Encadrer aux cycles supérieurs : Etapes, problèmes et interventions 2760549356, 9782760549357

L'encadrement des étudiants aux cycles supérieurs fait partie des tâches des professeurs universitaires. Le fait d&

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Encadrer aux cycles supérieurs : Etapes, problèmes et interventions
 2760549356, 9782760549357

Table of contents :
Couverture
Title
Crédits
Table des matières
Introduction
1 / L’encadrement de la recherche
2 / La finalité d’un programme de maitrise et de doctorat
3 / Organisation de l’ouvrage
4 / Une approche « problème » pour des suggestions concrètes
5 / Les façons de consulter les chapitres
6 / « Masculiniser » le texte
Partie 1 / Les conditions étudiantes
Chapitre 1 / Les exigences et les contraintes des études aux cycles supérieurs
1 / L’apprentissage d’un savoir-­faire spécifique
1.1 / Le développement d’habiletés de lecture
1.2 / L’adoption de propos d’un style de nature scientifique
1.3 / Des arguments ou des affirmations basés sur des écrits
2 / Des étapes et des conditions particulières
2.1 / Le travail sur le projet de recherche en parallèle de la scolarité
2.2 / Une relation « privilégiée » avec un professeur
2.3 / La perte des balises temporelles et l’isolement durant la période de rédaction
3 / Les conditions extérieures à la formation
3.1 / Le manque de reconnaissance de l’entourage
3.2 / L’engagement nécessaire
4 / Le difficile respect du temps requis
5 / La perception des exigences, de la finalité et des perspectives
Chapitre 2 / Les difficultés des étudiants aux cycles supérieurs
1 / Les facteurs d’abandon et de persévérance aux cycles supérieurs
1.1 / Le rôle du directeur et de l’encadrement offert
1.2 / Les répercussions liées à d’autres facteurs
2 / La diplomation en fonction des disciplines
3 / Les causes des difficultés de progression des étudiants
4 / Les problèmes d’adaptation et de confrontation aux limites
4.1 / La confrontation à sa « méconnaissance » des tâches et des exigences
4.2 / Une autoévaluation inadéquate de la qualité des textes produits
Partie 2 / Les étapes préparatoires à l’encadrement
Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant
1 / L’identification de ses critères personnels
1.1 / Être sensible à ses propres préférences sur le plan relationnel
1.2 / Identifier ses préférences de fonctionnement de l’encadrement et du suivi
1.3 / Avoir une codirection ou non
2 / La préparation de la rencontre de sélection
2.1 / Reporter une rencontre non planifiée
2.2 / Les tâches et les informations à vous fournir
2.3 / L’analyse de ce qu’il vous remet
2.4 / La qualité de son expression écrite
3 / La rencontre avec l’étudiant
3.1 / Évaluer la dynamique d’échange et le degré de préparation de l’étudiant
3.2 / Connaitre le cheminement scolaire de l’étudiant ainsi que ses « forces » et ses « faiblesses »
3.3 / Connaitre les motivations de l’étudiant pour son projet d’études actuel
3.4 / Connaitre l’origine et les motivations liées aux intérêts de recherche de l’étudiant
3.5 / Connaitre les motivations de l’étudiant à travailler avec vous
3.6 / Connaitre les préférences de l’étudiant pour les tâches et les activités
3.7 / Connaitre les conditions extérieures à la démarche scolaire de l’étudiant
4 / La prise de décision
4.1 / L’utilité d’une deuxième rencontre
4.2 / Quelques situations problématiques à vérifier
4.3 / La décision de refuser l’étudiant
5 / Le contexte particulier de sélection des étudiants étrangers ou à distance
5.1 / Avoir au moins une rencontre « en personne »
5.2 / Établir les contacts visuels à partir du bureau
5.3 / Planifier la rencontre durant les heures « normales » de travail
6 / La finalisation de « l’acceptation »
6.1 / Prendre en notes les coordonnées
6.2 / Faire le décompte « à rebours » des étapes
6.3 / Présenter vos modalités d’encadrement et vos règles de fonctionnement
6.4 / Vérifier si l’étudiant connait les prochaines étapes ou son échéancier
6.5 / Déterminer le moment de la prochaine rencontre et les tâches à faire
6.6 / Demander d’enregistrer vos rencontres
6.7 / Présenter les autres consignes ou directives non mentionnées
Explications
Chapitre 4 / Les modalités de rencontre et de suivi
1 / Le rationnel de l’approche proposée pour les modalités de rencontre
2 / La prise de rendez-­vous
2.1 / Les choses à éviter
2.2 / Les approches recommandées
3 / Le sujet des rencontres
4 / Les délais de réponse des demandes et des courriels
5 / L’expression des désaccords
6 / Des conditions favorables aux échanges et au suivi
6.1 / Demander la tenue d’un cahier de bord
6.2 / Noter ses réflexions personnelles pour chaque étudiant
6.3 / Demander à l’étudiant de vous faire un compte rendu
7 / La remise des autres productions
8 / Les délais de correction du directeur
9 / La gestion des absences
Partie 3 / L’accompagnement dans les différentes étapes
Chapitre 5 / Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes
1 / Sa conception de ses rôles et responsabilités
1.1 / La grille de perception des rôles et responsabilités
1.2 / L’usage de la grille avec les étudiants
2 / Son « style » d’accompagnateur
2.1 / « Laisser-­faire »
2.2 / « Pastoral »
2.3 / « Directif »
2.4 / « Contractuel »
3 / Le compagnonnage cognitif
4 / Des principes et des limites à l’accompagnement
4.1 / Le projet de recherche appartient à l’étudiant
4.2 / La démarche de formation de l’étudiant est sa responsabilité
4.3 / La nécessité d’être transparent et respectueux dans la relation
4.4 / La relation d’encadrement ne s’établit pas par l’amitié ou la familiarité
4.5 / La nécessité de fixer des limites et de clarifier le cadre des relations rapidement
4.6 / L’encadrement n’est pas du financement
4.7 / Le directeur n’est pas un confident, un conseiller personnel ou un thérapeute
4.8 / L’encadrement n’est pas du parrainage
Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits
1 / Le suivi du processus de recherche des références et des sources
2 / Le suivi du processus de tri et de sélection des ouvrages
3 / Le suivi des premières étapes de la recension des écrits
3.1 / Aider à la lecture
3.2 / Expliciter ses propres processus de lecture
3.3 / Éviter que l’étudiant ne construise sa connaissance sur vos propres explications
4 / Un modèle de « fiche de notes de lecture » et son usage
4.1 / Introduire l’étudiant à la prise de notes de lecture
4.2 / Section 1 de la fiche : section référence
4.3 / Section 2a de la fiche : les notes de lecture
4.4 / Section 2b de la fiche : les réflexions de l’étudiant
4.5 / Section 3 de la fiche : les thématiques abordées
5 / La procédure de vérification des notes de lecture
5.1 / La vérification du contenu des notes
5.2 / Quelques démarches complémentaires
5.3 / La nécessité d’encourager la relecture et la synthèse des notes de lecture
6 / Les notes de lecture et les outils de gestion des références (EndNote, Zotero, etc.)
Chapitre 7 / L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche
1 / Le choix ou la délimitation du sujet
1.1 / Les difficultés associées au choix du sujet
1.2 / Les difficultés liées à des préférences ou à des attentes de l’étudiant
1.3 / La nécessité d’aider l’étudiant à faire un choix de sujet
2 / La difficulté à formuler des questions de recherche
2.1 / L’incapacité à formuler des questions
2.2 / Un questionnement qui définit trop d’objets
2.3 / L’attente des « bonnes » réponses
Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique
1 / Un principe préalable : faire produire rapidement de petites parties
2 / La production des chapitres de la problématique et du cadre conceptuel
2.1 / La compréhension de la notion de problématique (ou de problématisation)
2.2 / Le cadre conceptuel ou théorique
3 / Les difficultés dans l’expression de la problématique et du cadre conceptuel
3.1 / L’étudiant exprime ses opinions comme étant des « évidences »
3.2 / L’étudiant n’utilise pas la « forme scientifique »
3.3 / L’étudiant ne saisit pas le lien entre les écrits et la formulation de la question
3.4 / L’étudiant veut montrer qu’il a beaucoup lu
3.5 / L’étudiant énumère plutôt que de décrire ou d’expliquer
3.6 / L’étudiant décrit plutôt que d’argumenter ou de critiquer
3.7 / L’étudiant survole plutôt qu’approfondit
3.8 / L’étudiant décrit plutôt que d’expliquer
3.9 / L’étudiant se limite à des évidences
3.10 / L’étudiant se restreint aux auteurs majeurs ou aux ouvrages de référence
3.11 / Les propos de l’étudiant ne sont pas mauvais, mais…
3.12 / L’étudiant ne prend jamais position ou ne parvient pas à émettre une critique
3.13 / L’étudiant n’a pas de fil conducteur pour construire son argument
3.14 / L’étudiant exprime ses émotions, ses sentiments ou ses opinions
3.15 / L’étudiant généralise la portée des propos
3.16 / L’étudiant utilise des lieux communs
4 / Les causes ou les facteurs impliqués
4.1 / L’inexpérience ou le manque de rigueur de l’étudiant
4.2 / L’étudiant n’a pas de notes de lecture élaborées ou pertinentes
4.3 / L’étudiant a limité ses lectures à des ouvrages généraux
4.4 / L’étudiant craint de ne pas avoir ce qu’il faut (complexe de l’imposteur)
4.5 / L’étudiant se « documente » à partir des échanges avec son directeur de recherche
4.6 / L’étudiant craint le travail d’approfondissement
4.7 / L’étudiant procède à la recherche de références de comblement
5 / Les pistes d’intervention
5.1 / Encadrer les lectures et les objectifs de documentation
5.2 / Identifier et nommer spécifiquement les types d’erreurs
5.3 / Faire pratiquer dans les lectures
5.4 / Fournir des exemples de formulation
5.5 / Demander de justifier et d’expliciter
5.6 / Expliquer les portions utiles ou inutiles et pertinentes ou superflues
5.7 / Ne pas « prévoir » le plan pour l’autre
5.8 / Faire exprimer ou identifier le fil conducteur, l’organisation
5.9 / Vérifier les références et les notes de lecture
5.10 / Demander d’expliquer sans « échanger »
5.11 / Faire lire les « originaux »
5.12 / Différencier la critique du rejet
Chapitre 9 / L’accompagnement dans le choix de la méthodologie
1 / Les pistes de difficultés
1.1 / L’étudiant ne justifie aucun choix
1.2 / L’étudiant propose des procédures sans lien avec la question de recherche
1.3 / L’étudiant est peu (ou trop) précis dans la description
1.4 / L’étudiant fait des choix simplistes ou trop ambitieux
2 / Les causes ou facteurs impliqués
2.1 / L’étudiant affirme que ses choix valent bien ceux des autres
2.2 / L’étudiant ne tient pas compte des contextes ou des approches
2.3 / L’étudiant ne s’est pas approprié la forme ou le style de description
2.4 / L’étudiant a une préférence méthodologique
2.5 / L’étudiant a une idée préconçue ou veut éviter une méthodologie
3 / Les pistes d’intervention
3.1 / Faire suivre un « cours » orienté vers les fondements appliqués
3.2 / Ne pas définir les choix pour l’étudiant
3.3 / Choisir le moment opportun pour aborder la méthodologie
3.4 / Remettre en question les choix et les préférences
3.5 / Être plus directif dans l’opérationnalisation
3.6 / Faire lire des chapitres de méthodologie de mémoire ou de thèse « bien faits »
Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation
1 / La planification des analyses
1.1 / Les pistes de difficultés
1.2 / Les pistes d’intervention
2 / La collecte des données et l’expérimentation
2.1 / Les facteurs problématiques
2.2 / Les pistes d’intervention
3 / L’accompagnement dans l’étape d’analyse des données
3.1 / Les pistes de difficultés
3.2 / Les pistes d’intervention
4 / L’accompagnement dans l’étape d’interprétation des résultats
4.1 / Les pistes de difficultés
4.2 / Les causes possibles
4.3 / Les pistes d’intervention
Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte
1 / Le choc de la correction
2 / La nécessité de corriger « sévèrement » dès le début
3 / La nécessité de corriger de façon explicite et précise
3.1 / Indiquer les types d’erreurs et les expliquer
3.2 / Formuler des exemples ou donner des suggestions
3.3 / Alléger le travail de correction
4 / Le choix d’écrire ou non à la place de l’étudiant
4.1 / Premier principe : agir seulement sur ce qui a déjà été écrit
4.2 / Deuxième principe : reformuler seulement ce qui se fait spontanément
5 / La séparation des commentaires généraux des commentaires spécifiques
6 / Le suivi des corrections
6.1 / Accorder un court délai après l’envoi
6.2 / Commencer par le retour sur les corrections
6.3 / Reprendre chaque commentaire dans l’ordre d’apparition dans le texte
6.4 / Indiquer les modalités de suivi et de corrections à effectuer par l’étudiant
7 / La révision finale
8 / Des reprises inadéquates des corrections par l’étudiant
8.1 / Indications de corrections imprécises
8.2 / Opposition passive face aux corrections
8.3 / Lacunes dans les contenus et manque d’engagement
8.4 / Écart de conception du sujet entre le directeur et l’étudiant
Chapitre 12 / L’accompagnement dans les étapes de finalisation du mémoire ou de la thèse
1 / Le choix des membres du jury ou des évaluateurs
2 / La finalisation pour le dépôt
2.1 / Utiliser certaines contraintes externes pour fixer une date de dépôt
2.2 / Officialiser les dernières étapes avant le dépôt
2.3 / Laisser aller les imperfections
3 / Le processus de vérification et le dépôt
4 / Des corrections majeures ?
5 / La soutenance de thèse
Partie 4 / Les problèmes et les situations critiques
Chapitre 13 / Les problèmes de rédaction et de production
1 / Les problèmes dans l’expression écrite
1.1 / Énumération de phrases et d’idées sans description ni explication
1.2 / Phrases ou contenu trop vagues, en survol ou trop verbeux
1.3 / Texte mal organisé, idées pêlemêles ou structure circulaire du texte
1.4 / Problèmes de syntaxe et de ponctuation
2 / Les problèmes de production
2.1 / L’étudiant produit toujours moins que ce qui avait été demandé
2.2 / L’étudiant ne produit pas ce qui avait été prévu
2.3 / L’étudiant souffre d’une « panne » de rédaction
3 / Les problèmes de plagiat et de tricherie
4 / Les problèmes personnels de l’étudiant
Chapitre 14 / Les problèmes relationnels et de suivi
1 / Le manque de respect de la part du directeur de recherche
2 / Les problèmes d’intérêt et de suivi
3 / La gestion des rencontres et du déroulement
4 / Le mélange des rôles
5 / Les signes de problèmes nécessitant des rencontres
5.1 / Situations de retard et de remise de rendez-­vous par l’étudiant
5.2 / Période sans contact (maximum de 5 semaines)
5.3 / Report ou demande de report deux fois de suite pour la même production
5.4 / Délais de réponse très longs ou en dehors des périodes habituelles de contact
5.5 / Étudiant qui dit « avoir été très occupé » et qui promet de « s’y remettre dès cette semaine ! »
Chapitre 15 / La situation avec les étudiants étrangers
1 / Le sentiment de culpabilité ou de pression
1.1 / Le sentiment de culpabilité
1.2 / La pression
2 / L’intégration intellectuelle, universitaire et « sociale »
3 / Les problèmes de préparation et de prérequis
4 / Les problèmes de langage, de langue, d’expression et de compréhension
Conclusion
Annexe C.1 / Référencement des questions ou des préoccupations dans les chapitres
Annexe C.2 / Liste des fiches et des grilles à consulter
Bibliographie
Quatrième de couverture

Citation preview

Christian

BÉGIN

Encadrer aux cycles supérieurs Étapes, problèmes et interventions

Encadrer aux cycles supérieurs

Membre de

Presses de l’Université du Québec

Le Delta I, 2875, boulevard Laurier bureau 450, Québec (Québec) G1V 2M2 Téléphone : 418 657-4399 – Télécopieur : 418 657-2096 Courriel : [email protected] – Internet : www.puq.ca

Encadrer aux cycles supérieurs Étapes, problèmes et interventions

Christian Bégin

Révision Mélissa Guay Correction d’épreuves Hélène Ricard Conception graphique Julie Rivard Mise en page et adaptation numérique Studio C1C4 Images de couverture iStock ISBN 978-2-7605-4935-7 ISBN 978-2-7605-4936-4 (PDF) ISBN 978-2-7605-4937-1 (EPUB) Dépôt légal : 2e trimestre 2018 ›› ››

Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada

©  2018 ­– Presses de l’Université du Québec Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés

 

Table des matières

Introduction  ........................................................................... 1 1 / 2 / 3 / 4 / 5 / 6 /

L’encadrement de la recherche....................................... 3 La finalité d’un programme de maîtrise et de doctorat...... 4 Organisation de l’ouvrage............................................... 4 Une approche « problème » pour des suggestions concrètes.............................................. 6 Les façons de consulter les chapitres.............................. 8 « Masculiniser » le texte.................................................. 9

Partie 1 /

LES CONDITIONS ÉTUDIANTES

Chapitre 1 /

Les exigences et les contraintes des études aux cycles supérieurs.............................................................. 13 1 /

2 /

L’apprentissage d’un savoir-­faire précis.......................... 14 1.1 / Le développement d’habiletés de lecture.............. 15 1.2 / L’adoption de propos d’un style de nature scientifique........................................... 16 1.3 / Des arguments ou des affirmations basés sur des écrits........................................................ 17 Des étapes et des conditions particulières....................... 18 2.1 / Le travail sur le projet de recherche en parallèle de la scolarité....................................................... 18 2.2 / Une relation « privilégiée » avec un professeur....... 20 2.3 / La perte des balises temporelles et l’isolement durant la période de rédaction.............................. 22

Encadrer aux cycles supérieurs

3 /

4 / 5 /

Les conditions extérieures à la formation....................... 24 3.1 / Le manque de reconnaissance de l’entourage........ 24 3.2 / L’engagement nécessaire...................................... 25 Le difficile respect du temps requis................................ 26 La perception des exigences, de la finalité et des perspectives........................................................ 27

Chapitre 2 /

Les difficultés des étudiants aux cycles supérieurs...................... 29 1 /

2 / 3 / 4 /

Les facteurs d’abandon et de persévérance aux cycles supérieurs..................................................... 30 1.1 / Le rôle du directeur et de l’encadrement offert...... 33 1.2 / Les répercussions liées à d’autres facteurs............. 34 La diplomation en fonction des disciplines..................... 36 Les causes des difficultés de progression des étudiants..... 38 Les problèmes d’adaptation et de confrontation aux limites.................................................................... 42 4.1 / La confrontation à sa « méconnaissance » des tâches et des exigences................................... 42 4.2 / Une autoévaluation inadéquate de la qualité des textes produits............................................... 45

Partie 2 /

LES ÉTAPES PRÉPARATOIRES À L’ENCADREMENT

Chapitre 3 /

La sélection d’un étudiant....................................................... 49 1 /

2 /

La détermination de ses critères personnels................... 51 1.1 / Être sensible à ses propres préférences sur le plan relationnel........................................... 52 1.2 / Déterminer ses préférences de fonctionnement de l’encadrement et du suivi................................. 54 1.3 / Avoir une codirection ou non................................ 58 La préparation de la rencontre de sélection..................... 60 2.1 / Reporter une rencontre non planifiée.................... 60 2.2 / Les tâches et les informations à vous fournir......... 60 2.3 / L’analyse de ce qu’il vous remet............................ 62 2.4 / La qualité de son expression écrite........................ 64

VIII

Table des matières

La rencontre avec l’étudiant........................................... 65 3.1 / Évaluer la dynamique d’échange et le degré de préparation de l’étudiant.................................. 66 3.2 / Connaître le cheminement scolaire de l’étudiant ainsi que ses « forces » et ses « faiblesses »............... 68 3.3 / Connaître les motivations de l’étudiant pour son projet d’études actuel............................. 69 3.4 / Connaître l’origine et les motivations liées aux champs d’intérêt de recherche de l’étudiant.... 70 3.5 / Connaître les motivations de l’étudiant à travailler avec vous............................................ 71 3.6 / Connaître les préférences de l’étudiant pour les tâches et les activités............................... 73 3.7 / Connaître les conditions extérieures à la démarche scolaire de l’étudiant....................... 75 4 / La prise de décision....................................................... 77 4.1 / L’utilité d’une deuxième rencontre....................... 77 4.2 / Quelques situations problématiques à vérifier....... 78 4.3 / La décision de refuser l’étudiant........................... 82 5 / Le contexte particulier de sélection des étudiants étrangers ou à distance.................................................. 84 5.1 / Avoir au moins une rencontre « en personne »........ 84 5.2 / Établir les contacts visuels à partir du bureau........ 86 5.3 / Planifier la rencontre durant les heures « normales » de travail........................................... 86 6 / La finalisation de l’« acceptation »................................... 87 6.1 / Prendre en notes les coordonnées......................... 87 6.2 / Faire le décompte « à rebours » des étapes.............. 88 6.3 / Présenter vos modalités d’encadrement et vos règles de fonctionnement........................... 88 6.4 / Vérifier si l’étudiant connaît les prochaines étapes ou son échéancier................................................ 88 6.5 / Déterminer le moment de la prochaine rencontre et les tâches à faire............................................... 89 6.6 / Demander d’enregistrer vos rencontres................. 89 6.7 / Présenter les autres consignes ou directives non mentionnées................................................. 89 Annexe 3.1 / Liste des questions de la première rencontre......... 91 Annexe 3.2 / Feuille de renseignements personnels................... 93 Annexe 3.3 / Illustration du processus décisionnel ................... 96 3 /

