Introduction à l'histoire urbaine de la Syrie ottomane (XVIe-XVIIIe siècle)

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Introduction à l'histoire urbaine de la Syrie ottomane (XVIe-XVIIIe siècle)

Table of contents :
Avant-propos
Remerciements
Sources et références bibliographiques
Chapitre I : Les hommes et le poids démographique des villes
Livre I Habitat et espaces urbains
Chapitre II : L’habitat à Alep
Chapitre III : Une conception unique de l’habitat
Chapitre IV : Les bâtisseurs
Chapitre V : Solidarités et cloisonnements
Livre II Equipements et ravitaillement des villes
Chapitre VI : Équipements et gestion des villes
Chapitre VII : Le ravitaillement des villes, le cas de Damas
Livre III Les réseaux et les territoires
Chapitre VIII : Réseaux et territoires urbains
Chapitre IX : Alep et sa région
Chapitre X : Tripoli et la province centrale
Chapitre XI : Damas et la Syrie du Sud
Chapitre XII : La ville et les ruraux
Index
Table des matières

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PU B L IC A T IO N S DE L ’U N IV E R SIT É LIBANAISE SECTION DES ÉTUDES HISTORIQUES

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INTRODUCTION À L’HISTOIRE URBAINE DE LA SYRIE OTTOMANE (XVIe-XVIIIo siècle)

A N T O IN E A B D E L N O U R

INTRODUCTION A L’HISTOIRE URBAINE DE LA SYRIE OTTOMANE (XV Ie -X V III' siècle)

à Samar

PU B L IC A TIO N S DE L ’U N IV E R SIT É LIBANAISE SECTION DES ÉTUDES HISTORIQUES

XXV

INTRODUCTION À L’HISTOIRE URBAINE DE LA SYRIE OTTOMANE (XVIe -XVII Ie siècle)

A N T O IN E A B D E L N O U R

BEYROUTH 1982 Distribution: LIBRAIRIE ORIENTALE, B.P. 1986, Beyrouth, Liban

PRINCIPALES ABRÉVIATIONS EMPLOYÉES

A . A .S. : Annales Archéologiques de Syrie, puis Annales histori­ ques arabes syriennes, Damas. Annales, E.S.C. : Annales, Economie, Société, Civilisation, Paris. B . E.O. : Bulletin d’Etudes Orientales de l’Institut français de Damas. B.I.F.A.O . : Bulletin de VInstitut Français d’Archéologie Orien­ tale, Le Caire. B .S.O .A .S. : Bulletin of the School of Oriental and African Studies, Londres. E .I.1 et E .I.%: Encyclopédie de VIslam, l re, 2e édition, Leyde, Paris. J.A . : Journal Asiatique, Paris. J.E .S.H .O : Journal of the Economic and Social History of the Orient, Leyde. J.R .A .S . : Journal of the Royal Asiatic Society, Londres. R.A.A.D . : Revue de l’Académie Arabe de Damas. R.E.I. : Revue des Etudes Islamiques, Paris.

AVERTISSEMENT

Le présent ouvrage reprend la partie la plus importante des travaux que j ’ai menés, entre 1972 et 1979, sur l’histoire urbaine de la Syrie Ottomane, dans le cadre de la préparation de thèses de doctorats à l’Université de Paris-Sorbonne. Les limites inévitables qu’impose toute édition interdisant une reproduction exhaustive de ces recherches, dont quelquesunes ont d ’ailleurs fait l’objet d’articles ou de communications, j ’espère que de futures publications me permettront de combler cette lacune.

A V A N T -PR O PO S

Le titre de cette recherche, Introduction à l’histoire urbaine de la Syrie Ottomane, appelle des définitions et des restrictions qu’il est nécessaire de préciser. Par «Syrie», nous entendons le domaine géographique que les Arabes nomment «Bilâd al-Sam» et qui englobe, pour se référer à des repères contemporains, les Etats actuels de Syrie, Liban, Palestine et Jordanie, dont l’organisation administrative et la vie politique étaient alors soumises à des règles com­ parables. Cette entité a constitué, durant la période ottomane, une réelle unité humaine qui se révèle autant par les incessants brassages d’hommes qui s’y effectuèrent, que par des mutations similaires qui transforment tout le pays, et qui rendent intelligi­ ble l’évolution globale de cette partie du Monde. Réduire la lecture de l’histoire du Proche-Orient arabe à une sorte d ’intro­ duction à une émergence des États post-mandataires, constitue, dans le meilleur des cas, une tentative pieuse pour légitimer des frontières que n’annonçaient pas forcément le passé, la géogra­ phie, ou la structure sociale. *

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La tentation fut forte, pour nous, de concentrer la recherche sur une seule localité, et d ’en donner une longue monographie qui traiterait tous les aspects du sujet. Très rapidement toutefois, il devint évident qu’il est difficile de comprendre les traits fondamentaux d’une ville, et les caractéristiques de son évolu­ tion, sans les replacer dans un cadre beaucoup plus vaste qui, tout en permettant de dégager certaines spécificités, souligne

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AVANT-PROPOS

l’unité des formes et la communauté de destin des aggloméra­ tions syriennes. Que ce soit au niveau de l’organisation de l’espace urbain, de la gestion des institutions citadines, des crises alimentaires ou de l’arrivée massive des ruraux, les données présentent trop de similitudes pour ne pas inciter à des généralisations qui fournis­ sent, pour le moins, de bonnes hypothèses de recherche. Ici la référence à la notion de «réseau urbain» prend toute sa valeur et, sans tomber dans une causalité simpliste, comment ne pas essayer d ’expliquer le renouveau de Beyrouth par la décadence de Sayda ou même par le long malaise d ’Alep? Peut-on éviter de lier l’émergence de Zahlé à la mort des vieux centres de la Bekka et au déplacement du centre de gravité démographique du pays ? Est-il possible de rendre compte de l’histoire urbaine des métropoles sans se soucier de celle, tellement plus heurtée, des bourgs perdus dans l’espace rurale? La remarquable densité urbaine de la Syrie Ottomane sur ses quatre-vingt-dix mille kilomètres carrés de territoires utiles fait que le sort d’aucune ville ne peut être dissocié de ceux des autres. Néanmoins nous savons que le désir de trop embrasser comporte le danger de rester à la surface des choses; c’est pourquoi nous avons choisi d ’étudier chaque aspect de la question à travers un exemple concret (habitat à Alep, construc­ tion à Damas, réseau des marchés hebdomadaires à Sayda etc...), puis de procéder à une comparaison entre les différentes villes. Cette approche reste toutefois aléatoire car nous manquons cruellement de monographies sectorielles ou régionales. En effet, l’historiographie ottomane est une discipline encore jeune, peu riche, et, contrairement à ce que laisserait croire l’abondance de notre bibliographie, la recherche sur l’histoire moderne de la Syrie n ’a acquis un caractère réellement scientifique que depuis une vingtaine d ’années avec l’exploitation des très abondantes archives léguées par l’administration de la Sublime Porte. Toute la recherche de l’Orientalisme traditionnel sur l’his­ toire syrienne, privilégiant les sources occidentales, soulignait uniquement le rôle néfaste du «despotisme turc», qui tyrannisait des populations ne devant le salut qu’à l’intervention libératrice

AVANT-PROPOS

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de l’Europe. Les autres aspects de cette civilisation furent niés, ou ignorés; pouvait-il en être autrement quand le grand savant que fut Jean Sauvaget écrivait encore en 1940 que «Du XVIe siècle à nos jours, les sources orientales se dérobent: il faut leur substituer l’abondante littérature que constituent les récits de voyageurs européens... Quant aux pièces d ’archives... il serait ici vain de compter sur elles...»1? Le manque d ’études locales nous oblige à multiplier les exemples précis qui illustrent la problématique développée. A une exception près cependant: la Palestine. En effet, pour des raisons politiques évidentes, les historiens israéliens et arabes ont multiplié, depuis le début du siècle, les études sur le Sud-Ouest de Bilâd al-Sam, de sorte que nous avons du passé de cette région, pour la période allant du XVIe au XVIIIe siècle, une connaissance incomparablement plus élaborée que celle que nous possédons pour les autres parties de la Syrie. Souvent les lacunes de notre documentation nous obligent à utiliser des indications et des données de provenance hétérogè­ nes; quelques exemples empruntés au XVIe siècle, d’autres au XVIIIe, confirmés par un texte du XIXe siècle, forment quelquefois la base de l’argumentation. Nous savons trop bien que l’histoire de la Syrie Ottomane n ’est point statique et que le pays a connu une profonde mutation durant ces quatre siècles, pour ne pas sentir une certaine gêne devant ce procédé, qui n ’en reste pas moins nécessaire dans l’état actuel de la recherche. En fait, en regard des méthodes que de grands historiens français ont développées depuis le début de notre siècle, notre projet peut apparaître risqué. Tenter une synthèse, avant que ne s’accumule une masse respectable d’études particulières, est une entreprise dont les dangers sont manifestes. Notre souci toutefois est autre; nous ressentions le besoin de reposer, avec une problématique nouvelle, l’ensemble du problème de l’évolution urbaine de la Syrie, et de formuler, sans y apporter nécessairement de réponses probantes, des questions qui nous semblent capitales:

1. J. S auvaget, Alep, Paris, 1940, p. xi.

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AVANT-PROPOS

déflation démographique et dépeuplement du pays; crises urbaines et liquidation définitive de «l’héritage» hellénistique; gestion et équipement des centres urbains; relations entre les villes et les campagnes. *

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*

Notre démarche repose sur une hypothèse de base qui sous-tend chacune des parties de l’ouvrage: ce n’est nullement à travers l’opposition entre un problématique ordre antique et l’anarchie des peuples arabes qu’il faut tenter de comprendre l’organisation et le fonctionnement des villes de la Syrie, mais, au contraire, à travers la logique interne de la société arabe, par ses structures de parentés, dans sa culture sociale, ses règles communautaires et ses rapports à l’autorité centrale. Ce choix explique d ’ailleurs le plan adopté: partir de la maison pour rendre compte du quartier, et chercher dans la ville des formes et des moyens spécifiques de gestion collective, avant de décrire le rapport des villes entre elles et avec le monde rural. Le second volet de notre hypothèse de départ peut se résumer dans la proposition suivante: les échanges entre les villes de la Syrie Ottomane et l’Occident constituent une part considé­ rable de leurs activités dès le XVe siècle, mais ce n’est point là ce qui leur fournit la substance de leur vie. La dépendance envers l’Occident, indéniable au XIXe siècle, est moins pesante aupara­ vant. Les métropoles syriennes sont tributaires dans leurs croissances des crises, et aussi des réalisations, faut-il le rappeler, de l’Empire Ottoman, et leur sort reste lié, avant tout, à celui des campagnes qui les font vivre. La mainmise de l’Europe n ’est point une fatalité inscrite dans les faits dès le XVe siècle, mais le résultat d ’une longue opposition, militaire et économique, de laquelle l’Occident sortit vainqueur. Notons, enfin, que les énormes investissements urbains effectués en Syrie par l’administration ottomane, que ce soit dans le développement de nouvelles villes, ou par la dotation des agglomérations existantes d ’équipements publics, devraient nous inciter à porter un jugement moins négatif sur le bilan de cet

AVANT-PKOI'O."

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Empire en Syrie. La civilisation ottomane n’est point faite que d’ombres, elle comporte aussi des lumières. Nuance qui est encore ressentie souvent comme une provocation. * • #

L ’histoire qui évite le récit événementiel est d ’abord celle de la longue durée. La période que nous étudions s’étend sur trois siècles, et couvre toute la première partie de la domination ottomane sur le Moyen-Orient arabe, soit, pratiquement, de 1516 à 1830. Loin de nous, toutefois, l’idée de considérer ce long laps de temps comme homogène et sans coupures. Au contraire, la première leçon que nous tirerons de l’exploitation des sources d’archives est que 1’«immobilisme» économique et social de la Syrie Ottomane est un mythe qui découle des lacunes fondamen­ tales de la documentation précédemment mise à contribution. Le Bilâd al-Säm subira de très profondes et complexes mutations dont nous décelons encore mal les causes et dont nous ignorons les détails régionaux et sectoriels. Une périodisation plus stricte serait sans doute plus utile, mais elle reste actuellement difficile à établir. Dessiner les contours de mouvements de longue durée ne doit pas nous conduire à ignorer les crises, la conjoncture et l’événement. Ainsi au cours de ces trois siècles se détachent deux phases particulièrement accentuées de troubles, de famines et de bouleversements: 1580-90 et 1750-5, précédée chacune d ’un long préliminaire et suivie de séquelles lentes à disparaître. Intégrés à un processus couvrant une aussi longue période, les moments de tensions prennent une tout autre intelligibilité et peuvent être même utilisés dans une tentative globale d ’explication de l’histoire de la Syrie Ottomane. *

* •

Nous avons tenté, autant que possible, de ne point recourir, sauf en cas d ’extrême nécessité, aux ouvrages classiques sur l’histoire ottomane, dont en premier lieu le manuel de Gibb et de

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AVANT-PROPOS

Bowen2. L ’utilisation de ce genre de références comporte en effet un danger, non négligeable, de généralisation et d ’intemporalité. Basés sur des sources juridiques et littéraires, ils donnent de la société ottomane une image figée qui s’appliquerait tout aussi bien, avec quelques aménagements, trois ou quatre siècles plus tôt. Les institutions musulmanes, comme toutes les œuvres humaines, évoluent avec le temps, se transforment ou tombent en désuétude, et les sources juridiques en donnent toujours une description aussi attirante par sa minutie que suspecte par sa logique parfaite. Mises à l’épreuve des réalités de la vie quoti­ dienne que nous renvoient les archives, les institutions se révèlent d ’une souplesse étonnante qui cadre bien mal avec la rigueur des docteurs de la Loi.

2. H.A.R. G ibb and H. Bowen , The Islamic society and the West,

2 volumes, Oxford, 1951 et 1957.

R E M E R C IE M E N T S

S’il est d’usage d ’exprimer des remerciements envers toutes les personnes qui ont aidé à la conclusion du travail, ce devoir n ’en est que plus impérieux pour l’historien, qui doit mettre sans cesse à contribution la bonne volonté de multiples administra­ tions détentrices des sources dont dépend sa recherche. Je tiens à remercier le ¡ayfy M u h a m m a d Saltm öaläl alDtn, président du Haut Tribunal Sunnite au Liban, qui n’hésita jamais à intervenir efficacement afin de me permettre d ’accéder aux archives relevant de son autorité. De même, je remercie le Directeur et le personnel de la Direction des waqfs de Sayda pour la patience avec laquelle ils ont accueilli ma curiosité et mes constantes requêtes. A Damas et à Alep, j ’ai rencontré des concours aussi spontanés qu’efficaces, aux Directions des waqfs, à la Direction des archives historiques de Syrie, à la bibliothèque al-Zâhiriyya et à la Direction des antiquités. Je voudrais renouveller mon amicale gratitude à Farouk Mardam-Bey, bibliothécaire à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales à Paris, qui m ’a aidé de toute sa connaissance, aussi savante qu’instinctive, de l’histoire damascaine. La section d’Histoire Moderne et Contemporaine du Centre National de la Recherche Scientifique, et l’U.E.R. d’Histoire de l’Université de Paris-Sorbonne m ’ont permis d ’achever cette recherche, dans les meilleures conditions matérielles et scientifi­ ques; qu’ils reçoivent ici l’expression de ma gratitude. Je dois beaucoup aux longs entretiens que j ’ai eus avec les Professeurs Eugène Wirth et Xavier de Planhol dont les observa­

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REMERCIEMENTS

tions ont toujours rappelé l’historien que je suis, aux réalités de la géographie et des conditions matérielles de la vie humaine. Depuis qu’en 1973 le Professeur Dominique Chevallier m’a accueilli dans son séminaire à l’Université de Paris-Sorbonne, il n ’a point cessé de veiller avec bienveillance et rigueur sur mes recherches. Que ce soit dans la préparation de mes thèses, ou bien dans le cadre des travaux de l’ATP «Espaces socio-culturels et croissance urbaine dans le monde arabe», il a toujours dépensé, sans compter, son temps et sa peine pour reprendre, polir, corriger et nuancer des analyses qui, trop souvent, n ’entrevoyaient qu’un côté des choses. Le Professeur Dominique Chevallier m ’a surtout enseigné que les grands maîtres de l’orientalisme n ’avaient point épuisé la science, et qu’un chercheur, même débutant, ne doit jamais abandonner l’arme de la critique devant leurs écrits. Qu’il reçoive ici l’expression de ma gratitude pour sa sollicitude et son attention envers un travail qui lui doit beaucoup.

TRANSLITTÉRATION

Nous avons utilisé la translittération simplifiée préconisée par la revue Arabica même quand il s’agissait de noms pro­ pres, sauf pour les noms de lieux courants auquel cas nous avons employé l'orthographe française habituelle (Beyrouth, Alep, etc...). a 1 y O s

9

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voyelles brèves: a, i, u. diphtongues: aw, ay, wa, ya. «al* et «-1* même devant les lettres «solaires».

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SOURCES E T RÉFÉREN CES B IB L IO G R A P H IQ U E S

I. A rchives 1. Archives de la Direction Générale des Documents Historiques de Syrie Cette Direction conserve les registres des tribunaux d ’Alep (1555-1925), de Damas (1583-1920) et une partie de ceux de Hanta (XVIe-XVIIe). Soit un total de près de deux mille registres en cours de classification définitive. Il faut ajouter à cette masse imposante la collection des firmans impériaux d ’Alep, comprenant une trentaine de recueils, non encore catalogués, et près de quarante registres administra­ tifs de Damas datant de la deuxième partie du XIXe siècle. Il existe aussi une série, actuellement non inventoriée, de volumes consignant la liquidation des successions «civiles» et «militaires» d’Alep et de Damas. Après les travaux de A. K. Rafeq sur les documents de Damas, et ceux de A.W. Yusuf sur Hama, nous avons concentré nos recherches sur les registres d ’Alep encore inexploités. Nos dépouillements portèrent principalement sur les registres 19 à 27 (XVIIe siècle) et 70 à 75 (XVIIIe siècle), ainsi que sur les deux recueils de firmans impériaux (début du XVIIIe) actuellement disponibles. Les tribunaux ottomans ^joutent aux fonctions proprement judiciaires des attributions notariales (achat, vente, reconnais­ sance de dettes), les registres conservent donc de multiples actes commerciaux du plus haut intérêt que nous avons utilisés pour l’étude de l’habitat alépin aux XVIIe et XVIIIe siècles.

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INTRODUCTION À L’HISTOIRE URBAINE DE LA SYRIE OTTOMANE

Nous référerons dans le texte à ce fonds par: Direction des Archives Syriennes (DAS), en indiquant le numéro du registre et la date de l’acte; ainsi: DAS, Alep 19, 25 Ramaçlân 1036 h /9 juin 1627. Le personnel de la direction des Archives Historiques de Syrie poursuit un travail considérable de recensement et de classification des registres, malgré les modestes moyens dont il dispose. Cette tâche absorbante ne l’empêche nullement de réserver le plus aimable accueil aux chercheurs; nous profitons de l’occasion pour renouveler nos remerciements à la directrice et aux documentalistes du petit palais cA?m. • • • 2. Archives du tribunal Sarci de Sayda Le tribunal Sarci sunni de Sayda conservait une collection de registres remontant au XIXe siècle, ainsi qu’un ensemble de documents d ’archives du XVIIIe siècle. Asad Rustum, qui effectua la tournée des tribunaux dans les années trente, relève l’existence de volumes qui ont aujourd’hui disparu. Ces registres étaient, en 1975, au nombre de 18, dont 4, datant de la période 1882-1916, rédigés en turc et non en arabe. Il semble que ce fonds soit actuellement détruit par suite des incendies qui ravagèrent la ville en mars 1975 et juin 1976. Nous avons dépouillé l’ensemble des volumes disponibles, ainsi que les actes épars, et nous avons utilisé les résultats obtenus à l’occasion d ’autres travaux que nous signalerons ultérieurement.3 • • # 3. Archives des Directions des Waqfs Nous avons dépouillé le fonds d ’archives conservé à la direction des waqfs de Sayda, ainsi que certains actes relevant de la direction des waqfs de Damas. Les directions des waqfs — notamment celle d’Alep — possèdent une importante collection de waqfiyya-s originales, ou

SOURCES ET RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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bien des copies effectuées d ’après les registres conservés à Istanbul. Ces fonds n’ont jusqu’à maintenant fait l’objet d ’au­ cune étude. • • • 4. Archives du ministère des Affaires Étrangères français Nous avons consulté au ministère des Affaires Étrangères à Paris le fonds «Divers-Turquie (1800-1830)» constitué de rap­ ports provenant de l’Ambassade de France à Istanbul. La direction des archives du Quai d ’Orsay conserve aussi la correspondance consulaire du poste de Sayda de la période 17921823, les dossiers antérieurs étant du ressort des Archives Nationales. • • • 5. Archives Nationales de France Nous avons dépouillé aux Archives Nationales la correspon­ dance consulaire (A.E., sous-série B1) des postes de Tripoli, Saint-Jean-d’Acre, Sayda — non classé — et partiellement les registres d’Alep déjà utilisés par F. Charles-Roux et H. Bodman. De même nous avons consulté certains registres de la série B7 de la Marine Nationale Française, relatifs aux côtes du Levant. On trouvera une description détaillée de ce fonds chez: A.K. Rafeq, The province of Damascus, Beyrouth, 1970, pp. 3489. II. S ources 1. Études sur les sources archivistiques La meilleure introduction à l’étude des archives arabes reste l’ouvrage collectif édité, au C.N.R.S., par: Berque (Jacques) et C hevallier (Dominique), Les Arabes par leurs archives (X V IeX X « siècle), Paris, 1976.

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INTRODUCTION À L’HISTOIRE URBAINE DE LA SYRIE OTTOMANE

On trouvera deux descriptions suggestives des archives syriennes chez: R afeq (Abdul Karim), «Les registres des tribunaux de Damas comme source pour l’histoire de la Syrie», dans B.E.O. XXVI, 1973, pp. 219-226. —, «The law-court registres and their importance for a socio­ economic and urban study of Ottoman Syria », dans VEspace social de la ville arabe, édité par D. C hevallier , Paris 1979, pp. 51-58. Voir aussi la description, lacunaire, des archives de Syrie et de Jordanie donnée par: M andaville (J.E.), “The Ottoman court records of Syria and Jordan” , dans Journal of the American Oriental Society, 1966, pp. 311-319. Pour les archives ottomanes conservées en Turquie, il faut recourir à: D umont (Paul), «Les archives ottomanes de Turquie», dans Les Arabes par leurs archives, pp. 229-243 et: G uyunô (Nagat), «al-watà’iq al-cutmàniyya al-muttafila biSüriyya wa DimaSq, Les archives ottomanes concernant Damas et la Syrie», dans les Actes du deuxième congrès international sur l’histoire du Bilàd al-Sâm, Damas, 1978, t. 1, pp. 95-100. L ewis (Bernard): “The Ottoman archives as a source for the history of the Arab Lands“ , dans J.R .A .S ., 1951, pp. 139155. Pour TÉgypte on peut consulter la description de: M ilad (Salwa), «Registres judiciaires du tribunal de la $älibiyya Nagmiyya — Étude des archives», dans Annales Islamologiques, n° 12, 1974, pp. 162-244. Une bonne mise au point de la situation actuelle de la recherche sur les archives se trouve chez: M ardam-B ey (Farouk), «Sources historiques et documenta­ tions», dans L ’espace social de la ville arabe, pp. 33-49.

SOURCES ET RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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2. Editions d’archives a) Arabes Direction des waqfs de Damas, Kitâb waqf al-waztr Lâlà bàia wa yalih kitáb waqf Fáfinia Hàtün, Acte du waqf de Làlà Pacha, suivi de l’acte de waqf de Fàfima Ffàtûn, Damas, l re édition 1922, 2e édition 1955, par les soins de la Direction des waqfs de Damas. Edition très soignée réalisée sous la surveillance d ’anciens fonctionnaires de l’administration ottomane. E bied (R.Y.) and Y oung (M.J.L.), Some Arabie legal documents of the Ottoman period from the Leeds manuscript collection, Leiden, 1976. Edition sommaire comportant de nombreuses erreurs de lecture. M aclüf (cIsâ Iskandar), «Dayr al-Qamar cala cahd al-amir, Pièces de négociants de Dayr al-Qamar datant de la période de BaSïr II Sihâb», dans al-Machriq, 1931, pp. 302-304. R ustum (Asad), Al-Uçül al-carabiyya li-tarif} Süriyya fi cahd Muhammad cA li bàià, Materials for a corpus of Arabie documents relating to the history of Syria under Mehemet A li Pacha, 5 volumes, Beyrouth, 1930-1934. $ abbÄ6 (Layla), « Watiqa carabiyya Sâmiyya min al-qarn al-cdiir al-higri, al-sâdis ca!ar al-müâdC can al-sinâca al-nasigiyya wal-nussá¿ ; Un document arabe syrien du XVIe siècle sur l’industrie du textile», dans les Actes du deuxième congrès international sur l’histoire du Bilâd al-Sâm, Damas, 1978, t. 1, pp. 35-94. S auvan (Yvette), «Une liste de fondations pieuses (waqfiyya) au temps de Sélim II», dans B.E.O., XXVIII, 1975, pp. 231 257. T aoutal (Ferdinand), Watà’iq tàrîtfiyya can f i alab, Textes chrétiens d’Alep du X V I I P et X X e siècle, 4 volumes, Beyrouth, 1950. b) Turques G abriel (Albert), «Les étapes d ’une campagne dans les deux Irak d ’après un manuscrit turc du XVIe siècle», dans Syria, 9, 1929, pp. 328-349.

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INTRODUCTION À L’HISTOIRE URBAINE DE LA SYRIB OTTOMANE

H eyd (Uriel), Ottoman documents on Palestine ( 1552-1615),

Oxford, 1960. M antran (Robert), «Un document sur Yihtisàb d’Istanbul à la fin du XVIIe siècle», dans Mélanges Louis Massignan, t. III, Beyrouth, 1957, pp. 127-149. M antran (Robert) et S auvaget (Jean), Règlements fiscaux ottomans — Les provinces syriennes, Beyrouth, 1951. c) Européennes B aulant (M .), Lettres de négociants marseillais : les frères Hermite

(1570-1612), Paris, 1953. G eorgelin (J.), «Compagnies de commerce vénitiennes au Levant au XVIIIe siècle», dans Sociétés et compagnies de commerce en Orient et dans l’Océan indien, Paris, 1970, pp. 647-649. R abbath (Antoine), Documents inédits pour servir à l’histoire du christianisme en Orient ( X V I e - X I X e siècle), 2 volumes, Paris-Beyrouth, 1905 -1921. Tucci (Ugo), Lettres d’un marchand vénitien, Andrea Berengo (1553-1556), Paris, 1957. # # * *

3. Etudes à partir des archives syriennes et ottomanes a) Syrie A bdel N our (Antoine), Études sur deux actes de waqfs du X V I e et

du X V I I e siècle, des wilayets de Damas et de Sayda, Thèse de 3e Cycle, Université de Paris-Sorbonne, 1976, 376 feuilles. Bahhït (cAdnân), «Ifayfa f î a l - cahd al-iutmâni al-awwal, Haïfa durant la première période ottomane (xvie-xvme siècles) dans les Actes du deuxième congrès international sur l’histoire du Bilâd al-Éâm, Damas, 1978, t. 1, pp. 299-322. C hevallier (Dominique), «Que possédait un cheikh maronite en 1859? Un document de la famille al-Khazen», dans Arabica, VII, pp. 72-84.

SOURCES ET RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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C ohen (Ammon) et L ewis (Bernard), Population and revenue in

the towns of Palestine in the sixteenth century, Princeton University Press, 1978. H ütteroth (W.D.) et Abdul F attah (K.), Historical geography of Palestine, Transjordan and Southern Syria in the late 16th century, Erlangen, 1977. Remarquable étude éclairée par des cartes très suggestives. Bien qu’antérieure à l’ouvrage de Cohen et Lewis, elle le rend caduc. L ewis (Bernard), «Studies in the Ottoman archives-I» dans B .S.O .A .S., 1954, pp. 469-501. R afeq (A.K.), “Economie relations between Damascus and the dependent countryside, 1743-1771” , texte polycopié de 54 feuilles présenté au colloque de Princeton en juin 1974 sur les relations villes-campagnes. Nous devons à l’amicale autorisation de l’auteur de pouvoir utiliser cette étude. — , “The local forces in Syria in the seventeenth and eighteenth centuries” , dans V.J. P arry et M.E. Y a pp , War, technology and society in the Middle East, Oxford, 1975, pp. 277-307. — , “The law-court registres of Damascus, with special referen­ ce to craft-corporation during the first half of the eighteenth century” , dans Les Arabes par leurs Archives, pp. 141-159. Notons l’importance et la valeur des recherches effectuées par le professeur A.K. R afeq sur Damas; il fut d ’ailleurs l’initiateur de l’exploitation des archives pour les études histori­ ques en Syrie. R ustum (Asad), «A l-Sayb Ahmad al-öur wal-qcujà’ f i Bayrüt qabl mi’at cám; Notes sur l’organisation judiciaire de Beyrouth au XIXe siècle, et sur les archives du Süf aux XVIIeXVIIIe siècles» dans al-Machriq, 1933, pp. 401-408. SÂh il i -oglu (Halïl), «Mizàniyyàt al-èâm fil-qarn al-sâdis caiar, les fermes fiscales de Damas au XVIe siècle», dans les Actes du Congrès International sur Vhistoire du Bilâd al-Sàm, Bey­ routh, 1978, pp. 497-522. § açâda (Kâmil), Târiî} al-fdhún kamu’assasa iqtifàdiyya — dxràsa watà’iqiyya, Documents sur la gestion et le fonction nement des moulins de la région de Hama dans A .A .S ., n° 23, 1973, pp. 241-273, et n° 24, 1974, pp. 109-123.

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INTRODUCTION À L’HISTOIRE URBAINE DE LA SYRIE OTTOMANE

(Yüsuf Da¿ir), Lubnàn, lamahàt f i táriffihi wa àtàrihi wa usarihi, Compilation généalogique des familles maronites originaires du Liban -Nord , Jounieh, 1937. Ecrit par un prêtre maronite d ’après des archives familiales maroni­ tes, cet ouvrage donne d’intéressantes indications sur le peuplement de la montagne libanaise aux XVIIe-XVIIIe siècles.

al -T annürî

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CHAPITRE I

LES HOMMES ET LE POIDS DÉMOGRAPHIQUE DES VILLES

Avant d’étudier les villes faut-il encore les recenser, délimi­ ter le domaine de notre intérêt, savoir où finit l’agglomération urbaine et commence la campagne, c’est-à-dire définir la ville, souligner ses privilèges, mettre en avant ses modèles et ses spécificités. Dans le domaine de l’Islam, où on s’est longtemps plu à proclamer que la madîna est l’envers de la bâdiya, cette tâche devrait être aisée, tant les choses sont supposées être évidentes. Or c’est dans ce territoire que les difficultés sont les plus grandes, que les privilèges de la ville sont les moins apparentes, où ses spécificités se cachent soigneusement. Toutes les frontières que l’on donne habituellement à l’agglomération urbaine se révèlent ici étrangement perméables; la ville se dérobe, et entre l’obscur village et la métropole renommée, la continuité des formes et des structures ne permet pas à l’histoire de tracer une frontière naturelle. D éfinition de la ville

Les écoles géographiques se sont disputées durant des décennies pour fournir une définition unanimement acceptée de la ville. Le nombre d ’habitants a été naturellement le premier critère retenu, et Ratzel, dès la fin du xixp siècle, définissait la ville comme un groupement de plus de deux mille habitants, à condition qu’ils vivent du commerce et de l’industrie et non de l’agriculture. Plus près de nous, la conférence européenne de

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I - LES VILLES DE LA SYRIE TURQUIE

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statistiques de Prague avait recommandé de considérer comme population urbaine l’ensemble des personnes résidant dans des groupements d ’habitation en nombre minimum de deux mille, à condition que, pour les noyaux de moins de dix mille habitants, la population vivant du travail de la terre ne dépasse pas 25% de l’effectif total. Au-dessus de dix mille, le groupement peut être classé automatiquement comme urbain123*. Contre cette définition arithmétique de la ville, Braudel élève une objection d ’historien: «si, pour le passé, nous voulions procéder ainsi (définir la ville numériquement) il faudrait considérablement abaisser cette ligne de partage. Avant 1500, audessous de 2000 habitants se situent 90 à 95 pour 100 des villes connues d ’Occident... Il y a donc de très petites villes, prises dans la vie rurale qui les submerge, que cependant elles transforment préparant telles ou telles mutations au bénéfice des villes de rang supérieur...»* Plus élaborée que la définition statistique, l’approche de Chabot prend en compte divers facteurs où le nombre des habitants n ’est pas le plus déterminant. La ville, pour mériter ce nom d ’après Chabot, doit avoir un passé connu dont elle puisse se glorifier; elle devrait aussi jouir de privilèges légaux que lui attestent des écrits de l’autorité princière. De plus l’aggloméra­ tion urbaine a nécessairement un aspect extérieur qui la différen­ cie et l’oppose à la campagne et enfin ses habitants pratiquent «des genres de vie urbains» qui caractérisent les citadins. En fin de compte pour Chabot, la ville se présente comme le contraire du village8. La conception d ’Henri Pirenne n ’est pas très différente de celle de Chabot, car il estime, en bon médiéviste, que la ville est

1. J. B eaujeu-G arnier et G. C habot, Traité de géographie urbaine, Paris, 1963. Définitions de la ville pages 28 à 35. Nous le citerons ultérieurement par: Traité. 2. F. B raudel, Civilisation matérielle et capitalisme ( X V e - X V I I I e siècle), Paris, 1967, p. 371. Nous le citerons ultérieurement par: Civilisation. 3. G. C habot, Les villes, Paris, 1948. Définitions de la ville dans les pages 8 à 14. Nous le citerons ultérieurement par: Villes.

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une communauté douée de la personnalité juridique et ayant des institutions qui lui appartiennent en propre. Villes et civilisations Existe-il, néanmoins, une Ville que l’on peut définir en tant que notion théorique, où y a-t-il autant de villes que de civilisations? cette question s’impose dès l’instant où nous nous rendons compte que les définitions données de la ville européen­ ne correspondent peu aux «villes* de la Syrie Ottomane qui ne possèdent pas, quant à elles, de privilèges institutionnalisés et où les formes et les modes sont quasi-identiques à ceux de la campagne environnante. Braudel croit cependant qu’un certain «résidu urbain »subsiste, et que les villes partout dans le monde possèdent en commun certains caractères qu’il serait vain de nier. L ’idéal serait alors «de définir la ville en soi, hors de l’économie ou de la civilisation qui la porte... Au delà d ’images variées, originales, on devrait donc retrouver en profondeur, pour toutes les cités du monde, un même langage fondamental»45. Jacqueline Beaujeu est plus nuancée à ce propos. Elle pencherait pour la multiplicité du fait urbain qu’une définition théorique unique ne saurait réduire: «Le phénomène urbain est sujet à renouvellement; il répond à une certaine forme de civilisation dont il est une expression. La définition ne saurait donc être la même pour tous les temps et tous les pays... Plus encore que toute définition statistique ou administrative, plus que tout dosage professionnel, nous retiendrons les conceptions que l’on se fait suivant les régions. En chaque pays, il y a ville quand les hommes de ce pays ont l’impression d ’être en ville*6. Les villes de la Syrie Les langages, quotidien et administratif, de la Syrie Ottoma­ ne distinguaient plusieurs stades dans la hiérarchie des agglomé­ 4. B raudel, Civilisation, op. cit., p. 370. 5. B eaujeu , Traité, op. cit., p. 35.

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rations: mazraca (hameau), qarya (village), qafaba ou balda (bourg) et enfin madina (ville) et aussi iskala (échelle) pour les villes portuaires. Les bourgs sont en général de petites villes ayant des fonctions administratives et jouant un rôle économique local de centralisation des circuits d ’échanges, ainsi qa$abat Sarmin ou Dayr al-Qamar. Le passage du bourg à la ville dépend surtout du prestige de l’agglomération et non de ses fonctions. L ’administration ottomane, ne distinguait cependant pas du point de vue fiscal les villes des villages; aucune différenciation de statut n’était prise en compte. La qualité de ville ne donnait pas de privilèges face à l’administration centrale de l’Etat. De même, la répartition en quartiers mahalla et hàra n ’était pas réservée aux villes, car même de petits villages étaient ainsi divisés* et beaucoup d ’entre eux étaient plus peuplés que des localités ayant des fonctions administratives67. L ’inexistence d ’un statut légal de la ville dans l’Empire Ottoman suffirait ainsi à réduire au rang de bourgades les grandes métropoles de la Syrie puisqu’il leur manquerait les «deux attributs fondamentaux qui constituent les villes..., une population bourgeoise et une organisation municipale»8. Nous verrons plus tard que l’organisation de l’espace, le style et l’apparence différaient peu entre les villes et les villages de la Syrie, et que l’habitat manifeste une remarquable unité du modèle et des formes, si bien qu’il est possible de confondre le plan d ’un village avec celui d’un quartier urbain. Ce n ’est donc

6. Puisque c’est une distinction sociologique et non géographique. 7. W.D. H ütteroth et K. A bdul F attAh , H istorical geography of Palestine, Transjordan and Southern S yria in the late 16th century, Erlangen, 1977, p. 23-24. Nous le citerons ultérieurement par: Historical . Inalak remarque, quant à lui, que les villes d’Arvanid étaient extrême­ ment modestes, 100 à 200 foyers en général, et il n ’hésite pas à leur donner le nom de «ville-village». Cité par: A. C ohen et B. L ew is , Population and revenue in the town of Palestine in the sixteenth century, Princeton University Press, 1978, p. 19, note 1. Nous le citerons ultérieurement par : Population . 8. E. P auty , «Villes spontanées et villes créées en Islam» dans les Annales de l'Institut d'Etudes Orientales de l* Université d*Alger, pp. 52-55, t. IX, 1951, Alger, 1952, p. 65. Nous le citerons ultérieurement par: «villes».

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pas dans leurs «aspects extérieurs» qu’il faut chercher la frontière entre villages et bourgs et même petites villes. L ’équipement collectif des agglomérations urbaines est évidemment beaucoup plus élaboré et efficace que celui de la campagne, mais même de petits villages (Ginïn, Gibâc, MaSgara, etc...) possédaient bains, bazars, mosquées et zâwiya-s. Les bâtiments de service se multipliaient dans les villes mais n ’y étaient pas circonscrits. Prendre les fonctions économiques des localités comme critères uniques de classification n’est pas probant. Des villages avaient des activités artisanales et commerciales (comme Ansar par exemple) que lui envieraient de gros bourgs. Le caractère non agricole d ’une ville comme Homs, sans parler de Zahlé et même d ’une capitale régionale comme Tripoli, n’est pas une évidence qui emporte l’adhésion sans examen9. Mais l’Islam n ’a-t-il pas élaboré une conception doctrinale propre de la ville? Les géographes, les juristes et les compilateurs musulmans définissaient la ville comme une agglomération possédant un ¿âmi* (mosquée du Vendredi), des bains et un souk, et, à partir du XIe siècle, une madrasa. Le marché n ’est pas nécessairement un «bazar» couvert et concentré au centre de la localité, mais peut être, simplement, un espace ouvert où se retrouvent les ruraux du voisinage et les négociants urbains10. Cette vision, qui multiplie le nombre des villes et des bourgs, est significative à plus d ’un titre. En réalité, c’est son passé et son rôle culturel qui donnent à une agglomération ses lettres de noblesse en pays d ’Islam. La ville est d’abord la détentrice, et la gardienne d ’une longue histoire et un lieu où vivent des lettrés connus et des

9. Nous reprendrons tous ces points en détails dans le chapitre sur les relations de la ville avec les campagnes. 10. M arçais, Islamisme, op. cit., p. 96. — G runebaum , Towns, op. cit., p. 141. — Cahen, Islam, op. cit., p. 115. — Planhol, Fondements, op. cit., p. 24-25. Discussions du rôle de la mosquée dans l'organisation urbaine dans: I. L apidus , “ Muslim cities and Islamic Societies” , pp. 47-49 dans: M iddle Eastern Cities, édité par Ira Lapidus, University of California Press. 1969. Nous le citerons ultérieurement par: «Cities*.

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prédicateurs écoutés, dont les habitants de la cité peuvent être fiers. C’est une agglomération qui possède de grandes mosquées et où sont enterrés des intercesseurs efficaces auprès de Dieu. Les autres attributs de la ville — souks, artisans — ne venant qu’en second lieu. Pour notre part nous opterons pour une solution qui est sûrement celle de la facilité, mais aussi peut-être de la raison, en considérant comme villes les agglomérations que leurs contem­ porains qualifient de madina-s et de gafaba-s.

L a vision

traditionnelle de la population syrienne

Dès que nous abordons le problème de la population, les estimations les plus hasardeuses, les théories les plus fantaisistes, et les chiffres les plus curieux sont avancés. La haine, puis le dédain de l’État Ottoman, se donnent libre cours dans les ouvrages occidentaux. Le gouvernement «despotique» des sul­ tans, et avant eux des califes, ont dépeuplé des régions que la civilisation gréco -romaine avait profondément civilisées et densément peuplées. La population de la Syrie très importante à leur dire, lors de la conquête ottomane, s’est donc peu à peu étiolée pour livrer à l’Occident rédempteur un pays quasi-désert. Imprégnés de lectures bibliques, de «contes» orientaux, et de fables sur la splendeur de l’Orient, les Européens acceptaient cette théorie d’autant mieux qu’elle renforçait leur animosité face à l’Islam et servait leurs intérêts. Plus nous remontons dans le temps, plus les chiffres cités sont considérables. D ’où un sentiment persistant de dépeuplement accéléré de tout le MoyenOrient. Les voyageurs se sont faits les hérauts de cette doctrine; débarquant dans un pays qui était «si peuplé dans les temps anciens», ils s’étonnent d ’y trouver une population clairsemée. L’exclamation d ’Eton illustre parfaitement cet état d ’esprit: «S’il se trouve aujourd’hui un nombre considérable d ’habitants dispersés sur l’immense étendue de ce pays, qu’elle n ’a pas dû

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être sa population il y a quelques siècles!»11 D ’ailleurs les exagérations des chroniques arabes avaient aussi largement contribué à accréditer cette thèse d ’une population très impor­ tante au temps de la splendeur de l’empire de Bagdad. Médiéviste averti, mais peu au fait des choses de l’Islam, Maurice Lombard accepta tous ces chiffres et leur donna une large publicité. Pour étayer sa thèse, et infirmer celle d’Henri Pirenne, Lombard avait besoin d’exagérer l’importance démo­ graphique — et économique — des villes musulmanes du VIIe au xxe siècles, afín de démontrer que le mouvement urbain musulman avait pris le relais des villes byzantines et qu’il est à l’origine du renouveau des cités de l’Europe Médiévale. Cette opinion mérite d ’être citée, car elle synthétise une théorie sur la population du Moyen-Orient qui a encore cours; «... Beaucoup de ces métropoles deviennent en quelques dizaines d’années, les plus grandes villes du monde. A défaut de recensement précis, on peut donner un ordre de grandeur, en tenant compte de ce que nous avons souvent affaire, non à des maisons basses, largement étalées, mais au contraire à ce que les latins appelaient des insulae: de grands blocs de maisons à sept ou huit étages, où vivaient jusqu’à 250 et même 300 personnes. Bagdad à la fin du IXe siècle et au Xe siècle, période d’apogée pour elle, atteint certainement, dépasse même le million d ’habitants... Damas et Cordoue formaient des agglomérations de trois à quatre cent mille habitants. Le Caire en comptait un peu plus, environ un demi-million... »12 De même, dans sa schématique histoire de la population mondiale, Russell, utilisant, en seconde main, les chiffres des chroniques arabes, en conclut que Homs avait deux cent mille

11. W. Eton,

Tableau historique, politique et moderne de l’Empire Ottoman,

2 volumes, Paris, An VII (traduit de l’anglais), vol. 1, p. 336. Nous le citerons ultérieurement par: Tableau. 12. M. Lombard, «L’évolution urbaine pendant le Haut Moyen-Age» dans les Annales, E .S .C ., pp. 7-28, 1957, p. 24. Nous le citerons ultérieurement par: «Évolution».

