Irak et Syrie (1960-1980) - Du projet national à la transnationalisation 9782370153920

Le monde arabe oriental a opéré une mutation au cours des années 50 et 60. A défaut d'une intégration unitaire et d

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Irak et Syrie (1960-1980) - Du projet national à la transnationalisation
 9782370153920

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Irak et Syrie 1960-1980

Samir Amin

Irak et Syrie 1960-1980 Du projet national à la transnationalisation Publié par :

Nouvelles Editions Numériques Africaines (NENA) Villa n° 9653 4ème Phase, Rue 41, Sacré-Coeur 3, Dakar, Sénégal BP 25231 Dakar Fann, Dakar, Sénégal Division commerciale de Senervert SARL au capital de 1 300 000 FCFA. RC : SN DKR 2008 B878. www.nena-sen.com / [email protected] / [email protected] Date de publication : 1982 Collection : Littérature d’Afrique ISBN 978-2-37015-392-0 © 2015 Nouvelles Editions Numériques Africaines (NENA).

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Licence d’utilisation L'éditeur accorde à l'acquéreur de ce livre numérique une licence d'utilisation sur ses propres ordinateurs et équipements mobiles jusqu’à un maximum de trois (3) appareils. Toute cession à un tiers d'une copie de ce fichier, à titre onéreux ou gratuit, toute reproduction intégrale de ce texte, ou toute copie partielle sauf pour usage personnel, par quelque procédé que ce soit, sont interdites, et constituent une contrefaçon, passible des sanctions prévues par les lois de la propriété intellectuelle. L’utilisation d’une copie non autorisée altère la qualité de lecture de l’oeuvre.

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Sommaire Préliminaires L’auteur Résumé

Introduction Chapitre I Le développement du capitalisme dans l’agriculture I - Le croissant fertile : agriculture et commerce dans l’histoire II - Les années 60 et 70 : réformes agraires et transformation des rapports paysansEtat. III - La croissance de la production agricole.

Chapitre II L’industrialisation I - La structure de l’industrie de la Syrie et de l’Irak en 1974 II - Rythmes et orientations du développement industriel

Chapitre III La structure d’ensemble de la croissance I - La croissance a prix constants. II - Finances publiques et balance extérieure III - Distribution du revenu, consommation et inflation.

Conclusion de l’échec du projet national a la transnationalisation ? I - L’échec agricole. II - Les limites du modèle d’industrialisation

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III - Projet national de développement ou transnationalisation ?

Sources d’information Revues et organismes arabes divers Documents officiels des gouvernements de la Syrie et de l’Irak. Auteurs divers Sigles

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Préliminaires L’auteur ***

Résumé Le monde arabe oriental a opéré une mutation au cours des années 50 et 60. A défaut d’une intégration unitaire et d’une transformation socialiste de la société, l’impression prévalait que les systèmes baasistes nouveaux de Syrie et d’Irak allaient permettre la- réalisation des projets de développement-nationaux, affermissant l’indépendance des Etats, fut-ce dans l’interdépendance à deux. L’analyse de la stratégie mise en œuvre pendant les vingt dernières années montre l’échec de ce projet. Le développement du capitalisme agraire et l’industrialisation de substitution, inscrits dans la logique de la division internationale du travail, ont accentué l’inégalité dans la distribution du revenu. La logique des intérêts de classe dominants appelle alors inéluctablement la transnationalisation. La « voie non capitaliste » et l’option en faveur des « industries industrialisantes » se sont révélées le plus sûr chemin vers un nouveau stade du capitalisme périphérique dépendant.

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Introduction Crise des années 70 ? Le monde arabe oriental a opéré une mutation politique au cours des années 50 et 60. L’initiative est venue de l’Egypte, avec le renversement de la monarchie en 1952, la réforme agraire et l’étatisation de l’économie qui ont suivi, la cristallisation progressive de l’idéologie nassérienne. A la fin des années 50, des mutations analogues ont eu lieu en Syrie et en Irak, sous la direction du parti baasiste. Au cours des années 60, l’impression a prévalu que ces changements devaient conduire à des développements économiques et sociaux rapides. A défaut d’intégration unitaire arabe — dont le projet n’a pas dépassé l’unité syro-égyptienne (1958-61) —, à défaut d’une transformation socialiste de la société, on croyait au moins que les systèmes politiques nationalistes nouveaux allaient permettre la réalisation des projets de développement nationaux, affermissant l’indépendance des Etats de la région, fûtce dans l’interdépendance globale. Le soutien soviétique à la « voix non capitaliste » confirmait cette hypothèse. La défaite arabe dans la troisième guerre israélo-arabe en 1967 a révélé la fragilité de telles constructions. Et la demi-victoire dans la quatrième guerre de 1973 n’a pas renversé la tendance à la désintégration des projets nationaux. Au contraire, l’Egypte amorçait une évolution nouvelle — baptisée par ses promoteurs « ouverture » (en arabe, infitah) — qui réintégrait ce pays dans le système capitaliste mondial selon un modèle de type « compradore ». Mais, en Syrie et en Irak, les régimes baasistes demeuraient en place et semblaient poursuivre le projet d’une construction nationale. La question est dès lors de savoir si le retournement égyptien constitue une exception —

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peut-être provisoire — ou, si au contraire l’évolution naturelle en Syrie et en Irak doit conduire à son tour à une re- « compradorisation ». Le retournement égyptien a coïncidé avec l’ouverture de la crise mondiale. Celle-ci s’est accompagnée, comme on sait, d’un relèvement massif du prix du pétrole à partir de la fin 1973, et se manifeste en Occident par un ralentissement des rythmes de l’accumulation capitaliste, la réapparition à grande échelle du chômage et la « stagflation ». Ces phénomènes touchent moins le tiers monde, comme le montre le tableau 1, établi à partir de chiffres calculés par Harry Magdoff. L’écart se réduit en faveur des pays du tiers monde dans leur ensemble, notamment des moins défavorisés : pays de l'O.P.E.P. et pays semi-industrialisés du monde arabe, de l’Amérique latine et d’Asie orientale. La crise ne serait-elle rien d’autre qu’un épisode dans le transfert du centre de gravité de l’accumulation capitaliste à partir de l’Ouest vieillissant vers le Sud en pleine jeunesse ? C’est un fait qu’en Syrie et en Irak la croissance s’est accélérée au cours des années 70 par rapport aux années 50 et 60. Même le phénomène du sous-emploi massif, qui caractérise le tiers monde en général, est ici relativement modeste et sans doute en réduction, comme il l’est dans les pays de la péninsule arabique. L’Irak et la Syrie, d’une certaine manière, manquent de force de travail et l’Irak en importe même sur une grande échelle. On ne saurait donc parler pour eux de crise à proprement parler. Tableau 1 - Taux annuels moyens de croissance de l’industrie et des investissements Industrie Investissements 1960-70 1970-80 1960-70 1970-80

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Pays capitalistes industrialisés. Pays semiindustrialisés du tiers monde Quart monde

6, 2

3, 3

5, 6

1, 5

7, 6

6, 8

7, 6

7, 2

6, 6

4, 0

4, 6

3, 6

Deux questions se posent dès lors. L’accélération de l’industrialisation dans les pays du tiers monde s’accompagnerait-elle obligatoirement d’une dépendance accrue aux plans technologique et financier à l’égard des centres capitalistes ? On peut observer en tout cas que la capacité d’assimilation technologique est en voie d’amélioration. Le monde arabe disposait déjà en 1976 de 800 scientifiques et ingénieurs pour 100 000 habitants (contre 1 000 pour l’Amérique latine, 100 pour l’Afrique et l’Asie, 2 875 pour les pays développés). Si le retard est un peu plus marqué en ce qui concerne les techniciens (150 pour 100 000 habitants dans le monde arabe, contre 1 475 en Amérique latine, 130 en Afrique et en Asie et 4 800 dans les pays développés), on pourrait sans doute rattraper le retard, pour l’essentiel, en une génération. Certes, la solution paresseuse de l’achat d’usines « clé en main » ne favorise pas l’assimilation technologique; mais la Syrie, par exemple, hésite à passer des accords de gestion avec les transnationales et semble vouloir mieux maîtriser la technologie. Quant à l’aide financière extérieure et à l’endettement externe, sont-ils également irréversibles ? La Syrie a reçu 82 millions de dollars d’aide des Etats-Unis entre 1945 et 1964, 47 millions de l’ensemble de l’Occident entre 1964 et 1969, 506 millions de l’U. R. S. S. entre 1954 et 1969; et l’Irak, en dépit de ses revenus pétroliers, respectivement 46, 55 et 487 millions. Cela représente, pour les deux pays ensemble, 22 % de l’aide globale dont a bénéficié le

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Moyen-Orient (chiffres de Galal Amin). L’Irak semble s’être libéré de sa dette extérieure grâce aux excédents de sa balance des paiements. L’endettement extérieur de la Syrie, qui se situait en 1975 au niveau de 504 francs par habitant (soit approximativement l’équivalent de la France : 576 francs par habitant), sera certes plus difficile à résorber. Mais pas impossible du tout. Outres les effets de l’érosion de l’inflation, il suffirait d’un flux de capitaux intraarabes plus marqué pour en effacer les traces : le tableau 2 montre que l’excédent de la balance des pays pétroliers est très supérieur au déficit des autres pays arabes. Tableau 2 - Balance des paiements de quelques pays arabes (en milliards de francs) 1973 Syrie Irak Algérie Egypte Arabie Saoudite

+ 1,50 + 3,56 — 1,97 + 0,34 + 9,8

1974

1975

+ 0,80 + 0,39 + 11,13 + 6,14 + 0,76 — 7,12 — 1,56 — 6,00 + 11,4 + 70,6

On voit dès lors qu’il est impossible de traiter des perspectives d’un projet national non dépendant en se limitant au domaine des relations extérieures. Il faut aller au-delà et pénétrer au cœur de l’analyse interne des sociétés. C’est ce qu’on tentera de faire ici pour la Syrie et l’Irak. On essayera d’expliciter la signification sociale, en termes de classes, des stratégies en action, de déterminer qui bénéficie des réformes agraires, des politiques de développement rural et d’industrialisation, de découvrir enfin les structures de l’appareil de production qui résultent de ces politiques et comment ces structures s’intègrent dans le système mondial. Et l’on sera alors en mesure de répondre à la

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question : s’agit-il d’un véritable projet national ou seulement d’une transnationalisation ?

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Chapitre I Le développement du capitalisme dans l’agriculture I - Le croissant fertile : agriculture et commerce dans l’histoire 1) Le Croissant fertile n’est fertile que par comparaison avec le désert de la péninsule arabique qui s’étend sur son flanc sud. Car il s’agit en réalité d’une région semi-aride dans l’ensemble; et seule la mince frange méditerranéenne des montagnes du Liban et des Alaouites bénéficie d’une pluviométrie suffisante chaque année. Mais, dans sa partie intérieure, Jourdain, Oronte et surtout Tigre et Euphrate offrent des possibilités d’irrigation considérables. La prospérité agricole dépend donc ici largement de la capacité de l’Etat de garantir la pérennité des ouvrages et la protection des paysans contre les envahisseurs descendus des montagnes qui bordent la région à l’est et au nord ou remontés des déserts du sud. Ces invasions ont entraîné, au cours de l’histoire, des destructions fréquentes et chaque fois il a fallu des siècles pour les réparer, tandis que l’agriculture se réfugiait chez les paysans des montagnes, au Liban, en pays alaouite et kurde. Cependant, l’importance de la région et sa civilisation n’ont pas dépendu exclusivement, ou même principalement, de son potentiel agricole. Comme d’autres régions du monde arabe, le Croissant fertile a été marqué par le développement de ses villes de « marchands-guerriers » et la domination des villes sur les campagnes. Les formations sociales de la région résultent de ces rapports internes et externes; nous les avons qualifiées ailleurs de « tributaires-marchandes » (cf. La nation arabe). Quoiqu’il en soit, l’hétérogénéité de la région, mosaïque de cités et de petites zones rurales, les unes relativement isolées, les autres dans la dépendance

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étroite des cités, mosaïque de communautés religieuses, unifiées par la langue arabe (à l’exception de la minorité kurde du nord-est de l’Irak), réduit la signification de généralisations trop vastes. Au début du xxe siècle, à la veille de l’écroulement de l’empire ottoman qui avait réunifié formellement la région sous son joug, le Croissant fertile était dans une situation misérable. Sa population, fort clairsemée, ne dépassait probablement guère 4 800 000 habitants et ses villes étiolées et appauvries n’étaient plus les centres d’activités commerciales, artisanales, manufacturières et intellectuelles d’autrefois. Mais, à partir des années 20, l’ordre colonial nouveau dominant des Etats découpés artificiellement permettra une nouvelle mise en valeur du potentiel agricole. A partir des années 50, des changements sociaux et politiques importants vont transférer le pouvoir d’Etat des anciennes hégémonies subalternisées par l’impérialisme à de nouvelles forces sociales, issues de la seconde vague de la libération nationale arabe. Les réformes agraires, le nationalisme panarabe unitaire, les positions anti-impérialistes des gouvernements permettront d’espérer un développement économique équilibré — agricole et industriel —, le renforcement de l’autonomie arabe à l’égard du système mondial, une participation populaire réelle aux processus de décisions politiques et économiques et une distribution des fruits de la croissance qui puisse améliorer la situation matérielle des masses populaires. 2) Il est de coutume d’analyser la croissance agricole en partant des facteurs de sa production : terre, eau, travail, inputs industriels (matériel, engrais, insecticides, etc.). Cette façon d’aborder la question privilégie l’angle technique et réduit l’importance des rapports de production sur la base desquels se développent les forces productives. On a également l’habitude, quand on étudie les rapports de production et les forces productives, de

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considérer les campagnes en elles-mêmes, en négligeant les rapports entre le monde rural, le monde urbain et l’Etat. Or cette dernière articulation n’est pas seulement technique (échanges agriculture-industrie), elle est avant tout sociale (transferts de surplus d’une classe à l’autre) et politique. Ici, le rôle décisif de l’Etat et le caractère urbain des blocs hégémoniques modernes, invitent, pour situer la nature des changements dans les campagnes du Croissant fertile, à inverser le cheminement des raisonnements habituels. De la plus haute antiquité à l’occupation ottomane, l’alternance des périodes de prospérité et des périodes médiocres, voire de décadence, montre que la mise en valeur des facteurs que sont la terre, l’eau et le travail ne dépendait qu’en apparence des connaissances scientifiques et techniques et des idéologies. Derrière elles se profilent les rapports sociaux prédominants et l’organisation globale de ces rapports au niveau des entités politiques locales comme dans les relations qu’elles entretenaient entre elles et avec l’extérieur. Nous l’avons montré dans notre ouvrage sur La nation arabe (1976), la région était en fait caractérisée par deux formes d’organisation : a)Le caractère tributaire du mode de production fondamental — par opposition aux modes communautaires évanouis dans la préhistoire et au mode capitaliste qui prédomine aujourd’hui. Ce mode se définit par le caractère transparent de la ponction du produit du surtravail des producteurs et par une classe exploiteuse fondue avec la classe politique (l’Etat). Il implique des rapports d’exploitation fondés sur une relation entre base économique et idéologie de la reproduction sociale différente de celle qui caractérise le capitalisme. Il n’y a pas ici d’esclavage. On ne saurait non plus réduire le mode tributaire au féodalisme. Il n’exclut pas des formes

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d’apparence communautaires, qui ne sont pas des vestiges d’un passé lointain, mais des formes reproduites parce qu’efficaces, par le système d’exploitation existant. b)Le caractère mercantile, accessoire mais marqué — par opposition précisément au mode féodal occidental et à d’autres formes du mode tributaire dominant dans d’autres régions. Il se manifeste par l’urbanisation avancée, la diffusion des échanges monétaires internes et externes, des formes juridiques mercantiles, l’usage répandu du travail salarié, etc. La combinaison spécifique entre le mode de production tributaire et le développement mercantile avancé caractérise toute la région arabe, et singulièrement le Croissant fertile. Cette combinaison particularise la structure du bloc hégémonique, elle définit les fonctions de l’Etat et de l’idéologie dans la reproduction d’ensemble du système. Les campagnes sont exploitées et dominées, selon les régions, les époques et les circonstances, soit directement par l’Etat bureaucratique, soit par des propriétaires latifundiaires représentant cet Etat, soit par des propriétaires urbains mercantiles. L’idéal du système est la propriété étatique de l’ensemble des terres (miri). A l’origine, celles-ci sont en effet considérées comme la propriété collective de l'umma arabo-musulmane conquérante, qui perçoit un tribut (al jizia) sur les peuples conquis. Les bureaucraties et féodalités byzantine et sassanide supprimées, les communautés paysannes disposent de la possession du sol, à charge pour elles de payer le tribut à l’Etat musulman. Rapidement, cependant, avec l’Etat omeyyade, puis abbasside, la classe-Etat dominante du khalifat accapare pour elle-même une partie notable des terres : le tribut perçu n’est plus redistribué à l’ensemble des guerriers arabes et ceux-ci sont exclus de la jouissance du surproduit des terres de l’Etat. Cette nouvelle propriété semi-féodale de l’aristocratie khalifale réduit la centralisation étatique du surplus extrait des paysans; mais

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l’aristocratie tient elle-même ses bénéfices économiques d’un Etat relativement centralisé. Aussi cette propriété demeure-t-elle précaire, révocable selon les aléas de la politique, et ces pseudoféodaux ne sont pas attachés au terroir qu’ils exploitent. Par ailleurs, le pouvoir d’Etat s’appuie, Ibn Khaldoun l’a bien vu, ici comme au Maghreb, sur des tribus nomades qui lui fournissent caravaniers et guerriers et encadrent les régions agricoles. Durant les périodes d’essor économique et commercial, les marchands constituent une classe importante, qui fait partie du bloc hégémonique khalifal. Ils s’approprient des terres, notamment dans les régions riches et proches des villes, et les intègrent dans leur économie mercantile, utilisant tour à tour dans le cadre de cette exploitation : esclavage, métayage (khamessat) ou travail salarié. Cette histoire est traversée de luttes violentes qui reflètent différentes contradictions : la résistance des communautés paysannes, la révolte des laissés pour compte de la population arabe nomade, les luttes au sein du bloc hégémonique entre aristocratesbureaucrates d’Etat, aristocrates bénéficiant de fiefs (iqta’), marchands et clercs, sans oublier les luttes d’influence entre les diverses capitales régionales (notamment Damas et Bagdad). Les invasions turco-mongoles, puis les interventions des garnisons turques, ou celle des croisades, interfèrent à leurs tours dans ces conflits. La révolte des laissés pour compte du monde arabe nomade n’aura pas de suite politique mais seulement une conséquence religieuse, le kharedjisme. Rejetés à leur pauvreté d’origine, les tribus arabes n’apparaîtront plus qu’en éleveurs de moutons, transhumants misérables, ou en grands nomades éleveurs de chameaux; chez ces derniers, l’aristocratie, absentéiste, se fond dans la classe-Etat dominante, manipulant pour son compte les fidélités tribales.

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En revanche, la résistance paysanne donnera des résultats qui resteront inscrits dans la géographie politique de la région. Solidarisés sous forme de communautés religieuses dissidentes (chrétiens maronites, chiites, druses, alaouites) ou de communautés non arabophones (kurdes), les paysans garderont une certaine autonomie. Mais ils devront la payer en tolérant le développement en leur sein de notabilités qui négocient pour leur compte des compromis avec les pouvoirs centraux. Le pouvoir ottoman n’a pas apporté de modifications essentielles à ce schéma complexe. Il a réunifié formellement le pouvoir politique. Mais il a toléré, pour ce faire, les pouvoirs locaux, notamment ceux des communautés (milli). Cette politique s’accompagne d’un déclin global de la région : perte de la domination de la Méditerranée, établissement de relations maritimes directes entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie du Sud et de l’Est. Il en résulte un étiolement des couches marchandes et une « féodalisation » par transfert des terres aux notabilités locales. A la fin du XIXe siècle, à l’ouest, on ne connaît plus guère de vie rurale active que dans la bordure méditerranéenne : Palestine, Liban, montagnes alaouites, régions de Damas, Homs, Hama, Alep et Antakieh. Encore est-elle dominée par les grands propriétaires issus des aristocraties tribales arabes (Palestine, Homs, Hama, etc.). Dans les montagnes maronites et alaouites les communautés sont sous la coupe de leurs notabilités. Quelques éléments de propriété marchande ont survécu ici et là, autour des villes. A l’est, il n’y a plus de vie agricole que dans les collines du Kurdistan — dévolu par la suite à l’Irak —, où dominent les aghas, forme semi-féodale du pouvoir des notabilités tribales. La Mésopotamie est depuis longtemps retournée au désert, parcourue, comme la majeure partie du territoire du pays qui deviendra la Syrie, par les tribus du Nedj. Dans le sud de l’Irak, une agriculture misérable survit dans une zone

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plus marécageuse qu’irriguée, mise en coupe réglée par les cheikhs de la région. Cependant, les germes des changements qui vont commander l’évolution à venir sont là. L’empire ottoman a perdu, depuis le XVIIe siècle, son autonomie par rapport au système du capitalisme mercantiliste mondial. Depuis la signature des capitulations, il est devenu une périphérie ouverte à la pénétration des capitaux européens. Des rapports marchands se développent alors et certaines régions de l’empire se spécialisent dans des productions agricoles d’exportation, au profit des féodaux locaux, des marchands intermédiaires indigènes et surtout du système capitaliste européen : tabac, ver à soie, agrumes et même céréales alimentent ainsi un échange inégal qui introduit des biens de consommation manufacturés en provenance de l’Europe. Cet échange se substitue progressivement aux anciens courants caractérisés par l’exportation de productions riches, produits d’un artisanat et de manufactures avancés : brocards, soieries, cuirs, métaux travaillés, etc., qui finissent par être totalement ruinés. Cette périphérisation engendre des contradictions nouvelles. L’ouverture extérieure et l’installation de petites communautés étrangères ont favorisé la naissance d’une intelligentsia syrolibanaise. Celle-ci s'ouvre aux idées bourgeoises de laïcité, de modernisation administrative, de démocratie, de progrès technique. Constatant que la Sublime Porte ne défend plus les intérêts des peuples de la région, mais ouvre au contraire l’Orient à la domination de l’Occident, elle tend vers un renouveau du nationalisme arabe. Mais la classe intellectuelle qui porte ces espoirs est sans base économique sérieuse. Face à la puissance inviolée des « grands du désert » et des féodaux locaux d’une part, à la puissance grandissante du capital impérialiste d’autre part, elle ne parviendra pas à rassembler autour d’elle une unité populaire et les paysans

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resteront à l’écart du mouvement de renaissance bourgeois. 3) Les Etats sous mandat, découpés artificiellement, résultent de la confrontation entre l’impérialisme montant et la nouvelle bourgeoisie arabe. Le premier imposera pendant trente ans à la seconde, dans l’alliance hégémonique locale, une composante « féodale » dominante. L’ordre colonial et le développement des activités capitalistes étrangères, protégées directement par les puissances mandataires qui n’ont plus à contourner le pouvoir ottoman, vont se solder par une renaissance de la mise en valeur agricole : travaux d’irrigation, voies de communications, législations commerciales modernes, réseau bancaire, progrès en matière de santé et d’éducation, mais au seul bénéfice des grands propriétaires et des propriétaires marchands. En Irak, la Grande-Bretagne, appuyée par la cour hachémite, ira jusqu’à distribuer le pays en propriété privée à un millier de cheikhs de l’aristocratie tribale nomade. Ce mode d’organisation du pouvoir permettra à la nouvelle classe lati-fundiaire de s’emparer de la presque totalité du produit agricole, les rentes foncières atteignant parfois quatre-vingt pour cent de la production ! Les paysans seront réduits à une misère totale et leur situation se dégrade même par rapport à celle de l’époque ottomane. Evidemment, avec une telle ponction, il est inutile pour les nouveaux propriétaires de procéder à des investissements de modernisation : ce sont les chaînes, au sens propre du mot, destinées à contraindre les paysans au travail qui constituent le moyen de production essentiel. En contrepartie, la Grande-Bretagne se réserve le pétrole du Mossoul, sans même se croire obligée de payer une rente, fût-elle symbolique, à la cour de Bagdad. La farce pompeuse d’un Bagdad pseudo-abbasside reconstruit par les architectes anglo-indiens de Bombay and Bushir Ltd tient lieu de récompense.