IX

Encadrer aux cycles supérieurs

Chapitre 4 /

Les modalités de rencontre et de suivi..................................... 99 1 / 2 /

3 / 4 / 5 / 6 /

7 / 8 / 9 /

Le rationnel de l’approche proposée pour les modalités de rencontre.................................................................. 100 La prise de rendez-­vous................................................. 102 2.1 / Les choses à éviter................................................ 103 2.2 / Les approches recommandées.............................. 106 Le sujet des rencontres.................................................. 108 Les délais de réponse des demandes et des courriels....... 108 L’expression des désaccords........................................... 109 Des conditions favorables aux échanges et au suivi......... 111 6.1 / Demander la tenue d’un cahier de bord................. 113 6.2 / Noter ses réflexions personnelles pour chaque étudiant........................................... 114 6.3 / Demander à l’étudiant de vous faire un compte rendu.................................................. 114 La remise des autres productions................................... 115 Les délais de correction du directeur.............................. 116 La gestion des absences................................................. 117

Partie 3 /

L’ACCOMPAGNEMENT DANS LES DIFFÉRENTES ÉTAPES

Chapitre 5 /

Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes....................................................................... 123 1 /

2 /

3 /

Sa conception de ses rôles et responsabilités................... 124 1.1 / La grille de perception des rôles et responsabilités................................................. 125 1.2 / L’usage de la grille avec les étudiants.................... 126 Son « style » d’accompagnateur....................................... 128 2.1 / « Laisser-­faire »..................................................... 131 2.2 / « Pastoral »............................................................ 131 2.3 / « Directif »............................................................. 132 2.4 / « Contractuel »...................................................... 132 Le compagnonnage cognitif........................................... 134

X

Table des matières

Des principes et des limites à l’accompagnement............ 137 4.1 / Le projet de recherche appartient à l’étudiant........ 138 4.2 / La démarche de formation de l’étudiant est sa responsabilité............................................. 140 4.3 / La nécessité d’être transparent et respectueux dans la relation..................................................... 142 4.4 / La relation d’encadrement ne s’établit pas par l’amitié ou la familiarité.................................. 144 4.5 / La nécessité de fixer des limites et de clarifier le cadre des relations rapidement......................... 147 4.6 / L’encadrement n’est pas du financement............... 148 4.7 / Le directeur n’est pas un confident, un conseiller personnel ou un thérapeute.................................. 149 4.8 / L’encadrement n’est pas du parrainage.................. 153 Annexe 5.1 / Grille de perception des rôles et responsabilités dans l’encadrement aux cycles supérieurs............. 155 4 /

Chapitre 6 /

L’aide à la recension des écrits................................................. 159 1 / 2 / 3 /

4 /

5 /

Le suivi du processus de recherche des références et des sources................................................................ 162 Le suivi du processus de tri et de sélection des ouvrages................................................................. 164 Le suivi des premières étapes de la recension des écrits....................................................................... 167 3.1 / Aider à la lecture.................................................. 168 3.2 / Expliciter ses propres processus de lecture............ 170 3.3 / Éviter que l’étudiant ne construise sa connaissance sur vos propres explications.................................. 171 Un modèle de « fiche de notes de lecture » et son usage..... 173 4.1 / Introduire l’étudiant à la prise de notes de lecture............................................................. 173 4.2 / Section 1 de la fiche : section référence.................. 176 4.3 / Section 2a de la fiche : les notes de lecture............. 177 4.4 / Section 2b de la fiche : les réflexions de l’étudiant..... 181 4.5 / Section 3 de la fiche : les thématiques abordées..... 185 La procédure de vérification des notes de lecture............ 186 5.1 / La vérification du contenu des notes..................... 186 5.2 / Quelques démarches complémentaires................. 187 5.3 / La nécessité d’encourager la relecture et la synthèse des notes de lecture........................ 188

XI

Encadrer aux cycles supérieurs

Les notes de lecture et les outils de gestion des références (EndNote, Zotero, etc.)............................ 190 Annexe 6.1 / Questions pour expliciter le processus de recherche et de sélection de textes................... 191 6 /

Chapitre 7 /

L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche..................................................... 195 1 /

2 /

Le choix ou la délimitation du sujet................................ 196 1.1 / Les difficultés associées au choix du sujet............. 197 1.2 / Les difficultés liées à des préférences ou à des attentes de l’étudiant............................... 200 1.3 / La nécessité d’aider l’étudiant à faire un choix de sujet................................................................ 212 La difficulté à formuler des questions de recherche......... 217 2.1 / L’incapacité à formuler des questions................... 217 2.2 / Un questionnement qui définit trop d’objets......... 218 2.3 / L’attente des « bonnes » réponses.......................... 220

Chapitre 8 /

L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique.............................................................. 221 1 / 2 /

3 /

Un principe préalable : faire produire rapidement de petites parties........................................................... 223 La production des chapitres de la problématique et du cadre conceptuel................................................... 225 2.1 / La compréhension de la notion de problématique (ou de problématisation)...................................... 225 2.2 / Le cadre conceptuel ou théorique......................... 229 Les difficultés dans l’expression de la problématique et du cadre conceptuel................................................... 230 3.1 / L’étudiant exprime ses opinions comme étant des « évidences ».......................................... 230 3.2 / L’étudiant n’utilise pas la « forme scientifique »...... 230 3.3 / L’étudiant ne saisit pas le lien entre les écrits et la formulation de la question............................ 231 3.4 / L’étudiant veut montrer qu’il a beaucoup lu.......... 232 3.5 / L’étudiant énumère plutôt que de décrire ou d’expliquer...................................................... 232 3.6 / L’étudiant décrit plutôt que d’argumenter ou de critiquer..................................................... 233 3.7 / L’étudiant survole plutôt qu’il approfondit............ 234 XII

Table des matières

4 /

5 /

3.8 / L’étudiant décrit plutôt que d’expliquer................ 235 3.9 / L’étudiant se limite à des évidences...................... 236 3.10 / L’étudiant se restreint aux auteurs majeurs ou aux ouvrages de référence............................... 236 3.11 / Les propos de l’étudiant ne sont pas mauvais, mais…................................................... 237 3.12 / L’étudiant ne prend jamais position ou ne parvient pas à émettre une critique............. 238 3.13 / L’étudiant n’a pas de fil conducteur pour construire son argument............................... 239 3.14 / L’étudiant exprime ses émotions, ses sentiments ou ses opinions.................................................... 239 3.15 / L’étudiant généralise la portée des propos............. 240 3.16 / L’étudiant utilise des lieux communs.................... 240 Les causes ou les facteurs impliqués............................... 240 4.1 / L’inexpérience ou le manque de rigueur de l’étudiant......................................................... 240 4.2 / L’étudiant n’a pas de notes de lecture élaborées ou pertinentes...................................................... 241 4.3 / L’étudiant a limité ses lectures à des ouvrages généraux....................................... 242 4.4 / L’étudiant craint de ne pas avoir ce qu’il faut (complexe de l’imposteur).................................... 243 4.5 / L’étudiant se « documente » à partir des échanges avec son directeur de recherche............................ 244 4.6 / L’étudiant craint le travail d’approfondissement.... 248 4.7 / L’étudiant procède à la recherche de références de comblement.................................................... 250 Les pistes d’intervention................................................ 252 5.1 / Encadrer les lectures et les objectifs de documentation................................................ 252 5.2 / Définir et nommer précisément les types d’erreurs................................................ 254 5.3 / Faire exercer dans les lectures.............................. 255 5.4 / Fournir des exemples de formulation.................... 257 5.5 / Demander de justifier et d’expliciter..................... 258 5.6 / Expliquer les portions utiles ou inutiles et pertinentes ou superflues................................. 259 5.7 / Ne pas « prévoir » le plan pour l’autre..................... 261 5.8 / Faire exprimer ou définir le fil conducteur, l’organisation.................................... 262

XIII

Encadrer aux cycles supérieurs

5.9 / 5.10 / 5.11 / 5.12 /

Vérifier les références et les notes de lecture.......... 264 Demander d’expliquer sans « échanger »................ 264 Faire lire les « originaux »...................................... 265 Différencier la critique du rejet............................. 267

Chapitre 9 /

L’accompagnement dans le choix de la méthodologie.............. 269 1 /

2 /

3 /

Les pistes de difficultés.................................................. 269 1.1 / L’étudiant ne justifie aucun choix......................... 269 1.2 / L’étudiant propose des procédures sans lien avec la question de recherche............................... 270 1.3 / L’étudiant est peu (ou trop) précis dans la description............................................... 270 1.4 / L’étudiant fait des choix simplistes ou trop ambitieux................................................. 270 Les causes ou facteurs impliqués................................... 271 2.1 / L’étudiant affirme que ses choix valent bien ceux des autres.................................................... 271 2.2 / L’étudiant ne tient pas compte des contextes ou des approches................................................. 271 2.3 / L’étudiant ne s’est pas approprié la forme ou le style de description...................................... 272 2.4 / L’étudiant a une préférence méthodologique........ 272 2.5 / L’étudiant a une idée préconçue ou veut éviter une méthodologie................................................ 273 Les pistes d’intervention................................................ 273 3.1 / Faire suivre un « cours » orienté vers les fondements appliqués..................................... 273 3.2 / Ne pas définir les choix pour l’étudiant................. 275 3.3 / Choisir le moment opportun pour aborder la méthodologie................................................... 275 3.4 / Remettre en question les choix et les préférences..... 277 3.5 / Être plus directif dans l’opérationnalisation.......... 277 3.6 / Faire lire des chapitres de méthodologie de mémoire ou de thèse « bien faits »..................... 278

Chapitre 10 /

L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation.............................................................. 281 1 /

La planification des analyses.......................................... 281 1.1 / Les pistes de difficultés........................................ 282

XIV

Table des matières

2 /

3 /

4 /

1.2 / Les pistes d’intervention...................................... 285 La collecte des données et l’expérimentation.................. 291 2.1 / Les facteurs problématiques................................. 292 2.2 / Les pistes d’intervention...................................... 296 L’accompagnement dans l’étape d’analyse des données..... 299 3.1 / Les pistes de difficultés........................................ 299 3.2 / Les pistes d’intervention...................................... 304 L’accompagnement dans l’étape d’interprétation des résultats.................................................................. 308 4.1 / Les pistes de difficultés........................................ 308 4.2 / Les causes possibles............................................. 309 4.3 / Les pistes d’intervention...................................... 314

Chapitre 11 /

L’accompagnement dans la production du texte : le processus de correction....................................................... 319 1 / 2 / 3 /

4 /

5 / 6 /

7 / 8 /

Le choc de la correction................................................. 320 La nécessité de corriger « sévèrement » dès le début........ 324 La nécessité de corriger de façon explicite et précise....... 327 3.1 / Indiquer les types d’erreurs et les expliquer.......... 328 3.2 / Formuler des exemples ou donner des suggestions.................................................... 331 3.3 / Alléger le travail de correction.............................. 334 Le choix d’écrire ou non à la place de l’étudiant.............. 337 4.1 / Premier principe : agir seulement sur ce qui a déjà été écrit....................................... 337 4.2 / Deuxième principe : reformuler seulement ce qui se fait spontanément.................................. 338 La séparation des commentaires généraux des commentaires explicites.......................................... 339 Le suivi des corrections.................................................. 341 6.1 / Accorder un court délai après l’envoi..................... 342 6.2 / Commencer par le retour sur les corrections.......... 343 6.3 / Reprendre chaque commentaire dans l’ordre d’apparition dans le texte..................................... 343 6.4 / Indiquer les modalités de suivi et de corrections à effectuer par l’étudiant....................................... 344 La révision finale........................................................... 345 Des reprises inadéquates des corrections par l’étudiant..... 345 8.1 / Indications de corrections imprécises................... 346 8.2 / Opposition passive face aux corrections................ 346

XV

Encadrer aux cycles supérieurs

8.3 / Lacunes dans les contenus et manque d’engagement..................................... 347 8.4 / Écart de conception du sujet entre le directeur et l’étudiant......................................................... 347 Chapitre 12 /

L’accompagnement dans les étapes de finalisation du mémoire ou de la thèse...................................................... 349 1 / 2 /

3 / 4 / 5 /

Le choix des membres du jury ou des évaluateurs........... 350 La finalisation pour le dépôt........................................... 351 2.1 / Utiliser certaines contraintes externes pour fixer une date de dépôt................................................. 351 2.2 / Officialiser les dernières étapes avant le dépôt....... 352 2.3 / Laisser aller les imperfections............................... 353 Le processus de vérification et le dépôt.......................... 354 Des corrections majeures ?............................................. 356 La soutenance de thèse.................................................. 357

Partie 4 /

LES PROBLÈMES ET LES SITUATIONS CRITIQUES

Chapitre 13 /

Les problèmes de rédaction et de production.......................... 361 1 /

2 /

3 / 4 /

Les problèmes dans l’expression écrite........................... 361 1.1 / Énumération de phrases et d’idées sans descriptions ni explications........................... 362 1.2 / Phrases ou contenu trop vagues, en survol ou trop verbeux.................................................... 364 1.3 / Texte mal organisé, idées pêle-mêle ou structure circulaire du texte................................................ 365 1.4 / Problèmes de syntaxe et de ponctuation............... 366 Les problèmes de production......................................... 368 2.1 / L’étudiant produit toujours moins que ce qui avait été demandé................................ 368 2.2 / L’étudiant ne produit pas ce qui avait été prévu..... 372 2.3 / L’étudiant souffre d’une « panne » de rédaction...... 372 Les problèmes de plagiat et de tricherie.......................... 378 Les problèmes personnels de l’étudiant.......................... 379

XVI

Table des matières

Chapitre 14 /

Les problèmes relationnels et de suivi..................................... 381 1 / 2 / 3 / 4 / 5 /

Le manque de respect de la part du directeur de recherche.................................................................. 381 Les problèmes d’intérêt et de suivi................................. 382 La gestion des rencontres et du déroulement.................. 385 Le mélange des rôles...................................................... 388 Les signes de problèmes nécessitant des rencontres........ 389 5.1 / Situations de retard et de remise de rendez-­vous par l’étudiant....................................................... 390 5.2 / Période sans contact (maximum de cinq semaines)................................................. 391 5.3 / Report ou demande de report deux fois de suite pour la même production..................................... 392 5.4 / Délais de réponse très longs ou en dehors des périodes habituelles de contact....................... 393 5.5 / Étudiant qui dit « avoir été très occupé » et qui promet de « s’y remettre dès cette semaine ».......... 395

Chapitre 15 /

La situation avec les étudiants étrangers................................. 397 1 /

2 / 3 / 4 /

Le sentiment de culpabilité ou de pression..................... 397 1.1 / Le sentiment de culpabilité................................... 397 1.2 / La pression.......................................................... 399 L’intégration intellectuelle, universitaire et « sociale »..... 400 Les problèmes de préparation et de préalables................ 403 Les problèmes de langage, de langue, d’expression et de compréhension..................................................... 403

Conclusion..................................................................................... 405 Annexe C.1 / Référencement des questions ou des préoccupations dans les chapitres ................................................ 408 Annexe C.2 / Liste des fiches et des grilles à consulter................ 410 Bibliographie............................................................................ 411

XVII

 

Introduction

On forme un étudiant aux cycles supérieurs pour qu’à la fin de son diplôme, il soit en mesure de mener une recherche du début jusqu’à la fin dans son domaine (maîtrise) et qu’il le fasse de façon autonome par une contribution originale à sa discipline (doctorat). Ce processus de formation à la recherche se fait évidemment autour d’un sujet de recherche, mais celui-­ci est en fait l’objet nécessaire par lequel se développe la pratique de la recherche et autour duquel devrait se faire la démarche d’apprentissage. Vous accompagnez un étudiant en fonction du sujet qu’il a choisi (ou du sujet que vous lui imposez), mais ce que l’étudiant doit développer au-­delà de la connaissance de son sujet, c’est de maîtriser de mieux en mieux le processus de réalisation d’une recherche. Cette maîtrise implique sa capacité à analyser les écrits, à les commenter, à les critiquer, à les mettre en relation pour en tirer une question pertinente. L’étudiant doit définir et expliquer les concepts utiles, articuler une méthodologie cohérente, être en mesure d’analyser les données obtenues, en tirer des interprétations adéquates et, en plus, rapporter par écrit de manière précise, claire et structurée, l’ensemble du processus. Il s’agit là d’activités que vous ne pouvez pas simplement dicter à l’étudiant pour qu’il les effectue avec précision et exactitude. Même si vous lui donniez une consigne claire avec des procédures explicites, cela ne garantirait pas qu’il puisse arriver à un produit adéquat. Ce sont des activités qui se développent par l’exécution, par la pratique et par les rétroactions sur cette pratique. L’accent doit être mis sur les processus de réflexion, de mise en relation, de critique et de raisonnement à acquérir ou à développer pour être en mesure d’effectuer la démarche de recherche

Encadrer aux cycles supérieurs

de façon autonome. Il s’agit de lui apprendre à aborder un problème, une situation, à y « réfléchir » et à l’étudier par une démarche qu’il devrait être capable d’utiliser, à la fin, comme un spécialiste dans son domaine. On le verra dans les différents chapitres, la grande majorité des étudiants ont besoin d’un accompagnement soutenu pour une portion plus ou moins grande des étapes et des tâches pour mener à bien leur recherche. J’ai l’occasion d’entendre des directeurs se plaindre du peu de préparation des étudiants qu’ils encadrent. Ils expriment leur surprise face aux difficultés que des étudiants éprouvent pour effectuer des tâches qu’ils devraient pourtant maîtriser. La question qui est souvent posée est : « Est-­ce qu’ils ne devraient pas déjà savoir comment faire ça ? » On se méprend souvent sur les apprentissages que les études antérieures devraient avoir permis de faire. Pourtant, comme je le décris dans le premier chapitre, le contexte des études de cycles supérieurs est très différent de ce qui est demandé dans les études antérieures. L’obtention d’un diplôme de premier cycle assure que l’étudiant a fait un certain nombre d’apprentissages. Il ne prépare pas nécessairement aux situations et aux conditions pour les études suivantes. Il en est de même pour le diplôme de maîtrise. Il indique que l’étudiant a fait les apprentissages requis et produit le document pertinent en fonction des exigences de ce diplôme, mais ça ne suggère nullement qu’il est prêt pour le doctorat ! D’ailleurs, on a tous encadré des étudiants qu’on n’a pas encouragés ou dirigés vers le doctorat parce qu’on jugeait qu’ils ne seraient pas en mesure de passer au travers. Le diplôme précédent ne prépare pas au diplôme suivant, il ne fait que confirmer que l’étudiant a atteint les ­objectifs prévus pour le diplôme obtenu. C’est pourquoi l’accompagnement des étudiants aux cycles supérieurs devrait être beaucoup plus qu’une simple correction de ce qu’ils produisent. Il faut anticiper que l’étudiant aura besoin d’un accompagnement pour développer des habiletés et des façons d’aborder les contenus liés à son sujet de même que gérer les situations liées à la recherche comme le ferait un spécialiste de son domaine. Cet accompagnement ne devrait pas se faire dans l’idée que l’étudiant sait comment faire les choses, au contraire. Il faut plutôt envisager que l’étudiant doit être mis en situation de pratique supervisée pour développer un projet de recherche et le mener jusqu’à sa réalisation et à sa diffusion (par le mémoire ou la thèse). Il appartient au directeur de recherche de créer les conditions pour favoriser cette pratique supervisée visant à amener l’étudiant à un degré de plus en plus grand d’autonomie.

2

Introduction

1 / L’encadrement de la recherche Il va sans dire que le présent ouvrage aborde de façon précise l’encadrement aux cycles supérieurs dans des programmes de recherche. Les situations décrites à travers cet ouvrage s’adressent avant tout aux contextes d’accompagnement des étudiants dans ce type de situation. Toutefois, le contenu de certains chapitres pourrait certainement convenir aussi aux superviseurs d’étudiants inscrits dans un diplôme de maîtrise ou de doctorat avec une orientation plus professionnelle et à tous ceux qui doivent accompagner des étudiants dans un processus de production qui implique une relation d’encadrement particulière. Les études de cycles supérieurs se distinguent des études de premier cycle par le processus de recherche auquel les étudiants doivent se soumettre. C’est l’enjeu principal de la démarche et celui pour lequel la direction de recherche est nécessaire à la maîtrise aussi bien qu’au doctorat. Cependant, mis à part la réalisation du mémoire ou de la thèse, la finalité de la formation des programmes de maîtrise et de doctorat est rarement explicitée de manière harmonisée d’un programme à l’autre ou d’un établissement à l’autre pour un programme similaire. Les formulations utilisées pour définir les objectifs des programmes sont aussi très variées. Il s’agit de regarder les descripteurs des programmes d’un établissement à l’autre pour s’en rendre compte. Une étude de l’Association des doyens des études supérieures au Québec (ADESAQ, 2007, 2009) a d’ailleurs fait ressortir cette disparité entre les objectifs des programmes de maîtrise au Québec et entre la composition des programmes du Québec et des autres provinces du Canada. L’étude a déterminé que les finalités « idéales » pour les programmes de maîtrise n’étaient malheureusement pas celles qui étaient effectivement attendues par les professeurs et les établissements. Aux fins de clarté et pour assurer une compréhension des propos qui parcourent ce livre, il m’apparaît essentiel d’indiquer ici ce que je conçois des visées des programmes de maîtrise et de doctorat. Ces descriptions proviennent de l’analyse des objectifs de programmes de nombreux établissements ainsi que d’un certain nombre d’ouvrages et de documents qui présentent une réflexion sur les objectifs et les finalités des diplômes de grades supérieurs et qu’on retrouve dans les références. Elles s’inspirent également de ces deux rapports de l’ADESAQ. Elles permettront au lecteur de déterminer pour lui-­même les éléments importants à prendre en compte dans son propre contexte, si les descriptions diffèrent de celles qui ont cours dans son milieu.

