuo patre rem domesticam conponeret. Sed dum Africa est, pro Beatica Sardinia ei attributa est, quod Beaticam Mauri populabantur. Acta igitur quaestura Sardiniensi legationem proconsulis Africae accepit (Ensuite, le sort lui dévolut la questure de Bétique, d’où il gagna l’Afrique afin d’y régler des affaires de famille consécutives à la mort de son père. Mais pendant qu’il s’y trouvait, la Sardaigne lui fut assignée, à la place de la Bétique que les Maures étaient en train de dévaster. Puis à la suite de sa questure en Sardaigne, il fut nommé légat du proconsul d’Afrique) -Dein Pannonias proconsulari imperio rexit. Post hoc Siciliam proconsularem sorte meruit… dein Laeto suffragante exercitui Germanico praeponitur343 (Puis, il obtint le gouvernement proconsulaire des Pannonies, après quoi le sort lui assigna la Sicile comme proconsul… ensuite, sur la recommandation de Laétus, il fut placé à la tête de l’armée de Germanie) -… qui forte Syriae legatus344… (qui était alors légat de Syrie) -Hic primum fisci aduotus, mox militaris tribunus, per multa deinde et uaria officia atque honores usque ad administationem totius rei publicae uenit (Il fut d’abord avocat du fisc, ensuite militaire, puis en remplissant des magistratures nombreuses et variées il parvint jusqu’à l’administration de tout l’État)

Sévère, II, 3-5 (voir aussi ibid., III, 6-9 ; Pescennius Niger, III, 3 ; IV, 2-4 ; Didius Julianus, V, 2) Sévère, IV, 2, 4

Groag…, Prosop., III, 346 (voir aussi Dion Cassius, LXXIII, 14 : LXXIV, 3) Aur. Vict., XIX, 4 Eutrope, VIII, 18, 2

343 Autre cas flagrant de confusion tout à fait étonnante : à la place de la Pannonie, le biographe a tort de prétendre que Septime Sévère, qui n’a jamais gouverné la Germanie inférieure ou supérieure, y a servi comme légat. 344 Il y a également chez Eutrope un très grand nombre de confusions concernant des personnages même parmi les plus connus. Ici par exemple, on note que Sévère est confondu à Pescennius Niger aussi peut-on se douter qu’il ait entraîné l’Histoire Auguste dans la même erreur ; voir la Vita Albini, I, 1 et la Vita Didii Juliani, V, 2 de l’Histoire Auguste. La réalité est que Pescennius Niger commandait les troupes de Syrie, Septime Sévère celles de l’Illyrie ; tandis que les armées de Bretagne avaient à leur tête Clodius Albinus.

152

C. FVLVIVS PLAVTINVS = Fulvius Plautus

-… Plautianum ad occupandos Nigri liberos Sévère, VI, misit (… il [Septime Sévère] envoya en 10 mission Plautius pour s’emparer des enfants Pescennius de [Pescennius] Niger) Niger, V, 2 - Sane Seuerus … misit Fuluium autem ad occupandos adultos Nigri filios ([Septime] Sévère envoya donc Fulvius s’emparer des fils adultes de [Pescennius] Niger)

Groag…, Prosop., III (1), 554 (voir aussi Dion Cassius, LXXII, 15, 4)

Héraclitus et Plautien

-Sed eos ipsos pertimenscens, de quibus Sévère, VI, recte iudicabat, Heraclitum ad optinendas 10 Brittannias345, Plautianum ad occupandos Pescennius Nigri liberos misit (Toutefois, se méfiant Niger, V, 2 particulièrement de quelques hommes dont il s’était fait une opinion tout à fait juste, il les envoya en mission, l’un, Héraclitus, pour défendre les Bretagnes, l’autre, Plautien, pour s’emparer des enfants de Niger) -Sane Seuerus Heraticlitum ad optinendam Bithyniam misit, Fuluium autem ad occupandos adultos Nigri filios (Sévère envoya donc Hératiclitus occuper la Bithynie et Fulvius s’emparer des fils adultes de Niger)

Pflaum, p. 684 Groag…, Prosop., IV, 88 (voir aussi Dion Cassius, Xiph., LXXII, 15, 1)

P. Occurrit ei et statim Geta frater suus, quem Sévère, VIII, SEPTIMIVS prouinciam sibi creditam regere praecipit… 10 (voir GETA = Géta (Il (Sévère) fut aussitôt rejoint par son frère aussi Ibid., Géta à qui il prescrivit de continuer à X, 3 ; XIV, gouverner la province qui lui avait été 10) assignée… [la Mésie ?] SEX. CAECILIVS AEMILIANV S (?) = C. Aémilianus346

Groag…, Prosop., III, 326 (voir aussi Dion Cassius, LXXVI, 2)

-A quo causa eorum, quos occiderat, cum Pescennius Groag…, Prosop., Aemiliano hostis est appellatus (Mais ces Niger, V, 7 I, 208 : II, 17 : … assassinats qu’il [Niger] avait commis Sévère, VIII, qui hodie dicitur… poussèrent à le déclarer ennemi public, en 13 même temps qu’Aémilianus -Perinthum etiam Niger uolens occupare plurimus de exercitu interfecit atque ideo hostis cum Aemiliano autem est appellatus (Et, désireux d’occuper aussi Périnthe, il tua un grand nombre de soldats ; aussi fut-il déclaré ennemi public, en même temps qu’Aémilianus)

345

Le biographe prétend dans la Vie de Niger qu’il aurait été envoyé en Bithynie ; Scriptores ..., Pescennius Niger, V, 2 : Sane Seuerus Heraclitum ad optinendam Bithyniam missit… Ce qui paraît fort improbable. 346 La qualité de proconsul d’Asie de ce personnage n’apparaît pas expressément ici, pas plus que dans un autre passage de la Vie de Pescennius Niger ; Scriptores ..., Pescennius Niger, V, 7 où le biographe ne se borne qu’à révéler le bannissement et défaite au profit de son antagoniste Septime Sévère. Nous savons cependant que c’est pendant ce proconsulat qu’il se ligua contre Septime Sévère aux côtés de Pescennius Niger.

153

C. PESCENNIVS NIGER (IVSTVS) = IMP. CAESAR C. PESCENNIVS NIGER AVGVSTVS = Pescennius Niger

-… ordines diu duxit multisque ducatibus Pescennius peruenit, utexercitus Syriacos iussu Niger, I, 5 Commodi regeret, suffragio maxime (voir aussi athletae… (Il était resté longtemps Ibid., II, 1 ; centurion puis, après un certain nombre de III, 3 sq. ; commandements militaires, il finit par se VII, 7 ; XII, trouver, sur l’ordre de Commode, à la tête 6 ; des armées de Syrie, grâce à la Commode, recommandation toute particulière d’un VI, 1 ; XIII, athlète…) 5 ; Didius -Is postquam comperit occisum Julianus, VII, Commodum, Iulianum imperatorem 2) appellatum eundemque iussu Seueri et Sévère, V, senatus occisum, Albinum etiam in Gallia 8 (voir aussi sumpsisse nomen [eius] imperatoris, ab Ibid., VI, 7 ; exercitibus Syriacis, quos regebat, Clodius appellatus est imperator… (Quand il eut Albinus, I, 1) appris que Commode avait été tué, que Pescennius Julianus, nommé empereur, avait aussi été Niger, II, 1 assassiné sur l’ordre de Sévère et du Sénat (voir aussi et qu’Albinus avait pris également le titre Cl. Albinus, d’empereur en Gaule, il se fit élire I, 1) empereur par les armées de Syrie qu’il commandait aussi …) -quorum prior (Pescennius Niger), Aegyptum dux obtinens… (le premier, commandant de l’Egypte)

Groag…, Prosop., VI, 254 (voir aussi Dion Cassius, exc., LXXII, 8 ; LXXIII, 13, 5 ; 14, 3 ; LXXIV, 6, 1 Aurélius Victor, XX, 9 ; Eutrope, VIII, 18, 4 et Orose, VII, 17, 2)

RAGONIVS CELSVS = Ragonius Celsus

-Extat epistula Seueri, qua scribit ad Pescennius Ragonium CelsumGalias regentem… (Il Niger, III, 9 existe une lettre de Sévère adressée à Roganius Celsus, gouverneur des Gaules)

Groag…, Prosop., VII, 13

D. CLODIVS SEPTIMIVS ALBINVS CAESAR = IMP. CAESAR D. CLODIVS SEPTIMIVS ALBINVS AVGVSTVS = Clodius Albinus

-Vno eodemque prope tempore post Cl. Albinus, Pertinacem, qui auctore Albino II, 1 (voir interemptus est… Clodius Albinus (ab aussi ibid., exercitu)… in Gallia…347 (imperator VI, 1-2 sq. ; appellatus) (C’est à peu près en même XII, 4 et 9) temps, après la mort de Pertinax assassiné à l’instigation d’Albinus… que [fut proclamé empereur] Clodius Albinus en Gaule par l’armée) -… Clodium Albinum Lugduni (uicto)…, cum eo metu in Britannos, quam prouinciam a Commodo meruerat, in Gallia inuaserat imperium (… en s’efforçant de passer en Bretagne, province que lui avait attribuée Commode, s’était emparé en Gaule du pouvoir impérial)

347

Groag…, Prosop., I, 481 (voir aussi Dion Cassius, LXXII, 8, 1) Aur. Vict., XX, 9

Il faut convenir avec A. Chastagnol que Clodius Albinus se trouvait alors plutôt à la tête des troupes de Bretagne ; cf. sa note 2 de sa Vie, p ; 378.

154

AELIVS BASSIAN VS = Aélius Bassianus

-Quod uerum esse patris epistula ad Aelium Cl. Bassianum tunc proconsulem Africae data Albinus, designat… (Ce fait attesté par une lettre que son IV, 5 père écrivit à Aélius Bassianus qui assumait alors le proconsulat d’Afrique…)

Appolinaris -Conscii caedis fuerunt Nemesianus et frater Caracalla, 348 eius Appolinaris Triccianusque, qui praef(ectus) VI, 7 legionis secundae Parthicae militabat et qui equitibus extraordinariis praeerat… (Les complices du meurtre furent Nemesianus, son frère Appolinaris et Triccianus, qui avait le titre de préfet de la deuxième légion Parthique et était à la tête des cavaliers d’élite…) AELIVS Ibid. DECIVS TRICCILI ANVS = Triccianus FVRIVS CELSVS = Furius Celsus (et alii)

Ibid.

Groag…, Prosop., I, 126 (voir aussi Dion Cassius, LXXIII, 13 ; LXXIX, 4)

-Actae sunt res feliciter etin Mauretania Alexandre Groag…, Prosop., Tingitana per Furium Celsum et in Illyrico per Sévère, III (1), 578 Varium Macrinum adfinem eius et in Armenia LVIII, 1 per Iunium Palmatum349, atque ex omnibus locis ei tabellae laureatae sunt delatae. Quibus in senatu et apud populum lectis uario tempore, cum etiam de Isauria optatae uenissent, omnibus nominibus est ornatus (Les choses se passèrent également bien en Maurétanie Tingitane grâce à Furius Celsus, en Illyrie grâce à Varius Macrinus, un membre de sa famille, ainsi qu’en Arménie grâce à Iunius Palmatus, et de toutes ces régions lui furent envoyés des messages de victoire entourés de lauriers. Quand ils eurent été lus, à différents moments, au Sénat et devant le peuple, ainsi que les messages particulièrement appréciés, qui venaient d’Isaurie, Alexandre fut gratifié des surnoms correspondant au nom de toutes ces régions)

348

Ce personnage a formellement été assimilé par A. Maricq dans un article à l’un des animateurs de la conjuration qui abattit Caracalla en 217 de notre ère ; cf. « La chronologie… », Syria, XXXIV, 1957, pp. 297 sq. Il a également fait l’objet d’une étude menée par M. Christol, sur la base d’une inscription concernant un gouverneur qui ne serait autre que ce conspirateur, tribun d’une cohorte prétorienne lors de l’assassinat de Caracalla, du nom d’Aurélius Appolinaris ; cf. « Une carrière équestre… », Latomus, XXXV, 1976, p. 866 sq. Il est cependant surprenant que ce dernier ne figure nulle part dans la Prosopographia Imperii Romani. 349 Aucun de ces légats n’étant connu par ailleurs, il convient de suivre A. Chastagnol qui en déduit qu’ils relèvent tout simplement de l’imagination du biographe. Il ne s’agit d’ailleurs point, bien malheureusement, de cas uniques ; cf. note 4 de la Vita Alexandri Seueri, p. 626. L’éditeur français de l’Histoire Auguste y a mené une réflexion d’ensemble sur les différents types d’anachronismes contenus dans l’œuvre, tentant ainsi d’en prévenir leurs utilisateurs ; cf. Introd. gén., p. CXIV sq.

155

VARIVS Ibid. MACRINV S = Varius Macrinus

Ibid.

Groag…, Prosop., III (2), 191

IVNIVS Ibid. PALMAT VS = Junius Palmatus

Ibid.

Groag…, Prosop., IV, 793

SABINIA -Venusto et Sabino conss. Inita est factio in Africa contra Gordianum tertium duce NVS = Sabinianus Sabiniano350 ; quem Gordianus per praesidem Mauretaniae obsessis coniuratis ita oppressit… (Sous le consulat de Vénustus et Sabinus [en 240], éclata en Afrique contre Gordien III une révolte fomentée par Sabinianus, mais quand les rebelles eurent été assiégés par le gouverneur de Maurétanie, Gordien remporta sur leur chef une telle victoire…)

Les trois Groag…, Prosop., Gordiens, III (2), 13 XXIII, 4 (voir aussi ibid., VII, 2 ; V, 1 ; VII-IX)

M. ANTONIV S GORDIAN VS = IMP. CAESAR M. ANTONIV S GORDIAN VS SEMPRON IANVS ROMANV S AFRICAN VS AVGVST VS (I) = Gordien I

-Is post consulatum, quem egerat cum Alexandro, ad proconsulatum Africae missus est ex senatus consulto (Après son consulat qu’il avait revêtu avec Alexandre pour collègue, il fut envoyé en Afrique comme proconsul)

350

Les III Gordiens, II, 4 (voir aussi ibid., V, 1 ; VII, 2 sq.)

Groag…, Prosop., I, 664 (voir aussi Aurélius Victor, XXVI)

Ce Sabianus est-il celui qu’a identifié E. Birley comme le proconsul d’Asie de l’année 239 ou 240 ? Dans ce cas, il s’appellerait M. Asinius Sabinianus et aurait été, lors de cette révolte, proconsul d’Afrique, qualité que peut exprimer parfois le terme dux utilisé ici ; cf. E. Birley, « Africana… », B.H.A.C., 1968-1969, pp. 87-88 : « Rufinus Valérius Vérus Sabianus, adlectus inter praetorios by Commodus and consul (suffect), most likely in A.D. 184185… ». Le savant anglais s’est appuyé sur les données épigraphiques suivantes : A.E., 1954, 58 et 1955, 122.

156

M. ANTONIVS GORDIANVS = IMP. CAESAR M. ANTONIVS GORDIANVS SEMPRONIAN VS ROMANVS AFRICANVS AVGVSTVS (II) = Gordien II

-Nam cum temporibus Maximi, hominis saeui atque truculenti, pro conconsule Africam regeret, iam ex consulibus filio sibimet legato a senatu dato… (En effet, sous le règne de Maximin, un homme cruel et féroce, il [Gordien I] gouvernait l’Afrique comme proconsul, accompagné de son fils déjà consulaire, que le Sénat lui avait donné comme légat…)

Les trois Groag…, Prosop., Gordiens, I, 665 VII, 2 (voir aussi ibid., XVIX)

CAPELIANVS -… in Africa contra duos Gordianos = Capélianus Capelianus351 quidam, Gordiano et in priuata uita semper aduersus et ab ipso imperatore iam, cum Mauros Maximini iussu regeret ueteranus, demissus… (… un certain Capélianus se souleva en Afrique contre les deux Gordiens : il avait toujours été hostile à Gordiens quand ce dernier était simple particulier et venait d’être congédié par lui devenu empereur parce que, simple vétéran, il gouvernait les Maures sur ordre de Maximin…)

Les III Groag…, Prosop., Gordiens, II, 404 XV, 1 (voir aussi Maximin, XIX-XX ; Gordien, XVI)

IMP. CAESAR C. IVLIVS VERVS MAXIMINVS AVGVSTVS = Maxime

-Inde proconsulatum Bithynae egit et deinceps Graeciae ac tertio Narbonae. Missus praeterea legatus Sarmatas in Illyrico contudit atque inde translatus ad Renum rem contra Germanos satis feliciter gessit (Ce furent par la suite le pronconsulat de Bithynie, celui de Grèce et en troisième lieu celui de Narbonnaise. Envoyé en Illyricum comme légat, il y réduisit les Sarmates et, de là, fut transféré sur le Rhin où il combattit avec bonheur les Germains)

Maxime et Groag…, Prosop., Balbin, V, IV, 619 8-9 (voir aussi ibid., VII, Alexandre Sévère, I, 4)

D. CAELIVS (CALVINVS) BALBINVS = IMP. CAESAR C. D. CAELIVS (CALVINVS) BALBINVS AVGVSTVS = Balbin

-Balbinus… rector prouinciarum Maxime et Groag…, Prosop., II, 126 infinitarum… Nam et Asiam et Africam et Balbin, Bithyniam et Galatiam et Pontum et VII, 1-2 Thracias et Gallias ciuilibus administratibus (voir aussi rexerat, ducto nonnumquam exercitu… ibid., XV, (Balbin … avait été gouverneur d’un 2) nombre infini de provinces. Il avait en effet dirigé les affaires administratives en Asie, en Afrique, en Bithynie, en Galatie, dans le Pont, les Thraces et les Gaules et avait parfois commandé une armée…)

351

A. Chastagnol, s’appuyant sur un texte d’Hérodien, précise que ce personnage, de rang sénatorial, gouvernait la Numidie plutôt que la Maurétanie. L’historien grec (VII, 9, 1) rapporte en effet que « (Capélianus) était le gouverneur de cette partie des Maures sous domination romaine qu’on appelle Numidie » ; cf. note 2 des Vitae Gordiani tres, p. 720.

157

VALENS = Valens

-Idem Macrianus Pisonem, unum ex nobilibus ac principibus senatus, ad Achaiam destinauit ob hoc, ut Valentem, qui illic proconsulari imperio rem publicam gubernabat, opprimeret (Macrin envoya en Achaïe Pison, l’un des membres nobles et influents du Sénat, pour éliminer Valens qui y gouvernait avec l’autorité proconsulaire)

IMP. CAESAR C. M. CASSIANVS LATINIVS POSTVMVS AVGVSTVS = Postumus

-Transrhenani limitis ducem et Galliae Les XXX praesidem Postumum fecimus… (Nous Tyrans, avons nommé Postumus commandant de la III, 9 zone frontière et gouverneur en Gaule352) -Namque primus omnium Postumus, qui forte barbaris per Galliam praesidebat… (Ainsi, le premier de tous, Postumus, qui se trouvait alors à la tête des Barbares en Gaule…) -Postumus in Gallia inuasit tyrannidem, multo quidem rei publicae commodo… (Postomus, en Gaule, s’empara de la tyrannie, au grand bien, certes, de la République…)

Groag…, Prosop., II, 466 Aurélius Victor, XXXIII, 8 Orose, VII, 22, 10

INGENVVS = -… Ingenuus, qui Pannonias tunc regebat, a Les XXX Moesiacis legionibus imperator est dictus, Tyrans, Ingénuus ceteris Pannoniarum uolentibus… (… IX, 1 Ingénuus, qui gouvernait alors les Pannonies, fut proclamé empereur par les légions de Mésie avec l’assentiment de toutes les autres troupes basées dans les Pannonies) -Ibi Ingenuum, quem curantem Pannonios…, Mursiae deuicit… (Là, il vainquit à Mursia Ingennus, gouverneur de Pannonie…) -Nam iuuenis in Gallia et Illyrico multa strenue fecit, occiso apud Mursam Ingenuo… (Car dans sa jeunesse il [Gallien] accomplit beaucoup d’actions valeureuses en Gaule et en Illyrie, tuant près de Mursa Ingénuus…) -Igitur primus Genuus qui purpuram imperii sumpserat… (Donc, Genuus, le premier qui avait pris le pourpre… [en Pannonie])

Groag…, Prosop., IV, 23 Aurélius Victor, XXXIII, 2 Eutrope, IX, 1 Orose, VII, 22, 10

352

Les II Groag…, Prosop., Galliens, III (2), 7 II, 2 (voir aussi Les XXX tyrans, XIX, 1 sq.)

Cette dernière fonction n’a jamais été remplie par l’intéressé. Peut-être cette erreur est-elle due à une mauvaise lecture d’un texte d’Aurélius Victor indiquant simplement que Postumus s’était trouvé à la tête d’une troupe de soldats d’origine barbare en Gaule.

158

LVCIVS MVSSIVS AEMILIANVS = Aémilianus

-Per idem tempus Aemilianus apud Aegyptum occupatisque horreis multa oppida malo famis pressit (Au même moment Aémilianus prit le pouvoir en Egypte et, s’emparant des greniers à blé, réduisit à la famine un grand nombre de villes) -Saeuiente fortuna, cum hinc terrae motus… cum Aemilianus Aegyptum occupasset… (Sous le coup de l’acharnement du sort, ici la terre tremblait… Aémilianus s’était emparé de l’Egypte…) -Familiari ergo sibi furore, cum quadam die cuiusdam seruus curatoris, qui Alexandriam tunc regebat, militari ob hoc caesus esset, quod crepidas suas meliores esse quam militis diceret, collecta multitudo ad domum Aemiliani ducis uenit atque eum omni seditionum instrumento et furore persecuta est… (Un jour donc qu’un esclave du curateur qui gouvernait alors Alexandrie avait été rossé par un militaire parce qu’il prétendait que ses sandales étaient de meilleure qualité que celles du soldat, la foule, en proie à cette frénésie qui lui est coutumière, se rassembla, puis se rendit à la maison du général Aémilianus et s’attaqua à lui avec tous les moyens et toute la frénésie propres aux émeutes…)

VICTORINVS -Post mortem Postumi Marius ibidem = Victorinus inuasit imperium sed continuo interfectus est. Deinde Victorinus a Gallis ultro creatus et post paululum occisus est… (Après la mort de Postumus, Marius s’empara du pouvoir au même endroit, mais il fut tué immédiatement. Ensuite, Victorinus fut proclamé par les Gaulois et il fut tué très peu de temps après…) -« Dans le temps où Victorinus commandait en Germanie, d’abord seul en particulier, il tenta de persuader son lieutenant de ne pas se laisser corrompre par des présents… Plus tard, dans son gouvernement d’Afrique… »

159

Gallien, IV, 1 Groag…, Prosop., Gallien, V, 6 I, 205 Les XXX Tyrans, XXII, 3 (voir aussi ibid., XXVI, 4)

Orose, VII, 11 Dion Cassius, LXXII, 11

MARIVS = Marius353 IMP. CAESAR C. P. C (…) REGALIANVS AVGVSTVS = Régalianus

Les XXX Tyrans, VIII -Regalianus denique in Illyrico ducatum gerens imperator est factus… (C’est ainsi que Régalianus, qui exerçait le commandement militaire en Illyricum, fut déclaré empereur)

Les XXX Tyrans, X, 1 (voir aussi ibid., XXXII, 3 ; Gallien, IX, 1 ; Claude, VII, 4)

Groag…, Prosop., VII, 36 (voir aussi Eutrope, IX, 1)

AUREOLVS = -Hic quoque [in] Illyricianos exercitus Auréolus regens in contemptu Gallieni, ut omnes eo tempore, coactus a militibus sumpsit imperium (Cet homme, qui commandait les armées de l’Illyricum, s’empara lui aussi du pouvoir impérial, comme tous les autres à ce moment-là, sous la pression des soldats qu’animait leur mépris pour Gallien) -Namque Aureolus, cum per Raetias legionibus praeesset… (En effet, Auréolus, commandant des légions de Rhétie…

Les XXX Tyrans, XI, 1 (voir aussi Gallien, II, 6 ; III, 1, 4 ; IV, 6)

Groag…, Prosop., I, 1338 Aurélius Victor, XXXIII, 17

353

L’Histoire Auguste a bel et bien compté l’un et l’autre parmi les trente Tyrans mais sans nous préciser clairement leurs fonctions respectives au moment de chacune de leurs tentatives de s’emparer du pouvoir impérial romain. Elle précise simplement pour Victorinus, Les XXX Tyrans, VI, 1 : Postumus senior cum uideret multis se Gallieni uiribus peti atque auxilium non solum militum uerum etiam alterius principis necessarium, Victorinum, militaris industriae uirum, in participatum uocauit imperii et cum eodem contra Gallienum conflixit ; lire : « Quand Postumus l’Ancien vit que Gallien se lançait contre lui avec des forces importantes, il se rendit compte qu’il avait besoin du soutien, non seulement de l’armée, mais aussi d’un second empereur : aussi offrit-il à Victorinus, un homme de guerre énergique, de partager le pouvoir avec lui, et tous deux s’attaquèrent à Gallien ». Et, on peut lire, à propos de Marius, ibid., VIII, 1 : Victorino et Lolliano, Postumo interemptis Marius ex fabro, ut dicitur, ferrario triduo tantum imperauit ; lire : « Après le meurtre de Victorinus, Lollianus et Postumus, le pouvoir impérial fut détenu, pendant trois jours seulement, par Marius qui était, à ce qu’on dit, un ancien forgeron ». Nous nous appuyons donc sur la précision géographique exprimée par ibidem chez Orose pour affirmer que l’un et l’autre se trouvaient donc en poste ou en service chez les Germains, vu qu’il y s’agit de Mayence où Émilien fut écrasé peu avant ces derniers.

160

IMP. CAESAR C. P. PIVS ESVVIVS TETRICVS AVGVSTVS = Tétricus

-Interfecto Victorino et eius filio mater eius Victoria siue Vitruuia Tetricum senatorem p(opuli) R(omani) praesidatum in Gallia regentem ad imperium hortata... (Après le meurtre de Victorinus et de son fils, sa mère Victoria – ou Vitruvia – invita Tétricus, sénateur du peuple romain qui assumait un gouvernement en Gaule, à prendre le pouvoir impérial…) -Tetricum triumphatum correctorem Lucaniae fecit… (Après avoir traîné Tetricus à son triomphe, il le nomma correcteur de Lucanie…) -Simul, Germanis Gallia demotis, Tetrici… caesae legiones… (En même temps, après avoir chassé les Germains de Gaule, il [Aurélien] tailla en pièces les légions de Tétricus…) -… ipse, post celsum biennii imperium in trimphum ductus, Lucaniae correcturam… (… quant à lui [Tétricus], mené au triomphe d’Aurélien après avoir fièrement régné pendant deux ans, il obtint pour lui le gouvernement de Lucanie…) -… huic successit Tetricus qui tunc Aquitanicae praesidatus et administrabat officium… (… lui [à Victorinus] succéda Tétricus qui était alors en charge du gouvernement d’Aquitaine…)

VIBIVS PASSIENVS = Vibius Passiénus

Groag…, Prosop., -Occupatis partibus Gallicanis, Les XXX orientalibus, quin etiam Ponti, Tyrans, XXIX, III (2), 391 Thraciarum et Illyrici…, Afri quoque 1 auctore Vibio Passieno, proconsule Africae, et Fabio Pomponiano, duce limitis Libyci, Celsum imperatorem appellauerunt peplo deae Caelestis ornatum (Après l’invasion des régions gauloises et orientales et même du Pont, des Thraces et de l’Illyricum…, les Africains, sous l’impulsion du proconsul d’Afrique Vibius Passiénus, et du commandant des troupes de la frontière libyenne Fabius Pomponianus, nommèrent eux aussi un empereur, Celsus, qu’ils parèrent du manteau [de cérémonie] de la déesse Célestis)

161

Les XXX Tyrans, XXIV, 1, 4 (voir aussi ibid., V, 3 ; XXXI, 2 ; Claude, VII, 5) Aurélien, XXIX, 1

Groag…, Prosop., III (1), 99 ((voir aussi Eutrope, IX, 10) Aurélius Victor, XXXV, 3 Aurélius Victor, XXXV, 5 Orose, VII, 22, 12

FABIVS Ibid. POMPEIANVS = Fabius Pompéianus

Ibid.

CENSORINVS -Vir plane militaris et antiquae in curia = Censorinus dignitatis, bis consul, bis praefectus praetorii, ter praefectus urbi, quarto pro consule, ... legatus praetorius secundo, quarto aedilicius…, extra ordinem quoque legatione Persica functus, etiam Sarmantica (C’était un parfait homme de guerre, qui jouissait depuis longtemps de la dignité sénatoriale, avait été deux fois consul, deux fois préfet du prétoire, trois fois préfet de la Ville, proconsul quatre fois, légat prétorien deux fois, légat édilicien quatre fois …, et avait été également investi d’une mission de légat extraordinaire auprès des Perses ainsi que des Sarmates)

Les XXX Groag…, Prosop., Tyrans, II, 656 XXXIII, 1 (voir aussi ibid., XXXI, 12 ; XXXII, 8)

IMP. CAESAR C. M. CLAUDIVS TACITIVS AVGVSTVS = Claude II

-Dux factus est et dux totius Illyrici. Claude, XV, Groag…, Prosop., Habet in potestatem Thracios, Moesos, 2 II, 1036 Dalmatas, Pannonios, Dacos exercitus (Il Eutrope, IX, 16 a été nommé général et, qui plus est, général de tout l’Illyricum. Il a sous ses ordres les armées de Thrace, de Mésie, de Dalmatie, de Pannonie, de Dacie) -… uir egregie moratus et rei publicae gerendae idoneus (… c’était un homme remarquable et propre à gérer les affaires publiques)

MESSALA = Messala

-« Decius Messalae praesidi Achaiae Claude, XVI, Groag…, Prosop., salutem » (« Dèce à Messala, gouverneur 1 V, 505 d’Achaïe, salut »)

Q. ANCARIVS -Cum consedisset Valerianus Augustus in = Q. Ancarius thermis apud Bysantium, praesente Aurélien, (et alii) exercitu, praesente etiam officio Palatino, XIII, 1 adsidentibus Nummio Tusco consule ordinario, Baebio Macro praefecto praet[orii], Quinto Ancario praeside Orientis, adsidentibus etiam a parte laeua Auulnio Saturnino354

354

Groag…, Prosop., I, 424

Il ne saurait s’agir ici du même Saturninus que celui qui s’était approprié le gouvernement de l’Orient et qu’avait combattu et battu Probus ; Scriptores ..., Probus, XVIII, 4 : Nam et Saturninum, qui orientis imperium arripuerat, uariis proeliorum generibus et nota uirtute superauit. Ni l’un ni l’autre ne doivent non plus être confondus au Saturninus qui avait revêtu le pourpre à l’époque de Gallien, comme le précise le biographe lui-même, Scriptores ..., Firmus…, X, 1 : …errare quosdam et putare hunc esse Saturninum, qui Gallieni temporibus imperium occupauit, cum si longe alius sit et [a] Probo paene nolente sit occisus ; lire : « … certains s’imaginent de façon erronée qu’il s’agit du même personnage que le Saturninus qui

162

-Scithici limitis duce et Murrentio Mauricio ad Aegyptum destinato et Iulio Thryphone orientalis limitis duce et Maecio Brundisino praefecto annonae Orientis et Vlpio Crinito duce Illyriciani limitis et Thracici et Fuluio Boio duce Raeti limitis355, Valerianus Augustus dixit… (Quand Valérien Auguste eut pris place dans les thermes à Byzance, en présence de l’armée ainsi que des services du palais, tandis que se tenait à ses côtés Nummius Tuscus, le consul ordinaire, Baébius Macer, préfet du prétoire, et Quintus Ancarius, gouverneur de l’Orient, et qu’étaient assis à sa gauche Avulnius Saturninus commandant les troupes du limes schyte, Murrentius Mauricius, promis au gouvernement d’Egypte, Iulius Tryphon, commandant les troupes de la frontière d’Orient, Maécius Brundisinus, préfet de l’annone d’Orient, Ulpius Crinitus, commandant les troupes de la frontière d’Orient et de Thrace, et Fulvius Boius, commandant les troupes de la frontière de Rhétie, Valérien Auguste, donc, s’exprima en ces termes…)

s’était emparé du pouvoir à l’époque de Gallien, alors qu’il n’a rien à voir avec lui et fut mis à mort sous Probus, presque contre la volonté de dernier ». 355 Visiblement, le biographe dressait ainsi la liste des collaborateurs de l’empereur Valérien qui l’entouraient lors d’une tournée à Byzance où il aurait vraisemblablement prononcé un important discours ; Scriptores ..., Aurélien, XIII, 1 : Cum consedisset Valerianus Augustus in thermis apud Byzantium, praesente etiam officio Palatino, adsidentibus… dixit… L’authenticité de leur identité comme de leurs fonctions respectives n’est nullement établie. Il est même à relever avec A. Chastagnol que certaines des fonctions évoquées sont inexistantes comme le praeses Orientis qui correspondrait au titre de gouverneur de la province d’Orient ; certaines autres se révèlent anachroniques, comme le titre de préfet de l’annone d’Orient (praefectus annonae Orientis) attribué à ce Maécius Brundisinus ; cf. note 3 de la Vita Diui Aureliani, p. 982. Cependant, ce texte présente, entre autres, l’intérêt de nous donner un cliché assez exhaustif de la délégation qui accompagnait l’empereur lors de ses tournées provinciales et dont Antonin le Pieux pensait qu’elle constituait une lourde charge pour les contribuables provinciaux ; cf. texte cité supra, note 254 : … dicens grauem esse prouincialibus comitatum principis, etiam nimis parcis. Il n’était pas rare d’y compter également un ou plusieurs gouverneurs de provinces comme l’atteste le biographe sous le règne d’Alexandre Sévère ; ibid., Alexandre Sévère, XXII, 6 : Praesides prouinciarum, quos uere, non factionibus laudari comperit, et itineribus secum semper in vehiculo habuit et muneribus adiuuit, dicens et fures a re publica pellendos ac pauperandos et integros esse retinendos atque ditandos ; lire : « Lorsqu’il s’était assuré que des gouverneurs de provinces jouissaient d’une faveur justifiée et qui ne devait rien à l’intrigue, il les faisait toujours voyager avec lui dans sa voiture et les couvrait de cadeaux en disant qu’il fallait chasser les voleurs des charges publiques et les dépouiller de leurs biens mais y maintenir les hommes intègres en les enrichissant ».

163

SANDORIO = -Sandarionem enim, quem in praesidio356 illic Aurélien, Groag…, Prosop., Sandorion Aurelianus posuerat, cum sescentis sagitariis XXXI, 2 III, 131 occiderunt Achilleo cuidam parenti Zenobiae parentes imperium (Ils massacrèrent en effet Sandorion, qu’Aurélien avait placé chez eux pour tenir garnison avec six cents archers, tout en préparant l’arrivée au pouvoir d’un certain Achilléus, parent de Zénobie) ACHILLEVS = Achilléus

Aurélien, Groag…, Prosop., XXXI, 2 I, 6

A. SAT URNINVS = Saturninus357 M. MAURICIVS = M. Mauricius358

-Tunc quidam Mauricius nomine, potens apud Afros decurio… (C’est à ce moment qu’un certain Mauricius, un décurion très influent parmi les Africains…)

FALTONIVS PROBVS = Faltonius Probus

-Denique id tertio factum est359,ita ut per sex Aurélien, Groag…, Prosop., III (1), 108 menses imperatorem Romanus orbis non XL, 4 habuerit, omnesque iudices hi permanerent, quos aut senatus aut Aurelianus elegerat, nisi quod pro consule Asiae Faltonius Probus360 in locum Arelli Fusci delegit (Bref, cette manœuvre se répéta trois fois, si bien que pendant six mois le monde romain n’eut pas d’empereur et que restèrent en fonction tous les gouverneurs qu’avaient nommés le Sénat ou Aurélien, à l’exception de Faltonius Probus qui fut choisi pour remplacer Arellius Fuscus comme proconsul d’Asie)

356

Gordien, VII, 4 (voir aussi ibid., VIII, 1 sq.)

Nous avons ici un cas typique de l’emploi abusif du terme praeses ; cf. notre analyse infra, p. 385 sq. 357 Cf. supra, note 325. 358 Il nous semble impossible que le biographe parle ici du même personnage. Par contre, nous avons dans la Prosopographia Imperii Romani, V, 70 un Maénius (?) Mauricianus, subatiani Aquilae, praefecti Aegypti die 27 mensis Decembris annis 209. 359 Le biographe fait ici allusion aux tergiversations du Sénat et de l’armée qui se renvoyaient mutuellement la responsabilité de choisir un successeur à Aurélien qui venait d’être assassiné. Cette succession d’Aurélien fut particulièrement laborieuse pour des raisons que définit ainsi l’Histoire Auguste, Aurélien, XL, 1 : Quam difficile sit imperatorem in locum boni principis legere… ; lire : « La difficulté qu’il y a à élire un empereur pour remplacer un bon prince… ». Les deux personnages cités dans ce texte, Faltonius Probus tout comme Arellius Fuscus, sont signalés comme suspects ; les auteurs de la Prosopographia… hésitant cependant à voir en Faltonius Probus un membre de la prestigieuse famille des Faltonii Probi Alypii attestée par l’Épigraphie. 360 Ce personnage n’est identifié nulle part ailleurs et ne saurait être confondu, malgré quelque rapprochement onomastique, à Faltonius Probus Alypius, préfet de la Ville en 391. Quant à Fuscus, son nom figure sur trois passages de l’Histoire Auguste où il désigne un consulaire (ibid., Les XXX Tyrans, XXI, 3), un écrivain (ibid., XXV, 2) et le proconsul d’Asie dont il est question ici. Il n’est, lui non plus, signalé par aucune autre de nos sources.

164

ARELLIVS FVSCVS = Arellius Fuscus IMP. CAESAR M. AVRELIVS PROBVS AVGVSTVS = Probus

Aurélien, Groag…, Prosop., XL, 4 I, 1029

-… et occisus est Tarsi a militibus, qui Probum audierant imperare, quem omnis exercitus legerat (… il [Florien] fut tué à Tarse par des soldats qui avaient appris que Probus, élu par toute l’armée, était devenu empereur) -… tribunatum in eum contuli datis sex cohortibus Saracenis, creditis etiam auxiliaribus Gallis cum ea Persarum manu, quam nobis Artabassis Syrus mancipauit361 (… je [Valérien] lui ai conféré le tribunat en lui attribuant six cohortes sarrasines et en lui confiant de surcroît les troupes auxiliaires gauloises ainsi que ce détachement perse que le Syrien Artabassis nous a abandonné) -… postquam Probum in Illyrico factum accepere… (… quand ils eurent appris que Probus avaient été fait empereur en Illyrie...)

Tacite, XIV, 2 ; (voir aussi ibid., Probus, X, 8) Probus, IV, 1

Groag…, Prosop., I, 1287 Aur. Vict., XXXVII, 2

SATURNINV -Nam et Saturninum, qui Orientis imperium S = Saturninus arripuera, uariis proeliorum generibus et nota uirtute superauit (C’est ainsi qu’après des combats de nature variée et grâce à sa valeur bien connue, il vint à bout de Saturninus qui s’était approprié le gouvernement de l’Orient) -Huic inter ceteros duces, quod uere summus uir esset, certe uideretur, Aurelianus limitis orientalis ducatum dedit, sapienter praecipiens, ne umquam Aegyptum uideret (Comme il était, sinon en réalité, du moins en apparence, doué d’une grande valeur, Aurélien lui confia, en le préférant à tous les autres généraux, le commandement de la frontière orientale, mais lui prescrivit avec sagesse de ne jamais mettre les pieds en Egypte) -… simul caesis Saturnino per Orientem… (… en même temps [fut massacré] Saturninus en Orient…) - Quosdam imperium usurpare conatos, scilicet Saturninum in Oriente, Proculum et Bonosum Agrippinae, multis certaminibus

Probus, XVIII, 4 Saturninus …, VII, 2 Firmus…, VII, 2

Groag…, Prosop., III, 166 (voir aussi Orose, VII, 24, 3) Aurélius Victor, XXXVII, 3 Eutrope, IX, 17, 1 C.I.L., X, 4 750

361

Ces propos sont prêtés à Valérien dans une lettre qu’il aurait adressée à Gallien. S’ils venaient à être authentiques, il faudrait convenir qu’il s’agit là de nominations alternées et non simultanées comme semble l’indiquer la lecture linéaire du texte. En effet, il est invraisemblable qu’une même personne puisse diriger en même temps des troupes en Gaule et en Syrie.

165

oppresssit (Certains auteurs de tentatives d’usurpation, Saturninus en Orient, Proculus et Bonosus à Agrippine, il les écrasa en de nombreux combats) -Bella deinde ciuilia equidem plurimo sanguine duo gessit : unum in Oriente, quo Saturninum tyrannide subnixum oppressit… (Ensuite, il fit deux guerres civiles, avec beaucoup de sang, il est vrai : l’une en Orient au cours de laquelle il écrasa et fit prisonnier Saturninus…) -Lucio Albinio, Auli filio, Quirina trinu, Saturnino,/ consuli, proconsuli prouinciae Asiae,/ legato Augusti pro praetore Ponti et Bithyniae prouinciae,/ proconsuli prouinciae Achaiae…,/ legato Augusti Asturicae et Callaeciae… (lire : « A Lucius Albinus Saturninus, fils d’Aulus, [de la tribu] Quirina, consul, proconsul de la province d’Asie, légat d’Auguste propréteur de la province de Pont et de Bithynie, proconsul de la province d’Achaïe…, légat d’Auguste d’Asturica [sic] et de Galice…) BONOSVS = -Deinde cum Proculus Bonosus apud Probus, Bonosus Agrippinam in Gallia imperium arripuissent XVIII, 5 omnesque sibi iam Brittannias et bracatae Firmus…, Galliae prouincias uuindicarent… (Puis, XIV, 2 comme Proculus et Bonosus avaient pris le pouvoir à Cologne, en Gaule, et émettaient la prétention d’avoir la haute main sur les provinces de Bretagne, d’Espagne et de la Gaule Narbonnaise…) -Militauit primum inter ordinarios, deinde inter equites ; duxit ordines, tribunatus egit, dux limitis Raetici fuit… (Il commença par servir comme simple soldat, puis dans la cavalerie ; il devint centurion, remplit la fonction de tribun, commanda les troupes stationnées à la frontière de Rhétie…) -… simul caesis… Agrippinae Bonoso exercitu… (… en même temps [fut massacré] Bonosus avec son armée à Agrippine [en Cologne]) -… Bonosum Agrippinae multis certaminibus oppressit

166

Groag…, Prosop., I, 120 (voir aussi Orose, VII, 24) Aurélius Victor, XXXVII, 3 Eutrope, IX, 17,1

PROCULVS = Proculus

Firmus…, XIV, 2

CARVS = Carus362

-Ipse se, quod negari non potest, ut epistola Carus…, eius indicat, quam pro consule ad legatum IV, 5-6 suum scripsit, cum eum ad bona hortaretur officia, Romanus uult uideri… Marcus Aurelius pro consule Ciliciae Iunio legato suo363… (Quant à lui [Carus], il est indéniable, ainsi que nous le prouve une lettre qu’il écrivit, en qualité de proconsul, à son légat Junius pour l’inviter à bien remplir son office, qu’il désirait être considéré comme un Romain364) -Carinum deinde, quem Carus Caesarem in Dalmatia reliquerat, flagitiose uiuentem difficillimo bello et maximo labore superauit (Il [Dioclétien] l’emporta ensuite par une guerre très difficile et un très grand effort sur Carin, que Carus avait laissé en Dalmatie en qualité de César et qui vivait de façon déshonorante)

Groag…, Prosop., I, 1223 Orose, VII, 25, 1

JVNIVS = Junius

Carus…, IV, 5-6

Groag…, Prosop., IV, 723

Cet inventaire quelque peu sommaire, sans prétendre à l’exhaustivité, nous conduit néanmoins à nous pencher plus amplement sur la question précise des magistratures provinciales à Rome, à l’époque l’Histoire Auguste.

362

Il est formellement établi que ce proconsulat de Cicilie est tout simplement absurde dans la Prosopographia Imperii Romani, I, 1223, p. 199 : Proconsul Ciciliae absurde in epistula ficta, comme il est indiqué en IV, 6. 363 Cette lettre, comme tant d’autres, est naturellement fictive. Elle s’adresse à Junius, alors légat militaire (?) de Carus, qui règnera plus tard à son tour. 364 Le biographe a reconnu ne pas avoir pu dégager une opinion définitive sur les origines de Carus dont les témoignages qu’il a glanés ici et là présentent des divergences telles qu’il a préféré se résigner à recourir à la propre position de l’intéressé sur ce problème. Comment savoir en effet, comme l’ont dit certains, si ses parents étaient d’origine illyrienne ou plutôt des habitants d’Illyrie mais Carthaginois d’origine, ou encore si Carus était un Milanais inscrit sur le registre de la cité d’Apulée. Cependant, une trop voyante insistance à se proclamer Romain pourrait pousser à croire qu’il était effectivement d’origine pérégrine. La conclusion de sa lettre s’avère là-dessus assez parlante ; Scriptores ..., Carus, IV, 7 : … fac igitur, ut maioribus nostris, id est Romanis non discrepemus uiris ; lire : « Fais donc en sorte que nous ne soyons pas en désaccord avec nos ancêtres, c’est-à-dire avec les Romains ».

167

III – 2 : Les magistratures provinciales (promagistratures) Qu’il eût été utile, au moins pour ceux des magistrats cités dans l’Histoire Auguste et formellement identifiés par ailleurs, de pouvoir établir leur situation sociale, leurs rang et titres officiels, leur carrière antérieure, la durée de leur fonction et enfin, autant que possible, leur destin ultérieur par rapport à leurs charges provinciales ! Nous nous serions épargné, au moins pour certains cas, la gêne ou le malaise que causent certaines formules laconiques qui ne se limitent qu’à nous signaler la présence ou les actions de tel ou tel agent – civil comme militaire – dans telle ou telle autre province. Que de passages dans le tableau ci-dessus où la simple qualité du promagistrat n’est pas exprimée, nous réduisant à la deviner, lorsqu’aucune autre de nos sources n’en fournit le moindre détail supplémentaire ! Il est en effet difficile de s’attendre à se montrer plus précis sur un phénomène où les sources se confinent à un laconisme déroutant ; comme sur ce passage relatif à l’administration judiciaire de l’ensemble de l’Italie mais jeté au hasard entre le drainage d’un lac et des données météorologiques d’un voyage en Afrique de l’empereur Hadrien : « Il assécha par drainage le lac Fucin. Il institua quatre consulaires comme juges pour l’ensemble de l’Italie. Quand il se rendit en Afrique, la pluie tomba à son arrivée après cinq années de sécheresse, ce qui lui valut l’affection des Africains »365 ?

A propos par exemple de la durée des fonctions, le respect de la tradition romaine prônant leur annualité – elle-même valable que pour les fonctions sénatoriales vu que depuis Auguste, les charges impériales relevaient de la seule volonté du prince – aurait pu nous satisfaire, mais nous avons pu constater qu’au moment même de l’avènement d’Hadrien, il y avait longtemps que le maintien ou le remplacement des magistrats en provinces – comme à Rome d’ailleurs – ne relevaient plus que de la seule volonté du prince. Notons sur ce point les attitudes contrastées d’Antonin le Pieux, de Pescennius Niger et d’Alexandre Sévère. Le premier préféra une politique de continuité en évitant, une fois au pouvoir, une fréquence excessive des mutations de ses agents affectés en provinces : « Une fois devenu empereur, il ne donna de remplaçant à aucun des fonctionnaires qu’Hadrien avait promus et révéla un tel esprit de suite qu’il maintint en place les bons gouverneurs dans leurs provinces pendant sept et même neuf ans »366.

365

Scriptores ..., Hadrien, XXII, 12-14 : Ficinum lacum emisit. Quattuor consulares per omnem Italiam iudices constituit. Quando Africam uenit, ad aduentum eius post quinquennium pluit, atque ideo ab Africanis dilectus est. 366 Scriptores ..., Antonin le Pieux, V, 3 : Factus imperator nulli eorum, quos Hadrianus prouexerat, successorem dedit fuitque ea constantia, ut septenis et nouenis annis in prouinciis

168

Cette attitude fut d’ailleurs assez proche de celle de Pescennius Niger qui trouvait dans une extrême mobilité des agents de l’État des voies de dispersion susceptibles d’entraver leur efficacité aussi bien que leur rendement. C’est du moins ce qui ressort des suggestions qu’il a trouvé utile de faire à sa hiérarchie pour rétablir l’ordre dans les provinces romaines alors exposées à des troubles répétés : « Il faisait preuve d’une telle autorité que, constatant le trouble causé dans les provinces par les changements incessants d’administrateurs, il écrivit successivement à Marc, puis à Commode, pour leur suggérer d’abord qu’aucun gouverneur de province, légat ou proconsul, ne soit muté avant cinq ans d’exercice, afin qu’ils ne quittent pas le pouvoir avant d’avoir appris les règles de l’administration »367.

Quant à Alexandre Sévère, il opta pour le remplacement systématique de ses agents, notamment financiers, qu’il soupçonnait toujours de prévarication, s’assurant ainsi d’un moyen de limiter les risques de détournement : « Il mutait fréquemment les directeurs financiers, si bien qu’aucun ne restait en place plus d’un an… »368.

Nous ne saurions dire aujourd’hui lequel de ces deux systèmes était en tout point préférable à l’autre, ce qui nous préoccupe d’ailleurs bien peu. Sans doute que les circonstances et la nature des fonctions, sans oublier le comportement et les compétences individuels des promagistrats et les spécificités ondoyantes et diverses des populations provinciales concernées, devaient déterminer les tendances des empereurs en cette délicate matière. D’un règne à un autre de l’Histoire Auguste, le biographe permet d’identifier quatre secteurs principaux d’activités d’administration dans les provinces, sans qu’il soit possible d’imaginer pour cela qu’il n’en existait pas d’autres369 : la coordination de toute l’action administrative dans les bonos praesides detineret. Cette notation, qui pourrait être exagérée dans une certaine mesure, rejoint un autre passage de la même Vie où le biographe souligne qu’Antonin le Pieux « laissa en place à vie les bons magistrats, à l’exception du préfet de la Ville Orfitus, qui ne fut du reste relevé qu’à sa propre demande » ; ibid., VIII, 6 : Successorem uiuenti bono iudici nulli dedit nisi Orfito praefecto urbi, sed petenti. 367 Scriptores ..., Pescennius Niger, VII, 2 : Hic tantae fuit auctoritatis, ut ad Marcum primum deinde ad Commodum scriberet, cum uideret prouincias facili administrationum mutatione subuerti, primum ut nulli ante quinquennium succederetur prouinciae praesidi uel legato uel proconsuli, quod prius deponerent potestatem quam scirent administrare. 368 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLVI, 5 : Rationales cito mutabat, ita ut nemo nisi annum conplerent… 369 Une bonne appréciation de l’ensemble des magistratures provinciales est possible en consultant les études de D. C. Braund, « L’entourage du gouverneur… », V.D.I., I, 1999, p. 73 sq. ; E. Demougeot, « Le fonctionnariat du Bas-Empire… », Latomus, XLV, 1, 1986, p. 160 sq. ; M. Le Glay, « L’administration centrale de la province de Numidie… », A. A., XXVII, 1991, p. 83 sq. ; M. Donde-Peyre, « Magistrature et administration municipale… », Publications de la Sorbonne, 1999, pp. 127-230 ; G. H. Stevenson, Roman Provincial

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provinces assurée par leurs gouverneurs respectifs, la gestion des affaires financières, les domaines judiciaire et militaire. C’est ce que souligne ainsi à juste titre G. P. Burton s’intéressant à leurs rôles respectifs dans lesdites provinces : « The focus of this section shifts from the political centre, the emperor and his advisors, to the provinces and specially the roles of provincial governor and provincial procurator who acted as the key agents of Roman power »370. Comme le biographe, à travers un jeu d’allusions qui lui est bien familier, Tertullien nous fournit une sorte de tableau de l’appareil administratif de l’Empire dans cette image où il place Jupiter au faîte du « trône » religieux, assisté de ses collaborateurs les plus représentatifs : « Car telle est l’idée que beaucoup se font de la divinité : ils veulent que le pouvoir et la souveraineté soient entre les mains d’un seul, que ses offices soient aux mains d’un grand nombre ; ainsi, par exemple, Platon représente le grand Jupiter dans le ciel, accompagné d’une armée de dieux et de démons. C’est pourquoi disent-ils, il faut que ses procurateurs, ses préfets, ses gouverneurs soient honorés comme lui »371.

C’est donc dans ces grandes lignes que nous allons tenter de reconstituer le tissu administratif sur lequel reposait la politique provinciale des empereurs romains de la période qui nous intéresse, à la lumière des témoignages fournis par notre source principale où nous disposons également d’un cliché presque identique de la classe politique des provinces. L’auteur y souligne en effet les principaux secteurs des charges provinciales : Et quia de publicandis dispositionibus mentio contigit : ubi aliquos uoluisset uel rectores prouinciis dare uel praepositos facere uel procuratores, id est rationales, ordinare, nomina eorum proponebat hortans populum, ut si quis quid haberet criminis, probaret manifestis rebus, si non probasset, subiret poenam capitis…372.

Administration… », Oxford, 1939, p. 18 sq. ; sans oublier l’autorité des travaux de G. Pflaum sur les procuratèles équestres, notamment Principes de l’Administration romaine impériale…, Strasbourg, 1958 et Abrégé des procurateurs équestres, Paris, 1974. 370 Graham P. Burton, « The Roman Imperial State… », XXXII, 2002, p. 263. 371 Tertullien, Apol., XXIV, 3 : Nam et sic plerique disponunt diuinitatem, ut imperium summae dominationis esse penes unum, officia uero eius penes multos uelint, ut Plato Iouem magnum in caelo comitatum exercitu describit deorum pariter et deamonum : itaque oportere et procurantes et praefectos et praesides pariter suspici. 372 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLV, 6 ; texte cité supra, note 351. Le recours à l’approbation du peuple ici comme les peines encourues en cas d’accusations infondées témoignent à suffisance de l’importance et de la délicatesse des responsabilités dévolues à chacun de ces promagistrats.

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A) Des gouverneurs de provinces R. Szramkievicz a souligné avec raison, traitant de la conduite des affaires provinciales à l’époque d’Auguste, que « Le nouveau régime n’a pu s’établir que parce que l’immense monde provincial le soutenait, du moins ne lui posa pas de problèmes trop graves. Auguste en fut conscient qui parcourut, à plusieurs reprises, le monde et visita toutes les provinces… Aussi en son absence, la véritable cheville du système reste le gouverneur de province »373. On se rend aussitôt compte, dès la lecture de la Vie d’Hadrien, que l’ensemble des prérogatives, ou, en d’autres termes, l’étendue du pouvoir des gouverneurs dans leurs provinces où ils occupaient le sommet de la hiérarchie avait un champ d’application des plus vastes plus ou moins assimilable au rôle intra muros du préteur urbain de la Ville. L’action de tous les successeurs du premier princeps ne s’est pas moins appuyée sur les provinces romaines et l’Histoire Auguste compte la nomination d’un mauvais gouverneur parmi les maux qui peuvent entraver la réussite d’un règne. C’est en tout cas ce qu’il s’efforce de démontrer à travers cette réflexion sur les entraves à l’art de gouverner : « On peut se demander à ce propos ce qui fait les mauvais empereurs… L’empereur, enfermé dans son palais, ignore les réalités… Il nomme des gouverneurs qui ne le méritent pas, éloigne des charges de l’État ceux qu’il devrait y maintenir »374.

Tout empereur soucieux de la réussite et du dénouement heureux des affaires durant son règne doit d’abord se préoccuper de minutieusement choisir tous ceux qui seront chargés d’appliquer les différentes orientations de sa politique générale sur toute l’étendue de l’Empire. C’est ainsi, comme nous l’apprend par exemple Dion Cassius, que Julius Sévérus fut affecté comme gouverneur en Bithynie, grâce à ses qualités de meneur d’hommes rigoureux mais affable : 373

Cf. Les gouverneurs de province…, I, Paris, 1975, pp. 4-5. Sur les principales prérogatives liées à l’exercice de leurs fonctions, lire le récent article de Graham P. Burton « The Roman Imperial State… », Chiron, XXXII, 2002, pp. 266-267 : « Every governor in the beginning of his tenure of office, also, issued a provincial edict (edictum prouinciale)… Through its publication the governor announced and assured the legal rules and procedures which they would enforce during their tenure of office... If much of the juridictional content of the provincial edict was predictable and tralatician in character, it also provided a mechanism for the introduction of novel regulations specific to their province... Provincial governors could also introduce, whether by the provincial edict or functionally analogous general edicts, new normative administrative regulations...». L’éminence de leur fonction a également retenu l’attention d’E. Demougeot qui a affirmé que « si les gouverneurs provinciaux sont les seuls civils à venir après les militaires, il reste néanmoins que les tâches qu’ils doivent assumer dans leur province sont très lourdes et, en temps de paix, très importantes » ; cf. « Le fonctionnariat du Bas-Empire… », Latomus, XLV, 1986, p. 163. 374 Scriptores ..., Aurélien, XLIII, 1, 4 : Et quaeritur quidem, quae res malos principes faciat… Imperator, qui domi clausus est, uera non nouit… facit iudices, quos fieri non oportet, amouet a re p(ublica), quos debeat optinere.

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« Hadrien envoya Julius Sévérus en Bithynie, où il avait besoin, non d’une armée, mais d’un gouverneur et d’un chef juste, sage et digne, qualités qui toutes se trouvaient dans Sévérus. Celui-ci régla et administra les affaires particulières et les affaires publiques avec tant de ménagement, que nous avons constamment gardé souvenir de lui jusqu’à ce jour »375.

Souvent, les gouverneurs étaient chargés de missions précises que nécessitait la situation ponctuelle dans la province concernée. Ce fut, entre bien d’autres exemples, le cas d’Asper sur lequel Macrin fonda ses espoirs de réinstaurer la paix et la stabilité en Asie : « … de plus, écrit encore Dion Cassius, Anicius Festus fut envoyé en Asie comme gouverneur à la place d’Asper. Asper, en effet, avait reçu les plus grands honneurs de Macrin qui espérait, par lui, mettre de l’ordre aux affaires d’Asie ; puis, lorsqu’il était en route et que déjà il approchait de cette province (Macrin n’avait pas admis la requête, venu jusqu’à lui, par laquelle on demandait à Caracalla de ne pas avoir cet Asper pour proconsul), il éprouva un grand outrage en se voyant repoussé (on avait rapporté sur lui plusieurs paroles inconvenantes) ; et comme si Asper eût demandé un second congé pour cause de vieillesse et de maladie, le prince donna l’Asie à Festus, bien que celui-ci eût été laissé de côté par Septime Sévère dans le tirage… »376.

L’Histoire Auguste a souvent mis en relief le sérieux que certains empereurs accordaient à cet aspect de leur pouvoir, présageant ainsi de l’importance de la fonction de gouverneur d’une province. Ainsi apprenonsnous d’Alexandre Sévère qu’il prenait systématiquement toutes précautions utiles pour prévenir la moindre mésaventure au moment d’asseoir son choix sur un de ses collaborateurs à ce niveau : « Et puisqu’on a fait allusion à sa pratique de divulguer au grand jour ses intentions, lorsqu’il désirait donner à des gens un gouvernement de province, leur accorder un commandement militaire ou les nommer procurateurs, c’est-àdire fonctionnaires financiers, il faisait connaître leurs noms et avertissait le peuple que, si quelqu’un avait une accusation à formuler contre eux, il devait en fournir les preuves manifestes et qu’à défaut de preuves il subirait la peine capitale »377.