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habitants au VIIIe siècle et calcule la population syrienne en proportion.1*

Pour les périodes plus proches, les impressions des voya­ geurs sont aussi trop souvent fantaisistes. Ainsi ce voyageur juif du XVe siècle — qui a toutefois l’excuse d ’être habitué au spectacle de villes européennes de modestes dimensions — accorde généreusement au Caire trois millions d ’habitants131415. Eton, quant à lui, conclut que la population musulmane de l’Empire Ottoman était de cinquante millions au XVIe siècle et qu’elle n ’est plus que de dix millions vers 180016. André Miquel reprenant les impressions d ’Eton, et les citant longuement, en conclut à vine baisse générale de la population de la Syrie et surtout à un «déclin des villes syriennes» face à l’essor specta­ culaire des villes d ’Europe14. L ’image qu’il en retire est bien faite pour illustrer la «tyrannie du Turc»: «... un peu partout, depuis l’Irak et la Syrie jusqu’à la Turquie d ’Europe, des cités décimées à l’enceinte trop vaste, aux maisons en ruines, et aux bazars désertés. Seuls, dans cette désolation, quelques îlots: Istanbul, Smyme...»17. Notons ce jugement de Miquel qui résume bien une vision largement partagée, encore de nos jours, de la démographie de l’Empire Ottoman: «... des observations d ’Eton et de ses contemporains, deux faits émergent: après la poussée vive du XVIe siècle, le Moyen-Orient s’est installé dans une grave et durable crise démographique. Qui pis, les effets de cette stagnation, de cette déflation même, ont été considérablement multipliés par les épidémies de la deuxième moitié du XVIIIe

13. J.C. R ussell , Late ancient and medieval population, dans les «Transac­ tions of the American Philosophical Society», Philadelphie, June 1958, Nouvelle série, vol. 48, partie 3, pp. 88-90. 14. S. S chw arzfuchs , «Les marchands ju ifs dans la M éditerranée orientale au XVIe siècle» dans les Annales, E .S .C ., pp. 113-118, 1957, p. 113. 15. E ton , Tableau, op. cit., t. 1, p. 352. 16. A. Miquel, L ’Islam et sa civilisation V il* -X X * siècle. Paris, 1968, p. 278. Nous le citerons ultérieurement par: Islam. 17. Ibid., pp. 281-2.

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siècle, et notamment à partir des années 1770... un siècle après, ..., la situation n’est pas si mauvaise pour les pays de la longue nuit démographique des années 1600-1800...*18 Cette dépopulation serait due d ’après les explications généralement admises, aux vexations de l’administration ottoma­ ne qui vident les campagnes19 et aux effets dévastateurs et spectaculaires des pestes qui frappent trop souvent les villes et qui laissent dans la mémoire collective des souvenirs vivaces20. D es

tentatives contemporaines

Sans remettre nécessairement en cause les vues générale­ ment admises sur la population en pays d’Islam, des tentatives récentes ont essayé de mettre au point des méthodes d ’estimation de la population qui soient adaptées aux sources disponibles. Ces tentatives portent principalement, pour des raisons documentai­ res, sur les villes, et ont déjà fourni des résultats qui méritent l’attention. Les méthodes utilisées dans ces nouvelles approches se basent sur les données du tissu urbain: le plan terrier, l’étendue bâtie, la longueur des rues et d ’autres considérations sur l’équipement de la ville. Dans sa volumineuse Introduction à la démographie historique des villes, Mois détermine les points que l’historien doit essayer de préciser: le nombre d ’habitants par unité de superficie; le nombre d ’habitants par ménage et enfin le 18. Ibid., p. 283. 19. C.-F.Volney, Voyage en Syrie et en Egypte pendant les années 1783, 1784 et 1785,2 tomes, Paris, 1787, t. 2, p. 135 par exemple: «Le pachalic d ’Alep est dans ce cas: sur les anciens deftar d'impôts, on lui comptait plus de 3200 villages; aujourd’hui le Collecteur en réalise 400. Ceux de nos négociants qui ont vingt ans de résidence, ont vu la majeure partie des environs d ’Alep se dépeupler...» Nous le citerons ultérieurement par: Voyage. 20. La chronique locale exagère inconsidérablement les effets de la peste afin de mieux frapper les imaginations. Ainsi Kurd cAîï rapporte que lors d ’une peste du xvu* siècle «le juge d ’Alep dénombra les morts qui s’élevèrent alors à 140 mille». Voir: M. Kurd cAlT, ffutaf. al-Sàm , Compilation historique et géographique sur la S yrie; 2f édition, Beyrouth, 1969-1971, 6 volumes, vol.2,p. 263. Nous le citerons ultérieurement par: IJupaf.

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nombre d’habitants par maison. Le but est atteint «si l’on peut déterminer, pour les villes d ’autrefois, leur nombre de feux par hectare»*1. La première étape de cette méthode est de calculer, aussi précisément que possible, la superficie des villes à différents stades de leur histoire afin d ’en estimer la population d ’après une densité donnée de l’habitat. Le calcul de la dimension des agglomérations urbaines donnerait aussi «une base plus solide aux verdicts de déclin ou d ’essor»**. A côté de l’utilisation des densités pour aboutir au nombre de la population, la démographie historique des villes a recours aussi aux «signes urbains» qui donnent un ordre de grandeur de l’agglomération. Il faut signaler ici que cette méthode n ’est pas neuve, loin de là; les historiens arabes l’utilisaient déjà, avec tous les dangers qu’elle comporte. Pour illustrer la splendeur de Bagdad, les chroniques arabes dénombraient ses bains, ses mosquées, et même ses médecins...: «... les bains furent dénom­ brés en 383 h /993 et on en trouva 1500. Les traditions soulignent que chaque bain desservait environ 200 maisons... si chaque maison comptait en moyenne cinq personnes, la population de Bagdad devait être d ’environ 1.500.000 âmes... le nombre total (de médecins) doit probablement atteindre le millier. Le nombre de fidèles qui priaient le dernier vendredi du mois à la mosquée d’al-Mançür et à celle d ’al -Ruçâfa fut évalué, en mesurant la surface occupée, à 64.000... De ces chiffres et de la superficie de Bagdad on peut déduire qu’au IVe /Xe siècle, sa population devait être d ’un million et demi d ’habitants». Plus récemment, Râgib al-Tabbâlj tenta d ’étudier l’évolu­ tion démographique d ’Alep en utilisant les indications qu’il possédait sur les bains de la localité: «si nous divisons le nombre d’habitants d ’Alep d ’il y a vingt ans (à la fin du XIXe siècle), qui21 21. R. M ols, Introduction à la démographie historique des villes d ’Europe du X IV * au X V III* siècle, 3 tomes, Louvain, 1954, t. II, pp. 49-51. Nous le citerons ultérieurement par: Introduction. 22. A. R aymond , «La population du Caire de Maqrizi à la description de l’Egypte», dans B .E .O ., X XV III, 1975, pp. 201-215, Damas, 1977, p. 185. Nous le citerons ultérieurement par: «Population».

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s’élève à cent vingt mille âmes, chaque bain correspondrait à trois mille personnes. Si d ’après cette règle, nous examinons les chiffres que nous avons sur les anciens bains et qui s’élèvent à cent soixante-dix-sept, dont cent vingt en activité au même moment, la population d ’Alep serait de trois cent soixante mille âmes à l’époque de sa splendeur... soit le double de ce qu’elle est actuellement... **s Ces deux exemples illustrent bien la méthode et ses dangers de généralisations abusives. Lézine et la mosquée de Sousse Lézine tenta de donner un ordre de grandeur de la popula­ tion des villes de Tunisie à l’époque de la conquête arabe. Sa méthode favorite fut l’étude des «mosquées — cathédrales» ¿atvámic, afin d’en calculer la superficie, et d’en déduire le nombre de fidèles qu’elles pouvaient contenir. En datant les travaux d ’agrandissement de ces bâtiments, il pensait pouvoir suivre l’évolution démographique des villes. Sa tentative est d ’autant plus intéressante que nous possédons très peu d ’indica­ tions sur les agglomérations de l’Afrique du Nord aux premiers siècles de l’Islam. Lézine illustra plus particulièrement sa méthode par une étude de la mosquée centrale de Sousse grâce à une approche archéologique et architecturale fort ingénieuse*4. En premier lieu il s’attaque au calcul de la superficie du lieu de Culte. Ce problème, tant bien que mal, résolu, il estime la surface nécessaire à un croyant lors de la prière: un rectangle de 0,60 m. de largeur pour 1,35 m. de long en moyenne. D ’après le chiffre obtenu, Lézine extrapole le nombre des habitants de la ville en utilisant un coefficient fixe de 3,5 personnes pour chaque fidèle participant à la prière du Vendredi. Adoptant un rapport de densité générale de la population234 23. A.A. D uri, «Baghdad», dans E.I.*, t. 1, pp. 921-936, pp. 925-6. RAôib al-T abbA^, I clâm al-N ubalà’bi tariff ffalab al-iahbâ' JFistoire générale (FAUp. 7 volumes, Alep 1343 h /1925, t. 3, p. 538. Nous le citerons ultérieurement par: I'lám .

24. L ézine , Deux villes, op. cit ., pp. 20-23.

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selon l’exemple de Sousse*6, il en arrive d ’après les dimensions de la mosquée, à estimer la superficie totale d ’autres villes de la Tunisie *• comme Kairouan par exemple où la Grande Mosquée «...avait une superficie de 9000 m* environ. Par analogie avec les rapports calculés pour Sousse et Sfax, on trouverait ici, pour la surface de la ville 1.130.000 m*»*?. Pour jeter les bases de son raisonnement, Lézine part de quatre données qui sont pour lui acquises: — Les mosquées sont agrandies pour des raisons d ’accroisse­ ment de la population. — Tous les hommes pratiquement assistaient à la prière du Vendredi. — Les femmes n ’y assistaient absolument pas. — Il n’y avait qu’une Grande-Mosquée dans chaque ville*8. Le lecteur qui parcourt ces pages de Lézine est frappé par le contraste entre l’ingéniosité et la rigueur de l’architecte dans le calcul des superficies d’après des données éparses et la témérité du démographe dans ses extrapolations. En fin de compte cette tentative souffre de défauts que nous relèverons dans les autres approches démographiques de Lézine. Les chiffres obtenus pour le nombre de personnes que pouvait contenir la mosquée sont assez fiables, mais de là à calculer la population de la ville, sa densité, et aussi la superficie de l’agglomération urbaine, il y a des pas que nous hésitons à franchir sans précautions.25678

25. «D’après la superficie nouvelle de l’Oratoire, nous voyons que la population totale de la ville s'était élevée à cette date à 4300 habitants... la superficie de Sousse, à l’intérieur de ses murs, était de 32 hectares,... la densité de la population était de 134 habitants à l’hectare. A partir de là, il devient possible de se faire une idée de l’habitat au XIe siècle, 4300 habitants se répartissent ¿ raison de cinq par famille dans 855 maisons ». L ézine, Deux villes, op. à t., p. 29. 26. «... Nous avons montré qu’à Sousse comme à Sfax, le rapport était constant entre la surface de la Grande Mosquée et celle de la ville elle-même», ibid., p. 70. 27. Ibid., P P - 70-71. 28. Ibid., P P - 20-21.

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INTRODUCTION À L’HISTOIRE URBAINE DE LA SYRIE OTTOMANE

Il est légitime de supposer que les petites agglomérations n ’avaient qu’une unique Grande Mosquée29, mais nous ne savons pas si elle était réservée aux seuls citadins ou si les habitants de la campagne voisine n ’y venaient pas aussi à l’occasion de la prière du Vendredi. Les édifices du culte sont, par définition, des bâtiments sociaux. Une mosquée n ’est pas agrandie uniquement parce qu’elle est sur le point d ’être saturée par l’augmentation du nombre de fidèles, mais aussi parce que l’avènement d ’un nouveau Prince incite à effectuer des réalisations de prestige, parce qu’une période d ’économie florissante permet d ’envisager des travaux disproportionnés avec les besoins réels du groupe citadin. La Mosquée n ’est pas une usine construite d ’après les besoins et les conditions de la production future. Déduire du nombre, supposé, de fidèles l’importance de la population d ’une localité, participe de la même généralisation abusive. Nous savons peu de choses sur la pratique religieuse de l’Islam ancien — et même moderne — et le coefficient utilisé par Lézine reste invérifiable. Enfin, même si cette méthode peut nous donner des indications sur la population d ’une ville, elle ne peut nullement nous permettre de calculer sa superficie car nous n’avons pas d ’indications sur la densité de l’habitat. Extrapoler les données d’une agglomération à une autre est encore plus hasardeux. T out compte fait, la méthode de Lézine fournit des renseignements utiles, mais non définitifs, sur les villes anciennes au sujet desquelles la documentation est très pauvre. Elle permet de rejetter, mais sans plus, les chiffres fantaisistes sur la population des premiers siècles de l’Islam et qu’accepte, trop souvent, l’historiographie traditionnelle. La densité de l'habitat tunisois Dans le même ouvrage, Lézine tente de recourir à une autre

29. Encore que l’exemple de petites villes syriennes (Homs, Sayda) doit inciter à plus de prudence sur ce point.

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méthode d ’estimation de la population applicable dans les villes dont les quartiers sont encore partiellement conservés. Cette tentative est inspirée des travaux de l’historien espagnol L. Torres Baibas sur les villes hispanomauresques. Elle consiste principalement à évaluer le nombre de maisons que pouvait contenir la localité considérée à une époque donnée. La superficie de l’agglomération et le type d ’habitat sont supposés connus, ainsi que l’importance des surfaces non bâties de la ville et celle des monuments publics30. Nous tenterons ici de suivre, aussi fidèlement que possible, la démonstration de Lézine sur l’exemple tunisois. La superficie qu’il adopte est de 293 hectares dont 89 pour la ville dans le cadre de ses anciens remparts. Il choisit alors un îlot situé vers le centre de la médina et dont la surface est de 10848 m2, pour un périmètre de 427 mètres environ. Par diverses approximations, Lézine avance le chiffre de 8148 mètres pour l’habitat au XVIIe siècle31. Cette donnée acquise, il passe à l’étude des maisons: «la superficie moyenne de la maison d ’habitation est de 226 m 9, chiffre assez considérable. Mais il ne faut pas perdre de vue que nous sommes ici dans un secteur privilégié, en majorité occupé par des demeures de citoyens riches,... l’examen d ’autres îlots de la «médina» aboutit à une superficie moyenne de l’habitat nettement inférieure. Dans l’îlot A, d ’une surface totale de 5153 m 2, la moyenne sur 30 maisons ne dépasse pas 162,5 m 2. L ’îlot B, de 9739 m 2 comporte 51 maisons d’une superficie moyenne de 182 m2. En établissant une moyenne globale pour les trois îlots examinés, qui comportent au total 117 maisons, la surface se réduit à 192 m 2»32. Enfin, pour l’ensemble de la ville, Lézine arrive à la moyenne corrigée «de 165 m 2 pour la

30. Torres Baibas avait calculé que la superficie de Grenade était aux XIe xii* siècles de 75 hectares: «A partir de vingt-huit plans de maisons, il avait estimé que la demeure unifamiliale des musulmans d’Espagne avait une surface moyenne de 172 m*...* L ézine, Deux villes, op. à t., p. 123. 31. En tenant compte d’une proportion de 11 à 15% de surfaces réservées aux voies d ’accès. 32. Ibid., p. 159.

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maison unifamiliale»33. Il aboutit ainsi à un nombre de 14000 maisons pour l’ensemble de la ville, faubourgs compris, et «A raison de cinq habitants par maison, on arriverait alors, pour l’ensemble de l’agglomération, à une proportion de 70000 âmes environ à l’époque considérée. Ce chiffre correspond à une densité de 240 habitants à l’hectare»3435. Que penser de cette démonstration? A première vue elle semble séduisante par sa rigueur et son universalité. Mais très vite des objections fondamentales vien­ nent à l’esprit. Que cinq personnes aient disposé de 165 mètres carrés en moyenne est difficilement acceptable. Nous savons bien que l’habitat arabe traditionnel est généralement spacieux, la cour y occupant une proportion importante, mais de là à accorder trente mètres carrés par personne... Plus fondamentale­ ment la méthode est viciée par la nature des exemples considérés. Il ne subsiste plus dans les villes contemporaines que les maisons les plus solides et les plus riches; l’habitat modeste, peu résistant, a disparu en premier, ne laissant pratiquement pas de traces. En trois siècles, le plan des quartiers a dû évoluer, et il n ’est pas possible de reconstituer l’ancienne texture par des méthodes architecturales uniquement. D ’ailleurs Lézine n ’ignore pas la chose puisqu’il affirme, à une autre occasion, qu’à Tunis «rares sont les habitations qui remontent seulement au XVIIe siècle. Souvent, elles ne datent que du XVIIIe siècle et plus souvent encore du XIXe siècle. Or, bien des changements ont dû se produire au cours de deux siècles dans l’urbanisme et l’habitat de la capitale tunisienne»36. 33. Ibid., P P - 161-2. 34. Ibid., P P • 167-169. 35. Ibid., p. 17. Sans nous engager dans la controverse sur l’évolution démographique de la Tunisie, nous voudrions attirer l’attention sur les conséquences de cette méthode sur la vision que se fit Lézine de l’évolution générale de la population tunisoise. Comparant les chiffres, sous-estimés, qu’il obtient pour le XVIIe siècle avec les premières données relativement sûres du XIXe siècle, il en conclut à un fort accroisement de la population urbaine, ce qui n’est pas admis par d’autres historiens. Lézine accepte, d’autre part, les chiffres de Léon l’Africain pour les

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La densité de l’habitat urbain n ’a pas pû rester constante durant treize siècles d ’histoire musulmane. Il est vain de supposer que les maisons de Sousse avaient une moyenne de cinq habitants et que ce rapport est nécessairement vrai à Tunis sept ou huit siècles plus tard. L ’exemple des villes syriennes nous inciterait à plus de réserve. Les habitations collectives, à fortes densités, n’étaient pas rares dans les villes arabes — les tvakàla-s de la Hâra le montrent bien à Tunis — et l’accroissement de la pression démographique pouvait multiplier le nombre des occupants d ’un logement. Les quelques indications que nous possédons sur le rapport entre le nombre des maisons et la population totale des villes devraient nous inciter à plus de précautions. Ainsi, si Venture de Paradis attribue dix occupants à chacune des maisons d’Alger86, Cuinet compte, un siècle plus tard, cinq habitants par logement dans les villes syriennes37, tandis que ô azzï fournit, pour la même époque, des chiffres qui varient de 8 à 19 suivant les quartiers d ’Alep88. D ’ailleurs nous verrons, ultérieurement, au sujet de cette même ville, que la densité de l’habitat a dû fortement changer entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Se fondant sur un échantillon non représentatif de la période qu’il étudie, et utilisant un coefficient théorique d ’occupation des logements, Lézine en arrive à attribuer à Tunis une densité de 240 habitants à l’hectare, inacceptable sans démonstration. La

maisons de Tunis, et les multipliant par cinq, il aboutit à un résultat qui suppose un très fort accroissement démographique du XVe au XIXe siècle. 36. R aymond , Population, op. cit., p. 188. 37. V. C uinet , S yrie, Liban et Palestine. Géographie adm inistrative, statistique, et description raisonnée, Paris, 18%, p. 102 et suivantes. Nous le citerons ultérieurement par: Syrie. 38. Kümil Ô azzI, Naftr al-dahab f i tàriff ¡falab, Histoire générale d ’A lep, 3

tomes, Alep 1341 >5 /1922-6, t. 2, pp. 203 et 207. Nous le citerons ultérieurement par: Nahr. Une autre source, moins fiable, nous informe que la moyenne pour les maisons chrétiennes de Damas était de 14 personnes au XIXe siècle. Anonyme, K itâ b al-ahzàn fifunoàdil al-Sàm , Chronique de la crise de I860 à Damas, manuscrit de la Bibliothèque de l’Université Américaine de Beyrouth, feuille 78. Nous le citerons ultérieurement par: Ahzcm.

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INTRODUCTION À L’HISTOIRE URBAINE DE LA SYRIE OTTOMANE

densité de l’habitat urbain n ’est pas une constante liée à une structure familiale uniquement, mais une variable qui change suivant le contexte économique et même la conjoncture politi­ que39. Loin de nous cependant l’idée de dénier toute valeur aux calculs de populations d ’après la superficie des villes. Il faut cependant prendre certaines précautions et avoir une vision terre-à-terre des choses. En premier lieu, il faut partir de l’idée que les «villes fossiles» n’existent pas, et que l’Islam, y compris durant les trois premiers siècles de l’Empire Ottoman, n’a pas échappé à une profonde évolution. En deuxième lieu, il est fort possible que des villes contemporaines ont pu avoir des densités différentes40. Même dans le cadre d’une localité, pour peu qu’elle ait une certaine étendue, ses divers quartiers peuvent présenter «des différences de densité allant du simple au décuple et au-delà»4142 En règle générale, les villes «horizontales» du domaine de l’Islam ne doivent presque jamais présenter des densités aussi élevées que les cités verticales de l’Occident, où des chiffres de 600 à 700 habitants à l’hectare ne sont pas rares. Mais la limite inférieure de la concentration de population est très variable. Nous ne suivrons donc pas André Raymond quand il avance qu’un chiffre unique — 398 h /ha en l’occurence — peut être accepté pour toutes les villes arabes traditionnelles. Ce chiffre doit être examiné cas par cas suivant les caractéristiques des agglomérations et les données de l’époque43.

39. Ce que semble penser Raymond quand il affirme que les conditions de densité urbaine «n’avaient guère changé, pour l’essentiel, depuis le haut Moyen-Age». Il n’est pas possible de procéder à une simple extrapolation des données du XIXe siècle ainsi qu’il le recommande. R aymond , Population, op. cit., p. 185. 40. Istanbul est souvent présentée comme étant plus aérée que les autres villes de l’Empire. Voir R. M antran , Istanbul dans la seconde moitié du X V I I e siècle, Paris, 1962, p. 39. 41. M ols, Introduction, op. cit., p. 51. 42. R aymond , Population, op. cit., p. 187.

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’A n d r é R a y m o n d

André Raymond part d’une constatation: les données de l’État-Civil étant défaillantes dans l’Empire Ottoman et les chiffres des chroniqueurs et des voyageurs étant trop souvent faux, il fallait trouver de nouvelles indications sur la démogra­ phie dans les équipements collectifs de la société: «Force nous est donc de rechercher des indices susceptibles de nous aider à reconstituer l’histoire de la population, là où de tels indices existent, c’est-à-dire surtout dans les villes où les faits de structure urbaine et les monuments constituent autant de «signes» utilisables»43. Au premier rang de ces témoins de la ville viennent les bains, bâtiments collectifs par excellence. Après diverses considérations sur la rentabilité des bains et l’expérience qu’il a retirée de l’étude du Caire, André Ray­ mond4445arrive à la conclusion suivante: dans les grandes villes de l’Empire Ottoman «entre le XVIe et le XIXe siècles, un bain correspondait, en gros, à une population variant entre 3 et 5000 habitants, un bain pour 4000 habitants constituant un chiffre moyen»46. L ’utilisation des bains comme «signes» démographiques, et la confrontation des résultats obtenus aux indications que fournissent d ’autres sources, permettent à Raymond de remettre en question l’ensemble de la vision traditionnelle de l’Orienta­ lisme sur la décadence continue de la population du Caire du XVe à la fin du XVIIIe siècle. Globalement, il peut affirmer que loin d’avoir décliné pendant la période ottomane, la population du Caire a augmenté, passant de 150.000 vers 1420 à 260.000 en 1798 4*. 43. A. R aymond , «Signes urbains et études de la population des grandes villes arabes à l’époque ottomane», dans B .E .O ., XXVII, 1974, Damas, 1975, pp. 183-193, p. 184. Nous le citerons ultérieurement par: «Signes». 44. Voir aussi à ce sujet: A. R aymond , «Les bains publics au Caire à la fin du x v iir siècle», dans les Annales Islamologiques, V III, pp. 129-150, Le Caire, 1969. Nous le citerons ultérieurement par: «Bains». 45. R aymond , Population, op. cit., p. 191. 46. Ibid., p. 209.

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Raymond conclut, à juste titre, qu’au schéma traditionnel sur la population du Caire «il conviendrait d’en substituer un autre, plus complexe, faisant alterner des périodes de progrès et de déclins...*47. Plus rapide, et moins convaincante, l’application de sa méthode sur Damas donne à la ville 200.000 habitants au début du xx? siècle pour cinquante bains en activité. En fait, pour respecter son coefficient de 4000, Raymond hausse considérable­ ment le nombre de bains réellement utilisés dans la ville484950; il n ’en a d ’ailleurs pas besoin puisque son estimation de la population est probablement trop forte. Enfin, à côté de la superficie de la ville et le nombre des bains, André Raymond utilise aussi un troisième «signe»: les fontaines publiques (sabil). Mais il se rend compte des limites de cette tentative car le nombre de fontaines est directement lié au mode d ’alimentation en eau des localités4*, qui peuvent compter exclusivement sur les fontaines ou les utiliser uniquement comme ressources d ’appoint dans certains quartiers. *

# *

Nous suivons parfaitement Raymond quand il prévient que sa méthode n ’est pas applicable aux petites localités et, à plus forte raison, aux villages qui étaient, pour leur part, équipés en bains publics60. Nous avons, cependant, d ’autres objections à cette tentative. Le bain, autant que la mosquée, est un édifice de prestige et de service public; un bain, même non rentable, ne cesse pas pour autant d’être utilisé. Le nombre de bains dans une ville ne suit pas étroitement l’évolution de la population mais en

47. 48. 49. 50. dans le

Ibid., p. 193. Ibid., p. 190. Ibid., p. 186.

La présence de bains dans les petits villages est attestée non seulement Moyen-Orient arabe, mais aussi en Iran. Voir à ce sujet: U.F. C ostello, Kashan, a city and region of Iran, Publications du Centre of Middle Eastern and Islamic Studies of the University of Durkan (3), Londres, 1976, p. 37.

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est un reflet indirect. D ’un autre point de vue, la répartition des frammàm-s n ’est pas homogène entre les quartiers d’une même localité, les quartiers riches en étant mieux pourvus. Le nombre de bains est difficile à déterminer dans une ville, même quand nous la connaissons relativement bien. Les chiffres de fiammàm-s cités dans les textes sont trop souvent théoriques, portant sur tous les bains de la localité sans distinction entre établissements en activité ou désaffectés61. Dans le cas des villes secondaires de la Syrie ottomane, l’utilisation de ce «signe» nous donnerait un chiffre trop important de population. Il semble que le bain devait alors pourvoir aux besoins d ’un nombre réduit de clients dans les petites agglomérations. Ainsi pour le XVIe siècle, cinq grands bains sont nommément cités comme étant en activité à Hama, sans parler d’autres moins importants, pour une population de 12 à 14 mille habitants6*. Avec cinq mille habitants Baalbeck avait droit à deux bains en activité — à côté de plusieurs autres en ruine — au début du XVIIIe siècle, et à trois bains pour une population comparable à la fin du XIXe siècle63. Sayda, quant à elle, possédait trois bains en activité pour une population qui a fortement fluctué durant deux siècles, passant de 6 à 12-14 mille. Enfin, M acarrat al-Nucmân5123

51. Sur la centaine de bains attestés à Alep durant l’époque ottomane, il ne nous a pas été possible de déterminer les établissements effectivement en activité en même temps. Ainsi, les textes publiés par Mazloum sur l’alimenta­ tion en eau de la ville, ne citent qu’une quinzaine de bains recevant l’eau de la canalisation urbaine en 1721, ce qui est trop peu. Le problème reste donc entier. Voir: S. M azloum, L ’ancienne canalisation d’eau d ’Alep (le Qanayé de H ailan), Documents d ’Etudes Orientales, I.F.D., s.d. (vers 1937), pp. 39-58. Nous le citerons ultérieurement par: Canalisation. 52. ‘A bdul W adÜd B arôü1\ «TàriJ} lla m a a lig tim à 'i w al-iqtifàdi ivalidàri mustamad min li¿il al-M ahkam a a l-ia r'iyva li-'àm 989 h¡ 1581, Histoire sociale, économique et administrative de Hama d ’après le registre du tribunal pour l’année 1581» dans A .A .S ., XVI, pp. 57-84, 1966, pp. 67-68. Nous le citerons ultérieurement par: Tàrp}. 53. ‘A bdul 6 anT al-NAbulsT, A l-T uhfa al-nâbulsiyya fil-rifila altarâbulsiyya, voyage de Damas à Tripoli à travers le Liban à la fin du X V II'' siècle, Beyrouth, 1971, p. 102. Nous le citerons ultérieurement par: Tuhfa. Et: Cuinet , Syrie, op. cit., p. 411.

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avait trois bains en activité et un en ruine pour 4 à 5 mille habitants54. En fin de compte cette méthode, dont la mise en œuvre est difficile, a un domaine d'application trop étroit — les très grandes villes — pour constituer la principale voie d ’enquête démographique. Elle peut néanmoins représenter une approche d’appoint dans les cas où la documentation est déficitaire. Notre principale source doit rester les archives ottomanes, si ce n ’est sous la forme d’un Etat-Civil comparable à celui des pays d ’Europe, du moins, en l’espèce, les divers fonds fiscaux qui sont relativement abondants. U

n e n o u v e l l e im a g e d e l a d é m o g r a p h ie s y r i e n n e

L ’image traditionnelle de la population ottomane que nous venons de présenter — «déflation» continue qui s’intensifie à la fin du XVIIIe siècle — ne cadre pas avec ce que nous savons, par ailleurs, de l’évolution générale de la démographie mondiale à l’époque moderne. Partout en Europe, et probablement aussi dans la majeure partie de la planète, la population connaît un accroissement considérable au XVIe siècle, qui se ralentit quelque peu au siècle suivant, pour reprendre, avec plus de vigueur, à partir du milieu du XVIIIe siècle55. La population de l’Empire Ottoman ferait-elle exception à cette évolution générale ? C’est la question que nous allons poser à partir de l’utilisa­ tion, et de l’interprétation, des sources fiscales ottomanes et de certaines indications régionales d ’une valeur particulière.

54. M u h a m m a d al -Ô und T, Târify Mamarrai a l-N u cmàn, Histoire de M atarrat a l-N u (mân, 3 volumes, édité par cUmar Riçll Kafrbâla, Damas, 1963, vol. 1, pp. 402-405. Nous le citerons ultérieurement par: M a'arrat. 55. M. Reinhard , A. A rmencaud et J. D upaquibr, Histoire générale de la population mondiale Paris, 1968. «Le fait éclatant du xvi*' siècle, entre 1500 et 1570, c’est la multiplication du nombre des hommes...» p. 120; et «De 1650 à 1750, en un siècle, la population européenne était passée de 100 à 140 millions d ’âmes environ, or de 1750 à 1800, en moitié moins de temps, elle avait dépass* 190 millions...», p. 299. Nous le citerons ultérieurement par: Histoire.

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Les sources fiscales ottomanes Depuis une vingtaine d ’années, plusieurs monographies sur la population, et l’économie, palestiniennes, ont été publiées sur la base des registres fiscaux ottomans du XVIe siècle. La première en date de ces monographies est celle de Bernard Lewis sur la Palestine d ’après les daftar-s de la première moitié du XVIe siècle, ôm er Loutfi Barkan devait, quelques années plus tard, publier les premiers résultats de ses travaux sur la population de l’Empire Ottoman au XVIe siècle, y compris les provinces arabes. Plus récemment Hütteroth nous livrait les conclusions de sa longue analyse sur les daftar-s de la Palestine durant le premier siècle de la domination ottomane. Enfin Hafil Sâhilî vient de donner les chiffres concernant les villes côtières du Levant. Malgré les difficultés méthodologiques qui entravent l’utili­ sation de cette source fiscale ottomane, elle semble très promet­ teuse et, tout compte fait, assez sûre. Les soupçons qui ont entaché les conclusions de Barkan proviennent surtout de la nouveauté de ses résultats qui tranchent avec les idées qui dominaient jusqu’à lors, et non de défauts réels dans la méthode employée. Les travaux déjà publiés permettent de donner une image précise de la Palestine et des régions attenantes, mais nous sommes moins renseigné^ sur les autres parties de la Syrie malgré les toutes récentes publications de Adnân Bakhlt sur la province de Damas. Évidemment les chiffres obtenus, comme tous les résultats de recensements à buts fiscaux, sont à considérer avec une certaine prudence, car qui «dit fisc dit frande, ou illusion, ou les deux à la fois... sans doute mesurent-ils souvent l’ordre et l’autorité dans l’Empire autant que le niveau de la population»6'. Toutefois, il semble bien que l’administration ottomane, surtout au XVIe siècle, était suffisamment au fait de son affaire pour que nous lui fassions confiance. Nous avons eu l’occasion,56

56. B raudel, Civilisation, op. cit., p. 23.

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INTRODUCTION À L ’HISTOIRE URBAINE DE LA SYRIE OTTOMANE

précédemment, d ’étudier des textes administratifs damascains portant sur la montagne libanaise — région qu’on présente trop souvent comme à l’écart de la mainmise directe de l’administra­ tion — et qui, comparés à la situation sur le terrain, démontrent une connaissance minutieuse de la Montagne57. De l’ensemble des travaux de Lewis sur la Palestine, nous retiendrons quelques chiffres qui résument la situation: après une forte augmentation durant la première partie du XVIe siècle, la population de la région totalisait entre 45 et 50 mille feux, soit un total de 225 à 300 mille habitants58960.5 Les villes palestiniennes apparaissent relativement importantes, et Lewis peut avancer les chiffres suivants pour le milieu du siècle5*: — Gazza: 10500 — Jérusalem: 9500 — Nabulus: 6500 — Safad: 12000 Soit, en tenant compte des petites agglomérations, une proportion de 20% de population urbaine. En comparaison de ceux de Lewis, les résultats de Barkan perdent en précision ce qu’ils gagnent en généralisation. Les chiffres fiscaux qu’il utilise concernent l’ensemble de la division administrative connue sous le nom de «Arap» et qui recouvre, outre la Syrie et la Palestine, certaines parties de l’Anatolie du Sud qui relevaient du wilayet d ’Alep. Cet ensemble totalisait, vers 1535, 113 mille feux musulmans et un millier de feux chrétiens, soit un total de 600 mille habitants80. Barkan remarque que les chiffres de 1569 accréditent le seul «liva» de Damas de

57. Voir à ce sujet: A. A bdel N our, Étude sur deux actes de waqfs des tvilayets de Dennos et de S ayda du X V I e et du X V I I e siècle, thèse pour le doctorat du 3e Cycle, 382 feuilles, Université de Paris-Sorbonne, 1976, ff. 119135. Nous le citerons ultérieurement par: Deux actes. 58. B. L ewis, “ Studies in the Ottoman archives-1” , dans B .S .O .A .S ., 1954, pp. 469-501, p. 475. Nous le citerons ultérieurement par: Studies. 59. Ibid.t p. 475-6. 60. O. L. Barkan, «Essai sur les données statistiques des registres de recensement dans l’Empire Ottoman aux XVe et XVIe siècles», dans J .E .S .H .O ., 1957, pp. 9-36, p. 20. Nous le citerons ultérieurement par: Recensement.

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57897 feux au lieu de 38672 en 1521 ; il explique cette augmenta­ tion anormale par le perfectionnement de l'outil administratif61623. Appliqué à l’ensemble de la Syrie, le coefficient de hausse de Damas (50%)**, donnerait une population totale de 900 mille âmes, desquels il faudrait retrancher près de 10% d ’habitants de territoires compris dans l’actuelle Turquie, soit un chiffre global de 800 mille habitants. Barkan constate, d ’autre part, une diminution de la popula­ tion de Damas et d’Alep au cours du XVIe siècle. De 57 mille en 1520-30, Alep passe à 46 mille en 1580 et Damas perd 14 mille habitants durant la même période, passant de 57 à 43 mille âmes*8. Que penser de ces chiffres qui ont été fortement critiqués depuis leurs publications? L ’estimation de la population de Damas et d ’Alep ne nous semble pas trop basse, car n ’oublions pas qu’elle en faisait tout de même les troisième et quatrième villes de l’Empire après Istanbul et Le Caire. La baisse de population citadine constatée au cours de la période considérée, pour autant qu’elle ne soit pas exagérée, s’explique, en partie, par la grande peste de 1555 qui fut, semble-t-il, particulièrement meurtrière à Alep, frappant durablement les imaginations64. Les chiffres globaux sont, peut-être, quelque peu faibles, surtout en ce qui concerne les Chrétiens et les Juifs. Ce point mérite que nous nous y arrêtions un instant. Le nombre de feux chrétiens indiqués par Barkan est trop faible; ce défaut provient

61. Ibid., p. 25. 62. Coefficient qui rejoint celui constaté par Lewis pour la Palestine durant la même période. 63. Barkan, Recensement, op. cit., pp. 27-8. 64. Malgré les exagérations du propos, voir cette lettre d ’un négociant vénitien que cite Tucci: «1000 à 2000 morts par jour, 170000 seulement dans la ville, sans compter les faubourgs et le territoire, 280 à 300000 si on les compte». En divisant ces chiffres par dix le compte doit y être. U. Tucci, Lettres d ’un marchand vénitien Andrea Berengo (1553-1556), Paris, 1957, p. 7. Nous le citerons ultérieurement par: Lettres. Et: T abbA#, l l làm, op. cit., t. 6, pp. 18-21.

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d ’une lacune administrative encore inexpliquée et reste en contradiction avec les données régionales sur la Palestine. Toutefois il convient de remarquer que ne sont comptabilisés dans les documents fiscaux que les Chrétiens astreints au régime commun de la capitation (¿izya). Ici encore, il faut éviter toute généralisation doctrinale et croire que tous les Gens du Livre payaient la capitation au XVIe siècle. De multiples indications, sur l’ensemble de l’Empire Ottoman et sur la Syrie en particulier, laissent croire que la taxe individuelle était tombée en désuétude dans les campagnes — si elle y ait jamais réellement existée — et que l’ancienne ¿izya était comprise dans l’impôt global des communautés villageoises, affermée à part, ou simplement abandonnée*6. Ajoutons à ceci que les Chrétiens étaient beau­ coup moins nombreux dans les grandes villes au XVIe siècle, qu’ils ne le seront aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’affaiblissement de l’autorité centrale sur les campagnes les poussera de plus en plus nombreux à chercher la relative protection des villes. Nous en conclurons que les chiffres corrigés de Barkan sont assez proches de la vérité et que le chiffre d’un million d ’habitants pour la Syrie au XVIe siècle — Liban et Palestine compris — est une base acceptable de départ.65

65. Pour l’ensemble de l’Empire, voir le très suggestif article «D jisva» de Halil Inalcik dans £./.*, t. 2. pp. 576-578, p. 577. Issawi, à partir des chiffres du xjf siècle estime que le nombre de Chrétiens en Syrie aurait été de 100 mille au xvi° siècle, ce qui nous semble trop élevé en considération de la mortalité différentielle des communautés religieu­ ses et des zones géographiques. Voir: C. I ssawi, «Comment on Professor Barkan’s estimate of the population of the Ottoman Empire in 1520-30» dans J .E .S .H .O ., 1958, pp. 329-331, p. 329. — O.L. B arkan, «Réponse ¿ Issawi» dans J .E .S .H .O ., 1958, pp. 331-333. Et: J.C. R ussell, “ Late medieval Balkan and Asia minor population’’ dans J .E .S .H .O ., 1960, pp. 265-274. Pour le cas particulier du M ont-Liban, voir: K urd , cA lI tfu faf, op. cit., t. 3, p. 24. — T . T ouma, Paysans et institutions féodales chez les Druzes et les Maronites du Liban du X V I P siècle à 1914, 2 volumes, Beyrouth, 1971, Publications de l’Université Libanaise, vol. 1, p. 126. Nous le citerons ultérieurement par: Paysans. — V olney , Voyage, op. cit., t. 2, p. 332 «... la capitation des Chrétiens n’a point lieu pour les pays sous-affermés, tels que ceux des Maronites et des Druzes...»

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L ’enquête d’Hütteroth L ’enquête d ’Hütteroth et d ’Abdul Fattâh sur la Palestine à la fin du XVIe siècle est du plus haut intérêt. Reprenant les travaux de Lewis et y ajoutant les données du dernier recense­ ment ottoman — celui de 1596 — ils les comparent à la situation de la Palestine au XIXe siècle, c’est-à-dire à une époque où les données numériques sont relativement fiables. Hütteroth considère comme acquise la théorie sur le déclin de la population syrienne du XVIe au milieu du XIXe siècle66; il essaie donc de faire cadrer son étude avec sa conviction. Or les faits sont rebelles, et il n ’arrive pas à faire correspondre les chiffres du XVIe siècle avec ceux du XIXe , et force lui est de constater que cela est impossible, car les quelque 340 mille habitants qu’il recense — dont 206 mille dans la Palestine proprement dite67 — ont, au moins, doublé à la fin du XIXe siècle. La carte qu’il établit à ce sujet illustre bien la question: tandis que des zones, principalement à l’Est de la Palestine, ont vu leur population décroître, d ’autres régions sont restées stables, cependant que le Liban-Sud voit sa population augmenter et la frange côtière a pratiquement été colonisée durant cette pério­ de6869.Pourtant la Palestine est considérée comme la région la plus touchée par la dépopulation à cause des troubles politiques qu’elle connaîtra au XVIIIe siècle et de sa proximité des zones de départ de l’expansion bédouine. Hütteroth conclut son étude prudemment en regrettant de ne pouvoir être plus affirmatif car «si nous comparons le peuplement du XVIe siècle à celui du XIXe siècle, il apparaît que la densité des villages est plus faible66, le pourcentage des nomades est plus grand, mais les villes ont augmenté en nombre et en importance relative, et la taille moyenne des villages semble être plus grande»70. 66. H ütteroth, Historical, op. cit., p. 60. 67. Ibid., p. 43. 68. Ibid., figure 7, «Changes in density of settlement between 1596 /97 and ca. 1880 A.D.» 69. Mais non dans toutes les régions, ibid., p. 62. 70. Ibid., p. 56.

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v il l a g e s d é s e r t s

Une des manifestations les plus spectaculaires de la «dépo­ pulation» de la Syrie fut toujours l’existence de villages, en grand nombre, désertés par leur population. Ces sites abandon­ nés sont innombrables, principalement au Nord du pays et ont fait l’objet de diverses études dont le remarquable travail de Georges Tchalenko71. L ’abondance de ces «témoins du peuplement» a toujours incité les voyageurs, et les géographes, à imputer au pays, depuis une date reculée, une population très importante. L ’erreur fondamentale de cette vision des choses est de considérer le nombre total des villages abandonnés sans prendre en considéra­ tion la chronologie de l’occupation des sites et celle de leur abandon. Faut-il rappeler ces évidences si souvent ignorées ? Les villages déserts n ’ont jamais été peuplés tous en même temps. Au moment où certains d ’entre eux étaient florissants, d ’autres étaient déjà en ruines, et une partie n ’existait pas encore. La population baissant dans une région à une certaine époque, augmente dans une autre zone. Pour utiliser l’existence de villages déserts pour l’histoire démographique, il faut nécessaire­ ment repérer les dates de peuplement et d ’abandon des sites. Même dans le cas de villages dont l’occupation coïncide chronologiquement, le problème n ’est nullement simple. Le modèle de répartition de la population rurale change suivant l’évolution du contexte économique et politique et il faut examiner la situation cas par cas sous peine de procéder à des simplifications abusives. En effet, «les flux et les reflux de la population affectent essentiellement les sites d ’habitat périphéri­ ques, gonflent et multiplient les écarts ou les fermes isolées, ou bien les vident et les font durablement disparaître... En fait, la croissance ou la diminution du nombre total des hommes paraît

71. G . T chalenko , Viliages antiques de la S yrie du N ord, le massif du Bélus à l ’époque romaine, 3 volumes, Paris, 1953-1958.