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La seconde initiative des Anglais constituera à exproprier les paysans de Palestine pour y établir une communauté juive-européenne, noyau du futur Etat d’Israël. Ce qui leur permettra ensuite de se livrer à des comparaisons édifiantes entre l’admirable mise en valeur du désert palestinien par des Européens (soutenus par les crédits bancaires et les subventions) et le pitoyable état de la Mésopotamie arabe... La Syrie est laissée aux Français, en raison sans doute des problèmes innombrables qu’elle pose. Liban maronite, Liban chiite, pays druse, pays alaouite, Damas, Homs, Hama, Alep, sans compter les Turcs d’Antakieh et les tribus arabes de la Djezireh : comment constituer un Etat avec ce conglomérat, qui soutenir, contre qui ? La France optera finalement pour deux Etats : le « grand » Liban et la « petite » Syrie, laquelle s’essoufflera à vouloir devenir grande à son tour mais se heurtera très vite à la Palestine, livrée aux sionistes, et à la Transjordanie, offerte par les Anglais à la famille hachémite. Dans cette situation, la France se contentera de vivre au jour le jour, jusqu’en 1943, laissant notabilités et féodaux ici, marchands là, s’approprier tranquillement les terres paysannes. Bloc national confus et éducation « Troisième république » aidant, l’esprit mercantile et bourgeois du Levant ne s’en tirera pas trop mal. Ici, au moins, la petite bourgeoisie sera contrainte de jouer, sinon le jeu des paysans, du moins un jeu paysan. Objectif : chasser les Français et redistribuer la terre — non pas à qui la travaille actuellement, avec des moyens trop modestes, mais à qui peut la faire rendre au maximum grâce aux techniques modernes. Le Baas, syrien avant d’être irakien, est né de ces confluences. Recrutant dans les subalternes de la petite bourgeoisie, chez les officiers fils de paysans riches minoritaires, il s’apprête à prendre la relève. Mais, d’ici là, l’Egypte aura ac-

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compli sa révolution bourgeoise. La réforme agraire émigrera donc des rives du Nil aux collines et rivières de Syrie, en attendant de s’établir sur les rives de l’Euphrate et du Tigre, après l’effondrement du château de cartes anglo-hachémite. Dans l’intervalle, la bourgeoisie marchande syrienne, dont la faculté d’adaptation est remarquable, parvient à mettre en valeur la Djezireh syrienne, louée (bon marché) aux cheikhs et organisée à l’américaine en dryfarming aux tracteurs actionnés par des prolétaires recrutés dans les bidonvilles de Damas, Homs, Hama, Alep, Lata-qieh et même Beyrouth. 4) La mise en valeur de la Djezireh au cours des années 50 inaugure la modernisation de l’agriculture du Croissant fertile, laquelle exige pour la première fois des inputs d’origine industrielle; matériel mécanique, engrais chimiques, etc. Jusqu’alors le monde rural produisait lui-même ses moyens de production, réduits au demeurant à un outillage artisanal (traction animale, noria, saqieh, etc.) et à des engrais naturels. Sans doute, les grands aménagements exigés par l’irrigation ont-ils toujours été entrepris à l’initiative d’une autorité supérieure : on sait que la thèse du « mode de production asiatique » et sa version extrémiste du « despotisme oriental », selon Karl Wittfogel, sont fondées sur cette intervention nécessaire de l’Etat dans les « sociétés hydrauliques ». Mais de tels aménagements, datant d’avant l’usage des machines, ont été possibles seulement grâce à la mobilisation du travail paysan par le moyen de la corvée. Par ailleurs, aucun aménagement d’importance n’avait été entrepris au cours des derniers siècles, et l’entretien des gros ouvrages, canaux et drains, n’était plus assuré au niveau requis pour éviter leur dégradation progressive. Au début du XXe siècle, l’exploitation agricole repose sur les aménagements mineurs de la petite irrigation, réalisés exclusivement par le travail paysan local.

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Le rapport qui reliait le monde rural à la société était un rapport inégal : la ponction exercée sur les paysans, et qui dotait la civilisation urbaine d’un incontestable éclat, avait la nature d’une rente foncière, dont bénéficiaient l’Etat et la classe dirigeante sans que les paysans reçoivent quoi que ce soit en contrepartie. La « modernisation » crée pour la première fois un échange ville-campagne, agriculture-industrie. Durant l’entre-deux-guerres, le processus s’amorce, en haut par les grands travaux à l’initiative des pouvoirs publics, qui, pour la première fois font plus appel à des moyens mécaniques qu’à la mobilisation du travail, en bas, par le recours des propriétaires et des paysans à des outillages et des inputs d’origine industrielle. S’accélérant à partir des années 50, le phénomène n’est rien d’autre que celui du développement des rapports de production capitalistes : l’autarcie rurale cède la place à une intégration agriculture-industrie qui impose la progression de la production pour le marché; la forme marchandise se développe au détriment du produit non marchand. Dans ces relations d’échange, les branches où le rapport capitaliste direct domine la production, c’est-à-dire l’industrie, établissent progressivement leur domination sur l’ensemble du processus agro-industriel. Tout en accélérant l’accumulation du capital, le nouvel échange inégal entraîne une distorsion particulière, essentiellement défavorable, une fois de plus, aux paysans. Le contrôle du processus de développement est lui-même l’objet d’un conflit entre l’Etat d’une part, les propriétaires fonciers et les capitalistes agraires de l’autre. Pour maximiser le surplus extrait de l’agriculture et l’affecter à l’industrie, le premier cherche à réduire les rentes des propriétaires et les profits des capitalistes agraires. Mais, la bourgeoisie d’Etat étant coincée entre l’impérialisme dominant et les classes populaires, l’Etat ne peut remettre en question

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les rapports extérieurs inégaux qui caractérisent les relations entre les bourgeoisies périphériques subalternes et le capital monopoliste central, lequel conserve le monopole de la technologie moderne.

II - Les années 60 et 70 : réformes agraires et transformation des rapports paysans- Etat. 1) Les années 50 et 60 ont été marquées par la montée du nationalisme arabe, nassérien et baasiste. La réforme agraire égyptienne, entreprise en 1952, inspirera celles qui furent mises en œuvre en Syrie et en Irak en 1958, dans le cadre de la République Arabe Unie (1958-1961) pour la Syrie, dans celui de la nouvelle république irakienne, dès la chute, cette annéelà, de la dynastie hachémite. Ces lois de réforme agraire étaient toutes fondées sur les mêmes principes : la limitation de la superficie maximale des propriétés, la confiscation moyennant indemnité des excédents, leur attribution par lots modestes à des familles paysannes moyennant rachat, l’organisation des bénéficiaires en coopératives obligatoires, la gestion par l’Etat des terres confisquées non encore distribuées. L’Egypte, qui est allée le plus loin dans ce sens, a étendu au cours des années 60 le système coopératif à l’ensemble de la paysannerie, bénéficiaire ou non de la réforme. En Irak, l’exécution de la loi a été lente jusqu’en 1961. Les superficies assujetties à confiscation s’élevaient alors à 1 100 000 hectares, dont, en 1962, à peine plus du tiers avaient été effectivement retirées à leur ancien propriétaire. En Syrie, la loi de 1958 fixait à l’origine les superficies maximales à 80 hectares en irrigué et 300 en sec, ce qui devait permettre en principe de confisquer environ 600 000 hectares, soit 16, 4 % de la superficie agricole,

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qui devaient être distribués par lots de 8 hectares en irrigué et 30 hectares en sec à quelque 60 000 familles (sur les 600 000 que comptent les campagnes syriennes), l’indemnisation, à la charge des paysans, étant répartie sur quarante ans et calculée sur la base de dix ans de loyer. La loi de 1963 a abaissé les plafonds en irrigué et en sec à 55 et 200 hectares respectivement, allégé les indemnisations et accéléré la coopération. Après des débats assez laborieux (de 1938 à 1961, sur 670 000 hectares confisqués, seulement 148 000 avaient été redistribués), aux débuts des années 70, c’est 1 300 000 hectares qui avaient été confisqués, dont 15 % des superficies irriguées, 800 000 distribués à 53 000 familles, tandis que les coopératives regroupaient 200 000 cultivateurs. A partir de 1970, les politiques des deux Etats baasistes ont commencé à diverger. La Syrie a choisi d’accélérer les distributions et de mettre l’accent sur le soutien aux paysans moyens (bénéficiaires ou non de la réforme) et aux « agriculteurs modernes », c’est-à-dire aux capitalistes agraires, en réduisant au minimum le système de la gestion étatique des terres confisquées mais non encore redistribuées, ainsi que le poids des interventions du système coopératif. Au contraire, l’Irak a décidé de ralentir le mouvement de redistribution des terres et de s’orienter vers l’organisation de fermes d’Etat. Quelle que soit l’incertitude des statistiques concernant la propriété et l’exploitation des terres dans ces deux pays, il est certain qu’au terme de deux décennies de réforme les redistributions ont considérablement modifié la figure de la propriété et de l’exploitation.

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Graphique 1 - Distribution des exploitations en Syrie et en Irak (19601970) Courbes de Lorenz

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En Irak, en 1960, régnait encore le système latifundiaire mis en place par les Anglais. La moitié pauvre des exploitants disposait de moins de 5 % du

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sol, les trois quarts de 10 % tandis que les 5% les plus riches accaparaient près des trois quarts de la surface cultivée (of. tableau 3). Tableau 3 - Irak 1960 Nombre cumulé d’exploitations (000) % Moins de 5 ha » de 20 ha » de 50 ha » de 100 ha 100 ha et plus

71 133 162 171 180

Superficie cumulée

39, 4 73, 7 90, 2 95, 2 100, 0

(000 ha)

%

164 805 1 690 2 800 8 013

2, 0 10, 0 21, 0 28, 4 100, 0

(Courbe de Lorenz A du graphique 1) En 1970, si le quart pauvre des exploitants ne disposait encore que de 3 % du sol et la moitié de 8 %, en revanche, la tranche intermédiaire des 40 % d’exploitants moyens contrôlait désormais 40 % du sol (cf. tableau 4). La comparaison des deux courbes est rendue malaisée par le fait que les terres non distribuées ne sont pas prises en compte dans la statistique de 1970. Quoi qu’il en soit, les redistributions ont permis au nombre total des exploitants — en grande majorité petits et moyens — de passer de 180 000 à 591 000. Tableau 4 - Irak 1970 Nombre cumulé d’exploitations (000) % Moins de 5 ha » de 20 ha

292 529

49, 5 89, 4

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Superficie cumulée (000 ha)

%

447 2 735

7, 8 47, 7

» de 50 ha » de 100 ha 100 ha et plus

582 588 591

98, 4 99, 4 100, 0

4 228 4 603 5 732

73, 7 80, 2 100, 0

(Courbe de Lorenz B du graphique 1) La distribution de la propriété en Syrie était moins inégale. Avant la réforme agraire, la moitié pauvre des exploitants possédait 5 % du sol, contre 8 % en 1970, les trois quarts les plus pauvres 17 % des terres, contre 27 % en 1970, les 90 % les moins riches 40 % des terres, contre 50 % en 1970 (cf. tableau 5). La courbe de Lorenz est passée de la position C intermédiaire entre A et B, à la position D voisine de celle de l’Irak après la réforme. Les deux courbes de Lorenz relatives à la Syrie et à l’Irak après les réformes des années 60, bien que voisines, se coupent deux fois. Cela signifie qu’il y a proportionnellement, à la fois plus de minifundiaires et de latifundiaires (de plus de 100 hectares) en Irak qu’en Syrie. Le phénomène tient au caractère extrême du latifundisme irakien, qui avait multiplié le nombre des minifundiaires, tandis que le nombre des latifundiaires était limité. La propriété moyenne était, en Syrie, beaucoup plus répandue. Tableau 5 - Syrie 1970 Pourcentages cumulés du nombre des des exploitants superficie s Moins de 5 ha » de 20 ha » de 60 ha

30, 7 69, 0 93, 5

2, 7 18, 3 53, 7

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» de 100 ha 100 ha et au delà

97, 8 100, 0

68, 1 100, 0

Mais l’accès au sol, moyen de production essentiel, demeure très inégalitaire en dépit des réformes agraires. Il s’ensuit que la distribution du revenu des producteurs agricoles et des propriétaires fonciers est elle-même très inégale; les grands propriétaires ne sont d’ailleurs pas eux-mêmes des producteurs, mais seulement des rentiers. De surcroît, la distribution des exploitants exclut du calcul les paysans sans terre, ouvriers agricoles à temps plein ou, beaucoup plus souvent, à temps partiel. Enfin, la fertilité des sols n’étant évidemment pas homogène, les moyens mis en œuvre pour la mettre en valeur (eau, équipements, engrais, etc.) interfèrent à leur tour dans les inégalités de base. 2) L’eau est, dans tout le Croissant fertile, l’élément déterminant dans l’exploitation des terres cultivables. On estime qu’environ la moitié à peine des terres cultivables (13 millions d’hectares en Syrie et 11 millions en Irak) sont effectivement cultivées (6 millions d’hectares en Syrie et 5, 3 en Irak). Mais le concept même de terres cultivables est flou. Une pluviométrie qui ne permet d’assurer une récolte suffisante qu’en moyenne sur un cycle d’une dizaine d’années n’autorise guère l’installation permanente de paysans si des moyens sociaux ne sont pas prévus pour atténuer les effets catastrophiques de ces dents de scie. D’un autre côté, des terres mieux adaptées au pâturage peuvent être menacées de dégradation irréversible si elles sont surpâturées. La frontière entre le désert absolu et les terres de pâture ne constitue donc pas elle-même une frontière certaine sur la carte. Ces réserves faites, la distribution des sols semblait, vers 1975, correspondre aux chiffres du tableau 6.

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Les ressources en eau de la Syrie sont évaluées à 32 000 millions de mètres cubes par an, celles de l’Irak à 80 000 millions. Or l’agriculture n’utilise en Syrie que 20 % de ce potentiel (6 000 millions de mètres cubes) et 50 % en Irak (39 500 millions). La superficie irrigable est estimée à 1 400 000 hectares en Syrie, à 3 350 000 ou même 4 000 000 en Irak. Tableau 6

Terres arables Cultures permanentes Pâturages permanents Forêts Terres irriguées

Syrie (000 ha)

Irak

5 125 351 8 631

5 100 190 4 000

445 600

1 500 1 150

Des travaux importants sont envisagés, dont le principal est le barrage syrien sur l’Euphrate, qui ouvrirait 640 000 hectares à l’irrigation, dont il est prévu que la moitié serait distribué à des paysans organisés en fermes collectives et individuelles, tandis que l’Etat se réserverait l’autre moitié pour y créer des fermes d’Etat. Il reste que l’importante émigration interne de paysans qu’exige l’exploitation d’un tel programme posera des problèmes ardus. En Irak, des programmes de grands barrages sont également en voie de réalisation. Mais, dans l’un et l’autre de ces deux pays, le rythme de mise en valeur annuelle réel des terres irriguées est actuellement très lent : 10 000 hectares par an en Syrie, 30 000 en Irak. 3) La croissance de l’équipement moderne et de l’usage des engrais chimiques s’est, elle, considérablement accélérée au cours des vingt der-

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nières années : il n’y avait en effet que moins d’un millier de tracteurs en 1950 dans chacun des deux pays. En Syrie, la superficie cultivée par animal de trait est descendue de 19, 8 hectares en 1961-65 à 16 en 1972-74, tandis que la superficie cultivée par tracteur est passée de 1034 à 511 entre les mêmes dates, accusant un taux de croissance du parc de tracteurs de 7 % l’an environ. En Irak, on retrouve la même croissance forte du parc de tracteurs, la superficie cultivée par engin passant de 1 028 à 578 hectares entre les mêmes dates; mais l’utilisation de la traction animale fait en Irak des progrès plus importants encore, la superficie cultivée par animal de trait passant de 15, 8 hectares en 1961-65 à 6, 8 en 1972-74. La raison en est l’importance plus grande en Irak de microfundia, très mal équipés en moyens même simples jusqu’à une époque récente : par exemple, au Kurdistan, l’usage de la houe manuelle reste le seul moyen à la disposition des paysans pauvres. La consommation d’engrais a également accusé des rythmes de croissance annuelle élevés (cf. tableau 7). Tableau 7 - Consommation d’engrais (en milliers de tonnes)

Syrie Irak

1967

azotés 1974 1967

1974

16, 9 6, 4

27, 0 27, 3

13, 4 6, 1

5, 5 2, 7

On remarquera les taux de croissance plus élevés de l’Irak (18 % l’an), qui partait de plus bas que la Syrie (11 % l’an). A l’heure actuelle, le degré moyen de modernisation des agricultures des deux pays est comparable (cf. tableau 8). Tableau 8 - Situation en 1975

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Nombre de tracteurs Surface cultivée par tracteur (ha) Production d’engrais azotés (mls t) Consommation d’engrais : — Azotés (mls t) — Potassiques (mls t) — Phosphatés (mls t) Consommation en kg/ha

Syrie

Irak

12 280 450 13 27

11 660 410 33 27

2 13 3, 4

1 6 3, 7

4) Il semble bien que les exploitations petites (à l’exception des minifundia) et moyennes utilisent les facteurs eau, équipement, engrais et travail d’une manière plus intensive que les grandes. Ainsi la densité d’animaux de trait par hectare cultivé présente-t-elle dans les deux pays un maximum pour les exploitations de 2 à 20 hectares (un animal par hectare en moyenne), alors que cette densité tombe à moins de 0, 5 pour les minifundia de moins de un hectare et les latifundia de plus de 100 hectares. Sans doute le recours au tracteur est-il plus fréquent dans les grandes exploitations. Ainsi, en Irak, en 1970, 52 % des exploitations de moins de 0, 25 hectare n’utilisent que l’énergie humaine, 45 % de celles de 0, 25 à un hectare n’utilisent que des animaux de trait (contre 25 % des exploitations de 5 à 10 hectares), tandis que 90 % des exploitations de plus de 500 hectares n’utilisent comme source d’énergie que des tracteurs (contre 61 % pour les exploitations de 10 à 20 hectares). Mais la densité de tracteurs à l’hectare décroît rapidement, semble-t-il, pour les tranches supérieures. La consommation intensive de l’eau par l’irrigation est plus répandue pour la classe des petits et moyens exploitants propriétaires que pour tout autre groupe social. Ainsi, en Syrie, en 1970, la proportion des exploitations totale-

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ment irriguées est de 37 % pour les exploitations de moins de 1 hectare, 25 % pour celles de 1 à 8 hectares, 16 % pour la tranche de 8 à 12 hectares et seulement 3 % pour la tranche de plus de 500 hectares. De même, la proportion des exploitants propriétaires est-elle plus forte parmi les exploitations petites et moyennes, notamment irriguées. En Syrie, en 1970, les exploitations totalement irriguées, qui couvraient 7 % des superficies et étaient plus nombreuses en proportion dans les tranches moyennes, étaient aux deux tiers exploitées par leurs propriétaires. La proportion des exploitants propriétaires tombe à 50 % pour les exploitations partiellement irriguées (13 % des superficies) et les exploitations totalement non irriguées (70 % des superficies). La consommation d’engrais non organiques en Irak en 1970 s’élevait à 809 kilos par hectare pour les exploitations de moins de 0, 25 hectare; 369 kilos pour celles de 0, 25 à 1 hectare, 162 pour celles de 1 à 2, 5 hectares; pour tomber à 22 kilos seulement pour celles de plus de 500 hectares. Les consommations d’engrais organiques par hectare pour les mêmes tranches d’exploitations étaient respectivement : 25 kilos, 10, 3 et 0. En ce qui concerne le travail fourni par hectare exploité, il semble en être de même. Sans doute, dans les petites exploitations, la totalité ou la majorité du travail est-elle fournie par l’exploitant et sa famille, alors que les grandes exploitations utilisent le travail des ouvriers agricoles permanents et saisonniers. Il n’existe plus qu’un nombre restreint de grandes propriétés à être encore exploitées par le moyen de la location à de petits et moyens exploitants, lesquels, à leur tour, utilisent principalement leur force de travail. Par exemple, en Irak, en 1970, dans 95 % des exploitations de moins de 20 hectares, le travail était exclusivement fourni par la famille (famille du reste élargie, semi-tribale, et ne mettant en valeur qu’une fraction de l’exploitation). Cette proportion tombe à 77 % pour la tranche de 20 à 50 hectares,

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58 % pour celle de 50 à 100 et 19 % pour celle de plus de 500 hectares. En revanche, dans 45 % des grandes exploitations de plus de 500 hectares, le travail est fourni principalement par des ouvriers salariés (contre 5 % des exploitations de 20 à 50 hectares) et, dans 35 % de la même tranche de grandes exploitations, le travail est d’origine mixte (ouvriers salariés et familles), ce qui n’est le cas que de 18 % des exploitations de 20 à 50 hectares. C’est au-delà de 50 hectares que l’exploitation commence à dépendre largement du travail salarié. La proportion du travail salarié permanent est plus forte, et, corrélativement, celle du travail salarié saisonnier moins forte, dans les grandes exploitations. En Irak, en 1970, les exploitations de moins de 50 hectares utilisent le travail salarié dans les proportions de 70 % pour les permanents et de 30 % pour les saisonniers, tandis que ces proportions pour celles de plus de 50 hectares sont respectivement de 85 % et 15 %. Autre aspect de la même réalité : 52 % des ouvriers agricoles permanents sont employés sur les exploitations de plus de 500 hectares, contre 37 % des saisonniers. Les deux mêmes proportions pour la tranche de 200 à 500 hectares sont respectivement de 16 à 12 %, pour celle de 100 à 200 hectares de 11 à 10 %, tandis que, pour les exploitations jusqu’à 50 hectares, elles s’inscrivent dans un ordre inverse : 15 à 31 %. On a calculé sur ces bases que le nombre de travailleurs non salariés (exploitant et famille) par hectare cultivé décroissait régulièrement de 19 pour les exploitations microfundiaires (moins de 0, 25 hectare) à 0, 01 pour les latifundia (plus de 500 hectares). Simultanément, le nombre de salariés par hectare cultivé décroissait lui aussi, passant de 18 pour la première tranche à 0, 02 pour la dernière du même classement (de 0 à 0, 25 hectare à plus de 500 hectares), montrant que les petites exploitations utilisent par hectare non seulement plus de travail familial, mais aussi, proportionnellement, plus de

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travail salarié. En ce qui concerne les microfundia, cela provient en partie de l’existence d’une fraction importante de propriétaires absentéistes qui, lorsqu’ils ne louent pas à des paysans riches, font exploiter leurs terres — c’est le cas notamment pour nombre de petits propriétaires, ouvriers ou petitsbourgeois urbains — par des travailleurs salariés. La location des terres est en effet très répandue dans les deux pays. En Irak, en 1970, 52 % des exploitations seulement sont exploitées par leurs propriétaires. Cette proportion décroît de 63 % pour les exploitations de moins de 0, 25 hectare à 48 % pour celles de 10 à 20 hectares, pour remonter ensuite jusqu’à 82 % pour les exploitations de 200 à 500 hectares. A l’opposé, 41 % des exploitations sont données en location : 14 % de celles de 0 à 0, 25 hectare, 50 % de celles de 5 à 10 hectares, ce pourcentage tombant à 15 % pour celles de 200 à 500 hectares. La proportion des terres louées est maximale pour la tranche moyenne de 5 à 50 hectares. Cela correspond à un phénomène de « koulakisation », les paysans riches exploitant non seulement leur propre propriété, mais également des terres louées d’une part à des petits paysans (souvent des microfundiaires qui abandonnent la culture d’un espace insuffisant pour se faire ouvrier agricole ou même émigrer en ville), d’autre part à des grands propriétaires incapables de mettre en exploitation la totalité de leurs terres. La proportion des terres louées est beaucoup moins forte en Syrie : 15 % des superficies seulement. La classe sociale des petits et moyens exploitants propriétaires y est plus nombreuse, plus forte et mieux assise. Les « exploitants » que la statistique syrienne de 1970 considère comme des « agriculteurs » sont sept fois plus nombreux que ceux qu’elle considère comme « non-agriculteurs », et la première catégorie possède quinze fois plus de terres que la seconde.

