Enquête sociologique sur la Chine, 1911-1949
 978-2130477488,  2-13-047748-8

Table of contents :
Couverture......Page 1
Page de titre......Page 4
Copyright d'origine......Page 5
Table des matières......Page 6
INTRODUCTION......Page 8
I - L’enterrement de Mai Leguan......Page 12
II - Le sens de la famille......Page 24
III - La mémoire des ancêtres......Page 50
IV - Les fils de Qichang......Page 78
V - Le village de Ping’an et les siens......Page 104
VI - Chaque arbre a une écorce, chaque homme a une face......Page 130
VII - Du père au frère aîné : l’évolution des responsables locaux......Page 156
VIII - « Quand la violence paraît, la raison disparaît »......Page 184
IX - Des paysans contraints à l’exil.........Page 212
X - « La montagne est haute et l’empereur lointain... »......Page 240
XI - L’affaiblissement du système lignager......Page 266
XII - Les dernières années des lignages de Conglou......Page 290
BIBLIOGRAPHIE......Page 320
INDEX......Page 328
« SOCIOLOGIE D’AUJOURD’HUI »......Page 335
Quatrième de couverture......Page 333
Achevé de numériser......Page 338

Citation preview

ENQUÊTE SOCIOLOGIQ UE SUR LA CHINE 1911-19 49

SOCIOLOGIE D'AUJOURD'HUI COLLECTION DIRIGÉE PARGEORGES BALANDIER

ENQUÊTE SOCIOLOGIQUE SUR LA CHINE 1911-1949

LINSHAN HUA ET ISABELLE THIREAU

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

REMERCIEMENTS

Nous remercions ceux qui ont lu une première version de cette étude et qui nous ont aidés de leurs suggestions. Ils savent tout ce que ce texte leur doit : Lucien Bianco, Sabine Chalvon Demersay et Nicolas Dodier. Nous remercions également ceux qui nous ont prodigué leurs conseils et leurs encouragements tout au long de cette étude : Marie-Claire Bergère, Anita Chan, Yves Chevrier, Alain Cottereau, Deborah Davis, Jean-Claude Guillebaud, Dominique Pasquier, et Jon Unger. Nous remercions enfin Martine Morier, du Centre de Recherche et de Documentation sur la Chine contemporaine, pour son aide et sa patience lors du travail de mise au point du manuscrit final.

ISBN 2 13 047748 8 ISSN 0768-0503 Dépôt légal — 1 édition : 1996, novembre © Presses Universitaires de France, 1996 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

Carte de la province de Guangdong situant le district de Taishan

INTRODUCTION

Ce livre est né d'un projet : comprendre ce que le lien social, tel qu'il s'élabore aujourd'hui dans le monde rural chinois, doit à l'héritage de périodes très contrastées de ce siècle. Parmi celles-ci on peut distinguer tout d'abord l'ère républicaine, soit les années 1911-1949 dont il est question dans cet ouvrage, puis les décennies placées sous la domination de l'idéologie communiste et marquées, dans les campagnes, par la Réforme agraire et le mouvement de collectivisation (1950-1977), et enfin les changements instaurés depuis les réformes économiques déclenchées en 1978. Si l'évolution actuelle du lien social fera l'objet d'un ouvrage ultérieur, le texte proposé ici est étroitement lié à la recherche d'une compréhension du présent, recherche qui oriente le choix des thèmes et celui de la méthodologie adoptée. Les réformes menées depuis quinze ans, au cœur desquelles se trouvent la redistribution des terres et autres moyens de production aux familles paysannes ainsi que le retour à l'initiative privée, ont été accompagnées d'un assouplissement du contrôle sur les comportements sociaux. Une nouvelle stratification sociale, beaucoup plus complexe que la précédente, se met en place de façon progressive, contraignant à une redéfinition des droits et des responsabilités. Surtout, des principes d'action relevant de périodes très différentes sont désormais mobilisés pour rendre compte des situations, justifier les comportements. La redistribution des terres a ainsi été perçue comme un reniement des valeurs liées à la Réforme agraire et à la création des communes populaires. Associée à l'importance retrouvée de la famille comme institution sociale

indépendante, cette décollectivisation de fait confère une légitimité nouvelle à l'expression de principes issus de la période antérieure à la Réforme agraire soit, pour s'en tenir à une perspective proche, à la période républicaine. Les valeurs collectivistes, et surtout les rapports particuliers qu'elles instaurent entre le groupe et l'individu, n'ont cependant pas été officiellement niés et continuent à informer le comportement de certains. L'introduction d'une économie de marché enfin entraîne l'apparition de nouvelles normes, d'autant plus contradictoires avec les précédents qu'elles s'inspirent parfois directement du portrait très sombre dressé du monde capitaliste pendant l'ère collectiviste, et justifient des pratiques reposant essentiellement sur les rapports de force. La situation actuelle est ainsi caractérisée par la pluralité des points de vue, pluralité qui, en l'absence d'arbitrages et du fait du décalage entre le discours officiel et les principes variés ayant acquis une nouvelle légitimité, explique à la fois le recours aujourd'hui fréquent à la violence pour imposer intérêts et points de vue, mais également la multiplication des discussions favorisant l'émergence progressive d'une interprétation commune de ce qui constitue les comportements justes ou corrects. En d'autres termes, le lien social qui émerge aujourd'hui dans les campagnes chinoises, tout en constituant une réponse sans précédent à une situation nouvelle, naît de l'actualisation, de la reformulation, de l'intégration de certains pans de l'expérience passée, de principes ayant acquis droit de cité au cours de périodes très distinctes. Pour appréhender le processus actuel de reconstruction du lien social en Chine et de formation des nouvelles normes favorisant l'accord des uns et des autres, nous avons fait le choix d'une étude monographique, la première partie, constituée par le texte présenté aujourd'hui, cherchant à analyser le lien social tel qu'il était vécu dans une localité du sud de la Chine entre 1911 et 1949. Lechoix de la localité ne se posait pas en termes de représentativité. Notre but était de procéder à l'analyse d'une même localité avant et après 1949, de saisir l'utilisation ou l'abandon de certains éléments du passé dans l'expérience présente, le processus de création de compromis entre principes parfois opposés. Cette démarche pouvait nous permettre éventuellement de questionner les transformations récentes observées dans d'autres régions de Chine. Les difficultés rencontrées en Chine pour mener un travail de terrain long et systématique ont conduit au choix de la localité d'origine de Hua Lin-

shan comme centre de l'enquête. Le déroulement des entretiens a été largement facilité par l'existence de ces liens de parenté privilégiés, Hua Linshan ayant d'autre part vécu dans cette localité entre 1969 et 1974. Conglou, dans le district de Taishan de la province du Guangdong, est caractérisé par l'importance des structures lignagères et des groupes localisés organisés selon le principe de descendance patrilinéaire. Ce travail porte ainsi sur le lignage Mai de Conglou, lequel rassemble les habitants de onze villages. Outre la recherche de documents écrits, archives locales ou généalogies concernant la période étudiée, 1911-1949, les entretiens, d'une durée variant entre trois et soixante heures selon les personnes, commencés en 1985 et achevés en 1992, se sont déroulés avec soixante-cinq personnes résidant à Conglou, à Hong Kong ou encore aux États-Unis. Taishan est en effet considéré comme le pays natal de nombreux Chinois d'outre-mer émigrés en Asie du Sud-Est ou aux États-Unis. La plupart des habitants de Taishan résidant en Amérique du Nord avec lesquels nous avons discuté ont quitté leur village natal pendant les années quarante, ou bien au moment de la Réforme agraire soit vers 1950-1952, ou encore depuis la fin des années soixante-dix. Si des contraintes particulières pèsent sur l'analyse de données obtenues auprès d'une communauté émigrée, les discussions menées avec des membres de vagues d'émigration successives ont souvent permis de préciser la chronologie de certains événements. D'autre part, il a été plus facile aux anciens habitants de Conglou vivant hors de Chine d'évoquer longuement les années précédant l'arrivée au pouvoir du Parti communiste chinois, alors que ceux restés en Chine subissent les contraintes du discours officiel concernant l'ère républicaine, discours dénonçant par exemple avec force les liens de parenté. Les thèmes sur lesquels nous avons choisi d'insister sont ceux qui nous ont paru pertinents à la fois pour comprendre le lien social tel qu'il existait avant 1949 et pour mieux appréhender, au cours d'une étape ultérieure, les changements récents. Sensibles au travail de discussion et d'argumentation qui se déroule souvent aujourd'hui au sein des villages et des bourgs, nous avons voulu reconnaître avant tout les principes collectifs utilisés avant 1949 pour orienter les actions, justifier les conduites. En d'autres termes, accéder par exemple à la réalité des conflits décrits n'a pas été toujours notre préoccupation première : il nous semblait plus impor-

tant de relever, dans les versions différentes produites d'une même action, la régularité de certains arguments. Les quatre premiers chapitres décrivent l'organisation de groupes sociaux distincts, établissant des droits et des devoirs spécifiques entre leurs membres : la famille, le lignage, le segment lignager et le village. Les trois textes suivants s'attachent à l'observation de différents aspects du lien social : celui établi entre les individus avec une discussion de la notion de «face», celui tissé entre les villageois et ceux qui peuvent prendre la parole pour décider des affaires locales, appelés fuxiong ou «père-frère aîné», et celui existant entre groupes de parenté localisés, fondé sur l'existence de conventions particulières destinées à prévenir et résoudre les conflits. L'étude de la nature du lien social pendant l'ère républicaine est complétée par une analyse des disparités économiques et de la hiérarchie qu'elle instaure entre les membres du groupe, et enfin par celle des relations faites à la fois de coopération et de méfiance établies avec le gouvernement. Les deux derniers chapitres, plus historiques, décrivent l'affaiblissement du système lignager pendant la guerre contre le Japon, soit entre 1937 et 1945, puis l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle force politique, entre 1945 et 1949, annonçant l'effacement du lien social tel qu'il était jusqu'alors conçu. Ce travail ne peut que réaffirmer, entre autres, l'importance de la famille en Chine avant 1949, au sein de laquelle l'intérêt du groupe oriente les conduites individuelles, alors que les groupes de parenté plus larges, tels que les segments lignagers ou les lignages, ne possèdent pas d'intérêts distincts ou supérieurs de celui des familles. Segments et lignages sont perçus comme diminuant les incertitudes qui pèsent sur les foyers et augmentant les capacités de survie de tous, soit de la majorité. C'est également à partir de la famille, sphère élémentaire du privé, et non pas en opposition avec elle, que se construit la communauté. Celle-ci se constitue de façon progressive, par l'intégration d'unités sociales qui sont dès lors étiquetées privées, et qui souvent s'inspirent, de façon directe ou indirecte, des liens de parenté. L'influence du modèle du lien domestique au sein de la société limite ainsi l'autonomie des sujets en valorisant ce qui relève de la nécessité, de l'appartenance, ce qui s'impose à eux et qu'ils n'ont pas choisi, dans une perspective de maintien de l'ordre social. Ledomestique, en d'autres termes, fonde le monde commun.

I

L'enterrement de Mai Leguan

Le 16 février 1950, les funérailles de Mai Leguan sont célébrées à Ping'an. Plus de 1000 personnes se pressent ce jour-là dans ce village qui ne compte habituellement que quelque 500 habitants. Les enfants des écoles du lignage se sont déplacés ainsi que la plupart des membres de la Chambre de commerce de Conglou, le bourg voisin. Tous les villages dont les membres portent le patronyme Mai ont envoyé des représentants. L'affluence est telle qu'il est impossible d'organiser un banquet à Ping'an pour l'ensemble des convives comme le veut la coutume. Le second petit-fils de Mai Leguan, qui dirige la cérémonie, choisit de remettre à chaque invité une somme d'argent lui permettant d'aller manger dans un restaurant du bourg, en se joignant à d'autres par tablées de huit. Seuls les parents les plus proches sont conviés à partager un repas à Ping'an. La présence de nombreuses personnalités locales, parentes ou amies de Mai Leguan, encourage en effet les descendants du défunt à la prudence, et ils décident de ne marquer aucune différence, sur le plan de l'étiquette, entre les responsables du lignage Mai, ceux des lignages voisins, et les représentants de la Chambre de commerce. Le risque est trop grand en effet de froisser l'amourpropre des uns ou des autres. La considération dont jouissait Mai Leguan s'affiche ce jour-là de façon éclatante aux yeux de tous : elle se mesure, entre autres, au nombre d'orchestres et de porcs rôtis offerts par ceux qui sont venus lui offrir un dernier hommage. Au début de l'après-midi, après une longue cérémonie dirigée par trois prêtres taoïstes, le cortège s'ébranle en direction de l'emplacement choisi pour la tombe. Juste derrière le cercueil, un très long bambou auquel a été accroché une bannière en tissu rouge, s'élance

vers le ciel. Les porteurs brandissent ensuite d'autres bannières, plus modestes, offertes par les proches, et sur lesquelles on peut lire également des inscriptions célébrant le défunt. Les fils de celui-ci marchent derrière, à la tête du cortège long et étroit qui chemine entre les rizières. Ce seront, mais personne ne le sait alors, les dernières grandes funérailles traditionnelles célébrées dans la région... Un événement important, que Mai Leguan a considéré alors comme un simple changement de dynastie, s'est produit en effet peu de temps auparavant : le 23 novembre 1949, les armées communistes sont entrées dans Taicheng, le siège du district de Taishan où se trouve le village de Ping'an. Pourtant, l'idée de partir n'a pas effleuré ce paysan âgé, l'un des plus aisés de Conglou. Il ne sait pas grand-chose de ceux qui gouvernent désormais mais il n'en pense pas trop de bien, les assimilant vaguement à des bandits. Par contre, comme tant d'autres, il savait depuis plusieurs mois que les jours du Guomindang étaient comptés, et cette défaite annoncée a suscité en lui ni regrets, ni désir de transformer sa vie quotidienne Le petit-fils aîné de Mai Leguan, un peintre proche du Parti communiste même s'il n'en a jamais été membre, et qui dirigera un an plus tard un groupe chargé de la Réforme agraire tout à fait au nord de la Chine, dans le Xinjiang, a bien parlé à son grand-père des événements qui se déroulent dans les zones passées depuis plusieurs années sous le contrôle des nouveaux dirigeants. Il lui a raconté les campagnes de lutte et la redistribution des terres. Mais Mai Leguan ne veut pas croire que de grands bouleversements s'annoncent. Il se refuse à vendre certains de ses champs malgré les conseils de son petit-fils, car vendre des terres signale le déclin 1. La transcription pinyin a été utilisée dans l'ensemble de cet ouvrage, à l'exception des noms les plus connus pour lesquels nous avons conservé la transcription traditionnelle (Pékin, Canton, Chiang Kai-shek, etc.). Les habitants des districts de Taishan, Kaiping, Enping et Xinhui partagent le même dialecte, qui a longtemps été la principale langue parlée dans les quartiers chinois d'Amérique du Nord. Ce dialecte est assez différent du cantonais. La plupart des entretiens ont été réalisés dans ce dialecte mais, à l'exception de certains mots de dialecte intraduisibles en mandarin, les noms de lieux, de personnes, ainsi que les expressions paysannes citées sont transcrites en pinyin. Il ne s'agit dont pas d'une transcription phonétique des propos tenus par les paysans, mais d'une transcription, en pinyin, des caractères écrits correspondant à ces propos. Nous avons adopté cette solution pour deux raisons : d'une part les noms de villages et de personnes ont été modifiés (sauf lorsqu'il s'agissait de personnes ayant acquis une certaine renommée et présentes dans les archives écrites), et il apparaissait quelque peu artificiel de créer ces noms d'emprunt dans le dialecte de Taishan. D'autre part, la plupart des mots dont nous proposons une transcription en pinyin sont utilisés dans toute la Chine (tels que les échelons administratifs, les noms de divinités, etc.). L'usage du pinyin permet ainsi de retrouver facilement les caractères écrits correspondant, et de procéder à des comparaisons avec d'autres études.

d ' u n e famille. D e plus, il a d é j à 78 a n s et n ' a p a s envie, à u n âge aussi a v a n c é , de q u i t t e r son p a y s n a t a l c o m m e il l ' a d é j à f a i t t a n t de fois p a r le passé. S'il v i e n t de confier le c o m m e r c e d o n t il est p r o p r i é t a i r e a u b o u r g à son d e u x i è m e fils, âgé de 21 ans, le p r e m i e r q u e lui a i t d o n n é sa c o n c u b i n e , il e n t e n d b i e n l ' a s s i s t e r de ses conseils encore q u e l q u e s années. D e m ê m e q u ' i l e n t e n d c o n t i n u e r à e x e r c e r u n rôle d a n s les affaires locales. S o n a u t o r i t é d é p a s s e e n effet le cercle familial : elle est r e c o n n u e d a n s le village m a i s aussi d a n s le lignage a u q u e l il a p p a r t i e n t et q u i r a s s e m b l e les m e m b r e s de onze villages. S o n p r e s t i g e s ' é t e n d é g a l e m e n t a u b o u r g o ù il c o m p t e p a r m i les c o m m e r ç a n t s les p l u s p r o s p è r e s : m e m b r e de la C h a m b r e de c o m m e r c e , il f a i t m ê m e p a r t i e , a u sein de celle-ci, de « l'associat i o n des n e u f a n c i e n s » ( j i u lao h u i ) q u i r é u n i t r é g u l i è r e m e n t d a n s u n r e s t a u r a n t d u b o u r g , p o u r des r e p a s p l u s c o p i e u x q u e d ' o r d i naire, n e u f c o m m e r ç a n t s p a r m i les p l u s âgés. T o u t l ' e n c o u r a g e ainsi à r e s t e r d a n s c e t t e p e t i t e localité d u s u d de la Chine où il a p r o s péré, après être p a r t i c h e r c h e r f o r t u n e à l ' é t r a n g e r . E n 1927, M a i L e g u a n est r e n t r é e n effet de f a ç o n d é f i n i t i v e a u p a y s , après a v o i r v é c u p l u s i e u r s décennies e n exil. N é e n 1873, il p r e n d p o u r la p r e m i è r e fois le c h e m i n de la M o n t a g n e d ' o r , n o m d o n n é a u x É t a t s - U n i s , j u s t e a v a n t la fin d u X I X siècle. Il r e v i e n t e n Chine à p l u s i e u r s reprises : u n e p r e m i è r e fois a u t o u t d é b u t d u siècle, u n e d e u x i è m e fois, e n 1911, p o u r é p o u s e r u n e c o n c u b i n e et m a r i e r son fils aîné. Il s é j o u r n e à n o u v e a u p a r m i les siens e n t r e 1918 e t 1921 p u i s r e p a r t . E n 1927, son r e t o u r est définitif. Il a a c c u m u l é assez d ' a r g e n t p o u r o u v r i r u n c o m m e r c e a u b o u r g voisin d u village de P i n g ' a n d o n t il est originaire, a p r è s des a n n é e s de t r a v a i l d a n s des blanchisseries d u q u a r t i e r chinois de N e w Y o r k . Le c h e m i n q u ' i l e m p r u n t e lors de ce d e r n i e r r e t o u r est le m ê m e , e n sens inverse, q u e celui q u ' i l a suivi p o u r p a r t i r , près de t r e n t e ans a u p a r a v a n t : q u i t t a n t N e w Y o r k , il se r e n d d ' a b o r d a u C a n a d a , p a y s d a n s lequel il p e u t v i v r e l é g a l e m e n t c a r il possède des p a p i e r s a t t e s t a n t de sa q u a l i t é de c o m m e r ç a n t . D e là, il e m b a r q u e sur u n b a t e a u e n p a r t a n c e p o u r H o n g K o n g . A p e i n e arrivé, il p r e n d u n a u t r e b a t e a u p o u r G u a n g h a i , u n p e t i t p o r t situé a u s u d d u d i s t r i c t d e T a i s h a n l ' u n des q u a t r e d i s t r i c t s de la p r o v i n c e 1. Le district de Taishan. est l'un des 94 districts de la province du Guangdong. Créé en 1499 (12 année de l'ère Hongzhi de la dynastie Ming), il porte le nom de Xinning jusqu'en 1914. Situé au sud-ouest de la région du delta de la rivière des perles et donnant sur la mer de la Chine du Sud, il occupe une superficie de quelque 3 200 km . Avec 16 % de son territoire couvert de montagnes et 40 % de collines, son relief est assez accidenté.

méridionale du Guangdong baptisés le «pays natal des Chinois d'outre-mer ». Nombreux sont en effet les paysans de cette région qui, poussés par la pauvreté, ont choisi, à partir du milieu du XIX siècle, d'aller chercher fortune en Asie du Sud-Est ou en Amérique du Nord. La pauvreté des habitants de cette région est attestée par les Annales du district de Xinning, l'ancien nom donné au district de Taishan, qui indiquent en 1891 que «les récoltes annuelles permettent tout juste de nourrir la moitié de la population » Au début des années quarante, les terres cultivées occupent seulement 18 % de la superficie de ce district hérissé de collines La région de Conglou, où se trouve le village dont Leguan est originaire et qui est située à quelque 20 km au nord de Guanghai, est d'ailleurs marquée par un tel relief : à l'est, les montagnes Beifeng s'élèvent jusqu'à 825 m de haut, et à l'ouest, d'autres montagnes, plus basses et moins rapprochées, dressent un obstacle de près de 300 m de haut. Conglou est ainsi situé au cœur d'une sorte de couloir reliant Taicheng, la capitale du district, située à 20 km au nord, à la mer. Ce gros bourg se dresse au milieu d'une zone de terres irriguées parsemées de collines, que traverse une voie de chemin de fer et une route nationale reliant avant la guerre contre le Japon Conglou à Taicheng 1. Xinning xienzhi (annales du district de Xinning), 1891, 8 volumes, p. 96. 2. Les statistiques concernant la province du Guangdong sont parmi les statistiques provinciales les moins fiables au cours de la première moitié du XX siècle. Néanmoins, selon le Guangdong sheng tongji ziliao (documents statistiques concernant la province du Guangdong), publié en 1945 par le Bureau des statistiques de la province du Guangdong, le district de Taishan a une superficie de 2991 km soit 4486500 mu (p. 10). (Le muest une unité de mesure chinoise qui équivaut à un quinzième d'hectare). La superficie des terres cultivées était au début des années quarante de 1365 330 mu (p. 30), soit 30 %de la superficie du district. Pour le Guangdong nianjian ou Annales dela province du Guangdong, publié en 1941, la superficie de terres cultivées ne couvre, selon les tableaux, que 15 ou 19 %du territoire de Taishan, alors que l'estimation de Buck est de 18 %. Cf. Land Utilization in China, 1937, 474 p., p. 27. Enfin, selon le Recueil de documents statistiques concernant la province du Guangdong, la population du district est estimée à 867 775 personnes pour l'année 1934, à 1117665 personnes en 1944, ce qui fait une personne pour 1,46 musi l'on retient ce dernier chiffre (p. 18). Selon la même source, l'ensemble de la province compte en 1944 une population de 32344 684 personnes pour 69428085 mude terres cultivées, soit 2,1 mupar personne. 3. Ala veille de 1949, le district de Taishan compte 166 km de route nationale, du fait des destructions opérées pendant la guerre contre le Japon. Une voie de chemin de fer, construite grâce aux investissements réalisés par des Chinois d'outre-mer résidant en Amérique du Nord et originaires de cette région, relie le bourg de Doujie, au sud du district de Taishan, à Beijie, dans le district voisin de Xinhui, en passant notamment par Conglou puis par Taicheng. De Taicheng, une voie de chemin de fer très courte, construite à la même époque, mène vers l'ouest, jusqu'à Baisha. Si Yi (les quatre districts), Haiwan wenku chubanshe, Taipei, 1958. 46 p.

A chacun de ses retours, Mai Leguan retrouve les siens, des Han venus du nord, à Ping'an, un village semblable à tous ceux qui l'entourent : autour d'un habitat concentré, protégé par un mur de roseaux, s'étendent les champs qui, irrigués pour la plupart, accueillent surtout la culture du riz. Pour ce paysan presque illettré qui va néanmoins dominer les affaires villageoises dès 1911 et jouer un rôle important au conseil lignager comme à la Chambre de commerce du bourg voisin jusqu'à l'arrivée au pouvoir du Parti communiste chinois, l'année 1927 marque sans doute d'abord la date de son retour définitif en Chine et de sa reprise en main des affaires familiales, même s'il n'ignore pas les événements qui bouleversent alors le territoire chinois : après le premier Front uni entre nationalistes et communistes qui a permis de renverser les seigneurs de la guerre et de recomposer l'unité géographique de la Chine, la rupture entre les alliés d'hier est consommée par la répression lancée par Chiang Kai-shek à Shanghai, le 12 avril 1927, contre les militants syndicalistes et communistes. Auparavant, c'est de l'étranger, dans un environnement hostile où les Chinois qui n'hésitent pas à en découdre physiquement avec les Occidentaux gagnent rapidement l'estime de leurs compatriotes, que Mai Leguan a vécu les tournants décisifs de l'histoire chinoise à l'aube du XX siècle : la chute de l'Empire chinois en 1911, le mouvement culturel du 4 mai 1919 et la fondation du Parti communiste chinois en 1921. Onze villages forment le lignage Mai de la région de Conglou, dont le marché qui se réunit tous les cinq jours, attire les paysans

de plusieurs dizaines de villages et hameaux alentours Ce lignage est également appelé parfois le lignage Mai de Zhuhu, nom du village le plus ancien du lignage qui abrite le temple de celui ayant été 1. Denombreux changements politiques et sociaux marquent, àlé' chelle nationale, l'histoire dela premièremoitiéduXXsiècle,et constituentlecontextepluslarge ausein dlectif uqueLlaseC dérouleunX tles'ésivèécnlee.m entsévoquésdanscetouvrage.Lireàceproposlo' uvragecolomX es,FayarD d,u'1n9e8r9é,v4o4l2utipon. àl'autre, 1895-1949,dirigéparM-.C.Bergère, L.BiancoethinJ.eaD viladgeessnet caract reutxe group2e.sU denerégsridanendceedseonnsittéendefait oudveeahuaxmviealuaxges, souévriesnetcet peutepréeguipolnés.,D néesnàom labsui du' nesegmentationlignagèreauseind'unvilageplusancien.Lespaysansdesvilagesrecenschi ésfpfreoudvea1ie4n7tvnéilaangm ntàtd'ant autsrétesaiem Ceonngtlvouer.sLlee esoetinshsaemreenadurxe,déognaletm lesehabi ntartcohuérsnqéusepcrinelcuipiadleem marchédeConglou,apuêtreétablienlisant, àdifférentsinformateurs,lalistedesvilages cpoanrtelenuC edanslo'tugvénraégraelintitulé Indexofclannamesbyvilagesfor Toishandistrict, imprimé chiffreapopnrosuxlaim atif. desÉtats-Unis àHongKong,1963,218p. Il nes'agit quedu' n

reconnu comme l'ancêtre fondateur. Alors que le village de Zhuhu, qui existe déjà sous la dynastie Ming (1368-1644), comptait autrefois des habitants portant des patronymes différents, seules quelques familles non-Mai continuent à y vivre au début du XX siècle. Les dix autres villages du lignage sont entièrement monoclaniques, c'est-à-dire qu'à l'exception des esclaves ou «petits hommes» et des ouvriers agricoles, tous les hommes portent le même nom de clan : Mai. Ils ont été fondés l'un après l'autre sur des terres achetées progressivement par les Mai, toujours plus à l'est du district, quittant la région plus fertile de Zhuhu, tout près de Conglou, pour occuper des terres moins riches. Ce lignage Mai localisé, qui en est aujourd'hui à sa vingt-sixième génération, est divisé en deux grands segments lignagers, celui de Sui Wei et celui de Sui An. Ping'an et trois autres villages appartiennent à Sui An, alors que Zhuhu et six autres villages composent Sui Wei, la branche la plus puissante, celle qui cumule toutes les marques de réussite : ses membres représentent une force numérique importante, bien supérieure à celle de Sui An, elle peut s'enorgueillir d'avoir donné naissance à un grand nombre de xiucai ou diplômés du premier degré des examens officiels, alors que Ping'an et ses villages frères n'en comptent pas un seul, et elle est au tout début du siècle, sur le plan économique, bien plus prospère que sa rivale. Dès son retour au pays, l'autorité de Mai Leguan dans les affaires du village est reconnue. Celui-ci possède en effet, aux yeux des paysans, plusieurs qualités qui le prédisposent à devenir un responsable d'envergure sur le plan local. Ala tête de plus de trente mude terres sur lesquels il cultive surtout du riz et des patates douces commeles autres paysans de la région, il est l'un des propriétaires les plus, importants de Ping'an et même de tout le lignage. De retour des Etats-Unis, il a ouvert un bazar à Conglou où se côtoyent les membres de différents lignages, et possède donc un réseau de relations étendu, dépassant les frontières du village ou du lignage. Il a vu le monde, ayant vécu longtemps aux États-Unis, et malgré sa maigre culture, il possède une expérience des choses de la vie qui n'a rien de comparable avec celle d'un fermier ordinaire de Ping'an. Son âge est respectable puisque, né en 1873, il a 54 ans lors de son retour en Chine. Il bénéficie en outre du soutien de la communauté des Chinois d'outre-mer qui finance tant d'activités locales. Enfin, s'il n'est qu'un piètre orateur, il ne s'engage pas à la légère et chacune de ses paroles est longuement pesée. Même son mauvais caractère notoire, qui lui

vaut pourtant des ennemis, est considéré comme un atout. Ses admirateurs commeses détracteurs vantent aujourd'hui sa ténacité et son refus de subir quelque affront que ce soit, qualités fort prisées par les Mai et illustrées par exemple par l'anecdote suivante, maintes fois racontée. Alors que la guerre contre le Japon fait rage, Mai Leguan croise un jour sur son chemin des soldats de l'armée : «Quel grand nom de famille portez-vous ?», leur demande-t-il par courtoisie. «Nous ne portons qu'un petit nom de famille: Ciel», répondent-ils avec une fausse humilité, se moquant de ce paysan. Que peut-il en effet y avoir de plus vaste et de plus imposant que le ciel ?«Et toi, quel est ton nom?» «Le ciel au-dessus du ciel (tian shang tian) », réplique aussitôt Mai Leguan Toutes ces qualités font de lui le principalfuxiong (littéralement «père-frère aîné ») ou responsable local lorsqu'il habite à Ping'an, entre deux séjours aux Etats-Unis. Dès que Mai Leguan rentre, en 1927, lesfuxiong de Zhuhu viennent le voir et lui demandent de participer au conseil lignager, instance dirigeante des onze villages Mai. Mais Mai Leguan hésite. Il prétexte d'abord qu'il tient un commerce, qu'il n'a pas le temps d'exercer les fonctions de représentant de la branche Sui An au conseil lignager. En fait, il sait que les responsables de Sui Wei sont d'une génération bien supérieure à la sienne et n'ont pas besoin de s'adresser à lui avec des marques de respect particulières. Il sait aussi que l'on compte parmi eux des lettrés. Sur le plan de la force culturelle commede la force militaire, leur supériorité ne fait aucun doute. Cela fait d'ailleurs plusieurs années qu'aucun membre de Sui An ne se rend au conseil lignager car ils sont peu écoutés, et leurs interventions sont souvent tournées en dérision. Vers 1915, les représentants de cette branche sont malmenés lors d'une réunion du conseil et quittent l'assemblée. Il n'y reviendront pas jusqu'au retour de Leguan, en 1927. Ceux de Sui Wei ont en effet dépassé les limites admises dans la discrimination des branches les plus faibles. Ils sont, selon les dires des membres de Sui An, allés trop loin... «Quandonvatroploindanslaméchanceté,celaseretournecontrevous.Ilsavaient dépasséleslimitesàZhuhu?Ilsavaientcessédesemontrerraisonnables?Alorsnous avonscessédenoussoucierd'eux. Nousnesommesplusallésàleurs réunions, nous na'vonsplusappliquerleursdécisions.Pendantplusdedixans,jusqu'auretourdeMai Leguan,nousautresdeSuiAn,nousavonsinterromputoutesrelationsaveceux.Etils 1. MaiJieshi,NewYork,avril 1985,E7.

sont restés impuissants. Que pouvaient-ils faire ? Une explication directe à la table du conseil ne pouvait leur être favorable. Lancer leurs hommes contre nous ? Il leur fallait un motif valable, sinon les lignages voisins auraient vu leur attitude d'un mauvais œil et auraient cessé de les appuyer... » Mais cette division affaiblit l'ensemble du lignage Mai et dans cette région où la violence entre lignages est endémique, ce manque d'unité et de cohésion des Mai peut nuire aux uns et aux autres. Aussi les responsables du conseil lignager entreprennentils, dès son retour, de convaincre Mai Leguan de se joindre à eux. Soumis pendant plusieurs mois à de nombreuses pressions, Mai Leguan finit pas accepter d'assister aux réunions du conseil lignager, scellant l'alliance nouvelle de Sui Wei et de Sui An et le retour des Mai, désormais beaucoup plus puissants, dans les affaires de Conglou. Si le lignage Mai de Zhuhu est situé près du delta de la Rivière des perles, région considérée de façon traditionnelle comme le royaume des lignages dominants, c'est-à-dire essentiellement ceux qui sont dotés de terres ancestrales étendues, il constitue néanmoins un petit lignage (xiao zu) au regard des normes locales. Il possède la plupart des propriétés du lignage dit localisé (une généa1. Entretien à New York avec Mai Jieshi, petit-fils de Mai Leguan, mars 1985, B 116. Né en 1919, Mai Jieshi a joué un rôle important dans le village, comme dans le lignage, de 1938 à 1950. Après avoir fait quelques études, il travaille commecommis chez une herboriste du bourg, puis ouvre en 1945 son propre commerce, où il fabrique de l'alcool, élève des porcs, et rebat les couvertures ouatées qui protègent les paysans des fraîcheurs de l'hiver. Il devient alors membre du conseil d'administration de la Chambre de commerce de Conglou. En 1952, au lendemain de la Réforme agraire, il quitte la Chine pour Hong Kong, puis se rend aux Etats-Unis. 2. Deux ouvrages proposent un mode de classement des différents lignages chinois. M. Freedman dans Lineage Organization in Southeastern China (University of London, The Athlone Press, 1958, 152 p., p. 126-140) décrit deux modèles extrêmes, le lignage de type A (il réunit deux ou trois cents membres, quelques petits commerçants et artisans, possède pour toute terre collective le sol où ont été placées les tombes des ancêtres...) et celui de type Z(qui possède entre 2 et 3000 membres, une généalogie complète, des terres lignagères étendues, et présente une forte segmentarisation interne...), entre lesquels il existe un continuum. Si le lignage Mai de Zhuhu se rapproche assez du modèle type Zde l'étude de Freedman, le faible pourcentage de terres possédées de façon collective, et les brèches portées à l'unité rituelle en font un cas intermédiaire entre Aet Z. J. Goody dans The Oriental, the Ancient and the Primitives, Systems ofmarriage and the family in the pre-industrial societies of Eurasia (Cambridge, Cambridge University Press, 1990, 542 p.) propose p. 61 une typologie de trois types de lignages. Làencore, le lignage Mai de Zhuhu correspond à un type intermédiaire. En d'autres termes, il est beaucoup plus développé que bien des lignages typiques du nord de la Chine et il connaît une plus forte segmentarisation interne que les lignages du bas Yangtze. Mais il ne s'agit pas d'un lignage localisé dominant comme ceux qui ont pu être étudiés dans les Nouveaux territoires de Hong Kong, caractérisés par la possession de terres collectives étendues. Ces distinctions apparaîtront de façon plus précise dans les chapitres suivants.

logie régulièrement mise à jour, des tombes et des temples des ancêtres, lieux d'une vie religieuse importante caractérisée par une assez forte unité rituelle, l'occupation de plusieurs villages monoclaniques) mais ses membres, au nombre de 3 000 environ à la veille de 1949, représentent une force numérique moyenne, et les terres possédées de façon collective pourvoient tout juste aux dépenses rituelles et au fonctionnement de l'école. Rien à voir par exemple avec les Chen d'une localité voisine, dont le lignage couvre toute la superficie d'un canton et qui est riche à la fois de terres collectives beaucoup plus étendues et de membres ayant trouvé des postes importants dans l'administration. Il est impossible de parler de l'organisation sociale dans ce district de Taishan sans évoquer l'institution lignagère, qui se développe surtout dans cette région à partir du milieu du XVIII siècle, même si elle y est déjà présente deux siècles auparavant Plus que le lignage en tant qu'organisation et entité homogène cependant, l'idéologie de la descendance patrilinéaire et la notion de groupe de descendance localisé, ici étroitement associées, orientent les échanges économiques et sociaux. A ce titre, les groupes inférieurs ou intermédiaires que sont la famille et le segment lignager jouent un rôle fondamental. Le rôle et la responsabilité du lignage dans les affaires locales ne sont cependant nullement exclusifs. D'autres types d'échanges et de relations humaines que ceux offerts par l'organisation lignagère structurent cette société qui, loin d'être close sur elle-même, est ouverte par exemple à l'influence du marché et de ses commerçants comme à celle de ses nombreux cousins d'Amérique. Des groupes sociaux, fondés sur d'autres principes que celui de la parenté, jouent un rôle non négligeable sur le plan local. Certains, religieux, dépassent le lignage puisqu'ils rassemblent les

1. Sans trancher dans le débat concernant les raisons du développement de ces lignages localisés dans le sud-ouest chinois, il est nécessaire de rappeler les différentes explications avancées à ce propos : certains évoquent l'aspect frontalier de ces régions tardivement peuplées par les Han, où les habitants devaient se défendre contre les pirates et les aborigènes (Pasternak, 1969) ; d'autres avancent la nécessité d'une coopération étendue entre les paysans dans cette région où se pratiquait la double récolte de riz et où il fallait se battre contre les risques d'inondation, de sécheresse, et répondre aux menaces de typhons (Y. F. Woon, 1984) ; d'autres encore mettent l'essor des lignages à partir du règne de Yung-cheng sur le compte de l'évacuation côtière imposée pendant vingt ans par le gouvernement des Qing, chacun s'efforçant, lorsque cette période prend fin, d'occuper des terres arables aussi étendues que possible (H. J. Lamley, 1990). Tous évoquent la faible emprise du gouvernement des Qing sur cette région.

membres de plusieurs lignages localisés autour du culte d'une même divinité. D'autres, tels que la Chambre de commerce de Conglou qui regroupe l'élite commerçante de la région, établissent des liens privilégiés entre des familles de lignages différents. Le village, dirigé par les principes de parenté et de localité, et traversé d'associations multiples, jouit d'une certaine indépendance par rapport au lignage. Mais si ces différents groupes complètent et influencent l'action du lignage, il est vrai aussi qu'ils la consolident. Leurs activités et les échanges économiques et sociaux, internes et externes qui les caractérisent, se déroulent à l'ombre des réalités lignagères, qu'ils ne peuvent ignorer. Cette société, marquée par la présence de l'institution lignagère, Mai Leguan l'a vue changer tout au long de la première moitié du XX siècle. Des réformes ont été entreprises, l'indépendance de la famille s'est accrue par rapport au lignage, de jeunes responsables lignagers se sont opposés aux plus âgés, s'efforçant d'implanter de nouvelles valeurs, plus modernes et plus favorables, selon eux, à l'expression d'une « volonté commune» (gongzhong yunwang). Quelques-uns d'entre eux ont rejoint les rangs du Parti communiste. Le culte des ancêtres collectif a adopté un rituel plus simplifié alors que celui des divinités locales a décliné. La guerre contre le Japon a provoqué, on le verra, des changements irréversibles sur le plan des coutumes et des rapports entre générations... Mais pour Mai Leguan comme pour la majorité de ceux qui l'entourent, il existe des principes fondamentaux qui apparaissent immuables en ce début de l'année 1950: l'organisation de la société en groupes où parenté et territorialité se mêlent étroitement, la nécessité de tenir compte de la place de chacun dans la hiérarchie locale pour résoudre les litiges, c'est-à-dire, en d'autres termes, de ne pas privilégier la justice au détriment de l'ordre social, le besoin de protéger les communautés locales de l'action de l'État, le rôle fondamental attribué à la famille dont les autres groupes sociaux, qu'il s'agisse du village, du lignage ou de l'assemblée des différents lignages du canton, doivent avant tout défendre les intérêts. D'une façon plus générale, ces principes contribuent à valoriser les groupes donnés aux individus dès leur naissance, et qui ne sont donc pas liés aux aléas des rencontres et des personnalités. Le lignage localisé, à l'instar de la famille, se présente ainsi comme un groupe qui s'impose aux individus, du fait du principe de descendance patrilinéaire, même s'il regroupe

souvent des individus n'ayant pas tous véritablement d'ancêtre commun. Les autres formes d'organisation sociale adoptent également souvent le vocabulaire de la parenté, encourageant en leur sein le respect de certaines obligations, comme celles existant entre parents, plutôt que le bon vouloir des individus. En ce sens, les liens contractuels empruntent volontiers la forme des liens indissolubles, favorisant ainsi leur stabilité. Ces groupes donnés ne définissent pas cependant, de façon rigide, le comportement à adopter en toute circonstance. Ce dernier est influencé par le rapport existant entre le domaine « privé » et le domaine « commun » : or quel que soit l'espace au sein duquel un individu exerce une activité ou considère un échange à un moment donné, qu'il s'agisse par exemple du segment lignager, du village, du lignage ou de la localité, ce niveau est dit « commun » par rapport à ceux, privés, des unités qui le composent. Chaque situation définit ainsi, pour l'individu, une tension spécifique entre affaires « communes » et « affaires privées », mettant en jeu des groupes et des intérêts différents, et influençant les critères de l'action individuelle ou collective jugée correcte. Le respect de ces différents principes, enfin, est lié au regard et à la présence des ancêtres, des divinités taoïstes ou bouddhistes, mais aussi à l'action du Ciel. Dans une société où les circonstances particulières influencent profondément les conduites humaines, même si des notions universelles, c'est-à-dire partagées par tous, sont également à l'œuvre, et où une place importante est attribuée au travail d'interprétation des événements et des situations, ces puissances très différentes que sont les ancêtres, les divinités ou les le Ciel, contribuent au-delà desquels démons, abus sontetcommis, à donner unà fixer sens àleslaseuils répétition d'heurs ou les de malheurs, et à ordonner les conduites. Pourtant, Mai Leguan ne savait pas, au cours des derniers mois de sa vie, qu'il était en réalité acteur et témoin d'une société qui allait s'effondrer dès les premières attaques lancées contre elle, deux mois seulement après que l'on ait célébré son enterrement en grande pompe. En avril 1950 en effet, la Réforme agraire débutait par une campagne de lutte contre les « despotes locaux ». Cumulant les étiquettes de chef villageois ayant favorisé, comme bien d'autres, les intérêts de son propre segment lignager, de chef lignager, de membre de la Chambre de commerce de Conglou, Mai Leguan aurait sans doute été l'une des victimes de cette campagne qui

devait emporter dans une première vague les «grands despotes locaux» présidant aux destinées des lignages les plus puissants, avant de se tourner vers les « petits despotes locaux », statut qui lui aurait vraisemblablement été attribué. « Il a su vivre et il a su mourir... », disent aujourd'hui ses fils

1. Mai Sulin, New York, octobre 1988, p. 1123. Mai Leguan a quatre fils. Le premier, fils de la femme principale de Mai Leguan, émigre aux Etats-Unis en 1918, quelques années après son mariage en 1911. Il reviendra une fois, en 1926, avant d'émigrer à nouveau. Les changements politiques de 1949 l'empêchent de revenir en Chine. Il s'installe alors dans une ville du Mississippi et y ouvre un commerce. Son épouse, Wu Bingzi, l'y rejoint après avoir quitté la Chine, au début des années soixante. Le deuxième fils de Mai Leguan est un fils adopté. Il réside aujourd'hui encore à Ping'an. Enfin, la concubine que Mai Leguan épouse en 1911, lui donne deux autres fils. Le premier, Mai Sulin, émigre en 1988 aux Etats-Unis. Le second, Mai Ketong, vit toujours à Ping'an.

II

Le sens de la famille

La famille est souvent reléguée à l'arrière-plan dans l'étude de ces régions de Chine où se déployent les lignages localisés. L'anonymat que confère le partage d'un même patronyme, la difficulté de lier la famille à un patrimoine ou à une demeure fixe dans le temps, renforcent la tentation de lui accorder une place secondaire, de la considérer comme une simple unité du groupe lignager, servant les intérêts de ce dernier. Les complexités de la structure lignagère, la pyramide asymétrique des segments lignagers que l'on ne peut ignorer tant elle oriente les échanges économiques et sociaux, occupent tout le paysage social et contribuent également au relatif mépris accordé à la famille. Pourtant, c'est d'abord autour de la famille que se noue le vécu social ; c'est elle qui fonde, en premier lieu, l'identité individuelle. Le lignage influence les destinées de la famille : il ne les commande pas. Al'inverse, si le segment lignager et le lignage ne sont pas de simples prolongements de la famille, l'idéologie lignagère emprunte certains traits de l'idéologie domestique : la frontière très nette tracée par exemple entre l'intérieur et l'extérieur du groupe, quel qu'il soit, ou encore la conviction, intériorisée par chacun, que chaque élément tire sa force de celle du groupe, et que l'on ne peut distinguer l'intérêt du groupe de celui de l'ensemble des unités qui le composent. Le niveau fondamental, c'est bien celui de la famille, dont l'action doit être favorisée par l'existence du lignage. Dans le lien étroit instauré, au sein de la famille, entre le groupe et l'individu, c'est le groupe qui domine, alors que ce sont les besoins et les désirs des

groupes domestiques qui influencent les destinées du lignage. Mesurer les comportements individuels et familiaux à l'aune du lignage seulement, en attribuant à ce dernier un intérêt propre, distinct de celui des groupes domestiques, conduit ainsi à des malentendus. Préserver, aussi longtemps que possible, et accroître les biens matériels et symboliques des groupes domestiques et dans un second temps, des lignées : tel est le principal souci qui domine en effet les différentes phases du développement familial, qu'il s'agisse de l'extension du groupe à travers mariages et adoptions, ou de sa division lors du partage des biens. Le mot «famille », comme cela a déjà été souvent remarqué, est employé en Chine (jia) pour désigner des groupes fort différents Les paysans du district de Taishan ne font pas exception à la règle. Ils utilisent parfois le mot famille en privilégiant la notion de lignée patrilinéaire. «Nous appartenons tous à la même famille » dirontils, en parlant aussi bien des groupes de parenté fondés par leur arrière-grand-père, leur grand-père ou leur père. Par extension, le lignage dans son ensemble peut être désigné comme une «grande famille », l'ancêtre fondateur venant alors au sommet de la hiérarchie. Dans d'autres cas, le mot jia est utilisé pour désigner une unité de production et de consommation dont les membres partagent le même feu. Il s'agit parfois du groupe domestique élargi, comprenant servantes et ouvriers agricoles, et ce mot devient alors l'équivalent du mot hu, au sens de foyer ou maisonnée L'emploi du mot «famille »dans ce dernier cas apparaît alors justifié, car les domestiques et autres personnes, extérieures au groupe de parenté mais vivant sous le même toit que la famille, sont intégrés dans l'ordre hiérarchisé qui place dans une position de plus ou moindre grande subordination vis-à-vis du chef de famille tous les membres de celle-ci. L'autorité du chef de famille, quel qu'il soit, est de type paternel à l'égard de tous, même si ses devoirs et ses obligations diffèrent profondément selon le statut de chacun. En retour, chacun, 1. Lire par exemple M.L. Cohen, Developmental Process in the Chinese Domestic Group, FamilyandKinship in ChineseSociety,éd. par M.Freedman,Stanford, Stanford Univ2e.rsA ityPiPnreg'sasn, ,19trois 70,2ty1p-3e6s.depersonnespeuventvivresouslemêmetoit quu' nefamile et partager sa vie quotidienne, sans être liées aux membresdugroupepar desliens de renté:leasleservant leseom uvriersagricoplelesuet, dansunem oindriegrm bresdela ftpaaaim u' niebeatfes,m toeirseurce,oaluensxdum iteeam ntseffet nesilefenat mmesdcél airm es ouavriéeeu.vLesa',m donttroduusplehsénporm ocèhneesm sontapartis Et -Unics,eràallervivrechezunedeleursparentesmariées,phénomèneassezrareenChine.

selon des degrés différents, engage la réputation des membres les plus importants au sein de la famille, et les servantes également, quoique de façon bien moins importante que les belles-filles ou les fils par exemple Dans la plupart des cas cependant, le mot « famille » est utilisé dans le sens défini par Olga Lang en 1946, comme « une famille économique, soit une unité composée de membres liés par des liens de parenté, de mariage ou d'adoption et ayant un budget commun ainsi qu'une propriété commune » C'est à cette définition que fait appel la notion de «division familiale» (fenjia) qui indique qu'une famille s'est scindée, a partagé les biens autrefois possédés en commun, et a donné naissance à deux ou plusieurs familles. C'est de cette famille, entendue comme unité de production et de consommation régie par les liens de parenté, que traite le présent chapitre La population du district de Taishan est estimée à 800 000 personnes environ en 1922. Elle atteint le chiffre de 964 000 habitants en 1932 pour diminuer ensuite de façon régulière, surtout pendant et après la guerre contre le Japon, sous les effets conjugués de l'émigration et des famines : de 794 135 en 1946 elle serait passée à 765 362 en 1948, pour n'être plus que de 574 005 en 1949. Au cours de cette dernière année, 169 842 foyers sont recensés dans l'ensemble du district, soit une moyenne de 3,4 personnes par foyer. 1. Bien des traits de la famille et des groupes de parenté ici analysés peuvent être rapprochés de la «nature domestique » décrite par L. Boltanski et L. Thévenot dans leur ouvrage intitulé De lajustification. Les économies de la grandeur (Cahier du Centre d'études de l'emploi, 31, PUF, 1987, 360 p., même si nous ne pouvons utiliser leur classification qui suppose que les liens établis puissent être remis en cause, ce qui n'est bien sûr pas le cas ici. Les propos de Wu Bingzi, l'une des belles-filles de Mai Leguan, concernant deux des trois servantes qu'elle employe entre 1911 et 1949, illustrent d'autre part les relations établies au sein du groupe domestique avec ceux qui n'en sont pas membres par alliance ou par filiation biologique : «J'achetais des servantes âgées de douze ans, et je les mariais lorsqu'elles avaient vingt-deux, vingt-quatre ans. La première, j'ai dû la faire partir de force car elle voulait rester. Je l'aimais beaucoup et je lui ai trouvé un bon parti. Je l'ai mariée à un émigré d'Asie du Sud-Est alors que ma première belle-fille allait mettre son premier enfant au monde. Yougui me suppliait : "Laissez-moi rester jusqu'à ce que grande sœur ait son enfant. Je veux voir le bébé." Maisje lui ai dit que cen'était pas possible. Elle avait dépassé l'âge de se marier, on allait dire quej'abusais d'elle, queje ne remplissais pas mondevoir en la gardant près de moi si longtemps... » (Wu Bingzi, NewYork, mars 1985, N816). 2. O. Lang, Chinese Family and Society, New Haven, Yale University Press, 1946, 396 p., p. 37. 3. Patricia B. Ebrey, dans un article important sur les conceptions de la famille sous la dynastie Qing (Conceptions of the Family in the Sung Dynasty, Journal of Asian Studies, vol. XLIII, n°2, 1984) révèle les débats qui existent à l'époque entre deux interprétations de la famille : celle qui privilégie le zong (tsung dans le texte) ou la lignée patrilinéaire, et celle qui privilégie lejia, ou le groupe économique centrée autour d'une propriété commune.

Mais ce chiffre est sans doute inférieur à celui qu'il était avant la guerre. A titre indicatif, on compte en 1938 5,23 personnes par foyer pour le district voisin de Enping et 5,26 personnes pour celui de Kaiping selon l 'Annuaire statistique de la province du Guangdong publié en 1941, et il est probable que la situation à Taishan était alors très voisine Mais familles et maisons ne coïncident pas à Taishan. Les maisons en briques grises, serrées les unes contre les autres, comportent deux ailes comprenant chacune une cuisine, dont la porte s'ouvre sur une ruelle. Lorsqu'une seule famille habite la maison, une seule des cuisines est utilisée et une seule porte est ouverte. L'allumage du second feu signifie qu'une division familiale a eu lieu. Trois familles cependant peuvent partager une même habitation, un feu étant alors installé dans la pièce centrale. Derrière chaque cuisine se trouve une chambre pourvue d'un second étage. Entre ces deux ailes, la grande pièce principale sert de lieu de réunion, d'entrepôt, de chambre pour les membres de la famille qui ne peuvent se loger dans les ailes, mais aussi de lieu de culte pour le ou les foyers que la maison abrite. En effet, la maison, si elle n'est pas fatalement une unité économique, est toujours une unité religieuse: un seul autel des ancêtres peut se dresser sur le mur principal de cette grande pièce. Univers clos où ne pénètrent pas aisément des personnes étrangères au cercle domestique, la maison peut ainsi être divisée par des clivages économiques, temporels, mais elle ne représente qu'un seul ordre hiérarchisé par rapport aux ancêtres dont ses membres tirent leur origine, même s'ils n'en sont pas directement issus. Les deux familles rendent hommage ensemble aux ancêtres les jours de fête. Lorsque leurs relations sont harmonieuses, les plats apportés par l'une et l'autre partie sont placés ensemble devant l'autel, sans distinction, et sont ensuite partagés au cours d'un repas commun. Quand au contraire la discorde règne, chaque famille dispose ses plats d'un seul côté de l'autel et les remporte ensuite chez elle L'utilisation des différentes pièces évolue donc sans cesse au gré du cycle de développement familial et des relations tissées entre ses 1. Guangdong nianjian (annuaire du Guangdong), 1941, partie I, chap. 4, p. 73. 2. La naissance d'une seconde famille entraîne cependant l'apparition, dans l'aile de la maison qui acquiert une nouvelle autonomie, de deux divinités déjà présentes dans l' autre aile : le dieu du foyer et le dieu de la porte.

membres. En 1911 par exemple, Mai Leguan vit dans une structure familiale de type souche, avec son épouse et une concubine qu'il a épousée un mois avant de marier celui qui est alors son fils unique. Il occupe une aile de la maison. Sa mère dort dans la pièce principale alors que son fils et sa belle-fille logent dans l'autre aile. Après avoir séjourné quelques mois à Ping'an, il repart aux Etats-Unis pour n'en revenir que peu avant 1920. Il se fait construire alors une maison dans un nouveau quartier de Ping'an et y emménage ses deux épouses sans avoir opéré de division formelle avec son fils aîné. En 1927, après son retour définitif au village, il ouvre un commerce à Conglou et y installe sa première épouse. La concubine habite dans la nouvelle maison avec ses quatre enfants (une fille et trois garçons), alors que le fils aîné de Mai Leguan, Mai Huzao, qui a enfin reçu sa part d'héritage, habite l'ancienne maison avec ses quatre fils. Vers la fin des années trente, les deux fils aînés de Mai

Huzao se marient et le second d'entre eux, Mai Jieshi, réclame rapidement la division familiale. Une aile de la maison lui est attribuée alors que la mère, Wu Bingzi, habite avec ses autres fils dans la seconde aile jusqu'en 1952. Mais tous les membres d'une même famille ne résident pas fatalement sous le même toit. Les maisons pour les jeunes filles célibataires (nüzaiwu) et celles, moins fréquentes, pour les paysans célibataires (sanzaidou) accueillent la nuit certains enfants de Ping'an, et ce dès l'âge de 13-14 ans L'unité de résidence villageoise est néanmoins alors préservée, alors que l'émigration vers l'Amérique du Nord ou l'Asie du Sud-Est éloigne pendant des années ou des décennies des pères, des maris ou des frères, du village natal. La famille exerce des fonctions économiques, religieuses et sociales. Elle est, pour reprendre la formule consacrée, l'unité de base de la société, unité au sein de laquelle l'identité de chacun est définie par la position qu'il occupe et les relations instaurées avec les autres membres. Trois types de relations fondent à Taishan, sous l'influence de la pensée confucéenne, la famille et la hiérarchisent : celle qui existe entre les époux, celle qui lie parents et enfants, et enfin celle qui ordonne sur un même axe les individus selon leur neatsprésent onefepnlusesdét deioslenfocnectaionndstdheeceB sadcehuexlorinstitutions W on. Sealf-tiD Coarpilés,eV Sub-Culturest e inproSpoouséthe par J.1. U C h i n a . T w o C a s e S t u d i e s , T h e S e c o n d Int e rnat i o nal C o n f e r e n c e o n S i n o l o g y , Academia Sinica,1986.38p.

âge Cesrelations impliquent des devoirs et obligations spécifiques, favorisant l'ordre et la stabilité au sein du groupe. Ce dernier est néanmoins dominé par un principe supérieur qui veut que la mise en commun des biens, matériels ou immatériels, améliore la vie quotidienne de chaque membre. Cette conviction, inspirée par la pauvreté et les difficultés de survie, oriente toutes les activités familiales. Une telle stratégie ordonne de subordonner l'intérêt de l'individu à celui du groupe. Il n'existe pas en effet d'unités privées au sein de la famille et les comportements égoïstes ne sauraient donc y avoir cours. Seule la famille peut, de façon légitime, privilégier son intérêt par rapport à celui des groupes sociaux qui lui sont extérieurs et faire preuve, en d'autres termes, d'une attitude égoïste. La position mais également les capacités de chacun influencent néanmoins les responsabilités individuelles. La recherche de la stabilité du groupe domestique et celle de la survie, dans des conditions aussi bonnes que possible, de l'ensemble de ses membres représentent en effet deux critères de fonctionnement qui, s'ils sont liés, peuvent également entrer en conflit. Le dernier principe doit alors l'emporter. Le principe de la communauté de budget est par exemple strictement appliqué au sein de la famille, et les paysans distinguent entre le chef de famille (jiazhang) et celui qui tient les cordons de la bourse (dangjia ou huzhu). Les ressources sont rares en effet malgré l'émigration qui permet à l'argent de circuler à Taishan plus facilement que dans d'autres régions, et la gestion du budget est considérée comme une tâche ingrate, peu convoitée. «Personnenesebatpourso' ccuperdescomptes.Nousmangeonstousdansla même casserole.Lechefdefamiledoits'assurerqu'ilyaquelquechosedanslacasserole.Les autresmangent,etvoilàtout.Trèspeudefamilesauvilageontassezpourvivre,alors quepourraient-ellesredistribuer?Ilfautéconomiserbeaucouppourparveniràs'ensortir. Quandtoutelafamileaquelquechose,chacunenprofite,quandlafamilen'arien, ilfautquechacundonnecequ'ilpeut.» Un partage du pouvoir dans ce domaine entre deux ou plusieurs personnes fait peser une menace directe sur la survie familiale : une 1. Ambrose Y. C. King, The Individual and Group in Confucianism: ARelational Perspect dual andCH nuCdioens,fuT cihaneUni andvTaoi aluicehs,igédité DonaldJ.ive,MIndi unrov,iA nnim Arbor, enotliesm rfor: St Cuhdi ineesseiSt ersitystofVM an,19par 85, 392p., 57-72. 2. MaiKejiu, HongKong,novembre1986,Z1423.

seule autorité doit émerger en matière de distribution des richesses Si l'homme le plus âgé s'occupe souvent de la gestion du budget, il arrive cependant qu'une épouse ou une belle-fille soit jugée plus compétente pour contrôler les ressources communes Le choix d'une personne autre que le chef de famille pour tenir les cordons de la bourse, déroge à la hiérarchie en place et entraîne une perte de face pour celui qui a fait la preuve de son incapacité. Une telle décision, si elle ébranle pendant quelque temps l'ordre familial, favorise néanmoins la survie du groupe domestique. L'intérêt de ce dernier, et, par la même occasion, celui de chacun de ses membres, commandent donc ce choix. Une mauvaise gestion peut en effet provoquer rapidement le déclin familial. Telle paysanne de Ping'an, dont le mari vivait aux États-Unis, est ainsi célèbre dans le village pour ne pas avoir su gérer ses ressources. Au lieu d'acheter de la terre avec l'argent envoyé par son époux, elle le prête avec intérêt. Lorsque, à partir de la fin de l'année 1941, et pendant trois ans et huit mois, à la suite de l'occupation de Hong Kong par les Japonais, tous les échanges sont interrompus avec l'étranger, elle se retrouve sans ressources, personne n'étant en mesure de lui rendre l'argent prêté. A l'inverse, Wu Bingzi, l'une des belles-filles de Mai Leguan, est fière de compter parmi les rares personnes du village ayant acheté de la terre pendant la guerre contre le Japon, qui se déroule de 1937 à 1945. Différentes logiques sont ainsi à l'œuvre, qui commandent l'interprétation, en chaque circonstance, de ce qui constitue le bien commun à l'ensemble des membres du groupe domestique. Ainsi, la nécessité du maintien de l'ordre et de l'unité au sein de la famille entraîne le respect de la hiérarchie, au sein de laquelle chacun occupe une place, fonction de son degré de subordination par rapport aux ancêtres dont les membres du groupe sont issus. Pareille hiérarchie limite la marge de manœuvre des individus, même au sein des familles dites aisées et même pour les hommes mariés, comme le montre l'exemple ci-dessous : «Nous étions alors une famile moyennement aisée dans le vilage et cultivions ma mère,mafemmeet moiunpeumoinsdedix mu. Monpère nousenvoyait del'argent des Etats-Unis, defaçon irrégulière, mais en quantité suffisante cependant pour que 1. Apartir desannéestrente, lorsqu'un coupleest àla tête d'une famile, la responsabilité dela gestiondubudgetestsouventpartagéeparlesdeuxépoux. 2. Notonscependantqu'àPing'an,la' bsencedenombreuxépouxœuvreenfaveurd'un renforcementdupouvoirdesfemmesauseindela maisonnée.

mes trois frères suivent des études. Pourtant, lorsque je me suis marié, je me suis retrouvé sans un sou, alors que j'avais de nouvelles dépenses, de nouvelles responsabilités. Ma fille est tombée malade et en est morte parce que ma mère n'a pas voulu appeler le médecin. Mon fils a presque perdu un œil pour la même raison et n'a pu être guéri que grâce à l'aide financière de la mère de ma femme. Je travaillais alors comme apprenti dans une pharmacie traditionnelle chinoise mais je n'étais que nourri. Un salaire symbolique m'était versé pour "aller chez le coiffeur". J'avais le sentiment d'être totalement impuissant pour assurer la survie des miens... »

Cependant, lorsque la survie économique du groupe est en jeu, la défense des intérêts de tous exige que les responsabilités soient confiées au plus compétent, qu'il s'agisse d'utiliser les ressources familiales ou de se lancer dans une entreprise aussi hasardeuse que le commerce Il existe ainsi une certaine souplesse des pratiques au sein du groupe domestique qui ne peuvent être interprétées comme autant d'écarts par rapport à la norme mais plutôt comme une réponse au principe supérieur qui veut que les ressources des uns et des autres soient mises en commun pour assurer des conditions de survie aussi bonnes que possible à tous. Ce principe a pour effet de limiter la rigidité de l'ordre hiérarchique. Mais ce dernier peut également être ébranlé si le chef de famille fait fi des obligations qui sont les siennes et favorise par exemple certains de ses descendants par rapport à d'autres. La réponse légitime à un tel comportement jugé abusif, peut être la remise en cause des décisions prises par le responsable hiérarchique par l'un des membres de la famille, auquel la communauté donnera raison, si l'abus est manifeste. C'est ainsi que Mai Leguan, qui a quatre héritiers et possède environ 35 mu lorsqu'il se sépare de son fils aîné, vers 1930, donne 3 mu à ce dernier. Le partage est jugé ouvertement inégal, d'autant que le fils aîné doit recevoir une part supplémentaire pour pourvoir aux dépenses du culte des ancêtres. Aussi le deuxième enfant du fils aîné de Mai Leguan, décide-t-il en 1944 de s'emparer de force de 5 mu appartenant à son grandpère. Il commencera à les cultiver du jour au lendemain, sans que son grand-père n'ose intervenir. Il va de soi que l'interprétation 1. Mai Jieshi, New York, mai 1985, E 55. 2. « On ne peut pas confier un commerce au fils aîné parce qu'il est le fils aîné. Le plus malin s'en occupe. Dans ce domaine, on ne peut pas se soucier des générations. Tu es bête, tu fais faillite, quel avantage pour la famille ? Alors si l'un des fils est plus malin qu'un autre, s'il a des idées pour faire avancer la famille, on l'écoutera, même s'il est un fils cadet » (Mai Suma, Ping'an, octobre 1986, Y 1310).

d'une situation comme abusive ou pas dépend de nombreux facteurs et ne découle pas seulement de conditions objectives. Dans le cas précédent, Mai Leguan est dans son tort aux yeux de tous : non seulement il n'a pas procédé à un partage équitable, mais il a privilégié les enfants de sa concubine par rapport à ceux nés de sa première épouse. Lorsque la mise en commun des ressources et leur redistribution mettent en péril, plutôt qu'elles ne protègent, les conditions de vie de certains membres du groupe domestique, ou lorsque les abus dont ils sont victimes sont trop répétés, ceux-ci, n'ayant plus rien à perdre, peuvent réclamer le partage des biens. En d'autres termes, ils peuvent s'efforcer de sortir de l'ordre hiérarchisé auquel ils appartiennent. Plus que le partage des biens matériels, ce qui est en jeu lors d'une division familiale, c'est l'évolution de la loyauté de certains des membres du groupe, laquelle s'exprimera désormais en priorité vers la nouvelle famille ayant officiellement conquis son autonomie. Ce sont parfois les membres des générations supérieures qui réclament la division familiale, surtout dans le cas des familles complexes où le chef de famille a épousé une concubine et où deux lignées par conséquent s'opposent. Mais bien souvent, en cette première moitié du XX siècle, ce sont les fils mariés qui expriment leur désir d'acquérir leur indépendance. En ce sens, la division familiale n'est pas à Taishan, entre 1911 et 1952, «le dernier événement dans l'histoire d'une famille chinoise complexe » comme c'est le cas dans d'autres régions de Chine Les fils se séparent de la famille l'un après l'autre. Ce changement est le résultat de la mobilité accrue des paysans, favorisée par l'émigration et par le développement du commerce. Mais il est aussi une conséquence directe de l'espacement des naissances, souvent très important dans cette région. Les naissances ponctuent en effet les séjours des émigrés au pays, séjours qui interviennent souvent tous les huit ou dix ans. Et la pratique de l'adoption d'enfants achetés à d'autres familles achève d'effacer l'homogénéité des générations. C'est ainsi que neuf et onze ans séparent Mai Jieshi de ses deux plus jeunes frères. Telle autre paysanne a vingt ans d'écart avec son frère aîné, acheté par 1. L'ouvragedeMyronCohensurlesdivisions familiales reste àcejour le plus important pourcomprendrelepartagedesbiensetl'évolutiondel'organisationfamilialeenChine, HouseUnited,HouseDivided:TheChineseFamilyinTaïwan,NewYork,ColumbiaUniversity Press, 1976,268p.

sa mère peu après son mariage, le père étant reparti en Amérique. Ces différences d'âge augmentent la possibilité de conflits, la division familiale n'intervenant pas en même temps pour tous et la situation du chef de famille pouvant s'améliorer après que le fils aîné ait fondé sa propre famille. Si en théorie, le partage des biens est accompli de façon égalitaire entre les fils, en pratique, les inégalités sont nombreuses. Première source potentielle de rivalités, même si elle ne concerne que quelques familles de Ping'an : seul le plus compétent des fils, en fait celui qui a été choisi et formé par le père, hérite des biens commerciaux. Aucune règle ne l'oblige alors à dédommager ses frères. Les faillites sont nombreuses et le désir de conserver ce patrimoine nécessite qu'il soit confié au plus capable. Les inégalités sont également renforcées par la distinction qui est faite, dans la pratique, entre la division des biens officielle, appelée fending, qui se réalise parfois en présence d'un responsable du segment lignager lorsque les biens sont importants, et la division provisoire, appelée fengeng, qui octroie aux fils le droit d'exploiter les terres attribuées mais non pas de les vendre. Dans ce dernier cas, le chef de famille est censé procéder à la division officielle avant sa mort. S'il ne le fait pas, ses descendants continuent à exploiter les champs qui leur ont été confiés et ne peuvent les vendre qu'avec l'accord de tous les autres héritiers. Ceci, à moins qu'un parent de la génération supérieure ne se substitue au défunt et ne prenne l'initiative de distribuer formellement les terres pour apaiser les tensions. Cette pratique a pour but de maintenir, aussi longtemps que possible, le patrimoine indivis. La distribution provisoire des terres est moins soumise à l'impératif de la stricte égalité entre les frères que la division formelle : elle tient compte de la possession d'autres sources de revenus par certains et répond aux besoins des différents foyers et à leur disponibilité en maind'œuvre, au moment même de la division. En ce sens, elle peut apparaître comme plus équitable. Ainsi, les paysans émigrés reçoivent parfois une part de champs inférieure à celle de leurs frères restés au village. Cette souplesse, justifiée en théorie par l'aspect provisoire de la distribution, autorise en fait l'expression de favoritismes envers certains des héritiers. De plus, les ressources tirées de l'émigration sont instables : le père qui travaillait sur la Montagne d'or peut faire faillite, tomber malade, ou bien cesser subitement de donner de ses nouvelles et d'envoyer de l'argent, laissant sa famille au village sans ressources et sans terres.

Seuls les fils mariés parviennent ainsi quelquefois à remettre en cause la décision du chefde famille ouà réclamer la division familiale. Créer une nouvelle famille, c'est-à-dire entrer dans une relation conjugale devant aboutir à l'instauration d'une relation parentenfant, est en effet fondamental pour la reconnaissance sociale de l'individu. S'il attribue de nouvelles responsabilités, parfois difficiles à assumer, le mariage constitue le moyen d'être reconnu comme responsable de ses actes, dans la mesure oùla relation établie limite l'autonomie individuelle, et par voie de conséquence, l'adoption de gestes ne considérant que le bien-être personnel. «Ceux qui ne sont pas mariés, ce sont encore des enfants, peu importe leur âge. On ne peut pas trop leur faire confiance pour des choses importantes. D'ailleurs, bien qu'il n'existe pas de règlement à ce sujet, aucun responsable villageois ou lignager n'est célibataire. Si vous confiez une responsabilité à un paysan qui n'est pas encore "coiffé" et que q u ' à

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1. « L a f e m m e q u i c o i f f e les c h e v e u x d e la j e u n e m a r i é e r e ç o i t ce j o u r - l à u n e n v e l o p p e rouge avec u n p e u d ' a r g e n t . Mais c'est u n e t o u t e p e t i t e s o m m e . L ' i n t é r ê t d ' ê t r e choisie c o m m e h a o m i n g p o n e t i e n t p a s à l ' a r g e n t . Ce q u i e s t i m p o r t a n t , c ' e s t q u ' a u m o m e n t o ù j e p r o n o n c e d e s p a r o l e s b é n é f i q u e s p o u r d ' a u t r e s , t o u t le v i l l a g e r e c o n n a î t m a v a l e u r . I l s m e c h o i s i s s e n t p a r c e q u e j ' a i e u u n b o n d e s t i n , e t t o u s s o n t f o r c é s d e le r e c o n n a î t r e a u c o u r s de c e t t e c é r é m o n i e » ( W u Bingzi, N e w Y o r k , a v r i l 1985, 0 866).

vidu. Trois années peuvent être en effet ajoutées à l' âge réel, lorsque l'homme ou la femme en question possède de nombreux fils et petits-fils : la première année est un don du ciel, la deuxième un don de la terre, et la troisième un don de la descendance. Le calcul est parfois modifié, pour permettre à une personne âgée d'atteindre l'âge convoité de 101 ans. C'est ainsi que l'épouse de Zongxin avait officiellement 101 ans au moment de sa mort alors qu'elle en avait 96, chacune des catégories formées par le ciel, la terre, ses fils, ses petits-fils et ses arrière-petits-fils lui ayant fait don d une année Cette interdépendance entre les différents membres du groupe domestique, la présence des uns influençant l'identité des autres, est un phénomène que l'on retrouve, quoique plus atténué, dans d'autres groupes sociaux s'inspirant du modèle familial, tels que les segments lignagers et les lignages. L'absence d'un fils, considérée comme un manque de piété filiale envers ses propres parents, est certainement celle qui est la plus cruellement ressentie. Les raisons en sont bien connues : dans cette société patrilinéaire, la responsabilité de poursuivre la lignée et d'accomplir le culte des ancêtres incombait aux hommes. De plus, seuls les fils héritent de la terre et peuvent donc s'occuper du patrimoine familial comme de leurs parents, une fois ceux-ci devenus âgés En l'absence de fils, la propriété du groupe domestique est transmise aux parents les plus proches dans la lignée patrilinéaire. L'intérêt de la famille est donc d'avoir des héritiers en ligne directe. Plus le nombre de fils est élevé, plus la famille est considérée comme prospère. Si la présence d'un seul fils suffit pour assurer la survie de la lignée, la mortalité infantile comme les aléas de la vie paysanne commandent d'avoir, pour plus de sécurité, plusieurs fils. De plus, la force numérique joue un rôle important pendant toute cette première moitié du XX siècle : elle constitue l'un des moyens 1. WuBingzi,NewYork,avril 1985,0875. 2. Lanaissanced'unfilsétait donccélébréeavecfaste. Unbanquet, quiréunissait parfoi s jusqu' consvpivroeschseestenait delasifêtlee nduoupvreeam oisaprès naissance,àaltrente ors quetables seulsdleeshuit parent étaientlors invités u-nieérm était desexlae féminin. Lejourdecette fête, unehaomingpovenait, commelors dumariage,couperquelquesmèchesdecheveuxdel'enfant enprononçantdesparolesbénéfiques. L'enfant revêtait ensuite leshabitsofferts parsagrand-mère maternelle, avant quesoit accomplileculte des ancêtresdomestique.Puisungarçondeonze-douzeansprenaitl'enfant danssesbrasetle' mmenaitjusqu'au temple desancêtres deson segmentlignager. Lapetite fille, quant àelle, était simplement emmenée par une adolescente jusqu'à la maison des filles célibataires, manifestantainsiclairementquesondestinétait dequitter unjoursafamileet sonvillage.

de calculer la puissance de tout groupe, qu'il s'agisse d'un foyer, mais aussi d'un segment lignager comme d'un lignage tout entier. Trois stratégies principales peuvent être utilisées en Chine pour assurer la continuité masculine : le concubinage, l'adoption d'enfants de sexe masculin et le mariage uxorilocal Si ce dernier procédé est absent du répertoire des conduites locales, les deux premiers sont très fréquents. Dans ce village de Ping'an, créé en 1830, Mai Leguan est ainsi le premier à prendre une concubine alors qu'il a déjà un fils. Cela se passe en 1911. (Les concubines jusque-là avaient été épousées lorsque l'union principale n'avait pas donné lieu à la naissance de garçons.) D'autres paysans lui emboîtent le pas, et le nombre de concubines varie entre six et dix entre 1911 et 1949. L'arrivée d'une concubine, synonyme en fait souvent de mésentente conjugale, fait peser une menace sur l'unité de la famille. «Tout le monde était contre le fait que Mai Leguan prenne une concubine, » raconte Wu Bingzi «Je ne sais pas combien de larmes a versé Bapo (sa première femme). Même mon père était contre, mais il ne pouvait pas intervenir. Bagong (Mai Leguan) avait plein de prétextes : il voulait de nombreux fils et petits-fils, il voulait qu'un temple des ancêtres soit créé plus tard à son nom... Il est reparti aux États-Unis quelques mois après ce mariage et il y est resté huit ans. Mon mari n'a jamais adressé la parole à cette concubine. Sa mère non plus. Nous vivions tous sous le même toit mais c'était comme si elle était invisible. Les villageois l'appelaient xiaopo, "concubine", alors, mécontente, elle ne leur répondait pas. Elle se contentait de marmonner "Hmm..." quand on s'adressait à elle. Alors, on a fini par la surnommer "Hmm...". » L'autre moyen privilégié pour se procurer une descendance mâle est d'adopter le fils d'un parent consanguin ou un enfant acheté à une famille inconnue. Du fait de l'émigration qui éloigne les époux pendant de longues périodes, plus de la moitié des enfants mâles de Ping'an sont adoptés pendant cette première moitié du XX siècle 1. J. Goody, 1990, p. 43. 2. WuBingzi, New York, avril 1985, 0 863. 3. Cesurnom donné à la concubine de Mai Leguan illustre bien le peu d'estime qui lui était accordé au village. Rubie Watson, dans un article déjà signalé, a analysé le rapport existant entre la position sociale d'un individu et les termes d'adresse employés à sonégard. R. Watson, 1986, 619-631. 4. Certains garçons sont adoptés pour provoquer en quelque sorte la naissance d'un fils, lorsqu'une femme a déjà donné naissance à de nombreuses filles, mais qu'aucun fils n'est né. C'est le cas par exemple dela concubine de Mai Leguan, qui donne naissance à six filles (une seule survivra, les autres étant soit tuées à la naissance, soit mortes de maladie). Elle achète ensuite un enfant de sexe masculin puis donne naissance à deux fils. Le cas de Mai Leguan qui, ayant un fils de sa première épouse, en achète un second, au nomde la concubine, était considéré comme exceptionnel et contraire aux mœurs de Ping'an. Il n'était pas encouragé en effet d'acheter un fils alors qu'on avait déjà un fils biologique.

L'ampleur de ce phénomène amène les responsables villageois à essayer de lutter contre les discriminations qui entourent ces enfants et à critiquer ceux qui s'enorgueillissent d'être des descendants en ligne directe afin de préserver la paix sociale. L'adoption d'un enfant choisi parmi les parents proches de la génération inférieure, porte le nom de « passer et continuer la lignée ». Si elle constitue le moyen privilégié pour se procurer un fils jusqu'au début du siècle, elle est remplacée ensuite par l'adoption d'enfants achetés. L'adoption du fils d'un parent proche est dès lors plutôt consacrée aux défunts. La question de la loyauté est au centre des préoccupations des parents adoptifs. En théorie, un Mai sera plus loyal à un autre Mai que le membre d'un lignage voisin, la consanguinité favorisant l'expression d'intérêts communs et le développement du sentiment de piété filiale. En pratique néanmoins, la reconnaissance d'une famille d'adoption est plus difficile lorsque la famille d'origine est connue et vit à proximité. L'intérêt des familles qui adoptent est donc que l'adoption entraîne une véritable rupture avec les parents biologiques. Et le lignage, chargé pourtant de défendre, autant que faire se peut, la pureté des liens de parenté, adoptera progressivement une attitude plus conforme aux intérêts pratiques des familles «La famille qui adopte souhaite que l'enfant n'ait pas "trois cœurs et deux pensées". Si celui-ci connaît ses parents d'origine et conserve des liens avec eux, cela ne sert pas l'intérêt de cette famille. Mais d'autre part s'il voit régulièrement ses vrais parents et qu'il n'éprouve aucun sentiment pour eux, ce n'est pas bien non plus. Le mieux c'est qu'il ne les voit plus après l'adoption. C'est pour cela qu'il faut adopter des enfants très jeunes, et venus d'un autre district. » Cette préférence des Mai pour l'adoption d'enfants achetés, présente dans de nombreuses régions de Chine, se développe avec l'émigration dans la mesure où l'argent circule plus facilement et où le nombre croissant d'hommes ayant besoin d'adopter des fils rend difficile l'adoption, recommandée en théorie, d'enfants du même segment lignager ou du même lignage Le respect d'une telle pra1. D'autres facteurs ont parfois été avancés pour expliquer la réticence des lignages à l'égard de l'adoption de membres d'autres lignages, comme par exemple le fait que ce type d'adoption ajoutait un nom à la liste des bénéficiaires de la propriété collective du segment lignager ou du lignage. Cf. l'article de J. L. Watson, Agnates and outsiders : Adoption in a Chinese Lineage, Man, X2, 1975, 293-306. 2. Mai Jieshi, New York, juin 1988, N810. 3. Cf. l'article de J. L. Watson, 1975, 293-306.

tique entraînerait en effet la nécessité de faire appel régulièrement aux membres d'autres segments lignagers que le sien, menaçant ainsi la force et la cohésion de ce dernier. Il aboutirait également, sur plusieurs générations, à un appauvrissement de la force numérique du lignage. «De mon temps, personne ne s'opposait à l'achat d'enfants. La parenté, c'est une théorie permettant aux gens de se regrouper. "Passer et poursuivre la lignée", c'est reconnaître une autre lignée. Onest le descendant des Maiet cela suffit en soi. Mais la loyauté ne vient pas véritablement des liens de sang. Ce qui fait le groupe, c'est l'éducation reçue par chacun, et c'est aussi le contexte qui vous oblige à vous rassembler. » L'achat d'un fils entraîne des dépenses importantes et n'est donc possible, de façon répétée, que dans les groupes les plus aisés, et l'on aboutit ainsi à cette situation surprenante à Ping'an, selon laquelle les segments lignagers les plus puissants, sur le plan économique et social, c'est-à-dire ceux qui comptent le plus grand nombre de Chinois d'outre-mer, sont également ceux qui comptent le plus grand nombre d'enfants achetés. Si l'intérêt de chacun est subordonné à l'intérêt de tous au sein du groupe familial (l'individu ayant néanmoins le pouvoir de s'opposer à une décision illégitime du chef de famille ou de réclamer la division familiale) ; si c'est la famille qui fait l'individu, celui-ci ne devenant un membre à part entière de la société qu'une fois marié, les rapports établis entre famille et le lignage sont d'une toute autre nature. Ce dernier n'intervient pas directement dans les affaires familiales, par l'intermédiaire de ses représentants, à moins d'y être sollicité par le chef de famille ou que les affaires internes d'une famille menacent de façon trop prononcée l'ensemble du groupe. Il est vrai que ce dernier critère est interprété différemment selon les époques et selon l'identité des responsables locaux : l'intervention de ces derniers dans les affaires familiales pendant les années vingt et trente, sera souvent jugée abusive aux yeux des jeunes membres du lignage qui prennent la parole vers la fin des années trente même si leur rôle se limite souvent à sanctionner les actes alors jugés répréhensibles. Ainsi, les responsables lignagers ne dirigent pas le partage des biens familiaux, mais sont simplement parfois invités comme témoins. De même, ils n'interviennent pas de leur propre chef dans les discussions menées en vue d'un mariage. La 1. Mai Jieshi, New York, mai 1985, H514.

situation du lignage et les rapports de force établis avec les villages voisins peuvent influencer les stratégies matrimoniales d'une maisonnée. Mais ces stratégies reposent avant tout sur l'interprétation de ce qui constitue le bien particulier d'une famille, sur le plan de son fonctionnement interne comme de son réseau de relations. Elles ne répondent pas à des intérêts lignagers distincts de celui du foyer. De nombreuses formes dites mineures du mariage traditionnel chinois n'existent pas dans ce district de Taishan. Ici, pas d'échanges de femmes entre deux ou plusieurs familles (huanqin ou zhuanqin), pas de mariage uxorilocal, c'est-à-dire qui voit l'époux aller vivre chez les parents de sa femme pas non plus de jeunes fiancées élevées dans leur belle-famille et tenues dans une condition de domestique jusqu'à leur mariage comme cela existe dans d'autres régions (tongyangxi) : on se marie entre membres de villages et de lignages différents, après une période de fiançailles plus ou moins longue, la jeune mariée emménageant chez ses beaux-parents le jour des noces Pour la femme, le mariage est une étape doublement difficile : elle quitte sa famille et son village, du fait de la règle, strictement suivie jusqu'en 1949, de l'exogamie villageoise et clanique, et elle fait l'apprentissage du travail de la terre. La plupart des jeunes filles de la région aident en effet parfois aux tâches domestiques mais rarement aux tâches agricoles. Pendant les années trente et quarante, certaines d'entre elles font même des études secondaires à Taicheng, le siège du district, jusqu'à la date de leur mariage, vers 16 ans. Seules les familles les plus pauvres demandent à leurs filles de participer aux activités de production. L'émigration, qui permet de financer les études de quelques privilégiées, joue là encore un rôle important. Le lignage n'intervient pas directement dans le choix du conjoint. S'il arrive que des responsables lignagers choisissent de marier leurs enfants ou leurs neveux à ceux de familles amies, il 1. Le premier mariage de ce type à Ping'an date de la Réforme agraire et il voit un ancien ouvrier agricole du village se marier avec une veuve. Une telle union avait été fortement encouragée par l'équipe chargée de la Réforme agraire, dans le cadre de la propagande pour la Loi sur le mariage de 1950. 2. Dans certains districts de la province du Guangdong, la jeune épouse rend visite régulièrement à ses beaux-parents mais n'emménage chez eux que lorsqu'une première naissance s'annonce, ou alors trois à cinq ans après que les noces aient été célébrées. Janice E. Stockard a écrit à ce sujet un livre très bien documenté intitulé Daughters of the Canton Delta, Marriage Patterns and Economie Strategies in South China, 1860-1930, Stanford, California, Stanford University Press, 1989, 222 p.

s'agit de renforcer ainsi des liens personnels plutôt que des liens entre groupes de parenté Il existe bien sûr des relations d'alliance privilégiées entre les Mai de Ping'an et les membres de certains lignages. Ainsi, après 1911, les Mai prennent souvent femme au sein du lignage Chen de Liucun, un grand lignage localisé situé à quelques kilomètres de Ping'an ou au sein du lignage Wu de Fuchang, lequel possède de nombreux commerces au bourg, de même qu'ils marient volontiers leurs filles aux hommes de ces lignages. « Les Wu et les Mai sont cousins depuis des générations» ont ainsi coutume de dire les Mai Les alliances répétées avec ces Wu qui sont leurs voisins au sud sans que les terres soient contiguës s'accompagnent par contre d'un refus de contracter des mariages avec leurs voisins à l'est, les Wu du lignage de Guandou, descendants d'une famille d'esclaves (xiaozi) dont les terres touchent celles de Ping'an. Cette trop grande proximité alliée à leur origine sociale inférieure et au recours fréquent, par les Wu de Guandou, à la violence physique, a développé chez les habitants de Ping'an une stratégie d'évitement. Cette stratégie est confortée, aux dires des Mai, par le fait que les quelques mariages conclus avec les Wu de Guandou se seraient mal terminés : naissances de fils trop peu fréquentes, fuite des femmes dans leur village natal. La proximité des terres, facteur potentiel de conflit, entraîne ainsi soit une stratégie d'alliance privilégiée, soit, dans la plupart 1. Quelques règles sont strictement suivies lorsqu'une veuve souhaite se remarier : elle doit laisser les fils de son précédent mariage, qui appartiennent à la lignée patrilinéaire de son époux, dans sa belle-famille, et elle ne peut revenir au village moins d'un mois après son départ. Hormis ces contraintes, la pratique varie dans ce domaine. Certaines veuves par exemple sont autorisées à emmener des effets personnels avec elle, et d'autres pas. 2. Une généalogie concernant l'un des cinq segments lignagers de Ping 'an —le segment appelé Qichang -, rédigée à Chicago en 1981, confirme la fréquence des mariages conclus avec les Wude Fuchang et les Chen. Le segment lignager Qichang est le dernier segment lignager à être officiellement fondé à Ping'an. Sa création date de 1921. Il est créé par des membres de la 22 génération du lignage Mai de Zhuhu, souvent nés au début des années 1870, et qui se marient au début des années 1890. Au niveau de cette 22 génération, le segment Qichang compte 18 hommes. Cinq d'entre eux se sont mariés avec des Chen, trois avec des Wu, un avec une femme Zhou et nous ignorons pour les autres le nom de famille de leur épouse. Quarante-quatre hommes existent à la 23 génération et nous possédons des renseignements précis pour 33 d 'entre eux. Ils se marient pendant les années 1910. Onze ont épousé des femmes Chen, dix des femmes Wu, cinq des femmes Li, et il y a eu enfin des mariages uniques avec des femmes du lignage Deng, Yu, Chai, Zhou, Liang, Wu (autre caractère que le précédent) et Liu. Les noms de famille des épouses sont trop souvent omis pour la génération suivante qui, visiblement incomplète, ne compte que 52 noms, pour que les renseignements fournis puissent être interprétés.

des cas - et surtout si le choix de la première solution a des effets malheureux et multiplie donc les risques de litige -, une attitude d'évitement, comme le montre H. D. R. Baker La distance sociale s'efforce alors de compenser la proximité géographique. Après quelques mariages jugés peu satisfaisants, les Mai ont ainsi cessé également tout mariage avec les membres du lignage Deng dont ils ont racheté, au long des siècles, la plupart des terres. Des mariages répétés peuvent tisser entre les lignages des liens très variés. Les relations peuvent être en effet équitables lorsque par exemple les femmes sont échangées entre deux groupes d'égale puissance. Mais elles peuvent être également inéquitables, lorsqu'un lignage puissant marie certaines de ses femmes aux membres d'un lignage plus faible, accordant à ce dernier sa protection face aux lignages voisins en vertu du principe selon lequel un lignage doit se mobiliser lorsque la vie des femmes issues du groupe est menacée. Cette protection est cependant souvent accordée en échange de la reconnaissance d'une certaine subordination. Ajoutons à cela qu'une telle relation de dépendance peut être créée aussi bien par des mariages répétés que par une seule alliance, car la position sociale des femmes, et donc les conséquences de leur mariage, diffèrent. Les Mai, par exemple, accueillent de nombreuses femmes Chen de même qu'ils marient leurs filles à des hommes de ce lignage, beaucoup plus puissant que le leur sur le plan de la force numérique et des relations avec l'administration, une infériorité compensée par le fait que les Mai, autrefois pauvres, possèdent au début du XX siècle beaucoup de parents émigrés adressant régulièrement des contributions au village. A l'autre extrémité, l'alliance conclue entre la nièce de Mai Leguan, dont la notoriété locale est établie, avec un paysan aisé du petit lignage Ni, dont les terres sont très proches de celles des Mai, mais séparées néanmoins par un 1. H. D. R. Baker montre en effet l'hostilité qui régnait souvent entre les lignages des Nouveaux territoires dont les terres étaient contiguës, et l'absence d'alliances matrimoniales qui en découlait. Il propose un modèle dans lequel le lignage A, dont il étudie les stratégies matrimoniales, est au centre, et qui évite les alliances avec les lignages voisins de A, situés autour de lui, mais favorise les mariages avec les membres des lignages situés autour d'un second cercle concentrique bordant le premier. Ces derniers lignages sont donc voisins de ceux avec lesquels le lignage Arefuse les mariages, mais ils ne sont pas voisins de A. Ce modèle, qui offre surtout un schéma d'interprétation général, rend assez bien compte des relations d'alliance établies par les Mai. H. D. R. Baker, Marriage and Médiation : Relations between Lineages, An Old state in New Settings. Studies in the Social Anthropology of China in Memory of Maurice Freedman, éd. par H. D. R. Baker et S. Feuchtwang, Jaso, 1991, 286 p., 11-24.

cours d'eau, diminuant ainsi les risques de conflit, suffit à créer un lien de dépendance étroit entre les Ni et les Mai. «Cette tante, on peut dire que c'était une femme fuxiong. Les Ni ne pouvaient pas prendre de décision sans son accord. En plus, son mari avait un peu d'argent et elle, elle n'était jamais à court d'idée. Le plus important dans tout ça, c'est quand même qu'elle était une Mai, nièce de Leguan. Les Ni, un petit lignage, avaient besoin de l'appui des Mai. Quand ils avaient un problème, les Ni faisaient appel à Leguan pour qu'il vienne rétablir l'équité. Alors, ils faisaient aussi tout pour satisfaire cette tante. Et pourtant, elle avait mauvais caractère et se disputait sans cesse avec sa belle-mère. Combien de fois Changfei est-il intervenu parce qu'il y avait des problèmes... Les Ni étaient pourtant bien obligés de lui donner de la face. »' Notons également que dans le cas d'une alliance répétée entre les membres de deux lignages, les foyers varient dans leur capacité à mobiliser les ressources du lignage allié, selon la considération sociale dont ils jouissent et les liens tissés avec les responsables de ce groupe. Les alliances entre lignages et villages ne déterminent donc pas les stratégies matrimoniales des familles mais constituent simplement l'un des nombreux facteurs pris en considération. Les responsables lignagers ou « père-frères » n'interviennent pas de façon active dans le choix des conjoints: ils se contentent d'accueillir le jour du mariage, dans le temple des ancêtres du segment lignager, le jeune couple qui vient rendre hommage aux ancêtres du segment après avoir rendu hommage à ceux de la famille. La jeune épouse leur fait alors don de biscuits pour manifester son respect. Encore cette coutume ne cesse-t-elle de perdre de son importance au cours de la première moitié du XX siècle. A la fin de la dynastie Qing en effet, le jeune couple doit se rendre dans tous les temples des ancêtres dont relève la famille de l'époux. Plus tard, il se contente d'aller se prosterner dans le temple le plus inférieur dans la généalogie, c'est-à-dire le plus proche. La famille est donc seule responsable du choix d'une bru ou d'un gendre. «Il arrive que l'on demande l'avis des responsables lignagers lorsque le choix est arrêté, pour manifester son respect. Mais je n'ai jamais vu alors un fuxiong s'opposer à une décision prise. Le chef de famille a fatalement ses raisons pour agir de la sorte, alors le fuxiong ne peut intervenir. » Par contre, le lignage joue certainement un rôle contraignant, qui renforce la puissance du groupe familial, lorsqu'il s'agit de répudier une femme. De tels cas sont très rares à cause de la 1. WuBingzi, NewYork, mars 1985, D224. 2. Mai Jieshi, New York, juin 1985, F 429.

menace de conflit qu'ils font peser sur les relations entre deux villages, entre deux lignages. C'est le prestige de l'ensemble du groupe qui se trouve ainsi menacé, d'où sa mobilisation immédiate si l'un de ses membres est traité avec mépris, et ce d'autant plus que le groupe concerné possède prestige et influence sur le plan local. On retrouve ici une caractéristique constante de l'intervention du lignage : celui-ci ne joue pas toujours un rôle direct et visible dans les affaires quotidiennes des familles ou des villages, mais il exerce une influence latente dans la mesure où il peut se manifester pour défendre l'honneur de l'une des familles et donc l'honneur de l'ensemble du groupe. Rien d'étonnant par conséquent à ce que le seul cas de répudiation à Ping'an, entre 1911 et 1952, ait eu pour victime une femme originaire d'un village plus faible que Ping'an, l'époux ayant de plus profité de la conjoncture exceptionnelle que représentait la guerre contre le Japon pour se débarrasser de son épouse. Le choix du conjoint est ainsi une affaire strictement familiale qui a, entre autres, pour but de maintenir la hiérarchie sociale. Les familles dont une partie des activités se déroulent à l'extérieur du village ont également pour souci de développer les liens d'amitié et de coopération avec des familles avec lesquelles des échanges peuvent avoir lieu. Le principe de l'homogamie gouverne donc en théorie les alliances matrimoniales. Il est exprimé par le proverbe : « Lorsqu'une porte en bambou fait face à une porte en bois, la serrure est difficile à ouvrir. » L'intervention des enfants dans le processus de choix du conjoint évolue rapidement au cours de cette première moitié du XX siècle, et surtout à partir de la fin des années vingt : tous les dix ans, de nouveaux modes de mariage détrônent les anciens. Face au développement de l'éducation et au changement des mentalités, le groupe familial, pour préserver l'ordre futur, est amené à tenir compte, de façon croissante, du désir des célibataires. Alors que les jeunes mariés ne se rencontrent pas avant la cérémonie au début du siècle, les familles les plus ouvertes autorisent, pendant les années trente, le futur marié à voir celle qui lui est promise. Au cours des années quarante, il devient possible pour les paysannes les plus courageuses de refuser le parti proposé lors d'une visite que leur rend leur future belle-mère, 1. Wu Bingzi, New York, avril 1985, O883.

accompagnée de son fils. Cette rencontre, qui succède à l'enquête, porte le nom de xiang kan : « Se voir mutuellement. » Le choix du conjoint tend à reproduire la hiérarchie sociale existante et ce phénomène est particulièrement visible dans le cas des mariages entre enfants de responsables lignagers. En 1911 par exemple, Mai Leguan marie son fils aîné à la fille d'un médecin de Conglou qui jouit d'une grande autorité dans son village. Mai Leguan n'a pas encore ouvert de commerce au bourg mais il possède le statut convoité de Chinois d'outre-mer et il a déjà accumulé près de trente mu de terres. De plus, il est considéré comme l'un des fuxiong de Ping'an lorsqu'il séjourne au village. Mais la quête d'une homogamie strictement économique entre les deux groupes domestiques concernés ne constitue pas toujours le facteur dominant : le prestige de la famille et de la lignée est parfois privilégié. Ainsi, en 1938, Mai Leguan marie son second petit-fils, Mai Jieshi, à la nièce d'un fuxiong du lignage Chen. «La famille de ma femmeétait plus riche que la nôtre, alors ma belle-mère n'aimait pas tellement notre "porte" (cette alliance). Elle savait que je n'étais pas appuyé financièrement par mon grand-père et, surtout, elle mereprochait de ne pas avoir suivi de longues études. Mais un oncle éloigné encourageait ce mariage. Il était commerçant à Conglou et c'était l'un desfuxiong de leur village. De plus, il avait obtenu un diplôme du premier degré, c'était un xiucai (bachelier) et un grand ami de mon grand-père. Il voulait allier ces deux lignées. C'est lui qui, en 1921, lors de la construction du temple des ancêtres de notre segment lignager Qichang avait tracé les caractères inscrits sur la façade du temple, nous accordant ainsi beaucoup de "face". Il nous avait aidés à plusieurs reprises. Alors il a envoyé sa femme pour servir d'entremetteuse pour ce mariage et les parents de ma future épouse n'ont pas osé refuser. » La femme apporte dot et trousseau, et l'homme adresse à la famille de sa femme des cadeaux, en nature et en argent, ces transactions économiques ayant fait l'objet de nombreuses discussions préalables en présence de l'intermédiaire. L'importance de ces transactions et le déroulement de la cérémonie diffèrent d'autre part selon qu'il s'agit du mariage d'une femme principale, d'une concubine ou d'une servante La coutume veut que la dot et le trousseau soient d'une valeur supérieure à la somme versée par la famille du marié à celle de la 1. Mai Jieshi, New York, mars 1985, A49. 2. Une forme secondaire du mariage traditionnel est cependant assez répandue dans cette région : le mariage entre personnes défuntes dans le but de doter ensuite l'homme d'une descendance et donc d'un héritier, par adoption ou par «passage »du fils d'un cadet dans la lignée du frère aîné, mais aussi d'assurer à l'âme de la défunte un lieu de repos. L'âme des femmes célibataires ne peut en effet être honorée dans leur famille natale.

jeune fille, somme qui est souvent en partie utilisée pour constituer le trousseau. La famille du garçon a de plus à sa charge les dépenses entraînées par le principal banquet de mariage. Il existe, de façon conventionnelle, quatre degrés différents dans le trousseau et que l'on peut traduire par un « coup de pied », un « tiers », un « demi » et le trousseau complet. Le plus petit trousseau se compose d'une table, d'une chaise, d'une malle et de quelques vêtements alors que les femmes les plus aisées apportent avec elles tout ce qui leur est nécessaire dans la vie quotidienne, de la vaisselle au mobilier, des couvertures aux vêtements, en respectant pour chacun de ces éléments le nombre fixé par la coutume. Certaines amènent même une servante avec elles. Dans une chanson qui énonce la liste de tous les effets qui composent le « trousseau complet », la jeune femme se plaint d'avoir oublié le bol dans lequel elle fera manger son chien... Une seule femme est cependant en mesure à Ping'an de satisfaire aux besoins du «trousseau complet» entre 1911 et 1949, et ce sont les deux niveaux intermédiaires, et surtout celui baptisé « un tiers », qui prédominent. A chacun de ces différents niveaux correspond une prestation réciproque offerte par la famille du jeune homme, inférieure cependant aux dépenses de la famille de la jeune femme. Ce principe de réciprocité est suivi cependant de façon très souple. Ainsi, une famille très considérée s'alliant, à travers le mariage de son fils, à une famille jouissant d'un moindre prestige social, aura tendance à se conformer simplement à la tradition dans le domaine des cadeaux remis à cette dernière. Des dépenses plus importantes que ne le veut la norme seront par contre engagées pour le banquet de mariage se déroulant dans la famille du garçon. A l'inverse, lorsque la famille de la mariée jouit d'une considération plus élevée, celle du mari, pour lui octroyer de la face, s'efforce souvent de lui verser des contributions plus élevées que celles définies par les conventions locales. Le banquet est alors célébré plus simplement. Marier son fils à une bru qui apporte un trousseau important permet à la jeune mariée, mais aussi à sa belle-famille, de gagner de la face. La dot et le trousseau constituent l'héritage de la jeune fille laquelle, sauf cas exceptionnel, ne reçoit pas de terres. Les mésalliances, qui s'accom1. Chen Luanqin, Hong Kong, septembre 1986, Q951. Chen Luanqin épouse en 1949 un paysan de Ping'an. Elle ne partage sa vie que pendant quelques dizaines dejours, jusqu'à ce qu'il décide d'émigrer à Hong Kong. Elle l'y rejoint au début des années quatre-vingt.

pagnent souvent d'un gain économique trop visible pour l'une des deux familles, déconsidèrent les deux parties. Un point mérite ici d'être souligné, concernant les relations qui s'établissent après le mariage entre la jeune mariée et sa famille natale. La Chine a souvent été considérée comme un exemple extrême de société patrilinéaire, l'une des preuves apportées étant l'intégration de la femme mariée, une fois les noces célébrées, à la famille de son époux et son exclusion de sa famille natale Ce phénomène devrait, a fortiori, être renforcé dans les régions où l'organisation lignagère est présente. Or il n'en est rien, du moins dans cette partie du district de Taishan. L'intégration de la jeune épouse dans la famille comme dans le village qui l'accueillent est lente et progressive, sa famille natale conservant, jusqu'à sa mort, le devoir de veiller à son bienêtre. L'importance du trousseau manifeste déjà en partie l'investissement consentie par la famille d'origine de l'épouse et donc la protection dont cette dernière pourra jouir. Puis ces échanges, bénéfiques à l'économie de la famille du garçon et donc au prestige de la jeune mariée se poursuivent, certains étant dictés par la tradition, et d'autres laissés au gré des deux parties et de leurs possibilités 2 Les contacts entre l'épouse et sa famille natale peuvent enfin se poursuivre au marché, lorsque la femme est issue d'une famille de commerçants et qu'elle est le chef de la maisonnée, c'est-à-dire qu'elle est chargée de faire les courses. Wu Bingzi, par exemple, 1. J. Goody, 1990, p. 21. 2. La coutume veut ainsi que la famille de la jeune femme offre des gâteaux, salés et d u 6 et d u 9 j o u r après les noces et lors de la cérémonie appelée le «lavage des cheveux », le 20 jour après les noces. Quelque dix jours plus tard intervient la visite du premier mois accomplie par le jeune couple aux parents de la mariée. Si la famille du garçon porte cejour-là à l'autre partie de la viande et des gâteaux, la jeune fille doit repartir le soir bien plus chargée qu'à l'arrivée : le panier doit contenir entre autres, un vêtement neuf pour chacun des beaux-parents et des cadeaux pour les parents proches et éloignés, la moindre des choses étant d'offrir aux membres de cette parentèle un petit sac à coulisses pour transporter des effets. Lejeune couple, parti de bonne heure le matin, doit être de retour dans le village du garçon vers le milieu de l'après-midi pour rendre hommage aux ancêtres de la famille. Ensuite, pendant un, trois ou six ans, selon sa fortune, la famille natale de la femme offre des mets spécifiques à l'autre partie lors des grandes fêtes qui ponctuent l'année. De nouveaux devoirs l'attendent lors de la naissance des enfants : il faut offrir des vêtements à l'enfant et des plats reconstituants, censés aider au rétablissement de la mère, mais qui sont en fait partagés entre les parents de la famille du garçon. Puis faire de nouveaux dons de vin, de viande, de gâteaux sucrés, lors de la «fête du premier mois » après la naissance. La liste des cadeaux varie d'une famille à l'autre, et ils peuvent être symboliques dans le cas des familles les plus pauvres, mais on ne peut manquer à ce devoir. La belle-mère doit accepter ces dons, quelle que soit leur importance, un refus entraînant une perte de «face » pour la famille de l'épouse comme pour la belle-mère. s u c r é s , c u i t s à la v a p e u r , à ses n o u v e a u x p a r e n t s p a r a l l i a n c e l o r s d u 3

rencontre ses sœurs mariées à chaque marché, dans le magasin tenu par l'un de ses parents, et c'est là en fait qu'à partir du mariage de son premier fils, en 1935, et en l'absence de son mari émigré aux Etats-Unis, elle discute et décide de bien des affaires de sa famille. La famille natale de l'épouse est par ailleurs responsable de l'éducation de cette dernière, même après le mariage : il arrive que l'on demande à la mère d'une femme mariée de venir chapitrer cette dernière si on estime qu'elle se comporte mal. L'entraide peut être importante entre des familles unies par des liens d'alliance et qui ont des ressources à échanger (argent, possibilités d'émigration, réseau de relations étendu, une servante à offrir comme épouse à un parent célibataire et, plus rarement, simple force physique, etc.), que ce soit le père de la jeune femme mariée qui aide son gendre à prospérer afin d'assurer l'avenir de sa fille ou la paysanne qui, ayant convolé avec un paysan aisé, utilise l'argent de son mari pour soutenir sa famille, voire son village natal. Plus la famille natale de l'épouse se manifeste régulièrement, plus cette dernière a de la « face » dans sa belle-famille et dans son nouveau village. Si la protection que peut apporter une famille à une fille mariée est limitée mais fondamentale, le statut social et économique de sa famille natale et celui de sa belle-famille créent cependant entre les jeunes mariées des inégalités cruellement ressenties. «Nousétions pauvres et n'avions pasde"face". En 1947,cela faisait déjà plus dedeux ans quej'étais mariée, quanduncoupled'émigrés aorganisé desséancesdecinéma pendant deux soirs de suite. Deux jeunes mariées arrivées depuis dix jours à peine à Ping'an maisqui avaient amenéunbeau trousseau, étaient là, assises au beau milieu de la foule. Monamieet moinoussommesvite allées nouscacheraucoind'une ruelle, craignant d'être insultées. Cela m'était arrivé, quelques mois plus tôt, pendant l'hiver. J'étais allée acheter despoissons gelés prèsdel'étang. Unepaysanne m'avait injuriée en mevoyant passer devant sa porte. "Jeune mariée, tu oses te promener partout dans le village !"» Derrière l'apparente uniformité des habitations se cache ainsi une grande diversité de pratiques. La maison ne constitue pas un point de repère fixe dans le temps et dans l'espace ; elle ne porte pas de nom et elle n'est pas liée à un patrimoine défini. Les relations familiales commandent la lecture de ces bâtisses aux fenêtres étroites, qui ouvrent certaines de leurs portes et allument et éteignent des feux au gré de l'évolution des liens établis entre leurs habitants. C'est la famille qui domine, dans ses multiples accepta1. Chen Fuhuan, NewYork, août 1988, X1320.

tions. Unité hiérarchisée dans un premier temps, où tous se définissent par rapport aux ancêtres, où chacun est qualifié dans une position de subordination relative par rapport aux autres et où chacun possède, à des degrés divers, la capacité de s'élever, plus ou moins rapidement selon les époques. Unité économique de production et de consommation également, qui modifie et interprète les règles du jeu, bouleverse parfois dans la pratique l'ordre établi, afin d'exploiter au mieux les ressources communes dans un contexte où l'essor du commerce et de l'émigration modifient profondément les structures et les relations familiales L'organisation lignagère oriente parfois de façon indirecte les choix domestiques comme dans le cas des alliances matrimoniales, mais elle ne peut s'opposer en général aux décisions du chef de famille, dont l'avis domine sur des questions aussi fondamentales que la gestion du budget, le choix précis du conjoint, l'extension du groupe ou le partage des biens. Les responsables lignagers peuvent être appelés comme témoins pour officialiser les décisions prises par la famille comme lors de la division, ou pour représenter le groupe de parenté élargi lorsqu'un nouveau membre arrive, comme les jours de noces. Ils peuvent également appuyer les revendications de la famille lorsqu'une fille est soumise à des discriminations dans l'entourage de son mari. Mais ils ne peuvent s'immiscer outre mesure dans les affaires familiales. Segments lignagers et lignages tracent simplement autour de la famille des cercles concentriques qui, en développant les moyens d'action collective au sein de groupes plus vastes, diminuent les incertitudes et augmentent les capacités de survie du groupe domestique.