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exercer une influence fort restreinte en comparaison d ’autres facteurs» sur l’abandon des villages7273. Cet avis autorisé de Georges Duby est confirmé pour la Syrie par la constatation que fait Hütteroth sur l’augmentation de la taille moyenne des villages du XVIe au XIXe siècle73, et par une remarque de Russell où il signale que les paysans de la région d ’Alep «seek safety in an union with a stronger village»74 dans le cas de troubles ou d ’alourdissement des charges fiscales. Ce phénomène est aussi décelable au M ont-Liban où de petits hameaux du XVIe siècle disparaissent au profit de localités voisines en pleine expansion, comme ce fut le cas à Dayr alQamar par exemple. De même, le fait de ne plus retrouver, dans un répertoire de noms de lieux ou sur une carte, un village signalé au XVIe siècle ne signifie pas nécessairement qu’il ait disparu; simplement il peut avoir changé de nom. Jacques Monfrin met longuement en évidence le danger de la méthode qui consiste à étudier la désertion des villages à partir des noms de lieux, car il démontre, à travers maints exemples, que les sites habités changent de noms au cours de l’Histoire, souvent plusieurs fois, et il en conclut que cette méthode ne permet nullement de fournir des indications démographiques7S. Dans une autre région de l’Empire Ottoman, la Grèce, où la théorie de la dépopulation était généralement admise, Hélène Antoniadis-Bibicou démontre, par une étude sur le terrain, que la désertion réelle de villages du XVe au XVIIe siècle est assez rare. Pour le siècle suivant, il y a relativement plus de villages désertés, mais c’est la conséquence des transformations économi­

72. G. D uby , «Démographie et villages désertés» dans Villages désertés et histoire économique, X I e- X V I I I e siècle, pp. 13-24, t. X I de la collection de

l’E.P.H.E. «Les Hommes et la Terre». Paris, 1965, p. 23. Nous le citerons ultérieurement par: Villages. 73. H ütteroth , Historical, op. cit., p. 56. 74. R ussell , Aleppo, op. cit., t. 1, p. 344. 75. J. M onfrin , «Habitats ruinés et noms de lieux» dans Villages désertés, op. cit., p p . 103-124.

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ques, notamment de la propriété foncière, et non de la dépopula­ tion qui reste incertaine7*. D ’un autre point de vue, signalons que les villages proches des axes routiers étaient abandonnés en premier en cas de troubles politiques. Ce phénomène, compréhensible, a induit en erreur les voyageurs européens, car ils parcouraient uniquement les voies principales et en retiraient l’image d ’un pays ruiné. Kurd cAlï nota cette particularité en précisant que «les villages que traversent les routes sont ruinés avant les autres... plus le village est proche des voies de communications plus il est exposé...»7677. Remarquons, en outre, que la décadence des villes périphé­ riques de la Syrie du Nord — Salamiyya, M acarrat al-N ucmân, Sarmln — n ’est pas uniquement le résultat de la crise du XVIIIe siècle, mais l’aboutissement d ’un long processus qui débute avec les Mamelouks sinon bien avant. Au contraire, les Ottomans tenteront, aux xvie et xvne siècles, d ’enrayer cette tendance par d ’importants investissements urbains7879. Des cas d ’exode de populations à l’époque mamelouk sont attestés sans ambiguïté, et l’administration de la Sublime Porte prendra souvent en charge des régions déjà ruinées, ainsi que le signale ce texte de 1519-20, qui souligne que dans le liwâ’ de Tripoli «des villages et des bourgs qui groupaient autrefois 3000 habitants et où il ne s’en trouve plus que 800»7#.

76. H. A n t o n ia d is -B ibicou , «Villages désertés, en Grèce — un bilan provisoire* dans Villages désertés, op. cit., pp. 344-417. 77. K urd , cA lI, tfu fa t, op. cit., vol. 4, p. 134. 78. Nous reprendrons cette question en détail à propos de l’étude du réseau urbain de la Syrie du Nord. Voir au sujet de ces villes: M. V an B erchem et E. F atio , Voyage en Syrie, 3 volumes, Le Caire, 1913-1915, Mémoires de l’Institut français d ’archéologie orientale du Caire, vol. 1, pp. 161, 201, 205 et 233-237. 79. Cité par R. M antran et J. S auvaget, Règlements fiscaux ottomans, les provinces syriennes, Beyrouth, 1951, p. 80. Nous le citerons ultérieurement par: Règlements.

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t r a n s f o r m a t io n s d é m o g r a p h iq u e s

L ’examen, détaillé, de l’évolution des régions syriennes, vient renforcer notre argumentation et permet de donner une image plus précise, plus vivante, de l’évolution démographique du pays. Durant les quatre siècles de la domination ottomane, toutes les régions de la Syrie n ’ont pas connu le même sort, loin de là. Si les franges désertiques ont vu leur population reculer, les côtes, pratiquement désertes auparavant, furent lentement peuplées. Les grandes villes acquirent une population nouvelle, tandis que les petites agglomérations urbaines perdaient une partie de leurs habitants et que de nouveaux centres apparais­ saient. Enfin les équilibres confessionnels anciens furent boule­ versés par des comportements, des expansions et des regroupe­ ments nouveaux. La Syrie, au début du XIXe siècle, était sensiblement plus peuplée qu’au XVIe siècle, mais elle présentait une carte de peuplement très différente. C’est ce long processus que nous allons tenter de cerner. L es

v il l e s

Les grandes villes, principales bénéficiaires des mouvements d’urbanisation, semblent connaître des sorts comparables. Le destin des petites agglomérations, commandé par la situation de leur région et la conjoncture politique locale, subit, sans moyens de réaction, tous les coups du sort. Les métropoles profitent, elles, de tous les malheurs et de tous les bonheurs, et engrangent les populations en quête de refuges et de moyens d ’existence. Braudel pense déceler des mouvements d ’ensemble dans les villes méditerranéennes: augmentation au XVIe siècle, stagnation — ou même diminution — au siècle suivant, et reprise au XVIIIe80. Cela semble bien être le sort des métropoles syriennes avec, toutefois, un XVIIe siècle plus clément.80 80. F. B raudel, L a M éditerranée et le Monde Méditerranéen à l'époque de P h ilip p e II, 2 volumes, 3° édition, Paris, 1976; vol. 1, p. 299. Nous le citerons ultérieurement par: Méditerranée.

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On ne prête qu’aux riches: la population des grandes villes est toujours sur-estimée, tandis que celle des agglomérations modestes est rabaissée. Rappelons-nous le cas de Paris où la population estimée, par les contemporains, à 800 mille au début du XVIIIe siècle, s’est révélée n ’être que d ’un demi-million, quand il a été possible de l’étudier par une documentation appropriée8182*. Alep fait partie, aussi, de ces villes à qui on a toujours prêté une population exagérée. Alep Les estimations de la population d ’Alep, que nous fournis­ sent les voyageurs européens, varient de 50 à 500 mille âmes; il est donc difficile de s’en remettre à eux pour aboutir à un chiffre acceptable. Les travaux de Barkan nous fournissent les plus anciens chiffres établis sur une base documentaire. Ils nous montrent une ville dont la population tourne autour de 60 mille âmes avec une baisse considérable à la fin du XVIe siècle. Plus récent, le tableau de HalTl SâhilT est aussi plus détaillé et aboutit à une estimation comparable: Nb

— — — — — —

Familles musulmanes: Célibataires musulmans: Familles chrétiennes: Célibataires chrétiens: Familles juives: Célibataires juifs:

7881 909 309 15 233 —

Soient 8423 familles et 924 adultes célibataires, ce qui correspond à une population totale de 56 mille habitants88. A raison d ’une superficie de 240 hectares, nous obtenons une

81. M ousnier , Paris, op . cit. , p. 33. 82. H alTl SAp i l T-O ö lu , Tagayyur furuq a l- ti¿áro wal-tanàfus bayna minâ’ay 'faràbulus toal-lskandarûn fil-qarn a l- sàbi‘ ' alar , la concurrence entre

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densité moyenne de 230 h /ha, chiffre faible peut-être, mais qui, dans l’état actuel de notre documentation, est le seul utilisable. Entre 1570 et 1683, les textes cités par Sauvaget permettent de constater une forte augmentation du nombre de feux dans la ville®*. Il semble toutefois que cet accroissement n ’ait pas suffi à combler les vides de l’espace urbain. En effet, maintes indica­ tions — cartographiques, architecturales et documentaires — permettent de croire que le territoire urbain, même à l’intérieur de l’enceinte, n ’était pas entièrement bâti. La comparaison entre la remarquable taille-douce de Le Brun — XVIIe siècle —, la carte de Rousseau du début du XIXe et le plan ottoman nous autorise à penser que de larges espaces vides furent progressivement comblés par l’expansion de l’habitat84. Notons aussi les nom ­ breuses mentions de jardins86 et de grands terrains à construire dans la localité88, ainsi que l’inadéquation entre le réseau des canalisations d ’eau, établi aux XVIe et XVIIe siècles, et les zones bâties, d ’où la nécessité de recourir à des fontaines publiques même dans des quartiers relativement anciens87. Nous sommes d’autant plus confirmés dans ces impressions que l’étude de l’habitat au XVIIe siècle ne donne pas l’impression d ’une ville à les ports de Tripoli et d’Alexandrette au xviF siècle ; Communication présentée au Deuxième Congrès sur l’Histoire de Bilid al-Sam, Damas 1978. Texte ronéotypé, 18 feuilles, f. 6. Nous le citerons ultérieurement par: Tagayyur. Ces chiffres concernent l’année 992 h /1584-5. Nous avons multiplié le nombre de familles par un coefficient de 6 et nous avons majoré de 10% le total obtenu. 83. S auvaget, A lep, op. cit., p. 225, note 841. 84. C. L e B ru n , Voyage au Levant, Delft, 1700, p. 332. Cette représenta­ tion date de 1680. Nous le citerons ultérieurement par: Voyage. B arbié du Bocage, «Notice sur la carte générale des Pashaliks de Baghdad, Orfa et Hhaleb, et sur le plan d ’Hhaleb de M. Rousseau», extrait de Recueil de voyages et de Mémoires, publié par la Société de Géographie de Paris ,11, 1825,

p. 194. 85. T abbXç , I clàm, op. cit., t. 3, pp. 207 et 214, t. 6, p. 90, etc... 86. A. R aymond , «Le déplacement des tanneries à Alep, au Caire et à Tunis à l’époque ottomane: un «indicateur» de croissance urbaine» dans la Revue d'H istoire Maghrébine, numéro 7-8, janvier 1977, pp. 192-199, p. 195. Nous le citerons ultérieurement par: Déplacement. 87. Voir la carte générale établie par M azloum, Canalisation, op. cit., h.t.

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court d ’espaces à construire. Il ne fait pas de doute que sur les quelque 240 hectares qu’occupait Alep au XVIe siècle88, une proportion importante était inutilisée. Le chevalier d ’Arvieux, qui vivait dans la ville au XVIIe siècle, avance une estimation: la localité aurait eu, selon lui, entre 285 et 295 mille habitants, chiffres qu’il faut rejeter sans appel89. Mais il fournit une indication indirecte plus probante: l’admi­ nistration ottomane aurait recensé, dans la ville et ses faubourgs, 13 mille feux lors de l’imposition de l’impôt foncier90. Sur la base de 6 personnes par unité fiscale nous obtenons un total de 78 mille âmes ce qui nous semble acceptable. L ’augmentation de la population aurait donc été sensible en un siècle — près de 45 % — mais serait faite' surtout au profit des Chrétiens et des Juifs avec un apport massif de groupes arméniens, maronites et israélites91. N ’oublions d ’ailleurs pas que c’est au XVIIe siècle que s’est constitué le quartier chrétien de ôudayda et le quartier juif de Bahsîtâ. L ’ancien équilibre communautaire en fut bouleversé pour un siècle et demi. Les données que fournit Russell sur la population, près d ’un siècle plus tard, nous permettent de suivre cette évolution. Ayant longtemps vécu dans la ville, et d ’un naturel fort curieux, il s’interroge à plusieurs reprises sur le nombre des habitants, sans aboutir à une réponse qui le satisfasse pleinement. Une occasion se présente toutefois: à la suite d ’une taxe imposée par les autorités, les communautés chrétiennes de la ville contestent les sommes imposées aux différents rites, avant de se mettre d ’accord avec l’administration, sur une répartition de la contri­ bution calculée sur la base des chiffres suivants92: 88. R aymond , Déplacement, op. cit., p. 195. 89. L. d ’A rvieux, Mémoires du Chevalier d ’A rvieux, recueillis et mis en ordre par J.B. Labat, 6 volumes, Paris, 1735, vol. 6, pp. 434-8. Nous le citerons ultérieurement par: Mémoires. 90. Ibid., t. VI, pp. 434-5. 91. T abbäp, I clàm, op. cit., t. 6, pp. 89-91. Leur nombre augmentant, les Juifs européens — yahûd al-ifrang — tentent, au début du XVIIe siècle, d ’établir une synagogue clandestine dans la ville. 92. R ussell, Aleppo, op. cit., vol. 2, p. 28.

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— — — —

13 6 4 3

Grecs: Arméniens: Syriens: Maronites: T o ta l

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mille mille mille mille

26 mille

Russell, qui connaissait bien les milieux chrétiens d ’Alep, nous prévient que “ This calculation appeared to be more accurate than any I had before been able to procure at Alep­ po“ 93. Ce dénombrement des chrétiens qui atteignaient à ce moment leur apogée dans l’agglomération avec près du quart des citadins, nous pousse à accorder 100 à 105 mille âmes à la ville vers 1750. Ce chiffre est beaucoup plus faible que ceux que fournissent les voyageurs européens de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, et que reprennent Gibb et Bowen949 5. Avec la fin du siècle — 1780 et 1795 — le chiffre de 150 mille est souvent avancé96. Toutefois Volney, observateur désabusé, et qui s’offusque de constater que la «barbarie du despotisme turc» ait laissé subsister tant de vies dans ce pays, avance le chiffre de 100 mille «têtes» comme le plus probable «si l’on observe que cette ville (Alep) n ’est pas plus grande que Nantes ou Marseille, et que les maisons n ’y ont qu’un étage»96. Si le chiffre de T ott et d ’Olivier est trop fort, l’estimation de Volney est faible. Un accroissement de la population de 80 mille vers 1680 à 100 mille en 1750 et 120 mille vers 1790 nous semble possible, si nous considérons l’intensification de l’exode rural au 93. Ibid., p. 394. 94. H.A.R. G ibb et H. Bo w e n , Islamic Society and the west, 2 tomes, Londres, 1957, t. 1, pp. 280-1. Nous le citerons ultérieurement par: Islamic. 95. Baron de T o t t , Mémoires du baron de T ott sur les Turcs et les Tortores, 4 tomes, Amsterdam, 1785, t. 4, p. 101. Nous le citerons ultérieurement par: Mémoires. Et: G . A. O livibr , Voyage dans l’Empire Ottom an, l’Egypte et la P eru , Paris, An 9, 1801, 4 tomes, t. 4, p. 170. Nous le citerons ultérieurement par: Voyage. 96. V o ln ey , Voyages, op. cit. , t. 2, p. 139.

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siècle, que tous les indices et les observations nous laissent entrevoir. Une augmentation de cet ordre — 50% — ajoutée à la sur-mortalité urbaine implique un très profond renouvellement de la population; la ville en fut bouleversée. Contrairement à la lente hausse démographique du XVIIe qui était une manifestation de prospérité économique, le «gonflement» du XVIIIe siècle était maladif et se nourrissait de l’apport massif d ’une population rurale en quête de refuge et de pain. L ’autorité urbaine tenta bien d ’endiguer ce flot, mais sans résultats apparents97. A plusieurs reprises la métropole du Nord se voyait envahi par ces hordes affamées. La période 1750-8 fut la plus éprouvante pour la ville ainsi que le relate les chroniques: «lors de cette disette (1170 h/1756-57) plus de vingt mille étrangers, tous miséreux, vinrent à Alep...*98. Ce mouvement fut si puissant que des bandes errantes, parties de Diyar Bakr en Asie Mineure, entraient à Damas en 1758, «en groupes, dévêtus et nu-pieds*9910. Contrairement à l’immigration du XVIIe siècle, qui était essentiellement le fait de minoritaires, ce mouvement était composé de musulmans démunis. Les équilibres confessionnels, sociaux et économiques de la ville allaient en subir la conséquen­ ce. L ’ancienne communauté chrétienne de l’agglomération faisait désormais figure de minorité citadine privilégiée. L ’exode chrétien de la fin du XVIIIe siècle — vers Smyme — et du XIXe siècle vers Beyrouth et les autres villes nouvelles du MoyenOrient allait renforcer ce déséquilibre sans que nous puissions encore avancer de chiffres. Les premières estimations fiables du XIXe siècle — 100 à 110 mille d ’habitants — étonnèrent les contemporains, et ils en conclurent à une baisse, impensable, de la population, qui serait passée de 200 mille en 1790 à 100 mille en 1830!1#0. Guys, qui XVIIIe

97. I ' abbAh , T là m , op. cit., t. 3. p. 359. 98. Ibid., p. 380. 99. M. B urayk , Tàrih al-Sont, Histoire de Damas ( 1720-1782), édité p a r Constantin al-Bacha, Harrissa.1930, pp. 58-59. Nous le citerons ultérieurement par: Tàrih. 100. J.-C. D avid , Le paysage urbain d ’A lep, thèse pour le doctorat du 3e

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considère déjà la ville avec la commisération d ’un Européen de la Révolution Industrielle, en arrive à penser «qu’elle n ’était plus que le quart de ce qu’elle était*101. Ici, comme à Paris et dans toutes les grandes villes, dès que l’outil statistique moderne intervient, les chiffres fondent d ’euxmêmes, et les cités apparaissent comme moins prestigieuses mais plus réelles. Tous les chiffres du XIXe siècle sont faibles pour Alep, désespérément faibles: 100 mille en 1870, 107 en 1881 et enfin 127 mille en 1890108. Il est vrai qu’Alep connut, tout au long de ce siècle, un grave malaise économique qui se concrétisa par un déclin prononcé de la production artisanale traditionnelle et par d ’intenses crises confessionnelles. La ville perdit ainsi, en partie, son attrait pour les populations rurales en mal d ’émigration et une fraction de ses. propres habitants au profit des centres nouveaux. Nous ne saurions estimer l’importance de cette hémorragie qui remontait à la fin du XVIIIe siècle103 — et qu’aggravait la crise confession­ nelle —, mais elle devait être assez importante. D ’ailleurs Alep fut profondément touchée par les épidémies de peste et de choléra104. Quoi qu’il en soit, il est impensable que cet exode ait pu réduire la population de la ville de moitié en deux ou trois décennies. Plus raisonnablement, nous estimons que l’émigration a pu compenser l’apport rural — qui se faisait moins important à partir de 1840 — et réduire le poids démographique de la ville de 20 à 30% dans la plus acceptable des hypothèses. Alep, comme nous le verrons en étudiant l’habitat, présente

Cycle, Université de Lyon, II, 1972, f. 32. Nous le citerons ultérieurement par: Alep.

101. Ibid., p. 28. 102. A.R. H am ide , L a ville (FAlep, Etude de géographie urbaine, Paris, 1959, p. 150. Nous le citerons *ultérieurement par: Alep. et: V. C u in e t , L a Turquie d'Asie — Géographie adm inistrative, t. II, Paris, p. 1891. Nous le citerons ultérieurement par: Turquie. 103. B urayk, Târih, op. cit., p. 60. 104. D. C hevallier, «Les communautés non musulmanes dans les villes arabes», Communication présentée en juin 1978 au colloque tenu à l’université de Princeton, f. 5. Nous le citerons ultérieurement par: «Communautés».

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au XVIIIe siècle une densité anormalement élevée pour une ville horizontale. Sur ses 300 à 320 hectares effectivement bâtis à la fin du siècle, la densité devait atteindre, et même dépasser, 400 hab. /ha. Un calcul rapide donnerait un chiffre de 120 à 130 mille habitants qui cadre avec l’évolution de l’agglomération. André Raymond, pour sa part, estime la superficie de la ville à 350 hectares au XIXe siècle, et sur la base d ’une densité de 500 hab. /ha, aboutit à une population totale de 175 mille. Remar­ quons que ce n ’est qu’à la veille de la seconde Guerre Mondiale que la métropole allait atteindre un tel chiffre et ce sur une superficie incomparablement plus importante105106. # ♦

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Partie d ’un niveau démographique moyen de 60 mille habitants au début de la domination ottomane, Alep subira une certaine fluctuation dans sa population au XVIe siècle, avant de connaître une hausse lente qui lui permet d ’aborder le XVIIIe siècle avec 80 à 85 mille habitants. Cette période de l’évolution de la ville se caractérise par une forte immigration rurale due, principalement, à la situation politique et économique de la Syrie du Nord. Damas Les remarques générales valables pour Alep s’appliquent à Damas. La ville connut cependant un destin assez différent de celui de sa rivale du Nord: sa crise se déroula au XVIIe siècle, les deux siècles suivants furent, sinon florissants, du moins clé­ ments. D ’aspect moins engageant q u ’Alep, elle impressionna peu les voyageurs. Ainsi Chesneau, en 1549, la juge peu peuplée et mal bâtie, et, en effet, elle ne devait pas avoir belle allure à cette époque106.

105. R aymond , Population , op . cit. , p. 190. 106. G. d ’A ramon , Pièces fugitives pour servir à l’Histoire de France ( X V I e siècle), Paris, s. d., p. 42.

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Les voyageurs du XIVe et du XVe siècle lui donnaient 100 mille habitants107, chiffre trop fort par comparaison à ceux que fournissent les sources fiscales ottomanes utilisées par Barkan, Bakhit et SâhilT. La comparaison de ces données montre une évolution démographique en dents de scie, qui reflètent aussi bien des changements réels que des variations dans l’efficacité de l’administration étatique. Par unités familiales, la situation de Damas serait la suivante108: 1520-30 1543 1548 1569 1595 1597

(a) (b) (b) (b) (a)

(c)

10423 8277 9339 8621 7778 7559

(a): Barkan; (b): Bakhit; (c): Sàhilî.

SâhilT donne pour sa part les détails du recensement de 1597: — — — — — —

Familles musulmanes: Célibataires musulmans: Familles chrétiennes: Célibataires chrétiens: Familles juives: Célibataires juifs:

6741 1451 0798 0264 0020 06

Soit, d ’après la même méthode utilisée pour Alep, un total de 52 mille habitants. Après les fluctuations du XVIe siècle, le XVIIe n ’apporta pas, semble-t-il, de changements sensibles, mais Damas devait au 107. I. L a pid us , Muslim cities in the later M iddle Ages, Harvard, 1967, p. 79. Nous le citerons ultérieurement par: Muslim. 108. B arkan , Recensement, op. cit., pp. 12-21. — SAç il T, Tagayyur, op. cit., f. 6. — La these d'Adnan Bakhit est encore inédite; les présents chiffres sont cités par: C o h e n , Population, op. cit., p. 20.

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siècle suivant sortir de sa léthargie économique et urbaine. Le XVIIIe fut le grand siècle de la ville qui se développa rapidement et attira vers elle un exode rural moins fort, mais plus régulier que celui d ’Alep. Enfin, elle ne connut pas, avec le XIXe siècle, une crise aussi intense que celle de sa rivale du Nord. Gibb, reprenant les chiffres des voyageurs lui accorde 100 mille âmes à la fin du XVIIIe siècle, Volney, à la même date, avance 80 mille habitants10®. C’est probablement entre ces deux estima­ tions qu’il faut chercher la vérité. Quoi qu’il en soit, et après le puissant développement de la période 1840-1914, Damas abor­ dait notre siècle avec 140 à 150 mille habitants109110. Les petites villes: l’exemple de Hama L ’évolution des petites villes fut encore plus saccadée. Nous aurons l’occasion, en les étudiant, de poser le problème de leurs histoires démographiques, mais nous illustrerons cependant, maintenant, cette question par le cas de Hama, qui n’est pas aussi exceptionnel que nous pourrions le croire de prime abord. cAbdil Wadûd Bargüt a eu la patience de compter les mariages attestés dans le registre du tribunal de Hama pour l’année 1581 ; il y releva 120 mariages11112. Ce décompte, que nous n ’avons pas de raisons de contester fondamentalement, permet de tenter une estimation de la population urbaine à cette date. A partir d ’un taux de nuptialité de 9 % 0 — dans ce que Pierre Chaunu qualifiait de «système de mariage universel et pubertaire des anciens» —, la ville aurait eu de 12 à 14 mille âmes11*, chiffre qui en faisait la sixième agglomération de Syrie. Cette indication

109. G ib b , Islamic, op. d t ., 1 . 1, pp. 280-1. Et: V olnby , Voyages, op. d t ., t. 2, p. 250. 110. C uinet , Syrie, op. d t ., p. 394. 111. BARöf't, Tärth, op. d t ., p. 77.

112. Ce taux moyen est calculé en supposant que le taux de mariage par génération devait être très élevé; 120 unions exigent une génération de 500 individus, et pour une fécondité de 35°/ooune population de 14 mille âmes. Voir: P. C h a u n u , «Démographie historique et système de civilisation», dans M .E .F .R .M ., 1974, pp. 301-321, p. 312.

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cadre bien avec ce que nous savons par ailleurs de la ville et de son intense activité économique. Mais bientôt, pour des raisons que nous connaissons encore mal, l’agglomération subissait une crise profonde qui se traduira par une forte émigration vers Damas, de la ville elle-même et de son territoire avec la fin du XVIe et les premières années du XVIIe siècle113. La localité garda cependant une certaine prospérité pour les quelques décennies suivantes, et ce n ’est qu’avec le XVIIIe siècle que les voyageurs européens nous envoient l’image d ’une ville en léthargie, avec une population, qu’ils sous-estiment sans doute quelque peu, de 4 à 5 mille âmes. C ’est dans cet état que le XIXe siècle surprendra la ville, réduite à un modeste bourg vivant de l’agriculture11415. Ce qui étonne dans le cas de Hama, c’est que cette population, réduite à la portion congrue, n ’est pas unique­ ment un résidu des anciens citadins, mais a une histoire complexe. Abandonnée au profit d ’autres villes, aux XVIe et XVIIe siècles, Hama reçoit l’apport de populations rurales et bédouines, et avec le XVIIIe le renfort d ’une forte migration, en partie chrétienne, en provenance du Hauran116. L es

zo nes rurales

Si notre documentation est déficiente sur les campagnes, nous n ’en percevons pas moins des mouvements généraux qui permettent de mieux comprendre les tranformations démogra­ phiques de la Syrie Ottomane. Dès que nous abordons l’étude du pays région par région, l’impression de dépopulation se révèle immédiatement illusoire. L ’historien possède l’avantage, par

113. ‘A. W. YOsuf , «B unyat a l-R tf al-fromatoi al-i¿tim á'iyya toaliqtifàcbyya fil-q a m al-sàdis caiar — namádig min qurâh, La structure sociale et économique de la campagne de Hama, Exemples de situations villageoises» dans A .A .S ., 1967, pp. 29-54. Nous le citerons ultérieurement par: R if. Et: al -S a y h A çm ad al -$A b Cn T, Târpf ífa m a , H istoire de H am a, Hama, 1956, pp. 118-120*. 114. C u in e t , S yrie, op. cit., p. 445, donne le chiffre de 4500 habitants. 115. A n o n y m e , «Notes sur la propriété foncière dans la Syrie centrale» dans L ’Asie Française, 1933, pp. 30-137, p. 132, note 1.

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rapport aux contemporains, d ’avoir une vision comparative et à long terme qui lui permet d ’aborder la question dans toute sa complexité. La

f r a n g e c ô t iè r e

Depuis la fin des Croisades, toute la zone maritime de la Syrie était quasiment déserte. Les Mamelouks, par peur d ’un retour en force des Francs qui gardaient Chypre comme poste avancé, avaient, soit déplacé les villes vers l’intérieur — ainsi Tripoli — soit installé des tribus guerrières sur les pentes des montagnes qui surplombent le littoral afín de repousser les incessantes incursions des Chrétiens. Au moment de la conquête ottomane, la frange maritime était encore très peu peuplée et aucune agglomération, à l’exception de Tripoli au milieu de la terre ferme, ne pouvait passer pour une véritable ville. La plaine côtière était vide d ’hommes, et les autorités ottomanes tentaient de la repeupler afín de disposer de points de soutien. Il ne faut pas perdre de vue que toute cette région était encore sujette aux expéditions des Chevaliers de Malte qui descendaient à terre, attaquaient les navires et les convois, et tentaient, à l’occasion, leur chance contre les villes. Les chroni­ ques regorgent de détails sur cette guerre incessante qui devait toutefois s’atténuer avec le temps. N ’oublions cependant pas que les ports étaient encore l’objet d ’attaques des pirates maltais à l’extrême fin du XVIIe siècle114. Même les villes qui devaient devenir florissantes aux XVIIIe et XIXe siècles — comme Sayda, Acre et Beyrouth — n ’étaient que de modestes bourgades au XVIe siècle, ou n ’existaient tout simplement pas encore à l’exemple de Lattakieh et d ’Alexandrette116117.

116. R. P aris, H istoire du commerce de Marseille. Le levant de 1660 à 1789,

t. V', Paris, 1957, p. 395. Nous le citerons ultérieurement par: M arseille. Voir aussi, au début du XVIIe siècle, les impressions de: H. de Beauvan , Relation journalière du voyage du levant f a it et décrit p a r..., Nancy, 1615, pp. 97-104. 117. Pour la côte palestinienne, voir la remarque de Hütteroth: " l i t e five

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C ’est avec le XVIIIe siècle que débute réellement le repeuple­ ment de la côte. Une sécurité, toute relative, régnait dans la région; les échanges avec l’Europe et les autres provinces de l’Empire prenaient une importance nouvelle grâce notamment à l’introduction de cultures commerciales, comme le coton dans le wilayet de Sayda et le tabac autour de Lattakieh. Les ports prospéraient bientôt, Sayda en premier lieu, puis Acre, et aussi Lattakieh — repeuplée à la fin du XVIIe siècle — et enfin Beyrouth. Une occupation plus dense du terrain est perceptible, et le centre de gravité économique, puis politique, de la Syrie se déplace vers le Sud, Damas, et l’Ouest, la côte palestinienne et libanaise. Ce repeuplement a des origines complexes. Beaucoup d’hommes quittant l’intérieur, la ma'müra, pour le littoral, attirés par des régions florissantes et chassés de leurs foyers par l’insécurité et les malheurs de la frange désertique. Des monta­ gnards aussi, descendus de leurs repaires, soit de leur plein gré, comme les Alaouites et les Maronites, soit chassés par l’avance d’autres groupes comme les Chiites du Gabal cAmil. Si nous datons encore mal le début de ces migrations, nous n ’en voyons pas moins les conséquences: la frange côtière de la Syrie présentait au début du XIXe siècle une population incomparable­ ment plus dense qu’elle ne l’était trois siècles auparavant. Les populations montagnardes, quant à elles, semblent jouir d’une vitalité remarquable et nous les voyons exporter des hommes dans toutes les directions. Loin d ’être encore un refuge118, la montagne possède un surplus d ’hommes qu’elle cherche à exporter.

parts (la côte) of the area under investigation were, with the exception of Yäfa, of relative unimportance. Even Akka scarcely showed the traces then of its former importance in medieval times...” ; HOttbroth , Historical, op. cit., p. 97. Et: SApiLl, T a ia yyu r, op. cit., f. 5. — Ba^ it , H oyfa, op. cit., p. 300. 118. La Syrie «se vide vers la montagne libanaise toute proche». M iquel, L ’Islam, op. cit., p. 282. Si des groupes restreints se dirigent encore vers les refuges montagnards, ils ne doivent nullement cacher le mouvement inverse dont l’importance est incomparablement plus grande.

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Les Alaouites La zone alaouite, et ismaélienne, semble souffrir dès le XVIIIe siècle d ’une surpopulation chronique qui se traduit pas une émigration dans toutes les directions. Au Nord, ils s’étendent vers Antioche, où ils ont bientôt un quartier propre, et renfor­ cent leur situation en Anatolie. A l’Est, ils colonisent aussi bien les régions de Homs et de Hama que les frontières de la province d ’Alep119. A l’Ouest, les montagnards occupent la plaine côtière profitant de l’ouverture de cette zone au grand commerce, et ils frappent bientôt aux portes de Lattakieh120. Enfin, vers le Sud, c’est une lente avance qui déborde sur le cAkkâr et aboutit non loin de Tripoli. Les Alaouites étaient eux-mêmes conscients, dès le XVIIIe siècle, de cette extension considérable de leur territoire, puisqu’une chronique alaouite, anonyme, se plaint du manque d ’espaces dans la Montagne, qui oblige la communauté à se battre pour acquérir de nouvelles terres121. Les Maronites Plus au sud, les M aronites connaissent une situation comparable. Confinés au XVIe siècle au nord du Liban, dans la région de Jobbet-Bcharreh, et Batroun122, ils avancent lentement vers le Sud, occupant le Kesrouan, le territoire druze, puis débordant sur la Bekka et la plaine côtière, ils dominent les localités de Batroun et de Gbayl. Les chroniques et les textes permettent de suivre avec une relative précision les étapes de

119. A.R. H amide, L a région d ’A lep. Étude de géographie rurale, Paris, 1959, p. 153. Nous le citerons ultérieurement par: Région. 120. J. W eulersse, Le pays des Alaouites, Tours 1940, pp. 59-60. Nous le citerons ultérieurement par Alaouites. Et: P lanhol , Fondements, op. cit., p. 100. 121. Cette chronique, aujourd’hui perdue, fut utilisée par Kurd cAIî, fju faf, op. cit., vol. 3, p. 275. Les Ismaïliens participèrent aussi à cette expansion. Ils devaient de leur côté, coloniser l’Est de la plaine entre Homs et Hama, autour de Salamiyyé, dès le x u c siècle. V an B erchem , Voyage, op. cit., t. 1, p. 168. P la n h o l , Fondements, op. cit., p. 101. 122. T ouma , Paysans, op. cit., t. 1, p. 18.

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c e t t e e x p a n s io n q u i b o u l e v e r s e la m o n t a g n e l i b a n a i s e 193, p o u r a b o u t ir a u XIXe s i è c l e à u n q u a s i t r ip l e m e n t d e la z o n e d ’e x t e n s i o n d e la c o m m u n a u t é .

Au sud du Mont-Liban, les Druzes ne connaissent pas un destin aussi prospère. Plus engagés dans les luttes politiques, ils subissent les conséquences des expéditions punitives ottomanes qui furent très meurtrières au XVIIe siècle. Se livrant à des combats incessants de factions, une partie d ’entre eux se voit obligée de quitter la Montagne pour la Syrie du Sud qu’ils coloniseront. Dans l’ensemble, la Montagne libanaise connaît donc une très forte expansion démographique, et aborde le XIXe siècle avec une population très dense, incomparablement plus forte qu’elle ne l'était trois siècles auparavant. Les Chiites Dans leôabal cAmil les Chiites connaissent un sort compa­ rable bien qu’il se terminât par une tragédie. La région qu’ils occupent présente au XIXe siècle une densité incomparablement plus forte que celle du XVIe siècle134. D ’incessants mouvements d’immigration apportent à cette communauté le secours de coreligionnaires fuyant des régions moins hospitalières. Ces mouvements de population ont d ’ailleurs laissé des traces jusqu’à nos jours, puisque de nombresues familles portent des noms qui font références à des villages de la Bekka et du Kesrouan. Les pérégrinations de ce groupe furent très complexes; chassés de la Montagne libanaise par l’avance maronite, les Chiites se dépla­ cent vers la Bekka, où ils exercent une incessante pression sur les points de peuplement chrétiens et sunnites de la plaine, avant de s’y sentir à l’étroit et de rejoindre une petite communauté qui1234 123. Description détaillée de l’expansion chez: D. C hevallier, L a Société du M ont-Liban à l’époque de la révolution industrielle en Europe, Paris, 1971, pp. 12-15. Nous le citerons ultérieurement par: M ont-Liban . Voir aussi: Y. al T annürI, Lubnàn, lamaftât f i tàriJfihi tea àtârihi tea usarihi, Compilation généalogique sur les fam illes maronites originaires du Liban-N ord, Jounieh, 1937. 124. HOttbroh, H istorical, op. cit., p. 62.

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habite le Cabal cAmil depuis fort longtemps. Avec le secours de ces nouveaux venus, les Chiites allaient connaître une remarqua­ ble expansion démographique, économique et territoriale — occupation de T yr au milieu du XVIIIe siècle — qui culminera vers 1775 avant la grande répression d ’Ahmad Pacha alö a z z ä r125. La Bekka Plaine ouverte aux bandes nomades, objet de fréquents combats entre les pachas de Damas et les gouverneurs du M ontLiban, subissant l’avance des Chiites vers le Sud et l'Est, la Bekka connaîtra un sort différent. Au XVIe siècle Baalbeck reste la capitale de la plaine, avec, au nord, les deux grosses localités chrétiennes de Ra’s Baclabak et de Qâc. Centre artisanal et commercial actif, la ville a une population principalement chrétienne et sunnite. La situation est très différente au XIXe siècle. Baalbeck a perdu l’essentiel de son rôle au profit d ’une ville nouvelle, Zahlé, où sont venus se réfugier les Chrétiens de la région, bientôt rejoints par des émigrants de la Montagne libanaise. Le caractère sunnite de la plaine est contesté par l’expansion des Chiites, et la ville même de Baalbeck est perdue pour eux. Ce peuplement de la Bekka n ’est pas nécessairement beaucoup plus faible au XIXe siècle par rapport au XVIe ; il pourrait même être plus important, mais moins homogène et plus groupé. Zahlé avec ses 10 à 12 mille habitants en devenait le centre de gravité. • * •

La frange côtière colonisée, les montagnes débordantes d ’hommes, les métropoles plus peuplées, seules les petites villes de l’intérieur et leurs zones semblent avoir stagné ou même

125. De 40 mille vers 1750, les Chiites allaient voir leur nombre se réduire 10*12 mille un moment a u début du XIXe siècle à la suite des troubles politiques persistants de la région. Voir: AE, Correspondance consulaire, Seyde 26, 178A à 1 8 0 \ à

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perdu une partie de leurs populations: «Dans cette zone qui s’ouvre vers l’Orient caravanier et nomade, ... le peuplement rural est beaucoup plus lâche que dans le Liban voisin. C’est le résultat d ’un mouvement qui dure depuis un siècle et demi: depuis que l’oppression fiscale et bédouine a augmenté avec l’affaiblissement du pouvoir ottoman, l’aire cultivée a reculé entre Damas et Alep : l’avance bédouine aurait pu correspondre aussi à une longue période de sécheresse »12#. # *

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Il est tentant, à partir de la population syrienne du début du siècle de remonter dans le temps et d ’avancer un chiffre pour le XIXe et de le comparer aux données du XVIe siècle. Cette méthode régressive, qui part du connu pour aboutir à l’inconnu, est valable à condition de la prendre uniquement pour ce qu’elle est: une estimation qui fixe un ordre de grandeur126127. Encore faut-il avoir un chiffre exact pour le XIXe siècle, ce qui est plus difficile qu'on ne le penserait. En effet tous les résultats des derniers recensements ottomans sont gonflés pour des raisons politiques, et le total qu’en tire le statisticien Cuinet — 2,7 millions — est trop élevé. De même les estimations de Huvelin sont exagérées car il veut forcer la «valeur de la Syrie»128. Moins partisan, Massignon pense que 2,5 millions est acceptable pour le Liban et la Syrie au milieu des années vingt. Il faudrait ajouter à ce chiffre 750 mille pour la Palestine et 180 mille pour la Transjordanie, soit un total de 3,5 millions129, comparable à celui que donnent les services statistiques du Haut Commissaire français au Levant130. XXe

126. C hevallier, M ont-Liban, op. cit., p. 53. 127. B raudel, Civilisation, op. cit., pp. 20-23. 129. P. H uvelin , «Que vaut la Syrie?» Documenta économiques, politi­ ques et scientifique de L ’Asie Française, n° 1, Paris, 1921. Il aboutit à un total de 3,8 millions sans la Palestine, pp. 16-17. 129. L. M assignon, Annuaire du Monde Musulman, édition de 1923, p. 345, et de 1925, p. 334. 130. Publiés par L ’Asie Française, op. cit., 1923, p. 416.

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En comparaison avec d’autres pays dont la situation est assez proche du point de vue sanitaire et démographique, nous serons tentés — compte tenu de la forte émigration syrolibanaise à partir de la fin du XIXe siècle — de tenir un doublement de population comme probable en un siècle181. Sur cette base, la Syrie, de Gazza au Taurus aurait eu 1,7 million d ’habitants vers 1825, chiffre proche des estimations basées sur les registres égyptiens de l’impôt vers 1835: le colonel Campbell «évalua à 327.738 le nombre des contribuables dans les pachaliks d’Alep, de Damas, de Tripoli, de Sayda et de Jérusalem... Ce chiffre est utilisé par Bowring, ..., pour calculer qu’il y a 1.349.446 sédentaires; multiplié par 5, il donne 1.638.690 sédentaires — Guys qui cite les estimations anglaises, porte ce total à 1.791.076 *138. Comparées aux 8 à 900000 habitants comptabilisés par Barkan, ces données montrent un doublement de la population en deux siècles. Après l’accroissement du XVIe siècle «la hausse démographique s’arrête au XVIIe siècle» pour reprendre, sélecti­ vement, au x v i i i *“: «la Syrie rurale a été probablement animée du même mouvement, bien que la population des villes de cette province semble avoir été stationnaire au XVIe siècle... les plaines syriennes se dépeuplent au XVIIIe siècle et durant la première moitié du XIXe siècle*183. L es

n o u v e a u x t r a it s d u p e u p l e m e n t

La conséquence de ces évolutions divergentes — régionales et communautaires — fut une occupation du sol et une situation 132 131. Ainsi l’Egypte serait passée de 4 millions en 1800 à 8 millions vers 1905. La Russie, pour sa part, aurait plus que doublé sa population entre 1800 et 1900 (40 et 100 millions). R ein h a rd , Histoire de la population, op. cit., p. 316. Massignon estime l’émigration syrienne à 220 mille personnes et la libanaise à 130 mille durant les vingt premières années du XJT*-siècle. M assignon , Annuaire, op. cit., 1925, p. 335. 132. C hevallier , Mont-Liban, op. cit., p. 52. 133. Ibid., p. 54. Il semble que la dépopulation de certains secteurs de la province d ’Alep atteignit son intensité maximum vers le milieu du xix1' siècle. H am idé , Région, op. cit., p. 544.

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c o n f e s s i o n n e l l e , a u XIXe s i è c l e , d if f é r e n t e s d e c e q u ’e l l e s é t a ie n t t r o is s i è c l e s a u p a r a v a n t .

Les communautés chrétiennes sont plus groupées, et leur poids dans les grandes villes a relativement augmenté. Certains comportements communautaires spécifiques semblent apparaî­ tre devant les épidémies dans les agglomérations urbaines. Ainsi cette remarque du chroniqueur damascain Burayk : «Cette année (1760) la peste est apparue à Damas, les Chrétiens se cloîtrèrent dans les maisons et les couvents, quelques musulmans firent de même, mais clandestinement, ... tous ceux qui ne se cachent pas durant les pestes se portant tort à eux-mêmes...»134135. Mêmes précautions des chrétiens alépins face au choléra un siècle plus tard, ce qui se traduisit par une proportion de décès moindre136. Les juifs par contre, pour des raisons professionnelles et sanitaires, «souffraient de la peste hors de proportion avec leur nombre*13*. L ’épidémie se déclare toujours à Alep dans le quartier juif et le délivre en dernier lieu. Les minoritaires, principalement dans les montagnes, profi­ tèrent mieux de l’accroissement démographique du pays137, si bien que leur poids relatif augmenta dans la population. Les Sunnites, en tant que communauté, perdirent du terrain sans qu’il nous soit possible d ’avancer un chiffre. Ce recul était suffisamment important pour que Bernard, et à sa suite les partisans du Mandat, puissent affirmer — à peine exagèrent-ils — que les Sunnites ne représentent plus, en 1921, «que 53% du total de la population de la Syrie et du L iban»!138. Les conséquences politiques de ce bouleversement furent très graves pour le pays.