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III - La croissance de la production agricole. 1) Les incertitudes des statistiques agricoles. Selon certaines études de la F. A. O., l’agriculture syrienne aurait été pratiquement stagnante entre 1960 et 1975; celle de l’Irak, elle, aurait enregistré une croissance modeste (cf. tableau 9). La moyenne pondérée qui ressortirait de ces taux serait de l’ordre de 1, 7 % pour la Syrie et de 3, 6 % pour l’Irak. Ces estimations appellent quelques commentaires : a)On constate la modestie de la croissance de la production céréalière et le recul relatif de l’orge au bénéfice du blé. Or la mise en valeur de terres sèches, gagnées sur la steppe, traditionnellement occupées par les pâturages des nomades et la culture de l’orge, au profit d’une culture extensive du blé, dont les rendements sont faibles et aléatoires, selon la pluviométrie, est en elle-même discutable. Toujours est-il que les taux globaux concernant les céréales sont inférieurs à la croissance démographique (supérieure à 3 % l’an) et à la demande marchande (de l’ordre de 4 % l’an au minimum). Cela est en corrélation avec le déficit alimentaire croissant. Tableau 9 - Taux de croissance annuels de la production 1960-75 — Céréales dont Blé Orge Riz — Tubercules — Sucre — Légumes secs

Syrie

Irak

— 0, 8 0, 9 — 4, 2 — 12, 7 5, 8 0, 7

2, 3 5, 9 — 3, 4 6, 4 2, 1 20 1, 5

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— Légumes verts — Fruits — Viande dont Bovins Ovins — Lait — Oléagineux — Coton — Tabac

11, 4 0, 3 2, 8 0, 9 2, 9 — 1, 6 4, 1 — 1, 9

6, 3 3, 3 4, 7 4, 2 4, 8 3, 5 4, 2 5, 5 4, 3

b)Les taux retenus pour la production de viande sont, de l’avis de nombreux observateurs, très surestimés. Ils résultent en effet d’une appréciation peu fondée de l’abattage familial rural et nomade. D’autre part, on sait que la zone des pâturages est en recul, au bénéfice de la culture du blé extensif. Les enquêteurs qui ont fait des études sur le terrain (comme Henri Yedid, pour la région pastorale de Hama) concluent plutôt à une diminution du cheptel. Par contre, il est incontestable que l’intensification de l’agriculture a entraîné un développement relatif du troupeau de bovins sédentaires au détriment de celui des ovins transhumants. De plus, la demande marchande de viande, en croissance forte du fait de l’urbanisation, a entraîné une commercialisation grandissante et un recul de l’autosubsistance des transhumants et nomades. Quel est le résultat combiné de ces deux mouvements de sens inverse ? Difficile de le dire. Mais on peut supposer en tout cas que ce n’est pas un taux de croissance élevé : la demande de viande, en avance sur l’offre, a en effet déterminé une augmentation marquée de son prix relatif. c)On observe partout, et cela n’est pas spécifique à la Syrie et à l’Irak, une forte croissance des productions « riches », en réponse à la demande urbaine : volailles, légumes et fruits. Néanmoins, le taux global, plus fort pour l’Irak que pour la Syrie, est douteux. Sans doute, on sait que la grande période de croissance forte de

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l’agriculture céréalière en Syrie, par la mise en valeur de la Djezireh, est antérieure à 1960. Pour les années 50, on aurait enregistré un taux de 3 à 4 % pour les céréales. Hilan donne pour 1965, sur la base de 100 en 1948 les indices suivants : blé : 158 (2, 6 % l’an); orge : 230 (4, 9 % l’an); coton : 1 977 (19 % l’an). Parallèlement, les superficies exploitées seraient passées de 3, 4 millions d’hectares en 1952 à 6, 3 en 1965 (croissance annuelle : 4, 8 %) et le parc des tracteurs de 977 à 7 675 unités (croissance annuelle : 17 %). La période 1960-75 serait une période « creuse », qui sera peut-être suivie d’une nouvelle période de croissance meilleure, avec la mise en valeur des terres ouvertes à l’irrigation par le barrage de l’Euphrate à partir de la fin des années 70. Mais rien ne permet de penser que la croissance agricole de l’Irak ait été bien fameuse entre 1960 et 1975 : l’Economie Commission for 'Western Asia (E. C. W. A.) dit même expressément le contraire. Nasir Ahmed Khan, traitant les statistiques en valeur de la production, fait apparaître des taux de croissance encore plus contrastés dans le même sens (cf. tableau 10). Tableau 10 Produit agricole par unité de population rurale (dollars courants) 1963 1974 Taux de croissance Produit agricole par hectare cultivé (dollars courants) 1963 1974 Taux de croissance

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Syrie

Irak

126 222 5, 3 %

73 367 15, 6 %

48 133 9, 6 %

62 320 15, 8 %

Si l’on retenait un taux d’inflation des prix de l’ordre de 4 % et une croissance de la population rurale de 3 %, cela donnerait un taux négatif pour la Syrie contre un taux positif fort (7 %) pour l’Irak. Selon la même étude, la croissance du produit agricole à prix constants aurait été de 3, 2 % pour la Syrie entre 1960 et 1974; de 7, 7 % pour l’Irak entre 1960 et 1968; et de 2, 3 % pour le même pays entre 1964 et 1974 (ce qui donnerait, pour la période 1968-74, un taux négatif de — 3, 5 %). Bent Hansen avait, lui, estimé la croissance de l’agriculture syrienne à prix constants à 1, 3 % l’an entre 1956 et 1968. En contradiction avec la statistique précédente de la F. A. O., une autre étude du même organisme fait apparaître des taux inférieurs pour l’Irak, se dégradant pour devenir négatifs au cours des années 70, et des taux élevés pour la Syrie, s’améliorant au contraire au cours des années 70 (cf. tableau 11). Tableau 11 - Taux de croissance des indices de la production agricole alimentaire 1961-65/ 1970/77 1961-65/1977 1970/77 1977 Syrie Irak

4,8 1,0

10,1 — 2,2

5, 6 1,0

12, 0 — 2,1

En revanche, en ce qui concerne le troupeau, Nasir Ahmed Khan retient une croissance plus élevée pour l’Irak : Tableau 12 - Croissance annuelle du troupeau 1963-74

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Syrie Irak

Ovins et caprins

Bovins

Production de viande

3, 3 4, 5

1, 8 3, 0

2, 5 6, 9

Selon d’autres études réalisées par l’E. C. W. A., le taux de croissance annuel pour l’agriculture syrienne aurait été de 3 %, et il aurait été régulier (une fois les fortes oscillations annuelles éliminées par moyennes triennales). Pour l’Irak, ce taux serait de 1, 9 %, avec un ralentissement pour les années 70. Ces chiffres indicatifs de tendance sont inférieurs à ceux qu’on obtient en calculant la moyenne annuelle des variations de la production agricole aux prix constants de 1970 telle qu’elle ressort des tableaux mêmes de l’E. C. W. A. Pour la Syrie, les indices fluctuent très fortement d’une année sur l’autre, descendant jusqu’à 75 (1972), s’élevant jusqu’à 141 (1975). La moyenne des variations pour la période 1960-70 est de 13 96, pour la période 1970-77, de 5, 7 %; pour l’ensemble de la période 1960-77, de 8 % (contre une pente de la courbe de tendance de 3 %). Pour l’Irak, on note les mêmes fluctuations, avec pourtant une ampleur maximale moindre (minimum : 75; maximum : 130) et des moyennes respectives de 5, 2 % (1960-70), 2 % (1970- 77) et 3, 8 % (1960-77), contre une pente de tendance de 1, 9 %. Ailleurs dans le texte de l’E. C. W. A., les taux de croissance donnés pour l’agriculture de la Syrie au cours de la décennie 1970 sont les suivants : blé : 5 %; orge : 3, 4 %; betterave à sucre : 3, 4 %; coton : 1 %; légumes : 4, 9 %; olives : 5, 8 %; fruits : 3, 5 %; bovins : 2, 2 %; lait : 4, 2 %; ovins et caprins : 2, 7 %;

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volaille : 5, 9 %. Les superficies auraient augmenté au rythme de 3, 6 % l’an, les rendements de 6, 3 % l’an (ce qui donne une croissance de la production de 10, 1 % l’an !), tandis que l’augmentation annuelle moyenne des indices de la production aurait été de 4, 5 %! Toujours selon la même étude de l’E. C. W. A., la masse des investissements dans l’agriculture en Syrie concerne les grands travaux d’irrigation financés par l’Etat : près de 82 % de la formation brute de capital dans l’agriculture pour les années 70, principalement pour le barrage de l’Euphrate. Le reste (18 %) concerne les équipements et les bâtiments agricoles. Parallèlement, la proportion de la population rurale serait à peu près stabilisée depuis 1960 : environ la moitié de la population totale. Cela signifie donc une croissance de la population rurale de l’ordre 3 % l’an. Plus précisément, l’E. C. W. A. estime qu’entre 1960 et 1977 la proportion de la population rurale syrienne s’est réduite de 57 à 52 %, le nombre absolu des travailleurs agricoles passant de 696 000 en 1968 à 878 000 en 1976 (deux tiers masculin, un tiers féminin); selon Labonne, la réduction relative de la population rurale aurait été plus forte : de 54 % en 1960 à 46 % en 1975. Quoi qu’il en soit, l’augmentation de la population rurale absolue se serait soldée par une réduction de la superficie disponible par agriculteur. La croissance de la production agricole est estimée dans ce texte à 5, 4 % l’an pour la période 1961-78, ce qui ferait apparaître une croissance de la productivité de l’ordre de 2 %. L’E. C. W. A. note encore que la croissance de la production agricole serait attribuable pour l’essentiel à la croissance de la production de blé, tandis que le coton n’enregistre plus que des taux modestes. Cet organisme estime la

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croissance de la demande alimentaire nécessaire à 4, 5 % l’an pour faire face à l’urbanisation et à l’augmentation de revenu. Il prétend aussi que la croissance agricole se serait accélérée pour atteindre 8, 5 % l’an pour la production végétale et 6, 1 % pour l’élevage entre 1970 et 1978. Il attribue ces performances remarquables, que corrobore la croissance de la productivité agricole (2 %), à la mécanisation et à la chimisation de l’agriculture syrienne (cf. tableau 13). Tableau 13 Superficie cultivée par tracteur (ha) Superficie cultivée par moissonneuse (ha) Engrais (kg/ha)

1970 626 1 289

1976 283 1 308

4, 6

8, 2

Ces résultats auraient été obtenus sans véritable « révolution verte » (pas d’amélioration des espèces et des semences), avec des services de vulgarisation médiocres. L’extension du réseau irrigué aurait compensé la réduction de la superficie cultivée par travailleur et permis une amélioration des rendements et de la valeur ajoutée par travailleur (cf. tableau 14). Tableau 14 Valeur ajoutée Superficie cultivée Rendements par travailleur par travailleur (ha) (tonnes/ha) (dollars) 1966 1970 1975

433 426 1050

7,91 6, 97 5, 88

0, 73 0, 78 1, 36

Nasir Ahmed Khan estime que la superficie disponible par agriculteur s’est réduite de 2, 38 hectares en 1964 à 1, 68 en 1974. Il est vrai que la proportion

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de superficie irriguée passait, dans le même temps, de 7, 35 à 9, 59 % des terres cultivées. Sans doute doit-on noter que les rendements moyens sont déformés par la part prépondérante des zones cultivées en sec, dont la production connaît des oscillations très fortes. Or 1975 a été une année de pluviométrie excellente (croissance maximale de l’indice de la production). Par ailleurs, l’étude insiste sur le dualisme accentué des résultats : le progrès est concentré dans les régions d’agriculture moderne, tandis que, dans les régions traditionnelles, il n’existe guère d’incitations à la modernisation, les formules concernant le crédit, les subventions pour la consommation d’engrais et les subventions aux prix n’intéressant que les gros producteurs marchands modernes. Par ailleurs, comme les progrès de l’agriculture ne parviennent pas à suivre la croissance de la demande marchande, la hausse des prix relatifs de l’alimentation est freinée par la politique de subventions aux prix à la consommation. Les statistiques nationales analysées par l’E. C. W. A. font ressortir une augmentation annuelle moyenne de l’indice d’ensemble de la production végétale et animale de 13 % entre 1968 et 1977, une augmentation des superficies récoltées de 2 650 000 à 3 867 000 hectares (dont, pour le blé, respectivement 1 643 000 et 2 602 000 hectares), une augmentation des superficies irriguées de 477 à 531 000 hectares, et du nombre des tracteurs qui passe de 8 115 à 20 672 unités. En ce qui concerne l’Irak, la même étude constate une diminution de la production agricole entre 1969 et 1979 : l’augmentation annuelle moyenne de l’indice de la production agricole est négative : — 0, 2 %. Pourtant les superficies récoltées en blé auraient augmenté de 2, 2 % et les rendements de 0, 4 % !

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Comme pour la Syrie, la population rurale serait stabilisée autour de 50 % de la population totale. L’E. C. W. A. estime que la population rurale a diminué de 45 % en 1960 à 37 % en 1977, mais que les effectifs absolus d’emplois ruraux ont augmenté de 1 254 000 en 1968 à 1 710 en 1976 (dont 95 % de masculins). Labonne retient les proportions rurales de 53 % en 1960 et 43 % en 1975. La production étant stagnante, ou même en régression, la productivité agricole serait au mieux stagnante. Finalement, l’E. C. W. A. conclut pour l’Irak sur une note négative. Entre 1961 et 1978, la croissance agricole n’aurait été que négligeable : 0, 4 % l’an, négative pour la production végétale (— 2, 3 % l’an) mais positive pour la production animale (2, 4 % l’an). La production alimentaire par tête aurait enregistré un taux annuel moyen négatif désastreux : — 4, 3 %. Ce résultat obtenu en dépit de la mécanisation et de la chimisation, marqué par la stagnation des rendements, parallèle à une faible décroissance de la superficie cultivée par agriculteur (alors qu’en Syrie cette décroissance a été forte) et à la faible croissance de la valeur ajoutée par agriculteur, signifie que l’intensification de l’agriculture en Irak a constitué un grave échec (cf. tableau 15); selon Nasir Ahmed Khan, au contraire, la valeur ajoutée par agriculteur aurait augmenté en termes réels; tandis que la superficie cultivée par agriculteur aurait diminué de 1, 18 hectare en 1964 à 1, 06 en 1974, et que la proportion des terres irriguées passait de 76, 1 % à 77, 7 % des terres cultivées durant la même période. Tableau 15 - Moyens de l’agriculture Superficie par tracteur (ha)

1970

1976

346

242

43

Superficie par moissonneuse (ha) Engrais (kg/ha)

535 2,5

414 6, 9

Résultats 1966

1970

1975

433 4, 65 1, 01

515 4, 44 1, 16

830 4, 38 1, 00

Valeur ajoutée par agriculteur (dollars courants) Superficie par agriculteur (ha) Rendements (t/ha)

Les statistiques nationales d’origine, mentionnées par l’étude de l’E. C. W. A., donnent les chiffres du tableau 16. Tableau 16 - Indices de la production des céréales 1968 : 221 1970 : 158 1972 : 292

1974 : 143 1975 : 100 1977 : 112

Superficies (000 ha) et matériels (unités) 1968 1977 Récoltées Irriguées Tracteurs Moissonneuses

4 850 1 150 10 000 3 450

5 100 1 160 21 500 5 250

Un bon indice de la modicité des progrès réalisés dans l’agriculture des deux pays est fourni par les estimations des rendements par les services agricoles tels que les fournissent Labonne et Hibon (cf. tableau 17) : Tableau 17 - Rendements des céréales (quintaux/hectares)

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1974 1975 1976

Syrie

Irak

10, 2 8, 0 10, 3

8, 9 6, 8 9, 7

Egypte France 38, 4 39, 7 39, 4

42, 0 36, 8 34, 0

Or ces chiffres, modestes comme on voit (surtout pour l’Irak), ne sont pas sensiblement différents de ceux que les observateurs étrangers avaient relevé il y a plusieurs décennies. Les rapports du F. M. I. retiennent pour l’agriculture syrienne le taux de croissance de 3 % l’an pour la période de 1973-77. Mais le F. M. I. retient une hypothèse plus forte d’urbanisation et, sur cette base, note une réduction de la part de la force de travail rurale, qui serait tombée de 48 % de l’emploi total (752 000 emplois agricoles) en 1970 à 32 % (579 000 emplois) en 1976. Par contre, il retient une hypothèse floue de stabilité des superficies cultivées depuis 1970 : 3 à 4 millions d’hectares. La même croissance de 3 % que celle retenue par l’E. C. W. A. accentue dans ce cas le degré d’intensification de l’agriculture et, compte tenu de la stabilité des effectifs ruraux, se serait soldée par une meilleure croissance du revenu des agriculteurs. On notera aussi les relèvements progressifs des prix officiels d’achat du blé : de 365 livres par tonne en 1973 à690 en 1978 : relèvement annuel moyen de 14 %, qui excède largement l’augmentation générale des prix. Une place relativement importante a été donnée à l’agriculture dans les plans de développement de la Syrie. Ce n’était pas le cas du plan quinquennal 196165, élaboré pendant la période nassérienne de l’union égypto-syrienne, fondé, lui, sur l’industrialisation, mais dont l’application n’a guère été

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poussée, par suite de la rupture de 1961. Dans le second plan (1966-70), en revanche, le projet majeur est celui de l’aménagement de l’Euphrate, dont les résultats, au niveau agricole, n’apparaîtront cependant que plus tard. Le troisième plan (1971-75) met à nouveau l’accent sur l’industrialisation, tandis que le quatrième (1976-80) revient à un meilleur équilibre, fondé sur des espoirs également forts dans les domaines de l’agriculture (objectif de croissance de 8 % l’an) et de l’industrie (objectif : 15, 4 %). Le principal projet agricole pour ce dernier plan continue d’être l’aménagement de l’Euphrate, et l’agriculture doit absorber 24 % des investissements nationaux : 7, 4 milliards de livres syriennes pour le barrage, 1, 1 pour l’irrigation et 1, 9 pour les autres programmes de l’agriculture sur un total de 44, 8 milliards. En ce qui concerne les politiques agricoles et alimentaires, on notera le volume important des subventions (900 millions de livres syriennes en 1974 et 1, 4 milliard en 1977, soit respectivement 28 % et 21 % des dépenses publiques courantes totales), dont une part respectable intéresse les consommateurs (subventions aux produits alimentaires de première nécessité) et l’autre les producteurs agricoles (subvention aux engrais, notamment). Par contre, l’effort du crédit public reste faible, et les crédits octroyés par la Banque des coopératives agricoles négligeables : 328 millions de livres syriennes de crédits en cours fin 1974 et 495 fin 1977, sur un total de crédits en cours de respectivement 3 704 et 9 460 millions. En fait, l’agriculture s’alimente en matière de crédits auprès d’un marché financier privé constitué d’usuriers (auxquels les petits paysans sont contraints de recourir) et de marchands riches (auxquels s’adressent les grands exploitants modernes).

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Les résultats de l’ensemble de ces politiques ne seraient pas négligeables, comme en témoigne l’évolution des indices de la production sur lesquels le F. M. I. fonde son jugement (cf. tableau 18). Tableau 18 Indices (1970 = 100) Production agricole totale Production céréalière Production de viande et lait

1973

1976

1977

103 80 108

218 338 164

181 183 167

Le jugement porté par le F. M. I. sur l’agriculture irakienne est beaucoup plus sévère. Les superficies cultivées seraient ici en régression : de 2 672 000 hectares en 1972 à 2 150 000 en 1976. L’argument selon lequel les difficultés de l’agriculture de l’Irak seraient dues à la réduction du flux des eaux de l’Euphrate causée par la construction de barrages en Turquie et en Syrie n’est, semble-t-il, qu’un prétexte. Beaucoup d’eau qui pourrait être récupérée sur le territoire de l’Irak va encore se perdre en marécages. Il y a bien d’autres raisons aux défaillances irakiennes, par exemple l’absence de crédits aux agriculteurs. Le F. M. I. relève que les encours de la Banque des coopératives agricoles ne dépassaient pas 8, 2 millions de dinars fin 1973 et 27 millions fin 1977, sur un total de respectivement 85, 7 et 249, 8 millions de dinars pour l’ensemble des crédits d’équipement à moyen et long termes destinés à l’agriculture, à l’industrie et à la construction immobilière. Le taux de croissance de l’agriculture retenu par le F. M. I., 2 % l’an pour la période de 1969-76, apparaît dans ces conditions bien optimiste. Quant au taux de 7 % prévu par le plan 1976-80, il paraît hautement fantaisiste. 2) Bilan quantitatif de la croissance agricole 1960-80.

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Finalement, nous retiendrons les grands chiffres de tendance tels qu’ils ressortent de l’ajustement des courbes établies par l’E. C. W. A. Ce sont là en effet des chiffres indicatifs qui résultent de la meilleure confrontation d’ensemble des études diverses que les experts de cet organisme ont tenté de concilier. Ce sont aussi des chiffres qui répondent avec le plus de cohérence aux données qualitatives dont on dispose, comme aux recoupements divers que l’on peut faire : superficies, rendements et production; production, consommation et importations, etc. En valeur, ces chiffres indicatifs de tendance donneraient, par ajustement des courbes de l’E. C. W. A., les résultats suivants : Syrie : 1)Produit agricole 1960 : 300 millions de dollars 1977 : 500 » » Taux annuel de croissance : 3 % (régulier) 2)Formation brute de capital dans l’agriculture : 1960 : 20 millions de dollars 1977 : 60 » » Somme cumulée 1960-77 : 640 millions de dollars. 3)Coefficient de capital : somme cumulée/croissance du produit = 640/ 200 = 3, 2 Irak : 1)Produit agricole : 1960 : 450 millions de dollars 1970 : 600 » » 1975 : 600 » »

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Taux de croissance : 1, 9 % (ralentissement) 2)Formation brute de capital dans l’agriculture : 1960 : 30 millions de dollars 1975 : 100 » » Somme cumulée 1960-75 : 975 millions de dollars. 3)Coefficient de capital : 975/150 = 6, 7 Nous avons repris ces données dans les graphiques 3 (Syrie) et 6 (Irak). 3) L’inégalité entre les productivités apparentes de l’agriculture et des autres activités (industries et services) est un fait incontestable qui trouve sa manifestation dans toutes les données globales de la comptabilité nationale des deux pays. Labonne et Hibon estiment que le revenu agricole par tête est ici trois à quatre fois plus faible que le revenu moyen non agricole, et que ce rapport a encore régressé entre 1960 et 1975. Selon Nasir Ahmed Khan, le rapport entre le produit agricole par tête et la production non agricole aurait été, en Syrie, de 36, 4 % en 1963 et de 23, 9 % en 1974; pour l’Irak, respectivement de 15, 6 % et 23, 7 %. L’amélioration de la situation en Irak ne devrait malgré tout pas faire oublier que l’inégalité y était en 1963 deux fois plus forte qu’en Syrie. Ce retard de l’agriculture n’est pas en voie d’être résorbé, puisque, toujours selon Nasir Ahmed Khan, la part de l’investissement agricole dans l’investissement total apparaît encore plus en défaveur de l’agriculture que la part de la valeur ajoutée de l’agriculture dans le P. I. B. Le quotient de la proportion de l’investissement agricole dans l’investissement total

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par celle de l’agriculture dans le P. I. B. s’établit en Syrie autour de 70 % entre 1963 et 1973, et autour de 60 % pour l’Irak. D’après Galal Amin, ce rapport de valeurs ajoutées dans l’agriculture et l’industrie aurait évolué selon les chiffres du tableau 19. Tableau 19 - Valeurs ajoutées (dollars par actif) Agriculture (1) Industrie Rapport (2) (2)/(1) Irak 1958 Syrie 1960 » 1967

273 347 285

719 639 700

2, 63 1, 84 2, 46

Le rapport de l’I. D. C. A. S. sur l’industrie, indique une évolution du même ordre en dollars (cf. tableau 20). Tableau 20 Revenu rural Revenu urbain Revenu national par par tête par tête tête (en dollars courants) 1970 1977 1970 1977 1970 1977 Syrie Irak

128 132

489 278

449 519

1 623 1880

267 355

1 026 1318

On pourrait multiplier les preuves d’un phénomène qui caractérise au demeurant tous les pays du tiers monde. La raison en est simplement que le système des prix dans ces pays reflète dans une large mesure celui des pays capitalistes développés. Comme la productivité est plus faible dans l’agriculture de la périphérie — comparativement à ce qui est le cas au centre — qu’elle ne l’est dans l’industrie, la transmission du système des prix mondiaux des centres à la périphérie entraîne une rémunération inférieure du travail rural. Cela constitue sans doute le handicap essentiel au

