La Prédication des Pères Cappadociens. Le prédicateur et son auditoire

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La Prédication des Pères Cappadociens. Le prédicateur et son auditoire

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Le prédicateur et son auditoire par

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LA PRÉDICATION DES PÈRES CAPPADOCIENS Le prédicateur et son auditoire par

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Docteur ès lettres Chargé d‘Enseignement à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Montpellier

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À MA FEMME tr outüyov quit auvepyei n Toù Beoë yérn

INTRODUCTION Lorsque, au mois de mai 337, le pouvoir passe des mains de

Constantin dans celles de ses trois fils, Constantin II, Constance IT et Constant, cette succession est lourde d’une signification dont les

contemporains ne pouvaient guère mesurer toute l'importance. Il n’échappait à personne que la situation des chrétiens dans l'empire et dans la société avait considérablement changé depuis

labdication de Dioclétien.

Il serait peu conforme à la vérité de

s’imaginer que les chrétiens, partout persécutés, avaient brusquement saisi tous les leviers de commande par la grâce de l’empereur converti. On sait tous les tempéraments et toutes les nuances qu’appelle une vue aussi sommaire des choses. « La condition des églises, depuis la trêve de Commode jusqu’à la paix constantinienne, ou plutôt jusqu’à l’édit de Galère, a, en somme, écrivait Jacques Zeiïller, été celle d’associations de fait, que le pouvoir n'ignorait pas, sur lesquelles ont peut même dire qu’il savait de plus en plus à quoi s’en tenir, tout en les jugeant mal, et qu’il tendit de plus en plus à tolérer, quitte à reprendre, au bout d’intervalles pacifiques grandissants, les essais de répression et de suppression au moyen de rigueurs d'autant plus extrêmes et plus prolongées que les progrès faits par le christianisme à la faveur de la tranquillité qui les précédait lui causaient alors plus d'inquiétude ©) ». S'il est vrai que le christianisme avait marqué une importante avance dès avant le règne de Constantin au point qu’on peut se demander si les conversions inspirées par le conformisme ne remontent pas, en plusieurs endroits, à une période très ancienne, il est également exact que l'empire est loin d’être aussi christianisé sous son règne que la légende a pu le laisser croire par la suite. Dans les régions orientales de l'empire, l'influence de Constantin avait, somme toute, été brève. Au demeurant, l'appartenance de l’empereur à l'Eglise était toute relative, puisqu'il ne reçut le baptême qu’à son (1) J. Lebreton et J. Zeiller, De la fin du 1° siècle à la paix constantinienne, pp. 426-427.

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baptisé lit de mort. Théodose fut en réalité le premier souverain e. baptêm son après lement sensib t s’accru e et l'influence de l'Eglis aura sme pagani le ntin, Consta de mort la après ans cinq VinetIl suffit encore assez de force pour susciter la tentative de Julien. de sa ain lendem au inspira qu’elle de lire les pages enflammées que compte rendre se pour ze Nazian de re Grégoi mort à saint la menace avait été sérieuse ().

Il n’en reste pas moins que les progrès décisifs avaient été ou accomplis sous le règne de Constantin, uni à ses associés l’édit 311, d'avril mois le Dès r. empereu unique tard plus devenu de Galère reconnaissait l'existence légale des chrétiens, en même temps qu'il mettait fin à la persécution. Bientôt Constantin et Licinius allaient ordonner la restitution des biens confisqués, accorder au clergé des exemptions fiscales, distribuer palais et subventions, assurer à frais publics la construction de vastes et belles églises. Un chrétien, Lactance, est chargé de l'instruction du fils aîné de l'empereur Crispus; un évêque, Ossius de Cordoue, figure parmi ses conseillers les plus écoutés et inspire sa politique religieuse. Resté seul maître du pouvoir après la défaite de Licinius en 324, Constantin étend à tout l'empire les mesures déjà prises dans ses propres états. La fondation de Constantinople donne à Orient une capitale où le christianisme n’a pas de peine à dominer. Ainsi les chrétiens ne sont plus pourchassés, leur culte nest plus interdit : il fait l'objet de faveurs officielles qui sont la marque d’une préférence ; les plus hautes charges sont revêtues par des chrétiens et l’empereur, « évêque du dehors », réunit et préside dès 325 le premier concile œcuménique à Nicée.

Le cours des événements était-il irréversible ? Sans doute, et

il ne se passera pas quarante ans que Grégoire de Nazianze n'ait l'occasion d’objecter à lApostat la. folie d'une entreprise qui. prétendant détruire le christianisme, ne pouvait plus que ruiner l'empire avec qui il se confondait désormais ®. On peut se demander cependant ce qu'il fût advenu, si la succession immédiate de Constantin avait été assurée autrement; si, par exemple, un Julien avait recueilli le pouvoir de ses mains. L’accession au trône de princes, non point convertis plus ou moins profondément et tardivement comme leur père, mais chrétiens d'éducation, sinon de naissance, le long règne de Constance ajouté à celui de Constantin paraissent avoir constitué des facteurs décisifs en faveur du christianisme. La tentative de Julien restera sans lendemain, et le meilleur signe qu'elle était vouée à l’insuccès est l'attitude de dépendance et d'imitation où le réformateur s’est trouvé réduit à l'égard de ces institutions chrétiennes qu’il entendait combattre, Sous le règne de Constance surgit en Orient, pour la première fois, une génération d'hommes qui naissent chrétiens (2) (3)

Discours Discours

IV et V. IV, 600 AB

INTRODUCTION

dt

dans un empire chrétien. Ils allaient imprimer à la société où ils vivaient comme à l'Eglise à laquelle ils appartenaient une marque profonde et durable. Une situation nouvelle est donc créée à l'aube de ce rv° siècle. Peut-on parler pour autant d’un empire chrétien et que faut-il entendre par là ? La réponse qu’appelle une telle question n’est pas simple, elle ne pourra surgir qu’au terme de recherches nombreuses entreprises dans les domaines les plus variés. Nous espérons simplement que l'enquête ouverte par cet ouvrage pourra apporter des éléments qui aideront à la formuler. Evaluer l'importance numérique des chrétiens, mesurer leur influence sur la société demeurent des entreprises indispensables. Mais il est peut-être plus important encore de se faire une idée aussi exacte que possible de la nature de ce christianisme, de dégager des textes l'idée que ces hommes se faisaient de leur religion et la façon dont ils ont tenté de la vivre. Toutes les régions de l'empire sont désormais touchées par le christianisme, toutes les classes sociales sont atteintes. Partout, les chrétiens sont de plus en plus nombreux, et tout particulièrement dans cet Orient qui tend à devenir le centre de gravité de l'Eglise comme il est celui de l'empire. Cet afflux n’est pas sans poser une série de problèmes nouveaux. Tant qu’ils formaient une minorité, plus souvent tolérée que persécutée, d'hommes qui, pour la plupart, n'avaient pas ou plus de responsabilités sociales ou politiques, les chrétiens pouvaient penser que ia réalisation de leur idéal entraînait sans beaucoup de diflicultés une séparation plus ou moins complète du monde, Un groupe minoritaire pouvait vivre en marge et à l'abri de la société. Mais les solutions qui pouvaient paraître satisfaisantes à l'échelle de l'individu, de la famille ou même de la petite communauté locale ne le sont plus, dès lors que tout le monde est ou se dit chrétien. Il ne suffit plus qu’un chrétien se refuse à porter les armes, car à ce compte il n’y aurait plus d'armée. Si les magistratures demeurent interdites aux chrétiens, qui donc exercera le pouvoir ? Bon gré mal gré, des chrétiens vont devoir se charger des problèmes de la cité. Comme les exigences du baptême n’ont rien perdu de leur force, on assiste à la croissance d’une variété particulière de fidèles. Ils écoutent la prédication, participent aux prières communes et respectent le jeûne du carême, mais ils se dérobent devant le baptême, par faiblesse et par respect, conscients qu'ils sont de l’ambiguité du genre de vie qu’ils continuent à

mener.

Il semble bien qu’au milieu du 1v° siècle, ils soient en

majorité à Constantinople ou Césarée de Cappadoce. Peut-être est-ce par réaction contre une inflation numérique débutante et un abaissement dans la qualité de vie des communautés chrétiennes que le monachisme avait pris naissance. Une telle situation n’est à coup sûr pas étrangère à son développement en Asie mineure dans le cours du 1v° siècle. Une sorte de clivage est en train de

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s'opérer entre une minorité, qui renchérit volontiers sur l’ascétisme

de l'Evangile, et une majorité qui tend à prendre son parti de vivre dans le monde, à condition d’être aussi du monde. La situation était d'autant plus complexe qu’il ne s'agissait pas d’édifier à partir de rien une société chrétienne. Aucune table rase ne Sofirait aux contemporains de Constantin. La génération de chrétiens dont nous parlions tout à l'heure s’est vu brusquement imposer sur les épaules les responsabilités d’un empire et d’une civilisation qu’il fallait prendre comme les siècles les avaients faits. Comme ces chrétiens appartenaient à cette civilisation et à cet empire par leur naissance et leur éducation, par leur parenté et, bien souvent, de longues années de leur vie, par toute une partie d’euxmêmes aussi, il leur était bien difficile de prendre le recul indispensable sans se séparer tout à fait. Entre la tentation du désert et celle des compromissions, la voie était, en vérité, étroite. Que les meilleurs aient opté pour la solitude n’est donc pas pour nous surprendre. Basile de Césarée, Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianze, Jean Chrysostome, pour ne parler que d’eux, en ont ressenti l'appel ; ils en ont fait l’expérience plus ou moins prolongée. Si professer le christianisme, c’est toujours incarner le Christ, la conversion de l'empire au christianisme conférait à cette incarnation une dimension collective toute nouvelle. II s'en faut de beaucoup sans doute que les chrétiens du 1v° siècle se soient posés ces questions d’une façon aussi nette. On peut même se Il demander dans quelle mesure ils en ont pris conscience. n'empêche qu’elles se posaient et que, consciemment ou non, ils leur ont donné réponse. Si quelques-uns pouvaient choisir de se séparer du monde, tandis que la plupart restaient du monde. comment ceux qui étaient investis de la responsabilité du peuple chrétien, prêtres et évêques, auraient-ils pu éluder les problèmes auxquels leurs communautés étaient confrontées ? Comment des prédicateurs pourraient-ils prendre à longueur d’année la parole sans refléter la conscience collective de leur auditoire, sans orienter les fidèles dans leur façon de les aborder et de les résoudre ? Il nous a semblé qu’interroger les sermons des prédicateurs constituait la meilleure manière de pénétrer quelque chose de la vie des communautés chrétiennes auxquelles ils étaient destinés. L'acte d'écrire et de publier est un acte presque solitaire. Certes, l'écrivain doit tenir compte de son public, mais, à la lunite, il peut choisir d'ignorer les hommes qui l’entourent pour s'adresser à ceux qui voudront bien l'entendre au delà de l’espace et du temps. L'orateur est au contraire confronté à son auditoire d’une façon si étroite que l’acte de prêcher est, dans une large mesure, un acte collectif, La prédication d’un évêque témoigne de ce qu’il voulait et devait dire, mais aussi de ce que ses fidèles étaient en mesure d'entendre. Dans cette perspective, la Cappadoce et le groupe des trois grands docteurs qui l'ont illustrée au 1v° siècle s’ofiraient à nous comme un champ d’études privilégié. Région lointaine et long-

INTRODUCTION

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temps défavorisée de l’oixouuévn, la Cappadoce émerge des brumes de l’histoire à l’aube du 1v° siècle pour briller bientôt de tous ses feux. Il n’entre pas dans le cadre de cette étude de faire l’histoir e de la Cappadoce et de rechercher les facteurs historiques et géographiques qui ont tiré ce peuple de lisolement et de l'obscurité, Bornons-nous aux données essentielles Si nous nous en tenons aux limites du 1v° siècle, nous nous trouvons en présence d’une province bordée au Nord par le Pont, à l'Est par la Petite Arménie et à l'Ouest par la Galatie et la Lycaonie. Au Sud, la haute barrière du Taurus ne la laisse communiquer avec le littoral de la Cilicie et, plus loin, Antioche que par un défilé. Un fleuve, l’'Halys, la traverse d’Est en Ouest, puis du Sud au Nord, avant de se jeter dans le Pont-Euxin. Un sommet élevé, l’Argée, proche de sa capitale, Césarée, se détache de ce plateau dont l'altitude moyenne se situe entre mille et deux mille mètres. Le climat continental qu’entraîne une telle situation ne facilitait pas la vie. Déjà la pénétration romaine en Arménie avait commencé à faire jouer au pays le rôle de zone de communication à l'arrière du front. Au cours du 11r° siècle, des routes stratégiques y avaient été ouvertes et, à plusieurs reprises, des empereurs l'avaient traversé. Quant à l’évangélisation de la province, elle semble remonter très haut dans le temps. L'installation de Dioclétien à Nicomédie et de son César à Antioche constitua sans doute le facteur décisif de développement, la route qui unissait les deux capitales empruntant nécessairement le chemin de la Cappadoce. La fondation de Constantinople allait faire le reste. La fortune et les sources du savoir apparaissaient à point nommé pour se mettre au service du talent et de la sainteté de vie Nés en Cappadoce, aux alentours de 330, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse appartiennent précisément à la génération qui a pris le tournant que nous évoquions plus haut. Prêtres et évêques tous trois, ils en ont été responsables pour une large part. Cultivés autant qu'il était possible, ils ont été lucides autant qu’on pouvait l'être. Ayant vécu à Césarée, Nazianze, Nysse et Constantinople, sans parler d'Athènes et d'Alexandrie qu’ils ont fréquentées pendant leur jeunesse, ils nous apportent l'écho aussi bien de la petite ville cappadocienne ou de la métropole provinciale que de la capitale de l'empire d'Orient. Aristocrates de naissance et d'éducation, ils ont approché les notables de tous rangs, les hauts fonctionnaires et la cour impériale elle-même. Issus de la même province et y ayant exercé la majeure partie de leur activité, unis par les liens du sang ou d’une intime amitié, aussi pénétrés les uns et les autres de l’Ecriture que de la culture grecque, ils offrent à notre observation un groupe d’une homogénéité rarement atteinte. Semblables donc, et pourtant différents : ici un conducteur d'hommes, là un philosophe, là encore un poète doublé d’un mystique ;des moines, mais aussi un des derniers évêques mariés. Amoureux de l’iovyix, il ont su donner à leur charge épiscopale ce qu’elle réclamait de soucis, de voyages, de démarches, de contacts humains de tous ordres, voire

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ont d’intrépidité ou de pugnacité. Par la plume et par la parole, ils s sermon des reste nous qui Ce ble, infatiga plus la é déployé l’activit qui s, discour qu'ils ont prêchés ne représente pas moins de 117 de s'étagent entre 362 et 388 et qui furent adressés aux fidèles rs d’ailleu et tinople Constan de Nysse, de e, Césarée, de Nazianz encore ; 117 discours qui parfois commentent l'Ecriture à la lettre; qui, plus souvent, traitent dè morale ou de théologie, de la vie des martyrs et des affaires de l’Église; qui célèbrent une fête liturgique ou font l’éloge d’un disparu, qu'il s'agisse d’une notable de province comme Gorgonie, d’une impératrice comme Flaccilla ou encore d’un hiérarque tel que Mélèce d’Antioche. Ce que nous chercherons à déceler derrière le texte publié de c’est, dans la mesure du possible, la parole vivante telle discours, ces que, sortie de la bouche du prédicateur, elle avait atteint les fidèles qui l’'écoutaient ou qui bavardaient entre eux. Notre sujet d’étude, ce sont les préoccupations qui animaïent le prédicateur dans le moment où il s’exprimait, c’est la relation qui l’unissait à son auditoire. Peut-être aussi aurons-nous la chance de saisir quelque chose de la physionomie de ces chrétiens du 1v° siècle, qui, à Nazianze et à Nysse, à Césarée ou à Constantinople, se bousculaient autour de leur chaire. Autour du prédicateur et de son auditoire se trouve circonscrit notre intérêt. Il pourra se faire que notre démarche éclaire, ici ou là, tel autre aspect de nos auteurs ou de leur époque et il nous arrivera de faire état de telle constatation qui nous aura paru digne d'intérêt, mais nous la laisserons dans les marges. C’est dire que nous écartons délibérément de notre enquête plusieurs problèmes, en eux-mêmes importants et pleins d'intérêt, que l'étude de cette prédication ne manque pas de poser. Ainsi, on ne trouvera rien dans cet ouvrage sur les méthodes de composition de Basile ou des deux Grégoire, rien non plus qui puisse concerner le vocabulaire qu’ils emploient ou leurs façons d'écrire, rien encore sur l’origine des idées qu’ils expriment ou l'usage qu’ils font de l’Ecriture. Le

principe

de la recherche

que

nous

avons

conduite

se

légitime sans peine aux yeux de l'historien. Ajoutons qu’elle intéresse tout autant l'helléniste, Celui-ci a le droit de se demander si des écrivains qui ont proclamé bien haut leur volonté de rompre avec les traditions de l’hellénisme le concernent encore. On lui répondra que dans les faits les proclamations d’indépendance les plus violentes dissimulent mal la permanence d’une culture qui doit à la Grèce tous ses moyens d'expression et bon nombre de ses façons de penser ou de sentir. Reconnaissons que les écrivains

chrétiens ne relèvent pas tous au même degré de l’hellénisme et qu'ils honorent de façons bien inégales la civilisation qui les 4

nourris. Les orateurs que nous étudions ont mérité d’avoir place aux côtés de ceux qui les ont précédés : il suffit de les lire pour être amené à le reconnaître, si on était tenté d’en douter. Il y aurait

quelque puérilité à prétendre instituer une exacte hiérarchie dans la cité des écrivains de la Grèce. Aussi ne réclamerons-nous pas

SAINT BASILE

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pour ceux-ci un rang voisin de celui des plus grands, mais nous demanderons qu’on leur reconnaisse droit de cité aussi bien, et nous serions tentés d’ajouter mieux, qu’à un Julien ou un Libanio s, pour ne parler que de leurs contemporains. Ce n’est pas rien que d’avoir ranimé et porté haut la flamme vacillante de l’antiqu e éloquence. Peut-être est-il nécessaire d'expliquer et de légitimer la méthode suivie dans notre exposé. Il nous a paru indispensable de procéder d’une façon largement inductive et, pour ainsi dire, de tailler au fur et à mesure les pierres avec lesquelles nous bâtissi ons l'édifice. Il fallait en effet définir au préalable, dans la mesure du possible, le Sitz im leben de chaque sermon, déterminer sa date et son lieu, retrouver les circonstances et les préoccupations qui l'avaient inspiré. C’est pour cette raison que les trois premières parties de ce livre, respectivement consacrées à Basile de Césarée , Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse, resteront aussi analytiques que possible. On s’y efforcera de laisser parler les textes et d'élaborer l’un après l’autre les matériaux d’une synthèse qui fera lobjet de la dernière partie. Ainsi thèmes et réflexions s’agenceront et s’orchestreront d’une façon progressive tusqu’à leur conclusion. Notre reconnaissance va à M"° Harl, professeur à la Sorbonne, dont les conseils et l'exigence nous ont été d’un précieux secours, ainsi qu'à M. Marrou, qui nous a encouragé au début de cette recherche et nous a toujours réservé le meilleur accueil, sans oublier notre ami, le P. G.-M. de Durand, ©. P., assistantprofesseur à l’Institut d'Etude Médiévales de Montréal, dont le dévouement et l’exacte critique ont contribué à éliminer bien des imperfections de ce travail.

PREMIÈRE

PARTIE

SAINT BASILE Basile de Césarée est né vers 330 dans la ville même dont il devait devenir l’évêque. Il n’était pourtant cappadocien qu’à demi, puisque sa famille paternelle était originaire du Pont. Sa propre correspondance, les oraisons funèbres que lui ont consacrées son ami Grégoire de Nazianze et son frère cadet Grégoire de Nysse, ainsi que la Vie de Macrine, leur sœur aînée, composée par le même Grégoire de Nysse, nous permettent de connaître assez bien l’histoire de sa vie et le milieu familial dont il est issu. Nous nous bornerons ici au rappel des faits essentiels (). Nous ignorons le nom du grand-père paternel de Basile, sa grand-mère portait le nom de Macrine qui sera donné à leur petite-fille. Il n’est pas douteux que la famille était extrêmement riche et iniluente et il est possible qu’elle ait appartenu à l’ordre sénatorial ®. Les grands-parents de Basile étaient chrétiens, ils avaient reçu l’enseignement de saint Grégoire le Thaumaturge, (4) La biographie de Basile donnée par Maran (PG XXIX, v-clxii) reste l'étude de base. Nous citerons à leur place divers travaux qui en ont renouvelé des aspects importants. (2) B. Treucker, Politische und sozialgeschichiliche Studien zu den Basilius - Briefen, Münich, 1961. La thèse de Treucker, pour qui Basile est d’origine sénatoriale, a été acceptée par J. Daniélou, RSR LI (1969), 147-152. Au contraire St. Giet (Basile était-il sénateur ? RHE LX (1965), 429-444) juge la chose impossible. Pour nous, nous estimons que la grande ombre du sénat romain ne doit pas fausser notre jugement dans l'appréciation des choses de l'Orient à la date qui nous intéresse. Il est douteux, par exemple, que le récent sénat de Constantinople ait eu beaucoup plus de prestige que la Boulé d’Antioche. Nous ne croyons pas que les textes permettent d’aflirmer

que le père ou le grand-père de Basile aient été inscrits sur la liste des séna-

teurs de Constantinople, En revanche, is montrent que la famille de Basile appartenait à la plus haute noblesse. Les termes employés par Grégoire de Nazianze à son sujet (ci. infra p. 241) dénotent une ascendance royale. Peut-être Basile descendait-il d’un dynaste du Pont, région à laquelle le nom de son frère Naucratios nous renvoie probablement.

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era plus lui-même, on le sait, disciple d’Origène. Basile compos ène (). d'Orig choisis tard, avec son ami Grégoire, des morceaux se durent ils 311), à 304 de t Pendant sept années (probablemen cacher à la campagne

dans des conditions

assez précaires pour

échapper à la persécution de Maximin et de Galère. Leurs biens s’est furent alors confisqués. La première éducation de Basile ence. l'influ subi a il dont enne J’Anci e Macrin déroulée auprès de Nous connaissons moins bien sa famille maternelle. Nous savons cependant qu’elle était, elle aussi, chrétienne et comptait dans ses

de rangs des prêtres ou des évêques. Le grand-père maternel Basile subit le martyre. Les parents de notre auteur, Basile l'Ancien et Emmélie, héritaient donc d'une Îoi chrétienne très profonde. Basile l'Ancien est mort assez vite 4. Il avait recouvré la fortune de ses parents et l'avait peut-être accrue, puisque la

famille possédait des terres dans trois provinces différentes ©). Il exerça, dans le Pont semble-t-il, la profession de rhéteur et y acquit de la notoriété. Basile retrouvera, étudiant à Athènes, d'anciens élèves de son père parmi ses condisciples (5). Emmélie restée seule éleva la nombreuse et originale famille que son mari lui avait laissée. Sur les dix enfants que nous lui connaissons, un mourut en bas-âge : il restait donc cinq filles et quatre garçons. Citons dans l’ordre Macrine, l’aînée de tous, qui exerça sur ses frères une grande influence et qui organisa autour d'elle une communauté religieuse de femmes; Basile lui-même, l'aîné des garçons; Naucratios, mort à 27 ans, après cinq années de vie érémitique ; Grégoire, futur évêque de Nysse, que nous retrouverons plus loin; Pierre, futur évêque de Sébaste, le dernier de tous; quatre filles mariées enfin, que nous ne savons pas situer exactement à leur rang. Un oncle paternel, nommé Grégoire, était évêque en Cappadoce (”). Une telle famille atteste dans tous les domaines une rare vitalité. Il semble que Basile fut élevé auprès de ses parents à Néocésarée jusqu’à l’âge de douze ans. Il suivit alors les leçons de son propre père. S'il continua ses études à Césarée de Cappadoce, c’est probablement à cause de la disparition de ce dernier. La ville de Césarée et ses écoles jouissaient alors d’une excellente réputation. C’est là qu'il noua avec Grégoire de . G) La Philocalie. Ci. l'édition de J.-A. Robinson, The Philocalia of Origen, Cambridge, 1893. Sur L’origénisme de saint Basile, voir l’article de J. Gribomont paru sous ce titre dans L'homme devant Dieu (= Mélanges de Lubac), Paris, 1964. Les choix de la Philocalie montrent que ses auteurs s’intéressaient peu au prédicateur dans la personne d’Origène, (4) Dans sa Vie de Macrine (Ed. Jaeger, 383, 10), Grégoire de Nysse, dit que Basile l'Ancien est mort presque aussitôt après la naissance de son dernier fils, Pierre. (5) Vie de Macrine, 376, 19-20. (6) Grégoire de Nazianze, Discours XLIII, 517 B. (7)

Basile, Lettres

LVIII, LIX

et LX.

SAINT BASILE

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Nazianze les premiers liens d’une amitié qui devait connaît re toute sa force quelques années plus tard à Athènes. Après un bref séjour à Constantinople, Basile vint en efiet à Athènes pour y acheve r ses études. Son ami Grégoire l'y avait précédé. Ce séjour à Athènes , l'amitié qui faisait des deux jeunes gens des inséparables, la forte culture qu’ils y acquirent, tout cela s'inscrit approximativ ement entre les deux dates de 350 et 357. Basile rentré en Cappadoce enseigna-t-il la rhétorique pendan t une brève période ou a-t-on mal compris une phrase ambigu ë de Grégoire de Nazianze ® ? Ce qu'il y a de certain, c’est que l'influence de Macrine retrouvée décida Basile à recevoir le baptême et embrasser la vie monastique. Il est probab le que l'influence d’Eustathe de Sébaste, avec qui il entrera beauco up plus tard en violent désaccord, a été à ce moment-là plus forte sur Basile et sur sa famille qu’il n’a voulu le laisser paraître. Quoi qu’il en soit, il organise un monastère d'hommes au bord de lIris, à Annési près d’Ibora et de Néocésarée, en face de la maison où il avait été élevé auprès de sa grand-mère, au voisinage du monastère féminin où sa sœur élevait alors leur plus jeune frère, Pierre. Grégoire de Nazianze vint y séjourner, mais ne put s’y fixer délinitivement, comme il l'aurait voulu, à cause de l'opposition déterminée de son père. Basile accorda, dans les années qui suivirent, la plus grande partie de son temps et des ses efforts à l’organisation de la vie monastique dans le Pont et en Cappadoce. C’est de cette période que date le noyau de ses œuvres ascétiques, destinées aux moines. En 364 au plus tard, deux ans après son ami Grégoire, Basile est appelé au sacerdoce par l’évêque de Césarée, Eusèbe. L'ascendant du nouveau prêtre, le succès de sa parole amenèrent l’évêque à concevoir à son égard une certaine jalousie. Basile dut momentanément s’écarter. Il se retira dans le Pont. La médiation de son ami, la menace que faisait peser sur l'église de Césarée l’empereur arien Valens et le besoin ressenti par l’évêque d’un appui solide entraînèrent la réconciliation. Dès lors, Basile est aux côtés d'Eusèbe et, si nous en croyons Grégoire, c’est lui qui inspire toutes les décisions d’un évêque peu expérimenté. En 370, grâce à l'énergie déployée en sa faveur par le vieil La

A

2

(8) J. Gribomont, dans un article intitulé Eustathe le Philosophe et les voyages du jeune Basile de Césarée, RHE, LIV (1959),115-124, a bien mis en relief l'influence d'Eustathe sur Basile et sa famille au début, en particulier sur l’ermite Naucratios. Gribomont établit qu'il n’y a pas eu de carrière « mondaine » de Basile à son retour en Cappadoce. S’ensuit-il qu'il faille modifier l'interprétation traditionnelle de la phrase de Grégoire de Nazianze qui a accrédité

l'existence

d’une

telle carrière

(Discours

XLIIT,

529 C)?

- Grégoire

nous à dit aïlleurs (Poème autobiographique, 1048, v. 265-276) qu’il fit alors usage des connaissances acquises à Athènes et sa Lettre III montre qu'il eut au moins un élève. Le «nous» dont il use dans l’Oraison funèbre de Basile associe donc ce dernier à sa propre conduite. Peut-être Basile alla-t-1l beaucoup moins loin dans cette direction que son ami, mais il fut suffisamment tenté (cf. Vie de Macrine, éd. Jaeger, 377. 8-14) pour que son ami l’ait compromis avec lui. Sur Eustathe et Basile, cf. également J.. Gribomont, DS, s. v £ Eustathe de Sébaste.

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PÈRES

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évêque de Nazianze, père de son ami, il succède à Eusèbe et devient évêque de Césarée. Dès lors, son activité se multiplie dans tous les domaines. Sans cesser, semble-t-il, de suivre l’organisation des communautés mbnastiques, il fait front contre les pressions impériales en faveur de l’arianisme. Il entreprend, sans succès, une série de démarches diplomatiques pour faire intervenir, par l'intermédiaire des évêques occidentaux, l’empereur Valentinien, attaché lui-même à la foi de Nicée, auprès de son frère Valens, s’efforçant en même temps d’apaiser la querelle qui opposait les deux épiscopats à propos du schisme d’Antioche ©. Dans le même temps, il entreprend à Césarée la construction d’un ensemble de bâtiments destinés à servir d’hospice pour les malades, de caravansérail pour les voyageurs. On l’appellera la Basiliade (0). En 372, la séparation de la province de Cappadoce en deux provinces risquait d’affaiblir son autorité de métropolitain : pour parer à ce danger, il créa de nouveaux sièges épiscopaux. C'est alors qu'il fit de son frère un évêque de Nysse et qu’il tenta d'installer à Sasimes son ami. Celui-ci finit par accepter à contrecœur de recevoir la consécration épiscopale, il ne mettra jamais les pieds à Sasimes. Le conflit entre les deux hommes fut douloureux. Le 1* janvier 379, Basile, qui avait toujours eu très mauvaise santé, disparaissait prématurément. Son épiscopat n’avait duré qu'un peu plus de huit années (1). Il avait manifesté une grande énergie et une extrême activité. L’abondance de son œuvre en témoigne. Sa correspondance, une des plus fournies et des plus variées, permet de mesurer l'éventail de ses activités. Les œuvres ascétiques permettent d’entrevoir en lui le fondateur religieux. Le Contre Eunome le montre aux prises avec la pensée arienne. Grégoire de Nazianze l’a associé à la composition de ses Invectives contre Julien, preuve qu'il n’est pas resté étranger à la lutte contre le paganisme renaissant, tandis que le petit traité Sur la manière de tirer profit des lettres helléniques nous le montre à la fois soucieux de problèmes d'éducation et de sauvegarder le meilleur de l’héritage intellectuel de la Grèce. Le traité Sur le Saint-Esprit apporte sa contribution à un problème théologique qui devait trouver au concile de Constantinople, en 381, une solution que Basile a largement contribué à préparer. Comme il était normal, la prédication a tenu dans la vie de Basile, devenu prêtre et évêque, une place considérable. Environ .

A

L4

A

La



.

(9) M. Richard, dans un article sur Saint Basile et la mission du diacre Sabinus, AB LXVII (1949) (= Mélanges Paul Peeters I), 178-202, a éclairé le détail de négociations complexes où Basile cherchait à faire d’une pierre deux coups en utilisant Athanase. (10) Sur la Basiliade, voir les textes groupés par Giet, Les idées et l'action sociales

de saint Basile,

Paris,

1941, 419-423.

La

Basiliade

devait

aussi

com-

prendre une église, la demeure de l’évêque et des logements pour le clergé. (41) Il est à noter que l’activité pastorale de Basile coïncide par les dates avec le règne de Valens, élevé à la pourpre le 28 mars 364, mort le 9 août 378 dans le désastre d’Andrinople.

SAINT BASILE

ral

45 discours peuvent être considérés comme authentiques. Ils sont répartis en trois groupes tout à fait distincts que nous envisagerons séparément en leur conservant leur dénomination traditionnelle, même si cette terminologie n’est pas toujou rs exacte. Les Homélies sur les Psaumes méritent, à n’en pas douter, leur titre. Il en va de même des Homélies sur l’'Hexaéméron, dans la mesure où nous avons affaire à une explication du récit de la création dans la Genèse. Pourtant l'ampleur de ces discours, leur densité de pensée, l'ambition qu’ils trahissent nous éloignent de l'entretien familier qu’est essentiellement l’'homélie. Quant aux Hormélies diverses, ce titre mérite d'être conservé pour sa commodité, bien qu’il recouvre aussi bien des éloges de martyrs ou des exhortations morales qu’un unique commentaire de Ecriture (2), (12) Nous n'avons pas encore à ce jour d'édition critique des sermons de saint Basile: nous nous reporterons donc au texte de la Patrologie, en attendant les éditions annoncées par Dom E. Rouillard d’un côté, E. Amand de Mendieta et S.-Y. Rudberg de l’autre.

CHAPITRE

PREMIER

Les Homélies sur les Psaumes

LE —

ŒUVRES

AUTHENTIQUES

ET APOCRYPHES.

Parmi les homélies sur les psaumes attribuées par les manuscrits à saint Basile, les Bénédictins en ont recueilli 13 dont l'authenticité ne fait aucun doute. Elles concernent, dans l’ordre du psautier, les Psaumes 1, VII, XIV, XXVIIT, XXIX, XXXII, XXXIIE, XLIV, XLV, XLVIIE, LIX, LXI, et CXIV ®. Cinq autres homélies, considérées comme apocryphes. étaient rejetées en appendice. Elles concernent deux psaumes qui figurent déjà dans la précédente liste, les Psaumes XIV et XXVIII, ainsi que les Psaumes XXX VIE CXV et CXXXII @). Déjà Migne avait réintégré à sa place la première de ces homélies : Basile y commente les 4 premiers versets du Psaume XIV, annonçant pour le lendemain une explication du cinquième verset, explication que nous trouvons précisément L’homélie dans l'homélie authentique sur le Psaume XIV. contestée figure d’ailleurs dans un très grand nombre de manuscrits. On a montré depuis que Garnier s'était trompé en croyant reconnaître de Césarée

dans l’homélie contestée un noyau dont Eusèbe aurait été l’auteur. Ce qu'il attribuait à Eusèbe

provient en fait d’une chaîne d'époque plus tardive qui faisait à Basile de larges emprunts %) Il faut sans doute aussi restituer à Basile l'Homélie sur le Psaume CXV. Dans l'introduction qu’il a donnée à la réédition dés tomes de la Patrologie consacrés à Basile, Dom J. Gribomont indique brièvement que sa préférence va dans ce sens, mais il ne fournit aucun argument à l'appui (®. Qu'il nous suffise de rappeler que Garnier ne rejetait cette œuvre qu'avec des hésitations, en s'appuyant sur des arguments de style extrêmement fragiles ainsi que sur des analogies avec des passages attribués par la chaîne déjà citée à d’autres auteurs %). Pour nous,

._

(4) PG XXIX, 209-493. (2) PG XXX, 72-117. (G) R. Devreesse, Chaînes exégétiques grecques,

tionnaire de la Bible, I, Paris, 1928, col.

1123.

(4) PG2 XXX, p. 3, n. 6. (6) Praefatio, 39, PG XXX, CCIII-CCIV.

in Supplément

au Dic-

SAINT BASILE

.

23

nous ne voyons aucun motif d’écarter ce discours. En revanche l'usage à deux reprises de l'expression 656 xx ré£er rappelle l'Homélie I sur le Psaume XIV où nous lisons rééer mn xat 655 (6). La banalité de l'expression ne confère pas, il est vrai, grande autorité à un tel rapprochement. Beaucoup plus importante est la similitude de pensée et d'expression qui conduit l’auteur de notre homélie à déplorer que certains chrétiens constituent des sectes en se réunissant dans des maisons privées, d’une façon qui rappelle l'Homélie sur le Psaume XXVIII ©. En revanche, les trois autres homélies de l’appendice sont très probablement à rejeter d’une façon définitive ®. La très brève

Homélie sur le Psaume CXXXII n'apparaît presque jamais dans les manuscrits, les deux autres sont très rares ®. On a proposé, il y a peu d'années, d’attribuer à Eusèbe de Césarée l'Homélie sur le Psaume XXXVII 4), Un jugement définitif ne pourra sans doute être porté que lorsque les travaux en cours sur la tradition

manuscrite des discours de saint Basile seront arrivés à leur terme. Certaines des conclusions que nous dégagerons de l’étude de ces quinze homélies seront peut-être alors sujettes à révision : l’essentiel de notre enquête n’en sera sans doute pas affecté.

2. — LES PROBLÈMES DE DATES.

L’exorde de la première homélie constitue une introduction à l'étude du livre des Psaumes tout entier. On en déduirait aisément que Basile inaugurait par ces paroles une prédication suivie sur les psaumes. A l’objection que cette prédication ne porte en fait que sur un petit nombre de psaumes, on pourrait répondre qu’une grande partie de l’œuvre s’est perdue. Dans cette perspective, il suffirait de découvrir dans l’une ou l’autre homélie quelque point de repère pour pouvoir cerner-la date de l’ensemble.

En fait, les choses se présentent autrement. Il est bien possible que Basile n’ait parlé du livre des Psaumes dans l’exorde de l'Homélie sur le Psaume 1 que pour commenter

le titre du livre,

de la même façon qu'il commente habituellement la suscription de chaque psaume. Le titre du livre précédant, sur la page qu’il avait sous les yeux, la suscription du Psaume I, il a cru d’autant plus facilement devoir l'expliquer qu'il lui fournissait une excellente (6) Cf. H Ps CXV, 105 A et I H (7) 113 C. Ci. H Ps XXVIII, 288 : (8) Cf. les observations de Dom et XXX, p. 3. (9) S.-Y. Rudberg, Etudes sur Upsala, 1953, p. 54.

Ps XIV, 252 A. A. J. Gribomont dans PG2 XXIX, p. 10-11 la tradition

(40) M. Richard, Bulletin d'Information d'Histoire des Textes, V, 1956, p. 89.

de

manuscrite

de saint Basile,

l'Institut de Recherche \

et

24

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

d’étoffer entrée en matière et que ce développement lui permettait autre Une le commentaire d’un psaume extrêmement court. é rajout été ait exorde cet que hypothèse qui n’est pas exclue est de voie en recueil un à on oducti d'intr après coup pour servir le constitution. Il n’est donc pas évident que Basile ait commenté reste nous ne il comme psautier d’une façon suivie, Au demeurant, il de cette prédication que le commentaire de 14 psaume sur 150, péri. nt auraie e l'œuvr de 9/10“ des plus que re admett faudrait Enfin, et surtout, l'examen des quinze homélies fait apparaître un certain nombre de repères chronologiques qui montrent que nous nous trouvons en présence d'œuvres qui appartiennent à des époques sensiblement différentes. Il est possible que ces homélies aient été prêchées en diverses circonstances, que leur auteur ne les ait jamais réunies en un corps; il est également possible que Basile ait un jour fait un choix parmi les textes des homélies qu’il avait antérieurement prononcées et qu'il ait assuré la publication de ce choix. Ce sont là des hypothèses que nous examinerons plus loin. Pour commencer, nous allons essayer, sinon de dater chaque homélie, ce qui est impossible, au moins de dégager des terminus approximatiis.

Les deux homélies consacrées à l’exégèse du Psaume XIV constituent un bloc, puisqu'il ressort de leur texte qu’elles se sont succédées à vingt-quatre heures d'intervalle 4). Maran avait déjà noté que l’homme qui s’y donne comme pauvre et par R libéré de tout souci d'argent n'avait pas encore endossé le fardeau de l'épiscopat (2. Disons, d’une façon plus précise, qu’à tout le moins il n'a pas encore entrepris de réunir les fonds nécessaires à la construction de la Basiliade et que les querelles d'intérêts qui devaient l’opposer à Anthime de Tyane n'avaient pas encore éclaté. Ajoutons que la première des deux homélies contient un passage instructif sur les idées de son auteur en ce qui concerne la

façon de faire l’aumône. « De même que le vin est souvent nécessaire aux malades, mais qu’il n’appartient pas à tout le monde de

déterminer à quel moment il l’est, dans quelle mesure et de quelle nature on doit le donner, et qu’il faut un médecin pour l’administrer ;de même, tout le monde ne peut pas se charger utilement de la distribution aux nécessiteux. Ceux qui composent des mélodies plaintives pour tromper les femmes, qui exposent leurs mutilations et leurs ulcères pour en trafiquer, il n’y a absolument aucune utilité à leur venir en aide généreusement, car les largesses leur seront occasion de mal faire. Il faut se débarrasser de leurs hurlements en leur donnant avec modicité. Mais ceux qui manifestent compassion et amour fraternel envers ceux qui ont

appris à supporter les épreuves avec constance, d’eux aussi il sera

dit : J'ai eu faim et vous m’avez donné à manger (3) ». Ce langage (41) Ci. I H Ps XIV, 264 D. (12) Vita, PG XXIX, CEXIII C. (13) 264 AB.

SAINT BASILE

25

est peut-être antérieur à l’épiscopat, en tout cas à 372. Son auteur semble préoccupé par la nécessité d’une certaine organisation de la distribution des aumônes et des secours à donner aux misérables : il ne semble pas qu’un projet précis ait déjà pris corps dans son esprit, encore moins qu’il ait reçu un début d'exécution.

Plus ténu est l'indice que fournit un développement de lHomélie sur le Psaume XXVIII. Basile y commente en eftet le’ verset « Apportez les fils des béliers » en appliquant le mot bélier aux évêques : « Tels sont, entre autres, les chefs du troupeau du Christ : ils conduisent aux nourritures fleuries et odorantes de l'enseignement spirituel, ils répandent l’eau vivante dispensée par l'Esprit, ils haussent et ils élèvent pour faire produire du fruit, ils

guident vers le repos et la sécurité à l'abri des agresseurs (9 ». Le caractère un peu impersonnel de cette déclaration ne donne pas à croire que celui qui s'exprime ainsi soit lui-même déjà revêtu de l’épiscopat. Mais il n'y a là, il faut ie reconnaître, qu’une impression qui n’a rien de déterminant. En tout cas, l’auteur de cette homélie s'exprime sur le Saint-Esprit d’une façon extrêmement réservée. « Quiconque parle des choses divines comme il faut, de façon à ne pas s’écarter de la juste conception au sujet du Père, de la divinité (8e6rnroc) du Fils et de la gloire (36£nc) du Saint-Esprit, celui-là apporte au Seigneur gloire et honneur (5) ». Une telle façon de parler nous semble certainement antérieure à la publication du Traité du Saint-Esprit, c’est-à-dire à 375.

L’'Homélie sur le Psaume CXIV est celle qui présente l'indice de la plus haute antiquité, indice qui n’avait pas échappé à Maran. Arrivant vers midi dans un martyrium où les fidèles avaient passé la nuit en prière (6), Basile prend la parole pour commenter le Psaume CXIV que lassistance chantait à son arrivée. S’excusant de son retard, il l'explique par les charges pastorales qui l'avaient retenu dans une autre église « du même rang » qui lui était habituellement confiée. Il vaut la peine-de peser les termes : « Si nous avons besoin de présenter une excuse de notre retard et du fait que nous vous avons largement fait faux-bond, nous dirons que la cause en est que, veillant sur une autre église de Dieu du même rang que celle-ci (äanv éuériuov rubrn rod Oeod érxAnotav oixovouoüvrec), séparée de

vous par une distance qui n’est pas négligeable, nous lui avons consacré cette partie de la journée. Puisque donc le Seigneur m’a accordé d’accomplir pour eux la liturgie et ne pas être privé de votre charité, rendez-grâces avec nous au bienfaiteur qui affermit de son invisible force cette faiblesse que vous voyez en nous (19 »,

Basile a donc une charge pastorale précise. S'il s’agit de l’épiscopat, ce n’est pas à une communauté située sur le territoire d’un autre (14) (45) (16) (17)

284 284 484 484

AB. C - 285 A. A. BC.

f

LA

26

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

cement de évêque qu’il rend visite, car il ne semble pas qu’un dépla cinquante avait qui e homm quelques heures ait pu permettre à un propre. chorévêques dans sa juridiction de sortir de son territoire de iate imméd ction juridi la dans trouve se nauté Si cette commu qu’il dire it pourra il nt l’évêque de Césarée, on ne voit pas comme évêque veille sur une autre église de même rang que celle-ci. Un

visite à des fidèles éloignés de sa ville épiscopale s’expri CXIV e Psaum le sans doute autrement. L'Homélie sur donc à l’époque où Basile exerçait le sacerdoce auprès de Eusèbe de Césarée. C’est peut-être la seule 47), L'Homélie sur le Psaume VII peut nous fournir un critère négatif : Basile parle en effet des apostats d’une façon vague et assez impersonnelle pour qu’on puisse penser que les souvenirs du règne de Julien s'étaient suffisamment éloignés, ce qui correspond à la période de l’épiscopat, ou, à la rigueur, à l'extrême fin du sacerdoce (8). D'autres homélies semblent bien dater de l’épiscopat. La maladie a été chose trop habituelle chez Basile pour que la mention qui en est faite dans l'Homélie sur le Psaume I puisse fournir le moindre critère (1%, mais quand un prédicateur s’écrie «en vérité, je connais des hommes qui dans leur jeunesse se sont vautrés dans les péchés de la chair et qui demeurent dans leurs péchés jusque sous leurs cheveux blancs pour s'être habitués au mal (9 », on est tenté de penser qu’il a acquis l'expérience de la quarantaine : or c’est à quarante ans que Basile est devenu évêque. De même, le mépris superbe affiché à l'égard des hommes de loi et des magistrats dans l’'Homélie sur le Psaume LXI est mieux à sa place dans la bouche de l'évêque de Césarée 2). L’Homélie sur le Psaume XXXIII annonce peut-être l'Hexaéméron quand Basile s'écrie « Celui qui exalte le Seigneur..., c’est ensuite celui qui considérant avec ouverture d'esprit et profondeur de pénétration les grandes choses de la nature pour contempler, à partir de la grandeur et de la beauté des créatures, celui qui est leur auteur. Plus on pénètre les lois selon lesquelles les choses ont été créées et sont gouvernées, plus on contemple la magnificence divine 2) ».

rendant merait remonte l'évêque

(47*“)On peut se demander si le mot nixovoueiv ne revêt pas dans ce passage un sens relativement précis. Basile exerce peut-être les fonctions d oixovépoc et en porte le titre. Mais que faut-il entendre par là ? Basile utilise ce terme

dans

sa

correspondance

(Lettre

237, 885 B) sans

donner

de

précision utile. Isidore de Péluse utilise fréquemment le mot (cf. par exemple Lettres 1, 269; II, 127), qui figure dans les canons 25 et 26 du concile de Chalcédoine. Il s’agit d’un prêtre investi de responsabilités administratives et financières. On a bien l'impression de trouver en Basile quelque chose comme un curé de paroisse urbaine.

(18) (19) (20) (21) (22)

240 228 224 477 357

BC. AB D - 225 A. C. A.

SAINT BASILE

Mais s'il y a là la marque

27

d’une orientation d'esprit qui devait

guider Basile dans son commentaire de l’œuvre des six jours, de nombreuses années ont pu s’écouler avant que cette préoccupation aboutisse de cette façon. Peut-être y a-t-il dans cette même homélie une allusion à un événement bien connu de la vie de Basile. «Toute crainte, dit-il, n’est pas bonne et salutaire... La peur de la mort est notre ennemie, quand elle nous inspire la âcheté en nous persuadant de rester transis devant nos supérieurs. Comment celui qui est animé d’une telle crainte pourra-t-il, au moment du martyre, résister jusqu’à la mort au péché... ? (3) L’intrépidité que prêche Basile, l'absence totale de crainte des menaces de mort que peuvent proférer des supérieurs ayant le pouvoir de le faire, cela évoque immédiatement une circonstance : bien connue de sa vie : l’entrevue avec le préfet du prétoire Modestus, entrevue que rapporte Grégoire de Nazianze. Cette homélie nous semble donc postérieure à 372.

On retrouve dans l’'Homélie sur le Psaume XXXII un écho au moins aussi net de cette entrevue. «Quand donc tu entendras quelqu'un proférer de graves menaces et se targuer d'attirer sur toi des malheurs de tous genres, amendes, coups ou mort (Emulas à rAnyèc à Oavérouc), regarde vers le Seigneur qui disperse les conseils des nations et qui écarte les pensées des peuples » 2%. Il suffit de se reporter au récit de Grégoire de Nazianze pour constater la ressemblance. Au préfet qui le menace de «confiscation

(Shuevow),

exil

(é£oplav),

torture

(Baodvouc),

mort

(Gévarov) », Basile rétorque : « S’il te reste encore quelque autre chose, profères en la menace (äxetla )» 25), Cette homélie, comme la précédente, est donc postérieure à 372. Mais, à défaut de repère chronologique précis, elle contient un développement qui l’apparente de très près au Traité du Saint-Esprit, dont on sait qu’il date de 375. Dans le traité comme dans l’homélie, le verset 6 du Psaume XXXII fait l’objet d’un commentaire où les mêmes termes se retrouvent dans le même ordre : Oùre yèp A6Yoc, à xoivh abrn Axa, vouuoünoerar ÉE èvoudrov xai Énuérov Thv oboraorv Éxovoæ, oùte To Ilveduo

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LA

28

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

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Ilvebuaroc. Où yàp pÜoer dyuar ai T@v odpavüv Suvdueic… O pévrot dYLAOUÈG

Où yèp vor xriolévres où &yyEAo!, tra relcoévrec rh xar’ dALYOV LERËÉT,

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SroJoync yeyévaoiv' dAN Év Th TPÈTN

ovoréoer xai T@ olovel pupauarr TG obolac adrv auyxarafBAnbeiouv Écyov rhv dyubrnra. (26) (Homélie sur le Ps. XXXII, 333 AD)

ÉoPes œdroic

dv The oùoluc, rhv Tehclootv éndyer O4 TAG HOLVOVLEG To

Oÿre uèv oùv ëv Snutovpyit népsort rù IIvedua Tr dyvov rois oùx ëx mpoxorñc Teketovuévouc, &AN àr”

adrnc The xrioewc eb0bce reneloc, elc

rdv éraprioudy xal ouurANPROLV TAG broordosuc adTov Thv Tap” ÉXUTOD HAPIV OUVELOPEPÉHEVOV. (Traité

du Saint-Esprit,

136 C-140

B)

La parenté des deux textes est évidente. Si l’'angélologie du traité est beaucoup plus développées, c’est que le passage qui la concerne s'insère dans le plan d'ensemble de l’auteur qui veut montrer le rôle du Saint-Esprit à tous les plans de la création, à commencer par les anges qui ont été créés les premiers. Quel est celui des deux textes qui dépend de l’autre ? La question ne peut être résolue avec certitude, Tout ce qu’on peut avancer, c’est qu’il paraît plus logique que saint Basile ait commenté le verset 6 du Psaume XXXII à l’occasion d’un commentaire d'ensemble de ce même psaume et qu’il ait emprunté ce développement au moment où il rédigeait le Traité du Saint-Esprit. Dans ce cas notre homélie serait antérieure à 375. Mais le mécanisme inverse n’a rien d’impossible. Aussi restera-t-on dans les limites de la prudence en

datant cette homélie des environs de 375.

Restent quatre homélies qu'aucun indice ne permet d’attribuer à une période ou l’autre de la vie de Basile (7. Il n’est pas exclu que leur composition dépasse dans un sens ou dans l'autre les bornes chronologiques qui nous sont peu à peu apparues. L'étude de la composition du recueil nous permettra peut-être de progresser un peu plus loin'sur la voie de la solution. Ce que nous pouvons dire pour le moment, c’est que dans leur grande majorité les Homeélies sur les Psaumes appartiennent aux premières années de l’épiscopat de saint Basile ou, à la rigueur, à la fin de sa vie le vocabulaire soit différent, c'est la même idée qu’on alinéa des deux textes cités. sur les Psaumes XLIV, XLVIII, LIX et CXV. Homélies les sont (27) Ce Signalons une parenté d'inspiration très nette entre H. Ps XLIV (388 A-389A) et H. Ps LXIX (464 AB). Dans les deux cas, Basile commente des suscriptions de psaumes à peu près identiques (ici els rù réhos Übrèp T&v dAkotwnoouÉvEV ; ET eic rù tédoc : roi &Aotwfnoouévorc), il n’est pas étonnant que les deux commentaires présentent de grandes analogies de fond et de délai On en peut peut-être déduire une proximité chronologique, mais rien ne permet de situer les deux psaumes ainsi raprpochés dans une chronologie absolue, (26)

retrouve

Bien

que

dans le dernier

SAINT BASILE

29

sacerdotale. Les années 368 et 375 paraissent constituer approximativement les terminus que nous cherchions au début de cette enquête chronologique (28). 3.



CoMPoOsITION

ET PUBLICATION,

Que nous ayons en mains le texte d’homélies réellement prononcées, c’est ce qui ressort de la plus grande partie du texte. C’est à peine si la sécheresse de l'Homélie sur le Psaume VII pourrait inviter à juger autrement. Mais, à y regarder de plus près, l’impression qu’elle produit s'explique aussi bien, et peut-être mieux, par un léger fléchissement de l’orateur, quelle qu’en ait été la cause, ou par la façon dont le tachygraphe a pris ses notes, que dans l'hypothèse d’une rédaction écrite destinée à la publication. Les tours parlés qui sentent l'improvisation ne manquent pas.

Relevons en quelques-uns.

L’Homélie sur le Psaume I a beau débuter par un ample exorde sur utilité morale et spirituelle des psaumes pris dans leur ensemble ce n’en est pas moins par une formule d'une brutalité un peu gauche que le prédicateur en vient à son sujet: «Voyons maintenant le début des psaumes », lDouev

Aourdv xal Thv apyhv Tov Laau&v (29),

La

conclusion

de

cette

même homélie est pleine d’une simplicité qui confine à la familiarité. « Mais mon discours en est resté à l'introduction et je vois que sa longueur dépasse les proportions, de sorte que vous avez de la difficulté à en retenir la plus grande partie et qu’il ne m'est pas facile de m’acquitter de ma charge à cause de la faiblesse congénitale d’une voix qui me trahit... pourtant, confiant le présent à votre bienveillante attention, nous promettons, avec la grâce de Dieu, de compléter ce qui manque, si toutefois l'avenir ne nous réduit pas à un complet silence 0) ». Basile n’a expliqué à son auditoire que le premier des six versets dont se compose le psaume : il n’est pas douteux que nous sommes en.présence d’un texte qui reflète très fidèlement sa parole.

Les tours parlés ne manquent pas dans les deux homélies consacrées au Psaume XIV. Ainsi, cette formule elliptique qui souligne,

«Et

dans

le

puis avancée,

psaume,

une

progression

Elta rooxomh xal mpéoSoc à ri rd teletérepov (28)

progression

vers

ce

(81,

de

la

pensée :

qui est plus parfait »,

Un

peu

plus loin, il use

Il m'avait d’abord semblé que les Homélies sur les Psaumes

dataient

de la période qui a précédé immédiatement l'avènement de Basile à l’épiscopat. Je l'avais laissé entendre dans une communication présentée au Troisième

Congrès International d'Etudes patristiques en 1959, CÎ. J. Bernardi, La date de l’'Hexaéméron de saint Basile, SP III, Berlin, 1961, p. 166. On peut constater

ici qu'à peu près rien n’a subsisté de cette conviction primitive. (29) 213 C. (30) 228 AB.

(1)

252 C.

30

LA

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DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

attention à de l'impératif en s'adressant à ses auditeurs : « Fais parole le la ndra repre il Quand ». @2 on ressi exactitude de l'exp suspens, en lendemain pour achever le commentaire resté la veille e par rompu inter ntion l'atte il renouera du premier mot le fil de XIV, e Psaum du t parlan vous en Hier, « : cette formule familière voici Nous bout. au jusqu’ d'aller permis pas à nous l'heure ne notre de solde le tes maintenant pour acquitter en débiteurs honnê A plusieurs dette : ce qui vous reste à entendre est bref... (3) ». leté de l’habi u Vois-t « ère. famili sion expres d’une reprises, il use sur le lie l'Homé de cette prière ?» lisons-nous à la fin I, il XXXII e Psaum le sur lie l'Homé Psaume XXXII®%). Dans rs rateu coopé des e l’élog fait re l’apôt nt comme u s'écriera : « Vois-t dans fois paraît deux L'expression de l'Evangile ? 8)», l'Homélie sur le Psaume XLIV : « Vois-tu la variété et la diversité des changements qui nous affectent », lisons-nous au début, et plus loin : « Ne vois-tu pas ce que la bouche des hérétiques éructe ? (36) ». Il en est de même dans l’'Homélie sur le Psaume XLV à peu de lignes d’intervalles : « Vois-tu le pacifisme du Seigneur des temps que sa Voistu sa vigueur en même puissances... à la familiajusqu’ aller sans bonté... ? @)». D'autres expressions, r qui se orateu un qu’à nt convie ne qui direct rité, ont un caractère e:t-il demand » ? e malad est-il u’un Quelq « : nt pressa et vivant veut loin : plus peu un et au début de l'Homélie sur le Psaume XLV, nous e LIX Psaum le sur élie L'Hom ». G® e ? malad «L'enfant est-il bonde pleine tion transi e de formul une part sa pour ra fourni homie : « Ou plutôt, puisque jai fait allusion à la cohésion des idées de ce psaume, entamons donc son explication en la poussant jusqu’à un certain point (%) ».

Nous ignorons dans quelles circonstances la plupart de ces homélies ont été prononcées, mais l’Homélie sur le Psaume CXIV a été sans aucun doute improvisée devant un groupe de fidèles réuni dans un martyrium et c’est le psaume qu'ils étaient en train de chanter à l’arrivée de Basile qui lui fournit le thème de son improvisation « Pour ne pas vous ennuyer en vous retenant trop longtemps, après vous avoir brièvement entretenu du psaume que vous chantiez à notre arrivée et après avoir nourri vos âmes, dans la mesure de nos capacités, par la parole de consolation, nous laisserons chacun prendre soin de sa personne (0) ». (32) 256 A. (33) 264 C. (34) 349 A. Ci. déjà 329 D : « lu vois comment choses n'échappe à la surveillance de l'œil divin ?». (35) 353 D. (36) 388 D et 393 C. (37) 428 B. (38) 417 A, 417 C. (39) 460 C. (40) 484 BC.

aucune

des plus petites

SAINT BASILE

31

C'est un auditoire que Basile iuge en l'interpelant avec mots :« Combien y en a-tl ici debout (éoräoiw ëvraÿôx) qui vienneces nt de se prostituer, combien de voler ! Combien qui cachent dans

leur cœur la ruse ou le mensonge ! Ils croient chanter les psaumes, en réalité il n’en est rien (41) ». Il n’est donc pas douteux que le texte de ces homélies reflète d’une façon très fidèle une prédication souvent improvisée. Il ne paraît pas que des remaniements lui aient été apportés. Nous sommes donc en présence du travail des tachygraphes de Basile, La question qui se pose maintenant peut être ainsi formulé e : chacun de ces textes a-t-il eu à l'origine de sa diffusion une vie propre ou bien l’auteur est il intervenu, à un moment donné, pour opérer un choix et constituer un groupement de textes destiné s à former un ensemble? Avons-nous dans les mains une série d’homélies que seules leur genre apparenterait ou un ouvrage dûment composé ? On ne prétend pas apporter ici autre chose que des éléments de la solution, car celle-ci réclamerait une étude approfondie de l'histoire du texte. La tradition manuscrite joint en général les Homélies sur les Psaumes aux Homélies Diverses et il faudrait, entre autres choses, déterminer dans quelle mesure nos homélies ont eu une vie propre au cours de leur transmission. Les réflexions qui vont suivre ne sont donc proposées qu'avec précaution. Le fait même que ces homélies ne concernent qu’une infime partie du psautier, moins de 10 %, invite à penser que toute la prédication de Basile sur ce sujet est loin de nous être parvenue. À supposer qu’un certain nombre d’homélies aient disparu (4), il en est d’autres que Basile a prononcées, mais n’a pas retenues pour la publication. Les psaumes qu’il commente sont loin d’être, dans l’absolu, les plus importants ou les plus intéressants : on est en droit de penser que s’il avait publié un commentaire de ces derniers, la tradition manuscrite l’aurait conservé de préférence. Il est possible, à coup sûr, que nous ne possédions pas toutes les homélies que Basile avait retenues pour la publication : celles qui nous restent témoignent en tout cas d’un choix. Si nous parvenions à dégager les critères de ce choix, nous progresserions du même coup dans la compréhension de l’œuvre.

Il est évident que la méthode qui consiste à expliquer chaque verset et chaque mot sans rien omettre ne permettait guère à un prédicateur de commenter les psaumes les plus longs. Les 176 versets du Psaume CXVIII décourageaient d'avance l’entreprise. Aussi Basile at-il laissé de côté les 23 psaumes les plus longs, ceux qui comportent plus de 40 à 44 stiques. Sur la (41)

H Ps XXIX, 312 C.

(42) Deux citations du Psaume XXXI (304 C) et du Psaume XXXV (336 B) sont amenées en des termes qui pourraient donner à croire que Basile se réfère à une homélie déjà prononcée, mais la conclusion ne s'impose pas.

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LA

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DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

longueur sans la vingtaine de psaumes qui atteignent cette autres psaumes neuf dépasser, il n’en a commenté que cinq, les apparaît donc Il s. court plus t commentés par lui étant notablemen élie à

du texte à expliquer, c'est-à-dire de l’hom que la longueur un rôle dans les choix successifs du prédicateur. joué a ncer,

prono soit au moment Mais des raisons plus profondes ont pu le guider, on du recueil. ituti const la de nt mome au de choisir son sujet, soit ge ou de joie Nombreux sont, par exemple, les psaumes de louan doute pas par sans n’est ce , sereine. Si Basile n’en a retenu aucun l'animait. rente diffé tion inten e qu’un un effet du hasard, mais parce dans des claire très façon d’une aître appar peut ne tion Cette inten époque une à et es varié textes qui ont été prononcés à des dates Il nous lée. formu e encor pas t n’étai e où il est vraisemblable qu’ell rze quato de ble ensem cet dans evoir aperc dant semble cepen celui n, commu thème psaumes quelque chose qui ressemble à un Dieu du juste qui, soumis à l'épreuve, en triomphe avec l’aide de retenus versets seuls deux les dans I, Psaume Le qu'il remercie. aux par Basile, affirme le bonheur du juste qui ne s’est pas joint le et uté perséc juste du prière une impies. Le Psaume VII est e, diptyqu de sorte une ent précéd le avec t Psaume XIV, forman affirme que l’homme qui sera resté fidèle à la justice recevra asile dans la demeure du Seigneur. Le Psaume XXVIII montre que le véritable maître de l'orage est Dieu, tandis que le Psaume XXIX exprime la reconnaissance de celui qui vient d'échapper à un danger mortel. Les Psaumes XXXIL et XXXIII orchestrent les mêmes thèmes de la Providence divine qui sauve le Juste. Les Psaumes XLIV et XLV donnent à l’action salvatrice de Dieu le visage du Christ. Le Psaume XLVIII reprend le thème du Psaume VII en ajoutant une note un peu plus précise, il oppose en efiet la sérénité du juste persécuté à la fausse sécurité des riches et des puissants. Jusqu'ici, le juste était un individu isolé: le Psaume LIX donne à l'épreuve une dimension collective. Le Psaume LXI affirme à nouveau un espoir indéfectible en Dieu, tandis que les Psaumes CXIV et CXV expriment l’action de grâces au sortir d’une épreuve encore proche. Prétendre déceler dans ce recueil un plan rigoureux n’aurait pas beaucoup de sens; il nous semble, en revanche, qu’une certaine architecture n’en est pas totalement absente. Basile a choisi, parmi les homélies qu’il avait prêchées, un certain nombre de textes qui reflétaient les épreuves qu’il avait traversées. L’évêque solitaire, vivant sous la menace de l’empereur et de l’épiscopat arien bien en cours n'a pas eu de peine à se retrouver sous les traits du psalmiste. C’est à la fin de 377 seulement que Valens, devant le soulèvement des Goths, mettra un terme aux mesures de persécution qui avaient repris en Cappadoce au cours des années 375 et 376, atteignant Grégoire de Nysse lui-même. Peut-être est-ce à ce moment que Basile constitua le recueil d’homélies qui nous occupe.

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4. — L'AUDITOIRE.

À quel genre de public cette prédication s’adressait-el le ? Déplorant l'absence de traduction de ces homélies en langue moderne, J. Gribomont déclare y trouver en Basile «alius Origenes, quasi mysticus; non moralia tantum, nec philosophica loquitur; non circumspectionem nec severitatem ostendi t qua pleraque eius opera ascetica pollent ; sed de Deo, de Christo , de Ecclesia, de sacramentis mirabilia exponit. Scire vellem quibus discipulis homiliæ super Psalmos 28, 29, 32, 33, 44, 48 habitæ sunt, et quo definito vitæ Basilii tempore » (4). Après avoir répondu, dans la mesure du possible, à la question de date, nous allons nous cfforcer maintenant d'identifier le ou les publics auxque ls ces homélies étaient destinées. Il n’est pas douteux que plusieurs, sinon la plupart, s’adressaient au public chrétien le plus large, un public où les baptisés étaient en minorité. C’est évidemment le cas de l'Homélie sur le

Psaume CXIV, improvisée devant des fidèles réunis pour célébrer

une fête de martyrs (4 ; c’est également celui de l'Homélie sur le

Psaume CXV, dont l’auteur déclare qu'il va parler «à la grande

église du Seigneur ici présente (#)», On ne rencontrera pas ailleurs de déclaration aussi nette, mais, à plusieurs reprises, 1l ressort du contexte que l'auditoire reste le même. J'ai cité plus haut cette phrase de l’'Homélie sur le Psaume XXIX: « Combien y en a-t-il ici debout (ioräow évraïf«) qui viennent de se prostituer, combien de voler ! Combien qui cachent dans leur cœur la ruse ou le mensonge ! Ils croient chanter les psaumes, en réalité, il n’en est rien » (#9), A coup sûr, cette homélie n’a pas été prononcée devant quelque public choisi de moines ou de fidèles pieux. La deuxième Homélie sur le Psaume XIV traite d’un bout à l’autre du prêt à intérêts, envisagé aussi bien du côté de l’emprunteur que du prêteur éventuel : il n’y a rien là qui puisse intéresser des moines, qui font par hypothèse profession de pauvreté complète. Cette homélie, comme celle qui l'avait précédée la veille, s'adresse donc, elle aussi, au grand public. C’est à ce même public que s'adressent ces objurgations de l’'Homélie sur le Psaume XXXVIII: « Que ceux

qui s’adonnent à d’interminables conversations écoutent les termes de ce psaume et qu'ils sy conforment. Que dit-il? Celui qui est dans le temple du Seigneur ne profère ni méchanceté ni parole vaine, ni des propos pleins de choses honteuses: dans son temple, chacun dit sa gloire # ». Et plus loin :« Ils se font des sourires, et se serrent la main, transformant la maison de la prière en lieu de conversations 47”) ». Il en est de même de l’'Homélie sur le Psaume (43) PG2 XXIX, p. I, 4. (44) 484 A. (45) 104 C. (46) Cf. supra, p. 31, n. #1. (47) 301 B. (47“)304 A. Cf. aussi 304 B.

LA PRÉDICATION

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moines, XLV, dont les conseils généraux ne conviennent pas à des pas mettez Ne « . assurée ferveur d’une ns chrétie ni même à des enorvous ne ; Basile dit votre confiance dans les magistrats leur ne soyez pas gueillissez pas de l'incertitude de votre richesse; pas la ivez poursu ne ue; physiq force orgueilleux de votre sur le lie l’'Homé dans splendeur de la gloire humaine (4) ». Rien les dans cée pronon été ait qu'elle Psaume XXXII ne s'oppose à ce prédile par donnés péchés de es exempl les et mêmes conditions éléments cateur conviennent à un auditoire composé des mêmes é des profér as Tu « : XXIX e que celui de l’'Homélie sur le Psaum nêtemalhon enrichi t'es Tu . ctions bénédi des injures ? Prononce Tu t'es vanté ? Tu tes enivré ? Jeüne. ment ? Restitue. s un meurtre ? commi as Tu . Humilie-toi. Tu as été jaloux ? Supplie le martyre, que vertu même la a qui ce Subis le martyre, ou bien, )(#9) ». yfoeuc #ouoro ( nce pénite la de moyen le par corps afflige ton ère caract son à jointe I, e La simplicité de l'Homélie sur le Psaum penser à invite s, psaume des l'étude à d'introduction générale homélies qu’elle était destinée au grand public. La majorité de nos a donc la même destination. ? Il Peut-on étendre cette conclusion à l’ensemble du recueil ce pruden la lent conseil qui y a dans plusieurs homélies des accents sans e dépréci XXXIII Psaume le sur lie en ce domaine. L'Homé arts beaucoup de nuances toute espèce d'activité humaine : «Les pilotes, : louable nt vraime intermédiaires non plus n’ont rien de médecins, rhéteurs, architectes qui bâtissent des villes, des pyramides, des labyrinthes ou telle autre construction coûteuse ou le orgueilleuse. Ceux qui en tirent gloire n’ont pas leur âme dans jettent s passion les toutes -il, poursuit mot, un En Seigneur 60 ». « la confusion et le trouble dans la vision de l’âme et, de même qu’un œil trouble ne peut saisir avec exactitude les choses visibles, de la même façon un cœur trouble ne peut appréhender la vérité. Il faut donc se retirer à l'écart des choses du monde et empêcher les pensées étrangères (&otptous Aoyiouobs) de pénétrer par les yeux, par les oreilles ou par tout autre sens SD ». Dans cette même homélie, il dira d’un verset qu'il «ne s'adresse pas à ceux qui sont étrangers aux Testaments (Eph, 11,

12), mais à ceux qui s'unissent (oixeroupévouc) par le baptême au

Verbe d'adoption 6 ». L’exorde de l'Homélie sur le Psaume XLIV présente ce psaume comme particulièrement propre à conduire la nature

humaine

à

la

perfection,

relcwruwxés mic àv ris dvbporivnc

giseuc (53), Ces maigres indices peuvent donner à penser que le (48) (49) (50) (51) (52) (53)

417 325 356 357 372 388

B. C - 328 A. A. BC. B. A.

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prédicateur s’adressait en la circonstance à un auditoire d’une plus grande profondeur spirituelle, Rien n'indique pourtant qu’il s'agisse de moines, et le terme de perfection ne doit pas plus qu’un autre faire illusion, cette notion de perfection étant liée chez les Cappadociens à celle du baptême. Basile s’adressait-il en l’occurrence à des baptisés ou à des chrétiens qui allaient recevoi r prochainement le baptême ? Il n’est pas exclu que telle homélie ait été destinée à ces deniers, mais rien ne nous autorise à l'affirmer. Plus probablement, Basile, ayant devant lui un auditoire mêlé, a-t-il parlé tantôt pour la foule, tantôt pour ces chrétiens fervents qu’étaient les baptisés ou ceux qui allaient recevoir le baptême 2), Il ne faut pas s'attendre à ce que des sermons qui ont pour but l'éducation proprement spirituelle des fidèles nous donnent beaucoup d'indications sur le milieu auquel appartenaient leurs auditeurs ou sur le mode de vie de ces derniers. Que des grands personnages en quête de popularité locale se signalent à l'attention pour leur munificence en construisant à leurs frais places publiques, gymnases, remparts, aqueducs ou en donnant le spectacle de combats d’animaux, qu’ils en soient récompensés par des décrets honorifiques, il n’y a rien là que de banal 65. En revanche, c’est un trait de vie locale cappadocienne que nous fait connaître Basile, quand il nous apprend que ce même appétit de notoriété a poussé des propriétaires de haras à donner leur nom à leurs troupeaux de chevaux afin de prolonger leur souvenir, ëri roi cuuraparabvar T@ Blo Thv uviunv éxuräv. Sans doute devons-nous comprendre que des races de chevaux portaient le nom de leurs premiers éleveurs (5). Ce n’est pas Basile non plus qui nous apprend que la torture était en usage à son époque. On s’étonnera peut-être que le prédicateur l’envisage comme uñe chose toute naturelle. « La question (ërxouéc) consiste proprement de la part des juges à se livrer à une enquête en appliquant tous les procédés de la torture (uerà raoûv Bacévov) à ceux

qu’ils interrogent (roïc &Éeratouévoic),

afin que ceux qui cachent par devers eux ce qu’on leur demande soient forcés par la douleur de manifester ce qu’ils dérobent (7) ».

C’est évidemment la seconde Homélie sur le Psaume XIV qui nous éclairera le plus sur les mœurs en usage, étant donné qu’elle est tout entière consacrée à la question du prêt à intérêts. Basile reviendra sur ce sujet dans la sixième de ses Homélies Diverses, il s’adressera alors surtout aux prêteurs éventuels, pour leur demander de ne pas exiger d'intérêts de la part d’emprunteurs dans (54) Aussi bien, l’exorde de l’'Homélie sur le Psaume I insiste sur l’idée que les psaumes sont aussi utiles aux progressants qu'aux commençants. (66) H Ps XLVIII, 448 C - 449 A. (56) H Ps XLVIII, 448 C - 449 A. (57) H Ps VII, 14 A.

LA

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r au lieu de le besoin véritable et pour les inviter même à donne L’imporunt. l'empr à ir recour de ader dissu prêter. Ici, il entend indice un est ts tance accordée à cette question du prêt à intérê au tout ou, ution instit d’une que nous nous trouvons en présence vie la dans le dérab consi place une tenait moins, d’une habitude qui qui nous sont sociale. Si nous en croyons les brèves indications

mmation destiné données, il s'agissait uniquement de prêt à la conso en augmenter le à même ou ux à maintenir un train de vie luxue passage de d'un ons notati ces s ochon rappr luxe 5. Si nous

ns de la l'Homélie sur le Psaume LXI qui montre que les maiso étaires propri de fois urs plusie é ville de Césarée avaient chang NPAOLV, iv, dvéUaTE HLETELA depuis leur construction (récx #ôn, &p où yeyovéo en retire l’impreson 59), éueva) évouat ÉVEV XEXTNL TV &AXOU dm’ ŒAnore

la sion que les années précédentes avaient vu un accroissement de Le ville. la dans biens des rapide ation richesse lié à une circul ation recours à l'emprunt permettait à plusieurs de suivre l'élév des é malgr u nivea ce enir générale du niveau de vie, ou de maint lié l était-i ment hisse enric cet doute récoltes déficitaires. Sans anConst de ent oppem dével au et ion fondat la à ment principale tinople. Relevons ici le pittoresque de telle description d’un débiteur qui, l'échéance venue, se cache derrière les colonnes de e l'agora pour échapper aux regards de son créancier (60), ou encor vendu enfant le pathétique inclus dans telle brève évocation d’un sur le marché pour acquitter la dette contractée par son père (61). Le thème sera repris et exploité beaucoup plus largement dans la sixième Homélie Diverse (6. Nous retiendrons surtout de la présente homélie des indications pratiques sur le régime du crédit. L’échéance des intérêts est mensuelle (53) ; elle tombe au début de chaque mois et leur paiement commence le mois-même où l'emprunt a été contracté (6%. Le calendrier en vigueur est un calendrier lunaire 5. Il y a, bien entendu, des contestations : elles portent sur l’aloi de la monnaie, pièces fourrées ou rognées étant, comme on le sait, en circulation (69), Le non-paiement des intérêts entraîne la saisie des biens et leur vente forcée (7). Le fardeau des dettes est héréditaire (6). On mesure donc à quel point les enfants sont tributaires des dettes contractées par leurs parents. Quels qu’ils soient, les fidèles qui entendent cette prédication ont une grande familiarité avec les psaumes. Non seulement ils ont (58) (59) (60) (61) (62) (63) (64) (65) (66) (67) (68)

II H Ps XIV, 268 C. H Ps LXI, 481 A. H Ps XIV, 276 B. H Ps XIV,277 B, PG XXXI, 268 C-269 B. H Ps XIV, 280 B. 1b., 273 B. 14b., 280 B. 1b., 269 C. 1b., 269 A. 1b., 277 B.

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l'habitude de les chanter à l’église, mais ils les fredonnent encore

chez

eux

ou

dans

la

rue:

xor olxov uelwOobor xal èri Tic &yopäs

reptpépouoiv (%), Basile exagère peut-être quand il affirme que les psaumes sont adaptés à chaque circonstance de la vie et à chaque persônne, et il ne faut pas prendre trop au pied de la lettre des affirmations qui tendent à nous faire croire que le chant des psaumes était effectivement mêlé à toutes les circonstances de la vie quotidienne. On doit néanmoins lui ajouter foi quand il montre que le caractère populaire des psaumes était dû à l'alliance de la mélodie et la pensée : « Habile invention de notre maître, qui s’est arrangé pour que nous apprenions des enseignements utiles en même temps que nous chantons, ce qui fait que les leçons s’impriment mieux dans les âmes (0) ». On chantait des psaumes à l’occasion des fêtes, on les utilisait aussi pour mettre en fuite les démons (1), A l’église, tous les fidèles prennent part au chant, malgré le caractère très mêlé de l'assistance. Il est toutefois moins sûr que tous aient été attentifs au commentaire du texte qu’on

venait de chanter, s'il est vrai que beaucoup bavardaient «en se faisant des sourires et en se serrant la main (72) ». À deux reprises au moins, Basile précise que le texte qu’il commente est celui qui vient d’être chanté par les fidèles : dans l’exorde de l'Homélie sur le Psaume CXIV, improvisée, nous l'avons vu, dans un martyrium, et dans celui de l’'Homélie sur le Psaume LIX : « Que l'Eglise de Dieu apprenne donc à dire ce que nous disions à l'instant : Portenous secours dans l'oppression; néant, le salut de l’homme ! (73) ,.

Ce texte, il nous paraît évident qu’il l’a sous les yeux pendant qu’il le commente et qu'il ne le cite pas simplement de mémoire. Commenter mot à mot une vingtaine de versets sans omission ni retour en arrière eût constitué une performance bien inutile. Quand Basile parle du psaume que «nous avons en mains (rèv êv xepoi) » (74), il faut entendre cette expression au pied de la lettre: elle signifie que le prédicateur a le psautier sous les yeux pendant qu’il parle. Comme, à plusieurs reprises, il confronte diverses versions d’un même passage, il est probable que lexemplaire qu'il utilise porte l'indication de ces variantes, empruntées à Symmaque ou Aquila, et qu’il dérive des travaux d'Origène (5). Mais il est possible qu'il ait à sa disposition une Bible complète. En une circonstance au moins, il cite une vingtaine (69) (70)

H Ps I, 212 C. 1b., 213 A.

(A) 1b., 212 D, (722) H Ps XXVIII, 304 B. (73) H Ps LIX, 460 B. (74) H Ps LXI, 469 B. (75) H Ps XLIV, 396 B. Le commentaire du verset 3 (393 A) dépend de la Philocalie, cf. J. Gribomont, L'origénisme de saint Basile, p. 287. Voir également

H Ps LIX,

468 À, 468 B

LA

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saurait être faite de de lignes du livre des Rois, citation qui ne d mémoire (6). des fidèles dont Des fidèles qui chantent ensemble les psaumes, sont pas tous ne qui et le variab très reste e la conduite moral auditoire que cet de aux attentifs à l’église, tels sont les traits génér enclins à la ssent parai qu’ils ons Ajout nous avons vu se dessiner. volontiers rra recou on e, malad t enfan un guérir superstition : pour « Ton in. médec au à des pratiques magiques avant de faire appel ions antat d’inc r faiseu le ut parto enfant est-il malade ? Tu cherches vains de ents innoc ts enfan ces de cou du r ou celui qui met autou à l'interprète grimoires (71) ». Si un songe les inquiète, ils recourent voyons au entre nous que rs des songes (#). Autant de petits métie es ont qu’ell atons const nous dont passage et de pratiques té unau comm cette De . ienne chrét sation civili une subsisté dans et s onite Marci des ée, chrétienne certains s’écartent. Il y a à César : » (7°) ce scien fausse d’une issent gueill des Valentiniens « qui s’enor des ant affich isolés idus indiv rares de se s'agis il semble qu'il saires de la prétentions intellectuelles. Mais il y a aussi des adver divinité

du

Saint-Esprit

que

Basile

interpelle

nommément

une

iens fois 6). A plusieurs reprises, Basile fait allusion à des chrét pas le dérou se ne qui se réunissent à part. « L’adoration véritable Dieu. de inte l'ence dans le en dehors de l'Eglise : elle se dérou des N'imaginez pas, dit le psalmiste, des enceintes privées et de sainte nte encei e qu'un a n’y il s : ulière partic blées assem T. XXVII me Psau le sur élie Dieu 82 », déclare-t-il dans l'Hom L'Homélie sur le Psaume CXV montre avec plus de netteté qu’il s’agit de sectes véritables (? et un passage de l'Homélie sur le Psaume XLIV permet de penser qu'il y avait parmi ces hérétiques des vierges :« Que celles qui ont promis leur virginité au Seigneur écoutent : les vierges seront conduites au roi. J’appelle vierges celles qui sont proches de l'Eglise, qui viennent à sa suite et qui ne s’écartent pas de la discipline ecclésiastique (6% ». Sans doute ne faut-il pas demander à quelques allocutions de nous donner un tableau complet de l’auditoire qui les écoutait ; encore moins peut-on retirer une notion juste de la vie spirituelle des auditeurs. On peut cependant constater l'orientation générale des conseils donnés par le prédicateur. Retenons qu’il donne peu d'indications précises. Il encourage le culte des reliques à l'occasion : « Maintenant, dit-il, celui qui touche les ossements des (76) H Ps LIX, 460 C - 461 A. (77) H Ps XLV, 417 C. Ci. 212 D. (78) 1Ib., 417 C. (79) H Ps XLVIII, 449 A. (80) H Ps XXXII, 333 A. (81) H Ps XXVIII, 288 A. (82) PG XXX, 113 C. (83) H Ps XLIV, 412 CD.

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martyrs reçoit une participation à leur sainteté par suite de la grâce qui réside dans leurs corps (54) », Ailleurs, il invite ceux qui ont une faute sur la conscience À faire pénitence : le véritable repentir suppose qu'on s’accuse publiquement de ce qui a été commis en secret ®). Ce sont plutôt des orientations générales de pensée qui sont proposées dans ces homélies, orientations qui se # résument aisément en deux ou trois formules.

La première idée, par l'importance et la place qu’elle tient, est qu’il y a dans la vie spirituelle plusieurs étapes et qu’on passe de lune à l’autre par une progression. Basile exprime même l’idée que cette progression est constante et sans limite, formulant en propres termes la doctrine de l’épectase : «celui qui est tendu

en

avant

(6 roïc Éuroooev

ërexreivéuevoc)

se

renouvelle

constam-

ment (#6) ». A vrai dire, il ne caractérise guère que ces deux étapes essentielles que sont les débuts et l'achèvement, la perfection. A l’origine, il faut écarter la voie du mal pour embrasser celle du bien. A ce stade, c’est la crainte du châtiment divin qui apportera l’aide la plus efficace. Il n’hésite pas, pour sa part, à brosser un effrayant tableau du jugement de Dieu dans l’'Homélie sur le Psaume XXXIII: « Quand tu seras sur le point de te laisser emporter vers quelque péché, représente-toi, je t'en prie, ce terrible et insupportable tribunal du Christ, où le juge siège sur un trône élevé et sublime. Toute la création est là, tremblant dans l'attente de sa glorieuse apparition. Un à un, nous allons comparaître pour voir examiner les actes de notre vie. Et puis, il y a aux côtés de celui qui a commis au cours de son existence de nombreux crimes des anges effrayants et sombres, leurs regards lancent du feu, ils respirent du feu à cause de l’amertume du parti qu’ils ont pris: leurs visages sont semblables à la nuit à cause de leur noirceur et de leur haine de l'humanité. Et puis, il y a un gouffre profond, une obscurité impénétrable, un feu sans clarté: il garde dans l’obscurité sa capacité de brûler, mais il est privé de sa lueur. Puis, c’est la famille des vers venimeux qui dévorent les chairs, ils dévorent sans satiété ni rassasiement et leurs morsures causent des douleurs insupportables. Puis, c’est le plus terrible des châtiments : la honte et l'éternel déshonneur. Redoute cela et, instruit par cette crainte, retiens comme au moyen d’un frein ton âme sur la route des mauvais désirs 87 », Ainsi, c’est la crainte physique qui aidera à éviter le péché. Pourtant, il n’y a là qu’un point de départ de la vie spirituelle. L'objectif à atteindre est la perfection. Basile n’en dit pas grand chose. Il explique qu’on s'approche d’elle progressivement, pas à pas, tout comme sur l'échelle de Jacob ‘#8. Il déclare d’ailleurs que l'initiation à ce genre de choses n’est pas donnée à tout le monde. « Peut-être l'Ecriture veut-elle nous dire que ce qui (84) (85) (86) (87)

PG XXX 112 C. H Ps XXXII, 332 AB. Ib., 328 B. H Ps XXXIII, 372 AB.

LA

40

PRÉDICATION

BES

PÈRES

CAPPADOCIFNS

concerne la vérité, e’est-à-dire les choses de la mystique (à pvonxé ), il ne convient pas de le dire à tout le monde, mais à notre prochain, c’est-à-dire qu’il ne faut pas le faire connaître à n'importe qui, mais à ceux qui ont communié aux mystères (89) », Une telle affirmation est importante du point de vue qui nous occupe : elle signifie que Basile s’est interdit de livrer à la publicité toute une partie de son enseignement, la plus importante à ses yeux. Le seul facteur de progression spirituelle qu’il propose réside dans l’ascèse. Celle-ci a pour but unique de réduire le corps. Commentant la parole de saint Paul « Je meurtris mon corps et je le réduis en esclavage », il ajoute « pour que, la vigueur et le bouillonnement de mon sang aidant, l'embonpoint de ma chair ne me soit pas une occasion de péché. Ne flatte pas ton corps par le moeldu sommeil, des bains et des couvertures moyen chair ta rends tu plus que hasard par leuses. .. %® ». « Ignores-tu épaisse, plus lourde est la prison que tu donnes à ton âme ? ®D ». Nous retrouverons chez Grégoire de Nazianze cette idée maî-

tresse 2),

Dans

l’'Homélie

sur

le Psaume

XXXII,

Basile ira

jusqu’à dire que « l'abondance des forces physiques est un obstacle au salut de l'esprit % ». Il ne cache pas pourtant que cette exténuation de la chair n’est pas une fin en soi, qu’elle n’a qu’un rôle préparatoire sur la voie de la contemplation. Mais il n’en dira pas davantage : sans doute estimait-il que c'était entrer dans un domaine dont il ne convenait pas de parler au grand public. Il n’est pas interdit de penser que le déséquilibre ainsi introduit dans son enseignement est plus apparent que réel, dans la mesure où tout un côté de cet enseignement ne nous est pas communiqué. Observons toutefois que cette inégalité de traitement léguait à la postérité une leçon dangereusement tronquée, et les fidèles mêmes qui écoutaitent Basile se voyait induits en erreur. Dans la mesure où ceux qui recevaient le baptême étaient une minorité, seule cette minorité avait une occasion de recevoir une formation plus complète et plus équilibrée. Encore faut-il observer qu’en l'absence d’un enseignement régulier destiné aux seuls baptisés, ceux-ci étaient condamnés à n’entendre qu’une fois dans leur vie les vérités tenues à l'abri de la foule. Entendant parler en revanche à longueur d'année de la crainte qui est le commencement de la sagesse et de l’ascèse qui est la préface de la contemplation, ils n'étaient que trop exposés à retenir cette seule et unique leçon. vie.

Nulle hésitation dans leur esprit, en revanche, sur le sens de la Toute activité profane est, nous l'avons vu, sans valeur. (88)

H Ps I, 217 CD.

(89)

1 H Ps XIV, 256 C.

(90) (91) (92) (93)

H Ps XXIX, 320 C. Ib. Cf. infra, p. 137. H Ps XXXII, 345 C.

SAINT BASILE

41

Il faut se libérer entièrement des bruits extérieurs, il faut faire un calme total dans le tribunal secret du cœur pour pouvoir s’adonner à la contemplation de la vérité ®9 ,. D'ailleurs, la venue de l’homme au monde est une chose pitoyable. « À l'entrée dans ce monde est jointe l’ignominie de la saleté et des mauvaises odeurs, de choses dont aucun de ceux qui nous introduisent dans la vie ne supporterait la vue de bon cœur : telle est en effet la loi que la nature a fixée à la naissance de la chair. Mais la sortie, le départ de ce monde est chose précieuse et splendide (5) ». «Les jours de cette ère sont mauvais, puisque cette ère, elle aussi, est mauvaise, elle qui sert à mesurer ce monde dont il est dit que «le monde tout entier est livré au pouvoir du mauvais (6) ». Mépris sans nuance du corps, de la vie et du monde, telle est en définitive la leçon qui se dégage des Homélies sur les Psaumes : les allusions à tout ce qui s'attache à la contemplation restent peu parlantes et dénuées d'efficacité. On peut penser que les moines, au moins, jouissaient d’un enseignement complet et positif. Ils étaient probablement les seuls, et l'autorité attachée aux écrits d’un docteur tel que Basile devait accroître considérablement, le temps aidant, la portée de ce qui n’avait été à ses yeux qu’un enseignement préparatoire. (94) H Pc XXXIII, 357 B. (95) H Ps CXV, PG XXX, 112 B. (96) H Ps XXXIII, 372 D.

CHAPITRE

II

Les Homélies sur l'Hexaéméron

A l'opposé des Homélies sur les Psaumes, les neuf Homélies sur l'Hexaéméron ont été éditées, traduites et commentées (). C'est ce qui nous amènera à être relativement brefs dans cette étude malgré l'ampleur de l'ouvrage qu’elle concerne, bien des problèmes qu’il soulève pouvant être considérés comme déià suffisamment résolus par rapport à l’objet qui nous occupe. Ces discours sont en moyenne nettement plus longs que les précédents. Si on estime que, lorsqu'il expliquait les psaumes, saint Basile retenait problablement l'attention de ses auditeurs pendant une quarantaine de minutes, il lui en faut environ cinquante pour commenter le récit de la création tel que l’expose la Genèse. Aussi se prend-on à penser que, malgré le talent de l’orateur et l'intérêt des questions abordées, ses auditeurs méritaient quelque indulgence, s’il leur arrivait, cette fois encore, de laisser leur attention se distraire. D’autant plus que celle-ci était soumise à une épreuve particulière, du fait que ces neui sermons se sont suivis en peu de jours. Tandis que l’exégèse des psaumes s’étendait. comme nous l'avons vu, sur une assez longue période, sans jamaïs avoir rien de très sytématique, l’œuvre que nous avons à considérer forme un tout dont tous les éléments ont été prêchés à peu de jours d'intervalle les uns des autres, puisque les quatre premières homélies ont été prononcées en deux jours, matin et soir, de même que les quatre dernières, la-cinquième occupant une place centrale indéterminée (2), En fait, comme nous allons l’établir dans les pages qui suivent, les neuf Homélies sur l'Hexaéméron ont été prononcées par Basile au cours d’une seule et même semaine. I. —

LES CIRCONSTANCES

DE LA COMPOSITION.

L’ampleur de l’entreprise, la sujétion matérielle qu’elle faisait peser sur l'auditoire, l'assurance d’un prédicateur qui fait allusion (1) Ci. l'édition de St. Giet, dans la collection Sources Chrétiennes Paris, 1950. (2) Sur les deux premières journées, ci. H. H. 52 B, 53 A, 53 C, 77 B; sur les deux dernières, ci. 161 A, 188 A, 208 B. Sur ce sujet, ci. J. H. van Haeringen, Qui fuerit Basilii Magm de mundi procreatione orationum ordo, Mnémosyne, 1925. pp. 53 - 56.

SAINT BASILE

43

à ses responsabilités de pasteur (), tout cela donne à penser que lorateur jouissait d’une autorité assise et d’un solide crédit auprès de son public. Ce sont ces raisons qui ont poussé le dernier éditeur de l’Hexaéméron à dater cette œuvre de lépiscopat de saint Basile 4, Tel est bien mon sentiment. Il me paraît néanmo ins possible d'apporter à l’appui de cette thèse des argume nts supplémentaires, en même temps que d'aboutir à une plus grande précision chronologique.

L'Homélie l'avons

sur le Psaume

vu, de la période

du

XXVIII

date probablement,

sacerdoce.

Elle

est en

nous

tout

cas antérieure au Traité du Saint-Esprit, donc à 375. Elle nous fournit un

premier

point de repère.

Basile y évoquait en effet à deux

reprises le récit de la création. Il soulignait l'estime particulière qu’on doit, à son avis, accorder à ceux « qui ont contemplé avec

pénétration

le

récit

de

la création

(rodc repl xrloecc Xéyouc) (5) »,

Surtout il se laissait aller, non sans émotion, à déclarer que « celui qui est capable d’expliquer comment l'univers a été créé augmente

la gloire de Dieu» ®. L'expression vise peut-être plus l’auteur inspiré que son exégète, mais on peut se demander si l’homme qui

n'hésite pas à s'exprimer publiquement en de tels termes est déjà l’auteur d’un grand commentaire du récit de la Genèse. Cela paraît peu probable et s'accorde mal avec ce que nous savons de la personnalité de saint Basile. En revanche, il n’est pas interdit de voir dans cette déclaration l’aveu d’une ambition susceptible d’être un jour réalisée, Dans cette perspective, soulignons-le, l'Hexaéméron prend un relief d'autant plus particulier dans la vie de Basile qu'il apparaîtra comme l'aboutissement d’un projet longtemps müûri. S'il est vrai que la méditation de la création a occupé son esprit pendant de longues années, on regrettera d’autant plus que son commentaire soit apparemment inachevé et qu’il y manque ce qui devait en être la clef de voûte et concerner la création de l’homme. On comprend la consternätion de son entourage devant la grande œuvre interrompue, et que Grégoire de Nysse ait entrepris de la mener à son terme. Quelle que soit leur date exacte, les Homélies sur l'Hexaéméron datent de l’épiscopat de saint Basile. « Un calme profond la conserve dans la paix, malgré les esprits mauvais qui sont restés impuissants à la troubler au moyen des arguments de l’hérésie » (), tels sont les termes que Basile emploie dans la quatrième Homélie pour décrire cette communauté

chrétienne de Césarée qui constitue son auditoire. A quelle période de son épiscopat une telle description peut-elle convenir ? On peut hésiter entre deux moments. Deux ou trois années de répit avaient (3)

HH IL, 52 B.

(4)



Giet, Introduction, p. 7; 21, n. 1 et 187, n. 1.

(5) 293 A. (6) 285 A. (CRT

93 10

44

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

succédé à l'affrontement de 372 avec Valens. Il serait difficile d’écarter tout à fait cette première hypothèse, si une lettre de 376, adressée à Amphiloque d’Iconium, ne nous amenait pas à penser

que l’'Hexaéméron n’était pas encore composé à cette date ®. Un des paragraphes de cette longue lettre répond en effet à une question d'Amphiloque, qui souhaitait savoir ce qu'il fallait dire à ceux qui professent que les choses humaines sont rêgies par l’eiuapuévn. Il serait déjà surprenant qu'Amphiloque ait cru devoir poser à Basile une question longuement traitée par ce dernier dans l'Hexaéméron. Mais Basile répond en confessant que le problème dépasse ses forces. C’est donc que l'Hexaéméron est postérieur à 376 et que la période de calme qui a coïncidé avec sa publication est à chercher après cette date. Or on sait que les années 375 et 376 avaient vu reprendre la tempête autour de Césarée et de son évêque : Eusèbe de Samosate, Hypsis de Parnassos, l’évêque de Doara, Grégoire de Nyssse lui-même, sont alors déposés et exilés, un évêque arien est installé à Nicopolis malgré Basile ®. La rémission ne viendra qu’à la fin de 377, quand, devant le soulèvement des Goths, Valens annulera toutes ces mesures avant de quitter Antioche pour gagner Constantinople et se mettre à la tête de ses troupes (9. Le désastre d’Andrinople (9 Août 378) et la mort de l’empereur éloignent la menace d’une

façon définitive.

A vrai dire, la mort de Valens ne nous fournit pas, comme ce qui précède pourrait le donner à croire, un ferminus a quo, mais au

contraire un terminus ante quem. Basile parle en effet, dans sa cinquième homélie, des empereurs au pluriel 4, Or la mort de Valens laissait Gratien seul empereur. Il est de plus probable que si la nouvelle de la lamentable fin du persécuteur était connue à Césarée, quelque allusion le ferait connaître. L’Hexaéméron date donc, pensons-nous, de l’année 378, la dernière de la vie de Basile. D'ailleurs, il faut prendre garde à l’insistance avec laquelle il annonce un commentaire de la création de l’homme comme une continuation prochaine de la prédication en cours : de toute . évidence, l’orateur n’avait pas l’intention de s’en tenir là. Non seulement en effet toute la fin de la neuvième homélie, à partir de 204B, se présente moins comme une conclusion que comme une introduction au commentaire de la création de l’homme qui doit faire suite, mais encore l’orateur présente par deux fois ce commentaire comme devant appartenir à un futur extrêmement proche : &v rois éveËnc, Oeoù BlSovroc, elpnoerat est-il dit et, à quelques lignes d'intervalle : é£éraow ëv roïc éEñc &rodooouev (12), Or c’est un

(8) Ep. mont d’avoir déjà cité sur (9) Sur (40) Ci. (11) 100 (12) 208

236, 5, PG XXXII, 881 D - 884 A. Nous devons à Dom J. Griboattiré notre attention sur cette lettre. Cf. du même auteur, l’article L’origénisme de saint Basile, p. 292, n. 41. ces événements, cf. Bardy, dans Histoire de l’Église, III, p. 269. Piganiol, L'Empire chrétien, p. 165. A. À et B.

SAINT BASILE

45

fait que le commentaire annoncé ne nous est pas parvenu, ou, du moins, qu’il est peut-être arrivé jusqu’à nous, mais sous une forme tellement altérée et séparée du corps de l’ouvrage qu’on doit admettre que ce qui en subsiste a suivi dans sa publication et sa

diffusion un sort distinct 43). Si on se souvient que Basile meurt dès le 1* janvier 379, on est amené à penser que la maladie qui devait entraîner la mort de Basile a interrompu sinon la prédication, du moins la publication des sermons relatifs à la Genèse. Il convient d’apporter à l'appui de cette thèse le témoignage de l'œuvre de Grégoire de Nazianze. Le deuxième Discours

T héologique contient en effet une sorte d'Hexaéméron abrégé (4), Or, si l'ouvrage de Grégoire est tributaire, comme on la remarqué (% de la neuvième Catéchèse de Cyrille de Jérusalem, on peut s'étonner de ne pas y trouver la moindre trace de l'influence de son ami Basile. Cela ne s'explique guère que si l'ouvrage de Basile n’a a pas encore eu le temps de parvenir dans les mains de Grégoire. On verra plus loin ce qu’il faut penser de la prédication et de la publication des Discours T héologiques : il nous suffira ici de nous appuyer sur les conclusions de Sinko qui a établi que le deuxième Discours était à l’origine une œuvre indépendante incorporée après coup dans la série pour la publication 4%. Dans ces conditions, il peut remonter jusqu'aux environs de l’arrivée de Grégoire à Constantinople, c’est-à-dire jusqu'aux premiers mois de 379. Si la publication de l’'Hexaéméron date de la fin de 378, on s'explique mieux que Grégoire ait pu ignorer cette œuvre maîtresse de son ami au moment où il composait ce qui devait devenir son deuxième Discours T héologique 4). Tel est le faisceau de motifs qui nous invitent à situer la prédication de l'Hexaéméron dans le courant de la dernière année de la vie de Basile et à en retarder la publication jusqu’à une date voisine de sa mort. Mais il est peut-être possible d'aboutir, en ce qui concerne la prédication, à une précision chronologique plus grande, qui, elle-même,

apportera par contre-coup une garantie supplémentaire à ce qui précède.

La prédication

de l'Hexaéméron

a réparti,

on

le sait, neul

homélies sur cinq journées. Or le huitième discours a été prononcé un jour de jeûne (#) : comment ne pas penser au carême oriental, avec ses semaines de cinq journées de jeûne chacune, du lundi au (13)

Cf. infra p. 48.

(14)

XXVIH,

D. pp. 182-184. (15)

22 sa, PG

XXXVI,

56 - 74.

Sur ce discours, voir infra

P. Gallay, La vie de saint Grégoire de Nazianze, Paris, 1943, p. 177 sa.

(6) T. Sinko, De traditione orationum Gregorii Nazianzeni, I (Meletemata patristica Il), Cracoviæ, 1917, pp. 11-18. (17) Au moment de la mort de son ami, Grégoire était malade, probablement à Séleucie d’Isaurie : cf. Ep. 76.

(48)

HH

VIII, 185 A et C.

LA

46

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

vendredi ? De cette institution, Basile s’est fait lui-même ailleurs le témoin et la deuxième Homélie sur le jeûne nous apprend qu’une prédication s’adressait alors matin et soir aux fidèles : « pendant toutes ces journées consécutives, l'Esprit saint vous donnera donc matin et soir la joie d’un banquet. Que personne ne reste donc volontairement à l'écart de ce festin spirituel 4%. On retrouvera d’ailleurs cette référence à un « festin spirituel » par deux fois dans l'Hexaéméron (®). L'origine platonicienne de l'expression a été relevée : elle confirme, s’il en est besoin, qu’elle concerne bien une prédication 1. Les fidèles se réunissent à l’église le matin avant la journée de travail et le soir, avant le repas 2. Les neuf sermons qui nous occupent correspondent sans doute à la prédication d’une semaine de carême. Les quatre premiers sermons, qui, nous en sommes sûrs, ont été prêchés en deux journées consécutives, correspondant au lundi et au mardi; les quatre derniers, eux aussi prêchés en deux journées qui se suivaient, sont ceux du jeudi et du vendredi. Reste pour le mercredi un unique sermon. Ce n’est pas qu’une lacune doive être suspectée : rien ne manque apparemment dans la suite des homélies. Ou bien Basile a gardé le silence, laissant la parole à un autre prédicateur, ou bien il a traité à cette occasion d’un autre sujet. Le carême étant la période d’initiation des futurs baptisés, on peut se demander si une homélie catéchétique n’avait pas pris la place de l’homélie manquante. Que

saint Jean

Chrysostome

ait à son

tour

commenté

la

Genèse pendant le carême de 388 à Antioche constitue un parallèle à joindre au dossier (%), Il est, somme toute, logique qu’une période de prédication intensive ait plus ou moins été destinée à donner un enseignement exhaustif : la création y tenait nécessairement sa place. Il nous paraît donc certain que les cinq journées

de l'Hexaéméron se sont déroulées d’une façon ininterrompue et qu’elles constituaient l’une des semaines du carême de 378, qui commença le lundi 12 février pour s'achever le 31 mars, Pâques tombant cette années-la le 1° avril. Il est plus difficile de déterminer quelle semaine doit être retenue parmi les huit à considérer. Plusieurs indices donnent à penser qu’on est encore assez loin de Pâques. En effet, l'annonce formelle d’une prédication relative à la création de l’homme prouve que lé prédicateur avait assez de temps devant lui pour traiter de ce sujet avant de passer à la préparation immédiate de la fête pascale. D’autre part, l’absence de toute allusion à cette fête nous éloigne de la fin du carême. On doit donc écarter non seulement (19) De jejunio 11, PG XXXI, 197 B. Il s’agit de cinq journées: De jejunio I, 176 B; De jejunio Il, 196 B.

(20) (21) (22) (23)

HH III, 77 B et HH VIII, 188 A. Giet, p. 242, n. 2. HH III, 77 AB; De jejunio H, 189 C ; De jejumio I, 181 B. Ci. C. Baur, Der hl. Johannes Chrysostomus und seine Zeit, Munich,

1929, t. E, p. 235.

SAINT BASILE

47

la dernière semaine (qui comportait d’ailleurs six jours de jeûne, et non cinq), mais aussi la semaine précédente. De même le silence sur le début du jeûne et sur les réjouissances habitue lles du dimanche qui précédaient immédiatement la période de pénite nce donne à penser qu’il ne s’agit pas non plus de la première semaine du carême. Dans ces conditions, la prédication de l'Hexaéméron

se situe

vraisemblablement entre le lundi 19 février et le vendredi 16 mars 378. Ici intervient un nouveau point de repère, Car nous savons que les sermons du cinquième jour, c’est-à-dire du vendredi, ont

été prononcés un jour férié (24. Si nous parvenons à identifier ce jour férié, nous aurons du même coup déterminé la semaine en question.

Le lundi 26 février était férié en sa qualité de natalis de l'empereur Valentinien. On peut penser que si l’orateur signale le vendredi comme férié, tout en restant muet sur le caractère férié du lundi, c'est que le lundi où il parlait ne l'était pas. Une fois exclue cette semaine, il nous en reste trois : les 19-23 février ainsi que les 5-9 et 12-16 mars. Or le vendredi 16 mars est le premier jour des calendes d’avril 378. A ce titre, il peut avoir été considéré comme un des dies atri et chômé (). De plus ce vendredi 16 mars 318 fut un jour de nouvelle lune 29. Saint Basile atteste lui-même, nous l'avons vu plus haut, l’utilisation à Césarée d’un calendrier lunaire: ce sont en effet les révolutions de la lune qui règlent le retour des échéances, celles-ci coïncidant avec la nouvelle lune. 1] nous semble donc légitime de conclure que saint Basile a prêché les neuf sermons de l’'Hexaéméron au cours du carême de 378, et très probablement du lundi 12 au vendredi 16 mars (25). Pour une raison que nous ignorons, le prédicateur n’a pu donner suite immédiatement à son projet, pourtant clairement exprimé, de commenter devant le même auditoire le récit de la création de l’homme. Les cinq jours de sa prédication correspondaient aux cinq premiers jours de la Genèse, il n’a pas eu le loisir

de traiter du sixième. Si, comme on peut le supposer, ce sont des raisons de santé qui ont brusquement réduit une fois de plus Basile au silence, elles ne l’ont pas empêché de préparer la publication des neuf homélies déjà prêchées : la publication de l'Hexaéméron doit dater de la fin de 378. Etant donné la grande intimité de Basile et de Grégoire, on peut penser que le travail de mise au point et (24)

HH

VIII, 79 C. Ci. Giet, p. 6, n. 1.

(25) H. Stern. Le calendrier de 354, Paris, 1953, p. 67. (26) Ci. supra, p. 36. (26) Le 12 mars coïncide d’autre part avec le début du mois de Teirei dans le calendrier cappadocien. Ci. V. Grumel. La Chronologie, Paris, 1958, p. 171 (= t. I du Traité d'Etudes byzantines publié par P. Lemerle). Un passage de la correspondance de Grégoire de Nanzianze montre que ce calendrier était encore en usage (Lettre CXXI, PG XXXVII, 217 A).

LA

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PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

de 378 et de copie du manuscrit n’était pas achevé à la fin de l'été yer un d'envo Basile à e possibl été pas n’a il que l'hiver venu,

messager à Séleucie d’Isaurie où son ami sétait retiré. On est

vement conduit à repousser d’autant plus loin ce travail d'achè avec le ntinop Consta à rendit se re Grégoi qu'on n’ignore pas que

l'approbation de Basile 7. Or cet accord n’a guère pu être acquis avant l'automne. A supposer en effet que la délégation de fidèles de Constantinople qui fit appel à Grégoire se soit mise en route ce dès que fut connue la nouvelle de la mort de Valens (9 août), é. consult être put Basile n’est pas avant le milieu de septembre que e Si son livre avait été prêt, nul doute qu’il eût profité de cet échang re. Grégoi à yer l’envo ce pour pondan de corres Il semble pourtant que Basile ait eu le temps de reprendre, avant de mourir, la prédication interrompue. St. Giet a soutenu

que les homélies De structura hominis, publiées à la suite des

œuvres de Basile, constituent la révision par un tiers du texte des homélies In verba faciamus contenues dans le corpus des œuvres de Grégoire de Nysse, ces dernières provenant de notes prises par un auditeur de Basile 8). Relevons ici qu'on lit au début des deux séries d’homélies en question la formule raxuoû ypéouc Euriouw &rorAnpéouv fxw (2), formule qui présente un air de parenté avec celle qui figure au début de la deuxième Homélie sur le Psaume XIV : vüv SE fuouev edyvouoves dperkétar TX XPÉX TV EkerpBévrov buiv érorivvuvrec (80)

Il y a là un élément qui plaide en faveur de l’origine basilienne du noyau de ces œuvres. La prédication qui est à l'origine de ces textes daterait donc des derniers mois de 378, puisqu'il s’agit d’une «dette ancienne ». On s'explique alors les incertitudes de rédaction d’un texte que la maladie et la mort de son auteur ont privé de toute mise au point de sa part. Les homélies In verba faciamus, suite et fin de l'Hexaéméron, seraient le dernier écho d’une prédication interrompue

9. —

par la mort.

LE PRÉDICATEUR ET SON AUDITOIRE.

L’auditoire n’est pas différent de celui auquel s’adressaient les Homélies sur les Psaumes : il s’agit des chrétiens de la ville de Césarée. Pourtant, un certain nombre d'indices vont nous aider à mieux nous le représenter. Etant donné qu'il ne s’agit pas d’une prédication quotidienne, mais de sermons donnés à l’occasion (27)

C'est Grégoire qui nous le dit (D. XLIII, 497 A).

(28) Les deux homélies se retrouvent, à quelques variantes près, dans l'œuvre de saint Basile, sous le titre De structura hominis (PG XXX, 9 A sq) et celle de saint Grégoire de Nysse sous celui de In verba faciamus (PG XLIV 257 A sq). Cf. Giet, Saint Basile a-t-il donné une suite aux homélies de l'Hexaméron ? dans RSR, 1946, pp. 317-358. Voir cependant les réserves sérieuses de D. Amand, Les états de textes des homélies pseudo-basiliennes sur la création de l’homme, RB, 59 (1949), pp. 3-54. (29) PG XXX, 9 A et XLIV, 257 A. (30) PG XXIX, 264 C.

SAINT BASILE

49

d’une période liturgique où la ferveur de chacun était portée à son degré maximum, il y a lieu de penser que l’image, si floue soit-elle, qui se dégage de ces lignes correspondra assez bien à la commu

nauté chrétienne de la ville de Césarée, prise dans son ensemble. L'assistance paraît nombreuse, « hommes, femmes et toutpetits » sont venus écouter en famille les sermons du carême 61).

Peut-être y a-t-il dans ses rangs quelques uns de ces grands seigneurs dont la cinquième homélie esquisse la description « Un tel est mis en vue par sa fortune. Il y a autour de lui une foule de Îlatteurs, de feints amis à la recherche de sa faveur qui lui font une garde, une foule de parents qui ont appris à se composer une attitude. Un essaim innombrable lui fait escorte de gens qui l’'assiègent pour qu’il les nourrisse et qu’il pourvoie à leurs autres besoins. En partant, en revenant, il les traîne à sa suite, s’exposant à la jalousie de ceux qu'il rencontre sur son passage. Ajoute à la richesse un pouvoir politique, qu’il s’agisse d’honneurs conférés par les empereurs, du gouvernement d’une population ou d’un commandement militaire. Le crieur aboiïe devant eux; de part et d'autre, des licteurs inspirent à leurs subordonnés un effroi profond. Il y a les coups, les confiscations, les bannissements, la prison : toutes choses qui amassent une crainte insupportable chez ceux qui leur sont soumis 5 ». De telles personnalités ne devaient pas courir les rues de Césarée. IT semble bien que l'assistance se répartisse en deux catégories assez tranchées : d’un côté, des gens qui sont libres de leur temps, de l’autre des hommes qui doivent gagner leur vie en travaillant. Comme nous sommes en ville, il ne s’agit pas dans ce dernier cas de travailleurs agricoles, mais d’artisans : les tisserands (nous savons qu'ils sont nombreux à Césarée) %), des forgerons, des cordonniers, des maçons...(%. Il faut croire qu’il s’agit là d’une catégorie de fidèles dont la pratique habituelle ne se distingue pas de celle des autres, car Basile ne commente leur présence à l’église que pour en souligner une particularité : les exercices du carême se déroulant en semaine les gênent dans leur travail. Or, malgré « En vérité, il ne cette gêne, ils sont venus nombreux. m'échappe pas qu'il y a autour de nous beaucoup d'artisans (rexvirar rüv Bavaiowv reyväv) qui tirent avec justesse leur nourriture du travail de la journée : ils nous forcent à être brefs, afin de ne pas les tenir trop longtemps à l'écart de leur activité (5) ». Peut-être ne faut-il pas prendre cette phrase trop au pied de la lettre et le travail de la journée ne conditionnait sans doute pas étroitement la nourriture de la famille. En tout cas, c’est en présence du petit peuple de la ville que nous nous trouvons. A ces 1 (32)

AVC: 97 D - 100 A

(33)

Grégoire

(34) (35)

IIL, 65 B; IX, 204 CD. III, 53 AB.

de Nazianze,

Discours

XLIIE

569 A.

|

LA

50

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DES

CAPPADOCIENS

PÈRES

hommes, le prédicateur rappelle que Dieu rend avec usure le temps qu’on lui a consacré. « En effet, toutes les occasions qui engendrent des

tracas

donne

(repiordoeic doyoAlac rourwxal),

force

physique,

(auvanayudrov ebuépexv)

bon

moral,

et prospérité

Dieu

les écartera,

facilité

dans

toute

dans

les

lui qui

affaires

la vie à ceux

qui

donnent la première place aux choses de l’esprit. Même si nos efforts ne réussissent pas actuellement conformément à nos souhaits, l’enseignement du Saint-Esprit constitue en tout cas un trésor pour la vie à venir. Retranche donc de ton cœur tout souci de gagner ta vie et rassemble toi tout entier ici pour m'écouter. Ta présence physique ne te sera, en effet, d'aucune utilité si ton cœur se préoccupe de son trésor terrestre » (36), Relevons au passage l'intuition psychologique de l'évêque, qui a fort bien compris que l'esprit de ses auditeurs est, au matin, naturellement préoccupé par la besogne de la journée qui les attend. C’est beaucoup que de pouvoir nous rendre compte que, dans une région où un ancien patois local reste en usage, le petit peuple de la ville est assez cultivé pour pouvoir suivre un enseignement aussi ardu que celui que l’on trouve dans l’'Hexaéméron. A la différence des précédents, les autres auditeurs sont libres de leurs temps au cours de la journée. Il y a là des propriétaires d'élevages et des gens qui sont au courant des choses de l'agriculture, même s’il résident en ville %. Sans doute avons-nous principalement affaire à des propriétaires agricoles qui ne résident pas sur leurs terres. Quelques traits de leur façon de vivre se laissent entrevoir. Nous ne savons rien de la façon dont ils occupaient leur temps en semaine, mais Basile a sur le jeu de dés des paroles qui sont significatives. Elles montrent que, les jours fériés tels que le vendredi qui clôt ce cycle de sermons, la majeure partie de l’auditoire, malgré le jeûne et malgré le carême, ira jouer aux dés. « Si je vous laisse aller et si je mets un terme à l’assemblée, déclare-t-il vers la fin du sermon de la matinée, il y en aura pour courir jouer aux dés. On y jure, on s’y querelle rudement, l'amour de l'argent y est au travail... A quoi sert-il que votre corps jeûne si votre âme est pleine d’une foule de maux ? 68)». Ceux qui ne jouent pas passent leur temps en conversations absurdes. « De sorte, conclut le prédicateur, que vous retenir plus longtemps, c’est vous soustraire plus longtemps au mal %) ». Ce langage ne s’adresse pas à une partie de l'assistance, mais à l’auditoire tout entier : on en peut donc conclure que propriétaires et artisans ont le même type de loisirs et que l’amour du jeu est très répandu dans toutes les catégories sociales de la ville de Césarée, mais aussi le goût de la parole, conversation mondaine ou palabre des rues et des places publiques. (36) 53 BC. (37) V, 9% B. G8) VIIL 185 B. (39) 185 C.