Le biographe ajoute à la suite de ce texte, en réponse à tous ceux qui avaient tendance à lui reprocher cette procédure, que l’empereur lui-même la trouvait tout à fait justifiée, au regard des responsabilités des praesides dans leurs provinces respectives : 375

Dion Cassius, Hist. rom., LXIX, 14. Dion Cassius, Hist. rom., LXXVIII, 22. 377 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLV, 6 : Et quia de publicandis dispositionibus mentio contigit : ubi aliquos uoluisset uel rectores prouinciis dare uel praepositos facere uel procuratores, id est rationales, ordinare, nomina eorum proponebat hortans populum, ut si quis quid haberet criminis, probaret manifestis rebus, si non probasset, subiret poenam capitis. 376

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« Il disait du reste qu’il serait inadmissible que la pratique utilisée par les chrétiens et les juifs, qui rendaient publics les noms des prêtres à ordonner, ne fût pas appliquée aux gouverneurs de provinces, responsables du destin et de la vie des gens »378 ;

avant de souligner comme un trait positif de son art de régner qu’ : « Il ne nommait jamais des gouverneurs, proconsuls et légats par favoritisme, mais en s’appuyant sur son propre jugement ou celui du Sénat »379.

Ailleurs l’auteur de l’Histoire Auguste s’insurge, tout à fait dans le même esprit, contre toute légèreté en matière de nomination à des postes prestigieux et hautement sensibles pour la gestion d’un État, à travers une sorte de prototype du mauvais empereur : « A quoi bon – misère ! – avoir un empereur qui ne sache pas préserver sa réputation, ignore les réalités de l’État, redoute son précepteur, n’ait d’yeux que pour sa nourrice, soit obsédé par la crainte des coups de verge de son maître d’école et nomme consuls, généraux, gouverneurs des gens dont il ne connaît ni la vie, ni les mérites, ni l’âge, ni la famille, ni les actions passées » ? se serait-il indigné380.

Pour le biographe donc, la fonction de praeses compte, avec toutes les autres ici répertoriées, parmi les plus importantes dans l’appareil administratif romain. Macrin dut l’apprendre à ses dépens, lui qui, poussé par une ambition quelque peu démesurée, décida l’affectation à la tête de la Pannonie et de la Dacie des personnages dont le témoignage de Dion Cassius permet de remettre en cause la capacité d’assumer de si hautes fonctions : « Macrin s’attira de la part des gens sensés un blâme presque aussi grand que pour avoir mis certains personnages au rang des consulaires et les avoir aussitôt envoyé gouverner des provinces bien que, pour avoir reçu les ornements consulaires, il eût refusé de figurer, l’année suivante, comme consul pour la seconde fois, exemple qui, introduit par Septime Sévère, avait été imité par son fils. Si, en cela, Macrin agit à son égard et à celui d’Adventus d’une manière conforme à l’usage, il ne laissa pas que de commettre une grave inconséquence en envoyant Marcius Agrippa commander d’abord en Pannonie, puis en Dacie, tandis que Sabinus et Castinus, gouverneurs de ces provinces étaient, en apparence parce qu’il avait besoin de s’entretenir avec eux, en réalité parce qu’il

378 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLV, 7 : … dicebatque graue esse, cum in Christiani et Iudaei facerent in praedicandis sacerdotibus, qui ordinandi sunt, non fieri in prouinciarum rectoribus, quibus et fortunae hominum committerentur et capita. 379 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLVI, 5 : Praesides uero proconsules et legatos numquam fecit ad beneficium, sed ad iudicium uel suum uel senatus. 380 Scriptores ..., Tacite, VI, 6 : Quae (malum) ratio est habere imperatorem, qui famam curare non mouerit, qui, quid sit res p. nesciat, nutritorem timeat, respiciat ad nutricem, uirgarum magistralium ictibus terrorique subiaceat, faciat eos consules, duces, iudices, quorum uitam, merita, aetates, familias, gesta non norit.

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redoutait l’élévation de leurs sentiments et leur amitié pour Caracalla, aussitôt mandés près de lui »381.

L’épisode obscur de l’histoire romaine consécutif au règne de Gallien permet, du reste, de mesurer la délicatesse de cette fonction lorsqu’on voit les ambitions personnelles d’usurpateurs de tout bord ébranler l’équilibre précaire de l’Empire durant une longue période. Est-il besoin de préciser que plusieurs d’entre eux, sino tous, auront choisi pour socle de leur imposture leur position privilégiée en provinces ? Cette période particulièrement tumultueuse ne connaîtra un répit véritable qu’avec l’avènement d’Aurélien, avant lequel Rome, dépourvue d’empereur, a été dirigée grâce à l’action conjuguée des seuls gouverneurs des provinces : « Bref, cette manœuvre se répéta trois fois382, si bien que pendant six mois le monde romain n’eut pas d’empereur et que restèrent en fonction, tous les gouverneurs qu’avait nommés le Sénat ou Aurélien, à l’exception de F. Probus383 qui fut choisi pour remplacer Ar. Fuscus comme proconsul d’Asie »384.

La fonction d’un gouverneur de province se situe donc au sommet de la hiérarchie des pouvoirs en matière d’administration provinciale où il jouit du statut de substitut de l’empereur385. On le voit par exemple dans les termes 381

Dion Cassius, Hist. rom., LXXVIII, 8. La longévité du régime politique instauré par Auguste, malgré de nombreux et non moins inévitables aléas, prouve à suffisance sa solidité. Or, le premier princeps et ses successeurs auront tout réussi, sauf d’élaborer un système successoral fiable ou même simplement définissable. Non pas que cette question ne les préoccupa pas, mais elle fut souvent traitée au rythme des réalités comme une ponctualité incontournable qui soumettait les empereurs au trône à des dispositions qu’ils jugeaient personnellement utiles, sans que celles-ci ne relèvent d’un véritable système en la matière. Jugeons-en par les prévisions d’Hadrien à ce sujet ; Scriptores ..., Marc Aurèle, V, 1 : … cum post obitum Lucii Caesaris Hadrianus successorem imperii quaereret, nec idoneus, utpote decem et octo annos agens, Marcus haberetur, amitae Marci uirum Antoninum Pium Hadrianus ea lege in adoptionem legit, ut sibi Marcum Pius adoptaret, ita tamen ut et Marcus sibi Lucium Commodum adoptaret ; lire : « … comme Hadrien, après la mort de Lucius César, cherchait un successeur à l’Empire et ne jugeait pas souhaitable le choix de Marc, qui n’avait alors que dix-huit ans, il décida d’adopter Antonin le Pieux, mari de la tante paternelle de Marc, en stipulant qu’Antonin le Pieux adopterait Marc qui, à son tour, adopterait Lucius Commodus ». Aussi le remplacement de plusieurs empereurs posa-t-il souvent problème. Ce fut en l’occurrence le cas, entre bien d’autres exemples, après l’assassinat en 275 d’Aurélien, qui contraignit le Sénat et l’armée à se rejeter la responsabilité de lui choisir un successeur digne, en prenant soin d’écarter tous ceux qui avaient participé à ce crime. 383 A ne pas confondre avec Marcus Aurélius Probus, le successeur de l’empereur Tacite. 384 Scriptores ..., Aurélien, XL, 4 : Denique id tertio factum est, ita ut per sex menses imperatorem Romanus orbis non habuerit, omnesque iudices hi permanerent, quos aut senatus aut Aurelianus elegerat, nisi quod pro consule Asiae Faltonius Probus in locum Arelli Fusci delegit. 385 Il n’aurait pas été vain de mesurer cette importance des gouverneurs à travers leurs rémunérations, mais l’Histoire Auguste ne permet pas de mener une telle étude de manière exhaustive. Rien ne l’obligeant à préciser les émoluments des promagistrats en général et des gouverneurs en particulier, parmi ceux dont elle a bien voulu signaler l’existence. Nous ne 382

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d’une lettre que Trajan adresse à Pline le Jeune fraîchement arrivé en Bithynie : « Les habitants de ta province comprendront, je crois, que j’ai eu pour eux une attention (particulière). Car de ton côté tu feras en sorte qu’ils ne pourront douter que j’aie choisi en toi l’homme le plus digne de me remplacer auprès d’eux »386.

Graham P. Burton, en étudiant les mécanismes du fonctionnement de l’État romain, de la mort d’Auguste à celle d’Alexandre Sévère, affirme avec raison que ce type d’échanges entre empereurs et promagistrats constituait le socle de l’administration des provinces romaines : « The exchange of correspondence, logistically underpinned by the system of courriers and official diplomata created by Augustus, between emperors and provincial governors (and other agents of the state) constituted a key institutional mecanism whereby politico-administrative problems in the provinces were raised and resolved by imperial state »387. Mais bien avant cela, vers la fin du dernier des empereurs julio-claudiens, on a pu également mesurer la responsabilité des gouverneurs dans leurs provinces respectives lors de l’insurrection conduite par Galba à travers une des réactions de Néron face à ce mouvement qui allait entraîner sa perte : « On croit, rapporte Suétone, dès le commencement de l’insurrection, qu’il avait formé une foule de projets abominables, mais nullement opposés à son caractère : celui d’envoyer des successeurs et des assassins aux gouverneurs de

disposons là-dessus que d’un texte dans la Vie d’Alexandre Sévère dont la portée est du reste fort limitée, vu qu’il ne semble porter que sur l’équipement d’un gouverneur nouvellement nommé ; Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLII, 4 : Iudices cum promoueret, exemplo ueterum, ut et Cicero docet, et argento et necessariis instruebat, ita ut praesides prouinciarum acciperent argenti pondo uicena, mulas senas, mulos binos, equos binos, uestes forenses binas, domesticas binas, balneares singulas, aureos centenos, cocos singulos, muliones singulos et, si uxores non haberent, singulas concubinas, quod sine his esse non possent, reddituri deposita administratione mulas, mulos, equos, multiones et cocos, cetera sibi habituri, si bene egissent, in quadruplum reddituri, si male, praeter condemnationem aut peculatus aut repetundarum ; lire : « Lorsqu’il nommait des gouverneurs, il suivait l’exemple des anciens que nous rapporte entre autres Cicéron en leur fournissant argent et articles de première nécessité. C’est ainsi que chaque gouverneur de province recevait vingt livres d’argent, six mules, deux mulets, deux chevaux, deux tenues de fonction, deux d’intérieur et une de bain, cent pièces d’or, un cuisinier, un cocher et, s’il n’était pas marié, une concubine, car il ne pouvait vivre sans femme. Cependant lorsqu’il quittait sa charge de gouverneur, il devait rendre mules, mulets, cocher et cuisinier ; quant au reste il pouvait le conserver s’il s’était bien acquitté de sa tâche mais, dans le cas contraire, il devait le rendre au quadruple de sa valeur, indépendamment d’une condamnation pour péculat ou concussion ». 386 Pline le Jeune, Let., X, 18 (29) : Prouinciales, credo, prospectum sibi a me intelligent. Nam et tu qui ad eosdem mei loco mittereris. 387 Cf. « The Roman Imperial State… », Chiron, XXXII, 2OO2, p. 161.

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provinces et aux chefs d’armées, qu’il tenait pour conspirateurs animés d’un seul et même esprit… »388.

Pour certains empereurs, le gouvernement d’une ou de plusieurs provinces peut être perçu comme un prélude virtuel au gouvernement de l’Empire. Sans forcément parler de ceux des usurpateurs qui ont tenté – ou réussi à le faire – de mettre à profit leurs charges provinciales pour revendiquer l’Empire, l’Histoire Auguste révèle, en effet, dans la carrière de plusieurs empereurs, au moins un gouvernement de province389. Ces hauts magistrats se distinguaient par une tenue vestimentaire à laquelle le biographe fait allusion dans un passage relatant les débuts de la vie publique de Septime Sévère à son arrivée à Rome où son heureux destin lui fut signalé par certains signes divins : « Il eut aussi un autre présage de l’Empire : invité un jour à un repas chez l’empereur, il s’y était rendu en manteau alors qu’il aurait dû venir en toge ; on lui prêta alors une toge de gouverneur appartenant à l’empereur »390.

Conformément aux deux types de provinces (sénatoriales et impériales), les gouverneurs sont de deux ordres, avec des normes d’affectation et des durées de charges tout aussi divergentes. Les provinces sénatoriales, comme nous l’avons rappelé plus haut, considérées comme pacifiées et suffisamment romanisées, sont dirigées par des sénateurs avec le titre de proconsul (pro consul) et sont généralement tirées au sort. Une allusion à ce tirage au sort sert à Tertullien de support pour démontrer le caractère léger de la rumeur par rapport au fait appuyé par une preuve tangible : « (Une fois la preuve établie) … personne ne dit plus, par exemple : ‘’Le bruit court qu’un tel a tiré au sort une province : mais bien : ‘’Un tel a tiré au sort une province …’’ »391.

Cette pratique de tirage au sort des gouverneurs de province est attestée comme étant toujours en vigueur au Bas-Empire dans une lettre de Fronton à Marc Aurèle où le rhéteur nous révèle son infortune face à un prétendant mieux prédisposé grâce à sa progéniture : « Que j’aie donné tous mes soins…, que j’aie prodigué toute l’activité de mon zèle à m’acquitter de mes fonctions proconsulaires, c’est ce que témoigne le fait même. Car, tant que l’incertitude a duré, j’ai contesté sur les droits du sort ; et 388

Suétone, Nér., XLIII, 1 : Initio statim tumultus multa et inmania, uerum non abhorrentia a natura sua, creditur destinasse : successores percussoresque summittere exercitus et prouincias regentibus, quasi conspiratis idemque et unum sentientibus… 389 Cf. notre corpus des promagistrats nommément cités dans l’Histoire Auguste sur le tableau ci-dessus, p. 231 sq. 390 Scriptores ..., Sévère, I, 7 : Habuit et aliud omen imperii : cum rogatus ad cenam imperatoriam palliatus uenisset, qui togatus uenire debuerat, togam praesidiariam ipsius imperatoris accepit. 391 Tertullien, Apol., VII, 10 : Nec quisquam dicit, uerbe gratia … « Fama est illum prouinciam sortitum » ; sed « Sortitus est ille prouinciam …».

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lorsque par le droit des enfants un autre vint à occuper la première place, j’ai accepté comme de mon choix l’opulente province qui me resta »392.

Quant aux provinces impériales, mal pacifiées intérieurement ou exposées à des invasions extérieures et à ce titre placées sous l’autorité personnelle de l’empereur, leurs dirigeants étaient choisis par lui (de préférence parmi les chevaliers depuis Auguste) et demeuraient en poste selon sa seule volonté, avec le titre de légats. L’Histoire Auguste ne précise pas toujours, sur une province ou sur son gouverneur, qu’il s’agit d’une province impériale ou sénatoriale, lorsqu’elle donne le titre de certains gouverneurs ou note la présence permanente d’une légion (ou plusieurs) dans l’une d’elles. Souvent même, elle use simplement de formules générales indiquant par exemple que tel magistrat a été placé à la tête de telle province ou que telle province a été confiée à tel magistrat. Ces provinces étant dans un régime commun et connu de tous à son époque, le biographe s’est assurément dispensé un devoir de détail pratiquement superfétatoire aux yeux de ses contemporains, privant la postérité de précisions fort utiles pour nous aujourd’hui. Cette carence peut également s’expliquer par le fait de l’influence du moment de l’élaboration de son 392

Fronton, VIII : Omnem operam me dedisse …, et inpenso studio cupisse fungi proconsulari munere res ipsa testis est. Nam et de iure sortiendi. Quoad incertum fuit, disceptaui et, posquam iure liberorum prior alius apparuit, eam quae mihi remansit splendidissimum prouinciam pro electa habuit. Sur la lex Papia Poppea de l’année 9 ap. J.-C. qui prônait la prépondérance de certains candidats sur leurs adversaires en raison du nombre d’enfants, voir Tacite, Ann., II, 51, 1-2 lors du remplacement du défunt proconsul d’Afrique Vipstanus Gallus : De praetore in locum Vipstani Galli, quem mors abstulerat, subrogando certamen incessit… Contra plerique nitebantur ut numerus liberorum in candidatis praepolleret, quod lex iubebat ; lire : « La désignation d’un préteur à la place de Vipstanus Gallus, que la mort avait enlevé, souleva des discussions… Mais beaucoup insistaient pour que le nombre des enfants donnât la prépondérance parmi les candidats, comme la loi l’ordonnait ». L’attribution des prérogatives garanties par cette Ius trium liberorum ne se subordonnait pas, dans tous les cas, à l’existence effective d’une progéniture. Les termes de deux lettres de Pline le Jeune réclamant la jouissance des avantages de cette loi pour lui-même puis pour son ami Suétone suffisent à le prouver ; Pline le Jeune, Let., X, 2, 1-2 : Exprimere, domine, uerbis non possum quantum mihi gaudium attuleris quod me dignum putasti iure trium liberorum… Videor ergo summam uoti mei consecutus, cum inter initia felicissimi principatus tui probaueris me ad peculiarem indulgentiam tuam pertinere ; eoque magis liberos concupisco, quos habere etiam illo tristissimo saeculo uolui, sicut potes duobus matrimoniis meis credere ; lire : « Maître, je n’ai pas de mots pour exprimer la joie que tu m’as faite en me jugeant digne du privilège réservé aux pères de trois enfants… Je crois donc être au comble de mes vœux, puisqu’au début de ton heureux principat tu me donnes la preuve que je puis compter sur une indulgence particulière de ta part ; et je désire d’autant plus avoir des enfants, moi qui ai voulu en avoir même sous le plus triste des règnes, comme mes deux mariages t’en sont garants » ; et ibid., 94 (95), 2 : Huic ius trium liberorum necessarium faciunt duae causae : nam et iudicia amicorum promeretur et parum felix matrimonium expertus est impetrandumque a bonitate tua per nos habet quod illi fortunae malignitas denegauit ; lire : « Il est indispensable qu’il ait le droit de trois enfants pour deux raisons : d’abord il mérite le bien que lui veulent ses amis ; ensuite son mariage n’a pas été béni et il en est à solliciter de ta bonté par notre intermédiaire ce que la malignité du sort lui a refusé ».

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œuvre ou l’ensemble des provinces romaines se trouvait pratiquement soumis à un même régime sous le contrôle exclusif de l’empereur. Certaines de ces formulations révèlent un fait insolite : l’utilisation du terme praeses pour désigner un gouverneur de province393 avant que son usage ne devienne officiel ou tout simplement familier ; et ce, pas avant le règne de Maximien (286-305). Ce glissement linguistique s’explique par l’influence du moment où le biographe écrit, c’est-à-dire au IVe siècle ap. J.C. : une période à laquelle ce mot était depuis longtemps intégré dans l’expression collective. Il emploie aussi, avec quelque fantaisie le terme iudicus. Est-il nécessaire d’y voir une raison supplémentaire de réduire sa crédibilité ou/et son objectivité historiques ? Nous avons choisi quant à nous de ne pas lui en tenir rigueur, vu que le Gaffiot reconnaît bien au terme praeses ce sens de « celui qui est placé à la tête ; c’est-à-dire qui est le chef, qui préside » que nous adoptons ; surtout aussi après avoir constaté, à plusieurs reprises, l’emploi du même vocable pour désigner le gouverneur de province par des hommes de Lettres bien antérieurs à l’Histoire Auguste et dont la notoriété historique est communément admise. Parmi eux deux auteurs : Suétone, l’un de ses modèles déclaré et reconnu comme tel par notre biographe et dont le nom revient plus d’une fois dans l’ensemble de son œuvre, témoignant ainsi de sa fréquentation effective des travaux de celui-là de ses prédécesseurs qui fut aussi l’epistularum magister d’Hadrien394 ; et, dans une certaine mesure mais 393

Comme ici pour parler de l’administration provinciale d’Hadrien ; Scriptores ..., Hadrien, XIII, 10 : Et circumiens quidem prouincias procuratores et praesides pro factis supplicio adfecit… ; lire : « Et, au cours de cette tournée dans les provinces, il infligea aux procurateurs et aux gouverneurs coupables des peines… ». Ce terme praeses, ainsi employé dans la Vita Hadriani, est anachronique puisque c’est seulement après 235 qu’il est devenu officiel pour désigner le gouverneur de province, comme l’a souligné A. Chastagnol dans une note de sa Vie ; ibid., note, 3, p. 36. Se référer, sur la plupart des formulations utilisées par le biographe pour indiquer la fonction de gouverneur de province, au corpus des personnages nommément cités dans l’Histoire Auguste que nous avons établi plus haut. 394 En effet, au lendemain du désastre de Varus qui faillit bien être fatal pour le principat augustéen en phase d’inauguration, Auguste prit une série de mesures pour prévenir des conséquences fâcheuses aussi bien dans la Ville que dans les provinces romaines. Parmi les précautions prises, Suétone mentionne le maintien à leurs postes respectifs de la plupart des praesides ; Suétone, Aug., 2, XXIII : Hac nuntiata excubias per urbem indixit, ne quis tumultus existeret, et praesidibus prouinciarum propagauit imperium, ut a peritis et assuetis socii continerentur ; lire : « A cette nouvelle, Auguste fit placer des sentinelles dans toute la ville, afin de prévenir tout désordre, et prolongea le commandement des gouverneurs de province, jugeant l’expérience et la pratique nécessaires pour contenir les alliés ». Même usage de ce vocable dans ibid., Tib., XXXII : Praesidibus onerandas tributo prouincias… ; texte cité infra, V, note 537. Que Suétone, tenu dans son recueil (Scriptores ..., Firmus…, I, 1) pour … emendatissimus et candidissimus scriptor… ; lire : « … un historien plein de scrupules et d’objectivité », compte parmi les références à suivre de l’auteur de l’Histoire Auguste est un fait attesté par ce dernier lui-même (ibid., Probus, II, 7 : … et mihi quidem id animi fuit, non Sallustum, Liuio, Tacitos, Trogos atque omnes disertissimos imitarer uiros in uita principum et temporibus disserendis, sed Marium Maximum, Suetonium

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sans prétendre à une faveur égale aux yeux de l’auteur de l’Histoire Auguste, l’empereur Tacite395. Pour la réussite de sa mission, le praeses est assisté d’une équipe de collaborateurs (officium) dont une bonne partie est réunie par lui-même. Ainsi s’y prit Fronton sur le point de se rendre en Asie où il venait d’être affecté : « Je disposai ensuite avec soin tout ce qui tendait à régler mon gouvernement, afin de pouvoir, plus aisément, à l’aide de mes amis, exécuter de si grands travaux. Je fis venir chez moi mes proches et tous ceux dont je connaissais la foi et l’intégrité. J’écrivis à mes amis d’Alexandrie de se rendre au plus tôt à Athènes, et de m’y attendre ; et ce fut à ces savants hommes que je confiai le soin d’écrire les lettres en Grec. J’engageai même des personnages fort illustres à venir de Cilicie ; car j’ai là de nombreux amis, pour avoir toujours, homme public ou privé, défendu devant toi les intérêts de cette province. J’ai appelé aussi de Maurétanie, Julius Sénex, un homme qui me porte au cœur et à qui je rends une vive affection… »396.

Les autres collaborateurs du gouverneur sont naturellement nommés par l’empereur qui pouvait d’ailleurs, à tout moment et au rythme des exigences de sa politique générale, créer de nouveaux services en y affectant des agents de son choix. L’Histoire Auguste rapporte par exemple qu’Hadrien aurait été

Tranquillum… ceterosque, qui haec et talia non tam diserte quam uere memoriae tradiderunt ; lire : « … du reste, je n’ai pas eu l’intention, pour exposer la vie des princes et leur époque, d’imiter un Salluste, un Tite-Live, un Tacite, un Trogue et tous les écrivains les plus éloquents, mais Marius Maximus, Suétone Tranquillus… et tous ceux qui, dans leur narration de ces faits et d’autres du même genre, ont moins recherché l’élégance que la véracité ». Sur ses fonctions de magister epistularum auprès d’Hadrien, voir Scriptores ..., Hadrien, XI, 3 : Septicio Claro praefecto praetorii et Suetonio Tranquillo epistularum magistro multisque aliis, quod apud Sabinam uxorem iniussu eius familiarius se tunc egerant, quam reuerentia domus aulicae postulabat, successores dedit… ; lire : « Il destitua le préfet du prétoire Septicius Clarus, le maître du bureau de la correspondance Suétonius Tranquillus ainsi que beaucoup d’autres parce qu’ils avaient eu vis-à-vis de son épouse Sabine et à son corps défendant une attitude plus familière que ne le tolérait l’étiquette de la maison impériale ». Sur les circonstances de ces mesures et d’autres précisions y relatives, cf. la note 3 de l’édition de l’Histoire Auguste d’A. Chastagnol, p. 32. 395 Sur les mobiles de la tentative de rébellion des Éduens et des Trévires en Gaules, il cite notamment la superbia praesidentium : « Ainsi donc, dans les conciliabules et les réunions, ils tenaient des discours séditieux sur la permanence des tributs, le poids de l’usure, la cruauté et l’orgueil des gouverneurs… » ; texte cité infra, V, note 554. 396 Fronton, VIII : Postilla quaeque ad instruendam prouinciam adtinerent, quo facilius a me tanta negotia per amicorum copias obirentur, sedulo praeparaui : propinquos et amicos meos, quorum fidem et integritem cognoueram, domo acciui ; Alexandriam ad familiares meos scripsi, ut Athenas festinarent ibique me oerirentur, iisque Graecarum epistolarum curam doctissimis uiris detulli ; ex Cicilia etiam splendidos uiros, quod magna mihi in ea prouincia amicorum copia est, ut uenirent hortatus sum. Ex Mauretania quoque uirum amantissimum mihique mutuo carum Iulium Senem ad me uocaui…

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le premier à créer la fonction d’avocat du fisc397, dont la tâche consistait vraisemblablement à défendre les intérêts du fisc dans les procès, initiative probablement liée à la recrudescence des litiges nés des questions fiscales. Dans leurs provinces, les praesides, tout comme quelques-uns de leurs collaborateurs, sont accompagnés d’appariteurs de préférence militaires dont le nombre varie selon l’importance de la fonction. D’après l’Histoire Auguste, sous le règne d’Alexandre Sévère, le tribun était précédé de quatre, le dux de six et le gouverneur de dix : « Il interdit aux tribuns et aux généraux d’avoir des appariteurs qui ne soient pas des militaires et stipula que devant un tribun marcheraient quatre soldats, devant un général six et devant un légat dix, qu’ils devaient chacun loger chez eux »398.

B) Des légats (militaires) Ce sont généralement, dans les provinces sénatoriales, les collaborateurs de premier rang des gouverneurs qu’ils assistent dans diverses tâches et responsabilités et qu’ils peuvent suppléer dans certaines de leurs fonctions administratives et judiciaires. Cependant, leurs principales attributions relèvent du domaine militaire. Plusieurs d’entre eux ont été de véritables artisans du maintien de la paix partout où une intervention militaire s’est avérée indispensable. Toute l’action militaire d’Antonin le Pieux reposa exclusivement sur eux : « Il livra de nombreuses guerres, mais par l’intermédiaire de ses légats. Ainsi, il fut vainqueur des Bretons grâce à son légat Vrbicius … En Achaïe et en Égypte, il réprima aussi des rébellions et stoppa fréquemment les tentatives des Alains »399.

On compte ainsi un legatus par province sénatoriale désigné par le Sénat, à en croire l’Histoire Auguste qui nous révèle que Septime Sévère fut nommé légat en Afrique auprès de son grand-oncle C. Septime Aper : « Puis à la suite de sa questure en Sardaigne, il fut nommé légat du proconsul d’Afrique »400.

397

Scriptores ..., Hadrien, XX, 6 : Fisci aduocatum primus instituit. Cette tâche revenait prioritairement à de jeunes chevaliers dont le rôle prescrit consistait à défendre les intérêts du fisc dans les différents procès engageant leurs responsabilités. 398 Scriptores ..., Alexandre Sévère, LII, 4 : Apparitores denique nullos esse passus est tribunis aut ducibus milites iussitque, ut ante tribunum quattuor milites ambularent, ante ducem sex, ante legatum decem, hique ad domos suos reciperent. 399 Scriptores ..., Antonin le Pieux, V, 4-5 : Per legatos suos plurima bella gessit. Nam et Britannos per Lollium Vrbicum uicit legatum… In Achaia etiam atque Aegyptum rebelliones repressit. Alanos molientis saepe refrenauit. 400 Scriptores ..., Sévère, II, 5 : Acta igitur quaestura Sardiniensi legationem proconsulis Africae accepit.

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Comme lui, entre autres exemples, le fils de Gordien accompagna son père lors de son proconsulat, en qualité de légat : « En effet, sous le règne de Maximin, un homme cruel et féroce, il (Gordien le père) gouvernait l’Afrique comme proconsul, accompagné de son fils déjà consulaire, que le Sénat lui avait donné comme légat… »401.

Mais la nature de ses fonctions montre que le proconsul devait nécessairement approuver le choix du Sénat, sinon l’inspirer, dans les cas où celui-ci portait sur une personne éloignée du gouverneur. Il n’y a naturellement pas lieu de confondre ces légats avec ceux des provinces impériales où ils sont de deux ordres : le légat commandant de légion et le légat d’Auguste propréteur. Lorsqu’une province renferme plus d’une légion, le légat d’Auguste propréteur, son gouverneur, est nécessairement un consulaire ; tandis que dans les provinces à une seule légion en garnison, le gouverneur est un ancien préteur. C) Des procurateurs financiers A la création de leur magistrature, les procurateurs sont chargés de toutes les transactions officielles relevant du domaine financier aussi bien dans les provinces impériales que sénatoriales, comme l’a précisé H.-G. Pflaum : « Considérée dans son ensemble, l’origine des procurateurs est double, selon le domaine où ils exercent leurs fonctions : employés domestiques ou privés du prince dans les provinces sénatoriales, employés impériaux et fonctionnaires publics dans la partie de l’Empire remise à l’empereur lors du fameux partage de 27 avant J.-C. Le développement ultérieur de ces données ne fait aucun doute, poursuit-il : le service domestique du prince est considéré de plus en plus comme service officiel, et l’on peut dire que toutes les réformes de la période impériale ont pour but de remplacer les titulaires affranchis de certains emplois de la cour par des chevaliers romains »402. A ce titre, ils jouent le double rôle de receveur (ou trésorier) et de payeur général. Ils recouvrent la totalité des sommes dues à la caisse impériale et règlent la plupart des dépenses de l’État. Leur pouvoir est considérable mais surtout générateur de plusieurs abus. Le phénomène n’est pas nouveau et le témoignage de Tacite sur l’état d’esprit des Bretons peu avant le gouvernorat de son beau-père, excédés par le poids des charges liées à leur assujettissement à Rome, est là-dessus très révélateur : « En effet, rapporte-t-il à propos de leur révolte de 61 ap. J.-C., enhardis par l’absence du gouverneur, les Bretons s’entretiennent des maux de la servitude, se font part des injustices subies, et, par leurs commentaires, les enveniment : la 401 Scriptores ..., Les trois Gordiens, VII, 2 : Nam cum temporibus Maximini, hominis saeui atque truculenti, pro consule Africam regeret, iam ex consulibus filio sibimet legato a senatu dato… ; texte plus amplement exploité infra, note 639. 402 Cf. H.-G. Pflaum, Abrégé..., Paris, 1974, p. 4.

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patience ne sert à rien qu’à faire imposer des charges plus lourdes à ceux qui les acceptent docilement ; jadis ils n’avaient qu’un roi à la fois, maintenant ils en subissent deux, qui en veulent, le gouverneur, à leur vie, le procurateur à leurs biens… »403.

Leurs exactions sont également attestées par des mesures que Marc Aurèle aurait pris soin de prendre, tout au début de son règne, pour en réduire les effets : « Il eut un tel souci de sa réputation que, tout jeune encore, il exhorta ses procurateurs à ne pas se montrer trop arrogants… »404.

L’Histoire Auguste révèle que ces procurateurs jouissaient de prérogatives telles qu’ils pouvaient s’opposer aux injonctions d’un gouverneur et ne se soumettaient manifestement qu’à l’autorité du prince. Ainsi l’empereur Commode pensa-t-il à donner, au préalable, des instructions à ses agents financiers qui auraient pu, le cas échéant, s’opposer à des prérogatives financières qu’il avait lui-même accordées à Clodius Albinus : « Tu auras d’autre part, une fois cette décision prise, toute latitude pour accorder une solde allant jusqu’à trois pièces d’or : j’ai en effet envoyé à ce sujet à mes procurateurs des lettres que tu recevras signées du sceau de l’Amazonien405 et que tu présenteras, si nécessaire, aux agents comptables, afin qu’ils n’opposent pas de refus aux dispositions relatives au Trésor public que tu voudrais prendre »406.

De telles mesures montrent à suffisance combien était grande leur autonomie, vu que les gouverneurs de provinces avaient besoin de leur aval pour engager leurs dépenses. Aussi peut-on plus aisément comprendre la démarche auprès de l’empereur Commode de fermiers carthaginois, résolus de ne plus subir en silence les abus des procurateurs en service dans leur région : « (Il faut que tu sois informé) de la collusion de ton procurateur qu’il a pratiquée non seulement avec Allius Maximus notre adversaire, mais avec presque tous les fermiers, contre le bon droit, et au détriment de tes revenus, sans garder aucune 403

Tacite, Agr., XV, 1-2 : Namque absentia legati remoto metu Britannni agitare inter se mala seruitutis, conferre iniurias et interpretando accendere : nihil profici patientia nisi ut grauiora tamquam ex facili tolerantibus imperentur. Singulos sibi olim reges fuisse, nunc binos imponi, e quibus legatus in sanguinem, procurator in bona saeuiret… 404 Scriptores ..., Marc Aurèle, VII, 1 : Existimationis autem tantam curam habuit, ut et procuratores suos puer semper moneret, ne quid arrogantius facerent… 405 Cognomen que se serait attribué Commode par amour pour une concubine nommée Marcia qui appréciait le portrait en tenue d’Amazone ; Scriptores ..., Commode, II, 8-9. 406 Scriptores ..., Clodius Albinus, II, 4 : Habebis praeterea, cum id feceris, dandi stipendii usque ad tres aureus liberam potestatem, quia et super hoc ad procuratores meos litteras misi, quas ipse signatas excipies signo Amazonio et, cum opus fuerit, rationalibus dabis, ne te non audiant, cum de aerario uolueris imperare.

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mesure. En sorte qu’il s’est abstenu depuis plusieurs années de tenir compte de nos démarches, de nos supplications, de nos appels à votre divin rescrit407. En outre, cédant aux manœuvres de ce même Allius Maximus, qui est dans ses meilleures grâces, il a envoyé des soldats dans ce même domaine de Buruni, a fait arrêter et maltraiter certains d’entre nous, en a fait enchaîner d’autres, et battre de verges et de bâtons quelques-uns qui étaient pourtant citoyens romains. Tout cela sous prétexte que, en présence d’une injustice si grave eu égard de notre faiblesse, et si évidente, nous avions, en implorant votre Majesté, écrit une lettre innocente… Cela nous oblige, misérables que nous sommes, à supplier de nouveau ta divine providence. C’est pourquoi nous te demandons, empereur très sacré, de nous secourir ; qu’en vertu du paragraphe cité ci-dessus de la lex Hadriana, qui supprime ce droit, soit supprimé aux procurateurs et fermiers le droit d’augmenter au détriment des colons les redevances sur les cultures, les corvées et les prestations d’attelage. Que conformément aux circulaires procuratoriennes qui sont conservées dans le bureau impérial du district domanial de Carthage, nous ne devions pas plus de deux jours par an respectivement pour les labours, les sarclages et les moissons. Il ne doit pas y avoir de discussion sur ce point, établi dans le règlement perpétuel, gravé sur le bronze, qui a été appliqué de tous côtés à tous les voisins, et qui est confirmé par les circulaires procuratoriennes citées ci-dessus. Viens à notre secours, car nous sommes de pauvres paysans, gagnant notre vie grâce à notre travail manuel, incapables de rivaliser auprès de tes procurateurs avec le fermier qui s’assure leurs bonnes grâces par de somptueux cadeaux, et qui est bien connu d’eux parce qu’il a maintes fois renouvelé son contrat. Aie pitié de nous et daigne ordonner par ton rescrit sacré que nous n’ayons pas à fournir plus que ce qui est prescrit par la lex Hadriana et les circulaires procuratoriennes, soit trois fois des corvées de deux jours chacune. Ainsi, par la bonté de ta majesté, nous tes paysans, nés et élevés sur tes domaines, nous ne serons plus tourmentés par les fermiers des terres impériales… »408.

Ce trait des prérogatives des procurateurs ne pose cependant pas, à vrai dire, un problème de préséance entre eux et les gouverneurs de provinces qui occupèrent toujours un rang hiérarchique prépondérant dans leurs circonscriptions administratives. C’est à ce titre qu’il leur incombait par exemple de fournir à l’empereur, comme l’indique une lettre de Pline le Jeune à Trajan, un certificat de bonne conduite aux procurateurs en fin de service : « Maître, Maximus, ton affranchi et procurateur, pendant tout le temps où nous avons été ensemble, m’est apparu probe, actif, zélé, aussi soucieux de tes intérêts

407

On y trouve, dans le C.I.L., 10570, les prescriptions suivantes : L’empereur César Marcus Aurélius Commodus Antoninus Auguste Sarmaticus Germanicus Maximus à Lurius Lucullus et les autres. / Les procurateurs, en application de la loi et de mes décisions, auront soin que vous n’exigiez pas plus de trois corvées de deux jours chacune, ni rien qui soit injuste et contraire au règlement perpétuel. 408 Texte extrait d’un ouvrage de J.-P. Martin, Le siècle…, Paris, 1977, pp. 85-86.

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qu’attaché à la discipline ; je lui donne pour toi volontiers ce certificat avec toute la sincérité que je te dois »409.

Les termes de cette correspondance indiquent clairement que Pline avait toute latitude de lui refuser ce certificat ou d’y indiquer, le cas échéant, un avis moins favorable au procurateur, compromettant, dans ce dernier cas, la carrière ultérieure de l’intéressé. Mais ils attestent aussi des débordements possibles dans le comportement de certains procurateurs manquant de discipline (disciplina) et de probité (probitas). Quoiqu’il en soit, la position des uns et des autres a plus souvent été déterminée par le tempérament de l’empereur et la nature des relations entretenues avec lui. Outre ces contrôleurs financiers traditionnels, l’empereur pouvait dépêcher dans les provinces – souvent à leur demande – des curateurs de cités avec pour mission d’y régler des difficultés financières ponctuelles. Marc Aurèle recourut à cette méthode dans le double but, nous dit le biographe, de redresser des finances publiques mises en souffrance et de réhabiliter le Sénat, dont l’influence dans la vie publique de Rome était nécessairement devenue obsolète à ses yeux : « En matière d’approvisionnement public, il prit un grand nombre de sages mesures. Il accorda à de nombreuses cités des curateurs issus du Sénat afin d’étendre encore les prérogatives sénatoriales »410.

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Pline le Jeune, Let., X, 85 (17) : Maximum, libertum et procuratorem tuum, domine, per omne tempus quo fuimus una probum et industrium et diligentem ac sicut rei tuae amantissimum, ita disciplinae tenacissimum expertus libenter apud te testimonio prosequor ea fide quam tibi debeo. 410 Scriptores ..., Marc Aurèle, XI, 2 : De alimentis publicis et multa prudenter inuenit. Curatores multis ciuitalibus, quo laius senatorias tenderet dignitates, a senatu dedit. Les curateurs de cité étaient donc des sénateurs mandatés par l’empereur, pour un temps déterminé, dans des villes qui en avaient fait la demande pour y régler des difficultés financières ponctuelles. Le sort du Sénat au sein de l’Empire a souvent varié au rythme de ses rapports avec l’empereur régnant. Selon que ce dernier eût des raisons de craindre une entrave à son propre pouvoir à causse de cette institution, plusieurs restrictions furent conçues et infligées aux sénateurs, comme ici, entre bien d’autres cas, sous Néron ; Suétone, Nér., XXXVII, 5-6 : … multasque nec dubias significationes saepe iecit, ne reliquis quidem se parsurum senatoribus, eumque ordinem sublaturum quandoque e re p(ublica) ac prouincias et exercitus equiti R(omani) ac libertis permissurum. Certe neque adueniens neque profiscens quemquam osculo impertiit ac ne resalutatione quidem ; et in auspicando opere Isthmi magna frequentia clare « ut sibi ac populo R(omano) bene res uerteret » optauit dissimulata senatus mentione ; lire : « … et souvent il laissa entendre, par nombre d’allusions fort claires, qu’il n’épargnerait non plus le reste du Sénat, qu’un jour il ferait disparaître cet ordre de la République, pour confier les provinces et les armées à des chevaliers romains et à des affranchis. En tout cas, ni quand il arrivait au Sénat ni lorsqu’il en partait, il ne donnait l’accolade à personne et ne répondait même pas aux saluts ; et, avant de commencer les travaux de l’Isthme [celui de Corinthe], il dit à haute voix, devant une foule considérable ‘’qu’il souhaitait la réussite de l’entreprise, pour lui et pour le peuple romain’’, sans faire mention du Sénat ».

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L’Histoire Auguste s’est montrée très avare sur des détails relatifs aux traitements des différents promagistrats ; traitement qui devait correspondre, sans doute, à l’importance de leur fonction, elle-même tributaire du niveau de richesse de chacune des provinces en présence. Nous aurions bien aimé disposer de données statistiques valables pour apprécier, non seulement la valeur morale de la force de travail en termes d’émoluments accordés aux uns et aux autres pour différents services rendus à l’administration impériale par le biais d’une promagistrature assumée ici ou là, mais aussi leur progression à travers la carrière de chacun : en somme, une sorte de grille salariale. Mais l’Histoire Auguste, qui ne s’est permis que quelques allusions concernant cet aspect pourtant vital dans la carrière de tous, ne nous permet pas d’établir un éventail fiable des revenus salariaux des agents provinciaux. Quels ont pu par exemple être – en chiffres – le salaire ainsi doublé et la solde quadruplée que Marc Aurèle aurait, aux dires de l’Histoire Auguste, accordés à Clodius Albinus comme mesures d’accompagnement de sa nomination à la tête de deux cohortes : « J’ai préposé au commandement de deux cohortes montées Albinus, qui appartient à la famille des Cellonii, qui est certes d’origine africaine mais n’a pas grand-chose d’un Africain, et qui est le gendre de Plautillus. C’est un homme d’expérience, à la vie austère et au caractère rigoureux. Je pense qu’il rendra service à l’armée ; en tout cas je suis sûr qu’il ne lui portera pas préjudice. Je lui ai fait doubler son salaire et attribuer un uniforme ordinaire mais correspondant à son rang, et une solde quadruplée »411 ?

Rien dans le texte, de même que dans le reste de l’œuvre ne nous permet d’en esquisser une réponse rationnelle. En effet, ce n’est pas en se limitant chaque fois à révéler des mesures d’augmentation ou d’instauration d’un salaire en faveur de tel ou tel magistrat que notre source aurait pu nous aider à quantifier les traitements des uns et des autres. Nous pouvons tout juste, par exemple, affirmer que Pescennius Niger : « alloua un salaire aux assesseurs pour qu’ils ne soient pas à la charge de ceux qu’ils assistaient, car, disait-il, un juge ne doit ni donner ni recevoir »412.

De même qu’il ne nous est permis que d’affirmer d’Alexandre Sévère : « (qu’il) instaura (lui aussi) un salaire pour les assesseurs, tout en ayant dit souvent que seul méritaient des promotions ceux qui étaient capables de gérer les affaires de l’État sans l’aide d’assesseurs… »413. 411

Scriptores ..., Clodius Albinus, X, 6-8 : Albino ex familia Ceioniorum, Afro quidem homini sed non multa ex Afris habenti, Plautilli genero, duas cohortes alares regendas dedi. Est homo exercitatus, uita tristis, grauis moribus. Puto eum rebus castensibus profuturum, certe offuturum esse [non] satis noui. Huic salarium duplex decreui, uestem militarem simplicem, sed loci sui, stipendum quadruplum. 412 Scriptores ..., Pescennius Niger, VII, 6 : Addidit praeterea consiliariis salaria, ne eos grauarent, quibus adsidebant, dicens iudicem nec dare debere nec accipere.

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La propension de ce dernier à la pondération pour tout ce qui concerne l’exercice des charges publiques est du reste soulignée ailleurs dans sa Vie où nous apprenons qu’il insista à promouvoir au prestigieux poste de préfet du prétoire un homme qui avait pourtant décliné cette offre : « Il avait désigné comme second préfet du prétoire un homme qui avait pris la fuite pour échapper à cette nomination : il disait en effet qu’il fallait confier les charges de l’État à ceux qui n’en voulaient pas et non à ceux qui intriguaient pour les avoir »414.

Il s’agit là encore, pour revenir à la question des émoluments des promagistrats, d’une de ses « négligences » sur des sujets qui ne méritaient point d’attention particulière aux yeux du biographe, étant certainement à la portée de tous pour ses contemporains. C’est pourquoi il a parlé par exemple d’« avantages beaucoup plus substantiels » dans la Vita Aureliani, convaincu que chacun de ses lecteurs contemporains connaissait les normes traditionnelles en la matière : Vellemus quidem singulis quibusque deuotissimis rei p(ublicae) uiris multo maiora deferre compendita, quam eorum dignitas postulat, maxime ubi honorem uita commendat…415.

Rien qu’une fois il nous donne un chiffre correspondant au stipendium de Helvius Pertinax placé à la tête de la Dacie : « De là (il commandait la flotte en Germanie) il fut transféré en Dacie avec un salaire de deux cent mille sesterces… »416.

A titre indicatif, le biographe nous donne à comparer le salaire accordé à Claude II en qualité de général de tout l’Illyricum à celui d’un curateur chargé de l’exploitation des mines : « Il a été nommé général et, qui plus est, général de tout l’Illyricum, souligne-t-il. Il a sous ses ordres les armées de Thrace, de Mésie, de Dalmatie, de Pannonie, de Dacie… Apprends d’autre part que nous lui avons alloué un traitement correspondant à celui du préfet d’Égypte, la même quantité de vêtements que nous avons attribuée au proconsul d’Afrique, autant d’argent que reçoit le curateur chargé de l’exploitation des mines en Illyricum, autant de serviteurs que

413 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLVI, 1 : Adsessoribus salaria instituit, quamuis saepe dixerit eos esse promouendos, qui per se rem p(ublicam) gerere possent, non per assessores… 414 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XIX, 1 : Alterum praef(ectus) praet(orii) fecit qui ne fieri, etiam fugerat, dicens inuitos, non ambiantes in re p(ublicae) conlocandos. 415 Scriptores ..., Aurélien, IX, 2 ; texte cité supra, note 261. Pour une approche des rémunérations au Bas-Empire, on se rapportera à l’article d’A. Chastagnol, qui traite des « Remarques sur les salaires et rémunérations …, L’ERMA, Rome, 1994, p. 373 sq. 416 Scriptores ..., Helvius Pertinax, II, 4 : Inde ad ducenum sestertiorum stipendium translatus in Daciam…

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nous même avons destinés à notre usage personnel dans chaque cité, afin que tout le monde comprenne en quelle considération nous tenons un tel homme »417.

Tous émoluments qui placent leurs bénéficiaires au très haut niveau des traitements d’agents impériaux en provinces418. L’influence des procurateurs a fini par supplanter l’action des questeurs dans les provinces sénatoriales qui virent plusieurs de leurs ressources aboutir au fiscus impérial et non plus à l’aerarium Saturni, la caisse laissée au Sénat par Auguste419. Ces derniers demeuraient cependant des auxiliaires indispensables au fonctionnement des provinces sénatoriales où ils continuèrent à seconder utilement leurs gouverneurs respectifs. Des mesures qu’aurait prises Alexandre Sévère montrent bien l’importance de la questure qui pouvait ainsi conduire au gouvernement d’une province : « Il décida que les questeurs candidats offriraient à leurs frais des jeux au peuple mais assurés d’obtenir la préture après leur questure, puis de recevoir un gouvernement de province »420.

Toutefois, quelle que fût l’habileté à leurs tâches respectives dans les provinces, la réussite des promagistrats reposa surtout, dans une très large mesure, sur l’implication rationnelle des populations locales.

417

Scriptores ..., Claude, XV, 2, 4 : Dux factus est et dux totius Illyrici. Habet in potestatem Thracios, Moesos, Dalmatas, Pannonios, Dacos exercitus… Sane scias tantum uestium, quantum proconsulatui Africano detulimus, tantum argenti, quantum accipit curator Illyrici metallarius, tantum ministeriorum, quantum nos ipsi nobis per singulas quasque decernimus ciuitates, ut intellegant omnes, quae sit nostra de uiro tali sententia. 418 Pour plus de détails sur les traitements des uns et des autres parmi les magistrats romains en service à Rome comme en provinces et sur le principe du salaire comme expression de la hiérarchie au sein de l’administration provinciale romaine, lire J.-P. Martin, Les provinces romaines…, Paris, 1990, p. 139 sq. ; mais surtout, dans un cadre plus général, l’étude de S. Mrozek, Prix et rémunération…, Gdansk, 1975, p. 70 sq. qui présente le double intérêt de souligner le caractère particulier de la rémunération dans l’Antiquité et de réunir un bon éventail de sources relatives à la question dont il précise qu’elles en fournissent deux catégories de renseignements : « La première (catégorie), très précise, donne le montant de ce qu’on pourrait appeler ‘’les salaires’’ ; la seconde concerne des chiffres obtenus par déduction des capitaux destinés ad tutelam, c’est-à-dire à entretenir des objets divers tels que des bassins, des tombeaux, des monuments, etc. », p. 70. 419 Des précisions utiles sur le fiscus et l’aerarium se trouvent dans une excellente étude de A.H.M. Jones, « The Aeararium and the Fiscus … », J. R. S., XL, 1950, pp. 22-29. Cet article est aussi disponible dans une compilation des publications de ce grand romaniste intitulée Studies in Roman Government and Law, Oxford, 1968, pp. 99-114. 420 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLIII, 3 : Quaestores candidatos ex sua pecunia iussit munera populo dare, sed ita ut post quaesturam praesturas acciperent et deinde prouincias regerent. A. Chastagnol a cependant attiré l’attention sur le fait que « cette définition de questeurs candidats n’est valable qu’à partir du IVe siècle, à un moment où l’échelon du tribunat de la plèbe ou de l’édilité n’existe plus dans la carrière des sénateurs » ; cf. note 2 de cette Vie, p. 610.

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III – 3 : Les place et rôle de l’élite locale L’une des missions fondamentales des administrateurs provinciaux, à côté de la nécessité de fructifier les ressources existantes au bénéfice de Rome ou du prince, était sans doute de garantir un équilibre positif des rapports entre les autochtones et le pouvoir central. En effet, la perspective d’une meilleure assimilation des orientations de l’administration des provinces romaines ne pouvait s’envisager sans une implication suffisante de l’élite421 locale. La romanisation des populations vaincues par les armes exigeait, à ce titre, une forme de participation des provinciaux à l’exécution des programmes conçus par Rome. Plusieurs auteurs modernes depuis Gibbon ont ainsi directement ou indirectement vu, dans les principaux mécanismes du « déclin de Rome », l’insuffisance de cette implication en la reliant tacitement à l’incapacité des classes dirigeantes de mieux intégrer les masses provinciales par opposition à la seule et stricte notion d’élite locale. C’est cette carence qui aurait conduit à plusieurs des luttes sauvages qui jalonnent l’histoire conjuguée de Rome et ses dépendances coupables, aux yeux des Romains, d’avoir manifesté des velléités d’obtenir par la force une égalité qu’aucun autre moyen ne semblait pouvoir leur garantir. Aussi P. Cosme a-t-il souligné avec raison que « Les victoires sur le champ de bataille n’auraient pas permis à Rome d’établir durablement sa domination si elle n’avait pu compter sur le soutien des élites provinciales qui voyaient dans sa présence un facteur de stabilité sociale. Assurées de voir leur position éminente maintenue au sein de leurs communautés respectives, souvent séduites par les perspectives d’intégrer les ordres supérieurs de la société romaine, celles-ci se firent les relais indispensables du pouvoir central, qui n’avait pas les moyens d’une administration directe et n’imaginait pas d’autre forme d’organisation que la cité »422. Dans le même temps cependant, ces populations locales, déjà frustrées par l’aliénation de leur droit à la liberté et à la libre jouissance de leurs propres ressources naturelles, s’insurgeaient invariablement contre l’exception accordée à 421

Ce terme est ici utilisé surtout dans son sens « colonial » le plus strict où il désigne souvent un groupe restreint ayant, dans une communauté, des privilèges fondés prioritairement sur l’entente – c’est-à-dire la connivence ou encore l’intelligence – avec le colonisateur et non sur des qualités intrinsèques réelles reconnues par tous. Lorsqu’on constate que tout colonisateur avisé ne pouvait promouvoir dans sa colonie que des sujets acquis à ses intérêts – et, justement à ce titre, néfastes pour leurs concitoyens – il apparaît que le sens premier de ce vocable est ici quelque peu controversé. Lire à ce propos notre article intitulé « Elites et Communautés… », C.E.R.L.E.S.H., XXXII, Ouagadougou, 2009, pp. 1-23. 422 Cf. P. Cosme, L’État romain…, Paris, 1998, p. 53. L’auteur insiste sur cet aspect un peu plus loin où nous pouvons lire, p. 67 : « Ce n’est pas seulement par la force de ses armes que Rome s’est imposée. Elle n’a pu consolider durablement les succès remportés sur les champs de bataille ou par la voie diplomatique qu’en cherchant, chez les peuples ou dans les cités qu’elle dominait, des relais à son influence. En sachant intégrer progressivement leurs élites, qui pouvaient accéder à la citoyenneté romaine et participer à la gestion de l’Empire, elle contribuait à l’affermissement de celui-ci ».