1. D. Faure, dans son étude intitulée The Rural Economy of Pre-Liberation China. Trade Expansion and Peasant Livelihood in Jiangsu and Guangdong, 1870-1937, analyse de façon détaillée les changements économiques intervenus dans cette région à partir de la deuxièmemoitiéduXXsiècle, tels quelecommerceet l'immigration, changementsdontcertaines conséquences peuvent être perçues à Conglou au cours de la période étudiée (Oxford University Press, 1989, 278p.).

III

Deux missions sont assignées au lignage : l 'une défensive et l'autre offensive, ou encore pour reprendre les termes d'E. Perry concernant les stratégies paysannes, l'une de protection et l'autre de prédation. Ces deux traits sont toutefois indissociables Si les rapports de force locaux favorisent une perception en termes plutôt défensifs ou offensifs des différents lignages, ces éléments représentent les deux versants d'une même volonté : il s'agit bien, pour les paysans, à travers la création et l'expansion de lignages et de segments lignagers, d'accroître leurs moyens de contrôle sur le monde environnant et de diminuer dangers et incertitudes. Le regroupement des foyers et la coordination de leurs activités reposent en effet ici sur le principe de la descendance patrilinéaire commune, ce qui a pour qualité première de délimiter aussitôt un groupe dont les frontières sont dépourvues d'ambiguïté, chacun se situant automatiquement à l'extérieur ou à l'intérieur d'un groupe donné. La constitution de groupes localisés régis par ce principe de descendance patrilinéaire a entraîné, de façon assez prévisible, un processus de manipulation de la parenté —cette dernière est ainsi parfois devenue fictive plutôt que réelle —, comme une certaine modification des pratiques religieuses, révélant la souplesse des pratiques sociales au sein de la paysannerie chinoise. Mais si le rôle fondamental attribué au lignage comme facteur d'organisation sociale 1. E. Perry, RebelsandRevolutionaries in NorthChina, 1845-1945, Stanford, Stanford University Press, 1980,324p.

a modifié et diversifié les critères fondant la parenté, les principes religieux associés à celle-ci, notamment ceux qui gouvernent les relations entre les ancêtres et leurs descendants, orientent en retour les rapports sociaux et les conduites individuelles. Il serait ainsi erroné de ne voir dans le lignage que l'utilisation sociale d'un principe de parenté associé à des croyances religieuses. Mobiliser le critère de descendance patrilinéaire pour constituer des groupes sociaux localisés, contribue à lier ces derniers aux conceptions religieuses qui entourent les pouvoirs et les désirs des ancêtres. C'est par exemple inscrire d'emblée le concept d'égalité dans les relations entre les membres du groupe tout en définissant les situations au cours desquelles il est légitime de le mobiliser, mais c'est également conférer une certaine légitimité aux inégalités existantes. La plupart des villages et des hameaux du district de Taishan sont donc monoclaniques, c'est-à-dire que leurs habitants de sexe masculin portent tous le même nom de famille. Une liste établie en 1963 montre que près de 94 % des 4253 villages du district sont alors composés des membres d'un même clan Ces villages ramassés sur eux-mêmes et fortifiés pour se protéger de l'attaque des bandits, ceux des montagnes comme ceux des hameaux voisins, appartiennent ainsi à des lignages plus ou moins étendus. Certains se déploient sur de vastes régions. Le lignage K'uan du district de Kaiping étudié par Y. F. Woon s'étend par exemple sur quatre cantons. AConglou cependant, plusieurs lignages se partagent le pouvoir à la veille de la victoire communiste, parmi lesquels dominent les Wu, les Li, les Chen, les Mai, les Liu et les Deng En 1982, la situation n'a pas changé. Si la revue de Conglou recense cette année-là quelque 123 noms de famille différents, dix lignages viennent largement en tête : il y aurait en effet 10233 Wu, 4832 Li, 4304 Chen, 3302 Mai, 1. IndexofClanNamesbyVilagesfor ToishanDistrict, HongKongAmericanConsulate General,Consularsection, 1963,218p.Surles4253vilagesrecensés,235sontpluriclaniques. Deuxclanscoexistent danscent-cinquantevillages,troisclansdansquarante-sixvillages,quatreclansdansvingt-deuxvillages,cinqclansdansdixvillages,sixclansdansdeux villages, huit clans dans unvillage, neufclansdansdeuxvillages, et onzeclans dansdeux vilageségalement.Sicesdonnées,malgréleurprécision,doiventêtreconsidéréescommeune simpleestimation, ellesrévèlent néanmoinsdefaçonéclatantela prépondérancedesvilages monoclaniques. 2. Y. F. Woon,Social Organization in South China, 1911-1949. TheCaseoftheKuan Lineage in K'ai-p'ing County, AnnArbor, Center for Chinese Studies, The University of Michigan,1984,158p. 3. MaiJieshi, NewYork,juin 1985,K661.Selonlui, lesWuétaientprèsde10000àla veilledela Libération, lesMaiprèsde4000et lesDengentre 3et 4000.

2549 Liu, 2464 Deng, 1844 Liang, 1650 Liao, 1474 Xu, et 1069 Yuan La distribution des Maidans cette région respecte largement le modèle du village monoclanique puisque de 1911 à 1950, dix des onze villages du lignage Mai de Zhuhu sont uniquement peuplés de Mai, quelques familles, appartenant à trois autres clans, demeurant à Zhuhujusqu'à la guerre contre le Japon. Les différentes généalogies des Mai de la province du Guangdong aujourd'hui connues, exhibent comme ancêtres fondateurs des personnages prestigieux, dont l'origine han, c'est-à-dire chinoise, ne peut être mise en doute. Jamais cependant, l'identité de cet ancêtre n'est déterminée avec certitude. La généalogie de l'une des grandes branches lignagères du clan installées au Guangdong propose ainsi trois versions officielles concernant l'origine du premier Mai de la région : il serait Liu Chang, un descendant de l'empereur Han Wudi de la dynastie Han (206 av J.-C. - 220 apr. J.-C.) que celui-ci aurait élevé au rang de marquis de la localité Mai et qui aurait ensuite adopté comme nom de famille le nom de cette localité ; ou bien il serait Mai Tiezhang, nommé à titre posthume duc Su Guo de la dynastie Sui (581-618) pour sa bravoure au combat. Une troisième version suggère enfin que les Mai descendent d'un premier ministre de la dynastie Jin (317-420) appelé Qu, lui-même descendant du roi Tang de la dynastie Shang. Fuyant les troubles causés par les divisions entre dynasties du nord et du sud, il aurait quitté la province du Zhejiang et se serait installé à Nanxiong, dans le sud de la province du Jiangxi. Puis, soucieux d'épargner à sa famille vengeances et discriminations, il aurait choisi comme nouveau nom de famille Mai, après avoir abandonné le second caractère qui compose le nom Qu Ces trois versions présentent cependant des incohérences ne pouvant échapper au regard des lettrés, profondément imprégnés de l'histoire de la Chine, qui rédigeaient ces généalogies. Interrogé sur ces incohérences, Mai Jieshi devait rapporter les mots que son grand-père, Mai Leguan, lui avait transmis oralement et qu'il devait transmettre à son tour, le moment venu, aux futurs responsables lignagers : «Les Qu du royaume Gaochang ». Cette 1. Conglouzazhi(LarevuedeConglou),1982,6,p. 18. 2. Cette généalogieest intitulée Maishizupu, ouGénéalogiedesMai. Publiéeen 1893, ellecomporte12volumes. 3. Lecaractère Qusecomposededeuxparties:celle degauche,isolée, correspond au m tM faisant aiséom enati.eEnnM ai. disparaîtrelapartiedegauche,lenomdefamileQusetransformedonc

information, confrontée à différents passages des trois versions officielles, permet de reconstituer ce qui est considéré par les dirigeants comme la véritable origine du lignage Mai, même si cette origine, gardée secrète car peu honorable, n'est peut-être pas plus proche de la réalité que celle publiquement revendiquée par les Mai. Les Mai ne seraient pas d'origine han mais bien d'origine ouygour. En 460 apr. J.-C., la forteresse de Gaochang dans la province du Xinjiang située au nord-ouest de la Chine devient le royaume indépendant de Gaochang, peuplé d'anciens soldats han mariés à des femmes ouygours et ayant adopté les mœurs turques. En l'an 505, la famille Qu y prend le pouvoir et le conserve jusqu'à ce que le royaume soit anéanti sous la dynastie Tang, en l'an 639. Dès sa fondation, le royaume de Gaochang ne cesse d'être la cible de raids lancés par d'autres populations de la région et de nombreuses vagues d'émigration vers la Chine se succèdent. L'une de ces vagues entraîne des familles Qu jusqu'au district de Songyang dans le Zhejiang, puis jusqu'au district de Nanxiong dans l'extrême sud de la province du Jiangxi, une région aujourd'hui intégrée à la province du Guangdong. Un membre de cette communauté émigrée, né en 574, adopte alors le patronyme Mai afin de masquer son origine ethnique, et reconnaît comme ancêtre Mai Tiezhang, né en 538, et dont la présence à Nanxiong est attestée dans les annales historiques des Sui. Voilà pourquoi Mai Tiezhang, un Han, est reconnu par les Mai de ces provinces du sud de la Chine, descendants d'une minorité nationale, comme leur premier ancêtre. La généalogie d'une grande branche lignagère Mai du Guangdong, publiée en 1893, révèle que seize générations après Mai Tiezhang, entre 1131 et 1136, cinq de ses descendants, cinq frères, quittent le district de Nanxiong pour fuir les attaques des Jin contre les Song. Ils ont tous occupé des postes importants sous les Song. Les descendants du premier s'installent de préférence dans l'actuel district de Zhongshan, ceux du second, à Dongguan, ceux du troisième à Nanhai, ceux du quatrième à Panyu, et ceux du dernier, qui porte le nom de Bixiong, se dirigent vers le district de Xinhui. De là, à la suite de nouveaux déplacements, ils essaiment dans les districts de Heshan, Kaiping, Yangjiang et de l'actuel Taishan, autrefois appelé Xinning. Le lignage Mai de Zhuhu est ainsi membre du lignage supérieur qui porte le nom de Bixiong et dont le temple, situé dans un district voisin de Taishan, le district de Heshan, accueille tous les six ans une délégation du lignage Mai de

Zhuhu afin d'assister au culte des ancêtres. On ne connaît pas avec précision le nombre de générations qui sépare Bixiong de celui qui a été reconnu par les Mai de Zhuhu comme l'ancêtre fondateur de leur lignage. Une chose est certaine néanmoins : vingt-six générations séparent ce dernier de la génération actuelle la plus jeune. Ce personnage, nommé Huicheng, aurait ainsi vécu au milieu du XV siècle, soit peu après l'avènement de la dynastie Ming. Une première difficulté, pour celui qui cherche à comprendre la structure lignagère en Chine, tient au fait que les paysans utilisent le même mot zu, ou lignage, pour parler d'une série d'unités, emboîtées les unes dans les autres, délimitées par la reconnaissance d'un ancêtre commun, et dont les membres manifestent, de façon plus ou moins stricte, une unité rituelle. Les Mai du lignage de Zhuhu par exemple se disent membres également de l'unité très vaste appelée le lignage Su Guo, du nom posthume de Mai Tiezhang, comme du lignage Bixiong et d'autres lignages intermédiaires. Cependant, l'unité rituelle s'arrête dans le cas présent au lignage Bixiong, les Mai ne participant à aucune cérémonie au sein d'une unité supérieure à celle-ci. A la base de cette hiérarchie de lignages se trouve le lignage dit localisé, c'est-à-dire, celui qui allie en théorie au principe de commune descendance celui de commune résidence : ses membres vivent dans une proximité qui permet, outre la célébration collective du culte des ancêtres, l'établissement de liens d'entraide économiques et sociaux, confortés par la présence d'un temple des ancêtres doté de biens collectifs. Tel est le statut du lignage Mai de Zhuhu, lequel intervient directement dans les affaires des Mai de la région, alors que rares sont ceux qui, parmi ces derniers, peuvent s'enorgueillir d'avoir eu quelque contact avec les instances lignagères de Bixiong ou de Su Guo. Les différents exemplaires des généalogies du lignage Mai de Zhuhu ont tous été brûlés lors de la Réforme agraire, soit au cours de l' année 1952, et il est donc difficile de retracer son histoire avec précision Le temple élevé en l'honneur de Huicheng se trouve dans le village de Zhuhu, l'un des premiers villages de la région où 1. Seizegénérationsséparent MaiTiezhangdeBixiong.Septouhuit générations séparent BixiongdeHuicheng. Vingt-sixgénérations séparent Huichengdela dernière génération contemporaine.Cequiferait, pouruntotal de49générationsentre 534et 1990,vingtneufans par génération en moyenne. Ceschiffres, qui rassemblent les informations de la tradition orale commecellescontenues dans les documentsécrits disponibles, sont livrés à titre indicatifenla' bsenced'une généalogiedulignageMaideZhuhu.

des Mai se soient établis. Zhuhu qui était autrefois un village pluriclanique, est devenu progressivement, par le jeu des intégrations au lignage Mai et des départs, un village monoclanique. Des Mai s'installent ensuite dans dix autres villages de la région, et les habitants de ces onze villages forment le lignage Mai de Zhuhu, appelé encore le lignage Mai de la région de Conglou car il regroupe pratiquement tous les Mai de cette localité La date à laquelle les Mai de Conglou prennent la décision de constituer un lignage localisé institutionnalisé, c'est-à-dire de reconnaître Huicheng comme leur ancêtre commun et de bâtir un temple pour honorer sa mémoire est aujourd'hui tombée dans l'oubli. Notons cependant qu'une généalogie des Mai du Guangdong, publiée en 1891, et qui rapporte que les 33 lignages localisés du lignage supérieur de Su Guo organisent en 1694 une collecte destinée à la construction à Canton d'une école supérieure ou académie (shuyuan) ne cite aucun lignage localisé à Taishan. Est-ce un oubli, ou bien les Mai de Conglou ne s'étaient-ils pas encore dotés d'une structure formelle ? Si la date précise de fondation de Zhuhu demeure inconnue, il est possible néanmoins d'affirmer que les Mai de Zhuhu ne sont pas tous des descendants en ligne directe de Huicheng, malgré les affirmations contenues autrefois dans la généalogie du lignage. Ils ont en effet reconnu Huicheng comme leur ancêtre commun afin de pouvoir se regrouper, mais ils sont en réalité, pour la plupart, les fils lointains de deux Mai, descendants de Bixiong, et relevant l'un de la 6 génération après celui-ci et l'autre de la 7 Les autres membres du lignage sont, soit des Mai qui ne descendent pas en ligne directe de Huicheng, soit des membres d'autres lignages, ayant intégré un jour ou l'autre le lignage Mai. Huicheng était-il l'un de ces deux descendants de Bixiong ou un troisième comparse, d'une autre génération, choisi par les uns et les autres comme ancêtre unificateur ? Là encore le doute subsiste, le calcul des générations permettant simplement de 1. LarégiondeCongloufait l'objet denombreuxdécoupementsaucoursdelapremière moitiéduXXsiècle, étant diviséeensept puisendeuxcantons. Aprèslacréationdescommunespopulaires, en 1958, elle forme une seule communequi porte également le nomde Conglou. Entre 1911et 1952,il existe unedizaine defamiles aubourgdeConglouet quelques fami Maidlees,ZàhuZhhuu.hu, qui portent lepatronyme Maimaisqui nesont pasmembresdulignage 2. L'absenced'un lignageMailocalisé dansledistrict deTaishanavant 1694n'est pas étrange. Selon Rubie Watson, les lignages se développent dans cette région entre 1669 et 1765. Cf. R. Watson, Thecréation ofa ChineseLineage: the TengofHaTsuen, 16691751,ModernAsianStudies, 16,1, 1982,69-100.

penser que Huicheng appartenait sans doute à la 7 ou à la 8 génération après Bixiong. L'existence d'un lignage localisé obéit en fait à plusieurs critères : celui de la parenté (la filiation réelle ou fictive, mais dans ce cas, reconnue par les membres du groupe, avec un ancêtre commun), celui du prestige social qui oriente en partie le choix de l'ancêtre commémoré, et enfin celui de la proximité géographique qui oblige souvent à une manipulation de la généalogie. C'est ainsi qu'un second lignage Mai, appelé le lignage Mai de Xincun, existe à Taishan, à une vingtaine de kilomètres de Zhuhu, mais cette distance permet difficilement une direction commune des affaires quotidiennes et donc la formation d'un seul lignage de base. Aux dires des habitants de Ping'an, il serait difficile de réunir ces deux lignages, celui de Zhuhu et celui de Xincun, en un seul lignage localisé du fait de cet éloignement qui affaiblit l'ensemble du groupe en rendant impossible toute réponse rapide à une attaque extérieure. Certains Mai du lignage de Zhuhu savent pourtant aujourd'hui encore qu'ils sont, sur le plan de la parenté, plus proches des Mai de Xincun que des Mai du lignage localisé auquel ils appartiennent officiellement. De même, quel que soit le développement que pourrait connaître le village de Ping'an, envisager que ce dernier puisse un jour décider la création d'un lignage indépendant du lignage de Zhuhu apparaît comme une aberration : «TroisfamilesMaiperduesaumilieud'autresclanspeuventêtreconsidéréescommeun lignageMai.Maisonnepeut pascréerunlignage Maifondésur l'exclusion devilages Maivoisins. Commentdeuxlignages Maipourraient-ils coexister dans unemêmelocalité?Et quelintérêt des'affaiblir ainsienmanifestant desdivisions?Amoinsqu'il ne s'agisse degroupes deparenté vraiment très distincts. Envérité, onfondeunlignage pour se souvenir des ancêtres, pour ne pas oublier ses racines, d'où l'importance des liensdesang.Maisonfondeunlignageégalementpourdesraisonspratiques,pourconstitueruneforce. Plusonest nombreux,plusonest fort. Plusonest fort. pluslesautres vousdonnentdela face. Etplusla viedevient alorsfacile pourchacun.»' La construction d'un temple en mémoire de l'ancêtre fondateur du lignage, doté de certains biens collectifs, fonde officiellement le lignage. Si les paysans de Taishan utilisent le même mot zu ou lignage pour parler d'unités possédant des fonctions différentes bien que reposant sur les mêmes principes d'organisation et que la littérature divise en général en «lignages supérieurs » et «lignages localisés », ils utilisent également ce mot pour parler de lignages ins1. MaiJieshi, NewYork,mai1985,C166.

titutionnalisés ou pas. Un lignage est dit institutionnalisé lorsqu'un groupe social, uni par des liens de parenté, choisit de façon explicite un défunt comme ancêtre fondateur avec lequel tous les membres du groupe reconnaissent leur filiation, qu'il construit un temple à son nom et le dote de biens collectifs permettant de pourvoir aux dépenses du culte des ancêtres. Un tel acte religieux permet à ce groupe de consolider son unité rituelle puisqu'il possède désormais un lieu où accomplir le culte des ancêtres collectif. Il lui permet également de créer une structure de décision plus formelle et plus représentative du groupe, et par voie de conséquence, de renforcer sa force et sa cohésion. Ainsi, les Mai de Taishan, c'est-à-dire ceux de Zhuhu et ceux de Xincun, ne constituent pas un lignage officiel puisqu'ils n'honorent pas, au sein d'un même temple, un ancêtre commun. Seuls les lignages qui ont accompli cet acte fondateur sont retenus par les généalogies, et donc par la mémoire commune. Eux seuls peuvent être considérés comme une personne collective. Et c'est donc de ces lignages institutionnalisés, nés souvent d'un double mouvement de scission et de fusion, que nous parlerons désormais lorsque nous utiliserons le mot lignage. Si le vocabulaire introduit par les anthropologues occidentaux sur les lignages chinois a le défaut de différencier des faits qui ne le sont pas toujours de façon explicite dans les textes rédigés par les lettrés comme dans le discours des paysans —ce qui a sa raison d'être et ne relève pas de l'ignorance des uns ou des autres —,il a toutefois le mérite d'obliger à une description plus précise des différents niveaux observés Aussi pouvons-nous résumer la structure lignagère des Mai de la façon suivante : à la base se trouve le «lignage localisé » de Zhuhu, principal objet de cette étude. Les Mai de Taishan, soit ceux de Zhuhu et de Xincun du canton de Doujie, forment un «lignage dispersé» puisque aucun temple com1. James L.Watsonproposeuneterminologieprécisepourdécrire lesystèmelignager chinois, terminologieàlaquellenousnoussommesrangés.Cf.J. L.Watson,ChineseKinship Reconsidered: Anthropological Perspective on Historical Research, China Quarterly, 92, déc. 82, 589-622. Notons cependant que le relativisme, souvent dénoncé, des termes zu (lignage) oufang(segmentlignager), asaraison d'être. Lignageet segmentslignagersexistent àdifférents niveaux, et cesmotsdésignent doncdesgroupesdifférents, bienquereposant sur les mêmesprincipes. La construction d'un temple des ancêtres, quant à elle, ne fonde pas réellement la constitution d'un nouveau groupe: elle contribue à objectiver un groupedeparenté quiexistait déjà. Cettemontéeenvisibilité n'introduit pasauseindece groupedesrelationsinconnuesjusqu'alors:ellerenforcesimplementlesliensd'entraideetde solidarité devant exister entre parents. Do' ùl'utilisation desmotszuetfangpourdésigner desgroupesdeparenté, officialisésoupas.

mun ne leur permet de se regrouper et de se distinguer d'autres Mai. Par contre tous les Maide Taishan et ceux des districts voisins qui se rendent au temple de Bixiong dans le district de Heshan appartiennent au «lignage supérieur» du même nom, alors que l'appellation plus souple de clan désignerait plutôt l'ensemble des Mai du Guangdong Tous les individus de sexe masculin qui descendent de l'ancêtre fondateur du lignage, que les liens de parenté soient réels ou fictifs, sont membres du lignage. Atravers les hommes, ce sont cependant les familles qui sont placées sous le contrôle et la protection du lignage. Les femmes peuvent participer à certaines réunions au temple; celles qui sont mariées avec des Mai peuvent même venir y rendre hommage aux ancêtres en certaines occasions si leur époux se trouve en Amérique, mais aucune d'entre elles ne peut recevoir une part de porc rôti, symbole de l'appartenance au lignage. Le prestige d'un lignage, qui est un élément fondamental de l'identité individuelle et qui influence les rapports sociaux, se mesure d'abord à sa force numérique, importante dans une région où la menace du recours à la violence est sans cesse latente bien que peu souvent mise à exécution. Le nombre de fusils possédés, qui inspire aux autres crainte et respect, est facteur de puissance également. Unautre élément fondamental permet de mesurer le pouvoir dont jouit un lignage sur le plan local : la présence d'un nombre plus ou moins étendu de lettrés, de membres du lignage ayant acquis gloire et mérite à l'extérieur (chu gongming). Ces réussites individuelles, qui rejaillissent sur l'ensemble du groupe, révèlent entre autres la prospérité économique du lignage puisque certains de ses fils ont pu poursuivre des études longues et onéreuses, mais aussi sa possession d'un réseau de relations étendu au sein de l'administration et la possibilité, pour les siens, d'être défendus par des individus disposant d'arguments plus variés. Enfin, la richesse du lignage, qu'il s'agisse de l'importance des biens lignagers possédés à titre collectif ou de la prospérité de certains de ses membres, laquelle est parfois en partie redistribuée au sein du lignage, intervient dans le calcul, sans cesse remis en question, de la puissance 1. Cette adoption des termes proposés par l'anthropologue J. L. Watson pour qualifier les différentes unités lignagères en Chine n'est ici possible que si l'on comprend l'expression « descendance démontrée avec un ancêtre commun » qui qualifie le principe fondant, à ses yeux le lignage, soit comme une descendance biologique, soit comme une descendance fictive, mais ayant fait dans ce dernier cas l'objet d'une reconnaissance formelle.

locale d'un lignage. Le nombre d'hommes, la présence parmi les membres du lignage de lettrés et d'employés de l'administration centrale ou locale, la puissance économique : trois critères fondamentaux qui permettent de mesurer les capacités d'action du groupe et donc sa grandeur. La mobilisation de l'un ou l'autre de ces différents biens dépend ensuite de la nature des conflits qui opposent les lignages entre eux. Les Mai se définissent, à juste titre, comme les membres d'un lignage de moyenne importance qui compte néanmoins parmi les lignages dominants de Conglou. De fait, malgré des vagues d'émigration successives, le lignage Mai n'est pas un lignage puissant. S'ils représentent une force de plus de trois mille personnes, femmes et enfants compris, à la veille de la victoire communiste, ce qui les place dans le groupe des trois ou quatre lignages les plus puissants de Conglou, ils font pâle figure à côté des Wu qui sont près de dix mille, ou des Chen d'un canton voisin, avec lesquelles les alliances matrimoniales sont nombreuses, et dont la population tourne également aux alentours de dix mille. Les armes des Mai, apportées par les Chinois d'outre-mer, sont de meilleure facture que celle des Wu dont peu de membres ont pris le chemin de l'émigration. Quelques mandarins, pour la plupart originaires de Zhuhu, ont vu le jour dans le lignage Mai : sur le plan civil, on compte plus d'une dizaine de bacheliers (xiucai) ou diplômés du premier degré des examens officiels et quelques bacheliers présentés à l'entrée au Collège impérial en raison de leur mérite ou de leur science (gongsheng) ; sur le plan militaire, les Mai s'enorgueillissent de compter parmi eux un licencié ou diplômé aux examens du second degré (juren). Mais ces réussites demeurent limitées, même à l'échelle du district de Taishan, ou de la province du Guangdong, qui n'est pourtant pas une pépinière de grands lettrés. Enfin, le lignage n'est pas très riche : le temple Huicheng possède comme principale ressource quelques cinquante mu de terres et il perçoit une rente sur près de quarante mu, certaines terres, de trop mauvaise qualité ou trop éloignées, demeurant en friche. La somme ainsi réunie permet tout juste de pourvoir aux dépenses du culte des ancêtres et d'aider au financement de l'école lignagère dont l'enseignement couvre les deux dernières années de l'école primaire. En outre, pas de grande fortune personnelle au sein du lignage même si les disparités sont importantes : les plus gros propriétaires fonciers, on l'a vu, possèdent quelques trente mu de terre et ils sont quatre ou cinq. Quelques paysans ont ouvert

un commerce au bourg et mènent une vie aisée par rapport aux normes de la région. Mais personne n'est en mesure de contrôler le lignage et de présider aux destinées des Mai en s'appuyant sur sa seule réussite économique. Les Chinois d'outre-mer sont donc régulièrement mobilisés pour apporter leur soutien économique aux activités lignagères. Les émigrés financent ici, à la place des terres ancestrales qui font ici défaut, les activités spirituelles et temporelles qui régissent la vie du groupe. Le montant des contributions est parfois fixé au pays : les dépenses nécessaires au culte des ancêtres dans le temple et sur les tombes sont alors calculées puis divisées en parts égales correspondant au nombre d'émigrés. Cette pratique limite le pouvoir des responsables lignagers. très étendu par exemple au sein des communautés monoclaniques possédant de vastes superficies de terres collectives contrôlées par un seul homme. A Conglou, les fuxiong locaux doivent rendre compte de l'usage fait des sommes d'argent adressées par la communauté émigrée, et cette dernière peut également se prononcer, par l'intermédiaire de ses représentants, sur l'opportunité de toute nouvelle collecte. Les malversations économiques des responsables lignagers sont donc plus difficiles que dans les régions où les terres ancestrales constituent la principale richesse du groupe et leur location, la principale ressource des foyers. Au sein d'un lignage localisé comme le lignage Mai de Zhuhu. toute nouvelle segmentation interne ne porte pas le nom de lignage, mais celui de segment lignager oufang qui signifie la branche familiale ou lignagère, ou le mot zu, qui signifie à la fois l'ancêtre et le groupe de descendants de cet ancêtre. Comme pour bien d'autres mots de la terminologie chinoise liés aux groupes de parenté, un certain relativisme guide l'emploi du mot fang : on parle des différents fang que compte une famille en évoquant les nouvelles branches familiales créées par les fils mariés à chaque génération, et les paysans distinguent ainsi le premier, le second ou le troisième fang. Mais les branches familiales évoquées peuvent également être situées au niveau du père, du grand-père ou d'une génération supérieure. Seul le contexte de l'échange permet de savoir avec précision quelle branche familiale est alors en cause. Le mot fang est enfin souvent employé pour parler d'un segment lignager qui s'est institutionnalisé. Au sein d'un lignage localisé, un groupe de parents peut en effet décider, par le même processus que celui décrit plus haut, d 'honorer la mémoire d'un ancêtre déterminé en bâtissant un

temple des ancêtres, en le dotant de biens collectifs, et en manifestant une certaine unité rituelle lors des cérémonies liées au culte des ancêtres. L'apparition d'un nouveau segment lignager officiel est le résultat d'un compromis entre le principe de descendance patrilinéaire et un critère social, à savoir le rapport de forces existant entre les groupes ainsi constitués au sein du lignage (le critère géographique étant acquis d'emblée). En effet, si le lignage renforce l'unité et la cohésion des Mai par rapport aux non-Mai de la même localité, le segment lignager, créé le plus souvent par un processus de fission, consolide le prestige de certains Mai par rapport à d'autres Mai. Un paysan peut décider de créer un fang portant son nom et destiner certains de ses biens à la réalisation de ce projet. Aucun Mai du lignage de Zhuhu n'a cependant été honoré, de son vivant, par la construction d'un temple. D'autant que le choix de l'ancêtre fondateur d'un segment lignager ou fang ne dépend pas vraiment des mérites attribués à cet ancêtre ni de sa fortune personnelle, mais plutôt de la force, numérique et qualitative du groupe social constitué par l'ensemble de ses descendants. Ce groupe doit en effet être à même de rivaliser avec les autres segments lignagers et il ne peut donc être ni trop restreint, ni trop pauvre. «Pourcréerunfang, il faut avoirdel'argent, pouvoirconstruireuntempleetposséder unpeudebienscollectifs. Ensuite, il faut avoireupasmaldefilsetdepetits-fils. L'ancêtre dont le temple porte le nompeut avoir été prospère, oubiencesont sesdescendants, dontlenombreestimportant, quin'ont pastropmalréussi. Surleplandesliens deparenté,construireuntempleetfonderunnouveausegmentlignagernechangerien. Cesliens nepeuventsedéfaire. Noussommeslesdescendantsdetoute unelignéed'ancêtres,quelamémoiredeceux-cisoit honoréeparla présenced'untempleoupas. Mais surle planhistorique, c'est différent. Avecletemps, onoubliele nomdesancêtresqui n'ont pas detemple. Enfin, dans untemple, les descendants decet ancêtre serencontrent souvent, partagent lesmêmesactivités. Onseconnaîtmieux,celarenforcelesentiment dela parenté. Onest plusunispourfairefaceauxautres.» Des considérations historiques mais surtout sociales guident ainsi le choix de l'ancêtre fondateur d'un temple : c'est la vie quotidienne des membres du nouveau segment lignager constitué qui doit être améliorée à travers cet acte fondateur et, pour cela, il faut définir un segment lignager capable de s'affirmer par rapport aux 1. MaiKejiu, HongKong,novembre1986,Z1123.

segments déjà existants. Les besoins des vivants orientent de ce fait les choix effectués par la mémoire collective. C'est ainsi que deux grandes branches lignagères divisent les membres du lignage Mai de Zhuhu : la branche Sui Wei, dont le temple se trouve à Zhuhu, regroupe les habitants de sept villages, alors que la branche Sui An réunit les paysans de quatre autres villages dont Ping'an. Le temple de Sui An est situé dans le village de Jiangnanbei, dont l'expansion au cours du XIX siècle a conduit à la création de deux nouveaux villages, ceux de Ping'an et de Tongxinzui, puis en 1921 d'un dernier hameau, Lanshi. Des segments lignagers inférieurs ont également vu le jour dans chaque village. Cinq temples des ancêtres se dressent ainsi à Ping'an. Les plus anciens sont consacrés à la mémoire des deux frères, Renzhang et Renshi, dont descendent les habitants de Ping'an. Ni Renzhang ni Renshi n'ont vécu à Ping'an cependant : ils résidaient à Jiangnanbei, et on retrouve leurs descendants dans les trois villages de la branche Sui An. Une nouvelle scission, opérée à des époques différentes, distingue sous Renzhang deux nouveaux segments lignagers qui divisent les descendants de cet ancêtre en deux groupes, ceux de Jihong et de Qichang. Enfin, un temple a été construit par certains descendants de Renshi, temple qui honore un ancêtre appelé Xueshi. Comme les membres du segment Jihong et ceux du segment Qichang représentent la presque totalité des desLes segments lignagers du village de Ping'an. (Les membres de Jihong et de Qichang regroupent l'ensemble des descendants résidant à Ping'an, mais la plupart des descendants de Renshi n'appartiennent pas au segment lignager inférieur Xueshi. Ils sont donc dirigés et représentés à Ping'an uniquement par le temple Renshi.)

cendants de Renzhang, ces cinq temples des ancêtres définissent en fait, à Ping'an, quatre groupes sociaux de base qui vont présider aux destinées du village et dont les liens peuvent être décrits comme ceux d'une forte compétition au sein du village, et d'une étroite coopération pour défendre les intérêts villageois vis-à-vis de l'extérieur (tableau p. 51). Un paysan est donc membre de plusieurs unités de parenté officialisées, qu'il s'agisse de segments lignagers ou de lignages. Sur le plan local, un membre du fang appelé Qichang par exemple, est également membre du groupe de descendants de Renzhang, comme de celui de Sui An et enfin du lignage Huicheng. Quatre temples des ancêtres hiérarchisés, et par conséquent, quatre organes de pouvoir différents peuvent le représenter, le défendre ou le châtier s'il commet un délit. Le temple inférieur, c'est-à-dire celui qui est le plus proche sur le plan générationnel, exerce néanmoins l'influence la plus quotidienne sur ses faits et gestes. A Ping'an, le dernier segment lignager officiel, celui de Qichang, a été créé en 1921. Les récits rapportés par ceux qui ont participé à sa fondation et à la construction du temple portant le nom de cet ancêtre permettent de mieux comprendre les raisons qui poussaient autrefois certains groupes de parents à se doter ainsi d'une structure formelle. Entre 1780 et 1790, un ouvrier agricole appelé Lanbian mais dont le nom de clan est tombé officiellement dans l'oubli, est embauché par des Mai du village de Jiangnanbei. Originaire de l'un des districts les plus pauvres de la province du Guangdong, celui de Yangjiang, il choisit d'abandonner son propre patronyme, de reconnaître Renzhang comme l'un de ses ancêtres et d'intégrer la communauté des Mai alors que l'un de ses frères reconnait comme ancêtre l'un des Mai du district de Xincun. Au début du XX siècle, soit plus de cent ans plus tard, les descendants de Lanbian sont toujours considérés avec mépris par les autres Mai de la région. Lanbian n'a eu qu'un fils, Qichang, qui meurt très jeune, après avoir eu cependant lui-même quatre fils. Le second de Qichang émigre dans la province du Guangxi et ne reviendra jamais. Le troisième n'a pas de descendance. Le quatrième a un fils dont les descendants vivent aujourd'hui encore à Ping'an. Le salut de la lignée viendra du premier fils, Zuoyuan, qui donne naissance à son tour à quatre fils. L'un d'entre eux, Zongxin, va prospérer et asseoir, aux yeux des autres Mai, le prestige de cette branche rapportée, issue d'un ouvrier agricole au passé peu glorieux.

Zongxin naît entre 1840 et 1844. Imitant l'un de ses oncles, il devient colporteur, vendant des chaussures en cuir constituées d'une semelle et d'un simple lanière. Après avoir économisé pendant des années, il se lance dans le commerce du cuir, obtenant à la fin de sa vie le monopole de l'achat du cuir dans plusieurs districts de la région. Il ouvre un commerce à Conglou, achète quelques champs. Ses cinq fils lui donnent vingt-huit petits-fils. Cette lignée acquiert ainsi soudain fortune, même si celle-ci demeure limitée, et force numérique. En 1875, après la naissance de son dernier fils qui n'est autre que Mai Leguan, Zongxin contribue à la création de Ping'an en rejoignant les quelques familles de Jiangnanbei qui, depuis 1845, ont bâti de nouvelles maisons sur ces terres à proximité du village. Il encourage et aide de proches parents à faire de même. Vers la fin de sa vie, installé à Ping'an, cet ancien paysan, devenu commerçant, n'a qu'un seul regret : sa branche n'a donné naissance à aucun lettré. Il achète le titre de jiansheng ou élève du Collège Impérial et son portrait, accroché les jours de fête dans le temple des ancêtres de Qichang, le représente dans les vêtements correspondant à ce grade. Mais ce titre, acheté, ne lui confère pas de véritable reconnaissance sociale. Illettré, il ne saisit pas un mot des propos tenus par les mandarins locaux. S'il peut, grâce à sa prospérité, exercer une certaine autorité à Ping'an, il ne pèse d'aucun poids au conseil lignager de Zhuhu où siègent de véritables bacheliers. Les affaires cantonales se décident également sans lui. Avant de mourir, Zongxin fait part à ses fils de son désir de construire un temple en l'honneur de ses ancêtres afin d'affirmer avec éclat la réussite de cette lignée aux yeux de tous et de faire cesser les discriminations dont elle continue à être l'objet. En effet, les autres Mai se refusent encore, au début du XX siècle, à reconnaître la réussite soudaine de certains des descendants de Lanbian, ce non-Mai. Leur attitude reste hostile. Cette reconnaissance sociale, et l'instauration d'un nouveau rapport de force local, doivent être conquises de force par les fils de Lanbian. Et le meilleur moyen d'y parvenir est de créer officiellement un segment lignager en construisant un temple des ancêtres. Zongxin lègue pour cela deux boutiques qu'il possède au marché et dont la location peut aider aux dépenses du futur temple, et demande à ses enfants de réaliser son rêve. En 1918, bien après la mort de Zongxin, Mai Leguan, son cinquième fils, de passage à Ping'an entre deux séjours aux États-Unis convoque quelques hommes de sa génération, tous descendants de Zongxin, et

évoque le projet de constitution officielle d'un fang. Mais comment délimiter ce nouveau groupe de parenté avec lequel les autres segments lignagers devront désormais partager le pouvoir ? Zongxin est celui qui a véritablement permis a cette lignée de gagner du prestige et de la puissance sur le plan local. Il est décrit comme le modèle à suivre pour les jeunes générations. Mais la dangereuse série des fils uniques, souvent fatale pour la survie d'une lignée, s'est interrompue grâce à Qichang. De plus, en 1918, les descendants de Qichang constituent un groupe qui, sur le plan du nombre, est mieux armé pour rivaliser avec les autres segments lignagers de Ping'an que le groupe des descendants de son petit-fils, Zongxin. Faut-il alors remonter jusqu'au père de Qichang, Lanbian, et choisir celui-ci comme ancêtre fondateur du temple ? La réponse est négative : une telle stratégie n'apporte rien en force ou en mérites au groupe de parenté que l'on veut officialiser. Par contre, elle met l'accent sur l'ancêtre qui a intégré le clan Mai et donc sur l'origine peu glorieuse de cette lignée. En 1921, malgré l'opposition des autres segments lignagers du village qui voient d'un mauvais œil cette affirmation officielle de la grandeur nouvelle et de la cohésion des enfants de Qichang, la construction du temple est achevée. La mémoire collective joue donc un rôle important dans la formation des groupes sociaux, au niveau du lignage comme des unités qui le composent. Se constituant donc d'abord à travers la rédaction des généalogies, elle est avant tout un acte de piété filiale, une manifestation de respect envers les disparus. «Ce qui existe, c'est ce dont les gens se souviennent», explique Mai Jieshi Mais «ce dont les gens se souviennent » est choisi comme principe fondateur du groupe et fait donc partie intégrante de l'identité de chaque individu, d'où la nécessité d'opérer un choix parmi ce qui peut être retenu. C'est ainsi par exemple que la généalogie du segment lignager Qichang, destinée avant tout à ses propres membres, retient comme ancêtre fondateur Lanbian, cet ancêtre pauvre, peut-être esclave, qui a fait le choix difficile de l'intégration à un lignage autre que le sien, alors que le temple des ancêtres, qui est avant tout une manifestation de force vis-à-vis du reste de la société, porte le nom de Qichang afin d'effacer la mauvaise origine de cette branche. 1. Mai Jieshi, New York, mars 1985, A 61.

L a m é m o i r e collective se c o n s t i t u e é g a l e m e n t a u t o u r des t e m ples des ancêtres, lesquels d é c o u p e n t la société en différents g r o u p e s d o n t l ' e x i s t e n c e o r d o n n e les discours et les c o m p o r t e m e n t s . Siège des i n s t a n c e s d i r i g e a n t e s des s e g m e n t s lignagers c o m m e des lignages, les t e m p l e s des a n c ê t r e s se p r é s e n t e n t sous la f o r m e de bâtisses i m p o s a n t e s , c o n s t r u i t e s en b r i q u e s grises c o m m e le r e s t e des h a b i t a t i o n s , et d o n t les t o i t s s o n t o r n é s de s c u l p t u r e s et de m o t i f s fleuris. D a n s le d i s t r i c t de T a i s h a n , o n y p é n è t r e d ' a b o r d p a r la p o r t e p r i n c i p a l e d a n s u n e c o u r i n t é r i e u r e puis d a n s la salle principale où s o n t déposées les t a b l e t t e s , c o n t e n a n t les e s p r i t s des ancêtres, qui s o n t c o m m é m o r é e s lors d u culte. A u c u n e d i v i n i t é a u t r e s q u e le dieu de la p o r t e et celui d u sol n ' y est r e p r é s e n t é e . O u t r e les o b j e t s de culte, u n e longue t a b l e r e ç o i t c e u x q u i p a r t i c i p e n t a u x r é u n i o n s d a n s le t e m p l e . Des sentences, apposées sur la p o r t e principale lors d u N o u v e l A n , r e p r é s e n t e n t les s o u h a i t s f o r m u l é s p a r les a n c ê t r e s p o u r leurs d e s c e n d a n t s : « Cent fils et mille petits-fils », « P l u s de richesses, plus de l o n g é v i t é et plus de d e s c e n d a n c e » . . . U n a u t e l p r i n c i p a l et parfois, d a n s les t e m p l e s les plus i m p o r t a n t s , d e u x a u t e l s l a t é r a u x accueillent les t a b l e t t e s , celles des d é f u n t s c o m m e celles des v i v a n t s , q u e l'on p e u t d é p o s e r d a n s le t e m p l e à d e u x occasions s e u l e m e n t : lors de l ' i n a u g u r a t i o n d u t e m p l e et lors d ' é v e n t u e l s t r a v a u x de r e s t a u r a t i o n . S u r la plus h a u t e m a r c h e de l ' a u t e l p r i n c i p a l se dresse la g r a n d e t a b l e t t e de l ' a n c ê t r e f o n d a t e u r d u t e m p l e , puis à l ' é t a g e au-dessous, celles de ses fils ; plus b a s encore, celles de ses petits-fils, et ainsi de s u i t e de g é n é r a t i o n en g é n é r a t i o n E n t r e 1911 et 1952 p a r e x e m p l e , les m e m b r e s du segm e n t lignager Q i c h a n g o n t l'occasion de placer des t a b l e t t e s d a n s trois t e m p l e s : celui de Q i c h a n g , lors de sa c r é a t i o n en 1921, celui de Bixiong, r e s t a u r é vers 1925, et celui de R e n z h a n g r e s t a u r é vers 1934. E n 1921, les r e s p o n s a b l e s d u s e g m e n t l i g n a g e r Q i c h a n g d é c i d e n t d ' i g n o r e r la règle v o u l a n t q u e le p l a c e m e n t d ' u n e t a b l e t t e d a n s le t e m p l e soit s o u m i s à u n d r o i t de p a i e m e n t : c o m m e les desc e n d a n t s de Q i c h a n g ne s ' é t e n d e n t q u e sur cinq g é n é r a t i o n s et ne s o n t donc p a s très n o m b r e u x , leurs t a b l e t t e s s o n t t o u t e s placées d a n s le t e m p l e g r a t u i t e m e n t , celles des d é f u n t s c o m m e celles des 1. Les tablettes des ancêtres sont en bois. Certaines comportaient les noms du père comme de la mère. Elles étaient composées de deux parties : sur la première, mobile, figurait le nom de son propriétaire, qu'il soit défunt ou pas ; sur la seconde, qui s'encastrait dans un socle et dans laquelle la première partie venait s'incruster, étaient portées la date de la naissance et celle du décès.

v i v a n t s . Il e n v a t o u t a u t r e m e n t lors de la r e s t a u r a t i o n d u t e m p l e B i x i o n g . Le d r o i t de p l a c e r u n e t a b l e t t e d a n s ce t e m p l e qui n ' a p a s été r e s t a u r é d e p u i s p l u s de c e n t a n s et d o n t d é p e n d la p o p u l a t i o n M a i de p l u s i e u r s districts ne p o u v a n t ê t r e accordé à t o u s , f a u t e d ' e s p a c e , il est lié a u v e r s e m e n t d ' u n e s o m m e de 200 y u a n Les plus riches p l a c e n t u n e t a b l e t t e p o u r c h a c u n de leurs p r i n c i p a u x a n c ê t r e s ainsi q u ' u n e t a b l e t t e p o u r e u x - m ê m e s . Les p l u s p a u v r e s o r g a n i s e n t des collectes a f i n de p l a c e r la t a b l e t t e d ' u n de leurs ancêtres d a n s le t e m p l e . L ' e m p l a c e m e n t des t a b l e t t e s sur l ' a u t e l d é p e n d de la g é n é r a t i o n à laquelle a p p a r t i e n t le p r o p r i é t a i r e de la t a b l e t t e m a i s il est é g a l e m e n t tiré a u s o r t : les places de l ' a u t e l p r i n c i p a l s o n t p l u s chères q u e celles des a u t e l s l a t é r a u x . Si les t a b l e t t e s ne s o n t p a s r e g r o u p é e s p a r s e g m e n t s lignagers et si la p l u s ou m o i n s g r a n d e p r o s p é r i t é d ' u n f a n g n ' e s t p a s visible à l ' œ i l n u , il n ' e n d e m e u r e p a s m o i n s q u e les s e g m e n t s lignagers q u i d é p o s e n t , e n 1925, u n n o m b r e i m p o r t a n t de t a b l e t t e s d a n s le t e m p l e B i x i o n g g a g n e n t alors en prestige. A v a n t 1925 p a r e x e m p l e , seules les t a b l e t t e s de q u a t r e m e m b r e s d u lignage Mai de Z h u h u o n t été déposées d a n s le t e m p l e B i x i o n g et a u c u n e a p p a r t i e n t à la b r a n c h e Sui An. E n 1925, le lignage M a i de Z h u h u dépose plus de d e u x c e n t s t a b l e t t e s d a n s le t e m p l e : u n e c e n t a i n e a p p a r t i e n n e n t à des m e m b r e s de la b r a n c h e Sui A n , et p a r m i elles, p l u s i e u r s dizaines o n t p o u r p r o p r i é t a i r e s des membres du segment lignager Q i c h a n g Mais p o s s é d e r u n e t a b l e t t e d a n s u n t e m p l e est u n e c o n d i t i o n suffis a n t e et n o n p a s nécessaire p o u r d é m o n t r e r q u e l ' o n est m e m b r e d u 1. Le yuan est l'unité monétaire chinoise. A titre indicatif puisque les prix varient beaucoup entre les provinces, en 1925, soit à l'époque de la restauration du temple Bixiong, et d'après le prix de quelques denrées de base à Chengdu, dans la capitale de la province du Sichuan, la somme de 200 yuan équivaut à : — 50 bidons, pesant chacun 14 kilos, de kérosène d'une marque américaine (un bidon = 4 yuan), — 1 150 livres de sucre blanc (une livre = 0, 180 yuan), — 540 quintaux de bois à brûler. Jindai shi ziliao, publié par l'Institut d'histoire moderne de l'Académie des Sciences sociales, Pékin, janvier 1986, n° 60, 187-227. Autre exemple, à propos de la province du Guangdong cette fois: en 1911, le salaire moyen d'un ouvrier est de 6 yuan. La somme de 200 yuan équivaut donc aux revenu d'un ouvrier pendant trois années consécutives. Ming Qing Guangdong shehui jingji xingtai yanjiu (Étude sur la situation économique et sociale dans le Guangdong sous les dynasties Ming et Qing), Guangdong Renmin chubanshe, édité par la Société d'études historiques du Guangdong, 1985, 378 p., p. 247. 2. Les tablettes des vivants sont recouvertes d'un morceau de papier rouge jusqu'au décès de leur propriétaire. Et elles ne deviennent le siège de l'une des âmes du défunt qu'après l'accomplissement d'un rite spécifique accompli cent jours ou plus après le décès.

groupe des descendants de l'ancêtre honoré par ce temple. Les paysans pauvres du segment lignager Qichang qui, par manque de moyens, choisissent par exemple de placer dans le temple de Bixiong la tablette d'un ancêtre et non pas la leur, n'en sont pas moins membres du lignage supérieur de Bixiong au même titre que les autres. C'est la notion de lignée qui prévaut ici : tout ancêtre, avec lequel votre filiation est démontrée par la tradition orale ou écrite et qui possède une tablette dans un temple, vous représente. Une partie de l'argent réuni lors du placement des tablettes est utilisé pour la restauration du temple. Le reste est distribué aux lignages localisés en fonction du nombre de tablettes placées par chacun. C'est ainsi qu'une « association des tablettes des ancêtres» (shenzhu hui) est créée par le lignage Mai de Zhuhu pour gérer les fonds reversés à ce lignage après la restauration du temple Bixiong. Une boutique est achetée à Conglou grâce aux contributions des Chinois d'outre-mer et le fruit de sa location pourvoit aux dépenses liées à la participation du lignage Mai de Zhuhu au culte des ancêtres dans le temple Bixiong, une fois tous les six ans Les différents temples des ancêtres du lignage Mai de Zhuhu possèdent des bases économiques fragiles, ce qui en retour affranchit les familles paysannes d'une trop grande dépendance économique vis-à-vis de la structure lignagère. Le temple supérieur, celui de Huicheng à Zhuhu, loue une quarantaine de mu. Celui de Renzhang à Ping'an possède environ une dizaine de mu, ce qui permet tout juste de couvrir les dépenses quotidiennes d'encens et d'huile et interdit toute pompe lors des deux grandes cérémonies annuelles du culte des ancêtres. Le temple Renshi n'est pas mieux loti. Le temple Qichang ne possède pas de terres mais deux boutiques au marché et surtout, il organise régulièrement des collectes parmi les Chinois d'outre-mer pour pourvoir aux dépenses du lignage. Une autre source de revenu du temple Qichang possède un statut plus ambigu : il s'agit des recettes de «l'association des ponts en bois », ces derniers étant un système d'échafaudage coulissant, pourvus de deux piliers et de deux poutres transversales, en bois de cyprès du Japon. Lors de la construction du temple Qichang, plusieurs de ces «ponts en bois» sont achetés par les membres de Qichang. Une 1. Lescomptesdecette association sontconfiés auxresponsablesdusegmentlignager Qichang, celui ayant placé le plus grand nombre de tablettes lors de la restauration de Bixiong.

association, chargée de la location de cet équipement indispensable pour toute construction est ensuite créée. Une partie des fonds ainsi recueillis chaque année est utilisée pour les dépenses du segment lignager, la somme restante étant reversée à ceux qui ont financé la construction du temple ou à leurs descendants. En effet, pour réunir la somme nécessaire à la construction du temple, les émigrés de la Montagne d'Or doivent verser une contribution fixe, égale pour tous, alors que les paysans restés au village sont encouragés à participer à la collecte dans la mesure de leurs possibilités. Les plus pauvres sont invités simplement à apporter une aide physique aux travaux de construction. Ces «ponts en bois » ayant été achetés grâce à l'argent de la collecte, une part de porc rôti supplémentaire est offerte aux bienfaiteurs du temple et à leurs descendants, lors des deux cérémonies annuelles du culte des ancêtres, bienfaiteurs dont sont exclus ceux dont la seule dépense a été d'ordre physique lors de la création du temple. A Ping'an, les terres lignagères représentent un peu moins de 20 % des surfaces cultivées. A Zhuhu, le pourcentage est plus élevé au début des années vingt (30 %), mais il diminue rapidement avant et pendant la guerre contre le Japon. Ces chiffres ne sont pas très éloignés des estimations de Chen Han-seng qui estime que 35 %des terres cultivées de la province du Guangdong sont ce qu'il appelle des «propriétés ancestrales » pendant les années trente Son estimation s'élève néanmoins à 50 % pour la seule région du delta de la rivière des Perles, le district de Taishan étant situé à la périphérie de celui-ci. Si certains lignages de la région, tels que les Chen ou les Wu, possèdent des quantités de terres collectives bien plus étendues que les Mai par rapport à la superficie des terres cultivées, il nous semble nécessaire de faire trois remarques à propos de l'importance des terres dites lignagères dans cette partie de la Chine du Sud. D'une part, les appellations utilisées dans les recensements sont souvent floues, et il ne semble pas impossible que dans la catégorie «terres ancestrales » aient été comptabilisées à la fois les terres lignagères collectives (zuchan), et les champs transmis aux héritiers sans qu'il y ait eu partage officiel des biens (zutian). Les descendants ne possèdent pas dans ce cas, sauf exception, le droit de vendre les terres cultivées, mais ils en possèdent 1. H.S.Chen,LandlordandPeasantin China; AStudyoftheAgrarianCrisis inSouth China, NewYork,International Publishers, 1936,p. 34-35.

l'usufruit. Ils ne versent de rente à quiconque, et utilisent le fruit des récoltes pour leur propre consommation et non pas pour accomplir le culte des ancêtres. La possibilité que ce second type de terres ait été parfois confondu avec le premier, et que la surface des «terres lignagères » ait été alors surestimée est accréditée par le fait que tous deux ont été traités de la même façon pendant la Réforme agraire. Deuxièmement, s'il est certain que le temple fondateur du lignage est parfois devenu le principal propriétaire foncier, il ne suffit pas de connaître le montant total des terres ancestrales dans un lignage pour avancer une telle conclusion. Encore faut-il en effet connaître l'importance de la segmentarisation interne et les relations établies entre segments lignagers. Les terres lignagères sont possédées par différents temples, et sont donc gérées par différents groupes entre lesquels il existe souvent une forte compétition. Les quelques dizaines de mu de terres ancestrales cultivées à Ping'an par exemple appartiennent à cinq temples, et décrire dans le cas présent le lignage comme un propriétaire foncier possédant 20 % des terres n'a pas beaucoup de sens. Enfin, il est certain que dans les lignages situés dans des régions de forte émigration telles que Taishan, où de nombreuses activités religieuses et sociales sont financées par les contributions des émigrés, et non pas par l'usufruit de biens immobiliers, les rapports existant entre responsables et membres du lignage ont été modifiés. Les biens ne sont pas légués par les ancêtres et contrôlés par un petit groupe de leurs descendants. La redistribution matérielle du lignage à ses membres est très limitée. Ces faits expliquent peut-être la grande souplesse qui caractérise des lignages tels que celui des Mai de Zhuhu, les normes passées étant réinterprétées à la lumière des nécessités présentes et certaines variations étant introduites dans les pratiques religieuses et sociales selon l'état des relations entre les groupes. Ces groupes sociaux de base que sont le lignage et le segment lignager sont consolidés par les manifestations rituelles de cette mémoire collective : le culte des ancêtres accompli dans les temples, face aux tablettes représentant les âmes des ancêtres, ou sur les tombes Deux fois par an, au moment des cérémonies du culte des 1. Notreparti pris, malheureusementréducteur, aétédeprivilégierla dimensionsociologique du culte des ancêtres. Pour une description du rituel et une analyse de cette croyance,onpeutserapporteràl'ouvrage deEmilyAhern,intitulé Thecultofthedeadina Chinesevilage,Stanford, Stanford Lniversity Press, 1973,280p.

ancêtres du printemps et de l'automne, tous les membres des segments lignagers inférieurs se réunissent pour rendre hommage aux ancêtres et partager leporcrôti apporté enoffrande 1Ladistribution se fait en fonction de l'âge et des mérites acquis sur le plan des concours mandarinaux : les membres ordinaires reçoivent une seule part deporc alors que les membres les plus âgés et les plus méritants sont récompensés par une double part. Selon les revenus du segment ou du lignage, la part de porc peut consister cependant en quelques bouchées ou permettre à une famille pauvre de passer l'hiver. L'âge pris enconsidération pour accorder une double part varie au sein du lignage : il faut avoir soixante ans pour bénéficier de ce privilège au niveau du temple Huicheng mais cinquante ans seulement pour en jouir au niveau du temple Sui An. Les maigres revenus du temple Renzhanglui permettent simplement deremettre unepart auxmembres âgés de plus de soixante ans, et rien aux autres. Enfin, le degré d'unité rituelle est parfois remis en question par l'éloignement géographique ou par l'existence de conflits sociaux : ce sont alors seulement quelques représentants d'un segment lignager qui se rendent dans un temple supérieur pour ypercevoir la part deporc rôti consacré àleur segment. C'est ainsi par exemplequ'une vingtaine demembres du lignage Maide Zhuhu se rendent au temple de Bixiong, dans le district de Heshan, une fois tous les six ans. Làencore la notion de lignée prime celle d'individu. S'il est important, pour un paysan, que certains de ses ascendants se rendent dans les différents temples hiérarchisés dont il dépend, il n'est pas nécessaire qu'il ysoit présent en personne pour affirmer son appartenance à ces groupes de parenté emboîtés les uns dans les autres. D'où le rôle prépondérant accordé aux personnes d'un âge oud'une génération avancéelors des cérémonies religieuses. Leculte collectifdesancêtres renforcela cohésiondes membres du groupe, mêmesi cette fonction sociale n'est pas la seule et ne doit pas faire oublier les éléments de croyance religieuse. Il per1. Decesdeuxcérémonies,celequisedérouleaudébutdel'hiverestla plusimportante. Certains temples, trop pauvres, pouvaient supprimer la seconde cérémoniequi se déroul ait peuaprèsle déD butdelalignnoaugveedleeam nnoéyeenlunenaiim re. Lesoffrandeestslconsi staient aaliodres surt entdeceasnscécréem oniesétaittrès simple:pqourtealnqcueesqu' responesabliglensagduefaM ngou Z huohutu,ldeedvériaonudleemrôtie. dduevliagnntalegse,tablettes appartenant àuneres, génpéuriasticohnacsuunpéserieprost ure,seernai prost desancêt tdearnai nsleent dédsoa'rbdorer,dsaàntrois sdistrienpctriiosens ent relesgéanitérlaatiovnians.dC eesnprost ernationsachevées,tale'itscl axvechdeufsligdenafagm eoudusegm entlignatgioenrddéuconuopm bredemeem bm resodrceeaseuxxeetmlaasremet culin. Lesafuem mesn'étaientilepaprésent sautorsis,éeensfoànscerendredanslestemplesencesjoursdecérémonie.

met aux descendants de l'ancêtre fondateur d'un temple de se réunir et d'affirmer les liens particuliers qui les unissent à travers l'accomplissement collectif des gestes de commémoration. Rien d'étonnant par conséquent à ce que le culte des ancêtres soit en retour influencé par l'état des relations sociales existant entre les segments lignagers. Le lignage Mai de Zhuhu est ainsi caractérisé par une unité rituelle assez souple : la plupart des paysans se rendent aux cérémonies organisées dans le temple de base dont ils dépendent mais boudent celles qui sont accomplies dans les temples supérieurs, parfois situés cependant dans leur propre village. Ils se contentent d'y envoyer quelques représentants de leur segment lignager. Certains segments lignagers modifient même de leur propre initiative tel aspect du culte des ancêtres pour répondre aux tensions sociales locales. C'est ainsi que dès la construction du temple Qichang, en 1921, Mai Leguan décide de n'accorder qu'une importance relative aux cérémonies du culte des ancêtres de l'hiver et du printemps. Il n'exige pas la présence ces jours-là de tous les membres du groupe et il lui arrive même d'être personnellement absent. En diminuant l'importance de ces deux fêtes, Mai Leguan affiche le refus des membres de son segment lignager de manifester une grande unité rituelle, au sein du segment lignager Renzhang, avec les membres du segment de base Jihong. Ces derniers ont fait preuve d'un manque de solidarité jugé inacceptable en se rangeant aux côtés des autres habitants de Ping'an et en s'opposant massivement à la construction du temple Qichang. Mai Leguan choisit par contre de faire de la première journée du Nouvel An, au cours de ancêtres,des la véritable consécration l'unité et de la grandeur du laquelle plats végétariens sontde traditionnellement offerts aux fang Qichang. La présence de tous, et si possible celle de certains ancêtres, Mai Leguan raconte aux membres réunis l'histoire de ce émigrés, est requiseIl en ce jour. Après rendu le hommage aux segment lignager. dénonce alors avecavoir véhémence mépris dont ses membres ont été l'objet pendant de longues décennies de la part des autres Mai Les tombes des ancêtres sont l'objet d'un culte collectif rendu 1. Lesdeuxcérémoniesduprintempset dela' utomne portent le nomde«sacrifice ou offrandecollective», alors qu'il s'agit, lors dela premièrejournée duNouvelAn,de«l'offrandedeplats purs»oude«l'offrande deplats d'abstinence».Cesdernierssontcomposés légum alim d'deyeux etedsoonuclautres a' bsence deent vies., tels que les huîtres, caractérisés par l'absence d'une paire

lors de la fête dite de Qingming, le 5 jour du 4 mois. Elles sont nettoyées, des offrandes et des libations sont proposées aux ancêtres, et du faux papier-monnaie est brûlé en leur honneur. Cette fête est donc également l'occasion d'une manifestation de solidarité au sein des différents groupes de parenté. La puissance numérique d'un fang ou d'un lignage, qui manifeste la protection des ancêtres obtenue en retour des mérites accomplis, s'exhibe lors du déploiement à travers les champs et les collines de longs cortèges de paysans chargés d'offrandes. Aussi est-il important de réunir le plus grand nombre d'individus. C'est ainsi que Mai Leguan décide de rompre avec la tradition et d'autoriser les femmes à participer à cette fête, à partir de 1921. L'emplacement de la tombe obéit à des principes de géomancie très complexes qui confèrent à certaines tombes un pouvoir bénéfique étendu, indépendant des mérites de l'ancêtre enterré. Du fait de l'influence jugée positive de certaines tombes, il est interdit de se rendre seul sur les tombes des principaux ancêtres d'un segment lignager sous peine d'être accusé de détourner à son profit une influence bénéfique qui doit s'étendre à tous : l'ensemble des descendants de cet ancêtre doivent être présents lors de la fête de Qingming. Mais, de même que les tombes, qui font appel au symbolisme de la montagne, unissent dans un même rite les descendants d'un ancêtre, de même créent-elles des divisions au sein du lignage ou desfang : la topographie des monts ou collines qui contiennent les tombes révèle parfois que l'une ou l'autre branche familiale sera privilégiée ou au contraire défavorisée. Si les paysans évitent de se rendre sur certaines tombes dont ils estiment l'influence négative, ils peuvent par contre choisir de reconnaître le propriétaire inconnu d'une tombe comme leur propre ancêtre si cette tombe leur paraît posséder des vertus exceptionnelles Le culte des ancêtres joue un rôle fondamental dans la vie quo1. Zongxin porte ainsi régulièrement des offrandes sur la tombe d 'un paysan on ne connaît que l'origine Hakka. Trois groupes sont en effet distingués habituellement au sein de la population de la province du Guangdong : les Punti ou « gens de la localité », d 'ethnie chinoise, sont les premiers arrivants venus du nord, les Hakka ou les « invités », sont venus plus tardivement dans cette province, alors que les Tanka constituent une population à part, vivant sur des bateaux. Entre 1856 et 1867 une guerre éclate entre les Punti et les Hakka, lesquels ont conservé leur langue et leurs coutumes du nord de la Chine. A la suite de cette guerre, le gouvernement ordonne l'installation des Hakka dans une zone bien déterminée du district de Taishan, et les Punti reçoivent les terres des Hakka éparpillées dans le reste du district.

tidienne des paysans chinois. Il s'agit d'un devoir dont chacun doit s'acquitter et, à Taishan, tous les ancêtres sont commémorés lors du culte domestique. Mais le culte collectif des défunts est cependant particulièrement développé et institutionnalisé dans ces régions de Chine où domine le lignage. Il y revêt une dimension sociale importante qui influence, en retour, les pratiques religieuses. Le rapport de force local entre segments lignagers guide ainsi, on l'a vu, en partie le choix de l'ancêtre fondateur d'un temple. Le déroulement des cérémonies peut varier et semble surtout manifester la grandeur et renforcer la cohésion de ces groupes de parenté. Ces groupes particuliers que sont le segment lignager et le lignage tirent leur force du fait qu'ils s'appuient sur des liens de parenté préexistants à la formation du groupe. «C'est le destin qui en décidé ainsi», disent les paysans, à propos de ces liens, et ces derniers ne peuvent se défaire, alors que les revers de fortune sont fréquents. Leur stabilité est très grande, à l'instar des associations, nombreuses au sein de la société chinoise, qui regroupent les natifs d'un même lieu. Ils ne sont pas liés aux aléas de la vie ni aux compétences des individus et c'est par là qu'ils présentent des similitudes avec la famille qui, elle aussi, est donnée. Si les fonctions sociales du segment lignager et du lignage influencent leurs manifestations religieuses, les principes religieux qui commandent les relations entre vivants, ancêtres et divinités orientent en retour les liens sociaux tissés au sein de ces groupes comme entre membres de différentes communautés. Ils offrent notamment certaines justifications légitimes aux inégalités existantes et limitent le champs des actions jugées raisonnables. Le concept d'égalité est ainsi souvent associé dans la littérature à l'organisation lignagère et présenté comme un idéal, démenti par l'observation de nombreuses inégalités. Les ancêtres, dans la tradition orale paysanne, sont considérés comme des intermédiaires entre les vivants et les divinités. Le même mot shen, est ainsi souvent utilisé pour décrire les ancêtres et les autres divinités, même si la puissance des premiers n'égale pas celle des seconds. Ce caractère divin n'exclut pas le fait que les défunts aient les mêmes désirs et les mêmes penchants que les vivants. D'où par exemple la volonté, attribuée aux ancêtres, de protéger leurs descendants et d'être équitables envers ces derniers comme ils souhaitaient l'être de leur vivant, ce qui légitime la quête d'égalité lorsqu'un bien associé à un ancêtre, qu'il soit matériel ou pas, doit être redistribué.

« Les hommes aiment et protègent leurs enfants et leurs petits-enfants, et il en va de même pour les ancêtres qui ne changent pas après leur mort. Quelle que soit notre demande, nos ancêtres essayeront de l'exaucer. Mais seront-ils assez puissants ? Ce n'est pas sûr. Car si les ancêtres deviennent des esprits après leur mort et sont donc plus puissants que les hommes, ils ne sont pas aussi puissants que les dieux. Par contre, nous pouvons compter entièrement sur eux. Qu'ils aient été bons ou mauvais pendant leur vie, ils ne peuvent que chercher à nous aider après leur mort. » Lorsque ce bien est trop rare pour faire l'objet d'une redistribution élargie, il est remis aux membres des générations supérieures, qui ont engendré les membres de la lignée les plus jeunes et les représentent. Un tel procédé n'est donc pas perçu comme étant contraire au principe d'égalité. Néanmoins, les ancêtres ne sont pas tous d'égale puissance, et celle-ci dépend à la fois de celle qu'ils possédaient de leurs vivants, des mérites accumulés par eux, de la localisation de leurs tombes sur le plan de la géomancie, mais également des gestes de commémoration réalisés par leurs descendants qui les amoindrissent, les isolent ou au contraire augmentent leur capacité. Il existe donc une interdépendance entre les ancêtres et les vivants : les premiers ont besoin des seconds pour survivre et accroître leur puissance dans l'au-delà, et les seconds sollicitent la protection des premiers. Si la volonté des ancêtres est donc celle d'être équitable envers tous leurs descendants, ils ne possèdent pas tous les mêmes pouvoirs, ce qui implique de façon inévitable des disparités entre les vivants, descendants d'ancêtres différents. Ces disparités sont accrues par le fait que chaque individu jouit de la protection plus ou moins étendue non pas d'un seul défunt, mais d'une longue chaîne d'ancêtres. L'accumulation de leurs pouvoirs individuels varie ainsi d'une personne à l'autre. Les inégalités entre les paysans possèdent donc une justification au sein même de l'organisation lignagère, dans la mesure où elles sont en partie liées aux inégales capacités des ancêtres, elles-même influencées par le comportement des vivants. Contenues dans les principes religieux qui lient les vivants aux ancêtres, les notions d'égalité et d'inégalité et les justifications qui les fondent orientent ainsi les rapports sociaux au sein du lignage comme à l'extérieur. Les critères sur lesquels elles reposent montrent l'importance de l'interprétation attachée à une situation, qui va permettre de définir si c'est la descendance par rapport à un ancêtre commun et donc le principe d'égalité qui doivent être valo1. Mai Jieshi, New York, juin 1985, E 132.

risés, ou au contraire la multiplicité et l'inégalité existant entre des groupes rattachés à des ancêtres variés. D'autres concepts, non liés aux ancêtres, tels que le destin, la chance, les mérites individuels passés, peuvent également être mobilisés pour rendre compte des inégalités sociales Certaines pratiques lignagères accentuent néanmoins ces inégalités, tout en étant justifiées par la recherche d'un bien commun. Ainsi, la possibilité offerte aux familles les plus riches de déposer les tablettes de plusieurs ancêtres lors de la restauration d'un temple, est jugée favorable au bien de tous puisqu'elle permet d'assurer la survie du temple et celle du culte qui s'y déroule. Elle assure de plus une égalité de base entre tous dans la mesure où un ancêtre représenté par une tablette englobe les descendants, vivants ou défunts, des générations inférieures. Cette pratique renforce néanmoins l'inégalité entre les familles. En effet, plus la lignée des ancêtres est représentée de façon continue dans le temple, plus les gestes de commémoration réalisés par les vivants ont une portée et plus la protection dont ils jouissent est étendue. «Dans le temple, et surtout dans les temples importants, commecelui de Bixiong, les personnalités dulignage, leslettrés, viennent faire desoffrandes,car onne peut pastous y aller. Imagines, les personnalités Mai les plus prestigieuses de différents districts qui viennent s'incliner devant ta tablette, en groupe. Du coup les ancêtres qui ont leur tablette autempleont dela face auprès du Ciel, et les dieux sont plus enclins àles aider à protéger leurs descendants. »

L'interdépendance existant entre la protection accordée par les ancêtres et les gestes des vivants confère cependant une légitimité morale au succès de certains par rapport à d'autres, puisque ce dernier peut être considéré comme une rétribution venant en récompense d'actes passés, liés par respect au respect des règles gouvernant le culte des ancêtres. D'où notamment le pouvoir, reconnu aux segments lignagers et aux lignages les plus puissants, de « parler plus fort » que les autres, et la nécessité, pour les plus faibles, de se résigner à leur état. es auteurs américains, R.Watson,formel ont m is l'accent leurs étudesetsur p1 position . D existant entre le principetelségalitariste existant audans sein du lignage, lesl'oinégalités nombreusespouvantêtre observées et peucombattues. Lesremarques précédentes ne groupespas et àlesdémentir liens sociaux abel et bien le développement un mouvement decrivisent e tels propos, etempêché l'utilisation du principe ded'parenté poursur fonder les tique à l'encontre des d inégalités existantes. Néanmoins, nous voudrions insister le fait queles concepts d'égalité et d'inégalité sont tous deux présents, avecla mêmelégitimité, au ai Riwen,lignagère. HongKong, octobre 1986, 1574. sein d2.el'M idéologie

IV

Lesfils de Qichang

Si le lignage joue un rôle parfois prépondérant dans les villages multiclaniques, c'est lefang qui domine au sein des communautés composées de membres portant le même patronyme. C'est en effet au niveau du fang que s'organisent la coopération et l'entraide entre les familles, et les activités villageoises sont accomplies grâce à une coopération des différents segments lignagers. Chaque ancêtre, à chaque génération, se trouve au sommet d'une pyramide de descendants, biologiques ou rapportés, et délimite ainsi un groupe de paysans entre lesquels l'entraide et la solidarité sont encouragées. Chaque ancêtre, en d'autres termes, est à la tête d'un segment lignager oufang. Mais cette appartenance de chacun à une multitude d'unités emboîtées les unes dans les autres ne facilite pas une mobilisation rapide et efficace des groupes sociaux concernés en cas de conflit. Une querelle entre deux Mai peut ainsi mettre en présence deux parties adverses de tailles inégales, selon l'étendue du réseau de parents qui se mobilise pour défendre l'un et l'autre. Si le lignage localisé est aisément repérable, le fang, intermédiaire entre la famille et le lignage, est une unité dont les contours varient beaucoup selon l'ancêtre considéré. L'extrême relativité des groupes qui se font et se défont selon la nature de l'enjeu engendre incertitudes et dangers. D'où l'un des rôles fondamentaux de ces segments lignagers officiels, qui se sont pourvus, par la construction d'un temple des ancêtres, de moyens plus efficaces d'agir comme une personne collective. Le choix de privilégier certains ancêtres diminue les aléas d'un ordre social fondé sur la plus ou

moins grande proximité des liens de parenté. S'il ne crée pas de groupes à proprement parler —les membres d'un segment lignager non officialisé partageant déjà certaines obligations et responsabilités —,il rend plus visibles certaines unités sociales et y renforce obligations et devoirs mutuels. En se dotant des moyens d'exprimer de façon plus efficace une volonté commune, les groupes sociaux institutionnalisés par la présence d'un temple des ancêtres se dotent également des moyens d'intervenir de façon plus systématique dans les décisions politiques comme dans la répartition des ressources économiques locales. La naissance d'un nouveaufang accroit ainsi la compétition locale. Elle a des conséquences beaucoup plus importantes que la simple reconnaissance de liens de parenté privilégiés car elle signifie l'émergence d'un nouvel acteur social au sein du village, la première unité concernée, puis du lignage. Des familles atomisées ont soudain pour interlocuteur un groupe étendu et uni qui va défendre les intérêts privés des familles qui le composent. A l'inverse, un fang, autrefois confronté à des familles dispersées, voit celles-ci se constituer en groupe de puissance équivalente. Parfois encore, un fang assiste soudain à l'éloignement de certains des foyers qui le constituaient, lesquels forment un nouveau groupe au sein duquel seront réglées désormais, en première instance, les affaires quotidiennes. Les membres qui se réunissent au sein d'un nouveaufang officiel s'éloignent en effet automatiquement du segment lignager officiel supérieur qui, jusqu'alors, les représentait. La création d'un nouveau fang accroit ainsi les tensions locales car, justifiée en termes défensifs par les intéressés, elle est interprétée comme une démarche offensive par ceux qui partagent le même territoire. Faut-il s'étonner alors si les segments lignagers déjà existants, surtout au sein d'une même localité, voient souvent d'un mauvais œil la construction d'un temple des ancêtres, symbole à travers lequel un groupe affiche sa puissance nouvelle? Faut-il être surpris des conflits multiples dont l'emplacement et l'architecture d'un temple sont parfois l'enjeu avec les autres fang du village qui, impuissants à empêcher la construction d'un tel bâtiment, cherchent à diminuer la portée de cet acte en lui imposant des contraintes, une façon comme une autre de montrer aux membres de ce nouveau fang qu'ils doivent se plier, malgré leur réussite, à la volonté de l'ensemble du groupe ? A Ping'an, des querelles ponctuent régulièrement la construc-

tion des temples, dès la création du village, vers 1845. La segmentation est particulièrement importante dans ce nouveau village du lignage Mai, car plusieurs groupes sont en compétition pour le partage des ressources locales : cinq temples y voient le jour en quelques décennies, le dernier en date étant celui de Qichang, construit en 1921. Le premier conflit oppose les descendants de Renzhang à ceux de Renshi. Dès 1845, des paysans aisés du village de Jiangnanbei achètent des terres appartenant aux membres d'un lignage voisin, celui des Deng. Très vite, quelques maisons sont construites sur ces terres situées à 2kmenviron au nord du village. La population de Jiangnanbei a alors atteint sa taille maximale et ceux qui veulent construire de nouvelles habitations pour leurs fils sont obligés de s'aventurer hors de l'enceinte villageoise Cette politique d'achat de terres se poursuit pendant trente ans, au cours desquels Ping'an se constitue de façon progressive en village autonome. Si les premiers à fonder des foyers à Ping'an sont des descendants d'un ancêtre nommé Renshi, ils sont bientôt rejoints par Zongxin, descendant de l'un des frères de Renshi, Renzhang. Dès qu'il commence à accumuler un peu de bien, Zongxin fait le projet d'aller s'installer sur ces terres nouvellement achetées et de participer à la création de ce nouveau village. Peu après la naissance de son cinquième et dernier fils, Mai Leguan, il s'installe effectivement à tant de l'etargent aide plusieurs pour construire de ses parents des maisons à faire surdelesmême, terres leur acquises prêPing'an avec ses propres deniers. Certains descendants de Renshi et de Renzhang choisissent cependant de rester habiter à Jiangnanbei. D'auproximité de Ping' le lignage des Wuagressif de Guandou, préfèrentà tres, inquiets de laan,présence d'udit n lignage et turbulent acheter des terres au sud de Jiangnanbei et y fonder le nouveau village de Tongxinzui. Vers 1880, les descendants de Renzhang décident d'honorer la mémoire de ce dernier en construisant un temple à son nom à Ping'an, village où résident désormais Zongxin et quelques-uns des 1. Lataille desmaisonsdiffèreselonlesvilages. LeshabitationsdeJiangnanbei, un vilagepauvre,étaient plutôtpetitesauregarddesnormesdelarégion.Toutleterraindisétant nsrle' ncei ntevi ysraenlsesdéasnirceiuenxndees ponible bâtirdepnoouurvleeslehabi smtaistoionns savai entolcecucphéoixdaent quitter lelavigeoi lagese,oulesdétparui pourui r erenleconst ruitraetiodns epoluùsdegsraanndceêst.reO hoixenn'effet est acdoonpsidtéérqéuce'om nm derni shabi sornuntvtel écucest euneer rm ecaoisuornss:dét marqued'ingratitude.

fils de Renzhang les plus prospères. Les descendants de Renshi, dont les ressources économiques et la force numérique excèdent celles de Renzhang, posent ensuite les fondations de leur propre temple. Et pour manifester leur puissance, ils construisent leur temple tout contre celui de Renzhang, en adoptant la même architecture, mais en lui ajoutant deux pieds, soit quelque 70 cm, dans le sens de la hauteur et plusieurs pieds dans le sens dela largeur. Au visiteur qui pénètre dans Ping'an par la petite porte du village, au sud, le temple des descendants de Renzhang apparaît ainsi écrasé, défié par l'imposante bâtisse du temple Renshi. «Quefaire?Ils avaient vraiment plusd'argent quenousàlé' poque. Et n'étant pas membresdeleurfang, commentpouvions-nousintervenir et leur demanderdeconstruireuntemplemoinsimposant?Biensûr,ceuxdenotrefangn'étaient pascontents. Aquoicelarimaitd'essayerdesemetreenavant,degagnerdelafacedecettefaçon? Est-cequ'iln'aurait pasmieuxvaluquetoussoientpareils?Maisilsétaientplusforts quenous.Celaneservait àriendenousplaindre,ilsnenousauraientpasécoutés.Si nousavionsétéplusforts qu'eux, nouslesaurionsempêchésdeconstruireuntemple plusgrandquelenôtre.Aucunprétexten'auraitéténécessaire.Nousnousserionsopposésàlaconstructionparlaforce.» Quelques années plus tard, un groupe de descendants de Renshi construit un nouveau temple, celui de Xueshi. Puis, c'est au tour de certains fils de Renzhang de se distinguer et de manifester leur puissance nouvelle en donnant naissance au segment lignager Jihong. La plupart des membres de Jihong prennent le chemin de l'émigration vers l'Amérique du Nord, et le prestige de ce groupe, qui repose sur les contributions financières de ces Chinois d'outremer, est amoindri par l'absence à Ping'an d'hommes susceptibles d'exercer une influence sur les affaires locales. Arrive enfin l'année 1918 au cours de laquelle Mai Leguan exprime pour la première fois son projet de construire un temple à la mémoire de Zongxin ou de l'un de ses ancêtres. Cette ambition n'apparaît pas démesurée par rapport à la force du groupe, aux yeux des descendants de cet ancien paysan. Les membres de cette branche sont près d'une trentaine à vivre régulièrement aux États-Unis ce qui illustre leur puissance matérielle. Les fils, biologiques ou adoptés, sont nombreux à chaque génération. Là encore, la présence de ces émigrés favorise le développement numérique du fang Qichang: seule la disposition d'argent liquide autorise en effet l'achat de nombreux enfants. Elle permet également l'acquisition d'armes étrangères, renforçant ainsi 1. MaiKejiu,HongKong,novembre1986,Z1512.

la puissance du groupe. Enfin, certains descendants de Qichang ont acquis quelque notoriété à l'extérieur, tissant des liens précieux première l'administration. section du bureau Parmi eux des affaires dominentciviles Mai Chanlin, du gouvernement chef de la avec provincial et Mai Xiachong, qui a fait ses études au Japon et qui sera nommé général de division juste après la victoire contre ce ment décrits haccueilli ui encore par les C descendants de Zongxin même pays quiaujourd' l'avait autrefois s facteurs sont longuepour prouver que l'objectif poursuivi était eraisonnable. Après une concertation rapide entre les paysans intéressés, le choix de l'ancêtre commémoré se porte sur Qichang. Il est dicté par les raisons que nousenavons déjàestévoquées. sur les le segments plan des groupes présence, d'autant Sa pluspertinence, évidente que lignagers de Jihong et de Qichang réunissent, à l'exception de trois familles, l'ensemble des descendants de Renzhang résidant à Ping'an. Al'échelle du village, le temple supérieur Renzhang perd alors son influence au profit des deux temples inférieurs Jihong et Qichang. Désormais, s'affrontent ou coopèrent à Ping'an, selon les circonstances, quatre groupes sociaux de base: ceux de Jihong, Qichang et Xueshi, dont la cohésion interne est très forte car le principe de descendance patrilinéaire est associé à celui de commune résidence (tous les membres de ces trois groupes habitent à Ping'an), et celui constitué par les membres de Renshi résidant à Ping'an mais ne descendant pas de Xueshi. Dès 1920, alors que débute la collecte des fonds nécessaires à la construction du temple Qichang, se pose le choix de l'emplacement de ce futur bâtiment. Les descendants de Qichang, du moins les plus aisés, ceux qui peuvent sacrifier une partie de leur terres pour y élever un temple, possèdent leurs champs au nord du village, près de la grande porte, et 1. MaiXiachongestnédansl'undesvilagesdulignageMai,contiguàZhuhu,maisil faitpartiedugroupededescendantsdeQichang.C'estlemembrequiconnaîtlaplusgrande réussi nisstre,ativile,estaudsa'ebinordduoffi ligncaigeerdM 94h9en.DJitang, iplômédpu'uniseinatcèagre démleies militatiereadmi japonai anasi,ent lesrtero1u9p1e1setde1C troupeslocalesdelaprovinceduGuangdongaprès1936.Généraldedivisionaprès1945sous lD esoonrgdjriaensgd,epZ gFagcuoin,iltreest nvoyléapcaorm celmuui-ci erstèsdveiolalenptroavuinccoeu,rdsadnuslm aoréugvioem nednet ouhranlutter laeguéri nisteà.l'T dFeagréupirqeussiioonntarej ntiocoinm m u n i s t e , il n' h ési t e p a s à t u er d e j e u n e s m e m b r e s d u l i g n a g e d e Z hang tlaegParti minm ui,McaoiY gzuunnis,tel'u.Ilnndeesdoi prtinalcoiprsaulaxvfuiexsioanuvgedqu' uligànla'ingteervent MaidioenXdinusecrétairedeZhangF deXinhui.Ils'enfuitàHongKongpeuavantl'arrivéeaupouvoirduParticommunistechinois(PCC).S'ilrésiderarementàTaishan,sarenomméeestgrandeàConglouoùsonpèreest égalem cun. Ilenxtercoem enm sueirtçeanlet,setfornenctfionrcsedleprest princiigpealderesM poaniL saebgleuadne.lapolicepourtoutledistrict

c'est donc là que l'on se propose dans un premier temps d'ériger le temple. Mais ce projet rencontre l'opposition de tous les autres segments lignagers, y compris celui de Jihong, une défection qui envenimera pendant longtemps les relations entre Qichang et Jihong. La raison invoquée est la suivante : la géomancie du village, soit les forces bénéfiques, se déploie du nord vers le sud. Les quatre autres temples sont construits au sud, près de la petite porte du village. Ceux de Renzhang, Renshi et Xueshi sont mitoyens et sont disposés en L dans l'enceinte villageoise, alors que celui de Jihong se trouve également au sud, mais sur des champs à l'extérieur du village. Les descendants de Qichang sont donc accusés de vouloir s'emparer de toute la géomancie du village et on leur assigne un nouvel emplacement : derrière les temples de Renzhang et Renshi, à côté de celui de Xueshi. « Tout le village était ligué contre nous, même de proches parents comme ceux de Jihong qui auraient dû nous appuyer. Mais il est vrai que même si nous sommes tous des fils de Renzhang, ils ne sont pas membres de notre fang Qichang. Par conséquent, si jamais il nous était donné d'être favorisés sur le plan de la géomancie, cela voulait dire en retour que leur propre développement serait atteint. Alors, ils ont pris le parti de ceux de Renshi. Mais il n'était pas question que nous perdions la face et que nous nous installions sur ce terrain vague. Nos terres étaient au nord. C'est donc là que devait se tenir notre temple... »'

Les paysans de Qichang font la sourde oreille. Secondés par une vingtaine d'émigrés de retour au village pour aider à la construction du temple, et dont Mai Leguan a pris la tête, ils commencent un soir à préparer la chaux sur l'emplacement choisi. Pour découvrir, au petit matin, que l'on y a déversé des crottes de chien et des bouses de buffle, rendant la chaux inutilisable. Mai Leguan décide d'aller prendre conseil auprès de l'un de ses amis, WuLiyuan, ancien bachelier (xiucai), et l'un desresponsables du puissant lignage Wu, du canton voisin de Bajia Celui-ci estime les membres deQichang trop faibles pour imposerla construction du temple au nord, mais il considère l'emplacement désigné par les autres membres du village commetrop néfaste sur le plan de la géomancie. Construire le temple en cet endroit, imposé par les autres habitants du village, serait d'autre part un aveu de faiblesse. Aussi suggère-t-il que les membres de Qichang construisent leur temple au 1. Mai Jieshi, New York, mars 1985, A 23. 2. Ce responsable lignager, Wu Liyuan, n'est autre qu'un oncle éloigné de la future épouse de Mai Jieshi, petit-fils de Mai Leguan. C'est lui qui favorisera cette union, pour sceller son amitié avec Mai Leguan, son épouse faisant office d'entremetteuse.

acquis, Mai se créent rend auprès d'un hameau. géomancien ( n oprincipe r d , à l'extérieur du Leguan village, et un nouvel Une réputé fois ce de Taicheng afin de déterminer avec précision l'endroit où devra s'élever le nouveau village qui s'appellera Lanshi, ce qui signifie « La pierre aux orchidées », en souvenir de Lanbian, l'ancêtre discriminé, m avoisin. i s aussi cours d'eau ainsique quedes le orchidées hameau depoussent Lanshi près voit d'un le jour. Certains C'estparce membres de Qichang construisent alors une maison à Lanshi et y insqui déménage avec famille sa concubine que celle-ci lui partie de leur : c'est et le les casenfants par exemple de Mai t a lLeguan l e n t une a donnés, laissant le fils de sa première femme à Ping'an. Mais pour nombre de descendants de Qichang de telles dépenses sont impossientre les membres de Qichang b l e s ,Ceetlitige ils demeurent dans l'ancien village. et les autres habitants de Ping'an ne s'achevait donc pas par un accord satisfaisant les uns et les autres, ni par un compromis entre deux volontés contraires : en créant un hameau à la lisière du village, les descendants de Qichang échappaient au dilemme auxquels ils étaient confrontés. En sortant du territoire contrôlé par les paysans de Ping'an, ils rendaient inutile toute justification de leurs actes, et vaine toute recherche d'un accord avec les membres des autres fang. S'ils privilégient alors, par cet action, le principe de la parenté par rapport à celui de la territorialité, ils ne se détachent pas complètement de Ping'an cependant, et continuent à faire partie de ce village avec lequel ils partagent nombre d'activités collectives, comme celles liées par exemple à l'irrigation ou au maintien de la sécurité. Ainsi, la création officielle d'un fang distingue soudain au sein du village et du lignage certaines familles dont les capacités de compétition pour les ressources locales augmentent grâce à la présence d'une autorité unifiée qui les représente localement. La construction d'un temple crée de ce fait des litiges à la hauteur des bouleversements qu 'elle suscite. Elle oblige à une recomposition des rapports sociaux qui se fait de façon progressive, les relations sociales entre fang demeurant souvent difficiles bien longtemps après que la dernière pierre du nouveau temple eut été posée. A La colère des uns et des autres, contraints de renoncer à leur ambila solution pas véritablement résolu le conflit. Ping'an, tion initiale, éclate adoptée d'ailleursn'aalors même que la construction du temple Qichang n'est pas achevée, et elle donne lieu à la lutte entre segments lignagers la plus mémorable de l'histoire de Ping'an.

Une fois la décision prise de fonder Lanshi, les travaux de construction du temple et des premières maisons de ceux qui décident d'aller s'installer dans le nouveau village débutent en 1920. Pendant plusieurs mois, des bagarres au cours desquelles les armes à feu ne font pas entendre leur voix, cependant, ne cessent d'opposer les membres de Qichang à ceux des autres segments lignagers. Jusqu'au jour où des descendants de Renshi lèvent la main sur le buffle d'un paysan, membre du segment lignager Qichang, sous prétexte qu'il a mangé quelques feuilles des roseaux entourant le village. Or ceux-ci sont considérés comme un bien commun (gonggong) et non pas privé, c'est-à-dire appartenant à certaines familles ou à certains segments lignagers. En temps normal, l'incident aurait été rapidement clos, mais vu les tensions existantes le conflit escalade rapidement. « Mon père ne s'est pas démonté », raconte le fils du propriétaire du buffle. « Il leur a répondu : "Qu'est-ce-qui vous prend de frapper mon buffle ? Ce mur de roseaux a été planté grâce à une collecte à laquelle chaque foyer a participé, le mien comme les autres. Et lorsque le village a voulu créer un étang, j'ai un mu de terres qui a disparu. Puis on est à nouveau passé sur mes champs pour planter ces roseaux. Ce qui fait que maintenant, pour moi, tout est compliqué. Le ciel n'est plus le ciel, la terre n'est plus la terre. Alors, ces roseaux, ils doivent beaucoup à ma famille. Et mon buffle n'a fait que manger les feuilles qui nous reviennent." » Plusieurs hommes des autres fang s'approchent alors, et très vite des coups sont échangés Prévenus de l'attaque portée contre l'un des leurs, les membres de Qichang occupés à Lanshi aux travaux de construction se précipitent vers Ping'an, se bagarrant avec tous les membres des autres segments lignagers qu'ils rencontrent en chemin. Alors que la nuit tombe et que la bataille fait rage —certaines femmes de Qichang, dont les noms sont aujourd'hui encore sur toutes les lèvres, y prêtant leur concours —, les portes du village sont brusquement fermées par les adversaires de Qichang. Or un tel geste signifie que l'on refuse toute intervention extérieure : seuls les poings ou les armes doivent, en théorie, décider de l'issue du combat. Si la situation est très tendue à l'intérieur de Ping'an, les combats ont cessé néanmoins dans certaines ruelles entre adversaires et partisans du groupe Qichang car « on n'oublie pas si facilement que l'on s'appelle tous Mai et on ne peut pas faire n'importe quoi » Les uns et les autres estiment aujourd'hui encore que la lutte, si elle 1. Mai Riwen, Hong Kong, octobre 1986, H 530. 2. Mai Jieshi, New York, mars 1985, A 25.

s'était poursuivie, aurait tourné à leur propre avantage. Les membres de Qichang vantent en effet leur plus grande détermination face à un adversaire moins soudé, alors que leurs adversaires mettent en avant leur supériorité numérique. Quoi qu'il en soit, le père de Mai Riwen, celui-là même qui possédait le fameux buffle à l'origine du conflit, confie alors à son fils âgé de quinze ans ainsi qu'à un autre jeune paysan la mission de traverser l'étang en cachette, au beau milieu de la nuit, de se frayer un chemin entre les roseaux et d'aller chercher les armes ramenées par les émigrés des EtatsUnis, et entreposées dans un commerce de Conglou. Changfei, un paysan de Zhuhu et qui n'est autre que le plus haut responsable du lignage Mai, celui qui dirige en dernière instance les affaires du conseil lignager, arrive sur ces entrefaites après avoir été averti de la situation. Il exige que les portes du village soient réouvertes et que l'affrontement cesse. Lorsque Mai Riwen revient victorieux de sa mission, il peut entrer librement dans le village. Les fusils sont néanmoins distribués aux membres de Qichang qui les porteront à l'épaule, nuit et jour, jusqu'à ce que soit achevée la construction du temple. Dans ce contexte, l'inauguration du temple Qichang, en 1921, revêt aux yeux des membres de ce groupe une importance particulière. Les caisses du segment lignager sont vides. Les émigrés sont à nouveau sollicités : ils doivent remettre chacun une contribution fixe. Quelques personnalités importantes sont conviées le jour de l'inauguration, laquelle se déroule en grande pompe. Les Mai de Qichang exploitent toutes les ressources de leur réseau de relations. Grâce à Mai Riwen, dont le frère aîné est un ami du responsable de la milice populaire du district de Taishan Liu Zaifu, le chef du district, accepte de calligraphier l'inscription placée dans le temple qui dit «Temple de Shixing», du nom du temple des Mai à Nanxiong. Or le prestige d'un segment lignager ou d'un lignage se mesure aussi à la renommée de celui qui a calligraphié l'inscription placée à l'intérieur du temple. Les membres de Qichang étaient parvenus à ériger leur propre temple et à affirmer leur puissance. Le seul fait de parvenir à construire leur temple était la preuve, à leurs yeux, que l'objectif était raisonnable au regard des normes locales. Cette réussite interdisait 1. MaiRiwen,HongKong,octobre1986,H547.

aux autres membres du lignage de prétendre que l'acte n'était pas ajusté à la fois à la place du groupe dans la hiérarchie locale et aux ressources possédées, ce qui aurait pu entraîner une sanction. De nombreux conflits naissent en effet du comportement defang ou de lignages qui agissent conformément à un état de grandeur qui n'est pas le leur Aussi certaines actions, dont les descendants de Qichang avaient peut-être les moyens, leur étaient-elles interdites sous peine d'être accusés par le reste du lignage de ne pas «savoir rester à leur place ». Cette adéquation nécessaire entre l'acte et la puissance ainsi que la position hiérarchique du groupe, qui provoque de nombreux conflits si elle n'est pas respectée, doit de plus se prolonger dans le temps. La construction d'un temple est, à ce titre, un pari sur l'avenir. Une telle décision manifeste la réussite du groupe et sa volonté de la perpétuer en renforçant les liens d'entraide et les moyens d'action de chacun. Mais malheur au fang qui ne répond pas aux ambitions de ses fondateurs et qui décline : le temple des ancêtres désigne alors les membres de ce groupe comme la cible privilégiée des attaques des autres fang. Tel est par exemple le sort du segment lignager Xueshi. S'il possède des terres ancestrales assez étendues (qu'il sera néanmoins obligé de vendre pendant la guerre contre le Japon), le nombre de ses membres ne cesse de diminuer après sa fondation, et aucune réussite particulière, sur le plan des ressources matérielles ou de l'obtention de diplômes, ne vient rehausser son prestige. «Parmitouslesfangquel'on peutdistinguersousRenshi,Xueshiestleseulàposséder untemple. Il est doncunpeuplusapparent. Lesautres sont moinsvisibles. Maisc'est posssortes èdeundteem leaqui A..lo»rslesmembresdeRenjshi ustefaisaient ment lefang subirqui toutes brpim desest àcleeupl xudsefaible. Xueshi Le fang protège l'intérêt commun des familles qui le composent, et il est d'autant mieux armé pour ce faire qu'il a été rendu officiel par la présence d'un temple, lieu qui favorise la mobilisation et la coopération de ses membres. La construction d'un 1. Peu aprèsles débuts dela construction dutempleQichang,les membresdecesegmentlignager émigrés envoient de l'argent au village, pour quelesjeunes descendants de Qichangprennentdescoursdekung-fu.Cesjeunespaysansdécidentcependantd'utiliserune partie decet argent pour organiser leur propre dansedulion lors duNouvelAn,alors que le' nsembledulignage Maiétait jusqu'alorsreprésenté par unseullion. Lesémigrésretirent aussitôt leurappuifinancier, accusantlesjeunesmembresdeleurlignagedena' voir«passu rester à leur place, d'avoir agidefaçondéplacé», mettant ainsi enpéril la paixauseindu lignage.MaiRiwen,HongKong,octobre 1986,H562. 2. MaiKejiu,HongKong,novembre1986,Z1513.

temple, en permettant à plusieurs familles de parler d'une même voix, augmente les capacités d'action de chaque famille. Un tel geste crée un espace au sein duquel les faits et gestes de chacun jouissent d'une relative impunité s'ils ne mettent pas en cause directement le prestige et la survie du groupe, car la mauvaise action de l'un diminue le prestige de tous lorsqu'elle est dénoncée publiquement. Il accroît leur résistance aux agressions extérieures et favorise les relations de coopération internes, ces relations ne nécessitant aucune justification autre que l'existence de liens de parenté privilégiés. L'efficacité et la portée de ces mécanismes d'entraide et de protection varient, il est vrai, selon la cohésion interne des fang. Il n'en demeure pas moins que l'existence d'un fang sert en général, plus qu'elle ne dessert, les intérêts des familles, même si certains en retirent des bénéfices plus grands que d'autres. L'idéologie sur laquelle repose le segment lignager, qui prône l'égalité de tous devant l'ancêtre, encourage les gestes qui visent à combattre ou à atténuer les inégalités internes même si, on l'a vu, celles-ci trouvent une justification au sein de l'ordre social existant. D'où la solidarité économique et sociale des membres de Qichang tout au long de ce processus qui les conduit à se constituer en segment lignager officiel. Différentes raisons encouragent cependant les membres d'un segment lignager à prêter assistance aux autres membres du groupe. D'une part, la puissance d'un groupe lignager est indissociable des ressources (physiques, matérielles, culturelles, politiques...) apportées par les familles. En d'autres termes, aider le fang, c'est souvent s'aider soi-même, parce que l'identité d'un individu est influencé à l'extérieur par celle du segment lignager ou du lignage auquel il appartient, mais aussi parce que, d'une façon générale, on est d'autant plus protégé par le segment lignager que l'on contribue à sa force ou à son prestige. D'autre part, venir en aide à un membre du mêmefang manifeste la cohésion de ce dernier et exerce donc une action dissuasive vis-à-vis de l'extérieur. Mais surtout, lefang est régi par certaines des conventions en vigueur au sein de la cellule domestique, et notamment le rejet de l'égoïsme et du calcul. Cette influence du modèle familial est d'ailleurs symbolisée par la terminologie employée : les hommes du fang ou du lignage sont des «frères » par rapport à ceux qui sont étrangers au groupe, et ils sont dirigés par des fuxiong ou «père-frères aînés ». Les intérêts dufang, cependant, ne sont pas supérieurs à ceux de la

famille, et bien des comportements, jugés obligatoires au sein du groupe familial, sont simplement fortement recommandés et encouragés au niveau du segment lignager. L'entraide est en effet fondamentale dans cette région où les ressources locales ne répondent pas aux besoins des communautés villageoises, où les revers de fortune, passagers ou prolongés, sont fréquents, et où l'équilibre économique domestique, soumis aux aléas de l'émigration, est instable. Or l'espace du segment lignager est le lieu privilégié de l'entraide, même si cette dernière peut être étendue à des foyers situés à l'extérieur du groupe ainsi délimité. Il n'existe aucune disposition formelle pour venir en aide aux familles confrontées à des difficultés majeures et les biens légués par les ancêtres ne peuvent être utilisés de façon systématique et régulière pour venir en aide à certaines seulement des familles du groupe. Cela irait en effet à l'encontre du principe de l'égalité de tous devant les ancêtres. Les biens collectifs sont par contre mobilisés lorsqu'une épidémie ou une catastrophe naturelle menace l'ensemble du groupe Les paysans ont toutefois l'obligation morale de venir en aide à leurs proches parents en difficulté, même si aucune instance locale n'a le pouvoir d'intervenir si un paysan manque à ce devoir. A l'inverse, les responsables locaux sont habilités à blâmer et à punir de façon officielle les enfants qui ne subviennent pas, comme il convient, aux besoins de leurs parents. L'aide aux parents proches démunis peut emprunter différentes formes : permettre l'enterrement de l'un, favoriser le mariage de l'autre, prêter de l'argent pour faire face aux dépenses occasionnées par la maladie ou la naissance d'un enfant. Ceux qui ne prêtent pas leur concours, alors qu'ils en ont les moyens, à leurs proches pour les aider à survivre ou à accomplir, sans faste particulier mais en respectant les règles fondamentales, les deux grands moments que sont les mariages et les funérailles, perdent tout prestige au sein de la société. La sanction sociale ne sera peut être pas immédiate, mais ces foyers risquent de ne pas bénéficier de l'aide collective le jour où ils en auront besoin. «Sil'on peut, il fautaiderlesparents prochespourlespetits maisaussipourlesgrands problèmes.C'est uneresponsabilité, parcequ'ondescendtousdumêmeancêtre,cen'est pas unequestion d'intérêt. Lafamile, le segmentlignager, cen'est pas commen'importequelgroupe. Il yadesliensdeparenté.» 1. LorsdelagrandefaminequisévitàTaishanpendantlaguerrecontreleJapon, certains templesvendrontainsi leurs bienspourvenirenaideauxfamilesdugroupe. 2. MaiJieshi, NewYork,juin 1985,F463.