134. B urayk, Tàrth, op. cit ., pp. 70-71. 135. C hevallier, Communautés, op. cit., pp. 5-6, — H alabT, al-M urtâdft tàrth IJalabua Bagdad, Mss., f. 84. - 1. A wra , Tàrth Sulaymân bâta al-'âdil, pp. 181 et ss. 136. R ussell, Aleppo, op. cit., pp. 39-48. 137. Voir le chapitre iv de: C hevallier, Mont-Liban, op. cit., pp. 39-48. 138. A. B ernard , «Les populations de la Syrie et de la Palestine d ’après les derniers recensements» dans les Annales de Géographie, 1924, pp. 73-79, p. 75.

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Plus dense à l’Ouest sur la frange côtière, plus importante dans les villes, concentrée dans de gros villages, plus lâche dans les plaines de l’intérieur, avec des montagnes regorgeant d ’hom ­ mes, la physionomie du peuplement syrien a profondément changé. Le recul des établissements sédentaires de la macmüra est suffisamment important pour que Xavier de Planhol puisse considérer les quatre villes de la Syrie interne — Alep, Hama, Homs, Damas — comme constituant la limite Est du peuplement continu au XIXe siècle139. Ce territoire est, tout compte fait, assez réduit — 80 à 90 mille kilomètres carrés — soit une densité, très inégale, de 20 h /km* avec des pointes exceptionnelles dans la Montagne libanaise140. Le centre de gravité démographique de la Syrie devait se trouver, au XVIe siècle, un peu à l’Ouest de Hama, trois siècles plus tard il faudrait le chercher au Mont-Liban. Le

p o id s d é m o g r a p h iq u e d e s v il l e s

Le poids des villes syriennes dans la population totale nous apparaît, dès l’origine, comme particulièrement lourd, surtout en comparaison avec la situation que connaissaient d ’autres régions du Monde. L ’ensemble des villes méditerranéennes représentait à peine 10% de la population141142, et nous avons affaire à une région de très vieille urbanisation. L ’Europe du Nord présente des proportions sensiblement plus faibles; ainsi dans l’Allemagne du XVIe siècle, seule Cologne dépasse 30 mille habitants, et les «grandes villes* allemandes totalisent à peine 10 mille citadins143. Le taux général pour l’Occident est peut-être de 7% au XVIe siècle143. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que l’Europe Occidentale et Centrale atteindra un taux de 20 à 25% 144. 139. 140. 141. 142. 143. 144.

P la n h o l , Fondements, op. cit., pp. 86-87. C hevallier , M ont Liban, op. cit., p. 48. B raudel , M éditerranée, op. cit., t. 1, p. 390. R ein h a rd , Histoire de la population, op. cit., p. 120. Ibid., p. 119. La France, avec 10 d ’urbain, fait figure à part. B raudel , Civilisation, op. cit., p. 371.

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Pour l’ensemble de l’humanité, les chiffres sont incompara­ blement plus bas, et le domaine de l’Islam fait figure d ’une terre exceptionnellement sur-urbanisée. Ainsi vers 1800, la population urbaine ne présentait dans le Monde «que 1,7%*... et ce n ’est qu’en 1950 que ce taux atteindra 25%145146!. Pour la Palestine du XVIe siècle, le taux d ’urbanisation était de 25% avec un réseau dense de villes moyennes14*, et la région d“ Damas, avec la vieille métropole, atteignait peut-être déjà 30% 147148. Il est possible que la Syrie du Nord ait eu une plus forte proportion de ruraux, mais le développement d ’Alep, qui double sa population du XVIe au XIXe siècle, et l’apparition d ’autres centres comme Alexandrette et Lattakieh devait renforcer sensiblement le poids de la population urbaine. Toutefois, il semble bien que le Nord du pays resta moins urbanisé que le Sud qui jouissait d ’une chaîne serrée de localités urbaines. Les indications de Cuinet, à la fin du XIXe siècle, sont tout aussi suggestives. Il ne dénombre pas moins de 31 villes de plus de 5000 habitants vers 18%, et qui regroupaient 850 mille citadins, soit 25% de la population totale. Plus encore, il relève l’existence de 47 bourgs ayant des fonctions administratives et comptant entre 2 et 4 mille habitants, soit autour de 140 mille âmes. Non seulement nous aboutissons à une proportion de 30% de citadins, mais aussi nous voyons se confirmer la domination des grandes villes. Un demi-siècle plus tard, Thoumin n ’hésite pas à attribuer à la Syrie Centrale un taux d ’urbanisation de 55% 14». *

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Terre très anciennement urbanisée, la Syrie gardera ce caractère, et le renforcera même, à l’époque ottomane par le développement des villes côtières. 145. M. S antos , Les villes du Tiers Monde, Paris, 1971, p. 23. 146. L ew is , Studies, op. cit., p. 487. 147. C hevallier , M ont-Liban, op. cit., p. 53. 148. R. 1' h o u m in . Géographie Humaine de la S yrie Centrale , Tours, 1936. p. 205. Nous le citerons ultérieurement par: Géographie.

LES HOMMES ET LE POIDS DÉMOGRAPHIQUE DES VILLES

87

Les agglomérations urbaines pèsent lourdement sur le pays. Nourrir une aussi considérable population citadine, dans une économie traditionnelle, est une charge écrasante pour la campagne, qui n ’aurait pas pû la porter si les localités urbaines n’étaient pas, elles aussi, des centres de production agricole. Humainement le poids des villes n ’est pas moins lourd. La sur-mortalité des populations citadines prélève un lourd tribut sur les ruraux qui doivent nourrir, sans arrêt, la ville en hommes14*. Pour qu’une ville double sa population en deux siècles, comme ce fut le cas d ’Alep et de Damas, elle devait faire largement appel aux nouveaux venus. L ’agglomération urbaine, en se développant, se ruralise nécessairement, et «le vieux fonds urbain» est un mirage qui se dissipe dès qu’on l’approche.149

149. R einhard , Histoire de la population, op. cit., p. 269. - B raudel, C ivilisation, op. cit., p. 375. - M ousnifr , Paris, op. cit., p. 33. - C hevallier, Communautés, op. cit., p. 6. - P lanhol , Fondements, op. cit., pp. 14-16.

LIV R E 1

HABITAT ET ESPACES URBAINS

CHAPITRE II L ’H A B IT A T A A L E P

U

n e v i s i o n in t e m p o r e l l e

L ’habitat dans les villes arabes, et plus généralement dans tout le domaine de l’Islam, a fait l’objet de multiples études archéologiques et architecturales. Nous possédons ainsi de bonnes descriptions du plan général de la maison arabe, de la fonction de ses divers éléments et de sa décoration. Par leur nature même, ces études ne peuvent donner de l’habitat qu’une vision statique, indépendante de la structure sociale qui le produit à son image et l’utilise suivant ses besoins. L ’archéologue et l’architecte décrivent des bâtiments, ou des ruines de bâtiments, sans pouvoir prendre en considération la relation du groupe familial à son logement, ni, à plus forte raison, l’évolution de cette relation1. De même les travaux actuellement disponibles ne concer­

I. Le travail le plus typique à cet égard est, sans doute, celui de Revault sur les demeures tunisoises à l’issue duquel il consacra quatre admirables ouvrages aux palais de la ville et à ses grandes maisons bourgeoises, considérés en tant que complexes architecturaux situés hors de leur contexte sociohistorique. J. R evault, Palais et demeures de Tunis ( X V I • et X I X • siècles), Paris, 1967 ; Palais et demeures de Tunis ( X V I I I * et X I X * siècles), Paris, 1971 ; Palais et résidences (té té de la région ¿le Tunis ( X V I '- X I X * siècles), Paris, 1974. Les promoteurs de la R.C.P. 232 du C.N.R.S. sur les palais et les maisons du Caire, conscients de l’insuffisance de l’approche architecturale, promettent, dans l’introduction de leur ouvrage, de «dynamiser» leur vision, grâce aux travaux de A. R aymond sur les archives égyptiennes. Voir: J. R evault et B.

92

HABITATS ET ESPACES URBAINS

nent que l’habitat le plus riche, le plus spacieux, et nous serons en peine de décrire le logement des groupes sociaux les plus démunis. Outre le choix délibéré des chercheurs, cette spécifica­ tion, procède d ’une difficulté réelle que les diverses études n ’ont pas pu surmonter. Seules subsistent en effet, dans les villes arabes contemporaines, les demeures les plus solides, les plus belles, donc les plus riches et les plus grandes. Les maisons de torchis et de bois, ou simplement les logement banals, ont disparu depuis longtemps, ne laissant, dans le plus favorable des cas, que des traces de fondations. Les échantillons disponibles ne sont pas représentatifs de l’habitat tel qu’il existait deux ou trois siècles auparavant. Alexandre Lézine, si perspicace d ’habitude, a été, après bien d ’autres, conduit à des généralisations hasardeuses en se basant sur des cas exceptionnels appréhendés en dehors de leur contexte historique et de l’utilisation quotidienne que le groupe social en faisait. Etudiant les bâtiments qui subsistent encore dans la vieille ville de Tunis, et considérant que chaque maison abritait, sans exception, un ménage unique, il en a conclu que chaque famille de cinq personnes, quel que soit son statut social, disposait à Tunis, au XVIIe siècle, d ’une maison ayant 190 m* de superficie en moyenne*. L ’h a b i t a t

e t le g r o u p e f a m il ia l

Il est vrai que l’habitat, concrétisation de la structure sociale de base3, participe de la «longue durée», et qu’une maison, «où

M aury , Palais et maisons du Caire du X V I* au X V III* siècle, 1 . 1, S.L.P., 1975, Publications de l’INFAO. Très récemment Revault a synthétisé ses recherches sur la décoration des bâtiments de l'u n is dans: L ’habitation tunisoise pierre, marbre et fe r dans la construction et le décor, Paris, 1978, édition du C.N.R.S. 2. L ézine, Deux villes d ’ifriqiya, op. cit., pp. 159-169: «En établissant une moyenne globale pour les trois îlots examinés, qui comportent au total 117 maisons, la surface se réduit à 192 m*. » La superficie moyenne calculée par L. Torres Baibas pour Grenade du XIe au XIIIe siècle est de 172 m*; Lézine la réduit à 150 m*, ibid., pp. 123-124. 3. Bourdieu : «L’habitat est la projection sym bolique des structures les

L’HABITAT À ALEP

93

qu’elle soit, dure et ne cesse de témoigner sur les lenteurs de civilisations, de cultures obstinées à maintenir, à répéter»4. Ces constatations sont d ’autant plus exactes dans le cas de la maison arabe qu’elle a manifesté une remarquable permanence des formes en treize siècles de civilisation islamique5. Malgré cela nous sommes en droit de penser que le rapport de la société à l’habitat n ’est pas toujours resté égal à lui-même, immuable, et que le groupe familial a su disposer de la maison suivant l’évolution de ses besoins, de la conjoncture économique et des bouleversements socio-confessionnels. Les crises, et les périodes florissantes, que la société arabe a connues durant sa longue histoire, ont influé sur la maison, non en tant que modèle architectural reconstitué en toutes circonstanplus fondamentales d'une culture*, cité par: J.-C. D avid , *Alep, dégradations et tentatives actuelles de réadaptation des structures uridines traditionnelles*, dans le Bulletin d'Étude Orientales, t. X V III, 1975 (1977), pp. 19-49, p. 19. Nous le citerons ultérieurement par «Dégradations*. 4. B raudel, C ivilisation, op. cit.%p. 200. 5. Le plus ancien habitat arabe étudié est celui de la ville de Fousfâf où des fouilles importantes ont été menées au début du xxar 1167 h / 19 avril 1754. 32. DAS, Alep 72, 24 öum äda al-Awwal 1168 h / 8 mars 1755, ou bien cette autre pièce couverte par quinze poutres aussi et qui a droit à 6 coudées na¿¿ári sur 2 dans la cour de la maison. DAS, Alep 72, 17 öum äda al-Al>ar 1167- h / 11 avril 1754. 33. R. M ousniers , Paris au X V I I e siècle, dans la collection «Les cours de Sorbonne», texte ronéotypé, Paris, 1961, pp. 218-230.

L’HABITAT À ALEP

107

Notre échantillon est évidemment faussé par le fait que les très considérables biens waqfs et frikr-s échappent, par nature, à la circulation des biens. En considération de leur importance, une partie appréciable des biens-fonds de la ville ne faisant pas l’objet de transaction, n ’apparaît pas dans les actes de vente. Cette restriction prise en considération, il n ’en reste pas moins que la propriété foncière est très mobile à Alep au xvm e siècle. A l’un des quatre tribunaux de la ville, celui de Banqûsa, avons compté 89 ventes de maisons pour la seule année 1168 h / 1755*4. Plus significatif encore, 59% des bâtiments faisant l’objet de transactions proviennent eux-mêmes d ’un achat antérieur*8. Les femmes, ayant droit à des parts d ’héritage, participent activement à ce marché immobilier en tant que vendeuses et aussi en tant qu’acheteuses. Sur trois cents actes du XVIIIe siècle, 110 mettent en présence des hommes 166 des hommes et des femmes et 24 des femmes uniquement. De même les transactions se faisaient sans problème apparent entre musulmans et nonmusulmans, et nous avons même relevé deux cas de Vénitiens, résidant dans la ville en vertu du régime des Capitulations (musta’minin), qui étaient propriétaires de maisons88. Deux cent dix-huit actes intéressent des musulmans unique­ ment, les autres impliquent aussi des chrétiens et des juifs, ce qui ne semble pas être le cas dans toutes les villes de l’Empire Ottoman à cette époque3435637.Aucune entrave ne semble avoir existé 34. DAS, Alep 71, année 1168 h / octobre 1754 a octobre 1755. 35. Au XVIIIe siècle; pour le siècle précédent la situation est quelque peu différente comme nous le verrons plus bas. 36. DAS, Alep 19, 23 Gumâda al-Awwal 1035 h / 20 février 1626, par exemple. Il s’agit d ’un certain Faransîs walad Birbidilla al-Bunduql; il possédait dans le quartier d ’al-Gulum al-K ubri la plus chère des maisons étudiées pour le XVIIe siècle. Le nom de ce quartier s’écrit de trois manières: öallüm, Gillüm, et aussi Galüm; pour notre part nous pensons que l’orthographe «Gulûm» est la plus exacte. 37. Comparer, par exemple, avec la situation des Juifs de Tunis à la même période: «A cette époque, les israélites, ne pouvant accéder à la propriété immobilière, devaient se loger dans des maisons appartenant à des musulmans. L ’afflux de nouveaux venus détermina un développement de la demande de

108

HABITATS ET ESPACES URBAINS

pour l’acquisition de biens par des non-musulmans; bien plus encore dans un acte il s’agit d ’une maison chrétienne exonérée d ’impôt, à l’exemple de certaines maisons de ïarïf-s38. La parcellisation de l'habitat L ’Alépin était généralement propriétaire de son logement. Constatation banale, mais qui devait peser lourdement sur les comportements sociaux. Construire une maison, ou en acquérir une, a toujours représenté un grand investissement difficile à assurer surtout en période de crise économique ou de forte pression démographi­ que. Alep, au XVIIIe siècle, connaissait une situation de déclin commercial, et peut-être déjà artisanal aussi, qui coïnciderait avec une puissante immigration rurale. La conjugaison des effets de ces deux phénomènes fut très grave sur l’habitat qui se dégrada rapidement par un morcellement des bâtiments, qui furent partagés entre plusieurs familles. Le partage se faisait juridiquement, de deux façons; soit qu’une personne ait droit à une part indivise, $à’i(a (4 /24, 6 /24, etc...) sur l’ensemble d’une construction, soit que le micmàr bàSt procède à une parcellisation formelle89, légalisant le partage de fait. Il arrivait aussi qu’une habitation déjà parcellisée appartienne à plusieurs propriétaires, lesquels avaient des droits indivis sur elle. Ainsi cet appartement comprenant une pièce et une partie de la cour représentent 5 /24 d ’une habitation sise dans le quartier de Tâtârlar40. D ’autres cas sont plus complexes à l’exemple des deux cas suivants choisis dans le même registre: «La part indivise s’élevant à quatre qaràrif de la maison estimée à huit qaràrif » dans le quartier d ’alFarrâyTn et «la totalité de la part indivise s’élevant à quatre qaràrif de la maison estimée à dix-sept qiràt-s divises de la logements sans que l’offre s’élargit ». P. S ebag , L ’évolution d ’un ghetto N ordAfricain, la H ara de Tunis, Publication de l’Institut des Hautes Études de Tunis V, Paris, 1959, p. 13. 38. DAS, Alep 72, 20 Ra¿ab 1167 h / 13 mai 1754. 39. « al-dàr al-m ufraza bil-qisma». 40. DAS, Alep 72, 25 Gumäda al-Tânï 1167 h / 19 avril 1754.

L’HABITAT À ALEP

109

maison de vingt -quatre qtràf-s» du Zuqàq al Tabla à l’extérieur de la Porte de la Victoire41. Les dimensions des bâtiments ne sont jamais spécifiées dans les actes, ce qui devait compliquer fortement la formalité de parcellisation des bien-fonds. Un procédé de délimitation des logements est quelquefois utilisé dans les actes; il consiste à préciser le nombre de poutres soutenant le plafond de l’habita­ tion. Le nombre de ces poutres, varie de quinze à un maximum de quarante-deux à l’instar de cette salle située dans le quartier de Akrâd al-Balat42. La longueur de ces pièces de bois est évidemment fonction des troncs d’arbres utilisés, principalement des pins et des peupliers dans le cas d ’Alep. Sur la base d ’un écartement moyen d ’un mètre et de 2,5 mètres de long, la présente salle dépasse 105 mètres carrés, tandis que les logements de 15 poutres mentionnés auparavant ne devaient pas atteindre 38 mètres carrés43. Si la parcellisation des bâtiments devait les rendre plus accessibles, le prix des logements était encore assez important, et fallait-il encore pouvoir financer l’achat d ’un appartement, d ’où la pratique de ventes à crédit à l’exemple de cette maison vendue à condition d ’être payée graduellement sur deux années et demie44. Les locations Généralement propriétaire, l’Alépin louait peu. Dans les registres dépouillés nous n ’avons relevé qu’une dizaine de location. Une restriction doit être signalée tout de suite; les locations de logements misérables à des paysans récemment venus de la campagne ne devaient pas être enregistrées auprès

41. Ibid., 14 et 18 Ragab 1167 h /7 et 11 mai 1754. 42. DAS, Alep 71, 27 R abí' al-Ahar 1167 h / 21 février 1754. 43. Dans d ’autres régions de Syrie, la longueur des poutres dépassait rarement 1,5 mètre, à l’exemple des poutres de basalte utilisées au Djebel Druze. Voir J.P . D ufourf , «La maison rurale au Djebel Druze* dans la Revue de Géographie de Lyon, 1951, n° 26, pp. 411-421, p. 413. 44. DAS, Alep 72, 26 Ó um ida al- ta ñ í 1167 h / 20 avril 1754.

no

HABITATS ET ESPACES URBAINS

des Tribunaux de la ville, et les quelques exemples rassemblés portent tous sur des maisons relativement importantes. Quoi qu’il en soit le marché de la location non-hôtelière (khans, qayfariyya, etc...) devait être assez restreint. Les baux se faisaient normalement pour une durée de trois ans avec un loyer fixé d ’avance et payable mensuellement. Les loyers sont relativement modérés comme le montre le cas de cette maison du quartier d ’al-Maââfiyya louée pour 12 piastres par an alors qu’elle devait valoir près de 200 piastres4546. Nous relevons des locations dans les diverses parties de la ville que ce soit dans le quartier populaire des Farrâyïn ou celui, plus riche, de Qalcat al-Sarïf au centre de la ville46. L ’acte de location de cette dernière maison est un bon exemple des règles en vigueur, il y est en effet spécifié que la maison est louée «pour 99 piastres à raison de 33 piastres par an soit 2 piastres 3 /4 par mois, à condition que le locataire paie mois par mois.. *47 L'impôt foncier Nous savons peu de choses sur le système de l’impôt foncier dans les villes ottomanes, tout au plus quelques indications éparses et souvent contradictoires, et malheureusement, les actes de vente de biens fonds ne donnent eux aussi presque pas d ’indications à ce sujet et les registres des tribunaux, que nous avons consultés, ne nous éclairent pas davantage sur ce problè­ me. En attendant d ’autres textes plus explicites nous en sommes réduits à formuler des hypothèses. Il ressort d ’un passage, obscur, de Hammer, que l’administration impériale prélevait, antérieurement à 1621, une taxe foncière de base doublée d ’une taxe extraordinaire ( catvàri4) d ’un montant égal. A la suite des désordres politiques et économiques de la période 1620-1630 l’impôt foncier extraordinaire augmenta fortement et chaque

45. DAS, Alep 72, Gumida a l-ta n ï 1167 h / 15 avril 1754. 46. DAS, Alep 19, 26 Gumâda al-Awwal 1036 h / 12 février 1627. Cette maison est louée pour six piastres atadi- s. 47. DAS, Alep 73, 23 Gumida al-Awwal 1169 h / 24 février 1756.

L’HABITAT A ALEP

111

maison payait «trois cents aspres d ’awariz ou impôts extraordi­ naires *48495012. Pour sa part le chevalier d ’Arvieux précise en ce qui concerne la première taxe que «ce droit se paye chaque année, à raison de tant par Kanné qui est une mesure de vingt pas en quarré*48. Faut-il en conclure que l’impôt foncier de base était calculé d ’après la superficie des bâtiments et que l’impôt extraordinaire prélevé au profit du trésor impérial «cawàriçl sulfániyya*, était forfaitairement réparti sur les habitations des villes? Nous savons, d ’autre part, que des catégories sociales étaient dispensées de l’acquittement de cet impôt, à l’exemple de groupes militaires et de certaines familles de iartf-s, ce qui fausse d’ailleurs quelque peu l’estimation de la population sur la base de la perception de l’impôt. Une dizaine uniquement des maisons vendues à Alep est totalement éxonérée de l’impôt foncier extraordinaire, à l’instar de cette demeure du quartier al-Abräg60. Plus souvent l’impôt foncier est réduit d ’un tiers61, des trois quarts, ou bien calculé sur la base minimum (al-adna min al-cawàri4 al-sulfániyya)si. Nous déduisons des quelques exemples cités que la taxe foncière devient, à partir d ’une date que nous serons en peine de préciser, fonction du bâtiment et non de la qualité de ses occupants. La réduction de l’imposition fut transmise alors avec le bien-fonds et devait influer sur le prix de vente de celui-ci. Les familles éxonérées de l’impôt foncier ne semblent pas, d ’après nos textes, jouir de qualités précises ou de statuts particuliers, à

48. J.V. H ammer -P urgstall, H istoire de l’Empire Ottom an, traduit par J.J. Heilert, 18 volumes, Paris, 1835-1845, vol. 8, p. 362. 49. D ’arvibux, Mémoires, op. cit., vol. VI, p. 438. Dans l’article cAtoàrid de V E .P ., H. Bowen ne traite pas des taxes exceptionnelles imposées aux habitations. Il signale toutefois qu’à partir du xvnc siècle la perception des l m oàri4 n ’était plus occasionnelle mais assez régulière, op. cit., t. 1, p. 783, col. 2. 50. DAS, Alep 71, 9 Sawwäl 1168 h / 19 juillet 1755. 51. DAS, Alep 52, 23 Gumlda a l-la n ï 1167 h / 17 avril 1754. 52. DAS, Alep 72, 20 Ra¿ab 1167 h / 13 mai 1754.

112

HABITATS ET ESPACES URBAINS

preuve de la mention de chrétiens parmi les propriétaires de maisons connaissant un régime de faveur. Nous conclurons, provisoirement, de ces quelques considé­ rations, que les bâtiments urbains payaient une taxe régulière calculée proportionnellement à leurs surfaces, et acquittaient une contribution extraordinaire, principalement en cas de guerre, répartie forfaitairement, avec des exonérations et des réductions suivant la qualité des occupants des lieux. Avec le temps ces privilèges fiscaux devinrent fonction du statut du bien-fonds et non de son propriétaire.

L e problème des prix

L ’étude du prix des habitations et des constructions se heurte à des problèmes méthodologiques que nous n ’avons pas réussis à résoudre d’une manière tout à fait satisfaisante. Q u’il s’agisse des difficultés relatives à l’érosion monétaire entre le xvne et le xvme siècle et à l’intérieur des périodes étudiées, ou bien du doute qui entache certains prix déclarés, nous nous devions une extrême prudence dans la manipulation des chiffres. La taxe — assez légère somme toute — prélevée par le tribunal devait inciter les contractants à modérer les montants enregistrés dans les actes. Mais cet intérêt à abaisser les prix était contrebalancé par la peur que ne s’exercent sur le bien échangé les droits de préemption et de retrait en faveur des voisins, contigus ou non, en raison des multiples servitudes communes (égouts, puits, passages, murs mitoyens) existantes dans les villes arabes. Cet intérêt et cette crainte devaient agir, dans la pratique quotidienne, dans le sens d ’une sur-estimation de la valeur des biens, surtout dans le cas de dévolution de droits entre proches parents, où le prix déclaré est manifestement exagéré. Ce même phénomène, agissant au XVIIe et au XVIIIe siècle, ne fausse pas trop la comparaison de la moyenne des prix en vigueur, mais il confère à l’habitat une valeur absolue que nous devons minorer quelque peu.

L’HABITAT À ALEP

113

L ’érosion monétaire L ’érosion monétaire fut considérable dans l’Empire O tto­ man entre les deux dates extrêmes de notre échantillon (1625 et 1755), ce qui fausse toute comparaison en prix nominaux. Nous ramenons donc les sommes à des valeurs corrigées pour éliminer autant que possible la dépréciation de la piastre en tant qu’unité de référence et d ’expression des prix. Les unités monétaires utilisées dans nos actes sont la piastre d’argent dite du lion (gurí fiçlçli asadt) au XVIIe siècle, et la nouvelle piastre sultanienne ( al-gurí al-sulpanf al-¿adtd) au XVIIIe siècle. Certains textes, de la même période, utilisent aussi, plus rarement d ’ailleurs, la piastre dite zalafa (gurí zalata). Nous avons en conséquence calculé tous les prix relevés au xvme siècle en fonction de la nouvelle piastre sultanienne sur la base moyenne d ’une zalafa et quart pour une piastre sultanienne53. Nous avons, d ’autre part, omis de prendre en considération l’inflation à l’intérieur des deux périodes comparées, la considé­ rant comme négligeable dans l'ensemble des résultats obtenus, d’autant plus qu’elle est corrigée par le calcul de prix moyens pour chacun des intervalles couverts par les registres dépouillés. Enfin pour les biens-fonds parcellisés nous avons extrapolé une valeur théorique totale de la construction d ’après le prix et l’importance du logement vendu. Cette manipulation nous permettra de procéder à des comparaisons que le morcellement différentiel des propriétés n ’autorise pas.

53. Sans entrer dans des considérations sur les problèmes monétaires de l’Empire Ottoman, précisons que la piastre asadt ou arsalâni, correspond à l’écu de Hollande à l'effigie du Lion. Il fut très usité jusqu’au milieu du XVIIe siècle dans tout le Levant, mais la dépréciation de sa valeur absolue en argent fit qu’on l’abandonna progressivement. La zalata est d ’origine polonaise; son usage se rétrécit avec le XVIIIe siècle et elle disparut bientôt. Pour l’ensemble de ces questions, voir: A. al -K armali, al-Nuqüd a l-carabiyyat les monnaies arabes, Le Caire, 1939, pp. 175 à 184. Et R. M antean , Istanbul dans la seconde moitié du X V I I e siècle. Paris, 1962, pp. 233 à 246.

114

HABITATS ET ESPACES URBAINS

I. Prix, en valeurs nominales, au X V I P siècle (piastres asadf-s) A) Transactions effectives: Nb

— — — —

de 20 à 59 de 60 à 149 de 150 à 330 indéterminées

121 042 024 013

% 60 21 12 07

200

La valeur moyenne des opérations effectuées s’élève à 85 piastres, et leur valeur totale est de 15 895 piastres pour 187 actes. La plus petite transaction est de vingt piastres et porte sur une maison de ôudayda, le quartier chrétien ; la plus importante concerne une maison d ’al-Culüm al-Kubrâ et atteint 300 piastres ; c’est aussi la valeur théorique la plus élevée pour une maison du XVIIe siècle64. B) Valeurs théoriques des bâtiments: — — — —

de 20 à 59 de 59 à 149 de 149 à 330 indéterminées

Nb

1O

111 043 030 016

55 22 15 08

200

La valeur moyenne théorique d ’un bâtiment est de 94 piastres asadf-s.45

54. DAS, Alep 19, 23 öum ada al-Awwal 1035 h / 20 février 1626, et 10 Ramadan 1046 h / 5 février 1637.

L’HABITAT

à

115

ALEP

II. Prix, en valeurs nominales, au X V I I I e siècle (piastres sultaniermes). A) Transactions effectives: — — — —

de 10 à 119 de 120 à 299 de 300 à 2500 indéterminées

Nb

X O

184 078 034 004

61 26 11 01

300

La valeur moyenne des transactions effectuées s’élève à 140 piastres et le total des opérations à 41 327 piastres pour 296 actes. La plus petite opération est de 10 piastres66 et la plus importante est de 25006*. B) Valeurs théoriques des bâtiments: — — — —

de 10 à 119 de 120 à 299 de 300 à 2580 indéterminées

Nb

V

086 128 078 008

28 43 26 03

O

300

La plus forte valeur théorique d ’un bâtiment est de 2580 piastres67. La valeur théorique moyenne est de 258 piastres. La comparaison de ces tableaux permet de dégager les points suivants:567 55. Une pièce dans une maison de Gulûm al-^ugrä, DAS, Alep 71, 14 öum äda al-A^ar 1168 h / 28 mars 1755. 56. Une demeure du quartier de Farâfira, DAS, Alep 71,15 Ragab 1168 h / 27 avril 1755. 57. Quartier de Hamza Bayk, DAS, Alep 72, 10 Gumâda al-’Î ’ânî 1167 h / 4 avril 1754.

116

HABITATS ET ESPACES URBAINS

a) Au xvii6 siècle, la valeur des transactions effectives est très proche du prix moyen théorique d ’un bâtiment d ’habitation (85 et 94); ce qui est loin d ’être le cas au siècle suivant où nous avons respectivement 140 et 258. Cette forte différence s’expli­ que par la parcellisation des propriétés au xviii0 siècle contraire­ ment au siècle précédent. b) Entre la plus petite transaction au XVIIIe siècle et la plus importante, le rapport est de 1 à 250; il est de 1 à 17 entre la valeur moyenne et le prix maximum (140 et 2500). Au XVIIe siècle ces rapports n ’étaient que de 1 à 16 dans premier cas et de 1 à 40 dans le second (85 et 330).

le

c) Les prix nominaux augmentent fortement durant la période considérée; mais s’agissant de piastres différentes et vue l’importance de l’érosion monétaire durant ce laps de temps, nous devons impérativement corriger ces chiffres avant de les utiliser dans une éventuelle comparaison. Manipuler des prix est une manœuvre délicate, toujours arbitraire, où il faut prendre certaines précautions, d ’autant plus que la valeur intrinsèque des monnaies a varié considérablement et que l’unité de référence n’est plus la même. Le procédé de correction basé sur les cours respectifs de l’aspre et du para par rapport à des monnaies-étalons jugées comme particulièrement stables est trop aléatoire sur une aussi longue période. Nous avons préféré avoir recours à l’évolution du prix d ’une denrée de base, le pain, tout en sachant pertinem­ ment que son prix a augmenté en valeur absolue, car finalement l’unique étalon permettant de comparer la valeur d ’unités monétaires si différentes est leurs relations au prix des produits indispensables de subsistance. Dans le cas présent nous avons opté pour le rapport de 1 à 2 entre la piastre asadï et la nouvelle piastre sultanienne Car la dépréciation du pouvoir d ’achat de la piastre, en tant qu’unité monétaire, sur la base de l’évolution du prix du pain, est de 50% en 125 ans. Au début du xvne siècle, le prix moyen d ’un

L’HABITAT

à

ALEP

117

k ilo d e p a in c it a d in é t a it d ’u n s o i x a n t e - q u i n z i è m e d e p ia s t r e , a u m i l i e u d u XVIIIe s i è c l e il s ’é l è v e à u n q u a r a n t iè m e d e p ia s t r e 58.

Si nous adoptons ce rapport de 1 à 2, il apparaît que l’importance moyenne des transactions a baissé de 17% (85 contre 70 piastres corrigées); par contre la valeur totale théorique des constructions a fortement augmenté en passant de 98 unités à 129 unités. Le prix moyen d ’une maison aurait augmenté de 30% d’un siècle à l’autre. Ces deux mouvements contraires, hausse de la valeur des bâtiments et baisse du volume des transactions, s’expliquent par une dégradation du logement; le prix de l’habitat a augmenté fortement, mais la somme disponible pour cet investissement a baissé. Les chiffres donnés ci-haut sont fragiles et prêtent le flanc à la critique; toutefois ils expriment une réalité qu’il est possible de forcer ou d ’amoindrir en affinant les calculs mais c’est une tendance indéniable que nous devons prendre en considération. Pour illustrer les prix cités, nous préciserons que la valeur d’une maison moyenne représentait la contrepartie de 5 tonnes de blé59 et qu’il fallait à un manœceuuvre travailler 1400 jours pour acquérir une maison, et 750 journées pour acheter un logement. Les bâtiments à destination économique représentaient aussi un investissement très lourd, et les loyers, pas-de-portes et prix des boutiques sont remarquablement élevés. Ainsi le loyer d ’une échoppe de barbier dans le faubourg de Banqüsa est de 3 piastres sultaniennes et demie par mois soit 42 par an60; de même le pas-

58. A raison de 2 paras et demi en moyenne pour le rafl de pain blanc citadin ( kmàg) dans des conditions naturelles de ravitaillement. D ’après les calculs d ’André Raymond sur la dépréciation séculaire de la valeur intrinsèque du para égyptien, nous aurons un rapport de 1 à 0,48 entre la piastre a sadï et la piastre sultanienne, soit une réduction de valeur réelle de 52%; voir à ce sujet sa table du «Taux de correction du para entre 1624 et 1798*, t. 1, p. Liv. A. R aym ond , Artisans et commerçants au Caire au X V I II * siècle, 2 tomes, Publications de l’Institut Français de Damas, Damas, 1973. 59. Sur la base d ’un prix moyen de 26 piastres sultaniennes par mahkük alépin de 0,6 tonne. Nous avons réduit de 10% la valeur des constructions pour tenir compte de la sur-déclaration du prix des maisons. 60. DAS, Alep 72, 5 Sa'bän 1167 h / 29 mai 1754.

118

HABITATS ET ESPACES URBAINS

de-porte (al-fyiluw al-Sarct) d ’une autre échoppe de barbier dans le même quartier est de 500 piastres sultaniennes*1. Enfin le prix d ’un grand bâtiment pouvait approcher dix mille piastre sulta­ niennes, à l’exemple du bain du Süq al-ÿazl près de la mosquée de Banqüsa82. Précisons, enfin, qu’il n’est pas possible de déceler une valorisation des maisons intra-muros par rapport aux construc­ tions des faubourgs. Le prix des logements semble être beaucoup moins fonction de leurs emplacements que du nombre de pièces qu’ils comptent, et surtout de la richesse de leurs décorations. En effet, dès qu’une habitation possède un itoân ou une qdca banqùsiyya , son prix a tendance à augmenter fortement, car la décoration de ces pièces nécessite un long travail d ’ouvriers qualifiés. É vo lutio n de l ’habitat du xvii° au xviii*' siècle

La dégradation et la parcellisation des constructions d ’Alep au XVIIIe siècle par rapport au XVIIe siècle sont des faits tangibles que l’on rencontre à chaque page des registres. Vers 1755, l’habitat connaissait une situation nouvelle, où les appartements sont plus exigus, les transactions plus fréquentes, les prix plus élevés. Nous constatons une surdemande de logements à laquelle ne peut répondre la construction de nouvelles habitations. La conséquence de cette pression démographique est le fractionnement du logement existant. La crise économique rend les investissements nécessaires à l’extension de la surface bâtie, plus lourds encore que par le passé dans une ville où l’activité commerciale, génératrice de gros bénéfices, est exangüe. La solution immédiate est alors de partager entre plusieurs familles les maisons disponibles; mais cette parcellisation des bâtiments exigeait aussi que les anciens occupants soient eux-mêmes touchés par la crise pour accepter cette cohabitation. Ce ne sont pas uniquement les nouveaux venus de la campagne qui connais-612 61. DAS, Alep 72, 21 ôum âda al-'tan! 1167 h / 15 avril 1754. 62. DAS, Alep 72, 20 Öumäda al-T in! 1167 h / 14 avril 1754.

L’HABITAT

à

ALEP

119

sent de mauvaises conditions de logement mais aussi les populations plus anciennement citadinisées. Cette parcellisation des bâtiments a dû, aussi, être accélérée par la disparition graduelle des espaces libres à l’intérieur des murs de la ville, ce qui rendait la construction de nouvelles maisons plus onéreuse. Le cas de Bahsïtà Le palliatif à la crise du logement que constitue le partage des habitations n ’était pas nouveau pour Alep au xvme siècle. Sauvaget avait déjà constaté un phénomène comparable à la fin du XVIIe siècle, mais il a cru que cet expédient était limité au quartier populeux de Bafrsîtâ. En effet, il constata que de 1570 à 168393, le nombre des maisons avait fortement augmenté dans les quartiers d ’Alep636465; mettant cela naturellement sur le compte d’une extension de la zone bâtie dans les quartiers périphériques de la ville, Sauvaget n ’arrive pas à s’expliquer comment le quartier de Bahsïtà, enserré par l’enceinte de la ville, a vu ses maisons passer de 260 à 477 en 113 ans. Il donne alors à ce problème la seule explication plausible: «un morcellement de la propriété demeure ainsi la seule explication possible »#5. Il semble, toutefois, que ce morcellement ait été encore limité au XVIIe siècle à certains quartiers## et n’atteignait pas l’ampleur 63. Comparaison d ’un dénombrement ottoman du XVIe siècle avec les chiffres cités par le Chevalier d ’Arvieux (A rvieux, Mémoires, op. cit., VI, p. 435). 64. «Entre 1570 et 1683, le quartier d ’al-M arcachi passe de 42 à 220 maisons, celui des Jardiniers de 42 à 214, celui d ’el-Almadji de 89 à 161...», A lep, op. cit., p. 225. 65. Ibid., p. 225, note 852.De fait, le seul cas de parcellisation légalisée que nous avons relevé pour le XVIIe siècle porte sur un bien-fonds de Bahçïtâ, ce qui autorise à penser que le morcellement est déjà ancien dans ce quartier miséreux. DAS, Alep 19, 6 Rabîc al-'tan î 1046 h / 7 septembre 1636. 66. D ’Arvieux remarque «qu’il n ’y a dans chaque maison qu’une famil­ le... » à Alep vers 1683; mais sans pour autant que nous puissions savoir ce qu’il entend par «famille». Cette remarque devait tout de même correspondre à la réalité de l’ensemble de la ville à la fin du XVIIe siècle. La dégradation décisive de l’habitat ne daterait-elle que du début du XVIIIe siècle? D ’arvieux, Mémoires, op. cit., VI, p. 422.

120

HABITATS ET ESPACES URBAINS

qu’il aura un siècle plus tard; sans pour autant que nous puissions avancer encore une date initiale à ce phénomène. De futurs travaux sur la période 1670-1685 nous permettront d ’être plus affirmatifs à ce sujet.

Classification des transactions L ’examen des résultats du dépouillement des actes de vente, du point de vue de l’importance de la part du bâtiment mise en vente, est très éclairant sur l’évolution de la situation entre 1625 et 1750. Pour les actes du xvii° siècle, la classification des transac­ tions d ’après ce critère est la suivante: Nb

— Parts — Parts — Parts — Parts — Parts

plus petites que 6 qaràrif comprises entre 6 et 12 qirâf-s comprises entre 12 et 23 qirâf -s de 24 qirâf-s (maisons entières) indéterminées

22 27 17 123 11

11 14 8 62 4

200

U n siècle et dem i plus tard, cette classification subit une transform ation radicale, la proportion des petites parts augm ente sensiblem ent dans les transactions:

— Parts plus petites que 6 qaràrif — Parts comprises entre 6 et 12 qirâf-s — Parts comprises entre 12 et 23 qirâf-s — Parts de 24 qirâf-s (maisons entières) — Parts indéterminées

Nb

)O

71 66 61 98 4

24 22 20 33 1

300

121

L’HABITAT À ALEP

Origine des propriétés L ’examen de l’origine des propriétés est révélateur d ’une forte mobilité des biens fonciers. Contrairement au XVIIe siècle où il s’agit principalement d ’habitations acquises en héritage et qui sont vendues, au xvm e siècle les bâtiments échangés proviennent plus souvent d ’achats. Cette mobilité accrue de la propriété foncière est autant l’indice d ’une forte demande de logements que d ’une disponibilité de l’offre. Dans certains cas la rapidité de la circulation des biens-fonds est remarquable; ainsi cette maison achetée en l’an 1155 h/1742 est revendue douze années plus tard en l’an 1167 h /1754e7. Il faut souligner que cette demeure comprenait quatre pièces, une cuisine, une étable et une cour; elle est vendue à 230 piastres. Les habitations riches ne semblent donc pas échapper à cette mobilité de la propriété foncière. X V IIe siècle

— — — —

X V IIIe siècle

Origines

Nb

O/ /o

Nb

0/ /o

Achat Héritage Indéterminées Mixte

039 120 041

19 60 20

59 31



177 093 024 006

200

300

8

2

La forte proportion de propriétés d ’origine indéterminée au XVIIe siècle demande explication. Cette impossibilité à préciser le mode de dévolution tient au modèle même de rédaction des actes de vente. L ’héritage est la manière «naturelle» d ’acquérir un bien foncier, et les greffiers du Tribunal ne prennent pas la précaution de mentionner la manière d ’entrer en possession67

67. DAS, Alep 72, 25 öum äda al-Tanï 1167 h / 17 avril 1754, quartier de Maiâfiyya.

122

HABITATS ET ESPACES URBAINS

d ’une propriété tant elle semble évidente, et ils ne signalent expressément que les achats. Souvent dans les situations indéter­ minées dans les actes, il s’agit évidemment d ’un héritage, comme c’est le cas pour ces deux frères qui vendent deux parts égales dans une même maison. Les rédacteurs se contentent donc dans 20% des cas de préciser que la propriété provient du *tamalluk for(t~» sans autre spécification, l’héritage étant le moyen habituel, dans cette phase, pour entrer en possession d ’une propriété. L ’explication de cette forte mobilité des biens fonciers ne peut être qu’une situation économique désastreuse, où les familles connaissent de graves difficultés matérielles les obligeant à vendre leur logement ou à en céder une partie. L ’ensemble de l’habitat alépin se ressent de la crise écono­ mique persistante, que la ville, et sa région, connurent dès le début du XVIIIo siècle. La

p r e s s io n d é m o g r a p h iq u e

L ’origine de la pression démographique à Alep est, en partie, explicitée par les actes de vente eux-mêmes: un apport massif de population rurale qui s’installe dans l’agglomération urbaine. Alep connaissait évidemment dès le xvn° siècle une migration importante, qu’elle soit d ’origine rurale ou même bédouine, comme le montrent les textes cités à propos de Bafisïtâ ainsi que les indications portant sur d ’autres quartiers de la ville68. Mais il semble que le phénomène devint plus intense au siècle suivant. Il apparaît que la ville devait faire face au xvui° siècle à une vague massive de population paysanne qui se loge indifférem­ ment dans les banlieues et dans la vieille ville69. Il n ’est pas alors rare de relever dans les actes des spécifications de ce genre: «calî 68. Par exemple l’indication de Jean-Baptiste Tavernier: «Les premières maisons q u ’on trouve en arrivant à Alep du côté du Désert, sont des maisons d ’Arabes et de Bédouins», J.B. T avernier, Les six voyages de Jean-B aptiste Tavernier, Amsterdam, 1678, Paris, 1681, 6 tomes, t. 1, p. 266. 69. Comme cette paysanne signalée dans: DAS, Alep 71, 20 Rabïc al-'t'iriî 1167 h / 14 février 1754.

l ’h a b i t a t

À ALEP

123

ibn Mustafa du village (ahált) de Suwwârîn et habitant du quartier de Qâdï (askar à l’extérieur d ’Alep... *70 Quelquefois l’installation dans la ville ne signifie pas l'abandon total de toute activité agricole; certains paysans, bien qu’habitant la ville pour des raisons de sécurité ou de fiscalité, continuent à avoir des activités rurales ainsi que le montre cet acte de vente d ’une maison du quartier de §âkir a¿a dans lequel sont mentionnés des fallàhïn et des muzàri'in habitant ce secteur de la ville7172. De même, certaines maisons sont destinées manifes­ tement à satisfaire des activités agricoles, à l’exemple de cette demeure située dans le quartier périphérique d’al-Abrâè et qui comprend, entre autres, «une cave, un cellier, une étable, un jardin, et des arbres fruitiers...*7*. • • • En étudiant l’habitat d ’après les textes d ’archives, témoins privilégiés de la vie quotidienne des hommes, nous le réintégrons dans sa réalité historique. Symbole de la longue durée, la maison des hommes subit, aussi, le contrecoup de l’événement, de l’accident, de la crise soudaine et dévastatrice. Si, à l’image d ’une société cloisonnée, les bâtiments de la ville arabe reproduisent à l’infini le repliement des groupes familiaux, ils ne sont nullement à l’abri des contingences du monde. Ainsi les maisons d ’Alep au x v ii * siècle nous renvoient d’elles-mêmes une vision qui s’intégre bien à la conception traditionnelle que nous en avons: des demeures relativement spacieuses, occupées généralement par une seule famille, et transmises par héritage, mais dans une ville brassée ethnique­ ment et où les cristallisations confessionnelles, bien réelles, ne dominent pas encore le tissu urbain. 70. DAS, Alep 71, 20 Rabl< a l - t i n î 1167 h /1 5 février 1754. Ce village du Cabal S im 'in n’est pas relevé par D u s s a u d dans sa: Topographie historique de la S y rie antique et médiévale, Paris, 1927. 71. DAS, Alep 72, 26 C um ida al-'t'in î 1167 h / 20 avril 1754. 72. DAS, Alep 71, Sawwäl 1168 h / 19 juillet 1755.