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l’« élite locale », souvent perçue comme traitresse en tant que complice de l’envahisseur spoliateur. Une telle conviction de l’impérieuse nécessité d’associer les autochtones à l’action politique et économique des provinces romaines n’était du reste pas inconnue des tout premiers dirigeants romains. Tacite dévoile pour nous la position de l’empereur Claude (le Julio-Claudien) qui, sans aller jusqu’aux extrêmes de l’Édit de Caracalla ouvrant la citoyenneté romaine à tous en 212 ap. J.-C., tenta tout de même une large intégration des provinciaux aux droits acquis aux Romains, pensant ainsi éviter des écueils ayant coulé plus d’un régime avant le sien. Écoutons plutôt, pour une meilleure appréciation de la « politique extérieure » du principat, ce qu’il aura objecté, d’après la transcription dans un langage plus direct du discours de l’empereur Claude I immortalisé sur la Table Claudienne, à ceux sui voulurent l’en dissuader : « Mes ancêtres, dont le plus ancien, Clausus, originaire de la Sabine, fut admis le même jour au droit de la cité et parmi les familles patriciennes, m’invitent à suivre la même politique dans l’administration de l’État, en transportant ici ce qu’il y a de distingué, n’importe où. Et en effet je n’ignore pas que nous avons appelé les Jules d’Albe, les Coruncanius de Camérie, les Portius de Tusculum et, sans scruter l’Antiquité, que l’Étrurie, la Lucanie et toute l’Italie nous ont, sur notre appel, envoyé des sénateurs ; enfin en reculant jusqu’aux Alpes les bornes de l’Italie, nous avons voulu que non seulement des individus, mais encore des territoires, des nations se fondissent dans notre nom. Alors la paix intérieure fut consolidée et notre puissance florissante au dehors, quand les Transpadans furent admis dans la cité, quand, sous prétexte que nos légions avaient été menées par tout l’univers, nous y incorporâmes les plus vigoureux des provinciaux, remédiant ainsi à l’affaiblissement de l’Empire. Regrettons-nous que les Balbus nous soient venus d’Espagne, que d’autres hommes non moins distingués aient passé de la Gaule Narbonnaise chez nous ? Leurs descendants nous restent, et leur amour pour cette patrie ne le cède pas au nôtre. Quelle autre cause y a-t-il eue à la ruine des Lacédémoniens et des Athéniens, en dépit de leur valeur guerrière, que leur entêtement à écarter les vaincus comme étrangers ? Au contraire le fondateur de notre empire Romulus a eu assez de sagesse pour traiter le même jour les mêmes peuples en ennemis, puis en citoyens. Des étrangers ont régné sur nous. Des fils d’affranchis ont accès aux magistratures, et le fait n’est pas nouveau, comme on a tort de le croire : l’ancienne Rome en a donné maintes fois l’exemple… Déjà les mœurs, les arts, les alliances les confondent avec nous : qu’ils nous apportent aussi leur or et leurs richesses, plutôt que d’être seuls à les posséder. Pères conscrits, tout ce qui se passe aujourd’hui pour être très ancien a été une nouveauté : nous avons eu des magistrats plébéiens après des patriciens ; des Latins après des plébéiens, des Italiens après des Latins. Notre décision vieillira elle aussi, et ce que nous appuyons d’exemples servira d’exemple à son tour »423. 423

Ann., XI, 24, 1-15 : Maiores mei, quorum antiquissimus Clausus origine Sabina simul in ciuitatem Romanam et in familias patricorum adscitus est, hortantur uti paribus consiliis in re publica capessenda, transferendo huc quod usquam egregium fuerit. Neque enim ignoro

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Malheureusement, l’Histoire Auguste ne fournit guère de renseignements sur l’impact réel de cette participation de l’élite locale à l’action gouvernementale romaine dans les provinces. Ce qui, à n’en point douter, ne saurait permettre de la compter pour nulle. Cette évolution de la société romaine a ainsi retenu l’attention de P. Garnsey et R. Saller : « Cependant, ont-ils souligné, le statut particulier de l’Italie fut progressivement ébranlé au cours du Principat lorsque les notables provinciaux entrèrent dans les ordres. En outre, ont-ils poursuivi, les provinciaux avaient remplacé les Romains sur le trône à la fin du Ier siècle. Trajan, Hadrien et Marc Aurèle étaient de souche espagnole, la famille d’Antonin le Pieux était d’origine gauloise, et la dynastie des Sévères avait ses racines dans l’aristocratie locale de Lepcis Magna, une ville du littoral libyen »424. Dans plusieurs lettres de Pline le Jeune à l’empereur Trajan se trouve la preuve que les provinces regorgeaient de compétences disponibles dans divers domaines. C’est ainsi que l’empereur lui répondit-il à plusieurs reprises qu’il pouvait trouver sur place en Bithynie les ingénieurs et autres techniciens souhaités, à chaque requête de son collaborateur qui lui en réclamait souvent, probablement par souci d’efficacité et par déférence, comme ici : « Des ingénieurs, j’en ai à peine assez rien que pour les travaux qui se font à Rome ou aux environs ; mais dans toute province on en trouve à qui l’on puisse se fier et partant tu n’en manqueras pas, si tu veux te donner la peine de bien fouiller »425. Iulios Alba, Coruncianios Camerio, Porcios Tusculo et, ne uetera scrutemur, Etruria Lacaniaque et omni Italia in senatum accitos, postremo ipsam ad Alpis promotam ut non modo singuli uiritim, sed terrae, gentes in nomen nostrum coalescerent. Tunc colida domi quies et aduersus externa loruimus, cum Transpadani in ciuitatem recepti, cum specie deductarum per orbem terrae legionum additis prouincialium ualidissimis fesso imperio subuentum est. Num paenitet Balbos ex Hispania nec minus insignis uiros e Gallia Narbonensi transuisisse ? Manent posteri eorum nec amore in hanc patriam nobis concedunt. Quid aliud exitio Lacedaemoniis et Atheniensibus fuit, quamquam armis pollerent, nisi quod uictos pro alienigenis arcebant ? At conditor nostri Romulus tantum sapientia ualuit ut plerosque populus eodem die hostis, dein ciuis habuerit. Aduenae in nos regnauerunt ; libertinorum filius magistratus mandare non, ut plerique lalluntur, repens, sed priri populo factitatum est… Iam moribus, artibus, adfinitatibus nostris mixti aurum et opes suas inferant potius quam separati habeant. Omnia, patres conscripti, quae nunc uetustissima creduntur, noua fuere : plebei magistratus post patricios, Latini post plebeios, ceterarum Italiae gentium post Latinos. Inueterascet hoc quoque, et quod hodie exemplis tuemur, inter exempla erit. L’empereur réfutait en ces termes les arguments de ceux des sénateurs qui s’opposaient à l’entrée au Sénat de nobles Gaulois qui jouissaient pourtant déjà des titre et statut de citoyens romains. Le discours original se trouve dans ce qu’on appelle communément La Table Claudienne de Lyon (I.L.S., 212). 424 Cf. L’Empire romain…, Paris, 1994, p. 25. 425 Pline le Jeune, Let., X, 18 (29), 3 : Mensores uix etiam iis opribus, quae aut Romae aut in proximo fiunt, sufficientes habeo ; sed in omni prouincia inueniuntur quibus credi possit, et ideo non deerunt tibi, modo uelis diligenter excutere. L’empereur lui fait la même réponse dans deux autres lettres, ibid., 40 (49), 3 : Nulla prouincia est quae non peritos et ingeniosos homines habeat ; modo ne existimes breuius esse ab urbe mitti, cum es Graecia etiam ad nos

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Sur le plan militaire par exemple426, plusieurs témoignages du biographe attestent du rôle joué par les provinciaux en appui de l’action des légionnaires romains en campagnes. D’abord, c’est au sein de la garde personnelle du prince lui-même que la présence des provinciaux se manifeste clairement427 et on a pu vivre à Rome, sous Maxime et Balbin, une situation pittoresque marquée par le maintien au trône de ces personnages dont le tout Rome et surtout les hommes de troupes ne voulaient plus mais uenire soliti sint ; lire : « Il n’y a pas de province qui n’ait des hommes spécialisés et capables, à moins que tu n’estimes plus rapide d’en envoyer de Rome, alors que d’habitude ils viennent chez nous des pays grecs » ; et ibid., 62 (70), Calpurnium Macrum credo facturum ut te libratore instruat, neque prouinciae istae his artificibus carent ; lire : « Je crois que Calpurnius Macer [alors gouverneur de la Mésie Inférieure ; cf. C.I.L., III, 777] ne manquera pas de te fournir un niveleur ; vos provinces d’ailleurs ne sont pas dépourvues de ces techniciens ». 426 Lire à ce propos l’article de T. Kotula, « Les assemblées provinciales… », Bull. Arch. Alg., IV, 1970, p. 411 sq. 427 Le récit des circonstances de la mort de Helvius Pertinax, entre autres, révèle en l’occurrence que c’est un Tongre (d’origine belge), qui détermina les soldats, déjà acquis aux termes du discours apaisant de l’empereur (longa et graui oratione), à l’éliminer ; Scriptores ..., Helvius Pertinax, XI, 9 : Sed cum Tausius quidam, unus e Tungris, in iram at in timorem milites loquendo adduxisset, hastam in pectus Pertinacis obiecit ; lire : « Mais un certain Tausius, un Tongre, réveilla par ses paroles la colère et la crainte des soldats, puis planta sa lance dans la poitrine de Pertinax ». Quant à Didius Julianus, qui avait tenté d’utiliser les Vestales et les prêtres face à l’armée de Septime Sévère, il n’en tira cependant aucun profit ; en raison, principalement, de la composition très hétéroclite de ladite armée ; ibid., Didius Julianus, VI, 5 : Haec cum Iulianus uideret, senatum rogauit, ut uirgines Vestales et ceteri sacerdotes cum senatu obuiam exercitui Seueri prodirent et praententis infulis rogarent, inanem contra barbaros milites parans, conclut l’Histoire Auguste ; lire : « Constatant la situation, Julianus proposa au Sénat que les Vestales, tous les prêtres ainsi que les sénateurs sortent au-devant de l’armée de Sévère et se présentent comme des suppliants en tendant les bandelettes des victimes. Vaine tentative en face de soldats barbares ». Le texte ne dit pas si l’inanem contra barbaros milites parans signifie que son entourage le détourna de cette vaine tentative ou si, les uns et les autres s’y étant tout de même exécutés, les soldats barbares n’en tinrent aucun compte. Cette nuance n’aurait cependant pas influencé la triste issue de l’affaire pour Helvius Pertinax qui succomba à la vindicte populaire, malgré des aptitudes et des prédispositions à régner rappelées par J.-P. Martin ; cf. Pouvoir et religions…, Paris, pp. 15-16 : « Il est certain que Pertinax a accompli une carrière intéressante. Fils d’un affranchi, il avait été grammaticus pendant une dizaine d’années. Préfet de cohorte en Syrie, il était entré dans la carrière équestre grâce à des protecteurs haut placés qui avaient reconnu ses qualités. Il remplit alors les milices équestres, puis plusieurs procuratèles le plus souvent liées au domaine militaire. Après une assez courte disgrâce, difficile à expliquer, il reprit sa marche ascendante ; Marc Aurèle favorisa sa carrière en le faisant entrer dans l’ordre sénatorial au rang d’ancien préteur (en 171). Il obtint immédiatement de hautes responsabilités militaires : commandement d’une légion engagée contre les Barbares en Norique et en Rhétie. Il est consul, probablement en 175, puis gouverneur en Mésie supérieure, comes de l’empereur en Orient, gouverneur de Mésie inférieure, puis des trois Dacies, enfin en Syrie... Après une courte nouvelle disgrâce au début du principat de Commode son ascension reprit. Il rétablit la situation en Bretagne et accéda au proconsulat d’Afrique, puis à la Préfecture de la Ville et au consulat pour la deuxième fois ; il partagea ce consulat ordinaire avec Commode lui-même, le 1er janvier 192 ».

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qui, défendus par des Germains, échappèrent, comme ici, à plus d’une tentative d’assassinat : « Il avait été prévu, rapporte le biographe, que Maxime partirait en campagne contre les Parthes et Balbin contre les Germains pendant que le jeune Gordien resterait à Rome ; mais les soldats cherchaient une occasion favorable pour mettre à mort les deux princes, sans pouvoir la trouver en un premier temps parce que les gardes du corps germains protégeaient Maxime et Balbin… »428.

L’auteur ajoute à la suite de ce texte que les soldats, désemparés, en devinrent chaque jour plus aigris. De même peut-on apprécier, à sa juste valeur, la contribution des provinciaux dans la force des troupes conduites par Alexandre Sévère et récupérées plus tard par Maximin, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles tiraient l’essentiel de leur force d’éléments non romains, si nous en croyons, là encore, l’Histoire Auguste qui affirme que : « tout l’appareil militaire que Maximin conduisit plus tard en Germanie était l’œuvre d’Alexandre Sévère et devait son extraordinaire puissance aux Arméniens, aux Osrhoéniens, aux Parthes et aux gens de toutes les nations qui le composaient »429.

Cette forte mobilisation des étrangers dans l’armée romaine est du reste confirmée par Dion Cassius qui la compte parmi les principaux griefs ayant entraîné la chute de Septime Sévère : 428

Scriptores ..., Maxime et Balbin, XIII, 5 : Et cum iam paratus esset, ut contra Parthos Maximus proficisceretur, Balbinus contra Germanos, puer autem Gordianus Romae remaneret, milites occasionem quaerentes occidendorum principum, cum primo inuenire uix possent, quia Germani stipabant Maximum atque Balbinum… Compter ainsi des Germains parmi les hommes chargés de veiller sur la sécurité personnelle du prince est une pratique connue depuis le début du principat augustéen. Tacite affirme en l’occurrence leur présence parmi les forces dépêchées par Tibère en Pannonie où le légat Blaésus tentait de profiter de la mort d’Auguste pour s’emparer du pouvoir ; Ann., I, 24, 1-2 : Haec audita… ut Drusum filium cum primoribus ciuitatis duabusque praetoriis cohortibus mitteret… Et cohortes delecto milite supra solitum firmatae. Additur magna pars praetoriani equitis et robora Germanorum, qui tum custodes imperatori aderant… ; lire : « Instruit de ces événements…, (Tibère) résolut d’envoyer son fils Drusus avec les premiers de l’État et deux cohortes prétoriennes… Les cohortes furent renforcées par des soldats d’élite en surnombre. On y ajouta une grande partie de la cavalerie prétorienne et les forces de Germains que l’empereur avait alors comme gardes ». 429 Scriptores ..., Alexandre Sévère, LXI, 8 : … sed omnis apparatus militaris, qui postea est ductus in Germania a Maximino, Alexandri fuit et potentissimus quidem per Armenios et Osdroenos et Parthos et omnis generis homines. La pratique est loin d’être nouvelle ; n’a-t-on pas vu Marc Aurèle, en effet, non content de s’entourer de personnages au passé douteux, armer des Germains contre leurs concitoyens ? « Il arma également des gladiateurs qu’il nomma ‘’les obéissants’’ et prit même comme soldats des brigands de Dalmatie et de Dardanie… Il soudoya même des troupes auxiliaires des Germains pour les faire combattre contre les Germains », lit-on dans Scriptores…, Marc Aurèle, XXI, 7 : Armauit etiam gladiatores, quos obsequentes appellauit. Latrones etiam Dalmatiae atque Dardaniae milites fecit… Emit et Germanorum auxilia contra Germanos.

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« Il était surtout coupable, aux yeux de quelques-uns, d’avoir aboli l’usage établi de tirer les gardes du corps seulement de l’Italie, de l’Espagne, de la Macédoine et de la Norique, pays qui portent des hommes d’une physionomie plus douce et de mœurs plus simples… »430.

L’historien grec justifie de la même manière la crise de confiance qui conduisit Caracalla à sa perte : « Antonin (Caracalla), affirme-t-il, en effet, avait donné des armes à des Scythes et à des Celtes, tant libres qu’esclaves, qu’il avait enlevés à leurs enfants et à leurs femmes, et il les tenait autour de sa personne, ayant plus de confiance en eux que dans ses soldats… pour le moment, les soldats, irrités de cet état malheureux, et, entre autres motifs encore, de ce qu’on leur préférait les Barbares, cessèrent de porter au prince une vaine affection, et, lorsqu’un complot s’ourdit contre lui, ils ne le secoururent pas »431.

Ce qui matérialisait l’originalité de ces troupes de provinciaux semble être lié à des techniques de guerre de même qu’à un armement peu ou pas usité à Rome : « Après quoi (Maximin) passa en Germanie avec toute l’armée, les Maures, les Osrhoéniens, les Parthes et tous ceux qu’Alexandre faisaient guerroyer à ses côtés ; s’il traînait avec lui ces auxiliaires orientaux, c’était essentiellement parce que nul n’était plus efficace pour lutter contre les Germains que des archers organisés en troupes légères. Alexandre avait réellement construit un splendide instrument de guerre que Maximin … perfectionna encore »432.

L’Histoire Auguste regorge d’ailleurs de bien de passages où l’Empire romain, comme ce fut le cas en Belgique du temps de Didius Julianus, aurait pu sombrer dans l’abîme, sans le courage et la détermination des provinciaux à le sauver :

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Hist. rom., LXXIV, 2. Nous ne pensons aucunement avoir forcé ce texte en étendant sa portée sur l’ensemble du corps militaire. En effet, nul ne saurait imaginer des scrupules qu’aurait un prince à recruter des étrangers pour ses campagnes en général en même temps qu’il les tolère, les accepte ou même les préfère au sein de sa garde rapprochée. L’historien a du reste déjà souligné cette forte présence d’étrangers dans les troupes romaines sans la limiter uniquement à celles placées sous les ordres de Septime Sévère en personne ; voir ibid., LXXII, 14 : « Il y avait alors trois hommes commandant en divers pays trois armées composées de citoyens et d’un grand nombre d’étrangers… » ; s’agissant, bien entendu, de Septime Sévère mais également de Pescennius Niger et de Clodius Albinus ; texte intégralement cité infra, note 508. 431 Hist. rom., LXXIV, 2. 432 Scriptores ..., Les deux Maximins, XI, 7-9 : Post haec transiit in Germaniam cum omni exercitu et Mauri, et Osdroenis et Parthis et omnibus, quos secutum Alexander ducebat ad bellum. Et ob hoc maxime orientalia secum trahebat auxilia, quod nulli magis contra Germanos quam expediti sagittarii ualent. Mirandum autem adparatum belli Alexander habuit, cui Maximinus multa … addidisse.

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« Là, il résista aux attaques des Chauques, une peuplade germanique riveraine de l’Elbe, en levant à la hâte des troupes auxiliaires constituées de provinciaux »433.

Il y a en outre, sur un tout autre plan, les résultats positifs obtenus dans des circonstances parfois particulièrement délicates grâce à des démarches diplomatiques menées par certains empereurs auprès de quelques responsables locaux qui déterminent le poids (?) des élites locales dans l’action administrative des provinces romaines. Les relations entre Rome et ses dépendances connaissent en effet d’incessants mouvements d’échanges qui sont le fait des multiples ambassadeurs dont les sujets de négociations ne devaient pas manquer, en temps de guerre434 comme de paix435. On comprend mieux les raisons profondes pour lesquelles toutes les questions liées à ses provinces étaient généralement prises au sérieux par Rome comme le prouve, une fois de plus, cette allusion de Fronton à Hadrien dont il félicitait la politique en matière des provinces romaines : 433

Scriptores ..., Didius Julianus, I, 7 : Ibi Cauchis, Germanaie populis, qui Albam fluuium adcolebant, erumpentibus restitit tumultuariis auxiliis prouincialium. Claude II aura lui aussi affronté une situation similaire pendant son règne ; ibid., Claude, XII, 4 : Sub hoc barbari, qui superfuerant, Anchialon uastare conati sunt, Nicolim etiam optinere. Sed illi prouincialium uirtute obriti sunt ; lire : « Pendant qu’il était au pouvoir, les Barbares qui avaient survécu tentèrent de mettre à sac Anchialos (ville de la Bulgarie actuelle, située sur la côte occidentale de la mer Noire) et même d’occuper Nicopolis (aujourd’hui Stari Nikub en Bulgarie), mais ils furent écrasés grâce au courage des provinciaux ». 434 On peut ici évoquer, à titre d’exemple, l’épisode de la guerre qu’engagea contre les Parthes l’empereur Macrin à peine arrivé au pouvoir qui connut une issue heureuse grâce à des négociations entre les deux parties, à un moment où la victoire ne paraissait pas du tout acquise pour Rome ; Scriptores ..., Macrin, VIII, 3 : Sane cum esset inferior in eo bello, quod Antoninus gesserat, Artabane grauiter necem suorum ciuium uindicante, primo Macrinus repugnauit ; postea uero missis legatis petit pacem, quam libenti animo … Parthus concessit ; lire : « Bien qu’il se trouvât en position d’infériorité dans cette guerre qu’avait entreprise Antonin, car Artaban cherchait à tirer une cruelle vengeance du meurtre de ses sujets, Macrin réussit d’abord à lui résister, rapporte le biographe. Mais il envoya ensuite des ambassadeurs pour demander la paix, que le roi accorda de bon gré… ». On se rappelle également les tractations qui ont suivi la campagne de Marc Aurèle contre les Marcomans ; ibid., Vérus, IX, 9 : De que bello – quiddam per legatos barbarorum pacem petentium, quiddam per duces nostros gestum est – in Marci uita plenissime disputatum est ; lire : « Cette guerre – aussi bien quant au rôle des ambassadeurs des Barbares qui demandaient la paix qu’à celui de nos généraux – nous l’avons largement développée dans la vie de Marc », a écrit le biographe. 435 Antonin le Pieux passe pour le champion des empereurs conciliants avec un règne tout de même de 23 ans dont l’ensemble est ainsi analysé par A. Chastagnol : « Au total, rien de vraiment notable ne se passa, à l’intérieur comme à l’extérieur : pour ainsi dire, ni révoltes, ni usurpations, une politique défensive sur le limes et à ses abords, une diplomatie ayant pour but premier de soutenir des rois barbares amis dans des sortes d’États-tampons en avant du rideau défensif » ; cf., intr. de la Vita Pii, p. 85. Cette analyse cadre parfaitement avec les derniers mots du biographe sur ce règne globalement heureux durant lequel chacun fut ménagé et l’intégrité de tous préservée ; Scriptores ..., Antonin le Pieux, XIII, 4 : … solusque omnium prope principum prorsus ciuili sanguine et hostili, quantum ad se ipsum pertinet, uixit et qui rite comparetur Numae, cuius felecitatem pietatemque et securitatem cerimoniasque semper obtinuit ; texte cité également supra, note 261 et infra, note 513.

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« Excuse-moi auprès de ton père…, a-t-il écrit à Marc Aurèle, que je voudrais voir bien portant, ainsi que vous. Je redouble d’amour et de vénération pour lui depuis que je sais qu’il a si bien jugé dans le Sénat de ce qui pouvait être salutaire aux provinces… »436.

C’est ici le lieu de s’interroger sur les critères cardinaux qui commandaient au choix des hommes dont allaient dépendre, souvent dans une large mesure, le salut de l’Empire, grâce aussi bien à leur ingénuité qu’à leur ingéniosité dans l’exercice des fonctions provinciales qui ne manquaient pas de délicatesse, vu qu’ils opéraient pour certains dans des régions éloignées de la capitale. Encore qu’il fallût tenir compte, outre les incompétences intrinsèques réelles ou présumées des uns et des autres, de leurs qualités morales au premier rang desquelles la loyauté et la probité.

III – 4 : Les critères d’affectation en provinces Sur quelles bases essentielles se fondait-on pour choisir les différents membres des équipes chargées d’appliquer la politique de l’empereur romain en provinces ? Voilà une question apparemment simple mais qui en réalité ne manquait pas de complexité. A) De la parenté avec le prince La carrière provinciale du premier des empereurs de l’Histoire Auguste nous montre combien il pouvait être utile d’être parenté à l’empereur pour accéder à de hautes charges, aussi bien à Rome que dans les provinces. Le biographe ne souligne-t-il pas une relation de cause à effet, en rappelant l’adoption d’Hadrien par Trajan, juste avant de mentionner son affectation comme légat en Pannonie à la suite d’une riche et brillante carrière civile et militaire, marquant ainsi le prélude de perspectives plus rayonnantes encore : « C’est pourquoi il fut rappelé de sa patrie par Trajan, qui le considéra comme son fils… Il fut ensuite transféré en Mésie inférieure vers la fin du règne de Domitien… Il fut ensuite envoyé comme légat prétorien en Pannonie inférieure437 où il arrêta les Sarmates, maintint la discipline dans l’armée… Pendant la seconde guerre dacique, Trajan le plaça à la tête de la première légion Minervienne et l’amena avec lui… Il usa aussi de la faveur de Plotine, par

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Correspondances…, XXI : Excusa me…, patri tuo, quem (ita uos saluos habeam !) magno pondere grauius amo et colo, quem tam bene in senatu iudicatum est, quod et prouinciis saluti esset… 437 Promotion qu’il ne méritait pas selon les normes établies car le légat propréteur de la province de Pannonie inférieure devait être un consulaire et non le prétorien qu’était alors le futur empereur. Au sujet des précisions sur les qualités des gouverneurs de provinces, lire J.P. Martin, Les provinces romaines…, pp. 100-102.

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l’influence de laquelle il fut désigné également comme légat à l’époque de la guerre parthique »438 ?

Le futur empereur sut lui-même mesurer l’importance de cette filiation en décrétant faste le jour où il en avait pris connaissance : « Le 5 des ides d’août (le 9 août), alors qu’il était légat de Syrie, il reçut la lettre d’adoption et ordonna que ce jour soit célébré comme l’anniversaire de cette adoption »439.

L’exemple de la parenté comme meilleur gage de promotion à travers les divers échelons du cursus honorum est ainsi donné au sein de la plus haute sphère de la gestion de l’Empire qu’est la Cour impériale. Il est sans doute assez déroutant – sinon tout de même curieux – de constater que les Romains, sans jamais renoncer ni taire leur hostilité à la succession héréditaire, se sont parallèlement ouverts à un système quasi identique, par le biais de l’adoption, comme nous en avons une énième illustration fort parlante ici : « Ce dernier (parlant d’Hadrien lui-même fils adoptif de Trajan), le (Vérus) fit adopter par Aurélius (Antonin le Pieux) après avoir décidé, pour assurer sa succession, qu’Antonin le Pieux serait son fils et Marc son petit-fils, à la condition toutefois que Vérus épouse la fille (de ce dernier)… »440.

Cette procédure remonte au début de l’Empire puisque l’on vit Auguste recourir à une série d’adoptions et de nominations à de hauts postes de responsabilité en faveur de certains membres de sa maisonnée, visiblement pour préparer sa succession : « Cependant, Auguste, pour appuyer sa domination, éleva en dignité le fils de sa sœur, Claudius Marcellus, à peine entré dans l’adolescence, par le pontificat et l’édilité curule, et M. Agrippa, de naissance obscure, mais habile à la guerre et compagnon de sa victoire, en lui attribuant deux consulats successifs, puis en le prenant pour gendre après la mort de Marcellus ; et il conféra à ses beaux-fils, Tibérius Néro et Claudius Drusus, le titre d’imperator, bien que sa propre maison fût encore florissante. En effet, les fils d’Agrippa, Gaius et Lucius, avaient été introduits par ses soins dans la famille des Césars et, avant même d’avoir déposé la toge prétexte de l’enfance, appelés princes de la jeunesse et désignés pour le consulat, honneurs que, sous un semblant de refus, il avait vivement désiré pour 438

Scriptores ..., Hadrien, II, 2-3 ; III, 6, 9 ; IV, 1 : Quare a Traiano abductus a patria et pro filio habitus… Post haec in inferiorem Moesiam translatus extremis iam Domitiani temporibus… Secunda expeditione Dacica Traianus eum primae legioni Mineruiae praeposuit secumque duxit… Legatus postea praetorius in Pannoniam inferiorem missus Sarmatas compressit, disciplinam militarem tenuit… Vsus Plotinae quoque fauore, cuius studio etiam legatus expeditionis Parthicae tempore destinatus est. 439 Scriptores ..., Hadrien, IV, 6 : Quintum iduum August. Diem legatus Suriae litteras adoptionis emeruit. 440 Scriptores ..., Vérus, II, 2-3 : A quo Aurelio datus est adoptandus, cum sibi ille Pium filium, Marcum nepotem esse uoluisset posteritati satis prouidens, et ea quidem lege, ut filiam Pii Verus acciperet…

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eux. Lorsque Agrippa eut cessé de vivre et que Lucius César, en allant aux armées d’Espagne (et) Gaius, en revenant d’Arménie grièvement blessé, eurent été enlevés par une mort que hâta le destin ou par une machination de leur marâtre Livie, comme Drusus s’était éteint depuis longtemps et qu’il ne restait plus comme beau-fils que Néro, c’est de ce côté que tout converge : il devient son fils, son collègue au pouvoir, son associé à la puissance tribunitienne, et il est montré ostensiblement à toutes les armées… »441.

Sur le même ton, le biographe justifie la brillante carrière de Didius Julianus, à Rome comme dans les provinces, par le fait d’avoir été élevé par la mère de Marc Aurèle : « Il fut élevé chez Domitia Lucilla, la mère de l’empereur Marc, et grâce à son appui fut admis parmi les vigintivirs442… Après sa préture, il obtint le commandement de la vingt-deuxième légion Primigenia (basée) en Germanie. Puis il gouverna longtemps la Belgique de façon irréprochable… Ensuite il gouverna la Germanie Inférieure… Une fois acquitté443, Didius fut à nouveau invité à gouverner une province. C’est la Bithynie qu’il gouverna ensuite, mais avec moins de réussite que dans les précédentes provinces… Il fut consul avec Pertinax, auquel il succéda comme proconsul d’Afrique et qui l’appela toujours ‘‘son collègue’’ »444.

441

Tacite, Ann., I, 3, 1-3 : Ceterum Augustus subsidia dominationi Claudium Marcellum, sororis filium, admodum adulescentem, pontificatu et curuli aedilitate, M. Arippam, ignobilem loco, bonum militia et uictoriae socium, geminatis consulatibus extulit, mox, defuncto Marcello, generum sumpsit ; Tiberium Neronem et Claudium Drusum priuignos imperatoriis nominibus auxit, integra etiam tum domo sua. Nam genitos Agrippa Gaium ac Lucium in familiam Caesarum induxerat, necdum posita puerili praetexta, principes iuuentutis appellari, destinari consules specie recusantis flagrantissime cupiuerat. Vt Agrippa uita concessit, Lucium Caesarem euntem ad Hispanienses exercitus, Gaium remeantem Armenia et uulnere inualidum mors fato propera uel nouercae Liuiae dolus abstulit, Drusoque pridem exstincto, Nero solus e priuignis erat, illuc cuncta uergere : filius, collega imperii, consors tribuniciae potestatis adsumitur omnesque per exercitus ostentatur… S’inspirer de l’analyse de J.-P. Martin sur cette épineuse question de la succession au trône à Rome à l’aube du principat ; La Rome…, PUF, Paris, 1973, p. 205 sq. 442 Rappelons que le vigintivirat est un groupe de vingt personnages jeunes exerçant chaque année quatre sous-magistratures : les decemuiri préposés au jugement des procès ; les quattuouiri affectés au pavement des rues de Rome, les triumuiri monétaires qui contrôlaient la frappe des monnaies de bronze à Rome et les triumuiri capitaux chargés des exécutions capitales. Il constitue un passage obligé pour accéder à la première magistrature du cursus honorum : la questure. 443 Il avait en effet été accusé – il faut croire, en raison de cet acquittement, bien faussement – d’avoir participé à une conjuration contre Commode. 444 Scriptores ..., Didius Iulianus, I, 3-4, 6-7, 9 ; II, 2-3 : Educatus est apud Domitiam Lucillam, matrem Marci imperatoris. Inter uiginti uiros lectus est suffragio matris Marci… Post praeturam legioni praefuit in Germania uicensimae secundae Primigeniae. Inde Belgicam sancte ac diu rexit… Inde Dalmatiam regendam accepit … Post Germaniam inferiorrem rexit… Absolutus iterum ad regendam prouinciam missus est. Bithyniam deinde rexit, sed non ea fama qua ceteras. Fuit consul cum Pertinace et in proconsulatu Africae eidem successit et semper ab eo collega est et successor appellatus.

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Des femmes ainsi mêlées à la promotion suprême n’ont pas manqué à l’époque de l’Histoire Auguste, sans cependant que leurs actions ne permettent une appréciation globale de leur implication à la gestion de l’État romain. Nous savons tout simplement, par exemple, tout comme au temps des débuts de l’Empire avec Livie Augusta, que le jeune Élagabal dut son élévation au trône et Ulpien sa place prépondérante à la cour impériale aux manigances de la mère de Caracalla pour le premier et de celle d’Alexandre Sévère pour le second, comme l’indique, plus clairement entre tous, Zozime : « … les légions stationnées à Rome élèvent à l’Empire le préfet du prétoire Macrin et celles de l’Orient un tout jeune homme d’Émèse, du fait qu’il a un lien de parenté avec la mère d’Antonin … Mamaia, la mère de l’empereur, leur préposa Ulpien comme arbitre et en quelque sorte comme associé à leurs charges… les soldats s’étant irrités contre lui, se préparent à le faire disparaître discrètement. Lorsque Mamaia en a vent, elle prévient leur tentative et supprime à l’instant même les auteurs du complot, et Ulpien est nommé seul détenteur de la charge des préfets… »445.

Le fait nettement plus fréquent de liens familiaux avec l’empereur comme principal motif d’occupation de certaines fonctions provinciales fut d’ailleurs à l’origine de plusieurs exactions qui entraînait l’impunité – supposée ou réelle – garantie aux promagistrats en raison d’une telle affinité. Ainsi se serait comporté un certain Libo dont l’arrogance ne se justifiait pas autrement que par sa consanguinité avec Marc Aurèle : « Marc avait envoyé comme légat en Syrie un certain Libo, son cousin germain446, qui se comportait avec plus d’arrogance qu’il n’eût convenu à un consul réservé, disant qu’il écrirait à son cousin s’il hésitait sur la conduite à suivre…. »447,

indiquant ainsi à qui voulait l’entendre qu’il n’avait de comptes à rendre et d’instructions à recevoir que de l’empereur Marc Aurèle. On note donc au passage que cette pratique n’a pas toujours garanti le succès escompté et que plusieurs proches parents de princes promus à des charges très importantes au sein de l’appareil administratif de l’État n’ont pas tous donné satisfaction à leurs promoteurs. Le cas de Commode, dont le père regretta l’inconduite jusqu’à en souhaiter la mort est connu. Mais Zozime nous révèle également une méprise d’un tout autre ordre à travers les exactions de Maximin contre ses administrés qui en vinrent à précipiter l’assassinat de celui à qui le 445

Zozime, Hist. nouv., I, 10, 1. Les troupes basées à Rome ici désignent normalement les prétoriens, l’armée régulière ne campant jamais dans la Ville. 446 Personnage identifié par A. Chastagnol comme le fils de Annius Libo, l’oncle paternel de Marc Aurèle ; il fut consul en 161 de notre ère ; Scriptores ..., Vérus, note 4, p. 178. 447 Scriptores ..., Vérus, IX, 2 : ... cum Libonem quendam patruelem suum Marcus legatum in Syriam misisset, atque ille se insolentius quam uerecundus senator efferet dicens ad fratrem suum se scriptorum esse, si quid forte dubitaret…

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gouverneur véreux devait sa position à la tête de la plus prestigieuse province de l’État romain : « Il (l’empereur Tacite) avait confié le gouvernement de la Syrie à son parent Maximin ; celui-ci, en se comportant d’une manière très grossière avec les notables, les remplit d’hostilité et aussi de crainte ; ces sentiments ayant engendré la haine, la conséquence dernière fut la formation d’un complot ; après y avoir fait entrer ceux qui avaient assassiné Aurélien, ils s’en prirent à Maximin lui-même et l’égorgèrent, puis poursuivirent Tacite qui retournaient en Europe et le tuèrent »448.

Nous avons ici l’illustration du côté pervers de l’exclusivité des proches (parents et amis) des princes en matière de gestion des ressources humaines par rapport à l’attribution des responsabilités. Leur compétence n’étant pas toujours avérée et, à tort ou à raison, convaincus de l’impunité garantie par des liens indéniables avec lui, tout prince au trône devait prendre conscience de la nécessité de placer l’efficacité réelle au-dessus de l’exception familiale ou amicale dans le choix de ses collaborateurs. Cette leçon gagnerait d’ailleurs à être également observée et assimilée de nos jours où certaines promotions, même dans des domaines hautement sensibles, mettent en péril le rendement attendu que le parent ou l’ami incompétents ne sauraient assurer. Aussi ne manqua-t-il jamais à Rome une catégorie de personnages fort peu appréciée qui, bien que reconnus comme issus de milieux familiaux honorables, jetaient plutôt l’opprobre sur leur lignée par la bassesse de leurs actes ou par une extrême nonchalance à l’action. D’où une des leçons de morale juvénalienne qui a probablement inspiré le célèbre vers de Corneille relative à l’absence de vertu comme critère de désuétude des effets de la seule naissance. Le poète romain enseigne en effet que la noblesse, même formellement établie, ne vaut rien sans un investissement personnel à l’effort, s’adressant à un jeune noble, Ponticus, inconnu par ailleurs : Stemmata quid faciunt, quid prodest, Pontice, longo / sanguine censeri, pictos ostendere uultus / maiorum et stantis in curribus Aemilianos / et Curios iam dimidios umerosque minorem / Coruinum et Galbam auriculis nasoque carentem, / quis fructus, generis tabula iactare capaci / Coruinum, posthac multa contingere uirga / fumosos equitum cum dictatore magistros, / si coram Lepidis male uiuitur ? Effigies quo / tot bellatorum, si luditur adea pernos / ante Numantinos, si dormire incipis ortu / Luciferi, quo signa duces et castra mouebant ? / Cur Allobrogicis et magna gaudeat ara / natus in Herculeo Fabius lare, si cupidus, si / uanus et Euganea quatumuis mollior aagna, / si tenerum attribus Catinensi pumice lumbum / squalentis traducit auos emptorque ueneni /

448 Zozime, Hist. nouv., I, 63, 2 ; voir également, en 66, 1, la trahison du plus proche ami de l’empereur Probus : « Probus avait à peine achevé cette entreprise que Saturnin, un Maure qui était très étroitement lié avec l’empereur et qui pour cette raison s’était vu confier le gouvernement de Syrie, trahit la confiance de l’empereur et songea à se rebeller… ».

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frangenda miseram funestat imagine gentem ? / Tota licet ueteres exornent undique cerae / atria, nobilitas sola est atque unica uirtus449.

Toutefois, parent ou non, chacun devait, dans une certaine mesure, mériter la confiance personnelle de l’empereur pour toute promotion (sauf les cas de recommandations elles-aussi très fréquentes et généralement soumises à l’empereur). Le destin collectif des Romains placé sous la seule responsabilité du prince en faisait un personnage central personnellement impliqué dans le sort réservé à tous. A ce titre, quiconque devant suppléer à son action devait nécessairement bénéficier de sa caution, notamment à des postes de haute sensibilité. Il n’en va pas d’ailleurs autrement aujourd’hui. B) Du mérite (meritum ou dignitas) Certes note-t-on encore ici et là le principe du tirage au sort (et seulement pour la fonction de gouverneur de province) dont le mérite était de confronter plus ou moins entre elles – en tout cas théoriquement – des compétences égales. Rappelons à ce propos la compétition qui a opposé Fronton et son colistier, tous deux désireux de gouverner la très prospère et très convoitée province d’Asie, que le seul critère des « trois enfants » a finalement départagés en faveur de ce dernier450. Mais ce système, inenvisageable dans le cadre des provinces impériales, ne tarda pas à céder le pas à l’impérieuse nécessité pour le prince d’exercer, de manière effective, son autorité sur l’ensemble de l’Empire dont toutes les composantes couraient les mêmes risques d’y voir le pouvoir central menacé par des mouvements d’humeurs et d’origines diverses. ‘’L’homme qu’il faut à la place qu’il faut ‘’, slogan très en vogue de nos jours mais aussi très présent dans la mentalité collective des anciens Romains451, subit un glissement plus ou moins conscient qui le rapprocha d’une forme de veto incontournable de l’empereur dans ce domaine bien délicat à plusieurs titres. N’a-t-on pas entendu Helvius Pertinax répondre aux sénateurs qui proposaient le titre de César à son fils d’attendre qu’il l’eût mérité ?

449

Juvénal, Sat., VIII, 1-20 : texte également exploité supra, note 278. Cf. supra, note 363. A. Chastagnol précise que « cette définition des questeurs candidats n’est valable qu’à partir du IVe siècle, à un moment où l’échelon du tribunat de la plèbe ou de l’édilité n’existe plus dans la carrière des sénateurs » ; cf. note 2, p. 610 de l’Histoire Auguste. 451 Le maître-mot pour qualifier ou même justifier une brillante carrière est souvent le mérite, lui-même fondé sur une grande expérience connue de tous. Le biographe affiche d’ailleurs clairement son aversion pour les avènements au trône par voie héréditaire. Il préférait à la succession de type héréditaire la mûre préparation d’un successeur choisi pour ses mérites et intégré dans la famille impériale par adoption. Ceci tient du cas de figure idéal mais n’a pas empêché la série d’usurpations que cette période (IIe-IIIe siècles) a vécue. 450

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« Le Sénat accorda à son fils le nom de César. Mais Pertinax non seulement refusa le nom d’Augusta conférée à sa femme, déclara même, à propos de celui de son fils : ‘’Quand il l’aura mérité’’ »452.

Mais il existe encore, outre la parenté avec le prince et le mérite personnel, un troisième critère fondamental à la promotion aux hautes fonctions provinciales, celui-là aussi comme l’autre renvoyant invariablement à la personne du prince : le bénéfice de sa confiance. C) De la confiance du prince (fides) Il subsiste bien sûr des survivances du passé et jamais n’est perdue de vue cette inclinaison typiquement romaine qui exhortait à la sublimation du mos maiorum (la coutume des ancêtres). Le biographe en fait un rappel expressif, à travers des propos qu’il a prêtés à Carus : « Nos ancêtres, ceux qui étaient des dirigeants romains, avaient pour principe, lorsqu’ils devaient nommer des légats, de donner un exemple de leur propre règle de conduite à travers le choix de ceux auxquels ils confiaient l’État »453.

Ces mots poussent à conclure que la vertu – ou un ensemble de vertus que les Romains désignaient sous le terme générique de uirtus – pouvait constituer, aux yeux du prince, des repères privilégiés pour le choix des hommes dignes de sa confiance mais surtout aptes aux fonctions pour lesquels ils auraient été pressentis. Ce qui fut d’ailleurs parfois le cas lorsqu’on prend en compte des carrières comme celle de Helvius Pertinax dont les prouesses antérieures ont largement contribué à accélérer l’ascension : « L’activité notoire qu’il avait déployée pendant la guerre contre les Parthes lui valut d’être transféré en Bretagne où on le garda. Il commanda ensuite une aile de Mésie ; puis il fut préposé comme procurateur au service des fondations alimentaires autour de la voie Émilienne ; après quoi il commanda la flotte de Germanie…. De là il fut transféré en Dacie avec un salaire de deux cent mille sesterces… »454.

Il n’est d’ailleurs pas vain de faire remarquer que malgré l’excellence de ses états de services, cette splendeur ne survécut pas au jour où il commença à paraître suspect à Marc Aurèle : 452

Scriptores ..., Helvius Pertinax, VI, 9 : Filium eius senatus Caesarem appellauit. Sed Pertinax nec uxoris Augustae appellationem recepit et de filio dixit : « Cum meruerit ». 453 Scriptores ..., Carus, IV, 6 : Maiores nostri, Romani illi principes, in legatis creandis hac usi sunt consuentidine, ut morum suorum specimen per eos ostenderet, quibus rem publicam delegabant. 454 Scriptores ..., Helvius Pertinax, II, 1-2, 4 : Bello Parthico industria sua promeritus in Brittanniam translatus est ac retentus. Post in Moesia rexit alam. Deinde alimentis diuidendis in uia Aemilia prorauit. Inde classem Germanicam rexit... Inde ad ducenum sestertiorum stipendium translatus in Daciam...

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« Mais, devenu suspect aux yeux de Marc, à la suite des intrigues de certains hommes, il fut destitué… »455.

Les termes d’une lettre qu’aurait justement écrite Marc Aurèle à un certain Cornélius Balbus montrent eux-aussi que les promotions individuelles continuaient de relever – du moins à titre officiel ou principal – , du moins dans les principes communément admis, des propres mérites de l’impétrant. Aussi peut-on y lire les justifications suivantes de l’élévation de Pescenniius Niger : « Tu me fais l’éloge de Pescennius ; j’en ai entendu parler, car ton prédécesseur m’a dit qu’il était courageux dans l’action, sérieux dans sa conduite, et qu’il méritait mieux que d’être un militaire de rang. J’ai donc envoyé une lettre à lire au rassemblement et par laquelle je lui confie le commandement de trois cents Arméniens, cent Sarmates et mille des nôtres. Il t’appartient de montrer que ce n’est pas l’intrigue – contraires à nos principes – mais sa valeur qui l’a élevé à un poste que mon aïeul Hadrien456 et mon bisaïeul Trajan n’accordaient qu’à des hommes tout à fait dignes de confiance »457.

Il est en outre, dans le même esprit, souligné de l’empereur Septime Sévère qu’il faisait preuve d’une extrême rigueur en matière de choix des hommes, à propos de la nomination de Clodius Albinus au consulat : « En outre, Sévère le nomma au consulat, ce qu’il n’aurait pas fait s’il ne s’était agi d’un homme de valeur, lui qui était très exigent pour le choix des magistrats »458.

Cependant, les propres dispositions de l’empereur vis-à-vis des uns et des autres déterminèrent de plus en plus sa décision au moment de leur confier la responsabilité de fonctions dont dépendait, du reste, sa potestas. Chaque promu était alors tenu de veiller scrupuleusement à la bonne marche du service ou de l’ensemble de services qui lui incombait, condition absolue 455

Scriptores ..., Helvius Pertinax, II, 4 : … suspectusque a Marco quorundam impar artibus remotus est. 456 Ce trait du caractère d’Hadrien est proche de celui qui est reconnu à Antonin le Pieux par Eutrope, VIII, 8, 2 qui affirme de lui : … uiros aequissimos ad administrandam rem publicam quaerens, bonis honorem habens, inprobos sine aliqua acerbitate detestans… ; lire : « … cherchant les hommes les plus justes pour l’administration des affaires publiques, rendant honneur aux bons, détestant les mauvais sans manifester aucune dureté ». 457 Scriptores ..., Pescennius Niger, IV, 1-3 : Pescennium mihi laudas : agnosco ; nam et decessor tuus eum manu strenuum, uita grauem et iam tum plus quam militem dixit. Itaque misi litteras recitandis ad signa, quibus eum trecentis Armenicis et centum Sarmatis et mille nostris praeesse iussi. Tuum est ostendere hominem non ambitione, quod nostris non conuenit moribus, sed uirtute uenisse ad eum locum, quem auus meus Hadrianus, quem Traianus proauus non nisi exploratissimis dabat. A la suite de ce passage se trouve le jugement quasiment similaire que l’empereur Commode aurait lui aussi porté sur lui ; ibid., 4 : Pescennium fortem uirum noui et ei tribunatus iam duos dedi : ducatum mox dabo, ubi per senectutem Aelius Corduenus rem p(ublicam) recusauerit. 458 Scriptores ..., Clodius Albinus, III, 6 : Denique Seuerum eum et consulem designauit, quod utique nisi de optimo uiro non fecisset, homo in legendis magistratibus diligens.

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pour son maintien en poste ou de son éventuelle élévation à un grade supérieur. C’est ce que rappela ainsi Frontin : « Toute fonction déléguée par l’empereur exigeant un soin particulièrement attentif… »459, fit-il remarquer.

La nature même du régime instauré par Auguste, qui plaçait le princeps inter pares au-dessus de tous, renforcée par une instabilité politique intérieure et extérieure dont l’analyse des mobiles nous éloignerait trop de nos préoccupations de l’heure, ne pouvait souffrir que l’empereur fût contraint de subir certains de ses obligés dans les provinces parmi lesquels plusieurs qui comptaient autant de foyers d’usurpations effectives ou potentielles. Même dans le cadre des provinces dites sénatoriales, la réalité, qu’a soulignée, entre autres, M. J.-P. Martin, est que « La latitude laissée au Sénat dans « ses » provinces est de peu d’ampleur ; les sénateurs sont dépendants de l’empereur dans leur accession aux charges du cursus honorum, dans leur carrière en général ; il ne peut être question pour le Sénat de désigner un gouverneur qui ne soit pas agréé par l’empereur »460. Le biographe lui-même insiste bien sur cet aspect incontournable de l’avis favorable de l’empereur pour être promu, même lorsqu’il s’agit de Gallien qu’il tient pour responsable des déboires qui ont conduit Rome à une spirale infinie de désordres dont le paroxysme fut assurément l’épisode inédit des trente tyrans, sans oublier la rétention honteuse de l’empereur Valérien : « Peut-être pourrait-on estimer de peu de poids le jugement d’un empereur aussi pusillanime que Gallien, il est cependant indéniable qu’un homme, si débauché soit-il, n’accorde sa confiance qu’à quelqu’un dont il pense pouvoir utiliser les qualités… »461.

Témoin également une lettre de Fronton à Marc Aurèle qui nous montre, d’une part, comment et en quels termes le brillant orateur est-il intervenu auprès de son élève devenu empereur pour la promotion d’un personnage du nom d’Aridélus ; et, d’autre part, que toute ambition personnelle devait se soumettre à des normes préétablies : « Cet Aridélus qui te remet ma lettre m’a soigné dès l’enfance, depuis la passion des perdrix jusqu’aux occupations sérieuses. Il est votre affranchi ; il fera très bien votre affaire, car c’est un homme honnête, sobre, diligent, exact. Il demande maintenant une procurature, selon la forme, en son rang et en son temps. Favorise-le, seigneur, de tout ton pouvoir. Si tu ne connais pas sa figure,

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Les aqueducs…, I. Cf. J.-P. Martin, Les provinces…, Paris, 1990, p. 100. 461 Scriptores ..., Probus, VI, 4 : Non magnum fortassis iudicium Gallieni esse uideatur, principis mollioris, sed, quod negari non potest, ne dissolutus quidem quispiam se nisi in eius fidem tradit, cuius sibi uirtutes aestimat profuturas. 460

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souviens-toi, lorsqu’on sera venu au nom d’Aridélus, qu’Aridélus t’a été recommandé par moi »462.

La commandatio du prince pouvait également intervenir à tous les niveaux de l’administration provinciale, comme l’atteste cette autre lettre de l’empereur Marc Aurèle à Fronton : « Si, dans la province, il se présente à toi, mon maître, un certain Thémistoclès qui se dise connu d’Appolinus, mon maître de philosophie, et être celui qui est venu cet hiver à Rome, et qui m’a été présenté par Appolinus le fils, par ordre de mon maître, je te prie, mon maître, de lui faire tout le bien que tu pourras. Ce qui sera juste et convenable, tu seras toujours prêt à le faire, pour tous les Asiatiques ; mais le conseil, le bon accueil, tout ce que la fidélité et la religion permettent à un proconsul d’accorder à des amis sans nuire à personne, je te demande de l’accorder de bonne grâce à Thémistoclès »463.

Il est remarquable que ces deux textes, malgré les bons rapports qui liaient leur auteur à l’empereur, insistent sur les qualités intrinsèques des concernés, démontrant ainsi un net et indéniable souci d’efficacité. En faisant de telles recommandations au prince, Fronton était conscient de mettre à l’épreuve la confiance de celui-ci sur lui-même, vu qu’il était amené parfois à se prononcer sur des sujets inconnus de lui : Si formam non cognoces hominis…464,

prend soin de souligner l’épistolier qui se doutait que Marc pouvait bien ignorer totalement l’identité de celui-là de ses nombreux affranchis. La qualité des services influencera forcément l’opinion de l’empereur sur Fronton qui bénéficiera d’une estime accrue, si le promu se révèle à la hauteur des attentes ; mais, à l’inverse, il perdrait toute ou une bonne partie de sa crédibilité auprès du prince, si le sujet recommandé venait à décevoir ce dernier. L’empereur détenait donc le pouvoir suprême de promotion aux magistratures provinciales dont il usait comme un double moyen aussi bien d’honorer les plus dignes de ses administrés que de gratifier ses parents et amis. Mais aussi faut-il rappeler qu’il disposait là d’un atout efficace de 462

Fronton, LII : Aridelus iste, qui tibi litteras meas reddit, a puretia me curauit, a studio perdicum usque ad seria officia. Libertus uester est ; procurauit uobis industrie : est enim homo frugi et sobrius et acer et diligens. Petit nunc procurationem ex forma suo loco ac iusto tempore. Faueto ei..., quod poteris. Si formam non cognoces hominis, ubi ad nomen Arideli uentum fuerit, memento me tibi Aridelum commendatum. 463 Fronton, LI : Si te in prouincia, mi magister, adierit Themistocles quidam, qui se Apollonio magistro meo dicat philosophia cognitum, eum esse, qui hac hieme Romam uenerit et mihi uoluntate magistri per filium Apollonium sit demonstratus : ei tu, mi magister, uelim quod possis bene facias, bene suadeas. Nam ius et aequum omnibus Asianeis erit apud te paratissimum, sed consilium. Comitatem quaeque amicis sine ullo quiusquam incommodo propria inpertire fides ac religio proconsulis permittit, peto Themistocli libens inpertias. 464 Cf. supra, note précédente.

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sécurisation de son pouvoir. Il pouvait en l’occurrence en user pour éloigner de Rome toute personne susceptible de lui faire sérieusement ombrage. Sur ce dernier aspect, on aura noté avec intérêt, du règne de Septime Sévère, que certaines affectations en provinces n’étaient en réalité que de véritables exils déguisés : « Toutefois, se méfiant particulièrement de quelques hommes dont il s’était fait une opinion tout à fait juste, il les envoya en mission, l’un Héraclitus, pour défendre les Bretagnes, l’autre, Plautien, pour s’emparer des enfants de Niger »465.

La portée de son pouvoir de décision dans ce domaine se mesure mieux à travers les aberrations d’un Commode qui, malgré des énormités commises par ailleurs, avait tout de même réussi à imposer sa volonté de placer à la tête de certaines provinces plusieurs de ses compagnons, tout aussi corrompus que lui : « Il envoyait pour gouverner les provinces soit des complices de ses crimes, soit des protégés de ces criminels … Sur son ordre, même des affranchis furent admis dans le Sénat ou parmi les patriciens et l’on vit alors pour la première fois vingtcinq consuls en une année et tous les gouvernements de provinces mis à l’encan… Il procédait aussi à la vente des charges provinciales et administratives, dont le produit revenait en partie à ceux qui avaient servi d’intermédiaires, en partie à lui-même Commode »466.

Un témoignage de Dion Cassius relatif à l’assassinat de cet empereur de de bien triste mémoire illustre bien l’état d’esprit des gouverneurs de provinces vis-à-vis de l’empereur au trône et atteste clairement qu’ils avaient pleinement conscience de lui devoir une déférence entière et irréprochable : « Telle était la différence d’opinion que tout le monde avait de Helvius Pertinax et de Commode, que les personnes qui avaient entendu raconter ce qui s’était passé craignaient que ce ne fût un bruit répandu par Commode à dessein de les éprouver, et que beaucoup de gouverneurs de provinces firent jeter dans les fers ceux qui leur rapportaient cette nouvelle, non qu’ils désirassent qu’elle ne fût pas vraie, mais parce qu’il y avait plus à craindre pour eux en croyant à la mort de Commode qu’en embrassant une faute de ce genre à l’égard de l’un, tandis que personne ne l’était à l’égard de l’autre… »467.

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Scriptores ..., Sévère, VI, 10 : Sed eos ipsos pertimenscens, de quibus recte iudicabat, Heraclitum ad optinendas Brittannias, Plautianum ad occupandos Nigri liberos misit. 466 Scriptores ..., Commode, III, 8 ; VI, 9 ; XIV, 6 : Misit homines ad prouincias regendas uel criminum socios uel a criminosis commendatos… ad cuius nutum etiam libertini in senatum atque in patricios lecti sunt tuncque primum uiginti quinque consules in unum annum uenditaeque omnes prouinciae… Vendidit etiam prouincias et administrationes, cum hi, per quos uenderet, partem acciperent, partem uero Commodus. 467 Hist. rom., LXXII, 2.

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Lucius Vérus quant à lui, sans même jouir d’un pouvoir autonome et dont le jugement du biographe était fort mitigé468, parvint tout de même à promouvoir ses protégés à divers postes de responsabilité : « Une fois la guerre victorieusement terminée, écrit le biographe traitant de la campagne contre les Syriens, il accorda des royaumes à certains rois et des gouvernements de provinces à des notables de son entourage »469.

Hadrien n’a-t-il pas, en son temps, agi de même en confiant les deux Pannonies à son fils adoptif ? « C’est alors qu’il décida d’adopter Céionus Commodus, qui était le gendre de l’ancien conspirateur Nigrinus mais que lui recommandait sa beauté physique. Il adopta donc Céionus Commodus Vérus contre l’avis de tous et lui donna le nom d’Aélius Vérus César… Il honora Commodus de la préture et le plaça aussitôt à la tête des Pannonies en lui conférant le titre de consul accompagné des crédits nécessaires, puis il le désigna comme consul l’année suivante »470.

Et c’est grâce à cette adoption qu’il bénéficia de compter parmi les « sujets » du biographe, dont l’intention (telle qu’il l’a déclaré lui-même au destinataire de cette Vie) était de s’intéresser aussi bien à la vie de ceux qui ont occupé la place de princes qu’à celle de ceux qui eurent le titre de César sans devenir ni princes ni Augustes ; comme de ceux qui, d’une façon ou d’une autre, passèrent dans l’opinion publique pour avoir atteint le principat ou eurent l’espoir d’y parvenir : « Parmi eux, affirma-t-il à Dioclétien, il convient de mentionner tout spécialement Aélius Vérus, qui fut le premier à ne recevoir que le titre de César quand son adoption par Hadrien l’eut fait entrer dans la famille des princes »471.

468

Il fait en effet partie des personnages de son œuvre dont le biographe avait une opinion personnelle plutôt négative. Voir par exemple Scriptores ..., Vérus I, 4-5 : Quem constat non inhorruisse uitiis, non abundasse uirtutibus, uixisse deinde non in suo libero principatu, sed sub Marco in simili ac paris maiestatis imperio, a cuius secta lasciuia morum et uitae licentioribus nimietate dissensit. Erat enim morum simplicum et qui adumbrare nihil posset ; lire : « Il est en effet patent que, s’il ne fut pas couvert de vices, il ne brilla pas non plus par ses vertus et qu’il ne jouit jamais pendant sa vie du pouvoir sans partage, mais d’une autorité impériale analogue et équivalente à celle de Marc, dont il différait, sur le plan moral, par la mollesse de son caractère et l’excessif laisser-aller de son comportement. Il était en effet d’un tempérament empreint d’ingénuité et incapable de cacher quoi que ce soit ». 469 Scriptores ..., Vérus, VII, 8 : Confecto sane bello regna regibus, prouincias uero comotibus suis regendas dedit. 470 Scriptores ..., Hadrien, XXIII, 10-11 ; 13 : Tunc Ceionium Commodum, Nigrini generum insidiatoris quondam, sibi forma commendatum adoptare constuit. Adoptauit ergo Ceionium Commodum Verum inuitis omnibus eumque Aelium Verum Caesarem appellauit… Quem praetura honorauit ac statim Pannoniis inposuit decreto consulatu cum sumptibus. Eundem Commodum secundo consulem designauit. 471 Scriptores ..., Aélius, I, 2 : Quorum praecipue de Aelio Vero dicendum est, qui primus tantum Caesaris nomen accepit, adoptione Hadriani familiae principum adscitus.

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En somme, on peut donc retenir que le corps administratif romain dans les provinces, composé des gouverneurs (légats ou proconsuls) assistés par leurs collaborateurs, avait à sa charge la totalité des services publics472, dont plusieurs n’ont pas été mentionnés dans l’Histoire Auguste. Nous avons vu comment et combien les critères de leur choix étaient difficiles à définir de manière globale, même dans un contexte qui n’a pas épargné certains lieux communs souvent tributaires des pratiques traditionnelles. C’est qu’il y a bien longtemps que la seule volonté du prince prime sur toute promotion comme l’expression ex uoluntate principis l’indique sans équivoque. Le mérite (meritum), la vertu (uirtus) ou autres dignité (dignitas) demeurent, certes, autant d’atouts privilégiés pour envisager une brillante carrière civile ou militaire, mais il faudra tout de même les soumettre à la « lecture » et à la décision du prince. Nous avons d’ailleurs convenu que l’engagement de sa seule responsabilité dans les moments difficiles légitimait, en quelque sorte, cet état de choses. Sans compter le caractère précaire de la fonction impériale dont les collaborateurs les plus importants et – pour cette même raison les plus proches – représentent également la source de périls la plus à craindre. On se rappellera cette maxime malheureuse mais si justifiée d’Hadrien que Marc Aurèle aurait citée à Vérus qui l’exhortait à sévir contre Avidius Cassius soupçonné de comploter contre lui : « Tu connais en effet ces paroles de ton grand-père Hadrien : ‘’Misérable condition que celles des empereurs : on ajoute foi à leur crainte des usurpations que lorsqu’ils ont été assassinés »473.

Alors, peut-on tenter, à travers les différents services qui matérialisent l’administration des provinces romaines, une approche plus ou moins exhaustive des efforts consentis par les uns et les autres pour assurer, dans lesdites provinces, la securitas pour tous ? Car, pensons-nous, c’est assurément là un autre des volets non négligeables de la préservation de la pérennité de l’Empire qui exigeait, avant tout et par-dessus tout, une sérénité voulue permanente dans ses différentes composantes.

472

A titre indicatif, lire l’œuvre de W. Meyers sur la Bétique qui donne un aperçu suffisamment exhaustif des différents services publics dans les provinces romaines ; cf. L’administration de la province romaine…, Brugge, 1964, p. 14 sq. 473 Scriptores ..., Avidius Cassius, II, 5 : Scis enim ipse, quid auus tuus Hadrianus dixerit : « misera conditio imperatorum, quibus de affectata tyrannide nisi occisis non potest credi’’.

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IV. LA SECURITE DES BIENS ET DES PERSONNES

« Au demeurant, Lollianus se montra assez efficace vis-à-vis de l’État. En effet, beaucoup de cités gauloises et même un certain nombre de camps que Postumus avait construits sur une période de sept ans en territoire barbare avait été, à sa mort, saccagés et incendiés par suite d’une incursion inopinée des Germains : il les restaura dans leur état primitif, avant d’être tué par ses soldats parce qu’il leur imposait des efforts excessifs ». Scriptores…, Les XXX tyrans, Lollianus, V, 4.

Toutes les attentes de Rome et de l’empereur des terres provinciales, dont la satisfaction dépendait bien sûr de l’efficacité des promagistrats dans leurs attributions respectives qui elle-même reposait sur le développement d’un réseau urbain actif et productif, impliquaient l’existence d’une administration forte, capable d’assurer à tous des conditions de vie quotidienne propices à un rendement positif dans tous les secteurs d’activités. L’ensemble des conditions à ainsi réunir peut, dans une certaine mesure, se fondre dans le seul vocable de securitas, au sens de son emploi dans un passage de la Vie de Postumus : … si quidem nimius amor erga Postumum omnium erat in Gallicanorum mente populorum, quod summotis omnibus Germanicis gentibus Romanum in pristinam securitatem reuocasset imperium474. 474

Scriptores ..., Les XXX Tyrans, III, 6 ; texte cité infra, note 453. Cette préoccupation, à côté du souci de son approvisionnement, revient souvent dans les vœux connus du peuple romain, comme ici à l’occasion des éloges post mortem faits à Helvius Pertinax ; d’après Pseudo-Aurélius Victor, XVIII, 6 : ‘’Pertinace imperante securi uiximus, neminem timuimus…’’ ; lire : « Sous le règne de Pertinax nous avons vécu en sécurité, nous n’avons craint personnes… ». Voir aussi les propos rapportés ailleurs par l’auteur de l’Histoire Auguste à travers lesquels se justifiait l’opportunité d’immortaliser la vie de Probus à qui l’Empire et les Romains devaient tant de faits glorieux mais dont aucun auteur, selon lui, n’avait encore fourni la moindre étude d’envergure avant sa propre initiative ; ibid., Probus, I, 3 : Probum principem, cuius imperio oriens, occidens, meridies, septentrio omnesque orbis partes in totam securitatem redactae sunt, scriptorum inopia iam paene nescimus ; lire : « L’empereur Probus, dont le règne a rendu à l’Orient, à l’Occident, au Midi, au Nord, à l’univers entier une sécurité absolue, nous est presque inconnu faute d’écrivains ».