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Encadrer aux cycles supérieurs

2 / La finalité d’un programme de maîtrise et de doctorat Un diplôme de maîtrise devrait initier l’étudiant au processus de recherche afin qu’il soit en mesure, à la fin de son diplôme, de reproduire de façon autonome le processus complet d’une recherche. Dans le cas du doctorat, cette finalité devrait permettre à l’étudiant d’amorcer et de mener à terme de façon autonome la réalisation d’une recherche ayant un apport original pour son domaine ou sa discipline. Dans le cas de la maîtrise, donc, il faut amener l’étudiant à pouvoir reproduire de manière autonome une démarche de recherche à partir d’un contexte ou d’une situation donnée dans sa discipline. Pour le doctorat, le processus de recherche demeure cependant le même, mais c’est dans le degré d’autonomie atteint à la fin du processus et l’apport d’une nouveauté dans la discipline que devrait se distinguer le diplôme. Cependant, dans tous les cas, l’encadrement aux cycles supérieurs implique d’accompagner des étudiants à acquérir, à développer et à ­maîtriser les habiletés et les processus propres à la réalisation d’une recherche.

3 / Organisation de l’ouvrage Notre façon d’encadrer ou d’accompagner les étudiants dans la réalisation de leur mémoire de maîtrise ou de leur thèse de doctorat se développe et se module au gré des expériences d’encadrement qu’on acquiert en tant que directeur de recherche et en fonction de nos propres expériences comme étudiant ayant été encadré. La comparaison avec ses propres expériences comme étudiant donne cependant rarement une idée juste et complète des contextes auxquels sont confrontés les étudiants. La façon avec laquelle nos propres directeurs de recherche se sont comportés à notre égard, nos situations personnelles, familiales, scolaires ou professionnelles pendant la poursuite de nos études de maîtrise et de doctorat et les conditions financières et l’environnement d’étude et de recherche sont autant de facteurs qui ont influencé cette expérience. Les étudiants qu’on encadre n’ont évidemment pas les mêmes caractéristiques et ne présentent pas les mêmes parcours les uns et les autres. C’est la raison pour laquelle la première partie de l’ouvrage porte essentiellement sur la description du contexte des études de maîtrise et de doctorat pour les étudiants. Ces premiers chapitres regroupent des informations relatives aux conditions de réussite et de persévérance des études à la maîtrise et au doctorat. Ces conditions sont importantes

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Introduction

parce qu’elles servent à comprendre la nature du soutien et des besoins que les étudiants peuvent avoir pour mener à terme leur projet d’études. On peut considérer aisément pouvoir encadrer un étudiant sans connaître ces informations. Cependant, elles peuvent aider à comprendre certaines situations ou à prévoir des mesures ou des actions qui pourraient ne pas sembler nécessaires ou pertinentes sans la connaissance de ce qui affecte leur cheminement et leurs apprentissages. La deuxième partie du livre aborde les étapes préliminaires à l’encadrement et au suivi des étudiants. Elle comporte deux chapitres qui visent à décrire le processus de sélection de l’étudiant et les modalités de suivi et d’encadrement à mettre en place pour favoriser une relation productive et satisfaisante, aussi bien pour l’étudiant que pour le directeur lui-­même. Comme je le mentionne alors, une très grande partie des problèmes qui surgissent au cours du processus d’encadrement auraient pu être dépistés ou anticipés au moment de la sélection de l’étudiant. Les modalités d’encadrement et de suivi qui sont proposées au chapitre 4 servent ensuite à établir un fonctionnement qui permettra au directeur de jouer son rôle en fonction de ses propres priorités tout en assurant un accompagnement optimal aux étudiants. Ne pas se retrouver enseveli par les demandes et les exigences des étudiants quand on veut bien faire est un sujet de grande préoccupation chez les directeurs de recherche. Bien que cette partie ne comporte que deux chapitres, elle est probablement la plus importante par rapport à la mise en place de la relation d’encadrement qui aura des répercussions sur toute la suite du processus. Les informations peuvent aussi facilement être transposées à d’autres contextes que celui de l’encadrement aux cycles supérieurs. La troisième partie représente le point central du livre par rapport à l’ampleur des aspects abordés. Elle porte sur le processus d’accompagnement dans les différentes étapes de réalisation de la recherche, du processus de recension des écrits jusqu’au dépôt du mémoire ou de la thèse. Avant d’entrer dans l’accompagnement dans les différentes étapes, le chapitre 5 aborde un certain nombre de dimensions relatives à ce processus d’accompagnement. Il vise à illustrer certaines grandes orientations qui sous-­tendent la façon d’encadrer des étudiants aux cycles supérieurs et à délimiter des p ­ rincipes et des limites dans la façon d’accompagner l’étudiant au fil des étapes. Enfin, la quatrième partie aborde les problèmes et les situations critiques qui peuvent être rencontrés au cours de l’encadrement. Je les ai regroupés dans cette partie parce que souvent, c’est par l’apparition de problèmes ou de situations difficiles qu’il est possible de déterminer que

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Encadrer aux cycles supérieurs

quelque chose cloche dans notre accompagnement, ou encore que l’étudiant est confronté à des situations par lesquelles nous sommes directement ou indirectement concernés. Ces situations critiques concernent les difficultés de production de l’étudiant, mais elles font également référence aux problèmes de relation entre l’étudiant et le directeur de recherche.

4 / Une approche « problème » pour des suggestions concrètes Au cours des 20 dernières années, j’ai offert de nombreuses formations sur l’encadrement aux cycles supérieurs dans plusieurs établissements universitaires francophones du Québec ainsi qu’à l’Université de Moncton, au Nouveau-­Brunswick. J’ai rencontré des centaines de professeurs, au cours de ces formations et lors de rencontres individuelles, qui cherchaient à régler des problèmes qu’ils avaient avec des étudiants qu’ils encadraient. J’ai aussi œuvré à titre de psychologue auprès de plusieurs centaines d’étudiants dans le cadre d’ateliers portant sur les dimensions méthodologiques et relationnelles impliquées dans le processus de réalisation d’un mémoire ou d’une thèse. Au cours de ces ateliers et de mon travail de psychologue en aide à l’apprentissage à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec à Montréal, j’ai également rencontré individuellement des dizaines d’étudiants confrontés à des problèmes d’avancement dans leur recherche ou avec leur directeur de recherche et qui venaient me consulter pour essayer de s’en sortir. Dans le même sens, des directeurs de recherche me recommandaient leurs étudiants parce qu’ils ne savaient plus trop comment les aider et cela me permettait ensuite d’intervenir auprès des directions pour les outiller face à de telles situations. Les suggestions et les situations auxquelles je réfère au fil des chapitres proviennent de ces interventions, de ces rencontres et des témoignages qui m’ont été transmis à la suite des ateliers et des rencontres. Elles proviennent aussi évidemment de ma propre expérience en tant que directeur de recherche, de mes « réussites » et de mes « erreurs » avec mes étudiants. Tout au long des chapitres, j’ai fait le choix d’aborder les situations et de les décrire en ayant en tête les problèmes et les difficultés que les directeurs de recherche sont susceptibles de rencontrer ou que les étudiants qu’ils encadrent peuvent connaître. Ce choix de procéder par les « problèmes » envisagés vise justement à les déterminer pour essayer de les éviter ou pour tenter de les résoudre, s’ils se présentent. Si les

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Introduction

étudiants réussissaient tous et si les directeurs amenaient tous leurs étudiants à diplômer sans être confrontés à certaines difficultés, on ne se questionnerait pas sur l’encadrement à offrir aux cycles supérieurs. Dans les chapitres de la troisième partie, notamment, j’évoque les difficultés rencontrées par les étudiants dans la production des diverses sections de leur mémoire ou de leur thèse parce que ce sont ces difficultés, lorsqu’elles apparaissent, qui peuvent générer des problèmes au directeur de recherche, alors que les chapitres 3 et 4 sont surtout associés à l’établissement de la dynamique de la relation avec l’étudiant. Les suggestions d’intervention ou d’action sont alors ancrées dans la pratique auprès des étudiants eux-­mêmes ou auprès de directeurs de recherche. Il est possible qu’à l’occasion, des suggestions ou des procédures paraissent complexes ou laissent penser qu’elles prennent beaucoup de temps. C’est en fait la structure écrite des suggestions qui peut donner cette impression. Mon approche vise au contraire à permettre au professeur de mettre le temps qu’il faut à l’encadrement sans devoir gruger sur ses autres tâches et responsabilités, tout en assurant d’offrir à l’étudiant le maximum de soutien et d’accompagnement. Je dois cependant préciser tout de suite que, malgré tout ce qu’on peut mettre en place comme accompagnement, encadrer un étudiant n’est jamais une démarche assurée de succès. J’ai moi-­même parfois accepté des étudiants dont le processus de sélection me laissait penser qu’ils avaient tout pour rendre leur projet à terme. Quelques-­uns ont quitté très tôt leurs études parce qu’ils s’étaient trouvé un emploi comme enseignant. Certains autres ont quitté leur recherche avant la fin, mais souvent après plusieurs trimestres de travail. J’avais alors très mal estimé leur intérêt réel pour les tâches propres au processus de recherche et de production. Par contre, j’ai accompagné des étudiants jusqu’à leur diplôme alors qu’au début, les difficultés rencontrées et les faiblesses que j’avais envisagées me donnaient l’impression qu’ils allaient se décourager avant la fin. Enfin, bien que je provienne de l’éducation et des sciences humaines (maîtrise en psychologie et doctorat en éducation), mes formations et mes interventions ont été faites auprès de professeurs et d’étudiants de tous les domaines et, pour les étudiants, aussi bien à la maîtrise qu’au doctorat. J’ai essayé de tenir compte de certains contextes et processus différents dans certaines disciplines afin d’apporter des nuances, lorsque cela était pertinent. Ces différences sont particulièrement significatives entre les domaines des sciences pures et appliquées et les autres disciplines comme les sciences humaines, sociales ou de l’éducation. Cependant, bien que

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Encadrer aux cycles supérieurs

les contextes soient parfois différents, les difficultés auxquelles je fais référence et que j’aborde dans les chapitres apparaissent dans toutes les disciplines. Au cours de toutes ces années, je n’ai jamais rencontré de difficultés de progression ou de performance qui soient propres à un domaine. Le contexte auquel je fais référence dans l’ouvrage concerne la production d’un mémoire ou d’une thèse dans son format traditionnel. La production de mémoires ou de thèses « par articles » est une formule de plus en plus utilisée, ce qui modifie un peu la structure des chapitres à laquelle je fais référence dans les différentes étapes de l’encadrement. Toutefois, même si la structure des mémoires ou des thèses est quelque peu différente dans ces cas, les « étapes » de production impliquent quand même les mêmes processus et les mêmes tâches. Elles comprennent des allers-­retours entre les textes produits et les corrections du directeur. Elles impliquent aussi inévitablement un processus de sélection de l’étudiant, des modalités d’encadrement et une dynamique de rencontre et d’échange pour définir les choix méthodologiques et de collecte des données inhérents au processus de recherche. La différence la plus grande concerne les dernières étapes décrites dans le chapitre 11 où j’aborde la finalisation du mémoire ou de la thèse. Les moments clés auxquels je fais référence ne s’inscrivent pas nécessairement exactement de la même façon dans le contexte des versions « par articles ». Le lecteur saura certainement transposer à son propre contexte, à quel moment il pourra jouer sur les contraintes externes et sur l’approche de la « fin » du travail pour amener l’étudiant à accroître son engagement pour « enfin », compléter son travail.

5 / Les façons de consulter les chapitres Évidemment, l’ouvrage peut être lu du début jusqu’à la fin. Cependant, les exigences du travail professoral laissent rarement suffisamment de temps libre pour lire sur des sujets qui se détachent de nos propres objets de recherche. Un professeur en chimie, en anthropologie ou en communication aura rarement le temps de lire le livre d’un bout à l’autre, sans devoir le mettre de côté pendant des périodes plus ou moins prolongées… à moins d’être en période sabbatique ou encore d’avoir quelques heures par semaine à passer dans les transports en commun. C’est pourquoi j’ai essayé de rendre la consultation du livre la plus souple possible en permettant de le lire selon plusieurs entrées.

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Introduction

Il est difficile de prévoir de quelle façon le lecteur voudra consulter un ouvrage portant sur le processus d’accompagnement à la maîtrise ou au doctorat. Dans certains cas, le sujet peut être attrayant parce qu’on rencontre des difficultés avec un étudiant (ou plusieurs) ou encore parce qu’on est confronté de façon régulière à un certain type de problème. On peut alors vouloir aborder l’ouvrage en fonction des difficultés étudiantes qui apparaissent à différents moments dans le processus, en fonction d’une étape particulière ou d’un contexte particulier qui amènerait à vouloir reconnaître ensuite des pistes d’action possibles. C’est pourquoi j’ai conçu une forme de référence à l’intérieur même de l’ouvrage pour permettre de s’y retrouver plus facilement. Ainsi, lorsqu’un sujet est abordé dans un chapitre, mais qu’il a aussi des ramifications ou des répercussions sur d’autres aspects traités ailleurs, j’ai inséré le chapitre et la section concernée. On peut alors s’y référer pour voir de quoi il est question ou le noter pour référence future. Une autre façon d’approcher le sujet est de relever les problèmes ou les thèmes qui reviennent le plus souvent dans les questions ou les préoccupations des directeurs. J’ai inséré, à la fin de l’ouvrage, en annexe C.1, une liste de ces sujets de préoccupations et les sections des chapitres qui en font mention. J’ai aussi ajouté en annexe C.2 une liste des fiches ou des informations qui abordent des sujets d’intérêt qui peuvent être consultées d ­ irectement sans passer par une lecture systématique du livre ou d’un chapitre. On retrouve aussi dans la dernière partie du livre la description d'un nombre significatif de situations de conflits ou de difficultés. Bien que ces thèmes soient à la fin de l'ouvrage, ils peuvent représenter des sujets de premier intérêt parce que vous rencontrez de tels problèmes. Si vous commencez par ces sections, les références aux autres parties du livre vous permettent alors de naviguer au gré de vos besoins. Enfin, la table des matières pourra attirer le lecteur vers un chapitre qui lui semble plus pertinent en fonction des sujets.

6 / « Masculiniser » le texte J’ai intégré un certain nombre d’encadrés, au fil du texte, qui racontent des évènements, des situations réelles, des témoignages et des anecdotes pour illustrer mes propos ou donner des exemples qui proviennent, comme je l’explique plus loin, des rencontres que j’ai eues avec des professeurs et des étudiants. Les problèmes décrits impliquent évidemment aussi bien des professeurs masculins que féminins et des étudiants des deux sexes. J’ai fait cependant le choix de masculiniser tous mes propos pour une question

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Encadrer aux cycles supérieurs

de clarté et d’assurer une harmonisation du texte. J’ai fait ce choix lorsque à la relecture, j’ai réalisé que, pour une même situation, je pouvais passer du genre masculin au genre féminin pour évoquer les actions d’un directeur ou d’un étudiant. L’anecdote concernait parfois un étudiant avec sa directrice, parfois une étudiante avec son directeur ou encore des étudiants et des directions du même sexe. D’autres fois, la situation avait été rapportée par des étudiants des deux sexes ou des directions de recherche des deux sexes. Dans ma description ou mon explication, j’avais en tête différentes personnes de genres différents et si j’essayais de respecter le genre des personnes impliquées, cela créait des changements de genre à différents moments dans le même paragraphe qui rendait la compréhension plus difficile. Pour éviter des problèmes à décrire des situations qui pouvaient s’adresser aussi bien aux professeurs qu’aux professeures, j’ai décidé de toujours utiliser le genre masculin pour parler des professeurs, des directeurs de recherche et des étudiants. J’ai aussi fait ce choix pour assurer un maximum d’anonymat des situations décrites et des témoignages. Certains encadrés sont tirés d’échanges tenus pendant les formations et les ateliers, et ont été faits publiquement, mais d’autres situations viennent de témoignages ou d’échanges individuels. Enfin, j’aurais pu évidemment faire le choix de féminiser tous les termes, mais comme je parle parfois de mes propres expériences, ce choix aurait pu créer un drôle d’effet. Enfin, les orientations qui ont mené à la production de l’ouvrage sont évidemment teintées de mes propres conceptions de ce que devrait être l’encadrement des étudiants aux cycles supérieurs. Elles ont été maintes fois renforcées par les rencontres et les témoignages reçus de professeurs et d’étudiants confrontés à divers problèmes, mais bien que j’aie tenté de m’en tenir le plus possible à décrire des situations et des actions orientées vers la solution ou la prévention de situations problématiques, je n’ai pas la prétention de considérer que ce que je décris devrait représenter la ­quintessence de l’encadrement. Le processus d’encadrement se construit sur l’établissement d’un type de relation qui est lui-­même teinté des conceptions et des perceptions que chacun possède du contexte de formation universitaire, en général, et de l’accompagnement en recherche, en particulier. En plus, il faut compter sur les habiletés personnelles de chacun (étudiant comme professeur) sur le plan relationnel. Ce sont les raisons pour lesquelles j’ai tenté de décrire ou d’expliquer la dynamique sous-­jacente aux situations, afin de permettre à chacun de mieux comprendre les répercussions et les effets de ce qui est décrit et, éventuellement, d’adapter ce qui est proposé en fonction de son propre contexte et de ses propres conditions.

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PARTIE 1 /

LES CONDITIONS ÉTUDIANTES

Cette partie aborde les facteurs d’adaptation et les difficultés rencontrées par les étudiants au cours de leurs études aux cycles supérieurs, particulièrement en ce qui concerne les difficiles passages d’un niveau d’enseignement à l’autre, soit du premier cycle à la maîtrise et de la maîtrise au doctorat. Ces difficultés de transition sont souvent une source d’étonnement pour les professeurs. Plusieurs s’attendent à ce qu’un étudiant qui arrive à la maîtrise ou au doctorat ait acquis tout ce qu’il faut pour entreprendre et réussir ses études. Pourtant, ce n’est pas parce qu’un étudiant a obtenu des notes très élevées au premier cycle qu’il démontrera nécessairement des habiletés en recherche à la hauteur de ses performances scolaires dans ses cours. Ce n’est pas non plus parce qu’il a su mener à terme très rapidement sa maîtrise que son processus de formation doctorale sera aussi facile. Ces conditions d’adaptation et les difficultés propres aux situations constituent une proportion significative des causes des problèmes rencontrés au cours de leur cheminement et une grande partie des suggestions et des interventions proposées pour encadrer les étudiants dans la partie 3 du livre trouvent leur raison d’être dans ces conditions.

Chapitre 1 /

Les exigences et les contraintes des études aux cycles supérieurs

J’ai décrit, dans l’introduction, les finalités que devrait viser chacun des diplômes de cycles supérieurs. Si l’on définit une finalité à atteindre pour les étudiants à la fin du programme, cela signifie que les étudiants ne sont pas réputés avoir fait ces apprentissages avant d’entreprendre ces études. On statue ainsi que les étudiants devront faire les apprentissages au cours de leur formation. Il faut garder en tête que l’étudiant qui s’inscrit à la maîtrise ou au doctorat y est pour développer de nouvelles compétences et qu’il est en apprentissage. J’entends régulièrement des professeurs reprocher à leurs étudiants de ne pas être préparés adéquatement (et aux ordres d’enseignement antérieurs, de ne pas les avoir préparés) pour les études qu’ils entreprennent. Pourtant, il est tout à fait normal que l’étudiant ne possède pas pleinement certaines habiletés au moment d’entreprendre ses études de maîtrise ou de doctorat et qu’elles doivent servir à les lui faire acquérir. Même dans ce cas, des rapports récents1 font état d’un certain nombre de compétences qu’il faudrait aborder dans les programmes de cycles supérieurs, parce que les étudiants ne semblent pas les développer dans le contexte de leur formation. Passer d’un niveau d’études à l’autre, que ce soit du primaire au secondaire, du secondaire au collégial ou du premier cycle à la maîtrise, représente un saut important du point de vue des exigences, des tâches, des conditions d’études et même parfois de la culture particulière qui caractérise ce nouveau contexte. En ce sens, les études de maîtrise et de doctorat se démarquent des autres types d’études par un processus d’apprentissage

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Conseil de la Faculté des études supérieures et postdoctorales (2015) : il s’agit d’un rapport qui fait un tour exhaustif de la réflexion issue des travaux canadiens et internationaux sur l’importance d’introduire des ­compétences complémentaires dans les formations aux cycles supérieurs, ainsi que ADESAQ (2015).

Encadrer aux cycles supérieurs

qui se fait autour de la réalisation d’une recherche et la production d’un document qui en fait foi, et par des modalités de cheminement et de suivi qui impliquent la relation « privilégiée » avec un professeur. Il en résulte un certain nombre de situations propices à faire émerger des faiblesses ou des lacunes qui n’avaient jamais été perçues auparavant, ni par l’étudiant lui-­même ni par les professeurs qui ont pu lui enseigner. Ce premier chapitre s’attarde aux difficultés d’adaptation inhérentes aux études de cycles supérieurs. Il m’apparaît important d’aborder ce sujet au début parce que, pour bien comprendre son rôle de directeur, celui-­c i doit prendre conscience des défis que peuvent rencontrer ses étudiants. Les moyens d’intervenir pour les surmonter dans le cadre de son encadrement sont traités dans les autres chapitres.