Si le fang ne représente pas à lui seul l'espace de l'entraide, la constitution d'un segment lignager officiel délimite un cercle de parents proches au sein duquel coopération et assistance sont encouragées. Au-delà du groupe constitué par les parents proches en effet, qui comprend au sens strict les personnes issues d'un même ancêtre sur cinq générations, l'aide repose sur la mobilisation du segment lignager. Elle peut s'étendre encore à un groupe plus large, mais dépend alors des relations personnelles (renqing) établies avec les familles en difficulté. Cemot renqing revêt un sens différent selon le contexte dans lequel il est employé. Synonyme de «sentiments humains » dans certains cas, il est souvent employé par les paysans pour décrire les sentiments ou relations existant entre des personnes qui se connaissent, par comparaison avec l'anonymat qui caractérise d'autres rapports sociaux. Par extension, des familles diront qu'il existe entre elles de bons ou de mauvais renqing, soit plus ou moins d'estime et de sympathie. Le même mot est également utilisé pour désigner les marques de sympathie échangées, gestes, paroles ou biens, car ces dernières sont inséparables de la relation elle-même qu'elles identifient. Le respect des renqing existant entre différents foyers justifie l'assistance apportée à certains membres éloignés plutôt que d'autres au sein du fang, de même qu'elle rend légitime toute aide apportée à parents ou amis n'appartenant pas au même segment lignager. Néanmoins, les faibles ressources des familles établissent de fait un lien étroit entre le segment lignager et les gestes d'entraide. L'usage commande ainsi qu'entre parents proches et parents éloignés ou amis, la préférence aille aux premiers. Cela est d'autant plus vrai que l'aide apportée revêt un caractère organisé. En effet, si dans la plupart des cas ce sont des paysans isolés qui viennent à la rescousse de certaines familles, des collectes peuvent être organisées, qui portent le nom de mo douluo ou "lancer de l'argent dans la corbeille creuse". Cette collecte se déroule au sein d'un groupe social défini à l'avance, le segment lignager dans la plupart des cas lorsqu'il s'agit de venir en aide à une famille. L'identité de l'initiateur de la collecte, lequel ne doit pas être le chef de la famille en difficulté, influence la réussite de cette manifestation de solidarité. Il doit en effet jouir d'un certain prestige local, pour qu'il soit difficile aux personnes sollicitées de répondre par un refus, et il faut également qu'il ait quelque argent puisque les contributions versées ne doivent être ni supérieures à la sienne, annoncée en premier, ni trop inférieures. Chacun

dépose une contribution qui est fonction de ses moyens. Là encore la notion de renqing introduit une certaine souplesse : le membre du segment lignager qui n'entretient pas de bonnes relations avec la famille secourue peut refuser de participer à la collecte, de même que des paysans extérieurs au fang mais liés par amitié à cette famille peuvent insister pour remettre un don. Il est cependant entendu, au cours de ces collectes, que chaque membre du groupe mobilisé participe, selon ses moyens, à l'effort collectif, l'initiateur de la collecte s'étant efforcé de placer la barre aussi haut que possible Moins un individu répond aux devoirs qui le lie à ses parents proches, plus il est considéré de façon négative et sujet à subir, tôt ou tard, une sanction sociale. Plus une personne vient en aide à un cercle étendu de paysans, dépassant le groupe de ses parents proches, plus elle gagne en considération, ce qui ne signifie pas pour autant que de tels actes répondent toujours à une visée instrumentale. «Levieil hommeaidait tous ceuxdufangqui avaient besoin delui, et c'est pourquoi onlerespectait autant. Envérité, situ asdel'argent etquetun'aidespaslesautres,on net'estimera pasbeaucoup.L'argentneprocurepasautomatiquementdelaface,il faut avoir del'argent et aider lesautres avecpourengagner.. Deplus, celui qui rentre la têtedeqsuaaffaires ndil estcoquest ler mmiuonnesd'.a»ider lesautres, commentpourra-t-illeverlatête pourparEnfin, plus les liens de parenté entre bienfaiteurs et bénéficiaires sont distants, plus le principe de réciprocité est à l'œuvre. L'entraide agricole, elle aussi, se déroule plutôt à l'ombre du segment lignager même si certaines familles préfèrent s'allier à des voisins, membres d'autres segments, ou aux familles de villages environnants. Ce type d'entraide porte le nom de «s'associer aux pattes du buffle » et obéit à des règles assez formelles. L'entretien quotidien des parcelles ne réclame pas trop de bras et la maind'œuvre familiale, surtout féminine dans cette région, y suffit en 1. Cetype de contribution se distingue des autres formes possibles de participation fivoi nanci à unleesactivité ee:dét celelermi s dites et celcal lesculdites mières entèleresfami verserucol nelseoctmivm néeàfil'xaes vance, éeenlibres. fonctioLnesdepsrecritères quivarientselonla natureduprojet, commeparexemplelasuperficiedesterrescultivéesou lenombredepersonnesparfoyer. Detellescontributionssontengénéralimpérativesetservententhéoriedelamêmefaçonlesintérêts detouslesmembresdugroupe.Danslecasdes contributions libres, la participation dechacunvarie selon"l'eau desoncœur",c'est-à-dire desonintérêt pourl'entreprise communeàlaquelle répondlacollecte: organiserunedanse dedragon, veniNrew ledYieourkd,em sépi es.1.01. iJieshi, ai1d9émi 85,E 2. Mafaire

général. La coopération d'une main-d'œuvre plus abondante favorise par contre le repiquage des pousses comme les récoltes. D'autre part, repiquage et labours nécessitent la présence d'un buffle dont peu de familles ont pu faire l'acquisition. Des groupes d'entraide, composés en tout de quatre à six familles, se forment donc autour de foyers dits de cultivateurs, c'est-à-dire de ceux qui possèdent un buffle. Le travail est effectué en commun lors des labours, du repiquage et des récoltes. Aucune règle ne commande la constitution de ces groupes, mais les paysans ont pour devoir de coopérer avec leurs proches parents qui auraient été chassés des groupes d'entraide existants. De plus, si la formation de ces groupes dépend de critères pratiques tels que la force du buffle, l'équilibre entre les terres à labourer et la main-d'œuvre disponible, elle dépend également des relations d'entente et d'amitié existant au préalable qui favorisent le travail en commun et le renoncement aux intérêts particuliers. Cela explique pourquoi les groupes d'entraide réunissent souvent des frères et, d'une façon plus large, des paysans membres d'un même segment lignager. D'autant que les conflits ne sont pas absents au sein des groupes d'entraide, éclatant dans la plupart des cas à propos de l'ordre de passage dans les champs. Appartenir au mêmefang prévient, autant que faire se peut, le développement de pareils conflits. «Quandontravailleensemble,onnedistinguepascequiestàtoi et cequiest àmoi. Onesttousfrères,onnepeutpascalculersesforces. Dèsquelo' n calcule,c'est fini. Si l'onveutquetoutsoitjuste,àchaqueinstant,onnepeutrienfaire. Siaujourd'huij'y gagneunpeu,demainjeseraiperdant.Siàcettegénérationmafamiles'ensortplutôt bien,àlaprochainegénération,ceseraautourdelatienne.» L'entraide qui permet à l'un ou l'autre paysan d'accroître durablement ses ressources et non plus seulement de pallier à des difficultés se déploie également de façon privilégiée au sein du segment lignager. Ainsi, au cours de la première moitié du XX siècle, il n'existe aucun exemple d'habitants de Ping'an ayant pu émigrer ou se lancer dans une entreprise commerciale grâce au soutien des membres d'un segment lignager autre que le leur. A l'inverse, les commerçants de Ping'an emploient dans leur boutique soit des membres de leur propre fang, soit des personnes connues et embauchées au bourg, membres d'autres lignages que 1. ChenFuhuan,NewYork,avril 1992,ZZ1521.

le leur. Aucun d'entre eux n'offre une activité rémunérée à des paysans appartenant à Jihong, Renshi ou Xueshi. Au sein du segment lignager, la compétition est rude néanmoins pour bénéficier de l'aide d'autrui, qu'il s'agisse de louer des terres ou d'obtenir les documents nécessaires pour se rendre aux États-Unis. Les relations personnelles ou renqing tissées entre les uns et les autres jouent alors un rôle fondamental. L'histoire du frère cadet de Mai Jieshi, Mai Danhuo, est à ce sujet révélatrice. En 1945, peu de temps après que Mai Jieshi eut ouvert boutique au bourg, l'un de ses oncles revient malade de l'Amérique du Nord. Rien ne parvient à le soulager de son mal jusqu'au jour où Mai Jieshi lui offre des vésicules de serpent, calmant ainsi ses douleurs. Ce dernier sait que son oncle possède un certificat de naissance portant le nom d'un fils fictif de l'une de ses connaissances émigrées. Mai Jieshi n'ignore pas que son oncle a quelqu'un d'autre en tête, Tongwen, un autre neveu. «Celafaisait déjàplusieursmoisqu'ilvenaitmevoiraumarchépourquejelesoigne, quand unjourje lui ai demandés'il aurait despapiers quifassent l'affaire. Il ma' réponduquejenedevaispasémigrer,quenotrefangavaitbesoindemoiaupayspour réglersesaffaires. Jelui aiexpliquéquecen'était paspourmoimaisquej'avaisdeux frèresplusjeunes.Quelquesjoursplustard,ilestrevenumedirequeleneveuauquelil nséétait davai emtepsefrères. . »tropâgéetnepouvaitpasfairel'affaire, alorsonpouvaitessayerl'un Ceux qui bénéficient de l'aide d'autrui doivent manifester leur reconnaissance de la dette établie et proposer, le moment venu, un service à la mesure de leurs moyens, même s'il s'agit tout simplement de prononcer les louanges de leurs bienfaiteurs, augmentant ainsi la considération sociale de ces derniers. La dette toutefois n'est jamais éteinte car il reste toujours, une fois la dette matérielle remboursée, la dette morale éprouvée envers celui venu en aide pendant un moment difficile. L'étalonnage des biens échangés est d'ailleurs impossible du fait de leur nature variée, mais aussi du fait que leur valeur, liée aux relations sociales établies, possède un caractère subjectif. Bien des querelles villageoises s'enracinent ainsi dans les appréciations, parfois différentes, portées par les familles sur l'état de la dette existant entre elles, d'autant plus que l'aide répétée apportée par certaines familles place parfois leurs parents proches dans un état de subordination. 1. MaiJieshi,NewYork,octobre1988,C197.

«Nousétionspauvres,et nousavionssouventbesoindel'aide dematante. C'estgrâce àellequenouspouvionsmangerdelaviandelorsduNouvelAn.Pourlaremercier,ma mèreet magrand-mèreselevaienttrès tôt cejour-là pouraidermatante, quilestraitaient commedesservantes. Nousrestions touslescinq àla maisonjusqu'à l'heuredu dîneretlà onnousdonnait unbolquenousmangionssurlepasdela porte.»' Les liens individuels les plus étroits, qu'ils reposent sur la coopération ou la compétition, sont ainsi établis au sein du segment lignager. C'est également à ce niveau qu'existent les plus grandes rancœurs, qui s'exprimeront souvent au grand jour durant la Réforme agraire. Mais l'appartenance d'une famille à un fang lui permet avant tout de jouir de la protection des autres foyers du groupe vis-à-vis de l'extérieur, d'où viennent les plus grands dangers et incertitudes. Cette protection, bien sûr, est d'autant plus grande que le groupe est puissant ou uni, même si la fréquence et l'intensité de la mobilisation du groupe dépendent de l'interprétation donnée par les uns et les autres à la nature du conflit et, par conséquent, de l'état des relations locales. Ainsi, à partir de la fin des années trente, des querelles éclatent parfois, à Ping'an, entre des membres de Renshi et des membres de Renzhang, qui ne portent pas à conséquence. Chacun, de part et d'autre, s'accordent pour considérer que le litige est limité aux deux foyers en présence et qu'il n'engage pas le groupe, vu les relations sociales, plutôt harmonieuses, qui lient alors les fils de Renshi à ceux de Renzhang. Par contre, les incidents sont nombreux à Ping'an pendant les décennies antérieures, alors que la tension règne entre les segments lignagers locaux. Vers 1936, par exemple, le groupe chargé de la sécurité villageoise est entièrement composé de membres de Renshi. «Unjour, l'un desnôtres, appeléDanchaoaétésurprisentrain devolerdestarosdans unchamp.Les (paysanschargésdeveilleraumaintiendel'ordre) l'ont ligotéet ilss'apprêtaient àenfairetout undramequandonestvenumeprévenir. Jesuisalléles voir aussitôt et commej'avais unpeu d'argent par mamère,je leur ai dit : "Je paye tout desuiteledédommagementnécessaire. Vouspouvezlerelâcher". Cequ'ils ontété obligés defaire. Maisj'avais compris oùils voulaient envenir: arrêter l'un des nôtres pournousfaireperdrelaface.Alorsj'ai dit auxjeunesdenotrefang: "Il fautnoustenir surnosgardes.Ils appartiennenttousau Renshietvontchercherànousavoir".» C'est donc tout le fang que l'individu engage par ses actes, surtout lorsque la tension règne entre les groupes de parenté locaux ; et c'est l'ensemble du fang qui doit se mobiliser pour protéger les 1. ChenFuhuan,NewYork,avril 1992,ZZ1525. 2. MaiRiwen,HongKong,octobre 1986,H557.

familles qui le composent en cas d'attaque contre l'un de ses membres. Notons cependant ici que toutes les familles dufang ne bénéficient pas en toutes circonstances de la même protection, malgré le principe de l'égalité de traitement au sein du groupe. Certains foyers, notamment ceux composés de femmes uniquement ou ceux dont le chef de famille est peu estimé, ne jouissent que d 'une protection relative et sont parfois proches de l'exclusion. Opposition tranchée entre les membres du groupe et ceux qui lui sont étrangers, principe d'appartenance au groupe à travers la reconnaissance d'un ancêtre commun, imbrication étroite de l'intérêt du groupe et de celui des unités qui le composent, influence mutuelle de l'identité et du statut de chacun au sein du groupe : ces principes, présents au niveau du groupe domestique, imprègnent également ces groupes sociaux plus vastes que sont les segments lignagers de différents niveaux et les lignages. Malgré ces orientations communes qui guident leur fonctionnement, le groupe domestique n'est pas soumis à la volonté du fang et du lignage, comme l'individu l'est au groupe domestique. Les responsables du segment lignager ne peuvent intervenir dans les conflits familiaux à moins d'y être convié par le chef de famille Ils ne peuvent s'immiscer dans les affaires internes que sont le mariage, les divisions familiales ou la transmission du patrimoine sans avoir été sollicités. Les parents peuvent ainsi confier par exemple aux chefs dufang le soin de chapitrer leurs enfants sur tel ou tel aspect de leur comportement si leurs propres remontrances se révèlent vaines. Mais l'action de ces responsables n'est légitime que si elle répond à une demande des familles concernées, ou si elle s'attaque à un délit ou à un conflit menaçant l'intérêt de tous les foyers du groupe. Les responsables lignagers, qu'ils interviennent au niveau du segment lignager ou du lignage, sont tous appelés fuxiong ou «père-frères » Au niveau des fang inférieurs, on les appelle également parfois des dajiazhang ou «chefs de grandes familles ». Lorsqu'un segment 1. Commenousle verrons dans le chapitre consacré àl'étude dela notion deface, la définition decequi constitue les problèmesinternes d'une famile évolue aucoursdecette premièremoitiéduXXsiècle. L'adultère parexemple,considérécommeuneaffairepublique audébutdusiècle, est perçucommeuneaffaire privéeàpartir dudébutdesannéestrente. 2. Cesresponsableslignagersouvilageois portaientautrefoislenomdefulaoou«père et ancien». Nousnesavonspasexactement oùet quandl'appellationdefuxiongou«pèrefrère»aété adoptée. Néanmoins,cette dernière expressionestdéjàprésente dansunexemplaire de la généalogie des Maidatant de 1893. Pour une description plus détaillée de la nature dupouvoirdétenuparlesfuxiong,lire lechapitre quileurest consacré.

lignager interne à un village doit prendre une décision ou régler un conflit, les fuxiong de ce segment se réunissent au temple des ancêtres. Ces réunions, appelées shang citang ou «monter au temple », regroupent dans le cas du segment lignager Qichang deux trois fuxiong selon les périodes et une dizaine de paysans, parmi lesquels on compte des paysans comme Houdong, pauvres et peu estimés mais précieux par leur volonté, maintes fois éprouvée, d'appuyer le fang si nécessaire. Les principaux responsables des segments lignagers inférieurs forment l'instance dirigeante des segments intermédiaires. Ainsi les fuxiong de Qichang et Jihong se réunissent au temple Renzhang lorsque surgissent des problèmes que ces deux groupes ne peuvent résoudre de façon isolée, comme lorsqu'il s'agit par exemple de répondre par une action commune à une attaque, réelle ou potentielle, des descendants de Renshi. Les fuxiong des quatre groupes Qichang, Jihong, Xueshi et Renshi représentent à leur tour la direction des affaires villageoises, même si deux ou trois d'entre eux émergent souvent comme les principaux représentants villageois. Les affaires les plus bénignes, qui sont également les plus fréquentes, sont traitées par les groupes sociaux de base, alors que seules les plus délicates —celles notamment qui mettent en présence les Mai avec la société environnante —relèvent de la plus haute autorité du lignage : le comité des affaires lignagères. Celui-ci est dominé, entre 1911 et 1950, par des hommes issus d'un même segment lignager. A une exception près, la totalité des lettrés du lignage Mai sont issus de ce groupe, et cette réussite est rendue manifeste par les nombreuses pierres, dressées deux par deux autour de leur temple des ancêtres, et qui enserrent un haut tronc d'arbre, symbole de la présence d'un lettré. Et lorsque le tronc vient à s'effondrer, seules les pierres demeurent, preuves durables de la réussite du segment lignager. Tous les membres de ce fang habitent dans le même quartier de Zhuhu, séparé du village par un mur d'enceinte, permettant à ses habitants d'affirmer leur différence et leur puissance. Lesfuxiong, on l'a dit, peuvent intervenir pour punir l'acte d'un membre du groupe, contraire aux intérêts de l'ensemble des familles. Au début des années quarante par exemple, Mai Jieshi détruit la petite fumerie d'opium ouverte par l'un des descendants de Qichang. Subao est le propriétaire en titre de cette fumerie et il appartient au segment lignager Renshi. Mai Jieshi, qui intervient alors comme responsable villageois mais qui est membre de

Qichang, ne peut imposer la fermeture de cette fumerie. Avoir recours à la force pour régler ce conflit risque fort de générer une lutte intralignagère. «Je suisallévoirSubaoàplusieursreprises,pourluiconseilerdefermersaboutique, maisilfaisaitlasourdeoreile. Unjour,ilma' lancé:"Detoutefaçon,jenesuispasle seulpropriétairedecette boutique. J'ai unassociéet c'est Rishu,detonfang.""Cela changetoutalors.Sij'ai affaireàunbiendemonfang..",luiai-jerépondu.Jesuisallé chercherdesoutilssur-le-champetj'ai détruitsabaraque.Subaonemel'ajamaispardonnéetil atoutfait pourmenuirelorsdelaRéformeagraire.. » Si les responsables du fang ne peuvent intervenir dans les affaires privées d'une famille sans y être sollicités, ils détiennent par contre tout pouvoir de décision lorsque l'intérêt du segment lignager, interprété comme l'intérêt commun à toutes les familles du segment, est en jeu. Leur autorité en ce cas n'a pas de limites, comme le révèle l'exemple ci-dessus. Les sanctions infligées au membre du groupe poursuivent néanmoins plusieurs objectifs : protéger les intérêts immédiats du groupe, mis en danger par l'acte d'un individu, mais également forcer la coopération future de ce dernier et empêcher qu'il ne soit sanctionné par une instance plus haute, ces deux derniers éléments étant conformes aux intérêts du groupe à long terme. Le segment lignager, c'est en effet le niveau supérieur où un individu peut être «rééduqué »s'il commet un délit, alors que toute sanction décidée par une plus haute instance vise surtout à le punir. Dans la mesure où le segment lignager est considéré de façon collective comme responsable des actes de ses membres, cette entreprise de rééducation, en s'efforçant de favoriser une plus grande coopération de ses membres déviants avec le groupe, a avant tout pour objectif de favoriser la survie du groupe. Au début de l'année 1949, par exemple, Sima du fang Qichang est convoqué au temple des ancêtres. Cela fait déjà plusieurs années que la conduite de cejeune membre laisse à désirer : il aime les jeux d'argent et vole les effets de sa mère pour rembourser ses dettes. Jeune marié et désormais considéré comme un adulte, il ne s'est pas assagi et a même levé la main contre sa mère. Cet incident est rapporté à Mai Leguan qui juge impossible de continuer à fermer les yeux: l'exemple est trop néfaste pour les autres membres du segment lignager. Il faut mobiliser la «grande famille », soit lefang, pour rééduquer Sima, comme 1. MaiJieshi, NewYork,avril 1985,D223.

l'a d'ailleurs demandé sa propre mère. Après avoir écouté les remontrances de Mai Leguan au temple, Sima se voit infliger un certain nombre de coups. «L'éducation familiale » est une méthode préventive et s'efforce d'éviter que des délits plus graves soient commis dans le futur. Il s'agit d'une affaire entre un groupe et l'un de ses membres, alors que le châtiment infligé par les instances supérieures oppose une victime à un coupable, et fait perdre la face à l'ensemble du segment lignager. Ce devoir de rééducation joue un rôle d'autant plus important à Taishan que bien des femmes élèvent seules leurs enfants, les fuxiong étant amenés à remplacer les pères partis à l'étranger. Les responsables du segment lignager possèdent même droit de vie ou de mort sur les membres du fang et peuvent exécuter l'un des leurs à condition que leur décision soit prise à l'unanimité, et qu'elle soit justifiée, encore une fois, par l'intérêt de l'ensemble des familles. C'est ainsi qu'un paysan doit à Mai Riwen d'avoir eu la vie sauve, celui-ci considérant plus important pour la sécurité du fang de le conserver que de s'en séparer. Danchao jouit à Ping'an d'une renommée peu flatteuse. Il commet de nombreux larcins et entretient des relations d'adultère avec plusieurs femmes. Au tout début des années quarante, il provoque la colère des hommes de Renshi en détruisant un étal couvert leur appartenant. Les responsables de Renshi exhortent alors leurs homologues de Renzhang à châtier Danchao. «Vous avez beau être puissants, vous autres de Renzhang, vous ne pouvez pas laisser l'un des vôtres agir de la sorte. Comment Ping'an pourrait-il connaître la paix avec un pareil individu ?» Certains fuxiong du segment lignager Qichang proposent d'exécuter Danchao. La plupart des fuxiong sont d'accord, même Mai Jieshi, pourtant un proche parent. Danchao est à l'origine de nombreux incidents au sein dufang et, qui plus est, il a volé quelque temps auparavant l'un des porcs de Mai Jieshi. Ce dernier reste donc muet. Seul un responsable du fang, médecin au bourg, refuse d'apposer sa signature, indiquant qu'il se rangera à l'avis de Mai Riwen. Celui-ci est invité à prendre la parole. «Danchao est certainement mauvais. Il sème le désordre dans le village, mais il n'a peur de rien, et un tel homme peut être utile au fang en cas de problèmes avec d'autres. Puis Mai Riwen se tourne vers la femme 1. Mai Riwen, Hong Kong, octobre 1986, H 555.

de l'accusé, ses d e u x e n f a n t s et sa t a n t e la p l u s p r o c h e , qui se tienn e n t sur le seuil d u t e m p l e des a n c ê t r e s p o u r c o n n a î t r e le sort r é s e r v é à D a n c h a o . Il d e m a n d e a u x a u t r e s f u x i o n g de les r e g a r d e r : « En plus, si on tue Danchao, on va faire une veuve et deux orphelins. Qui peut les nourrir ? Toi, Cheveux blancs (surnom donné à la tante de Danchao), peux-tu prendre cette famille en charge ? » « Certainement pas, je parviens tout juste à me nourrir. » « Alors moi, je vous le dis », poursuit Mai Riwen, « Danchao mérite vraiment de mourir, mais je ne signerai que lorsque le fang aura réglé le problème de sa famille. Sinon on aura tué non pas une, mais quatre personnes. Par contre, si jamais on devait décider aujourd'hui de te garder en vie, je te préviens Danchao, c'est parce qu'on me donne de la face. Alors, il faut que tu m'en donnes aussi. Encore un seul problème et je t'exécute moi-même après t'avoir demandé de creuser ta tombe... » E n a r g u a n t de l ' u t i l i t é p o u r le s e g m e n t l i g n a g e r d ' a v o i r quelq u e s h o m m e s c o m m e D a n c h a o , m a l g r é les t r o u b l e s créés p a r l e u r p r é s e n c e et en i n s i s t a n t , a u p r è s des a u t r e s f u x i o n g , sur les conséq u e n c e s n é f a s t e s q u ' a u r a i e n t sur t o u t e u n e famille et d o n c sur le f a n g , r e s p o n s a b l e de c e t t e famille, la c o n d a m n a t i o n de D a n c h a o , Mai R i w e n s a u v a i t ce d e r n i e r d ' u n e m o r t c e r t a i n e A u n o m de l ' i n t é r ê t c o m m u n à l ' e n s e m b l e des familles, les resp o n s a b l e s d u f a n g s o n t d o n c a u t o r i s é s à p r e n d r e t o u t e s les décisions qu'ils j u g e n t nécessaires, la seule c o n t r a i n t e q u i l e u r est i m p o s é e é t a n t q u ' a u c u n d ' e n t r e e u x ne soulève d ' o b j e c t i o n s . Ce p r i n c i p e n ' e x c l u t p a s que, sous p r é t e x t e de défense de l ' i n t é r ê t c o m m u n , cert a i n s a g i s s e n t en fait p o u r des m o t i f s plus privés et se v e n g e n t d'aff r o n t s passés. De m ê m e , l ' é v a l u a t i o n d u d a n g e r r e p r é s e n t é p a r le c o m p o r t e m e n t d'un membre du f a n g pour l'ensemble du groupe v a r i e e n f o n c t i o n de la c o n s i d é r a t i o n d o n t il j o u i t . E n f i n , si la présence d ' u n t e m p l e , c e n t r e de décision, lieu de r e n c o n t r e et d ' a c c o m p l i s s e m e n t de c é r é m o n i e s religieuses collectives, o r g a n e de distribut i o n de c e r t a i n e s ressources collectives, a u g m e n t e la c a p a c i t é des familles p a y s a n n e s à agir e n s e m b l e , c e t t e présence ne signifie nullem e n t , v u l ' i m p o r t a n c e d u n i v e a u familial, q u e conflits et t e n s i o n s d i s p a r a i s s e n t a u sein d u f a n g . Des i n t é r ê t s p a r t i c u l i e r s s ' y affront e n t de f a ç o n q u o t i d i e n n e , on l'a v u , et c r é e n t des litiges q u e les resp o n s a b l e s d u s e g m e n t l i g n a g e r o n t p o u r t â c h e d ' a p a i s e r lorsqu'ils 1. Mai Riwen, Hong Kong, octobre 1986, H 556. 2. Cette mésaventure et la perte de face irréparable qu'elle devait entraînée pour Danchao ont eu de profondes répercussions sur Ping'an au début des années cinquante. Menacé d'exécution par son segment lignager et donc pratiquement exclu de ce groupe social fondamental qui ne le défendait plus que mollement, Danchao s'est montré l'un des principaux activistes pendant la Réforme agraire assumant même, pendant un court laps de temps, les fonctions de chef de l'Association de paysans pauvres du village...

a t t e i g n e n t u n e a m p l e u r telle qu'ils n u i s e n t à l ' i m a g e d u g r o u p e à l ' e x t é r i e u r c o m m e à ses c a p a c i t é s d ' a c t i o n c o m m u n e . L o r s q u e le s e g m e n t l i g n a g e r i n f é r i e u r se révèle i m p u i s s a n t à régler u n p r o b l è m e i n t e r n e o u l o r s q u ' u n conflit éclate e n t r e d e u x s e g m e n t s lignagers de base, les a u t o r i t é s des s e g m e n t s lignagers i n t e r m é d i a i r e s d o i v e n t i n t e r v e n i r . Si l e u r a c t i o n est v a i n e , le litige est p o r t é d e v a n t les r e s p o n s a b l e s de l ' e n s e m b l e d u lignage. L ' a d o p t i o n d u p r i n c i p e de d e s c e n d a n c e p a t r i l i n é a i r e c o m m e p r i n c i p e organ i s a t e u r de la société i n s t a u r e en effet e n t r e les différentes u n i t é s distinguées, s e g m e n t s lignagers ou lignage, u n e h i é r a r c h i e très précise : les u n i t é s d o n t l ' a n c ê t r e f o n d a t e u r est le plus élevé d a n s la hiérarchie, celles q u i v i e n n e n t e n p r e m i e r d a n s l ' o r d r e des g é n é r a t i o n s , s o n t é g a l e m e n t celles qui d é t i e n n e n t la plus g r a n d e a u t o r i t é . E n d ' a u t r e s t e r m e s , le s e g m e n t l i g n a g e r inférieur Q i c h a n g p a r e x e m p l e se t r o u v e d a n s u n e p o s i t i o n de s u b o r d i n a t i o n p a r r a p p o r t a u segm e n t l i g n a g e r R e n z h a n g . Il en v a de m ê m e de ce d e r n i e r p a r r a p p o r t a u f a n g Sui A n , et de Sui A n p a r r a p p o r t a u lignage Mai de Z h u h u . Si u n p r o b l è m e s u r g i t a u sein d u f a n g Q i c h a n g , l ' e n s e m b l e d u lignage, p a r l ' i n t e r m é d i a i r e de ses d i r i g e a n t s , ne p o u r r a réagir q u e si les r e s p o n s a b l e s des u n i t é s inférieures, en l ' o c c u r r e n c e R e n z h a n g et Sui An, f o n t p r e u v e de leur i n c a p a c i t é , ou de leur m a u vaise v o l o n t é , à m e t t r e u n t e r m e a u p r o b l è m e posé. Ces r a p p o r t s hiérarchisés e n t r e les différentes u n i t é s lignagères s ' e x p r i m e n t a v a n t t o u t p a r les r e l a t i o n s établies e n t r e leurs i n s t a n c e s dirigeantes. E n f i n , la m o b i l i s a t i o n se fait t o u j o u r s e n t r e g r o u p e s de n i v e a u x voisins : ainsi, c'est J i h o n g qui se mobilise en cas d ' a t t a q u e p a r u n m e m b r e de Q i c h a n g c o n t r e u n m e m b r e de J i h o n g , m a i s c'est R e n z h a n g qui d o i t se m o b i l i s e r si la m e n a c e v i e n t d ' u n m e m b r e de Renshi. D e u x principes i n t e r v i e n n e n t en effet p o u r asseoir la place d ' u n f a n g . Le p r e m i e r d é j à é v o q u é ci-dessus, que l'on p o u r r a i t qualifier de vertical, est lié à la p r o f o n d e u r h i s t o r i q u e d u g r o u p e , c ' e s t - à - d i r e à la place occupée p a r l ' a n c ê t r e f o n d a t e u r d a n s la p y r a m i d e des g é n é r a t i o n s , place q u i i n d i q u e les liens de s u b o r d i n a t i o n o u de supériorité e n t r e t e n u s , sur le p l a n de l ' a u t o r i t é , avec les a u t r e s g r o u p e s c o n s t i t u é s , s e g m e n t s lignagers ou lignages. Ces g r o u p e s s o n t alors c o m p o s é s de l ' e n s e m b l e des d e s c e n d a n t s , d é f u n t s ou v i v a n t s , d ' u n m ê m e ancêtre. Le second principe, q u e l'on p o u r r a i t qualifier d ' h o r i z o n t a l ou de t e m p o r e l , m e s u r e l'influence d ' u n g r o u p e a u x ressources possédées p a r l ' e n s e m b l e des p a y s a n s , v i v a n t s , d e s c e n d a n t s

d ' u n m ê m e a n c ê t r e . Ces ressources s o n t de d e u x t y p e s : les premières, q u a n t i f i a b l e s , o n t t r a i t a v a n t t o u t à la taille n u m é r i q u e de ce g r o u p e , à l ' a m p l e u r des m o y e n s de défense, à la richesse collect i v e o u i n d i v i d u e l l e de ses m e m b r e s , à la r e n o m m é e de ces derniers o u à l e u r r é u s s i t e a u x e x a m e n s i m p é r i a u x . P o s s é d é e s en a b o n d a n c e , elles i l l u s t r e n t u n e réussite, considérée en p a r t i e c o m m e le r é s u l t a t de c o m p o r t e m e n t s c o n f o r m e s à la m o r a l e . L ' a u t r e source est d ' o r d r e p l u s t a c t i q u e : il s ' a g i t d u degré de c o h é s i o n d u groupe. T o u t r e s p o n s a b l e d ' u n s e g m e n t l i g n a g e r ou d ' u n lignage intègre, d a n s l ' é l a b o r a t i o n des s t r a t é g i e s à a d o p t e r face a u x a u t r e s groupes, ce d e r n i e r f a c t e u r . L a solidarité i n t e r n e a p p a r a î t s o u v e n t d ' a u t a n t p l u s élevée e n effet q u e le g r o u p e est de c r é a t i o n récente, ou q u ' i l v i t d a n s u n e n v i r o n n e m e n t hostile (les d e u x é t a n t s o u v e n t liés), o u e n c o r e q u ' i l n ' e x i s t e p a s e n t r e ses m e m b r e s de t r o p g r a n d e s disparités de f o r t u n e . Car plus la r é u s s i t e d ' u n i n d i v i d u est i m p o r t a n t e , m o i n s son i d e n t i t é est liée à celle d u g r o u p e , et m o i n s il a besoin de la p r é s e n c e de ses pairs p o u r s u r v i v r e . C'est sans d o u t e ce q u i e x p l i q u e les c o m p o r t e m e n t s d é v i a n t s q u e l ' o n r e n c o n t r e d a n s les f a n g et les lignages où c e r t a i n e s familles, p o s s é d a n t la m a j o r i t é des biens et des terres, p e u v e n t c o n f o n d r e l ' i n t é r ê t d u g r o u p e avec leur p r o p r e i n t é r ê t . Les r e l a t i o n s a u sein de ces g r o u p e s r e f l è t e n t alors la s i m p l e d o m i n a t i o n des p l u s forts sur les plus f a i b l e s Il ne s ' a g i t p l u s d ' i n t e r d é p e n d a n c e , aussi c o m p l e x e et p a r f o i s déséquilibrée soit-elle, m a i s de d é p e n d a n c e des u n s p a r r a p p o r t a u x a u t r e s . L a r e c o n n a i s s a n c e de ce s e c o n d p r i n c i p e de p u i s s a n c e i n t e r d i t la mise en é q u i v a l e n c e des s e g m e n t s lignagers a u sein d u lignage et s u r t o u t des villages. C o m m e n t , p a r e x e m p l e , p l a c e r sur u n pied d ' é g a l i t é Sui A n et Sui Wei, en cas de conflit e n t r e ces d e u x g r o u p e s ? C o m m e n t ne p a s t e n i r c o m p t e , e n e s s a y a n t de m e t t r e u n t e r m e à u n e querelle e n t r e Q i c h a n g et X u e s h i , d u poids différent de ces d e u x u n i t é s d a n s les affaires de P i n g ' a n , sans r e m e t t r e en cause l ' o r d r e e x i s t a n t et créer des d é s o r d r e s l o c a u x ? Ce p r i n c i p e qui r e p o s e s u r la possession de biens valorisés et q u a n t i f i a b l e s p a r m i lesquels la p r é s e n c e de d i r i g e a n t s habiles et considérés j o u e u n rôle i m p o r t a n t , exerce u n e influence p a r t i c u l i è r e m e n t d é t e r m i n a n t e sur les r a p p o r t s e n t r e les f a n g q u i se d i s p u t e n t les ressources économiq u e s et sociales a u sein d ' u n m ê m e village. A u n i v e a u villageois, le 1. Cf. par exemple l'article publié par J. L. Watson, Hereditary Tenancy and Corporate Landlordism in Traditional China, Modern Asian Studies, XX, 2, 1977. 161-182.

f a c t e u r que n o u s a v o n s a p p e l é t e m p o r e l l ' e m p o r t e e n effet sur le f a c t e u r h i s t o r i q u e . A P i n g ' a n , p a r e x e m p l e , les d e s c e n d a n t s de R e n shi q u i ne r e l è v e n t p a s d u f a n g X u e s h i t i e n n e n t le h a u t d u p a v é , a u d é b u t d u siècle. Ce sera e n s u i t e a u t o u r de Q i c h a n g de décider des affaires c o n c e r n a n t l ' e n s e m b l e de R e n z h a n g c o m m e le village. L a nécessité de coopérer p o u r q u e c e r t a i n e s a c t i v i t é s c o m m u n e s puissent être réalisées, c o n f r o n t é e à la v o l o n t é m a n i f e s t é e p a r les u n s et les a u t r e s de d é f e n d r e la p u i s s a n c e de l e u r f a n g , e n t r e t i e n t ainsi les tensions sociales a u sein des u n i t é s villageoises, les f u x i o n g é t a n t dans la p l u p a r t des cas à la fois j u g e et p a r t i .

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Le village de Ping'an et les siens

Le mot gongzhong, parfois traduit en français par « public », signifie plutôt communautaire, par opposition à siren qui signifie «privé » ou «particulier ». Ceterme est souvent utilisé par les paysans qui évoquent les gongzhong shiye ou les affaires communes, ou encore le gongzhong liyi, soit l'intérêt commun Les activités ou les groupes ainsi désignés varient néanmoins selon le niveau auquel on se place. Le segment lignager, le village, le lignage ou la localité par exemple peuvent être considérés comme l'espace des affaires communes, les unités inférieures, quelles qu'elles soient, étant alors le lieu des affaires privées. Autrement dit, le lien entre privé et commun, dans les pratiques quotidiennes, reflète plutôt le rapport existant entre un tout et les différentes parties qui le composent, quel que soit le niveau auquel l'on se place Si l'on se place au niveau de Ping'an par exemple, la distinction entre les problèmes résolus par les temples des ancêtres et ceux résolus par le village est ainsi très nette. Les premiers sont privés alors que les seconds sont communs. 1. Pourunediscussiondestermeschinoisévoquantlacollectivité,lacommunautéoula publicité,lirel'articledeM.B.RankinintituléTheOriginsofaChinesePublicSphere.Local Elites 13-60.and CommunityAffairs in the Late Imperial Period, Etudes chinoises, IX, 2, 1990, 2. IrèneThérydistinguetrois définitionsmodernesduprivé. Leprivécomme«lieude lalibertédeconsciencedusujet»,soitunedéfinitionpolitique;leprivé«commeaffirmation del'unicitédechacunetdelasingularitéfondamentaledesonêtreaumonde»;et enfinune troisièmedéfinition quiancrele privé «danslavie domestiqueet familiale, par opposition avecla sphèredela citoyenneté». C'est biensûr cette dernière définition quidomineici, à conditiontoutefoisdesupprimerladeuxièmepartiedelaproposition,soitl'oppositionavec unesphèreditepublique(IrèneThéry,Vieprivéeetmondecommun,Réflexionssurl'enlisementgestionnairedudroit, LeDébat,85,mai-août1995,137-154).

L'utilisation du même terme gongzhong pour définir des unités sociales différentes selon la situation explique sans doute l'accent mis par les paysans, lorsqu'ils évoquent différentes dispositions ou pratiques locales, sur le groupe auxquelles elles s'adressent plutôt que sur leur fonction spécialisée. D'autre part, cet emploi particulier du mot gongzhong révèle que l'appartenance de la famille à la société se fait par le biais d'intégrations successives à des groupes de plus en plus larges, au sein desquels des unités représentant auparavant l'espace commun sont tout à coup définies comme privées. Les affaires privées sont subordonnées aux affaires communes. Si l'affrontement entre des intérêts privés est fréquent au sein des diverses communautés, toute justification qui ne considère que des intérêts particuliers ou privés au détriment de ceux de la communauté est jugée illégitime. Mais les affaires privées fondent également les affaires communes, les deux espaces étant non seulement liés mais interdépendants, et l'organisation sociale d'un village varie ainsi largement que ce dernier soit constitué d'un seul ou de plusieurs segments lignagers, ou encore qu'il abrite tous les membres d'un même lignage ou ceux de lignages différents. La tension existant entre domaine privé et domaine commun est alors fort différente selon les cas. Au sein des villages du lignage Mai, le segment lignager, chargé à la fois de favoriser la coordination des activités villageoises et de défendre les intérêts des familles qui le composent, joue un rôle fondamental. Prétendre que l'on est entré par mégarde dans un village est impossible tant les limites territoriales de l'espace habité sont affichées avec force. Rien n'est fait pour inviter l'étranger de passage à pénétrer ; tout exprime la crainte des dangers venus de l'extérieur. L'unité résidentielle que dessine Ping'an, comme chacun des villages alentours, s'exprime d'abord de façon défensive par la palissade de roseaux qui enserre les habitations et ne s'ouvre que sur les deux portes d'accès au village : la principale, celle du nord, protégée par une stèle représentant le gardien de la porte, et celle du sud, près de laquelle les hommes se rencontrent et bavardent sous les branches d'un grand banian. Pour celui qui a pu franchir l'enceinte villageoise, l'existence de règles auxquelles doivent se plier tous les habitants du fait de leur communauté de résidence se dévoile d'emblée. Les maisons épousent en effet la même architecture sans qu 'il

soit possible de distinguer aussitôt la réussite matérielle de leur propriétaire ou son appartenance à un segment lignager particulier La première rangée de maisons borde un large étang artificiel, le seul étang de Ping'an. Au nombre d'une centaine, les habitations en briques grises se dressent les unes contre les autres le long de treize étroites ruelles, leurs toits s'élevant successivement de plus en plus haut dans le ciel Afin que tous profitent des influences positives de cette localité, les maisons de la seconde rangée sont en effet un peu plus élevées que celles de la première et ainsi de suite. De loin, un immense toit paraît surplomber l'ensemble du village, dont l'uniformité n'est rompue que par les constructions massives des temples des ancêtres et celles des trois tours de garde qui permettent de surveiller les abords de Ping'an. L'ancrage territorial est revendiqué également par la présence de dieux villageois, protecteurs de cette unité résidentielle et devant lesquels tous les foyers sont égaux: outre le gardien de la porte (menkou jiangjun), on trouve en effet à Ping'an un autel du sheji pusa ou dieu du village, du jing shen ou dieu du puits, et de longmu pusa, la divinité de l'eau Ceux-ci viennent s'ajouter à certains éléments naturels tels que des arbres abritant également une divinité, mais aussi aux divinités domestiques qui protègent le foyer, et enfin aux ancêtres de la famille ou des groupes de parenté élargis, contribuant à placer les faits et gestes des paysans sous les regards, partout présents, de nombreux êtres possédant des qualités et des pouvoirs différents, mais tous susceptibles de favoriser le déroulement de la vie quotidienne. Enfin, l'appartenance de tous au même espace économique et social et la dépendance mutuelle qui en découle sont également inscrits dans le système d'irrigation qui relie presque tous les champs irrigués de Ping'an, quel que soit leur emplacement ou leur propriétaire. Ce village exhibe ainsi tous les signes d'une entité géographique distincte, d'un territoire qui oblige ceux qui le partagent à un cer1. Unœil exercé peut néanmoins repérer des différences dans les matériaux utilisés pourconstruire les maisons. Cesdernières sont pourla plupart enbriques grises, maiscertaines possèdent des mursenterre recouverts àl'extérieur d'une couchedebriques grises. D'qautres ulemeenntleterre. smurslesplusvisibles,ceuxnotammentquibordentlesruelles,en bri ues,etontlesseautres 2. Treizehabitationssesuccèdentlelongdelaruellelapluslongue,maisdespetits terrainsvaguesoudesjardinss'étendentparfoisentre deuxmaisons. 3. Ledieu dela porte regardevers l'extérieur dePing'an, alors queledieuduvilage est orientéversl'étang. Lastèle deladivinité del'eauest placéeprèsdupuits.

tain degré de coopération et au respect de règles communes. Cette affirmation du principe de la localité dans un univers social où les liens de parenté jouent un rôle fondamental dessine à Ping'an une carte où se côtoient et parfois se chevauchent des espaces qualifiés de privés (ceux liés aux familles ou aux segments lignagers) et des espaces dits communs. Cette distinction domine l'organisation sociale et le fonctionnement villageois. Deux types d'activités relèvent de la sphère des affaires communes et sont gérées, en d'autres termes, au niveau du village : celles qui réclament de façon obligatoire la coopération detous les foyers de Ping'an —comme par exemple la réfection des routes et des ponts, le culte des dieux villageois et locaux, l'irrigation ou le maintien de la sécurité locale —,et celles dont l'accomplissement est simplement favorisé par le regroupement de tous comme l'enseignement scolaire. Lorsque l'une de ces activités du domaine public concerne, au même titre, l'intérêt privé de chacune des familles de Ping'an, c'est-à-dire lorsque le bien commun est aisément identifiable, la collaboration de tous est aisée. L'usage du mot foyer ou maisonnée est alors de mise pour montrer que tous sont placés sur un pied d'égalité, indépendamment des liens de parenté privilégiés qui peuvent exister entre les uns et les autres Par contre, des litiges surgissent lorsqu'il s'agit de distribuer un bien public ou de procéder à une division du travail donnant à certains hommes pouvoir sur d'autres. Les segments lignagers, s'ils coordonnent les activités des uns et des autres, interviennent également comme de véritables groupes de pression pour défendre les intérêts des familles qui les composent, surtout lorsque les relations établies entre eux sont tendues. Les événements fortement liés à la notion de territorialité relèvent par excellence des affaires communes villageoises. La réfection des routes en est sans doute l'exemple le plus banal. «Lesroutes,c'est levilagequis'enoccupe.Celan'a rienàvoiraveclessegmentslignagers. Un ouunhommechargé dela sécurité peut décider qu'il faut restaurer telleoutelleroute. Il estapprouvéparcertains. Alorsoncolleunavisdanslevilageou bienonvaentoucherunmotàchaquefoyer. Engénéral,chaquemaisondoit envoyer unepersonneparticiperauxtravaux. Sionabesoind'argent pourréparerunpont, on demandeunecontribution fixeàchaquefoyer. Parfois, quelquesfamilesriches proposentdesechargerdetouteslesdépensesnécessaires. Lestemplesdesancêtres nefinancentpascesactivitéscaril s'agit d'affaires dudomainepublic.» 1. MaiJieshi, NewYork,mai1985,E120. 2. MaiKejiu, HongKong,novembre1986,Z1513.

La participation de l'ensemble des maisonnées à ces travaux est obligatoire dans la mesure où routes et ponts sont empruntés par tous. De même poser les limites de l'espace villageois peu après la création de Ping'an, c'est-à-dire tracer son contour de façon à se protéger des dangers extérieurs et à bénéficier d'une bonne géomancie, engageait de façon identique, en cette fin du XIX siècle, l'intérêt de tous les foyers du village. Aussi ce processus est-il décrit comme une affaire commune par excellence. Une collecte à contribution fixe est organisée auprès de l'ensemble des maisonnées afin de réunir la somme nécessaire pour planter la palissade de roseaux L'étang, dont la forme est conçue de façon à accroître les influences positives qui protègent le village, est creusé grâce à la vente de 360 parts d'action aux villageois. Une fois déterminée la valeur d'une part, celles-ci sont vendues aux foyers désireux d'en acquérir. Une contribution de base est assignée à chacun, libre à ceux qui le souhaitent d'acheter des parts supplémentaires, certains recevant alors des parts en dédommagement des terres qu'ils ont cédé au village pour la construction de l'étang. Si chacun des foyers fait alors l'achat d'au moins une action afin de pouvoir bénéficier en toute liberté des avantages fournis par l'étang, nombreux sont les paysans qui achètent plusieurs parts Les biens ainsi créés appartiennent à leurs propriétaires, qu'il s'agisse de l'ensemble des foyers ou des porteurs de parts, et leur distribution est accomplie de façon indépendante des liens de parenté. Des disputes éclatent parfois, qui retombent vite quand chacun est décidé à protéger l'unité villageoise. Mais lorsqu'un problème surgit alors que le village est divisé, les intérêts particuliers des fang et donc ceux des familles qu'ils comprennent s'expriment aussitôt, comme le montre l'incident suivant qui survient pendant cette décennie troublée des années trente où la tension règne entre les fils de Renzhang et ceux de Renshi. L'étang offre de nombreux avantages à ceux qui en disposent. Il est régulièrement loué aux enchères à l'un des habitants du village et le produit de ces enchères est versé aux porteurs de parts. Asséché une fois par an, ses poissons sont distribués aux paysans en fonction du nombre de parts possédées. De plus, les foyers proprié1. MaiRiwen,HongKong,octobre 1986, H530. 2. L'unedesmaisonnéesdePing'anfait parexemplel'acquisitiondeseizeparts, cequi représentelechiffreleplusélevé,alors queZongxinprocèdeàl'achat dedouzeparts.

taires d'une part au moins peuvent alors prélever cette boue fertile, engrais très recherché, qui se trouve dans le fond de l'étang pour la répandre dans leurs champs. Mais, que faire de cette boue si l'on a beaucoup de parts et peu de terres ? Aussi le principe d'équité varie-t-il dans le cadre de la répartition de ce bien. La boue n'est pas distribuée en fonction du nombre de parts possédé : chaque famille emporte autant de terre que ses moyens physiques le lui permettent. Seuls le nombre et la force de ses membres décident de la quantité d'engrais transportée, principe accepté par tous. Au cours de l'année 1930 ou 1931, les quelques descendants de Qichang qui ont déménagé à Lanshi décident d'entourer également ce hameau d'une palissade de roseaux. L'étang de Ping'an vient justement d'être asséché. Ils embauchent plus d'une dizaine de paysans du district voisin de Yangjiang pour les aider à aller chercher de la boue à Ping'an. Mais dès que ces hommes, conduits par un habitant de Lanshi, arrivent au bord de l'étang, palanche à l'épaule, les membres du segment lignager Renshi s'interposent. Ils dénient aux paysans de Lanshi le droit d'emporter la boue de l'étang de leur village. Prévenu, l'un des membres de Qichang accourt, armé, et convoque sur-le-champ une réunion de tout le village. Il dénonce comme inéquitable le mode de distribution de la boue de l'étang et prône le retour au processus qui prévalait juste après la création de l'étang : la quantité de boue transportée par chaque famille doit dépendre du nombre de parts possédées. Or le fang Qichang possède 200 des 360 parts. Les familles pauvres en parts mais riches en main-d'œuvre refusent cette proposition. «Pourquoi changer ? Continuons comme par le passé !» Mai Riwen s'obstine, prend son fusil et se campe près de l'étang, promettant de tirer sur le premier qui ne respectera pas le nouvel ordre des choses. Très vite, cependant, les uns et les autres reviennent à la pratique antérieure. Si les villages de cette région ne possèdent pas de ressources collectives, terres ou commerces, certaines dépenses communes sont obligatoires. Celles qui sont consacrées aux dieux sont les plus élevées. Les dieux, qu'il s'agisse de ceux du village ou de ceux de la région plus vaste qui embrasse Ping'an, sont liés au principe de la territorialité et non à celui de la parenté. Aussi, de même que les habitants de Ping'an empruntent tous, au même titre, les voies d'accès au village, de même sont-ils tous égaux face aux dieux, protecteurs de la localité. Là encore, la définition du bien commun est

aisée. Les maisonnées assument la responsabilité de l'entretien des différents lieux qui abritent les divinités villageoises à tour de rôle, l'huile comme les bâtonnets d'encens étant fournis par l'ensemble de la communauté. Le Nouvel An est l'occasion d'activités religieuses plus importantes et donc de frais plus élevés. Ping'an appartient en effet à une entité religieuse et territoriale, élevée en 1931 au rang de canton sous le nom sibao xiang. Quatre lignages y coexistent, les Liu, les Li, les Deng et les Mai, dont le centre des affaires religieuses, un temple où l'on vénère deux divinités protectrices de la localité, Dawang yeye et Erwang yeye, est également celui des affaires politiques et sociales communes à ces quatre groupes Jusqu'à l'arrivée au pouvoir du Parti communiste, plusieurs dizaines de statuettes de différentes tailles et représentant ces dieux sont louées par le temple et transportées dans les villages lors des fêtes du Nouvel An, lesquelles imposent certaines dépenses pour être célébrées comme il se doit. Au cours de l'année, des fêtes religieuses rassemblent tous les habitants de Ping'an et offrent aux paysans l'occasion, peu fréquente, de se distraire : les divinités locales sont par exemple honorées au cours de fêtes permettant aux participants d'acquérir des mérites ; d'autres fêtes, destinées à remercier les dieux après la récolte, voient prêtres taoïstes et paysans s'affronter dans des joutes lyriques. Aussi existe-t-il un comité des affaires religieuses à Ping'an. A sa tête se trouve un homme chargé de gérer le fonds commun réuni grâce à une collecte réalisée auprès de l'ensemble des foyers de Ping'an. La contribution de chaque famille est déterminée par le nombre de ses membres. Le nom du responsable du comité permanent des affaires religieuses est tiré au sort, en présence du dieu, lors de chaque fête du Nouvel An. Si aucune compétence particulière ne lui est réclamée, il doit néanmoins s'acquitter de nombreuses tâches : organiser les collectes 1. Il s'agit, seloncertainspaysans,dudernierempereurdeladynastieSongetdeson frèrecadetquisesuicidèrentdanscetterégion.MaislesWangYe,selonK.Schipper,appelés ém gaielesm uresnrtocyaapuaxb,leserai esm épeisd.«ém s,qauinisapport pidétemeanistsloesntSéegiganleem sd'enentprléevsednéim rleosnshodm Aiecert endroient ts,lleesurécul s'est telement enraciné quo' n les vénère commeprotecteurs dela région et quo' n leur moannds,eSdeueil,fa1v9o71ris,e4r05la-42récol 9). te» (K. Schipper, Démonologiechinoise, Génies, anges et ddéem 2 . U n e t e l e fêt e n' e st c a' neuaprernètssluabcréat decevilage. Eneffet, deuxepdeensdtraoinstcoérlégbarnéeisaqu' teuàrstroi descreespcriésreésmàoP niiensgm itemioennt phabi euatapntrèssldaefêt e . C e l e c i est d è s l o r s c o n s i d é r é e c o m m e p e u b é n é f i q u e p o u r c e vi l a ge, etles tionsdeméritP esin»gra'énalisseéejosianudront vilagdeédsoerm Jianaigs,neanntant bei. quegroupevilageois, aux«célébra-

nécessaires auprès des habitants du village, acheter les différents objets utilisés pendant le culte, aller chercher les dieux au temple, accomplir les gestes d'offrande requis, partager les offrandes de porc rôti entre les foyers... Simple exécutant, comme bien d'autres, de tâches d'intérêt général, l'homme ainsi chargé des relations entre les dieux et les villageois ne détient aucun pouvoir social. Cette modeste fonction est néanmoins à l'origine, pour certains, de leur goût du travail pour la collectivité et de leur carrière comme responsable local. Le culte des divinités locales, dont l'organisation n'est ici esquissée que dans ses grands principes, est donc une affaire villageoise. Tous les foyers sont concernés, au même chef, et leur coopération est nécessaire. Les litiges sont néanmoins peu nombreux dans la mesure où le déroulement de ces activités religieuses concerne par définition les liens entre foyers et divinités, et n'implique pas de relations étroites et hiérarchisées entre les maisons. Aussi les principes d'équité sont-ils aisés à définir. Par contre l'irrigation est, comme dans bien d'autres régions, l'objet de nombreuses querelles entre les familles mais aussi, on le verra, entre les villages. Les conflits éclatent là oùs'arrête la responsabilité collective :si l'entretien duréseau d'irrigation est unetâche à laquelle tous sont attachés, chacun a sa propre théorie sur la façon dont l'eau doit se répandre dans son champs. Certains souhaitent qu'elle s'écoule lentement ; d'autres qu'elle irrigue les parcelles rapidement. Certains aiment qu'elle stationne un moment,d'autres pas. Leréseau d'irrigation de Ping'an n'est pas l'œuvre des Mai mais celle des Deng, les anciens habitants de cette localité, chassés peu à peu par les Mai qui ont racheté toutes leurs terres. Ceréseau, relié par un canal à un lac situé au pied des monts Xihe, reçoit de l'eau toute l'année. Après avoir alimenté également les champs de Lanshi et certains champs du lignage Wu de Guandou, l'eau continue son chemin vers d'autres villages appelés Liu ou Deng et change de nom, avant de se jeter dans une rivière. Unmême réseau unit ainsi la plupart des champs de Ping'an. Une fois par an est nommé un responsable de l'irrigation, choisi pour ses compétences. Celui-ci, secondé par une vingtaine de paysans, est chargé de l'entretien du réseau qu'il inspecte régulièrement, réparant les canaux endommagés. Plusieurs grandes parcelles regroupant des champs voisins de même niveau sont alimentées en eau à tour de rôle. Et c'est au responsable de l'irrigation que revient le soin de décider, en fonction

de l'état des cultures, de l'ordre d'irrigation de ces terres. En cas de dégâts plus considérables causés au système d'irrigation, les jeunes paysans dont l'aide lui est acquise sont appelés à la rescousse. Chaque foyer verse à l'équipe chargée de l'irrigation une quantité de grains qui varie selon la superficie de champs irrigués qu'elle possède La majeure partie de ces contributions est remise au chef de l'équipe. Si ce dernier est responsable de l'entretien du système d'irrigation, s'il a pour tâche de diriger les familles afin que les mêmes travaux soient accomplis de façon à peu près simultanée sur toutes les parcelles appartenant au même pan de terre, sa responsabilité s'arrête une fois l'eau parvenue, en temps voulu, sur ce pan. La façon dont l'eau circule entre les champs relève du seul choix des foyers. Des querelles éclatent alors inévitables entre les paysans, d'autant plus violentes que le succès des récoltes est en jeu et que toute atteinte à la propriété est également une atteinte à l'honneur. Pendant les années vingt et trente, les disputes sont presque quotidiennes entre les membresde Renshi et ceux de Renzhang. Certaines d'entre elles sont liées à l'irrigation. Elles entretiennent l'hostilité latente entre lesdeuxgroupes mais, trop fréquentes, elles nedonnent pas lieu à une mobilisation collective de part et d'autre et cessent après quedesinvectives oudescoupseurent été échangés. En cas de sécheresse, cependant, l'intérêt général reprend le dessus. «Ceux qui prennent la parole à Ping'an », c'est-à-dire les responsables villageois, décident alors que personne n'a le droit d'influencer le cours de l'eau : cette dernière est acheminée sans s'arrêter à travers les champs et elle est interrompue dès que le dernier lopin est irrigué. Peu importe alors que les champs situés à l'extrémité du réseau soient moins irrigués que les autres. Cette solution aurait été adoptée à deux reprises à Ping'an entre 1911 et 1949. Le maintien de la sécurité dans le village pose des problèmes encore plus complexes, et la présence desfang s'affiche ici de façon éclatante. Elle ne s'exprime plus de façon ponctuelle et déguisée mais influence ouvertement le choix commeles actions des hommes chargés d'assurer l'ordre, c'est-à-dire surtout d'arrêter les voleurs, qu'ils soient originaires de Ping'an ou d'ailleurs. Les vols et délits 1. Selonlespaysans,ils'agit, selonlesépoques,dequatreàcinqjin degrainsparmu.

commis par des membres du village mettent eneffet directement en cause les relations entre les foyers. Et, pour peu que le coupable appartienne à un autre fang que ceux qui l'ont arrêté ou que des tensions existent alors, l'incident sera en général considéré par tous comme un épisode de plus dans la lutte intralignagère. Hormis Lanshi, les membres d'un même segment lignager n'habitent pas le même quartier du village. Les fils de Renzhang et ceux de Renshi se sont mélangés au gré de leur arrivée à Ping'an, et une même ruelle voit souvent des relations de voisinage s'établir entre les membres des différents segments lignagers. Lemaintien de la sécurité dans le village ne peut donc être assuré sur la base des fang, et la notion de territorialité prévaut ici. L'équipe chargée d'assurer la sécurité dans le village compte une dizaine d'hommes, appelés gengful. Ces hommes étaient autrefois chargés de veiller à ce qu'aucun vol ne soit commis dans les champs pendant la nuit. Cette appellation de gengfu, qui signifie littéralement «veilleur de nuit», persiste jusqu'à la victoire communiste malgré les efforts déployés par certains pour baptiser ces hommes d'un nom plus prestigieux. Ces équipes de sécurité sont organisées à Conglou au niveau villageois et non pas lignager, même si une coopération entre les gengfu de l'ensemble du lignage Mai est possible. D'autre part, les Mai ne défendent que la sécurité des membres de leur propre village, et non pas celle de villages voisins. Cette situation est donc différente de celle qui prévaut à la même époque dans d'autres régions du sud-ouest de la Chine, où des lignages dits dominants maintiennent dans une situation de dépendance les habitants des villages voisins, obligés de louer massivement les terres des premiers pour survivre. Le pouvoir des gengfu, s'étendant sur l'ensemble des terres possédées, s'exerce alors également sur les activités d'autrui Enfin, à l'exception des villages constitués d'un seul segment lignager où les principes de parenté et de localité dessinent un même groupe, les activités des gengfu relèvent de la sphère des affaires communes villageoises. Si ces hommes jouissent d'une certaine liberté d'appréciation et de mouvement, ils ne peuvent être iqautein.lescinqveilesdelanuit,dedeuxheurescha. Lem cune,1allant deot1g9enhgesiugreni sfàie5vei heulere.sIlduindm 2 . P o u r u n e x e m p l e d e c e t y pe, lire l' dehinJ.aL .W tsoanseintitulé elhfedS efeecnosnedC outhC :T woaC Studies,ST Intoerpr-s. ViolenceandtheBachelorSub-cultureinaSrticle nationalConferenceonSinology,AcademiaSinica,1986,38p.

assimilés cependant à une organisation autonome de la direction villageoise. Le choix de ces paysans auxquels les familles confient leurs biens est délicat. Hommes de main, jeunes paysans attirés par la perspective d'une certaine forme de convivialité mais aussi de nombreuses bagarres, ces gengfu dont la présence joue un rôle avant tout dissuasif peuvent dans certains villages faire régner un véritable climat de terreur. Tel n'est pas le cas à Ping'an. Mais l'incertitude demeure souvent quant à la nature et à l'ampleur exactes des vols commis, et elle peut être mise à profit par ces policiers locaux qui chargent alors indûment ceux qui appartiennent aux autres segments lignagers lorsque l'hostilité règne. Le souci de limiter les abus des gengfu, lesquels attisent les conflits entre groupes de parenté, est présent tout au long de cette première moitié du XX siècle. Il explique les transformations successives des processus de choix de ces hommes, cultivateurs le jour, et gardiens des récoltes la nuit. La direction villageoise, qui forme une instance collective dominée cependant bien souvent par un segment lignager déterminé, nommait autrefois un chef de l'équipe chargée d'assurer la sécurité, lequel désignait alors plus d'une dizaine d'hommes pour le seconder. Invariablement, il effectuait son choix parmi les membres de son segment lignager et le seul moyen d'empêcher que cette force, en théorie au service de intérêt commun, ne défende avant tout des intérêts privés, était de la soumettre autant que possible au contrôle de la direction villageoise. Au début du siècle et sous l'influence des pratiques commerciales, ce procédé change. Désormais, les candidats au titre de policier en chef sont choisis aux enchères. Ils inscrivent sur un morceau de papier leur nom ainsi que le montant de la somme qu'ils acceptent de remettre au village pour l'achat de cette charge. Les papiers sont lus en public lors d'une réunion annuelle et celui qui a proposé la somme la plus élevée remporte la mise. Cette façon de faire est présentée comme plus équitable : le responsable villageois le plus influent ne peut placer l'un de ses parents. Elle permet d'autre part au village de gagner une somme d'argent qui vient enrichir la caisse du comité des affaires religieuses. Mais elle est impuissante à combattre la constitution d'une équipe composée des membres du même fang. Il faut attendre le début des années quarante pour qu'un processus entièrement nouveau fasse son apparition : l'élection, par l'ensemble des

foyers, des membres de l'équipe chargée de la sécurité, lesquels élisent ensuite leur chef. Cette réforme est proposée par Mai Jieshi qui, à l'instar d'autres jeunes fuxiong, a subi l'influence de la «nouvelle culture » diffusée dans les écoles villageoises pendant les années vingt et trente, laquelle prône entre autres le recours à des méthodes plus démocratiques. La réforme du mode de choix des gengfu n'est qu'un changement parmi ceux qui seront introduits au début de la guerre contre le Japon. «C'est moi qui ai pris cette décision. Gengwen était alors chef des gengfu et certains de ceux qui étaient sous ses ordres ont volé dans les champs du village. C'est une faute grave. Comment ?On vous confie nos champs et vous en profitez pour vous servir ?Il y avait des preuves des vols commis, et les fuxiong de Renshi n'ont pas pu prendre leur défense lors de la réunion des responsables villageois. Mais une fois l'ancienne équipe renvoyée, il fallait aussitôt en constituer une nouvelle. Un village ne peut pas rester un seul jour sans gengfu, ce serait commeun pays sans policiers. Alorsj'ai proposé des élections. C'était une véritable réforme. Mais sur le moment, personne n'a vraiment compris combien ce changement était important. Ona simplement pensé queje voulais memontrer équitable et prouver que je n'avais pas encouragé le renvoi de Gengwen et de son équipe pour mettre à leur place des gens de mon fang. Les fuxiong d'en face ont approuvé bien sûr, et les nôtres aussi, craignant qu'on les accuse sinon d'avoir uniquement à cœur les intérêts privés de notre segment lignager. Et c'est ainsi que la réforme est passée. » L'initiateur de cette réforme ne cache pas qu'il savait —le segment Qichang étant numériquement le plus important —que des élections permettraient tout de même à ses proches parents de jouer un rôle fondamental au sein de la nouvelle équipe. Cette décision illustre bien la justification jugée légitime des changements introduits : ceux-ci doivent s'ancrer dans une recherche de l'intérêt commun villageois sans porter atteinte aux intérêts privés du segment lignager auquel appartient celui qui se trouve à l'origine de la réforme. Les gengfu ont pour principale mission de garder les champs la nuit. Une petite maison construite à leur intention et qui abrite également les réunions de la direction villageoise les accueille dès la 1. Gengwen, dufang Renshi, appartient en fait à la mêmegénération que Mai Jieshi, et son profil est assez semblable. Lui aussi est imprégné de la "nouvelle culture" diffusée dans les écoles modernes. Professeur dans des écoles primaires de la région, il est le deuxième responsable d'une nouvelle entité administrative, le bao, instaurée en 1937 dans cette partie du Guangdong. Il dirige alors le bao qui regroupe les quatre villages de la branche Sui An. Mai Jieshi lui succédera à ce poste. Il meurt en 1985 à Ping'an, après avoir été élu membre du comité villageois, cunmin weiyuanhui, issu des premières élections véritablement libres qui se déroulent à Ping'an en 1984. 2. Mai Jieshi, New York, juin 1985, G471.

tombée de la nuit. Les veillées donnent souvent lieu à des repas animés au cours desquels alternent plaisanteries et anecdotes sur les habitants de Ping'an comme sur les membres des villages voisins. Célibataires pour la plupart, même si l'on compte également parmi eux des hommes mariés et des veufs, les gengfu ne jouissent pas d'une très haute estime auprès des villageois qui les redoutent, tout en estimant leur présence nécessaire. Outre la surveillance des champs et des maisons, ces hommes exécutent les ordres donnés par les chefs villageois qui font appel à eux par exemple pour amener un membre du village soupçonné d'avoir commis un délit. Ils doivent aussi défendre le village contre les attaques de bandits. Mais leur réputation d'hommes bagarreurs, qui ont recours à la violence et non à la raison pour résoudre les problèmes, leur interdit de jouer le rôle d'arbitre dans les querelles et conflits qui surgissent régulièrement entre les habitants de Ping'an, et la surveillance des biens matériels constitue leur principal souci. Les faits et gestes de ces gengfu sont contrôlés par un règlement concernant la sécurité à Ping'an, document révisé chaque année lors d'une réunion des responsables villageois. On y inscrit le montant des contributions versées en argent ou en grains, selon les époques, par chaque famille à l'équipe de sécurité : à une somme fixe, identique pour chaque foyer, destinée à la protection des maisons et de leurs biens, s'ajoute une somme correspondant à la superficie des terres possédées. Les peines infligées aux voleurs sont ensuite énumérées. Elles varient selon la nature et l'importance du vol commis bien sûr, mais aussi selon les circonstances qui entourent ce dernier. Le forfait a-t-il été perpétré avec préméditation ? A-t-il été accompli de nuit ou au contraire en plein jour, un fait aggravant car il révèle l'impudence du coupable et son manque de respect manifeste à l'égard de celui qu'il a attaqué ? Les précédents sont notés dans ce document, sans cesse remanié et complété. Enfin, les dédommagements que les gengfu doivent verser aux familles volées s'ils ne parviennent pas à trouver le coupable y sont également consignés. Lorsqu'un taro a disparu, par exemple, les gengfu pèsent quelques taros voisins pour évaluer la perte en termes de poids. Puis ils se mettent en quête du coupable. Au début des années vingt, le paysan qui a perdu un pied de taro perçoit en moyenne un dédommagement correspondant à la valeur monétaire de trois livres de taro. La rémunération des gengfu est au cours des années trente de deux centimes (haozi) pour la protection de cent taros. Quelques années

plus tard, les gengfu préfèrent que leur soient versés, en nature ou en espèces, 3 % des récoltes de taros, de citrouilles et de riz. Jusqu'à la réforme introduite en 1941 par Mai Jieshi, qui inaugure une période d'apaisement dans les relations entre les différents fang, chacun des segments lignagers s'efforce de contrôler l'équipe de gengfu pour accroître la protection accordée à ses membres. L'incident qui permet à Mai Jieshi de modifier le processus de choix des gengfu, c'est-à-dire le vol commis par l'équipe dirigée par Gengwen et composée exclusivement de membres du fang Renshi, ne doit d'ailleurs rien au hasard. Il a été provoqué par des membres de Qichang, inquiets de voir les leurs menacés d'arrestation à la moindre incartade. Houdong a été mené au canton après un vol. Danchao a été arrêté à deux reprises. Le moment est venu, jugent alors ceux de Qichang en ce début de l'année 1941, de passer à l'action. «Après l'arrestation de Houdong, j'ai vu clair. Ils voulaient nous causer des ennuis. Alors j'ai fait venir ceux des nôtres qui avaient le plus de mal à tenir en place et je leur ai dit de faire attention. Ton troisième oncle (Mai Jieshi) a dit aussi qu'il nous fallait être prudents. C'est à ce moment-là que Danchao a eu une idée. Il est venu m'en parler. Il avait planté sur un terrain au nord plus de cent taros qui poussaient très bien. Ils étaient vraiment appétissants et Danchao avait remarqué que les gengfu les lorgnaient. Alors il a fait exprès de fermer l'enclos autour de ce champs avec un vieux cadenas qui ne marchait pas. Il suffisait de tirer pour qu'il s'ouvre. Et il s'est mis à faire le guet chaque soir, jusqu'à ce qu'un jour quelques gengfu se décident à ouvrir la porte et à prendre plus de dix taros. Danchao n'a rien dit mais il a attendu que les taros soient cuits et que le repas soit commencé pour m'appeler. Je me suis précipité dans leur baraque, j'ai constaté les faits, et aussitôt j'ai réveillé Li Tezhen et lui ai dit de convoquer les responsables des différents fang. Gengwen qui n'était pas présent sur les lieux pendant le vol est arrivé. Je m'en suis pris à lui, comme chef de l'équipe. "Gengwen, peux-tu nous expliquer ce qui se passe ?" Il est resté là, tête baissée, sans mot dire... » Outre les activités dont la gestion ne peut être accomplie qu'au niveau villageois, il existe des activités dont l'organisation relève en théorie de la sphère commune mais qui se replient sur la sphère privée lorsque les tensions entre les segments lignagers sont trop 1. Li Tezhen est le fils de l'ancien "petit homme" du village. Il est l'un des membres du village qui bénéficie le plus de la Réforme agraire, et devient après 1949 membre du Parti communiste, ainsi que quatre de ses cinq fils. L'un d'entre eux occupe aujourd'hui des fonctions administratives au siège du district. Agé de 70 ans environ, Li Tezhen s'occupait en 1986 d'un atelier de fabrication de queues de billard, créé par ses soins en 1985 à Conglou. Son fils aîné, un membre du Parti communiste, accomplit désormais à Ping'an nombre detâches autrefois dévolues à son père : il aide lors des banquets, prépare les objets nécessaires au culte des ancêtres dans le temple ou sur les tombes, etc. 2. Mai Riwen, Hong Kong, octobre 1986, H558.

fortes. C'est le cas, par exemple, de l'enseignement scolaire à Ping'an. Entre 1911 et 1949, l'école de Ping'an assure l'enseignement des quatre premières années de l'école primaire. Les enfants du lignage Mai et d'autres lignages voisins se rendent ensuite à Zhuhu pour accomplir les deux dernières années du premier cycle1. Ceux qui désirent poursuivre des études secondaires doivent alors quitter la campagne pour Taicheng, le siège du district, et un tel départ impose des dépenses que seules les familles les plus riches peuvent se permettre2. Canton, enfin, la capitale provinciale, accueille ceux qui, très rares, vont s'asseoir sur les bancs de l'université ou suivre les cours des écoles de commerce et de droit. Depuis la création de Ping'an, les enfants de Renzhang et ceux de Renshi fréquentent la même école primaire, l'école du village. Les cours ont lieu dans le temple des ancêtres de Renshi, plus spacieux et plus aéré, mais l'appui des segments lignagers se limite à cela : chaque enfant verse des frais d'inscription en argent ou en nature, selon les époques, et la somme ainsi réunie permet de rémunérer les professeurs3. Les conflits qui éclatent lors de la construction du temple Qichang poussent les responsables de Renzhang à prendre, vers le milieu des années vingt, la décision d'ouvrir dans leur propre temple une école dont l'accès est interdit aux fils de Renshi. Une école pour adultes est également créée où l'on enseigne 1. Zhuhu est l'un des premiers villages de la région à ouvrir une école de type moderne (xin xuexiao), dès 1908. En 1909 Ping'an ouvre également une école moderne, mais jusqu'en 1925 enseignement traditionnel et enseignement moderne se succèdent dans ce village en fonction des professeurs embauchés. Les écoles traditionnelles sont appelées dans cette région pokpok zai, d'après le son que produisait, sur le crâne des enfants, une petite baguette utilisée par les professeurs pour réprimander leurs élèves. Apartir de 1926, l'école moderne est définitivement instituée à Ping'an. TaiCong Maishi zongqin di sijie chunjie lianhuan tekan (n° 4 de la revue spéciale pour fêter la fête du printemps des Mai de la région de Conglou dans le district de Taishan), Hong Kong, 1970, p. 57. 2. Il semble qu'aucune école primaire financée par le gouvernement n'existe au cours de la période étudiée dans tout le district, à la campagne comme dans les bourgs tels que Conglou ou les petites villes telles que Taicheng. Les écoles primaires appartiennent aux lignages, ou bien sont créées par quelques professeurs. Ainsi, il existe alors à Conglou une école du «Sibao xiang », créée à l'initiative de quelques professeurs. D'autres écoles primaires voient le jour grâce aux efforts conjugués de plusieurs lignages. C'est le cas d'une école du canton de Conglou, appelée San xing xiaoxue (École des trois étoiles), et qui est en fait financée par trois lignages, les Xu, les Liang et les Li. ATaicheng, vers la fin des années trente, trois écoles accueillent les diplômés des différentes écoles primaires de la région : Taizhong(l'école secondaire de Taicheng), Taishi (l'école normale de Taicheng) et Nüshi (l'école normale des filles). Enfin, quelques grands lignages proches de Taicheng, comme les Wang, les Li ou les Deng, fondent à Taicheng leur propre école secondaire. 3. Cette somme est de 2,5 yuan par an au début des années trente par exemple. Elle est d'une livre de riz par mois en temps de famine pendant la guerre contre le Japon.

surtout aux futurs émigrés à manier le boulier et à rédiger des lettres afin qu'ils puissent correspondre avec leur famille une fois arrivés sur la Montagne d'Or. L'expansion est telle pour Renzhang pendant cette période que les enfants, souvent achetés comme on l'a vu avec les deniers des Chinois d'outre-mer, sont alors quatre fois plus nombreux que ceux de Renshi, et la nouvelle école fonctionne sans difficulté. Cette scission dessert par contre les intérêts de Renshi : les frais d'inscription sont insuffisants pour embaucher un maître et l'aide des émigrés doit être sollicitée, la division en quatre classes de niveaux différents est malaisée. Il faut attendre la fin des hostilités, quinze ans plus tard, pour qu'une seule école accueille à nouveau, comme par le passé, tous les enfants de Ping'an, les efforts de Renshi pour obliger les membres de Renzhang à renoncer à leur entreprise ayant été vains. La tentative la plus remarquée en ce sens est celle de Suorao, membre de Renshi, alors qu'il est simple policier au poste de police de Conglou, en 1928. Il dénonce en effet les deux écoles récemment créées par les responsables de Renzhang comme illégales, car elles n'ont fait l'objet d'aucune inscription formelle auprès du canton. Cherchant à obtenir un moyen de pression sur ceux de Renzhang pour les amener à fermer leur école, il accuse également Danying, du fang Renzhang, de posséder de nombreuses armes non déclarées. Mais la perquisition menée chez ce dernier par le chef de police ne permet de rassembler aucune preuve. Pour faire cesser les pressions de Suorao, seul membre de Renshi à occuper un petit poste dans le gouvernement local, les membres de Renzhang font appel à Danlin, alors chef de la première section au bureau des affaires civiles du gouvernement provincial. Danlin demande un congé et se rend à Liangli, le commerce de Mai Leguan à Conglou. Apprenant qu'un personnage de cette importance se trouve au bourg, le commissaire dépêche un policier à Liangli pour inviter Mai Danlin à prendre le thé avec lui. «Danlin s'est emporté en entendant cela : "Quoi ? Il veut que je merende chez lui ? Je n'ai pas le temps !Qu'il vienne mevoir s'il veut me manifester son respect !" Dès que le commissaire est arrivé, Danlin a explosé. Il a frappé du poing sur la table en disant : "Comment osez-vous perquisitionner sans preuves ? Savez-vous que moi aussi je m'appelle Mai ? Il n'y a pas que Suorao à porter ce nom !" Danlin utilisait tout son pouvoir de haut fonctionnaire pour écraser le commissaire. C'était un grand qui brimait un petit. Il n'y avait rien à redire... » 1. Mai Jieshi, New York, mars 1985, A71.

Seul le rétablissement de relations plus harmonieuses entre Renshi et Renzhang permet, quinze ans plus tard, la restauration d'une seule école villageoise ayant pour vocation d'accueillir tous les enfants de Ping'an, sans discrimination. Ala tête des différents spécialistes chargés d'exécuter des tâches bien définies et dont le pouvoir d'initiative est limité, se trouvent les responsables de la communauté villageoise. Ces fuxiong qui prennent la parole pour décider des affaires de Ping'an sont ici les représentants des différents segments lignagers, des hommes qui ont acquis de façon progressive une autorité telle que l'on se tourne vers eux lorsqu'un problème surgit. Le village est ainsi dirigé par un groupe aux contours variables, qui peut compter selon les époques entre huit et douze personnes à Ping'an, et qui n'est pas issu d'une élection ou de tout autre processus de désignation formelle à l'échelle villageoise : lorsqu'une difficulté survient, les responsables des différents présents à Ping'an se réunissent pour trouver, parmi les solutions conformes aux conventions locales, celle qui est la plus propice aux intérêts de tous. Aucun chef n'est désigné parmi eux même si certains hommes, souvent issus du segment lignager le plus puissant, acquièrent plus de face que d'autres auprès des membres du village et sont donc plus écoutés. «Silesgengfusontunpeucommedespoliciers,je nesais pascommentdéfinirceuxqui dirigent les affaires vilageoises. Il s'agit simplement d'un regroupement des "pèrefrères" desdifférents segmentslignagers quiont untemple. Ils sontenquelquesorte le législatif. Cesonteuxquiseréunissent unefoisparanpourrédigerlesrèglementsvillageoisquevontappliquerensuitelespaysanschargésdelasécurité. Maisil n'y apasde chefparmieux,saufdanslesvilagesoùvisiblement, il existeunfuxiongbeaucoupplus capablequelesautres. Engénéral,il yasimplementlesgrandsfuxionget lespetits. Les grands, ce sont ceux qui ont également voix au chapitre plus haut, c'est-à-dire au niveaudelabranchelignagèreSuiAnoudulignage.»' Mais les avis peuvent diverger quant à ce qui constitue la solution la plus favorable pour le village et les réunions de fuxiong consistent alors en de longs débats devant permettre à la solution la meilleure —celle qui est venue à bout de toutes les objections — d'émerger. Il n'existe donc pas d'autorité villageoise distincte de celle des segments lignagers et susceptible de jouer le rôle d'arbitre dans les affaires communes et de trancher, alors que le conseil des affaires lignagères possède un tel pouvoir au niveau de l'ensemble 1. MaiSuma,Ping'an, octobre 1986,Y1413.

du lignage. Ce dernier donne des ordres ; les responsables des différents fang, eux, doivent aboutir à un compromis. Or l'autorité d'un individu est jugée légitime lorsque celui-ci défend les intérêts de son groupe. La morale commande donc aux fuxiong qui discutent des affaires villageoises de se montrer bienveillants envers tous, de ne pas privilégier les uns ni d'abuser des autres, de fonder leur intervention sur une analyse du bien général de la communauté mais aussi de ne pas aller à l'encontre des intérêts des membres de leur propre segment lignager. En d'autre termes, ils sont à la fois juge et parti. Les compromis nécessaires sont assez aisés à établir lorsque les intérêts des uns et des autres convergent, mais ils sont beaucoup plus difficiles à forcer lorsqu'il existe des tensions entre les segments lignagers. Différents principes favorisent néanmoins la coopération entre les segments lignagers partageant un même territoire, au-delà des consignes contenues dans les principes moraux reconnus par tous, et qui seront discutés ultérieurement. Tout d'abord, bien des problèmes sont réglés au sein de l'espace privé dufang, et l'échelon villageois est peu souvent sollicité pour régler une affaire locale. D'autre part, les dissensions, quand elles existent, se déroulent entre membres d'un même lignage, entre individus qui peuvent tous être considérés comme des frères au regard de l'ancêtre fondateur. Si les causes de conflit sont plus rares entre les membres de différents lignages à Conglou puisqu'ils ne sont pas confrontés au sein d'un même espace villageois, pareils conflits sont plus difficiles à résoudre dans la mesure où ils opposent des paysans ne faisant pas partie du groupe des descendants d'un même ancêtre. Un troisième facteur encourageant la coopération des différents foyers est la présence des nombreuses divinités villageoises. Celles-ci ne sont pas souvent citées par les paysans lorsqu'ils évoquent les rapports sociaux établis, les obligations et les devoirs qui les lient à certaines familles ou certains groupes. L'importance des liens de parenté dans cette région de Chine comme principe fondant l'organisation sociale privilégie les ancêtres, autour desquels s'organisent les enjeux et s'expriment les tensions, au regard des divinités bouddhistes ou taoïstes. L'histoire de la fin du XIX siècle et de la première moitié du XX siècle voit ainsi, du moins dans cette partie de la province du Guangdong, le déclin progressif de nombreux temples. Néanmoins, la présence de nombreuses divinités favorise la protection du groupe villageois et contribue à fixer les contours de

cette unité. Celles-ci sont d'autre part souvent décrites comme établissant un lien avec le «Ciel» (tong tian), instance supérieure qui rétribue les uns et les autres en fonction de leur conduite. Elles contribuent de ce fait à limiter les comportements abusifs, à déterminer le champs des comportements possibles. Parmi les principes plus élevés qu'elles représentent se trouvent par exemple ceux qui fondent l'interdépendance des intérêts privés et communs et ordonnent leurs relations. Des expressions telles que «le Ciel et la Terre sont sans égoïsme», littéralement sans affaires privées (tiandi wu si), ou «s'éloigner de ce qui est privé pour bâtir ce qui est commun» sont ainsi citées par les paysans pour désigner les relations devant exister entre le domaine privé et le domaine commun. Ces derniers, répétons-le, ne peuvent être opposés puisque la nature des affaires privées et celle des affaires communes dépendent à chaque fois du niveau auquel on se place et que, d'autre part, les premières fondent les secondes, l'influence de la tradition confucéenne étant ici particulièrement importante Mais la coopération entre les segments lignagers est aussi imposée par les rapports deforce locaux, qui donnent prééminence à certains fang sur d'autres. L'évolution des relations entre Qichang et les autres segments lignagers révèle ainsi certaines des stratégies mises enplace par les uns et les autres pour garantir un équilibre du pouvoir qui leur soit favorable. Pendant les premières années après l'inauguration du temple Qichang, les membres de cefang choisissent de se désintéresser des affaires de Ping'an. Le souvenir des affrontements passés est encore trop vif pour que la concertation et la coopération soient possibles. on.K ceipngtsddaensisl'etungodnegcdeasnarticles. slestraditions gisatetiosont uem peasrcA Ilremectoennfcuacuéseennleesetaffliérm nsdelonnogm breeunxt discu1té.sL penseurschinois,depuisnotammentlemouvementdu4mai1911,quidénoncentlé'goïsme desmentalitéschinoisesetlemanqued'intérêt généralpourlesaffairespubliques.Enfait ed,uetcosm péciaulenm endtudpaunbsllicaest tradition confucéetndnoe,m leinseori, poursui il, dtivanésetladtradition doi êterelet-cul épbarseséd,e'lancssehpiginhnoèeriesm comtm prouvenom entsetm dereocuom mandationsval coonritesnéeueetsddoi anslesécri ts classiques.Néanmoins,lesdeuxsphères,celeduprivéetceleducommun,sontrelatives,et C e t e fl u i d i t é a e m p ê c h é e n C h i n e l e d é v e l o p p e m e n ldeeurli'ndéfi n i t i o n d é p e n d d e s c i r c o n s t a n c e s . dividualismedu' nepartet celuidu' nesphèrepubliquedel'autre, dumoinstellequet cet t e dernièreaétédéfinieparHabeqrum as.Lat emotgondi glui-mêm eesteurs difficilenoiassaisir ut , pesacroet«nccpoeem êt mruentraduit, »,«publsicelo»n,vl'ointerprétation ire«social».A.Keinlui g,Zhtorinbgue guorefnférent degsonaut g,siguachi nnian(L ptsinoisedeetgondgeetlasi), Renquanyugongminshehuidefazhan(Ledéveloppementdesdroitsde hlc'1oh6m 8p.m , 151-166. sphère publique), HongKong, Editions des Scienceshumaines, 1995,

La passivité des membres de Qichang poursuit également un autre but : faire prendre conscience aux descendants de Jihong de l'isolement dans lequel ils sont plongés à Ping'an, isolement qui constitue pour eux une menace quotidienne —et les amener à rétablir des liens d'entraide et de solidarité avec Qichang. De fait, Renshi et Xueshi tiennent alors le haut dupavé à Ping'an. Aumilieu des annéesvingt, MaiLemang, principal responsable de Renshi, convoquetous lesresponsables villageois à une réunion. Les deuxfuxiong de Jihong présents sur les lieux s'insurgent devant une décision de Lemang trop favorable aux siens et sont malmenéspar dejeunes membresde Renshi. Il s'ensuit une bagarre à laquelle participent cejour-là, par solidarité. des descendants de Qichang. Sollicité par ces derniers, le conseil des affaires lignagères des Mai donne tort aux membres de Renshi. Apartir decette date, desrelations plus étroites s'établissent entre Jihong et Qichang. Quelques années plus tard, pour sceller leur nouvelle alliance, les uns et les autres décident derestaurer le temple de Renzhang, plus oumoinslaissé àl'abandon. Dèslors, tout aulong des années trente, la suprématie de Renzhang en hommes, en armes et en argent necesse de s'affirmer et avec elle, celle deQichang, à qui revient le dernier en matière d'affaires villageoises. La grandeur de Qichangrejaillit sur tout levillageet protège les habitants dePing'an d'exactions extérieures. Encontrepartie, les membresdes autres segments lignagers doivent se résigner à ce que leurs intérêts ne soient pas toujours pleinement défendus. Enfin, la coopération ou plutôt la résolution des conflits entre les segments lignagers appartenant à un même village est également favorisée par le principe qui veut que les représentants de deux segments lignagers en conflit se tournent volontiers pour le régler non pas vers la branche lignagère plus vaste qui les englobe, au sein de laquelle justement se trouvent des fuxiong qui seront fatalement juges et partis, mais vers les représentants d'un troisièmefang situé au même niveau qu'eux dans la pyramide des segments lignagers, tout en appartenant a une branche collatérale. Les fuxiong qui prennent alors la parole n'ont pas de liens privilégiés avec l'un des deux groupes, mais se trouvent à égale distance d'eux sur le plan de la parenté. Ils doivent être sollicités par les groupes en conflit et ne peuvent prendre la parole sans y avoir été invités, à moins qu'ils n'estiment devoir intervenir pour rétablir l'équité, l'un des groupes ayant été trop bafoué. Ainsi par exemple, au début des années trente, Huanse, du fang Xueshi, tue Chongxing, du fang

Renshi. Chongxing a passé quelques années en Malaisie, et il en est revenu muni d'un long couteau avec lequel il menace, semble-t-il, tous les habitants de Ping'an. Un beau jour, à la suite d une querelle, il attaque un paysan et est tué dans la bagarre par le frère de celui-ci. Les membres de Renshi réclament que Huanse soit enterré vivant. Xueshi est un temple sulbaterne à Renshi, et il s'agit donc d'une affaire interne au segment lignager Renshi, dont les personnes extérieures ne peuvent se mêler, à moins d'estimer abusive l'attitude des dirigeants de Renshi. Justement, à Ping'an, les responsables desfang Jihong et Qichang prennent le parti de Huanse: Chongxing terrorisait les habitants du village et il s'agit d'un cas de légitime défense. Ils dénoncent d'autre part les brimades commises à l'encontre du fang Xueshi par les responsables de Renshi. L'affaire s'envenime et sort du cadre d'une affaire interne au segment lignager Renshi. En effet, non seulement les responsables de ce dernier ne parviennent pas à se mettre d'accord sur la punition à infliger à Huanse, mais les responsables de Renzhang continuent à plaider la cause de Xueshi et à critiquer Renshi. Le conseil lignager intervient alors et, après avoir analysé la situation, décide que Huanse devra dédommager la famille de Chongxing de toutes les dépenses liées à l'enterrement, plus un dédommagement pour la perte subie. Tuer Huanse apparaît par contre comme un acte de pure vengeance, et cette solution est repoussée. Devant l'incapacité de Huanse, un paysan pauvre, à s'acquitter de cette dette, lefang Xueshi vend une partie des terres collectives et remet à la famille de Chongxing la somme décidée. Si cet incident est significatif de l'intervention possible et légitime d'un groupe lorsque le bon droit d'un autre est bafoué, notons cependant qu'un fang est d'autant plus prompt à dénoncer la mauvaise conduite d'un autre segment qu'il entretient de mauvaises relations avec lui. Si la puissance du segment lignager auquel on appartient fonde en partie la position sociale de chacun au sein de l'unité de résidence, celle du village indique à ceux qui ne partagent pas le même territoire la protection économique, politique et sociale dont on bénéficie. Les ressources des différentsfang sont en effet regroupées lorsqu'il s'agit de défendre un membre du village contre des attaques extérieures. Aussi les gestes qui manifestent à autrui, de façon ostentatoire, la réussite de l'un et l'autre de ces groupes sociaux, sont-ils nombreux. Certains de ces gestes ne concernent que lefang ou le village, d'autres sont communs aux deux. La construction

d'un temple des ancêtres, on l'a vu, signale la réussite d'un segment lignager, et cet acte est donc associé exclusivement aux groupes de parenté. La naissance de nombreux garçons permet à l'inverse d'apprécier la grandeur des segments lignagers comme celle des villages. Elle est ainsi célébrée à deux reprises au début du XXsiècle. Quelques jours avant l'anniversaire du premier mois d'un enfant de sexe masculin, la famille accroche une lanterne dans le temple des ancêtres afin d'annoncer la nouvelle aux générations disparues. Cette lanterne est ensuite ramenée à la maison et placée sur l'autel domestique Peu après la fête du Nouvel An, les paysans vont chercher dans le temple qui les abrite les effigies des dieux qui gouvernent la localité à laquelle appartient Ping'an. Cesstatuettes sont alors placées pendant quelques jours dans la petite maison de l'équipe chargée d'assurer la sécurité au village, c'est-à-dire dans un

espace considéré comme public et non privé. Le 8ejour du premier mois lunaire, toutes les familles ayant eu un garçon dans l'année accrochent une lanterne auprès des dieux afin de leur annoncer le nombre d'enfants de sexe masculin nés dans l'année. Les offrandes déposées ce jour-là sont ensuite distribuées aux autres foyers du village : le jeune enfant est désormais considéré comme un membre du village à part entière De façon parallèle, lors de la cérémonie du culte des ancêtres accomplie au sein des temples privés peu après le Nouvel An, les chefs de famille ayant eu un garçon dans l'année font des offrandes de poulet aux ancêtres puis les distribuent aux hommes présents. Ce moment porte le nom de bao ding ou «rapporter la naissance d'un homme». Le jeune garçon devient dès lors un membre du fang, et il est en droit de recevoir une part de porc rôti lors du culte collectif des ancêtres Le même geste, accrocher des lanternes, est donc réalisé à deux reprises : pour annoncer la naissance d'un garçon aux autorités supérieures du groupe de parenté, les ancêtres, puis pour transmettre cette nouvelle aux autorités supérieures du groupe villageois, les divinités locales. De même, le partage des aliments déposés en offrande est accompli deux 1. Cette pratique, appelée gua deng, cesse d'être accomplie à partir de 1910 environ à l'intention des ancêtres, mais elle continue à l'être pour les dieux villageois. 2. Ces lanternes sont ôtées le 18 jour du premier mois lunaire. 3. Le poulet est découpé en tout petits morceaux et déposé sur les parts de porc rôti qui seront distribuées aux membres du fang. Il arrive, lorsque peu de garçons sont nés dans l'année, que chacun ne reçoive qu'un petit morceau de poulet. Si ce sont en général les chefs de famille ou les frères aînés qui vont annoncer la naissance d'un garçon, les femmes s'acquittent de cette tâche dans les foyers ne comportant aucun homme.

fois : u n e p r e m i è r e fois p o u r

signaler l'intégration de l'enfant au

segment lignager, et une deuxième p o u r m a r q u e r son a p p a r t e n a n c e au g r o u p e villageois. Il a r r i v e aussi q u ' u n m ê m e o b j e t soit e m b l è m e de réussite p o u r le f a n g c o m m e p o u r l e v i l l a g e . A u d é b u t d u X X s i è c l e , o n l ' a v u , l ' o b t e n t i o n d u t i t r e d e x i u c a i o u d e b a c h e l i e r e s t i n s c r i t e d a n s le p a y s a g e v i l l a g e o i s e n p l a n t a n t d e v a n t le t e m p l e d e s a n c ê t r e s d o n t d é p e n d le d i p l ô m é u n l o n g t r o n c d ' a r b r e q u i d é p a s s e la h a u t e u r d e s h a b i t a t i o n s . L ' é t r a n g e r q u i passe près d u village et o b s e r v e celui-ci d e l ' e x t é r i e u r p e u t a i n s i c o n n a î t r e le n o m b r e d e l e t t r é s q u i y s o n t n é s . E t il é v a l u e a u s s i t ô t le p o u v o i r é c o n o m i q u e e t p o l i t i q u e d e s e s habitants.

P l u s le v o y a g e u r p é n è t r e

avant dans

le v i l l a g e c e p e n -

d a n t , p l u s le l i e n a p p a r a î t e n t r e ces t r o n c s e t les t e m p l e s d e s a n c ê tres, ce q u i c o n t r i b u e à d i s t i n g u e r c e r t a i n s f a n g p a r r a p p o r t à d ' a u tres. L ' i d e n t i t é d ' u n i n d i v i d u est ainsi d é t e r m i n é e en g r a n d e partie, l o r s q u ' i l r e n c o n t r e a u b o u r g d ' a u t r e s p a y s a n s , p a r la p u i s s a n c e e t la r e n o m m é e de son village d'origine. A u t e r r i t o i r e clos d u v i l l a g e s ' o p p o s e e n e f f e t le b o u r g , o u v e r t à l'influence de la société e n v i r o n n a n t e . Le b o u r g de Conglou c o m p t e en m o y e n n e q u e l q u e d e u x cents c o m m e r c e s fixes a u cours de cette p r e m i è r e m o i t i é d u X X siècle et u n e c e n t a i n e d e m a r c h a n d s a m b u l a n t s y v e n d e n t l e u r s p r o d u i t s l e s j o u r s d e m a r c h é . E n 1 9 2 0 e t 1 9 2 1 , il c o n n a î t u n e i m p o r t a n t e r é n o v a t i o n : les r u e s s o n t é l a r g i e s , les m a i sons sont restaurées et a d o p t e n t une architecture avec arcades. Bien d e s i n s t i t u t i o n s p u b l i q u e s s ' a r r ê t e n t a u b o u r g e t les c o m m e r ç a n t s serv e n t ainsi de relais p o u r leurs p a r e n t s restés a u village, activité qui n'est pas toujours bénévole. Les contributions des Chinois d'outrem e r s o n t p a r e x e m p l e a d r e s s é e s a u x b o u t i q u e s d u m a r c h é , d o n t les propriétaires t r a n s m e t t e n t ensuite l'argent a u x intéressés après avoir p e r ç u le m a n d a t . C o m m e n t les b a n q u e s p e u v e n t - e l l e s e n e f f e t a v o i r l ' a s s u r a n c e q u e c e l u i q u i s e p r é s e n t e d e v a n t e l l e s e s t b i e n le d e s t i n a t a i r e d u m a n d a t ? L e s c o m m e r ç a n t s j o u e n t d o n c le r ô l e d ' i n t e r m é d i a i r e s e n t r e d e s i n s t i t u t i o n s q u i les c o n n a i s s e n t , e t q u i p e u v e n t les r e t r o u v e r e n cas de p r o b l è m e , e t des p a y s a n s d i s p e r s é s d a n s des villages o ù u n é t r a n g e r p é n è t r e difficilement. L i a n g l i , la b o u t i q u e de Mai Leguan, reçoit plus de trois cents m a n d a t s p a r an, destinés à des Mai, m a i s aussi à des Li ou à des W u . Les lettres, r e c o m m a n d é e s lorsq u ' e l l e s c o n t i e n n e n t u n m a n d a t , s o n t o u v e r t e s p a r le d e s t i n a t a i r e dans

la b o u t i q u e

même,

moyennant

versement

de la s o m m e

de

5 0 c e n t i m e s o u d ' u n y u a n p o u r le p a t r o n q u i a r e ç u l a l e t t r e . C e d e r -

n i e r a c h è t e e n s u i t e le m a n d a t e n p r é l e v a n t u n o u d e u x y u a n d e c o m m i s s i o n , p u i s se t o u r n e v e r s les s e r v i c e s b a n c a i r e s . D ' u n e f a ç o n g é n é r a l e , l a p o s t e s ' a r r ê t e a u b o u r g , e t les l e t t r e s d e s paysans sont remises a u x commerçants, d'où l'importance pour u n v i l l a g e d ' e n c o m p t e r a u m o i n s u n p a r m i ses m e m b r e s . L e s p a y s a n s c h o i s i s s e n t a i n s i s o u v e n t u n e b o u t i q u e d é t e r m i n é e o ù ils p e u v e n t a l l e r « a c c r o c h e r l e u r c h a p e a u » l e s j o u r s d e m a r c h é , d i s c u t e r a v e c le p r o p r i é t a i r e d e s n o u v e l l e s c o n c e r n a n t le v i l l a g e o u le m o n d e e x t é r i e u r , e t p a s s e r e n r e v u e le c o u r r i e r p o u r v o i r s ' i l n e s ' y t r o u v e p a s u n e l e t t r e l e u r é t a n t d e s t i n é e . C o n g l o u e s t l ' u n d e s m a r c h é s les p l u s a n i m é s a u s u d d e T a i c h e n g , d e s p r o d u i t s c u l t i v é s a u n o r d c o m m e les t a r o s m a i s é g a l e m e n t des p r o d u i t s de la m e r , e n p r o v e n a n c e de D o u s h a n o u d e G u a n g h a i , y s o n t v e n d u s . P e n d a n t les a n n é e s t r e n t e , les bruits d u m a r c h é p a r v i e n n e n t a u x h a b i t a n t s des villages alentours, m ê m e à ceux de P i n g ' a n situés p o u r t a n t à quelque 6 km, c o m m e u n i m m e n s e r o n f l e m e n t , q u i c e s s e d e se f a i r e e n t e n d r e a p r è s la g u e r r e c o n t r e le J a p o n . L e s m a r c h a n d i s e s s o n t t r a n s p o r t é e s e n p a l a n c h e d e s localités voisines j u s q u ' à

ce q u e

quelques bicyclettes fassent leur

a p p a r i t i o n e t s o i e n t e m p l o y é e s à c e t e f f e t , v e r s le m i l i e u d e s a n n é e s q u a r a n t e . C e l u i q u i t i e n t les c o r d o n s d e la b o u r s e a u s e i n d e la f a m i l l e se r e n d à c h a q u e m a r c h é , n o n p a s t a n t p o u r y v e n d r e ( u n seul p a y s a n d e P i n g ' a n v e n d p a r e x e m p l e u n e p a r t i e d e sa p r o d u c t i o n d e riz e t les artisans s o n t rares) q u e p o u r y a c h e t e r q u e l q u e s p r o d u i t s et s u r t o u t r e n c o n t r e r p a r e n t s et amis dans u n c o m m e r c e ou u n salon de thé. D e u x o u t r o i s fois p a r a n , les c o m m e r ç a n t s se r e g r o u p e n t p o u r faire v e n i r u n e t r o u p e d'opéra. O n m o n t e alors u n e scène en plein air et des salles de j e u x s ' o r g a n i s e n t t o u t a u t o u r . P l u s i e u r s dizaines de j o u r n a u x sont disponibles é g a l e m e n t au marché, alors qu'ils ne parviennent

pas

jusqu'aux

villages.