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démarrage de l’agriculture et le meilleur argument en faveur d’une déconnexion par rapport au système mondial. 4) Le résultat le plus dramatique de la distorsion entre l’agriculture et l’industrie est la croissance du déficit alimentaire. Les importations alimentaires représentent, depuis 1960, entre le cinquième et le quart des importations totales de chacun des deux pays. Pourtant, en dépit du déclin de la proportion des ruraux, la masse de la population agricole demeure forte; et, dans les pays développés, une proportion bien plus faible d’agriculteurs parviennent à nourrir — mieux — l’ensemble du pays. Sans doute le nombre de personnes à nourrir par actif agricole a-t-il augmenté rapidement, passant, selon Labonne et Hibon, de 6, 6 à 8, 7 personnes en Syrie entre 1960 et 1965 et, en Irak entre les mêmes dates, de 7, 1 à 9, 7 personnes. Sans doute aussi, toujours selon Labonne et Hibon, les consommations apparentes par tête se sont-elles légèrement améliorées (cf. tableau 21). Ces chiffres globaux ne valent toutefois que ce que valent les estimations des productions, notamment autoconsommées, sur lesquelles ils sont fondés. De surcroît, s’agissant de moyennes nationales, ils ne renseignent pas sur l’inégalité dans la consommation alimentaire. Tableau 21

Calories/jour Protéines, grammes/jour Protéines animales, grammes/ jour Graisses, grammes/jour

Syrie 1965 1975

Irak 1965 1975

2 440 69, 2 11, 7

2 545 72, 5 13, 6

2 055 58, 0 13, 6

2 212 60, 8 14, 4

55, 3

59, 0

37, 0

39, 9

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Selon Nasir Ahmed Khan, l’offre alimentaire, bien qu’en légère amélioration, reste inférieure aux critères de satisfaction généralement retenus (cf. tableau 22). Tableau 22 - Ration en pourcentage des besoins

Syrie Irak

Calories 1960 1970 102 102 83 93

Protéines Protéines animales 1960 1970 1960 1970 74 70 28 17 56 62 20 16

L’écart entre la production et la demande, selon le même auteur, demeure toujours fort et croissant pour le blé, la viande et le lait (cf. tableau 23). Tableau 23 - Pourcentages de satisfaction de la demande par la production locale Blé : moyenne 1962-64 » 1972-74 Projection 1985 Viande : moyenne 1962-64 » 1972-74 Projection 1985 Lait : moyenne 1962-64 » 1972-74 Projection 1985

Syrie

Irak

119, 2 102, 8 86, 3 100 91 72, 1 100 81, 7 52, 1

82, 7 92, 3 64, 6 100 96, 9 67, 5 99, 1 92, 3 63, 1

Dans ces conditions, les importations agricoles et alimentaires représentent une proportion élevée du P. I. B. Pour la Syrie, ces importations passent de 4, 9 % du P. I. B. en 1963 à 8, 9 % en 1974; de 16, 4 % du P. I. B. de l’agriculture à 44, 4 % entre les mêmes dates. Pour l’Irak, les quatre pourcentages respectifs similaires sont de 3, 7 %, 6, 2 %, 24, 7 % et 44, 1 % (chiffres de Nasir). D’une

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manière plus ou moins uniforme d’ailleurs, pour l’ensemble des pays arabes, les importations agricoles représentent de 20 à 30 % de leurs importations totales. Les importations alimentaires nettes du monde arabe représentent en moyenne pour les années 1972-75 : 11 % du commerce mondial du blé, 2 à 3 % de celui des viandes, 11 % de celui du lait et 4 % de celui des œufs. Pour la Syrie, l’excédent de la production des céréales (15 % de la production pour la moyenne des années 1961-65) et de blé (4 % de la production) a cédé la place à un déficit de 16 à 17 % (pour les céréales en général, et le blé en particulier) pour la moyenne des années 1971-75. En Irak, le déficit est passé de 4 à 25 % pour les céréales, de 19 à 25 % pour le blé entre les mêmes dates (chiffres de Nasir). La distorsion entre l’agriculture et le développement est marquée par les taux de croissance comparés des exportations et des importations agricoles. Pour la Syrie, la capacité qu’avaient les exportations agricoles de payer les importations agricoles est tombée de 278 % en 1961-65 à 75 % en 1971. Pour l’Irak, entre les mêmes dates de 39, 3 % à 9, 9 % (chiffres de l’E. C. W. A.). Ces tendances, projetées sur l’avenir, conduisent Labonne et Hibon à des prévisions dramatiques. En 1990, un actif agricole devra nourrir environ dix personnes en Syrie et en Irak. Si le modèle de consommation reste inchangé, c’est-à-dire si 60 % des céréales peuvent être affectés à la consommation alimentaire directe, tandis que 40 % doivent être affectés à la consommation animale pour satisfaire une demande de viande augmentant plus vite, un taux de croissance minimal de 3, 5 % serait nécessaire pour éviter une dégradation rapide de la capacité d’autosuffisance alimentaire de ces pays. Mais, plus probablement, en 1990, le déficit en céréales sera de l’ordre de 60 kilos par habitant pour chacun des deux pays. Il est vrai qu’il sera encore plus dramatique en Algérie (environ 180 kilos par habitant), en Egypte (97 kilos),

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sans même parler des pays désertiques (300 kilos pour la Libye et 180 pour l’Arabie Saoudite). Le déficit sera non moins grave pour le sucre (40 kilos par habitant pour l’Irak et 15 pour la Syrie), pour la viande (4 à 5 kilos par habitant) et pour les corps gras (5 kilos par habitant pour l’Irak, la Syrie parvenant, elle, à l’équilibre).

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Chapitre II L’industrialisation I - La structure de l’industrie de la Syrie et de l’Irak en 1974 1) La production industrielle de la Syrie et de l’Irak, dont la population rassemble 13, 4 % de celle de l’ensemble arabe, représentait en 1974, 10, 9 % de la production industrielle de l’ensemble (cf. tableau 24). La part syro-irakienne est donc bonne en ce qui concerne la production de biens de consommation (14, 5 % de l’ensemble arabe) et même d’équipement (11, 1 %), mais médiocre dans le domaine de la production des biens intermédiaires (4, 2 %). Les structures industrielles des deux pays sont sensiblement équivalentes, ce qui signifie que la Syrie, moins peuplée, est plus industrialisée, et surtout plus avancée dans le domaine des industries légères de consommation. La prédominance des industries légères, caractéristique globale du monde arabe, est encore plus marquée pour la Syrie et l’Irak — comme elle l’est pour les pays les plus industrialisés du groupe : Egypte, Algérie, Maroc (cf. tableau 25). La proportion de la production de moyens de production — biens intermédiaires, d’ailleurs, plutôt que biens d’équipement — n’est plus forte que dans les pays nouvellement industrialisés du Golfe; et cela tient exclusivement aux grands ensembles de raffinerie de pétrole et de pétrochimie (azote et engrais). Tableau 24 (en millions de dollars)

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Biens d’équipemen t Valeur % Syrie 70 3, 7 Irak 140 7, 4 Ensembl 1892 100 e arabe

Biens Biens de intermédiaires consommation Valeur 114 210 7 738

% Valeur % 1, 5 1075 7,5 2, 7 1 000 7, 0 100 14 310 100

Total

Valeur % 1260 53 1350 5, 6 23 941 100

Tableau 25 Biens Biens Biens de Total d’équipement intermédiaire consom s mation Syrie Irak Egypte Algérie Maroc Ensemble arabe

5, 6 10, 4 6, 1 12, 7 9, 5 7, 9

9, 1 15, 6 18, 5 22, 4 17, 2 32, 3

85, 3 74, 1 75, 5 64, 9 73, 3 59, 8

100, 0 100, 0 100, 0 100, 0 100, 0 100, 0

2) La base minière de l’industrie syro-irakienne est constituée presqu’exclusivement par l’extraction du pétrole, qui, même pour la Syrie, n’est plus négligeable (cf. tableau 26). Rappelons que les principaux producteurs arabes des autres minerais sont, dans l’ordre : le Maroc (1 120 millions de dollars, phosphates principalement), la Tunisie (187 millions de dollars, phosphates), la Mauritanie (119 millions de dollars, minerai de fer), et l’Egypte (61 millions, phosphate et fer). Tableau 26 - Production minière en 1974 (en millions de dollars)

56

Pétrole Valeur Quantités (mls t) Syrie Irak Monde arabe

453 6 900 54 389

6, 4 96, 9 912, 0

% 0, 8 11, 6 100

Autres minerais Valeur % 40 26 1 780

2, 3 1, 5 100

3) La production arabe de biens intermédiaires est fondée principalement sur le pétrole. La sidérurgie est en effet encore balbutiante, et sauf en Egypte et en Algérie, ne produit guère que des matériaux de construction (cf. tableau 27). La part de la Syrie et de l’Irak dans toutes ces productions est donc très inférieure à la moyenne arabe, sauf en ce qui concerne les matériaux de construction et le verre. En 1974, l’Irak produisait 4, 2 millions de tonnes de pétrole raffiné et la Syrie 1, 6 million de tonnes, sur un total arabe de 86, 1 millions de tonnes, les principaux raffineurs étant l’Arabie Saoudite, le Koweit et Bahrein (ensemble : 65 % de la valeur de la production raffinée arabe), l’Egypte (8, 8 % de la production arabe) et l’Algérie (6, 4 %). Tableau 27 - Production des biens intermédiaires en 1974 (en millions de dollars) Syrie

Raffinerie de pétrole Matériaux de construction Verre

Valeur

%

Valeur

%

Monde arabe Valeur

49, 7 30, 0 5, 4

1, 0 2, 6 9, 3

90, 0 83, 3 3, 3

1, 9 7, 2 5, 8

4 768 1158 58

57

Irak

Acier Non ferreux Chimie Engrais, papier Total productions intermédiaires

13, 5 10, 5 3, 7 1, 6 114

2, 6 6, 9 0, 5 0, 6 1,5

0 0 20, 0 13, 3 210

0 0 2, 5 4, 5 2, 7

519 155 790 295 7 738

Les industries de la chimie et des engrais dépendent aussi très largement du pétrole. Dans le domaine chimique proprement dit (productions de chlorine, acide sulfurique, acide phosphatique et ammoniac), la part de l’Irak est encore faible (5, 5 % de la valeur de la production arabe en 1974), celle de la Syrie inexistante. La production irakienne se limite à 6 000 tonnes d’acide sulfurique (contre 731 000 pour la Tunisie et 198 000 pour l’Egypte sur un total arabe de 980 000). Les productions d’ammoniac (391 000 tonnes pour l’ensemble arabe, fournis principalement par l’Egypte, l’Arabie Saoudite et le Koweit), d’acide phosphatique (240 000 tonnes pour l’ensemble arabe, partagés entre l’Algérie et la Tunisie) et de chlorine (12 000 tonnes fournis par le Koweit et l’Egypte) n’existent pas dans le Croissant fertile. La production de benzène, de propylène et d’éthylène était encore inconnue dans l’ensemble arabe en 1974. Celle des engrais est fort en retard en Syrie comme en Irak. Sur une valeur globale de 554 millions de dollars en 1974 pour l’ensemble arabe engraispapier, la part de l’Irak ne dépassait pas 6, 7 millions de dollars (30 000 tonnes d’engrais azotés et 28 000 tonnes de papier) et celle de la Syrie 2, 4 millions de dollars (14 000 tonnes d’engrais azotés). Il suffit de comparer ces chiffres à ceux de la production globale arabe d’engrais azotés (615 000 tonnes, dont 272 000 pour le Koweit, 100 000 pour l’Egypte, 81 000 pour l’Arabie Saoudite et 69 000 pour l’Algérie), d’engrais phosphatés (667 000 tonnes, dont 191 000 pour la Tunisie, 145 000 pour le Ma-

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roc, 108 000 pour l’Algérie et 90 000 pour l’Egypte), d’engrais potassiques (25 000 tonnes, partagées entre le Maroc et la Tunisie) et de papier (730 000 tonnes, dont 278 000 pour l’Egypte, 175 000 pour le Maroc et 93 000 aussi bien pour l’Algérie que pour la Tunisie) pour mesurer le retard de la Syrie et de l’Irak dans ces domaines. La production des matériaux de construction, par contre, approchait en 1974 celle de la moyenne arabe (cf. tableau 28). Les principaux producteurs arabes de ciment sont l’Egypte (3 263 000 tonnes) par ailleurs le principal producteur de verres (65 000 tonnes), le Maroc (1 900 000 tonnes), le Liban (1 700 000), l’Arabie Saoudite (1 056 000) et l’Algérie (941 000). Tableau 28

Syrie Irak Ensemble arabe

Ciment

Verre et produits de verre (en milliers de tonnes)

Valeur (mls dollars)

965 1 800 13 673

30 12 163

30 83 1 158

La sidérurgie et le travail des métaux n’existaient pas encore en Irak en 1974; en Syrie, ils demeuraient limités à la production de 53 000 tonnes de fonte et de 11 000 tonnes de produits non ferreux. En valeur, la production syrienne (14 millions de dollars) représentait 2, 7 % du total arabe (513 millions de dollars). Les principaux producteurs arabes de fonte (759 000 tonnes), d’acier (722 000) et de produits en acier (510 000) sont l’Egypte (408 000 tonnes d’acier), l’Algérie (181 000 tonnes) et la Tunisie (132 000 tonnes). Seuls l’Egypte et l’Algérie produisent des aciers plats, destinés aux industries mécaniques; pratiquement, toutes les autres sidé-

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rurgies arabes restent cantonnées dans les produits ronds destinés à la construction. Quant à la production arabe de métaux non ferreux (155 000 tonnes, dont 78 000 fournis par Bahrein et 33 000 par l’Egypte), d’aluminium (Bahrein : 118 000 tonnes) et de plomb (37 000 tonnes, dont 28 000 pour la Tunisie), elle n’intéresse pas la région du Croissant fertile. 4) La production arabe de biens d’équipement est encore très modeste et seule la production égyptienne présente dans ce domaine un assortiment quelque peu varié (cf. tableau 29). Tableau 29 Production 1974

Syrie

Irak

(Mls dollars)

Valeur

%

Valeur

%

Ensemble arabe Valeur

Produits des métaux Industries mécaniques Industries des véhicules Industries électriques Armement Constructions navales Total

47, 3 18, 9 0 4, 1 0 0 70

5, 3 5, 1 0 1, 8 0 0 3, 7

43, 3 36, 7 33, 3 20, 0 0 6, 7 140

4, 9 9, 8 10, 0 8, 8 0 8, 6 7, 4

885 374 337 226 0 77 1892

La production arabe ne dépasse pas encore, en 1974, 23 000 tonnes de tubes, 4 000 tonnes de câbles et 21 000 tonnes de boulons, clous, etc., 2 128 tracteurs (en unités de 10 CV) et 14 000 camions et autobus, 226 millions de dollars de matériels électriques divers (à l’exclusion de matériel électronique), 20 millions de dollars d’armements et 77 millions de constructions navales. La part de la Syrie dans toutes ces productions est nulle, les chiffres indiqués dans le tableau 29 n’intéressant pratiquement

60

que des ateliers de réparation et de montage. Celle de l’Irak n’est guère meilleure, sauf en ce qui concerne les tracteurs (1 279 unités), les camions (1 443 unités) et les constructions navales (6, 7 millions de dollars). Dans tous ces domaines, l’Egypte et l’Algérie sont à peu près les seuls producteurs non négligeables. Sur une production de métaux de 885 millions de dollars, l’Algérie et l’Egypte en fournissent chacune 150, la Tunisie 134, le Maroc 109 et le Liban 71. En ce qui concerne les industries mécaniques et les véhicules, l’Algérie représente 187 millions de dollars, l’Egypte 118, la Tunisie 73, le Liban 60 et le Maroc 54. Encore ces chiffres, comme la presque totalité de ceux des producteurs mineurs, comportent-ils une composante prédominante ateliers de réparation et de montage. Il en est de même dans le domaine de la production électrique, où l’Egypte fournit 94 millions de dollars et l’Algérie 60. L’Egypte est la seule dans la région à produire des armements et dispose d’un quasi-monopole en matière de constructions navales (41 millions de dollars, sur un total arabe de 78), suivie de loin par le groupe Irak-Koweit-Bahrein (20 millions de dollars ensemble). 5) Dans le domaine des industries légères de consommation, les deux pays du Croissant fertile sont moins mal placés, et se situent dans la moyenne arabe (cf. tableau 30, relatif à 1974, en millions de dollars). Les industries alimentaires et textiles prédominent, on le voit, comme dans l’ensemble arabe, tandis que les industries de biens durables (équipement du logement) sont encore peu développées. Tableau 30

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Syrie

Chimie Caoutchouc, plastiques Alimentation, tabac Textiles Cuirs Bois Automobile Equipement du logement Edition Divers Total

Irak

Valeur

%

Valeur

%

Ensemble arabe Valeur

32, 4 23, 2

4, 2 7, 7

53, 3 20, 0

6, 9 6, 6

775 302

308, 1

3, 9

540, 0

6, 8

7 890

521, 1 33, 0 110, 0 0 17, 6

15, 2 6, 7 16, 1 0 9, 9

226, 7 56, 7 36, 7 0 20, 0

6, 6 11, 5 5, 4 0 11, 3

3 434 494 683 119 177

20, 5 9, 5 1075

7, 2 6, 3 7, 5

13, 3 33, 3 1 000

4, 7 22, 3 7, 0

283 149 14310

Le monde arabe produit également une gamme variée de produits chimiques destinés à la consommation : 69 000 tonnes de peintures, 360 000 tonnes de savons, 107 000 de détergents, 302 000 de caoutchouc et 134 000 de produits en caoutchouc (pneus, en particulier), 168 000 tonnes de produits en plastique. Dans tous ces domaines, l’Egypte vient en tête, suivie par l’Algérie, le Maroc, le Liban et la Tunisie. La Syrie et l’Irak disposent d’une petite production dans toutes ces gammes de produits. Les grosses industries alimentaires du monde arabe sont constituées par l’huilerie (coton en Egypte et au Soudan, olive en Tunisie pour l’essentiel; au total, 750 000 tonnes pour le monde arabe), la sucrerie (canne en Egypte et au Soudan, betterave au Maroc; 1 600 000 tonnes pour le monde arabe) et la minoterie (où se classent, dans l’ordre, l’Egypte, le Ma-

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roc, l’Algérie et la Tunisie; production arabe totale 6 200 000 tonnes). S’ajoutent la conserverie (légumes, fruits et poissons), concentrée en Egypte, au Maroc et en Algérie (production totale de 6 100 000 tonnes pour le monde arabe), les boissons gazeuses, la bière, le vin, le tabac, répartis dans l’ensemble de la région (avec une concentration de vin en Afrique du Nord). La Syrie et l’Irak disposent aussi d’une petite production dans toutes ces gammes de produits. L’Egypte représente à elle seule 45 % de la production textile. Elle est le seul pays à disposer d’une gamme complète de filés (laines et coton), cotonnades, lainages, soieries, fibres synthétiques et bonneterie. Elle est suivie par l’Algérie (10 % de la production arabe), le Maroc (6. 5 %) et le Liban (6 %). La Syrie produisait en 1974 30 000 tonnes de filés de coton (pour un total arabe de 246 000 tonnes), 253 millions de mètres carrés de cotonnades (sur un total arabe de 1 464 millions), 11 millions de mètres carrés de lainages (sur un total de 29 millions) et 11 % de la production arabe de bonneterie. Mais elle ne produisait pas de fibres synthétiques. L’Irak, lui, disposait d’une petite production de fibres synthétiques (7, 3 % du total arabe) mais produisait peu de filés de coton et relativement moins de cotonnades (88 millions de mètres carrés) et de bonneterie (8 % du total arabe) que la Syrie. Les industries du cuir et du bois sont en général peu développées, du fait de la pauvreté de la région en matières premières. L’Egypte et l’Algérie viennent en tête dans le domaine des cuirs et chaussures (respectivement 31 % et 28 % de la production arabe), suivis de loin, dans l’ordre, par l’Irak, la Syrie, le Liban, le Maroc et le Soudan. Le Liban vient en tête dans la production du bois, suivi par la Syrie et l’Egypte. Deux pays seulement,

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le Maroc et l’Egypte, assemblent des automobiles : 23 000 unités pour le premier, 10 000 pour le second. Enfin, dans le domaine des biens durables, l’Egypte assure 40 % de la production arabe et la seule gamme à peu près complète des appareils simples : réfrigérateurs, machines à laver, télévisions et appareils de radio. La production des autres pays — dans l’ordre : Maroc, Syrie, Tunisie, Algérie — demeure beaucoup plus faible (entre un tiers et un sixième de celle de l’Egypte) et moins variée. Il en est de même pour ce qui est de l’édition. 6) Les deux structures industrielles de la Syrie et de l’Irak sont donc comparables en ordres de grandeur, même si leur composition est différente. L’industrie de transformation occupait dans l’ensemble du monde arabe 3 059 000 travailleurs, soit 8, 4 % de la population active totale (36 461 000) et 19 % de la population active non rurale (16 054 000); les mines, 408 000 travailleurs; la production d’électricité et d’eau, 202 000 travailleurs; la construction, 1 662 000 travailleurs, le reste allant aux services. La Syrie, avec 170 000 travailleurs dans les industries de transformation, et l’Irak, avec 184 000 emplois, représentaient respectivement 5, 6 % et 6 % des effectifs occupés dans l’industrie arabe. Ces chiffres, faibles, doivent être rapprochés de ceux de l’Egypte (1 230 000 emplois industriels), du Maroc (453 000), de l’Algérie (302 000), du Soudan (200 000), de la Tunisie (170 000) et du Liban (127 000). Selon les mêmes statistiques, la proportion de la valeur ajoutée dans l’industrie de transformation par rapport au P. I. B. est passée en Syrie de 17, 7 % en 1970 à 8, 6 % en 1977 et en Irak de 10, 7 % à 6, 8 %. Cette réduction de la part de l’industrie résulte dans une large mesure de l’augmentation de celle des mines, passée dans le même temps de 2 à 12 % en Syrie et de 30, 9 à 57 % en Irak. Tableau 31

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Industries alimentaires Industries textiles Bois et papier Chimie (dont raffinerie) Minerais non métalliques Métaux de base Produits des métaux Divers Total

Irak 1977

Syrie 1970 1977

18, 7 18, 7 7, 5 21, 4 (nd) 8, 8 6, 7 8, 3 9, 8 100

29, 6 38, 1 5, 7 7, 5 (4, 4) 7, 1 1, 8 9, 9 0, 3 100

12, 1 80, 5 14, 8 -53, 1 (-63, 0) 14, 6 5, 6 25, 0 0, 9 100

Les différences de structures entre les deux ensembles industriels apparaissent dans la distribution sectorielle des valeurs ajoutées (cf. tableau 31). Les subventions aux industries de la chimie des engrais et aux raffineries en Syrie expliquent les chiffres négatifs pour 1977 et déforment la comparaison. On peut néanmoins voir à travers cette statistique que l’ensemble industriel syrien est de type plus « classique », fondé sur une grande variété d’industries légères et diverses, où prédominent les textiles. L’ensemble industriel irakien se rapproche beaucoup plus du type de ceux qui sont mis en place dans la région du Golfe, assis sur la chimie. Dans tous les cas, comme ailleurs dans le monde arabe, le travail des métaux et la production de biens d’équipement sont attardés, tandis que les industries de biens intermédiaires sont principalement celles des matériaux de construction. L’accélération possible de ce type d’industrialisation en Irak accentuerait encore le transfert de l’industrie arabe vers la région du Golfe, au détriment, pour ce qui est du Proche-Orient, des régions méditerranéennes traditionnellement plus avancées. Déjà entre 1970

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et 1977 la part de la Syrie dans l’ensemble industriel de l’E. C. W. A. a diminué, passant de 17, 1 à 11, 5 %; celle de l’Irak de 20, 5 à 17, 7 %; au bénéfice de l’Arabie Saoudite, de Qatar, de Bahrein, du Koweit et des Emirats. En dépit de la croissance industrielle, le volume des importations industrielles augmente encore plus vite. Tandis qu’en Syrie, en 1970, la proportion des importations de biens manufacturés par rapport à l’offre totale (production plus importation) était de 35 %, cette proportion passait à 53 % en 1977. Pour l’Irak, les chiffres étaient respectivement de 39 % et 50 %. Parallèlement, entre les mêmes dates, la proportion des importations de biens intermédiaires par rapport à la production de biens manufacturés passait en Syrie de 31 à 54 %; et en Irak de 37 à 54 %. La poursuite de ce modèle d’industrialisation est aléatoire. En effet, la contribution de l’industrialisation à la croissance du revenu urbain est négligeable : elle n’assure que 1 % de celle-ci, alors que la seule croissance de la population urbaine est de 5 % par an. Autrement dit, la croissance de la demande de biens industriels provient surtout de celle des revenus distribués dans le secteur tertiaire, et accessoirement seulement de celle des revenus distribués dans la production industrielle elle-même.