1 / L’apprentissage d’un savoir-­faire précis Le type d’apprentissage à faire aux cycles supérieurs n’est pas comparable à celui du premier cycle. Au premier cycle, l’accent est surtout mis sur l’acquisition des connaissances dans une discipline ou dans le développement de certaines compétences particulières. Aux cycles supérieurs, l’accent est mis sur le développement d’un savoir-­faire associé à la réalisation d’une recherche et à la réflexion propre à son domaine d’études. En ce sens, ce ne sont plus les connaissances qui sont mises de l’avant, mais plutôt les compétences permettant de mener à terme la totalité d’une recherche et de pouvoir formaliser la démarche par la rédaction du mémoire ou de la thèse. Il faut évidemment que l’étudiant acquière un certain nombre de connaissances nouvelles ou qu’il approfondisse celles qu’il possède déjà pour être en mesure de discuter de manière cohérente et exacte de son sujet, mais c’est à travers les tâches liées à la réalisation de sa recherche que se feront ces apprentissages. Au premier cycle, les travaux sont produits en fonction de consignes relativement précises2 et sur des sujets assez bien définis qui s’inscrivent dans le contexte de cours qui délimitent la matière à être couverte. Les étudiants remettent leurs travaux et obtiennent ensuite une note. Aucune activité de retour visant la correction ou l’amélioration du travail n’est

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Les principes pédagogiques encouragent à adopter des consignes précises pour être en concordance avec les objectifs d’apprentissage et les contenus concernés.

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Chapitre 1 / Les exigences et les contraintes des études aux cycles supérieurs

effectuée. L’étudiant a ainsi été entraîné toute sa vie à suivre des cours structurés, à faire des examens et des travaux qui démontraient qu’il avait acquis les savoirs qui lui étaient enseignés. Par contre, aux cycles supérieurs, il se retrouve face à des tâches dont les paramètres sont habituellement plutôt vagues, déterminés par un contenu et des savoirs à aborder en fonction d’un sujet qu’il doit souvent lui-­même définir, et chercher dans des ressources qu’il doit lui-­même distinguer. S’il a été accepté à la maîtrise, c’est qu’il a su démontrer, par ses notes, un niveau de connaissance suffisant. Cela n’assure pas nécessairement qu’il saura développer les habiletés pour mener une recherche à terme et l’expérience réussie de la maîtrise n’est pas non plus garante de la réussite du doctorat. Les situations d’adaptation que je décris dans les pages suivantes sont issues des nombreux échanges, rencontres et discussions que j’ai eus avec les étudiants à propos des apprentissages qu’ils ont eu à faire et des difficultés qu’ils ont rencontrées au cours de leur maîtrise et de leur doctorat. Ces situations d’adaptation sont la cause de nombreux problèmes chez les étudiants, mais ils sont aussi les raisons pour lesquelles l’encadrement d’un professeur s’avère nécessaire.

1.1 /

Le développement d’habiletés de lecture Ce facteur est probablement le plus important en matière d’effets négatifs, quant à la capacité de l’étudiant à pouvoir répondre aux exigences de production de son mémoire ou de sa thèse. On s’attendrait à ce que les étudiants qui entreprennent des études de maîtrise ou de doctorat soient outillés pour effectuer convenablement les tâches de lecture étant donné le nombre d’années d’études qu’ils viennent de réussir. Cependant, la tâche de lecture impliquée dans l’étape de recension des écrits à la maîtrise et au doctorat demeure très éloignée de ce que les étudiants ont eu à accomplir dans leurs études antérieures. Au premier cycle, la très grande majorité des activités de lecture d’un étudiant a servi à préparer des cours pour lesquels les enseignants reprenaient la matière couverte dans l’ouvrage. D’autres fois, la lecture servait de complément d’étude pour préparer un examen. D’autres fois encore, pour la rédaction de travaux, les besoins d’information nécessitaient une certaine recherche sur des sujets moins précis, mais les exigences demeuraient relativement limitées et circonscrites, soit en raison du nombre restreint de documents et leur détermination explicite, soit parce que la démarche s’inscrivait dans un travail dont les consignes et les contenus

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Encadrer aux cycles supérieurs

recherchés étaient bien définis, ou parce qu’ils servaient à répondre à des questions précises qui restreignaient l’ampleur des sources à traiter. Le travail de lecture consistait alors principalement à faire un assemblage de diverses informations dans le but de répondre à une demande relativement précise. À la maîtrise et au doctorat, le travail autonome d’appropriation des connaissances sur son sujet qui passe par la recension des écrits est d’un tout autre niveau. Il nécessite un degré d’analyse plus précis pour savoir reconnaître les aspects pertinents et utiles et mettre en relation des contenus issus de textes variés et différents. Il demande également une capacité de synthèse et de réflexion pour extraire et noter les éléments pertinents de la bonne façon pour aider à construire sa pensée. Ce sont des exigences qui ne font pas partie des activités habituellement d ­ emandées au premier cycle. C’est un apprentissage qu’on ne doit pas tenir pour acquis et pour lequel un encadrement plus ciblé s’avère souvent nécessaire (chapitre 6). Lorsqu’il n’est pas maîtrisé, il a des répercussions négatives importantes au moment de la rédaction (chapitre 8, sections 3 et 4.2 ; chapitre 13, sections 1 et 2.3.4). Cette capacité de procéder à la lecture des écrits de façon efficace devrait aussi se vérifier auprès des étudiants du doctorat. Dans leur cas, outre les expériences précédentes qui n’ont peut-­être pas permis de développer autant qu’il le faudrait leurs habiletés à ce niveau, le degré d’approfondissement, l’apport novateur qu’ils doivent donner à leur sujet ou encore la durée et la complexité de la démarche peuvent présenter des défis supplémentaires (chapitre 2, section 4.1).

1.2 /

L’adoption de propos d’un style de nature scientifique Les propos de nature scientifique impliquent d’introduire des nuances dans les propos et dans la façon d’articuler les informations pour qu’elles soient claires, sans prétendre affirmer constamment des « vérités ». Les étudiants qui ont eu peu de travaux à produire ou dont les travaux n’étaient pas de nature à rapporter des recherches sont plus susceptibles de rencontrer des difficultés et auront besoin de plus d’encadrement pour adopter des formulations adéquates. Je fais référence ici à des formulations fautives comme des généralisations abusives, des lieux communs, des façons de référer à des auteurs sans toujours reprendre la même formulation, etc. Cette façon d’écrire représente un savoir implicite qui s’est développé chez les professeurs au fil du temps et de leurs expériences d’écriture, mais qui se retrouve plus rarement chez les étudiants

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Chapitre 1 / Les exigences et les contraintes des études aux cycles supérieurs

qui entreprennent leurs études aux cycles supérieurs. Habituellement, cette difficulté sera assez bien résolue au doctorat. C’est un savoir-­faire qui ne s’acquiert que par la pratique et on ne doit pas s’attendre à ce que les étudiants maîtrisent cette façon d’écrire dès les premières productions. C’est d’ailleurs parfois une adaptation difficile pour certains étudiants, dans la mesure où ils ont pu produire de nombreux travaux auparavant (même dans le cadre de leur scolarité de maîtrise) sans qu’on leur mentionne que leurs productions ne respectaient pas ce style scientifique. J’aborde cet aspect précis dans différentes sections du chapitre 8 (sections 3.1, 3.2 et 3.14 à 3.16) et dans la façon de corriger l’étudiant (chapitre 11, sections 2 et 3), parce que l’accompagnement des étudiants doit se faire dès les premières productions et il peut s’avérer nécessaire de leur ­expliquer les règles et les exigences par rapport à ce type de rédaction.

1.3 /

Des arguments ou des affirmations basés sur des écrits L’argumentation ou la présentation de propos basés sur des écrits est un autre savoir-­faire qui doit être développé principalement à la maîtrise. Pour certains étudiants, le fait de présenter des positions qu’ils doivent appuyer par des écrits leur donne l’impression qu’ils ne peuvent pas avoir leur propre idée ou leur propre avis.

Un étudiant3 que j’encadrais m’a déjà exprimé sa surprise (et sa déception) d’apprendre, à la suite de mes commentaires sur sa production, qu’il devait tout justifier et argumenter à partir des écrits. Je lui ai fait comprendre qu’il pouvait donner son avis, mais en s’appuyant sur ce qui s’était déjà écrit ou encore en critiquant ce que d’autres avaient avancé à partir d’arguments basés sur ce que la recherche avait proposé. On ne lui avait jamais demandé, dans ses études antérieures, de spécifier les auteurs ou les écrits sur lesquels il appuyait ses positions. La plupart du temps, les critiques qu’il était amené à faire devaient être basées sur des critères qu’on lui avait fournis dans les consignes de travaux et sur des textes précis. On ne lui demandait pas de fonder ses critiques sur d’autres auteurs, mais plutôt d’appliquer les connaissances acquises du cours pour les mettre en relation ou en contradiction avec

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J’utilise, tout au long de l’ouvrage, ce genre d’encadré pour décrire des témoignages, des exemples ou des situations concrètes.

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Encadrer aux cycles supérieurs

des textes. Il m’a souvent exprimé son impression de se sentir brimé. Selon lui, la recherche ne pouvait pas progresser si on devait toujours s’appuyer sur d’autres auteurs pour avancer ses propres idées. Malgré mes tentatives d’explications, je ne suis jamais parvenu à lui faire voir toute la liberté qu’il pouvait prendre pour énoncer ses idées, même s’il devait s’appuyer sur des écrits…

Cette difficulté se retrouve beaucoup dans la façon de rédiger les premières versions de leur texte dans la problématique et le cadre conceptuel (chapitre 8, sections 3.1 et 3.2). Les étudiants font aussi parfois difficilement la différence entre un avis personnel, un jugement de valeur, une critique et une position appuyée par des écrits. Les formules inadéquates ou l’absence de références pour certaines affirmations sont fréquentes. Il ne faut pas non plus s’en surprendre. Faire valoir son point de vue en faisant ressortir les points forts de ce sur quoi l’on s’appuie et les points faibles de ce à quoi l’on s’oppose ou dont on se distancie est une habileté qui se développe, mais elle peut nécessiter un accompagnement plus systématique lorsque l’étudiant démontre des difficultés à s’y habituer.

2 / Des étapes et des conditions particulières Le passage aux cycles supérieurs implique un nouveau contexte concernant les étapes à suivre et les conditions d’études. Ces étapes et ces conditions font partie des raisons pour lesquelles les étudiants vont éventuellement prendre du retard dans leur démarche ou rencontrer des problèmes à finaliser leur travail.

2.1 /

Le travail sur le projet de recherche en parallèle de la scolarité Dans toutes leurs années d’études antérieures, les étudiants ont été habitués à répartir leur temps et leurs efforts entre un certain nombre de cours. La scolarité obligatoire pour les diplômes de maîtrise et de doctorat ne représente donc pas une situation nouvelle. C’est plutôt le travail sur la recherche qui est susceptible de causer des problèmes et c’est souvent la raison pour laquelle les étudiants croient à tort qu’il faut se concentrer sur leurs cours et remettre à plus tard, après la scolarité, le travail sur leur projet de recherche.

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Chapitre 1 / Les exigences et les contraintes des études aux cycles supérieurs

Une des difficultés vient de ce que le projet de recherche ne s’inscrit pas dans un contexte aussi bien défini et réglementé que le sont les cours. Il n’y a pas de dates précises pour le dépôt des productions autres que de déposer éventuellement un projet et, plus tard, le mémoire ou la thèse. Ces obligations ne se situent pas dans un temps particulier, sinon, qu’elles doivent respecter des durées qui sont souvent approximatives. L’autre difficulté vient des exigences perçues comme étant plutôt vagues concernant la production de la recherche. L’étudiant sait qu’il doit avoir un sujet, mais dans la mesure où celui-­c i n’est pas défini de façon claire par le directeur lui-­même4, c’est sur l’étudiant que reposent le choix et le développement de son sujet. Au niveau de la maîtrise, particulièrement, c’est un processus souvent très difficile parce que l’étudiant se retrouve devant l’obligation d’avoir une idée approximative qu’il devra ensuite peaufiner et préciser pour produire son projet de recherche. Comme je le décris dans le chapitre 6, il s’agit là d’un processus peu familier pour l’étudiant moyen. Il aura de la difficulté à choisir, à définir et à préciser son sujet s’il n’est pas accompagné pour le faire. Ces deux caractéristiques font en sorte que l’étudiant aura plus tendance à se concentrer sur ses cours parce que les exigences sont beaucoup plus faciles à respecter, plus clairement définies dans le temps et que l’activité est récurrente chaque semaine. C’est un choix risqué qui peut nuire à sa capacité de faire avancer son projet de façon coordonnée avec les séminaires de recherches qui s’inscrivent souvent dans les différentes étapes de réalisation de la recherche. Par exemple, un étudiant qui n’a pas travaillé à son sujet de recherche et qui doit suivre un séminaire qui traite de différents enjeux de la méthodologie ou encore des analyses de données en retirera peu d’éléments pertinents parce qu’il ne sera pas en mesure de faire le lien entre les savoirs enseignés et ses propres besoins. J’ai rencontré des étudiants avec certaines difficultés de progression qui se rendaient compte, après coup, qu’ils n’étaient pas en mesure d’utiliser les travaux et les réflexions effectués dans le cadre de leur séminaire, parce qu’ils n’étaient pas pertinents à l’orientation que leur projet avait prise par la suite. Ils devaient donc recommencer une partie du travail qui aurait pu facilement, à l’époque, combiner la réponse avec les exigences

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Il en sera question dans le chapitre 7, qui concerne le choix du sujet, mais comme dans certains domaines c’est le directeur qui choisit de façon plus ou moins précise le sujet, il se peut que l’étudiant n’ait pas vraiment à entreprendre de démarches pour en choisir un. Cela a des répercussions souvent positives sur la vitesse avec laquelle il peut avancer dans son projet. Ce n’est cependant pas applicable dans tous les domaines.

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Encadrer aux cycles supérieurs

du séminaire et l’avancement de leur propre projet. Ce sont des conditions qui peuvent également empêcher l’étudiant de terminer le diplôme dans les temps prévus. Si le directeur lui-­même ne délimite pas les conditions et les exigences pour que l’étudiant puisse travailler rapidement sur son sujet, en parallèle à ses cours et dans des délais déterminés, il ne le fera probablement pas de façon autonome. Le directeur doit donc amener l’étudiant à travailler sur son projet de recherche le plus vite possible au début de sa démarche (chapitre 8, section 1).

2.2 /

Une relation « privilégiée » avec un professeur La relation que l’étudiant entreprend avec son directeur de recherche constitue une des principales caractéristiques des études de cycles supérieurs. Cette relation représente d’ailleurs un des facteurs les plus importants dans la progression de l’étudiant et dans sa diplomation (chapitre 2, section 1). Elle est souvent sa première expérience d’un contact privilégié avec un professeur puisque la plupart du temps, la relation avec un professeur se limite à assister à ses cours et à l’écouter dans une classe. Peu d’étudiants auront eu d’autres occasions de discuter et d’échanger avec un professeur dans un autre contexte. Vouloir entrer en relation avec un professeur avec qui on n’a jamais eu d’échanges particuliers est en soi un contexte intimidant. Lorsqu’un étudiant approche un professeur pour le solliciter, cette démarche est très souvent empreinte d’un malaise, d’une gêne et d’une certaine appréhension de se faire rejeter. Il en résulte souvent une approche de l’étudiant qui est plus ou moins organisée et il ne lui viendra souvent aucune question ou demande particulière. Il ne saura pas vraiment comment se présenter, quoi dire de lui et quoi faire ressortir pour que vous acceptiez de l’encadrer. Particulièrement à la maîtrise, il aura peut-­être un sujet en tête, mais sera peu habile à le définir, à moins que vous ne le questionniez de façon plus précise, ou il vous abordera en raison de vos propres champs d’intérêt en recherche sans pouvoir mieux circonscrire ce qui l’intéresse. Ces situations sont particulièrement importantes à préparer pour le directeur parce qu’elles peuvent l’aider à faire le choix d’accepter ou non un étudiant et circonscrire certaines difficultés et prévoir certaines conditions pour l’encadrement et le suivi du travail. Ce sont des éléments majeurs qui peuvent avoir des influences tout au

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Chapitre 1 / Les exigences et les contraintes des études aux cycles supérieurs

cours du processus d’encadrement et qui seront abordés notamment dans les chapitres 3, 7, 8 et 14. Il ne faut donc pas sous-­estimer l’importance de cette relation privilégiée et les impressions qu’elle peut créer chez l’étudiant. Même après avoir été acceptés, beaucoup d’étudiants ont de la difficulté à faire part de leurs désaccords, à faire connaître leurs difficultés ou à exprimer des doutes ou des incompréhensions par rapport à ce que vous venez de leur dire, parce qu’ils craignent de déplaire, de ne pas répondre aux attentes, de créer de l’insatisfaction et de mettre en danger la poursuite du travail avec vous s’ils ne montrent pas autant de qualités et de compétences qu’ils croient que vous avez pu vous imaginer. Ces impressions et ces craintes sont très présentes chez une grande majorité d’étudiants et elles teintent évidemment la façon dont les rencontres se déroulent, au moins pendant une certaine période au début de la relation d’encadrement. Chez certains, ces sentiments demeureront tout au cours de la démarche. C’est pourquoi il faut vérifier régulièrement la progression et la présence de problèmes ou de situations de blocage dans le travail des étudiants, parce qu’ils peuvent se montrer réticents à en faire part. Il ne faut pas attendre que l’étudiant décide de nous avertir par lui-­même d’un problème pour considérer qu’une rencontre est nécessaire (chapitre 14, section 5). Il appartient au directeur d’organiser le suivi de l’étudiant pour éviter qu’il se retrouve pendant une période prolongée sans devoir faire rapport de ce qu’il produit ou de ce sur quoi il travaille (chapitre 4, sections 2 et 9 ; chapitre 8, section 1).

Alors que je suis particulièrement sensible à ces craintes et à ces situations, je me rends compte que parfois encore, des étudiants n’ont pas fait appel à moi lorsqu’ils rencontraient des difficultés ou se sentaient bloqués, parce qu’ils ne voulaient pas me déranger. Je m’en rends compte parce que leur production laisse alors à désirer ou n’a pas l’ampleur attendue, parce qu’ils ont perdu beaucoup de temps à essayer de se débrouiller seul sans y parvenir. Je dois alors les encourager à m’envoyer au moins un courriel pour me signifier la difficulté afin d’évaluer le type d’aide que je peux leur fournir. Parfois, une simple explication par courriel aurait suffi.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Ces situations sont beaucoup plus fréquentes que celles où l’étudiant aurait tendance à exagérer ses demandes ou la fréquence de celles-­c i auprès de son directeur. Dans tous les cas, cette relation privilégiée implique justement de mettre en place des modalités de suivi qui tiennent compte des besoins de l’étudiant, mais également des obligations du professeur dans les autres sphères de son travail. C’est au directeur, et non à l’étudiant, d’aborder ces aspects pour établir un mode de fonctionnement collaboratif qui convienne à chacun. Ces aspects sont définis particulièrement dans les chapitres 4 et 14. Je me permettrai un dernier commentaire à l’égard de cette relation privilégiée. J’ai mis le mot privilégié entre guillemets parce que cette notion ne représente pas le même enjeu pour tous les professeurs. Pour certains, la relation d’encadrement ne constitue pas une relation privilégiée, mais une obligation administrative pour laquelle ils ne ressentent aucune responsabilité. D’autres vont agir de façon inadéquate en adoptant des comportements de harcèlement ou en mettant une pression psychologique énorme sur leurs étudiants. Dans le contexte où les étudiants qui entreprennent des études de cycles supérieurs demeurent souvent dépendants de leur directeur et de la façon dont ils sont encadrés pour mener leur projet à terme, une portion de ceux qui abandonnent le font parce qu’ils n’ont pas trouvé l’accompagnement requis pour y parvenir. Ces situations déplorables font en sorte que les établissements universitaires tentent parfois de mettre en place des moyens pour assurer un minimum d’accompagnement aux étudiants qu’ils acceptent. Ces mesures peuvent aussi servir, à l’occasion, à aider à définir le cadre des relations entre les étudiants et leur directeur. Il en sera question au chapitre 14 (section 2).

2.3 /

La perte des balises temporelles et l’isolement durant la période de rédaction Pendant la période de rédaction, l’étudiant n’a plus le contexte normal des sessions où les activités débutent en septembre et se terminent en décembre, pour l’automne, et reprennent en janvier pour se terminer en avril, à l’hiver. Cette délimitation des activités dans le temps offre un cadre de production et de répartition de ses efforts avec lequel l’étudiant est habitué de composer. Pour les étudiants de maîtrise, la période de rédaction est souvent la première expérience qu’ils ont d’un processus d’écriture et de production d’une telle ampleur et dans un cadre beaucoup

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Chapitre 1 / Les exigences et les contraintes des études aux cycles supérieurs

moins contraignant sur le plan des échéanciers que ne l’étaient les cours. Pour tous les étudiants aux cycles supérieurs, cette liberté d’action comporte des conditions idéales pour les amener à remettre à plus tard le travail à faire ou à s’engager dans autre chose qui paraît plus intéressant, plus concret ou plus valorisant. Cette étape est cruciale parce que c’est le moment où l’étudiant entreprend la finalisation du processus de production de son mémoire ou de sa thèse et les conditions qui caractérisent cette étape posent des risques importants pour maintenir la production et l’intérêt dans la démarche. La difficulté supplémentaire de cette période de rédaction est l’isolement qu’elle provoque. Les étudiants qui sont engagés dans des projets avec des équipes de recherche ont souvent des conditions beaucoup plus favorables pour diminuer l’isolement parce qu’ils sont amenés quotidiennement à travailler au laboratoire ou dans des locaux dans lesquels ils partagent souvent des espaces et des moments d’échanges avec des ­collègues. Pour les autres, ils se retrouvent devant leur ordinateur des journées entières, à chercher le bon mot, à trouver l’idée, à restructurer ce qui a déjà été écrit, à analyser leurs données, sans aucun contact avec des c­ ollègues, isolés dans leur bureau, ayant parfois comme seul accompagnement le copain, la conjointe, le coloc qui ne comprend pas toujours, d’ailleurs, les exigences d’un tel travail. Plus cette période se prolonge et plus elle peut poser des problèmes. Étant donné ce contexte défavorable, c’est au directeur de recherche de vérifier, à l’occasion, la façon dont l’étudiant parvient à surmonter cette situation d’isolement et sa capacité à maintenir le travail. Plusieurs suggestions offertes plus loin servent justement à créer des conditions qui compensent l’absence d’un cadre de travail comme celui que facilitaient les cours (chapitre 4, section 1 ; chapitre 8, section 1). Par ailleurs, cet isolement peut ne pas être simplement « social » sur le plan du manque de contact avec des collègues, mais il peut mener à de la fatigue psychologique, par le fait de maintenir la même activité ou la même tâche de manière continue et prolongée. Le directeur demeure probablement la personne la plus susceptible de déceler la présence de ce type de situation, parce qu’elle aura des répercussions négatives importantes sur la capacité de produire de l’étudiant, par rapport à ses capacités antérieures. Ce problème est abordé de manière précise dans le chapitre 13 (sections 2.3.1 et 2.3.2).