C'est

donc



qu'il

faut

se

r e n d r e p o u r ê t r e a u f a i t des é v é n e m e n t s q u i se d é r o u l e n t d a n s la p r o v i n c e c o m m e d a n s t o u t le p a y s . S a n s m ê m e é v o q u e r l a p r e s s e nationale ou provinciale, de n o m b r e u x j o u r n a u x sont publiés au n i v e a u du d i s t r i c t A p a r t i r de 1945, cinq ou six c o m m e r ç a n t s du

1. Entre 1914 et 1927, le Taicheng yulun bao représente le seul organe de presse du district, mais entre 1929 et 1931 le Taishan jinfeng bao lui fait concurrence. L'année 1932 voit la création de nombreux journaux : aux deux précédents s'ajoutent en effet le Taishan wanbao, le Taishan minsheng bao, le Taishan nanhua ribao, le Taishan minguo ribao et le Taishan minzhong bao. Entre 1933 et 1935, seuls quatre de ces noms cités demeurent. Le Taishan minguo ribao représente toute la presse du district jusqu 'en 1941, époque à laquelle il est rejoint par trois nouveaux journaux : le Datong ribao, le Fuxing ribao et le Zhongsheng ribao.

b o u r g p o s s è d e n t u n p o s t e de r a d i o , e t l ' o n se r e g r o u p e d a n s l e u r b o u t i q u e le s o i r p o u r é c o u t e r « l a V o i x d e l ' A m é r i q u e » e t p r e n d r e c o n n a i s s a n c e d e l ' é v o l u t i o n d e l a g u e r r e q u i o p p o s e le P a r t i n a t i o naliste au Parti communiste.

C'est également au

bourg

que sont

d é n o n c é s les m é f a i t s d e s u n s o u d e s a u t r e s : l a g r a n d e p o r t e d u m a r ché

a c c u e i l l e les « a v i s

b l a n c s », p e t i t e s

affiches

qui

dévoilent

le

n o m , le v i l l a g e d ' o r i g i n e e t l e s a g i s s e m e n t s d ' u n m e m b r e d e l a l o c a lité, sa v i c t i m e a d o p t a n t n é a n m o i n s e n g é n é r a l u n n o m d ' e m p r u n t . Ces

plaintes

annonces

voisinent

déclarant

avec

le v o l

les

de

réclames

certains

des

effets

commerçants, et

les

promettant

une

r é c o m p e n s e à c e u x q u i les r e t r o u v e r a i e n t , m a i s a u s s i a v e c les r e m e r ciements, rédigés sur papier rouge, adressés à u n individu ou à u n groupe p o u r u n e b o n n e action. L ' e s p a c e d u m a r c h é est aussi celui des c o n f r o n t a t i o n s e n t r e différents g r o u p e s et des rixes. Le p a y s a n q u i s e r e n d a u b o u r g e s t c h a r g é d e t o u t e le r e n o m m é e d e s o n v i l l a g e e t d e s o n l i g n a g e , e t il d o i t e n d é f e n d r e l ' h o n n e u r . L e s e g m e n t l i g n a ger est en effet u n élément i m p o r t a n t de l'identité de c h a c u n

au

s e i n d u v i l l a g e , u n e fois p a s s é e s les f r o n t i è r e s d e celui-ci, m a i s c ' e s t la p u i s s a n c e d u g r o u p e d e r é s i d e n c e q u i i m p o r t e . E t s'il n ' e s t p a s t o u j o u r s facile a u x h a b i t a n t s de P i n g ' a n d ' a d o p t e r u n e d é m a r c h e c o m m u n e p o u r r é g l e r les a f f a i r e s i n t e r n e s , l a s o l i d a r i t é e s t b e a u c o u p plus immédiate

quand

l'un

des

habitants

du

village est

victime

d'une a t t a q u e menée par une personne étrangère a u groupe : c'est alors t o u t e la c o m m u n a u t é v i l l a g e o i s e q u i se m o b i l i s e p o u r m a n i f e s t e r sa force et sa cohésion,

et prévenir

ainsi t o u t e

attaque

ulté-

r i e u r e . L a c o m p é t i t i o n q u i s e d é r o u l e a u n i v e a u v i l l a g e o i s p o u r le p a r t a g e d e s r e s s o u r c e s l o c a l e s e s t e n e f f e t c o m p e n s é e p a r la n é c e s s i t é d e c o o p é r e r p o u r se d é f e n d r e d e s m e n a c e s e x t é r i e u r e s , q u ' e l l e s p r o v i e n n e n t d ' u n h o m m e appelé Mai, ou de p a y s a n s p o r t a n t d'aut r e s p a t r o n y m e s . M a i s , s u r t o u t , c ' e s t a u b o u r g q u e les p a y s a n s p e u v e n t r e n c o n t r e r des m e m b r e s de la famille n a t a l e de leur mère, ou des parents

de la famille

avec

laquelle

ils s e s o n t

alliés

lors d u

m a r i a g e d ' u n fils o u d ' u n e fille. C ' e s t là é g a l e m e n t q u e c e u x q u i , g r â c e à u n t r a v a i l d a n s l ' a d m i n i s t r a t i o n o u le c o m m e r c e , o n t p u nouer des relations d'amitié

a v e c les m e m b r e s

d'autres

lignages,

c u l t i v e n t ces liens. C ' e s t là e n f i n q u e d ' a u t r e s g r o u p e s s o c i a u x p e u v e n t se f o r m e r , a u t o u r d e l a C h a m b r e d e c o m m e r c e o u d ' a u t r e s o r g a n i s a t i o n s p r o f e s s i o n n e l l e s p a r e x e m p l e . Ces c o m m u n a u t é s , p l u s o u m o i n s i n s t i t u t i o n n a l i s é e s s e l o n les c a s , e m p r u n t e n t n é a n m o i n s l e s v a l e u r s e t l e s p r i n c i p e s d e s g r o u p e s s o c i a u x f o n d é s s u r le p r i n -

cipe de la d e s c e n d a n c e p a t r i l i n é a i r e . Elles e m p r u n t e n t m ê m e p a r fois j u s q u ' a u

vocabulaire

de la p a r e n t é .

Cependant,

les liens q u i

u n i s s e n t des h o m m e s e t des f e m m e s n ' h a b i t a n t p a s le m ê m e village sont d ' a u t a n t plus e n t r e t e n u s qu'ils c o n s t i t u e n t u n espace de liberté p o u r les f o y e r s . Ils é c h a p p e n t e n e f f e t a u x c o n t r a i n t e s liées a u r a p p o r t de force entre f a n g a u sein du village ou d u lignage, et a u x o b l i g a t i o n s q u i e n d é c o u l e n t . L e s p a y s a n s s ' é v a d e n t , d a n s ces relations,

du

contexte

social

auquel

ils a p p a r t i e n n e n t

dès leur nais-

sance, et q u i i m p l i q u e n t des solidarités ou des inimitiés collectives qu'ils

ne

nance

à un

peuvent même

facilement village

ou

remettre

en

lignage

doit,

question.

Si l ' a p p a r t e -

en dernière

instance,

p r e n d r e le p a s s u r les a u t r e s f o r m e s d e r a t t a c h e m e n t , les r e l a t i o n s possédées

à

l'extérieur

du

groupe

d'origine

constituent

une

res-

s o u r c e p e r s o n n e l l e d e s f a m i l l e s l e u r p e r m e t t a n t s o u v e n t d e se distinguer p a r r a p p o r t a u x autres. C'est, p o u r reprendre l'expression d ' I r è n e T h é r y , l'espace d ' u n e c e r t a i n e liberté p a r r a p p o r t à celui de l ' a p p a r t e n a n c e A u t e r r i t o i r e v i l l a g e o i s s ' o p p o s e d o n c le b o u r g , l i e u d ' i n f l u e n c e s m u l t i p l e s et s u r t o u t lieu p u b l i c , n e u t r e , o ù se r e n c o n t r e n t les m e m b r e s d e d i f f é r e n t s l i g n a g e s , o ù les u n s e t les a u t r e s n o u e n t et e n t r e t i e n n e n t des contacts privilégiés, l'identité de leurs relations

influençant

en

jouissent.

1. Irène Théry, 1995, p. 142.

retour

la

considération

sociale

dont

ils

V I

Chaque arbre a une écorce, chaque homme a une face

Peu après avoir été frappé d'un certain nombre de coups à l'intérieur du temple Qichang, Sima, que le segment lignager a ainsi essayé de ramener dans le droit chemin, décide de partir pour Hong Kong. Il ne reviendra plus jamais à Ping'an, estimant avoir trop perdu la face. «Quand on a vraiment perdu la face, la vie devient très difficile. On ne meurt pas sur le coup mais on ne peut pas vivre longtemps. Même les personnes les plus pauvres ont quand mêmeun peu de face. Si l'on perd totalement la face, plus personne ne s'occupe de vous. Plus personne ne vous aide. Comment faire ? Ala campagne, on ne peut pas changer de coin, et commeil est très difficile de changer l'opinion des gens, si on n'a pas de face, la vie devient impossible... » La face : plus que l'argent, c'est elle qui décide de la place de chacun dans la société locale et des ressources dont il dispose. Le mot « face » peut signifier, selon les cas, respect, prestige, dignité, amour-propre ou encore marque de politesse, selon que l'on se place du point de vue de celui qui reçoit de la face ou de celui qui en octroye. Dans sa première acceptation, cette expression indique le degré de considération sociale dont on jouit au sein d'une communauté Celle-ci influence tellement l'identité individuelle, chacun 1. Mai Jieshi, NewYork, octobre 1988, K678. 2. Apropos du concept de face, lire l'article de Hu Hsien-chin, The Chinese Concept of Face, American Anthropologist, 46, 1, 1944. 45-64 ainsi que la thèse de Frank Pieke, The Ordinary and the Extraordinary : An Anthropological Study of Chinese Reform and Political Protest, Leiden University, 1992, 506 p. 15-74.

tenant compte de l'appréciation portée sur soi par la société, que les paysans y attachent un grand prix : avoir beaucoup de face donne sens à sa vie, la perdre totalement ôte le goût de vivre, au-delà des difficultés quotidiennes qu'une telle situation entraîne. Décrite comme liée à tout ce qui est considéré comme positif au sein de la société, elle constitue un véritable capital individuel dont on est plus ou moins riche. Les habitants de Conglou évoquent ainsi la possibilité d'octroyer quelques onces de face à quelqu'un, d'acheter de la face ou d'en donner à autrui, d'obtenir de la face par la ruse ou de s'en emparer par la force, de diminuer un peu la face d'un proche. «Changfei, le prestige qu'il avait !Tu ne peux pas l'imaginer et je ne pourrais pas te le décrire. Ses anniversaires étaient l'occasion de grands rassemblements, les uns et les autres venaient lui porter des cadeaux. Les cadeaux n'étaient pas nombreux, c'était juste histoire de lui manifester notre respect. Plus de dix fuxiong de Qichang se rendaient à Zhuhu pour le voir le jour de son anniversaire et tous lesfang de notre lignage faisaient de même. Les Mai n'étaient pas les seuls à lui donner de la face ce jour-là, les représentants des autres lignages venaient également lui porter des cadeaux. La face qu'il avait, c'est incroyable !Que peut-on encore attendre de la vie quand on a une telle face... » La constitution de ce capital est d'autant plus facile que l'on possède des ressources valorisées par la société locale et qui confèrent à l'individu un certain pouvoir. La réussite aux examens impériaux ou universitaires, l'obtention d'un poste de fonctionnaire, le savoir du lettré mais aussi, dans une moindre mesure, celui du prêtre taoïste, l'expérience de l'ancien émigré de retour au pays, la prospérité matérielle, un âgé élevé, la possession d'un réseau social étendu, l'appartenance à un segment lignager ou à un village puissant peuvent ainsi procurer, à des degrés divers, de la considération sociale. Il s'agit d'éléments qui distinguent de façon positive certains membres de la communauté par rapport à d'autres, qui leur assignent une visibilité niée à d'autres. Posséder de telles ressources ne suffit pas cependant en soi pour jouir d'une véritable estime. Celle-ci est surtout liée aux faits et gestes de chaque individu. C'est en effet la conduite de chacun et le jugement social porté sur celle-ci qui déterminent la quantité de face possédée. La considération sociale est ainsi accordée, en premier lieu, à ceux qui se comportent selon les principes moraux en vigueur, même s'ils ne possèdent aucune autre ressource. Ces principes sont transmis de 1. Mai Kejiu, Hong Kong, novembre 1986, Z 1426.

génération en génération, et peuvent être réinterprétés selon les circonstances. Ils composent néanmoins un savoir assez précis, sur lequel on peut s'appuyer pour apprécier l'attitude d'autrui, car des manuels de savoir-vivre existent, qui proposent une synthèse pratique des différentes pensées philosophiques chinoises mais où domine néanmoins la pensée confucéenne. Ces textes font d'autre part partie de l'éducation des enfants dès l'école primaire. On y trouve par exemple les textes composés de trois caractères dits sanzijing qui permettent aux enfants de mémoriser un vocabulaire de base, mais qui contiennent aussi un enseignement moral dans la mesure où les caractères sont disposés de façon à produire de courtes maximes. Des manuels de savoir-vivre, proposent également des maximes qui reprennent, de façon plus simple et plus concrète, des éléments de la pensée philosophique chinoise. On y trouve par exemple des instructions telles que « Le plus important dans une famille c'est l'harmonie, le plus important au cours de sa vie c'est de travailler dur », ou « Celui qui ne réfléchit pas au long terme, aura des problèmes à court terme » La face, c'est bien le visage au sens propre, soit un élément fondamental de l'identité individuelle, grâce auquel chacun est connu et reconnu. Mais, à Taishan comme dans le reste de la Chine, où l'individu est conçu d'abord et avant tout comme un être vivant en société, personne n'est libre de définir, seul, cette identité. La reconnaissance des mérites individuels est d'abord une reconnaissance sociale, ce qui introduit d'emblée un certain relativisme comme la nécessité de tenir compte des situations concrètes qui président aux échanges. L'analogie établie entre la face et la considération sociale dont on jouit souligne d'autre part le lien de dépendance établi entre l'identité individuelle et l'opinion exprimée par la société, et par voie de conséquence, l'importance accordée aux relations sociales. La face est octroyée par autrui et implique une reconnaissance sociale, quels que soient les biens objectifs possédés. Dans le processus de constitution de ce capital, qui résulte d'une interaction entre l'individu et la société, c'est néanmoins le comportement individuel qui est premier. En d'autres termes, l'individu possède ici l'initiative, fait des choix, se fixe des objectifs. S'efforcer 1. ,Zeng Guang xianwen (Propos moraux pour accroître la lumière), Tongsheng, Hong Kong, Editions Jubaolin, 1995.

d'avoir de la face auprès des siens mais aussi de personnes étrangères au village et rencontrées au bourg ou dans le pays d'accueil où l'on séjourne provisoirement, constitue le moyen privilégié, pour l'individu, de se bâtir une identité ne reposant pas uniquement sur des éléments donnés, telle que l'appartenance à une famille ou à un segment lignager précis. C'est également le moyen d'augmenter et de diversifier les ressources possédées. « Si l'on est issu d'une famille bien considérée, cela a des conséquences sur la face que l'on possède individuellement. Dire le contraire serait faux. Mais ce n'est pas le plus important. Ca ne joue qu'un instant, au moment de la rencontre. Mais après, on se tourne vers vous, on veut voir ce que vous valez, vous. Si vous venez d'une famille qui a une bonne réputation, mais que vous ne valez rien, cette bonne impression disparaît aussitôt, et on ne vous accorde qu'un peu de face, en mémoire de votre père ou de votre grand-père. »'

La société n'accorde véritablement son estime qu'à ceux dont «les faits et gestes sont corrects », à ceux qui «attachent de l'importance aux sentiments humains (renqing) ». En d'autres termes, ont d'abord de la face ceux qui se comportent de façon correcte, ceux qui respectent les principes moraux collectivement admis. Ont également de la face ceux qui, possédant un pouvoir plus étendu qu'autrui dans certains domaines, manifestent leur volonté d'utiliser ce pouvoir à bon escient, soit de façon conforme à la morale, et d'en distribuer une partie aux membres du groupe. « La face, c'est les sentiments humains, et les sentiments humains, c'est la face. Pour avoir vraiment de la face, il ne faut pas offenser les autres, et il faut les aider, avec de l'argent si tu en as, avec des idées si tu en as... Parce que de la face, tu dois essayer d'en obtenir, mais c'est les autres qui t'en donnent ou pas. Si tu veux de la face, et que les autres t'en donnent, alors tu en as... »

La face ne varie pas directement en fonction de l'importance des ressources possédées, même s'il existe un lien entre les deux. Prenons par exemple le critère matériel. «Même l'homme le plus pauvre a un peu de face », disent les paysans de Taishan. Il n'en demeure pas moins que les manifestations de richesse permettent de gagner de la face. C'est ainsi que posséder des servantes, disposer des services d'un «petit homme» lors de l'organisation d'un banquet de mariage sont des facteurs de prestige. La jeune mariée dont la famille natale est prospère jouit d'une considération bien plus grande que celle issue d'une famille pauvre. Dans ce dernier cas, la 1. Mai Suma, Ping'an, octobre 1986, Y 1312. 2. Wu Bingzi, New York, octobre 1988, K 682.

j e u n e f e m m e d o i t faire p r e u v e d 'une c o n d u i t e e x e m p l a i r e p o u r forcer l ' e s t i m e des p a y s a n s , telle c e t t e h a b i t a n t e de P i n g ' a n qui j o u i t de q u e l q u e c o n s i d é r a t i o n car elle r e m p l a c e a u x l a b o u r s u n m a r i p a r e s s e u x , a p p o r t e b e a u c o u p de soins a u x terres, t i e n t sa m a i s o n c o m m e il c o n v i e n t , v i t en b o n n e e n t e n t e avec t o u s , et a d o n n é naissance à cinq fils. Mais si l ' a r g e n t p r o c u r e u n p e u de face, il ne p e r m e t p a s en général de g a g n e r b e a u c o u p de c o n s i d é r a t i o n , à m o i n s d ' ê t r e r e d i s t r i b u é e n p a r t i e à a u t r u i , de f a ç o n individuelle ou collective. Celui qui possède de l ' a r g e n t p e u t il est v r a i plus f a c i l e m e n t q u e d ' a u t r e s , g a g n e r de la c o n s i d é r a t i o n o u en a c h e t e r , u n e d i s t i n c t i o n établie p a r les p a y s a n s en f o n c t i o n de l ' i n t e n t i o n q u i guide les actions bienfaitrices. « Il est facile de transformer l'argent en face. A la campagne, les paysans ou les commerçants riches qui donnent de l'argent pour réparer les ponts, qui distribuent du riz gratuitement, qui utilisent leur argent pour la collectivité, on les respecte beaucoup. Ceux qui agissent ainsi sincèrement, sans arrière-pensée, ils ont de la face. Ceux qui n'ont pas vraiment envie d'aider les autres mais qui agissent ainsi pour gagner de la face, ils en obtiennent aussi, même si, en fait, ils l'ont achetée. Ils l'ont obtenue par la ruse... »' Le c h e m i n le plus r a p i d e p o u r g a g n e r de la face est d ' a v o i r fait des é t u d e s , d ' a v o i r o b t e n u des diplômes. U n e réussite d a n s ce d o m a i n e est à ce p o i n t valorisée q u e la seule présence d ' u n l e t t r é couvre de prestige l ' e n s e m b l e d u groupe. E t r e issu d ' u n e famille, d ' u n s e g m e n t l i g n a g e r o u d ' u n lignage p u i s s a n t confère é g a l e m e n t d ' e m b l é e de la c o n s i d é r a t i o n . Mais, là encore, ê t r e u n p a y s a n bien né ne suffit p a s p o u r g a g n e r v é r i t a b l e m e n t la confiance et la c o n s i d é r a t i o n d ' a u t r u i . Les c o n d u i t e s individuelles j o u e n t u n rôle d é t e r m i n a n t . Ainsi, si le p r i n c i p a l r e s p o n s a b l e l i g n a g e r est touj o u r s issu d u m ê m e f a n g a u sein de la c o m m u n a u t é Mai, le choix de cet h o m m e n ' e s t p a s a u t o m a t i q u e , lié à l ' a r g e n t ou à la c u l t u r e possédée, mais d é p e n d d u degré de c o n s i d é r a t i o n sociale d o n t il jouit. « La face, en dernier recours, c'est à chacun d'essayer d'en gagner. Tu vois Changfei, à la veille de sa mort, il a réalisé qu'il avait tellement écrasé ceux qui souhaitaient être fuxiong qu'il n'y avait personne pour lui succéder. Un seul homme du fang de Changfei savait comment se comporter et avait un peu de face. Il était coiffeur, fumait lui aussi de l'opium, venait d'une famille pauvre, et tout cela était plutôt défavorable pour toujours de des façon correcte,duconsidérait les problèmes de ses peu proches sérieux. Il sait gagner l'estime membres lignage. Mais il y est parvenu à peuavec : il se conduiétait courageux aussi, et savait parler sans blesser la face des autres. Alors peu à peu, il 1. Mai Jieshi, New York, octobre 1988, K 682.

agagnébeaucoupdeface,tout lemondelerespectait.. Ceuxquiappartiennentàde grands segmentslignagers, ils peuvent emprunterla face deleurfang. Lesgens, en apprenantqu'ilsviennentd'unfangpuissant,leurdonnentautomatiquementquelques mesuresdeface.Maisilsnepeuventpasjouirdu' netrèsgrandeconsidérations'ilsn'ont pasd'autresqualités.» Le rôle important attribué au jugement social porté sur les conduites individuelles, explique qu'il soit également nécessaire, pour développer un certain capital de face, de respecter les signes d'appartenance au groupe dont on recherche la considération. Une telle attitude indique en effet que l'on se soumet au jugement de ce dernier et que l'on reconnait sa légitimité. Faire ce que tous les membres d'un groupe font, condition préalable pour être pleinement intégré au groupe, est une condition préalable également pour y jouir d'une certaine considération. D'où l'importance des conventions qui règlent par exemple les échanges matériels et symboliques entre les familles et qui se perpétuent mêmependant les périodes de famine. Tel est le cas par exemple de la pratique consistant, pour la famille natale d'une femme et celle de son époux, à s'offrir mutuellement des mets à certaines dates. Elle se maintient pendant la guerre contre la Japon, dans des conditions extrêmement difficile, les uns et les autres craignant de perdre la face s'ils cessent d'accomplir ce geste. Al'inverse, il est impossible pour un paysan, candidat au titre de fuxiong, d'adopter une attitude remettant en cause les conventions locales par lesquelles un individu montre qu'il connaît le fonctionnement du groupe et qu'il en est membre. Si certains paysans peuvent prendre de la distance par rapport aux façons de parler et d'agir du groupe, une telle conduite n'est tolérée que lorsqu'elle ne cause pas de préjudice à ce dernier. Elle n'entraîne alors pas d'autre sanction que plaisanteries et quolibets, mais elle empêche néanmoins dejouir d'une très haute considération. Tel est le cas de Mai Jumin, qui lave au petit matin son linge et celui de sa femme dans l'eau de la rivière. Jumin est diplômé de l'école secondaire de Taicheng ce qui lui confère un certain prestige. Mais ses faits et gestes suscitent souvent les rires des paysans car il ne respecte pas les conventions sociales. Il accorde ainsi beaucoup de libertés à sa femme, l'autorisant à vendre certaines de leurs terres alors qu'il séjourne en Nouvelle-Zélande, fermant les yeux lorsqu'elle parcourt les routes pour faire du commerce de vêtements 1. MaiJieshi, NewYork,octobre1988,K679.

anciens en compagnie d'un paysan originaire d'un district voisin. Il sait habilement mettre un terme à une dispute naissante entre deux paysans en lançant des plaisanteries à ses propres dépens. Cette attitude, peu conforme aux normes locales, ne nuit cependant aux intérêts de personne. Ni la famille de Mai Jumin, ni les membres de son village, ou son lignage n'ont véritablement à se plaindre de sa conduite et ses écarts par rapport aux pratiques locales sont donc acceptés. Il est donc possible, si l'on ne «veut pas de face» comme disent les paysans à propos de Jumin, et à condition de ne pas porter atteinte aux intérêts du groupe, de jouir d 'une certaine marge de liberté. Mais en établissant une distance vis-à-vis des paysans, en montrant un certain détachement à l'égard des signes d'appartenance au groupe, Jumin s'interdit d'être tenu en très haute estime à Ping'an par les siens. Personne ne voit en lui un éventuel même s'il est l'un des membres les plus instruits de son segment lignager. Posséder certaines ressources ne suffit donc pas pour jouir d'une grande considération. Ne pas offenser les autres et si possible, les aider, ne pas faire fi des sentiments humains: tel sont les principes de base qu'il faut appliquer si l'on désire accumuler un capital de face important, objectif d'autant plus facile à atteindre que l'on dispose de certaines ressources favorables à la société. Al'inverse «on perd la face quand on agit mal», quand on lève par exemple la main contre sa mère ou que l'on procède à un partage des biens inéquitable entre ses descendants. Mais une personne peut également avoir de la face non pas tant parce qu'elle utilise de façon correcte le pouvoir particulier qu'elle détient, que parce que l'on craint qu'elle en fasse un usage néfaste, c'est-à-dire qui nuise, de façon directe ou indirecte, à ceux qui vous entourent. La face octroyée repose alors sur la crainte inspirée plutôt que sur la considération, une distinction que les paysans expriment en disant par exemple qu'untel «n'avait pas vraiment de la face, mais qu'on lui donnait de la face parce qu'on avait peur de lui » Avoir de la face, c'est-à-dire jouir d'une certaine considération sociale, dépend en effet de la valeur reconnue par la société à un individu, laquelle dépend à sont tour du pouvoir d'action détenu 1. WuQumei,NewYork,octobre1988,N854.

par celui-ci (les ressources possédées) et surtout de l'orientation de cette action (la conduite adoptée à l'égard d'autrui). Plus les ressources possédées s'accompagnent de qualités morales, plus le capital de face est susceptible d'augmenter. Mais, dans la mesure où posséder de la face est indissociable des manifestations de considération exprimées par les membres du groupe, il est possible également de jouir de telles manifestations parce que le groupe vous craint. Une certaine considération peut être ainsi accordée à des paysans qui possèdent simplement un pouvoir d'action très étendu, et dont, pour cette raison, les membres de la société vont chercher à se prévenir. La même expression «avoir de la face» est souvent employée dans les deux cas, même si les habitants de Ping'an distinguent la considération qui s'accompagne d'estime et qui est alliée à des qualités morales, de la considération qui repose sur la peur et naît de la seule possession de certains biens conférant un pouvoir important, en qualifiant la première de «véritable face»et la seconde, de «fausse face ». Il arrive ainsi que la richesse matérielle acquise soit telle qu'elle oblige le groupe à manifester une certaine considération envers celui qui détient un pouvoir étendu et représente de ce fait une menace. Il s'agit alors de «donner de la face» à un individu qui, pourtant, n'est pas reconnu comme «ayant de la face». Il est parfois difficile cependant de séparer de façon très catégorique ces différentes réactions sociales : un individu qui a acquis beaucoup de face grâce à ses qualités morales, a acquis en même temps un pouvoir étendu qui suscite peu à peu, au fur et à mesure que son capital de face augmente, des craintes au sein de la société. Donner de la face constitue en effet une rétribution morale, mais un tel geste possède également un caractère prescriptif. En leur manifestant de la considération, le groupe encourage certains de ses membres à utiliser leur pouvoir pour le bien de tous, et s'efforce d'en décourager d'autres à l'employer de façon néfaste. Octroyer de la face à quelqu'un, on le verra, c'est le soutenir, faciliter ses faits et gestes, fermer les yeux quand il commet une faute légère, ce qui peut transformer la vie des paysans. Mais c'est également, dans la mesure où celui auquel on accorde de la face attache de l'importance à celle-ci, l'inciter à se conformer aux attentes des uns et des autres, attentes liées au statut qui lui a été reconnu. C'est l'encourager à ne pas commettre certains actes, nuisibles à autrui, et qui pourraient lui faire perdre la face.

«Laface,c'estdifficileàobtenir.Lesgensvousobserventdepuisvotrenaissance.Plus onvousdonnedelaface,plusvousyêtesattaché. Plusvousavezdelaface,plusles gensvousfontconfiance,carilssaventquevousvoulezgarderlaface,quevousferez toutpouréviterdelametreenpièces. » De façon plus large, de même que la notion de renqing qui désigne à la fois les liens établis entre les individus et les familles mais également les marques de sympathie qui reflètent l'état de ces relations, de même est-il difficile de distinguer le degré de considération sociale dont jouit un individu (soit le fait d'« avoir de la face») des manifestations de considération qui lui sont accordées (soit le fait pour autrui de lui «donner dela face»). Et ces manifestations peuvent être l'expression de différents sentiments : l'amitié, la crainte, le respect. En d'autres termes, l'estime dont on jouit et les marques d'estime sont étroitement liées... «Qu'on aime ou qu'on craigne une personne, dans les deux cas on lui attribue de la valeur», dit Hobbes dans un passage consacré à la définition de l'honneur. Et c'est bien la même idée qui fonde la notion de face Il est impossible d'opposer simplement ceux qui ont de la face à ceux qui n'en ont pas. Peu d'individus nejouissent d'aucun respect et chacun tire profit ne serait-ce que de la face octroyée par les membres de sa famille. Toute relation sociale implique d'autre part un transfert de face, dont la nature et la direction dépendent des personnes en présence. Autrement dit, en dehors des marques de considération collectives, très variables, exprimées par un groupe à l'égard de chacun de ses membres, chaque rencontre entre deux ou plusieurs personnes implique un transport de face. Les amitiés personnelles développées à l'intérieur mais surtout à l'extérieur du village étendent ainsi le nombre d'individus qui vous donnent de la face, qui sont prêts à vous venir en aide si nécessaire, à prendre votre parti en cas de conflit avec autrui ce qui, enretour, augmente 1. MaiJieshi,NewYork,octobre1988,K675. 2. T.Hobbes,Léviathan,Paris, Sirey,traduitetprésentéparF.Tricaud,1971,p.85. citéparL.BoltanskietL.ThévenotdansLeséconomiesdelagrandeur,p.78.Biendespropexoesm deplH obbessiulrdit lh' onneur ceéptodue«crai facnet»d'.uA elorsqu' qu'êtrep«euhvoennotrad'baleil»eurs c'ests'aêtppl reiq«uer honaouréc,oanim ningsriapnadr ndui om b r e » ( T . H o b b e s , 1 9 7 7 , L e s é l é m e n t s d u droi t nat u rel e t pol i t i q ue, L y o n , L H ' e r m es,tratetmperpésoeunrtélespaaut rLres .Rcohuoxs,e1s,9d7e7,m pê.m 87e)e,nouceenqcuoirceo,nàcperrnoepolessdhuom «pri mxes,»cedn'eelh'stom pam slee,vqeune-, «com dréeeupram aisdescri la' chetpetiur in.eBleopltarnixsk»i(et HL ob.Tbhesé,v1e9n7o1t,ap.pp8e3l)e.nCte«telalenat ctuurereaduétérensoum ggé»rla onqdueicdeétqerum eL davaencslL e s é c o n o m i e s d e l a g r a n d e u r , et q u i p r é s e n t e d e n o m b r e u x p o i n t s d e r a p p r o c h e m ents u' sagedelanotionde«face»enChine.

votre pouvoir et par voie de conséquence, la considération sociale dont on jouit. La face, élément fondamental de l'identité individuelle, est ainsi étroitement liée à l'étendue et à la nature du réseau de relations possédé. Elle dépend du nombre de personnes qui vous accordent un tel capital mais aussi de la richesse dont celles-ci sont pourvues dans ce domaine. En d'autres termes, plus les personnes qui vous donnent de la face ont elles-même de la face, plus vous en avez. Dans la mesure où elle ne repose pas entièrement sur des ressources quantifiables, bien circonscrites, mais se trouve intimement liée à la conduite observée, la face est également, comme le dit Goffman, un prêt de la société Loin d'être déterminée une fois pour toute, elle évolue au gré de vos faits et gestes. Toute action positive dirigée vers autrui l'augmente ou la préserve. Toute action jugée répréhensible l'entame, de façon parfois irréversible, à moins que l'on possède un capital de face tel que la société ait perdu toute emprise sur votre conduite. Ce qui fait dire aux habitants de Taishan que, quitte à se comporter de façon négative, il vaut mieux le faire à l'extérieur de la société où vous évoluez, loin de ceux qui connaissent votre visage. Les rencontres sont l'un des moments privilégiés pendant lesquels la face des uns et des autres est enjeu, pendant lesquels il est nécessaire d'adopter une ligne de conduite permettant de «garder la face»quelle que soit sa richesse en ce domaine, mais aussi depréserver et, si possible, d'augmenter la face possédée. Il s'agit en fait de prétendre à une certaine face et de voir dans quelle mesure celle-ci vous est effectivement accordée, et par qui. Desrègles informelles existent, qui guident les échanges et vous permettent de garder la tête haute. L'un des principes fondamentaux permettant de conserver son capital de face est d'agir de façon conforme au statut qui est alors le sien et à la considération dont onjouit, afin de montrer que l'on est conscient de ce capital et qu'on le revendique entièrement. Il s'agit donc ni de sous-estimer, ni de surestimer le capital de face possédé. Cet impératif implique que l'on se comporte de façon différente selon la personne rencontrée. Car le lieu de l'échange et les interlocuteurs rencontrées influencent le statut possédé. Ainsi, agir de façon conforme à son statut prend un sens difgiG re,la9-4fa2c,epo.u13fai.rebonnefigure?,Lesritesd'interaction, Paris, Éditio1n.sEdrevinM nuoitf,m 19a7n4,,P22e6rdp.

férent pour Mai Jieshi, selon qu'il rencontre, au titre de commerçant du bourg, des membres de la Chambre de commerce de Conglou ou au titre defuxiong, des habitants de Ping'an. C'est également «perdre la face» pour le propriétaire du commerce «Aux épis abondants» que de marchander lors de l'achat de porcs, mais il n'en va pas de même pour les employés de Mai Jieshi, auxquels celui-ci fait donc appel lorsqu'il désire que les prix soient discutés. C'est également perdre la face, en tant quefuxiong, statut convoité par Mai Jieshi, que d'aller de foyer en foyer réclamer le riz destiné à pourvoir aux dépenses du canton : aussi délègue-t-il ses pouvoirs aux responsables d'unités administratives inférieures qui existent alors, appeléesjia. Mais ce serait aussi essuyer un affront personnel si, pour résoudre un querelle avec un village voisin, il devait prendre une décision qui ne soit pas suivie par les siens. Al'inverse, être obligé, du fait d'un changement de situation, d'agir de façon non conforme au statut qui est le sien, constitue une humiliation. Certaines femmes, issues de familles aisées, refusent par exemple d'aller demander un peu de riz à droite et à gauche pendant la guerre contre le Japon, comme Damu, que sa belle-mère ne peut plus nourrir convenablement lorsque les contributions des Chinois d'outre-mer ne parviennent plus au village. «LaQuatrièmeTante, qui avait prêté tout sonargent avant lo' ccupation deHong Kong,s'estretrouvéesoudainsanslesou,ellequiétaitlu' nedesfemmeslesmieuxloties duvilage. Eleallait aumarchélepanier vide,et eleenrevenait lepaniervide. Un jour,quandsabelefile aouvertlepanieret avuqu'il était vide,encoreunefois,elle s'estmiseencolère,elleainjuriélaQuatrièmeTantequinesavaitplusoùsecacher.Sa bele file venait du' ne famile riche, elle était gâtée, avait mauvaiscaractère. Ele n'avait jam.a»isété pauvre, et était incapabledeposersa face pouraller mendiersa nourriture. Perdre la face, dans un échange, c'est également ne pas atteindre l'objectif revendiqué, fixé par chacun en fonction du capital de face qu'il pense détenir. Dans la lutte qui oppose, au début des années quarante, les jeunesfuxiong à Leming, un paysan ayant acquis ce titre plusieurs décennies auparavant, ce dernier perd la face car il neparvient pas à contrôler MaiJieshi et les siens et à leur assigner une place subordonnée dans la gestion des affaires villageoises, une ambition qu'il a pourtant proclamée haut et fort. Humilié, Leming décide alors d'aller vivre à Canton, afin de ne pas connaître le sort de ceux qui ne sont plusfuxiong que de nom. 1. WuBingzi,NewYork,avril1985,0869.

Il est d'autre part important pour garder la face lors d'une rencontre de faire preuve d'assurance en montrant que l'on ne craint pas son interlocuteur et que l'on ne revient pas sur des décisions prises, dans la mesure où ces dernières, une fois encore, sont liées au capital de face revendiqué. C'est ainsi qu'au début des années quarante, l'un des baozhang, le plus petit représentant de l'administration locale, se refuse à aller rendre la part supplémentaire de grains prélevée, pour lui mais de façon indue, par les paysans chargés de la sécurité : «Cen'est pasévident,quandonso' ccupedesaffairescommunes,d'allerainsideporte enporteréclamerunpeudegrains.C'estdifficiled'ouvrirlabouchecarçaneprocure pasvraimentdelaface. Lesgengful'ont doncfait àmaplace, pourmedonnerdela face. Maisaprès,unefoisquelesgensduvilageontcommencéàprotesterparceque trop degrainsleuravaient étéréclamés,il m'était impossibledefaire marchearrière. Commentallerdemaisonenmaisonrendrequelquesgrainsetgarderlaface?Celavoulait direquej'avaispeurd'eux.Commentprendrelaparoleaprèscela?Vousma'ccusez d'avoir mangéplusquemapart?Jel'ai fait et alors?Jen'ai paspeur.Enmontrant quejen'avaispaspeur,j'ai gagnéaucontraireunpeuderespect.Sinon,ilm'auraitété impossibledecontinuerà"leverlatête" auvillage» Se comporter de façon trop tolérante ou, au contraire, trop violente face à un affront est un aveu de faiblesse. Al'inverse, la capacité à agir de façon mesurée par rapport à la situation, à trouver des compromis, sans tomber dans une conduite excessive, révèle assurance et maîtrise de soi et permet de gagner la considération des uns et des autres, même si une telle conduite n'est pas toujours facile à tenir. Les mécanismes grâce auxquels un capital de face se constitue montrent l'importance des contacts directs entre deux ou plusieurs personnes, qui permettent d'établir un jugement mais aussi de l'exprimer. D'où également le fait que plus votre visage est connu d'un nombre important de personnes, plus votre face est grande. Tel est le cas par exemple des commerçants, de ceux «dont la face apparaît au marché», dont «la face est connue de tous», ce qui accroît leur prestige. Al'inverse, il faut posséder un réseau de relations étendu, avoir de nombreuses connaissances (renmian da) qui vous accordent leur confiance, pour ouvrir un commerce au bourg. La difficulté d'obtenir la confiance des gens que l'on ne connaît pas explique enfin l'importance du rôle de l'intermédiaire qui met en présence des individus qu'il connaît, lui, en lesquels il a confiance, et dont il se porte garant. 1. MaiJieshi, NewYork,mai1985,E26.

Il existe différents moyens, pour les membres de la société, de donner ou non dela face à autrui et d'assigner ainsi à chacun un statut social particulier. Onmanifeste sa considération en allant dans le sens de son interlocuteur, quelle que soit sa demande, en répondant de façon positive à ses initiatives, en «lui facilitant la vie», pour reprendre l'expression des paysans de Taishan. Donner de la face à autrui au cours d'un échange privé ou public, c'est d'abord agir envers lui avec égard, éviter de le critiquer ouvertement, de démontrer le mal-fondédesaposition oudesemoquerdelui. Peu d'échanges sont véritablement privés, hormis ceux qui se déroulent à l'intérieur de la maison. Les conversations se produisent souvent devant témoins, ou sont rapportées par l'un des interlocuteurs, surtout lorsque l'un d'eux n'a pas donné de face à l'autre et entend le faire savoir. Il n'existe pas en effet d'alternative entre donner de la face ou en refuser, entre manifester sa considération à autrui et l'offenser. Donner de la face à quelqu'un, c'est aussi lui venir en aide, sur le plan matériel, qu'il en ait fait la demande ou pas. Dès que Mai Leguan est de retour aux États-Unis après un séjour au village, les autres membres du lignage Mai viennent spontanément lui proposer de lui prêter de l'argent afin qu'il puisse créer un nouveau commerce. Demême, lorsque le village aide l'un de ses membres démunis à se marier, il lui donne de la face. Ces gestes ont d'autant plus de portée ou, en d'autres termes, confèrent d'autant plus de face qu'ils ne relèvent pas d'une obligation et manifestent un oubli des intérêts personnels. Donner de la face, c'est également de répondre de façon positive aux initiatives prises en faveur d'un individu, ou par ce dernier. Les projets entrepris réclament parfois la collaboration d'un nombre élevé de personnes pour réussir, et ils s'accompagnent alors d'une véritable reconnaissance sociale. Ceux qui lancent de telles opérations le font en général lorsqu'ils sont sûrs de jouir d'une considération assez étendue pour qu'une majorité des personnes concernées participe. Donner de la face à quelqu'un, c'est aussi par exemple se rendre à ses invitations officielles, comme lors des banquets organisés en l'honneur du mariage d'un fils. Le nombre de convives présents renseigne alors sur la face possédée par le père du marié. Certaines occasions comme les mariages, permettent en effet, en réclamant des marques de considération publiques, de déployer de façon ostentatoire le capital de face possédé et de le consolider. Les liens étroits instaurés entre la face et les gestes

précis à travers lesquels elle circule, explique que la première soit parfois interprétée comme encourageant un respect superficiel de l'étiquette, ou, en d'autres termes, l'adoption de gestes devant plus aux conventions qu'à de véritables sentiments. Lesexemples précédents montrent que la face, née desressources particulières possédées et de l'usage qui en est fait ou que la société vousencourage àenfaire, est elle-mêmeuneressource. Cequi est possible pourunpaysan qui abeaucoupdefacenel'est paspourunautre qui en serait largement dépourvu. Deux personnes, ayant des biens quantifiables équivalents tels que le niveau de culture ou la fortune possédée, peuvent ainsi se trouver dans des positions très différentes sur le plan des opportunités qui leur seront offertes ou de la facilité avec laquelle elles pourront mener à bien leurs projets. Cette ressource représente d'autre part un véritable capital, et accorder dela face constitue un geste derétribution qui peut parfois sesubstituer à une rétribution économique enbonne et due forme. Tel commerçant deConglouremercie ainsi lespaysans qui l'aident à acheter des porcs dans les différents villages de la région en payant simplement leurs repas lorsqu'ils les rencontrent par hasard au restaurant, ce qui augmente la considération sociale dont ils jouissent. Al'autre extrême, ceux qui ont de la face accroissent plus rapidement que les autres leurs ressources matérielles. Lesmembresdela société, pour manifester leur considération, leur rendent en effet parfois des services importants sans exigerdecontrepartie matérielle. «MaiYingzunétait unfuxiongdesMaideXincun,pasviolentdutout. Auvilage,il essayait toujours derésoudreles problèmesdefaçonpacifique. Maisc'était aussiun grandfonctionnaireauniveaudelacapitaleprovinciale.Alorsquandilétaitderetour auvilage,nonseulementlesMailuidonnaientdelaface,maisaussilesLi,etlesChen deDoujie,ungrandlignagedeplusdedixmilepersonnes,etaussilesDeng.ADoujie, ilyavaitdesgrandessuperficiesdeterrereprisesàlamer,elesappartenaiententhéorie augouvernementmaispersonnenes'en occupait. Cesterres appartenaientducoupà ceuxquilesentouraientdu' nebarrière. Unjour,aprèsla guerrecontreleJapon,ona annoncéqueMaiYingzunallait entourerdesterres àunendroitprécis. Cesterres se comptaientendizainesd'hectares,et nonpasenmucommecheznous.Quandlanouveleaétéannoncée,lesMai,maisaussilesLi,lesChen,lesDengontenvoyédesgens pourl'aider. Iln'avaitriendemandé,maislesgenssontvenusde'ux-mêmel'aider,tant safaceétait grande.Il n'apaseubesoindelespayer. Il n'était pasméchant,etpourtant il avait touslespouvoirs. C'étaitdoncbienundespotelocal.Commentexpliquer autrement que tant depersonnes soient venues spontanément l'aider?Mêmesi sa conduiteavaitétécorrectejusque-là,toutlemondeavaitpeur,tant sonpouvoirétait grand.C'estpourçaquelaface,c'estdel'argent.»' 1. MaiKejiu,HongKong,novembre1986,Z1411.

L'aide apportée à Mai Yingzun est due néanmoins au fait qu'un nombre très étendu de personnes lui manifestent de la considération ce qui renforce son pouvoir, et non pas à sa prospérité économique. Mais donner dela face à quelqu'un c'est aussi fermer les yeux en cas de délit, ou lui infliger une sanction plus légère que prévue. A l'inverse, celui auquel la plupart des membres du village n'accordent pas de face est puni plus sévèrement que de coutume. «C'estnormal.Celuiquin'a pasdeface,et bien,lesautresn'ont pasbesoindetenir comptedecelle-ci. Ilsn'ontdéjàpasunebonneimpressiondelui,alorss'il commeten plusundélit,ilssaisirontcetteoccasiondelepunir.Etmême,certainsquin'ontpasde facepeuvent être punis pouruncrimequ'ils n'ont pascommis. Parexemple, si un hommealh' abitude devoler,et siunefamileperdquelquechose,tout lemondeva soupçonnerceluiquiadéjàcommisdenombreuxvols.Plusonleregardera,plusonsera sûrquec'estluilecoupable.Sicertainsvontalorsjusqu'à affirmerquec'estcertainementluiquiafaitlecoup,personneneprétendralecontraire. Ets'ilnie,toutlemonde serad'autantpluspersuadéqu'ilestlecoupable.» La notion de face n'intervient pas uniquement dans le domaine du contrôle social et il serait erroné de la réduire à un simple rôle d'instrument répressif, amenant les individus à établir un contrôle strict sur tous leurs propres faits et gestes. A l'inverse, tous les mécanismes de contrôle social ne peuvent être compris et interprétés à l'aune de cette seule notion. Pourtant, il est difficile d'évoquer les différents moyens par lesquels la société s'efforce d'encourager certaines pratiques ou d'en dissuader d'autres, en passant sous silence le rôle joué par l'octroi ou au contraire le retrait de considération sociale. Vers 1920, un drame se produit à Ping'an. Au cours d'une dispute avec sa belle-mère, Xunlian, du segment lignager Qichang, lui lance :« Vous devriez avoir honte! C'est vraiment terrible ce que vous avez fait !» Pour la belle-mère, l'allusion est claire : sa bru lui rappelle le délit d'adultère commis de nombreuses années plus tôt, bien avant le mariage de son fils, mais dont certaines paysannes ont fait état auprès de la jeune mariée. Sans mot dire, la belle-mère se dirige vers le réservoir alimentant le réseau d'irrigation, suivie par sa fille et par une voisine qui se sont élancées derrière elle pour essayer de la raisonner. Quelques minutes plus tard, toutes trois ont péri noyées, les deux dernières ayant vainement tenté de sauver la 1. MaiSuma,Ping'an,octobre1986,Y1311.

paysanne qui estimait impossible de survivre à l'affront infligé par sa bru. «Cen'était pasbiend'insulter ainsisabele-mère,et surtout delui rappelerunetele conduite.Cetefemmeperdaittotalementlaface,etquandonpartagelamêmemaison, quandonsevoit touslesjours, il estimportant quechacunconserveunpeudeface pourvivre.Troisviesontétéemportéesenquelquesinstants, simplementparcequela belle-fileavaitprononcécesmots.Pourtant,personnen'afaitdereprochesàXunlian. Eleétait déjàassezabattueetoncraignaitqu'elenesuicideeleaussi.Toutlemonde savaitqu'eleavaitmalagi,etellelesavaitaussi.Toutlemondesavaitaussiquejamais pluselleneseraittranquile. Maiseleétaitgentileets'entendaitbienavectous.Alors, aprèslamortdesabele-mère,personnen'avoulula' ccableretluifaireperdrelaface. S'il s'était agidu' neautre,ayantoffensélesunsetlesautres,l'histoireneseseraitpas arrêt éelà.inJesulnteée.sa»ispascequelesfuxiongauraientfait, maislesmembresduvilage l'auraient Le récit de cet incident par Wu Bingzi révèle que le concept de face intervient d'abord dans l'appréciation d'un délit et par conséquent, dans le choix de la punition attribuée, l'identité du coupable et donc la considération dont il jouit influençant la façon dont la conduite est perçue. En d'autres termes, la personne est jugée au moins autant que l'acte. De plus, les actes jugés les plus répréhensibles sont ceux qui entraînent une perte de face chez la victime, même si tel n'est pas toujours le principal effet recherché. Enfin, la sanction infligée a toujours pour conséquence avouée ou indirecte de faire perdre la face au coupable. Un autre incident illustre les liens étroits établis entre la face possédée et l'interprétation du délit commis. Au cours des années vingt, l'une des commères du village, qui a pour surnom «la femme vantarde », s'en prend à une autre paysanne de Ping'an qui a donné naissance à un fils dont l'esprit est un peu dérangé. La dispute est à son comble quand soudain la paysanne tombe à terre évanouie. Personne ne parvient à la faire revenir à elle et elle meurt quelques minutes plus tard. Or la «femme vantarde » a offensé nombre de villageois, lesquels étaient jusque-là dépourvus de recours, hormis celui de refuser toute forme d'entraide agricole avec elle. Cette femme possède en effet quelques biens et jouit ainsi d'une certaine indépendance. Mais cette affaire, qui oppose pourtant deux femmes appartenant à des segments lignagers différents, déclenche la coalition de tous les habitants de Ping'an. Certains témoins de la scène prétendent que la victime a été jetée à terre et 1. WuBingzi,NewYork,avril 1985,0877.

piétinée ; d'autres, qui n'étaient pourtant pas présents sur les lieux, confirment le fait. Personne ne prend la défense de la paysanne incriminée. « Enfait, cette femme avait blessé l'amour-propre de trop de paysans à Ping'an. Beaucoup avaient perdu la face un jour ou l'autre à cause d'elle. Alors, quand quelqu'un a dit qu'elle avait frappé l'autre femme, tout le monde a abondé dans ce sens. Il est plus juste de dire plutôt qu'elle a injurié l'autre à mort. Ses insultes étaient si terribles qu'on était empli de colère en l'écoutant, sans pouvoir se défendre. C'est ce qui est arrivé à l'autre. Sous le coup de la colère, elle a cessé de respirer et elle est morte étouffée. C'est bien cette mégère la responsable de sa mort... » En agissant ainsi, les paysans s'efforcent d'entraîner une réaction officielle des fuxiong et d'infliger une punition à celle qui leur a fait perdre la face à tant de reprises. Ils y parviennent d'ailleurs puisque les responsables villageois, devant une telle unanimité, et bien qu'ils ne soient pas dupes des récits de l'incident faits par les uns et par les autres, décident au cours d'une réunion de lui infliger un châtiment dont les conséquences économiques et sociales sont très graves : armés d'un bambou, ils parcourent les terres appartenant à la coupable et le fichent dans certains de ces champs qui sont alors mis en vente, l'argent récolté étant confié à la famille de la victime. Le danger que peut représenter l'interprétation d'un délit par le groupe, en fonction des liens tissés autrefois entre l'individu jugé coupable et les membres du groupe, n'échappe pas aux paysans qui encouragent chacun à ne pas s'aliéner un trop grand nombre de personnes. «Les sentiments humains, c'est ainsi. Ils vont, ils viennent. Ceque tu donnes à l'autre. il te le rendra. Elle pensait qu'elle avait de l'argent, qu'elle n'avait donc pas besoin des autres, mais queles autres avaient besoin d'elle. Comment aurait-elle pu imaginer qu'un jour une femme périrait à la suite d'une dispute avec elle ? Cejour-là, tout le monde a dit qu'elle l'avait piétinée ; tout le monde voulait la punir. Ala campagne, c'est tout petit, quelques personnes de plus qui vous aident ou qui s'opposent à vous, ça fait toute la différence. C'est pour cela qu'il ne faut pas aller trop loin. Offenser trop de monde, c'est toujours dangereux. Ici, il n'y a pas de lois, ce sont les règlements lignagers et les sentiments humains qui comptent... » Cette affaire décrit un cas extrême de détournement de la véritable nature du geste commis. Dans la plupart des cas, peu de doutes existent sur l'identité du coupable et le délit reproché. Il 1. Mai Jieshi, NewYork, septembre 1988, I 592. 2. Mai Jieshi, NewYork, octobre 1988, K681.

n'en demeure pas moins que l'appréciation de ce dernier n'échappe pas à l'environnement particulier et concret dans lequel l'acte s'est déroulé, et que la face possédée par le coupable comme par la victime jouent ici un rôle certain. La plupart des sanctions spontanées, individuelles ou collectives, auxquelles les membres de la société ont recours pour condamner des comportements jugés déviants, et qui vont du simple commérage aux manifestations d'ostracisme, ont pour objet de faire perdre la face à autrui. Les commérages, officiellement décriés et néanmoins incessants, sont souvent désignés par l'expression « parler de ce qui est et de ce qui n'est pas ». Il existe au village les hommes et les femmes dont on parle, c'est-à-dire sur qui les commentaires vont bon train, et ceux dont on ne parle pas, signe que leur conduite n'offre pas de prises aux critiques. Les commérages surgissent par exemple lorsque le reproche formulé est trop dérisoire pour justifier une attaque formelle. Les victimes ont alors pour seul recours de raconter la mésaventure qui leur est arrivée, un moyen également de se protéger de la version transmise aux uns et aux autres par l'autre intéressé. Un paysan de Ping'an, craignant qu'on ne l'accuse de ne pas savoir contrôler son appétit, raconte par exemple : « La grand-mère de ALin, elle était très près deses sous et fort maligne. Lorsqueje l'aidais pour le repiquage ou les récoltes, je prenais mes repas chez elle, comme c'est la coutume. Or elle me donnait pour manger le riz un tout petit bol. Je sais pas où elle avait été chercher un si petit bol ! Quand je m'étais servi trois fois, j'avais mangé tout juste l'équivalent d'un bol ordinaire. Maisje n'osais pas meresservir trop souvent. Elle aurait été dire aux autres femmes du village, mine de rien : "Leimin a mangé neuf bols de riz aujourd'hui." De quoi aurais-je eu l'air ? J'aurais vraiment perdu la face !» Mais les commérages sont aussi une réponse aux comportements jugés répréhensibles qui ne suscitent pas de sanction formelle, souvent parce qu'ils sont considérés comme relevant de la sphère privée. Les belle-mères qui n'aident pas leur bru après la naissance d'un enfant, qui ne lui accordent aucun temps de repos ou l'obligent à laver le linge juste après l'accouchement sont ainsi l'objet des commérages des autres villageoises. Les commentaires s'attaquent aussi aux femmes coupables du délit d'adultère, délit qui entraîne la plus grande perte de face pour la femme. A partir des années vingt, aucune sanction officielle ne vient punir un tel acte. 1. Mai Leimin, Ping'an, septembre 1986, Z1476. Paysan pauvre, issu dufang Qichang.

Les problèmes d'adultère sont considérés comme des affaires privées, une évolution favorisée par l'absence de nombreux époux aux États-Unis ce qui limite les réactions violentes et les demandes de réparation de la part de ceux qui s'estiment lésés, mais aussi par le fait que la plupart des délits d'adultère commis à Ping'an au cours de la première moitié du XX sont le fait d'hommes du segment lignager Qichang. Or celui-ci, on le sait, domine les affaires villageoises, et les responsables du fang ne souhaitent pas faire perdre la face à l'ensemble du groupe en portant ces affaires sur la place publique. Un tel délit n'en demeure pas moins très grave jusqu'à 1949, et outre les commentaires désobligeants, les coupables, surtout les femmes, doivent affronter critiques, insultes, et manifestations d'ostracisme diverses. Enfin, les critiques indirectes sont également parfois le seul moyen de dénoncer certains actes commis par des paysans auxquelles sont accordées des marques de considération sans qu'ils soient véritablement estimés. «La femme Miankou maltraitait sa servante. Elle était très méchante. La mère de Zheyang aussi, elle a tué sa servante et avec l'aide de Miankou, elle l'a enterrée. C'était au début des années trente. Tout le monde était furieux, mais elle avait un peu de face car elle avait de l'argent. Laservante, elle, venait d'un autre village, et personne de chez elle n'est venu demander des comptes. Dans notre village, tout le monde était au courant, mais à l'extérieur du village, personne n'a rien su. »' Les commérages et les manifestations de rejet, en associant un nom à une opération de dénonciation, font perdre la face, même si les secondes peuvent également avoir des conséquences économiques importantes ; les critiques, les plaisanteries ou les gifles ont quant à elles pour objectif avoué de « balayer la face » de ceux qui en sont victimes. Les sanctions formelles entraînent une plus grande perte de face encore, même si tel n'est pas toujours leur principal objectif. Là encore, le répertoire des châtiments que les autorités villageoises et lignagères peut prononcer est varié, allant des simples remontrances adressées par un fuxiong à un membre du groupe à l'exécution du coupable. Certaines de ces peines sont inscrites dans les règlements, révisés chaque année, qui régissent le travail des paysans chargés de la sécurité. Elles sont donc spécifiques à un village et des communautés voisines peuvent ainsi réagir de façon assez 1. Chen Luanqin, Hong Kong, octobre 1986, P 938.

différentes face à un même délit. Ces règlements écrits concernent surtout les vols, et si la punition infligée —et surtout le montant du dédommagement réclamé —varient en fonction de la valeur des biens subtilisés, elle varie aussi en fonction de la façon dont le forfait a été accompli. La généalogie des Mai, régulièrement mise à jour, et confiée au commerce de Mai Leguan pendant la décennie qui précède l'arrivée au pouvoir du Parti communiste, ne comprend pas, on l'a vu, de liste des châtiments lignagers, contrairement aux généalogies de lignages plus importants. C'est donc la tradition orale qui détermine ici la gamme des réactions possibles face à une attaque extérieure ou à l'acte, jugé répréhensible, d'un membre du lignage. Ce mode de transmission favorise une certaine souplesse des décisions et une évolution progressive des sanctions. Les paysans de Ping'an sont d'ailleurs conscients du fait que les précédents dont ils se réclament ne remontent jamais plus loin qu'à deux ou trois décennies. Peu d'affaires sont portées devant les cours des tribunaux, et il existe un écart entre la législation nationale et les règlements locaux, même si cet écart tend à diminuer vers la fin de la période nationaliste, sous l'influence d'une diffusion plus large, auprès de jeunes paysans instruits, des lois officielles. Il n'en demeure pas moins que, jusqu'en 1949, pour reprendre les propos d'un habitant de Ping'an : « La loi est lointaine, les règlements et les précédents de la communauté sont proches. Quand on vit à la campagne, il faut suivre la coutume, ou partir. » La gravité des sanctions officielles varie selon que l'affaire se déroule sous le toit du coupable ou de la victime, c'est-à-dire dans l'espace privé d'une habitation, dans la baraque des hommes chargés de la sécurité, dans un temple inférieur ou supérieur. Dans le premier cas, il s'agit, pour les fuxiong, on l'a vu, d'adresser leurs remontrances à un membre du lignage, remontrances qui sont parfois assorties d'une punition physique. Les responsables lignagers interviennent souvent à la demande des proches du coupable, mais ils peuvent aussi agir sans que personne ne les ait sollicités, s'ils jugent trop néfaste pour tous l'exemple donné par celui dont le comportement s'écarte des normes admises. C'est ainsi, on l'a vu, 1. Deng Weisheng, New York, avril 1992, Z 1599. Marié à une femme du village de Ping'an, diplômé de l'école secondaire de Taicheng, il entre au Parti communiste chinois en 1949. Il quitte le district de Taishan en 1987.

que Danwei est critiqué et battu dans le temple Qichang, après que sa mère ait demandé à Leguan de l'aider à remettre son fils dans le droit chemin. De telles demandes sont formulées de façon exceptionnelle, lorsque les actes commis sont graves et qu'ils mettent en péril le groupe familial. La femme de Li, le «petit homme» du village, demande vers la fin des années quarante à unfuxiong villageois d'aller faire la leçon à sa bru qui s'est montrée impertinente à son égard, mais l'affaire tourne court : «LorsqueleQuatrièmeOncleestarrivéchezlabelle-file, cette dernièreaétéprisede paniqueetl'aaccueiliavecbeaucoupd'égards.Eles'estmontréesigentilequeleQuatrième Oncleapenséqu'ele nepouvait pasêtre coupable desfautes qui lui étaient reprochées,etilestrepartisansriendire.» Les gengfu jouent différents rôles dans le domaine du contrôle social : ils arrêtent les éventuels voleurs, infligent les punitions physiques décidées par lesfuxiong, mais prennent parfois l'initiative de ces dernières lorsque les coupables sont des enfants. Certaines femmes dénonceront longuement leurs actes lors de la Réforme agraire, au cours de ces séances où chacun doit décrire les méfaits de la société ancienne : «LaSeptièmeFemmen'arrêtait pasdeparler,deracontercombiensesenfantsavaient étébattus. C'était lu' nedesfamileslespluspauvresdeQichang,carle pèreétait très paresseux.Eleracontait combienils avaient faimpendantla guerrecontreleJapon, pendantlesmoisd'hiveroùtout le rizdelarécolte précédenteadéjà étémangé. Un jour,PomenetPoliang,sesdeuxfils, ontétévusentraindedéterrerdestarosdansle champsd'unautre.Ilslesontemmenésdansleurbaraqueetbattusàtourderôleavec desroseaux.QuandestvenuletempsdeLiTezhendefrapperPoliang,celui-cil'a supplié: "Prendsunpetit roseau, oncleLi!" Et pourtant, cesgengfuquiont frappéles deuxfrèresappartenaienteuxaussiaufangQichang,commelesenfants.QuandPoliang eestnfléresv.e»nuàla maison, il nepouvait plus bouger,et sesmainset ses pieds étaient Mais la plupart des sanctions formelles sont prises, par les fuxiong, dans les temples des ancêtres. Les deux châtiments les plus graves sont l'exécution, et l'exclusion lignagère, pour lesquelles l'accord de tous les fuxiong présents est requis. Deux hommes de Ping'an sont exécutés au cours de la première moitié du XXsiècle : l'un par les gengfu, qui sollicitent ensuite l'autorisation écrite des responsables villageois, et l'autre, sur recommandation des membres du conseil lignager, par l'autorité du canton. Le premier est accusé d'avoir coopéré avec des bandits de Guandou pour piller la Hew ongYK 21.. C ChheennL Fuuhaunaqnin,,N orkon,og,catoobûrte11998868,,O U811128.0.

maison d'une famille de Chinois d'outre-mer et notamment avec un coiffeur de Guandou qui vient tous les quinze jours proposer ses services aux habitants de Ping'an, et le second a commis des vols pendant la période de famine qui sévit au cours de la guerre contre le Japon. De tels cas sont rares néanmoins, du moins au sein du lignage des Mai de Zhuhu, alors que plus d'une dizaine de personnes sont exécutées par les Wu de Guandou entre 1938 et 1945. Une telle exécution signifie souvent le déclin de toute une famille. La punition capitale pour les femmes, qui consistait en une mort par noyade, n'est plus en vigueur pendant cette première moitié du XX siècle. Elle est remplacée par une punition qui consiste à plonger la femme dans l'étang puis à la remonter et à l'exhiber aux yeux de tous, entraînant ainsi une perte de face irrémédiable. Pareil châtiment est infligée à une femme pendant les années vingt, accusée d'avoir levé la main contre sa belle-mère. Cela fait alors plusieurs années déjà que les relations sont mauvaises entre les deux femmes, et si lesfuxiong de Ping'an tolèrent les écarts de conduite de la jeune mariée, se contentant de remontrances verbales qui restent sans effet, c'est qu'elle est originaire de Guandou et que les Mai ne veulent pas provoquer les Wu. Mais la belle-mère est originaire du puissant lignage des Chen, et les membres de celui-ci ne peuvent accepter, sans réagir, que l'une de leurs femmes soit maltraitée. Ce serait perdre la face. Ils font donc pression sur les responsables de Ping'an pour que justice soit faite. «Cetebelle-file, ellevenaitdu' nefamileassezrichecarsonpèretravaillait enAmérique. Eleétait donchabituéeàcequo' nlatraite avecdeségards,maissabele-mère ncet etl'eentendait ispudteessét fréèqrue,elnutiesent entarileael tun.joLur,es bruaécrpasaésduencet botledorei erizles.uL relasdtête aabieelnte-m ntleles.E front. Chenontenvoyéunedélégationpourdemanderréparation.. Lesfuxiongontdécidéde luifaireperdrelaface.» Après être restée dans l'étang pendant quelques instants, placée dans une auge à cochon, la jeune femme est hissée hors de l'eau. L'exclusion n'est pas une sanction plus favorable que la mort. Pour les paysans, mieux vaut d'ailleurs la mort physique que la mort sociale, tant il est difficile de pouvoir survivre sans l'aide des membres du groupe comme d'expliquer à autrui l'absence de liens avec sa communauté d'origine. Cette absence de liens autorise tous les soupçons, et fait de celui qui a été victime d'une telle manifesta1. MaiSuma,Ping'an,octobre1986,Y1329.

tion d'ostracisme un hommeenqui on nepeut avoir confiance, quel que soit le lieu où il essaye de s'installer. Si aucun membre du lignage Mai de Zhuhu n'est exclu entre 1911 et 1949, Ping'an accueille pendant quelques années une famille, parente de l'une des femmes mariées du village, dont le chef a subi un tel châtiment. Cette famille survit de l'aide apportée par les uns et par les autres, vivant chichement dans une petite baraque construite en bordure d'un champs, car n'étant pas membre du village, elle n'est pas autorisée à vivre dans son enceinte. Le beau père d'une femme Mai, marié à un membre du lignage Deng d'un village voisin, est également exclu du lignage au début des années trente pour un délit que nul ne veut dévoiler. Pour les femmes, l'exclusion se traduit par la répudiation, menace souvent brandie par certaines familles mais très rarement mise à exécution pendant la période étudiée. Les punitions peuvent également être physiques —les fuxiong décidant de faire infliger au coupable un certain nombre de coups—. ouéconomiques. Parmicesdernières, la plus redoutée porte lenomde «manger le banquet de cochons», et punit surtout ceux accusés de délits importants comme d'avoir «manger» des biens lignagers ou d'entretenir desrelations d'adultère avec des femmes du village. Dès qu'une telle décision est prise par lesfuxiong, tous les habitants du village parcourent les ruelles et tuent tous les cochons qu'ils rencontrent, jusqu'à ceque les responsables locaux y mettent le holà. C'est au coupable depayer le prix des cochons abattus, lesquels sont mangésaucours d'un grand banquet réunissant tous les habitants duvillage. Untel châtiment, souvent signe defaillite pour les paysans, n a en fait jamais été infligé à Ping'an, dans toute l'histoire du village. Cette solution est envisagée une seule fois pour punir un paysan accusé d'avoir vendu des fusils collectifs, mais Mai Leguan s'y oppose. L'autre sanction économiques'appelle «ficher lechamp», et la «femme vantarde » est la seule à subir une telle punition entre 1911 et 1949. Certains champs du coupable sont alors, comme onl'a vu, vendus auxenchères, le produit dela vente étant versé à la famille de la victime. Il y a aussi les dédommagements ou amendes requis dans certaines circonstances. D'autres sanctions enfin ont pour seulbut defaire perdre la face au coupable, dele discréditer aux yeux de ceux parmi lesquels il vit. Il s'agit par exemple de promener ce dernier dans tout le lignage, en lui demandant de taper sur des cymbales. Pareil sort est infligé par exemple aux gengfu de Ping'an surpris entrain dedéguster destaros volés dans unchamps, sur déci-

sion du conseil lignager, ou au jeune paysan Mai pris sur leur fait en train de chaparder sur les terres des Wu de Guandou pendant la guerre contre le Japon. Cependant, tout châtiment, qu'il soit physique, économique ou social, rendu à l'ombre des temples des ancêtres devant une bonne partie de la population, entraîne une perte de face irrémédiable, tant la mémoire collective des délits commis par les uns ou les autres et des punitions infligées est entretenue. La sanction officielle peut s'accompagner d'une forme de réparation envers la victime et sa famille, mais tel n'est jamais son seul objectif. Elle n'a pas pour but d'effacer la faute commise mais dejeter le discrédit et la honte sur celui qui la subit. En diminuant les ressources, matérielles ou pas, dont celui-ci disposera désormais, elle l'affaiblit également et lui impose de mieux coopérer avec le groupe que par le passé. Face à de telles conséquences, lesfuxiong hésitent à infliger des sanctions formelles, à moins qu'une pression très forte ne s'exprime de la part du groupe de résidence ou de la famille de la victime. Deux femmes sont punies officiellement (les champs de l'une sont fichés, l'autre est plongée dans l'étang), deux hommes sont exécutés, certains gengfu sont promenés dans le lignage, des amendes sont versées ici ou là : la liste des châtiments formels prononcés à Ping'an entre 1911 et 1949 n'est pas très longue si l'on s'en tient à l'action des responsables villageois et lignagers, mêmesi les décisions prises alors par ces derniers apparaissent redoutables. Bien que de nombreux délits demeurent impunis, la menace d'une sanction officielle exerce un rôle dissuasif certain, car la perte de face est alors publique et collective. Que la punition soit spontanée ou formelle, la véritable sanction positive, c'est bien l'octroi de face, et la sanction négative, le retrait de la face accordée jusque-là. Ce qui incite chacun à réfléchir aux relations sociales entretenues avec son entourage et aux conséquences de ses actes sur autrui. Deuxtypes d'individus seulement échappent à cette contrainte : ceux qui «ne veulent pas de face», soit parce qu'ils n'en ont plus ou qu'ils parviennent, commeJumin, àsedoter d'une certaine margede liberté sans constituer demenacepour le groupe, ouceuxqui ont une face telle quela société n'a plus deprise sureux, àmoinsqu'un événementexceptionnel nerenverse la situation. La face : née de la reconnaissance par autrui de certaines ressources et qualités morales, et donc d'une interaction entre l'indi-

vidu et le groupe, elle est à la fois, de façon paradoxale, synonyme de contrôle sur l'individu et de liberté. Plus on possède de la face, plus onjouit d'une certaine marge de liberté, même si celle-ci n'est accordée qu'à titre provisoire. La face est d'autre part le fruit d une longue histoire d'échanges individuels et collectifs. Elément fondamental de l'identité individuelle qui décide en grande partie du destin de chacun, elle se construit, jour après jour, sur les relations sociales établies avec les uns et les autres, et dont il lui est impossible de se détacher. La face n'est donc pas un capital qui peut se transmettre dans son intégralité. Dece fait, si les groupes, quelle que soit leur nature, jouent un rôle fondamental à l'intérieur de la société de Taishan, les individus qui constituent ces groupes ne sont pas interchangeables. Ils y occupent au contraire une place unique. L'importance accordée aux relations sociales pour définir l'identité ou la position des individus au sein de la société, les liens étroits ainsi instaurés entre les sentiments éprouvés et les manifestations de ces sentiments au cours des échanges sociaux, expliquent la fréquence des interprétations en termes de stratégie ou de visée instrumentale souvent proposées par les acteurs sociaux comme par les observateurs, lorsqu'ils doivent rendre compte des conduites individuelles. Demême qu'ils soulignent l'importance du travail de comparaison engagé pour peser les mérites des différents membres du groupe ou évaluer la conduite présente d'un individu par rapport à sa conduite passée. Ces éléments ne doivent pas faire oublier cependant les liens étroits établis entre la face et la conduite morale. Enfin, dans la mesure où donner de la face à autrui, c'est répondre de façon positive à ses demandes et aller dans le sens de ses désirs, c'est également augmenter sa capacité d'action. Née de la possession de différentes ressources, la face possédée, si elle est importante, contribue donc en retour à augmenter les ressources économiques et sociales détenues. Elle accroit en ce sens le pouvoir des individus sur ceux qui les entourent.

VII

:

«Lesfuxiong, ce sont ceux qui peuvent prendre la parole dans les affaires locales. Pour être fuxiong, il faut d'abord que certains te respectent, qu'ils écoutent tes décisions, qu'ils te donnent de la face. Les décisions desfuxiong, en fin de compte, il faut qu'elles soient exécutées par les autres. Si la plupart d'entre eux te donnent de la face, si dès que tu parles, les plus jeunes font ce que tu as dit, alors tu es unfuxiong. Mais si personne ne bouge quand tu parles, c'est comme si tu n'avais pas parlé. Et tu sais très bien alors que tu n'es pas unfuxiong !» N'importe qui peut devenir fuxiong, ou plus exactement, n'importe quel homme, puisque les femmes ne peuvent prétendre à ce titre Il existe deux modes d'accès au pouvoir : le premier, valorisé, repose sur l'autorité acquise, alors que le second, redouté, prend appui sur le recours à la violence 1. L'expression utilisée par les paysans de Taishan et traduite ici par "les plus jeunes" est en fait l'expression housheng, qui signifie littéralement "ceux qui sont nés après". Une autre expression lui est synonyme, zizhi, qui signifie "les fils et les neveux". Toutes deux désignent souvent les paysans, célibataires pour la plupart, qui disposent de temps libre pour seconder lesfuxiong et exécuter leurs ordres. Onretrouve souvent parmi eux des membres de l'équipe chargée de la sécurité, des élèves des cours d'arts martiaux. Du fait de leur jeune âge, ils peuvent agir plus directement et plus brutalement que les fuxiong, sans que cela porte autant à conséquence. 2. Mai Dingsu, New York, mai 1985, E 10. Membre du segment lignager, Dingsu fait également partie de cette génération de jeunes fuxiong. Ayant toujours vécu à Ping'an, il émigre au début de l'année 1985 aux États-Unis. 3. Certaines d'entre elles sont simplement reconnues commedes responsables féminines (funü tou) auprès desquelles les villageoises vont prendre conseil lorsqu'un problème surgit au sein de la famille ou lorsqu'elles s'interrogent sur le déroulement correct d'une cérémonie. 4. Afin d'opérer des distinctions entre les différents types defuxiong, nous avons utilisé les définitions proposées par H. Arendt concernant les expressions «puissance», «autorité» et «violence ». La «puissance»est une propriété individuelle, elle est ici attribuée à certains du fait par exemple qu'ils sont membres d'un segment lignager ou d'un lignage puissant, ce qui influence leurs capacités d'action. La «violence » est avant tout instrumentale. La

Ceux dont l'autorité finit par être reconnue au terme d'un long processus, sont tous dotés au départ d'un certain capital de face, capital qui augmente avec l'exercice du pouvoir. On ne choisit pas comme fuxiong un homme peu estimé. A l'inverse, tout paysan jouissant d'une certaine considération n'occupe pas d'emblée une position de pouvoir au sein de sa communauté. Il lui faut en effet asseoir son autorité en démontrant sa volonté et sa capacité à s'occuper, mieux que d'autres, des affaires communes Un véritable travail de construction de la légitimité est à l'œuvre caractérisé, comme pour la constitution du capital de face, par la rencontre entre des initiatives individuelles et des manifestations de reconnaissance sociale. Si l'acquisition de face et celle d'autorité sont étroitement liées, la face naît plutôt d'un comportement positif orienté vers autrui, d'où l'importance de la morale, alors que l'autorité d'un fuxiong repose aussi sur sa compétence à protéger les intérêts des groupes qu'il représente, d'où l'importance accordée aux capacités intellectuelles, c'est-à-dire au fait d'être malin, intelligent, rusé ou habile en argumentation. De plus, accorder de l'autorité à certains individus est une nécessité impérative pour les différentes unités sociales, alors qu'accorder de la considération sociale à autrui ne relève pas de la même exigence. Les groupes locaux ont en effet besoin de fuxiong pour les représenter et, si possible, de fuxiong capables. Aucun segment lignager, par exemple, ne peut se passer de responsables pour résoudre les affaires internes comme pour prendre la parole au niveau villageois. « Il y a fatalement quelqu'un vers qui les gens dufang se tournent quand il faut prendre une décision ou quand il faut discuter avec les responsables des autres segments lignagers. On ne peut pas faire autrement. Si tu n'as pas defuxiong pour parler pour toi, tu es perdu. Cela veut dire que ce sont les autres qui décideront pour toi, et ils n'auront pas tes intérêts à cœur. Avoir unfuxiong trop bête ou trop naïf, c'est déjà mauvais, mais ne pas en avoir du tout, c'est catastrophique !» notion d'autorité enfin est ici importante pour comprendre le processus par lequel un homme est reconnu comme fuxiong, obtenant alors la confiance et l'obéissance de ceux qui l'ont reconnu. Elle permet de mettre en évidence, ce qui est souvent passé sous silence ou présenté comme un acte de domination : la nécessité, dans certaines régions de Chine, d'une forme de suffrage collectif pour que l'autorité de certains individus soit reconnue. On Violence, New York, Harcourt, Brace & World, Inc., 1969, 106 p., 44-46. Cf. également l'article de P. Ladrière, Espace public et démocratie, Pouvoir et légitimité. Figures del'espacepublic, Raisons pratiques, EHESS, 1992, 19-44. 1. Cesprincipes doivent permettre de régler les affaires internes au groupe commecelles liant plusieurs groupes entre eux. Ils font de cesfuxiong des «êtres moraux» au sens où l'entendent L. Boltanski et L. Thévenot, Les économies de la grandeur, 1987, p. 3. 2. Mai Jieshi, NewYork, mai 1985, F 453.

Il existe des ressources qui, plus que d'autres, permettent éventuellement d'acquérir une certaine autorité : ce sont celles qui démontrent la propriété de ressources intellectuelles particulières. L'une de ces ressources est l'âge, comme le nom même de fuxiong l'indique. Fu, c'est le père, soit la génération supérieure alors que xiong désigne les frères aînés. L'âge est à l'évidence un facteur d'autorité, du fait de l'expérience comme du savoir qu'il confère, surtout dans un contexte social où les changements sociaux sont lents. Un « chef de grande famille », c'est-à-dire un homme à la tête de nombreux fils, petits-fils et neveux, occupe ainsi une situation privilégiée pour étendre son autorité au-delà du groupe de ses descendants. Mais s'il est difficile d'être reconnu fuxiong alors qu'on est très jeune, l'âge ou le niveau de génération n'est pas, loin s'en faut, une condition suffisante pour être entendu en cette première moitié du XX siècle. L'idée de confier à des individus possédant le seul privilège de l'âge le destin de tout un village, un lignage ou un canton, est rejetée par les paysans comme beaucoup trop dangereuse. A Ping'an, les hommes assez âgés pour recevoir une double part de porc rôti lors du culte des ancêtres sont simplement invités à assister aux délibérations qui se déroulent dans les temples des ancêtres inférieurs. Au sein des temples supérieurs par contre, il est impossible, faute de place, de leur marquer ainsi une certaine considération. A l'inverse, nombre de fuxiong ont entre trente et quarante ans pendant la période étudiée. Outre l'âge, tout savoir qui déborde les connaissances du paysan attaché à sa terre constitue ainsi un atout pour devenir fuxiong. Une fois encore domine la figure du lettré, qu'il ait passé avec suc-

cès les examens mandarinaux ou ceux, moins, prestigieux, des universités et écoles de l'époque républicaine. Cette importance attachée au lettré s'enracine dans la conviction que celui-ci a lu les livres qui décrivent les principes supérieurs, ceux qui s'élèvent audessus des intérêts particuliers et qui représentent «la volonté du ciel». L'homme instruit peut avoir recours à des arguments plus variés qu'autrui et se montrer également plus habile pour forcer les compromis, le savoir et l'intelligence étant considérés comme étroitement liés. On connaît cependant la richesse limitée du lignage Mai en ce domaine et le déséquilibre important entre la branche Sui Wei et la branche Sui An. Si quelques lettrés ont vu le jour à Zhuhu depuis la fondation du lignage Mai, peu d'hommes de Sui An savent lire et

écrire à la fin du XIX siècle. A Ping'an, ils sont deux à poursuivre des études au-delà de l'école primaire pendant les années dix, alors que le niveau de culture s'élève très rapidement au cours des deux décennies suivantes. Pendant les années vingt, trois hommes de Ping'an sont étudiants à Shanghai, deux autres à Pékin et le dernier au Japon. Ils sont ensuite une poignée, pendant les années trente, à suivre des études universitaires ou à obtenir un diplôme d'une école de commerce ou d'études politiques et juridiques, à Canton cette fois, alors que se multiplient les diplômés de l'école secondaire. Mai Dancong, le premier petit-fils de Mai Leguan, né en 1916, est le dernier au village à s'asseoir sur les bancs de l'université, en 1936. Mais ces quelques réussites sont le fait d'individus qui ne séjournent pas en permanence dans leur village natal pendant les années étudiées. Quelle que soit la réussite des uns et des autres, le nombre de ceux qui ont passé avec succès des examens prestigieux ou trouvé un poste élevé dans l'administration est si faible dans cette localité que l'image dufuxiong ne peut être associée à celle du lettré ou tout simplement, pour la période plus récente, à celle de l'homme instruit. La direction des affaires du village, du lignage ou du canton n'est donc pas confiée à des hommes réputés pour leur savoir officiel. Entre 1911 et 1949, le lignage Mai compte ainsi parmi ses membres un seul bachelier des examens impériaux, qui poursuit ensuite des études juridiques et entame une carrière d'avocat à Taicheng au cours des années vingt. Originaire de Zhuhu, il contribue avec d'autres au prestige du lignage Mai. En dépit de l'estime que lui vaut sa réussite, il n'est pas considéré comme le principal responsable lignager, titre accordé à Changfei, membre du mêmefang que lui. L'une des raisons de cette position de faiblesse, relative, par rapport à Changfei, est son absence prolongée du village à certaines époques. Car on ne peut être fuxiong et s'occuper des affaires locales que si l'on réside au village ou au bourg. Ces hommes qui habitent loin du village, qu'il s'agisse des membres de l'administration centrale ou provinciale ou, plus simplement, d'émigrés partis chercher fortune en Amérique, peuvent être sollicités par les fuxiong et soutenir leur action, mais ils ne sont eux-mêmes considérés commefuxiong qu'aussi longtemps que durent leurs séjours au pays. Faute de lettrés ou d'hommes instruits en nombre suffisant, les Mai se tournent vers ceux qui possèdent des connaissances inacces-

sibles aux paysans restés au village à labourer leurs terres. Les diplômés de l'école secondaire qui, bien souvent, enseignent dans les villages et bourgs du district, mais aussi les Chinois d'outre-mer rentrés au pays ou les commerçants du bourg malgré la variété des expériences ainsi confrontées, possèdent d'emblée certains atouts pour devenir fuxiong. Les premiers ont eu accès, dans les livres, à des principes dépassant l'univers étroit du village, et les seconds ont appris, de par leur profession, à conjuguer des intérêts différents. Au-delà du savoir acquis au gré de leurs voyages ou de leur expérience professionnelle, émigrés et commerçants disposent d'autre part d'un privilège important : de l'argent liquide circule entre leurs mains. Cet argent, outre le fait qu'il peut les aider à gagner de la face s'ils acceptent d'en redistribuer une partie à leurs parents démunis, leur permet également de prendre l'initiative de certains projets collectifs. La richesse matérielle n'est donc pas une condition nécessaire ou suffisante pour devenir fuxiong, mais elle permet en effet d'acquérir plus vite de l'autorité «Lesfuxiong, c'est un peulié à l'argent. Laplupart desfuxiong étaient des Chinois d'outre-mer, et surtout desChinoisd'outre-mer revenusdA ' mériqueet nonpas d'Asie duSud-Estcaronygagnait plusd'argent. Maisenfindecompte,leplusimportant,ce n'est pasl'argent, maisc'est demontrerquetu sais, quetu peuxet quetu veuxfaire quelquechosepourla localité.. C'est çaquicompte. Biensûr, si deuxhommesont les mêmesqualitésmaisquel'un aplusd'argent quel'autre, il seraplusfort, caril pourra faireplusdechoses. Etpuissitu asdel'argent, onte fait unpeuplusconfiancecaron sedit quetu n'iras pasprendre desbiens qui appartiennent àtous parce quetu asle ventre vide.» Enfin, les commerçants possèdent en plus le privilège de rencontrer au bourg les membres d'autres villages et lignages, ce qui leur permet, si les membres de leur groupe reconnaissent leur autorité comme fuxiong, de jouer le rôle d'arbitre et de régler les conflits locaux. Parmi les ressources objectives qui favorisent la reconnaissance d'un paysan commefuxiong, il faut également citer l'appartenance 1. Danscetterégionoùlesdifférenciationséconomiquesnesontpastrèsgrandes,il est véritablement difficile d'établir une équivalence entre le titre defuxiong et la prospérité matérielle,commelemontrel'étiquettedeclasseattribuéaprès 1949auxfuxiongdePing'an, etce,malgréladistorsioncauséeparl'importancedesressourcesadresséesdel'étranger, par rapport àcellesissues dela terre. Ainsi, MaiJieshi seraconsidéréen1952comme«paysan moyen-riche», Gengwencomme«paysan pauvre», ainsi d'ailleurs quele prêtre taoïste de JihongetlecoiffeurdeZhuhu,considérécommeleprincipal responsablelignageràla veile de 1949. Dingyi sera reconnu comme «propriétaire foncier féodal» car il s'occupe des comptesd'un petit segmentlignagerquinepossèdepasdetemple. 2. MaiKejiu,HongKong,septembre1986,Y1415.

à un groupe de parenté puissant, c'est-à-dire qui compte de nombreux membres, et si possible des membres instruits ou riches. Mais cette appartenance à un segment lignager ou à un lignage prospère sur le plan numérique ou matériel confère de la puissance et non de l'autorité. Alliée à l'autorité, elle permet à un homme de s'élever plus rapidement que d'autres dans la hiérarchie des fuxiong. Cette condition est donc particulièrement importante pour ceux qui, fuxiong au niveau du segment lignager, souhaitent également pouvoir prendre la parole à un niveau plus élevé, qu'il s'agisse du village, de la branche lignagère, du lignage ou du canton. Si les paroles de Mai Leguan sont entendues au niveau du fang Qichang, mais aussi de Ping'an, de Sui An et de Zhuhu, au cours des années trente et quarante, c'est entre autres parce qu'il peut s'enorgueillir de la réussite des fils de Qichang. Au-delà de ces conditions objectives, qu'il peut ou non réunir en abondance, un candidat au titre de fuxiong doit manifester son désir de s'occuper des problèmes du groupe. Il doit prendre des initiatives ou répondre aux sollicitations des uns et des autres, mettre ses ressources et ses compétences au service d'autrui. En somme, il doit s'efforcer d'asseoir son autorité en montrant sa volonté et, dans un deuxième temps, sa capacité à s'occuper des affaires communes. Celle-ci est testée au regard des compétences possédées par les autres candidats. «Peuimporte quitu es, ont'estime si tu veuxfaire quelquechosepourtous. Situ ne veux pas, onte respectera moins. AZhuhu par exemple, il yavait des hommesqui avaient fait des études, qui étaient professeurs oufonctionnaires àdespostes importants dansl'administration. Lorsqu'ils venaientauvillage,tout lemondeleurmontrait beaucoupdeconsidération. Onvoulait qu'ils fassentquelquechosepourlacollectivité, onvoulait tirer profit deleur savoir. Alorsonlesinvitait àparticiperauxréunionsaux templesdesancêtres. Maisils nevenaient pas. Oubienilsvenaient et nedisaient rien. Quandonleur demandait conseil, ils nesemontraient pastrès enthousiastes, ouparlaientduboutdeslèvres. Auboutd'uncertaintemps,onalaissétomber.Oncontinuait àlesestimer, maismoinsqu'auparavant.. » A l'inverse, Gengwen par exemple manifeste son désir de travailler pour les Mai en proposant régulièrement des solutions lorsqu'un incident surgit dans sonfang mais aussi en sollicitant le poste de responsable de l'équipe chargée de la sécurité à Ping'an, puis en s'acquittant des tâches de baozhang. La carrière de Mai Jieshi débute quant à elle le jour où il est renvoyé de l'école secondaire 1. MaiJieshi, NewYork,juin 1985,G476.

de Taicheng après quelques mois d'étude. Il a perdu la face et sa honte rejaillit sur toute sa famille. Ni son grand-père ni sa mère ne lui pardonneront d'ailleurs cet affront. Peu après son retour au village, le sort désigne cependant sa famille pour s'occuper des affaires liées aux dieux villageois pendant un an. Mai Jieshi s'efforce d'accomplir cette mission de son mieux et, devant cet empressement, les fuxiong du village lui confient peu à peu d'autres tâches mineures dont personne ne veut s'occuper. Puis il est nommé baozhang, à la suite de Gengwen, représentant ainsi l'échelon inférieur de l'administration locale, et prend de plus en plus souvent la parole. S'il est impossible de devenirfuxiong sans manifester sa volonté, en paroles et en actes, de consacrer une partie de son temps et de ses ressources aux affaires communes, ce trait, à lui seul, ne suffit toujours pas. Il faut en effet démontrer la possession de certaines compétences. Chaque homme marié a le droit de prendre la parole pour essayer de faire reconnaître ses capacités à diriger les affaires locales, mais pareilles tentatives avortent rapidement pour nombre d'entre eux. Danchao est ainsi tourné en dérision parce qu'il donne souvent son avis alors qu'il n'a pas de face et que personne ne lui fait confiance, ce qui ôte d'emblée toute valeur à ses paroles. Aux yeux des paysans, les solutions qu'il propose sont d'autre part mauvaises. Elles ne reflètent aucun des principes fondamentaux qui doivent dicter l'action desfuxiong et qui sont au nombre de deux, si l'on résume les arguments des uns et des autres : savoir prendre des décisions correctes (dong daoli), c'est-à-dire conformes aux raisons et aux valeurs communément admises, en respectant plus particulièrement l'un de ces principes qui est celui prônant l'équité, et protéger les intérêts des membres de ce dernier. Ces critères, sous des formulations diverses, reviennent de façon régulière dans la bouche des membres du lignage Mai: «Pourêtre reconnucommefuxiong,il faut faire desefforts pourréussir quelquechose pour la collectivité, il faut montrer qu'on en est capable, que l'on sait agir de façon juste, enrespectantlesbonsprincipes. Et puisil faut montreraussiquel'on sait cequi estbonpourtout lemonde,il fautencouragerparexemplelessolutionspacifiques.»' Les décisions correctes, ce sont celles qui s'inspirent de l'expérience passée, transmise oralement par les anciens fuxiong, mais aussi, on l'a vu, par de nombreux textes et manuels, sans cesse réin1. MaiKejiu, HongKong,octobre 1986,Y1475.

terprétés Etre équitable notamment c'est, on l'a vu à maintes reprises, éviter de privilégier des intérêts particuliers au sein de l'unité qui est en cause. C'est aussi, par la même occasion, résoudre les affaires d'un segment lignager ou d'un lignage en tenant compte du bien de la communauté plus vaste. Il est vrai cependant que cette qualité est surtout requise chez lesfuxiong qui s'occupent plutôt des affaires internes au groupe, alors que ceux qui sont chargés des relations diplomatiques avec les autres groupes doivent avant tout se conformer au troisième principe : savoir défendre les intérêts de la communauté qu'ils représentent. Ces différentes qualités, ceux qui possèdent un niveau de culture élevé sont censés les posséder d'emblée. Ils ont enfin accès à un savoir qui n'est pas simplement celui, réduit et simplifié, qui est contenu dans les manuels scolaires et les traités de savoir-vivre. D'où le prestige accordé aux individus qui ont suivi des études et l'aisance avec laquelle ils sont reconnus fuxiong, s'ils en expriment le désir. Des tensions existent néanmoins, entre ces différents critères. Car lesfuxiong sont dans la plupart des cas à la fois juge et parti, d'où la nécessité qu'ils sachent à la fois défendre l'intérêt des différents groupes qu'ils représentent, mais aussi tenir compte d'intérêts plus larges afin de pouvoir aboutir à des compromis. Les responsables lignagers, selon les époques comme selon leur caractère ou leur savoir, résolvent de façon très différente cette tension. Il n'est pas absolument nécessaire pour un fuxiong de posséder des talents d'orateur (Mai Leguan en est par exemple fort dépourvu), mais, comme on l'a déjà vu, la parole est importante. Débattre, délibérer, communiquer une décision que d'autres se chargeront d'exécuter : tel est en effet le principal mode d'intervention public des responsables locaux. On distingue d'ailleurs les fuxiong des simples paysans en disant que les premiers «parlent des choses » (hua shi). Aussi la société est-elle attentive à la qualité des interventions orales des fuxiong ou de ceux qui souhaitent le devenir, admirant les capacités d'expression des uns, s'amusant au contraire des tics de langage des autres. C'est ainsi qu'à la fin des années trente, une petite chanson reprise par les enfants, court les rues de Ping'an : «Comme ceci et comme cela, comme ceci et comme cela, voici toutes les raisons de Tongwan !» Au cours des 1. MaiJieshi, NewYork,mars1985,B148. 2. MaiJieshi, NewYork,septembre 1989,J 615.

veillées, les hommes chargés de la sécurité ne se privent pas également de se moquer de ce Tongwan, l'un desfuxiong de Renshi, qui divise toujours ses propos en deux parties débutant invariablement par : «Comme ceci... ; comme cela... » Enfin, dernier critère important afin de pouvoir être reconnu comme fuxiong, du moins à Conglou : il faut bénéficier du soutien de ceux qui «sont nés après ». Il s'agit ici de la nécessité, pour un fuxiong, de gagner l'estime de ces jeunes paysans célibataires, souvent prêts à en découdre physiquement avec les membres de groupes voisins, et capables de semer des troubles dans le village s'ils ne respectent aucune autorité. Il apparaît en effet nécessaire de renforcer l'exercice du pouvoir par un recours à la violence, même si celui-ci reste à l'état de menace latente. La violence est dirigée à l'encontre de la minorité qui pourrait remettre en cause les décisions dufuxiong. «Lesfuxiongdoivents'appuyersurlesfilset lesneveux,etlesfilsetlesneveuxdoivent s'appuyer surlesfuxiong.Vousnepouvezpas, àchaquefoisquevousprenezunedécision,satisfairetoutlemonde.Alorsilfautdesfilset desneveuxpourvousprotéger. Les fils et les neveux, c'est unpeucommeunearméepour le gouvernement. Commentse faire respecter si on n'en a pas ? »

Certains Mai de Zhuhu, anciens fuxiong dont la compréhension des mécanismes du pouvoir dépasse celle des paysans ordinaires, évoquent même la nécessité d'un équilibre entre pouvoir civil et pouvoir militaire pour légitimer l'alliance entre jeunes paysans et responsables locaux. Au sein du lignage Mai, en l'absence de biens collectifs à redistribuer ou d'une solide réussite aux examens impériaux qui rendraient les bases de leur pouvoir inattaquables, les fuxiong attachent d'autant plus d'importance aux liens ainsi établis avec les jeunes membres du groupe. S'il est difficile à Conglou de devenir un fuxiong d'envergure sans le soutien actif d'une partie des jeunes membres du groupe, le rôle dissuasif joué par ces derniers ne doit pas toutefois se substituer à l'autorité du responsable local. «Il fautêtreunpeufortpourquelesautresacceptentdevousécouteretentendentvos arguments.Maissivousaveztoujoursrecoursàlaviolencepourrésoudrelesproblèmes, oconfi n naence. vou»s laissera pas monter sur scène. Les gens ne peuvent pas vous faire 1. WuChuvuan,NewYork,mars1985,B128. 23.. M ingsuN ,N ewYYoorkrk,oct ,noovbre em1b9re861,9N 888,0L87.21. MaaiiD Jieshi, ew

Il existe cependant desfuxiong dont le pouvoir repose essentiellement sur l'usage de la violence. Leur présence n'est pas trop redoutée s'ils ne sont pas habilités à prendre seuls des décisions. Ce dernier cas de figure peut surgir lorsque aucun homme n'est parvenu à asseoir son autorité, laissant le champs libre à l'arrivée au pouvoir des seulsfuxiong dits militaires. Il arrive également que ces derniers prennent le pouvoir des mains des fuxiong dits civils, ou que l'exercice du pouvoir transforme un fuxiong civil, amenant ce dernier à avoir recours de plus en plus souvent à la violence. Certains paysans parviennent ainsi à prendre la parole dans les affaires locales parce qu'ils rassemblent de nombreux éléments dissuasifs. Ils remplissent néanmoins en ce cas au moins l'un des trois critères reconnus comme importants pour être consacré fuxiong : savoir défendre les intérêts du groupe vis-à-vis de l'extérieur. A Conglou, ces hommes souvent passés maîtres dans l'art des arts martiaux ont en général un goût prononcé pour la bagarre et jouissent de l'estime des jeunes membres du groupe. Ces qualités leur permettent parfois d'être reconnus comme de véritables fuxiong s'ils ont démontré également l'astuce ou la ruse dont ils savent faire preuve pour protéger le segment lignager ou le village. On les distingue alors des autres fuxiong en disant qu'ils suivent une voie « militaire » (zou wu bian) alors que les autres, dont les mérites apparaissent plus grands, suivent une voie «civile » (zou wen bian). La présence de cesfuxiong enclins à la violence n'est pas jugée néfaste s'ils sont contrôlés par les fuxiong plus orthodoxes. Mai Riwen est par exemple considéré comme un fuxiong militaire au niveau de Qichang, mais son autorité est inférieure à celle de Mai Leguan ou de Mai Jieshi. Ce dernier reconnaît cependant que, s'il acquiert rapidement un pouvoir en tant que fuxiong, c'est en partie grâce à l'amitié que lui porte Riwen, lequel est redouté, à l'intérieur comme à l'extérieur du village, pour ses réactions souvent brutales et imprévisibles. Deux personnes seulement parviennent à lui faire entendre raison : Mai Jieshi et son grand-père. Or Mai Riwen a beaucoup de face auprès des jeunes paysans du village. Nombre d'entre eux lui sont dévoués et exécutent avec diligence toutes ses décisions. Par l'intermédiaire de Riwen, Mai Jieshi dispose ainsi de l'appui de ceux qui sont «nés après ». En revanche, il est important d'empêcher les fuxiong de type militaire de prendre le pouvoir au sein d'un village ou d'un lignage car des risques inutiles sont alors encourus par les membres de ces

groupes. Pourtant, de telles situations ne peuvent pas toujours être évitées : c'est ainsi que les Wu de Guandou sont dirigés pendant les années trente et quarante par deux hommes qui, bien qu'ayant fréquenté les bancs de l'école secondaire à la fin des années, optent pour la manière forte et cumulent les postes de fuxiong et de responsable des gengfu, refusent toute négociation en cas de problème, et empêchent la montée au pouvoir de jeunes instruits, plus ouverts qu'eux, pendant la guerre contre le Japon. Ainsi, si les paysans peuvent citer les noms des responsables locaux qui, au sein du lignage Mai et des lignages voisins, remplissent les différentes conditions énoncées ci-dessus pendant la première moitié du XX siècle et acquièrent une véritable autorité, ils peuvent également citer les noms de ceux qui, parce qu'ils appartiennent à un fang puissant et jouissent du soutien des jeunes membres de leur groupe de parenté, agissent de façon despotique, en privilégiant ouvertement les intérêts de leurs proches. Agir de façon correcte et équitable n'est certainement pas l'une des qualités les mieux partagées, mais il est difficile à quiconque ne protège pas les intérêts du groupe qu'il représente des menaces extérieures, d'être reconnu comme fuxiong. Ce dernier principe est fondamental, même s'il entraîne parfois la négation des deux premiers. Les hommes qui ont recours facilement à la violence, qui agissent de façon parfois abusive à l'intérieur du village ou du lignage, doivent au moins mettre leur force dissuasive au service des leurs s'ils veulent être reconnus comme fuxiong. En ce sens, ils jouissent également d'une certaine autorité. «Parfois il yadesfuxiongtrès mauvais, très cruels et injustes. Ils seconduisent mal enverslesmembresdeleurfang, maissouvent,commeils necherchent pasàêtreéquitables, encas deproblème aveclesautres, ils essaient àtout prix d'obtenir desavantages pourles gensdeleurfang. Alorss'ils n'ont personne d'autre, les membresdece fangpréférerontunfuxiongdecetypeplutôt qu'unfuxiongquinesait paslesdéfendre. Etceshommesquinecraignentrien,ils peuventêtre utiles aulignageencasdeconflit avecd'autreslignages.Onestbienobligédelestolérer. Letout, c'est qu'ilsnesoientpas trop nombreuxet qu'ils neprennentpaslecontrôleduconseillignager.» De tels hommes parviennent néanmoins difficilement à s'élever dans la hiérarchie des fuxiong, car les autres responsables locaux leur barreront la route, à moins qu'ils n'appartiennent à des groupes de parenté dont personne ne peut nier la domination sur les affaires locales. Dire que les principes décrits ci-dessus doivent guider l'action 1. MaiSuma,Ping'an, octobre 1986,X1351.

des fuxiong, ne revient pas à faire de ces responsables locaux un portrait idéal. Il ne s'agit pas ici de proposer un modèle abstrait se réalisant peu souvent dans la pratique. Aucun homme ne peut se baptiser fuxiong sans que la société lui ait reconnu quelque autorité, et ces derniers naissent de la capacité, démontrée aux membres du groupe, à résoudre les problèmes en respectant certains au moins des principes cités. Notons simplement une nouvelle fois que ces derniers, censés guider l'action des fuxiong, n'indiquent pas avec précision la marche à suivre : on peut agir de façon plus ou moins correcte par rapport à la tradition, se montrer plus ou moins équitable et savoir plus ou moins défendre les intérêts des siens. La nécessité de désigner des fuxiong et le nombre, souvent peu élevé, de candidats compétents à ce titre, aboutit à l'émergence de toutes sortes de responsables, allant de ceux que les paysans acceptent, résignés, comme un moindre mal, à ceux dont la compétence et l'autorité sont reconnues bien au-delà de leur seul groupe de parenté. Enfin, le respect de ces critères par les fuxiong ne signifie pas que l'on puisse dresser d'eux des tableaux très flatteurs. Un fuxiong est apprécié avant tout en fonction de la conduite adoptée dans les situations où la communauté fait appel à lui, plutôt qu'en fonction de son comportement quotidien. Changfei, le principal responsable du lignage Mai au cours des années vingt et trente est par exemple décrit en ces termes : «Al'égard desMai,Changfeiétait très cruel, très dur. C'était vraimentundespote.Si unechosenelui plaisait pas, il pouvait leverla maincontrele coupableenpleinerue sansquepersonnepuisseluidirequoiquecesoit. S'ildisait "un",iln'était pasquestion derépondre"deux". Sesordresétaient sansappel.Toutçaparcequ'il venait d'unfang puissant, maisaussi parce qu'il savait parler. Danslesmomentsoùpersonnenesavait quoifaire, il trouvait tout desuite les bonsarguments,ceuxquirépondaientlemieux auproblème. Encasdeconflit, il n'était jamaisàcourt depropositions. Et quandune querelleéclatait, il savait trouver la solution lapluséquitable pourlesdeuxbords. Du coup, il n'arbitrait pas seulementles conflits àl'intérieur dulignage, maisaussi ceux entre lignages voisins. C'était l'un despersonnages les plus importants de Conglouet grâceàlui, nousautres les Mai,nousavionsdelaface.» Ces qualités ou aptitudes qui permettent de devenirfuxiong tracent ainsi le portrait de différents types de responsables locaux, selon les ressources et les compétences mobilisées par les uns et les autres pour atteindre ce statut. Elles expliquent l'accès au pouvoir à Zhuhu pendant la première moitié du XX siècle de personnes 1. MaiJieshi, NewYork,mars1985,A11.

aussi différentes qu'un bachelier nommé au début du siècle, un coiffeur à Conglou dont la capacité à prendre des décisions plus justes que d'autres a été progressivement reconnue, un avocaillon exerçant à Taicheng dont le pouvoir repose avant tout sur le contrôle exercé sur les jeunes paysans de Zhuhu et qui a créé une «association progressiste» qui est en fait une véritable association de brigandage, et Changfei qui allie la plupart des compétences requises pour devenir un fuxiong respecté même s'il lui sera reproché d'avoir trop usé d'intimidation envers les membres du lignage et d'avoir réduit toute opposition au silence. La nécessité de démontrer sa volonté et sa capacité à s'occuper des affaires communes, mieux que d'autres ne pourraient le faire, signifie que personne ne peut se décerner le titre de fuxiong. Autrement dit, la propriété de certains biens (argent ou appartenance à un groupe de parenté puissant) n'entraîne jamais, de façon automatique, l'attribution d'une telle position au sein de la communauté. Loin d'être passive, privée des moyens de peser sur le choix de ses chefs, lesquels s'imposeraient du fait de leur âge ou de leur prospérité, la société locale et les familles qui la composent jouent un rôle actif dans l'émergence des fuxiong choisissant, parmi les candidats disponibles, ceux qui lui apparaissent comme les plus aptes à défendre l'ordre local. Elle détient, en ce sens, un véritable pouvoir. Aucun acte formel, élection ou attribution officielle de ce titre par certains membres du groupe, ne permet de désigner lesfuxiong. Les paysans récusent d'ailleurs, pour désigner le processus d'émergence des responsables locaux, le verbe «choisir » qui, en suggérant une intervention trop directe de la société, diminue le prestige des fuxiong. Si ceux qui exécutent des tâches collectives secondaires comme l'entretien du réseau d'irrigation, l'organisation des cultes villageois ou le maintien de la sécurité, sont au service de ceux qui les ont choisis, l'autorité des fuxiong, elle, est reconnue par le groupe. L'appellation de fuxiong ne décrit ni un titre ni un grade, mais le type de relation instauré entre les membres du groupe et un individu. Lesfuxiong sont simplement ceux qui interviennent souvent dans les affaires locales et dont les paroles sont écoutées. Ils sont «produits (ou engendrés, chansheng) naturellement »: telle est l'expression qui revient sans cesse dans la bouche des Mai de Zhuhu à propos des responsables locaux. Aux efforts individuels de certains pour intervenir dans les affaires locales répond le jugement

porté par les membres du groupe, y compris par les responsables en place. Etre reconnu comme fuxiong est ainsi le fruit d'une longue période d'observation au cours de laquelle sont testées les capacités des uns et des autres à prendre les bonnes décisions. «Ondevientfuxiongnaturellement. Situ asuncertain âge,onaeuletempsdetevoir àl'épreuve. Lesgensonteuplusdedixans,parfoisplusieursdécennies,pourt'observer. Il yaplusieurspairesd'yeuxquiregardenttoustesfaits etgestes.Celuiquisait trouver les solutions les meileures pourtous, et bien, onlui fait confiance. Dèsqu'on lui fait confiance, il adupouvoir. Il yatoujours des problèmes àla campagne. Quisait les résoudre aumieuxpour sonfang?Tout le mondeadesyeuxpourle voir. Quelest le fuxiong qui a de bonnes relations avec les autres vilages et lignages?C'est facile à découvrir, et beaucoupdepersonneslui feront confiance, mêmes'il n'appartient pasà leurfang. Lesjeunespaysanssoutiennentcesfuxiongquipeuventleurvenirenaide. Ils lesprotègent. Etlepouvoirvientcommeça.» Seuls sont exemptés de cette longue période d'observation ceux qui peuvent se flatter de posséder un titre de mandarin ou d'avoir réussi aux examens impériaux : le statut defuxiong leur est accordé d'emblée, pour peu qu'ils montrent quelque intérêt pour les affaires communes. Nul besoin en effet pour eux de démontrer l'acquisition, par l'expérience, d'un certain savoir : ils l'ont acquis dans les livres. Lesfuxiong en place peuvent néanmoins essayer de s'opposer à l'émergence de nouveaux responsables et là encore, la parole joue un rôle important. Il est aisé de détecter chez un paysan qui propose ses bons offices en cas de problème ou qui lance des initiatives locales le désir d'être reconnu un jour comme fuxiong. Ceux qui sont officiellement confirmés dans ce rôle voient parfois cette arrivée d'un mauvais œil et critiquent les propositions faites ou avancent d'autres solutions, afin d'éviter que les conseils de ce nouveau candidat soient retenus et considérés comme pertinents. Parfois, les fuxiong plus âgés confisquent tout simplement le droit à la parole de ceux qui tentent de faire leurs premiers pas dans la gestion des affaires communes. Une telle stratégie est employée vers la fin des années trente et au début des années quarante par les fuxiong de Ping'an pour réduire au silence les jeunes membres du village, plus cultivés, qui cherchent à intervenir dans les problèmes locaux en introduisant certains changements. Ils s'emportent violemment contre eux, tiennent de longs discours visant à les empêcher de placer un mot. Mai Leguan avait usé, quelques années plus tôt du même procédé pour balayer les ambitions d'un jeune paysan du 1. MaiDingsu,NewYork,mai1985,G468.

lignage voisin des Deng, dont les premières interventions avaient révélé l'intelligence. Al'inverse, les fuxiong en place peuvent soutenir certains candidats au titre et les aider à acquérir de la face. Il n'y a pas recours au suffrage direct pour désigner lesfuxiong. Comme l'indique certains des propos cités ci-dessus, les familles du groupe concerné manifestent leur soutien à un fuxiong potentiel en lui octroyant de la face. Elles sollicitent ses conseils de plus en plus souvent, se rangent facilement à son avis, exécutent ses décisions. Lorsque de façon régulière et systématique, les membres d'un groupe adoptent un tel comportement vis-à-vis de l'un des leurs, il est devenu unfuxiong. Si chacun sait dans un village ou un lignage quels sont les différents fuxiong, il est beaucoup plus difficile de dire à quel moment précis chacun d'entre eux a été reconnu comme tel. Il s'agit d'un cheminement progressif au cours duquel certains candidats au titre sont éliminés, d'autres sont reconnus au niveau très inférieur du segment lignager local, d'autres encore agrandissent le cercle de ceux qui leur octroyent de la face et parlent au nom de groupes de plus en plus étendus, se spécialisant parfois dans un domaine d'intervention particulier. Ce processus d'élargissement du cercle des responsables et de mobilité ascendante de certains d'entre eux s'accompagne d'un mouvement inverse : certains fuxiong cessent peu à peu d'être écoutés comme par le passé et ils sont remplacés par d'autres individus jugés plus aptes à s'occuper des affaires locales. De tels hommes, s'ils ne perdent pas officiellement leur titre, préfèrent souvent cesser de prendre la parole afin que leur perte de face ne soit pas trop évidente, voire même prennent le parti d'aller vivre au bourg pour éviter d'être confronté à leur changement de statut effectif. Cependant, comme à l'absence d'un geste formel de désignation répond l'absence d'un geste formel de destitution, certains fuxiong ont parfois acquis un pouvoir tel qu'il est difficile de le leur reprendre. Il est toujours possible en effet d'attribuer un rôle positif à de mauvais fuxiong qui briment les leurs mais qui, par leur présence, écartent la possibilité d'une attaque extérieure. Mais certains fuxiong de type militaire parviennent à monopoliser le pouvoir au sein d'un lignage et mettre celui-ci à feu et à sang en déclenchant des luttes intralignagères. Le groupe est alors démuni pour reprendre le pouvoir qu'il a octroyé. Seuls d'autres fuxiong peuvent y parvenir, ce qui explique le principe sans cesse rappelé par les Mai, selon lequel il faut toujours favoriser l'émergence de plusieurs fuxiong.