124

HABITATS ET ESPACES URBAINS

Toutefois, sous l’action conjuguée d ’une crise économique aiguë, et d ’une intense immigration rurale, l’habitat se dégrada rapidement, provoquant une parcellisation des biens-fonds, et un morcellement des logements.La demande d ’habitations devenant plus importante que les disponibilités et les possibilités d ’inves­ tissement, il se crée un véritable marché immobilier, dans le cadre duquel les prix augmentent notablement, et où se traitent, surtout, des fractions de bâtiments. D ’un autre point de vue, les mouvements de regroupements confessionnels déjà anciens ne sont pas encore arrivés à leur terme, et la situation est différente de ce qu’elle sera au début du XXe siècle. Il en ressort pour nous la vision d ’une ville en pleine mutation socio-économique, d ’un régime foncier «capitaliste» et actif, d ’une société peu égalitaire mais engendrant des solidarités locales puissantes, bien que secouée par des crises profondes qu’elle ne réussit pas à résoudre. Les signes de ces crises sont nombreux au XVIIIe siècle: multiplications des endroits louches, extension de la prostitution, insécurité croissante dans une ville auparavant réputée pour sa bonne police, affaires de mœurs, combats de factions... la liste en est longue, et nous sommes frappés par la similitude de la situation avec celle de Damas au même moment. A Alep, comme ailleurs, l’autorité tente de remédier, en vain, à ces manifesta­ tions extérieures de déséquilibres profonds, par des mesures de polices aussi spectaculaires qu'inefficaces: fermeture des cafés — nombreux dans la localité —, interdiction aux femmes de se promener dans les jardins en dehors de l’agglomération, couvrefeu, lutte contre la prostitution78... Autant de témoignages de mutations que la société, incapa­ ble d’y remédier, ne veut pas voir en face.73

73. Pour les mesures de Police, voir: Bo d m a n , Political, op. cit., p p . 26-27.

CHAPITRE 111

UNE CONCEPTION UNIQUE DE L’HABITAT

En les comparant à l’habitat de l’Europe à la même époque, les maisons syrienne et arabe nous apparaissent d ’une façon générale, comme étant beaucoup plus humaines, plus conforta­ bles et mieux adaptées à la vie de famille1. Les conditions climatiques sont naturellement, favora­ bles, et elles permettent de réduire au minimum le nombre des pièces d ’habitation, la cour groupant l’essentiel des activités quotidiennes des habitants. Mais, aussi, le plan général des bâtiments correspond à une conception des rapports avec le monde qui tend à séparer le plus possible la famille de l’extérieur en multipliant les obstacles et les entraves à toutes communica­ tions avec l’extérieur. Il faut admettre l’évidence que ce modèle d ’isolement du groupe de parenté dans un bâtiment n ’était qu’un idéal que ne pouvaient concrétiser que les familles aisées, le petit peuple vivant dans une promiscuité qui n’est pas sans nous rappeler celle des bâtiments verticaux de l’Europe. Mais il n ’en reste pas moins que dans les périodes fastes de relative prospérité, la majorité des familles avait la possibilité de s’enfermer dans l’un de ces bâtiments horizontaux qui ne cessaient de servir de référence. L ’organisation de l’espace urbain, et le plan de l’habitat, multipliaient les obstacles entre l’étranger et l’intimité de la maison. Avant de pénétrer dans le bâtiment d ’habitation, il fallait 1. Pour la description de l’habitat européen, surtout populaire, à la même époque, voir: B raudel, Civilisation, op. cit., p. 208.

126

HABITATS ET ESPACES URBAINS

quitter la rue, s’engager dans les ruelles (zuqàq-s), franchir la porte du quartier, puis de l’impasse, et se faire ouvrir celle de la maison. Les précautions ne s’arrêtent pas là; il fallait encore souvent traverser un couloir d’accès (dahlïz) avant d ’avoir accès à la cour; mais là aussi le visiteur n ’était pas au bout de ses peines. Si la maison était riche, le bâtiment avait alors deux cours et la plus proche de la porte monopolisait les activités en relation avec le monde, et c’est dans ce patio que s’arrêtaient les pas de l’étranger. Les maisons moins aisées n ’avaient qu’un seul espace central, mais une pièce particulière {murabbaf à Alep, qa$r à Damas, fabaqa à Sayda) était réservée à l’accueil du visiteur, et il accédait à cette salle, située au premier étage, par un escalier donnant directement dans la cour, le plus près possible de la porte de la maison2. L es

p e t it e s a g g l o m é r a t io n s

Cet habitat que nous connaissons à Alep et à Damas, se retrouve-t-il dans les petites agglomérations? Toutes les indications que nous possédons sur ce point concordent assez bien pour nous donner de l’habitat dans les petites villes une image très ressemblante à celle que nous avons pour les métropoles. Nous avions précédemment étudié l’habitat à Sayda et nous avions souligné la similitude de ses plans avec ceux de Damas3. Hama, d ’autre part, a fait l’objet d ’importants travaux de 2. Cette habitude de faire donner l’escalier directement de la cour existe aussi bien à Alep q u ’à Damas. Voir: A bul -F araö al -'ISS, al-Dur al-aiariyya al-hàffa f i Dimaiq. Les maisons privées de Damas présentant un intérêt archéologique *. Dans A .A .S ., vol. III, Damas, 1953, pp. 47-58, p. 51. Nous avons jugé inutile de compiler ici les diverses descriptions architec­ turales de l’habitat damascain qui donnent d’ailleurs peu de renseignements sur sa fonction sociale. 3. Pour la description des maisons de Sayda d ’après des textes anciens, voir: A. A bdel-nour , Étude sur deux actes de toaqfs des wilayets de Damas et de Sayda aux X V I ' et X V I I * siècles. Exemplaires ronéotypés, thèse pour le 3e cycle — Université de Paris-Sorbonne 1976, pp. 250-254. Nous le citerons ultérieurement par: Deux actes.

UNE CONCEPTION UNIQUE DE L ’HABITAT

127

dépouillement de cAbdul-Wadüd Bargüt, et de ces résultats nous tirons une image de l’habitat qui est comparable à celle que nous avons d ’Alep que ce soit au niveau du plan ou de la proximité des habitations pauvres et riches45. Les autres villes secondaires, que ce soit M acarrat alNucmân ou Homs ne semblent pas être différentes de ce point de vue6. H a b it a t

u r b a in et h a b it a t r u r a l

Si l’habitat urbain présente une incontestable unité, nous pouvons nous demander si la maison paysanne est comparable à celle de la ville. Comme pour tout ce qui concerne le monde rural, notre connaissance est beaucoup plus fragmentaire et rudimentaire que dans le cas des agglomérations urbaines. Nous souffrons surtout d’un manque cruel d’études régionales, et mis à part quelques monographies architecturales, nous n ’avons pas de points de comparaisons*. Nous devons néanmoins de précieuses indications à Thoumin7. Dans le cadre de son étude sur l’habitat dans la région de 4. cA bdul W adüd B arOüT, Tárúj Hama al-i¿timáci wal-iqtifàdi tvalidâri mustamad min sigil al-Mafikama al SarHyya licàm 989 h¡ 1581. Histoire sociale, économique et administrative de Hama d'après le registre du tribunal de l’année 1581. Dans les A .A .S ., nP 16, Damas, 1966, pp. 57-84, pp. 72-73. Nous le citerons ultérieurement par Hama. 5. Pour Homs, voir: Cdt. L e B oulanger , «Homs», dans Les documents économiques, politiques et scientifiques, n° 6, publications de L ’Asie Française, Paris, 1922, p. 136. Nous le citerons ultérieurement par Homs. 6. Notamment l’étude de Dufourg, déjà citée, sur «la maison rurale au Djebel Druze». «Sur les différents types de maisons libanaises et leur style, il y a beaucoup de journalisme, quelques notes et quelques relevés, mais une solide étude d’ensemble se fait toujours désirer». C hevalier, Mont-Liban, op. cit., p. 154, note 1. 7. R. T houm in , La maison syrienne. Dans la plaine ouranaise. Le bassin du Barada et sur les plateaux du Qalamoun. Documents d ’Études Orientales II, Paris, 1932. Voir surtout les planches xvm à xxii. Nous le citerons ultérieure­ ment par Maison.

128

HABITATS ET ESPACES URBAINS

Damas, il remarqua que les plans des habitations ne changeaient pas entre la ville et son terroir. La seule différence réside dans le nombre des éléments et non dans le plan général du bâtiment. Plus encore il décèle un modèle unique, et une filiation des formes, entre les maisons misérables des hameaux — ne compor­ tant qu’une pièce — et les plus riches habitations de Damas. Parmi les actes de vente des maisons que nous avons dépouillés, nous avons relevé quelques exemples de maisons rurales faisant l’objet d ’une transaction devant le tribunal citadin. La vision que nous en tirons de la maison rurale n ’est pas très différente de celle de la maison urbaine89. Les habitats rural et urbain semblent donc connaître une réelle unité des modèles et même des formes. Ainsi le toit plat est de rigueur dans toute la Syrie à l’exception de certaines régions autour d ’Alep. Cette terrasse bien adaptée aux régions subdésertiques dominait aussi dans les montagnes neigeuses du Liban et des Alawites où elles sont un «véritable défi au bon sens», et, durant l’hiver, il faut lutter continuellement contre la neige pour écarter le risque d ’effrondement de la voiture*. L ’habitat syrien présente donc une réelle unité de modèles et de formes entre grandes et petites agglomérations et entre villes et campagnes. De même à l’intérieur des villes, il n ’y a pas de différence entre les logements de familles chrétiennes et de familles musulmanes. Les clivages se trouvent entre habitats arabes et habitats non arabes. Ainsi les kurdes qui habitaient Damas depuis plusieurs siècles avaient conservé jusqu’au début du XXe siècle, dans leur quartier propre, une forme d’habitat particulière très différente de celle des habitats chrétiens et musulmans de Damas et de sa région10. 8. Ainsi cette maison du village de Magürat al-M idiân du ¿abal Sim cân: DAS, Alep 19, 22 Rablc al-Awwal 1036 h / 11 décembre 1626. Village non localisé. 9. P. D bffontainbs, L'homme et sa maison, Paris, 1972, p. 79 à 81. 10. R. T houm in , «Deux quartiers de Damas. Le quartier chrétien de Bab Musalla et le quartier Kurde» dans le B .E .O ., 1931, Le Caire, 1932, pp. 99-135, p. 120.

UNE CONCEPTION UNIQUE DE L’HABITAT

L es

129

n iv e a u x

Nous avions souligné pour Alep la remarquable horizontali­ té de la ville: dans la quasi-totalité des cas, les maisons n ’avaient qu’un étage. La situation à Damas est moins simple à cet égard. Les maisons damascènes possédaient généralement une pièce de réception au premier étage qui portait ici le nom de «qafr». Mais à une époque difficile à préciser, on prit l’habitude d ’ajouter aux grandes maisons de Damas un premier étage au-dessus de l’aile nord du bâtiment, qui comprenait des pièces réservées plus particulièrement à la vie familiale11. D ’un autre point de vue, les maisons de Damas avaient très rarement des caves, moins en tout cas que celles d ’Alep. Sayda présente une situation assez différente. Il n ’est pas rare de trouver dans la ville des bâtiments ayant deux étages et même, plus rarement, trois. Il faut signaler que Sayda était enserrée dans des murailles, sans faubourgs, et qu’elle avait connu à partir du XVIIe siècle des croissances économique et démographique assez marquées qui avaient nécessité une aug­ mentation du nombre de logements. La ville n ’ayant pratique­ ment pas d ’espaces libres et ne pouvant s’étendre en dehors de l’enceinte pour des raisons de sécurité, les habitants ont dû se résigner à construire en hauteur12. L'habitat notables Il ne nous a pas été possible de retrouver dans les autres villes de Syrie des îlots de maisons notables comparables à ceux que nous avions décrits pour Alep. Cette disposition devait néanmoins exister à Damas, et nul doute que de futurs dépouille­ ments d’archives nous permetteraient de le confirmer. Les demeures les plus importantes d ’Alep, celles que J.C.

11. A l-cISS, Les maisons de Damas, op. cit., p. 48. 12. A. A bdel N our , «Types architecturaux et vocabulaires de l’habitat en Syrie aux XVIe et XVIIe siècles» dans Vespace social de la ville arabe, pp. 59-92, Paria, 1979, p. 70.

130

HABITATS BT ESPACES URBAINS

David classe dans les catégories III et IV, ont une superficie de 400 mètres carrés13 et plus. Mais ces bâtiments alépins n ’attei­ gnent jamais les dimensions des grandes maisons de Damas qui dépassent 1000 mètres carrés et peuvent compter jusqu’à 30 pièces1415. Nous avons relevé plusieurs exemples de maisons notables comprenant le tombeau de l’ancêtre et d ’autres membres de la famille et souvent aussi englobant dans le même bâtiment la Zcnoiya que dirigeaient les descendants du fondateur. Ainsi la famille des KaylânT à Hama, la famille des Murâdï à Damas16 et celle des öaläl al-Din à Sayda. Cette dernière famille, qui avait en charge la fariqa al sacdiyya dans la ville, a la particularité d ’avoir habité la même maison de la fin du XVe jusqu’au début du xx® siècle. L es

h a b i t a t i o n s c o l l e c t iv e s :

fanoi

Nous avions signalé à l’occasion de l’étude d ’Alep, l’existen­ ce de bâtiments comprenant une dizaine de logements habités par des familles différentes. Ces habitations collectives sont connues dans l’ensemble de la Syrie sous le nom de fienvS. Le mot bato! désigne actuellement, en Syrie et au Liban, d’une façon générale, la cour. Ce mot a une certaine résonance péjorative, et serait plus particulièrement employé pour les cours mal entretenues, voire même pour les terrains vagues, et il n ’est pas, à proprement parler, utilisé en parlant d ’une habitation16.

13. D avid , Dégradations , op. cit., p. 22. 14. W itnbr -F erri «La maison bourgeoise arabe du 17e et 18e siècle en Syrie» dans les A .A .S ., 1958, pp. 101-106, p. 102. Il signale des constructions qui occupent 2000 mètres carrés; elles sont toutefois exceptionnelles. 15. «Il fut enterré... dans notre cimetière, à l’intérieur de notre maison, dans le quartier de sûq Sârügâ... » M uràdT, S ilk a l-durar f i a'yân al-qam allâ n i caiar. Compilation biographique de uléma-s damascains du X I I * siècle de Vhégire ( X V I I I esiècle). Bülâq 1301 h /1884, 2 volumes, Bagdad s.d; 4 volumes,

vol. 2, p. 72. Le chroniqueur parlait ici de son oncle. 16. K azimirski (>39 — les commanditaires les plus fortunés faisaient venir de la belle pierre calcaire et du basalte du Houran à des coûts exorbitants37*. L es

t e c h n iq u e s d e c o n s t r u c t io n

Grâce à l’admirable Dictionnaire des métiers damascains de QâsimT nous connaissons bien les techniques et les corporations du bâtiment à Damas. Nous avons tenté de reconstituer le processus de construction tel qu’il était pratiqué au XIXe siècle. Au-delà de l’apparence de fractionnement des métiers, ainsi que les présente le Dictionnaire, une indéniable unité de l’ensemble nous apparaît bientôt. Les carriers En premier lieu interviennent les carriers ( h a g g à r ) . Ils extraient quatre catégories de pierres. Les pierres noires venaient en premier, puis les calcaires de belles factures. Ces deux catégories sont vendues aux tailleurs de pierres. Les calcaires de

34. S auvacet, Esquisse, op. d t ., p. 428. 35. A l - cAttàr, Fan, op. d t ., p. 80. 36. QAsim I, Qàmûs, op. d t ., p. 52. 37. E lisSEeff , S auvagbt, op. d t ., p. 174. Nous avions vu précédemment que les maçons de Damas étaient en général des chrétiens habitants plus particulièrement le Midan. Ne faut-il pas y voir une relation avec le travail de la pierre extraite du Hauran? Surtout que d'après Thoum in une partie de ces maçons était des Hauranais immigrés de fraîche date.

HABITATS ET ESPACES URBAINS

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basse qualité sont utilisés par les fabriquants de chaux (Atüriï). Enfin la quatrième catégorie est utilisée comme moellons ou, quelquefois, comme pierres pour les constructions peu soi­ gnées38. Les tailleurs de pierres La majorité des tailleurs de pierre (nahhàt) de Damas est chrétienne, nous avertit Qâsimî de prime abord. C ’est une occupation qui exige beaucoup d ’applications et de peines, mais elle procure un bénéfice appréciable. Les tailleurs de pierre se regroupent dans un süq spécial dit süq al-na^hatín39. Les fabriquants de briques Parallèlement aux tailleurs de pierres s’activent les fabri­ quants de briques de terre (fatuwäb) . Après avoir laissé la terre fermenter avec de la paille hachée ils obtiennent du libn, qu’ils battent vigoureusement afin d ’en parfaire le mélange. Le faunvàb peut préparer jusqu’à deux mille briques (libneh) par jour suivant son expérience et sa rapidité. Ces briques sont séchées au soleil avant de servir dans les habitations les plus modestes40 Les maçons. Les maçons (bannà’-s) se répartissent en deux spécialités. La première travaille plus particulièrement dans les bâtiments en pierres, tandis que la seconde se consacre surtout aux construc­ tions en briques de terre. Les murs de pierres nécessitent beaucoup de soins; les pierres tiennent grâce à un ciment de plâtre, de chaux et de terre. Les murs de briques exigent l’établissement d ’un bâti de bois, puis se fait le remplissage avec les pièces de terre. «Les 38. QAsim T, Qâmûs, op. cit., p. 92. M étier n° 56. 39. Ibid., p. 479, n° 409. 40. Ibid., p. 295, rfi 217.

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HABITATS ET ESPACES URBAINS

charpentiers... emploient les troncs de peupliers en les dépouil­ lant de leur écorce... En raison du mode de remplissage à l’aide de briques, le charpentier multiplie les croisillons... Pour plus de solidité on fait reposer la charpente sur quelques lits de pierres. Le remplissage du bâti se fait sans méthode... avec force mortier de terre destiné à boucher les nombreux trous restants...*41. Ces murs peuvent être très solides, s’ils sont construits avec soins, et durer plus de deux siècles42, mais trop souvent ils sont faits à la hâte et leur «... solidité en est des plus précaire. Il est fréquent, après les tempêtes, de voir des panneaux complètement déjetés, prendre de curieuses inclinations au-dessus des ruelles ou même se balancer dans le vide»43. Les fayyâb-s sont généralement des paysans de la Ghouta et peu de citadins pratiquent ce métier. Le plâtrier Le plâtrier (¿abästni') intervient aussi bien dans la construc­ tion des murs, puisqu’il fournit une partie du mortier, que dans la décoration intérieure des demeures44. Les toits La terrasse, unique mode de couverture pour les maisons de Damas, est souvent parsemée de coupoles dans les bâtiments les plus importants. Les murs de la maison, et des piliers de bois, portent des pièces de bois marquant la limite de la terrasse. Les poutres soutiennent les solives, elles-mêmes servant d ’appui aux plan­ ches, planchettes ou branchages faisant toiture. Les plafonds sont conditionnés au manque de bois de grand calibre. Ils sont donc formés par des poutres de petites dimensions posés à peu de

41. 42. 43. 44.

T houm in , Maisons, op. cit., p. 11; et QAs im î , Qômûs, op. cit., p. 478. Q âsimT, Qômûs, op. cit., p. 295. T houm in , Maisons, op. cit., p. 12. QAsim I, Qômûs, op. cit., p. 77, n° 37.

LES BATISSEURS

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distance les unes des autres4546. Les pièces reposent les unes sur les autres sans être ajustées. Sur la plate-forme de planches, on étend une couche «de vingt à trente centimètres d ’un mortier de terre, de tebeii et d ’eau auquel on ajoute parfois du gravier. On procède ensuite au damage et au roulage. Quand le tout est bien sec, on pose une nouvelle couche de terre humide...»46. Si la terrasse dépasse la façade et forme préau sur la cour, on la soutient avec des poteaux. Les badigeonneurs A ce stade de la construction intervient dans les bâtiments en terre le badigeonneur (hayyàri). Le badigeon utilisé (hayyàr) est un lait de chaux commun obtenu par la dissolution de la chaux dans un grand volume d ’eau. Le hayyàr en enduit plusieurs fois les murs préalablement recouverts d ’un gâchis de terre et de paille hachée afín de les protéger contre les pluies. C’est de la qualité de ce badigeonnage que dépend la résistance du bâtiment aux intempéries, et Qâsimï recommande de bien veiller à cette précaution. Le métier était pratiqué par «des juifs et des artisans pauvres*47. Il semble que le badigeonnage ait été pratiqué dans les maisons modestes, les personnes aisées faisant recouvrir entière­ ment les murs de briques avec de la chaux48. Cette dernière activité nécessitait l’intervention d ’un nouveau spécialiste: le fayyàn. Le dalleur. Le dalleur (fayyàn) enduit le sol des maisons pauvres, et moyennes aussi, nous rapporte Qâsimï, avec un gâchis dit alcadsa, composé de chaux et d’une terre argileuse, qui remplaçait

45. W itner -F erri, Maisons, op. cit., p. 104. 46. T houm in , Maisons, op. cit., p. 13. Les planches sont équarries par le charpentier. 47. Qâmûs, op. cit., p. 295; et p. 118, n° 82. 48. Ibid., p. 118.

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HABITATS ET ESPACES URBAINS

le marbre et les dalles de pierre. Cette couche était alors fortement battue et «si les propriétaires de la maison y prennent garde elle peut durer vingt ans et plus»49. C’est ce même payy an qui recouvrait les murs de chaux. Les charpentiers Le charpentier (na¿éár) intervient déjà dans l’établisse­ ment de la charpente et la préparation des poutres du toit; mais c’est surtout dans l’édifícation d ’un étage au-dessus de la maison qu’on fait appel à lui. Certaines des demeures damascènes possèdent deux niveaux comme nous l’avons déjà signalé. Dans ce cas, on bâtit très fréquemment le rez-de-chaussée en pierres et l’étage en terre50. La part de bois est alors importante dans cet étage qu’on nomme à Damas «farankàt-s ou füfàt-s*. Le charpentier prépare aussi les portes de la maison et les volets (Sarlàtoàt) des fenêtres51. Intervenant à plusieurs reprises, le charpentier est chargé de fabriquer aussi les meubles muraux de la demeure. Les peintres La maison achevée, il fallait encore peindre, non seulement les portes et les fenêtres, mais aussi, dans les demeures riches, les murs et les plafonds et aussi décorer les qàca-s. Le métier de peintre (dahhàn ou marràf) était bien payé, car son travail demande une longue patience52. Enfin le plâtrier entrait en scène de nouveau pour décorer les pièces et aussi pour installer les vitres puisqu’il était aussi vitrier53.

49. 50. 51. 52. 53.

Ibid., p. 298, n° 218. T houm in , Maisons, op. cit., p. 20. QAsim T, Qàmûs, op. cit., p. 478, n° 408. QAsim T, Qàmûs, op. cit., pp. 148-149, n° 108. Ibid., p. 77.

LES BÂTISSEURS

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Les maçons ruraux Nous avions signalé que les maçons étaient spécialisés dans divers types de travaux. Une catégorie de maçons se consacrait aux constructions dans la campagne autour de Damas54. Ces dakkàk-s bâtissaient principalement les murets des jardins et les maisons aux extrémités de la ville55. Le dakk est constitué d ’un mélange de terre, de sable et d ’un peu de chaux56. Un autre petit métier du bâtiment est celui des magárift-s qui se chargeaient de creuser les conduites d ’eau des maisons et d’en enduire le fonds d ’un gâchis imperméable5758. L ’e n t r e t i e n

d es b â t im e n t s

Q u’elles soient construites avec soins ou non, ces maisons nécessitaient un entretien annuel indispensable. Évidemment les habitations en pierres exigeaient moins d ’attention, mais certai­ nes précautions sont communes comme le roulage des toits dès la chute de la neige. L ’apparence extérieure des constructions se dégrade rapide­ ment, «toutes ces habitations... prennent en moins de trois ans des signes de vétusté qui font croire à un effrondement prochain. Le revêtement de terre et de teben s’est-il effrité pendant l’été, ou bien les pluies l’hiver en ont-elles fait tomber de larges plaques, de suite le mur se détériore... »5S, d ’où la nécessité de les entretenir constamment. Cette tâche était du ressort d ’artisans spécialisés. Les vendeurs d’argile Le farràb est un marchand d’argile, qui, à l’approche de l’hiver parcourait les rues de Damas en proposant son produit 54. 55. 56. 57. 58.

elah à mucallimün mahfüfün», ibid., p. 145. Ibid., pp. 144-145, n° 104. Ibid., p. 55. Ibid., p. 415, rfi 336. T houm in , Maisons, op. cit., p. 14.

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HABITATS ET ESPACES URBAINS

aux particuliers qui en recouvraient le toit de leurs maisons pour en renforcer l’étanchéité. Ce métier d ’occasion pouvait rapporter gros en quelques semaines69. Le gâchis de paille hachée et d ’argile qui couvre les toits avait besoin d ’être renouvelé chaque année avant l’hiver. C ’était là l’œuvre du fayyàn qui avait durant cette période fort à faire90. QâsimT nous prévient que les maisons les plus solides ne peuvent passer deux hivers sans cette précaution qui revenait finalement assez chère et pesait «aux hommes de richesse moyenne sans parler des pauvres». Ce gâchis prenait le nom de zurayqa et était formé de chaux, de chanvre (qinnâb) et qifràmil91. *

*

*

L ’extrême spécialisation de ces artisans et la morcellisation de leurs activités cachent en fait une unité réelle, qui n’apparaît que lors de l’achèvement de leurs œuvres. L ’intervention de toutes ces corporations devait en fin de compte rendre la construction d ’une maison très onéreuse. Toutefois, faites en bois et en briques, les maisons de Damas devaient finalement revenir beaucoup moins chères que les bâtiments d ’Alep.59601

59. Q âsim T, Qàntüs, op. cit., pp. 67>68, n° 28. 60. Ibid., p. 295-297, rfi 218; et p. 66, n° 26. 61. Cendres des bains. Voir: B udayrT, Ifaw âdii, op. cit., p. 182.

CHAPITRE V

SOLIDARITÉS ET CLOISONNEMENTS

La lecture du plan de la ville arabe1 aboutit à une interroga­ tion qui ne cesse d ’être capitale: «comment une ville définie par le cloisonnement peut-elle participer à l’idéal unitaire de l’Islam, ou même en procéder?**. Le problème ainsi posé est double; d ’une part il faut définir ce cloisonnement dans sa réalité historique et aussi son évolution, d’autre part il faut chercher les niveaux où s’exprime l’unité urbaine et se manifeste la cohésion de l’agglomération. Notons, tout de suite, que beaucoup d’auteurs n ’ont vu dans la ville que son éclatement, son éparpillement et ses conflits, et qu’ils en ont.conclus à l’inexistence de la ville arabe, en tant qu’unité organique, n ’y reconnaissant qu’un conglomérat de cellules villageoises et confessionnelles en perpétuel affronte­ ment. Ira Lapidus nous en donne la description la plus schémati­ sée, qui aboutit tout simplement à la négation de la ville: «Ainsi beaucoup de quartiers urbains étaient de petites communautés intégrées. Par leur quasi-isolation physique, leurs puissantes relations familiales, leur homogénéité religieuse ou ethnique, leur forte solidarité de groupe, leur unité économique et administrative, leurs représentants et leurs élites, les quartiers formaient de petites communautés villageoises à l’intérieur de l’agglomération urbaine»3. 1. Voir par exemple B brardi, Lecture, op. cit., d an s L ’espace social de la ville arabe.

2. C hevallibr, Vision, op. cit., p. 9. 3. L apidus , M uslim, op. cit., p. 95. Description similaire chez: G ibb , Islamic, op. cit., t. 1, p. 278-9.

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HABITATS ET ESPACES URBAINS

Ce cloisonnement — cette juxtaposition de groupes «voisins et hiérarchisés»4 — est une réalité aussi bien physique, topogra­ phique, que sociale, mais elle ne doit nullement aboutir à nier la Ville, car elle se situe dans une organisation humaine qui a toujours eu «la nostalgie de l’union à son niveau le plus élevé»5, et qui a su intégrer et même utiliser ses antagonismes dans l’élaboration d ’une structure politique et étatique efficace. L ’e x p r e s s io n

p o l it iq u e u r b a in e

Les conséquences politiques de cet éclatement du tissu urbain ont été depuis longtemps soulignées: inexistence de vie municipale, de corps représentatifs, manque de concertations entre le pouvoir et le peuple, déficience de l’encadrement administratif. Dans une ville où la loyauté des hommes s’expri­ mait en premier envers le groupe familial puis religieux et ethnique rassemblé dans le quartier6, il serait vain de rechercher une autonomie et une organisation communales comparables à celles des Cités de l’Europe médiévale. Mais, cependant, il ne faut pas, par suite des lacunes de notre documentation, nier toute vie interne à la ville arabe, et n’y voir que des révoltes sporadiques et une résistance passive contre l’autorité étatique78tempérée uniquement par l’intercession des culamà>, eux-mêmes divisés en factions antagonistes6. L ’organi­ sation du pouvoir y était beaucoup plus complexe. Entre l’encadrement horizontal des confréries religieuses et des corps de métiers, et la représentativité verticale des $ayfy-s de quartiers, des chefs de groupes ethniques et des communautés religieuses, existaient des liens et des équilibres, que nous entrevoyons mal, mais qui n ’en pesaient pas moins lourdement sur toute la vie urbaine et la façonnaient profondément. 4. 5. 6. 7. 8.

C hevallier, Vision, op. cit., p. 119. C hevallier , Villes arabes, op. cit., p. 119. G runebaum , M uslim town, op. cit., p. 148. H ourani, C ity, op. cit., p. 18. L apidus , M uslim , op. cit., p. 108-113.

SOLIDARITÉS BT CLOISONNEMENTS

L es

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l i g n e s d e c l iv a g e s

Les oppositions, les luttes et les antagonismes s’ordonnaient dans les villes syriennes, suivant de multiples lignes de clivages, dont l’énumération fournit une certaine idée de la complexité de la vie urbaine. T out d ’abord, les vieux partis bédouins des Qaysl et des Yamanï continuaient leur longue lutte, comme si un millénaire d’islamisation n’avait fait qu’effleurer superficiellement la société arabe. De même, les groupes villageois emportaient avec eux dans leurs quartiers le souvenir de conflits anciens q u ’ils tentaient de régler par la force. Cette animosité recoupait une autre, plus générale, qui voyait se dresser face à face les gens des faubourgs et ceux de la mdïné• dans une lutte interminable, qui prenait la forme de l’antagonisme des Janissaires de Banqüsa contre les ¡arif-s à Alep, des Yerliyya du Mídan contre les soldats du Sultan à Damas etc... Sans parler des oppositions ethniques entre arabes et kurdes910, des combats des clientèles de familles notables se disputant les fonctions prestigieuses de la hiérarchie urbaine, et du prosélytisme concurrent des confréries mystiques et des madàhib11. Ce sont là les clivages verticaux de la société qui connaissait aussi des luttes horizontales dressant les pauvres contre les riches, c’est-à-dire, en période de crise alimentaire, ceux qui pouvaient assurer la subsistance de leurs familles et ceux qui croyaient que la spéculation des puissants les privait de pain. Notons cependant, que durant les trois premiers siècles de la domination ottomane, et malgré l’effervescence qui s’emparait souvent des villes, les chroniques ne signalent pratiquement pas de conflits à caractère ouvertement confessionnel, que ce soit 9. Ibid., p. 89. 10. T h o u m in , Répartition, op. cit., p. 671.

11. En plus des ouvrages déjà cités de Rafeq (Damascus) et de Bodman (Political), voir: F. M ardam - bey, «Tensions sociales et réalités urbaines dans les villes de Syrie au XV IIIe siècle. Les révoltes populaires à Damas», communi­ cation présentée au colloque L ‘espace social de la ville arabe : H istoire et m utation,, Tunis, mars 1979.

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HABITATS ET ESPACES URBAINS

entre musulmans et chrétiens ou entre mahométans et juifs. C ’est là une dimension que le paysage urbain n ’acquérera qu’avec le XIXe siècle. D ’ailleurs, plus généralement, n ’avonsnous pas tendance à mettre en avant ce que nous connaissons mieux — les périodes mouvementées — et à privilégier les luttes, somme toute de courtes durées, par rapport aux longues phases de stabilité L

es u n i t é s s o c io -a d m i n i s t r a t i v e s d e l a v il l e

La multiplication des quartiers «fyârât» dans la ville — près d ’une centaine dans des villes comme Damas et Alep — laisse une impression d’extrême éparpillement et d ’un cloisonnement très poussé. En fait la situation est beaucoup moins simple q u ’on ne la décrit. Le quartier reste naturellement l’unité administrative et sociale de base dans les localités, avec ses organes de gestion et son équipement, mais il est lui-même incorporé dans des divisions plus importantes qui recouvrent toute la ville, la partageant en secteurs moins homogènes mais tout aussi efficaces du point de vue de l’encadrement de la population1*. Le cas de Damas Damas était divisée en huit parties (aimàn), qui englobaient aussi bien des quartiers intra-muros que des quartiers extra­ muros. La liste que nous en donne un prêtre damascain au xix° siècle est la suivante1213: — — — — —

al-Maydân: extra-muros. al-Qanawât: extra et intra-muros. Süq Sârûga: extra-muros. al-Çâlifiiyya: extra-muros. al-'Amara: extra et intra-muros.

12. Lapidus confond les termes de ftâra, mafyalla et afyfàf, les traduisant sans distinction par le mot: Quartier. Voir: L apidus , Muslim , op. cit . , p. 85 et 271. 13. A nonym e , al - Afután , op. cit. , p. 25.

SOLIDARITÉS BT CLOISONNEMENTS

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— al-Qaymariyya: intra-muros. — al-Naçâra: intra-muros. — al-Sägür: extra et intra-muros. Signalons que ces circonscriptions sont attestées un demisiècle plus tard par une autre chronique, celle de tAllâf1415, avec des variations mineures. Chacun de ces almân était divisé en ahyà’ (ou mahalla, ou fàyih), chaque hayy «comprenait des frâràt, chaque hâra des dafylàt » (ou aziqqa)1617. La hiérarchie des espaces urbains reflète une homogénéisation sociale de plus en plus poussée; l’élément est d ’autant plus caractérisé humainement qu’il est plus réduit en surface. Nous ne possédons pas encore pour Alep une telle réparti­ tion en grand secteur, mais en compilant les indications que nous fournit Mazloum, nous comptabilisons treize fdyih-s (ou mafutlla-s indifféremment) recouvrant les multiples quartiers qui composent la ville1*. La même source damascaine précise que le lumrt des Chrétiens comprenait cinq fàyih-s, qui totalisaient vingt-deux ftâra1’’. Cette extrême minutie des divisions urbaines ne doit pas cependant faire illusion, car elle ne correspond point à des clivages socio-économiques aussi précis et aussi facilement repérables sur le terrain. Les chevauchements devaient être nombreux entre quartiers et même entre secteurs, les groupes ethniques occupant une ou partie d ’une fiara comprenant d’autres communautés et ainsi de suite. Notons que les autorités judiciaires et fiscales ottomanes reconnaissent l’existence des mahalla-s, hayy-s ou fàyih-s, mais 14. ‘AllAF, Dimaiq, op. cit., p. 12.

15. Anonyme, Ajizân, op. cit., p. 25; et et des maiàyih décida d ’ouvrir les portes de Damas au sultan Salïm II en 1516, et prendra sur elle, en l’absence des autres autorités, de livrer la ville à Abul-Dahab deux siècles et demi plus tard40. D ’ailleurs le pouvoir était si bien conscient de leur rôle essentiel qu’un changement de régime se traduisait souvent par la nomination de nouveaux Sayfy-s41. La responsabilité judiciaire collective du quartier donnait le droit à ses habitants de refuser le séjour parmi eux d ’éléments indésirables, ou bien l’installation d ’étrangers, à l’exemple de ces gens de Hama qui demandent au juge d ’expulser de leur hàra un 34. R afeq, Damascus, op. cit., p. 147-8; T abbAi}, P là m , op. cit., t. 3, p. 435; L apidus, M uslim , op. cit., p. 92. 35. R afeq, Damascus, op. cit., p. 78, note 6; Bodman, Political, op. cit., p. 57. 36. S haw , Ottom an, op. cit., t. 1, p. 162. 37. R aymond, Le Caire, op. cit., p. 56. 38. B udayrI, tja w â d il,o p . cit., p. 68. 39. T abba#, I'ià m , op. cit., t. 3, p. 178. 40. RAfbq, B ilâ d al-S àm , op. cit., p. 101. 41. Ibid., p. 115.

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HABITATS ET ESPACES URBAINS

homsiote qui y avait élu domicile, ou bien de la communauté juive de la même ville qui refuse d ’accueillir trois coreligionnaires venus de Damas, et d’obtenir leur départ4*. Les particularités ethniques et régionales Le particularisme ethnique ou régional renforçait la cohé­ sion des quartiers et leur donnait un esprit de groupe et créait même une certaine méfiance envers le reste de la localité. Il faut toutefois noter que le cas du quartier kurde de Damas est une exception dans la Syrie, et il n’existe pas d ’autres exemples d ’une communauté nationale qui ait choisi de vivre à l’écart de la localité, et qui ait résisté à l’assimilation durant sept siècles. Les autres groupes ethniques ont été lentement absorbés par les villes jusqu’à perdre le souvenir d ’une origine non arabe, comme à Alep, Hama, Homs ou Tripoli. Toutes les grandes agglomérations renfermaient des minori­ tés ethniques groupées dans des quartiers particuliers: Turkm è­ nes à Damas4243, à ô a z z a 4445, à Alep46, à Homs4*, sans parler des Kurdes que nous retrouvons dans les ports, en Palestine47 et à Alep. A côté des minorités ethniques non arabes, des communau­ tés régionales cherchaient la protection de hàràt qui leur soient propres. Égyptiens à Ramla et ô a z z a 4849et surtout Magribt-s à Damas, Tripoli, Sayda, Jérusalem etc...48. Le particularisme de tous ces groupes était fortement perpétué et renforcé par l’existence de mosquées et de waqfs

42. B arôOT, Tarif}, op. cit., p. 76. 43. KuRDtALl, ijufaf, op. cit., t. 3, p. 6. 44. H ütteroth , H istorical, op. cit., p. 28. 45. L apidus, M uslim , op. cit., p. 86. 46. S alT cAdil 1Abdul H aq, «M adin at H im } toa àlàruhà, la ville de H om s et ses m onum ents» dans A .A .S ., 1960, pp. 5-36, p. 34. 47. H eyd , Ottoman, op. cit., p. 122. 48. L ewis , Studies, op. cit., p. 479. 49. Rafeq, Damascus, op. cit., p. 39.

SOLIDARITÉS ET CLOISONNEMENTS

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particuliers50 qui donnaient une base matérielle à la cohésion ethnique. Même dans la population arabe sunnite, les regroupements régionaux jouaient un rôle important. L ’apport constant d ’immi­ grants permettait d ’étoffer la communauté villageoise installée, souvent depuis très longtemps, en ville51. L a solidarité sociale

Caractérisés par une certaine homogénéité ethnique, régio­ nale, et souvent confessionnelle, les quartiers urbains sont socialement composites. Traditionnellement le voisinage des familles riches et pauvres est de règle dans les villes arabes. Naturellement, certains secteurs des agglomérations étaient globalement plus aisés, comme le centre de la mdïné au voisinage du pouvoir, tandis que les faubourgs prenaient un aspect plus modeste, mais sans jamais aboutir à un clivage entre quartiers aristocratiques et populaires. L ’étude des actes de vente des maisons d ’Alep montre bien qu’il n ’existait pas de réelle distinction dans la ville entre secteurs riches et secteurs pauvres. Bien sûr, certains quartiers sont en général plus aisés que d ’autres, comme le quartier de Farâfira où on relève des habitations particulièrement riches5253. D ’autres, à l’exemple des quartiers de «Zabbâlîn» (Éboueurs), de Dallâlïn ou de Maçâbin, regroupent surtout des demeures modestes52. Mais nous retrouvons aussi de grandes

50. BARôût, Tàrth, op. cit., p. 71. 51. L apidus, M uslim, op. cit., p. 86. 52. C’est dans ce quartier de Farâfira que nous avons trouvé mention de deux maisons notables qui se placent parmi les bâtiments les plus chers de la ville, l’un valant 2500 piastres sultaniennes et l’autre 1130. DAS, Alep 71, 5 £>il-bi¿¿a 1168 h / 12 septembre 1755, et 15 Ragab 1168 h / 27 avril 1755. 53. DAS, Alep 72, 17 Muharram 1168 h / 3 novembre 1754. Mais même ces quartiers possédaient aussi de grandes demeures riches, l’exemple en est cette très riche maison, le plus cher bâtiment de notre échantillon, du quartier des M açibin (les savonneries), qui était toutefois contigu à l’habitation d ’un portefaix (gom m ai). DAS, Alep 73, 12 Rablc al-Awwal 1169 h / 23 février 1756.

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HABITATS BT ESPACES URBAINS

habitations dans les faubourgs populaires de l'Est, à l’instar de ces deux riches demeures dont nous avons donné la description comme exemples de maisons notables, et, de même, il existait de nombreux logements modestes et des bâtiments fractionnés à l’intérieur des murs de la ville64. Dans le même ordre d ’idées, il faut faire remarquer que rien ne permet d'affirmer que les maisons chrétiennes soient plus aisées que celles des autres confessions, comme l'affirme Sauvaget545556, même dans le quartier d ’al-ôudayda. Le même phénomène se retrouve à Damas, et Muhibbî affirme que la plus riche et la plus grande maison de la métropole s’élevait dans la banlieue semi-rurale de Bâb Muçalla64. Il est difficile de réduire la structure sociale du quartier à de simples relations de clentièles entre une famille puissante habitant de préférence au centre de la hàra et des lignées moins fortunées et moins influentes57. La superposition des réseaux religieux, administratifs et économiques complique extrêmement le système de pouvoir interne du groupe. La solidarité était effective dans le groupe, mais elle ne doit pas faire oublier les antagonismes verticaux qui secouaient le quartier et remettaient en question la hiérarchie en place. Néanmoins l’encadrement humain que permettait ce système était effectif et efficace, à

54. Voir par exemple: DAS, Alep 73, 12 Rabí* al-Awwal 1169 h / 16 décembre 1755. 55. DAS, Alep 19, 10 Ramadan 1046; comparer avec S auvaget, A lep, op. cit., p. 226: «... mal à l’aise en dehors de leur quartier, ils (les chrétiens) menaient à l’abri de ses portes une vie confortable de bourgeois cossus...* Les descriptions de Russell renforcent cette impression: «The homes of the inferior Christians resemble those of the same rank among the Turks», et «The entrance of the modern Christian homes is not to be distinguished from those of the Turks; but that of many of the old houses, is by a very small, law door, disproportionate to the magnificence often found within...». R ussell, Aleppo, op. cit., t. 1, p. 34. Faut-il en conclure à une atténuation des tensions confessionnelles ? R ussbll, ibid., p. 34, remarque que les maisons des Juifs sont en général «misérables», ce qui concorde avec les autres indications à ce sujet. 56. M uçibbI, tfu làsat, op. cit., t. 3, p. 427. 57. L apidus, M uslim, op. cit., p. 92.