Le biographe témoignait en ces termes de la reconnaissance des peuples gaulois envers Postumus qui les avaient débarrassés des envahisseurs germains. Nous pouvons également nous référer à Tertullien pour mieux appréhender les mécanismes de ce déterminisme entre la securitas et la prospérité de l’Empire : « En effet, professe-t-il, quand l’Empire est ébranlé, tous ses membres le sont aussi, et nous (chrétiens), bien que nous nous tenions à l’écart des troubles, nous nous trouvons naturellement enveloppés en quelque manière dans la catastrophe »475.

Ces mots, dont usa Tertullien pour convaincre les persécuteurs des chrétiens de son temps que ni lui ni les siens ne pouvaient souhaiter le désordre généralisé – vu qu’il ne les épargnerait pas – au monde romain en prônant l’insubordination civile, illustrent en effet le caractère commun des destins individuels de toutes les composantes de l’État. L’administration, que nous avons définie comme l’action générale de gestion d’une communauté en même temps que l’ensemble des fonctionnaires chargés d’en assurer les services, ne saurait donner des résultats positifs dans un climat de désordres généralisés du type chaotique que le biographe décrit ainsi à l’ère gallienne : … quasi coniuratione totius mundi concussis orbis partibus476.

De ce point de vue, la politique sécuritaire des empereurs vise prioritairement trois objectifs : la prévention d’éventuelles incursions barbares par des démonstrations inopinées de la puissance militaire romaine ; une riposte vigoureuse face à toute velléité de menacer l’ordre établi et la paix dans les provinces romaines. Il faudrait ne pas non plus perdre de vue la lutte quasi permanente contre toutes les tentatives d’usurpations de plus en plus nombreuses à mesure que l’Empire s’agrandissait et dont la gestion appelait d’elle-même la conjugaison

475 Tertullien, Apol., XXXI, 3 : Cum enim concutitur imperium, concussis etiam ceteris membris eius, utique et nos, licet extranei a turbis, in aliquo loco casus inuenimur. 476 Scriptores ..., Gallien, IV, 9 ; lire : « comme si la terre entière était ébranlée par une conjuration universelle… ». C’est ainsi qu’apparaît l’univers romain aux yeux du biographe après le règne du pire des empereurs romains d’après lui, Gallien. Plus loin, ibid., V, 6, il décrit en détails ce chaos : Saeuiente fortuna, cum hinc terrae motus, inde hiatus soli, ex diuersis partibus pestilentia orbem Romanum uastaret, capto Valeriano, Gallis parte maxima opsessis, cum bellum Odenatus inferret, cum Aureolus perurgeret --- cum Aemilianus Aegyptum occupasset, Gothoru --- a quo dictum est superius, Gothis inditum est, occupatis Thraciis Macedoniam uastarunt, Thessalonicam obsederunt, neque usquam quies mediocriter saltem ostentata est ; lire : « Sous le coup de l’acharnement du sort, ici la terre tremblait, là le sol se fendait, en différents endroits la peste ravageait le monde romain, Valérien était prisonnier, la plus grande partie des Gaules était envahie, Odénath était sur le pied de guerre, Aurélius se faisait menaçant --- Aémilianus s’était emparé de l’Égypte, tandis qu’un groupe de Goths --dévastait la Macédoine après avoir envahi la Thrace et assiégeait Thessalonie ; nulle part n’apparaissait le moindre signe d’apaisement » ; voir aussi ibid., IX, 1.

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d’efforts que la seule personne de l’empereur n’était plus à mesure de fournir. A ces objectifs essentiels s’ajoute naturellement un quatrième relevant des traditions les plus lointaines de Rome : les opérations de simple police qu’atteste ainsi Tertullien : « Pour la recherche des brigands, il y a dans chaque province un détachement militaire désigné par le sort… »477.

Ce détachement était placé sous les ordres d’un homme de confiance choisi par le gouverneur lui-même. C’est là, par exemple, le rôle assigné au Maurétanien Julius Sénex au sein de l’équipe que constitua Fronton sur le point de se rendre en Asie pour y assumer les charges de proconsul : « J’ai appelé aussi de la Maurétanie un homme… dont la probité et le zèle, et plus encore les talents militaires, devaient m’aider à rechercher et à contenir les brigands… »478.

Il pourrait être question ici d’une perspective de riposte à une recrudescence du banditisme dans cette province ou simplement de mesures préventives qui incombent invariablement à tout responsable du Service public. En ressources humaines à réunir, au choix ces meilleures voies et politiques de stabilisation du territoire comme à tant d’autres attentions à y accorder, la sécurité comme gage de paix pour la province ou pour l’Empire constitue une facture impérative à payer. Et, quel que soit le contexte, les circonstances ou l’époque pris en compte, personne ne saurait déroger à cette règle cardinale et prétendre à la sérénité intérieure et extérieure qui, seules, garantissent le climat propice au développement et à la prospérité.

IV – 1 : Le prix de la paix C’est que la paix, la tranquillité ou la sécurité ont un prix qu’Avidius Cassius a perçu et défini en ces termes : « Il faut… beaucoup de glaives, beaucoup de sanctions pour que l’État reprenne sa forme ancienne »479.

Ainsi s’y prit Postumus pour rétablir la paix et la sérénité aux Romains : « Il est indéniable que tous les peuples gaulois nourrissaient pour Postumus une extrême affection parce qu’il avait refoulé toutes les tribus germaniques et redonné ainsi à l’Empire sa sécurité d’autrefois »480 ; 477

Tertullien, Apol., II, 8 : Latronibus uestigandis per uniuersas prouincias militaris statio sortitur… 478 Lettre inédites..., I, 8 : Ex Mauretania quoque uirum… ad me uocaui, cuius non modo fide et diligentia, sed etiam militari industria circa quaerendos et continendos latrones adiuuarer. 479 Scriptores ..., Avidius Cassius, XIV, 6 : … multis opus esse gladiis, multis elogiis, ut in antiquum statum publica forma reddatur.

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tout comme Septime Sévère qui, nouvellement proclamé empereur par les légions de Germanie, dut se rendre à Rome, sans toutefois négliger de sécuriser les provinces qu’il laissait derrière lui : « Puis, après avoir assuré la sécurité des provinces laissées derrière lui, il entreprit de marcher sur Rome… »481.

C’est également ce que sont censés exprimer les termes de cette laudatio décernée à Aurélien : « L’État te remercie, Aurélien, de l’avoir libéré du joug des Goths… »482 ;

ou encore cette autre à l’endroit de l’empereur Probus pour avoir rendu à l’Empire une sérénité totale en combattant l’ennemi partout où s’étaient développés des foyers de tension, autant dire aux quatre points cardinaux : Probum principem, cuius imperio oriens, occidens, meridies, septentrio omnesque orbis partes in totam securitatem redactae sunt…483.

Surtout que la lecture des événements survenus à Rome avait des répercussions fort contrastées dans les provinces. Insolite et quelque peu étrange semble en effet cette réaction des provinciaux consécutive à la mort des deux Maximins : « Telle fut la mort des deux Maximins, digne de la cruauté du père, indigne des qualités de cœur du fils. Leur mort fut accueillie avec une joie immense par les provinciaux, une profonde affliction par les Barbares »484.

Ce texte indique clairement que les Barbares se délectaient de voir Rome mal gouvernée, convaincus par cette perspective d’en venir à bout : nul n’est en effet insensible à l’avantage que donne l’affrontement d’un adversaire sans envergure. C’est ainsi que le biographe établit un rapport de cause à effet entre la vie dissolue de Commode et la nature de son règne :

480

Scriptores ..., Les XXX Tyrans, III, 6 : … si quidem nimius amor erga Postumum omnium erat in Gallicanorum mente populorum, quod summotis omnibus Germanicis gentibus Romanum in pristinam securitatem reuocasset imperium. Ces vertus de bon meneur d’hommes sont connues d’Orose, VII, 22, 10 : Postomius in Gallia inuasit tyrannidem, multo quidem reipublicae commodo : nam per decem annos ingenti uirtute ac moderatione usus, et dominantes hostes explulit, et perditas prouincias in pristinam faciem reformauit... 481 Scriptores ..., Sévère, V, 3 : Dein firmatis, quas post tergum relinquebat, prouinciis Romam iter contendit… 482 Scriptores ..., Aurélien, XIII, 2 : “gratias tibi agit, Aureliane, res p.(ublica) quod eam a Gothorum potestate liberati”. 483 Scriptores ..., Probus, I, 3 ; texte cité infra, note 444. 484 Scriptores ..., Les deux Maximins, XXIV, 1 : His finis Maximinorum fuit, dignus crudelitate patris, indignus bonitate filii. Quibus mortuis ingens laetitia prouincialium, dolor grauissimus barbarorum. A. Chastagnol a précisé que ces « Barbares » qui soutenaient Maximin étaient des Thraces qui avaient participé à son accession au pouvoir ; cf. note 3, p. 674.

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« En dépit du genre de vie qu’il menait, sous son règne furent vaincus, grâce à ses légats, les Maures et les Daces ; les Pannonies et la Bretagne furent également pacifiées, tandis qu’en Germanie et en Dacie, les provinciaux s’insurgeaient contre son pouvoir »485.

Mais la meilleure illustration de cette logique, aux yeux du biographe, demeure Gallien, comme il aime à le rappeler : « Tous ces événements, affirme-t-il à propos de la situation chaotique dans laquelle se trouvait Rome sous ce prince, étaient la conséquence, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, du mépris que suscitait Gallien, le pire des débauchés, prêt à endurer tous les déshonneurs pour assurer sa tranquillité »486.

Eutrope confirme cette mollesse de Gallien487 comme principale cause de la série de soulèvements qui faillirent conduire prématurément Rome à sa perte, bien qu’il eût un début de règne plutôt heureux : « Gallien devenu Auguste dans son adolescence eut un règne heureux dans un premier temps, convenable ensuite, désastreux à la fin. Car, dans sa jeunesse, il accomplit beaucoup d’actions valeureuses en Gaule et en Illyrie, tuant près de Mursa Ingénuus qui avait revêtu le pourpre, ainsi que Trébellianus. Longtemps calme et tranquille, il se livra ensuite à toutes sortes de débauches et relâcha les rênes avec lesquelles il tenait l’État en raison de sa honteuse mollesse et de sa désespérante faiblesse. Les Alamans, après avoir ravagé les Gaules, pénétrèrent en Italie. La Dacie qui, au-delà du Danube, avait été annexée à l’Empire par Trajan fut alors perdue. La Grèce, la Macédoine, le Pont, l’Asie furent ravagés par les Goths. La Pannonie fut dévastée par les Sarmates et par les Quades. Les Germains pénétrèrent jusque dans les Espagnes et prirent d’assaut la célèbre cité

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Scriptores ..., Commode, XIII, 5 : Victi sunt sub eo tamen, cum ille sic uiueret, per legatos Mauri, uicti Daci Pannoniae quoque conpositae, Britannia, in Germania et in Dacia imperium eius recusantibus prouincialibus. 486 Scriptores ..., Les II Galliens, V, 7 : Quae omnia contemptu, ut saepius diximus, Gallieni fiebant, hominis luxuriosissimi, ut, saepius diximus, Gallieni fiebant, hominis luxorisissimi et, si esset securus, ad omne dedecus paratissimi. 487 Quoique plutôt en accord avec Eutrope sur Gallien, il convient de souligner que l’historien grec Zozime ne dépeint point ce dernier comme un acteur sans envergure en soulignant son implication de poids dans le redressement d’une situation chaotique de l’Empire survenue sous Valérien : « Lorsque Valérien se rend compte du danger qui menace de toutes parts l’Empire romain, il choisit son fils Gallien comme associé au pouvoir ; vu que la situation était grave partout, il partit lui-même pour l’Orient afin de faire obstacle aux Perses et confia à son fils les légions stationnées en Europe, avec mission de s’opposer avec les forces à sa disposition aux Barbares qui attaquaient de toutes parts. Quand Gallien vit que les Germains étaient plus dangereux que les autres peuples et qu’ils troublaient plus gravement les populations gauloises installées dans la région du Rhin, il affronta lui-même ces ennemis-là ; pour ce qui concernait ceux qui s’enhardissaient à piller les contrées voisines de l’Italie, ainsi que l’Illyricum et la Grèce, il prescrivit aux généraux de poursuivre la guerre contre eux avec les armées qui se trouvaient dans les parages ; quant à lui, il surveillait dans la mesure du possible les points où le Rhin était franchissable et tantôt empêchait le passage, tantôt aussi s’opposait à ceux qui traversaient » ; voir Hist. nouv., I, XXX, 1-2.

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de Tarragone. Les Parthes, après avoir occupé la Mésopotamie, se mirent à revendiquer la Syrie »488.

Il arrive assez souvent que le biographe s’acharne sur certains empereurs, avec une hargne tenace, sans qu’une telle attitude se justifie dans tous les cas. Ainsi s’y prend-il à propos de Commode, Élagabal ou ici Gallien489 – entre autres – qu’il associe très souvent aux Caligula, Néron, Vitellius ou Domitien. Une telle image renvoie à la biographie de Lucius Vérus, le César de Marc Aurèle, dont la vie dissolue a complètement dévalué la considération qu’on devait pourtant lui accorder en province, vu que Marc Aurèle l’avait associé à son pouvoir, bien qu’il ne fût point obligé de le faire : « … Il était la risée de tous les Syriens et nous connaissons encore beaucoup de plaisanteries satiriques qu’on lui lançait au théâtre »490.

Plus proche de nous par exemple, ce phénomène s’est révélé tout aussi récurrent dans les pays en voie de développement où les anciens colonisateurs ont souvent, sinon toujours favorisé le maintien aux Affaires de sujets dont le véritable atout est qu’ils permettent, nécessairement contre les intérêts des pays et des peuples placés sous leur juridiction, une meilleure exploitation des diverses denrées de rente que renferment leurs sol et soussol. La securitas pour tous dans les provinces représente donc ainsi – paradoxalement – un vaste programme émaillé de conflits sur la base de motifs effectifs ou virtuels entre les Romains et plusieurs de leurs 488

Abrégé…, IX, 8, 1-2 : Gallienus, cum adulenscens factus esset Augustus, imperium primum feliciter, mox commode, ad ultimum perniciose gessit. Nam iuuenis in Gallia et Illyrico multa strenue fecit, occiso apud Mursam Ingenuo, qui purperam sumpserat, et Trebelliano. Diu placidus et quietus, mox in omnem lasciuiam dissolutus, tenendae rei publicae habenas probrosa ignauia et desperatione laxauit. Alamanni uastatis Galliis in Italiam penetrauerunt. Dacia, quae a Traiano ultra Danubium fuerat adiecta, tum amissa est. Graecia, Macedonia, Pontus, Asia uastata est per Gothos, Pannonia a Sarmatis Quadisque populata est, Germani usque ad Hispanias penetrauerunt et ciuitatem nobilem Tarraconem expugnauerunt, Parthi Mesopotamia accupata Syriam sibi coeperant uindicare. 489 Concernant Gallien, nous conseillons plutôt vivement de recourir à la très soigneuse étude de M. Christol qui tient cet empereur parmi les principaux artisans du redressement dont l’Empire eut vitalement besoin pour faire face à la grande période des crises du IIIe siècle (249-274). On peut y lire notamment : « La capacité de résistance, autour de la personne de l’empereur Gallien, est un facteur dominant des années postérieures aux catastrophes de 260. Arc-boutés sur l’Italie du Nord, Gallien et ses armées ont d’abord maintenu leur puissance, puis ont patiemment repris en main les espaces provinciaux : la domination du prince s’est ainsi peu à peu élargie. L’armée impériale est au cœur de ces événements et de cette aventure. C’est une armée aguerrie, qui s’est déplacée aux côtés de Gallien depuis plusieurs années, mais aussi une armée fidèle à un prince qui ne ménage pas sa peine » ; Cf. L’Empire romain au IIIe siècle…, Errance, Paris, 1997, p. 143. 490 Scriptores ..., Vérus, VII, 4 : Risui fuit omnibus Syris, quorum multa ioca in theatro in eum dicta existant. Le biographe rapporte effectivement que la Syrie, qu’il considérait comme son royaume personnel, ne lui porta cependant point bonheur ; voir VII, 1-10 et VIII, 1.

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interlocuteurs provinciaux qui, eux-mêmes, ne manquaient pas toujours de points de discordes ; sans oublier, bien sûr, une certaine propension à la gloire militaire (le goût du triomphe) de la part de certains principes, lorsqu’on n'assiste pas à des confrontations opposant des Romains entre eux. Le dernier cas de figure nous rappelle principalement l’épisode des turpitudes ayant précédé l’avènement de Septime Sévère qui, résolu de se rendre à Rome pour y asseoir son pouvoir proclamé par ses troupes mais que n’avait vraisemblablement pas encore entériné le Sénat lui-même favorable à d’autres initiatives, n’omit pas de prévenir tout risque de désordre derrière lui par des mesures que ne précise cependant pas le texte : « Puis, après avoir assuré la sécurité des provinces qu’il laissait derrière lui, il entreprit de marcher sur Rome sans rencontrer aucune résistance sur son passage, car, sous la pression de leurs généraux, les armées d’Illyricum et de Gaule avaient déjà pris parti pour lui »491.

Cependant, en convenant que toute situation conflictuelle, surtout lorsqu’elle s’avérait susceptible d’entraîner des confrontations armées, était de nature à mettre en péril l’Empire, un regard horizontal sur l’ensemble des récits concernant les différentes campagnes des IIe et IIIe siècles s’impose. Il y apparaît d’emblée qu’elles ne présentent pas les mêmes caractéristiques. Outre les opérations militaires volontairement programmées par certains empereurs avides de triomphes, le glaive romain a souvent servi à préserver les espaces civilisés – c’est-à-dire romanisés – des assauts barbares et à juguler les ambitions récurrentes d’usurpateurs de tout bord. Sur ce dernier point, des mots d’Hadrien dont le biographe prête le rappel à Marc Aurèle redoublent de justesse : ‘’misera conditio imperatorum, quibus de affectata tyrannide nisi occisis non potest credi’’492.

Mais, s’il faut reconnaître et saluer l’effort de guerre fourni par les Romains pour accroitre leur territoire et étendre à l’infini le terrain d’expression de leur hégémonie ou repousser des assauts barbares de tout bord, ce n’est point pour occulter celles des campagnes menées par des princes avides de louanges et de triomphes, juste dans le strict but de donner plus d’éclat à leur mandature impériale.

IV – 2 : Les guerres de prestige Lorsqu’une guerre ne s’inscrit pas dans les cas de figure traditionnels qui caractérisaient le principe de « guerre juste » aux yeux des Romains493, il y a 491

Scriptores ..., Sévère, II, 5 : Dein firmatis, quas post regnum relinquebat, prouinciis Roma miter contendit cedentibus sibi cunctis, quacumque iter fecit, cum iam Illyriciani exercitus et Gallicani cogentibus ducibus in eius uerba iurassent… 492 Scriptores ..., Avidius Cassius, II, 5 ; texte exploité supra, note 442.

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une tendance perceptible, notamment chez nos biographes, de condamner chez certains empereurs une forme de folie des grandeurs matérialisée par un goût avéré et exacerbé pour des campagnes dont Rome aurait pu se dispenser de mener. Rien ne les justifiant, ce type de guerre relève donc de la seule volonté du prince d’augmenter son prestige, donnant ainsi une bonne illustration de ce qu’Auguste lui-même détesta par-dessus tout et dont il ne pouvait que conseiller vivement de s’abstenir, s’il faut croire sur ce point Aurélius Victor : « En fin de compte, il eut une telle horreur des troubles, des guerres et des dissensions que jamais, sauf raison légitime, il ne déclara la guerre à aucun peuple. C’était, disait-il, la marque d’un esprit vaniteux et bien léger que de compromettre, par passion du triomphe et pour une couronne de laurier, c’est-àdire pour des feuilles stériles, la sécurité des citoyens dans l’issue incertaine des combats »494.

N’a-t-on pas entendu Suétone gloser sur la campagne de Claude contre les Bretons ? « Il n’entreprit qu’une seule expédition, d’ailleurs peu importante »495.

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Auguste fait allusion à cette vielle conception romaine dans son testament où il s’efforce à convaincre de sa légitimité à avoir porté son glaive sur le monde entier : Alpes a regione ea, quae proxima est Hadriano mari, [ad Tuscum pacificau]i nulli genti bello per iniuriam intalo ; lire : « J’ai fait pacifier les Alpes depuis la contrée depuis la contrée voisine de la mer Adriatique jusqu’à la mer Tyrrhénienne, sans porter chez aucun de ces peuples une guerre injuste » ; Res Gestae…, XXVI, 3. Suétone donne de l’écho à cette conviction augustéenne en affirmant que jamais Octave ne fit la guerre à aucune nation sans raison légitime et sans nécessité par souci de droiture et d’équité ; voir Vies…, Aug., XXI, 4 : Nec ulli genti sine iustis et necessariis causis bellum intulit tantumque afuit a cupiditate quoquo modo imperium uel bellicam gloriam augendi… 494 Pseudo-Aurélius Victor, Vie…, I, 10 : Adeo denique turbas, bella, simultates exsecratus est ut nisi iustis de causis numquam genti cuiquam bellum indixerit. Iactantisque esse ingenii et leuissimi dicebat ardore triumpandi et ob lauream coronam, id est folia infructuosa, in discriminem per incertos euentus certaminum securitatem ciuium praecepitare… Leçon qui vaudrait bien pour plusieurs aujourd’hui – notamment parmi les dirigeants africains – qui n’hésitent pas d’exposer les vies dont ils ont reçu ou usurpé la charge à des guerres aussi inutiles que meurtrières mais surtout dont les mobiles ne sauraient en justifier le prix. 495 Suétone, Claud., XVII, 1 : Expeditionem unam omnino suscepit eamque modicam. Ce n’est cependant pas le sentiment que suscite l’allusion de Tacite à cette campagne plutôt fructueuse dans son ensemble, Agr., XIII, 7 : Diuus Claudius auctor iterati operis, transuectis legionibus auxiliisque et adsumpto in partem rerum Vespasiano, quod initium uenturae mox fortunae fuit : domitae gentes, capti reges et monstratus fatis Vespasianus ; lire : « Le divin Claude prit l’initiative de recommencer les opérations, en faisant passer les mers à des légions et à des troupes auxiliaires, et en associant à l’entreprise Vespasien : ce fut pour celui-ci le commencement de son élévation future ; des peuples furent domptés, des rois capturés, et les destins désignèrent Vespasien » ; pour d’autres précisions sur cette vaste opération militaire, voir aussi Ann., XI, 31 sq. et nos propres commentaires dans « Claude et la Bretagne… », Revue du CAMES, Nouvelle Série B, vol. 014, XII, Ouagadougou, 2011, pp. 1-15.

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Le texte est clair : il n’y avait lieu, aux yeux de son auteur, aucun mobile sérieux imposant de s’aventurer si loin, sauf pour qui privilégie les honneurs d’un triomphe : « Le Sénat lui ayant décerné les insignes du triomphe, il jugea qu’un simple titre ne suffisait pas à sa majesté impériale, et, voulant la gloire d’un triomphe véritable, pour le mériter, il porta ses préférences sur la Bretagne, que personne n’avait attaquée depuis le divin Jules et qui s’agitait alors, parce qu’on n’avait pas rendu les transfuges »496.

Tenter d’étudier à fond le contexte réel de l’époque de cette expédition, en vue d’établir que la Bretagne ne présentait alors aucun casus belli sérieux (même virtuel), nous éloignerait considérablement de nos priorités, sans compter les limites de nos sources qui se taisent souvent sur certains détails qui devaient relever du lieu commun évident pour tous à leur époque, mais qui nous frustrent considérablement aujourd’hui. Nous nous limitons donc à exprimer notre entière adhésion aux conclusions d’A. Birley que nous rappelle ainsi M. Christol : « A. Birley s’est demandé si, depuis quelques décennies, l’île de Bretagne, encore incomplètement conquise, n’avait pas été reconnue dans l’opinion publique comme un lieu où devait s’exprimer la puissance de Rome, et si le souvenir des campagnes d’Agricola, sous les Flaviens, n’était venu soutenir ces rêves impérialistes. On ne doit pas oublier que les Perses et les Bretons ont souvent été cités comme des peuples dont la défaite signifiait une domination œcuménique, et pour celui qui l’obtenait un gage de grandeur. L’île se trouvait aux extrémités septentrionales du monde »497. Toutefois, on a tout de même du mal à convenir de l’inutilité absolue d’une campagne militaire dont le coût devait annihiler tout esprit d’aventure dans ce domaine. Concernant la campagne claudienne de Bretagne, Suétone ne signale-t-il pas l’éventualité d’une certaine agitation : … tunc tumultuantem… ? et n’y avait-il pas eu, pour cette raison, une opportunité d’agir le plus rapidement possible en vue d’en prévenir toute éventualité d’aggravation ? Il y a d’ailleurs lieu de s’étonner que le biographe ne signale nulle part la désapprobation de cet acte, s’il fut vain, comme il arriva lorsque Domitien, encore à la limite de l’adolescence, engagea ses troupes dans une aventure de ce genre : « Il commença également une expédition contre la Gaule et contre les Germains, sans aucune nécessité et malgré les conseils des amis de son père, uniquement pour égaler la puissance et la renommée de son frère (Titus). Cette conduite lui

496

Suétone, Claud., XVII, 2 : Cum decretis sibi a senatu ornamentis triumphalibus leuiorem maiestati principali titulum arbitraretur uelletque iusti triumphi decus, unde adquireret Britanniam potissimum elegit neque temptatam ulli post Diuum Iulium et tunc tumultuantem ob non redditos transfugas. 497 Cf. M. Christol, L’Empire romain au IIIe siècle…, Errance, Paris, 1997, p. 36.

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valut une réprimande et, pour qu’il se souvînt mieux de son âge et de sa situation, il habitait désormais avec son père… »498.

Bien sûr, on peut toujours nous objecter ici que l’attitude de l’entourage a pu varier selon qu’il s’agissait d’actes posés par un adolescent, contrairement à des entreprises mises en œuvre et conduites par un empereur au trône. Mais, sur une question si lourde de conséquences, le biographe aurait bien pu se permettre un commentaire – même des plus allusifs – à défaut d’une condamnation systématique ou d’un simple jugement de valeur de cette initiative claudienne. Et puis, pour un empire au périmètre « infini », comment définir le caractère inapproprié d’une guerre de conquête – dont la perspective d’une issue heureuse constituait la suprême légitimité –, forcément « juste », car Rome se devait d’être concrètement à la tête de l’univers ? Telle est l’intime conviction de Pline le Jeune qui considère la romanisation comme absolument salutaire pour les peuples conquis par Rome : « Quelle joie, clame-t-il, pour toutes les provinces d’être tombées sous notre loi, puisque nous devons à la fortune un prince capable de faire passer d’un lieu à l’autre la fécondité de la terre, transportée, rapportée au gré des circonstances et des besoins, capable de fournir à une nation séparée par la mer, comme à une partie du peuple et de la plèbe de Rome, nourriture et secours »499 !

De ce point de vue, aurait-on par exemple eu raison de reprocher au très remuant général Aémilianus, un des trente Tyrans, d’ambitionner de reculer la frontière orientale de l’Empire jusqu’aux Indes : « Il ne manqua du reste pas d’énergie pour administrer les affaires publiques…, rapporte le biographe. Il sillonna en effet la Thébaïde et toute l’Égypte et dans la mesure de ses possibilités, refoula avec vaillance et détermination les peuplades barbares… Il préparait une expédition contre les Indes lorsque Gallien lui envoya le général Théodotus avec ordre de lui infliger un châtiment… »500 ?

498 Suétone, Dom., II, 1-2 : Expeditionem quoque in Galliam Germanisque neque necessariam et dissuadentibus paternis amicis incolauit, tantum ut fratri se et opibus et dignatione adaequaret. Ob haec correptus, quo magis et aetatis et condicionis admoneretur, habitabat cum patre… 499 Pline le Jeune, Pan., XXXII, 1 : Quam nunc iuuat prouincias omnes in fidem nostram dicionemque uenisse, postquam contigit princeps, qui terrarum fecunditatem nunc huc, nunc illuc, ut tempus et necessitas posceret, transferret referretque, qui diremptam mari gentem ut partem aliquam populi plebisque Romanae aleret ac tueretur ! 500 Scriptores ..., Les XXX Tyrans, XXII, 6, 8 : Nec eius ad regendam rem p(ublicam) uigor defuit, nam Thebaidem totamque Aegyptum peregrauit et, quatenus potuit, barbarorum gentes forti auctoritate summouit… Et cum contra Indos pararet expeditionem, misso Theodoto duce Gallieno iubente dedit poenas… ; reprenant d’ailleurs ainsi une entreprise inachevée par Trajan qui en aurait sûrement envisagé l’éventualité, lui qui s’était établi jusqu’à la lisière de ce vaste territoire, d’après Eutrope, VIII, 3, 2 : Vsque ad Indiae fines et mare Rubrum accessit atque ibi tres prouincias fecit… ; lire : « Il s’avança jusqu’aux confins de l’Inde et à la mer Rouge et y établit trois provinces… » ; voir aussi Aurélius Victor, XIII, 3 : Quippe primus aut

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C’est ici le lieu de rappeler que, malgré les conseils à la prudence d’Auguste, certains empereurs à la suite de Trajan, comme Septime Sévère, pensèrent et s’engagèrent à étendre le périmètre de l’Empire. Écoutons làdessus les aveux d’Aurélius Victor : « (Septime Sévère) fut heureux et sage, surtout à la guerre, au point qu’il ne quitta aucun champs de bataille sans être vainqueur et qu’il accrut l’Empire après avoir soumis le prince perse nommé Agbar »501.

Il n’empêche que, ailleurs, l’Histoire Auguste rapporte aussi que Macrin, par exemple, se serait engagé dans une guerre contre les Parthes pour des raisons autres que la sauvegarde de l’intégrité de l’Empire ou l’élargissement de son périmètre. Écoutons plutôt là-dessus les mobiles relevés par le biographe : « Il partit aussitôt guerroyer contre les Parthes, enlevant ainsi aux soldats la possibilité de se faire une opinion sur lui et aux calomnies dont il était victime le moyen de s’amplifier »502 ;

puis : « Sitôt proclamé empereur, il engagea contre les Parthes une guerre pour laquelle il partit avec un grand déploiement de forces, désireux de faire oublier par une victoire éclatante la bassesse de sa naissance et l’infamie de sa vie passée »503.

Pourtant, son propre bilan de ladite campagne, qui n’opposa pas le nouvel empereur qu’aux seuls Parthes, ne laisse point conclure à une entreprise aisée : solus etiam, uires Romanas trans Istrum propagauit, domitis in prouinciam Dacorum pileatis hirsutisque nationibus, Decibalo rege ac Sadornio ; simul ad ortum solis cunctae gentes, quae inter Indum et Euphratem omnes inclitos sunt, contudae ; lire : « Car le premier ou même le seul parmi les empereurs, il porta la puissance romaine au-delà du Danube, en soumettant et en réduisant à l’état de province romaine les peuples Daces, coiffés du bonnet, et portant de longs cheveux, sur qui régnaient Décébale et Sardonius ; en même temps, jusqu’au soleil levant, tous les peuples qui vivent entre les fleuves fameux de l’Indus et de l’Euphrate furent domptés ». L’Inde ne compta jamais parmi les provinces romaines, mais elle fit tout de même partie des territoires tenus à une certaine déférence à l’endroit de l’empereur romain comme peut le confirmer la présence d’ambassadeurs indiens que plusieurs d’entre eux ont dépêchés auprès d’Antonin le Pieux, d’après le Pseudo-Aurélius Victor, XV, 4 : Quin etiam Indi, Bactri, Hyrcani legatos misere, iustitia tanti imperatoris comperta, quam ornabat uultu serie pulchro, procerus membra, decenter ualidus ; lire : « Bien plus, les Indiens, les Bactriens, les Hyrcaniens lui envoyèrent des ambassadeurs, ayant appris l’esprit de justice d’un si grand empereur, que rehaussaient son visage grave et beau, sa haute taille, sa vigueur harmonieuse. 501 Aurélius Victor, XX, 14 : Felix ac prudens, armis praecipue ; adeo ut nullo congressu nisi uictor discesserit, auxeritque imperium, subacto Persarum rege nomine Abgaro. 502 Scriptores ..., Macrin, II, 2 : ... statimque ad bellum Parthicum profectus et iudicandi de se militibus seu rumoribus, quibus premebatur, adolescendi potestatem demit... Les raisons de cette aversion sont précisées à la suite du texte. 503 Scriptores ..., Macrin, VIII, 1 : Appellatus igitur imperator suscepto bello> contra Parthos profectus est magno apparatu, studens sordes generis et prioris uitae infamiam uictoriae magnitudine abolere.

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« Il lutta cependant conte les Parthes, les Arméniens et les Arabes que l’on appelle ‘’Heureux’’, avec autant de courage que de réussite »504.

Mais souvent aussi, les différents témoignages de nos biographes ne rapportent ainsi que des rumeurs (famae) comme ici dans le cas de Septime Sévère : « La rumeur courait que, si Sévère entreprenait une guerre contre les Parthes, c’était moins poussé par la nécessité que par désir de gloire »505.

Or, nous savons que la rumeur se caractérise essentiellement par une extrême liberté par rapport à la réalité. A ce titre, Tertullien enseigne de s’en méfier, de la rejeter même ; en tout cas, il déconseille de fonder son opinion uniquement sur elle, car elle est source d’anathèmes et de désinformation. Il a accordé un assez long exposé à ce thème dans l’Apologétique (qui nous a séduit autant par la leçon qu’elle donne que par la beauté du texte), prouvant par-là que ce phénomène s’est avéré plutôt préoccupant à son époque : « La nature de la renommée est connue de tous… ‘’(Elle) est le plus rapide de tous les fléaux’’. Pourquoi la renommée est-elle un fléau ? Parce qu’elle est rapide, parce qu’elle révèle tout, ou bien parce qu’elle est souvent menteuse ? Même quand elle rapporte quelque chose de vrai, elle n’est pas exempte du reproche de mensonge, parce qu’elle retranche de la vérité, qu’elle y ajoute, qu’elle la dénature. Bien plus, sa condition est telle, qu’elle ne continue à exister que si elle ment et elle n’existe aussi longtemps qu’elle ne prouve ce qu’elle dit. En effet, dès l’instant qu’elle a prouvé, elle cesse d’exister et, remplissant pour ainsi dire l’office de messagère, elle transmet un fait : dès lors, c’est un fait qu’on tient, c’est un fait qu’on rapporte. Et personne ne dit plus, par exemple : ‘’On dit que cela s’est passé à Rome’’, ni ‘’ Le bruit court qu’un tel a tiré au sort une province’’ ; mais bien : ‘’Un tel a tiré au sort une province’’, et : ‘’ Cela s’est passé à Rome’’. La renommée, poursuit-il, nom de l’incertain, ne peut exister là où est le certain. Est-ce que par hasard on pourrait en croire la renommée, si l’on n’est irréfléchi ? Non, car le sage ne croit pas à l’incertain. Chacun peut s’en rendre compte : quelle que soit l’étendue de sa diffusion, quelle que soit son assurance, c’est nécessairement d’un seul auteur qu’un jour elle est partie. Après, elle se glisse de bouche en bouche, d’oreille en oreille, comme par autant de canaux, et le vice inhérent à cette humble semence rend si obscures les rumeurs qui circulent ensuite que personne ne se demande si la première bouche n’a pas semé le mensonge, chose qui arrive souvent grâce au génie inventif de la haine, ou par le soupçon téméraire, ou encore à cause de cette volupté du mensonge qui n’est pas une chose extraordinaire, mais innée à beaucoup »506.

504 Scriptores ..., Macrin, XII, 6 : Pugnauit tamen et contra Parthos et contra Armenios et contra Arabas, quos Eudaemones uocant, non minus fortiter quam feliciter. 505 Scriptores ..., Sévère, XV, 1 : Erat sane in sermone uulgari Parthicum bellum adfectare Septimium Seuerum gloriae cupidate, non aliqua necessitate deductum. 506 Tertullien, Apol., VII, 8-12 : Natura famae omnibus nota est… Fama, malum, qua non aliud uelocius ullum. Cue malum fama ? quia uelox, quia index, an quia plurrimum mendax ? Quae ne tunc quidem cum aliquid ueri defert, sine mendacii uitio est, detrahens, adiciens,

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A ce propos, notons au passage une aversion similaire pour la prolifération récurrente des rumeurs chez Dion Cassius, suscitée par l’annonce prématurée de la mort de Marc Aurèle qui fit croire à Avidius Cassius qu’il pouvait désormais prétendre au trône vacant : « Pendant qu’(Avidius) Cassius roulait ce dessein dans son esprit, une nouvelle, attendu que, dans ces sortes de circonstances, ce sont toujours les bruits fâcheux qui d’ordinaire se répandent, lui arriva que Marc Antonin était mort »507.

C’est le lieu de nous rappeler les propos moralisateurs de Tacite relatifs à l’imposture du pseudo Postumus Agrippa qui, malgré son statut d’esclave, voulut se faire passer à Rome pour le petit-fils d’Auguste que l’historien affirme avoir succombé à un complot ourdi par Tibère et sa mère, l’imposteur prétendant plutôt qu’il y avait échappé : « Et lui-même parcourait les municipes à la tombée du jour, sans jamais se montrer en public ni prolonger son séjour, mais, sachant que la vérité s’accrédite par la vue et le temps, le mensonge par la précipitation et l’incertitude, il se dérobait à la renommée ou la devançait »508.

L’auteur de l’Histoire Auguste a lui-même souvent déclaré sa volonté de faire preuve d’esprit critique et de discerner le vrai du faux en certaines circonstances. C’est ainsi qu’il se défie de la rumeur à propos d’un certain Ovinius Camillus qui, sous Alexandre Sévère, avait projeté de fomenter une rébellion pour s’emparer d’un pouvoir qu’il se révéla plus tard fort inapte à assumer : « D’aucuns pensent, je le sais, que cet épisode que j’ai rapporté concerne Trajan… Et si je l’ai repris à mon compte, c’est pour que personne ne se fie davantage aux racontars qu’à l’histoire qui s’avère toujours plus authentique que la rumeur publique »509.

demutans de ueritate. Quid quod ea illi condicio est, ut non nisi cum mentitur, perseueret, et tamdiu uiuit quamdiu non probat ? siquidem ubi probauit, cessat esse et, quasi officio nuntiandi funta, rem tradit : exinde res tenetur, res nominatur. Nec quisquam dicit, uerbi gratia : « Hoc factum est Romae ». Fama, nomen incerti, locum non habet ubi certum est. An famae credat nisi inconsideratus, quia sapiens non credit incerto ? Omnium est aestimare, quantacumque illa ambitione diffusa est, quantacumque adseueratione constructa, quod ab uno aliquando principe exorta sit necesse est. Exinde in traduces linguarum et aurium serpit, et ita modici seminis uitium cetera rumoris obscurat, ut nemo recogitet, ne primum illud os mendacium seminauerit, quod saepe fit aut ingenio aemulationis, aut arbitrio suspicionis, aut non noua, sed ingenita quibusdam mentiendi uoluptate. 507 Hist. Rom., LXXI, 23. 508 Tacite, Ann., II, 39, 4 : Atque ipse adire municipia obscuro diei, neque propalam aspici neque diutius isdem locis, sed, quia ueritas uisu et mora, falsa festinatione et incertis ualescunt, relinquebat famam aut praeueniebat. 509 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLVIII, 6, 8 : Scio uulgum hanc rem, quam contexui, Traiani putare … Quod ideo addidi, ne quis uulgi magis famam sequeretur quam historiam, quae rumore utique uulgi uerior reperetur. C’est là assurément le sens principal qu’exprime chez lui l’expression dignum memoratu utilisée pour sérier ses centres d’intérêts dans les Vies

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Nous pourrions multiplier les citations de textes anciens qui décrient ou condamnent la fama comme principale entorse à la vérité : c’est parce que nous sommes là face à une tradition – aussi vielle que le monde – qui met en lumière ce singulier paradoxe entre l’aversion communément admise contre la rumeur et son extrême facilité à se propager au sein des communautés toujours curieusement promptes à l’adopter. Celle des rumeurs que rapporte le biographe concernant les intentions de Septime Sévère en s’armant contre les Parthes nous laisse, plus que tout autre, quelque peu perplexe. Comment en effet admettre que l'auteur qui décrypte la situation générale de l’époque – à tout le moins qui la décrit le plus amplement possible – et qui révèle un État romain dans une spirale interminable de conflits de toute nature, marqué justement par les invasions incessantes des Germains, Goths, Parthes et autres peuplades barbares, donne de la résonance à une telle fama, sans surtout l’improuver ou tout au moins la remettre en cause ? A titre de mémoire, rappelons ses principaux témoignages relatifs à des troubles parfois dramatiques ayant secoué l’Empire de part en part dès le règne d’Hadrien510. Nous pensons plutôt que la position de Rome devenue manifestement inconfortable – peut-être aurions-nous raison de dire intenable – engluée dans des conflits interminables après de longues années de gestion de la paix511, interdisait toute perspective de guerre « inutile », malgré certaines apparences. Combien de fois des empereurs romains se sont-ils trouvés dans des situations si tumultueuses qu’il fallût simultanément aligner des hommes sur plusieurs fronts, non sans périls, pressés par la soudaineté des attaques ennemies ? Aurélien en fit une expérience bien amère à Plaisance :

qui composent sa compilation ; voir Macrin, I, 2 : Sed eius qui uitas aliorum scribere orditur, officium est digna cognitione perscribere ; lire : « Mais le rôle de celui qui entreprend d’écrire la biographie d’autrui est de ne garder que les faits dignes de mémoires ». 510 Scriptores ..., Hadrien, V, 1 sq. ; Marc Aurèle ; XVII, 2-3 ;XXI, 1-2, 7-8 et 10 et même Commode, XIII, 5 où l’on peut lire : Victi sunt sub eo tamen, cum ille sic uiueret, per legatos Mauri, uicti Daci Pannoniae quoque conpositae, Brittannia, in Germania et in Dacia imperium eius recusantibus prouincialibus ; quae omnia ista per duces sedata sunt ; cité supra, note 458 et bien d’autres passages encore. 511 Dans un compte rendu de l’œuvre de M. Christol intitulée Essai sur l’évolution des carrières sénatoriales…, Paris, 1986, A. Chastagnol a judicieusement fait remarquer, à propos de cette période, qu’il apparaît « avec clarté que la cause de toutes les transformations intervenues (n’était) nullement économique ou morale ; (mais qu’) elle (découlait en droite ligne – comme tous les autres aspects de la ‘’crise’’ – de la situation militaire : la raison première des innovations (résidait) dans les troubles profonds et dramatiques qui ont affecté l’Empire entier, dans l’état de guerre généralisé et prolongé déterminé par les invasions germaniques et perses : ‘’l’État romain doit s’établir dans la guerre, cite-t-il, alors que pendant longtemps il s’était habitué à gérer la paix’’ » ; cf. I.V.R.A., XXXVII, 1986, p. 153.

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« Cependant, rapporte le biographe, alors qu’(il) voulait, en concentrant ses forces, affronter tous les ennemis à la fois, il subit près de Plaisance une si cuisante défaite que l’Empire romain faillit s’écrouler »512.

Le biographe n’est-il pas lui-même souvent revenu sur l’éventualité à propos de ces conflits de menacer la survie de l’Empire romain, comme ici, bien des années avant le règne d’Aurélien, sous Marc Aurèle qui vit : « Tous les peuples, des confins de l’Illyricum à la Gaule (se soulever), Marcomans, Varistes, Hermundures, Quades, Suèves, Sarmates, Lacringes, Bures et, avec les Victuales, d’autres encore comme les Sosibes, les Sicobotes, les Roxolans, les Bastarnes, les Alains, les Peuces et les Costoboques »513.

Cet état de conflit généralisé se trouve aussi nettement souligné chez Aurélius Victor, même si nous pouvons regretter que l’auteur s’y lance encore une fois de plus dans une digression moralisatrice qui altère quelque peu la portée du témoignage pur. Il note en effet de la période qui a suivi la mort d’Alexandre Sévère que l’Empire fut à la merci de n’importe quel aventurier, poussé par la soif de gloire, de fortune ou de dignité : « Depuis cette époque, les empereurs, plus soucieux d’imposer leur domination à leurs concitoyens que de soumettre les peuples étrangers, et prenant les armes plutôt les uns contre les autres, ont pour ainsi dire précipité l’État romain sur une pente abrupte ; on a vu se jeter sur le pouvoir indistinctement des bons et des mauvais, des nobles et des gens de basse naissance, ainsi qu’une foule de barbares. En effet, quand partout règne la confusion et que rien ne suit son cours normal, tous se croient autorisés à se saisir, comme dans une mêlée, des fonctions d’autrui, qu’ils sont incapables d’assumer. Ils altèrent scandaleusement la connaissance des bons principes »514.

A défaut d’accorder quelque crédibilité au principe de campagne par strict goût des honneurs d’un triomphe, il faut plutôt convenir de ce que Rome se trouva souvent obligée d’attaquer pour ne pas l’être, lorsqu’elle n’était pas engagée à riposter contre des Barbares chaque jour de plus en 512

Scriptores ..., Aurélien, XXI, 1 : Cum autem Aurelianus uellet omnibus simul facta exercitus sui constipatione concurrere, tanta apud Placentiam clades accepta est, ut Romanum paene solueretur imperium. 513 Scriptores ..., Marc Aurèle, XXII, 1 : Gentes omnes ab Illyrici limite usque in Galliam conspirauerant, ut Marcomanni, Varistae, Hermunduri et Quadi, Sueui, Sarmatae, Lacringes et Burei --- hi aliique cum Victualis, Sosibes, Sicobotes, Roxolani, Basternae, Halani, Peucini, Costoboci ; voir aussi ibid., Les II Galliens, III, 1 : Turbata interim re p(ublica) toto penitus orbe terrarum… ; lire : « Tandis que ces convulsions agitaient l’État dans l’univers entier… ». 514 Aurélius Victor, XXIV, 9-10 : Ab hinc, dum dominandi suis quam subigendi externos cupientiores sunt atque inter se armantur magis, Romanum statum quasi abrupto praecipitauere, immissique in imperium promiscue boni malique, nobiles atque ignobiles, ac barbariae multi. Quippe, ubi passim confusaque omnia, neque suo feruntur modo, quique fas putant, uti per turbam, repere aliena officia, quae regere nequeunt, et scientiam bonarum artium foede corrumpunt.

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plus audacieux et vindicatifs ; ce qui a entraîné un état de guerres permanentes, donnant raison à Helvius Pertinax qui estimait qu’un « nombre infini de glaives… » et autant de « sanctions » étaient nécessaires, voire indispensables, pour assurer la pérennité de l’État515. La guerre dans l’Antiquité ne répondait-elle pas à une double dimension morale et économique ? Elle donnait en effet, au plan moral, une nette assurance de sécurité, en engageant Rome à attaquer ses voisins avant qu’ils ne vinssent à menacer sa propre stabilité ; et, au plan économique, elle générait des richesses de toutes natures, grâce au butin sous toutes ses formes humaine et métérielle. Ainsi, même dans le cas de la campagne de Claude en Bretagne décriée par Suétone, faut-il voir plus une réaction anticipée aux mêmes mobiles qui, plus tard, nécessitèrent la construction du mur de Bretagne par Hadrien et que restaura Alexandre Sévère. Cette œuvre fut généralement au centre des préoccupations des empereurs romains, avant de tomber en désuétude sous le règne de Commode et de voir sa reconstruction plus tard par Antonin le Pieux. Un tel point de vue nous paraît d’autant plus vraisemblable qu’il s’agit d’une période pendant laquelle Rome subissait, outre les innombrables incursions barbares, les assauts de divers mouvements d’usurpations perpétrés par des généraux ambitieux de plus en plus nombreux, mais aussi par des Barbares chaque jour plus audacieux.

IV – 3 : Les luttes contre les incursions barbares Une fois à la tête du monde, Rome ne cessa de vivre avec la hantise de voir son territoire violé par des attaques extérieures dont la nature elle-même nous paraît fort variée, en fonction des objectifs affichés par leurs auteurs. On finit en effet par distinguer les simples razzias de peuplades avides de butin des mouvements plus ou moins déterminants visant la remise en cause du pouvoir établi à et par Rome. L’Histoire Auguste revient souvent sur des épisodes de désordres ici ou là dans l’Empire, du fait d’actions souvent isolées (mais pouvant relever aussi – dans certains cas du moins – d’une relative concertation) menées contre des territoires sous contrôle romain. Le scénario dont ont voulu profiter les troupes commandées par Fabius Pomponianus, de mèche avec le proconsul d’Afrique V. Passiénus, compte parmi les cas de figure les plus familiers des règnes qu’étudie notre recueil de biographies impériales : « Après l’invasion des régions gauloises et orientales et même du Pont, des Thraces et de l’Illyricum, témoigne le biographe, tandis que Gallien courait les tavernes et partageait sa vie entre les bains et les souteneurs, les Africains, sous l’impulsion du proconsul d’Afrique V. Passiénus et du commandant des troupes 515

Cf. supra, note 449.

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de la frontière libyenne Fabius Pomponianus, nommèrent eux-aussi un empereur, Celsus… »516.

Dion Cassius estime, dans un cadre plus général, que cet état de choses résulte de la détérioration du tissu social romain qui, à mesure que l’Empire s’agrandissait, intégrait des peuplades non préparées à l’ordre ou à la discipline, et, à ce juste titre, étaient plutôt enclines à l’insoumission : « Toute multitude est légère et portée aux révolutions, enseigne-t-il ; la plèbe romaine, à cause de son nombre et la diversité de gens étrangers qui y ont été incorporés, se soulève plus aisément que les autres, et, dans la précipitation, ne fait nulle difficulté de prendre des résolutions absurdes »517.

Plusieurs princes se sont ainsi retrouvés, à un moment ou un autre de leur règne, dans une situation assez critique comme Marc Aurèle dont le biographe rapporte qu’il eut à affronter, à plusieurs reprises, des Barbares : « Il mena des opérations victorieuses contre les Germains et mit fin lui-même, avec un succès égal à son courage, à la guerre contre les Marcomans, une guerre parmi tant d’autres qui, de mémoire d’homme, fut la plus difficile de toutes, surtout en un moment où une terrible peste avait enlevé des milliers de civils et de soldats. Ayant donc mis en déroute les Marcomans, les Sarmates et les Vandales en même temps que les Quades, il libéra les Pannonies de leur sujétion… Contre les Maures qui étaient en train de dévaster presque toutes les Espagnes, une expédition victorieuse fut menée par ses légats »518.

Le tableau qu’affiche Eutrope de l’Empire au début du règne de Dioclétien, de nombreuses années plus tard, – c’est-à-dire au-delà de la période que couvre l’Histoire Auguste – se révèle tout aussi préoccupant : « Ainsi, témoigne-t-il, comme il y avait des troubles dans le monde entier, que Carausius se rebellait dans les Bretagnes, Achilléus en Égypte, que les Quiquegentiens infestaient l’Afrique, que Narsès portait la guerre en Orient… »519.

Le sens des mots employés, on le voit bien, reste presque le même malgré de petites variations linguistiques que l’on peut noter ici ou là – qui n’ont 516

Scriptores ..., Les XXX Tyrans, XXIX, 1 : Occupatis partibus Gallicanis, orientalibus, quin etiam Ponti, Thraciarum et Illyrici, dum Gallienus popinatur et balneis ac lenonibus deputat uitam, Afri quoque auctore Vibio Passieno, proconsule Africae, et Fabio Pomponiano, duce limitis Libyci, Celsum imperatorem appellauerunt… 517 Dion Cassius, Hist. rom., (Appendice). 518 Scriptores ..., Marc Aurèle, XVII, 1-3 ; XXI, 1-2 : Contra Germanos res feliciter gessit. Speciale ipse bellum Marcomannicum, sed quantum nulla umquam memoria fuit, cum uirtute tum etiam felicitate transegit, et eo quidem tempore, quo pestilentia grauis multa milia et popularium et militum interemerat. Pannonias ergo Marcomannis, Sarmatis, Vandalis, simul etiam Quadis extinctis seruitio liberauit… Cum Mauri Hispanias prope omnes uastarent, res per legatos bene gestae sunt. 519 Abrégé…, IX, 22 : Ita, cum omnem orbem terrarum res turbatae essent, Carausius in Britanniis rebellaret, Achilleus in Aegypto, Africam Quinquegentiani infestarent, Narseus Orienti bellum inferret…

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d’ailleurs pratiquement aucune incidence sémantique sérieuse – chaque fois qu’il s’agit de décrire cette situation plutôt récurrente de l’époque. Comme lui, entre bien d’autres empereurs encore, Septime Sévère avait été contraint de s’armer contre des agresseurs exogènes d’un bout à l’autre de l’Empire : « Il soumit le roi des Perses Abgar, réduisit les Arabes en son pouvoir et contraignit les Adiabènes à payer un tribut… Il apporta à Tripoli, son pays d’origine, une parfaite tranquillité en écrasant des peuplades belliqueuses… »520.

Certaines de ces campagnes étaient d’ailleurs antérieures au début de son règne. Nous connaissons notamment l’épisode des désordres que subirent les Gaules alors qu’il gouvernait la province Lyonnaise : « A vrai dire, rapporte le biographe, Pescennius fut dans les meilleurs termes avec Sévère pendant que ce dernier gouvernait la province Lyonnaise ; on l’avait en effet envoyé capturer des déserteurs qui ravageaient en grand nombre les Gaules, et la façon brillante dont il s’acquitta de cette mission fut très appréciée par Sévère qui envoya à Commode un rapport le concernant où il affirmait que c’était un homme indispensable à l’État… »521.

Pour tout empereur au trône, il s’agissait surtout, chaque fois, de veiller à préserver ses administrés de tout acte de vandalisme inévitablement néfaste à la bonne marche des affaires dans les provinces concernées, en compromettant les mécanismes administratifs générateurs de tout ce que Rome était en droit d’attendre de ses dépendances et dont les Romains avaient du reste pleine conscience, comme en témoigne le biographe à travers cette laudatio d’Aurélien : « Qu’y a-t-il en effet chez lui qui ne soit glorieux ? Qu’y a-t-il qui ne permette de le comparer aux Corvinus et aux Scipions ? C’est lui le libérateur de l’Illyricum, c’est lui le restaurateur des Gaules, c’est lui le général que tout le monde considère comme un modèle parfait… L’État te remercie, Aurélien, de l’avoir libéré du joug des Goths. Nous sommes, grâce à toi, riches en butin, riches en gloire et en tout ce qui encourt à accroître le bonheur de Rome… C’est lui qui nous a donné les Gaules, lui qui a libéré l’Italie, lui qui a arraché les Vindéliciens au joug de la servitude barbare. Par ses victoires l’Illyricum fut reconquis et les provinces des Thraces replacées dans la juridiction romaine. C’est grâce à lui que l’Orient qui – quelle honte ? – ployait sous le joug d’une femme fut à nouveau 520

Scriptores ..., Sévère, XVIII, 1, 3 : Persarum regem Abgarum subegit. Arabas in dicionem accepit. Adiabenos in tributarios coegit... Tripolim, unde oriendus erat, contusis bellicisissimus gentibus securissimam reddidit... 521 Scriptores ..., Pescennius Niger, III, 3-5 : Et Pescennius quidem Seuero eo tempore, quo Lugdunensem prouinciam regebat, amicissimus fuit ; nam ipse misus erat ad conprehendendos desertores, qui innumeri Gallias tunc uexabant. In quo officio quod se honeste gessit, iucundissimum fuit Seuero, ita ut de eo ad Commodum Septimius referret adserens necessarium rei p(ublicae) uirum. A. Chastagnol a relevé que la présence de Niger ainsi signalée en Gaule lors de cette révolte conduite par Maternus était fort incertaine ; cf. note 2, p. 350 de cette Vie.

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soumis à nos lois, grâce à lui que les Perses, qui se glorifiaient encore d’avoir assassiné Valérien, furent dispersés, mis en fuite et écrasés. C’est lui que les Sarrasins, les Blemmyes, les Axoumites, les Bactriens, les Sères, les Ibères, les Albains, les Arméniens et jusqu’aux populations des Indes vénérèrent presque comme un dieu incarné »522.

De plus, il a été prouvé que les répercussions de tels mouvements pouvaient influencer l’équilibre même de l’Empire. L’épisode inédit des trente Tyrans nous montre bien comment l’effervescence d’un ensemble tout d’un coup dénué de sa cohésion habituelle a-t-elle donné libre-cours à des ambitions individuelles des plus osées, comme ce fut le cas avec la tentative d’usurpation de Bonosus : « C’est à un moment où les Germains avaient incendié des navires romains patrouillant sur le Rhin que Bonosus, par crainte des sanctions, s’empara du pouvoir qu’il détint plus longtemps qu’il ne le méritait »523.

Il convient donc de se garder de prendre pour des exploits philanthropiques les différentes interventions des Romains dans des conflits entre Barbares comme ici sous Marc Aurèle : « Contre les Maures qui étaient en train de dévaster presque toutes les Espagnes, une expédition victorieuse fut menée par ses légats. La soldatesque des Bucolici, qui s’était livrée à travers l’Égypte à de graves actes de rébellion, fut matée par Avidius Cassius, qui devait plus tard s’emparer du pouvoir… Il mit en déroute les Marcomans pendant qu’ils traversaient le Danube et rendit aux habitants des provinces le butin qu’ils leur avaient pris »524. 522

Scriptores ..., Aurélien, IX, 4 ; XIII, 2 ; XLI, 8-10 : Quid enim in illo non clarum ? Quid non Coruinis et Scipionibus conferendum ? Ille liberator Illyrici, ille Galliarum restitutor, ille dux magni totis exempli… ‘’gratias tibi agit, Aureliane, res p(ublica) quod eam a Gothorum potestate liberasti. Abundamus per te praeda, abundamus gloria et his omnibus, quibus Romana felicitas crescit… Ille nobis Gallias dedit, ille Italiam liberauit, ille Vindelicis iugum barbaricae seruitutis amouit. Illo uincente Illyricum restitutum est, redditae Romanis legibus Thraciae. Ille, pro pudor, orientem femineo pressum iugo in nostra iura restituit, ille Persas, insultantes adhuc Valeriani nece, fudit, fugauit, oppressit. Illum Saraceni, Blemmyes, Exomitae, Bactrani, Seres, Hiberi, Albani, Armenii, populi etiam Indorum ueluti praesentem paene uenerati sunt deum. 523 Scriptores ..., Firmus…, XV, 1 : Hic idem, cum quodam tempore in Reno Romanas lusorias Germani incendissent, timore ne poenas daret, sumpsit imperium idque diutius tenuit quam merebatur. 524 Scriptores ..., Marc Aurèle, XXI, 1-2, 10 : Cum Mauri Hispanias prope omnes uastarent, res per legatos bene gestae sunt. Et cum per Aegyptum Bucolici milites grauia multa fecissent, per Auidium Cassium retunsi sunt… Marcomannos in ipso transitu Danuuii deleuit et praedam prouincialibus reddidit. La source de l’information sur la répression des Bucolici est précisée dans l’Histoire Auguste, Avidius Cassius, VI, 7 : Nam cum et Bucolici milites per Aegyptum grauia multa facerent, ab hoc retunsi sunt, ut idem Marius Maximus refert in eo libro, quem secundum de uita Marci Antonini edidit ; lire : « Il réprima en outre les agissements des guerriers Bucolici qui causaient de grands dommages en Égypte, ainsi que le rapporte également Marius Maximus dans le grand livre qu’il publia sur la vie de Marc Antonin ».