«Ceuxquideviennentpeuàpeudesdespoteslocaux,onnepeutriencontreeux.Ilsont trop depouvoir. Ils développentpeuàpeuunepuissanceterrible; ils nelâchent pasle pouvoiret ilsl'utilisent àtort et àtravers. Ala fin, onnepeutplusrien, sinonattendre leurmort.TuvoisWuJinshietWuDafendeGuandou,ilsontcommencéàleverlatête alorsqu'ils avaientunpeuplusdevingtanset peuàpeuilssesontemparésdupouvoir. Ils avaient chacunungroupedejeunes deleurfangquilesappuyait. Ils sontdevenus unevéritableforcelocaleetlesgensdeGuandousontdevenusimpuissants. Ils ontlancé leurs segments lignagers l'un contre l'autre, ils ont brûlé des maisons, et ils tuaient commesur une scène d'opéra. Combien de paysans aiment une telle vie?Maisque faire?. Ils » étaient telement puissants qu'ils pouvaient vous ôter tous moyens de vivre. Le danger peut venir également defuxiong dits de type civil, qui développent grâce à leurs compétences de chef et d'arbitre un pouvoir au sein d'une localité de plus en plus étendue. Nul ne détient alors les moyens de les contrôler s'ils se comportent peu à peu de façon jugée abusive au sein de leur groupe de parenté. Cette situation explique les sentiments souvent mêlés que les habitants de Conglou éprouvent à l'égard de leurs responsables. Les paysans donnent de la face aux «bons fuxiong » en leur faisant confiance et en leur obéissant, ces deux actions, rassemblées dans un mêmemot (xinfu), étant inséparables. Mais plus la face et donc le pouvoir possédés par un fuxiong augmentent, plus un sentiment de crainte se développe également. Sans parler du véritable climat de terreur que font régner certainsfuxiong en ayant recours directement à la violence. Si certains principes à l'origine du choix des fuxiong peuvent être décrits, l'identité des responsables locaux dépend de critères variés, parmi lesquels figurent l'état des rapports de force locaux mais aussi le nombre et les capacités des candidats au titre de fuxiong selon les villages et les générations. Les conditions locales influencent également les ressources dont disposent les responsables locaux et la nature de leur pouvoir. Ainsi, les fuxiong de Conglou ressemblent plutôt aux chefs de villages de la plaine de la Chine du Nord décrits par P. Duara qu'aux responsables des lignages dominants des Nouveaux territoires de Hong Kong, pourtant très proches géographiquement de Conglou, qui doivent leur position avant tout au contrôle des biens collectifs D'autre part, dans la mesure où l'autorité découle ici de la face 1. MaiJieshi, NewYork,juin 1985,F417. 2. Cf. l'article de R. Watson, Corporate Property and LocalLeadership in the Pearl River Delta, 1898-1941 (p. 239-260) et celui de P. Duara, Elites and the Structures of Authority intheVilagesofNorthChina, 1900-1949(261-281),tousdeuxpubliésdansChineseLocalElites andPatterns ofDominance,éditéparM.Rankinet J. W.Esherick(1990).

possédée et non du seul capital économique, la mobilité des fuxiong apparaît assez grande. Ce titre n'est pas transmis pendant la période étudiée de génération en génération. Les avantages que confère le titre defuxiong varient également d'un endroit à l'autre. A Conglou, les responsables des différents groupes de parenté retirent peu de bénéfices économiques directs de leur position —les biens collectifs étant peu importants —,mais la face qui leur est octroyée leur procure, entre autres, de nombreux avantages matériels : ils sont par exemple mieux informés que d'autres membres de la société, bénéficient de nombreux services, reçoivent de nombreux soutiens pour mener à bien leurs projets personnels. Le terme de fuxiong désigne donc des hommes dont l'autorité est reconnue par la société. Il embrasse sous une même dénomination des responsables qui peuvent intervenir à des niveaux très différents, selon l'étendue du groupe qui les reconnaît et qu'ils représentent. La différence est pourtant grande entre un paysan qui peut prendre la parole au sein de son seul segment lignager et un commerçant invité à jouer le rôle d'arbitre à Conglou quand deux lignages voisins s'opposent. La carrière d'un fuxiong débute d'abord au niveau du groupe de parenté de base : le segment lignager inférieur, dont les responsables portent également le nom de «chef de la grande famille ». Si leur nombre dépend de multiples facteurs allant de la taille du groupe aux compétences de ses membres, chaque fang de Ping'an est dirigé par deux, trois ou quatre personnes entre 1911 et 1949, même si plus d'une dizaine d'hommes se réunissent dans le temple des ancêtres lorsqu'un problème surgit. Aucun chiffre n'est fixé mais la recherche d'un équilibre n'est pas absente des considérations Les fuxiong des différents segments lignagers d'un village forment, on l'a vu, la direction villageoise. Il arrive souvent que l'un de ces responsables villageois se révèle plus capable que d'autres. Son autorité est alors reconnue par l'ensemble des villageois, parce qu'il a su trouver de bonnes solutions pour son segment lignager ou qu'il a fait montre de sa capacité à éviter les favoritismes. Sa voix porte loin et il peut souvent trancher dans les 1. «S'il yacinquantefuxiongpourtrois centspersonnes, c'est ledésordre, onnesait pasquivaobéiràqui. Maisil nefaut pasquelesfuxiongsoienttrop peunonplus,et il faut pousserd'autresfuxiongen avant quandons'aperçoit quecertains veulent monopoliserle pouvoir,sinonilssetransforment facilementendespotes.»

affaires internes. Dans la plupart des cas, le même homme peut également régler les affaires diplomatiques du village, s'il est considéré comme le plus compétent par les siens pour aboutir à un compromis ou si les responsables des autres villages le connaissent et lui donnent de la face, les deux processus se produisant souvent de façon simultanée et se renforçant mutuellement. «Al'extérieur, onconsidérait quejereprésentais Ping'an. Biensûr, il yavait d'autres fuxiongplusâgésquireprésentaient aussi notre village, maismoij'étais dela nouvelle génération. Avant que les anciensfuxiong disparaissent, d'autres montent, et il faut connaître ceuxqui montent dans les vilages et lignages voisins. Leprestige desplus vieuxestunpeuplusgrand,maisdèsqu'ilsnesontpluslà, ceprestigeretombesurceux quilesremplacent. S'il yadesaffaires àrégler danslevilage et quetu t'en occupes,à l'extérieur, trèsviteilssaventquetu esunfuxiong.Etsiunjourilyaunproblèmeavec desvoisins,ilsviennenttechercher. Situ prendsunemauvaisedécisionouqu'ellen'est pasappliquéeparlesgensdeton village,onneviendrapaste voirunesecondefois. Si çvite. a m»arche, si les gensduvilage te donnent de la face et t'écoutent, cela sesait très Un fait demeure certain néanmoins : il est possible de distinguer les fuxiong selon l'étendue du groupe au sein duquel ils peuvent prendre la parole, segment lignager, village, branche lignagère ou lignage mais aussi selon la nature de leur pouvoir. Sont-ils confinés dans la gestion des seules affaires internes de leur groupe, l'équité devant être alors l'une de leurs qualités ? Ou sont-ils appelés à résoudre les problèmes avec les autres groupes lignagers, ce qui réclame avant tout de savoir défendre les intérêts des siens ? Ceux qui peuvent à la fois régler les problèmes internes et externes acquièrent très vite une autorité plus grande que les autres. Derrière l'apparente uniformité du titre de fuxiong que nuance seulement en apparence la division un peu floue opérée entre les grands et les petits fuxiong, les différences sont grandes et connues de tous. La différence qui s'établit ainsi entre lesfuxiong, selon l'étendue de leur autorité et le domaine privilégié dans lequel elle s'exerce, dépend avant tout de leur capacité à trouver des compromis, meilleurs que ceux proposés par autrui, entre les différents principes qui guident et limitent leur action. La morale joue un rôle plus important dans la résolution des affaires internes, les capacités intellectuelles étant par contre privilégiées lorsqu'un problème surgit avec les membres d'un autre groupe. Au niveau de la branche lignagère, les réunions rassemblent des 1. MaiJieshi, NewYork,mai1985,F461.

représentants de tous les segments lignagers internes aux villages qui composent cette unité. Plus de vingt personnes se retrouvent ainsi au temple de Sui An, à Jiangnanbei, lorsqu'une initiative collective est lancée. Une poignée d'entre elles peuvent également prendre la parole au niveau de l'échelon supérieur et sont membres du conseil lignager de Zhuhu. Trois habitants de Ping'an participent au conseil à partir de 1927, Mai Leguan dans un premier temps, puis, à sa demande, le «Quatrième Oncle riche », lui aussi un descendant de Qichang et Mai Leming de Renshi, y sont intégrés. Ils sont rejoints en 1941 par Mai Jieshi. Les membres de cette instance suprême du lignage Mai sont choisis par un processus de cooptation et se réunissent deux ou trois fois par an, car la plupart des problèmes sont résolus au sein des unités inférieures. Ce conseil s'appelle parfois, pendant la période étudiée, «temple de Huicheng », ou «comité des affaires autonomes » puis finalement «comité des affaires lignagères ». «Lecomitédesaffaireslignagères,c'est commeunpetit gouvernementdesMai.Maisce n'est pasle siège del'administration. Cen'est pascommelecantonpar exemplequi a uneadministrationau-dessusdelui, quireçoitdesordresvenusd'enhaut. Aucunétranger ne peut influencer ses décisions mais il n'exerce pas d'autorité à l'extérieur du lignage. Il participeseulementauxdiscussionsconcernant lesaffaireslocales.» Là encore, certains peuvent jouer un rôle plus important que d'autres, surtout en matière diplomatique. Ils sont alors considérés comme «les grands fuxiong parmi les grands fuxiong ». Officiellement, le titre de chef lignager n'existe pas, même si le conseil est parfois dominé par une seule personnalité, comme par exemple à Zhuhu du temps de Changfei. A chaque niveau de la hiérarchie des instances lignagères, un compromis est établi entre la nécessité pour les uns et les autres d'être représentés de façon aussi équitable que possible, et le plus grand pouvoir détenu par certains fuxiong qui, du fait de la reconnaissance sociale dont ils jouissent ou, plus simplement, parce qu'ils sont issus d'un segment lignager beaucoup plus puissant que les autres, tranchent et décident. Sans être toujours relégués au rôle de témoin passif que subissent au début du siècle les représentants de la branche Sui An au conseil des affaires lignagères, certains responsables se contentent ainsi souvent de compléter les propos des autres fuxiong ou d'y apporter des objections secondaires. Toute décision 1. MaiJieshi, NewYork,mars1985,B152.

importante comme celle entraînant par exemple la mort d'un membre du lignage a néanmoins besoin, pour être appliquée, de l'accord de tous les fuxiong présents. Les responsables dont l'autorité domine au conseil lignager sont ceux qui représentent l'ensemble du lignage Mai aux yeux des responsables des lignages voisins. Bien souvent, leur prestige est tel qu'ils sont sollicités pour résoudre des conflits locaux dans lesquels les Mai ne sont pas impliqués. Les principaux responsables des lignages de Conglou dirigent ensemble les affaires de l'unité territoriale et non plus parentale que représente le canton. Ils veillent aux intérêts des membres de leur propre lignage mais défendent aussi ceux de la localité. Certains d'entre eux enfin, comme Changfei ou Mai Leguan, peuvent enfin représenter Conglou aux yeux de la société environnante. Mais, au-delà de ces différences, les mêmes principes dominent la hiérarchie des fuxiong, des principes fondamentaux pour comprendre l'ordre et le fonctionnement de cette société : un fuxiong, quel que soit l'échelon le plus élevé au sein duquel son autorité s'exerce, possède toujours également le titre de fuxiong au niveau des échelons inférieurs. En d'autres termes, nul ne peut prendre la parole au niveau de la branche lignagère par exemple, s'il n'est pas habilité à la prendre au niveau de sonfang et de son village. La carrière d'un fuxiong débute toujours par une reconnaissance directe, par les membres de son segment lignager puis de l'ensemble du village, des ressources et des compétences possédées. Plus il s'élève dans la hiérarchie, plus cette reconnaissance sociale est le fait d'unités plus larges et surtout celui d'autres fuxiong, porte-parole de leurs propres groupes. En outre, de même qu'il est plus facile, pour ceux qui possèdent certaines ressources en abondance (les grands commerçants ou les représentants de fang très puissants), ou certaines compétences (l'art de convaincre ou celui d'argumenter), de représenter une unité supérieure, de même lesfuxiong qui se réunissent à chaque niveau ne détiennent pas tous la même autorité : certains ont le pouvoir de trancher, d'autres simplement celui d'objecter ou de refuser leur accord en cas de décision importante, d'autres encore sont parfois cantonnés dans le rôle de témoin passif, chargé de transmettre aux membres du groupe qu'il représente les décisions prises. Enfin, et c'est sans doute ce qu'il y a de plus important, le groupe mobilisé, le groupe désigné par les paysans lorsqu'ils indiquent que le «fuxiong doit défendre les intérêts de tous »,

dépend des circonstances de l'action : unfuxiong qui doit «protéger les intérêts des siens», c'est aussi bien le chef d'un segment lignager qui défend des biens ou des acquis particuliers, restreints dans l'espace, que la personnalité locale qui prend la parole pour résoudre les affaires cantonales. Cette relativité du groupe concerné atténue l'aspect-très restrictif et particulariste de l'expression «défendre les intérêts de son groupe». Quel que soit néanmoins le niveau auquel il officie et le groupe dont il doit résoudre les problèmes en proposant une solution aussi bonne que possible, le fuxiong ne peut oublier, et encore moins sacrifier, les intérêts des unités inférieures dont il est également le porte-parole. Lesfuxiong les plus célèbres, ceux dont la collectivité entretient la mémoire sans effacer pour autant tous leurs torts ou travers, sont bien ceux qui sont parvenus à concilier les intérêts des différents groupes, emboîtés les uns dans les autres, qu'ils dirigeaient. Il y a donc continuité dans les hommes tout au long de la hiérarchie desfuxiong, et continuité dans les principes fondamentaux respectés par cette hiérarchie, ce qui explique sans doute l'usage d'un même terme, fuxiong, pour désigner les uns et les autres. Il y a enfin continuité dans l'étendue du pouvoir exercé par le fuxiong au sein de son groupe. Celui-ci est en effet très grand puisque, à chaque niveau, la peine de mort peut être prononcée. L'intervention des fuxiong est du même type quelle que soit la taille du groupe considéré. Rééduquer les membres fautifs, prononcer des sanctions, résoudre les conflits au sein du groupe comme avec les groupes voisins, favoriser la coopération des foyers, répondre aux chefs de famille qui leur demandent de trouver un prénom pour leur enfant ou de les appuyer dans le choix de telle future bru : telles sont leurs principales responsabilités. Apartir du début dela guerre contre le Japon, plusieurs facteurs contribuent à l'émergence d'une nouvelle génération defuxiong au seindulignage Maicommeau sein deslignages voisins. Cesnouveaux responsables qui, à la veille de l'arrivée au pouvoir du Parti communiste, influencent lesdestinées desmembresdeleur village mais commencent tout juste à prendre la parole au conseil lignager, vont essayer demodifier la nature et l'étendue dupouvoir desfuxiongsans remettre encausenéanmoins les principes fondamentaux qui guident les instances de pouvoir locales. Ces jeunes fuxiong partagent les mêmesidées, influencées par les notions de démocratie et decitoyenneté que diffusent le nouveau système d'éducation et le mouvement

culturel du 4 mai 1919. A Conglou, contrairement aux régions qui étaient riches en lettrés et où la disparition des examens impériaux suscite l'arrivée au pouvoir d'individus ayant reçu une éducation plus moderne, parfois jugée inférieure à celle de leurs prédécesseurs, le développement de l'éducation dans le Guangdong accorde aux nouvelles couches defuxiong une légitimité accrue par rapport aux fuxiong qui exerçaient pendant les deux premières décennies du XX siècle, et qui étaient pour la plupart des commerçants ou d'anciens Chinois d'outre-mer. L'augmentation du nombre de diplômés de l'école secondaire au cours des années trente, d'autant plus importante à Conglou qu'il s'agit des fils de la grande vague d'émigration des deux premières décennies du siècle, entraîne l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle génération defuxiong, possédant un niveau de culture plus élevé que la précédente, et qui plus est, éduquée selon des principes différents Ces jeunes villageois, qui n'ont pour la plupart jamais cultivé la terre, sont d'autant plus enclins à participer aux affaires collectives qu'ils ne peuvent diriger leurs pas ailleurs : l'émigration est devenue difficile et l'administration ne leur offre pas de débouchés. En 1926, avec quelques années de retard sur Zhuhu, une réforme importante est introduite à Ping'an : l'école primaire, qui avait déjà subi des changements importants après 1905, adopte le nouveau système d'éducation. Les programmes comme les manuels alors édités reflètent les changements importants qui sont alors instaurés. L'étude des textes classiques a été abandonnée alors que se développent des matières telles que l'histoire, la géographie, les mathématiques ou l'anglais. Les leçons de morale sont remplacées officiellement dans tout le pays en 1923 par des leçons de civisme Cette dernière notion est introduite dans le second cycle des écoles primaires après une proposition faite en 1919 lors d'une convention de l'Union des Associations de L'Education nationale Les vertus de la science et de la démocratie sont longuement vantées à la suite 1. SelonH.Halbeisen, le nombredesécolierset étudiants augmenteenChinedeplus de 180%entre 1927et 1938. Cechangement quantitatif sa'ccompagne d'un changement qualitatif. Ladécennie deNankin, LaChineau XXsiècle. Du' nerévolutionàl'autre, 18951949,sousla direction deM.-C.Bergère, L. Bianco,J. Domes,Paris, Fayard, 1989,442p., p. 182.3. C.H.Peake,NationalismandEducationin ModernChina,NewYork,HowardFertig, 1970,194p., p. 110 3. C. S. Tsang, Nationalism in School Education in China, Progressive Education Publishers, HongKong,1967,2 éd., 248p., p. 60.

du mouvement du 4 mai 1919, ainsi que la nécessité d'adopter un comportement social correct. Ces idées nouvelles influencent déjà la conduite des quelques membres du lignage Mai qui suivent des études prolongées pendant les années vingt, mais ceux-ci quittent pour la plupart le village une fois leur diplôme en poche pour n'y revenir que rarement. Par contre, elles jouent un rôle beaucoup plus décisif auprès de la classe d'âge, très importante en nombre grâce à l'achat ou à l'adoption de fils par les Chinois d'outre-mer, qui poursuit des études secondaires à la fin des années vingt et pendant les années trente. L'émigration a permis non seulement une augmentation du nombre d'enfants mais aussi le financement d'écoles de bon niveau, animées par des professeurs venus de Canton. Ce développement de l'éducation, laquelle s'étend à nombre de filles et surtout de garçons, coïncide avec les transformations apportées au contenu même de l'enseignement. L'écart est donc grand avec les fuxiong qui président alors aux destinées du lignage Mai et dont le pouvoir ne repose pas en général sur un savoir scolaire ou littéraire, et auquel ces jeunes instruits reprochent d'être trop autoritaires. C'est au modèle defuxiong représenté par Changfei qu'ils s'en prennent alors. «Ils agissentcommedesempereurslocauxsansaucunregardpourla loi nationale. Ils favorisenttrop la violenceaudétriment dela discussion pourrésoudrelesconflits, surtouttéqduesanfamilles. dils ont. affaire mi » àdeslignages plus faibles. Ils interviennent trop dansl'intiMême Mai Leguan n'échappe pas aux critiques au sein de son segment lignager : si les jeunes membres instruits de Qichang lui sont reconnaissants d'avoir fait cesser les brimades à l'égard de leur «grande famille » et d'avoir permis à celle-ci de faire entendre sa voix au sein du lignage, ils lui reprochent d'avoir trop laissé les fils de Qichang agir à leur guise à Ping'an, sans montrer de considération pour ceux de Renshi. La presse, mais aussi les livres des librairies de Taicheng ou des bibliothèques ambulantes qui parcourent les campagnes et qui se rendent dans les bourgs les jours de marché permettent à ces jeunes paysans instruits d'être informés, même de façon incomplète, des idées et des débats concernant la «nouvelle culture ». De cette dernière, comme de l'éducation qu'ils ont reçue, les jeunes membres du lignage Mai restés au pays retiennent essentiellement trois grandes 1. MaiDingsu,NewYork,juin 1985,G507.

idées. Les bienfaits de la science sont reconnus et célébrés. La notion de démocratie s'implante, interprétée comme la nécessité d'établir une plus grande égalité entre les individus et de favoriser l'expression de la «volonté commune». En termes pratiques, cela se traduit non pas par une remise en cause de la notion de majorité, c'est-à-dire de la supériorité des groupes et lignages les plus importants en nombre, mais par une critique de l'influence excessive de la puissance du groupe sur le destin des individus. S'ils ne revendiquent pas une égalité absolue entre les individus et adhèrent à la nécessité de maintenir la paix locale en établissant un compromis entre l'ordre et la justice, cette dernière doit néanmoins être privilégiée. Il s'agit par exemple de lutter contre les brimades exercées par les plus grands sur les plus faibles, de critiquer lesfuxiong dont l'autorité repose sur la force du groupe qui l'appuie plutôt que sur ses compétences. C'est en fait, bien souvent, dans ce domaine, un retour à l'idéal traditionnel. Mais il existe aussi la volonté de modifier le pouvoir des fuxiong en donnant à d'autres membres du groupe la possibilité de prendre la parole. L'esprit de citoyenneté, enfin, doit être développé, ce qui veut dire essentiellement pour eux que les structures locales reposant sur le principe de la parenté (les lignages) ou sur celui de la territorialité (les villages multiclaniques et les cantons) doivent se rapprocher de l'Etat. Concrètement, cela signifie que ces structures doivent maintenir leur indépendance par rapport à l'administration, mais déléguer à celle-ci, aussi incompétente soit-elle, certains pouvoirs importants comme celui d'infliger la peine capitale. Les règlements villageois et lignagers sont d'autre part encouragés à se rapprocher de la législation nationale. Ces quelques éléments ne font sans doute pas justice à la pensée qui est alors celle des jeunes fuxiong, mais ils ont l'intérêt de pouvoir être évoqués aujourd'hui avec quelque certitude, car ils ont tous inspiré des tentatives de réforme. Ils se sont tous traduits par des actions locales dont les membres du lignage Mai ont été témoins. Pour entreprendre des réformes, certains de ces jeunes paysans instruits doivent être reconnus commefuxiong: c'est, à la fin des années trente, le seul moyen qui leur est offert d'influencer les affaires locales. Si leur niveau de culture élevé au regard des normes de la région constitue un atout majeur, le déclenchement de la guerre contre le Japon va leur permettre d'atteindre, beaucoup plus rapidement qu'en temps normal, le but qu'ils se sont fixé. La guerre en effet, on l'a vu, permet à quelques-uns d'entre eux de

prendre la parole, en tant que chef ou chef-adjoint de l'unité administrative du bao, au sein du conseil lignager. Elle leur offre en même temps, outre l'apprentissage des rudiments du pouvoir, l'occasion de se créer leur propre réseau de relations à l'extérieur du lignage, et de tisser avec des hommes de la même génération des liens de coopération et de solidarité. Ils sont d'autant plus en position de force qu'ils ont accès aux textes gouvernementaux, écrits en langue vernaculaire, ce qui est loin d'être le cas pour lesfuxiong en place, du moins au sein du lignage Mai. Ces jeunes diplômés de l'école secondaire, comme ils s'appellent eux-mêmes volontiers —même si certains ont arrêté leurs études quelques années avant l'obtention du diplôme -, profitent rapidement de cette situation pour faire entendre leur voix. A Ping'an, comme d'autres villages du lignage, l'initiative vient surtout des baozhang qui, d'une part, dépassant le cadre de leurs fonctions officielles, interviennent dans de nombreuses affaires locales traditionnellement réservées aux fuxiong et qui, d'autre part, le font en sollicitant les conseils de leurs compagnons de fortune des autres fang, favorisant ainsi la reconnaissance de ces derniers comme fuxiong. Une alliance entre les jeunes paysans instruits des différents segments lignagers de Ping'an se met par exemple en place pour limiter le pouvoir de leurs fuxiong respectifs. Outre son efficacité stratégique pour «prendre le pouvoir des mains des vieux fuxiong» comme ils disent, cette alliance répond au désir de taire les clivages intralignagers et de diminuer l'influence des raisonnements en termes de rapport de force. A Ping'an, de jeunes paysans sont ainsi reconnus commefuxiong au sein de leur segment lignager pendant la guerre contre le Japon, et à la veille de l'arrivée au pouvoir du Parti communiste, ils peuvent trancher dans les affaires internes villageoises. Certains d'entre eux peuvent même représenter le village vis-à-vis de l'extérieur et participer aux débats du conseil lignager. Cette prise de pouvoir ne se déroule pas sans heurts mais à la veille de 1949, les solutions proposées par les plus jeunes trouvent un écho de plus en plus favorable et sont retenues. Entre 1940 et 1949, ils introduisent un certain nombre de réformes. Apartir de 1941, les hommes chargés de la sécurité sont élus par tous ceux qui désirent participer à l'assemblée, et non plus choisis aux enchères. Cela, pour obtenir une représentation plus équitable de tous les foyers. En 1942, bien des articles du règlement écrit qui

fixe les punitions et amendes à infliger à ceux qui violent la sécurité du village sont modifiés. Ala place du châtiment, inscrit en toutes lettres, figure une formule spécifiant que la décision sera prise en fonction «de la volonté commune». De l'aveu des jeunes fuxiong, cette réforme est un échec total car aucun moyen n'ayant été défini pour permettre à cette volonté commune de s'exprimer lorsqu'un problème surgit, l'absence d'indications précises renforce au contraire le pouvoir arbitraire des hommes chargés de la sécurité commedesfuxiong. Mai Jieshi décide aussi, alors qu'il est baozhang, de prévenir systématiquement tous les foyers lorsqu'une réunion est organisée, alors que jusque-là seuls étaient appelés les chefs de grandes familles, c'est-à-dire lesfuxiong, et quelques paysans âgés. Il maintient cette pratique après avoir cessé d'officier comme baozhang. Li Shizhen, le «petit homme»du village, parcourt les ruelles de tout le village en frappant sur un gong pour prévenir chaque foyer de l'heure et du lieu de la réunion. Achacun ensuite de faire comme bon lui semble. En s'efforçant de diffuser plus largement l'information et d'offrir à un plus grand nombre de personnes la possibilité d'émettre un avis ou une objection, les jeunes fuxiong ont toujours pour objectif de favoriser l'expression d'une «volonté commune» et d'atténuer le caractère autoritaire du pouvoir détenu traditionnellement par les responsables locaux. Mais il s'agit également d'un procédé tactique favorisant leur prise de pouvoir, car il est difficile aux vieux fuxiong de s'opposer à des arguments dont beaucoup de membres du village ont éprouvé la validité. Les femmes sont encouragées à se rendre au temple lorsque l'affaire concerne l'ensemble des villageois. Il est vrai que ni les uns ni les autres n'attendent des paysannes qu'elles proposent des solutions meilleures que celles qui ont déjà été avancées et c'est une participation passive qui leur est proposée. D'autant plus que les célibataires et les jeunes mariées, qui ont parfois un niveau de culture équivalent voire supérieur à certains jeunes fuxiong, ne sont pas conviées à ces réunions. L'autre tentative de réforme concerne les châtiments lignagers, transmis de façon orale. Les jeunesfuxiong s'efforcent de peser sur les décisions prises pour les rapprocher un peu de la législation nationale. S'ils ne recommandent pas aux uns et aux autres de déposer plainte auprès de la cour du district, ils souhaitent que les décisions prises ne tiennent pas compte seulement des précédents mais aussi de la législation, et que l'écart se réduise entre eux. Ils

plaident ainsi pour que des punitions légères soient infligées par exemple à ceux qui volent quelques biens pendant les périodes de famine. Entre l'exécution, prônée par les fuxiong de Guandou par exemple, et l'amende infligée par les règlements nationaux assortie de quelques jours de prison en réponse au vol de quelques patates douces, ils plaident pour une solution intermédiaire, aussi proche que possible de la législation. Ils s'opposent enfin au pouvoir des fuxiong d'exécuter un membre du lignage. Une telle décision doit, à leurs yeux, relever de l'administration. A partir de la fin des années trente, le conseil lignager subit quelques transformations et agit de façon moins autoritaire ; l'arrivée des baozhang et de leurs adjoints favorise la participation aux réunions d'un plus grand nombre de jeunes membres du lignage. Quelques-unes des réformes introduites sont donc aisément adoptées. Au prestige dont jouissent les jeunes fuxiong, du fait de leur éducation, s'ajoute l'efficacité de la tactique utilisée: leur concertation systématique avant toute réunion diminue les possibilités de débats entre fang. Mais, surtout, ces réformes, loin de nuire à l'intérêt des foyers du village, protègent au contraire ces derniers et leur accordent un pouvoir légèrement plus étendu. D'autre part, elles ne privilégient ni ne discriminent aucun des segments lignagers. Aucun des changements proposés ne remet cependant véritablement en cause les principes fondamentaux gouvernant le système des fuxiong. Le pouvoir de ces derniers doit reposer sur l'autorité acquise, une fois leur désir et leurs capacités à s'occuper des affaires du groupe démontrés et reconnus. Les paysans font dès lors confiance à leurs responsables et leur obéissent. Les nouveaux fuxiong, enfin, n'instaurent pas de nouveaux critères devant orienter la conduite desfuxiong : ceux-ci doivent agir de façon correcte, équitable, et savoir défendre les leurs Seule leur interprétation de rernescesrégsoionntsgdraenladeC shavineec.D lé' vol nquedceonRnuagisasoendetlleaspcorom nauté1s.pL ayàseanncnoerse,dlaenssdd'iffaéut ansuletiodistrict vim ncueduJiangsu,BarkanL.(1990)relèveainsil'arrivéeaupouvoir,après1905,dh'ommesayant usenreonintstsoruct largem spaéncdiaelsisdéeerqéufoerm leseasndcuienPart sreispnat oniosanal bleisstleocpauuisx,dluesqPart uelsi umioisnaum xoatintasques etaaisuxpludsem cN oom m u n i s t e . P . H u a n g ( 1 9 8 5 ) et P . D u a r a ( 1 9 9 0 ) d é c r i v e n t p o u r l a p l a i n e d e l a C h i n e rdunesituationégalementtrèsdifférente,oùlesfonctionsdechefdevilagesonttenudeus scol p a r localuensseteunlohtoam mm mee,noùt,pleosueffort rpercsedveoil'rEtatat xesapetrèsim19p3ô0tspsoounrtm coieuuroxncont nésrd'ôluenrlecert ainlectsuivccitéèss, favorisantlé'mergencedu' nenouvelecouchederesponsableslocaux,lesquelsmultiplientles exactions,recherchentda' bordlesprofitsprivésauméprisdesintérêtsvilageois.

ces principes diffère de celle de leurs aînés, l'équité comme le recours à des moyens pacifiques devant être, à leurs yeux, plus importants dans la pratique qu'ils ne le sont. Autrement dit, ils essayent de définir de nouveaux seuils au-delà desquels certains comportements peuvent être jugés incorrects ou déraisonnables, plutôt qu'ils ne s'efforcent de modifier les principes sur lesquels s'appuient lesfuxiong pour orienter leur action.

VIII

« Quand la violence paraît, la raison disparaît »

Dès que les Mai de Ping'an franchissent l'enceinte villageoise, dès qu'ils empruntent les chemins publics pour se rendre au marché ou sur des terres éloignées, ils rencontrent les paysans de villages voisins et les risques de conflits sont là, liés pour la plupart à une atteinte aux biens matériels ou symboliques. Point n'est besoin même de s'aventurer hors du village pour défier autrui, volontairement ou par mégarde : une modification introduite sur son propre territoire peut influencer la géomancie des villages voisins et susciter reproches et demandes de réparation. Les incidents sont fréquents car être lésé dans un bien matériel, de façon intentionnelle ou pas, constitue un affront et doit être suivi d'une réponse pour effacer le déshonneur, retrouver la face et se protéger d'attaques futures. Les conflits entre groupes lignagers différents représentent une menace d'autant plus grande que les liens de parenté ne sont pas là pour forcer le compromis, et que nulle instance, supérieure aux lignages, n'est reconnue comme habilitée à délivrer des ordres pour dénouer la situation. Ces incidents qui, dans la plupart des cas, opposent au départ des paysans isolés provoquent souvent une mobilisation collective tant l'honneur de l'individu et celui du groupe sont liés. Cette mobilisation peut emprunter différentes formes et demeurer pacifique, mais la menace du recours à la violence pour résoudre les conflits est toujours présente, à l'état latent, et des affrontements armés éclatent parfois entre groupes locaux, véritables vendettas

qui ont attribué au sud-ouest de la Chine sa réputation de région instable, belliqueuse, où règne une violence endémique Pourtant, si l'on en vient facilement aux mains lorsqu'un incident éclate, le choix du recours à la violence pour dénouer un conflit ou une querelle n'est pas valorisé, et le peu d'estime dans lequel sont tenus ceux qui bâtissent leur pouvoir sur la dissuasion contribue sans doute à ce que des solutions pacifiques soient d'abord recherchées pour apaiser les querelles. L'usage conscient et organisé de la force, comme issue à un conflit, n'apparaît légitime en effet que lorsque les négociations entreprises à la suite d'un incident entraînent une trop grande perte de face pour l'un des groupes ; encore faut-il que celui-ci ait les moyens de se lancer dans la lutte armée. Mais un tel usage est désavoué lorsqu'il intervient avant que les moyens de prévention existants n'aient été mobilisés. «Quand la force apparaît, la raison disparaît »: cette conviction, maintes fois réaffirmée, exprime une méfiance vis-à-vis des conflits dont l'issue reflète un simple rapport de force physique. Les paysans distinguent ainsi nettement la lutte inter-lignagère, qui résulte souvent d'une décision officielle de certains membres du groupe et qui constitue l'un des modes de résolution possibles des disputes locales, des autres formes de violence qui accompagnent parfois l'émergence ou le développement d'une querelle. Le travail d'argumentation des fuxiong pour débattre de la nature exacte du délit commis et s'entendre sur le jugement approprié joue en effet un rôle fondamental dans l'apaisement des discordes. L'usage de la violence ne fait que souligner l'échec de ces responsables locaux. La plupart des conflits sont liés à des atteintes portées aux biens ou aux personnes. Encore une fois, si la mémoire collective privilégie les événements qui ont provoqué une large mobilisation, et si cette mobilisation est prompte dans ces régions où dominent les lignages, nombre de querelles entre individus ou familles, appartenant au même lignage ou à des lignages différents sont réglées sans que des groupes sociaux plus larges n'interviennent. L'inter1. LacontributiondeM.Freedmanàl'étude deslignageschinoisest fondamentale.Il nous semble cependant, commele remarque également H. D. R. Baker dans un article récent (1991, 11-24), qu'il accordeunetrop grandeimportanceaurôlejouéparles liens de parenté, àl'intérieur dulignagecommeàl'extérieur, notammentlorsqu'il affirme,àpropos desluttes interlignagères: Hostility, inotherwords,wasgenerallyanaspectofkinshipand affinity, LineageOrganizationin SoutheasternChina, Londres,LondonSchoolofEconomies, MonographsonSocialAnthropology,TheAthlonePress, 1958,152p., p. 106.

prétation d'un conflit en termes collectifs dépend de nombreux facteurs tels que l'identité de la personne lésée, la nature des relations établies entre les groupes, et la personnalité des responsables locaux. Il y a tout d'abord les délits manifestes comme les vols accomplis par un ou plusieurs individus, de façon directe ou indirecte. Cela va du vol de quelques patates douces commis par un paysan pauvre du lignage Mai à la collusion de certains habitants de Guandou avec des bandits locaux pour venir s'emparer, à Ping'an, des biens de Chinois d'outre-mer enfermés dans des maisons inhabitées ou pauvrement défendues par quelques femmes. Tous ces forfaits impliquent une violation du territoire d'autrui, laquelle constitue un affront, au-delà de la valeur des objets volés. Il peut arriver aussi que le bien dérobé ait été mal acquis ce qui, on le verra, empêche alors une mobilisation collective et interdit le recours à des moyens officiels pour résoudre l'affaire dans la mesure où celleci ne peut pas être portée sur la place publique. Mai Leguan se livre par exemple à des activités de contrebande pendant la guerre contre le Japon. Au plus fort de la famine, en 1943, il achète à Macau des produits qu'il achemine de façon clandestine jusqu'à Conglou. Ceux qui l'aident dans cette entreprise empruntent des chemins de traverse qui passent près de Guandou. Un jour de 1943, alors que Mai Jieshi s'apprête à aller récupérer la marchandise dans la montagne, il apprend que celle-ci a été dérobée par des hommes de Guandou. Il confie alors son fusil à l'homme qui l'accompagne car on ne peut pénétrer armé dans un village étranger et entre dans Guandou, convaincu de régler rapidement l'affaire avec les fuxiong des Wu. Entre-temps cependant, les Mai pour se venger et surtout pour posséder une monnaie d'échange s'emparent d'un gardien de buffle de Guandou puis l'emmènent à Lanshi où il est roué de coups. L'arrivée de Mai Jieshi à Guandou est donc plutôt malencontreuse et, sitôt entré dans ce village, ce paysan se retrouve ligoté et entouré par de jeunes Wu qui appellent à le battre. Mai Jieshi n'est alors qu'un jeune fuxiong de Ping'an, peu connu à l'extérieur, et c'est plutôt en tant que petit-fils de Leguan que les Wu s'en prennent à lui. «Alacampagne,c'est commeça. Avecousansraison, onvousfrapped'abord, comme çaonest sûr, quellequesoit l'issue, quevousavezperduquelquechosedansl'histoire. J'ai vuquela situationtournait malpourmoialorsj'ai dit àceluiquimemaintenait: "C'esttoi quimetiens,j'oublie lesautres maistoi,je net'oublierai pas. Sivousvoulez mebattre, allez-y. Maiss'il m'arrive quelque chose, c'est àtoi seul queje demanderai

descomptes."Il mefallait rendrequelquu' nresponsablecarjenepouvaispasmevengercontreseptouhuitpersonnes.Cepaysanacalmélesautres. Onnema' nifouiléni battu.Quelquesinstantsplustard,MaiLeguanestvenuparlementeravecleurfuxiong. Ilyaeuunéchangedeprisonniersmaislamarchandisen'apasétérendue.Ilsontgardé les cigarettes et l'huile. MaiLeguana attendu plus detrois ans avant depouvoir répondreàcetaffront. Ilrépétaitsanscesse:"Lamarchandise,ellenevautpasgrandchose,jelaissetomber.Maisilsontbalayémaface,etjedoisréagir. Quoi,onhabitesi prèslesunsdesautres,ilsprennentmamarchandiseetjenepeuxriendire?Jeperdsla facesijeleslaissememanquerderespectàcepoint!".» Un bien, des bêtes par exemple, est parfois lésé alors qu'il se trouve sur le territoire d'autrui. Le délit est moins net mais l'offense elle, demeure. Un incident éclate par exemple vers 1942 entre les Mai de Ping'an et les Liang de Nanhekang, un village voisin. Les terres des deux localités sont mitoyennes, séparées par un simple cours d'eau. Leurs habitants, pour diminuer les risques de conflits, fréquentent deux marchés différents : les Maise rendent au nouveau marché de Conglou alors que les Liang sont clients de l'ancien marché. Unjour cependant, un petit porc de Ping'an s'enfuit à Nanhekang où il est abattu par les gengfu des Liang. Les jeunes paysans de Ping'an, et à leur tête, Mai Riwen, considèrent cet acte comme une provocation. Ils prennent les armes du village et, accompagnés des gengfu, se ruent vers Nanhekang en appelant à la lutte contre les Liang. Le village de Nanhekang est moins peuplé que Ping'an ; les Liang sont moins nombreux que les Mai. Aussi les responsables de Nanhekang s'efforcent-ils d'éviter l'affrontement à tout prix. Ils refusent de parler avec Mai Riwen ou les gengfu de Ping'an et demandent qu'un fuxiong des Mai vienne discuter avec eux. Une négociation s'ensuit entre Mai Jieshi et l'un des responsables des Liang et l'incident s'achève sans qu'aucun coup n'ait été échangé, les Liang versant simplement une indemnité pour la bête abattue. Si les vols sont à l'origine de certains conflits, d'autres naissent de l'utilisation de ressources dont la propriété est multiple ou mal définie. De telles querelles sont incessantes mais dégénèrent rarement en lutte armée dans la mesure où il est difficile aux uns et aux autres d'être entièrement convaincus de leur bon droit. L'eau de Ping'an par exemple irrigue d'abord certaines terres de Guandou avant d'arriver chez les Mai. Les Mai accusent régulièrement les Wu d'évacuer l'eau vers l'extérieur, une fois celle-ci parvenue au 1. MaiJieshi,NewYork,mars1985,A67.

niveau désiré, et de la détourner par conséquent du réseau d'irrigation. L'autre sujet de mécontentement constant est la lutte pour le bois qui alimente le feu des cuisines. Différentes parties des monts Xikeng, à Conglou, ont été vendues aux enchères à plusieurs lignages, mais il n'en va pas de même des monts sur lesquels se rendent les Wu, les Mai et les Liu, entre autres lignages, pour chercher du bois. Cet espace, repris aux Hakkas à la suite de la guerre menée contre entre 1858 et 1862 par les natifs du Guangdong, est convoité par de nombreux groupes mais les Wu, situés près de ces monts, y parviennent régulièrement avant les autres Aller chercher du bois est un travail de femmes et ce sont donc des querelles entre femmes qui éclatent régulièrement. La rancune des paysannes de Ping'an est encore vive à l'égard de celles de Guandou : «Il faut partir très tôt le matin quand on va chercher du bois. On marche deux, trois heures pour arriver au bon endroit, surtout si l'on veut s'enfoncer un peu dans la montagne et trouver des coins où le bois n'a pas été coupé l'année précédente. Il est plus sec et flambe mieux. On se met aussitôt à couper des petites branches de la mêmelongueur que l'on dépose en gros tas par terre. Personne n'a le droit de venir là où il y a des tas déjà formés, c'est votre territoire. Et personne n'a le droit de toucher à ce bois coupé qui passe une nuit dans la forêt à sécher avant d'être ramené au village. Mais les femmes de Guandou ne cessaient de prétendre que nous étions chez elles et d'essayer de nous chasser. Onfaisait deux gros fagots avec le bois, presque aussi hauts qu'un homme, et on les attachait aux deux bouts de la palanche. On avançait lentement, posant les fagots à terre à chaque pas tant le bois était lourd. Pour que les deux fagots tiennent, ils étaient réunis à leur sommet par une ficelle. Il arrivait souvent qu'une femme de Guandou, en nous croisant, coupe cette ficelle par derrière et les deux fagots s'écroulaient... Parfois, les hommes de Zhuhu accompagnaient leurs femmes dans la montagne et ils en venaient aux pieds et aux mains avec ceux de Guandou... » Dans cette région au peuplement très dense et où les ressources naturelles, au cours de la première moitié du XX siècle, ne suffisent pas à assurer la survie des habitants, chaque pan de terre, chaque cours d'eau a son propriétaire ou fait l'objet de convoitises, d'où les conflits incessants. A ces biens visibles, s'ajoutent des biens moins éphémères et pourtant tout aussi importants dans la vie quoti1. Les Hakka ou «invités » arrivent au Guangdong sous la dynastie des Song du Sud (1127-1280) et celle des Yuan (1280-1363). Ils conservent néanmoins leur langue et leurs spécificités culturelles jusqu'à l'heure actuelle. Des conflits les opposent régulièrement aux Punti, c'est-à-dire les «locaux » qui sont en fait bien souvent des Chinois du nord arrivés dans le Guangdong avant les Hakka. Commenous l'avons déjà évoqué, une véritable guerre se déroule au XIX siècle entre Hakka et Punti (1856-1862) qui fera entre 500000 et 600000 morts. Cf. E. Vogel, Canton under Communism. Programs and Politics in a Provincial Capital, 1949-1968, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1980, 448 p., p. 22. 2. WuQumei, épouse de Mai Jieshi, NewYork, avril 1985, C186.

dienne des paysans. La géomancie est ainsi considérée comme un véritable bien. Un peu à la façon de l'irrigation, elle trace des liens mais cette fois invisibles entre les villages et suscite des querelles d'autant plus fortes que la notion de délit ne peut pas être clairement formulée : comment trancher en effet lorsque des modifications introduites par un village sur son propre territoire ont des conséquences néfastes sur la géomancie d'une communauté voisine ? En 1941 par exemple, les habitants de Lanshi décident d'agrandir l'étang. Il leur faut pour cela déplacer vers l'extérieur le rideau de bambou qui entoure le village ainsi qu'un cours d'eau qui porte le nom de Deng car il traverse les terres des Mai avant d'aller alimenter les champs d'un village Deng. Or ce cours d'eau est considéré par les Deng comme fondamental pour la géomancie de leur village et ils exigent qu'aucune modification ne soit apportée à son lit. Le ton monte rapidement entre les deux communautés, personne ne voulant se plier aux volontés de l'autre afin de ne pas perdre la face. Obtempérer pour les Mai ou laisser faire pour les Deng constituerait un aveu de faiblesse et placerait le village responsable de cet aveu dans une position d'infériorité difficile à surmonter par la suite. L'arbitrage du responsable d'un troisième lignage, qui exerce également les fonctions de chef du canton, est réclamé et une solution de compromis est adoptée : les Mai de Lanshi peuvent modifier le cheminement du cours d'eau mais d'une façon bien moins importante qu'ils n'en avaient l'intention au départ. Les vols de la géomancie des tombes suscitent également une mobilisation collective du segment lignager ou du village. Ainsi, en 1911, un emplacement propice est décelé, dans des collines sur lesquelles des membres du lignage Chen possèdent un droit d'usufruit, pour enterrer de façon définitive l'un des ancêtres de Zongxin. Aux dires des habitants de Ping'an, une tombe appartenant aux Chen était déjà érigée près de cet emplacement lorsqu'un maître en géomancie indiqua cet endroit comme spécialement bénéfique. Après avoir dédommagé les Chen qui contrôlent l'accès à ce lieu, la tombe est élevée, et c'est alors seulement que les Chen prennent conscience de la valeur de cet endroit sur le plan de la géomancie. Ces derniers accusent les Mai d'avoir volé toute la géomancie du lieu en ayant construit une tombe si imposante. Une bagarre éclate un jour, près des tombes, entre des hommes de Ping'an et d'autres de Malankou, le village Chen. Elle se solde, selon les Mai,

par leur victoire, mais une compensation complémentaire est en fait versée aux Chen. Si tout paysan, attaqué dans son bien, est également attaqué dans son honneur, il est aussi des conflits qui naissent de l'atteinte faite directement à des personnes. Les paysans vont demander que justice soit faite par exemple lorsqu'une femme de leur groupe est soumise à de mauvais traitements dans le village où elle s'est mariée ou lorsqu'un enfant a été vendu dans un lignage lointain sans le consentement du père. Ils vont s'efforcer de venger un parent dont la situation s'est détériorée par la faute d'un étranger, que ce dernier ait agi à tort ou à raison. Un Mai du village de Jiangnanbei s'adonne ainsi à une activité illégale pendant la guerre contre le Japon : il vend de l'opium. Or Wu Fafen, l'un des responsables des Wu de Guandou et un fumeur d'opium invétéré selon les Mai, reçoit de la part du bureau du district chargé de lutter contre le trafic d'opium, mandat pour agir au nom de ce bureau. Ayant réclamé, mais en vain, de percevoir la moitié des bénéfices touchés par l'homme de Jiangnanbei, il dénonce ce dernier à l'administration du district et une peine de prison s'ensuit. La haine s'installe alors entre les deux familles mais aussi entre les deux villages, car l'action d'un individu engage tout son groupe vis-à-vis de l'extérieur. Quelques mois plus tard, le frère cadet de la victime rencontre Wu Fafen au marché et le gifle à plusieurs reprises. Les Wu répondent à l'affront qui est fait à leur responsable en s'emparant de ce Mai et en le ligotant à terre. Plus de cent cinquante hommes Mai qui se trouvaient au marché se mobilisent alors, attaquant tous les Wu de Guandou qu'ils rencontrent en chemin et bientôt, c'est la bagarre généralisée dans tout Conglou entre les membres de ces deux lignages. Quel que soit le bien lésé, toute offense entraîne à la fois, mais dans des proportions variables, une perte économique et sociale, les deux s'influençant mutuellement. Une attaque même bénigne contre des biens ou des gens se pare aussitôt de dimensions inattendues dans l'espace et dans le temps. En effet, même si la propriété lésée n'est pas collective, c'est souvent l'ensemble du village qui réagit car l'absence de solidarité révèle des divisions internes, affaiblit le groupe et le désigne comme une victime toute choisie pour de futures attaques. Tout incident, enfin, est interprété à l'aune des querelles passées dont il ne peut être dissocié. C'est pourquoi la mobilisation est prompte et l'escalade dans les

échanges aisée. Derrière le motif apparent de la querelle, c'est la puissance des villages et des lignages qui est en jeu ainsi que le partage des ressources locales, directement lié à la considération dont on jouit Au-delà de l'incident ponctuel, ce sont les relations établies entre les groupes et reconnues par tous qui sont réaffirmées lors de ces moments de conflit. Aussi des bagarres sont-elles parfois déclenchées par un groupe dans le seul but d'en défier un autre et de lever toute incertitude concernant le rapport de force local. De telles bagarres éclatent régulièrement pendant les années trente entre Zhuhu et des villages voisins. Des rixes dites «pour gagner de la face» opposent sans cesse au marché les Mai et les Wu. Il faut dire que l'un des responsables de Zhuhu a créé une «association progressiste de coopérations. Derrière ce nom se cache en fait une association de jeunes du village, enclins à la bagarre, prêts à en découdre à tout moment et qui n'hésitent pas à se livrer à des activités de banditisme dans des villages plus éloignés. Au milieu des années trente, ils provoquent les Liu de Xikang en débarquant chez eux le jour du Nouvel An et en s'emparant des pétards que ceux-ci tirent en l'air devant leur temple, et qui constituent un symbole de prospérité. Une bagarre s'ensuit. De tels comportements sont désavoués par les fuxiong des villages alentours, y compris ceux de Ping'an, pour lesquels agir ainsi ne permet de récolter que de la «fausse face ». Délits, défis et vengeances d'un côté, coopération et solidarité de l'autre : les relations entre groupes locaux évoluent entre ces deux pôles. Quel que soit le choix effectué, il est guidé par une analyse complexe de la force et de l'influence du groupe auquel on appartient comme de celle des groupes voisins. L'analyse de la 1. Élisabeth Perrydécritàproposdesformesdeviolencecollectivedanslescampagnes chinoisesles stratégies d'adaptation devant permettrela survie dans unenvironnementoù lesressourcessont précaires. Elledistingue principalemententre stratégiesprédatricestelles que le banditisme, et stratégies protectrices telles que la création d'équipes chargés dela sécuritédanslesvillages. Cettenotiondecompétitionpourlesressourceslocalesestprésente égalementici. Eneffet, leconceptde«face»quel'on peut interpréter commelaconsidérationsociale,ouleprestigesil'on possèdebeaucoupdeface,n'est pasindépendant,commeon leverra, dela notiondecapital économique.Perdrelaface,pourlesmembresd'unlignage, c'est sepldaecer dam nseruceneauposi infériorité dansfaçon, lacompét itiondipreouqruleeslaterres, l'eauoud'ulens com matiorcnhéd'.D u' necertaine onpeut constitution activités segmentlignageroud'unlignagerépondsimultanément àcesdeuxtypesdestratégie:protéger les familes du groupe et accroître leur capacité à prélever une part des ressources locales. Elisabeth Perry, Rebels and Revolutionaries in North China, 1845-1945, Columbia University Press, 1980,324 p.

puissance des uns et des autres conduit par exemple les responsables de Ping'an à adopter un profil bas devant les Wu de Guandou dans la mesure où l'honneur des Mai n'est pas en danger : «Ping'an, par rapport à de grands villages, est plutôt petit. Par rapport à des petits, nous sommes grands. Mais sur le plan géographique, nous sommes mal situés. Nous sommestout près de Guandou et ces Wusont nombreux. Enplus ils sont puissants : ils ont des armes, sont violents et ont quelques relations utiles dans l'administration, moins queles Maitoutefois. Guandou, c'est plusieurs villages, mais très concentrés alors que nous les Mai, nos villages sont éparpillés. Si l'on ne parvient pas à faire appel à la raison pour résoudre un problème, les Wupeuvent être mobilisés très vite alors que les habitants des dix autres villages Mai mettront du temps à nous envoyer des renforts. Il faut bien dix minutes pour marcher jusqu'à Zhuhu et dix autres pour en revenir. Tous les Mai réunis sont plus nombreux que les Wu de Guandou. Mais les Wu de Fuchang, malgré les relations d'alliance qui nous unissent à eux, se sentiraient tenus de prêter main-forte aux Wude Guandou, et là, onaurait affaire à des adversaires beaucoup plus nombreux que nous. Alors la consigne desfuxiong aux jeunes du village était de ne pas se livrer à des provocations inutiles auprès des Wude Guandou. Mais pas question non plus delaisser leurs attaques sansréponse. Sinon, ils nous auraient brimés constamment pour tous les actes de la vie quotidienne : au marché, dans les champs, dans la montagne, etc. Avec lesfuxiong de Guandou, il y avait une sorte d'accord tacite : nous faisions le gros dos quand il s'agissait de petites choses et eux s'efforçaient de contrôler les jeunes de chez eux. Ainsi nous évitions l'affrontement ouvert, mauvais pour nous commepour eux. Par contre les Maide Zhuhu n'avaient pas les mêmessoucis que nous. Ils ne vivaient pas côte à côte avec ceux de Guandou et les bagarres portaient moins à conséquence... » Chaque village, et non pas chaque lignage, définit ainsi à l'égard des groupes locaux une stratégie bien précise, en fonction de sa propre puissance, de la capacité et de la volonté de mobilisation de son lignage mais aussi de la puissance du village et du lignage adverses, ainsi que des alliances établies par ceux-ci. Ces dernières jouent un rôle important, que ce soit en intervenant de façon pacifique pour rétablir l'équité, ou de façon belliqueuse en mettant hommes et fusils à la disposition du groupe ami. Il est de notoriété publique à Taishan par exemple que s'en prendre au lignage Zhang, c'est s'attirer les foudres des lignages Guan, Zhao et Liu. Un serment d'alliance et de solidarité a été prêté en effet entre les membres de ces quatre organisations lignagères, fondé sur les liens privilégiés établis, au III siècle après J.-C., entre des héros de l'époque des Trois Royaumes : Zhang Fei, Liu Bei, Guan

1. Mai Kejiu, Hong Kong, novembre 1986, Z1500.

Gong et Zhao Yun Cette compréhension de la puissance respective des groupes en présence oriente en partie la nature des conflits : des défis ne seront pas lancés par un plus petit à plus grand. Un paysan Liang ne fera pas courir un risque aux hommes de son village en s'en prenant de façon inconsidérée à un Liu, surtout si les relations entre les deux groupes sont tendues. Mais cette compréhension joue un rôle encore plus décisif dans le dénouement des querelles, en indiquant à l'avance à chacun le poids des arguments qu'il peut avancer ou l'efficacité des menaces qu'il peut brandir. La plupart des conflits sont résolus par des moyens pacifiques, chacun essayant au cours des discussions qui s'ensuivent de persuader l'autre partie du bien-fondé de ses positions. Les décisions prises, qui aboutissent en général à une sanction physique ou au versement d'un dédommagement, donnent rarement lieu à une véritable réconciliation des deux parties, mais plutôt à une réparation, mettant provisoirement un terme à la dispute. Ces décisions sont influencées par différents principes, qui contribuent à prévenir l'escalade de la querelle en un conflit plus vaste. Le premier de ces principes veut que la paix locale soit préservée. Les intérêts de tous ne doivent pas être menacés par ceux d'une famille ou d'un groupe particulier. La lutte interlignagère a des conséquences néfastes pour les communautés qui s'affrontent, quelle qu'en soit l'issue. Elle implique en effet des pertes économiques, car il faut par exemple rassembler les armes et les hommes nécessaires et faire venir des parents éloignés. Deplus, le travail de la terre est alors en partie ou totalement interrompu, ce qui signifie une augmentation de la quantité de riz à acheter, dans une région où l'argent est rare. Les relations entre les deux groupes demeurent en général tendues une fois que l'affrontement a pris fin, amenant les uns et les autres à adopter une conduite prudente qui, souvent, complique la réalisation d'activités quotidiennes : certaines routes ne peuvent être empruntées, la fréquentation d'un bourg éloigné mais où l'on risque moins de rencontrer ses ennemis d'hier est soudain jugé préférable, obligeant les villageois à faire un long détour les jours de marché. La lutte interlignagère nuit enfin à la stabilité entrecvesoquat laninshduéipetassdeeleKdistrict puioosnqu'(1e9l8e4exi leme1n.tdL'anaslialence sdistricts isinsrdeecX aiping.dYeuTena-ifsohnagn,W ),ps.te38ég.a-

des générations à venir qui héritent des conflits passés, de même qu'elle met en péril l'ensemble de la localité : l'existence de liens d'alliance privilégiés entre certains villages et lignages implique qu'une telle lutte crée des tensions entre plusieurs groupes, et non pas seulement entre les deux communautés antagonistes. Elle complique la vie de chaque habitant car des mesures de prudence s'imposent soudain, des espaces jusqu'ici communs à plusieurs groupes, tels que les collines où le bois est rassemblé, sont investis par les tensions qui existent entre certains et doivent donc être évités. Le désir d'éviter toute escalade dans les conflits locaux aboutit ainsi à l'institution de certaines règles devant présider aux négociations. Ces dernières doivent être guidées par le souci, partagé par les uns et les autres, de diminuer la portée du conflit, dans le temps et dans l'espace. L'ordre local ne peut être menacé par un conflit immédiat et localisé. Il faut, pour reprendre l'expression locale, «Transformer un grand conflit en un petit, et transformer un petit conflit en une absence de conflit» (Da hua xiao, xiao hua wu) Il s'agit ici de faire en sorte de ne pas envenimer le conflit, en montrant par exemple que l'intention de nuire n'était pas présente ou que les conséquences de l'agression en sont pas aussi importantes qu'elles le paraissent. Il s'agit aussi de ne pas chercher exclusivement à démêler qui a raison et qui a tort, d'éviter toute recherche détaillée et précise des responsabilités désignant sans ambiguïté possible un coupable et une victime. Mais préserver la paix locale, c'est également éviter que la hiérarchie locale soit modifiée à l'issue du conflit, ce qui entraînerait la colère des uns et des risques de représailles. Aussi est-il considéré comme légitime, lors des discussions devant aboutir à une solution, de tenir compte à la fois du bon droit des uns et de la puissance des autres. Les porte-parole des différents groupes vont ainsi mettre en avant des arguments qui varient selon le délit commis mais aussi selon l'évaluation du rapport de force existant entre les parties adverses. Certaines interprétations du conflit peuvent être ainsi proposées par un grand lignage mais sont difficiles à mettre en avant par les petits lignages. De même une solution jugée raisonnable doit tenir compte du rapport de force entre les parties. Mais la recherche de la paix locale ne doit pas faire oublier les 1. Mai Jieshi, New York, mai 1986, I 606.

principes collectifs m o r a u x p e r m e t t a n t d ' a p p r é c i e r la s i t u a t i o n et de d é m ê l e r le v r a i d u faux. Les n o r m e s locales g u i d e n t l ' i n t e r p r é t a t i o n de ce q u i c o n s t i t u e u n a f f r o n t , u n e c o n d u i t e i n c o r r e c t e et agressive, u n c o m p o r t e m e n t a b u s i f e n v e r s les p l u s faibles. E t ces p r i n c i p e s ne p e u v e n t être ignorés a u cours des discussions e n t r e les r e p r é s e n t a n t s des g r o u p e s opposés, de m ê m e qu'ils d o i v e n t influencer la s o l u t i o n r e t e n u e f i n a l e m e n t p a r les u n s et les a u t r e s , celle qui v o i t le j o u r l o r s q u e t o u t e s les o b j e c t i o n s se s o n t tues. U n c o m p r o mis e n t r e le b o n d r o i t des u n s et la p u i s s a n c e des a u t r e s d o i t d o n c ê t r e t r o u v é . U n e fois encore, il ne s ' a g i t p a s là de la p r e s c r i p t i o n d ' u n c o m p o r t e m e n t idéal, p e u p r é s e n t d a n s la p r a t i q u e . Si la solut i o n r e t e n u e p e u t e n i r p l u s ou m o i n s c o m p t e des c i r c o n s t a n c e s réelles de la d i s p u t e , d u b o n d r o i t des u n s et des a u t r e s , le r a p p o r t de force o r i e n t e r a r e m e n t , à l ' e x c l u s i o n de t o u t e a u t r e considération, l'issue d u conflit. L a présence de n o m b r e u s e s d i v i n i t é s locales c o m m e des a n c ê t r e s , le s e n t i m e n t de v i v r e sous l e u r r e g a r d et la c o n v i c t i o n d ' ê t r e r é t r i b u é s e n f o n c t i o n des actes c o m m i s , e n c o u r a gent les h a b i t a n t s à ne p a s faire fi de ces principes. Le lien e x i s t a n t e n t r e la c o n d u i t e des i n d i v i d u s o u des g r o u p e s et la p r o t e c t i o n d o n t ils j o u i s s e n t est c l a i r e m e n t e x p o s é d a n s les m a n u e l s de s a v o i r - v i v r e rédigés sous les Q i n g o ù il est écrit p a r e x e m p l e : « Celui q u i v a d a n s le sens d u Ciel p e u t s u r v i v r e , celui qui s ' o p p o s e à la v o l o n t é d u Ciel sera a n é a n t i » o u encore, « Celui q u i c u l t i v e du lin récolte d u lin, celui q u i c u l t i v e des g r a i n s récolte des grains ; les mailles d u filet d u Ciel s o n t larges m a i s a u c u n c o u p a b l e ne lui é c h a p p e r a . » Le déclin s o u d a i n ou, a u c o n t r a i r e , la m o b i l i t é a s c e n d a n t e r a p i d e de c e r t a i n s g r o u p e s s o n t ainsi i n t e r p r é t é s c o m m e le r é s u l t a t de c o m p o r t e m e n t s soit i n c o r r e c t s , soit c o n f o r m e s a u x p r a t i q u e s religieuses et a u x n o r m e s m o r a l e s prescrites. Le lien i n s t a u r é e n t r e la c o n f o r m i t é a u x p r i n c i p e s m o r a u x et la c o n d i t i o n des u n s et des a u t r e s e x p l i q u e q u e ces principes soient p r é s e n t s lors de la r é s o l u t i o n des conflits. Il perm e t de c o m p r e n d r e p o u r q u o i u n lignage p u i s s a n t pousse r a r e m e n t l ' a v a n t a g e , lors d ' u n e l u t t e i n t e r l i g n a g è r e , j u s q u ' à a n é a n t i r complèt e m e n t son rival, la l u t t e s ' a c h e v a n t en fait dès q u ' u n v a i n q u e u r est r e c o n n u . Il justifie l ' a c t i o n de villages et lignages q u i i n t e r v i e n n e n t p o u r r é t a b l i r l ' é q u i t é l o r s q u e le b o n d r o i t de c e r t a i n s est à leurs y e u x t r o p b a f o u é , qu'ils agissent ainsi p o u r se c o n f o r m e r à la m o r a l e e x i s t a n t e , p o u r e n c o u r a g e r les signes a v a n t - c o u r e u r s d ' u n déclin de l e u r g r o u p e ou a u c o n t r a i r e p o u r e n c o u r a g e r les premières m a n i f e s t a t i o n s d ' u n e p r o s p é r i t é nouvelle.

P a r m i ces principes m o r a u x d i r e c t e m e n t liés à la r é s o l u t i o n des conflits, on t r o u v e p a r e x e m p l e ceux q u i c r i t i q u e n t le recours à la violence et e n c o u r a g e n t la r é a l i s a t i o n de c o m p r o m i s . « Ceux qui s a v e n t se m o n t r e r c o n c i l i a n t u n i n s t a n t , é v i t e n t ainsi c e n t j o u r s de m a l h e u r », o u encore, « C e u x q u i s a v e n t faire des concessions ne s o n t p a s des imbéciles, mais les imbéciles i g n o r e n t l ' a r t des concessions. » L ' a d o p t i o n de tels principes p a r les d e u x p a r t i e s e n présence favorise l ' é t a b l i s s e m e n t d ' u n c o m p r o m i s , m ê m e si les concessions accordées p a r le g r o u p e le plus p u i s s a n t s o n t en général m o i n s étendues q u e celles proposées p a r le plus faible. Cette p r é é m i n e n c e accordée a u plus fort, si elle p e u t être e x p l i q u é e p a r le plus g r a n d p o u v o i r d i s s u a s i f de celui-ci et p a r la v o l o n t é de ne p a s modifier l ' o r d r e social, t r o u v e é g a l e m e n t sa source, r é p é t o n s - l e , d a n s le fait que la force ou la richesse d ' u n g r o u p e s o n t considérées c o m m e le f r u i t d ' u n c o m p o r t e m e n t j u g é p o s i t i f à l ' a u n e des principes m o r a u x e x i s t a n t s . Ce qui renforce la l é g i t i m i t é d u p r i n c i p e p o s a n t l ' i m p o r t a n c e à la fois d u d r o i t des u n s et de la p u i s s a n c e des a u t r e s d a n s la r é s o l u t i o n des conflits. L a p r e m i è r e p r o p o s i t i o n d o i t n é a n m o i n s l ' e m p o r t e r sur la seconde. Ces principes de base qui o r i e n t e n t le choix d ' u n e s o l u t i o n p o u r a p a i s e r u n e d i s p u t e , s ' a c c o m p a g n e n t de règles locales, de différ e n t e s n a t u r e s , c o n t r i b u a n t t o u t e s à p r é v e n i r le recours à la force. L ' u n e d ' e n t r e elles v e u t p a r e x e m p l e q u e l o r s q u ' u n i n c i d e n t éclate e n t r e les m e m b r e s de d e u x villages différents, seuls les f u x i o n g peuv e n t p r e n d r e la p a r o l e p o u r résoudre l'affaire, q u ' i l s'agisse p o u r e u x de r e p r é s e n t e r l ' u n des leurs, c o u p a b l e ou v i c t i m e d ' u n délit, ou l ' e n s e m b l e d u g r o u p e si le conflit se pose d ' e m b l é e en t e r m e s collectifs c o m m e c'est le cas p a r e x e m p l e lors de la querelle, liée à des p r o b l è m e s de g é o m a n c i e , qui oppose L a n s h i à u n village D e n g . L a p l u p a r t des conflits s o n t ainsi réglés p a r les r e p r é s e n t a n t s des comm u n a u t é s a u x q u e l s a p p a r t i e n n e n t les a c t e u r s du conflit. L ' i n t e r v e n t i o n des r e s p o n s a b l e s l o c a u x tire sa l é g i t i m i t é d u fait q u e t o u t e querelle e n t r e d e u x h o m m e s p e u t a b o u t i r à u n conflit e n t r e d e u x c o m m u n a u t é s . A u c u n e affaire ne p e u t être considérée, a p r i o r i , c o m m e u n i q u e m e n t individuelle ; au c o n t r a i r e , elle est d ' e m b l é e perçue sous l'angle d u groupe. Or seuls les f u x i o n g s o n t h a b i l i t é s à p r e n d r e des décisions q u i e n g a g e n t leur village ou leur lignage. O n ne p e u t qualifier l ' i n t e r v e n t i o n des f u x i o n g de v é r i t a b l e a r b i t r a g e d a n s la m e s u r e où ils s o n t à la fois j u g e et p a r t i . Mais c'est bien à eux, et n o n p a s a u x p e r s o n n e s d i r e c t e m e n t i m p l i q u é e s ou à des ins-

t a n c e s e x t é r i e u r e s , q u e r e v i e n t d ' a b o r d l'exercice du j u g e m e n t lorsq u e l ' i n c i d e n t n ' a p u ê t r e clos de f a ç o n i n f o r m e l l e L ' i n t e r v e n t i o n l é g i t i m e des seuls f u x i o n g en cas de conflit r é d u i t d ' a u t r e p a r t le n o m b r e de p e r s o n n e s p o u v a n t p r e n d r e la p a r o l e et c o n t r i b u e ainsi à p r é v e n i r l'escalade r a p i d e des disputes. E n f i n , le t e m p s des f u x i o n g , c ' e s t celui de l ' a r g u m e n t a t i o n , de la r e c h e r c h e d ' u n c o m p r o m i s a c c e p t a b l e d a n s la m e s u r e où u n souci c o m m u n a n i m e les u n s et les a u t r e s : p r é s e r v e r si possible la p a i x locale, p r o p i c e a u x i n t é r ê t s de tous. Les q u a l i t é s requises p o u r être r e c o n n u c o m m e f u x i o n g m o n t r e n t j u s t e m e n t q u e ceux-ci, plus q u ' a u t r u i , s a v e n t faire p r e u v e d ' é q u i t é , de savoir-faire, ou de comp é t e n c e s d a n s la c o m p r é h e n s i o n des principes m o r a u x collectifs et d a n s la défense des i n t é r ê t s du g r o u p e . T a n t q u e la discussion se p o u r s u i t e n t r e les p o r t e - p a r o l e s des d i f f é r e n t s groupes, l ' u s a g e de la violence est s u s p e n d u . C'est p o u r q u o i le f u x i o n g de N a n h e k a n g où s ' e s t é c h a p p é u n c o c h o n de P i n g ' a n refuse de p a r l e r a u x Mai a r m é s q u i se p r é s e n t e n t a u x a b o r d s d u village : « Allez c h e r c h e r l ' u n de vos fuxiong », r é c l a m e - t - i l P u i s il i n v i t e Mai J i e s h i appelé sur les lieux à se r e n d r e d a n s u n r e s t a u r a n t d u b o u r g , lieu p u b l i c et d o n c n e u t r e , m o i n s i n v e s t i des i n t é r ê t s privés des u n s et des a u t r e s , p o u r d i s c u t e r . F a i r e a p p e l a u x f u x i o n g p o u r r é s o u d r e u n conflit p e r m e t ainsi de d i m i n u e r le n o m b r e d ' i n i t i a t i v e s p o u v a n t a b o u t i r a u recours à la force et a p p o r t e é g a l e m e n t q u e l q u e s g a r a n t i e s q u a n d a u x p r i n c i p e s qui s e r o n t utilisés p o u r a b o u t i r à u n e solution. U n a u t r e f a c t e u r i n t e r v i e n t é g a l e m e n t : l ' i m p o r t a n c e des r e l a t i o n s personnelles é t a b l i e s e n t r e les f u x i o n g q u i c o n t r i b u e n t à forcer le comp r o m i s . Si des r e l a t i o n s d ' a m i t i é o n t p u se n o u e r e n t r e eux, s'ils se r e c o n n a i s s e n t m u t u e l l e m e n t u n c e r t a i n prestige, ce c a p i t a l sera mobilisé p o u r h â t e r u n d é n o u e m e n t p a c i f i q u e de l'affaire. « D o n n e m o i d o n c de la face », plaide, u n j o u r de 1941, Mai J i e s h i a u p r è s l ' u n des r e s p o n s a b l e s des W u de G u a n d o u , alors q u ' u n j e u n e p a y san, M a i X i e g e n , est accusé d ' a v o i r volé q u e l q u e s p a t a t e s douces à u n h o m m e de G u a n d o u . « D ' a c c o r d , mais il f a u t q u e t u m ' e n d o n n e s aussi », r é p l i q u e W u L i n s h i P o u r u n f u x i o n g , a c c o r d e r de

1. A propos des notions de conciliation, de réconciliation, de réparation ou d'arbitrage, lire l'article de A. Cottereau intitulé Esprit public et capacité de juger. La stabilisation d'un espace public en France aux lendemains de la Révolution, Pouvoir et légitimité. Figures de l'espace public, coll. « Raisons pratiques », Paris, Éditions de l'EHESS, Paris, 1992, 239-272. 2. Mai Riwen, Hong Kong, novembre 1986, E 86. 3. Mai Jieshi, New York, mars 1985, A 64.

la face à un autre fuxiong alors que des pourparlers sont en cours, c'est en fait accepter de transiger. C'est privilégier le maintien de relations aussi harmonieuses que possible entre les deux groupes au détriment d'une analyse très stricte de la nature de l'offense commise et de l'importance du dédommagement requis. C'est aider également l'autre fuxiong à asseoir son autorité auprès des siens en obtenant un dénouement qui ne leur soit pas trop défavorable, service qui sera rendu tôt ou tard, à son homologue, par le responsable qui aura été momentanément avantagé. D'où l'énoncé des conditions requises pour être un fuxiong capable de parler au nom du groupe à l'extérieur : «Atoutes lesépoques,pourpouvoirémergercommefuxiongreprésentant tout unvillageoutout unlignage, il faut avoirduprestige auxyeuxdesautres villages, lignages oucantons. Enfait, enbasonneseconnaîtpas,maisenhaut,lesfuxiongseconnaissent tous, alors c'est plus facile pour eux dediscuter. Si unedispute éclate enbas, elle se résoudraenhaut. Sinon,c'est la lutte, et personneneveut ça.» Une seconde règle, favorisant la résolution pacifique des conflits, est celle qui pose que tout incident doit être résolu en fonction des règlements du village lésé. Il s'agit là d'un problème de procédure important même s'il ne permet pas d'emblée de trouver la solution appropriée. De nombreuses incertitudes pèsent en effet sur l'interprétation de ces règlements ou sur la façon dont ils peuvent être appliqués à des situations concrètes. Cette règle procédurale est souvent interprétée dans la pratique comme signifiant que les règlements du village lésé doivent être privilégiés, mais que ceux en vigueur au sein du village jugé coupable de l'affront ne peuvent être totalement ignorés. Les écarts qui existent souvent entre les règlements des uns et des autres, les comparaisons établies avec les règlements de villages tiers, deviennent ainsi l'un des enjeux des discussions, le rapport de force établi entre les groupes intervenant dans le mode d'application de cette procédure reconnue par tous. Il n'en demeure pas moins que régler un conflit en faisant totalement fi des règlements édicté dans le village lésé, est contraire aux normes locales et à ce titre, peut être sanctionné tôt ou tard. Une troisième règle, également de type procédurale, veut que les décisions des fuxiong s'inspirent des solutions apportées à des 1. MaiRiwen,HongKong,novembre 1986,E86.

conflits passées de type similaire, ce qui réduit le pouvoir des fuxiong et leur capacité à agir de façon arbitraire. Les arguments avancés doivent prendre en effet appui sur des affaires précédentes, établissant un mode jurisprudentiel d'exercice du jugement Une autre convention locale prescrit enfin, lorsque deux villages ou lignages opposés sont incapables de parvenir à un compromis, qu'ils peuvent choisir d'avoir recours à l'arbitrage du responsable d'un troisième groupe, arbitrage qui a plus de chances d'aboutir que les négociations précédentes dans la mesure où cette tierce personne n'est pas partie prenante dans le conflit. Il est alors difficile de rejeter ses propositions en dénonçant son esprit partisan et sa défense des intérêts privés d'un groupe déterminé. L'intervention du fuxiong d'un troisième village porte le nom de : «offrir le plat de noix d'arec » Selon l'étiquette ancienne, présenter des noix d'arec à autrui était une marque de respect. De tels fruits étaient proposés le jour du mariage par la mariée à ses beaux-parents comme aux chefs du village qui l'accueillait, de même qu'ils étaient échangés entre les responsables de deux ou plusieurs lignages pour signaler la fin de l'affrontement armé et le rétablissement de relations cordiales. En acceptant les noix d'arec proposées par le fuxiong dont l'arbitrage est requis, et qui se place ainsi de façon volontaire dans une position d'infériorité alors que son prestige sur le plan local est reconnu par tous, les autres fuxiong montrent qu'ils lui accordent de la face et qu'ils acceptent de s'en remettre à son jugement. Les responsables de grands lignages peuvent également intervenir dans un conflit entre deux lignages et «offrir le plat de noix d'arec » sans y avoir été invités, s'ils estiment que ce conflit menace la paix locale ou révèle les exactions commises par un plus grand contre un plus petit. Il s'agit pour les grands lignages d'agir de façon conforme aux «principes communs », ce qui signifie rétablir l'ordre sans ignorer totalement la justice, devoir qui, on l'a vu, leur incombe à plus d'un titre : leur prospérité est interprétée comme une protection du Ciel. De plus, en agissant de façon conforme aux intérêts de 1. Nousremercions A.Chauvenetet A.Cottereau pour leurs remarques sur denombreuxpassagesdecechapitre. 2. Plusprécisément,leverbeduandécritl'action deporterunobjet àdeuxmainsetde l'élever verscelui àquionveut l'offrir. Il indiquequele statut dudonateurest inférieur à celuiquireçoit ledon.

tous, ils consolident leur position vis-à-vis de ces puissantes célestes, invisibles, mais dont les effets peuvent se lire chaque jour à travers l'évolution des groupes. Enfin, les grands lignages possèdent les moyens de faire respecter leurs décisions et de modifier le destin de leurs voisins. C'est ainsi par exemple qu'au début des années trente, les villages Wu de Guandou sont déchirés par une lutte intralignagère. De nombreuses familles y laissent un mari ou un fils; des incendies ravagent les villages. Alors que les Wu ne parviennent pas à rétablir l'ordre chez eux, les responsables des autres lignages de Conglou s'inquiètent des troubles occasionnés par ce conflit ainsi que du sort réservé à leurs femmes mariées à Guandou. Les responsables des lignages les plus importants de Conglou se réunissent et décident d'envoyer Changfei, qui jouit de beaucoup de prestige et qui est à la tête du lignage le plus proche de Guandou, celui des Mai, «porter le plat de noix d'arec » aux Wu. Cette fois cependant, l'intervention est vaine. Les deux responsables Wu à l'origine de ce conflit passent outre les recommandations de Changfei et poursuivent leur combat. Les chefs des grands lignages locaux leur pardonneront difficilement cette offense et refuseront de façon systématique leur appui aux Wu jusqu'en 1949. Face au refus des Wu d'écouter leurs conseils, ils portent plainte auprès du district qui envoie des soldats mater cette lutte intra-lignagère. Le responsable du troisième groupe dont l'arbitrage est sollicité est parfois le chef du canton, c'est-à-dire le représentant local de l'administration provinciale. Ce dernier est cependant choisi parmi les fuxiong des principaux lignages du canton et c'est plutôt à ce titre que ses services sont requis. S'adresser à ce responsable ne signifie pas porter plainte officiellement. Par contre, le chef du canton est au fait des relations existant entre les lignages et il n'est donc pas à craindre qu'il apprécie la situation sans tenir compte des querelles passées et de l'enchevêtrement de défis et de vengeances, d'alliance et de coopération qui modèlent les liens entre les groupes. De plus, ses fonctions l'incitent à souhaiter, plus que tout autre, le maintien de la paix locale. C'est pourquoi les paysans l'invitent parfois à jouer le rôle de fuxiong dans un conflit, surtout lorsque les deux groupes jouissent à peu près de la même influence ou qu'une incertitude pèse sur le bon droit des uns et des autres. C'est ainsi par exemple que Mai Leguan et un responsable du village Deng le plus proche se rendent dans une

maison de thé du bourg pour demander l'arbitrage du chef du canton dans l'affaire du cours d'eau qui les oppose. Aucun d'eux ne souhaite que les relations entre les deux communautés, appelées à partager le même territoire, s'enveniment. Mais aucun d'eux non plus ne souhaite perdre la face auprès des siens en acceptant, sans pression extérieure, un compromis pouvant être interprété comme une preuve de faiblesse dans la mesure où les arguments des uns et des autres se valent. Il leur est par contre plus facile de maintenir leur prestige en montrant qu'ils se rangent à l'avis d'une tierce personne, extérieure au conflit mais jouissant d'une certaine autorité sur le plan local. L'incident qui éclate au marché entre un paysan de Jiangnanbei, désireux de venger l'honneur de son frère jeté en prison à la suite de l'intervention de Wu Fafen et les Wu de Guandou, se solde également par une discussion au siège du canton. Les fuxiong des deux villages ordonnent en effet à leurs hommes de cesser la bagarre qui se déclenche après que Wu Fafen ait été giflé puis ils demandent à rencontrer Mai Yutang, le chef du canton. Ce dernier propose que chacune des parties verse à l'autre une somme d'argent destinée à couvrir les frais médicaux. Wu Fafen a été giflé, mais il s'agit avant tout de guérir son honneur d'autant plus blessé par ce geste qu'il est l'un des fuxiong des Wu. Quand au paysan Mai, il a été ligoté à terre et se plaint d'être incapable de marcher à la suite des coups qu'il a reçus. Mai Yutang est l'un des chefs des Mai de Zhuhu et il n'est donc pas surprenant que son arbitrage privilégie légèrement les Mai, car gifler unfuxiong est une offense grave. Sa décision est cependant acceptée par les Wu. Les arguments avancés par les porte-paroles des différents groupes présentent certaines caractéristiques, illustrées par l'exemple ci-dessous. En 1943, une paysanne d'un canton voisin de Conglou vend son petit-fils à une femme de Ping'an. Deux ans plus tard, la guerre contre le Japon prend fin et le père revient chez lui pour découvrir que son fils a été vendu. Sa femme, quant à elle, a disparu. Il se rend alors auprès du chef du canton de Conglou et réclame que justice soit faite et qu'on lui rende son fils. Son lignage est moins important que celui des Mai, et surtout, il relève d'un autre canton ce qui rend difficile sa mobilisation immédiate. L'ancien soldat, sûr de son bon droit, s'en remet donc aux autorités du canton de Conglou. Mai Riwenest dépêché au canton par les Maide Ping'an pour démêler l'affaire.

«Il n'y a que deux solutions », propose Riwen au père de l'enfant. «Ou tu prends l'enfant, ou tu ne le prends pas. Tu le veux ? Alors, rembourse l'argent qui a été versé à ta famille. (La validité du contrat de vente avait été préalablement attestée par le chef du canton où demeurait l'enfant.) Et puis, il faut que tu payes aussi pour la nourriture et les soins que ton fils a reçu depuis qu'il est chez nous. Si tu le vois en si bonne santé aujourd'hui, c'est parce qu'il a mangé le riz des Mai, il a été habillé par les Mai. Sans nous, il serait mort depuis longtemps. Alors, ces deux sommesd'argent, tu nous les dois. La deuxième solution : tu ne veux pas l'enfant. Cela vaut mieux pour toi. Ta femme s'est enfuie pendant la guerre, ta mère est morte. Tu vas être obligé de chercher du travail, comment pourrais-tu t'occuper d'un enfant ? Ce ne sera pas pratique. Pour l'enfant, c'est mieux aussi si tu nous le laisses. Si tu emmènes l'enfant avec toi un peu partout, il n'ira pas à l'école. Voilà un homme de gâché. Si tu le laisses à Ping'an, il sera éduqué. Une fois grand, il se peut qu'il ait l'occasion d'aller sur la Montagne d'Or. Ping'an est connu comme un village riche. S'ils avaient le choix, les gens choisiraient de renaître à Ping'an. Ton fils a de la chance, ne la gâche pas. Si tu ne reprends pas l'enfant, les Mai te donneront une enveloppe rouge Toi, il te suffit de mettre ton nom sur le contrat de vente. Enfin, l'enfant te reconnaîtra comme son père adoptif Les Mai vont organiser un banquet au cours duquel l'enfant se prosternera devant toi en t'appelant «père adoptif». C'est comme s'il te reconnaissait comme son père, quoi !Le garçon saura ainsi d'où il vient, les liens entre vous ne sont pas rompus. Quand il sera grand, si son cœur est bon, il saura où te trouver. Et s'il lui naît plusieurs fils, il pourra agir selon ce que son cœur lui dira... » Cette argumentation de Mai Riwen qui remporte l'adhésion du soldat démobilisé, placé il est vrai dans l'impossibilité de payer les sommes requises, révèle la présence de deux types d'arguments, fréquents au cours de telles discussions. D'une part, la situation n'est pas considérée de façon abstraite. La séparation illégale du père et du fils n'est pas jugée comme le délit fondamental qui doit être sanctionné au même titre que n'importe quel acte de ce type. Au contraire, ce qui est valorisé, ce sont les relations présentes et futures entre ce père et ce fils, en fonction des conditions spécifiques qui les entourent. A une morale abstraite qui, pour reprendre les termes de Perelman, « attache surtout du prix à l'observation de règles valables pour tous en toutes circonstances », s'oppose ici le recours à des valeurs dites concrètes, qui s'intéressent « à un être vivant, un groupe déterminé, un objet particulier quand on les 1. Tout paiement non officiel ou tout don était généralement remis dans une enveloppe rouge. 2. Lesliens établis en Chineentre un enfant et ceux qu'ils reconnaît commeses parentsadoptifs sont très étroits. Cette pratique est assez fréquente. Desenfants, amenés à s'installer dans une grande ville pour suivre leurs études reconnaissent volontiers un ami de leur père ou toute autre connaissance comme «père adoptif». Ce dernier jouera désormais auprès d'eux un rôle assez proche de celui de tuteur. 3. Mai Riwen, Hong Kong, octobre 1986, H533.

envisage dans leur unicité ». C'est également à une valeur concrète, la loyauté, qu'en appellent les fuxiong lorsqu'ils demandent que leur interlocuteur leur accorde de la face, demande qui rend la négociation unique, difficile à répéter. L'autre caractéristique, liée à la première, est l'usage fréquent d'arguments dits pragmatiques ou finalistes, c'est-à-dire d'arguments qui, pour remporter l'adhésion, développent les conséquences positives ou néfastes d'un acte Mais s'il existe des constantes dans le type d'arguments avancés par les uns et les autres et dont l'efficacité a été éprouvée, il n'existe pas, pour dénouer une situation, de principe unique aisément reconnaissable et acceptable par tous. Une grande variété de jugements peut s'exprimer, qu'il s'agisse d'interpréter les faits reprochés ou de débattre du châtiment approprié. La marge de manœuvre d'un groupe pour élargir le champs des interprétations possibles est d'autant plus vaste que le groupe est puissant localement, car il tire de sa puissance, on l'a vu, à la fois une légitimité morale et un pouvoir de dissuasion. Le jeu des interprétations ne peut cependant s'abstraire des conditions réelles du délit, et les pourparlers ne peuvent aboutir à une décision tenant simplement compte de la réussite des uns et des autres : les lignages voisins ont alors le droit d'intervenir pour rétablir un jugement plus équitable même s'ils se contentent souvent de désavouer de façon informelle celui qui aura fait un mauvais usage de sa puissance. «Souvent, les forts discriminent les faibles, les grands discriminent les petits. Ce n'est pas bien du tout. Mais les gens savent bien dans leur cœur ce qui est juste. Ils ont des yeux pour voir ceux qui agissent de façon abusive envers les plus faibles. Et même si les plus forts parviennent à leurs fins, ils ne sont pas les seuls lignages sur terre. Les autres comprennent que vous ne respectez pas les principes de base, qu'il est difficile de parler raison avec vous. Et ils ne vous soutiendront pas car vous représentez une menace pour la paix locale. » Il s'agit donc pour les uns et les autres de démontrer le bienfondé de certaines interprétations et d'en rejeter d'autres, ce travail d'argumentation étant influencé par la position des deux groupes 1. C. Perelman et Olbrechts-Tyteca, Traité de l'argumentation, Éditions de l'Université de Bruxelles, 1973, p. 103. Il poursuit, dans la même page : «Les notions d'engagement, de fidélité, de loyauté, de solidarité, de discipline sont de cette espèce... Les relations chinoises entre gouvernants et gouvernés, entre père et fils, entre mari et femme, entre frère aîné et frère cadet, entre amis, sont l'expression de l'importance accordée à des relations personnelles entre êtres qui constituent les uns pour les autres des valeurs concrètes. » 2. Perelman, p. 358. 3. Mai Jieshi, New York, mars 1985, A10.

en présence. Cette dernière intervient dans le choix des arguments déployés mais aussi dans l'accueil fait aux interprétations de la partie adverse. La menace du recours à la force, si un compromis n'est pas dégagé, domine les débats, surtout lorsque l'on a affaire un lignage qui a déjà fait parler les armes à plusieurs reprises. Mai Jieshi par exemple, est pleinement conscient des dangers qui pèsent sur les Mai lorsqu'il plaide la cause de Xiegen qui a volé en 1941 quelques patates douces à un paysan de Guandou : «Quelqu'un de mon village a volé l'un des tiens, c'est moi qu'il faut blâmer. Je ne l'ai pas bien éduqué. Dis-moi quel dédommagement nous devons vous verser d'après les règlements de votre village... » Mais lefuxiong des Wuréplique : «Nous ne voulons pas d'argent, mais le garçon. D'après notre règlement, il doit être promené dans le village. » Mai Jieshi reprend alors sa plaidoirie : «D'accord, respectons votre règlement, mais je sais que vous avez déjà exécuté plusieurs personnes pour de petits vols. Ce n'est qu'un enfant qui a volé quelques patates douces. Cen'est pas un crime. Sije l'adresse au canton ou au district, peut-être qu'on le critiquera simplement, et qu'on ne considérera pas qu'il s'agit d'un délit. Et si c'est un délit, il est vraiment très léger. » «J'ai continué à parler, parler. Je voulais bien que le garçon soit puni, je ne voulais pas le livrer aux Wu. Mais WuLinshi était beaucoup plus âgé que moi, on se connaissait un peu et il n'a pas voulu lâcher prise. Il a dit : "Pas de punition, mais le garçon !" En ajoutant : "Donnemoi dela face et je t'en donne. Vous le blâmerez dans le temple des ancêtres de sonfang, mais tu me remets le garçon. Je ne ferai que le montrer aux villageois. On ne touchera pas à un seul de ses cheveux...". »' Estimant avoir sauvé Mai Xiegen d'un sort plus affreux, Mai Jieshi livre le jeune paysan qui est promené dans Guandou sous les quolibets de la foule. Ce dénouement ne satisfait pas les habitants de Ping'an qui doivent néanmoins s'en remettre à la décision de Mai Jieshi. Quoi, Xiegen était parvenu sain et sauf au village et on le rend aux Wu ? Mais Mai Jieshi se défend : il a fait ce que la situation exigeait. «Premièrement, Xiegen avait vraiment volé, personne ne peut le nier, et il avait été reconnu par ceux de Guandou. Deuxièmement, il faut régler les délits en fonction du règlement du village lésé. Chezles Wu, à l'époque, c'était la peine de mort. Çabien sûr, je ne pouvais pas l'accepter. Puis les Wuont fait un pas en avant : ils se contenteraient de promener Xiegen. Alors là, on pouvait se mettre d'accord. Si je n'avais pas livré le garçon, on aurait été à l'affrontement armé ou à la guerre sous n'importe quel prétexte. Les Wusont nombreux et violents. Tout serait devenu difficile. Ces gens-là ne sont pas fuxiong, ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez... » Confronté à un lignage moins puissant ou moins belliqueux, il est probable que Mai Jieshi aurait obtenu, comme ce fut souvent le cas, que le propriétaire lésé soit simplement dédommagé pour la 1. Mai Jieshi, New York, octobre 1096, N1022. 2. Mai Jieshi, New York, mars 1985, A59.

perte subie. Un peu à la façon d'une balance chinoise qui oblige à une manipulation nouvelle à chaque pesée pour déterminer l'emplacement du point de juste équilibre entre deux poids différents, chaque négociation cherche à établir un compromis jugé raisonnable, tenant compte de l'offense commise et de la grandeur des uns et des autres, mais lié aussi, quoique dans une moindre mesure, à la personnalité des fuxiong comme aux relations établies entre eux. A la différence de la balance cependant, le compromis auquel on peut aboutir n'est pas étroitement défini en un seul point, vu le nombre de paramètres qui interviennent, mais occupe un certain espace au sein duquel le compromis demeure raisonnable. Seuls font l'objet d'un accord assez net et tranché les seuils, différents en chaque circonstance, au-delà desquels la solution proposée par l'une des parties est jugée déraisonnable par les groupes voisins (ce qui n'implique pas leur intervention immédiate), et inacceptable par l'autre partie. Si connaître les « principes communs », c'est tenir compte à la fois des exigences d'ordre social et de justice, si être équitable (gongdao), c'est ne pas trop privilégier les grands au détriment des petits, cette interprétation de l'équité est très éloignée de celle que nous lui donnons habituellement, et qui encourage l'indulgence envers les plus faibles et la sévérité envers les plus forts. Mais il arrive que les discussions pacifiques entre représentants des différents groupes soient vaines ou même impossibles. La situation bascule alors dans la violence et une lutte interlignagère (zu dou), ultime recours pour désigner un vainqueur et un vaincu, est déclenchée. Ces luttes sont à distinguer des rixes qui peuvent éclater entre les membres de différents lignages, ou des bagarres qui opposent régulièrement au marché les habitants de villages entre lesquels l'hostilité règne parfois depuis de nombreuses générations. Lancer une lutte interlignagère, c'est oublier l'objet du conflit et le bon droit éventuel des uns et des autres pour laisser les armes décider de l'issue de la confrontation. La violence éclate par exemple, déclenchée par un lignage dominant, lorsqu'un petit montre qu'il juge inacceptable l'attitude d'un voisin à son égard, attitude que ne lui paraît pas justifier le rapport de force existant, ou lorsque deux groupes sont d'égale puissance, ce qui introduit une certaine incertitude dans la hiérarchie locale. Elle est un recours, en théorie, pour le petit, quand son bon droit est bafoué, mais de telles réactions désespérées sont rares.