SAINT BASILE

51

D’autres traits semblent pouvoir convenir aux uns comme aux autres. Si Basile s'étend si longuement sur tout ce qui concerne l'astrologie, « cette astronomie tant vantée, cette chose si vaine qui occupe tant (#0) », au point d'y consacrer une grande partie l'Homélie VI, c’est bien, comme il le dit, « parce que la plupar de t des gens ont l'esprit obnubilé par cette tromperie (41) », Pourta nt, Basile apportera lui-même à cette affirmation une correction de taille, quand il déclarera un peu plus loin : « Pour votre part, vous n'avez pas besoin que j'en dise davantage, parce que vous raisonnez sainement » (#2), Est-ce à dire que la réfutation de l'astrologie ne concerne les chrétiens que d’une façon indirecte, dans la mesure où, étant eux-mêmes indemnes de croyance de ce genre, ils sont en contact avec des païens qui en sont imbus ? La réalité est probablement plus complexe et Basile n’aurait pas tant parlé d’astrologie, s’il avait été tout à fait sûr qu’elle n’exerçait aucun attrait sur l’esprit de ses fidèles. Il y a, en tout cas, des mœurs qui ne sont pas en vigueur dans la provinciale Césarée, mœurs que connaissent d’autres ville, Antioche et Constantinople très probablement. On croit percevoir chez Basile une certaine satisfaction à mesurer la différence. «Il y a de certaines villes où, depuis le début de la matinée jusqu’au soir, des spectacles variés de faiseurs de tours (Bavuarorouäv) repaissent le regard. Et, en vérité, bien qu’on y écoute constamment des chansons au rythme syncopé (xxaouévav) pleines de corruption, qui versent de toutes les manières une extrême dissolution dans les âmes, on ne s’en rassasie point. Bien des gens jugent que de tels peuples sont heureux, parce qu'ils délaissent l’activité commerciale du marché ou les inventions techniques utiles à la vie pour passer tout le temps qu’ils ont à vivre plongés dans la paresse et le plaisir: ils ignorent qu’une salle fournie en spectacles impurs est pour les spectateurs une commune et publique école de débauche ; que le concert modulé des flûtes et les chansons des courtisanes, s'insinuant dans les âmes des auditeurs, ne font que les pousser tous à l’indécence, en imitant les cadences des citharistes ou des Îlûtistes #) ». Il n’est pas douteux qu’un tel langage répond aux aspirations déçues d’une partie des habitants de Césarée, jaloux des avantages réservés aux grandes capitales (4), Mais, quand Basile passe à cet autre type de divertissement que sont les courses de chevaux, nous n'’ignorons pas qu’il parle désormais des mœurs locales : «il y a aussi des maniaques du sport hippique qui se (40) I, 9 C. (41) 132 B. (42) 133 C. (43) IV, 77 C - 80 A. (44) Libanios dit que les représentations duraient à Antioche toute la journée (D. XLV, 21). La ville disposait d’ailleurs de deux théâtres. Voir P. Petit, Libanius et la vie municipale à Antioche au iv siècle après J.-C., Paris, 1955 pp. 123-144.

LA

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PÈRES

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battent pour des chevaux jusqu’en rêve: ils changent attelages et cochers et, pour tout dire, même dans les imaginations de leur voit sommeil, ils ne quittent pas leur sottise de la journée (#5) ». On que l’évêque n’a àucune complaisance pour les goûts de ses fidèles en matière de divertissement. : On

peut

se demander,

à la lecture

de l'Hexaérmnéron,

dans

quelle mesure une telle prédication était susceptible de rencontrer un écho auprès de ceux qu’elle voulait atteindre. On pense moins ici aux rares observations de portée morale, du genre de celles que nous venons de citer, qu’à l'intention maîtresse du prédicateur. Il s’agit en effet pour Basile d’expliquer la création du monde, telle que la Bible la présente, en confrontant chaque point du récit biblique avec la science contemporaine, Au moment où il entreprenait sa tâche, le prédicateur soulignait les dispositions d'esprit qui lui paraissaient indispensables chez ses auditeurs. Il attendait d'eux «une âme puriliée des passions de la chair, débarrassée du brouillard des soucis de la vie, active, en quête, cherchant partout

à trouver une pensée digne de Dieu (9) ». Mesurait-il l'effort intel-

lectuel et le degré de cuiture nécessaire pour le suivre partout ? Nombre de passages des deux premières homélies, en particulier, semblent requérir du public un minimum de culture philosophique que la plupart ne possédaient sûrement pas (7. Il est donc très - probable que toute une partie de l'argumentation de l’évêque passait par dessus la tête de la majeure part de son auditoire. Cela n’est pourtant vrai que des deux homélies en questions, les autres

sermons

fourmillant

au

contraire

de détails

concrets

sur

les

aspects les plus divers du monde créé. Il est probable que l’obstacle formé par les difficultés a peu joué et que les curiosités qui fourmillent dans ces neuf brillants discours constituaient un puissant motif d’attrait. Tout semble s'être passé comme si l’évêque avait voulu séduire toutes les familles d'esprit, en écrasant ses auditeurs sous le poids d’un savoir universel servi par les prestiges de l'exotisme et d’un art qui ne dédaigne pas, par exemple, d'éclairer tel développement ardu de la tache claire d’une voile blanche sur le bleu d’une mer totalement inconnue de la plupart des

continentaux qui l’écoutaient (#8). Aussi bien, semble-t-il que

le prédicateur ait maintenu le contact avec ses auditeurs pendant qu’il leur parlait comme dans les intervalles qui séparaient les sermons les uns des autres. Le caractère polémique de bien des passages était de nature à donner

de l'intérêt à la discussion. Dès les premiers mots ce trait apparaît, . quand Basile déclare que le monde n’est pas dû au hasard, « comme (45) 80 A. (46) I, 4 A. (47) Citons, entre beaucoup d’autres passages dont la compréhension suppose chez l'auditeur culture et habitude de la réflexion : I, 16 C, 21 AB, 24 B saq; I, 29 C-33 B. (48) 140 C. Cf. aussi 92 B par exemple.

SAINT BASILE

certains

l’ont

imaginé (4) ». En

vérité,

L

c’est

03

le spectacle

d’un

combat singulier avec l’ensemble des philosophes et des savants

de la Grèce qu’il donne à ses auditeurs. Connaissant le goût du merveilleux qui possède ces hommes qui courent après les « faiseurs de tours », il leur présente les étapes successives de la création comme autant de prodiges : dans le seul exorde de la troisième homélie, le mot revient deux fois à quelques lignes d'intervalle 5). Les exemples concrets empruntés aux métiers pratiqués par nombre de ses auditeurs sont nombreux, les aidant à faire le lien entre l’abstraction de l'exposé et les réalités qui leur étaient familières 5), Aussi bien, il s’eflorce de faire participer chacun de ses auditeurs à l'exposé qu'il leur fait, tout comme, leur dit-il, ils prennent part aux exercices sportifs dont ils sont les spectateurs (2), Un passage nous montre sur le vif le courant qui s'établit entre l’orateur et ceux qui l’écoutent. Ecoutons-le à notre tour. « Pour quelle raison ai-je gardé le silence pendant quelques instants, alors que mon discours allait son train ? Peut-être la majeure partie s’en étonneront-ils, mais les plus appliqués de mes auditeurs n’ignorent pas la cause de mon silence. Comment cela ? Je parle de ceux qui, par les regards qu’ils échangeaient et par leurs signes de têtes, ont attiré mon attention sur eux et m'ont fait prendre conscience de ce que j'avais omis 3) », On voit la scène : Basile semble sauter dans son commentaire un point important ; certains auditeurs, qui l’ont

remarqué, manifestent par leurs gestes leur étonnement. Le prédicateur s'arrête un instant pour les regarder et comprendre le motif de ces mouvements. Pour finir, il reprend le fil de son discours en expliquant la scène muette qui vient de se dérouler.

Il semble bien, d’ailleurs, que les auditeurs ne se privent pas de faire connaître leurs réactions, une fois le sermon achevé, et de. manifester leurs ‘exigences. Nous en trouvons trace dans la quatrième homélie, quand Basile déclare: « Que de difiicultés tu m'as présentées dans les précédents exposés en réclamant de moi pour quelle raison la terre était invisible, étant donné que tout corps a une couleur naturelle et que toute couleur est sensible à la vue » 5%, Mais c’est la dernière homélie qui montre la trace la plus nette de réactions de ce genre. « Comment vous a semblé la table que ma parole vous a servie ce matin ? » déclare-t-il d’entrée de jeu ). Viennent ensuite quelques mots d’excuse sur la pauvreté (49) (59) (61) tamment

I, 4 A. 53 A. III, 57 C : «comme

ceux

qui dans les forges ont les oreilles cons-

heurtées»; 65 B; IX, 204 CD.

(52) VI, 117 A. (53) VIII, 168 B. (54) IV, 80 D-81 A. (55) IX, 188 A.

54

LA

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PÈRES

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celle du festin servi par l’orateur, où il compare sa conduite à : défi un lançait s’il comme déclare, il d'Elisée. Brusquement pas aie les ne je que bien rie, l’allégo de lois les connais «Je découvertes moi-même et que je les aie trouvées dans les travaux s’est d'autrui 69 ». Le sens de cette introduction est clair : Basile parce terre, à terre taire commen un donner de vu accuser des qu’asservi à la lettre du texte, alors qu’on attendait de lui ique. allégor on prétati l'inter sur explications plus savantes, fondées e Déià la troisième homélie contenait une vive critique de la méthod une avec ici reprise est Elle 5. eurs utilisat ses de et ique allégor vigueur et une ampleur nouvelles. «Ceux qui n’admettent pas la signification commune de ce qui est écrit disent que l’eau n’est pas de l'eau... comme les interprètes de songes qui accommodent à leur but personnel l'explication qu’ils donnent de ce qu'ils ont vu s dans l'imagination de leur sommeil. Pour moi, quand j'entend de pas rougis ne je car , herbe... nds compre je , parler d’herbes l'Evangile (Romains, I, 16) 58) ». L'évolution de la pensée de Basile est nette, elle s'affirme avec force, elle est aussi publique que possible. Notons qu’il s'écarte ainsi de son frère Grégoire et de son ami Grégoire de Nazianze, qui à Constantinople, dans les suivantes, recourra à l'interprétation années immédiatement que °). allégori Notons enfin le souci pédagogique qui se manifeste plus d’une fois au cours de ce commentaire. Basile sait très bien que ceux de ses auditeurs qui doivent exercer leur métier dans la journée n'auront pas le temps de réfléchir à ce qu’ils ont entendu au cours du sermon du matin : c’est aux autres qu’il demande d'occuper leur journée à méditer l’enseignement reçu (%). Tous peuvent en revanche faire des sermons qu’ils ont écouté le sujet des conversations qu’ils auront pendant le repas du soir. Aussi ne manque-t-il pas de leur en donner le conseil à plusieurs reprises (D. De cette façon le repas spirituel se prolongera au cours de l'unique repas de la journée. Les vima n'étaient peut-être pas de cet avis, mais il est permis de penser que leurs parents n’eurent pas de peine à extraire de la masse si riche et si variée des leçons reçues de quoi entretenir les conversations les plus variées. (56) 188 B. (57) 73 C-76 A. (58) 188 BC (59 Sur cette évolution de Basile et son éloignement d’Origène, dont il avait pourtant composé avec son ami Grégoire des morceaux choisis, il convient de se reporter à l’article précédemment cité de J. Gribomont sur L’origénisme de saint Basile.

(60) III, 77 AB. (61) VII, 164 B; IX, 208 C.

CHAPITRE

Les Homélies

III

Diverses

Les Homélies sur les Psaumes appartiennent à une période relativement précise de la vie de saint Basile, l'Hexaéméron a été prêché au cours d’une seule et unique semaine de la dernière année de sa vie. Ses œuvres oratoires les plus nombreuses, éditées sous le titre d’Homélies Diverses, se laissent mal dater : il apparaît pourtant qu'elles relèvent des époques les plus variées de sa carrière ), L'édition bénédictine présentait sous ce titre vingt-quatre discours et en rejetait en appendice neuf autres, jugés apocryphes. Migne a ajouté deux autres œuvres à ce supplément. On a tenté d'établir l’authenticité de certains de ces ouvrages 2). Nous ne prendrons pas parti ici à l'égard de ces tentatives, préférant fonder notre enquête sur des témoignages dont l'authenticité est indiscutable. Il ne paraît pas d’ailleurs que l'étude de ces homélies soit susceptible de lui apporter une contribution de quelque importance. Nous écarterons également deux des vingt-quatre homélies déjà citées. La prétendue Homélie XXII n’est pas autre chose que le traité Sur la manière de tirer profit des lettres

helléniques. Quant à l'Homélie XVII, cette oraison funèbre du martyr Barlaam, prononcée à Antioche, n’est évidemment pas l'œuvre de Basile %. En revanche, nous retiendrons, à la suite de tous les critiques modernes, la deuxième homélie Sur le jeûne comme une œuvre authentique. Restent donc un total de vingtdeux homélies qui méritent notre examen. Quelques-unes peuvent être imputées, selon un degré plus ou moins grand de probabilité, à la période du sacerdoce ; le plus grand nombre appartient sans conteste à l’épiscopat. #

(1)

PG XXXI, 164-617.

(2) 1b., 1429-1513. Cf. l'introduction Migne, PG2 XXXI, pp. 1-15.

de J. Gribomont

à la réédition de

(3) Aux arguments déjà développés par Garnier dans sa préface, on ajoutera que l’auteur de cette homélie fait allusion à plusieurs reprises à des chœurs de danse qui traduisent la joie publique à l’occasion des fêtes du martyr. La réprobation exprimée par Basile dans l’'H.D. XIV à propos d’un cas semblable exclut qu'il soit l’auteur de cette homélie,

LA

56

1. —

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DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

LA PÉRIODE DU SACERDOCE.

très probableLe commentaire du début des Proverbes 4) est ions. Le posséd nous que Basile de rs ment le plus ancien discou lui-même te présen se ue, l’évêq de ce présen en parle prédicateur, qui t le oppan dével en s comme un débutant qui doit faire ses preuve peu de donc suit rage L'ouv ©. it diflicile sujet qui lui a été prescr 364. à e remont et Basile de otale l’'ordination sacerd ï4

voir L'application du prédicateur à bien faire se laisse la up beauco de c’est s, Diverse es Homéli les toutes aisément. De

omettre plus longue. Non seulement Basile, soucieux de ne rien à la nnée portio dispro assez façon de son sujet, le développe d’une ter, commen de dé deman avait lui qu’on versets brièveté des six en mais il déborde encore assez largement les limites de ce sujet, : bes. Prover des livre du es expliquant nombre d’autres passag

Comme on pouvait s’y attendre, s'agissant d'un sujet imposé s, et non choisi, on ne trouvera rien de remarquable dans ce discour alement princip t résiden qui ques didacti qualités sinon de réelles dans l’art de lier en faisceaux cohérents les membra disjecta que constitue la collection de proverbes du livre biblique. La méthode consiste à suivre le texte mot à mot en faisant un sort à chaque expression. Peut-être faut-il voir une allusion au récent avènement de Valens dans le commentaire du titre des Proverbes. Basile distingue en effet soigneusement Salomon, roi légitime et fils de David, de ceux qui reçoivent le pouvoir du sort ou qui s’en emparent de vive force. Il est probable que l'hérédité en vigueur à l'intérieur de la dynastie constantinienne, dynastie qui venait de disparaître l’année précédente avec Julien, n’est pas restée sans influence sur cette conception politique (®. Une fois définie la véritable royauté, l’orateur affirme que les enseignements donnés par un roi ont une valeur éminente «à la condition toutefois, ajoutet-il, qu’il s'agisse d’un roi véritablement digne de ce nom » ®. De telles affirmations, datant des premiers mois de la dynastie valentinienne, alors que la politique religieuse de Valens venait de se préciser, ne sont peut-être pas dépourvues d'intention.

La transcendance divine et la crainte de Dieu sont affirmées avec force : on doit mettre beaucoup de réserve et de respect à parler des choses divines. Cette affirmation, qui apparaît ici pour la première fois dans la bouche de Basile, traduit le malaise suscité par les controverses ariennes (8), Elle sera reprise par Basile luimême, et très souvent par Grégoire de Nazianze. Une comparaison qui veut illustrer le caractère salutaire de la crainte jette un jour (4) (5) (6) (7) (8)

HD XII, PG XXXI, 385 C - 424 A. 385 CD. 389 B. Ibid, 393 B.

SAINT BASILE

57

assez cru sur la pédagogie des maîtres du temps à l'égar jeunes élèves. Pour ouvrir l'intelligence et pour d de leurs exercer la

memoire, on compte avant tout sur les coups. « De même que les petits enfants qui négligent leurs études, une fois qu’ils ont reçu le fouet de la part de leur maître ou de leur pédagogue, deviennent plus attentifs (ils reçoivent les leçons qu’on leur donne et cette même parole qu’on n’écoutait pas avant de recevoir des coups, une fois passées les douleurs du fouet, est reçue par les oreilles et conservée par la mémoire, comme si leur ouïe venait de s'ouvrir), de même il en arrive à ceux qui écoutent négli gemment l’enseignement divin et qui sont méprisants à l'égard des commandements ® ». L'homme qui parle ainsi de l'école est resté longtemps étudiant; on peut penser que le fouet était surtout destiné, comme il le dit, aux plus jeunes élèves.

Visiblement, notre prédicateur n’est pas enthousiasmé par le texte qu’il est chargé de commenter. Une des raisons de ce manque

de chaleur pourrait être que l'enseignement des Proverbes lui paraît surtout destiné à des débutants de la vie spirituelle, à une époque où il est surtout soucieux de guider les Âmes sur le chemin de la perfection. Il y a, déclare-t-il pour la première fois, des âges de la vie spirituelle : «le livre des Proverbes donne au nouveau-né en quête du lait sans fraude de la parole, une fois qu'il s’y est exercé. des sens et une intelligence (9 ». Le contexte immédiat montre que ces nouveaux-nés sont, à ses yeux, ceux qui viennent de recevoir le baptême. Si on comprend le manque d’enthousiasme devant cette tâche de la part d’un homme tusque là habitué à la direction spirituelle des moines, on saisit mieux du même coup les raisons qui avaient guidé l’évêque dans le choix de ce texte : il s'agissait d'orienter notre spirituel vers les tâches les plus humbles du ministère sacerdotal.

Plus significatif encore de l’état d’esprit ou, pour dire mieux, du caractère de Basile est le développement qu'il consacre au verset 5, relatif au don de gouvernement 41). Celui qui sait gouverner, le pilote, doit avant tout être capable d’affronter les vicissitudes de la vie humaine. L’insistance à souligner le caractère précaire et variable des circonstances de la vie se comprend particulièrement au moment où reprenait la persécution arienne après le règne de Julien et le court répit de celui de Jovien. On croit sentir un accent personnel dans la chaleur avec laquelle Basile affinme la supériorité de l'âme capable de se gouverner et dominant par l'intelligence et la volonté les circonstances traversées, bonnes ou mauvaises, comme les passions éprouvées. Mais cette perspicacité de l'esprit, cette force de la volonté ne constituent qu’une part de ce don de gouvernement que l’auteur des Proverbes promet

() 3% BC. (A0 413 B. (1) 417 A-420 B.

LA

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PÈRES

CAPPADOCIENS

les assauts de la à ceux qui l’écoutent. Il ne suffit pas de repousser perfection. Et la est qui but, le vers r dirige se tempête, il faut aussi qu'est Basile tique le maître spirituel, le réformateur de la vie monas après avoir qui, ceux de e pensé a un moment d'émotion intense à la naufrage fait ont tisme, l’ascé de voie la ssé généreusement embra signifiest Il (2. en chemin après vingt ou trente années d'efforts au ves relati ions dérat consi catif que l’homélie s'achève sur ces

t essentiel gouvernement de soi-même : elles traduisent un aspec auteur. son de du caractère Le prédiBeaucoup plus brève est l'Homélie XI, Sur l'envie (3). motifs les tous de liste la r dresse de nt pourta pas e manqu cateur ne santé nce, puissa e, richess : qui sont capables d’éveiller la jalousie engenles nouvel tés inégali les que le florissante... Il est possib contribué drées par un développement économique récent aient Le fait e. Césaré de nts à développer ce défaut parmi les habita était Basile mais sujet, du choix au er n’est peut-être pas étrang es exempl les Parmi ons. intenti es d’autr par animé nt probableme es repris trois à t revien de motifs d’envie qu’il donne, il en est un qui en ue critiq Il ment. longue assez dre et sur lequel il finit par s'éten tout et r, orateu d’un succès les ent jalous qui ceux effet vivement particulièrement d’un orateur sacré. « Un tel attire les regards et » l'émulation à cause de la sagesse et de la force de sa parole ces de s Auprè « : loin plus peu Un (#. de l’exor dans lisons-nous gens-là, l’action vertueuse ne rencontre pas d'approbation, non plus la que la forme d’une parole qui possède aussi l’ornement de gue distin se 'un quelqu Si « : encore Et ». (5) e charm gravité et du

par sa sagesse, s'il a reçu lhonneur de parler de Dieu et sil commente les Saintes Ecritures, ne jalouse pas un tel homme, ne souhaite pas que se taise un jour l'interprète des paroles sacrées (19) ». Il y a peut-être dans ces paroles une réponse voilée à ceux que pouvait offusquer le succès de sa propre éloquence. Cela nous oriente vers les débuts de la prédication de Basile. On sait que sa notoriété grandissante avait porté ombrage à l'évêque Eusèbe, au point que Basile avait dû se retirer (7. La véhémence qu’il

manifeste ici à l'égard de ceux qui jalousent la renommée des prédicateurs pourrait bien se rapporter à cet épisode. Il n’est pas concevable qu'il ait consciemment voulu mettre en cause le comportement de l'évêque d’une façon publique. Deux hypothèses peuvent alors être formulées : ou bien Basile, parlant de nombreuses années après ces incidents, les évoque d’une façon assez largement inconsciente, ou bien, au contraire, ce discours est lié de près à sa brouille avec Eusèbe. Un petit détail peut nous aider (12) (13)

420 C - 421 A. 327 B-385 C.

(14)

HD XI, 373 A.

(45) (46) (17)

HD XI, 381 A. HD XI, 384 A. Cf. Grégoire de Nazianze, D. XLIIT, 28.

SAINT BASILE

59

à écarter la première hypothèse. On trouve en effet dans notre homélie ainsi que dans l'Homélie X la même comparaison tirée de la flèche qui rebondit contre l'obstacle, mais les conclusions qui en sont tirées s'opposent absolument, Ici un trait lancé avec force rebondit sur un obstacle solide pour revenir à l’envoyeur (8), Là, au contraire, on voyait les traits s’enfoncer dans les corps fermes et leur élan se briser sur les surfaces molles (9). Bel exemple de virtuosité rhétorique en vérité, mais la contradiction évidente nous paraît beaucoup plus plausible si plusieurs années séparent les Homélies X et XI l'une de l’autre. L’Homélie X date, nous le verrons, de 372, l'Homélie XI pourrait dater des débuts du sacerdoce de Basile. On a signalé dans la carrière de Basile l'erreur psychologique

considérable

que

fut la désignation

de son

ami

Grégoire

pour

occuper le siège de Sasimes ), On croirait volontiers, sans pouvoir en apporter la preuve, que cette homélie témoigne d’une erreur comparable et qu’en croyant n’atteindre que tel de ses confrères dans le sacerdoce jaloux de ses succès oratoires, il piqua au vif un évêque offusqué par cette réputation grandissante. Dans cette hypothèse, notre discours pourrait bien avoir été une des causes de la rupture. Relevons dans cette homélie deux ou trois détails relatifs au milieu. Nous savions déjà que des auditeurs de Basile versaient facilement dans la superstition. Nous ne serons pas étonnés d'apprendre qu’on pouvait croire au mauvais œil à Césarée. « Certains croient que les jaloux ont le pouvoir de nuire par leurs seuls yeux, au point que des corps en bonne santé, que l’âge porte au plus haut degré de leur éclat, dépérissent, quand ils sont victimes de la jalousie, et que tout leur embonpoint disparaît subitement, comme

si un îflux meurtrier émanait des yeux jaloux, entraînant

consomption et dépérissement 2) ». Basile rejette avec mépris de telles superstitions, mais c’est pour leur donner une sorte de fondement. A l'en croire, ce ne sont pas les jaloux eux-mêmes qui sont

responsables

du mal

que

font leurs regards : ce

sont

les

démons qui «utilisent les yeux des envieux pour les mettre au service de leur propre volonté (22) ».

Une brève allusion a le mérite de nous apprendre qu'il existe des soldats qui «se mutilent volontairement avec l’épée qu'ils ont reçue pour se défendre contre les ennemis » (23).

Un autre passage peut intéresser l’histoire de l’art. Basile compare en effet les envieux, qui en toutes choses notent les défauts, à ce qu’il appelle les mauvais peintres, oi rovnpol rôv Ewypézov

qui ont à ses yeux le tort de montrer les défauts physiques de leurs (8) (49) (20)

HD XI, 380 B. HD X, 361 C. | , Cf. St. Giet, Sasimes, Une méprise de saint Basile, Paris, 1941.

LA PRÉDICATION

60

DES. PÈRES CAPPADOCIENS

14

lle ou accipersonnages, nez tordu, cicatrice ou mutilation nature contre le parti dentelle 2. Ce iugement prend implicitement plus tard avec réalisme pour la forme d’art idéalisé qui triomphera a traduit ce la peinture byzantine. On notera que Rufin, qui nt en signe bleme proba e, passag court ce omis a discours en latin, au réalisme dos le it de désapprobation d’un jugement qui tourna « artistique. entre Le rapprochement que nous avons proposé de faire

ent lhomélie sur l'envie et la brouille qui opposa momentaném il ne , séduire peut qui chose e quelqu a Eusèbe e Basile à l'évêqu

ns s'impose pas; en revanche les quatre homélies dont nous abordo du e périod la jusqu’à nement certai maintenant l'étude remontent en ont Elles 368. de ns enviro aux ément, précis sacerdoce et, plus cette vers e effet rapport avec une famine qui sévit à Césaré date (5). Cependant, la chronologie que l'examen des textes suggère n'est pas exactement celle qu’entrevoyait Maran, encore moins ses prédécesseurs. L'étiologie de la famine est clairement exposée au début de l’'Homélie VIII : elle est due à une extrême sécheresse de l’hiver et du printemps (%). On doit donc admettre qu’elle a pu être prévue, dans la mesure où l'absence persistante de

pluies annonçait une mauvaise récolte. Il ne faut pas oublier non plus que son apparition a dû suivre le terme normal de la moisson

dans la province. Ces deux critères peuvent nous aider à reconstituer la succession des quatre sermons.

L'Homélie IX (Dieu nest pas l'auteur du mal) se présente comme une réflexion de portée générale sur la nature du mal et la signification

des

grandes

castastrophes.

Plusieurs

allusions

au

tremblement de terre qui avait détruit la ville de Nicée le 11 octobre 368 fournissent un terminus post quen 27. Une certaine parenté d'inspiration apparaît d’ailleurs entre un passage de ce discours et la Lettre XXVI, adressée au frère de’ Grégoire de Nazianze, Césaire, au lendemain de la catastrophe de Nicée. D’autre part, Basile fait allusion par deux fois à la sécheresse et à la stérilité qui en découle : il semble que le mal s’annonçait sérieux, mais qu’il n'avait pas encore fait sentir ses eflets 2%). Ce discours pourrait donc se situer autour du printemps de 369 (2. Le prédicateur (21) (22) (23) (24) (25) et l'action

HD XI, 380 BC. Ibid., 380 C. 381 D. Ci. la législation de Valentinien, Cod. Théod., VII, 13, 4 et 5. 381 AB. | Sur les sujets abordés dans ces quatre homélies, cf. St. Giet, Les idées sociales de saint Basile, Voir également, pour les Homélies VI et VII,

Y. Courtonne,

Homélies

sur la richesse, Paris, 1935.

(26) HD VIH, 305 RC. (27) HD IX. 332 B, 333 B, 333 CD, 337 D. (28) HD IX, 333 BC, 337 BC. (29) On remarquera que le passage relatif à là création (341 C) ne comporte rien qui permette de penser que Basile ait déjà prononcé les Homélies sur l'Hexaméron.

SAINT BASILE

61

prend appui sur la catastrophe récente d'une province voisine et la perspective de la calamité que tous sentent venir pour instruire ses fidèles sur le problème du mal et pour prépa rer leurs esprits à

affronter l'épreuve. L’Homélie VI (Je détruirai mes greniers) pourra plus tardive. La menace de disette se précise, puisq it être un peu ue le prédicateur n’a pas d’autre

but que de prévenir le stockage : « n’attends pas la famine pour ouvrir tes greniers (30) », déclare-t-il , et un peu plus loin : «pour vous, si vous n’en croyez, vous ouvrirez largement toutes les portes de vos entrepôts et vous donnerez de larges issues à votre richesse 61 », La famine est prévue, elle est imminente, mais elle n’est pas encore là. La fin du printemps ou le début de l'été 369 conviendraient assez bien. L’Homélie VII (Contre les riches) est beaucoup plus difficile à dater, et on ne peut écarter la possibilité qu’elle appart ienne à une autre période. Il s’agit en efiet d’une critique générale des riches et de leur luxe. La famine, peut-on estimer, donnait l’occa sion à ces objurgations. On remarquera, il est vrai, que le prédic ateur se limite, sur le plan qui nous occupe, à une allusion rapide à la responsabilité des riches qui laissent pourrir le grain engran gé plutôt que de le mettre sur le marché (2), mais la parenté d’inspi ration avec l’Homélie VI suggère une date voisine. Au surplus , les premiers mots de l’exorde permettent de comprendre qu’un autre prédicateur avait, peu de temps auparavant, traité le même sujet devant le même auditoire : «on nous a parlé, il n’y a pas longtemps de ce jeune homme, et tout auditeur attentif se souvient à coup sûr des points qui ont été alors établis 3 ». Si le même sujet a pu être traité deux fois en peu de temps, c’est, sans aucun doute, qu’il était d'actualité, ce qui nous invite aussi à rapprocher notre homélie des trois autres sermons que les mêmes événements ont inspirées. De plus, l'invitation que Basile adresse aux gens mariés pour qu'ils suivent, eux aussi, les conseils donnés par le Christ au jeune homme riche correspond mieux, semble-t-il, à la période où. surtout soucieux d’organiser la vie monastique, il n'avait encore que des responsabilités pastorales limitées (34). Quant à l’Homélie VIII (Prononcée au moment d’une famine),

elle se situe évidemment au fort de l’été 369, à la veille des pluies

d’automne. L'absence de pluies au cours de l'hiver et du printemps avait desséché la terre au point que, fendue en profondeur, elle laissait pénétrer les rayons du soleil dans son sein. Les sources sont taries et les fleuves presque à sec. C’est donc bien le temps de la moisson, et l’orateur le dit expressément 4). (30) (31) (32) (33) G4) (5)

HD HD HD HD HD HD

VI, 268 B. VI, 272 A. VII, 288 B. VII, 277 CD. VII, 297 CD. VIII, 308 CD, 305 BC, 308 A, 308 B.

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inspiration et trois Ainsi ces quatre homélies reflètent la même ou de l'été 369. emps print du t daten ‘entre elles, au moins, emble, chacune tirant Pourtant elles n’obéissent à aucun plan d'ens présentaient, la leçon se des événements, au fur et à mesure qu'ils de son troupeau. e parti ou tout à que le pasteur destinait qu’elles visent L'Homélie VI et lHomélie VII ont ceci de commun des mêmes ement exact les riches, mais il ne s’agit peut-être pas orie de catég d’une ait portr le fait VII couches sociales. L'Homélie propriétaires immensément riches qui n’est pas toire. Ces grands propriétaires ont en ville des qui leur servent de pied à terre; ils ont aussi sur leurs nombreux domaines et leurs maisons

inconnue de l’audimaisons luxueuses diverses résidences de campagne sont

de ville (5), munies des même salles de bains que leurs maisons train de leur de sse esqui e Basil que Il est significatif que le tableau qu’ils ainsi bien c’est Car ge. cortè n d’un iptio vie tourne à la descr potentes ces ée, César de rues les dans asion l’occ à nt aisse appar ules, lointains chez qui tout est luxe. «Ils ont d'innombrables véhic r porte trans les pour s autre les es, bagag leurs r les uns pour porte

aux en eux-mêmes, recouverts de bronze et d’argent. Des chev Freins, . logie généa une es foule, et qui ont comme les homm Des d’or. sté incru est tout t, argen en est harnais, colliers, tout des nt étaie s'ils e comm ux cheva les t ornen re pourp de ries drape que es group en és class s, jeunes mariés ; il y a une foule de mulet distinguent leurs robes; il y a leurs postillons qui se succèdent, qui courent en avant, qui font escorte (1 », De toute évidence il s’agit de très grands seigneurs que la population de Césarée est éventuellement admise à contempler de loin, quand ils traversent la ville. Il arrive pourtant qu’on ait à souffrir gravement de leur part, un tel voisinage étant dangereux. « Que fais-tu, s’exclame Basile, en interpellant un de ces puissants personnages, est-ce que tu navances pas une infinité de prétextes pour t'emparer de ce qui appartient à ton prochain ? La maison de mon voisin, dit-il, me fait de l'ombre, il excite des troubles, il donne accueil aux fugitifs. … Il n’a pas de cesse qu’il ne les ait contraints à partir %9) ».

Le description de ce luxe et de cette puissance fournit au

prédicateur une occasion privilégiée de stigmatiser les abus de la richesse sans atteindre directement les membres de son auditoire. Que des Cappadociens figurent parmi ces grands seigneurs, c’est

probable. Nous savons d’ailleurs que la Cappadoce était depuis toujours un pays de latifundia dont les propriétaires résidaient sur leurs terres. Possédant de riches demeures aussi bien en ville qu’à la campagne, ils ont toutes chances d’être originaires du terroir. Au demeurant, Basile lui-même n’appartient-il pas par sa naissance à ce milieu ? On peut penser aussi qu'entre Constantinople et Antioche, plus d’un haut dignitaire empruntait, à l’occasion de ses (36) HD VII, 285 B. (37) HD VII, 284 C - 285 A. (38) 1Ib., 293 AB.

SAINT BASILE

63

déplacements, un itinéraire qui comportait un passage à Césarée, mais c’est sans doute à des Cappadociens que pense surtout Basile. D’autres que de riches éleveurs cappadociens peuvent avoir des chevaux dotés d’un bedigree, mais la menti on chevaux et de chameaux parmi les possessions de de troupeaux de ces propriétaires nous oriente vers ce milieu. Ils possèdent «des troupeaux de chameaux, les uns qui portent des fardeaux, les autres qui sont au pâturage, des troupeaux de chevaux, de bœufs et de brebis, des porcs, des bergers pour s’en occuper, ils ont des terres suffisamment étendues

pour nourrir tout cela et pour augmenter par dessu s le marché leur fortune des revenus qu’elles rappo rtent 9 ». Cette indication est précieuse. Si on élève en Cappadoce des chameaux et si de grands propriétaires du pays possèdent en grand nombre des chameaux ä60v6pa, n'est-ce pas un indice qu’il existait un trafic de caravanes, probablement en direction de l'Est L’impopularité de l'expédition de Julien contre les Perses (9), , aussi bien en Cappadoce qu’à Antioche, pourrait bien trouv er là, soit dit en passant, une partie de sa raison d’être. On remarquera que la richesse de ces propriétaires est d’origine très variée et que l’agriculture proprement dite y tient assez sa place pour qu’ils soient accusés, eux aussi, de laisser pourrir leur blé, mais on voit bien que l'essentiel de cette richesse provient de l'élev age. Ainsi une grande permanence à travers les siècles de la struct ure économique et sociale du pays se laisse-t-elle entrevoir. Assez différents semblent être les riches que l’'Homélie VI invite à ouvrir leurs greniers. A ceux-là le prédicateur demand e quelque chose : c’est la preuve qu’à la différence des premiers, ils ont pris place dans l'auditoire. Qui sont-ils ? L’orateur voit en eux des hommes d’affaires qui font or de tout : « quelle invention ne mets-tu pas en mouvement à cause de l'or ? Pour toi le blé se change en or, le vin se fige en lingot, la laine se transforme en or: tout commerce, toute entreprise te rapporte de l'or 4) ». Nous sommes en présence de la classe dirigeante locale qui vend les produits de ses domaines, céréales principalement ainsi que vin (41), mais qui pratique aussi diverses activités commerciales. Le prêt à intérêts occupe sans doute une place qui n’est pas négligeable parmi les moyens qu’elle a de s’enrichir (41*). (39)

1b., 285 AB.

(39) Est-il besoin de préciser qu'il n’y a pas trace de rhétorique dans cette évocation des chameaux ? Dans sa courte Lettre CVIII, Basile invite son correspondant à bien traiter le «frère préposé aux chameaux ».

(40) HD VI, 269 C.

(1) Une phrase de Grégoire de Nazianze nous apprend qu'il s'agissait aussi bien de vin d’origine locale que de vins importés (D XI V, 880 B). (41)Ce sermon comprend l’ecphrasis au pathétique appuyé du pauvre obligé de vendre l’un de ses enfants pour se procurer l'argent nécessaire à sa subsistance (268 C - 269 BJ). On est tenté de voir là surtout l'exploitation habile d’un thème d'école. Cependant, Libanios note aussi (D. XLVI, 22, 24) que les artisans sont obligés de vendre leurs enfants comme esclaves pour payer le chrysargyre, cf. P. Petit, Libanius et la vie municipale à Antioche, p. 156, n. 1.

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particulier du fait L'Homélie VIII présente un caractère assez été prononcée. a elle où elles des circonstances exceptionn ts des écoles enfan les ue puisq aire, ordin type du L'assemblée sort tablettes leurs laissé ont y ont été menés, «Ces petits enfants, qui tà ce cipen parti nôtre, la à ur à l’école et qui joignent leur clame sréJoui une et repos un tage davan t voyan y que nous faisons en t voien se qu'ils parce sance, transformant notre tristesse en fête, souci du et e maîtr leur de au délivrés pour un moment du farde la discipline des de leurs études (4 ». Nous apprendrons ainsi que pour se venger , élèves écoles pouvait se relâcher au point que des tes de leur tablet les briser d'une punition, aillent jusqu’à élèves se des nces viole es, maîtr des Brutalité maître 4. nte des forta récon complètent et font surgir de l’école la moins mbler resse it pouva ale famili images. Il est vrai que la discipline rer déchi de les capab t étaien ts enfan des À celle de l’école, puisque repas, leur de re l'heu der retar de ble coupa père d’un ents les vêtem ortements ou de grifier le visage de leur mère... (4), De tels comp des Cappance viole la de e Basil dira sont à rapprocher de ce que X. élie l'Hom dociens dans Beaucoup de tout petits enfants sont là, ainsi que des femmes, mais la plupart des hommes se sont dispensés de venir. Ils se promènent en ville ou s'occupent de commerce. Bien des femmes d’ailleurs les aident dans ce commerce et ne sont pas venues. «Les hommes ? A part quelques-uns, vous vous occupez de votre commerce. Les femmes ? Vous leur prêtez votre aide dans l'activité de Mammon... La multitude des hommes faits, le peuple asservi », aux péchés court la ville prenant ses aises et son temps, allègre (45) plus, de est, e présenc Le petit nombre d'adultes qui a fait acte de loin de manifester beaucoup d’ardeur. «Pour finir quelques-uns sont restés pour prier avec moi : encore sont-ils pris de vertige, ils bâillentet se retournent continuellement, ils guettent le moment où le chantre sera arrivé au bout de ses versets et où ils seront délivrés, comme d’une prison, de l'assemblée et de l'obligation de prier 4)». Ces indications donnent une idée assez médiocre de la ferveur religieuse de l'assistance (47. Peu nombreux, distrait, pressé de sortir, l'auditoire est surtout composé d'enfants et même de nourrissons : on a l'impression que les parents ont envoyé leurs enfants à leur place. Les fidèles ont boudé une assemblée convo(42) HD VII, 309 C. (43) HD VIII, 317 BC. (44) Ibid. (5) HD VIII, 309 CD. (46) Ibid, 309 C. (47) On sent du même coup poindre le découragement chez Basile, quand il s’écrie : « Des nourrissons inconscients et qui n’ont rien à se reprocher, voilà ce qui se rassemble en hâte pour confesser ses péchés, eux qui ne sont pas à l’origine de nos épreuves et qui ne savent ni ne peuvent prier selon le mode habituel » (309 D - 312 A). L'expression de cette lassitude sera plus nette dans l'Homélie XIV (Ci. inira, p. 74).

SAINT BASILE

65

quée pour procéder à ce que Basile appelle l’'exomologè se de la cité et de chaque personne en particulier devant l'épreuve envoyée par Dieu. Le prédicateur invite chaque catégorie de chréti ens à se repentir de ses fautes, comme autrefois les habitants de Ninive, et à manifester repentir et réparation de leurs fautes personn elles, comme aussi du péché originel, en nourrissant les affamés.

« Efface le péché originel en distribuant de la nourriture (#8) », On

peut penser qu’à une époque où la plupart retardaient le plus possible la réception du baptême pour que toutes les fautes soient

effacées du même coup, une telle offre pouvait paraître attiran te à quelques-uns (#), L'aide aux malheureux peut revêtir des formes légèrement difiérentes. «Déchire la reconnaissance de dettes injuste pour que ton péché soit ainsi effacé. Efface les promes ses d'intérêts accablants. .. 60 ». Si le prédicateur s'adresse aussi aux pauvres pour les inviter à user chrétiennement de l'événement EEE c’est surtout à l'intention des riches qu'il formule de telles requêtes. Ces quatre homélies donnent sur les divers éléments du train de vie des riches de nombreuses indications qui n’ont pas toutes le mérite de l'originalité. Elle concernent les maisons qu’ils habitent, le mobilier qu’ils utilisent, les serviteurs dont ils s’entourent. Ces riches demeures ont des murs revêtus de marbres de Phrygie, de Laconie et de Thessalie ou de fresques à décoration florale. Le sol

porte des mosaïques à fleurs et les plafonds sont revêtus d’or. On utilise des appartements différents en été et en hiver. L'or, l'argent et l’ivoire sont employés dans les meubles, lits, tables et sièges. Les serviteurs sont innombrables dans les grandes maisons et ils sont spécialisés dans les fonctions les plus diverses, puisqu'il y à parmi eux jusque des peintres et des sculpteurs 52). Qu'il y ait dans la ville des nouveaux riches et qu'ils soient incultes, c’est chose de soi assez banale, mais il n’est pas sans intérêt de noter que l’orateur les considère avec le mépris discret de l’homme distingué. « Quand jentre en passant dans la maison d'un homme grossier (ére:sox&ou) et tardivement enrichi, et que je la vois resplendir de fleurs variées, je sais que cet individu ne possède rien de plus précieux que ce qui se voit, qu’il embellit ce qui est inanimé et qu’il a une âme sans ornement (55) », Notons enfin une observation qui est riche de conséquences, c’est que la ville de Césarée est tout entière parsemée de ruines de maisons efflondrées sous l'effet du temps. «Ne voistu pas ces murailles, que le temps a ruinées, dont les restes se dressent par (48)

HD

VII, 324 C.

(49) Une chrétienne fervente et généreuse comme la sœur de Grégoire de Nazianze, Gorgonie, recevra le baptême tardivement, Cf. Grégoire de Nazianze, Discours VIH, 812 C. (50) 51)

HD VIII, 313 B. Ibid., 316 B.

(52) (53)

HD VII, 285 AB, 292 A. HD VII, 289 D-292 A.

LA

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toute la ville comme des écueils ? 54 ». On peut en conclure que le prix du terrain n’était pas élevé dans la cité, que la densité de la population ne devait pas y être forte et, compte tenu des moyens de communication, que Césarée conservait des proportions modestes 5), A dire vrai, l'Homélie XX, Sur l'humilité 5), ne comporte à peu près aucun élément qui. nous permette de la situer. Si nous en abordons maintenant l'examen, c’est uniquement à cause d’une allusion bien ténue qui pourrait faire penser aux premières années de la carrière de Basile. Le prédicateur observe une grande brièveté : après avoir invité les fidèles à ne s’enorgueillir ni de l'argent, ni des titres, ni des qualités physiques qu’ils possèdent, ni même de leur sagesse ou de leur prudence, il les incite à glorifier Dieu de qui tout provient 57. Il termine en indiquant quelques moyens pratiques d'acquérir cet esprit d’humilité. Ils consistent essentiellement à observer une grande simplicité dans la vie quotidienne. «Comment en arriver à cette salutaire humilité et abandonner l’enflure pernicieuse de la vanité ? En nous exerçant en toute circonstance, sans rien négliger sous le prétexte qu'aucun dommage ne peut en résulter pour nous. L’âme se modèle en effet sur les activités qu’elle pratique. Ce qu’elle fait lui donne forme et apparence. Que tout, attitude, vêtement, démarche, façon de t’asseoir et de te nourrir, disposition de ton lit, maison et mobilier, que tout soit dressé à la simplicité. Ta façon de parler, de chanter, de rencontrer le prochain, que cela aussi paraisse inspiré par la mesure plutôt que par l’enflure 8) ». Il ne semble pas que cette invitation à pratiquer l'humilité tire sa source du commentaire d’un texte liturgique, ni d’une occasion déterminée. Une fois de plus Basile paraît s'adresser à ce que nous appellerions la classe dirigeante. Il est bien évident qu’une invitation à pratiquer l'humilité ne peut concerner que ceux qui ont des motifs de mal la pratiquer et qui peuvent tirer orgueil des avantages qu’ils possèdent. Mais la péroraison du discours vise moins un groupe ou une classe que des individualités qui se détachent à l’intérieur même de ce groupe dominant : «Tu as reçu une dignité éminente ( xpocplac) et les hommes t’entourent et te glorifient ? Deviens semblable à tes sujets (5rnxéoi ) ... ne ressemble pas aux princes de ce monde %® », Une telle formule concerne aussi bien de très hauts magistrats que de simples notabilités locales, mais l’exorde brosse, non sans ironie, le portrait d’un notable de canton: «si le peuple leur donne une dignité, s’il leur octroie quelque présidence, si son vote leur défère l'honneur d’une supériorité, alors, comme s'ils s’élevaient au-dessus de la nature humaine, peu s’en (54)

289 C.

65)

Sur l'importance de la ville de Césarée, voir plus foin, p. 82.

(56) (57) (58) (59)

525 528 537 540

A -546 B. AB. AB. A,

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67

faut qu’ils ne croient trôner sur les nuages, considérant les qui sont au-dessous d'eux comme un marche-pied. Ils se hommes dressent contre ceux qui leur ont conféré leur dignité et ils fanfar onnent contre ceux qui ont fait qu’ils ont l'air d’être quelqu'un. Attitude pleine de sottise, puisque la gloire qu’ils possèdent est moins solide qu'un songe ; la splendeur qui les entoure est plus incons istante que les visions de la nuit et le peuple, qui la leur a donné e d’un signe de tête, la dissipe d’un signe de tête (69 ». Ce sont bien les notabl locaux, les bénéficiaires de décrets honorifiques, que le prédic es ateur tourne en ridicule. Il n’est pas nécessaire qu’il ait attendu pour le faire d’être revêtu de la dignité épiscopale, car le patricien qu'éta it Basile n’avait pas besoin de ce titre pour pouvoir parler des curiales avec désinvolture. Il est d’ailleurs possible que derrière la perso nne de ce fils de Salomon, dont Basile dit qu’il était jeune par l’âge, plus jeune encore par l'esprit, et qu’il avait perdu son royaume pour avoir menacé son peuple de le gouverner plus rudement qu’aup aravant, se profile la personne de Julien (61), On pense en eftet aux menaces que ce dernier avait proférées à l'égard des habitants d’Antioche et à la catastrophe militaire qui suivit. Dans ce cas, notre discours se situerait plus probablement au cours des années qui ont suivi la disparition de l’empereur. De telles paroles pourraient ne pas avoir été étrangères à la popularité de Basile auprès du petit peuple de Césarée, comme aux résistances que son

élection à l’épiscopat devait rencontrer.

C’est aussi de la période du sacerdoce de Basile que nous serions tentés de dater l’Homélie III, Sur la parole « Fais attention à toi-même 2», Cette exégèse appliquée d’un verset du Deutéronome ressemble par certains côtés au commentaire du début des Proverbes et sent plus le débutant que l’homme fort de son autorité et sûr de son audience. Il est vrai qu’un court passage entend donner des leçons aussi bien aux pasteurs qu'aux autres catégories de fidèles. Un tel langage donnerait à croire que celui qui en use est revêtu de l’épiscopat. Cependant, l’allusion reste vague et prudente et, telle qu’elle est formulée, elle a aussi bien pu se trouver dans la bouche d’un prêtre revêtu auprès de son évêque de cette autorité toute particulière dont Grégoire de Nazianze assure que Basile fut investi auprès d'Eusèbe. Si laccent

pris par telle phrase a parfois quelque chose de

personnel, linstant demeure bref et on ne doit pas chercher d’originalité de pensée dans cet exercice un peu scolaire. Ainsi richesse et pauvreté forment une sorte de dyptique où à peu près tout reste

conventionnel.

Basile, qui commente

un

verset

dont il déclare

(60) 525 D-528 A. (61) 528 A. (62) 197 C - 217 B. Une édition critique de cette homélie a été publiée par Stig YŸ. Rudberg, sous le titre L'Homélie de Basile de Césarée sur le mot | « Observe-toi toi-même », Stockholm, 1962.

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du jour (63), veut expressément qu'il figurait parmi les lectures s comme aux riche aux esse s'adr montrer que la parole biblique sse et de la riche la de s signe des liste une pauvres. Ïl dresse donc un mors de possè l pauvreté. Le riche est celui dont le cheva fait transporter en se qui et d'argent, dont le char est incrusté d’or liste d'exemples litière. Son lit est d'ivoire et son toit d’or (64), La

cependant de la de riches personnages qui nous est donnée sort des magistrats, côté à , place banalité, dans la mesure ou y trouvent satrapes et des s, tyran des et aux génér des grands rhéteurs, des de satrape terme ce que r pense peut On ux. cheva de des éleveurs aux quant e; adoc Capp la reflète ici le lointain passé iranien de la de et somm le ent ituai const qu’ils sait éleveurs de cheveaux, on rit d’esp l’état de ue typiq Plus e (%5). ienn adoc capp le hiérarchie socia nécessaires de l’orateur est la déclaration qui cite, parmi les biens e, que l’ascès et dogme du ssance à l'âme, aussi bien la connai naisa donner qui t d'espri l’état C’est (69. e cultur l'initiation à la pour pas n’est Il sance au petit traité Sur les lettres helléniques. ze qui suprendre, de la part de l’ami intime d’un Grégoire de Nazian sa dans nt exigea plus et point ce sur te explici sera beaucoup plus prédication même. 9. —

A.

LaA PÉRIODE DE L'ÉPISCOPAT.

Trois allocutions de circonstance.

L’'Homélie XIII appartient à un genre assez bien défini (91). encore C’est une allocution destinée aux fidèles qui n’ont pas e au instruir faire se à décider les de afin , baptême le reçu Nysse de e Grégoir et e Nazianz cours du carême (68. Grégoire de de développeront l’un et l’autre le même sujet. Le Discours XL (%), du loin plus verra le on comme date, e Nazianz de e Grégoir se 6 Janvier 381. Grégoire, récemment intronisé par Théodo de fidèles des ble l’ensem fois e premièr y appelle pour la ecertain date sermon Notre . baptême le r recevoi à tinople Constan le ment d’un 6 Janvier. Dans un cas comme dans lautre, tance circons une appel, son e entendr faire prédicateur choisit, pour où les fidèles sont particulièrement nombreux en raison de la célébration de l’'Epiphanie, Peut-être sommes-nous en présence de la première allocution de ce type que Basile eut à prononcer en tant qu'évêque et, dans ce cas, le discours daterait du 6 Janvier 371. Il vaut la peine de remarquer que le nom de chrétien est ici appliqué, ne serait-ce qu’en passant, à des gens qui n’ont pas encore er

(63) (64) (65) (66) (67) (68) (69)

HD 212 209 204 424 HD Cf.

III, 200 B. Il s'agit de Dt. XV, 9. C - 213 A. D. C. A-444 C. XIII, 440 A. pp. 199-216.

SAINT BASILE

69

reçu le baptême (0), C’est, semble-t-il, que le clergé lui-mê me plus très regardant sur les titres à porter ce nom; nul doute n’est que le langage courant n'hésite pas à considérer comme chrétie ns ceux qui se contentent de prendre part à la liturgie de la parole. Il apparaît bien vite qu’il ne s’agit nullement de candidats qu’on aurait provisoirement écartés, car le prédicateur, loin de faire preuve de sévérité dans le tri des candidatures éventuelles, va presqu e jusqu'à

supplier les assistants de bien vouloir donner leur nom. «Mon ami, ou bien redoute la géhenne, ou bien saisis-toi du royaume. Ne méprise pas cet appel. Ne dis pas «excuse-moi» pour une raison ou pour une autre. Aucun prétexte ne peut t’excus er. Les larmes me viennent aux yeux quand je pense que tu préfère s les œuvres de honte à la grande gloire de Dieu... (71) ». Les destinataires de cet appel, loin de constituer une minorit é, semblent former une part appréciable de l'auditoire, très probablement la majorité. Le prédicateur peut bien se faire pressant, il ne paraît pas, non plus d’ailleurs que Grégoire à Constantinople, avoir grand espoir d'être entendu de beaucoup. Il est évident que l'habitude de faire traîner les choses en longueur et de renvoyer d’année en année est répandue parmi ceux qui l’écoutent. «L'an dernier tu renvoyais au moment présent, maintenant tu attends à nouveau l'avenir » (2), Comment en douter, à considérer la vie du frère et de la sœur de Grégoire de Nazianze, qui reçurent le

baptême très tard ? Or, si la vie de Césaire ne constitue pas un modèle de très grande ferveur, Gorgonie a mérité d’être citée en exemple par son frère. On a l’impression que cette chrétienté cappadocienne est principalement constituée de ce que nous appellerions des sympathisants et que les adultes baptisés se distinguent mal des moines. La plupart reçoivent le baptême à Particle de la mort. Grégoire sera plus explicite sur les motifs variés de ces hésitations. L'exemple, donné par Basile, d’Elie qui n'a pas craint de monter sur le char de feu donne à penser que l’appréhension, la peur même, dominait (3). Recevoir le baptême, c'est entrer dans la voie de la perfection. C’est au peuple chrétien tout entier que cet appel est en principe destiné, mais on peut se demander s’il y a des esclaves dans l'église, puisque Basile invite ses auditeurs à imaginer le cas où ils seraient esclaves. «Si tu étais esclave des hommes et si la liberté était offerte aux esclaves, est-ce que tu ne te serais pas présenté au jour fixé, en louant les services de témoins pour t’assister et en faisant appel aux juges pour être mis en liberté par tous les moyens ? » (74). Cet auditoire est formé de gens qui écoutent les prédicateurs depuis leur première enfance (5); il s’agit donc en majorité de chrétiens (70) (71) (72) (73) (74) (75)

437 444 425 428 429 425

C. B. B. C. B. B.

LA

70

de naissance,

PRÉDICATION

puisque,

nous

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

l’avons vu, il ne s’agit pas d’une

à l'église manière de parler, quand il est question de la présence n ne allusio aucune eurs, qu'aill ici plus des petits enfants. Pas », dehors du « gens les voir de désir e moindr le er permet de constat t-il, semblepasse, se païens ou juifs, se joindre au troupeau. Tout baptisés comme si le grand nombre des chrétiens non encore que s’écrie Basile Quand olat. d’apost tive perspec bloquait toute

«l'Eglise convoque de loin ses nourrissons » (6), il faut donner

ceux à ce dernier mot une signification très restreinte et limitée à le que eux pour C’est nne. chrétie famille une qui sont nés dans . l’église à é registre destiné à recevoir leur inscription a été apport « Approche-toi donc, passe tout entier du côté du Christ, donne ton nom, fais-toi inscrire dans les rangs de l'Eglise... Faistoi inscrire sur ce livre pour que ton nom soit inscrit sur le livre d’en-haut » (7). Les deux premières homélies traitent le même sujet: le jeûne du carême (#). Elles ont d’ailleurs été prononcées dans des circonstances identiques. Le dimanche qui précède le début du carême, la veille même du jour où va commencer un jeûne de huit semaines, le prédicateur s'adresse aux fidèles dont il a la charge, pour les inviter à se préparer dignement à entrer dans cette période. L'assurance du ton ferait pencher pour l’époque de l'épiscopat, mais le critère est trop imprécis pour permettre de dégager plus qu’une impression. Le contexte ne permet pas d'affirmer à coup sûr que les sermons aient été prononcés le matin plutôt que le soir. Il semble cependant plus probable que le prédicateur s’adresse à ses fidèles au début de la journée, à un moment où ses exhortations répétées à rester sobres ne risquent pas d’être déjà dépassées par les événements. On est frappé par les préoccupations essentielles du premier sermon. La première, et la plus importante, ne vise pas plus loin que la journée même qui va se dérouler. L’insistance de Basile à mettre ses auditeurs en garde contre l'ivresse paraît significative d'une tendance à inaugurer le carême par des beuveries. «Ne

commence pas par boire abondamment avant de boire de l’eau. Que l'ivresse ne soit pas ton initiation au jeûne.

On n'entre pas

dans le jeûne par le moyen de l'ivresse... Ne prélude pas à ces cinq journées par la noce, comme pour te venger d’elles, comme pour tromper le législateur... Les besoins du corps fixent à l'usage du vin ses meilleures limites : si tu dépasses les bornes, tu viendras demain la tête lourde, en bâillant, tu auras le vertige et tu sentiras le vin aigri... » (®), Le réalisme de la description se passe de commentaire. D’autre part, on sent Basile préoccupé de mettre en (76) 425 A. (77) 440 A. (78) 164 A - 197 C. (79) HD 1,181 C - 184 A.

SAINT BASILE

valeur les divers avantages du ieûne qui va débute r.

71

Il

est en particulier bon pour la santé de ceux qui ont l’habi tude de trop mange

r. Le plus intéressant ici, c’est que Basile s'exprime comme si la grande majorité de ceux qui l’écoutent se trouva ient dans ce cas (80), C’est à peine si une fugitive allusion concerne ceux qui ont au contraire pour habitude de se contenter d’une nourriture simple et frugale, Comme il n’est fait aucun état de ceux qui ne mangent pas à leur faim, on peut penser qu’au moment du moins où ce sermon est prononcé, l’ensemble des habitants de César ée est nourri d’une façon convenable... Cela nous éloigne de la famine de 369 et peut-être pensera-t-on que Basile n’aura pu s'exp rimer ainsi qu'après que la construction de la Basiliade aura assuré la nourriture aux plus pauvres. Mais on peut aussi se deman der si l'auditoire que Basile a en face de lui n’est pas principale ment composé de gens à qui leurs moyens permettent de se nourri r trop bien. Une phrase confirme cette impression ; Basile leur dit en effet : « Que le jeûne soit pour les domestiques qui te servent à longueur d'année un repos de leurs peines continuelles » 81), De telles indications doivent pourtant être utilisées avec beaucoup de prudence. Non seulement, nous ne pouvons pas être sûrs que le prédicateur pense à toutes les catégories de fidèles qui sont réunis pour l'écouter, et son silence ne doit pas alors nous faire croire à l'absence de ceux qu’il ne nomme pas; mais encore la seconde homélie, prononcée dans des circonstances tout à fait semblables, apportera quelques correctifs aux impressions retirées de la première. | L’authenticité de la seconde homélie à été, nous l'avons dit, contestée. Garnier reprochait à ce discours d'emprunter des passages à la première homélie et d’en imiter d’autres, il jugeait son style inférieur à celui de cette même homélie. Maran à bien réfuté son confrère, en montrant que deux sermons, prononcés par le même auteur dans des circonstances identiques à plusieurs années de distance sur le même sujet, peuvent inclure emprunts et redites. Quant à l’infériorité du style, outre qu'il s’agit d’un critère bien difficile à manier, son application est loin de donner ici des résultats évidents. De plus, Garnier avait lui-même remarqué que l’auteur du Commentaire d'Isaïe, qui, quel qu’il soit, vivait au IV° siècle et qui était probablement cappadocien, cite aussi bien la deuxième que la première des homélies sur le jeûne. On peut ajouter que l’auteur de la deuxième homélie, qui emprunte une comparaison au dressage des chevaux, pourrait être un

cappadocien. « Ne vois-tu pas, dit-il, que les entraîneurs les plus expérimentés, qui dressent des chevaux destinés à courir, les préparent en leur faisant faire la diète quand le moment de la course approche ? » 82), L'assurance de ton que l’on trouve dans l’exorde (80) Ib., 177 AB. (81) HD 1, 176 A. (82) HD HN, 192 A.

LA

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Se que. convient beaucoup mieux à un évêque qu’à quicon bataille en s troupe leurs t rangen comparant aux chefs d’armées qui ent au et aux entraîneurs sportifs, qui, les uns et les autres, adress : s’écrie il sent, moment décisif une exhortation à ceux qu’ils condui Christ du s soldat les e bataill « Moi aussi, au moment où je range en de la contre les ennemis invisibles, et où je prépare les athlètes leur de prix pour justice la de nes couron les ir piété à recevo les pour parler leur maîtrise d'eux-mêmes, je suis obligé de ur l’aute de on ificati l'ident que exhorter » 8. A supposer même cappaévêque d’un gnage témoi le e, certain pas avec Basile ne soit docien du 1v° siècle mériterait d’être retenu dans le cadre de cette enquête.

Cette seconde homélie, nous l'avons dit, fait leur place aux

pauvres, deux fois nommés, et même aux esclaves. « Que le pauvre mps ne dédaigne pas le jeûne, parce qu’il trouve en lui depuis longte -lui «Faites : loin plus Et (5). » sal commen un et non compag un bon accueil, pauvres : il est votre compagnon et votre commensal. Esclaves, il est le repos des continuelles fatigues de votre service » 8). Plus intéressante, parce que de portée plus générale, est cette remarque que le climat de la ville est transformé en période de jeûne, une sorte d’assoupissement gagnant toutes les

activités. «II met subitement le bon ordre dans toute la ville, dans tout le peuple ; il assoupit les clameurs, élimine les contestations, impose le silence aux injures. Quel est le maître dont la présence fait cesser le tumulte parmi les enfants aussi soudainement que l'apparition du jeûne apaise l'agitation de la cité ? » 66), Il y a bien sûr quelque exagération oratoire dans cette affirmation, mais, s’il est vrai que le carême affecte sensiblement l'activité de la cité, c'est un indice assez sûr que les chrétiens qui le pratiquent y sont en majorité. Non seulement les chrétiens sont plus nombreux que les autres, mais encore le nombre de ceux qui respectent le jeûne du carême est plus élevé que celui des baptisés. Le respect du jeûne est sans doute une des pierres de touche les plus sensibles de

Tappartenance au groupe chrétien. Cependant, cette pratique reflète une large part de formalisme, puisque l'auteur assure que « la majorité observe le jeûne aussi bien par habitude que par respect humain » 8. S'il est vrai que le ralentissement général de l’activité entraîne pour les esclaves «une rémission des fatigues continuelles du service » (8), alors que, l’'Hexaéméron nous l'a montré, les

artisans continuent l'exercice de leur métier, c’est la preuve que les esclaves en question sont généralement affectés à des services domestiques : la réduction de leur activité est due aux restrictions (83) (84) (85) (86) (87) (88)

HD 188 193 192 19% 193

II, 185 AB. A. C. B. A. C.

SAINT BASILE

73

alimentaires observées par leurs maîtres et au repos que le jeûne impose à ces derniers. B. Trois homélies

morales.

L’homélie dirigée contre ceux qui se mettent en colère, qui porte le numéro X dans l'édition bénédictine, conserve de bout en

bout un caractère assez général qui n’aide pas à la dater (&) Cependant, un passage de l’exorde pourrait faire allusion à un événement bien connu de la vie de Basile, C’est une manifestation de colère précise qui sert de point de départ au sermon du jour. Cette colère s’est abattue de l'extérieur sur l’orateur, et peut-êt re sur un groupe plus vaste dont il fait partie, d’une façon subite. « Maintenant que nous avons fait l'expérience de la passion, d’une passion qui n’est pas née en nous, mais qui s’est abattue sur nous en venant de l'extérieur comme une tempête inattendue, nous avons particulièrement bien reconnu le caractère merveilleux des préceptes divins » 0), La suite développera avec non moins de force le même thème, mais déjà les premiers mots du sermon montraient que le prédicateur comptait développer son sujet en prenant appui sur un fait d'expérience : « De même que lorsque les prescriptions médicales sont adaptées et conformes aux principes de Part, c’est après expérience que leur utilité se manifeste surtout, de même les préceptes spirituels... » 1. D'ailleurs si les éditions titrent notre discours, à la suite de plusieurs manuscrits xatà épylosévav, d’autres manuscrits donnent repli épyñc, rpéc rive

(ou rivac) edeurroroc Éyovra mpèc ro néloc.

Non

seulement

la personne

visée n’est pas nommée, mais l’allusion qui la désigne reste assez discrète pour pouvoir rester facilement inaperçue, au moins à la lecture. Cette réserve traduit probablement du respect ou de la crainte et l’allusion ne peut être aussi fugitive que si les faits sont connus d’un auditoire qui comprend à demi-mots. Aussi proposons-nous de rapprocher cette homélie de l’altercation qui opposa Basile au préfet du prétoire Modestus en 372. Grégoire de Nazianze décrira d’ailleurs la fureur du préfet en des termes qui se rapprochent des notations de l’homélie basilienne (?2). On trouvera peu d’éléments caractéristiques dans ce sermon contre la colère, où l’on sent afileurer plus d’une fois le lieu commun. On retiendra cependant que les manifestations de colère fréquentes aux yeux du prédicateur sont violentes : elles vont facilement jusqu'aux coups et peuvent provoquer la mort » (3). La colère excite la lutte, la lutte fait naître les injures, les injures les

coups, les coups les blessures et des blessures résulte souvent la (89) (90) (91) (92) (93)

353 353 HD D. HD

A-372 B.: BC. X, 353 AB. XLHII, 49. X, 357 D - 360 A.

LA

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mort ». Quant aux injures, si leur style semble avoir quelque chose xat &BoËov (épavñ vai &£ &paväv… oixotpiBov oixétoiBa, &pav…… xat

d’oriental

unSéve unSau60ev) (4), la nature des reproches qu’elles formulent peut parfois prêter à réflexion. L’imputation qui paraît la plus répandue et en même temps la plus infamante est celle de pauvreté. Il s’y joint l'accusation de bêtise et d’ignorance. Il n’y aurait pas grand un chose d’original dans de telles injures, si elles ne prenaient qui indices menus s d’autre à tées confron fois une certain relief, donnent à penser que la Cappadoce venait d'opérer ce que nos économistes appellent un boom: richesse et instruction à sa suite se développant non sans engendrer des inégalités. Si l'Homélie XIII se situait le jour de l’Epiphanie, c’est à la fête de Pâques que se rattache l’'Homélie XIV ®. L’excès des réjouissances pascales à Césarée est à l'origine de ce sermon. Le prédicateur manifeste une vive émotion devant le spectacle qui s’est déroulé le soir même de Pâques. Des groupes de femmes ont dansé tête découverte, cheveux épars, ceinture dénouée dans les martyria situés aux portes de la ville, se donnant en spectacle aux jeunes gens et les incitant ainsi à la débauche. Des chœurs de danse mixte se sont constitués, où se sont mêlés rires effrontés, regards impudents, attitudes impudiques, et Basile laisse entendre assez clairement que ces débordements ont eu pour beaucoup la conclusion qu’on pouvait en attendre (5). Il s’est senti d'autant plus près du découragement qu’il venait de prêcher matin et soir pendant les huit semaines du carême (7. Cela confirme que nous ne possédons qu’une petite partie des sermons qu’il a prêchés au cours de sa vie. Pour manifester se lassitude, il déclare, en prenant la parole, qu’il hésite à prêcher à nouveau, car «le cultivateur, quand les premières semences qu’il a jetées n’ont pas germé, est plus lent à semer à nouveau dans les mêmes terres » (9). La cause unique de tout ce mal est l’ivresse, vice qu’il combat avec vigueur et réalisme, avec, parfois, des expressions qui rappelleront tel passage des deux Homélies sur le Jeüne. A défaut de pouvoir citer ces pages en entier, retenons cette brève caricature : « Mais qui dira cela à ceux qui sont abrutis par le vin ? Sous l'effet de la noce, leur tête penche et dodeline, ils bâillent, ils ont un brouillard devant les yeux, ils ont la nausée... leurs yeux sont humides, leur bouche sèche et brûlante... » %), Il est bien possible que Basile ait dans ce sermon délibérément recouru au ridicule pour combattre l’alcoolisme. Si le jeûne est, comme nous l'avons vu, assez largement respecté à Césarée pendant le carême, des beuveries abondantes #

bi

?

Ld

(94) Ibid., 357 C; 360 B. (95) 444 C - 464 A. (96) 445 A - 448 A. (97) 444 D - 445 A. (98) 444 D. (99) 453 BC.

.

SAINT BASILE

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préludent à ce dernier et lui donnent sa conclu sion. Il faut bien considérer qu’il ne s’agit pas seulement d’écar ts passagers Ou saisonniers, mais aussi d'habitudes invétérées. Ce n’est pas seulement l’ivrogne sous l'effet de l'alcool que décrit Basile, c’est lalcoolique dont la constitution a été gravement atteimte « De là proviennent tremblements et faiblesses : le souffle est coupé par l'usage immodéré du vin et, le système nerveu x perdant sa cohésion, toute la masse du corps est agitée de tremb lements » (00). L’ironie dure qui frappe toutes les catégories d’ivrognes, toutes les manifestations et conséquences d’un même vice, atteint aussi bien les riches, qui occupent leur journée à préparer pour le soir des salles de festins, que les malheureux à qui le vin fait oublie qu’ils n’ont pas de vêtement et que leur nourriture du lendem r ain n'est pas assurée (01), Ces beuveries se prolongent tard dans la nuit et la longueur des soirées d'hiver ne leur suffisent même pas (®). Il est possible que le désœuvrement des nuits du long et rigoureux hiver cappadocien ait contribué à propager l'alcoolisme. Ce n’est sans doute pas un hasard si le type d’intempérance que le prédicateur décrit avec le plus de complaisance est celui qui sévit dans ces couches élevées de la société où les buveurs finissent par boire au même vase, recevant tous ensemble la même quantité de liquide par autant de tuyaux d’argent.. 493). « Spectacle pitoyable pour les yeux d’un chrétien que celui d’un homme dans la force de l’âge, vigoureux, occupant un rang enviable sur les contrôles de l'armée, qu’on emporte chez lui, sans qu’il puisse tenir debout ni faire usage pour s’en aller de ses propres pieds. Cet homme qui doit inspirer la crainte aux ennemis est un motif de s’esclafier pour les enfants du marché : le fer n’a pas été nécessaire pour le terrasser, ni les ennemis pour le mettre à mort. Cet homme d'armes, dans la fleur même de son Âge, est abattu par le vin, il est prêt à subir tout ce que l'ennemi voudra » (1%). La description de cet officier ivre mort que des serviteurs emportent est empreinte d’une ironie qui visait peut-être une- personne et un événement déterminé, qui égratigne à n’en pas douter une catégorie sociale bien particulière. De toute façon l’ivresse est chose répandue à Césarée, elle y touche toutes les catégories de la population, entrafnant à sa suite toutes sortes de désordres moraux, y compris une homosexualité brutale (05). Il convient de se demander dans quelle mesure de telles mœurs sont celles du public qui fréquente habituellement l'église. Il est probable que les ivrognes et les danseurs qui font le découragement de Basile n'étaient pas venus l’entendre ce jour-là, mais ce dernier (100) 453 C. | (01) 449 B; 456 BC. (02) 452 B. (103) 460 A. (04) 457 B. (105) 449 C.

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habituel semble bien considérer qu'ils faisaient partie de l'auditoire à juger e l'amèn de ses sermons de carême, puisque leur conduite voie la dans ssé progre a cette prédication inutile : «celui qui habines ancien ses à ensuite ne retour des œuvres bonnes et qui un tudes ne perd pas seulement le salaire de ses peines, il mérite à sont qui ses danseu châtiment plus grave » 4%).. D'ailleurs les

les l'origine de tout n’auraient sans doute pas pénétré dans bien le, probab est Il ennes. chréti été pas nt n'avaie elles si a, martyri y que Basile n’en souffle pas mot, que le choix d’un tel lieu pour ère caract un avaient res derniè ces exécuter des danses suppose que liturgique et que la pieuse intention a dégénéré, le vin aidant. Quelle que soit la part d’austérité qui apparaît plus d’une fois dans les jugements de Basile, on devra bien conclure que la moralité de la masse chrétienne n’était pas très élevée, malgré un conformisme saisonnier accusé. n’a pas été Relative au détachement, l'Homélie XXI(9 comme un présente sy prononcée à Césarée, puisque Basile avoir eu pourrait Elle 4% parole la prend il où étranger à la ville Arménie, en Satala, ment, probable plus ou, Samosate cadre pour et remonter au mois de juillet 372 1%), De toute façon, ce sermon n'est pas le seul qu'il ait adressé aux habitants de la localité qu'il visitait, puisqu'il déclare expressément qu’il leur a déjà parlé à plusieurs reprises pour les corriger de leurs défauts (10), Ce sermon paraît avoir été improvisé par son auteur, au moins dans une large mesure, étant donné qu’au moment même où il allait trouver sa conclusion, il rebondit sur un sujet nouveau, de façon à doubler presque d’ampleur. En fait, nous nous trouvons en présence de la matière de deux discours réunis en un seul. Le premier compare la vie à une route où se succèdent non seulement les étapes, mais aussi les embuscades de l'ennemi qu'est le diable. Pour lui échapper, il faut agir à limitation des marins qui, au plus fort de la tempête, jettent par dessus bord la cargaison qu'ils transportent, afin d’alléger leur navire. Les larmes de la pénitence effaceront les péchés ‘11, Mais l'exemple de fardeau à déposer sur lequel Basile insiste le plus est celui de la richesse. « Que nos yeux n’ignorent pas les Lazares qui, maintenant encore, sont étendus à nos pieds » (12), Plus intéressant peut-être est un assez long développement qui dégage la responsabilité des riches en tant que corrupteurs de leur entourage. Pour être invité par eux et pour recevoir de leurs mains des cadeaux, on les flatte, on leur fait des récits obscènes (13), Et les riches sont ainsi indirectement (106) (407) (108) (109) (410) (411) (112) (413)

445 540 540 Cf. 540 552 553 553

A. C - 564 B. C. J. Gribomont, PG2 XXXI, Introduction, p. 6. C. BC. A. C.

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victimes de leur propre richesse. Il est évident que le prédicateur s’adresse à un public de riches, dont il ne se sépare qu'imparfaitement lui-même, car il emploie souvent la première personne du pluriel. Quelques courtes scènes empruntent au mime un pittoresque qui exciterait le rire s’il ne serrait en même temps le cœur, «Si nous rencontrons sur notre chemin un pauvre à qui la faim laisse à peine la parole, nous nous détournons de notre semblable, nous en avons horreur, nous nous hâtons de nous

écarter, comme

si nous craignions de contracter quelque chose de

son infortune en marchant plus lentement. Si, par honte de son malheur, il a les yeux baissés, nous l’accusons d’hypocrisie : si le lourd aiguillon de la faim fait qu’il nous regarde franchement, alors nous disons qu'il est effronté et qu’il nous fait violence. Si par hasard il est habillé de bons vêtements que quelqu'un lui a donnés, nous le repoussons en l’accusant de n'être jamais content et nous jurons qu'il simule la pauvreté : mais s’il se protège au moyen de haillons putrides, nous le chassons parce qu'il sent mauvais : il a beau mêler le nom du Créateur à ses supplications, il a beau l’invoquer continuellement pour lui demander de nous empêcher de tomber dans de tels malheurs, il ne parvient pas à fléchir un parti-pris impitoyable » (414), Au total, la première partie de ce discours s'adresse à des gens riches pour leur demander de faire l’'aumône à ceux qui sont dans la plus grande misère. La seconde partie a pour sujet un événement qui s'était déroulé la veille, un incendie qui avait failli atteindre l'église et qui avait brûlé des maisons au point de laisser dans un total dénuement certains de ceux qui assistent au sermon. A vrai dire, Basile allait oublier d’en parler et il allait prononcer la doxologie de son sermon, lorsque des membres de l'assistance lui ont fait prendre conscience

de son omission, « Comme vous le voyez, mon discours était déjà arrivé au port, mais certains frères le remettent sur le chemin des conseils : ils m’invitent à ne pas laisser de côté les prodiges opérés

hier par le Maître et à ne pas faire le silence sur le trophée que le Sauveur a dressé contre le diable » (15, On aimerait savoir si ce mot de frères désigne des fidèles groupés dans Ja nef ou quelque .membre du clergé à l'intervention plus discrète. Quoi qu’il en soit, une formule de ce genre garantit le caractère improvisé du texte que nous avons sous les yeux. Certaines gaucheries d’expression, des redites textuelles même confirment cette impression (19), C. Les éloges des martyrs. L’éloge des martyrs tient une place qui n’est pas négligeable dans la prédication de Basile, puisque quatre sermons leur sont (114) 553 D - 556 B. (415) 556 C. $ à b (116) Ainsi Job, IL, 10 est cité deux fois à quelques lignes de distance par simple négligence (561 B et 561 C).

LA

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consacrés.

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Ils ne représentent cependant qu’une faible partie de

ceux qu'il eut l’occasion de prononcer tout au long de sa vie. Nous savons par exemple qu'Eupsychios était un saint particulièrement vénéré en Cappadoce ; il n’est pas concevable que Basile n’ait pas célébré publiquement sa mémoire à plus d’une reprise : Or nous ne possédons le texte d'aucun de ces discours. A ne tenir compte

que des neuf années de l’épiscopat de notre auteur, il est vraisem-

blable qu’il dut prononcer plus d’une fois l'éloge des martyrs à propos desquels nous ne possédons qu’un seul discours. On ne saurait séparer l'éloge de Julitta, qui constitue le sujet

de la cinquième homélie, de l'Homélie IV, sur l'action de grâce M),

Au début de cette dernière, Basile formule son sujet et annonce le plan qu'il compte suivre. Il va commenter un passage de saint

Paul (1 Thess., V, 16-18), où l'apôtre invite ses interlocuteurs à une

joie perpétuelle, une prière continuelle, une action de grâces incessante, en s’attachant successivement à chacun de ces trois points (18), En fait, l’homélie s'achève au moment où seul le

premier point a été traité, Aussi le prédicateur reprend-l la parole le lendemain. Mais il doit alors commencer par s'acquitter d’une autre tâche : l'éloge de la martyre Julitta, dont la fête tombe ce jour-là. Basile s'exécute rapidement, puis revient au sujet resté en suspens la veille. L'intention d’achever ce qui était commencé est soulignée avec netteté. Nous avons donc bien affaire à deux discours liés aussi bien par les circonstances de leur composition que par les sujets traités.

Il ne fait pas de doute que Basile est alors revêtu de l’épiscopat, car c’est lui, nous dit-il, qui a fixé la date de la fête de Julitta :

«Nous vous avons en effet fixé (ncprnyyelauev) ce jour comme marquant le souvenir de cette grande lutte » 1). En fait, il sera très peu question de Julitta et Basile en parlera surtout en termes généraux. Elle avait été une riche propriétaire de Césarée et son corps se trouvait dans un des plus beaux monuments religieux de la ville : ëv r& xaoro

rporeueviouarr

Tic réke«wc (120),

Rien de saillant dans le contenu de ces deux discours, cependant leur composition soulève un problème. Si on en croit Basile, n’ayant pu dire la veille tout ce qu’il avait l'intention d’exposer, il s’est résolu le lendemain à amputer largement le panégyrique de Julitta pour achever de traiter son sujet 42), S'agit-il là d’un simple artifice de présentation et Basile cherche-t-il à dissimuler sous une fausse improvisation une intention mûrement délibérée ? La question doit être posée, car de la réponse qui lui sera donnée dépend l’idée qu’on doit se faire de l’éloquence de (17) (118) (119) (120) (421)

HD 1, 217 B - 237 A ; HD V, 237 A - 261 A. 217 C. HD V, 237 A. 1b., 241 A. 1b., 241 C.

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Basile, de ses habitudes de composition et de ses méthodes de publication. En fait, il me semble percevoir chez lui un certain énervement au moment où il se déclare contr aint d'interrompre le panégyrique de Julitta pour revenir au sujet de la veille. Il indique la cause de sa contrariété, qui réside dans sa haine de tout ce qui est inachevé : il se sent donc contraint d'ach ever le discours de la veille. Curieuse façon de procéder, qui le conduira d'ébaucher le panégyrique de Julitta, qui est préci à se contenter sément le motif de l'assemblée qu’il avait lui-même convoquée. Basile ne serait-il pas irrité d’être obligé d'interrompre ce panég yrique ? En fait, certaines expressions donnent à croire que le disco urs de la veille avait été l’objet de critiques, non seulement parce qu’il ne tenait pas toutes les promesses faites, mais encore parce que tout ce qui avait été dit ne rencontrait pas une pleine adhésion. «On a trouvé (eipéônuev) que nous en omettions beaucoup plus que nous n’en disions : c’est pourquoi nous jugeons néces saire de nous acquitter de nos omissions » 42). Non seulement le prédicateur évoque lui-même les réactions de son public, mais on peut peut-être déceler dans l'Homélie V une atténuation du caractère péremptoire de certaines affirmations du discours de la veille (423), Le texte publié représente donc sans doute de très près les paroles tombées de la bouche de Basile. S'agit-il pour autant de véritables improvisations ? Il ne le semble pas non plus. Dans le même temps que l’évêque annonce qu'il change son plan, il reconnaît qu’il avait préparé un éloge complet de Julitta : « J'étais parti pour vous en dire long sur la martyre... »'124), On a l'impression qu'il avait préparé soigneusement deux discours distincts et que, s'étant laissé aller à trop développer lé premie r, il a pris le parti d’écourter le second pour achever ce qui était resté en suspens. Î[mprovisation à coup sûr, mais précédée d’une préparation très soignée. De toute façon, le rapprochement de ces deux thèmes doit moins au hasard qu’à une intention délibérée. L’éloge de la martyre était destiné à fournir une illustration particulièrement frappante, puisqu'il s’agit d’une femme, de l'attit ude que le prédicateur recommande à son public d’adopter, attitud e de joie confiante et de remerciement au milieu des épreuves les plus cruelles et les plus inattendues. Il est signiticatif que, parmi tous les exemples évoqués, ce soit celui d’une notable de Césarée, victime de la persécution, qui soit mis le plus vivement en lumière . Mariant ainsi profondément les thèmes de ses deux sermon s, lorateur éclaire son arrière-pensée :son intention maîtresse semble être d’affermir la partie de son public qui est susceptible d’être la victime de Valens. Cette menace ayant plané sur Césarée durant la quasi-totalité de l’épiscopat de saint Basile, cette interprétation ne nous apporte aucune lumière sur la date de ces sermons. (22) (423) (424)

241 D; ci. 256 AB, Ci HD. V, 248 A et HD 1V, 229 C et 233 B. HD V, 241 C.

LA

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PÈRES

CAPPADOCIENS

imprécis, on croirait Comme la menace garde un caractère assez est antérieure aux plus volontiers que cette mise en garde Césarée. Les deux de rd l'éga à s Valen de manifestations concrètes Mais il ne s’agit 372. et 370 entre être peutt raien homélies se situe faire penser aient pourr là que d’une impression, et d’autres indices nos deux de nien pauli thème Le à une date postérieure à 372. Psaume du le initia l’idée de effet, en , voisin homélies est très reuses nomb les XXXIIL Ce psaume ne figure pas, il est vrai, parmi sur le élie l'Hom mais ici, nt références scripturaires qui apparaisse de ire enta comm le et 16-18 V, ., Thess 1 elle, Psaume XXXIII citait, élie l'Hom de s saint Paul reprend ici les idées et souvent les terme e dans sur le Psaume XXXIII. La différence essentielle résid rt à la rappo par V et IV ies Homél des ent l'ampleur du développem me psau le sser embra t devai qui se exégè d’une eté nécessaire brièv du ire enta comm le tout entier. Nous avons vu plus haut que de ts emen évén aux rieur posté être Psaume XXXIII pouvait ent recèl en ies homél deux nos que ble possi donc 372 (25). [l est endrait un écho. Quoi qu’il en soit, c’est autour de 372 qu’il convi probablement de les situer. de L'éloge de Gordios date très probablement de l’épiscopat pour lée assemb est saint Basile 429. La population tout entière

être que fêter l'anniversaire du martyr et le prédicateur ne peut de ce ce présen la pas signale ne il puisqu' me, l'évêque lui-mê à une s discour le dernier (27. Il ne paraît pas possible d’assigner de celui est jour Le autre. une qu’à période de l’épiscopat plutôt s’agit il réalité, En 4. Janvier 3 le donc 123, l'anniversaire certainement d’une journée de printemps, si on prête attention aux premières lignes du discours (30, Basile précise même que le martyre aurait coïncidé avec la fête d'une divinité guerrière, éopriv célébrée à Césarée avec solennité : ravèmuel räox à même &yovox

quaonokéue

Daluov

xarer\nper

Bekrpov (131),

L’orateur

ne

dit pas

expressément si l’ancienne fête païenne est encore célébrée à l’époque où il prend la parole, mais le rapprochement de ce passage LAPTOP avec l’exorde où il est dit : rù oeuvèv tobro wa réyxaOV TV s s’est Gordio de fête la que montre 43%) aorv otédiov ravônuel xarelAnp

substituée à la fête païenne en question. L’homélie est évidemment prononcée dans le martyrium consacré à Gordios, et peut-être aussi à d'autre martyrs, puisque, nous venons de le voir, l’exorde utilise le pluriel. L'endroit de la sépulture est aussi celui du supplice et il est situé à peu de distance de la ville, puisque la grande majorité de (425)

Cf. supra p. 27.

(126) (127) (128)

489 B-508 489 BC. 508 A.

(129)

PG2 XXXI, Introduction, p. 5.

(130) (131) (132)

490 BC. 49% D -497 A. 489 C.

A.

SAINT BASILE

81

la population avait quitté la ville pour assister à ce spectac le et que

le petit nombre restant devant transportèrent le rempart et

de ceux qui les remparts ici et ce qui regardait le

étaient restés avaient pu l’observer en : «tous les spectateurs du théâtre se restait d'habitants se répandit devant spectacle de ce grand combat » (53),

Probablement une déclivité du terrain leur permettait-elle de voir le supplice.

Le récit du martyre de Gordios présente un très grand intérêt, étant donné que des témoins oculaires des faits sont encore vivants (%4), L'existence de ces témoins est une garantie précieu se de l'exactitude des paroles de Basile. Ce détail permet de rattach er l'événement à une date postérieure au début de la persécution de Dioclétien. Tout en faisant la part de l’inévitable exagération oratoire dans le récit de Basile, on remarquera que l’édit de persécution avait causé des remous considérables à Césarée, ce qui est un signe que le christianisme y était dès lors largement répandu. «Le trouble et la confusion régnaient dans toute la ville; on exerçait le pillage contre les hommes pieux;on s’emparait de leurs biens; les corps des chrétiens étaient déchirés par les coups; des femmes traînées dans les rues de la ville;on n’avait pas pitié de la jeunesse; on ne respectait pas la vieillesse ; ceux qui n'étaient coupables de rien subissaient le sort des malfaiteurs ; les prisons étaient trop étroites ; les maisons opulentes étaient désertes et les déserts pleins de réfugiés » 43), On n’échappe pas à l’impression que le sort des chrétiens persécutés dépendait dans une large mesure de leurs moyens de fuite: les riches se sont réfugiés à la campagne, tandis que les autres étaient arrêtés. Les grands-parents de Basile, on s’en souvient, avaient tenu le maquis pendant sept ans. Gordios est un de ceux qui ont fui au désert, mais ce qu’un jeune homme avait pu faire était impraticable pour des familles entières, si elles ne disposaient pas de moyens considérables. Au demeurant, extrême division mise dans les familles par l’intérêt y entretenait les dénonciations 4%), On aurait tort cependant de se représenter la situation en se fondant sur ce seul passage du discours et de penser que les chrétiens de Césarée n'avaient eu à choisir qu’entre le martyre et un exil aussi dangereux qu’inconfortable, puisque Basile nous dit-lui même que la course de chevaux pendant laquelle Gordios provoqua le gouverneur de la province comptait parmi ses spectateurs un grand nombre de chrétiens. « Tout le peuple était

rassemblé

sur les gradins; il ne manquait

pas un Juif, pas un

Grec; une quantité non négligeable de chrétiens s'étaient même joints à ceux-ci, ceux qui vivent sans précaution, qui siègent dans le conseil de vanité, qui n'évitent pas de rencontrer les (133)

51 B.

(34) «li cria cette vie... » (497 B),

(35) (136)

493 C - 49% A. 49,6 A.

parole

qu'ont

entendue

certains

qui sont encore

en

LA

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PÈRES

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chrétiens dont il méchants » 43. On croira, volontiers que les me. baptê le reçu e s'agit n'avaient pas encor ries mêlées, La présence de toute la population, toutes catégo grande fête d’une sion l'occa à e donné à une course de chevaux l’abstention dant cepen ra relève On : er étonn nous n’est pas pour

de certaines

femmes.

«Il y avait là toutes

les femmes

du

» 4%), dit Basile, peuple (Snu&ès) et de condition obscure ( äonuov) se montraient ce qui signifie que les femmes de l'aristocratie ne des femmes voir fera pas en public. Grégoire de Nazianze nous de s'être sœur e propr sa louera qu’il mêlées aux émeutiers, tandis ie se tocrat l'aris de mœurs Les 4%, public du dérobée aux yeux de udes habit des distinguent donc nettement sur ce point dit ne Basile même, ellee cours la l'ensemble de la population. De ds d’un pas grand chose, sauf qu’elle était accompagnée des accor

ville orchestre composé de flûtes et d'instruments variés (14), La petite de ville une pas t qui organisait ces réjouissances n’étai

l’homme importance, c'était une ville peuplée, roxvéviporoc (141), et antiConst ience expér par t connaî icatif qualif ce de accor qui lui nople, Antioche ou Alexandrie. Le chrétien qu'est Gordios ne manque pas de poser des problèmes. Il semble bien qu’il n’était pas baptisé : «ce n’est pas le des hommes qu’il a reçu l’enseignement des mystères, ni par de l'Esprit été a maître grand son : hommes des moyen vérité » (4), Originaire de Césarée, chrétien de naissance (143) :l est pourtant officier (4, Lorsque la persécution a éclaté, il a déserté et pris le maquis (#5), Il semble avoir mené dans sa retraite une vie parfaitement solitaire, toute vouée aux pratiques ascétiques et à l'étude de l'Ecriture (4), qui devait déboucher sur l’acte final : le retour à Césarée et la recherche volontaire d’un martyre entouré de la plus grande publicité possible (47. En revenant à Césarée, il descendait des montagnes : sans doute s’était-il abrité sur les contreforts du mont Argée pendant une période impossible à

évaluer 44),

Basile traite ici un sujet que le calendrier lui fournissait. Il est cependant possible que l'invitation qu’il adresse à l’assistance pour (1437) 497 A. (138) Ibid. (439) Cf. D. XLIHII et VIN. (140) 500 A. (441) 4% C. (142) Ibid. (143) 505 A. (144)

Il était centurion

(145) (146) (447) (148)

49,6 496 496 497

B. CD. D - 497 A. A.

(493 B).

SAINT BASILE

qu’elle

imite

de style 4),

l'exemple

de

Gordios

L’évêque recommande

83

soit

plus

qu’une

clause

une attitude de hardiesse à

l'égard du persécuteur, ou, à défaut, l’abstention systématique (50,

Son insistance à professer que l’oraison funèbre doit se libérer des règles traditionnelles pour ne viser que la seule utilité de l’audito ire montre bien que le sujet qu'il traite est à ses yeux relié

à l'actualité 49,

Une

phrase

confirme

que

telle est bien

sa

préoccupation : « Comme ils ne pouvaient pas se rendre maîtres de lui par la peur et que l’entreprise n’aboutissait pas, ils changèrent de conduite et se mirent à le ilatter. Telle est en efet la méthode du diable : il terrifie le lâche et amollit celui qui est courageux. Tels étaient alors aussi les artifices de ce malfaiteur » 452). C'est une leçon d'énergie, de résistance aux séductions ou aux menaces de l’empereur arien que l’évêque entend donner à mots couverts à ses fidèles en faisant l’éloge du martyr Gordios. Le fait que Gordios ait été un officier que sa foi avait conduit à refuser le service apporte une donnée accessoire qui n’est peut-être pas sans importance dans la pensée de l’évêque.

L’Homélie XIX traite d’un sujet sur lequel nous possédons d’autres témoignages (53), entre autres celui de saint Grégoire de Nysse, et qui a été amplement étudié par les hagiographes (154), Nous ne traiterons ici que de ce qui peut concerner l’orateur lui-même ou l'auditoire auquel il s'adresse. Cet éloge des Quarante Martyrs, comme celui de Gordios, pourrait dater de l’épiscopat, et cela pour les mêmes raisons. Le cadre est constitué par un martyrium, dont il semble que les peintures murales, qui évoquent l’histoire des Quarante, inspirent à loccasion le récit de Basile 4%), Il est évident, d’après les paroles mêmes de Basile, que ce n’est pas dans la ville où le supplice s'était déroulé qu’il prononce son allocution 45). Il apparaît d’autre part que les cendres des martyrs avaient été réparties entre plusieurs villes, vraisemblablement les villes d’origine des soldats, qui avaient recouvré leurs reliques 47. Sans doute Basile prend-il, comme d'habitude, la parole dans sa ville épiscopale. Il n’est pas impossible d’ailleurs que nous assistions à une des phases de ce processus de dispersion des reliques dans toutes la région. Basile déclare en eflet : «ils ne se sont pas enfermés en

un seul endroit, mais de nombreuses localités leur ont déjà donné

(149) (450) (151) (452) (453) (454) (455) (456) (57)

493 49% 492 501 508 Cf. 521 513 521

A. B. D - 493 A. A. B - 525 A. infra p. 303 sg. B; 524 A ; 508 D - 509 A. D, 516 B. B, 509 B.

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LA

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l'hospitalité et ils ont fait l'ornement de nombreuses régions » (158), Ce déjà indique peut-être que le discours de Basile accompagne la réception à Césarée de fragments de reliques, ainsi que l'inauguration du martyrium destiné à les accueillir. I semblerait d’ailleurs que les circonstances du martyre des Quarante ne soient pas très familières aux auditeurs. Basile leur en fait en effet un récit très détaillé, qu’il introduit au moyen d'une formule qui suppose que ce qu’il va dire est nouveau pour eux. Parlant du projet conçu à l'égard des Quarante par le magistrat qui venait de les condamner, il déclare : «Il finit par découvrir une idée : prêtez attention à la dureté de son projet » 4°9). Quoi qu’il en soit, les Quarante martyrs sont, comme Gordios, proposés à limitation des fidèles 4%). L'image de leur vaillance les soutiendra dans l'épreuve. Mais ce sont aussi des intercesseurs dans les difficultés de toute nature. «Ce sont... comme des bastions ininterrompus qui procurent à notre pays la sécurité contre l’incursion des adversaires» (161), Le culte des martyrs, tel que le développe Basile, apparaît donc destiné à fortifier le moral de ses fidèles. L’éloge de Mamas (Homélie XXIIT) est beaucoup plus bref que celui de Gordios (62. Gordios était un officier, il était mort dans des circonstances assez frappantes pour inspirer un panégyriste, son souvenir demeurait vivant, des témoins oculaires de son martyre étaient encore en vie. Rien de tel en ce qui concerne l’obscur Mamas, dont nous n’apprendrons rien de plus que la qualité de berger (63), Mamas était un homme de la campagne: les habitants de Césarée ne l'ont pas connu. Son obscurité même appelait un parallèle entre sa gloire posthume et l'oubli dans lequel étaient

tombés ses contemporains autrefois illustres. «Tu vois les splendides éleveurs de chevaux ? Tu vois leurs blancs sépulcres et comment ces pierres sont négligées ? Mais le souvenir du martyr a mis tout le pays en mouvement, toute la ville s’est transportée pour célébrer sa fête » (164), Ce parallèle n’a rien de très original; que la vie urbaine, par opposition à la simplicité rustique, soit caractérisée par l’activité de l’agora, des:tribunaux, et la pratique du commerce qui confère la richesse, il n’y a là rien que de banal 45), Mais s’il

est vrai que toutes les catégories sociales, riches et pauvres, habitants de la campagne comme de la ville, participent au rassemblement institué en l'honneur du martyr, il y a peut-être ici un (158) 521 D. (459) 513 D. (160) 521 C - 524 A. (61) 521 B. (462) 589 B - 600 B. (163) 592 C. (464) 592 B. (65) 592 D

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indice de ce que nous appellerons, pour faire court, un certain brassage des classes en milieu chrétien :des assemblées s'étendant sur une journée entière entraînent en effet un brassage plus grand que les habituelles cérémonies religieuses. Encore faudrait-il savoir la part et la place qu'y prenait chacun. Mais le discours tournerait bien vite court, si ce mot de berger n’évoquait pas les grands

bergers de l’Ancien Testament, Abel, Moïse, Jacob, ainsi que les passages du Nouveau Testament où il est appliqué au Christ. Dès lors Mamas est perdu de vue et Basile s’en prend aux mauvais bergers, c’est-à-dire aux hérétiques qui professent pouvoir tout connaître de Dieu, sous prétexte qu’il est dit «mes brebis me connaissent ». Une brève réfutation de cette position de départ arienne s'appuie, comme l’Homélie XVI, sur le prologue de saint Jean. Ce prologue est un texte trop fréquemment cité pour que le rapprochement puisse être invoqué pour attribuer à notre homélie une date proche de celle de l'Homélie XVI. La fête de saint Mamas se déroulait le 2 septembre (5). On retiendra que le nom de Mamas était fréquemment invoqué. Il apparaissait en songe; on venait le prier sur sa tombe pour lui demander son aide. On linvoquait en faveur des voyageurs et des malades. On lui attribuait des miracles : il avait ressuscité des enfants morts, prolongé la vie de certains (97), Le culte des martyrs paraît donc très développé; il reçoit de Basile, en plus d’une occasion, un appui sans réticences ni réserve.

D. Les discours théologiques. Basile, on le sait, s'était imposé une certaine réserve vis-à-vis des problème théologiques. C'est ce qui fait que seules trois de ses homélies abordent ce genre de question.

L’Homélie XV est extrêmement brève (4%), L’orateur ne part pas ici d’un texte, il semble répondre à une question qui lui a été posée, et le faire d’assez mauvais gré. L’exorde affirme que, Dieu étant au-delà de ce que l’homme peut en saisir, il est vain de 4 prétendre en parler, mais c’est pour aboutir à cette déclaration : « Puisque toute oreille est maintenant ouverte pour entendre parler de théologie et que l'Eglise n’est jamais rassasiée d’exposés (166) Cependant Grégoire de Nazianze la fêtera le premier dimanche après Pâques de 383, c’est-à-dire le 16 avril. Voir plus loin p. 251. Dans une communication sur Macellum, lieu d’exil de l’empereur Julien, dont le texte, résumé dans Atti dello VIII Congresso internazionale di studi bizantini, Rome, 1953, est repris et développé sous le même titre dans Byz XXI (1951) 15-22, A. Hadijinicolaou situe le tombeau de saint Mamas au voisinage de la ville ancienne de Césarée, au nord-est. Le domaine de Macellum s’étendait de SaintMamas jusqu’à l'actuelle Hisarcik au sud. Julien et Gallus avaient élevé une très grande église sur le tombeau du martyr: c’est donc dans ce sanctuaire qu’a été prononcé le discours que nous étudions.

(467) (168)

589 C. 464 B - 472 A.

LA

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la mesure de mes de ce genre... , je suis bien forcé d’en parler dans de foi qu’expose sion moyens » (15). Pratiquement, c’est une profes et c’est ce qui , fidèles des el habitu ce discours destiné au public de pas de deman ne sujet le ment seule Non té. explique sa briève à traiter ne répug longs développements, mais surtout Basile devant n, platio contem la à liée si matière si haute, si respectable, ent vraim que ités curios de ur amate plus mêlé, un public aussi

ndrait soucieux d'éclairer sa foi. Une telle profession publique convie e d’autr quera remar On opat. particulièrement au début de lépisc ment part que les trois personnes de la Trinité reçoivent un traite

très inégal. Moins de cinq lignes suffisent à définir le Père, tandis e que le Fils a droit à un développement huit fois plus étendu, comm le que c’est nant, surpre plus est qui Ce re. on pouvait s’y attend le ve s'achè lequel , sur Esprit Saintau ré consac ent oppem dével fois deux e presqu ur discours et vers lequel il tend, a une ample plus grande que celui qui concernait le Fils. On peut se demander si une telle déclaration n’est pas à l’origine des plaintes formulées auprès de saint Grégoire de Nazianze par un moine qui réprouvait la doctrine exposée publiquement par Basile sur le SaintEsprit 40), En effet, la terminologie de Basile est assez ambiguë

en ce qui concerne la divinité du Saint-Esprit : ne dit-il pas, pour conclure, que le Saint-Esprit «est tout entier avec Dieu » ? 471)... Or nous savons que le 7 septembre 372, à l’occasion de la fête de saint Eupsychios, Basile avait prêché à Césarée sur la Trinité en des termes dont la prudence à l'égard de la divinité du Saint-Esprit avaient scandalisé certains. Ce discours, par ailleurs inconnu,

pourrait bien être celui auquel nous avons affaire. Comme le discours du 7 septembre, il traite ex professo de chacune des personnes de la Trinité et c’est le seul discours de Basile en notre possession qui le fasse. S’il en est bien ainsi, la mauvaise grâce que nous avons signalée plus haut s’expliquerait d'autant mieux que Basile avait conscience que les ariens présents dans l’auditoire lui tendaient un piège, en le contraignant soit à irriter et décevoir les partisans de la divinité du Saint-Esprit, soit à dresser contre lui les adversaires de cette

divinité.

L'Homélie XVI, à peine plus longue que la précédente, pourrait dater de la même pédiode (7, Basile emprunte son sujet à la liturgie du jour qui comportait la lecture du prologue de l’évangile (169)

464 C - 465 A.

(470) Sur l’atfitude publique de Basile à l'égard de la divinité du SaintEsprit, ci. en particulier Grégoire de Nazianze, D. XLIH, 68-69: cf. aussi les Lettres 58 et 59 du même Grégoire, ainsi que la Lettre 71 de Basile. Le rapprochement de ces textes permet de conclure que l'exposé incriminé s’est déroulé le 7 septembre 372. (171) 472 A. La même ambiguité apparaissait dès les premiers mots consacrés au Saint-Esprit (468 C).

(172)

472 B - 481 C.

SAINT BASILE

87

de saint Jean 43). La péroraison de l’homélie ne laisse pas de doute : le prédicateur considère les premiers versets de saint Jean

comme le fondement sur lequel il construira, Dieu aidant, le reste de l'édifice 474, Il demande aux fidèles de méditer l’enseignement

qu’il vient de leur donner et se déclare prêt à le compléter (75),

Une déclaration de ce genre semble bien correspondre aux débuts

d'un ministère et la fermeté du ton implique une responsabilité qui convient mieux à l’évêque qu’à un simple prêtre en pareille matière. L’Homélie XV étant plus complète et plus précise sur le problème trinitaire, parce qu’elle traite du Saint-Esprit, dont il n’est pas question ici, lHomélie XVI pourrait dater de la période de l’'épiscopat qui précède le 7 septembre 372. Ces pages font écho à l'argumentation arienne dont les formules traditionnelles sont citées à plusieurs reprises et confrontées avec la doctrine de saint Jean 476), On voit la méthode de Basile : elle consiste à éviter d'employer les termes techniques de la théologie, tels que l’'homoousios si contesté, pour mettre l’arianisme en contradiction avec l’Ecriture, et tout particulièrement de l'Evangile dont il a soin de souligner l'autorité éminente au sein des textes sacrés (77), La courte homélie Contre les Sabelliens, Arius et les Anoméens (8), dernière de la série des Homélies Diverses, nous apprendra peu de choses sur le comportement des auditeurs de Basile, si ce n’est qu’il y avait dans l’assistance des personnes mal intentionnées. Il s’en plaint à deux reprises : « Vous qui n’avez pas bien écouté ce que je disais, qu’une intention calomnieuse a réunis autour de moi, vous qui ne cherchez pas à retirer quelque avantage de ce que je dis, mais qui êtes attentifs à ce que vous pourrez incriminer dans ce que je dirai, ne dites pas : il prêche deux dieux » 4%), Et plus loin : «Tous, vous avez l'oreille dressée pour écouter ce que je vais dire du Saint-Esprit. Je voudrais en parler... mais puisque vous m’entourez en juges plus qu’en disciples, avec la volonté de nous faire passer un examen et non pas pour chercher à apprendre quelque chose, nous somimes forcés de présenter une réponse comme on le fait devant un tribunal »(80),I] y a donc parmi les auditeurs de l’évêque des hérétiques déguisés, en tout cas des fidèles peu dociles à son enseignement. Le développement relatif à la personne du Fils ne constitue pas l'essentiel de son discours. Basile s'y montre soucieux de souligner le caractère central de la position nicéenne par rapport à l’aria(73) (174) (475) (176) (477) (178) (479) (180)

HD XVI, 472 C. 481 C. Ibid. 473 B, 476 B, 480 B, 481 B. 472 B : ce sont les premiers mots de l’homélie. 600 B - 617 A. 605 C. 608 C - 609 A.

LA

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symétrie. Il est visible que c’est la question du Saint-Esprit qui lintéresse tout autant que ses auditeurs, même si un certain énervement est facile à déceler chez lui : «je n’ai pas l'intention de

rendre sans cesse des comptes sur le même sujet » (8h.

H. Dôrries a montré les ressemblances de cette homélie avec les chapitres 16 et 18 du Traité du Saint-Esprit (82), En fait, un certain nombre d'indices nous invitent à attribuer à ce discours une date assez tardive. L'ampleur du développement consacré au Saint-Esprit fait contraste avec la discrétion de l'Homélie XV sur ce même sujet. Ce changement d’attitude publique ne se comprend que si un laps de temps important s’est écoulé entre les deux discours, et si des événements ont conseillé à Basile d'adopter un autre comportement. Les mises en demeure des fidèles ne paraissent pas suflire à expliquer le changement intervenu. La disparition de Valens, ou tout au moins le relâchement de sa pression à partir de 377, pourrait constituer l'événement qui permit à Basile une plus grande hardiesse de langage. Relevons d'autre part que le vocabulaire trinitaire de l’auteur a évolué. Le terme d’hypostase n'apparaît plus guère, tandis que le mot zpécuroy n’est pas prononcé moins de quinze fois, et que le verbe éxropsiecdu est utilisé (48). Il nous paraît diflicile de situer ce discours ailleurs que dans les dernières années de la carrière de saint Basile Il semble d’ailleurs que le danger arien ait perdu de son acuité, puisqu'il évoque des perspectives de pacification et n'hésite plus à employer en public V ôpLooûoLoG .

(181)

608 C.

(82) Abschluss

H. Dôrries, De des trinitarischen

(483)

612 C et 616 C.

Spiritu Sancto. Der Beitrag des Basilius Dogmas, Gôttingue, 1956, pp. 94-97.

zum

SAINT BASILE

89

CONCLUSION L'œuvre prêchée de saint Basile comporte un total de 46 discours répartis en trois séries. Nous réserverons pour les

conclusions générales de ce livre tout ce qui peut concerner les

auditeurs auxquels ces discours s’adressaient ainsi que, d’une façon plus générale, le milieu au sein duquel ils se recrutaient. Il est

en eflet évident que l’image que nous pouvons nous en faire à la lecture des sermons de Basile demande à être complétée et corrigée par ce que pourra nous apprendre l'examen des œuvres de Grégoire de Nazianze et de Grégoire de Nysse. Il est en revanche possible de dégager dès maintenant les traits essentiels de la façon dont Basile aborde ses auditeurs.

La part de l’exégèse proprement dite apparaît considérable dans cette prédication. Les quinze Homélies sur les Psaumes, les neuf Homélies sur l’Hexaéméron ne connaissent pas d’autre méthode et n’ont pas d’autre horizon que l'explication méthodique

de lEcriture. Sur les vingt-deux Homélies Diverses, on en compte

deux qui relèvent du même genre. Ainsi se dégage le premier des traits qui caractérisent l’activité de Basile en tant que prédicateur. Plus de la moitié de son œuvre consiste à expliquer au peuple fidèle la parole de Dieu. En ce sens, Basile apparaît comme un prédicateur beaucoup plus traditionnel dans ses méthodes qu’un Grégoire de Nazianze par exemple, dont nous possédons à peine une homélie exégétique (1). Il y a là peut-être la marque d’un tempérament : plus probablement, il y faut voir l'effet des circonstances. A tout prendre, Grégoire n’a jamais été le pasteur véritable d’une communauté chrétienne constituée selon les règles. Prêtre, puis évêque de la métropole de la Cappadoce, Basile semble plus tributaire des habitudes et des traditions. Il n’est pas exclu non plus qu’il faille voir dans ce goût pour l'explication de textes l'effet d’un tempérament de professeur. Basile était fils de rhéteur et avait esquissé à son tour une carrière de professeur.

Souvent aussi, l’Ecriture lui fournit un point de départ : ici,

c'est un passage du Deutéronome, là trois versets de saint Paul ou encore la parabole de Lazare et du mauvais riche, Mais c’est constamment que le prédicateur cite une Ecriture dont il est évident qu’elle lui est extrêmement familière. Il n’entrait pas dans notre propos d'étudier la façon dont Basile s'inspire de la Bible; il nous suffira de dire que presque à chaque ligne apparaît une citation, une réminiscence ou une allusion à un passage de l'Ecriture. C’est la Bible qui constitue le réservoir d'idées et d’images où il puise constamment, presque sans s’en rendre compte, pourrait-on dire, tellement la référence biblique naît spontanément (4)

Cf. infra, p. 216 sqq.

90

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

moins abondantes sur ses lèvres. Citations et allusions sont à peine ictins) quand

Bénéd (à s’en tenir aux relevés assez incomplets des ème partie de deuxi la dans e comm il improvise complétement, partie. C’est dans l'Homélie Diverse XXI, que dans la première le plus le

peut-être la douzième Homélie Diverse que se manifeste le passage qu’il rer illust à re souci d'appeler la Bible tout entiè commente.

t présente, Il n’est donc pas étonnant que l’Ecriture soit partou dans des t dépar de point leur ont qui tions même dans les allocu constatation assez circonstances déterminées. Îl faut faire ici une Il y a, dans la guère. raît n'appa surprenante et dont l'explication taille : aucune de e lacun une , Basile par és gamme des sujets abord n qui soit sermo des grandes fêtes liturgiques ne fait l’obiet d’un côte ne Pente ni s, Pâque ni , parvenu jusqu’à nous. Ni PEpiphanie que, vable conce pas n’est Il . traités a qu’il figurent parmi les sujets de à fêtes ces de sion l’occa à parlé pas n’ait il , prêtre ou évêque tels de que r pense on nombreuses reprises durant sa vie. Peutses sermons auraient figuré parmi les premiers manuscrits de qui choix d’un sion l'occa à és élimin été aient qu'ils œuvres et iate ? aurait été fait à un moment quelconque par la postérité imméd que plus e natur par étant s œuvre Cela paraît difficile, de telles sans els, éventu rs cateu prédi les sser intére à ées d’autres destin des parler des lecteurs en quête d’édification. Prononcés dans es, d’autr que plus rs, discou tels circonstances solennelles, de expliseule La es. graph tachy les par s relevé être à s étaient appelé cation de la lacune que nous constatons ne semble pouvoir être recherchée que dans une intention de Basile lui-même, intention l non pas tant d’écarter tel sermon que de constituer un recuei compo la de ème particulier. Ceci revient en fait à poser le probl sition des Homélies Diverses. L'inscription des futurs baptisés fournit l’occasion d’un sermon prononcé entre l’Epiphanie et le début du carême: le dimanche qui précède immédiatement le carême nous en a valu deux autres. L’anniversaire des martyrs et les fêtes qui les accompagnaient sont à l’origine de quatre discours. Une sorte de visite apostolique dans cette Arménie qui relevait de l’évêque de Césarée a été l'occasion de l'Homélie Diverse XXI Quant aux Homélies de cette série qui portent les numéros XV et XXIV, ce sont de véritables professions publiques de foi. Nous retrouverons dans l’œuvre de Grégoire de Nazianze des allocutions qui relèvent du même genre et, probablement, de circonstances similaires, l’évêque étant périodiquement contraint par l'opinion publique, et probablement des manœuvres concertées, à rendre compte de la foi qu'il professe. D’autres homélies semblent répondre aux préoccupations engendrées dans l'esprit des fidèles par des circonstances exceptionnelles : les Homélies Diverses VI, VII, VIII et IX tentent de réconforter le moral d’une population éprouvée, tout comme le fera Jean Chrysostome,

quand

il prononcera

Homélies sur les statues.

à

Antioche

la

série

des

SAINT BASILE

91

. Restent plusieurs sermons purement moraux. L’Homélie Diverse X, avons-nous dit, pourrait trouver son origine dans

l’altercation publique qui avait opposé l’évêque en 372 au préfet du prétoire. Il est possible que d’autres faits concrets aient inspiré les Homélies XI, XIV et XX qui traitent respectivement de l'envie, de l'ivresse et de l'humilité. Mais, aussi bien dans ce cas, que lorsqu'il parle, et cela lui arrive fréquemment, de richesse et de pauvreté, on sent bien que ce qui est déterminant, c’est la confrontation du peuple chrétien avec la doctrine dont il se réclame. Basile prédicateur regarde le peuple de Césarée dans le miroir de l’Ecriture.