SOLIDARITÉS ET CLOISONNEMENTS

167

preuve l’extrême stabilité de ces sociétés urbaines durant plus de trois siècles, et l’inexistence de ce que nous pourrions qualifier aujourd’hui de «luttes de classes». Le sentiment de responsabili­ té des riches envers les pauvres de la hàra n ’est pas un vain mot, et le cas de ce négociant alépin qui demande, par testament, la distribution de 800 dïnàr-s d ’or aux miséreux de son quartier68 n’est pas exceptionnel. Notons enfin que le cloisonnement de l’habitat et le repliement familial n ’interdisent nullement le déroulement d’une vie quotidienne très active dans la hàra, avec un cérémo­ nial complexe de «devoirs» (wá¿ibát) entre voisins proches ou éloignés, et Berardi remarque avec raison que «si nous exami­ nions cet espace à partir de son intérieur, de l’univers féminin qui l’occupe, isolé spatialement,..., nous nous apercevons que ces ensembles fermés sont des espaces de libre circulation, de rencontre, de visite et d ’échange*69. Les relations de quartier à quartier Les quartiers entretenaient entre eux des relations de bon voisinage, de respect mutuel et même d ’alliance, à côté des inévitables conflits qui agitaient la scène urbaine. Au cours des manifestations collectives qui intéressaient toute la ville, comme les carà4a-s ou les processions de confré­ ries, cohabitaient les signes de défis et d ’affirmation de la prééminence, et les marques de déférence. Quand le cortège d ’un quartier devait traverser un autre quartier, il en demandait la permission aux jeunes de la fyâra90, mais ceux-ci l’accordaient volontiers et se faisaient un point d ’honneur de recevoir digne­ ment les représentants des autres quartiers61. De même les habitants de quartiers voisins se rassem­ blaient en une manifestation unique pour rendre visite aux589601 58. T abbXç , L ian t, op. cit., t. 5, p. 533. 59. Berardi, Espace, op. cit., p. 111. 60. J. L ecerf et R. T resse, «Les carâ, etc... qui seront accusés d ’organiser la pénurie à leur profit. Les grossistes Le bawâykt est le plus important des grossistes en grains117. C ’est, nous apprend Qâsimï — qui manifestement n ’aime guère ces marchands —, celui qui vend les grains dans des magasins réservés à cet effet118. Les achetant lors de la moisson, ils les 113. G üçer , Istanbul, op. cit., p. 157. 114. RAfeq , Corporation, op. cit., p. 157. 115. Description suggestive dans: B aedeker , Palestine, op. cit., p. 501. 116. Par exemple: L àlA P acha , op. cit., pp. 67 et 153. 117. Râfeq relève le mot bàn àtiyya a u XV IIIe siècle, que Qâsimï, par contre, n ’utilise pas. A Alep, Hama et Homs le mot fyán ¿iest plus généralement utilisé. 118. Massignon estime le nombre de batoâykiyya dans la ville entre 40 et 100 (Dam as, op. cit., p. 44).

I.E CAS DE DAMAS

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emmagasine jusqu’au moment où une disette lui permet de les revendre à un prix très élevé11*. Les plus riches de ces grossistes avaient l’habitude d ’avancer des sommes aux paysans, à charge d ’être payés sur la récolte suivante, créant ainsi une redoutable dépendance180. Deux métiers voisins avaient des occupations similaires: les hazzàna et les callàf. Ces derniers travaillent dans le fourrage, tandis que les premiers ajoutaient au commerce des grains celui d ’autres produits stockables comme l’huile et le samn121. Entre les paysans et les entrepôts intervenait la corporation des porteurs de grains. Ces tarràsa, attestés depuis le XVIe siècle188 et qui existaient encore au XXe siècle183, partageaient ce métier avec les sawwâq-s qui se spécialisaient plus particulière­ ment dans le transport de la farine des moulins aux fours et chez les particuliers124. Les moulins Grâce à ses cours d ’eau, Damas possédait un nombre impressionnant de moulins hydrauliques dont beaucoup sont des waqfs, ce qui n ’est pas particulier à cette localité186. Les moulins se spécialisaient, semble-t-il, dans l’un des deux circuits du pain. Certains étaient de véritables entreprises économiques, avec employés et comptables12*, avançant la farine aux boulangers, d ’autres se contentant de moudre les grains de leurs clients contre rétributions187.192034567

119. QAsim I, Qàrnûs, op. cit., p. 56, n° 20. 120. Ibid., p. 55. 121. Ibid., p. 124, n° 88. 122. M antran , Règlements, op. cit., p. 21. 123. M assignon , Damas, op. cit., p. 44. 124. QAs im I, Qàmûs, op. cit., p. 69, n° 29 et p. 175, n°131. 125. RAfbq , Economie, op. cit., p. 37. 126. Comme ce câlim qui avait commencé sa carrière comme kätib dans un moulin. M ur AdI, Silk, op. cit., t. 4, p. 241. 127. QAsim T, Qàmûs, op. cit., p. 291, n° 212.

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ÉQUIPEMENTS ET RAVITAILLEMENT DES VILLES

D ’ailleurs, les grossistes tentaient de renforcer leur mainmi­ se sur le commerce du pain en contrôlant les moulins188, c’est-àdire en «intégrant» le circuit. En fait, cette corporation était peu homogène et groupait aussi bien de petits meuniers louant leur installation que de riches entrepreneurs stockant le grain, prêtant de l’argent aux paysans et avançant la farine aux boulangers128129130. Les meuniers habitaient généralement le Maydân où ils avaient gardé leurs traditions rurales, sinon bédouines, notam­ ment les joutes à cheval inspirées de la tartqà al-Sacdiyya, prédominante dans cette partie de Damas120. Les boulangers Le même dédoublement du circuit du pain se retrouve aussi chez les boulangers dont une partie se spécialisait dans la cuisson de la pâte préparée dans les familles, tandis que les autres fabriquaient du pain pour le commun des consommateurs, d ’où la distinction entre habbâz baytï et habbâz sûqi131. L ’ensemble de la corporation des boulangers était peu prospère et ne profitait qu’indirectement des disettes, puisque les meuniers avançaient la farine hebdomadaire et se faisaient payer suivant le prix du marché132. Mais QâsimI les accuse de se rattraper durant les chertés, en mélangeant la farine avec des fèves, des pois-chiches, etc...133. Massignon et Thoumin constatèrent, au début du XXe siècle, que tous les boulangers de Damas étaient des chrétiens, et qui plus est, du village de M aclüla134. N ’ayant cependant pas de points de repères pour les siècles antérieurs nous nous garderons d ’être affirmatifs à ce sujet. 128. R âfbq, Damascus, op. d t ., p. 181. 129. Même pratique à Alep. Voir: DAS, Alep 19,17 mufrarram 1036 h /17 octobre 1723. 130. M assignon , Damas, op. d t ., pp. 42 et 44. 131. Q âsim I, Qâmus, op. d t ., pp. 121-122, n° 85. 132. Ibid., p. 290. 133. Ibid., p. 122. 134. M assignon , Damas, op. d t ., p. 44; T houm in , Deux, op. d t ., p. 110.

LE CAS DE DAMAS

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La comparaison avec d ’autres villes de l’Empire Ottoman laisse perplexe. D ’après Mantran, une bonne partie des boulangers d ’Istanbul auraient été des Arméniens au XVIIe siècle135136. A en croire Sanjian et d ’Arvieux, la situation serait comparable à Alep, puisque les Arméniens de la métropole du Nord auraient été spécialisés dans la boulangerie, la meunerie et le commerce des grains136, et qu’il y avait aussi plusieurs boulangers maronites et même français137. Pour notre part nous serons beaucoup plus nuancés. En effet, nous relevons l’existence de plusieurs chrétiens et juifs dans ce métier136139,mais aussi celle de beaucoup de musulmans136. Il est possible que ce corps de métier n ’ait pas été aussi homogène à Damas entre le XVIe et le XVIIIe siècle que ne le laisserait croire sa situation contemporaine. Les grossistes en féculents Les féculents faisaient l’objet d ’un commerce particulier — en raison de leur importance dans l’alimentation — qui était principalement concentré à Damas au Süq al-Sinâniyya140 où les commerçants réalisaient un gros chiffre d ’affaire. L es

c r is e s a l i m e n t a i r e s

La Syrie est une vieille terre à blé avec les plaines ^basalti­ ques du Hauran et la macmûra entre Damas et Alep où, avec les dernières pluies du printemps, viennent des céréales abondantes qui ont longtemps satisfait les besoins du pays et ont fait l’objet d’un important commerce d ’exportation.

135. M antran , Istanbul, op. cit., p. 181, note 2. 136. S anjian , Armenian, op. cit., p. 46.

137. D ’A rvieux , Mémoires, op. cit., t. VI, pp. 249-250. 138. DAS, Alep 19, 14 âawwil 1035 h /9 juillet 1626; DAS, Alep 72, 15 ragab 1167 h /8 mai 1754; DAS, Alep 73, (P) ni¿ab 1169 h/avril 1756. 139. DAS, Alep, 19, 10 ¿um ida al-awwal 1036 h/26 février 1627. 140. QAsim I, Qâmûs, op. cit., p. 91, n° 55.

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ÉQUIPEMENTS ET RAVITAILLEMENT DES VILLES

Damas bénéficiait de la production de la Ghouta, du Marg al-Qiblï — «le petit Hauran» — et de la grande plaine du SudEst, réservoir inépuisable de grains que la métropole mettra à contribution chaque fois que le besoin s’en fera sentir. Les villes de la Méditerranée, qui souffraient d ’un approvi­ sionnement déficient en grain au XVIe siècle, faisaient appel à ce grenier syrien141, et la Porte liait l’autorisation d ’enlever le blé à ses relations politiques et militaires avec les Etats quémandeurs. Le Levant continuera d ’exporter le blé jusqu’à la fin du XVIIe siècle, notamment vers la France142, et la vie y avait la réputation d ’être très bon marché et les produits abondants143. Avec le XVIIIe siècle, toutefois, la situation est entièrement bouleversée, des crises alimentaires de plus en plus fréquentes et profondes frappent le pays et prennent quelquefois, dans les grandes willes, des allures catastrophiques. Non seulement l’intérieur n ’arrive plus à ravitailler le littoral en grains comme il en avait l’habitude144, mais il dispute aussi au M ont-Liban le blé de la Bekka145. Toute la période allant de 1730 à 1760 est une succession de crises plus ou moins graves, devant lesquelles les autorités sont pratiquement impuissantes et qui ébranlent l’équilibre social. Évidemment, la Syrie avait connu depuis 1516 plusieurs disettes, notamment de 1580 à 1590, mais elles n ’ont jamais eu l’intensité et la fréquence de ces famines qui reviendront chaque année avec leur cortège de misères, de récriminations, d ’insinua­ tions contre les autorités et de soulèvements populaires. Peut-être que la première crise, celle de la fin du XVIe siècle, fut-elle très éprouvante, mais elle était relativement brève, et l’administration centrale trouvait en elle-même les ressources

141. B raudel, M éditerranée, op. cit., pp. 300-304; H eyd , Ottom an, op. cit., pp. 131-3. 142. M antran , Istanbul, op. cit., p. 182, note 4. 143. D ’A rvieux, Mémoires, op. cit., t. 1, pp. 331-2, t. II, p. 446; et Paris, M arseille, op. cit., p. 273. 144. Jouvin , Voyage, op. cit., p. 152. 145. C hevallier, M ont-Liban, op. cit., p. 43.

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n é c e s s a ir e s a ñ n d e la c o n t r e r e f f i c a c e m e n t , t a n d is q u ’a u XVIIIe s iè c le , c h a q u e v ille d e v a it c o m p te r s u r s e s p r o p r e s m o y e n s , sa n s t r o p e s p é r e r d e s e c o u r s d e l ’e x t é r i e u r , c e q u i r e n d i t la s i t u a t i o n s i d ure.

Nos renseignements sur les difficultés de la période 1730 à 1760 proviennent essentiellement de la chronique d ’Ahmad alBudayrl qui, barbier de son état, avait peut-être tendance à privilégier ces renseignements que les compilateurs lettrés dédaignaient habituellement. Il ne semble pas, cependant, que ce soit effectivement le cas, car les textes contemporains de Budayrï ne manquent pas de signaler ces problèmes et, plus encore, la crise fut générale dans toute la Syrie, car les sources alépines témoignent aussi, abondamment, des famines qui frappèrent la métropole du N ord146. Il s’agit donc bien d ’une transformation de l’équilibre alimentaire de la Syrie et non d ’une particularité de notre documentation. Face à ces disettes, l’administration ottomane réagissait autant que le permettaient les moyens de l’époque, soit par l’intermédiaire des juges locaux, soit par une intervention directe de la Porte. Signalons, tout de suite, q u ’avec le XVIIIe siècle, les gouverneurs auront tendance à confisquer les attributions de l’appareil judiciaire et à se substituer à l’autorité du sultan dans ce domaine. La politique de l’Etat Les mesures édictées par l’administration centrale étaient aussi bien conservatives qu’interventionnistes. La réglementa­ tion étatique interdisait le transport du blé en dehors d ’une province sans une autorisation préalable, obtenue pour des

146. M urâdI, S ilk , op. d t ., t. 3, pp. 81 et 83; T aoutel, W atä'iq, op. d t ., 3e partie, p. 66; RAfbq, Damascus, op. d t ., p. 107; XABBÄH, P lä m , op. d t ., t. 3, pp. 345 et 352; S auvaget, A lep, op. d t ., pp. 194-5, note 713; Bodman , Political, op. d t ., pp. 21, 27, 101; al -H alabI, al-M u rtäd, op. d t ., f. 82 et ss.

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quantités déterminées147. En cas de disette, des dérogations étaient accordées, à condition que le prix de vente des grains n ’excède pas un seuil déterminé par le prix d ’achat et les frais de transport. Le tribunal provincial devait rendre compte à la Porte de la bonne application de ces mesures148 et des quantités réellement transportées: «Tous, vous devez être attentifs à fournir la quantité suffisante de céréales à des prix courants dans vos juridictions et à l’expédier dans les pays arabes avec des personnes qui en désirent prendre la charge»14915023, et les juges des villes portuaires devaient, pour leur part, rendre compte au «Seuil de la Félicité de la quantité de céréales arrivées à la province, du prix de vente, du nombre de bateaux par lesquels on avait fait le transport, des noms des bateliers et des commer­ çants»160. Cette réglementation resta, semble-t-il, en vigueur jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, puisqu’en 1782 les Alépins attendirent plusieurs mois l’autorisation de la Porte afin de pouvoir acheter du blé de la région voisine de Bïr161. Au niveau des agglomérations, l’administration recourait aussi à d ’autres moyens pour affronter les disettes, comme la fixation d ’un prix maximum, l’obligation faite à tous les déten­ teurs de dépôts de blé de le mettre en vente ou l’imposition d ’une quantité minimum de pain à fabriquer dans chaque boulange­ rie168. L ’État veillait plus particulièrement à l’approvisionnement de Damas, puisqu’elle était une étape principale sur le chemin de La Mecque, et que plusieurs dizaines de milliers de pèlerins devaient y trouver des provisions pour les 70 à 80 jours que durait le frag163. Cette charge était particulièrement lourde et

147. 148. 149. 150. 151. 152. 153.

G üçbr, Commerce, op. cit., p. 163. B arkan , Ville, op. cit., pp. 297-298. G üçer, Commerce, op. cit., p. 178. Ibid., p. 173. T abbAh , IHam, op. cit., t. 3, p. 352. Y üsuf , TotoàHf, op. cit., p. 89. 'A llâf, Dim aiq, op. cit., p. 63; V olney , Voyage, op. cit., t. 2, p. 251.

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suffit à expliquer le rattachement à Damas des zones productri­ ces de blé comme Hama et H oms, quand le Hauran deviendra incapable de satisfaire les besoins de la ville. Les disettes qui frappent Damas suivent, toutes, la même évolution. Le peuple commence à se plaindre de la hausse des prix en automne; avec l’hiver la situation devient intenable et, devant les démonstrations de mécontentement, les autorités prennent, avec plus ou moins de bonheur, des mesures pour approvisionner la ville, mais sans aboutir généralement à des résultats probants. La cherté persiste jusqu’en mai où arrive à maturité la première moisson de l’année, celle de l’orge, qui assure la soudure avec les récoltes de l’été qui font baisser les prix durablement. Les disettes du X V I e siècle. La première disette signalée au XVIe siècle est celle de l’année 1577, à laquelle le gouverneur de Damas tenta de remédier en im portant le blé de Chypre — nouvellement conquise — et d ’Égypte. Nous sommes peu renseignés sur cette cherté, mais il semble qu’à son habitude, le peuple de Damas en fit porter la responsabilité à l’inaction du juge et aux malver­ sions des hazzàna164. La disette des années 1582-4 fut autrement plus grave et toucha aussi la Syrie centrale. La situation était d ’autant plus critique que les récoltes de la campagne 1582 n ’étaient pas venues à bout de la cherté qui prit alors des proportions telles que l’administration centrale dût intervenir directement: ordre fut donné aux autorités de Tripoli de dépêcher des grains à Damas, après avoir prélevé, toutefois, les besoins d ’Alep. Cette mesure ne suffisant pas, Damas reçut aussi le renfort des blés de la Palestine. Mais bientôt la disette frappa la province, générale­ ment exédentaire, de Tripoli, et la Porte chercha des remèdes dans l’Anatolie. On était déjà à la fin de février 1583 et les premières moissons s’annonçaient; mais la campagne 1583 fut154

154. RAfbq , B ilàd al-S âm , op. cit., p. 188.

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cependant aussi décevante que la précédente et, en janvier 1584, il devint urgent de s’adresser aux zones productrices du littoral européen de l’Egée. Sans grands résultats, semble-t-il, puisque le sultan devait, peu après, accorder l’autorisation de prélever du grain sur les dépôts de la mer Noire réservés à Istanbul166. A peine cette crise était-elle calmée qu’une autre, tout aussi grave, éclata en 1590-91. Notons que cette pénurie de grains fut générale dans la Méditerranée, jusqu’en Espagne, et qu’on fit appel aux blés de la Baltique pour y remédier166. Grâce à la chronique, inédite, d ’al-Ançârt167, nous possédons une descrip­ tions minutieuse qui permet d ’analyser l’évolution de la disette à Damas. Elle débuta «normalement» dans l’année, puisque notre source en fait mention la première fois en novembre: «Le 19 muharram 999 h /17 novembre 1590, débuta la hausse du prix du blé, jusqu’à ce que la girara (- 250 litres) fut vendue à 20 (dinars) sultaniens... et la girara d ’orge à 14 sultaniens. Il ne se trouvait d ’ailleurs pas, dans les villages de Damas, du Hauran, de la Bekka et de la Ghouta, ni orge ni tibn... Le 21 mufrarram (19 novembre) le gouverneur de la ville mit sous séquestres tous les dépôts de grains et ordonna de vendre la girara de blé à 15 sultaniens; il ouvrit les magasins de son père — le grand-vizir Sinân Pacha — et en vendit à 15 sultaniens, et les gens l’imitèrent en cela. Il obligea aussi certains des z u camâ’, qui avaient vendu la giràra à 20 sultaniens, à rembourser 5 sultaniens aux acheteurs. Les boulangers eurent du mal à cuire suffisam­ ment de pain fàbûnà, jusqu’à ce que cAgami, qui vend le pain dans le Süq al-Qabâqibiyyâ al-cAtîqa, plaça une sentinelle devant sa boutique afin de repousser la foule et percevoir le prix du pain vendu... Le 23 mufrarram (21 novembre) le gouverneur de Damas ordonna aux boulangers de ne plus fabriquer les biscuits et les gâteaux (macnik, kinâfa, kack, qurfbitûm), mais1567

155. G üçbr, Commerce, op. cit., pp. 169-170. 156. E. L e R oy L adurie , H istoire du climat depuis l ’an mü, Paris, 1967, p. 16. 157. S araf al -DTn MOsa A l -A nçârI, N u zh a t al-fyâfir tua bah¿at al-nàzir, manuscrit à la bibliothèque al-?âhiriyya, 7814, Histoire.

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uniquement du pàbünâ et du tannüri. Il envoya aussi des émissaires mettre la main sur les récoltes du Hauran et de la Bekka, interdisant la vente du blé (de ces régions) aux négo­ ciants, prescrivant que ces récoltes devaient être portées à Damas sous la surveillance du gouverneur du Hauran. Le mercredi, dernier jour de muharram (28 novembre), le gouverneur em pri­ sonna cinq propriétaires de moulins et les lia par leurs habits aux pieds des chevaux, et ils furent traînés ainsi du Dâr al-Sacâda (Palais du Gouverneur) jusqu'à la Citadelle de Damas, puis ils furent cloués sur des planches...» La leçon porta ses fruits, semble-t-il, puisque le «vendredi 2 çafar (30 novembre) le gouverneur de Damas autorisa, de nouveau, les boulangers et les pâtissiers à fabriquer le pain kmàg, les biscuits et les gâteaux (qatàyif, kinâfa, kack). Le samedi 3, il y eu pléthore de pain et les dépôts regorgeaient de blé...» Ces mesures autoritaires interrompirent la hausse des prix durant le mois de décembre, et ce n ’est que le 8 janvier que le chroniqueur signale de nouveau un manque de pain: «Le mardi 12 (rabïc al-awwal — 8 janvier 1591), la cherté du pain recom­ mença, jusqu’à ce que le rafl (2,5 kg) de pain noir, mélangé et mal cuit, se vendit huit pièces d ’argent. Il n ’était possible, d ’ailleurs, d ’obtenir son pain q u ’au bout de beaucoup de difficultés, à cause de la foule. J ’ai vu, de mes propres yeux, le matin du jeudi 14 (rabîc al-awwal — 10 janvier), la boulangerie de cAgami entourée d ’une foule d ’hommes qui se pressaient tout autour, les uns grimpant sur le dos des autres. La presse était si grande que le boulanger a dû fermer sa porte et ouvrir la fenêtre..., les gens formaient une queue s’étendant de la Porte de la ville au Süq al-Qabâqibiyyâ... Au mois de rabîc al-tânî (27 janvier-24 février 1591), la cherté augmenta jusqu’à ce que le rafl de pain se vendit dix pièces d ’argent et le rafl de riz douze pièces et la girâra de blé à 40 sultaniens et l’orge à 20 sultaniens... Le samedi 7 rabïc al-tânî de l’année (2 février 1591), la cherté augmenta et la girâra de blé se vendit à cinquante sultaniens, valant deux mille pièces d ’argent; le rafl de pain se vendait alors 12 pièces. Décembre et janvier se passèrent sans qu’il plut, et le jeudi 12 du mois (8 février), les habitants de Damas, le

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gouverneur de la ville et le juge sortirent en procession à Mazza afin d ’implorer Dieu q u ’il fasse pleuvoir...» La situation était suffisamment grave pour que le gouverneur de Damas demande au sultan d ’exonérer la ville, pour cette année, de l’impôt foncier ( cawàri4 sulpàniyya) proposant de l’acquitter de sa propre poche. Mais, bientôt, «le lundi 16 du mois (11 février 1591) la pluie tomba et les nouvelles arrivèrent que les pluies étaient abondan­ tes au Hauran, dans la Bekka et dans l’ensemble de la Syrie, ce qui rendit heureux les gens...»; les prix allaient donc baisser rapidement, surtout que les autorités avaient accordé l’autorisation de transporter le blé d ’Egypte et d ’Anatolie. Les moissons printanières finirent de calmer la crise, et «le mardi 18 sacbân (11 juin 1591), le pain fàbûnt se vendit trois pièces (le rapt) le pain kmá¿ six, la giràra de blé égyptien et anatolien à 18 sultaniens, la girara de blé syrien à 22 sultaniens, la giràra d ’orge à onze sultaniens...». La disette n ’était toutefois pas terminée dans toute la Syrie, puisque les nouvelles parvenues d ’Alep apprenaient que la cherté y persistait et que la peste y régnait158. Retenons, de cette très suggestive description, le rôle que jouait les timariotes dans l’approvisionnement de la ville, grâce aux surplus de leurs domaines ruraux qu’ils réalisaient à Damas en commercialisant leurs grains. De même, notons que l’action énergique du gouverneur, Muhammad Pacha, — qui éclipsa le juge — se porte contre les meuniers accusés d ’accaparer le blé, mais sans grands effets, car le cours forcé du pain ne donne pas de résultats à long terme; seuls le secours des moissons égyptien­ nes et anatoliennes et la perspective d ’une récolte abondante font baisser les prix. Comme dans toutes les crises, la peur de la disette anticipe le déficit et fait s’envoler les prix. La sécheresse de décembre et de janvier fait craindre le pire dans un pays où les cultures dépendent si étroitement des pluies, surtout quand les stocks sont à peine suffisants pour assurer la soudure.

158. I b id ., f. 333 à 348, et 385.

LE CAS DE DAMAS

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Plus que du côté des hazzâna et de l’incapacité des juges, contre qui se tourne la colère populaire, il faut chercher les raisons de cette succession de disettes, entre 1577 et 1591, dans des déficits pluviométriques persistants, qui touchent toute la Syrie — et d ’autres pays de la région jusqu’à l’Espagne — et rendent possibles les malversions et la spéculation. L ’impression qu’en retire l’historien est celle d ’une avant-première, probable­ ment atténuée, de la grande crise du XVIIIe siècle. L es crises du xviii 6 siècle

De 1592 à 1730, les disettes se firent plus rares et moins graves; les chroniques en signalent une chaque vingt ou trente ans: en 1052 h/1642-43169, en 1071 h /1660-1, — combattue grâce aux blés d ’Égypte1*0 — ; mais aussi des années d ’abondance remarquable comme en 1087 h /1675-76 où «la pluie fut double à Damas et les prix furent bas*161. Ce n ’est qu’à partir de la fin du XVIIe siècle que les conditions de ravitaillement se détériorent profondément. Dès 1707, commence la complainte des chroniqueurs contre la rareté des pluies et la disette: en 1707, le gouverneur de Damas fait acheter de la farine en Anatolie1591602163, de nouveau en 1713163 et en 17251*4. Entre cette date et 1730, les choses ne s’arrangent nullement; la disette revient chaque année de plus en plus éprouvante, et le peuple murmure contre les accapareurs dont le propre gouverneur de la ville, Ismâ'Tl al-£Azm, qui aurait réalisé des profits mirobolants, notamment sur la viande166. En fait, la cherté était générale en Syrie et elle n ’est nullement étrangère au

159. A l -M unaööid , Ibn ô u m ca, op. cit., p. 34. 160. Ibid., p. 38; et MutfiBBl, H ulàfat, op. cit., t. 1, p. 353. 161. A l -M unaôôid , Ibn ô u m ca, op. cit., p. 42. 162. Ibid., p. 52. 163. Ibid., p. 55. 164. RAfeq, B ilâd al-Sàm, op. cit., p. 317. 165. RAfeq, Damascus, op. cit., pp. 95 et 107-8; M u n aööid , Ibn Gum ca, op. cit., pp. 65 et 77; B urayk , Tàrih, op. cit., p. 7.

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ÉQUIPEMENTS ET RAVITAILLEMENT DES VILLES

soulèvement général des populations urbaines contre les pachas en 1730. La révolte ne devait cependant pas améliorer la situation; les prix restent très élevés, en 1731, 32, 33, 341,e, et ce n ’est q u ’à partir de 1735 que la situation devient moins mauvaise pour quelques années. Dans la décennie 1740-1750, les conditions de ravitaillement de Damas se détériorent de nouveau gravement avec une succession ininterrompue de disettes et de chertés qui atteigni­ rent durant les années 1746-9 des intensités encore inégalées. Suivons le chroniqueur Budayrï dans ses notes de 1162 h /1 748-9 et de 1163 h/1749-1750. «En rabîc al-awwal (1162 h /février 1748) il est un froid très vif, et le charbon se vendit à 5 mifriyya (paras) le rafl (de 2,5 kg)... Le rafl de pain de mauvaise qualité coûtait 6 mifriyya, le (pain) moyen à 8 et le bon à 12... et les prostituées déambulaient jour et nuit...»16167. Plus tard, à la mimars, «la girara de blé atteignit 52 piastres... J ’ai appris que Hamîd Afandï al-cImâdï, le m ufti de Damas, avait stocké le blé à l’exemple des puissants et des notables166169... A ce moment la cherté augmenta en Syrie, et nous avons appris que le rafl de pain coûtait 10 mifriyya à Tripoli et 25 à ô azza et Ramla...»166. Mais la première moisson était proche et «le 8 ¿um ida al-tânl /26 mai, l’orge nouveau fut offert au marché; on vendit le pain d ’orge à 4 mifriyya le rafl et le pain blanc à 6...»170. Peu après, le blé était moissonné (29 mai), mais «la girara en coûtait 45 piastres»171, ce qui représentait une profonde déception pour le peuple qui avait placé tous ses espoirs dans les moissons printanières, et «la câmma se récria et pilla quelques boulangeries», mais le gouverneur intervint et ordonna de vendre le pain à 3 et 4

166. 167. 168. 169. 170. 171.

Ibid., p. 8; RAfbq, Damascus, op. cit., pp. 113-4. BudayrI, IJawàdit, op. cit., p. 126. A l-akâbir w a l-a (yàn. Ibid., p. 128. Ibid., p. 128. Ibid., p. 129.

LE CAS DE DAMAS

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mifriyya le rafl, «ce qui satisfait beaucoup» les habitants de la ville17*. La crise ne se dénoua cependant q u ’à la fin de juin quand les boulangers commerciaux (al-fyabbàza al-süqiyya) annoncèrent que le rafl de pain moyen sera vendu à 4 mifriyya, le bon à 5, et celui qui est mélangé d ’orge à 2, «alors la joie des Damascains fut telle, surtout chez les pauvres, qu’ils en pleurèrent... et en ce jour (29 juin) la girara de bon blé se vendit à 8 piastres...»17’. A peine l’été écoulé, la situation se dégrada de nouveau, et au milieu de l’automne, avec l’année 1163 h /1 149-50, la cherté reprit. De 3 à 5 mifriyya en décembre, le rafl de pain passa à 4-8 mifriyya en février-mars17213174. Mais l’année, en général, fut moins éprouvante que la précédente. Jusqu’à la fin du siècle, la litanie des chroniqueurs s’inter­ rompt rarement. Des précipitations exceptionnelles améliorent l’approvisionnement de la ville durant une saison, mais ce ne sont là que des éclaircies bientôt évanouies, et les plaintes reprennent avec ardeur en 1753, 1761175, 1772 — où la situation se complique, car les rebelles de la Palestine du Nord disputent aux Damascains les blés du Hauran17* —, en 1785, sous Acunad Pacha al-Gazzâr, à qui la rumeur publique prêtait l’intention de construire des baykàt afin d ’y stocker le blé et affamer le peuple177. La

p o l it iq u e d e s g o u v e r n e u r s

La population accusait les hazzàna accapareurs d ’être à l’origine de tous les malheurs qui frappaient la ville. D ’ailleurs, la haine populaire était tenace contre eux et a laissé des traces

172. 173. 174. 175. 176. 177.

Ibid., p. 129. Ibid., p. 130. Ibid., pp. 135-8. M unaööid , Ibn Gum^a, op. cit., p. 83. B urayk , T ârib, op. cit., p. 98. D ima Sq I, Ija w à d it, op. cit., p. 4.

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ÉQUIPEMENTS ET RAVITAILLEMENT DES VILLES

dans les dictons178179et les coutumes de Damas. Quand des pluies abondantes assuraient une bonne récolte, des cortèges d ’enfants se formaient dans l’agglomération et parcouraient les ruelles, chantant des couplets tournant en dérision les hazzâna. L ’extrême sensibilité des céréales à la pluie était bien établie chez les Damascains. cAllai, un petit artisan qui vécut au XIXe siècle, nous a laissés une description saisissante de l’importan­ ce des précipitations sur le ravitaillement de Damas: «les gens considéraient le qafà (ganga) comme un mauvais présage s’il s’approchait de Damas, car il annonce la cherté. En effet, ils savent que cet oiseau vit dans les terres non irriguées et q u ’il ne séjourne dans les régions où l’eau est abondante que si la sécheresse brûle les plaines d ’où proviennent les céréales. L ’un des proverbes en usage chez les gens de Damas affirme que durant l’année du qafà tu vendras ta couverture. Les négociants de grains n ’ignorent pas ceci, et ils s’empressent de cacher leurs stocks... Un autre proverbe répandu à Damas affirme que les hazzàna aiment les pluies torrentielles (zaJffy), car elles ne durent pas longtemps, et craignent les pluies douces (rafyfy), car elles fertilisent la terre et font baisser le prix des grains»180. Cette extrême sensibilité aux pluies explique largement les disettes du XVIIIe siècle dans l’ensemble de la Syrie. Sans entrer dans la controverse sur la sécheresse qui aurait frappé le pays à cette époque, et sur laquelle nous ne possédons que peu d ’indications, notons que dans les chroniques locales, la mention de manque de pluie accompagne presque toujours celle de la hausse des prix, l’abondance des précipitations, par contre, a un effet bénéfique immédiat comme en 1750181. Nous n ’ignorons pas,cependant, l’avertissement de Le Roy Ladurie, quand il nous prévient qu’«une famine ou liste de famines ne sont pas, ne peuvent pas être des faits rigoureusement

178. R. T resse, «Usages saisonniers et dictons sur le temps dans la région de Damas» dans R .E .I., 1937, pp. 1-40, pp. 30-31. 179. A l - cA ll Af , D im aïq, op. cit., pp. 349-350. 180. Ibid., pp. 347-348. 181. B urayk , Tári/f, op. cit., p. 25.

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climatiques» et que «la famine dérive de conditions d ’adversité céréalières, dont le déchiffrement climatique n ’est jamais prévisi­ ble à priori...»182183. Notons, néanmoins, que dans des régions situées à la limite des 250 millimètres de précipitations annuelles groupées sur trois mois, une très faible variation peut provoquer une catastrophe qui réduit «d’une année sur l’autre... le chaptel de 40 à 50% dans les déserts du Proche-Orient..., l’existence d ’oscillations climatiques plus ou moins importantes... ne peut être aujourd’hui mise en doute...»188. La rumeur populaire n ’accusait pas à tort les hazzàna d ’être de connivence avec l’administration pour spéculer sur la hausse des prix184185. Mais ceux-là ne faisaient que profiter de difficultés bien réelles d ’approvisionnement et anticipaient sur des soudures printanières hasardeuses. A côté des fyazzàna, le peuple s’en prenait aussi aux meuniers et principalement à leur Sayh, soupçonné d ’affamer la ville avec la bénédiction des gouverneurs qui en retiraient de substantiels bénéfices186. Les plus riches des meuniers, qui avançaient la farine aux boulangeries, se trouvaient évidemment en bonne place pour retirer des profits considérables des hausses brusques de prix dont souffrait Damas; mais rien, par contre, ne permet d ’accuser les pachas, et en premier lieu Ascad Pacha alcA?m, d ’avoir organisé de toutes pièces la pénurie dans des buts commerciaux. D ’ailleurs, l’attitude des gouverneurs face aux crises attire l’attention. La disette est un phénomène grave qui perturbe la vie politique urbaine, rendant le peuple remuant et prompt à se soulever. C ’est pourquoi les chertés sont dangereuses pour la sécurité des pachas et la stabilité de la ville. Il faut y voir une des

182. L e R o y , Histoire, op. cit., p. 20. 183. P l a n h o l , Fondements, o p .c it., p. 19; et W. H aude ; Über vielhährige

Schwankungen des Niederschlags im Vorderen Orient und nordöstlichen Afrika...», Die Erde 94 (1963), Seite 281 bis 312. 184. R äfeq , Damascus, op. cit., pp. 148, 176-177. 185. R äfeq , B ilä d al-S äm , op. cit., pp. 331-2, 339, 335-6, et R äfeq , Economic, op. cit., p p . 5 e t 12-13.

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ÉQUIPEMENTS ET RAVITAILLEMENT DES VILLES

raisons essentielles qui poussaient l’administration ottomane à prêter tant d ’attention à l’approvisionnement des grandes villes. Au XVIIIe siècle, la Porte ne semble plus capable de se charger de ce soin qui retombe sur les épaules des gouverneurs locaux qui tentent de trouver des sources de ravitaillement. Notons qu’à partir de 1725, nous ne relevons plus de mentions de secours égyptiens ou anatoliens en grains, comme c’en était le cas aux XVIe et XVIIe siècles; le pays doit compter sur ses propres ressources. Dans l’ensemble de la Syrie, une seule région semble rester excédentaire en céréales; il s’agit de Hama et de Homs, ce qui explique leur rattachement économique à Damas qui en tire, en partie, ses besoins18*. D ’ailleurs, la Syrie centrale ne ravitaille pas uniquement Damas, mais aussi la région d ’Alep qui connaît, à ce moment, les mêmes problèmes186187. Ascad Pacha al-cA?m, et ses parents, qui disposait des malkàna-s de Hama, Homs et M acarrat al-N ucmân, était bien placé pour fournir Damas en blé. Q u’il en ait profité pour réaliser des bénéfices, cela est fort possible; qu’il se soit posé, face à ses adversaires, en sauveur, est probable; mais là ne réside pas le vrai problème. En effet, quel que soit l’appétit des divers gouverneurs ils devaient cependant veiller à ne pas pousser trop loin les choses sous peine de subir la fureur populaire dans les villes qui deviendront très remuantes au XVIIIe siècle. Le principe qui guide la politique des pachas est d ’assurer à tout prix, et d ’abord aux dépens des campagnes, le ravitaillement de la métropole. Des expédients Les réseaux commerciaux habituels se révélant incapables, dans la nouvelle conjoncture, de pourvoir la ville en céréales, les gouverneurs prirent l’initiative d ’expéditions militaires qui razziaient, en mai et juin, les zones productrices de grains et

186. Ibid., p. 5. 187. DAS, Recueil des firmans impériaux d ’Alep, vol. 1, n° 20, 26 âawwil 1134 h /9 août 1722.

LE CAS DE DAMAS

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rapportaient à Damas des butins qui étaient vendus, à des prix réduits, aux populations urbaines. Ascad Pacha al-cA?m atteignit des sommets inégalés dans cette politique. En mai 1747, alors que Damas souffrait d ’une grave disette et que la récolte s’annonçait mauvaise, il razzia la Bekka à l’ouest du Litani, grenier du Mont-Liban, pillant plus d ’un millier de tonnes de blé suivant les récriminations d ru ­ zes188189, moins en réalité, mais cela suffit pour faire chuter le prix du pain dans la métropole de 6 à 3 paras le rafl18#. Il récidiva en 1754 et en 1755, envoyant des troupes dans le Hauran combattre les nomades, ce qui lui permit de vendre le bétail à Damas à bon marché190. Volney, qui parcourait le pays une trentaine d ’années plus tard, constate les mêmes pratiques. Il les juge avec sa sévérité habituelle: «Les Pachas veillent avec d ’autant plus de soins à ce dernier article que leur sûreté personnelle en dépend... Ils ont donc soin de tenir les vivres à bon marché... surtout dans... leur résidence: s’il y a disette, c’est toujours là qu’elle se fait le moins sentir... en Novembre 1784... le Pacha envoya ordre dans le Hauran de vider toutes les matmoures191192, en sorte que, pendant que les paysans mouraient de faim dans les villages, le peuple de Damas ne payait le pain que deux paras la livre de France, et croyait le payer très-cher...*198. Ces pratiques ne sont en réalité que des expédients qui traduisent le désarroi et l’impuissance des autorités devant une crise profonde qui touchait l’équilibre fondamental du pays et devant laquelle ils étaient démunis.

188. B udayri , Hcnvàdit, op. cit., p. 101. 189. Ibid., pp. 97-98. 190. RAfbq, Damascus, op. cit., pp. 189-199. 191. M afm ûra-s : silos pour les grains. 192. V o ln ey , Voyages, op. cit., t. 2, pp. 380-381.

LIVRE III

LES RÉSEAUX ET LES TERRITOIRES

CHAPITRE VIII R É S E A U X E T T E R R IT O IR E S U R B A IN S

L es

f o n c t i o n s u r b a in e s

Le caractère d ’une ville est déterminé par sa fonction, c’està-dire par ses activités tournées vers le monde car «les travaux exécutés dans l’intérêt des habitants, à un usage interne, ne révèlent pas la fonction de la ville»12. T rop souvent la fonction d ’une agglomération est assimilée à sa profession, à son rôle économique; l’étranger ne juge la ville que par ce qu’il en reçoit ou y envoie. Les activités non économiques du centre urbain sont trop souvent ignorées ou négligées, car l’échange de biens est plus facilement comptabili­ sé, attesté, que le rayonnement culturel ou l’encadrement administratif. Classer, cataloguer les villes d ’après leurs fonctions permet, non seulement de déterminer leurs places dans la trame que tissent les cités sur la surface de la terre, mais aussi de pénétrer leur vie interne et d ’y découvrir souvent des aspects qui nous étaient mal connus. L ’influence de la fonction sur le plan de la ville a été longtemps discutée par les géographes, et des typologies m inu­ tieuses ont été dressées liant l’occupation de l’espace à l’activité économique. Lucien Febvre résuma la controverse par cette phrase: «Certes, la fonction peut réagir sur la forme, l’aspect, le plan des cités, mais la réciproque n ’est jamais vraie»*. Cette 1. Beaujbu, T raité, op. cit., pp. 104*105. 2. L. F bbvrb, L a terre et révolution humaine, Introduction géographique à

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proposition, généralement exacte dans le domaine européen, ne se vérifie pas dans les villes arabes. Quelle que soit la fonction de la localité — capitale, nœud commercial international, métropole religieuse, poste militaire ou bien centre de production agricole — l’organisation de l’espace urbain reste égale à elle-même, et entre le port éminemment tourné vers l'extérieur et la ville encastrée dans son terroir l’unité du plan est frappante. Caractériser la ville par sa fonction est une entreprise hasardeuse, car les localités ayant un rôle unique sont très rares — même les Lieux saints remplissaient un rôle commercial considérable — et l’enchevêtrement des activités est souvent inextricable. Plus encore la perception des centres urbains change suivant la place qu’occupe l’observateur. Pour le paysan de la Ghouta, Damas représente un marché pour ses moissons, des rouages administratifs et des mosquées célèbres; le commer­ çant de Sayda y voit une capitale politique et religieuse et un débouché pour les produits importés de l’Europe; l’habitant d ’Istanbul la considère comme une étape sur la route qui le mènera à La Mecque; le géographe européen enfin se la représente comme une ville inhospitalière, à l’écart des grandes routes du commerce, produisant peu et consommant peu. Plutôt que de tenter de déterminer la fonction d ’une ville en comparant des volumes d ’activités très dissemblables et en privilégiant un angle d ’observation par rapport aux autres, nous essayerons de caractériser les centres urbains par l’ensemble de leurs fonctions. Cette démarche, tout en étant moins artificielle, nous permettra de comprendre le rôle des agglomérations dans toute sa complexité. La fonction originelle Dans la longue nomenclature des fonctions possibles d ’une ville3, certaines sont communes à tous les centres urbains. Dès

Vhistore. Collection «Évolution de l’Humanité», 2e édition, Paris, 1970, p. 368. Nous le citerons ultérieurement par: L a terre. 3. Voir le classement de B e a u je u , Traité, op. cit., pp. 117*184.