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Depuis longtemps en effet, les Romains se trouvaient obligés de s’immiscer dans ces conflits, parfois sans recourir aux armes mais par le biais d’une intense activité diplomatique dont une bonne illustration nous est fournie dans la Vie du moins belliqueux des empereurs de l’Histoire Auguste : « Le roi Pharasmane vint voir Antonin à Rome et se montra plus déférent à son égard qu’il ne l’avait été pour Hadrien. Antonin donna Pacorus comme roi aux Lazi. Par une simple lettre il dissuada le roi des Parthes d’engager une campagne contre les Arméniens ; de sa seule autorité il fit revenir le roi Agbar des régions orientales. Il mit fin à des conflits entre rois. En dépit des demandes réitérées du roi des Parthes, il refusa de lui restituer le trône royal qu’avait emporté Trajan ; il rendit à Rhoemétalcès le royaume de Bosphore après avoir pris connaissance de la rivalité qui l’opposait à Eupator… Nul n’eut autant de prestige que lui auprès des nations étrangères car il aima toujours la paix au point de citer sans cesse une formule de Scipion, qui disait préférer sauver un seul citoyen plutôt que de tuer mille ennemis… Seul peut-être de tous les empereurs, il vécut sans verser le sang de ses concitoyens et de ses ennemis, dans la mesure où cela dépendait de lui ; c’est à juste titre qu’on le comparait à Numa, avec lequel il eut toujours en commun la chance, la piété, la tranquillité et le respect de la religion »525.

C’est surtout avec Avidius Cassius que nous avons une excellente illustration des retombées ou les interférences des actes impériaux sur les populations provinciales et leur attitude vis-à-vis du pouvoir central, à travers sa réaction des plus inattendues mais tout de même stratégique face à une « victoire » insolite remportée par ses hommes de troupes sur des Sarmates : « Un jour, pendant qu’il était à la tête de l’armée, des soldats d’une troupe d’auxiliaires avaient, sur l’initiative de leurs centurions et à son insu, massacré trois mille Sarmates qui campaient un peu imprudemment sur les rives du Danube et étaient revenus auprès de lui avec un immense butin. Les centurions espéraient une récompense pour avoir tué tant d’ennemis avec un si petit effectif, alors que leurs tribuns, vautrés dans l’indolence, ignoraient tout de l’affaire. Mais il les fit arrêter et crucifier, leur infligeant – exemple sans précédent – le supplice réservé aux esclaves, sous prétexte qu’ils auraient pu tomber dans une embuscade et que le prestige de la puissance romaine en aurait souffert… Cet 525

Scriptores ..., Antonin le Pieux, IX, 6-10 ; XIII, 4 : Pharasmanes rex ad eum Romam uenit plurisque illi quam Hadriano detulit. Pacorum regem Lazis dedit. Parthorum regem ab Armeniorum expugnatione solis litteris reppulit. Abgarum regem ex orientis partibus sola auctoritate deduxit. Causas regales terminauit. Sellam regiam Parthorum regi repetendi, quam Traianus ceperat, pernegauit. Rhoemetalcen in regnum Bosforanum audito inter ipsum et Eupatorem negotio remisit. Olbiopolis contre Thauroscythas in Pontum auxilia misit et Thauroscythas usque ad dandos Olbiopolis obsides uicit. Tantum sane auctoritatis apud exteras gentes nemo habuit, cum semper amauerit pacem, eo usque ut Scipionis sententiam frequentarit, qua ille dicebat malle se unum ciuem seruare quam mille hostes occidere… solusque omnium prope principum prorsus ciuili sanguine et hostili, quantum ad se ipsum pertinet, uixit et qui rite comparetur Numae, cuius felicitatem pietatemque et securitatem cerimoniasque semper obtinuit.

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épisode fortifia tellement la discipline des Romains et inspira tellement d’effroi aux Barbares qu’ils firent demander à Antonin, alors absent, une paix de cent ans, parce qu’ils avaient vu un général romain condamner à mort des soldats qui avaient remporté une victoire, mais l’avait fait illégalement »526.

Bien sûr, cet empereur avait la réputation d’une extrême sévérité527 ; n’empêche que l’on peut deviner que ce dernier avait conscience qu’un tel sacrifice de vies romaines pour réparer une entorse faite à des Barbares ne pouvait que forcer leur estime pour lui et mieux les disposer à son égard et, partant, à celui de Rome. Une telle victoire posait en effet, avec une acuité plus vive que l’exploit réalisé et les avantages à en tirer, de sérieux problèmes à trois niveaux. Premièrement, elle compromettait les Romains par la violation des principes fondamentaux requis en matière de guerre qui, même en admettant le recours à la ruse, ne tolèrent pas les cas de fourberie notoire. Ensuite, la hiérarchie militaire au sein des troupes romaines n’allait pas se relever d’une telle licence d’hommes de troupes agissant sans avoir expressément reçu l’ordre des supérieurs compétents à le donner. Enfin, sur un plan proprement éthique, le général Avidius Cassius n’avait pas à s’accommoder d’une victoire entachée d’irrégularité, sans courir et à assumer le risque de se voir reprocher l’opprobre qu’une telle entreprise allait jeter sur Rome et son pouvoir central. Ainsi pourrions-nous également interpréter, en son temps, l’indulgence de Marc Aurèle envers les Antiochéens, malgré son tempérament généralement enclin à la clémence, qui trouve là, pensons-nous, sa meilleure explication : « Les Antiochéens, qui avaient soutenu Avidius Cassius, ne furent pas punis mais obtinrent leur pardon, en même temps que d’autres cités qui l’avaient aidé, bien que dans un premier mouvement il eût été violemment irrité contre les

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Scriptores ..., Avidius Cassius, IV, 6, 9 : Cum exercitum duceret, et inscio ipso manus auxiliaria centurionibus suis auctoribus tria milia Sarmatarum neglegentius agentum in Danuuii ripis occidissent et cum praeda ingenti ad eum redissent sperantibus centurionibus praemium, quod preparua manu tantum hostium segnius agentibus tribunis et ignorantibus occidissent, rapi eos iussit et in crucem tolli seruilique supplicio adfici, quod exemplum non extabat, dicens euenire potuisse, ut essent insidiae ac periret Romani imperii reuerentia… Quae res tantum disciplinae Romanis addidit, tantum terroris barbaris iniecit, ut pacem annorum centum ab Antonino absente peterent, si quidem uiderant damnatos Romani ducis iudicio etiam eos, qui contra fas uicerant. 527 Le biographe affirme en effet qu’on peut trouver, en grand nombre, plusieurs des mesures sévères – parfois même cruelles – qu’il aurait prises contre le laxisme des soldats dans un ouvrage d’un auteur, nommé Aémilius Parthénianus, qui nous est cependant inconnu ; Scriptores ..., Avidius Cassius, V, 1 : De hoc multa grauia contra militum licentiam facta inueniuntur apud Aemilium Parthenianum, qui adfectatores tyrannidis iam inde a ueteribus historiae tradidit.

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Antiochéens, auxquels il ôta le droit de donner des spectacles, ainsi que maintes autres prérogatives de leur cité, qu’il leur rendit ultérieurement »528.

Le maintien ou la préservation de la paix dans les provinces constitua ainsi un des chapitres prioritaires de l’administration générale de l’Empire romain. Comment d’ailleurs imaginer le fonctionnement normal de quelque service administratif ou l’observation des règles par une quelconque autorité provinciale si des conditions suffisantes de quiétude et de sécurité n’y sont pas garanties ? Révélatrice de cette vérité est la priorité que donne à ce domaine l’Histoire Auguste pour illustrer le prototype du bonus princeps : « Que Carus ait été un bon empereur, bien des faits le prouvent, et spécialement celui-ci : sitôt parvenu au pouvoir, il écrasa les Sarmates que la mort de Probus avait rendus si audacieux qu’ils menaçaient d’envahir, non seulement l’Illyricum mais aussi les Thraces et l’Italie. Pour ce faire, il dispersa habilement les opérations militaires, si bien qu’en l’espace de quelques jours il réussit à ramener la sécurité dans les Pannonies après avoir tué seize mille Sarmates et fait vingt mille prisonniers des deux sexes »529.

Nous comprenons mieux ainsi cet engagement qu’aurait pris un Marius pourtant d’origine incertaine mais tout de même désireux d’usurper le pouvoir à Rome : « Je mettrai donc tout en œuvre pour que l’ensemble de l’Alamanie et de la Germanie ainsi que les autres populations voisines considèrent le peuple romain comme une nation de fer et regardent notre propre fer comme particulièrement redoutable »530.

Bien sûr, nous ne misons pas forcément sur la sincérité des propos de l’usurpateur, mais il convient de reconnaître que les mots que lui prête ici le biographe s’avèrent tout à fait appropriés à la circonstance. Ainsi l’Histoire Auguste a-t-elle déjà pu souligner de Commode qu’en dépit du genre de sa vie dissolue, ses légats menèrent une activité militaire intense qui permit des victoires utiles sur les Maures, les Daces, les Pannonies et la Bretagne…531. Cet empereur de sinistre mémoire bénéficia malgré tout d’un très bon entourage qui lui assura plusieurs des actions positives que peut avoir 528

Scriptores ..., Avidius Cassius, IX, 1 : Antiochensis, qui Auidio Cassio consenserant, , sed et his et aliis ciuitatibus, quae illum iuuerant, ignouit, cum primo Antiochensibus grauiter iratus esset hisque spectacula sustulisset et multa alia ciuitatis ornamenta, quae postea reddidit. 529 Scriptores ..., Carus, IX, 4 : Bonum principem Carum fuisse cum multa indicant tum illud etiam, quod, statim est adeptus imperium, Sarmatas adeo morte Probi feroces, ut inuasuros se non solum Illyricum sed Trhacias quoque Italiamque minarentur, ita scienter bella partiendo contudit, ut paucissimis diebus Pannonias securitate donauerit occisis Sarmatarum sedecim milibus, captis diuersi sexus uiginti milibus. 530 Scriptores ..., Les XXX Tyrans, VIII, 11 : Enitar denique, ut omnis Alamannia omnisque Germania cum ceteris, quae adiacent, gentibus Romanum populum ferratam putent gentem, ut specialiter in nobis ferrum timeant. 531 Scriptores ..., Commode, XIII, 5 ; texte intégralement cité supra, note 455.

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compté son règne ; parmi ces très brillants collaborateurs Clodius Albinus, le futur empereur, qui : « dirigea en tant que tribun la cavalerie dalmate, commanda également la quatrième légion et, au moment de la révolte d’Avidius, maintint dans la légalité les armées de Bithynie. Puis Commode l’envoya en Gaule où il rendit son nom célèbre tant auprès des Romains qu’auprès des Barbares en mettant en déroute les peuplades d’outre-Rhin »532.

Alexandre Sévère fut lui aussi bien inspiré en s’entourant d’hommes capables qui surent garantir et rétablir la paix dans l’Empire, partout où celle-ci se trouva menacée ou susceptible de l’être : « Les choses se passèrent également bien en Maurétanie Tingitane grâce à Furius Celsus, en Illyrie grâce à Varius Macrinus, un membre de sa famille, ainsi qu’en Arménie grâce à Junius Palmatus, et de toutes ces régions lui furent envoyés des messages de victoire entourés de lauriers… »533.

Du règne de Caracalla, on note simplement qu’en Rhétie, il mit à mort un grand nombre de Barbares : Circa Raetiam non paucos barbaros interemit…534.

Ces derniers auraient-ils tenté de piller leurs voisins, comme ce fut le cas sous le très éphémère règne de Gordien : « Pendant que ces événements se déroulaient en Asie, Argunt, le roi des Scythes, dévastait le territoire de ses voisins, encouragé surtout par la nouvelle de la mort de Misithée, celui dont les directives avaient guidé l’État… »535 ?

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Scriptores ..., Clodius Albinus, VI, 2-3 : Egit tribunus equites Dalmatas ; egit et legionem quartanorum et primanorum ; Bithynicos exercitus eo tempore, quo Auidius rebellabat, fideliter tenuit. Dein per Commodum ad Galliam translatus, in qua fusis gentibus Transrenanis celebre nomen suum et apud Romanos et apud barbaros fecit. On notera d’ailleurs, avec toutes les nuances requises, que Commode fut réhabilité et divinisé par Septime Sévère qui, même poussé par des calculs politiques, avait dû disposer d’arguments en appui de son affirmation que le fils de Marc Aurèle n’avait été banni que par des sots : Priusque inter milites diuum Commodum pronuntiauit idque ad senatum scripsit addita oratione uictoriae… Commodum in senatu et contione laudauit, deum appellauit, infamibus displicuisse dixit, ut appareret eum apertissime furere ; lire : « Il commença donc par annoncer devant les soldats la divinisation de Commode et le notifia par écrit au Sénat en y joignant une relation de sa victoire… Il fit l’éloge de Commode au Sénat et devant le peuple, le proclama dieu et dit qu’il n’avait été impopulaire qu’auprès des gredins » ; voir ibid., Sévère, XI, 4 ; XII, 8. 533 Scriptores ..., Alexandre Sévère, LVIII, 1 : Actae sunt res feliciter et in Mauretania Tingitana per Furium Celsum et in Illyrico per Varium Macrinum adfinem eius et in Armenia per Iunium Palmatum, atque ex omnibus locis et tabellae laureatae sunt delatae. 534 Scriptores ..., Caracalla, V, 4. 535 Scriptores ..., Les III Gordiens, XXXI, 1 : Asiae dum haec agerentur, Argunt Scytharum rex finitimorum regna uastabat, maxime quod conpererat Misitheum perisse, cuius consilio res p(ublica) fuerat gubernata.

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C’est pourquoi l’Histoire Auguste ne passe presque jamais sous silence les mérites de tous ceux qui ont pu sauver l’État des périls orchestrés par des Barbares, ni l’extrême reconnaissance des Romains vis-à-vis d’eux. Tels, en plus des cas déjà signalés à d’autres occasions : - Claude qui « combattit, pendant qu’il était au pouvoir, les Barbares qui avaient survécu (et qui avaient tenté) de mettre à sac Anchialos et même d’occuper Nicopolis, (…) ils furent écrasés grâce au courage des provinciaux »536 ; - Probus qui « combattit aussi très vaillamment en Afrique contre les Marmarides et les vainquit, puis il passa de Libye à Carthage, qu’il débarrassa des rébellions… Il lutta aussi contre les Palmyréniens qui défendaient l’Égypte pour le compte de Cléopâtre et d’Odénath, avec succès d’abord, puis d’une manière si imprudente qu’il faillit être capturé ; mais il finit par réorganiser ses forces et ramena l’Égypte et la plus grande partie de l’Orient sous l’autorité d’Aurélien… Tu es le Francique, tu es le Gothique, tu es le Sarmatique, tu es le Parthique, tu es tout à la fois ! Depuis longtemps, depuis toujours tu as été digne de l’Empire, digne des triomphes »537 ; - Saturninus qui se serait lamenté sur son propre triste sort en ces termes : « L’état vient de perdre… un homme irremplaçable. Oui, c’est bien moi qui ai restauré les Gaules, moi qui ai soustrait l’Afrique au pouvoir des Maures, moi qui ai pacifié les Espagnes »538 ; - Zénobie, l’un des quelques sujets féminins autonomes de l’œuvre de l’auteur de l’Histoire Auguste que loue ici le biographe : « … c’est grâce à elle qu’Odénath vainquit les Perses, mit Sapor en fuite puis parvint jusqu’à Ctésiphon. Je puis affirmer que cette femme inspira aux peuples d’Orient et d’Égypte une telle crainte que ni les Arabes, ni les Sarrasins, ni les Arméniens ne s’agitèrent »539…

Autant dire que la menace barbare, véritable « Vésuve » au sein de l’Empire, représentait, à côté des usurpations de fonctionnaires provinciaux civils ou militaires, un souci permanent qui préoccupa les dirigeants de Rome jusqu’à sa dislocation définitive qu’elle finit d’ailleurs par déclencher avant de l’entériner inexorablement dans la deuxième moitié du Ve siècle. 536

Scriptores ..., Claude, XII, 4 : Sub hoc barbari, qui superfuerant, Anchialon uastare conati sunt, Nicopolim etiam optinere. Sed illi prouincialium uirtute obtriti sunt. 537 Scriptores ..., Probus, IX, 1, 5 ; XI, 9 : Pugnauit et contra Marmaridas in Africa fortissime eosdemque uicit atque ex Libya Carthaginem transiit eandemque a rebellionibus uindicauit… Pugnauit etiam contra Palmyrenos Odenati et Cleopatrae partibus Aegyptum defendentes, primo feliciter, postea temere, ut paene caperetur, sed postea refectis uiribus Aegyptum et orientis maximam partem in Aureliani potestatem redegit… Tu Francicus, tu Gothicus, tu Sarmaticus, tu Parthicus, tu omnia. Et prius fuisti semper dignus imperio, dignus triumphis. 538 Scriptores ..., Firmus…, IX, 5 : … necessarium… res p(ublica) uirum perdidit. Ego certe instauraui Gallias, ego a Mauris possessam Africam reddidi, ego Hispanias pacaui. 539 Scriptores ..., Les XXX Tyrans, XXX, 6-7 : … illius esse, quod Odenatus Persas uicit ac fugato Sapore Ctesifonta usque peruenit. Possum adserere tanto apud orientales et Aegyptiorum populos timori mulierem fuisse ut se non Arabes, non Saraceni, non Armenii commouerent.

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Sans surprise, celle-ci se manifesta d’abord par une rupture du tissu administratif de l’ensemble avec la séparation de l’empire d’Occident de celui l’Orient, aboutissement fatal d’un cycle infernal de mouvements itératifs qui ont abouti à l’essoufflement du pouvoir central de Rome et dont les maîtres d’œuvres et les artisans n’étaient pas que des Barbares ou d’origine barbare. Comme au crépuscule de la République, des appétits aussi bien incompressibles qu’incontrôlables d’authentiques citoyens romains ont en effet rivalisé avec autant de soubresauts conduits par des Romains de citoyenneté secondaire, avec souvent comme foyers d’expression de leur avidité de pouvoir suprême les territoires provinciaux placés sous leur régence.

IV – 4 : Les mutineries dans les provinces L’administration des provinces composant le vaste territoire qu’était devenu l’Empire romain au prix de multiples conquêtes reposait nécessairement sur l’action conjuguée des collaborateurs sûrs choisis par l’empereur pour répercuter dans les provinces les orientations de sa politique générale. Leur pouvoir était apprécié surtout sous l’optique de leur statut de représentants du prince dans leurs provinces respectives. Ce qui leur conférait beaucoup de considération mais qui, d’un autre côté, ne manqua pas de susciter, chez quelques-uns uns d’abord puis de plus en plus fréquemment, des ambitions personnelles ayant entravé la bonne marche des affaires de Rome dans certaines de ses provinces. La tentation s’avérait plutôt inévitable tant certaines de ces provinces avaient une envergure non négligeable : Gaules, Germanies, Espagnes, Bretagne, Asie, Syrie, Afrique… Le risque de voir une dépendance romaine glisser vers la sécession sous l’instigation de son premier responsable nommé par Rome date d’ailleurs de l’époque républicaine. C’est ainsi par exemple qu’après la seconde guerre punique, Rome hésita longtemps à adopter une attitude définitive concernant Carthage, entre l’abandon qui risquait de lui permettre de reconstituer à nouveau ses forces et l’affectation d’un magistrat qui pouvait y mettre à profit sa position pour menacer le pouvoir central. L’étude des « Vies » de l’Histoire Auguste met en relief plusieurs défections de Romains affectés dans les provinces en qualité de gouverneurs ou encore de légats militaires. Ce phénomène connut son paroxysme aux temps de Gallien, si nous en croyons le biographe qui prête ces mots à un certain Claudius Julianus : « Dès que j’ai appris que… vous avez assumé la direction de l’État pour l’arracher à la scélératesse du brigand immonde (désignant ainsi Gallien) et le gouverner selon les lois romaines…, j’ai félicité les provinces, qui étaient déchirées par l’insatiable avidité des tyrans et auxquelles vous avez rendu l’espoir du salut, j’ai félicité enfin les légions et les troupes auxiliaires, qui

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adorent déjà vos images sur toute la terre parce que, une fois débarrassées de l’infamie des temps passés, elles ont perçu sous vos noms une forme légitime du principat romain »540.

Les premières allusions à cette pratique somme toute pernicieuse remontent à la « Vie » de Helvius Pertinax. Nous y lisons en effet qu’il combattit Avidius Cassius, auteur d’une rébellion contre Commode : « Quand la rébellion de Cassius eut été réprimée, il quitta la Syrie pour protéger la région du Danube… »541 ;

avant d’apprendre qu’il déploya beaucoup d’ardeur à détourner d’autres légionnaires d’un projet analogue, cette fois en Bretagne : « Dès son arrivée là-bas, il détourna de toute velléité de révolte les soldats qui souhaitaient avoir quelqu’un d’autre comme empereur et, de préférence, lui, Pertinax… Du reste il réprima effectivement en Bretagne des soulèvements contre Commode… »542.

Nous nous épargnons, pour ne pas nous éloigner inutilement de nos préoccupations de l’heure, de nous intéresser à la responsabilité du régime incriminé dans l’opportunité de telles actions, un tel jugement n’apportant du reste aucune restriction à notre argumentation. Longtemps avant l’épisode des trente Tyrans caractérisé par une instabilité politique et militaire telle que : « Le destin de l’Etat voulut qu’au temps de Gallien n’importe qui pût se hisser jusqu’au trône »543, 540

Scriptores ..., Maxime et Balbin, XVII, 2 : Cum primum… suscepisse uos rem p(ublicam) a nefarii latronis scelere seruandam regendamque Romanis legibus… gratulatus prouinciis, quas inexplebili auaritia tyrannorum laceretas ad spem salutis reduxistis, denique legionibus ipsis et auxiliis, quae ubique terrarum iam uultus uestros adorant, quod deposito dedecore pristino nunc in uestro nomine dignam Romani principatus speciem receperunt. L’auteur de cette lettre est inconnu par ailleurs. Il relève donc d’une énième invention du biographe ; cf. R. Syme, Emperors…, p. 277. Comme d’habitude, nous nous intéressons davantage à la substance du texte tel qu’a pu le générer l’imagination du biographe dont le lien avec la réalité de l’époque – pour ne pas être formellement établi – en traduit tout de même un certain état d’esprit. 541 Scriptores ..., Helvius Pertinax, II, 10 : Cassiano motu conposito e Syria ad Danubii tutelam profectus est… 542 Scriptores ..., Helvius Pertinax, III, 6, 8 : Profectusque milites ab omni seditione deterruit, cum illi quemcumque imperatorem uellent habere et ipsum specialiter Pertinacem… Et seditiones quidem contra Commodum ipse conpescuit in Britannia… 543 Scriptores ..., Les XXX Tyrans, X, 1 : Fati publici fuit, ut Gallieni tempore, quicumque potuit ad imperium prosiliret. Cette affirmation rejoint les termes de l’introduction de la biographie de Zénobie, ibid., XXX, 1 : Omnis iam consumptus est pudor, si quidem fatigata re p(ublica) eo usque peruentum est, ut Gallieno nequissime agente optime etiam mulieres imperarent, et quidem peregrinae ; lire : « Nous touchons maintenant le comble de la honte puisque au milieu de la crise de l’État on arriva à voir, pendant que Gallien se conduisait odieusement, même des femmes gouverner de façon excellente, et, qui plus est, des étrangères ».

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l’illustration la plus poignante et la plus élaborée du danger que représentaient les plus hautes fonctions provinciales pour le pouvoir central romain nous est fournie par le conflit qui opposa entre eux Septime Sévère, Pescennius Niger et Clodius Albinus. Il s’agit d’un conflit qui tire ses origines de la fin du règne de Helvius Pertinax et des débuts de celui de Didius Julianus544 : « Julianus ne craignait absolument pas les armées bretonnes et illyriennes ; en revanche il redoutait particulièrement celles de Syrie. Aussi y envoya-t-il un primipilaire, avec ordre de tuer Niger. C’est la raison pour laquelle P. Niger en Illyricum et S. Sévère en Syrie se rebellèrent contre Julianus avec les armées qu’ils commandaient »545.

Comme il fallait s’y attendre, une fois débarrassés de Didius Julianus, Septime Sévère et Pescennius Niger s’affrontèrent à leur tour, convaincus chacun que la véritable expression de leur pouvoir personnel sur l’Empire imposait l’élimination de l’autre. Ils s’engagèrent alors dans une guerre d’occupation territoriale dont les péripéties nous sont ainsi rapportées par l’Histoire Auguste : « Il avait envoyé une légion occuper la Grèce et la Thrace pour empêcher Pescennius de les prendre, mais Niger tenait déjà Byzance et, désireux d’occuper 544

La manière cavalière dont ce dernier s’est lui-même emparé du pouvoir semble de loin responsable des désordres qui ont émaillé son règne bien éphémère. D’après le biographe, il avait en effet « acheté le trône » en « promettant monts et merveilles » aux prétoriens qui, dans un premier temps, avaient refusé de l’admettre au camp où un autre candidat, Sulpicius, les exhortait de l’élire empereur après Helvius Pertinax ; voir Scriptores ..., Didius Iulianus, II, 6. Il est même précisé par la suite qu’il aurait tenu ses promesses, pour certaines au-delà des espérances des uns et des autres ; ibid., III, 2. Qu’il eût acheté son trône est également mentionné par Zozime, Hist. nouv., I, 7, 2-3 : « (Après l’assassinat d’Helvius Pertinax) … il s’en fallut de peu que Rome ne connût de graves troubles, car les troupes préposées à la garde du palais s’emparèrent de la prérogative de désigner le prince en privant par la violence le Sénat de cette décision ; comme l’Empire se trouvait mis en vente, Didius Julianus, poussé par sa femme et plus sur un coup de folie qu’à la suite d’une sage réflexion, proposa ses biens et achèta le trône, offrant à chacun un spectacle que personne n’avait jamais vu auparavant ». 545 Scriptores ..., Didius Julianus, V, 1-2 : Et Iulianus quidem neque Brittannicos exercitus neque Illyricos timebat, Nigrum uero misso primipilario occidi praeceperat timens praecipue Syriacos exercitus. Ergo Pescennius Niger in Illyrico, Septimius Seuerus in Syria cum exercitibus, quibus praesidebant, a Iuliano desciuere. En fait, c’est exactement le contraire ; c’est-à-dire Niger à la tête des troupes de Syrie et Sévère en Illyricum. Il n’est pas impossible qu’il ne s’agisse ici que d’une erreur scripturale, vu que cette répartition se trouve en nette contradiction avec ce qui précède et que si ce fut Septime Sévère qui conduisait les troupes syriennes à ladite époque, Julianus n’en aurait eu aucun objet de crainte, en raison de ses bonnes dispositions vis-à-vis de l’Africain ; d’où d’ailleurs son extrême bouleversement à l’annonce de sa défection ; Didius Julianus, V, 3 : Sed cum ei nuntiatum esset Seuerum desciuisse, quem suspectum non habuerat, perturbatus est ; lire : « Quand on lui annonça la rébellion de Sévère, à l’encontre duquel il ne nourrissait aucun soupçon, il en fut profondément bouleversé ». Sur le déroulement et d’autres détails concernant ces mutineries en série, voir, entre autres, Sévère, V, 7-8 et VIII, 15 sq. ; Pescennius Niger, VI, 10 ; Clodius Albinus, IX, 1 sq.

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aussi Périnthe, il tua un grand nombre de soldats, aussi fut-il déclaré ennemi public, en même temps qu’Aémilianus »546.

Le biographe nous confie plus loin les réelles motivations de Pescennius Niger dans ce conflit : « Quand il eut appris que Commode avait été tué, que Julianus, nommé empereur, avait été aussi assassiné sur l’ordre de Septime Sévère et du Sénat et que Clodius Albinus avait pris également le titre d’empereur en Gaule, il se fit élire empereur par les armées qu’il commandait, poussé davantage, à ce que l’on dit, par son hostilité envers Julianus que par sa jalousie envers Sévère »547.

Cette dernière précision nous semble recevable, conformément aux bons rapports qui existaient entre les deux hommes caractérisés par une estime que Septime Sévère, occupant alors la fonction de gouverneur de la Lyonnaise, ne cacha pas dans un rapport le concernant envoyé à l’empereur Commode548. L’Africain ne pouvait devoir, à tout le moins, qu’une reconnaissance pour service rendu à son autre antagoniste, depuis le temps où Didius Julianus l’avait sauvé d’un mauvais pas judiciaire remontant à la période tumultueuse de sa jeunesse : « Sa jeunesse fut remplie de frénésie, parfois même de méfaits, affirme le biographe. Il dut se défendre d’une accusation d’adultère et fut acquitté par le proconsul Didius Julianus… »549.

Or, en Gaule, Clodius Albinus s’était déjà lui aussi proclamé empereur, après avoir fait assassiner Helvius Pertinax : « C’est à peu près en même temps, après la mort de Pertinax assassiné à l’instigation d’Albinus, que furent proclamés empereurs par leurs troupes (respectives), Pescennius Niger en Orient et Clodius Albinus en Gaules. Selon Hérodien, Clodius aurait été le César de Sévère. Mais comme chacun des deux s’insurgeait devant l’autorité de l’autre et que les armées de Gaule et de Germanie ne pouvaient non plus supporter cette situation parce qu’elles avaient chacune leur propre empereur, il s’ensuivit partout un désordre total »550. 546

Scriptores ..., Sévère, VIII, 12-13 : Miserat sane legionem, quae Graeciam Thraciamque praeciperet, ne eas Pescennius occuparet, sed iam Byzantium Niger tenebat. Perinthum etiam Niger uolens occupare plurimos de exercitu interfecit atque ideo hostis cum Aemiliano est appellatus. 547 Scriptores ..., Pescennius Niger, II, 1 : Is posquam comperit occisum Commodum, Iulianum imperatorem appellatum eundemque iussu Seueri et senatus occisum, Albinum etiam in Gallia sumpsisse nomen [eius] imperatoris, ab exercitibus Syriacis, quos regebat, appellatus est imperator, ut quidam dicunt, magis in Iuliani odium quam in aemulationem Seueri. 548 Cf. supra, note 488. 549 Scriptores ..., Sévère, II, 1-2 : Iuuentam plenam furorum, nonnumquam et criminum habuit. Adulterii causam dixit absolutusque est a Iuliano proconsule… 550 Scriptores ..., Clodius Albinus, I, 1-2 : Uno eodemque prope tempore post Pertinacem, qui auctore Albino interemptus est, Iulianus a senatu Romae, Septimius Seuerus ab exercitu in Syria, Pescennius Niger in Oriente, Clodius Albinus in Gallia imperatores appellati. Et

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Il dut à son tour subir la force de Septime Sévère qui en vint à bout au prix d’une série de batailles très équilibrées au départ : « Lors d’un premier engagement avec les généraux de Sévère, il prit le dessus. Mais ensuite Sévère, après l’avoir fait déclarer ennemi public par le Sénat, marcha contre lui et lui livra en Gaule des combats extrêmement acharnés et courageux, aux résultats toutefois incertains. Il finit, dans son inquiétude, par consulter les augures qui, selon Marius Maximus, lui répondirent qu’Albinus tomberait bien en son pouvoir, mais ni vivant, ni mort. C’est effectivement ce qui arriva car, à la suite d’un ultime combat marqué par la mort d’un nombre considérable des siens, par la débandade de beaucoup d’entre eux et même par de nombreuses redditions, Albinus lui-même prit la fuite et, à ce que beaucoup disent, se poignarda… »551.

En définitive, on peut retenir que l’action des responsables de la sécurité dans l’ensemble des provinces visait essentiellement quatre pôles : - les démonstrations de force indispensables au pouvoir central pour maintenir chez les uns et les autres la conviction de la souveraineté romaine ; - la surveillance des frontières dont il fallait empêcher des transgressions par les Barbares qui ne s’en prenaient cependant pas toujours à l’autorité romaine ; - l’étouffement des mutineries de diverses origines déclenchées généralement sous l’impulsion de généraux avides de pouvoir et menaçant ainsi la pérennité de l’Empire ; - sans oublier les opérations quotidiennes de simple police pour rendre plus conviviale et – partant – plus productrice la vie dans des centres urbains de plus en plus nombreux et animés ; car la convergence des intérêts de la métropole reposait avant tout sur une urbanisation florissante à la romaine où chaque entité pouvait se mouvoir en toute quiétude et dépendait d’une rigueur dont nous aimerions à présent mesurer la portée. Clodium quidem Herodianus dicit Seueri Caesarem fuisse. Sed cum alter alterum indignaretur imperare nec Galli ferre possent aut Germaniciani exercitus, quod et ipsi suum specialem principem haberent, undique cuncta turbata sunt. 551 Scriptores ..., Clodius Albinus, IX, 1-3 : Et primo quidem conflictu habito contra duces Seueri potior fuit, post autem Seuerus ipse, cum id egisset apud senatum, ut hostis iudicaretur Albinus, contra eum profectus acerrime fortissimeque pugnauit in Gallia non sine uarietate fortunae. Denique cum sollicitus augures consuleret, responsum illi est, ut dicit Marius Maximus, uenturum quidem in potestatem eius Albinum, sed non uiuum nec mortuum. Quod et factum est. Nam cum ultimo proelio commissum esset, innumeris suorum caesis, plurimis fugatis, multis etiam deditis Albinus fugit et, ut dicunt, se ipse percussit… Cette version se trouve déjà dans la Vita Seueri, mais avec bien moins de détails ; Scriptores ..., Sévère, XI, 1 : Multis interim uarie gestis in Gallia primo apud Tinurtium contra Albinum felecissime puganuit Seuerus… ; lire : « Après avoir entre-temps mené maintes opérations en Gaule avec des résultats variés, Sévère remporta sur Albinus une première victoire éclatante à Tinurtium ».

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Dans tous les cas, l’administration des provinces romaines qui, dans son principe, avait pour vocation, en premier lieu, de garantir la securitas pour tous par la préservation de la paix urbi et orbi, la prospérité et la pérennité de l’Empire, imposait nécessairement à tous ceux qui en étaient directement chargés un certain nombre de contraintes pour en assurer l’efficacité. La Pax romana552 qui constituait le symbole le plus déterminant de l’Empire d’Auguste représentait, à ce titre, une des missions prioritaires du princeps. C’est pourquoi l’expression du pouvoir des agents provinciaux (les promagistrats), comme l’exercice de chacune de leurs charges, devaient exclure toute forme d’abus, sous peine de sanctions de diverses natures. C’est ici le moment d’en mesurer l’impact et l’esprit, à travers les passages où notre biographe a, tantôt stigmatisé l’incivilité de certains promagistrats, tantôt salué la rigueur ou regretté la complaisance des empereurs en cette délicate et vitale matière pour Rome.

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Notion amplement étudiée dans une œuvre toujours actuelle de P. Petit, La paix…, PUF, Paris, 1967 ; p. 134 sq. pour les aspects relatifs à ‘’l’administration de l’État romain, de la République à l’Empire’’.

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V. LA REPRESSION DES ABUS DES PROMAGISTRATS

« J’ai confié à Avidius Cassius les légions de Syrie qui se vautrent dans les plaisirs et imitent les mœurs de Daphné : Caésonius Vectilianus ne m’a-t-il pas écrit qu’il avait trouvé tous les soldats plongés dans les délices des bains chauds ? Je crois donc ne pas avoir fait un mauvais choix. Du reste, tu connais Cassius, un vrai Cassius pour la sévérité et la discipline. Or on ne peut diriger une armée sans la discipline d’autrefois. Tu connais en effet ce vers d’un bon poète, universellement cité : ‘’C’est par ses mœurs antiques et ses grands hommes / que subsiste la puissance romaine’’ ». Scriptores…, Avidius Cassius, III, 5-7.

Une fois affectés en provinces, les gouverneurs n’avaient de comptes à rendre qu’à l’empereur. En effet, c’est à lui qu’ils devaient souvent (et peutêtre même toujours) leur promotion. Ils en étaient les représentants et y jouissaient d’un imperium auquel seul celui extraordinaire du princeps sur les provinces était supérieur ou, parfois, celui d’un de ses missionnaires dépêchés en province avec un imperium maius décrété par lui553. Les légats commandants de légions, soumis aux ordres des gouverneurs de leurs provinces respectives, dirigeaient toutes les manœuvres de leurs troupes et assuraient leur encadrement, en temps de paix comme lors des campagnes. Bien d’autres agents, collaborateurs divers des légats et gouverneurs, avaient une large latitude dans les sphères de leurs compétences spécifiques. Tous cependant étaient officiellement comptables des actes posés ou non posés 553

En remontant tout au début de l’Empire, nous avons l’exemple de Germanicus qui, peu après la mort d’Auguste suivi de l’avènement de Tibère, reçut de ce dernier le pouvoir proconsulaire alors qu’il se trouvait en Germanie à la tête de huit légions avec pour mission de faire oublier la honte du désastre de Varus par une expédition punitive ; voir Ann., XIV, 3 : At Germanico Caesari proconsulare imperium petiuit, missique legati qui deferrent, simul maestitiam eius ob excessum Augusti solarentur ; lire : « En revanche il réclama pour Germanicus César la puissance proconsulaire et on lui envoya une députation pour lui porter le décret et adoucir par des consolations le chagrin qu’il ressentait du trépas d’Auguste ».

relevant de leur domaine de prédilection respectifs devant le pouvoir central à Rome. D’une certaine manière, la hiérarchie des pouvoirs, ne serait-ce qu’au sommet de toute cette complexe organisation, nous est révélée dans l’Histoire Auguste, à travers les rapports d’obédience entre Lucius Vérus et Marc Aurèle, après que ce dernier l’eut associé à son pouvoir : « En échange (de cela), rapporte le biographe, lorsque Lucius entreprenait quelque action, il obéissait à Marc comme un légat au proconsul ou un gouverneur à l’empereur »554.

Une bonne partie de la correspondance entre Pline le Jeune et l’empereur Trajan montre elle aussi que le gouverneur, dans sa province, était tenu de ne rien engager de contraire aux intérêts du prince, d’où de multiples sollicitations de son avis comme ici à propos des comptes financiers d’Apamée : « Je te prie, lui confie-t-il, de bien vouloir me dicter la conduite qu’à ton avis je dois observer. Je crains, se justifie-t-il ensuite, de paraître outrepasser les bornes de mon pouvoir ou de rester en deçà »555.

Tous les promagistrats ne firent cependant pas preuve d’une telle probité.

V – 1 : Les abus de promagistrats : un problème récurrent Bien entendu, la distance qui séparait Rome des territoires conquis de plus en plus éloignés, les moyens de transport et de communication de l’époque, une gestion du quotidien chaque jour plus prenante… ne permettaient pas toujours un contrôle efficient de tous les promagistats par le pouvoir central556. Pour l’empereur, passer lui-même en revue toutes les

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Scriptores ..., Vérus, IV, 2 : Lucius quidem Marco uicem reddens si susciperet obsecutus ut legatus proconsuli uel praeses imperatori. 555 Pline le Jeune, Let., X, 47 (56), 3 : Te rogo ut mihi praeire digneris quid me putes obseruare debere. Vereor enim ne aut excessisse aut non implesse officii mei partes uidear. 556 Jamais le vieux thème de la complexité qui caractérise l’exercice du pouvoir impérial n’a été plus actuel. Ainsi pouvons-nous comprendre plus aisément la réaction plutôt contrastée de Marc Aurèle, suite à la nouvelle de son adoption par Hadrien, qui le prédestinait par-là à l’Empire ; Scriptores ..., Marc Aurèle, V, 3-4 : Vbi autem comperit se ab Hadriano adoptatum, magis est deterritus quam laetatus iussusque in Hadriani priuatam domum migrare inuitus de maternis hortis recessit. Cumque ab eo domestici quaererent, cur tristis in adoptionem regiam transiret, disputauit, quae mala in se contineret imperium, témoigne le biographe ; lire : « Mais quand il eut appris qu’Hadrien l’avait adopté, il éprouva plus d’effroi que de joie et c’est à contre cœur qu’invité à se transporter dans la maison privée d’Hadrien, il quitta la maison de sa mère. Et, comme ses familiers lui demandaient pourquoi il accueillait avec tristesse son adoption par l’empereur, il leur fit un exposé sur les maux inhérents au pouvoir ».

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provinces557 – du moins les plus importantes, c’est-à-dire les plus rentables ou alors les plus sensibles –, y dépêcher des missionnaires aussi régulièrement que nécessaire ou se résoudre à tout autre forme de surveillance, posaient parfois des problèmes délicats à résoudre. Car, il faut bien en convenir : l’empereur, dépourvu de la faculté d’ubiquité, ne pouvait guère intervenir partout à la fois, au rythme frénétique et surtout imprévisible des urgences. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une particularité propre à la période des empereurs de l’Histoire Auguste. Auguste lui-même, qui laissa à la postérité le souvenir d’un empereur soucieux de s’enquérir aussi régulièrement que possible de l’état général de l’immense Empire qu’il a su placer sous son autorité558, ne réussit tout de même pas à visiter l’ensemble de ses provinces, malgré une indéniable détermination à le faire. Suétone rapporte en effet qu’il ne se rendit jamais en Afrique et en Sardaigne, pour des raisons indépendantes de sa seule volonté : 557

Quels que soient les efforts d’imagination que nous puissions faire aujourd’hui pour évaluer la capacité d’action des Anciens sur ce chapitre, nous ne saurions nier les difficultés auxquelles s’exposaient les empereurs romains à passer d’un bout à l’autre de leur circonscription administrative. Hadrien par exemple, le plus « mobile » des princes – qui impressionna l’auteur de l’Histoire Auguste lui-même ; Scriptores ..., Hadrien, XIII, 5 : Nec quisquam fere principum tantum terrarum tam celeriter peragrauit ; lire : « Il n’y eut guère d’autre empereur pour parcourir ainsi tant de pays avec une telle rapidité » – y sacrifia sa santé, toujours aux dires du biographe ; ibid., XXIII, 1 : Peregratis sane omnibus orbis partibus capite nudo et in summis plerumque imbribus atque frigoribus in morbum incidit lectualem ; lire : « A force de parcourir toutes les parties du monde tête nue et souvent par temps de grande pluie et de grands froids, il tomba malade et dut s’aliter » et ibid., Aélius, II, 1 : Ceionius Commodus, qui et Aelius Verus appellatus est, quem sibi Hadrianus aeuo ingrauescente morbis tristioribus pressus peragrato iam orbe terrarum adoptauit... ; lire : « Céionus Commodus, qui fut aussi appelé Aélius Vérus, avait été adopté par Hadrien au moment où ce dernier, après avoir parcouru l’univers en long et en large, commençait à sentir le poids des ans et à souffrir de maladies pernicieuses ». Cette extrême et exceptionnelle disponibilité à visiter l’Empire que le biographe rendit en quelque sorte responsable de sa mort est attestée par Eutrope, VIII, 7, 2 : Orbem Romanum circumiit : multa aedificauit ; lire : « Il fit tout le tour du monde romain et y édifia de nombreuses constructions ». Les conditions pratiques de déplacements dans le monde romain antique, par terre comme par mer, en temps de guerre comme en temps de paix, en villégiature ou pour des missions officielles… sont connues depuis l’excellente étude de R. Chevallier, Voyages…, Paris, 1988. Sur les voyages impériaux à partir du règne d’Hadrien, voir p. 190 sq. 558 Il s’agit d’une tâche extrêmement indispensable pour la bonne marche des affaires impériales. On se rappellera l’un des principaux griefs de l’opinion contre Tibère d’après Suétone, Tib., XXXVIII : « A Rome cependant, avant de connaître l’issue de la révolte d’Illyrie, on avait appris la mutinerie des légions de Germanie, et la ville en désarroi accusait Tibère de se borner, feignant l’irrésolution, à se moquer du Sénat et du peuple, sans pouvoir et sans armes, dans le même temps que le soldat se détache de lui et ne peut être contenu par l’autorité encore sans vigueur de deux enfants. Il aurait dû y aller lui-même et opposer la majesté impériale à des gens qui reculeraient à la seule vue d’un prince appuyé d’une longue expérience et souverain arbitre de la sévérité et de la munificence. Est-ce qu’Auguste, malgré l’épuisement de l’âge, n’avait pas pu cent fois visiter la Germanie ? Et Tibère en pleine vigueur, restait assis au Sénat pour trouver à reprendre aux paroles des sénateurs… » ?

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« Et je ne sache pas qu’une seule province n’ait point reçu sa visite, à l’exception uniquement de l’Afrique et de la Sardaigne. Comme il se préparait, après la défaite de Sextus Pompée, à s’y rendre en partant de la Sicile, une série de tempêtes exceptionnelles l’en empêcha et depuis il n’eut plus d’occasion ou de motif pour faire cette traversée »559.

Une telle vigilance laisse amplement présager des risques de dérapages auxquels étaient exposés les promagistrats dans leurs provinces respectives. Les empereurs avaient donc autant d’appréhension d’y craindre des actes non seulement improductifs pour la métropole, mais également périlleux pour le trône. Aussi l’opinion s’émut-elle, sous Tibère, du peu de souci que ce dernier accordait à cette exigence capitale. En effet, l’un des principaux griefs fait au premier successeur d’Auguste fut justement de ne jamais s’être résolu à se rendre personnellement dans les provinces pour s’y assurer du bon déroulement de l’administration et de l’état général des troupes armées. Suétone et Tacite s’accordent parfaitement sur ce trait de son caractère. D’abord le biographe, qui révèle qu’il ne dépassa jamais Antium lors de ses rares sorties de Rome une fois empereur, malgré de nombreuses annonces et de vains préparatifs : « … cependant, il avait maintes fois annoncé qu’il irait visiter aussi les provinces et les armées, et presque tous les ans il préparait son départ… »560.

Ensuite Tacite quant à lui rappelle l’insigne indignation du peuple de voir Tibère ne même pas se rendre en Germanie ni en Gaule où des légionnaires semblaient décidés de profiter de la mort d’Auguste pour s’affranchir du pouvoir central à Rome dont ils se plaignaient de ne pas leur accorder des avantages proportionnels à la rudesse de leurs charges : « A Rome cependant, avant de connaître l’issue de la révolte d’Illyrie, on avait appris la mutinerie des légions de Germanie, et la ville en désarroi accusait Tibère de se borner, feignant l’irrésolution, à se moquer du Sénat et du peuple, sans pouvoir et sans armes, dans le même temps que le soldat se détache de lui et ne peut être contenu par l’autorité encore sans vigueur de deux enfants. Il aurait dû y aller lui-même et opposer la majesté impériale à des gens qui reculeraient à la seule vue d’un prince appuyé d’une longue expérience et souverain arbitre de la sévérité et de la munificence. Est-ce qu’Auguste, malgré l’épuisement de l’âge, n’avait pas pu cent fois visiter la Germanie ? Et Tibère en pleine vigueur, restait assis au Sénat pour trouver à reprendre aux paroles des sénateurs… »561 ?

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Suétone, Aug., XLVII, 3 : Nec est, ut opinor, prouincia, excepta dum taxat Africa et Sardinia, quam non adierit. In has fugato Sex. Pompeio traicere ex Sicilia apparantem continuae et immodicae tempestates inhibuerunt nec mox occasio aut causa traiciendi fuit. 560 Suétone, Tib., XXXVIII, 3 : … idque perraro et paucos dies, quamuis prouincias quoque et exercitus reuisurum se saepe pronuntiasset et prope quotannis profectionem praepararet… 561 Tacite, Ann., I, 46, 1-3 : At Romae nondum cognito qui fuisset exitus in Illyrico, et legionum Germanicarum motu audito, trepida ciuitas incusare Tiberium quod, dum patres et plebem, inualida et inermia, cunctatione ficta ludificetur, dissideat interim miles neque

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La fréquence des visites impériales en provinces s’imposait donc avec acuité vu que, à en croire Dion Cassius, celles-ci n’avaient pas à ne craindre que la convoitise des seuls promagistrats. Il nous parle en effet d’un préfet du prétoire qui profita de son influence sur l’empereur Septime Sévère pour dépouiller, en même temps que les sénateurs à Rome, bon nombre de provinciaux : « Plautinus, nous révèle-t-il, qui jouissait de beaucoup de crédit aux yeux de Septime Sévère, qui avait la charge de préfet du prétoire, qui, de tous les hommes, avait l’autorité la plus grande et la plus étendue, mit à mort plusieurs personnages considérables et ses égaux en dignité ; après avoir tué Aémilius Saturninus, il retrancha à ceux qui commandèrent après lui la garde prétorienne tout ce qui faisait leur force… Il convoitait tout, demandait tout à tous et prenait tout ; il ne laissait aucune province, aucune ville à l’abri de ses déprédations ; et tout le monde lui envoyait beaucoup plus qu’à Septime Sévère. Il finit même par dépêcher ses centurions pour dérober le Soleil, dans une ville de la Mer Rouge, des chevaux semblables à des tigres ; il me suffit, je pense, conclut-il, de citer ce seul vol, pour montrer ses excès et son insatiable avarice »562.

Comme lui Maximin, d’origine obscure et probablement préoccupé de refaire son retard dans l’acquisition et la possession des biens, une fois promu à l’Empire après le suicide d’Alexandre Sévère, se livra aux pillages des provinces qui provoquèrent sa propre perte du pouvoir en même temps que de la vie : « … puis il en vint, dans son avidité de richesses, à des mises à mort sans jugement et il s’appropria tous les biens des villes, non sans que les habitants aussi soient dépouillés de ce qu’ils possédaient. [Comme les provinces soumises aux Romains supportaient mal son excessive cruauté et s’indignaient de son avidité qui s’étalait, les habitants de l’Afrique élevèrent à l’Empire Gordien… »563.

D’où d’importants et fréquents risques d’abus de tout genre qui entraînèrent une politique répressive vigoureuse, susceptible de maintenir la confiance des provinciaux et de préserver les mécanismes de rentabilisation des terres conquises564. Ces abus sortaient naturellement du cadre légal duorum adulescentium nondum adulta auctoritate compromi queat. Ire ipsum et opponere maiestatem imperatoriam debuisse cessuris, ubi principem longa experientia eundemque seueritatis et munificentiae summum uidissent. An Augustum fessa aetate totiens in Germanias commeare potuisse : Tiberium uigentem annis sedere in senatu, uerba patrum cauillantem ? 562 Dion Cassius, Hist. rom., LXXV, 14. Sur les circonstances de sa mort curieusement identiques au péril de Séjan du règne de Tibère, voir ibid., LXXVI, 3-4. 563 Zozime, Hist. rom.,I, XIII, 3 et XIV, 1. 564 La récurrence du phénomène des abus des fonctionnaires provinciaux a constitué la principale préoccupation de l’œuvre de K. L. Noethlichs dont E. Demougeot a retenu une analyse et une classification des fautes administratives au nombre et la fréquence très significatifs ; cf. « Le fonctionnariat du Bas-Empire… », Lat., XLV, 1986, p. 161 : « Or, faitelle remarquer, comme il analyse et classe les nombreuses fautes administratives citées par

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prescrit par le pouvoir central romain qui concédait clairement à ses provinces une certaine autonomie ainsi définie par P. Cosme : « L’autonomie municipale consistait en fait à laisser les cités libres de gérer leurs affaires tant que les intérêts de l’empereur n’étaient pas en jeu et tant qu’elles remplissaient leurs obligations envers Rome, déterminées par leur statut »565. Il était ainsi fortement souhaité que tout promagistrat romain pût faire preuve de probité, probitas, notion d’ailleurs éminemment ancrée dans la mentalité collective romaine, faisant partie des prescriptions cardinales du mos maiorum. L’avènement à l’Empire de Probus, rapporté sous forme d’anecdote (fabula), reflète bien la prépondérance de cette qualité parmi les vertus requises aux grands hommes, d’après de l’Histoire Auguste : « Savoir de quelle manière Probus accéda à l’Empire constitue une anecdote qui ne manque ni de sel ni d’agrément. Dès que les troupes furent au courant des événements, le premier souci des soldats fut de prévenir les armées d’Italie pour que le choix de l’empereur ne revînt pas à nouveau au Sénat. Les soldats se mirent alors à discuter sur le nom de celui qu’il convenait d’élire, tandis que les tribuns parcouraient le camp en les haranguant manipule par manipule et en disant qu’il fallait désigner comme prince un homme qui fût courageux, vertueux, respectable, clément et probe. Ces propos, ainsi qu’il est habituel, circulaient de groupe en groupe lorsque, comme un signe divin, fusa de toutes parts cette acclamation unanime ; ‘’Probus, que les dieux te protègent !’’. Puis on se regroupa et on éleva une tribune en mottes de gazon. Alors Probus fut proclamé empereur et même revêtu d’un manteau de pourpre qu’on avait enlevé à une statue d’un temple ; de là on le conduisit au palais, tandis qu’il regimbait, résistait et ne cessait de dire : ‘’Ce n’est pas votre intérêt, soldats, avec moi vous ne faites pas un bon choix. Car je suis incapable de vous flatter’’ »566 .

En première lecture, cette fabula insinue que la seule rime du patronyme de Probus avec le terme probitas (ou surtout avec l’adjectif probus) l’aura emportée sur toutes les autres qualités qu’exigeaient les soldats pour le choix 900 lois impériales, donc par une loi sur trois dans les 2510 réunies par le Code Théodosien, ce qui représente environ une faute tous les deux mois (…), cette minutieuse enquête donne un tableau concret saisissant de ce que fut l’activité réelle de ces fonctionnaires. Aussi commence-t-elle par décrire attentivement le statut donné par les empereurs du Bas-Empire à des fonctionnaires qu’ils eurent si souvent à punir ». 565 Cf. P. Cosme, L’État romain…, Paris, 1998, p. 55. 566 Scriptores ..., Probus, X, 2-5 : Non inepta neque inelegans fabula est scire, quem ad modum imperium Probus sumpserit : cum ad exercitus nuntius uenisset, tum primum animus militibus fuit praeuenire Italicos exercitus, ne iterum senatus principem daret. Sed cum inter milites sermo esset, quis fieri deberet, et manipulatim in campo tribuni eos adloquerentur dicentes requirendum esse principem aliquem fortem, sanctum, uerecundum, clementem, probum idque per multos circulos, ut fieri adsolet, diceretur, quasi diuino nutu undique ab omnibus adclamatum est : « Probe Auguste, dii te seruent » ! Deinde concursus et caespiticium tribunal, appellatusque imperator, ornatus etiam palio purpureo, quod de statua templi oblatum est, atque inde ad Palatium reductus, inuitis et retractans et saepe dicens : « non uobis expedit, milites, non mecum bene agetis. Ego enim uobis blandiri non possum ».

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de leur empereur. Cependant la réaction présumée de l’intéressé lui-même laisse transparaître déjà un trait de son caractère, en déclinant dans un premier temps l’offre spontanée d’une foule habituée à des flatteries de la part de l’empereur et que, lui, ne se sentait pas prédisposé à leur faire. Le gouvernement de l’Empire se résume donc, du moins dans l’esprit des Romains, à la gestion d’un ensemble politique et économique vaste et cohérent confiée aux meilleurs de ses citoyens. De cette donnée s’inspire naturellement l’administration de ses provinces qui, par glissement logique, en constitue le reflet ou encore le prolongement ; et, à ce titre, celle-ci requérait une forme d’éthique que les Romains aimaient puiser parmi les res inlustres des Anciens. Trait de caractère – s’il en fût – qui détermine les Romains de toutes les générations et qui pose la sempiternelle question de la pertinence de donner au passé une telle emprise sur le présent. A tout le moins peut-on reprocher à cette inclinaison le spectre de la notoriété établie et jamais plus testée des membres de certaines familles, l’adhésion par habitude au maintien en vigueur et à l’application de certaines dispositions à efficience parfois éprouvée au seul motif de les compter parmi les pratiques des Anciens…

V – 2 : Le Mos maiorum et la probitas dans la mentalité collective romaine Traitant de l’épisode de la guerre civile qui opposa à Rome les prétoriens au reste du peuple et faisant état du stratagème dont usa Balbin pour tenter d’en venir à bout567, le biographe justifie les appréhensions des uns et des autres devant le rejeton de Gordien l’Ancien, un homme à qui Rome devait un grand nombre d’exploits, en ces termes : « … tant est respecté chez les Romains le souvenir des nobles entreprises »568.

En insistant ainsi sur leur souci de préserver la mémoire des entreprises humaines, ici à propos du premier des Gordiens, le biographe ne manque pas de souligner le caractère sélectif des faits qui retiennent prioritairement la mémoire collective des Romains : … memoria bonarum rerum. Le memoria 567

Face à une série de désastres qu’a entraînée cette guerre civile, Balbin, rapidement dépassé par les événements en raison de son manque d’énergie (homo lenior), recourut à un stratagème dont le résultat atteste la finesse et l’opportunité ; Scriptores ..., Maxime et Balbin, IX, 4 : Neque sedasset tumultum, nisi infantem Gordianum purpuratum ad populum longissimi hominis collo superpositum produxisset ; quo uiso populus et milites usque adeo placati sunt, ut amore illius in concordiam redirent ; lire : « Et il n’aurait pas calmé l’émeute s’il n’avait montré au peuple le jeune Gordien revêtu de la pourpre et juché sur les épaules d’un homme de très haute stature. A sa vue, peuple et soldats s’apaisèrent au point de se réconcilier par amour (pour le jeune homme ». 568 Scriptores ..., Maxime et Balbin, IX, 5 : … tantum apud Romanos memoria bonarum rerum ualet.

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met de facto en évidence le lien étroit que ces derniers voulaient entre le mos maiorum et la qualité des œuvres romaines en cours de réalisation ou à réaliser dans un proche ou moins proche avenir. La notion de mos maiorum – terme générique qui désigne la bonne qualité morale, l’honnêteté, la loyauté, la droiture, l’intégrité ou le sens de l’honneur inspirés des expériences ancestrales –, est du reste très fréquente dans l’Histoire Auguste. Pouvait-il en être autrement dans une œuvre traitant des Vies des principaux responsables du destin d’un Empire que guettaient inlassablement des fléaux divers ? Ainsi le biographe tient-il à souligner du plus philosophe des empereurs romains Marc Aurèle que durant son règne : « A l’égard du peuple, il se comporta comme on le faisait quand l’État était libre »569.

Ce reflexe spontané de sublimer le passé constituait du reste une sorte de pensée séduisante chez les Anciens qui en ont usé comme d’un véritable lieu commun. Nous en avons une illustration bien parlante, parmi tant d’autres, avec Dion Cassius qui prête ces mots à Hadrien, au seuil de la mort, désignant le même Antonin le Pieux comme successeur de Lucius Commodus Vérus, le préférant ainsi à ses parents et à ses plus dignes et plus proches collaborateurs parmi les sénateurs : « … j’ai trouvé pour remplacer un empereur que je vous donne, d’une naissance illustre, doux, d’un caractère facile, prudent, également incapable de se laisser aller à aucune précipitation par jeunesse, ou à aucune négligence par vieillesse, se gouvernant d’après les coutumes de nos ancêtres, de sorte qu’il n’ignore rien de ce qui a rapport à l’autorité souveraine et qu’il peut en user honnêtement »570.