La décision de la lutte armée comme moyen de résoudre le conflit est prise par les fuxiong lorsqu'ils ne voient aucun autre recours pour défendre les intérêts de leur groupe, mais il arrive aussi que ce soient les jeunes membres du lignage qui mettent les fuxiong devant le fait accompli. La personnalité des responsables lignagers est donc déterminante et les paysans insistent sur la nécessité de ne pas continuer à solliciter les services d'un paysan en voie d'être fuxiong, lorsque celui-ci fait trop souvent le choix de la manière forte pour résoudre les problèmes. Tous les paysans âgés de plus de dix-huit ans des lignages qui s'affrontent participent aux combats et à la défense de leur village, mais les membres de ces lignages des cantons et districts voisins se mobilisent également, qui pour cultiver la terre de ceux qui se battent, qui pour apporter des armes, qui pour venir prêter main-forte et participer directement à la lutte. Cette dernière prend donc rapidement une très grande ampleur. Elle est souvent sans merci jusqu'à ce qu'une possibilité de négociation soit entrevue. Du moins, toute considération sur l'origine du conflit disparaît et seul importe le nombre d'hommes et d'armes possédé. «C'est alors celui qui gagne qui a raison. » Au tout début du siècle, dix-huit lignages se liguent par exemple contre les Maide Xincun, Xincun étant le nom du premier village peuplé par les Mai, mais aussi celui qui désigne l'ensemble des villages du lignage Mai du canton de Doujie. Les Mai du village de Xincun sont réputés pour leur violence. Ils sèment des troubles dans le canton, s'en prennent aux biens des lignages voisins et notamment à ceux des Chen, l'un des lignages les plus puissants de ce canton, dont les membres sont régulièrement pris à partie par les Mai au marché. Les Chen décident alors de«nettoyer le bol de blé» —Mai signifiant blé en chinois —et ils mettent sur pied une alliance avec dix-sept autres lignages. Certains de ces derniers n'ont pas eu de démêlés avec les Mai, mais il prêtent leur concours aux Chen dans le souci de rétablir la paix locale, ou parce qu'ils ont des dettes envers les Chen. Les Chen à eux seuls mobilisent plusieurs milliers d'hommes, armés pour la plupart. Les Mai du village de Xincun constituent la cible principale des Chen et de leurs alliés et ils sont assiégés pendant plusieurs jours. Del'huile de sésame est répandue dans la rivière qui traverse le village, rendant l'eau non potable. 1. Mai Jieshi, New York, mars 1985, A 10.

Les habitants des autres villages Mai de la région ne sont pas libres de leurs mouvements bien qu'ils aient adopté dans le passé une attitude plus pacifique que ceux du village de Xincun. Ils savent que sitôt ce dernier village défait, la coalition de dix-huit lignages se tournera contre eux. A Conglou, on se mobilise pour aller prêter main-forte à ceux de Xincun, de même que les Li et les Chen apportent leur aide à leurs parents. Les Mai de Heshan, un district voisin de celui de Taishan, et même ceux de Hepu, dans le Guangxi, sont appelés en renfort. Mais ces derniers, dont l'intervention peut être décisive car ils sont pour la plupart brigands de métier, ne sont pas encore parvenus à mi-chemin que les combats cessent à Doujie. Certains fuxiong Mai de Xincun, commerçants au bourg, ont échappé en effet au siège et organisent la résistance. L'un d'entre eux, sans doute l'un des Mai les plus célèbres de Taishan, Mai Yingzun, secrétaire de Zhang Fakui, un grand général du Guomindang, estime que l'heure est désespérée et qu'il convient d'avoir recours à des moyens extraordinaires : il préconise la création «d'équipes qui ne craignent pas la mort ». Plus de cent personnes se portent volontaires, parmi lesquelles Mai Yingzun choisit trente paysans qui sèmeront le trouble parmi les adversaires et permettront aux Mai de remporter une petite victoire. Les Mai de Xincun profitent de celle-ci pour s'adresser au district en demandant que celui-ci intervienne et rétablisse l'ordre. Ils expriment d'autre part leur volonté de renouer des relations cordiales avec les Chen. Formuler une telle demande alors qu'ils étaient assiégés et dans une position manifeste d'infériorité aurait constitué un aveu de faiblesse difficile à réparer et dont les conséquences auraient été néfastes pour la survie des habitants de Xincun. La déroute provisoire de leurs adversaires leur permet par contre de réclamer, la tête haute, le rétablissement de la paix. Le district envoie alors des soldats pour ramener le calme. Le recours à la violence n'est pas très fréquent cependant si l'on considère le nombre d'incidents qui éclatent régulièrement. De nombreuses forces interviennent pour empêcher que les armes ne parlent car, du fait du jeu des alliances et des hostilités, une lutte interlignagère limitée au départ dans l'espace peut rapidement embraser toute une région. Ainsi aucun des villages Mai du lignage de Zhuhu n'a été entraîné dans un tel conflit, entre 1850 et 1950, hormis l'épisode cité ci-dessus et connu sous le nom de «dix-huit lignages veulent nettoyer le bol de blé ». Et une seule

déclaration de guerre est prononcée, par les Mai de Zhuhu à l'encontre des Wu de Guandou. Une solution pacifique au conflit est cependant trouvée avant que l'on ait ouvert le feu de part et d'autre. A la fin des années vingt, la tension est extrême entre les deux communautés. Les jeunes paysans de Zhuhu sont alors menés par Liu Ru qui deviendra plus tard responsable lignager. Il a fait des études supérieures dans une école de sciences politiques et juridiques et il possède quelques accointances au sein de l'administration du district, jouant quand l'occasion se présente un rôle de conseiller juridique ou «d'avocat aux pieds nus », pour reprendre l'expression des paysans de Taishan, rôle décrié par ces derniers comme consistant surtout à semer la discorde Il a regroupé la plupart des jeunes paysans de Zhuhu dans une association dont les membres ont fréquemment maille à partir avec les Wu de Guandou. Les bagarres qui se déroulent au marché ou dans la montagne sont violentes mais restent limitées puisqu'il n'y a jamais eu mort d'homme. A travers ces confrontations répétées, les uns et les autres essayent d'affirmer leur suprématie, de forcer leurs adversaires à reconnaître l'existence d'un rapport de force qui leur soit favorable. Il est difficile de savoir aujourd'hui qui prend l'initiative d'en venir à la lutte armée, les conflits se multipliant sans qu'aucune des deux communautés ne reconnaisse la suprématie de l'autre. Les Mai de Zhuhu disent qu'ils ont commencé à se préparer à l'affrontement après que la nouvelle d'une attaque imminente des Wu leur soit parvenue. Les Wu prétendent que les Mai avaient annoncé 1. Faisonsexception pourunefoisauprincipe quenousnoussommesfixésdenepas évoquerlesévénementsquisedéroulentaprèslafindelapériodeétudiéeici,soitaprès1952. Malgréleurhostilité àl'égarddeLiuRupourlesactionsqu'il mèneàZhuhuavantl'arrivée au pouvoir du Parti communiste, les paysans ne peuvent s'empêcher de lui reconnaître aujourd'huiencoreuncertaincourage,dufaitdel'attitude qu'il adopteaucoursdesséances delutte dontil estvictimependantla Réformeagraireavantd'être exécutécommedespote local. Soncouragenousaeneffetété vantéàplusieurs reprises, endestermestrèsproches: «Il nes'est paslaissé abattre, et il luttait enretoursesadversaires. Il n'avait paspeurdes coupsets'attendaitàmourir.Auboutd'uncertainmomentquelaséancedelutteétaitcommencée,il annonçait:"C'estbon,vousêtesfatigués,onarrête dixminutes!" Il s'en prenait auxMaiquiledénonçaientetlefrappaient:"Oui,jesuismauvais!Maisvousaussi!Sivous n'aviez pasété violents, si vousn'aviez pasété là, vous autres les plusjeunes, pourm'appuyer,jen'auraisjamaispufairecequej'ai fait. Biensûr,j'étais votreoncle,etje memontrais unpeuplusméchantquevous.Maissijen'avaispasagiainsi,commentauriez-vouspu jouirdetant d'avantages?..." Aumomentdesamort,il arefusédes'agenouiller et il adit : "L'oncle n'a pas peur! Dans dix-huit ans, je serais à nouveau un bon chinois!"»(Mai Jieshi, NewYork,mars1985,A81).

auparavant leur intention de les balayer. Quoi qu'il en soit, les Mai de Zhuhu s'apprêtent à se battre et envoient des émissaires chez les Mai de Xincun pour leur emprunter cinq cent des mille fusils qu'ils possèdent. Ceux de Ping'an ont pour mission de retarder l'arrivée des Wu, Ping'an se trouvant sur le chemin des Wu vers Zhuhu. L'affrontement paraît inéluctable quand Mai Yingzun, chef de Xincun, intervient. Il enjoint aux Mai de Zhuhu de renoncer à leur projet. En cas de conflit, les Wu de Fuchang, avec lesquels les Mai sont cousins de génération en génération, devront en effet prêter main-forte aux Wu de Guandou, et des parents par alliance vont donc s'entre-tuer. Une telle situation doit être évitée à tout prix. En fait, Mai Yingzun protège également les intérêts des Maide son canton, Doujie. Les Wu les soutiennent dans les conflits incessants qui les opposent aux Li. En cas de lutte à Conglou entre les Mai et les Wu, les Wu du canton de Doujie seront amenés à prendre des distances vis-à-vis des Maidela mêmelocalité, rendant ceux-ci plus vulnérables face aux Li. Il est donc impératif qu'un compromis soit trouvé. Mai Yingzun est l'un des principaux responsables de l'ensemble des Mai de Taishan. Il a rencontré au cours de sa carrière nombre de grands mandarins et possède donc des relations influentes. De plus, il s'est peu à peu constitué un bien foncier considérable à Doujie en s'octroyant de vastes étendues de polders, terres reprises à la mer, et sa puissance économique est grande. Si son prestige lui permet de contrôler les siens, Mai Yingzun ne peut cependant agir sur les Wu, et il sollicite pour ce faire l'aide d'un Wu du district de Sijiu qui assume les fonctions de vice-président de l'assemblée Taishan. Celui-ci persuade les Wu de renoncer à la guerre. Les deux hommes invitent les fuxiong Mai et Wu de Conglou, lesquels sont obligés de manifester leur respect à l'égard de ces hauts dirigeants lignagers, à partager un repas dans un restaurant du bourg afin de célébrer le rétablissement de la paix entre les deux lignages. La lutte interlignagère était évitée, mais les querelles devaient reprendre très vite entre les deux communautés. Il faudra attendre 1946, l'année au cours de laquelle Mai Leguan se venge enfin de l'affront que lui avaient infligé les Wu de Guandou en emportant sa marchandise de contrebande, sans qu'il puisse se défendre, pour que la paix revienne entre les deux villages. En 1948, Mai Leguan prend pour belle-fille une jeune paysanne de Guandou afin de manifester, de façon éclatante, sa volonté d'instaurer des liens d'alliance durables avec les Wu. «Ce buffle sau-

vage, les Wude Guandou, s'est enfin laissé passer le licol au bord de l'étang des Mai», diront les paysans La violence spontanée, non institutionnalisée, est très présente : elle est à l'origine de nombreux conflits même si son usage n'est pas considéré commeapproprié pour résoudre ces derniers. Altercations et bagarres éclatent facilement et dressent les uns contre les autres des membres de villages appartenant à des lignages différents. Cette violence quotidienne trouve en partie son origine dans la division de la société locale en groupes au sein desquels les liens entre l'individu et la communauté sont très étroits, le comportement du premier engageant le destin de la seconde, et le groupe étant responsable du devenir de ses membres. La cohésion et la solidarité face aux menaces extérieures sont d'autant plus immédiates que le groupe concerné partage les mêmes ressources économiques, et cherche à les préserver ou à les étendre, comme c'est le cas pour l'unité villageoise, les ressources étant rares dans cette région de Chine par rapport à l'évolution démographique. Aussi la plupart des litiges opposent-ils des villages entre eux. Unprincipe de hiérarchie est d'autre part à l'œuvre entre ces groupes, une hiérarchie que les conflits exhibent et consolident, d'où leur fréquence. L'organisation sociale et les principes sur lesquels elle repose impliquent que la violence collective est plutôt dirigée vers l'extérieur du groupe, que ce dernier soit un segment lignager, un village ou un lignage. Elle peut prendre pour cible d'autres groupes de parenté, ou l'Etat et ses représentants locaux, mais elle peut difficilement, de façon systématique et organisée, dresser certains membres de la communauté contre d'autres. Car celui qui agit ainsi, trahissant les valeurs qui fondent le groupe, court le risque d'être marginalisé, exclu du groupe, et de perdre ainsi ce qui faisait sa qualité morale aux yeux de la société. Cequi explique sans doute la relative faiblesse numérique des révoltes paysannes opposant certains groupes socio-économiques à d'autres. Limitant cependant le recours à la violence comme moyen d'arbitrer une querelle, la référence à une valeur supérieure, partagée par tous —la nécessité de préserver l'ordre au sein d'une communauté plus vaste, la localité —,force le recours à la négociation et au compromis, dans une région où la voix de l'Etat ne parvient alors 1. WuBingzi,NewYork,avril1985,0881.

que très affaiblie. La lutte interlignagère, qui crée des dettes de sang (xuezai) et ouvre un cycle de défis et de vengeances s'étalant sur plusieurs générations et en fait jamais clos, est tellement redoutée que tout est mis en œuvre pour l'éviter. Si les récits de ces luttes, moments privilégiés par l'histoire, nous sont souvent rapportés par les documents écrits, ce qui apparaît comme véritablement surprenant c'est plutôt le nombre d'affrontements collectifs évités grâce au recours à une argumentation obéissant à des règles complexes et privilégiant, pour favoriser le maintien de la paix locale, le respect de la position de chacun dans la hiérarchie locale. Enfin, l'attention accordée à une argumentation rationnelle reposant à la fois sur les circonstances à l'origine du conflit et sur le rapport de force, l'usage des règlements précédents pour trouver une solution appropriée, ne signifient pas que les discussions se déroulent à l'ombre de valeurs particularistes, sans recherche d'une interprétation plus universelle de comportements corrects ou appropriés. L'idée, souvent exprimée par les paysans, que certains fuxiong sont à même de trouver des arguments meilleurs que d'autres, indique qu'une solution idéale existe, transcendant la situation particulière dans laquelle les uns et les autres se trouvent engagés. La résolution des conflits, aussi souple soit-elle, n'est donc pas guidée par un simple relativisme. L'importance accordée au moment de la discussion et de l'échange d'arguments implique en soi la quête d'un jugement supportant une certaine forme de généralisation. Pour reprendre les mots de A.M. Roviello (1992), «le fait de poser que mon opinion est meilleure que celle de l'autre, le simple fait d'attendre de l'autre qu'il reconnaisse la justesse plus grande de mon opinion, le fait que les autres en font de même avec moi, témoigne de ce que nous existons déjà sous l'horizon ou dans la présupposition de l'universel » Si l'importance accordée au rapport de force semble nier l'importance de valeurs universelles, celles-ci sont présentes, formellement, à travers l'idée qu'un juste équilibre peut être atteint entre le bon droit et la puissance des parties en présence, un équilibre que les responsables locaux sont plus ou moins capables de trouver selon leurs compétences. Rounvaieultéos,,H Laerm com dition1s.eA tc.oM m.m esm 10u,1n9ic9at2io,n17et3-l1a8q2u.estiondelu' niversel,Espacespublics,tra-

IX

Au cours de la première moitié du XX siècle, à l'instar des décennies précédentes, la terre n'offre pas de travail à toute la main-d'œuvre paysanne et ne parvient pas à nourrir ceux qui la cultivent. L'évolution démographique a été considérable au cours des siècles précédents: la population chinoise est passée de 120 ou 140 millions d'habitants au milieu du XVII siècle, à 350 ou 430 millions d'habitants au milieu du XIX siècle En 1934, avec 946 560 habitants, le district de Taishan est l'un des plus peuplés du Guangdong Les effets de cette densité sur la taille des biens fonciers familiaux sont renforcés par le faible pourcentage de terres cultivables dû au relief accidenté du district. En 1949, les 574005 habitants de Taishan, répartis en 169842 foyers, cultivent 680 073 mu de terre, soit 1,18 mu par habitant, 4 mu par foyer Or la population du district a fortement baissé, on l'a vu, à partir de la fin des années trente et surtout après 1945, et pendant l'ensemble de la période étudiée chaque habitant de Taishan dispose de moins d'un mu de terre. De plus, les Mai se sont développés tardivement dans la région de Conglou et, contrairement à d'au1. Cf. L. Bianco, Les origines de la révolution chinoise, 1915-1949, Gallimard, «Folio/Histoire», 1967,2 éd., 1987,376p. p. 170. 2. Guangdongnianjian, p. 47. 3. Taishan xienzhi, rédigé par le comité de rédaction des Annales dudistrict de Taishan, EditionspopulairesdeTaishan, 1993,p. 128.

tres lignages qui ont défriché des terres et ont pu ainsi s'adjuger de vastes superficies, ils ont dû se contenter de parcelles peu étendues, achetées l'une après l'autre à des lignages déclinants. Il n'est donc pas surprenant que des chiffres dérisoires soient évoqués par les membres de ce lignage lorsqu'ils décrivent la superficie de leurs champs : les foyers, peu nombreux, qui possèdent dix mu (deux tiers d'hectare) comptent parmi les grandes familles de cultivateurs du village, et les paysans se disputent l'achat de quelques dixièmes de mu. Le mu, ou le quinzième d'un hectare, constitue d'ailleurs une unité de mesure trop importante et donc peu pratique pour qualifier l'étendue des parcelles : les paysans lui préfèrent le dou ou le boisseau, qui représente la quantité de grains de riz nécessaire pour cultiver une unité de terre équivalente à 0,33 mu Il est difficile, en l'absence de documents écrits, d'évaluer la superficie de terre possédée par chacun à Ping'an, tout au long de cette première moitié du XX siècle, d'autant que celle-ci évolue au gré des divisions familiales et des mouvements de terres, même limités, entre foyers. De plus, des relations très différentes peuvent unir les paysans aux champs qu'ils cultivent : ils peuvent en être propriétaires, ou les louer moyennant le versement d'une rente aux foyers ou temples lignagers propriétaires, ou encore posséder simplement un droit d'usufruit sans que les terres leur appartiennent en titre. Il s'agit alors de ces biens n'ayant pas fait l'objet d'un partage officiel entre les descendants masculins : seul le droit d'exploitation a été confié aux héritiers, lesquels ne se considèrent pas comme de véritables propriétaires mais indiquent simplement qu'ils «cultivent la terre de tel ancêtre ». Considérons par exemple la situation à Ping'an. Si les chiffres concernant la population de ce village comme la superficie des terres villageoises sont difficiles à déterminer en l'absence de documents écrits, la Réforme agraire de 1952 nous livre un renseignement précieux : à la veille de la victoire communiste, il existe un mu de terres cultivables par habitant D'autre part, d'après les entre1. Dixdouformentunshi,soit 3,3mu. 2. Cechiffredela Réformeagraire,combinéauxinformationsoralesrapportéesparles paysansàproposdeladistributiondesterresdanslevillageetdunombredemaisonshabitées en 1949,permetde fournir uneestimation très grossière: il existait alors environune centainedefoyersàPing'an, etlesterrescultivéess'étendaient surquelque500mu,tousles champs,privéset collectifs,inclus.

tiens réalisés, les terres collectives des différents segments lignagers occupent alors environ 80 mu des 500 mu de terres cultivables que possède le village Sur le plan de la propriété privée, on peut distinguer un premier groupe de trois familles possédant chacune 30 mu. Puis vient un second groupe d'une dizaine de familles qui détiennent quelque 10 mu. La plupart des foyers sont propriétaires de 3 mu environ, alors qu'une vingtaine de familles possèdent un mu, ou pas de terres du tout. Mais terres possédées et terres cultivées, on l'a vu, ne coïncident pas. Voici quelques exemples qui, en retraçant la situation de certains foyers à la veille de 1949, illustrent la diversité des liens qui unissent les paysans aux champs sur lesquels ils travaillent. Si deux foyers de la région de Conglou possèdent 90 mu, soit 6 ha, et un troisième plus de 60 mu, Mai Leguan est, après son dernier retour des États-Unis, le plus grand propriétaire de Ping'an avec 30 mu. Un ouvrier agricole et son deuxième fils, celui qu'il a acheté à une famille d'un district voisin car la concubine tardait à mettre des garçons au monde, cultivent ces terres dont aucune parcelle n'est louée à autrui. Un gardien de buffles est parfois embauché, à titre temporaire, alors que Mai Leguan se contente d'inspecter ses champs lorsqu'il revient au village, après chaque marché, soit tous les cinq jours. Mai Jieshi par contre fait partie jusqu'en 1946, avec la dizaine de mu qu'il cultive pendant quelques années, du groupe suivant dans la hiérarchie des familles de propriétaires. L'origine de ces terres est la suivante : 3 mu ont été donnés par Mai Leguan à son fils aîné, le père de Mai Jieshi, lors de la division familiale opérée en 1921. Le père parti aux États-Unis, c'est la mère de Mai Jieshi qui se charge de l'entretien quotidien des champs avec l'aide d'une servante. En 1944, alors que la famine règne, Mai Jieshi décide d'occuper plus de 3 mu de terre appartenant à ce dernier et qui, à ses yeux, reviennent à sa famille. Au cours de la même année, sa mère achète à bas prix quatre autres mu. La famille dispose donc de plus 10 mu répartis sur une vingtaine de parcelles. Sima, dont le grand-père était propriétaire de quelque 15 mu, cultive les 5 mu qui ont échu à son père, lequel 1. Il est intéressant de signaler quele segment lignager possédant les terres les plus étendues(50mu)n'est pasunsegmenttout àfait institutionnalisé, c'est-à-dire pourvud'un templedesancêtres. UndescendantdeJihongasimplementtransmiscesterresàle' nsemble esodescendant s, enespérant qu'un temple soit construit tôt ou tard pour honorer sa dm eésm ire.

meurt très tôt. Il possède uniquement le droit d'exploitation de ces terres : aucun partage officiel du patrimoine n'a été effectué. En 1948, il quitte à jamais le village ; sa mère et sa femme cultivent dès lors à elles deux ces 5 mu auxquels elles ajoutent près de 2 mu que leur loue un autre foyer. Elles ne sont donc réellement propriétaires d'aucune de ces terres. La famille de Dingfa possède 2 mu, mais son père réside à l'étranger et envoie régulièrement de l'argent, ce qui permet à Dingfa de poursuivre des études et de devenir professeur. Sa mère, dont les pieds sont bandés, ne peut travailler la terre. Aussi Dingfa décide-t-il de louer la totalité de ses terres. Il ne conserve même pas, comme font bon nombre de familles de Chinois d'outre-mer, un petit lopin pour faire pousser quelques légumes. Chen Fuhuan enfin a épousé en 1945 le fils d'une concubine, et vit dans un premier temps sous le toit de celle qu'elle appelle «belle-mère », soit l'épouse principale de son beau-père, avec la mère de son époux, qu'elle nomme «grande sœur », et son époux. La famille possède 8 mu mais, un an après le mariage, devant les dettes accumulées par l'époux de Chen Fuhuan qui se lance dans le commerce, l'épouse principale décide de procéder à la division familiale. Elle divise les terres en trois parts : une part pour la famille de la concubine et deux parts pour elle. Son fils unique est mort en effet, mais un proche a été choisi pour «poursuivre la lignée » et la part supplémentaire du fils aîné lui revient. Chen Fuhuan vend en 1947 toutes les terres reçues en héritage, soit un peu plus de deux mu, pour rembourser les prêts contractés par son mari, et loue dès lors quelques-uns des champs de l'épouse principale. En dehors des terres lignagères, une faible part des terres cultivées est louée : un cinquième environ. La situation est donc bien différente de celle que l'on peut observer alors dans la plus grande partie du delta de la rivière des Perles, notamment dans les zones d'alluvions, où les propriétaires fonciers louent des dizaines d'hectares aux familles de fermiers D'autre part, hormis les treize familles de Ping'an possédant une superficie de champs assez importante, très peu de foyers parviennent à cultiver plus de 6 mu, 1. Il semblequedespropriétésfoncièrestrèsétenduesaientétéconstituéeslelongdela côte du district de Taishan. Lastratification sociale yétait beaucoup plus complexe que dans la région ici étudiée, rappelant la situationdécrite par R.Y. Engdansunarticle intitulé, ChinaInstitutional , 1986, 12, 1,a3n-d37S.econdaryLandlordisminthePearlRiverDelta, 1600-1949,Modern

terres louées incluses. De tels chiffres classent la plupart des foyers de Ping'an dans la catégorie des paysans pauvres, si l'on se rapporte à d'autres études menées au cours des années trente dans la province du Guangdong. Ainsi, Chen Han-seng, qui a procédé à des enquêtes dans dix villages du district de Panyu de la province du Guangdong, estime que les paysans pauvres cultivent en moyenne moins de six mu, cinq d'entre eux étant loués Une autre estimation chiffrée peut être avancée, concernant la répartition des biens fonciers à Ping'an en 1949: 13% des foyers possèdent 38% des terres, et les différents temples des ancêtres en possèdent 16 %. Les autres foyers, soit 87 %, sont propriétaires de 46 % des surfaces cultivables Ces quelques exemples révèlent la petite superficie des terres cultivées et le phénomène d'émiettement qui se produit à chaque génération. Ils expliquent aussi la forme que prend l'entraide agricole : si l'absence de toute forme de mécanisation nécessite la coopération d'au moins deux personnes au sein de la famille pour s'occuper des terres, les travaux les plus importants tels que le repiquage des pousses ou les récoltes ne réclament pas la constitution de groupes d'entraide très élargis. Ces exemples dévoilent en outre l'impossibilité, pour la plupart des foyers, de survivre grâce à l'exploitation de leurs terres. Les deux récoltes de riz permettent en effet de réunir au moins 4 dan de grains par mu alors que les paysans estiment que la consommation annuelle d'un adulte nécessite 6 dan de grains Il faut donc posséder un peu plus d'un mu par personne pour que les problèmes d'alimentation soient en partie réso1. Chen Han-seng, Agrarian Problems in Southernmost China, Shanghai. Kely & Walsch,1936,p. 127-129. 2. Il est très difficile decomparerceschiffres àceuxproposésparleParti communiste lors dela Réforme agraire. Atitre indicatif cependant, les chiffres officiels indiquent qu'à Taishan,cettemêmeannée1949,lespropriétairesfoncierssoitceuxquipossèdentdesterres plusimportantesqu'autrui, enlouent unepartieouembauchentdela main-d'œuvrepourla cultiver, représentent plus de 9%des foyers et possèdent 56,8%des terres. Cedernier chiffre comprendnéanmoinslesterres collectiveslignagères (Taishanxienzhi, p. 229). 3. Undanreprésente le poids quipeut être porté dans les deuxpaniers accrochés au boutdela palanche. Chacundecespanierss'appelle unluo,et transporte unpoidséquivalentàlamoitiéd'undan. Undantransportedanscette régionnonpas100mais120jin, soit 7riz0kdécort genviiqron, ué. et unluocontient quelque 35kg. Unkilodegrains fournitenviron700gde Cechiffre d'une production minimumde4dan par mucorrespond enfait à untotal de 192kgderiz décortiqué. Lespaysans citent également souventle chiffre d'une production moyennede9luoparmu,cequifait 216kgderiz décortiqué. Atitre decomparaison, C. K.Yangavance le chiffre de227kgpar mudans le vilage de Nanchang (district de Panyu),situéégalementdansla provinceduGuangdong,maisdansunezoneplusfertile.

lus. Or tel est le cas d'une minorité de familles seulement. Un mu par personne, de plus, est un chiffre insuffisant si les terres cultivées sont louées et qu'une rente doive être versée. Lanécessité d'acheter certains produits de base au marché explique la vente, par certaines familles, d'une partie de la récolte pour disposer d'argent liquide, à moins qu'une activité rémunérée soit accomplie par un ou plusieurs membres du foyer. Les paysans consacrent la plupart de leurs terres à la culture du riz mais ils plantent également des patates douces dans les champs irrigués, culture qui s'ajoute à la récolte de riz précoce et à celle de riz tardif, ou qui remplace la culture de riz précoce. Les terres irriguées sont en effet divisées en deux: celles dites «pour le riz », et qui accueillent la double récolte, et celles dites «à patates douces». Dans ce dernier cas, les patates douces sont plantées après le riz tardif et sont récoltées au cours du mois d'avril del'année suivante. Elles sont appelées «la récolte du salut » car elles sont récoltées au moment où, bien souvent, le riz tardif a déjà été consommé et le riz précoce n'est pas encore mûr. Mai Leguan est le seul au village à vendre régulièrement une partie de sa production de riz au bourg, mais il ne s'agit pas là d'une source de revenu très importante. Au cours des années vingt, en effet, l'introduction du riz étranger, importé de Hong Kong, fait chuter le prix du riz. Les familles font également pousser, sur les champs dits «à taros », quelques légumes comme des pastèques, des courges, des navets, des radis, des haricots, du gingembre. Une ou deux familles se déplacent parfois jusqu'au bourg pour essayer d'y vendre une partie de cette production. Enfin, chaque foyer de cultivateurs élève un ou deux cochons ainsi que quelques poules. Pour les paysans, majoritaires à Ping'an, qui ne possèdent pas assez de terres pour faire vivre les leurs, les moyens d'agrandir les superficies cultivées sont limités. Achats et ventes de terres se produisent rarement. Vendre des champs, c'est signaler à tous le déclin de la famille et ce procédé n'est donc utilisé qu'en dernier recours, pour faire face aux demandes pressantes de créanciers. La mise en vente de quelques parcelles est un événement local, longuement commenté, et qui suscite un tel intérêt chez denombreux acheteurs potentiels qu'elle est souvent rendue publique une fois l'affaire conclue, de façon discrète, entre le vendeur et celui auquel il cède ses terres. D'une façon générale, les acheteurs sont bien plus nombreux que les terres disponibles.

L'autre solution qui s'offre aux familles désireuses d'étendre la superficie de terres cultivées est d'en louer. Grâce à l'émigration, qui permet à certaines familles d'avoir pour principale source de revenu les contributions des Chinois d'outre-mer, des champs sont mis en location malgré le manque général de terres. Seul un contrat oral engage le fermier vis-à-vis du propriétaire, contrat qui ne spécifie pas la durée du bail mais fixe le montant de la rente. Jusqu'à la guerre contre le Japon, les relations entre propriétaires et fermiers ne semblent pas faire l'objet de beaucoup de conflits. Si certains propriétaires fixent alors des rentes au taux le plus élevé en exigeant un versement à date fixe, d'autres se montrent plus souples. Louer des terres ne représente en effet qu'une source de revenu supplémentaire pour ces familles de Chinois d'outre-mer, alors qu'un tel contrat représente souvent, pour les fermiers, une question de survie. La rente annuelle, versée en nature ou en argent selon les époques, est par exemple d'un luo par dou pour les terres sur lesquelles les deux récoltes de riz annuelles produisent environ trois luo par dou, et la rente correspond donc à peu près au tiers de la production de grains. Elle s'élève par contre à 50%si le fermier ne fait qu'une récolte. Ces chiffres sont inférieurs à ceux pratiqués dans de nombreuses régions Entre frères, les terres sont en général simplement prêtées, lorsque l'un d'eux a eu la chance de pouvoir partir à l'étranger. Si la rente est fixée par un accord entre le propriétaire et le fermier en cas de location de terres individuelles, il en va autrement pour les terres collectives lignagères. Afin que des relations privilégiées avec les responsables dufang ne favorisent pas l'un ou l'autre paysan, les terres mises en location sont remportées par celui qui propose les enchères les plus élevées. Un tel procédé ne sert pas les intérêts des paysans les plus pauvres mais, en l'absence d'un autre moyen pour désigner, parmi tous les candidats, celui dont les besoins sont les plus impérieux, le recours aux enchères permet au moins de satisfaire les intérêts du groupe. Et les rentes versées aux segments lignagers sont légèrement inférieures à celles réclamées par les foyers. Les terres collectives sont louées, de façon préférentielle, aux membres du segment lignager, à moins qu'elles ne soient trop éloignées pour intéresser l'une des familles dufang : les mem1. LucienBiancoestimeà45%delavaleurtotaledelarécoltelemontantdelarente. Lesoriginesdelarévolutionchinoise,1915-1949,p. 170.

bres d'autres segments lignagers ou d'autres villages sont alors invités à participer aux enchères. La durée du bail est de trois ans. De même que les modalités de versement de la rente dépendent, surtout avant la guerre contre le Japon, des relations de parenté et d'affinité qui lient le fermier à son propriétaire, de même le responsable des comptes lignagers peut exiger, de façon tatillonne, le respect des accords conclus ou se montrer au contraire peu regardant sur le montant de la rente versée. APing'an où, encore une fois, les contributions des Chinois d'outre-mer financent la plupart des activités lignagères et introduisent donc, par cet apport extérieur, une certaine souplesse dans les échanges économiques locaux, louer des terres ancestrales est plutôt avantageux : bien des paysans, semblet-il, ne s'acquittent pas du versement de la rente, ou n'en versent qu'une partie. Malgré ces mouvements de terres, peu de foyers de Ping'an produisent des récoltes suffisantes pour faire vivre les leurs. La situation est d'autant plus précaire pour les familles de fermiers qui ne parviennent pas à louer les superficies nécessaires pour assurer leur survie : elles sont prises dans un cycle de prêts et de dettes qui explique certains gestes désespérés comme la vente de filles ou le recours au vol. «Quandj'étais petit, danslesannéesvingtetjusqu'audébutdesannéestrente, Houdongtravaillait beaucoup.Il était parvenuàlouerpasmaldeterrescarc'était encore facileàlé' poqueet lesrentesn'étaient pastropélevées.Puis,ilaeudesenfants,eten mêmetemps,lenombredechampsàloueradiminué.Alors,peuàpeu,il abaisséles bras.Quoiqui'lfasse,mêmeavecunetrèsbonnerécoltesurleschampsqu'ilcultivait,il nepouvaitpasnourrirsafamile.Ils'estlaisséaller!Ilacommencéàvoler,àdroiteou àgauche. Unefoislarenteversée,unefoislesprêtsremboursés,il n'avaitplusrienen poche!Il luifallait aussitôtemprunterànouveaudel'argent. Desprêtspar-ci, par-là, l'aidedesunsetdesautres,toutela' nnée,ilnevivaitquegrâceàlabienveilance(renqing)desautres!» «Avoir de l'argent qui circule entre les mains»: il s'agit là d'une nécessité impérieuse pour assurer la survie des familles puisque celles-ci ne peuvent éviter l'achat de certains produits. Or les récoltes de riz et de patates douces parviennent tout juste, dans le meilleur des cas, à répondre aux besoins alimentaires domestiques. Aucun excédent ne peut être dégagé et vendu afin de jouir d'un petit revenu monétaire. A l'exception de Mai Leguan, les familles de Ping'an qui vendent une partie de la récolte de riz doi1. MaiJieshi,NewYork,octobre1986,B154.

vent tôt ou tard en racheter dans l'année. L'autre moyen est de trouver une activité rémunérée, souvent aléatoire et peu lucrative, comme la vente de certains produits spécialisés ou l'embauche dans un commerce du bourg. A moins —fait exceptionnel qui réclame l'appui des parents et amis —que ne se présente l'occasion d'ouvrir un véritable commerce. Ces activités permettent à quelques hommes de se distinguer des agriculteurs, même si la frontière est mince. Ils habitent au village ou à Conglou, mais ne travaillent pas la terre, et la différence est grande. Leur mère, leur épouse ou d'autres personnes s'occupent des terres familiales mais eux ne peinent pas dans les champs. Quelques habitants de Ping'an vendent ainsi une partie de leur production au village ou bien même à Conglou, en se postant à un coin du marché, seuls méritent véritablement le qualificatif de commerçant ceux qui ont pignon sur rue, c'est-à-dire qui possèdent une boutique au bourg puisque aussi bien aucun commerce digne de ce nom n'existe à Ping'an. Les uns et les autres sont en réalité fort peu nombreux. Il existe à Ping'an quelques paysans qui, outre le travail de la terre, s'efforcent de gagner un peu d'argent en exerçant, de façon irrégulière, une activité commerciale. L'un achète de la viande au bourg, par exemple, qu'il revend au petit matin à Ping'an, écoulant ainsi chaque jour un quart ou un demi-porc, selon les saisons. Un autre attrape des serpents dans la montagne et les porte à Conglou. Un troisième encore tisse quelques vêtements. Trois paysans transportent des marchandises en bicyclette, activité qui se développe surtout après 1945. D'autres encore sont commis, apprentis ou employés au bourg mais rares sont ceux qui ont une telle chance et qui touchent, soit quelques pièces à la fin du mois « pour aller chez le coiffeur » et une enveloppe rouge à la fin de l'année, soit un salaire de 20 HK$ par exemple, entre 1945 et 1949. Sans posséder encore de commerce au bourg, Mai Jieshi se livre pendant trois ans (1942-1945) à une activité commerciale plus régulière, et fabrique de l'alcool. Pour ce faire, il utilise le seul capital qu'il possède : la quantité de riz que les paysans ont dû lui verser comme rémunération pour son travail de chef de bao, rémunération que les gengfu, on s'en souvient, avaient augmenté de façon abusive. Cette activité n'est pas lucrative. Les pertes l'emportent même sur les profits et, à la fin de la guerre, tout le capital ayant été mangé, Mai Jieshi doit y mettre un terme. Mais elle lui aura permis pendant quelques temps, comme aux autres paysans de Ping'an

qui vendent des produits ici ou là, de manger et d'avoir un peu d'argent en poche. Quelques familles parviennent cependant à fonder un véritable commerce au bourg. Conglou, avec ses quelque 200 boutiques, compte parmi les marchés les plus animés du sud du district de Taishan. On y vient de Taicheng, de Sijiu ou de Wuyi pour y acheter des courges, des patates douces ou des taros, mais aussi des poissons et des fruits de mer provenant des zones côtières. On y vend également des poissons d'eau douce venus de Taicheng Les bourgs se développent rapidement à Taishan pendant les années vingt et trente, grâce en partie aux contributions des Chinois d'outre-mer, et l'on en compte pas moins de 106 en 1949 Conglou, rappelons-le, est relié par la route mais aussi par une voie ferrée à la capitale du district, et trois cours d'eau permettent à ses commerçants de se rendre dans des marchés voisins. le développement des bourgs est soutenu par celui des transports. Toujours sous l'impulsion des Chinois d'outre-mer, le réseau ferré de Taishan a été construit en effet pendant les années dix et vingt, long de quelque 135 km, et en 1937 les derniers travaux entrepris sur le réseau routier routier porte ce dernier à 400 km La plupart des marchandises sont néanmoins transportées à pied, la palanche à l'épaule, jusqu'à ce que l'usage de la bicyclette se répande après la guerre contre le Japon. Les membres du segment lignager Renshi ne dirigent aucun commerce à Conglou mais ceux de Jihong en possèdent deux: l'un ferme ses portes au cours des années trente, et le second quelques mois avant la Libération. Cette dernière boutique reste ouverte, même si elle a cessé toute activité, afin que les membres «niloeusvseeaizuefm arcilheés»fondat deCroicnesgloquuaidét étéenai fonedntéàtreilo'zerigparts, ine pilarydavai esHtaskixkafaet Punt1i..PLaerm am midleess deHakka.BiendesproduitsquifaisaientlarenomméedeConglou,commelethéetl'huile, ét tsoni.t disparulorsquelesHakkaontquitéla réagiieont n,avpenrèdsulaspgaurerleresqH uiakleksaa,etopcpeosséprodui auxPunt 2 . L a descri p t i o n d e s c o m m e r c e s l o cal i s és anisvuiténsaut n,oàngSlohuadàalna, pendantles annéestrente, donneuneidéedesdact qurieseboduérgroduelaT ienaitshàaC mêmeépoque:ontrouveeneffetalorsàShadan17bazars,10restaurantsfaisantégalement ndsde7bboouist,iq4uepât ouatcéhriaeursx, 6decoconst mmreuct rcesiovneet ndnaontatm dem la'elcnool hôt ndasrcdheatissu, sviseseri ndaens,td1e0sbm tdes, 8meal,rc9ham briques,8dispensaires,11établissementsdetypebancaire,5marchandsderiz,3coiffeurs, 6bor3d.elC seetchi 14ffre fumneeriebsoduo'gpeiurampa(sTjauissqu' hanenHu1a9q4ia9o, m Xiaaisnzphlui,sp.de16132)0. kmderoutes seront détruits pendantla guerrecontreleJaponet restaurésseulementpendantlesannéescinquante. TaishanHuaqiaoxienzhi,p. 161.

du fang aient une adresse au marché pour recevoir leurs lettres. Le segment lignager Qichang s'enorgueillit également de posséder deux commerces. Et il n'y a rien d'étonnant à ce que l'on trouve, à leur tête, deux des hommes qui ont marqué l'histoire de Ping'an entre 1911 et 1949: le premier commerce appartenait en effet à Zongxin, et il est transmis à Mai Leguan à la fin des années vingt. Le second est ouvert en 1946 par Mai Jieshi avec l'aide de parents émigrés, à la suite d'une violente altercation avec son grand-père. Après son retour définitif au pays, en 1927, Mai Leguan ouvre un commerce avec l'argent qu'il a gagné lors de son dernier séjour sur la Montagne d'or. Il y vend différents objets nécessaires à la vie quotidienne des paysans : des outils agricoles par exemple, mais aussi des bols, des jarres et autres ustensiles en céramique. Peu de temps après, il reçoit en héritage le commerce créé par son père, Liangli ou «Aux deux intérêts (celui du client et celui du patron) », où l'on a abandonné depuis de nombreuses années le travail du cuir pour se tourner vers l'alimentation. Liangli est en effet devenu peu à peu une épicerie comme il en existe alors plusieurs dizaines à Conglou, où les paysans peuvent acheter riz, huile, sel, sucre... Ils y viennent également, à l'occasion d'un mariage, déposer leurs commandes en biscuits et gâteaux. Mai Leguan ferme alors les portes de son premier commerce et transforme Liangli en une sorte de grand bazar où sont vendus les produits des deux boutiques. Il reprend enfin, de façon saisonnière, l'une des activités de Zongxin: battre et rembourrer les couvertures ouatées qui protègent les paysans du froid pendant l'hiver. Entre 1927 et 1949, cinq ou six employés lui prêtent main-forte. Il s'agit de membres dufang, tels que Danfu ou Danchang, ou de connaissances établies au bourg. A l'automne, il embauche pour quelques mois un maître artisan accompagné de ses deux apprentis. Lorsqu'une commande de gâteaux est passée, il fait appel à un maître pâtissier qui est parfois un parent, comme le père de l'épouse d'un neveu de Mai Leguan. Les fils de sa concubine, mais aussi le petit-fils que sa fille lui a donné, l'assistent dès qu'ils sont en âge de travailler. Après une période de grande prospérité au cours des années trente, favorisée par l'envoi de nombreux mandats de Chinois d'outre-mer à l'adresse du magasin, et que Mai Leguan va toucher en échange d'une commission, Liangli, qui occupe la superficie de deux grandes boutiques, connaît un cer-

tain déclin L'espace du marché a beaucoup diminué pendant la guerre contre le Japon, et lorsque les affaires reprennent le centre commercial se développe ailleurs et Liangli, autrefois en plein cœur de la zone la plus animée, se retrouve à sa périphérie. Mai Jieshi, quant à lui, développe peu à peu de nombreuses activités plus ou moins rentables. Il reprend la fabrication d'alcool de riz, mais embauche cette fois un maître spécialisé. Il achète des grains en grande quantité, juste après les récoltes, lorsque les prix sont au plus bas. Ses principaux fournisseurs sont les temples des ancêtres de lignages voisins, situés plus au sud, et qui sont pressés de transformer les rentes versées en nature en argent liquide, ou des marchands de gros du bourg de Doushan. Plus d'une dizaine d'alcools différents sont fabriqués dans l'arrière-boutique et certains, dans lesquels marinent des serpents ou des plantes rares, sont assez chers. Si cette activité, considérée de façon isolée, n'est pas lucrative, les pertes et les profits s'équilibrant tout juste, elle permet de réaliser des gains importants lorsqu'elle est associée, comme le fait Mai Jieshi, à l'élevage de porcs. Ces derniers se nourrissent en effet essentiellement de marc d'alcool et de son, c'est-à-dire des déchets produits lors de la fabrication d'alcool, et d'un peu de riz. Mai Jieshi achète des porcs qui ne sont pas encore arrivés à pleine maturité et les nourrit pendant trois ou quatre mois avant de les 1. Cette activité de Mai Leguan, qui sera plus tard reprise par Mai Jieshi, et qui consiste à recevoir les mandats adressés de l'étranger au nom des Mai ou des membres d'autres lignages (soit le patron y appose le cachet du magasin pour que le destinataire du mandat puisse aller prélever l'argent auprès des services bancaires, soit il remet directement l'argent au destinataire puis à se faire rembourser par la banque, le tout moyennant commission), fait partie de ces activités d'intermédiaire, importantes et nombreuses, dans les économies pré-industrielles. Connues en anglais sous le terme de brokerage, elles sont depuis quelque temps au centre de nombreuses études américaines portant sur la Chine, mais ne sont pas développées ici. Il aurait en effet fallu pour cela analyser plus en détail l'organisation du bourg et le fonctionnement du marché. D'autres activités de ce type ont pu être repérées cependant, mais elles portent sur des transactions commerciales très limitées. C'est ainsi par exemple, comme on le verra de façon plus détaillée dans un chapitre ultérieur, que certains employés des abattoirs de Conglou mettent Mai Jieshi en rapport avec des familles désireuses de vendre des porcs trop jeunes pour être tués. Ils font même la transaction à sa place et lui ramènent le cochon au magasin. Mais il s'agit là de services plutôt que d'activités lucratives. Ces employés des abattoirs de Conglou ne touchent en effet aucune rémunération. Leur position sociale est simplement rehaussée par la considération que Mai Jieshi leur témoigne au marché ou au restaurant, en échange de leurs services. De même que le prestige de Mai Leguan est augmenté par la confiance que lui témoignent de nombreux émigrés de Conglou en lui adressant leurs mandats. Gain symbolique et gain économique se renforcent ici mutuellement. S. Mann, dans un article très intéressant, analyse les principales activités de ces intermédiaires (Brokers as Entrepreneurs in Presocialist China, Comparative studies in Society and History, vol. 26, 4, octobre 1984, p. 614-636).

r e v e n d r e a u x c o m m e r c e s d u b o u r g . Il élève ainsi plus de c e n t cochons, a c t i v i t é fort r e n t a b l e . P o u r m o u d r e les grains de riz, Mai J i e s h i fait l ' a c q u i s i t i o n d ' u n m o u l i n à m a i n . D e u x r e s t a u r a n t s d u b o u r g lui a c h è t e n t d u riz ainsi m o u l u , j u g é meilleur q u e celui m o u l u d a n s des m a c h i n e s plus m o d e r n e s , et le p r o f i t ainsi réalisé lui perm e t de ne p a s d é b o u r s e r u n c e n t i m e p o u r p a y e r le p a y s a n e m b a u ché p o u r faire t o u r n e r le m o u l i n , mais aussi de r é c u p é r e r d u son p o u r les cochons. Mai J i e s h i p r e n d modèle é g a l e m e n t sur son g r a n d père L e g u a n et emploie d u r a n t t o u t e l ' a n n é e u n m a î t r e q u i r e t a p e et r e m b o u r r e les c o u v e r t u r e s o u a t é e s . Il f a b r i q u e p a r a l l è l e m e n t d u f r o m a g e et d u l a i t de soja, m a i s i n t e r r o m p t a u b o u t de q u e l q u e s mois c e t t e a c t i v i t é , le m a î t r e e m b a u c h é s ' é t a n t révélé de piètre q u a lité. E n f i n , il p r o d u i t d u miel, a v e c u n e v i n g t a i n e de r u c h e s placées a u b o u r g o u a u village, mais il s ' a g i t là d ' u n loisir p l u t ô t q u e d ' u n e a c t i v i t é v é r i t a b l e m e n t l u c r a t i v e . Le c o m m e r c e de Mai Jieshi, appelé « Aux épis a b o n d a n t s » , se d é v e l o p p e r a p i d e m e n t . Très vite, il est obligé de louer la b o u t i q u e voisine, et o c c u p e é g a l e m e n t u n e a u t r e b o u t i q u e d o n t le p r o p r i é t a i r e est p a r t i a u x É t a t s - U n i s . E n dehors des différents spécialistes q u ' i l a e m b a u c h é s , et qui v i e n n e n t parfois e n c o m p a g n i e d ' a p p r e n t i s , il emploie trois c o m m i s et quelques p a r e n t s q u i t r a v a i l l e n t a v e c lui depuis le d é b u t et a u x q u e l s il confie le c o m p t o i r lorsqu'il s ' a b s e n t e : H u o k e , d u f a n g Q i c h a n g , est issu d ' u n e famille très p a u v r e . (Son g r a n d - p è r e n ' a laissé q u e quelques parcelles de t e r r e et son père ne d o n n e plus signe de vie d e p u i s qu'il a émigré a u x É t a t s - U n i s . ) A D a est u n C h e n de Liu Cun, fils d ' u n e t a n t e p a t e r n e l l e de Mai J i e s h i , alors q u e C h a o f u est le fils d ' u n e t a n t e p a t e r n e l l e de sa f e m m e . Mai J i e s h i , q u a n t à lui, n ' a p a s v é r i t a b l e m e n t fait f o r t u n e . Son m o d e de vie n ' a p a s c h a n g é , et t o u t l ' a r g e n t qu'il a gagné a été a u s s i t ô t réinvesti. L o r s q u e le P a r t i comm u n i s t e arrive a u p o u v o i r , il est riche s e u l e m e n t des p r o d u i t s e n t a s sés d a n s sa b o u t i q u e : q u e l q u e 200 c o u v e r t u r e s o u a t é e s m o n t e n t j u s q u ' a u p l a f o n d , u n e c e n t a i n e de cochons, v a l a n t c h a c u n plus de cent y u a n , se s e r r e n t d a n s des enclos, et u n e v i n g t a i n e de p e t i t e s b a r r i q u e s d'alcool s o n t posées à terre. O u v r i r u n e b o u t i q u e a u b o u r g est c e p e n d a n t u n privilège offert à q u e l q u e s p a y s a n s s e u l e m e n t , e u x - m ê m e s fils o u petit-fils de comm e r ç a n t s , ou proches p a r e n t s d'émigrés, c o m m e Mai J i e s h i q u i fonde son c o m m e r c e en p a r t i e grâce à l ' a p p u i é c o n o m i q u e de son père et de son b e a u - p è r e , t o u s d e u x exilés sur la M o n t a g n e d'or. Il f a u t d ' a u t r e p a r t être i n t r o d u i t a u b o u r g et a v o i r des relations. Mai

Jieshi se plait ainsi à expliquer que le fait d'avoir eu de nombreuses connaissances au bourg explique sa réussite : il a travaillé en effet à Liangli après avoir quitté l'école, mais aussi chez un herboriste, avant d'occuper le poste de chef de bao, et ces différents postes lui ont permis de se créer un réseau de relations à l'extérieur du village. Enfin, il est reconnu comme le petit-fils de Mai Leguan et bénéficie ainsi de certaines des relations de son grand-père. D'autres activités rémunérées s'offrent aux paysans, mais elles sont rares. Les plus nobles sont celles liées à l'acquisition du savoir, et qui vont de l'obtention d'un poste de professeur à l'école de Zhuhu à celle d'une charge officielle au sein de l'administration du district ou de la province. De telles réussites viennent cependant couronner la relative prospérité de certaines familles, souvent répétées pendant plusieurs générations. Elles ne peuvent donc être considérées comme une voie d'enrichissement pour les foyers pauvres, et demeurent l'apanage de quelques-uns, qui d'ailleurs passent la plupart de leur temps au loin et n'exercent qu'une influence limitée sur les affaires villageoises et lignagères ordinaires. Tous ceux qui poursuivent de telles carrières dans l'enseignement ou l'administration ont bénéficié de surcroît du soutien d'un parent émigré. Le frère aîné de Mai Jieshi, né en 1918, devient artiste peintre après avoir été étudiant à Canton. Mai Hu est médecin au bourg. Au cours des années vingt, Danlin étudie à l'Université de Pékin puis exerce différents postes tels que celui de chef de la première section du bureau des affaires civiles du gouvernement provincial, puis de secrétaire général du département de police du district de Taishan. Xiegu, de Zhuhu, sera nommé responsable de la troisième préfecture de Taishan après avoir suivi les cours d'une école de droit et de politique. Peu de membres du lignage Mai font carrière dans l'administration néanmoins, et la plupart de ceux qui ont mené quelques études trouvent des activités rémunérées souvent aléatoires, qui ne permettent pas à leur famille de se passer des contributions des parents émigrés. Kaiwen est contrôleur dans les chemins de fer avant la guerre contre le Japon. Il jouit d'une certaine considération au village car il a visité de nombreuses villes de la province du Guangdong telles que Canton ou Jiangmen. Après avoir suivi des études dans une école de commerce de Canton, Gengwen travaille dans une bijouterie puis dans une banque de Conglou, tout en étant nommé directeur de l'école de Zhuhu. Suorao, du segment lignager Renshi, exerce pendant quelque temps

les fonctions de chefdu poste depolice de Conglou après avoir suivi les cours d'une école depolitique et dedroit. Il occupera ensuite, de façon intermittente, d'autres postes sulbaternes. D'autres paysans encore complètent le revenu tiré de la terre en proposant aux paysans des services d'ordre religieux : un prêtre taoïste et un homme shamane (shengong) exercent ainsi à Ping'an. Le premier auquel il est fait appel, entre autres, lors des grandes fêtes religieuses et des funérailles jouit d'une certaine considération. Le second en revanche est dénoncé comme quelqu'un de néfaste, qui fait appel à des forces négatives. On s'adresse à lui pour interpréter les malheurs en série qui s'abattent sur une maisonnée, ou pour venir au chevet de certains malades qui souffrent de maux jugés suspects. La cause du mal est souvent la transgression commise à l'égard d'un usage traditionnel. WuBingzi par exemple fait appel aux services d'un shamane par exemple, peu après la mort de son deuxième fils, parce qu'elle a alors le sentiment que tout va de mal en pis dans la famille. C'est à la suite de la rencontre avec cet homme que décision est prise de passer, à titre posthume, le fils de Mai Jieshi à ce fils aîné, mort sans descendance. Fuhuan s'adresse également à un tel spécialiste, car sa fille est tombée malade peu après la naissance. Il lui est alors conseillé de cesser d'enfreindre la coutume comme elle le fait car elle utilise le même terme d'adresse à l'égard de l'épouse principale de son beau-père et de la concubine de celui-ci, cette dernière étant la mère de son mari. Mais la réponse massive au manque de terres cultivables aggravé par les catastrophes naturelles à l'absence d'autres moyens ouverts à tous d'améliorer le niveau de vie familial ou au désir de consolider une aisance très relative, est l'émigration, déjà évoquée, vers les pays de l'Asie du Sud-Est et surtout vers l'Amérique du Nord. Née au milieu du XIX siècle, cette dernière solution offre aux habitants des régions côtières du Guangdong la possibilité delutter contre la pauvreté, et beaucoup plus rarement defaire fortune. Les Mai de Zhuhu ne participent pas aux premières vagues d'émigration qui se déploient entre 1849 et 1880 avec comme destination, dans un premier temps, la Californie et ses mines d'or et, dans un deuxième temps, la construction du chemin de fer vers 1. Ainsi,entre1851et1908,onrecenseàTaishanpasmoinsde10inondations,4sécheresses, nzbhlei,m p.e1n5ts4d).eterre, 7typhonsquidévastentunepartie desrécoltes(Taishan Huaqiao5xtreiem

l'Ouest Ils commencent à partir de façon massive vers la fin des années quatre-vingt Les départs des paysans de Conglou se poursuivent ensuite lentement. Ils sont déjà plus nombreux, à la fin du XIX siècle, à prendre le chemin de l'exil, comme Mai Leguan qui quitte la Chine pour la première fois en 1895, mais c'est au cours des années 1910 et 1920 que le flot migratoire venant de cette région atteint son point culminant. Si Ping'an est considéré comme un village riche, c'est bien à cause de l'importance de sa population émigrée et de la circulation d'argent liquide —même si les sommes sont peu élevées —,qui favorisent la réalisation de projets collectifs. Ping'an est ainsi désigné à Conglou comme un «village de riches», non pas à cause de la prospérité de certaines familles, mais parce que nombreux sont les foyers qui comptent un membre à l'étranger et qui atteignent un certain niveau de subsistance, tout en étant ni franchement aisés ni franchement pauvres. La principale distinction économique au sein du village est en effet celle qui sépare les familles qui ont «un chemin vers l'outremer», c'est-à-dire dont un ou deux membres se trouvent à l'étranger, de celles qui n'en possèdent pas. Ces dernières représentent à Ping'an seulement un tiers des foyers à la veille de l'arrivée au pouvoir du Parti communiste et on compte parmi elles les familles les plus démunies, distribuées au sein des différents segments lignagers. Ce chiffre est exactement celui avancé par les autorités communistes qui prennent le pouvoir en 1949: un tiers des foyers de l'ensemble du district de Taishan ne possèdent alors aucun parent à l'étranger. Ce phénomène est d'une telle ampleur qu'il influence de façon considérable les échanges économiques et sociaux. Il modifie sur1. Cf., à propos des raisons socio-économiques qui poussent alors les habitants du GaungdongàémigrerverslesEtats-Unis,l'article deJ. Mei,SocioeconomicOriginsofEmigdborneugsetoslCal M ernnC toIbXres7iè9c,le46et3-a5u01d.ébut gratio2n. ;DG eunaonm oissifoorni ntap,u1b8lié5e0s-1a8u8x2,E taotsd-U ishàinlaa,5fin,4d,uocX d u X X p o u r lutter c o n t r e l i ' m m i g r a t i o n c h i n o i s e . L a l o i d e 1 8 8 2 interdit ndaainnttiednixtl'ainns l'entrée dela main-dœ ' uvrechinoise, qualifiéeounon.En1888,laloiScoptem tseordi c t i o n q u i p è s e s u r l i ' m m i g r a t i o n c h i n o i s e et a n n o n c e q u e l e s certificats d e ret o ur d é l i v r é nt nuls. En1892,la loi Garyprolongededixansencorela loisurle' xclusionde1882s. En1904,lesloissurle' xclusiondesChinoissontprolongéespouruneduréeilimitée.Apartir de 1924, 105immigrants chinois sont admischaque année. En 1946, les femmeset les enfantsdesChinoisdA ' mériquepeuventformulerunedemanded'entréedanslepayscomme grarnetsuhneorsdeqm uaontade».deEnnat19u4ral 8,isuatneion. loiIlautfaut oriseatlteesndre Chinlaoislorési éjàigraautixonEtetatsla«Uim isudrant li'mdm nism àifai nationalitéde1952pourquelesfemmespuissentémigrerdanslesmêmesconditionsqueles hommes(M.H.Kingston,LeshommesdeChine,Rivages,1986,312p.,p.155-163.

tout la hiérarchie socio-économique du village : alors que devrait dominer une couche de petits propriétaires ne cultivant pas assez de terres pour subvenir aux besoins de leur famille, une couche moyenne s'affirme comme la plus importante, composée de foyers qui cultivent quelques champs et s'efforcent de trouver des petits emplois rémunérés au bourg, mais dont les moyens de subsistance et d'éducation des enfants sont en réalité assurés, même chichement, par la présence d'un ou deux proches à l'étranger. Il n'est pas facile de savoir comment se déroule la vie des uns et des autres à l'étranger. D'une façon tacite, les émigrés de retour au pays s'accordent pour ne pas évoquer en détail la situation des membres du lignage qu'ils ont côtoyés sur la Montagne d'or. Rien n'est dit sur les fortunes ou sur les infortunes rencontrées : seules importent, sur le plan social, les contributions adressées à la famille. On connaît de la vie des émigrés ce qu'ils veulent bien en raconter, une fois revenus au village. La plupart d'entre eux sont employés ou patrons dans des blanchisseries, des restaurants ou des petits bazars. D'autres utilisent leur maîtrise des arts martiaux pour devenir professeur et apprennent aux jeunes émigrés comment se défendre contre les «diables étrangers », ou bien ils travaillent pour l'une des sociétés secrètes chinoises, comme le quatrième frère de Mai Leguan. Les émigrés s'efforcent de revenir en Chine tous les dix ou quinze ans, passer quelques mois dans leur famille avant que ne sonne l'heure d'un retour définitif. Il est difficile de connaître le nombre précis d'émigrés chinois, et ce chiffre varie, selon les époques et les législations adoptées dans les différents pays d'accueil. Une étude, qui date de 1934, propose l'estimation suivante : il y aurait alors, toutes destinations confondues, Hong Kong et Macau inclus, 5427600 émigrés originaires de la province du Guangdong, représentant environ 18%de la population provinciale et presque 50%de la totalité des émigrés chinois. Les chiffres concernant les Etats-Unis sont sans doute sousestimés pendant la première moitié du XX siècle vu l'importance de l'émigration clandestine, même si le nombre de Chinois vivant sur la «Montagne d'or», qui est de 200000 environ en 1876, diminue fortement après la loi d'exclusion de 1882 Près de la moitié des émigrés chinois aux États-Unis entre 1911 et 1949 sont 1. J. Mei, 1979, 463-501, p. 485.

cependant originaires de la région dite des « quatre districts » à laquelle appartient Taishan et, parmi eux, dominent les natifs de Taishan Les conséquences de cette émigration massive sont multiples. On en a déjà cité quelques-unes : le rôle prédominant des femmes dans l'agriculture, le pourcentage élevé d'enfants adoptés, les différences d'âge importantes entre enfants d'un même couple et les divisions familiales progressives, etc. Une autre conséquence est l'introduction de nombreux mots anglais dans le dialecte local. Ainsi, la prononciation de mots tels que timbres, marcher ou poker s'inspire directement de l'anglais. Les émigrés rapportent également dans leurs bagages des fusils, des couteaux, des ciseaux, des lampes, des graines de légumes, et ils vantent d'une façon générale les mérites de la technologie occidentale. L'influence de l'émigration est particulièrement visible dans le domaine architectural. Les émigrés investissent en effet avant tout dans le mariage de leurs enfants, l'achat de terres et la construction de nouvelles maisons. Ces dernières combinent des éléments des architectures chinoise et occidentale, ce qui modifie le paysage local. Constructions de nouvelles maisons, création de nouveaux hameaux se multiplient ainsi

pendant les années vingt et trente L'émigration influence également le fonctionnement des groupes de parenté locaux. Elle oblige non pas à une modification des principes existants jusque-là, mais à leur réinterprétation. Ainsi, le nombre de fils achetés avec les deniers des Chinois d'outre-mer oblige, on l'a vu, à atténuer l'importance attachée aux liens de sang ; le nombre d'émigrés possédé par un fang vient souvent allonger la liste des critères grâce auxquels on apprécie la puissance d'un groupe ; des lignages riches en Chinois d'outre-mer mais pauvres en terres collectives parviennent soudain à s'élever dans la hiérarchie locale et connaissent souvent une forte segmentarisation interne malgré la faiblesse des ressources locales ; avoir l'expérience de la vie à l'étranger devient, à défaut d'un niveau de culture élevé, le symbole d'un certain savoir, interdit à d'autres, et permet de se voir reconnaître commefuxiong. Les

1. J. Mei, p. 482. Aujourd'hui, la population de Taishan n'atteint pas le million, alors qu'il existe plus d'un million de personnes originaires de Taishan - descendants d'anciens émigrés de Taishan inclus —qui résident à l'étranger. 2. Au sein des 33 villages dépendants de l'un des bourgs de Taishan, 266 nouvelles habitations sont par exemple construites pendant la seule décennie des années trente (Taishan Huaqiao xienzhi, p. 163).

principes e x i s t a n t s , loin d ' ê t r e i m m u a b l e s , s o n t ainsi r é i n t e r p r é t é s lorsque de n o u v e a u x é l é m e n t s c h a n g e n t la d é f i n i t i o n de ce q u i c o n s t i t u e le « bien c o m m u n ». Mais, sur le p l a n de la vie q u o t i d i e n n e , l'influence de l ' é m i g r a t i o n est s u r t o u t p e r c e p t i b l e d a n s le d o m a i n e é c o n o m i q u e . Les inform a t i o n s disponibles c o n c e r n a n t le m o n t a n t des c o n t r i b u t i o n s adressées au p a y s p a r les émigrés s o n t p e u fiables et difficiles à i n t e r p r é t e r . Des chiffres s o n t a v a n c é s s u r t o u t p o u r les a n n é e s 19461949 : u n e s o m m e é q u i v a l e n t e à plus de 14 millions de dollars a m é ricains p a r v i e n t ainsi à T a i s h a n a u cours de c e t t e année-là, p r o v e n a n t des différents p a y s o ù r é s i d e n t des émigrés. Ce chiffre t o m b e à 56 176 $ en 1948. Ces chiffres s o n t i n c e r t a i n s et s u r t o u t ils ne d i s e n t pas g r a n d chose de l'influence de ces c o n t r i b u t i o n s sur l ' é c o n o m i e d o m e s t i q u e . Or celles-ci j o u e n t u n rôle f o n d a m e n t a l car elles p e r m e t t e n t t o u t s i m p l e m e n t a u x familles de subsister, m ê m e si elles p o u r v o i e n t aussi, d a n s la p l u p a r t des cas, a u x dépenses requises lors des différ e n t s t e m p s forts de la vie d o m e s t i q u e et lignagère : m a r i a g e s , funérailles, t e m p l e s des a n c ê t r e s , etc. E n f i n , les plus riches p a r v i e n n e n t à i n v e s t i r d a n s de nouvelles sources de r e v e n u en a c h e t a n t de la terre ou en o u v r a n t u n c o m m e r c e a u b o u r g . Le processus d ' é m i g r a t i o n n ' a p a s d i m i n u é en effet l ' a t t a c h e m e n t à la terre, et les émigrés de r e t o u r a u village a d o p t e n t u n e s t r a t é g i e d ' a c h a t des terres disponibles. Ils en p r o p o s e n t s o u v e n t u n p r i x plus i n t é r e s s a n t q u e les a u t r e s familles, d ' o ù u n e c o n c e n t r a t i o n des terres e n t r e leurs m a i n s . « Tout le monde pense à la terre. Si l'on n'en possède pas, il manque quelque chose. Avec quelques champs, même peu étendus, on a le cœur en paix. Alors on essaye à tout prix d'acheter les deux ou trois dou qu'une famille met en vente, ce qui arrive rarement. On entend souvent dire : "U ntel, il n'a même pas un dou ", c'est une façon de dire qu'il n'a pas de racine, qu'on ne peut pas lui faire confiance. »' L ' a t t a c h e m e n t à la t e r r e est lié é g a l e m e n t a u x aléas qui e n t o u r e n t l ' é m i g r a t i o n . Il arrive q u e le p a r e n t émigré connaisse des revers de f o r t u n e o u décède s o u d a i n , l a i s s a n t les siens d a n s l ' e m b a r ras ou m ê m e la misère, si l ' a r g e n t g a g n é n ' a p a s été investi d a n s des m o y e n s de p r o d u c t i o n plus sûrs c o m m e la terre. Le p r i n c i p a l d e v o i r d ' u n émigré est d ' e n v o y e r de l ' a r g e n t à sa famille. La pression sociale est très forte d a n s la m e s u r e o ù la consid é r a t i o n d o n t j o u i t u n émigré n ' e s t p a s liée à la réussite m a t é r i e l l e 1. Mai Jieshi, New York, juin 1985, F 459.

a c q u i s e d a n s le p a y s d ' a c c u e i l m a i s à la r é g u l a r i t é des c o n t r i b u t i o n s q u ' i l a d r e s s e à sa famille d ' a b o r d , p u i s a u x a u t r e s g r o u p e s s o c i a u x d o n t il est m e m b r e . Le m o n t a n t des s o m m e s e n v o y é e s v a r i e d ' u n e famille à l ' a u t r e m a i s , d ' u n e f a ç o n générale, celles-ci p e r m e t t e n t a u m o i n s de c o m p l é t e r les besoins a l i m e n t a i r e s d u g r o u p e d o m e s t i q u e . U n e é t u d e m o n t r e p a r e x e m p l e q u ' e n 1878 les émigrés chinois e n v o i e n t 30 US $ en m o y e n n e p a r a n à leur famille restée a u p a y s . L a s o m m e de 3,50 US $ p e r m e t alors e n Chine d ' a c h e t e r le riz nécessaire à l ' a l i m e n t a t i o n d ' u n a d u l t e p e n d a n t q u a t r e mois, et 30 US $ p o u r v o i e n t d o n c e n v i r o n a u x d é p e n s e s a l i m e n t a i r e s a n n u e l l e s de d e u x a d u l t e s et de d e u x e n f a n t s Les t e r r e s possédées c o m p l è t e n t e n g é n é r a l les besoins a l i m e n t a i r e s alors q u ' u n e p a r t i e des c o n t r i b u t i o n s est utilisée p o u r l ' a c h a t d ' a u t r e s p r o d u i t s de p r e m i è r e nécessité : huile, sel, etc. Ces s o m m e s e n v o y é e s p a r les émigrées j o u e n t d o n c u n rôle f o n d a m e n t a l d a n s l ' é c o n o m i e d o m e s t i q u e , mais elles ne c o n f è r e n t p a s en g é n é r a l a u x familles u n e v é r i t a b l e p r o s p é r i t é matérielle. C e t t e d e s c r i p t i o n reflète assez b i e n la s i t u a t i o n q u i prév a u t à P i n g ' a n e n t r e 1911 et 1949 où seules six familles p e u v e n t v i v r e e n t i è r e m e n t des c o n t r i b u t i o n s de leurs p a r e n t s émigrés et m e n e r u n e vie oisive, a p r è s a v o i r a b a n d o n n é t o u t e activité. L ' a i d e é c o n o m i q u e de la c o m m u n a u t é émigrée j o u e é g a l e m e n t u n rôle f o n d a m e n t a l d a n s le d o m a i n e de l ' é d u c a t i o n des m e m b r e s de la famille et c e u x q u i p o u r s u i v e n t des é t u d e s a u - d e l à de l'école p r i m a i r e p o s s è d e n t t o u s à P i n g ' a n , sans e x c e p t i o n , u n père o u u n frère a î n é à l ' é t r a n g e r . Il f a u t p a r e x e m p l e , a u d é b u t des a n n é e s t r e n t e , q u e l q u e 200 y u a n p a r a n p o u r a s s u r e r les é t u d e s , le logem e n t et la n o u r r i t u r e de M a i J i e s h i et de son frère aîné à T a i c h e n g . O r c e n t y u a n , cela r e p r é s e n t e plus de 10 d a n de grains, soit u n e récolte a n n u e l l e de riz s u r 2,5 m o u de terre. O u t r e ces envois réguliers m a i s s o u v e n t limités, les émigrés r é p o n d e n t a u x d e m a n d e s des p r o c h e s , et u n e aide est ainsi a p p o r t é e à celui qui, resté a u p a y s n a t a l , v e u t se m a r i e r ou o u v r i r u n c o m m e r c e . L e u r a p p u i est é g a l e m e n t sollicité de f a ç o n p o n c t u e l l e p a r les s e g m e n t s lignagers, le lignage m a i s aussi le village, et ils d o i v e n t alors s ' a c q u i t t e r de c e r t a i n e s c o n t r i b u t i o n s fixes destinées à la r é a l i s a t i o n de t r a v a u x o u à l ' a c c o m p l i s s e m e n t de c e r t a i n s rites. Mais les émigrés p a r t i c i p e n t aussi, de f a ç o n v o l o n t a i r e c e t t e fois et en f o n c t i o n des m o y e n s

1. J. Mei, p. 488.

de c h a c u n , a u d é v e l o p p e m e n t de l ' e n s e m b l e de la localité, d a n s le d o m a i n e de l ' é d u c a t i o n o u de la s a n t é . C'est ainsi p a r e x e m p l e q u e q u a t r e - v i n g t - q u i n z e écoles p r i m a i r e s o u s e c o n d a i r e s v o i e n t le j o u r à T a i s h a n , e n t r e 1907 et 1949, d o n t cinq à Conglou, grâce e n p a r t i e ou en t o t a l i t é a u x c o n t r i b u t i o n s des é m i g r é s E n f i n , les foyers q u i n ' o n t p a s de « c h e m i n vers l ' o u t r e - m e r » b é n é f i c i e n t n é a n m o i n s , i n d i r e c t e m e n t , de la présence de c e t t e c o m m u n a u t é émigrée. L a c i r c u l a t i o n d a n s le village de s o m m e s d ' a r g e n t , m ê m e p e u élevées, facilite l'obt e n t i o n de p r ê t s . Les familles où les h o m m e s o n t choisi m a s s i v e m e n t de p r e n d r e le c h e m i n de l'exil p r é f è r e n t s o u v e n t , o n l'a v u , l o u e r les q u e l q u e s m u possédés, ce q u i a u g m e n t e les terres disponibles. Elles se r e f u s e n t m ê m e parfois à p l a n t e r les q u e l q u e s l é g u m e s nécessaires à leur a l i m e n t a t i o n q u o t i d i e n n e et les a c h è t e n t a u x m a i s o n s voisines. Ce q u i fait dire à c e r t a i n s : « Il y a pauvres et pauvres. Les pauvres, chez nous, c'étaient pas comme les pauvres dans d'autres villages. Ailleurs, quand on avait besoin de quelques centimes, il n'y avait personne à qui emprunter. On ne savait pas vers qui se tourner. Mais, à Ping'an, presque chaque famille avait un "oncle de la Montagne d'or", plus ou moins proche. Alors, on ne peut pas comparer les pauvres de notre village qui pouvaient venir respirer un coup à la surface quand il le fallait, avec les autres, ceux qui ne pouvaient pas. » L ' é q u i l i b r e est précaire e n t r e ces différentes a c t i v i t é s qui, à c o n d i t i o n d ' ê t r e réunies, p e r m e t t e n t a u x foyers de s u r v i v r e . Les différentes ressources disponibles, la terre, u n e p e t i t e a c t i v i t é r é m u n é rée a u b o u r g , q u e l q u e s m a n d a t s de p a r e n t s émigrés d o i v e n t en effet s o u v e n t être c o m b i n é s p o u r p o u r v o i r a u x dépenses d ' u n e famille. A u c u n e d ' e n t r e elles ne p e r m e t e n g é n é r a l de r é p o n d r e , seule, a u x besoins d ' u n foyer. Les m e m b r e s de la famille d o i v e n t n o n seulem e n t m e t t r e leurs ressources en c o m m u n p o u r f a v o r i s e r la survie de c h a c u n , mais ils d o i v e n t en plus c o o p é r e r p o u r m e n e r ces différentes a c t i v i t é s à bien. L ' i n t e r d é p e n d a n c e des a c t i v i t é s c o m m e celle des i n d i v i d u s e x p l i q u e n t en p a r t i e l ' a c c e n t mis s u r la famille, u n i t é de p r o d u c t i o n et de c o n s o m m a t i o n , c o m m e g r o u p e f o n d a m e n t a l de la 1. Taishan huaqiao xienzhi, p. 123. Le soutien financier des émigrés aux affaires dites communes telles que la construction des écoles, de dispensaires, la réfection des routes et des ponts est encouragé grâce aux revues publiées dans la plupart des cas par les lignages, parfois par des cantons, et adressées à leurs membres émigrés. 122 revues de ce type voient le jour à Taishan entre 1911 et 1949. Elles contiennent des informations concernant le départ des uns et le retour des autres au pays, elles évoquent les problèmes et les besoins locaux, lancent des collectes, mais décrivent également le prix des denrées pouvant être achetées au marché, afin que les émigrés puissent apprécier le pouvoir d'achat que représentent les contributions qu'ils adressent à leurs proches restés en Chine. 2. Mai Jieshi, New York, mars 1985, A 41.

société. Face à la faiblesse des ressources disponibles, le rôle dufang comme celui du lignage apparaissent d'autre part importants, car ils créent des espaces au sein desquels circulent des biens et des services destinés en priorité aux foyers membres du groupe, ce qui augmente les capacités de survie de chacun. Mais certains paysans n'ont d'autres recours pour survivre que de se marginaliser, peu ou prou, en se détachant des groupes sociaux auxquels ils appartiennent, ce qui entraîne une perte de face irrémédiable et l'acquisition d'une condition sociale plus ou moins misérable, quelle que soit la situation matérielle acquise. La distance géographique qui sépare celui qui est parti travailler dans une grande ville ou à l'étranger ne crée pas une distance sociale par rapport au groupe d'origine. Par contre, certains emplois ou conditions impliquent que l'on dépose entre les mains d'une famille ou d'un groupe plus large une partie ou la totalité des droits possédés jusqu'alors par votre groupe d'origine. Renoncer à ce qui fait la qualité morale d'un individu, son appartenance à un groupe de parenté et de résidence bien défini, est un choix auquel ont recours les paysans dont la situation est désespérée. Ping'an et le lignage Mai dans son ensemble accueillent plutôt qu'ils ne produisent de tels marginaux, grâce une fois encore à la présence de nombreux émigrés. Il existe différents degrés dans le détachement (celui-ci peut être provisoire ou définitif), et différentes possibilités de serattacher à un nouveau groupe, mais une chose demeure certaine néanmoins : en échappant aux relations qui les liaient aux membres de leur groupe et qui les qualifiaient, avant tout autre principe d'identification, ces êtres perdent une partie de leur dignité. Les hommes célibataires peuvent s'embaucher par exemple comme ouvriers agricoles pour quelques mois ou à l'année. Au service d'un groupe de parenté autre que le leur, à l'exception de quelques orphelins qui exercent une telle activité au sein du lignage, ces hommes ne se trouvent cependant pas au bas de l'échelle sociale car ils n'ont pas cessé tous liens avec leur propre groupe. Salariés, ils rentrent parfois chez les leurs à la fin de l'embauche, certains ouvriers agricoles demeurant néanmoins à Ping'an pendant de longues années sans jamais retourner dans leur village natal. Les femmes deviennent parfois concubines, rompant souvent avec les leurs en accomplissant ce geste, et se plaçant ainsi dans un état d'infériorité par rapport aux membres de la famille qui les accueille. Mais elles peuvent également s'embaucher comme

servantes, et il existe à Ping'an en moyenne une dizaine de servantes entre le début des années trente et l'arrivée au pouvoir du Parti communiste. Dans ces deux cas, l'arrivée de ces femmes est accompagnée du paiement d'une certaine somme à leur famille natale ou à un intermédiaire, la concubine, de par sa qualité d'épouse, jouissant néanmoins d'un statut supérieur. Un fait demeure certain néanmoins : on n'assiste pas, dans cette région de Conglou, à une prolétarisation progressive des paysans au cours de la première moitié du XX siècle, telle qu'elle a pu se produire dans certains villages du nord de la Chine, où une bonne partie des ouvriers agricoles sont originaires du village dans lequel ils travaillent Les trois hommes, employés comme ouvriers agricoles à Ping'an à la veille de 1949, sont tous trois issus du lignage Deng auquel les Mai ont racheté une bonne partie des terres. D'autres vont beaucoup plus loin dans le détachement, intégrant un lignage plus prospère. Le grand-père de Houdong quitte ainsi Jiangnanbei pour aller reconnaître un paysan riche du lignage des Mai de Xincun, à quelque 20 km. Il donnera naissance à six fils, et Mai Leguan ira chercher trois d'entre eux, dont le père de Houdong, pour les ramener à Ping'an. Une autre solution s'offre aux plus désespérés : accepter de devenir «petit homme» dans un lignage étranger. Si l'achat d'hommes ayant le statut d'esclaves est illégal au cours de la première moitié du XX siècle, le lignage Mai compte alors plus d'une dizaine de familles Li possédant ce statut, dont les membres sont les descendants d'hommes autrefois achetés comme «petits hommes» et qui exercent des tâches précises. Ces hommes ont avant tout pour devoir d'apporter leur aide lors des grandes cérémonies qui supposent l'organisation de banquets : fêtes lignagères et religieuses, mariages, fêtes du premier mois, anniversaires, funérailles. Ils sont chargés entre autres de tâches liées aux préparatifs de cérémonies ou de fêtes, pour lesquelles il est difficile de désigner un membre du lignage plutôt qu'un autre. L'une de leurs fonctions principales étant de préparer les objets nécessaires au culte des ancêtres collectifs, dans les temples et sur les tombes. Les «petits 1. P. C.Huang, ThePeasant EconomyandSocialchangein North China, Stanford, StanfordUniversityPress, 1985,370p.,p.259.Pourreprendrelestermesdesonanalysede di f férent svuilnaaguetéssdaussenzorpdeudedliafféC hine,Pinga' ncommelesautresvilagesdulignageMaisont dàe-vsiscodm esm menacesextérieures. renciées,ayantd'importantscomportementsdedéfensevis-

hommes» qui se succèdent ainsi de génération en génération au sein d'un même groupe finissent, de façon paradoxale, par devenir les dépositaires de la mémoire de ce groupe. On se tourne vers eux lorsque des doutes surgissent sur la marche à suivre, chaque lignage possédant souvent un rituel particulier, façonné par des années de pratique. C'est ainsi que Zongxin a acheté le fils d'un «petit homme» de Zhuhu, nommé Li. Celui-ci doit apporter son aide à tout membre du segment lignager Qichang qui le sollicite, mais il doit également servir les membres des autres fang du village lorsque aucun fils de Qichang ne le réclame. Parmi tous ceux, parents et amis, qui viennent prêter main-forte lorsqu'un banquet s'annonce, il est le seul à recevoir une enveloppe rouge avec un peu d'argent. Les villages voisins, du lignage Mai ou d'autres lignages, peuvent également faire appel à ses services. Chez les Mai, contrairement à ce qui se produit dans d'autres lignages, ces «petits hommes»peuvent ache-

ter des terres au cours de la première moitié du XX siècle. La famille Li, qui exerce donc des activités rémunérées, vit ainsi mieux que bien des Mai de Ping'an, et bien mieux que l'ouvrier agricole de Mai Leguan, par exemple Huoping originaire du district de Yangjiang, et qui effectue pourtant des tâches beaucoup plus pénibles. Le fang a pour obligation de marier son ou ses «petits hommes», de même qu'il a pour obligation de leur construire une maison. Ces hommes occupent une place déterminée dans la hiérarchie du segment lignager, et par conséquent du lignage. Après les concubines et les servantes, ils se situent dans une position de subordination par rapport aux ancêtres et à ceux qui les représentent. En ce sens, ils font partie du groupe de parenté. Leurs actes engagent d'ailleurs les groupes auxquels ils appartiennent, de façon bien moins déterminante néanmoins que ceux des autres membres du groupe, plus élevés dans la hiérarchie. Al'inverse, les responsables de Qichang comme ceux de tout le lignage Mai doivent protection à Li Suiren en cas d'attaques extérieures, l'étendue de la protection accordée étant cependant à la mesure de la position inférieure de ces «petits hommes » dans la hiérarchie sociale. A la veille de 1949, les Li ne font pas l'objet de mauvais traitements chez les Mai comme cela avait pu être le cas au cours du siècle précédent, une situation attestée par la révolte de «petits hommes » qui se produit à Zhuhu à la fin du XIX siècle. Leur situation économique est meilleure que celle de nombreuses familles Mai.

Les Li concèdent d'ailleurs des prêts à certains habitants du village, et l'épouse de Li Suiren a pour surnom «La banque de Chine ». Mais personne ne possède un statut social aussi inférieur que le leur, car ils ont renoncé à leur propre groupe et se sont mis dans une position de subordination vis-à-vis des membres d'un autre groupe. Une dernière voie, enfin, s'offre aux plus pauvres : celle du banditisme, particulièrement développé à Taishan entre 1916 et 1926, même si d'autres raisons peuvent pousser un paysan à faire ce choix. Sous cette appellation se cachent cependant des pratiques très diverses. Certains quittent en effet leur village et leur lignage pendant les années vingt par exemple, et rejoignent des groupes de bandits, lesquels se livrent alors surtout à l'enlèvement de personnes, souvent les membres de familles de Chinois d'outre-mer, qu'ils rendent à leur famille moyennant le paiement d'une rançon. Ce sont les shanfei ou « bandits des montagnes». Un homme de Ping'an, membre de l'une des ces familles dites «isolées », fait ce choix alors qu'il a été puni par les autorités villageoises pour un vol. Il laisse certains de ses fils au village. Ping'an est d'ailleurs une cible privilégiée pour les bandits, car l'argent des Chinois d'outremer permet assez facilement de réunir les rançons réclamées. La dernière attaque menée contre des Mai date de 1925 environ. Elle est dirigée à l'encontre des enfants de Ping'an qui font leurs études à Zhuhu et qui sont pour la plupart des fils de Chinois d'outre-mer. Mais il y a également ceux qualifiés de bandits, qui font de la contrebande d'opium par exemple, et qui souvent continuent à vivre parmi les leurs, et possèdent certains liens avec les membres de l'administration. Parfois encore, comme pendant la guerre contre le Japon, les villages abritent de façon ouverte des groupes de bandits qui se livrent à des prédations dans des localités plus lointaines. On les appelle alors les tufei ou «bandits locaux ». Mais revenons à Ping'an. La terre, l'émigration, un éventail restreint d'activités plus ou moins bien rémunérées constituent l'essentiel des ressources locales. La principale caractéristique de Ping'an est, rappelons-le, l'existence d'un nombre élevé de familles ayant un parent émigré, et recevant des contributions qui complètent les ressources locales. A l'inverse, les familles les plus pauvres sont celles qui ne possèdent pas un tel «chemin vers l'outre-mer » et qui, de plus, ne cultivent pas assez de terres pour se nourrir. Mais s'il est vrai que l'apport des contributions émigrées façonne une pyramide socio-économique au sein de laquelle domine une couche de pay-

sans pauvres sur le plan foncier, mais dont les besoins fondamentaux sont assurés par les mandats reçus de l'étranger, il est vrai aussi que d'importantes disparités de mode de vie distinguent ceux qui se trouvent au sommet de la pyramide de ceux qui se trouvent à sa base. Ces inégalités, qui s'expriment à l'intérieur d'un espace géographique restreint, sont d'autant plus cruellement ressenties qu'elles se développent entre proches parents. Elles découlent dans la plupart des cas d'une différence de ressources, mais aussi parfois d'une mauvaise gestion du budget et de la volonté de certains de dépenser plus qu'ils ne gagnent, pour essayer de gagner l'estime des uns et des autres. La diète varie de façon importante par exemple de foyer en foyer. «Avoirassez à manger, cela veut dire des chosesdifférentes selon les familes. Nous, nous sortions rassasiés de nos deuxrepas. D'autres pas. Quelquesfamiles deChinois d'outre-mernemangeaient queduriz blanc, maisla plupartdesfamilesmélangeaient riz et patates douces. Ondisait "Sixdixièmesdepatates douceset quatre dixièmesde riz". Onappelaitceplat "lecroissantdelune",ets'il yavaitunpeuplusderizonl'appelait "demi-lune".Chacunsavait quimangeaitquoi.Alors,parmiceuxquiavaientde l'argent, certains avaient la langue bien pendue et lançaient soudain au beau milieu d'une dispute: "Commentpeux-tu dire quenoussommespareils, ceuxdeta famileet les miens ? Vous, vous mangez le riz en "croissant de lune", et nous, en "pleine lune"... »'

Les uns, mais ils sont très rares, peuvent appeler un médecin en cas de besoin, alors que la maladie est une catastrophe pour les autres. La plupart des paysans ne font appel à un médecin que lorsqu'ils ne peuvent plus se déplacer, faisant appel pour se guérir aux services des herboristes de Conglou. Les activités quotidiennes diffèrent entre une poignée de familles de Ping'an et le reste des habitants. Six femmes aisées ne travaillent pas la terre par exemple, se contentant parfois de planter quelques légumes. Les paysans décrivent volontiers le contraste entre leur vie oisive et les longues heures consacrées à jouer au mah-jong, alors que d'autres femmes peinent à conduire le buffle dans les champs. « Il y avait cinq, six femmes de Jihong, qui venaient de ce que l'on appelait les "six familles", des familles de Chinois d'outre-mer. Elles louaient presque toutes leurs terres. Elles se donnaient rendez-vous pour aller au marché ensemble. Elles étaient toujours fourrées les unes chez les autres. Nous autres qui étions plus pauvres, on ne pouvait pas se mêler à elles. Ce n'était pas tant qu'elles nous méprisaient, mais plutôt qu'on n'avait pas les moyens de participer à leurs activités. Comment faire lorsqu'elles décidaient

1. Mai Jieshi, New York, juin 1985, F 467.

d'aller acheter du canard rôti au bourg ? Comment faire lorsqu'elles proposaient une partie de mah-jong ? C'est pour ça que les riches ne peuvent être qu'avec les riches ; les pauvres n'osent pas s'approcher. »' A l ' u n i q u e j e u n e m a r i é e qui a m è n e le t r o u s s e a u le plus c o m p l e t selon les n o r m e s locales, e n t r e 1911 et 1949, s ' o p p o s e le cas, u n i q u e é g a l e m e n t p e n d a n t c e t t e période, de la j e u n e fille v e n d u e c o m m e s e r v a n t e p a r ses p a r e n t s . A p r è s a v o i r v e n d u sa fille c o m m e s e r v a n t e à u n e famille d u lignage Mai de X i n c u n , le père é m i g r e en Asie d u S u d - E s t sans j a m a i s plus d o n n e r de ses nouvelles. D e u x p a y s a n s , f u m e u r s d ' o p i u m , v e n d e n t leur f e m m e p e n d a n t la p r e m i è r e m o i t i é d u siècle. Les d i s p a r i t é s s o n t p r o f o n d e s é g a l e m e n t e n t r e les familles q u i p e u v e n t f i n a n c e r les é t u d e s de leurs e n f a n t s , g a r ç o n s et filles c o n f o n d u s , celles qui p e u v e n t s e u l e m e n t a s s u m e r l ' é d u c a t i o n des fils, et celles d o n t les e n f a n t s q u i t t e n t l'école à la fin d u p r e m i e r cycle de l'école p r i m a i r e p o u r v e n i r p r ê t e r m a i n - f o r t e à leurs p a r e n t s . Elles s ' e x p r i m e n t a u g r a n d j o u r lors des m o m e n t s s o c i a u x q u i se d é r o u l e n t à l ' e x t é r i e u r de la s p h è r e d o m e s t i q u e , c o m m e le m a r c h é , où c h a c u n se d o i t d ' a l l e r p o u r « g a r d e r la face » m ê m e s'il ne p r o c è d e à a u c u n a c h a t . Les m e m b r e s des familles les plus p a u vres, q u i r e v i e n n e n t le p a n i e r vide, m a r c h e n t r a p i d e m e n t , t ê t e baissée, car en cas de r e n c o n t r e s , le c o n t e n u des p a n i e r s est inspecté, a n a l y s é et les c o m m e n t a i r e s v o n t b o n t r a i n . Cette h i é r a r c h i e é c o n o m i q u e e n t r e les foyers d ' u n m ê m e village est c e p e n d a n t susceptible d ' ê t r e remise en cause à t o u t m o m e n t . Si les données recueillies à p r o p o s de P i n g ' a n ne p e r m e t t e n t pas, à l'évidence, de t r a n c h e r e n t r e c e u x qui c o n s i d è r e n t q u e la m o b i l i t é est très g r a n d e a u sein de la société p a y s a n n e chinoise et ceux qui r e m e t t e n t en cause u n e telle assertion, on p e u t c e p e n d a n t relever, d a n s u n p r e m i e r t e m p s , les d i s p a r i t é s i m p o r t a n t e s qui e x i s t e n t e n t r e frères. D a n s bien des familles m o y e n n e s , u n seul des fils parv i e n d r a à c o n s e r v e r ce s t a t u t , alors q u e les a u t r e s c o n n a î t r o n t u n déclin. L ' u s a g e de l ' a r g e n t g a g n é p a r les émigrés suscite de n o m breuses c o n t r o v e r s e s et crée des conflits e n t r e les b r a n c h e s familiales. Il arrive en effet q u e des émigrés a d r e s s e n t leurs m a n d a t s au c h e f de famille, soit à leur père. Les terres a c h e t é e s a v e c ces contrib u t i o n s p o r t e n t donc le n o m de ce d e r n i e r et s o n t e n s u i t e divisées e n t r e t o u s les fils, ce qui ne v a p a s sans s o u l e v e r des p r o t e s t a t i o n s . L a m o r t d ' u n p r o c h e en terre é t r a n g è r e et le sort fait à ses biens p a r 1. Chen Fuhuan, New York, octobre 1988, U 1158.

les a u t r e s p a r e n t s é m i g r é s p r o v o q u e n t é g a l e m e n t parfois des disp u t e s , car si p e r s o n n e ne sait e x a c t e m e n t ce q u ' i l p o s s é d a i t , la famille restée a u village est p r o m p t e à s o u p ç o n n e r les a u t r e s émigrés de m a l v e r s a t i o n s . Ce t y p e de litige, q u e n u l ne p a r v i e n t à éclaircir, crée des r a n c u n e s qui se p e r p é t u e n t de g é n é r a t i o n en génér a t i o n , c h a c u n c a m p a n t sur les positions t r a n s m i s e s p a r les siens. Le p a r t a g e des biens c o n c e r n e parfois, p o u r les familles a u x q u e l l e s la c h a n c e a souri, la q u e s t i o n de la t r a n s m i s s i o n des c o m m e r c e s , laquelle est é g a l e m e n t à l'origine de n o m b r e u s e s disputes. Plus q u e t o u t e a u t r e , l ' a c t i v i t é c o m m e r c i a l e a p p a r a î t c o m m e aléatoire. Les réussites s o n t plus rares q u e les faillites, et elles s e m b l e n t liées à la p e r s o n n a l i t é d ' u n i n d i v i d u , alors q u e t r a v a i l l e r la t e r r e ou g a g n e r u n p e u d ' a r g e n t , u n e fois q u e l ' o n est a r r i v é a u x É t a t s - U n i s , semble à la p o r t é e de tous. L ' u s a g e c o m m a n d e donc, en c e t t e p r e m i è r e m o i t i é d u X X siècle, de confier le c o m m e r c e a u plus c o m p é t e n t , sans o b l i g a t i o n p o u r ce d e r n i e r de r e v e r s e r u n e p a r t i e des bénéfices à ses p r o c h e s a p r è s la division familiale, m ê m e si u n e telle a t t i t u d e est a p p l a u d i e . E n cas d ' é c h e c , l'affaire est confiée à u n frère ou à u n a u t r e p a r e n t en ligne collatérale. Ce principe, m ê m e s'il est le seul sur lequel o n s'accorde, suscite des c o n t r o v e r s e s n o m b r e u s e s à partir de la fin des a n n é e s t r e n t e , alors q u e le d é v e l o p p e m e n t de l'éduc a t i o n a u g m e n t e le n o m b r e des p a y s a n s s ' e s t i m a n t c o m p é t e n t s p o u r succéder à u n père o u à u n oncle. D ' u n e façon générale, a u c u n e f o r t u n e n ' a p p a r a î t stable. L ' a r g e n t d ' u n Chinois d ' o u t r e - m e r p e u t s o u d a i n cesser de p a r v e n i r a u p a y s , en cas de m a l a d i e , de décès o u de d i s p a r i t i o n . De nouvelles n a i s s a n c e s suffisent à d é s é q u i l i b r e r le r a p p o r t e x i s t a n t e n t r e le n o m b r e de m e m b r e s d u foyer et les t e r r e s cultivées. C h a q u e générat i o n d o i t ainsi l u t t e r p o u r g a r a n t i r sa survie. C h a c u n , a u cours de sa vie, assiste a u déclin s u b i t et irréversible de certaines familles. Les s t r a t é g i e s d o m e s t i q u e s c o m m e les a c t i v i t é s , défensives ou agressives, m e n é e s p a r les g r o u p e s de p a r e n t é l o c a u x , s ' e f f o r c e n t de prév e n i r u n tel d a n g e r , d a n s u n c o n t e x t e social où le g o u v e r n e m e n t est l o i n t a i n mais r e c o n n a i t le p o u v o i r des g r o u p e s lignagers.

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« La montagne est haute et l'empereur lointain... »

«Pourle canton,j'étais unreprésentant dugouvernementcarj'étais unchefdebao. Pourlesgensdulignage,j'étais unfuxiong.Quandil mefallait choisirentrele gouvernementet lesmembresdulignage,je choisissais biensûr cesderniers. Commentfaire autrement?Quipeut choisir dedéfendrel'intérêt d'autrui et nonpas celuidessiens? Biensûr,j'essayais d'éviter lesgrandsconflits entre le gouvernementet le lignage,car detels conflits n'étaient pasbénéfiquesaulignage.. » Ces propos reflètent assez nettement les liens établis entre la population et le gouvernement pendant la période étudiée. D'une part, l'administration gouvernementale apparaît lointaine et, d 'une façon générale, peu digne d'estime aux paysans restés au village. Le gouvernement nationaliste est accusé communément de corruption et de faiblesse, et il est considéré comme un organisme prédateur qui réclame argent, hommes et récoltes sans rien donner en échange. Il est donc de bonne guerre d'employer tous les moyens possibles pour éviter de s'acquitter des contributions exigées par cette bureaucratie animée d'intérêts particuliers, étrangers à ceux de la société. Seule exception à la description plutôt négative que les habitants de Conglou font de l'action gouvernementale: les années 1931-1936, pendant lesquelles la province du Guangdong, sous la direction d'un général du Guomindang qui a fait sécession, Chen Jitang, jouit d'une semi-indépendance par rapport au gouvernement cen1. Le bao est une unité administrative inférieure au canton, qui existe à différents momentsdel'histoire chinoise,etquiestremiseàl'honneuràpartir de1935. Enthéorie,un baoétait formédedixjia, et unjia dedixfoyers. 2. MaiJieshi, NewYork,septembre1988,I 602.

t r a l L intervention des troupes de Chen Jitang permet notamment aux paysans d'être délivrés de la présence de nombreux bandits de montagne qui, au cours des deux dernières décennies, s'emparent de paysans et les échangent moyennant le versement d'une rançon Mais, là encore, c'est plutôt l'action d'un individu qui est distinguée, alors que l'indifférence si ce n'est le mépris entoure un régime qui ne parvient même pas, ironisent les paysans de Conglou, à recouvrir la totalité de l'impôt foncier. En 1936 Chen Jitang est défait, mais le Japon est déjà installé dans le nord de la Chine et quelques mois plus tard c'est l'état de guerre qui opère, entre le gouvernement et les communautés locales, un rapprochement répondant à la nécessité de s'organiser face à l'ennemi. Pourtant, le régime en place continue à ne jouir que d'une faible considération, malgré les efforts déployés par la nouvelle République pour faire de la Chine un Etat moderne et fort. Les réformes administratives se succèdent en effet au cours des années vingt et trente. Elles visent à étendre l'influence du gouvernement en favorisant dans un premier temps la participation des responsables locaux aux décisions politiques, reprenant ainsi l'idée d'autonomie locale chère aux réformateurs de la fin de la dynastie Qing (difang zizhi), puis en essayant d'exercer, à travers l'extension du système des baojia, un contrôle plus étroit sur la population 1. En 1929, Chen Qitang est nommé commandant en chef des armées du Guangdong. En 1931, les dirigeants du gouvernement central, établis à Nankin, sont divisés et Chiang Kai-shek fait arrêter Hu Hanmin, président du Conseillégislatif, qui accuse Chiangdene pas respecter les orientations de Sun Yat-sen. Aussitôt, des adversaires militaires et civils de Chiangcréent à Canton un gouvernement national d'opposition, avec à sa tête ChenJitang, gouvernement qui coopère néanmoins avec certaines factions du Guomindang et qui tombe fin 1936. Sur cette décennie 1927-1937, lire l'article de H. Halbeisen, La décennie de Nankin (1927-1937), dans La Chine au XX siècle, p. 161-184. 2. L'insécurité qui a régné jusqu'alors explique l'aspect fortifié des villages de Taishan et la construction de quelque trois mille tours de garde depuis le début du siècle. 3. Sur les réformes entreprises à la fin de la dynastie Qing, lire l'article de Y. Chevrier intitulé Des réformes à la révolution (1895-1913), dans La Chine au XXsiècle. D'une révolution à l'autre, 1895-1949, sous la direction de M.-C. Bergère, L. Bianco et J. Domes, Paris, Fayard, 1989, 442 p. La notion d'« autonomie locale», qui vise à confier des pouvoirs plus étendus aux notables locaux censés prolonger l'action de l'Etat, est développée à la fin des Qing dans la province du Guangdong par la «Société d'étude de l'autonomie locale du Guangdong», créée le 6novembre 1907. Les premiers membres de cette société font largement partie de la couche des lettrés issus des examens mandarinaux. Oncompte ainsi parmi eux 14jinshi (lettrés du troisième grade), 54juren (diplômés aux examens du seconddegré), 29gongsheng(bacheliers présentés à l'entrée au Collège impérial), 8 membres sans qualification particulière et 46 mandarins en poste. Enjuillet 1909, une telle société existe également dans le district de Xinning, l'ancien nom du district de Taishan. He Yuefu, Qingwei Guangdong difang zizhi yanjiushe chutan (Etude préliminaire dela Société d'étude de l'autonomie locale du Guangdong, à la fin dela dynastie Qing), Zhongshan daxue xuebao (journal de l'Université Sun Yat-sen), 1987, 3, p. 58-65.