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qu’une localité a un rôle administratif, même très rudimentaire, elle acquiert des attributions qui se retrouvent dans les grandes capitales: collecte de l’argent, poste militaire, justice, nœud routier lié à une foire, etc... Sauf dans des cas très particuliers, il est toujours difficile de déterminer la cause originelle qui impulsa la vie de l’aggloméra­ tion. Est-ce la fonction administrative qui attira les hommes, ou bien l’activité commerciale qui développa suffisamment la localité pour que lui soit confié un rôle administratif? Discussion sans fin et sans résultat, n ’aboutissant qu’à une seule conclusion: à l’origine de presque toutes les villes, existe un terroir agricole qui peut faire vivre un surplus d ’hommes. Au cours de l’histoire, la fonction «entraînante» de la ville change souvent plusieurs fois, et il est impossible de caractériser l’évolution d ’une métropole par une fonction principale, un privilège de la nature en quelque sorte. Comme les hommes, les villes s’adaptent aux contextes nouveaux et en tirent des raisons de vivre et de prospérer. Des accidents de l'histoire. Cependant l’histoire peut expliquer quelquefois le destin de certaines villes; créations princières longtemps entretenues, villes frontières concentrant les militaire, berceau ou tombe d ’un saint illustre qui confèrent à un hameau misérable un rayonne­ ment extraordinaire, toutes ces causes nous sont plus accessibles. La topographie, aussi, rend compte de phénomènes compara­ bles: un gué, un pont, l’entrée d ’un défilé, un point de rupture de charge — chameaux/mulets par exemple —, brèche dans une montagne qui, permettant d ’accéder à la mer4, ces accidents du relief peuvent créer des bourgs liés aux routes et au commerce à longue distance, mais si d'autres facteurs favorables n ’y concou­ rent pas, ils ne deviendront jamais des villes réelles. La multiplicité des fonctions d ’une ville détermine sa place dans la hiérarchie des centres urbains. Plus les fonctions d ’une agglomération sont complexes, diversifiées, plus sa place est

4. B raudel, M éditerranée, op. cit., t. 1, p. 291.

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centrale dans les réseaux qui la lient à d ’autres localités. Les bourgs ayant une mono-fonction agricole — ou artisanale — se situent à l’extrémité de cette trame et l’adjonction de nouvelles activités administratives, religieuses, commerciales, renforce leurs situations jusqu’à aboutir à la grande métropole qui se doit de posséder tout l’éventail des rôles afín de mériter ce titre. C ’est à travers la richesse du rôle de ses diverses composantes que peut être échafaudé le réseau urbain d ’une région. Le

t e r r it o ir e u r b a i n

Le territoire d ’une ville est le prolongement, en dehors de ses murs et de ses faubourgs, de son espace urbain interne. De cette «tombée», dépend la vie des citadins, leur approvisionne­ ment en produits comestibles et en matières premières. L ’orga­ nisation et la configuration de ce territoire varient considérable­ ment suivant l’importance de l’agglomération centrale, la topo­ graphie du pays et la concurrence des centres voisins. Pas une ville, quelle que soit son importance, qui ne possède «son lambeau de vie rurale annéxée, qui n ’impose à son «plat pays» les commodités de son marché, l’usage de ses boutiques, de ses poids et mesures... même de ses distractions. Il faut, pour être, qu’elle domine un Empire, fût-il minuscule»56. Les antagonismes religieux ou ethniques, les relations communautaires ou familiales rendent ces rapports de la ville et de son territoire conflictuels ou bien solidaires; toutes les possibilités se retrouvent dans le cas des villes syriennes. Entre Damas et les gros villages de la Ghouta aucune solution de continuité n ’existe, peu de clivages, et les échanges humain, économique et religieux sont constants6, tandis que plus à

5. B raudel , Civilisation, op. cit., pp. 370-371. 6. L a pid u s , Cities, op. cit., p. 68, note le même éclatement du domaine urbain en Iran: " In many Iranian oases for example, whole regions may be imagined as composite "cities" in which the population was divided into noncontinuous, spatially isolated settlements. In the oases of Bukhara, Balkh, Bayhaq ans Shash the population was settled in one dense city core, usually

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l’Ouest, Sayda se terre derrière ses murailles au centre d ’un pays hostile qu’elle doit soumettre continuellement sans rompre néanmoins ses échanges avec lui. Ces constructions régionales, très anciennes, se retrouvent autour de toutes les villes et formeraient même «l’unité de base de la société du Proche-Orient», comme le remarque Haurani7. Traditionnellement, les juristes reconnaissaient l’existence de ces unités, puisque certains docteurs faisaient obligation aux paysans d ’assister à la prière dans la ville voisine: «Lorsque tout autour d ’une localité importante, il existe des agglomérations secondai­ res dont les héritages sont, avec ceux de la dite localité, d’un seul et même tenant, que d ’autre part la dite localité renferme un bazar où s’approvisionnent de préférence les gens des agglomé­ rations secondaires, je ne saurais admettre qu’un seul habitant de ces agglomérations se dispense d ’assister à la prière du vendredi dans la mosquée-cathédrale de la localité principale»8. La prospérité de la ville dépendait directement de l’état de son territoire, et q u ’une crise agricole touche la campagne, les revenus des notables citadins baissaient en conséquence et tout l’artisanat en souffre*. Quand les villages de ô ab al cAmil subissent la répression de l’autorité ottomane, Sayda en supporte immédiatement et durablement les conséquences. Des terroirs limités Les moyens de locomotion imposaient des limites contraisurrounded by suburbs, and in many small towns, villages, and hamlets scattered throughout the oasis. What made an entire oasis a single unit was the fact that not only the biggest settlements and their suburbs, but the entire region was surrounded by walls to protect against nom anda. Because urban functions were not concentrated within the walls of the largest settlement, but were often distributed throughout the oasis, the outside walls, not the inside walls, may be conceived as the effective boundaries of the region. For example, a good deal of the manufacturing activity of Bukhara was not concentrated in the city core proper, but was dispersed in many small towns, villages, and estates.” 7. H ourani , C ity, op. a t ., p. 16. 8. M arçais , L ’Islamisme, op. cit., p. 29. 9. L apidus , M uslim, op. a t ., p. 30.

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gnantes aux terroirs urbains, car il ne faut pas que les paysans passent plus d ’une journée en allant et en revenant de la ville, soit cinq ou six heures de marche dans les zones montagneuses et huit à neuf en plaine. Au-delà de ce rayon commence la «tombée» d ’une autre agglomération. L ’utilisation d ’un animal, ânes, mulets ou chameaux, permet de reculer cette frontière à 25 ou 30 kilomètres, mais sans plus10. Même les capitales subissaient les contraintes de ces difficul­ tés de communications, et pour agir sur un espace plus vaste, elles devaient se servir de villes-relais, possédant leur propres terroirs. L ’ensemble des terroirs voisins constituait ainsi le territoire des métropoles qui les structuraient à leurs profits et organisaient par rapport à leurs besoins1112. Le

r é s e a u u r b a in

Pour que le réseau urbain existe, il faut, non seulement, q u ’il y ait des relations constantes entre les villes qui le composent, mais aussi hiérarchisations1*. Ces deux conditions impliquent que les échanges économiques, humains et culturels soient permanents entre les divers centres et que la primauté de certains d ’entre eux ne fasse pas de doute. L ’organisation du réseau se réalise à trois niveaux. En premier vient la métropole qui entretient des relations directes avec son terroir et effectue des échanges avec des villes-relais qui, elles-mêmes, jouent un rôle comparable dans leurs zones grâce à une troisième catégorie de localités moins importantes. Dans certains cas le système est plus complexe, soit qu’il existe un quatrième niveau, soit que des bourgs éloignés entretiennent des contacts avec la métropole.

10. C habot , Les villes, op. cit., p. 178. 11. Nous utiliserons ultérieurement ces deux notions de «terroir urbain» et de «territoire» dans les sens définis ici. 12. Diverses définitions, similaires, du réseau urbain chez: T ri cart, H abitat, op. cit., p . 203; C habot , Les villes, op. cit., p p . 194-195; B eaujeu , Traité, op. cit., p p . 442-443 et 447; B raudel , Civilisation, op. cit., p p . 338-339.

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Les composantes du réseau assurent des fonctions de plus en plus complexes, et des services «rares», de la base au sommet de la pyramide. Très souvent la hiérarchie des centres se retrouve dans l’organisation administrative de l’État qui est, sauf excep­ tions, un indicateur utile. Dans la pratique des choses, le système proposé reste assez théorique, car les liens directs entre le dernier des hameaux et la capitale ne sont jamais totalement absents. Il faut donc dégager des courants principaux d ’échanges afín de rendre compte de la structure du réseau. L'activité économique et les relations d ’échange des m étro­ poles arabes sont relativement connues, tandis que celles des agglomérations secondaires le sont peu. On a pu donc, à bon droit, se poser la question de savoir si le Moyen-Orient a édifié des systèmes urbains hiérarchisés au cours de son histoire récente. Si la réponse à cette interrogation a été souvent négative13, il faut en chercher la raison, avant tout, dans notre méconnaissance des fonctions précises des localités de second ordre et non dans une «unidimensionnalité» géographique et un isolement des villes de l’Orient. En comparaison des autres régions du monde, le réseau urbain de la Méditerranée est très dense dans son ensemble, depuis le XVIe siècle. Les villes se suivent de très près, souvent à courtes distances, enserrant étroitement le monde rural. Contrai­ rement aux autres pays conquis, les Arabes n ’ont pas créé de villes en Syrie à l’exception de Ramla au centre ouest de la Palestine. Sauvaget avait déjà remarqué que «la contrée — divisée par la nature en “pays” qui exige chacun leur centre... — *

13. P la n h o l , Fondements, op. cit., pp. 63-64. «Pour insuffisantes que soient les études sur les zones traditionnelles de rayonnement urbain dans les pays islamiques, il est par ailleurs certain que celui-ci était fort réduit, si l’on excepte quelques grandes métropoles à relations lointaines. On a également pu noter l’insuffisance de la hiérarchisation des cités, des réseaux urbains. Autour des métropoles se constitue parfois un réseau de villes satellites, par exemple autour de Fès ou d ’Alger, mais il ne semble pas qu’une hiérarchisation à trois degrés, du type normal en Europe occidentale, ait jamais pu se dessiner systématiquement. »

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était déjà fortement urbanisée1415. Ajoutons à cela une autre raison: la Syrie était déjà largement arabisée avant l’expansion musulmane, elle fut en conséquence peu hostile aux nouveaux conquérants, ils n ’eurent donc pas besoin d ’établir des bases militaires de sécurité qui se transformeraient, avec le temps, en villes nouvelles. Il faut attendre le XVIe siècle ottoman pour assister à une série de fondations urbaines, sous forme d ’importants investisse­ ments dans les équipements d ’anciens centres en léthargie, sans qu’il y ait toutefois des créations «exnihilo» de villes. Ces travaux, que nous étudierons en détail dans leurs cadres régio­ naux, avaient pour but de faciliter les communications et de repeupler des zones stratégiques. Les courants monétaires L ’existence d ’un fort courant monétaire, que les villes centralisent avant de le redistribuer, est une caractéristique des réseaux urbains. Les flux monétaires dans l’Empire Ottoman sont peu connus — leur importance est même souvent niée16 — mais il semble bien que les centres urbains, capitales régionales ou localités plus modestes, aient drainé vers eux d ’importantes sommes d ’argents. Le cas de la Palestine est mieux connu que celui des autres régions; sur une ponction totale de 6,3 millions d ’aspres, 3,1 millions allaient directement à la Caisse impériale et 3,2 aux fonctionnaires locaux, militaires compris, soit plus du 2 /3 pour Istanbul et les grandes villes — dont La Mecque et Médine — et 1 /3 aux petites agglomérations de la région1*. 14. S auvaget, Esquisse, op. cit., p. 422. 15. I n a l c ik , C a p ita l, op. cit., p. 236: «En réalité, le fait... que le développement de l’économie monétaire soit demeuré très faible...» Opinion contraire chez B raudel , M éditerranée, op. cit., t. 1, p. 413: «Il y a eu sûrement progrès de l’économie monétaire. Ce progrès prend, dans l’Empire turc, avec une série de dépréciations monétaires en cascade, l’allure d ’une révolution. Tous les prix montent. Tous les liens sociaux anciens se rompent et les drames de l’Occident se prolongent là comme d ’eux-mêmes: mêmes causes, mêmes effets.» 16. L e w is , Studies, op. cit., p. 486. Les wakfs ne sont pas compris dans ce total.

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L ’image donnée traditionnellement du commerce interne de l’Empire Ottoman est assez terne; peu d ’échanges entre les villes, encore moins entre les provinces, d ’où une production tournée vers la consommation interne ou bien le grand négoce international, sans moyen terne, et «mises à part quelques grandes villes..., en général les villes ottomanes ne produisent que pour leur voisinage immédiat»17. Il est vrai que le commerce à grande distance est plus prestigieux, plus apparent et mieux connu, mais faut-il pour autant nier la réalité du trafic entre les multiples régions de l’Empire? Trafic que nous voyons apparaître dans toutes les villes. L ’échange entre les centres urbains porte aussi sur les hommes. Les astres montants attirent l’élite des autres villes moins favorisées, et les circuits économiques se doublent d ’un courant humain incessant que nous voyons s’enfler lors de chaque crise. Souvent les hommes suivent dans leurs pérégrina­ tions les étapes du système urbain, gagnant des centres de plus en plus considérables. Les notables des petites localités recher­ chent considérations, prestiges et appuis dans les alliances matrimoniales avec les gens des métropoles ou bien s’affilient aux confréries dont la direction se trouve dans la capitale provinciale. Primauté des liens humains sur les relations économiques, ou l’inverse ? Peu importe en fin de compte la réponse, il nous suffit de savoir qu’ils sont inséparables. Le chauvinisme des villes Peu de civilisations ont développé un patriotisme urbain aussi aigu que celui des pays d ’Islam. La moindre des villes possède des titres à la considération universelle que ses habitants ont soigneusement consigné dans les livres de fadàHl qui exposent les «vertus», l’antériorité et les splendeurs de leurs villes. Les deux plus importants ouvrages jamais écrits en langue arabe — plusieurs dizaines de volumes — l’ont été pour exalter deux villes: Damas et Bagdad. 17. I n a lc ik , C apital, op. cit., pp. 236 et 238. Même sous-estimation chez G ib b , Islamic, op. cit., t. 1, p p . 305 et sa.

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Ce chauvinisme ombrageux et des contradictions réelles d ’intérêts ont marqué les relations entre les villes d ’une même région. Oppositions et dédains entre Hama et Homs, jalousies et récrimination entre Damas et Alep, suspicion devant des fortu­ nes récentes entre Tripoli, Sayda et Beyrouth, la liste en est longue. La ville puise dans son histoire, ses gloires, son patriotisme, son patrimoine culturel, une unité inébranlable devant ses concurrents, malgré ses cloisonnements et ses antago­ nismes internes. D

e s v il l e s a g r ic o l e s

Nous connaissons surtout l’aspect commercial de l’activité des villes syriennes, mais ne sont-elles pas, avant tout, des centres de productions agricoles? Pour les agglomérations, petites et moyennes, cette proposi­ tion est exacte; non seulement l’agriculture pratiquée par des «citadins» est destinée à satisfaire les besoins de la consommation interne, mais aussi à fournir les matières premières de l’artisanat local et à exporter des denrées comestibles. Souvent nous avons l’impression qu’il s’agit d ’immenses bourgs agricoles dont la majorité des habitants travaillent la terre et n ’ont pas d ’activités «urbaines»1*. Passant une partie de l’année à l’intérieur des murs, s’installant l’été dans les jardins d ’alentours, souvent fort loin, une frange importante de la population mène une double activité. L ’urbanisation n ’est finalement qu’un changement de résidence qui apporte la sécurité sans pour autant rompre la participation à la vie paysanne. L ’importance de ces «semi-citadins» change suivant les villes et la conjoncture politique, mais ils se retrouvent dans toutes les localités1819. Dans quelques cas les paysans urbanisés

18. W eber, C i t y , op. c it., p. 77, qualifie ces villes de «semi-rurales» quand une forte proportion de leurs habitants travaille la terre et vend des produits agricoles. 19. Le Tourneau remarque le même phénomène en Afrique du N ord; L e

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forment une composante, permanente, importante de l’agglomé­ ration; il ne s’agit plus d ’un phénomène momentané mais d ’un état parfaitement accepté et qui durera des siècles. Les deux exemples les plus typiques à cet égard sont ceux de Homs et surtout de Tripoli qui, malgré sa population très importante pour l’époque, est essentiellement un centre de production agricole. Mais les autres villes, que ce soient Damas ou Alep, n ’échappent pas à cette règle, si bien que nous sommes en droit de nous demander si l’agriculture n ’est pas, en fin de compte, une des principales activités de ces métropoles? Par contre, il est difficile de savoir ce que représentait, dans la vie réelle des villes, le grand commerce international qui, parait-il les caractérisait. En fait aucune donnée vérifiable ne permet de faire la part des choses, et nous avons tout lieu de croire que l’importance de ce négoce a été fortement exagérée par suite de raisons documentaires et culturelles évidentes. T out bien considéré, cette activité ne devait concerner qu’une frange riche, considérée et influente, mais peu nombreuse. La masse de la population urbaine vivait — faut-il le rappeler — de l’agricul­ ture, de l’artisanat, du petit commerce local et des retombées de l’administration. L e réseau économique des campagnes De même que la campagne ne monopolise pas l’agriculture, la ville ne concentre pas tout le commerce et l’artisanat; les villages en conservant une portion qui peut être importante. Mais la ville ne perd rien en laissant subsister ces activités audelà de ses murs, car elle les contrôle et les commandite*0 aussi, parfois, par des avances à la production, des marchands spéciali-

T ourneau , Les villes, op. cit., p. 27; et B raudbl, Civilisation, op. cit., p. 373,

«le* citadins de ce temps-là ne le sont souvent q u ’à demi. Au moment des récoltes, artisans, bonnes gens laissent là leurs métiers et leurs maisons pour le travail des champs.»

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sés et l’autorité administrative, puisque c’est aux juges urbains qu’incombe la charge de surveiller les marchés ruraux*1. Des villages, souvent spécifiques par leurs populations, avaient des vocations commerciales affirmées, d ’autres donnaient beaucoup de soins à l’artisanat, et leurs productions étaient renommées à travers tout le pays. Des réseaux de marchés hebdomadaires et de foires saison­ nières quadrillaient la Syrie afin de collecter les denrées de la terre et les productions de l’artisanat rural, et de distribuer les symboles du raffinement citadin. Les marchés périodiques suppléaient à l'insuffisance de l’infrastructure commerciale dans les petits villages. Ils attiraient les ruraux d ’une large partie de la région et les mettaient «en contact direct avec les commerçants ambulants: vendeurs d ’étof­ fes, fripiers, avec les marchands de bestiaux et avec les courtiers en grains*20212223, Ces süq-s se répartissaient sur le territoire et se tenaient à des jours déterminés dans le cadre d ’un système qui permettait aux négociants spécialisés de parcourir chaque semai­ ne l’ensemble du réseau qu’ils prospectaient. Une hiérarchie liait ces marchés hebdomadaires entre eux afin de permettre la centralisation progressive des produits jusqu’au süq central qui était en contact direct avec la ville, suivant des règles qui ne sont pas sans analogies avec celles que développe Brian Berry22. Des foires annuelles, liées à des manifestations religieuses, secondaient ce réseau, et elles attiraient des acheteurs de régions éloignées ayant des productions complémentaires et spécialisées. La Syrie, en raison de sa densité urbaine, était assez pauvre en grandes foires annuelles qui, toutefois, n ’y sont pas inconnues. 20. Ibid., p. 374. 21. Voir: H eyd , Ottom an, op. cit., pp. 114-115. 22. H a m idé , Région, op. cit., p. 304. 23. B. B erry , Géographie des marchés et du commerce de détail, Paris 1971. Nous le citerons ultérieurement par: Géographie. «Il existe trois niveaux de centres: les «marchés standards», les «marchés intermédiaires» et les «marchés centraux», représentant l’ordre le plus élevé et qui, placés à des points stratégiques sur le réseau de transport, assurent des fonctions importantes du commerce de gros...», pp. 169-170.

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Les marchés hebdomadaires étaient «prolongés» par les colporteurs qui recourent largement à la vente à crédit à charge d ’être remboursés lors de la prochaine récolte. Des liens s'établissent entre ces marchands ambulants et les villages q u ’ils parcouraient, des clientèles fidèles se constituaient, souvent la «tournée* d ’un colporteur était reprise par ses descendants. Hamidé donne une description de ces colporteurs tels qu’ils existaient encore au XXe siècle autour d ’Alep: «Il se livre à des négoces aussi compliqués que menus; il va d ’un village à l’autre, recueillir des œufs, des poules, de la laine, etc... qu’il change contre des étoffes ou des effets de mercerie et parfois contre des friandises sans exclure la vente pure et simple... En ville, le colporteur est économiquement attaché à deux commerçants différents; le premier est le fournisseur de ses diverses denrées de merceries, de tissus... le second est représenté par le grossiste qui opère le ramassage des produits de la campagne...»2425. La ville possédait des équipements chargés de centraliser les productions du «plat pays», ce sont les grands khans qui ceinturent l’agglomération et se dispersent dans ses environs immédiats afín de recevoir les ruraux et leurs denrées. La forme architecturale et la dimension de ce genre de khans sont différentes de celles des bâtiments où logeaient les gros négo­ ciants à l’intérieur même de la localité28. Le

r éseau u r b a in d e la

S y r ie

Le réseau urbain se transforme profondément avec le temps, les fonctions des villes changent, leurs activités périclitent ou se développent, des localités meurent et d ’autres surgissent. La hiérarchie des centres n ’est jamais stable et, pour la comprendre, il faut l’étudier dans ses contraintes régionales et à travers les bouleversements de l’histoire. La rançon de la création de nouvelles agglomérations est souvent la disparition d ’autres plus anciennes, et les villes en 24. H amidé , Région, op. cit., p. 306. 25. RlpAwl, H ànàt, op. cit., p. 59.

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terre d ’Islam jouissent d ’une singulière mobilité que nous avons de la peine à suivre et à dater avec quelques précisions. La permanence de deux grands centres en Syrie ne doit pas cacher les profondes transformations que le réseau urbain a subies en trois siècles, destin général des réseaux, car «l’intérêt qu’ont les hommes à fréquenter certains marchés varie avec l’état général de la civilisation..., l’état des voies de communications, des moyens de transport, surtout les conditions créées par la politique intérieure et la politique internationale»2*. Les relations entre les villes subirent les effets des profondes modifications économiques intervenues de la conquête ottomane jusqu’au début de la pénétration massive de l’Occident. Pour comprendre les grands tournants de l’évolution des diverses régions de la Syrie, il faut garder à l’esprit les points suivants: a) Le grand commerce international connut son apogée à l’extrême fin du XVIe siècle en Syrie. Deux centres en consti­ tuaient la plaque tournante: Alep au Nord et Hama plus au Sud, avec le port commun de Tripoli. Damas poursuit une existence prospère, tournée vers l’intérieur, et vivant largement de sa fonction d ’étape principale sur la route de La Mecque. b) Pour des raisons mal expliquées le rôle de Hama s’estompe avec le XVIIe siècle, même sa production régionale s’étiole, entraînant dans sa décadence sa partenaire Baalbeck. Tripoli privée de la production de son arrière-pays, connaissant des troubles politiques incessants, perd son rôle de port presque unique de la côte et elle est remplacée au Nord par Alexandrette et au Sud par Sayda. c) Avec la deuxième moitié du XVIIe siècle, le grand négoce et les productions commerciales se déplacent vers le Sud et l’Ouest. Le Liban-Sud, la Palestine et toute la côte jusqu’à Lattakieh connaissent une prospérité remarquable dont Damas profite directement, devenant, au XVIIIe siècle, le principal centre de la Syrie. Toute la zone centrale avec la Bekka et les pays de Homs et de Hama souffrent d ’une crise permanente. 26.

F

ebvre,

La terre, op. cit., p. 375.

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d) Alep semble avoir assez bien supporté les conséquences de la réduction de son rôle international, car elle reste la capitale d’une zone de productions variées et son commerce avec l’Asie mineure est toujours aussi important. Toutefois au XVIIIe siècle le recul, catastrophique, de la frontière Est de son territoire la frappe de plein fouet. Dans le cadre de ces grands bouleversements, des drames et des fortunes locales ne manquent pas de se produirent, comme la disparition de Sarmln, l’apparition de Zahlé, la quasi-fondation de Qunaypra, le renouveau de cAkkâ, le déclin de Sayda et la croissance vertigineuse de Beyrouth. Plus que des fluctuations du commerce international, le destin des villes dépend de leurs territoires, de leurs fortunes et de leurs populations; bref, de leurs paysans. Les divisions administratives Le réseau ne coïncide pas nécessairement avec les divisions administratives, mais celles-ci donnent des indications sur l’im ­ portance relative des divers centres. Lors de la conquête ottomane, la Syrie fut divisée en deux wilàya-s autour de Damas et Alep, avec une certaine prééminen­ ce — notamment financière — à cette dernière. Plus tard, vers la fin du XVIe siècle, une nouvelle province fut créée avec Tripoli pour capitale; elle comprenait Hama et Homs à l’Est. Enfin à partir de 1662 Sayda devint, définitivement, chef-lieu d ’une wilàya dont le territoire relevait auparavant de Damas. Chaque wilàya était composée d ’un nombre variable de sangaq-s dont la base administrative est la ville ou bourgade (qafaba) dont il porte généralement le nom. Le sangaq, luimême, se divise en nâfyiya-s avec un gros village comme centre. Enfin la qarya est la plus petite division administrative rurale27. L ’importance administrative d ’une ville ne correspondait pas directement à son importance religieuse ou commerciale.

27. V o ir n o ta m m e n t: L e w is , S tu dies, op. cit., p. 472.

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LES RÉSEAUX ET LES TERRITOIRES

Ainsi Jérusalem ne jouissait nullement d ’un statut gouvernemen­ tal en rapport avec sa qualité de troisième Lieu saint de l’Islam. De même, si Alep est la résidence du daftardâr de la Syrie, Damas possède, quant à elle, une mosquée impériale, privilège qu’elle ne partage qu’avec Istanbul et Le Caire88. La perception de l’importance des métropoles varie aussi, naturellement serons-nous tenté de dire, avec la place qu’occupe l’observateur. Ainsi, Alep, Alexandrette et Jérusalem sont considérées comme les trois premières villes de Syrie par une géographie universelle européenne du XVIIIe siècle8*. Point de vue occidental évidemment, mais qui n ’en exprime pas moins une certaine prééminence commerciale ou culturelle. Añn d ’analyser avec quelques détails la structure du réseau urbain de la Syrie, il était nécessaire de distinguer des sousréseaux relativement homogènes. Évidemment, aucun de ces systèmes n ’est isolé par rapport aux autres, mais il est possible toutefois de déceler des courants plus intenses et plus réguliers que d ’autres. Nous avons choisi de répartir cette étude en trois chapitres qui correspondent aux grandes divisions administratives: Alep et sa région, la province de Tripoli, enfin Damas et la Syrie du Sud.289

28. M. de M. D ’ohsson, Tableau général de l’Empire Ottoman, VII tomes, Paris 1788, t. II, p. 448. 29. J. H ubver, Abrégé de la vieille et nouvelle géographie, Amsterdam 1735, p. 57.

CHAPITRE IX A L E P E T SA R É G IO N

La capitale de la Syrie du Nord est située au centre d ’une vaste plaine, en un point où se rencontrent la grande route nordsud de l’intérieur avec la transversale ouest-est qui relie la Méditerranée à la vallée de l’Euphrate et, au-delà, au Golfe arabo-persique. Cette position explique, en partie, la fortune d ’une localité qui jouissait à l’origine d ’un bon site défensif et d ’un terroir bien arrosé et riche. Sauvaget remarque, avec raison, qu’autour d ’Alep, dans un rayon de 150 km, se présente une série de points de passage obligé: «des accidents du terrain qui permettent, et qui seuls permettent de franchir les obstacles montagneux et désertiques s’échelonnant à la périphérie de la plaine syrienne. Celle-ci peut ainsi entrer aisément en communication avec des régions plus lointaines, aux ressources plus variées, ou plus riches que les siennes propres»1. Sans doute exagère-t-on l’importance de ces axes routiers dans le développement de la métropole, mais cette position centrale est un avantage indéniable, face à des concurrents bien placés. Alep est située, aussi, à la rencontre de deux zones complé­ mentaires économiquement. A l’Est de la ville s’étend la vaste plaine semi-steppique où triomphent les cultures céréalières et l’élevage qui fait tant défaut aux paysans. A l’Ouest, les

1. S auvaget, Alep, op. cit., pp. 18-19.

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plantations arbustives occupent le sol jusqu’à la proche monta* gne; territoire de l’olivier, il y est, néanmoins, mal à l’aise dans ces étendues menacées par le gel, où pourtant il permet le développement d ’une économie paysanne, riche et ouverte au commerce. Les nomades, grands et petits, viendront jusqu’aux abords mêmes de la ville pratiquer leurs échanges avec les sédentaires. Vers le Nord, du côté du Taurus, Alep nouera de solides liens avec les villes et les bourgades de l’Anatolie. Trop souvent nous oublions qu’Alep est une ville continen­ tale, ouverte au Sud, à l’Est, au Nord, mais isolée de la mer par une barrière montagneuse hostile et pauvre, où le passage est toujours coûteux. La métropole ne possède pas de port commo­ de; que ce soit Tripoli, située à 6-7 journées de marche, ou bien Alexandrette, plus proche, mais souffrant d ’un accès difficile et d ’un climat excécrable. U

n e v il l e u n iq u e

Ville gigantesque pour l’époque, rassemblant 60 à 80 mille âmes au xvi* siècle, Alep nous appraît comme la capitale unique d ’une immense région. Évidemment, aucune agglomération voisine ne peut lui être comparée par la dimension et l’activité, mais il existait aussi d ’autres «villes» dans la Syrie du Nord. Des villes à la dimension de ce temps: 2-3 mille habitants et même 4 ou 5 pour M acarrat al-N ucmân, Sarmln et Cisr al-Su¿úr. Ce n ’est que progressivement qu’Alep allait devenir la ville unique de sa région, absorbant peu à peu les forces vives des autres agglomérations et, avec le x v i i i 6 siècle, elle acquiert sa situation de monopole qu’elle conservera jusqu’à nos jours8. Cette évolution qui durera des siècles est très complexe et ne présente jamais un aspect linéaire facile à suivre. Il semble, néanmoins, que dès l’époque mamelouk, le sort en était jeté; les autres localités urbaines connaissaient une irrémédiable décaden­

2. P o u r la s itu a tio n a ctu e lle v o ir: D avid , A lep , op. c it., pp. 153-157.

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ce que les efforts soutenus des autorités ottomanes ne purent pas ralentir durablement. Si le site explique la fortune d ’Alep, il faut chercher, dans l’histoire des grandes invasions mongoles et des guerres intermi­ nables des mamelouks dans les confins du Nord, les raisons de sa domination, quasi exclusive, sur une zone qui s’étend sur une trentaine de milliers de kilomètres. U

n e é v o l u t io n c o m p l e x e

A la veille de la destruction de l’État mamelouk, Alep se présentait comme la première ville de Syrie. En plein essor économique, témoignant d ’une vitalité architecturale remarqua­ ble, elle surpassait Damas qui connaissait à ce moment une crise profonde3. Toutefois, Sauvaget y décèle déjà les germes de sa stagna­ tion future. En effet, d ’après lui, la ville ne vit que de ses relations avec l’Occident, et bientôt ces échanges allaient s’étioler, provoquant la sclérose de l’agglomération. Cette hypothèse, qui cadre avec sa vision d ’ensemble de l’histoire d ’Alep, il ne cessera de la développer tout au long de son ouvrage; ainsi «avec l’affaiblissement graduel de la puissance turque, depuis 1650 environ, l’activité de la ville ne dépend plus — indirectement sans doute, mais dans une très large mesure — que de facteurs qui ont leur origine dans l’histoire des puissances occidentales, bien plus que dans celle de l’Empire ottoman luimême*45et, plus loin, «... l’action toute-puissante de l’Europe apporte à la ville son seul élément positif de prospérité dût-elle en retour, par un biais imprévisible, saper chaque jour plus dangereusement l’équilibre traditionnel de la société et de l’économie. L ’Alep des Ottomans n ’est qu’un trompe-l’œil: une façade somptueuse derrière laquelle il n ’y a que des ruines»6.

3. L apidus, M uslim, op. cit., p. 38. 4. S auvaget, A lep, op. cit., p. 210. 5. Ibid., pp. 238-9.

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Si nous admettons l’importance capitale du grand commerce international sur le destin des métropoles syriennes, nous ne pourrions qu’accepter cette vision. Mais est-ce que cette théorie est vérifiable? Une affirmation du chevalier d ’Arvieux, que Sauvaget fait sienne, illustre bien cette conception: «Le commerce des Fran­ çais, des Anglais et celui de Bassorah, font subsister plus du tiers des habitants» d ’Alep à la fin du XVIIe siècle6. Les courants mondiaux ayant une telle ampleur, leurs disparitions ne pou­ vaient qu’entraîner la mort de la ville. La remise en question de Steensgaard Nous devons à l’impressionnant travail de Niels Steensgaard une remise en cause totale des hypothèses acceptées jusqu’alors. Reprenant l’ensemble du problème du «commerce du levant», il utilisera les diverses sources archivistiques européennes et aboutit à des conclusions originales sur beaucoup de points. D ’après Steensgaard, les routes continentales du MoyenOrient ont atteint, au début du XVIIe siècle, ce qui est probable­ ment le point culminant de leur activité à travers l’histoire et, entre 1593 et 1615, se place une courte phase d ’extrême prospérité qui allait bientôt s’estomper7. Autour de 1625, se produit un tournant capital qui allait sortir progressivement le Moyen-Orient des grands réseaux commerciaux mondiaux — pour deux siècles — sans que cela n ’infiue négativement sur l’économie de la région; au contraire, serions-nous tentés de dire en suivant les conclusions de Steensgaard. En effet, il remarque que la perte du rôle de relais de l’Occident ne devait signifier pour Alep, dans le plus mauvais des cas, qu’une baisse, relativement faible, du chiffre global du commerce de 3 à 4 millions de piastres par an, au début du XVIIe 6. Lettre du chevalier d ’Arvieux du 2 mai 1680, citée par S auvaget, ibid., p. 204. 7. N. S teensgaard, The Asian trade revolution of the seventeenth century , London, 1973, pp. 178-181. Nous le citerons ultérieurement par: Asian.

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siècle. Il n ’y a pas là de quoi faire mourir la ville, surtout que la production locale allait bientôt en profiter pour se développer remarquablement8. Steensgaard note, avec raison, que les populations locales profitaient peu d ’un commerce de luxe qui portait sur de très petites quantités de marchandises, passant des mains de m ar­ chands perses aux mains de marchands européens; le volume réduit de ce commerce ne permettait même pas de fournir beaucoup de travail aux transporteurs locaux. Il en conclut que le seul gain réel provenait des taxes perçues par l’administration, mais elles se montaient à des sommes secondaires en comparai­ son du revenu total d ’Alep. Enfin, l’analyse de l’activité commerciale de la Syrie au xvii6 siècle pousse Steensgaard à affirmer que: “ In addition, the reversal of the transit trade night very well bring about an expansion of the export of commodities produced in the levant...” Nous possédons d ’ailleurs deux exemples concrets de développement de productions locales au cours du XVIIe siècle. Ainsi les douaniers d ’Alep se plaignent au sultan du fait que les commerçants perses ne portaient plus le tissu de coton dit bügàst dans la métropole du Nord, car les gens de Diyâr Bakr ont commencé à le fabriquer eux-mêmes,privant la douane des taxes prélevées sur cet article. Quelques années plus tard, les mêmes douaniers demandent à la Porte l’autorisation de lever un droit sur les tissus dits atlas qui sont dorénavant produits dans la ville au détriment de la marchandise européenne qui ne trouve plus de débouchés dans la place9. Pour sa part, Dominique Chevallier remarque que ce n ’est point le déclin du trafic continental qui a ruiné l’artisanat syrien traditionnel, mais bien la pénétration économique massive de l’Occident au XIXe siècle10. 8. Ibid., pp. 175-193. 9. SÂtflLl, Tagayyur, op. cit., f. 7. 10. D. C hevallier, «Un exemple de résistance technique de l’artisanat syrien aux XIXe et XXe siècle. Les tissus Ikatés d ’Alep et de Damas» dans S yria, 1962, pp. 300-324, p. 300 et note 1. Nous le citerons ultérieurement par: Un exemple.

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Même l’exportation des produits locaux vers l’Europe était relativement peu importante, et une localité modeste comme Sayda a pu réaliser, à certaines périodes, un chiffre d ’affaire très proche, sinon supérieur, à celui d ’Alep dans ce domaine. Les signes de la «décadence» de la ville au XVIIe siècle ne sont pas évidents, contrairement au siècle suivant. En étudiant l’inventaire des monuments d ’Alep réalisé par Sauvaget, il est difficile d ’en conclure à la «sclérose» de la vie urbaine. En effet, sur onze bâtiments très importants construits à Alep durant la période ottomane, cinq sont du XVIe siècle, quatre du XVIIe et deux sont difficiles à dater et ne remonteraient qu’au XVIIIe siècle11. Pour onze constructions secondaires, la répartition est comparable: cinq du XVIe siècle, cinq du XVIIe et, une, reste indéterminée12. Durant la période allant de 1718 à 1800, le nombre de waqfs fondés dans la ville s’élève à 48513, chiffre supérieur à celui des siècles précédents; toutefois l’examen de la nomenclature établie par ô a z z ï permet de se rendre compte q u ’il s’agit de fondations modestes, manifestations d ’une crise sociale et non d ’un dévelop­ pement économique14. Malgré une poussée de vigueur à l’extrême fin du XVIIIe siècle15, le commerce d ’Alep avec l’Europe demeurera modeste, et Smyrne devait bientôt devenir le premier partenaire de l’Occident dans cette région du monde. La crise d ’Alep trouve sa source dans les bouleversements de sa région, dans les secousses internes qui allaient ébranler l’Empire ottoman, et non dans la crise du commerce international à la fin du XVIe siècle. Fortement implantée dans sa vaste région, Alep subira les contre-coups des tragédies qui s’y déroulèrent16, et sa perte 11. J. S auvaget, «Inventaire des monuments musulmans de la ville d ’Alep» dans R .E .I., 1931, pp. 59-114; pp. 59-105, n«: 63, 64, 65, 66, 67, 70, 71, 72, 73, 74, 75. 12. Ibid., pp. 106-114, n«*: 79, 80, 81, 82, 88, 92, 98, 108, 116, 117, 121. 13. Y idiyildiz , Waqf, op. cit., f. 4. 14. Ô azzI, N ah r, op. cit., t. 2, pp. 537-558. 15. P aris, M arseille, op. cit., p. 415. 16. B odman , Political, op. cit., p. 16.

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d’activité allait profiter économiquement et humainement aux villes nouvelles du Proche-Orient17. Un

c o m m e r c e d e p r o d u it s r é g io n a u x

La nature des exportations d ’Alep vers l’Europe illustre bien cette imbrication de la métropole dans sa région et sa dépendance envers l’artisanat rural et celui des autres bourgades de la Syrie du Nord. Les postes les plus importants de ces «retraits» sont, à partir de la moitié du XVIIe siècle, les noix de galle récoltées dans la région de Moussol, la laine de moutons et de chameaux collectée dans le désert, le coton, travaillé ou non, provenant de l’ouest de son territoire, les «toileries* — tissus grossiers fabriqués dans les villages —, les étoffes de soie ouvrées dans la ville et, enfin, les poils de chèvres qui viennent de l’Anatolie18. Peu de produits donc du trafic international et même une part relativement modeste d ’articles de l’artisanat urbain. Les métiers alépins travaillaient surtout pour les autres provinces de l’Empire Ottoman où elles jouissaient d ’un prestige générateur de gros profits. D ’ailleurs Tavernier, qui connaissait bien le commerce de la région pour l’avoir longtemps pratiqué, note que la place d ’Alep est principalement fréquentée par «des Turcs et des Arabes*19. Le

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N

ord

Centre d ’un réseau urbain très étendu, Alep entretenait des relations constantes, à trois niveaux, avec sa région: — Les échanges directs avec le monde rural et les nomades

17. H amidé , A lep, op. cit., p. 9. 18. P aris, M arseille, op. cit., pp. 416 et 608-609; M asson , Commerce, X V I I e, op. cit., p. 37. Détails des exportations de l’échelle d ’Alep, p. 375, note 1; V olney , Voyage, op. cit., t. 2, p. 138. 19. T avernibr, Voyages, op. cit., t. 1, pp. 124-5.

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étaient fort im portants; la ville possédait des marchés spécialisés dans ce négoce. — Une série de bourgades et de villes secondaires relayaient son action dans un premier rayon de 40 à 50 kilomètres, comme Sarmîn, Sarâqib et M acarrat Miçrîn au XVIe siècle, et Idlib au siècle suivant. Plus loin, l’action de la métropole était reprise par des localités satellites à l’exemple de Bâb, cAzâz, Hârim, Darküs et, au XVIIe siècle, Arîha. Sur un cercle plus vaste, 80 à 90 kilomètres, s’organisait une couronne de petites villes qui jouaient un rôle local, tout en servant de relais à Alep: Manbiè, Hanâçir, M acarrat al-N ucmân, Gisr al-Sugür, An­ tioche, Alexandrette, Killis. — Enfin, la ville correspondait continuellement avec des agglo­ mérations importantes comme M arcas, Moussol, Ourfa, Ai'ntâb et Hama, puis Lattakieh. Ces relations subirent de profondes transformations au xv il F siècle. Toute la partie orientale du réseau connut une grave crise, et certaines localités furent même abandonnées pour un moment. L ’ouest de la ville, qui était déjà plus densément peuplé, resta le champ d ’action principal d ’Alep. Localement, l’action des petites villes était renforcée par un système de marchés hebdomadaires et un réseau de colportage assez actif. Malgré ses relations d ’échanges avec l’Europe, l’Orient20 et les autres régions de la Syrie21, c’est vers le Nord et l’Est que se concentrait l’essentiel de l’activité commerciale d ’Alep. Les productions de la plaine alépine, comme le très impor­ tant commerce du savon, étaient exportées vers «la Mésopota­ mie, dans la Chaldée, dans la Perse et dans le Désert*22, et Olivier, à la fin du XVIIIe siècle, remarque que les toiles d ’Alep 20. S avay, Dictionnaire, op. cit., t. 1, p. 350, signale l’existence de marchands hindous et persans à Alep. 21. F errières, Voyages, op. cit., t. 2, p. 192. 22. T avernier, Voyages, op. cit., t. 1 , p. 121. Pour le très gros commerce de savon, voir: T abbâç, I clàm, op. cit., t. 5, p. 477; A.N., série A.E. B1, registre 94, 16 avril 1777.