II - Rythmes et orientations du développement industriel Saisis au niveau de leurs tendances générales, les rythmes de l’industrialisation de la Syrie et de l’Irak sont modestes. Des taux moyens de croissance de l’ordre de 6 à 7 % l’an sur les deux décennies 60 et 70, s’accélérant légèrement pour la Syrie au cours de la seconde période, moins pour l’Irak, sont loin de constituer des records. D’autant que la base de départ vers 1950-60 était encore très

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attardée — comparativement à l’Egypte, par exemple — et que l’exploitation du pétrole a fourni une part importante de la croissance industrielle. 1) En Syrie, selon les données statistiques de l’E. C. W. A., la part des activités secondaires (mines, pétrole, industries de transformation et construction) serait passée de 23 à 26 % du P. I. B. au cours des années 70 — dont respectivement 3, 5 et 7, 2 % pour la construction au début et en fin de période. Les moteurs principaux de la croissance ont été, dans l’ordre : l’exploitation du pétrole, la construction et les services, tandis que l’industrialisation et le développement agricole ne viennent qu’en quatrième et cinquième positions. La prédominance du secteur pétrolier dans la croissance industrielle trouve son reflet dans le renversement des tendances relatives de la croissance du produit et de celle de l’emploi industriels : tandis que la première se serait accélérée de la décennie des années 60 à la suivante, passant de 5 à 10 %, la croissance de l’emploi industriel aurait au contraire baissé de 14 à 7 %, l’exploitation du pétrole (au prix d’avant 1973) assurant à l’Etat une rente importante mais créant peu d’emplois. Par ailleurs, la structure de la production industrielle a été profondément modifiée par la politique des plans des années 70 (cf. tableau 32). L’apparition d’un pourcentage négatif pour la chimie est due à la politique des prix, qui, fixés par l’Etat, entraînent des pertes importantes du secteur, compensées par des subventions. Tableau 32 - Valeurs ajoutées dans les industries de transformation Industries agricoles et alimentaires

1968

1976

30, 1 %

10, 4 %

67

Textiles Autres industries légères Chimie Minerais non métalliques Métaux

37, 9 % 6, 8 % 11, 3 % 6, 5 % 7, 4 %

57, 8 % 11, 8 % — 18, 9 % 11, 3 % 27, 4 %

L’accélération de l’industrialisation des autres pays de la région au cours des années 70 a fait perdre à la Syrie la première place qu’elle détenait dans ce domaine. Selon l’E. C. W. A., sa part dans les industries de l’Asie occidentale arabe est tombée, entre 1970 et 1976, de 24 à 16 %. Pourtant, les investissements industriels y étaient passés pendant la même période de 6 % de l’investissement total (15, 6 millions de dollars) à 28, 6 % (426, 4 millions). Certes, la base naturelle de l’industrie reste précaire et limitée. La Syrie ne dispose d’une richesse relativement importante que dans le domaine des phosphates, dont la production est passée de 112 000 tonnes en 1972 à 857 000 en 1975 (avec une capacité de 1 350 000 tonnes), l’objectif 1980 ayant été fixé à 2, 5 millions de tonnes, dont 700 000 tonnes de superphosphates (usines à Homs et Deir el Zor). Le minerai de fer est pauvre et la sidérurgie prévue pour Hama (un à deux millions de tonnes) problématique. Seule la production de ciment, correspondant au boom de la construction, est en progression assurée, passant de 840 000 tonnes en 1973 à 1, 4 million en 1977, avec l’objectif de 4, 5 millions en 1980. La production de pétrole brut est, elle, passée de 1 033 000 tonnes en 1968 à 9 117 000 tonnes en 1977, dont 7 millions exportés brut. Les raffineries prévues à Homs et Banias, d’une capacité de 6 millions de tonnes, dont la construction bénéficierait de l’aide de la Roumanie, remplaceront progressivement ces exportations de brut par des ventes de raffiné.

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Dans le domaine des industries de transformation à proprement parler, on a entrepris plusieurs « grands projets », financés par l’aide des pays de l’Est : sucrerie, usine de téléviseurs, réfrigérateurs, machines à laver, etc. Mais les résultats au plan d’une structure industrielle intégrée restent modestes, voire discutables. Tandis que la valeur ajoutée dans les secteurs de base (pétrole, chimie, minerais et métaux) passait de 376 à 1965 millions de livres entre 1968 et 1977, elle augmentait seulement de 1 240 à 2 439 millions pour les industries légères. Aussi une forte proportion de la consommation finale de biens manufacturés doit-elle être importée : ce rapport serait même passé de 30 à 60 % de la demande totale ! Même dans le secteur des biens de production de type intermédiaire, la proportion des importations a fortement augmenté, en raison du fait que la production syrienne est concentrée sur quelques produits destinés en grande partie à l’exportation. L’industrialisation syrienne vise moins à subvenir aux besoins du pays qu’à s’intégrer de plus en plus dans le système mondial. En cela, la politique industrielle de la Syrie baasiste des années 60 et 70 n’a donc pas rompu fondamentalement avec les tendances du passé. Sans doute auparavant le poids de la production industrielle était-il très faible. En 1933, celle-ci se limitait, selon Antoine Gennaoui, à 46 000 tonnes de ciment, 430 tonnes de savon, 53 000 tonnes de produits de la minoterie et 118 000 paires de bas et chaussettes, l’industrie textile étant encore limitée à la bonneterie. En 1943, les productions sont de trois à quatre fois plus importantes selon les secteurs, mais l’industrie s’en tient toujours à la gamme de ces produits. Au cours des années 50, l’Etat commence d’intervenir d’une manière plus systématique, quoique encore timide : la part du secteur public dans la formation brute de capital passe de 13, 5 % en 1950 à 21, 4 % en 1953; l’industrie franchit en 1955 le cap des 15 % du P. I. B. —

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fraction en deçà de laquelle on considère qu’un pays n’a pratiquement pas d’industries. Au cours des années 50, une industrie du lainage (123 000 mètres en 1958) et des cotonnades (21 000 tonnes en 1958) se sont ajoutées à la bonneterie ancienne, des sucreries modernes (56 000 tonnes en 1958) aux traditionnelles productions alimentaires semi-artisanales (comme les huileries) et à la minoterie. Cette petite industrie légère de substitution d’importations n’est guère que le prolongement de l’agriculture (céréales et coton), en expansion capitaliste au cours des années 50, du fait de la mise en valeur de la Djezireh. Selon les travaux de Gennaoui, la matrice bisectorielle marque la place dominante du complexe agriculture-industries agricoles et alimentaires-textiles, qui absorbe 95 % de la consommation intermédiaire interbranches des produits locaux. Elle est, au plan technique, le prolongement de l’hégémonie politique agraro-marchande qui caractérise la Syrie pré-baasiste. Une industrie de ce genre est, par la force des choses, totalement dépendante, non seulement du fait des équipements fournis par l’étranger, mais aussi de la proportion élevée (25 % en 1965) des inputs courants importés. La Syrie baasiste a prétendu approfondir le processus d’industrialisation. Elle a porté l’allocation des investissements publics à l’industrie de 19 % au cours du premier plan de 1961-65 (celui qui a suivi l’éclatement de la R. A. U. nassérienne) à 30 % pour les troisième et quatrième plans (1971-75 et 1976-80), après avoir mis l’accent sur l’agriculture dans le second plan (1966-70) avec le projet de l’Euphrate. Elle a renoncé à la philosophie de l’action « mixte » des années 50, puis 61-66 (l’Etat laissant au secteur privé les investissements directement productifs), pour revenir aux principes du nassérisme mis en œuvre entre 1958 et 1961 et adopter un système de monopole étatique à partir de 1967. Elle a opté pour la priorité aux industries

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de base — pétrole, chimie et métaux —, comptant sur l’aide des pays de l’Est pour mener à bien leur mise en place et attendant de ces choix qu’ils accélèrent fortement la croissance et réduisent la dépendance extérieure. Force est de constater aujourd’hui que les résultats sont loin des espérances. Le retard de l’agriculture a freiné le développement industriel. Les industries légères ont manqué de débouchés en raison de la structure de la distribution des revenus. Les industries de base se sont trouvées dès lors en avance sur les besoins, provoquant un gaspillage important de moyens financiers. Le développement a été détourné par la pression de la demande solvable vers la construction et l’industrie de luxe. Au plan de la dépendance extérieure, les résultats sont encore plus décevants : le pourcentage des inputs importés, loin de diminuer, a augmenté, selon Gennaoui, de 25 à 40 % et la capacité à satisfaire la demande finale par la production industrielle nationale s’est elle-même dégradée. Le bilan global des plans de développement tel qu’il ressort des documents officiels n’est pas encourageant. Le second plan attendait beaucoup du projet de l’Euphrate; mais la croissance globale effective a été faible (4, 7 % l’an, selon le F. M. I.). Les troisième et quatrième plans envisageaient des croissances globales réelles de respectivement 13, 4 % et 12 % l’an. Entre 1976 et 1980, on prévoyait 45 milliards de livres syriennes d’investissements publics : 10 milliards pour achever le projet Euphrate et pour l’agriculture; 10 autres pour les industries et 8 pour le pétrole, le reste allant au logement et à l’infrastructure. La croissance annuelle réelle n’a pas dépassée 7, 5 %. Presque tous les économistes dénoncent la localisation désordonnée des industries, l’absence de perspectives d’exportation et l’accumulation de capacités excédentaires, le manque de maîtrise techno-

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logique et le goulot d’étranglement que représente le faible volume de la main-d’œuvre qualifiée, enfin, les distorsions entre les prix et les salaires. 2) Le modèle de l’industrialisation de l’Irak est-il meilleur ? Les résultats globaux en termes de croissance industrielle sont comparables : 6 à 7 % de croissance annuelle pour les décennies 60 et 70; un retard de l’agriculture plus marqué (à peine 1, 6 % de croissance annuelle moyenne réelle); des distorsions de même nature. L’excroissance pétrolière — dont la part dans le P. I. B. est passée, selon l’E. C. W. A., de 30 % en 1970 à 53 % en 1976 du fait de l’augmentation des prix du pétrole à partir de 1973, a pour contrepartie la baisse de la part de l’agriculture (de 11 à 7, 6 %) et de l’industrie (de 10, 7 % à 7, 6 %). Le seul moteur de la croissance est ici le pétrole, lequel induit un boom de la construction (de 3, 4 à 7, 7 %). Pourtant, de nombreux projets industriels ont été mis en œuvre, surtout à partir de 1974. Mais ce développement tardif n’a pas encore donné de résultats, d’autant que la base de départ était encore plus faible qu’en Syrie. Aussi la part de l’industrie dans le P. I. B., pétrole exclu, n’atteint 15 % qu’en 1976 seulement et, si l’on en excluait la raffinerie du pétrole, cette part ne serait encore à cette date que de 10, 8 %. Les orientations de la politique industrielle mettent ici l’accent plus encore qu’en Syrie sur l’industrie de base. Cela a permis de porter la part des métaux de 6, 8 à 16, 5 % de la production industrielle entre 1970 et 1976, tandis que la part de la chimie, déjà élevée en 1970 (21, 1 %) demeure toujours aussi forte (22, 1 % en 1976). En conséquence, la part des industries légères a diminué, globalement, de 59 à 53 %, et surtout de 31 à 22 % pour les indus-

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tries alimentaires, dont la crise épouse celle de l’agriculture. Néanmoins, la part de l’industrie irakienne dans l’ensemble E. C. W. A. a augmenté de 27, 9 à 30, 5 %; l’investissement industriel, qui absorbait déjà 23, 9 % de la formation brute de capital en 1970 et 28, 4 % en 1976, doit en absorber 36, 2 % pour le plan 1976-80. L’importance de ces chiffres découle d’un nombre limité de « grands projets » du type des industries dites industrialisantes. La base minière principale de ce développement est bien entendu le pétrole. Sa nationalisation a été achevée en 1975. Des accords techniques de prospection et d’équipement passés avec l’E. R. A. P. française, le Japon, Petrobras (Brésil) et l’Indian Oil Commission ont permis d’assurer l’avenir des réserves en maintenant la production à un niveau élevé, et même en croissance : de 536 millions de barils par jour en 1972 à 840 en 1977. Une forte capacité de raffinage, passée de 33 à 71 millions de barils par jour entre les mêmes dates, complète l’effort. Mais la récupération du gaz — 12, 6 % seulement en 1972 et 15 % en 1976 — reste un objectif essentiel à atteindre. L’Irak dispose aussi de phosphates, dont l’exploitation était prévue pour 1980, et devait atteindre 7 millions de tonnes en 1985, avec une usine (construite en coopération avec la Belgique) transformant la totalité de cette production en superphosphates, dont 8, 5 % exportés. Le pays dispose de sulfures, dont l’exploitation a démarré en 1972 avec 250 000 tonnes et devait atteindre un million de tonnes en 1980. Il produit déjà 3, 1 millions de tonnes de ciment en 1978 (objectif 1980 : 5, 1 millions de tonnes). Grâce à ses ressources énergétiques, comptabilisées par le plan à un prix interne presque nul, l’Irak met en place une forte industrie chimique et sidérurgique. Dans le premier de ces domaines, il est prévu, outre les superphosphates, 400 000 tonnes de soude à Khor el Zubair-Basrah (projet américano-

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allemand), 2 millions de tonnes d’urée (projet japonais) et 150 000 tonnes de polyéthylène. On prévoit de réserver une part prépondérante de ces productions à l’exportation. Une sidérurgie est également prévue à Khor el Zubair, pour 400 000 tonnes d’acier et 2 millions de tonnes d’éponge de fer, en collaboration avec Creusot-Loire. Les résultats de ces efforts ont déjà permis d’augmenter très sensiblement la production industrielle du pays. Sur la base 100 en 1962, la production industrielle est, selon l’E. C. W. A., à l’indice 325 en 1976 : 280 pour les textiles et l’industrie alimentaire, 372 pour la chimie et 403 pour la raffinerie de pétrole. Mais on reste loin des espérances des plans. Ceux de 1970-74 et de 1976-80 prévoyaient des objectifs de croissance de 16 % l’an pour le P. I. B., de 33 % pour l’industrie et de 7 % pour l’agriculture. En dépit des moyens financiers, les investissements prévus ont été retardés, notamment par des goulots d’étranglement dans les domaines des transports et de la main-d’œuvre, au point que l’année 1975 a dû être consacrée à un plan de transition et d’ajustement. L’agriculture n’ayant pas suivi, les distorsions se sont accusées et le taux global de croissance réalisé a été inférieur de moitié au taux prévu.

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Chapitre III La structure d’ensemble de la croissance I - La croissance a prix constants. Les données à prix constants fournis par les travaux de l’E. C. W. A. permettent de dessiner les lignes générales respectives de croissance de la Syrie et de l’Irak. Syrie. 1) Les chiffres indicatifs de tendance pour 1960 et 1977, en millions de dollars constants font l’objet du tableau 33. L’allure des courbes (voir les graphiques 2, 3 et 4) appelle les commentaires suivants : a)La croissance du P. I. B. paraît assez régulière, si l’on tient compte des fluctuations de la conjoncture agricole (en particulier de la récolte céréalière) et politique (guerres de 1967 et de 1973). b)La croissance de l’agriculture paraît également assez régulière, mais modeste : 3 % l’an.

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Graphique 4. — Syrie P. I. B., Imports, Exports Tableau 33 1960 Mls $ % P. I. B. dont : Agriculture Industries Services F. B. C. F. Exportations Importations

900 300 200 400 160 180 250

100 33 22 44 18 20 28

1977 Mls $ % 3 300 500 600 2 200 800 600 1 200

100 15 18 66 24 18 36

Taux de croissance 7, 9 3, 0 6, 7 10, 5 10, 0 7, 3 9, 6

Celle de l’industrie (6, 7 % pour la période) s’accélère au cours des années 70. Cette accélération est surtout due à l’extraction pétrolière (qui démarre à la fin des années 60), au boom de la construction de logements et à la croissance très forte des investissements publics, l’un et l’autre appelant une activité importante du bâtiment et des travaux publics (barrage de l’Euphrate notamment). La part des industries de transformation proprement dite est modeste et en proportion déclinante. Dans ces conditions, la croissance des services, entraînée en grande partie par celle de la dépense publique, demeure un moteur essentiel de la croissance globale. c)La tendance à l’aggravation du déficit du commerce extérieur est nette (graphique 4). Les exportations suivent la croissance (7, 3 % de taux moyen dans la période). Au cours des années 60, elles ont tendance à lui être inférieures; mais l’apparition du pétrole au cours de la décennie qui suit leur donne un coup de fouet. Les importations connaissent des taux de croissance plus forts (9, 6 % pour la période); elles s’accélèrent également dans les années 70. Aussi, tandis que la part des exportations dans le P. I. B. stagne

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autour de 20 % (ou même décline légèrement), celle des importations s’élève rapidement, pour approcher de 40 % à la fin de la décennie 70. Le déficit commercial passe en vingt ans de 8 % à 18 % du P. I. B. d)La courbe des investissements (graphique 2) présente de nombreuses irrégularités. Sa composante publique est caractérisée par une croissance fortement marquée, passant de 30 à 500 millions de dollars (18 % de croissance annuelle). Mais sa composante privée, irrégulière à l’extrême, évolue par paliers (en relation avec l’attitude politique des autorités) : située en moyenne annuelle autour de 90 millions durant la période 1960-65, elle s’élève au palier de 170 millions durant les années 1966-1969, pour retomber autour de 120 millions entre 1970 et 1974 et remonter autour de 200 millions à partir de 1975. En tendance d’ensemble, la croissance de l’investissement privé est modeste : 7 % l’an. Il en est de même de la composante construction de logements, qui s’élève lentement d’abord de 40 à 50 millions, pour s’accélérer dans sa croissance par paliers au cours des années 70, et approcher de 120 millions en fin de décennie. 2) Sur la base de ces chiffres de tendance, il apparaît que la consommation par tête, compte tenu de la croissance démographique (3, 1 % l’an) se situe autour de 3, 8 % l’an pour sa composante privée (la consommation privée par tête passant de 160 dollars en 1960 à 300 en 1977) et de 7, 1 % pour sa composante publique (la consommation publique par tête passant de 30 à 95 dollars entre les mêmes dates). Bien entendu, ces chiffres moyens n’indiquent rien concernant la distribution du revenu et de la dépense. 3) L’efficacité des investissements se mesure par le rapport entre leur somme durant la période et l’augmentation du P. I. B. que l’on peut leur attribuer.

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Les courbes de tendance de l’investissement permettent de dresser le tableau 34 de l’investissement cumulé sur seize ans, 1960-1976, déterminant la croissance du produit entre 1960 et 1977. Les volumes d’investissements cumulés ont été réduits par rapport à ce que donneraient les moyennes simples des extrêmes de début et de fin de période (1960 et 1980), afin de tenir compte des mauvaises années, caractérisées par un fort ralentissement de l’exécution des plans du fait de la guerre ou de l’instabilité politique. En termes de tendance, en ce qui concerne l’agriculture, les investissements passent de 20 à 60 millions de dollars annuels entre 1960 et 1977, et de 20 à 300 millions pour l’industrie et l’extraction du pétrole. L’efficacité des investissements, tant dans l’agriculture que dans l’industrie, est modeste (coefficients respectifs de 3, 2 et 6, 5). Comme la proportion des investissements par rapport au P. I. B. augmente au cours de la période, cette efficacité se réduit encore progressivement. En moyenne et en trend, il faut investir 20 % du P. I. B. environ pour obtenir une croissance de 7, 9 %, ce qui donne un coefficient de capital de l’ordre de 2, 5 — légèrement supérieur à celui qui résulte du tableau 34. Tableau 34 Investissent cumulé Augmentati Coefficient on du d’efficacité 1960-1976* % produit k 1960-1977* Investissent 3 000 55 — — publics « privés 1500 27 — — Logements 1 000 18 — — Total 5 500 100 2 400 2, 3

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dont : Agriculture Industr. pétrole Logements Infrastructure

640

12

200

3, 2

2 560

46

400

6, 5

1 000 1300

18 24

— —

— _

* Valeurs en millions de dollars constants Irak. 1) Les chiffres indicatifs de tendance, pour 1960 et 1980, font l’objet du tableau 35. Tableau 35

P. I. B. dont : Agriculture Industries Services F. B. C. F. Exportations Importations

1960 Mls $ %

1980 Taux de croissance Mls $ %

2 000 450 600 950 400 700 500

5 600 600 2 000 3 000 2 300 1 800 2 700

100 22 30 48 20 35 25

100 11 35 54 41 33 48

5, 3 1, 6 6, 2 5, 8 9, 2 4, 9 8, 8

(voir les graphiques 5, 6 et 7) a)La modestie du taux global de croissance, inférieur à celui de la Syrie, tient au fait que la tendance est mesurée à prix constants, ce qui efface l’effet d’amélioration des termes de l’échange par suite du relèvement du prix du pétrole à partir de 1973-74. Si l’on devait tenir compte de cette amélioration et du saut brusque par lequel elle s’est

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manifestée en 1974, le P. I. B. de 1980 serait de l’ordre de 8 900 millions de dollars, l’estimation de la valeur ajoutée dans l’extraction du pétrole passant de 1 100 à 4 400 millions. On a indiqué ce saut de palier à partir de 1974 (pour le P. I. B., la production de pétrole et les exportations) par des courbes en pointillé dans les graphiques 5, 6 et 7. Le taux de croissance apparent serait alors de 7, 9 %, analogue à celui de la Syrie. Mais la courbe à peu près régulière de la croissance sur les vingt années serait dès lors remplacée par une courbe en deux branches, chacune d’elle ayant une pente égale à 5 % environ, pour les années 1960-73 et 1974-80, et séparées par un saut brutal. Ce saut ferait ressortir un taux apparent de croissance de 12 % pour la seconde moitié des années 70.

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Graphique 7. — Irak P. I. B., Imports, Exports ... () (P. I B. et Exports aux prix 1975).

Le calcul des tendances à prix constants fait apparaître le caractère médiocre des performances de l’Irak, dont le seul avantage sur la Syrie résulte de la révision en hausse des prix du pétrole. Les moyens financiers que cette révision a mis à la disposition du pays n’ont pas permis d’accélérer la croissance des autres secteurs. La situation agricole est restée désastreuse et a même empiré, puisque à la faible croissance des années 60 a succédé la stagnation des années 70 (graphique 6). La croissance des industries de transformation et même des services ne s’est pas accélérée.