Véritables modèles pour tous, les princes devaient, les premiers, faire preuve de probité, conformément aux traditions de la Rome ancestrale. C’est là le sens profond du cri plein d’indignation qu’a poussé ainsi Avidius Cassius devant le spectacle désolant d’un Empire romain à la dérive à cause 569 Scriptores ..., Marc Aurèle, XII, 1 : Cum populo autem non aliter egit, quam est actum sub ciuitate libera. Les souvenirs du biographe remontent ainsi jusqu’à l’ère républicaine dont la liberté matérialisée par un partage des pouvoirs entre le peuple, les hauts magistrats et le Sénat, fut « confisquée » par les mécanismes du régime impérial instauré par Auguste, en consacrant et concentrant l’ensemble des pouvoirs régaliens entre les seules mains du princeps. Remarquons au passage que cette qualité était particulièrement appréciée chez les princes romains dont les administrés souhaitaient, autant que possible mais sans entamer leur auctoritas, une très grande promiscuité par rapport au peuple. Aussi le biographe a-t-il également souligné d’Antonin le Pieux qu’il garda ses allures de simple particulier au trône ; ibid., Antonin le Pieux, XI, 1, 6 : Amicis suis in imperio suo non aliter usus est quam priuatus, quia et ipsi numquam de eo cum libertis per fumum aliquid uensiderunt ; si quidem libertis suis se seuerissime usu est… Cum sibi et filiis honores peteret, omnia quasi priuatus fecit. Naturellement, toute attitude contraire à cette convenance était tout aussi âprement dénoncée, conformément à la conception augustéenne du principat qui ne faisait du prince qu’un princeps inter pares. 570 Hist. rom., LXIX, 20.

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d’un empereur plus soucieux des choses de l’esprit que de l’État, faisant justement allusion à Marc Aurèle : « ‘’... Où sont tous les principes des ancêtres ?’’ »571, se serait-il exclamé.

La vive propension à la philosophie de Marc Aurèle est nettement soulignée par tous ses biographes : - Eutrope, VIII, 11 : Philosophiae deditus Stoicae, ipse etiam non solum uitae moribus, sed etiam eruditione philosophus ; lire : « Adonné à la philosophie stoïcienne, il ne se contenta pas de la pratiquer, mais en acquit une profonde connaissance » ; - Aurélius Victor, XVI, 1, 9 : Namque M. Boionum, qui Aurélius Antoninus habetur, eodem oppido, pari nobilitate, philosophandi uero eloquentiaeque studiis longe praestantem, in familiam atque imperium asciuit… tantumque Marco sapientiae, lenitudinis, innocentiae ac litterarum, ut is, Marcomannos cum filio Commodo, quem Caesarem suffecerat, petiturus, philosophorum turba obtestantium circumfunderet, quam sectarum ardua ac perecculta explanauisset ; lire : « Et de ce fait, il [Antonin le Pieux] introduisit dans sa famille et appela à l’Empire Marcus Boionus, que l’on nomme Marc Aurèle Antonin ; originaire de la même ville, de noblesse égale, il était très supérieur à son beau-père comme philosophe et comme orateur… Et Marc Aurèle était un homme si sage, si doux, si probe et si cultivé que, sur le point de se porter contre les Marcomans avec son fils Commode, nommé César [à la place de Vérus], il était entouré d’une foule de philosophes qui l’adjuraient de ne point s’engager dans une expédition ou dans un combat avant de leur avoir éclairci les points difficiles et obscurs des doctrines philosophiques » ; - Pseudo-Aurélius Victor, XVI, 7 : Post cuius obitum Marcus Antoninus rem publicam solus tenuit. A principio uitae tranquillissimus, adeo ut ab infantia uultum nec ex gaudio nec ex maerore mutauerit, philosophiae studens litterarumque Graecarum ; lire : « Après sa mort [de Vérus], Marc Antonin 571

Scriptores ..., Avidius Cassius, XIV, 4 : Vbi omnis disciplina maiorum ? Il s’en prenait ainsi naturellement à Marc Aurèle à cause de son attachement aux principes philosophiques qu’il observait parfois avec excès, notamment de la part d’un empereur ; ibid., 5. : Marcus Antoninus philosophatur et quaerit de elementis et de animis et de honesto et iusto nec sentit pro re p(ublica), aurait-il ajouté à la suite de son exclamation ; lire : « Marc Antonin joue au philosophe, médite sur les principes premiers, sur l’âme, sur la vertu, sur la justice, et il ne se soucie pas de l’État ». Que les principes philosophiques de cet empereur aient fortement influencé son action sur le plan de l’administration de l’Empire ne souffre donc d’aucune équivoque. Cependant, il semble que cette influence n’ait pas été totalement négative, à travers l’esprit d’ensemble de sa Vie dans l’Histoire Auguste mais surtout en prenant en compte le ton général et maints détails de ce règne dans l’œuvre de l’épistolier Fronton. Le Pseudo-Aurélius Victor, XVI, 2, affirme pour sa part et sans tournure qu’il fut un véritable sauveur de l’État : Iste uirtutum omnium caelestique ingenii exstitit aerumnisque publicis quasi defensor oiectus est. Etenim nisi ad illa tempora natus esset, profecto quasi uno lapsu ruissent omnia staus Romani ; lire : « Il se montra doté de toutes les vertus et d’un génie divin, et s’opposa aux malheurs publics contre lesquels il fut en quelque sorte un protecteur. Car s’il n’était pas né pour cette époque, il ne fait guère de doute que tout l’État romain se fût écroulé d’un seul coup ».

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gouverna seul l’État. Dès le début de sa vie, il était si serein que, dès l’enfance, ni la joie ni la tristesse n’altérèrent son visage, car il s’appliquait à l’étude de la philosophie et des lettres grecques ».

Le cri du cœur d’Avidius Cassius : Vbi omnis disciplina maiorum ? exprimait toute la désolation de ce dernier devant le constat d’une dégradation extrême des mœurs chez certains agents romains promus à des postes de responsabilité, en l’occurrence des directions de provinces ; et qui ne suscitait que la contemplation léthargique du prince au trône : « Personnellement, quant aux gouverneurs de provinces... mais dois-je appeler gouverneurs ces gens qui considèrent que le Sénat et Antonin leur ont octroyé des provinces pour faire la noce et s’enrichir ? »572, s’indigna-t-il.

Le texte établit formellement que malgré la récurrence des cas de gouverneurs véreux, de telles pratiques étaient loin de compter parmi les réflexes attendus à ce poste. Rappelons à ce propos la maxime directrice de Helvius Pertinax une fois parvenu au trône après une brillante carrière à diverses fonctions aussi bien à Rome qu’à l’extérieur du périmètre de la capitale : « Il est préférable, pères conscrits, déclara-t-il un jour, de gouverner un état pauvre que de parvenir au faîte de la richesse en suivant une route dangereuse et déshonorante »573.

En règle normale, tout gouverneur romain devait faire preuve de probité exemplaire et même exceptionnelle, sinon absolue – un legatus seuerissimus574, dirait notre biographe –, conformément aux valeurs traditionnelles de Rome qui exigeaient de tout responsable une rigueur et une discipline qui s’imposaient d’abord à lui-même. D’où le fin mot d’Eutrope à propos d’Antonin le Pieux qui passe aux yeux de tous comme ayant connu un règne particulièrement heureux : 572

Scriptores ..., Avidius Cassius, XIV, 7 : Ego uero istis praesidibus prouinciarum – an ego proconsules – an ego praesides putem, qui ob hoc sibi a senatu et ab Antonino prouincias datas credunt, ut luxurientur, ut diuites fiant ? 573 Scriptores ..., Helvius Pertinax, VII, 4 : Satius est, p(atres) c(onscripti), inopem rem p(ublicam) optinere quam ab diuitiarum cumulum per discriminum atque dedecorum uestigia peruenire. 574 Nous sommes là en présence de l’une des qualités mentionnées dans le bilan de la biographie de Pescennius Niger dont l’auteur regrette qu’il n’eût pas mis toutes ses qualités aux côtés d’un prince, en l’occurrence Septime Sévère, lui permettant d’en faire un bien meilleur usage ; Scriptores ..., Pescennius Niger, VI, 10 : Fuit ergo miles optimus, tribunus singularis, dux praecipuus, legatus seuerissimus, consul insignis, uir domi forisque conspicuus, imperator infelix ; usui denique rei p(ublicae) sub Seuero, homine tetrico, esse potuisset, si cum eo esse uoluisset ; lire : « Ce fut donc un excellent soldat, un tribun hors pair, un général extraordinaire, un gouverneur très rigoureux, un consul éminent, un homme aussi remarquable dans la paix que dans la guerre, mais un empereur malchanceux. Il aurait pu être utile à l’État sous la direction d’un homme rigide comme Sévère, s’il avait accepté de se ranger à ses côtés ».

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« … il cherchait les hommes les plus justes pour l’administration des affaires publiques, rendant honneur aux bons, détestant les méchants sans manifester aucune dureté. A l’égard des rois amis, il se montrait non moins respectable que redoutable au point que de très nombreuses nations barbares, après avoir déposé les armes, lui déféraient leurs querelles et leurs litiges et se rangeaient à sa décision »575.

Nous savons aussi, grâce à l’Histoire Auguste, que l’empereur Alexandre Sévère dut la réussite de son règne essentiellement à la qualité de son entourage : « Mais il eut aussi pour amis des hommes irréprochables et dignes de respect : ils n’étaient ni fourbes, ni voleurs, ni factieux, ni retors, ne prêtaient pas la main à l’injustice, n’étaient pas hostiles aux honnêtes gens, ne se montraient ni débauchés, ni cruels, ne cherchaient ni à le tromper, ni à se moquer de lui, ni à le berner comme s’il s’agissait d’un pauvre fou ; mais c’étaient au contraire des hommes vertueux, respectables, tempérants, scrupuleux, remplis d’affection pour leur prince, ne le tournant pas en dérision et refusant qu’il soit un objet de risée, des hommes qui ne se livraient à aucun trafic, à aucun mensonge, à aucune calomnie, qui ne décevaient jamais l’estime de leur prince mais qui étaient à sa dévotion »576.

Que les collaborateurs aient pu être différents de cette image idyllique peut-être entièrement façonnée par l’imagination du biographe nous importe moins que le fait d’avoir ici un véritable stéréotype de citoyens dignes de confiance et de responsabilités. Constamment attentifs aux faits et gestes de leurs dirigeants à tous les niveaux, les Romains aimaient à scruter leur comportement quotidien, en vue d’y découvrir le moindre signe de dérive et de le dénoncer. Aussi peuton apprendre que les turpitudes de Helvius Pertinax par exemple sont postérieures à son gouvernement de Syrie : « Jusqu’à son gouvernement de Syrie, Pertinax resta intègre », souligne le biographe577.

Les thèmes de bonne ou mauvaise gestion de leurs provinces – aujourd’hui nous parlerions plutôt de bonne ou mauvaise gouvernance – ont toujours préoccupé l’opinion à Rome où plusieurs hommes de Lettres, de la 575

Eutrope, VIII, 8, 2 : … uiros aequissimus ad administrandam rem publicam quaerens, regibus amicis uenerabilis non minus quam terribilis, adeo ut barbarorum plurimae nationes depositis armis ad eum controuersias suas litesque deferrent sententiaeque parerent. 576 Scriptores ..., Alexandre Sévère, LXVI, 2 : At tamen amicos sanctos et uenerabiles habuit, non malitiosos, non furaces, non factiosos, non callidos, non ad malum consentientes, non bonorum inimicos, non libidinosos, non crudeles, non circumuentores sui, non inrisores, non qui [si] illum quasi fatuum circumducerent, sed sanctos, uenerabiles, continentes, religiosos, amantes principis sui et qui de illo nec [in] ipsi riderent nec risui esse uellent, qui nihil uenderent, nihil mentirentur, nihil fingerent, numquam deciperent existimationem principis sui, sed amarent. 577 Scriptores ..., Helvius Pertinax, III, 1 : Integre se usque ad Syriae regimen Pertinax tenuit.

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République à l’instauration de l’Empire, ont eu à stigmatiser ou à encenser le comportement des uns et des autres en cette délicate matière, conscients de leur implication à la stabilité générale de l’État. Cette réalité a été scrutée et excellemment exprimée par M. Christol en ces termes : « On n’ignorait pas que si la reconnaissance de la légitimité se parachevait officiellement à Rome, c’étaient les chefs des armées provinciales qui étaient les garants de l’équilibre politique »578. Nous sommes particulièrement redevables à M. Donde-Payre qui a regroupé quelques-uns des textes d’auteurs anciens permettant d’illustrer et de mesurer la fréquence des manifestations de la malhonnêteté des magistrats provinciaux dans leur ensemble – des gouverneurs de provinces en particulier – « si répandu(e) que le gouverneur intègre semble l’exception »579. Les qualités requises pour une excellente administration de la res publica ainsi encensées s’imposent donc premièrement aux princes. Que de fois le biographe a-t-il loué tel ou tel autre empereur pour avoir adopté une attitude positive vis-à-vis des peuples à lui soumis ! Nous citerons, au passage, Aélius, qui n’a pas véritablement régné, mais qui : « s’occupa sérieusement de la province qui lui avait été affectée ; il y obtint en effet des résultats satisfaisants, on pourrait presque dire heureux, qui lui valurent la réputation d’être un général, sinon hors pair, du moins d’une bonne moyenne »580 ;

Antonin le Pieux qui, bien avant d’accéder au pouvoir : 578

Cf. M. Christol, L’Empire romain au IIIe siècle…, Errance, Paris, 1997, p. 12. Cf. Donde-Payre (M.), « Magistrature et administration municipale dans les trois Gaules », Publications de la Sorbonne, 1999. Elle cite (p. 128), entre autres, un des discours de Cicéron à travers lequel le juriste et homme d’État a déploré l’extrême cupidité de ceux à qui des provinces avaient été confiées ; Sur Pompée, XXII, 64-65 : Difficile est in Asia, Cicilia, Syria regnisque interiorum nationum ita uersari nostrum imperatorem ut nihil aliud nisi hoste ac de laude cogitet. Deinde etiam si qui pudore ac temerantia moderatiores, tamen eos esse talis propter multidudinem cupidorum hominum nemo arbitratur. Difficile est dictu, Quirites, quanto in odio simus apud exteras nationes propter eorum quos ad eas per hos annos cum imperio misimus libidines et iniurias ; lire : « Il est difficile qu’en Asie, en Cicilie, en Syrie et dans les royaumes de l’intérieur, un général de chez nous ne se soit occupé que de l’ennemi et de la gloire. C’est pourquoi, si même il en est quelques-uns à qui le sentiment de l’honneur et la retenue inspirent une conduite plus sage, personne n’y veut croire tant sont nombreux les gouverneurs cupides. On aurait peine à dire, Quirites, quelle haine ont provoquée contre nous, parmi les nations étrangères, les actes d’arbitraire et d’injustice des magistrats vêtus de l’autorité suprême que nous leur avons envoyée pendant ces dernières années ». Juvénal n’en dit point le contraire dans sa VIIIe satire, 87-90 : Expectata diu tandem prouincia cum te / rectorem accipiat, pone irae frena modumque / pone et auaritiae miserere inopum sociorum / ossa uides rerum uacuis exucta medullis ; lire : « Puisque vient enfin le jour tant attendu où tu reçois le gouvernement d’une province, mets un frein et des bornes à ta colère, mets un frein à ta cupidité ; compatis à la misère des alliés : tu vois qu’ils n’ont plus rien que des os sucés à fond et vidés de leur moelle ». 580 Scriptores ..., Aélius, III, 5-6 : Nec prouinciae quidem, cui praepositus erat, defuit. Nam bene gestis rebus uel potius feliciter etiamsi non summi, medii tamen optinuit ducis famam. 579

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« géra si bien son proconsulat d’Asie qu’il fut le seul à surpasser son grandpère »581 ;

puis, une fois aux affaires : « gouverna avec conscience les peuples qui lui étaient soumis au point de veiller sur les choses et les personnes comme si elles lui appartenaient en propre »582.

Nous pouvons également citer Marc Aurèle qui « gouverna donc les provinces avec beaucoup de modération et de bienveillance »583 ;

refusant, devenu empereur et confronté à un très lourd effort de guerre : « d’exiger des provinces une contribution supplémentaire…»584.

Toutes ces attitudes nous rappellent celle du beau-fils, gendre et premier successeur d’Auguste, Tibère, qui, répondant à ceux de ses gouverneurs de provinces qui lui suggéraient d’exiger davantage d’impôts aux provinces, choisit une réplique qui ne manquait d’ailleurs ni d’humour ni d’esprit pour exprimer clairement et non moins fermement la conviction que les provinces n’étaient utiles aux Romains qu’autant et tant que ceux-ci étaient capables de les ménager : « A des gouverneurs qui lui conseillaient d’augmenter les impôts de leurs provinces, témoigne Suétone, il écrivit ‘’qu’un bon pasteur devait tondre son troupeau, non l’écorcher’’ »585.

Ainsi s’explique-t-on plus aisément les mesures répressives préconisées, prises ou appliquées par certains empereurs contre leurs gouverneurs de provinces, ou encore les sanctions infligées à leurs légats, ou enfin certaines sentences prononcées par ces derniers à l’encontre de leurs collaborateurs provinciaux, qu’il s’agisse des gouverneurs, d’hommes de troupes en campagne comme en garnison ou d’agents divers affectés aux multiples fonctions provinciales. Mais naturellement, il convient au préalable, pensons-nous, d’inventorier et d’analyser les principales causes des abus 581

Scriptores ..., Antonin le Pieux, III, 2 : Proconsulatum Asiae sic egit, ut solus auum uinceret. 582 Scriptores ..., Antonin le Pieux, VII, 1 : Tanta sane diligentia subiectos sibi populos rexit, ut omnia et omnes, quasi sua essent, curaret. Prouinciae sub eo cunctae flouerunt. 583 Scriptores ..., Marc Aurèle, XVII, 1 : Ergo prouincias post haec ingenti moderatione ac benignitate tractauit. 584 Scriptores ..., Marc Aurèle, XVII, 4 : … neque in animum induceret, ut extra ordinem prouincialibus aliquid imperaret… 585 Suétone, Tib., XXXII, 5 : Praesidibus onerandas tributo prouincias suadentibus rescripsit « boni pastoris esse tondere pecus, non deglubere ». Cette attitude tibérienne est confirmée par Tacite, Ann., IV, 6, 7 : Et ne prouinciae nouis oneribus turbarentur utque uetera sine auaritia aut crudelitate magistratuum tolerarent prouidebat… ; lire : « Il veillait aussi à ce que de nouvelles charges ne missent point le trouble dans les provinces et à ce que les anciennes leur fussent supportables, en réprimant l’avarice et la cruauté des magistrats… ».

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connus, sans prétendre à l’exhaustivité que ne saurait garantir la nature connue de notre source principale.

V – 3 : Les principales causes d’abus L’Histoire Auguste montre un tableau des difficultés de plusieurs ordres apparues avec la nouvelle dimension de l’Empire et qui tenaient autant de sa gestion directe que d’une série de conflits internes qui minaient son tissu politique et social. En effet, au fur et à mesure que la domination romaine s’étendait à de plus nombreux et plus vastes territoires, les tentations accrurent qui se manifestèrent sous forme de divers abus et autres extorsions d’argent ou de biens matériels que les prélèvements officiels exigés au titre de la soumission à Rome favorisaient considérablement. L’administration des provinces, qui constituait le principal problème dont devait se préoccuper le pouvoir central, consista plus que jamais à prendre en charges – à défaut de parvenir à les prévenir – les tensions qui pouvaient naître ici ou là, sous peine de mettre en péril sa suzeraineté sur les peuples conquis, ou tout simplement la compromettre de manière inéluctable. On note ainsi une série de mesures prises par des princes romains, dans l’unique but de préserver la paix dans les provinces autrement que par les armes. Ainsi s’y prit Hadrien en abrogeant plusieurs décisions de son prédécesseur pour gagner l’amitié des provinciaux dès son avènement au trône : « Il bénéficia toujours de l’amitié des Parthes parce qu’il les avait débarrassés du roi que Trajan leur avait imposé ; il permit aux Arméniens d’avoir un roi, alors que sous Trajan ils dépendaient d’un légat (romain) ; il n’exigea pas des Mésopotamiens le tribut auquel les avait assujettis Trajan. Les Albins et les Ibères devinrent ses amis parce qu’il avait gratifié leurs rois de largesses bien qu’ils eussent dédaigné de venir lui rendre hommage. Les rois de Bactriane lui envoyèrent des ambassadeurs pour solliciter humblement son amitié »586.

On peut également retenir ici les largesses et autres avantages accordés à ses administrés par Marc Aurèle : « Bien qu’il fût très parcimonieux en matière de denier public, lorsqu’il s’agissait de faire des largesses – ce qui est plus un titre de gloire qu’une critique – il donnait de l’argent à des hommes méritants, fournissait de l’aide à des villes en

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Scriptores ..., Hadrien, XXI, 10-14 : Parthos in amicitia semper habuit, quod inde regem retraxit, quem Traianus inposuerat. Armeniis regem habere permisit, cum sub Traiano legatum habuissent. Mesopotamenos non exigit tributum, quod Traianus inposuit. Albanos et Hiberos amicissimos habuit, quod reges eorum largitionibus prosecutus est, cum ad illum uenire contempsissent. Reges Bactranorum legatos ad eum amicitiae petendae causa supplices miserunt.

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difficulté et, quand cela s’avérait nécessaire, faisait remise des impôts fonciers ou des contributions indirectes »587.

En marge d’une ligne de politique générale en matière de gestion de ses provinces, Rome enregistrait de plus en plus de plaintes que des comportements abusifs, voire parfois même criminels, que des promagistrats y suscitaient. Il fallut impérieusement en tenir compte pour ne pas forcer les provinciaux, si précieux, à l’exaspération générale et, naturellement, à la rébellion. On peut ainsi supposer, vu que l’Histoire Auguste ne le dit pas expressément, que ces plaintes de la part des provinciaux multiplièrent des procédures judiciaires dont certaines étaient présidées par le prince en personne, attestant ainsi de leur impact – virtuel ou réel – dans la vie politique de l’Empire. Tacite nous donne, à titre indicatif, un témoignage d’un tel procès sous le règne de Tibère ; bien que ce dernier eût choisi quant à lui de s’en remettre à l’autorité du Sénat auquel incombait la charge de tous les dossiers importants de Rome, chaque fois que l’empereur s’en était éloigné pour des exils « volontaires » dont le (ou les) mobile(s) demeure(nt) encore aujourd’hui en discussion. L’historien rapporte en effet qu’à la mort d’un fidèle du prince, des funérailles solennelles que n’imposaient pas ses origines lui furent décernées par la seule volonté des sénateurs : « Car toutes les affaires se traitaient encore dans le Sénat. Aussi le procurateur d’Asie Lucilius Capito dut-il répondre devant (les sénateurs) d’une accusation portée par la province… »588.

La récurrence des procès intentés contre des promagistrats mis en cause par des provinciaux remontent d’ailleurs à l’époque républicaine comme l’a souligné Th. Mommsen en étudiant l’esprit des réformes gracquiennes : « La juridiction administrative, écrit-il, que le Sénat exerçait, soit en personne ou par des commissions extraordinaires selon l’occasion, était évidemment insuffisante. Ce fut une innovation d’une importance capitale pour la vie publique de Rome, lorsque, en 149 av. J.-C., sur la proposition de Lucius Calpurnius Pison, une commission sénatoriale permanente (questio ordinaria) fut instituée pour juger en forme judiciaire les plaintes de provinciaux relativement aux extorsions de leurs magistrats romains »589. Nous avons déjà, en d’autres circonstances, souligné que la tentation de s’affranchir du pouvoir central à Rome était forte chez les magistrats affectés en provinces. On peut trouver par exemple, chez Tacite, un tableau assez 587

Scriptores ..., Marc Aurèle, XXIII, 2-3 : Ipse in largitionibus pecuniae publicae percissimus fuit, quod laudi potius datur quam reprehensioni, sed tamen et bonis uiris pecunias dedit et oppidis labentibus auxilium tulit et tributa uel uectigalia, ubi necessitas cogebat, remisit. 588 Tacite, Ann., IV, 15, 3 : … apud quos (patres) etiam tum cuncta tractabantur, adeo ut procurator Asiae Lucilius Capito, accusante prouincia, causam dixerit. 589 Cf. Histoire…, III, traduction de De Guerle, Paris, vieille édition non datée), pp. 172-173.

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exhaustif des différents maux dont pouvaient se plaindre des provinciaux, entre les lignes de sa description de l’état d’esprit des Germains excédés par la mainmise romaine, lors des mouvements de révolte dont Germanicus fut chargé de réprimer les auteurs : « Ainsi donc, rapporte-t-il, dans des conciliabules et des réunions, ils tenaient des discours séditieux sur la permanence des tributs, le poids de l’usure, la cruauté et l’orgueil des gouverneurs… »590.

Bien longtemps après l’historien, le chrétien Tertullien met lui aussi en relief cette image négative des gouverneurs romains en général aux yeux de l’opinion pour démontrer la vanité de l’origine du mal, une fois que celui-ci est commis : « Combien de ces gens qui nous entourent et qui sont avides du sang des chrétiens, combien même d’entre ces gouverneurs pour vous si justes et si sévères pour nous (chrétiens), voulez-vous que j’accuse devant leur conscience, parce qu’ils tuent les enfants qui viennent de leur naître »591 ?

Peut-être est-il question ici de sacrifices d’enfants pratiqués lors de quelque rite religieux du paganisme romain ? En plus des motifs ainsi répertoriés, les provinciaux n’étaient pas à l’abri des exigences de tous ordres, de la part de soldats ou de magistrats romains plus ou moins importants. Même si l’Histoire Auguste ne nous donne pas toujours des détails suffisants sur des cas précis, il existe, comme nous le verrons plus loin, un certain nombre de témoignages dénonçant des attitudes parfois manifestement excessifs de quelques-uns des Romains affectés en provinces. Comme il fallait s’y attendre, plusieurs mesures coercitives ont dû être préconisées par ceux des empereurs romains soucieux de préserver la paix dans les provinces pour en garantir une meilleure exploitation et s’y assurer d’une rentabilité efficiente. Souvent, il s’agissait de mesures relevant d’une ligne de politique générale marquée par un souci de rigueur imposé à tous, comme peut l’attester ce passage de l’Histoire Auguste, à propos du règne de Marc Aurèle : « D’autre part, il donna aux curateurs des régions et des routes le pouvoir de punir eux-mêmes ou de déférer devant le préfet de la Ville, pour qu’il les 590

Tacite, Ann., III, 40, 3 : Igitur per conciliabula et coetus seditiosa disserebant de continuatione tributurum, grauitate faenoris, saeuitia ac superbia praesidentium… 591 Tertullien, Apol…, IX, 6 : Quot uultis ex his circumtantibus et in Christianorum sanguinem inhiantibus, ex ipsis etiam uobis iustissimis et seuerissimis in nos praesidibus apud conscientas pulsem, qui natos sibi liberos enecent ? Le raisonnement tente de démontrer qu’un infanticide n’est pas moins un crime parce qu’il serait commis par tel ou tel autre sujet, quelle que soit sa qualité et son statut social. Tertullien a souvent recouru à une forme astucieuse de litote pour stigmatiser l’iniquité des praesides notamment contre les chrétiens à travers des qualificatifs positifs en apparence ; voir par exemple ibid., XXIV, 7 : … boni praesides…

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punisse, ceux qui auraient réclamé de l’argent à quelqu’un en plus de leurs redevances normales »592.

Nous disposons également de plusieurs sources épigraphiques qui attestent de telles mesures, comme ici de la part de Helvius Pertinax : « Et puisque vous dites aussi que des soldats en marche se détournent de la grand route pour venir chez vous sans autre raison que de prendre ce qu’on appelle des ‘’suppléments’’, l’excellent gouverneur de province, une fois informé de cela, corrigera ce qu’il jugera une faute commise par les soldats contre vous »593.

Dans l’Année Épigraphique, on peut trouver également une lettre du proconsul d’Asie à qui l’empereur avait confié le soin de régler cette affaire : « Aémilius Junctus, proconsul, aux magistrats, à la boulè et au peuple de Tabala, salut. Si vous prouvez qu’un soldat de ceux qui n’ont pas été envoyés en Aizanoi s’est détourné de son chemin et est venu dans votre cité pour y extorquer de l’argent, il sera puni. On doit désormais ne pas faire des choses de cette sorte… »594.

On aura tout de même noté au passage les nuances contenues dans cette réaction du proconsul à travers l’obligation de preuves qui, dans ce genre d’affaires, pouvaient se révéler difficiles à établir et à fournir. Mais encore, tout au long de l’Histoire Auguste, nous avons enregistré un certain nombre d’exactions qui, commises plus ou moins consciemment, relevaient parfois de l’incompétence liée à des nominations (nominationes) indues ou plus souvent motivées par la simple concussion (concussio). A) Des promotions indues L’Histoire Auguste révèle plusieurs cas de promotions de promagistrats qui ne se fondaient pas sur le critère privilégié en la matière, même dans la perspective d’une recommandation impériale : le mérite. Il convient d’ailleurs de souligner ici, avec l’historien Zozime, que l’histoire de l’Humanité est, depuis ses origines, parsemée de multiples cas de complaisance des pouvoirs établis, sans d’ailleurs se permettre d’imaginer ce fléau exclu de nos automatismes quotidiens d’aujourd’hui. Il écrit notamment : « … tels furent la plupart des empereurs, ou plutôt presque tous, à de rares exceptions près ; il en résulte alors de toute nécessité que la puissance démesurée de celui qui est au pouvoir devient une calamité publique. Les flatteurs en effet, qu’il estime dignes de cadeaux et d’honneurs, parviennent aux postes les plus élevés, les gens mesurés et paisibles en revanche, qui préfèrent ne pas mener la 592

Scriptores ..., Marc Aurèle, XI, 9 : Dedit praeterea curatoribus regionum ac uiarum potestatem, ut uel punirent uel ad praefectum urbi puniendos remitterent eos, qui ultra uectigalia quicquam ab aliquo exegissent. 593 Cf. H. Malay, Epigraphica Anatolica, 12, 1988, pp. 37 sq. 594 A. E., 1990, 949.

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même vie que ceux-ci, s’irritent à bon droit de ne pas profiter de faveurs identiques… »595.

Parmi ces cas de forfaiture la nomination de ce Libo que Marc Aurèle avait envoyé aux Syriens comme légat : « Marc avait envoyé comme légat en Syrie un certain Libo, son cousin germain, qui se comportait avec plus d’arrogance qu’il n’eût convenu à un sénateur réservé, disant qu’il écrirait à son cousin s’il hésitait sur la conduite à suivre ; Vérus, qui était sur place, ne pouvait le souffrir »596.

Il occupait probablement le poste de procurateur financier pour oser ainsi braver l’autorité du gouverneur, bien qu’il s’agisse sans doute de Vérus à propos duquel le manque de personnalité et la vie dissolue ont été soulignés ailleurs597. Une telle attitude sert souvent à masquer les propres carences du sujet qui aurait dû justement, du fait même de cette relation avec l’empereur, se sentir plus impliqué dans la réussite de l’œuvre de son cousin dont l’action au trône est de beaucoup tributaire des performances de l’ensemble de ses collaborateurs. Nous aurons également retenu du règne de Commode un certain nombre de nominations fantaisistes à la tête des provinces, et même dans d’autres secteurs de l’administration générale de Rome : « Il envoyait pour gouverner les provinces soit des complices de ses crimes, soit des protégés de ces criminels »598 ;

puis : « Sur son ordre, même des affranchis furent admis dans le Sénat ou parmi les patriciens et l’on vit alors pour la première fois vingt-cinq consuls en une seule année et tous les gouvernements de provinces mis à l’encan »599 ;

et enfin : « Il procédait aussi à la vente des charges provinciales et administratives, dont le produit revenait en partie à ceux qui avaient servi d’intermédiaires, en partie à Commode lui-même »600.

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Zozime, Hist. nouv., I, V, 3-4. Scriptores ..., Vérus, IX, 2 : ... uerum illud praecipuum quod, cum Libonem quendam patruelem suum Marcus legatum in Syriam misisset, atque ille se insolentius quam uerecundus senator efferet dicens ad fratrem suum se scripseret, si quid forte dubitaret, nec Verus praesens pati posset... Ce personnage est connu : il s’agit du fils de son oncle paternel Annis Libo, qui fut consul en 161 ; cf. la note 4 d’A. Chastagnol, p. 178. 597 Cf. supra, III, note 438 et IV, note 459. 598 Scriptores ..., Commode, III, 8 : Misit homines ad prouincias regendas uel criminum socios uel a criminosis commendatos. 599 Scriptores ..., Commode, VI, 9 : … ad cuius nutum etiam libertini in senatum atque in patricios lecti sunt tuncque primum uiginti quinque consules in unum annum uenditaeque omnes prouinciae. 596

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Quelle efficacité pouvait-on attendre d’un personnel choisi sur des bases aussi négatives ? Le biographe affirme en effet dans deux passages décrivant les conditions de la mort de son père Marc Aurèle, que celui-ci regretta pardessus tout de léguer un tel fils à l’Empire et au Peuple romains : « Deux jours avant de mourir, il réunit, dit-on, ses amis et porta devant eux sur son fils le même jugement que Philippe portait sur Alexandre dont il avait une piètre opinion ; il ajoutait qu’il redoutait, non pas de mourir, mais de mourir en laissant un tel fils derrière lui, car Commode se montrait déjà dépravé et cruel » 601 ;

et : « On assure qu’il avait souhaité la mort de son fils en le voyant devenu tel qu’il se révéla être effectivement après sa disparition, de crainte, comme il le disait, qu’il ne ressemblât aux Néron, Caligula et Domitien »602.

Assurément, à plusieurs titres, Commode mérite bien d’avoir été aussi sévèrement condamné par l’Histoire dont bien d’autres de nos sources soulignent la nature dépravée tout en expliquant par elle sa mauvaise administration de l’Empire, bien qu’il ne manquât pas, autant dans l’histoire générale du principat que dans celle de sa propre famille, d’exemples illustres à suivre603. 600

Scriptores ..., Commode, XIV, 6 : Vendidit etiam prouincias et administrationes, cum hi, per quo uenderet, partem acciperent, partem uero Commodus. 601 Scriptores ..., Marc Aurèle, XXVII, 11-12 : Ante biduum quam exspiraret, admissis amicis dicitur ostendisse sententiam de filio eandem quam Philippus de Alexandro, cum de hoc male sentiret, addens nimie se aegre ferre filium superstitem relinquens ; nam iam Commodus turpem se et cruentum ostentabat. 602 Scriptores ..., Marc Aurèle, XXVIII, 10 : Fertur filium mori uoluisse, cum eum talem uideret futurum, qualis exstitit post eius mortem, ne, ut ipse dicebat, similis Neroni, Caligulae et Domitiano esset. 603 Aurélius Victor, XVII, 1 sq. nous le présente comme un être sanguinaire et vil que ses propres collaborateurs condamnèrent à mort par pur instinct de conservation : At filius seua a principio dominatione detestabilior habebatur, praecipue per maiorum controuersam memoriam ; quae posteris usque eo grauis est, ut absque communi in impios odio, quasi corrumptores generis, exsecrabiliores sint… Immiti prorsus feroque ingenio… Quis rebus cum insatiabilem sanguinis cuncti horrescerent, coniurauere [ne] in eum maxime proximus ; quippe dominationi adeo fidus nemo, ipsique satellites, dum incestam mentem pronamque in saeuitiam cauent, a quibus eorum potentia sustentatur, quoquomodo subruere tutius ueneno petiuere… ; lire : « Mais son fils dont la tyrannie dès le début se montra cruelle était tenu pour un homme particulièrement détestable ; surtout avec le souvenir tout opposé laissé par ses ancêtres, souvenir d’autant plus accablant pour les descendants que, indépendamment de la haine qu’inspirent communément les impies, ils sont plus dignes d’exécration en tant que corrupteurs de leur propre race… Il était d’un naturel franchement sauvage et cruel… A la suite de ces événements, tout le monde prit en horreur cet homme insatiable de sang et ce furent principalement ses plus proches qui conspirèrent contre lui ; tant il est vrai, en effet, que personne ne se fiait à son pouvoir, et que les gardes eux-mêmes qui soutenaient leur puissance, parce qu’ils se méfiaient de son naturel impur et porté à la cruauté, jugèrent plus sûr de l’abattre par n’importe quel moyen, et cherchèrent tout d’abord secrètement à l’empoisonner… ». Ce témoignage ne diffère en rien de celui d’Eutrope, VIII,

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Il faut cependant souligner, à la lumière d’une révélation d’une autre de nos sources, en l’occurrence le Pseudo-Aurélius Victor, que ce phénomène ne fut point l’apanage des seuls empereurs eux-mêmes de moralité peu ou pas recommandable comme Commode, puisqu’il nous apprend que : « (Septime Sévère dut interdire) que sous son règne on vendît les charges publiques à quiconque »604.

Bien sûr, l’abréviateur n’en dira pas plus, mais faut-il davantage pour se douter qu’une telle mesure témoigne de la fréquence du fléau qu’elle tentait ainsi d’endiguer ? Si l’historien est digne de foi, l’empereur eût-il préconisé des mesures de correction d’un fléau inconnu des pratiques en usage à l’époque de son règne ? Alexandre Sévère rencontra lui aussi des cas similaires605, notamment par l’entremise d’un certain Turinus dont nous parle le biographe en des termes 15 : Huius successor L. Antoninus Commodus nihil paternum habuit… Sed luxuria et obscenitate deprauatus gladiatoriis armis saepissime in ludo… tanta execratione omnium ut hostis generis humani etiam mortuus iudicaretur ; lire : « Son successeur, L. Antoninus Commodus, n’eut rien de commun avec son père… Mais, dépravé par la luxure et l’obscénité, il combattit très souvent avec des armes de gladiateur dans la salle d’exercices… ; il fut l’objet d’une telle exécration de la part de tous que, même une fois mort, on le déclara ennemi du genre humain ». Enfin, on peut également citer le Pseudo-Aurélius Victor, XVII, 3-4 : Saeuior omnibus libidine atque auaritia, crudelitate, nulli fidus, magisque in eos atrox quos amplissimis honoribus donisque ingentibus extulerat ; in tantum deprauatus ut glatiatoriis armis saepissime in amphitheatro demicauerit ; lire : « Il dépassait tous les empereurs par sa rage de débauche, de cupidité, de cruauté ; sans foi pour personne, il était plus implacable encore à l’égard de ceux qu’il avait comblés des plus grands honneurs et des présents considérables. Il était dépravé au point de combattre très souvent dans l’amphithéâtre avec des armes de gladiateur ». 604 Pseudo-Aurélius Victor, XX, 7 : Hic nulli in dominatu suo permisit honores uenumdari. Soulignons tout de même que cette interdiction est curieusement inconnue des autres sources du règne et semble assez proche des mesures préconisées dans ce domaine par Alexandre Sévère. Cette précision n’entame toutefois en rien notre argumentation et la vente des charges publiques est d’ailleurs un vieux refrain dans l’histoire de l’Empire car, sous Néron par exemple, Suétone affirme sa pratique, non plus à l’insu de l’empereur, mais plutôt par luimême ; voir Nér., XXXII, 6 : Nulli delegauit officium ut non adiceret : ‘’ Scis quid mihi opus sit’’, et : ‘’Hoc agamus, ne quis quicquam habeat’’ ; lire : « Jamais il ne confia une charge à personne sans ajouter : ‘’Vous savez ce dont j’ai besoin’’ et : ‘’Arrangeons-nous pour qu’il ne reste rien à qui que ce soit’’ ». Se souvenir également de l’insinuation de Sénèque à propos d’une attitude analogue chez des proches de l’empereur Claude I ; Apol., IX, 4 : … uendere ciuitatulas solebat ; lire : « … il vendait aussi de petits droits de cité ». 605 Le biographe nous précise les risques les plus graves de cette pratique surtout lorsqu’elle concernait des charges dont l’action pouvait porter sur des personnalités éminentes de l’État ; Scriptores…, Alexandre Sévère, XLIX, 1 : Honores iuris gladii numquam uendi passus est dicens : « Necesse est, ut qui emit et uendat. Ego non patior mercatores potestatum et eos, si pariant, damnare non possim. Erubesco enim punire illum hominem, qui emit et uendidit ; lire : « Il ne toléra jamais que fussent vendues les charges qui comportent le droit de vie et de mort, en disant : ‘’Il faut inévitablement que celui qui a été acheteur soit aussi vendeur. Pour ma part, je ne tolère pas les gens qui font commerce de leur autorité et ceux que je ne pourrais condamner s’ils trafiquaient. Car j’aurais honte qu’un homme qui a acheté puis vendu soit

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qui indiquent cependant que ce prince, contrairement à Commode par exemple, n’était pas de connivence avec cette catégorie d’agents indélicats : « C’était un homme, rapporte-t-il, qu’il avait eu comme ami intime mais qui avait monnayé toutes ses confidences, vraies ou inventées ; il avait jeté aussi le discrédit sur l’autorité d’Alexandre Sévère en le présentant comme un benêt qu’il tenait sous sa coupe et auquel il dictait un grand nombre de décisions. Aussi avait-il réussi à persuader tout le monde que l’empereur lui obéissait au doigt et à l’œil. Mais Alexandre finit par le confondre grâce au stratagème suivant : il chargea quelqu’un de présenter officiellement une requête à l’empereur, mais de solliciter en secret Turinus pour qu’il le pistonne auprès d’Alexandre en lui parlant discrètement en sa faveur. Turinus lui promit son aide, puis lui dit qu’il avait parlé de lui à l’empereur – alors qu’il n’en avait rien fait – mais que le résultat de la démarche dépendait uniquement du demandeur, après quoi il lui fixa un prix pour son intervention positive. Alexandre Sévère ordonna alors que la requête lui fût à nouveau présentée, et Turinus, feignant d’être occupé ailleurs, fit à l’homme un signe d’intelligence, sans toutefois lui adresser un seul mot dans la salle. Une fois la requête satisfaite, Turinus reçut de l’heureux solliciteur, pour lui avoir vendu de la fumée, une colossale gratification. C’est alors qu’Alexandre Sévère le fit mettre en accusation et, quand toutes les charges eurent été établies par des témoins dont certains avaient vu ce qu’il avait reçu et dont d’autres avaient entendu ce qu’il avait promis, il ordonna qu’on le lie à un poteau au Forum Transitoire, puis il alluma un feu de paille et de bois humide et le laissa mourir asphyxié par la fumée… Et pour ne pas être taxé de trop de cruauté en punissant un forfait unique, il fit faire une enquête minutieuse avant de le condamner et découvrit que Turinus avait souvent touché de l’argent, aussi bien des deux adversaires d’un procès auxquels il vendait l’heureuse issue, que de tous ceux qui avaient obtenu des commandements militaires ou des gouvernements de provinces »606. habilité à punir’’ ». Il s’agit là de ce que nous désignons globalement aujourd’hui comme « l’achat des consciences » ; voir déjà en ibid., XVIII, 5 : Idem addebat sententiam de furibus notam et Graece quidem, quae Latine hoc significat : « Qui multa rapuerit, pauca suffragatoribus dederit, saluus erit ; lire : « Il avait aussi coutume de citer en Grec ce proverbe bien connu qui concerne les voleurs et dont voici la traduction latine : ‘’Celui qui a volé mais qui a un peu graissé la pattes de ses protecteurs échappera au châtiment’’ ». 606 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXXV, 6 ; XXXVI, 1-3 : Quem cum familiarem habuisset, ille omnia uel fingendo sic uendiderat, ut Alexandri, quasi stulti hominis et quem ille in potestate haberet et cui multa persuaderet, infamaret imperium ; sicque omnibus persuaserat, quod ad nutum suum omnia faceret. [Denique hac illum arte deprehendit, ut quendam inmitteret, quia se quiddam publice peteret, ab illo autem occulte quasi praesidium postularet, ut pro eo Alexandro secreto suggeret ; quod cum factum esset, ac Turinus suffragium promisisset dixissetque se quaesdam imperatori dixisset, impetratum autem esset, quod petebatur, Turinusque ab illo, qui meruerat, fumis uenditis ingentia praemia percepisset ; accusari cum Alexander iussit probatisque per testes omnibus, et quibus praesentibus quid accepisset et quibus audientibus quid promisisset, in foro Transitorio ad stipitem illum adligari praecepit et fumo adposito, quem ex stipulis atque umidis lignis fieri iusserat… Ac ne in una tantum causa uideretur crudelior fuisse, quaesiuit diligentissime, antequam eum damnaret, et inuenit Turinum saepe et in causis ab utraque parte accepisse, cum euentus uenderet, et ab omnibus, qui aut praeposituras aut prouincias acceperant.

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Il faut croire avec l’Histoire Auguste que cet empereur affrontait ainsi le prolongement d’une politique entamée bien avant lui, notamment sous le règne d’Élagabal qui aurait reposé toute l’action politique et administrative de son principat sur des personnages peu recommandables : « Et il est certain, peut-on y lire, que jamais Alexandre Sévère ne laissa transpirer ses projets, car il ne voulait pas, disait-il, que des courtisans fassent commerce de ses plans, comme cela s’était produit sous le règne d’Élagabal où les eunuques faisaient commerce de tout. C’est un genre d’individus qui souhaitent que toutes les affaires de la cour se traitent dans le secret afin de paraître les seuls à en savoir quelque chose et d’en tirer la possibilité d’obtenir faveurs ou argent »607.

Le gouverneur romain idéal est donc celui qui n’a pas usurpé sa nomination et qui a géré sa province sans le moindre motif de plainte, ni de la part des provinciaux ni du côté du pouvoir central. Par rapport à Rome, il est resté fidèle aux engagements pris vis-à-vis de l’État et digne de la confiance du prince. Dans sa province, il a su faire régner l’ordre, assurer la sécurité de tous, garantir la perception des impôts dus à Rome, s’abstenir de tout moyen d’enrichissement surdimensionné forcément illicite, grandir et promouvoir l’image de la métropole et de l’empereur : en un mot, il a su ou pu conduire sans heurts la barque fragile et précaire de la romanisation. Plusieurs exemples de ces gouverneurs exceptionnels existent dans l’Histoire Auguste qui ne se borne, bien malheureusement, qu’à mentionner la qualité de leur œuvre ou le bon souvenir qu’on en a gardé, sans s’étendre sur les détails utiles pour nous608, les tenant toutefois à l’abri des principaux 607

Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLV, 4-5 : Certum est autem eum numquam id, quod proposuerat, fefelisse, cum diceret nolle ab aulicis suas uendi dispositiones, quod factum fuerat sub Heliogabalo, cum ab eunichis omnia uenderentur. Quod genus hominum idcirco secreta omnia in aula esse cupiunt, ut soli aliquid scire uideantur et habeant, unde uel gratiam uel pecuniam requirant. 608 Nous aurions en effet souhaité ne pas avoir à deviner en quoi certains gouverneurs de provinces ont-ils concrètement plus mérité que d’autres les jugements favorables de la part de notre biographe souvent en accord avec bien d’autres de nos sources. En d’autres termes, qu’est-ce qui y a bien pu matérialiser, par exemple, en III, 2 de sa Vie, le Proconsulatum Asiae sic egit, ut solus auum uincerat ; lire : « Il géra si bien son proconsulat d’Asie qu’il fut le seul à surpasser son grand-père », à l’endroit d’Antonin le Pieux ; le Inde Belgicam sancte ac diu rexit ; lire : « … il gouverna la Belgique de façon irréprochable », concernant Didius Julianus (ibid., I, 7) dont nous apprenons plus loin qu’à la tête d’une autre province, il fit preuve de bien moins de réussite ; ibid., II, 2 : Absolutus iterum ad regendam prouinciam missus est. Bithyniam deinde rexit, sed non ea fama qua ceteras ; lire : « Une fois acquitté, Didius fut à nouveau invité à gouverner une province. C’est la Bithynie qu’il gouverna ensuite, mais avec moins de réussite que dans les précédentes provinces » ; ou encore ce qui a été à l’origine de toutes les sympathies que son action à la tête d’un nombre infini de provinces a valu à Balbin ; ibid., Maxime et Balbin, VII, 2 : Nam et Asiam et Africam et Bithyniam et Galatiam et Pontum et Thracias et Gallias ciuilibus administrationibus rexerat, ducto nonnumquam exercitu, sed rebus bellicis minor fuerat quam in ciuilibus… ; lire : « Il avait en effet dirigé les affaires administratives en Asie, en Afrique, en Bithynie, en Galatie, dans le Pont, les Thraces et les Gaules et avait parfois commandé une armée, mais il était moins expert en matière militaire qu’en matière civile »… ? Une esquisse de réponse, mais si

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démons liés à l’exercice de leurs fonctions, parmi lesquels la concussio ; terme générique servant à désigner toute forme de forfaiture. B) De la concussion Le terme concussio (la concussion), dont les synonymes les plus fréquents sont peculatus ou repetundae pecuniae ou encore pecunialis, pecuniaris, est bien connu des Latins pour désigner toute malversation ou exaction d’un agent public dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. En effet, s’il est établi que les provinces romaines représentaient autant de mannes de richesses pour Rome, il n’en demeure pas moins que plusieurs des Romains appelés à y servir l’État en profitèrent pour leur enrichissement personnel. A titre illustratif, remontons aux vers que Juvénal à consacrés au comportement véreux de Marius en Afrique et à l’immunité dont il put jouir à Rome, malgré un procès pourtant tranché en faveur des populations provinciales spoliées par lui : « Comment dire la colère qui brûle mon foie desséché, lorsque je vois le peuple bousculé par le cortège des clients d’un spoliateur qui a réduit son pupille à se prostituer, ou de cet autre qu’a condamné un verdict sans efficacité ? Du moment que la caisse est sauve, qu’importe le déshonneur ? Marius exilé se met à boire dès la huitième heure ; il jouit du ciel irrité contre lui ; toi, ô province, tu as gagné ta cause et c’est toi qui gémis ! Ne dois-je pas croire de tels sujets dignes de la lampe du poète de Vénouse ? Je ne pourchasserais pas de si criants abus »609 ?

Pour ce qui est de la période qui intéresse l’Histoire Auguste, le cas du premier des Gordiens, qui possédait dans les provinces plus de terres qu’aucun autre homme privé, est connu mais sans davantage de précisions sur les conditions d’acquisition de ses domaines provinciaux : … in prouinciis tantum terrarum habens quantum nemo priuatus (possidens)610.

D’après le biographe à la suite du même texte, sa carrière provinciale ne se serait limitée qu’à la seule province d’Afrique : Is post consulatum, quem egerat cum Alexandro, ad consulatum Africae missus est ex senatus consulto ;

vague, nous est proposée à la suite de ce dernier texte ; ibid. : … attamen bonitate, nimia sanctitate ac uerecundia ingentem sibi amorem conlocauerat ; lire : « … malgré tout, par sa bonté, sa droiture, sa modestie, il s’était acquis bien des sympathies ». Serait-ce une raison de généraliser, même si nous accordons à ces qualités de constituer, dans une certaine mesure, le prototype du bon praeses ? 609 Juvénal, Sat., I, 45-52 : Quid referam quanta siccum iecur ardeat ira, / cum populum gregibus comitum premit hic spoliator / pupilli prostantis et hic damnatus inani / iudicio ? Quid enim saluis infamia nummis ? / Exul ab octaua Marius bibit et fruitur dis / iratis : at tu uixtrix prouincia ploras. / Haec ego non agitem ? 610 Scriptores ..., Les Trois Gordiens, II, 3 ; texte cité supra, note 161.

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mais il put posséder des domaines dans plusieurs autres provinces. Comment se les sera-t-il procuré entre d’éventuelles acquisitions par personnes interposées (héritages par exemple) et des transactions directes menées lors d’éventuelles promagistratures ? Encore qu’une seule province, selon la qualité et la diversité de ses potentialités, pourrait suffire à enrichir un gouverneur véreux. Faut-il également rappeler que dans l’Antiquité, un certain nombre de provinces passaient pour les meilleures garantes de la prospérité romaine, parmi lesquelles l’Asie, l’Égypte, la Bithynie et justement, entre d’autres encore, l’Afrique ? Le sort de la dernière province citée, qu’elle a contaminé à la postérité du continent tout entier, n’a en rien changé de nos jours : les acteurs se sont permutés à la tête des États mais l’Afrique demeure le biberon inépuisable de l’univers occidental. Le bénéfice du doute est cependant, toute raison gardée, accordé à Gordien comme irréfutablement convaincu de concussion. Ce qui ne saurait suffire à nier l’ampleur et encore moins l’existence du phénomène qu’atteste, d’une certaine manière, Dion Cassius, à travers son témoignage sur la mise à mort par Commode de deux frères dont la richesse est mentionnée avec insistance à côté de leur état de services en province, sans rien indiquer cependant qui nous défende de considérer que c’est dans la (ou les) province(s) où ils avaient rempli leurs fonctions qu’ils l’avaient amassée à titre principal : « Il fit de plus mourir les deux Quintillius, Condianus et Maximus, à qui leur savoir, leurs talents militaires, leur union et leurs richesses avaient acquis une grande réputation… Ils avaient acquis de grands biens et étaient devenus fort riches ; ils avaient été ensemble gouverneurs de province et assesseurs l’un de l’autre »611.

Il subsiste bien sûr ici un non-dit quant à l’origine de cette opulence sur laquelle l’historien insiste tant, mais nous ne pensons pas du tout forcer tellement ce témoignage en affirmant que leurs fonctions respectives expressément complémentaires dans des provinces peuvent avoir entre eux un rapport de cause à effet. Le fait d’ailleurs que nous n’ayons pas de détail sur une antériorité familiale de ladite richesse plaide favorablement à notre thèse. Dion Cassius ne se serait point abstenu de nous préciser l’aisance des ascendants des deux frères si tel avait été le cas, se bornant plutôt à établir une relation implicite entre la richesse accumulée et la providence pour deux frères qui se retrouvent ensemble responsables d’une ou de plusieurs province(s) dont il ne leur restait qu’à « tondre » les valeurs et les ressources, sans crainte de dénonciation particulière. Bien plus, l’Histoire Auguste indiquant que cinq exemplaires du portrait de l’empereur Tacite furent placés, à titre posthume, dans la maison des 611

Hist. rom., LXXII, 2. Dion précise juste après, en 5, qu’ils furent tous deux consuls, sans nous dire quand ni dans quel ordre.

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Quintilli, nous hésitons à suivre A. Chastagnol612 qui affirme que cette maison n’est repérable nulle part car il nous convient mieux de suggérer que c’est d’elle qu’il est question dans le Corpus Inscriptionum Latinarum. Sur la voie Appia se trouve en effet recensée une villa, d’après une inscription613 sur laquelle nous pouvons lire les indications suivantes : II. QVINTILIORVM CONDINI ET MAXIMI (Duorum) Quintiliorum Condiani et Maximi

Le seul commentaire que nous osons ajouter à notre argumentation est que si cette villa fut bien la leur, les deux frères passent ainsi pour les premières fortunes décelables de leur famille ; notamment si ce fut en l’occurrence leurs ascendants qui subirent, avec tant d’autres, les affres de la cruauté vindicative de Commode : « Par ailleurs, toute la maison des Quintilii fut exterminée parce que, [disait-on] Sextus, le fils de Condianus, se serait fait passer pour mort, puis se serait enfui pour préparer une révolte »614.

Ce qui renforce la thèse de la spontanéité de leur enrichissement susceptible d’être lié à leurs services habilement conjugués dans la (ou les) province(s) qu’on leur avait confié de gérer. Nous concédons cependant que leur richesse peut bien avoir eu une tout autre origine, disculpant ainsi les Quintilii de cette forte présomption de forfaiture. Il faudrait cependant, dans cette deuxième hypothèse, si leur lignée fut effectivement exterminée par Commode, que leur bourreau eût préservé leur fortune familiale de la proscription ; perspective plus que discutable, notamment en raison justement de l’extrême cupidité de ce dernier. En revanche, l’Histoire Auguste nous cite de véritables cas-types de concussion ; c’est-à-dire des affaires dans lesquelles la responsabilité des personnes incriminées est péremptoirement établie. Sous le règne d’Antonin le Pieux par exemple, empereur pourtant particulièrement enclin à l’indulgence – lui qui pardonna même leur crime à des conjurés – plusieurs condamnations furent prononcées à l’encontre de sujets concussionnaires : « S’il condamna les uns pour concussion, il rendit les biens paternels à leurs fils, à la condition toutefois que ceux-ci restituent aux provinciaux ce que leurs pères avaient extorqué »615.

612

Cf. sa note 4 de la Vie de Tacite, XVI, 2 dans son édition de l’Histoire Auguste, p. 1052. C.I.L., XV, 7518. 614 Scriptores ..., Commode, IV, 9 : Domus praeterea Quintiliorum omnis extincta, quod Sextus Condiani filius specie mortis ad defectionem diceretur euasisse. 615 Scriptores ..., Antonin le Pieux, X, 7 : Si quos repetundarum damnauit, eorum liberis bona paterna restituit, ea tamen lege, ut illi prouincialibus redderent, quod parentes accederant. 613

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Il y a, en outre, l’histoire de l’enrichissement illicite et ostentatoire de Helvius Pertinax qui mit à profit ses différents gouvernements de provinces pour réunir sa fortune, dont le biographe a parlé avec une certaine insistance, notamment dans les deux passages suivants : - « Jusqu’à son gouvernement de Syrie, Pertinax resta intègre. Mais après la mort de Marc, il chercha à s’enrichir, ce qui lui valut même d’être la cible des lazzis du peuple. Après avoir gouverné quatre provinces consulaires, il fit son entrée, riche désormais, dans la curie romaine, qu’il n’avait jamais vue depuis qu’il était sénateur, car il avait exercé son consulat loin de Rome »616 ; - « Beaucoup d’auteurs ont par ailleurs rapporté que, même dans les provinces qu’il avait gouvernées comme consulaire, il avait eu un comportement sordide : il avait en effet vendu des congés temporaires et des charges de légats de légions. En tout cas, malgré l’exiguïté de son patrimoine et sans n’avoir touché aucun héritage, il devint brusquement riche. Et, s’il rendit leurs biens à ceux que Commode avait dépouillés, il ne le fit pas gratuitement »617.