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Encadrer aux cycles supérieurs

3 / Les conditions extérieures à la formation Évidemment, le processus de formation ne s’effectue pas en vase clos avec l’étudiant à l’université sans contact avec des personnes extérieures. L’étudiant a des activités, des responsabilités et des gens qui composent son tissu social et familial. Cependant, le contexte particulier des études de maîtrise et de doctorat favorise certaines conditions qui peuvent avoir des répercussions négatives sur ce tissu social ou familial.

3.1 /

Le manque de reconnaissance de l’entourage Seule une personne qui a fait une maîtrise peut comprendre l’expérience vécue par quelqu’un qui fait une maîtrise, et seuls ceux qui ont complété un doctorat peuvent comprendre l’expérience vécue de ceux qui font un doctorat. Les personnes dans l’entourage d’un étudiant aux cycles supérieurs peuvent percevoir les difficultés et les préoccupations qu’il peut vivre et démontrer de l’empathie à son égard, ils ne peuvent pas en avoir une compréhension aussi précise que ceux qui sont passés par là. Cette caractéristique joue de façon particulière lorsque les gens qui composent son entourage n’ont aucune expérience des études de cycles supérieurs. La situation peut être encore plus problématique si personne autour de lui n’a poursuivi d’études universitaires. Il en résulte alors souvent une incompréhension des situations, des exigences ou des tâches que l’étudiant doit accomplir. Il sera confronté au peu d’intérêt des autres d’entendre parler de son sujet, il ne recevra que peu d’attention pour les trouvailles qu’il aura faites sur un nouveau modèle ou sur celui qu’il vient de développer, il sera le seul à se réjouir des données qu’il aura obtenues. Souvent, il recevra des commentaires appuyés sur le fait qu’il est encore aux études, on mettra peut-­être en question la pertinence de ce qu’il fait et on insistera sur le temps qu’il lui reste. La situation deviendra encore pire lorsque la durée des études se prolongera. Je trouve important de rappeler ces conditions particulières parce que le directeur de recherche sera peut-­être la seule personne à qui l’étudiant pourra confier ses préoccupations relatives à sa recherche et qui comprendra le processus dans lequel il s’est engagé. Un étudiant, dont les proches ou les amis sont peu réceptifs à ce qu’il fait et qui ne comprennent pas, par exemple, qu’il ait mis trois heures pour produire « seulement » deux pages, ne recevra pas l’encouragement et le soutien de son entourage.

24

Chapitre 1 / Les exigences et les contraintes des études aux cycles supérieurs

Il ne faut pas y voir une responsabilité supplémentaire attribuée au directeur ni interpréter que le directeur devrait devenir le confident de l’étudiant. Ce n’est pas son rôle et il faut justement l’éviter (chapitre 5, sections 4.4, 4.5, 4.7 et 4.8). Toutefois, cela suggère que le directeur doit rester attentif aux difficultés que l’étudiant rencontre, particulièrement sur le plan de la reconnaissance de son travail et sur l’encouragement qu’il peut recevoir. Ce rôle pourra prendre une importance particulière auprès des étudiants étrangers. Certaines mesures peuvent d’ailleurs être mises en place pour favoriser les échanges entre étudiants, afin de leur donner l’occasion de discuter entre eux de ce qu’ils vivent et d’éviter que le directeur ne devienne la seule personne à qui l’étudiant peut parler de ce qu’il fait (chapitre 15, section 2).

3.2 /

L’engagement nécessaire Les études de maîtrise, et encore plus au doctorat, impliquent un niveau d’engagement intellectuel et d’occupation de l’esprit qui dépasse celui des autres contextes d’études et de formation. Les étudiants ont tendance à ne plus penser à autre chose qu’à leur recherche, ne laissant que peu de place aux autres activités et obligations auxquelles ils devraient accorder du temps. Cela signifie, par exemple, oublier des anniversaires, oublier de faire des achats, arriver en retard à des repas de famille, ne pas vouloir participer à d’autres activités que celles qui concernent la recherche ou les cours, etc. Cet engagement à l’égard de leur travail de recherche finit souvent par provoquer des tensions ou des mésententes avec l’entourage. Parfois, les étudiants prennent conscience de ces effets et réajustent leur fonctionnement. D’autres fois, cette préoccupation exclusive à l’égard des études et de la recherche peut exacerber des conditions déjà difficiles ou un contexte relationnel plus fragile et favoriser l’émergence d’une situation conflictuelle qui peut mener à des pressions de l’entourage ou même à une séparation. Le manque de reconnaissance évoqué précédemment ne peut qu’augmenter les risques de l’apparition de problèmes. J’aborde cet aspect dans un ouvrage destiné aux directeurs de recherche parce que ce déséquilibre important et les effets néfastes qui peuvent en découler pourraient évidemment affecter la progression de l’étudiant et l’amener à remettre en question son cheminement. Le directeur de recherche ne peut évidemment pas prévoir de telles situations, mais il en devient souvent le témoin par les difficultés auxquelles l’étudiant peut être confronté et dont il pourrait lui faire part. Ce sont des conditions délicates

25

Encadrer aux cycles supérieurs

sur lesquelles le directeur doit être en mesure d’agir (ou de ne pas agir) en fonction de son rôle. Ces situations seront abordées dans le chapitre 5 à propos de certains principes à respecter dans la ­relation (section 4.7) et dans le chapitre 13 (section 4).

4 / Le difficile respect du temps requis Compléter une maîtrise ou un doctorat prend un certain temps. La plupart des programmes accordent deux ans pour la maîtrise et quatre ans pour le doctorat pour des études à temps complet. Les recherches sur la persévérance et la diplomation indiquent que le respect de ces délais est très variable selon les disciplines. Ils sont à peu près respectés dans les domaines des sciences et des sciences appliquées, mais ils sont plus longs dans les disciplines des sciences humaines et sociales, en administration et en éducation (chapitre 2, section 2). Dans chacun des domaines respectifs, les étudiants à temps complet terminent dans des délais plus proches de ceux attendus que les étudiants à temps partiel. Dans ce dernier cas, la cause qui m’apparaît la plus fréquente du prolongement des études chez les étudiants à temps partiel vient de la difficile conciliation entre les exigences professionnelles et scolaires, puisque c’est la seule différence entre un étudiant à temps complet et un étudiant à temps partiel qui auraient chacun une famille. Un étudiant qui doit mettre plus d’heures au travail pendant la semaine aura moins d’heures disponibles pour travailler à son projet et à ses études. En ce sens, la dispersion du temps de travail sur le projet pendant des périodes prolongées peut amener un désintérêt du projet parce que l’étudiant n’est pas engagé de façon régulière pour maintenir une idée suffisamment claire de ce qui est à faire et des raisons pour le faire. De plus, la difficulté réside souvent dans le déclenchement du travail. Moins l’étudiant travaille fréquemment à ce qu’il doit faire et moins il sera enclin à se donner du temps pour le faire. Par contre, il existe une multitude de raisons ou d’évènements qui peuvent amener un prolongement des études. Un prolongement d’une seule session n’aura pas un grand impact, mais plus les études se prolongent, plus l’étudiant a des risques de se désengager progressivement de son projet. Le sens qu’il donnait à sa démarche peut perdre de sa valeur au fur et à mesure que le temps le distancie de sa réflexion et des

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Chapitre 1 / Les exigences et les contraintes des études aux cycles supérieurs

origines de son intérêt. L’étudiant peut aussi vivre un désintérêt progressif en raison de la répétition des tâches qu’il effectue ou lorsqu’il y met beaucoup de temps sans que son travail avance de façon significative. En tant que directeur, on a un certain rôle à jouer pour tenter d’éviter le prolongement indu des études. Le fait de connaître ces conditions peut aider à planifier le travail (chapitre 3, section 3.7). Les différentes suggestions sur l’encadrement et le suivi des étudiants visent aussi à déterminer des échéanciers précis et des tâches précises pour aider l’étudiant à travailler rapidement à son projet et à produire pour sa recherche de façon continue. Cependant, malgré toutes les mesures mises en place, il arrive que certains étudiants ne semblent pas être en mesure de compléter le processus et qu’on s’en rende compte de différentes façons (chapitre 13, section 2.1 ; chapitre 14, sections 5.1 et 5.3 à 5.5 ; chapitre 5, sections 4.3 et 4.5). Dans ce cas, cela peut aussi devenir le rôle du directeur d’en discuter avec l’étudiant et d’envisager avec lui la possibilité qu’il abandonne. Ce n’est pas nécessairement la première solution, mais parfois, cela peut devenir la seule solution valable.

5 / La perception des exigences, de la finalité et des perspectives De nombreux étudiants ont des perceptions erronées des exigences réelles du diplôme qu’ils entreprennent. Souvent, que ce soit pour la maîtrise ou le doctorat, ils sous-­évaluent le travail de recherche, les étapes de recension des écrits, le processus de rédaction et la rigueur qu’il faut avoir dans les propos. Ils ne considèrent pas les obligations et les tâches auxquelles il faut s’astreindre, particulièrement sur les plans de la lecture et de l’analyse des contenus des textes, au cours des premières étapes. La même évaluation erronée se transpose encore mieux au doctorat où la réussite de la maîtrise peut créer une fausse idée que l’ampleur et le travail requis pour le compléter s’apparentent à ce qui a été fait à la maîtrise. D’autres étudiants vont idéaliser les perspectives qu’offre l’obtention du diplôme dans leur domaine, parce qu’ils ne se seront pas donné un objectif précis, basé sur des informations réelles. Malheureusement, ces perceptions viennent souvent du discours commun qui veut qu’on ait plus de facilité à se trouver un emploi avec un diplôme plus élevé. Ces chiffres sont réels, mais les étudiants entreprennent parfois leur démarche sans avoir validé la nature des fonctions envisagées par rapport à ce qui les intéresse vraiment sur le plan professionnel. Devant l’incertitude de la

27

Encadrer aux cycles supérieurs

finalité, ils peuvent tout à coup remettre en doute leur choix en raison de tout le temps et l’énergie nécessaires pour mener leur projet à terme. Le directeur pourrait amener l’étudiant à se questionner davantage en le référant aux services ou aux ressources appropriés s’il a des doutes sur les finalités ou les perspectives envisagées. Ces éléments peuvent notamment être pris en compte lorsque vous avez à choisir d’accepter ou non d’encadrer l’étudiant (chapitre 3, sections 1.2, 3.3 et 4.2). Le directeur a aussi avantage à connaître les motivations de l’étudiant et ce qui l’amène à entreprendre ou à poursuivre ses études maintenant. Il pourra mieux envisager l’engagement potentiel de l’étudiant et les bases de ses choix et de son intérêt et pourra savoir si les perceptions relatives aux exigences envisagées sont adéquates. C’est au directeur que revient la responsabilité d’indiquer à l’étudiant les tâches à accomplir et le degré de travail qu’il attend de lui (chapitre 3, section 6.3). Ce faisant, il est possible que l’étudiant réalise que les efforts qu’il devrait maintenir ne correspondent pas à ce qu’il avait envisagé ou que le directeur s’aperçoive que les perceptions de l’étudiant sont plus ou moins réalistes. Encore là, ce sont des informations qui peuvent aider à clarifier la suite des choses pour l’étudiant et aider le directeur dans son choix d’accepter ou non de l’encadrer.

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Chapitre 2 /

Les difficultés des étudiants aux cycles supérieurs

J’ai présenté, dans le chapitre précédent, les conditions d’études aux cycles supérieurs qui sont des défis pour les étudiants et qui peuvent affecter leur cheminement. Il m’apparaît important d’évoquer, dans ce chapitre, les sources de difficultés ou de blocages qui sont aussi reconnues pour affecter leur progression, nuire à leurs études ou même mener à l’abandon. Les données présentées ici proviennent de recherches portant sur les conditions d’études à la maîtrise et au doctorat. Elles fournissent un aperçu des grandes tendances et des facteurs importants qui affectent négativement (ou positivement, lorsque les conditions sont adéquates) la finalisation de la démarche et la diplomation. Il ne s’agit pas d’un portrait exhaustif et complet des problèmes qui peuvent affecter les étudiants au cours de leur formation. La présentation de ces données, en complément avec les situations d’adaptation présentées dans le chapitre précédent, vise surtout à faire ressortir les facteurs à prendre en compte pour mettre en place les conditions et les contextes de formation et d’encadrement susceptibles d’avoir une influence positive significative dans le cheminement de l’étudiant. La première section provient de recherches plus générales sur les facteurs de persévérance ou d’abandon des études de cycles supérieurs. Étant donné que les recherches répertoriées sont issues principalement du milieu anglo-­saxon (notamment américain, britannique ou de ­l’Australasie1), les facteurs associés à la diplomation (ou à l’abandon) des étudiants concernent souvent exclusivement les études doctorales. Cependant, je ne ferai pas la distinction par rapport aux études de maîtrise, parce que les facteurs, lorsqu’ils sont différenciés, demeurent semblables à ce qui est décrit pour les études doctorales. 1

L’Australasie est la région géographique qui regroupe les pays autour de l’Australie, comme la Nouvelle-­Zélande.

Encadrer aux cycles supérieurs

Dans la deuxième section, je décris les résultats de recherches qui s’intéressent aux différences de diplomation selon les secteurs ou les domaines d’études. Elles permettent de contextualiser les conditions inhérentes à la recherche et au cheminement des étudiants aux cycles supérieurs dans ces disciplines qui peuvent peut-­être illustrer les facteurs qui aident les étudiants à diplômer. Ce sont moins des décisions individuelles de chacun des directeurs qui entrent alors en ligne de compte, que le contexte de recherche privilégié du domaine qui favorise la mise en place de conditions plus favorables. On peut essayer de s’inspirer de certaines de ces caractéristiques, comme directeur, pour mettre en place des conditions semblables, mais à une plus petite échelle. La troisième section concerne les causes des problèmes de progression ou de blocage dans le cheminement des étudiants. Ces données sont issues d’une étude que j’ai menée et que j’ai déjà publiée ailleurs (Bégin, 2013). Je reprends ici le contenu des tableaux qui présentent les causes de difficultés, avec certaines descriptions de ces causes, pour faire ressortir les raisons pour lesquelles je propose, dans différents chapitres, certaines actions possibles et des mesures d’accompagnement pour pallier les lacunes ou aider à résoudre les problèmes. Enfin, je présente une série de facteurs d’adaptation et de confrontation aux limites caractéristiques des études de maîtrise et de doctorat. Elles peuvent entraîner des découragements qui accélèrent la décision de quitter les études.

1 / Les facteurs d’abandon et de persévérance aux cycles supérieurs La nature des données et des résultats portant sur la réussite ou l’abandon des études dépend énormément de la façon dont ils sont obtenus. Les facteurs sont parfois analysés en fonction de leur effet sur les abandons, et parfois en fonction de leur association avec la persévérance ou l’obtention du diplôme. On évalue d’autres fois la durée des études relativement à la diplomation, ou encore on étudie certains modèles théoriques pour tenter d’expliquer les variations dans l’abandon ou la diplomation. Pour ces raisons, j’ai décidé de simplement présenter les facteurs qui jouaient un rôle sur la progression du cheminement de l’étudiant en mentionnant, lorsque l’information n’était pas assez ­explicite, le sens de l’effet du facteur concerné.

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Chapitre 2 / Les difficultés des étudiants aux cycles supérieurs

Ce que je présente dans le tableau 2.1, à la page suivante, est une liste non exhaustive des facteurs rapportés dans plus d’une vingtaine d’études sur le sujet, plutôt qu’une description élaborée de chacune des études et des facteurs identifiés. Tous les facteurs qui ressortaient des études ne sont pas mentionnés parce que je ne voulais pas rallonger indûment le tableau. J’ai inséré seulement les facteurs qui revenaient le plus souvent ou encore qui avaient été définis comme étant ceux dont le lien était le plus significatif ou le plus important avec la diplomation ou l’abandon. Parfois, des facteurs étaient mentionnés, mais ils n’étaient pas toujours définis ou décrits de façon semblable dans des recherches différentes. J’ai indiqué le « facteur principal » en nommant ensuite les différentes ­composantes du facteur qu’on spécifiait dans les recherches. Je n’ai pas voulu décrire le détail des recherches parce que ce n’est pas l’objet du chapitre et que je voulais éviter une présentation élaborée d’un ensemble de données. Toutes les références de ces études sont ­regroupées ensemble à la fin de la bibliographie. Le terme mis entre parenthèses à la fin de chaque facteur décrit le sens du lien entre le facteur et la diplomation scolaire. Ainsi, la mention « positif » indique un lien positif avec la diplomation. Parfois, le sens de l’énoncé suggère les caractéristiques du facteur qui sont liées avec la diplomation. Par exemple, le lien positif associé à la satisfaction à l’égard du programme suggère que plus le degré de satisfaction est élevé et plus le taux de diplomation sera élevé. D’autres fois, le sens de la relation varie selon les ­caractéristiques et celles-­ci sont alors spécifiées. Enfin, les liens « négatifs » ont parfois été relevés comme étant défavorables à l’obtention du diplôme, mais il s’agit aussi, à l’occasion, d’une transposition des résultats d’études qui portaient plutôt sur l’abandon scolaire. Ces études faisaient ressortir certains facteurs comme étant liés de façon positive à l’abandon scolaire, ce que j’ai reporté comme étant « négatif » pour la diplomation. Je conviens que ce n’est pas une approche rigoureuse sur le plan scientifique, parce qu’il n’est pas clair que des liens positifs significatifs pour une variable soient nécessairement négatifs de façon significative pour une autre variable, même si celle-­ci semble représenter le concept inverse, surtout lorsqu’il ne s’agit pas des mêmes sujets. J’ai fait ce choix, dans ce cas-­ci, pour deux raisons. Premièrement, c’était pour éviter de présenter les conclusions dans un tableau plus complexe qui aurait différencié les études sur la diplomation et l’abandon et qui aurait aussi spécifié chacun des facteurs, selon qu’il aurait eu des liens positifs ou négatifs avec l’abandon ou la diplomation.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Tableau 2.1 /  Indication des facteurs associés à la diplomation Positif

Négatif

i Qualité de la relation du directeur avec l’étudiant Soutenant, confiant, compétent i Qualité de la supervision Disponibilité, intérêt i Choix du thème de recherche Accessible, intéressant, faisable Choix du sujet très tôt dans la démarche Nombre élevé de changements de sujet Difficulté à spécifier le sujet par rapport à l’idée du départ Difficulté à en réduire l’envergure pour qu’il soit faisable i Objectifs du programme et objectifs de l’étudiant Discipline, orientations ou spécialités du département, culture du département, climat, exigences et nature des tâches du diplôme, etc. Si adéquation Si inadéquation i Clarté et réalisme du but pour entreprendre les études Lien réaliste avec le marché du travail Objectifs ou buts personnels liés à des motivations internes et à des choix personnels i Perception de l’utilité du diplôme pour l’emploi envisagé Si le diplôme donne accès à un emploi Si le diplôme n’est pas utile i Locaux, lieux de rencontres, intégration des étudiants dans la vie départementale Manque de structures facilitant l’intégration sociale et universitaire dans l’établissement i Autres Satisfaction à l’égard du programme L’engagement et la motivation de l’étudiant dans son projet et dans le milieu Contexte et conditions facilitant la collaboration entre les pairs Changement d’exigences ou de contexte de la scolarité à la rédaction Répercussions des résultats scolaires antérieurs * / ** *





J’ai indiqué cette variable parce qu’elle revient un certain nombre de fois dans les études. Il ­m’apparaissait pertinent de l’évoquer parce que cela suggère que le processus (au moins au doctorat) est basé sur d’autres types de connaissances que celles apprises auparavant, comme je le mentionne dans le chapitre 1.

** Ne semblent avoir aucun effet ou un très faible effet sur la diplomation ou l’abandon en fonction des critères d’admission considérés.

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Chapitre 2 / Les difficultés des étudiants aux cycles supérieurs

Deuxièmement, il m’est apparu malgré tout sensé d’interpréter qu’un facteur qui est reconnu comme étant associé à l’abandon ne soit pas ­favorable à la diplomation. Cependant, ce n’est pas parce qu’une caractéristique est associée à un lien positif que les caractéristiques inverses ont nécessairement une influence négative. Par exemple, le fait de choisir le sujet de recherche tôt dans la démarche est reconnu favorable pour la diplomation de l’étudiant. Le contraire ne mène pas à l’influence opposée : ce n’est pas parce que le sujet de recherche est choisi moins tôt ou plus tard dans la démarche que l’effet est nécessairement négatif.