Comment s’y prend se pédagogue pour instruire ses fidèles et, si possible, les transformer ? Cette prédication, nous l'avons dit, s'adresse à une communauté où les baptisés ne sont plus qu'une minorité. A défaut d'obtenir qu’ils reçoivent le baptême (on voit bien qu’il n’a plus guère d’illusion sur ce point et pas beaucoup d’ambition), Basile s'efforce de préparer le terrain par l'appel à la réforme des mœurs et à l’ascèse. Grégoire sera beaucoup plus exigeant dans ce domaine et parlera au tout-venant des fidèles comme à autant de candidats à la vie monastique. Plus réaliste peut-être, Basile ne vise guère qu’à l'élimination des passions. Programme de moraliste, plus que de spirituel serait-on tenté de dire, si les Homélies sur les Psaumes ne manifestaient pas une exigence spirituelle plus haute et plus profonde.

Nous n'ignorons pas que ces quarante-six sermons ne représentent qu’une infime portion de la prédication effective de Basile. Il est donc extrêmement risqué de prétendre se faire une idée de son action pastorale sur une base aussi étroite. On croirait volontiers, pour reprendre le fil d’une démonstration amorcée plus haut, que le choix des œuvres contenues dans ces trois recueils répond à une intention de leur auteur. L'ensemble des homélies, à la différence des œuvres ascétiques de Basile ,présentent une sorte de programme de réflexion et de”vie aux laïcs que sa parole atteignait et que sa plume pouvait rejoindre. Les Homélies sur l'Hexaéméron sont destinées à satisfaire leur esprit. A défaut de repaître une curiosité jugée malsaine sur l’être de Dieu, elles rendent manifeste l’action de Dieu à l'égard du monde en tant que créateur. Les Homélies Diverses ont une intention essentiellement morale. La pratique du jeûne, de l’aumône, de la sobriété, de l'humilité, l’imitation du courage des martyrs dans les épreuves diverses, et plus spécialement devant la persécution arienne, constituent autant de préparations à cette perfection à laquelle tous sont appelés. Comme celle-ci passe par le baptême, devant lequel la plupart continuent de reculer, les Homélies sur les Psaumes s'efforcent d'apporter à tous une nourriture spirituelle. Ainsi les textes qui sont parvenus jusqu’à nous peuvent ne constituer qu’une petite partie des sermons que Basile a prêchés

durant sa carrière de prêtre et d’évêque, ils reflètent néanmoins les orientations générales de son activité pastorale.

DEUXIÈME

SAINT

GRÉGOIRE

PARTIE

DE

NAZIANZE

Celui que la tradition appelle Grégoire de Nazianze n’a jamais été à proprement parler évêque de la petite ville cappadocienne de Nazianze, située à moins de 150 kilomètres au sud-ouest de Césarée, où il est né en 329-330. Deuxième enfant d’une famille qui devait en compter trois, il était le fils de l’évêque du lieu, nommé lui aussi Grégoire, et d’une mère qui s'appelait Nonna. Si Nonna était chrétienne de naissance, Grégoire l'Ancien, né hypsistarien, mais converti par sa femme, avait reçu le baptême en 325 aux alentours de la cinquantaine. La famille appartenait à un milieu de propriétaires aisés. Elle comptera dans ses rangs plusieurs prêtres ou évêques, dont Amphilochios d’Iconium. L’aînée des enfants portait le nom de Gorgonie, Césaire était le cadet. Grégoire et Césaire au moins sont nés alors que leur père était déjà évêque. Grégoire fera l’oraison funèbre de son frère et de sa sœur, ainsi qu’un peu plus tard celle de son père 4), A Césarée d’abord, à Athènes plus tard, où le conduiront ses études, il liera une amitié intime avec Basile, son condisciple et son contemporain, Cette amitié devait être fertile en événements et la forte personnalité de Basile pèsera lourd dans la vie de l’homme sensible qu'était son ami ©). Grégoire nous a dit lui-même que sa mère l'avait consacré à Dieu dès avant sa naissance. De fait, en 361, le vieux Grégoire, usant de sa double autorité de père et d’évêque, le contraignit à

(4) Discours VII, VIII et XVII. (2) Nous avons des lettres de Basile à Grégoire comme de Grégoire à Basile et ce dernier est souvent nommé dans l'œuvre de Grégoire, discours ou poèmes. Le Discours XLIII est consacré à l’oraison funèbre de Basile. Sur l’amitié de Basile et Grégoire et la grande épreuve qu’elle traversa, cf. St. Giet, Sasimes, Une méprise de saint Basile, Paris, 1941.

94

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

amnant ainsi à recevoir le sacerdoce de ses mains, le cond essais de vie aux cer renon à et embrasser une existence active le Pont, soit dans Basile de côtés aux soit hés contemplative ébauc l'attrait entre on dans la propriété familiale d’Arianze. Cette tensi ituera const al pastor tère minis de la solitude et les exigences du vie. sa de long au tout ire Grégo ureux malhe l'épreuve majeure du reux nomb de Une correspondance contemporaine des faits, témoignent poèmes, écrits pour la plupart au soir de la vie, en imposèrent lui e dotal sacer vie la de es éloquemment. Si les charg s à la vouée e silenc de et de solitu de s heure des ice le lourd sacrif libre r donne de ilité possib la “ontemplatiôn, il y gagna en revanche bien peut on ur, l'amo : ent éram temp son cours à un autre aspect de forma la reçu avait il , Basile e Comm . parole la de onné, dire passi court un tâté avait il lui, e tion rhétorique la plus complète ;comm natale : moment du métier de rhéteur au retour dans la terre attrait d’un ice sacrif le ive mplat conte vie la à fait avait il comme lui pourtant demeuré très puissant dans son cœur. n En faisant de son fils un prêtre de son clergé, Grégoire l'Ancie de service au celle-ci le rendait à sa vocation d’orateur et mettait ra la foi: en élevant plus tard son ami à l'épiscopat, Basile l’ancre cet que ainsi C’est n. vocatio cette dans encore dément plus profon homme qui n’aimait rien tant que la solitude eut à lutter toute sa vie, et principalement par la parole. L'édition bénédictine de ses œuvres ne comprend pas moins de 45 discours qu’on a pu étager t entre Pâques 362 (31 mars) et un dimanche de 383 (probablemen (). années sept on d’envir mort sa le 16 avril) qui précède

En fait, l'un de ces discours, celui qui porte le numéro XXXV, est évidemment apocryphe. Quant aux Invectives contre Julien (Discours IV et V), ces deux philippiques, que nous étudions par ailleurs, n’ont évidemment pas été prononcées: il ne s’agit d’ailleurs

nullement de sermons, mais de discours fictifs qui ne sauraient

nous renseigner utilement sur la relation d’un prédicateur avec son auditoire (4). A l'inverse de ce qui se passait pour Basile, l’œuvre oratoire de Grégoire de Nazianze a fait l’objet d’un bon travail de mise au point chronologique de la part de Sinko. Les résultats en ont été repris, parfois complétés ou critiqués, par P. Gallay (6), C’est donc à partir des conclusions de ce dernier que. nous aborderons les (3) Cf]. infra n. 5. (4) Sur les deux Invectives contre Julien, nous renvoyons à notre édition à paraître. (5) T. Sinko, De traditione orationum Gregorii Nazianzeni, Cracoviæ, 1917; P. Gallay, La vie de saint Grégoire de Nazianze, Lyon-Paris, 1943. Relevons quelques erreurs matérielles qui se sont glissées dans lutile tableau des discours de Grégoire qui figure à la page 252 de ce dernier ouvrage. Après le Discours XX VI, c’est le Discours XXXIV (et non XXIV) qu'il faut lire. Entre les Discours XLIT et XLV se situe le Discours XLIH du 1% janvier 382. Enfin, le discours présenté comme apocryphe est le Discours XXXV (et non XLV).

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

95

problèmes posés par la chronologie et la signification de chacun de ces discours. Nous aurons à envisager successivement quatre périodes dans l’activité oratoire de Grégoire. La première d’entre elles débute, peu de mois après son ordination, le jour de Pâques 362;elle s'achève avec la fin de l’année 374. Prêtre d’abord, évêque depuis 372, Grégoire prêche dans sa ville natale. En 374 ou 375, peu de mois après la mort de son père, il se retira à Séleucie d’Isaurie. Un intermède de quatre ou cinq années va s’écouler dans le silence.

La mort de l’empereur arien Valens (9 août 378) ouvrait des possibilités nouvelles à l’orthodoxie dans la ville arienne de Constantinople. Appelé dans la capitale, Grégoire reprend la parole pour défendre la foi de Nicée. Dans une première phase, c’est une chapelle improvisée qui l’abritera dans une quasi-clandestinité jusqu’au 27 novembre 380. A cette date, Théodose l'installe dans la grande basilique des Saints-Apôtres et c’est en qualité d’évêque de Constantinople que Grégoire parle désormais jusqu’au concile de 381 qui vit sa démission et sa retraite. Retourné dans sa Cappadoce natale, il ne parlera plus qu’à trois reprises en 382 et 383, avant d'entrer dans un silence définitif.

Tel est le cadre dans lequel s'inscrit l’activité oratoire de saint Grégoire de Nazianze.

CHAPITRE I

Prêtre et évêque à Nazianze

(362-375)

Les trois premiers discours de Grégoire de N azianze constituent un ensemble qui a trait aux conditions un peu particulières dans lesquelles se sont déroulés son ordination et le début de ses fonctions sacerdotales. Au retour d'Athènes, Grégoire avait à pendant peu de temps exercé le métier de rhéteur, puis, cédant vie la de essayé avait il el, personn l'attrait l'invitation de Basile et à religieuse . Il s’en faut que la succession des événements soit établie dans le détail. Toujours est-il qu'après un essai de vie céno-

bitique aux côtés de Basile à Annési dans le Pont, Grégoire avait préféré s’adonner seul à la contemplation et à la prière dans le

cadre de la vie familiale, et probablement dans la propriété paternelle d’Arianze. Encore faut-il ajouter qu'il s'agissait là moins d’une préférence personnelle que d’un acte de docilité à l'égard de son père. C’est alors que le vieil évêque, en accord avec l'opinion publique, avait voulu faire de son fils un prêtre. Ce dernier s'y était

d’abord refusé, puis s'était finalement résigné à contre-cœur. C’est dans le courant de l’année 361, peut-être à Noël, que Grégoire reçut l'ordination 2. Cependant, dépité de s'être laissé contraindre, irrité, il s'était enfui le jour de l’'Epiphanie pour rejoindre le couvent d'Annési. La réflexion qu’il eut le loisir de faire sur lui-même, les objurgations de son père et les instances de ses amis le ramenèrent à Nazianze pour y prendre la parole le jour de Pâques (31 mars 362) et prononcer le premier de ses sermons. A. —

LA PÉRIODE DU SACERDOCE.

4. Le retour de Grégoire à Nazianze : deux allocutions et un traité.

Le premier discours est aussi dépasse à peine une centaine de différents, la joie pascale et le retour ment liés par le thème de l’offrande. les motifs de la joie qui fait que tous (1) Ci. Gallay, pp. 65-72. :1 ce les dates de l’ordination p. 73, n. 3. (3) PG XXXV, 396-401.

un des plus brefs, puisqu'il lignes ®. Deux sujets bien du prêtre fugitif, sont habileL’exorde expose brièvement les chrétiens s’embrassent et

et de la fuite de Grégoire,

cf Gallay,

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

97

se réconcilient au matin de la Résurrection. La réconciliation du pasteur revenu et de son troupeau prend tout naturellement sa place dans ce cadre et les quelques lignes qui vont rappeler les

événements le feront avec la discrétion qui sied à un orateur qui

ne saurait s’appesantir publiquement pour tous.

sur des souvenirs pénibles

Sur ces événements, Grégoire n’en dira pas davantage et il reprend sans tarder le thème pascal. Pâques, c’est la libération de

la servitude et de la mort. Que faut-il donc offrir à Dieu en ce jour pour le remercier du don de la liberté ? Puisqu'il s’est donné à l'humanité en se faisant homme, il faut se donner à lui en se faisant semblable à lui. Mais Dieu fait aux chrétiens de Nazianze un autre don en ce jour, celui d’un prêtre. L’offrande, en quelque sorte symétrique, que les fidèles feront à Dieu consistera à former un

troupeau docile à son pasteur, inébranlable dans l’orthodoxie trinitaire et profondément uni. Une courte allocution, comme on le voit. Grégoire possède les qualités de brièveté et de sobriété qu’au soir de sa vie, il recommandera à son neveu Nicoboulos comme les premières à observer dans l'art épistolaire #. Mais l’art de la parole obéit à de tout autres lois. Aussi la concision de ce morceau est-elle peu représentative d’une prédication qui s’attardera volontiers à décrire de longs méandres. En revanche, il expose dès l’abord des idées qui constitueront l'axe des préoccupations pastorales du nouveau prêtre et du futur évêque. Il n’insistera guère à revendiquer une autorité qu’il n’est pas disposé à céder, une fois qu’il s’est résigné à l’endosser, mais, arrivé à Constantinople, l’arianisme invétéré des habitants et les divisions des grand sièges épiscopaux constitueront ses préoccupations majeures. Un autre aspect essentiel de la prédication de Grégoire se manifeste dans ce sermon, c’est le caractère tout personnel de son éloquence. Le prédicateur, pourrait-on dire souvent de Grégoire, prêche sur sa propre personne et les circonstances de sa vie personnelle. Mais, à vrai dire, il prêche moins sur les particularités de sa vie personnelle que sur les situations vécues qui l’engagent au sein du troupeau, à sa place particulière, mais avec tous. Les gestes liturgiques de la nuit pascale : les Îlambeaux tenus en main par chacun, les embrassements réciproques et la salutation : «Frère, le Christ est ressuscité — Oui, il est vraiment ressuscité » scellent toutes les réconciliations qui doivent s’opérer en cette nuit. À ce geste collectif qui reconstitue l'unité du troupeau dans la vie et la joie, celui qui s'était en quelque sorte exclu pour un temps vient expressément prendre part. C’est probablement un autre geste liturgique, l’offrande à Dieu de présents le jour de Pâques, qui fournit Pidée directrice du discours.

Brièveté, sobriété, mais aussi souci de tenir sa place — aussi redoutable

de responsabilité

(4) Lettre LI.

qu’honorée



dans

un

ensemble

LA

98

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

harmonieusement uni : tels sont les traits fondamentaux de létat d'esprit de Grégoire inaugurant à la fois sa prédication et son activité sacerdotale.

Très différent est le deuxième discours, bien qu'il présente certains points communs avec le premier . Il s’agit en effet d’un plaidoyer de Grégoire qui expose les motifs de ses hésitations devant le sacerdoce et de sa fuite dans le Pont. Il est évident que ce deuxième ouvrage est contemporain du précédent. Une

expression

d’ailleurs

apparaît

dans

uuxpdv Ürexopnox, Éoov Euaurèv Émioxébacbar

l'un

et l’autre

lisions-nous

au

discours :

début

du

brexpnox uév 1 puxpôv, boov épLaurèv éruoxébaodo (7),

« Je

Discours 19 : « Je me suis écarté quelque temps pour m’examiner moi-même». Le Discours II finit par où commençait le précédent

:

me suis écarté quelque peu pour m’examiner moi-même ». Comme il est certain que les deux discours ne peuvent être séparés par un intervalle de plus d’une année, devrons-nous admettre que Grégoire se soit répété dans des termes identiques devant le même public en si peu de temps ? Il serait sans doute difficile de trancher dans un sens ou dans l’autre, si d’autres indices ne nous donnaient à penser que le deuxième discours n’a pas été prononcé. A vrai dire, l'ouvrage présente quelques-unes des apparences d'un discours véritable. L'auteur ne manque pas d’interpeler telle ou telle personne, comme s’il s’adressait à un membre de son auditoire et il nomme une « maison spirituelle » comme le cadre où se déroule son discours ®. Mais ces indices sont rares et peu concluants. L'expression & &vôpe, qui figure au début, convient mal à un cadre ecclésiastique et à un auditoire de fidèles ® On remarquera surtout une expression qui n’a de sens que sous la plume d’un écrivain, mais qui n’en offre aucun dans la bouche d’un homme qui est en train de parler : «Je me suis tu sans doute, écrit Grégoire, mais je ne me tairai pas toujours » (4). De plus, la longueur même d’un tel texte permet difficilement de penser qu’il ait été réellement prononcé. Parmi tous les discours de Grégoire, seule l'Oraison funèbre de Basile (D. XLIIT) atteint une ampleur du même ordre, tout en la dépassant d’ailleurs légèrement, les autres œuvres atteignant à peine une longueur de moitié moindre. Mais l’'Orason funèbre de Basile présente un cas bien différent. Prononcée en 382, vingt après le discours qui nous occupe, elle est l’œuvre d’un écrivain qui a atteint la plénitude de ses moyens. C’est un homme illustre qui célèbre alors la mémoire d’un personnage non moins illustre et vénéré, dans des circonstances très solen(6) (6) D (8) (9) (40)

PG 396 512 501 410 512

XXXV, 408-513. B. C. D, 513 A. B. C.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

99

nelles. Tout y appelle donc un développement doué du maximum d’ampleur concevable. Rien de tel ici : on ne voit pas comment un jeune prêtre qui faisait ses débuts dans l’éloq uence sacrée aurait pu présenter aussi longuement une défense person nelle, s’il parlait à l’église, or un cadre profane est encore moins conce vable. On ne voit pas plus l’homme présenter d’une telle façon sa défense dans une église que le prêtre « danser »(1 à nouveau sur l’estrade du rhéteur, mêlant si largement l'enseignement religieux sur le Sacerdoce aux considérations personnelles. La vérité, c’est que Grégoire, écartelé entre l'amou r des lettres et le zèle religieux, tente de donner issue à l'un et à l’autre par le biais de discours écrits et publiés. Ici, le genre littéraire traditionnel de l’éxoroytx véhicule l'embryon d’un traité théologique du sacerdoce. Bientôt, le genre non moins traditionnel de l’invective abritera une vigoureuse exhortation à l’unité du peuple chrétien au lendemain de la persécution. Dans les deux cas, l’enseignement est confié à l'écrit et non à la parole. Si l'auditoire demeure fictif, l'ouvrage ouvre néanmoins des aperçus intéressants sur la société chrétienne contemporaine, Le développement du monachisme au 1v° siècle peut être interprété de bien des façons. Il est intéressant de noter à son sujet qu'aux yeux de Grégoire la vie contemplative est peu appréciée de la plupart, soit à cause d’une incompréhension de sa nature, soit à cause du mauvais exemple donné par bien des moines (12). Quant au clergé, prêtres et évêques, il donne le spectacle de vocations fondées sur l'intérêt personnel : «ils voient dans cette situation un moyen de gagner leur vie » 4%), Or ce genre de prêtres ne constitue pas une exception, «ils sont presque plus nombreux que leurs ouailles » 14, Quelle que soit la part d’exagération que peut contenir pareille affirmation, on en retiendra qu'en bien des endroits, qui ne sont pas autrement précisés, se manifestait une sorte d'inflation du clergé, phénomène stigmatisé par Grégoire avec la plus grande énergie. Il y a à un signe grave d’un certain pourrissement de la conscience et de l'institution religieuse (5). Grégoire appelle de tous ses vœux un nouveau Pierre, un nouveau Paul pour réformer ces abus (9), Tels sont les défauts propres au clergé. Quant au peuple chrétien pris dans son ensemble, il est indocile 47, L'autorité du clergé est frondée par certains, mais (11) Poème autobiographique, v. 274 (1048 A). Nous citerons sous ce titre le long poème qui porte le numéro XI dans la section du livre II des Poèmes de Grégoire (PG XXXVII, 1029-1166). (12) 416 A. (13) 416 B. (44) 416 BC. (5) Cf. en particulier 417 A. (16) 461 A sqq. (17) 429 AB,

LA

100

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

nte clergé et dirigeants n’ont pas toujours hésité à utiliser la contrai entregiques théolo pour obtenir des conversions (8). Les querelles (®). tiennent la division chez tous et le scepticisme chez plusieurs

Elles déguisent parfois des querelles de personne (20) et aboutissentà

au tribunal, où ce sont des fonctionnaires païens qui sont appelés ent les trancher C1. Le résultat, c’est que les hommes pieux s'écart l’objet mment coura est celle-ci que et (?) de la masse chrétienne de comédies et de chansons. « Désormais nous sommes descendus qu'il jusque sur la scène, je le dis presque en pleurant. On rit de ce en plus plaise qui rien a n’y Il nous. y a de plus impudique et de en tourné n chrétie qu’un le spectac de ou n fait de chanso le par permis ment ridicule » 2. De tels faits, entraînés ou simple on l'opini de l'état sur ère singuli lueur règne de Julien, jettent une publique à l'égard des chrétiens (2. Le Discours III est à tout point de vue très proche du premier 2). Avec la même brièveté l’orateur reproche aux fidèles de n'être pas venus l'écouter dans une précédente circonstance. Il s'agit de ce jour de Pâques 362 où nous avons vu que Grégoire avait prononcé son premier sermon. « Peu s’en est fallu, s’écrie-t-il, que je ne garde pour moi le discours que j'avais l'intention de vous offrir en présent de noces » %). Ce discours qui a été prononcé à l'occasion d’un jour de fête (7 ne peut être que le Discours I. Le Discours III ne saurait donc lui être de beaucoup postérieur et peut-être date-t-il du premier dimanche après Pâques. Grégoire accuse donc les chrétiens de Nazianze de n'être pas venus assez nombreux écouter son premier sermon, après avoir tout fait pour l'obtenir comme prêtre. Attitude toute personnelle, à base de déception et même de dépit, il ne cherche pas à le (49) (18) (20) (21) (22) (23) (24)

449 BC, 488 AB. 424 C-45 A, 489 A. 485 B. 460 A. 489 B. D'après Gallay, p. 73, n.

3, le Discours

2 est de 362, à cause

des

d’une allusions que contient le paragraphe 86: l'auteur y parle, comme chose imminente, de la venue en Orient de l'empereur Julien, et ce dernier partit de Constantinople pour ce voyage «vers le solstice d'été de l’an 362». En réalité le texte allégué, qui figure au paragraphe 87, ne contient aucune allusion au voyage de Julien, il y est simplement question de la persécution déclenchée par l’empereur. «Je ne crains pas non plus la guerre extérieure, ni le monstre qui vient de se dresser en ce moment contre les églises ». (492 A). Cela ne change d’ailleurs rien à la chronologie, puisque les mesures de Julien ont précédé de quelques jours son départ. La composition du Discours Il à

pu commencer avant le mois de juin 362, et au plus tôt aux Pâques, elle se poursuit au-delà de ce mois de juin. (25) PG XXXV, 517-525. (26) 521 A. (27) 520 A : ävéoprov... Tv ÉOPTAV... TŸ TAVNYUPEL

alentours

de

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

101

nier (28), Mais le prédicateur se hausse bien vite au-des sus d’une pure question d’amour-propre : ce qui le préoccupe, c’est moins l’offense qui lui a été faite, que le manque de docilité des fidèles qu'elle révèle .

Ils critiquent volontiers les prêtres et même les

évêques ®), ils parlent à tort et à travers des mystères de la foi, mais ils sont peu désireux de s’en instruire auprès du clergé dont

l’enseignement est la mission 6). Il résulte de ces propos que l'assistance était clairsemée le jour même de Pâques. Pourtant, !a foi chrétienne est enracinée depuis longtémps à Nazianze et l’orthodoxie trinitaire y est restée intacte &). Il semble bien d’ailleurs que la plupart de ces chrétiens auxquels il s'adresse le soient de naissance, puisqu'il leur parle de « la foi... dans laquelle vous avez été élevés »%3), Il n’est pas possible cependant d'évaluer la proportion que les chrétiens représentent par rapport à l’ensemble de la population.

2. L’éloge des Macchabées 4), C’est avec raison que Gallay rapporte à cette période l'Oraison funèbre des Macchabées %). Ce discours relate le supplice du vieillard Eléazar ainsi que celui des sept frères Macchabées et de leur mère, supplice ordonné par le roi Antiochus Epiphane, persécuteur des Juifs %), L’intention du prédicateur est claire : prenant occasion de la fête des Macchabées, il les donne en exemple à ses auditeurs. Leur conduite et leur langage même serviront de modèle en face d’un «autre Antiochus » 7). L’attitude de Grégoire est bien, comme on l’a fait remarquer, celle d’un chef qui prépare ses

troupes au combat, c’est-à-dire à affronter la persécution (9). Mais

de quel persécuteur s'agit-il ? Ce roi qui ordonne des mutilations et qui condamne au bûcher n’est sans doute pas l’arien Valens, mais Julien l’Apostat. Dans ces conditions, le discours doit dater de 362 ou de 363, peut-être du 1° août 362, dans la mesure où la fête des Macchabées, fête célébrée en peu d’endroits ®), se célébrait à Nazianze à la date que retiendra la tradition ultérieure. A cette date, Julien, faisant route de Constantinople à Antioche, n’est pas loin des environs de Nazianze. La frénésie du (28) 521 A et B. (29) 524 C, (30) 520 B. (31) 524 B. (62)2522"C; (33) 524 A. (34) PG XXXV, 912-933. (5) Op. cit., pp. 76-77. (36) 2 M, VI, 18 - VII, 42. (37) 920 À, 932 C. (38) Sinko, De Gregor Nazianzeni (1907), 28-29. (39) 912 À, 913 AB.

laudibus

Macchaboeorum,

Eos, XIII

LA

102

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

langage que Grégoire prête à ses héros à l'égard du persécuteur plus prend un relief tout à fait particulier, dès lors qu’il ne s’agit par es adressé es consign es dernièr des mais d’une exercice d'école, teur. persécu eur l’emper de e l’arrivé avant fidèles ses à un prêtre Grégoire identifie en quelque sorte les acteurs du drame qui risque en de se jouer à Nazianze aux personnages de la Bible. Ce qui met au donnés pouce de coups les sont ce cation, identifi cette évidence récit biblique pour le rapprocher des conditions réunies à Nazianze. Le vieil Eléazar devient un père et un prêtre, tandis que les sept frères sont présentés comme ses disciples (#). Or on ne trouve rien de tel dans la Bible, où les deux supplices constituent des événements tout à fait distincts, leurs acteurs n'ayant de d commun qu'une même résistance au roi Antiochus. Le vieillar Eléazar prend ainsi quelques-uns des traits de Grégoire l'Ancien, les sept frères évoquant les fidèles de la petite ville. Il semble même que Grégoire s’identifie pour sa part à l'aîné des sept frères (« moi, le premier né » dit-il), Nonna correspondant de son côté à la mère 4), Quoi qu'il en soit de ce détail, la conclusion du discours ne laisse pas de doute sur l'intention qui l'anime : « Imitons-les conclut Grégoire, prêtres, mères et enfants » (42), Un détail d'expression suggère aussi un rapprochement de dates entre ce discours et les deux Invectives contre Julien. Le titre grec de celles-ci est orneurixéc, mot qui reparaît dans la péroraison de la deuxième Invective :ot re na rà où ormurebouoav. Or ici l'aîné des Macchabées déclare à Antiochus : «tu alignes tes forces... contre sept frères... qui te stigmatiseront par sept trophées (ërrà rpomalois 0e ormureboovrac) » (43),

Dans les circonstances où nous croyons que ce discours a été il devient

prononcé,

une

authentique

exhortation

au

martyre

adressée par un prédicateur à l’ensemble de ses fidèles. 3. Une réconciliation.

Malgré une plus grande ampleur, le Discours VI n’apportera que peu d'éléments à notre enquête (4), Il s’agit d’une harangue prononcée pour sceller la réconciliation du vieil évêque de Nazianze avec un groupe de moines qui s'étaient momentanément séparés de sa communion. Le schisme avait eu pour point de départ la signature par Grégoire l'Ancien d’une formule de foi dont l’orthodoxie (40) (#1) (42)

921 BC, 95 C. 921 C. 932 C.

(43)

532 A, 664 D ; 720 A ; 921 A. Sur l'emploi du mot trophée, ce passage note sur Le mot TPOIIAION

est à ajouter à ceux que j'ai signalés dans une appliqué aux martyrs, V. C. (1954), 174-175.

(44)

PG

XXXV,

721-752.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

103

avait paru insuffisante aux moines (#), Nous examinons ailleurs cette question a : qu'il nous suffise ici de rappe ler évêque à pu signer une formule entachée d’héré que, si le vieil sie en l’absence de son fils, il ne saurait s’agir, comme on l’a génér alement admis sans examen, de la formule de Rimini-Constant inople, qu'il ne pouvait plus ignorer à cette date. Nous pensons qu’il s’agit d’un texte d'orientation homéousienne (et non homéenne) élaboré à Antioche

dans l’entourage de Jovien au mois d'octobre 363,

Ce texte pourrait avoir été proposé à la signature de l'évêque de Nazianze par quelque membre de la suite impériale au cours du déplacement de la cour en direction de Constantinople penda nt l'hiver 363-364. À ce moment-là, l'évêque était seul, privé de la présence de son fils qui se trouvait à Annési aux côtés de Basile (47), On sait en effet que devant les mauvaises dispositions de l’évê que Eusèbe et pour apaiser un mouvement de révolte des moine s de Césarée blessés par cette attitude, Basile s'était retiré, sur les conseils de Grégoire, à Annési. Or Grégoire, qui revient d’Annési, déclare qu’il attend la venue d’un prêtre qu’il ne nomme pas, mais qu’il décrit en des termes tellement élogieux qu’ils ne conviennent guère qu'à Basile dans sa bouche (4). On peut se demander si la caution morale de Basile n’avait pas été d’un grand poids auprès des moines de Nazianze pour résorber le schisme. S'il est difficile d'établir l'intervention de Basile dans l’apaisement de ce dernier, il paraît en revanche évident que l’évêque de Nazianze lui offre, à la date où nous sommes, de le recevoir dans son clergé. Bientôt Grégoire s’entremettra pour réconcilier Basile avec l’évêque de Césarée, avant que le vieux Grégoire prenne une part déterminante dans l’accession de Basile à l’épiscopat. Non seulement la succession des événements apparaît plus claire, mais encore on voit mieux comment les deux familles se sont aidées, prêtant réciproquement la main à la carrière ecclésiastique de leurs membres. Bien que les schismatiques aient eu le temps de faire ordonner des prêtres parmi eux (#), la séparation fut de courte durée et la réconciliation, ainsi que le discours dont elle est l’occasion, doit se situer au cours de l’année 364 0). Sous la forme de l’action de grâces, puis de l’exhortation, l’orateur se contente de rappeler les avantages de l’unité, la division étant de soi un mal sauf lorsqu'il s’agit de défendre la vrai foi. En fait, les circonstances, pénibles pour tous, invitent celui qui parle à observer la plus grande discrétion sur les événements qui viennent de se dérouler. C’est ce

(45) Cf. Discours VI 732 B et C, Discours IV, 540 CD, Discours XVIII, 1005 C - 1008 A. (46) CÎ. notre édition à paraître des Invectives. (47) Discours XLIII, 533 C - 536 B. (48) 732 C. (49) 1b. (50) 732 A, 733 C, 736 B. Cf. Gallay, p. 84.

104

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

qui explique qu’un tel discours ne soit guère fait que de généralités et que le prédicateur observe à l'égard de ceux qui l’écoutent une retenue dont il n’est guère coutumier. 4, Un sermon sur l'amour des pauvres.

Il est difficile de situer exactement dans le temps le Discours XIV 62. Diverses hypothèses ont été émises, qui se situent dans des perspectives très voisines 2). On sait que Basile avait entrepris à Césarée la construction d’un ensemble de bâtiments

destinés

à tenir

lieu de

caravansérail

et d’hospice,

la

Basiliade, comme on l’appela, située aux portes de Césarée. L’actuelle ville de Kayseri s’est construite autour de l'emplacement de cet édifice, La construction, qui pourrait avoir commencé dès 368, a dû s'achever vers 372. Il est probable que le Discours XIV doit être rapproché de cette entreprise, la préoccupation étant la même dans les deux cas : venir en aide aux misérables, et particulièrement aux lépreux. Les Bénédictins, reprenant l'opinion du scholiaste Basile le Petit, considèrent que ce discours a été prononcé dans l'asile même de Césarée. Comme cet asile leur paraît ne pas avoir été achevé avant 372, ils datent le discours de 373. P. Gallay a fait remarquer à juste titre que «non seulement Grégoire ne dit pas un mot de cet hospice, mais il affirme catégoriquement qu’on voit les lépreux errer par les rues, sans abri » 5%), « Nous avons sous les yeux un spectacle terrible et lamentable, dit Grégoire, ... des hommes à la fois morts et vivants» 64. Plus loin il déclare, en termes plus explicites que rien n’est encore fait pour ces malheureux : «le plus étrange... c’est que nous les attirons à nouveau vers nous, comme s'ils ne nous gênaient pas, en ne leur donnant pas de domicile, ni la nourriture nécessaire, ni de soins à leurs plaies, en ne recouvrant pas leur mal d’un vêtement dans la mesure. de nos moyens » @s), Si donc on admet, comme certains, que ce discours était destiné à apporter un appui à l'œuvre de Basile, on devra aussi admettre que cet appui se manifestait aux origines même de l'œuvre, avant tout essai de réalisation, et peut-même avant que le projet ait pris corps. Le propos de Grégoire est de susciter chez ses auditeurs une attitude générale de compassion à l'égard des malheureux et des malades. Il n'apparaît pas qu’il les invite à contribuer à une entreprise précise en voie d'exécution. Il est donc probable que le Discours XIV, comme l'érection de la Basiliade, sont l'un et l’autre le fruit de réflexions communes des deux amis devant l'étendue de certaines misères autour d’eux. (51) PG XXXV, 857-909. (52) Gallay, p. 87. (53) Ibid. (54) 869 A. (65) 872 C.

SAINT

GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

105

On croirait volontiers que dans la retraite d’Anné si, Basile et Grégoire avaient vu venir jusqu'à eux des troupes de lépreux chassés des villes et que, rendus tous deux à la vie urbaine et chargés de responsabilités sacerdotales, ils avaien t entrepris d’apporter une solution à ce problème. C'est du moins ce que suggèrent les paroles que Grégoire met dans la bouch e de la mère du lépreux : « mon enfant, dit-elle, que j'ai élevé pour les précipices, les montagnes et les déserts, tu habiteras avec les bêtes sauvages, un rocher sera ton toit, et, parmi les hommes, seuls les plus pieux te verront » (56),

Par ailleurs, un certain nombre de similitudes d'expression suggère un rapprochement avec les œuvres de Grégoire lui-mê me ou de Basile qui se situent entre 362 et 369. La description de l'attitude du Christ au moment de son arrestation est faite dans des

termes qui rappellent ceux du Discours II 5, De même, il présente

David en des termes proches de l’exorde du Discours IV 59. En revanche, d’autres expressions sont proches du langage que Basile tiendra vers 369. «Si je thésaurisais pour construire des greniers... » ®%) s’écrie Grégoire dans des termes inspirés de Luc XII, 18 comme l’H. D. VI de Basile, homélie que nous avons datée de la fin du printemps ou du début de l’été 369. On rencontre également sous la plume de Grégoire des réflexions sur l'égalité primitive des hommes, qui rejoignent un développement bien connu de Basile. «Rougissez, vous qui retenez le bien d’autrui, imitez l'équité de Dieu, et personne ne sera pauvre » (®. Plus loin, il s'écrie : « Regarde l'égalité primitive et non la différence qui est au terme ; non pas la loi du vainqueur, mais celle du créateur » (61). Dans ce même discours, d’ailleurs, Basile oppose la notion de Providence à celle du hasard dans des termes voisins de ceux de Grégoire (62), Ainsi, le Discours XIV, pourrait refléter les préoccu-

pations communes de Basile et de Grégoire aux alentours de 368.

Dans quelles circonstances et en quel lieu situer cette prédication ? Une fête en fournit l’occasion, que rien ne permet d'identifier (69. Sinko estimait que Nazianze fut le cadre de cette prédication, puisque rien dans le discours ne fait allusion à Césarée ou à l’entreprise de Basile (6, La remarque est exacte, mais il ne (56) 869 C. (57)P801EA "Cf. 5120 (8) 885 A : EuBoñ Axid borep 715 ueyæhopevétarocs xnpuË dnd dUnAod xx ravomquov xnodvuaroc; Cf. D. IV, 532 A : ua%G ydp dravrnc. Goncp #Ë &rémrov TUVÔG Hal EOMTÉTNC

reploric, Leyan® al On

(59) (60) (61) (62) (63)

881 889 892 905 873

(64)

De trad. orat.

TO xnpdyuurt

B. A. B. Cf. Basile, HD VI, 276 B. A. Cf. les propos de Basile sur l'astrologie, HH VI, 128 A - 133 C. C. Greg. Naz, 1, pp. 123-124.

106

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

paraît pas que Grégoire invite ses compatriotes à imiter l'exemple de Césarée, en édifiant à leur tour un hospice, comme le croit Sinko. Si tel était son dessein, il n’aurait pas manqué de faire allusion, d’une façon ou d’une autre, à l’entreprise de Césarée. L'absence de toute référence de ce genre indique, nous semble-t-il, que les projets de Basile commencent à peine à prendre corps, ce qui nous oriente encore vers une date proche de 368. Dans ces conditions, ou bien Grégoire, dans un état d’esprit et avec des intentions très voisines de celles de Basile, prend la parole à Césarée, apportant à son ami l’appui de son éloquence, ou bien :l ébauche pour son compte à Nazianze une entreprise du même genre. Or, l'auditoire auquel s’adresse Grégoire n’a guère de visage et cela donne à penser qu’il ne lui était pas familier. Surtout, on ne retrouve absolument rien du ton direct, personnel, des homélies de Grégoire à Nazianze, où on percevait l'existence entre le prédicateur et son public d’un lien affectif puissant. Enfin, le luxe des fidèles, tel que le décrit ici Grégoire, paraît moins convenir à la petite bourgade de Nazianze qu’à la capitale de la province. On sait que vers 368 Grégoire, s'étant entremis entre Basile et l'évêque de Césarée, Eusèbe, eut l'occasion de séjourner à Césarée pour aider à la consolidation de la réconciliation opérée par ses soins. Cet ensemble de considérations nous inclinerait à situer le Discours XIV dans le cadre de ce séjour à Césarée. Grégoire parle à des chrétiens assemblés dans une église à l'occasion d’une fête religieuse. Pour mieux les inciter à la pitié à l'égard des misérables, il dresse un parallèle entre le dénuement de ces derniers et le luxe dans lequel vit son auditoire, auditoire dont il ne se sépare pas, puisqu'il dit «nous » (5). On peut hésiter à prendre au pied de la lettre une telle description. L'image du luxe qu’elle nous donne doit rester vraie dans ses grandes lignes et la communauté chrétienne à laquelle s'adresse ce discours constitue un milieu riche. «Nous habiterons, dit Grégoire, des maisons splendides, ornées de pierres de toute sorte, brillantes d’or et d'argent, où la disposition des mosaïques et la variété des peintures sont une séduction trompeuse pour les yeux » (66), Les habitants de ces maisons sont vêtus de vêtements amples et moelleux, faits de voiles de lin et de soie (8). Dans leurs salles à manger, ils sont étendus sur des lits élevés, drapés de couvertures précieuses. Le sol est jonché de fleurs, souvent même en dehors de la saison; il y a sur la table des parfums (f). Autour, des rangées d’esclaves en bon ordre, à l'allure efféminée, car ils portent des cheveux longs et ont le visage rasé. D’autres esclaves portent des coupes, d’autres éventent les convives %). Les tables sont (65) 877 A. (66) Ibid. (67) Ibid. (68) 877 C. (69) 880 A.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

107

chargées de mets divers. Mais le plaisir de la table consiste surtout à boire, soit du vin du terroir, soit quelque cru célèbre importé (70), Plus intéressante est la description tout à fait nouvelle que nous devons à Grégoire du monde des misérables. Le sujet de son sermon est, il nous en avertit, l'amour des pauvres. Il énumère rapidement toutes les catégories de ceux qui ont droit à la pitié : les veuves, les orphelins, les exilés, ceux qui souffrent de la cruauté d’un maître, de la dureté des magistrats, de l’inhumanité des agents du fisc, de la férocité des brigands, de la cupidité des voleurs, ceux qui ont vu leurs biens confisqués où qui ont fait naufrage (1). Mais il y une hiérarchie dans le malheur et les plus misérables sont

ceux qui sont atteints du mal sacré, c’est-à-dire de la lèpre (2), La condition de ces malheureux est décrite d’une façon très détaillée. Ils sont totalement rejetés par leur famille et leurs amis, obligés de sortir de leur cité et de rester à l’écart des lieux habités (73. Les rivières et les fontaines mêmes leur sont interdites (4. Ils sont

donc refoulés dans les lieux déserts. N'ayant aucun moyen de gagner leur vie, ils souffrent de la faim et n’ont pas d’autres vêtements que les haillons qu’on leur donne à l’occasion (5). Il arrive que leur présence provoque de véritable émeutes et des chasses à l’homme (6), Ils vivent donc groupés pour s’entraider (7). Ils chantent pour exciter la pitié et mendient quand ils en ont l’occa-

sion, c’est-à-dire quand on les laisse approcher (8). Aussi les trouve-t-on nombreux là où se célèbre une fête religieuse (7%). On comprend sans peine que les cérémonies du culte des martyrs, qui se célébraient à l'extérieur des remparts, les aient attirés, mais Grégoire précise que les grandes fêtes religieuses du cycle liturgique les voyaient tout autant accourir, ce qui indiquerait peut-être qu’on ne les tenait pas toujours à l’écart 8% ou, plus probablement, que l’église étant encore située dans la ville à proximité du rempart, le rassemblement des gueux pouvait se faire au pied de celui-ci. Quoi qu’il en soit, ils sont assez proches de l’église pour que fassent écho aux mélodies sacrées de l’intérieur les lamentations des suppliants 8. D'ailleurs, lexclusion de ces malheureux ne devait pas être sans quelques tempéraments, puisque certains gisaient devant (70) (71) (72) (73) (74) (75) (76) (77) (78) (79) (80) (81)

les portes des maisons, sans voix, ni mains, 880 864 868 869 872 877 872 872 872 873 Cf. 873

AB. D. C. A; 869 B. BC. A. A : révônuor de xwrafBonoers Te ai duobers C. C; 873 B. A. 877 B. C.

ni pieds, ni

LA

108

PRÉDICATION

souffle, ni yeux (8.

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

On comprend qu’en face d’une telle situation

Basile ait décidé de construire un hospice et qu'il l'ait situé à la

porte de la ville, sans doute au voisinage de martyria qui attiraient l’afiluence des misérables aussi bien que la foule joyeuse des jours de fête.

5. Grégoire prononce l'oraison funèbre de son frère, Césaire, et de sa sœur Gorgonie. Les Discours VII et VIII sont très proches l’un de l’autre, aussi

bien par le sujet et les circonstances que par la date de leur composition, puisque Grégoire les consacre à l'éloge funèbre de son frère Césaire, puis de sa sœur Gorgonie (#).

L’oraison funèbre de Césaire se laisse assez bien dater. Césaire était en effet mort de maladie, peu après avoir réchappé au tremblement de terre qui avait détruit Nicée le 11 octobre 368 (84). Les biographes de Grégoire en ont conclu que ce discours date de la fin de 368 ou du début de 369 8. Comme il nous apprend

que Césaire avait décidé, après la catastrophe de Nicée, de se convertir à la « philosophie », sans avoir eu cependant le temps de réaliser jusqu’au bout ses intentions, et que d’autre part, il est mort peu après son baptême (#5), nous devons admettre, soit qu'il a reçu le baptême à la date normale de Pâques, c’est-à-dire le 12 avril 369, et qu'il est mort au bout de peu de temps, soit, et c’est plus probable, qu’il a été baptisé à l’article de la mort entre le 11 octobre

368 et le 12 avril 369. Prononcé corps présent, avant l’inhumation de Césaire dans le tombeau familial, le discours ne peut être de beaucoup postérieur à la date de la mort du frère de Grégoire. Il est difficile de dater aussi exactement l’oraison funèbre de Gorgonie. Elle est à la fois postérieure à la mort de Césaire (et au Discours VID) et antérieure à 372. En effet, le Poème I, 1, 1 (qui date de 371 ou du début de 372) s'étend sur les ennuis causés à _ Grégoire par la succession de son frère 8. Ces ennuis durent encore au moment où il compose son poème et il craint de les voir se prolonger. Or ce même poème fait état de la mort de Gorgonie, mais en la mentionnant rien de récent. D’autre part, il est rien de la proximité de la mort du eût été facile d'exploiter si les deux de l’autre.

comme un événement qui n’a à noter que le D. VIII ne dit frère et de la sœur, thème qu'il morts avaient été proches l’une

(82) 869 À, 877 B. (83) PG XXXV, 756-788 et 789-817. (84) 773 A et B. (85) Gallay, p. 90. (86) 773 AB. (87)

v.

165-167): AXXX

Td èv émuetxTx

T6S” &Ayrov Eluoc Éuorye

Boox Axoryvhtoro Blov &rd TévIe Anôvroc ÉrAnv, xai maféeuv ërr y’ ÉArouat

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

109

Il est vrai qu’on a voulu rapprocher l’une de l'autre la mort du frère et de la sœur en tirant argument de ce que la succession de Césaire n'était pas encore réglée au moment de la mort de

Gorgonie (88), En réalité, cette succession, qui a donné lieu à un procès intenté à Grégoire, a duré beaucoup plus longtemps qu’on ne l’a cru. Les Lettres 32 et 33 de saint Basile interviennent en faveur de Grégoire auprès du préfet de Constantinople, Sophronios, ainsi que d’un nommé Aburgios. Le Grégoire en faveur duquel Basile a écrit est bien son ami, et non Grégoire l'Ancien. Pourtant les deux lettres lui attribuent la qualité d'évêque. Les Bénédictins en avaient conclu que le mot ëxioxoro constituait une glose marginale passée dans le texte : les deux lettres ne pouvant dans leur esprit que se rattacher à une procédure immédiatement postérieure à la mort de Césaire, ils les datent de 369 et rejettent le mot «évêque », puisque Grégoire ne l’est qu’à partir de 372. Mais il ne semble pas qu’un manuscrit omette ce mot qui est exprimé à deux reprises et il faudrait donc admettre que nous avons affaire à deux gloses consécutives, toutes deux incorporées au texte. Nous préférons dater ces deux lettres de lépiscopat de Grégoire, . c'est-à-dire de 372. Basile a fait de son ami un évêque de Sasimes et il est normal qu’il intervienne en sa faveur pour le libérer de tout souci autre que celui de l'évêché qu’il vient de lui confier (8°). Ainsi donc le procès entraîné par la succession de Césaire, mort à la fin de 368 ou au début de 369, dure encore en 372 et la mort de Gorgonie peut se situer à une date quelconque dans le courant de cette période. On la situerait volontiers à peu près à même distance

de celle de Césaire et au Poème IL, 1, 1. c’est-à-dire vers le milieu

de 370. Notre discours nous offre d’ailleurs un autre point de repère. Grégoire déclare que son père est, contre toute attente, le peuples, zèv marépa mov é6vüv rap” aida (90), père de nombreux expression qui fait allusion au fait que le vieux Grégoire, auteur de l'élection de Basile à l’épiscopat, avait acquis par l'intermédiaire de l’évêque de Césarée une descendance spirituelle qui dépassait largement le cadre restreint de la petite église de Nazianze. Le discours est donc postérieur à l'élévation de Basile à l’épiscopat et ne saurait être antérieur à la deuxième moitié de 370. D’autre part, il est à noter qu'il ne fait pas la moindre allusion aux funérailles et qu'aucune part n’y est accordée à la consolation traditionnnelle. Il ne s'agit donc pas d’un discours prononcé à l’occasion des

obsèques et il faut probablement le dater de l'anniversaire de la mort de Gorgonie, c’est-à-dire de 371. (88) C’est le cas, par exemple, de Gallay, p. 92. (89) Relevons ici la bévue du dernier éditeur de la correspondance de Basile, qui, tott en jugeant que l’évêque Grégoire nommé par Basile est bien saint Grégoire de Nazianze, conserve néanmoins la date de 369 pour les deux lettres qui contiennent l'expression (Cf. Y. Courtonne, Saint Basile, Lettres, T. 1, pp. 74 et 76, Paris, 1957). | | (90)

793 B. Cf. Galay, p. 9,2, n, 7.

110

LA PRÉDICATION

DES PÈRES CAPPADOCIENS

Leur qualité d’oraisons funèbres donne à ces deux discours une place tout à fait à part dans la prédication de saint Grégoire de Nazianze. Le lieu change, les circonstances aussi, ainsi que l'auditoire dans une large mesure. L’'orateur ne parle pas dans une église ordinaire devant l’ensemble des fidèles assemblés pour le culte liturgique, maïs sur une tombe, devant des parents et des amis, proches ou lointains, venus assister à des funérailles, habitués à voir dans l’oraison funèbre un genre littéraire aux La formule règles :bien établies par un très ancien usage. pilot al &SeApol wa marépec @1), ne nous apporte pas grande précision

sur la composition de l'assistance. Nous en déduirons sans grand risque d'erreur qu’elle est surtout faite de parents et d’amis. Il n’est pas facile de localiser la cérémonie avec précision. Il semblerait qu’elle se déroule au voisinage immédiat de la tombe, dont la pierre est désignée par le pronom oôroc (2), mais ce n’est pas déterminant, car un peu plus loin Grégoire invite ses parents à « se hâter

maintenant vers ce tombeau qui est aussi le vôtre, présent que Césaire tient de vous » ®%. La contradiction qui apparaît entre

l'Épitaphe 54, qui situe la tombe de Nonna dans l’église même où elle est morte, et l’Epitaphe 33 %), où il est dit qu’au sortir de l'église le corps de Nonna a été déposé auprès des martyrs, peut aider à cerner le problème, puisque Césaire sera rejoint dans sa tombe par Nonna. Eglise et tombe sont probablement situés lune près de l’autre et sans doute à l’intérieur d’une même enceinte : c’est au sein de cet étroit périmètre que l’orateur prend la parole. Nous savons en effet que c’est dans le tombeau préparé pour ses parents que Césaire fut inhumé 5. Deux tombes avaient été préparées : la première devait accueillir Césaire et plus tard Nonna, la seconde était destinée à recevoir le corps du vieux Grégoire,

puis celui de Grégoire de Nazianze lui-même %.

Le tombeau

étant situé près des martyrs, l’oraison funèbre est prononcée corps présent avant l’inhumation, soit dans le martyrium même, dans le cas où il s'agirait de sarcophages situés à l’intérieur du monument, voisin du soit encore un mausolée en plein air devant martyrium (91). Quant à l’oraison funèbre de Gorgonie, tout tend à démontrer que, prononcée sans doute sur la tombe de la défunte, donc probablement à Iconium, elle n’a pas pour cadre les funérailles mêmes de Gorgonie, L’Epitaphe 77, qui énumère les noms de ceux (91) 756 A. (92) 776 A. (93) 788 A. (94) Anth. Pal. VHI (= Waltz, t. VD. (95) 788 A. Ci. Epit., 77, 78, 85, 85°", 87, 88. (96) Epit. 77. (97) 773 C. Le cadavre de Césaire est désigné par l’expression Toÿde rod riäouaroc. Ces sépultures prévues pour recevoir deux corps font penser à la tombe de saint Babylas, située dans le martyrium d’Antioche-Kaoussié.

SAINT

qui ont trouvé

ou

GRÉGOIRE

trouveront

DE NAZIANZE

leur sépulture

111

dans

familial, passe sous silence celui de Gorgonie, ce qui le tombeau est bien le signe qu'elle a été inhumée ailleurs, c’est-à-dire en Lycaonie où vivait depuis son mariage. C’est d’ailleurs l'évêque d’Icon elle ium,

Faustinus, qui l'avait assistée à son lit de mort.

L'absence de toute allusion au convoi funèbre et à l'inhumation, l'absence aussi de toute

consolation dans le discours, la brièveté de l’allusion au mari de Gorgonie, Alypios (8), tout cela suggère une date annive rsaire de celle de la mort de la sœur de Grégoire.

Ces deux oraisons funèbres de parents proches de Grégoire risquent de n’avoir eu qu’un public assez restreint. Césaire avait beau être le fils de l’évêque de Nazianze et Gorgonie une grande dame (%), l'assistance à leur funérailles ne se comparait sans duute pas à l’affluence du peuple fidèle les jours de grande fête, de carême, ou même un simple dimanche. Public moins nombreux certaine ment, public plus choisi ? On hésite à l’affirmer. L’enterrement de Césaire devait attirer quelques fonctionnaires, en raison de la qualité du défunt, d'anciens condisciples peut-être ou des amis d'autrefois, mais les séjours de Césaire à Nazianze avaient été rares et brefs depuis son adolescence et les amitiés personnelles qu'il y avait conservées ne devaient pas être nombreuses. Il est vrai que la personnalité de son père et celle de son frère étaient de nature à attirer un concours de peuple. Cependant, la vie de Césaire, sans avoir rien eu de scandaleux, n’avait pas été à proprement parler édifiante %"?, Césaire avait eu une carrière mondaine, Césaire avait vécu à la cour de Julien un certain temps, mais on pense moins ici au caractère profane de sa vie qu’à l’origine des difficultés suscitées à sa famille par sa succession. On sait qu’il fallut faire face à de nombreuses demandes de remboursements de dettes. La famille commença par payer, puis s'arrêta, pensant avoir affaire à des escrocs. Grégoire lui-même et Basile écrirent à de hauts fonctionnaires pour demander aide et protection devant ces préten-

tions. En fait, on doit se demander si elles étaient aussi injustifiées qu'on a voulu le croire. Pour que des contestations aient pu se produire trois ans après la mort de Césaire et pour que Grégoire, à cette date, n’ait pu prévoir la fin de ces difficultés, il faut que les (98) 814 A. Alypios n’est même pas nommé; c'est l’Epit. 103 qui nous apprendra son nom, en précisant qu'il était mort peu de temps après Gorgonie. Le décès d’Alypios est donc probablement antérieur de plusieurs mois à loraison funèbre de celle-ci.

(99) 802 BC; 308 A. (99**) En 362, Grégoire avait adressé à son frère, dans sa Lettre VII, un très vigoureux rappel à l’ordre. Il parle du rouge de la honte, du chagrin, de la désolation et de la crainte que la conduite de Césaire lui inspire. Grégoire l'Ancien, accablé, perd goût à la vie et on n’a même pas osé mettre Nonna au courant de la conduite de son fils. Cependant, le scandale a éclaté à Nazianze : « maintenant le fils d’un évêque est dans le service; maintenant il aspire à la puissance du dehors et à la gloire ; maintenant il se laisse vaincre par l'argent... », dit-on. «Comment l'évêque pourrait-il donner à autrui des avertissements ? » ajoute Grégoire. Toute la lettre est écrite de la même encre.

LA PRÉDICATION

112

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

um de créanciers se soient adressés aux tribunaux avec un minimle faste ir souten pour preuves en mains. Césaire aurait-il emprunté mais il de son train de vie ? On ne peut l’affirmer avec certitude, garde en mettait Basile saint e lorsqu si, der deman est permis de se t l'espri à pas n’avait ses auditeurs contre le recours à l'emprunt, il nous que l'exemple du frère de son ami. Quoi qu’il en soit, ce de permet re Grégoi de frère du nalité person la entrevoyons de mêlée. assez être penser que l'assistance à ses obsèques devait les Etait-elle nombreuse ? On ne saurait l’affirmer. A vrai dire,

habitants de Nazianze

étaient moins conviés à des funérailles

mort proprement dites qu’à un transfert de corps (100), Césaire était assez avait mort sa de le à Nicée et il est probable que la nouvel largement précédé le retour de son corps à Nazianze et son inhuma que cas tout en ers volonti t croirai On l. familia caveau le tion dans l'accent profane de plus d’un passage du discours de Grégoire n’est vie et à pas moins dû à la qualité des personnes présentes qu’à la la personnalité du défunt. Les choses sont différentes en ce qui concerne Gorgonie. Le portrait que son frère esquisse d'elle laisse entrevoir une de ces et grandes dames à qui l'étendue de leurs propriétés, la fortune locales. té notorié et ce la position de leur mari conféraient influen Si nous en croyons son frère, elle avait fait beaucoup d’obligés et on peut croire que ces derniers étaient venus nombreux écouter son éloge. Bienfaitrice de l’église et du clergé, elle avait rendu son dernier soupir dans les mains de l’évêque d’Iconium, Faustinus (0), On peut donc penser que le clergé était, lui aussi, nombreux aux côtés de ce dernier. Enfin, la réputation oratoire de Grégoire, aussi bien à l’occasion de ce discours funèbre que du précédent, avait dû attirer des amateurs de beau langage. Mais, à dire vrai, il y a là surtout des arguments de convenance et les textes ne nous disent à peu près rien d’explicite de cet auditoire. C’est qu'en pareille matière la liberté de l’orateur était singulièrement restreinte par les règles traditionnelles d’une éloquence qui, à chaque pas, lui traçait sa route. L’oraison funèbre n’est nullement un genre sacré, quel que soit son contenu, elle reste proche de ses origines profanes. L’homélie pourra s'attacher à la lettre du texte de l’'Ecriture ou prendre du recul et le survoler de haut et de loin, elle reste fondamentalement religieuse, même si elle emprunte quelque chose de ses techniques ou même de ses développements à telle forme d’éloquence profane. Il n’en va pas de même dans le cas de l’oraison funèbre dont les traditions sont demeurées réglées par l'école jusque dans le détail depuis des (100)

Ci.

Epit.

93.

Au

moment



Grégoire

écrivait

à Sophronios

sa

Lettre XXIX pour lui annoncer la mort de Césaire et lui demander aide et protection pour la liquidation de cette difficile succession, le corps de Césaire était encore à Nicomédie, «Maintenant il gît mort, sans amis, abandonné, pitoyable, honoré d’un peu de myrrhe, si même il l’a, et de la pauvre défroque des défunts, et c'est même

(041)

801 BC, 813 C.

beaucoup qu'il lait ».

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

113

générations Var Cette cérémonie, d’autant plus profane qu’elle n'est pas toujours directement liée à la mort et aux funérailles obéit à des usages qui ont quelque chose de fondamentalement

mondain. L’orateur parle d’ailleurs devant un public de connaïisseurs qui attendent de lui un exercice de virtuosité : la succession des rérx obligatoires fait penser à autant d'obstacles qu'il doit franchir en une course où l'auditoire fournit les spectateurs. L’orateur est en quelque sorte seul devant l'obstacle : entre

l'auditoire et lui, nul courant ne s'établit. Le courant passe d’autant moins facilement qu’il a de la peine à sentir un public probablement

assez composite, où la présense de païens n’est sans doute pas exclue. Gêné par les lois extérieures du genre, le prédicateur l’est plus encore par la donnée fondamentale du geste qu’il est en train d'accomplir : faire l’éloge d’un être humain ne se situe tout à fait dans la droite perspective chrétienne que dans la mesure où la vie que l’on retrace énonce les magnalia Dei. Ni Césaire ni même Gorgonie ne sont des martyrs et leffort de Grégoire pour transformer l’oraison funèbre en un sermon, tirant de l’éloge un enseignement, ne supprime pas le malaise qui s’installe entre lui et son auditoire au point d’effacer le contact avec ce dernier. Et c’est ce qui explique que le public de ces deux oraisons funèbres ne sorte pas de la pénombre. B. —

LA CONSÉCRATION

ÉPISCOPALE

ET L’AFFAIRE DE SASIMES

(Discours IX, X, XI XIF) (03), Depuis 370, Basile était devenu évêque de Césarée, en grande partie d’ailleurs grâce à l’appui et aux efforts de Grégoire l’Ancien, et il commençait à faire figure de chef de la résistance à l’arianisme. Mais la division de la Cappadoce par l’empereur Valens en deux provinces, dans le courant de l'hiver 371-372, risquait de diminuer d'autant son autorité. Il est peu probable que la décision impériale ait été dictée par des préoccupations de politique religieuse, l’intention fondamentale étant sans doute d’ordre fiscal, mais l'usage voulait que l’évêque de la métropole fût à la tête de l’épiscopat de la province ; l’évêque de Tyane, métropole de la nouvelle province de Cappadoce Seconde, était donc fondé à revendiquer une autorité nouvelle. C’est ce qui se produisit. Anthime de Tyane prétendit avoir juridiction sur les évêques de sa province et, accessoirement, retenir à son profit les revenus que l’église de Césarée tirait

jusqu'alors

de

domaines

situés

dans

la nouvelle

province.

Contrôler un certain nombre de sièges épiscopaux, c'était s'assurer du choix des nouveaux évêques et de leur orthodoxie, c'était disposer d’une majorité dans l’éventualité de réunions conciliaires. (102) Sur les règles traditionnelles en matière d’oraison funèbre, voir en particulier l'introduction que F. Boulenger a donnée à son édition des Discours VII et XLIII: Grégoire de Nazianze, Discours funèbres en l'honneur de son

frère Césaire et de Basile de Césarée, Paris, 1908. (103) PG XXXV, 820-849.

\

LA

114

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

Basile s’efforça donc de faire pièce à Anthime. Dans ce but, il créa de nouveaux sièges en Cappadoce Seconde même. Il ne crut sans doute pas pouvoir mieux faire, pour pourvoir deux d'entre eux,

que de choisir l’un de ses frères ainsi que son meilleur ami. C’est

ainsi qu’un des Grégoire devint évêque de Nysse tandis que le nôtre était promu au siège de Sasimes.

C'est en 372 que ces événements

se déroulèrent et quatre allocutions de Grégoire, les Discours IX, X, XI et XII, se rapportent sa promotion involontaire et forcée à l’épiscopat (04), Sasimes était un relais routier situé, comme Nazianze d’ailleurs dans ce qui était devenu la Cappadoce Seconde. Le séjour n’avait rien d’attirant, si nous en croyons Grégoire au soir de sa vie : «il est un relais au milieu de la grand route de Cappadoce où la voie se partage

en trois branches.

C’est un

endroit

sans

eau,

sans

verdure, sans rien de civilisé, un affreux et minuscule petit village. Partout de la poussière, du bruit, des chars, des plaintes, des gémissements, des exacteurs, des instruments de torture, des chaînes... une population d'étrangers et de vagabonds... voilà mon église de Sasimes ! » (05),

De plus il se rendit vite compte qu’il rencontrerait de la part d'Anthime de Tyane une hostilité assez déterminée pour recourir, le cas échéant, à l'usage de la force (4%), Rien n'était plus fait pour le détourner d’accepter une telle charge mais ses motifs de refus étaient plus anciens et plus profonds. En 361, on l'a vu, son père lui avait fait violence pour le contraindre à accepter l’ordination sacerdotale (97. Dès ce moment, tous ses désirs étaient tendus vers la solitude et la contemplation. Seule l'autorité paternelle, jointe à celle de l'évêque dans la personne du vieux Grégoire, avaient pu le faire plier. Mais il lui était alors permis d’espérer que l'épreuve serait de peu de durée et que le grand âge de son père ne prolongerait pas outre mesure l’exercice de son sacerdoce à Nazianze. Au fur et à mesure que les années s’écoulaient, Grégoire pouvait penser que le terme de sa libération approchait. Tout changeait en vérité s’il acceptait avec l’épiscopat un fardeau qu’il ne déposerait, en principe, qu'avec la vie. On s'explique donc qu’il ait opposé à la volonté de Basile, conjuguée avec celle du vieux Grégoire, une vive résistance. C’est à cette résistance que font allusion les premiers mots du Discours X qui est chronologiquement le premier de la série 4%), Prononcé à Nazianze, il s'adresse autant à Grégoire l'Ancien qu’à Basile, tous deux présents, et il (104) ments qui (105) (106) (107)

Sur la promotion de Grégoire à l’épiscopat et l’ensemble des événel'ont entourée, voir St. Giet, Sasimes, et Gallay, pp. 100-121. Poème autobiographique, v. 439-446 (1059-1060). Ibid., v. 451-459. Cf. subra, p. 96-101.

(108) : «Rien

n'est

plus fort que

la vieillesse,

rien

n’est

plus respectable

que l'amitié. L'une et l’autre m'ont amené devant vous comme du Christ», D. X, 828 A.

un prisonnier

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

115

précède la consécration épiscopale de Grégoire, sans doute de peu. Les allusions directes aux ornements épiscopaux qui figurent à la

fin de ce discours donnent à penser que la cérémonie devait lui

faire immédiatement suite (199).

Le Discours IX est postérieur à la consécration épiscopale, mais il a dû la suivre de peu, puisque Basile est encore présent à Nazianze 410), Comme il l'avait fait dix années auparavant au lendemain de son ordination, Grégoire se rend mieux compte de la portée du geste qu’il vient d'accomplir. Il regrette le consentement qu'il vient de donner et son dépit se tourne contre ceux qui le lui ont arraché 1), C’est ici que le Discours XI prend sa place. Il semble qu’il ait été prononcé à quelque distance des précédents, puisque Basile paraît avoir quitté Nazianze depuis quelque temps déjà (412) Cependant Grégoire n’avait pas encore rejoint son siège à Sasimes ni renoncé définitivement à tenter de le faire. C’est à l’occasion d’une fête des martyrs que ce discours est prononcé, mais il est moins consacré à rappeler leur souvenir qu’à accueillir un visiteur de marque, le frère même de Basile, Grégoire de Nysse. Visiblement Grégoire s'interroge sur les motifs de la présence à Nazianze de Grégoire de Nysse, qu’il a lieu de supposer chargé par son frère d’une mission 413), Aussi prend-il les devants et, affectant de croire qu'il est venu lui apporter ses consolations, il lui reproche de ne pas être venu plus tôt à son aide, quand il en était encore temps (14). On croirait volontiers que l’inaction de Grégoire de Nazianze se prolongeant, Basile avait cru bon de prendre l’occasion de la fête célébrée à Nazianze pour lui dépêcher son frère, moins pour le réconforter que pour le déterminer à inauguer ses fonctions à Sasimes. Ce n’est qu'après la visite et probablement les admonestations de Grégoire de Nysse que Grégoire essaya, sans succès d’ailleurs, de rejoindre Sasimes. L’opposition déterminée d’Anthime, qui avait fait occuper le voisinage, amena Grégoire à abandonner définitivement la partie. Imitant alors le geste de 362, il s’enfuit au désert 15), Les reproches et les objurgations de Basile n’eurent aucun effet, sinon d'attirer de la part de Grégoire des reproches non moins vifs (416), Mais, comme dix ans plus tôt, Grégoire finit par céder aux instances de son père et reprendre sa

place auprès de lui. Le Discours XII est l’allocution qu’il prononça (109) (110)

829 D. 820 A.

(111).

Passim;

(112) (113) (114) (415) (1146)

832 833 833 D. Cf.

cf. par exemple

820 A, 820 C-821

A, 825 A.

C; 833 CD. D-836 A. C. XII 844 A. les Lettres XLIII-L, adressées à Basile (PG XXXVII, 97-104).

LA

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DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

eur pour inaugurer près du vieux Grégoire les fonctions de coadjut encore, ans deux avant la lettre qu’il allait tenir auprès de lui jusqu’à la mort de ce dernier, survenue en 374. En fait, nous avons affaire à deux allocutions qui passent par deux dessus la tête du public pour s'adresser uniquement aux que eux à C’est . Grégoire vieux le et évêques présents, Basile l'avaient qui motifs des et conduite sa de compte rend Grégoire déterminé à refuser l’épiscopat, puis à s’incliner devant l’ascendant de son ami et l’autorité de son père. On remarquera cependant que cette fois encore, et plus que par le passé, Grégoire n'hésite pas à rendre le public témoin, non seulement de ses propres sentiments, scrupule devant l'étendue des responsabilités et goût de la solitude contemplative 417, mais encore de sa résistance et de la violence qui lui a été faite. « Non, on ne nous a pas persuadé, s’écrie-t-il, on nous a fait violence ! » 418. La soumission qu’il proclame, l'éloge qu'il fait de la puissance de l'amitié ne dissimulent absolument pas l’amertume dont son âme reste pleine, quoi qu'il en dise (19), Ce prêtre, cet évêque reste un homme torturé qui se veut totalement transparent pour ceux qui l'entourent. Bien souvent chez Grégoire la confidence prend un tour qui la fait noter de romantisme et ces deux discours, parmi d’autres et plus que d’autres, accréditeraient ce jugement si la brièveté de la confession alliée à l'élégance et à une extrême aisance dans le maniement de tous les raffinements du style ne leur conféraient un ton inimin’a rien (Cette franchise simplicité. table de souveraine d'ostentatoire, cette virtuosité n’a rien d’étudié. Il y a dans cette facon de s'exprimer une extraordinaire qualité d'âme faite de lumière et de franchise dans les circonstances les plus solennelles, qui sont habituellement les plus conventionnelles. Cette pureté n’est pas autre chose que la parrhésia dont parlait saint re au Ë Le même accent se retrouve dans le Discours XI, au moins dans sa première partie 121. Ce discours, un peu plus long que les juxtaposant deux composite, une œuvre précédents, est s en . réalité , , T4 Du 212 éléments tout à fait différents l’un de l’autre. La première partie, qui constitue presque la moitié de l’ensemble, rappelle par le sujet, les circonstances et le ton, les précédentes allocutions, puisque son objet est de saluer Grégoire de Nysse. Par delà l'évêque de Nysse, c'est encore Basile que Grégoire interpelle. Mais l’orateur n’oublie cependant pas le motif qui a rassemblé autour de lui un public nombreux et une transition (117) (118) (419) envahi par (420) (121)

828 AB. 825 A.

Ii le reconnaît en propres termes au moins une fois : «jai été l'amertume et le découragement (rixpiuc xai arnoeiuc) » (821 ©) Vg Eph. WE, 12. 832 B-836 B.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

117

assez abrupte 2 ouvre la voie à une seconde partie 42), qui propose aux fidèles l'exemple des martyrs dont on célèbre la fête. A vrai dire, l'ambition du prédicateur est limitée. Quelques phrases fortement senties proposent bien une imitation des martyrs : ceux-ci donnent une leçon de pureté d'âme et d'énergie dans la lutte 42%), et ïl faut s'en inspirer dans la résistance aux hérétiques 4%) comme dans le combat contre les passions (notons que la colère et la sensualité sont les seules citées ici 12), L'ascèse se présente comme une imitation du martyre. Mais le prédicateur ne s’attarde pas sur ces idées et va s'étendre

au contraire sur des considérations beaucoup plus pratiques et d’un ordre moins relevé. En fait, on sent que bien que sa préoccupation essentielle est d'éviter de voir la fête religieuse dégénérer en occasion de réjouissances grossières ou de tractations commerciales (27). Le discours s'achève par une solennelle profession de foi trinitaire opposée « aux adversaires du dehors, aux faux chrétiens qui sont parmi nous, aux ennemis du Saint-Esprit »(28), On remarquera la netteté et le caractère particulièrement public de la prise de position en faveur de la divinité du Saint-Esprit, question qui depuis peu divisait les partisans de l’homoousios de Nicée. Dans ce domaine de la foi comme à l'occasion de son conflit avec Basile, nous observons chez Grégoire un comportement qui le pousse à aborder les difficultés de front en public, à prendre parti de la même façon avec une préférence pour les solutions extrêmes. Il y a pourtant un sujet qu'il répugne, comme on le verra plus loin 4%), à développer en public, c’est la théologie de la Trinité, par respect pour la transcendance divine, comme il l’affirme, mais aussi, semble-t-il, par pudeur à rendre publiquement compte de sa propre expérience contemplative.

Le Discours XII est aussi bref que le Discours IX, mais sa structure l’apparente au précédent. La première partie s'adresse en effet au vieux Grégoire (3%), tandis que la seconde concerne les fidèles de Nazianze (1), Aux uns et aux autres, Grégoire rend compte de sa conduite au moment où il inaugure ses fonctions épiscopales aux côtés de son père. Il s’agit bien d’une prise de fonctions qui ne porte aucune atteinte à lantériorité du Discours XI. Ce dernier était prononcé à l’occasion d’une fête, (122) (123) (424) (125) (126) (427) (128) (429) (130) (131)

836 836 836 836 837 837 840 Cf. 844 845

BC. C-841 B. C. CD-837 A. B. C. C. infra, pp. 149, 151-154, 158. B-845 C. D-849 C.

LA

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DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

circonstance où la présence d’évêques voisins n'était pas rare, où il n’était pas rare non plus que ces invités de marque prissent la parole, sans que cela impliquât la moindre juridiction : Grégoire pouvait alors parler en évêque de Sasimes. Ici, il n’a pas d’autre but que de faire connaître les motifs et les limites de son acceptation. Il rappelle publiquement qu’on lui a fait violence et déclare que, partagé entre le désir de la solitude et l'appel à endosser des responsabilités qu’il a entendu, il a choisi une voie moyenne. Elle consiste à exercer les fonctions épiscopales en qualité de second de son père, mais il souligne ce que ce parti conserve de provisoire à ses yeux. « Maintenant, s’écrie-t-il, j'accepte de partager jusqu’au bout avec mon excellent père cette charge... mais après, je laisserai l'Esprit porter son aile où il voudra... et personne ne pourra me faire violence, ni m’entraîner ailleurs... » 4%), Ce discours accompagne une prise de fonctions : avec sa loyauté coutumière, Grégoire rend compte de sa conduite. Il nous semble cependant que la netteté d’accent et de formulation de la profession de foi trinitaire qui conclut ce discours comme le précédent traduit la conscience que Grégoire éprouve de son autorité nouvelle en matière d'enseignement de la foi. Il a conscience d’avoir été consacré évêque « dans le Père tout-puissant, dans le Verbe fils unique et l'Esprit saint qui est Dieu (r& rio Tlveiuar xoù @eë) » 133), Sans laisser place à la moindre équivoque Grégoire, dès ses premières paroles d’évêque, enseigne publiquement la divinité du Saint-Esprit. C. — GRÉGOIRE AUXILIAIRE DE SON PÈRE A NAZIANZE.

4. Les débuts d'un coadjuteur. Le Discours XVI est encore un discours de circonstance (4), Le titre que la tradition manuscrite lui attribue définit assez bien l’occasion où il a été prononcé : Grégoire s'adresse publiquement

à son

père, l'invitant à réconforter

les habitants

de Nazianze

éprouvés par la grêle On a daté ce discours soit du milieu de l’année 373 (c’est l'opinion des Bénédictins), soit de l’époque des moissons de 372 (135), La marge d'hésitation est minime. Qu'il s'agisse d’une période qui avoisine le moment de la moisson, la précédant sans doute de peu, c’est ce qui est dit d’une façon très claire par Grégoire. La pluie, dit-il, avait hâté la maturation des cultures, mais la grêle est venue détruire la moisson sur

pied (43%, En ce qui concerne l’année, il semblerait que la date

la plus proche de la consécration épiscopale de l’orateur soit la plus probable. Grégoire est déjà évêque, il le dit expressément, (132) (133) (134)

849 A. 849 C. PG XXXV, 933-964.

(135) (136)

Cf. Gallay, p. 122. 941 B.



SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

119

mais il l’est depuis peu, puisque il se tourne publiquement vers son père pour lui demander de lui servir de maître dans l’art de faire païître le troupeau (4%), D’autre part, on remarquera les précautions oratoires de l’exorde où il s'excuse, en prenant la parole en présence de son père et à sa place, de l’effacer (%9), Tout se passe comme si celui qui prend la parole inaugurait de nouvelles fonctions : l'évêque de Nazianze, qui jusque là prêchait, est invité à ne pas cesser de le faire, mais celui qui parle, comme aussi ceux qui écoutent, estime que ce soin ne le regarde plus principalement 43%). Un tel langage correspond au moment où Grégoire commence son ministère épiscopal à Nazianze et il y a beaucoup plus de chance qu’il ait été tenu dès 372 que l’année suivante. Le discours s'adresse pour une large part à l’évêque de Nazianze. Il ne faudrait pas croire cependant que là soit l’essentiel de ce que Grégoire a à dire. S'il prend la parole, c’est, avant tout, pour donner aux fidèles un enseignement approprié aux circonstances qu’ils sont en train de traverser. Dieu, dit-il, envoie des épreuves à ceux qu'il veut corriger (44), Mais, comme il parle devant un personnage plus important, l’évêque, son premier et naturel mouvement est de se tourner vers ce dernier pour saluer sa présence et s’excuser de le remplacer dans une fonction qui était jusqu’à présent la sienne (41), «Ne ferme donc pas, lui dit-il, une bouche qui bien souvent à fait entendre de belles paroles » (#2), Quelle que soit la part d’exagération que cette formule est susceptible de contenir, elle nous apprend, et c’est le seul endroit qui nous le dise, que le vieil évêque de Nazianze n'avait pas cessé de prêcher depuis qu’il avait conféré l’ordination sacerdotale à son fils. Il est donc possible que certains des sermons de ce dernier aient été suivis d’une prédication de l’évêque lui-même. Il est difficile de se représenter la composition de l’auditoire. Vers la fin de son discours, Grégoire interpelle diverses catégories de riches et de puissants 44) : le propriétaire foncier qui arrondit ses terres aux dépens de ses voisins, l’usurier, celui qui refuse à Dieu les prémices de ses récoltes, ceux qui n’ont pas de pitié pour la veuve et l’orphelin, ceux qui stockent leurs récoltes pour faire monter les prix... Il insiste davantage sur le cas de tous les commerçants en grains qui s’enrichissent du malheur des autres, sur les propriétaires de latifundia et ceux qui étalent un luxe fait de pierres et de vêtements précieux, sans oublier l’orgueil des magistrats siégeant sur leurs trônes élevés. Ces propos ont un caractère trop général pour qu’on en puisse conclure que Grégoire (437) 937 C. (138) 933 B. (439) 937 BC. (140) 948 B sa. (441) 933 B, 937 C. (442) 937 B (143) 957 C-9%61 A.

LA

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DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

avait de tels personnages en sa présence au moment où il parlait: on relèvera pourtant que l’image de la société qui émane de ces pages rejoint les descriptions de saint Basile, Notons la présence d’une catégorie d’auditeurs que Grégoire signale pour la première fois : il s’agit du clergé 4. Il était arrivé à Grégoire de parler des moines, mais tant qu’il n’était qu'un simple prêtre, il s'était sans doute interdit de faire la leçon à ses confrères (45), Aujourd’hui, revêtu du caractère épiscopal, il n’hésite plus à inviter le clergé à donner l'exemple de la pénitence. On ne saurait malheureusement tirer de ce passage une conclusion en ce qui concerne l'importance numérique du clergé de Nazianze. Les termes qu’il emploie peuvent convenir à tous les degrés du clergé, puisque de toute évidence il n’entend pas désigner des évêques par

l'expression

moi» (44),

«vous,

Cette

qui êtes revêtus

expression

désigne

du

même

surtout

des

honneur

prêtres.

que

Ce

clergé, ces prêtres sont-ils de Nazianze même ou venus pour cette

occasion des environs ? On ne saurait affirmer avec certitude lune ou l’autre chose ». 2. La consécration

épiscopale d’Eulalios de Doara.

Il y a peu à dire du Discours XIII (449. Cette très brève allocution fut prononcée à l’occasion de l'élection d’un nouvel évêque à Doara, en Cappadoce seconde. On a écrit que les deux Grégoire avaient installé à Doara un évêque orthodoxe de leur choix après l’éviction d'un hérétique par les habitants de la ville 4), A vrai dire, aucun passage du discours ne dit qu’un hérétique ait été chassé, rien non plus ne suggère la présence de Grégoire l'Ancien. Le pluriel employé par Grégoire ne désigne que lui-même, puisqu'il proclame sa fidélité à Basile « malgré le tort que nous avons subi » (14), Il entend par là sa consécration en qualité d’évêque de Sasimes, circonstance où on n’ignore pas qu’il fut victime des efforts de son père associés à ceux de Basile. D'ailleurs le vieux Grégoire avait fait à grand peine le voyage de Césarée deux ans auparavant pour assurer l'élection de Basile, il est donc peu vraisemblable qu’il ait pu se rendre à Doara.

. Ce discours est très proche, croyons-nous, de l'affaire de Sasimes. Si Grégoire se défend vigoureusement du soupçon d’agir contre Basile ou, tout au moins, en dehors de lui, en consacrant un évêque à Doara, c’est que leur brouille récente risquait d’accréditer ce soupçon (1%), On lit d'autre part dans l'exorde : « Recevez, (444) (445) (146) (447) (148) (149) (450)

952 C. Cf Discours VI. 952 C. PG XXXV, 851-856. Ibid. 851. 853 C. 1b.

SAINT

GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

121

à

propos d’un pasteur néophyte, la parole d’un e (érov veéxriorov) » SD, Cette formule ne signifie pas que néophyt Grégoir e se présente

comme une Orateur encore inexpérimenté dans l’art de la parole. Si ce qui est récent en lui n’est évidemment pas la qualité d’orateur, ce ne peut être, nous semble-t-il, que la qualité d’évêque. Quoi qu’il en soit, la brièveté de cette allocution et son Carac-

tère officiene l favorisent guère l'établissement d’un courant entre

le prédicateur et son auditoire. Pourtant divers traits manifestent le caractère direct et sans réticences de cette éloquence. Ce sont l’allusion, évoquée plus haut, aux différends avec Basile, maïs aussi la façon dont Grégoire invite le nouvel évêque à affronter les épreuves qui l’attendent comme une chose normale pour un évêque 4%) ou encore les imprécations qu’il prononce contre un personnage mal défini qui appartient au clergé et qui n’a pas craint de porter la main sur lui 453%). I] s’agit là très probablement d’un agent d’Anthime de Tyane et cette nouvelle référence à l'affaire de Sasimes constitue un indice supplémentaire qui permet de dater le discours. Nous en retiendrons non seulement la franchise de l’évêque, qui ne craint pas d'évoquer en public des agissements qui ne sont pas à l'honneur du clergé, mais encore la netteté sans ambages de la déclaration trinitaire qui figure dans une péroraison où la divinité du Saint-Esprit est aussi clairement formulée que celle du Père et du Fils 4%. Cette déclaration rejoint celle qui figurait dans le Discours XII 45) : tout se passe comme si Grégoire tenait, au début de son épiscopat, à proclamer partout sa foi dans la divinité du Saint-Esprit. L

3. Evêque et gouverneur de province La date du Discours XVII ne peut être fixée avec une grande précision (4%), Comme Grégoire parle en présence de son père et qu’il est revêtu de la dignité épiscopale, on estime généralement qu’il date de l’année 373 ou du début de 374 457, Ce discours, d’une étendue relativement médiocre, est assez curieux, car il mêle adroitement plusieurs genres. Il commence comme une homélie exégétique, se prolonge sous la forme d’une exhortation morale adressée aux habitants de Nazianze, les invitant à accepter une épreuve qui les menace, pour déboucher sur une allocution destinée au gouverneur de la province présent. (151) 853 (52) 856 (153) 853 (454) 856 Saint-Esprit ».

A. AB. D-856 A. BC : «Enseigne

à adorer

Dieu

le Père, Dieu

(55) Cf. supra, p. 118.

(456) (157)

PG XXXV, 964-981. Cf. ibid. Monitum, 963-964; Gallay, p. 124. |

le Fils, Dieu

le

LA PRÉDICATION

122

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

C'est par une citation de Jérémie suivie d’une page d’exégèse on que commence le discours (58). A entendre le prédicateur, son à r facilite de que but d'autre pas n’a qu’il croirait volontiers auditoire l'intelligence de cette phrase du prophète, mais une autre

préoccupation se manifeste immédiatement, celle de donner une

courte, mais précise, leçon de méthode dans l'explication de l'Ecritude, la méthode proposée consistant à recourir à l'interprétation allégorique. Quand Jérémie parle de son ventre, c’est de son esprit qu’il l'entend xarà robc tic rporñs véuovc 159), Le ventre est en effet le symbole de l’âme, car, d’une part, il est, comme elle, intérieur et caché, et, de l’autre, il avale et digère comme elle (60), A l’exégèse de Jérémie succède, sans désemparer, la citation et l'explication de plusieurs passages des Psaumes pour finir par Isaïe, Sophonie et le livre des Proverbes (61), Plus d’un quart du discours est ainsi occupé par des commentaire exégétiques G62), Le seul trait qui relie ce commentaire à ce qui va suivre et qui en fait une introduction, c’est le sens général de ce groupement de citations bibliques: elles expriment toutes l'angoisse de lâme devant l'épreuve et la confiance qu’elle met en Dieu seul. A partir de là (63), le ton change. Grégoire se tourne vers son auditoire pour l’instruire des lois selon lesquelles la Providence divine gouverne le monde (5%. Tout dans le monde est soumis au changement, hormis Dieu seul : Dieu se sert de ces changements qui aflectent sans cesse la condition humaine pour éduquer l’homme. L’'adversité comme la prospérité doivent être pour les hommes des moyens et des occasions de s’instruire. C’est dans. cet état d'esprit que les habitants de Nazianze doivent aborder l'épreuve que Dieu va leur envoyer, épreuve qui leur viendra des autorités civiles, autorités qui, Grégoire le rappelle, tiennent leur pouvoir de Dieu même (5).

Cette seconde partie du discours se présente sous un tout autre jour que la précédente. L’orateur ne prend plus le visage de l’exégète, mais celui du philosophe qui explique les ressorts cachés du monde et du moraliste qui enseigne aux hommes le comportement qu’ils doivent adopter. Mais, dans l’un et l’autre cas, Grégoire a conscience, et il le déclare sans ambages, d'agir en pasteur, (158)

Jér. IV, 19 (964 B-965 A).

(159) 965 A. (160) 1b. (461) Ps LIV, 79; LXXVI, 3; IV, 2; XXII, 4; I, Reg. XVI, 23; Isa. XXXV, 3; Ps, LXXVI, 4; Isa. XXX, 15; LVIII, 9; Ps XXXIV, 3; Sophon. II, 6-7, 16 sq; Pr. 1, 3.

(162) 964 B-969 B. (163) 969 B. (464) 969 B-973 D. (465) 973 A.

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE

123

c'est-à-dire avec l autorité du docteur qui enseigne la vérité et du chef qui fixe la conduite à tenir dans une circonstance donnée (466),

Cela dit, il se tourne vers le gouverneur de la province, présent dans l'assistance et environné de plusieurs de ses subordonnés. Les deux premières parties du discours, sensiblement égales en longueur, représentent ensemble plus de la moitié de la longueur totale, de sorte que la troisième et dernière partie est un peu plus longue que chacune des deux premières (157) . Il est remarquable que Grégoire s'adresse au représentant de lempereur, «aux détenteurs du pouvoir et aux magistrats » (168)

avec la même autorité et le même sens des responsabilités qu’il manifestait à l'égard de l’ensemble du troupeau. « La loi du Christ vous soumet, vous aussi, à mon pouvoir et à mon tribunal», déclare-t-il d’entrée de jeu 4%), D'ailleurs ce pluriel, qui affecte de fondre la personnalité du gouverneur avec les membres de son entourage et l’ensemble de tous ceux qui, présents ou absents, sont revêtus de l'autorité civile, cède bientôt la place à un singulier qui désigne, sans l'appeler par son nom, le gouverneur même de Ja

province, c’est-à-dire, à la date où nous sommes, de la Cappadoce seconde (47), Ce magistrat chrétien était peut-être originaire de Nazianze, car Grégoire l'appelle «brebis de mon troupeau» ét «élève du grand pasteur », c’est-à-dire probablement du vieux Grégoire, et il partageait en tous points la foi trinitaire des deux évêques. A ce bon chrétien, fidèle aux inspirations de l'Esprit saint, Grégoire estime qu’il n’est pas nécessaire de parler longuement pour tracer la voie du devoir 41), I] l'invite simplement à imiter la clémence de Dieu qui lui a donné le pouvoir dont il dispose. Mais la leçon va beaucoup plus loin qu’un simple appel à l’indulgence : Grégoire demande en effet au magistrat d’imiter Dieu au point de s'identifier à lui. «Tu peux devenir Dieu sans qu’il t'en coûte aucune peine : ne laisse pas passer cette occasion de la divinisation (472),

À vrai dire, si cette leçon, qui est la plus haute, est donnée la première, Grégoire saura recourir à des arguments moins élevés et plus accessibles. Dieu récompensera dans l'éternité la clémence du magistrat, «mais il donne aussi parfois des biens terrestres, pour qu’on ajoute foi à ceux qu’il donnera plus tard » 473), Non content de faire miroiter à ses yeux l’éventualité d’une récompense (166) 973 CD. (167) 976 A-981 A. (168) 976 A. (469) 1b. (170) 976 B. (471) Ib. (172) 976 D : uh roôn Tov xapdv This Pewoecc (473) 977 B.

LA

124

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

matérielle, Grégoire fait appel en lui à la fierté, en linvitant à ne pas ressembler au débiteur de l'Evangile dont la conduite manifeste qu'il avait une Âme d'esclave 7#, On peut même estimer que la flatterie n’est pas tout à fait absente du compliment que Grégoire lui adresse, quand il l'appelle «le meilleur des gouverneurs » (75), Mais l’évêque ne se prive pas non plus d’appeler les choses par leur nom : il n’hésite pas à nommer les motifs d'intérêt qui pourraient pousser le magistrat à user de sévérité : la peur du prince, l'ambition, par exemple 47%), Il va même plus loin, si on y prend garde. Dans la première partie de son discours, il faisait l'éloge de la générosité divine et il déclarait : « Rien ne s’interpose entre la demande et le moment où elle est exaucée : pas d’or, pas d'argent, pas de ces pierres précieuses à l’eau limpide, rien de ce qui incline les hommes à la douceur » 47. I est difficile de ne pas voir dans ce langage une allusion à la vénalité des magistrats et une mise en garde discrète. Il serait évidemment très précieux de connaître le motif de la présence à Nazianze du gouverneur de la province et de la crainte de ses habitants. Cela nous permettrait en particulier de mieux apprécier la conduite de l’évêque à l'égard du pouvoir. Malheureusement, aucun renseignement ne nous est donné à ce sujet et il est vain de se livrer à des suppositions sans fondement. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que l’enjeu devait être assez grave pour que l’évêque ait été chargé par ses concitoyens, comme 5l affirme l'avoir été, de ce rôle d’intercesseur dont il vient de s'acquitter publiquement 47). C’est peut-être l'exemple le plus ancien que nous ayons de l’action d'un évêque dans ce sens.

4, L'Oraison funèbre de Grégoire l'Ancien Après celle de Césaire, après celle Gorgonie, Grégoire était appelé à prononcer l’oraison funèbre de son propre père au

printemps de 374%, A bien des égards ce discours est plein d'intérêt. D’une ampleur beaucoup plus considérable que les Discours VII et VIIL, il offre un exemple plus important et plus complet de la manière dont Grégoire conçoit et pratique l’oraison

funèbre. Il constitue de plus une importante source de renseignements sur la biographie de Grégoire et sur celle de son père. La personnalité de Grégoire l'Ancien a pesé fortement sur celle de son fils tant qu'il a vécu et ce discours est précieux dans la mesure où il nous renseigne sur l'attitude et les réactions de Grégoire à l'égard (474) (175) (476) (477) (478) (479)

977 980 977 968 980 PG

C. A. B. D. C. XXXV, 985-1044.

SAINT

GRÉGOIRE

DE

NAZIANZE

125

de celui qui avait disposé si longtemps à son égard du triple ascendant de l’âge, de l’autorité paternelle et de l'autorité épiscopale, sans parler de l'exemple donné par une vie ascétique. Cette oraison

funèbre est donc loin de manquer d'intérêt pour celui qui étudie la vie et l'œuvre de Grégoire de Nazianze, mais il faut bien dire aussi qu’elle est assez décevante pour celui qui cherche comme nous à

discerner entre les lignes le visage de l'auditoire auquel s'adresse

le prédicateur et à saisir la nature du lien qui l’unit à ce même auditoire d'hommes et de femmes dont il a la responsabilité pastorale. Nous avons eu déjà l’occasion de dire que par nature l'oraison funèbre constitue dans ce domaine un document avare et difficile à interpréter, puisque l’orateur met tous ses soins à effacer tout ce qui ne concourt pas directement à mettre en lumière celui dont il prononce l'éloge. La situation du prédicateur est, nous l'avons dit, assez semblable à celle du portraitiste qui s’isole avec sa toile et son modèle, peu préoccupé par ailleurs de son public (80), De cet auditoire 481 se détache une figure, celle de Basile, venu tout exprès de Césarée. C’est à lui que s’adresse l’exorde du discours et, au moment de prononcer la péroraison, c’est vers lui que Grégoire se tourne encore (8), Une fois de plus, on ne peut manquer d’être frappé par sa liberté de langage. Non seulement 1l rappelle, quoique à mots couverts, le reproche qu’il nourrit encore à son égard pour l'avoir contraint à recevoir la consécration épiscopale (83), mais il n'hésite même pas, pour mieux faire ressortir l'efficacité de l'intervention du vieux Grégoire, à souligner les oppositions que le choix de Basile en qualité d’évêque de Césarée avait soulevées. Les témoignages d’affection et de vénération à l'égard de Basile font écho aux marques d’amitié manifestées ailleurs, mais elles n’excluent nullement l'évocation des souvenirs fâcheux (484), On remarquera d’ailleurs que si Basile est, en sa qualité d’évêque et de métropolitain, un auditeur d’une espèce toute particulière, son rôle en la-circonstance a certainement dépassé ces bornes. A trois reprises en effet, Grégoire s'exprime comme si Basile devait à son tour prendre la parole pour faire l'éloge du défunt 485), Une telle insistance invite à penser que notre discours devait être suivi d’une allocution de Basile que nous ne possédons pas. Une autre personne mérite d’attirer notre attention : c’est Nonna. Le discours s'achève, comme il était de règle, par une (180) Cf. supra, p. 113. (181) C'est à peine si quelques lignes de l’exorde du troupeau privé de son pasteur (988 AB).

évoquent

la tristesse

(182) 985 A, 989 C et 1040 BC.

(183) (484) 1028 C. (185)

1036 AB. Cf. en dehors

de l’exorde

988 B, 989 BC, 1040 B.

et de la péroraison,

\

1032 BC, ainsi que

LA

126

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

consolation que Grégoire adresse à sa mère. Il lui parle alors comme à une mère qui a perdu des enfants, comme à une femme qui vient

de perdre son mari (#9). Pour être brève, la consolation n’en paraît

pas moins authentique. Pourtant, Grégoire laissait échapper un peu plus haut une expression qui laissait voir qu’à cet instant du moins, il pensait à Nonna comme à quelqu’un qui venait de mourir: « Montre-nous où tu es dans ta gloire et la lumière qui t'entoure, toi ainsi que ton épouse peu après toi, et ceux de tes enfants que tu as ensevelis avant toi ; accueïlle-moi à mon tour dans les mêmes demeures » (87), Il y a là une contradiction évidente. Mais il y a plus. On peut lire en effet dans le corps du discours un long développement consacré à Nonna, développement tout au long duquel Grégoire ne parle d’elle qu'au passé, le plus souvent à l'aoriste, mais aussi en utilisant à plusieurs reprises un imparfait qui ne laisse place à aucun doute. « La prière, nous dit-il, éfait (%v) le premier mouvement de sa journée». Un peu plus loin, il nous parle de ces petits gestes de compassion qui étaient (ïv) chez elle « des inventions de la foi ». Plus loin encore, nous apprenons qu’elle «avait (exe) dans sa maison un aïguillon de la piété» en la

personne de son mari (85), Comment résoudre la contradiction que nous venons de faire apparaître ? La seule hypothèse qui permet de la surmonter consiste à voir dans le texte que nous avons sous les yeux une rédaction remaniée après coup de l'éloge funèbre prononcé par Grégoire. Nonna étant morte entre temps, son fils parle d’elle au passé, tout en laissant subsister la consolation qui lui avait été adressée comme à la vivante qu’elle était alors. Le remaniement serait donc incomplet et on remarquera à ce propos que le Discours XVIII, tel qu'il se présente dans les éditions imprimées, pourrait bien être inachevé. Non seulement la doxologie habituelle fait défaut, mais on peut encore relever l’absence de toute transition destinée à amener cette doxologie, ce qui constitue un cas unique parmi les oraisons funèbres de Grégoire. L’argument reste cependant sans grande valeur, tant que nous ne disposerons

pas d’une édition critique de ce texte. Si ce dernier a fait, comme nous le croyons, l’objet d’un remaniement postérieur à la mort de Nonna, ce remaniement a dû intervenir plusieurs années après la

mort de Grégoire l'Ancien.

Losque Grégoire rappelle en effet la

résistance que son père avait opposée aux hérétiques, il souligne que la pression exercée par ces derniers bénéficiait de l’appui de ce qu'il ne craint plus d’appeler « l’impiété impériale » (89), Il est

peu croyable que de telles paroles aient été prononcées du vivant de Valens qu’elles concernent évidemment. conditions, la rédaction du texte que nous avons sous serait postérieure à la mort de l’empereur, c’est-à-dire à (186) (187) (183) (189)

1040 1040 996 1036

C, 1044 A. A. A et B, 997 B. A.

eu public Dans ces les yeux 378.

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE

127

Dans quelle mesure un discours de ce genre constitue-t-il un

document valable dans la recherche qui nous occupe, c’est la question que nous devons maintenant nous poser. Si ce texte a été remanié, nous renseigne-t-il encore avec assez de fidélité sur ce qui

s’est réellement passé entre l’orateur et son public ? Il est bien certain que le texte idéal pour nous serait celui qui trouverait son

origine dans une sténographie d’auditeur. Ce n'est pas le cas pour ce discours dont le texte a été préparé pour la publication par Grégoire lui-même. Mais on peut légitimement penser que la contradiction que nous avons relevée dans le langage de l’auteur, si elle est l'indice d’un remaniement, constitue aussi la preuve que ce dernier est resté incomplet. L'auteur qui laisse subsister dans son œuvre une aussi éclatante disparate n’a pas eu le tems, et peut-être la volonté, de lui faire subir de profondes transformations. Il est difficile de tirer de cette constatation une date assurée en ce qui concerne la rédaction définitive du discours. Si elle est postérieure à 378, elle peut avoir été mise au point, soit entre la mort de Valens et le départ de Grégoire pour Constantinople, ce qui paraît peu probable, soit en Cappadoce après 381. Quoi qu'il en soit, les remaniements intervenus paraissent tardifs et ils sont assez limités dans leur étendue pour ne rien ôter au discours de sa valeur de document.

Si cette oraison funèbre ne nous renseigne pas directement sur l'auditoire auquel elle fut adressée, elle contribue dans une large mesure à nous faire connaître le milieu au sein duquel il se recrutait. La mère de famille pieuse qu'était Nonna ne saurait être prise sans précautions pour une image fidèle de ce que pouvaient être les femmes chrétiennes du temps, car la famille de l'évêque de Nazianze présente trop de traits exceptionnels pour pouvoir servir de modèle. À supposer même que nous parvenions à faire abstraction de ce qu’il put y avoir de singulier dans une telle destinée, il resterait le portrait d’une épouse d’évêque, sans doute une des dernières qui existèrent et la seule que nous connaissions un peu. Nous retrouverons chez Nonna les marques de piété que Grégoire signalait déjà chez sa sœur Gorgonie : la pratique du jeûne, des veillées de prière, du chant nocturne et diurne des psaumes, le respect du clergé 4%), Elle ne fraie guère avec les infidèles, et Grégoire lui en fait un mérite 41) pourtant cela ne l’a pas empêché d’épouser l’un d’eux, bien qu'elle fût chrétienne de naissance (1%), I] est délicat de tirer une conclusion assurée de cette contradiction. On peut estimer que la piété de Nonna était plus exigeante que. celle de ses parents, auteurs de son mariage, (190)

996 A.

(491)

996 C.

propos de Nonna.

Cf. Discours

VIII, 793 C, où la même

expression figurait à

(192) 997 B. Sur le mélange des religions à l’intérieur des familles, voir P. Petit, Libanius et la vie municipale à Antioche, pp. 214-216.

LA

128

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

d'autant plus qu’il n’est pas certain que son père et sa mère aient été chrétiens tous les deux. L'éducation chrétienne peut fort bien avoir été donnée: par la mère seule, sans que le mariage, conclu par le père, ait tenu compte de la foi de la fille. Pourtant une autre explication mérite aussi d’être envisagée. Il n’est pas sûr que la réserve dont Grégoire fait un mérite à sa mère en 374, et qu’elle avait dû pratiquer au moins depuis que son mari avait reçu l'épiscopat, ait correspondu aux mœurs en usage au début du siècle. On peut se demander en effet si le repliement des chrétiens sur eux-mêmes n’est pas une attitude qui tendait à reparaître après une éclipse d’une certaine durée, et pour des motifs opposés à ceux qui l'avaient fait pratiquer une première fois. Que les chrétiens minoritaires aient tendu au repliement pour préserver leur originalité, c'était chose naturelle. La conversion de Constantin et le mouvement de passage au christianisme qu’elle a durablement entraîné avaient pu contribuer de diverses façons à estomper les frontières pendant un certain temps. Mais le succès même du christianisme donnait naissance à une communauté d’autant plus portée à se clore qu’elle était devenue plus nombreuse et qu'elle pouvait penser qu’elle ne laissait plus en dehors d’elle que des irréductibles. Si cette attitude n’était probablement pas celle d’une masse plus ou moins christianisée de fait, elle correspond très probablement à l’état d’esprit des milieux les plus fervents, les plus proches du clergé et des moines. Ce texte ne permet sans doute pas de trancher, mais c’est assez qu’il nous ait amené à . poser le problème. Il ne s’agit pourtant pas d’un refus total, puisque Grégoire déclare expressément qu'il y a parmi les non-chrétiens des chrétiens qui s’ignorent : « Comme il y a plusieurs des nôtres qui ne sont pas parmi nous, ceux que leur vie écarte du corps commun, de même beaucoup de ceux qui sont à l'extérieur sont des nôtres, tous ceux dont la conduite précède la foi, et, bien qu’ils n’aient pas le nom, ils ont la réalité » 493), La déclaration a beau être motivée par l'évocation des origines païennes du vieux Grégoire, elle est trop lourde de conséquences pour n'être due qu’à la rhétorique. De tout ce que ce discours nous apprend de la vie et de la personnalité de Grégoire l'Ancien, nous ne retiendrons ici que ce

qui, n'ayant pas de caractère personnel, est susceptible de nous renseigner sur le milieu auquel appartiennent les auditeurs de son fils. Ces chrétiens ont un évêque sur place depuis une époque antérieure de peu à Grégoire l'Ancien. Encore la succession épiscopale a-t-elle été interrompue au moins une fois pendant la période qui a immédiatement précédé l'élection de ce dernier 4%), Grégoire n’hésite pas à souligner la médiocrité des évêques qui ont . précédé son père, le seul qui ait eu quelque valeur, — apparemment le prédécesseur de Grégoire, — se recommandant plus par sa vertu (493) (494)

992 B. 1004 C.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

129

que par sa science 4%), Grégoire ne se fait pas d'illusion sur l’importance du siège de Nazianze dont il n’hésite pas à déclarer qu’il s’agit d’un siège de deuxième ordre (1%). Lorsque le vieux Grégoire se décida à demander le baptême, il dut s'adresser à l'évêque de Césarée, Léontios, mettant à profit le passage à Nazianze de ce dernier qui se rendait à Nicée pour le concile en compagnie d’un groupe d'évêques 4%), On serait tenté de conclure de cette indication que Nazianze était située sur la route de Césarée à Nicée, donc sur une importante voie de passage. La réalité est sans doute un peu différente, Comme Grégoire précise que c’est à Léontios de Césarée et aux évêques qui l’accompagnaient que son père demanda l'admission au catéchuménat, il faut sans doute en conclure que le siège épiscopal de Nazianze était vacant. Comme Grégoire fut baptisé par un évêque qui « s’écria publiquement qu’il venait de consacrer spirituellement son successeur »(%), il faut aussi comprendre que Léontios, de concert avec les évêques qui Paccompagnaient, avait entre temps consacré un évêque de Nazianze, le même qui baptisa Grégoire l'Ancien et fut son prédécesseur immédiat. Le métropolite et les évêques qui laccompagnaient sur le chemin de Nicée avaient fait le détour de Nazianze pour procéder à l'élection épiscopale. C’est de ce dernier prélat que Grégoire parle en vantant ses mœurs, mais en déplorant sa simplicité, comme aussi une mort prématurée qui devait laisser la ville sans direction spirituelle pendant un certain temps. D’autres sources contribuent à nous renseigner sur le milieu social auquel appartenait le vieil évêque (1%), mais, c’est dans ce texte que nous rencontrerons les documents les plus importants et les plus nombreux. Grégoire déclare que sa famille possédait « une fortune convenable » (200), I] faut sans doute entendre une fortune considérable, s’il est vrai que son père paya de ses deniers la plus grande partie de l’église qu’il construisit et dont la description permet de se faire une idée assez précise 201), On pourrait supposer que les dimensions du monument étaient assez restreintes pour limiter la dépense. En fait, il s’agit d’un édifice important, soit un second lieu de culte destiné à doubler l’église de Nazianze, soit une église située à Arianze, sur les terres de la famille, et Grégoire nous apprend qu’il fallut un prêtre pour desservir cette église et que ce fut là le motif ou l’occasion de son ordination (202), (495) Ibid. (196) 1032 A. (197) 1000 B. (198) 1001 B. (199) Cf par exemple les Discours VII et VII, ainsi que les épigrammes funéraires de Grégoire. (200) 1008 C. (201) 1037 AC. (202) «Tel est le temple. Mais, comme il fallait encore un prêtre, il le fournit aussi, en le prenant

dans sa maison» (1037 C). Cette indication nous éclaire sur les motifs qui ont poussé Grégoire l’Ancien à élever son fils au sacerdoce. Elle nous renseigne aussi sur la date d’achèvement des travaux.

LA

130

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

Sur la nature de cette fortune il y a peu à hésiter. L’évêque Grégoire était un grand propriétaire foncier qui exerçait la justice sur ses esclaves-paysans. On nous dit en effet qu'il lui arrivait de menacer de la roue et du fouet, menace assez précise puisque tout était préparé pour le supplice, le criminel dépouillé de ses vêtements

et les bourreaux prêts à faire leur office, quand l’évêque faisait

grâce et se contentait de tirer les oreilles du coupable, de lui administrer des gifles ou des coups de poing 2%). Il y a là des notations précieuses, et même pittoresques, qui nous aident à nous représenter le vieil évêque de Nazianze au milieu de ses ouailles comme à situer socialement bon nombre d’évêques du temps. L4

Grand propriétaire, Grégoire l'était resté après son accession à l’épiscopat, mais nous devons penser que les fonctions publiques qu'il a pu exercer remontent à la période antérieure (204), La seule indication qui nous est donnée sur leur nature reste vague: « il avait tenu dans les affaires publiques un rang qui n’était pas négligeable ; pourtant il n’a pas augmenté sa fortune d'une seule drachme, bien qu’il vît les autres jeter dans les caisses publiques les mains de Briarée et s’arrondir de gains malhonnêtes » (205), Sans doute faut-il comprendre qu’il appartenait à la classe des curiales et qu’il en avait exercé les charges jusqu’au moment où son entrée dans le clergé l'en avait dispensé. Dans cette perspective, la construction de l’église dont nous avons parlé plus haut aurait constitué comme une sorte de prolongement sur un plan différent de cette activité de service public et on comprend dans quelle perspective les immunités accordées au clergé pouvaient se justifier. Si l’évêque doit contribuer de ses deniers aux frais du culte de la même façon que les notables contribuent aux dépenses de la cité, il devient naturel de le choisir parmi eux et de le dispenser d’autres dépenses du même type (20%). Ce discours nous permet encore d’entrevoir l’église où Grégoire fit probablement ses débuts de prédicateur. C’est dans l’église où son père a été inhumé qu’il prend la parole et nous savons par ses épigrammes funéraires que c’est dans cette même église que Nonna trouva à son tour une sépulture ; c'est encore là que Césaire avait reçu le premier la sienne et c’est elle qui recevra le corps de Grégoire lui-même 29), Il vaut donc la peine de la décrire, dans la mesure du moins où il nous la fait connaître. Aux yeux de (203) (204) (205) (206) état

1016 A. Ou tout au moins à la période qui précède 361. 992 C. C'est une loi de Constance de 361 qui dispense des charges de leur

les curiales

devenus

évêques.

C'est

aussi

aux

alentours

de

cette

date

que fut achevée l’église construite par Grégoire l'Ancien. On peut se demander s’il n’y a.pas là plus qu’une simple coïncidence et si Constance n’a pas tenu compte d’un phénomène plus général : la situation d’évêques amenés à cons truire en grande partie à leurs frais de nouveaux lieux de culte. (207) Anthologie Palatine, VIII (éd. Waltz, t. VI, 77).

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

131

Grégoire, l'édifice figure parmi les plus beaux (28). Bien qu'il faille

ici faire la part d’une inévitable exagération oratoire, renforcée par l'orgueil familial, le patriotisme local et, on serait tenté d’ajouter,

l'affection mêlée de vanité qu’un curé porte volontiers à son église, on ne doit pas non plus oublier que l’homme qui s'exprime ainsi connaît Césarée de Palestine, qu’il a vécu à Alexandrie et à Athènes, que Constantinople lui est déjà familière. Il s’agit donc sans contredit d’un beau monument. Quant à sa taille, elle n’est pas négligeable non plus, bien que Grégoire reconnaisse qu'il y a des églises plus grandes. C’est un bâtiment octogonal, orné de

colonnades

sur deux

abondamment

étages.

Il est surmonté

d’une

coupole

et

éclairé; il est entouré de promenoirs symétriques

de forme carrée laissant un large espace découvert en leur centre. L'édifice a un magnifique portail précédé de propylées de vastes proportions. À l’extérieur, il pésente l'aspect d’un ouvrage construit en opus quadratum. Les bases et les chapitaux d’angle sont de marbre, le reste en pierre du pays. De la base jusqu’au sommet, les murs portent des bandes d’incrustations variées (2%), A vrai dire, nous serions satisfaits si Grégoire était aussi prodigue en détails en sujet de la disposition intérieure de l’église qu'il l’est à propos de son aspect extérieur. Nous serions beaucoup mieux renseignés sur la position que le prédicateur occupait par rapport aux fidèles qui l’écoutaient.

5. EÉvéêque et répartiteur des impôts Le Discours XIX est le dernier de ceux que Grégoire prononça en Cappadoce avant les cinq années de retraite dans la solitude de Séleucie d’Isaurie et la courte période de Constantinople (219).

Comme d’autres discours, il répond à plusieurs préoccupations différentes. Il s’agit de donner un enseignement à la foule, d'accueillir en même temps le répartiteur des impôts, Julien, et de tracer une conduite à ce dernier. A l’occasion d’une fête de martyrs qui n’est pas autrement précisée, un rassemblement de fidèles s’est, comme d'habitude, constitué 211), Ils sont venus de la ville comme de la campagne et ils attendent de leur pasteur la nourriture spirituelle 212), Ils se sont déplacés avec leur clergé, auquel Grégoire s'adresse aussi bien qu'aux simples fidèles 21), C’est d'ailleurs d’un assez mauvais gré qu’il consent à prendre la parole, (208) 1037 AC. (209) Sur ce monument, on consultera A. Birnbaum, De templo Nazianzeno a Gregorio Theologo descripto, Eos XIII (1907) 30-39. Cf. également la description d'église donnée par Grégoire de Nysse dans l’Oraison funèbre de saint Théodore, PG XLVI, 737 D - 740 A (ci. infra, p. 305).

(210)

PG XXXV, 1043-1064. «Les saints martyrs, et particulièrement ceux que nous fêtons aujourd'hui» (1048 D). (212) 1049 B. (213) 1053 B. (211)

132

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

pour cédant aux pressions qui, une fois de plus, se sont exercées qu’un ainsi orateur un lui en voir veut On 214, ndre contrai l'y au pasteur ;il s’obstiñe à ne vouloir être qu’un simple moine, voué la pour cède e Grégoir si Mais lation. silence et à la contemp de l’église de chef en ter compor se de accepte et dernière fois préNazianze, c’est qu'une circonstance particulière requiert sa l'impôt de s registre des n révisio Une sence et sa parole en ce jour. est est en cours dans la petite cité et le répartiteur désigné, Julien, qui celui à ent présent dans les rangs de l'auditoire. Il apparti pour remplit les fonctions épiscopales d'intervenir auprès de lui les, équitab ons conditi des dans déroule se obtenir que l'opération aux ance l'assist et clergé lé e concern qui ce en nt lièreme particu dans teur réparti au écrit pauvres. Par trois fois déjà Grégoire avait e ce but et il en avait obtenu une promesse d’indulgence assorti parole la prendre à ir consent devait e Grégoir : on d'une conditi en sa présence. C’est de cette promesse qu’il s’acquitte en pronon-

çant notre discours (215),

De quand datent ces événements, le discours ainsi que les les trois lettres et le poème qui y font allusion ? On s'accorde à situer en 374 ou 375 (216). Le discours est en effet postérieur à la mort de Grégoire e l'Ancien, qui remonte au début de 374, puisque Grégoire gouvern comme rer considé la de r accepte t l'église de Nazianze sans pourtan sienne 21, Comme le Poème autobiographique précise qu'il ne à consentit à le faire que «peu de temps» avant de se retirer début du delà au s discour le Séleucie, on ne saurait retarder de 375 (219), Gallay a cru pouvoir tirer une précision supplémentaire d’un développement relatif à la Nativité et situer ce discours aux environs de Noël 374 219, C’est à tort, croyons-nous. Si on lit le passage avec attention, on s'aperçoit en effet que la seule raison qui amène Grégoire à parler de la naissance du Christ, c’est qu’elle a eu pour cadre un recensement semblable à celui auquel Julien D'où la fiction du était en train de procéder à Nazianze. prédicateur : « c’est maintenant que les anges se réjouissent, que les bergers sont environnés de lumière... » (220), La population de Nazianze, comme le répartiteur lui-même, doit prendre occasion de la circonstance où elle se trouve pour accueillir à nouveau le Christ dans son cœur comme autrefois il a effectivement visité . @14 « Quelle est cette tyrannie que votre charité nous fait sans cessr subir ? Quelle est cette sagesse que je possède, cette science qui font qu’à chaque fête vous nous faites la guerre ?» (1044 B). (215) Cf. Lettres 67, 68 et 69 (PG XXXVII, 132-133). (216) Cf. le Monitum des Mauristes (PG XXXV, 1043-1044). (217) 1045 C. (248) PG XXXVII, 1066, v. 536. (219) Op. cit., p. 128; cf. 1057 A-1060 B. (220) 1057 B.