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b)La croissance des exportations à prix constants est également modeste et voisine de celle du P. I. B. Si l’on tenait compte du relèvement du prix du pétrole, cette croissance devrait être apparemment beaucoup plus marquée et, en termes de trend, les exportations auraient représenté en 1980 environ 3 500 millions de dollars, soit plus de 60 % du P. I. B. (graphique 7). Mais l’évaluation des importations à prix constants renseigne mieux sur le comportement du système économique. Dans la structure des prix antérieurs à 1973, la croissance des importations, des exportations et du P. I. B. étaient sensiblement parallèles et leurs taux situés entre 5 et 6 % l’an. On remarque cependant que l’excédent commercial, chronique, qui était de l’ordre de 10 % du P. I. B., tendait à partir de 1970, avec la mise en train des programmes publics de développement, à disparaître rapidement. Le relèvement du prix du pétrole a donné un coup de fouet aux finances publiques, à l’investissement public et, par là, aux importations. La proportion des investissements comme celle des importations par rapport au P. I. B. double l’une et l’autre, la première passant de 20 à 40 %, la seconde de 25 à 50 %. L’excédent commercial qui ressort des calculs effectués dans l’ancien système de prix constants aurait de ce fait disparu pour laisser la place à un lourd déficit. Cependant, dans le nouveau système de prix (prix postérieurs à 1973 pour le pétrole, donc pour les exportations, et prix constants des importations), la balance commerciale reste excédentaire (exportations : 3 500 millions; importations : 2 700 millions, excédent 800 millions, soit 9 % du P. I. B. estimé, dans ce système, à 8 900 millions). c)La croissance des investissements présente quelques particularités intéressantes (graphique 5). Sa composante privée est médiocre : 200 millions environ par an en moyenne durant la décennie des années 60, 250 pour la décennie suivante; mais l’investissement dans la construction de logements, encore négligeable dans les années 60 (10 millions par an), passe brutalement à une moyenne annuelle de

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l’ordre de 200 millions dans la seconde moitié des années 70. Quant à la composante publique, dont la croissance est modeste au cours de la décennie 60 (ces investissements passent seulement de 200 à 300 millions du début à la fin de la décennie, avec un taux de croissance de 4 %), elle s’accélère et grimpe de 300 à 1 850 millions, en termes de tendance, au cours de la seconde décennie (taux de croissance : 20 % l’an). 2) La consommation privée par tête reste donc stagnante : 150 dollars constants en 1980 comme en 1960. Seule la consommation publique augmente de 56 dollars par tête en 1960 à 80 en 1970 et 220 en 1980 (chiffres de tendance), accusant un taux, supérieur à celui de la Syrie, de 8, 1 % l’an pour ces vingt ans et s’accélérant de 4 % à 10 % d’une décennie à l’autre. 3) L’efficacité des investissements est, dans ces conditions, très médiocre. S’il a fallu investir en moyenne 30 % du P. I. B. pour obtenir une croissance de 5, 3 %, cela indique un coefficient de capital de l’ordre de 5, 4 (contre 2, 5 pour la Syrie). En outre, la dégradation de ce coefficient d’efficacité est rapide : pour la première décennie, il est de l’ordre de 3, 8 (F. B. C. F. = 20 % du P. I. B., croissance : 5, 3 %), pour la seconde, de l’ordre de 7, 6 (F. B. C. F. = 40 % du P. I. B., croissance inchangée) : exactement le double ! Les chiffres des investissements, en termes de tendance, ressortent du tableau 36 (valeurs en millions de dollars constants). Tableau 36 Investissements Augmenta Coefficien cumulés 1960-79 tion du t produit d’efficacit Valeurs % 1960-80 ék Agriculture

1300

8

88

150

9

Industrie et pétrole Logements Infrastructure Total F. B. C. F.

10 000 2 500 5 200 19 000

52 13 27 100

1400 — — 3 600

7 — — 5, 4

Les investissements dans l’agriculture sont proportionnellement modestes, passant de 30 à 100 millions par an au cours de la période : quelques grands travaux d’irrigation, beaucoup de mécanisation. Mais leur rendement, déjà faible entre 1960 et 1970, s’effondre au cours de la décennie suivante : on investit davantage pour aboutir à une baisse de la production ! Dans l’industrie, les investissements, dont la croissance est lente dans les années 60 (ils passent de 90 à 150 millions par an), atteignent des sommets fabuleux dans les années 70 (trend 1980 : 1 000 millions dépassés). Mais, on l’a dit, leur efficacité est très faible : le coefficient k est même supérieur à ce qu’il est pour la Syrie.

II - Finances publiques et balance extérieure Des séries de comptes nationaux précis et détaillés n’existent pour la Syrie et l’Irak que depuis quelques années seulement. Encore ces comptes ne sont-ils pas homogènes et les statistiques sur lesquelles ils sont fondés fort discutables. Des estimations diverses ont été proposées pour les périodes antérieures par divers auteurs. Bien que les résultats apparents de toutes ces statistiques soient passablement divergents, certaines tendances centrales demeurent, que l’on essayera de dégager ici. Syrie.

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Les estimations de la croissance globale et de sa distribution varient considérablement selon les auteurs. Gennaoui retient pour la période 1965-73 un taux de 5, 5 % pour le P. I. B. réel (dont 0 pour l’agriculture et 8 % pour l’industrie), des taux plus élevés pour les exportations (7, 5 %) et les importations (7 %), comme pour l’accumulation (10 %) et les dépenses publiques (11, 5 %), ne dégageant pour la consommation privée qu’un taux plus faible (3 %), correspondant à peu près à la croissance démographique. Bourhane Ghalioun retient pour la période de 1956-68 les taux suivants : P. I. B. : 4, 2 %, dont agriculture : 1, 3 %, et industrie : 4, 8 %; dépenses administratives : 17, 5 %. Les chiffres de tendance que nous avons déduits des tableaux de l’E. C. W. A. pour 1960-77 donneraient une croissance réelle du P. I. B. de 7, 9 %. Ce taux est proche de l’estimation de la Banque mondiale pour la période 1960-74 : 4 % par tête. 1) Les dépenses publiques ont toujours augmenté plus vite que le P. I. B., la tendance étant même à l’accentuation de l’écart lorsque la croissance globale s’accélère. Il y a au moins deux raisons à ce phénomène, courant dans le tiers monde : – premièrement, l’accentuation de l’effort d’accumulation et la part croissante de l’Etat dans son financement : la formation brute de capital fixe passe, en termes de tendance, de 18 à 24 % du P. I. B. au cours de la période 1960-80; les investissements publics, en termes de tendance, de 30 à 500 millions de dollars; – deuxièmement, l’accroissement rapide des dépenses courantes, tant militaires que civiles (éducation et subventions). L’effort public d’investissement a d’abord porté sur l’infrastructure :

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entre 1970 et 1977, la longueur des routes goudronnées a été portée de 8 à 12 000 kilomètres, celle des voies ferrées de 850 à 1 635 kilomètres, le nombre de téléphones par 100 habitants de 1, 8 à 2, 3. Selon les statistiques de l’E. C. W. A., la formation de capital, qui est passée de 15 à 40 % du P. I. B. entre 1970 et 1977 (moyenne 24 %, dont deux tiers financés par l’Etat), avec, il est vrai, de fortes fluctuations annuelles, se distribuerait selon les chiffres du tableau 37. Tableau 37 Agriculture

16, 1 % de la F. B. C. F. à la baisse avec tendance Pétrole et mines 22, 0 % de la F. B. C. F. à la hausse avec tendance Industries de 15, 6 % de la F. B. C. F. à la hausse avec transform. tendance Logements 20, 5 % de la F. B. C. F. à la stabilité avec tendance Infrastructure 25, 8 % de la F. B. C. F. à la stabilité avec tendance

Or la majeure partie des investissements de l’industrie et de l’agriculture est financée par l’Etat. Le gouvernement et les entreprises publiques produisent la moitié du P. I. B. et occupent 14 % de la force de travail (soit un tiers de la force de travail non rurale). L’Etat joue un rôle moteur direct dans l’industrialisation : une centaine d’entreprises d’Etat, groupées en cinq trusts (Agriculture, Industries et mines, Services publics, Commerce, Banques et finances), reçoivent la quasi-totalité des crédits publics et contribuent d’une manière importante au financement public par les reversements de profits au budget de l’Etat. La charge des dépenses courantes de l’Etat n’a pas été moindre. L’annuaire Military Balance 1976 classe la Syrie parmi les pays dont le budget militaire est plutôt lourd : il absorberait 15 % du P. N. B., avec

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une dépense de l’équivalent de 630 francs français par tête. A titre de comparaison, rappelons qu’Israël, qui est en tête de liste, en dépense 5 900 (36 % du P. N. B.), l’U. R. S. S., 2 140 (13 % du P. N. B.), la France, 945 (3, 8 % du P. N. B.), l’Iran, 1 300 (2, 1 % du P. N. B.), l’Egypte, 605 (34 % du P. N. B.) et l’Arabie Saoudite, 5 000 (mais seulement, 21 % du P. N. B.). Parmi les dépenses sociales civiles, l’éducation absorbe une proportion importante des moyens. Son budget est passé de 264 millions de livres syriennes en 1970-71 (1 321 000 élèves et étudiants; dépense moyenne par élève : 202 livres) à 672 millions en 1975-76 (1 867 000 élèves; dépense moyenne : 360 livres). Mais les subventions destinées à maintenir des niveaux acceptables pour les prix des biens de première nécessité absorbent des moyens non moins importants : 909 millions de livres en 1974, 1 132 en 1975, 1 253 en 1976 et 1 420 en 1977 (source F. M. I.). La croissance des dépenses publiques n’a pas pu être intégralement financée par l’effort fiscal — ou parafiscal (reversement de profits du secteur public). L’apport extérieur et le financement inflationniste ont donc tendance à augmenter, comme le montre le bilan des finances publiques établi par le F. M. I. (cf. tableau 38). Tableau 38 - Finances publiques (en millions de livres syriennes courantes) Recettes totales Dépenses totales Déficit : Financement : Dons et prêts extérieurs Avances de la Banque centrale

1974

1975

1976

1977

4 263 5 574 1 311

6 599 9 663 3 064

6 988 11 258 4 270

7 464 13 774 6 280

704 607

3 512 — 448

1 919 2 351

5 538 742

92

Les dépenses augmentent plus vite (133 %) que le P. I. B. (75 %); les recettes parallèlement au P. I. B. (environ 29 %) de celui-ci. Le déficit est financé par l’aide extérieure à raison de 80 % en moyenne, et par l’inflation pour le reste. La responsabilité des différentes actions de l’Etat dans la croissance globale de ses dépenses, selon le F. M. I., ressort du tableau 39 : Tableau 39 - Dépenses publiques (en millions de livres syriennes courantes) Dépenses courantes totales dont : Armée Subventions Investissements : dont : Mines et industries

1974

1975

1976

1977

3 204 1 682 909 2 370 1 014

5 161 3 280 1 132 4 502 2 416

6 046 3 614 1 253 5 212 2 176

6 634 3 908 1420 6 339 3 492

La croissance de la part des dépenses publiques dans le P. I. B., qui passe de 37 à 50 % entre 1974 et 1977, est renforcée du fait des reversements de profits du secteur public à l’Etat. Ces recettes non fiscales (rente pétrolière et profits du secteur public : 415 millions de livres en 1970; 3 297 en 1977) sont passées, selon l’E. C. W. A., de 11 % du P. I. B. en 1968-69 à 19, 7 % en 1974-76. Aussi l’épargne publique, qui atteignait en 1968 2, 6 % des recettes de l’Etat, en représentait 7, 2 % en 1976, tandis que l’épargne nationale constituait en moyenne pour les années 1970-77 14, 3 % du P. I. B. (en croissance de 11 à 17 % entre 1970 et 1977). Cette épargne est néanmoins insuffisante par rapport à l’effort d’investissement, qui passe de 15 à 40 % du P. I. B. (moyenne 1970-77 : 24 %). L’apport extérieur net est donc en croissance marquée, passant de 4 % du P. I. B. en 1970 à 22 % en 1977. 2) La croissance syrienne a été conditionnée par une inscription toujours plus accentuée dans la division internationale du travail. La tendance du com-

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merce extérieur à prix constants à croître plus vite que le P. I. B. est nette : les taux respectifs sont de 7, 9 % pour le P. I. B., 7, 3 % pour les exportations et 9, 6 % pour les importations. La croissance plus forte des importations indique la fragilité de cette stratégie de développement, qui reste dépendante de l’apport extérieur, sous une forme ou une autre. En valeurs courantes, ces tendances sont évidemment déformées par l’évolution des termes de l’échange. Par exemple, tandis que les exportations en valeurs courantes demeurent à peu près constamment entre 20 et 22 % du P. I. B. entre 1970 et 1977, les importations s’envolent de 24 à 44 % (chiffres de l’E. C. W. A.). L’année 1973 et les suivantes ont pourtant apporté une très nette amélioration des termes de l’échange pour les exportateurs de pétrole. En Syrie, la part des produits pétroliers est passée de 21 % des exportations en 1971-73 à 64 % en 1974-76, tandis que, parallèlement, celle des produits manufacturés baissait de 14, 2 à 8, 8 % — le reste étant fourni par l’agriculture (coton et produits alimentaires). La croissance des exportations agricoles est évidemment limitée par la stagnation relative de l’agriculture. Celle des produits manufacturés, modeste, montre la difficulté qu’il y a à pénétrer les marchés extérieurs en période de crise. La recherche d’un accord d’association avec la C. E. E. négocié en 1977 n’a donné que des résultats insignifiants. Le Marché commun arabe, établi à partir de 1971 entre la Syrie, l’Irak, la Jordanie, l’Egypte, le Soudan et la Lybie, n’a pas d’existence réelle, puisque aussi bien le commerce avec les pays de l’E. C. W. A. a diminué, en exportation de 15, 6 à 8, 2 % du volume global des exportations syriennes entre 1971 et 1976, et en importation de 15, 9 à 11, 2 %.

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L’examen de la structure des importations montre que l’investissement n’est pas seul responsable de leur croissance. La part de l’équipement et du matériel de transport est seulement passée de 21, 6 % en 1971-73 à 28, 5 % en 1974-76, tandis que celle de l’alimentation diminuait, de 27, 5 à 20, 6 %; celle des biens intermédiaires de 55 à 52 %; celle des biens de consommation de 23, 6 à 19, 5 %. Cette structure relativement stable indique une forte croissance absolue de toutes les importations, de biens d’équipement, de biens intermédiaires et de biens de consommation, alimentaires et manufacturés. Sans doute le relâchement des contrôles à l’importation à partir de 1971 et de l'infitah a-t-il joué un rôle dans la croissance du déficit commercial, passé de 251 millions de dollars en 1971-73 à 696 en 1974-76 et 1 596 en 1977. Mais, en sens inverse, ce libéralisme a permis un flux d’entrée de capitaux privés, en provenance des émigrés syriens (notamment dans les pays du Golfe), qui a financé très largement les investissements dans l’immobilier et dans l’agriculture privée. Ainsi donc les exportations en quantum passaient de l’indice 81 en 1968 à l’indice 113 en 1977, les importations de 82 à 310, les termes de l’échange de l’indice de 103 à 129. En valeurs courantes, les exportations passaient de 673 à 4 199 millions de livres et les importations de 1 193 à 10 497 entre 1968 et 1977. Le déficit a été couvert par l’aide et l’endettement extérieur ainsi que les transferts privés de capitaux. A eux seuls, les transferts nets en faveur de la Syrie ont triplé entre 1974 et 1977, passant de 460 millions de dollars à 1 244. Ces chiffres comportent la redevance pour le transit du pétrole irakien (qui disparaît à partir d’avril 1976), les transferts privés de quelque 100 000 Syriens établis dans le Golfe et de 200 000 travailleurs saisonniers se rendant au Liban

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— lesquels alimentent largement le « Bazar » et ses opérations financières — et l’aide politique de l’Arabie Saoudite. A ces transferts s’ajoutent les entrées de capitaux au titre de l’aide économique (des pays de l’Est principalement) : les encours de la dette extérieure aux Etats s’établissent à 8 354 millions de livres fin 1977 et les encours au titre des crédits fournisseurs à 5 349 millions. Grâce à l’ensemble de ces transferts, la Syrie a pu maintenir un équilibre approximatif de sa balance des paiements, petits excédents nets (entre 80 et 170 millions de dollars par an) et petits déficits se succédant, permettant le maintien de réserves modestes mais acceptables (deux à cinq mois d’importations), au prix cependant d’une dette extérieure en forte croissance. A court terme, cela a permis le maintien des apparences du libéralisme sans que la livre syrienne se dévalue (en fait, il n’y a pas de marché parallèle et la livre fluctue peu autour de 3, 90 livres pour un dollar). La balance extérieure syrienne est cependant beaucoup plus vulnérable qu’elle ne l’était avant 1960. Il y a certes toujours eu un déficit commercial (qui était de l’ordre de 116 millions de lires courantes en 1951, selon Helbaoui). Mais il était compensé principalement par les recettes du transit (pour la Jordanie et l’Irak) et, accessoirement, par une petite aide extérieure. Aujourd’hui, l’équilibre exige, on l’a vu, un apport beaucoup plus substantiel (l’endettement extérieur par habitant est égal à celui de la France) et peut être perturbé gravement par un ralentissement conjoncturel des envois des émigrés (qui couvrent peut-être jusqu’à 30 % des importations), de l’aide publique extérieure ou même de la disponibilité des crédits fournisseurs. Irak.

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Une estimation de la croissance globale de l’Irak dépend en particulier de la méthode qu’on retiendra pour le calcul de la part du pétrole. L’E. C. W. A. évalue cette croissance au taux annuel de 5, 9 % pour les années 60 et de 10, 5 % pour la période 1970-1976. Et la distribution du P. I. B. par secteur montre le rôle décisif qu’y joue le pétrole (cf. tableau 40). En dinars courants (au taux de 3, 38 dollars pour un dinar), le P. I. B. est passé de 1 128 millions en 1968 à 4 022 millions en 1975, en majeure partie par suite du relèvement du prix du pétrole en 1973-74 : aux prix constants de 1969, il serait seulement passé entre ces deux dates de 1 060 à 2 076 millions. A prix constants également, toujours selon l’E. C. W. A., la production agricole aurait stagné (188 millions), celle de l’industrie serait passée de 101 à 265 millions, celle de la construction de 38 à 149 millions, celle de l’administration de 105 à 272 millions, celle du pétrole de 339 à 611 millions, le reste allant aux services. Tableau 40 - Distribution du P. I. B. par secteur

Agriculture Pétrole Industries Constructions Services

1970

1976 Moyenne 197076

11, 3 30, 2 10, 7 3, 4 43, 7

7, 6 53, 4 7, 6 7, 7 23, 3

11, 7 43, 2 8, 8 3, 6 32, 2

Les chiffres de tendance qui ressortent des tableaux de l’E. C. W. A. suggèrent pour la période 1960-77 une croissance réelle de 5, 3 % l’an pour le P. I. B., dont 1, 6 % pour l’agriculture (un peu plus pour les années 60 mais stagnation totale pour les années 70), 6, 2 % pour l’industrie, pétrole inclus (avec une légère accélération dans les années 70) et 5, 8 % pour les services. En quantités physiques, l’extraction de pétrole brut est passée de 550 millions de barils

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par jour en 1968 à 884 en 1976, tandis que les prix étaient, comme on sait, multipliés par quatre environ à partir de 1974. Les ressources financières dégagées par le pétrole ont à leur tour autorisé une accélération de l’investissement (notamment pétrochimique) et de la construction, des dépenses publiques civiles et militaires. Ces chiffres sont moins élevés que ceux retenus par la Banque mondiale : 4 % par tête (donc 7 % au total) pour la période 1960-74. Sans doute, ici comme chez d’autres analystes, avait-on sous-estimé l’évolution « désastreuse » (le terme est de l’E. C. W. A.) de l’agriculture irakienne. 1) La croissance plus forte de l’investissement et de la dépense publique ne fait l’objet d’aucune contestation. Selon l’E. C. W. A., la part de la formation brute de capital fixe est passée de 21 % du P. I. B. en 1970 à 27, 8 % en 1974-75, celle de la consommation publique de 22, 7 à 23, 2 %. Aux prix constants de 1962, la F. B. C. F. est passée de 130 à 690 millions de dinars entre 1968 et 1975, dont, pour l’agriculture, respectivement 15 à 46 millions, pour les industries de transformation 33 et 196 millions, pour le pétrole (recherche, exploitation, raffinage) 1 et 106 millions. Les dépenses publiques courantes, en prix courants, sont passées de 454 millions de dinars en 1973-74 à 1 269 en 1977, les dépenses d’investissement de 244 à 1 194 millions. L’effort d’équipement en infrastructures est notable : le réseau de routes goudronnées est passé de 4 792 kilomètres en 1970 à 6 500 en 1977, l’équipement téléphonique de 1, 2 appareil pour 100 habitants à 2, 8, le tonnage de la flotte maritime de 36 000 à 1 135 000 tonneaux, faisant de l’Irak l’un des rares pays arabes qui s’équipe dans ce domaine. L’effort d’investissement, où le secteur public prédomine surtout pour les années 70, a porté principalement sur le secteur pétrolier (dont la part dans la F. B. C. F. est passée de 4, 1 % en 1970 à 9 % en 1976)

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et les industries (de 29, 5 à 31, 5 %). Le logement, financé dans une large mesure par le privé, a vu sa part réduite de 17, 7 % à 11 %, mais son volume absolu augmenter. Le volume de l’investissement dans l’agriculture, déjà médiocre, a tendance à stagner, et sa part a diminué, passant de 12, 4 à 8, 4 %. Les dépenses militaires représentent, selon la Military Balance 1976, 9 % du P. N. B., avec une dépense par tête de 496 francs français. Les dépenses civiles n’en sont pas moins importantes et en augmentation forte. Par exemple, la dépense par élève et étudiant passait de 38 dinars en 1970-71 à 47 dinars valeur 1970 en 1975-76, tandis que le nombre des élèves passait entre ces deux années de 1 463 000 à 2 403 000. Comme en Syrie, des subventions importantes ont atténué la hausse des prix de produits de première nécessité. La charge de ces subventions est passée de 33 millions de dinars en 1968 à 553 en 1976. La forte croissance des dépenses de l’Etat n’a pas gêné les finances publiques, du fait surtout du relèvement du prix du pétrole en 1973-74 (cf. tableau 41). Finalement, l’Etat dispose d’un surplus considérable, placé auprès du système bancaire, dont on retrouvera la contrepartie en avoirs extérieurs (cf. tableau 42). Tableau 41 - Finances publiques Recettes totales/P. I. B. (dont pétrole) Dépenses totales/P. I. B. (dont dépenses courantes)

1968-69

1974-76

28, 2 % (52, 9 %) 33, 2 % (23, 0 %)

55, 2 % (78, 5 %) 53, 0 % (26, 6 %)

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Dépenses courantes (mls D) Dépenses d’investissement (mls D) Epargne publique/recettes Etat

241, 9 64, 4

1 476, 6 1 523, 5

21, 7 %

48, 1 %

L’épargne nationale dépasse ainsi largement la formation brute de capital, laissant apparaître un surplus d’avoirs nets sur l’extérieur. L’épargne nationale est passée de 31, 5 % du P. I. B. en 1970 à 49, 3 % en 1974-75, tandis que la formation brute de capital passait de 15, 8 à 27, 8 %, le surplus de 15, 7 à 21, 5 % (E. C. W. A.). Tableau 42 - Situation du Trésor (en millions de dinars courants) Recettes du pétrole Recettes totales Excédent (+) ou déficit (—) Secteur public (excédent) Emprunts extérieurs Solde secteur public (placements auprès des banques)

1972-73

1977

218 392 — 81 65 — 37

2 403 2 821 357 —2 — 22

21

337

2) L’inscription très nette de l’Irak dans la division internationale du travail entraîne les conséquences habituelles. Les tendances du commerce extérieur, mesurées à prix constants, révéleraient une croissance beaucoup plus forte des importations (8, 8 %) que des exportations (4, 9 %). C’est seulement le relèvement du prix du pétrole en 1973-74 qui explique le fait qu’en dépit de la tendance des importations à croître beaucoup plus rapidement que les exportations la balance commerciale reste largement excédentaire : la part des exportations (constituées pour 95 à 99 % pour le pétrole) dans le P. I. B. passe de 45, 3 % en 1970 à 59, 7 % en 1974-75, celle

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des importations de 26, 6 % à 38, 2 %, et l’excédent de 734 millions de dollars en 1971-73 à 4 549 millions en 1974-76. Les déséquilibres dans le développement irakien sont extrêmes : stagnation de l’agriculture, accélération de la dépense publique et de l’investissement, notamment dans de « grands projets » fournis « clé en main ». Il en est résulté une augmentation forte non seulement du volume global des importations (qui sont passées de 144 millions de dinars courants en 1968 à 1 151 en 1977) mais encore de tous les postes de l’importation, notamment de produits alimentaires (passés de 28 à 157 millions entre ces deux dates), de biens d’équipement (de 43 à 626 millions), de biens manufacturés de consommation (de 53 à 286 millions) et de biens intermédiaires (de 20 à 80 millions). Dans ces conditions, le commerce de l’Irak est demeuré orienté presque exclusivement vers les pays développés. La part des importations en provenance des pays de l’E. C. W. A. est passée de 4, 3 % en 1971 à 1, 2 % en 1976. L’excédent de la balance commerciale laisse à son tour à la balance des paiements un excédent appréciable (cf. tableau 43). Tableau 43 - Balance des paiements (en millions de dinars courants) Exportations Importations Excédent commercial Services nets Transferts Capitaux Solde : Réserves

1968

1975

371 — 144 227 — 172 2 16 — 34

1 863 — 1 369 494 — 331 — 78 — 131 + 140

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On remarquera le volume considérable des transferts au titre des « services », dans lesquels sont cachés des profits de firmes étrangères, notamment d’ingeneering, bénéficiaires des énormes contrats de livraisons de « grands projets ». L’appel aux capitaux étrangers demeure limité. En fait, la dette publique extérieure reste faible, les encours fin 1973 s’élevant à 171 millions de dinars et fin 1976 à 163 millions (dont la moitié due à l’U. R. S. S.). En revanche, l’Irak est apparue, à partir de 1974, avec le groupe des autres pays de l’O. P. E. P., parmi les donateurs internationaux importants. L’aide déboursée effectivement, qui n’était que de 2 millions de dollars en 1970 (0, 04 % du P. I. B.), s’est élevé à 440 millions en 1974 (4, 16 % du P. I. B.), pour redescendre, il est vrai, à 254 millions en 1976 et 116 en 1977 (0, 61 % du P. I. B.). Finalement, les réserves globales sont en croissance continue : de 978 millions de dollars en 1971 à 1 553 en 1973, 3 534 en 1976 et 6 996 fin 1977. Mais, compte tenu de la croissance des importations, ces réserves représentent, en moyenne mobile sur plusieurs années, environ douze mois d’importations. Mais elles conservent malgré tout un caractère constamment provisoire : en forte augmentation dans les périodes qui suivent immédiatement les ajustements en hausse du prix du pétrole (1973-74, puis 1979-80), elles tendent à se réduire lorsque les plans de développement, ajustés aux nouveaux moyens financiers, sont mis en œuvre. Les projections d’un « surplus inabsorbable » se sont toujours révélées inopérantes.