1.1 /

Le rôle du directeur et de l’encadrement offert Les facteurs qui sont les plus associés à la diplomation des étudiants concernent (évidemment) la qualité de l’encadrement offert par le directeur et certaines variables liées au sujet de recherche et à sa réalisation. Ce sont des caractéristiques pour lesquelles le directeur de recherche a un rôle précis à jouer et qui seront abordées au cours des prochains chapitres. On observe toutefois que ce sont des caractéristiques de disponibilité et d’ouverture du directeur de recherche qui sont associées à la diplomation alors que les attitudes contraires ne sont pas rapportées comme pouvant avoir un lien négatif sur la diplomation. Cela peut venir de la façon dont les données sont obtenues. Si elles sont obtenues d’études qui considèrent les conditions favorables à la diplomation, les facteurs « négatifs » peuvent ne pas être ressortis avec autant d’importance. Les études qui se penchent sur les conditions d’encadrement plus négatives rapportent des informations de nature plutôt qualitative que quantitative à partir de récits et de témoignages d’étudiants déçus des attentes non satisfaites de leur encadrement (par exemple, Golde et Dore, 2001 ; Golde, 2000). On peut interpréter de ces résultats qu’il n’existe pas nécessairement une mauvaise façon d’encadrer qui mène inévitablement tous les étudiants à l’abandon, mais qu’il existe de meilleures conditions pour favoriser l’atteinte du diplôme. En ce sens, Golde (2000) et Golde et Dore (2001), notamment, font ressortir l’importance de la correspondance entre les attentes de l’étudiant à l’égard de son encadrement et les modes de fonctionnement du directeur de recherche. Dans la situation d’un manque de correspondance, où le directeur de recherche ferait preuve de peu de disponibilité ou de soutien, il est possible que des étudiants démontrent un degré d’engagement très élevé envers leurs études et un degré de résilience tout aussi important pour surmonter les défis que pose l’absence d’encadrement.

33

Encadrer aux cycles supérieurs

1.2 /

Les répercussions liées à d’autres facteurs Les données du tableau montrent qu’un certain nombre d’autres dimensions peuvent affecter positivement (ou négativement) la progression des étudiants dans leur démarche. Certains de ces facteurs ne concernent pas vraiment l’accompagnement que le directeur peut offrir à son étudiant. C’est le cas, notamment, de la satisfaction à l’égard du programme et les structures facilitant l’intégration sociale et scolaire dans l’établissement. Il s’agit là de facteurs qui relèvent de l’établissement et du programme et qui permettent à l’étudiant de bénéficier de ressources supplémentaires à celles offertes par le directeur. Par contre, d’autres facteurs comme le réalisme du but de l’étudiant pour entreprendre ses études, son degré de motivation, son désir d’engagement ou les conditions de son engagement ne concernent pas non plus le directeur, mais celui-­ci peut assez facilement en évaluer le potentiel et les conditions au moment où il rencontre l’étudiant pour décider s’il l’accepte ou non (chapitre 3, section 3). Le directeur a avantage à évaluer les motivations de l’étudiant à entreprendre ses études avec lui et son intérêt et la vision qu’il semble avoir de ce que représentent les études qu’il entreprend et ce vers quoi elles le mèneront. Il est en effet décevant de s’engager auprès d’un étudiant et de se rendre compte, après un certain temps, que son choix de poursuivre des études n’était pas nécessairement fondé sur des raisons solides, et qu’il ne met pas le temps requis pour avancer convenablement dans son travail parce qu’il fait sa démarche en « attendant mieux ».

J’ai rencontré un étudiant dont les intérêts pour entreprendre sa maîtrise cadraient plus ou moins avec la possibilité qu’il puisse atteindre son but. Il visait un poste d’enseignement collégial dans un domaine. Étant donné qu’il n’avait pas fait ses études de premier cycle dans ce domaine, il cherchait à choisir un sujet de recherche dans une maîtrise en éducation pour contourner le problème en essayant d’entrer dans le milieu. De plus, ses motivations consistaient principalement à aller au niveau collégial parce qu’il avait l’impression que les conditions de travail étaient meilleures que ses conditions professionnelles actuelles. Cependant, les études qu’il voulait entreprendre ne pouvaient le mener vers le type de poste qu’il convoitait.

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Chapitre 2 / Les difficultés des étudiants aux cycles supérieurs

J’avais discuté avec l’étudiant de ses attentes et de ses perceptions pour lui expliquer que le chemin envisagé pour le poste ne pouvait l’amener à l’emploi qu’il voulait en raison des critères d’embauche et j’avais décrit les conditions de travail, pour qu’il sache de façon plus réelle à quoi s’en tenir. Il a cheminé un certain temps, mais son e ­ ngagement dans ses études était plutôt variable et il a finalement abandonné.

En raison de l’importance de la correspondance entre les attentes de l’étudiant, ses intérêts de recherche et l’encadrement du directeur et la culture et le contenu du programme, le directeur peut jouer un rôle dans l’évaluation de cette correspondance, lorsqu’il rencontre l’étudiant. Parfois, les étudiants ne connaissent pas nécessairement les différences qui peuvent exister, sur le plan de la culture véhiculée, des approches des professeurs ou des orientations privilégiées dans un programme offert dans deux établissements différents, ou encore entre des facettes différentes d’un sujet qui peuvent être abordées dans des départements différents.

J’ai rencontré un étudiant qui venait me solliciter pour l’encadrer pour son projet de recherche. Après avoir passé en revue les informations que je lui avais demandé de préparer, j’ai réalisé que le sujet pour lequel il manifestait de l’intérêt se situait à mi-­chemin entre des aspects éducatifs et sociologiques. Je voyais difficilement comment le programme dans lequel il s’était inscrit pourrait le satisfaire sur le plan des cours, ainsi que de l’encadrement qu’il pourrait avoir de ma part. Il était venu vers moi parce qu’il trouvait que les contextes dans lesquels je travaillais pouvaient correspondre aux contextes qui l’intéressaient, notamment par rapport au phénomène de l’abandon. Cependant, l’opérationnalisation de ses idées portait sur l’approfondissement de problématiques qui se rapprochaient plutôt de la sociologie de l’éducation. Le département n’était pas vraiment le milieu le plus propice pour aborder ces aspects et le programme n’allait probablement pas lui offrir des activités lui permettant de progresser dans sa réflexion sur ces objets. Je lui ai fait part de mes observations et je lui ai suggéré de s’informer auprès de certains professeurs d’un autre département en éducation, mais aussi de regarder du côté de la sociologie, qui était d’ailleurs sa discipline de départ, parce que je ne me considérais pas apte pour l’encadrer.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Il m’est ainsi arrivé, à quelques reprises, d’exprimer mes doutes aux étudiants sur le chemin envisagé ou sur le choix du sujet par rapport à leurs objectifs. Je ne veux pas devoir motiver un étudiant qui se sent découragé parce que le milieu dans lequel il étudie ne lui convient pas, parce que les exigences auxquelles il devra se soumettre sont trop élevées par rapport à l’importance qu’il accorde aux raisons pour ­entreprendre sa démarche, ou parce que ses attentes envers le programme ne ­correspondent pas à ce que le programme a à offrir.

2 / La diplomation en fonction des disciplines Les données sur la diplomation en fonction des disciplines sont intéressantes en raison des conditions à la diplomation qu’elles peuvent faire ressortir. Les recherches qui se sont penchées sur la diplomation en fonction des disciplines montrent des tendances relativement stables d’une étude à l’autre. On pourrait classer les disciplines en quatre grands groupes : les sciences naturelles et les sciences appliquées ont les taux de diplomation les plus élevés, viennent ensuite les sciences de la santé, puis les domaines des arts, et enfin ceux des sciences humaines et sociales et de l’administration. Lorsqu’on les sépare de ces secteurs, les domaines en éducation sont la plupart du temps ceux qui sont les moins performants sur le plan de la diplomation aux cycles supérieurs. Les causes de ces faibles taux de rétention aux cycles supérieurs, particulièrement dans le domaine de l’éducation, n’ont pas vraiment été étudiées séparément. Par contre, ce qui apparaît significatif dans les données pour les programmes en sciences naturelles et appliquées, c’est qu’ils ont une structure de recherche qui oblige, la plupart du temps, à regrouper les chercheurs en grandes équipes de recherche et à offrir ainsi aux étudiants des infrastructures de recherche dans lesquelles ils sont intégrés. Cela crée des conditions reconnues favorables à la diplomation puisqu’elles facilitent des échanges et la collaboration entre les pairs. Plusieurs étudiants ont leur propre projet, mais celui-­ci s’intègre à l’intérieur d’une recherche plus large. L’accompagnement des étudiants est habituellement facilité parce que plusieurs autres personnes travaillent à des aspects semblables ou complémentaires. Leur sujet est habituellement établi très clairement dès le début puisqu’il s’inscrit dans une

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Chapitre 2 / Les difficultés des étudiants aux cycles supérieurs

démarche déjà entamée avec des paramètres définis à l’avance. Enfin, la participation de l’étudiant au groupe de recherche fait souvent en sorte qu’il a une occasion d’être financé pour travailler sur son projet. Le fait que ces conditions soient réunies ne fait pas en sorte que le directeur de recherche est nécessairement plus intéressé, disponible, confiant ou soutenant. J’ai rencontré des étudiants de ces domaines dont les directeurs les avaient très peu soutenus, et très peu encadrés, voire complètement laissés à eux-­mêmes. Cependant, l’infrastructure de recherche leur permettait parfois de compenser les lacunes des directeurs par les autres conditions offertes dans le laboratoire ou l’équipe de recherche, notamment par l’accès à des étudiants plus avancés comme les doctorants pour les étudiants de maîtrise ou des étudiants au ­postdoctorat pour les doctorants. Ces conditions ne sont pas les mêmes en sciences humaines ou sociales ou dans d’autres domaines, notamment parce que l’infrastructure de recherche nécessaire en sciences favorise le regroupement de chercheurs autour de laboratoires. Dans les autres domaines, les sujets de recherche des étudiants ne requièrent pas la même exigence de coordination des recherches. L’encadrement se fait beaucoup plus de façon individuelle entre le professeur et l’étudiant, en dehors d’une équipe ou de collaborateurs plus présents. Cependant, lorsque des équipes ou des centres de recherche sont structurés de la sorte en sciences humaines ou en éducation, par exemple, ils semblent avoir un effet similaire à ce qu’on retrouve en sciences. Cela suggère qu’il est avantageux d’essayer de créer un contexte de recherche qui favorise la collaboration ou les échanges entre les étudiants qui peuvent avoir des objets de recherches similaires, même si ceux-­ci ne travaillent pas sur un projet de recherche commun. Cela peut aider à sortir les étudiants d’une situation, qui, lorsque arrive la période de rédaction, les cantonne souvent dans un travail plus isolé. Le directeur de recherche doit cependant assurer une forme d’animation par des rencontres ou des activités structurées pour favoriser les échanges et une émulation entre les étudiants. Concentrés sur leur projet, les étudiants ne penseront pas nécessairement à se créer eux-­mêmes des activités ou des moments d’échanges pour faire avancer leur réflexion ou partager leur expérience, même s’ils occupent des espaces de travail dans le même local.

37

Encadrer aux cycles supérieurs

3 / Les causes des difficultés de progression des étudiants2 Le processus de réalisation d’un mémoire ou d’une thèse peut se faire sans nécessairement rencontrer de difficultés importantes. Cependant, certains étudiants sont confrontés à des problèmes qui les empêchent de progresser ou les bloquent dans leurs tâches. Vous trouverez, dans le tableau 2.2 suivant, la liste des causes de blocages et de problèmes de progression que j’ai répertoriées auprès de 72 étudiants aux cycles supérieurs (maîtrise = 50 ; doctorat = 22). Ces étudiants sont venus me consulter (soit de façon autonome, soit ils ont été référés par leur direction de recherche) parce qu’ils ne parvenaient plus à progresser dans leurs études. Tableau 2.2 /  Répartition des causes des difficultés et fréquences d’apparition selon le cycle d’études 3

Détermination des causes « uniques »

Maîtr.

3

Total

A. Causes liées à la production du mémoire ou de la thèse (rédaction)

27

10

37

1. Appropriation des connaissances



12



3



15

a) Problèmes dans la prise des notes de lecture



5







5

b) Problèmes de lecture



3



2



5

c) Pas d’usage de documentation



4



1



5

2. Incompréhension ou interprétation mal ajustée du sujet

5



1



6

3

2

Doct.

3. Temps et organisation



3



1



4

4. Accumulation sans argumentation



2



2



4

5. Rédaction par association



1



2



3

6. Évocation



2







2

7. Autocorrection inexistante ou inefficace



1



1



1

8. Pas de passage à l’écriture



1



1

B. Autres types de causes

12



9

21

9. Aspect émotif/psychologique



7



2



9

10. Perte de sens de la démarche



1



4



5

11. Direction de recherche



2



3



5

12. Problèmes de santé



2







2

Total

39

19

58

Les tableaux présentés ici sont tirés de Bégin (2013, p. 41-­56, , consulté le 13 décembre 2017) et reproduits avec permission. Le total des étudiants concernés par cette cause est calculé à partir de la combinaison des « sous-­causes » indiquées en italique.

38

Chapitre 2 / Les difficultés des étudiants aux cycles supérieurs

Le tableau 2.2 est séparé en deux parties, soit les causes qui sont liées précisément à la production du mémoire ou de la thèse, et les autres causes qui réfèrent à des évènements ou à des difficultés périphériques au travail de l’étudiant, mais qui ont évidemment des répercussions sur sa production. Pour la cause « Appropriation des connaissances », j’ai indiqué les « sous-­causes » qui décrivaient les facteurs associés à ce problème. Vous trouverez aussi, dans le tableau 2.3 suivant, la liste des causes combinées, c’est-­à-­dire les causes qui étaient présentes ensemble chez un certain nombre d’étudiants. Ces causes sont les mêmes que celles déterminées dans le tableau 2.1, mais qui agissaient de façon combinée dans les problèmes de progression des étudiants concernés. Tableau 2.3 /  Liste des causes combinées associées aux difficultés et leur fréquence d’apparition4 Détermination des causes combinées Appropriation des connaissances et compréhension du sujet

4

Appropriation des connaissances et évocation

3

Appropriation des connaissances et aspect émotif/psychologique

1

Incompréhension du sujet et perte de sens de la démarche

1

Incompréhension du sujet et problèmes de santé

1

Incompréhension du sujet et temps et organisation

2

Évocation et temps et organisation

1

Direction de recherche et perte de sens de la démarche Total

1

14

Ce qui ressort de façon claire, c’est que les principales causes uniques des problèmes de progression des étudiants concernent des tâches ou des activités associées directement à la production du texte du mémoire ou de la thèse. Elles touchent 33 étudiants sur les 37 étudiants de ce groupe. Seule la cause « Temps et organisation », qui concerne plutôt des aspects de gestion du temps et d’organisation personnelle pour la progression, se distancie de l’aspect rédactionnel, avec quatre cas. Quand on ajoute à ces causes la situation des étudiants étant affectés par des causes combinées, c’est encore la très grande majorité des étudiants dont les problèmes de progression sont liés précisément à la production du mémoire ou de la thèse.

4

Compte tenu du petit nombre des causes combinées, il n’est pas apparu pertinent de séparer les causes selon qu’elles aient été relevées chez des étudiants de maîtrise ou de doctorat. Il suffit de mentionner que seulement trois étudiants de doctorat présentaient des problèmes ayant des causes combinées.

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Encadrer aux cycles supérieurs

En regardant de façon plus précise les causes impliquées dans ces problèmes de production, c’est le manque de connaissances liées au sujet qui en constitue la cause majeure, que ce soit comme cause unique ou en combinaison avec une autre cause. Ce problème d’appropriation des connaissances est en fait une connaissance inappropriée, partielle, voire inexistante, des concepts ou des écrits sur le sujet pour être en mesure d’en discourir de façon précise et exacte. Ce problème est donc associé directement au processus de recension des écrits et à la façon dont les étudiants sont en mesure de déterminer ou de faire ressortir les informations pertinentes de leur lecture. Il en résulte des difficultés à pouvoir produire un texte qui respecte un degré de connaissance s­ uffisant du sujet. Ce sont pourtant des tâches et des habiletés desquelles on s’attendrait qu’elles soient « acquises » chez des étudiants qui sont rendus à la maîtrise ou au doctorat. Cependant, comme je le décrivais au chapitre précédent (chapitre 1, section 1.1), les exigences de lecture et de recension des écrits ne sont pas du tout orientées vers les mêmes buts au premier cycle et aux cycles supérieurs. Il ne faut donc pas se surprendre d’un tel niveau de difficulté. Cela invite donc à prendre un soin particulier pour vérifier la façon avec laquelle les étudiants procèdent pour effectuer leur recension des écrits et à faire un suivi plus serré de ce qu’ils lisent et de la façon dont ils gèrent leurs informations. Le problème concerne surtout les étudiants de maîtrise, mais les étudiants de doctorat ne sont curieusement pas exempts de ce type de lacune. C’est la raison pour laquelle j’aborde de manière très précise ce sujet dans le chapitre 6. La cause 2 est un aspect particulier parce qu’elle implique une divergence de compréhension du sujet alors que l’étudiant et le directeur ont l’impression de s’être entendus sur le sujet. Ce sont des situations ou le directeur ne parvient pas toujours à clarifier ce qui bloque dans les productions de l’étudiant (surtout au moment de la rédaction de la problématique). J’aborde d’ailleurs ce problème dans le chapitre 7 (section 1.2.5) à propos du choix du sujet et dans le chapitre 8, concernant les difficultés, les causes et les interventions liées à la production de la problématique et du cadre conceptuel. Les causes 4, 5 et 6 sont des causes qui décrivent de quelle façon les étudiants produisent le contenu de leur texte. Il s’agit là d’une façon qui ne pose pas nécessairement toujours un problème, mais dans ces cas, les étudiants n’étaient pas en mesure de voir ce qui posait problème et de se corriger. La cause 6, quant à elle, présente une différence en ce que les étudiants ne parviennent pas à transposer par écrit les connaissances qu’ils ont en tête. Ils peuvent en discourir de manière très structurée, mais c’est

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Chapitre 2 / Les difficultés des étudiants aux cycles supérieurs

le passage à l’écrit qui fait défaut. Leurs écrits demeurent très succincts et surtout factuels, sans explication ou nuance sur les éléments présentés. Ce sont des étudiants que les directeurs avaient dirigés vers moi ou qui venaient d’eux-­mêmes me rencontrer, après quelques étapes de reprise de corrections dont le résultat n’était toujours pas satisfaisant. Les corrections du directeur n’arrivent pas nécessairement à améliorer le texte s’il ne se rend pas compte qu’il s’agit d’un processus de production de texte plutôt qu’une façon d’articuler les connaissances. Je reviens sur ces difficultés dans le chapitre 13 (section 1), qui en décrit les principaux signes. Les autres types de causes, 9-­10-­11-­12, apparaissent de façon un peu plus variable selon qu’elles affectent les étudiants de maîtrise ou de doctorat. Les problèmes émotifs ou psychologiques font référence à des situations où l’étudiant ne parvient plus à progresser en raison de la détérioration de sa situation émotive ou psychologique. Je reviens sur l’effet de tels problèmes sur la capacité de production de l’étudiant dans le chapitre 13 (section 4). Ils ont été relevés beaucoup plus chez les étudiants de maîtrise, et c’est la cause principale de problème chez eux, pour cette catégorie. Sans entrer dans les détails, les difficultés émotives ou psychologiques des étudiants rencontrés étaient surtout associées à des situations de deuil, dont notamment celui du décès du directeur de recherche. Il en résultait non seulement des difficultés à poursuivre en raison du choc que ces situations avaient causé, mais, dans certains cas, la difficulté était exacerbée par le fait que les étudiants devaient complètement changer de sujet ou se réorienter à la demande de la nouvelle direction de recherche qu’ils se voyaient attribuée. L’autre cause qu’il m’apparaît nécessaire de préciser concerne la perte de sens de la démarche parce qu’elle affecte beaucoup plus les étudiants de doctorat. Elle peut s’expliquer par la durée beaucoup plus longue des études au doctorat5, bien que j’aie vu apparaître cette perte de sens chez un de mes étudiants à temps partiel dont la durée des études se prolongeait. Ce sont des situations que les étudiants n’aborderont pas nécessairement d’eux-­mêmes avec leur directeur, notamment parce que la rencontre avec celui-ci permet parfois de redonner un peu de sens ou d’élan au travail en raison des discussions sur le sujet ou de l’intérêt que le directeur fait ressortir de la démarche. Toutefois, lorsqu’il se retrouve seul dans son milieu, l’étudiant peut très rapidement reperdre ce sens après seulement quelques jours. 5

On retrouvera d’ailleurs une description de ce processus de perte de sens dans l’ouvrage de Louise Bourdages intitulé La persistance aux études supérieures : le cas du doctorat (2001).

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Encadrer aux cycles supérieurs

Cette situation est évidemment plus susceptible de se produire pendant la période de rédaction. Comme je le décrivais au chapitre précédent (chapitre 1, sections 2.3 et 3.1), la période de rédaction est une étape difficile du processus et, dans certains contextes, le directeur peut devenir la seule personne avec qui l’étudiant peut discuter et retrouver le sens de ce qu’il fait. C’est la raison pour laquelle l’apparition de difficultés ou d’un ralentissement de production devrait être abordée pour voir si des problèmes sous-­jacents ne sont pas en cause. C’est un sujet sur lequel je reviens dans le chapitre 13 (section 2) et au chapitre 14 (section 5). Enfin, la cause « direction de recherche » fait référence à un accompagnement déficient du directeur de recherche. Les problèmes de progression sont causés par l’absence de retour des courriels, des délais de correction des textes allant jusqu’à quelques mois et des commentaires à peu près inexistants, des rencontres éparses obtenues avec difficultés, etc. On comprendra facilement la difficulté de progression qui résulte d’une absence d’encadrement. Les cas rencontrés étaient rendus à l’étape où ils cherchaient des solutions pour se sortir de la relation avec leur directeur. J’étais souvent la première personne-ressource à qui ils parlaient de leur problème. Il fallait donc aborder la suite des procédures ou des démarches administratives qu’il était possible à l’étudiant de prendre. Je reviens plus loin sur ce type de situation (chapitre 14, sections 1 et 2), parce qu’il peut avoir des répercussions majeures sur le déroulement du cheminement de l’étudiant sur lequel il n’a souvent que peu d’emprise.