SAINT

GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

133

humanité au temps de la répartition des impôts. Si le Christ a voulu naître au milieu d’une opération de recensement, c’est « pour l'instruction de ceux qui ont la charge de telles opérations,

car, Dieu est toujours présent aux actes les plus importants de l'administration » 221, Rien ne permet donc de situer le Discours XIX au temps de Noël. En ce jour de grand rassemblement, l'évêque donnera à chacun la nourriture spirituelle dont il a besoin. Pour commencer, il affirme la diversité des vocations. Ceux qui ont reçu la fortune

doivent s’'empresser auprès de ceux qui sont dans le dénuement tandis que ces derniers doivent accepter cet empressement (22). A cette première antithèse s’ajoute une seconde opposition entre ceux qui sont faits pour l’action et pour la parole et ceux qui sont voués au silence et à la contemplation. Un troisième développement

distingue d'un côté ceux qui ont mission d’enseigner, qui conser-

vent leur virginité, qui pratiquent le jeûne et la prière vocale, de l’autre ceux dont le partage est de recevoir l’enseignement qui leur est donné, de vivre dans le mariage, d’user des biens de la terre et d'exercer le patronage des indigents (2%), A la vérité, ces trois couples d’oppositions n’en font qu’un seul dans l'esprit de Grégoire. Les pauvres dont il parle sont avant tout ces pauvres volontaires que sont les moines. Il envisage d’un côté des moines qui se sont dépouillés de leurs biens, voués au silence, à la contemplation, à la virginité et à la prière, de l’autre des laïcs qui possèdent des

biens, qui parlent et qui agissent, qui sont mariés. Il est significatif que les premiers mots de ce diptyque fassent mention de l’argent que possèdent ceux-ci et les derniers du patronage des pauvres qu’ils sont tenus d’exercer, alors que les moines ont été définis entre temps comme des pauvres. Il est très probable que l'intention profonde de Grégoire doit être lue entre les lignes et la clef doit en être cherchée dans la correspondance antérieurement échangée avec Julien. La subsistance des moines était assurée par les revenus de terres affectées à cet usage par leurs propriétaires :dans la mesure où l'impôt viendrait les frapper, ce sont les moines qui en pâtiraient, ce que Grégoire veut éviter. Dans cette perspective, on comprend mieux le sens de l’affirmation selon laquelle chacun doit apporter à l’église sa contribution propre. Dans ce contexte, elle signifie surtout que les propriétaires doivent pourvoir à l’entretien des moines et que la fiscalité ne doit pas y faire obstacle. On ne peut s'empêcher de noter que la somme totale payée par un territoire donné ne variant pas d’une indiction à l’autre, la fonction de Julien, en cette année 374 ou 375, consiste uniquement à répartir à nouveau entre les contribuables la somme à payer par la cité. Le privilège que Grégoire demande (221) (222) (223)

1057 D. Cf. Basile, HD VI, 276 C. 1049 CD -1052 A.

134

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES CAPPADOCIENS

plus a donc une contre-partie obligatoire dans le paiement d'impôts inécessa t figuren s élevés par d’autres propriétaires, parmi lesquel rement tous ceux. qui ne sont pas chrétiens (2. Grégoire se tourne ensuite vers le clergé pour lui tracer de son devoir propre (25), Ce clergé n'est désigné que par le mot ecertain re entend faut il ue, génériq terme ce Sous «pasteurs». ment le clergé de la ville même de Nazianze, prêtres et diacres, mais aussi celui qui accompagnait le peuple venu des campagnes prendre part à la fête des martyrs, dans les rangs duquel figuraient Si sans doute plusieurs des chorévêques qui le dirigeaient. ntaine cinqua d’une tête la à nous n’ignorons pas que Basile était de chorévêques (22), nous ne savons rien des dignitaires de ce rang qui relevaient de l’évêque de Nazianze. A ces pasteurs, Grégoire

ne demande qu’une seule chose : conduire leur troupeau où il faut, sans l’égarer ni le disperser, c’est-à-dire en conservant intacte l'orthodoxie. On peut se demander dans quelle mesure les- pasteurs ainsi désignés sont également des pauvres, des silencieux et des contemplatifs, et dans quelle mesure ils s’en distinguent nécessairement. Cela n'apparaît pas clairement, mais dans la mesure où Grégoire opposait plus haut la parole et l’action à la contemplation liée au silence. et où le clergé participe nécessairement au ministère actif et oral de l’évêque, le clergé de Nazianze se distingue nettement des moines. Dans l'exercice du culte, nous l'avons vu, le clergé assiste l’évêque, mais les moines figurent parmi les fidèles, même si la place d’honneur leur est réservée 277. Pourtant le Testament de Grégoire fera bientôt mention de moines qui exercent le sacerdoce ou le diaconat 2%. On remarquera d’autre

part que le même développement qui opposait le couple contemplation-silence au couple action-parole liait virginité et jeûne, qui sont le fait des moines, à l’enseignement, qui est la fonction du clergé proprement dit. Il faut y voir un indice de la fusion qui est en train de s’opérer entre les deux états. Avec Grégoire l'Ancien venait de disparaître un des derniers évêques mariés et pères de famille, les moines commencent à constituer le réservoir où seront choisis prêtres et évêques. Aux fidèles pris dans leur ensemble, Grégoire ne trace qu’un devoir, celui de l’obéissance et de la docilité 2%). Aux intellectuels, il demande de ne pas assigner à leur spéculation des objets qui la (224) Notons qu'il ne s’agit pas d'obtenir des avantages nouveaux, mais de conserver l’état de fait existant, comme le montre la teneur de la correspondance échangée avec Julien. Cela prouve que l’auteur de la précédente répartition était comme Julien un chrétien. (225) 1053 B. (226) Poème autobiographique, v. 447 (1060 A). (227) Discours IV, 540 C. (228) PG XXXVII, 389-396. (229) 1053 C.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

135

dépassent (entendez le mystère trinitaire), de ne pas prétendre avoir le dernier mot en toute circonstance, de consacrer leur parole à Celui qui est la Parole, bref de faire de l'éducation qu'ils ont reçue «une arme de justice et non de mort » (2%), Aux soldats, il se contente de rappeler le précepte de Jean-Baptiste : ils doivent se contenter de leur solde sans exercer d’exactions sur les populations civiles (231), Ainsi donc, cette foule des grands jours rassemble des fidèles

venus de la ville et de la campagne avec leur clergé, et de cette masse assez indifférenciée se détachent deux catégories d’hommes : ceux qui possèdent la culture et ceux qui portent les armes. On retiendra la présence à Nazianze des uns comme des autres. Quels qu’ils soient, les fidèles auxquels Grégoire s'adresse en ce jour ne sont sans doute pas extrêmement nombreux, si le rassemblement est à l'échelle de cette petite ville de Nazianze dont il n’hésite pas à dire publiquement qu’elle est minuscule et que son exiguité ne donne pas une bien grande importance à celui qui se trouve à sa tête 2%). On aimerait connaître la proportion de

riches et de pauvres, d'hommes libres et d’esclaves que comportait

un tel rassemblement. Pas un mot ne s'adresse aux esclaves ou ne fait mention d’eux, si bien qu’on est tenté de conclure qu’ils sont à peu près complètement absents des rangs de l'auditoire. En tout cas, ils ne figurent pas dans les préoccupations du prédicateur. Les pauvres constituent en revanche un souci de premier plan pour lui, et il n’est pas exclu que la main-d'œuvre servile soit présente à son esprit sous cette étiquette Mais ce qui est frappant, c’est que Grégoire n'a pas grand chose à dire aux pauvres, sinon à les inviter d’un mot très bref à accepter qu’on leur vienne en aide (233). Quant aux riches, un long développement leur trace le détail des devoirs qu’ils ont envers ces derniers 2%). En chassant de leur cœur toute cupidité, ils rendront aux pauvres une justice exacte, ils délivreront le pauvre et le mendiant, ils prendront en pitié la veuve et l’orphelin, ils rachèteront les condamnés à mort, et, à tout le moins, ils ne mèneront personne à la mort, ils ne mépriseront pas ceux qui font appel à eux, ils ne négligeront pas le malheureux couvert d’ulcères qui gît devant leur porte... « N’acceptons pas que la pauvreté des autres nous enrichisse », déclare enfin Grégoire, usant d’une formule qui fait écho aux paroles de Basile (235), Pour interpréter correctement un tel langage, on ne doit pas perdre de vue l'intention dernière de l’évêque : il s'adresse à ceux (230) (231) (232) (233) (234) (235)

1053 1056 1056 1052 1056 1056

D. A. AB. A. Cf. une simple mention du pauvre, 1049 B. B -1057 A. C.

LA

136

qui sont invitant sur plus que tout

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

justiciables de l'impôt, donc aux riches surtout, en les à prendre leur part du fardeau commun sans se décharger pauvre qu'eux et moins influent. Il n’en reste pas moins se passe comme si l’assistance n’était guère composée que

de riches, ou tout au moins de gens aisés.

De ses fidèles, l’évêque n'attend rien d'autre que la docilité, cette docilité se situant surtout sur le plan de l’orthodoxie de la foi. La péroraison insistera sur cette docilité attendue des fidèles : dans la mesure où ils conformeront leur conduite aux leçons qu'ils viennent de recevoir, ils auront moins besoin de la prédication de Grégoire, puisqu'ils s’édifieront par leur exemple mutuel (256). Mais il y a là surtout une clause de style et l'invitation à se cantonner dans la simple obéissance est particulièrement nette et sans ambages : « Brebis, ne menez pas vos pasteurs au pâturage et ne vous élevez pas au-dessus de vos limites : il doit vous suffire de vous bien laisser conduire au pâturage. Ne jugez pas les juges et ne fixez pas de lois aux législateurs, car Dieu n'est pas le Dieu de la confusion et du désordre, mais de la paix et de l’ordre. Que personne donc n’aille se faire la tête, quand il n’est peut-être que main ou pied, ou l’une quelconque des plus viles parties du corps. Que chacun, frères, reste à la place où il a été appelé, même s’il mérite davantage. En chérissant celle qu'il détient, il mérite plus de considération que s’il cherche à obtenir celle qu’il n’a pas reçue. Qu’on n’aille pas souhaiter l’autorité et ses dangers, quand on peut rester sans risque à la suite. Que la loi de la subordination, qui affecte les choses du ciel comme celles de la terre, ne soit pas enfreinte; que la multitude des chefs n’engendre pas l'anarchie » 237. Un tel langage montre que le sens de l’autorité et de la responsabilité est aussi développé chez Grégoire que chez Basile, et cela contribue à expliquer ses réactions devant les intrigues et les factions du concile de Constantinople. On verra pourtant que s’il est ardent à revendiquer la soumission des fidèles au clergé, le respect de la fonction ne l'empêchera nullement de porter des jugements très défavorables sur ses collègues. Il ne lempêchera pas non plus d'en faire part à ces mêmes laïcs qu'il invite aujourd’hui à la soumission la plus absolue.

Que l'évêque ait revendiqué pleine et entière autorité en matière spécifiquement religieuse est une chose, mais on aimerait discerner les frontières qu’il met à ses prétentions. Notre texte ne le précise pas, mais il est bon d'observer le comportement de Grégoire à l'égard du répartiteur d'impôts. Pour manifester sa

bonne volonté, Julien avait proposé à Grégoire de surveiller lui-même le détail des opérations de recensement. Indice, chez ce magistrat, d’une obéissance à l’évêque qui tendait à faire de ce dernier le véritable chef de l'administration. Il est significatif que (236) (237)

1064 B. 1053 C.

SAINT GRÉGOIRE

Grégoire

ne lui ait pas opposé

DE NAZIANZE

137

de refus véritable.

S'il s'était

excusé de ne pouvoir venir, c’est la maladie seule qu’il invoquait, et il promettait d’accourir aussitôt que possible. La répartition des

impôts a-t-elle été finalement supervisée par l’évêque 2% ? Nous ne le savons pas, mais cette incertitude en dit déjà long sur l'évolution des mœurs.

A l'égard de chacun des auditeurs, les mots d'ordre resteront assez modestes, une fois écarté l'idéal monastique proposé à tous. A ceux qui ont reçu la culture il déclare : « Consacrez votre parole à Celui qui est la Parole : faites de la culture une arme de justice et non de mort» 2%), Le lecteur moderne peut être tenté de voir dans ce langage une invitation à l’apostolat: en fait, rien n’est plus étranger à la pensée de Grégoire et il faut bien considérer que c’est une préoccupation qui n’apparaît nulle part dans son œuvre. Il n’y a dans cette formule rien de plus qu’une invitation à rester dans l’orthodoxie en donnant au Verbe la place qui lui revient au sein de la Trinité : en agissant ainsi, on se justifiera auprès de Dieu au lieu de préparer sa propre condamnation.

Quant à l’ascèse, que l’évêque propose comme la voie du salut, il la résume en une formule qui a l'avantage de la clarté : elle consiste à extraire l’âme du corps (puyxñv ixüou md roë autos )(240), A Julien, Grégoire ne demandera que d’observer la justice dans les opérations de répartition de l'impôt 24), Cependant, sa correspondance était plus précise : il sollicitait en fait le maintien des privilèges fiscaux acquis par le clergé. Cet échange de lettres avait pu rassurer Grégoire sur ce point essentiel ;pourtant, il y reviendra en public avec la plus grande netteté, en demandant au répartiteur d’épargner le clergé (roëruv peiSéuevos ) (242), I] est aisé de conclure qu'une telle requête ne cause pas la moindre gêne à l’évêque et qu’à tort ou à raison, elle ne lui paraît pas susceptible d’être mal accueillie du public. Que savons-nous de ce Julien qui est en ce jour pour Grégoire un auditeur privilégié 24) ? C’est un ami. Le terme reste vague et Grégoire l’emploie dans des circonstances qui le portent à majorer les liens qui l’unissent au répartiteur. Mais il y a plus. Julien est en effet un homme de l’âge de Grégoire, il a donc près de 45 ans, puisqu'il a été son condisciple. Où ? En Cappadoce, à Césarée, ou à Athènes ? Grégoire ne le précise pas, mais comme il dit qu'ils ont eu les mêmes maîtres et qu'ils ont suivi les mêmes enseignements, on croirait volontiers que c’est à Athènes (238) (239) (240)

Lettre LXVIII, 133 A. 1053 D. 1064 A.

(241)

1057

ta répartition».

(242) (243)

A : «Pour

Cf. 1057 C.

1064 A. 1061 C.

toi, répartiteur

de nos

impôts,

opère

avec

justice

LA

138

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

littéraires proqu’ils s'étaient connus. Grégoire rappelle les goûts l’école du qu'à acter contr pu n’a noncés de Julien, goûts qu'il même, doce Cappa qu’en Grèce en nt bleme proba rhéteur, donc plus formation sa reçu a ire Grégo que Grèce en c’est e puisqu de naissance. rhétorique. Ce Cappadocien cultivé est un chrétien vers l’enselé orient ent l'avai s parent ses que On peut donc penser rché la reche avait gnement d’un sophiste chrétien et que lui-même le père est S'il lui. comme ens fréquentation de condisciples chréti cette de sens le soit que quel 24), lui que d'enfants «plus saints » la dans tance persis la moins au dénote elle uë, ambig expression er affirm ir pouvo it famille d’un solide sens chrétien. On voudra que Julien avait suivi à Athènes, avec Basile et Grégoire, les leçons de Prohairésios.

Dans quelle mesure le texte publié correspond-il aux paroles n effectivement prononcées par le prédicateur ? C'est une questio nous s auxquel s discour des chacun de propos à fait en pose qui se avons affaire, mais qui, le plus souvent, est appelée à rester sans réponse, faute de critères. Parfois cependant un pas peut être fait sur le chemin de la solution, quand des traces de remaniement peuvent être décelées. Or un indice de cette nature apparaît vers la fin de ce discours. Se tournant vers Julien, Grégoire l'interpelle en ces termes : Que peux-tu dire à cela ? Que peux-tu écrire ? TL npds raüra Aéyerc; TL vodperc; (245),

Le

premier

verbe

relève

de

la

psychologie d’un orateur qui interpelle l'un de ses auditeurs, mais le second correspond bien davantage à l’état d’esprit du rédacteur d’un écrit qui s'adresse au destinataire de cet écrit, destinataire qui, lui-même, est appelé à répondre par écrit. La question fl ypé&peic représente-t-elle une adjonction de Grégoire à l'occasion de la rédaction écrite de ce discours et cette rédaction a-t-elle été exécutée dans le but d'envoyer à Julien un exemplaire du discours qui lui avait été adressé ? C’est possible, et même probable. La publication de ce texte est donc contemporaine des circonstances qu'il relate. Dans ces conditions, on peut penser que la rédaction définitive ne s’écarte guère des termes que le répartiteur avait entendus. La lecture de ce discours laisse un certain malaise qui n'est que le reflet de celui que Grégoire éprouvait visiblement en le prononçant. On sent bien que le cœur n’y est pas. Il s’est senti moralement contraint d’agir en pasteur par la double circonstance de la fête religieuse du jour, avec son nécessaire concours de peuple, et de la présence du répartiteur qu’il fallait gagner aux intérêts qui paraissaient légitimes. Plus tard Grégoire se plaindra vivement du rôle que l’on fait jouer aux évêques en leur demandant d’être avant tout les tuteurs des intérêts matériels des églises (245). (244) (245) (246)

Ibid. 1061 C. Cf. infra, p. 234.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

139

On peut se demander si ses interventions auprès de Julien ont été entièrement spontanées : n’a-t-il pas été l’objet de sollicitations pressantes de la part de son entourage ? La tâche acceptée, il s’en

est acquittée de son mieux, mais l’exorde comme

laissent

percer

le sentiment

de lassitude

la péroraison

et d’accablement

qui

l'étreint. Son esprit est ailleurs : il est frappant que l'enthousiasme

lui revienne au cœur au moment où, près de terminer, il évoque la vie de ces généreux athlètes « qu'aucun lien n’attache ici-bas, qui ne possèdent que leur corps, et qui ne le possèdent même pas tout à fait, qui n’ont rien pour César, mais qui donnent tout à Dieu : hymnes, prières, veilles, larmes, biens qui ne sont sujets à aucun

pouvoir : mourir au monde, vivre pour le Christ, anéantir la chair, faire sortir l'âme du corps 47. «Ces paroles font écho à l’exorde où Grégoire opposait déjà aux requêtes des fidèles qui voulaient le conserver définitivement à leur tête sa volonté arrêtée de « mourir à la vie, de vivre la vie cachée dans le Christ, de devenir comme un marchand, en achetant au prix de tout ce que je possède une perle précieuse » (248), Grégoire retrouvera plus tard le goût de la parole et le cœur à l'ouvrage. Pour le moment, il n’aspire qu’à la solitude. C'est à Séleucie d’Isaurie qu’il s’en va la chercher. Quand les foules de Constantinople lécouteront, c'est un homme transformé et renouvelé par l'expérience prolongée de la contemplation qu’elles auront devant elles. (247) (248)

1061 D -1064 A. 1045 A.

CHAPITRE

II

A lAnastasia de Constantinople (379-380)

Lorsque

Grégoire remonte

en chaire, après cinq années

de

celui retraite et de silence, il le fait dans un cadre bien différent de le ntinop Consta à C’est ze. Nazran de de la petite église provinciale

pendant même, la capitale de l'empire oriental que va se dérouler moitié la e puisqu , près de trois années une activité qui fut intense cette de datent ons posséd nous environ des 44 discours que courte période (). le Le désastre d’Andrinople et la mort de Valens, survenue appui. t puissan plus son de isme l’arian nt 9 août 378, privaie L'empereur Gratien, qui régnait en Occident depuis 375, manifestait pour les orthodoxes une sympathie que la désignation de Théodose, intervenue le 19 janvier 379, pour gouverner l'Orient devait bientôt confirmer. Dans ces conditions, les évêques orthodoxes exilés par Valens pouvaient rentrer. Ce fut le cas de deux évêques voisins de la Cappadoce, Eulalios d’Amasée et Eusèbe de Samosate ainsi que des titulaires des grands sièges: Pierre à Alexandrie et Mélèce à

Antioche ().

A Constantinople la situation était bien différente. Depuis très longtemps, l’arianisme y dominait sans partage et l'évêque en place depuis 370, Démophile, était un homéen. Toutes les églises étaient aux mains des ariens. C’est dans ces conditions que Grégoire fut sollicité de venir prendre la tête de la petite communauté nicéenne de la capitale, bien avant que l’autorité de Théodose pût l'y protéger, puisque le nouvel empereur ne fit son entrée à Constantinople que le 24 novembre 380, peut-être même avant l'accession de ce dernier au pouvoir. Grégoire nous apprend en effet que son acceptation eut l'approbation de Basile, approbation (4) Ce sont, en adoptant provisoirement l’ordre chronologique établi en dernier lieu par Gallay, pp. 132-211, les Discours XXII, XXXII, XXXIH, XXV.

XLI, XXIV, XXXVIIEXL, XXVI, XXXIV, XXIIE, XX, XXVII-XXXI, XXXVI, XXXVII et XLII. (2) Gallay, p. 133, n. 3 . Notons que Pierre avait pu rentrer dès le printemps de 378.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

141

nécessairement antérieure au 1° janvier 379, date de la mort de Basile ®, C'est donc au début de 379 que Grégoire arrive à

Constantinople.

Qu’y trouve-t-il ?

A cette date, la ville a beau être vaste, peuplée, dotée de beaux monuments, sa prééminence n’est pas encore très établie (#, Vingt ans après, saint Jean Chrysostome donne des chiffres qui permettent d'évaluer sa population à quelque 120.000 habitants et celle d’Antioche à moins de 200.000, tandis que Libanios estimait en 363 la population d’Antioche à 150.000 habitants ©. Si Constantinople est une très grande ville, elle n'est donc pas encore la plus grande. Est-elle la plus importante ? Ce n’est pas encore certain, car les empereurs l’ont souvent quittée pour séjourner à Antioche ®. Il est vrai qu'ils ont commencé à la couvrir de monuments. Constantin lui a donné une enceinte, un palais, des forums, des églises. Constance a ajouté des thermes, des portiques, une bibliothèque ainsi que Sainte-Sophie, tandis que Valens l’a dotée d’un

aqueduc,

mais

les plus grands

travaux

seront

l’œuvre

de

Théodose et de ses successeurs. C’est donc dans une ville en plein développement qu'arrive Grégoire. Mais, si Constantinople est promise à un destin exceptionnel, elle n’est pas sans rivale. Ajoutons qu’une cité aussi récente, soumise à un rythme d’accroissement de population aussi intense que l’a été Constantinople au Iv* siècle a nécessairement une population très mêlée. L'élément païen y est depuis les origines très minoritaire et en cela la ville ressemble à Antioche ou Alexandrie, mais les sectes chrétiennes y sont nombreuses. Telle est donc la ville où Grégoire arrive dans les premiers mois de 379 pour y remplir des fonctions mal définies. Il possède le caractère épiscopal et il est assisté d’un clergé qui comprend (3) D. XLIII, 497 A. Gallay a groupé, p. 135, n. 4, tous les textes de Grégoire ou des historiens ecclésiastiques où il est question des auteurs, fidèles et évêques, de l’appel lancé à Grégoire. (4) Sur la topographie de Constantinople, cf. DAC, s. v. Byzance et R. Janin, Constantinople byzantine, Paris, 1950 et La géographie ecclésiastique de

l'embire byzantin, 1, Le siège de Constantinople et le patriarcat œæcuménique, tome III, Les églises et les monastères, Paris, 1953. (5) J. Chr, PG LX 97 et L. 591; Libanios, ép. 1119. L'importance numérique de la population de Constantinople a fait l’objet de nombreuses évaluations. On consultera E. Stein, Histoire du Bas-Embpire, t. I, p. 127, n. 194 et, en dernier lieu, l’article de D. Jacoby, La bopulation de Constantinople à l’époque byzantine : uni problème de démographie urbaine, Byz. XXXI (1961), 81-109, où on trouvera une bibliographie complète de la question. Ecartant les données fournies par saint Jean Chrysostome, Jacoby s'arrête aux chiffres

de 87.500

habitants

à la fin du règne de Constantin

et de 188.000 à

la fin de celui de Théodose Il. Cela donnerait un peu plus de 140.000 à l'avènement de Théodose. (6) De 337 à 393, les empereurs ont résidé à Antioche pendant plus de dix ans. Sur la rivalité d’Antioche et de Constantinople au 1v° siècle, voir P. Petit, Libanius et la vie municipale à Antioche, pp. 167-169. Le même auteur estime la population d’Antioche à un total de 500.000 habitants (pp. 310-311). |

LA

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pagné ou qu'il sans doute, à côté de Cappadociens qui l'ont accom Constantinople de aires origin tre peut-ê a fait venir, d’autres prêtres, et mouvant de mêlé ère caract le donné Etant ou venus d’ailleurs. pas étonnant serait ne la population, de l'attrait exercé par la ville, il ngers. Si le d'étra sé compo t que ce clergé ait été lui aussi surtou prêtres onne menti le, ntinop Consta à rédigé testament de Grégoire, , pagné accom ou diacres cappadociens qui l'avaient sans doute le que ble proba très est il et l’usurpateur Maxime est un étranger un pas n'était cité compli sa de r dernie ce prêtre qui fit bénéficier cappadocien. r Quant aux fidèles qui vinrent se joindre à Grégoire et recevoi leur mais début, au ux son enseignement, ils étaient peu nombre vennombre devait s’accroître par la suite, avant même que l'inter le ntinop Consta de l’église de tête la à mis l'ait se tion de Théodo Saintsdes ue basiliq tout entière 5"). En attendant, ce n’est pas la Apôtres, aux mains des ariens, qui accueille le nouveau venu, mais un local modeste et improvisé. Il avait reçu l'hospitalité d’une it, famille amie, et même parente : « Une maison nous accueill la de celle comme fut Elle maison pieuse et amie de Dieu. des étaient qui gens des à nait apparte Elle Sunamite pour Elisée. üv vè parents par le sang, comme ils l'étaient par l’esprit (ovyyev eux chez C’est ité. généros oûua, ouyyevüv rd rwedua). Tout y était lait dissimu qui maison leur c’est formé, s'est que ce troupeau encore la foi persécutée, non sans crainte ni danger » (. C’est donc une salle de cette demeure qui devint la chapelle de l’Anastasia où Grégoire officia et prêcha jusqu'au 27 novembre 380, jour où Théodose en personne l’installa dans l'église des Saints-Apôtres. R. Janin l’a localisée, en montrant que les indications, apparemment divergentes, données par Socrate, Sozomène et les patriographes byzantins, concordent en fait. L’Anastasia était située au carrefour formé par la Mésé et le Long Portique de Maurianos. La section de la Mésé dont il s’agit est celle qui unissait le Forum de Constantin au Forum Tauri, le portique de Maurianos, qui lui était à peu près perpendiculaire, descendant vers le nord en direction de la Corne d'Or. Il s'agissait donc d’un quartier très central, situé sur les hauteurs de la ville (®).

La plus grande partie, 17 sur 22, des discours prêchés par Grégoire à Constantinople l'ont été dans ce cadre. On aimerait

pouvoir se représenter cette salle que Grégoire évoquera plus tard dans un de ses poèmes ®. Peu après son départ de Constantinople, il décrira la vision, qui s'était présentée à lui au cours d’un songe, de l’Anastasia de ses débuts, du clergé qui l’entourait, revêtu de vêtements brillants, de la foule qui se pressait contre les cancels. (6) (7) (8) (9)

Discours XXVI, 1229 BC et Poème XVI (PG XXXVIII, 1103, v. 1084). Discours XXVI, 1249 BC. Les églises et les monastères, pp. 26-29. Poème II, 1, 16, 1254-1261.

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Ï reverra son public d'alors, partagé en deux catégories : les simples et ceux qui venaient chercher une prédication à la fois brillante et nourrie. L'évocation reste floue. Sans doute s’agissait-il d'un monument de proportions restreintes, non seulement par rapport aux Saint-Apôtres, mais encore en comparaison des églises cappadociennes qui lui étaient familières. Une salle qui avait été prévue pour une autre destination risque de ne pas avoir été d’un

usage très commode. S’agissait-il d’une basilique privée attenante au palais de quelque important personnage ? On ne saurait l’affirmer avec certitude. En tout cas, sa contenance ne saurait guère s'être étendue au delà de quelques centaines de personnes. C’est dire que Grégoire avait affaire à des auditoires plus restreints qu'autrefois en Cappadoce, même s'ils étaient à bien des égards plus mêlés et sans doute plus cultivés, plus exigeants aussi.

C'est dire aussi que la famille susceptible de mettre à sa disposition un pareil local et d’affronter le ressentiment des ariens devait être riche et puissante; on n’oubliera pas qu’elle était apparentée à l’évêque qu’elle contribuait à installer à la tête de l’église de Constantinople.

A. —

LES DISCOURS DE 379

1. Un sermon de 379 publié en 381 (0) Se référant à une déclaration du Poème autobiographique où Grégoire distingue rétrospectivement six étapes dans son séjour à Constantinople, Gallay estime qu'aucun discours de la première de ces périodes ne nous est parvenu (1), En effet, cette période, qui s'étend de larrivée de Grégoire à Constantinople jusqu’à Pâques 379 (21 avril), se caractérise, à en croire le prédicateur luimême, par des attaques de la part des ariens, attaques où l'accusation de prêcher un trithéisme figurait en bonne place (2. On peut se demander si le Discours XXII pouvait échapper, comme semble le croire Gallay, à l'accusation arienne de trithéisme. On y lit en toutes lettres une invitation à «adorer (xpooxuveiv) le Père, le Fils et l'Esprit saint, l'unique divinité et puissance dans les trois

(rhv piav ëv roïc rpuot Oeérnra) » (13). L’argument

ne nous empê-

cherait donc pas de situer ce discours parmi les premiers de cette période, mais d’autres indices établissent qu’il date de toute façon (10) (11)

PG XXXV, 1132-1152. Pp. 137-139. Cf. Pième autobiographique, v. 652-1949 (1074-1166).

(42)

Ibid.,

1074,

v.

654-655 : « D'abord,

la ville

entra

en

effervescence

contre nous, sous prétexte qu'à la place d’un Dieu unique, nous en introduisions plusieurs ».

(13)

1144 C.

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tantinople #. La première du début du séjour de Grégoire à Cons la nuit de Pâques par une dans eva étape du séjour de Grégoire s'ach monies du baptême auxattaque des ariens venus troubler les céré (1. Plus tard apparurent quelles Grégoire était en train de procéder , les uns étant partisans oire Grég des dissensions parmi les fidèles de l'affaire du schisme de Mélèce, les autres de Paulin dans ble rivalité grandit parmi d’Antioche (15) : « Ensuite (ëxa72) une terri quel Paul ou quel sais ne les miens : ils me tirent vers je e très précisément réfèr se XXII ours Disc Apollos » 47. Comme le stasia à propos du aux querelles surgies entre fidèles de l’Ana d'en tirer argument n raiso schisme d’Antioche (#, Gallay a eu événement. cet suivi ont qui mois pour dater ce discours des est le plus ancien Dans ces conditions, le Discours XXII cation de Grégoire prédi la de rvé conse témoignage que nous ayons ucune trace écrite soit à Constantinople. Nous regretterons qu'a r et ce nouvel audicateu restée du premier contact entre le prédi er un parallèle toire :il n’eût pas manqué d'intérêt de pouvoir dressurs d'adieu (°). disco son et ire Grégo de ivée d'arr entre les paroles fournit au Le sermon suit le baiser de la paix, et la paix nt (°). gneme ensei prédicateur le sujet de ses méditations et de son puisse ne paix de mot ce Non point la paix des armes, encore que sans 379 année cette de nt coura le dans être prononcé en Thrace menace la et Goths des sion l'inva par s semée ruines évoquer les ire ne s’attarde qu'ils continuent à faire peser. Curieusement Grégo s de la vie mépri par ou ance ignor par pas sur ce sujet : Est-ce e sensible homm d’un part la de ble proba peu C’est ? quotidienne contre les Julien de gne et qui avait su s'intéresser à la campa été grave, avait tre désas le si que, Perses 2). On croirait plutôt attendant en 379, en her relâc se re paraît it pouva e en 378, la menac ne de romai fierté la cas Finvasion de 380. Nous relèverons en tout et les églises (44) L'invasion gothique est encore toute proche (1133 A) est donc antérieur au sont encore aux mains des ariens (1140 D) : le discours 27 novembre 380. parle des pierres (45). Au vers 665 du Poème autobiographique, Grégoire Lettre

ion. La qu'il avait reçues des ariens à cause de cette première prédicat la nuit de Pâques LXX VIT (141 C) situe avec plus de précision cet incident dans est probable que Il

(21 avril) 379, pendant que Grégoire conférait le baptême. des mendiants, était ’attaque arienne, conduite par des moines, des vierges et fait qu’en conférant moins motivée par la prédication de Grégoire que par le . d’évêque acte faisait il pascale, nuit la le baptême dans les partisans (7) Le schisme d’Antioche durait depuis 362. Il opposait consacré en 362 Paulin, de ceux et 358, depuis ville la de évêque de Mélèce, L'ensemble des évêépar un évêque occidental de passage, Lucifer de Calaris. ne reconnaissaient s Egyptien et aux occident Mélèce, ques orientaux soutenait 1905. que Paulin. Voir F. Cavallera, Le schisme d’Antioche, Paris,

(47) (18) 9) (20) (21)

Poème autobiographique, v. 679-680 (1076). 1045 C, 1048 A. D. XLII. 1132 A. D. Y.

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Grégoire : les vaincus de 378 ont été les vainqueurs du monde, en conséquence leur défaite a une autre cause que l'incapacité militaire des troupes romaines, elle est un châtiment de Dieu motivé par les progrès de l’impiété arienne 2. Remarquons que le diocèse de Thrace, qui avait seul souffert de la guerre, était aussi un de ceux où l’arianisme avait fait le plus de progrès (23). Il est sûr en tout cas que Grégoire n’a pas l'impression que la guerre ait atteint la force romaine ni que l'Etat soit affaibli pour une cause quelconque. Bien au contraire, il souligne le contraste qui règne entre la désunion des chrétiens et l’ordre établi partout ailleurs dans le domaine politique, ainsi que la concorde, jusque dans les milieux universitaires ou intellectuels 24. Dans le domaine religieux au contraire, la fin des persécutions a donné le signal d’une décadence : lorsque on nous faisait la guerre, les persécutions nous renforçaient et nous unissaient, mais notre union a consacré notre ruine » (5), Des conflits ont éclaté immédiatement entre chrétiens et même entre orthodôxes (#5), et les débats de doctrine cachent des motifs moins avouables : l'amour du pouvoir ou de l'argent, la jalousie, la haine, le dédain. « Quand on nous arrête, nous faisons les pieux et les orthodoxes et nous mentons en cherchant dans la vérité un recours, sous le prétexte que c’est pour défendre la foi que nous nous insurgeons » (7). Il y a cependant une catégorie de chrétiens que Grégoire affectionne et dont il déplore que sa sainteté de vie ne la mette pas à l'abri des critiques intéressées et mensongères : il s’agit de ces moines dont il esquisse +oBévov la silhouette. Ils portent la même ceinture et le même sombre ou noir qui affiche la dignité de leur vie: leur visage est pâle, ils ont la voix douce et le débit réglé, la démarche grave (2). D'où viennent les critiques qui affectent ces ascètes ? Le contexte montre que c’est à l’intérieur même de la communauté orthodoxe que les choses se passent ainsi. Ce sont des moines orthodnxes qui ont cessé de plaire à certains pour des motifs qui, au moins apparemment, concernent la foi. Les critiques ne peuvent guère venir du clergé de Grégoire, réduit à sa plus simple expression, ni des rangs mêmes des moines, puisque Grégoire les met tout à fait à part de la décadence générale des mœurs chrétiennes (2). Elles émanent sans doute de fidèles qui prennent parti soit dans la (22) «Cela n'est pas dû au manque de courage des combattants : que personne ne les accuse, car ce sont eux qui ont soumis l’univers presque tout entier » (1133 A). (23) J.-R. Palanque, G. Bardy et P. de Labriolle, De la paix constantinienne à la mort de Théodose, p. 286. (24) 1133 BD. (25) 1133 B. (26) 1136 B. (27) 1136 C. Ci. 1149 C. (28) 1137 A. (29) 1137 A. On a cependant noté plus haut que des moines figuraient parmi les ariens qui avaient envahi l’Anastasia au cours de la nuit de Noël 379.

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puisque Grégoire querelle d’Antioche (probablement pour Paulin, ique d’Apollinaire, soutient Mélèce), soit pour la doctrine christolog s. moine et qui se sont heurtés à l'opposition des discipline de Ce que Grégoire déplore, c’est que l'ancienne aires aboutrinit les querel les l'arcane se soit relâchée au point que christiadu même is ennem les que et tissent sur la place publique C'est 0). ents argum des nt trouve y tre, connaî en à nisme, appelés où ons divisi ces de u avec une sombre ardeur qu’il brosse le tablea les où ie tragéd La 6). christ l'Anté il voit le prélude à la venue de de leurs chrétiens se débattent inconsciemment excite les rires « nous ession l'expr ennemis et peut-être faut-il prendre à la lettre ître appara à ncent comme Ici (®). » avons fourni matière au théâtre que Ce le. ntinop Consta de en chréti milieu du les particularités goût un c’est le, Grégoire reproche aux habitants de Constantinop se jouer particulièrement développé pour l'ironie qui les conduit à l, les généra climat ce Dans %%. tout de comme des choses divines ni argent ni n’ont ils car n, dérisio de objet un sont oxes orthod des ies moquer des victime Grégoire lui-même est églises. les ariens 4. Quelles que soient les critiques portées contre peu le spectac le par étayées sont qu’elles juge e Grégoir s, chrétien édifiant que donne une grande partie de l'épiscopat : «d’autres mettent en cause la loi (du Christ) elle-même, comme maîtresse de vice, surtout quand ils rencontrent tant de scélérats parmi ceux qui ont revêtus de l'autorité » (5), Avant de conclure, Grégoire va passer en revue les principales hérésies qui divisent les chrétiens pour terminer par l’hérésie apollinariste, qu’il ne nomme d’ailleurs pas expressément et qu'il traite avec modération, en l'appelant «la querelle fraternelle qui s'est récemment élevée parmi nous »%), mais qu'il condamne avec netteté.

L'autre motif de discorde trouve sa source dans le schisme d’Antioche. Ni Mélèce ni Paulin ne sont nommés, mais il est clair que c’est à l'affaire d'Antioche que pense Grégoire, lorsqu'il déplore que des rivalités de sièges divisent les orthodoxes en camps ennemis 47. Il est bien vrai que, comme l’affirme Grégoire, l'affaire d’Antioche opposait l'Orient et l'Occident 9. Déjà Basile avait multiplié sans succès les initiatives en vue de réduire cette (30) (31) (32) (33) (34) (35) (36) (37) (38)

1137 1140 1140 Ibid. Ibid. 1144 1145 1145 1148

C. AB. C.

A. AB. C. A.

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opposition %). L'amertume que Grégoire conçoit en constatant les répercussions de ce conflit parmi les fidèles de l'Anastasia est aisément concevable. Que le premier sermon de Constantinople fasse une place importante à une querelle qui deux ans plus tard devait rebondir avec vigueur au cours du concile montre à quel point elle était grave. On peut se demander pourtant si telle façon de s'exprimer date bien de 379. Grégoire s’écrie en effet : « Tout ce qui est pacifique et modéré est en butte au mépris ou aux attaques des deux camps. C’est ce qui nous arrive, à nous aussi aujourd’hui, nous qui formulons cette accusation et qui avons reçu pour ce motif cette chaire exposée aux combats et à l'envie. Il n’y aurait rien d'étonnant si nous étions broyés par les uns et les autres, si on nous écartait du milieu après tant de sueurs et de peines, pour qu'ils puissent se frapper de près en y mettant tout leur cœur, sans que séparation ou obstacle vienne s’interposer » (4). Nous ne pensons pas que l’homme qui s'exprime ainsi puisse

être l’obscur prédicateur des débuts de l’Anastasia, qui est loin d'occuper une chaire et qui ne saurait à cette date faire figure d’obstacle entre cet Orient et cet Occident ennemis dont le prédicateur vient à l'instant d'évoquer l’antagonisme. Grégoire a remanié son discours à une date ultérieure et introduit à cette occasion un développement qui se ressent des discussions du concile sur la succession de Mélèce. A quel moment s'est-il livré à ce travail ? On ne peut exclure qu’il soit l’œuvre des dernières années et qu'il ait alors comme projeté dans le passé le conflit de 381. Opération à vrai dire bien gratuite et qui introduirait sans motif une certaine incohérence dans l’œuvre. On croirait plus volontiers qu'au moment où la disparition de Mélèce posait en termes nouveaux le problème d’Antioche, Grégoire a voulu atteindre l’opinion publique en publiant une sorte de manifeste sur la concorde. Il à utilisé pour cela un texte de 379 en amplifiant considérablement ce qui concernait le schisme d’Antioche. La maladie qui l’a tenu alors momentanément en dehors des débats pourrait l'avoir incité à recourir à cette méthode. La fin de ce discours n’est donc pas l’œuvre du desservant de l'Anastasia, mais bien du président du deuxième concile œcuménique.

La péroraison fait entendre un nouvel appel à la concorde, objectif qui sera atteint si chacun modère ses prétentions (4). Pour la première fois dans ce discours Grégoire interpelle ses auditeurs, mais c’est pour attester qu’il a rempli son devoir en les instruisant. Ce ton désabusé et assez pessimiste montre qu’il n’a aucune illusion sur la gravité du mal qu’il combat. Ce pessimisme, ainsi que la mise de ces rivalités de siège au compte de l'amour de la gloire ou de l'argent #). reflète davantage la situation de 381 (39) M. Richard, Saint Basile et la mission du diacre Sabinus, AB, LXVII (1949) 178-202. (40) 1148 AB. (41) 1149 D.

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que la querelle que celle du début de 379. Il n’en reste pas moins communauté la : nt mome ce dès éclaté à Constantinople avait divisée. chrétienne de l’Anastasia était elle-même très L]

9, Un sermon-brogramme

4

(#3), si nous Proche du Discours XXII est le Discours XXXIIGallay après par oppés dével ents argum aux rangeons

nous été avancés par Sinko 4. En effet, les motifs qui avaient 381, ou, par les à jusqu' date la Tillemont pour en repousser la conviction. pas nt raîne n’ent 380 de milieu ’au Bénédictions, jusqu au début, figure qui La mention d’une « assemblée nombreuse »#), tasia. l’Anas de int restre e encor peut fort bien convenir à l'auditoire rime s'exp ire Grégo où aison péror la de ge De même, le passa ne tent l’écou qui comme si des magistrats figuraient parmi ceux e rieur posté soit urs disco du signifie pas nécessairement que la date des que exclu pas n’est il ment seule non au 27 novembre 380 : encore magistrats aient pu fréquenter l'Anastasia, mais il faut rieur l’inté à place prend trat remarquer que ce terme de magis caprédi le où re oratoi fait à tout tère d'une énumération de carac pour ir voulo sans es, social ories catég les toutes à sse teur s'adre dans les autant se limiter aux personnes effectivement présentes rangs de l'assistance (4). En revanche, divers signes correspondent mieux à la période pas initiale du séjour de Grégoire à Constantinople, Ce n’est asia, l’Anast de teur prédica le mais l’évêque reconnu de la capitale, encore qui déclare : Je suis un pasteur petit et pauvre qui n’a pas l'agrément des autres pasteurs » (41), D'autre part, les expressions qui font allusion aux divisions des fidèles correspondent à celles que l’on rencotre aux vers 679-683 du Poème autobiographique. Or, dans ce dernier passage, Grégoire, distinguant les six étapes successives de son séjour à Constantinople, situe querelles et dissenssions de ses propres fidèles dans le courant de la deuxième

de ces périodes, après ses premières prédications et avant l'affaire de Maxime. Enfin, on a noté la formule qui conclut l’exorde : « Je m’efforcerai pourtant, dans la mesure de mes moyens, de ne pas dérober la grâce que j'ai reçue, de ne pas placer la lampe sous le boisseau et de ne pas laisser le talent enfoui, reproche que jai souvent entendu dans votre bouche qui m’accusait d’inaction et supportait mal mon silence, mais de vous instruire par des paroles (42) (43)

1149 C. PG XXXVI, 171-212.

(44) Les arguments de Sinko complétés par Gallay, pp. 143-145).

(45) 173 A. (46) 212 C. (47) 173 A.

(De traditione,

I, pp.

36-33) sont repris et

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de vérité et de vous mettre en accord avec PEsprit » (4), Sinko et Gallay ont vu dans ce langage la preuve que Grégoire n'avait pas

encore pu donner sur la Trinité l’enseignement systématique que

feront connaître en 380 les Discours théologiques.

La conclusion

est iuste et il est également vrai aue l'emploi du mat

éurépeuuo(49)

pour désigner sa prédication est un indice que Grégoire fait encore figure de nouveau venu à Constantinople. Il faut cependant prendre garde aussi que ses ouailles ont eu le temps de lui reprocher son silence et qu’elles ont eu le loisir de le faire à plusieurs reprises (toxic) 50) : cela suppose que quelques mois se sont écoulés entre l’arrivée de Grégoire à Constantinople et la date où il prononce le discours que nous sommes en train d'étudier. C'est devant une assistance nombreuse qu’il prend la parole; il prend plaisir à le mentionner, même si cette affluence exceptionnelle reste en rapport avec le cadre modeste de l’Anastasia. La circonstance qui est à l’origine de cet afilux est des plus traditionnelles : c’est une fête de martyrs qui en est la cause 61. De ces martyrs nOUs ne saurons rien, pas même le nom. Leur fête coïncide avec un jour de marché et «loccasion est particulièrement favorable pour faire des affaires 2), Il est donc probable que figurent dans l'assistance des fidèles venus des localités voisines de Constantinople, de la campagne en particulier, et peut-être de l'autre côté du Bosphore. Il n’est pas possible qu’il s’agisse d’une fête particulière à la communauté orthodoxe : si un marché se tient, c’est que la majorité des fidèles qui fréquentent les églises ariennes la fêtent aussi. Cela contribue pour une part à expliquer le silence de Grégoire sur les martyrs dont il célèbre la mémoire. Le culte des martyrs se déroule dans les martyria et il est bien évident que Grégoire et ses ouailles n'avaient pas accès à des bâtiments administrés par le clergé arien de la ville. Au surplus, on sait que Constantin avait pris l'initiative de déposer des reliques à l’intérieur même de la ville de Constantinople. La fête dont il est ici question se déroulait probablement dans l’enceinte d’une église desservie par le clergé de Démophile.

On peut se demander si un des motifs qui ont guidé Grégoire dans le choix de son sujet n’est pas de détourner l'attention de la situation un peu humiliante où il se trouvait réduit par cette mise à l'écart. Mais, à n’en pas douter, l'intention majeure de Grégoire est de mettre à profit une occasion où l’auditoire sera particulièrement nombreux pour adresser à la communauté la leçon qui lui paraît la plus adaptée aux circonstances et la mettre en garde contre l’amour de la dispute théologique. Dans cette perspective, (48) 176 A. (49) 173 A. (50) 176 A. (51) Ibid. (62) 173 A.

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enseignement propédeutique. un tel discours se présente comme un trinitaire dans toute son rine doct la Avant d’enseigner. aux fidèles doit être leur état d’esprit ampleur, il importe de leur expliquer quel qu’ils ont à jouer en tant en face de ces questions, quel est le rôle assez bien au premier nd espo corr que simples fidèles. Le discours une période d'obseraprès fixer se pu obiectif que Grégoire avait vation de son nouveau champ d’action. donc aucune place L'honneur à-rendre aux martyrs ne tient définit exactement le il dans ses préoccupations (5 ; son souci, en rétablissant eurs audit ses à d'entrée de jeu: il veut être utile bannir les veut il paix, la le appel qu'il parmi eux le calme, ce ur de chale une à e divisions 6. Ces divisions, Grégoire les imput n et lexio irréf te funes une à tempérament, bonne en soi, mais liée sans pas n’est Ce 55. ité témér la drent à une ignorance qui engen Il a utent. l’'éco qui précaution qu'il entreprend de morigéner ceux t. saven le qui et ts arden fs, conscience d'être en face de gens émoti lle laque pour , même r ardeu cette er Il se garde donc bien d'incrimin orance qui l’accomil n’a que des éloges, réservant ses traits à l'ign docien en matière cappa pagne et la corrompt. Et l'expérience du l’hippodrome des de s chose les pour hippique rencontre le goût empruntée à son arai comp cette dans ople antin habitants de Const généreux, Si et t arden l'équitation : «Il faut bien qu'un cheval soit se ; mais ce cour la dans ou at comb on veut le voir triompher au dressé par pas t n'étai s’il bon de rien rait donne même cheval ne nait la appre lui le frein et si un entraînement méthodique ne douceur » 5). nt les Sur la nature et l'étendue des divisions qui sépare sont Elles . prolixe plus oup beauc pas chrétiens, Grégoire ne sera ent seulem non ; selles univer les, généra sont elles profondes 7), nuent s’insi elles mais elles frappent le monde chrétien tout entier, exemples jusqu'au sein des maisons et des familles 58. En fait, les tent ses sorien ion direct quelle dans oir entrev t donnés laissen ques atoma pneum aux préoccupations. C’est aux apollinaristes et celles sont ce upent, préocc le qui ons qu'il pense surtout. Les divisi LR fidèles s propre ses qui atteignent Ce n’est donc pas aujourd’hui que le prédicateur va leur et donner, sur le problème trinitaire, l’enseignement systématique (%). nce véhéme avec nt réclame qu'ils et besoin ont ils complet dont #

(53) (54) (55) (56) (57) (58) (59) (60)

176 A. 176 B. 176 D. 177 A. Grégoire emploie à leur sujet le mot rapayn (476 D). 177 B. 180 A. 176 A.

SAINT GRÉGOIRE

Les formules qu'il utilise demeure

DE NAZIANZE

concises.

151

Observons qu’elles

sont plus nettes en ce qui concerne le Saint-Esprit que vis-à-vis de la christologie apollinariste. Reprenant une expression du

D. XXII ïl affirme «le caractère unique de la divinité et de la gloire des trois » (1), D’une façon plus précise et plus développée, il oppose aux croyances variées relatives au Fils et au Saint-Esprit la doctrine à laquelle il faut adhérer. «Ce qu'il faut, c’est reconnaître un Dieu Père qui n’a pas de commencement et qui n’est pas engendré, un Fils engendré du Père, un Esprit qui tient l'être de Dieu, qui laisse au Père la propriété d’être inengendré et au Fils celle d’être engendré, qui pour le reste partage la même nature, le même trône, la même gloire et le même honneur » (62. Ce qui préoccupe Grégoire, c’est d’asseoir au préalable son autorité doctrinale. D’une façon un peu curieuse, il recourt d’abord dans ce but à la notion philosophique d’ordre ( ré: ). Il entonne un véritable hymne en l’honneur de cet ordre qui a été voulu par Dieu à l’origine dans tous les domaines (6%. Un long développement expose ce principe et ce n’est qu’au terme de cet exposé qu’apparaît la conclusion que cet ordre universel doit aussi s'appliquer à l'Eglise. A partir de là, c’est en des termes inspirés de saint Paul que Grégoire examine l’ordre qui doit régner dans l’Eglise (64). L'Eglise est le corps du Christ, les chrétiens en sont les membres. Ici apparaît un léger gauchissement de la pensée paulinienne, Grégoire accentuant la différence qui existe entre ceux qui ont pour fonction de commander et ceux dont tout le devoir est d’obéir. Non seulement un certain cléricalisme se manifeste dans ces lignes, puisque Grégoire ne reconnaît plus que deux catégories de membres, ceux qui obéissent et ceux qui commandent, — ces derniers, et non plus le Christ, figurant la tête, — mais encore la diversité de fonctions toutes subordonnées au Christ, qu’envisage saint Paul est remplacée par une hiérarchie de préséances où la signification chrétienne de l’autorité n’est éclairée par aucun rappel de la notion fondamentale de service. Il ne faut certes pas faire dire à ce texte plus qu'il ne signifie, car les paroles de Grégoire doivent être replacées dans leur contexte. Ayant affaire à une communauté chrétienne divisée à l'excès par des discussions théologiques où l’ardeur et les prétentions aussi bien intellectuelles que spirituelles des uns et des autres dépassaient les capacités réelles, il était normal qu’il insistât sur la prééminence des pasteurs. Il est plus important pour nous de saisir le mécanisme par lequel un certain type de cléricalisme était en train de s’introduire. Nous pouvons le définir en la circonstance comme une réaction de (61) 197 © : rhv piav èv rois tool OebTnra ai Aaurpornra 4144 C : rhv uiav ëv roîc torol Oedrnra te xx SÜvouv

(62) 180 B. (63) 181 BC, 185 B. (64)

185 C. Cf. I Cor XIE sq.

Cf.

D.

XXII.

LA

152

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

devant un dérègledéfense des chefs de la communauté chrétienne du] discours nous suite La . nauté commu cette la vie de dans PUS ment . . . » Ye . 4 r ement. dérègl ce ait consist quoi en aidera à mieux définir re veut Où se situe la ligne de démarcation que Grégoi

ient de se instituer ? Elle sépare les fidèles du clergé, à qui il appart ument absol e réserv livrer à la théologie. Ce n'est pas que Grégoire y a des

qu’il au clergé le droit de parler de Dieu. II déclare en effet ( Stxaooivn) cation justifi La (65), enne chréti vie degrés dans la

le salut s'obtient au prix de la foi seule (rè rioreïout uévov), mais sion confes la mais foi, la ent seulem (cormplx 8è mavrexic) requiert non ne foi la de ue publiq sion confes Cette ou). publique (rè xx éuoroyñ doit être donnée

requête

que dans la mesure

extérieure

précise,

el note

où elle fait l'objet d’une

Taÿrnv

&rournfeine

(66),

ce

qui

y a un s'applique à la cérémonie du baptême et au martyre. Il mais divine, gloire la de ssance connai la est qui degré, troisième r aborde à e réserv e Grégoire estime qu’on doit mettre une extrêm tion discré grande une rver d'obse tenu cette étape et qu’on est quand il s’agit de rendre compte d’une telle expérience (97. Si les fidèles peuvent accéder à ce haut degré de foi, Grégoire estime dans le fond que c’est affaire entre Dieu et eux et qu’il ne leur appartient pas d’en parler. Parler de Dieu au delà de la simple confession de la foi, cela revient au clergé. Ce terme doit être entendu ici dans son sens le plus restreint. Il désigne l’évêque et ceux qui siègent à ses côtés. « Vous ne savez pas, frères, ce que nous avons à affronter, nous qui siègeons ici d’une façon ausi imposante et qui formulons ces prescriptions à la foule que vous constituez... Vous ne savez pas quel présent de la part de Dieu est le silence et le fait de ne pas être contraint de prendre la parole, de façon telle qu'on peut soit choisir de parler soit s’y refuser et qu’on s’impartit à soi-même la parole et le silence » (#. Plus loin il dira: « Celui qui est humble à mes yeux... c’est celui qui s'exprime peu et avec modération (uerplwc) au sujet de Dieu... et qui cède la parole à celui qui en a reçu la charge» (9). Le souci de tenir les laïcs en dehors des débats théologiques aboutit donc à les détourner de s’entretenir de leur foi et ne leur permet guère de suivre le précepte de saint Paul en s’édifiant mutuellement (0). Il ne s'agit pas seulement d'éviter que les discussions théologiques ne dégénèrent en tombant sur un plan purement intellectuel, faute de ferveur chrétienne chez ceux qui s'y livreraient, le danger ne semble pas être particulièrement là aux yeux de Grégoire. Il énumère en effet larmes, les pratiques ascétiques classiques, agenouillements, jeûnes, veilles, couchers sur le sol, auxquelles se livrent des gens (65) (66) (67) (68) (69) (70)

204 A. 200 A. Ib. 189 B. 196 BC. Romains, XIV, 19; XV, 14; 1 Thess., V, Il.

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE

153

qui devraient à ses yeux être plus réservés sur les questions théologiques (D, Il est donc très probable que Grégoire demande

la même réserve aux moines.

Tous les membres du clergé pourront-ils en revanche s'exprimer librement sur ces sujets ? On ne sera pas étonné de voir Grégoire poser là encore des limites (72. La recherche théologique, car c’est de cela qu'il s’agit, doit être réservée à certains, plus sereins de tempérament et surtout mieux formés (7%. Car finalement, la préoccupation fondamentale de Grégoire semble être de réserver la spéculation théologique aux évêques et aux prêtres qui ont la pratique de la contemplation. Celle-ci est un don de Dieu : tous ne le possèdent pas (4. Mais la contemplation ne suffit pas non plus : il faut encore la science (oùv 67e xat émiorfun) (5), Il n’est pas difficile de discerner ce que Grégoire entend ici par science. Ïl ne s’agit pas de l’Ecriture, qui est le bien de tous les chrétiens Voir mais de la rhétorique et de la philosophie. Sur le chapitre de la rhétorique, Grégoire est assez bref (77), Ce n’est pas qu'il minimise

son importance, mais ce que nous savons de l’enseignement du

temps nous permet de penser que ce n'est pas la pratique de la rhétorique qui devait manquer autour de lui. En revanche, il semble attacher une grande importance à la culture philosophique, à tel point qu'on le voit esquisser le programme des études philosophiques qui lui paraissent nécessaires au théologien. Ce dernier doit d’abord conaître l’histoire des doctrines philosophiques (7). Grégoire nomme Pyrrhon, Chrysippe, Aristote et Platon. Il a beau le faire en associant des termes péjoratifs à ces noms et en regrettant en particulier l'invasion des doctrines platoniciennes dans la pensée chrétienne, il n’en juge pas moins la connaissance de ces doctrines comme indispensable au théologien. Il faudra ensuite aborder l’étude systématique de la logique et de la physique. Il est relativement bref, mais précis, sur cette dernière qui doit comprendre l'étude de la nature (y5ox), de l'astronomie {ximoic oùpavod al TéËic &otépuv), le mélange des otouxeiwv) la zoologie (tCéwv BSixpopat), enfin les droBdoers xat drepOéoexc.

L'ensemble

constitue

le

éléments (uiërc GSuvéueuv oùpaviov

Onutovpytxdcs A6 Yo (79),

Mais c’est à la logique que Grégoire semble attacher la plus grande importance, en lui consacrant un important paragraphe, placé sous

l'égide

du yv&6 oavrév,

problèmes

qui se

où il énumère

posent

au

théoricien

certain

un

de

nombre

de

la connaissance :

(71) 196 BC. (72) Remarquons que Grégoire consacre un pasage relativement long à la hiérarchie interne du groupe des apôtres (193 C - 196 B) : aucune allusion pourtant à la primauté romaine. (73) 209 CD - 212 A. (74) 201 B. (75) Ibid.

LA

154

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DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

problème de la perception visuelle, problème du mouvement considéré sous l'angle psychologique, problème de la sensation, problèmes de la mémoire, du raisonnement et du langage, problèmes de l’âme et du corps, des divers sentiments, de la hiérarchie des facultés... Pourquoi cet étalage ? Deux raisons pourraient le motiver. D'une part Grégoire s'efforce de décourager les théologiens amateurs : faire prendre conscience à ces derniers de leur impréparation, de leur ignorance en matière philosophique est de bonne méthode. Dans une certaine mesure, cela confirmerait que la formation philosophique de ceux de ses fidèles qui s'essayaient à la théologie était restée rudimentaire et d’un niveau inférieur à leur pratique de la rhétorique comme à leur connaissance de l’Ecriture. D’un autre côté, il est permis de se demander si Grégoire ne fait pas parade de ses connaissance philosophiques comme de sa virtuosité oratoire dans le but d’impressionner et de séduire un public blasé, difficile, orgueilleux de sa culture. Ne peut-on voir aussi dans un tel langage l’expression du regret de Grégoire devant l'impréparation intellectuelle du clergé à sa tâche et le vœu implicite de voir celui-ci acquérir une formation philosophique sans se borner à la connaissance de l’Ecriture alliée bien souvent, mais pas toujours, à l'entraînement de la parole ? Cette importance accordée à la philosophie dans la culture fait écho au traité bien connu de saint Basile intitulé Aux jeunes gens. Sur la

manière de tirer profit des lettres helléniques 9). Est-ce à dire que Grégoire veuille proposer quelque gnose ?

Bien au contraire, il veut convaincre son auditoire de s’en tenir à l'enseignement traditionnel sans rechercher la nouveauté, conduite inspiré par le désir de se tailler une réputation, et il affirme avec vigueur que le salut ne saurait être réservé aux doctes: « Rien ne serait plus injuste que notre foi, mes frères, si elle ne descendait que chez les savants, chez ceux qui sont habiles à parler et à manier les démonstrations logiques, et si la multitude devait en être frustrée tout autant qu’elle l’est de l’or, de l'argent et de tout ce qui est précieux ici-bas et avidement recherché de la plupart» @. II insiste au contraire sur l’idée qu’il y a plusieurs demeures dans la maison du Père : «les unes ont plus de danger et plus d'éclat, les autres sont plus humbles et plus sûres » (62).

La péroraison reprendra l’idée essentielle du discours : ce qui est à bannir, ce sont les rivalités dans la recherche théologique. Elles engendrent la témérité et elles sont pleines de dangers pour ceux qui s’y livrent. Dans ce domaine, la réserve s'impose à tous sans exception et les derniers mots du prédicateur seront pour

préciser que cette mise en garde concerne aussi bien les solitaires que ceux qui vivent dans le monde, (80) (81) (82) (83)

Cf. 204 212 212

uovaotai xal ryddec (83),

éd. F. Boulenger, Paris, 1935. AB. B. B.

SAINT

GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

155

3. L'Oraison funèbre de saint Athanase L'oraison funèbre d’Athanase constitue le sujet du Discours XXI 6%, dont Gallay a bien montré qu’il date du 2 mai 379 (85). anniversaire de la mort de l’évêque d'Alexandrie. Si ce discours est important par son étendue et s'il pose diverses questions et contribue à en éclairer d’autres, telles que par exemple l’évolution du genre littéraire de l’oraison funèbre qui prend ici un tour plus historique et plus chronologique, ou encore les rapports de Grégoire et des autres Cappadociens avec les évêques d'Italie et leurs difficultés à trouver un langage commun en matière aogmatique (9), il nous renseigne aussi d'une façon indirecte sur l'auditoire que Grégoire avait en face de lui. Relevons une formule très dure à l'égard de Constantinople qui « s’amuse des choses de Dieu comme des courses de chevaux et des spectacles du théâtre ». Sous une forme ou sous une autre, c’est un jugement qu’il prononcera à plusieurs reprises. Il concerne la ville dans sa généralité ; il ne semble pas s'appliquer aux fidèles de l’Anastasia (87).

Parlant d’un homme qui avait exercé l’épiscopat pendant quarante-cinq ans, qui, disparu depuis six ans à peine, avait été au cœur de tous les problèmes ecclésiastique du demi-siècle, qui avait été en rapports, et bien souvent en lutte, avec tant d’évêques, Grégoire est amené à laisser échapper quelques jugements sur le monde ecclésiastique dans son ensemble. Il contribue ainsi à nous faire connaître l’épiscopat, mais il nous renseigne surtout sur son état d'esprit à l'égard de ses collègues. Ajoutons qu’il ne renseignait pas seulement ses lecteurs : ses auditeurs de l'Anastasia ont été les premiers à savoir ce que leur évêque pouvait penser sur ce sujet.

Il lui échappe, à propos de l'élection d’Athanase au siège épiscopal d'Alexandrie, une expression curieuse. « Il se voit confier, dit-il,la direction du peuple, ce qui revenait à dire le gouvernement du monde tout entier » (88), façon de parler qui, pour magnifier l'importance du siège d'Alexandrie, met dans l’ombre, non seulement celui de Constantinople, qui n’avait encore reçu aucune consécration officielle et qui était occupé par un hérétique, mais aussi celui de Rome, qui n’est même pas nommé et qui, un peu plus loin, se confondra dans l’anonymat d’une expression qui désigne collectivement les évêques d'Italie (8), Relevons une autre formule elliptique relative à l'élection des

évêques.

Grégoire note en effet que Athanase avait été élevé à

(84) PG XXXV, 1081-1128. (85) Gallay, Vie, p. 149. (86) 1124 D. (87) 1088 A. (88) 1088 D. (89) 1124 D.

156

,

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

l’'épiscopat «par le suffrage du peuple tout entier, et non selon le mode pernicieux qui a prévalu plus tard » (9). L’évêque qui regrette publiquement et sans ménagements que le choix des évêques se fasse désormais par cooptation ne manifeste pas une grande estime à l'égard de ses collègues, tandis que la confiance qu’il montre dans le suffrage populaire constituait sans aucun doute un facteur de popularité pour sa personne.

Sa défiarice à l'égard de l’épiscopat, il l’exprimera plus nettement encore en en donnant les raisons sans mâcher ses mots. « Il ne manifeste pas dès l'instant où il occupe le siège épiscopal, cette insolence qu’entraîne la satisfaction, comme ceux qui ont mis la main sur un pouvoir absolu ou qui ont fait un héritage inattendu. C’est ce que font les faux prêtres, les intrus, indignes de ce qu'ils professent, qui, sans avoir à l’avance payé nul tribut au sacerdoce, et sans avoir déjà souffert pour la vertu, sont cependant nommés en même temps disciples et maîtres de piété et qui purifient les autres avant d’être eux-mêmes purifiés. Hier sacrilèges.

aujourd’hui prêtres ; hier à l’écart des choses saintes, aujourd’hui gardiens des saints mystères ;anciens dans le mal, improwvisés dans la piété ; leur vocation est un effet de la faveur des hommes, et non une œuvre de l'Esprit. Et ces hommes, après avoir tout obtenu en usant de la force, finissent par tyranniser la religion elle-même : hommes dont les mœurs ne donnent pas à croire qu’ils possèdent cette dignité, mais dont, par un étrange renversement, la dignité fait croire qu’ils ont des mœurs, hommes enfin dont les propres péchés appellent plus les sacrifices que ne le font les égarements du peuple ; ils tombent de toute façon dans l’une de ces erreurs : ou bien, dans le besoin qu’ils ressentent eux-mêmes de pardon, ils pardonnent aux autres à l’excès, meilleur moyen d’enseigner le mal au lieu de larracher, ou bien ils cachent sous la dureté de leur autorité leurs propres faiblesses » (21), Sans faire lui-même le rapprochement d'une façon expresse, Grégoire nous fait connaître un peu plus loin un des motifs qui ont

entraîné cet avilissement qu’il déplore dans le recrutement

de

l’'épiscopat. Georges de Cappadoce, évêque arien d'Alexandrie et usurpateur du siège d’Athanase, pourra répandre des flots d’argent pour acheter les fonctionnaires de la cour, car «les biens des pauvres, dépensés dans de mauvais usages, lui assuraient l’abondance » %?, La fonction épiscopale, surtout quand il s’agit d’un grand siège comme celui d'Alexandrie, assurait à celui qui en était investi des moyens financiers considérables.

Si Grégoire déplore que la formation des clercs soit insuffisante et s’il souhaite qu'ils suivent l'exemple d’Athanase en faisant une part réduite à la culture générale et en recherchant une grande (90) 1089 B. (91) 1089 C - 1092 A. (92) 1105 BC.

SAINT

GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

157

intimité avec1 l’Ecriture, nécessaire fondement contemplatif de , . . » . e | Q l'action (@3), il insiste égaleme nt sur la subordination des moines àx l'autorité et à l’enseignement du sacerdoce (84), .,»

«

.

Pour être importantes, ces notations constituent peu de choses par rapport à l’ampleur du discours et elles ne concernent qu’'indirectement les ouailles de Grégoire. Un passage pourtant nous dit comment il envisageait son propre rôle de pasteur à Constantinople. Passant en revue les attitudes diverses des évêques devant le problême trinitaire, il conclut : « D’autres enfin proclament la vérité, parti dont je voudrais être, car je n'ose pas me vanter davantage, sans plus tenir compte désormais de ma pusillanimité comme aussi de l’état d'esprit des plus atteints. Car nous avons suffisamment agi en administrateurs sans attirer pour autant les autres à nous et en corrompant les vôtres, ce qui est vraiment le propre des mauvais administrateurs. J’amènerai l'enfant (il s’agit de la doctrine de Nicée) à la lumière, je l'élèverai avec zèle et je l’exposerai aux regards de tous dans son perfectionnement continu » %5). Ces paroles annoncent un changement d’attitude. Il avait jusqu'alors ménagé les oppositions en restant discret dans son enseignement sur la question trinitaire. Mais, dans la nuit du 21 avril, les ariens avaient envahi Anastasia, ne supportant pas qu’il agisse en évêque. Cet événement et la proximité de la fête de saint Athanase l’ont amené à réviser son attitude, en s'inspirant de l'exemple de l'évêque d'Alexandrie. 4, Un sermon de Pentecôte

C’est le 9 juin 379 que Grégoire prononça le Discours XLI, relatif au Saint-Esprit fêté en ce jour de la Pentecôte (%). Que ce discours ait été prononcé à l’occasion de la Pentecôte, c’est ce qui ressort à l'évidence du texte, par contre on peut hésiter sur la date. S'agit-il de 381, comme l’ont pensé les Bénédictins à la suite de (93) (94)

1088 C. 1104 AB.

(95)

1124 B.

Notons

ici un

parallélisme

évident

entre

ce discours

et le

langage du Discours XLII. Le passage que nous venons de citer est en eflet précédé de ces paroles : «la piété des uns (il s’agit des évêques) ne dépasse pas le domaine de la pensée, si toutefois ont doit les croire quand ils le disent, ils ne la poussent pas plus loin : elle est comme un fœtus mort émprisonné dans le sein de sa mère; les autres font jaillir un peu la flamme, mais comme une étincelle, juste assez pour faire une concession aux circonstances, aux plus fervents des orthodoxes ou aux plus pieux des fidèles; d’autres enfin...» (1124 AB). On retrouvera le même mouvement, la même distinction et une image semblable dans le Discours XLII: «les uns conservent la vraie foi au fond d'eux-mêmes, absolument cachée et dérobée; les autres ne sont pas loin de l’enfantement : ce sont ceux qui évitent limpiété, mais ne professent pas ouvertement la vraie foi... les autres vont jusqu’à divulguer le trésor... » (473 C). Cf. infra, pp. 232-233. | (96) PG XXXVI, 427-452.

LA

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PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

Sinko Tillemont, ou doit-on le dater, comme nous le pensons avec à re Grégoi de séjour du année e premièr la de et Gallay,

Constantinople ? (97. C'est à Pâques 379 que Grégoire manqua être lapidé par les

ariens: on peut voir une allusion à cet événement récent quand

Grégoire rappelle que le Christ « a été lapidé à cause de nous, à qui il fallait donner l'exemple des souffrances à endurer pour la vraie doctrine » ®#. Mais on remarquera surtout qu’au moment où Grégoire entreprend de parler du Saint-Esprit, il le fait en des termes qui annoncent un changement radical de langage et de méthode de sa part. Il remarque qu’une pédagogie progressive étant nécessaire à l'égard des faibles, il s'était jusqu'alors imposé d'être discret dans l'affirmation de la divinité du Saint-Esprit, mais qu'il a décidé de se départir désormais de cette discrétion. «C’est la raison pour laquelle nous aussi, qui avions jusqu'ici renoncé à donner un enseignement complet (rèv rexemrepov A6yov), car le moment n’en était pas arrivé, nous allons leur adresser la parole dans les termes suivants » ®%). Ce changement d’attitude est nécessairement antérieur aux Discours Théologiques qui datent, on le verra plus loin, de 380 et le discours qui le notifie en ces termes ne saurait dater de 381. De plus, on a noté que Grégoire n’est pas sans appréhension sur les conséquences que vont avoir ses paroles : «C’est lui (le Saint-Esprit) qui fait qu’à mon tour je suis aujourd’hui devant vous un héraut hardi. Si je n’en subis aucun dommage, grâces en soient rendues à Dieu; et si je dois en subir, grâces lui soient rendues de la même façon » (4%), Il ne s’agit pas d’une simple manière de parler, puisqu'il évoque même l'éventualité du martyre : rd rehcwbve D auaroc 101), Ce n’est pas en 381, ni même en 380, que Grégoire, assuré de la protection impériale, a pu exprimer de telles craintes. D'ailleurs, la Pentecôte de 381 tombant le 16 mai coïncidait, personne ne semble s’en être rendu compte, avec le concile de Constantinople, dont aucun écho, direct ou indirect, ne transparait dans le Discours XLI. Au surplus, Grégoire note, cette fois-ci à propos du Christ, que Dieu « supporte le manque de respect des ennemis du Christ, car il est patient. Comme il diffère à leur égard sa colère, de même il diffère sa bonté envers nous » (2), C’est la preuve qu’au moment où il parle les ariens conservent le pouvoir à Constantinople et que l’année 381 doit être exclue absolument. La première partie du discours est tout entière consacrée à une explication de la fête de la Pentecôte chez les Juifs à partir du (97) (98)

Gallay, Vie, p. 148. 436 BC.

(99) 437 B. Ce langage Grégoire se dispose à honorer. (100) 448 D - 449 A. (101) 449 A. (102) 436 C.

reprend

la promesse

du

mois

précédent,

que

SAINT

GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

159

nombre 7. Grégoire relève tous les exemples de l'empl oi de ce nombre dans l’Ecriture, depuis le récit de la Genèse jusqu'aux 7 dons du Saint-Esprit, en passant par l’année sabbatique et l’année jubilaire. De même que celle-ci marque un recommence ment intégral, puisque étant la cinquantième, elle succède au carré de TA de même le jour de la Pentecôte, qui succède à la septiè me semaine de 7 jours après Pâques. Ce développement singulier, qui occupe près de trois colonnes du texte de Migne 49%), s'achè ve par une invitation à rechercher dans l’Ecriture d’autres passages et d’autres nombres pourvus d’un sens caché: « Toi aussi, si tu parcourrais toi-même l’Ecriture, tu remarquerais bien des nombres qui ont signification plus profonde que celle qui apparaît » (104). Retenoune ns la leçon donnée par l’évêque sur la façon de lire et d'inte rpréter l'Ecriture, mais n'oublions pas le sens qu’il donnait à ce qu’il appelle expressément une digression: il la destinait essentiellem ent aux guéoyor et il y voyait un « assaisonnement » pour ce jour de fête, bonep Hovoud r Th ravmydpe (105),

Ce

qui

signifie

que

Grégoire

poursuivait un double but : piquer la curiosité du grand public et flatter son goût pour les spéculations sur les nombres, donner un aliment à la réflexion de ceux qui pratiquaient la méditation du texte sacré, l’une et l’autre catégorie figurant dans les rangs de son auditoire en ce jour d’affluence. On a relevé comme une riposte à l'enseignement d’Origène une réflexion rapide sur l’Ascension et la vie physique du Christ qui lui fait suite : «La vie physique (-à cœuarixà) du Christ arrive à son terme, ou plutôt sa présence corporelle (+ rñc couarxnc évônulac), car j'hésite à dire son corps (+à rod souaroc), tant qu'aucun argument ne me persuadera qu’il était plus noble qu’il se dépouillât de son corps » (%), Une phrase de ce genre témoigne, bien que d’une façon très elliptique, de l’état de la christologie à la veille du deuxième concile œcuménique. Elle montre que Grégoire, là encore, s'adresse moins au grand public qu'à ceux qui avaient l'habitude de réfléchir sur les problèmes théologiques. De fait, la suite du discours vise ceux qui, tout en admettant la divinité du Saint-Esprit, se refusent à l'emploi du mot Dieu pour le désigner (499, Il est bien évident que ce genre de scrupule ne pouvait être que le fait de gens particulièrement avertis. Qui sont-ils ?

Après avoir dit qu'il allait changer d’attitude dans sa prédication sur le Saint-Esprit et avant d’ajouter qu'il s'attend à des réactions fâcheuses, Grégoire s’écrie : « nous allons demander

(403) 429 C - 436 A. (104) (105) (106) (107 (108)

436 429 436 437 440

A. C. B. A propos d’Origène, voir la note 28 des Mauristes. C. B.

LA

160

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DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

pour vous à l'Esprit le mot Dieu » (08), Lui-même réclame le droit d’user de ce terme librement : en échange, il ne pressera pas trop

ses interlocuteurs de l'utiliser eux-mêmes pour le moment : « Faut-il parler plus clairement et plus brièvement ? De votre côté,

ne nous censurez pas à cause de l'élévation de ce terme ; de notre côté, nous ne vous ferons pas le reproche de ne pas l'employer alors qu'il est à votre portée, tant que vous vous dirigez vers la même étape par une autre route » (9), Ainsi donc, les interlocuteurs de Grégoire lui font effectivement face, ils ont pris place dans l’Anastasia en ce jour de Pentecôte. Il ne s’agit pas d’adversaires de la divinité du Saint-Esprit, puisque le désaccord ne porte que sur la formulation du dogme. La suite du texte nous montre clairement dans quelle catégorie de l'auditoire nous devons ranger ces adversaires : il s’agit de moines. En effet, leur genre de vie, que Grégoire déclare admirer (10) et respecter (11), comporte le port d’un vêtement distinctif ; il entraîne un teint dû à la tempérance; il inclut le célibat, une ascèse purificatrice, le chant nocturne des psaumes, l’amour des pauvres, des frères et des étrangers ; il suppose l'organisation en groupements (ovoruara) (12), On comprend mieux que, lorsque Grégoire entreprend de commenter pour ses auditeurs le passage des Actes relatif à la Pentecôte, son exégèse entre assez dans le détail pour proposer une correction du texte 413), ou pour consacrer plus de quinze lignes à examiner l’origine de l’émigration juive dans les divers pays mentionnés par Actes II, 8-11.

S'agit-il d'une allocution prononcée en présence des seuls moines, à qui elle serait destinée ? On ne saurait le dire, car d'autres indices montreraient aussi le caractère très particulier d’un tel public. Doit-on penser que Grégoire néglige la plus grande partie de son auditoire pour parler presque uniquement à l’intention des moines ? C’est une interprétation qu’on ne peut absolument écarter, et qui paraîtra d'autant plus vraisemblable que ces moines constitueront une fraction numériquement importante du public. Ne sont-ce pas ces chrétiens particulièrement fervents et exigeants de saine doctrine qui avaient pris linitiative de l'appeler à Constantinople, mieux placés sans doute que d’autres habitants de la capitale pour connaître les mérites de l’obscur ascète de province

pu

(109) (110) (111) (412)

440 440 440 440

B. B. C. C.

(113)

449 B. Les textes d’Actes II, 6, que Grégoire et ses auditeurs utilisent

diffère des leçons que nous font connaître les éditions critique du NT. Nous lisons dans Nestle: ouvñ\de, rù mAñfoc xal ouveybOn. T1 fouov el Éxxotos 17 dix DLAAËXT CD abrov (variante: Éxauotoc AxAobvrac Taic YAwooatc aTv) Grégoire semble lire : Hal ouveybÜn al fxouov Axlodvrov tuic iluic pwvais et il propose

de corriger de la façon suivante : xai xouov.

AœxAobvrov

Tai ldlais povaic

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE

PRES

CA

qu'était somme toute Grégoire à Séleucie ? Dans ces conditions, la communauté chrétienne qui se réunit dans l'Anastasia, quelle que soit sa composition, aurait eu pour noyau un groupe de moines attachés à la foi de Nicée.

I! faut en effet écarter la dernière possibilité qui doit être envisagée, celle que le discours n’ait pas été prononcé, car Grégoire s'écriera au moment de conclure : «Nous devons maintenant : mettre un terme à notre assemblée, car j'ai assez parlé, mais à la célébration de cette fête, jamais » 419, Cette phrase comporte un enseignement : elle nous apprend qu’un sermon peut n'être suivi d'aucun acte du culte. Dans le cas où la réunion en aurait comporté un, quel qu’il soit, celui-ci aurait donc précédé le sermon. 5. L’éloge de saint Cyprien.

ge

Le Discours XXIV (15), où Grégoire prononce l'éloge funèbre de saint Cyprien, manifeste une étrange confusion entre deux personnages appelés l’un et l’autre Cyprien, mais qui n’ont de. commun que le nom. Le martyr dont Grégoire fait l'éloge est sans aucun doute à ses yeux saint Cyprien de Carthage. Grégoire le déclare en propres termes 415) Mais visiblement, il ignore à peu près tout de lui. Il sait qu'il a écrit de nombreux ouvrages 417), mais il croit qu'il avait affaire à des Sabelliens et des Ariens, anachronisme évident 418), I] situe sa mort sous l’empereur Décius, alors que l’évêque de Carthage a subi le martyre sous Valérien (19), Si certaines des indications données par Grégoire restent vagues ou sont carrément fausses, d’autres précisions concernent en fait un autre Cyprien, Cyprien d’Antioche qui, cherchant à séduire par la magie une vierge chrétienne, fut au contraire converti par ses prières et subit le martyre (120), ù A quelle date situer cette oraison funèbre ? Saint Cyprien de Carthage ne figurant pas sur les ménologues grecs, on en conclut avec vraisemblance que c’est la date de la fête de Cyprien d’Antioche qui doit être retenue, soit le 2 ou le 4 octobre (21), Quant à l’année, ce ne peut être que la première du séjour de … Grégoire à Constantinople, donc 379, car c’est la seule où il soit vraisemblable qu’il ait pu oublier, comme il l'avait fait, la célébra- ‘ tion d’une fête inscrite au calendrier de son église. (414) (1145)

452 C. PG XXXV,

(116)

1184 B.

(117)

1176 C.

(118) (419) (120)

1185 A. 1185 B. Sur Cyprien

Vie, p. 151, n. 1.

(121)

Ib,

1169-1193.

d’Antioche,

cf.

la bibliographie \ donnée

par

Gallay,

162:

»

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

La confusion de Grégoire s'explique par la précipitation avec à la laquelle ik dut improviser son discours. Il était allé se reposer de fête la oublier failli a campagne chez une bienfaitrice 4, il est il et , tinople Constan à année Cyprien, fête célébrée chaque arrivé de justesse 4%, Une contradiction apparente nous aidera même à apporter une précision supplémentaire. Il s’écrie dans l'exorde: « payons notre dette avec intérêt » (24, formule qui n’a de sens que si le paiement est difiéré, et il ajoute : « Cyprien nous pardonnera notre retard » 4%), Pourtant il se félicitera un peu plus loin « de n'être pas arrivé après la fête et de ne pas avoir manqué la célébration des martyrs » (2, Comme la durée de la fête ne saurait avoir excédé un jour, il est probable que Grégoire est arrivé en cours de journée et qu’il a pris la parole dès son arrivée. La hâte avec laquelle il avait voyagé ne saurait lui avoir permis de s'informer de son sujet.

Nous avons donc probablement affaire à une improvisation et le texte que nous possédons émane sans doute d’une sténographie du discours, pièce précieuse dans la mesure où elle nous permet de saisir sur le vif l'éloquence de Grégoire et la spontanéité de ses pensées L'art, à vrai dire, y gagne peu : l'exposé est diffus, creux même, comme on pouvait s’y attendre. Grégoire parle-t-il dans un martyrium ou dans l'Anastasia ? Si le calendrier de l’église de Constantinople comporte la fête de saint Cyprien, il est probable qu’elle détient des reliques du saint, mais nous ne savons où elles étaient déposées et en octobre 379 seul le clergé de Démbphile pouvait y avoir accès. Au demeurant, rien dans le discours ne suggère le voisinage immédiat des reliques du saint. Il est donc probable que c’est dans l’Anastasia que cet éloge a vu le jour.

Il n'est pas impossible cependant de glaner quelques idées du prédicateur, de surprendre la manifestation de ses sentiments. Notons par exemple l'affection émue qu’il témoigne à ses ouailles, au moment où il les retrouve après quelques jours de séparation ». « Je vous désirais, mes enfants, et vous me désiriez dans la même mesure... Quel aliment pour le souvenir qu’une familiarité entre amis, même de courte durée (6), quand la charité empreint le caractère et qu’on imite l'amour de Dieu pour les hommes... » (427), Nul doute que le pasteur qui témoignait en ces termes son affection, créait un lien affectif profond entre ses ouailles et lui. (122) 1172 (123) 1169 (124) 1172 (25) 1b. (126) 1173 (127) 1172 ces paroles en

B. À; 1172 A. A. A. C. 379.

Que

cette

familiarité

ait été brève,

nous

invite à situer

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

163

Mais c’est peut-être la confusion même que notre prédicateur fait sur la personne de son héros, qui mérite le plus réflexion. Il y a chez Grégoire une ignorance à peu près complète de l’histoire religieuse du nr siècle, et, en particulier, de l’église d’Afrique, puisqu'il transpose à cette époque les préoccupations trinitaires du 1v° siècle. Il est vrai que Prudence a commis la même erreur que Grégoire, en confondant les deux Cypriens, peut-être sur la foi de la même source (2%), Mais, outre que Grégoire se trompe davantage que Prudence on doit se souvenir que l’évêque de Carthage avait été en relations épistolaires avec Firmilien de Césarée, dont une lettre figure dans sa correspondance. Il est surprenant quun évêque cappadocien en ait perdu tout souvenir 4%), Si Grégoire ignore tout de l’évêque de Carthage, en dehors de son nom, c’est à peine s'il connaît mieux le martyr d’Antioche pourtant proche de lui. Son histoire ou sa légende lui

sont connues dans leurs grandes lignes, pourtant il est capable de situer ces récits en pays africain. Nous en conclurons que Grégoire connaît bien mal l’histoire de l'Eglise antérieure à Constantin. Et si ce discours figure sans aucune modification dans ses œuvres, c'est la preuve qu’ignorances et confusions n’ont été relevées par personne autour de lui. L'ignorance de l’histoire et de la géographie pourraient bien constituer un trait caractéristique du milieu qu’il représente.

Dans l'incapacité où il est de situer concrètement son héros autrement que par le rappel de la légende du mage Cyprien d’Antioche, c’est du martyre en lui-même qu’il va surtout parler, non pas parce que les temps l’incitaient, comme autrefois 430), à y disposer ses fidèles, mais à la fois par nécessité matérielle, pour avoir quelque chose à dire, et par suite aussi peut-être d’une certaine exaltation, d’une ferveur à laquelle la retraite qu’il venait de faire pourrait ne pas avoir été étrangère (431), C’est le même état d’âme qui lui fait exalter la valeur de la mortification : « Rien au monde ne sert Dieu davantage que la mortification et il répond

aux larmes par sa bonté » (132),

Mais derrière le culte de martyrs, comportant la célébration de leur mémoire, la méditation de leur exemple et l'appel à leur intercession, se profile une réalité difiérente, qui est le culte des reliques et ses manifestations. Quelque chose en apparaît dans la péroraison. Selon une formule qu’il utilise souvent dans ses oraisons funèbres, il invite ses auditeurs à compléter ce qui manque (128) Péristéphanon, Gallay, Vie, 151-152.

XIII.

Sur

cette

question

et sa

bibliographie,

voir

(129) Cyprien, Ep, 75 : traduction latine d’une lettre de Firmilien de Césarée à Cyprien en réponse à une lettre perdue de celui-ci. (130) Cf. le Discours XV, consacré en 362, c’est-à-dire sous le règne de Julien, à l'éloge funèbre des Macchabées. (131) 1172 B,. (132) 1181 B.

LA PRÉDICATION

(464

DES PÈRES CAPPADOCIENS

récit de ce à son propre discours et à s’édifier mutuellement par le ruine des. «la -dire c'est-à , martyr ‘qu'ils ont chacun obtenu du choses toutes r, l'avéni de ion prévis la es, maladi des démons, la fin de tance l'assis avec dont est capabie même la cendre de Cyprien ont en qui ceux savent le comme ), la foi (oi h née er Tic niorewc le fait l'expérience, qui nous ont légué le récit de ce miracle et qui l’effià n allusio légueront à la postérité » 4%3). L’évêque fait donc cacité des reliques du martyr, accréditant de son autorité le recours à ces reliques dont la présence à Constantinople ne doit donc pas faire de doute, sans que nous puissions rien dire des modalités pratiques de cette présence (1%), . Relévons, pour terminer, une indication sur le milieu au sein Grégoire évolue à Constantinople. Il déclare dans son duquel . :_exorde qu’il vient de quitter «celle qui aime les martyrs pour se rendre auprès des martyrs» (ëx rñe quouéorupoc). Il était allé ‘ chercher auprès de cette personne le silence (7% fox) et le repos (ricowuxruicévéseuc) (35), Dire d’une femme qu’elle honoraïit les martyrs ne signifie peut-être pas grand chose : tout simplement qu'elle avait le culte des reliques. Il n’est pas impossible que cette épithète ait un sens plus plein et que ce culte des martyrs se soit manifesté d’une facon plus affirmée et publique, par exemple la de chapelles destinées à abriter des reliques construction transférées. A Constantinople même, Grégoire était, nous l'avons vu, hébergé dans une famille amie et même parente. S'agit-il ici de

Ja même famille ? On ne saurait le dire. Pourtant le fait qu'il

s'agisse d'une femme invite à un rapprochement. Grégoire nous livre en effet ailleurs le nom d’une de ses parentes à Constantinople (59. II s’agit de Théodosia, la sœur d’Amphilochios d’Iconium, c’est-à-dire la propre cousine germaine de Grégoire, qui était alors chargée de l'éducation d'Olympias, la future correspondante de Jean Chrysostome. Olympias, qui vit à Constantinople et qui est née vers 368, a 11 ans environ à la date où nous sommes : c’est donc bien le moment où Théodosia veille sur son éducation, Si nous ne pouvons pas affirmer sur des bases aussi fragiles que Théodosia, l’amie des martyrs et l'hôte de Grégoire à Constantinople ne sont qu’une seule et même personne, il y a de fortes chances en tout cas pour que nous ne sortions pas d’un cercle de femmes pieuses, riches et influentes, le même peutêtre qui accueille et patronne Grégoire et qui plus tard soutiendra Jean Chrysostome. (133) - 1192 A. È (434)

Il peut

s’agit simplement

de visite au

martyrium,

maïs

aussi de

reliques conservées à domicile provenant d’un contact avec les restes du défunt.

(135) 1172 B.

(136) IL s’agit du poème que Grégoire dédiera quelques années plus tard, probablement en 386, à Olympias, à l’occasion de son mariage avec Nébridios, préfet de Constantinople (Poème Il, 11, 6, PG XXXVII, 15, 42 - 1550), Grégoire nomme Théodosia et la désigne comme la sœur d’Amphilochios et celle. qui avait élevé Olympias.

4

SAINT GRÉGOIRE DB NAZIANZE

B:=-LesioiséauRsnr- 380.00 1. Un appel au ralliement … Que le Discours XXXIII 9

?

UN

LU

4657

loue

| doive être situé entre les deux

points de repère que constituent la fête de Pâques 379 et l'installation de Grégoire aux Saints-Apôtres en novembre 380, c'est ce _. que Tillemont avait montré 4%), Il est plus difficile d'obtenir une précision plus grande, Les Bénédictins ont manifesté pour l’année 380 une préférence qu'aucun argument ne vient étayer 4%), Quant au biographe de Grégoire, il estime que notre discours date de la période qui a suivi immédiatement Pâques 379. Son jugement se fonde sur le parallélisme qu’il observe entre le Discours XXXIII ; et une section du Poème autobiographique : ici et là les critiques des ariens à l'égard de la personne de, Grégoire sont rapportées en termes voisins. Or le passage du poème en question définit une troisième période du séjour de Grégoire à Constantinople, celle qui commence à Pâques 379 pour s'achever le 28 février 380 440), : * Il est évident que notre discours n’a pu être prononcé aux . Saints-Apôtres, puisque l’orateur se plaint de n’avoir ni églises ni

argent (#), En revanche il nous semble que bon nombre d'indices

montrent qu'au moment où Grégoire rédigeait ce texte, le. triomphe était proche, ce qui nous oriente vers l’année 380. On remarquera d’ailleurs la phrase par laquelle Grégoire, d’une façon à peine détournée, reproche aux ariens de désobéir à l'empereur : « Quelle décision impériale (Bacuuxèv 8éyua), s'écrie-t-il, avons-nous

méprisée et combattue, nous ? (44), L’édit du 28 février 380, pro-

mulgué à Thessalonique par Théodose, enjoignait de se rallier à la foi professée par Damase et Pierre d'Alexandrie, ce que n'avait évidemment pas encore fait le clergé de Constantinople. Nous en concluons que le Discours XXXIII est postérieur au 28 février 380.

Le parallélisme relevé par Gallay ne fait d’ailleurs pas obstacle à cette solution, car les critiques dont Grégoire nous dit être la.

victime avaient commencé bien avant le moment où il prononce ce discours. « Seigneur, disais-je alors (zére eïrov), ne leur impute pas ce péché » #), Grégoire, on le voit, parle au passé des attaques des ariens à son égard. Pourtant, il semble s'attendre à de nouveaux assauts ou, plus exactement peut-être, réagir contre des faits récents. « De nouveau tu t’indignes ? De nouveau tu prends les armes ? De nouveau tu recours à la violence ? » s’exclame-t-il (4), (137) (138) (139) (140) (141) (142) (143) : 444)

PG XXXVI, 213-237. Mémoires, IX, p. 463. Ci le Monitum qui précède le discours (PG, 213-214). Gallay, Vie, pp. 145-146. 229 C. 229 D, 232 A.. 216 A.

.

LA

166

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

en erreur : l'opposiCette façon de parler ne doit pas nous induire moqueries relatives et ues critiq en tion reste verbale, elle s'exprime veau d'opposition renou ce uoi Pourq . nicéen à la personne du prélat sinon parce que s, et pour quelle raison se limite-t-elle à des parole la

serait mis à l'édit de Théodose laissait entrevoir que Grégoire brève échéance, moins ou plus à ople antin tête de l'église de Const t cette évenet que l'opinion publique, tout en regimbant devan ? Grégoire res oratoi ions tualité, préférait se limiter à des manifestat

est changée et d’ailleurs a lui-même conscience que la situation Ce n’est pas sans que quelque événement décisif va se produire.

investi dès son assurance qu’il évoque le pouvoir dont il était déclare-t-1l 44), c, éouola rñc pabxne uerà où : arrivée à Constantinople mais peut-être pale, épisco té autori son à réfère se expression qui de la cour. s auprè er aussi au crédit dont il savait déjà dispos il ajoute : petite, est ie berger sa que Surtout, après avoir observé compter dois Je ie. agrand oï3x), (eÿ ude certit la ai j'en , «Je la verrai brebis, les parmi nombre de ceux qui sont maintenant des loups que e preuv la C’est (146), » rs peut-être même parmi les pasteu r amene devait que ement chang au lors dès Grégoire s'attendait ment saire néces ait l'entrée de Théodose à Constantinople, sans qu’il est, ce imaginé la façon précise dont il devait se produire. Tel qu’il située onque quelc date une à rédigé été avoir discours peut donc entre le 28 février et le 26 novembre 380. ? A quelle intention correspond-il dans la pensée de Grégoire se s'adres ne mot un Pas r. singulie bien est ouvrage A vrai dire, cet aux fidèles habituels de l’évêque, pas un argument ne les concerne, même indirectement. Ce sont les ariens que Grégoire interpelle constamment, sauf dans un court passage de la péroraison qui vise aussi les pneumatomaques (14), Par conséquent, si on admet que ce discours a été prononcé dans l’Anastasia, on doit aussi admettre que Grégoire était capable de s'adresser à des absents d’un bout à l'autre de son discours, tout en ne disant absolument rien à ceux qui l’écoutaient. L'hypothèse nous paraît assez invraisemblable pour nous contraindre à l'écarter. S’agirait-il alors d’un discours prononcé dans quelque lieu public profane ? On voit mal Grégoire s’exposer aux réactions imprévues de la foule, on voit mal aussi dans quelles conditions les auditeurs auxquels il s'adresse auraient pu être réunis autour de lui. Il faut donc probablement admettre que ce discours n’a pas été prononcé et qu'il s’agit d’un ouvrage destiné à la seule publication.

A première vue, il se présente comme une apologie. L'auteur, en butte à de vives critiques personnelles de la part de ses adversaires ariens, répond avec vivacité, et non sans esprit, à chacune d'elles. Il accuse à son tour, en rappelant les excès divers commis (145) (146) (147)

229 C. 233 A. 236 AB.

SAINT GRÉGOIRE

par

les

ariens

à

l'égard

des

DE NAZIANZE

orthodoxes

167

à

Alexandrie,

à

Constantinople ou en d’autres lieux. Les critiques adressées à la personne de Grégoire sont mises par ce dernier dans la bouche de leurs auteurs et réfutées l’une après l’autre avec une telle méthode qu’on peut se demander s’il s'agissait seulement de rumeurs diffuses ou si l’auteur n’entreprend pas en réalité de répondre à quelque

libelle.

Mais si cet écrit se présente d’abord comme réponse en forme de plaidoyer, les avances qu’il exprime à l'égard des ariens constituent peut-être sa principale raison d’être. Le rappel des torts des ariens, si net soit-il, est assorti du pardon des injures subies et d’avances assez précises à leur égard. «Je les appelle par leur nom » (48), dit-il en parlant de ses brebis au moment même où il vient de déclarer que «nombre de ceux qui sont maintenant des loups » viendront certainement se joindre aux brebis. Mais ce qui nous paraît le plus important, c’est que cette invitation, aussi nette que discrète, soit faite non point seulement aux fidèles, mais aussi à une partie du clergé arien. S’adresser à ce clergé, qui pouvait à bon droit juger sa situation personnelle sans issue au cas où Grégoire entrerait en possession des églises de la ville, et qui, d'autre part, constituait nécessairement les cadres de la résistance, était de bonne politique. Ce contemplatif, on le voit, ne manquait pas toujours de sens pratique. On ajoutera, connaissant se rectitude de pensée, que s’il envisageait de prendre dans son propre clergé des prêtres jusqu'alors soumis à l’évêque arien Démophile, c’est qu’il jugeait que l'erreur ne les avait pas atteints profondément. On croira volontiers qu’il s'agissait de têtes peu douées pour la théologie. Une telle invitation est, en tout cas, une raison supplémentaire de penser que cet ouvrage était destiné à la seule publication, car on ne voit pas comment des prêtres du clergé de Démophile auraient pu figurer au nombre des auditeurs de Grégoire, en quelque lieu que ce fût. Cet ouvrage a l’avantage de nous montrer dans quel état d'esprit l’évêque abordait le moment décisif où, il n’en doutait pas, le troupeau tout entier des chrétiens de Constantinople viendrait se ranger sous sa houlette de pasteur.

Quant aux indications que le texte nous apporte sur la ville et ses habitants, elles ne sortent guère de la banalité. Il acquiesce, somme toute, aux jugements désinvoltes portés par ses détracteurs sur sa ville natale. Nazianze est une petite cité : nous le savions. Nous savions aussi qu’elle était peu peuplée 4). Retenons aussi que Grégoire ne songe pas à nier que sa région soit aride et sans agrément. Mais on trouvera dans ce discours une indication qui (148) (149)

233 C. 221 C.

168

LA PRÉDICATION

DES PÈRES CAPPADOCIENS

peine ne semble pas figurer ailleurs. Cette ville de Nazianze est à pas n’a Elle 450), s rempart de pas n’a elle car une cité (oùè ré), Ce . thermes de même ni cirques de ni odrome d’hipp non plus sa de comme nts, qui est dit de Constantinople et de ses monume non chose grand pas dra appren nombreuse population, ne nous plus. Que son sénat soit illustre, que la foule s’y déploie comme la vague ne constitue pas des notations originales, non plus que la

mention de ses remparts, de ses théâtres, de ses hippodromes, de ses palais ou de ses portiques (1, Deux monuments particuliers

sont désignés, l’aqueduc de Valens, dont le parcours était souteroùrooi rain et aérien, la colonne de Constantin aussi : & Aaumpès oruAè suggère oôrooi pronom du l'emploi où termes _ al méBerroc, en des une proximité dont nous ne pouvons dire à quoi elle correspond exactement, puisque nous n'avons pas affaire à un orateur qui s'exprime en public, mais à un écrivain qui compose dans le silence de son cabinet (152. Etant donné que Grégoire logeait nécessairement tout près de son église, cela revient au même. D'ailleurs la colonne en question était dressée au centre du forum de Constantin, dans le voisinage immédiat de l'Anastasia.

2. L'affaire de Maxime et la querelle avec Alexandrie Les Discours XXV et XXVI se rattachent l’un et l’autre à une mésaventure dont Grégoire fut la victime à Constantinople 45%, Dans le courant de 379, au moment où l’auditoire de l’Anastasia était encore exigu, un escroc s'était présenté à lui 4%. Ce Maxime était ou se disait originaire d'Alexandrie 459), C'était un philosophe cynique instruit et baptisé, à l’en croire, par saint Athanase (7), 150) 224 AB. (151) 224 A. (452) 221 C. (153) PG XXXV, 1197-1225 et 1227-4152, XXXVI,

21-256; XXXV, 1152-1168. Le titre Eloge de Héron que la tradition manuscrite donne au Discours XXV provient d’une substitution déjà signalée par saint Jérôme (De Vir. Inl. CXVIH) : on a voulu faire disparaître le nom de l’aventurier. Grégoire nous assure luimême qu'il avait fait son éloge (Poème autobiographique, v. 954-955, cf. PG XXXVII, 1095). . 454 Grégoire a fait le récit de cette affaire dans son Poème autobiograbhique, v. 7364037 (PG XXXVII, 1080-1100). Cf. Sinko De traditione, 1. et J. Sajdak, Quae ratio inter Gregorium Nazianzenum et Maximum Cynicum intercedat, Eos XV (1909), 18-48. Les conclusions de ces travaux sont reprises par Gallay, Vie, pp. 159-171. e (55)..à Elle était encore si exiguë, mon église, à cette époque que je ramassais jusqu’à la paille» (PG XXXVII, 1096, v. 970-971).

(456) Discours XXV, 121 B, 1213 A, 1217 A. Cf. PG XXXVII, 1085, v. 808. (457) «Il a été le guide et le maître de ta confession de foi», 1213 A. Cf. PG XXXVII, 1085, v. 813.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

169

Il arborait une robe blanche et une magnifique chevelure rousse (1%), A l'entendre, son attachement au consubstantiel lui avait valu d’être flagellé lors de la réaction arienne qui avait suivi à Alexandrie la mort de saint Athanase et il avait été déporté dans une oasis 9), Il affirmait que ses parents, eux aussi, avaient été victimes de la persécution 460), Comme Maxime était un vigoureux partisan du consubstantiel (61 et qu’il approuvait avec chaleur l’enseignement de Grégoire, ce dernier l'avait pris en amitié et lui avait accordé sa confiance (16), On peut se demander d’ailleurs s'il ne voyait pas dès lors en lui un intermédiaire éventuel, susceptible de lui ménager l’appui du puissant évêque d'Alexandrie, frère et successeur de saint Athanase (63), Le Discours XXV fait l'éloge public de Maxime en présence de ce dernier. L’éloge se mêle aux adieux, car Maxime partait en . voyage : il s'embarquait pour Alexandrie. On a généralement situé ce discours dans le courant de l’année 379. Gallay se range même à l’avis de Sinko, en estimant que l’insistance de Grégoire à souligner l’exiguité du troupeau de l’Anastasia est un signe qu’on est encore à une période voisine des débuts de l’année (64), A dire. vrai, l’argument ne nous convainc guère. Même à une date avancée de 380, Grégoire aurait pu dire que son troupeau restait petit. Dans

les faits, ce n’est que dans le courant de 380 que l'attention a commencé à converger vers lui, à partir du moment où les intentions de Théodose se sont manifestées. Il n'est pas exclu que Maxime se soit embarqué dès 379, mais il ne pouvait le faire au delà du début de novembre (4%), On ne voit pas bien comment, à cette date, il aurait pu avoir projeté la machination qu’il allait accomplir, en recherchant l’appui de Pierre pour se faire lui-même consacrer évêque de Constantinople, au lieu de gagner à Grégoire l'appui de l’évêque d'Alexandrie, sauf si l’on suppose que ses intentions s'étaient modifiées au cours de son séjour dans la capitale égyptienne. A vrai dire, le voyage de Maxime à Alexandrie (158) (159)

1200 B, 1232 BC. Ci. PG XXXVII, 1081, v. 754. PG XXXVIT, 1096, v. 978.

(60)

1201 B, 1217 ABC.

(161) 1201 A. Saint Jérôme cite avec éloge un ouvrage de Maxime contre les ariens (De Vir. Inl., CXXVIT).

(162) PG XXXVII, 1085, v. 813. Peut-être Grégoire avait-il pris l'initiative de donner à Maxime une place voisine de celle du d'ergé dans l’église: « Approche-toi du sanctuaire et de cette table mystique» (1200 B). # (163)

La réaction

contre

les orthodoxes

avait été violente

à Alexandrie

à la mort d’Athanase (373). Pierre avait dû se cacher et partir en exil à Rome :

l'homme qui se présentait à Constantinople comme un de ceux qui avaient souflert alors aux côtés de Pierre pour lui conserver son siège paraissait nécessairement comme en crédit auprès de lui.

(464)

Gallay, Vie, p. 162. Cf. 1224 C et 1225 A.

(465) La navigation et le 10 mars.

étant en principe interrompue

entre le 11 novembre

|

LA

170

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

379. Tout ne s'explique pas, s'il l’a entrepris au cours de l'été qué au embar s'est e Maxim si devient beaucoup plus cohérent, Pierre ment nommé ait désign février 28 du printemps de 380. L’édit la dont s évêque les comme Rome de e Damas avec d'Alexandrie cheî le que normal était foi devait être embrassée par tous. Il rapport de la communauté orthodoxe de Constantinople se mît en e Maxim , andrin d’Alex qualité sa En . désigné ainsi avec l'arbitre une lir accomp apparaissait comme un intermédiaire qualifié pour lui telle mission 4%. La reprise de la navigation au mois de mars | tarder. sans permettait de s’embarquer Que Maxime soit chargé d’une mission auprès de Pierre, c'est ce qui ressort de notre discours, si on prête attention à sa pérorai voir le à d s'atten qu’il bien montre re Grégoi ent seulem son. Non revenir («retourne-nous... avec une deuxième couronne... pour lui chanter avec nous un chant de victoire ») (97), mais encore nom son en bien aussi , mission cette sément expres confie-t-il personnel qu'au nom de toute la communauté chrétienne de l'Anastasia : «Tu vois, lui dit-il, la taille de cette assemblée : que cela t'inspire de l’ardeur à faire que notre aire soit mieux approvisionnée et notre pressoir mieux rempli. Raconte notre appel aussi bien que l'incroyable voyage que nous avons entrepris, non pour prendre part au luxe, maïs pour partager les maux. Ainsi, après avoir pris part aux peines, nous aurons aussi part à la gloire » (168). Comment Maxime pourrait-il travailller à l'accroissement du petit troupeau de Grégoire, lui qui quitte Constantinople, sinon indirectement, en gagnant à ce dernier l’appui de Pierre d'Alexandrie ? À qui Maxime doit-il exposer les différents aspects de la mission dont Grégoire s’est chargé à Constantinople, sinon à ce même Pierre ? D'autre part, en faisant l'éloge public de son messager dans le cadre d’un discours d’adieu, c’est la doctrine de Nicée que Grégoire entend implanter plus profondément et plus largement. Maxime est à ses yeux l’homme qui a souffert pour le consubstantiel et qui va lui chercher un appui extérieur puissant. Dans cette perspective. la signification de cet éloge public d’un personnage vivant prononcé en présence de ce dernier commence à apparaître. Le voyage de Maxime est chargé d’une espérance qui doit donner confiance au petit troupeau qui l’envoie et inspirer la hardiesse qui leur manque à ceux qui hésitent encore à se joindre à lui. On voit que Grégoire est capable à l’occasion de calcul. Si la suite des événements devait montrer la naïveté de celui qui avait mis tant d’espoir dans la personne d'un escroc, il n’est pas impossible que sa manœuvre ait porté une partie des fruits qu’il en attendait et que le bruit qu'il (166) PG XXXVILI, 1085, v. 808. (De Vir. Intl, CXXVI.

(467) (168)

1225 A. 1225 A.

Saint Jérôme

le dit aussi né à Alexandrie

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE

171

avait soulevé autour du personnage et de la mission qu'il lui confiait ait contribué aux ralliements qui se sont effectivement produits (69), LJ

L4

.

.

.

L2

k On s'explique, dans la perpective que nous proposons, un éloge qui a déconcerté la critique 7), On comprendra mieux, d’autre part, la signification du développement trinitaire qui fait, à première vue, figure de digression dans le corps de cet enkômion 4). On a cru pouvoir lexpliquer par le souci pastoral de l’évêque, préoccupé de ne manquer aucune occasion de rappeler la vraie doctrine 472), Un tel souci anime, il est vrai, Grégoire de façon constante, mais il a une raison plus précise de rappeler les principes qui fondent son enseignement le jour où l'ambassadeur qui est chargé de les faire connaître à l'étranger prend congé de lui. Il importe que Pierre voie en lui un prédicateur du consubstantiel et rien d’autre. Il importe plus encore qu’il n’ignore rien de la doctrine que Grégoire professe à propos du Saint-Esprit.

Le Discours XXV nous permet donc de saisir la complexité de Une fois dissipée l’activité de Grégoire à Constantinople.

lamertume que lui causa l’échec de sa diplomatie, ce dut être une consolation pour l'amoureux du Logos qu'il était resté que de constater cette réussite de sa parole là où l’ingéniosité avait échoué. Si Maxime devait se révéler un messager traître à sa mission et Pierre un prélat hostile, le maigre troupeau du début allait grossir autour de lui. En fait, au lieu de plaider la cause de Grégoire auprès de Pierre, Maxime allait s'employer à le desservir et à obtenir l'appui d'Alexandrie pour prendre sa place. On ne nous dit pas comment il s’y prit, mais il n’est pas douteux que des évêques égyptiens vinrent jusqu'à Constantinople pour lui donner la consécration épiscopale 473), A une date qui précède nécessairement le 14 juillet 380, Maxime tenta de-se faire consacrer évêque nuitamment 47%, La complicité d'un prêtre du clergé de Grégoire, l'or que détenait un prêtre de Thasos venu à Constantinople pour (169) Grégoire ne dissimule pas que l’éloge qu'il va prononcer a un but pédagogique : «Ce n’est pas, s’écrie-til, pour lui être agréable, que nous allons prononcer son éloge..., mais c’est pour être utiles à vous-mêmes » (1197 A). (170) Cet éloge a tellement surpris que des Âmes pieuses eurent bientôt la pensée de commettre un faux. Le nom de Maxime a été remplacé dans le titre par celui de Héron, que la tradition manuscrite semble avoir seul conservé. Nous ne saurions pas ce qui s’est passé, si saint Jérôme ne l’expliquait (De vir. nl, 117)). Or, Jérôme a été l’auditeur de Grégoire à Constantinople et son témoignage date de 393. Sur cette date, ci. P. Nautin, La date du De Viris Inlustribus de Jérôme, de la mort de Cyrille de Jérusalem et de celle de Grégoire de Nazianze, RHE, LVI 41961), 1, 33-35.

(171) (172) (173)

1220 B-1224 C. Galay, Vie, p. 161. PG XXXVII, 1087, v. 847.

472.

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r services d’un groupe acheter du marbre permirent de s'assureles le port et d'acheter dans t relâchaien qui de marins égyptiens eurs envoyés par consécrat prélats Les 475). concours d'autres

Pierre furent-ils dupes de ce simulacre de consentement du peuple et du clergé ? Onne saurait l’affirmer. On profita d'une maladie de Grégoire pour bâcler la cérémonie dans l’Anastasia au petit matin.

Le jour paraissait à peine, quand la nouvelle se répandit. La foule indignée envahit l’église où la cérémonie n’était pas encore achevée. Tout ce beau monde se replia dans une cabane pour achever ce qui était commencé (7). Maxime, repoussé par les ‘. fidèles, était réduit au seul appui des Egyptiens. Il tenta encore une démarche auprès de Théodose à Thessalonique (47. Ce fut sans succès. Il ne devait pas se décourager. Retourné à Alexandrie, il mit Pierre en demeure de le mettre en possession du siège épiscopal qu’il lui avait promis. Il essaya même de l’évincer et Pierre le fit expulser par le préfet 478). Il devait essayer de se faire reconnaître comme évêque légitime de Constantinople par le concile d’Aquilée le 3 septembre 381 et obtenir une lettre de recommandation de saint Ambroise auprès de l’empereur Théodose 479), En vérité, Grégoire avait rencontré forte partie. Ce n’est qu'après qu’on se rendit compte à qui on avait affaire : si on s’aperçut en le tonsurant que la chevelure rousse de Maxime était teinte (80), on apprit aussi qu’il s’agissait d’un repris de justice, que son exil n’avait eu aucun motif religieux et que les entretiens qu'il avait eus à Corinthe avec des femmes pieuses n’avaient eu de pieux que les dehors (81), . Cette mésaventure produisit un choc sur le tempérament sensible de Grégoire. L'attitude de Pierre d'Alexandrie lui montrait (174)

Ibid,

1090. v.

887.

L'événement

est antérieur

au

14 juillet 380, car

Grégoire dit un peu plus loin (1098, v. 1001-1008) que Maxime, entouré d’évêques égyptiens, alla solliciter l'appui de Théodose à Thessalonique et nous savons par ailleurs que l’empereur avait quitté cette ville avant le 14 juillet, L'affaire est sans doute postérieure à l’édit du 28 février qui faisait de Damase et de Pierre d'Alexandrie les arbitres de la situation religieuse. Damase écrit luimême que l'affaire de Maxime se situait à un moment «où, Dieu aidant, les hérétiques étaient en pleine déchéance» (Lettre V), formule qui définit bien l'état de fait créé par l’édit du 28 Février. Cette chronologie, reprise par Gallay, p. 165, est due à Rauschen, Jahrbücher der christlichen Kirche unter dem Kaiser Theodosius, pp. 61 et 75. Ajoutons que, Maxime n’a pu revenir d’Alexandrie qu'après la reprise de la navigation : sa tentative se situerait donc au plus tôt en mars 380, et plus probablement en avril-mai. (475) PG XXXVII, 1086, v. 824; 1089, v. 874-882; 1087, v. 834-843; 1090, v. 883-886, Il est passible que Maxime ait lié connaissance avec ce prêtre de Thasos au cours de la traversée d'Alexandrie à Constantinople. (476) Ibid., 1090, v. 887-1092, v. 914. : (177) 1098, v. 1004-1008. (178) 1098, v. 1009-1099, v. 1023. (479) Cf. Mansi, III, 601 sq; saint Amboise, Lettre XIII. (180). PG XXXVII, 1092, v. 948. (181) Sur le passé trouble de Maxime, ibid., 1082, v. 774-776; 1096, v. 976 et 978; 1093, v. 933-937.