III - Distribution du revenu, consommation et inflation. La croissance économique générale de la Syrie et de l’Irak n’implique nullement une croissance égale du niveau de vie de la majorité de la population. D’abord, parce qu’une fraction importante et grandissante de la croissance

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est absorbée par l’accumulation et les dépenses publiques, amenuisant d’autant le solde affecté à la consommation. Ensuite, parce que la croissance de la population est elle-même forte, et toujours dans sa phase explosive, dépassant maintenant 3 % l’an. Enfin, parce que la distribution de l’emploi et des revenus est elle-même fort inégale et que cette inégalité ne tend pas à se réduire, au contraire. La structure de la répartition n’est pas une réalité indépendante de celle des choix stratégiques de développement, des options en faveur de l’ouverture extérieure, des blocs de classes hégémoniques qui caractérisent les pouvoirs politiques. Les tensions sociales sont donc fortes, et manifestent leur existence dans les mécanismes dont se nourrit l’inflation continue. Syrie. Selon les données de la comptabilité nationale, la part de la consommation privée a diminué dans le P. I. B., passant de 70, 3 % de celui-ci en 1970 à 62, 3 % en 1977 (source : E. C. W. A.). Si le taux de croissance du P. I. B. a été de 7, 9 % sur deux décennies, celui de la consommation privée a été de 6 %, soit, par tête (pour une croissance démographique de 3, 2 %), de 2, 8 %. Ce taux est très largement inférieur à celui qui ressortirait d’autres estimations des comptes nationaux de la Syrie, selon lesquelles la consommation privée en livres aux prix de 1963 serait passée de 3 135 millions en 1968 à 7 477 en 1977, ce qui laisserait un taux de croissance réel par tête de 7 % environ ! La différence provient de ce que, dans le second cas, l’autoconsommation rurale a été systématiquement surestimée, tandis que la hausse des prix a été, elle, sousévaluée. Les chiffres de tendance qui ressortent des tableaux de l’E. C. W. A. donnent une croissance de 3, 8 % l’an pour la consommation privée par tête (celle-ci étant passée de 160 à 300 dollars entre 1960 et 1977), contre 7, 1 % pour la consommation publique, passée dans la même période de 30 à 95 dollars par tête.

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Les données sur la répartition du revenu sont fragmentaires. On a analysé, au chapitre de l’agriculture, celles qui ressortent de la distribution de la propriété, des exploitations et de leur équipement. La Banque mondiale appelle « pauvreté relative » celle de la masse qui reçoit moins d’un tiers du revenu national moyen; cela représente, en Syrie, 48 % de la population rurale. Ce pourcentage est en parfaite concordance avec celui des effectifs des microfundiaires, paysans sans terres et ouvriers agricoles, auxquels s’ajoutent, en ville, les chômeurs et les employés du secteur informel, estimés à un tiers de la population urbaine. Selon des critères de nutrition, 10 % de la population syrienne serait dans un état de pauvreté absolue, au sens de la Banque mondiale, et recevrait moins de 1, 2 fois le minimum estimé nécessaire au métabolisme de base. Selon Rizkallah Hilan, en 1965, la distribution du revenu en Syrie était la suivante : 75 % de la population (50 % de ruraux et 25 % d’urbains) recevraient 25 % du revenu, soit 170 livres par tête; 22 % de la population (11 % de ruraux et 11 % d’urbains) en recevaient 33 % (800 livres par tête) et 3 % le reste (6 000 à 10 000 livres par tête). Galal Amin considère que les 5 % de la population les plus riches reçoivent en Syrie 33 % du revenu national — pourcentage voisin de celui de l’Irak (34 %), de l’Inde (33 %), du Mexique (37 %) —, contre 20 % aux Etats-Unis. Ces indications, bien que fragmentaires, donnent une courbe de Lorenz, retracée dans le graphique 8, qui situe la Syrie, comme l’ensemble du monde arabe et asiatique, au sein du groupe des pays à forte inégalité : dans le faisceau B, mais plus proche de B1 que de B3.

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Graphique 8 - Distribution générale du revenu A faisceau des pays développés B faisceau des pays du tiers monde C Chine

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Nul mystère derrière ce constat. En dépit de l’effort de scolarisation, la population illettrée représente encore officiellement en 1975 34 % des hommes et 76 % des femmes (chiffres de l’E. C. W. A.). Le stock d’éducation s’est plus amélioré au sommet qu’à la base : le pourcentage des universitaires dans la population active est passé de 1, 7 à 3, 7 % entre 1970 et 1976, celui des diplômés du secondaire et du technique de 6, 9 à 13, 5 %, mais la structure de base de l’emploi est restée à peu près inchangée : 50 % de travailleurs agricoles, 27 % d’ouvriers de la production peu ou pas qualifiés, 18 % d’employés subalternes et seulement 5 % de cadres supérieurs et moyens. Seul changement porteur à terme de transformations idéologiques certaines, le taux d’occupation des femmes — en dehors de l’agriculture, où elles sont occupées traditionnellement — a doublé au cours des années 70. La population, du fait de son dynamisme démographique (croissance annuelle entre 3, 1 et 3, 3 %) est composée de 32 % d’adultes seulement (entre 20 et 60 ans, dont 15 % d’hommes et 17 % de femmes). En dépit de l’exode rural, la population des campagnes augmente en chiffres absolus, et même sa proportion relative ne décroît que lentement : de 57 % en 1960 à 53 % en 1977. Le nombre et la proportion des pauvres (minifundiaires, sans terres, ouvriers agricoles) s’accroissent donc. En ville, les emplois restent incertains. En 1975, le secteur industriel n’employait que 230 000 personnes, la construction autant, le commerce 189 000, les transports 78 000, les services 248 000, et le gouvernement 350 000. Encore doit-on savoir que ces chiffres globaux additionnent les emplois du secteur dit « moderne » — principalement d’Etat — et ceux du secteur informel des petites entreprises, voire d’emplois individuels qui masquent à peine la misère et le chômage. Dans l’ « industrie » ainsi recensée, 34 800 établissements emploient 156 600 travailleurs, soit en moyenne 4, 5 travailleurs par entreprise. L’Etat prétend avoir créé 430 000 emplois entre 1970 et 1976. Ce chiffre, qui représente la presque totalité des créations

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d’emplois de type moderne, résulte dans une large mesure d’un transfert du secteur privé, en contraction au cours des années en question, vers le secteur public. Les emplois nouveaux créés n’auraient pas dépassé 215 000. Or on estime à 50 000 au minimum l’entrée annuelle dans la force de travail urbaine : en six ans, il y aurait donc eu environ 300 000 demandes d’emplois supplémentaires. La différence entre ces deux chiffres correspond à une proportion qui va tenter de s’occuper comme elle peut dans le secteur informel, dont l’E. C. W. A. estime qu’il emploie un tiers des effectifs. Il n’empêche que la forte absorption par l’Etat et le secteur public a créé des tensions de rareté, du fait qu’elle s’adresse en premier lieu à ceux qui aspirent à un travail qualifié. La hausse des prix, inconnue dans les années 50, à peu près nulle dans les années 60, s’est accélérée dans les années 70. Sur la base 100 en 1952-54, l’indice des prix est en 1958 au niveau 93, en 1959 au niveau 99 (Source : L'économie et les finances de la Syrie et des pays arabes, 1960). Mais, sur la base 100 en 1962, les prix de gros sont à l’indice 117 en 1968, 171 en 1973 et 256 en 1977, les prix de détail à l’indice 119 en 1968 et 218 en 1977 (E. C. W. A.). La hausse des prix s’accélérant sans cesse au cours des années 70, le gouvernement a tenté d’en réduire les effets sociaux par l’augmentation des subventions aux produits de première nécessité. Mais il parvient difficilement à contenir la pression des travailleurs exigeant un réajustement des salaires, d’autant que le secteur privé, soumis au pompage de ses meilleurs éléments par le secteur d’Etat, a réagi en 1977 par un relèvement substantiel des rémunérations. En 1978, l’Etat a été contraint de relever à son tour les salaires publics de 20 %. L’inflation syrienne, comme celle de tous les pays du capitalisme périphérique, est avant tout transmise de l’extérieur, non par un effet de l’état de la balance

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des paiements, mais simplement par la contagion des prix des inputs et autres articles importés. Elle est ensuite accentuée par un effet de demande, dont la croissance est alimentée d’une part par les dépenses publiques (l’augmentation substantielle de la rente pétrolière leur fournissant en 1974-75 un stimulant énergique) et d’autre part par les dépenses privées financées par les transferts des émigrés. Ces transferts alimentent la construction immobilière, l’équipement ménager et les opérations financières du Bazar — prêts plus ou moins nécessaires à l’agriculture de koulak et à la petite entreprise privée. Ce double marché financier accentue à son tour l’inflation, car le système bancaire officiel est presque exclusivement au service du secteur public et de la construction immobilière. Tandis que les crédits en cours accordés à l’économie d’Etat passaient de 3 007 millions de livres fin 1974 à 6491 fin 1977, et les crédits de la Banque immobilière de 133 à 636 millions, les crédits de la Banque agricole passaient seulement, eux, de 328 à 495 millions. L’inflation est également un moyen de surmonter la croissance insuffisante de la productivité, notamment dans le secteur public : ici, les prix sont relevés pour cacher des déficits réels peut-être importants. Le système qui résulte de ces procédures, des subventions aux produits de première nécessité et du gonflement des prix par les coûts exorbitants du financement privé offert par le Bazar, n’est pas en soi plus artificiel qu’un autre. Car le thème de la « vérité » des prix, répété à satiété par le F. M. I. et la Banque mondiale, n’est pas moins idéologique, la référence suprême en étant les prix de l’économie capitaliste mondiale, dominée par les monopoles. Mais il est important de savoir que le système des prix syriens est un moyen d’affirmer la domination du secteur étatique, dont le déficit est couvert indifféremment par des subventions de l’Etat ou des crédits bancaires. En outre, ce système agit sur la répartition réelle du revenu, au bénéfice de l’Etat et des couches privilégiées,

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bénéficiaires des taux d’intérêts élevés de leurs placements sur les marchés du Bazar. Irak. La croissance forte des dépenses publiques et des investissements, combinée avec l’excédent commercial, a entraîné en Irak une croissance modeste de la consommation privée, dont la part dans le P. I. B. a diminué, passant de 37, 6 % en 1970 à 27, 5 % en 1974-75 (E. C. W. A.). En dinars courants, la consommation privée est passée de 543 millions en 1968 à 1 348 en 1975, contre respectivement 220 et 917 millions pour la consommation publique. Sur cette base, la consommation privée globale à prix constants aurait augmenté de 65 % en sept ans, soit au rythme de 7, 4 % l’an; la consommation privée par tête aurait augmenté, elle, au taux de 4, 2 %, taux légèrement supérieur même à celui de la Syrie pour l’ensemble de la période 1960-77. Or les tableaux de l’E. C. W. A. font ressortir au contraire une stagnation de la consommation privée par tête, autour de 150 dollars, de 1960 à 1977, ce niveau étant lui-même inférieur à celui de la Syrie de 1960, qui était, on l’a vu, de 160 dollars. L’hypothèse de la stagnation de la consommation privée est en corrélation avec la réduction de la part de celle-ci dans le P. I. B. : Si la croissance réelle a été de 5, 3 % l’an (taux de tendance de l’E. C. W. A.), la réduction de la part de la consommation signalée correspondrait à une stagnation du volume réel de celle-ci, donc à la réduction de la consommation par tête. Pour que celle-ci fût elle-même simplement stagnante, il aurait fallu que la croissance réelle du P. I. B. ait été supérieure à 8 % l’an.

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En revanche, la consommation publique par tête aurait augmenté de 56 dollars en 1960 à 80 en 1970 et 220 en 1980, accusant un taux annuel de 8, 1 %, lui-même en accélération à partir de 1970. Sur un tel fond de stagnation de la consommation moyenne réelle, et compte tenu de ce que l’on sait de l’inégalité dans la distribution du revenu et des tendances d’évolution de celle-ci, comme des tendances de l’évolution de l’emploi, il n’est pas douteux que les conditions de vie de larges masses se sont détériorées. Cela correspond d’ailleurs avec la stagnation qu’on observe dans le domaine agricole. Nasir Ahmed Khan estime que la proportion de la population relativement pauvre, au sens de la Banque mondiale, est de 63 % de la population rurale (contre 48 % en Syrie) et que celle de la population sousalimentée est de 14 % (contre 10 % en Syrie). Galal Amin considère que les 5 % de la population les plus riches accaparent en Irak 34 % du revenu. Tout cela indique un degré d’inégalité dans la répartition encore plus élevée qu’en Syrie. Située dans le faisceau B de la courbe de Lorenz (graphique 8), la position de l’Irak serait plus proche de B2 ou même B3 que de B1. Ici encore, en dépit de l’exode rural, la population rurale augmente, la croissance démographique ayant dépassé 3 % l’an. Selon les statistiques officielles, la population rurale active serait passée de 1 254 000 à 1 710 000 personnes entre 1968 et 1976 (progression de 37 %), tandis que la population active urbaine aurait augmenté entre les mêmes dates de 24 % (passant de 1 070 000 à 1 318 000 personnes) et les effectifs de l’industrie de 30 % (passant de 146 000 à 191 000 personnes). En 1975, selon l’enquête portant sur la force de travail, l’industrie et les mines n’occupaient que 17 % de la main-d’œuvre urbaine (220 000 postes), la construction 6 % (77 000 postes), les services 54 % (690 000 postes), auxquels s’ajoute 300 000 « mal définis ». Ici encore, la

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majeure partie des établissements, même dans l’industrie, relève du secteur informel des petites unités artisanales de sous-traitance. En effet, les 1 408 établissements industriels recensés n’emploient que 134 000 travailleurs (dont 4 096 techniciens « qualifiés » et 1 951 « hautement qualifiés ») sur un chiffre total de 220 000 travailleurs de l’industrie. Les niveaux de qualification sont encore dans l’ensemble médiocres et le retard très marqué par rapport à la Syrie. En 1975, on dénombrait officiellement comme illettrés 58, 5 % des hommes adultes et 82, 8 % des femmes. En dépit de l’offre potentiellement surabondante de travail, mais à cause de l’insuffisance de la population qualifiée, l’Irak fait massivement appel à l’immigration arabe. On en connaît mal les effectifs réels, tout comme on connaît mal l’émigration syrienne. Selon les statistiques officielles, la maind’œuvre immigrée ne fournissait en Irak que 1 % de la force de travail, contre 70 à 90 % pour les principaux pays arabes d’immigration (dans l’ordre, les Emirats, Qatar et Koweit), 40 % pour l’Arabie Saoudite, Oman et Bahrein, 33 % pour la Lybie, le nombre total des immigrés arabes dans ces pays étant de 1 884 000 en 1975 (source : Labour Imports of Arab Countries). Les pays d’émigration vers le monde arabe sont, dans l’ordre : l’Egypte (qui fournit 17, 6 % des immigrés arabes dans le monde arabe), le Yémen du Nord (15, 4 %) et la Palestine (13, 3 %). Selon ces statistiques, les autres pays arabes (Maroc, Algérie, Tunisie, Soudan, Syrie, Yémen du Sud et Oman) ne fournissaient ensemble que 13, 8 % de cette main-d’œuvre (dont 2, 4 % pour la Syrie), le reste étant fourni par des pays non arabes (Pakistan, Bangladesh, Somalie et, de plus en plus, Asie du Sud-Est et de l’Est). Ces statistiques sont sujettes à caution. On estime, selon d’autres sources, le nombre des travailleurs arabes immigrés en Irak (principalement Egyptiens) à

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un minimum de 300 000 — près de 10 % de la force de travail. En Irak, comme ailleurs dans les pays du Golfe et en Lybie, les immigrés se regroupent principalement dans deux secteurs : d’une part la construction (35 % environ des immigrés), où se concentre la masse des travailleurs les moins qualifiés, d’autre part le commerce et les services (55 % des immigrés) et, accessoirement, l’industrie et les transports (10 % des immigrés) vers quoi se dirigent ceux qui bénéficient d’une qualification moyenne et supérieure. Au sein de l’immigration dans les pays arabes, les travailleurs manuels non qualifiés représentent 55 % du total (la totalité des immigrés non arabes appartiennent à cette catégorie), les travailleurs de qualification moyenne (vendeurs, employés subalternes) 25 % et les travailleurs qualifiés (professionnels et techniciens) 20 %, fournis, eux, presque exclusivement par l’Egypte, la Palestine et la Syrie. En dépit de l’immigration, les tensions sur le marché du travail sont fortes. Les salaires minima ont été relevés de 0, 65 à 1 dinar jour en 1978; le salaire annuel moyen dans l’industrie est passé de 245 dinars en 1972 à 636 en 1976; dans la construction, de 328 à 745 dinars. Cette augmentation dépasse largement celle des prix, encore que leur indice sous-estime considérablement certains postes de la dépense, notamment le logement. Le relèvement des rémunérations salariales, comme l’amélioration certaine, bien que non chiffrée, des revenus des professions libérales et de la petite entreprise, ont accentué l’inégalité dans la répartition du revenu. Ces améliorations tranchent avec la détérioration, non moins certaine, du niveau d’existence déjà misérable de la grande masse paysanne et d’une proportion inconnue mais forte des pauvres des villes. L’inflation a été moins forte en Irak qu’en Syrie. Nulle durant les années 50, très faible durant la décennie suivante (indice 109 en 1968 sur la base 100 en

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1962), elle ne s’accélère qu’à partir des années 70 : l’indice des prix de gros passe, sur la même base 100 en 1962, à 131 en 1973, 181 en 1976 et 193 en 1977. Le mécanisme de l’inflation est ici commandé par la hausse des prix des importations et par l’effet de la demande de revenus distribués à partir de la prospérité pétrolière. Comme en Syrie, le crédit bancaire a joué un rôle d’accélérateur en mettant à la disposition des couches aisées des moyens supplémentaires. Ces moyens ont été utilisés presque exclusivement pour la construction immobilière, puisque les crédits en cours immobilisés sont passés de 73 millions de dinars fin 1973 à 196 fin 1977, alors que les crédits industriels passaient de 4 à 27 millions et les crédits agricoles de 8 à 27 millions (F. M. I.). S’il y a en Syrie, on l’a vu, un marché financier parallèle qui soutient l’agriculture de koulaks et la petite entreprise, rien de pareil n’existe en Irak, où le crédit ne finance que la consommation, accentuant ainsi les distorsions de la croissance.

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Conclusion de l’échec du projet national a la transnationalisation ? On ne saurait nier que les régimes baasistes ont, au cours des vingt dernières années, profondément modifié la société de la Syrie et de l’Irak. Mais cette transformation a-t-elle constitué une rupture avec le passé ? ou simplement une accélération des tendances profondes qui y étaient déjà inscrites ?

I - L’échec agricole. Le procès des régimes antérieurs a déjà été fait. Comme l’a montré Doreen Warriner, les classes dirigeantes anciennes et les pouvoirs politiques renversés à la fin des années 50 professaient — en théorie et en pratique — le plus profond mépris pour les paysans. A l’époque ottomane, le pouvoir de la Sublime Porte n’avait d’autre souci que de maintenir l’ordre, en confinant les communautés rurales dans leurs espaces cloisonnés ou en distribuant la possession du sol à des grands feudataires soumis. La réforme du code ottoman de 1858, qui devait permettre l’enregistrement de la propriété (Senet tapu), a renforcé le pouvoir des notables et des latifundiaires de style féodal. Ceux-ci, absentéistes, se préoccupaient exclusivement de collecter la rente foncière, non de développer. Les politiques des puissances mandataires puis des régimes de la première indépendance des années 40 et 50 étaient fondés sur les mêmes forces sociales. Aussi les résultats obtenus en matière de développement agricole furent-ils plutôt modestes. Si, en Syrie, quelques progrès furent réalisés, c’est dans la mesure seulement où le bloc hégémonique comportait une composante bourgeoise mercantile relativement importante, qui avait commencé à mettre en valeur la Djerizeh; mais les

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régions peuplées de Homs et Hama, les montagnes alaouites et druses, n’avaient été touchées que par l’aspect négatif de l’emprise croissante des usuriers urbains. En Irak, où la composante mercantile faisait défaut, le gaspillage des techniciens-bureaucrates s’était superposé au pouvoir des latifundiaires-rentiers. L’argent du pétrole, si limité fût-il alors (mais les dépenses publiques sociales l’étaient encore davantage), servit à construire des barrages et à augmenter les superficies, sans modifier le sort des paysans, dont la pauvreté constituait le plus fort handicap au changement social et technique. En 1933, le Seulement Act permettait à un millier de cheikhs irakiens de s’approprier l’intégralité du pays. En Syrie, la petite propriété de moins de 10 hectares reculait régulièrement, passant de 20 % du sol cultivé aux débuts du mandat français à 15 % en 1945 et 13 % en 1955. A partir de cette distorsion anti-paysanne, l’industrialisation, à peine amorcée, s’engageait dans la voie inéluctable de la dépendance. L’avènement des régimes baasistes répondait à cette faillite du développement fondé sur la propriété privée du sol, des rares usines et des maisons de commerce et de finance. Mais ils n’ont pas été mis en place par une révolution paysanne et populaire. Aussi, comme le montre Bourhane Ghalioun, la réforme agraire avait-elle pour but véritable de substituer le contrôle direct de l’Etat sur la terre à celui des propriétaires défaillants. Le même état d’esprit caractérisait d’ailleurs les projets de développement industriel, où l’Etat était appelé à remplacer le capital privé défaillant. Les nouvelles directions voyaient dans le contrôle étatique de la terre le moyen non d’améliorer le sort des paysans mais de les ponctionner davantage pour accélérer l’industrialisation.