Cette volonté de réforme se traduit également par la publication de nombreuses lois et par une plus grande spécialisation des services administratifs. Mais les années au cours desquelles le Parti nationaliste aurait pu développer son action dans les campagnes, surtout au Guangdong, sont limitées. De plus, les réformes, même les plus ambitieuses, se diluent au fur et à mesure que l' on se rapproche des communautés locales, car ceux-là même qui doivent les promouvoir au niveau local défendent avant tout les intérêts corporatistes de leur groupe de parenté ou de leur localité. Le Parti nationaliste est confronté à la difficulté de pénétrer une société où la loi apparaît comme le recours de ceux qui n'ont ni la raison ni la force pour eux, et où les fonctionnaires, payés par l'Etat et considérés avant tout comme les garants des intérêts de celui-ci, s'opposent aux responsables de typefuxiong dont la loyauté va d'abord à ceux dont ils tirent leur autorité Cette situation, commune à l'ensemble de la Chine au début de l'ère nationaliste mais qui se modifie dans certaines régions comme la plaine de la Chine du Nord à partir de 1930 —l'État parvenant à étendre son contrôle dans les villages —, reste inaltérée dans cette partie de la province du Guangdong jusqu'en 1949. Le gouvernement apparaît au contraire de plus en plus faible, même si certains notables locaux profitent des nouveaux droits que leur accorde l'administration pour essayer de s'enrichir. L'effort de guerre, enfin, implique de nouveaux prélèvements en hommes, en argent, en nature, qui renforcent l'hostilité de la population paysanne. Mais la distance et la méfiance existant entre le gouvernement et la population, les limites posées à l'action publique dans les campagnes ne doivent pas faire oublier un second aspect, fondamental, du lien établi entre l'administration locale et les lignages : l'exis1. Pour une description du rapport entre l'État et les communautés villageoises dans le nord de la Chine, à la fin de la dynastie Qing et au cours de la première moitié du XX siècle, lire l'ouvrage de P. Huang intitulé The Peasant Economy and Social Change in North China, Stanford, Stanford University Press, 1985, 370 p. Cet auteur décrit notamment les changements introduits au cours des années trente entre l'État et la population. Il met l'accent sur l'augmentation des taxes et impôts, conséquence de l'effort de militarisation et de modernisation, laquelle suscite l'opposition des villageois. Son analyse montre que le gouvernement parvient alors à étendre son contrôle sous le district, même s'il doit encore s'appuyer sur les responsables locaux. La préfecture, lieu où le pouvoir de l'État et celui des communautés se rencontrent, joue désormais un rôle important. Cette description, que conforte un autre ouvrage, celui de P. Duara (1988), ne semble pas convenir pour la province du Guangdong, où les changements introduits semblent être la conséquence de changements économiques (développement du commerce et de l'émigration), idéologiques (l'augmentation du nombre de diplômés et la diffusion d'une nouvelle culture) et de l'état de guerre plus que d'une intervention de type gouvernemental.

tence des lignages et le rôle qu'ils exercent dépendent de leur reconnaissance par l'administration. Les uns et les autres sont placés dans une situation d'interdépendance. Faute de moyens suffisants, le gouvernement attribue de nombreuses fonctions aux lignages, comme celles liées au maintien de l'ordre ou à l'organisation l'éducation primaire. Il demande en outre aux lignages de l'aider à accomplir certaines missions publiques, comme de prélever l'impôt par exemple. L'action du lignage se substitue ainsi parfois à celle du gouvernement. Elle prolonge parfois cette dernière, manifestant alors une certaine coopération, mais s'y oppose aussi lorsque l'intérêt lignager est en jeu. Le fonctionnement des lignages est ainsi influencé en retour par la définition de ce qui constitue l'action publique et par la façon dont celle-ci s'exerce. Il est également dépendant de la reconnaissance, par le gouvernement, du système lignager. Le district est, après la province, l'échelon administratif le plus important au début du XX siècle. Les réformes administratives qui se succèdent entre 1911 et 1950 vont d'abord dans le sens d'une plus grande spécialisation des tâches accomplies par les services officiels. Ainsi, entre 1926 et 1936, le secrétariat du district s'occupe du bureau des affaires générales et de celui des affaires autonomes, alors que le chef du district contrôle quatre départements : sécurité, éducation, finances et travaux publics. Entre 1936 et 1942, outre le secrétariat qui ne dirige plus aucun service spécialisé, cinq bureaux font leur apparition, et s'occupent respectivement des affaires civiles, des finances, de l'éducation, des travaux publics et de la conscription, alors qu'un autre département dirige les forces de police. Après 1942, huit bureaux se répartissent le travail administratif et portent le nom des tâches qui leur sont confiées : affaires civiles, finances, éducation, travaux publics, affaires militaires, céréales, société et terres. La réforme de 1942 encourage d'autre part l'administration du « nouveau district » à exploiter ses ressources pour entreprendre un plus grand nombre d'initiatives dans le domaine économique et social. Ces ambitions nouvelles ne sont pas accompagnées cependant d'une augmentation importante du personnel du district : celui-ci compte, chefs de service et employés confondus, 147 personnes en 1928, 223 personnes en 1949, pour une population totale d'administrés que les estimations officielles portent, rappelons-le, à 984 491 personnes en 1932, et à 574 005 personnes en 1949. Ces chiffres confirment la nécessité

pour le gouvernement de s'appuyer sur l'élite locale au niveau du district, mais aussi sur les organes de pouvoir existants au sein des lignages pour mener à bien la politique de l'Etat. Les réformes mises en place au niveau du district ont également pour but d'établir un système plus officiel et institutionnel de relais administratifs permettant d'atteindre la population villageoise. Entre le district et le canton, un niveau intermédiaire, celui de la préfecture, est en charge essentiellement des affaires liées à l'armée et à la police. C'est ainsi qu'il dirige le poste de police situé au bourg de Conglou, qui coopère souvent avec les gengfu ou miliciens embauchés par les commerçants pour assurer leur sécurité Au dessous de la préfecture, se trouve le canton, dernier échelon de l'administration locale. En 1912, il existe à Taishan 12 préfectures et 376 cantons. En 1935, ces chiffres sont respectivement de 22 et 338, révélant une diminution de la taille des préfectures et une augmentation de celle des cantons. En 1945, la superficie de ces deux unités administratives s'élargit considérablement : le territoire du district est alors réparti en 10 préfectures et 76 cantons. En 1926, puis à nouveau en 1936, vu l'échec de la tentative précédente, le système traditionnel du baojia est officiellement établi pour permettre à l'administration un meilleur contrôle de la population. Le responsable du bao est en effet dès lors considéré comme le dernier représentant du gouvernement sur le plan local. La réforme, décidée en 1941 par le gouvernement provincial et appliquée en 1945 à Taishan, s'appuie sur ces nouvelles unités. Désormais, un canton doit comprendre en moyenne dix bao (pas moins de six et pas plus de dix), et une préfecture regroupe entre 15 et 30 cantons Or si un bao com1. Lesrapports établis entre le district, la préfecture et le canton, et surtout le rôle d'intermédiaire joué par la préfecture peuvent être illustrés par les consignes données pour le recensement desterres qui se déroule dans le Guangdong entre 1933 et 1938 : «Cette enquête doit être accomplie sur le territoire de chaque canton autonome, et les documents à remplir sont transmis par le bureau des finances du gouvernement du district au siège autonome (zizhigongsuo) de la préfecture, qui les transmet à son tour au siège autonome du canton... » Les documents sont ensuite adressés à la préfecture qui dépêche des agents sur place dans les cas litigieux pour procéder à une vérification (fucha), avant d'être envoyés à l'administration du district. Cette dernière, lorsque des doutes surgissent, peut également dépêcher des agents qui doivent procéder à une vérification par échantillon (choucha). Guangdong sheng linshi dishui zhangce huibian (Recueil des règlements provisoires du Guangdong concernant l'impôt foncier), dirigé par la deuxième section du Bureau des finances du Guangdong, 1938, 146 p., p. 1. 2. Ping'an relève alors de la troisième préfecture du district de Taishan, qui regroupe trois bourgs. Chacun de ces trois bourgs deviendra le siège d'une commune populaire à la fin des années cinquante.

prend souvent plus de cent foyers pendant les premières années de sa création, en 1940, le réseau des bao, jugé trop dense et inefficace, est modifié afin de respecter la répartition naturelle de la population et d'augmenter le pouvoir du chef du bao. Ce dernier administre dès lors un territoire plus étendu ce qui explique en retour l'extension du territoire cantonal Ces transformations territoriales ne sont pas sans effets sur les liens établis entre échelons administratifs et lignages. Avant 1935, le bourg de Conglou et les 34 villages qui l'entourent sont par exemple divisés en treize cantons. Cette appellation ne doit pas tromper : le canton épouse les structures sociales locales et il est constitué en fait de lignages ou de grandes branches lignagères, même si certains cantons sont pluriclaniques. C'est ainsi qu'il existe alors le canton des Mai de Zhuhu et qu'un lignage voisin celui des Wu, divisé en trois grandes branches entre lesquelles les relations sont plutôt lâches, représente trois cantons. Les responsables lignagers, regroupés au sein d'une instance qui porte alors le nom de «comité autonome» (zizhi hui), forment la direction d'un canton qui en fait n'est en rien un représentant gouvernemental : cette nouvelle appellation de canton ne fait que désigner, de façon plus formelle, les principaux responsables lignagers comme interlocuteurs privilégiés de l'administration du district. Or ce rôle, ils l'exerçaient déjà avant que les cantons ne soient créés. En 1935, ces treize cantons n'en forment plus que sept, et les Mai sont associés au sein d'un même canton avec les Liu, les Li et les Deng. Des liens étroits existent depuis plusieurs siècles entre ces lignages qui forment une unité, sur le plan religieux et territorial, centrée autour d'un temple possédé en commun. Les responsables de ces quatre lignages sont habitués à se rencontrer pour discuter des affaires locales, et la création formelle de ce canton ne modifie ni les relations établies entre eux ni celles entretenues avec l'État. Enfin, en 1943, la division de Conglou en sept cantons disparaît pour faire place à une division en deux cantons : Congnan et Congbei. Un 1. C'est ainsi par exemple que le nombre de bao et de jia a tendance à diminuer après 1940. Le district de Kaiping par exemple comprend 994 bao avant 1940, il n'en compte plus que 871 après la réforme. Dans le district de Nanxiong, le nombre de bao passe de 362 à 316, alors que le nombre de jia passe de 3 573 à 3 321 (Guangdong nianjian, 7 partie, 2 paragraphe, p. 32. 2. En 1941, l'administration de la province du Guangdong compte ainsi, selon les statistiques disponibles, 4 162 cantons, 287 bourgs, 52 469 bao et 523 419 jia.

n o m b r e b e a u c o u p plus i m p o r t a n t de lignages se c ô t o i e n t a u sein d u n o u v e a u c a n t o n de C o n g n a n d o n t d é p e n d e n t les Mai, et c ' e s t à p a r t i r de c e t t e d a t e q u e s ' é t a b l i t v é r i t a b l e m e n t la n o t i o n de c a n t o n c o m m e échelon a d m i n i s t r a t i f , u n é c h e l o n a d m i n i s t r a t i f q u i se c o n t e n t e bien s o u v e n t , o n le v e r r a , de t r a n s m e t t r e les consignes de l'État. Le s y s t è m e d u baojia r e s p e c t e é g a l e m e n t les c o n t o u r s des g r o u p e s s o c i a u x tels qu'ils s o n t définis p a r la s t r u c t u r e lignagère. S'agit-il là d ' u n e s t r a t é g i e v o l o n t a i r e ou est-ce le r é s u l t a t de la délég a t i o n , p a r l ' E t a t , a u x r e s p o n s a b l e s c a n t o n a u x qui s o n t d ' a b o r d et a v a n t t o u t des r e s p o n s a b l e s lignagers, de la t â c h e d ' i n s t a u r e r ces u n i t é s appelées bao ? Quoi qu'il en soit, le lignage Mai de Z h u h u est divisé en d e u x bao : l ' u n r e g r o u p e les m e m b r e s de la b r a n c h e lignagère Sui Wei, soit s e p t villages, et l ' a u t r e c e u x de la b r a n c h e Sui An, soit q u a t r e villages. Il serait f a u x de p r é t e n d r e q u e les r e s p o n s a b l e s de c a n t o n et de bao ne j o u e n t a u c u n rôle d a n s les affaires locales mais il le serait t o u t a u t a n t d ' a f f i r m e r qu'ils r e m p l i s s e n t a v e c diligence les n o m breuses fonctions q u e l ' E t a t leur assigne en t a n t q u e relais d u dist r i c t , c o m m e p a r e x e m p l e de s ' o c c u p e r de l ' é t a t des r o u t e s , de la s a n t é p u b l i q u e , de l ' é d u c a t i o n ou de la f o r m a t i o n du p e r s o n n e l a d m i n i s t r a t i f . D e u x t â c h e s s e u l e m e n t , p a r m i celles qui leur s o n t officiellement a t t r i b u é e s , r e t i e n n e n t leur a t t e n t i o n : r e g r o u p e r les conscrits tirés a u s o r t et collecter l ' i m p ô t foncier, les i m p ô t s comm e r c i a u x é t a n t d i r e c t e m e n t prélevés a u p r è s des c o m m e r ç a n t s d u b o u r g , soit p a r l ' i n t e r m é d i a i r e de la C h a m b r e de c o m m e r c e , soit p a r celui de m e m b r e s de lignages l o c a u x a y a n t a c q u i s ce privilège a u x enchères. L ' a d m i n i s t r a t i o n d u d i s t r i c t est j u g é e en effet a u n i v e a u p r o v i n c i a l et c e n t r a l p a r sa c a p a c i t é à s ' a c q u i t t e r de ces d e u x missions : elle exerce d o n c pression sur le c a n t o n p o u r q u e celles-ci soient menées à bien. L a p o p u l a t i o n de son côté s ' o p p o s e à l'interv e n t i o n de l ' E t a t d a n s d ' a u t r e s d o m a i n e s de la vie é c o n o m i q u e et sociale, mais se résigne à r e m p l i r , p l u t ô t m a l q u e bien, ces d e u x obligations t r a d i t i o n n e l l e s . Le c a n t o n délègue en fait à Conglou ses r e s p o n s a b i l i t é s a u x

1. Ainsi en janvier 1938, dans le district de Taishan, 120 des 159 chefs de cantons et de bourgs, 1 528 des 2 084 chefs de bao et 682 des 20 577 chefs de jia auraient suivi au district une formation de deux ou trois semaines. Mais une telle opération ne semble pas avoir été menée à Conglou (cf. Guangdong nianjian, 7 partie, chap. 2, p. 41).

chefs de bao qui sont les derniers représentants de l'administration locale. Le canton transmet aux chefs de bao toutes les missions qui lui incombent, car le bao est étroitement lié à la structure lignagère et peut donc s'appuyer sur l'autorité de celle-ci pour faire appliquer des directives. Les impôts fonciers réclamés tiennent compte en fait de la propriété des terres telle que celle-ci était signalée sous les Qing. Les terres collectives des temples ancestraux et les champs privés des grands propriétaires fonciers y sont portés. Le district transmet simplement au canton la date à laquelle l'impôt devra être versé ainsi que le nom de ceux qui sont imposés. Le canton communique à son tour l'information aux différents chefs de bao qui apposent un avis sur un bâtiment public dans chacun des villages qu'ils administrent, sans se soucier de savoir qui s'acquitte effectivement de ce versement. A Ping'an, seuls quelques paysans et les temples des ancêtres versent une partie de l'impôt foncier entre 1911 et 1949. Le fait que la plupart des villageois soient membres d'un temple des ancêtres au moins, les autorise à penser qu'ils se sont acquittés de l'impôt si celui-ci a été payé pour les terres collectives possédées, même s'ils n'ont rien versé à l'État concernant les terres privées 1 Un phénomène similaire est observé dans le cas des conscrits, qui ne sont recherchés avec zèle qu'à certaines périodes de la guerre contre le Japon : les responsables de bao ou baozhang allèguent en effet parfois leur manque d'autorité dans

1. L'absence d'un contrôle strict dans le domaine de l'impôt foncier est contrebalancé par des taxes imposées sur le commerce de l'opium, sur les jeux d'argent, mais aussi sur certains produits de base comme le sel et le kérosène. L'incapacité des autorités locales varie donc selon les domaines concernés. J. Fitzgerald montre ainsi que l'une des raisons de la sécession de Chen Jitang, en 1931, est la politique menée par le Guomindang, qui s'efforce de maximiser ses revenus provenant de la province du Guangdong pour financer la réunification nationale. Ce qui contrastait avec les promesses, faites par les nationalistes, d'alléger les impôts et taxes arbitraires. Le même auteur explique que, les revenus provenant de la taxe sur l'opium étant considérables, le gouvernement de Nankin décide en 1929 que les revenus provenant de l'opium reviendraient au gouvernement central, et ceux provenant des jeux d'argent, au gouvernement provincial. En 1936, il rend illégal tout jeu d'argent, privant ainsi la province d'une partie importante de ses ressources. Les discussions sur les principaux impôts et taxes du Guangdong montrent d'autre part l'apport financier très secondaire de l'impôt foncier, ce qui explique sans doute l'attitude et le discours des paysans à cet égard (J. Fitzgerald, Increased Disunity : The Politics and Finance of Guangdong Separatism, 1926-1936, Modern Asian Studies, 24, 4, 1990, 745-775). La situation qui prévaut à Conglou dans le domaine des impôts contraste avec celle observée dans d'autres régions de Chine, où le paiement de l'impôt foncier, même si ce dernier n'est pas très élevé (5 %de la production en moyenne), est l'un des principaux liens établis entre le gouvernement et les foyers paysans.

les villages placés sous leur direction pour expliquer qu'ils reviennent bredouilles, sans être parvenus à trouver celui dont le nom a été tiré au sort. Si ce nom est celui d'un membre de leur propre village cependant, cet argument n'est pas recevable, et il leur faut alors acheter les services d'un paysan pauvre pour partir à la place de leur parent. Encore faut-il que ce dernier ait quelques moyens. Le prix à payer pour qu'un autre prenne la place de celui qui a été désigné varie selon les époques: il est par exemple de 13 dan de grains, soit environ l'équivalent d'une récolte de riz sur 3 mu de terre, vers la fin de l'année 1947 L'aide souvent apportée aux conscrits tirés au sort n'empêche pas les chefs de bao et de canton d'utiliser le pouvoir confié par l'Etat pour s'enrichir. Tout lien avec l'administration favorise la corruption, et celle-ci, qui ne fait que s'étendre jusqu'à la prise de pouvoir du Parti communiste, nourrit l'hostilité et la rancune de la population à l'égard du gouvernement. Entre 1945 et 1949, les critiques les plus vives vont à l'encontre de ces chefs de bao et de canton qui, bien que nécessaires car il faut des intermédiaires entre le gouvernement et la population, éprouvent de moins en moins de scrupules à s'enrichir en prenant dans la bourse d'autrui. D'autant que bon nombre d'initiatives gouvernementales sont en fait déléguées à des personnalités privées qui agissant au nom de l'Etat mais non pas sous le contrôle de ce dernier, n'hésitent pas à prélever amendes et taxes. Les chefs du canton comme ceux du bao ont également pour responsabilité de transmettre les directives du district à la population, directives concernant par exemple, après 1936, l'interdiction de se livrer à des jeux d'argent ou de fumer de l'opium. Les avis du canton ne sont pas apposés au bourg qui n'a jamais constitué une unité sur le plan cantonal, mais sur le mur du siège du canton. Celui-ci change souvent de place. Il est situé dans un premier temps dans un temple des ancêtres de Zhuhu, puis il déménage dans un ancien 1. Si yi qiao bao, janvier 1948, p. 18. Atitre d'exemple, au cours de l'année, il est vrai exceptionnelle, de 1948, soit en pleine guerre civile entre nationalistes et communistes, 1119 conscrits sont réclamés dans le district de Xinhui, voisin de celui de Taishan, et qui compte alors une population estimée à 632055 (Si yi qiao bao, p. 31). Undan représente l'équivalent du poids de grains portés dans deux grands paniers suspendus à la palanche et qui portent le nom de luo. Un luo contient environ 60jin de grains et un dan, soit deux luo, 120 jin. Si la valeur d'un jin varie selon les régions, nous avons choisi ici de faire les calculs en fonction de l'ancienne mesure, selon laquelle un jin vaut près de 600 g.

orphelinat de la dynastie Qing Enfin le chef du canton a pour fonction de remettre aux villageois toutes sortes d'attestations nécessaires pour mener à bien certaines activités économiques et sociales. Il joue également souvent, on l'a vu, un rôle local de médiateur. Il agit alors en tant quefuxiong et non pas en tant que représentant de l'administration. Pourtant la création du canton, qui accorde plus de visibilité à unfuxiong parmi d'autres, a encouragé le choix du chef de canton comme arbitre privilégié dans les querelles locales. Denouvelles responsabilités incombent auxresponsables de canton et de baopendant la guerre contre le Japon : participer à la destruction des voies decommunication, distribuer aux familles les plus démunies les quantités de riz remises par le gouvernement pendant lesannées defamine(1941-1944),délivrer lesattestations permettant à certains paysans de bénéficier d'une distribution gratuite debouillie de riz se déroulant parfois au canton, organiser des «équipes d'hommes valides» (zhuangding dui) et des équipes locales d'autodéfense, réaliser des collectes pour subvenir aux besoins de ces groupes, etc. Lebao cesse dès lors d'être une unité fictive n'existant que denompour acquérir une certaine réalité. Lechefdebaonomme des responsables deces unités inférieures que sont lesjia pour l'aider dans son action. Il faut cependant attendre l'année 1941, soit cinq ans après le rétablissement du système des baojia, pour que desjia soient créées par Mai Jieshi, tâche que ses prédécesseurs avaient jugée inutile. Le petit-fils de Mai Leguan procède de la façon suivante :il se promène dans les quatre villages placés sous son contrôle en s'arrêtant, dans chaque ruelle ou toutes les deux ruelles, devant une maison dont le chef possède les qualités requises selon lui pour être nomméresponsable dejia : «Avoir de bonnes relations avec les voisins et ne pas être trop bête. » Ces paysans ont pour principale mission de collecter la contribution mensuelle versée en nature par chaque maisonnéepourfinancerle cantonoutoutes autres participations financières aux activités dedéfense. 1. Les paysans citent différentes institutions de charité existant à la fin de la dynastie Qing et qui disparaissent ensuite. Il leur est impossible cependant de préciser la date à laquelle elles ont cessé toute activité comme l'origine de leur financement, public ou privé. Il s'agit, outre l'orphelinat situé dans un temple des ancêtres de Conglou. d'une école gratuite, ou yixue, ouverte aux enfants des quatre lignages rendant hommage à Dawang yeye, et d'un lieu destiné à accueillir les personnes dont les jours sont comptés, appelé fangbiansuo. 2. Mai Jieshi New York octobre 1986 I 587

La division du travail entre les structures lignagères et l'administration locale est donc simple : le canton et le bao se chargent de réunir conscrits et grains, de transmettre et parfois d'appliquer les consignes gouvernementales, qui ne sont pas nombreuses, et les lignages dirigent toutes les affaires locales, de la supervision de la vente des terres à l'arbitrage des querelles, en passant par l'organisation de collectes pour aider les parents démunis. Bien entendu, ces deux systèmes ne sont pas indépendants : les chefs de canton et de bao ne peuvent remplir des tâches collectives, même de façon modeste, que s'ils bénéficient de l'appui des membres des lignages locaux. En d'autres termes ces représentants de l'administration doivent être également des responsables lignagers en titre ou en herbe. Si tel n'est pas le cas, ils ne peuvent que remettre aux fuxiong le soin d'exécuter les tâches gouvernementales. C'est en ce sens que les bao et les cantons sont parfois décrits comme totalement impuissants : ils ont le pouvoir que les lignages leur concèdent et ne peuvent implanter des décisions qui rencontreraient l'opposition de ces derniers. Ceci est d'autant plus vrai qu'ils ne sont soutenus par aucune force dissuasive. Le choix des responsables de cantons et de bao souligne les ambiguïtés de la relation établie entre l'Etat et les communautés locales : les hommes qui reçoivent mandat pour représenter le gouvernement et transmettre ses directives sont choisis parmi ceux qui détiennent une certaine autorité sur le plan local. Aucune autre compétence reconnue par l'État et par lui seul n'est exigée. La mission officielle et publique dont ils sont chargés dépend ainsi de la mission informelle et privée qu'ils assument déjà ou qu'ils sont en passe d'assumer. Rien d'étonnant par conséquent à ce que l'accomplissement de la première soit soumis aux aléas et aux contraintes de la seconde, favorisant parfois, mais aussi limitant souvent l'influence de l'État. Les responsables des principaux lignages désignent ainsi parmi eux un chef de canton dont ils transmettent ensuite le nom au district pour qu'il soit entériné de façon officielle. Une fois seulement, pendant la guerre contre le Japon, le chef du canton est reconduit dans ses fonctions lors d'une réunion qui regroupe les responsables des bao et non pas ceux des lignages. Le responsable cantonal peut difficilement appartenir à l'un des lignages les plus faibles s'il veut jouir d'une quelconque autorité, de même que les responsables des lignages les plus faibles ne peuvent prétendre participer de façon

active au choix du chef du canton. Tout au plus peuvent-ils s'efforcer de peser sur le choix des adjoints de ce dernier. Le personnel administratif du canton se compose en effet du chef du canton, d'un adjoint, de deux secrétaires et d'un homme à tout faire. Outre les contributions mensuelles des foyers, le canton est financé par les dons de certains paysans et commerçants. Defaçon paradoxale, plus le canton, entant qu'échelon administratif, acquière del'indépendance vis-à-vis des structures lignagères, puis il est dominé par les grands lignages qui seuls détiennent l'autorité nécessaire pourjouer le rôle d'arbitre, le seul enfait que les chefs de canton soient véritablement en mesure d'assumer. C'est ainsi que MaiYutang, l'un desfuxiong desMai,est nomméchefducanton pendant toute la durée du«canton desquatre bao»carlelignage desMai domine les trois autres, lesquels accordent à tour de rôle à l'un de leurs membres le titre de chef-adjoint. Par contre, les Mai sont confrontés à des lignages plus puissants au sein du canton de Congnan, et MaiYutang doit alors abandonner ses fonctions de chef decanton, confiées aufuxiong d'un lignage plus puissant, pour celles de chef-adjoint. Les candidats au poste de chef du canton, outre le fait qu'il s'agit engénéral defuxiongreconnus au-delà deleur seulvillage et jouissant d'un certain prestige, possèdent tous un certain degré de culture car ils doivent pouvoir déchiffrer les directives gouvernementales. Mai Yutang par exemple est un ancien émigré parti en Asie du Sud-Est après avoir obtenu le diplôme d'une école supérieure d'études politiques et juridiques. Unautre homme,MaiHuansheng, professeur à l'école de Zhuhu et issu d'une famille qui ne possèdepas unarpent deterre et vit plutôt chichement descontributions de Chinois d'outre-mer, assume les fonctions de secrétaire du canton pendant les années trente et quarante. La situation est différente néanmoins dans les cantons qui regroupent les membres d'un seul lignage. Lecanton semble parfois y jouer un rôle très étendu, mais c'est en réalité le pouvoir du lignage qui est renforcé lorsqu'une unité administrative coïncide avec une unité lignagère. Tout compromis avec les lignages voisins qui ne partagent pas les mêmes ressources locales devient moins impérieux. Les responsables lignagers, qui sont également ceux du canton, sont alors parfois enclins à prendre, au nom du gouvernement, des décisions favorables à leurs propres intérêts mais contraires à ceux des autres membres du lignage. Les chefs de bao, par contre, ne sont pas desfuxiong confirmés

mais plutôt dejeunes paysans qui aspirent à cetitre et qui trouvent ainsi l'occasion de s'exercer à leur futur rôle. Le premier baozhang qui représente le gouvernement auprès des quatre villages de la branche lignagère Sui An est Mai Leming, un responsable du segment lignager Renshi, qui est entendu également au niveau du village de Ping'an comme de la branche lignagère Sui An. Tous ses successeurs, jusqu'à l'arrivée au pouvoir du Parti communiste chinois, en 1949, sont également des membres de Ping'an tant la prospérité de cevillage en hommes et en argent lui confère d'emblée une autorité qu'aucun autre village de Sui An, semble-t-il, ne peut contester. Le rétablissement du système du baojia suscite d'abord méfiance et soupçons de la part des responsables du lignage Mai de Zhuhu et, décidés à contrôler ces nouvelles unités administratives qui marquent la volonté de l'État d'être plus présent dans les affaires locales, ils choisissent parmi eux les deux premiers baozhang, celui de Sui An et celui de Sui Wei. Deux ans plus tard, les baoont fait la preuve de leur dépendance par rapport au lignage : ils nereprésentent aucun danger pour celui-ci. Lesfuxiong cèdent alors leur poste à de jeunes paysans qui ont déjà manifesté leur capacité et leur volonté de s'occuper des problèmes collectifs. Le rôle de baozhang offre pourtant à ces futurs responsables lignagers un moyen privilégié de se former aux tâches qui les attendent. En 1938, le conseil des affaires lignagères décide que les deux chefs de bao et leur adjoint respectif, soit quatre personnes au total, seront désormais admis defaçon automatique au conseil. Les mesures gouvernementales se multiplient en effet, et il est important que le conseil en soit régulièrement informé. Gengwen, du segment lignager Renshi, remplace Mai Leming puis c'est au tour de Mai Jieshi, en 1941, d'exercer ces fonctions qu'il abandonne quatre ans plus tard. Deux autres membres, l'un de Qichang et l'autre de Renshi, lui succèdent jusqu'en 1949. Ces jeunes paysans —Mai Jieshi est à peine âgé de 23 ans en 1941 —ont tous en commun de posséder un niveau de culture assez élevé. Eduqués avec les «nouveaux livres » et donc formés à une culture plus moderne, ils lisent le baihua ou la langue vernaculaire et peuvent comprendre les directives adressées par le district. Le district délivre au baozhang un papier le nommant officiellement à ce poste mais le processus de choix repose entre les mains des responsables lignagers. Ceux-ci remettent au chefdu canton une liste des candidats possibles tout en lui indiquant celui qu'ils souhaitent voir désigner. Le chef du canton entoure alors ce

nom et transmet la liste au district qui se range en général à l'avis de ce subordonné, plus au fait des affaires locales Au niveau des villages et des cantons, l'administration apparaît donc avant tout commeun organisme prédateur dont il convient de se protéger. Cette conviction, à laquelle se rallient les baozhang du lignage Mai, explique que la plupart d'entre eux s'acquittent de leur tâche de façon plutôt passive, en privilégiant la cause lignagère. Ils se considèrent avant tout comme des membres de leur lignage, comme le révèlent les propos de Mai Jieshi placés en exergue de ce chapitre. Exercer les fonctions de baozhang leur permet néanmoins de raccourcir les délais nécessaires jusque-là pour être reconnus commefuxiong. Pour parvenir à ce résultat, Mai Jieshi s'est par exemple d'abord départi de tous les attributs du baozhang qui étaient un obstacle à sa reconnaissance commefuxiong. Il nomme dans un premier temps des responsables dejia chargés de recueillir de porte en porte les contributions familiales destinées au financement du canton ou dedifférentes collectes, tâche peu digne d'un responsable lignager d'envergure. Dès 1942, il refuse d'être payé en tant que baozhang comme le prévoient alors les textes. Unfuxiong en effet n'est pas rémunéré, contrairement à ceux, moins considérés, qui sont au service des paysans : spécialistes de l'irrigation, hommes chargés de la sécurité, etc. Mai Jieshi prouve d'autre part à de nombreuses reprises, tout au long de ces quatre années pendant lesquelles il officie comme baozhang, que sa loyauté va d'abord au lignage et non au gouvernement, dont il se montre un représentant peu diligent, comme le montre l'épisode suivant. En 1944, deux habitants de Ping'an favorisent la pénétration, dans le village, d'un groupe de bandits de Guandou qui mettent à sac une riche habitation de Chinois d'outre-mer où vit, seule, une femmeâgée. Lesrèglements locaux punissent de mort les coupables d'un tel crime alors que la législation nationale n'applique pas la peine capitale enpareil cas. Les coupables sont identifiés : l'un d'entre eux est membre d'une famille isolée, l'autre appartient au mêmefang, Jihong, que la 1. Lesjeunesgensdésignéscommebaozhangétaientégalementsouventdejeunesmembnorem sm duanlitgàncaegep,ossutes.cE epntieffet bles,d'étêutrediaentnsrô,lpésrodfeasnsesula'rsrmée, etbqreusedeliglna' dmi ageprot etmem nistréatgeai iontéteanielents autom a t i q u e m e n t r a y é s d e s listes d e s é v e n t u e l s conscri t s . outaledrétroout ueltapporertm rebcraogleecateuxdeaspi stinérateioànsrétrdibeuer ef,dceebqauoi, en1924.2Il,s'faut étaitajm uléeefoietsqavai éoièm MaileJiechshi expliqueégalementsonrefussoudainderecevoirtouterémunération.

famille dévalisée. Mai Riwen conseille discrètement au second de quitter le village à jamais, puis il donne l'ordre aux gengfu de Ping'an d'abattre le premier. Mai Riwen n'est pourtant pas l'un des principaux responsables villageois, et une réunion de l'ensemble des fuxiong au cours de laquelle ceux-ci doivent décider, à l'unanimité, du châtiment à infliger au coupable est nécessaire en théorie pour que l'exécution ait lieu. Mai Riwen passe outre cependant, car si tout le village est convaincu de l'identité des coupables, les preuves sont minces. Unsoir, alors que le traître présumé rentre au village, il est abattu par des hommes chargés de la sécurité qui l'accusent d'avoir volé des taros dans un champ au bord du chemin. Ces derniers vont ensuite trouver les responsables villageois afin qu'ils signent, a posteriori, l'ordre d'exécution. Seul Mai Jieshi s'y refuse car, dit-il, s'il montre qu'il est au courant de l'incident, il pourra lui être reproché en tant que baozhang de n'avoir rien dit. Al'inverse, MaiJieshi exerce par contre les minces prérogatives de baozhang qui peuvent l'aider à asseoir son autorité sans se décharger de ses fonctions auprès desfuxiong. Alors que la famine règne, par exemple, le district, désireux de soustraire les réserves de riz aux Japonais, distribue à chaque responsable de bao, par l'intermédiaire du canton, une certaine quantité de céréales dont il est libre de disposer selon les besoins locaux. Pour une fois, l'Etat remet un bien, et ne se contente pas d'en prélever. Lecontrôle deceriz confère alors au baozhang un véritable pouvoir que les responsables lignagers, surtout ceux du segment Renshi, essaient aussitôt de lui ravir. Mai Leming exige que Mai Jieshi distribue le riz aux différents temples des ancêtres car, dit-il, «le bao, ce sont les villages, et les villages, ce sont les différents segments lignagers». Mais Mai Jieshi rétorque que c'est lui qui a signé lorsque le riz a été remis et que c'est à lui que le canton demandera des comptes plus tard... Parallèlement, il débat avec lesfuxiong de nombreux problèmes locaux qui ne relèvent pas de ses attributions officielles, se détournant de celles-ci dès que l'intérêt du lignage le commande. «Silepouvoirdulignageestgrand,c'est aussiparcequelegouvernementlerespecte. Ce' stparcequelegouvernementreconnaîtcetteautoritédulignageetqu'ill'utilise. Le lignagedoit lui aussi donnerdela faceaugouvernement,et quandc'est possible, le lignagedoitcoopérer.Maislepouvoirdugouvernementnepeutpénétrerdanslescampagnes,s'il nepénètrepasdanslestemplesdesancêtres.» 1. MaiJieshi, NewYork,septembre1988,1590.

Entre le lignage et le gouvernement, les liens établis sont enfait ceux d'une dépendance mutuelle. La légitimité des groupes lignagers est liée au principe de descendance patrilinéaire qui donne ici naissance à la création de groupes de parentés localisés, mais elle est également renforcée grâce à la reconnaissance, par le gouvernement, des groupes lignagers. Cette reconnaissance est inscrite par exemple sous les Qing dans les généalogies lignagères qui font état du droit accordé par l'administration locale de punir les membres déviants en ayant recours aux châtiments lignagers. Elle s'exprime de façon symbolique, à l'extérieur comme à l'intérieur des temples ancestraux, dont nombres d'inscriptions sont de la main de mandarins locaux. Le gouvernement a en effet besoin des lignages et de leurs instances dirigeantes pour préserver l'ordre social commepour prélever l'impôt. Il ne possède pas les moyens dissuasifs ou persuasifs suffisants pour atteindre, seul, cet objectif. Cette reconnaissance gouvernementale favorise le développement des lignages, lesquels coopèrent en retour avec l'administration, tout en demeurant fidèles au principe que les intérêts du groupe doivent être protégés avant tout. Ce qui explique le travail incessant des responsables lignagers, qu'ils aient ou non un titre officiel au sein de l'administration, pour diminuer le nombre des conscrits ou le montant de l'impôt foncier, en arguant par exemple de calamités naturelles ayant dévasté les récoltes. Les responsables locaux peuvent donc ignorer les consignes de l'État qu'ils jugent contraires à leurs propres intérêts commeà ceux de l'ensemble des foyers, mais ils peuvent aussi coopérer quand cela leur semble nécessaire. Cette coopération est d'autant plus aisée quand il ne s'agit pas, pour l'Etat, de prélever hommes et argent, mais de résoudre des problèmes dont les groupes locaux ne peuvent venir àbout. Lescommunautéslocales neparviennent pastoujours à venir à bout de luttes interlignagères, et le gouvernement est alors appelé à la rescousse. Il en va de mêmelorsqu'il s'agit de mettre fin aux pratiques debanditisme oudelutter contre les famines. En 1926 par exemple, près de 1200bandits sont concentrés près du port de Guanghai, au sud du district de Taishan. Mobilisés par un lignage local pour l'aider à combattre contre un autre lignage, ils mettent les villages decedernier à feu et à sang, incendiant quelque 370habitations. Le 24 mai 1926, le gouvernement envoie 120 soldats pour défendre la ville de Guanghai, et demande aux milices locales de dépêcher également certains deleurs hommes:ils sont 1070àsediri-

ger alors vers cette localité, dont 57 hommes venus de Conglou. Le problème du financement decette opération seposed'emblée :il faut nourrir ces hommes, mais aussi leur verser les primes récompensant ceux qui sebattent enpremière ligne, ceux qui parviennent à couper l'oreille gauche d'un ennemi, ceux qui capturent un chef... Il yaégalementle problème desindemnités versées aux familles des blessés ou des morts. Si l'aspect militaire decette intervention est placé sous la directiondugouvernement dudistrict, un«poste decommandement pour l'extermination des bandits »est créé qui regroupe des personnalités dudistrict quinesont pas membresdel'administration. Cette organisation fait appel à la générosité des Chinois d'outre-mer et à celle des commerçants de Hong Kong originaires de Guanghai; elle recueille d'autre part la taxe imposée aux villages et aux familles Les commerçants et autres notables qui agissent au sein de ce poste decommandement organisent également, avec l'aide du district, des distributions debouilliederiz auxpaysans qui ont fui leur village par crainte desbandits. Les activités du «Comité de secours contre la famine et le manque de céréales du district de Taishan», créé en 1944, alors que la guerre contre le Japon bat son plein et que la famine règne à Taishan —de mauvaises récoltes se conjuguant à l'arrêt des mandats venus de l'étranger à la suite de l'occupation de Hong Kong par les Japonais —illustrent également la forme qu'emprunte en général la coopération entre responsables locaux et administration. La réunion inaugurale de ce comité se tient le 25 mars à Taicheng, au siège du bureau du Parti nationaliste Elle rassemble 73 personnalités importantes du district, parmi lesquelles on compte aussi bien des membres del'administration tels que le secrétaire général du bureau du Guomindang du district de Taishan, Li Zunhao, le chef du district, Deng Gonglie, un responsable de la section de Taishan de la «Ligue de la jeunesse des Trois principes», le chef du bureau de uelépl eups,oucrhtoaquuselefsoyveilragdoi estdvuedistrict fom ncetiodnondutlenom mobnretadnettvari ourse dega1rd.eCpealer-cviilest age.calcD rseruneensom selonquecesfamilesrésidentdanslarégionmenacéeoudansdeslocalitéspluslointaines. 2. Docum entoriginalde72psagdeuscboum prenantlesifparoycaènst-veeurblieauuxledse1laretéun17ioavri ninaugural réaurnsio1n9s44d,udecsonrésuenilios'éntant déroreuauléeexécut sles25avrilet8mai,leschartesetlesllietsteles 11emduai,2d5esm dlaesdim embresrespectivesdetubceulreeaduesexécut etdenutscetonesnefili,nleusnrèproj glem détaiiolénsd'cuonnccent ernant meéndciceifasm etebndrary, etscréat csity. hargsétridbeutdioévneldouppberrodueetm eileuressem pourleriz.YenchingLi HarvardUniverer-

Taishan de la Banque de Chine, le responsable des problèmes de santé publique au niveau du district, des fonctionnaires des différentes préfectures, mais aussi des représentants de groupes professionnels tels que la Chambre de commerce de Taishan, le Syndicat général du district, une association de médecin, une autre d'avocats... Dix-neuf personnes sont conviées en tant que membres de l'élite locale. Au cours de la séance inaugurale, il est décidé que ce comité se donne pour but d'apporter une aide d'urgence pour lutter contre la famine mais aussi d'entreprendre des projets fondamentaux pour favoriser le développement agricole. L'aide d'urgence revêt trois formes : 20000 bols de bouillie deriz sont distribués entre le 17 avril et le 11 mai 1944 dans les 78 postes de secours créés dans les bourgs et les cantons. (Une seconde distribution aura lieu fin mai.) Cent mille comprimés de médicaments destinés à combattre le choléra ou de vitamines sont également distribués aux patients qui en font la demande auprès d'un médecin entre le 1 avril et le 31 décembre 1944. Enfin, des centres d'accueil sont créés dans des bâtiments publics ou des temples des ancêtres pour accueillir les nourrissons et les enfants dont les parents sont morts ou trop pauvres. Achaque niveau dela chaîne qui s'établit alors entre le district et les cantons coopèrent des fonctionnaires, des membres de l'élite du district et des responsables locaux. Unbureau chargé del'exécutif, et qui réunit 39 personnes —des membres de l'administration pour la plupart —,est créé, ainsi qu'un conseil chargé de définir les grandes orientations du comité et de surveiller le déroulement des opérations en veillant à déceler toute fraude ou corruption. Parmi les 97nomsretenus pour le conseil, oncompte trois hommesportant le patronyme Mai, ce qui confirme le caractère très relatif dela puissance de ce lignage, alors que les lignages dominants de Taishan sont beaucoup mieux représentés avec 13 Huang, 12 Chen, 9Wuet 8 Li. Parmi eux, Mai Yingzun est l'ancien secrétaire d'un général Guomindang, Zhang Fagui, et Mai Zhongzhi est alors le chef de la troisième préfecture dont dépendent les deux cantons de Conglou 1. MaiYingzunestcertainementl'undesMailesplusconnusdelaprovinceduGuangddoénpgarteaumceonutrdsedC el'hèinreoisrépubl icm ainee.nceNpéarenex1e8rc9e6r,lilesent lU ' niisvteersi .Il com fonrectioenns19d1e5joàurnal ,ptuéisddeePseéckrién-, taire p o u r d e s h o m m e s pol i t i q ues. E n 1 9 4 0 , il est n o m m é l i e ut e nant général , r e sponsablem des delaaqirueatreiènmcheebfradneschaerm duéecsonat mitiéonal desisaffai secrét àChCinaena.toirnessecrét tesrdesepmi lusliietauirres. s pE ronvin19ce4s6,diluestsudnom delaé

Près de la moitié des membres de ce conseil sont des personnalités dont l'occupation professionnelle n'est pas précisée et rien ne permet de les considérer comme des représentants de l'administration ou d'organisations professionnelles, politiques ou territoriales. Ils sont là en tant que membres de l'élite du district, susceptibles de favoriser l'exécution du projet grâce à leur autorité au sein des différents lignages. Les procès-verbaux des réunions qui se succèdent à un rythme soutenu au cours des mois de mars, avril et mai 1944 révèlent la division du travail opérée entre les uns et les autres en fonction du statut professionnel ou du réseau de relations possédé. Mais il est vrai que cette coopération est d'autant plus aisée au niveau du district que l'élite locale résidant à Taicheng entretient des liens étroits et complexes avec l'administration. Certains de ses membres participent à l'Assemblée consultative du district, et ils ont pour mission, selon les règlements parus en août 1941 et qui définissent leurs devoirs et leurs fonctions, de conseiller le gouvernement du district mais aussi de favoriser son action. En théorie, les membres de cette assemblée sont élus par «les assemblées populaires des cantons et des bourgs», pour une période de deux ans. Les personnalités qui exercent des fonctions publiques au niveau de la préfecture ou du district, de même que les membres de l'armée, de la police ou les étudiants non diplômés ne peuvent faire acte de candidature. Cette assemblée, créée en 1932, interrompt ses activités en 1937, puis les reprend entre 1945 et 1949. Unseul Mai fait partie des 44 membres réunis en 1932: Mai Yingzun. Si certains responsables lignagers ont ainsi des contacts fréquents avec les agents gouvernementaux du district, l'administration est bien lointaine vu des villages, et peu de paysans croisent un jour ou l'autre, sur leur chemin, l'un de ses représentants. L'une des prérogatives les plus importantes du district, qu'il accomplit sans passer par le canton, est de rendre justice en cas de litige. Mais, comme en témoignent les exemples donnés, il est fort rare que les paysans portent plainte officiellement. Une telle démarche suppose que l'on sache écrire, que l'on puisse rédiger sa plainte mais aussi que l'on connaisse des personnes susceptibles d'apporter leur aide au sein de l'administration du district. De plus, pour que la plainte soit reçue, pour que des amis influents acceptent d'intercéder en faveur du plaignant, il faut distribuer des enveloppes rouges aux uns et aux autres ce qui n'est pas à la portée de toutes les bourses. Mais le refus des paysans d'avoir recours à la justice pour régler un

conflit naît surtout du sentiment que la législation nationale et les règlements locaux reposent sur deux principes différents, difficilement conciliables. Le verdict du district est prononcé indépendamment des relations établies, sur le plan local, entre les acteurs du conflit. Que le verdict soit juste ou pas, il est rendu de façon abstraite, sans tenir compte de la nécessité de maintenir l'ordre local, et c'est là apparemment son principal défaut. Au verdict de la justice qui juge un fait ponctuel s'oppose le compromis local qui tient compte des relations passées, présentes et futures entre les différents groupes. Or, le coupable comme la victime d'un délit continuent, une fois l'affaire close, à vivre dans un univers où leurs faits et gestes sont influencés par ces relations. Tout jugement qui s'inscrit hors de ce contexte est perçu comme inefficace ou susceptible même d'envenimer la situation, car celui auquel justice a été rendu est dès lors en butte aux attaques redoublées de ceux, plus puissants, qui l'entourent, et qui avaient contribué à ce que la solution locale les favorise. «Quand on fait appel au district, c'est que l'on refuse la solution proposée localement parce qu'on la trouve défavorable. Maissi elle est défavorable, c'est soit parce quel'on est dans son tort, soit parce que l'on est faible. Alors, quelle que soit la décision de justice, une fois de retour au village, on continue à avoir desproblèmes. Lavie est difficile. Elle l'est mêmeplus encore parce quel'on a montré quel'on refusait l'arbitrage local. Onpeut mêmes'arranger pour que vous n'ayez plus d'eau à boire, plus de cheminsà emprunter. Carl'eau et les routes sont aux villages et aux lignages. Quefaire si l'on vous interdit de marcher sur le bords des champs qui nevous appartiennent pas ? Vousallezencore unefoisvoustourner versledistrict ?Tousles problèmespeuventêtre résolus sur le plan local, et si on n'y parvient pas, même après avoir demandé les services d'un fuxiong extérieur, alors il ne reste plus qu'à se battre si l'on ne se résigne pas. » Les paysans dénigrent ainsi, quelle que soit leur position sociale, les décisions de justice, accusées non seulement de ne pas maintenir l'ordre local mais même d'aggraver les tensions sociales. Les membres de l'administration en effet, attirés par la perspective de nouvelles rentrées d'argent, ont parfois tendance à grossir les conflits. Mais l'administration du district n'attend pas toujours, comme dans le cas d'un problème de justice, que les paysans viennent à elle. Devant la passivité des chefs de canton et de bao, elle envoie en 1. MaiJieshi, NewYork, avril 1985, E75.

effet parfois l'armée ou la police parcourir les campagnes pour faire appliquer certaines de ses décisions. Ces interventions sont accompagnées d'une très forte corruption, dont les paysans sont d'autant plus victimes qu'ils appartiennent à des familles, des villages ou des lignages faibles, incapables de se défendre. Une campagne contre les jeux d'argent est lancée par exemple juste après la victoire contre le Japon et devient une voie d'enrichissement privilégiée pour les fonctionnaires comme pour les soldats. Ceux-ci exigent en effet des pots-de-vin en échange de leur silence. Encore une fois, les plus faibles paient les sommes réclamées mais les plus forts refusent, quitte à prendre les armes contre les forces armées du district, si nécessaire. C'est ainsi qu'un tel affrontement éclate en 1947 entre les paysans de Liu Cun et les soldats. Certains membres de l'administration de Taishan, après avoir essuyé le refus des responsables du lignage Chen de Liu Cun de leur verser une part des bénéfices tirés des jeux d'argent, envoient les troupes du district encercler les Chen pour faire pression. Les lieux de jeu sont très nombreux à Liu Cun et attirent les habitants de nombreux villages voisins. Dès que les fuxiong des Chen apprennent la nouvelle, ils demandent aux hommes chargés de la sécurité de tout mettre en œuvre pour empêcher l'armée de pénétrer dans les villages. Puis ils donnent l'ordre d'ouvrir le feu pour intimider les soldats mais un véritable affrontement s'ensuit. Très vite, les responsables lignagers intiment l'arrêt des combats. Il y a des morts et des blessés dans le camp des soldats. Cependant, le lignage Chen est très puissant. Il regroupe près de dix mille personnes et nombre de ses membres ont trouvé des postes dans l'administration. Aussi l'affaire est-elle réglée par le versement d'une forte somme au district, et notamment à son responsable. D'une façon générale, tout contact avec les services de la préfecture et du district s'accompagne de la nécessité de verser des pots-de-vin, phénomène qui s'accentue après 1945. Même la caserne de Taicheng n'ouvre ses portes aux conscrits, qui arrivent pourtant contre leur gré, les mains liées, que moyennant paiement. Seul l'attrait d'un gain supérieur, qui est souvent de nature symbolique et lié par conséquent à une affaire privée (qu'il s'agisse de gagner de la considération ou d'accomplir une vengeance), explique qu'un agent de l'administration se refuse parfois à réclamer de «l'argent noir», c'est-à-dire des pots-de-vin, alors qu'il en a l'occasion. En 1946, par exemple, Riwen est nommé responsable de l'équipe de policiers en civil de la préfecture (bianyi dui), essentiellement chargée de lutter

contre les trafics d'opium ou de drogue et de procéder à l'arrestation de coupables contre lesquels des plaintes ont été déposées. Elle a ensuite pour principale mission, vers la fin des années quarante, de traquer les membres clandestins du Parti communiste. Dès qu'il obtient ce titre, Riwen s'empresse d'aller arrêter un bandit nommé Xu, recherché depuis longtemps par l'administration et qui a dérobé deux ans plus tôt, à Liu Cun, tous les biens d'un membre de la famille de la mère de Riwen, blessant au visage l'une des nièces de ce dernier. Il s'empare un soir de l'homme, mais dès le lendemain matin un quotidien de Taicheng titre cette nouvelle en première page. Mai Riwen est furieux car les compagnons du bandit, ainsi avertis, ont pris la fuite. Il se rend au journal où il est confronté à un jeune Mai de Doushan qui a publié la nouvelle en toute hâte pour éviter que Mai Riwen ne relâche l'homme après s'être fait payer. Mais Riwen se défend : «Cette fois-ci, je n'aurais jamais accepté del'argent noir, caril adonnéuncoupdecouteau à une de mes nièces, il n'était pas question qu'il s'en sorte. Il existait une affaire privée entre lui et moi.» Cet épisode révèle une autre source de déviation de l'action gouvernementale : l'importance des liens personnels au regard de ceux qui sont caractérisés par l'anonymat, importance due également à l'influence du modèle familial. En effet, si l'administration, considérée dans son ensemble, paraît alors fort lointaine et son action très limitée, les rapports sont étroits entre les membres de cette administration, pris individuellement, et leurs proches ou amis. Les agents du district et de la préfecture surtout, qui jouissent de certaines prérogatives, sont souvent sollicités par un vaste réseau de relations. Ils mettent leur pouvoir au service de causes personnelles, fidèles en cela à la nécessité d'être d'abord loyaux envers les membres de leur groupe social et de privilégier les liens particuliers qui les unissent à des individus qu'ils connaissent en personne. Pour permettre un agrandissement du réseau social, imposé par l'ouverture sur la société et la multiplication des échanges, ces liens sont étendus aux relations personnelles des parents et amis. Un tel comportement est source de déviations et de collusions, et détourne bien souvent l'action de l'Etat de son but initial. Mais il élargit les moyens d'action des groupes locaux, 1. Mai Riwen, Hong Kong, octobre 1986, H549.

et surtout ceux de leurs dirigeants. Aussi le nombre de membres du village ou du lignage travaillant dans l'administration intervient-il dans le calcul de la grandeur des uns et des autres. Plus qu'un symbole de réussite, ces fonctionnaires, même s'ils n'occupent que des postes sulbaternes et éphémères, sont une manifestation de pouvoir. C'est ainsi par exemple que Mai Leguan fait appel à des membres de l'administration pour se venger de l'affront infligé par des paysans de Guandou qui lui ont dérobé sa marchandise de contrebande, peu avant la fin de la guerre contre le Japon. Dès que la paix revient, Mai Leguan se met à réfléchir au moyen de rétablir son honneur et celui des habitants de Ping'an. L'origine de la marchandise volée interdit, on s'en souvient, le recours aux procédés employés d'ordinaire pour résoudre les affaires de vols. Mai Leguan contacte d'abord Mai Guoqu, de Zhuhu, qui vient d'être nommé responsable des impôts à la préfecture. Celui-ci lui délivre un papier attestant que la marchandise volée avait été acquise légalement et que l'acheteur avait payé les impôts réglementaires. Puis il s'en va trouver Mai Chanlin, lequel lui présente son beau-père, Chen Yingxiang, qui connaît l'un des chefs de régiment ayant chassé les Japonais : Zhang Qiuliu. (Ce qui illustre l'importance des relations d'alliance, et leur mobilisation pour résoudre les problèmes de proches parents. Il est vrai également que Mai Chanlin n'aurait pas sollicité son beau-père pour n'importe qui.) Chen Yingxiang aide Mai Leguan à rédiger une plainte dénonçant auprès de l'armée l'existence de nombreux bandits à Guandou qui dérobent les marchandises transportées par d'honnêtes commerçants de Conglou. Zhang Qiuliu envoie aussitôt plusieurs dizaines d'hommes stationner à Guandou jusqu'à ce que les bandits leur soient livrés. L'arrivée de ces hommes qu'il faut nourrir et héberger pendant toute la durée de leur séjour représente un lourd fardeau pour les Wu de Guandou. Au bout de quelques semaines, ces derniers refusent de continuer à pourvoir à l'entretien des soldats de même qu'ils refusent de livrer les coupables. Deux de leurs responsables lignagers se rendent alors à Liangli, la boutique possédée par Mai Leguan au bourg. Mai Leguan ne tient pas à l'arrestation de ceux qui ont pris sa marchandise mais souhaite simplement regagner le prestige perdu. La visite des représentants des Wu le satisfait, et les uns et les autres se retrouvent quelques jours plus tard dans un restaurant du bourg pour sceller la fin des hostilités entre les Mai et les Wu.

L'importance attachée au contact individuel qui permet de se faire une opinion des uns et des autres, et donc la préférence accordée aux personnes que l'on peut identifier par rapport à des indivi+dus ou à des groupes abstraits, est ainsi un autre facteur de limitation de l'action de l'Etat. Il ne s'agit plus là de l'opposition manifestée par les villages et lignages locaux à une intervention trop étendue du gouvernement, mais du comportement adopté par les membres de l'administration qui perdent les bases de leur prestige s'ils ne mettent pas leur pouvoir au service de ceux qu'ils connaissent, s'ils refusent, en d'autres termes, de « leur donner de la face» et leur font des affronts. Ce dilemme était déjà apparu à propos des chefs de canton et de bao. Mais il se produit quelle que soit .la position du représentant de l'Etat, surtout lorsque celui-ci exerce son activité près de sa localité d'origine. Sans remonter très haut dans la hiérarchie, l'attitude adoptée en maintes occasions par Mai Riwen, qui fait partie pendant quelque temps de l'équipe de policiers en civil du district, est révélatrice de ce problème auquel se heurte le gouvernement chinois depuis des siècles En 1943 par ++++exemple, alors qu'il travaille pour le district, Riwen reçoit l'ordre d'arrêter avec quelques hommes placés sous sa direction quatre bandits renommés de la préfecture dont dépend Conglou. Il refuse d'arrêter lui-même « le roi des boulettes rouges » qui vend de l'opium, parce que celui-ci habite à Liu Cun où les Mai ont marié beaucoup de leurs filles. Le mandat d'arrêt porte de plus l'ordre de fouiller non seulement la maison du bandit mais aussi les trois maisons se trouvant devant et derrière cette habitation, ainsi que les sept maisons se trouvant à gauche et à droite. Or parmi les habitations qui doivent ainsi faire l'objet d'une perquisition se trouve une famille dont la femme est originaire du segment lignager Qichang... Par contre, il conserve le mandat d'arrêt concernant le « roi de la contrebande », un nommé Li, qui se trouve être très lié à un ami de Riwen. Ce dernier n'a donc pas du tout l'intention de l'arrêter. Étant l'ami d'un ami de Riwen, le « roi de la contrebande » est devenu celui de Riwen. Prévenu discrètement du mandat d'arrêt lancé contre lui, Li prend le chemin de Macau. Une fois certain qu'il 1. La collusion entre les membres de l'administration et ceux qui violent la loi est un méfait souvent dénoncé par les hauts fonctionnaires et magistrats dela dynastie Qing, par exemple. Cf. article de P. E. Will, Bureaucratie officielle et bureaucratie réelle à la fin de l'empire, Études chinoises, VIII, 1, 1989, p. 69-142.

est à l'abri, Mai Riwen se rend à Xincun pour l'arrêter mais, on s'en doute, il revient bredouille. L'homme a disparu, l'affaire est classée. Quelques mois plus tard, « le roi de la contrebande » —qui est en fait accusé de collaboration avec l'ennemi - revient à Xincun où Mai Riwen lui fait de nombreuses visites. « L'eau est-elle agitée ? » demande-t-il afin de savoir si les recherches ont repris. En échange de sa protection, il offre à Mai Riwen des cigarettes et d'autres marchandises de contrebande. Il vend également à Mai Leguan, dont Mai Riwen est le neveu, des petites quantités de marchandise alors qu'il écoule normalement ses produits en gros. Mai Riwen utilise ainsi ses relations pour défendre l'intérêt des siens, qu'il s'agisse des membres de son segment lignager ou de son village. Des liens de dépendance mutuels existent donc entre lignages et gouvernement, et leur coopération sert leurs intérêts respectifs. En faisant preuve de bonne volonté envers le gouvernement, les lignages se mettent à l'abri d'attaques provenant de ce dernier. Ils établissent un espace au sein duquel leurs possibilités de survie sont garanties. Ils favorisent l'action de l'Etat dans certains domaines difficiles à gérer par les communautés locales tels que la poste, la construction du réseau routier, la lutte contre le banditisme. En échange de la reconnaissance qui leur est accordée, ils coopèrent avec le gouvernement local pour prolonger l'action de celui-ci, de façon aussi limitée que possible toutefois, dans les campagnes. Si cette coopération étend effectivement le pouvoir de l'administration, elle renforce encore plus cependant celui de l'institution lignagère qui a pour tâche d'accomplir, en l'absence de toute tutelle, une part importante de la mission assignée à l'administration. Les liens de parenté existants entre les notables du district, les responsables lignagers et les communautés locales expliquent l'aisance avec laquelle les lignages s'acquittent de certaines tâches tout autant que le détournement de nombreuses mesures officielles. Ces liens expliquent surtout qu'il soit très difficile, pour le gouvernement, de s'allier cette couche de notables et de responsables pour qu'elle l'aide à contrôler, par des moyens coercitifs si nécessaires, la population. Le peu de ressources possédées par l'administration et susceptibles éventuellement d'être distribuées à ces notables mais surtout la force des intérêts corporatistes liés aux structures de parenté ont empêché la création de coalitions associant représentants de l'administration et représentants lignagers. Si certains membres du

lignage, agissant au nom du gouvernement, s'efforcent de s'enrichir aux dépens des leurs, si le gouvernement essaie de choisir certains de ses agents parmi les membres des lignages les plus puissants afin que les groupes, les plus faibles soient enclins à obtempérer aux demandes de l'Etat, une coalition entre notables et représentants de l'administration, contre la population locale, n'existe pas à Taishan pendant la première moitié du XX siècle.

XI

L'affaiblissement du système lignager

La société locale se transforme de façon progressive pendant la première moitié du XX siècle, mais ces changements sont assez lents et limités jusqu'au début de la guerre contre le Japon. Si l'abolition du système des examens impériaux en 1905 a eu des répercussions importantes, la fin de l'Empire en 1911 ne modifie pas directement l'institution lignagère. La principale conséquence du renversement de la dynastie mandchoue est, selon les paysans, symbolisée par le fait que les hommes ont coupé leur longue natte, qu'ils habitent à Taishan ou qu'ils résident à l'étranger. Le développement du commerce et de l'émigration améliore au cours des années suivantes les conditions de vie locales et favorise le développement de l'institution lignagère, en lui apportant des ressources accrues. Les rapports existants entre le gouvernement et les lignages renforcent plutôt qu'ils ne diminuent le pouvoir de ces derniers. Par contre, la guerre contre le Japon qui éclate en juillet 1937 et s'achève en 1945, a des effets immédiats et dramatiques sur la vie des habitants de Taishan. Certains changements sont liées aux difficultés économiques. L'interruption pendant l'occupation de Hong Kong par les Japonais des mandats adressés par la communauté émigrée, la diminution des produits importés dont dépendent les paysans pour leur subsistance, l'augmentation générale du prix des denrées et enfin, le prélèvement de nouvelles ressources, en hommes et en nature, pour répondre à l'effort de guerre, bouleversent les modes de vie. Précarité, famines, culminent pendant les années 1943 et 1944, provoquant d'importants mouvements de

population : certains choisissent alors d'émigrer de façon provisoire ou définitive vers des régions plus épargnées, d'autres fuient Hong Kong pour revenir au village. Dans les communautés comme Ping'an où, jusque-là, peu de familles connaissaient un véritable dénuement et où l'argent des Chinois d'outre-mer favorisait l'entraide, les relations économiques et sociales deviennent beaucoup plus tendues, chaque famille défendant ses quelques biens pour assurer la survie des siens. Troubles locaux, conflits au sein des groupes de parenté, flux migratoires : l'état de guerre affaiblit la structure lignagère qui ne possède plus alors les moyens d'accomplir l'une de ses missions principales, soit la défense des communautés locales. Mais un autre phénomène contribue, au même moment, a ébranlé les bases de l'institution lignagère, et conjugue ses effets à ceux de la guerre : l'arrivée, en 1938, de la première génération d'habitants locaux, âgés de 20 ans, ayant fait ses études entièrement dans le cadre de la «nouvelle culture » diffusée après le 4 mai 1919. Ces jeunes paysans, qui ont été éduqués à l'aide de principes nouveaux, vont essayer de modifier l'institution lignagère, d'y apporter des réformes, ce qui va provoquer des divisions au sein des instances dirigeantes et renforcer l'affaiblissement du lignage, alors même que le pouvoir de celui-ci est plus difficile à exercer du fait de l'état de guerre. L'ascension de ces nouvelles générations est par contre favorisée par la guerre, qui introduit la nécessité d'un rapprochement entre le gouvernement et les communautés locales d'où la nécessité d'avoir recours aux membres du lignage instruits en langue vernaculaire, mais qui également oblige à confier aux jeunes paysans le soin de défendre les villages. Le déroulement simultané de ces deux événements : la guerre et les transformations idéologiques des jeunes instruits locaux, expliquent les changements instaurés, qui deviennent d'autant plus apparents une fois que la paix est revenue, en 1946. Ces changements expliquent l'expression, souvent employée par les habitants de Conglou pour décrire les années qui séparent la fin de la guerre de l'arrivée au pouvoir du Parti communiste : «C'était un autre monde !». Le 7juillet 1937, un incident éclate près du pont Marco Polo, au sud-ouest de Pékin, entre soldats japonais et chinois. Chiang Kai-shek décide de montrer sa détermination face à l'ennemi en envoyant des troupes dans la province du Hebei, alors qu'il avait adoptée une position beaucoup plus conciliante depuis l'invasion de

la Mandchourie par les Japonais en 1931. Très vite, Pékin et Tianjin tombent aux mains des envahisseurs. Après avoir remporté de nombreuses batailles, et malgré certaines victoires chinoises, les Japonais progressent et font la conquête de Canton le 21 octobre 1938. Dix jours plus tard, un cinquième des trente millions d'habitants de la province, soit 6 millions de personnes environ, vivent sur un territoire occupé par l'ennemi. En décembre 1941, et pour une longue période de trois ans et huit mois, celui-ci occupe également Hong Kong, territoire fondamental pour l'économie cantonaise. Il faudra attendre ensuite les grandes offensives japonaises de 1944 pour que l'espace contrôlé par les soldats japonais s'étende de façon considérable dans la province du Guangdong. L'aviation japonaise attaque pour la première fois Taishan le 30 septembre 1937, deux avions survolant le chef-lieu du district, Taicheng. Un mois plus tard, 53 appareils japonais bombardent plusieurs marchés et villages, dont deux villages de Conglou, faisant 19 morts, 26 blessés, et détruisant 41 habitations et commerces. Le 3 mars 1941, quelque 700 soldats japonais débarquent près du port de Guanghai et, appuyés par l'aviation, parviennent à s'enfoncer vers le nord et, passant par Conglou, occupent provisoirement Taicheng. Le 20 septembre, de nouvelles troupes japonaises débarquent à Taishan. Parvenues à Taicheng deux jours plus tard, elles en sont refoulées le 28 septembre. Le 10 octobre 1943, une nouvelle attaque contre Taicheng se solde par un nouvel échec. Bombardements, affrontements entre soldats japonais et chinois autour des principaux marchés du district ou sur la mer ponctuent ces années Il faut attendre cependant les années 1944 et 1945 pour que les confrontations se multiplient, l'armée japonaise cherchant alors à contrôler une plus large part du district. Le 15 août 1945, cette dernière capitule. Dès le début des conflits, et surtout dès l'arrivée des soldats japonais à Canton, l'activité des marchés de Taishan diminue. L'état de guerre et l'occupation de Canton entraînent une forte diminution des produits importés. Or la production locale de riz, pour ne parler que d'une seule denrée importante, ne permet pas de subvenir aux besoins de toute la population et pendant les années d'avant guerre, plusieurs wagons de riz étranger parviennent 1. Oncompte ainsi sept incidents importants en 1938, sept également en 1939, cinq en1940,deuxen1941,sixen1942(Taishanxienzhi(1992),p. 224).

chaque jour à Taicheng. Certaines marchandises viennent ainsi à manquer, et le transport de celles qui peuvent être acheminées en provenance de districts voisins est long et difficile. Les bombardements japonais sur les voies ferrées et les locomotives, mais aussi la destruction, par la population et sur ordre des cantons, d'une grande partie du réseau routier en vue d'arrêter l'avancée japonaise implique bien souvent l'usage de la palanche comme moyen de transport. Le prix du riz augmente régulièrement, et il atteint de telles sommes au début de l'année 1940 que des personnalités travaillant à Shaoguan, à l'extrême nord de la province du Guangdong, et originaires de la région dite des «quatre districts » qui englobe Taishan, Zhongshan, Kaiping et Enping, créent l'« Association de transport et de distribution de riz des Quatre districts ». Elles organisent des collectes, achètent du riz au Hunan et le vendent à bas prix dans ces districts défavorisés. On retrouve parmi les quinze membres du comité d'organisation de cette association, Mai Zhongheng, chef de la troisième préfecture et l'un des membres les plus éminents du lignage Mai Le gouvernement provincial accorde alors des allocations de secours et des prêts à taux privilégié au district pour faciliter l'achat et la distribution de riz, des mesures sont prises sur le papier pour lutter contre les spéculateurs, des accords sont passés entre districts de la province pour que les régions où se posent des problèmes alimentaires puissent acheter des grains à des prix inférieurs à ceux du marché Mais le riz continue à faire défaut à Taishan où le manque de terre allié au faible prix de vente du riz cultivé sur place avaient contribué à diminuer la production locale. Une catastrophe naturelle, sous la forme d'une sécheresse d'une ampleur inconnue depuis longtemps, diminue encore en 1943 et 1944 une production déjà insuffisante. Des printemps et des étés sans eau succèdent à des hivers très rigoureux pendant lesquels les patates douces gèlent. Enfin, l'inflation qui s'est emparée de l'éco1. Taishan Huaqiao zazhi (Revue des Chinois d'outre-mer de Taishan), Taicheng, mai1948,13,68p., p. 13. Alorsqu'au débutdel'année 1940, unyuan permetd'acheterunjin et deuxliangou oncesderiz demoindrequalité, soit 670gderizenviron, cetteassociationvend5jin deriz, soitprèsde3kg,auxpaysanspourlamêmesomme.Maislesquantitéstransportéessontfaibl esparrapportauxbesoins,etcerizestsurtoutmisenventeàTaicheng,lacapitaledudistrict. 2. Lasituationestparticulièrement difficilepourlesdétenusdes89prisonsquecompte alorsla provinceduGuangdong,etlegouvernementdécideaudébutdel'annéedeconsacrer àl'alimentationdechacun6centimesdeplusparjour, cequi,selonlesprixofficiels, porterait leurrationquotidiennederiz àmoinsde200g.

nomie chinoise accroît les difficultés matérielles. Rappelons que l'indice national qui était de 1 entre janvier et juin 1937, passe à 5,1 en 1940, à 39 en 1942, à 432 en 1944 et à 1632 en 1945 De terribles famines s'ensuivent. Malgré de nombreuses difficultés dues à la présence japonaise dans le Guangdong, les mandats adressés de l'étranger et acheminés par Hong Kong parviennent à leurs destinataires jusqu'à la fin de l'année 1941, même s'il faut ensuite les réexpédier dans ce territoire contrôlé par les Anglais pour les échanger contre de l'argent liquide. La poste continue à fonctionner, vaille que vaille, permettant ainsi à l'économie domestique, si tributaire des contributions émigrées, de ne pas sombrer dans un premier temps. Mais à partir de décembre 1941, les mandats ne parviennent plus à Conglou et la situation empire. Non seulement le riz et autres produits alimentaires sont rares, mais l'argent qui permettait de les acheter fait défaut. L'interruption de cette source de financement extérieure que représentaient les mandats des Chinois d'outre-mer met à nu la fragilité économique des paysans de Taishan: les foyers sont soudain démunis des ces petites sommes d'argent qui leur permettaient de compléter le faible revenu local. Si les ressources domestiques diminuent alors de façon considérable, les prélèvements augmentent pour faire face aux besoins de l'armée en hommes et en argent. Le soutien des paysans aux différentes troupes de défense est parfois sollicité au cours de réunions publiques organisées par les directeurs d'école, les responsables de l'administration de la préfecture ou les présidents de Chambres de commerce, qui doivent encourager chacun à participer, selon ses moyens, à l'effort de guerre. Mais ce soutien est en d'autres circonstances imposé, lorsqu'il s'agit par exemple de financer les groupes d'autodéfense du canton ou du district. Dans ce dernier cas, et pour des raisons d'efficacité car le temps presse, les responsables lignagers sont souvent invités par l'administration à utiliser les terres collectives pour verser les contributions de tous. Libre à eux de se tourner ensuite s'ils le désirent vers les foyers pour réclamer les somme dues Des hommes du lignage Mai sont enrôlés comme conscrits dans l'armée, privant de nombreuses familles de moyens 1. Chiffres cités par L. Bianco, La Chine dans la guerre (1937-1945), La Chine au XX'siècle. Du' nerévolutionàl'autre, Paris, Fayard, 1989,p. 193. 2. TaishanHuaqiaozazhi, p. 17.

de défense et de main-d'œuvre. Seuls les fils des familles les plus pauvres s'y rendent effectivement : les autres achètent les services d'un homme qui ira se battre à leur place, à moins qu'il ne parvienne à s'enfuir en cours de route. En 1940, pour répondre aux dépenses militaires du district, le gouvernement de Taishan décide que même les membres de certaines catégories de la population, jusque-là non exemptées, peuvent reculer leur départ à l'armée moyennant le paiement d'une certaine somme. C'est ainsi qu'il est accordé aux commerçants du district le droit de verser 100 yuan pour que leur nom soit retiré pendant un an de la liste des appelés éventuels. Le quota de commerçants bénéficiant de ce privilège ne peut cependant pas excéder le chiffre de 20%des membres de l'ensemble de la profession... Les mouvements de population se multiplient ; les familles éclatent. De nombreux villages se vident de leurs habitants, lesquels partent pour Hong Kong avant 1941, ou se rendent, plus tard, à Macau, au Yunnan, ou dans d'autres régions plus épargnées de la province du Guangdong. Certaines femmes d'émigrés dirigent alors leurs pas vers le district de Yangjiang et y créent de nouveaux foyers. Le baozhang qui s'occupe de la branche Sui Weirecense huit maisons vides sur dix à Zhuhu pendant que la famine bat son plein. Plus jamais, aux dires des paysans de Ping'an, ce gros village ne retrouvera son animation antérieure dont les bruits parvenaient autrefois jusqu'à eux. Une bouillie à base de feuilles de haricots, de patate douce ou de citrouille remplace le riz pour les moins défavorisés. Les divisions familiales se multiplient pendant les années 1942-1943, chacun s'efforçant ainsi d'assurer sa survie. Parfois, ces divisions sacrifient les membres les plus âgés du groupe: deux paysans de Ping'an se séparent de leur mère, dont ils sont les fils uniques, et font l'objet simplement de critiques de la part des fuxiong qui tentent en vain de les faire revenir en arrière car une telle décision signifie, à plus ou moins long terme, la mort de ces paysannes privées de tout moyende subsistance. Unhommechoisit de ne plus prendre ses repas avec son épouse et ses enfants et de manger de son côté malgré l'hostilité que leur vaut un tel comportement, si éloigné des normes en vigueur. La faim, mais aussi le choléra, déciment certaines familles. 1. TaishanHuaqiaozazhi,5mai1940,p.8et9.

APing'an, les premiers à souffrir de l'état de guerre sont bien sûr les plus pauvres, ceux qui ne possèdent que peu ou pas du tout de terres et qui n'ont aucun lien avec l'étranger. Leur situation est aggravée par la décision des foyers dits de Chinois d'outre-mer, qui vivent en grande partie de l'argent adressé par des parents émigrés, de reprendre une partie des champs qu'ils louaient jusqu'alors. Si l'argent qui circule à Ping'an plus facilement que dans des communautés voisines ou les quelques biens possédés ici et là favorisent jusqu'en 1941 le maintien de l'entraide envers les plus démunis, les conditions de vie de ces derniers se détériorent par contre très vite après l'occupation de Hong Kong. La faible production de riz de chacun une fois épuisée, personne n'est en mesure de leur porter secours. Le gouvernement cantonal organise à deux reprises avec l'aide des responsables locaux une distribution de bouillie de riz, grâce au soutien du «Comité de secours et de lutte contre la famine du district de Taishan» et de commerçants de Conglou. Peu de temps avant que la famine ne commence à sévir, le canton remet également aux baozhang une certaine quantité à partager entre ceux qu'ils administrent, à raison d'un kilo de riz environ par personne. Mais la portée de ces initiatives demeure limitée. L'espace de l'entraide se réduit alors aux parents les plus proches, espace régi par les obligations les plus strictes, alors que sont par exemple abandonnées à leur sort les familles doublement marginalisées par leur grande pauvreté et par le comportement, jugé répréhensible, adopté par leurs membres. «Auvilage, pendantla famine,chezHongfuet Ilugui. il yaeubeaucoupdemorts. Toutlemonden'avait rien. Ceuxquiavaientencorequelquechoseaidaientleursprochesparents.MaisHongfuetHuguin'avaientpersonnepourlesaider. Etauniveaudu vilage,personnen'avaitvraimentenviedetout fairepoureux.Ils nesecomportaient pasbien,ilsfumaientdelo' pium,etentretenaient demauvaisesrotationsavectout le monde.Cesgens-là,danscesmoments-là,ilsnepeuventquemourir..» L'argent prêté hier est aujourd'hui réclamé, les terres louées sont reprises, les familles ne survivant que grâce au soutien manifesté par les membres du même segment lignager déclinent. Des tensions et des conflits s'expriment alors entre les foyers d'un même segment lignager, qui ne s'apaiseront pas une fois la paix revenue, affaiblissant les mécanismes de solidarité au sein des fang et, par voie de conséquence, le pouvoir de ces derniers. 1. ChenLuanqin,HongKong,septembre1986,Q970.

Outre les familles ne possédant que très peu de terres, une autre catégorie sociale connaît une situation parfois dramatique pendant ces longs mois que dure l'occupation de Hong Kong. Elle est composée de ces familles de Chinois d'outre-mer qui vivaient des contributions adressées de l'étranger tout en possédant peu de terres, qu'elles louaient en grande partie. Ces foyers, membres jusqu'ici de l'élite économique villageoise, se retrouvent soudain privés de toutes ressources, surtout s'ils ont choisi l'exemple de la Quatrième Tante, l'une des paysannes les plus riches de Ping'an, et prêté leur argent avec intérêt. Or, à partir de 1941, nul n'est en mesure de rembourser ses dettes. Plusieurs femmes du lignage Mai dont l'époux travaille à l'étranger quittent alors Taishan pour le district de Yangjiang où elles vivent avec de nouveaux compagnons. Quelques-unes d'entre elles réapparaissent au village dès la victoire contre le Japon et y retrouvent leurs maris, revenus de la Montagne d'or. La situation économique des familles est aussi aggravée parfois par le retour de ceux qui, partis vivre ou travailler à Hong Kong, reviennent chercher entraide et sécurité parmi les leurs. En 1944, le riz mais aussi l'eau sont devenus des denrées rares à Hong Kong et la vie devient très difficile. A Conglou, l'unique ressource des paysans et surtout des paysannes du lignage Mai, qui sont très nombreuses à gagner ainsi quelques sous, est de transporter en palanche les produits des commerçants de Taicheng, de Conglou, de Doushan ou d'ailleurs. Les femmes partent le matin avant l'aube, et reviennent tard le soir, mais ce travail pénible leur rapporte peu. Vendre les bijoux ou les vêtements anciens possédés et transporter les marchandises des commerçants en allant de bourg en bourg la palanche à l'épaule : tels sont alors les seuls moyens de se procurer un peu d'argent. De même que parmi ces femmes qui partent ainsi chaque jour sur les routes, il y a celles qui le font pour permettre aux siens de survivre et celles qui le font en prévision d'une guerre longue, les familles de Ping'an vivent différemment ces mois qui s'écoulent entre décembre 1941 et la fin de la guerre. Aux deux familles déjà évoquées dont plusieurs membres meurent de faim, s'opposent les quelques familles de Ping'an dont le riz, même s'il est préparé en brouet, continue à assurer l'essentiel de l'alimentation, et qui parviennent même à acheter des terres alors que la famine bat son plein. Parmi ces dernières, on retrouve Wu Bingzi qui tire fierté, aujourd'hui encore, d'avoir su protéger les siens. Ce sont différentes conceptions de la gestion des ressources

domestiques qui s'opposent ici, l'une s'efforçant de maximiser le revenu monétaire, et l'autre privilégiant la sécurité en matière de consommation annuelle. C'est évidemment la prudence qui est récompensée en ces temps de famine. Alors que d'autres familles, parfois même plus aisées que celles de Mai Jieshi, choisissent pendant les années précédant la guerre de se lancer dans de nombreux prêts d'argent et de vendre une partie de la production de riz quand les prix montent, quitte à acheter ensuite des grains pour la consommation domestique avec l'argent envoyé de l'étranger, Wu Bingzi agit chaque année en prévision d'une éventuelle famine. Une fois connue la quantité de grains et de patates douces produite par les terres familiales, elle calcule la quantité de riz et de patates douces nécessaire pour la consommation annuelle familiale, et achète le complément alors que le prix du riz est au plus bas, soit juste après les récoltes. Enfin, elle n'ouvre les cordons de la bourse que pour les frais liés à la scolarité de ses fils et se refuse à toute autre dépense. «Il n'y aquequelquesfamilesàPing'an qui n'ont passouffert dela faim. Nous,nous n'avonspassouffert dela faim. C'est danscesmoments-làquel'on reconnaît ceuxqui savent diriger une famile. L'important, ce n'est pas d'avoir beaucoup d'argent à un momentouunautre, maisc'est denejamaisavoirdeproblèmes.»' Elle vend quelques vêtements anciens pour acheter du sel, de l'huile, ou des crevettes séchées, et vend même ses bijoux pour acheter environ quatre mu de terres appartenant à des villages voisins. Elle les achète à très bas prix, puisqu'elle verse l'équivalent de la production annuelle de riz de ces terres nouvellement acquises. Mai Leguan fait également alors l'acquisition de plusieurs mu. Mais de tels exemples sont rares, et la population de nombreux villages est alors décimée. Si nous ne possédons pas de chiffres exacts pour Conglou, nous en possédons quelques-uns pour les villages de marchés voisins : 78 personnes du village de Yingru qui en possédait 177 en 1941, meurent ou quittent le village en 1942 et 1943; dans le hameau de Jinlong, qui comptait 26 foyers dont 8 ayant des parents à l'étranger, 16 personnes meurent de faim pendant ces deux mêmes années. Au total, plus de 160000 personnes perdent la vie dans le district au cours de ces années 1942, 1943 et 1944 1. WuBingzi, NewYork,avril 1985,0 869. 2. TaishanHuaqiaoxienzhi, p. 244.

Cette situation économique affaiblit les structures lignagères. D'une part, rares sont les segments lignagers et les lignages qui peuvent venir en aide à leurs membres : les terres collectives sont trop peu étendues pour que le produit de leur vente, distribué entre tous les hommes adultes, soulage la misère des uns et des autres. Les responsables de Renzhang estiment ainsi inutile de vendre une partie des dix mu possédés, et ceux de Renshi suivent le même raisonnement. Seul le temple lignager Xueshi, dont la propriété foncière est plus étendue, vend plus d'une dizaine de mu. A Zhuhu, les membres du segment lignager Xiunan vendent une trentaine de mu aux habitants du hameau de Lanshi, près de Ping'an, alors qu'ils avaient déjà vendu une bonne partie des terres pour réparer le temple au milieu des années trente. Cette impuissance sur le plan économique se double d'une impuissance sur le plan moral : l'extrême précarité des familles les amène parfois à adopter des stratégies contraires aux principes en vigueur mais les fuxiong ne réagissent pas comme ils l'auraient fait en temps ordinaire. Certains paysans vendent leur fille, d'autres adoptent un fonctionnement familial entraînant la mort, pour cause de malnutrition, de personnes âgées. La situation apparaît cependant exceptionnelle, liée à des problèmes de survie, et difficile à apprécier à l'aune des règles traditionnelles. Le recours aux pratiques de rééducation de certains membres, ou l'attribution de sanctions officielles, diminuent. L'intervention des responsables lignagers dans les affaires familiales décroît. Ces derniers assistent ainsi à la simplification de nombreux rites, et prennent eux-mêmes l'initiative de diminuer certains échanges sociaux entraînant des dépenses économiques. Les nombreux mouvements de population accroissent enfin leurs difficultés à contrôler la population locale, comme le fait que l'administration locale, moins présente qu'avant-guerre, et ayant d'autres soucis, ne peut appuyer l'action des fuxiong autant que par le passé. L'assemblée consultative du district, qui regroupe des personnalités du district, toutes membres de lignages locaux et prenant souvent la parole en leur faveur, cesse de se réunir pendant la guerre. Mais si la guerre diminue le pouvoir des instances dirigeantes au sein du lignage, c'est aussi parce qu'il est soudain nécessaire de prendre appui sur les plus jeunes pour qu'ils prennent les armes et défendent les unités territoriales. Le pouvoir des membres des jeunes générations se développe ainsi avec la nécessité d'avoir recours à des moyens militaires. La dissuasion prend alors le pas sur

la persuasion et édifie, à côté des fuxiong, un autre groupe tirant autorité des services rendus à la communauté. La mobilisation face à l'ennemi a donné lieu en effet à l'apparition de toutes sortes de troupes, tirant leur légitimité d'institutions diverses. Au niveau villageois, les armes individuelles et collectives sont très vite confiées aux gengfu et aux jeunes paysans pour protéger la communauté des exactions des bandits qui font leur apparition dès le début des conflits. Il ne s'agit plus des «bandits de montagne » qui sévissaient au cours des années vingt, s'emparant d'hommes et de femmes et les rendant à leur famille en échange du versement d'une rançon. Plus personne n'est d'ailleurs en mesure de payer ces dernières. Ces nouveaux bandits sont en fait les paysans armés pour défendre leur village, et qui vont, la nuit de préférence, piller une ou deux maisons dans un autre village de la région ou s'emparer de marchandises de contrebande. De tels groupes existent dans toute la région et chez les Mai notamment : on en trouve à Zhuhu, mais aussi à Ping'an où quelques habitants rejoignent des hommes armés de Guandou. Lorsque la guerre éclate, le conseil lignager des Mai confie par exemple aux membres de l'équipe chargée de la sécurité la plupart des armes collectives : deux mitraillettes américaines, des revolvers, et une des deux mitrailleuses légères, l'autre étant remise aux responsables de Ping'an. Quelques mois plus tard, certains gengfu ne se contentent plus de défendre le village contre d'éventuels agresseurs : ils organisent de temps à autre des raids contre des communautés situées au pied des montagnes, à quelques kilomètres. Le bruit des mitraillettes américaines, que les Mai sont les seuls à posséder dans la région dévoile aussitôt leur identité, et les plaintes affluent. Aussi le conseil lignager décide-t-il de confier jusqu'à la fin de la guerre ces armes importées de l'étranger aux responsables de Ping'an. Les membres de Zhuhu à l'origine de ces agressions n'interrompent pas pour autant leurs activités nocturnes, tolérées par les fuxiong. «Pendant la guerre contrele Japon, les membres desjeunes générations n'avaient pas trop peur desfuxiong, mais lesfuxiong avaient un peu peur d'eux. La guerre a été commeunbaptême,àlafois pourlesjeunesduvillage quiavaient fait desétudeset qui ont commencéalors àprendrela parole, et pour les autresjeunes paysans qui ont alors reçu des armes. En plus il y avait la famine, des désordres partout, des bandits dans tous lesvillages voisins, alorslesfuxiongfermaientlesyeux, dumomentquecesjeunes "nés après" nes'enprenaient pas auxmembresduvillage oudulignage... » 1. MaiJieshi, NewYork, mars 1985,A86.

Une fois encore, le pouvoir des responsables lignagers est diminué par la situation exceptionnelle entraînée par l'état de guerre. Le pouvoir militaire apparaît alors au moins aussi important, si ce n'est plus décisif, que le pouvoir civil. S'il est dans l'intérêt du groupe, en cette période de repli sur soi et de défense, de ne pas susciter la rancune et l'hostilité de ces hommes chargés de la protection locale, la sanction est terrible, on l'a vu, pour ceux qui menacent la sécurité de tous en favorisant la pénétration de bandits venus de l'extérieur. Deux hommes seront exécutés, l'un à Ping'an et l'autre à Zhuhu, pour un tel délit. Plus que jamais sont combattus ceux qui mettent en péril l'unité villageoise. En cette période troublée, les tensions s'aggravent alors entre communautés car même si les gengfu reçoivent une rétribution plus importante qu'en temps de paix, ils courent le risque de voir se multiplier les vols et par voie de conséquence, les dédommagements à verser aux familles si les coupables ne sont pas arrêtés. Aussi, par mesure d'intimidation, infligent-ils de lourdes sanctions aux paysans pris sur le fait, quelle que soit la valeur du bien dérobé. Mais la mobilisation locale ne se limite pas à armer les gengfu. Outre la recherche des conscrits enrôlés dans les armées gouvernementales, les chefs de canton, secondés par les responsables de bao, organisent alors des groupes dits « d'adultes valides (ou bons pour le service)» (zhllangding dui), qui portent le même nom que les conscrits mais qui sont en fait des groupes locaux, en théorie non armés, et des « groupes d'autodéfense » ou ziweidui. Ces groupes d'« adultes valides » sont constitués avant tout des gengfu auxquelles se joignent d'autres hommes et femmes de chaque village. Le gouvernement du district envoie des cadres chargés de superviser un entraînement militaire très rudimentaire et de former ceux qui formeront à leur tour les paysans. Si tous connaissent en général le maniement des armes, on leur enseigne différentes façons de marcher ainsi que des chants de lutte. Le canton remet à chacun un chapeau paysan à forme conique portant le nom de la localité dont il dépend, soit « canton des quatre bao » pour le canton auquel appartiennent les habitants de Ping'an au début de la guerre. Des réunions se tiennent régulièrement à Conglou. Des fuxiong, des notables locaux et des directeurs d'école prennent la parole tour à tour devant les paysans, les informant de l'évolution de la situation et les exhortant à la résistance. Puis les « adultes bons pour le ser-

vice » de chaque village défilent, arme à l'épaule, dans les deux rues principales du bourg. Les premiers mois de la guerre, avant que les conditions économiques ne s'aggravent, semblent avoir été vécus dans une certaine euphorie, et ces activités qui rompent avec la routine habituelle suscitent un certain amusement. Ces défilés sont surtout l'occasion d'exhiber la richesse de chaque village en hommes et en armes. Si les «adultes valides » sont en fait des paysans et demeurent liés à un village ou à un lignage particulier, un véritable groupe armé dit «groupe d'autodéfense » est établi à Conglou à deux reprises pendant la guerre, avant l'arrivée des Japonais à Taicheng. Il est composé de soixante-dix hommes environ, issus des différents bao. C'est ainsi que le bao de Sui An doit fournir quatre hommes armés, dont les dépenses quotidiennes sont à la charge des membres de cette unité administrative. Ce groupe d'autodéfense, encadré par un militaire venu de Taicheng, a comme principal objectif, outre la défense vis-à-vis de l'ennemi, le maintien de l'ordre local. Ses membres sont souvent postés dans les zones où la présence de nombreux bandits rend la circulation dangereuse. Mais ce groupe, de taille très limitée, disparaît une première fois peu après sa création, puis une deuxième fois lorsque les Japonais prennent véritablement pied dans le district, en septembre 1944. Les forces sont trop disproportionnées. Cet épisode confirme, si besoin est, qu'il s'agit bien là de troupes chargées de contribuer à la sécurité locale, répondant à une volonté défensive et non pas destinées à entreprendre des actions de résistance contre l'ennemi. La même remarque s'applique aux « troupes d'autodéfense de Taishan », chargées du maintien de l'ordre et surtout de la lutte contre le banditisme au niveau du district. Certains lignages enfin arment aussi leurs membres et prennent le nom de «groupe d'autodéfense », mais il s'agit là d'initiatives privées, échappant au contrôle de l'administration. Entre les groupes locaux d'autodéfense et l'armée régulière qui prélève chaque année son lot de conscrits existent toutes sortes de troupes ralliées à des bannières très diverses. C'est ainsi que certains Mai rejoignent les troupes armées de la troisième préfecture, laquelle administre la population de Conglou comme celle de deux autres bourgs, et contrôle ainsi l'ensemble des villages du lignage Mai de Zhuhu mais aussi ceux du lignage Mai de Xincun. Ces troupes sont placées sous la direction de Zhao Bing, l'un des pre-

miers membres clandestins du Parti communiste de cette troisième préfecture. Zhao Bing, né en 1915, originaire d'un village de la région de Conglou, diplômé de l'Ecole normale de Taicheng, rejoint dès les débuts de la guerre Zhao Qixiu, chef du bataillon de Zhongshan chargé de mener des opérations de guérilla (Zhongshan youji daduizhang). Il semble en fait que ces troupes aient simplement été reconnues par le gouvernement du district de Zhongshan: elles doivent se fournir elles-mêmes en hommes, en armes, et en argent. Elles possèdent néanmoins un caractère officiel et ne peuvent être considérées comme des troupes privées. Zhao Bing obtient donc de Zhao Qixiu le droit de créer le premier bataillon, lequel jouit d'une large autonomie par rapport au régiment dont il se réclame Zhao Bing et ses hommes se déploient alors sur le territoire des Zhao, qui se calcule en milliers d'hectares, à la frontière des districts de Xinhui, Zhongshan et Taishan. Dès le début de la guerre, Zhao Bing inaugure un cours de formation militaire et politique grâce auquel il recrute les membres de son bataillon. Son engagement politique n'est pas connu de tous, ni le véritable objet de son enseignement: grossir les rangs du Parti communiste. Pourtant, il contacte à Conglou, par l'intermédiaire de certains amis, des hommes susceptibles de prêter une oreille sympathique aux idées communistes et d'amener avec eux, grâce à la position qu'ils occupent au sein de leur village, des hommes et des armes. C'est ainsi que Mai Jieshi par exemple est encouragé par deux hommes de Guandou, tous deux membres du Parti, à rejoindre Zhao Bing. «Alé' poque, Huangru et Linteng étaient membresduParti communiste. Ils enseignaientdansdesvilagesvoisins,etrevenaientàGuandouchaquesamedi.Surlechemin,ilspassaientparchezmoi.Onaimaitbiendiscuterensembledechosesetd'autres, ons'entendaitbien.Ilsvoulaientmeconvaincred'allerretrouverZhaoBing.J'étaistrès tenté. Il n'y avaitpasd'avenirpourmoiauvilage,j'avais fait unpeud'études,jene meconsidéraispluscommeunpaysanmaisje nevoyaispasquoifaire endehorsde cultiverlesterresfamiliales.RejoindreZhaoBing,c'étaitlo' ccasiondefaireautrechose, dechangerd'horizon.» Le petit-fils de Mai Leguan s'apprête à partir quand il prend conseil auprès de Gengwen, un membre dufang Renshi, très proche de lui sur le plan de la génération comme des idées. Gengwen lui déconseille de suivre cette voie pour ne pas compromettre, par une offiiet ciedledeseZlihvarer oQaivxeiucasuesgtroouuvpeernseàmdeenstaenctepsladceebnaenle'dm êceh.epasdecol1. aLveecsole'untiennem laborer itispm 2. MaiJieshi,NewYork,septembre1948,J639.

décision individuelle, l'avenir de sa famille et celui de tout le village si jamais les sympathisants du Parti communiste venaient à être défaits, et Mai Jieshi se range à son avis, fidèle en cela au principe qui veut qu'un bon fuxiong ne prenne pas de décision qui puisse être néfaste au groupe. Un tel comportement, alors que la défaite du Parti nationaliste n'est pas encore acquise et que celui-ci continue à incarner, aux yeux des paysans, le gouvernement légitime, explique en partie la position attentiste d'hommes qui prêtent autrement une oreille favorable aux idées communistes. Ce sera l'un des nombreux rendez-vous manqués entre les Mai et le Parti communiste, puisque ce dernier ne compte à Conglou aucun Mai parmi les siens lorsqu'il prend le pouvoir en 1949'. La guerre a débuté depuis plusieurs années quand Mai Zhongheng, chef de la troisième préfecture de Taishan, demande à Zhao Bing de venir mettre sur pied le premier régiment de guérilla de cette unité administrative. Lorsque Zhao Bing quitte Zhongshan et arrive avec ses hommes, qui forment le premier bataillon de ce régiment, Mai Pu, un ancien camarade de Zhao Bing de l'école secondaire, lui demande d'accorder aux Mai l'autorisation de créer le deuxième bataillon. Mai Pu sait-il que Zhao Bing est membre du Parti communiste ? Si rien ne permet de l'affirmer, un fait est certain : en se plaçant sous la tutelle de Zhao Bing, les Mai n'accomplissent pas véritablement un geste politique. Ils se saisissent de cette opportunité pour s'affirmer vis-à-vis des membres du lignage Li, et seule une minorité d'entre eux connaît alors la véritable identité de Zhao Bing. Les Mai du lignage de Xincun, auquel appartient Mai, sont en effet en difficulté : les membres du lignage Li, qui partagent le même territoire qu'eux et avec lesquels les rixes et les conflits sont incessants, ont constitué un bataillon qu'ils sont parvenus à placer sous la direction du commandement militaire de Guangyang. En d'autres termes, ils se battent sous bannière gouvernementale et peuvent tôt ou tard imposer certaines décisions aux Mai qui représentent une force privée. En se constituant en un bataillon officiel au sein des troupes menées par Zhao Bing, les Mai se retrouvent par contre sur un pied d'égalité avec les Li. Plus 1. Les groupes de combattants communistes se développent pourtant au cours de la guerre, même si leur nombre demeure limité. Il passe en effet de quelques douzaines d hommes en 1937 pour toute la province du Guangdong à 10 ou 12 000 soldats en 1945, largement concentrés cependant dans une même région, celle de Dongjiang.

d'une dizaine d'habitants de Ping'an forment ainsi une équipe au sein de ce bataillon Mai, dont le commandement est d'ailleurs confié à l'un des leurs, Mai Riwen. Les hommes de Ping'an apportent également des armes qui appartiennent parfois au conseil lignager de Zhuhu. Les Chen de Liu Cun forment le troisième bataillon, divisé en équipes regroupant chacune les membres d'un même village. Si le premier bataillon, où les Zhao sont majoritaires, contient des membres de différents lignages, ces troupes armées qui se livrent à des opérations de guérilla épousent souvent les contours des lignages et des villages. L'adhésion de Chen Guowen, un jeune fuxiong à l'image de Mai Jieshi, ancien élève de l'école secondaire de Taicheng, revêt un autre caractère que celle des Mai: entré au Parti communiste en 1938 comme on le saura plus tard, il apporte des hommes et des armes. Chen Guowen deviendra le deuxième responsable du district de Taishan après l'arrivée au pouvoir du Parti communiste. Lorsque, plusieurs mois après la création de ces troupes, les responsables du lignage Chen découvrent l'engagement politique de Chen Guowen, ils reprennent aussitôt les armes lignagères qu'ils lui avaient confiées, mais des liens étroits étaient déjà établis entre certains membres du lignage et l'organisation communiste. Entre le bataillon des Mai et celui de Zhao Bing, les relations sont par contre très lâches, comme l'étaient autrefois celles qui liaient Zhao Bing à Zhao Qixiu, et chaque unité inférieure jouit d'une assez grande autonomie. L'entretien des hommes est assumé par le village dont ils sont originaires, et les armes ne sont pas mises en commun puis redistribuées : chaque groupe conserve celles qu'il a amenées. Au sein de ce régiment, seuls les hommes de Zhao Bing ont subi un véritable entraînement et sont motivés pour se battre. Il n'est donc pas surprenant que Zhao Bing place systématiquement les Mai à l'arrière, là où les risques d'affrontement sont moindres. Et, de fait, le deuxième bataillon, celui des Mai, n'aura jamais à se battre contre les Japonais, contrairement au premier bataillon qui participe à la libération de Taicheng. Les Mai, sur ordre de Zhao Bing, seront alors chargés de défendre Conglou. « Seuls les hommes de Zhao Bing se sont battus avec l'ennemi. C'étaient des communistes, ils poursuivaient un but politique. Nous aussi, nous avons fait de la résistance car nous avons formé notre bataillon pendant que les Japonais occupaient Taicheng, mais en réalité, nous n'avons jamais pensé nous battre contre les Japonais. On voulait surtout se protéger des Li. En tant que troupe régulière, il leur était facile de nous dénoncer comme bandits et de s'emparer de nos armes. Par contre, à partir du moment

oùnous aussi nous appartenions à une unité gouvernementale, si jamais ils avaient cherchéla bagarre, onseserait opposéàcette troupe officielle entant quetroupe officielle. C'était vraimentnotre principalsouci.» A peine auront-elles libéré Taicheng, que les troupes de Zhao Bing devront faire face aux attaques des troupes régulières du Guomindang L'ennemi, dont la présence est la cause de tant de bouleversements, a par contre peu de contacts physiques avec les membres du lignage Mai. Entre septembre 1942 et la fin de la guerre, les soldats japonais viennent à deux reprises jusqu'à Conglou où ils nomment même, lors de leur deuxième séjour, un membre du lignage Liang chef du canton de Congnan. Cet homme sert surtout d'intermédiaire entre l'occupant, qui réclame nourriture et argent, et les populations locales. Il assume ces fonctions pendant une période très brève. Aucun soldat ennemi ne foule le sol de Ping'an. Un petit groupe, stationné à Conglou, pénètre dans Lanshi, le hameau des fils de Qichang, et en repart après s'être efforcé en vain d'entrer dans certaines maisons. Ils sont nombreux cependant à faire une courte halte à Nanhekang, un village voisin, pendant une journée, à vivre à Tongxinzui pendant une dizaine de jours. Ping'an se vide alors de ses habitants, qui vont se réfugier dans un village plus éloigné de la route menant au bourg, à l'approche des troupes japonaises. Seuls demeurent les gengfu et quelques personnes âgées, les premiers ayant pour consigne de ne quitter la place que si l'ennemi manifeste son intention d'entrer dans Ping'an, et d'y retourner dès que tout danger est écarté afin de prévenir les risques de pillage. Malgré l'occupation du district de Taishan, assez tardive il est vrai, par les Japonais, les directives continuent à parvenir au canton, et c'est dans un contexte aussi troublé que le gouvernement 1. MaiSufa, Boston,avril 1992,Z1640. 2. Eneffet,enavril 1945,leshommesdeZhaoBingsontparmilespremiersàs'infiltrer dansTaichengd'oùilsprêterontmain-forteàceuxquilancerontl'offensivedel'extérieur. Le premierbataillonpoursuitensuitelabataillejusqu'au bourgdeGongyi,àle' xtrême-nord du district. Maisla politique deFrontuniétablie entre leParti nationalisteet le Parti communiste pourfairefaceàle' nnemi prendfin aumomentmêmeoùles Japonais quittent ledistrict deTaishan. Lepremierbataillon destroupesdela troisièmepréfecture vient toutjuste d'arriver àla frontière dudistrict quandle commandementmilitaire deGuangyangreçoit l'ordred'encercleretd'anéantirlestroupescommunistesdeZhaoBing.Cependant,quelques heuresavantl'attaque, cederniers'enfonceavecseshommesdanslesmontagnesdudistrict deHeshan,nonsansavoireuletempsd'envoyeràConglouunmessagerporteurd'unpapier sur lequel sont inscrits les mots: «Dispersez-vous immédiatement.» En tant qu'unité membredestroupesdeZhaoBing,lebataillondesMaiesteneffet accuséd'être placésous lesordresduParti communiste.ChaqueMairentre aussitôt danssonvilaged'origine.

s'efforce de mettre en place des réformes importantes dans le domaine de l'administration, de l'éducation, ou de la lutte contre les trafiquants et les fumeurs d'opium par exemple. Pour ce faire, le gouvernement s'appuie sur les chefs de bao et leurs adjoints, offrant aux jeunes paysans éduqués selon les principes de la nouvelle culture le moyen officiel de participer aux affaires locales, et de diminuer ainsi le pouvoir des responsables lignagers traditionnels. En 1924, l'école primaire de Zhuhu adopte l'enseignement et les manuels liés à la nouvelle culture. Elle est la première de tout le canton à se doter de ce système d'éducation. La génération qui débute sa scolarité en 1924, et qui ne connaît donc que les «nouveaux manuels », atteint justement l'âge de 20 ans en 1938. Les débuts de la guerre coïncident ainsi avec l'arrivée d'une nouvelle couche de paysans instruits. Ces derniers sont nombreux, plus instruits que les fuxiong en place, et surtout animés d'une volonté de réforme de l'institution lignagère, laquelle prend sa source, on l'a vu, dans les notions de science et de démocratie. «Juste avant le début de la guerre contre le Japon, cequi achangéauvillage, c'est que dans chaque segment lignager, il y avait un certain nombre de garçons ayant finileursétudessecondairesoupresque.Quandonfait detellesétudes,onpeutseconsidérer commecivilisé. Ils avaient dela culture, cequileur valait dela considération à Ping'an. Lesjeunesfuxiongétaientappuyéspartoutecettebandedediplômésdel'école secondaire.» L'essor de ce groupe de jeunes paysans instruits, influencés par la «nouvelle culture », est favorisé par la guerre : le gouvernement a besoin de certains d'entre eux pour occuper différents postes, souvent subalternes, au sein de l'administration. De plus, ils ont l'appui des jeunes paysans armés par la communauté pour défendre cette dernière, et dont le pouvoir ne cesse de se développer pendant les années 1937-1945. Leur action renforce parfois certains phénomènes encouragés par l'état de guerre. Ainsi, l'alliance et la coopération établies entre les jeunes paysans instruits des différents segments lignagers répond au désir de taire les clivages au sein d'un même groupe, de diminuer l'importance des raisonnements en termes de rapports de force, et d'augmenter l'indépendance des familles vis-à-vis du lignage. Certains d'entre eux prétendent être 1. MaiJieshi, NewYork,mai1985,E97.

parvenus à instaurer un nouveau lien, plus distant, entre les familles et le lignage. L'amélioration des relations entre fang pendant les années quarante et l'élargissement du nombre de ceux qui peuvent parler au nom du fang renforcent de fait le pouvoir des familles. Ces dernières, ayant moins besoin du segment lignager pour leur protection, acquièrent une plus grande autonomie. Les jeunes paysans instruits s'efforcent également, on l'a vu, d'introduire certaines réformes qui visent souvent à limiter le pouvoir du lignage, comme par exemple de supprimer le droit, jusqu'ici accordé au lignage, de prononcer la peine de mort. Un homme est pourtant exécuté par les gengfu au cours de cette période à Ping'an, en 1943. Quelques mois plus tard, le même problème se répète à Zhuhu et les baozhang essayent de s'opposer ouvertement aux décisions des fuxiong plus âgés mais c'est peine perdue. Le pouvoir est encore entre les mains de ceux qui plaident pour une application stricte des règles lignagères en vigueur. Un paysan de Zhuhu a en effet dérobé, en plein jour, les possessions d'une maison d'émigrés. Cette fois encore, les règlements prévoient la peine capitale. Tous lesfuxiong du lignage se réunissent au temple Huicheng pour signer l'ordre d'exécution mais quelques personnes s'y refusent : les deux baozhang ainsi que d'autres jeunes fuxiong de Zhuhu. «Nousavionsétudié aveclesnouveauxlivres, nospenséesn'étaient pasaussi féodales quecellesdesvieuxfuxiong. Pournous,dévaliser unemaisonenpleinjourneméritait paslapeinedemort.. Alorsnousavonsdemandéquel'affairesoitportéedevantledistrict pouryêtrejugéeet nousavonssignéunpapierencesens.»' Mais l'homme est emmené au poste de police du marché, et le chef du canton, sollicité discrètement par lesfuxiong les plus importants du lignage Mai, adresse au district une demande écrite l'autorisant à exécuter cet homme, alléguant un crime fictif puni, selon la loi, par la peine capitale. Le district donne son accord et l'homme est exécuté. Malgré cet échec, le conseil lignager subit quelques transformations à partir de la fin des années trente et agit effectivement de façon moins autoritaire ; l'arrivée des baozhang et de leurs adjoints favorise la participation aux réunions d'un plus grand nombre de jeunes membres du lignage. Au principe qui voulait que chaque grand fang villageois ait un ou deux représentants seulement, succède celui selon lequel plusieurs personnes peuvent parler au nom d'un même segment lignager. 1. MaiJieshi, NewYork,mars1985,A87.