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE

173

- que la sympathie de l’épiscopat, si orthodoxe fût-il, était loin de lui être acquise. Il est vrai que son clergé et ses fidèles lui avaient montré un profond attachement, pourtant un de ses prêtres l’avait trahi. Surtout, il avait été dupé dans son affection et son admiration pour un homme dont il avait fait son intime. S’étonnera-t-on qu’il ait songé dès lors à quitter la place ? Il éprouva en tout cas un immense besoin de solitude. Il fit retraite quelque temps et le Discours XXVI livre à la publicité, à son retour, le fruit de ses réflexions (182), | Ce qui frappe le lecteur moderne dans un tel discours, c’est la

sincérité et l'abandon avec lequel le pasteur rend compte à ses

fidèles de ses pensées et de ses sentiments. I] y a dans ces confidences du cœur quelque chose de direct qui séduit et qui surprend, sans exclure une dignité qui commande le respect (83). Aucun genre littéraire n’impose ici à Grégoire la succession de ses {opoi, aussi la ligne de l'exposé est-elle exrêmement sinueuse. Grégoire commence par exposer les motifs qui l’ont fortement tenté de quitter Constantinople. Il est animé d’un profond dégoût à l'égard de tout ce qui s’y passe. Cette aversion concerne d’abord la : ville en tant que telle, avec ses bruits et ses concentrations de population 484, Mais cela va plus loin : ce sont les activités humaines, ce sont les manifestations de la vie qui l’excèdent, ces gens « qui pleurent, qui se réjouissent, qui se marient, qui ensevelissent, qui bénissent et qui maudissent... » (185), Cette lassitude concerne jusqu'au service de l'autel 489, C'est le sentiment de son impuissance (et de ce qu’il appelle son indignité) à maîtriser et à animer tout cela qui l’a incité à abandonner la partie (8), Devant ce qu’il considère comme un échec, Grégoire a été fortement tenté

de se démettre. l’y poussaient.

Pourtant, il est revenu.

C’est que d’autres motifs .

D'abord, l'affection profonde qu’il a conçue à l'égard

de ses fidèles: ensuite, et surtout, la crainte de voir les ariens profiter de son départ et de la division semée par l'affaire de Maxime pour s'introduire dans la bergerie; la peur enfin d’un retour de Maxime (88), Après un appel à la réconciliation et À unité 48), il évoque les reproches qui lui ont été adressés. Il ne s'agit pas pour le moment des moqueries des ariens, dont d’autres discours font état et dont nous rencontrerons un écho à la fin de celui-ci. Il s’agit de critiques venues du clergé ou des fidèles de Anastasia : on lui reprochait, dit-il, d’être un pasteur timide (SeuA6c) (182) 1228 A. Cf. 1337 A. (183) Cf. par exemple 1228 A-1233 A; 1337 A-1340 A, (484). 1228 A. (485) Ibid. (186) 1229 A.. (187) 1229 D. (188; 1229 BD et 1232 A, (189), 1232 BC.

LA

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et circonspect (repucxeuuévoc), on incriminait son inertie (paôuui) (180), Il faut certainement voir là le terrain qui avait permis à Maxime de trouver des concours à Constantinople et de s'assurer l’appui de Pierre d'Alexandrie. On pouvait appeler inertie l'attitude d’un homme qui ne faisait rien pour mettre à profit les bonnes dispositions de Théodose et obtenir de lui sans plus tarder d’être mis en possession des églises de la ville 491), Ces reproches amènent Grégoire à s'interroger sur l'efficacité de son apostolat dans la capitale et à inciter ses fidèles à porter des fruits, c’est-à-dire

à nourrir les pauvres, à exercer l’hospitalité, à laver les pieds des saints, à prendre plaisir à observer les commandements, à entretenir le clergé enfin (1%. Ici, on peut noter que, si Grégoire déclare expressément que les fidèles doivent être généreux à l'égard du clergé, il dit aussi que ce dernier ne doit rien demander. A des fidèles portés à faire tenir toute la piété dans la curiosité et le bavardage théologique, il rappelle la nécessité des œuvres. Un peu plus loin, il reviendra aux reproches dont il est l’objet, reproches qui émanent surtout des milieux ariens. On le juge inculte et pauvre. Ce fugitif n’est qu’un vieillard égrotant (1%). Grégoire avait alors atteint la cinquantaine. Il avait, il le précise, le teint pâle et les cheveux blancs. Pour que son âge ait pu lui être ainsi objecté, il faut qu'il ait paru plus âgé qu’il ne l'était en effet : sans parler d'autres exemples, c'est un vieillard, Nectaire, qui sera appelé à lui succéder, sans que l’âge ait constitué un obstacle. Quant à la maladie, elle n’était que trop réelle : Grégoire était malade le jour où il prononça l'éloge de Maxime ; il était malade le jour de l'ordination clandestine de ce même Maxime; il sera malade le jour où il prononcera le Discours XXIII; il sera malade encore pendant le concile, au point de rédiger son testament (1%), Il est probable que ces critiques étaient reprises par ceux des orthodoxes qui avaient prêté la main à Maxime, puisque Grégoire prête à ses censeurs l'intention de l’écarter de l’épiscopat (Bpévev xaOarphoovasv ) 195), de lui retirer une primauté (rpocÿelx) dont

la suite montre clairement qu'il s’agit déjà du siège de Constantinople. «Comme il faudräit, s’écrie-t-il, qu’il n’y eût pas de primauté (xoocôpix), ni de préséance attachée au siège (rérov rporiunoic) ou de privilège despotique (rvpawixh rpovouix) (196),

En fait, Grégoire est beaucoup plus lucide qu’on ne pourrait le croire sur les raisons profondes des oppositions qu’il rencontre. Sur place, ce sont les grands biens dont dispose l'église de (190)

1232C.

(491) (192) (193) (494) (195) (196)

Cf. 1236 1245 1197 1248 1248

Cf. Discours XLII, 481 B, infra p. 231.

Discours XLH, 485 BC, infra ibid. A. BCD ; 1248 A. A, 1157 B, Poème autobiographique, B. C.

v.

887 (1090).

SAINT

GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

175

Constantinople qui excitent les convoitises 4%. Les intentions de Théodose sont connues et on voit approcher le moment où l’homme qui dirige la communauté orthodoxe de Constantinople en recevra la disposition. Un aventurier comme Maxime brigue la place pour lui-même. Il n’est pas surprenant que des membres du clergé de Grégoire, impatients de profiter de l’aubaine, aient mal supporté l'indifférence de leur chef. Au dehors, ce sont les rivalités

de sièges qui ont joué.

Constantinople

prenant de plus en plus

d'importance, un homme comme évêque d'Alexandrie a pu vouloir y installer une de ses créatures, tout en se donnant l'illusion de chercher à y mettre un homme actif et entreprenant, plus capable qu’un vieillard malade et mystique d’obtenir à la saine doctrine l'appui vigoureux du bras séculier. D'ailleurs, Pierre était-il seul en jeu dans cette affaire ? On peut se le demander et Grégoire à dû s'interroger dès ce moment, lui qui déclare que c’est à cause de cette primauté qui ne devrait pas exister que «les

extrémités de la terre (rà réparx rc olxouuémc) le soupçonnent et lui

font une guerre sourde » 4%), Au cas où on hésiterait à identifier ce qu’il entend par là, Grégoire sera plus explicite quand il s’écriera, au moment de conclure, que les attaques dont il est l’objet le font connaître de l'Occident comme de l'Orient 4%. I] n'y a ici aucune amplification oratoire, puisque le concile d’Aquilée entendra les réclamations de Maxime au mois de novembre 381 et que saint Ambroise tentera de le faire reconnaître par l’empereur comme évêque de Constantinople à la place de Grégoire et de Nectaire qui lui avait succédé, et cela malgré les décisions du concile de Constantinople. Au demeurant, Alexandrie avait partie liée avec Rome contre les Orientaux depuis longtemps. Pierre était connu à Rome. Grégoire peut légitimement supposer qu'il n’a pas agi en dehors de Damase. La suite des événements montrera d’ailleurs que ce dernier voulait écarter Grégoire du siège de Constantinople. C'est que l’affaiblissement de Constantinople pouvait paraître souhaitable dans une certaine mesure, comme continuait à le paraître ceui d’Antioche. L'’attitude de Rome et d'Alexandrie est en définitive la même dans les deux cas. Sans doute souhaitait-on diminuer l'influence d’un évêque trop proche de la résidence de l'empereur. De plus, le cappadocien, l'ami de Basile qu'était Grégoire ne devait pas être particulièrement apprécié de Damase (200), Quel que soit le détail d’intrigues qu'il est bien difficile de démêler avec certitude, ce qui nous retient, c’est que Grégoire n'ait pas hésité à les divulguer, donnant l'exemple d’une franchise toute chrétienne.

M.

(197) (198) (199)

1249 B. 1248 C. 1252 A.

(200)

Sur la suspicion où Basile avait été tenu à Rome sa vie durant, cf.

|

Richard, Saint Basile et la mission du diacre Sabinus, pp.

178-202.

LA

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PÈRES

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encore. le C'est à l'affaire de Maxime que se rattache ciliation récon la nt scella ution alloc brève Discours XXXIV 0, e e. Pierr avait pu _ d'Alexandrie et de Constantinople après l'orag en donnant son ise se rendre compte de l'erreur qu’il avait comm 380 un échange l'été de nt coura le appui à Maxime. Y eut-il dans spondance de corre La ? es évêqu deux les de conversations entre prouve rien. ne Grégoire n’en a pas gardé la trace, mais cela Cette

correspondance

ne

contient

certainement

pas toutes

ses

l'intention de son lettres. D'ailleurs, au moment où il constituait, à sans doute à est neveu Nicoboulos, le recueil de lettres qui rvait un conse ire Grégo ’origine de celui que nous possédons, à son iens Egypt des tude l'atti de amer trop souvenir trop proche et pour 381, de le conci le nt penda ut surto et ion occas égard, à cette s savon Nous . Pierre publier les lettres qu'il avait pu échanger avec lui 'ils puisqu fois, une moins au écrit en effet que Pierre lui avait accomavait envoyé les insignes de l’épiscopat C0). Cet envoi était restée soit ci celleque ble pagné d’une lettre et il est peu vraisembla ance de sans réponse de la part de Grégoire. De cette correspond erméd’int action eut-il Y resté. n’est rien ire, Pierre et de Grégo ser. suppo le diaires entre les deux évêques ? Nous pouvons est Quels qu'’aient été les agents de la réconciliation, celle-ci de convoi Un 380. opérée dans le courant de l'été ou de l'automne la le ntinop Consta à te d'Egyp r navires étant venu apporte ns égyptie ges équipa les e, l’annon à e provinc la contribution de de vinrent, à l’occasion de ce voyage, se joindre aux fidèles du C’est (3), re Grégoi de té l'Anastasia, reconnaissant ainsi l’autori moin l'interprétation que ce dernier donna à leur geste, interprétation qui allait peut-être au delà de la réalité des faits : que des

chrétiens d'Egypte aient rejoint la seule communauté orthodoxe de Constantinople ne signifie pas que leur évêque ait reconnu le DE fait de cette communauté comme l’évêque authentique de

a ville. La première partie de ce discours se présente en tout cas comme un mot d'accueil adressé aux Egyptiens de passage. Dès

les premières paroles de bienvenue, l’orateur aborde le thème éssentiel de son éloge, l’idée qui constitue le lien d’unité du discours pris dans sa totalité : l’orthodoxie trinitaire de l'Egypte. C’est d'Egypte que vient la nourriture des corps apportée par la flotte qui relâche à Constantinople, mais c’est d'Egypte que provient (201)

PG XXXVI, 241-256.

(202) Poème autobiographique, 1088, v. 861-862. (203) Il s’agit d’un convoi, et non pas d’un seul navire. Grégoire avait assisté en personne peu de jours auparavant (rp&nv) à l’arrivée de cette flotte

qui apportait à Constantinople le +£A0c, c'est-à-dire les impôts en nature payés par la province d'Egypte. Les marins égyptiens, arrivés dans le courant de la semaine, se sont présentés le dimanche à l'Anastasia (248 AB). L'événement se situe avant l'installation de Grégoire aux Saint-Apôtres, puisque les églises de la ville sont encore aux mains des hérétiques (248 B). D'ailleurs la flotte devait être rentrée à Alexandrie au’ plus tard au début de novembre.

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE

477

aussi la nourriture spirituelle (2%), c’est-à-dire la vraie doctrine gardée par Athanase et par Pierre que Grégoire ne craint pas de nommer et le mettant sur le même plan que son frère et prédécesseur (25), On sent Grégoire préoccupé d'affirmer publiquement qu'il partage la doctrine de ce Pierre désigné depuis le 28 février

comme

l’un

des

deux

garants

de

l’orthodoxie

par

Théodose. Si nous regardons l'équilibre des développements du discours, nous constatons aussitôt que des deux parties égales qui le composent, la première seule concerne les Egyptiens présents, tandis que la seconde consiste en un exposé trinitaire (09), C’est la preuve que Grégoire entend témoigner devant des Egyptiens de son exacte orthodoxie. Ce qui est plus révélateur encore, c’est la place respectivement accordée à chacune des personnes trinitaires. Que le Père, qui ne faisait l’objet d'aucune contestation, se voie défini en 5 lignes environ, cela n’est pas surprenant. Mais il l'est bien davantage que 18 lignes aient paru suffisantes pour le Fils, tandis que 9, lignes concernent le Saint-Esprit. Tout se passe comme si Grégoire croyait nécessaire de s'expliquer en détail sur ce point et de justifier sa foi dans la divinité de Saint-Esprit. Cette insistance devant un tel public signifie sans doute que les calomnies de Maxime auprès de Pierre avaient porté sur ce point. Pourtant, si Grégoire entend donner des gages il n’est pas prêt à tout accepter en vue d’une réconciliation qu’il scelle publiquement. « Vous êtes mon peuple, dit-il à ses auditeurs égyptiens, je dis «mon peuple» malgré les dénigreurs et, pour frapper ceux qui sont afiligés d’un tel état d’esprit, voici ma main droite en signe de communauté, en présence de tant de témoins, visibles et invisibles. Et je rejette les vieilles calomnies pour faire place à une bonté renouvelée » 07, Ce langage signifie que Grégoire écarte désormais les motifs qu’il avait de se plaindre des Egyptiens : il s’agit bien d’une réconciliation publique, mais il précise qu’elle suppose l'égalité entre Constantinople et Alexandrie, en écartant toute dépendance. « Vous êtes mon peuple, même si je m'approprie, malgré ma petitesse, le peuple le plus grand. Telle est en effet la grâce de l'Esprit : elle établit l'égalité de rang (ôuor uouc rou::) entre ceux qui partagent les mêmes sentiments » (208), les reproches mêmes ne sont pas exclus et Grégoire invite les Egyptiens, qui ont souffert pour le Christ, à ne faire désormais soufirir eux-mêmes personne (209), Comme le précédent, le Discours XXIII scelle une réconciliation.

Mais

(204) (205) (206) jusqu’à 248 (207) (208) (209)

des

obscurités

demeurent

sur

les

circonstances

241B. 244 A. L'accueil aux Egyptiens va des premiers mots du discours, 24 A, C, tandis que l'exposé théologique va de 248 D jusqu'à la fin (256 A). 245 B. \ 245 C. Ibid.

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tait aux auxquelles il se réfère. On a d’abord cru qu'il se rappor que ce nt souvie se On mêmes événements que le Discours XXII. re à Grégoi de séjour du temps rs discours, qui date des premie les entre enues interv sions dissen de état faisait le, Constantinop deux de aient proven fidèles de l’'Anastasia 219). Ces dissensions nes causes : d’un côté l'intérêt. porté par certains aux doctri au autres les et uns les par prise part la l’autre de d’Apollinaire, faire pu a XXIIT rs schisme d’Antioche. Un passage du Discou était croire à Tillemont, suivi par les éditeurs bénédictins, qu'il y de ou r pasteu d'un ans partis entre e querell d’une aussi question cette Dans 211), l'autre, c’est-à-dire de Mélèce ou de Paulin perspective, le Discours XXII concernerait la réconciliation interà venue à la suite de ce conflit. Elle suivrait le Discours XXII 379. de donc t daterai et valle d'inter mois es quelqu Cette solution a soulevé plusieurs objections de la part de Rauschen et de Gallay 212. On a remarqué d’abord que Grégoire parle des pierres qu’il avait reçues des ariens comme d’un fait déjà lointain 1%. Or cet événement se situe dans la nuit de Pâques 379 (21 avril). Cela n'exclut pas que le Discours XXIII puisse dater de la fin de la même année, mais Grégoire ajoute que ses épreuves ont entraîné l'accroissement de son troupeau, affirmation qui nous oriente vers une époque assez avancée de l’année 380 (214), De plus, Grégoire affirme qu'au moment où le conflit qui prend fin s'était développé, «une partie du monde était en bonne santé, une autre partie l’a maintenant recouvrée, tandis que la troisième commence

à la posséder» 215,

Ceci concerne

évidemment

l'occident, qui

était resté en dehors de l’arianisme, l'Egypte, où Pierre était rentré après la disparition de Valens, lorient enfin, où le rétablissement du impériale la décision par s’inaugure de lorthodoxie 28 février 380. Si le Discours XXIII date de 380, il ne semble pas non plus qu'il se rattache aux mêmes événements que le Discours XXII. Grégoire affirme en effet avec la plus grande netteté qu'aucun motif doctrinal ne se mélait au conilit qui vient de prendre fin : or l’apollinarisme tenait une place importante dans les querelles évoquées au Discours XXII 219. D'autre part, il n’est pas sûr du tout que le conflit de personnes dont fait état notre discours ait un rapport quelconque avec le schisme d’Antioche. Gallay estime, à la suite du P. Cavallera que nous sommes devant un conflit survenu à Constantinople, conflit qui a opposé deux partis dont l’un était conduit par Grégoire, l’autre par un prêtre de son clergé, ou même (210) (211) (242) (213) (214) (215) (216)

Cf. supra, pp. 143-144. Gallay, pp. 174-177. Ibid. 1157 A. Ibid. 1165 B. 1153 BC: 1156 A.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

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un autre évêque (17), Il s'agirait bien d’une affaire de pure discipline, comme l’affirme Grégoire, mais nous ne pourrions ni identifier l'adversaire de Grégoire ni définir de façon plus précise la cause de la querelle (218), A vrai dire, il nous paraît peu vraisemblable que Grégoire, qui est très prolixe dans son poème autobiographique sur les événements de son séjour à Constantinople, ait entièrement passé sous silence un conflit de cette importance, un conilit qui avait entraîné une réconciliation publique au cours de laquelle son adversaire de la veille et lui-même ont pris l’un et l’autre la parole 21. On croirait plus volontiers qu’il a parlé dans ce poème du sujet qui nous occupe et que c’est encore de l'affaire de Maxime qu'il s’agit. De même que le Discours XXXIV mettait un terme à cette affaire en scellant la réconciliation entre Grégoire et les Egyptiens, de même il est probable que notre Discours XXIII entérine celle qui

était intervenue entre Grégoire et ce prêtre de son clergé dont il nous dit lui-même qu’il avait prêté son appui à Maxime (2). Il s'agissait bien en l’occurence d’un confîlit de personne où la foi n'était pas engagée. Le discours daterait alors de l'été ou de

l'automne 380.

Si cette hypothèse se trouvait vérifiée, elle contribuerait à éclairer les dessous de l’affaire de Maxime. Etudions les termes par lesquels Grégoire rappelle les causes du confîlit : « Comme il était inévitable qu’étant des hommes nous commettions quelque faute, voici ce qui fut l’occasion de notre chute :nous nous sommes trop attachés à des pasteurs (Aluv tlomoluevecs yeyévauev) et nous sommes incapables de découvrir entre deux biens celui qui est préférable, jusqu’au moment où nous sommes tombés d’accord (217) 1156 C : « Et pour que vous sachiez que nous partageons les mêmes sentiments dans tous les domaines et que vous compreniez aussi par là que nous resterons toujours dans les mêmes sentiments... ce que vous voyez vous en a, je pense, déjà persuadé : un père bienveillant et un fils soumis siégeant l'un à côté de l’autre et s’accordant ensemble ». Si un évêque peut se dire le père ou le fils d’un autre évêque, l’épithète «soumis» ne peut s’appliquer qu’à un prêtre ou à un fidèle par rapport à l’évêque. Que ces deux personnes siègent à l’église l’une à côté de l’autre signifie qu’elles ont pris place sur le synthronon et qu’elles appartiennent toutes deux au clergé. Nous croyons donc, contrairement à Gallay, qu'il est possible d'identifier les deux cheîs de partis réconciliés. (218) Gallay, p. 177. (219) 1156 C. : «L'un, vous l'avez déjà entendu et le miracle résonne encore à vos oreilles». Ce que Grégoire appelle, non sans emphase, le miracle, ce sont les paroles de réconciliation que vient de prononcer publiquement son adversaire. Comme ce dernier a pris la parole le premier, nous en concluons que c’est lui qui est dénommé «fils soumis » de Grégoire, car il est bien évident que c’est à l’inférieur qu'il appartenait de faire le premier geste de réconciliation. «Un deuxième exposé théologique n’est pas nécessaire et vous ménagez ma faiblesse qui fait que je ne vous dirai que ces quelques mots...» (1157 B) : le premier orateur a donc suivi le même plan que Grégoire dans son exposé et les paroles de réconciliation ont été suivies d’une profession de foi trinitaire. (220) Poème autobiographique, v. 824-831 (1086 A).

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PÈRES

CAPPADOCIENS

dire ce pour les tenir tous deux en même honneur » (22), Que veut Mélèce là jusque érait consid re Grégoi que langage ? Il signifie ire, qui comme le véritable évêque d'Antioche et que son adversa La Paulin. eux comme s'était fait l'agent des Egyptiens, soutenait que te condui de ligne la définit enue formule de transaction interv Grégoire suivra au concile de 381. Une fois de plus Grégoire ne craint pas de montrer au grand jour les dissensions du clergé. Il est vrai qu’il reste extrêmement discret sur leur objet et que, d'autre part, le conflit avait pris un caractère trop public pour qu’il pût être réglé dans l'ombre (22). Le souci dominant de l'évêque, son unique préoccupation même, est de présenter aux ariens un front uni. La querelle avait été observée de l'extérieur et commentée : le but du discours est de manifester qu’elle n’affectait en rien le domaine théologique (22). Aussi Grégoire prend-il la parole après son adversaire de la veille. Ce dernier avait exposé sa foi trinitaire, Grégoire à son tour traite le même sujet (24). Il le fait d’une façon relativement étendue, puisque sur les 8 colonnes qu’occupe le discours dans la Patrologie, 5 sont consacrés à la Trinité, il le fait en des termes destinés à faire apparaître la totale identité de vues avec l’orateur qui la précédé. Cet exposé s'adresse à un auditoire déjà nombreux, un auditoire assez mêlé aussi, car l’insistance de l’orateur à interpeler les ariens suppose qu’un certain nombre d’entre eux est susceptible de se trouver dans la salle 22). Tout cela confirme une date située au cours de l'été ou de l'automne 380, une date proche des cinq Discours Théologiques et qui le précède de peu, puisque la conclusion de notre discours annonce pour plus tard une réfutation systématique des raisonnements ariens, réfutation que constituent sans doute les cinq discours en question (26). Il n’y a en tout cas aucune raison de situer le Discours XXIII à une date antérieure au 14 juillet 380, comme le fait Gallay, sans avoir produit aucun argument dans ce sens (227), On remarquera enfin ‘que, si l'exposé trinitaire n'est pas déséquilibré comme l'était celui du Discours XXXIV, la préoccupation du Saint-Esprit y tient une place considérable. Tout en affirmant l'unité de la nature divine, Grégoire s'efforce de définir (224)

1156 A.

(222) Non seulement les fidèles de l’Anastasia sont pris à témoins de la réconciliation, ce qui implique que la scission ait eu un caractère public, mais encore celle-ci était-elle parfaitement connue des ariens. Grégoire montre un très grand souci d’opposer un front uni à ces derniers (1153 BC; 1156 A), qui se sont posés en

(223)

arbitres du conflit (1156 B). 1153 B.

(224) (225) (226) (227)

1157 B. 1156 BC. D. XXVII-XXXI, ci. pp. 181-188. Cf. le tableau de la p. 252.

SAINT

GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

181

d’un mot le caractère propre de chaque entité trinitaire.

définit le Père, c’est l'absence

de principe

Ce qui

(&vapyoc), le Fils est

caractérisé par le fait d’être engendré (yéwnoxc): quant au SaintEsprit c’est le terme de xpoéñoc qui lui applique ici Grégoire (22), Et il ajoute, tout en marquant les limites d’une telle comparaison, qu’il y a une correspondance entre la nature divine et la nature humaine, Père, Fils et Saint-Esprit correspondant respectivement à ce que sont Nous, Logos et Pneuma chez l'homme (22),

Il n’est pas imposible que nous nous trouvions en présence d’un texte issu d’une .Sténographie, étant donné l’incorrection d’une phrase, incorrection due à une assez brutale anacoluthe :

Hat Îv° elite Tà mévra ouuppovobvrac Auêc al SiX Tobrov br del GU[LPPOVNOOLEV uäônte, mémerxe pév, dc oluou, xal rù Épouevoy, rurhp edyvouov tal raie edret0ùc &XAhhors ouyxabeléuevor xal ouurpérovrec. (230),

Plus ténue, l'indication qui pourrait résulter de la teneur du titre où il est question de «l'accord que nous avons conclu

(iv Enounodue0x)

entre

orthodoxes

(oi ôu6doËor



oi ép06DoËos )(231),

Cette façon de parler pourrait être soit celle de Grégoire lui-même, soit celle d’un rédacteur très proche de lui à Constantinople. Mais ce rédacteur peut être resté dans la ville et travailler après le départ de Grégoire ou encore l'avoir accompagné en Cappadoce

|

après 381.

3. Des sermons fondus T héologiques 232

en

un

traité:

les cinq

Discours

Les cinq Discours Théologiques constituent sans aucun doute la partie la plus importante de l’œuvre dogmatique de Grégoire et l’hitorien de sa pensée ne saurait leur attribuer trop d'importance. Sinko et Gallay ont cru pouvoir les dater de l'été ou de

l'automne 380 : c’est ce qui nous amène à en aborder l'étude maintenant (339), Etude qui sera brève, car ils nous apprennent relativement peu de chose sur la prédication de Grégoire et sur le public auquel elle s’adressait. S'il est vrai que la tradition manuscrite

présente l’ensemble

des cinq discours comme un tout, s'agit-il pour autant de véritables sermons ? Le témoignage de saint Jérôme tion (34), Parlant des Discours théologiques

mérite considérac’est le mot liber

(228) 1162 C. (229) Ibid, (230) 1156 C (cf. supra, n. 217). (231) PG XXXV, 1152 B. (232) PG XXXVI, 11-172 Les Discours Théologiques ont fait l’objet d’une édition séparée de A.-J. Mason, The five Theological Orations of Gregory of Nazianzus, Cambridge, 1899. Ils ont été traduits en français par P. Gallay, Grégoire de Nazianze, Les Discours Théologiques, Lyon-Paris, 1942. (233) L’argumentation de Sinko est résumée par Gallay, Vie, pp. 181-186. (234) De Vir. Ill, 117. :

LA

182

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

ntinople. Son qu'utilise cet ancien auditeur de Grégoire à Consta nous avons que re conclu ns devrio nous et témoignage serait décisif ensemble un à affaire à un traité fait de chapitres séparés, et non ents, le différ livres deux pas de sermons, si Jérôme ne distinguait XXX), à VII XX rs Discou les (soit e Eunom premier, dirigé contre les fait, En . Esprit Saintau relatif XXXT) urs le second (Disco qui ce à nt sséme expre premiers mots du Discours XXXI le relient

ouvrage le précède et rien ne permet de le considérer comme un pas eu t n'avai e Jérôm saint que le probab donc est distinct 2%. Il par doit gnage les Discours Théologiques en mains et son témoi soit que quel nt, Pourta tion. conséquent être utilisé avec précau le, il n’y le moment où il ait vécu auprès de Grégoire à Constantinop ouvrages les a sans doute rien entendu qu'il ait pu reconnaître dans en droit donc est On ence. dont il a ultérieurement connu l'exist ent une reflèt rs discou cinq nos e mesur quelle de se demander dans

er prédication effective. Ce que le lecteur attentif ne peut manqu les sous a qu’il texte le que de percevoir, nous semble-t-il, c'est ation. public sa de vue en ié yeux a été reman Une trace de remaniement est restée apparente, et Sinko n’a pas eu de peine à la relever 2%) : le deuxième discours (Discours XXVIID) a été inséré après coup entre le premier et le troisième, puisque l'introduction de ce dernier le présente comme la suite immédiate du premier, tandis que l’exorde du deuxième diécours le rattache au précédent, tout en annonçant les troisième, quatrième et cinquième discours. Il y a donc eu remaniement, mais remaniement partiel, puisque l'introduction du troisième discours n’a pas été modifiée en fonction du discours intercalé. Avons-nous donc affaire à une série de sermons prêchés au cours d’une même période, série à l’intérieur de laquelle le texte d’un autre sermon aurait été inséré après coup pour la publication ? Telle est la solution à laquelle on doit s'arrêter avec Sinko, en ajoutant toutefois que cette prédication a subi d'autre remaniements, des adijonctions et peut-être des suppressions, dans le but de faire de ces sermons un traité.

En effet, la première phrase du troisième discours ne constituait certainement pas l’exorde du sermon primitif. «Ce qui précède, écrit Grégoire, ce sont les reproches que l’on pourrait faire à leur promptitude de langage et à leur précipitation » (# uèv obv etmou vu émxbmroy rhv nepl rdv Abyov adT&v ÉrouéTTæ

al TUXUTNTE.., raüré &oruv) (237),

Ce n’est pas ainsi que s’exprimerait un orateur soucieux de relier ce qu’il va dire à un discours antérieur, mais une telle formule constitue bien, en revanche, la phrase de transition qu’un écrivain peut mettre en tête d’un nouveau chapitre. L'opération de remaniement qui a transformé une série de sermons en un traité ou (235)

(236) (237)

Cf. infra, p. 184. Sinko, De traditione orationum 73 À.

Gregor

Nazianzeni,

I, pp.

11-12.

SAINT GRÉGOIRE

DÉ NAZIANZE

183

une suite de chapitres, opération qui n’est pas allée tout à fait jusqu’à son terme, a donc comporté deux phases successives : dans un premier temps, Grégoire a peut-être supprimé ce qui

pouvait nuire à l’impression d'unité et rédigé les formules de liaison nécessaires ; dans un deuxième temps, il a inséré le deuxième discours dans la série primitive.

Il est difficile d’apprécier à leur juste mesure les suppressions qu’il a pu pratiquer. Aucune trace de suppression n’est apparente dans le quatrième discours, dont l'exorde conserve un style très parlé : on peut y lire en particulier une formule qui explique que le discours précédent était resté incomplet faute de temps (2%), Cette indication est assez caractéristique pour nous inviter à penser que le texte du Discours XXX reflète de près la prédication orale et que les Discours XXIX et XXX avaient bien fait l’objet d’une prédication suivie. La première phrase du cinquième discours est assez semblable aux premiers mots du troisième : « Voilà ce que javais à dire sur le Fils»,

(6 uèv 5h nepl rod vloë A6yos rowoëroc) (239),



encore,

nous

avons affaire à une formule d'écrivain préoccupé de lier ses chapitres, et non à l’exorde d’un prédicateur. Pourtant, le ton change vite et le chapitre 2 exprime la lassitude, l’'écœurement même de Grégoire devant l'abus des controverses théologiques. Nous retrouvons ici cet accent personnel qui lui est coutumier, nous le retrouverons aussi dans les dernières phrases de la conclusion 24), Notons également que le verbe « prêcher » (xne5sow) est prononcé trois fois au cours du chapitre 3. Autant d'indices, bien ténus il est vrai, que nous pourrions nous trouver devant une prédication authentique. Si maintenant trouverons bien ambigu ; d’ailleurs ne laisse guère de

nous retournons au premier discours, nous y peu d'indices. Le sous-titre rpolidketic est remonte-t-il à Grégoire ? Pourtant, une formule place à l’hésitation : « Allons, s’écrie Grégoire,

que les espions nous supportent...

!» (roooürov yoïv fu&v évucyéoBooav

où xaréoxoroi) (241), À coup sûr, celui qui s'exprime ainsi n’est pas un écrivain qui compose dans le loisir de son cabinet, mais un orateur qui à devant lui un public de chair et d’os. Ce public est vaste, il est mêlé. Cela permet de dater approximativement cette œuvre de la période de 380 où Grégoire prêchait encore dans l'Anastasie, mais où la Parole de Dieu, pour reprendre son langage, brillait de nouveau 24), où des ariens, pressentant que son autorité allait grandir, pouvaient se mêler aux auditeurs des premiers jours. (238) (239) (249) (241) (242)

104 D. 133 A. 172 AB. 13 B. PG XXXVII, 1105, v. 1113.

184

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES CAPPADOCIENS

Notons, à la fin du chapitre 6, une allusion dont la portée semble re avoir échappé. Déplorant les excès de la controverse, Grégoi que ce voilà e, mutuell guerre cette vaut nous ce.que s'écrie : « Voilà font ceux qui combattent pour le Verbe plus que le veut le Verbe... !» 24). Ici, ce ne sont plus les excès des ariens qui sont stigmatisés, ce sont bien les partisans trop ardents du dogme de Nicée qui s'entendent rappeler à l'ordre. Sans doute fallait-il les chercher parmi ceux qui avaient appuyé Maxime peu de mois auparavant parce qu'ils reprochaient à Grégoire son manque de combativité. Le deuxième discours est un des plus longs que Grégoire ait composés, mais si la longueur de certaines œuvres peut nous amener à penser qu'elles n’ont pas été prêchées, au moins sous leur forme développée, une telle conclusion doit être écartée ici. Non seulement l'étendue de cet ouvrage reste inférieure à celle du Discours XL, Sur le Baptême, qui est un véritable discours, elle est sensiblement égale aussi à celle du Discours XIV, Sur l'amour des pauvres, mais encore d'autres indices montrent que nous avons affaire à l'écho d’une prédication authentique. Au début de chapitre 3, Grégoire interpelle ses auditeurs en ces termes: « Que m'est-il arrivé, mes amis, vous qui êtes initiés (mio) et qui partagez mon amour pour la vérité ? ». De même il déclare au début du chapitre 11 : « Pourquoi cet exposé et ces considérations peut-être trop subtiles pour les oreilles de la foule ?». A la fin du chapitre 20, citant saint Jean l'Evangéliste, il l'appelle par inadvertance le Précurseur. Autant d'éléments qui donnent à penser que nous sommes en présence d'un texte assez largement improvisé qui n’a pas été corrigé pour la publication. Sinko a relevé dans ce discours des points de rencontre avec les Catéchèses de Cyrille de Jérusalem, qui lui ont permis de conclure que Grégoire connaissait le texte de ces Catéchèses et qu’il s’en est inspiré 2#), Grégoire avait-il donc eu l’occasion de rencontrer Cyrille ? Ce dernier était évêque de Jérusalem depuis 348 ou 349. Grégoire ne donne aucun détail sur son séjour en Palestine, il ne le mentionne même pas dans son Poème autobiographique. Seule une brève allusion de l’Oraison funèbre de Césaire nous fait connaître l'existence de ce séjour : «pour moi, je séjournai ( éyxarauelvas) dans les écoles de Palestine, qui étaient alors florissantes, par amour de l’éloquence » 2#). Aux approches de la vingtième année, cette halte en Palestine devait être une étape sur le chemin d'Alexandrie et d'Athènes. On en a conclu que Grégoire avait séjourné à Césarée de Palestine et qu’il y avait été l'élève de Thespésios, comme le rapporte par ailleurs saint (243) 20 A. (244) Les chapitres 15 et 16 de Grégoire rappellent la VIe Catéchèse de Cyrille ; les chapitres 22 à 30 s’inspirent de la IX* (Sinko, op. cit., pp 13-8). (245) D. VII, 6 (PG XXXV, 761 A).

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE

185

Jérôme 9, Dans le cours d’un séjour qui a dû durer plusieurs mois, ajouterons-nous, Grégoire a pu effectuer un pèlerinage à

Jérusalem, pèlerinage dont la date correspondrait aux débuts de lépiscopat de Cyrille. Il est donc possible qu'il ait entendu la VI et la IX° Catéchèse dont il s'inspire dans ce discours (27. Ce séjour

se situerait dans le courant du carême de 348 ou, plus probablement, de 349. Il y a là un indice à joindre au dossier de la datation

des Catéchèses. En tout cas le concile de Constantinople en 381 remettre Grégoire en présence de Cyrille

devait

Grégoire a donc prononcé des sermons dont il a ensuite revu et remanié le texte tel que les tachygraphes l'avaient relevé. Ces remaniements ont une portée très limitée, car Grégoire s’est borné à insérer le deuxième discours dans la série où il figure et à rédiger des formules de liaison pour former de cet ensemble un tout organique. Cette opération même a été superficielle, puisqu'elle n'a pas fait disparaître toute inconséquence. On est donc fondé à s'interroger sur les motifs qui l'ont amené à laisser son travail inachevé. Saint Jérôme, avons-nous dit, connaît mal les Discours Théologiques en 393, puisqu'il en parle comme de deux livres, dirigés le premier contre Eunome, le second contre les adversaires de la divinité du Saint-Esprit. Or saint Jérôme était encore à Constantinople en mai 381, puisque le concile lui donna l’occasion d'entendre, aux côtés de Grégoire de Nazianze, la lecture du Contre Eunome de Grégoire de Nysse (243), Pouvons-nous conclure de son ignorance qu’il était arrivé à Constantinople après la prédication de nos discours ? Il serait imprudent de le faire, car Jérôme peut Îort bien ne pas avoir soupçonné la relation de ces deux ouvrages inconnus de lui avec les sermons qu’il avait entendus. En revanche, nous devons penser qu’au moment où il a quitté Constantinople, c’est-à-dire au printemps ou pendant l'été de 381, Grégoire n’avait pas encore publié le texte de ses Discours T héologiques. Peut-être la maladie et le départ de Constantinople de ce dernier interrompirent-ils son travail de mise au point. La publication ne peut être datée : tout au plus, peut-on indiquer que la relative ignorance de Jérôme en 393 s'explique mieux si cette publication date de la fin de la vie de Grégoire que si elle remonte aux alentours de 381. Quoi qu'il en soit, on peut se demander si cette prédication de évêque ne faisait pas suite chaque fois à un premier sermon, probablement une homélie sur les textes de l’Ecriture qu’on venait de lire. Il arrive en eflet que plusieurs prédicateurs prennent la (246) Saint Jérôme (De Vir. IIL, 113) rapporte aussi que Grégoire fut en la circonstance le condisciple d’Euzoius, le futur évêque arien de la ville : ces relations ne seraient-elles pas à l’origine du silence que Grégoire garde sur ce séjour dans son Poème autobiographique ? (247) L'étudiant que fut Grégoire savait prendre des notes. Peut-être était-il initié à l’art des tachygraphes. (248) De Vir. IIL, 128.

LA

186

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

parole, et c’est toujours le personnage le plus important qui parle en dernier lieu. D'autre part, l'absence de toute référence aux lectures du jour, (dans la mesure toutefois où ces références n’ont pas été retranchées pour la publication), invite à penser que

Grégoire avait chargé un de ses prêtres de commenter l'Ecriture avant qu’il prit lui-même la parole.

Qu'est-ce que ces discours nous apprennent du public de Grégoire ? Peu de choses, avons-nous dit. De ses fidèles habituels. il ne dit rien et il ne leur adresse pratiquement pas la parole 2#?. De ses adversaires ariens présents dans la salle, il sait bien peu sans doute. Aussi ne dit-il pas beaucoup plus. Il leur reproche de manquer d'exigence vis-à-vis d'eux-mêmes dans leur vie spirituelle et morale et de réduire leur religion à un objet de spéculation intellectuelle ou de conversation mondaine. « Ces hommes dont je parle, qui ont une langue agile et habile à disposer les mots nobles et choisis, je regrette qu’ils ne se préoccupent pas aussi de leurs actions » 2%). Sous la plume de Grégoire, le mot action désigne la vie morale, et plus précisément la pratique de l’ascèse, qui est la condition de la vraie contemplation (9, Déjà les premiers mots du premier discours définissaient les adversaires de Grégoire comme des gens habiles à parler : ils se posent plus en intellectuels prompts à faire surgir des problèmes et à les résoudre qu’en hommes de prière (22), Les femmes et leur entourage, c’est-à-dire les eunuques, constituent le milieu privilégié où se développe pareille attitude. Les gynécées sont envahis par les discussions théologiques (253), Quant aux eunuques, Grégoire les désigne nommément : il interpelle en effet un adversaire qu’il ne nomme pas (%*) en lui disant : « Pourquoi as-tu rassemblé tout ce qui existe comme hommes légers et qui ne sont pas des hommes (ävavôpov), tels un paquet d’ordures dans un même égoût ? Pourquoi les as-tu rendus encore plus efféminés par la flatterie ? » (5%). Cela nous oriente vers les cercles aristocratiques de la capitale, voire du côté du palais impérial, dont le personnel avait sans doute peu changé depuis le règne de Valens. Que des femmes se soient passionnées pour les discusions théologiques, cela dénote en tout cas chez elles un certain niveau de culture. (249) Les auditeurs mécontents sont priés à l'avance de garder le silence, ce qui montre que le public avait l’habitude de réagir (13 B). Le Poème autobiographique montre que la foule manifestait souvent dans les églises.

N

(250) (251)

12 B. 20 BC.

ie

12 A.

(253)

13 B.

(254)

Il s'agit d'Eunome, comme 24 A.

(255)

Sur lies intellectuels, voir la péroraison du Discours XXXVI,

on le verra plus loin.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

187

Mais le goût de la théologie a largement dépassé les frontières de ce milieu étroit, si nous en croyons Grégoire, puisque ces sujets sont abordés partout en conversation, aussi bien dans les rues ou dans les banquets que sur les places publiques 259. Si on observe le même comportement dans des milieux plus larges et dans les nombreuses occasions où les hommes restent entre eux, c'est que l'influence de ces cercles était assez grande pour déterminer une

véritable mode.

En relation directe avec ces groupes, somme toute restreints mais influents, on entrevoit les hommes de plume du parti arien, ses penseurs et ses propagandistes. Mais est-ce bien le pluriel qu’il faut ici employer ? Ii est remarquable que Grégoire n’ait pas un mot pour le clergé arien de Constantinople, pas même pour son chef, l’évêque Démophile. Sans doute continuait-il à user de ménagement, dans l’espoir de récupérer une large fraction d’un clergé moins gagné par l’arianisme que peu doué pour la spéculation. Quant à Démophile, son comportement en présence de Théodose montrera son honnêteté foncière et son absence d’ambition, puisqu'il préférera l’exil à l’adhésion aux désirs de l'empereur. En fait, la cible de Grégoire n’est jamais Démophile, auquel il ne fait aucune allusion, mais bien l’homme de plume qu'est Eunome. A la date où nous sommes, ce compatriote de Grégoire vit à Chalcédoine, c’est-à-dire de l’autre côté du Bosphore, dans le voisinage immédiat et, pour ainsi dire, dans la banlieue de Constantinople 2%, C’est avec lui que, par dessus la tête de son auditoire et d’une rive à l’autre du Bosphore, Grégoire entame le dialogue. On date la seconde Apologie du théoricien de l'anoméisme des alentours de 378, les deux livres qui la composaient ayant peut-être été publiés successivement. Or, au début du premier Discours Théologique, Grégoire s’écrie : «Il y a en effet des hommes, il y en a, qui, à nos paroles, éprouvent des démangeaisons aux oreilles et à la langue, et maintenant aussi, à ce que je vois, à la main» 9), On a cru que Grégoire faisait ici allusion à des voies de fait dont il aurait été victime 2%). Le contexte ne permet guère de le penser. En réalité, Grégoire use de métonymie et la main représente l'écriture. Il retrouvera une expression semblable à la fin du Discours XLII quand il dira : « Son silence (il s’agit de sa langue, réduite à l’inaction par sa démission) ne sera pas absolu,

car elle combattra par l'intermédiaire de l'encre et de la main » (250), Ce que Grégoire vise ici, c’est un ouvrage de propagande arienne récemment publié : comment ne pas penser à tout ou partie de cette seconde Apologie qu'Eunome venait de diriger contre le livre de Basile ?

(256) 13 AB. C.j. ‘infra p. 328. (257))

(258) (259)

Sur Eunome, voir Quasten, Initiation, II, pp.

12 A. Cette interprétation,

amorcée

par

n. 14) est exposée par Gallay, Vie, p. 3, n. 3.

(260)

492 A.

une

note

435-438.

des

Mauristes

(12 B,

DES

LA | PRÉDICATION

188

PÈRES

CAPPADOCIENS

ie Eunome avait, on s’en souvient, publié sa première Apolog

-dire vers 361. Basile lui avait répondu autour de 363/365, c'est-à contre ives Invect les lui avec ait compos re au moment où Grégoi Julien. Il y a tout lieu de penser que ce dernier n’était pas resté 378, étranger à l'élaboration du Contre Eunome de son ami. Vers . silence de es d'anné ine quinza une après Eunome riposte à Basile

On

peut se demander

et l’action

si ce n’est pas la présence

entreprise par Grégoire à Constantinople qui l'avaient déterminé à reprendre la plume pour contrebalancer son influence grandissante dans ce qui restait la citadelle de l’arianisme. La publication de l’Apologie de l'apologie daterait alors de la fin de 379 ou de 380. Cette riposte d'Eunome atteignait Grégoire tout particulièrement, À la fois comme évêque de Constantinople, comme ami et continuateur de Basile et, peut-être, comme collaborateur de l'ouvrage en cause. La publication du livre d'Eunome et l'accueil empressé que lui faisaient les cercles ariens de la capitale ont déterminé Grégoire à relayer l’action de Basile disparu en le réfutant immédiatement. Il eût été en somme très étonnant qu’il ne réagît pas. La prédication des Discours Théologiques était la réplique immédiate de l'évêque. Cette querelle de cappadociens, qui a pour cadre et pour enjeu la capitale orientale, est significative de l’importance prise par leur province. Il est assez paradoxal de constater qu’en la circonstance l'homme d'action qu’on s'accorde à reconnaître en Basile avait combattu Eunome principalement par la plume et à distance, tandis qu’il était réservé à l’'amoureux de Piouyix qu'était Grégoire d'affronter l'adversaire publiquement et sur son propre terrain. Aussi les Discours Théologiques nous apparaissent-ils essentiellement comme un duel, une joute oratoire contre le chef de l'anoméisme. Il n’est pas étonnant que l'auditoire, convié à compter les coups, reste dans une pénombre qui convient à la fonction de spectateur et d’arbitre que la règle du jeu lui assignait.

4, Les évêques et la théologie. Dans Discours

l’ensemble XX,

les conclusions

de Sinko

relativement

rept Séyuaros xal xaruoréoeuc ëmoxérov(261)

doivent

au être

retenues. Ce discours est à rapprocher des Discours T héologiques. Sinko a bien montré le caractère extrêmement composite d’une œuvre qui présente nombre de points communs, et même de doublets, avec plusieurs autres discours de Grégoire, le Discours II

en particuliers, mais aussi les Discours XXVII, XX VIII et XXIX

(Discours T héologiques I, II et III) 2. manuscrits (261)

précisent

PG, XXXV,

que

notre

Etant donné que certains

discours

a

été

prononcé

à

1065-1080.

(262) Sinko, op. cit., p. par Gallay, Vie, pp. 183-186.

60 sq.

L'argumentation

de Sinko

est résumée

SAINT

GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

189

Constantinople, étant donné surtout la place essentielle qu'y tient la polémique anti-arienne, c’est du séjour de Grégoire dans la capitale qu’il faut le dater. Mais peut-on obtenir une plus grande précision ? Sinko conclut de la multitude des ressemblances avec les trois premiers Discours Théologiques et de l'absence de tout écho de l'argumentation développée par le V° Discours au sujet du Saint-Esprit que le Discours XX tient une place intermédiaire et il le situe entre les quatrième et cinquième Discours Théologiques. Le raisonnement est solide, En revanche, l'argumentation de Gallay, qui estime que rien ne saurait s'être intercalé entre les trois derniers Discours Théologiques étant donné la cohérence qui apparaît dans les exordes de ces trois discours, n’est pas très convaincante, puisque ces exordes n’appartiennent sans doute pas à la version primitive, mais sont dus à une opération de remaniement préalable à la publication (265), Faut-il admettre cependant la correction proposée par Sinko dans

la rédaction

et lire : ci

S6yuatoc xaTk xaTaoThoEwG ÉTLOXÉTEV, EN

donnant au mot xaracréox le sens de « visite» ? Dans cette perspective, le Discours XX aurait été prononcé par Grégoire à l’occasion d’une visite d'évêques. Si la correction paraît plausible, à s’en tenir à la paléographie, elle est loin d’emporter la conviction. Remarquons tout d’abord que la tradition manuscrite ne semble pas apporter d'arguments dans ce sens. De quelle visite d’évêques pourrait-il d’ailleurs s'agir ? Sinko pensait à des évêques venus pour le concile de 381 : Gallay lui a opposé à juste titre qu'il est peu vraisemblable qu’ils soient venus à Constantinople avec huit ou dix mois d’avance, puisque le concile s’est ouvert en mai (254), Tout en admettant les corrections de Sinko, il renonce donc à en savoir davantage sur ce sujet. Nous pourrions penser à des évêques égyptiens, émissaires de Pierre d'Alexandrie, et à la réconciliation qui a suivi l’affaire de Maxime. Mais dans ce cas, Grégoire aurait sans doute attribué plus d'importance à la question du Saint-Esprit et il aurait adressé, comme dans le Discours XXXIV, quelques mots à ses visiteurs. La seule mention qui concerne les évêques est trop blessante pour viser quelqu'un d'autre que des adversaires absents. Il est bien évident que « les sages improvisés ( aÿônueptvot) et les théologiens fabriqués par lélection (xcporovnrot) » dont Grégoire déplore l’existence ne sauraient être des évêques qu'il

reçoit, füt-ce à son corps défendant (255),

Au surplus, les exemples invoqués par Sinko pour donner au mot le sens de visite n’ont rien de probant (25). Le témoignage isolé d'Hérodote 97) est difficile à invoquer pour l’interprétation (263) Gallay. Vie, pp. 185-186. (264) (265)

Gallay, Vie, p. 186, n. 3. 1065 A.

(266) (267)

Ils sont tous trois empruntés à Hérodote (III, 46; VIII, 141; IX, 9). Devenu par erreur chez Gallay (p. 186) Hérodien.

LA

190

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DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

est aisé d’un texte du 1v° siècle après Jésus-Christ. D'autre part, iltre soit rencon on où i de voir que, dans, les trois passages de celui-c visite le substantif soit le verbe correspondant, il s’agit moins d’une d’une ence l'audi à és délégu de ou rs visiteu de duction que de l’intro autorité qui les reçoit. Rien dans notre discours ne peut faire re penser à ce genre de situation. Enfin, il faut ajouter que Grégoi évidem t donnan lui en s ailleur os xuréora mot le lui-même utilise

n’y a ment le sens d'installation, d'institution de l'évêque (268), I] tution l'insti bien ne concer titre le donc ici ni visite ni visiteurs et des évêques. II est vrai, comme le remarquait Clémencet dans son avertissement, qu’il n’est apparemment pas question de cela dans le discours. À ceci nous répondrons que le rédacteur du titre, se trouvant devant un ouvrage qui doit peut-être à l'improvisation un r défaut évident d’unité et de construction, a cherché à en dégage ée élabor a qu'il Celle dans une formule les idées essentielles. manifeste qu’il va être question du dogme et des théologiens improvisés qui ne craignaient pas de le falsifier. C’est le mot xctporovnré qui a entraîné la rédaction de ce titre. D'ailleurs les autres rédactions conservées par la tradition manuscrite parlent du dogme et des évêques qui professent ce dogme (269), Les unes et les autres dégagent les deux composantes essentielles de l'œuvre. Dans sa plus grande part, elle expose des arguments anti-ariens qui ne sont pas nouveaux sous la plume de Grégoire et que les Discours Théologiques développent avec une ampleur plus considérable et une maîtrise plus affirmée. D’autre part, l’exorde, reprenant des idées que Grégoire avaient publiées quelque quinze ans auparavant sur le sacerdoce (7), les applique cette fois-ci à l'épiscopat, et ceci devant le grand public. Aux docteurs improvisés que sont la plupart des évêques, en ce 1v° siècle où ils émanent sans transition du laïcat, il oppose déjà l’image du pasteur idéal, lentement formé à l'exercice des responsabilités par une longue vie de vertu couronnée par l'expérience de la prière contemplative 27. L'évêque qui s'exprime en ces termes sur le compte de ses collègues dans l’épiscopat sait de quoi il parle. Révèle-t-il à ses ouailles une situation facile à taire ? On peut en douter, dans cette ville de Constantinople qui avait eu plus d’une occasion depuis cinquante ans de voir et d'entendre prêcher tant d’évêques en mal de visite à la cour impériale. En tout cas, le concile de 381 allait rassembler dans la capitale quelque cent cinquante évêques qui devaient ressembler davantage au type de pasteur que redoutait Grégoire qu'au modèle qu’il appelait de ses vœux. Bientôt même, en la personne

de

Nectaire

c'est

un

xerporovnrèc

Beéloyoc

qui allait

lui

succéder.

(268) PG, XXXVI, 536 À, ainsi que dans la Lettre LXXIX. (269) Ileei Séyuaros ou Iso Soyudrov fror megl Ueonoyiac ou encore Ilept Soyuérov nat xaTd Emo (270) Cf. supra, pp. 98-100. .@71) 1065 A-1069 B. C'est le thème sous-jacent de l’Oraison funèbre de Basile (Discours XLIID), cf infra, pp. 236-246.

CHAPITRE

Grégoire

III

de Constantinople

(380-381)

L'arrivée de Théodose allait introduire des changements importants dans la vie de Grégoire. Le mardi 24 novembre 380, l’empereur fait son entrée dans la capitale à l’improviste. Le jour même, il convoque Grégoire et lui signifie son intention de l'installer à la place de Démophile dans «le temple», c’est-à-dire dans l’église des Saints-Apôtres. L’expulsion des ariens eut lieu le jeudi 26 novembre et, au début de la matinée du 27, Théodose procéda lui-même à l'installation de Grégoire . Celui-ci a décrit d'une façon assez pittoresque le déploiement des troupes dans la ville, la marche du cortège au milieu d’une foule hostile, l'entrée dans une basilique pleine de fidèles aussi mal disposés et de soldats en armes dont l’un dut même dégaîner. L’hostilité générale se mua subitement en acclamations quand le soleil, jusque à voilé, illumina l’église au moment où la prière commune commençait. Versatile, la foule cria sa volonté de voir le nouveau venu occuper le trône épiscopal qu’il avait laissé vide. Ce jour-là, Grégoire manifesta son refus et remit la chose à plus tard ®). Quand accepta-t-il de se considérer comme l’évêque de Constantinople ? Le Poème autobiographique donne à croire que c'est le concile qui le contraignit à accepter cette charge %). Sans doute veut-il dire que le concile donna à cette affectation la sanction épiscopale qui lui manquait jusque-là. Grégoire est en effet juridiquement évêque de Constantinople à partir de mai 381, dans la mesure du moins où cette nomination ne fut pas ultérieurement remise en cause par des évêques retardataires, venus d'Egypte et de Macédoine, Acholius de Thessalonique notamment, qui agissait à l’instigation du pape Damase. En fait, il n’attendit pas davantage pour se comporter en cheî de l’église de Constantinople. Dès les Discours XXXIX et XL, qui datent, comme nous le verrons, de (4)

Sur

ces

événements,

connus

cf. Gallay, Vie, pp. 186-188. (2) Poème autobiographique, (3) 1Ib., 1135, v. 1525.

par

1120, v.

Socrate,

V, 7 et Sozomène,

4 1325-1395.

VII, 5,

192

LA

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DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

, et l'Epiphanie 381 (#, il use d’une autorité pleine et entière ra montre me baptê le sur XL rs Discou du tions l'ampleur de concep é. Dès qu'il abordaïit alors l’avenir avec des perspectives de stabilitle siège sur place e prendr de avant cette date, il avait accepté et réservé à l'évêque, accédant à la volonté initiale de l’empereur foule. la de désirs aux cédant C'est dans l’église des Saints-Apôtres, alors église principale de de Constantinople, que se déroulera désormais la prédication Située oce. Cappad en Grégoire jusqu’à sa démission et son retour de dans les quartiers du nord-ouest, au voisinage de l'enceinte rapport par ville la de é l'oppos à près peu à était elle Constantin, au palais impérial et à Sainte-Sophie 6). Le cortège qui y conduisait

nt Grégoire eut donc à traverser la majeure partie de la cité, couvra , Eusèbe Mésé. la sur tres kilomè deux on d'envir e une distanc pernt eureme Grégoire lui-même et le Pseudo-Codinus ultéri mettent de se faire une idée approximative de l'édifice, ou plutôt de l’ensemble de bâtiments qui le composaient. Il s'agissait, bien entendu, d’une église de plan basilical. Ses murs, très élevés, étaient revêtus de plaques de marbre jusqu’au

plafond, qui était en boïs entièrement doré. Le toit était recouvert

de bronze. Grégoire nous dit qu’elle était cruciforme, comme les et à grandes églises construites par Constantin à Rome Jérusalem ®. A l’intérieur, les femmes prenaient place dans des tribunes ©. Quatre portiques reliés entre eux entouraient l’église. Diverses constructions flanquaient ces portiques : bientôt Aelia Flaccilla, la première femme de Théodose, joindra à l'un d’eux un palais. Mais l'annexe la plus importante de l'église était le mausolée impérial circulaire, surmonté d’une coupole, que Constantin avait construit à l’est de l’abside avec laquelle il communiquait. Au fond de cette abside, faisant face au public et surplombant aussi bien la nef et l'autel que le banc des prêtres qui se déployait de part et d’autre, le trône de l’évêque. C'est là que l’évêque préside aux cérémonies liturgiques, c’est là que, debout ou assis, il enseigne les fidèles'de la capitale. A. — UNE PRISE DE POSSESSION.

Le Discours XXXVI ®) est très probablement le premier que Grégoire ait prononcé dans ce nouveau cadre. Il témoigne de ce qui s'était passé dans les jours ou les semaines qui avaient suivi son installation. (4) Cf. infra, p. 199 sqa. (5) La mosquée Sultan Mehemet ou Fatih Cami est construite sur son emplacement. Les éléments de cette description sont empruntés à KR. Janin, Eglises et monastères, pp. 46-55. (6) Carmen de insomnio Anastasiae, v. 59-60 (PG, XXXVII, 1258). (7) Poèmes autobiographiques, v. 1379 (tb. 1124). (8) PG, XXXVI, 265-280.

SAINT

GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

193

; En prenant la parole, Grégoire n’a pas d’autre but que de témoigner son affection à ceux qui lui avaient manifesté la leur en voulant qu’il fut leur évêque, et de répondre aux critiques que son intronisation avait fait naître. A bien des égards, ce discours, prononcé en présence de l’empereur (®), est un discours de remerciement. Grégoire est sensible à l'affection qui lui a été témoignée, à l’avidité dont son enseignement est l’objet, mais son attitude est quelque peu embarrassée, car il n’ignore pas que son acceptation a soulevé aussi de vives critiques. Il reste d’ailleurs très conscient de l’irrégularité de sa nomination. « Votre affection, s’écrie-t-il, vous a fait commettre une irrégularité » 40), Grégoire a été l’objet d’une xuvorouix « quand vous, qui êtes le peuple, vous m’avez placé sur ce trône». L'événement est récent (rpm) Grégoire, nous l'avons vu, avait refusé le vendredi 27 novembre de s’asseoir sur le trône de l’évêque de Constantinople. Si la population a manifesté à nouveau sa volonté, elle a dû le faire assez tôt, et de toute facon avant l’'Epiphanie. Les dimanches 29 novembre ou 7 décembre peuvent lui en avoir fourni l’occasion. Le Discours XXXVI date donc d’un des dimanches qui ont suivi et les Bénédictins n’avaient pas tort de le situer vers la mi-décembre 389 (1), Dès l’abord, Grégoire retrouve ce ton direct, cette façon d'établir une relation personnelle avec ceux qui l’écoutaient que nous avions constatée chez lui à plusieurs reprises, notamment dans ses premiers sermons de Nazianze dix-huit années auparavant. « Pour ma part, ce sont ses premiers mots, je me demande ce que vous avez bien pu éprouver en m’entendant... » (2), I] compare aussitôt l'attitude de la foule à son égard à un phénomène de magnétisme produit par sa parole. Cet étonnement n’est sans doute pas feint et la simplicité de cette entrée en matière explique probablement en grande partie l'attitude à son égard d’une foule habituée, si nous len croyons,à un tout autre genre d'éloquence ), Pourtant, la parole de Grégoire se heurtait à des obstacles dont il avait conscience. Quand il nous dit que sa voix « vient de l’étranger » ( 5xepopiou ), 1l faut peut-être en déduire qu’il n'était pas tout à fait dénué d’accent cappadocien. Surtout, la faiblesse de l’organe constituait un obstacle nouveau, puisque c’est sans doute la première fois de sa vie que Grégoire prêche dans une grande basilique (4). Certains ont pensé que ce discours avait pu être prononcé à une date plus tardive 5), mais le souci que manifeste Grégoire, en évoquant dans son exorde la figure d'Alexandre, de ne pas paraître #

+4

(9). 272.C. (10). 268 B. (11)

Monitum,

(42) (43) (44) (15)

265 265 265 Cf.

263-264.

A. C-268 A. A. Gallay, Vie, p. 189.

A

194

LA

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DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

ntinople, un novateur en prêchant l’orthodoxie nicéenne à Consta t où momen du rs discou ce dater à mais un restaurateur, nous invite dre Alexan cet de seur succes en fois re premiè la il apparut pour sur le siège de Constantinople 49). En inaugurant son épiscopat à Constantinople, Grégoire entend se situer non seulement par rapport à ce lointain prédécesseur orthodoxe qu'était l'évêque Alexandre, mais encore et surtout par opposition à un type d’évêques trop répandu à son gré (roXodc rov vÜv ieporedetv Orioyvouuévev ) 41,

Ce

qu'il

reproche

à

ces

hommes c’est de calquer leur enseignement sur des modèles profanes. Leur éloquence a pour modèle celle des conférences ou des réunions publiques. A la conférence ils doivent la recherche constante de l’élégance formelle, de l'éloquence de lagora ils ont gardé l'habitude de flatter ceux qui les écoutent. Ils cherchent à plaire aussi bien par leur style que par leur soumission à tous les désirs de la foule 42). Il faut relever ici, comme un trait de mœurs significatif, que l'attitude démagogique reprochée aux évêques constitue chez eux une imitation des mœurs politiques de l’époque. Dans une ville comme Constantinople, malgré la centralisation du pouvoir liée au régime impérial, le jeu de l'activité politique suppose la recherche de la popularité, et celle-ci ne se conçoit guère sans l'intermédiaire de la harangue. Que les chefs de l'Eglise aient calqué leur comportement sur celui des hommes politiques peut s'expliquer de plusieurs façons. D’un côté, ce sont souvent les mêmes hommes qui fournissent aux deux carrières, du moins ce sont les mêmes familles, les mêmes milieux; de l’autre, c’est à peu de chose près le même public qu’ils ont à affronter à l’agora ou dans l'église. La gaucherie, la rusticité que Grégoire ne répudie pas sont des qualificatifs qui peuvent dans une certaine mesure convenir à un style qui reiette l’art pour l’art ou l’afféterie, mais qui caractérisent en définitive moins la forme pure que le fond de l’enseignemnt donné (9, Ce que certains reprochaient à Grégoire en ce domaine, c’est le refus de toute concession à la volonté populaire, c’est la résistance aux volontés exprimées de la foule. Ses partisans les plus affirmés avaient très mal pris son refus d'occuper le siège épiscopal au point que leur affection, dit-il, s'était changée en haine (0), Exagération oratoire ? Peut-être. En tout cas, il est probable que les formules de Grégoire dénotent des mouvements de foule dans l'enceinte de l'Eglise, mouvements que des conversations privées ont pu prolonger. (46) 265 B. Alexandre était évêque de Constantinople au moment de la mort d’Arius (335). Il avait succédé à Métrophane vers 313. Il mourra aux environs de 336. Son long épiscopat de vingt-trois ans éclipse la très brève période de celui de son successeur immédiat, Paul, et le fait apparaître comme le dernier évêque orthodoxe de la ville.

(47) 268 A. (48) Ibid. (49) Ibid. (20) 268 B.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

195

Quels sont ces opposants et quelle est la nature de leur opposition ? Grégoire nous lé donne à comprendre a contrario en énumérant les raisons qui guident ses partisans. Ceux-ci, nous dit-il, lui sont d’autant plus attachés qu'ils l'avaient choisi euxmêmes (21), On peut l’entendre de ceux des fidèles qui fréquentaient auparavant l’Anastasia, mais c'était là une petite minorité, On doit donc y voir surtout une masse qui avait brusquement opéré un revirement sans doute encore très superficiel. Ce groupe reste probablement très mêlé. Il y a peu de chances pour que des éléments du clergé autres que ceux qui entouraient Grégoire à l’'Anastasia y figurent. Une deuxième raison que la foule peut avoir de s'attacher à Grégoire c’est qu’il est moine et se comporte comme tel. Il porte d’ailleurs l’habit monastique (2). Les laïcs influents, parmi lesquels se recrutait alors surtout l’épiscopat, devaient compter dans leurs rangs des opposants à cet évêque trop différent d’eux, mais peut-être aussi les membres du clergé qui n'avaient pas embrassé la vie monastique. Plus claire est pour nous la troisième raison imaginée par Grégoire. On s'attache à lui,

dit-il, dans la mesure où on voit en lui la victime d'attaques aussi

bien extérieures qu'intérieures (3), Et il cite le prophète Daniel : « L’iniquité est venue de prêtres de Babylone qui se donnaient pour tuges du peuple ». C’est donc dans les rangs du clergé, que Grégoire situe surtout ses adversaires. Certains lui font une guerre ouverte qu'ils conduisent de l'extérieur (rüv #Æwflev érokeuoivrav). Ce sont peut-être des évêques et des prêtres qui ne font pas partie à cette date de son clergé. Il s’agit de l’épiscopat arien, maïs aussi des adversaires de la divinité du Saint-Esprit. A la date où nous sommes, la réconciliation est intervenue avec Pierre d'Alexandrie et les difficultés avec l’épiscopat égyptien ne recommenceront qu’au cours du concile de 381, mais Grégoire peut penser aussi aux intrigues que Maxime poursuivait à Alexandrie, puis en Italie pour se faire reconnaître comme évêque de Constantinople. Quant à ceux qui intriguent à l’intérieur contre lui (rüv #vSoBev émBourevévrov) ce sont certainement des membres du clergé de Constantinople même. La nature et le but de ses intrigues se laissent mal définir. Il peut s’agir de simples critiques formulées dans la conversation courante, plus probablement de propos tenus sur son compte au cours de ces visites à la cour dont Grégoire nous dit, dans son Poème autobiographique, qu'il s’abstenait pour sa part ®). Pourtant, à y regarder de près, la nature de ces critiques fait apparaître un cercle d’opposants assez nouveau. Ce qu’on lui reproche, c’est sa prédication même, non plus parce que le style n’en est pas assez relevé ou parce que la doctrine exposée est celle (21) 268 C. Il est notable que cette élection laïcs; il est vrai que Grégoire était déjà évêque. (22) Ibid. et 272 D. (23) 269 A. (24) 1127-1128, v. 1424-1435.

soit entièrement

le fait de

196

LA

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PÈRES

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constitue le fond, peutde Nicée, mais bien parce que la théologie en élie traditionnelle l’hom de te être même parce que Grégoire s’écar Pourquoi ne nous « ture. l'Ecri de al littér asservie au commentaire nt muet ? à un sommes-nous pas attachés à un enseigneme ) ? Oui, pourquoi, uouv Balvo enseignement sec et à ras de terre (xéro cet enseignement, dans aît compl se quand nous voyons que la foule ent d’ailleurs vienn qui et gères étran ns latio spécu donner dans des Ce genre de (5), ?» ses et se dresser contre les langues adver d’esprit qui état d’un ateur révél ent critiques nous semble extrêmem e à des affair avons Nous . clergé le dans du devait être assez répan soit qu’en e quell es, gens qui se mélient des spéculations théologiqu e simpl aussi nt gneme ensei un à l'orientation. et qui restent attachés re majeu la de face en doute sans es somm que traditionnel. Nous gers à l'enseignepartie du clergé de Constantinople, hommes étran cultivés. Les peu doute ment des écoles philosophiques et sans Eunome et Entre . ement total sent dépas querelles théologiques les grande. très pas être peutt paraî leur ne rence diffé Grégoire, la retraite, sa dans e phil Ces serviteurs de l'autel n’ont pas suivi Démo le de formu une à n icatio signif de n’attachant pas beaucoup plus grand plus le tenir t-il devrai orien l'hist doute Sans foi qu’à l’autre. du es ogiqu théol des querelles dans lappréciation compte, n catio d’édu ndes profo s rence diffé ve siècle, du clivage que les les parmi peu Bien it. d'espr es famill deux entre introduisaient philoprêtres, et même parmi les évêques, avaient reçu la formation qui, débat un à ciper parti de sophique qui les aurait mis à même Par tête. leur de s dessu au ler dérou se dû , a dans l’ensemble é dessous la valse des évêques et des formules de foi, ils ont assur ment. une continuité où n’entrait aucun renie L'ignorance en constituait pourtant le fondement, et Grégoire est très conscient de ce défaut chez ses adversaires 6), Mais l'ignorance ne suffit pas à expliquer leur attitude à son égard : il y faut joindre la jalousie, une jalousie qu’il condamne vigoureusement. Comme à son accoutumée, il emprunte à la Bible une liste d'exemples destinés à illustrer les méfaits de la jalousie (27 Peu-être n'est-ce pas un hasard si les femmes tiennent une place considérable dans cette énumération. Adam, nous dit-il, fut trompé «par le plaisir et par les femmes » ; plus tard, c’est l'envie qui poussa Marie, la sœur de Moïse, à murmurer contre son frère, et si l'envie a perdu Salomon, c’est encore par les femmes. Il se pourrait bien que Grégoire soit renseigné sur l'existence d'une coterie complotant contre lui, coterie où les femmes auraient pu jouer un rôle important à côté de prêtres que les noms de Dathan et d’Abiron ou même de Judas pourraient désigner. On hésite à dire que nous sommes en présence d’un développement à clé. Pourtant, le contexte contient d’autres allusions dont le sens n'apparaît guère (25) 269 B. @6) 1b. (27) 269 C-272 B.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

197

que si elles concernent des personnalités liées aux précédentes. On ne voit pas bien en eflet ce que vient faire ici une évocation de la personne de Julien l’Apostat et d’une entreprise depuis longtemps périmée, mais quand Grégoire ajoute que « même si nous avons échappé à la flamme, il en reste des charbons qui nous tourmentent encore maintenant » (8), cette digression prend un sens, sous le règne de Théodose, dans la mesure où elle concerne telle personnalité païenne inîluente liée, dans son hostilité à Grégoire, aux adversaires dont nous avons déjà décelé l'existence. Enfin le Jéroboam auquel Grégoire s'est heurté et qui est réduit au silence C°) est probablement Démophile, qui n’avait pas renoncé à intriguer contre lui, soit peut-être auprès de l’empereur, soit surtout auprès d’un clergé qui avait été le sien et sur lequel il avait certainement conservé quelque influence. Si l’ignorance pouvait conduire certains membres du clergé à mal juger la prédication de Grégoire, la jalousie les portait surtout à incriminer son ascension soudaine. L'importance de la ville est soulignée par la péroraison. Elle vient aussitôt après Rome, peut-être même ne lui cède-t-elle pas la prééminence, aussi l’accession de Grégoire à ce siège l'exposait-il presque inévitablement au reproche d’ambition ®), D'autant plus qu’on savait qu’il avait été. fait évêque de Sasimes et que les canons disciplinaires de Nicée interdisaient les transierts 6), La réponse de Grégoire tient en peu de mots : il n’a jamais été réellement évêque de Sasimes, de plus ii n’était pas venu pour être l’évêque de Constantinople, mais gardien ou tuteur de cette église. Au plaidoyer, il joint volontiers la riposte : « admettons que les Gabaonites aient la supériorité sur nous, eux dont je sais que l'Esprit saint ne les admet même pas aux emplois de coupeur de bois ou de porteur d’eau... » (#2), Ces Gabaonites, ce sont ceux qui pourraient occuper un siège épiscopal sans s’attirer de critique malgré leur hérésie, tandis que Grégoire s’en verrait exclu.

L’évêque rend compte de l'intention avec laquelle il était venu à Constantinople. Il voulait préparer les voies à un évêque orthodoxe, il n’entendait pas être cet évêque. Mais c’est au passé

qu'il s'exprime, et non au présent. Il a beau considérer que le peuple a commis une irrégularité en l’installant sur le trône épiscopal 3), il n’entend pas revenir sur un fait qui lui paraît désormais acquis. Aussi interpelle-t-il ses ouailles en les appelant «mon troupeau » au moment leçon d’évêque (%). (28) 272 A. (29) 272 B. (30) 272 C sqq. (31) 272 D-273 A. (32) 273 A. (33) 268 B. (34) 277 A.

où il va leur adresser sa première

LA

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PÈRES

CAPPADOCIENS

à l'écart, sans haine, A tous, il demande de tenir les hérétiques à chacun une brève e dédi il mais en ayant pitié de leur chute, puis née. t desti remen {eçon qui lui est plus particuliè er lieu, « Princes, C’est à l'empereur qu’il s'adresse en premi à l’empereur le e confi qui Dieu respectez la pourpre». C'est de ses sujets rd l'éga à rter compo se donc monde entier, il doit l’or ou dans dans non et comme Dieu et mettre sa force en Dieu, ale. génér très voit, le les armes 4. La leçon reste, on trop s'enorAux hauts fonctionnaires, il demande de ne pas reur, mais l'empe à gueillir de leur pouvoir et de rester fidèles non sans invite, les il , nobles aux d'abord à Dieu 4%. Quant te 7. condui leur dans se nobles la de er montr à quelque mépris,

, les intellecDans cette énumération qui suit l’ordre hiérarchique ent après la iatem imméd nt vienne tuels, philosophes et rhéteurs, avant les mais , riale) sénato classe la noblesse (c'est-à-dire qui est parole la « riches 8. Grégoire les invite à posséder riches, Les ture. l'Ecri Dieu, de première », c’est-à-dire la parole pas ne de ller consei ndent s'ente re, attend sy t comme on pouvai %). ureux s'attacher à leur richesse et de venir en aïde aux malhe la pauvreté A cette occasion, une brève esquisse nous montre qu’à gestion, le d’indi e souffr riche Le e. maladi est liée une véritable pieds. En ses sur pas tient ne 1l et ) (53päv opisie d’hydr pauvre cle que specta le sur long peu de mots, Grégoire nous en a dit le. ntinop Consta de pouvaient offrir les rues Les dernières paroles de l’évêque s’adresseront à la ville entière (4). Reprenant à son compte sa prétention à égaler Rome, de il invite la cité à occuper aussi le premier rang dans le domaine stades des théâtre, du la vertu, à rejeter la passion des chevaux, et des spectacles cynégétiques 4). Un dernier souhait évoque

l'image peinte de la ville dans les mains du Seigneur, son véritable fondateur : évocation très probablement inspirée par une fresque ou une mosaïque qui devait représenter sur les murs des SaintsApôtres l'image Constantin (#). (35) (36) (37) (33) (39) (40)

de la ville dans

les mains

de son

fondateur,

277 C. 277 CD. 277 D. 280 A. Ibid. 280 B.

(41) Commencé par Septime-Sévère, achevé par Constantin et inauguré le 11 Mai 330, l’hippodrome de Constantinople avait été construit non seulement en vue des courses de char, mais aussi pour servir de cadre à des spectacles de mimes et des venationes. (42) Dans la Sainte-Sophie de Justinien, une grande mosaïque représentera Constantin et Justinien ofirant, l’un la ville de Constantinople, l’autre l'église, à la Vierge assise sur son trône. Ci. R. Janin, Les églises et les monastères, p. 471.

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B. — LES DÉBUTS D'UN ENSEIGNEMENT.

Les Discours XXX VIII, XXXIX et XL (3) forment un ensemble prononcé à quelques jours de distance. Le Discours XXXVIII a été prononcé un 25 décembre à l’occasion de Noël. Le Discours XXXIX est relatif à la fête de l'Epiphanie et date du 6 janvier, le Discours XL lui faisant suite. Nul doute qu'ils appartiennent à une seule et même série, les indications ne manquant pas dans chacun des discours pour annoncer le suivant ou rappeler le précédent (#).

Il est moins facile de déterminer de quelles années il s’agit. Dans sa biographie de Grégoire de Nazianze, P. Gallay fait l’historique de la question avant de se rallier à la dernière solution proposée, celle de Sinko, qui date le Discours XXXVIIT de

Noël 379 (45),

Tillemont optait pour Noël 380, de même que les éditeurs bénédictins (4), En 1889, Usener, dans son ouvrage consacré à la fête de Noël, prenait parti pour 379. Son argumentation, complétée par Gallay, reposait sur la constatation que Grégoire se présente à ses auditeurs comme un éfranger, un campagnard, un homme pauvre et sans-foyer, termes qui ne seraient plus de mise après sa prise de possession, le 27 novembre 380, de la basilique des Saints-Apôtres (47). A vrai dire, le repère est fragile et appelle les objections. Rauschen a montré en effet que des expressions de ce genre se retrouveront dans des discours qui ont certainement suivi l’installation de Grégoire aux Saint-Apôtres (#), En effet, le Discours XXXVI est postérieur à cette date et Grégoire y déclare pourtant que sa voix est étrangère (4). En juin 381, il se considèrera encore comme un pasteur venu du dehors et un étranger 5). A ces objections, Sinko a répondu que les termes du discours de juin 381 s'expliquent par les circonstances de la démission de Grégoire 1. Au moment de prendre congé, il rappelle ainsi non (43)

PG, XXXVI,

311-428.

(44) A la fin du D. XXXVIIL, «tu verras Jésus purifié dans le Jourdain qui opère ma purification » (329 B) peut d'autant plus être considéré comme une annonce du D. XXXIX sur le baptême du Christ que ces termes sont repris dans l’exorde de ce dernier discours: «il opère ma propre purification » (336 A). Au début du D. XL, Grégoire s’écrie: « Hier nous avons fêté le splendide jour des lumières » (360 B) et, quelques lignes plus loin, il ajoute que le temps lui a manqué la veille pour traiter le sujet qu’il aborde. (45) Gallay, pp. 153-159. (46) Tillemont, Mémoires, IX, 462. (47) Das Weilhnachtsfest, Bonn, 1889. (48) Rauschen, Jahrbücher der christlichen Kirche unter dem Kaiser Theodosius, p. 79

(49) 265 A. (50) 457 A et 469 C. (51) Les arguments de Sinko sont repris et complétés par Gallay, p. 155.

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ins des évêques sur la sans amertume les contestations de certa reproché d’occuper validité de son épiscopat, puisque on lui avait avait été consacré qui lui irrégulièrement le siège de Constantinople, s en passant, noton mais juste, est que évêque de Sasimes. La remar pourraient res culiè parti ns raiso res d’aut que avant d'y revenir, Quant à 380. Noël de expliquer la même façon de parler autour urs Disco du ge langa du nt donne y l'explication que Sinko et Galla t paraî nous elle 380, mbre nove 27 le après XXXVI, prononcé peu vous, sur it produ tout à fait probable. «Je suis surpris de l'effet avez été pris à ce s'écrie Grégoire, je me demande comment vous sans doute, une grêle et gère étran voix point par notre voix, une à rappeler, au ie l'iron de a y [1 (62. » ... plaire pour rien n’a voix qui l'autorité, les de e comm s moment où il prend possession des esprit ironie même la mais , d'hier is ennem propos malveillants de ses qui urs, disco trois nos dans aussi pas lle ait-e ester ne se manil s'ils I XXXV urs Disco suivent à quelques jours de distance le datent de 380/381 ? faut Ce n’est pas ce que pensent Sinko et Gallay qui jugent qu'il VIII. XXX rs Discou du paroles les lettre la de prendre au pied que « Puisqu'en ce jour je vous reçois à ma table, voulez-vous de rs discou un êtes vous que es je présente aux nobles conviv que afin peut, se faire que autant délicat et nt abonda , circonstance s par vous sachiez comment les gens de ce pays peuvent être nourri de rs amateu les nard, campag un un étranger, les citadins par les et sances, réjouis de pas n’a qui homme un réjouissances par riches opulents par un pauvre et un sans-foyer ? » 63), Gallay, dont nous venons de citer la traduction du passage en cause, conclut: « c’est le langage d’un pasteur dont la situation est humble et diflicile ;ce n’est pas ainsi que s’exprimerait un évêque maître d’une grande ville et d’un grand peuple, comme Grégoire le sera à la fin de 380 » 59. Il nous paraît plus probable que ce sont les mêmes sentiments qui animent Grégoire ici et là, quand il accole à son nom des épithètes du genre de pauvre, sans-foyer ou campagnard. Si ce discours date du 25 décembre 380, l'ironie dont il témoigne s'explique aisément : il ne devait pas déplaire au rhéteur, qu'il était resté de souligner ainsi l’antithèse qui régnait entre le récent passé décrié et le cadre grandiose où il parlait. Il y à, il est vrai, dans l’un ou l’autre des trois discours, des allusions à des faits qui se situent en 379. C'est ainsi que Grégoire

craint de se voir reprocher un tri-théisme dont on l’accusait, nous le savons, au début de son séjour à Constantinople. Mais il ne nous semble pas qu’une telle accusation constitue un point de repère sérieux : elle énonce le reproche que des ariens pouvaient faire en toute circonstance à des tenants de la formule de Nicée et qu’ils n’avaient sûrement pas abandonné en 380 ou 381. Si Grégoire fait (52) 265 A. (53) 316 C. (54) Vie, p. 156.

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mention particulière de ce genre d’accusation au début de son séjour à Constantinople, c’est parce que ce reproche de portée très générale était le premier qui devait venir à l'esprit d'une foule formée dans l’arianisme à l’arrivée d’un évêque nicéen qu’elle ne connaissait pas et envers qui elle ne pouvait formuler encore aucun grief particulier. Ceux-ci se préciseront «u bout de quelques mois et prendront le pas sur l'accusation de tri-théisme, sans que cette dernière soit pour autant abandonnée dans le fond. Si Grégoire évoque ce reproche, c’est parce qu'il le sait inscrit dans les esprits de tous ceux qui avaient été formés par l’enseignement arien, parce qu’il sait que ceux qui l’écoutent l’ont peut-être eux-mêmes formulé et qu’il a l’occasion de se défendre devant eux. Cette possibilité ne lui est offerte que depuis le 27 novembre 380 : il est normal qu'il en use le 25 décembre 380 et le 6 janvier 381, en profitant de l’affluence des grands jours de fête. Quant à l’allusion aux pierres reçues, que Sinko a relevée dans le Discours XXXIX 55), il ne semble pas du tout évident qu’elle s'explique mieux, comme il le pense, si cet événement du 21 avril 379 est rappelé le 25 décembre de la même année que l’année suivante à la même époque. La proximité des faits ne change pas grand chose. De plus, le 25 Décembre 379 cette allusion s'adresserait aux fidèles de l’Anastasia, ce qui est admissible, mais le 25 décembre 380 elle a pour public la foule des Saints-Apôtres, dont les assaillants du 21 avril 379 faisaient peut-être encore partie. Il s’agit alors d’un reproche voilé dont la discrétion ne manque ni de charité ni d’habileté, l'élégance de la parole se joignant à celle du geste. Là encore, ces événements relativement anciens ne sont rappelés que parce que le prédicateur n’a que depuis peu l’occasion de le faire.

Enfin, c’est de la même façon qu'il faut expliquer le fait que Grégoire se présente en homme qui vient du désert comme Jean-Baptiste 56). Ce langage est-il plus adapté dans sa bouche le 25 décembre 379 qu’un an plus tard ? Ce n'est pas certain et l’homme qui inaugurait la chaire des Saints-Apôtres avait le droit de considérer les deux années qu’il venait de passer à Constantinople au sortir d’Isaurie comme un intermède qu’un mouvement d’éloquence pouvait bien négliger s’il lui permettait de se présenter au jour de l'Epiphanie, commémoration du baptême

du Christ, comme un imitateur du Précurseur dans son appel à recevoir le baptême. Aux yeux de l’opposition citadine, ce nouveau venu qu'est l’évêque reste un campagnard, sans qu’elle se soucie trop de distinguer l’Isaurie de la Cappadoce ; ni de savoir si son arrivée datait de la veille ou de l’avant-veille, nous

Aucun des arguments avancés par Usener, Sinko ou Gallay ne paraît donc concluant et rien ne nous force à dater cet (55) 332 C. (56) 349 C.

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LA

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re ensemble de discours de 379/380. Nous avons vu au contrai e périod la à mieux t ponden corres es d'indic nombre qu’un certain ation, d’hésit marge La qui va du 25 décembre 380 au 6 janvier 381. si il est vrai, n’est pas grande et nous pourrions nous en satisfaire, capital ment change un it introdu pas n'avait 380 re le 27 novemb dans les conditions où s’exerçait le ministère de Grégoire. Nos trois discours revêtent une portée et une signification bien différentes selon qu'ils sont prononcés devant le petit public de l'Anastasia ou qu’ils constituent le début d’un enseignement de la masse chrétienne de Constantinople dans le cadre grandiose de la cathédrale des Saints-Apôtres. Aussi vaut-il la peine d'examiner les indices susceptibles d’étayer la conviction que nous avons essayée d'établir. Remarquons tout d’abord que les reproches que Grégoire évoque dans le Discours XXXVIIT dans une phrase que nous avons citée 57 ont un écho dans un autre de ses discours, le Discours XXXIIL, Contre les Ariens et sur lui-même. Gallay croyait pouvoir dater ce discours de 379 et, dans cette perspective, le rapprochement, qu'il n’a d’ailleurs pas établi, entre les deux œuvres conduirait à les situer à des dates voisines. En fait, nous avons vu plus haut que ce Discours XXXIII, qui n’a sans doute pas été prononcé, fait l’objet d’une publication entre le 28 février et le 27 novembre 380 65. Rien de déterminant dans un tel rapprochement, qui laisse possible le choix de l’une ou l’autre année pour les Discours XXXVIII. Retenons cependant que dans le courant de 380 Grégoire n’a pas perdu le souvenir des critiques portées à son égard vers le milieu de l’année précédente.

Un autre indice, faible il est vrai, pourrait être trouvé dans la longue polémique contre les païens qu’on peut lire au début du Discours XXXIX 5. Son ampleur s'explique peut-être mieux dans la bouche d’un homme qui prend la tête de l'église de Constantinople que dans celle du prédicateur de l’Anastasia. Mais ce même discours contient des indications plus nettes. Grégoire en effet expose assez longuement la doctrine trinitaire sans épargner le détail ni les termes techniques. On peut relever l'emploi de mots comme ‘oùolx, iréoruotc, rpbowmov, IBL6TNc, auvalpeouc, Bualpeouc, dviobtns, ÉxTopeuT, ÉXTEMOPEUTAL (60), Cette précision pourrait

convenir à une prise de position publique aux Saints-Apôtres. Mais il y a plus. Il y a dans ce même discours un développement sur ceux qui reçoivent le baptême sans s’y préparer qui correspond mal au public fervent de l’Anastasia, mais qui est tout à fait à sa place dans la bouche d’un homme qui a en face de lui la foule de (57) «Où sont-ils donc ceux qui nous reprochent notre pauvreté et qui font sonner bien haut leur richesse ?». Ce sont les premiers mots du D XXXHI (213 A). (58) Cf. supra, pp. 165-168 (59) 337 B-34 C. (60) 345 C, 348 A, 348 B et C.

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Constantinople (61, Ces gens qui s'élèvent contre leur prédicateur (®) sont beaucoup plus probablement des membres de cette même foule que ceux qui avaient fait venir Grégoire à Constantinople dans le but exprès de recevoir de sa bouche un enseignement orthodoxe. Quant au clergé indocile dont Grégoire

fait mention (%), il ne peut s’agir que de celui que Démophile avait

laissé à Grégoire en quittant la ville, et dont le ralliement à la nouvelle autorité pouvait n'être qu’incomplet ou superficiel.

De même on peut noter que Grégoire tire occasion de la fête de l’Epiphanie pour développer très longuement la doctrine du baptême. Cet exposé, abordé à la fin du Discours XXXIX (6), va occuper tout le Discours XL, un des plus longs (5). On ne voit pas ce qui pouvait pousser Grégoire à consacrer tant de temps à ce sujet le 6 janvier 380. En revanche, au début de 381, procédant au baptême pour la première fois en tant que chef de l’église de Constantinople et abordant pour la première fois ce sujet devant cet auditoire, il est tout à fait normal qu’il s'étende longuement. On remarquera d’autre part que, dans son désir d'inviter chaque catégorie de fidèles à recevoir le baptème sans tarder, il examine en détail le cas de ceux qui, exerçant des charges publiques, craignent d'être contraints par là-même à commettre des fautes (6%), Nous avons vu qu’il n’était pas exclu que des magistrats aient trouvé place dans les rangs de l’Anastasia, mais ils devaient y être peu nombreux au sein d’un groupe lui-même restreint et l'ampleur du développement du Discours XL se conçoit mal dans ce cadre où l’interpellation aurait pris un caractère individuel. Elle est beaucoup mieux à sa place devant la foule vaste et mêlée de la basilique des Saints-Apôtres.

Les fidèles qui retardent le baptême sont nombreux et leur motifs sont divers, Grégoire ne le cache pas (7). Cet auditoire si varié et si peu fervent est-il bien celui de l'Anastasia ? Ceux qui prétendent choisir celui qui leur donnera le baptême, qui veulent avoir affaire à un évêque, et non à un simple prêtre, qui prétendent (61) «Cela s'adresse à ceux qui s’approchent du baptême sans s’y être préparés et qui ne s’assurent pas la sécurité du rachat par l’habitus du bien»

(62) «Et toi, tu te dresses contre celui qui te prêche ? » (352 A). (63) «Cela concerne ceux qui s'élèvent contre les dispensateurs du mystère, quand quelque dignité leur assure une prééminence (ibid.) et quelques lignes plus loin : Il (le Christ au jour de son baptême) a trente ans et toi, avant d’avoir de la barbe, tu enseignes les vieillards ou tu te fais fort d’enseigner ». (64) 349 D. (65) Près de 33 colonnes de texte dans la Patrologie : seuls les Discours IV (re Invective contre Julien) et XLIII (Oraison funèbre de Basile) dépassent l'ampleur de celui-ci. (66) 384 AC. (67) De longs passages du discours en témoignent: cf en particulier 372 B et C, 384 D-385 A. |

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de même que cet évêque soit un métropolitain ou encore l’évêque s membre des donc sont-ils né», «bien veulent le qui et Jérusalem, du petit troupeau de la première heure (68) ? De plus, divers passages du Discours XL, aussi bien par leur e contenu que par leur ton, conviennent mieux à un évêque légitim commupetite d’une ant desserv qu’au qui légifère pour son peuple Par exemple, les prescriptions relatives au nauté marginale,

baptême des enfants (6), Toute la fin du Discours XL revêt un ton

d'autorité très accusé.

« Moi, qui suis ton prêtre » (ëuot r& lepet coù)

dit Grégoire (0). Ailleurs, il s’écrie : Cette confession de foi (trinitaire), je te la remets aujourd’hui : c'est avec elle que je te plongerai dans le bain du baptême et que je t'en retirerai » (2, Un peu plus loin, l’enseignement trinitaire alliera à la netteté coutumière chez Grégoire le même accent d’autorité sans réplique au point de conclure : « c'est le moment de recevoir un enseignement, et non d'apporter la contradiction » (2), Et Grégoire précise qu’il exigera une confession de foi faisant mention du consubstantiel, exigence qui concerne les futurs baptisés, mais il ajoute aussi que ceux qui ont fait leur profession de foi en utilisant d’autres formules sont invités à une rectification : « Si les termes de ton inscription

sont différents de ce que je demande, viens les modifier » (#). En d’autres termes, le nouvel évêque de Constantinople expose publiquement la teneur de la profession de foi qu’il exigera désormais pour admettre les candidats au baptême et il invite les chrétiens baptisés par ses prédécesseurs ariens à une nouvelle profession de foi expressément orthodoxe. Que personne ne s'y trompe : si cette condition n’est pas remplie, le baptême sera refusé (#. Un tel langage, tout à fait déplacé à l'Anastasia, correspond au contraire

parfaitement à ce que Grégoire devait dire dans sa cathédrale le premier jour où il allait conférer le baptême.

Il n’est pas impossible enfin de Discours XL une allusion à la tentative fut l’objet de la part des ariens à la fin « Si une bande de malfaiteurs te dit: le sang avec nous, enterrons sans motif même pas l’oreille » (").

voir dans un passage du d’assassinat dont Grégoire de 380 ou au début de 381. « Viens avec nous répands l’homme juste, ne lui prête

Il nous semble donc que le Discours XXX VIII a été prononcé le 25 décembre 380 dans la basilique des Saints-Apôtres. Le (68) (69) (70) (A) (72) (73) (74)

396 B. 400 A. 408 A. 417 A. 421 A. Ibid. 421 C.

(75) 393 A. Le passage de l'Ecriture cité ici est tiré de Proverbes Sur cette affaire, voir Poème autobiographique, 1129-1131, v. 1442-1474.

I, 11.

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|

29%

Discours XXXIX daterait du 6 janvier 381 et le Discours XL du lendemain si la succession de ces deux discours ne posait pas une

question particulière.

Le Discours XL fait évidemment corps avec le Discours XXXIX, puisqu'il traite très longuement un sujet qui avait à peine été abordé la veille. Mais comment croire que Grégoire ait réservé l'essentiel de ce qu'il avait à dire pour un lendemain de fête et une assistance clairsemée ? On pourrait penser que l’'Epiphanie venant à tomber un samedi, la prédication du dimanche faisait naturellement suite à celle de la veille. Malheureusement le 6 janvier 381 tombait un mercredi et le 6 janvier 380 un lundi. La solution probable est que le Discours XXXIX, prononcé le jour même de l’Epiphanie, a pris place au cours d’un office nocturne dans la nuit du 5 au 6 janvier, et que, comme le note Grégoire, à cause de l’heure tardive il a repoussé au lendemain la suite et la fin de sa prédication (7). La fête de Noël 380, à la célébration de laquelle le Discours XXXVIIT est attaché, est-elle la première qui ait été célébrée à Constantinople et Grégoire fut-il à cette occasion l’introducteur d'une institution venue de Rome et ignorée encore de la plus grande partie de l'Orient ? Le texte du discours ne permet pas de laffirmer. Pas un mot ne présente cette fête comme une innovation. Ce silence nous invite au contraire à penser que l'usage était établi avant Grégoire à Constantinople. Peut-être l'indication que la fête porte deux dénominations, «puisqu'on l'appelle @sopdvix ou encore levéfla», dans la mesure où elle dénote un flottement, invite-t-elle à penser que l'institution était encore proche de ses origines. Quoi qu'il en soit les deux appellations s’autorisent d’un usage qui paraît assez établi pour ne pas être tout à fait récent :

Aéyerar yap dupôrepæ, Sdo xeuuÉvov rpocnyopiov vi rpdyuarr

Grégoire (7),

déclare

en

effet

Cette fête, l’évêque invite ses fidèles à la célébrer d’une façon toute spirituelle (78), Dans quelle mesure est-il écouté et les chrétiens de Constantinople sont-ils nombreux à s’interdire, à l’occasion de fêtes liturgiques comme Noël, les manifestations de réjouissance traditionnelles ? Nous ne le savons pas. Tout au plus pouvons-nous légitimement penser que Grégoire n’aurait pas abordé ce sujet si les habitudes qu'il réprouve avaient été étrangère à ses fidèles. Elles consistaient à disposer des guirlandes dans les vestibules des maisons et à danser. Les rues étaient parées. Des formules plus vagues pourraient faire penser à des spectacles et à des chants. En tout cas l'usage des parfums, le port de beaux vêtements, de bijoux, l’usage de fards et de teintures ont leur place. Mais c’est surtout aux cortèges de fêtes et aux beuveries « qui engendrent coucheries (76) (77) (78)

360 B. 313 C. 316 C. Cf. la péroraison du Discours XXXIX

(357 D.).

LA

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La foi chrétienne de et impudicités » que le prédicateur s’en prend. égarements, mais, ces de Constantinople n’est donc pas à l'abri ue. Nous serions étend leur sur igne répétons-le, rien ne nous rense Grégoire, s’il pense que s riche aux ut surto c’est tentés de juger que flétrit la plus qu'il ance ne donnait pas en même temps de l'intempér tout ce qui (éxpasix) raide des définitions : « J’appelle intempérance (79), » ns besoi les se est superflu et dépas

nouveau Cette allocution doctrinale ne nous apprendra rien de phrase une nt pourta ons Relev sait. sur ceux auquels elle s’adres Un mois malicieuse à l'adresse de ces habitants de Constantinople. craint

ville, il ne à peine après avoir été mis à la tête du clergé de la qui sont andrie d'Alex nts habita les pas de leur citer en exemple rde en s’atta Christ le Si « : el stanti consub restés attachés au fais-le té), Nativi la Egypte (allusion à la fuite en Egypte qui a suivi (80), » faut il comme e l'ador venir d'Egypte, puisque là-bas on du jour de Le Discours XXXIX date, nous lavons vu, res où Lumiè des l'Epiphanie : Grégoire va parler de « ce saint jour fêter de ège privil le avons nous sommes arrivés et que nous du nuit la dans ncé prono été avoir it aujourd’hui » 6 ; il pourra parce res Lumiè 5 au 6 janvier 381. Cette fête était dite fête des comme Dieu, qu’elle commémorait la manifestation du Christ eu pour ayant n statio manife Cette . comme lumière du monde res Lumiè des fête la in, Jourda le dans Christ du me cadre le baptê le symbo le ait exprim e liturgi est celle du baptême du Christ et la la que le rappel née illumi se L'égli . églises par l’illumination des . monde ce en venue est Lumière La première idée que Grégoire va développer est donc celle de véritable lillumination qu’est la manifestation de Dieu et c'est une de Dieu Parler théorie de l’apostolat qu'il esquisse à cette occasion. me la soi-mê possède qu’on aux autres, les illuminer, suppose és illumin fois une -dire (c’est-à Alors « de. lumière dans sa plénitu le par le o&e yvoseuc) exprimôns la sagesse de Dieu cachée dans nt attenda En autres. les ons mystère (1 Cor II, 7) et illumin purifions-nous et initions-nous (rporoue0«) au Verbe afin de nous être utiles à nous-mêmes lé plus possible, en nous faisant semblables à Dieu (6soa5eïc) et en accueillant le Verbe qui vient ; et pas seulement en l’accueillant, mais en le conservant (xpurodvrec) et en le manifestant (roogaivourec) aux autres » (82), Le verbe ne vient habiter que les âmes qui se sont préparées à le recevoir. Se prérer à l'illumination suppose un certain nombre de conditions préalables. Au départ, il faut avoir la crainte de Dieu (8%. Il faut (79) (80) (81) (82) (83)

316 332 336 345 344

C. B. A. AB. A.

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207

ensuite chasser « lesprit impur et matériel » (84), puis nettoyer et orner son âme par la connaissance préparatoire (érmiyvooe ) (85), Cela ne suflit pas et l'âme ne doit pas rester oisive et inactive (Goyhv undè ärpaxrov) (86)

sous

devenu

présent

peine

d’être

occupée

par

les

sept

esprits impurs de l'Evangile : il faut pratiquer la vertu (+ &perhv épyétovra )(81), La demeure ainsi préparée accueillera le Christ, à

la

lettre

(82ov rèv Xprordv À ÔTt uéluora ÉœuToic

elcotxloavres) (88), Alors, mais alors seulement, selon la parole de saint Paul «proclamons la sagesse de Dieu cachée dans le mystère» et éclairons les autres (roïc oc éxAdurouev) (89), C’est Dieu présent dans l’âme qui la met en mouvement et communique à travers elle sa lumière. Toute prédication, tout apostolat, au sens le plus large du terme apparaissent donc comme des conséquences de la vie mystique. Cette exigence s'adresse à une population qui ne manquait pas d’attrait pour les questions religieuses, mais qui manifestait plus de curiosité que de piété, plus de goût de la dispute que de sens du sacré, plus de présomption que de respect pour la divinité. C’est une leçon que Grégoire entend lui donner quand il s’écrie: « Ma parole, ma pensée, mon esprit frissonnent toutes les fois où je parle de Dieu et le vous souhaite d’éprouver ce même état d'âme louable et bienheureux » (), Il est à remarquer que cette déclaration de principes est immédiatement suivie d’un long développement trinitaire qui se réfère moins à l’Ecriture, bien qu'elle soit partout sous-jacente à la pensée et même parfois citée expressément, qu’à l'expérience personnelle de celui qui parle ®1), Aucune référence ici en tout cas à l’enseignement de l'Eglise et à l'autorité du concile de Nicée. Tant de conciles depuis Nicée avaient adopté des formules différentes ou opposées que ce genre d’argument pouvait paraître de peu de poids, surtout à Constantinople. L'enseignement de Grégoire tire

son autorité de sa fonction épiscopale, mais, depuis quarante ans, les habitants de Constantinople entendaient une autre doctrine dans la bouche de leurs évêques. Quant à l’'Ecriture, fondement de la doctrine, elle était revendiquée par les uns comme par les autres. Aussi Grégoire s’appuie-t-il essentiellement sur ce qui fait sa force et son originalité : sa vie ascétique et son expérience contemplative. Parler de Dieu suppose toute une ascèse préparatoire. Les conditions dans lesquelles le Christ s’est préparé au baptême sont une leçon pour ceux qui se disposent à le recevoir sans s’y être (84) (85) (86) (87) (88) (89) (90) (91)

344 D. 344 D. 345 A. Ibid. Ibid. 345 B. 345 C. 345 B-348 C.

LA

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de cette affirmapréparés par l'ascèse (%?. Nous pourrions conclure au baptême n ratio prépa la bâcler tion que l'habitude de montrait pas le commençait à apparaître, : Si le contexte ne n souhaitée ratio prépa la caractère extrêmement exigeant de du baptême nt roche s’app qui ceux par Grégoire. «Cela concerne du rachat té sécuri la pas rent s’assu ne qui et rés sans s’y être prépa baptême le yeux ses par l'habitude du bien » (5. Entendez qu’à isition l’acqu nt tissa garan e ascès e ne doit être reçu qu’au terme-d'un ne qu’on ude certit la et vertu la de tude définitive de l'habi retournera pas «au même vomissement » (4 contre « Cela concerne aussi, ajoute Grégoire, ceux qui s'élèvent une assure leur dignité e quelqu quand les dispensateurs du mystère des l'abri à pas n’était clergé le donc Ainsi %). » prééminence douter, nous ns critiques des gens influents, ce dont nous pouvio de pensée mais il convient surtout de prendre garde au glissement prêtres. ses ent réclam que celui à Dieu à dû respect qui conduit du er une adress ici Il est d’ailleurs probable que Grégoire entend : «le effet en ajoute Il me. lui-mê leçon à ceux qui le critiquaient celui contre dresses te tu toi et Jean, par r baptise Christ s’est fait qui te prêche (+05 oo5 xhpuxoc) ? (6) », Mais il est possible que ces dignitaires qui se livrent à des critiques soient moins des laïcs de revêtus de magistratures que des membres du clergé Constantinople. Cela concerne, dit en effet Grégoire, «en troisième lieu ceux qui sont pleins de confiance dans leur jeunesse et qui nnent pensent qu’enseigner et présider (iBaoxaac à rooedplauc )convie À tous les âges... Il a trente ans, et toi, avant d’avoir de la barbe tu enseignes les vieillards » 7. Il y a là une indication extrêmement intéressante : le clergé de Démophile comptait parmi ses membres des prêtres jeunes, trop jeunes, non seulement aux yeux de Grégoire lui-même, mais au regard d’autres témoins, puisque ces prêtres éprouvent le besoin de se justifier. « Puis c’est Daniel qu'on avance ici, ou tel autre, des juges jeunes... et on a ces exemples en bouche. Car tout coupable est prêt à se justifier » (8). Après tous ces méandres, Grégoire se rappelle que l’'Epiphanie est la fête du baptême et il amorce une réflexion sur ce sujet 9), Il commence par distinguer quatre types de baptême : le baptême de Moïse, celui de Jean, le baptême conféré par le Christ et le baptême du sang qu'est le martyre. Mais il y a une cinquième forme, qui est le baptême des larmes, le repentir qui efface les péchés. A partir (92) (93) (94) (95) (96) (97) (98) (99)

352 A. Ibid. Ibid. Ibid. 352 A. Ibid. 352 AB. 353 C.

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de là, une longue digression va opposer le prédicateur aux erreurs des Novatiens qui nient l'efficacité du repentir 4%), Lancé sur ce sujet, il stigmatisera à leur tour les autres erreurs des Novatiens.

Ils interdisent le remariage des jeune veuves, ils refusent réconcilier ceux qui ont failll au cours des persécutions,

de ils

réservent leur sévérité à l'adultère, mais ne châtient pas la cupidité.

Grégoire condamne cette dureté et cet orgueil dans une secte dont nous savons qu’elle était alors représentée à Constantinople. Brusquement, se rendant sans doute compte de l’heure tardive, comme il le dira le lendemain, il tourne court et conclut brièvement par le rappel de la recommandation qui lui paraît essentielle : «célébrons cette fête comme il faut, sans excès de table (un yuoret revpdvrec), mais dans la joie spirituelle » (01), Le lendemain, Grégoire reprend le sujet; il va lui consacrer un de ses plus longs sermons. L’ampleur même de cet exposé fait de ce discours un des plus importants de notre auteur, mais la nature du sujet accroît l'intérêt que nous lui porterons 4%), Le baptême étant l’acte par lequel on entre dans l'Eglise et on s'engage à vivre chrétiennement, il est pour nous essentiel de discerner les attitudes diverses des chrétiens de Constantinople devant ce geste et de mesurer le sens et la portée des directives que leur adresse en ce domaine leur évêque. Ce baptême reçoit encore divers noms que l’usage semble utiliser presque indifféremment, chacun de ces termes mettant l'accent sur un aspect du sacrement (1%), Ces appellations, Grégoire entreprend de les énumérer et de les expliquer 4%), On l'appelle don (5üoov), parce que Dieu l'accorde à l'humanité sans qu'elle ait rien fait pour le mériter. On l’appelle même grâce (yx&pioux), parce qu'il constitue une remise de dettes. Son nom de baptême (Bérrioux) signifie que le plongeon dans l’eau ensevelit avec lui le péché. Il est dit onction (xploux) « parce qu’il est saint et royal » et illumination ( o%rioux ) parce qu’il confère la splendeur; revêtement de l'incorruptibilité (àç0apoixc #v8vux) «parce qu’il cache notre honte » et bain de régénération (Aovrpèv rakyyeveciac) « parce qu’il nous nettoie. On peut dire qu’il est un sceau (oppxyis) enfin, « parce qu’il est conservation et signe de possession ». Ces diverses appellations peuvent ne pas avoir été familières à l’auditoire au même degré les unes que les autres, la façon dont Grégoire en parle suppose cependant qu’elles sont suffisamment connues d’un public qui en a l'usage, mais qui n’en perçoit pas toujours toute la portée. (100) 356 B. (401) 357 D. (102) Discours XL, PG, XXXVI, 360-425. (103) Sur cette terminologie, voir J. Ysebaert, Greek baptismal terminology, Nimègue, 1962. (104) 361 C sqaq. :

LA

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ème lieu et Le fait que le terme de Bérrioux ne vient qu’en troisi qu'il penser à donne reste confondu parmi les autres appellations autres aux t rappor par ulière partic ne s’imposait pas d’une façon appellations dans l'usage courant. « Pour Recevoir le baptême, c’est s'engager à changer de vie : vie le nouvel une pour Dieu avec être bref : un pacte conclu (Beurépou Biou)

et

une

conduite

plus

pure

(xabaporépac),

voilà

la

r signification que l’on doit donner au baptême » (195), Le repenti ont laisser elles : ures ultérie poura obtenir le pardon des fautes ion pourtant des cicatrices (4%), Ce repentir sera efficace, à condit egémiss , larmes : aires volont nces pénite les dans imer s'expr de de tion macéra veilles, sol, le ments, invocations, nuits passées sur prix au endra s’obti mal du tion correc La 97. l'âme et du corps » de l’aveu public (à Exyopetseuc ) et d’une condition déshonorante (arumorépas

d&yoyic ), celle du pénitent.

Pourtant le repentir, l'aveu des fautes et la pénitence publique ne sont pas une voie ouverte seulement aux fidèles qui ont commis des fautes postérieurement au baptême. Il apparaît nettement qu'il y a des fidèles qui diffèrent le plus possible leur baptême et qui, auparavant, attendent de la pénitence qu'elle efface les fautes qu’ils peuvent commettre. Grégoire leur montre qu'il n’est pas sûr qu’ils puissent recevoir le baptême avant de mourir, qu’il n’est sûr non plus que la pénitence qu’ils font suffise à leur obtenir le pardon. Il les invite donc à recevoir le baptême qui effacera sans discussion toutes leurs fautes, jugeant étrange qu’ils préfèrent le traitement le plus pénible au traitement le plus facile (98),

Ce sont bien toutes les catégories de chrétiens sans aucune exception que l'évêque invite à se faire baptiser sans tarder. Relevons au passage une expression de nature à nous éclairer sur la structure de la société contemporaine. Grégoire énumère en effet les différentes catégories de personnes appelées au baptême, en les groupant dans une série d’antithèses destinées à manifester qu’il ne saurait y avoir d'exception. Esclaves et maîtres sont appelés, pauvres et riches, gens de condition humble comme de situation élevée, nobles et personnes obscures, débiteurs et non-débiteurs enfin (ôpelovouv, oùx ôpelaouau) 109), Nous pouvons penser que cette dernière distinction ne peut prendre place dans un tel contexte que si le fait d’avoir des dettes ou de ne pas en avoir classe les gens dans des catégories sociales nettement tranchées. C’est un signe que l'endettement est répandu et qu’il affecte de façon notable la vie sociale. (105) 368 B. (106) 368 C. (407) 369 A. Cf. 401 D. (108) 369 AB. (409) 368 C.

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE

241

Quoi qu'il en soit, l'extrême évident que le mal qu’il combat ceux qui ne retardent pas le l'article de la mort, le moment

insistance de Grégoire est un signe est très répandu et que rares sont plus possible, et souvent jusqu’à de recevoir le baptême. Ce sont bien souvent des mourants inconscients que le prêtre baptise, en tout cas des malades qui ne peuvent l’appeler eux-mêmes et qui sont à la merci de leur entourage, risquant de mourir sans baptême 410), Il est caractéristique que l'éventualité d’un baptême conféré en cas de nécessité par un laïc ne soit envisagée nulle part. Le clergé seul confère le baptême.

Grégoire passe donc en revue les différentes catégories de fidèles, adressant à chacun des arguments adaptés à son cas particulier. Les jeunes sont appelés comme les vieux, et les enfants aussi (MH), C'est aux mères que Grégoire demande de faire baptiser leurs enfants (12), A quel âge ? Très jeunes, puisque c’est le mot de varto qui est employé. A quel moment précis ? Lorsque l'enfant cesse d’être un nourrisson (ëx Bpépouc) et Grégoire donnera plus loin des indications plus précises encore sur ce sujet : c’est à l’âge de trois ans en moyenne qu’il faut baptiser les enfants, lorsqu'il sont capables « d'entendre une parole rituelle (+ uvoruwxév) et de répondre». Le critère retenu est donc l'aptitude à participer à la cérémonie liturgique. Encore Grégoire ajoute-t-il qu'en cas de danger, on n’attendra pas. A trois ans en tout cas, l’enfant, estime-t-il, commence à avoir la responsabilité de ses actes et commence donc à commettre des péchés qu’il faut effacer par le baptême (15), Ceux qui sont mariés doivent demander le baptême aussi bien que ceux qui gardent le célibat, «car ce n’est pas parce que la virginité est de plus de prix que le mariage est déconsidéré » (14) : d’ailleurs, la femme mariée trouvera dans le baptême une sûreté supplémentaire pour l'aider à conserver la chasteté : combien d’ennuques, combien de concierges faut-il pour assurer une sécurité moins grande 415) ! Le mariage ne recueille pas une grande estime et Grégoire réagit en rappelant que le miracle de Cana a manifesté celle que le Christ a porté à cette institution. Cependant, le mariage doit respecter deux conditions. La première reste vague : il doit être pur

(xxfæpéc)

et libre de désirs

grossiers

(réois éuræpois) (116),

L’imprécision de ce langage pourrait bien n’avoir d’autre cause que la totale ignorance des réalités du mariage et nous ne devons (110) 372 C. (111) 380 C. (112) 381 A. (113) 380 C et 400 AB surtout. On remarquera que Grégoire fonde la nécessité du baptême uniquement sur la responsabilité individuelle, sans se référer au péché originel. (114) 381 B. (445) Ibid. (116) 381 BC.

212

LA

PRÉDICATION

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PÈRES

CAPPADOCIENS

igner sur la vie pas compter sur cet évêque pour nous rense pas d'adresser ient s’abst ne il dant Cepen conjugale de ses fidèles. mais en des Paul, saint de e repris iption prescr une aux époux respecter la nt devro Ils termes un peu plus précis peut-être.

), c’est-à-dire chasteté complète (érveix) au temps marqué (xarà xopév venu, et cela est prière la pour uix) (xeo0e fixé t quand le momen qu'il n'entend d'un commun accord. Mais il se hâte de préciser

donner un pas énoncer un précepte obligatoire, mais seulement ns pas sauro n’en nous t, momen le Pour 417), oüuev) conseil (rapæwv ne

dont il davantage sur les idées de Grégoire relatives au mariage, qu'à ement simpl vons Obser oire. ici que d’une façon access

parle l'ignorance est jointe une grande discrétion. Hommes libres et esclaves, riches et pauvres, ceux qui sont aide dans dans la joie comme ceux qui sont aîiligés trouveront une examiner va e Grégoir dont ie le baptême, mais il est une catégor de revêtus sont qui ceux de s’agit Il 419. cas le plus longuement n questio La es. souillur des à t exposen les qui es publiqu charges dans ner détermi de s’agit l est d’une extrême importance, puisqu'i quelle mesure la vie chrétienne véritable, celle d’un baptisé, est compatible avec une participation à la vie publique. La réponse de Grégoire est sans ambiguïté. «Fuis » est le cri du cœur, répété par trois fois à quelques lignes de distance. « Si la chose est possible, fuis la place publique avec son beau cortège, déploie les ailes de l’aigle ou, pour parler d’une façon plus appropriée, de la colombe, car qu'y a-t-il de commun entre toi et César ou les choses de César ? » (19), Il a beau admettre qu’on puisse exercer des charges publiques s'il s'avère impossible de s'en démettre, ce que l'auditoire de Grégoire retiendra de ses paroles, c’est qu’il est hautement préférable pour un chrétien de se tenir à l'écart des affaires publiques. Si cette leçon est écoutée, les meilleurs des chrétiens s’en détourneront et les abandonneront aux médiocres. Quant à ceux qui, pour une raison ou une autre, resteteront dans les affaires, il est douteux que la conduite que leur trace Grégoire ait pu les satisfaire. « Il vaut mieux contracter à l'occasion une légère souillure dans les charges publiques que d’être totalement exclu de la grâce » 42), leur dit-il et il les invite à avoir confiance dans la justice et la bonté de Dieu, Comme la courtisane Rahab, ils seront jugés sur ce qu’ils auront pu faire an,

Tant d’insistance ne se conçoit que si l'habitude de retarder le baptême est largement répandue. Au demeurant, il semble bien qu'il s'agisse, au moins chez certains, d’une attitude réfléchie et concertée, puisqu'il en est pour chercher dans l'Evangile sa justi(117) 381 C. (118) 384 AC. (419) 384 A. (420) 384 B. (421) 384 C.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

fication et pour s'appuyer sur la parabole des vignerons.