4 / Les problèmes d’adaptation et de confrontation aux limites Au cours des étapes d’élaboration de son projet de recherche, l’étudiant pourrait être confronté à certaines « limites » personnelles, soit parce qu’il n’y est pas préparé, s’il commence sa maîtrise, par exemple, ou qu’il ne les a peut-­être pas encore rencontrées, s’il est rendu au doctorat.

4.1 /

La confrontation à sa « méconnaissance » des tâches et des exigences La méconnaissance à laquelle je fais référence concerne en fait une incapacité à juger de la teneur et du déroulement des activités, ce qui fait en sorte que l’étudiant s’y engage, mais sans savoir exactement ce que ces activités ou ces situations comportent comme démarches ou comme engagement. Il en résulte évidemment parfois certaines conséquences sur l’exécution de ces tâches ou de ces activités et sur la progression dans le travail qui en résulte.

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Chapitre 2 / Les difficultés des étudiants aux cycles supérieurs

Cette méconnaissance peut faire en sorte, par exemple, que l’étudiant qui a décidé de s’engager dans une telle situation ou une telle tâche réalise qu’il n’en retire aucun intérêt. C’est particulièrement le cas avec certaines tâches propres au processus de recherche.

J’ai encadré un étudiant, il y a plusieurs années, qui était incapable de mettre le temps nécessaire pour défricher les textes de la recension des écrits et de s’asseoir pour mettre en forme le fruit de ses lectures. Il produisait des textes approximatifs, qui n’entraient jamais vraiment dans le détail et dans la précision du sujet. Il avait peu avancé au cours de sa scolarité, notamment parce qu’il étudiait à temps partiel et qu’il était constamment retardé dans les tâches que je lui donnais, propres à son projet de recherche, par ses activités professionnelles ou d’autres engagements qu’il prenait. Après plusieurs mois, je lui ai fait part de ma préoccupation face à son retard et que j’envisageais difficilement qu’il puisse terminer à temps. Lors d’une des rencontres suivantes, j’ai réalisé qu’il allait devoir demander une prolongation pour déposer son projet. Je lui ai alors signifié que je ne pouvais pas signer sa demande, parce qu’il était impossible qu’il puisse respecter le délai prévu. Son travail était tellement en retard que même en étudiant à temps complet, il ne pourrait y arriver. Il m’a alors avoué ne retirer aucun intérêt de ce travail « intellectuel » rattaché à l’étape de recension des écrits et d’élaboration de son projet. Il était bien plus attiré par l’intervention et les interactions avec les autres, et il anticipait seulement l’étape de collecte des données où il pourrait rencontrer les étudiants. J’étais un peu surpris parce qu’un professeur m’avait parlé de la qualité d’un de ses travaux dans son séminaire et il ne m’avait jamais parlé de son désintérêt pour ces activités. En fait, il se sentait à l’aise pour le faire dans le cadre du cours parce que les consignes étaient très bien définies et, surtout, la tâche était relativement limitée dans le temps.

C’est un aspect qu’il vaut la peine d’évaluer au moment de sélectionner les étudiants. J’y reviens de manière ciblée dans les questions à poser lors de la sélection de l’étudiant (chapitre 3, section 3.6). D’autres fois, la méconnaissance des tâches ou des situations peut faire en sorte que l’étudiant ait mal évalué l’ampleur de ce qu’il doit faire ou n’ait pas compris son rôle, bien que ce soit lui qui ait décrit ses procédures.

43

Encadrer aux cycles supérieurs

Un étudiant était venu me rencontrer parce qu’il était aux prises avec un problème important de découragement. Il avait été recruté dans une grande équipe de recherche pour faire sa maîtrise. Le sujet de recherche de l’équipe semblait passionnant et il avait accepté de mener sa recherche sur un aspect que son directeur de recherche lui avait aussi décrit avec passion. Il avait accompli tout le processus menant au dépôt de son projet de recherche, qui avait été accepté. Une partie importante du processus de collecte des données avait déjà été déterminé préalablement dans le cadre du projet global et l’étudiant avait porté peu d’attention à ces tâches lors de l’élaboration de son propre projet. La procédure et la méthodologie étaient déjà prévues et sa participation impliquait notamment la collecte des données de la recherche dont il allait tirer une portion de ses propres données. Ce n’est qu’à la fin de la première semaine de collecte des données qu’il avait réalisé que la majorité de son travail, qui allait durer tout l’été, devait consister à recueillir les propos de plusieurs dizaines de jeunes enfants et qu’une portion de ces propos allaient être nécessaires pour son projet. Malheureusement pour lui, il n’avait aucun intérêt à faire des entretiens avec des enfants, il se sentait complètement ­inadéquat et voyait déjà la suite comme un supplice.

Évidemment, on peut se surprendre que l’étudiant n’ait pas compris son rôle, mais parce qu’il n’avait jamais eu l’expérience de la recherche et qu’il était attiré de manière particulière par le sujet plus général, il n’avait pas considéré l’ampleur ni les exigences de cette étape dont il devait s’occuper, parce qu’il n’avait regardé que la petite portion nécessaire à son sujet. Il n’avait jamais réalisé que les données nécessaires à son projet n’étaient en fait qu’une portion de l’ensemble des données qu’il fallait commencer par obtenir. Parfois, cette méconnaissance peut au contraire amener l’étudiant à anticiper négativement des situations et à tenter de les éviter ou de les contourner. Ces situations font en sorte que, par exemple, vos tentatives pour aider l’étudiant à délimiter son sujet ou à choisir des méthodes qui soient plus cohérentes soient confrontées à des oppositions dont vous ne connaîtriez pas nécessairement l’origine. Ce sont des vérifications à faire au moment de la rencontre avec l’étudiant (chapitre 3, section 3.6).

44

Chapitre 2 / Les difficultés des étudiants aux cycles supérieurs

4.2 /

Une autoévaluation inadéquate de la qualité des textes produits Les étudiants ont beaucoup de difficultés à évaluer correctement ce qu’ils produisent. En vous remettant une version d’un chapitre, ils vous diront parfois (surtout lors de la première remise d’une production) qu’ils y ont mis plus de temps, d’efforts et de travail que ce qu’ils avaient fourni dans toutes leurs études antérieures. Ils sont convaincus que ce qu’ils vous ont remis est d’une qualité très appréciable et qu’il n’y aura probablement pas ou peu de corrections, ce qui est rarement le cas. Cette incapacité d’évaluer convenablement ce qu’ils produisent ne doit pas surprendre, et ce, même après plusieurs versions d’une même partie, et même vers la fin du processus. Je mentionne cette difficulté parce que c’est un objet fréquent de découragement des professeurs. Ils saisissent mal que certains étudiants ont ainsi de la difficulté à évaluer si ce qu’ils produisent correspond à ce qui est attendu. D’ailleurs, quelques-­uns n’y parviendront jamais et, à chaque version, il restera encore beaucoup de travail à faire. Certains ne s’approprieront jamais les suggestions ou les commentaires que vous faites pour en tirer des enseignements sur la façon d’écrire ou d’articuler leurs idées dans leur texte. Ils vont travailler seulement à corriger ce que vous leur soumettez. Ce n’est pas de la mauvaise volonté, c’est simplement une incapacité à prendre du recul pour se donner une vision plus large du processus et des savoir-­faire à développer. Ils demeurent dans un mode « écriture-­correction » du processus. Chez des étudiants de maîtrise, on peut prévoir alors qu’ils ne seront pas en mesure de poursuivre au doctorat.

J’ai encadré des étudiants pour qui la rédaction du premier chapitre de leur projet a demandé de nombreuses versions avant d’en arriver enfin à un résultat que je jugeais suffisamment bon pour passer au chapitre suivant. Je pensais que l’expérience de la réalisation du premier chapitre allait permettre de produire le deuxième chapitre avec un peu moins de corrections, mais ce ne fut pas le cas pour certains. C’était comme si nous en étions à une première expérience d’écriture. Pour un étudiant, en particulier, ce fut ainsi pour tous les autres chapitres de son projet et de son mémoire. Pourtant, chaque fois, l’étudiant avait l’impression que « cette fois-­ci était la bonne ». Il est parvenu à produire son mémoire, mais le processus de correction s’est avéré beaucoup plus long que pour mes autres étudiants.

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PARTIE 2 /

LES ÉTAPES PRÉPARATOIRES À L’ENCADREMENT

L’encadrement d’un étudiant commence tout d’abord par sa rencontre. C’est à cette étape critique que devrait se faire l’évaluation de l’étudiant par le directeur et que devraient être déterminées les règles de fonctionnement et les modalités de suivi et d’encadrement. C’est malheureusement une étape très souvent sous-­estimée qui fait en sorte que les directeurs se retrouvent avec des situations problématiques. Cette partie comprend deux chapitres qui abordent les deux aspects qui doivent faire l’objet d’une attention particulière dans l’établissement de la relation d’encadrement avec ses étudiants : les procédures pour sélectionner son étudiant qui vont au-­delà du seul « oui, je le veux » à sa demande de l’encadrer, et les modalités de suivi et d’encadrement qui devraient définir tous les aspects de la dynamique des rencontres, des productions et du suivi de l’étudiant. La majorité des problèmes rencontrés dans la relation avec l’étudiant proviennent de l’un ou l’autre de ces aspects. Dans une très grande proportion des cas, les directeurs de recherche venus me consulter étaient aux prises avec des difficultés qui auraient pu être dépistées au moment de la première rencontre avec l’étudiant, dans le processus de sélection, ou dans les toutes premières rencontres de travail. Les modalités de suivi servent quant à elles à définir le cadre des relations et à déterminer un certain nombre de règles de fonctionnement pour que le directeur soit le moins souvent aux prises avec des problèmes de remise des travaux, de retards ou de productions inadéquates. La mise en place de ces règles permet ainsi plus facilement de cerner clairement les lacunes de l’étudiant dans le travail accompli, son attitude à l’égard de la relation et de son cheminement et le moment où il peut devenir nécessaire de reconsidérer le maintien de la relation d’encadrement. Elles permettent aussi à l’étudiant, en même temps, d’être véritablement

Encadrer aux cycles supérieurs

accompagné dans sa démarche et ne pas être laissé en plan, parce qu’il ne sait pas trop à quel moment vous réagirez à ce qu’il vous remet ou à quel moment il peut vous contacter. On est alors véritablement dans une dynamique « gagnant-­gagnant ».

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Chapitre 3 /

La sélection d’un étudiant

Il existe grosso modo deux méthodes pour sélectionner un étudiant à la maîtrise ou au doctorat : demander soi-­même à un étudiant de travailler avec nous, ou encore attendre que des candidatures se présentent. Dans le premier cas, cette proposition sous-­entend que vous connaissiez l’étudiant et que vous jugez son travail et son potentiel intéressant. Cependant, c’est la deuxième situation qui se présente le plus souvent dans la majorité des disciplines universitaires. Vous recevez une ou des demandes d’étudiants qui désirent travailler avec vous. Étant donné l’augmentation du nombre d’étudiants qui poursuivent maintenant des études aux cycles supérieurs et la très grande diversité de leur provenance et de leur formation, vous serez de plus en plus sollicités par des étudiants qui proviendront d’autres établissements ou même d’autres pays. Vous ne connaîtrez pas leur dossier scolaire. Dans ces étapes de recrutement, deux préoccupations importantes sont exprimées par les professeurs. La première concerne la façon d’évaluer le potentiel de l’étudiant et la seconde, complémentaire à la première, le degré d’« acceptabilité sociale » de refuser d’encadrer un étudiant qui s’est présenté. Cette dernière préoccupation est d’autant plus grande que, la plupart du temps, les étudiants qui se présentent ont déjà été acceptés par le programme, ce qui met de la pression sur le professeur, puisque l’admission de l’étudiant sous-­entend l’obligation, par le programme, de lui fournir un directeur de recherche. Cette situation est surtout présente à la maîtrise, parce que les conditions d’admission au doctorat

Encadrer aux cycles supérieurs

exigent habituellement que l’étudiant ait déjà choisi un professeur qui confirme son acceptation de l’encadrer pour que le processus d’admission puisse être complété1. Dans un contexte normal, un professeur n’est pas obligé d’accepter un étudiant et il ne devrait pas l’être. Une relation d’encadrement qui s’établit sur une base purement obligatoire n’est absolument pas favorable pour l’étudiant ni pour le directeur. Comme je le mentionne plus loin dans ce chapitre, le tout premier critère à avoir pour accepter un étudiant devrait être l’impression que le travail avec l’étudiant sera possible, positif et qu’il n’y a pas de véritables hésitations ressenties à son égard. Dans certains cas exceptionnels, il arrive qu’on demande à un professeur d’accepter un étudiant parce que celui-­ci n’a trouvé personne alors que son cheminement est relativement avancé, ou qu’il a « perdu » son directeur précédent. Dans ce dernier cas, sa situation particulière nécessite qu’il soit accompagné par un professeur qui a démontré avoir une approche positive et constructive avec les étudiants. Ce sont des situations qui sont difficiles pour le directeur, parce qu’il sait habituellement que l’étudiant « attend » de se trouver quelqu’un et qu’il est peut-­être sa seule ressource. Si c’est difficile pour le directeur, ça l’est d’autant plus pour l’étudiant qui espère une réponse positive et qui souhaite que la relation puisse s’établir dans un contexte favorable. Cependant, dans la mesure où le professeur aurait l’impression que la relation d’encadrement ne lui semble pas positive, ou qu’il sent déjà des réticences avec l’étudiant, il m’apparaît préférable qu’il puisse refuser d’encadrer l’étudiant. Il en va parfois du bien-être réciproque de l’étudiant et du professeur. Ce chapitre aborde justement différents aspects sur lesquels vous devriez évaluer les candidats qui se présentent à vous pour juger de leur potentiel. L’idée maîtresse, ici, concerne la notion de « potentiel ». Il faut être en mesure de se faire une idée la plus précise possible des forces et des faiblesses de l’étudiant et de ses besoins en matière d’encadrement, de suivi et d’autonomie. Je l’ai indiqué dans le chapitre précédent à propos des facteurs d’abandon (chapitre 2, section 1.2), les résultats scolaires antérieurs ont peu d’incidence sur la capacité des étudiants à mener leur

1

Une telle étape préalable pourrait être favorable dans n’importe quel programme, que ce soit au doctorat ou à la maîtrise. Dans ce dernier cas, certaines modulations du processus pourraient être nécessaires, mais cela forcerait une démarche de rencontres ou de contacts des étudiants auprès de directeurs de recherche potentiels avant même qu’ils ne soient admis. Cela permettrait une certaine forme de sélection préalable des étudiants en leur assurant alors un directeur au moment où ils sont acceptés et favoriserait rapidement l’engagement de l’étudiant dans son projet.

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

diplôme à terme, les apprentissages à acquérir étant plus de l’ordre des habiletés, des compétences ou du savoir-­faire pour réaliser une recherche. Ce sont sur ces éléments qu’il faut évaluer le potentiel de l’étudiant. Cela nous indique le degré d’encadrement potentiel à fournir, cela aide également à faire connaître à l’étudiant lui-­même les aspects qu’on juge favorables à son encadrement et ceux qui nous apparaissent aussi plus problématiques et sur lesquels il devra travailler pour mener à terme son diplôme.

Il m’est arrivé d’accepter d’encadrer un étudiant même s’il présentait certaines faiblesses sur le plan de sa préparation aux différentes tâches inhérentes au processus de recherche. Je l’ai fait parce que sa motivation, son intérêt et notamment l’orientation de son sujet étaient suffisamment clairs (et le sujet prometteur) pour juger qu’il allait être en mesure de se rendre jusqu’au bout. Par contre, il m’est aussi arrivé de refuser d’accompagner quelqu’un parce que les faiblesses me semblaient trop importantes et sur un trop grand nombre d’aspects par rapport au temps et à l’énergie dont je pouvais disposer pour l’aider.

Étant donné l’importance de la correspondance entre les attentes de l’étudiant et l’encadrement fourni (chapitre 2, section 1), cette étape de sélection devrait faire l’objet d’une attention particulière pour la satisfaction du professeur aussi bien que de l’étudiant. L’absence d’une certaine forme d’évaluation des candidats mène souvent à des difficultés et il devient plus difficile d’agir, en tant que directeur de recherche, parce que le processus d’encadrement est très avancé.

1 / La détermination de ses critères personnels Une étape importante de la sélection de l’étudiant concerne la connaissance ou la conscience qu’un professeur a de ses propres exigences en matière d’encadrement et d’accompagnement. Ce sont des informations qui se développent souvent au fil des années et des expériences d’encadrement positives et négatives. J’en fais une description relativement exhaustive pour donner une idée de l’ensemble des informations à aborder et de leur rôle pour la suite du processus d’encadrement afin d’aider à prendre sa décision d’accepter ou non d’encadrer un étudiant.

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Encadrer aux cycles supérieurs

1.1 /

Être sensible à ses propres préférences sur le plan relationnel La relation d’encadrement se construit avant tout sur des impressions et des perceptions, puisque la décision doit se prendre relativement rapidement. C’est la raison pour laquelle il faut demander à l’étudiant de nous parler de lui. Je propose, plus loin, un certain nombre de questions afin d’aider à situer ses impressions à partir des réponses et des informations que l’étudiant nous fournit. Sans discussion avec l’étudiant, il est i­ mpossible de se faire une idée de la façon dont on perçoit la relation. J’aborde ici un sujet considéré tabou, parce qu’il ne fait pas référence à des critères « objectifs » et centrés sur les processus de réalisation d’une recherche. Pourtant, ce sont des facteurs importants parce que la nature de l’accompagnement implique inévitablement une forte proportion de rencontres et d’échanges qui seront toujours teintés de cette qualité relationnelle. C’est pourquoi on ne peut faire abstraction de certains critères ou de certains aspects personnels qu’on jugera importants pour favoriser une bonne dynamique dans la relation. On sera plus ou moins sensibles à certains aspects alors que d’autres collègues seront plus sensibles à d’autres. C’est la raison pour laquelle je vous suggère de penser à des aspects qui pourraient vous déplaire dans les attitudes ou les comportements d’étudiants ou à des qualités ou des caractéristiques que vous aimeriez retrouver ou qui vous apparaissent les plus importantes. On peut évidemment penser qu’au contact de l’étudiant, on saura « reconnaître » ces caractéristiques, mais ce n’est pas toujours le cas. Avec l’expérience, on devient plus sensibles à certains signes qui peuvent nous paraître négatifs, mais au début, ça peut être plus difficile. Vous pouvez alors penser à des étudiants à qui vous avez enseigné et dont les caractéristiques, les comportements ou les attitudes en classe ou lors des échanges serviront de points de repère pour définir ce qui vous plairait ou ce qui ne vous plairait pas. On peut aussi penser à des personnes de notre entourage ou à des collègues avec qui l’on se sent en confiance, avec qui l’on se plaît à échanger et d’autres avec qui l’on se sent moins à l’aise. Ce qui nous plaît ou ce qui nous dérange, chez ces personnes, sera probablement semblable chez les étudiants qu’on rencontre. Je propose ici un certain nombre de mes propres réactions dans le contexte des rencontres avec les étudiants pour illustrer ce qu’on peut déterminer comme facteurs personnels d’influence. Ce que je décris de mes réactions ne sont nullement des jugements de valeur que je porte sur les étudiants. Ce sont uniquement des impressions et des perceptions qui déclenchent en moi des sensations qui font en sorte que je mets en doute

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

ma capacité à pouvoir cheminer avec l’étudiant et non la capacité de l’étudiant de pouvoir faire son diplôme. On demeure évidemment ici dans des perceptions et des préférences purement subjectives.

• Je vais être sensible (négativement) aux propos d’un étudiant qui a tendance à utiliser beaucoup de qualificatifs positifs à mon endroit. J’ai alors l’impression que la personne essaie de me flatter pour que je l’accepte, ce qui a un effet contraire important. • Je ne suis pas influencé par l’habillement ou la façon dont un étudiant se tient ou dans sa façon de parler et le vocabulaire qu’il utilise. Ce sera plutôt la teneur de ses propos qui va créer ou non certaines appréhensions, notamment si j’ai l’impression que ses propos sont empreints de beaucoup de préjugés. Ce seront des « impressions » que j’irai valider dans l’entretien (section 3.1). • Je suis sensible à ce que je ressens lorsque j’ai l’impression que l’étudiant est en train de me parler de quelque chose, mais que j’ai soudainement un doute sur ce qu’il me dit. Il s’agit vraiment là d’une « impression », mais je vais essayer de voir si cette sensation revient d’autres fois. Je peux essayer de valider les informations dans l’entretien, mais si cette sensation demeure, je ne vais habituellement pas accepter l’étudiant. • Je réagis négativement aux impressions de nonchalance. Ce ne sont pas, encore là, des indices qui sont faciles à décrire, mais si j’ai cette impression et qu’elle se maintient tout au long de l’entretien, il faudra que les autres critères plus objectifs soient assez positifs pour que j’accepte l’étudiant. • Une autre « perception » qui va jouer un rôle important est celle où j’ai l’impression que l’étudiant est immature sur le plan émotionnel ou intellectuel. Évidemment, je ne suis pas en mesure d’expliquer ma sensation et de décrire les critères qui me viennent, mais si cette sensation se maintient tout au long de l’entretien, je n’accepterai pas l’étudiant, même si ses intérêts pouvaient converger un peu avec les miens. • Lorsque l’étudiant me parle et que je n’ai pas l’impression de saisir ce qu’il me dit, que je ne comprends pas vraiment ses propos malgré un flot de paroles, c’est un point négatif qui va souvent faire en sorte que je ne vais pas l’accepter. Si je suis obligé de lui dire que je ne comprends pas ce qu’il m’explique et que cela se répète, je ne l’accepterai probablement pas.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Tenter de déterminer des caractéristiques « significatives » pour soi en dehors de situations réelles peut être une démarche théorique qui ne donne pas beaucoup de sens. C’est la première impression et ce qui est ressenti qui devraient être les premiers signes d’une précaution à prendre par rapport à la relation. Si le doute se maintient ou que les sensations persistent au long de l’entretien, je suggère habituellement de vous désister. Évidemment, si vous avez des réticences ou des sentiments négatifs à l’égard de tous les étudiants que vous rencontrez, la question se pose alors sur vos propres valeurs et facteurs qui vous font apprécier quelqu’un. On peut avoir des préoccupations légitimes à l’égard d’un étudiant par rapport à certaines faiblesses ou à certains traits de sa personnalité sans que ceux-­ci ne se transposent en malaise persistant. Peut-­être que vous aviez simplement une mauvaise perception et que l’expérience aurait été très facile et enrichissante. Vous pouvez apprendre qu’un autre professeur qui a accepté l’étudiant ne rencontre pas de problèmes. Toutefois, ce n’est pas parce que la relation est très positive avec un autre professeur que ça aurait été la même chose avec vous.