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provenaient «d’Antioche13, de Killis24, de Merdin, Orfa, Antab...» sans parler des galles de l’Irak232425. Importantes du XVIe au XVIIIe siècle, ces liaisons d ’Alep avec l’Anatolie et l’Irak allaient devenir presque exclusive au XIXe siècle26. Les liens humains étaient tout aussi importants que les relations économiques. Comme toutes les grandes villes, Alep attirait, au même titre que les gens de la campagne, les habitants de ses villes satellites. Les exemples que nous possédons de ces mouvements sont très nombreux et illustrent bien la position centrale de la métropole dans son réseau. Dès 1035 h /1625, des MüçilT et des Urfalî sont signalés dans la ville27. D ’autres viennent de Sarmïn qui n ’arrive pas à redresser sa situation, comme ce Hasan al-Sarmïnï2629, avec souvent une étape dans la localité en développement d ’Idlib, à l’exemple de ce cAbdul öaw äd al-Kayyâlï qui, né à Sarmïn, séjourne quelques années à Idlib avant de gagner Alep22. Bâb aussi, centre important au XVIe , perd progressivement sa subs­ tance et ses élites la quittent pour Alep30. Certains déjà favorisés dans leur petite ville se laissent tenter par la métropole, comme ce fils du m ufti d ’Antioche qui vient tenter sa chance à Alep et

23. Ibid., 16 avril 1777. 24. Des courtiers se spécialisaient à Alep dans le commerce des toiles de Killis; d’ARViEUX, Mémoires, op. cit., t. VI, p. 385. 25. O livier , Voyages, op. cit., t. 4, p. 181. 26. L ewis , Islamic, op. cit., t. 1, pp. 376-377. Pour l’extrême fin du

XIXe

siècle, Hamidé cite les chiffres suivants pour les exportations de la ville: Asie Mineure: 60%; Alep et sa région: 20%; Irak: 10%; Égypte et Syrie: 10%. Il faut toutefois manier ces données avec prudence. H amidé , Alep, op. cit., pp. 150-151. 27. DAS, Alep 19, 12 rabí1 al-awwal 1035 h/21 décembre 1722, par exemple. 28. M urAdI, Silk, op. cit., t. 2, p. 68; et T abbA#, I clàm, op. cit., t. 5, pp. 335, 436, 547... 29. M urAdI, Silk, op. cit., t. 2, p. 239; Ô azzT, Katoákib, op. cit., t. 1, p. 177; T abbAp , / ‘ton, op. cit., t. 5, p. 537. 30. Ô azzT, Kawâkib, op. cit., t. 2, pp. 26 et 49; T abbA#, IHâm, op. cit., t. 5, pp. 434, 464; t. 6, pp. 521,523.

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met tous les atouts de son côté en s'alliant matrimonialement avec la puissante famille Kawâkibî31. D ’autres viennent de plus loin, de Bîr sur l’Euphrate32 et de Moussol. L ’intensité des relations intellectuelles entre Alep et cette dernière ville est attestée par l’incessante circulation des hommes de science, souvent pour occuper des postes de premier plan33. Killis aussi participait à ce mouvement, soit comme étape entre Aïntab et Alep34, soit comme base de départ3536. Les communautés chrétiennes connaissaient des mouve­ ments comparables, que ce soit pour les Arméniens d ’Anatolie ou bien pour les gens d ’Ourfa et de Killis34. D ’ailleurs, la peste aussi suivait les étapes de ce réseau urbain, et Russell décrit ainsi l’avance de l’épidémie de 1742 vers Alep: venue d ’abord à Alexandrette, elle gagne l’arrière-pays, puis Aïntab, Killis et cAzâz, d ’où elle fut transportée par les nomades dans les banlieues d ’Alep, avant de pénétrer au centre de la ville37. L es

k h a n s et les m a r c h és d

’A l e p

Certains des quartiers d ’Alep étaient plus particulièrement spécialisés dans le commerce avec son territoire. Loger les hommes, entreposer les marchandises, assurer les échanges, autant d ’activités concentrées dans des faubourgs comme Bâb Nayrab et Banqüsa. Ce dernier quartier datait du XVe siècle et

31. M urâdî, S ilk, op. cit., t. 4, p. 69; T abbäh, I cldm, op. cit., t. 5, pp. 426, 549.

32. M urAdT, S ilk, op. cit., t. 3, p. 138; T abbä£ , l ’-làm, op. cit., t. 5, pp.336, 385, 444, 534. 33. M urâdî, S ilk, op. cit., t. 2, p. 77; t. 3, p. 258, t. 4, p. 2; T abbäh, I clâm, op. cit., t. 6, p. 348. 34. Ibid., t. 6, p. 213; M urâdî, S ilk , op. cit., t. 4, p. 120. 35. Ibid., t. 3, p. 160. 36. T aoutel, W o iâ ’iq, op. cit., t. 1, p. 31. 37. R ussell, Aleppo, op. cit., t. II, pp. 301-304.

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recevait principalement les caravanes du Nord et de l’Est38 avec ses khans spécialisés dans les produits du désert39. Des transac­ tions fructueuses s’y déroulaient entre nomades et commerçants de la ville, y compris les Européens, à l’exemple de ce Marseillais qui allait tous les matins à «Bancousse voye de rencontrer en quelque honneste partie de filés, mais les turquimans qui hont veu la bonne et prompte vande qu’ilz ha vent...»40. Réceptacle des produits du désert, Banqûsa en recevait aussi l’esprit, les solidarités et les inimitiés; elle représentait à Alep le parti des nomades et des ruraux face aux forces plus intrinsèquement citadines. Les khans ruraux Alep possédait les deux types de khans habituels dans les villes syriennes et que nous divisons, par commodité, en «ruraux» et «citadins», bien q u ’ils appartiennent tous deux à l’espace urbain. Les différences entre ces deux types de bâti­ ments existent aussi bien au niveau du plan, de la fonction que de l’emplacement. Les khans «ruraux», tournés vers les échanges avec la campagne et le désert, se trouvent aux abords de la ville à proximité des portes. Ils possèdent une très vaste cours, susceptible de recevoir une caravane de plusieurs dizaines de chameaux. Autour de cet espace central se dresse une série d ’entrepôts destinés aux produits de l’agriculture et de l’éleva­ ge41 — connus dans la Syrie du Sud sous le nom de bàyka — et qui servent en même temps d ’écuries et de granges. Les tenanciers de ces établissements — qui portent le nom de fyán¿t-s à Alep42 — sont des grossistes en produits de la terre

38. Voir: D avid , A lep, op. cit., pp. 25-26 et p. 165. 39. M antran , Règlements, op. cit., p. 113 et note 4. 40. M . B aulant , Lettres de négociants marseillais : les frères Hermite (15701612), Paris, 1953, p. 49, lettre du 10 avril 1583. 41. H amidé , A lep, op. cit., p. 157. 42. Et de b a w à yki à Damas.

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et de l’artisanat rural, qui traitent avec les détaillants et les exportateurs. Ils avancent de l’argent ou des semences aux paysans et réussissent ainsi à les lier à leurs intérêts pour longtemps: le villageois confíe ses denrées au hán¿f qui se charge de les écouler sur le marché urbain et d ’éteindre lentement sa dette. Ce système, qui était encore en vigueur au début du XXe siècle, rend le cultivateur dépendant du tenancier du khan, pour la vente de ses moissons et pour ses indispensables avances de numéraires43. Olivier signale que cette pratique était courante dans la communauté juive au XVIIIe siècle: «Les Juifs exercent à Alep divers métiers et se livrent au commerce de détail... La plupart prêtent à un intérêt usuraire aux cultivateurs des environs et sont attentifs à se faire payer en denrées à la récolte»44. Quelquefois des liens de ce genre s’établissaient entre des négociants alépins et les producteurs d ’une localité déterminée dont ils vendaient la production dans la métropole. Les khans «ruraux» pouvaient se spécialiser dans le commer­ ce de certaines denrées, comme ces grands enclos, situés au nordest d ’Alep, et qui reçoivent les troupeaux d ’ovins et de bovins venus de l’Irak et de l’Anatolie, et qui y sont engraissés avant de repartir pour les autres régions syriennes4546. Les marchés Pour traiter avec les ruraux de son voisinage et les nomades qui approchaient de la ville en clients ou en bandits44, Alep possédait des marchés hebdomadaires fréquentés principalement par les villageois et les hommes du désert. La plus importante de ces foires est le marché du vendredi

43. 44. 45. 46.

ville.

H amidé , Région, op. cit., p. 521. O liv ier , Voyage, op. cit., t. 4, p. 179. H amidé , A lep, op. cit., p. 161; et D avid , A lep, op. cit., p. 74. En 1683, par exemple, des bandes kurdes attaquent les faubourgs de la

D ’a r v i e u x ,

Mémoires, op. cit., t. VI, p. 405.

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285

qui se tenait dans un terrain sous la Citadelle et qui avait un caractère bédouin prononcé47. Deux autres marchés, moins importants, sont aussi signalés dans la localité; l’un se tient le dimanche dans le quartier de Cheikh Abou-Bakr et reçoit une clientèle essentiellement chré­ tienne, l’autre, au point d ’arrivée de la route de Deir-ez-Zor à l’est d ’Alep, et se spécialise dans le commerce des bêtes de boucherie48. L es

a g r i c u l t e u r s d a n s l a v il l e

De toutes les villes de la Syrie contemporaine, Alep est sans doute la plus ruralisée, avec une importante population de très fraîche extraction paysanne. En 1970 encore, 14% uniquement des actifs de la métropole du Nord avaient des occupations typiquement urbaines4*. Tout au long de son histoire, Alep a abrité une importante proportion d ’agriculteurs parmi ses habitants, et le caractère «paysan» de certains quartiers, comme Maqâm, M acâdi et Bâb Nayrab, est attesté depuis le XVe siècle5051. Ces populations urbaines passaient généralement l’hiver en ville où elles pratiquent des métiers urbains, et le reste de l’année elles la quittent pour leurs jardins à l’ouest du Qoueiq. Hamidé remarque qu’ils possèdent tous leurs maisons dans l’aggloméra­ tion et exploitent directem ent leurs propriétés rurales, et semblent être issues de souches très anciennement installées dans la ville81. A côté des innombrables ruraux attestés dans l’aggloméra­ tion au XVIIIe siècle, nous relevons aussi la mention d ’agriculteurs 47. Fort débit des textiles d ’Alep chez les nomades. Voir: C hevallier , Un exemple, op. cit., p. 301; Bodm an , Political, op. d t ., p. 108, signale une qayfariyat a l-cA rab, sous la Citadelle. Pour le rôle des militaires dans la formation de ce marché, voir: S auvagbt, A lep, op. d t ., p. 170. 48. H amidé , A lep, op. d t ., pp. 160-161. 49. D avid , A lep, op. d t ., p. 153. 50. S auvacet, A lep, op. d t ., p. 176; et D avid , A lep, op. d t ., p. 70. 51. H a m id é , Région, op. d t ., p. 367.

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possèdent des terres aux environs de la ville et habitant Alep. De même Bâb Allah était considéré comme un village indépendant, mais il appartenait à des Alépins qui y pratiquaient le jardina­ ge82, et la vente de vergers entre habitants du quartier de Basâtina est relevée dès le XVIIe siècle83. Le ravitaillement d ’Alep en fruits et légumes était en partie assuré par ces maraîchers, les transactions se faisaient au «khan des fruits», à Bâb al-Ginân, à la limite de la ville et des jardins où les agriculteurs apportaient chaque jour leurs produits84. Le

t e r r it o ir e d

’A l e p

Les localités qui gravitaient dans l’orbite d ’Alep connurent des fortunes diverses durant la période qui nous intéresse. D ’une façon générale, toutes les agglomérations en bordure du désert subirent des revers graves qui aboutirent, dans certains cas, à leurs désertions, tandis que le territoire ouest d ’Alep traversait le XVIIIe siècle sans trop de malheurs. Ces bourgades étaient de véritables petites villes avec tous les équipements et les attributions nécessaires, et elles présen­ taient l’aspect habituel des centres urbains arabes: «Maison hermétiquement fermée aux regards indiscrets... Les rues ne sont que des passages étroits, en dédales, mais conduisant à la placette du bazar ou du souk... Le noyau ancien, avec ses maisons ramassées autour de la mosquée, ses «khans» et son souk...»88. A côté des activités artisanales, souvent fort anciennes et importantes, ces localités avaient des rôles commerciaux perma­ nent pour leurs voisinages, avec leur bazar, et aussi le marché hebdomadaire dont elles étaient le siège.5234

52. 53. 54. 55.

DAS, Alep 72, 26 ¿um ida al-tänl 1167 h/30 avril 1754. DAS, Alep 19, 7 ¿um ida al-awwal 1036 h /2 février 1724. S auvacet, A lep, op. cit., p. 78; et H amidé, A lep, op. cit., p. 162. H amidé, Région, op. cit., p. 341.

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Les marchés hebdomadaires Le réseau de marchés hebdomadaires du territoire d ’Alep est particulièrement serré, non seulement par suite de l’absence de grandes villes-relais, mais surtout comme conséquence de la richesse et de la diversité de la région. D ’ailleurs la comparaison avec d ’autres parties de la Syrie permet de constater que ces rencontres en zones rurales sont beaucoup plus fréquentes que nous ne le pensions auparavant. Tous les marchés hebdomadaires ne présentent pas le même intérêt pour l’économie régionale et une hiérarchie s’en dégage, au profit des «sûq-s du vendredi», véritables centres de collecte des productions d ’une unité géographique. Huit marchés du vendredi se tenaient sur le territoire d ’Alep, sans compter celui de la métropole elle-même. Du N ordEst au Sud-Ouest, les localités qui les recevaient sont les suivantes: Bâb, Hanâsir — aux abords du désert —, M acarrat alN ucmân, sur la route menant à Hama, Darküs, aux pieds du Cabal al-Aqrac et Hârim, au nord du Cabal Hârim. Au centre du territoire d ’Alep, trois marchés du vendredi se partageaient les activités de la riche région à l’est du Cabal al-Zâwiya: Sarâqib, Idlib et M acarrat Miçrln — dite aussi Nasrïn, Maçrlm et Qinaçrîn66. Autour de ces marchés centraux s’organisaient des sûq-s moins achalandés et spécialisés dans la production de quelques villages voisins. Le colportage permettait d ’atteindre, d ’autre part, les hameaux les plus éloignés, à l’écart de l’attraction des marchés. Les vendeurs ambulants étaient souvent des juifs venus d ’Alep67 ou bien des habitants de villages se consacrant à cette activité, comme ceux de Hân Sayhün et les chiites de Nubül565758.

56. Ibid., p. 305. 57. DAS, Alep 23, 6 ramadan 1067 h/18 juin 1657. Parcourant le ô a b a l Sim cân avec son fils et son âne, le colporteur mourut brusquement en route; sa marchandise — des tissus — fut confiée à son agent local (toakit) qui vint en rendre compte devant le tribunal. 58. H a m idé , Région, op. cit., p. 306.

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Nous rencontrerons, dans d ’autres parties de la Syrie, ces minoritaires spécialisés dans le colportage. Douze localités — M acarrat al-N ucmân, Sarmîn, Idlib, M acarrat Miçrïn, Hârim, Antioche, Alexandrette, Killis, cAzâz, Bâb et Manbig —, centres administratifs de nàhiya-s, étaient les sièges de juges locaux relevant de la juridiction d ’Alep59. Le rayonnement local de ces bourgades différait fortement suivant le contexte régional. Certaines, comme Killis ou Antioche, faisaient figure de véritables villes; d ’autres, à l’exemple de M acarrat Miçrîn et Hârim, étaient tout au plus de gros villages. D ’ailleurs les transformations économique, démographique et politique de la région allaient influer sur l’évolution de ces agglomérations, sur leur taille et leur fonction. Sans procéder à une monographie régionale détaillée, nous tenterons de tracer les grandes lignes de ces bouleversements,à travers les exemples de quelques villes. M acarrat al-N ucman La décadence de M a£arrat al-N ucman commença bien avant la conquête ottomane. La localité avait perdu son grand rôle régional au profit d ’Alep et, lors de l’effondrement de l’État mamelouk, elle n ’était plus q u ’une petite ville vivant de sa fonction de centre d ’échange au contact du désert et du ôabal alZâwiya, et jouant le rôle d ’étape principale sur la grande route Damas-Alep. M acarra fut le siège d ’un liwà* au XVIe siècle, qui relevait de la toilàya de Damas et non de celle d ’Alep60. Mais plus tard, lors de la création d ’une province autour de Tripoli, elle fut rattachée à la métropole du Nord comme centre d ’une nâfyiya.

59. T abbäh , I elehn, op. d t ., t. 6, p. 46; M uribb T, tfu lä fa t, op. d t ., t. 3, p. 327. 60. H ü ttbroth , H istorical, op. d t ., p. 17; et B. L e w is , “T he Ottoman archives as a source for the history of the Arabs Lands” dans J .R .A .S ., 1951, pp. 139-155, p. 151. Nous le citerons ultérieurement par: Ottoman.

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Le zoaqf de Muràd Celebi Dans le cadre de leur vaste politique d ’extension du peuplement en Syrie et de développement des centres urbains, les Ottomans renouvelèrent les équipements de M acarra, notam­ ment par le waqf de Murad Celebi, «protecteur des registres du diwän de Sultan»61. Cette fondation, qui date de 1563-6, comporte un grand khan6263, une mosquée, un bain et une tekkieh, où était distribuée la soupe des voyageurs. Jouissant d ’impor­ tants revenus, principalement des biens situés dans la région de Hama68, ce waqf allait donner une nouvelle impulsion à la ville, surtout que son ancien khan était en ruine depuis longtemps, probablement dès avant la période ottomane6465. Si nous en croyons Evliya Celebi, M acarra aurait eu huit cents maisons au milieu du XVIIe siècle, soit quatre à cinq mille habitants, chiffre probablement trop fort, mais significatif66. C’est une bonne ville, comprenant trois bains en activité — dont celui du khan —, une grande mosquée, une résidence pour le fübàii et un bazar de quarante à cinquante boutiques. Les notables locaux sont le juge, le m ufti, le naqib al-airàf et le représentant du pacha d ’Alep. Une vraie ville en somme, divisée en deux secteurs, comprenant chacun plusieurs quartiers (hâràt)**. Sa fonction commerciale. Le marché du vendredi de M acarra était fort ancien et sa 61. A l -G undI, Macarra, op. cit., p. 397. 62. T hévbnot, Voyage, op. cit., pp. 443-5, qui traite M acarra de «méchan­ te ville», en donne une description admirative. 63. YDsuf, R if, op. cit., p. 36; et Y. S auvan, «Une liste de fondations pieuses (waqfiyya-s) au temps de Selim I I ” dans B.E.O., X X V III, 1975 (1977), pp. 231-257. 64. Au sujet de ce complexe architectural, voir: al-G undT, Macarra, op. cit., t. 1, p. 397; A. R. al-M açrI, «Nabd tnin atoàbid Mamarrai al-Nucmàn, Les monuments de M acarrat al-N ucmin» dans A .A .S ., 1969, pp. 107-120, pp. 117118; V an Bbrchbm, Voyage, op. cit., t. 1, p. 203. 65. A l -G undI, Macarra, op. cit., t. 1, p. 104. 66. Ibid., pp. 188-189 et 451.

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situation centrale attirait non seulement les marchands d'Alep, mais aussi ceux de Hama et de ô is r al-Sugür, ainsi que les bédouins, ce qui en faisait le plus important du territoire d ’Alep, et «on y voit côte à côte le nomade du Hamâd, le fellah de la steppe, le paysan de la montagne...»*7. Grosse productrice d ’huile et de soies, M acarra perdit, peu à peu, son artisanat à l’exception des métiers tournés vers le commerce avec les hommes du désert: tissus grossiers pour les vêtements et teintureries «utilisant les couleurs préférées des bédouins**8. La crise du X V IIIe siècle Avec le XVIIIe siècle commence une grave crise à M acarra, et dès 1730 elle serait déjà en ruine, avec un àga indépendant qui imposait les voyageurs676869. En 1748, le khan de Murâd Celebi était inutilisable et Ascad Pacha al-cAzm y construisit un autre70. La localité allait sortir à ce moment de l’orbite d ’Alep pour entrer dans celui de Damas. Les raisons de cette crise sont manifestes; devant l’avance des bédouins, les sédentaires reculent, abandonnant site après site, et les affrontements entre citadins et nomades sont fré­ quents7172*. La Porte tente bien de remédier à la désertification en lançant des ordres pour coloniser les alentours de la bourgade, demandant par exemple au Pacha d ’Alep de repeupler les villages de la nábiya de M acarra7S, mais sans résultats, car manifestement les autorités ottomanes n ’ont plus les moyens de leur politique.

67. RAfbq, Damascus, op. cit., p. 91 ; et H am idé , Région, op. cit., pp. 304 et 355. 1, p p . 271*273. 91. 118. t. 1, p. 266. 72. DAS, recueils des firmans impériaux d ’Alep, vol. 2, n° 130, année 1135 h/1722-1723. M acarra, op. cit., 69. RAfbq, Damascus, op. cit., p. 70. A L-M açrT, N ab4, op- cit., p. 71. al -G undI, M acarra, op. cit., 68.

a l - Ô u n d I,

t.

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LES RÉSEAUX ET LES TERRITOIRES

Finalement, le coup de grâce fut donné à la bourgade en léthargie, par les troupes égyptiennes de Ibrâhîm pacha, quand elle fut pillée et incendiée à la suite d ’incidents avec les habitants73. La ville souffrit tellement de ces événements qu’elle fut réduite au rang de village, et ses propres habitants avaient l’impression qu’elle était en ruine depuis fort longtemps7475. S a r m ïn

Le destin de Sarmïn peut être comparé à celui de M acarrat al-N ucmân, mais si celle-ci réussit à se redresser avec le XXe siècle, la première, entourée de localités florissantes, n ’avait plus de place dans le réseau urbain: il n ’en reste plus aujourd’hui qu’un insignifiant village et beaucoup de ruines. Face au spectacle actuel, on a peine à imaginer que Sarmïn fut, aux xve et xvie siècles, la première ville du territoire d ’Alep. Les témoins de cette ancienne grandeur sont nombreux dans la localité: un hôpital76, trois grandes mosquées et sept khans76. La ville était déjà en perte de vitesse au profit d ’Alep, dès avant la conquête ottomane, mais elle n ’en gardait pas moins une place importante dans l’économie de la région. En effet, les étoffes de Sarmïn étaient encore fort recherchées et d ’un bon prix à la fin du XVIe siècle; la correspondance des marchands vénitiens installés à Alep en fait foi77. D ’ailleurs, elle était toujours le centre d ’un qa$â' — dont relevait sa rivale Idlib7879— et le siège d ’un juge7*.

73. Al -G undI, M acarra, op. cit., t. 1, pp. 192-3. 74. H a m idé , Région, op. cit., p. 354. 75. D a h h An , al-B im àristânàt, op. cit., p. 71. 76. H amidé, Région, op. cit., p. 363. 77. T ucci, Lettres, op. cit., pp. 73-74. 78. G azzT, N ah r, op. cit., t. 2, p. 519. 79. I bn T ^ l ü n , l clàm, op. cit., p. 262; G azzT, K aw àkib, op. cit., t. 1, p. 270; T abbAh , /«/ôm, op. cit., t. 5, p. 932.

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Elle perdit ses attributions administratives et l'essentiel de son activité économique au XVIIe siècle, et n ’avait plus de tribunal, puisque ses habitants passaient leurs contrats devant le juge d ’Alep80. Elle portait encore, toutefois, le titre de q a f a b a (bourg) au milieu du XVIIIe siècle81, sans q u ’elle ne le mérite probablement. La ruine de Sarmtn Si, en 1656, Thévenot juge Sarmïn comme «une ville assez belle», il ne manque pas de signaler que les villages qui l’entourent sont déjà en ruine82, et bientôt la localité elle-même allait subir le même sort. Curieux, comme le sont les hommes du xvme siècle, de démêler les raisons et les causes de toute chose, Olivier interroge, lors de son passage à Sarmïn, sur l’origine de cette déchéance, car alors «les maisons habitées ne sont que la dixième partie de celles qui sont abandonnées...»83. La réponse q u ’il obtint ne laisse pas d ’être intéressante: un grand froid aurait saisi les oliveraies de la ville et les habitants n ’auraient pas eu les moyens de remettre leurs vergers en état. Cette explication est fort plausible, car ces gels, qui brûlent les souches d ’oliviers, ne sont pas exceptionnels dans la Syrie du Nord, et c’est peut-être bien là le coup de grâce qui acheva d ’abattre l’économie en crise d ’une agglomération qui vivait de son artisanat textil, de sa place d ’étape et de son industrie du savon. Située dans une immense plaine ouverte sur le désert, Sarmïn fut abandonnée comme étape de caravane au profît d’Ariha, plus à l’Ouest, et mieux défendable, face aux bédouins, et la nouvelle route, captée par Idlib en pleine expansion, ignora cette ville qui acheva de mourir avec le XVIIIe siècle. Elle fut

80. DAS, Alep 71, 4 »afar 1166 h/11 décembre 1752. 81. DAS, Alep 71, 22 mubarram 1166 h/29 novembre 1752. 82. T hévenot , Voyage, op. cit., t. 4, p. 159. 83. O livier , Voyage, op. cit., t. 4, p. 159.

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affermée alors à un S a r if d ’Alep, mais incapable de payer deux mille piastres de mûri, elle dut s’endetter auprès des financiers de la métropole du N ord84. Autant que les rigueurs du climat et sa vulnérabilité aux dangers du désert, c’est l’émergence d ’une nouvelle ville, Idlib, dans son voisinage qui la condamnera. I d l ib

Idlib est actuellement la seule ville de tout le territoire d ’Alep8586. Contrairement à M acarrat al-N ucmân et à Sarmîn, elle se développa remarquablement aux XVIIe et XVIIIe siècles et devint la principale localité de la région, par son activité économique et sa fonction administrative. Village relevant de Sarmîn jusqu’au XVIIe siècle88, Idlib amorce alors une expansion dont nous distinguons encore mal les étapes. Sa situation, relativement à l’abri des dangers du désert, a joué, sans nul doute, un rôle considérable dans sa prospérité; de même la ruine de Sarmîn, que ses habitants ont déserté en masse, y a aussi contribuée. Est-ce le transfert de la piste caravanière qui a amorcé la croissance du village ou bien son développement qui y a attiré l’axe routier? Question sans réponse possible, car entre les routes et les villes, le dialogue ne prend jamais fin. Quoi qu’il en soit, Idlib devint une étape centrale sur la voie nord-sud, en lieu et place de Sarmîn, et l’accroissement du rôle de Lattakieh et ses échanges avec Alep allait en faire un carrefour sur la grande route est-ouest passant par ô is r al-Sugür. Mais quelle que soit l’importance de tous ces facteurs, il semble bien que l’impulsion décisive qui lança la localité furent les très importants investissements effectués dans Idlib, au milieu du XVIIe siècle, par Muhammad pacha Kôprülü. Un

84. DAS, Alep 71, 23 rmbîc al-awwal 1166 h/28 janvier 1753. 85. D avid , A lep, op. cit., p. 154. 86. Ô azzI N ah r, op. cit., t. 2, p. 519.

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moment gouverneur d ’Alep, Muhammad pacha avait acheté des biens-fonds à Idlib et quand il devint grand-vizir, il y édifia de très nombreux bâtiments, «il organisa ses souks suivant Tordre des souks d ’Alep, réservant à chaque métier et marchandise un souk particulier... Parmi les bâtiments du grand-vizir qui subsistent jusqu’à nos jours, le khan dit du riz, situé devant sa mosquée, le sùq al-bâzirkân qui lui est proche... Il exonéra les gens de cette ville (balda) et tous ceux qu s’y réfugieraient de tous les impôts sultaniens, y compris les dixièmes (ac8àr), et cela pour une durée de vingt ans... Il lui accorda le monopole de la fabrication du savon dans la région... Il veilla, sa vie durant, sur la prospérité de la localité, ce qui poussa les habitants des villages voisins à y immigrer... Il en vint de C isr (al-Sugùr), Hârim, Antioche, M acrrat (al-N ucmân), Ariba, Sarmîn et de M acarrat Miçrîn... »87. Il semble que ce fut là la dernière en date des grandes créations urbaines ottomanes en Syrie, en une époque où l’Empire reprenait quelque chose de sa vigueur antérieure. Au siècle suivant, Idlib est un bourg florissant qui, rattaché un moment à Ariba88 — qui était aussi le siège d ’un juge?9 —, la détrône bientôt pour devenir le centre d ’une nàbiya qui englobait la plaine au nord du ôabal al-Zâwiya et qui passait pour la plus riche de toute la Syrie, malgré des difficultés certaines au milieu du XVIIIe siècle80. L ’activité économique d’Idlib La région d ’Idlib est réputée pour ses oliveraies depuis très longtemps01, ainsi que pour ses cultures cotonnières, bases d ’un

87. T abbäh, Flâm , op. cit., t. 3, p. 281. 88. Nous ne saunons avancer une date certaine pour la disparition de la nafûyat Atiba; elle est toutefois postérieure à 1753, où cette unité administrative apparaît encore. DAS, Alep 71, 23 rab!c al-awwal 1166 h/28 janvier 1753. 89. T abbäh, I clàm, op. cit., t. 6, p. 298. 90. Ibid., t. 3, p. 275. 91. P lanhol, Fondements, op. cit., p. 90.

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important artisanat textile92. Située aux pieds du Gabal alZâwiya, Idlib est l’exemple parfait d ’une association entre terres de plaine et montagnes, avec des productions complémentaires et un intense courant d ’échange. L ’ouverture de la plaine vers l’Est permettait aux nomades de participer à ce circuit, soit comme manœuvres lors de la cueillette des olives93, soit comme vendeurs de «cendres» pour la fabrication du savon9495*. Ils étaient aussi attirés à Idlib, en même temps que les gens de la montagne voisine, par le grand marché du vendredi qui s’y tenait et où ils retrouvaient les marchands ambulants d ’Alep98. Le commerce du savon était cependant de loin le plus considérable; n ’y avait-il pas dans la bourgade trente-trois savonneries dont la production atteignait cinq mille quintaux expédiés à Alep, avant d ’être vendus en Irak et en T urquie94. Le centre textile de Dàrit cIzza A l’ouest d ’Alep, sur le versant oriental du Gabal al-Sayh Barakât, se situe le gros village de D ârit cIzza qui a la particularité d ’être, depuis l’époque mamelouk au moins, un centre important de tissage lié aux cultures cotonnières. La production de ces paysans-artisans était destinée à satisfaire les besoins du monde rural, mais elle était aussi écoulée à Alep et réexportée vers l’Anatolie97. Dârit cIzza n ’est sans doute pas une exception dans le territoire d ’Alep et les localités pratiquant un artisanat prospère étaient nombreuses, surtout dans une région productrice de coton. Autant que les troubles politiques, la crise de l’artisanat alépin a dû influer sur le monde rural qui trouvait dans cette 92. H a m i d é , Région, op. cit., p . 293-294. 93. Ibid., p. 350. 94. S e s t i n i , Voyage, op. cit., p . 279. 95. H a m i d é , Région, op. cit., p. 348. % . T a b b ä h , I clâm, op. cit., t. 3, p. 275; et A .N ., A .E ., série B1, registre 94, 16 avril 1777. 97. H a m i d é , Région, op. cit., p. 284. On aurait compté dans le village plus de quatre cents métiers à la veille de la Première G uerre mondiale.

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double activité une assurance contre les accidents de l’agri­ culture. ClSR

al -5 uôür

L ’essor de la ville de ô is r al-Sugür date du XVIIe siècle et son destin est comparable à celui d ’Idlib. Lors du passage d ’Evliya Ôelebi, la localité existait encore à peine et son khan était en ruine*8. Une trentaine d ’années plus tard, al-Hayârï, se dirigeant vers Istanbul, décrit les lieux comme étant fort agréables avec un grand khan, une mosquée, un bain, une tekkieh — où était distribuée la soupe des voyageurs — et un fortin, le tout, œuvre de Mubammad Pacha Kôprülü, grand vizir de l'Empire**, que nous avons déjà vu à l’œuvre à Idlib. La fortune de la ville était dès lors faite, surtout que son site s’y prêtait à merveille, car elle joue le rôle de plaque tournante entre Hama, Alep, Antioche et Lattakieh. Dès 1680, ô is r est un centre prospère989100 et la grande route Damas-Istanbul allait bientôt y passer en lieu et place d ’Alep, car le tronçon M acarra-Khan Touman est considéré comme vulné­ rable aux attaques des nomades. Olivier juge, pour sa part, que la population de la ville s’élève à quatre mille101102à la fin du XVIIIe siècle. En fait, ô is r connaît une activité croissante grâce au développement de la frange côtière avec laquelle elle correspond régulièrement. S ’élevant à l’ouest de l’Oronte, en bas des pentes du Cabal al-cAlawiyÿïn, la localité est un important centre commercial dont le marché du jeudi attire les marchands depuis Alep108. Ce sûq est en fait double, avec une foire aux bestiaux à l’est du fleuve et un marché de produits agricoles et artisanaux au centre de l'agglomération. 98. Z a k a r i y y a , RifUat, op. cit., 2e partie, p. 428. 99. A l -H ayârï, Tufrfa, op. cit., p. 188. 100. L e B ru n , Voyage, op. cit., p. 330. 101. O livier , Voyage, op. cit., t. 4, p. 157. 102. H a m i d é , Région, op. cit., p. 359.

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La région de ô is r produisait, au XVIIIe siècle, de la soie, du coton — «en laine et filés* —, des toiles, de la cire, de l’huile et du tabac103. Ces denrées complémentaires de la plaine et de la montagne sont la base d ’une activité commerciale locale, renfor­ cée par la présence dans la ville elle-même d ’un artisanat spécialisé dans les services et les produits destinés aux villa­ geois104105. A n t io c h e

e t l a r e n a is s a n c e d ’A l e x a n d r e t t e

Les destins d ’Antioche et de Bilan furent comparables. Centres administratifs et économiques actifs aux XVIe et XVIIe siècles, ils subirent une très grave crise au siècle suivant et perdirent l’essentiel de leur population. Evliya Celebi décrivit Antioche comme une ville active et populeuse. La localité, avec son ága, son juge, son muhtasib et son naqib al-aSràf, avait belle allure, surtout que son enceinte tenait toujours et q u ’une forte garnison cantonnait dans ses m urs106. Plus tard, Hayârî s’émerveille de l’activité de son bazar, de la beauté de ses demeures et de la qualité de son artisanat réputé, et nous retirons de son texte et de celui d ’Evliya Celebi une impression de prospérité100. Plus au Nord, Bilan suscite la même admiration chez nos deux voyageurs, et les trois mille habitants qu’aurait eu la localité sont prospères grâce à la situation de la ville sur la route obligée entre Alep et Alexandrette107. Toute la région s’étendant d ’Antioche au Taurus souffrait d ’une instabilité chronique et de brigandages incessants que les expéditions punitives de la Porte ne réussissaient qu’à réduire

103. S estini, Voyage, op. cit., p. 281 ; et O livier, Voyage, op. cit., t. 4, p. 157. 104. 105. 106. l’activité 107.

H amidé, Région, op. cit., p. 359. Z akariyya , Rifrlat, op. cit., 2e partie, p. 423. H ayârT, Tuhfa, op. cit., pp. 188-190. Evliya Celebi vante les écoles et intellectuelle d ’Antioche. Z akariyya, R ifüat, op. cit., 2e partie, p. 425. Ibid., l re partie, pp. 228-229.

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momentanément. Bilan fut notamment la place forte de gouver­ neurs insubordonnés, surtout au XVIIIe siècle, qui tinrent tête à l'autorité centrale. A l’exemple des autres villes de la côte, Alexandrette était pratiquement déserte au moment de la conquête ottomane. Le sultan Sulaymân al-Qânùnî entreprit d ’y bâtir un fortin añn de défendre le littoral contre les expéditions des corsaires maltais. Quelques années plus tard, son grand-vizir, Mufiammad Pacha Sokellü, y construisit la ville moderne d ’Alexandrette en y bâtissant «un khan qu’il dota de waqfs et d ’une tekkieh... Il y attira 531 familles qu’il installa autour du fortin et qu’il exonéra des impôts, à l’exception des dixièmes (al-ac5âr) pour les musulmans et du fyaràg pour les dimmf-s, en contrepartie de la protection des parages... Il y instaura un marché du vendredi (sûq al-¿umuca) près du khan... Il construisit aussi une échelle (iskala), un quai solide devant le khan pour que les navires y accostent.» S ’il est difficile de dater avec exactitude ces travaux, il n ’en reste pas moins qu’ils eurent lieu vers 1570108, soit quelques années après la remise en état de M acarrat al-N u cman. Alexandrette resta toutefois un port incommode et ne joua pas un grand rôle régional. Rade dangereuse, au climat malsain, elle était enserrée par des montagnes infestées de bandes turkmènes et kurdes qui rendirent le trajet Alep-Alexandrette souvent dangereux. La

f r a n g e d é s e r t iq u e

Dans l’immense plaine à l’est d ’Alep, l’occupation du sol était lâche et les agglomérations rares. Seules émergent dans cette steppe les trois localités de Bâb, Manbig et öaräblus qui doivent leurs existences à la rencontre de grands axes routiers avec des terroirs riches en eau. Cette région encore peuplée au xvne siècle sera complètement désertée au siècle suivant. Il est difficile de suivre les étapes de cet abandon, car les documents nous font défaut. Toutefois

108. SA^ulT, Tagayyur, op. cit., f. 9.

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G rant, après avoir comparé les descriptions de voyageurs différents, conclut que la désertion réelle de la région est postérieure au XVIIe siècle, sans pouvoir être plus précise10*. Notons, cependant, qu’un ñrman impérial semble indiquer que la mainmise des nomades sur la région, périphérique il est vrai, de Manbiê remonterait aussi loin que 16301 09110. La principale localité de la steppe est sans doute Bâb. Située à l’orée du monde nomade, dans une zone où les pluies atteignent péniblement 300 mm, sa fortune ne s’explique que par la présence abondante de l’eau dans une large oasis groupant plusieurs villages. Siège d ’un marché du vendredi, spécialisé dans le commerce des bestiaux, elle est fréquentée par les négociants d ’Alep et aussi de Hama111123*. Bâb, qui possède un artisanat actif, produisant les articles nécessaires à la vie nomade, redistribue aussi dans un très large rayon les productions d ’Alep. De gros villages bien irrigués, comme Tïrân et Bizâcam , entouraient la ville qui envoyait vers Alep ses légumes et les bêtes à viande. Étape des grandes caravanes chamelières sur la route de la Mésopotamie, Bâb était une petite ville florissante aux activités multiples. De même, ici, une évolution similaire aura lieu: vers 1780 la ville est en ruine et, au XIXe siècle118, elle cessera pratiquement d ’exister. Sfîra A une quinzaine de kilomètres d ’Alep, vers le Sud-Est, le bourg de Sfîra était une étape sur l’axe méridional du grand

109. C h r . G ra nt , The Syrian desert, París, 1937, p. 161. Nous le citerons ultérieurement par: Syrian. HO. DAS, recueils des firmans impériaux d ’Alep, vol. 2, n° 263,29 ¿umâda al*awwal 1137 h /8 février 1725. 111. H a m idé , Région, op. cit., p. 504. 112. DAS, Alep 19, 27 çafar 1036 h/17 novembre 1626. 113. S b s t in i , Voyage, op. cit., p. 269, qui la visite en 1781, juge sa ruine récente.

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désert. Les caravanes s’y arrêtaient afin d ’acquitter la douane11415. La localité était aussi, grâce à ses sources et à une vieille paysannerie, grosse productrice de légumes qu’elle expédiait vers Alep116. Au milieu du XVIIIe siècle, elle est déjà en ruine à cause, nous précise Bodman, du pillage des troupes débandées du pacha d ’Alep118. La liste de ces localités prospères au XVIIe siècle et ruinées au siècle suivant serait longue. Certaines, comme Tayba, gros bourg actif dans la région de Palmyre117, ne se relèveront jamais de la crise du XVIIIe siècle, d ’autres, comme Manbig e t Garâblus, renaîtront à la fin du XIXe siècle118, ou bien devront attendre la fin de la Première Guerre mondiale, comme Raqqa. # *

#

Le processus qui fit d ’Alep la ville unique de son territoire fut très long. Commercé bien avant la conquête ottomane, il prit avec le XVIIIe siècle une accélération décisive, et le recul des autres centres urbains profitera surtout à la métropole qui vit sa population fortement augmenter. Vivant de sa situation de marché principal d ’une vaste région aux productions complémentaires, Alep souffrira profon­ dément du recul économique et du désordre politique de la Syrie du Nord. Beaucoup plus que la disparition du grand commerce international, duquel elle profitait peu, la situation catastrophi­ que de son territoire se répercuta profondément sur la ville. La pénétration massive des produits de l’industrie européenne sera le coup de grâce donné à une économie en crise depuis plusieurs décennies.

114. 115. 116. 117. 118.

G rant , Syriern, op. cit., p. 194. H amidé , Région, op. cit., pp. 513-4. Bodman , Political, op. cit., p. 14. G rant , S yrian , op. cit., pp. 194-5. K urd cA l1, tfu tâ t, op. cit., t. 4, p. 195.

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n e e x p l ic a t io n c o m pl e x e

Comment rendre compte de cet étiolement des centres urbains, de ces destructions et du recul des sédentaires? Méfions-nous tout de suite des explications uniques qui font porter la responsabilité de cette évolution catastrophique aux désordres de la soldatesque, à l’incurie de l’administration, au «despotisme», ou bien à la remontée des bédouins. La situation est en fait très complexe et, comme toujours en pareils cas, les causes se renforcent les unes les autres, et il est extrêmement difficile de faire la part des choses. Tentons, tout de même, de poser le problème. Dans un État qui subit des défaites militaires successives et qui connaît une crise monétaire quasi permanente, l’administra­ tion centrale a du mal à contrôler efficacement les provinces, bien que des retours de vigueur soient perceptibles dans les agglomé­ rations urbaines. Dès l’aube du XVIIIe siècle, nous constatons tout autour de la péninsule arabique— Koweit, Golfe, Irak, Syrie— une expansion des grands nomades qui rompent les relations séculaires entre bédouins et sédentaires. Cette remontée exerce une pression directe sur des paysans qui ne sont plus efficacement soutenus par les forces régulières de l’État. Ce mouvement coïncide avec une série de mauvaises récoltes, probablement dues à une sécheresse exceptionnelle et prolongée. Les moissons déficitaires rendent les communautés paysannes vulnérables incapables d ’acquitter l’impôt; elles sont obligées de s’endetter de plus en plus auprès des financiers de la ville. L ’accumulation des dettes, les mauvaises récoltes, l’insé­ curité chronique accentuent les mouvements de migration des hameaux, des localités isolées vers les gros villages et les grandes villes. Ces mouvements de populations entraînent un relâchement du tissu sédentaire qui permet à son tour une extension des nomades qui menacent dès lors des zones jusqu’ici épargnées. L ’avance des hommes du désert est d ’autant plus difficile à

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suivre qu’il n ’y a pas de mouvements spectaculaires, d ’invasions massives que les chroniques relateraient, mais au contraire un lent grignotage qui s’attaque d ’abord aux sites les plus périphéri­ ques, fait perdre aux petits centres urbains leur couronne protectrice de villages, avant d ’être étouffés insidieusement à l’occasion d ’un accident bénin. Exsangues, les agglomérations sont à la merci d ’un coup de main de la soldatesque ou bien de pillards, et un incident vite oublié dans une phase de prospérité devient mortel en période de crise. La Syrie a connu d ’autres successions de mauvaises récoltes — notamment à la fin du XVIe siècle —, mais alors l’administra­ tion impériale trouvait en elle-même les ressources nécessaires afin d ’y remédier. Vers 1740, chaque province doit chercher seule son salut, et l’alourdissement du poids des villes en rend les conséquences douloureuses pour le monde rural. L ’abandon de villages, les migrations massives sont des phénomènes habituels en tous temps, mais l’État auparavant procédait à une nouvelle répartition de l’impôt et tentait de repeupler les zones désertes. Alors que dans un système d ’affer­ mage du fisc, tout changement des impositions est difficile à obtenir et la ruine de sites ruraux en est la conséquence inéluctable. L ’extension du désert est un fait indiscutable en Syrie au cours du XVIIIe siècle119. L ’explication climatique est trop facile pour être adoptée sans restriction et elle est toujours dangereuse en histoire110. Xavier de Planhol remarque, à juste titre, que le rôle des fluctuations climatiques «ne peut avoir été qu’épisodique et modeste, hors de proportion avec l’ampleur des transforma­ tions humaines»111; il n ’en reste pas moins que les conditions climatiques très dures que connut la Syrie au XVIIIe siècle ont été un facteur important dans l’évolution du peuplement. Dans une 1920 119. I. O lagOe , «Les changements du climat dans l’histoire» dans les cahiers des villes, qui se les appropriaient par autorisation de la Porte, ou en recouvrement de prêts. Rafeq signale que ce phénomène avait pris une grande extension à Damas et que même de simples droits de ta$arruf étaient transférés au profit de citadins110. 106. H byd, Ottoman, op. cit., p. 67. 107. Yüsuf, R if, op. cit., p. 34. 108. RAfbq, Économie, op. cit., f. 30. 109. Les M urâdï seraient la première famille de