213

Ceux

qui recevront le baptême plus tard auront droit au même salaire que ceux qui les ont précédés, disent-ils. Que Grégoire se croie obligé de réfuter un tel langage en expliquant cette parabole donne à penser que de telles allégations étaient assez répandues (422),

S’il y a des chrétiens qui veulent se préparer de loin au baptême par une longue ascèse et qui le retardent pour ce motif 45), il y en a aussi qui vivent au milieu du vice et qui ne se soucient pas le moins du monde de se faire baptiser (24, S'agit-il de chrétiens de naissance, peu soucieux des enseignements de la foi reçue de leurs parents, ou de gens venus à l'Eglise sans conviction véritable, par conformisme ou ambition ? On ne saurait le dire. Il y a aussi ceux qui sont dans l'impossibilité matérielle de recevoir le baptême, soit à cause de leur âge, soit par suite, dit Grégoire, « de quelque catastrophe, où leur volonté n’a aucune part, qui fait que, même s'ils le voulaient, ils ne peuvent pas recevoir cette grâce » 425), Ceux-là, qui peuvent être des prisonniers de guerre ou des hommes réduits en esclavage, ne seront, d’après Grégoire, ni punis ni honorés dans les cieux. Il ignore donc la notion de baptême de désir, ou plutôt il la connaît, mais l’écarte résolument. « J'examine cette objection : si tu juges pour meurtre celui qui n’est meurtrier que pour vouloir l'êtreet qui se tient en dehors du meurtre, baptise aussi celui qui a voulu le baptême sans l'avoir reçu ». Ce raisonnement, Grégoire l'écarte un peu vite en rétorquant : «Si pour toi le désir du baptême suffit à produire les effets du baptême... le désir de la gloire doit suffire à te la donner » (29), Ce discours nous renseigne sur quelques aspects de la cérémonie du baptême. On le confère non seulement le jour de Pâques, mais aussi à l’occasion de l’Epiphanie et de la Pentecôte. « J'attends les Lumières, je préfère Pâques, j'attendrai Pentecôte » disent en effet les hésitants pour répousser l'échéance (427),

Le baptême est devenu une cérémonie mondaine. Il convient d'offrir des cadeaux et de recevoir chez soi dignement le clergé qui a concouru à la cérémonie. Le vêtement blanc traditionnel risque d’avoir perdu sa simplicité primitive, puisque le candidat au baptême se soucie à l'avance de se le procurer. Ecoutons-le parler: «Où sont mes cadeaux de baptême ? lui fait dire Grégoire, où est le vêtement de l’illumination (tupére:oc) ? Où est ce qui est nécessaire pour recevoir (xp Selwow) ceux qui vont me baptiser, afin de faire bonne figure à leurs yeux ? » (28). Il y en a, d’ailleurs, qui (122) (423) (424) (125) (126) (127) (128)

384 388 389 389 389 392 393

D-385 A. C. C. AB. C. A. C.

LA

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ne veulent point d’un simple prêtre pour leur conférer le sacre-

nt ment : ils exigent l’évêque en personne (2), D'autres ne se satisio litain. métropo un faut leur il évêque, simple d’un même pas Constantinople est encore à cette date théoriquement sous la juridiction du métropolitain d’Héraclée, c’est le concile de 381 qui lui donnera le statut de second siège de la chrétienté, venant immédiatement après Rome. Y at-il des habitants de Constantinople pour faire le voyage d’Héraclée afin de recevoir le baptême des mains de leur métropolitain ? C’est infiniment peu probable et on croirait plus volontiers que tel métropolitain de passage dans la capitale se voyait solliciter par des gens importants. Mais il y en a qui ne veulent être baptisés que des mains d’un

seul évêque, qui n’est pas l’évêque de Rome, mais celui de Jérusalem. On sait que le pèlerinage en Palestine se répandait au 1v° siècle 430). Désirer recevoir le baptême en Terre Sainte des mains de l’évêque de Jérusalem est donc un sentiment lié à une forme bien particulière de piété. Ce sont des motifs de piété aussi, quoique bien différents, qui guidaient ceux qui, tout en acceptant d’être baptisés par un simple prêtre, tenaient à ce que celui-ci ne fût pas marié, à ce qu'il fit profession de chasteté, ayant adopté «le mode de vie des anges » 431), Entendons qu'il y a dans les rangs du clergé des prêtres qui ont embrassé l’état monastique et qui recueillent la ferveur de certains fidèles. On aurait pu s'attendre à ce que semblable exigence rencontrât chez Grégoire, sinon une approbation formelle, du moins une certaine compréhension. Rien de tel pourtant. Il n'appartient pas aux fidèles d’avoir un jugement personnel en ce domaine : «ne t’enquiers pas de l’autorité de celui qui te prêche ni de celui qui te baptise. C’est à un autre qu'il appartient de juger de ces choses et de sonder ce qui reste caché. N'importe qui est habilité à te purifier, pourvu qu’il fasse partie de ceux qui sont approuvés, qu’il nait pas été l’objet d’une condam-

nation formelle et qu’il ne soit pas hors de l'Eglise » (32), Mais ces exigences relatives au choix de la personne qui confèrera le baptême ne procédent pas toujours de scrupules religieux, et ceux qui tiennent à être baptisés des mains d’un évêque ou d’un métropolitain vont pariois jusqu'à exiger qu’il soit aussi «bien né » 433), C’est un signe évident qu'au sein du troupeau, le

sens de l'unité, de légalité foncière, de la fraternité des baptisés est fortement oblitéré. | Il semble d'autre part que bien des résistances au baptême aient leur fondement dans une répugnance devant l’aveu préalable (429) 396 B. C'est bien l’évêque de Constantinople, qui ne suffisait certainement pas à donner le baptême à tous les fidèles de la ville, qui s'exprime ainsi, et non Je desservant de PAnastasia. (130) Cf. de Labriolle dans Fliche et Martin, t. III, pp. 364-370, (131) 3% B.

(132)

Ibid.

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215

des péchés. S'il y a, nous l'avons vu, des fidèles pour pratiquer cet aveu habituellement, avant même d’avoir reçu le baptême, d’autres reculent devant cette obligation incluse dans la cérémonie. « Ne refuse pas, leur dit-il, de confesser publiquement ton péché », Uh araËbons éEoyopedowæ ooù rhv auapriav leur dit Grégoire (4%).

II s’agit

moins de l’aveu détaillé des fautes que de la reconnaissance publique et humiliante de la condition de pécheur. Le discours s’achève par une leçon de théologie trinitaire (5), L’évêque se dispose à conférer le baptême et il pose ses conditions. Les candidats doivent émettre au préalable une confession de foi mentionnant expressément leur adhésion au consubstantiel, ce qui revient à dire au symbole de Nicée. L’évêque n’admettra aucune objection (9), Il ajoute même : « Si les termes de ton inscription sont différents de ce que je demande, viens les modifier 4%), I] ne s'agit pas de réclamer une rétractation à ceux qui ont déjà été baptisés, mais d’exiger une nouvelle profession de foi de la part de ceux qui, l'ayant fourni antérieurement, n’ont pas encore reçu le baptême. Il est intéressant de noter à ce propos la séparation intervenue entre le sacrement proprement dit et les étapes de sa préparation. Rien ne nous dit ici ce que pouvait être le délai qui séparait les deux actes. Relevons aussi qu’il ne s’agit pas d’une simple profession orale, mais d’un écrit conservé dans les archives épiscopales. Ce langage s'adresse à des fidèles qui avaient fait profession de foi devant Démophile ou ses prédécesseurs. La formule dont use Grégoire en les invitant à venir auprès de lui pour modifier leur texte antérieur implique qu’il soit en possession des archives épiscopales de Constantinople.

Malgré cette longue instruction publique sur le baptême, tout souvenir de l’ancienne discipline de l’arcane n’a pas disparu : « Tu es en possession de ce qu’il est permis de communiquer (+à éxpopa) du mystère et de ce qui n’est pas tenu caché aux oreilles du public. Le reste, tu l’apprendras à l’intérieur, par la grâce de la Trinité, et tu le garderas à part toi sous le sceau du secret » 4%), Pourtant, l'évêque entend donner quelques explications supplémentaires à ceux qui vont recevoir bientôt le baptême. « La station que tu vas marquer tout de suite après ton baptême devant le grand sanctuaire (Bñux) est une préfiguration de la gloire future» (439), L'entrée dans l’église au sortir du baptistère comportera donc une station des nouveaux baptisés face au sanctuaire, c’est-à-dire à l'ensemble formé dans l’abside par le trône épiscopal, le banc du (1433) (134) (135) (436) (437) (138) (439)

Ibid. 397 A. 417 A sqq. 421 A. Ibid. 425 A. Ibid,

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clergé qui se déploie de part et d’autre, et la table d'autel située au centre et en avant. Ce privilège des nouveaux baptisés n’en serait pas un si le béma était habituellement visible de la ne. Sans doute faut-il donc comprendre qu’ils seront pour la première fois admis à l’intérieur des tentures qui ferment l’abside du côté de la nef. L'entrée dans l’église se fait pendant que l'assistance chante des psaumes, et la procession qui entre porte des lampes allumées, symbole de la foi 4», L'emploi constant du futur est une indication supplémentaire que la date du 6 janvier, jour où le baptême doit être conféré, n’est pas dépassée. Comme le Discours XXXIX a été prononcé la veille (484) pour la fête des Lumières

(rñ Aaunpä rüv Dorov

Auépæ ravnyvpiouvrec),

On

à

est amené

conclure qu’il avait pris place dans le cadre de l’office nocturne GA, L'ensemble de ces trois discours constitue donc un des premiers actes de juridiction de l’évêque de Constantinople. S'il n'apparaît pas que Grégoire ait institué la fête de Noël dans cette ville, il manifeste avec vigueur le caractère trinitaire du baptême qu'il conférera. Le plus significatif pourtant n'est pas cette exigence, mais bien qu’il ait cru devoir consacrer tant de temps et d’éloquence à tenter de décider des chrétiens à recevoir le baptême. C. —

DES CONSEILS DE (GOUVERNEMENT COMMENTAIRE D'ÉVANGILE.

EN

FORME

DE

Prêtre ou évêque, Grégoire a certainement commenté l'Ecriture un grand nombre de fois, puisque ce genre de commentaire constituait l'essentiel de la prédication. Si saint Jérôme le considère comme son maître en matière d'interprétation de Ecriture (bræceptor meus, quo Scripturas explanante, didici déclare-t-il à son sujet) c’est qu’il l’avait entendu commenter le texte sacré à Constantinople en de nombreuses occasions 44). De cette prédication rien n’est resté, à l'exception d’une seule homélie, le Discours XXXVII, qui commente le chapitre XIX de saint Mathieu, verset 1 à 12. Cette péricope, on s’en souvient, contient, avec la réponse du Christ aux Pharisiens qui linterrogeaient sur la légitimité du divorce, une invitation à la chasteté parfaite.

Le Discours XXXVII (#3) s'achève par une invitation adressée à l'empereur. Grégoire lui demande de « fermer la bouche » aux hérétiques par un rpéorayux d'empêcher ces meurtres de l’âme que constituait la prédication hérétique 44), Comme un édit de (140) (141) (442) (143) (144)

Ibid. 360 B. De Vir. IL. CXVII. PG, XXXVI, 281-308. 308 B.

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Théodose, daté du 10 janvier 381, faisait droit à cette demande, en rendant toutes les églises aux évêques orthodoxes et en interdisant

aux ariens de tenir des réunions à l’intérieur des villes, Tillemont et les Bénédictins à sa suite en ont conclu que notre discours est antérieur à cette date (1%), Ajoutons que le 10 janvier 381 tombant un dimanche, il n'est pas exclu que l’homélie ait été prononcée le jour même de la signature d’un édit dont l’évêque n'ignorait sans

doute pas qu’il était en préparation. On ne saurait prétendre tirer d’une unique homélie beaucoup de conclusions sur la façon dont Grégoire expliquait l’'Ecriture à ses fidèles. Il est permis de le regretter, car nous saisirions beaucoup mieux son action de pasteur si nous l’entendions traduire au jour le jour l’enseignement de l'Evangile. Fort heureusement, le chapitre XIX de saint Mathieu aborde des sujets d’une grande importance, non seulement par rapport à la vie morale de l’individu, mais encore par rapport à celle de l'Eglise et du peuple tout entier. Ce que l'empereur Théodose a entendu de la bouche de son évêque sur le divorce ou sur la situation faite à la femme dans la société est pour nous du plus haut intérêt.

La méthode suivie est aussi simple qu’on peut l’imaginer. Elle consiste en effet à expliquer un à un les douze versets qui composent la péricope. Une courte introduction amorce déjà le commentaire du premier verset 44), La conclusion (41), relative à l’orthodoxie de la foi trinitaire, comporte un double aspect : formulant d’abord, à l’intention de l’empereur, une invitation claire à mettre un terme à la prédication hérétique par voie d'autorité, elle s'achève par le souhait que l'assistance tout entière embrasse cette orthodoxie du fond du cœur. On voit que Grégoire a perdu de vue le texte qu’il commente. A vrai dire, il s’en écarte tout en-paraissant le suivre pas à pas. Cela est dû pariois à l’utilisation de l’exégèse allégorique. Ainsi le voyage du Christ de Galilée en Judée est expliqué de deux façons. Une première explication, de type littéral, figure dans l’introduction du discours. Si le Christ, après s'être incarné, se déplace de ville en ville, c’est pour éclairer le plus grand nombre possible d'hommes et pour consacrer de sa présence les lieux qu’il traverse. Mais à cette première explication se joint bien vite une autre interprétation, franchement allégorique celle-là : le passage d’une région à l’autre symbolise le passage de la lettre à l'esprit 449). Mais Grégoire n’abuse pas de ce type d'explication, et s’il s'écarte parfois de son sujet, ce sont des préoccupations liées à la situation concrète de la communauté chrétienne de Constantinople (445) (146) (147) (148)

Cf. 281 308 284

le Monitum AB. BC. BC.

de l’édition bénédictine,

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qui le font dévier. La théologie de la Trinité reste son sujet de prédilection et elle affleure presque constamment dans Je commentaire d’un texte où il est évident qu’elle n’avait rien à voir. «Et il arriva, quand Jésus eut achevé ces discours, qu'il quitta la Galilée et vint dans la région de la Judée au delà du Jourdain ». Ce premier verset met en lumière le côté humain du Christ. Il entraîne tout un développement relatif à l'union des deux natures dans le Christ et à la nature divine dérobée par une nature humaine seule visible 14), «De grandes foules le suivirent, et là il les guérit » 150), Le rôle guérisseur du Christ, qui tient pourtant une place considérable dans les évangiles, et qui paraît essentiel dans ce verset, ne fait l’objet que d’une brève allusion (1). Le long commentaire de Grégoire est orienté dans un tout autre sens. Pour lui, ce verset permet de mettre en valeur un aspect essentiel de lincarnation de la divinité, incarnation qui rend accessible à un très grand nombre d'hommes, un Dieu qui ne s'était jusque là laissé entrevoir que par de rares privilégiés comme Moïse (5. Visiblement donc, le commentaire de Grégoire est orienté par le souci d'écarter les interprétations favorables à la thèse arienne qui insistait sur l'humanité du Christ et de dégager au contraire le plus possible la divinité masquée par l'humanité. Au terme de cette réaction contre l’arianisme, il y aura la vision du Christ en gloire, du Pantocrator si cher à la piété byzantine. Plus loin 4%), le même sujet reparaîtra, au moment de commenter le début du verset 127: « Il y a en effet des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère». Se tournant alors vers ces eunuques au sens propre du terme qui ne manquaient pas de l’écouter et qui possédaient de l'influence à la cour, il se préoccupe de traduire à leur usage l'exigence de chasteté formulée par le Christ. Aussi opère-t-il une totale transposition de sens du mot «chasteté ». La chasteté de l'âme, c'est l’orthodoxie de la foi, aussi bien à l'écart du SaintEsprit que du Fils 4%, Enfin, la conclusion de l’homélie tournera le dos à l’enseignement donné par le Christ dans le passage considéré : le mariage et le divorce sont totalement sortis de l'esprit de Grégoire, la chasteté parfaite elle-même ne figure pas au premier plan de ses préoccupations. Un seul souci l'anime : la propagation de lorthodoxie trinitaire et la lutte contre la prédication arienne (55), Finalement, près d’un tiers de ce commentaire s'écarte largement du sujet. Ecart qui n’est dû à aucune divagation de la pensée, (149) 284 C - 285 B. (50) v. 2. (151) 288 B. (452) 285 B - 288 B,. (453) 31 À - 305 B. (54) 301 B; 304 B. (155) 308 BC,

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ni même à quelque obsession de spécialiste. Elle témoigne chez le pasteur d’un souci compréhensible, celui d'instaurer dans le cœur et dans l'esprit de ses fidèles une doctrine écartée d’eux depuis plus de quarante ans.

Ce souci légitime ne va-t-il pas l’entraîner à ignorer tel aspect fondamental du texte, pourtant important, qu’il commente ? «Des Pharisiens s’approchèrent de lui et lui dirent, pour le mettre à l'épreuve : «Est-il permis de répudier sa femme pour n'importe quel motif ? ». Ce troisième verset évoque chez Grégoire l’image, d’un Christ cerné par des adversaires divers (Sadducéens, Légistes, Hérodiens, d’autres encore qu'il ne nomme pas, Pharisiens enfin) acharnés à lui poser des questions perfides. La situation où se trouvait le Christ amène l’évêque à faire presque aussitôt un rapprochement avec sa propre situation en tant que défenseur de la Trinité devant les objections des uns et des autres (6), Comme le Christ, il entend distinguer deux catégories de questionneurs : ceux qui soumettent une difiiculté dont ils éprouvent le vrai besoin de sortir, ceux qui n’ont pas d’autre but que de tendre un piège. Aux premiers, le Christ donne une réponse; aux autres, il se contente de fermer la bouche. « Si bien, conclut-il, que nous aussi, imitant le Christ, nous sommes parfois capables de fermer la bouche à ceux qui nous tiennent des propos indiscrets et de mettre un terme à leurs questions déplacées par des questions plus déplacées encore » 457),

Cette référence à l’actualité ne fausse nullement le sens du verset, elle n'amène pas non plus Grégoire à laisser dans l'ombre ou à minimiser quoi que ce soit. Pourtant, on peut se demander si l'ampleur du développement consacré à ce verset est justifiable, si elle ne conduisait pas nécessairement un prédicateur, dont le temps était malgré tout mesuré, à moins s'étendre qu’il n’eût fallu sur les versets les plus importants de la péricope, ceux qui concernent mariage et célibat. Il est facile de voir que dans le récit de saint Mathieu, la réponse du Christ et l’enseignement qu’elle expose à propos du mariage occupent 6 versets sur 12 (58), Si le commentaire était proportionné au texte, la moitié de l’homélie environ devrait être consacrée au mariage. En fait, sur 13 colonnes de l'édition de Migne, 4 seulement, c’est-à-dire moins du quart, concernent un sujet augel l'évêque attache sans aucun doute une importance secondaire. Ainsi, le verset 5 est totalement ignoré. Aucune citation non plus de la deuxième phrase du verset 6 et des versets 7 à 9, qui inspirent quelques réflexions générales (4%), Pourtant, si (156) (457) (58) (159)

288 C - 289 A. 289 A. v. 4 à 9. 292 A - 292 C.

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mosaïque Grégoire ne cite pas les versets relatifs à la législation

er une qui autorisait le divorce, c’est afin d’être plus libre de critiqu | autre législation, celle de l'empire romain. présence Il est certainement conscient que le fait qu'il parle en s un parole ses à donne if législat r pouvoi le de celui qui détient A

avait poids tout particulier. N'oublions pas en effet que Théodose lement probab C’est 460), an un reçu le baptême, depuis peut-être e la première fois qu’un évêque avait l'occasion de parler du mariag en chréti t blemen vérita -dire c’est-à , baptisé ur empere un devant prise et soumis en tant que tel à l'autorité épiscopale. La position je -t-il, déclare tion, législa cette pas pte est nette: «Je n'acce en lois les er modifi à ation L'invit (161), » usage cet pas n’approuve vigueur est donc claire. Mais dans quel sens cette modification doit-elle s’opérer ? Essentiellement, dans le but de rétablir entre ère les sexes une égalité ignorée par la loi. Celle-ci punit l'adult re Grégoi Ainsi, mari. de la femme, elle ne s'occupe pas de celui du la qu’à elle éventu tion dissolu sa à et e ne pense pas tant au mariag ère l’adult que c’est veut, qu'il Ce pénale. ment propre législation de l'homme soit puni par la loi à l’égal de celui de la femme (162), Un deuxième souhait concerne l'égalité à établir entre le père et la mère par rapport à l'autorité exercée à l'égard des enfants (63). Les lois civiles, «faites par des hommes, sont dirigées contre les femmes » 464). «Les législateurs ont soumis les enfants à l'autorité paternelle et ils ont consacré la négligence à l'égard du sexe faible. Telle n’est pas la volonté de Dieu, au contraire » (65, La loi divine établit l'égalité des deux sexes. «Homme et femme n'ont qu'un créateur, tous deux sont faits d’une même glaise : une seule image, une seule loi, une seule mort, une seule résurrection. Nous sommes nés également de l’homme et de la femme : les enfants ont envers leurs parents une seule et même dette » (459. Comment harmoniser la loi civile avec la loi divine ? La solution est claire, quand il s’agit de l'égalité devant la loi en cas d’adultère : il suffit évidemment d'étendre aux hommes les dispositions qui répriment l’adultère de la femme. Elle est moins évidente et moins simple en ce qui

concerne le droit de la famille. L'évêque ne suggère en ce domaine aucune disposition légale, il s’est contenté de montrer à l'empereur que la législation, dont il est le responsable et le seul maître, doit être mise en conformité avec la volonté de Dieu. Il lui suffit, somme toute, de suggérer au souverain l'orientation de sa politique, maïs

on ne saurait ignorer qu'il le fait de la façon la plus publique.

(460) Sur la date du baptême du Théodose, cf. Piganiol, L'empire chrétien. | D0212/ 00. 90

(161) 289 B. (462) Ibid. (463) Ibid. (164) 289 B. (465) Ibid. (166) 289 BC.

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221

Mais les suggestions ne s'arrêtent pas là, car le commentaire du verset 6, «ils ne sont plus deux, mais une seule chair », entraîne un bref commentaire d’'Ephésiens V. 32 : « Ce mystère est de grande portée ; je veux dire qu'il s'applique au Christ et à l'Eglise » 49), Grégoire tire de ce texte une seule conclusion : «puisqu'il n’y a qu'un seul Christ, un seul chef de l'Eglise, il n’y a aussi qu’une seule chair ». Par conséquent, les noces doivent être

uniques. Un second mariage peut être admis, à titre de concession : au delà commence le crime (rapavouix )168), Dans le contexte où elle se trouve, cette affirmation nous paraît une invitation à faire entrer l'interdiction des troisièmes noces dans la législation civile. Même invitation, pour terminer, en ce qui concerne les motifs admis pour le divorce. «La loi, dit-il, permet le divorce pour n'importe quel motif, mais le Christ ne l’admet pas : il permet seulement de se séparer de la prostituée » (4), Cette loi, ainsi en

contradiction avec l’enseignement du Christ, il est évident que ce n'est pas seulement l’ancienne loi mosaïque, c’est aussi la législation romaine en vigueur au temps de Grégoire. L’évêque n'ira pas plus loin dans le domaine des suggestions de réformes législatives et ce n’est pas tant la loi qu’il compte pour limiter le divorce que sur la sagesse des maris (0), La vie retirée de Grégoire ne contribuait certainement pas à faire de lui un bon observateur des mœurs conjugales, surtout dans cette capitale où, arrivé depuis peu, il avait somme toute vécu jusque là assez largement en marge de la

collectivité. Relevons pourtant, comme autant d’indications sur les avancés pour justifier un les motifs généralement mœurs, divorce 4), Ce sont l’abus du maquillage, l'amour du bavardage, le rire impudique, l’excès dans la dépense ou dans l’usage de la boisson, les sorties intempestives, l’effronterie. Nous ne pouvons pas vérilier si ces motifs étaient couramment invoqués, encore moins s'ils étaient justiliés. Il n’est donc pas possible de tirer de ce passage le moindre tableau des mœurs féminines du temps. En revanche, les conseils que Grégoire donne aux maris qui constatent ces défauts chez leur femme sont assez révélateurs du type de rapports qu'il imagine entre époux. Si une femme abuse du maquillage son mari ôtera le fard sur son visage; si elle parle trop, il la modèrera (comment ? L’évêque ne nous le dit pas), si elle rit de façon inconvenante, il lui inculquera la gravité; si elle boit trop ou si elle dépense avec excès, il la restreindra; si elle sort trop, il lui mettra des entraves ; si ses regards sont hautains, il la châtiera. (167) (168)

292 A. 292 B.

(169) Ib, Relevons ici l'explication que donne Grégoire de cette tolérance. «La femme de mauvaise vie (mépvr) altère la famille». Entendons qu’elle introduit dans la famille des enfants étrangers, conséquence que n’entraîne évidemment pas l’adultère masculin. L'égalité des sexes ne doit donc pas être cherchée dans une fausse symétrie qui permettrait à la femme de se séparer d’un mari adultère.

(170) (471)

292 C. 292 C.

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Dans tous les cas, il usera de philosophie 47). Tous ces conseils

ont un trait commun: ils supposent chez le mari l'usage de l'autorité et même de la contrainte. Ils sont peu compatibles avec l'égalité des sexes que le prédicateur appelait de ses vœux peu auparavant.

Dans le texte de saint Mathieu, l'exigence d’indissolubilité provoque chez les disciples un mouvement de recul devant le mariage, «Les disciples lui disent : « si telle est la condition de lhomme envers la femme, il n'est pas avantageux de se marier » 0%). La tradition manuscrite est ici unanime. Curieusement, Grégoire fausse le texte (« Que font alors les Pharisiens ? Ce langage leur paraît dur ») 44), transposant ici une réflexion qui,

dans Jean VI, 60, concerne le discours du Christ sur le pain de vie, et non pas l’indissolubilité du mariage. Au surplus, ce ne sont pas les Pharisiens qui expriment leurs hésitations devant le mariage chez saint Mathieu, ce sont les disciples mêmes de Jésus. Relevons cette nouvelle erreur de mémoire chez Grégoire, erreur due probablement là encore à l'improvisation, erreur qui n’a pas été | corrigée pour la publication du discours (5). A partir d'ici, ce n’est plus le divorce qui est en question, c’est le mariage lui-même. C’est l’épître aux Hébreux qui fournit à

Grégoire les éléments d’une brève réfutation : « Que le mariage soit honoré de tous et le lit nuptial sans souillure 4). Le mariage est légitime aux yeux de Grégoire à la double condition d’être une union (ovtuyix) 171) et un désir d’avoir des enfants « car le mariage augmente le nombre de ceux qui plaisent à Dieu » 4. Pourtant il reste plus sensible aux inconvénients du mariage qu’à ses beautés. Non seulement, le mariage est l'occasion de toutes sortes de malheurs, tels que veuvage, fausses couches, privation d’enfants ou éducations difficiles, mais encore et surtout il peut être cause d'entraînement au mal. «Mais quand il enflamme la matière et l'environne d’épines et qu’on trouve en lui une sorte de voie qui conduit au vice, alors moi aussi je déclare qu’il n’est pas avantageux de se marier » (47), Le thème du mariage ne pouvait pas ne pas évoquer chez ce moine qu'est Grégoire, celui de la virginité 49). L’inconvénient majeur du mariage, celui qui fonde son infériorité par rapport à la (472) Ib. (473) V. 10. (174) 293 A. (475) Cf. supra, p. 184. : (176) Hébreux, XIII, 4 (293 B). (177) Cette notion de couple pourrait être l’amorce d’une réflexion féconde, Il n’en est rien et l'évêque Grégoire a beaucoup moins à nous dire sur ce sujet qu’un Musonius Rufus par exemple (Cf. éd. Hense, XIII A, pp. 67-68).

(178) 293 B. (479) 1b. (180) 293 B sq.

SAINT GRÉGOIRE

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223

virginité, c’est qu’il institue un partage entre Dieu et l’homme. La vierge est tout entière à Dieu, elle fait la volonté de Dieu seul. La femme mariée n'appartient qu’en partie au Christ, elle obéit aussi à son mari. C’est ce partage qui caractérise à ses yeux le

mariage. S'il consent à reconnaître, d’une façon en somme, que le mariage est quand même une sans doute parce que l'Ecriture l’'affirme, mais fondement à cette affirmation scripturaire :

assez paradoxale belle chose, c’est il voit un seul le mariage est

nécessaire comme pourvoyeur de l'état de virginité. grandeur, là son unique raison d’être (8). A

Là est sa

Le verset 11, « Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là seulement à qui c’est donné», va donner à Grégoire occasion de chanter un hymne en l'honneur de la virginité, car il interprète l'expression « ce langage » comme si elle concernait, non pas les propres paroles du Christ, mais la conclusion que les disciples viennent de formuler au verset 10, conclusion que le Christ reprendrait ainsi à son compte (82), L'expression « ceux à qui c'est donné » prêtant occasion à introduire une certaine prédestination, si les uns reçoivent cette faculté tandis que d’autres en seraient privés, Grégoire écarte une telle interprétation dans sa formulation gnostique (8, La parole du Christ signifie que l'homme est incapable par lui-même de saisir le sens et la portée d’une doctrine que seule la grâce divine peut lui faire comprendre. Il n’est sans doute pas nécessaire que des cercles gnostiques aient existé à Constantinople pour que Grégoire ait cru devoir réfuter une interprétation que le texte suggère aisément. Il n’est pas impossible en revanche que, lorsqu'il utilise cette expression de saint Mathieu pour condamner ceux qui croient ne devoir qu’à eux-mêmes leur vertu, il ait pensé à tel ou tel groupe, des moines probablement, où il pouvait voir germer ce qui allait devenir le pélagianisme (1%), Avant d’être mise en œuvre par la liberté humaine, la vertu est le fruit du don de Dieu (#5),

D'une façon curieuse, le commentaire du dernier verset ne fait

aucune place à la notion de virginité. «Il y a, dit le texte, des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, il y a des eunuques qui le sont devenus par l’action des hommes, et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels en vue du royaume des cieux. Comprenne qui pourra ! » 48), Pour Grégoire, le mot «eunuque » a deux sens, un sens propre et un sens spirituel. Deux colonnes entières sont, nous l’avons dit, consacrées à ces eunuques (81) «Il n’y aurait pas de célibat, s'il n’y avait pas de mariage » (293 C). (182) 293 C. Notons que de façon générale cette interprétation semble aller de soi pour les exégètes.

(183) 297 B. (184) 297 C. (185) 300 A. (486) v. 12.

LA

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doute les qui n'étaient pas rares dans l'auditoire (8). Il faut sans sses prince des côtés aux imaginer dans les tribunes de la basilique, Sans mais nt, agnaie accomp qu’ils se ou des femmes de la nobles sfourni ils dont prince, du iat imméd age voisin le doute aussi dans de mêmes yeux les sous saient la haute domesticité. Ceux-ci sont l'évêque.

re des Mariage ou chasteté paraissent sans doute à Grégoi es. eunuqu des à ue appliq les on si cation, signifi notions privées de aucun poser ne Il est remarquable qu’à ses yeux la chasteté semble Sans doute connaît-il très mal, et problème aux eunuques. osées, un milieu aussi particulier interp nes seulement par person ou des palais sénatoriaux. Aussi, cour la de ues eunuq des que celui

de la seule chasteté qu’il demande aux eunuques estelle celle e langag du ressort Il (88), foi la de odoxie l’Âme, c’est-à-dire l’orth ent une que Grégoire leur tient que nombre d’entre eux portai nom d'un mais Christ, du appellation tirée, non pas du nom ns, d’Arie é qualit la nt iquaie revend qu’ils dons d'homme (44). Enten de tre peut-ê et doute sans s onien Macéd de miens, d'Euno les dérait -consi 381 r janvie Photiniens, puisque le décret du 10 disciples de Photius de Sirmium comme un groupe particulier. de Nous avons rencontré ailleurs des manifestations de l'hostilité sans ici tre connaî fait en Grégoire à l'égard des eunuques (%. Il équivoque le motif, quand il leur déclare : « Pourquoi avez-vous fait vôtre l’impiété ? Pourquoi vous tournez-vous vers le pire, en sorte que désormais eunuque et impie sont devenus des synonimes ? » (191), Si l'expression « le pire » (rè xeipov) pouvait être prise au pied de la lettre, on en pourrait déduire que les eunuques se rangeaient en grande majorité parmi les tenants de l’arianisme radical, donc parmi les partisans d’'Eunome. Mais c’est peut-être faire dire au texte plus qu'il ne dit. Il est en tout cas probable qu'un

grand nombre de ces serviteurs de la cour avaient exercé leurs fonctions sous le règne de Valens. Si la parole de Grégoire était insuffisante à les convertir, on peut penser que Théodose, ainsi publiquement mis en garde à leur égard, avait plus d’un moyen de leur manifester sa volonté. Grégoire donne donc ‘surtout au mot «eunuque» un sens spirituel qui n’a rien à voir avec la chasteté : être eunuque, c’est extirper les passions du corps, mais surtout celles de l’âme, c’est être orthodoxe. En vérité, le glissement de sens suppose un raisonnement sur lequel il vaut la peine d'attirer l'attention. Devenir eunuque, c’est amputer un mal. Le mal étant l’hérésie, la mutilation consiste à l’extirper de l'âme (que symbolise évidemment le corps (187) 301 A-3065 A. (188) 301 B. (189) 301 C. (190) Cf. supra, p. 186. (191) 304 C.

.

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225

dans la parabole évangélique...) 192, Une telle démarche de l'esprit implique évidemment que la sexualité soit plus ou moins consciemment considérée comme un mal en soi. Dans cette pers-

pective, les eunuques de naissance sont ceux qui manifestaient une inclination naturelle à la vertu et à l’orthodoxie ;ceux qui le sont devenus par la main des hommes doivent tout à l’enseignement qu'ils ont reçu d’autrui ; quant à ceux qui se sont rendus eux-mêmes eunuques, ce sont ceux qui ont accédé par eux-mêmes à la vertu et à la foi orthodoxe, sans rien recevoir ni de leurs parents, ni du clergé, ni d’un enseignement quelconque (93). Ce commentaire, on le voit, fait aux réalités du mariage la part congrue. Il ne les ignore pas :Grégoire a manifesté ce qu’il désire. Il veut que l’adultère de l’homme soit puni par la loi; il souhaite que la législation fasse à la mère une place égale à celle du père. Cela concerne surtout Théodose. Les troisièmes noces constituent un véritable crime. La répudiation ne doit intervenir que pour motif d’adultère : il y a peut-être plus une leçon pour les maris qu’une requête à l'égard du pouvoir. Quant au mariage lui-même, il est louable dans la mesure où il reste indispensable pour donner naissance à des êtres qui embrasseront le célibat. Les époux, ou du moins la femme, sont nécessairement partagés entre l’obéissance à Dieu et l’obéissance aux hommes. La chasteté reste le bien supérieur, la seule condition qui permette à l’âme d’être toute à Dieu. Le mariage n’a donc d'autre valeur que d’être au service de la chasteté. Dans cette perpective, cette dernière paraît destinée à devenir la condition commune du chrétien, seuls se mariant ceux qui sont indispensables pour perpétuer le genre humain. En tout cas, mariage ou célibat ne figurent pas au premier plan des préoccupations de l’évêque au moment où il entreprend d'expliquer saint Mathieu à son troupeau. Comme son grand souci reste l’orthodoxie de la foi, il n’est pas tellement étonnant qu’il trouve le moyen d’en parler abondamment dans une homélie où ce génre de considération n'avait rien à faire. La prédication de la parole de Dieu n’a pas été infléchie par une préoccupation étrangère, mais on peut bien dire que l’obsession légitime de l’évêque devant l’hérésie dominante dans les cœurs l’a empêché de tirer du texte toute la leçon qu’il recélait. Tout ce passe comme si la floraison de l’hérésie arienne avait bloqué ici la réflexion sur la signification chrétienne du mariage. Il nous faut d’autre part relever, dans la conduite du prédicateur, ce trait caractéristique qu’est l’appel au bras séculier, soit avec l'intention de provoquer l'introduction dans la loi d’une certaine égalité des sexes, soit surtout pour obtenir l'interdiction de la prédication arienne (4%, Grégoire n’était sans doute pas le (192) 3065 B. (93) 305 BCD. (194) Sans exclure non plus l’espèce de dénonciation que constitue la mise en cause publique en présence de l’empereur des eunuques de sa cour.

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premier évêque à agir ainsi, comme il ne sera pas le dernier. Il n’était probablement pas le premier évêque de Constantinople à manifester publiquement ses désirs à l'empereur : il est en tout cas le premier qui. interpelle dans ces conditions un empereur véritablement chrétien, c’est-à-dire baptisé. Notre homélie représente donc une étape importante dans l’histoire des relations de l'Eglise et de l'Etat romain. D. — L’'ADIEU AU CONCILE.

Le Discours XXXVII 4%) datait au plus tard du 10 janvier 381, Grégoire prêchera peu au cours des mois qui suivront, comme il le reconnaît dans la péroraison du Discours XLII. Faisant ses adieux à l'église des Saint-Apôtres, il s’écrie, en effet : « Adieu, apôtres, ...vous, mes maîtres dans la lutte, même si je n’ai pas célébré souvent de fêtes en votre honneur » 4%). De toute façon, aucune trace n’a subsisté des sermons qu'il a pu prononcer jusqu’à la réunion du concile dans le courant du mois de mai. Sur le déroulement du concile, le Poème autobiographique nous renseigne de façon très incomplète 4%. Nous apprenons seulement que les évêques commencèrent par confirmer Grégoire sur le siège de Constantinople. La mort de Mélèce fit de lui le président du concile, mais Grégoire était malade et absent au

moment où cette mort survint. Par la suite, il tenta de mettre un

terme au schisme d’Antioche en faisant reconnaître comme successeur de Mélèce le compétiteur que les occidentaux lui avaient ‘suscité, Paulin. Pour mettre un terme aux querelles qui divisaient non seulement les chrétiens d’Antioche, mais encore les évêques d'Orient avec ceux d'Egypte et d'Occident, Grégoire se désolidarisait donc des Orientaux, qui entendaient donner un successeur à Mélèce. L’échec découragea un Grégoire déjà fâcheusement impressionné par l’état d'esprit de la majorité des membres du concile. L'arrivée tardive des évêques d'Egypte et de Macédoine, qui mirent en cause la régularité de son intronisation parce qu’elle était l’œuvre des Orientaux, acheva de le dégoûter de sa charge pastorale et il donna sa démission, quittant Constantinople sans même attendre la fin du concile. A part le Discours XLII, discours d'adieu aux évêques, il ne reste aucun témoin de ce que Grégoire a pu dire au cours de cette période, soit devant les fidèles de son église soit devant les pères

du concile. Les indications données par le Poème autobiographique donnent à penser qu’il s’exprima plus par de courtes interventions qu'au moyen de harangues en bonne et due forme. On sait d’ailleurs qu’il fut assez gravement malade pour rédiger le 31 mai (95) (196) (497)

PG, XXXVI, 457-492. 489 B. v. 1506-1904.

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un testament 8),

227

S'il n’est pas exclu qu’il ait pu prononcer un

discours avant cette maladie, on peut se demander s'il retrouva

par la suite la force de le faire. Le Poème autobiographique résume en 27 vers les termes dans lesquels il aurait présenté sa démission aux évêques avant d’aller chercher l'agrément de l’empereur (1°).

Il est aisé de constater que ce n’est pas le Discours XLII qui fait l’objet de ce résumé. On peut imaginer, il est vrai, que Grégoire est revenu devant le concile après sa visite à l’empereur, mais on doit alors s'étonner que le Poème ait entièrement passé sous silence un acte aussi important que celui qui scellait d’une façon définitive la fin du ministère de Grégoire dans la capitale. On en vient donc à se demander si les termes de notre discours sont bien arrivés aux oreilles des évêques. Grégoire propose deux versions différentes de ses faits et gestes. Celle du Poème autobiographique, dans sa simplicité qui apparente le départ de Grégoire à un mouvement d'humeur, à une fuite devant les contestations dont il était l’objet, a chance d’être plus proche de la réalité. En revanche, l'ampleur du Discours XLII, son caractère littéraire accusé 20), son allure de contre-attaque systématique contre l’épiscopat pris en bloc permettent de douter que les Pères du concile aient jamais entendu la vigoureuse diatribe que leur collègue leur adressait en les quittant. Saint Jérôme ne semble pas avoir eu connaissance d’un discours qui aurait dû le frapper tout particulièrement (21), Son silence peut être considéré comme l'indice d’une composition tardive de notre discours. L’argument n’est pourtant pas sans réplique, car le silence de saint Jérôme peut s'expliquer de bien des façons. Il est possible qu’il ait quitté Constantinople avant les adieux de Grégoire et que le discours soit resté inconnu de lui, mais il peut se faire aussi qu'il ait préféré se taire sur un aussi triste et éloquent document de l’antagonisme entre lOrient et lOccident chrétiens (22). Les évêques de Macédoine, en demandant l’éloignement de Grégoire, s'étaient comportés en mandataires fidèles (198) F. Martroye, Le testament de saint Grégoire de Nazianze, Bull. Société Antiquaires de France, LXXVI (1924), 219-263. (199) v. 1828-1855. ; (200) Le discours participe de l’éroloyis en même temps que du GUVTHXTNELOS AOYOC. (21) De Vir. IIL, CXVII Rufin, qui ne donne que les titres des ouvrages qu'il traduit, ne cite pas non plus ce discours. , (202) Non seulement Alexandrie, dont l’évêque, Timothée (frère de saint Athanase et de Pierre), contestait l'élection de Grégoire, avait traditionnellement partie liée avec Rome, mais derrière Ascholius de Thessalonique se profilait l'ombre du pape Damase, qui avait mis ce dernier en garde contre l’installation à Constantinople d’un évêque transféré d’un autre siège. La lettre de Damase (PL XIII, 365), visait Grégoire sans le nommer. Notons que les provinces de l'Ilyricum occidental ayant été rétrocédées par Théodose à Gratien en septembre 380, Acholius relevait de l'Occident. On comprend que Grégoire ait maudit le souvenir de Maxime, si on songe que c’est probablement par celui-ci que les Occidentaux savaient qu'il avait été fait évêque de Sasimes.

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Le silence de saint Jérôme est d’autant plus de Damase. compréhensible qu'il avait été lié avec Damase après l'avoir été avec Grégoire. Si le témoignage de saint Jérôme ne peut être considéré comme déterminant, ce que nous savons du tempérament de Grégoire peut nous aider à approcher de la solution. Nous croirions volontiers que, cédant à un subit accès d’humeur et de découragement, Grégoire a tout laissé derrière lui sans se soucier le moins du monde de soigner sa sortie. C’est ainsi qu’il avait agi en 362 et en 372 (03), Il serait non moins conforme à ce que nous connaissons de sa psychologie qu'il ait éprouvé dans un second temps le besoin de vider son cœur et de se justifier en attaquant ceux qu’il jugeait responsables de ce qui venait de lui arriver. Dans ces conditions, notre discours daterait de l'hiver 381-382 (204). Si fiction il y a, on doit convenir qu’elle présente toutes les couleurs du vrai, qu’elle en possède toute la vie. Tout suppose en effet la présence d’un public que l’auteur interpelle d’un bout à l’autre comme s’il l'avait effectivement en face de lui et les différents éléments qui composent ce public, évêques d’un côté, clergé et fidèles de Constantinople de l’autre, apparaissent très distinctement. Les circonstances qui sont supposées l’entourer ne sont pas moins nettement définies. Le concile s'étant achevé le 9 juillet 381, après l’élection de Nectaire en l’absence de Grégoire déjà parti pour la Cappadoce, ce discours d’adieu se situe donc dans le courant du mois de juin. Il faisait suite à la démission proprement dite présentée au concile et à la visite du démissionnaire à l’empereur. On a généralement admis que Sainte-Sophie avait été le cadre de ce discours (20). Grégoire, adressant en effet ses adieux aux différentes églises de la capitale, énumère successivement l’Anastasis des débuts, un temple non dénommé, toutes les autres églises de la ville et, pour finir, les Saints-Apôtres (27, L'église citée en deuxième position a toutes les chances d’être celle où Grégoire prend la parole puisqu'il lui applique le démonstratif oïros qui indique la proximité. S'agit-il de Sainte-Sophie ? L'expression « grand et illustre temple » pourrait convenir aussi aux Saints-Apôtres, mais le contexte réserve à cette dernière église une mention spéciale ce qui interdit la confusion. (203) Il y a un précédent, celui de cette autre äxokcyix qu'était le Discours II. Cf, supra, pp. 98-100 . (204) Si Grégoire n’est pas tendre à l'égard des évêques dans ce discours, du moins s’exprime-t-il avec retenue, quoique sans grand enthousiasme, sur le compte de celui qui devait lui succéder, «Je n’ai qu’une requête à vous présenter : qu’il soit de ceux qui excitent l’émulation, et non de ceux qui soulèvent la pitié; non de ceux qui accordent tout à tous, mais de ceux qui savent parfois heurter pour le bien » (489 A). On sait qu'après son retour à Nazianze, il entretint une correspondance relativement suivie avec Nectaire, puisque six lettres sont adressées à ce dernier. L'auteur du Discours XLII-ne pouvait qu’observer une certaine discrétion à l'égard de la personne de son correspondant.

(206) Cf. le Monitum des Bénédictins, 455-456, ainsi que 489 D, n. 98. (207) 489 B.

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D’autre part, il semble que l'expression de « grande église » ait été appliquée très tôt à Sainte-Sophie. Nous connaissons très mal cet édifice (2%), Construit par lempereur Constance, il avait été consacré le 15 février 360 par l’arien Eudoxe. À moitié détruite par un incendie en 404, restaurée en 415, l’église devait disparaître au cours d’un incendie le 15 janvier 532. On sait que Justinien devait la rebâtir en lui donnant des proportions infiniment plus

considérables. De l'édifice où Grégoire parla, nous savons seulement qu'il était de plan basilical, plus long que large, qu'il était surmonté d’une coupole en bois et orné de très belles colonnes. Il était normal que le concile convoqué par Théodose siégeât à proximité du palais impérial, donc à Sainte-Sophie, de préférence

à l’église des Saints-Apôtres, distante d’environ 3 kilomètres. C'est donc aux évêques que Grégoire s'adresse, mais il leur parle en présence de son propre clergé et des fidèles de Constantinople, comme le montrent plusieurs passages. Parfois même, il

interpelle directement ces derniers. C’est ainsi qu’annonçant un compte rendu de son action dans la capitale, il invite ceux qui l’ont vu agir et entendu parler à témoigner de la vérité de ce qu’il va dire. «Si je dis vrai, apportez-moi votre témoignage, vous de qui le parle et devant qui je prends la parole, car c'est vous qui constituez ma défense et qui êtes mes témoins ainsi que ma couronne de fierté » 299), Un peu plus loin, il demandera aux fidèles présents la piété, expression qui est dans sa bouche synonime d’orthodoxie 10), puis il mvitera les évêques à jeter les yeux autour d'eux pour contempler le spectacle que leur offre l’église de Constantinople rangée autour de son pasteur. «Lève les yeux, et jette-les tout autour de toi et regarde, toi, qui que tu soies, qui contrôles mon enseignement » 1), Le spectacle qui s'offre aux regards, c’est celui des prêtres, des diacres, des lecteurs, d’un peuple désireux de s’instruire, où ne manquent ni les hommes ni les femmes. Il y a là des philosophes et des simples, des gouvernants et des gouvernés, des soldats et des nobles, des professeurs et des étudiants, des femmes mariées et des vierges, des jeunes et des vieux. Tous sont instruits de l’Ecriture, tous sont soumis aux évêques et respectent le concile, tous sont serviteurs du Verbe (12),

Ainsi donc, le clergé et les fidèles vont être appelés à entendre la défense de leur évêque, une défense non seulement faite d’arguments propres à écarter les critiques dont il était l’objet de la part de ses collègues dans l’épiscopat, mais aussi fondée sur une vigoureuse mise en accusation du comportement de ces derniers. (208)

Sur

cet édifice, voir R.

471-485.

(209) (210) (211) (212)

F

457 468 472 472

CD. C. A. AB.

Janin, Les églises et les monastères, -

pp.

{

LA

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PÈRES

CAPPADOCIENS

le canon qui Sans doute le concile n’avait pas encore adopté neur après d'hon uté prima la ople antin attribuait à l’évêque de Const sentiment, le nt bleme proba avait ire Grégo mais ‘évêque de Rome, de parler ue, publiq leçon quand il donnait à ses collègues une telle t. d'Orien l’église de du haut du trône le plus élevé

une &rohoyix, Une fois de plus dans sa vie, c’est une défense, ent, c'était iellem essent hait reproc lui qu'il présente C1), Ce qu'on

l'illégitimité de son intronisation à Constantinople,

mais c'était

le depuis aussi le peu d'activité qu'il avait déployé dans la capita e en avanc par e comm l ue-t-i qu'il s'y trouvait 214), Aussi répliq les lant rappe en et urent l'ento qui s fidèle des montrant la foule il où e époqu une changements intervenus. «Ce troupeau, il y eut à : eau troup un même pas t était petit et incomplet » 215). Ce n'étai sans e, évêqu sans nisé, inorga était Il reste. peine un vestige, un frontières précises, sans liberté, sans bergerie même, c’est-à-dire sans église où s'assembler. Après l’image du troupeau, c'est celle du champ étroit produisant une maigre moisson qui servira à évoquer la situation dans laquelle Grégoire avait trouvé les orthodoxes à son arrivée à Constantinople. C’est la seule vraie réponse que Grégoire donnera à l’accusation d’irrégularité, la considérant sans doute comme écartée définitivement par le vote qui l'avait placé À la tête de l’église de Constantinople avant l’arrivée des évêques d'Egypte et de Macédoine 15). Il se contente d’allusions ironiques à ce grief. Ses premiers mots sont pour saluer ces « chers pasteurs et collègues» qui étaient venus non pour chercher une brebis perdue, mais «pour visiter un pasteur hors de chez lui (roméva #xnuov) 219, Il conclura son évocation des sombres années vécues par l’orthodoxie à Constantinople par la fière description de la situation qu’il va laisser, description que nous avons évoquée plus haut 219. Ce résultat est l’œuvre d’une « étranger » qui invite, ironiquement encore, ces évêques » qui lui sont chers, qui sont des étrangers et, comme lui, hors de chez eux (owvexSfuous) à la contempler 219, Ce résultat est d'autant plus important qu’il concerne «une ville qui ‘est le joyau de l'univers, qui est la ‘plus puissante sur terre et sur mer, qui est comme le lien qui unit les confins de l'Orient et de l'Occident, où accourent les extrémités de la terre et d’où tout part comme du port commun de la foi» 22), Ce langage n’était pas fait pour plaire aux

s ion.

(213) (214) (215) (216)

457 C. 481 B et C. Cf D. XXVI, 1232 C (supra, pp. 173-174). 460 A. Plus loin (481 A), il écartera dédaigneusement l'accusation d'ambi-

(217)

457 A.

(218)

472 AB (ci. supra, p. 229).

(219) (220)

469 B. 469 C.

SAINT

GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

231

Egyptiens qui contestaient l'élection de Grégoire, pas davantage aux occidentaux qui n’eurent d’ailleurs pas l’occasion d’en prendre connaissance (221), Grégoire savait pourtant que d’autres griefs étaient formulés contre lui. Quelqu'un l’avait accusé de parler et d'agir comme une courtisane (22), Cet accusateur inconnu, probablement un évêque, visait-il ce goût un peu féminin de séduire que l’on sent parfois chez notre auteur ? C’est peu probable, car les évêques avaient eu peu d’occasions d’entendre Grégoire s'adresser à la foule et, bien peu sans doute l'avaient lu. A moins qu’il ne s'agisse d’un prélat cappadocien. La réponse que Grégoire fait à ce censeur anoyme montre qu'il interprétait autrement la critique qui lui était décochée. «C’est, lui répond-il, que notre enseignement n’est pas celui d’un ignorant (où yäp ämuSeëros muSeiouev), nous ne lançons pas des insultes, comme la plupart des gens, qui ne combattent pas des arguments, mais ceux qui les exposent et qui cachent parfois la faiblesse de leurs raisonnements sous des injures » 223. Ce que lon reprochait à Grégoire c'était donc le soin qu’il avait apporté, par exemple dans les Discours T héologiques, à établir ses thèses par le raisonnement et le recours à l’Ecriture, c’est d’avoir cherché à convaincre au lieu de frapper (224).

D’autres, sans doute plus nombreux, continuent à lui reprocher son manque d'énergie. On voit en lui « un vieillard timide ( Seméc) et lâche (ävavSpoc). «Je suis fatigué s’écrie-t-il, de m’entendre reprocher ma mansuétude (ëmetxeiav ), je suis fatigué d’être attaqué en paroles et en butte à la jalousie » 22), Que lui reprochait-on au juste ? Il est très explicite sur ce point : «il y a longtemps, dit-on, que tu diriges l'Eglise, avec l'appui des circonstances et la faveur du pouvoir, chose si importante : quel changement cela a-t-il signifié pour nous ? » (26), La suite ést plus explicite encore. Aux yeux de ses ennemis, les changements intervenus sont dus à l'empereur seul. Grégoire n’a rien fait pour profiter de la situation, en tirant davantage de la faveur impériale. Il fallait obtenir le châtiment des forfaits des ariens, et inspirer par la punition des

crimes commis, une crainte salutaire pour l'avenir. Au lieu de cela, «nous sommes devenus plus forts, et les persécuteurs ont échappé » 227), II fallait punir des préfets, châtier des populations entières, ceux qui les avaient enflammées contre les orthodoxes. (221) (222) (223) (224)

A l'exception d’Ascholius. 472 BC. 472 D - 473 A. Une fois de plus, Grégoire

fussent-ils de sentiments

(225) 481 BC. (226) 485 B. (227) 485 C.

orthodoxes.

incrimine

l'ignorance de ses collègues,

LA

232

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

Il est très probable que ces appels à la vengeance provenaient d'Egypte où la période arienne avait engendré de nombreux troubles (223). Grégoire ne les honore même pas d’une réponse. Un troisième grief, rapporté sous une forme sarcastique, concernait la simplicité d’un train de vie jugé peu digne d'un évêque. Sa table, son vêtement, ses apparitions en public, sa façon de recevoir ses visiteurs tout cela paraissait plus monastique

qu’épiscopal 2%), C’est que la fonction épiscopale tendait à s’aligner sur les dignités civiles. « J’ignorais, leur répond-il, que nous ayons à rivaliser avec les consuls, les préfets, les généraux les plus illustres, nous qui n’avons pas d’endroit où jeter ce qui nous appartient, et qu’il fallait que notre ventre se trouvât à étroit en

nous gorgeant de ce qui appartient aux pauvres *), que nous devions utiliser le nécessaire à des usages superîlus et vomir sur les autels ; que le luxe des chevaux devait nous véhiculer et que nous devions trôner avec éclat sur des litières ;qu’un cortège devait nous précéder et une claque nous environner ; que tous devaient faire place sur notre passage comme devant les bêtes féroces, en s'écartant de part et d'autre; ou encore qu’il fallait que notre approche fût signalée de loin... Pardonnez-nous ce crime !» (D,

C’est à peine si ce tableau atteint la caricature. Pour l'essentiel, c’est bien l'appareil qui environnait les hauts magistrats et les grands seigneurs que Grégoire vient de décrire. Son refus signifie qu’il ne veut pas voir la hiérarchie ecclésiastique s’imbriquer dans celle de la société. Sa démission, suivie de l'élection du sénateur Nectaire, manifestera que c’est dans cette direction que s’engageait au contraire l’épiscopat.

Pourtant, la riposte de Grégoire dépasse ses adversaires pour atteindre l’épiscopat, accusé dans son ensemble d’avoir varié dans la foi. Ces variations, ne sont pas le fait de simples théologiens, rüv pilocopoivrwv

mepl Oesoë, car le contexte montrera bien que cette

expression très générale concerne plus précisément les évêques (23%), Les uns sont orthodoxes, mais le cachent soigneusement, laissant croire qu’ils professent d’autres doctrines que celles auxquelles ils sont attachés dans le fond de leur cœur. D’autres ont un comportement plus nuancé. Ils évitent de donner à penser qu’ils sont (228) Plus que de la part des Occidentaux, qui n'avaient pas souffert de l’arianisme, qui n'avaient pas fait grand chose pour venir en aide à leurs

collègues d'Orient persécutés par Valens, et qui ne relevaient pas de Théodose, mais de Gratien.

(229) 488 A. . (230) Le train de vie de l’évêque étant assuré par des biens d'église so aussi bien à venir en aide aux pauvres qu’à garantir la subsistance du clergé. (231)

488 AB.

(232) 473 C. On trouve ailleurs (D. XXI, 1124 B, cf. supra, p. 157) un classement analogue à celui qui suit, formulé en des termes très voisins.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

233

hérétiques, mais ils ne professent pas pour autant l’orthodoxie de façon ouverte, soit par tactique (oixovouit), soit par lâcheté (Seuxix ). Les uns et les autres « sont sains d’esprit, mais ils ne donnent pas la santé au peuple, comme si on leur avait confié le gouvernement de leur propre personne, et non pas celui des autres». Il y a enfin «ceux qui divulguent le trésor... et qui ne croient pas que le fait de se sauver tout seuls soit le salut ». C’est au présent que Grégoire s'exprime, et non au passé : il y a là un indice que nous ne devons pas négliger. S'il peut en effet estimer que tel reste au moment où il parle le comportement de ses collègues, c’est que l’arrivée au pouvoir de Théodose n’avait pas suffi à faire basculer les esprits, soit que les intentions de l’empereur parussent encore insuffisamment claires, malgré les édits publiés, soit que son pouvoir fût jugé encore trop précaire, soit que les évêques, ce qui est le plus probable, aient agi par complaisance à l'égard de l'opinion publique %), En portant cette accusation, Grégoire se désolidarise de ces évêques temporisateurs. Montrant autour de lui un peuple qu’il avait formé à l’orthodoxie, il rend manifeste la part personnelle qu’il avait prise dans l’évolution des esprits à Constantinople. C’est évidemment aux évêques d'Egypte et aux Occidentaux qu'il s'adresse surtout. Ce peuple fidèle constitue la justification de sa présence à Constantinople, résultat dû à la grâce de Dieu et à ceux qui l'avaient appelé dans la ville : xai üuiv roi xaéomouv (234),

En se défendant d’avoir accepté le siège de Constantinople par intérêt il n’hésite pas à reconnaître que tel est bien le motif qui guide «la plupart» des évêques 2%). Pour lui, ni l'amour du pouvoir, ni l’orgueil (B6pévov 5%oc), ni les entrées à la cour (Baouéov raretv «bhéc) ne l’ont guidé (39). En déclarant publiquement que de tels sentiments animent la plupart des évêques, c’est une cuisante leçon qu’il donnait à ses collègues sans craindre la présence des laïcs. Il ira plus loin en souhaitant que son successeur soit capable de «porter avec ses collègues( ouvôtæpépe) les soucis ecclésiastiques (rs äxxAnotaonxèc ppovrixs), puisque c’est de cela qu’il s’agit surtout maintenant » 237), expression dont le contexte montre qu’elle concerne dans sa bouche l’administration des biens de l'Eglise. «Je ne supporte pas vos jeux de cirque et vos représentations théâtrales, jette-t-il aux évêques, ni ces fureurs qui s'opposent, qui absorbent votre argent et vos préoccupations » (238). Il s’agit bien des factions qui partagent le concile en camps opposés. L'allusion au rôle de l'argent dans ces factions jette une singulière lueur sur la façon dont se faisaient et se défaisaient les (233) Grégoire a déjà accusé 268 À, cf. supra p. 194.

(234) (235) (236) (237) (238)

480 Ib. 481 481 484

C. A. B. B.

les évêques de flatter la foule (D, XXXVI,

234

LA PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

majorités conciliaires. Elle concerne aussi lachat des hauts fonctionnaires 2%). Si nous ne devons pas en juger avec l’état d'esprit d’un moderne, de tels usages montrent à quel point la pratique des présents était répandue dans cette société. Nous devons constater aussi que si un évêque de Constantinople a cru pouvoir rompre avec eux, la démission qu’il a été contraint de donner signifie sans doute qu’ils ont été plus forts que lui. Encore si ces factions correspondaient à une diversité d'opinion réelle : en fait, l'adhésion à un parti, qu'il s'agisse de personnes ou de doctrine, est dictée par l'intérêt : « Sous le visage d'autrui, ce sont nos propres querelles que nous vidons... Aujourd’hui nos trônes sont associés, notre loi est la même, dans la mesure où ceux qui nous conduisent (oi &yovres) nous y poussent ; demain nos trônes s'opposeront et nos lois aussi si le vent souffle en sens contraire. Nous changeons de nom avec nos haines et nos amitiés, et, circonstance aggravante, nous ne rougissons pas de garder les mêmes auditeurs. Nous n'avons pas de constance, nos querelles nous font varier » 24), Cette leçon vise aussi bien tous ceux des prélats qui acceptaient désormais de se réclamer de la foi de Nicée après avoir contresigné sous le règne de Valens des déclarations opposées que ces évêques égyptiens qui contestaient publiquement la régularité de l'élection de Grégoire tout en le rassurant en privé sur leurs intentions, guidés qu'ils étaient par la seule volonté de faire valoir l'influence du siège d'Alexandrie (2#), Ces querelles épiscopales ont leur retentissement parmi les fidèles qui embrassent les divers camps en présence. «Ce ne sont pas des prêtres qu’ils cherchent, mais des orateurs; ce ne sont pas des intendants des âmes, mais des caissiers (xpnuérov œilaxac ); ce ne sont pas de purs sacrificateurs, mais de solides protecteurs (reoorérac ioxvpoëc). Je leur trouverai une excuse : c’est ainsi que nous les avons formés, nous qui « jouons tous les rôles », pour les sauver ou les perdre tous, je ne sais » 24), De telles formules font éclater une nette opposition entre deux conceptions de l’épiscopat. Devaient-elles et pouvaient-elles s’exclure, c’est une question dont nous ne sommes pas juges. Nous retiendrons du témoignage de ce poète et de ce mystique une formulation très nette de ce (239) On sait par exemple que saint Athanase avait envoyé en 331 une cassette d'or au maître des offices, Philouménos, et qu’il eut à s’en disculper auprès de Constantin (Sur cette question, cf. Athanase, Ap. c. Ar. 60; Socrate, I, 27; Martroye, Sur un certain Filumenus de l’époque de Constantin cité (par Opiat, Bull. Soc. Antiq. Franc., 1914, p. 217). Mais l’inculpation concernait moinsle cadeau lui-même que le fait qu'il ait été adressé à un ministre qui tombait en disgrâce. (240) 484 BC. Un passage du Discours XLIII, 572 B, montre que Grégoire n'avait pas oublié l'exemple d’Anthime de Tyane, qui avait mis en avant des prétextes d'ordre spirituel pour mettre la main sur les revenus de Saint-Oreste, qui appartenaient jusque là à l’église de Césarée. (2) Poème autobiographique, 1156, v. 1812-1817. (242) 488 RC.

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE

SERA

235

qu’attendaient de leurs évêques, é en cette fin de 1v" siècle, ces foules de non-baptisés qui constituaient la grande majorité ‘du peuple qu’on appelait chrétien. Au terme d’une telle analyse, on voudrait pouvoir affirmer que ce réquisitoire est parvenu aux oreilles de ceux auxquels il était destiné. Il conserve en tout cas d’un bout à l’autre un accent tel que sa franchise ne saurait être mise en doute. Il reste suffisamment précis dans le détail pour constituer un document valable et les regrets douloureux qui accompagnent la démission interdisent d’y voir un simple geste de dépit 43), Ecrite ou parlée, cette leçon donnée aux évêques, et à l'Eglise d'Orient tout entière derrière eux, par l'évêque de la Nouvelle Rome constitue le plus haut témoignage de sa responsabilité de pasteur et de prédicateur. (243)

Ci. toute la fin du discours à partir de 490 BC, en particulier 492 A.

CHAPITRE

IV

Les dernières années en Cappadoce

Dans le courant de l’été 381, Grégoire rentre donc au pays natal. Sans doute se retira-t-il dans sa propriété d’Arianze avant de reprendre en mains, comme on le lui demanda bientôt, les affaires de l’église de Nazianze, une fois de plus privée d'évêque. C’est sans doute le 1“ janvier 382, date anniversaire de la mort de Basile, qu’il prononça à Césarée l’oraison funèbre de son ami 4). D’autres, et en particulier Grégoire de Nysse, ©), avaient fait avant lui l’éloge de Basile. A. —

L'ORAISON FUNÈBRE DE BASILE.

Le Discours XLIII ® est de beaucoup le plus long de tous ceux de Grégoire, si on admet, comme nous l’avons dit, que ni l’Apologie de 362 ni la première Invective contre Julien ne sont de véritables discours (#). Rien dans ce texte, si ce n’est sa longueur, ne permet de douter qu'il ait été prononcé. Tout y suppose au contraire la présence d’un auditoire, et d’un auditoire réuni à Césarée-5), Eût-il été concevable d’ailleurs que Grégoire ne prononçât pas l’oraison funèbre de son ami alors que tant d’autres s'étaient acquittés de ce devoir envers sa mémoire (6) ? (4) Gallay, pp. 214-216. (2) Le discours de Grégoire de Nysse (P.G. XLVI, 788-817) est daté par J. Daniéou du 1** janvier 381. Cf. infra, p. 313. (3) PG XXXVI, 493-606. Il existe de ce discours une édition séparée avec traduction française, dans la collection Hemmer-Lejay, œuvre de F. Boulenger, Paris, 1908. (4) Cf. supra, pp. 94 et 98. G) Les indices de la présence physique de l'auditoire sont nombreux. Relevons: «Que me pardonnent aussi ceux qui parmi vous sont les plus chauds à faire l’éloge d’un tel homme» (496 C), «puisque nous nous adressons à des gens qui sont bien au courant de nos affaires» (497 A); «la suite, qu'ils la racontent eux-mêmes, ceux qui ont à la fois instruit l'homme à leurs côtés et joui de sa culture» (512 B); «il part d'ici en fugitif avec nous pour s'établir dans le Pont» (536 B); «Vous voici tous réunis autour de moi, vous qui constituiez son chœur » (604 B).

(6) 496 B.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

237

Comme nous pouvons nous y attendre, s'agissant de l'éloge d un défunt, ce que l’œuvre nous apprend sur le prédicateur et son auditoire n’est pas en proportion de son ampleur, C’est d’ailleurs à un auditoire de circonstance que l’orateur s'adresse, et non à des fidèles habituellement commis à sa charge. Aussi le peuple de Césarée n’apparaît-il que dans la mesure où son existence avait constitué la toile de fond de la vie de Basile. Rares sont par conséquent les informations que ce discours nous apporte à son sujet, et elles sont presque toutes d’ordre rétrospectif.

La passion pour les courses de chevaux, nous l'avons rencontrée avec Grégoire à Constantinople ; ici, il nous apprend, au détour d’une comparaison, qu’elle sévissait avec non moins de violence à Césarée, où elle atteignait jusqu'aux plus pauvres, « ceux qui n’ont même pas devant eux la nourriture d’une journée » (), Relevons un détail, précieux pour l’histoire des mœurs comme des arts, relatif aux façons de travailler des peintres. Evoquant le travail de l’orateur aux prises avec le modèle dont il doit faire l'éloge, Grégoire le compare au peintre. Comparaison des plus banales s’il n’ajoutait pas, comme un détail qui va de soi, que le peintre imite d’autres tableaux,

xaxbérep où Cowypépor rod dpyerimouc rivaxac (8),

Mais c’est un renseignement très précieux pour l’histoire religieuse que Grégoire nous livre, quand il nous parle des contributions volontaires apportées à l'Eglise par les chrétiens aisés. Parmi les actions louables des parents de Basile, il mentionne, à côté de la générosité à l'égard des pauvres, de l’hospitalité donnée aux étrangers ou de l’austérité des mœurs, « la consécration à Dieu d'une

part

de

leur

fortune»,

éxépotpa xrhoeus

Oe@ xaiepobelong,

« pratique pour laquelle on ne manïfestait pas alors autant d’empressement que maintenant, qui a pris de l’extension et a été mise en honneur à la suite des premiers exemples » ®). S'agit-il du paiement au clergé de dîmes annuelles ou bien de fondations comme le Moyen-Age en connaîtra tant? L’allusion est trop imprécise pour permettre d'en décider. De toute façon, il y là un indice très net de la constitution de biens de mainmorte dans le courant du siècle (40), | Dans un autre ordre d'idée, relevons une remarque surprenante pour notre sensibilité moderne dans la bouche d’un prédicateur et d’un évêque. Relatant le guet-apens dont Basile avait été victime à Athènes de la part d'étudiants désireux de mettre en échec ses (7) 516 A. (8) 493 A. (9) 505 A. (10)

On

comprend

mieux

les allusions

éparses de Grégoire à la fortune

des églises et aux convoitises qu’elle éveillait parmi les candidats à l'épiscopat. Cela nous permet de nous représenter deux types d'évêques parmi d’autres: à côté du grand seigneur que sa fortune a fait choisir, celui qui, ne disposant pas d’une fortune suffisante, a été attiré par les biens d’Eglise.

238

LA PRÉDICATION

DES PÈRES

CAPPADOCIENS

talents de dialecticien, il s’écrie, en guise d’entrée en matière :

« Je trouve que les Arméniens sont une race sans franchise, pleine de dissimulation et de dessous (ÿpæov) » 11. Le jugement est abrupt. Comme tous les jugements de ce genre, on à peine à croire qu’il ait été fondé. Il témoigne en tout cas du peu d'estime et de sympathie que le cappadocien Grégoire portait à l'égard des habitants de la province voisine. Il est peu probable qu'il ait exposé en pareille circonstance une telle opinion, s’il n'avait pas eu des motifs de penser qu’elle trouverait un accueil favorable chez ses auditeurs.

Mais c'est de Basile que Grégoire doit parler, de Basile seul. Telle est la règle d'un genre qui a exactement prévu la succession des *éra qui s'imposent, dans le seul but d’en tirer matière à ornement du héros dont on magnifie la destinée. Grégoire se pliera à la règle, mais il ne résistera pas à la tentation de se mettre

lui-même en scène, persuadé que l'aventure de son ami avait été trop liée à la sienne propre pour qu'il pût rester hors du débat. Il ne résistera pas à la tentation de nous entretenir de lui-même à cette occasion (?), Pourtant, c’est moins à de communs souvenirs de jeunesse ou d'âge mûr que la figure de Basile l'amène à penser qu'à ses récents démêlés avec de peu dignes évêques et aux fonctions épiscopales elles-mêmes. En brossant le portrait de Basile, en retraçant les grands traits de sa carrière, c’est l’image d’un grand évêque, et, dans une large mesure, de l’évêque idéal que Grégoire propose à ses auditeurs ;c’est une page d'histoire religieuse qu’il fait revivre pour eux et pour nous, ce sont les rapports d’un évêque avec son église qu’il contribue à éclairer. Mais il y a plus, car la lecture de ce discours entraîne vite une constatation dont il est un peu étonnant qu’elle ne se soit pas déjà imposée. Le Discours XLIII forme diptyque avec le précédent. Le Discours XLII constituait, pour une large part, une mise en accusation d'évêques médiocres et improvisés. Dans le Discours XLIII, Grégoire propose à limitation l'exemple d’un très grand évêque. En cela, l’oraison funèbre est bien plus qu’un éloge dû à l'amitié ou simplement aux usages, elle contient, à l'intention des auditeurs immédiats comme aussi des lecteurs des années qui suivirent, une leçon qui dut être méditée. Le point qui tient le plus au cœur de Grégoire, c'est la préparation de l’évêque à sa tâche. Il critiquait vivement dans son

discours d’adieu de Constantinople l'habitude qui faisait monter, comme il dit, sur le trône, des hommes que rien n’y avait préparé, si ce n’est que leur naissance leur avait donné la culture et leur (41) (12)

517 B. Les passages où Grégoire

Basile sont nombreux

se met en scène lui-même aux côtés de et parfois étendus. Citons 512 À, 513 B-525 B. 529 AB,

536 B, 537 D -540 A, 564 AB, 572 C-573A.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

239

expérience l'habitude du commandement et des affaires, voire des relations et une fortune utiles. Ce type d’évêque lui paraissait trop répandu parmi les membres du concile. Au demeurant, son propre père n'en avait-il pas été l'exemple le plus proche de lui et le mieux connu ? Après tout, Grégoire l'Ancien n’avait pas été autre chose qu'un grand propriétaire, tardivement chrétien, tardivement consacré,

presque

sans

transition

et, en

tout

cas,

sans

grande

formation théologique et, probablement, sans beaucoup d’expérience de la vie ascétique. Du même genre était ce sénateur Nectaire qui venait de succéder à Grégoire sur le siège de Constantinople. Il faut convenir que Basile lui fournissait un tout autre modèle d’évêque, lui qui avait été lecteur, puis prêtre avant de devenir évêque (3), qui s'était préparé à conduire les autres en se maîtrisant lui-même dans l'exercice de la vie monastique. « Ce n’est pas en limprovisant dans la dignité, ni en lui donnant la sagesse en même temps qu'elle le lavait de ses fautes, comme la plupart des candidats actuels à l’épiscopat, c’est en suivant l'ordre et la loi de l'ascension spirituelle que (la bonté de Dieu) lui confère cet honneur » (4). L'avenir donnera partiellement raison-à Grégoire, puisque l’église orientale choisira ses évêques, non plus parmi les laïcs influents,

mais dans les rangs des moines. La carrière d’un Jean Chrysostome par exemple est déjà en tous points semblable à celle de Basile et conforme au programme tracé par notre discours.

Mais il est un autre aspect de la formation préliminaire que Grégoire requiert de la part du candidat à l’épiscopat : c’est l'acquisition de la culture, Au moment de parler de l'éducation de Basile comme l’y invitaient les lois du genre littéraire, il consacre un assez long développement à la défense et à la justification de cette culture «que beaucoup de chrétiens rejettent, voyant en elle un piège, une occasion de chute, un facteur d’éloignement de Dieu, — bien à tort (xaxàc eiSéres) » 15), La culture est à ses yeux, tout comme le ciel, l’air ou les astres, un bien créé par Dieu : tout dépend de l'usage qu’on en fait. Il ne se contente pas de ce plaidoyer, il lance une contre-attaque vigoureuse contre ces gens «ignorants et incultes » qui « voudraient que tous leur ressemblent, pour rester inaperçus dans la masse et échapper au reproche d’inculture » (49), Il ira même jusqu’à traiter de borgnes ceux qui se contentent d’une formation morale. C’est cette culture qui fera plus tard de Basile un maître 47), Si Grégoire insiste tant sur les années d’études de Basile à Athènes, sur les succès de sa parole, n'est-ce pas parce qu'il considère comme indispensable que l’évêque (43) 533 B, 533 C. (44) 532 AB. (15) 508 B. (6) 509 A. (47) 581 D-585 A.

LA

240

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

dispose d’une culture solide et étendue, et qu'il soit capable d'enseigner avec éclat ? Il n’est pas du tout certain que tous les curiales, voire même les clarissimes, qui fournissaient la grande majorité des évêques aient pour autant reçu une formation intellectuelle approfondie. Grégoire de Nysse, pour rester dans le cercle restreint de notre auteur et de son héros, était, il est vrai, un ancien rhéteur, mais sa carrière ecclésiastique était une carière improvisée. Quant au troisième frère, Pierre de Sébaste nous pouvons penser qu'élevé par sa sœur Macrine à Annési, il connaissait beaucoup mieux l’Ecriture que les systèmes philosophiques de la Grèce, sans parler de sa littérature ou des habiletés de ses orateurs.

On voit que si le discours d’adieu brossait un tableau très critique de l'épiscopat contemporain, l’oraison funèbre propose à limitation un modèle doué de toutes les qualités qui faisaient défaut à trop d’évêques. S'agit-il pour autant d’un portrait sans ombre ? Bien loin de là. Grégoire, qui parle devant des témoins oculaires, ne peut passer sous silence les critiques dont Basile avait été l’objet, les oppositions qu’il avait rencontrées. Il est vrai que les unes et les autres émanaient d’évêques jaloux de Basile, comme l'avait été Eusèbe, ou désireux de l’écarter de l’épiscopat, comme ceux qui lui avaient refusé leur voix à la mort du même Eusèbe (9), Il est significatif que les opposants ou les détracteurs aient été des évêques, tandis que la popularité de Basile demeurait intacte auprès de la masse. Loin de déroger aux habitudes du genre, la mention de ces difficultés projette autant d’ombres qui rehaussent le portrait du héros. Quant à la popularité de ce dernier, elle constitue un trait essentiel du personnage, trait auquel les biographes modernes n’ont peut-être pas accordé une attention suffisante. Grégoire la relève en quatre circonstances importantes : lors du refroidissement de l'évêque Eusèbe à son égard (9), au moment de son avènement à l’épiscopat (2°, à l'occasion de l’émeute soulevée dans la ville par sa comparution en justice 21), lors des ses funérailles enfin ©. On notera en particulier l’exceptionnel concours de peuple qui se produisit en cette dernière circonstance, la présence dans la foule de non-chrétiens, Grecs et' Juifs, d'étrangers à la ville ou à la province. La bousculade entraîna mort d'homme, ce qui est un signe que l’orateur n’exagère pas la popularité de son ami. Pourtant Grégoire ne cède pas à la tentation d’idéaliser son personnage et il ne craindra pas d’enfreindre les règles les mieux établies de l’oraison funèbre, en rappelant d’une façon très appuyée la contrainte morale que Basile avait fait peser sur lui, quand il l'avait élevé contre son gré à l’épiscopat 2%. Une pointe d’amertume apparaissait déjà, (18) (49) (20) (21) (22) (23)

545 533 545 569 601 573

C, 569 C. C. B. AB. C. A.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

241

lorsque Grégoire racontait leur départ d'Athènes à la fin de leurs études, circonstance où il dut lui sembler que son ami avait trop de facilité à se séparer de lui 24. Mais elle se manifeste évidemment bien davantage, au moment de rapporter cette malheureuse affaire de Sasimes que Grégoire considérait comme le point de départ de ses malheurs. Il est bien évident qu’il n’y a ici aucune intention as ges : ce n'est plus le pasteur qui parle, c’est l’homme essé. De tout ce que Grégoire nous apprend sur la vie et la personne de Basile, nous ne retiendrons ici que ce qui nous permet de situer l'un ou l'autre évêque, Basile ou Grégoire, par rapport au milieu environnant. On a récemment attiré l'attention sur les origines sociales de Basile 5), Les expressions que Grégoire emploie pour désigner les ancêtres de son ami permettent de le rattacher à l’ordre sénatorial. Il déclare en effet qu’on pourrait dresser avec leurs noms «une liste de héros » et qu’ils appartiennent à l’histoire (25), Ils ont exercé «commandements militaires, gouvernements, charges à la cour »; ils ont eu «fortune, trônes élevés, honneurs publics»; ils dépassent «Pélopides, Cécropides, Alcméonides, Eacides, Héraclides... » 27, Les grands-parents de Basile étaient habitués à être entourés d’une garde armée (#8). C’est probablement cette origine qui explique l'attitude, somme toute conciliante, de Valens à son égard. C’est aussi un des éléments qui contribuent à rendre compte aussi bien de l'attachement du petit peuple, capable de déclencher une émeute armée pour le défendre, que de jalousies d’évêques issus de moins noble origine. Fortune, relations, influence ont certainement contribué à l'élévation de Basile à lépiscopat. En cela, sa carrière ne s’écarte pas, somme toute, des habitudes que Grégoire déplore. Bien au contraire. Grégoire semble s’en rendre compte d’ailleurs ;puisque son ami avait réussi dans ce domaine au delà de tant d’autres évêques contemporains, 1l n'hésite pas à souligner sa compétence dans le maniement des affaires complexes de l'Eglise, par opposition à l’inexpérience, c’est le mot qu’il emploie, de l’évêque Eusèbe (2),

Douze ans après la mort d'Eusèbe, c’est ainsi que Grégoire s'exprime publiquement sur son compte dans l’église qui avait été la sienne. Il va même plus loin et le portrait qu'il esquisse de l'évêque défunt de Césarée ne cache pas que ce dernier était non seulement incompétent, mais aussi jaloux, et par dessus le marché faible. Inexpérimenté %), jaloux de Basile au début devant la (24) 529 A. (25) Barnim Treucker, Politische und sozialgeschichtliche Studien zu den Basilius-Briefen, Münich, 1961. (26) 497 B. (27) 497 C. (28) 501 A. (29) 539 B; 540 D-541 A; 541 BC; 533 A; 585 C-589 A. (30) 537 C, 541 A.

242

LA

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popularité croissante de celui qu'il avait élevé au sacerdoce(®?), il s'était finalement laissé gouverner par celui-ci : « l’un conduisait le peuple, l’autre le conducteur » (2). Sans doute la grande ombre de Basile avait-elle largement éclipsé la mémoire d’un personnage

falot. Il reste cependant un peu surprenant que Grégoire se soit ainsi exprimé devant des fidèles qui avaient reçu d’Eusèbe leur baptême, devant des diacres,'des lecteurs ou des prêtres auxquels il avait imposé les mains, en présence peut-être de l’évêque qui lui avait succédé, En face de ce prélat sans autorité ni envergure, Grégoire dresse le portrait d’un chef résolu. Basile, au dire de Grégoire, dirigeait en fait l’église de Césarée sous le nom d’Eusèbe, avant même de succéder à ce dernier. On peut se demander à quel titre : s’agissait-il simplement d’un prêtre parmi d’autres disposant d'une audience personnelle exceptionnelle ou y avait-il quelque chose de plus institutionnel ? On pencherait pour la seconde solution, quand on rapproche cette situation de Basile auprès de l'évêque Eusèbe des propositions que ce même Basile fera à Grégoire une fois devenu évêque à son tour. Il lui donnera en effet le choix d'accéder, lui aussi, à l’épiscopat ou, à défaut, de «tenir le premier rang parmi les prêtres », thv rüv npeoBurépov

mporlunoiv (83),

Ce simple prêtre qui a autorité sur les autres prêtres exerce les fonctions que Grégoire va confier en 382 à Clédonios %#. Il s’agit du rang le plus élevé qu’un évêque puisse conférer sans le concours et l’assentiment des autres évêques. Dans ces conditions, la carrière ecclésiastique de Basile respectait d’une façon particulièremarquée cette progression ment que Grégoir appelle de ses vœux (#5),

A vrai dire, les descriptions que Grégoire nous donne de l’activité de Basile avant et après l’épiscopat ne différent pas l’une de l’autre. Il vaut la peine de nous y arrêter, car elles nous montrent les aspects principaux de l’activité d’un pasteur du iv° siècle. Il s’agit essentiellement de veiller avec sollicitude (xnSeuovix) sur l'Eglise et de la protéger (roootaolx )(5),

L'évêque

se présente donc d’abord sôus les traits d’un patron, chargé de protéger tous les membres de la communauté qu’il préside. On comprend dans ces conditions que les fidèles aient cherché, pour les mettre à leur tête, des hommes riches et puissants. Cette protection s'exerce contre tous ceux qui disposent d’un pouvoir, magistrats ou particuliers puissants, dans la vie quotidienne de la cité 67, C’est ainsi que Basile défendra une veuve recherchée malgré elle en mariage par un magistrat, en lui donnant asile à (31) 533 C. (32) 541 A. (33) 549 A. (34) Lettre CI, 176 A. G5) Et qu'il a lui-même (36) 541 B. (37) 1b.

suivie.

SAINT GRÉGOIRE

l'église, en la dérobant propre chambre par un pourrait bien avoir été innombrables lettres de correspondance de saint

DE NAZIANZE

243

aux perquisitions opérées jusque dans sa haut fonctionnaire, sans doute. païen, qui le vicaire du diocèse du Pont %). Les recommandation que l’on trouve dans la Basile sont du même ordre.

Mais ce patronage ne concerne pas seulement des individus, il s'étend à la population tout entière, notamment aux pauvres et aux malades %) Grégoire expose la gravité de la famine de 369 en Cappadoce. Il le fait d’ailleurs en des termes qui montrent que son expérience de la vie à Constantinople lui a appris combien une région continentale, comme l'était la Cappadoce, était défavorisée pour son ravitaillement par rapport aux pays maritimes qui pouvaient importer leur subsistance d’où bon leur semblait (4). On a dit que Basile avait alors organisé de véritables «soupes populaires » 41), Ajoutons que Grégoire donne sur cette opération quelques détails qui ne sont pas sans intérêt, si nous voulons nous représenter la figure du prêtre que Basile était alors. Cette nourriture, il la distribuait lui-même, d’une façon toute évangélique, mais en se faisant aider de ses serviteurs (roïs éœuroÿ mœuoiv, #r° oùv auvSobots, npèc roüro ouvepyoic xpouevos) (42), Quelques années plus tard,

il ira percevoir les revenus du monastère de Saint-Oreste, dans le Taurus, en se faisant suivre d’une caravane de mules qui étaient sa propriété personnelle (#3), Moine, prêtre ou évêque, Basile dispose encore d’une partie de l'appareil qui entourait les riches propriétaires. Mais que fait-il distribuer aux affamés de 368 ? Grégoire nous dit bien que son éloquence décida les riches à ouvrir leurs greniers (#), Pourtant, il décrit les aliments que Basile faisait servir, sans laisser beaucoup de place aux céréales. Il s’agit de « marmites pleines de purée de légumes» ( érvous rAñpeic Aéfinrac ). Baies et herbages en constituaient sans doute la matière première. Il est vrai que s’y ajoutait du

rapuxeurod rap” juiv 6bou xat mévnrac rpépovroc,

probablement de la viande salée, donc un produit d'élevage (#5). Sans doute cette viande provenait-elle d'animaux abattus à cause de la sécheresse. Il est probable qu’il s'agissait de bêtes appartenant (38)

565 C-569

B. Les fonctions du magistrat qui fit comparaître Basile

devant lui sont mal définies par l'expression rùv rñc Ilovrixic poipac ÜTapxov 665 ©). Grégoire donne improprement le titre d’Ürapyoc, qui convient à un

gouverneur de province, au préfet du prétoire Modestus, au lieu de l'appeler Éræpyoc. Îci, il ne peut s'agir du gouverneur d’une des provinces pontiques, puisque les événements, perquisition et émeute, ne peuvent se dérouler qu'à Césarée. Sans doute s'agit-il donc du vicaire du diocèse du Pont. (39) 541 € saa, 577 C, 580 AB.

(40)

541 C-544

A. Peut-être pensait-il aussi à Séleucie d’Isaurie où il

avait vécu quatre années avant de gagner Constantinople.

(41) (4) (43) (44) (45)

St. 544 572 544 Ib.

Giet, Les idées et l’action sociales de saint Basile, p. 419. D. B. C.

LA

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aux propriétaires de ces grands domaines où l’on pratiquit surtout l'élevage qui prédominait en Cappadoce. Ainsi les pauvres de la ville de Césarée ont été nourris grâce à un clerc grand seigneur par quelques grands propriétaires de la province.

C'est à ces distributions de nourriture et à l’ascendant de sa parole que Basile dut la grande popularité qui le porta à l’épiscopat, malgré la réserve ou l'opposition déclarée des évêques de la province (4), Cette popularité, Grégoire nous en donne la pleine mesure quand il nous montre l’évêque, en posture d’accusé devant le vicaire du Pont, tiré d'affaire par une véritable émeute : «La ville... tout entière entre en fureur et s’enflamme... toutes les conditions et tous les Âges, en particulier les armuriers et les tisserands impériaux, car ils sont pleins d’ardeur en pareille circonstance et doivent leur audace à leurs franchises ». Brandissant des armes, des torches, des pierres et des massues, ils assaillent le tribunal du vicaire, les femmes, armées de leurs fuseaux, figurant au premier rang des manifestants (41. L'affolement du juge ne prit fin que lorsque Basile, sorti du tribunal, eut calmé lui-même la foule hurlante. Ce n’est pas la menace de l’'émeute qui pouvait, à elle seule, faire reculer l'empereur, s’il avait été décidé à envoyer Basile en exil : l'exemple d'Alexandrie le montre assez. Mais Athanase était un bien petit compagnon par rapport au très noble Basile. Au surplus, ce dernier avait su réserver au préfet du prétoire Modestus et aux émissairés de moindre importance les fins absolues de non-recevoir, À l'égard de Valens lui-même, Basile avait eu recours aux ménagements et à la diplomatie. Par deux fois au moins, il avait laissé l'empereur hérétique prendre part à la liturgie (#). Grégoire nous apprend bien qu'aucun des diacres n’osait recevoir l’offrande que l’empereur apportait à l'autel de ses propres mains, mais il ressort de son récit que Basile l’accepta. Une autre fois, après avoir participé à la liturgie (Grégoire rapporte le fait non sans embarras : «une autre fois qu’il s'était en quelque façon joint à notre assemblée... »), il pénétra derrière les tentures pour s’entretenir avec l’évêque dans le sanctuaire (#. Grégoire ajoute que cette conversation inaugura un changement d’attitude de la part de l’empereur, signe que l’évêque avait su le convaincre d’user de clémence. Une autre cause de la popularité de Basile, un aspect plus décisif de son influence à Césarée même, en Cappadoce et hors des frontières de la province, réside dans la fondation de la (46)

545 B,.

(47)

569 AB. Notons que les femmes du peuple sont plus libres de leurs mouvements qu’une grande dame comme Gorgonie (Discours VIII, 800 A). (48) 561 CD-564 B. Le première de ces deux circonstances correspondait à la fête de l’Epiphanie, donc à une très grande affluence de fidèles.

(49) 564 B.

SAINT

GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

245

Basiliade. Grégoire appelle «nouvelle ville» cet ensemble de bâtiments, assez important pour mériter une telle appellation, qui

faisait fonction d'entrepôt pour les dons collectés à l'intention des

pauvres et d’hospice pour les malades (), Grâce à Basile, les lépreux ont désormais un asile. Ici, Grégoire reprend mot pour mot une formule du Discours XIV. Il s’écriait alors : « nous avons sous les yeux un spectacle terrible et lamentable, des hommes à la fois morts et vivants » 61), Il peut dire aujourd’hui : «nous n’avons plus sous les yeux ce spectacle terrible et lamentable, ces hommes transformés en cadavres avant même de mourir... » (52), Quatorze années au maximum se sont écoulées entre les deux discours. Ce temps a suffi pour résoudre le problème, non seulement à Césarée, mais ailleurs, car l’exemple donné par Basile à été imité dans la

région (x%px) et au dehors (rà ëxrèç) (53), Est-ce à dire que d’autres évêques avaient suivi l'exemple donné par Basile? C’est probable, mais il semble que les laïcs investis de charges publiques y avaient largement donné la main, puisque Grégoire précise que ce fut un « commun objet d’'émulation pour les cheîfs des peuples (roïc rüv Aaüv rpoeorüar) » 59, Sans doute faut-il mettre une sourdine à un enthousiasme quelque peu commandé par le genre littéraire de l'éloge, puisque, comme nous aurons l’occasion de le voir, Grégoire de Nysse pouvait, au même moment, voir le spectacle de lépreux abandonnés et rejetés de tous 55). II est probable que la petite ville de Nysse n'avait pu consentir l'important effort déployé par Césarée, il reste que l’entreprise de Basile avait porté ses fruits et qu’elle avait eu des imitateurs.

Pour finir, l’évêque idéal qu'a été Basile et que Grégoire propose limitation joint aux qualités précédemment énumérées la pauvreté et la chasteté: c’est un moine. C’est aussi un maître, capable d’enseigner par la parole et par la plume 9). Plus que la série d’accablantes comparaisons dans la ligne la plus sophistique qui l’égalent à tous les patriarches de l'Ancien Testament pris un à un ou aux plus grandes figures du Nouveau 7), ce sont quelques notations concrètes qui nous permettent d’entrevoir la silhouette de ce pasteur, tel que l'avaient vu ses fidèles. Il joignait à l'équilibre

(#ô0ovc eboradéc)

Ja

fermeté

(BsBnxès)

et

l'intégrité

(énsEcouévov ) 68), I] n’était pas (entendez : comme tant d’autres évêques) bavard ( orwutos ), ou plaisantin (Yehotmorhs ). Ce n’était pas un habitué de la place publique (é&yopxios), un flatteur de la foule (50) (51) (52) (53) 54) (55) (56) (57) (58)

577 D. 580 580 1b. Cf. 581 589 581

C. XIV, 869 A. AB. C. infra, p. 279 sqa. D-585 A. D-597 C. A.

LA

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PÈRES

CAPPADOCIENS

(roïc roMoïs épéoxuv), prêt à jouer tous les rôles par complaisance

(ëx rod müor révra yiveodar xai xaoplteoôar) 59), Si ces notations répondent

trait pour trait, presque mot pour mot, aux reproches que Grégoire adressait à ses collègues en quittant Constantinople, c’est que ces deux discours se répondent et se complètent. Ils nous permettent de nous faire une idée plus complète et plus juste de l'épiscopat oriental en cette fin de siècle. Que Basile ait suscité tant d’imitateurs, y compris dans l'allure extérieure et la façon même de se vêtir, montre qu'il était de ceux qui allaient donner le ton (6. L'œuvre même de Grégoire devait contribuer puissamment à ce qu'il en fût ainsi. Prononcée à Césarée, l’oraison funèbre de Basile était une œuvre de circonstance sans rapport avec une activité pastorale proprement dite. Grégoire n’avait d’ailleurs, comme on peut s’en douter, aucune intention d’exercer les fonctions épiscopales en Cappadoce. Pourtant, il dut se résigner à s’occuper de l’église de Nazianze privée d’évêque. Il le fit pendant une brève période d’un peu plus d’une année, entre le milieu ou la fin de 382 et la fin de 383, avant d’être remplacé, à sa satisfaction, par son cousin et ami, le moine et chorévêque Eulalios (61), B. —

UN SERMON DE PAQUES.

Deux discours de Grégoire, les derniers, appartiennent probablement à cette période.

très

Il ne saurait y avair d'hésitation en tout cas à propos du Discours XLV 62). C'est de Pâques 362 que datait le plus ancien discours de Grégoire, c’est de Pâques 383 (9 avril) que date celui qui est probablement l’avant-dernier. Il y a loin cependant de la brève allocution de 362 à l'ampleur du sermon de 383. Une ampleur qui est, à vrai dire un peu factice, puisque près d’un tiers de l’œuvre reprend mot pour mot des développements qu'on pouvait déjà lire dans le Discours XXXVIII, prononcé, nous l’avons vu, le 25 décembre 380 (63), On s’est demandé si Grégoire était bien l’auteur de ce procédé ou si on se trouvait en face d’interpolations dues à des copistes (64), Il est pourtant aisé de constater que les deux longs développements empruntés au Discours XXXVIII ne peuvent être ôtés du Discours XLV sans le rendre incohérent. Le développement qui commence au chapitre II (625 B) et qui s’achève à la fin du chapitre IX (636 A), développement relatif à la nature divine, (659) 581 B. (60) 597 D -600 A. (61) Sur la chronologie de cette période, cf. Gallay, pp. (62) PG, XXXVI, 624 A-664 C. (63)

217-225.

Supra, p. 200.

À (64) | C'est le cas des Mauristes à la fin de leur Monitum. tration ici exposée retrouve celle de Sinko, op. cit. p. 53.

La démons-

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27

aux différentes étapes de la création, au péché et à l’Incarnation,

peut, dans une certaine mesure, faire figure de digression. Pourtant, il est annoncé quelque lignes plus haut par la formule &pbouar 3 évreüdev qui figurait déjà dans le Discours XXXVIII (65). Ce même développement se voit amputé d’un court paragraphe que nous allons retrouver, déplacé, au début du chapitre X (636 B) où il joue mieux le rôle de transition qui était déjà le sien dans le Discours XXXVIII 6). Ainsi, l'insertion du passage emprunté a été soignée par son auteur.

Il en est de même du second emprunt, qui constitue le chapitre XXVI et la majeure partie du chapitre XXVII du Discours XLV. On ne constate aucune solution de continuité entre le début de ce passage et ce qui le précède et il est soigneusement rattaché à la suite de l’ouvrage par les deux dernières phrases du chapitre XXVII qui ont été rédigées à cet effet. Au demeurant, il y a un air de ressemblance entre l'introduction du Discours XXXVIII et celle du Discours XLV. Xorordc yewär, Soëdoure * Xpuordc &E oùpavv, émavrioure * Xprordc énl yñc,bbéônre,

ce

sont

les premiers mots du Discours XXXVIII. Or nous lisons au début du Discours XLV, sitôt parcourues les premieres lignes :Xeuorèc ëxvexp@v, ouveyelpeode * Xpiordc sic éaurév, énavépyeode * Xpiordc EX répov, Éleudephônre tüv Seouüv ris auxprlac(67), Le parallélisme des tournures est

frappant. A une époque où la fête de Noël, encore récente, n’évoquait pas encore la faiblesse ou l’enfance du Christ, et où elle se distinguait mal du mystère pascal, il est assez normal qu’un prédicateur ait utilisé, à propos de l’une comme de l’autre, les mêmes développements relatifs au grand dessein créateur ct rédempteur de Dieu. C’est bien ce que fait Grégoire. Que l’Incarnation lait conduit, dans un cas comme dans l’autre, à régler le compte des ariens qui faisaient état de l'humanité du Christ pour nier sa divinité, on pouvait s'y attendre. Dans la circonstance, l’auditoire de Nazianze ignorait évidem-

ment le sermon de 380 qu’avaient entendu les fidèles de Constantinople. Un homme prématurément vieilli et fatigué, qui s’acquitte très momentanément d’une fonction qu’il est déterminé à ne pas conserver au delà de quelques mois, qui se considère en somme comme chargé d'un simple intérim, n’hésite pas à utiliser largement d’anciennes notes pour préparer un sermon de Pâques (68).

Ses auditeurs, il ne nous aide pas à nous les représenter. C'est

que lui-même à perdu le contact avec les chrétiens de Nazianze

depuis huit ans, et sa vie retirée depuis 381 ne lui permettait guère

(65) (66) (67) (68)

625 321 312 664

B-317 A. BC. À et 624 B. B.

LA

248

de le renouer.

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PÈRES

CAPPADOCIENS

Aussi ne nous parle-t-il pas d’eux.

Au demeurant,

eût-il voulu le faire, que les circonstances le contraignaient là encore. Si l’oraison funèbre impose ses lois, la « fête des fêtes » (6) qu'est Pâques ne permet pas au prédicateur de s'écarter de ce qui constitue le cœur de la foi chrétienne pour développer des considérations d'ordre moral. C'est. de Dieu seul qu’il doit parler en ce jour, et non des hommes. Si on écarte de cette analyse les deux grands développements empruntés au Discours XXXVIII, développements d'ordre aussi intemporel qu’ils sont interchangeables, le cœur du sermon est constitué par une exégèse minutieuse du rituel de la Pâque juive, tel qu’il est décrit dans l’'Exode (0), Toute cette exégèse est conduite par l'application méthodique de l'interprétation allégorique, ou plus exactement typologique. Chaque détail du rituel se voit doter d’un sens «spirituel » (1), Non seulement le « passage » d'Egypte en terre de Chanaan devient le symbole de notre

migration de ce monde dans l’autre, non seulement le sacrifice de l'agneau préfigure celui du Christ, il faut encore que le fait le plus menu comporte une signification (2). Une page entière ne suffirait pas à dresser le catalogue de ces symboles. Nous nous contenterons d'en citer quelques-uns parmi les plus significatifs. Les deux montants de la porte qui doivent être enduits du sang de l'agneau symbolisent l’action et la contemplation (M. Si le sacrifice doit être accompli à la tombée de la nuit, c’est parce que la Passion du Christ constitue l'achèvement des siècles (#. La chair de l'agneau ne doit pas être bouillie, mais rôtie, «afin que notre doctrine n'ait rien d’inconsidéré, d’aqueux ou d’inconsistant » (), Ce commentaire de la Pâque juive s'étend sur une douzaine de colonnes : c’est dire que, si on le joint aux deux développements empruntés au Discours XXXVIIL, on obtient la quasi totalité du corps du sermon. Le plan de ce dernier est donc simple : en dehors de l'exorde et de la péroraison, il est fait des trois parties suivantes : 1. Le grand dessein de Dieu dans la Création et l’Incarnation; 2. La signification typologique de la Pâque juive ;3. L’humanité et la Passion du Christ ne permettent pas de minimiser sa divinité. La seconde partie, la plus longue, est la seule des trois qui soit originale. On peut s'étonner que la Résurrection, qui donne à la Pâque chrétienne toute sa signification soit ainsi comme reléguée à l'arrière-plan. Cela s'explique beaucoup mieux, si on prend garde

(69) (70) (71) (72) (73) (74) (75)

624 C. Exode, XII. 636 B. 636 B-653 C. 644 B. 644 C. 644 D-645 A.

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DE NAZIANZE

249

que le Discours XLV a été prononcé dans la journée du dimanche de Pâques et qu’il faisait certainement suite à une prédication nocturne, Grégoire nous dit en effet de façon très explicite que l'illumination de la nuit pascale s'était déroulée la veille (9. Il y a donc tout lieu de penser que la Résurrection avait constitué le thème du sermon de l'office de la nuit. On croirait cependant discerner dans la manière dont Grégoire s'exprime à propos de cette double célébration l'indice d’une certaine évolution. « Mais, s’écrie-t-il, la fête d’aujourd’hui est plus belle, plus lumineuse. La lumière d’hier constituait un prélude à la grande iumière qui se lève et sa joie était comme une préparation à celle de la fête. Aujourd'hui, c’est la Résurrection elle-même que nous fêtons » (7). Pourtant, il ne reparlera plus guère de cette résurrection (8), Il y a là comme une contradiction qui est le signe d’un embarras. Ayant célébré la Résurrection au cours de l'office de nuit, il ne peut développer à nouveau le même sujet. Mais, le public nocturne était sans doute beaucoup plus restreint que celui du dimanche et la célébration du dimanche avait déjà pris le pas sur celle de la nuit, C’est un fait accompli que l’évêque entérine sans esquisser un geste de réaction. Mais il n’adapte guère, il faut le constater, sa prédication à l'évolution survenue, puisqu'il continue à réserver à une cérémonie devenue mineure l'exposé de ce qui reste le thème majeur de la fête. Cette adaptation incornplète du pasteur va faire que la majorité de ses fidèles ne l’entendront pas parler de la Résurrection, mais de la Pâque de l'Ancien Testament. Il est pourtant un point sur lequel ce Grégoire, qui avait témoigné de plus d’une manière qu’il ne s’intéressait pas à l’argent, va montrer un sens de l'adaptation à l’histoire où le réalisme est peut-être plus apparent que réel. Commentant le passage de l'Exode où Yahvé prescrit aux Juifs d'emprunter à leurs voisins égyptiens des objets précieux et de quitter le pays sans les leur rendre (©), il en donne une explication dont il prend la peine de souligner qu’elle est de son propre crû (8), La prescription divine signifie qu’en passant du paganisme au christianisme, ïl faut emporter avec soi un salaire de la servitude passée. « Quoi ? Tu pars sans être payé, sans recevoir de salaire ? Quoi ? Tu vas laisser aux Egyptiens et aux forces adverses un bien mal acquis destiné à être encore plus mal dépensé ? Il ne leur appartient pas, c’est le fruit du pillage: ils l'ont volé à celui qui a dit: « À moi, l'argent; à moi, l’or : je le donnerai à qui je veux ». Hier, il leur appartenait : (76) 624 C. (77) 625 A. (78) le sujet.

Une colonne du texte de Migne (656 C-657 C), sur plus de vingt, traite

(79) Exode, XI, 2 et XII, 35. (80) 65° A.

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PÈRES

CAPPADOCIENS

c'était une concession. Aujourd'hui le Maître te l'offre et te le donne pour en faire un usage bon et salutaire. Faisons-nous des amis avec le Mammon d'iniquité, afin que, le départ venu, nous recevions notre récompense au moment du jugement » (1). Contrairement à son habitude, Grégoire donne donc de ce passage une exégèse qui ne suppose aucune transposition du domaine matériel au plan moral ou spirituel. Mais d’où vient cette fortune des chrétiens dont les païens feraient les frais ? Est-elle l'effort de mesures propres à favoriser l'enrichissement individuel des chrétiens aux dépens des païens ? Le singulier de lexpression «le Maître te le donne » le donnerait à croire. Il est possible que la loi de Gratien du 2 mai 381 (qui sera reprise et complétée le 20 mai 383) ait été appliquable en Orient &. Cette loi interdisait

aux apostats de tester et d'hériter, favorisant du même coup les

héritiers chrétiens aux dépens des autres. On a peine à croire que l'apostasie ait été un phénomène assez répandu pour que lapplication de cette loi ait eu beaucoup d’effet. Pourtant les apostasies du règne de Julien, vieilles de vingt ans à peine, pouvaient faire peser sur les héritages une singulière hypothèque. S'agit-il de la dévolution à l'Eglise de biens appartenant aux temples ? La Cappadoce avait été couverte de domaines importants qui étaient la propriété des temples qu’ils entouraient. Nous ignorons ce qw’il en subsistait encore au 1v° siècle, mais il n’est pas exclu que des transferts les aient alors affectés. L'expression « Faisons-nous des amis avec le Mammon d’iniquité » concernerait alors la gestion de ces biens par les Eglises au profit des pauvres. Les deux interprétations doivent sans doute être admises et complétées par une troisième hypothèse. On sait que Grégoire l'Ancien s'était vu privé d'une partie de son héritage à la suite de sa conversion au christianisme (83). Le mécanisme inverse a dû jouer et l’éviction par les testateurs d’héritiers restés païens profitait nécessairement aux héritiers chrétiens restés seuls à se partager l'héritage. Quoi qu’il en soit, Grégoire note ici un phénomène extrême: ment intéressant du point de vue de l’histoire sociale. Il y a un certain mouvement de transfert de richesses dont les chrétiens ont conscience de profiter. Ce mouvement, l’évêque s'emploie à lui donner la caution de l’Ecriture. Relevons cependant que la prescription de l’'Exode ne lui paraît pas suffisante, que le vrai propriétaire. à ses yeux comme à ceux de son ami Basile, reste Dieu et que le droit des usagers est conditionné par la mise des biens considérés à la disposition de ceux qui en ont besoin. (81) 652 AB.

(82) Cod Théol. XVI, VII 1 et 2. La loi du 20 mai 383 étend expressément l’exclusive aux anciens catéchumènes. Grégoire ne paraît pas sensible à : Ja pression morale ainsi exercée, ni aux énormes abus que pouvait entraîner limprécision des critères permettant de définir l’apostasie. L’évêque forge ainsi une bonne conscience à ceux qui l’écoutent.

(83)

D. XVII, 992 A.

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE

251

. €. — LE NOUVEAU DIMANCHE.

Le Discours XLIV @# date probablement du 16 avril 383. Le dimanche nouveau, c’est le premier dimanche après Pâques. Cette allocution, prononcée d’après le scoliaste Nicétas dans un sanctuaire consacré au martyr saint Mamas dans le voisinage de Nazianze, date probablement de cette période de la vie de Grégoire et, dans ce cas, de l’année 383 (85, Notre discours fait donc suite au précédent à huit jours d’intervalle. Malgré la brièveté de sa parole, le prédicateur aborde deux sujets: le nouveau dimanche coïncide en eflet avec la fête de saint Mamas 9). Cette coïncidence ne facilitait guère la tâche d’un prédicateur partagé entre deux sujets également importants, étant donné la popularité de saint Mamas en Cappadoce. Peut-être plusieurs orateurs se succédaient-ils. En tout cas, on peut observer que Basile avait cru devoir se consacrer entièrement à l’éloge du martyr et se contenter d’une allusion au recommencement du cycle liturgique dans sa conclusion (87. Il prenait en effet la parole à Césarée devant les pèlerins venus de partout pour la fête du martyr, pèlerins dont Grégoire nous apprend que le nombre atteignait plusieurs milliers 8). Celui-ci agit à l'inverse avec une parfaite symétrie, puisqu'il attribue quelques lignes dans sa conclusion à la fête de saint Mamas ®#), De Mamas, nous ne saurons évidemment rien de plus. Relevons cependant une : indication relative au culte des martyrs dans sa généralité. Grégoire termine en effet une description enthousiaste du printemps en déclarant : «C’est maintenant que les martyrs tiennent leur cour en plein air (ai6pt#étoux), qu'ils prennent la tête des processions (rouxebovo), qu’ils convoquent dans leurs splendides sanctuaires (Bfuxc) le peuple épris du Christ, qu'ils font connaître leurs luttes au public (roùc =ove Snuocueboua )» (0), Entendons par R que les reliques sont portées en procession et que l'éloge funèbre du martyr est prononcé. Il est intéressant de noter l'emploi du pluriel : «C’est maintenant que les martyrs tiennent leur cour ». S'il en est amsi en Cappadoce, c’est probablement parce que les évêques ont fixé les dates des fêtes en tenant compte des saisons, pour pouvoir faciliter des rassemblements en plein air qui auraient été impossibles en hiver. Peut-être faut-il remonter plus haut, jusqu'à la date de la première fête dont les autres ne sont que les anniversaires. Il se pourrait que nombre de ces dates soïent sans rapport avec celles de la mort du martyr ®!. Il est en tout cas (84) PG, XXXVI, 608 A-621 A. (85) Gallay, p. 295. (86).

Cf. supra, p. 85, n. 166.

(87) 189 AB (numérotation bénédictine de Basile), (88) 620 C. (89)

Neuf lignes en tout (620 C).

(90) 620 C. (91) II y a R des perspectives que H. Delehaye, Les origines du culte de: martyrs, Bruxelles, 1942, pp. 112-113, ne fait qu’entrevoir.

252

LA

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intéressant de voir l’église de Nazianze et son évêque célébrer à leur manière la fête de saint Mamas en même temps que se déroulent les solennités de la métropole. Mais, répétons-le, c’est le « nouveau dimanche » qui fait l’objet essentiel de ce sermon. Grégoire développe son sujet en utilisant une méthode voisine de celle du Discours XLV. « Honorer les inaugrations (éyxaiwa ruäoôæ), déclare-t-il d’entrée de jeu, est une loi ancienne, et c’est une bonne chose» (%). Il ne va citer moins de sept exemples d’inaugurations, tous empruntés sauf un à l'Ancien Testament, avant d’en arriver à l'inauguration du cycle liturgique. Peut-être le premier de ces exemples nous renseigne-t-1l sur la liturgie du jour. Citant en effet le prophète Isaïe sous une forme adaptée des LXX («Les îles se renouvellent vers Dieu »), il ajoute : «comme nous l’avons lu (Goxep ävéyvouev) » 3), Sans doute faut-il comprendre que le texe d’Isaïe venait d’être lu.

Il ne s'agissait là que d’une introduction et la substance de l’enseignement donné consiste à adresser à chacun un pressant appel à un renouvellement de l'esprit et de la conduite. Se transformer est la leçon de la fête. Une série d’antithèses vont opposer un passé rejeté aux résolutions nouvelles ®%. II n’y en a pas moins de quatorze. Une seule, la première, concerne la foi, Grégoire invitant ses auditeurs à troquer une « foi dépendant des circonstances» contre la vraie connaissance de Dieu. Tous les autres élément du diptyque sont d’ordre moral. D’un côté les habitudes à répudier : l'amour des spectacles, la propension aux injures, l'effronterie, un comportement de fêtard, l'amour de la boisson, l'habitude de se prélasser sur des lits d'ivoire, de se parfumer, de dire des boufionneries, l'affectation d’élégance, l’arrogance et la vantardise, le séjour sous des plafonds dorés, un port de tête hautain. L'ensemble de ces traits, si on devait les retenir comme caractéristiques, sinon du chrétien moyen, du moins d’une variété assez répandue, nous renvoie, il faut bien le dire, une assez étonnnante image des ouailles de notre évêque. Même si on fait grande ici la part de l’exagération oratoire et du besoin de forcer les antithèses, on est en présence de silhouettes de personnages que leur richesse faisait vivre dans le luxe et entretenait dans l’habitude de l'insolence. On est d’autant plus confondu de constater qu'il ne saurait être question pour Grégoire de demander à ces hommes, — car il n’est pas question ici des femmes — quelque amélioration morale, un commencement de réforme. C'est à un changement radical de conduite qu’il les convie, comme le montre la liste des qualités qu’il dresse en face de la précédente. C’est l'amour de la contemplation, la douceur, l’enseignement de la sagesse, l’habitude de boire de l'eau, de veiller et de coucher sur le sol, le goût de la (92) 608 A. (93) Ibid, (94) 617 AB.

me 7”

A

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE

253

méditation, le port de méchants vêtements, l'amour de la simplicité, une cellule, une tête baissée. La signification de ce diptyque est

claire : le prédicateur n'hésite pas à proposer au fêtard de se transormer en moine. Nous ne pouvons mesurer l'efficacité d’une telle prédication : On ne peut que saluer sa totale absence de compromission. Nous serions mieux placés pour en luger, si nous étions sûrs que des circonstances comme celleslà permettaient vraiment à l'évêque d’avoir en sa présence ceux auxquels il s adresse.

Aux femmes, il ne dira pas grand chose. Peut-être estimait-il qu’elles avaient moins à réformer dans leur conduite ? Les unes sont mariés : par une singulière conception du mariage, il les invite simplement à «donner à Dieu aussi quelque chose » (5). Quant aux vierges, c’est tout entières, qu’elles doivent lui appartenir. «Ne dérobez pas un plaisir d’esclave en fuyant la liberté, par la cohabitation avec ceux qui, pour ne pas être vos maris, restent pourtant des hommes » 6). C'est déjà le thème des «cohabitation suspectes » que saint Jean Chrysostome développera quinze ans plus tard (7).

Telle est la dernière leçon tombée de la bouche de Grégoire de Nazianze. Peut-être eut-il l’occasion de prendre à nouveau la parole : dans ce cas, ce qu’il a pu dire n’est pas parvenu jusqu’à nous. Une soixantaine de lettres, plusieurs poèmes permettent d’entrevoir ce que fut sa solitude dans sa propriété de Karbala à Arianze %). P. Nautin a montré qu’il est mort en 390 (®), (5) 616 B. (96) Ib, (97) Les cohabitations

Dumortier, Paris, 1955

suspectes.

(98)

Cf. Gallay, pp. 228-243.

(99)

P.