Nous n’avons pas pu établir la réalité de ce fait par sa confirmation à travers plusieurs autres auteurs anciens (Multi... sordide se egisse in litteras rettulere, comme l’a affirmé l’Histoire Auguste), surtout avec le silence d’Aurélius Victor ou d’Eutrope et même du Pseudo-Aurélius Victor sur ce détail618. Peut-être s’agit-il tout simplement de la règle de concision propre 616

Scriptores ..., Helvius Pertinax, III, 1-2 : Integre se usque ad Syriae reginem Pertinax tenuit. Post excessum uero Marci pecuniae studuit ; quare etiam dictis popularibus lacessitus. Curiam Romanam post quattuor prouincias consulares, quia consulatum absens gesserat, iam diues ingressus est, cum eam senator antea non uidisset. 617 Scriptores ..., Helvius Pertinax, IX, 6-8 : Multi autem etiam in prouinciis, quas consularis gessit, sordide se egisse in litteras rettulere ; nam uacationes et legationes militares dicitur uendidisse. Denique cum parentum minimum esset patrimonium et nulla hereditas obuenisset, subito diues est factus. Omnibus sane possessiones suas reddidit, quibus Commodus ademerat, sed non sine pretio. 618 Bien au contraire un élan de sympathie tout à fait perceptible caractérise leurs témoignages respectifs sur ce règne, tous s’accordant à condamner son assassinat ourdi par Didius Julianus. Chez Aurélius Victor, XVIII, nous pouvons lire : Hic doctrinae omnis ac moribus antiquissimis, immodice parcus, Curios aequaeuerat Fabriciosque. Eum milites nihil, impulsore Didio, foede iugulare octogesimo imperii die ; lire : « Ce dernier, d’une culture universelle et de mœurs tout à fait antiques, économe à l’excès, égalait les Curius et les Fabricus. Les soldats que rien ne pouvait satisfaire alors que le monde était déjà épuisé et ruiné, à l’instigation de Didius Julianus, l’égorgèrent d’une manière odieuse le quatrevingtième jour de son règne ». Eutrope, VIII, 16 insiste sur le fait de sa proclamation par sénatus-consulte comme empereur, faisant ainsi de son assassin et successeur un véritable usurpateur : Huic successit Pertinax, grandaeuus et qui septuagenariam attigisset aetatem, praefecturam urbi tum agens, ex senatus consulto imperare iussus. Octogesimo die imperii praetorianorum militum seditione et Iuliani scelere occisus est ; lire : « Lui succéda Pertinax, un homme déjà âgé, puisqu’il avait atteint les soixante dix ans ; il était préfet de la Ville lorsqu’il fut par sénatus-consulte proclamé empereur. Il fut tué le quatre-vingtième jour de son règne par suite d’une sédition de prétoriens et de la scélératesse de Julianus ». Le témoignage du Pseudo-Aurélius Victor, XVIII, 2 sq. est ici plus en nette contradiction avec l’Histoire Auguste : Origine ortus sordida, praefecturam Vrbi agens imperator effectus,

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aux abréviateurs qui n’avaient pas de place dans leurs œuvres pour les menus détails ? Il n’est pas exclu que le biographe fait encore ici allusion à ses sources principales, au premier rang desquelles Marius Maximus. Il reste donc établi que les fonctions provinciales, malgré toutes les prescriptions du mos maiorum et toute la rigueur dont pouvaient se prévaloir les empereurs romains, n’ont jamais cessé de paraître comme des sources d’enrichissement pour ceux qui en recevaient la charge ; quelques-unes bien plus que d’autres, en fonction des disponibilités potentielles locales. Témoin, en sus des cas déjà évoqués ailleurs, le déterminisme presque évident que le biographe a établi, sans le dire expressément, entre la carrière antérieure de Septime Sévère et l’éclat de la fortune qui l’aura aidée à ravir un trône romain âprement convoité à son époque. Il a en effet affirmé qu’après avoir servi en Gaule et gagné la sympathie des Gaulois, il aurait obtenu le gouvernement proconsulaire des Pannonies puis de la Sicile, avant d’être placé à la tête de la Germanie avec la précision suivante : « Au moment de partir rejoindre les troupes de Germanie, il fit l’acquisition de vastes jardins, alors qu’il ne possédait jusque-là qu’une très modeste maison à Rome et un unique domaine dans le territoire de Véies »619.

Cependant, ces passages de l’Histoire Auguste ont, à défaut d’autres mérites, celui de souligner avec force l’aversion de l’opinion pour ce type de comportement. Car, en règle générale, tout magistrat romain était tenu au devoir d’honnêteté dans la gestion de son service public. C’est là, principalement, le but visé par ces mesures qu’aura prises Pescennius Niger : « Il interdit également à quiconque d’être assesseur ou gouverneur dans sa province de naissance, sauf à Rome pour les Romains, c’est-à-dire les gens originaires de la Ville620. Par ailleurs, il alloua un salaire aux assesseurs pour qu’ils ne soient pas à la charge de ceux qu’ils assistaient, car, disait-il, un juge ne doit ni donner ni recevoir »621.

scelere Iuliani multis uulneribus obtruncatur annos natus septem atque sexaginta... Hoc exitu obiit uir ad humanae conuersationis exemplum, per laboris genera uniuersa ad summos prouectus, usque eo ut fortunae uocaretur pila ... amabat simplicitatem, communem se affatu, conuiuio, incessu praebebat ; lire : « De basse extraction, proclamé empereur alors qu’il était préfet de Rome, il fut tué de multiples coups par le crime de Julianus, à l’âge de soixante-sept ans ... ; il aimait la simplicité ; dans son abord, sa table, sa démarche spontanée, il se montrait ouvert à tous ». 619 Scriptores ..., Sévère, IV, 5 : Proficiscens ad Germanicos exercitus hortos spatiosos comparauit, cum antea aedes breuissimas Romae habuisset et unum fundum [in] Veientanum. 620 A Rome, c’est le préfet de la Ville qui joue le rôle administratif du gouverneur. Sur ses prérogatives et ses domaines d’intervention, voir A. Chastagnol, B.H.A.C., 1977-1978, p. 60 sq. 621 Scriptores ..., Pescennius Niger, VII, 5-6 : Huius etiam illud fuit, ut nemo adsideret in sua prouincia, nemo administraret, nisi Romae Romanus, hoc est oriundus urbe. Addidit praeterea consiliariis salaria, ne eos grauarent, quibus adsidebant, dicens iudicem nec dare debere nec accipere.

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L’empereur estimait sans doute qu’en permettant des actes susceptibles de générer des complicités occultes entre les promagistrats et leurs administrés, le service public risquait de souffrir d’une certaine complaisance à laquelle les responsables provinciaux auraient été obligés face à une population dont ils ne pouvaient pas nier une forme d’endettement moral. Un tel souci de préserver les préposés aux manipulations financières est probablement à l’origine des « fonds » spéciaux accordés de nos jours aux agents publics des régies financières communément désignés « Fonds communs ». Ceux-ci ne manquent du reste pas de susciter, de temps en temps, des débats et réactions de teneurs diverses au sein de nombreuses autres corporations professionnelles qui y voient, à tort ou à raison, des motifs d’iniquité. C’est, à n’en point douter, ce qui explique l’extrême rigueur avec laquelle certains empereurs ont réprimé, dans la mesure du possible, ces actes sordides d’entraves aux règles fondamentales d’administration des provinces dont les principales peuvent être la probité (probitas), l’honnêteté (honestia), la fidélité (fides) ... ; toutes valeurs qui représentent autant d’articulations du mos maiorum ou qui en constituent, à tout le moins, la colonne vertébrale. Leur hantise était sans doute de préserver les provinces de l’assèchement de leurs sources de richesses qui signifiait pour Rome de tuer par essoufflement des « poules aux œufs d’or ». Les prétentions romaines de faire de Rome une ville d’exception universelle et le vaste programme d’exportation de la civilisation romaine vers le reste du monde en mal de romanisation avaient un coût que l’Vrbs intra muros ne pouvait garantir de couvrir seule. Ainsi voit-on que les bonnes maximes romaines prônant la bonne gouvernance des provinces, la prohibition d’exactions de tout genre aux dépens des provinciaux, l’équité, la disponibilité ou l’accessibilité de la citoyenneté romaine pour eux… avec, en fond de toile, la condamnation ostentatoire des contrevenants ne servaient-ils principalement qu’à soigner les sources privilégiées de la prospérité métropolitaine.

V – 4 : Les mesures coercitives La récurrence des indélicatesses des agents provinciaux a nécessairement entraîné des réactions de fermeté de la part des empereurs romains, conscients des enjeux multiformes directement liés à la bonne marche des affaires dans l’ensemble des territoires conquis. De tous les princes qu’étudie l’Histoire Auguste, Commode passe pour une exception avec son administration délibérément scabreuse des provinces placées sous son autorité622. Sur cette question, nous nous dispensons de l’exigence d’établir 622

Sur le trafic des charges provinciales orchestré par lui, voir Scriptores…, Commode, XIV, 6 : Vendidit etiam prouincias et administrationes, cum hi, per quos uenderet, partem acciperent, partem uero Commodus ; texte également cité, supra, note 564. Il est

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la stricte vérité sur la légitimité de ce postulat, notamment en prenant en compte les réserves qu’y impose sa réhabilitation par Septime Sévère qui devait forcément s’appuyer sur des arguments à tout le moins recevables pour le faire. En règle générale, nous assistons à un souci permanent nettement perceptible de ne pas laisser impunis (nécessairement pour les décourager au maximum, à défaut de les endiguer radicalement) des actes flagrants de certains promagistrats – tous grades confondus – sous le principal label le plus avouable de perpétuer une dimension morale dans la gestion des affaires publiques qui assurent vie et qualité de vie aux communautés concernées. A) Des sanctions contre les promagistrats On peut regretter, malgré un certain nombre d’allusions plus ou moins appuyées, que cet aspect de la gestion de l’Empire romain n’ait pas davantage retenu l’attention de l’auteur de l’Histoire Auguste. Toutefois, même si celui-ci se montre – assez curieusement d’ailleurs – peu prolixe sur ce sujet, nous pouvons présumer du souci de rigueur de certains empereurs dans cette lutte contre ce que l’on appellerait aujourd’hui « la mauvaise gouvernance », ne serait-ce qu’au niveau du discours officiel. D’Hadrien par exemple, il nous rapporte simplement : « Après avoir réformé l’armée comme il convenait à un souverain, il gagna la Bretagne, où il corrigea beaucoup d’abus… »623.

Cette tournée en Bretagne fait partie des étapes d’un long périple qui lui permit de visiter presque l’ensemble des provinces de l’Empire, et, une fois parvenu en Orient, il fit preuve de la même rigueur : « Et, au cours de cette tournée dans les provinces, il infligea aux procurateurs et aux gouverneurs coupables de méfaits des peines si sévères que l’on crut que c’était lui qui avait suscité les accusateurs »624 ;

probablement à l’issue des nombreux procès dont parle ainsi le biographe : « Il jugea de nombreux procès à Rome et dans les provinces, en appelant à son Conseil les consuls, les préteurs et les meilleurs sénateurs »625.

naturellement établi que l’exercice de charges obtenues dans de telles conditions ne pouvait aboutir qu’au désordre et au détournement des biens à des fins personnelles au détriment de l’État ; et, le plus grave, sous le sceau de l’impunité totale, l’empereur-vendeur-de-charges étant ipso facto disqualifié de ses prérogatives de contrôle et de punition des abus avérés. 623 Scriptores ..., Hadrien, XI, 2 : Ergo conuersis regio more militibus Brittaniam petit, in qua multa correxit… 624 Scriptores ..., Hadrien, XIII, 10 : Et circumiens quidem prouincias procuratores et praesides pro factis supplicio adfecit, ita seuere ut accusatores per se crederetur inmittere. 625 Scriptores ..., Hadrien, XXII, 11 : Causas Romae atque in prouinciis frequenter audiuit adhibitis in consilio suo consulibus atque praetoribus et optimis senatoribus.

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Nous ne prêtons aucune foi à ces soupçons de procès qui auraient été ’’arrangés’’ (… ita seuere ut accusatores per se crederetur inmittere) par l’empereur dans l’unique but de régler des comptes personnels à des collaborateurs qu’il pouvait de toutes façons punir à sa guise, surtout dans les cas où leurs méfaits s’étaient avérés effectifs. Ne jugeant pas seul les affaires qui lui étaient présentées, l’empereur ne pouvait tout de même pas soudoyer les deux consuls, les préteurs et autres sénateurs – parmi les meilleurs (optimis senatoribus) – pour une parodie judiciaire. Même si le biographe ne s’étend pas outre mesures sur la question, nous pensons qu’une telle rigueur s’inscrit plus vraisemblablement dans la ligne traditionnelle du civisme romain, autre trait fort de la civilisation des descendants de Romulus. Un civisme auquel il est, du reste, souvent fait référence dans l’administration de l’Empire. N’a-t-on pas en effet entendu Alexandre Sévère menacer des soldats séditieux de leur retirer le statut emblématique de Quiritus Romanus, s’ils cessaient de se conformer aux usages qui caractérisent la romanité ? « Faites donc taire ces vociférations menaçantes, leur ordonna-t-il lors d’un discours face à des mutins, nécessaires pendant l’entraînement et le combat, si vous ne voulez pas que je vous licencie tous sur le champs en vous désignant par un seul terme, un seul mot : ‘’Citoyens’’. Encore ne suis-je pas sûr que vous puissiez être des citoyens, car vous n’êtes pas dignes de faire partie même de la plèbe romaine si vous n’observez pas la loi romaine »626.

Notre auteur s’était déjà montré tout aussi laconique lors du passage du même Hadrien en Pannonie inférieure : « Il fut ensuite envoyé comme légat prétorien en Pannonie inférieure où il arrêta les Sarmates, maintint la discipline dans l’armée et sévit contre les procurateurs qui abusaient de leurs pouvoirs »627.

Ce qui est dit des mesures coercitives à l’encontre de procurateurs malhonnêtes prises par le meilleur des Antonins n’est pas non plus d’une précision propre à nous éclairer sur leur nature. On nous rapporte tout simplement que l’empereur leur conseillait plutôt de la modération dans la perception des impôts et menaçait de sévir contre leurs éventuels excès de zèle : « Il donna l’ordre à ses procurateurs de se comporter avec modération dans la perception des impôts et enjoignit à ceux qui dépassaient la juste mesure de rendre compte de leurs actions ; jamais il ne se réjouit des revenus acquis en

626

Scriptores ..., Alexandre Sévère, LIII, 10-11 : Continete igitur uocem truculentam et campo ac bellis necessariam, ne uos hodie omnes uno ore atque una uoce Quirites dimittam, et incertum an Quirites. Non enim digni esti, qui uel Romanae plebis sitis, si ius Romanum non agnoscitis. 627 Scriptores ..., Hadrien, III, 9 : Legatus postea praetorius in Pannoniam inferiorem missus Sarmatas compressit, disciplinam militarem tenuit, procuratores latius euagantes coercuit.

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pressurant les provinciaux. Il écoutait d’une oreille favorable ceux qui portaient plainte contre les procurateurs »628.

A peine nous parle-t-il de la même attitude chez Marc Aurèle : Dedit praeterea curatoribus regionum ac uiarum potestatem, ut uet punirent uel ad praefectum urbi puniendos remitterent eos, qui ultra uectigalia quicquam ab aliquo exegissent629.

Quant à ce qui concerne Septime Sévère, l’auteur n’en dit pas davantage : « Il prit part à de nombreux procès et punit très sévèrement les gouverneurs accusés par les provinciaux, lorsque les griefs qu’on leur imputait étaient avérés »630.

Plus loin, le biographe revient sur cette sévérité de l’empereur, prouvant ainsi qu’il ne l’appliquait pas uniquement qu’aux fonctionnaires des provinces mais qu’il avait véritablement en honneur toute forme d’acte de mauvaise gouvernance : « Encolpius, rapporte-t-il, qui avait avec lui des liens de grande familiarité, avait coutume de raconter que, si jamais il voyait un juge voleur, il avait un doigt tout prêt à lui arracher un œil, tant était grande son aversion pour ceux dont l’indélicatesse lui était prouvée »631.

Tous ces textes ont au moins le mérite d’établir péremptoirement la récurrence des indélicatesses des promagistrats dans leurs provinces respectives, d’une part ; et, d’autre part, la détermination de la majorité des empereurs romains à s’y opposer et à l’atténuer, à défaut de parvenir à l’éradiquer. 628

Scriptores ..., Antonin le Pieux, VI, 1-2 : Procuratores suos et modeste suspicere tributa iussit et excedentes modum rationem factorum suorum reddere praecepit nec umquam ullo laetatus est lucro, quo prouincialis oppressus est. Contra procuratores suos conquerentes libenter audiuit. 629 Scriptores ..., Marc Aurèle, XI, 9 ; texte déjà cité supra, note 556. 630 Scriptores ..., Sévère, VIII, 4 : Causa plurimas audiuit. Accusatos a prouincialibus iudices probatis rebus grauiter puniuit. 631 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XVII, 1 : Referebat Encolpius, quo ille familiarissimo usus est, illum, si umquam furem iudicem uidisset, paratum habuisse digitum, ut illi oculum erueret : tantum odium eum tenebat eorum, de quibus apud se probatum, quod fures fuissent ; même témoignage dans ibid., XVIII, 2 : Salutatus consessum obtulit omnibus senatoribus atque adeo nisi honnestos et bonae famae homines ad salutationem non admisit issitque – quem ad modum in Eleusinis sacris dicitur, ut nemo ingrediatur, nisi qui se innocentem nouit – per praeconem edici, ut nemo salutaret principem, qui se furem esse nosset, aliquando detectus capitali supplicio subderetur ; lire : « S’il faisait asseoir auprès de lui les sénateurs qui venaient le saluer, du moins n’admettait-il à cet hommage que des gens honnêtes et de bonne réputation et il faisait proclamer par un héraut – à l’imitation des mystères d’Eleusis où ne pouvaient, dit-on, entrer que ceux qui se savaient irréprochables – que personne ne devait venir saluer le prince s’il se savait malhonnête, pour éviter qu’au cas où il serait démasqué il ne subisse la peine capitale » ; voir également ibid., XV, 4 ; XX, 2 ; XXVIII, 2 .

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Il est fort regrettable que le biographe ne se soit limité qu’à signaler, de manière si allusive, ces mesures prises par les empereurs à l’encontre des gouverneurs indélicats, – de loin les plus portés aux exactions dans leurs provinces respectives, comme l’a rappelé E. Demougeot632 – sans nous en révéler, chaque fois, la nature ni la portée. On peut supposer que pour certaines fautes vraiment lourdes, le renvoi était la règle mais quid des sanctions intermédiaires ? C’est en tout cas un trait du mos maiorum que de proscrire le vol en général et de se montrer particulièrement sévère contre tout contrevenant à cette règle comme nous le rappelle ici Aulu-Gelle : « Avec quelle sévérité les usages de nos ancêtres punissaient les voleurs… Labéon a écrit dans le livre II de son ouvrage sur les Douze Tables que chez les anciens, des jugements cruels et sévères étaient pris contre les voleurs… »633.

Leçon apprise et bien assimilée par Pescennius Niger dont le biographe nous rapporte des sanctions infligées à des soldats convaincus de vol qui pourraient paraître aujourd’hui particulièrement disproportionnées par rapport à la faute commise : « Pour le vol d’un simple coq, parlant des soldats en campagne, il donna l’ordre de décapiter à la hache dix hommes d’un même manipule qui avaient mangé le volatile dérobé par l’un d’eux, et il aurait mis cette décision à exécution si l’armée entière ne l’avait sommé d’y renoncer. Il leur fit grâce mais contraignit les dix hommes qui s’étaient régalés ensemble du fruit de ce vol à rembourser chacun au provincial propriétaire de l’animal le prix de dix coqs ; il les obligea en outre, pendant toute l’expédition, à ne pas faire de feu de bivouac et à ne jamais manger d’aliments fraîchement cuits, mais à ne se nourrir que de pain et d’eau froide »634.

Comme chacun peut s’en apercevoir, le maniement du droit et l’exigence de sanction ne manquaient pas de délicatesse, tant il impliquait plusieurs 632

Cf. « Le fonctionnariat du Bas-Empire… », Latomus, XLV, 1986, p. 165 où nous pouvons lire : « Or, ce sont les gouverneurs provinciaux qui commettent le plus de fautes. Ils sont les plus nombreux parmi les fonctionnaires dont K. L. Noethlichs compte et analyse les fautes administratives, dans les deuxième, troisième et quatrième partie de son ouvrage (…), en les répartissant, d’après leurs causes, en trois groupes : un premier pour les fautes imputables à l’organisation interne de la fonction publique ; un second et un troisième pour les fautes dues à des manquements aux devoirs des fonctionnaires envers les citoyens d’abord, puis envers l’État ». 633 Aulu-Gelle, VI, 15 : Quam seuere moribus maiorum in fures uindicatum sit… Labeo in libro « De Duodecim Tabulis » secundo acria et seuere iudicia de furtis habita esse apud ueteres scripsit… 634 Scriptores ..., Pescennius Niger, X, 5-6 : Idem ob unius gallinacei direptionem decem commanipulones, qui raptum ab uno comederant, securi percuti iussit, et fecisset, nisi ab omni exercitu prope usque ad metum seditionis esset rogatus. Et cum pepercisset, iussit, ut denorum gallinaceorum pretia prouinciali redderent decem, qui simul furto conuixerant, addito eo ut tota in expeditione in commanipulotione nemo focum faceret, ne umquam recens coctum cibum sumerent, sed pane ac frigida uescerentur, adpositis speculatoribus, qui id curarent.

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paramètres de finalités parfois très contrastées. Cette délicatesse peut s’exprimer à travers une triple interrogation. Comment, en métropole préserver l’engouement de l’élite romaine à considérer le service en province comme un vecteur de promotion sociale et non une aliénation des perspectives d’élévation des promus qui, éloignés de Rome, pouvaient se sentir frustrés de sortir de la galaxie des distinctions que l’empereur accordait aux uns et aux autres contre des actes posés quotidiennement et signalés comme positifs et salutaires pour l’État et la cour romains ? Comment garantir aux provinciaux le sentiment indispensable pour leur pleine adhésion à la dynamique de la romanisation de leurs communautés respectives sans une politique courageuse de sanction à l’endroit des promagistrats indélicats ? Et comment, parallèlement à cette contrainte de punition, éviter tout de même d’entamer l’autorité des agents romains sur les populations locales qui avaient à les craindre, dans une certaine mesure, pour répondre efficacement aux attentes romaines sur tous les plans de leurs contributions tributaires liées au statut de tout territoire sous tutelle ? Dans tous les cas, revenant à celui des passages qui témoigne des mesures prises par Septime Sévère à l’encontre des mauvais gouverneurs, le terme grauiter635 traduit clairement, pensons-nous, la lourdeur ou l’importance des peines encourues par les gouverneurs incriminés. On trouve également un témoignage de son extrême rigueur, qu’il accompagnait parallèlement de récompenses pour les plus méritants, chez Aurélius Victor qui a là-dessus conclu que l’empereur devait ses réussites militaires à ce souci de bonne gouvernance : « Ces campagnes difficiles étaient menées à bien d’autant plus aisément que l’empereur, implacable pour les défaillances, distinguaient en les récompensant tous les braves. Enfin, il ne laissait impuni aucun acte de brigandage, même de peu d’importance, et il sévissait davantage encore contre les soldats romains, car, en homme d’expérience, il comprenait que de tels actes sont commis par la faute des chefs ou même par une faction »636.

Il se montrait donc aussi exigeant pour son personnel civil que pour ses hommes de troupes. Il semble donc que plus l’État était en proie à des troubles d’origines diverses dont les causes endogènes et exogènes se mêlaient parfois pour compromettre l’existence même de l’Empire, plus le prince devait se montrer implacable s’il voulait y rétablir l’ordre. C’est ce que nous pouvons retenir du redressement de Rome par Aurélien qui a sûrement compris que

635

Cf. supra, note 593. Aurélius Victor, XX, 20-21 : Quae factu ardua facilius eo patrabantur, quo implacabilis delictis, strenuum quemque praemiis extollebat. Denique ne parua latricinia quidem impunita patiebatur, in suos animaduertens magis, quod uitio ducum aut etiam per factionem fieri uir experiens intelligeret. 636

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seul un maximum de rigueur pouvait lui garantir les résultats heureux que nous lui connaissions. Voici ce que le biographe fait retenir de lui : « Il punit les fonctionnaires malhonnêtes et qui s’étaient rendus coupables dans les provinces de concussion ou de péculat avec une rigueur pire qu’à l’armée en leur infligeant des supplices et des tortures atroces »637.

Nous retrouvons les mêmes mots chez Aurélius Victor et en insistant autant que lui sur la dureté extrême des supplices infligés par le prince aux coupables d’exactions. Il rapporte simplement : « … et en même temps, contrairement à ce que font d’ordinaire les militaires, ses collègues, il poursuivait avec une extrême rigueur la cupidité, la concussion, les déprédations commises dans les provinces »638.

A un moment où, de nos jours et à l’aube du IIIe millénaire, tant d’« affaires » obscurcissent les clichés des paysages politiques de plusieurs des gouvernements de pays dits civilisés et que certaines nations en voie ou en mal de développement (en nombre malheureusement sans cesse croissant) ont pratiquement institutionnalisé le détournement des deniers publics, au point de devoir subir des injonctions honteuses de bonne gouvernance de la part de leurs principaux bailleurs de fonds, on peut tout de même admirer ce trait de la vie publique antique dont la rigueur n’épargnait pas même les responsables militaires, artisans, à titre principal, de l’hégémonie romaine. Des fonctionnaires véreux ne manquèrent pas, mais n’est-il pas louable de noter le souci d’assainissement de l’administration publique que nul ne peut nier ici ? Il n’y est nullement envisageable d’entendre un citoyen, encore et toujours aux affaires se vanter de ses turpitudes financières, au motif d’en avoir investi le produit à l’intérieur du périmètre national, comme si un tel acte n’était condamnable qu’en fonction de la destination des deniers détournés, alors que c’est manifestement l’acte en lui-même qui est prohibé. B) De la discipline au sein des garnisons provinciales On serait tenté de croire que les soldats romains, encouragés par leur statut de conquérants invincibles639, tiraient profit de leur position prépondérante dans les provinces occupées par Rome grâce justement à leur intrépidité, pour s’y permettre n’importe quel débordement. Leur rôle dans la conquête de ces provinces est pourtant connu et reconnu dans tous les 637

Scriptores ..., Aurélien, XXXIX, 5 : Fures prouinciales repetundarum ac peculatus reos ultra militarem modum est persecutus, ut eos ingentibus suppliciis cruciatibusque puniret. 638 Aurélius Victor, XXXV, 7 : … inter quae auaritiam, peculatum prouinciarumque praedatores, contra morem militiarium, quorum e numero erat, immane quantum sectabatur. 639 On se souviendra de la prestation de serment de Marius ou encore, avant cela, de la réaction inattendue d’Avidius Cassius dont le sens premier demeure le sentiment indélébile ou indécrottable de l’invincibilité de Rome ; cf. supra, pour Avidius Cassius, note 493 ; et à propos de Marius, supra, note 497.

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milieux à Rome. N’avons-nous pas appris du biographe, toujours enclin à magnifier ses faits de règne, qu’Alexandre Sévère les tenaient pour plus utiles à l’État que lui-même, expliquant ainsi toutes les mesures qu’il a préconisées dans le but d’améliorer les conditions d’approvisionnement des troupes en campagne : « Il disait en effet que la santé des soldats lui importait plus que la sienne propre, car c’est d’eux que dépendait le salut de l’État »640 ?

Il faut pourtant, à la lumière de plusieurs témoignages plutôt concordants, se rendre à l’évidence : jamais aucune victoire romaine ne se voulut synonyme de droit à l’impunité en faveur des militaires leurs auteurs, qu’ils fussent en garnison dans un territoire conquis ou en campagne. On note plutôt, du moins sur le plan du discours officiel, une volonté manifeste de protéger les provinciaux des éventuelles tendances des légionnaires romains à les dépouiller de leurs biens ou à les exploiter de diverses manières. Comme il arrive souvent dans plusieurs secteurs de la Rome antique, l’Empire romain connut là encore une certaine tendance à s’éloigner des usages pourtant formellement établis aussi bien que peuvent en témoigner les délégations de Quades et de Marcomans dépêchées auprès de l’empereur Marc Aurèle se plaindre contre des légionnaires convaincus d’exactions de natures diverses en terres provinciales : « Les Quades et les Marcomans envoyèrent des ambassadeurs se plaindre que vingt mille soldats, en garnison chez chacun de ces peuples, dans les forteresses, ne leur laissaient la liberté, ni de faire paître leurs troupeaux ni de cultiver la terre ni de se livrer en sûreté à aucune occupation, et que ces soldats recevaient les transfuges et un grand nombre de captifs, bien qu’ils fussent loin de mener une vie malheureuse, attendu qu’ils avaient les bains et tout le nécessaire en abondance… »641.

640

Scriptores ..., Alexandre Sévère, XLVII, 1 : … dicens milites se magis seruare quam se ipsum, quod salus publica in his esset. Lire avec intérêt une de nos réflexions intitulée « L’armée et l’opinion à Rome… », C.H.A., VI, juin 2003-juin 2004, Libreville, pp. 51-74. Cette prépondérance de l’armée ne manqua donc pas elle-même de représenter un danger pour l’Empire, entre les effets d’ambitions personnelles de légats comptant sur leurs troupes pour accéder au trône et l’émergence d’un autre type de dialogue social orchestré par la force des armes, à la place des discussions au Sénat ou à n’importe laquelle des assemblées qu’utilisaient les Romains pour débattre de leurs problèmes en vue d’en proposer des solutions démocratiques et fiables. Le pouvoir ne se transmit de plus en plus qu’au hasard des résultats d’innombrables confrontations armées. C’est ce que déplora ainsi Aurélius Victor, XXIV, 11 : Ita fortunae uis, licentiam nacta, perniciosa libidine mortales agit ; quae, diu quidem uirtute, uti muro, prohibita, postquam paene omnes flagitiis subacti sunt, etiam infimis genere institutoque publica permisit ; lire : « Ainsi la puissance de la fortune, ne rencontrant que la licence, mène les hommes selon son pernicieux caprice ; pendant longtemps contenue par la vertu comme par un rempart, quand presque tout le monde eut cédé au vice, elle livra l’État même aux hommes les plus vils par leur naissance et leur éducation ». 641 Dion Cassius, Hist. rom., LXXI, 20.

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L’insidieuse inclinaison de certains Romains affectés en province à s’y conduire contrairement aux attentes et aux intérêts du pouvoir central et la détermination de l’empereur à sévir de tels actes sont également confirmés par le sort réservé à l‘usurpateur nommé Carausius par Maximien, d’après Eutrope : « C’est à cette époque également que Carausius qui, malgré une très basse naissance, s’était acquis en accédant aux plus hauts grades une belle réputation de valeur militaire, reçut à Boulogne mission de pacifier le long des côtes de Belgique et d’Armorique la mer qu’infestaient Francs et Saxons ; il captura souvent beaucoup de Barbares, mais, comme il ne rendait pas intégralement le butin aux provinciaux ou ne l’envoyait pas aux empereurs, le soupçon naquit que c’est à dessein qu’il laissait venir les Barbares afin de les surprendre à leur passage avec le butin et de s’enrichir lui-même à cette occasion ; invité par Maximien à se donner la mort, il revêtit le pourpre et occupa les Bretagnes »642.

L’Histoire Auguste quant à elle a souligné à ce propos de Pescennius Niger que : « … jamais sous son commandement un soldat n’obligea un provincial à lui fournir du bois, huile ou main d’œuvre… C’est ainsi que, devenu empereur, il fit lapider par des soldats auxiliaires deux tribuns qui avaient manifestement réalisé des profits illicites sur les fournitures militaires »643.

On y apprend de même l’infortune d’un légionnaire romain devenu l’esclave d’une femme qu’il avait molestée : « Ayant un jour appris qu’un soldat avait exercé des sévices contre une pauvre vieille femme, il le renvoya de l’armée et le donna comme esclave à sa victime pour qu’il subvienne à ses besoins, étant donné qu’il connaissait le métier de charpentier… »644.

Visiblement, cet ancien homme de troupe était d’origine pérégrine, le fait nous paraissant invraisemblable s’il se fût agi d’un ingénu. C’est Septime Sévère qui nous fournit, en quelque sorte, une explication rationnelle de cette exigence de rigueur au sein des troupes :

642

Eutrope, IX, 21 : Per haec tempora, etiam Carausius qui uilissime natus strenuae militiae ordine famam egregiam fuerat consecutus, cum apus Bononiam per tractum Belgicae et Armorici pacandum mare accepisset quod Franci et Saxones infestabant, multis barbaris saepe captis nec praeda integra aut prouincialibus reddita aut imperatoribus missa, cum suspicio esse coepisset consulto ab eo admitti barbaros ut transeuntes cum praeda exciperet atque hac se occasione ditaret, a Maximiano iussus occidi, purpuram sumpsit et Britannias occupauit. 643 Scriptores ..., Pescennius Niger, III, 6 : Numquam sub eo miles prouinciali lignum, oleum, operam extorsit. 644 Scriptores ..., Alexandre Sévère, LII, 1 : Idem cum quandam aniculam adfectam iniuriis a milite audisset, exauctoratum eum militia seruum ei dedit, quod artifex carpentarius esset, ut eam pasceret...

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« Enfin, rapporte le biographe à son propos, il ne laissait impuni aucun acte de brigandage, même de peu d’importance, et il sévissait davantage encore contre les soldats romains, car, en homme d’expérience, il comprenait que de tels actes sont commis par la faute des chefs ou même par une faction »645.

Bien sûr, nous ne nions pas que l’existence même de ce type de témoignages insinue ou établit une certaine fréquence de cas plaidant pour le contraire. Mais nous ne voulons pas, pour cette unique raison, taire la position officielle des plus hautes autorités romaines qui, manifestement, ne concevaient aucune autre forme d’exploitation ponctuelle des vaincus en dehors du butin désormais fiscalisé. Le biographe, recourant à son style épistolaire que nous lui connaissons déjà, nous trace d’ailleurs une sorte de prototype de l’idéal romain en matière de discipline militaire, dans une lettre qu’il attribue à Septime Sévère et adressée à son gouverneur des Gaules : « Il est dommage que nous ne soyons pas capables de suivre pour la discipline militaire l’exemple de celui que nous avons vaincu au combat, aurait-il écrit faisant naturellement allusion à Pescennius Niger ; tes soldats errent à l’aventure, les tribuns prennent des bains au beau milieu de la journée ; leur salle à manger sont des tavernes et leurs chambres à coucher des bordels ; ils dansent, ils boivent, ils chantent et considèrent que la juste mesure de leurs banquets est de boire sans mesure. Cela se produirait-il s’il subsistait la moindre trace de la discipline de nos pères ? Il faut donc commencer par ‘’serrer la vis’’ aux tribuns, puis aux soldats, que tu ne tiendras en main qu’aussi longtemps qu’ils te craindront. Mais apprends aussi par l’exemple de Niger que les soldats n’éprouvent de la crainte que si leurs tribuns et leurs chefs sont irréprochables »646.

La disciplina ou seueritas, maîtres-mots de la vie des troupes, s’imposent donc à tous et à chacun – et avant tout aux duces – vu qu’elles devaient participer à l’édification et à la matérialisation du modèle de Rome, au même titre que son architecture ou sa culture. Écoutons là-dessus Alexandre Sévère prononcer un discours devant des soldats romains lors d’une mutinerie consécutive à des sanctions sévères prises à l’encontre de leurs camarades coupables de s’être laissé aller à une vie dissolue à Antioche : « Compagnons d’armes, si vous désapprouvez malgré tout ces actions qu’ont commises vos camarades, c’est que la discipline de nos ancêtres régit encore 645

Aurélius Victor, XX, 21 : Denique ne parua latrocinia quidem impunita patiebatur, in suos animaduertens magis, quod uitio ducum aut etiam per factionem fieri uir experiens intelligeret. 646 Scriptores ..., Pescennius Niger, III, 9-12 : Miserum est, ut imitari eius disciplinam militarem non possimus, quem bello uicimus : milites tui uagantur, tribuni medio die lauant, pro tricliniis popinas habent, pro cubiculis meritoria : saltant, bibunt, cantant et mensuras conuiuiorum uocant [cum] hoc sine mensura potare. Haec, si ulla uena paternae disciplinae uiueret, fierent ? Emenda igitur primum tribunos, deinde militem. Quem, quamdiu timuerit, tamdiu tenebis. Sed scias idque de Nigro militem timere non posse, nisi integri fuerint tribuni et duces militum.

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l’État. Mais si elle disparaît, nous perdons à la fois le nom et l’Empire de Rome »647.

Il n’est d’ailleurs pas inutile de souligner que la qualité de son armée incombe directement à l’empereur qui en nomme les principaux responsables, en arrête les effectifs – nécessairement en fonction des circonstances mais beaucoup plus en fonction de sa capacité de les entretenir – et décide de ses orientations prioritaires ; rien n’ayant fondamentalement changé en la matière aujourd’hui. Ainsi, traitant par exemple de la réforme de son armée par Hadrien, le biographe tient-il à préciser la convenance et la pertinence de telles mesures par rapport à ses fonctions : Ergo conuersis regio more militibus648. La « Vie » d’Alexandre Sévère nous fournit le tableau le plus représentatif du meilleur cliché – même caricatural – des troupes romaines en provinces : « Cet empereur si éminent et si valeureux, en temps de paix comme en temps de guerre, entreprit une expédition au cours de laquelle régnèrent une discipline et un respect de soi si remarquables qu’on eût dit, à voir les hommes défiler, que ce n’étaient pas des soldats mais des sénateurs »649.

Nous avons là, aussi bien que l’indique le ton du biographe, une certaine expression de l’idéal des troupes, insuffisante cependant à laisser prétendre qu’il en fut toujours et partout ainsi. Aussi la vie quotidienne des légionnaires était-elle régie par une série de règles dont la moindre dérivation ou le moindre manquement exposait le contrevenant à des sanctions parfois démesurées – voire inhumaines – à nos yeux de Modernes d’aujourd’hui, pénétrés d’un certain nombre de valeurs universellement adoptées depuis 1848 comme les « Droits (officiellement aliénables) de l’Homme » : une panoplie de dispositions visant la préservation de l’intégrité physique et la dignité humaine d’égale jouissance pour tous. Notre rôle d’historien ne s’étend point jusqu’aux jugements de valeurs des phénomènes que nous étudions, aussi bien nous dispensons-nous de souligner la vanité de tant de cruauté pour punir des exactions qui parfois n’avaient qu’une importance liée au sujet qui les avait commises et aux rapports qu’il entretenait lui-même avec le ou les décideurs. Par exemple, comment comprendre que Helvius Pertinax, pourtant nommé préfet de cohorte, fût puni « à la tâche » comme un simple soldat, 647

Scriptores ..., Alexandre Sévère, LIII, 5 : Commilitones, si tamen ista uobis, quae a uestris facta sunt, displicent, displicina maiorum rem p(ublicam) tenet ; quae si dilabitur, et nomen Romanum et imperium amittemus… 648 Texte cité supra, note 166. 649 Scriptores ..., Alexandre Sévère, L, 1 : Cum igitur tantus ac talis imperator domi ac foris esset, iniit Parthicam expeditionem, quam tanta disciplina, tanta reuerentia sui egit, ut non milites sed senatores transire diceres. Il n’est pas certain que Rome connut réellement une telle perfection en matière de discipline militaire sous le règne de cet empereur dont l’excessive sympathie du biographe a extrapolé plusieurs traits. Néanmoins, nous avons là une forme de matérialisation de l’idéal romain en la matière.

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pour avoir usé du service de la poste, et peut-être même pour des raisons autres que privées, uniquement parce qu’il n’en avait pas, au préalable, demandé et obtenu la permission ? « … et là (parlant de la Syrie où il avait été affecté comme préfet de cohorte sous le règne d’Antonin le Pieux, pourtant réputé le plus conciliant et affable de tous les empereurs de son époque) il fut contraint par le gouverneur de Syrie, pour avoir utilisé sans autorisation le service de la poste, à retourner à pied d’Antioche au lieu de son cantonnement »650.

Le passage ne nous donne aucun élément nous permettant de situer le lieu où campait la cohorte du préfet. Mais on se doute bien qu’il devait s’agir d’une distance assez longue, pour que la punition fût proportionnelle à la faute, elle-même forcément lourde, pour ne pas avoir pu épargner un préfet de cohorte d’être ainsi sanctionné ; et, surtout, pour avoir retenu l’attention du biographe si attaché à la notion de dignum memoratu à propos des informations à sélectionner sur chaque Vie étudiée. Et que dire de Helvius Pertinax qui, contrairement aux attentes de ses hommes convaincus de mériter des récompenses pour avoir tué plusieurs ennemis et fait un immense butin, leur infligea plutôt une correction des plus inattendues : Cum exercitum duceret, et inscio ipso manus auxilaria centurionibus suis auctoribus tria milia Sarmatarum neglegentius agentum in Danuuii ripis occidisse et cum praeda ingenti ad eum redissent... rapi eos iussit et in crucem tolli seruilique supplicio adfici, quod exemplum non extabat, dicens euenire potuisse, ut essent insidiae ac periret Romani imperii reuerentia651 ?

La raison ainsi avancée par l’empereur pour justifier tant de cruauté, qu’A. Chastagnol considère d’ailleurs plutôt comme un « prétexte »652, ne semble pas suffisante à nos yeux, bien que des témoignages d’une telle cruauté existent bien ailleurs dans l’Histoire Auguste à propos d’autres règnes, comme ici sous celui d’Alexandre Sévère : « Et pour qu’on puisse se rendre compte de sa sévérité, j’ai pensé qu’il était bon de transcrire l’une de ses harangues adressées aux soldats et révélatrice de son comportement dans le domaine militaire. A son arrivée à Antioche, quand on lui eut appris que des soldats perdaient leur temps au bain avec des femmes et des gitons, il les fit tous arrêter et mettre aux fers… Cependant, trente jours plus tard, avant de partir en expédition contre les Perses, Alexandre se laissa fléchir et réintégra dans sa situation précédente cette légion qu’il avait congédiée et dont la présence au combat fut déterminante pour les victoires qu’il remporta. 650

Scriptores ..., Helvius Pertinax, I, 6 : (Dein praefectus cohortis in Syriam profectus, Tito Aurelio imperatore a praeside Syriae), quod sine diplomatibus cursum usurpauerat, pedibus ab Anthiochia ad legationem suam iter facere coactus est. 651 Scriptores ..., Avidius Cassius, IV, 6 ; texte cité supra, note 496. 652 Consulter à ce propos l’article qu’il a consacré à l’ensemble des supplices infligés aux soldats contenus dans ce chapitre de l’Histoire Auguste paru dans B.H.A.C., 1970, pp. 95-107.

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Néanmoins, il condamna ses tribuns à la peine capitale parce que c’était à cause de leur négligence que des soldats s’étaient abandonnés à la débauche à Daphné ou avec leur connivence que l’armée s’était mutinée »653.

Il reste donc toujours à tenter de découvrir une explication plus plausible à l’inhumaine sévérité d’Avidius Cassius, non pour reconnaître une sorte de légitimité à une telle mesure qui brille par son caractère excessif, mais bien en fonction d’une forme de conformité aux normes romaines de la discipline militaire. Or, il se trouve que justement dans le même texte, le biographe semble indiquer, sans insistance cependant, la raison profonde d’une telle attitude de la part de l’empereur prioritairement soucieux de la préservation de la cohésion de ses troupes dont le principal facteur est, à n’en point douter, le strict respect de la hiérarchie. Il précise en effet que : « … les centurions espéraient une récompense pour avoir tué tant d’ennemis avec un si petit effectif, alors que leurs tribuns, vautrés dans l’indolence, ignoraient tout de l’affaire »654.

De toute évidence, c’est plutôt le fait d’avoir attaqué l’ennemi sans en avoir reçu l’ordre d’aucun de leurs chefs hiérarchiques qui aura causé la perte de ces centurions. Le dux ne voulait pas, en prenant en compte leur prouesse, désavouer ses tribuns, au risque d’entamer sérieusement leur autorité fort utile pour la bonne marche des troupes. De même, il aurait eu tort de cautionner une telle action initiée à son insu (inscio ipso manus), ce qui aurait tout autant ébranlé sa propre autorité sur des soldats que cette autonomie risquait de pousser vers la tendance à ne plus se référer à lui ni à attendre des ordres pour agir. L’indice le plus décisif pour conforter une telle argumentation est justement la réaction des provinciaux face à l’attitude de l’empereur : « Cet épisode fortifia tellement la discipline des Romains et inspira tellement d’effroi aux Barbares qu’ils firent demander à Antonin, alors absent, une paix de cent ans, parce qu’ils avaient vu un général romain condamner à mort des soldats qui avaient remporté une victoire, mais l’avaient fait illégalement »655. 653

Scriptores ..., Alexandre Sévère, LIII, 1-2 ; LIV, 7 : Et ut seueritas eius agnosci posset, unam contionem militarem indendam putaui, quae illius in rem militarem mores ostenderet. Nam cum Antiochiam uenisset ac milites lauacris, mulieribus et deliciis uacarent eique nuntiatum esset, omnes eos conprehendi iussit et in uincla conici… Eam tamen legionem, quam exauctorauit, rogatus post dies XXX, priusquam ad expeditionem Persicam proficisceretur, loco suo restituit eaque pugnante maxime uicit, cum tamen tribunos eius capitali adfecit supplicio, quod per neglegentiam illorum milites apud Dafnem luxuriati essent uel per coniuentiam seditionem fecisset exercitus. 654 Scriptores ..., Avidius Cassius, IV, 6 : … sperantibus centurionibus praemium, quod perparua manu tantum hostium egnius agentibus tribunis et ignoantibus occidissent… 655 Scriptores ..., Avidius Cassius, IV, 9 : Quae res tantum disciplinae Romanis addidit, tantum terroris barbaris iniecit, ut pacem annorum centum an Antonino absente peterent, si quidem uiderant damnatos Romani ducis iudicio etiam eos, qui contra fas uicerant.

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C’est par une attitude quasi similaire que l’empereur Trajan avait forcé le respect et la vénération de ses ennemis en s’abstenant de donner l’assaut, comme ils l’auraient fait eux-mêmes, dans les mêmes conditions, simplement par respect des usages romains : « Oseraient-ils, rappelle Pline le Jeune, ceux qui savent que tu as campé face aux peuples les plus féroces à l’époque même qui leur est le plus favorable et qui nous est le plus contraire, quand le Danube voit ses rives réunies par la gelée et que durci par la glace il peut laisser passer sur son dos tout l’appareil de leurs expéditions, quand ces nations sauvages sont moins défendues par leurs armes que par leur ciel et leur climat ? Dès que tu étais tout près, comme si le cours des saisons avait été interverti, les Barbares se tenaient enfermés dans leurs repaires, et nos colonnes ne demandaient qu’à faire des incursions sur leurs rives, à profiter, si tu le voulais, des avantages dont ils profitaient jadis et à porter spontanément chez eux leur propre hiver »656.

Quoi qu’il en soit, Avidius Cassius passe tout de même pour un champion de la discipline militaire dans l’œuvre du biographe qui signale même un ouvrage (inconnu par ailleurs) renfermant l’ensemble des mesures qu’il aurait prises pour lutter contre la laxisme des militaires : « Un grand nombre de mesures sévères qu’il prit contre le laisser-aller des soldats figure dans l’ouvrage d’Aémilius Parthénianus qui a raconté l’histoire des usurpateurs depuis les anciens. Par exemple il faisait, sur le forum ou au milieu du camp, frapper à coups de verges ceux qui le méritaient, puis on les décapitait à la hache, beaucoup avaient les mains tranchées. Il interdisait aux soldats d’emporter en campagne autre chose que du lard, des biscuits de campagne et du vinaigre et s’il découvrait quelque article différent, il sanctionnait très sévèrement cet abus. Il y a, poursuit-il, une lettre du divin Marc à son préfet, qui aurait parlé de lui en ces termes : ‘’J’ai confié à Avidius Cassius les légions de Syrie qui se vautrent dans les plaisirs et imitent les mœurs de Daphné : Caésonius Vectilianus ne m’a-t-il pas écrit qu’il avait trouvé tous les soldats plongés dans les délices des bains chauds ! Je crois donc ne pas avoir fait un mauvais choix. Du reste, tu connais Cassius, un vrai Cassius pour la sévérité et la discipline. Or on ne peut pas diriger une armée sans la discipline d’autrefois. Tu connais en effet ce vers d’un bon poète, universellement cité : ‘’C’est par ses mœurs antiques et ses grands hommes / que subsiste la puissance romaine’’ »657.

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Pline le Jeune, Pan., XII, 3-4 : An audeant, qui sciant te adsedisse ferocissimis populis eo ipso tempore quod amicissimum illis, difficillimum nobis, cum Danubius ripas gelu iungit duratusque glaciae ingentia tergo bella transportat, cum ferea gentes non telis magis quam suo caelo, suo sidere armantur ? Sed ubi in proximo tu, non secus ac si mutatae temporum uices essent, illi quidem latibulis suis clausi tenebantur, nostra agmina percursare ripas et aliena occasione, si permitteres, uti ultroque hiemem suam barbaris inferre gaudebant. 657 Scriptores ..., Avidius Cassius, V, 1-7 : De hoc multa grauia contra militum licentiam facta inueniuntur apud Aemilium Parthenianum, qui adfectatores tyrannidis iam inde a ueteribus historiae tradidit. Nam et uirgis caesos in foro et in mediis castris securi percussit, qui ita meruerunt, et manus multis amputauit. Et praeter laridum ac buccellatum atque acetum militem in expeditione portare prohibuit et, si aliud quippiam repperit, luxuriem non

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Là-dessus, un autre témoignage nous apprend que plusieurs chefs de troupes, comme l’aura vécu Dion Cassius, subirent de vives représailles lorsque l’occasion fut donnée à leurs victimes de se venger de l’extrême rigueur – généralement ressentie comme une méchanceté inique – de leur commandement : « Telle était, en effet, à la fois la mollesse, l’indiscipline et la licence qui régnaient parmi eux, que, dans la Mésopotamie, les troupes osèrent tuer leur chef Flavius Héracléon, les prétoriens m’accuser, comme ils avaient fait à Vlpianus, à cause de la fermeté avec laquelle j’avais gouverné les soldats de Pannonie, et demander mon supplice, craignant qu’on ne les contraignît de se soumettre à un régime semblable à celui de Pannonie »658.

Toutefois il est remarquable de souligner que le biographe lui-même établit une différence fondamentale entre la rigueur nécessaire à la conduite des troupes et la cruauté, précisant à propos de Helvius Pertinax le caractère plus qu’excessif de sa conception de la discipline militaire, en opposant seueritas et crudelitas : « Nous venons de parler de sa rigueur ; mais beaucoup de témoignages montrent qu’il faisait preuve de cruauté plutôt que de rigueur659. En voici un premier exemple : lorsque dans les provinces, les soldats s’étaient livrés au pillage, il les faisait crucifier sur les lieux mêmes de leurs forfaits. Il fut d’autre part le premier à imaginer le supplice suivant : on plantait un grand tronc d’arbre de 180 pieds, on y ligotait les condamnés sur toute sa longueur et on mettait le feu à la base, si bien qu’ils mouraient, les uns carbonisés, les autres asphyxiés, certains de douleur, certains même de frayeur. Il les faisait aussi enchaîner dix par dix, puis noyer dans un fleuve ou dans la mer. Beaucoup de déserteurs eurent les mains tranchées, les jambes ou les jarrets coupés, car, disait-il, l’exemple d’un criminel laissé vivant, mais en triste état est bien plus salutaire que si on l’avait mis à mort »660. leui supplicio adfecit. Extat de hoc epistula diui Marci ad praefectum suum talis : « Auidio Cassio legiones Syriacas dedi diffluentes luxuria et Dafnidis moribus agentes, quas totas excaldantes se repperisse Caesonius Vectilianus scripsit. Et puto me non errasse, si quidem et tu notum habeas Cassium, hominem Cassianae seueritatis et disciplinae. Neque enim milites regi possunt nisi uetere disciplina. Scis enim uersum a bono poeta dictum et omnibus frequentatum : ‘moribus antiquis res stat Romana uirisque ». 658 Dion Cassius, Hist. rom., LXXX, 2. 659 A. Chastagnol s’est intéressé aux supplices dont il est question ici dans un article intitulé « Le supplice inventé par Avidius Cassius… », B.H.A.C., 1970, p. 95 sq. 660 Scriptores ..., Avidius Cassius, IV, 1-5 : Quoniam de seueritate illius dicere coepimus, multa extant crudelitatis potius quam seueritatis eius indicia. Nam primum milites, qui aliquid prouincialibus tulissent per uim, in illis ipsis locis, in quibus peccauerant, in crucem sustulit. Primus etiam id supplicii genus inuenit, ut stipitem grandem poneret pedum octoginta et centum [id est materiam] et a summo usque ad imum damnatos ligaret et ab imo focum adponeret incensisque aliis alios fumo, cruciatu, timore etiam necaret. Idem denos catenatos in profluentem mergi iubebat uel in mare. Idem multis desertoribus manus excidit, aliis crura incidit ac poplites dicens maius exemplum esse aduiuentis miserabiliter criminosi quam occisi.

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Aujourd’hui, il nous est tout de même assez difficile de prendre textuellement en considération un tel témoignage en admettant, sans réserves, qu’une telle atrocité a pu s’admettre au sein de l’armée romaine. Il demeure cependant révélateur d’un certain état d’esprit communément perçu comme propice au service militaire en général qui continue de passer pour un milieu austère, principalement caractérisé par une discipline souvent jugée ‘’aveugle’’ de l’extérieur. De ce point de vue, les diverses exigences imposées aux légionnaires en vue de garantir l’ordre sans lequel leur efficacité était compromise, ont pu, malgré tout, dépasser les bornes du convenable dans certains cas.

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CONCLUSION

Il importe, au terme de cette étude, de jeter un regard d’ensemble sur la ‘’présence’’ des problèmes relevant de l’administration de l’Empire romain en général dans l’Histoire Auguste et, partant, de l’administration de ses provinces en particulier. L’impression qui prédomine de ce texte plutôt nébuleux est que cet aspect de l’histoire de Rome n’a que très peu intéressé notre biographe661. Nous ne saurions d’ailleurs nous en étonner dans la mesure où la nature de son œuvre ne le prédisposait pas directement à en faire son sujet principal. Un inventaire des passages y relatifs de tous les biographes dont les œuvres nous sont parvenues n’aboutirait qu’à un petit corpus de textes qui traitent directement mais souvent de manière fragmentaire et notoirement allusive, de thèmes liés au concept général d’administration. Il n’y a donc pas lieu de nier la précarité des informations obtenues ni l’extrême rigueur qu’impose leur exploitation, afin de ne pas s’aliéner des nuances, mêmes justes allusives, dont plusieurs ne manquent pas d’intérêt pour nous. J.-M. Carrié, parmi bien d’autres, l’a bien perçu en faisant remarquer que pour « … l’Histoire Auguste, une fois éclaircis les éléments de déformation du texte, celui-ci retrouve une incomparable valeur d’information »662. Néanmoins, plusieurs aspects relevant de l’administration de l’Empire y sont soulevés, quoique rarement débattus. Et, malgré d’innombrables incertitudes qui subsistent et autant d’imprécisions souvent fantaisistes sur certains faits, cette œuvre a permis une réflexion ample sur une des armes privilégiées de la grandeur de Rome – peut-être même en cette occurrence plus efficiente que l’action militaire – que s’est révélée son administration. Il ne suffisait pas aux Romains de soumettre par les armes des territoires de plus en plus vastes, encore fallut-il conceptualiser un système permettant d’en tirer le maximum de profit, le plus longtemps possible, tout en œuvrant 661

La présente œuvre ne suffirait jamais, à elle seule, d’absorber tous les contours d’une étude exhaustive sur les objectifs fondamentaux de l’administration impériale qui étaient, rappelonsle, outre la perception des impôts, le recrutement des soldats et le maintien de l’ordre public, l’entretien des aqueducs, la réparation des bâtiments publics, l’organisation des fêtes religieuses ou communautaires, etc. 662 Cf. J.-M. Carrié…, L’Empire en mutation…, Paris, 1999, p. 18.

officiellement pour la promotion de la meilleure civilisation dans des zones réputées « barbares »663. Nous avons évoqué la notion de bellum iustum d’Auguste qui est d’abord et même surtout la sublimation du lien très étroit que les Romains ont toujours voulu établir entre la guerre – disons la victoire – et la prospérité de l’Empire, en termes de croissance économique, par l’acquisition de richesses nouvelles si utiles à toute bonne administration. L’empereur, en sa qualité de premier magistrat de l’Empire, qui fait de lui le responsable le plus direct de l’ensemble des provinces romaines et dont l’administration pèse considérablement sur la qualité et la longévité de son règne, représente un sujet dont plusieurs aspects touchent nécessairement – de près ou de loin – aux mécanismes du fonctionnement général des services impériaux ayant pour but de matérialiser mais également de renforcer le pouvoir de Rome sur ses dépendances. Claude I n’a-t-il pas enseigné que toute décision ponctuelle nécessairement appuyée d’exemples finit par servir d’exemple à son tour un jour : Inueterascet hoc quoque, et quod hodie exemplis tuemur, inter exempla erit664 ? Eutrope nous donne une bonne illustration de ce lien entre la biographie de tout empereur et son action administrative à la tête de l’Empire, en dédicaçant ainsi son œuvre narrative à Valens : « Déférant à votre Mansuétude, lui a-t-il écrit, les événements majeurs, militaires ou civils, de l’histoire romaine depuis la fondation de la Ville jusqu’à nos jours, je les ai succinctement rassemblés dans l’ordre chronologique en une brève narration, en y joignant les faits glorieux qui ont marqué la vie des princes, afin que le divin génie de Votre Sérénité puisse se réjouir d’avoir suivi dans l’administration de l’Empire les actions des hommes illustres avant de les avoir apprises par la lecture »665.

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Sur cet aspect de la mission de Rome vis-à-vis du reste du monde, lire E. Demougeot, « L’idéalisation de Rome… », R.E.A., LXX, 1968, p. 396 sq. 664 Ainsi a-t-il conclu un discours au Sénat où il prenait la défense des notables gaulois devenus citoyens romains qui sollicitaient le droit de parvenir aux honneurs à Rome, notamment leur accès à la prestigieuse Assemblée : le Sénat ; texte intégralement cité supra, III, note 394. 665 C’est effectivement en ces termes qu’il annonce le premier livre de son Breuiarum ab Vrbe condita : Res romanas ex uoluntate mansuetudinis tuae urbe condita ad nostram memomoriam, quae in negotiis uel bellicis uel ciuilibus eminebant, per ordinem temporum breui narratione collegi strictim, additis etiam his quae in principum uita egregia extiterunt, ut tranquillitatis tuae possit mens diuina laetari prius se inlustrium uirorum facta in administrando imperio secutam, quam cognosceret lectione. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement car les attentes des citoyens visent en même temps les qualités de meneurs d’hommes de l’empereur et ses aptitudes à l’administration proprement dite de l’État. C’est encore Eutrope qui nous le précise en rappelant le souvenir heureux que laissa Trajan à la postérité ; voir VIII, 2, 1 : Rem publicam ita administrauit ut omnibus principibus merito praeferatur, inusitatae ciuilitatis et fortitudinis ; lire : « Il géra les affaires publiques de telle manière qu’il est à juste titre mis au-dessus de tous les princes. Il incarna sous une forme particulièrement éminente les doubles dons d’administrateur et de soldat ».

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Pline le Jeune s’était également assigné l’ambition d’atteindre les mêmes objectifs, en élaborant une œuvre apologétique (fortement imprégnée de prosélytisme) pour magnifier et perpétuer l’action de l’empereur Trajan : « Mon objectif, a-t-il précisé à son correspondant Vibius Sévérus, était d’abord de rendre plus chères à notre empereur, par des louanges sincères, les vertus qu’il pratique ; ensuite de montrer aux princes à venir, non pas sur le ton d’un maître, mais cependant par l’enseignement d’un exemple, quelle route est la plus sûre pour arriver à la même gloire »666.

C’est ainsi qu’il faut comprendre cette attitude d’Alexandre Sévère qui, plus que tout autre empereur romain, avait besoin de s’instruire des bonnes actions de ses prédécesseurs, étant parvenu au trône à peine nubile : « Il aimait à écouter orateurs et poètes, rapporte le biographe, non pas lorsqu’ils faisaient son panégyrique… mais lorsqu’ils prononçaient des discours ou chantaient les exploits des héros d’autrefois. Mais son plaisir était plus grand encore si quelqu’un déclamait les louanges d’Alexandre le Grand aussi bien que celles des empereurs du passé ou des hommes illustres de la ville de Rome »667.