«Ducoup,il yavait dela placepourlesplusjeunes. Ils pouvaientfaire entendreleurs voix, sanscompterlesjeunespaysansdeZhuhu,qui, étant surplace, venaientassister auxréunionsmêmes'ils nepouvaientpasencoreprendrelaparole. Audébutdesannées quarante, il aété décidé aussiqu'un procès-verbaldevait être rédigépour chaqueréunion. C'est Huansheng,ledirecteurdel'écoledeZhuhuet aussilesecrétaireducanton, quis'enchargeait. C'était unpeupluscivilisé. Onapprenaitlesméthodesquiexistaient à l'extérieur. Lesjeunesfuxiong ont également parfois obtenu le vote à mainlevée. Quelquefois tout le mondeétait d'accord sur leprincipe, personnen'avait d'objections àfaire, alors c'était bon.S'ils étaient nombreuxàfairedesobjections, onessayaitd'apporter deschangements. Quelquefois encore, onvotait. C'était unpeumieuxqu'auparavant, oùil n'y avait quelesfuxiongpuissants quiprenaientlaparole.»' Les changements économiques et sociaux liés à la guerre, mais également l'avènement de jeunes paysans instruits selon les principes de la «nouvelle culture » contribuent ainsi à ébranler les bases du système lignager, les effets de ces deux phénomènes se renforçant mutuellement. Le déclin économique, qui diminue les opportunités professionnelles des membres de cette nouvelle génération et met en échec leurs aspirations, accentue de plus leur mécontentement, et renforce leur volonté de changement. La polarisation de l'attitude de ces jeunes instruits, liée au manque de débouchés instaurés par la guerre, et ce pendant une longue période de huit ans, explique que certains d'entre eux se tourneront le moment venu vers le Parti communiste. A Conglou, les lignages au sein desquels les jeunes instruits sont parvenus à prendre la parole et à introduire certaines réformes, sont d'ailleurs ceux qui comptent le plus petit nombre de membres du Parti communiste. A l'inverse, les lignages dirigés jusqu'en 1949 par des fuxiong très autoritaires, s'étant refusés à toute montée au pouvoir de jeunes fuxiong influencés par la nouvelle culture, sont ceux qui comptent le plus grand nombre de ralliements à la nouvelle force politique représentée par les communistes. Les changements instaurés au sein du lignage, deviennent encore plus apparents une fois que la paix est rétablie. La mobilité nouvelle de la population, avec des mariages nombreux, des émigrés qui reviennent et d'autres qui partent pour la première fois, la nécessité pour les familles de définir des stratégies nouvelles pouvant s'adapter à une situation économique dominée par le provisoire et l'incertain placent ces années qui séparent la défaite du Japon de la victoire communiste sous le signe d'une transformation accélérée. Les normes évoluent et s'assouplissent, diminuant la pos1. MaiJieshi, NewYork,mai1985,E97.

sibilité d'une intervention rapide et autoritaire des fuxiong. Différents types de changements se conjuguent et contribuent à donner un visage nouveau à cette société de l'après-guerre. Depuis le début du siècle, les paysans de Conglou ont fait la preuve de leur capacité à introduire des changements au sein de l'organisation sociale existante. L'émigration, par exemple, a provoqué une remise en cause des règles gouvernant l'adoption et le travail des femmes. Les relations de pouvoir locales ont pesé sur le mode d'intervention étatique, de même qu'elles ont été modifiées en retour par ce dernier. Le développement du commerce a modifié les pratiques liées à l'héritage. Mais les bouleversements dus à la guerre et la volonté de changement exprimée par une partie de la population suscitent le sentiment, chez certains, que des leçons peuvent de moins en moins être tirées du passé. Prenons l'exemple des instances de pouvoir au sein du lignage Mai : le développement des liens individuels établis entre membres de lignages différents du fait de l'essor du commerce et de l'émigration, l'augmentation du nombre de paysans instruits pouvant acquérir une certaine autorité locale du fait de leur savoir et la montée des jeunes générations à la faveur de l'état de guerre modifient le pouvoir des responsables lignagers traditionnels pendant la guerre. Il sera difficile de revenir à la situation antérieure après la capitulation du Japon, d'autant qu'une autre guerre, celle opposant le Parti communiste au Parti nationaliste se déroule alors. A Zhuhu par exemple, depuis la disparition de Changfei au milieu des années trente, le lignage Mai n'est plus dominé par un seul homme. Si Mai Leguan et Mai Huansheng, lequel exerce les fonctions de secrétaire au canton, sont souvent considérés après 1945 comme les principaux responsables lignagers, plusieurs responsables discutent désormais ensemble des affaires internes aux lignages. Une dizaine de jeunes fuxiong ont pris place en effet au sein du conseil lignager pendant la guerre et continuent à y faire entendre leur voix après. Le prestige du lignage Mai décroît après 1945, si on le compare avec la situation prévalant avant 1938, comme celui des autres lignages importants de la région. Il n'est plus l'objet de certaines marques traditionnelles de déférence de la part des lignages voisins les plus faibles. Ni Mai Leguan ni Huansheng ne sont sollicités comme l'était Changfei ou même Leguan avant la guerre pour résoudre les litiges entre deux autres lignages. Il est vrai que même les lignages les plus puissants ont perdu nombre de leurs membres.

La plupart des jeunes paysans membres de «l'Association progressiste» de Liuru sont ainsi morts de faim ou ont émigré, et le pouvoir dissuasif de Zhuhu a fortement diminué. Ce village, beaucoup plus stratifié que Ping'an, a été également beaucoup plus décimé par la famine. L'autorité des responsables lignagers a diminué à l'extérieur comme à l'intérieur du lignage, et certaines conduites jugées répréhensibles, qui auraient suscité autrefois leur intervention immédiate, telles que l'adultère, sont maintenant sanctionnées par la société de façon informelle. De nombreuses pratiques ont été simplifiées ou supprimées, faute d'argent, pendant la guerre, et toutes ne retrouveront pas l'importance qu'elles avaient autrefois. Leur interruption momentanée semble parfois ne pas avoir entraîné de conséquences néfastes, d'où leur abandon définitif. Les jeunes instruits, qui considèrent certaines pratiques religieuses comme relevant de superstitions, encouragent leur recul. Pendant la guerre contre le Japon, l'une des grandes fêtes religieuses taoïstes pour laquelle les habitants de Ping'an se rendent à Jiangnanbei, est accomplie de façon irrégulière, et elle ne sera célébrée qu'une seule fois entre 1945 et 1949. Une autre fête importante, destinée à acquérir des mérites, et qui était organisée modestement tous les trois ans et de façon plus solennelle tous les neuf ans, cesse également pendant la guerre et est accomplie à une seule reprise après, pour fêter la victoire contre le Japon. Le gardien du temple appartenant à quatre lignages dont les Mai, quitte la région de Conglou faute de pouvoir y survivre, et il ne sera jamais remplacé. Le temple, à l'abandon, se dégrade peu à peu. Les fêtes dédiées à une divinité particulière et célébrant le jour de sa naissance deviennent plus rares, ainsi que la pratique de faire éclater des pétards lors des cérémonies religieuses. Les tablettes des ancêtres dans les temples et les divinités villageoises continuent à être honorées cependant le 1 et le 15 jour de chaque mois lunaire en brûlant de l'encens et en allumant une lampe à huile, même si l'huile est remplacée certains jours par de l'essence de térébenthine. Mais les offrandes sont de plus en plus maigres pendant la guerre, et un segment lignager de Ping'an est même obligé une année, faute de revenu, de réclamer une petite contribution à chacune des familles pour acheter deux livres de viande à présenter aux âmes des défunts lors de la cérémonie du culte des ancêtres du printemps. Le déroulement du mariage, marqué par l'introduction d'éléments nouveaux au cours de chacune

des décennies de la première moitié du XX siècle, subit de nouveaux changements, qui ne signale pas uniquement un déclin de l'autorité des fuxiong ou des pratiques religieuses, mais également l'instauration de nouveaux rapports au sein des familles. Au début de la guerre contre le Japon, les familles les plus progressistes autorisent par exemple le futur marié à se rendre dans le village de sa fiancée. De même, les jeunes mariés cessent alors de se présenter au temple de Dawangyeye et se contentent d'envoyer un parent y allumer de l'encens. Ils se rendent par contre dans tous les temples des ancêtres dont ils dépendent au sein de leur village. Dès 1945, d'autres possibilités apparaissent : les jeunes femmes peuvent parfois se rendre dans le village de leur futur époux, avant le mariage si cette dernière communauté se montre ouverte aux nouvelles façons de faire. De plus, le jeune couple se prosterne désormais dans un seul temple des ancêtres, le plus proche dans la généalogie. Les chants, très importants à Taishan qui ponctuaient de nombreux moments de la vie et contenaient également un enseignement moral, tombent dans l'oubli faute d'avoir continué à être enseignés pendant la guerre. Aucune des jeunes mariées qui arrive à Ping'an entre 1945 et 1949 ne les connaît, contrairement à la plupart de celles qui font leur entrée au village au début de la guerre. Les obligations sociales sont également simplifiées. La pratique voulant que certains mets soient transportés entre la maison natale des femmesmariées et celle de leurs beaux-parents, qui était interdite pendant la guerre, retrouve par exemple droit de cité après 1945, mais les moments de l'année pendant lesquels de tels échanges ont lieu sont désormais beaucoup moins nombreux qu'autrefois. Enfin, certaines différences de statut appartiennent maintenant au passé. Prenons par exemple la plus marquée, celle qui distingue les membres de la famille Li, celle des «petits hommes », des Mai. Li Tezhen cesse, une fois la paix revenue, de s'adresser à tous les hommes du segment lignager Qichang, quel que soit leur âge et leur condition, en utilisant le terme «Laoye » (une appellation respectueuse utilisée envers les hommes âgés, qui signifie également maître) par lequel il reconnaît son statut d'esclave. Désormais, il réserve le terme de «Chang Laoye» à Mai Leguan (parfois traduit pas «Vénérable maître»), et celui de «Laoye »à Mai Riwenet Mai Jieshi. «Laguerreaterriblement changélaviedetout lemonde.Personnen'a été épargné. Il yavait descoutumesanciennes que l'on suivait sans trop ycroire, qui ont disparu à ++++causedumanqued'argent et qui nesont jamais revenues. Cequi a été touché alors,

c'esttoutcequientraînaitdesdépenses.Onasimplifié,diminué,arrêtécertainespratiques.Certainessontrevenuesaprès,d'autrespas,etons'est aperçuquelefait desimplifieroud'arrêtercertainescoutumesn'avaitpasentraînédedésordresparticuliers.. »' La guerre, dont les effets se conjuguent avec l'arrivée à l'âge adulte d'une génération de paysans instruits, et qui plus est instruits dans des valeurs très différentes de celles de leurs aînés, affaiblit le pouvoir des dirigeants lignagers. Les bases économiques, religieuses, et sociales du système lignager sont alors ébranlées. Des réformes auraient sans doute pu être introduites, permettant à celui-ci de poursuivre son évolution, et telle est bien l'intention de la plupart des jeunes paysans influencés par la culture nouvelle : introduire des réformes internes permettant d'améliorer le système en place. L'essor du Parti communiste, lequel ne pouvait accepter l'existence d'une force sociale capable de limiter l'action gouvernementale, va entraîner toutefois la disparition du système lignager. Si la propagande communiste ne prend pas en général le système lignager comme cible de ses attaques directes pendant les années de lutte contre l'armée japonaise puis contre le Parti nationaliste, si les dirigeants communistes locaux exploitent mêmeles liens de solidarité existant entre membres d'un mêmefang ou d'un même village, les lignages font l'objet des premières attaques du gouvernement communiste, dès que celui-ci prend officiellement le pouvoir, en octobre 1949. Ils disparaissent alors très vite. L'essor du PCCreprésente ainsi le développement d'une force qui allait mettre un terme au système lignager commefondement de l'organisation sociale. Tout ce qui rappellera ce passé sera détruit ou interdit d'expression. Auparavant, le Parti communiste aura tiré parti de la diminution de l'autorité des responsables lignagers commedes divisions existant au sein de la couche desfuxiong pour s'implanter dans les villages. Les causes de la victoire communiste ne résident pas uniquement dans l'état des lignages après le début de la guerre contre le Japon, mais il est vrai que le système lignager auquel le Parti communiste est alors confronté , affaibli, offre relativement peu de résistance à son implantation.

1. WuQumei,NewYork,juin 1985,G490.

XII

Les dernières années des lignages de Conglou

Le 23 novembre 1949, soit plusieurs semaines après la proclamation de l'avènement de la République populaire de Chine, les armées communistes entrent dans Taicheng. Les troupes défaites du Guomindang quittent juste avant la capitale du district et s'éloignent en toute hâte vers la côte. Quelques mois plus tard, les premières attaques officielles contre le système lignager seront lancées, atteignant leur point culminant lors de la Réforme agraire de 1952. La société qui existait jusqu'alors, et qui reposait notamment sur la constitution et le fonctionnement de groupes de parenté localisés, jouissant d'une assez large autonomie par rapport au gouvernement local, disparaîtra. L'histoire de la montée au pouvoir du Parti communiste est donc également celle du déclin annoncé du système lignager, même si des attaques directes ne sont pas portées contre celui-ci avant la victoire communiste. L'essor du Parti communiste se déroule à Taishan alors que le système lignager, on l'a vu, est soumis à des transformations liées à des causes externes et internes qui, provisoirement, l'affaiblissent. En dépit de cette situation, favorable à l'implantation du Parti communiste dans les campagnes et dont celui-ci saura tirer parti, le développement de cette nouvelle force politique est lent et demeure limité, même à la veille de 1949. Les régions contrôlées par le Parti communiste et au sein desquelles il peut véritablement mettre en place un programme politique et économique sont très limitées pendant la guerre. Ceci est d'autant plus vrai que les zones occupées par les Japonais, zones au sein desquelles les communistes parviennent souvent à établir leur influence en organisant la résistance

contre l'ennemi, sont également très peu étendues jusqu'en 1944. En s'appuyant sur la nouvelle génération defuxiong qui commence alors à prendre la parole, le Parti communiste parviendra cependant à diminuer les capacités d'opposition de l'élite traditionnelle et à s'allier les groupes de jeunes paysans sur lesquels repose en partie le pouvoir de ces responsables locaux. Analyser les motifs qui amènent certains membres de la société paysanne à entrer au Parti ne suffit donc pas pour comprendre les soutiens dont ce dernier dispose : des phénomènes plus mécaniques, des liens de solidarité, des allégeances de groupe doivent être également analysés, et ce non seulement pour expliquer les résistances au Parti communiste mais également les différents appuis dont il bénéficie. Il existe ainsi en 1949 toute une gamme de comportements paysans allant de l'acceptation résignée de cette nouvelle force politique au soutien passif, de la participation active à des activités du Parti sans être membre de cette organisation à l'intégration officielle. L'âge néanmoins semble bien être un facteur déterminant pour expliquer les ralliements locaux au Parti communiste : pendant toute la guerre contre le Japon, et jusqu'en 1949, ceux qui soutiennent le Parti communiste à Taishan sont d'abord des jeunes instruits, puis des jeunes paysans. La remarque de L. Bianco concernant le travail de mobilisation paysanne par le Parti communiste dans l'ensemble de la Chine durant ces années-là, selon laquelle «le fossé de générations est peut-être un meilleur critère que les distinctions de classes pour rendre compte des choix et des comportements individuels » décrit parfaitement la situation qui prévaut à Taishan Ala veille des attaques menées en 1927 contre le Parti communiste chinois, ce dernier compte un peu plus de cinq mille membres dans la province du Guangdong Mais à Taishan, c'est surtout à partir de l'invasion japonaise en Mandchourie, soit en 1931, que les élèves des lycées de Taicheng parmi lesquels le Parti communiste recrute ses premiers membres, entendent parler de cette nouvelle force politique Dès cette année 1931, l'école secondaire de Taicheng, appelée Taizhong, devient l'un des pôles du développement 1. L. Bianco, PeasantResponsestoCCPMobilizalion PoliciesduringtheAnti-Japanese War, 1937-1945, NewPerspectives on the Chinese Révolution, éd. par Tony Saich et Hans J. vandeVen,Sharpe, 1994. 2. Taishanxienzhi(1992),p. 64. 3. En1926,le«Syndicatdesimprimeurs»estcrééàTaichengparunmembreclandestin duParti communiste,àla suited'un mouvementdegrève.

communiste. Un groupe clandestin du Parti y est créé. Avec l'École normale des garçons (Taishi) et l'Ecole normale des filles (Nüshi) établie en 1934, Taizhong est l'un des établissements vers lesquels les enfants peuvent se diriger pour poursuivre des études secondaires. En 1931, un professeur, nommé Zhu Luquan. enseigne à Taizhong. Il a fait ses études à Taizhong avant de partir lui aussi étudier au Japon d'où il revient lors de l'agression japonaise en Mandchourie Zhu Luquan est l'un des plus anciens membres du Parti communiste du district de Taishan. Il est le premier à parler ouvertement de cette nouvelle force politique pendant ses cours. Il utilise également pour se faire entendre le journal de l'Ecole où il publie des textes vantant par exemple les mérites de l'URSS où l'exploitation n'existe pas. En 1933 paraît un article de sa main intitulé « Les deux mondes », dans lequel il oppose le monde soviétique, dépeint en termes paradisiaques, au monde chinois, comparé à l'enfer. Cet article suscite le mécontentement de nombreuses personnalités de Taicheng qui adressent un long rapport au gouvernement de Chen Jitang. Une délégation vient procéder à une enquête et conclut au renvoi du directeur de Taizhong, de Zhu Luquan et de quatre de ses élèves avec lesquels il avait créé une « communauté de lecture » ou dushu hui. Ces quatre étudiants, qui ont tous le même profil —ils viennent de familles aisées de Chinois d'outre-mer, obtiennent de bons résultats scolaires, et ont la réputation d'être droits, honnêtes, intéressés par les affaires politiques —,se révéleront tous être membres du Parti communiste en 1949. Parmi eux on compte Huang Xinbo, qui part à Shanghai où il fréquentera Lu Xun, et qui deviendra un graveur renommé Les «communautés de lecture» se multiplient au cours des années suivantes, sous l'influence directe du Parti communiste qui y forme la plupart de ses futurs membres. Zhao Bing par exemple, qui entre en 1929 à l'Ecole normale des garçons fait partie de l'une de ces organisations au milieu des années trente, de même que Chen Guowen, et de même aussi que le premier petitfils de Mai Leguan, le frère aîné de Mai Jieshi, qui rejoint en 1930 le même établissement. Recrutés au sein de ces trois écoles secon1. Zhu Luquanexercera pendant quelques temps, après la Libération, les fonctions de directeur deTaizhong. 2. S'ils nobtiennent pas leur diplômealors mêmequ'ils sont endernière annéed'étude, on autorise cependant ces élèves à prendre place parmi leurs camarades lors de la photo consacrant la promotion decette année-là.

daires, on trouve parmi les membres de ces communautés aussi bien des fils de commerçants bien établis de Taicheng, que des fils d'émigrés dont les dépenses scolaires sont financées au plus juste par les mandats adressés de l'étranger, la famille cultivant les terres possédées et se privant de toute dépense. Ils possèdent, semble-t-il, certaines qualités intellectuelles et morales : ils aiment lire, étudier, s'intéressent aux affaires du pays et ont le goût des discussions politiques. En 1934 et 1935, Mai Dancong, le frère aîné de Mai Jieshi, qui a commencé ses études dans l'ancien système puis a été éduqué avec les « nouveaux manuels », participe ainsi à une communauté de lecture établie par un élève de dernière année, appelé Kuang Zhimin. Kuang Zhimin propose à six élèves de l'Ecole normale des garçons de louer ensemble un logement afin de pouvoir plus facilement se prêter mutuellement des livres et débattre de leur contenu. Il baptise cette organisation du nom de « communauté de lecture des deux Ke » (Er Ke dushu hui) ce qui, au début, ne dit pas grandchose aux jeunes membres du groupe. Les deux « Ke » ne sont pourtant autres que Marx et Engels, dont les noms, transcrits en chinois, comportent tous deux la syllabe « Ke ». Très vite, Kuang Zhimin est nommé directeur d'une école dans une zone rurale de Taishan. Ses nouvelles fonctions ne l'empêchent pas de venir passer de longs moments avec les membres de la communauté, et il continuera de le faire quand certains d'entre eux iront poursuivre des études supérieures à Canton. Il leur conseille toutes sortes de lectures, des œuvres de philosophie, des romans russes, mais aussi des ouvrages interdits, rédigés par des communistes chinois ou russes et qui décrivent la révolution d'Octobre et les changements instaurés en URSS. Il organise des séances d'analyse et de discussion entre les membres de la communauté, de même qu'il donne à ces derniers les moyens d'accéder physiquement à une littérature difficile à trouver. Il faut en effet se réclamer de Kuang Zhimin pour pouvoir se procurer certains livres à la librairie Lingnan de Taicheng qui sera contrainte de fermer ses portes peu avant la guerre contre le Japon. L'existence de cette communauté, et à plus forte raison, le nom qu'elle porte, sont des informations que nul ne divulgue à l'extérieur. Ce n'est que beaucoup plus tard que Mai Dancong apprendra par exemple qu'il existait une seconde communauté regroupant d'autres camarades de sa classe ainsi que des élèves de Taizhong, et il devait alors en exister bien d'autres.

Si Mai Dancong et ses camarades sont trop jeunes pour avoir assisté à certains événements importants de l'histoire chinoise après la chute de l'Empire en 1911, tels que l'échec de la dictature de Yuan Shikai entre 1913 et 1916, le mouvement du 4 mai 1919 qui allie une volonté de restauration nationale à une remise en cause de la culture traditionnelle chinoise, et la création du Parti communiste chinois en juillet 1921, ils ont suivi les principaux événements qui ont marqué la fin des années vingt. L'« expédition du Nord» qui se déroule entre 1926 et 1928 pour tenter de reprendre le pouvoir exercé par les seigneurs de la guerre sur de nombreuses provinces demeure l'un des faits politique marquants de leur enfance. Ils sont au courant également des luttes qui opposent le Parti nationaliste au Parti communiste, mais ce dernier ne représente pas grand-chose à leurs yeux avant qu'ils ne deviennent membres de ces communautés de lecture. Or l'expédition du Nord, malgré de rapides succès, ne permet pas véritablement au gouvernement nationaliste de contrôler l'ensemble de la nation. Celui-ci ne gouverne en réalité à la fin de l'année 1928 que 7,6 % de la superficie du territoire chinois et 20 % de la population. En 1936, le gouvernement de Nankin, créé neuf ans plus tôt, dirige près de 23 % du territoire et près des deux tiers de la population L'impuissance du Guomindang est confirmée par l'agression japonaise, et elle alimente les revendications nationalistes très vives des intellectuels et de ceux qui animent ces groupes de lecture informels. Les membres de ces communautés ne semblent pas posséder de motifs personnels d'insatisfaction contre le système en place, mais ils découvrent un système de pensée auxquels ils vont, pour la plupart, se rallier, qu'ils deviennent ou non membres du Parti communiste. Au cœur de ce système de pensée se trouve la notion de révolution, qui implique à la fois de nouvelles perspectives pour l'avenir et une critique du système précédent, alors que pour les professeurs des écoles rurales qui seront mobilisés plus tard par le Parti et qui recevront une formation théorique et idéologique moins étendue, la notion de révolution, si elle joue un rôle tout aussi important, implique surtout une amélioration future inéluctable, sans que cette vision soit accompagnée d'une remise en cause du passé très explicite. Le communisme incarne pour les étudiants, membres de 1. H. Halbeisen, La décennie de Nankin (1927-1937), La Chine au XXsiècle. D'une révolution à l'autre, Paris, Fayard, 161-184.

ces communautés, la modernité et le Parti nationaliste incarne le passé. Le second doit perdre le pouvoir, non pas tant parce qu'il est corrompu, ce qui éclate surtout au grand jour et avec une ampleur inconnue jusque-là entre 1945 et 1949, mais parce que cela est une étape nécessaire pour que la société décrite par le Parti communiste puisse voir le jour. Celle-ci sera une société nouvelle, ce qui ne peut que signifier meilleure. L'avenir, c'est une société plus juste et une Chine plus forte, et ce dernier objectif s'impose encore plus après 1937. «Il était clair que les communistes pouvaient sauver le peuple, sauver le pays. Larévolution allait apporter un changement complet et une vie meilleure, elle allait détruire tout ce qui était mauvais et construire à la place une société meilleure. Le changement allait être total, profond, et la Chine ne pouvait qu'en sortir plus forte. Cela ne faisait aucun doute. On ressentait profondément le déclin de la Chine, et visiblement, le Guomindang était impuissant contre ce déclin. Onsoutenait ses efforts passés contre les seigneurs de guerre, mais il était incapable de contrôler l'ensemble du territoire. Il y avait aussi, dans les lectures que nous faisions, la notion de progrès qui était très importante et qu'incarnait le Parti communiste. Avec lui, demain allait fatalement être différent et mieux qu'hier. Enfin, l'idée de sacrifice nous attirait beaucoup. Elle donnait un sens très positif, sur le plan moral, à toutes les pensées et toutes les actions communistes. La démocratie, on n'y pensait pas trop, mais une Chine forte, oui, c'était très important. » D'autres mettent plutôt en avant le programme politique des communistes chinois : «Nous avons découverts soudain plein d'idées nouvelles, dont nous n'avions jamais entendu parler. Ces livres nous parlaient de la nécessité de lutter contre l'exploitation, de diminuer les disparités, d'encourager la libération des femmes et de l'individu. » De plus, les membres de ces communautés sont enclins à penser que ces hommes qui les introduisent à la pensée communiste et dont ils admirent les qualités morales et intellectuelles, ne peuvent que défendre de belles idées. Ils font le choix de certains hommes autant que de certains messages, et pareil phénomène se répétera souvent jusqu'en 1949. «Autour demoi, les gens qui étaient proches du Parti communiste étaient tous des gens très bien, sans exception. Ils rendaient le son d'un métal de très bonne qualité. Cela m'attirait naturellement vers la révolution. Ils n'agissaient pas pour eux, mais pour les autres, pour le pays. Lecontraste était évident avec ceux du Parti nationaliste. Les gens les plus intelligents allaient vers le Parti communiste, les plus bêtes allaient vers le Parti nationaliste. Tout le monde avait des yeux pour le voir. Onsouhaitait vraiment queces gens-là viennent au pouvoir. Et pour cela, il fallait renverser les autres. Je voulais leur ressembler, refuser les calculs égoïstes. » 1. Mai Dancong, NewYork, avril 1992, ZZ 1653. 2. WuYilan, Boston, avril 1992, ZZ 1687. 3. Mai Dancong, avril 1992, New York, ZZ 1621.

L'attrait que suscite parmi les jeunes élèves de Taicheng qui incarnent certaines qualités morales et intellectuelles, et le phénomène d'émulation qui en résulte, contribuent alors beaucoup au développement de la cause communiste. De leurs lectures, les jeunes élèves, membres des communautés de lecture des établissements secondaires de Taizhong, tirent non seulement la certitude qu'une société meilleure verra le jour, mais aussi une critique du système social existant. Ils portent soudain par exemple un regard différent sur l'organisation lignagère dont on leur dit que non seulement elle n'est pas la seule forme de groupement social possible, mais qu'elle n'est pas bonne. Ce discours a d'autant plus de portée que, après avoir fréquenté les écoles primaires où ils côtoyaient essentiellement les membres de leur propre lignage, ils se retrouvent tous lignages confondus, à Taicheng, hors de leur communauté d'origine. Beaucoup d'entre eux d'ailleurs n'effectueront ensuite que de brefs séjours dans leur village natal. A leurs yeux, les idées nouvelles sur le monde et la société qu'ils découvrent dans leurs lectures ne peuvent pas voir le jour si ceux, peu éduqués, qui incarnent des valeurs anciennes, restent au pouvoir. L'institution lignagère est donc attaquée. «Lesystème n'était pas bien, mêmesi, pris un par un, lesfuxiong étaient souvent bien. Ils n'étaient pas égoïstes, ne pensaient pas à leur intérêt et ne profitaient pas des biens publics. Ils agissaient pour le groupe même si c'était parfois contraire à leurs intérêts. Leur prestige venait du fait qu'ils ne représentaient pas leurs propres personnes seulement, ils représentaient des principes, un groupe, et des qualités d'équité. Ils se souciaient des intérêts de tous et c'est de là que venait leur autorité. Ou alors on était un fuxiong sans prestige. Les gens disaient du mal de toi, et c'en était fini de ton prestige. Parler des uns et des autres, c'était une forme de démocratie dans ce système, mêmesi ce n'était pas très clair. Mais c'était la seule forme de démocratie, et ça c'était un problème. Mais le plus grand problème c'étaient ces groupes, ces lignages, ces segments lignagers. Ils empêchaient beaucoup de personnes de s'exprimer. Hors du lignage, on ne pouvait rien. » La plupart des membres de ces communautés de lecture, dont le type d'organisation se maintient pendant toute la durée de la guerre contre le Japon, entrent tôt ou tard au Parti. Certains ont un destin local, qu'ils retournent enseigner dans les écoles du district, comme Wu Linteng de Guandou par exemple, ou qu'ils prennent la tête de groupes de combattants pendant la guerre contre le Japon, tels Zhao Bing. D'autres iront rejoindre des bases commu1. MaiDancong, avril 1992, new York, ZZ 1610.

nistes. C'est le cas de Li Lin, futur grand responsable chinois dans le domaine musical, qui ira, le moment venu, «boire l'eau de Yenan». Ceux qui n'entrent pas au Parti lui demeurent souvent très proches et soutiennent son action. La ligne de partage entre les deux est d'ailleurs très floue : jusqu'à la veille de l'arrivée au pouvoir des nouveaux dirigeants, on sait rarement parmi les intellectuels « de gauche », à Taicheng ou à Canton, qui est véritablement au Parti et qui ne l'est pas. On ne connaît, à ce propos, que l'identité des amis les plus proches. L'itinéraire de Mai Dancong illustre bien le soutien actif apporté au Parti communiste par certains intellectuels qui n'ont jamais prêté serment mais qui se considèrent néanmoins, sur le plan moral, comme membres de cette organisation. Une fois achevé le premier cycle de l'école secondaire, Mai Dancong décide d'entrer à l'Institut spécialisé des Beaux-arts de Canton. Peu à peu, sous l'influence de Kuang Zhimin qui affirme qu'il s'agit là d'une arme très importante pour la révolution, il se spécialise dans l'art de la caricature et du dessin humoristique. En mars ou avril 1938, Li Lin annonce à Mai Dancong son prochain départ pour Yen'an, laissant à son ami le loisir de prendre la décision de partir avec lui s'il le désire. Mais Mai Dancong préfère attendre la remise des diplômes au mois de juillet pour aller rejoindre la base communiste. Après l'occupation de Canton en octobre 1938, il rejoint en fait l'équipe nationale de caricaturistes chargée de participer au travail de propagande contre l'ennemi (guojia manhua xuanchuan dui). Ce groupe d'artistes dépend du gouvernement central, plus précisément du troisième bureau du département des affaires politiques du ministère de la Défense nationale. Guo Moruo est alors à la tête de ce troisième bureau alors que Zhou Enlai est vice-responsable du bureau des affaires politiques. Mai Dancong a grade de commandant. Certains membres de cette équipe vont à Chongqing ou ailleurs, mais le petit fils de Mai Leguan rejoint la troisième zone de combat (di san zhanqu), dans l'Anhui. Il organise des expositions, publie dans le Qianxian ribao (Le Quotidien du front), un quotidien de l'armée du Guomindang, l'un des seuls à publier alors des caricatures. Sous la protection du rédacteur en chef, Huang Xiang, dont il ne connaît pas alors l'identité communiste mais qui sera le premier ambassadeur chinois en Angleterre après 1949, il y fait paraître non seulement des dessins qui dénoncent les exactions de l'ennemi, mais aussi des critiques de phénomènes politiques ou sociaux tels que la corruption.

Si MaiDancongn'entre pas au Parti en 1938alors quel'occasion s'enprésente, beaucoup d'élèves des établissements secondaires et de professeursprêtent officiellement serment aucours decette année-là. La guerre contre le Japon vient d'éclater, et les sentiments nationalistes, le Parti communiste ayant montré depuis plusieurs années, contrairement au Parti nationaliste, une attitude plus déterminée contre l'ennemi, jouent certainement ici un rôle important. Enjuillet 1938, une cellule communiste au niveau du district, composéede dix membres, est créée. En octobre, trois nouvelles cellules, dépendantes de celle établie à Taicheng sont constituées, ainsi qu'un groupeétudiant. Ennovembre,l'organisationseramifie encoreet six cellules voient le jour L'essor du Parti communiste coïncide également avec le développement des activités, à Taicheng comme dans bien d'autres districts de la province du Guangdong, d'une «avantgarde delajeunesse delutte contrele Japon» (qingniankangrixianfeng dui), dirigée par unjeune intellectuel nommé Chen, ancien étudiant au Japon, dont le père est un responsable lignager très important auniveaududistrict. Onytrouve àla foisdes membresde l'administration, des intellectuels, des professeurs, des membres de l'armée. Cette organisation est entièrement contrôlée par les communistes et elle sera d'ailleurs interdite par le gouvernement en 1940. Les liens sont étroits entre cette équipe et les communautés de lecture, entre les activités derésistance contreleJapon etla propagande pourlesidéescommunistes. Les professeurs ou directeurs d'écoles primaires entrés au Parti en1938vont ensuitemobiliseràleurstour d'autres instituteurs oude jeunes fuxiong, les deux fonctions étant souvent assumées par les mêmeshommes. Lemouvements'étend ainsi àla campagnependant le débutdesannéesquarante auprès d'une couchebien déterminéede la population. Cesnouvelles personnalités ne sont pas mobilisées en effet au hasard : le Parti s'efforce de gagner alors à sa cause soit de jeunesfuxiong tels que MaiJieshi, qui peuvent apporter hommes et armes aux troupes communistes, soit dejeunes responsables locaux ou des professeurs qui peuvent faciliter la pénétration des villages choisis par le Parti communiste commefutures bases. C'est ainsi par exemplequeDengWeisheng,épouxd'unepetite-fille deMaiLeguan, est contacté en 1943par un lointain parent venu enseigner dans son 1. TaishanXienzhi,p.141.

village. DengWeisheng est entré à Taizhongen 1930. Il a suivi l'épisode du renvoi de Zhu Luquan et de ses quatre étudiants. S'il considère que cescinq hommesont duprestige, s'il les décrit commepossédant à la fois beaucoup de culture ainsi que de grandes qualités personnelles, il ne s'intéresse pas à leurs discussions. Une fois ses études terminées, Deng Weisheng revient dans son village natal, situé dans le sud de Conglou, comme professeur. Très vite, il est reconnu comme jeune fuxiong. Très vite également, il assume les fonctions de baozhang. En 1943, alors qu'il enseigne depuis quelques années déjà, Liaoquan, un cousin éloigné, rejoint son école pour y enseigner pendant quelques mois. Cedernier est envoyé par le Parti communiste, dont il est devenumembreàla fin del'année 1942,pour essayer de mobiliser Deng Weisheng, lui-même ayant été initié aux idées communistes par Chen Guowen. Levillage de DengWeisheng, Qutaoyang, aété eneffet choisi commelieu d'implantation privilégié du Parti communiste àConglou. «Plustardj'ai comprispourquoilePartiestvenumechercher.Cesontda' ncienscamaquimo' ntchoisi.Ilsmeconnaissaient,ilssavaientquej'avaisplutôt radesde boncaractère,quejenepensaispasseulementàmonintérêtpersonnel,quej'étaishonnête. Enplus, monvilageétait untrès grosvilage, biensituéprèsdesmontagnesau casoùil aurait fallu battre enretraite et rejoindrelesgroupesdecombatantsarmés, maisaussipastropéloignédeConglou.Ilss'étaientrenseignésetsavaientenfinqueje pouvaisprendrela parolechezmoi,quej'étais écouté, quej'avais lesjeunespaysans derrièremoi.J'avaisunecertaineinfluencesurleplanlocal.Ilm'étaitfaciledemobiliserlesjeunes.»' Liaoquan commence par discuter avec Deng de choses et d'autres, des problèmes quotidiens auxquels sont confrontés les professeurs en milieu rural, de leurs insatisfactions, des difficultés de trouver un emploi correspondant à leurs connaissances. Puis il lui décrit une société meilleure pour demain, plus égale, où chacun aurait un travail et de quoi vivre, propose certaines lectures et, très vite, Deng Weisheng se rallie au Parti communiste même s'il n'en devient membre de façon officielle qu'en 1948. Bien avant cette date en effet, il accepte de travailler pour le Parti. L'adhésion de Deng Weisheng aux idées communistes telles qu'elles lui sont alors présentées répond largement à des motifs personnels : «Alé' poque,leParti allait chercherlesgensinstruits et nonpaslespaysansquinele comprenaientpas.Maismoi,j'étais surtoutmécontentdemonsort. Nousétionsbeaucoupàvouloirfaireautrechosequede' nseignerdansunepetiteécoledevilage.Maisil 1. DengWeisheng,NewYork,avril 1992,ZZ1784.

n'y avait pas detravail pour nous. Il n'y avait pas vraiment d'avenir pournous. Aucuneissue, aucunespoir. Par contrele Parti communisteessayait detrouver des postes pourlesunset les autres, deles aider. Etil parlait d'unmondenouveau,où chaqueindividuauraitunrôleàjouer, etmêmesionnesavaitpasexactementcommentilserait,onsedisaitqueceseraitmieuxquemaintenant.Il parlaitaussides'opposerauféodalisme,c'est-à-diredefavoriserlalibertédemariage.Maiscequiattirait beaucoupdemonde,c'étaient les occasionsdetravail quetrouvait le Parti. Etpuis après,quandj'aicommencévraimentàtravaillerpourleParticommuniste,aprèslafin dela guerre,j'ai trouvéquecelam'apportait beaucoup.J'avais li'mpressiondefaire quelquechosedebien.» Jamais, commeon le verra plus tard, le système communiste tel qu'il le perçoit ne lui paraît incompatible avec l'organisation lignagère. Jamais le titre defuxiong ne lui paraît incompatible avec celui de sympathisant, puis de membre du Parti communiste. Cedernier ne s'appuie-t-il pas alors sur l'élite locale instruite, se contentant d'évoquer une société meilleure et plus juste ? «Pourmoi,les qualités étaientlesmêmespourêtreunfuxiongcommepourêtre un membreduParti communiste.Pourêtre véritablementreconnu,danslesdeuxcas,il fallait être équitable, savoir oublier sesintérêts privés et sesacrifier. Maisgrâce au Parti,jepouvaistrèsviteêtrereconnuau-delàdemonvilageetdemonlignage.C'est tout. Lesdeuxsecomplétaient. Enplus, le Parti représentait plutôt les intérêts des jeunesfuxiongàunmomentoùnousessayionsdenousopposerauxplusvieux.» Jusqu'en 1945, l'action de professeurs tels que Deng Weisheng se limite d'ailleurs à critiquer au cours de son enseignement ou lors de conversations avec les jeunes paysans le montant del'impôt foncier et la conscription. Cesont ces revendications qui amènent deux paysans de son village à rejoindre également le Parti communiste à la fin de la guerre. Partant des établissements secondaires de Taicheng, le soutien au Parti communiste s'étend ainsi pendant ces années de guerre à l'administration locale et aux écoles primaires rurales, par l'intermédiaire des réseaux d'anciens élèves. Ceux qui sont mobilisés par le Parti communiste entre 1938 et 1945 possèdent des niveaux de connaissance inégaux de l'idéologie politique à laquelle ils se rallient. Le discours qui leur est tenu dépend largement de la mission que l'on souhaite leur faire assumer, qu'il s'agisse de rejoindre des troupes communistes, de mobiliser dejeunes intellectuels ou de susciter la sympathie des jeunes paysans. Une chose apparaît certaine néanmoins: les idées communistes, et surtout la notion de révolu+1.DengWeisheng,NewYork,avril1992,ZZ1754. 2. ChenLaping,HongKong,octobre1986.L1324.

tion, offrent à ceux qui sont contactés par le Parti la certitude d'un changement inéluctable et désignent la voie à suivre pour y aboutir. Elles introduisent soudain une rupture entre ces jeunes professeurs ou intellectuels proches du Parti et ceux les jeunes instruits du monde paysan, beaucoup plus nombreux, qui aspirent également au changement mais qui, faute d'avoir accès à un système de revendication «allant dans le sens de l'Histoire », s'efforcent simplement d'introduire des réformes au sein de leur village ou de leur lignage. Pour ces derniers, le problème principal qui se pose en ces temps troublés, c'est d'abord la défense des communautés locales, et pour atteindre cet objectif, peu importe s'il faut se battre sous la bannière du Parti nationaliste ou du Parti communiste. L'un d'entre eux raconte par exemple : «Lapopulationenavaitassezdugouvernement,assezdessoldats.Pournous,GuomindangouParticommuniste,onnefaisaitpasgrandedifférence.Onn'aimaitpaslegouver++nemen,tonn'aimaitpaslesmilitaires.Cen'étaitpasunequestiondeParti.Parcontre,ce quo' nsavait,c'estquelegouvernementenplacenecontrôlaitrien,nefaisaitrien,ouplutôtqu'ilnepouvaitrienfairependantlaguerre.Etonn'avaitpasgrand-chosecontreles communistes,caraveceuxleschosesnepouvaientqu'alerunpeumieux.» L'essor du Parti communiste s'accélère pendant les années 19451949. Les activités économiques se développent rapidement, mais dans uncontexte d'affrontement entre nationalistes et communistes, et surtout demécontentement croissant dela populationvis-à-vis du gouvernement, accusédecorruption. La circulation des hommes et des biens reprend rapidement dès la fin de la guerre. Les émigrés sont alors nombreux à revenir au village, les plus âgés dans l'intention d'y rester jusqu'à la fin de leurs jours, les autres pour retrouver pendant quelques mois leurs proches après des années de famine et d'insécurité. Développer les capacités de défense des villages et des lignages apparaît plus que jamais comme l'une des priorités de ces Chinois d'outre-mer. Or la guerre a prouvé que la puissance d'un groupe est étroitement liée au nombre et à la qualité des armes possédées. Les lignages, mais aussi les Chambres de commerce et autres groupes sociaux font donc provision de nouvelles armes. Les mandats des Chinois d'outre-mer parviennent à nouveau à Taishan; les marchandises, nationales ou étrangères, sont acheminées jusqu'à Conglou. Les transports se font lentement il est vrai, en bicyclette ou à pied, 1. MaiJieshi, NewYork,septembre1988,N865.

palanche àl'épaule, jusqu'au milieu de l'année 1947, date à laquelle la route qui mène de Conglou à Taicheng est restaurée Les travaux de réfection des voies de communication sont encore loin d'être achevés cependant, et en mai 1948, plusieurs Chambres de commerce lancent une collecte parmi leurs membres pour restaurer de nombreux tronçons de route inutilisables depuis les débuts de la

guerre contre le Japon Au bourg, les affaires reprennent, favorisées par la circulation de l'argent adressé de l'étranger. Mais l'économie nationale connaît une inflation d'une ampleur inconnue jusqu'alors qui encourage les spéculateurs. A Taishan, un dan de riz vaut 53, 50 yuan en 1940, 350000 yuan en 1947, 40 millions de yuan en septembre 1948 et 480 millions de yuan en juin 1949 Le prix d'une livre de viande de porc vaut respectivement 1,30 yuan, 25000 yuan, 2700000 yuan et 20 millions à ces quatre dates. Les grèves se multiplient car les salaires n'augmentent pas au même rythme que l'inflation Le gouvernement est non seulement dans l'incapacité de contrôler cette dernière mais il augmente ses prélèvements sur la population pour financer la guerre qui l'oppose au Parti communiste dès 1947. Il réclame de plus en plus de conscrits, et même si bien des chefs de cantons et de bao font la sourde oreille moyennant cependant le paiement d'une somme par les paysans désignés, le nombre de soldats enrôlés de force augmente dans un premier temps à Taishan si l'on en croit les appels de la presse locale. Cette dernière sollicite en effet en septembre 1947 le soutien financier des habitants du district comme de la communauté émigrée pour acheter des lits aux nouveaux conscrits qui dorment à même la terres En 1948 et 1949, le chiffre des conscrits s'élève encore, mais seule une minorité d'entre eux se présente devant le gouvernement du district Ils sont par exemple 4350 à être appelés

1. Xinningzazhi(RevuedeXinning), 15septembre 1947,p. 20. 2. GuangdongSi YiQiaobao, 1"mai1948,p. 9. 3. Xinningzazhi, 15septembre 1947, GuangdongSi YiQiaobao, 1"mai1948, GuangdHonugaqSi i Q,ia5obm aoa,i11594s0e.ptembre 1948, GuangdongSi YiQiaobao, 15juin 1949, Taishan iaoY zazhi 4. Aumilieudel'année 1947parexemple,lesmenuisiersquitravaillent pourlesentreprises privéesdestrois plusgrandes villes dudistrict, Taicheng, Xinchanget Dihai, créent unsyndicat qui réclame aussitôt une augmentation de salaire de 150%.Maisle syndicat adverseserefuseàtoute augmentationsupérieureà80%.Unegrèvedequelquesjours est aussitôt conclusiodn.é.cidée dont les documents écrits ne relatent cependant ni le déroulement ni la 5. Xinningzazhi, 15septembre 1947,p. 10. 6. GuangdongSi YiQiaobao, 1"maijuin 1948,p. 12.

pendant les deux premiers mois de l'année 1949, mais seuls 606 d'entre eux se sont rendus à l'appel au début du mois de juin De nouveaux impôts sont créés tel l'impôt sur les terres villageoises ou lignagères destinées à financer des écoles privées (xuetian) et qui étaient jusque-là dispensées d'impôt afin de favoriser le développement de l'éducation. Les contributions, en théorie volontaires mais en réalité souvent forcées, que certains commerces versent au district, sont également révisées à la hausse chaque année Le gouvernement local, affaibli, connaît des difficultés accrues tout au long de ces quatre ans pour percevoir l'impôt, qu'il soit foncier ou commercial L'administration du district dénonce en 1947 le nombre important de commerçants du chef-lieu du district qui n'ont pas payé leurs impôts et menace de les traduire devant une cour s'ils n'ont pas acquitté leur dû avant le 27 août Face à cette situation, le district est obligé en août 1947 de réduire ses dépenses, suscitant de nouveaux mécontentements : il diminue ainsi de moitié la ration de céréales qu'il verse aux professeurs des écoles publiques à titre de prime pour combattre l'insuffisance de leur salaire Plus que jamais, il délègue à des institutions extérieures à l'administration locale le soin de régler certaines affaires publiques, telles que la construction d'un cimetière pour regrouper les dépouilles de ceux qui sont morts de faim pendant la guerre contre le Japon Les taux d'intérêt s'élèvent, malgré les nombreuses directives émises par le gouvernement provincial pour lutter contre les usuriers et encourager les banques à une certaine souplesse. Ajoutant au désordre économique, plusieurs types de monnaie ont cours sur le marché, la monnaie nationale, le dollar américain, mais aussi des bons de la région des quatre districts, et surtout le dollar de Hong Kong qui circule ouvertement à Taishan. Certains commerces n'hésitent pas à émettre leur propre monnaie, sous la forme de bons officiellement destinés à l'échange de cadeaux. Pareille situation renforce l'hosti1. GuangdongSi YiQiaobao, 15juin 1949,p. 8. 2. CelesdesrestaurantsetsalonsdethédeTaichengaugmententainside300%àpartir dumoisd'août 1948. Lespropriétairesconcernésentamentunegrèvele11aoûtpourprotester cont augment atieorn,défi mnaiistivelement letourne devant la m nacm efaite district deferm cescourt lieuxcar, dit-il, leeriz anquepar àTleaisghoaunvernem entreducette encestempsdeguerrecivileet nepeutdoncêtredilapidéenfestinset repasdefête. 3. GuangdongSi YiQiaobao, 1 septembre 1948,p. 15. 4. Xinningzazhi, 15septembre 1947,p. 13. 5. Xinningzazhi, 15septembre 1947,p. 17 6. Xinningzazhi, 15septembre 1947,p. 20.

lité des membres de la population au gouvernement en place, encourageant nombre d'entre eux à penser qu'en cas de victoire communiste, les choses ne sauraient aller plus mal, et qu'il n'y a donc pas lieu de s'opposer à cette nouvelle force. Juste après la victoire contre le Japon, les activités du Parti communiste sont limitées à Taishan aux quelques villages dans lesquels ont été établi certains contacts pendant les années précédentes. On en compte alors trois dans ce cas à Conglou. Mais dès l'année 1947, et surtout en 1948 et 1949, ces actions s'intensifient. La stratégie utilisée vise non pas à l'implantation du pouvoir communiste à Taicheng, chef-lieu du district, mais dans les zones rurales. Au travail de propagande, utilisé dès les premiers temps par le Parti pour gagner à sa cause certains éléments de la société, s'ajoute enfin à partir de 1948 le recours à la dissuasion qui a pour but de réduire toute vélléité d'opposition. Les hommes qui peuvent prendre la parole dans les affaires locales sont divisés, on l'a vu, des générations s'affrontent, et le Parti communiste utilise ces divisions en s'alliant avec les responsables locaux non traditionnels avant et après la guerre contre le Japon. Ceux-ci sont, pour la plupart, professeurs ou directeurs au sein d'écoles primaires rurales. Ils ont souvent exercé un jour ou l'autre, les fonctions de baozhang ou de gengfu au sein de leur communauté, et les exercent parfois toujours en ces années 1945-1949. Ils font partie de cette génération qui, marquée par la nouvelle culture, est influencée par la notion de progrès, un progrès qu'incarne, pour la plupart des intellectuels chinois de l'époque, le Parti communiste. Mais, membres à part entière de la société locale, ils ne détachent pas complètement ce progrès de l'expérience qui est la leur, d'où la modération, recherchée également par les Parti communiste, de leur propos. Deux missions leur sont officiellement affectées : développer les sympathies à l'égard du Parti communiste parmi leurs élèves et les jeunes paysans instruits du village où ils enseignent en tirant parti du prestige accordé à ceux qui ont de la culture, et sensibiliser également aux idées communistes les jeunes paysans de leur propre village en exploitant le prestige qui leur est reconnu en tant que fuxiong. Le Parti communiste cherche donc à développer son autorité en utilisant les liens particuliers tissés par l'appartenance, provisoire ou définitive, à un même village, ainsi que la coupure instituée entre les villages et la société environnante, coupure qui assure que secret et impunité entourent les actes

du Parti, au nom de la solidarité intravillageoise. De plus, il exploite le prestige détenu traditionnellement par les plus instruits. Les membres de jeunes générations sont ainsi l'objet privilégié de la propagande des membres du Parti et le thème récurrent de celle-ci, entre 1945 et 1949, est l'opposition au Parti nationaliste, un thème propre, comme d'autres études l'ont montré, à rassembler plutôt qu'à diviser les villages Deng Weisheng par exemple est nommé par le Parti à Fengjiang, dans un autre district que Conglou, avant même d'entrer au Parti en 1948. Il dénonce auprès de ses élèves et des autres paysans instruits les méfaits du Guomindang, en insistant sur la nécessité de réduire l'impôt foncier et la conscription. Il développe également les idées de «libération de la jeunesse» ainsi que la nécessité de lutter contre le féodalisme, dont les principaux symboles sont le mariage arrangé et les superstitions. Une fois acquis le soutien, actif ou passif, des jeunes paysans instruits, il se tourne vers les enfants des familles pauvres. Il leur tient le même discours, insistant sur la corruption et les abus du gouvernement en place. Ce travail de propagande s'accompagne parfois du prêt de livres ou du don de chaussures pour les paysans démunis. « En tant que professeurs dans les écoles primaires, nous pouvions mobiliser beaucoup de personnes. Je parlais de la nécessité d'agir de façon raisonnable, en respectant les principes reconnus par tous, et des violations de ces principes par les agents du gouvernement et ceux qui travaillaient pour lui. Ceux qui étaient restés au village, qui avaient fait quelques années d'écoles primaires, ou ceux qui n'avaient pas été à l'école parce qu'ils étaient trop pauvres, je devais surtout faire en sorte qu'ils aient de bonnes dispositions envers le Parti. Ils mecroyaient facilement car j'étais un professeur. Alors que si un simple paysan avait dit du mal du Guomindang, les gens auraient dit : "Qu'est-ceque tu en sais ?" De plus, qui pouvait s'opposer aux revendications visant à une réduction des impôts et du nombre de conscrits ? Cependant, à part certains éléments, il ne s'agissait pas jusqu'en 1949 de faire de ces jeunes paysans des membres du Parti. » Souvent d'ailleurs, ce ne sont pas ces jeunes professeurs qui procèdent au recrutement de ces paysans avec lesquels ils sont en contact quotidien, mais d'autres hommes. Deng Weisheng luimême ne connaît officiellement jusqu'en mai 1949 que deux membres du Parti dans la localité où il enseigne : le directeur de l'école, qui n'est autre que Wu Linteng, devant lequel il prête serment le jour de son entrée au Parti en présence d'un second membre de l'organisation venu pour cette occasion, et un autre professeur de l'école. 1. L. Bianco (1987) p. 26. 2. Deng Weisheng, New York, avril 1992, ZZ 1576.

Le cercle des proches et sympathisants du Parti est donc beaucoup plus étendu que celui de ses membres. Des professeurs non communistes participent parfois au travail de propagande. Mai Zhulian, nièce de Mai Leguan, enseigne par exemple la danse et le chant dans une école primaire de Conglou. En 1948, elle est remarquée par le directeur de l'école primaire de Nichao, à Conglou, un membre du Parti communiste originaire de ce village mais émigré à Hong Kong, appelé par le Parti à retourner dans son village natal. Celui-ci l'embauche, moyennant un salaire plus élevé, et lui confie la direction des activités artistiques de son école. Sans jamais la faire entrer au Parti, le nommé Ni Jinglin reconnaît Mai Zhulian comme sa fille adoptive, et cette dernière n'ignore rien des activités clandestines qui se déroulent au sein de l'école. Elle soutient les idées communistes et le répertoire des chants communistes lui est connu. Nichao est également une «base» pour les communistes, et professeurs, élèves et jeunes paysans se livrent souvent à des activités de propagande nocturnes, comme c'était déjà le cas dans l'école où elle enseignait précédemment. Des membres des troupes de guérilla séjournent parfois à Nichao, des réunions de sympathisants communistes se tiennent à l'école le dimanche. Dans certains villages de Conglou, les housheng, ceux qui sont nés après, sont ainsi peu à peu acquis à la cause communiste grâce au travail entrepris par de jeunes fuxiong. Dans d'autres villages, c'est l'engagement de quelques jeunes paysans influencés par les discours de leurs professeurs qui amène les responsables locaux à adopter une attitude conciliante envers cette organisation politique. Si certains entrent au Parti, la plupart de ces sympathisants participent aux activités de propagande sans intégrer officiellement cette organisation, et protègent les membres du Parti de passage dans leur village. Ou alors ils sont enrôlés dans la guérilla communiste. Privés de l'appui des jeunes fuxiong, des housheng et des gengfu, souvent choisis parmi les premiers, bien des responsables locaux conservateurs n'osent pas manifester ouvertement leur hostilité au Parti. D'autant plus que ceux qui encouragent les jeunes paysans à la prudence et qui les exhortent à prendre de la distance à l'égard du Parti reçoivent des avertissements écrits, avant d'être exécutés s'ils persistent dans leur opposition. Ce sont ainsi des villages entiers qui accueillent soudain et soutiennent les membres du Parti, parce que les principaux éléments qui influencent les décisions

locales, à savoir certains fuxiong, les paysans des jeunes générations, et parfois les gengfu, sont favorables à cette organisation politique. Une nouvelle étape est franchie dans le domaine de la propagande communiste avec la création en 1948 d'« équipes de travail armées ». Composées de quelques paysans armés chargés d'exécuter un travail de propagande, celles-ci circulent dans les campagnes, allant de village en village, même si elles ne se rendent que dans des communautés soigneusement choisies. Deux équipes, qui regroupent douze personnes, se partagent le travail dans la troisième préfecture. Leurs membres agissent différemment selon les liens établis localement avec le Parti communiste. On distingue en effet en 1948 les villages qui sont des «points blancs» (bai dian) où le Parti n'a encore établi aucun contact —et c'est le cas de l'ensemble du lignage Mai jusqu'à l'arrivée au pouvoir des nouveaux dirigeants —, de ceux, qualifiés de « points» (dian), où le Parti a quelques sympathisants et que ces équipes peuvent traverser sans crainte, certains de leurs membres y logeant même à l'occasion. Viennent enfin les «bases» (genjudi) où les «équipes de travail armées» peuvent agir en toute impunité. Quand le Parti communiste arrive au pouvoir, le 1 octobre 1949, seuls trois villages de Conglou, dont Guandou où l'on compte plus d'une dizaine de membres du Parti, sont considérés comme des bases. Pour qu'un village cesse d'être un « point blanc », les membres de l'équipe doivent trouver, par l'intermédiaire de parents ou amis, les noms de deux ou trois habitants capables de les renseigner sur la situation locale. L'une des premières informations à recueillir est l'identité des membres du village qualifiés de « réactionnaires », c'est-à-dire de ceux qui sont susceptibles de s'opposer à l'action du Parti communiste. Des avertissements leur sont alors adressés, sous la forme d'une lettre signalant que le Parti communiste ne les considère pas comme ses ennemis et qu'il espère que c'est réciproque. Ces éléments sont encouragés à adopter une certaine neutralité entre le Parti nationaliste et le Parti communiste, et à autoriser les activités des membres de ces deux organisations sur le territoire villageois. Au bout de deux avertissements restés sans effet, ils sont exécutés, surtout dans les villages choisis par l'organisation du Parti comme de futures bases. Il semble que ces menaces soient souvent entendues, car chacun sait que derrière ces groupes armés se tiennent les troupes de la guérilla communiste, cachées

dans les montagnes et les collines, et que celles-ci n'hésitent pas à user de violence pour assurer la sécurité de ceux qui agissent localement, ou les venger. Parallèlement, les membres de ces équipes cherchent à s'assurer du soutien, et sinon, de la bienveillance passive, des autres responsables locaux, de ceux dont les paysans écoutent les paroles et suivent les décisions. Ces « équipes de travail armées » n'organisent des réunions de propagande publiques que dans les villages où elles sont sûres de pouvoir agir ouvertement sans être menacées, et elles se contentent de distribuer des tracts, avec la complicité souvent de certains hommes chargés de la sécurité, ou d'apposer des affiches sur la porte principale, dans les villages où elles ne possèdent aucune entrée. Avec trois membres du Parti communiste, le village natal de Deng Weisheng est considéré par exemple comme un «point ». «Le Parti pouvait circuler dans mon village. J'étais un fuxiong et les plus jeunes m'obéissaient. Dumoment queje n'entreprenais rien contre le Parti, eux non plus ne bougeaient pas. Je voulais surtout qu'ils soient tolérants enversle Parti, qu'ils nes'opposent pas àlui, mêmes'ils n'en étaient pas membres. Je voulais queles gensdu Parti sesentent chezmoiensécurité. »' Malgré ces conditions favorables, aucun travail de propagande public n'est cependant réalisé dans le village de Deng car celui-ci est trop près de nombreux «points blancs» et trop loin d'une « base ». Les distributions de tracts y sont cependant fréquentes. L'existence de ces équipes de propagande a en fait surtout pour but, en rendant visibles les activités de propagande et la présence du Parti communiste, de manifester sa puissance. Il ne s'agit pas tant d'organiser une action de persuasion et de transmettre un contenu idéologique que de montrer que le Parti communiste est implanté dans la société locale et qu'il dispose de soutiens au niveau le plus bas puisqu'il peut aller et venir dans des villages hostiles en principe à toute présence étrangère. La circulation des équipes de propagande est précédée et accompagnée de manœuvres d'intimidation. Avant même la création de ces équipes, une opération dissuasive est accomplie par les proches du Parti dans tous les villages où ce dernier cherche à s'implanter comme Guandou, Fengjiang où enseigne Deng Weisheng ainsi que Qutaoyang, son village natal. Tous les grands fuxiong ont reçu des avertissements dans un premier temps et savent qu'ils 1. DengWeisheng,NewYork, avril 1992,ZZ1541.

n'auront pas la vie sauve s'ils tentent de s'opposer aux activités du Parti. Et il est peu de «bases» ou de «points» où un ou deux fuxiong n'aient été exécutés. Le rythme des exécutions s'accélère d'ailleurs à partir de 1948 car le temps presse et il n'est pas de moyen le plus rapide pour faire disparaître toutes tentatives d'opposition à l'action communiste. De fait, la peur règne pendant ces deux dernières années qui précèdent l'arrivée au pouvoir des nouveaux dirigeants, à la fois parmi ceux qui lui sont hostiles comme parmi ceux, majoritaires, qui attendent simplement l'issue de la lutte entre ceux qui convoitent le pouvoir. Ce sont en général des membres des groupes de guérilla communiste ou des hommes du même village que la victime qui se chargent des exécutions. Dans le premier cas, les éléments jugés réactionnaires sont enlevés dans la montagne où ils sont tués, alors que dans le deuxième cas, le meurtre est commis au bourg ou au village. Si Deng Weisheng n'a pas participé en personne à de telles exécutions, certains de ses amis professeurs y ont prêté main-forte. C'est ainsi que Li Weilin, un ancien de ses collègues de Taizhong, qui deviendra l'un de ses responsables au département de la sécurité publique de Taishan après 1949, est amené à liquider lui-même un membre de son lignage à Xincun, ce très grand village d'un canton voisin de Conglou où les Li et les Mai coexistent difficilement. Li Weilin est lui-même un jeune fuxiong local et il a la complicité de plusieurs jeunes membres du lignage. Malgré des avertissements écrits répétés, Li Suchao, l'un des principaux fuxiong des Li et même de tout la région de Dufu, de surcroît chef de l'équipe chargée de la sécurité, continue à prendre la parole pour dénoncer le Parti communiste. Son exécution est donc décidée. Celle-ci doit être accomplie par un nommé Tao, membre du Parti, qui se présente le 4 août au siège des gengfu du village en compagnie de Li Weilin, pour ne pas éveiller les soupçons de Li Banpu. Li Weilin agit finalement à la place de Tao, incapable de passer à l'acte Dans bien des cas cependant, il semble que le temps des revendications à l'en1. L'incident est rapporté dans la revue Guangdong Si Yi Qiaobao, nettement pro-communiste, dans son numéro du 1" septembre 1948. Celui qui a été assassiné est décrit comme un despote local âgé de plus de soixante ans, qui s'oppose aux demandes des habitants du canton de réduire le montant de la rente et des taux d'intérêt. Pour faire taire ces revendications, il a sollicité auprès du gouvernement du district l'envoi de soldats, lesquels commettent de nombreuses exactions. D'où la colère de la population et la décision de le faire disparaître.

contre des propriétaires fonciers ne soit pas encore venu, et les fuxiong sont exécutés parce qu'ils sont hostiles à la présence communiste dans leur village et parce que de tels exemples intimident d'éventuels opposants, et non pas parce que ces responsables locaux s'élèvent contre la mise en place de réformes économiques. De telles exécutions sont fréquentes et, de l'aveu même des membres du Parti, elles facilitent grandement leur travail. Un Wu de Fuchang est par exemple exécuté par l'un des siens, ainsi qu'un Wu de Guandou qui dénonçait l'absence de séparation entre garçons et filles dans les groupes de propagande communistes et l'immoralité des activités menées par les sympathisants du Parti à Guandou. «Il yavaitcesentimenttrèsfort àlé' poqueselonlequelleParti communistereprésentait l'intérêt desjeunespaysans,et desjeunesfuxiongenparticulier. Orlepouvoirdes fuxiongreposesurlesoutien apporté par lesjeunes paysanscélibataires, lesgengfu, les jeunesfuxiong.Alorsquandunfuxiongd'unegénérationsupérieurecomprenaitversoù allait les sympathies deces gens-là, il lui était difficile desemontrer très hostile aux communistes. Ceuxqui le faisaient parce qu'ils pensaient avoir encore la situation en main,neréalisaient pasquela plupart deceuxsurlesquelsilsdevaients'appuyern'accepteraientpasquedesactions hostiles auxcommunistessoiententreprises.» Les tracts et les affiches ne s'en prennent pas aux propriétaires fonciers comme groupe constitué. A Guandou par exemple, les jeunes paysans qui entrent au Parti entre 1945 et 1949 ne le font pas en vue d'une future redistribution des terres, un objectif qui n'est pas mentionné alors, mais parce que l'on évoque une réduction des impôts et de la rente. De même les manœuvres d'intimidation ne visent pas la couche desfuxiong dans son ensemble. Ce sont des éléments du groupe des responsables locaux considérés comme réactionnaires parce qu'ayant adopté une position hostile au Parti, qui sont menacés de façon isolée. Dans la plupart des cas, ils ont fait preuve de cette hostilité en critiquant cette organisation auprès des jeunes paysans du village ou du lignage. L'objectif, sinon, est plutôt d'essayer de gagner le soutien et sinon la neutralité, des responsables locaux. C'est sans doute ce qui explique pourquoi certains fuxiong, proches du Parti, n'hésitent pas à faire exécuter ou à exécuter eux-mêmes des responsables de leur village ou de leur lignage. Nombre de proches du Parti, en milieu rural, considèrent qu'il s'agit avant tout de mettre en place un nouveau gouvernement et ce dernier, quels que soient les changements qu'il veut apporter, doit avoir le soutien de ceux qui sont écoutés, si ce n'est 1. ChenLaping, HongKong,octobre 1986,L1411.

toujours estimés, par la population. S'ils souhaitent que les relations instaurées entre les fuxiong et les paysans subissent des modifications, ils ne s'opposent pas au découpage local en villages et lignages et ne remettent pas en cause les qualités traditionnelles qui doivent être celles des fuxiong. En procédant à certaines éliminations parmi ces derniers, ils se débarrassent de ceux qui s'opposent à l ' a r r i v é e a u p o u v o i r d ' u n g o u v e r n e m e n t j u g é meilleur p o u r tous,

y compris pour les membres de leur lignage. Les exécutions de certains grands responsables locaux et les actions de la guérilla communiste ne sont pas les seules manœuvres d'intimidation. Certains commerces des bourgs sont parfois attaqués par des groupes communistes venus d'autres régions du district. De telles raids expliquent l'appellation de «bandits locaux» (tufei) souvent donnée par les paysans aux membres du Parti communiste. Ces exactions, qui répondent aux besoins de trouver des ressources, sont dénoncées par le Parti comme étant le fait de véritables bandits. Le 14 juillet 1948, un groupe de bandits fait ainsi irruption à Conglou. Ces hommes se dirigent aussitôt vers une banque où viennent d'être entreposées des armes récemment achetées par la Chambre de commerce. Ils prennent les armes et de l'argent, sans s'attaquer à autre boutique. La presse pro-communiste de l'époque décrit cependant l'incident comme ayant été commis par de véritables bandits. Elle fait état de 26 boutiques pillées, et annonce enfin que le 3 août au soir, les cinq hommes, originaires des districts de Zhongshan et de Xinyi ont été arrêtés et exécutés par des membres du Parti communiste, soucieux de rétablir l'ordre local La même presse décrit les nombreuses arrestations de bandits réalisées par le Parti en 1948 et 1949, la preuve de la culpabilité des hommes qui sont exécutés étant fournie par la découverte d'une partie du butin sur eux. Il est fort probable cependant que le Parti communiste, poussé par la nécessité de financer ses activités en l'absence de toute possibilité de prélèvement sur la population, ait été dans la plupart des cas à l'origine de ces incursions. Et il est certain que les «bandits» qui font irruption à Conglou le 14 juillet 1948 sont bien des membres du Parti venus d'une région voisine : Deng Weisheng est au courant de cette opération alors qu'elle se prépare. C'est Wu Linteng de Guandou qui informe l'organisa1. GuangdongSiyiQiaobao, 1"septembre 1948,p. 18.

tion locale du Parti de l'arrivée de ces armes à Conglou, l'attaque étant menée par des personnes originaires de la 8 préfecture et qui ne craignent donc pas d'être reconnues. Les membres du Parti communiste de Conglou se livrent d'ailleurs à des opérations semblables dans d'autres régions de la province : c'est ainsi qu'une attaque du même genre a lieu à Shaping, où séjourne alors Wu Peilin, un habitant de Guandou qui exerce les fonctions de directeur d'une école primaire. Quelques heures après l'incident, les policiers du bourg arrêtent plusieurs hommes de Conglou qui ne parviennent pas à ..justifier leur présence sur ces lieux. Wu Peilin les identifie cependant comme d'anciens camarades qui travaillent pour la plupart comme professeurs dans des écoles rurales. Il se porte garant pour eux, estimant impossible qu'ils soient coupables des faits qui leur sont reprochés. Il découvrira cependant lors de la venue au pouvoir du Parti communiste, en 1949, qu'ils étaient bel et bien tous membres de cette organisation. Le Parti nationaliste ne reste pas impassible devant l'essor du Parti communiste. Outre des activités de propagande dont l'influence est limitée dans les campagnes car elles consistent surtout à dépeindre sous les traits les plus noirs, dans la presse locale, la nouvelle société que les communistes veulent mettre en place, des mandats d'arrêt sont lancés contre les membres du Parti les plus actifs. Une équipe de policiers en civil, mise en place dans un premier temps par le district pour lutter contre le trafic d'opium et les jeux d'argent, reçoit pour mission de procéder à ces arrestations dès 1947. Jusqu'au milieu de l'année 1948, Mai Riwen en est responsable pour la région de Conglou. Il reçoit ainsi l'ordre d'arrêter Wu Linteng, de Guandou, responsable de la rédaction des tracts communistes dans toute la troisième préfecture. Mais les liens entre les Mai et les Wu de Guandou sont trop étroits pour que Mai Riwen applique cette consigne. Al'inverse, Mai Riwen n'hésite pas à faire exécuter un groupe de neuf hommes qui se trouvent à Conglou alors qu'ils n'en sont pas originaires. Il agit ainsi, convaincu de leur appartenance au Parti, car non seulement leurs visages sont inconnus à Conglou, mais ils nient farouchement être membres du Parti ce qui lui semble être une preuve indéniable de leur culpabilité. Le district et le sous-district mettent sur pied des organisations armées chargées de lutter contre le Parti communiste, telles que des équipes d'auto-défense, dont les activités se déroulent essentiellement au bourg, et qui sont financées soit par l'administration, soit

par des associations professionnelles telles que les Chambres de commerce. Les soldats du Guomindang pratiquent également de nombreuses fouilles dans les villages soupçonnés d'héberger des membres du Parti. Les nouvelles concernant de telles actions circulent vite grâce aux femmes mariées dans ces localités, qui les rapportent à leur famille natale. Tous les hommes du village sont souvent rassemblés en un même lieu et questionnés. Des arrestations s'ensuivent parfois, les soldats s'emparant de certains biens dans les maisons qu'ils ont perquisitionnées. Le village natal de Deng Weisheng, qui porte le nom de Qutaoyang, fait l'objet un jour de l'année 1948 d'une telle opération. Deux membres d'une «équipe de travail armée » sont hébergés dans cette communauté qui compte alors deux membres du Parti, outre Deng Weisheng qui enseigne alors à l'extérieur, et six sympathisants, ce qui suffit néanmoins à en faire un «point » pour les groupes de propagande. Cette fois-ci, l'alerte n'a pas pu être donnée à temps par des membres de l'administration, proches du Parti communiste. Et le village se réveille encerclé, les soldats étant arrivés de nuit après avoir emprunté trois chemins différents. L'un des officiers découvre la cachette des deux hommes mais ne dit rien, ce qui lui vaudra un traitement de faveur au moment de la Réforme agraire. Des hommes accusés d'être des membres du Parti communiste sont souvent exécutés et leurs corps sont exposés près des bourgs. L'intervention des militaires est de plus en plus fréquente en 1948 et au début de l'année 1949, que ce soit pour essayer d'arrêter les conscrits qui manquent à l'appel ou pour se saisir de membres du Parti communiste. Elle se traduit par de nombreuses exactions et le développement de la lutte contre le Parti communiste ne fait qu'accroître les mécontentements paysans à l'égard du gouvernement en place : les villageois préfèrent parfois abandonner les villages à l'approche des soldats. Le 15 avril 1949, les membres de l'assemblée consultative du district de Taishan se plaignent d'ailleurs de la conduite de l'armée, mettant en garde le gouvernement local contre les conséquences de tels actes auprès de la population. La situation, enfin, est aggravée par les batailles qui éclatent entre les troupes gouvernementales et des groupes de guérilla communiste, surtout au début de l'année 1949, aux abords des villages où le Parti communiste connaît une certaine influence. En dépit de ces tentatives, la défaite du gouvernement semble assurée dès 1948, année pendant laquelle les communistes accumu-

lent les victoires militaires. De grandes villes telles que Luoyang, Kaifeng et Jinan sont prises; la Mandchourie est conquise ; 550 000 soldats nationalistes sont anéantis au cours de la bataille de HuaiHai, qui se déroule de novembre 1948 à janvier 1949. L'identité du vainqueur ne fait plus de doute. Sur le plan local, les structures du bao et du canton ne demeurent plus que de nom, et nombreux sont les paysans qui ignorent alors jusqu'à l'identité des responsables de ces structures administratives. Signe des temps, le responsable du bao de Sui An appartient pour la première fois au segment lignager Renshi. Plus que jamais, les consignes venues du district restent lettre morte. «Cen'était plus que dupapier sans valeur. Personne nes'en occupait. Cette époque était très troublée, les gensavaient peur, et personne nevoulait s'occuper desaffaires collectives, cellesducantoncommecellesdeslignages. Lescommunisteavait gagnéau nord,lesnationalistes étaient deplusenpluscorrompus.Visiblement, ils nepouvaient paséchapperàla défaite. Surplace, lesmembresduParti communisteétaient deplus enplusagités, tuant quelqu'unaujourd'hui, unautre demain. Letrouble régnait.. »' Entre les quelques responsables locaux ralliés au Parti communiste et ceux qui sont morts pour avoir mis en garde les jeunes du village contre le Parti ou s'être opposés à ce dernier, la plupart des fuxiong adoptent alors une position attentiste, ne sachant pas trop de quoi demain sera fait, et comment prendre des décisions correctes. Ils évitent les grands rassemblements lignagers. Leur pouvoir décline, du fait même qu'ils hésitent de plus en plus à l'exercer. Certains d'entre eux n'accordent aucune estime au Parti communiste, accusés d'actes de banditisme, alors que d'autres sont conscients du fait que les membres locaux du Parti ne peuvent être assimilés à des bandits. Ils obéissent en effet visiblement à des principes fort différents et leur action déjoue les raisonnements traditionnels en termes de rapports de force locaux, car les groupes communistes ne sont pas rattachés à un seul village ou lignage. Leur force dépasse les territoires sociaux convenus. Les calculs en termes d'alliance ou de rivalités entre groupes qui permettent d'augurer des conséquences d'une attaque portée contre un individu, sont dépassés. Non seulement le Parti a pénétré les villages, non seulement certains de ses membres circulent entre les villages et sont visibles en des lieux où le Parti nationaliste n'a jamais été vu, mais il dispose d'une force militaire dont les capacités de mobilisa1. MaiJieshi, NewYork,octobre 1988,L725.

tion apparaissent sans limites. Derrière les membres de Guandou qui sont entrés au Parti, se trouve ainsi une organisation qui a des ramifications dans les cantons voisins, dans tout le district et jusqu'à l'échelon national. L'incapacité soudaine des paysans à apprécier le nombre d'hommes, d'armes et de relations précieuses qui se cache derrière un individu ou un groupe suscite le désarroi et l'incertitude. Incalculable, la puissance du Parti communiste apparaît très grande. Mais quelle que soit leur interprétation, la plupart des fuxiong ne prennent pas position alors, pour l'un ou l'autre bord. Les fuxiong ne sont pas les seuls à observer l'évolution de la situation sans prendre parti. «Tout le monde attendait de voir», cette phrase résume assez bien l'attitude des paysans de Conglou (hormis ceux, minoritaires, qui ont eu des contacts privilégiés avec les communistes), au cours de ces années qui séparent la victoire contre le Japon de la défaite du Guomindang. La propagande communiste est jusqu'en septembre 1949 largement dirigée contre le gouvernement en place, et non pas contre l'ordre social existant et il n'y a donc pas lieu, apparemment, de prendre les armes contre lui. Or, aucun gouvernement ne paraît pouvoir réunir autant de défauts que le Guomindang et dès les débuts de l'année 1948, sa défaite est acquise. A partir de cette date, les nombreuses exécutions de fuxiong révèlent simplement que le Parti communiste «ne donne pas de face aux lignages », comme disent certains paysans, car il n'hésite pas à tuer certains de leurs représentants. S'il est visible alors que les rapports existants autrefois entre l'administration locale et les structures lignagères ne sont plus de mise avec le Parti communiste, les propos qui dénoncent le féodalisme ne sont pas interprétés comme des attaques à l'encontre de l'institution lignagère. D'ailleurs, ils ne contiennent aucune référence explicite à ce sujet. Par contre, le désir de changement est grand et joue bien sûr en faveur d'une acceptation du Parti communiste même si beaucoup de paysans n'ont que des connaissances vagues sur ce dernier, et même si cette acceptation est souvent plus proche de la résignation que du véritable soutien. Enfin, aucune réforme économique ne semble avoir été menée à Conglou avant la victoire officielle du Parti communiste dans l'ensemble du pays, et les intérêts économiques des familles les plus aisées n'ont donc pas été directement menacés pendant cette période. C'est en ce sens effectivement le pouvoir, plus que la richesse des responsables locaux, qui a été

alors considérablement affaibli Cette absence de mesures visant à redistribuer les biens de tous explique aussi sans doute que ne se soit pas produit un engagement plus massifdes familles paysannes. Les structures locales particulières à cette région de Chine, telles que la prédominance des villages monoclaniques, l'importance des liens de parenté, le rapport de dépendance mutuelle établi entre responsables locaux et jeunes paysans, ont permis au Parti communiste de gagner à sa cause des paysans qui suivaient, d'abord, certains de leurs fuxiong. Ils ont permis également aux membres du Parti extérieurs à ces communautés de circuler sans grand danger dans des villages où quelques membres seulement étaient des sympathisants, les paysans donnant ainsi de la face aux responsables locaux et aux jeunes paysans qui les soutenaient. Les solidarités internes villageoises face aux menaces extérieures ont, quant à elles, favorisé la sécurité des habitants qui avaient intégré le Parti. Tous ces éléments montrent que le Parti communiste a associé à desrevendications à prétention universelle une stratégie très proche des réalités locales : des réalités géographiques d'abord, pour ce qui est du choix des villages mobilisés de façon privilégiés, et des réalités sociales aussi, en tenant compte de l'organisation sociale et des rapports de pouvoir au sein des villages. L'usage de telles stratégies a permis que la puissance du Parti, plus que son autorité, soit reconnue par une partie de la population de Conglou, minoritaire certes, mais comptant en son sein des acteurs sociaux importants, tels que des professeurs, de jeunesfuxiong et des paysans instruits, souvent estimés dans leurs communautés. De façon immédiate, l'engagement de ces derniers répond souvent aux frustrations causées par le développement de l'éducation alliée à l'absence de débouchés pour ceux qui, possédant le capital le plus valorisé, le savoir, visent des activités professionnelles prestigieuses, comme celles dont avaient joui leurs aînés dans le passé, et qui en sont privés. Mais de façon plus profonde, et comme pour les intellectuels citadins, cet engagement répondait à la volonté de changement née à la fois de l'espoir, largement diffusé depuis le 4 mai 1919, de l'avènement d'une société nouvelle, et du rejet manifesté face à la corruption grandissante du Parti au pouvoir. C'était l'aboutissement d'un processus ayant vu la valorisation de tout ce qui était 1. Cf.L.Bianco,1989,p.9.

nouveau, d'où l'accolation de cet adjectif à tant de mots tels que «école», «culture», «jeunesse». Cet adjectif a été interprété par les uns et par les autres dans un sens plus ou moins radical, selon la part faite à l'expérience passée mais il influence les jeunes paysans instruits de la fin des années trente, les préparant à l'acceptation d'une idéologie prônant la construction d'une société nouvelle. C'est bien, entre autres, la notion de changement qui séduit les membres des jeunes générations qui se rapprochent du Parti communiste, d'autant plus que les exemples de changement proposés soit les concernent directement, eux ou leur famille, qu'il s'agisse de revendications économiques ou sociales, soit concernent le gouvernement en place. Si le Parti communiste insiste longuement sur la notion de changement, il ne détaille pas de façon très précise le contenu de ces futurs changements. D'autre part, le contenu idéologique des revendications n'entraîne pas une remise en cause très profonde de l'expérience passée. Pour les jeunes paysans, qu'ils soient professeurs, fuxiong, baozhang ou simples agriculteurs, qui ont la pratique du pouvoir et qui s'appuient sur un savoir largement ancré dans le passé, les demandes exprimées par le Parti communiste ne semblent donc pas renier, de façon fondamentale, les façons de faire jusqu'ici communément admises, les critères en place pour juger du caractère raisonnable et adéquat d'une conduite donnée, la considération portée à certains types de comportements. Leur raisonnement est étayé par le choix, effectué par le Parti communiste, d'individus jouissant de considération et possédant une certaine autorité, comme principaux interlocuteurs. Malgré ces ralliements, le Parti communiste ne bénéficie pas du soutien massif des paysans de Conglou à la veille de son arrivée au pouvoir, et l'exemple de cette localité semble confirmer les propos de K. Hartford, quand elle affirme qu'un soutien populaire, large et solide, n'était pas nécessaire pour assurer la victoire communiste'. On y compte alors environ cent cinquante membres du Parti, des hommes et des femmes assez jeunes pour la plupart. Si le nombre des sympathisants et proches du Parti forme un groupe plus large que celui des membres, ceux-ci demeurent minoritaires au sein de la population paysanne. Par contre, les manifestations d'hostilité, qui n'ont d'ailleurs jamais été très fortes, se sont tues. 1. K. Hartford, Step byStep: Reform, Resistance and Revolution in Chin-Cha'-Chi Region,1937-1945,PhD,StanfordUniversity,2vol.,p.13.CitéparL.Bianco,p.23.

Dès les premiers mois de l'année 1949, le Guomindang ne contrôle plus que la seule ville de Taicheng. Les associations paysannes placées sous l'influence du Parti nationaliste, peu nombreuses dans cette région, cessent leurs activités et sont remplacées par des associations paysannes dirigées par les communistes. Le Parti commence à rechercher activement ceux qui ont prêté mainforte au Guomindang pendant les mois précédents. Les départs vers Hong Kong sont de plus en plus nombreux, même s'il n'atteignent pas la fréquence qu'ils auront entre septembre 1949 et avril 1950. Au cours du mois de mai 1949, les événements se précipitent. Plusieurs attaques sont lancées par la guérilla communiste : le 3 mai, un groupe d'une centaine de personnes occupe le poste de police du bourg de Dufu, pas loin de Conglou, prenant des armes et brûlant des documents. Le 13 mai, une trentaine de communistes passant à l'ouest de Conglou rencontrent une compagnie de soldats Guomindang et une bagarre éclate. Le 15 mai, plus d'une centaine de membres de la guérilla communiste traversent le canton nord de Conglou et y arrête le responsable du deuxième bao, qu'ils relâchent quelques heures plus t a r d Le Parti revendique alors d'avoir repris le contrôle de sept bourgs et six sièges cantonaux entre le 3et le 13 mai, causant 22 morts parmi les forces ennemies Le 25 juin 1949, les communistes établissent un gouvernement populaire du district de Taishan en un lieu demeuré secret. «Sous la demande pressante et avec l'aide enthousiaste de toute la population de Taishan, le gouvernement populaire de Taishan a enfin vu le jour. Cet acte prouve que le peuple de Taishan a remporté une victoire totale et qu'il a mis fin au gouvernement réactionnaire établi depuis plusieurs dizaines d'années par le Guomindang à Taishan. Une nouvelle page de l'histoire du peuple de Taishan commence aujourd'hui dit le communiqué publié à cette occasion. Malgré les nouvelles venues du nord, les paysans ne se résignent pas à vendre leurs terres. Les sympathisants du Parti communiste agissent de plus en plus ouvertement et leur nombre augmente, même s'ils n'ont pas tous intégré officiellement cette organisation : ils sont ainsi une trentaine à prendre la parole en sa faveur à Guandou, mais aussi à Qutaoyang et à Nichao, à la veille de la défaite natio1. GuangdongSi YiQiaobao, 15juin 1949,p. 8. 2. GuangdongSi YiQiaobao, 15juin 1949,p. 5. 3. GuangdongSi YiQiaobao, 15juin 1949,p. 5.

naliste. Les révolutionnaires de la première heure seront cependant, pour la plupart, détrônés, peu après l'arrivée au pouvoir du Parti communiste, lorsque le concept de classe remplacera celui de liens de parenté. (Deng Weisheng comme la plupart de ses camarades, accusé d'avoir été à la fois un baozhang et unfuxiong, passera ainsi près de dix ans en prison.) Et ils assisteront à la disparition du système lignager et à l'arrivée, sur la scène publique, d'acteurs sociaux tels que les ouvriers agricoles, les servantes, les «petits hommes» et les paysans pauvres, alors que les responsables villageois et lignagers les plus importants, jusqu'ici peu touchés en tant que catégorie sociale, allaient être victimes des premières campagnes politiques. Un sort dont ne devaient être épargnés que ceux qui prirent très vite le chemin de Hong Kong ou ceux qui, comme Mai Leguan, ont «su mourir à temps », alors que la plupart des jeunes instruits ne s'étant pas ralliés à la cause communiste devaient regretter, à l'instar de Mai Jieshi, de ne pas avoir eu le temps de mettre en place les réformes souhaitées de l'organisation lignagère.

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INDEX

ancêtre, 6, 11, 14, 41-47, 49-52, 54-55, 57, 60-65, 67, 69, 71, 73, 77-79, 84, 89-90, 110, 202. autorité, 3, 6, 14, 19, 24, 34, 53, 73, 85-86, 89, 109-110,139,145-147, 149-150,153157, 160-164, 168, 171, 187, 190, 230231, 236, 239-241, 243, 246-247, 265, 275-278, 285, 293, 305-306.

conflit, 18, 24, 30, 32-33, 67, 69, 73-75, 8386, 89-90, 110, 112, 127, 155-156, 174175, 180, 182-190, 194-198, 200, 248. conscrits, 235-237, 239, 242, 244, 249, 259, 266-267, 291, 294, 302. conseil lignager, 5, 7-8, 53, 75, 113, 139, 142, 155, 163-165, 169, 171, 265, 270, 273, 275.

bandits, 2, 40, 105, 139, 175, 225, 230, 242, 244-245, 251-252, 265-267, 270, 300, 303, 313. baojia, 230, 233, 235, 238, 241, 313. baozhang, 130, 150-151, 169-171, 236, 241-243, 260-261, 273, 288, 293, 306, 308. bourg, 1, 3-5, 8, 30, 34, 44, 49, 81-82, 87, 108, 115-118, 122, 129-130, 148-149, 159, 182, 186, 190, 196, 198, 206, 209214, 217, 219, 221, 227, 233-235, 237, 251-252, 262, 267, 271, 291, 298, 301, 307.

divinité, 10, 55, 95, 276.

canton, 9-10, 46, 48, 72, 99, 106-108, 129, 139, 147-148, 150, 163-164, 178, 189191, 193, 195, 198, 229, 233-243, 247, 249, 252, 259, 261, 266, 271-275, 298, 303, 307. Chinois d'outre-mer, IX, 4, 6, 28, 34, 4849, 57, 70, 108, 115, 129, 140, 149, 166167, 175, 204, 207-208, 210-211, 218, 225-226, 228, 240, 242, 245, 256, 258259, 261-262, 281, 290, 311. collecte, 44, 49, 58, 71, 74, 79-80, 97, 99, 242, 291. commun, X-XI, 15-16, 18-21, 27, 43-44, 46-47, 64-65, 74, 76, 81, 84, 86, 88, 9394, 96, 98-99, 103-104, 111, 186, 219, 221, 234, 241, 270, 314. communauté de lecture, 281-282.

économie, VIII, 36, 219-220, 257-259, 291. émigration, IX, 15,17-18, 21-22, 26-27, 29, 36-38, 42, 48, 59, 70, 78, 166-167, 207, 215,217-219,225,230-231,255,275. entraide, 23, 36-37, 43, 46, 67, 76-81, 112, 134, 205, 256, 261-262. équité, 32, 98, 100,112,151, 162,172,181, 184, 186, 194, 285. exécutions, 298-300, 304. face, V,X, 19, 24, 31-37, 45, 50, 59, 65, 70, 72, 75, 78, 80, 83-84, 87-88, 90, 98, 104, 109, 119-138, 140-143, 145-146, 149, 151, 154, 156, 159-162, 173-174, 176, 178, 180, 186-188, 190, 192-193, 198199, 206, 222, 227, 230, 243, 252, 256, 259, 265, 271, 304-305. famille, V-VII, VII, IX-X, 3, 13-38, 40-42, 49, 60, 63, 67, 73-74, 77-81, 83-84, 86, 88, 94-95, 98-99,105, 108, 113-114,116117, 121-125, 127, 129, 133, 135, 140142, 145, 147, 151, 161, 165, 167, 182, 191, 203-206, 208, 213-215, 217, 219228, 240, 242-243, 250, 252, 256, 263, 265, 269, 277, 282, 302, 306, 310. fang, 46, 49-50, 52, 54, 56, 60-62, 67-68, 70, 73-74, 76-77, 79-91, 97-98, 101-104, 106, 108-115, 117-118, 120, 123-124, 136-137, 139, 146, 148, 150, 155-156,

158, 160-161, 164, 169, 171, 193, 207, 211. 213, 218, 222, 224, 242, 261, 268, 273, 278. fuxiong, X, 7, 32, 34, 49, 71, 77, 84-85, 8788, 91, 96, 104, 109-110, 112, 120, 123125, 129, 132, 134-135, 137-142, 145172, 174-176, 180-181, 185-190, 192-196, 198, 200, 218, 229-231, 238243, 248-249, 260, 264-266, 269-270, 277-278, 280, 285, 287-289, 293, 295300, 303-306, 308. gengfu, 83, 102-106, 109, 130, 139, 141142, 155, 176, 209, 233, 243, 265-266, 271, 273, 293, 295-296, 298-299. gouvernement, IX-X, 62, 71, 107-108, 132, 153, 163, 214, 228-233, 236-247, 252256, 258, 260-261, 266, 268-269, 271272, 278-279, 281, 283, 286-287, 290294, 298-300, 302, 304, 306-307, 311. guerre, X, 4-7, 15-16, 19, 23, 33, 41, 58, 62, 76, 78, 104, 107, 116-117, 124, 129, 132, 139-140, 142, 155, 165, 168-169, 175, 177, 179, 190-191, 193, 197-198, 207210, 212, 214, 225, 229-231, 236-239, 245, 251, 255-259, 261-269, 271-272, 274-280, 282-285, 287, 289-293. lignage, VIII-XI, 1, 3, 5-6, 13-14, 26-34, 39-52, 54, 56-57, 59-65, 67-69, 71-73, 75-77, 84-85, 89-90, 93-94, 100, 102, 107, 109-110, 117-118, 120, 123, 125, 131-132, 138, 140-142, 145, 147-148, 150-157, 159, 162-165, 167-169, 171, 174-175, 178-181, 183-185, 187, 189190, 193-196, 199, 202, 214, 217, 220, 222-225, 227, 229, 232, 234-235, 239244, 246, 249, 251, 254, 256, 258-259, 262, 264-265, 267, 269-276, 285, 289290, 296, 298-300, 303-304. lutte, 2, 11, 73-74, 86, 102, 129, 174, 176177, 182-184, 187, 189, 194-198, 200, 253, 261, 266-267, 272, 278, 287, 298, 302, 313.

mariage, 12, 15, 22-23, 25-26, 28-37, 78, 84, 117, 122, 131, 133, 188, 204, 211, 218, 276-277, 289, 294, 310. nouvelle culture, 104, 167, 256, 272, 274, 293. Parti communiste, IX-X, 2, 5, 71, 99, 106, 117, 138, 165, 169, 171, 197, 205, 213, 216, 223, 237, 241, 250, 256, 268-271, 274-275, 278-281, 283-284, 286-291, 293, 295-308. Parti nationaliste, 117, 171, 230-231, 245, 269, 271, 275, 278, 283-284, 287, 290, 294, 296, 301, 303, 307. petit homme, 122, 139, 170, 223-224. policiers, 103-104, 109, 250, 252, 301. privé, X-XI, 74, 93-94, 96, 110-111, 114, 131, 138, 238. renqing, 79-80, 82, 127. rente, 48, 59, 202, 206-208, 298-299. temple, 5, 25-26, 32, 34, 42-61, 63, 65, 6777, 85-88, 99-100, 106-107, 109, 111115, 119, 138-139, 142, 149, 161, 163, 170, 180, 193, 203, 234, 236-238, 264, 273, 276-277. village, V, VIII-XI, 1-6, 17-19, 22-26, 2931, 33-34, 36-37, 40-41, 43-45, 51-54, 58-61, 68-76, 85, 87-88, 90-91, 93-107, 109, 111-118, 120, 122, 125, 127, 129134, 136-139, 141, 147-151, 153-155, 158-159, 161-162, 164-165, 167, 169171, 173, 175-182, 185-189, 191, 193, 195-196, 199, 202-206, 209, 213-214, 216-217, 219-225, 227-229, 237, 240243, 245, 248, 251, 253, 256, 260-263, 265-272, 276-278, 285, 288-290, 293299, 302-303, 309, 312. violence, V,VIII, 30, 47, 105, 145, 153-155, 160, 167, 173-175, 177, 179-181, 183, 185-187, 189, 191, 193-197, 199, 297.

Imprimé en France Imprimerie des Presses Universitaires de France 73, avenue Ronsard, 41100 Vendôme Novembre 1996 —N° 42 821

La constitution du lien social aujourd'hui, en Chine, repose sur l'actualisation et l'interprétation d'éléments issus de périodes

t r è s c o n t r a s t é e s d e l ' h i s t o i r e d u XXe esiècle. P o u r a p p r é h e n d e r la f o r m a t i o n d e n o r m e s n o u v e l l e s d a n s les c a m p a g n e s c h i n o i s e s , les a u t e u r s a n a l y s e n t l'un d e s h é r i t a g e s p o u v a n t ê t r e r é a c t i v é p a r les p a y s a n s : les p r i n c i p e s d ' a c t i o n et les f o n d e m e n t s d u lien social e x i s t a n t a v a n t l ' a r r i v é e a u p o u v o i r d u Parti c o m m u n i s t e .

C e t t e é t u d e e s t c e n t r é e s u r l ' é v o l u t i o n d ' u n e localité d e la prov i n c e d u G u a n g d o n g ( s u d d e la Chine) p e n d a n t l'ère républic a i n e (de 1911 à 1949). L'attention s e p o r t e s u r l ' o r g a n i s a t i o n d u l i g n a g e Mai, qui r é u n i t les h a b i t a n t s d e o n z e v i l l a g e s , s u r les liens t i s s é s e n t r e les m e m b r e s d e ce g r o u p e m e n t ainsi q u ' e n t r e les Mai et les c o m m u n a u t é s p r o c h e s . L ' o b s e r v a t i o n s ' e f f e c t u e d a n s d i f f é r e n t e s p e r s p e c t i v e s : s e g m e n t lignager, village, lig n a g e ou bourg, en c o n s i d é r a n t d e s m o m e n t s différents de l ' é v o l u t i o n . Il a p p a r a î t ainsi un a f f a i b l i s s e m e n t d e l ' o r g a n i s a t i o n l i g n a g è r e à partir d e la g u e r r e c o n t r e le J a p o n , et s u r t o u t lors d e la m o n t é e a u p o u v o i r d u Parti c o m m u n i s t e . L ' a n a l y s e privilégie les a r g u m e n t s utilisés p a r les p a y s a n s p o u r justifier l e u r s c o m p o r t e m e n t s , l ' i n t e r p r é t a t i o n d e n o t i o n s t e l l e s q u e c e l l e s d ' é g a l i t é et d ' é q u i t é , l ' i m p o r t a n c e a t t r i b u é e a u x relat i o n s s o c i a l e s d a n s la f o r m a t i o n d e s i d e n t i t é s i n d i v i d u e l l e s , e n e n v i s a g e a n t n o t a m m e n t la n o t i o n d e face.

Hua Linshan, historien, est membre de l'équipe de Recherches interdisciplinaires sur la Chine contemporaine de E l'HESS-CNRSD. Isabelle Thireau, chercheur au CNRS,enseigne actuellement la sociologie à l'Université chinoise de Hong-Kong.

« SOCIOLOGIE D'AUJOURD'HUI » Jodelet D. Folies et représentations sociales(2 éd.) Juffé M.Lesfondements dulien social Khellil M. L'intégration des Maghrébins en France Labourdette tions A. Théorie des organisaLagrange H.Lacivilité àl'épreuve Lapeyronnie D. L'individu et les minorités Le Breton D. Anthropologie du corps et modernité (3 éd.) LewisI.-M. Lesreligions de l'extase Lojkine J. La révolution informationnelle Lojkine J. Lemarxisme, l'Etat et la question urbaine LojkineJ. Lesjeunes diplômés Louis Dirn. La société française en tendances(2eéd.) Lôwy M. Pour une sociologie des intellectuels révolutionnaires Lôwy M. Rédemption et utopie. Le judaismelibertaire enEuropecentrale Mackenzie W. J. M. Pouvoir, violence, décision Maffesoli M.Laconquête duprésent Maffesoli M.Laviolence totalitaire Martuccelli D.Décalages Michel A.et divers. Femmes, sexisme et société Minguet G. Chefs d'entreprise dans l'Ouest MonsA. Lamétaphoresociale Pessin A. Le mythe du peuple et la société française duXIXsiècle Rieffel R.L'élite desjournalistes Rivière C. Lesliturgiespolitiques Rivière C. Lesrites profanes Roché S. Lesentiment d'insécurité Romano J. Lamodernisation des PME Rouquette M.-L.Larumeuret le meurtre Sansot P. L e s g e n s d e p e u (4e éd.) Sauvageot A. Figures de la publicité, figures dumonde SauvageotA. Voirsetsavoirs Scardigli V. La consommation, culture duquotidien Scardigli V.Lessens dela technique Terrail J.-P. Destins ouvriers. Lafind'une classe ? Terssac G.de. Autonomie dans letravail Vidal D. Miracles et convulsions jansénistes auXVIIIsiècle WuhIS. Insertion :lespolitiques encrise Zarifian P. Travailetcommunication

« SOCIOLOGIE D'AUJOURD'HUI» AebischerV.Lafemmeetle langage Affergan F.Exotisme et altérité Akoun A. Lacommunication démocratique etson destin AkounA.L'illusion sociale Bajoit G., Franssen A. Lesjeunes dans la compétition culturelle BarrauA. Mortàjouer, mortà déjouer Beauchard J. Lapuissance des foules Berque J. Les structures sociales du Haut-Atlas(2 éd.) Berthelot J.-M. L'intelligence du social Berthelot J.-M. Les vertus de l'incertitude. Le travail de l'analyse dans les sciences sociales Boserup E. La femme face au développementéconomique Bouvier P.Letravailau quotidien BruantG.Anthropologiedugestesportif Chebel M. Le corps dans la tradition au Maghreb Chebel M. L'imaginaire arabo-musulman Cicourel A.V.Lasociologie cognitive Couchard F. Le fantasme de séduction dans la culture musulmane DescolongesM. Ou'est-cequ'unmétier? DrulheM.Santéetsociété Duclos D. Nature et démocratie des passions Dumont F.L'anthropologie en l'absence de l'homme Duvignaud J. La genèse des passions dans la viesociale Duvignaud J. Les ombres collectives. Sociologie du théâtre (2 éd.) Enriquez E. L'organisation en analyse Evans-Pritchard E. E. Les anthropologues face àl'histoire et àla religion Forsé M. L'ordre improbable. Entropie etprocessus sociaux Forsé M.,LangloisS., Tendancescomparéesdessociétéspost-industrielles Fresnault-Deruelle P. L'éloquence des images GautierA.Duvisibleau visuel GeertzC.Savoirlocal, savoir global Girod R.Inégalité, inégalités Goldwater R. Leprimitivisme dans l'art moderne GrasA. Grandeuretdépendance Guédez A. Compagnonnage et apprentissage HuaLinshan, Thireau l. Enquêtesociologiquesur la Chine, 1911-1949 Jodelet D. (sous la direction de). Les représentations sociales (4 éd.)

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