Nautin, La date du De

Comment

observer

Viris Inlustribus

la virginité,

éd.

de Jérôme,

de la mort

de Cyrille de Jérusalem et de celle de Grégoire de Nazianze, RHE

LVI (19,61),

1, 33-35. E. Honigmann a récemment proposé d’attribuer à Grégoire de Nazianze

la première des lettres qui figurent dans la correspondance de Grégoire de Nysse. Il estime en effet que la Cappadoce, scindée en deux en 372, avait été réunifiée au début du règne de Théodose, pour être à nouveau divisée en 382. Un conflit de juridiction ecclésiastique aurait à nouveau éclaté entre Césarée et Tyane, aboutissant à une brouille entre Helladios et Grégoire de Nazianze. Cf. Trois mémoires posthumes d'histoire et de géographie de l'Orient chrétien, Bruxelles, 1961, pp. 28-35. La thèse a été reprise par P. Devos, Saint Grégoire de Nazianze et Helladios de Césarée, AB, LXXIX (1961), 91-120. En sens inverse, cf. J. Daniélou, Grégoire de Nysse à travers les lettres de saint Basile et de saint Grégoire de Nazianze, VC, XIX (1965), 40, n. 9.

CONCLUSION

Nous venons de suivre fut Grégoire pendant vingt la parole aussi bien devant les foules de la capitale de

pas à pas l’activité du prédicateur que et une années ;nous l’avons vu prendre des auditoires provinciaux que devant l'Orient : pouvons-nous dire que nous

retirons de cette étude une image précise de ce que fut sa prédication ? La réponse que nous apporterons à cette question constituera le premier volet de nos conclusions. Malgré son amour du silence, Grégoire a été un auteur fécond, puisque notre enquête a pu porter sur un ensemble de 44 discours dont l’authenticité est au-dessus de tout soupçon.

Pourtant, plusieurs œuvres, et non des moindres par leur ampleur et l’importance qu’elles tiennent du sujet traité, n’ont jamais rencontré d’auditeurs. Les deux Invectives contre Julien (Discours IV et V) sont de toute évidence des discours fictifs. Mais nous avons établi que le cas du long et important Discours II n’est pas différent. En 362, Grégoire, inaugurant ses fonctions sacerdotales, exposait ses idées sur le sacerdoce. C’est à l'écrit qu’il les confiait. De la même façon, il s’adressera aux ariens en 380, et en particulier au clergé encore soumis à l’évêque Démophile, Le Discours XXXIII est, nous l'avons dit, un écrit destiné à provoquer des ralliements. Quant au Discours XLII, il pose et laisse en suspens une irritante question, puisqu'il ne nous permet pas de déterminer s’il a été réellement prononcé ou non. Il est vrai que cet Adieu aux évêques, même s'il a été entendu par des fidèles, ne s’adressait pas directement à ces derniers. Si Grégoire l’a prononcé, il agissait, ce faisant, moins en prédicateur qu’en orateur religieux au sens le plus large du terme. Ainsi cinq ouvrages sur quarante-

quatre ne peuvent nous éclairer directement sur la prédication de notre auteur.

Ceux qui ont été remaniés pour être livrés à la publication posent un autre problème. Plusieurs fois en effet, nous avons pu déceler dans les textes qui nous sont parvenus des indices qui montrent que Grégoire, après avoir prêché à ses fidèles, a apporté des modifications à ses paroles au moment de les livrer à la publication. C'était déjà le cas du Discours XVIII, dont le texte comporte de menues adjonctions intervenues assez tardivement. Quant au Discours XIX, il semble bien que son texte dérive de l’'exemplaire adressé au dédicataire, Julien. Dans ces deux cas, il semblerait que les remaniements n’aient qu'une portée limitée. Il

SAINT GRÉGOIRE DE NAZIANZE

en va différemment de la mise au point sermons de 379, Ici le texte que nous

255

du Discours XXII, puisque cet ouvrage résulte en 381, pendant le concile, d’un des premiers au contraire, il y a bien des chances pour que avons en mains reflète bien davantage les

préoccupations des évêques devant le règlement de la succes

de Mélèce que l’enseignement donné par Grégoire aux fidèlession Anastasia un jour de l’année 379. Enfin, les cinq Discou de rs T héologiques peuvent bien résulter d’une prédication authen tique, nous avons constaté que Grégoire en a fondu les élémen ts en un

véritable traité. Si comme nous le pensons, les Discou rs Théologiques répondaient à une double nécessité: d’un côté les besoins de fidèles, de l’autre la polémique avec Eunome, il est probable que le travail de mise au point des notes de la prédication pour la publication du traité a éliminé bien davantage ce qui correspondait aux besoins contingents de l'auditoire que ce qui tenait à la réfutation doctrinale. Dès lors, les Discours Théologiques ne projettent sur la prédication de Grégoire qu’une lumièr e partielle et lointaine.

Dans leur ensemble, les œuvres qui portent des traces de remaniement constituent des documents qui ne peuvent être utilisés qu'avec de grandes précautions. Une troisième catégorie d'ouvrages n’appartiennent pas au domaine de la prédication proprement dite, même si l'orateur en fait matière d’enseignement, ce sont les oraisons funèbres des membres de la famille de Grégoire. Le Discours X VIII, mentionné au paragraphe précédent, en fait évidemment partie, amsi que les oraisons funèbres de Césaire et de Gorgonie, Discours VII et VIII. Nombreuses sont enfin les allocutions ou les discours de pure circonstance. Il est ici délicat d’opérer un tri, car Grégoire mêle presque toujours l’enseignement à l’anecdote, si personnelle soit-elle. Pourtant, les quatre discours relatifs à l'affaire de Sasimes ne constituent pas des actes de prédication proprement dite, non plus que ceux qui se rapportent aux intrigues de Maxime. Ce n’est pas que tous ces ouvrages soient à éliminer entièrement des matériaux qui vont nous aider à dégager nos conclusions, mais, si nous voulons nous faire une idée aussi exacte que possible de l’enseignement de Grégoire, il convient de nous fonder avant tout sur un noyau d'œuvres où l'intention d’enseigner les fidèles par la parole paraît fondamentale, sinon unique. Il n’est pas inutile de préciser qu’une fois opérées toutes les déductions précédem-

ment indiquées, c’est environ la moitié de l’œuvre oratoire de

Grégoire qui reste dans la course, à considérer aussi bien le nombre des discours que leur étendue. Dans quelle mesure trouvons-nous là quelque chose de représentatif de la prédication de Grégoire de Nazianze ? A consulter simplement la liste des sujets abordés et

des circonstances où ils l'ont été, une constatation s'impose assez vite : nous n’avons pas là un reflet de la prédication quotidienne

de Grégoire.

Le nombre même des discours publiés est évidem-

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ment très inférieur à ceux qui ont été prononcés au cours d’une a été fait carrière d’une vingtaine d'années. C’est dire qu’un choix de ses partie infime une ent par l’auteur, qui a voulu publier seulem choix. ce de s critère les r dégage de sermons. Il est important .

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Il est évident que ce sont les œuvres dont l’auteur avait lieu d'être moins satisfait qui ont été éliminées, soit à cause de leur imperfection, soit en raison d’une relative banalité. Il semble bien que Grégoire ait écarté du même coup tous ceux de ses sermons qui se contentaient d'expliquer les passages de l’Ecriture lus au cours de la liturgie. Une seule homélie exégétique figure dans son œuvre publiée, or il n’est pas concevable que celui que saint Jérôme considérait comme son maître dans l'explication de l’Ecriture n’en ait pas dit bien davantage. Il est probable que le commentaire de l'Ecriture constituait la trame de la majeure partie de ces discours que Grégoire n’a pas cru bon de publier. On le regrettera d'autant plus que le jugement de saint Jérôme nous avertit de l'intérêt qu'ils présentaient. Il en résulte que l’image que nous nous faisons de la prédication de notre auteur ne correspond que de loin à la réalité quotidienne. Ce sont les paroles des grands jours qui sont parvenues jusqu’à nous, celles qui ont jalonné les circonstances marquantes de la vie de Grégoire : son accession au sacerdoce et à l’épiscopat, sans omettre rien de ce qui l'avait affecté personnellement, ses luttes à Constantinople, les grands moments de son activité d'évêque et de restaurateur de la vraie foi dans la capitale. Il y a là un aspect essentiel du choix qui a été fait : 1l a un caractère autobiographique accusé. Ce prédicateur semble avoir à cœur de nous faire connaître les grandes étapes de sa vie, les aspects essentiels de sa personnalité.

Un autre critère paraît cependant avoir joué un rôle aussi important que le précédent. Il est en effet facile de se rendre compte que nous sommes en face d’un véritable échantillonnage littéraire. Tout se passe comme si on voulait nous montrer les mille aspects du savoir-faire d’un orateur chrétien. Eloge et blâme se font un équilibre calculé, Si les deux Invectives contre Julien sont seules de leur catégorie, leurs vastes proportions suffisent à établir une certaine symétrie avec le genre littéraire de l'éloge, dont il est normal qu’il occupe une place beaucoup plus considérable. Huit discours au total sont des éloges, sept d’entre eux concernant, comme il est également normal, des morts. La place faite aux martyrs est, somme toute, extrêmement limitée : quand on sait que leurs fêtes annuelles entraïnaient un grand déploiement d’éloquence, on est amené à penser que Grégoire s’est refusé à publier le texte de la plupart des allocutions qu’il ne dut pas manquer de prononcer en pareille circonstance et que le choix qu’il a fait reflète moins la fréquence des sujets réellement abordés qu’il ne découle, là encore, de l'intention de produire un échantillonnage de modèles. L’éloge de ces martyrs de l’Ancien Testament que sont les Macchabées ouvre la voie, celui d’un grand

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

257

évêque contemporain lui apporte un terme. Entre ces deux extrêmes, trois portraits d’évêques prennent place : une figure d'évêque oriental environné d’une, aura patriarcale, un évêque égyptien, un évêque occidental martyr. Deux éloges de laïcs, un homme et une femme, membres de sa famille complètent la gamme. Quant à l'éloge de Maxime, seul éloge d’une personne vivante prononcé en sa présence, il tient à la fois de l’éloge et de l'adresse. Noël, l’Epiphanie, Pâques, le nouveau dimanche, Pentecôte, l’appel au baptême, autant de grandes circonstances de l’année liturgique qui exigent du prédicateur qu’il adapte aussi bien le ton que le contenu de son enseignement, autant de cas où un exemple nous est donné du langage que peut tenir un prédicateur. Bien des conflits peuvent diviser une communauté et la parole est appelée à sanctionner l’accord qui leur apporte un terme. Trois discours, intitulés Sur la paix, portent un titre qui se réfère directement à une telle éventualité. De même le Discours XXVI et le Discours XXXIV scellent, chacun à sa manière, une réconciliation consécutive aux déchirements produits par l'affaire de Maxime. Le discours de réconciliation apparaît comme un véritable genre, tout au moins comme un des types d’allocution qu’un évêque doit être en état de prononcer. Si l’exhortation morale ne figure guère que sous les traits du Discours XIV, le Discours XIX cumule plusieurs traits, dont le plus important est de montrer un évêque en train d'exercer son rôle de défenseur de la cité auprès des autorités publiques, ou plus exactement des intérêts matériels de

la communauté chrétienne. En définitive, c’est un ensemble de critères qui ont présidé au choix des discours que Grégoire nous a légués. Il s’agit moins de nous montrer son savoir-faire d’auteur, encore que cette préoccupation soit évidente en bien des endroits, ou de dresser un mémorial de ses faits et gestes, bien qu’il emprunte à son expérience vécue la trame de ses exemples, que d'illustrer par la parole, si on peut ainsi parler, l'éventail des circonstances publiques que peut rencontrer un pasteur. S'il a pu lui arriver de nous communiquer telle courte allocution qui ne doit son intérêt qu’à la personnalité de celui qui traversait les circonstances qui lui ont prêté occasion, le fait est assez exceptionnel et peut encore s'expliquer par ce qui nous apparaît bien en définitive comme l'intention fondamentale de l’auteur. L'homme qui a livré au public ce choix de ses œuvres ne pensait pas tellement aux fidèles qui avaient été commis à sa garde qu'à ceux-là qui partageaient les mêmes responsabilités que lui. Ce ne sont pas les besoins spirituels ou moraux des fidèles que Grégoire a en tête, ou, plutôt, ce n’est qu’indirectement qu'ils se présentent à lui, surtout depuis son arrivée à Constantinople. Sil arrive qu’il s'adresse aux évêques pour leur faire la leçon, la quasitotalité des discours qu'il nous a laissés se réfèrent aux divers aspects de la fonction épiscopale dans les circonstances les plus diverses. C’est, somme toute, un véritable manuel de l’évêque en L4

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tant qu’orateur qu'il a composé en éditant cet ensemble de discours. On peut se demander si la préoccupation qui le dévorait, jointe aux nécessités de la polémique extérieure, ne l'ont pas quelque peu détourné de la masse des fidèles. Pour pouvoir l’affirmer, il faudrait connaître la prédication qu’il leur adressait dans la banalité des jours, -et c'est précisément celle que nous ignorons. Dès lors, il n’est pas étonnant que tant de fois, nous ayons eu l'impression que les auditeurs étaient absents ou qu’ils restaient dans la pénombre. Cet évêque est moins préoccupé par les fidèles que par les pasteurs et, s’il publie, certains de ses sermons, c’est sans doute pour contribuer à la formation des évêques à leur tâches. En définitive, on se prend à penser que c’est le clergé qui posait dès lors les problèmes les plus graves et qu’ils absorbaient les meilleurs. Il apparaît alors que le corpus des discours de Grégoire possède une véritable unité, qu'il est doué d’une architecture. On ne peut que regretter que sa tradition manuscrite n'ait pas encore fait l’objet de l'étude d'ensemble qui permettrait peut-être de contrôler la conclusion à laquelle nous parvenons. Il nous semble en efiet que Grégoire a lui-même réuni cet ensemble d'œuvres antérieurement composées et déjà publiées séparément pour la plupart. Il ne semble pas que cette édition collective ait été accompagnée de corrections ou d’additions nouvelles. Du moins n’avons-nous pas trouvé de traces d'un tel travail. S'il est vrai que la plupart des poèmes de Grégoire datent de la période qui a suivi son retour en Cappadoce, les six ou sept dernières années de la vie de notre auteur ont été, malgré sa solitude, des années d’activité intellectuelle intense. On a montré que c’est à l’occasion des fêtes de Pâques 383 qu’il a adressé à Théodore de Tyane l’exemplaire de la Philocalie autrefois composée avec Basile dont dérivent tous les manuscrits de cet ouvrage que nous possédons (4), Sinko a montré l'existence de deux familles de manuscrits des discours (2 : ces derniers ne remontent donc sans doute pas, comme la Philocalie, à un exemplaire unique, mais leur publication collective émane, elle aussi, d’un homme qui se penchait sur son passé et se hâtait d'en tresser la gerbe. Prêtre, puis évêque, c’est aux devoirs des pasteurs qu’il réfléchit dans sa solitude et c’est pour eux surtout qu’il réunit cet ensemble d'œuvres que les circonstances lui avaient inspirées.

Elles ne nous permettent donc de nous représenter ce qu’avait été son attitude de prédicateur que d’une façon partielle et souvent indirecte. Il en reste toutefois assez pour pouvoir dégager les aspects les plus saillants. (4)

Lettre

CXV.

Ci.

J.-R.

Robinson,

The

Philocalia

bridge, 1893; P. Devos, Saint Grégoire de Nazianze

of Origen,

Cam-

et Hellade de Césarée

en

Capbadoce, AB, 79 (1961), p. 100; J. Gribomont, L'origénisme de saint Basile, dans L'homme devant Dieu, p. 283. (2) Sinko, De traditione, p. 97 sq.

SAINT GRÉGOIRE

DE NAZIANZE

259

La franchise avec laquelle l'évêque évoque publiquement intrigues, tiraillements et désordres au sein de la communauté chrétienne et du clergé est peut-être le trait qui nous frappe le plus. L'inquiétude qui le dévore devant la décadence de lépiscopat, la très haute idée qu’il se fait des fonctions pastorales et qu’il entend accréditer de toutes ses forces, et, plus encore, un très grand amour de a vérité, voilà les raisons d’une liberté ‘de langage qui nous étonne. L’affection profonde qu'il porte à ses fidèles est sans doute un trait caractéristique tout aussi important. Ce n’est pas que ces derniers se soient toujours recommandés à lui par une grande élévation morale ou de hautes qualités spirituelles, tant s’en faut, et nous aurons l’occasion de le redire, pourtant le pasteur aime ses brebis d'un profond amour. Sans ‘doute garde-t-il un amour de prédilection pour ceux et celles qui ont embrassé l’état monastique, mais cette préférence ne l’incline pas à désespérer des autres. Il est au contraire frappant de l’entendre appeler les plus mondains et les plus dissolus, non pas à une quelconque amélioration, mais bien à la vie parfaite. Il est bien vrai cependant qu'il entrevoit celle-ci au terme d’une ascèse qui repose tout entière, et avec la dernière rigueur, sur la notion que le corps est un tombeau. Platon l'avait dit : aussi notre évêque enseigne-t-il sans hésitation que la perfection consiste à «extraire l’âme du corps». Effrayant programme qui n'empêche pas cependant celui qui l’édicte si tranquillement d’allier à l'affection la plus tendre pour les hommes toutes les nuances d’une sensibilité poétique pleine de délicatesse. L'ardeur ne lui manque pas, non plus que l'ironie la plus caustique ainsi qu’une mémoire douloureuse des peines ressenties.

Si nous

examinons

le contenu

de son enseignement,

nous

constatons bien vite que la part congrue y est faite à la morale. Grégoire de Nazianze n’est pas un moralistée. Du moins, il n’a pas voulu que la postérité garde de lui cette image : l’amour fraternel qui éloigne les dissenssions et qui prend soin des plus démunis, c’est à peu près là toute la morale qu'il nous prêche. S'il semble avoir peu prêché les exigences de la morale, il est en revanche animé du constant souci de l’orthodoxie de la foi. En Cappadoce déjà, à Constantinople surtout, il a constamment à la bouche la doctrine de Nicée, y joignant l’affirmation de la divinité du SaintEsprit qui sera ratifiée au concile de 381. Peut-être ce souci obsédant, qui tenait aux circonstances, lui at-il quelque peu masqué tel ou tel aspect de la vie du peuple chrétien qui avait son importance. Il n’est pas sûr qu'il en ait été ainsi dans la réalité,

puisque nous ne connaissons de sa prédication que ceux des aspects qu’il a voulu nous faire connaître. Les pauvres, à l'écouter parler, semblent bien constituer un monde à part : il parle pour qu'on leur vienne en aide, mais il ne s'adresse pas à eux. Mais nous devons, là encore, être prudents, car les belles figures de style et les harmonieuses cadences, qu'il a léguées à la postérité supposent un public muni d’une toute autre culture que celle que pouvait posséder le petit peuple de Nazianze ou même de Constantinople.

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S'il s’est adressé lui-même à ce public, il l’a nécessairement fait sous une forme qui n’avait rien de littéraire et en des sermons qu'il n’a pas cru bon de nous léguer. On peut se demander cependant s’il n’a pas, comme d’autres, laissé se développer à l'intention des milieux populaires des formes de culte qui, pour être plus accessibles à une masse inculte, n’en portaient pas moins de redoutables germes de superstition. Le culte des martyrs engendre celui des reliques dans le même temps que le recul devant les exigences du baptême s’accentue. Mais s’il ne semble pas avoir perçu les dangers du culte des reliques, il s’est fait aussi pressent qu’il le pouvait pour multiplier les candidatures au baptême parmi les éternels catéchumènes. En définitive, deux traits nous paraissent caractériser le contenu de l’enseignement de saint Grégoire de Nazianze. L’obsession de l’orthodoxie trinitaire est peut-être grossie par le choix des œuvres publiées, elle paraît cependant correspondre à la réalité Commandée par les données historiques, elle atteste la clairvoyance et l'énergie du pasteur. Le relatif dédain de l’éducation morale, le constant et général appel à la vie contemplative, la subordination, chez cet intellectuel, de l’activité de l'intelligence à celle du rveôux en quête de l’unique nécessaire, voilà bien ce qui nous paraît constituer l'originalité de Grégoire en tant que prédicateur.

TROISIÈME PARTIE

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

L'œuvre de saint Grégoire de Nysse a inspiré de nombreuses recherches depuis une vingtaine d'années, mais on s’est beaucoup moins intéressé à sa prédication qu'à sa philosophie et à sa théologie spirituelle ©. La biographie de notre auteur est mieux connue et la chronologie de ses œuvres mieux établie. Les travaux du P. Daniélou en particulier nous aiderontà situer les homélies et discours de Grégoire 2à l’intérieur d’un cadte chronologique bien déterminé @), Il n'entre pas dans notre propos d'écrire une biographie détaillée de Grégoire; nous nous contenterons d’en rappeler, en manière de préliminaire, les lignes essentielles, telles que les travaux les plus récents permettent de les restituer.

Ce frère cadet de saint Basile est né vers 332. Elevé d’abord à Annesi auprès de sa mère et de sa sœur aînée Macrine, il se rendit en 348 à Césarée pour y poursuivre ses études. Si nous en croyons le P. Daniélou, le retour, aux environs de 355, d’un Basile féru d'éloquence tourna la tête du jeune homme, qui se destinait alors à l’état ecclésiastique et exerçait les fonctions de lecteur. La rapide conversion de Basile à la vie monastique sous linfluence de Macrine ne devait pas suffire à le détourner de sa nouvele direction. Entre 360 et 364, il se marie avec Théosébie, dont il aura un fils appelé Cynégios. En 365, il embrasse la profession de rhéteur qu’il exercera jusqu’à 372. C'est alors qu’il écrit, à la demande de son frère Basile devenu entre temps évêque de Césarée, la plus ancienne de ses œuvres, le De Virginitate, dont on a pu dire qu’il « est l'éloge du monachisme basilien écrit par un laïc marié » (), (1) On trouvera une bibliographie dans J. Quasten, [nitiation aux Pères de l'Eglise, Paris, 1963, tome III, pp. 365-420. (2) La chronologie des sermons de Grégoire de Nysse, RSRUS (1955), 4, pp. 346-372 ;Le mariage de Grégoire de Nysse et la chronologie de sa vie, RAug (1956), 2 (= Mémorial Gustave Bardy),pp. 71-78. Le texte d’une communication, donnée en 1963 au IVme Congrès International d'Etudes Patristiques réuni à Oxford sur La chronologie des œuvres de Grégoire de Nysse, est à paraître.

(3) Le mariage de Grégoire de Nysse et la chronologie de sa vie, p. 72.

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En 372, à la suite de la division de la Cappadoce en deux provinces et des conflits de juridiction qui en découlèrent, Basile créa de nouveaux sièges épiscopaux, comme nous l’avons rappelé plus haut. En même temps qu’il entreprenait d'installer son ami à Sasimes, il faisait de son frère un évêque de Nysse. Plusieurs lettres de Basile montrent qu’il n’appréciait pas outre mesure l'aptitude de son frère au gouvernement (#. L'opposition arienne aboutit d’ailleurs à l’'éviction temporaire de Grégoire en 376 : la mort de Valens lui assurera bientôt un retour triomphal. La disparition de Basile et le triomphe de l’orthodoxie en Orient allaient lui faire jouer un rôle bien autrement important que celui que la petite bourgade de Nysse avait pu lui assurer jusqu'alors. Héritier spirituel de Basile, Grégoire fait figure de coryphée de l’orthodoxie. Il tient une place de premier plan dans les affaires de l'Eglise pendant les années où Théodose réside en Orient, c’est-à-dire en pratique depuis le concile œcuménique de 381 jusqu'au départ de l’empereur pour Milan en 388. Dès le lendemain de la mort de Basile, Grégoire avait déployé une activité considérable en dehors de sa ville de Nysse, intervenant aussi bien à Césarée que dans le Pont. Sur les 26 discours que le P. Daniélou a datés, 7 sont antérieurs au concile. Plus tard il reprendra la parole en des lieux divers et des circonstances variées, en particulier à Constantinople. En 394 encore il intervenait dans un concile restreint qui s’était réuni dans cette ville 5. Tous les sermons que nous possédons de lui s’étagent entre 379 et 388. C’est aussi le moment de ses grands ouvrages théologiques. La disparition de Théosébie, survenue en 385, orientera davantage Grégoire vers la vie monastique. Ses grands commentaires spirituels datent de la dernière période de sa vie.

Ils mettent en forme et livrent au public les fruits d’une expérience mystique acquise durant ses années de mariage. Au demeurant, le texte de bien des sermons plus anciens sera repris et fondu dans ces commentaires. Grégoire est mort probablement en 395. Nous écarterons du champ de notre étude toutes les homélies dont il apparaît que le texte a été intégré après coup dans un ouvrage d'ensemble, estimant que la garantie offerte par de telles œuvres de refléter une authentique prédication est trop mince pour qu'il vaille la peine de les interroger. Nous étudierons ici celles des œuvres de Grégoire dont nous avons la certitude qu'elles ont été réellement prêchées sous une forme proche de celle que nous leur connaissons. Toutes, avons-nous dit, s’étagent entre 379 et 388. Aucune n’est antérieure à la mort de Basile, aucune n’est postérieure au départ d'Orient de l’empereur Théodose. Il vaut la peine de s'interroger sur la signification de ces dates. Le silence des dernières années est celui qui s'explique le plus aisément. On (4) Basile, Lettres 58, 59, 60, 100. .6) Sur la participation de Grégoire à ce concile, cf. E. Honigmann, Rs CE FR bosthumes d'histoire et de géographie de l'Orient chrétien, p. 3-83,

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peut en effet estimer que Grégoire se consacrait alors à la rédaction de ses grands ouvrages mystiques et leur accordait tous ses soins. Il est possible qu'il ait accordé alors moins de temps et d'efforts qu'auparavant à la prédication. On peut encore penser qu’il ne s’est pas intéressé à l'édition des sermons qu’il pouvait encore prononcer ou qu’il n’a pas eu le temps de le faire. Il est moins facile d'expliquer pourquoi les sept premières années de son épiscopat ne nous ont pas laissé le moindre discours. Si nous ne possédons pas de sermon de cette période de sa carrière épiscopale, c’est d’abord parce qu'il a passé une partie de ces années en exil ) ; c’est peut-être aussi parce que l’administration de son église et les accusations qu'elle lui valut détournaient ailleurs son attention et ses efforts. C’est encore et surtout parce que les sermons de cette époque ont été utilisés plus tard pour la composition de ses grands commentaires scripturaires. Mais il est permis de se demander si des difficultés d’ordre technique n’ont pas aussi joué leur rôle. L'édition du texte d’un sermon, en grande partie improvisé, suppose la collaboration de tachygraphes. Or il est douteux qu’il ait eu ce genre d’aide aisément à sa disposition dans la petite ville de Nysse. En revanche, dès la disparition de Basile, les discours de Grégoire nous sont conservés. Il y a peutêtre là plus que l'effet d’une coïncidence et il est permis de formuler l'hypothèse que Grégoire avait, en quelque sorte, recueilli dans l’héritage de son frère les collaborateurs techniques qui lui manquaient jusque là (6).

Quoi qu’il en soit, l’ensemble des sermons que nous possédons ne laisse apparaître la trace d’aucune évolution notable qui conseille d'aborder leur étude en suivant le fil de la chronologie. En revanche, les circonstances qui les ont suggérés et les thèmes abordés permettent de les classer sans faire preuve d’arbitraire. Trois groupes de sermons se rattachent étroitement aux grands temps liturgiques du Carême, de Pâques et de la Pentecôte, de Noël et de l’'Epiphanie. Le culte des martyrs a inspiré de son côté quatre sermons. Cinq oraisons funèbres relèvent d’un genre et de circonstances qui suflisent à les classer à part. Deux discours enfin se rattachent d’une façon plus ou moins directe à l’activité d’un concile. (6) Non seulement Grégoire a été écarté de son siège de 376 à 378, mais son éviction risque d’avoir mis du désordre dans ses dossiers. (6) Basile écrivait dans sa Lettre CXXXIV: «Je n'avais auprès de moi aucun scribe: ni calligraphes, ni tachygraphes. En effet, ceux qu’il m'est arrivé d’exercer sont vite retournés à leurs occupations antérieures ou bien ont renoncé devant le labeur parce que de longues maladies les avaient épuisés ». Cette

remarque montre le soin apporté par Basile à former de tels spécialistes et la difficulté rencontrée à s’en procurer.

CHAPITRE

La prédication

I

morale

du Carême

Cinq des sermons de Grégoire entreprennent de donner aux fidèles une leçon de morale pratique. La plupart semblent, comme il est naturel, destinés aux chrétiens de la ville de Nysse. Ils s'inscrivent dans le cadre de ces réunions liturgiques auxquelles nous avons vu plus haut que les fidèles étaient invités à assister deux fois par jour pendant le carême (. Il est donc bien évident que ces sermons ne peuvent nous donner qu’une faible idée de la prédication de Grégoire en pareille circonstance ). On peut penser en tout cas que leur choix n’a pas dépendu du hasard et que les sujets qu’il aborde étaient de ceux dont l'importance lui paraissait manifeste. A ce titre, ils constituent un bon indice de ses préoccupations de pasteur et, corrélativement, ils nous apporteront un témoignage sérieux sur le comportement des fidèles. La pratique de l’usure, la débauche, la révolte des fidèles devant les exigences morales de leur évêque constituent les thèmes respectifs de trois sermons qui figurent parmi les plus anciens. A deux reprises, Grégoire croira devoir prendre la parole pour éveiller la compassion des riches à l'égard des misérables. 4. — CONTRE LES USURIERS.

Le sermon Contre les usuriers ®) est, avec le premier panégyrique des Quarante martyrs et le premier sermon sur Pâques, l’un des plus anciens que nous possédions, puisque, si nous en croyons

Daniélou, tous trois datent de 379 #. A dire vrai, si la date du 9 mars 379 nous paraît solidement établie en ce qui concerne l'éloge des Quarante, il est moins évident que notre sermon date de 379. «Les mêmes raisons que pour le précédent sermon, écrit Daniélou, s'opposent à ce qu’il soit de 380. Il paraît donc certain qu'on peut le fixer au carême de 379» 5). S'il est vrai que les voyages de Grégoire en 380 ne lui permirent guère de prêcher, (1) Cf supra, p. 46. (2) Il est légitime de penser que les commentaires de l’Ecriture et, en particulier, des psaumes sont issus d’une prédication de Carême. G) PG XLVI, 433 A-452 B. (4)

La chronologie des sermons,

(5) Ibid., p. 349.

pp.

346-351.

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comme l'avait établi Diekamp (), il ne s'ensuit pas nécessairement que l’année 379 puisse seule être retenue, bien qu'elle soit assez probable en définitive. Nous serions, en revanche, plus affirmatifs que le P. Daniélou en ce qui concerne la ville où ce sermon fut prononcé : l’insistance mise par Grégoire à se présenter comme le continuateur de Basile, qui, nous l'avons vu, avait traité un sujet très voisin de celui qu’il aborde, la précaution qu’il prend d'évoquer la mémoire de Basile aussi bien au début qu’à la fin de son sermon sont, nous semble-t-il, une indication que Grégoire a en face de lui un public particulièrement attaché à la mémoire de ce dernier (7). C'est aux fidèles de Césarée qu’il s'adresse. La date du panégyrique des Quarante est une garantie que Grégoire était à Césarée le 9 mars. Il y était appelé pour la célébration de la fête, mais en même temps pour pourvoir aussi à la succession de Basile. Il est en effet vraisemblable que la fête des Quarante, qui, habituellement, devait donner à plusieurs évêques cappadociens l’occasion d’assister leur métropolitain, les a vus se grouper tous cette année-là pour procéder à l'élection du successeur. De telles opérations demandaient couramment plusieurs semaines. Il est normal que Grégoire ait eu, au cours de ce séjour, comme ses collègues, et peut-être plus qu'eux en sa qualité de frère et d’héritier spirituel du défunt, l’occasion de prêcher devant les fidèles de Césarée. Le choix d’un sujet apparenté de fort près à celui d’un sermon que Basile avait cru nécessaire de prononcer constituait, en même temps qu’une facilité, une garantie que sa parole répondrait aux besoins concrets des fidèles. En fait nous avons eu l’occasion de constater que Basile à traité plusieurs fois du problème de l'argent. Dans la sixième Homélie Diverse, il demandait aux riches de ne pas exiger

d'intérêts, et même de donner sans contrepartie. Ce n’est pas à ce

texte que pense Grégoire, mais à une mise en garde de Basile adressée aux emprunteurs éventuels, pour les dissuader de se charger du fardeau des intérêts ®). Il s’agit de la deuxième Homélie sur le Psaume XIV ®),

Que Grégoire, pour détourner ses auditeurs, du trafic de l'argent, ait cru bon de les atteindre dans leur fierté n’est peut-être pas chose surprenante au premier abord, maïs, à y réfléchir de plus près, est-il tellement normal que ce prédicateur condamne comme évidemment indigne de soi la vie des boutiquiers ? « Aïe de l’aversion, s'écrie-t-il, pour ces mœurs de boutiquiers (rp6xov xammuxév) ! » (0), (6) Die Wahl Gregors von Nyssa zum (1908), 384-401. (7) 433 B-436 A et 452 D.

Metropoliten

von Sebaste, ThQ,

(8) 452 D : « Quant à ceux qui sont prompts à emprunter et témérairement sur l’hameçon des intérêts, je ne leur dirai rien, leur suffit le conseil que leur a donné notre père, le merveilleux l'ouvrage qu’il a composé avec sagesse, où il s'adresse plus à ceux tent inconsidérément qu'aux prêteurs cupides. (9) PG XXIX, 264 C-280 C. Cf. subra, pp. 35-36. (10) 436 B.

qui se jettent jugeant que Basile, dans qui emprun-

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Certes, la xermelx jouit de longue date d’une mauvaise réputation chez les écrivains de langue grecque, mais ils n'étaient pas évêques ni même chrétiens. Nous rencontrons là chez Grégoire un premier trait d’une certaine hauteur aristocratique qui se manifestera ailleurs d’une façon plus nette et plus prononcée 4). L'assistance excluait-elle ces boutiquiers que l’évêque juge de mauvaise compagnie ou bien eurent-ils l'occasion de l’entendre s'exprimer sur leur compte ? Il est difficile d’en juger. Si ce sermon a été prononcé au cours d’une réunion de semaine en carême, il ne choqua peut-être pas grand monde (?, Quoi qu’il en soit, ou bien l’évêque s’est exprimé avec une maladresse qui montre à quel point _il restait prisonnier d’habitudes aristocratiques, ou bien le prédicateur n’avait en face de lui que la meilleure société de Césarée. .. 4), La pratique qu’il stigmatise était-elle simplement exercée de façon occasionnelle par les détenteurs de capitaux ou bien Grégoire vise-t-il une catégorie d'hommes particulière ? L’usure apparaît-elle, à travers son sermon, comme un moyen entre autres de gagner de l'argent ou comme une spécialité ? Il n’est évidemment pas exclu que le prêt à intérêts ait été pratiqué assez largement par ceux qui étaient en état de faire travailler leur argent. On peut même dire que nous ne posséderions pas deux sermons de Basile et un de Grégoire sur ce sujet, si cette façon d’agir avait été seulement le fait d’un petit nombre de professionnels. La vérité se situe probablement entre les deux hypothèses que nous venons d'évoquer. Relativement nombreux sont les habitant de Césarée qui, entre autres activités, se livrent à celle de la banque : c’est la raison de l'insistance des prédicateurs à traiter de ce sujet. Mais certains se sont fait une véritable spécialité de l’usure et c'est à la vie de ces hommes que Grégoire emprunte les traits de sa description pour mieux faire horreur à ceux qui l’écoutent. Très vite, c’est la silhouette d’un usurier de métier qui s’esquisse sous nos yeux. « Ne vis donc pas en ennemi de l’humanité sous des dehors de générosité, ne sois pas un médecin meurtrier, en ayant l'apparence de sauver par ta richese comme lui par son art, tout en ayant l'intention de conduire à sa perte celui qui s'en est remis à toi. C’est une vie de paresse et de cupidité que celle

pp.

ne -329.

le sermon Sur la divinité du Fils et du Saint-Esprit, cJ. infra,

(42) Dans la mesure

où les petites gens qui devaient gagner leur vie

n’assistaient pas au sermon, contrairement à ce qui semble s'être passé quand Basile prêchait l’'Hexaéméron. Cf. supra, pp. 49-50. (13) La Lettre I laïsse percer un mouvement de hauteur. Se comparant avec

Helladios, 1! écrit à son correspondant, Flavien d’Antioche:

« Si on consi-

dère nos personnes seules, en faisant abstraction du rang ecclésiastique, en quoi Pun a-t-il l'avantage sur l’autre ? S'agit-il de la naissance ? de l’éducation ? de la liberté d’allure devant les membres de la plus haute aristocratie ? de la notoriété ? On peut trouver tout cela chez nous aussi à un degré égal ou, de toute manière, à un degré qui n’est pas inférieur...» (éd. Jaeger, VIII, II, p. 12, 2-7 (= PG XLIV, 1008). On a vu cependant que cette lettre pourrait être l’œuvre de Grégoire de Nazianze: cf. p. 253, n. 99).

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du prêteur; il ignore le labeur de l’agriculture comme

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l’industrie

du commerçant ; installé toujours à la même place, il nourrit à son foyer des bêtes féroces. Il veut que tout lui vienne sans semer ni labourer. Pour charrue, il a sa plume: pour terre, une feuille: pour semence, l'encre » (4, Un tel homme pourrait, bien sûr, exercer parallèlement une autre activité économique, mais celle-ci réclame assez de temps pour monopoliser un homme toujours en quête de clients. Dans ce but, «il assiège les tribunaux pour trouver celui que ses créanciers mettent aux abois, et il suit les huissiers comme les vautours accompagnent les armées rangées en bataille » 45), Tous les capitaux disponibles sont investis de cette façon. «Tu peux donc voir un homme riche et opulent bien souvent n’avoir même pas une pièce de monnaie chez lui: tous ses espoirs sont passés en papiers, tous ses biens en reconnaissances de dettes » (9), Il y a sans doute quelque exagération d’orateur dans de telles assertions, pourtant Grégoire racontera plus loin l’histoire d’un habitant de la ville, mort déjà, mais dont les enfants sont en vie au moment où parle le prédicateur, qui avait tellement bien caché sa fortune dans les murs de sa maison que ses héritiers ne purent la retrouver et furent ainsi réduits au plus extrême dénuement, au lieu de jouir de l’immense fortune qu'ils escomptaient (17, A dire vrai, Grégoire ne semble pas s'être rendu compte que son exemple ne prouvait pas grand chose. Celui qu'il présente expressément comme un usurier avait caché sa fortune, il n’avait pas laissé derrière lui de reconnaissances de dette susceptibles d'être recouvrées par ses héritiers.

Notons que les prêteurs suivent attentivement les faits et gestes de leurs débiteurs, afin de s’assurer qu’ils demeurent sôlvables. « Si quelque bruit fâcheux survient, d’après lequel un tel est tombé aux mains des brigands ou, par suite d’une circonstance quelconque, a vu son aisance (edropla) transformée en pauvreté, il s’assied et, les mains jointes, gémit sans arrêt, en versant des larmes abondantes » (8), L'emploi du mot aisance, faisant suite à une allusion à l'activité commerciale du débiteur, montre que de tels emprunts étaient probablement liés à l'exercice du commerce et ne constituaient pas toujours de simples prêts à la consommation. On aperçoit donc au détour de cette homélie l’existence à Césarée d’une catégorie d'hommes dont l’activité essentielle consiste à financer les entreprises commerciales. C’est bien en face d’une activité bancaire que nous nous trouvons, activité qu'il faut distinguer de celle des changeurs, avec lesquels d’ailleurs les intéressés paraissent en relations d’affaires 4), Au demeurant, il (14) (45) (146) (47) (18) (19) changeurs

437 A. 437 B. 437 C. 449 B-452 A. 441 A. 440 B : « Ne fais pas injure à Dieu, ne le mets pas au-dessous des à la garantie desquels tu ajoutes foi sans balancer ».

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est évident que l’évêque n’a pas aperçu la différence fondamentale qui sépare les deux types d’opération. La condamnation radicale qu’il porte contre ceux qui tirent de l’argent de la misère d'autrui enveloppe sans qu’il en ait conscience les prêts commerciaux. Aussi ne faut-il pas attendre de lui beaucoup de détails sur le déroulement concret des opérations, ni sur les taux d'intérêts en usage, dont il indique simplement qu’ils peuvent, au mieux, parvenir à doubler le capital). Nous savions qu’expulsions et ventes forcées des immeubles constituaient l’épilogue des créances non honorées @1).

« Combien d'hommes se sont pendus à cause des intérêts à payer ou se sont jetés dans les eaux d’un fleuve », s’écrie-t-il 22. Il n’est pas possible de faire ici la part de la rhétorique et de la réalité. On peut le regretter. Le paiement des intérêts, dit Grégoire, « ruine des maisons, consume des fortunes, ménage à ceux qui sont bien nés une vie pire que celle des esclaves » 23. La formule reste dans le vague, mais l'écho qu’elle apporte aux indications de même sens que nous avons rencontrées chez Basile confirme qu’elle reflète la réalité d’assez près. Dans quelle mesure la pratique de l’usure est-elle le fait de gens qui se réclament du christianisme ? Que certains usuriers se consolent aisément de la mort de leurs victimes en alléguant que les malheureux étaient nés sous une mauvaise étoile pourrait faire penser qu’ils n’appartenaient pas à la communauté chrétienne (#). Mais Grégoire s'exprime d’un bout à l’autre comme si ceux dont il

parle étaient là pour l'écouter, il imagine même, au moment de terminer, les réactions irritées d’une partie de son auditoire (). Nous aurons plus loin l’occasion de nous rendre compte qu'à Nysse comme à Césarée l'assistance au sermon et l'appartenance nominale à l’église, baptême exclu, pouvait s’allier fort bien à une résistance affirmée aux exigences morales de l’évêque (2). 2. —

CoNTRE LES FORNICATEURS (27),

Le texte du sermon Contre les fornicateurs est particulièrement mal établi. Dans la mesure où les derniers mots de la version latine qui accompagne le texte grec reproduit dans la Patrologie, reflètent un texte plus proche de l’original, ce sermon précèderait le départ de Grégoire pour le concile de Constantinople et daterait (20)

440 C.

(21)

445 CD.

Cf. supra, p. 36.

(22) 448 AB. (23) 445 C. (24) 448 BC. (25) 452 AB. (26) Grégoire adressera une admonestation à ces récalcitrants : c’est le sermon Contre ceux qui refusent les réprimandes, Cf. infra, pp. 270-273. (27) PG, XLVI, 489 A-4% D.

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du mois de mars 381. Le départ est sans doute proche, puisque l'évêque laisse percer quelque inquiétude au sujet de son église qui va rester sans direction. Il n’est pas impossible que Grégoire se soit joint à un groupe d’évêques qui se dirigeait vers Constantinople et que ce sermon ait été prononcé en leur présence (28). Il est en tout Cas remarquable qu’il ne dise rien à ses auditeurs des questions que

le concile était appelé à résoudre et qu'il préfère traiter de morale que de théologie. Sans doute la lecture de saint Paul lui fournissait-elle un sujet commode ®). Basile ne l'avait pas traité et Grégoire, que nous savons préoccupé de poursuivre et de compléter l’œuvre de son frère, a pu voir dans cette lacune un motif suffisant d'aborder cette question. Mais on peut aussi penser que limmoralité de la population de Nysse, qui inspirera son sermon Contre ceux qui ne supportent pas les réprimandes moins d’un an plus tard, est à l’origine de cette mise en garde. À dire vrai, elle trompe assez l'attente de celui qui espérerait y trouver des renseignements concrets sur la moralité de la population confiée à la direction spirituelle de notre prédicateur. Son sermon est extrêmement bref, puisque la luxure lui inspire un développement qui atteint à peine le tiers de celui qu’il avait consacré à l'usure. Il est évident que la nature même du sujet se prêtait mal à la mise en scène et aux descriptions ainsi qu'aux récits dont Grégoire nous paraît en d’autres domaines assez friand ®), Dans l'impossibilité où il se trouvait d’entrer dans le concret, c’est à l’Ancien Testament qu’il emprunte l'illustration

nécessaire. L'histoire de Joseph tenté par la femme de son maître égyptien occupe près de la moitié du sermon. Grégoire décrit la scène avec un certain réalisme, mais nous ne saurons rien, en définitive, de ce qui pouvait se passer à Nysse dans ce domaine.

Reconnaissons qu’on ne saurait en demander beaucoup à un prédicateur. On peut se demander pourtant si telle situation concrète ne méritait pas que l’évêque l’appelât par son nom. L'exemple d’un esclave livré à l'arbitraire de sa maîtresse aurait peut-être mérité une transposition, les femmes de condition servile étant probablement plus exposées, à l’époque de Grégoire, aux entreprises de leurs maîtres que les esclaves mâles aux séductions d’une maîtresse.

(28) «Nobiscum, qui sumus in via comites, preces ad Deum emittite » lisons-nous à la fin de la version latine (497-498), Dans son article précédemment cité sur La chronologie des sermons de saint Grégoire de Nysse, J, Daniélou proposait le carême de 381 pour ce sermon. Dix ans après, il songe au mois d'août 379 : Grégoire aurait prononcé ce sermon avant de se rendre au synode d’Antioche de septembre 379, qui allait régler la question de Mélèce. La fin du sermon ferait allusion à ces luttes. Voir son récent article sur

Grégoire de Nysse à travers les lettres de saint Basile et de saint Grégoire de

Nazianze, VC 19 (1965), 38. A dire vrai, ce dernier article n’apporte aucun argument en faveur de cette datation. Le contenu du sermon nous paraît correspondre beaucoup mieux à une prédication de carême qu’à toute autre période de l’année.

(29) (30)

I Co, VI, 18. Voir par exemple 424 C, 449 BC, 493 C.

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Le vague prudent où se cantonne notre sermon ne nous autorise donc guère à tirer des conclusions des faibles lueurs sur la réalité que nous croyons discerner en le lisant. «Quand une silhouette de prostituée décoche ses traits, il faut tourner le dos et fuir celle qui nous faif ace » 61 : cette affirmation, que nous entendons sitôt prononcé le court exorde du sermon, indique peut-être que Grégoire pense surtout aux occasions de débauche que constituaient les prostituées. Il concluera de même : « Détournons donc les traits qui proviennent d’une silhouette de prostituée » (2), r L'emploi du mot mopvela n’est pas très concluant et ne peut garanti e Grégoir puisque es, qu'il s'agisse seulement de professionnell l'applique aussi bien à la maîtresse de Joseph %?. Ce serait sans

doute faire dire à ce texte plus qu'il n’affirme que d’en déduire que la prostitution était très développés à Nysse, bien que ce ne soit nullement exclu. En revanche, il est aisé de constater que d’un bout à l'autre le seul cas envisagé est celui d’un homme exposé aux avances d’une femme. Reconnaissons que ces femmes ne pouvaient être que des professionnelles dans le contexte social de l’époque. Remarquons aussi que la femme n'apparaît que sous les traits de la séductrice et de la corruptrice. Elle constitue un danger, dont il faut se protéger en évitant de la regarder %. Il peut être surprenant que Grégoire n'ait pas un mot pour évoquer le danger moral où une femme pouvait se trouver, de façon ou d’autre, du fait d’un homme. Réaction d’aristocrate habitué à voir les femmes de son milieu très bien protégées et à tout ignorer des conditions pratiques d'existence des autres milieux ? C’est possible. On peut aussi penser que, pour être ou avoir été marié, notre évêque se défiait extrêmement de l’homme qui demeurait en lui. Qu'il ait tenu à affirmer, puis à démontrer que la luxure «a quelque chose de plus redoutable que les autres fautes » 5), ce n’est sans doute pas par simple tic d’orateur porté à donner au sujet qu'il traite une importance exceptionnelle. Le mépris du corps conduisait tout naturellement à une haine particulière de ce qui implique le plus complétement l’âme dans sa chair. 3. — CoNTRE CEUX QUI NE SUPPORTENT PAS LES RÉPRIMANDES (36)

Le discours Contre ceux qui ne supportent bas les réprimandes peut être daté avec certitude du dimanche 2 janvier 382.

Grégoire se plaint en effet des désordres qui avaient eu lieu la (31) 492 B. (32) 4% C. (33) 493 C. sat ce «C’est en eflet sur les yeux

(35) 6)

492 B. PG, XLVI, 308 A-316 D.

que la prostitution décoche ses traits»

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veille, qui tombait un samedi, et il apparaît assez vite que ces plaintes visent les réjouissances du 1° janvier. Or seule l’année 382 a vu le 1” janvier coïncider avec un samedi ®?. . Ce sermon est extrêmement intéressant dans la mesure où il laisse entrevoir cet aspect un peu particulier de la charge épiscopale qu’est le maniement des sanctions ecclésiastiques. À l’origine de tout, il y a les fêtes de la veille et la part que les fidèles y avaient prise, malgré lui. L'année suivante, il aura encore l’occasion de se plaindre, à la même époque de l’année, de la façon dont ses fidèles suivent les usages païens relatifs à cette fête (9). Il faut y voir une preuve de leur peu de docilité à la voix de leur évêque et, somme toute, l'indice d’une conversion assez superficielle au christianisme : c’est en tout cas la conclusion qu'il en tirera d'une façon expresse %). Sur la nature précise des actes qui ont « déshonoré le samedi » (4, il n’est pas très explicite, Une seule et courte phrase les caractérise : «pour le ventre, le libertinage, la paresse et le sommeil tu trahis le don de ton Dieu et bienfaiteur » (4), Sans doute devons-nous comprendre que les fidèles se sont abstenus de venir à l'église et qu'ils ont banqueté. Qu'est-ce que Grégoire appelle au juste libertinage (axyvelx) ? Il faut nous résigner à l’ignorer. Il n’est pas aisé non plus de renconstituer le déroulement des événements et l'interprétation que nous en proposons demeure largement hypothétique. Retenons les deux bouts de la chaîne : le samedi, les fidèles ne sont pas venus à l'église et ont festoyé; le dimanche, l’évêque rappelle à la docilité des fidèles qui n’acceptent pas ses réprimandes ou ses sanctions : c’est donc qu'entre temps, Grégoire avait été tenu informé des agissements de certains, qu’il avait sévi à leur égard et qu’ils avaient eu l’occasion de manifester leur révolte. Tout cela s'est déroulé en moins de vingt-quatre heures. Grégoire a donc improvisé ce discours, auquel d’ailleurs aucune lecture liturgique ne fournit de point de départ. Il nous paraît probable que les coupables du 1” janvier se sont rendus à l’église le dimanche, qu’ils ont été accueillis à sa porte par l'évêque qui leur a signifié ses sanctions. Ces dernières n’ont pas été accueillies avec un esprit de soumission, mais ont, au contraire, suscité des mouvements de révolte. Ce sont ces événements, qui ont précédé immédiatement le début de la liturgie de la parole, (37) (38)

Daniélou, La chronologie des sermons, pp. 359-360. Dans le sermon Sur le jour des lumières, 577 B cf. infra, pp. 295-298.

La Lettre XIV, adressée à Libanios, ne parle que de l'usage d'échanger des cadeaux de nouvel an (éd. Pasquali, pp. 46-47). Sur ce sujet, voir le sermon d’Astérius d’Amasée, du 1 Janvier 400, PG XL, 210-225, et Jean Chrysostome, PG XLVIII, 953-962. (39) 577 B. (40) 309 B. (41) 309 C.

21e

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

allusion à la qui ont inspiré notre sermon. Le texte fait d’ailleurs dépassé la pas n’ont unes les nature des sanctions prononcées : ication ommun l'exc mais , légère ou réprimande (ériranëc), lourde e nous l’églis de a été aussi portée contre certains. « Si les portes Si ce (#), » s hémon blasp sont fermées pour nous retrancher, nous suite la , récent et t concre ment événe langage est inspiré par un une it refléta mais isolé, pas n’était qu'il era du sermon montr des te condui la de attitude assez répandue. Il donne, en effet, la par ée inspir être t saurai ne récalcitrants une description qui en chréti un Quand « punir. de venait qu'il seule réaction de ceux son attitude voit un prêtre manifester un peu plus de sévérité dans dit ouvertement, et son langage pour redresser la faute, il le contre ue et rues en publiq place rt parcou et dents il murmure entre ses se tenant linjuriant. Si on l’exclut de l'église, il dédaigne la prière, même

Il arrive ouvertement à l'écart du peuple et des mystères. quitte l'Eglise qu’il et ment châti ce par e qu'il ne se laisse pas abattr moins, les au Nysse A #). » ue... l'évêq contre dans sa colère nombre un dans es sanctions portées par l’évêque sont rejeté souvent nt refuse rues encou ont les appréciable de cas. Ceux qui , des public en ue l'évêq de nne perso la uent critiq de s'y plier, ils encore aille on réacti apostasies se produisent. I semble que la té. plus loin et que le principe des pénitences publiques soit contes n mptio préso la à due soit ) ouiv (&popi usion l'excl que « Ne crois pas de épiscopale (émioxomuñe abadelas) : c’est une loi qui nous vient la e dans nos pères, une règle ancienne de l'Eglise, qui a son origin (#4). » Grâce la dans rmée confi Loi et qui a été

il Grégoire estimait-il la situation avec réalisme ou faisaitfaute dire, le de preuve d’une sévérité excessive ? Il est dificile ral #). de moyens de contrôler ce témoignage unique et unilaté de révolte la dit nous il quand croire, le doute Nous devons sans partage le faire ses fidèles, mais, si nous n’avons pas les moyens de acquise des responsabilités, nous devons constater que l'influence asecclési cercle les dans ssante grandi té par l'évêque et sa notorié n réactio telle Une locale. é autorit son accru pas nt n'avaie tiques de vention l'inter nner de la foule doit nous inviter à soupço les considérations de ce genre ‘dans les difficultés rencontrées par es. invoqué ales doctrin es querell les e derrièr temps, du s évêque

Que l’évêque bafoué rappelle les fidèles à la docilité, rien n’est plus normal. Que la notion de docilité entraîne des comparaisons tirées de l’enseignement, on peut s’y attendre. Mais que l'évêque n’assigne pas d'autre modèle à ses fidèles que celui des plus petits

enfants, à qui toute initiative est strictement interdite, c'est un peu (42) 309 CD. (43) 312 B. (44) 313 A. (45) Grégoire se plaint de l'immoralité lettres à Eupatrios (Ep. XI et XID).

de la population

dans ses deux

SAINT GRÉGOIRE

plus gênant. Entre une assurément déplorable, même Bpépoc ), qui n’a rien de lettres tracés sur ses

DE NYSSE

273

attitude de «combattants insurgés» (49), et celle d’un enfant (appelé rulov et d’autre à faire que repasser les modèles tablettes par le maître 47), il y avait

peut-être un intermédiaire

à trouver.

Mais jusqu'à quel point

la docilité des écoliers était-elle susceptible d’être offerte en modèle ? Nous avons vu Basile nous présenter une image assez inquiétante de la vie des classes (4), On est donc un peu surpris d'entendre son frère utiliser les mêmes mots et le même exemple en les affectant d’un sens absolument opposé. « S'il arrive que sa paresse lui a valu de recevoir le fouet, les coups ne le rendent pas insolent et il ne s’en va pas en brisant les tablettes du maître » 4°). La contradiction totale qui apparaît entre Basile et Grégoire s'explique probablement par le fait que Basile pensait au comportement des grands élèves, dont la discipline était mal assurée, tandis que Grégoire, pour donner une image de docilité parfaite, est obligé d'évoquer l'exemple des plus petits (50), En toute hypothèse, ce sermon contribue à éclairer la discipline pénitentielle à l’intérieur des églises. Les lourdes peines peines prévues par les canons disciplinaires que nous connaissons doivent être mises en regard des réactions qu’elles entraînaient 51),

4, — LES DEUX SERMONS Sur l'amour des pauvres. Les deux sermons Sur l'amour des pauvres figurent parmi les œuvres de Grégoire les plus connues. Ils prolongent assez bien ce que Basile avait dit sur ce sujet. Le premier sermon nous fait voir tout un peuple de mendiants, le second décrit avec réalisme le malheur des lépreux mis au ban de la société (51), (46) 309 D. (47) Ibid. (48) Dans la huitième Homélie Diverse, H7 B. Cf. supra, p. 64: « Ne fais pas, disait Basile, comme les enfants insensés qui brisent les tablettes de leur maître lorsqu’il les réprimande ».

(49) 312 A. (50) Relevons un trait de mœurs : parmi les punitions en usage dans les écoles, il y a la privation de déjeuner, l'élève puni restant à l’école tandis que les autres rentrent chez eux pour le repas (312 A).

(51) Citons, par exemple, les trois lettres canoniques adressées par Basile à Ampbhilochios d’Iconium (Ep. 188, 199 et 217). (51*) Nous continuons à renvoyer à la Patrologie lorsque nous citons ces deux ouvrages, cependant le texte que nous traduisons est celui de la récente édition critique de A. van Heck, Gregori Nysseni de pauperibus amandis orationes duo, Leide, 1964. Ces deux sermons doivent être rapprochés des HD VI et VII de Basile, ainsi que du D. XIV de Grégoire de Nazianze. A. van Heck a montré (pp. 120-124), l’étroit parallélisme d’une partie du deuxième sermon (476-480 passim et 489 A) avec plusieurs passages du Discours XLIII de Grégoire

274

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

Le premier sermon Sur l’amour des pauvres %2) a certainement

été prononcé au cours d’un carême, l’allusion au jeûne nous en donne la certitude 5%. S'agit-il du carême de 382? Daniélou le pense, en se fondant sur deux traits de ressemblance entre notre discours et celui du 2 janvier 382. Ici et là, Grégoire développe la même comparaison entre la.pédagogie des maîtres d'école et celle du clergé. Ici et là, il applique à l’homme l'épithète de Aoyxés, qu’il emploie peu de façon générale (54). A dire vrai, l'amour des pauvres n’est pas le seul sujet abordé dans un sermon qui s’insérait dans une suite. Grégoire nous dit lui-même qu'il avait prêché « les deux jours précédents sur le goût du plaisir de la bouche et du ventre » 5), Cela nous montre que le sermon date vraisemblablement de la première semaine de

carême.

C’est au début de celui-ci que la prédication s'efforce de

faire entrer les fidèles dans la pratique du jeûne : «ne croyez pas qu'aujourd'hui encore je vais vous tenir les propos d'usage », déclare Grégoire, «j'en ai parlé suffisamment et vous avez manifesté la vigueur de votre détermination par des actes » (6), Il est évident que ce ne sont pas les sermons des deux journées précédentes qui avaient suffi à faire respecter le jeûne. Malgré les plaintes de Grégoire sur l’immoralité de ses fidèles, sa conduite à leur égard montre qu’ils observaient le carême de façon à lui donner satisfaction. Aussi bien, il en conclut que le moment est venu pour lui d'aller plus loin et de dépasser ce qu’il considère comme un enseignement élémentaire, «Puisque vous avez été formés aux premières connaissances, il convient d’aller plus loin et de vous faire désormais part de leçons qui sont plus importantes et qui demandent plus de courage » 57), Il s’agit de changer de plan, de s'élever de la maîtrise du corps à celle de l'âme. Le jeûne n’est que «le fondement de la vertu » 58. Comme on s'abstient d'aliments, il faut s'abstenir aussi des actions mauvaises et une première application pratique est proposée : il s’agit de la discipline de la langue 5%), 11 faut apprendre à bien user de la parole en parlant avec mesure et en évitant duretés et disputes. de Nazianze (869 A-876

A bassim

et 896 A).

S'il y a dépendance

d’un auteur

à l’autre, van Heck estime que c’est Grégoire de Nazianze qui est l’imitateur.

Dans cette perspective, nos deux sermons seraient antérieurs au 1% Janvier 382.

Mais l'éditeur néerlandais évoque une autre possibilité : chacun des deux Gré-

goires ferait à sa manière écho à une lettre perdue de Basile, où ce dernier aurait décrit la misère des lépreux en termes assez saisissants pour mériter

une citation.

(52) (53) (64) 65) 6) 67) (58) (59)

PG XLVI, 453 A-469 C. 456 C. La chronologie des sermons, pp. 360-361. 453 B. Ibid. Ibid. 456 C. 456 D.

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

276

Une citation d’Isaïe, à vrai dire assez maladroitement amenée, introduit le sujet véritable du sermon: « Pourquoi jeûnez-vous dans les disputes et les querelles et frappez-vous le pauvre à coups de poings ? » (@), En définitive 61), toute une première partie relative au jeûne spirituel s’insère entre l’exorde et le corps du développement qui va être consacré à l’amour des pauvres. Il ne faut pas sous-estimer l'importance de cette première partie, car elle nous aide à mieux saisir la place du carême dans la pédagogie chrétienne de l'époque. L'obligation du jeûne est comme une sorte de mise en condition de cette masse de simples catéchumènes qui constitue le plus clair des fidèles. A raison de deux sermons par journée, l’évêque et son clergé dispensent pendant quarante jours un enseignement suivi Le goût particulièrement marqué de Grégoire pour une pédagogie progressive se manifeste ici, mais il est probable qu’il ne fait que s'adapter à des usages largement répandus. Partant du jeûne, un enseignement moral est donné au début du carême. Une présentation de la Révélation, à commencer par la création, lui-fait suite pour culminer dans la nuit pascale. Temps de la catéchèse, le carême est conçu pour les catéchumènes. Placé à une époque de l’année où les travaux de la terre se relâchent, il s'adapte aux possibilités de populations en grande majorité agricoles, moins bien à celles des artisans des villes, nous l'avons vu (62), Il réunit uh ensemble de conditions qui l’apparentent à une véritable retraite annuelle,

Si la transition qui nous amène à l’amour des pauvres, sujet essentiel du sermon, n’est pas dénuée de maladresse, cette maladresse réside dans la seule expression (3). Non seulement le sujet est de ceux qui s’imposaient en pure logique, mais il faut encore prendre garde que son choix a été surtout dicté à Grégoire par des circonstances concrètes. « L'époque où nous sommes nous a apporté quantité d'hommes nus et sans logis. Une foule de prisonniers de guerre se trouve en effet devant chaque porte; étrangers et personnes déplacées ( ueravéorns ) ne manquent pas: partout on peut voir la main tendue qui mendie » (54, Nous nous trouvons, à n’en pas douter, devant les séquelles des invasions gothiques qui avaient commencé en Thrace sous le règne de Valens vers 377 et qui ne seront définitivement écartées qu’en 386. Le 7 février 381, Grégoire, qui faisait à Euchaïta dans le Pont

le panégyrique du martyr saint Théodore, disait que les Goths s'étaient approchés l’année précédente du martyrium de Théodore

et qu'ils étaient encore menaçants (65). Nous savons que vers 377 (60) (61) (62) (63) (64) (65)

Is. 453 Cf. 457 457 737

LVIII, 4 (457 A.) B-457 A. supra, p. 49. A. AB. A et 748 B. Cf. infra p. 305.

LA

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PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

on avait voulu faire passer en Asie mineure des Goths qu’on avait précédemment admis à se fixer près d’Andrinople, en particulier des enfants destinés à servir d'otages. Probablement au début du règne de Théodose, le maître de la milice Julius fit un carnage de ces otages devenus dangereux (5), Sans doute étaient-ce ces Goths révoltés qui avaient ménacé le sanctuaire de saint Théodore et, leur révolte réprimée, ce qui en restait était réduit au vagabondage et s'était répandu jusqu'à Nysse. Une imprécision gênante du langage nous empêche d’être tout à fait certains que les mendiants sur lesquels l’évêque veut apitoyer ses concitoyens sont des Goths. « Etrangers et personnes déplacées (ueravéorns ) ne manquent pas» : cette expression pourrait aussi englober des habitants des provinces voisines réduits au vagabondage pour desraisons variées. Il nous semble cependant que les termes de la famille de ostyw suggéraient leur qualité de réfugiés. Quoi qu’il en soit, les ennemis d’hier ne sont plus que des malheureux qui ont droit à la pitité des habitants d’une ville où ils sont nombreux. « Pour maison, ils ont le plein air ;pour auberge, les portiques les rues et les endroits moins fréquentés de la place publique. A la manière des hiboux et des chouettes, ils se tapissent dans les trous. Leurs vêtements, ce sont des haïllons tout couverts de trous » (67). Ils n’ont pas d'autre moyen de gagner leur nourriture que le bon plaisir de ceux qui auront pitié d'eux. Grégoire demande donc expressément

à ceux

qui l’écoutent

de donner

à ces

hommes

«maison, lit et table » (68). Mais il y a une catégorie de pauvres qui doivent être secourus, « ceux qui sont malades et couchés » (%). «L’indigent malade est doublement pauvre », car il ne peut pas quêter de porte en porte comme ceux qui sont valides. Peut-être doivent-ils au fait qu’ils ne sont pas comme les précédents des réfugiés de fraîche date des conditions de logement un peu meilleures, puisqu’au lieu des rues ou de trous, ils ont « l’étroitesse de leurs gîtes et de leurs recoins » (0), Aussi bien, il ne s’agit pas de les loger, mais de leur apporter ce que l’on peut. « Que chacun s'occupe de ses

voisins » (11), cela signifie que les pauvres demeures des misérables dont il s’agit sont, à Nvsse, mêlées aux palais des riches. Ce qui confère à ces malades pauvres une éminente dignité, c'est, dit Grégoire, qu'il ont «revêtu le visage de notre Sauveur » (2), Relevons ici une comparaison de nature à intéresser l'historien des mœurs. Elle intéresse l'usage des images (66) Ammien, XXXI, 16, 8 et Zozime, IV, 26. (67) 457 B. (68) 457 CD. (69) 457 D. (70) 460 A. (71) 457 D. (72) 460 B.

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

277

impériales. « Dans son amour des hommes, (le Christ) leur a prêté son propre visage pour qu’à travers lui ils fassent perdre contenance à ceux qui manquent de compassion et qui haïssent les pauvres, comme les hommes qui se font des images impériales une protection contre ceux qui leur font violence afin que l'effigie du prince décontenance celui qui les dédaigne » (3). Ce texte nous paraît se rélérer à la situation des voyageurs victimes d’une agression de la part de bandit de grands chemins. Ils ne pouvaient guère compter en général sur une poursuite de leurs agresseurs de la part des autorités. Ceux-ci d’ailleurs ne l'ignoraient pas. Mais, en se couvrant des images impériales, les victimes contraignaient leurs assaillants, soit à renoncer, soit à endosser l'accusation supplémentaire de crime de lèse-majesté, que les autorités locales étaient obligées de poursuivre avec la dernière rigueur. En disant que le Christ «a prêté son propre visage aux pauvres », Grégoire voulait inviter ses auditeurs à leur manifester le même respect qu’à un souverain. Il se fondait sur la description du Jugement dernier, telle qu’on peut la lire dans saint Mathieu, XXV, 31-46 : « J'ai eu faim, et vous m’avez donné à manger... ». Cette évocation ne s'arrête pas là et Grégoire décrit le Jugement comme une véritable vision qu’il aurait eue sous les yeux (4. Le deuxième sermon Sur l'amour des bauvres présentera un développement parallèle. C’est donc un sujet sur lequel sa pensée aime à s'arrêter, et il est probable qu’il en avait déjà entretenu son auditoire à plusieur reprises : «c’est à cause des pauvres que le redoutable tribunal de Dieu nous a été décrit, dans les évangiles, comme vous l'avez entendu bien des fois» (15), La prédication de Grégoire insistait donc sur deux thèmes liés : l'amour des pauvres et la crainte du Jugement dernier. Il est probable que les deux sermons qui nous restent sur l’amour des pauvres ne sont que de faibles vestiges de ce qu’il a dit sur ce sujet. Son insistance à provoquer la crainte du châtiment et le désir des récompenses prête à bien des réflexions. Pour pouvoir en apprécier la portée. il faudrait savoir dans quelle mesure d’autres considérations équilibraient cette leçon et la complétaient, dans quelle mesure aussi elle était présentée aux diverses époques de l’année. Il nous semble qu’un tel enseignement, particulièrement adapté à des commençants, trouvait bien sa place au cours des premières semaines de carême. Mais il n’y a là qu’une simple présomption. D'ailleurs les éternels commençants qui constituaient la masse des fidèles de l’époque avaient sans doute besoin de l’entendre répéter tout au long de l’année. On peut seulement se demander si la composition de'ces auditoires, qui contraignait leurs prédica(73)

460 C.

(74) 460 D-461 A. Sur ce passage et l'amour des descriptions manifesté par son auteur, voir A. van Heck, pp. 82-83.

(75) 460 C. A. van Heck, p. 82, n’énumère pas moins de treize passages où ce thème apparaît chez Grégoire de Nysse.

278

LA PRÉDICATION DES PÈRES

CAPPADOCIENS

teurs à insister plus que de raison sur la morale élémentaire et la crainte, n’a pas pesé lourdement sur l’évolution ultérieure de la spiritualité, les sermons qui leur étaient destinés servant de guides et de modèles à d'innombrables générations de prédicateurs. C’est à un autre sentiment humain que l’évêque fait appel, quand, avec beaucoup de sens psychologique, il laisse entendre aux plus riches que l'argent qu'ils dépensent dans l’organisation de spectacles pour assurer leur popularité peut être employé avec le même résultat à l'assistance aux pauvres. « De même en effet que les organisateurs de spectacles de vanité signalent au son de la trompette leurs libéralités et annoncent à tous les gens de la palestre qu'ils distribuent leur fortune, de même la bienfaisance attire à elle tous les hommes qui sont dans les difficultés et les épreuves, donnant à ceux qui se présentent, non pas des récompenses pour les coups reçus, mais les soins que demandent leurs malheurs » (6). Nous avons entendu Basile tenir le plus radical des langages, tout superflu appartenant, à ses yeux, de droit aux misérables (77. Grégoire biaise davantage. C’est aux plus riches qu’il s’adresse surtout, puisqu'il déclare que « comme le courant issu d’une source unique enrichit de nombreuses plaines étendues, l’abondance d’une seule maison peut suffire à sauver des nations entières de pauvres » (8). Il ne leur demande pas de tout donner, mais seulement de faire aux pauvres une part. «Ne nous approprions pas tout ;que les pauvres que Dieu aiment aient aussi leur part. Tout appartient à Dieu qui est le père commun. Nous sommes pour ainsi dire des frères issus d’une même famille : que des frères aient part égale à l'héritage, c’est parfait et cela est plus conforme à la justice. Mais à défaut, si l’un ou l’autre s’approprie la plus grosse part, que ceux qui restent gagnent au moins leur portion. S'il y avait quelqu'un pour prétendre s'approprier absolument tout et refuser à ses frères jusqu’au tiers ou au cinquième de l'héritage, cet homme serait un tyran féroce, un barbare inaccessible à la conciliation, un rapace...»(9).

Une fois posé ce principe, un diptyque va suivre, dont les éléments nous sont déjà familiers. A la description de la profusion dont jouissent les riches succède l’ecphrasis des misérables dénués de tout. C'est d’abord une table abondante et recherchée où affluent viandes, oiseaux, poissons de toute taille, de tout prix (80). (76) 461 B. (72 HD VI, PG XXXI, 276 B-277 A. (78) 464 CD. (79) 465 B. (80). 465 C-468 A. On pourrait être surpris de voir figurer dans cette liste

des coquillages, des seiches et des poulpes qui ne pouvaient provenir que de la Mer Noire au prix d’un long voyage. Cependant, on sait que Rome recevait des conserves de poissons d'origines diverses et, en particulier, de Bithynie,

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

279

Le luxe des maisons et des mobiliers ou des spectacles qui accompagnaient les banquets est déjà connu de nous 8). Nous avons rencontré aussi ces convives qui « vomissent leur nourriture comme des bateaux surchargés» tandis que leurs voisins « s’endorment à table à côté de leur coupe » @2), Enchâssée à l'intérieur de ce tableau, surgit la brève et brutale image des « milliers de Lazares qui se tiennent auprès du porche » de la maison où se déroule une telle scène. «Les uns sont couverts d’ulcères, d’autres ont perdu un œil, d’autres encore sont amputés des pieds. Certains rampent tout à fait, car ils ont subi lamputation de tous leurs membres. Ils ont beau crier, on ne les entend pas. Ce qui empêche de les entendre, c’est le bruit des flûtes, ce sont les airs qui viennent tout seuls aux lèvres, ce sont les gros éclats de rire. Et s'il secouent un peu trop les portes, le portier arrogant d’un maître sans pitié bondit d’un endroit quelconque et les chasse à coups de verges, en les traitant de chiens et en

sillonnant leurs plaies de coups de fouet. Alors ils s'éloignent, les amis du Christ... » (83), Un sermon de ce genre peut bien utiliser les procédés de style répertoriés par les maîtres de la seconde sophistique, il est clair qu’il les maîtrise, bien loin de se laisser conduire par eux @4, Il nous montre en Grégoire un grand maître de la prédication, je veux dire un homme qui a su, en mêlant étroitement les idées, les images et les sentiments, créer une émotion, qui a été capable de tourner cette émotion vers une action efficace parce qu’il connaïissait la façon de vivre et de sentir ceux qui l’écoutaient, et qu’il avait les yeux ouverts sur ce qui se passait dans les rues de sa ville En ce début du carême de 382, les chrétiens de Nysse avaient affaire à un maître.

S'il est exact que le deuxième -sermon Sur l'amour des pauvres 85) «ne contient pas d'indication qui permette de la dater avec certitude », nous ne sommes pas convaincus par les arguments qui ont poussé le P. Daniélou à proposer, fût-ce « de façon très hypothétique » le Carême de 384 (9), Que nous ne possédions aucun

sermon

pour cette année n'apporte pas un commencement

de preuve que celui qui nous occupe soit fait pour combler la lacune constatée. Il n’est pas du tout sûr non plus que le ton de de Byzance et de la Mer Noire, ainsi que des conserves d’huîtres écaillées et lavées au vinaigre. Il y avait aussi des parcs à huîtres dans les lacs. Cf. J. André, L'alimentation et la cuisine à Rome, Paris, 1961, pp. 108, 113 et 114.

(81) 468 À et B. (82) 468 D. (83) 468 C. (84) Cf. la thèse de Méridier, L'influence de la seconde sophistique sur l'œuvre de Grégoire de Nysse, Rennes, 1906.

(85) (86)

PG XLVI, 472 A-489 B. Daniélou, La chronologie des sermons, p. 364.

LA

280

ce sermon

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

soit «moins âpre» que celui du précédent (7. Il est

d’aubien vrai que la description de la misère n’est accompagnée er demand se peut on mais riches, des l'égard à dure cune parole faisait sermon ce que si précisément il n’y a pas là une indication er. suite à un discours qu'il ne faisait que prolonger et complét qu’une plus ndre d'attei plus non flatter nous sans A dire vrai, Sur présomption, nous croirions volontiers que les deux sermons proches assez dates des à s l'amour des pauvres se sont succédé l’une de l’autre. C’est le P. Daniélou qui a montré que l'usage du est mot Aoywés pour désigner le caractère raisonnable de l'homme du s discour du voisin est un indice que le premier sermon notion la mot, du défaut à Or, (8). ande réprim 2 janvier 382 sur la figure aussi dans le deuxième sermon (8), D'autre part, c’est le même passage de saint Matthieu qui fournit à l’orateur son point de départ. Il est vrai que sa lecture revenait peut-être chaque année à la même époque, aussi l'argument n’aurait guère de poids sil était isolé. Mais on doit prendre garde à l’insistance que met Grégoire, dès ses premiers mots, à présenter son-sermon comme la reprise d'un thème déjà évoqué par lui. «Une fois de plus, je m’adonne à la contemplation de la terrible manifestation du roi décrite par l'Evangile; une fois de plus, mon âme est saisie de crainte » 0) : ce sont les mots qui introduisent une nouvelle fois la vision du Jugement dernier. Il nous semble que ce langage signifie que l'évocation du Jugement qui figure dans le premier sermon était encore dans l'esprit des auditeurs. Si ce sermon complète le précédent, on s'explique mieux qu’il ne contienne aucune allusion au jeûne du carême, qu'il ne répète pas à l’intention des riches les reproches déjà suffisamment exprimés. Remarquons aussi que le contenu de ce sermon s'adapte admirablement à celui du précédent. Nous avons vu que Grégoire parlait dans son premier sermon de deux catégories de pauvres : les vagabonds réduits à la mendicité, les malades confinés dans leurs masures. Ici, il va être question d’une troisième catégorie de misérables, les lépreux, malades et condamnés au vagabondage parce qu’ils sont, à la différence des premiers, exclus des villes. En définitive, les deux sermons se complètent si bien qu’ils nous paraît probable qu’ils se sont succédés à peu de jours de distance (1). La considération du Jugement dernier n'apparaissait que vers le milieu du premier sermon (% ; ici au contraire la lecture du passage évangélique a précédé le sermon et le prédicateur entend l'expliquer. Il évoquera d’un mot pour les écarter aussitôt plusieurs

(87) Ibid,

(88) Ibid., p. 361. (89) (90)

-

477 A, 481 B. 472 A.

(91) Cf. également (92) 460 D.

infra, n.

97.

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

281

questions soulevées par le texte % pour se limiter dans son sermon à l'examen d’un seul point : «comment ne pas être repoussés au rang des réprouvés, c’est le sujet sur lequel je vais, dans la mesure du possible, orienter mon discours en vue de l'utilité commune » ®%#. La réponse appelée par cette question étant contenue dans le texte évangélique («J'avais faim, j'avais soif... »), Grégoire en fait immédiatement l'application aux lépreux. La première partie du discours n’est pas autre chose qu’une longue description de la situation matérielle et morale des

lépreux. Cette description occupe près de la moitié du sermon (5) : elle est ponctuée de brefs commentaires. «Tu vois un homme transformé par la malignité de la maladie en une silhouette à quatre pattes, appuyant les paumes de ses mains non sur des sabots ou des griffes mais sur du bois, imprimant sur les routes des hommes une trace nouvelle... Le souffle épais et rauque, il tire avec peine de l'intérieur un grondement qui vient des entrailles... Ses mains lui servent de pieds, il marche sur les genoux et les organes naturels de la marche ainsi que les chevilles ou bien disparaissent complètement, ou bien, comme des chaloupes attachées à un navire pendant à l’aventure et se traînent au gré des circonstances » (6), Aux stigmates de la maladie s’ajoute le vagabondage : «tu vois des hommes nomades, dispersés en quête de la nourriture qui leur est nécessaire comme des bêtes au pâturage: des haïllons couverts de trous, voilà leurs vêtements: un bâton dans les mains, voilà ce qui les arme, voilà ce qui les porte. Et ce dernier ne tient pas tout seul à leurs doigts : il est attaché à la paume de la main par des courroies ; une besace en lambeaux et un morceau de pain moisi et pourri: foyer, maison, lit, couche, resserre à provisions, table, tout ce qui est nécessaire à la vie se réduit à

cette besace » (97), Pour être émouvant, le tableau de cette misère et de cette déchéance ne nous éloigne pas beaucoup des propos déjà entendus de la bouche de Grégoire ou de ce que nous pouvions attendre sur un tel sujet. Plus instructif est ce qu’il nous apprend de la condition sociale des lépreux. «Chassés de partout, ils forment une population à part » %). Ce n’est pas là une simple façon de parler et Grégoire est assez explicite pour que l’exclusion des lépreux nous apparaisse comme une pratique générale, fruit d’un ensemble de mesures concertées. «Ils disent comment leurs parents les ont repoussés, alors qu'ils n’avaient commis aucune faute ;comment on les chasse des villes, on les chasse des réunions publiques, des fêtes et des assemblées, condamnés comme des (93) (94) (95) (96) (97) (98)

472 473 473 476 477 477

C-473 A. A. D - 480 D. A et B. A. B.

282

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

meurtriers ou des parricides, à l'exil perpétuel. Ou plutôt, ils sont beaucoup plus malheureux que ces derniers encore: si du moins les meurtriers peuvent mener leur vie ailleurs avec des hommes, eux sont les seuls d’entre tous les hommes à être chassés de partout comme s'ils avaient été déclarés ennemis publics. On ne les juge dignes ni d’un même toit, ni de la table commune, ni d’user des mêmes ustensiles » %). L’exclusion des lépreux est donc pratiquée aussi bien par les familles que par les cités. Cette exclusion concerne en particulier l’accès aux points d'eau, sources et rivières (10), Rejetés des villes et des maisons, les lépreux se groupent pour s’entraider (91), «Souvent, dit Grégoire (et on aimerait connaître l’exacte valeur de cet adverbe), j'ai pleuré sur ce triste spectacle, souvent j'ai désespéré de la nature humaine elle-même et ce souvenir me bouleverse mamtenant. J’ai vu une . souffrance pitoyable, j'ai vu un spectacle plein de larmes : des hommes gisent le long des routes passantes, ou plutôt ce ne sont plus des hommes, mais de malheureux restes de ce qui fut un jour des hommes » 4%), Si ce spectacle est habituellement épargné aux auditeurs de Grégoire, il s'offre donc à eux «le long des routes » à l’occasion des voyages qu’ils peuvent faire. Grégoire décrit avec un pathétique cru qui confine à l’horreur ces troupeaux de corps gangrenés (9%), Relevons simplement un détail de cette descrip-

tion : «un autre, dit-il, présente un ventre enfîlé » 4%), Nous avons rencontré ce trait chez Grégoire de Nazianze 495), Pas plus que là, il ne s’agit ici d’un symptôme de la lèpre, mais bien d’une consé_quence de Ia faim poussée jusqu’au dernier degré. Il n’est pas surprenant, après tout, que des malades tenus à l’écart de tous les lieux habités aient été livrés à la famine.

Toute la première moitié du sermon est consacrée, avons-nous dit, à décrire de façon pathétique le malheur des lépreux. Alors seulement, le prédicateur entre dans l'examen des remèdes susceptibles de latténuer. « Qu’on ne nous dise pas : il suffit de leur distribuer de la nourriture en les installant dans quelque coin reculé à l’écart de l’endroit où nous vivons » (4%), La façon même dont une telle solution est évoquée donne à penser qu’elle ne constitue pas une hypothèse gratuite de la part de l’orateur. Ou bien elle était effectivement proposée par certains, ou bien elle était déjà mise en pratique ici ou là. Si nous prêtons attention aux paroles de Grégoire, nous verrons que certams s’occupaient (99) (100) (01) (102) (103) (104)

477 477 480 477 480 480

CD. D. CD. D -480 A. AD, 484 D. D.

(105) Dans le D. XXXVI, bre 380. Cf. supra, p. 198.

(106)

481 A.

prononcé à Constantinople au début de décem-

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

283

déjà des lépreux. « Combien d'hommes, dira-t-il plus loin, peut-on voir s’adonner depuis leur jeunesse jusqu’à leur vieillesse aux soins de ces gens-là, sans rien perdre par un tel zèle de leur bonne santé ? » 49), Etant donné qu'il ne s’agit pas d'initiatives temporaires ou isolées, c’est probablement aux moines que fait allusion Grégoire. Déjà nous avions renconré chez Grégoire de Nazianze un indice qui allait dans le même sens, puisque on entendait la mère d’un lépreux, déplorant la solitude et l'abandon qui allaient être le sort de son fils, ajouter « parmi les hommes, seuls les plus

pieux te verront » (98), La Basiliade accueillait-elle les lépreux ? Nous n’en savons rien. D'ailleurs la Basiliade était édifiée aux portes de Césarée, tandis que la solution écartée par Grégoire aurait consisté à dresser des édifices du même genre dans des endroits déserts. Il est évident qu’une telle mesure revenait à faire du soin des lépreux la spécialité de certains chrétiens seuls en contact avec eux, les riches se contentant de donner argent ou ravitaillement. En combattant la crainte de la contagion et le dégoût d’un tel spectacle, Grégoire poursuit, somme toute, deux buts différents. Il veut éviter la mise à l'écart des lépreux et adoucir le plus possible leur sort; il veut aussi, semble-t-il, écarter l'apparition ou la consolidation d’une sorte de clivage entre deux catégories de chrétiens, les uns venant en aide non sans héroïsme à la misère, les autres contribuant de loin et par leur argent seulement aux entreprises des premiers, d’autres enfin (et ce sont les

plus nombreux) que la division du travail entre les précédents Toutes ces dispenserait de toute contribution personnelle. intentions étaient-elles présentes à l’esprit de l’évêque ? On ne saurait l’affirmer, une parfaite lucidité et une logique totale étant choses très rares dans l'action. Dans quelle mesure fut-il écouté ? Là aussi, nous devons nous résigner à une complète ignorance. Ces cinq sermons moraux appartiennent vraisemblablement tous à la période du Carême et très probablement aux premières semaines, pendant lesquelles les prédicateurs s'efforcent d'obtenir une transformation morale de leurs auditeurs, avant de leur donner un enseignement doctrinal fondé sur l'explication systéma-

tique de l’Ecriture.

Plus ou moins remaniées, de telles homélies

sont à l’origine des grands commentaires scripturaires de Grégoire. Celles que nous venons d'étudier nous permettent de saisir sur le vif l’action moralisatrice de sa prédication. (407) (108)

485 C. Cf. supra, p. 105.

CHAPITRE

II

Les sermons du temps de Pâques et de la Pentecôte

Il y a, nous l'avons vu au précédent chapitre, une sorte de hiatus dans la prédication de Grégoire entre les débuts du Carême et la fête de Pâques. Celle-ci a inspiré trois des sermons qui nous sont restés. Une autre lacune, moins grave il est vrai, apparaît en ce qui concerne la semaine pascale. Peut-être cependant un des sermons que nous possédons se rattache-t-il à ce moment de l'année ©. L’Ascension et Pentecôte constituent respectivement le thème d'un sermon. 1. —

LES TROIS SERMONS

DE PAQUES.

Les trois sermons de Pâques ont été datés par le P. Daniélou

d'une

façon qui emporte

l'adhésion 4”.

Le premier

date du

21 avril 379, le second du 17 avril 382, le troisième du 9 avril 388. On serait tenté de se demander pour quelle raison Grégoire a cru bon de publier trois discours sur le même sujet, si leur analyse ne laissait apparaître les motifs qui ont pu le guider. Déjà l’importance absolument essentielle de la fête de Pâques aurait, à elle seule, pu suffire à légitimer un traitement privilégié. La longue veillée nocturne, la réunion du jour même de Pâques fournissaient plusieurs occasions de prêcher. Aussi bien, il semble que nos trois sermons ont été prononcés à des moments différents de l’action liturgique. Comme ils n’appartiennent pas à une seule et même série continue, les indices qui nous permettraient de les situer chacun à sa place sont ténus et peu déterminants. Le premier sermon nous semble dater du jour même de Pâques 2), le troisième se situe à la jonction du samedi et du dimanche : extrêmement bref, il constitue moins un sermon qu’une proclamation pascale %), Quant au sermon de 382, il a été prononcé, comme le précédent, pendant la nuit, mais il n’est pas possible de dire à quel (1) (1) logie des (2) (3) (681 AB).

Il s’agit du court sermon Sur l'Octave (PG XLIV, 608 C- 616 B.) PG XLVI, 652 D -681 A; 600 C-628 B; 681 A-684 C. Cf. La chronosermons, pp. 350-351; 361-362; 369-370. «Le Christ est ressuscité aujourd’hui » (656 B) ; « aujourd’hui» (652 D). «Le vrai repos du sabbat... est désormais arrivé à son terme» « La nuit s’achève et le jour paraît » (681 C).

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

285

moment précis de la veillée il se situe (4. Peut-être recèle-t-il une allusion à la présence des nouveaux baptisés ; il s'achève en tout

cas sur l'annonce de la liturgie eucharistique ®.

En un certain

sens, ces trois sermons se complètent donc, puisque chacun d’eux illustre peut-être une phase particulière du déroulement des cérémonies, mais on retiendra surtout que, malgré la grande proximité des circonstances et l'identité profonde des sujets traités, bien peu de redites apparaissent d’un sermon à l’autre. Ce qui saute aux yeux, c’est au contraire, la variété des thèmes développés. Le sermon de 379 est presque entièrement consacré à l'examen d’une question, la résurrection des corps, ainsi que des doutes ou des critiques soulevés par cette croyance. Quant au sermon de 382, après avoir montré que tous les traits du mystère pascal étaient préfigurés dans l'Ancien Testament (), il pose et résout successivement cinq problèmes différents. Ce sont : 4) la signification du délai de trois jours qui s’est écoulé entre la Passion et la Résurrection (® ; 2) la solution de cette difficulté : comment le Christ peut-il être en même temps au cœur de la terre, en Paradis avec le brigand et dans les mains de son Père ? @) ; 3) pourquoi la Pâque chrétienne ne suit-elle qu’en un point les prescriptions judaïques ? (10) ; 4) pourquoi le Christ devait-il mourir sur la croix ? (1; 5) quel est le sens du geste de Joseph d’Arimathie ? (12), En définitive, ces trois sermons se complètent parfaitement, chacun concourant à illustrer un aspect différent de la fête de Pâques.

Sur la fête elle-même, nous n’apprendrons rien qui ne soit connu par ailleurs (%, Mais le contenu d’un sermon tel que celui de 379 ne laisse pas d’apporter au lecteur moderne une certaine perplexité, La plus grande partie de ce sermon est, nous l’avons dit, consacrée à l’élucidation d’un seul point, la résurrection des morts. Ce n’est pas que le choix d’un tel sujet soit déplacé un jour de Pâques, mais on peut se demander si la façon dont Grégoire laborde était de nature à répondre aux besoins des fidèles qui se trouvaient en face de lui. Le recours à des arguments de pure (4) Il fait encore nuit (601 B). (6) 601 A. Cf. infra, p. 287. (6) 625 BC. (7 600 C-608 C. (8) 608 C-613 C. (9) 613 C-617 C. (10) 617 C-621 B. (11) 621 C-625 B. (2) 625 B-625 C. (43) Si ce n'est que la solennité de la fête de Pâques est telle que toute activité cesse: les routes sont vides de voyageurs, la navigation s'arrête, les travaux des champs sont suspendus, les boutiques fermées (657 A). Les families se réunissent (657 B). |

286

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

raison n'était pas fait pour les décevoir, mais l'emploi d’un terme du genre de oëslwax était-il bien indiqué devant un public aussi mêlé que celui d’un jour de Pâques ? 4. Il est difficile de cerner exactement les motifs complexes qui avaient poussé Grégoire à évoquer un tel problème. Sans doute, il insiste de bien des façons et à plusieurs reprises sur lobligation où il se trouve de répondre à des adversaires (évavrioi) (9) qu’il appelle des esprits inquiets (moavrpayuévec ) (16), -des hommes atteints par le doute (éupBéovres) (7) ou encore des amis de la discussion et de la querelle

(œuéveixo, éprorumüs éxovrec) (18)

ou

des

contradicteurs

(&vruéyovres) (19), Une telle véhémence dans la défense signifie-t-elle qu'un doute frondeur se répandait parmi les fidèles de Nysse ? Peut-être. Mais le caractère spéculatif d’une position qui mettait en doute la résurrection des corps, tout en admettant la survie de l'âme nous oriente dans une direction différente. En vérité, on n'échappe pas à l'impression qu’on a affaire à un intellectuel qui profite du public qui est rassemblé devant lui pour régler leur compte aux auteurs qu'il vient de lire dans son cabinet (20), Est-ce à dire que nous nous trouvions simplement devant les distractions d'un érudit oublieux des réalités ? Il faudrait, pour pouvoir affirmer, connaître à partir d’autres documents les intérêts de ceux qui l’écoutaient. L’attrait de la spéculation intellectuelle paraît avoir été assez répandu parmi les chrétiens de

l'époque, même si l’objet de ces spéculations dépassait les capacités de ceux qui le ressentaient. Après tout, pour de tels auditeurs l’offrande de ce t#rmux (21) constituait un beau cadeau de Pâques de la part de leur évêque. De ce point de vue, le sermon de 382 devait les combler, puisqu'il consistera à poser et à résoudre cinq Enrauara successifs. En définitive, une telle prédication répondait sans doute à l’attente du public, elle flattait ses goûts : il est moins sûr qu’elle ait répondu à ses besoins véritables.

Notons que si l'évêque est capable d’user d'autorité, si le docteur a le plus souvent conscience d’enseigner des vérités qui ne souffrent pas discussion, il lui arrive de proposer ses solutions

personnelles en les soumettant au jugement des auditeurs. Après avoir proposé une explication du délai de trois jours qui sépare la Passion

du Christ de sa Résurrection,

il déclare : « Ai-je raison ; L

(4) 665 A. (5) 673 C. (6) 665 A. 42 665 C. (18) 665 D; 676 D. (49) 673 B. (20) Ceux-là même avec qui il venait de se mesurer, quand il composait, les mois précédents, son Traité sur la création de l'homme. Cf. Daniélou, op. cit., pp. 350-351. (21) 661 B. Le mot reviendra fréquemment, sous une forme ou l’autre, dans le sermon de 382.

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

287

ou tort ? Il appartiendra aux auditeurs d'en juger. Je n’énonce pas une définition ( érépaois ) : j'étudie un problème et je cherch e

Sa solution ( youvacl xal Efrnai )» (22). La réserve et la modestie

d’un tel langage n’ont pas tout à fait la même portée, nous semble-t-il, si l'évêque parle devant son propre troupe au ou sil a été amené à prendre la parole en tant que prédicateur de passage

devant un autre prélat, Or une phrase de l’exorde du même sermon semble bien conseiller la deuxième solution. Faisant allusion à la promesse faite par Dieu à Abraham d’une descendance aussi nombreuse que les astres du ciel, Grégoire affirma it

que le spectacle qu’il avait sous les yeux au moment où il parlait consacrait la réalisation de cette promesse : «Tu vois les astres du ciel, je veux dire ces astres que notre père a fait se lever tout à l’heure et qui ont soudain fait de l'église un ciel : la grâce de leurs âmes brille, manifestée par les rayons des flambeaux » (23),

Il s'agissait de l’arrivée dans l’église, au cours de la veillée, de ceux que l’évêque venait de baptiser. Il est donc probable que ce sermon a été prononcé ailleurs qu'à Nysse, à Constantinople, Césarée, ou Sébaste peut-être, On s’expliquerait mieux que prêchant dans une très grande ville dont les goûts intellectuels nous sont connus, Grégoire ait donné à son sermon un tour spéculatif accusé et qu'il ait jugé normal, par exemple, de soulever une question que se posaient «les plus studieux (pouxBéorepor ) » (24), Dans cette perspective, nous nous trouverions en présence d’un effort caractérisé du prédicateur pour s'adapter aux goûts de son public. 2. —

L'ASCENSION.

Il y a bien peu à glaner du point de vue qui nous occupe dans le sermon sur la fête de l’Ascension, qui constitue probablement le plus ancien témoignage de l'existence de cette fête (25). Grégoire n’hésite pas à lui donner de l'importance en la qualifiant de « grande fête » (26), Malgré cela, son sermon est extrêmement breî et l'événement de l’Ascension du Christ n'y est directement évoqué nulle part. Le passage des Actes qui le raconte ne fait l'objet d’aucune citation, d'aucune allusion non plus. Les deux colonnes de la Patrologie auxquelles sé réduit ce sermon ne contiennent qu’un commentaire abrégé des Psaumes XXII et XXIIL, orienté par la considération du retour du Christ auprès de son Père. Une telle réserve donne à penser que nous ne sommes peut-être pas en présence du sermon principal donné ce jour-là, soit que Grégoire en ait été l’auteur et qu’il ne nous ait pas été conservé, soit qu’un autre prédicateur l'ait prononcé. (22) 612 A. (23) 601 A. (24) 613 D. (25) p. 370.

PG XLVI, 689-693

(26) 689 C.

D.

Cf. Daniélou, La chronologie des sermons,

LA

288

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

il le dit A dire vrai, la façon dont Grégoire résume, comme ée par orient moins paraît nous es lui-même (27), ces deux psaum aux sser s'adre de désir le par que nsion l'Asce Pévénement de XXII e Psaum du effet en nouveaux baptisés. La leçon qu'il tire accepter la est une leçon de .confiance devant le baptême. Il faut « Tout cela r. Pasteu bon du brebis r deveni mort du baptême pour du bon brebis apprend à l'Eglise que tu dois d'abord devenir ges et pâtura divins aux èse Pasteur, conduit par la bonne catéch et de lui avec li enseve d'être vue en ne, aux sources de la doctri ce n’est Car mort. telle une re craind sans me baptê le par mourir Au delà pas une mort, mais l'ombre et la figure de la mort» (#). ent confèr d’huile ion l’'onct et e istiqu du baptême, le banquet euchar tout que e signifi il XXII, e Psaum au Quand ). le la vie éternel ce cela n’a été rendu possible que par la venue du Christ dans joie la ive, définit En (9). rtée monde et la victoire qu’il a rempo es et nouvelle que l’exorde promettait de tirer de ces deux psaum à t-il, semblenous ait, consist ison pérora la au nouve à irme qu’aff récent me baptê leur de joie la montrer aux nouveaux baptisés que tisée par et de la vie nouvelle dont ils jouissent avait été prophé | David 62. Cette façon de traiter le sujet porte évidemment la marque e d'un homme que l'étude des psaumes préoccupait. L’exord en onnelle excepti tance d’ailleurs affirme avec insistance l'impor matière d'éducation spirituelle du livre des Psaumes : ils convien les toutes à « adaptés sont ils », l spiritue Âges les tous «à nent de catégories de progressants » (2). Daniélou a donc raison les sur Traité du tion composi la de rapprocher notre sermon Psaumes %). 3. —

PENTECÔTE.

De la même époque date probablement le sermon Sur le Saint-Esprit #. A peine un peu plus long que le précédent, il

constitue un commentaire du Psaume XCIV.

Non seulement cette

ressemblance le rapproche du sermon Sur l’Ascension, maïs on peut encore noter que les deux sermons sont introduits de la même

façon et en des termes extrêmement voisins les uns des autres En, (27) 692 C. (28) 692 A. (29) 692 B. (30) 692 C. (31) 689 C; 693 C. (32) 689 C. (33) Op. cit., pp. 370-371. très hypothétique. (34) PG XLVI, 6% A-701 (35) Cf. 689 C et 696 A.

Pourtant,

B.

la date proposée

(388) nous

paraît

SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE

.

289 ;

Le récit de la Pentecôte, tel qu'il figure au livre des Actes, est brièvement rapporté cette fois-ci 9), mais l'événement lui-même et la fête qui le commémore restent une fois encore au second plan. Le prédicateur a en effet choisi un sujet différent. Il n’a pas d'autre but que d’expliquer le Psaume XCIV considéré comme , une révélation de la divinité du Saint-Esprit, ou plutôt comme un texte qui ne prend son sens qu’une fois révélée la divinité de l'Esprit. Le choix de ce texte a, nous semble-t-il, un autre fondement que l'intérêt porté par Grégoire aux psaumes. La divinité du Saint-Esprit restait l'objet de vives contestations, elle faisait figure de nouveauté ®7) : il est à remarquer que, par une sorte de précaution de méthode, Grégoire commence son sermon par des considérations relatives au caractère progressif de la révélation divine, l'Evangile apportant en dernier lieu la révélation de la divinité du Fils et de lYEsprit 8), Montrer par l’exégèse d’un psaume que cette divinité était impliquée par l'Ancien Testament, c’est évidemment se défendre au mieux de l'accusation d'introduire des nouveautés. La façon dont Grégoire entretient ses auditeurs de la Pentecôte a donc pour but essentiel d’apaiser des craintes toujours prêtes à renaître. A défaut de leçons d’une portée plus ample, notre discours nous renseigne d’une façon précise sur le moment de la journée où il a été prononcé. «C’est à l’heure où nous sommes, si nous sommes bien aux environs de la troisième heure du jour, que s'est produite cette grâce indicible » (9), Ilest probable que les sermons qui étaient

prononcés

au

cours ‘de la matinée

l’ont été

à une

heure proche de celle-ci. Une notation de ce genre constitue la preuve que le texte de ce sermon n’a pas été remanié pour être

publié. (6) 697 CD. (37) 700 C -701 A. (38) 696 A-697B. (39) 697 D.

CHAPITRE

III

Le temps de Noël et de l’Epiphanie

Un véritable vide liturgique existe, au temps de Grégoire, entre la Pentecôte et Noël. Aussi ne nous reste-il aucun sermon de lui qui paraisse dater de cette période de l’année. Si une fête de martyrs lui a donné l’occasion de prendre la parole, son discours ne nous a pas été conservé et si sa prédication des dimanches a été reprise dans tel ou tel commentaire, il ne paraît pas possible de l'identifier. En revanche, la courte période qui va de Noël à l’Epiphanie est représentée par cinq sermons au moins. Daniélou a montré que les trois premiers, qui roulent respectivement sur Noël, la fête de saint Etienne et celle des apôtres Pierre, Jacques et Jean, datent des 25, 26 et 27 décembre 386; le sermon Sur le jour des Lumières remonte au 6 janvier 383 (1). Quant au sermon Contre ceux qui retardent le baptême, s’il date probablement de janvier 381, nous le situerions, plus volontiers que le 7, le jour même de l’Epiphanie ou encore le dimanche suivant, 10 janvier. Daniélou se fonde en effet sur la date attribuée par Gallay au sermon de Grégoire de Nazianze qui traite du même thème pour retenir la date du 7 janvier ©. Or nous avons vu plus haut que la date proposée par Gallay ne saurait convenir au sermon de Grégoire de Nazianze ®). Ajoutons que le 7 janvier 381 tombant un jeudi, le jour aurait été bien mal choisi pour adresser aux fidèles hésitants une invitation à recevoir le baptême sans plus tarder. A supposer que Grégoire ait prêché ce jour-là, son auditoire devait être des plus clairsemés. On ne choisit pas un jour’ où l'assistance est clairsemée pour lui adresser un message important. 1. — LE SERMON SUR LA NATIVITÉ 4),

La fête de Noël est à cette date une innovation encore récente en Orient, nous le savons, et c’est en Cappadoce qu’elle avait vu le jour ), C’est peut-être pour lui donner des lettres de noblesse que Grégoire recourt, dès ses premiers mots, à la typologie, (4) Op. cit., pp. 365-368; 362. (2) Ibid., pp. 353-355. (3) P. 205. (4) PG XLVI, 1128 A-1149 C. + . 6) C'est peut-être à Noël 361 que Grégoire de Nazianze avait reçu l’ordination sacerdotale (cf. supra, p. 9,6). En 380, le même Grégoire de Nazianze avait célébré la fête de Noël à Constantinople (cf. supra, pp. 199-201).

SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE

291

présentant la fête juive des Tentes comme sa préfiguration (. D'ailleurs, c'est bien en Cappadoce et à Nysse même que Grégoire prononce ce sermon. Au moment où il aborde le commentaire de Ilapparition des anges aux bergers dans la nuit de Noël, il déclare: «Si nous sommes vraiment pasteurs et si nous veillons sur nos propres troupeaux, c'est bien à nous que s'adresse la voix des anges qui nous annoncent la bonne nouvelle de cette grande joie » (), A plusieurs reprises, comme il lui arrive souvent, Grégoire se laisse entraîner à développer une idée pour elle-même, au-delà des proportions et des nécessités de son sujet. « Mais revenons à la joie présente », s’écrie-t-il une première fois 8). Un peu plus loin, il confesse: «nous nous sommes égarés bien loin de notre sujet » %., Plus loin encore il déclare : « Mais la bonne nouvelle annoncée par les anges nous invite à retourner à Bethléem » (0). Une fois encore, il s’apercevra que son echhrasis du massacre des Innocents détone un jour de fête et qu’il est temps de revenir « à des pensées plus joyeuses et plus en rapport avec une fête » (1), Ces réflexions montrent que le texte que nous lisons reflète fidèlement sa parole et qu’il ne l’a pas corrigé. A dire vrai, il s’écarte beaucoup moins de son plan que de telles formules ne le laisseraient croire et il n’est pas difficile de déceler la structure de son discours. Après une introduction qui proclamait la joie de Noël en

affirmant que l'Ancien Testament

l’annonçaït (2), une première

partie dégage le symbolisme de la date de Noël qui survient au moment où la nuit atteint sa plus longue durée comme le Christ était apparu lorsque le mal était parvenu à son comble 43), Une deuxième partie expose en détail tout ce qui préfigurait ou annon-

çait la naissance virginale du Christ #., Une troisième partie se présente comme une véritable contemplation de ce qui s’est passé à Bethléem (5). Grégoire s'inspire des apocryphes pour situer le personnage de la Vierge avant l’Annonciation (6), Chaque détail (6) 1128 AB. (7) 1137 B. (8) 1133 C. (9) 1137 B. (10) 1141 B. (41) 1145 D. (12) 1128 A - 1129 B. (13) 1129 B -1133 C. (4) 1133 C-1137 C. (45) 1137 C-1144 B. « Après avoir entendu ces paroles, transportons-nous à Bethléem, regardons ce spectacle nouveau : comment une vierge se réjouit d’avoir donné le jour, comment celle qui n’a pas fait l'expérience du mariage allaite son enfant » (1137 C). (46) «Mais auparavant, écoutons ceux qui nous parlent d'elle et nous disent qui elle était et d’où elle venait. J'ai entendu le récit d’une apocryphe qui nous expose à son sujet des faits que voici» (1137 D). Grégoire emprunte largement au Protévangile de Jacques (1137 D-1140 B) jusqu’à l’Annonciation, mais sa conception de la virginité in partu a la même origine.

t PRÉDICATION

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DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

de la Nativité se voit attribuer un sens symbolique (7. Une quatrième partie fait, il est vrai, figure de digression dans la mesure où Grégoire développe trop longuement et avec un pathétique extrêmement appuyé le massacre des Innocents (49. Les deux 49), prennent un tour apologétiqu e _ derniers développement la à t attribuan et Noël de joie la fois nouvelle une ant Proclam Nativité tous les effets de la Rédemption, il répond à une première critique : « Que personne n’aille imaginer qu’une telle action de grâces ne convienne qu'au mystère pascal, car il faut considérer que Pâques constitue l'aboutissement de l'économie : comment pourrait-il y avoir un aboutissement, si le commencement ne

?» (2),

l'avait précédé

Noël, explique-t-il,

prélude

à la vie du

Christ, à son enseignement et à ses miracles. Il est clair qu’une telle argumentation vise simplement à accréditer une fête encore récente et peu répandue en Orient. La dernière partie du sermon, qui lui sert aussi de conclusion, fait allusion à des critiques plus sérieuses. Il faut, dit Grégoire, se réjouir de Noël « sans craindre les reproches des hommes, sans nous laisser vaincre par leur mépris » 2), Ces adversaires nient en fait l’Incarnation elle-même,

«ils

tournent

dérision

en

l’organisation

de

l’économie,

sous

prétexte qu'il est inconvenant que le Seigneur endosse la nature du corps. et qu'il s'introduise par la naissance dans la vie humaine » (2. Les adversaires dont parle Grégoire sont évidemment des docètes. Comme il ne se contente pas de leur consacrer quelques lignes au passage, mais qu’il leur dédie au contraire un développement qui n’est pas sans ampleur, il faut en conclure que le docétisme restait vivant 23». Le développement de la fête de Noël constituait certainement la meilleure façon de l'empêcher : de prendre racine dans les esprits. (17)

L'époque

du

recensement

signifie

que

le Christ

vient

acquitter

à

. notre place l'impôt de la mort; la grotte symbolise la vie des hommes plongés _ dans l'obscurité, que le Christ vient illuminer; les langes annoncent les liens dont le Christ sera lié pour nos péchés ; le bœuf représente le sujet de la Loi et l'âne, le païen idolâtre; le Christ, pain du Ciel, vient remplacer le foin de V'étable destiné aux animaux dépourvus de raison; les mages signifient que la lumière est apportée aussi aux païens; leurs présents symbolisent la divinité et la royauté du Christ, en même temps qu'ils annoncent sa mort (1141 C-

: 414 CO),

(48)

(A9) (0) (24) - (2)

1144 C-1145 D.

1145 1148 1148 1448

D-1448 C; 1148 C-1149 C. B. C. CD.

) La lettre de saint Athanase à Epictète de Corinthe (PG XXVI, 1049‘1070, en particulier 1065 A) montrait la liaison de l’arianisme et de l’apollinarisme avec -le docétisme, Le commentaire des épitres de saint Paul de Sévérien . de Gabala polémiquera encore contre le docétisme. Cf. K. Staab, Pauluskom_ «nentare aus der griechischen Kirche aus Katenenhandschriften gesammelt, :.Münster, 1953, pp. 213-351.

SAINT GRÉGOIRE

2. —

DE NYSSE

. 293

SAINT ÉTIENNE ET LES SAINTS APÔTRES. î

Après avoir prêché le jour de Noël, Grégoire reprendra la parole presque aussi longuement chacun des deux jours, suivants, le samedi 26 décembre 386 pour célébrer la fête de saint, Etienne, le lendemain en l'honneur du même saint Etienne, mais surtout des apôtres Pierre, Jacques et Jean (24. Le panégyrique de saint Etienne se coule dans le moule de la plupart des panégyriques de martyrs, en ce qu’il présente le martyr sous les traits d'un athlète livrant un combat (2), Les images et les mots inspirés par cette comparaison abondent dans ce sermon, mais son originalité consiste à voir l’adversaire d’Etienne moins dans ses juges ou ses bourreaux que dans Satan lui-même. D’un bout à l’autre, l’histoire d’Etienne est présentée comme un véritable duel livré :contre le diable (9), Notons que Grégoire présente son héros commeun homme qui avait su obtenir l'audience des gens cultivés : «tous ceux qui avaient quelques connaissances et de la, culture (Sooic Fv yYroochc rivoc uerovola ka mudeboews)

avaient

les

veux

fixés

sur lui» 27, nous dit-il, en ajoutant qu’il «triomphait également : de tous, qu'il se mêlât seul à un grand nombre ou à quelquesuns » (8), Ainsi accommodé, le diacre Etienne prend quelque chose. des traits d’un savant controversiste du 1v° siècle et nous ne serons pas étonnés d'apprendre que la leçon à tirer de son exemple consiste à triompher des Pneumatomaques et des Ariens. :. (2). Il est vrai que les uns et les autres utilisaient pour les besoins de leur cause, comme nous l’apprend Grégoire, tel ou tel passage du discours d’Etienne dans les Actes (#0), Il est donc possible-que, dans une certaine mesure, Grégoire ait cru nécessaire de réfuter leur argumentation. Mais on a l'impression que Grégoire songe moins à proposer à ceux qui l’écoutent l’imitation d'Etienne qu’il n’est lui-même hanté par son exemple. En définitive, saint Etienne, patron de la lutte contre les pneumatomaques, est moins le modèle des fidèles que celui des pasteurs, et Grégoire, en parlant, pense plus à lui-même qu’ aux fidèles qu'il lui mcombe de diriger par sa parole, Ajoutons qu’au moment où il présentait les. ennemis d’Etienne comme des suppôts du diable, il proposait avec insistance l'imitation de sa patience et de sa douceur : était-il :

(24) PG XLVI, 71 D-721 A; 721 A-7%6 B. (25) 7044 C, 705 D, 708 A, 708 B, 708 D, 709 D, 712 B, 712 C, 712 D, 713 D, | 716 À, 716B, 716 C, 720 D, 722 B, 724 C 725 C, 736 AB. Le nom même d'Etienne, et le jeu de mots qu'il appelle, entraîne cette msistance. (26) Cf. en particulier 705 D : «En apparence, Alexandrins, affranchis, Cyrénéens et originaires de tous autres lieux entraient en lutte contre le champion de la vérité, mais, derrière les apparences, il y avait le père du mensonge »..

27 (28) (29) (30)

706 C. 705 D. 716 C-720 D. 746C et 717 C.

ue D A5 ee

294

tellement

LA

PRÉDICATION

sûr que

DES

ses auditeurs

PÈRES

CAPPADOCIENS

retiendraient

cette leçon de

douceur en face de leurs adversaires hérétiques ? ne risquaient-ils pas de retenir bien davantage qu’il se retrouvaient en face de suppôts du diable ? Dans une certaine mesure, une telle prédication

contribuait à la formation d’une sensibilité ombrageuse et batailleuse. Sur deux points cependant, il semble que les goûts de l'évêque aient rejoint ceux de ses auditeurs : d’une part, son sermon se présente comme une suite d’éxppésas , enchâssées dans un long &yymux, d'autre part il s'achève sur la discussion d’un true propre à satisfaire la curiosité intellectuelle D.

Il est probable que l'auditoire de ce samedi était moins nombreux que celui du lendemain où la fête des apôtres Pierre, Jacques et Jean coïncidait avec celle du dimanche. C’est probablement à l'intention de ses absents de la veille que le sermon du 27 décembre commence par parler assez longuement de saint Etienne. Un tiers environ du sermon est employé à reprendre le sujet de la veille &, Grégoire a beau prétendre qu’il veut achever un sermon resté incomplet à cause de sa fatigue 3), il est aisé de constater qu'il n’a rien de nouveau à ajouter. S’il reprend ce sujet, c’est, nous semble-t-il, à la fois pour en dire quelque chose à ceux qui n'étaient pas venus l'écouter la veille et pour lier la mémoire du diacre Etienne à celle des apôtres. La façon dont il s’efforce de mettre le simple diacre qu'était Etienne sur le même plan que les apôtres (#4) et, en même temps, de considérer les trois apôtres, Pierre, Jacques et Jean, (malgré leur caractère privilégié qu’il ne _peut dissimuler) (5), comme de simples représentants du collège apostolique tout entier recèle peut-être une intention %). Il est possible que Grégoire veuille affirmer l'unité foncière du clergé à une époque très préoccupée d'introduire une hiérarchie à l'intérieur même de l’épiscopat. Rien de ce qu’il dit ne semble concerner, même indirectement, les prêtres. Il n’est que plus significatif de l'entendre mettre un diacre au même rang que les apôtres. Que l’évêque de la petite Nysse ait mal supporté la prééminence des grands sièges n’est pas fait pour nous surprendre. (31)

Le terme est prononcé

en conclusion d’une discussion

sur la signifi-

cation des mots oréoic et xax0é5px quand l’Ecriture les emploie à propos des personnes divines (720 D).

(32) 721 A-728 A. (33) 724 B. G9 « Que. personne n’aille imaginer, à cause de ce mot de diaconat, qu’il occupait un rang inférieur à celui des apôtres» (705 BC).

(35)

732 B.

(36) «Ce que nous en avons dit n’est pas pour réduire à rien les autres apôtres, mais pour témoigner de la vertu de ceux dont nous faisons mémoire, et, pour parler avec amour de la vérité, pour faire aussi l'éloge commun des apôtres. Etablir parmi les saints des degrés et des grades n'appartient pas au pouvoir de juger des hommes » (732 C). Grégoire développe ensuite longuement l’idée de l’unité organique du collège apostolique.

SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE

295

3. — LE SERMON SUR LE JOUR DES LUMIÈRES (8).