L’Histoire Auguste, en s’intéressant aux empereurs romains des IIe et IIIe siècles, donne un certain nombre de renseignements sur l’administration des provinces romaines. Il nous a fallu cependant, dans plusieurs cas, aller les chercher au-delà des mots, à travers les maux et les gloires du quotidien de l’époque ; et chaque fois que cela a été possible, conforter les informations obtenues par des appuis extérieurs à cette œuvre. Voilà comment une étude de l’administration des provinces romaines à l’aide de l’Histoire Auguste – à défaut d’aboutir sur l’organisation par organigramme de la politique romaine de gestion de ces provinces avec nature et plans de carrières, missions précises des promagistrats, durée des fonctions… –, s’est réduite à l’inventaire de toutes les mesures touchant de près ou de loin à l’administration de ses provinces que Rome a dû prendre pour assurer la continuité d’une exceptionnelle aventure qui avait rompu avec le charme des jours fastes ayant globalement caractérisé l’œuvre de Trajan dans son ensemble. L’administration des provinces romaines a forcément suivi l’évolution de l’histoire générale de l’Empire à cette époque bien riche en rebondissements qui intéresse l’Histoire Auguste et dont le moins que l’on puisse dire est que la tâche prioritaire des empereurs fut de faire face aux divers aléas de leurs règnes respectifs, dont certains pouvaient

666 Pline le Jeune, Let., III, 18, 2 : … primum ut imperatori nostro uirtutes suae ueris laudibus commendaretur ; deinde ut futuri principes non quasi a magistro, sed tamen sub exemplo praemonerentur, qua potissimum uia possent ad eandem gloriam niti. 667 Scriptores ..., Alexandre Sévère, XXXV, 1 : Oratores et poetas non sibi panegyricos dicentes…, sed aut orationes recitantes aut facta ueterum canentes libenter audiuit, libentius tamen, si quis ei recitauit Alexandri Magni laudes aut item bonorum retro principum aut magnorum urbis Romae uirorum.

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porter (ou ont effectivement porté) atteinte à leur propre vie668. Telle était en tout cas la conviction du Pseudo-Aurélius Victor : « Il revient, a-t-il affirmé à la suite de tant de calamités ayant secoué le règne de Marc Aurèle669, à la loi divine, lorsque la loi de l’univers, la nature ou quelque autre force inconnue des hommes en arrive là, de veiller à ce que, tels les remèdes de la médecine, les décisions des gouvernants viennent les adoucir »670.

Que de fois avons-nous lu que sans l’action, l’ingéniosité, la bravoure, l’opiniâtreté, l’intrépidité, la rigueur … tel ou tel autre empereur, l’État romain aurait cessé d’exister, incapable de surmonter autrement des calamités de diverses natures, les unes liées aux caprices des dieux ou de Dieu, les autres provoquées par les ambitions des hommes cupides ou avides de pouvoir ! Les questions relatives à l’administration des provinces romaines que permet de soulever ce document à controverses ne manquent donc pas, même si pour plusieurs, on y trouve pas les réponses escomptées. Mais il apparaît bien, de prime abord, que l’attention que les Romains ont accordée à leurs provinces et qui a déterminé dans une large mesure leurs choix pour les gérer, relevait essentiellement de la place que celles-ci occupaient dans leur mentalité collective. Qu’attendait-on des provinces et comment s’y prendre pour l’obtenir ? Qui employer pour la réalisation infaillible – ou du moins optimale – d’un tel dessein ? Comment garantir dans les provinces romaines les conditions propices à un essor économique grâce à une stabilité politique propice à la production ? Que faire pour maintenir les administrés dans la conviction de la légitimité de la suprématie romaine ? Voilà autant de questions auxquelles ce travail aurait voulu contribuer à apporter des réponses suffisantes, s’appuyant sur les faits et détails que le biographe a pu glisser à l’intérieur de chaque Vie qui compose son œuvre. Les provinces romaines y paraissent ainsi, sans la moindre équivoque, un véritable prolongement de l’ager publicus de Rome dont le rôle primordial 668

Qu’on se rappelle le sens des mots d’Hadrien rapportés par le biographe dans la vie de Helvius Cassius ; Scriptores ..., Avidius Cassius, II, 5 : ‘’misera conditio imperatorum, quibus de affectata tyrannide nisi occisis non potest credi’’ ; texte cité supra. 669 Pseudo-Aurélius Victor, XVI, 3 nous présente un tableau bien sombre à l’aube du règne de Marc Aurèle : Quippe ab armis quies nusquam erat, perque omnem Orientem, Illyricum, Italiam Galliamque bella feruebant ; terrae motus non sine interitu ciuitatum, inundationes fluminum, lues crebae, locustarum species agris infestae, prorsus ut prope nihil, quo summis angoribus atteri mortales solent, dici seu cogitari queat quod non illo imperante saeuierit ; lire : « Nulle part en effet les armes ne furent en repos ; dans tout l’Orient, l’Illyrie, l’Italie et la Gaule, les guerres faisaient rage ; des tremblements de terre entraînant la mort de cités, des débordements de fleuves, des pestes fréquentes, des nuées de sauterelles dévastant les campagnes : presque tout ce qu’on peut dire ou imaginer de catastrophes broyant d’habitude les mortels sous les fortes angoisses se déchaîna sous son règne ». 670 Pseudo-Aurélius Victor, XVI, 4 : Credo diuinitus attributum ut, dum mundi lex seu natura aliudue quid hominibus incognitum gignit, rectorum consiliis tamquam medicinae remediis leniantur.

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est de lui fournir toutes solutions utiles à son rayonnement et à sa prospérité ; et, partant, au rayonnement et à la prospérité du reste du monde à « débarbariser ». Outre toutes les richesses naturelles ou manufacturées que Rome pouvait en tirer, bien plus que le chiffre global de la somme des divers impôts que les provinces étaient tenues de lui verser, sans oublier qu’elles garantissaient à la métropole une terre d’asile servant, le cas échéant, à accueillir les indésirables à Rome, les provinces romaines constituaient la meilleure expression de la grandeur de Rome et le fait que plusieurs des mouvements qui en ébranlèrent la stabilité y trouvèrent également un meilleur terrain de prédilection ne devrait étonner personne. Aussi l’administration de ses provinces comptait-elle parmi les dossiers les plus sensibles qui incombaient à tout empereur sur le trône romain. Le choix des hommes affectés à y remplir les nombreuses fonctions que nécessitaient les contraintes et les besoins toujours croissants du pouvoir central – au rythme des services traditionnels auxquels se greffent des ponctualités variant d’un règne à l’autre –, en constituait la principale complexité. Comment en effet confier à un magistrat la responsabilité de gestion d’une province, sans risquer qu’il utilise cette position pour tenter de s’affranchir du pouvoir central671 ou, plus simplement, qu’il y développe des ambitions encore plus grandes672 ? D’où la série d’usurpations que connut Rome durant cette période et dont souvent des promagistrats, civils mais plus souvent militaires, furent les principaux protagonistes. Du reste, hormis les perturbations orchestrées par les ambitions d’usurpateurs de tous ordres, les abus ne manquèrent pas de la part des magistrats provinciaux au pouvoir souvent incontrôlable et, à ce titre, générateur de plusieurs exactions. Peu avant le premier règne de l’Histoire 671

Des mots du biographe pour parler de l’attitude de Vérus au moment de quitter la province de Syrie qu’il gouvernait caractérisent amplement le sentiment commun à plusieurs gouverneurs de provinces qui finissaient par considérer celles-ci comme de véritables praedae personnelles d’où il n’était pas rare qu’ils organisassent des mouvements insurrectionnels aux issues variables ; Scriptores ..., Vérus, VII, 9 : Romam inde ad triumphum inuitus, quod Syriam quasi regnum suum relinqueret… ; lire : « Puis il rentra à Rome pour le triomphe, tout marri à l’idée de quitter la Syrie, qu’il considérait comme son royaume personnel ». 672 C’est ce qui serait arrivé à Géta qui, affecté au gouvernement de la province de Syrie, aurait manifestement affiché d’autres ambitions, au point que Septime Sévère dut l’enjoindre de se maintenir à son poste, à en croire la version des faits de l’Histoire Auguste, VIII, 10 : Occurrit ei et statim Geta frater suus, quem prouin ciam sibi creditam regere praecepit aliud sperantem ; lire « [Septime Sévère] fut aussitôt rejoint par son frère Géta [ à Saxa Rubra, à environ 4 km de Rome où une violente mutinerie des soldés occasionnée par le choix de l’implantation du camp venait de se déclencher] à qui il prescrivit de continuer à gouverner la province qui lui avait été assignée, alors qu’il espérait tout autre chose ». Le texte semble flou sur le sens exact de aliud sperantem, mais il n’en demeure pas moins envisageable que Géta, à l’issue du gouvernement peut-être de la Mésie inférieure comme l’a suggéré A. Chastagnol (cf. note 3, p. 320), aura affiché assez clairement pour être remarquée une toute autre affectation, notamment dans une province plus prospère. Ceci pour dire qu’il n’y a pas lieu de conclure péremptoirement qu’il voulût détrôner son frère à peine intronisé à Rome.

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Auguste, un échange de lettres entre Pline le Jeune et l’empereur Trajan nous a révélé que l’affectation de l’épistolier en Bithynie répondait d’abord à l’impérieuse nécessité d’y corriger certains débordements que s’étaient permis ces prédécesseurs. Qu’on se rappelle également qu’un contrôleur financier fut à l’origine d’un important soulèvement des populations dans la province romaine d’Afrique où il s’est permis de prendre et d’exécuter des mesures extrêmement rigoureuses qu’il ne tenait cependant pas du pouvoir central : « En effet, sous le règne de Maximin, un homme cruel et féroce, il (Gordien le père) gouvernait l’Afrique comme proconsul, accompagné de son fils déjà consulaire, que le Sénat lui avait donné comme légat, lorsqu’un contrôleur financier se mit à sévir contre une foule d’Africains avec plus de rigueur que Maximin lui-même ne le permettait : il proscrivait un grand nombre d’entre eux, en tuait beaucoup et assumait plus de pouvoir qu’il ne seyait à un procurateur ; rappelé bientôt à l’ordre par le proconsul et son légat, il menaça de mort ces personnages nobles et consulaires »673, écrit le biographe.

Une vive et constante attention était donc de rigueur dans le choix des hommes à affecter en province, aussi bien pour prévenir autant que possible ce type de comportement que pour réduire les risques de voir l’exercice d’une promagistrature décliner vers une usurpation. Le dixième livre des Lettres de Pline le Jeune fournit à ce sujet un bon exemple des rapports attendus d’un promagistrat vis-à-vis de l’empereur à Rome. On l’y voit en effet se référer à Trajan même pour des questions aux apparences bénignes pour lesquelles ce dernier ne manque d’ailleurs pas, pour certaines d’entre elles en tout cas, de lui signifier la vanité de l’avoir consulté674. 673

Scriptores ..., Les trois Gordiens, VII, 2 : Nam cum temporibus Maximini …, pro consule Africam regeret, iam ex consulibus filio sibimet legato a senaxu dato, cumque quidam rationalis acrius contra plurimus Afrorum saeuiret quam Maximinus ipse pateretur, proscribens plurimos, interficiens multos et sibi ultra procuratorem omnia uindicans, retunsus deinde a pro consule atque legato nobilibus et consularibus uiris ipsis minaretur excidium ; texte cité supra note 375. 674 Dans une de ses lettres où il consulte l’empereur sur la nécessité de faire garder les prisons par des esclaves publics des communes comme d’habitude ou de recourir à l’appui des soldats, Trajan lui fit, par exemple, la réponse suivante (Pline le Jeune, Let., X, 20 (31), 2 : Etenim, ut fideliter hoc faciant, in tua seueritate ac diligentia positum est ; lire : « Il dépend de ta sévérité et de ta diligence que (les esclaves publics, serui publici) s’acquittent bien de leurs fonctions ». On a pu penser que les rapports exceptionnels qui liaient l’épistolier à l’empereur bien avant la legatio de Bithynie justifiaient l’abondance des correspondances qu’ils se sont échangé tout au long de cette période, mais il faut convenir avec Graham P. Burton qu’il s’agissait plutôt d’une pratique administrative très en vogue depuis le développement du service du courrier : « During a. c. two years period Pliny, as governor of Pontus-Bithynia, wrote 61 letters to Trajan and received 48 replies. Direct extrapolation from these figures suggests that on average during the second century provincial governors of senatorial rank (proconsuls and imperial legates) received each year 816 rescripts ; over a century a total of 81,600. This calculation, of course, takes no account of rescripts to governors of equestrian rank or to provincial procurators. Even if there is some force to the

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La délicatesse des missions assignées aux uns comme aux autres était à ce prix. La securitas, maître mot de la stabilité dans le « monde », représentait déjà, à elle seule, un vaste programme pour chacun, dans un monde aux antagonismes connus mais tout de même constamment imprévisibles. C’est pourquoi la rigueur ou seueritas, aux extrémités parfois proches de la crudelitas675, a caractérisé l’action au trône de quasiment tous les empereurs dont l’Histoire Auguste, là-dessus au moins sans contradiction avec les autres sources, nous donne le témoignage d’une expérience positive. Dans un monde antique souvent considéré comme viril avec la guerre comme meilleure expression de sa grandeur, est-il inutile de souligner que les meilleurs règnes ici aient plutôt été ceux qui se rapprochent de celui d’un Antonin le Pieux plutôt que d’un Aurélien ? En effet, nous ne trouvons pas, comme dans la biographie de ce dernier, de passage où le biographe nuance sa laudatio de l’habile administrateur et pacifique Antonin le Pieux ; alors que justement, concernant Aurélien, on peut dire que ses réussites exclusivement militaires à la tête de l’Empire se trouvent quelque peu altérées par une sévérité qui, bien qu’indispensable à la situation qu’il dut affronter, n’empêcha pas son assassinat par ces mêmes légionnaires qui l’auraient voué aux gémonies pour crime de faiblesse ou de complaisance. A ce titre, oserait-on se poser la question d’une hiérarchie des valeurs entre l’armée et l’administration pour qualifier l’hégémonie romaine ? A quoi il suffira de répondre par cette conclusion de Y. Le Bohec : « Pour mettre en œuvre sa politique, l’État romain disposait de plusieurs éléments ; au premier rang desquels l’administration, provinciale et municipale, malgré l’autonomie de cette dernière (à condition de ne s’opposer en rien à la politique impériale), et l’armée »676. Quelle que fut son utilité, la guerre ne pouvait plus s’imposer comme la solution privilégiée à un moment où Rome ne nécessitait plus que de bonnes mesures administratives capables de garantir sa cohésion. Aussi perçoit-on aisément le dilemme permanent des Romains que rend assez fidèlement le récit de la campagne d’Alexandre Sévère contre les Germains : « C’est pourquoi, écrit le biographe, lorsqu’il partit guerroyer contre les Germains, bien que chacun espérât la victoire, on le laissa s’éloigner à regret et tout le monde l’escorta sur une distance de cent ou cent cinquante milles. Mais il

objection that Pliny’s special status makes him an untypical governor who was more than usually disposed to consult the emperor, there should be no doubt that our surviving evidence represents an infinitesimal fraction of the official correspondence wich once existed » ; cf. « Emperors and Governors… », Chiron, XXXII, 2002, p. 261. 675 Ces deux termes sont ainsi opposés dans un passage de la Vie d’Avidius Cassius dans l’Histoire Auguste, IV, 1 : Quoniam de seueritate illius dicere coepimus, multa extant crudelitatis potius quam seueritatis eius indicia ; texte cité supra, note 626. 676 Cf. J. Y. Le Bohec, La troisième légion Auguste, CNRS, Paris, 1989, p. 573.

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était intolérable, pour l’État comme pour l’empereur lui-même, que la Gaule fût ravagée par les dévastations des Germains »677.

Ce texte montre bien comment, en même temps qu’à Rome, le sentiment général était-il hostile à l’engagement personnel du prince à une guerre – une de plus – dont chacun pouvait souhaiter se passer, mais à laquelle il fallait se résoudre, pour la survie de l’Etat. On y lit également, en l’occurrence, que l’opinion ne manqua cependant pas de convenir de son opportunité, comme une illustration de ce que le même Alexandre Sévère caractérisait de malus necessarius ; c’est-à-dire, en traduction littérale, simplement un « mal nécessaire ».

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Scriptores ..., Alexandre Sévère, LIX, 1-2 : … et sperantibus uictoriam cunctis et inuitis eum dimittentibus ad Germanicum bellum profectus est, deducentibus cunctis per centum et centum quinquaginta milia. Erat autem grauissimum rei p(ublicae) atque ipsi, quod Germanorum uastationibus Gallia diripiebatur.

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ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

A – SOURCES 1 – Source principale Pour l’Histoire Auguste, nous avons exclusivement travaillé sur la base de l’édition française d’André Chastagnol, sauf lorsque des difficultés inhérentes à l’établissement du texte nous ont amené à recourir à une autre édition. L’introduction générale de l’édition de J.-P. Callu nous a été, à ce titre, également d’une grande utilité. Le chercheur gagnerait également en recourant à l’édition anglaise de cette œuvre qui, pour être plus ancienne, ne manque point d’intérêt. Le texte en est établi et traduit par D. Magie, The Loeb Classical Library, Londres, dès 1931. Histoire Auguste. Les empereurs romains des IIe et IIIe siècles, éd. R. Laffont par A. Chastagnol, Paris, 1994. D’autres efforts d’établissement de ce texte d’une extrême complexité méritent cependant d’être signalés : Histoire Auguste : I : Vies d’Hadrien, Aélius, Antonin, texte établi et traduit par J.-P. Callu, A. Gaden et O. Desbordes, Les Belles Lettres, Paris, 1992 ; III, 1 : Vies de Macrin, Diadumènien, Héliogabale, texte établi et traduit par R. Turcan, Les Belles Lettres, Paris, 1993 ; IV, 2 : Vies des deux Valériens et des deux Galliens, texte établi et traduit par O. Desbordes et S. Ratti, Les Belles Lettres, Paris, 2000 ; IV, 3 : Vies des XXX Tyrans et de Claude, texte établi et traduit par F. Paschoud, Les Belles Lettres, Paris, 2011 V, 1 : Vies d’Aurélien et de Tacite, texte établi et traduit par F. Paschoud, Les Belles Lettres, Paris, 1996 ; V, 2 : Vies de Probus, Proculus et Bonosus, Carus, Firmus, Saturnin, Numérien et Carin, texte établi et traduit par F. Paschoud, Les Belles Lettres, Paris, 2001. The Scriptores Historiae Augustae par D. Magie, Loeb, 1960 (dernière édition).

2 – Autres sources Pour tous les autres textes littéraires, nous en avons habituellement utilisé la plus récente des éditions disponibles parues dans la Collection des Universités de France. Chaque fois que l’établissement du texte a pu poser problème ou susciter quelque doute, d’autres éditions nous ont permis d’asseoir notre position. Quant aux traductions, nous avons régulièrement adopté celles proposées par les traducteurs des éditions utilisées lorsque celles-ci n’entravaient en rien notre propre compréhension du texte concerné, sauf dans des cas où nous avons jugé utile d’y apporter quelques modifications qui, lorsqu’elles portaient sur la simple concordance des textes ou des temps, sont signalées par des parenthèses à l’intérieur des citations. Auguste, Res Gestae Diui Augusti : Hauts faits du Divin Auguste, texte établi et traduit par R. Marache, Les Belles Lettres, Paris, 2007. Aulu-Gelle, Nuits Attiques, texte établi et traduit par R. Marache, Les Belles Lettres, Paris, 1967. Aurélius Victor, Abrégé des Césars, texte établi et traduit par P. Dufraigne, Les Belles Lettres, Paris, 1975. Eutrope, Abrégé d’Histoire romaine, texte établi et traduit par J. Hellegouarc’h, Les Belles Lettres, Paris, 1999. Festus, Abrégé des hauts faits du peuple romain, texte établi et traduit par M.-P. Arnaud-Lindet, Les Belles Lettres, Paris, 1994. Frontin, Les acqueducs de la ville de Rome, texte établi et traduit par P. Grimal, Les Belles Lettres, Paris, 1999(avec une édition anglaise très utile : The Stratagems and the Aqueducs of Rome, texte établi et traduit par Ch. E. Bennet, Harvard University Press, Londres, 1961). Fronton, Lettres inédites de Marc Aurèle et de Fronton, traduites avec le texte en regard et des notes par A. Cassan, Lavasseur, Paris, 1830 (avec une édition anglaise : The Correspondance of Marcus Cornelius Fronto with Marcus Aurelius Antoninus, Lucius Verus, Antoninus Pius, and Various Friends, texte établi et traduit par C. R. Haines, Harvard University Press, Londres, 1988). Horace, Epitres, texte établi et traduit par F. Villeneuve, Les Belles Lettres, Paris, 1934. Juvénal, Satires, texte établi et traduit par P. de Labriolle et F. Villeneuve, 8ème éd., 1964. Orose, Histoires (contre les païens), texte établi et traduit par M.-P. ArnaudLindet, Les Belles Lettres, Paris, 1990. Pline le Jeune, Lettres, tome IV, Livre X, Panégyrique de Trajan, texte établi et traduit par M. Durry, 4° tirage, Les Belles Lettres, Paris, 1972. Polybe, Histoires : I-II, textes établis et traduits par P. Depech, Les Belles Lettres, Paris, 1970 ;

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III, texte établi par J. De Foucault, revu et traduit par E. Foulon, commenté par M. Molin, Les Belles Lettres, Paris, 2004. Pseudo-Aurélius Victor, Vie et caractère des empereurs, texte établi, traduit et commenté par M. Festy, Les Belles Lettres, Paris, 1999. Suétone, Vies des XII Césars, texte établi et traduit par H. Ailloud, Les Belles Lettres, Paris, 1931-1932. Tacite, Histoires, texte établi et traduit par H. Goelzer, 3e édition, Les Belles Lettres, Paris, 1959. Tacite, Vie d’Agricola, texte établi et traduit par E. de Saint-Denis, Les Belles Lettres, Paris, 1942. Tacite, Annales, Livres I-III, texte établi et traduit par P. Wuilleumier, 2° tirage revu et corrigé, Les Belles Lettres, Paris, 1978. Tertullien, Apologétique, texte établi et traduit par J.-P. Waltzing avec la collaboration d’A. Severyns, Les Belles Lettres, Paris, 1929. Virgile, Enéide, texte établi par H. Goelzer et traduit par A. Bellessort, Les Belles Lettres, Paris, 1964 Zozime, Histoire nouvelle, texte établi et traduit par F. Paschoud, Les Belles Lettres, Paris, 2000

B – BIBLIOGRAPHIE Cette étude nous a amené à consulter un éventail de documentation d’une très grande diversité, car la bibliographie d’un pareil sujet est immense : tous les auteurs qui ont traité soit des institutions, soit du droit romain, soit encore tout simplement de la « chute » ou du « déclin » de l’Empire, soit même du Bas-Empire ou de l’Antiquité tardive en général, peuvent, avec quelque raison, être cités pour tel ou tel rapprochement par rapport à notre thème d’étude. Nous n’avons pas voulu alourdir outre mesure le volume de notre travail en citant tous les auteurs consultés. Aussi ne trouvera-t-on mentionnés ici que les ouvrages et articles qui ont véritablement inspiré notre argumentation et dont nous avons fait référence – pour la plupart – dans les notes, généralement de manière abrégée, auxquels cette bibliographie permettra de se reporter plus aisément. Des recueils bibliographiques du genre de celui du Groupe de Recherche d’Histoire Romaine de l’Université des Sciences Humaines de Strasbourg annoncent et commentent plusieurs études intéressantes. De même est-il toujours conseillé de recourir aux prescriptions de l’Année philologique, notamment pour s’instruire d’un plus grand nombre de réflexions menées sur notre œuvre principale aux complexités et subtilités innombrables.

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312

INDEX SIGLORVM (Index des sigles)

A.E. A.N.R.W. B.E.F.A.R. B.SN.NA.F. B.A.H.C. C.A.H. C.E.F.R. C.I.L. C.R.A.I. C.U.F. D.H.A. I.G. I.L.S. J.R.S. M.E.F.R.A. R.E.A. R.H.D. S.E.H.R.E.M.

S.H.A.

Z.P.E.

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CARTES

Cf. P. Petit, La paix romaine, Clio, Paris, 1971, p. 379 : L’extension de l’Empire romain, d’Actium au règne de Marc Aurèle

Cf. P. Petit, La paix romaine, Clio, Paris, 1971, p. 385 : Colonies fondées, ou accrues, sous Auguste et Tibère puis de Claude à Marc Aurèle.

316

Cf. l’édition de l’Histoire Auguste d’A. Chastagnol, Bouquins, Paris, 1994, p. 1181 : Divisions administratives de l’Empire vers 200 ap. J.-C.

317

CORPVS IMPERATORVM ROMANORVM HADRIANO NUMERIANO (Corpus des empereurs romains, d’Hadrien à Numérien)

Les points de suspension indiquent les impasses que comporte l’Histoire Auguste où l’auteur a ajouté aux innombrables énigmes qui la caractérisent celui d’ignorer totalement des règnes dont certains ne manquaient cependant pas d’intérêt. Ainsi, entre Gordien III et Gallien, déplorons-nous l’éclipse des règnes de Philippe l’Arable (244-249), Dèce (249-251), Trébonien Galle (251-253), Volusien (251-253), Emilien (253) et Valérien (253-260). Hadrien Antonin le Pieux Marc Aurèle Lucius Vérus Avidius Cassius Commode Pertinax Didius Julianus Septime Sévère Pescennius Niger Clodius Albinus Caracalla Géta Macrin Diaduménien Elagabal Sévère Alexandre Maximien Gordien Ier Gordien II Maxime Pupien et Balbin

117-138 138-161 César 139, Auguste 161-180 161-169 175 César 166, Auguste 176-192 193 193 193-211 193-194 César 193, Auguste 196-197 César 196, Auguste 198-217 César 198, Auguste 209-212 217-218 218 218-222 César 221, Auguste 222-235 235-238 238 238 238

Gordien III … Philippe l’Arabe Dèce Trébonien Galle Volusien Emilien Valérien … Gallien Claude le Gothique Aurélien Tacite Florien Probus Carus Carin Numérien

238-244 … 244-249 249-251 251-253 251-253 253 253-260 … 253-268 268-270 270-275 275-276 276 276-282 282-283 César 282, Auguste 283-285 César 282, Auguste 283-284

320

INDEX NOMINVM PERSONARVM (Index des noms propres)

Achilléus, 164, 225. Adventus, 277. Aélius, n. 47, n. 49, n. 81, n. 225, n. 310, 145-146, 149, 155, 206, 250, 228, 229, n. 339, n. 471, 234, n. 557, 244, 245, n. 580. Aélius Lampidius, n. 22. Aélius Spartianus, n. 22. Aémilianus, 81, 153, 159, n. 476, 218, 236. Aémilius Parthénianus, n. 527, 279. Aémilius Saturninus, 243. Agbar, 51, 219, 228. Agrippa (Postumus Agrippa, Pseudo Postumus Agrippa), 60, 196-197, 221. Alexandre Sévère, n. 20, n. 37, n. 41, n. 46, n. 49, n. 51, 53, 76-77, n. 134, n. 148, n. 150, n. 193, 104, n. 212, n. 226, 112-114, 117-118, 120, 123, n. 274, 127, 130, 133, 138-141, n. 334, 155, 157, n. 355, 168-169, n. 372, 172, n. 379, 175, 180, 185, n. 413-414, 187, 192, 198, 221, 223-224, 231, 243, 249, 258-260, 268, n. 631, 273, n. 644, 275-277, n. 653, 285, 289-290. Allius Maximus, 182-183. Anicius Festus, 172. Antonin le Pieux, n. 2, n. 40, n. 41, n. 45, n. 49, 50, n. 66, n. 84, n. 89, 73, 59-60, 78, 86, n. 175,100-101, 103, n. 204, 110, n. 237, 121-122, 124, 126, n. 283, 130, 136-139, 141, 149150, n. 355, 168, n. 366, n. 382, 180, 190, n. 435, 196, n. 202, n. 500, 224, n. 525, 246-247, 249, 251, n. 608, 263, n. 615, n. 628, 277, 289. Appolinus, 204. Arellius Fuscus, 164-165. Argunt, 231. Aridélus, 203-204. Arminius, 65. Artaban, n. 434. Artaxès, 50. Asinius Sabinianus, n. 350. Asper, 69, 172. Aufidius Fronton, 69.

Auguste, (premier princeps ou titre honorifique) n. 1, 45, n. 60, 49, 50, n. 74, n. 82, 60, 65, 67, 71-72, 75, 78-81, n. 165, 93-94, 99, 102, 104, 108, n. 231, 132, 141, 168, 171, n. 382, 175, 177, n. 394, 187, n. 428, 196, 203, 216, 219, 221, 238, n. 553, 241-242, n. 569, 251, 284. Auguste(s), (élément de titulature impériale) n. 40, 67, n. 109, 146, 163, 166, 181, n. 407, 206, 213, 244. Aurélien, n. 12-13, n. 15, n. 35, n. 46, 42, 61, 80, 82, 87-90, n. 179, n. 270, 128, 161-162, n. 355, 164-165, n. 374, 174, n. 415, 199, 212, 222-223, 226, n. 522, 232, 271, n. 637, 289. Aurélius Appolinaris, n. 348. Avidius Cassius, n. 49, n. 59, 96, 98, n. 182, n. 340, 150-151, 207, 211, n. 492, 221, 227-229, n. 528, 234, 239, n. 571, 246, 248, n. 639, n. 651, 278-279, n. 659, n. 660, n. 668, n. 675. Balbin, n. 49, 157, 191-192, n. 540, 245, n. 608. Balbus, 189, 202. Bassianus, 41, 141, 155. Bonosus, 38, n. 193, 166, 227. Bruttius Praésens, 137. C. Septime Aper, 180. Caésonius Vectilianus, 239, 279. Cagacus, 65. Calpurnius Macer, n. 425. Capélianus, 157. Capiton, 93. Caracalla, n. 40, n. 59, 74, 107, 155, 172, 174, 189, 193, 198, 231. Carausius, 225, n. 519, 274. Carin, n. 253, 167. Carus, n. 26, 167, 201, 230. Castinus, 173. Caton, n. 50, 86. Céionus Commodus, 149, 206, n. 557. (F. et R.) Celsus, 154-155, 161, 225, 231. César(s) (titre impérial ou honorifique), n. 37, n. 40, n. 61, 70-71, 146, 167, n. 407, n. 407, 196, 200-201, 206, 214, 236, n. 553, 247. J. César, 28, 93, n. 171, 96, 102, 132. G. (César), 314. L. César, n. 382, n. 383, 197. Claude I (empereur julio-claudien = Claudius Drusus), 50, 72, n. 147, n. 194, 189, 216, 224, n. 604, 284. Claude II, (le Gothique), n. 26, n. 34, n. 46, 60, 73, 160-162, 186, n. 417, n. 433, 232. Claudius Julianus, 233. Claudius Marcellus, 196. Clausus, 189. Cléandre, 106. Clodius Albinus, n. 49, 69-70, n. 127, n. 134, 104, 132, n. 344, 154, 182, 185, n. 430, 202, 231, 235-236, n. 551.

322

Commode (Commodus Vérus), n. 40, n. 49, 53, 69-70, 73, 78, 101, 106, 125, n. 305, 137138, 154, 169, 182, n. 427, n. 443, 198, n. 457, 205, 212, n. 485, 214, n. 510, 224, 226, 229231, 234, 236, 246, 247, 256-259, 262-264, 266. Constantin, n. 20, n. 23, 39. Corbulon, n. 224. Coruncanius, 189. Corvinius, 133. Curius, n. 618. Dèce, n. 46, 162. Décibale, n. 158, n. 165, n. 231. Diaduménien, n. 49. Didius Julianus, n. 41, n. 49, 106-107, 151-152, 154, n. 427, 193, n. 433, 197, 235-236, n. 608, n. 618. Dioclétien, n. 20, 39, n. 290, 146, 167, 206, 225. Domitia Lucilla, 197. Elagabal, 35, n. 193, 112-113, n. 272, n. 275, 133, 139-141. Encolpius, 269, n. 631. Eupator, 51, 228. Fabius Pomponianus, 161, 224-225. Fabricus, n. 618. Faltonius Probus Alypius, n. 360. Flavius Héracléon, 280. Flavius Vopiscus, n. 22. Florien, 61, 165. Gallien(s), n. 46, 56, 60, n. 97, 81, 88-90, 158-160, n. 354, n. 361, 174, 203, n. 476, 213-214, 218, n. 513, 224, 340, 233-234. Gallonius Basilius, 60. Géta, 153, n. 40, n. 41, n. 49, n. 672. Gordien(s), n. 46, n. 49, 74, 96-97, 117, 130, 156-157, 164, 181, 192, 231, 243, 245, 261262, 288. Gratien, n. 23. Hadrien, n. 20, 38, n. 41, 40-43, 50-51, n. 68, 58-61, n. 96, 74, n. 127, n. 129, 78, 82-83, 8587, n. 172, 97, n. 180, 100-102, n. 197-199, n. 20-2031, 107, n. 227, 110-111, n. 239, 119, n. 264, 123, 134-135, n. 310, 145-146, 148-149, 168, 171-172, n. 382, 178-179, n. 397, 190, 194-196, 202, 206-207, 215, 222, 224, 228, n. 556, n. 557, 246, 252, 267-268, 276, n. 668. Helvius Pertinax, 73, 96, n. 224, 125, 138, 151, 186, n. 427, 200-201, n. 455, 205, n. 474, 224, 234-236, 248-249, 255, 264, 276-277, 280. Héraclitus, 153, 205. Hostilien, n. 46. (Mursa) Ingénuus, 158, 213. J. Bassianus, 141. Julien, n. 23. Julius Capitalinus, n. 22. Julius Sénex, 179, 211.

323

Julius Sévérus, 171-172. Julius Vrsus Servianus, 83, n. 180. Junius Blaésus, 99. L. Norbanus, 79. L. Vrbicus, 100. Labéon, 270. Libo, 151, 198, 256. Licini, 133. Livie (Augusta), 197-198. Lollianus, n. 553, 209. Lucilius Capito, 253. Lucius Calpurnius Pison, 253. Lucius Vérus, 206, 214, 240. M. Silanus, 79. Macrin (Varius Macrinus), n. 2, n. 49, 69, 138, 155-156, 158, 172-173, n. 434, 198, n. 502504, n. 509, 231. Maécius Brundisinus, 163. Maénius Mauricianus, n. 358. Mammaéa, 104. Manlius Curius Dentatus, n. 170. MarcAurèle, n. 49, n. 53, n. 59, 53, 59, n. 89, 65, 69, n. 125, 106, 111, n. 262, 122, n. 272, 126, 128, n. 305, 137, 139, n. 327, 145, 150, n. 383, 176, 182, 184-185, 190, n. 427, n. 429, n. 434, 195, 197-198, 201-204, 207, 214-215, 221, n. 510, 223, 225, 227, 229, n. 532, 240, 246247, 251-252, n. 587, 254, n. 592, 256-257, 269, 273, 286. Marcius Agrippa, 107, 173. Marcius Turbo, 87, 149. Marius (Maximus), n. 25, 28, 44, n. 60, 159, 160, n. 394, n. 524, 230, 237, 261, 265, n. 639. Maxime, n. 49, 157, 191-192, n. 540, n. 567-568, n. 608. Maximien(s), n. 46, 178, 274. Maximin(s), 25, n. 49, 58, 61, 126, n. 290, 130, 141, 157, 181, 192-193, 198-199, 212, 243, 288. Misithée, 74, 117, 231. Ného, n. 41. Nératius Priscus, 58. Nerva, n. 40, 59, n. 134, 148. Nigrinus, 206. Numérien, 38, 40, 43. Numitor, 93. Odénath, n. 13, n. 476, 232. Ovinius Camillus, n. 53, 221. Pacorus, 50, 228. Parthamasiris, 64, 86. Paulina, n. 180.

324

Pescennius Niger, n. 49, n. 134, 81, 87, 110, n. 235, 116, n. 250, 118, 152-154, 168-169, 185, n. 430, n. 457, n. 521, 235-236, n. 574, 265, 270, 274-275. Pharasmane, 50, n. 66, 228. Philippe l’Arabe, n. 46. Phlégon, 82. Plautien, 153, 205. Plautillus, 185. Plautinus, 243. Plotine, n. 81, 102, 108, 148, 195. Pollion, 36. Pomponius Bassus, 72. Ponticus, n. 114, 199. Portius, 189. Probus (F. Probus ; Marcus Aurélius Probus), n. 15, 61, 75, 95, 98-99, n. 193, n. 214, n. 245, 122- 123, 105, 114-115, n. 248, 139, n. 354, 164-166, 174, n. 394, n. 448, n. 461, n. 474, 212, 230, 232, 244. Quintillius (Condianus et son frère Maximus), 262. Rhoémétalcès, 51. Rufinus Valérius Vérus, n. 350. Sabianus, n. 350. Sabinus, 156, 173. Sapor, 232. Sardonius, n. 500. Saturninus, 80, 82, n. 354, 163-166, 232, 243. Scipion(s), n. 267, 226, 228. Septime Sévère, 38, n. 41, n. 49, 52, 56, n. 82, 59, 66, 70, 74, 76-77, n. 134, 81, 85, 87, 100102, 104, 106-107, 116, n. 255, 132, 139, 141, 152-153, 208, 172-173, 176, n. 343, n. 346, 180, n. 427, 192, n. 430, 202, 205, 212, 215, 219-220, 222, 226, n. 532, 235-237, 243, n. 574, 258, 265, 267, 269, 271, n. 573, 274-275, n. 672. Servianus, 130, n. 180. Servien, 134, n. 180. Sextus Pompée, 242. Sura, 134. Tacfarinas, 65, 71. Tacite II, (l’empereur), n. 14, 165, n. 380, n. 383, 179, 199, 262. Tausius, n. 427. Thémistoclès, 204. Théodotus, 218. Tibère (Tibérius Néro), n. 61, n. 78, 57, 59, 63, 65, 71, 79-80, n. 178, 99, 128, n. 428, 196, 221, n. 553, n. 558, 242, n. 562, 251, 253. Tibérianus, 35-36. Timésithée, 74. Titianus, 26.

325

Trajan, n. 2, n. 40, 41, n. 50, 51-52, 58-59, 64, 72, 77-78, 85-86, n. 158, 88-90, 94, n. 179, 98, n. 196, 103-104, n. 228, n. 231, 110-111, 119, 123, n. 288, 129, 134-135, 148, 175, 183, 190, 195-196, 202, n. 261, 213, n. 500, 219, 221, 228, 240, 252, 279, n. 665, 285, 288. Trébellius Pollio, n. 22, n. 34. Trébonien Galle, n. 46. Turinus, 258-259. Ulpianus (Ulpien), 113, 280. Urbicius, 180. V. Passiénus, 224. Valérien, 30, n. 46, 57, n. 97, 81, 128, n. 354, 163, 165, 203, n. 476, n. 487, 227. Vérus, n. 49, 86, n. 225, 135, 137, 149-151, 171, n. 434, 196, n. 446-447, 206-207, 214, 240, n. 557, 247, 256, n. 671. Victorinus, 72, 159, n. 353, 161. Vipstanus Gallus, n. 392. Volcanius Galicanus, n. 22. Volusius Bithynicus, 82. Volusien, n. 46. Zénobie, n. 13, n. 15, 90, 164, 232, n. 543.

326

INDEX AVCTORVM ANTIQVORVM (Index des auteurs anciens678)

Auguste, 45, n. 64, 93-94, 284. Aulu-Gelle, 270. Cicéron, n. 37, n. 76, n. 247, n. 385, n. 579. Aurélius Victor, n. 23, n. 37, n. 66, 72, 88, 100, n. 190, n. 196, n. 208, n. 249, 120-121, n. 275, 132, 154, 156, 158, 160-161, 165-166, 216, n. 500, 219, 223, 247, n. 603, 264, 271-272, n. 640, n. 645. Pseudo-Aurélius Victor, 51, 60, 72, n. 190, n. 216, n. 272, 124, n. 474, n. 494, n. 500, n. 571, 258, 264, 286. Dexipos, 114. Dion Cassius, n. 39, 72, n. 203, 114, 125, 148-155, 159, 171-173, n. 381, 192, 205, 221, 225, 243, 246, 262, n. 641, 280. Eutrope, n. 23, n. 65, n. 66, 52, n. 81, n. 88, n. 158, 88, n. 164-165, 100, n. 195-196, n. 215, n. 231, 115, 119, 121, 123, 152, 154, 158, 160-162, 165-166, 213, n. 500, 225, 247-248, n. 575, n. 603, 264, 274, 284. Juvénal, 44, 82, n. 144, 84, 93, 106, 131, 133, n. 304, 199, n. 449, n. 579, 261. Horace, 46. Hérodien, 114, n. 351, 236. Marius Maximus, n. 25, n. 394, n. 524, n. 551, 237, 265. Sénèque, n. 35, 59, n. 604. Pline le Jeune, n. 53, 52, n. 150, n. 179, 98, 108, 126, n. 280, 129, 175, n. 392, 183, n. 409, 190, 218, 240, 279, 285, 288. Tacite, n. 7, n. 19, 23, 36, n. 57, n. 61, 50, 57, n. 78, 65, 71, n. 118, 79, n. 136, 81, n. 142, n. 147, 99, n. 224, 142, 165, n. 392, 179, 181, n. 403, 189, n. 428, n. 441, n. 495, 221, 242, n. 585, 253, n. 590. Suétone, n. 37, n. 61, n. 82, 59, 63, n. 103, 71, 75, 80, n. 171, n. 178, n. 288, n. 295, 175, n. 288, n. 392, 178, n. 394, n. 410, 216-217, n. 498, 224, 241-242, 251, n. 604. Tite-Live, 36, n. 394. Végèce, n. 23, n. 25, n. 37. Virgile, n. 61. Zozime, 28, n. 9, n. 37, 56, n. 77, 61, n. 97, 138, n. 323, 198, n. 448, n. 487, n. 544, n. 563, 255, n. 595. 678

L’Histoire Auguste, à laquelle nous avons dû recourir plus souvent qu’à toutes les autres sources et qui se retrouve donc presque à toutes les pages, ne figure donc pas dans cet Index.

TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE .....................................................................................................13 REMERCIEMENTS .....................................................................................19 AVANT-PROPOS ........................................................................................21 INTRODUCTION ........................................................................................25 I. LE STATUT DES PROVINCES ET L’AMENAGEMENT DE LEURS TERRITOIRES .........................................................................49 I – 1 : La configuration de l’Empire romain aux IIe et IIIe siècles ap. J.-C. ......... 50 I – 2 : Les provinces dans la conception romaine de l’Empire ............................ 57 I – 3 : Le statut des provinces romaines ............................................................... 66 A) Des prescriptions générales sur le gouvernement des provinces ............... 67 B) Du statut particulier de l’Egypte ................................................................ 79 I – 4 : L’aménagement des territoires provinciaux .............................................. 84

II. LE DEVELOPPEMENT DES PROVINCES ROMAINES ET LEUR APPORT DANS LA PROSPERITE DE L’EMPIRE ..................93 II – 1 : Le développement des provinces ............................................................. 95 A) De la stratégie militaire .............................................................................. 98 B) De l’urbanisation ...................................................................................... 102 II – 2 : Les provinces dans l’économie romaine ................................................ 109 A) Des ressources provinciales ..................................................................... 115 1) Les produits barbares ........................................................................... 115 2) Le prélèvement des impôts .................................................................. 119 B) De l’utilisation par Rome des ressources provinciales ............................. 131

III. LA GESTION DES HOMMES DANS L’ADMINISTRATION DES PROVINCES ......................................................................................145 III – 1 : Corpus des magistrats romains affectés en provinces, nommément cités dans l’Histoire Auguste ........................................................ 148 III – 2 : Les magistratures provinciales (promagistratures) ............................... 168 A) Des gouverneurs de provinces ................................................................. 171 B) Des légats (militaires) .............................................................................. 180 C) Des procurateurs financiers ...................................................................... 181 III – 3 : Les place et rôle de l’élite locale .......................................................... 188 III – 4 : Les critères d’affectation en provinces ................................................. 195 A) De la parenté avec le prince ..................................................................... 195 B) Du mérite (meritum ou dignitas) .............................................................. 200 C) De la confiance du prince (fides) ............................................................. 201

IV. LA SECURITE DES BIENS ET DES PERSONNES ..........................209 IV – 1 : Le prix de la paix .................................................................................. 211 IV – 2 : Les guerres de prestige ......................................................................... 215 IV – 3 : Les luttes contre les incursions barbares .............................................. 224 IV – 4 : Les mutineries dans les provinces ........................................................ 233

V. LA REPRESSION DES ABUS DES PROMAGISTRATS...................239 V – 1 : Les abus de promagistrats : un problème récurrent ............................... 240 V – 2 : Le Mos maiorum et la probitas dans la mentalité collective romaine.... 245 V – 3 : Les principales causes d’abus ................................................................ 252 A) Des promotions indues............................................................................. 255 B) De la concussion ...................................................................................... 261 V – 4 : Les mesures coercitives ......................................................................... 266 A) Des sanctions contre les promagistrats .................................................... 267 B) De la discipline au sein des garnisons provinciales ................................. 272

CONCLUSION ...........................................................................................283

330

ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES ................................................291 A – SOURCES .................................................................................................. 291 1 – Source principale .................................................................................... 291 2 – Autres sources ......................................................................................... 292 B – BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................... 293 1 - Généralités sur la période ........................................................................ 294 2 - Etudes sur l’Histoire Auguste .................................................................. 299 3 - Etudes spécifiques ................................................................................... 302

INDEX SIGLORVM (Index des sigles) .....................................................313 CARTES .....................................................................................................315 CORPVS IMPERATORVM ROMANORVM HADRIANO NUMERIANO (Corpus des empereurs romains, d’Hadrien à Numérien) ...........................319 INDEX NOMINVM PERSONARVM (Index des noms propres) ..................321 INDEX AVCTORVM ANTIQVORVM (Index des auteurs anciens) .............327

331

L’histoire aux éditions L’Harmattan

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«Le désavantage des colonies qui perdent la liberté de commerce est visiblement compensé par la protection de la Métropole qui les défend par ses armes ou les maintient par ses lois». Cette phrase de Montesquieu résume les liens compliqués entre une métropole et ses colonies sous l’Ancien Régime. La prospérité apportée par les colonies devait être souvent défendue avec acharnement. Des compagnies détachées aux régiments coloniaux, l’aventure des soldats au temps de la Nouvelle-France et des Îles demeure singulière et mal connue. (SPM, Coll. Kronos, 45.00 euros, 534 p.) ISBN : 978-2-917232-28-6, ISBN EBOOK : 978-2-336-36549-7 droit (Le) des Noirs en France au temps de l’esclavage Textes choisis et commentés

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En France entre le XVIe siècle et le XIXe siècle, la vision de l’individu doté d’une liberté formelle fut confrontée à l’existence de l’esclavage aux colonies, en particulier lorsqu’à partir de 1716 une exception au principe du sol libre fut octroyée aux planteurs qui souhaitaient amener en métropole leurs esclaves domestiques. Tout un appareil juridique dut être créé pour accommoder cette exception. Le présent ouvrage cherche à illustrer les différentes étapes que prit cette recherche d’un équilibre entre liberté et esclavage. (Coll. Autrement Mêmes, 29.00 euros, 291 p.) ISBN : 978-2-343-04823-9, ISBN EBOOK : 978-2-336-36295-3 âges (Les) de l’humanité Essai sur l’histoire du monde et la fin des temps

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Drames et tragédies se succèdent qui voient les destructions de la nature, de l’homme et du cosmos dans les royaumes tant hatti que judéen, témoins de la rupture entre le monde terrestre et le monde divin. Quelles explications les peuples touchés par ces situations de crises apportent-ils ? Quels sont les points partagés et les divergences développées par ces deux peuples ? (Coll. Kubaba, série Antiquité, 22.00 euros, 214 p.) ISBN : 978-2-343-04876-5, ISBN EBOOK : 978-2-336-36434-6 échanges (Les) maritimes et commerciaux de l’Antiquité à nos jours (2 volumes)

Sous la direction de Philippe Sturmel

Tous les peuples, ou presque, ont voulu faire de la mer et des océans leur terrain de jeu, de chasse, d’échanges ou d’aventures. A l’aube de l’époque moderne, la navigation commerciale connaît un essor spectaculaire et les terres apparaissent comme un obstacle à son développement. La mer, enfin, comme lieu de toutes les spéculations, intellectuelles, philosophiques ou utopiques. C’est cette grande histoire que les communications rassemblées dans cet ouvrage ont l’ambition de raconter. (Volume 1, Coll. Méditerranées, 31.00 euros, 300 p.) ISBN : 978-2-343-03509-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-36383-7 (Volume 2, Coll. Méditerranées, 30.00 euros, 294 p.) ISBN : 978-2-336-30724-4, ISBN EBOOK : 978-2-336-36382-0 Mensonges de l’Histoire (Tome 2)

Monteil Pierre

Avec simplicité, esprit critique et objectivité, l’auteur s’attaque, dans ce second tome, à de nouveaux «mensonges de l’Histoire» : ainsi, saviez-vous que l’Enfer est une conception médiévale ? Que les chiffres arabes sont en réalité indiens ? Que Gutenberg n’a pas inventé l’imprimerie ? Qu’Abraham Lincoln était raciste ? Que l’Allemagne nazie fut le premier pays dans l’espace ? (Coll. Rue des écoles, 30.00 euros, 300 p.) ISBN : 978-2-343-04362-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-36119-2 Voyageuses (Les) d’Albert Kahn (1905-1930) Vingt-sept femmes à la découverte du monde

Arasa Yaelle

Entre 1905 et 1930, Albert Kahn, riche banquier autodidacte, crée en France, une bourse féminine Autour du monde, octroyée aux plus brillantes des jeunes femmes titulaires de l’agrégation. Les lauréates se nourrissent, durant une année, d’un quotidien nomade, se frottant aux traditions les plus anciennes et à la modernité la plus échevelée. Courriers, rapports et carnets de bord narrent les changements de paysage, du monde, de la société, de l’enseignement féminin et de la vie des femmes durant un quart de siècle. (38.00 euros, 382 p.) ISBN : 978-2-343-04419-4, ISBN EBOOK : 978-2-336-36174-1 mythe (Le) indo-européen du guerrier impie

Blaive Frédéric, Sterckx Claude

Cet ouvrage s’appuie sur les travaux de comparatisme indo-européen initié par Georges Dumézil et plus particulièrement d’un mythème de «guerrier impie» s’attaquant obstinément à tous les niveaux du sacré, du droit et du juste, repoussant dédaigneusement les avertissements divins et s’obstinant dans sa démesure jusqu’à succomber. Ces enquêtes rendent compte des formes et des

motivations propres à chaque culture du guerrier impie (tels que les Grecs Achille et Bellérophon, les Romains César et Julien l’Apostat, l’Irlandais Cuchulainn, le Scandinave Harald l’impitoyable, voire l’Anglais Richard III). (Coll. Kubaba, série Antiquité, 22.00 euros, 224 p.) ISBN : 978-2-336-30260-7, ISBN EBOOK : 978-2-336-35479-8 Figures royales des mondes anciens

Sous la direction de Michel Mazoyer, Alain Meurant et Barbara Sébastien

Dans les mondes indo-européen et méditerranéen, la royauté apparaît comme la forme naturelle et privilégiée de la souveraineté. Son souvenir est particulièrement bien conservé, nos sociétés modernes en ont largement hérité. Dix variations sur la royauté dans l’Antiquité, du monde celtique au domaine gréco-romain en passant par celui des Scythes et des Hittites sont ici proposées. (Coll. Kubaba, 23.00 euros, 230 p.) ISBN : 978-2-343-00291-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-53505-3 Essais d’histoire globale

Sous la direction de Chloé Maurel – Préface de Christophe Charle

L’histoire globale est une approche novatrice qui transcende les cloisonnements étatiques et les barrières temporelles et promeut un va-et-vient entre le local et le global. Développé depuis plusieurs années aux États-Unis, ce courant connaît un essor récent en France. Voici un tour d’horizon varié des travaux récents en histoire globale (concernant l’abolition de l’esclavage, l’histoire du livre et de l’édition, des revues et celle des organisations internationales). (23.00 euros, 226 p.) ISBN : 978-2-336-29213-7, ISBN EBOOK : 978-2-296-53077-5 Vers un nouvel archiviste numérique

Ouvrage collectif coordonné par Valentine Frey et Matteo Treleani

La réinvention permanente apportée par le numérique suscite de nombreux débats. Notre rapport à la mémoire et à l’histoire, longtemps basé sur l’objet matériel et sa conservation physique, est à présent bouleversé. Les techniques ont beaucoup évolué, apportant de nouvelles problématiques, dans le domaine de l’informatique comme celui des sciences humaines. Quelles tensions entre technique et mémoire ? Comment se souvenir du passé à travers ses vestiges ? Que change le numérique ? (Coll. Les médias en actes, 22.00 euros, 224 p.) ISBN : 978-2-336-00174-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-53103-1 mensonges (Les) de l’Histoire

Monteil Pierre

Chaque génération hérite des a priori et des idées reçues de la génération précédente. Ainsi, nombreux sont les mensonges de l’Histoire qui ont survécu jusqu’à nos jours. Nos ancêtres les Gaulois ? Napoléon était petit ? Au Moyen Age, les gens ne se lavaient pas ? Christophe Colomb a découvert l’Amérique ? Ce livre revient sur 80 poncifs considérés par beaucoup comme une réalité... (Coll. Rue des écoles, 28.00 euros, 282 p.) ISBN : 978-2-336-29074-4, ISBN EBOOK : 978-2-296-51351-8 Flavius Josèphe Les ambitions d’un homme

Cohen-Matlofsky Claude

Quelles furent les ambitions cachées de Flavius Josèphe, historien Juif de l’Antiquité ? Il prône, à travers ses écrits, le retour à la monarchie de type hasmonéen, à savoir d’un roi-grand prêtre, comme réponse à tous les maux de la Judée. La question fondamentale est la suivante : comment les élites locales ont-elles géré leurs relations avec la puissance romaine et quel rôle les membres de l’élite ont-ils assigné à leurs traditions et constitution politique dans cet environnement d’acculturation ? (Coll. Historiques, série Travaux, 15.50 euros, 152 p.) ISBN : 978-2-336-00528-7, ISBN EBOOK : 978-2-296-51387-7

mer (La), ses valeurs

Groupe «Mer et valeurs» Sous la direction de Chantal Reynier – Préface de Francis Vallat

La mer, plus que jamais, est la chance des hommes et la clef de leur avenir. Elle leur apprend la responsabilité, suscite l’esprit d’initiative, mais elle oblige tout autant à rester humble devant ses forces naturelles. Le groupe de réflexion «Mer et Valeurs», réunissant navigants et universitaires, examine l’influence de ces valeurs rapportées à toutes les activités humaines. Des références historiques et géographiques illustrent le développement intellectuel et économique des pays qui se sont tournés vers la mer. (21.00 euros, 188 p.) ISBN : 978-2-336-00836-3, ISBN EBOOK : 978-2-296-51412-6 Métamorphoses rurales Philippe Schar : itinéraire géographique de 1984 à 2010

Sous la direction de Dominique Soulancé et Frédéric Bourdier

Philippe Schar était convaincu que la géographie ne saurait exister sans la dimension du temps et la profondeur de l’histoire, seules capables de mettre pleinement en lumière le présent et de le restituer dans toutes ses dimensions. On retrouve en filigrane dans ses recherches concises et pointues la volonté de replacer les opérations de développement à l’interface des logiques promues par les décideurs d’un côté et par les populations de l’autre. Cet ouvrage présente une sélection de ses écrits. (33.00 euros, 320 p.) ISBN : 978-2-296-99748-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-51501-7 Pouvoir du Mal Les méchants dans l’histoire

Tulard Jean

L’Histoire n’est pas une magnifique suite d’actions héroïques et de gestes admirables. Sans le Mal pas d’Histoire. Et il faut l’avouer, les méchants sont les personnages les plus fascinants de la saga des peuples. En voici treize, présentés à travers des dramatiques interprétées jadis sur les ondes. Treize portraits où l’on retrouve méchants célèbres comme Néron ou Beria et héros insolites comme Olivier Le Daim ou le prince de Palagonia. Ils illustrent le pouvoir du Mal. (Coédition SPM, 25.00 euros, 270 p.) ISBN : 978-2-917232-01-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-51010-4 vies (Les) de 12 femmes d’empereur romain Devoirs, intrigues et voluptés

Minaud Gérard

Grâce à un méticuleux travail de recherche se redéploie ce que furent les vies de 12 femmes d’empereur et leur influence, non seulement sur leur mari mais aussi sur le destin de Rome. Les pires informations se mêlent. Un amour maternel allant jusqu’à l’inceste, un amour conjugal virant au meurtre, un amour du pouvoir justifiant tout. D’un autre côté, un sens du devoir exceptionnel, une habileté politique remarquable, un goût du savoir insatiable. (34.00 euros, 332 p.) ISBN : 978-2-336-00291-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-50711-1 monde (Le) des morts Espaces et paysages de l’Au-delà dans l’imaginaire grec d’Homère à la fin du Ve siècle avant J.-C.

Cousin Catherine

Ce livre propose d’étudier l’évolution des conceptions que les Grecs ont pu se former des espaces et des paysages de l’au-delà, jusqu’à la fin du Ve siècle avant J.-C. Monde invisible, interdit aux vivants, mais sans cesse présent à leur esprit, les Enfers relèvent pleinement de l’imaginaire. Une comparaison entre productions littéraires et iconographiques enrichit cette étude et laisse entrevoir l’image mentale que les Grecs se forgeaient du paysage infernal. (Coll. Kubaba, série Antiquité, 39.00 euros, 402 p.) ISBN : 978-2-296-96307-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-50624-4

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L’administr ation des provinces romaines : gage de pérennité pour l’hégémonie impériale

L’histoire de Rome et de l’univers romain a multiplié ses spécialistes et adeptes de manière vertigineuse ces dernières années et le mouvement ne cesse de s’amplifier. C’est parce que ce domaine nous offre un exemple quasi unique dans l’histoire linéaire du monde : celui d’une cité parmi tant d’autres qui, au fil des années, à la force du poignet et au milieu d’immenses difficultés, réussit à se confondre avec le monde méditerranéen et oriental, équivalent de l’univers, selon les normes ou les limites des connaissances géographiques de l’époque… Mais une chose est d’ainsi conquérir le monde, une autre consiste à s’y maintenir au faîte pendant plusieurs siècles. L’objet du présent travail s’articule autour de la démonstration qu’en appui de leurs glaives, les Romains ont réussi à créer l’exception de concevoir un autre «  bras séculier  » plus approprié à la pérennisation de leur ambition de régenter le monde : c’est le rôle dévolu à l’administration romaine. Puisse également cette leçon concourir à saisir quel est l’homme romain, si familier des dieux, si attentif à son propre passé (le mos maiorum passa toujours pour le creuset privilégié de l’éducation collective), si pragmatique dans l’action, si sûr de la destinée éternelle de sa Ville mais, fait particulièrement curieux, si attentif aux fondements culturels et cultuels des autres... Monsieur Alexis Mengue m’Oye est né au Gabon le lundi 21 avril 1958. Enseignant Permanent d’Histoire Ancienne gréco-latine et de Latin, il est également Membre de la S.F.E.R. (Paris-Sorbonne) ; de l’A.H.L.F. (Paris-Sorbonne) ; du C.R.E.H.A. (U.O.B.) et Co-fondateur des C.H.A. (U.O.B.). Il a parallèlement assumé de nombreuses charges politiques et administratives dans son pays (Assemblée Nationale [1990-1996], Secrétariat Général de Ministère, Premier Secrétariat de Parti, Conseiller Politique du Président de la République…).

Illustration de couverture : © ihsan Gercelman - Thinkstock ISBN : 978-2-343-06486-4

35 €

9 782343 064864