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Des conflits nouveaux devaient naître de ce projet baasiste. La résistance des grands possédants et les espoirs qu’avait fait naître dans la paysannerie la proclamation du principe de la réforme contraignirent les Etats à rechercher une alliance avec certaines couches rurales pour isoler les propriétaires. On pensa un moment confisquer les terres au profit de l’Etat, qui les aurait louées à des « grands exploitants modernes » — ou tout au moins à des koulaks —, tirant de cette location un revenu appréciable. L’Irak s’est orienté effectivement pendant quelques années dans cette direction. Mais le revenu de l’Etat se révéla nul. Cet échec conduisit à l’idée de fermes d’Etat, du type sovkhoze. Les résultats ne furent pas meilleurs. La pression paysanne amena alors parfois — surtout en Syrie — à céder à la parcellisation. Mais l’Etat veilla à ce qu’elle n’aille pas trop loin et bénéficie surtout aux couches moyennes de koulaks, mieux capables, selon lui, de la mettre en valeur que les paysans les plus pauvres. Il a tenté d’organiser cette nouvelle paysannerie en lui imposant de lourdes coopératives bureaucratiques. Mais, là encore, la résistance paysanne à ce type d’encadrement conçu pour l’exploitation a fini par le faire reculer. On s’oriente alors de plus en plus ouvertement vers l’extraction du surplus par des formules plus classiques telles que l’octroi de crédits, etc. Le résultat de ce changement est illustré dans le graphique 1 : les couches moyennes sont renforcées, les pauvres — plus nombreux qu’avant — restent pauvres. Le graphique indique en référence la courbe de Lorenz qui décrit la distribution du revenu agricole en Chine (tiré de notre ouvrage L'avenir du maoïsme, 1981). L’immense distance entre les deux est celle qui sépare une réforme agraire bourgeoise d’une véritable socialisation de la terre. En termes de transfert de valeur de l’agriculture vers l’Etat, la réforme a certes donné des résultats, dont témoigne l’écart des productivités apparentes. Mais, il ne s’agit pas d’une innovation : c’est purement et simplement le maintien du

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système de surexploitation des paysans inhérent au capitalisme mondial, système hérité des décennies qui ont précédé la réforme. La distorsion dans le développement global n’a pas été abolie. En dépit des disponibilités en eau, des investissements de l’Etat dans l’irrigation, des équipements mécaniques et de la consommation accrue d’engrais, les résultats sont médiocres : en termes de production, on l’a vu, 3 % de croissance annuelle pour la Syrie, moins de 2 % pour l’Irak. Les investissements sont peu efficaces, comme le prouve le niveau élevé du coefficient de capital : 3, 2 pour la Syrie et 6, 7 pour l’Irak (un record mondial !). Les structures de prix adoptées, dont la fonction est de transférer le surplus de l’agriculture vers l’industrie, font en effet que les engrais et les équipements sont trop chers pour les paysans pauvres. Pour les autres, ils ne sont rentables qu’assortis d’une surexploitation des métayers, fermiers et ouvriers agricoles. Là encore, la comparaison avec le modèle de relations socialistes ville-campagne en Chine est instructive. Les résultats, déjà médiocres en termes de croissance de la production, le sont par conséquent encore plus en ce qui concerne la croissance des revenus de la masse des travailleurs ruraux. Ils ne sont positifs qu’en termes de pompage de surplus agricole par la bourgeoisie agraire et l’Etat. Aussi l’exode rural se poursuit-il. Pour les paysans pauvres, la seule issue reste, comme auparavant, l’émigration. La population rurale de la Syrie est passée de 70 % de la population totale du pays en 1920 (1 150 000 ruraux pour 1 650 000 habitants) à 60 % en 1950 (respectivement, 2 100 000 et 3 495 000) et 50 % en 1980 (4 250 000 et 8 530 000). Mêmes proportions à peu près pour l’Irak : en 1920, la proportion des ruraux était de 80 % (1 950 000 pour 2 450 000 habitants), en 1950, de 60 % (respectivement, 3 100 000 et 5 180 000)

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et, en 1980, de 50 % (6 500 000 et 131 450 000). Dans ces conditions, l’agriculture s’avère de moins en moins capable de nourrir le pays, comme l’établissent les tendances du déficit alimentaire grandissant. Les politiques actuelles sont-elles capables de corriger ces évolutions négatives ? La lecture des programmes gouvernementaux ne permettent guère de le penser. Leurs orientations ultra-technicistes se résument dans les trois thèmes suivants : a) grands barrages et irrigation prioritaire des terres plates; b) production industrielle à grande échelle d’engrais et de moyens mécaniques; c) encadrement étatique et fermes d’Etat. Tous ces documents se réfèrent à l’ouvrage de l’Euphrate et, pour la Syrie, à l’usine de 450 000 tonnes de triples phosphates, pour l’Irak, aux deux unités d’ammoniaque (Khor el Zubari, 541 000 tonnes, et Basra, 217 000), aux deux unités d’urée (El Zubari, 455 000 tonnes, et Basra, 197 000) et à l’usine de 400 000 tonnes d’acide phosphorique d’Al Qaim. Or la technologie des grands barrages en climat aride est très discutable. Celle de petits barrages, qui permettraient l’exploitation des eaux de ruissellement et des bas fonds, serait sans doute mieux appropriée, mais elle reste peu utilisée. C’est que la première correspond plus facilement à des décisions étatiques spectaculaires. La seconde, qui seule autoriserait l’exploitation de l’ensemble des ressources naturelles diffuses, garantirait une augmentation de la production dans des proportions beaucoup plus fortes. Mais elle apparaît au premier abord moins « rentable » et, surtout, bénéficiant à l’ensemble des ruraux et non plus à une minorité, elle exige pour être mise en œuvre une véritable mobilisation politique — ce dont est incapable l’encadrement bureaucratique ou quelque formule que ce soit du genre « sovkhoze » ou S. M. T. à la soviétique. « Industrialiser l’agriculture » ou faire de l’agriculture

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une moyen d’absorber des produits industriels ? La logique de ce choix n’est pas technique; elle est politique. On pourrait poursuivre le procès, rappeler les dangers de « transferts de technologie » qui n’impliquent pas une expérience populaire de tous les aspects, techniques et sociaux, des transformations qu’ils impliquent. On connaît cent cas où les variétés les plus performantes, introduites sans précautions, se sont trouvées victimes de parasites locaux et ont provoqué de véritables désastres. En outre, ces transferts, en appauvrissant les stocks de variétés biologiques locales, entraînent une dépendance accrue à l’égard des multinationales de l' « agrobusiness ». Une fois maîtresses du terrain, celles-ci n’ont pas de mal à capter à leur profit tout le surplus agricole potentiel.

II - Les limites du modèle d’industrialisation L’industrialisation n’est pas devenue pour autant la panacée. En Irak, le relèvement du prix du pétrole a constitué la source presque exclusive de la croissance, permettant le financement par l’Etat d’implantations industrielles lourdes sans connexion avec l’ensemble de la vie économique et sociale du pays. En Syrie, en l’absence d’une opulence financière analogue, on a recouru davantage à l’aide extérieure et à l’endettement, pour faire à peu près la même chose : des implantations industrielles mal adaptées à l’ensemble national. Malgré tout, ici, l’accent a été mis davantage sur les industries légères, parce que sans doute le terrain historique s’y prêtait mieux — mais aussi sous la pression de la balance extérieure : l’excès d’opulence des pays pétroliers n’est pas toujours un avantage ! Il apparaît d’une façon générale que les industries mises en place en peuvent pas accélérer la croissance du développement agricole par la fourniture

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d’inputs adéquats dans un système de prix et de revenus cohérents. Les industries légères trouvent l’essentiel de leurs débouchés dans la demande des couches aisées et moyennes beaucoup plus qu’en réponse aux besoins des grandes masses pauvres. Les industries de base, qui ne peuvent servir, en aval, que les industries légères, ne peuvent par conséquent pas accéder non plus à ces besoins. Il existe donc des excédents de capacité, tant pour les industries de base ainsi conçues, souvent dans un esprit de gigantisme, que pour les unités de production légères, contraintes d’imiter celles des pays développés — ne serait-ce qu’en raison du modèle commun de consommation qui est imposé aux couches aisées. Ces excédents imposent d’envisager l’exportation industrielle, c’est-à-dire de s’inscrire davantage encore dans une division internationale du travail défavorable. Ce type de développement, incapable par lui-même de satisfaire en priorité des besoins populaires, se signale par une distorsion au profit des services, dont la croissance (7, 4 % l’an pour l’ensemble pondéré Syrie-Irak) est beaucoup plus forte que celle de la base matérielle agricole et industrielle (ensemble : 4, 5 %). La croissance non moins nette de la construction immobilière traduit la même inégalité dans les priorités. Une analyse plus fine des fonctions industrielles montre également que les secteurs répondant à la demande des couches aisées (bien durables) connaissent une croissance plus marquée et une meilleure rentabilité. En fait, l’E. C. W. A. estime que la presque totalité de la croissance de la consommation a bénéficié à la moitié seulement de la population, tandis qu’un tiers de la population urbaine et deux tiers des ruraux en ont été pratiquement exclus. Comme nous l’avons montré dans notre étude sur L’économie arabe contemporaine (1980), les facteurs rares — par exemple, la main-d’œuvre qualifiée — sont affectés principalement à la satisfaction directe et indirecte de la surconsommation des

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couches aisées. La structure de l’appareil productif est ainsi étroitement associée à celle de la répartition du revenu : l’inégalité de celle-ci procède de cellelà et, à son tour, en commande la reproduction. L’inégalité dans la répartition ne peut pas être corrigée par des mesures de distribution sans modifier de fond en comble l’organisation de l’économie et l’orientation de la stratégie du développement. Quoi qu’il en soit, et en dépit d’investissements considérables, la croissance de la base matérielle de l’économie (production agricole et industrielle) reste modeste : 4, 5 % l’an pour l’ensemble des deux pays, pour une croissance démographique de plus de 3 %, cela ne laisse guère de marge pour l’amélioration de la consommation. Cette marge croît donc globalement au rythme de 1, 5 % l’an seulement, accaparée pour l’essentiel, nous l’avons vu, par les couches aisées. La Chine, elle, a enregistré au cours des trente années 1950-80, un taux annuel de croissance de sa base matérielle de 7 % (5 % par tête), dont le bénéfice est revenu dans l’ensemble à la consommation populaire (voir L’avenir du maoïsme). On mesure ici les effets des choix stratégiques : en prenant l’agriculture pour fondement, sur la base d’une distribution des revenus aussi égalitaire que possible, la Chine a fait non seulement mieux en termes sociaux, mais beaucoup plus vite. Les courbes de Lorenz reprises dans le graphique 8 — et construites à partir des données de la Banque mondiale — illustrent ces différences. La position du faisceau des pays de la périphérie (faisceau B) indique une distribution du revenu plus défavorable encore que celle qui caractérise les pays capitalistes développés (faisceau A, allant de la situation A1 des Etats redistributeurs comme la Suède aux situations A2 des Etats-Unis ou de la France).

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Dans les conditions de fonctionnement et de développement du capitalisme périphérique, on se déplace de B1 vers B3 — position de plus grande inégalité — à mesure qu’on jouit d’une plus grande opulence financière (pays de l’O. P. E. P., par exemple) et qu’on est plus avancé dans l’industrialisation. Nous avons montré dans L’économie arabe contemporaine que le groupe arabe se situait plutôt entre B2 et B3 qu’entre B1 et B2. La position B1 semble plus représentative de la situation des pays africains et asiatiques pauvres (voir le graphique de L’avenir du maoïsme). La position B3 correspond à la situation de l’Irak et de la Syrie avant les réformes agraires, celle B2 à la situation après (comme le confirment les données fournies par Rizkallah Hilan, Galal Amin et la Banque mondiale). Les réformes ont amélioré la distribution pour la moitié la moins pauvre de la population, mais sans changer le sort de l’autre. La courbe de la distribution de la consommation pour l’ensemble des pays arabes que nous avions retenus dans L’économie arabe contemporaine (graphique VIII) se situait vers B1; mais la distribution du revenu est naturellement plus inégale encore que celle de la consommation, puisque l’épargne est le fait des couches aisées. Ces données sont liées à l’ensemble du processus de l’accumulation et du développement. Pour certains économistes, il existerait un continuum de situations allant de A1 à B3, ce qui permettrait de justifier une théorie des « stades successifs de développement ». Mais le processus de l’accumulation ne conduit pas nécessairement de B3 vers B2 puis B1, A2 et A1; au contraire, la tendance, à la périphérie, est allée de B1 vers B3. De telles différences dans l’organisation de la demande commandent la mise en place de structures productives qualitativement différentes. Une structure C (le modèle maoïste)

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accompagne un développement autocentré national et populaire peu dépendant des conditions du système mondial; une structure A, une accumulation autocentrée occupant les hauteurs dominantes du système mondial; une structure B intègre le pays dans la division internationale du travail en position subalterne. Quelle qu’elle soit, elle est toujours le reflet de la nature de classe du régime, à la fois cause et effet de la distribution du revenu, et commande également le type des rapports extérieurs. On ne s’étonnera donc point que la stratégie politique de développement de la Syrie et de l’Irak soit étroitement soumise aux contraintes de l’évolution du système capitaliste mondial. La tendance au déficit extérieur y est forte et permanente — même si l’Irak, du fait de son pétrole, dispose de réserves extérieures apparentes : elles demeurent, en fait, fort aléatoires.

III - Projet national de développement ou transnationalisation ? Cette industrialisation désarticulée, de plus en plus intégrée au système mondial, appelle inexorablement la transnationalisation. Un jour ou l’autre, les multinationales offriront de restructurer l’ensemble disparate des industries mises en place en fonction de stratégies différentes. L’impasse dans laquelle le développement étatiste s’est enfermé prépare d’ailleurs déjà l’arrivée de ses fossoyeurs : en Syrie, par exemple, des concessions sont consenties à la pression du capital privé local d’origine agraire et financière et l’appel aux capitaux des émigrés se fait de plus en plus pressant. L'infitah se prépare. L’industrialisation n’aura donc été qu’une étape vers la transnationalisation, c’est-à-dire l’expansion impérialiste. Elle aura permis de faire financer par le pays, à grands frais et au prix de beaucoup de gaspillages, la mise en place d’une infrastructure qu’il ne restera plus aux monopoles qu’à récupérer.

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Ainsi l’industrialisation dépendante aura-t-elle pris le relais de l’agriculture dépendante de l’époque antérieure. Plus encore que celle de la Syrie, la stratégie d’industrialisation de l’Irak s’apparente à celle des pays du Golfe. Elle fait davantage appel aux collaborations occidentales qu’aux pays de l’Est et met l’accent sur des industries de base largement exportatives, fondées sur l’avantage apparent de l’énergie à bon marché. Des investissements lourds (financés par la rente pétrolière) et une subvention déguisée (énergie à prix nul) font coïncider la rationalité de cette option avec les intérêts de fait des monopoles. On voit mal comment un tel choix pourrait être appelé autrement que « stratégie de transnationalisation par le pétrole ». Les quelques industries légères disséminées ici et là, mal adaptées, mal gérées, subventionnées, ajustées à un marché biaisé par la distribution inégale à l’extrême des revenus, frappées par la crise de l’agriculture, extrêmement dépendantes en termes d’inputs importés, ne sauraient corriger cette tendance prédominante. L’intention des régimes baasistes était certainement de développer un projet national affermissant l’autonomie de leur nation dans le système mondial. S’agissait-il d’une transition socialiste, comme ils le proclament ? On nous permettra d’en douter : il n’y a pas de socialisme sans l’intervention autonome des classes ouvrière et paysanne dans le processus du changement social. Pour des raisons d’opportunité diplomatique, les idéologues de Moscou ont qualifié cette stratégie de « voie non capitaliste »; et les économistes occidentaux ont inventé la théorie des « industries industrialisantes » pour la justifier. D’autres, moins enthousiastes, qualifient simplement ce projet de bourgeois national. Selon eux, la libération nationale est achevée et les bourgeoisies

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parvenues au pouvoir dans le tiers monde ont engagé leurs pays dans un développement qui pourrait déplacer progressivement le centre de gravité du capitalisme mondial vers le sud. Les bourgeoisies du tiers monde tendraient et parviendraient en partie à maîtriser les bases nationales du développement, à savoir : a) le marché du travail; b) les ressources naturelles; c) le marché intérieur et accessoirement l’accès au marché mondial; d) les moyens financiers, et e) l’accès progressif à la technologie. Elles seraient ainsi à la fois en état de conflit et en situation de coopération avec les puissances capitalistes plus anciennes. Nous rejetons également cette thèse qui, selon nous, pèche par une conception statique de l’opposition bourgeoisie nationale-bourgeoisie compradore. Lorsque ces concepts ont été introduits, dans les années 30, la bourgeoisie compradore était constituée par des intermédiaires mercantiles, tandis que la bourgeoisie nationale aspirait à développer une production industrielle que lui interdisait le système de la division internationale coloniale du travail. Ensuite, on a eu tendance à figer cette situation et à considérer que toute activité industrielle devait nécessairement constituer le support d’une bourgeoisie nationale. On a perdu de vue que le système de la division internationale du travail était lui-même dynamique, tout en demeurant inégal. Aujourd’hui, l’industrialisation du tiers monde « compradorise » la bourgeoisie, au sens que celle-ci remplit maintenant des fonctions analogues à celles que remplissait hier l’ancienne bourgeoisie compradore : la nouvelle bourgeoisie industrielle, comme l’ancienne bourgeoisie mercantile, transfère en effet aux monopoles une large fraction du surplus tiré de l’exploitation des travailleurs locaux. La thèse du projet bourgeois national surestime les capacités de bourgeoisies apparues tardivement, aux prises d’une part avec un impérialisme puissant et

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d’autre part avec des masses ouvrières et paysannes qui aspirent déjà à une autre société et ne peuvent soutenir activement un projet incapable de répondre à leurs problèmes. La perspective globale de ces bourgeoisies reste alors celle de leur soumission aux impératifs de la transnationalisation sous la houlette des monopoles. C’est le sens de l’évolution que l’expérience nassérienne a déjà illustré; c’est le sens dans lequel les expériences de la Syrie et de l’Irak paraissent s’orienter : la « voie non capitaliste », les industries industrialisantes » sont le plus court chemin conduisant à une nouvelle étape du capitalisme périphérique dépendant.

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Sources d’information Par souci d’alléger le texte, on s’est contenté d’y indiquer la source de l’information par le nom de l’auteur ou de l’organisme. Nous donnons ci-après la liste des principaux documents et ouvrages utilisés. E. C. W. A. (Economic Commission for Western Asia), O. N. U. Beyrouth – Economic Growth of the E. C. W. A. Countries 1960-75, National Accounts Studies, n° 1; 1977. – Statistical Indicators of the Arab World for the Period 1970-1978; 1980. – Statistical Abstract of the Region of E. C. W. A. 1968-77; 1980. – Preliminary Estimates of Real G. D. P. for the Arab World 1960-77, doc. 792744; oct. 1979. – Review and Appraisal of Industrial Performance 1975-77; 1980. – Survey of Economie and Social Development in the E. C. W. A. Region 197078, doc. 79-2541; 1979. – Evolution of Economic Cooperation and Integration in Western Asia, doc. 80-2964; 1979. – Survey of Economic and Social Developments in the E. C. W. A. Region; 1980. – New and Renewable Energy in the Arab World; 1981. – Development Problems and Environmental Issues in Western Asia, E. C. W-. A. U. N. E. P.; 1980. – Arab Energy, Prospects to 2 000, doc. 80-3394; 1980.

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– Laws and Regulations Pertaining to Foreign Business with Special Reference to TNCs in the E. C. W. A., Region, doc. 79-2672; 1979. – Towards a Feasible Path to Economic Cooperation and Integration in Western Asia, doc. 81-4206; 1981. – Transnational Corporations and the Development of Mineral Resources in Western Asia, doc. 81-4240; 1981. – The Role of the Public Sector in Promoting Economic Development in Western Asia, doc. 81-4271; 1981. – The Population Situation in the E. C. W. A. Region, bulletins par pays. – The Arab Brain Drain, E. C. W. A., edit. by A. B. Zahlan; Ithaca, 1981. I. D. C. A. S. (Centre de développement industriel de la Ligue arabe) – Techno-Economic Study for Strategic Approach of the Industrial Construction Development of the Arab States; janv. 1979. – Tendances futures du développement industriel arabe (en arabe); Bagdad, avril 1980. B. I. T. (Bureau international du travail, en coopération avec l’E. C. W. A.) – La force de travail dans les pays arabes (en arabe) E. C. W. A., Beyrouth 1979. – La population et les migrations internationales dans les pays arabes, éd. par Birks et Sinclair (en arabe), E. C. W. A., Beyrouth 1980. F. A. O. (O. N. U., en coopération avec l’E. C. W. A.) – Agriculture and Development, nos 1, 2, 3; juin 1980.

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F. M. I. et Banque mondiale – Rapports (Syrie) 1978. – Rapports (Irak) 1978.

Revues et organismes arabes divers Arab Planning Institute, Koweit – Nasir Ahmed Khan, Patterns of Agricultural Development in Arab Countries; 1979. – Les modèles de développement des pays arabes, 3 vol. (en arabe), divers auteurs, 1980, sous la direction de Mahmoud Abdel Fadil. – A propos des perspectives arabes des années 80 (en arabe), ibid; 1981. Centre d’études de l’unité arabe, Beyrouth. – Mahmoud Ei Homsy, Plans de développements arabes, tendances à l’intégration et au séparatisme (en arabe); 1980. – Al Moustaqbal Al Arabi (« L’Avenir arabe »). C. E. R. M. O. C., Beyrouth – Philippe Fargues, Les champs migratoires internes en Syrie; 1979. – Philippe Fargues, Migrations de travail vers les pays du Golfe; 1980. – Jean Hannoyer et Michel Seurat, Etat et secteur public industriel en Syrie; 1979. Al Naft Wal Tanmia (« Le Pétrole et le développement ») – revue mensuelle, Bagdad, particulièrement – numéro spécial, L’O. P. E. C., n° 4-5, 1981.

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Al Naft Wal Taawun Al Arabi (« Le Pétrole et la coopération arabe »). Dirassat Arabia (« Etudes arabes »), Beyrouth. L’Economie et les Finances de la Syrie et des pays arabes, Damas.

Documents officiels des gouvernements de la Syrie et de l’Irak. – Central Bank of Iraq, Quarterly Bulletin. – Central Bureau of Statistics, Statistical Abstracts, Damas. – Ministry of Agriculture and Agrarian Reform, Agricultural Statistical. – Yearbook, Damas. – Ministère du Plan, Plans de développement..., Damas. – Central Bank of Iraq, Quaterly Bulletin. – Ministry of Planning, Annual Abstract of Statistics, Bagdad. – Ministry of Planning, Progress under Planning, Bagdad 1975.

Auteurs divers – Galal Amin, The Modernisation of Poverty, Leiden and Brill, 1974. – Abdel Hamid Brahimi, Dimensions et perspectives du monde arabe, Economica; Paris, 1977. – Gian Paolo Casadio, The Economic Challenge of the Arabs, Saxon House; Londres, 1976. – Michel Chatelus, Stratégies pour le Moyen-Orient, Calmann-Lévy; 1974. – Georges Corm, L’Economie arabe au défi (en arabe), Dar El Talia; Beyrouth, 1977.

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– Zafer H. Elevit, Labor Imports and Exports for Economic Development, The Middle East Experience, 6e congrès mondial, A. I. E.; Mexico, 1980. – Antoine Gennaoui, Structures industrielles et planification en Syrie, thèse, Paris I, 1976. – Bourhane Ghalioun, Etat et lutte des classes en Syrie, 1943-70, thèse, Paris VIII, 1974. – Rizkallah Hilan, Culture et développement en Syrie, Anthropos, Paris, 1969. – Michel Labonne et Albéric Hibon, Futur agricole et alimentaire de la Méditerranée arabe, I. N. R. A.; Paris, 1978. – O. C. D. E., Centre de développement, Coopération trilatérale, 2 vols, Paris, 1978. – Claude Palazzoli, La Syrie, le rêve et la rupture, Le Sycomore, Paris, 1977. – A. G. Samarbakhsh, Socialisme en Irak et en Syrie, Anthropos, Paris, 1980. – Abdelkader Sid-Ahmed, L’Economie arabe à l’heure des surplus pétroliers, I. S. M. E. A., n° 26, 1975. – Bernard Vernier, L’Irak d’aujourd’hui, Armand Colin, Paris, 1962. – Doreen Warriner, Land Reform and Development in the Middle East, Londres, 1962. –Henri Yedid, Crises et régression du système pastoral des hauts plateaux de Hama (Syrie), thèse, Paris I, 1978.

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Sigles Les sigles utilisés dans le texte font référence aux concepts communs de la comptabilité nationale. P. I. B. Produit intérieur brut P. N. B. Produit national brut F. B. C. Formation brute de capital F. B. C. F. Formation brute de capital fixe F. N. C. Formation nette de capital Mis désigne les millions d’unité. Mlds désigne les milliards d’unités. On n’a pas cru nécessaire d’expliciter le sens de sigles aussi communs de nos jours que le sont O. P. E. P. (Organisation des producteurs et exportateurs de pétrole), F. M. I. (Fonds monétaire international), C. E. E. (Communautés économiques européennes), etc.

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