Certainement prononcé le 6 janvier 383 (8), ce sermon parle beaucoup moins du baptême reçu par le Christ des mains de JeanBaptiste que du baptême chrétien en général dont il illustre trois aspects. Il commence par mettre en lumière le pouvoir régénérateur de l’eau, pouvoir qui lui est conféré par la bénédiction qu’elle a reçue et qui est l’œuvre du Saint-Esprit %), On voit que c’est le rituel du baptême qui oriente ici la pensée de Grégoire. Aussi entreprend-il immédiatement d’expliquer la signification de la triple immersion et des trois invocations qui l’accompagnent. Il en donne deux explications. Sur la première, il est extrêmement bref : le nombre trois correspond, dit-il, aux trois jours qui séparent la Passion du Christ de sa Résurrection (4), Il s'étend au contraire sur la signification trinitaire de la triple invocation, tirant argument de ce trait de la liturgie contre les adversaires de la divinité du Saint-Esprit 4), La liturgie en usage à Nysse, et sans doute dans toute la Cappadoce, liait comme ailleurs à chacune des trois immersions l’invocation de l’une des personnes de la Trinité. Comme Grégoire a pris la peine de souligner que l'assistance, particulièrement nombreuse ce jour-là (4), comprenait aussi bien des baptisés que des non-baptisé (4), nous devons constater que la discrétion qui entourait les rites de l'initiation est en train de disparaître. Ce que Grégoire en révèle reste, il est vrai, extrêmement limité et il est facile de discerner ses motifs : il a voulu empruter à la liturgie un argument de poids dans la lutte contre les Pneumatomaques aux yeux du grand public qui l'écoute. On comprend moins les raisons qui l’ont amené à infliger à ses auditeurs une interminable liste des figures du baptême dans l'Ancien Testament. Elle s'étend sur quatre colonnes du texte de la Patrologie et ne fait pas état de moins de vingt passages où Grégoire voit dans l’eau, qu’elle soit fleuve, rivière ou puits, une figure du baptême à venir (##), D’Agar conduite par l’ange auprès d’un puits dans le désert jusqu’à la guérison de Naaman dans l’eau du Jourdain, en passant par les puits associés aux noms de Rebecca, Isaac, Jacob, sans oublier Moïse dans son berceau sur les bords du Nil ou le lit de la Mer Rouge, ni la traversée du Jourdain par Josué ou le sacrifice d’Elie sur le mont Carmel, on a l'impression que rien, ou presque, n’est omis. Neuf emprunts aux Psaumes et aux livres prophétiques compléteront cette énuG7) (38) G9) (40) (41) (42) (43) (44)

PG XLVI, 577 A-600 B. Cf. Daniélou, op. cit., p. 362. 581 B-584 D. 585 B. 585 B-588 A. 577 AB. 580A. 588 B-596 A.

LA

296

mération.

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

Grégoire l'avait entreprise avec l'intention de plaire à

qui ses auditeurs : « Remettons les types dans la mémoire de ceux fête cette de stance circon la car aiment les beaux traits (guéxaro ), les réclame ce rappel comme une nécessité » (). Peut-être ents sentim mêmes les dans fait à tout pas ls furent-i ne rs auditeu et donnèrent-ils des signes de lassitude, car les emprunts aux livres prophétiques sont moins nombreux et beaucoup plus breîs que les références aux livres historiques. «Mais il faut en finir là, s'écrie enfin Grégoire, avec les témoignages tirées de la divine Ecriture ! » 4). Exprimons ici notre regret de n’avoir pas à notre disposition une édition critique de ce texte, car la phrase se pour-

suit en ces termes : «en

effet, le discours s’enflerait à l'infini

(xophoot yap 8 Aéyos el mAïfoc émepov), si on voulait extraire chaque trait (et ri BouAnôf rà xx OExxOTOv &éyov)

pour

les consigner

dans

un

livre unique (évi rapa0éoôa BuBaiw) ». Si cette remarque émane de Grégoire lui-même, elle signifierait que le texte de ce discours a été revu par son auteur, à moins que nous n’ayons affaire à la Lo d’un lecteur ancien horrifié par l’'énumération qu’il venait de

ire (41),

L’auditoire de Grégoire est, nous l’avons vu, composé aussi bien de non-baptisés que de fidèles qui ont reçu le baptême. II s'adresse aux uns et autres avec une pointe d'affection (#), mais on a limpresssion par endroits qu’il pense surtout à ceux qui venaient d'être baptisés. « Vous tous qui tirez gloire du don de la régénération et qui êtes fiers de la rénovation du salut, je vous demande de montrer qu’une fois reçue cette grâce mystique vous avez changé de conduite » (4. Un peu plus loin, citant saint Paul, il ajoute : « Voilà les paroles d’une âme vraiment régénérée, voilà comment parle un homme qui vient de recevoir l'initiation (veorexic), qui se souvient de l'engagement personnel qu’il a pris envers Dieu au cours de la tradition du mystère » °)., Un passage de saint Grégoire de Nazianze nous a montré plus haut que le baptême pouvait être conféré à l’occasion de l’Epiphanie D. Nous croirions volontiers que le sermon que nous sommes en train d'étudier a été prononcé après la cérémonie de baptême. L’affluence exceptionnelle notée par Grégoire était sans doute (45) 588 B. (46) 596 A. (47) Le mot livre ne correspond pas à la façon de s'exprimer d’un orateur. Quant à l'hypothèse d’une correction d’auteur, la justification n’en apparaît guère : un énoncé trop long est plus facilement supportable à la simple lecture qu'à l’audition. Si Grégoire avait voulu se corriger, il eût été, à tout prendre, plus normal qu'il ait voulu donner un caractère exhaustif à sa liste d'exemples. (48)

Il les appelle « mes enfants» (577 A). (49) 596 A. La suite du passage développe la même idée, (50) 597 D. Le texte de saint Paul cité est Galates, VI, 14.

(51) Cf. supra, p. 213.

|

SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE

:

297

moins due à la fête elle-même qu’à la cérémonie dont elle était l’occasion. Si Grégoire, au début de son sermon, pouvait souligner

la présence simultanée de baptisés et de non-baptisés, c’est un peu,

somme toute, parce que la fête qui lui donnait l’occasion de prêcher ressemblait par certains côtés à une moderne cérémonie de communion solennelle. S'il s'adresse en premier lieu aux baptisés, c’est parce qu’ils sont les héros du jour. « Voilà pourquoi vous vous êtes réunis, vous qui êtes le peuple initié, vous qui avez pris part aux biens de notre foi » 52. Prêtons attention à ce qui va suivre : « mais vous amenez avec vous aussi ceux qui n’y ont pas encore pris part : en bons pères, vous guidez ceux qui n’ont pas reçu l'initiation par un entraînement graduel vers une saisie parfaite de la piété». Ce rôle de guide et d’initiateur, les baptisés ne peuvent guère l'exercer collectivement à l'égard de la foule des non-baptisés et il ne s’agit nullement ici d’une sorte de paternité spirituelle des premiers par rapport aux seconds. Le mot «père » doit être pris dans ce texte au pied de la lettre. Etant donné ce que nous savons de l’âge moyen de ceux qui reçoivent le baptême, ils sont parents et éducateurs, si bien que la distinction esquissée par

l'évêque entre baptisés et non-baptisés se traduit sur un double plan : elle n’est pas simplement religieuse, elle sépare aussi les générations, En définitive, tout se passe, pour reprendre la comparaison que nous avons amorcée plus haut, comme si cette sorte de fête de communion solennelle avait pour centre non pas des enfants, maïs leurs parents S5).

Si le texte de ce sermon nous permet d’entrevoir les traits d’une assistance nombreuse, faite de familles entières groupées autour des parents qui venaient de recevoir le baptême, il laisse le clergé dans l'ombre la plus totale. Pourtant, quelques indications liturgiques laissent deviner tel ou tel aspect de son rôle. Sa bénédiction confère un pouvoir sanctifiant à l’eau baptismale, au pain et au vin ainsi qu’à l'huile 59. C’est encore une bénédiction qui consacre les prêtres 5. L’autel lui-même est béni et consacré : aussi ne peut-il être touché que par les prêtres, et avec précaution 55. En revanche, notre sermon apporte un des très rares documents qui nous aident à localiser le prédicateur dans l'église par rapport à son auditoire : « Assis sur cet observatoire (oxonté) élevé, je veux regarder le troupeau rassemblé en cercle autour des contreforts du sommet (mespi roc mpérobac rñc xopupñe )» (97). Assis sur son trône, l’évêque fait face au peuple qu’il surplombe (52) 580 A. (53) «Mais aujourd’hui, en voyant que vous vos familles pour célébrer cette fête... (577 B).

69) (55) (66) (57)

581 581 581 577

C. Cf. 421 D. D. C. A.

êtes venus

en

masse

avec

298

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

de haut. Les rangs du clergé s’étagent au-dessous de lui, constituant comme des contreforts du sommet où se trouve la chaire épiscopale. 4, — CoNTRE CEUX QUI RETARDENT LE BAPTÊME (5%).

Après Basile et Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse nous a laissé un sermon destiné à obtenir des catéchumènes qu'ils veuillent bien recevoir le baptême sans attendre 5”. Daniélou a eu raison de le dater de 381 et de le situer à Césarée (®). Tout indique qu’il a été prononcé au temps de l’Epiphanie : si le sermon de Basile qui traitait le même sujet ne comporte pas d’indication qui permette de le dater du jour de l'Epiphanie, nous avons vu que telle est bien la date du Discours XL de Grégoire de Nazianze (61). Grégoire de Nysse nous assure lui-même qu’en formulant cet appel, il suit un usage établi, usage dont saint Ambroise se fait de son côté le témoin, en assurant qu’il va de pair avec la fête de l’Epiphanie (). Ajoutons que Grégoire de Nysse fournit lui-même une indication extrêmement précise, quand il déclare que la proclamation qu’il va faire est celle- même que fit entendre Jean-Baptiste «peu avant l’Epiphanie du Sauveur » 63, Pour les raisons que nous avons exposées plus haut à propos du Discours XL, nous ne pensons pas que ce sermon puisse dater du lendemain de l’'Eprphanie, comme le propose Daniélou sous l'influence de Gallay. Il semble que le jour même de l’Epiphanie constitue la date la plus probable, étant donné le nombre inhabituel des fidèles venus ce jour-là à l’église (64). Au demeurant, Grégoire le laisse entendre quand il déclare : « Or voici que le bon dispensateur de toutes choses, celui qui fait revenir le cycle de l’année et qui gouverne le retour du temps, amène le jour salutaire où nous avons coutume d’appeler les étranger à l'adoption, les pauvres à la participation à la grâce, les hommes couverts des taches de leurs péchés à la purification de leurs fautes » (5), Puisque la date est fixée par l’usage, elle ne peut que coïncider avec un dimanche ou une fête. Daniélou ayant montré dans un récent article que le mot (58) PG XLVI, 416 C-432 A. (59) Cf. supra pp. 68-70 et 209-216.

(60) Op. cit., pp. 353-355. (61)

Cf. supra, p. 265.

(62) 416 C. Cf. Ambroise, Exp. Luc., IV, 76. (63) 416 D. Ce passage n’est pas utilisé dans l’article de J. Daniélou cité plus loin (n. 66).

(64) 577 AB. (65) 416 C.

SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE

_

299

éripévaux est associé dans le Nouveau Testament à des termes comme xépw et surfe , nous pensons que la phrase que nous venons de citer désigne expressément le jour de l’Epiphanie (69), Nous ne retrouverons pas chez Grégoire l'accent d’impuissance que nous avons cru sentir chez son frère. Les préoccupations d’orthodoxie trinitaire qui animaient naturellement Grégoire de Nazianze

au

moment



il prenait

possession

du

siège

de

Constantinople ne sont pas de mise à Césarée. Ces différences mises à part, l'accent est aussi pressent ici que là. Il paraît évident que l’ardeur des fidèles à recevoir le baptême n’a pas fait de grands progrès et que le prédicateur se sent obligé de déployer toute la force de persuasion dont il est capable (65), Nous avons vu dans le précédent discours que le qualificatif de pères, appliqué aux baptisés, situe ces derniers dans l’échelle des âges (7. Le vocabulaire de ce sermon confirme largement l'impression que la majorité attendait l’âge mûr ou même la vieillesse pour s'approcher

du baptême.

«Ta tête blanchit maintenant, l’été de la vie est

proche... » (68), ce sont les premiers mots qui dans ce sermon concernent une catégorie particulière d’auditeurs. Les jeunes ne seront pas oubliés, ils auront aussi leur tour (®), mais il est évident que l'effort du prédicateur vise essentiellement les plus âgés. A trois reprises encore, il s’adressera à eux d’une façon particulière. «Tu as accordé beaucoup de temps au plaisir » ), leur dira-t-il, et un peu plus loin: «Tu t'es longtemps roulé dans le boubier » (11), C'est même aux veillards que pense surtout l'évêque : « Je rougis pour toi, en voyant que toi, un vieillard, on

te congédie encore avec les catéchumènes, comme

un marmot

sans cervelle incapable de parler, au moment où va être exprimé le mystère » (72), Aïnsi renvoyés, les catéchumènes ne prononcent

pas l’invocation du Sanctus réservée aux baptisés (73), (66) J. Daniélou, Les origines de lÉpibphame et les Testimonia, RSR (1964), pp. 538-553. (66*)Il y a pourtant des circonstances, note Grégoire, où les baptêmes se font très nombreux : ce sont les époques de grandes catastrophes. «Je constate que lorqu’un tremblement de terre vient à frapper l'humanité, ou bien une famine ou une invasion ennemie, tout le monde se précipite vers le baptistère» (420 A). Le frère de Grégoire de Nazianze, Césaire, s'était fait baptiser après le tremblement de terre de Nicée (11 octobre 368). Le 24 août 358, Nicomédie avait été détruite par un séisme dont Grégoire fera mémoire dans son oraison funèbre de Pulchérie, En 368-369, une famine avait ravagé la Cappadoce. En 379, la révolte des otages goths, conséquence de l'invasion de la Thrace, avait menacé des villes du Pont et de Cappadoce comme Comana et Euchaïta.

(68) (69) (70) (71) (722) (73)

417 D. 417 D-420 A. 420 BC. 420 C. 421 C. Ibid.

LA

300

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

Un récit et une description viendront rehausser cet appel. De même qu’en une autre circonstance Grégoire racontait l’histoire d’un usurier mort sans avoir eu le temps de révéler à ses héritiers l'emplacement de sa fortune (1#), de même il donne ici l'exemple d'un jeune aristocrate de Comana, nommé Archias, tué peu auparavant, sans avoir reçu le baptème, dans une embuscade des

Goths

au voisinage

de sa. ville (#), Qu'un

homme

soit mort

inopinément sans avoir été baptisé, la chose devait être fréquente, et Grégoire le dit assez. S'il donne cet exemple, c'est à cause de la condition sociale éminente du héros de l’aventure (7 ; c’est aussi parce que le désespoir d’Archias se rendant compte qu’il allait mourir sans être baptisé avait pu s'exprimer devant des témoins : le pathétique de son histoire contribuait puissamment à illustrer les propos du prédicateur 9. Ce récit est immédiatement suivi d’une description (#). Il ne s’agit plus d’un événement particulier, mais d’un tableau de genre. En quelques phrases, Grégoire évoque la confusion et les cris qui accompagnent l'administration d’un baptême clinique :« en un clin d’œil on se précipite à la recherche de tout : vases, eau, prêtre, parole qui prépare à recevoir la grâce. Tous ceux qui sont dans la maison se rencontrent et se heurtent. C'est une mêlée, une confusion, un brouhaba plaintif et indistinct; comme dans un combat nocturne, tous s’enchevêtrent les uns avec les autres, esclaves, parents, amis, enfants et femme» (9). La description reste sobre, elle ne doit rien à la tradition littéraire, elle reflète l'expérience personnelle du prédicateur. Mais la pensée personnelle de Grégoire se manifeste ici de façon plus marquée et plus originale. S’interrogeant sur la destinée des âmes de ceux qui sont ainsi morts sans avoir été baptisés, il déclare : « Une âme qui n’a pas reçu la lumière, qui n’est pas parée de la grâce de la régénération, je ne sais pas même si les anges l’accueillent, une fois qu’elle s’est séparée du corps. Comment le pourraient-ils, quand elle ne porte pas ie sceau, qu’elle n’a aucun signe d'appartenance à son maître ? Vraisemblablement, elle est emportée dans les airs, errante et vagabonde, sans que personne soit en quête d’elle, puisqu'elle n’a pas de maître, Elle désire le lieu de son repos et de son séjour et, parce qu’elle ne le trouve pas, (74) 449 BC. Cf. supra, p. 267. (75) .424 CD. (76) Il appartenait à la classe des « Eupatrides »: c'était peut-être un clarissime. (77) «Montagnes et vallées, baptisez-moi, crie le mourant, arbres et rochers, donnez-moi la grâce. Sur ces paroles pitoyables, il mourut». On peut penser que ces paroles ne reflètent que de très loin ce que dit réellement Archias au moment de rendre l'âme. A supposer qu’elles s’approchent de la réalité, elles donneraient à penser, soit qu’il délirait, soit que la proximité des ennemis empêchait ceux qui l’entendaient de s'approcher de lui. En tout cas, un tel récit suppose que seul un prêtre peut conférer le baptême.

(78) (79)

424 D-425 A. 425A.

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

301

elle se lamente inutilement et se repent en vain » (8). Finalement Grégoire estime que le sort d’une telle âme est analogue à celui du mauvais riche et qu’elle est promise au feu éternel 81. Il est cependant remarquable qu'il ait hésité devant cette assimilation, tenté par une solution intermédiaire à l’usage de ceux qui, sans avoir reçu le baptême, n’ont pas fait le mal. C’est une idée analogue qui se présente à son esprit et qu’il expose cette fois-ci sans hésitation ni réticence au moment d'examiner le sort des baptisés de la dernière heure. «Ils s’imaginent que le royaume leur sera immédiatement ouvert... et qu’ils seront jugés dignes de récompenses égales à celles des justes. C’est là une espérance vaine qui berce leur âme d’une opinion fausse » (82), Il y a, ajoute-t-il, trois catégories (réyux) de destinées éternelles : entre les justes qui seront récompensés et les méchants qui seront punis, prend place la catégorie intermédiaire de «ceux qui ne sont ni récompensés mi punis» (83), Les récompenses sont destinées à ceux qui les ont méritées par leurs épreuves ou l'exercice de la charité. «La grâce est un don du Maître, mais la façon de se conduire dépend de celui qui a reçu cet honneur (à Sè roalrex, rod munPévros xatépôœux ). Personne ne réclame le salaire de la grâce qu'il a reçue, il en est au contraire débiteur. Voilà pourquoi, quand nous avons reçu l’illumination du baptême, nous devons montrer à notre bienfaiteur nos bonnes dispositions. Or nos bonnes dispositions à l'égard de Dieu consistent à être bons à l'égard de nos compagnons de servitude, c’est là notre salut, et à veiller à l'exercice de la vertu, Quittez donc cette vaine opinion, vous qui attendez la tombe pour vous faire baptiser, en sachant que la foi exige la bonne conduite, qui est sa sœur » 84. On voit se dessiner ici les traits d’un certain moralisme en même temps que s'ébauche une spéculation sur la diversité des conditions de l’âme après la mort. Dans un autre contexte et sous d’autre cieux ces thèmes seront appelés à un développement considérable (#5).

Nous voudrions, pour terminer cette analyse, attirer l’attention sur la conception de la fonction épiscopale esquissée dans l’exorde de ce sermon. Probablement mû par le désir de donner de cette rémission générale des peines qu'est le baptême une image concrète rattachée à la vie courante, il la compare à l’amnistie que peut décider un empereur. Tout comme l’empereur fait publier ses décrets par les magistrats qui le représentent, Dieu

propose, par l'intermédiaire des évêques, l’amnistie des fautes commises envers lui. «Les souverains de cette terre, quand ïüls (80) 424 B. (81)

424 C.

(82) 428 A. (83) 428 B. (84)

429 D-432

(85)

On pense à l’Ambrosiaster et à la querelle pélagienne.

À.

302

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

rédigent les lois qui règlent comme il convient la vie des hommes, les remettent aux magistrats en ordonnant que par leur intermédiaire elles soient publiées auprès de leurs sujets, afin que par ce moyen leurs ordres restent inviolés. Le Dieu grand a donné des lois aux gouverneurs (ñyeuéaw) des églises: ces lois, nous les publions chaque année au temps marqué, nous vous les lisons en vous invitant à en respecter la lettre dans la mesure de vos forces » (86): Sans doute n’ÿ a-t-il là rien de plus qu’une simple comparaison, mais une telle façon de parler montre que l’assimilation des évêques aux gouverneurs des provinces est en train de cheminer dans les esprits. (86) 416 A.

CHAPITRE

IV

Les panégyriques de martyrs

Grégoire martyrs.

de Nysse

Trois

de ces

nous

a laissé quatre

discours

sont

panégyriques

consacrés

Quarante, le quatrième à saint Théodore.

à l'éloge

de des

Si nous les classons

conformément à la chronologie, nous rencontrons successivement le premier éloge des Quarante, qui date du 9 mars 379 et a été prononcé à Césarée 4), l'éloge de Théodore, prononcé à Euchaïta, dans le Pont, le 7 février 381 (?), enfin le deuxième et le troisième panégyrique des Quarante, qui se sont succédés à vingt-quatre heures d'intervalle les 9 et 10 mars 383 à Sébaste (%). Ainsi donc aucun d'eux n’a été entendu par les fidèles de Nysse, auditeurs normaux de leur évêque. A Césarée pourtant, à Sébaste aussi, qui avait voulu peu auparavant faire de lui son métropolitain et qui s'était contentée de son frère Pierre, il s'adresse à des auditoires qui lui sont familiers.

Nous laisserons de côté dans notre étude de ces discours ce qui peut concerner la figure des martyrs ainsi honorés, nous contentant de renvoyer sur ces points aux travaux des hagiographes qui s’en sont amplement occupés. Nous nous attacherons simplement à tirer de ces quatre discours les renseignements, qu’ils sont susceptibles de nous apporter sur la rencontre du prédicateur et de l’auditoire qui lui faisait face. Le troisième éloge des Quarante n’est qu’un prolongement de celui qui avait été prononcé la veille, il a eu pour cadre l’église de Sébaste (#). C’est le seul des quatre discours qui ait été prononcé dans une église; les trois autres l’ont été dans un martyrium le jour même de la fête des martyrs. Basile avait, nous l'avons vu, prononcé l'éloge des Quarante

dans le martyrium qui leur était consacré à Césarée et qu'il avait peut-être édifié lui-même 5. Prenant la parole à Césarée, Grégoire (4) PG XLVI, 773 A- 788 B. (2) 736 C-748 D. (3) 749 A-756 D et 757 A-772 C. Sur ces dates, cf. Daniélou, La chronologie des sermons, pp. 346-348, 355-356, 362-363. (4) 757 A. (5) Cf. supra, pp. 83-84.

LA

304

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

nts avaient ne manque pas d'évoquer le discours que les habita suffit pas ne autrefois entendu de la bouche de son frère (. Cela t dans l’établisà établir que Basile ait joué un rôle déterminan avons dit au nous que ce outre mais, e, sement de la fête de Césaré de noter bon est il , Basile de rs discou le ons étudi nous moment où ine de l’orig à était re, qu'Emmélie, la mère de Basile et de Grégoi en nd appre nous ire Grégo nte. la dévotion familiale aux Quara venir fait avait mère sa e lorsqu jeune e encor et effet qu'il était laïc propriété leurs reliques à Annesi et institué leur culte dans la ulièpartic rne conce me qui familiale. «S'il faut ajouter un trait

er pour la rement, je le ferai. Au moment où nous allions célébr er l’urne dépos et es reliqu des neur l'hon en fête une fois première ait ce prépar qui elle dans le saint enclos, ma mère (car c'était venir fit me fête) la sait organi qui et rassemblement pour Dieu loin, au vivais je que alors ait, mpliss s'acco qui ce à pour participer ble proba est Il (”. » que j'étais encore jeune et au nombre des laïcs ne qui , Basile où nt mome au lée que cette cérémonie s'était dérou ènes d'Ath u reven e encor pas t n’étai ipé, partic semble pas y avoir mélie et où Grégoire faisait ses études. C’est donc vers 355 qu'Em sa dans rs marty nte Quara entreprenait d'organiser le culte des par juste au d enten ire Grégo que -ce Qu'est propriété du Pont. «première fois » ? On ne saurait déduire de cette expression que nous nous trouvons en face du commencement absolu du culte des Quarante, qui, à Sébaste même, a dû précéder l'initiative d'Emmélie. Mais il est probable que la dévotion de cette dernière est à l’origine de leur culte cappadocien par l'intermédiaire de ses enfants. Il est même possible qu'il ait revêtu par la suite un éclat nouveau à Sébaste sous l'influence de son dernier fils, Pierre, devenu évêque de la ville grâce à son frère Grégoire. Nous avons vu plus haut que le sermon Contre les usuriers date probablement de la même époque (#. Au lendemain de la mort de Basile, Grégoire fait figure à Césarée d’héritier spirituel de son frère. C’est lui qui a annoncé ( xnpt£ac duiv ) la veille aux fidèles la fête des Quarante qui est en train de se dérouler ®. Le siège est donc encore vacant et il est possible que la fête ait donné aux évêques de la province l’occasion de s’assembler pour

pourvoir à la succession de Basile.

Le discours est entièrement

consacré au récit du martyre : nous ne saurons donc rien des auditeurs, ou à peu près. L'assistance est probablement nombreuse

et agitée, puis Grégoire croit devoir réclamer, en guise de et sans se laisser préambule, qu'on J'écoute «calmement distraire » +48 Son sermon n’a pas d'autre but que d'inciter les fidèles à prier les martyrs, à voir en eux des intercesseurs et des (6) (7)

(8) (9) (10)

776 A. 784 D - 785 A.

Cf. supra, p. 264. 773 A. 773 B.

L:

î

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

protecteurs contre tous les événements fâcheux (41). un miracle dont il a été personnellement le témoin envoyé d’Ibora à Annesi à l’occasion d’une levée de protéger les paysans des vexations habituelles en

été guéri de la claudication dont il souffrait (?).

305

Il cite même : un soldat, troupes pour pareil cas, a

Si nous ne savons pas grand chose du martyrium (3) des Quarante à Césarée, la description du sanctuaire de saint Théodore à Euchaïta a retenu l'attention. Elle est d’autant plus intéressante que Grégoire présente le monument, non comme une exception, mais comme un bon exemple de l'architecture inspirée par le culte des martyrs (4. Le bâtiment ressemble à une église, il a de vastes proportions et sa décoration est soignée. On y trouve des statues en bois et des dalles polies. L'histoire de Théodore est peinte sur les murs en panneaux successifs. Il semble que la mosaïque du sol évoque les mêmes thèmes (5). En décrivant les actes de dévotion des fidèles, désireux de s'approcher des restes du saint, heureux s’ils obtiennent la permission d’emporter la poussière qui recouvre son sarcophage (9#xn), très rares étant les privilégiés qui sont admis à s'approcher du corps lui-même 49), Grégoire nous renseigne certes sur les pratiques en usage autour de lui, mais nous devons aussi observer que l’évêque qui loue de tels comportements les encourage de son mieux, de la même façon qu’en insistant sur la façon dont le sanctuaire est fréquenté et sur les guérisons qui y sont obtenues il encourage, dans la mesure de ses moyens, ce genre de dévotion 47. La menace gothe reste suspendue sur la région : ce n’est plus tellement à Dieu que Grégoire invite ses auditeurs à demander protection, mais au martyr Théodore qui sera leur intercesseur 49, Comme il ne semble pas que le culte des martyrs apparaisse ailleurs que dans les sermons expressément suscités par lui, comme les lieux où il se pratique sont peu nombreux encore et les époques délimitées, . on peut considérer qu’il demeure contenu dans certaines limites, (41)

C'est la conclusion (42) 784 C. Le trait de important que le prédicateur mais on aimerait savoir sil

du sermon (788 AB). mœurs est intéressant

à plus d’un titre: il est considère ces vexations comme un fait habituel, était fréquent que le commandant des troupes déléguât quelqu'un (probablement un officier, mais Grégoire ne le dit pas) pour protéger les paysans. On a plutôt l'impression que ce traitement de faveur était dû à la qualité d'Emmélie. (43) Sur le martyrium de Césarée, Cf. supra, p. 84. Sur le culte de saint Théodore à Euchaïta, on se reoprtera au travaux de Delehaye: Euchaïta et saint Théodore, dans les Mélanges Ramsay, 1923, pp. 129-134; Acta Sanctorum, nov. IV, p. 27; Les légendes grecques des saints militaires, pp. 11-42.

(14) 737 (5) 737 (16) 740 a été réservé. (47) 745 (18) 748

C. | D-740 A. que ce privilège lui Grégoire, AB. Il semble bien, à entendre | C. AB.

LA PRÉDICATION

306

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

er etout , à manifest fait Grégoire le mais inviter les fidèles, comme 0 ,, e 0 # le courir c'était reliques, au long de l’année leur vénération aux boulede et énormes ons proporti des danger de lui faire prendre verser l'équilibre de la piété. Le deuxième discours sur les Quarante, prononcé dans le martyrium de Sébaste, permet de reconstituer quelque chose de l'atmosphère où de telles fêtes se déroulaient 4%). La bousculade et le bruit atteignaient un degré tel que l’orateur en fut très gêné. Malgré de vastes dimensions, le martyrium ne pouvait contenir tout le monde, des fidèles étaient restés dehors et les arrivées

successives de gens que la rigueur de la saison n’inclinait pas à rester en plein air semblent bien avoir troublé l’orateur au point

de lui faire perdre le fil de son discours (4%). Les trois quarts du temps sont employés à envisager successivement tous les motifs de faire l'éloge de la ville de Sébaste (2°), avant d’en arriver à la parure que constituent les Quarante, héros de la fête, mais alors l'assistance augmente, et avec elle le bruit, dans des proportions telles que Grégoire ne parvient plus à se faire entendre et se résigne à se taire en promettant d'achever de traiter son sujet une autre fois (D,

De telles notations sont précieuses. Elles nous aïdent à reconstituer l'atmosphère de cérémonies religeuses où le silence était loin d’être assuré, Certes, il s’agit d’un cas-limite, mais on peut penser que le bruit n’atteignait un tel degré que parce que le silence pendant la prédication était habituellement assez relatif. Le prédicateur, en définitive, n’était pas un orateur privilégié. Ni

la sainteté du lieu, ni le sérieux des circonstances, ni même le prestige de l’évêque n’assuraient l'attention et la docilité de l'assistance. Ce que les prédicateurs peuvent nous dire de la faiblesse de leur voix ne doit donc pas nous induire en erreur. Un organe puissant leur était indispensable, sans parler de toutes les autres qualités de l’orateur. Il faut savoir gré au sténographe qui a su s'acquitter de sa tâche en pareille circonstance. Ce n’est que le lendemain, dans l’église de Sébaste et devant un public moins nombreux sans doute et plus calme, que Grégoire put traiter son sujet (2). Observons qu'il glissa ce jour-R sur la défection de l'un des Quarante, défection qu’il n’avait pas oubliée à Césarée S (18*) Les deux sermons de Sébaste ont été prononcés au cours d’un séjour qui durait depuis quelque temps déjà, puisque Grégoire avait eu l’occasion de prêcher : il évoque en eflet dans la conclusion du sermon du 10 mars 383, un problème (il s’agit du glaive qui interdisait l'entrée du Paradis) qu'il avait déjà soulevé devant le même auditoire (769 D, 772 A). (19) 749 À, 757 AB. (20) Le sujet n’est abordé qu’en 753 D.

.@1) Une première fois (756 BC), il manifeste son inquiétude devant le bruit qui couvre sa voix. Un instant, il essaie de reprendre le fil de son discours pour capituler bientôt (756 D).

(22)

757 A.

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

307

quatre ans auparavant. Sans doute préféra-t-il rester discret sur cette circonstance, parlant sur les lieux mêmes du supplice. Il ajoute au contraire un détail nouveau quand il fait mention du

geste de la mère qui avait chargé elle-même le corps de son fils mourant sur le chariot du bûcher (23), Ces quatre sermons ont un trait commun sur lequel nous devons nous interroger. Ils concernent en effet tous les quatre des

soldats, puisque on ne nous laisse pas ignorer que Théodore aussi était un soldat récemment enrôlé 24), S'il était étranger à la région, les Quarante sont du pays, et ils étaient fils de soldats 5). Un tel choix est-il le simple effet du hasard ? Nous avons vu Basile aussi faire une place considérable aux soldats morts martyrs. Avaient-ils été plus nombreux que les autres, la discipline militaire les exposant davantage à l’obligation de donner un gage public au paganisme ? C’est possible. Mais on peut aussi se demander si le développement du culte acordé à leur mémoire n’a pas répondu, à un moment ou à l’autre à une intention de la part des évêques qui l’inspiraient, Si Grégoire et Basile proposent volontiers à l'admiration l’exemple des Quarante qui avaient su résister pour la foi aux ordres de l’empereur et de leurs supérieurs, n'est-ce pas avec l’arrière-pensée de recommander la même attitude aux troupes chargées d'exécuter les ordres d’un empereur arien ? Sans doute, les sermons de Grégoire de Nysse datent d’une époque où l’orthodoxie régnait à Constantinople, mais le culte demeurait une fois passées les circonstances qui l'avaient encouragé (5), Au demeurant, proposer à la vénération des habitants des villes ces

rustres malfaisants qu’étaient pour eux des soldats, c'était aussi

leur donner une salutaire leçon d’humilité.

Que le seul membre

de l'aristocratie honoré d’un culte par les Cappadociens ait été une femme, cette Julitta dont nous parle Basile, cela donne à penser que cette aristocratie n’avait pas fourni beaucoup de martyrs, que les évêques voulaient peut-être lui donner une leçon d’humilité, mais surtout que le culte des martyrs s’adressait essentiellement aux foules qui se reconnaissaient mieux qu’en tout autre modèle dans des paysans, des bergers ou même des soldats. (23) 769 A. (24) 740 CD. (25) «Ce sont des hommes qui avaient vécu au milieu des armes depuis leur enfance» (776 D) : élevés dans les camps, ce sont des fils de soldats, du moins aux yeux de Grégoire. (26) Si une telle arrière-pensée avait présidé au développement du culte

des Quarante, elle était donc le fait surtout de Basile.

CHAPITRE

4

V

Les oraisons funèbres

Cinq discours de Grégoire de Nysse peuvent être considérés comme des oraisons funèbres. Ils concernent trois évêques : Grégoire le Thaumaturge, Basile et Mélèce d’Antioche, et deux membres de la famille impériale : la princesse Pulchérie, fille de Théodose, et l’impératrice Flaccilla, première épouse de l’empereur et mère de la précédente. Si ces deux derniers discours nous permettent d’entrevoir quelque chose des rapports de l’évêque avec la cour, les trois premiers nous aideront à nous représenter l’image qu’il se faisait d’un évêque et qu’il accréditait autour de lui. 4. —

La VIE DE GRÉGOIRE

LE THAUMATURGE ().

Mort sous le règne d’Aurélien (270-275), l'évêque de NéoCésarée était une figure qui appartenait au passé lointain. Aussi le discours que Grégoire lui a consacré appartient-il à la catégorie des «éloges purs». Il semble bien avoir été prononcé à Néo-

Césarée,

aussi le situerions-nous

volontiers

en

380, année



Grégoire voyagea beaucoup. La fête du saint en fut l’occasion, commé nous l’apprennent les premiers mots (?. On peut hésiter, en ce qui concerne le lieu, entre l’église de la ville et la tombe du héros. Ce dernier « avait prescrit à ses proches de ne pas acquérir d'emplacement particulier pour l’ensevelir » ®. Il aurait dit au moment de mourir : « Que le siècle à venir dise que le nom de Grégoire n’a été durant sa vie attaché à aucun lieu particulier et qu’il a reçu après sa mort asile auprès de sépultures étrangères, _car il s'était interdit toute possession sur la terre au point de ne pas accepter un emplacement particulier pour sa tombe... » (4). Cette formule permet de penser qu’il n’existait pas de monument funéraire du Thaumaturge et que son panégyriste parlait proba-

blement @)

dans

l’église de Néo-Césarée.

Au

demeurant,

quand

PG XLVI, 893 A-957 D.

(2) « Notre discours, ainsi que l’assemblée que nous tenons en ce moment n'ont qu’un but : Grégoire le Grand est le sujet de votre réunion et de mon exposé » (893 A). Cette fête tombait le 17 Novembre.

(3) 956 A. (4) Ibid.

us

SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE

:

\

309

Grégoire rappellera en quelques mots la construction de l'église de Néo-Césarée, église dont il précise alors qu’elle est encore debout après avoir résisté seule à un tremblement de terre qui avait détruit tous les édifices de Néo-Césarée, il dira : «C’est cette

église-ci ( oërés éoriv 8 vaëc)» (5).

1

Il ne paraît pas possible de connaître la teneur exacte du discours de Grégoire, car le texte a été profondément remanié pour la publication. Sa longueur inusitée, trente-trois colonnes

de la Patrologie, serait déjà un indice de remaniement, mais plusieurs expressions confirment que ce qui commence comme un discours adressé à un public déterminé a subi des adjonctions au point de devenir une véritable biographie. La péroraison nous avertit en propres termes qu’«il y a encore d’autres miracles de Grégoire... que nous n’avons pas ajoutés à ceux que nous avons consignés par écrit (roïs yeypauuévoic où mpoocôxauev )» (6), Ailleurs, il apparaît bien que l’auteur s'adresse à des lecteurs, et non à des auditeurs, puisqu'il parle de «chacun de ceux qui prennent connaissance de cet ouvrage (Exaoroc Tüv évruyxavévrov +$ \6yo) (M), Aïlleurs encore, Grégoire nous avertit que « passer en revue tous ses miracles demanderait un ouvrage trop long (uaxpäc. ovyyexpñc) et un temps de parole qui dépasserait celui dont nous disposons (Xéyou rhv rapoïoav oyokhv ôxepBalvovroc}» (8). Il est probable que les remaniements intervenus ont consisté en adjonctions que l’orateur, mesuré par le temps, avait dû s’interdire : les

traits essentiels du discours ont bien des chances de se retrouver sans altération majeure dans la biographie qui en est issue.

Quelle est donc l’image que Grégoire présentait à la vénération. de ses auditeurs de Néo-Césarée ? Il avait beau tenir par l’intermédiaire de sa sœur Macrine le témoignage de première main de sa grand-mère qui avait connu autrefois le Thaumaturge, ce n’en est pas moins un personnage de légende qu’il met sous nos yeux (?). 6). 924 B. Il y à ici une indication historique précieuse. Si l’église bâtie à Néo-Césarée par le Thaumaturge au milieu du nr siècle est encore en usage . à l’époque de Grégoire de Nysse, c’est qu’elle correspondait approximativement aux normes qui s'étaient dégagées entre temps. Grégoire indique bien qu’un successeur du Thaumaturge avait travaillé au bâtiment, mais il ne parle à ce propos que d’un «embellissement», tandis qu'il affirme que le constructeu avait mené son œuvre jusqu’à son achèvement. Il avait même situé son église «dans l'endroit le plus en vue de la cité». Même sil convient de rabattre . quelque peu ces amplifications oratoires, il en reste que le plan de l’église en question devait avoir la forme basilicale dès l’origine. Ce monument ne pouvait ; passer inaperçu et témoigne du développement du christianisme à Néo-Césarée: au mn siècle. L’aflirmation qu'il n’y avait plus que 17 païens dans fa ville à. la mort de Grégoire va dans le même sens (953 D). Sur l’église de la ville, cf. 924 BC. (6) 957 D. La formule n’est pas sans rappeler le dernier verset de l'Evangile de saint Jean. (7) 956 B. (8) 94 A.

(9) Cf. Basile, Ep. CCIV, 6.

LA

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PÈRES

CAPPADOCIENS

rien qui vint Sans doute la tradition familiale n’apportait-elle de la grandgnage témoi le contredire cette image. Au demeurant, ne pouvait ici) pas eurs d’aill que n’invo mère de l’orateur (qu’il lement Visib e. aturg Thaum du s année res derniè les concerner que e (49). modèl son de notre biographe connaît mal l'œuvre écrite rs discou le mais (11), gène d'Ori Il n’ignore pas qu'il avait été l'élève le en maître son à é adress avait e aturg Thaum le que Grégoire est il er, suppos it quittant ne semble pas connu de lui. On pourra au vrai, que cette discrétion tient à la personnalité d’Origène et

contenu de son enseignement, mais, s’il avait lu le discours du

après héros qu'il affirmant, que l’église de Néo-Césarée en conserve le texte écrit de la propre main de son auteur (1?). Il n’est pas autrement étonnant qu’un personnage qui avait laissé derrière lui une réputation bien établie de faiseur de prodiges inspire à son biographe quantité de récits de ce genre. Si Grégoire a renoncé à les raconter tous, il n’est pas facile non plus d’énumérer tous ceux qu’il a rapportés. À Alexandrie, jeune étudiant, le Thaumaturge se laisse calomnier par une femme de mauvaise vie, qui est aussitôt saisie d’une crise épileptique 4%. Plus tard, il chasse les démons d’un temple païen et les rappelle à son gré 4). Il tranche le conflit qui opposait deux frères en asséchant par sa prière l'étang qu’ils se disputaient 4). Pendant la persécution de Décius, il se réfugie sur une montagne avec son diacre. Cernés par leurs poursuivants, ils se mettent tous deux en prière, bras levés et yeux fixés au ciel : ceux qui les recherchaient diront qu'ils n’ont rien vu que deux arbres isolés (49, Des paysans, victimes des débordements du Lycos, font appel à l’évêque : celui-ci jette dans le courant son bâton, qui prend racine et forme digue désormais (47. Il n’est pas impossible de discerner derrière la plupart de ces récits des faits réels qui ont été l’objet d’une certaine affabulation. Récits de grand-mère admis sans discernement, et peut-être déformés, par un enfant ? La chose est possible. Ce ne serait pas le seul exemple d’un homme fait conservant des notions marquées au coin d’une interprétation enfantine ou populaire. Grégoire, qui avait reçu sa formation religieuse des trois femmes qui constituaient sa famille, était peut-être plus exposé

Thaumaturge, il ne situerait pas sa rencontre avec Origène un séjour d’études à Alexandrie et il n'ignorerait pas que son avait un frère à ses côtés. La seule œuvre du Thaumaturge connaisse est un symbole de foi qu’il cite en sa totalité, en

(10) (11) (12) (43) (14) (5) (46) (47)

Il semble 96 CD. 912 D -913 901 D-904 913 D-917 925 B-929 948 A-948 929 À -932

même

A. C. A. A. C. C.

l'ignorer tout à fait.

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

311

qu'un autre à tomber dans cette ornière, malgré sa grande culture et sa formation philosophique. Quoi qu’il en soit, son enseignement propose à la vénération des fidèles l’objet assez irréel d’un évêque qui convertit des foules, moins par sa parole, dont on ne nous dit pas grand chose, que par l'exemple de son austérité et quantité de prodiges. Un tel ‘récit paraît plus propre à susciter l’émerveillement que limitation. Il y a pourtant dans ce personnage de vitrail des traits qui l'apparentent à un évêque de chair et d'os. Plus précisément, un air de parenté entre le Thaumaturge et Basile ou Grégoire luimême se dégage à tel pomt de certaines pages de ce discours qu’on peut se demander si Grégoire imagine son lointain prédécesseur sur le modèle d’un grand évêque de 1v° siècle ou si ce n’est LE l'exemple du Thaumaturge qui a tracé la conduite des deux ères.

Que l’évêque de Néo-Césarée ait créé, tout comme Basile, des sièges épiscopaux et consacré des évêques, ce n’est pas chose surprenante. Il est plus intéressant d’être témoin de son souci, au lendemain de la persécution de Décius, d’instaurer dans toute la région des fêtes en l’honneur des martyrs qu’elle avait faits. « Répartissant les corps des martyrs lun ici l’autre là, ils se réunissaient à chaque anniversaire et se réjouissaient de célébrer ces fêtes en l'honneur des martyrs » (8), Ici apparaissent (sous la plume de Grégoire, peut-on croire, beaucoup plus probablement que dans sa bouche) des considérations pleines d'intérêt sur les motifs de l’encouragement donné par les évêques au culte des martyrs et des saints. « Voilà bien encore un témoignage de sa grande sagesse : il formait à une vie nouvelle toute la masse de sa génération, comme une sorte de cocher de la nature. Il les avait fermement assujettis aux freins de la foi et de la connaissance de Dieu, mais il permettait à ceux qui lui étaient soumis de prendre sous le joug de la foi un peu de liberté joyeuse. Il avait en effet remarqué que la partie infantile et inculte de la foule restait attachée aux erreurs de l’idolâtrie par les satisfactions du corps. Pour assurer, en attendant, l'essentiel en ce qui les concernait, pour qu ils aient les yeux fixés sur Dieu et non sur leurs vaines superstitions, il les poussa à fêter la mémoire des saints martyrs dans la joie, les réjouissances et l’allégresse. Avec le temps, les hommes deviendraient un jour d'eux-mêmes plus graves et plus réglés, d’autant plus que la foi les y conduirait. C’est bien ce qui leur est arrivé maintenant pour la plupart, toutes leurs satisfactions s'étant retirées des plaisirs du corps pour se tourner vers la joie de l'esprit »49, La création de fêtes en l'honneur des martyrs apparaît donc à la fois comme une concession à l'esprit du siècle et un procédé pédagogique destiné à amener avec l’aide du temps (18) 953 B. 49) 953 BC.

LA PRÉDICATION

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PÈRES

CAPPADOCIENS

re a donc un plus grand affinement moral de la masse. Grégoi plus d’un peu un en te produi s’est conscience qu’urie évolution der si deman se peut On fêtes. ces er célébr de siècle dans la façon efiet pour eu pas la spiritualisation de telles réjouissances n’avait fêtes aux n ipatio partic la vers de rejeter du même coup les-fidèles ée le païennes: le désarroi de l'évêque devant sôn église désert 1* janvier pourrait bien avoir là son origine. L'épisode du choix de l'évêque de Comana est également en révélateur, dans sa complexité, de l’état d'esprit de Grégoire (20), faits les ons Résum matière de recrutement de l'épiscopat. peu Afin de propager la foi, Grégoire le Thaumaturge instituait un donc sèrent s’adres a Coman de ns chrétie Les . évêques des partout à lui pour obtenir un évêque de sa main. Il vint séjourner dans leur ville et y prêcher pendant un certain temps. Le moment du choix venu, « l'esprit de tous ces principaux de la ville était préoccupé de déceler ceux qui paraissaient se distinguer par leur éloquence et leur naissance ainsi que toute autre espèce de notoriété. Ils s'imaginaient en effet que, du moment qu'ils trouvaient tout cela chez le grand Grégoire, celui qui allait revêtir cette charge ne devait pas non plus en être démuni @D, «Il est probable que Basile et Grégoire de Nysse s'étaient vus en pareil cas opposer les mêmes exigences. De la même façon, ils devaient procéder à des consultations auprès des principaux fidèles de la ville en cause et rencontrer comme le Thaumaturge une variété de candidatures soutenues par divers partis, mais présentant le trait commun de toutes concerner des membres de l'aristocratie locale. Or Grégoire le Thaumaturge écarte les noms qui lui sont proposés et cherche à savoir si son choix ne peut pas se porter sur un homme vertueux issu d’un milieu plus simple. C’est alors qu'en manière de plaisanterie on lui propose le nom d’un charbonnier, un certain Alexandre. Prenant au sérieux ce qui n’était qu'une moquerie le Thaumaturge s’enquiert de l'homme, découvre en l’interrogeant qu'il n'avait pas affaire à un charbonnier de métier, mais à un homme cultivé qui avait embrassé cet état par ascétisme, et le consacre évêque sans plus tarder. La morale de cette histoire n’est pas sans ambiguïté : elle tend à montrer que le choix d’un évêque ne doit pas dépendre de son origine sociale ou de sa culture, mais avant tout de sa valeur morale. Somme toute, le meilleur candidat est un moine. L'opinion de Grégoire de Nazianze n’était pas très différente. Néanmoins, ce moine appartenait par ses origines à un milieu aisé («Ce n’est pas sous la contrainte de la pauvreté qu’il avait embrassé ce genre de vie » (22)) et il devait montrer aussitôt qu’à défaut d’atticisme, il était capable d’improviser un sermon où « la pensée était dense » ®%). S'il n’est (20) (21) (22) (23)

Cf. 933 936 937

953 B-937 D. C. C. C.

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

313

donc pas nécessaire d’être rompu aux subtilités de la rhétorique pour exercer l’épiscopat, il n’en faut pas moins posséder une culture qu'aucun homme du peuple ne détient. Moine ou laïque, l’évêque provient en définitive d’un milieu social nécessairement assez étroit, Il n’est que plus remarquable qu’un homme comme Grégoire ait cherché à échapper à cette emprise. 2. —

L'ORAISON

FUNÈBRE

DE BASILE (24).

Grégoire de Nazianze n'avait pas hésité à faire l'éloge des membres de sa propre famille. Son frère, sa sœur et son père avaient reçu ce tribut public de son affection. Il avait cru bon d'expliquer son attitude (5). En faisant l’éloge de son frère, Grégoire de Nysse ne semble éprouver aucune gêne : on ne trouvera pas chez lui le moindre mot d’excuse. Mais il y a plus. On ne peut ignorer, à lire Grégoire de Nazianze, l'intimité qui unissait aux disparus et l'affection qu’il leur conserve: c’est en fils ou en frère qu’il s'exprime constamment. Rien de tel chez Grégoire de Nysse, qui semble avoir pris un parti opposé. Rien dans cet éloge ne trahit son origine familiale. Ce n’est pas en frère que Grégoire de Nysse prend la parole, mais en évêque désireux d’ajouter une fête au calendrier et d’offrir à l'admiration et à l’imitation des fidèles un nouveau saint. Ce discours a sans doute été prononcé à Césarée le 1” janvier 381, faisant suite à l'éloge du Thaumaturge (9). Ainsi Grégoire applique lui-même les principes qu’il prêtait à l’évêque de Néo-Césarée. Basile était mort

un 1°” janvier : or, nous avons été témoins des efforts infructueux de Grégoire pour mettre fin aux réjouissances païennes de ce jour. Il faut, croyons-nous, attribuer toute leur valeur aux déclarations qui figurent dans l’exorde de ce sermon. En évoquant la succession des fêtes chrétiennes qui font suite à Noël, Grégoire

s'efforce de situer l’anniversaire de Basile sur le même pied que celui de saint Etienne, des apôtres Pierre et Jacques, de saint Jean-Baptiste et de saint Paul 27. En affirmant que Basile est apparu au moment précis où l'Eglise avait besoin de lui pour (24) PG XLVI, 788 C -817 D. (25) Cf. D. VIII, 789 A. (26) Non seulement «le lieu doit être Césarée, qui était la ville épiscopale de Basile», comme l'écrit Daniélou (p. 351), mais cette localisation résulte du langage même de Grégoire, Il déclare en effet: « Moïse sauve son peuple en le mettant à l’abri du tyran. Ce peuple-ci rend le même témoignage de notre législateur, dont le sacerdoce l’a conduit à la terre de la promesse» (809

C). Daniélou se demande, à la suite d'Usener, si nous n’avons pas affaire à un «remaniement par Grégoire du sermon originel» (1bid.) étant donné que Grégoire fait allusion à da ville où (Basile) résidait» (805 D.) et qu'on peut constater, avec Usener, le ton impersonnel du sermon. L'indice est bien ténu et il est isolé. En revanche, la péroraison a conservé le vocatif «frères » qui suppose la présence d’un auditoire (817 A). Quant au ton impersonnel de l’ensemble, on verra dans les lignes qui suivent comment nous croyons pouvoir l'expliquer.

(27)

789 A.

314

LA

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DES

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combattre le fléau propre à l’époque #), en le comparant succeset sivement à saint Paul et à saint Jean-Baptiste, à Elie, Samuel En grands. plus aux Basile r d’égale Moïse (%), Grégoire s'efforce à agissant ainsi, il a, croyons-nous, d’autres motifs que d’obéir renie il ent seulem des habitudes d'amplification oratoire. Non autant explicitement ces habitudes, mais il se dissimule lui-même s discour Ce modèle. son t d’autan er rehauss que possible afin de du date la pour que liturgi n créatio de e tentativ d’une relève « janvier. Grégoire est-il à l’origine de cet essai ? C’est peu probable, si on considère qu'il prend la parole dans l’église de Césarée à la tête de laquelle se trouvait depuis 379 Helladios. à L'année suivante, c’est Grégoire de Nazianze qui sera invité prononcer le même éloge. L'initiative a dû venir du clergé de Il est vraisemblable Césarée, et en particulier d’Helladios.

qu’Helladios avait pris lui-même

la parole le 1” janvier 380, à

l'occasion du premier anniversaire de la mort de Basile et qu’il fit appel ensuite au frère de Basile, puis à son ami. Le culte rendu

x la mémoire de Basile apparaît donc collective de l’épiscopat cappadocien.

comme

une

création

Lorsque Grégoire de Nazianze prononcera l'éloge de son ami, il abordera son sujet, nous l'avons vu plus haut, en homme que les intrigues du concile de 381 venaient de marquer profondément %. A des évêques peu dignes de l'être, il opposera l’image d’un évêque idéal. La leçon de Grégoire de Nysse est autre. Certes, il entend proposer l'exemple de Basile comme un modèle à imiter, Aussi qu'il s'adresse. mais Cest aux fidèles de Césarée retiendra-t-il surtout de la vie de Basile ce qui lui paraissait pouvoir être assimilé par tout chrétien. C’est l'exemple de son détachement de l'argent et des honneurs qui lui fournira sa conclusion 62. Pourtant, la destinée de Basile restait trop exceptionnelle pour que les grandes lignes de l'éloge puissent suivre un cours très différent de celui qui s’imposera à Grégoire de Nazianze. L'état d'esprit des deux prédicateurs a beau être différent, l’image qu’ils offrent reste sensiblement la même. Basile apparaît avant tout sous les traits d’un docteur, d’un homme qui joignait à une profonde connaissance de l’Ecriture une très grande culture 2). C'est cette double compétence qui lui a permis de faire figure de maître très sûr et d’adversaire redoutable dans la controverse. A la vigueur de l'esprit, il joignait la force du caractère. Grégoire vante l’intrépidité de l’évêque qui n’a pas hésité à s’opposer aux Fe (28) “A a dans la renaissance de l’idôlatrie sous le visage e l’arianisme Û (29) Comparaison avec saint Paul : 797 C-801 A; avec Jean-Baptiste: 801 B-8M C: avec Elie : 804 C-808 B; avec Samuel : 808 B-808 D; avec Moïse : 808 D- 813 A. (30) Cf. supra, p. 236 sqq. (31) 817 AD. (32) 789 BC.

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

315

plus hauts magistrats et à l’empereur lui-même (#). Relevons le mépris distingué de Grégoire à l'égard du préfet du prétoire Modestus : «un jour où, pour leffrayer, l'un des magistrats l'avait menacé de lui arracher le foie des entrailles, il répondit avec un sourire moqueur à cette menace grossière » (4). Sans doute tout chrétien n'était-il pas appelé à défier un empereur et ses ministres, ou à faire figure de gardien de l’orthodoxie. Aussi Grégoire insiste-t-il davantage sur le détachement avec lequel Basile s'était dépouillé de ses biens pour nourrir les affamés ou pour héberger les pauvres %). D’une portée plus générale encore est l'exemple donné par Basile d'amour de Dieu. Grégoire y voit la qualité principale de Basile, celle qui commandait toutes les autres, la vie contemplative constituant la source où s’alimentait cette activité 669). La trame d’un discours fait de comparaisons successives nuit dans une certaine mesure à la netteté de la leçon qu’il donne, mais, dans sa substance, elle était peut-être plus assimilable par le large public auquel elle était destinée que la philippique anti-épiscopale d’un Grégoire de Nazianze. Pourtant les deux sermons se complètent admirablement en ce qu’ils offrent à la vénération des fidèles un type bien précis d’évêque : par ce détour, ils contribuaient à le répandre. 3. — L’ORAISON FUNÈBRE DE MÉLÈCE (37),

Au cours de cette même année 381 allait se réunir à Constantinople le deuxième concile œcuménique. Dès la fin du mois de maï, Mélèce d’Antioche, qui avait exercé jusque là la présidence des débats, disparaît. On lui fit dans la ville des funérailles imposantes, avant que sa dépouille fût transférée à Antioche 8), L'empereur lui-même assista aux obsèques célébrées dans l’église des Saints-Apôtres %), Grégoire de Nysse y prit la parole après un autre orateur qui s'était chargé de retracer la carrière mouvementée du défunt (4), Aussi ne devons-nous pas attendre grand chose de la part de Grégoire sur la personnalité de ce dernier. Son sermon est bref et ne sort guère des généralités ou des pensées émues. Nous aurions aimé pouvoir mettre l’image (33) (34) (35) (36) (37)

796 797 801 800 PG

D-797 AB. D, 805 B, 800 XLVI,

B; 804 AB. C -808 A, 809 D. D-801 A, 809 C. 852 A-864 B.

(38) 856 C et 861 C. Mélèce sera inhumé auprès de saint Babylas, à Antioche-Kaoussié, dans un monument qui était probablement en construction au moment de sa mort. Un sarcophage bisôme reçut les deux corps. Cf. Jean Chrysostome, De sancto Babyla, PG L, 544; J. Lassus, Sanctuaires chrétiens de Syrie, Paris, 1944, pp. 123-124.

(39) 861 D-864 A. (40) « Vous vous rappelez sans doute commentle discours qui a précédé le nôtre vous a fait le récit de ses luttes» (857 B).

LA

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de l’évêque d’Antioche en parallèle avec celle de Basile, il nous faut

nous résigner à ne pouvoir le faire. Pourtont ce discours peut nous

aider à mettre au point plusieurs faits qui ne sont pas sans

importance.

Les circonstances où se sont déroulées les obsèques attestent la popularité de Mélèce. Non seulement la présence de l'empereur est un signe évident de la faveur dont il jouissait, mais encore l'affluence dont elles furent l’objet témoigne qu'il s'était acquis la sympathie de la population de Constantinople. S’adressant aux Antiochiens qui allaient ramener en Syrie le corps de leur évêque, Grégoire s’écrie en effet : « Parlez au peuple qui est là-bas, faites lui ce beau récit. Dites l'incroyable prodige, dites comment la densité d’une foule innombrable donnait l’image de la mer, comment tous ne formaient plus qu’un seul corps, se répandant autour de sa dépouille en cortège comme un océan». Divers chœurs chantent des psaumes autour du corps, les uns en grec et les autres dans des langues étrangères (érepoyabaoois) 4, Ce pluriel recouvre probablement le syriaque et le latin. La suite de Mélèce comptait dans ses rangs un nombre suffisant de Syriens dont le syriaque constituait la langue courante. D’autre part l’origine occidentale de la famille théodosienne donne à penser que des prêtres latins l’avaient accompagnée en Orient. De part et d’autre, des porteurs de torches en file qui s’allongeaient aussi loin que la vue pouvait porter 4. Telles sont les notations qui évoquent le cortège funèbre qui avait conduit la dépouille de Mélèce aux Saints-Apôtres. Il ne nous paraît pas douteux en effet que c’est dans cette église que se sont déroulées les funérailles. Déjà l'exorde du discours le disait assez clairement. «Le nombre des apôtres s’est accru du nouvel apôtre, coopté par les apôtres. En effet les saints ont attiré auprès d’eux celui qui se conduisait comme eux... notre père a le bonheur d’avoir la même demeure que les apôtres ( rñç re érooroMxïñc ovoxnvlac )» (4),

La péroraison

fera

reparaître la même idée et la même expression : « Racontez (au peuple d’Antioche) l’empressement de toute la population, dites-lui qu’il a partagé la demeure des apôtres ( rüv äroorélov ovoxnvlav ) » (45),

Nous pouvons donc considérer comme acquis que les funérailles de Mélèce se sont déroulées à Constantinople dans l'église des Saints-Apôtres, celle-là même qui accueillait depuis Constantin les sépultures de la famille impériale. Mais, du même coup, l'incertitude qui pèse sur l'endroit où s’est déroulé le concile est peut-être levée. Grégoire avait en effet prononcé devant (1) (42) (43) (44) (45)

861 CD. 861 D. Ibid. 852 A. 861 D.

SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE

317

le concile un discours dont nous possédons le texte. Une similitude

d'expression montre, comme l'a fait voir Daniélou, que c’est à ce discours que Grégoire fait allusion dans l’oraison funèbre de

Mélèce 49), Or Grégoire précise que les deux discours ont été

prononcés

au même

endroit « Quelle différence il y a entre le

langage que nous tenons aujourd’hui à l'endroit où nous sommes (ëv 55 répovn rérw) et ce que nous y disions il y a peu de jours ! » (47), Ainsi Grégoire avait pris la parole devant le concile dans l'enceinte des Saint-Apôtres. Dès lors il est très probable que c’est dans cette église que se tenaient habituellement les délibérations du concile.

L'image que nous pouvons nous faire de Mélèce à la lecture de ce discours reste extrêmement vague. Grégoire se retranche en effet derrière les paroles de l’orateur qui l'avait précédé pour fuir toute précision embarassante. La douceur de Mélèce, sa patience dans une suite d'épreuves constituent les seuls traits un peu nets de ce portrait. On a prétendu que Grégoire n’a épargné dans son discours « aucune pointe... à Paulin » 4). Ce qui nous frappe au contraire, c’est l’absence de la moindre allusion à cet aspect des difficultés éprouvées par Mélèce durant sa vie. Il n’est question que des trois exils que Mélèce avait eu à subir du fait des ariens (4. Pas un mot ne permet de soupçonner qu’il avait aussi rencontré la concurrence d’un orthodoxe appuyé par Rome. Bref, on ne trouvera pas trace dans ce discours du schisme d’Antioche. On sait que Grégoire de Nazianze allait s’efforcer, sans succès d’ailleurs, de mettre fin à ce schisme en proposant au concile d'appeler Paulin à la succession de Mélèce. La retenue observée par Grégoire de Nysse était probablement inspirée par le souci de ne pas nuire au projet de son ami. Partageait-il ses vues et les soutint-il ? On ne saurait l’affirmer. On ne saurait non plus tirer argument de son silence pour en conclure qu’il n’alla au delà de la neutralité. Dans l’hypothèse où il aurait voulu seconder les efforts de Grégoire de Nazianze, il ne pouvait faire plus, le jour des funérailles de Mélèce, que de passer sous silence sa querelle avec Paulin.

Il eût été déplacé de faire davantage. Nous ne saurons pas s’il appuya Grégoire de Nazianze; nous sommes sûrs, en tout cas, qu’il s’efforça ce jour-là d'oublier le conflit qui avait opposé Paulin à Mélèce. Ainsi des trois œuvres que Grégoire a consacrées à la mémoire d'un évêque, aucune ne présente de ressemblance profonde avec les autres. Grégoire le Thaumaturge appartenait à un passé déjà (46) On retrouve en 852 D -853 A un écho de 544 A. Cf. Daniélou, p. 358. (47) 852 C, (48) I. Ortiz de Urbina, Nicée et Constantinople, Paris, 1963, p. 175. (49) Les trois exils ont été endurés pour la défense de la Trinité (857 B). Grégoire précise un peu plus loin (857 D) qu’une fois dissipées «les ténèbres de l’hérésie », l’évêque a été emporté par la mort à l’aflection retrouvée de son peuple. C’est au printemps de 378 que Valens avait révoqué l'exil de Mélèce. Le schisme de Paulin durait depuis 362.

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lointain, Basile et Mélèce étaient tous deux des contemporains, mais Basile, en sa qualité de frère, bénéficiait d’une place privilégiée dans le cœur et la pensée de Grégoire. La vie du Thaumaturge était issue d’un sermon de fête, mais elle a reçu des adjonctions qui en font une véritable biographie. Finalement, elle tient autant

de l’hagiographie que de la prédication. Si Basile et Mélèce ont été tous deux l’objet de véritables oraisons funèbres, le sermon sur Mélèce est une œuvre de pure circonstance. Elle ne prétend pas évaquer la personne et la vie du défunt dans tous leurs aspects ; le prédicateur n’a pas d’autre but que de prêter une voix au deuil public. Quant à l’oraison funèbre de Basile, nous avons vu qu’elle s'inscrit dans une entreprise dont on peut présumer qu’Helladios de Césarée était le promoteur et qui tendait à instaurer le 1* janvier de chaque année une fête chrétienne. De ces trois sermons, aucun n’a été prononcé au même endroit ni dans la même province, puisque le premier l’a été à Néo-Césarée, le second à Césarée de Cappadoce et le troisième à Constantinople. Une telle constance dans la variété risque fort, nous semble-t-il, de ne pas être le fruit du hasard, mais de résulter au contraire d’un calcul : celui que peut faire un auteur désireux de rendre manifeste la gamme de son savoir-faire. Dans cette perspective, l'éloge funèbre d'une petite princesse et celui d’un impératrice régnante une nouvelle tentative d’élargissement. apparaissent comme es du Pont, de la Cappadoce et de la originair Aux trois évêques Syrie, s'ajoutent deux laïcs, deux femmes, deux Occidentales. 4. — LA PRINCESSE PULCHÉRIE ET L'IMPÉRATRICE FLACCILLA (60),

Le concile de 381 avait mis Grégoire en valeur auprès de la cour et Théodose l'avait désigné par un rescrit du 30 juillet comme l’un des garants de l’orthodoxie. Le concile de 383 l'avait conduit à nouveau à Constantinople et rapproché de la cour. Il s’y retrouvait au cours de l'été 385. À quelques semaines d’intervalle, il eut l’occasion de parler à l’occasion des deux morts qui frappè-

rent successivement l’empereur Théodose, celle de sa fille Pulchérie, puis de sa femme Flaccilla. On sait que Théodose avait épousé vers 376 la fille d’Antonius qui devint préfet du prétoire de

Gratien cette même année. Il est possible que son beau-père ait été à l’origine de son choix par Gratien pour régner en Orient en 3795), Le couple impérial aura trois enfants : l’aîné, Arcadius,

est né vers 377 et sera proclamé Auguste par son père le 16 janvier 383, le dernier, Honorius, naquit le 9 septembre 384. Pulchérie, née au plus tôt en 378 et au plus tard en 383, avait au maximum sept ans en 385 (2). (50)

(51) (52)

PG XLVI, 472 A -489 B et 877 C-892

D. Cf. Piganiol, L'empire chrétien, p. 209. Théodose se remariera après la mort de Flacilla en épousant Galla,

la _. de Valentinien, au plus tard à la fin de 387 : Cf. Piganiol, op. cit., P. à

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C’est donc d’une petite fille que Grégoire devait entretenir ses auditeurs. Ïl n’est pas étonnant qu’il ait dû se réfugier dans des

généralités.

Dans un exorde assez peu naturel de ton Grégoire

juge aussi calamiteux l’un que l’autre ces deux événements que sont la mort de la jeune princesse et le tremblement de terre de Nicomédie, survenu le 24 août 385, dont l'anniversaire était échu 5%. Grégoire précise que le souvenir du séisme avait été évoqué publiquement la veille par l’évêque de Constantinople, Nectaire. Le 24 août 385 tombant un dimanche, c'est donc le lundi 25 août que Grégoire évoque la mort de la petite princesse. « Ce que je veux dire, vous le savez bien, vous qui remplissez cette assemblée, quand vous voyez et ce lieu-même où nous sommes réunis et la tristesse qui y règne » 54, Cette expression donne à penser que la réunion où Grégoire prend la parole ne se déroule pas dans l’église des Saints-Apôtres à proprement parler, mais dans le mausolée attenant que Constantin avait fait bâtir pour accueillir la sépulture de sa mère et la sienne propre. Procope nous apprend que Constance avait décidé que les membres de la famille impériale, hommes ou femmes, y seraient enterrés et que cet usage avait été observé jusque là 55), Aussi bien l'assistance sembie-t-elle assez restreinte. Lors des funérailles, une foule immense avait assisté au convoi et l’église était pleine 59. Grégoire décrit en témoin oculaire ces obsèques en employant à plusieurs reprises un passé qui montre que son discours a été prononcé à loccasion d’un anniversaire de la mort et non pour les funérailles 5, La mort de la princesse étant présentée comme la cause d’une douleur encore vive et probablement assez récente, il est à présumer que le 25 août constituait le trentième jour après la mort de Pulchérie. Théodose et Flaccilla assistaient-ils à cette cérémonie ? Cela nous paraît peu probable, étant donné que l’orateur ne se tourne pas vers eux dans les paroles de consolation qu’il prononce conformément à la tradition. Cette consolation est comme adressée à la cantonade. Grégoire ne parle d’ailleurs de l’empereur et de l’impératrice qu’au passé, pour évoquer leur chagrin au moment des funérailles : «J'ai vu la tige altière, le palmier à la haute cime, je veux dire la puissance impériale, ..… j'ai vu celui qui règne sur tous fléchir sous le coup de la nature et pencher quand lui fut ravie la fleur qu’il portait. J’ai vu aussi le noble sarment enlacé au palmier qui pour nous avait engendré (53) «La ville voisine» non dénommée dont il est question (864 C) est Nicomédie. Dans la Lettre XVII, 1064 (Pasquali, 55, 12), adressée au clergé de Nicomédie, Grégoire appelle Constantinople «la ville voisine ». (54) 864 D. (55) De Aed. I, 64. Sur l’ensemble des constructions attenantes à l’église des Saints-Apôtres, cf. R. Janin, Les églises et les monastères, pp. 46-55. (56) «Jai vu... l’église pleine» (8683 A). (57 «Cette fleur sacrée portée sur une litière d’or s’ofirait en spectacle à tous» (868 A). « Quelle tristesse il y avait sur le visage de tous ceux qui la regardaient» (ibid.) ou encore. «à ce moment-là, il m'a semblé... » (tbid).

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les douleurs cette fleur éprouver à nouveau pour la seconde fois tout cas en de l'exor de de l’enfantement... » 58. Une phrase part à ont qui ceux tous si Même « : es souligne certaines absenc peutre, Grégoi dit lée, assemb cette dans pas sont ne ce malheur aussi indre d'atte parole être votre présence permettra-t-elle à ma e ratric l'impé que iers volont ons Nous croiri les absents » 5» partie déjà était qu’elle et s absent ces de était Flaccilla au moins r vivante. pour ce voyage en Thrace dont elle ne devait pas reveni pour la mbre septe 14 du date la Si on retient, d’après les Ménées, le ntinop Consta à te présen e suppos la on si et e mort de l’impératric il fille, sa le 25 août pour le premier anniversaire de la mort de à jusqu’ e arrivé son , voyage faut admettre que son départ en é Scotoumin, la maladie qui devait emporter, tout cela s’est déroul le que le probab plus paraît nous Il es. semain trois de en moins août. 25 le et rie départ eut lieu entre les funérailles de Pulché t Quant à l’oraison funèbre de Flaccilla elle-même, elle ne saurai avait il puisqu' ou, Daniél e propos le comme bre, dater du 15 septem fallu prendre au moins le temps de ramener le corps à Constantinople. la date du 14 octobre paraît plus vraisemblable (0, Ce ne peut être que dans l’enceinte des Saints-Apôtres que Grégoire a célébré la mémoire de l'impératrice qu’on venait d'y inhumer. Ces deux discours, il convient de le souligner, occupent une place particulièrement marginale dans lœuvre de Grégoire de Nysse. Ils ont beau avoir été prononcés dans un cadre religieux, en présence d’un évêque et sur son invitation, leur sujet se prêtait mal à l'édification. La courte existence d’une enfant ne contenait rien qui pût avoir valeur d'exemple et la discrétion observée par l’orateur sur les qualités de l’impératrice conduit à se demander si elles en avaient beaucoup plus. A Scotoumin «s'en est allé l’ornement de l'empire, le gouvernail de la justice, l’image de la miséricorde, ou plutôt son modèle même. On nous a enlevé l'exemple de l'amour conjugal, la pure offrande de la chasteté, la gravité affable, la douceur respectée, l'humilité dans l'élévation, la pudeur dans la liberté, le mélange harmonieux des vertus. Il s’en est allé, le zèle de la foi ; elle est partie, la colonne de l'Eglise, la parure des autels, la richesse des pauvres, la main généreuse; il a disparu, le hâvre commun des afiligés » (61), La veuve, l'orphelin et le clergé ont perdu un appui précieux (®. Ces traits restent vagues. (58) 865 D. (59) 864 D -865 A. (60) J. Daniélou, op. cit., p. 372. La description des funérailles de Flac1 cilla (885 A) est faite au passé. La succession des événements peut être reconstituée de la façon suivante: 25 juillet 385, mort de Puchérie; dans le courant d’août, .départ de Flaccilla pour la Thrace; 25 août, oraison funèbre de uichérie ; 14 septembre, mort de Flaccilla à Scotoumin; fin septembre, funérailles de l'impératrice à Constantinople; 14 octobre, oraison funèbre de Flaccilla,

(61) (62)

884 B. Ibid.

SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE

321

La péroraison, apportera des faits plus précis : l’impératrice avait obtenu plusieurs fois la grâce de condamnés à la peine capitale pendant sa vie et on venait d'annoncer à l'église que celle d’un jeune homme était accordée à la mémoire de la souveraine (6%). Il nous faut nous résigner à tout ignorer de ces interventions de limpératrice dans le cours de la justice, du motif des condamna-

tions comme des entremises, ou de la condition des condamnés. Finalement, le trait sur lequel concluera Grégoire, celui qu’il juge le plus important, c’est la rigoureuse orthodoxie de la défunte tout au long de sa vie. «La haine des idoles est commune à tous ceux qui partagent la foi, mais son mérite propre résidait dans l'horreur qu’elle avait pour l'infidélité arienne tout comme pour lidolâtrie » (64. Nous ne saurons rien de plus sur la personnalité de limpératrice, sur ses origines et sur sa vie. Il est curieux que Grégoire ne souffle pas mot de la famille de Flaccilla, du préfet du prétoire Antonius qui était son père. Toutes les traditions de la rhétorique lui suggéraient d'aborder ce sujet, fût-ce par prétérition. Ce silence est fort surprenant. L’ignorance ne suffit pas à l'expliquer, car il eût été facile d'obtenir le minimum de renseignements nécessaires. En vérité, l’abstention de Grégoire nous paraît calculée, mais nous ne pouvons que formuler des hypothèses sur ses motifs, soit que la famille de Flaccilla eût en Occident un comportement politique désagréable à Théodose, soit encore que le mépris de ce qui était occidental et le parti-pris de l’ignorer ait suffi à inspirer le silence de l’orateur. L’affectation de considérer Théodose comme le seul et unique détenteur du pouvoir dans l'empire, à une époque où, en fait, il le partageait avec Valentinien II et même Maxime, relève peut-être autant de cette dernière façon de voir que de l’habituelle amplification oratoire.

La part de l'éloge est aussi réduite que possible dans l’oraison funèbre de l’impératrice, elle est inexistante dans celle de sa fille. Les deux discours suivent le même plan et obéissent à la même intention. Il s’agit, dans le cadre d'un rapauv@nnxds 2670, de donner un sermon sur la mort, Dans chacun des deux discours, la première partie est une monodie ou le 6pñvos se mêle l'éloge, la seconde partie a le caractère de la rœ«pauwôla traditionnelle, mais celle-ci s'adresse beaucoup moins à la parenté des défunts qu'à tous les hommes en butte au problème de la mort (5). Que la consolation emprunte le chemin de l'opposition entre la vrai vie, qui est celle de l'éternité, et le caractère précaire de l'existence terrestre, c'était dans la nature des choses, mais on peut se demander si l’insistance à déprécier la vie de la terre ne trouve pas son inspiration dans une source plus profonde et plus personnelle que l’antithèse appelée par les circonstances. « Notre chair (63) 892 A. (64) 892 C. (65) La transition en 868 C et 885 D.

est

nettement

marquée

par

une formule

appropriée

322

LA PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

est une officine de mauvaises odeurs: tout ce qu’elle reçoit, elle le détruit et le corrompt. Etre réduit en permanence à servir l'estomac, y a-t-il châtiment plus affligeant ? Considérez en effet ce percepteur qui ne s'arrête jamais: j'ai nommé l'estomac; voyez à quelle contrainte quotidienne il nous assujettit par ses exigences. Même s’il nous arrive de lui fournir un jour plus que sa ration, nous n'avons pris aucune avance sur sa créance du lendemain. Pareils aux animaux qui, les yeux bandés, s’éreintent au moulin, nous faisons tourner la meule de la vie, parcourant sans cesse le même chemin pour arriver au même point. Faut-il décrire ce voyage circulaire ? Il consiste à avoir faim, à être rassasié, à dormir, veiller, vider, remplir. Toujours nous passons de cela à ceci et de ceci à cela pour revenir à ceci. Jamais nous ne cessons de tourner en rond jusqu’à ce que nous sortions du moulin. Salomon a raison d'appeler cette vie une jarre percée et une demeure étrangère » (56). Flaccilla est donc heureuse d’avoir «rejeté comme de la chassie l'infection du corps (®. Que le vraie vie soit ailleurs est une idée authentiquement chrétienne, mais on peut se demander si le pessimisme de ces lignes peut s’autoriser d’une doctrine qui professe que la création était bonne et qu’elle a été rendue à son état primitif par la Rédemption. En tout état de cause, le prédicateur qui s'exprime en de tels termes contribue à développer la sensibilité de ses auditeurs dans un sens bien précis. Il est vrai que de telles affirmations concernent une impératrice : le mépris de la vie terrestre se fait d'autant plus violent que le prédicateur doit combattre une admiration toute humaine chez ceux qui l'avaient connue. Si la petite Pulchérie est comparée à une fleur tôt fanée et si on nous rappelle crûment que l’impératrice Flaccilla avait un corps soumis aux plus humiliantes nécessités, c’est pour nous aider à nous libérer de tous les attachements, quels que soient leur grâce ou leur prestige.

Pourtant la vie d’un chrétien comporte par elle-même un enseignement. Grégoire de Nazianze en était conscient, lorsqu'il faisait l’oraison funèbre de sa sœur et il n’avait pas manqué de dégager cette leçon (5). Grégoire de Nysse connaissait-il trop mal limpératrice pour en beaucoup parler, était-il paralysé par la majesté impériale ou bien la matière à édification était-elle trop mince ? Il est difficile de le savoir. A tout prendre, il ne sort guère des généralités. Flaccilla avait été généreuse à l’égard de la vierge, de la veuve et de l’orphelin. Le trait est vague et, si on fait abstraction de la qualité des bénéficiaires, la générosité était un vieil attribut des souverains et même de l'aristocratie. Sa clémence à l'égard des condamnés, l'usage qu’elle faisait de son influence pour obtenir des grâces constitue un trait déjà plus caractéristique. L’orthodoxie de la foi est sans doute la qualité la plus précieuse de (66) 888 CD. (67) 889 B. (68) Cf. supra, p. 108 sqq.

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

323

limpératrice aux yeux de Grégoire, puisque c’est par là qu’il conclut. Mais nous n’en apprendrons pas davantage sur la vie chrétienne de l’impératrice. Il est remarquable que rien ne soit dit du baptême de Flaccilla ni de celui de sa fille. Grégoire de Nazianze avait demandé peu auparavant qu’on fasse baptiser les enfants de trois ans (®). Le silence de Grégoire de Nysse signifie sans doute que Pulchérie et sa mère n'avaient reçu qu’un baptême clinique. Il est donc probable que la piété de l’impératrice n'avait rien de particulier. Ajoutons que, mariée en 376, Flaccilla était encore une très jeune femme en 385 et n’avait eu guère le temps de donner toute sa mesure. Redisons, pour conclure cette étude, que la portée du témoignage de Grégoire est nécessairement très limitée. Si bien vu à la cour qu'il ait été, il ne pouvait être à Constantinople qu’un hôte de passage et il n'apparaît pas qu’il ait été admis dans l’intimité de la famille impériale. Au demeurant, l’eût-il été, que la langue eût constitué un obstacle malaisé à franchir. En définitive l'empereur et son épouse avaient fait leur entrée à Constantinople depuis moins de cinq ans et rien ne dit que l’impératrice ait beaucoup plus séjourné dans la capitale durant tout ce temps qu’un époux qui s’en était peut-être plus absenté qu'on ne l’a dit (0), On ne se trompe donc peut-être pas beaucoup en estimant que Flaccilla était mal connue dans sa capitale et qu’en chargeant un évêque étranger de prononcer son oraison funèbre Nectaire lui confiait une tâche qu'un orateur originaire de Constantinople n’eût pas beaucoup mieux accomplie. C’est l’ancien rhéteur, l’homme habile par état à traiter une matière fort mince, que Nectaire avait choisi dans la personne de Grégoire (1), (69) Cf. supra, p. 211. (70) « Théodose n’a guère quitté Constantinople de 383 à 388» écrit Piganiol, Op. cit., p. 248, dans un ouvrage qui présente Théodose comme un souverain inactif. Le manque de témoignages formels ne suffit pas à établir l'absence de l’empereur des armées, à supposer qu'il eût dû s'y trouver. Le voyage en Thrace de limpératrice au milieu de l'été ne ressemble guère à un voyage d'agrément. On comprend beaucoup mieux qu’elle s’y soit rendue si elle accompagnait son mari ou allait le rejoindre, (71) Ces perspectives permettent de compléter et de nuancer le jugement d'un Méridier sur la place de la rhétorique dans l’œuvre de Grégoire.

CHAPITRE

VI

Les discours conciliaires

En 381 et en 383, Théodose réunit un concile à Constantinople,

la première de ces deux assemblées étant incomparablement plus importante que la seconde. Nous possédons le texte de deux discours de Grégoire qui furent prononcés à l’occasion de ces réunions (4). Le second s'inspire largement de la situation générale qui avait entraîné la convocation d’une assemblée où l’empereur avait invité chacun des partis en présence à exposer sa confession de foi : le sermon de Grégoire entend réfuter publiquement les erreurs des ariens et des pneumatomaques. Nous avons affaire à un sermon qui présente la particularité extrêmement importante qu’il touche par plus d’un biais aux questions évoquées devant le concile, et ceci dans la ville même où se réunissait l'assemblée et en présence de l’empereur. Quant au premier de ces deux discours, il ne relève que très indirectement de la prédication, puisque il est adressé, tout comme le Discours XLII de Grégoire de Nazianze, 2) à des évêques et non à de simples fidèles. En sa double qualité d’évêque de la nouvelle Rome et de président du concile, Grégoire de Nazianze avait pu vouloir donner une leçon à ses collègues dans l’épiscopat, au moment surtout où, déçu par leur attitude, il résignait ses fonctions. Tel n’est pas le cas de Grégoire de Nysse qui, en dépit de son influence personnelle,, n’exprime que l'opinion d’un simpie Pourtant, l’un et l’autre discours ne membre du concile. manqueront pas d'éclairer utilement le comportement pastoral de leur auteur. 4. — LE piscours DE 381 (). Le titre de ce discours fait difliculté. Il est en effet intitulé Elc tv éœuroÿ xeuporoviav . Or il n’est pas question le moins du monde

d’ordination dans ce texte. Peut-être a-t-on eu raison de proposer de donner

ici au mot

xetporovia le sens de vote : notre discours

(1) (2)

Sur les problèmes de date, cf. Daniélou, op. cit. pp. 357-358 et 363-364. Cf. supra, p. 226 sqa.

(3)

PG

XLVI,

544

A-553

A.

SAINT GRÉGOIRE

exposerait alors ce de vote, à moins que de Grégoire, auquel que le concile avait alors difficulté (4),

DE NYSSE

325

que les modernes appellent des explications le mot vote désigne non le suffrage personnel il n’est fait aucune allusion, mais les décisions à prendre: cependant le possessif éauro5 fait

Ce discours se situe évidemment dans le cadre du concile de 381, puisque on attend l’arrivée des évêques d'Egypte : on sait qu'ils s'y firent attendre longtemps. L’argument nous paraît déterminant. Peut-on dater, avec Daniélou, le discours de la période qui a précédé la mort de Mélèce, donc du mois de mai ? Nous le croirions volontiers, mais nous n’en avons pas la preuve, car Grégoire ne nomme nullement Mélèce : il se contente de dire qu’il prend la parole sur les instructions du président du concile. « Puisque l'excellent et riche maître du festin que voici ne nous épargne pas et nous prescrit de faire le service, je lui dirai : Mon ami, prête moi de tes pains. Ce que j'appelle pain, c’est l'appui de ses prières » 5). Il est possible que le président du concile ait été encore Mélèce, il n’est pas absolument exclu qu’il s'agisse de son successeur, Grégoire de Nazianze. Si nous croyons qu'il s’agit plus vraisemblablement de Mélèce, c’est parce que la brutale disparition de celui-ci et son remplacement ne font l’objet d'aucune allusion dans le texte. C’est aussi, et surtout, parce que Grégoire s'exprime comme s'il prenait la parole devant le concile pour la première fois. Il peut bien parler après d’autres (ce qui implique que les premiers jours se soient écoulés), il est peu probable qu’il ait attendu la mort de Mélèce, c’est-à-dire plus d’un mois, pour intervenir dans les débats (5), Nous avons établi plus haut que le concile s’est, au moins en partie, déroulé dans l’église des Saints-Apôtres. C’est donc vraisemblablement dans cette église que notre discours a été prononcé. Il nous apprend un détail sur son architecture : le plafond était doré et sculpté et, sur le fond doré, se détachaient des figures polygonales bleues qui faisaient ressortir la couleur de l'or 0). Cette allocution contient très peu d'idées. En dehors d’une brève argumentation scripturaire en faveur de la divinité du Saint-

Esprit, (4) l'orateur qui fait histoire

elle se borne

à exprimer

regret

et inquiétude

de la

Une formule du discours pourrait correspondre à la volonté de d’expliquer sa position personnelle. A propos d’un passage de l’'Exode mention du Saint-Esprit, il déclare : « En vérité, l'évocation de cette n’est peut-être pas hors de notre propos, car je veux vous communiquer l'idée qui m'est venue » (545 B). Sur l'interprétation de ce titre, cf. E. Gebhardt, Titel und Zeit der Rede Gregors von Nyssa «ln suam ordinationem », Hermes, 89 (1961), 503-507. ; 6) 544 A. (6) Au demeurant, le discours est postérieur au départ des pneumatomaques (552 A). (7) 544 C. Ce dernier détail ne semble pas avoir été signalé par ailleurs. Cf. R. Janin, op. cit., p. 52. |

326

LA PRÉDICATION

DES PÈRES

CAPPADOCIENS

nouvelle division que venait d'entraîner le départ des évêques pneumatomaques. À trois reprises Grégoire, en des termes presque identiques, s'étonne de voir sans écho une parole qui, au temps des apôtres, convertissait des foules (). L'insistance qu’il apporte à revenir sur ce thème montre qu’une telle constatation le touchait

profondément.

portée générale.

On se tromperait pourtant, si on lui attribuait une Au demeurant, les évêques du 1v° siècle voyaient

les foules afiluer à l'église. Ce qui le préoccupe, c’est l’audience de l’orthodoxie parmi les évêques. Il est évident qu’à la date où il parlait, le schisme macédonien, qui brisait l'unité jusque là péniblement préservée du petit troupeau orthodoxe, pouvait paraître lourd de conséquences. Autant Grégoire nous semble assuré de

la vérité des décisions prises par le concile, autant nous le sentons ému et inquiet de l'avenir. C’est bien pour se rassurer et rassurer ses auditeurs, après le vide qui s'était creusé dans les rangs du concile, qu’il souligne la présence des lointains Mésopotamiens (®), évoque celle des Arabes, annonce celle des Egyptiens 49, Les pneumatomaques étaient en majorité des Thraces: la présence

d’évêques originaires de trois régions lointaines était bien faite pour apaiser le malaise instauré par le départ massif des plus proches. Telle nous paraît être la perspective très limitée d’un discours de circonstance destiné à rendre courage à une assemblée assombrie par la nouvelle division qu’elle n’avait pu empêcher. (8) 545 D, 549 B et 549 D.

(9) Ces Mésopotamiens, auxquels Grégoire consacre un passage relativement étendu (549 BD) posent un problème important. S'agit-il d’évêques originaires de la province romaine de Mésopotamie ou bien de représentants

de l’épiscopat perse ? La présence d’évêques venus de Perse au concile de 381

n’est pas signalée par ailleurs. Pourtant, ce passage en constitue peut-être un indice. Ces hommes, dit Grégoire, sont « concitoyens de notre père Abraham, ils sont partis de Mésopotamie, sortant eux aussi de leur pays et de leur

parenté» (549 BC). On peut objecter à ce texte qu'il n’a pas nécessairement la précision géographique qu'on souhaiterait pouvoir lui attribuer. Les évêques en question ne sont pas forcément originaires d'Ur de Chaldée ou de sa région. Au demeurant, Abraham avait longtemps séjourné à Harran. Un mot pourtant implique que ces évêques soient d’une origine étrangère à l'empire. Grégoire les appelle en effet «des hommes qui sont venus d’au-delà des frontières» (&E Snepopiac) (549 B). On sait que la liste des membres du concile est incomplète. Elle ne signale pas, par exemple, Ascholius de Thessalonique, un occidental: qu’elle ignore à plus forte raison des étrangers n’est pas surprenant Si des évêques perses ont pu se rendre à Constantinople, c’est donc que la persécution religieuse a cessé en Perse plus tôt qu’on ne le croit : la pacification ne daterait pas du règne de Sapor III (qui ne monte sur le trône qu’en 383), mais de celui d’Ardaschir II (379-383). Il en est évidemment de même du rapprochement avec les Romains, puisque la venue de ces évêques précède celle de l'ambassade qui viendra, soit en 383 annoncer l'avènement de Sapor III, soit à la fin de 384, au moment de la naissance d'Honorius. L'arrivée de ces évêques avait coïncidé avec le départ des pneumatomaques (549 C). Grégoire les loue de leur silence digne : il s'explique non seulement par les difficultés de langue, mais encore par le fait que les chrétiens de Perse étaient demeurés totalement à l’écart des controverses trinitaires.

(40) 553 A.

SAINT GRÉGOIRE

DE NYSSE

327

Grégoire n’a pas parlé en simple membre du concile désireux d'expliquer la position qu'il a prise : il intervient pour redonner cohésion et confiance à une assemblée un peu désorientée par la situation que ses décisions venaient de créer. En définitive, il nous semble que lorsque Grégoire déclarait prendre la parole en service commandé 4), il y avait là beaucoup plus qu’une simple clause de style : Mélèce l'avait probablement chargé de reprendre en mains un concile qui flottait. 2. — LE SERMON DE 383.

Au mois de mai 383, Grégoire prononça, à l’occasion du concile qui se tenait à Constantinople, un discours Sur la divinité

du Fils et de l'Esprit-Saint 42, C’est bien en effet dans la capitale qu'a été prononcé un sermon qui se propose d’être utile «aux princes comme aux simples particuliers » (3) et sa date est postérieure à la proclamation du jeune Arcadius en qualité d’Auguste, c'est-à-dire au 16 janvier de la même année #. De plus, le thème du sermon est emprunté à un passage des Actes des Apôtres qu’on lisait entre Pâques et Pentecôte 45), Enfin, la majeure partie de ce texte constitue une diatribe contre les ariens, la fin étant dirigée contre les adversaires de la divinité du Saint-Esprit (9). Or on sait que Théodose avait demandé aux uns et aux autres de présenter leur profession de foi à ce concile.

C’est donc des questions débattues par le concile que Grégoire entretient le grand public, car c’est évidemment à ce dernier qu’il s'adresse et non à ses collègues dans l’épiscopat. C’est un pasteur qui instruit des fidèles qui déclare: « Je vous entretiendrai paternellement de ce sujet » 47. Au demeurant, il y a dans ce sermon une très longue digression relative au sacrifice d'Abraham (9), Or Grégoire a cru nécessaire de raconter par le menu cette histoire, parce que, disait-il, elle n’était «vraisemblablement pas connue de la plupart » 4%. Non seulement, une telle affirmation montre bien que le grand public constituait son auditoire, mais elle laisse encore voir que ce dernier était très ignorant de l'Ancien Testament. La curiosité générale des habi(41) Il nous «prescrit de faire le service (ôtxxoveïv) ». (544 A). (42) PG XLVI, 553 C-576 C. (3) 556 B. (44) Cf. Daniélow, pp. 363-364. (45) Ibid, (6) Après l’exorde (553 C-557 A), on rencontre une diatribe anti-arienne (557 A-565 B), le récit du sacrifice d'Abraham (565 C-572 D) suivi d’un bref retour à la polémique anti-arienne (573 A-573 C). Seule la péroraison (573 C576 €) consacre quelques mots aux adversaires de la divinité du Saint-Esprit. (47) 561 D. (48) Elle correspond à peu près au tiers de la longueur totale du texte. (49) 565 C.

328

LA PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

giques ne doit tants de la capitale à l'égard des problèmes théolo issance de conna leur de due l'éten donc pas faire illusion sur la Bible. d’une thèse En fait, il s’agit beaucoup moins d'établir la vérité en les aires advers ses sur dit discré le jeter de que théologique que, Parce ? e lectur cette é ridiculisant. « Pourquoi donc ai-je évoqu ces e comm nt agisse qui gens des a maintenant aussi, il y ou dire de que ation occup e d’autr pas n’ont Ils Athéniens. hier, avantou hier qui, d'entendre quelque nouveauté. Ces gens improont quitté les tâches des artisans, ces faiseurs de dogmes pés échap fouet de s gibier des tre, peut-ê s tique visés, — des domes des sur s tation aux fonctions serviles, — nous font de graves disser parle leur on Si (...) ion. éhens réalités qui échappent à la compr si on de sous, ils vous dissertent sur l’engendré et l'inengendré, et plus est Père Le « : dent répon vous ils pain, du prix du rme s’info est-il bain «Le on: questi la grand et le Fils lui est soumis». A prêt ?» ils rétorquent par la définition que le Fils provient de ce qui n’est pas» (2). Le caractère hautain d’un tel langage est sensible : il convient mieux à l’aristocrate qu'est demeuré Grégoire qu'à un évêque. Pourtant, c’est bien l'évêque qui est irrité et cette irritation est causée par la persistance de l’arianisme à Constantinople trois ans après l’arrivée de Théodose. « Tous les endroits de la ville sont pleins d'individus de ce genre, les ruelles. les places, les avenues, les galeries. Ce sont les détaillants de vêtements, ceux qui sont assis aux tables de change, ceux qui nous

vendent les aliments » (21. L’aveu est précieux : l’arianisme est, à

Contantinople, un phénomène populaire. Il est vraisemblable que les milieux les plus proches de la cour avaient été les premiers à se rallier à la foi du nouveau souverain et n’avaient encore été que peu suivis. Il n’est pas impossible non plus que Grégoire accentue le caractère populaire de l’arianisme, non seulement afin d’en détourner les membres de l’aristocratie encore hésitants, mais aussi pour rendre manifeste aux auditeurs qui appartenaient aux classes populaires le décalige qui était en train de s'établir entre leurs croyances et celles de l'aristocratie. Demeurer arien, c’est rester insensible à l'exemple donné par la famille impériale de Constantinople comme par celle de Milan. «Comment ne pas gémir comme elle le mérite sur la cécité de ces malheureux ? alors qu'une si grande lumière de vérité jette à notre époque sur le monde entier l'éclat de la foi orthodoxe, ils sont les seuls à rester aveugles devant cette clarté. Ignorez-vous ce que je veux dire quand j'affirme que la lumière abonde à notre époque ? Faites le compte des luminaires royaux, qui en nombre égal à celui des évangiles, se partagent la quasi-totalité du monde et le baignent dans la paix de la piété» (22. Langage de courtisan, certes, qui (20) 557 AB. (21) 557 B. (22) 557 D-560 A.

SAINT GRÉGOIRE DE NYSSE

329

flatte le pouvoir et l'invite discrètement à se faire obéir du peuple de la capitale ; mais surtout utilisation morale de la puissance publique pour impressionner les derniers opposants.

Si l’orgueil de caste est sensible dans les passages que nous venons de citer, il apparaît également dans une réflexion relative à la conduite d'Abraham. Au moment de sacrifier son fils Isaac, il renvoie ses serviteurs «pour ne pas recevoir d'eux un conseil sans noblesse issu de leur mentalité servile » 2%. Orgueil d’aristocrate, orgueil masculin aussi : Grégoire loue en effet Abraham

de

n'avoir pas pris conseil de sa femme. «Il ne mit pas sa femme au courant de l'événement (il avait bien raison d’en user de cette façon et il agissait d’une façon avantageuse pour lui), parce qu'il jugeait que la femme n’est pas de bon conseil : Adam non plus n'avait pas gagné à faire bon accueil au conseil d’Eve » #. Une réflexion de ce genre a, en principe, une portée limitée: ce n’est guère qu’une façon de mettre en évidence le caractère immédiat de l’obéissance d'Abraham, qui a exécuté l’ordre reçu sans prendre le temps d’un conseil. La leçon donnée par le prédicateur a beau être spontanée et ne rien devoir au calcul, son langage n’en accrédite pas moins la supériorité morale de l’homme sur la femme, présentant de la vie du couple une image où la subordination règne

sans partage. Le caractère presque allusif d’une telle réflexion montre que Grégoire ne croyait pas qu’elle eût besoin de beaucoup de preuves à son appui et qu’elle correspondait à la façon de voir de ceux qui l’écoutaient. Nul doute que l’homme marié qu'il était encore à cette date en usait avec sa femme comme il le conseille. Les accents qu'il sait trouver pour traduire la tendresse paternelle ne rendent que plus sensible le contraste que l’on devine entre l'affection du père pour son fils et la sécheresse de l'époux à l'égard de sa femme ().

Notons que ce sermon ne fut probablement pas le seul que les

auditeurs entendirent ce jour-là.

Du moins, Grégoire laisse-t-il

entendre que d’autres prédicateurs devaient prendre la parole après lui, lorsqu'il déclare emprunter le sujet de son sermon à la liturgie de la veille, «en réservant à ceux des convives qui sont plus avancés dans la perfection la plupart des points qui nous sont proposés aujourd'hui » 2%. L’évêque de Nysse prend la parole le premier, précédant des évêques auxquels leur siège assurait la préséance (27). Il apparaît ainsi que le protocole assure à celui qui occupe le degré le plus élevé, en loccurence Nectäire de (23) (24) (25) (26)

569 569 Cf. 556

D. A. 568 À, 568 C. D.

(27) Une liste de participants au concile de 394 donne à Grégoire de Nysse la sixième place, après Nectaire de Constantinople, Théophile d'Alexandrie, Flavien d’Antioche, Helladios de Césarée de Cappadoce et Gélase de Césarée

330

LA

PRÉDICATION

DES

PÈRES

CAPPADOCIENS

Constantinople, de prendre la parole en dernier lieu. Nous ignorons complètement la teneur des allocutions qui firent suite à celle de Grégoirè de Nysse et cette ignorance limite la portée de l'interprétation que nous sommes en mesure de donner de cette

dernière.

Pourtant nous ne pouvons pas ignorer que voilà un

évêque étranger et bien en cour qui constate publiquement avec colère et mépris que le petit peuple de Constantinople est resté arien, malgré l'exemple royal qui lui est donné. Les responsables de cet état de choses ont beau ne pas être nommés, ils sont implicitement mis en cause. Il est probable que Grégoire n’estimait pas l'énergie de Théodose au même degré que son orthodoxie, mais un blâme muet à l'égard des responsables de la ville nous paraît aussi impliqué dans un tel discours. En définitive, notre cappadocien constate avec amertume l'incapacité d’un Nectaire à rallier le peuple autour de lui, aussi bien que les tergiversations d’un Théodose qui donne à nouveau une voix à Eunome et aux pneumatomaques en les invitant à présenter au concile leur confession de foi. Malgré les apparences, la mauvaise humeur de ce discours concerne moins le peuple de Constantinople que son empereur et son évêque. de Palestine. On trouvera le texte grec de cette liste et sa discussion, ainsi que la bibliographie de la question dans E. Honigmann, Trois mémoires bosthumes d'histoire et de géographie de l'Orient chrétien, pp. 3-83 et, en particulier, pp. 6-7, 12, 26-37.

CONCLUSION Les conclusions qu’il est possible de tirer de cette étude des sermons et discours de Grégoire de Nysse ont une portée limitée. Ils ne nous permettent guère en effet de saisir la personnalité de leur auteur, encore moins son originalité. Le meilleur de Grégoire de Nazianze a passé dans sa parole, il n’en va, pas de même ici. Non seulement Grégoire de Nysse a confié à des traités tout ce que sa pensée pouvait avoir d’original, mais il a encore utilisé nombre de sermons pour la composition de ses commentaires scripturaires. Pour ces raisons et peut-être aussi par manque de collaborateurs techniques, aucun des sermons qui ont précédé la mort de Basile n’est parvenu jusqu'à nous. Les vingt-six discours qui nous restent constituent donc une base bien étroite pour juger de la prédication de leur auteur.

C'est ainsi qu'on peut avoir l'impression qu'il s'était peu consacré à l'explication de l’Ecriture aux fidèles qui l’écoutaient. Cette impression est évidemment fausse et il est, au contraire, bien probable que Grégoire de Nysse avait fait une part très large à l'exégèse systématique dans sa prédication. Si nous rapprochons le manque quasi-total de sermons exégétiques dans l’œuvre de Grégoire de Nazianze du sort qu'a subi cette partie de l’œuvre prêchée de Grégoire de Nysse, on est amené à penser que la prédication des Pères cappadociens empruntait, au fil des jours, le visage de l'explication de textes. La banalité même de ce genre de discours le condamnait au délaissement. Autrement dit, ou bien (et c’est le cas le plus fréquent), le texte d’une homélie exégétique n’était pas publié, et sans doute n’était-il pas même fixé par écrit, ou bien ce texte fournissait les matériaux d’une œuvre nouvelle composée à loisir. Entre la parole éphémère et les grands commentaires, il n’y a pratiquement pas d’intermédiaire en ce domaine. Au total l’œuvre de Grégoire risque de donner une image opposée à la réalité de ce qu'était sa prédication quodienne. Les vingt-six sermons que nous avons entre les mains reflètent au contraire assez fidèlement la prédication des circonstances qui sortaient tant soit peu de l'ordinaire. Prononcés à Césarée,

Constantinople, Euchaïta, Sébaste et Nysse, ils ne peuvent guère témoigner de la continuité d’une action, mais, en cela, l’image qu’ils donnent de l’activité de Grégoire paraît fidèle. Il a beaucoup voyagé et dispersé son activité sur des théâtres divers de 379 à 388. On peut d’ailleurs se demander si des causes extérieures ont seules joué pour entraîner si souvent Grégoire en dehors de Nysse. Il est bien possible en effet que la mauvaise humeur des fidèles, dont

LA

332

témoigne

le

PRÉDICATION

sermon

DES

Contre

PÈRES

CAPPADOCIENS

ceux

qui

nacceptent

bas

les

épisodique. Dans ces condiabsenté d’une ville qui le et qu’elles qu’en soient les a peu résidé dans sa ville

réprimandes, n’ait pas été seulement tions, Grégoire se serait volontiers supportait mal. Quoi qu'il en soit, causes, Grégoire est un évêque qui ses épiscopale au cours de ces années et, par voie de conséquence, ale pastor action d’une e l’imag donner sermons ne sauraient nous continue qui n’a guère existé dans les faits. Adressés au vaste public des jours de fête ou à l'assistance dificimêlée des cérémonies funèbres, de tels sermons pouvaient d’une ou élevé niveau lement proposer un enseignement d’un capter de et plaire de souci certain trop grande exigence. Un et l'attention paraît au contraire sensible : récits, descriptions er demand se donc peut « problèmes » n’ont pas d’autre but. On où se trouve Grégoire derrière ces phrases et ces mots. A dire vrai, le butin de celui qui partirait à sa recherche serait bien maigre. Nous avons rencontré en lui un homme capable de se montrer hautain à l'égard du petit peuple et méprisant vis-à-vis des femmes, en même temps que plein d’appréhension à leur égard. D'un autre côté, la fidélité de son orthodoxie a des accents émouvants, aussi bien que sa pitié à l'égard des pauvres et des malades. On a l'impression qu’en lui l'homme se dissimule autant qu’il se manifeste chez un Grégoire de Nazianze. En définitive, nous aurions tort de demander à ces œuvres de circonstance et à ces morceaux d’anthologie, qui attestent dans la personne de l’évêque la survivance du rhéteur en possession de tous ses moyens, de nous faire connaître le véritable Grégoire : il n’est pas là, il est ailleurs.

QUATRIÈME PARTIE ÉVÊQUES

ET FIDÈLES

Nous nous sommes efforcés dans les pages qui précèdent de restituer à chacun des 117 sermons qui constituent le matériel de notre enquête l’environnement qui lui est propre. Nous devions déterminer, dans la mesure du possible, à quel moment chacun d'eux a été prononcé, dans quelles circonstances et devant quel auditoire, Cela nous a amené à écarter après examen quatre œuvres de Grégoire de Nazianze qui ont été publiées par leur auteur, mais qui constituent en fait des traités et ne relèvent nullement de la prédication. Cela est évident en ce qui concerne les deux Invectives contre Julien l’'Apostat. I] en va de même de la longue Apologie composée par Grégoire après sa fuite de 362 : ici, nous avons affaire à une méditation sur la situation de l'Eglise liée à un embryon

de traité du sacerdoce.

Le Discours XXXIII

présente un cas très particulier. S'il est vrai, comme nous avons essayé de l'établir, que cet écrit en forme de sermon constitue en fait un appel au ralliement adressé aux fidèles et même au clergé arien de Constantinople au moment où tout le monde s'attendait à ce que Grégoire fût installé sur le siège épiscopal de Constantinople à la place de l’arien Démophile, nous nous trouvons en présence d’une forme originale d’action pastorale. A ce titre, une telle œuvre est proche de la prédication proprement dite, elle appartient pourtant à un domaine difiérent.

D’autres ouvrages nous ont laissé voir les traces d’un remaniement intervenu à l’occasion de leur publication.

C'est le cas des

cinq Discours T héologiques du même Grégoire de Nazianze, et ;l n’est nullement exclu qu'ici ou là des additions adroitement faites aient quelque peu modifié le sermon primitif. Néanmoins, nous nous trouvons en possession d’un total de 113 discours qui peuvent nous permettre de nous faire une image relativement précise de la prédication des trois Cappadociens. On peut dire que quatre-vingtdeux discours, quarante-cinq de Basile, dix-huit de son frère et dix-neuî de son ami, ont les plus grandes chances d’avoir été prononcés en Cappadoce même. Vingt-six l’ont été à Constantinople, soit par Grégoire de Nysse, qui y a pris la parole au moins à cinq reprises, soit surtout par Grégoire de Nazianze, dont le bref séjour dans la capitale nous a valu vingt et un sermons. Il y a donc

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nter les là une base suffisante pour nous permettre de nous représe ceux de , mesure large auditoires cappadociens et, dans une assez la nouvelle Rome. ns Peut-on considérer ces sermons comme autant d'échantillo

une de la prédication contemporaine ? Nous ne saurions apporter les de pas t suflirai ne il car n, questio cette à e nuancé e répons ateurs prédic rares des ou stome confronter à ceux d’un Jean Chryso des contemporains dont l’œuvre nous est connue. C'est la totalité

ou prédicateurs de l’époque que nous devrions, directement er suppos A s. d’étude champ indirectement, englober dans notre qu’on parvint un jour à situer la plupart des œuvres anonymes ou une pseudépigraphes que les manuscrits nous ont transmises, dont textes les e puisqu marge d'incertitude subsisterait encore, nous disposons représentent une très faible partie de la prédication du temps. Ce que l'examen des œuvres nous suggère au contraire, c’est le caractère exceptionnel de cette éloquence. Nous ne pensons pas ici à l'extrême homogénéité du groupe humain considéré. Rien ne s'oppose, en principe, à ce que trois évêques cappadociens, fussent-ils parents ou amis, soient représentatifs de leur époque. Ce qui rend leur cas à peu près unique, c'est l'alliance, réalisée dans leurs personnes, de traits que nous ne rencontrerions qu’à des degrés très divers chez la plupart des prédicateurs contemporains, s’il nous était donné de les approcher de plus près. Les - Cappadociens nous ont dit eux-mêmes que la plupart des évêques qui les entouraient étaient des laïcs influents promus du jour au lendemain à l’épiscopat, sans même avoir reçu jusque à le baptême. S'il est vrai que Grégoire de Nysse fut, comme tant d’autres, un évêque improvisé et si tous trois appartenaient à la classe qui possédait l'influence, on sait que Grégoire de Nazianze et Basile s'étaient préparés à leur tâche par de longues années d’ascèse et par l'exercice de responsabilités pastorales. On peut penser d'autre part que ces évêques improvisés ne l’étaient pas tout À fait sur le plan intellectuel. Y en eut-il cependant beaucoup pour passer le même nombre d'années que nos auteurs dans les universités du monde grec ? A côté de ces trois intellectuels, combien

y eut-il d'hommes honnêtes et bien élevés ? Pour un Amphilochios,

combien d’Atarbios ® ? Nous ne céderons pas à la vaine tentation d’ériger nos trois évêques en représentants éminents de l’épiscopat contemporain. S'il est aisé de discerner par quels côtés ils ressemblent encore à leurs confrères, l'originalité éclate de ces moines qui n’avaient rien omis de ce que l’enseignement supérieur de leur époque était en état de leur communiquer. (4) Amphilochios, cousin germain de Grégoire de Nazianze, avait été rhéteur avant de devenir évêque d’Iconium. On sait que Basile fut en butte aux attaques de son parent, l’évêque de Néocésarée Atarbios. Dans sa Lettre CCIV, adressée aux habitants de Néocésarée, Basile insinue que leur évêque manquait de la culture nécessaire.

CHAPITRE

I

Les fidèles

Le temps n’est pas encore venu où il sera possible d’allonger une liste déjà longue, et parfois brillante, en donnant à lire une monographie relative à la vie quotidienne des chrétiens orientaux du 1v° siècle, ne serait-ce que parce que nous sommes trop démunis des enseignements de l'archéologie, si précieux en pareille matière. Aussi bien, notre intention n'est-elle pas d'écrire un chapitre d'histoire sociale ou même de dessiner d’un trait ferme les contours des communautés chrétiennes que cette étude nous a donné d'approcher. Le but que nous poursuivons est plus modeste et plus précis. C’est bien une image du milieu dans lequel nos auteurs ont baigné que nous évoquerons, mais cette image sera celle-là même qu'ils s’en faisaient et que leur parole renvoyait à ceux qui l'avaient inspirée. Image partielle, peut-être, et subjective à coup sûr : du moins saurons-nous avec précision ce que des évêques voyaient et pensaient des fidèles dont ils avaient la charge, et ce qu'ils en exprimaient publiquement. C’est le propre de l’éloquence que de simplifier et de grossir, et comment l’ardeur à fustiger les vices pourrait-elle éviter d’en noircir le tableau ? Mais, dans la perspective qui est la nôtre, l’écran que la rhétorique forme constamment entre la réalité et ce qu'elle en laisse parvenir jusqu'à nous ne constitue plus un obstacle. Ce n’en est plus un que l’image ne sorte parfois du flou que pour ressembler à une eau-forte à la planche trop ravinée, si notre propos est de mesurer le champ de vision de l’auteur et l’acuité de son regard. Nous verrons les différents groupes sociaux dont se composait la population surgir d’une façon plus ou moins nette sur cet écran où viendra se peindre aussi quelque chose de leurs modes de vie. Pénétrant plus avant dans leur intimité, nous nous efforcerons de saisir ensuite les différents aspects de leur vie religieuse. 1. —

GROUPES SOCIAUX ET MODES DE VIE.

Une constatation s'impose assez vite à l'esprit. Dans société où la prédominance numérique du monde rural écrasante et les villes rares et, en général, peu peuplées, à peu rien ne concerne dans aucun de ces discours les habitants campagnes. Bien sûr, il ne serait pas diflicile d’énumérer

une était près des un

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ns tirées de Pagrinombre respectable d'images ou de comparaiso gnent de ce que témoi Elles ieur. culture, mais cela reste très extér s familières à des les réalités, qu’elles évoquent sont demeurée temps, mais qui, leur auditeurs qui passent en ville le plus clair de Elles attestent rs. foncie res iétai pour une large part, sont des propr les orateurs : chez nnes ancie s itude d’hab surtout la permanence r parmi manie à nul doute qu'ils n'aient appris chez le rhéteur ne reste gnes campa des vie La autres cet élément du répertoire. famine la et 9 368-36 de resse séche la Ainsi cependant pas sans écho. ns à sermo urs qu’elle risquait d'entraîner ont inspiré plusie le nze Nazia de ire Grégo à Basile ©. Une chute de grêle fournit nze Nazia à bien aussi é vénér , Mamas thème d’un sermon (2. Saint la campagne se qu'à Césarée, était un berger, et les habitants de célébrée par la fête la rendaient à Césarée pour prendre part à unique et d’être loin eurs d’aill est ville en son honneur %. Le cas gnards campa de e nombr nt isaie condu rs marty toutes les fêtes de aux sion l'occa ainsi aux portes de la ville. La vie liturgique donnait es évêqu des vus mal Si trer. paysans et aux citadins de se rencon les ient pagna accom qui es profan nts isseme qu'ils aient été, les divert t surtou faut il fêtes, donnaient matière à un certain brassage, mais é, march de ons occasi des t noter que les fêtes des martyrs étaien ion de la sans que cette pratique fasse l'objet de la moindre object dans la ou ée part des évêques. A Constantinople comme à César ns paysa aux ient donna s petite Nazianze, les fêtes des martyr ces En ts. produi leurs pour urs achete l'occasion de trouver des t circonstances au moins, les délégations venues des villages avaien dant cepen n’était fait Le . l'occasion d'entendre prêcher leur évêque dons, pas fréquent, et rares sont, parmi les sermons que nous possé de que L'évê urs. audite leurs parmi ruraux des èrent compt ceux qui de plus doute aucun Nazianze comme celui de Nysse avaient sans qui fidèles parmi les habitants de la campagne que parmi ceux avait ée César de que L’évê pale. épisco ville leur dans résidaient rs dans sa juridiction immédiate une cinquantaine de ces pasteu de aucun ant Pourt s (4), vêque choré des campagnes qu'’étaient les d’une parole la é adress jamais avoir paraît ne ateurs nos prédic façon expresse à cette variété de fidèles qui constituaient la grande e majorité de leur troupeau. Le peuple des campagnes ne sembl rs, discou ou ns sermo treize cent Sur upés. préocc guère les avoir neuf seulement ont pu compter des campagnards parmi leurs auditeurs, Encore faut-il ajouter que trois de ces neuf sermons ont été prononcés par Grégoire de Nysse en dehors de la Cappadoce, dans des circonstances qui faisaient de lui beaucoup moins un pasteur qu’un invité d'honneur. Il est vrai qu'en Cappadoce, aussi bien qu’à Sébaste ou Euchaïta, les fêtes des martyrs donnaient aux fidèles de toute provenance l’occasion d’entendre, outre leur (4) Cf. pp. 60-65. (2) Cf. pp. 118-119. (3) Cf. pp. 84-85 et 251-253. (4) Grégoire de Nazianze, Poème