Je pense à un étudiant que je n’ai pas accepté d’encadrer et que j’ai orienté vers d’autres directeurs potentiels parce que je n’arrivais pas à éprouver d’intérêt à l’accompagner, sans nécessairement pouvoir formuler de facteurs négatifs ou nommer des causes précises autres que cette ­impression. Il a cheminé de façon tout à fait adéquate avec un autre directeur.

1.2 /

Déterminer ses préférences de fonctionnement de l’encadrement et du suivi L’autre composante importante de l’encadrement concerne vos choix et vos préférences sur tout ce qui touche aux conditions et aux critères sur lesquels vous pouvez avoir certaines préférences quant au cheminement de l’étudiant. Ces préférences peuvent être déterminées par vos propres objets de recherche, par le contexte, par vos préférences méthodologiques ou d’analyse et par toute autre considération qui vous apparaît importante. La fiche suivante vous fournit un certain nombre d’aspects que vous pourriez juger important de définir à l’avance, et dans lesquels l’étudiant devra s’insérer. Cette liste ne représente pas des orientations à adopter, mais des points pour lesquels vous pourriez définir certaines exigences ou contraintes pour l’étudiant. Tous les sujets ou toutes les conditions

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

ne sont pas pertinents pour toutes les situations. Vous pouvez vous en inspirer pour réfléchir au mode de fonctionnement qui vous conviendrait le mieux par rapport à vos propres travaux de recherche. Si vous n’avez pas vraiment défini de modalités de fonctionnement, les points de la liste peuvent vous donner un premier aperçu des éléments à considérer. Ce sont des informations qu’il vous faudra présenter à l’étudiant au moment de le rencontrer pour lui indiquer vos préférences, afin qu’il en tienne compte dans sa décision de poursuivre avec vous si vous l’acceptez ou de les comparer à celles d’autres directeurs de recherche potentiels. 2

Fiche 1 /  Critères ou exigences particulières personnelles concernant les modalités d’encadrement et les choix associés à la recherche a) Pour le choix du sujet2 : • Le sujet de l’étudiant doit-­il absolument s’intégrer dans votre projet principal ? • L’étudiant doit-­il choisir parmi certains thèmes de recherche que vous lui présentez ? (Lui spécifier lesquels en fonction de ses propres intérêts, par exemple.) • L’étudiant a une certaine marge de manœuvre, mais son sujet doit s’intégrer dans votre projet selon des conditions à définir. (Lui décrire votre projet et la marge de manœuvre.) • L’étudiant est-­il complètement libre de vous proposer un sujet de son choix ? (Le lui mentionner.) b) Pour le cadre conceptuel, théorique ou la méthodologie : • Vous exigez que l’étudiant adopte un cadre théorique précis pour son sujet. (Vous devez lui spécifier lequel.) • Vous avez une préférence pour une approche théorique ou un courant particulier sans que ce soit une théorie précise. (Lui indiquer lequel.) • Sur le plan méthodologique, avez-­vous une préférence ou, à l’inverse, vous ne voulez pas que l’étudiant adopte une méthodologie particulière ? (Lui spécifier laquelle – par exemple, vous exigez que l’étudiant s’oriente vers une approche quantitative ou, au contraire, vous ne permettez pas une approche quantitative.) • Vous attendez-­vous à ce qu’il adopte des procédures de collecte de données particulières ? (Les lui mentionner.) • Vous n’avez pas vraiment de préférences, d’exigences ou de contraintes sur le plan méthodologique, théorique ou d’analyse. (Le lui mentionner.) c) L’étudiant doit-­il travailler pour un de vos projets pendant que vous l’encadrez (même si son sujet n’est pas rattaché à votre projet) ? • Si oui, quelles sont les exigences que vous avez pour le travail à faire ? (Heures, durée, nombre d’heures par semaine, nombre de mois, présence obligatoire, etc.)

2

Les choix possibles proposés ici concernent uniquement les situations où le directeur assure un certain contrôle sur la délimitation du sujet de l’étudiant. Si vous n’avez pas de critères particuliers pour cet aspect, il n’y a pas de consignes particulières à proposer à l’étudiant.

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Encadrer aux cycles supérieurs

d) Vous engagez parfois des étudiants (ou de nouveaux étudiants) pour des travaux de recherche, mais vous ne le savez pas vraiment à l’avance (ou vous ne savez pas si l’occasion se présentera bientôt). (Mentionnez-­le.) e) Vous n’engagez pas d’étudiants (ou cet étudiant) sur un de vos projets de recherche : • Plusieurs raisons peuvent expliquer cette décision, mais cela signifie que l’étudiant ne doit pas compter sur votre aide pour trouver du financement en travaillant dans une équipe de recherche. Il est nécessaire de le faire savoir à l’étudiant, même si vous ne savez pas s’il cherchait une telle situation. f) Vous exigez des rencontres avec vos étudiants à une certaine fréquence (une fois par semaine, toutes les deux semaines, etc., définir la fréquence). g) Vous exigez de vos étudiants qu’ils maîtrisent l’anglais ou qu’ils sachent lire l’anglais (ou une autre langue, selon le cas). (Mentionnez-­le.) h) Vous acceptez seulement des étudiants qui sont inscrits à temps complet. (Cette exigence n’est pas pertinente dans certaines situations où le programme oblige d’être inscrit à temps complet au moins pour une période déterminée.) i) Attendez-­vous de vos étudiants qu’ils travaillent un certain nombre d’heures par semaine sur leur projet de recherche ? (Vous indiquez alors le nombre d’heures attendues et les productions qui en découlent.) j) Exigez-­vous de vos étudiants qu’ils produisent pour la diffusion de leurs travaux (publication, présentation dans un congrès, etc.) ? • Précisez les caractéristiques ou le nombre de « publications » attendues et les modalités de travail pour ces productions. k) Exigez-­vous de vos étudiants qu’ils maîtrisent certains outils, programmes, etc. ou qu’ils suivent des formations pour se les approprier ? (Mentionnez-­les.) l) Exigez-­vous que vos étudiants soient sur place pour travailler à leur projet selon certaines conditions (jour de la semaine, nombre d’heures, etc.) ? • Prévoyez expliquer les facilités ou les dispositions prévues pour travailler ; • Prévoyez choisir si des tâches précises doivent être faites ; • Pensez à établir les raisons ou les justifications pour ces obligations ou ces préférences pour les expliquer. m) Avez-­vous des exigences de rencontres qui varient selon le déroulement du cheminement de l’étudiant ? (Expliquez-­lui ce qui les détermine.) • Certaines périodes avec des rencontres plus fréquentes et d’autres avec des délais plus longs. (À préciser à l’étudiant si connues.) n) Avez-­vous des modalités pour établir les rencontres ou la prise de rendez-­vous ? • Déterminez votre mode de fonctionnement ; • Choisissez aussi des façons que vous ne voulez pas utiliser (par exemple, pas de téléphone). o) Avez-­vous des modes de fonctionnement pour les délais de correction et les rencontres qui s’ensuivent ? • Établissez vos modes de correction, les procédures, la façon de les présenter et de les retourner aux étudiants pour les leur mentionner ; • Prévoyez adopter un délai particulier pour effectuer les corrections des productions de l’étudiant et le lui indiquer ; • Déterminez les délais entre le retour de vos corrections et la rencontre de suivi avec l’étudiant.

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

p) Avez-­vous certaines exigences concernant la remise des productions et le déroulement du suivi ? • Décrivez vos préférences de fonctionnement à ce sujet ; • Indiquez comment vous faites les corrections. q) Avez-­vous certains critères qui peuvent vous amener à remettre en question la relation d’encadrement ? (Les présenter à l’étudiant si vous les avez définis.) Exemples : • Critères de respect des échéanciers (par exemple, après deux délais consécutifs de remise des productions par l’étudiant, il y a une rencontre obligatoire pour évaluer la situation). • Il y a désaccord insoluble sur les orientations à donner au projet de recherche (par exemple, vous remettez en question la relation ou orientez l’étudiant vers un autre directeur). • Après deux rencontres d’évaluation (ou plus) de la situation en raison des retards répétés ou du non-­avancement du travail par l’étudiant (par exemple, vous considérez qu’un avertissement est nécessaire et vous envisagerez de remettre votre encadrement en question). • L’étudiant n’a pas respecté des choix méthodologiques ou d’autres aspects sur lesquels il y avait eu entente préalable avec lui lors de la rédaction ou du processus de recherche (par exemple, cela suffit pour mettre fin à la relation d’encadrement). • Après X mois de suivi, l’étudiant n’a pas avancé dans son travail ou ne produit pas ce qu’il devrait produire malgré les rencontres et les échanges (par exemple, vous déterminez une durée ou une fréquence qui mène à la cessation de l’encadrement). • L’étudiant est suspecté de plagiat ou de tricherie (par vous ou par quelqu’un d’autre). r) Vous partez en congé ou en sabbatique et vous ne serez pas en mesure de faire le suivi de l’étudiant pendant une période prolongée de son cheminement prévu (établissez la période et la durée anticipée) : • Faites-­le savoir à l’étudiant lors de la rencontre afin qu’il le sache à l’avance. Ce sont des précisions essentielles qui peuvent faire une différence dans la capacité de suivre l’étudiant et celui-­ci devrait le savoir avant de s’engager plus avant avec vous, même si vous êtes prêt à l’accepter.

Si vous n’avez pas vraiment d’idées pour certains des sujets présentés ici, la très grande majorité des modalités de fonctionnement contenues dans la fiche 1 sont abordées dans les différents chapitres et vous pourrez aller les consulter pour évaluer si elles correspondent à des modes de fonctionnement que vous voulez adopter. Certains de ces choix peuvent aussi se faire au moment de la rencontre avec l’étudiant, en fonction de la présentation de ses propres intérêts.

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1.3 /

Avoir une codirection ou non Cet aspect de la codirection n’est pas toujours un enjeu dans l’encadrement et il se peut que ce soit l’étudiant qui en fasse mention. C’est pourquoi il est approprié de vous faire votre propre idée à ce sujet avant de rencontrer l’étudiant. Certains directeurs de recherche ne voudront pas d’une codirection alors que d’autres y trouveront l’occasion de partager la responsabilité de l’accompagnement des étudiants. Je décris ici certaines des conditions qui peuvent nécessiter une codirection, mais aussi les modalités à mettre en place dans ce cas pour favoriser une relation à trois qui soit productive et éviter des problèmes qui pourraient survenir. Ce choix de s’adjoindre une codirection est parfois incontournable dans certains programmes, particulièrement au niveau du doctorat. Une codirection pourra aussi être appropriée si un étudiant s’intéresse à un sujet dont les enjeux peuvent concerner votre expertise, mais qui comprend aussi une dimension avec laquelle vous ne vous sentez pas vraiment suffisamment compétent. Ça peut être parce que le sujet implique l’apport d’une connaissance approfondie d’un milieu que vous n’avez pas ou un aspect du domaine plus précis pour lequel vous ne seriez pas en mesure de bien accompagner l’étudiant. Cependant, il faut différencier le besoin d’une codirection et la possibilité de référer à un collègue ou à une autre ressource de manière ponctuelle. La possibilité d’utiliser une ressource particulière, un programme ou un outil développé par un professeur ou une approche précise dont un collègue est le spécialiste n’exige pas nécessairement leur présence comme codirecteur. Une aide ponctuelle sur un aspect peut souvent se faire par une simple consultation de la personne, par l’étudiant, sans que cet accompagnement se déroule sur tout le processus de la recherche. Il faut évaluer si la présence de la codirection est véritablement nécessaire pour l’accomplissement de la recherche, ou si une aide ou une consultation sur un aspect précis à un moment donné pourrait satisfaire les besoins de l’étudiant. Dans tous les cas où une codirection est nécessaire, préférée ou obligatoire, c’est le directeur de recherche qui doit déterminer le choix de l’équipe de direction parce que c’est lui qui est considéré comme « responsable » de l’accompagnement. Ce n’est pas l’étudiant qui choisit une codirection et ce n’est pas lui qui doit décider s’il y a ou non une codirection. Certaines directives sont d’ailleurs habituellement définies dans les règlements pédagogiques relatifs aux programmes de cycles

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

supérieurs des établissements. Si vous jugez qu’une codirection est appropriée, vous pouvez choisir quelqu’un qui est proposé par l’étudiant, mais vous pouvez tout autant choisir une autre personne, selon les critères qui vous ­apparaissent les plus pertinents. Ces critères demeurent encore une fois personnels. Évidemment, la qualité première d’une codirection sera de pouvoir travailler en collaboration avec vous pour accompagner l’étudiant. Le choix d’une personne qu’on connaît déjà et avec qui l’on sait que le travail se passera bien est évidemment à privilégier. Toutefois, si vous ne connaissez pas vraiment la personne (par exemple, elle peut être suggérée par l’étudiant relativement à son contexte de recherche), vous devriez prévoir faire une rencontre, sans la présence de l’étudiant, pour vérifier de quelle façon le contact se fait et comment vous anticiperez un travail d’accompagnement de l’étudiant avec elle. Il faut établir un premier contact autrement que par de simples courriels. L’étudiant ne devrait pas être présent parce qu’il vous faudra discuter des responsabilités réciproques et les rendre explicites pour éviter des zones d’ombre qui pourraient créer éventuellement des problèmes. Vous devrez échanger sur les modalités d’encadrement et indiquer vos propres modes de fonctionnement et exigences pour voir comment la personne réagit ou la place qu’elle pense prendre. L’étudiant n’a pas à participer à ces échanges. J’ajoute ici quelques précautions supplémentaires dans la façon de tenir ces rencontres pour assurer un fonctionnement optimum. Il faut notamment clairement départager les actions ou les thèmes sur lesquels l’un ou l’autre peut agir et la façon de faire circuler les corrections ou les demandes à l’étudiant. En ce sens, prévoyez des échanges avec le ­codirecteur avant chacune des rencontres avec l’étudiant pour vous entendre de façon explicite sur les corrections et les modifications à apporter et sur les choix à faire et les étapes suivantes. Ces échanges sont nécessaires pour éviter qu’il y ait dissension entre les deux directeurs de recherche et que cette dissension s’exprime lors de la rencontre. S’il y a désaccord entre les directeurs, il faut qu’ils en aient parlé avant de rencontrer l’étudiant. Celui-­ci ne doit pas se retrouver devant ses deux directeurs qui s’obstinent sur une orientation ou un choix quelconque. Il ne doit surtout pas jouer le rôle de messager des consignes ou des décisions d’un directeur à l’autre. De manière plus officielle, c’est habituellement le directeur de recherche qui doit avoir le dernier mot sur le processus et sur les décisions.

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Encadrer aux cycles supérieurs

2 / La préparation de la rencontre de sélection La sélection d’un étudiant se fait par l’entremise d’une rencontre qui devrait être préparée. La tâche d’un directeur de recherche consiste à se donner les moyens d’évaluer la candidature d’un étudiant qui se présente à lui ou qu’il veut recruter. Cette démarche devrait permettre de recueillir les informations les plus pertinentes pour évaluer le potentiel de l’étudiant. C’est la raison pour laquelle je recommande de ne pas procéder à une rencontre impromptue avec un étudiant qui se présente à vous pour vous solliciter.

2.1 /

Reporter une rencontre non planifiée Je suggère de remettre à un autre moment défini entre vous la discussion avec un étudiant qui vient vous solliciter et qui se présente à votre bureau sans s’être annoncé. Donnez-­lui un autre rendez-­vous en lui spécifiant quelles sont les informations que vous voulez qu’il vous fournisse préalablement à cette rencontre (section 2.2). Si le contact s’est effectué par courriel, transmettez vos demandes dans le courriel qui confirme le moment de la rencontre. Vous vous assurez ainsi qu’il vous fournira, préalablement à vos échanges, les informations utiles pour évaluer sa demande. Le fait de prendre un rendez-­vous avec l’étudiant assure aussi que vous aurez le temps requis pour le voir et échanger avec lui plutôt que de le voir en vitesse.

2.2 /

Les tâches et les informations à vous fournir Cette rencontre devrait servir à mieux connaître l’étudiant et à évaluer son potentiel. Il faut donc avoir en main les informations pertinentes pour ce faire. Vous trouverez dans la fiche suivante la liste des tâches et des documents que vous pouvez lui demander et certaines consignes relatives à la remise de cette fiche. D’autres tâches ou documents peuvent être requis de votre part, selon ce que vous voulez vérifier ou le contexte particulier que vous avez en tête pour accepter l’étudiant. Personnellement, je préfère me limiter à ces demandes pour la première rencontre afin d’avoir une idée de ce sur quoi se base l’étudiant pour me contacter et ne pas lui fournir des pistes ou des indices de champ d’intérêt qui seraient les miens et qui ne viendraient pas de sa propre initiative. Évidemment, le contexte peut changer si c’est vous qui contactez l’étudiant ou le recrutez, mais l’absence de

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

Fiche 2 /  Tâches et consignes à demander à l’étudiant Produire un texte de quelques pages qui présente de façon synthétique les informations suivantes (maximum 5-­10 pages) : a) Pourquoi entreprendre un diplôme dans ce domaine et maintenant ? • Pourquoi choisir de commencer maintenant ? Pourquoi ce diplôme en particulier ? • Pourquoi ici et pas ailleurs ? b) Quels sont l’intérêt de recherche et son origine ? • Qu’est-­ce qui fait que ce sujet ou cet objet vous intéresse ? Quelle est l’origine de votre intérêt ? • Qu’est-­ce que vous en savez ou qu’est-­ce qui vous intéresse de savoir ? • Est-­ce que vous avez une idée de ce que vous pourriez découvrir ou des « réponses » que vous pourriez obtenir ? Qu’est-­ce que cela vous apporterait ? Faire parvenir une production ou une partie de production (travail scolaire, de préférence) dont vous êtes le principal responsable (au doctorat, demander l’envoi du mémoire de maîtrise) : c) Si c’est un travail scolaire d’équipe (serait à éviter), fournir la partie que vous avez personnellement écrite ou indiquez quelle est la nature de votre contribution ; d) Si vous avez produit un texte en dehors du contexte scolaire, indiquer le contexte de la production ou ce que visait le texte. Demande optionnelle : lire tel ou tel article (fournir les références ou joindre les articles à l’étudiant) et indiquer ce que vous trouvez intéressant et si ce sont des aspects que vous seriez prêt à approfondir. (Indiquer pourquoi ces articles et ces questions.) Procédure de remise Déterminer le délai de remise avant votre rencontre. Par exemple : e) À remettre au plus tard, la veille de la rencontre (afin que vous ayez le temps de lire le document et d’évaluer son contenu, ou à une date ultérieure si vous avez besoin de plus de temps) ; f) Si la date de remise du document est avant la veille, convenir alors de cette date avec l’étudiant en fonction de vos autres obligations.

sujet ou de champ d’intérêt plus précis de la part de l’étudiant peut mener à un certain nombre de problèmes. Je reviendrai sur ce sujet plus loin (chapitre 3, sections 3.5 et 4.2.5 ; chapitre 7, section 1.2.3). Ces documents et réflexions contiennent les bases des informations que vous pourrez approfondir lors de votre rencontre. Le fait de les lui demander à l’avance vous donnera des pistes à explorer ou des précisions pour mieux connaître l’étudiant et ses motivations :

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• Sa capacité à remettre une production dans les délais sur lesquels vous vous êtes entendus ; • La qualité de son expression écrite et la structuration de sa pensée par l’obligation de construire un texte relativement court et qui exprime un point de vue, et par le travail produit qu’il remet ; • Sa connaissance du sujet, la clarté de ses propos et l’origine de son intérêt ; • La nature de ses motivations sur le plan des études et ses raisons d’entreprendre sa démarche maintenant, dans l’établissement et avec vous. Un autre avantage de procéder à ces demandes consiste à vérifier son véritable intérêt et son degré d’engagement éventuel, selon sa réaction à vos demandes.

Un étudiant m’avait contacté pour me rencontrer par rapport à sa direction éventuelle. Je lui avais acheminé mes demandes concernant son texte de réflexion et un travail déjà produit et on avait établi le moment de nous rencontrer. Le jour où il devait me faire parvenir les documents, il m’a écrit en m’informant qu’il ne pouvait pas venir à notre rencontre en raison d’un empêchement, mais il ne m’a pas envoyé ce que je lui avais demandé et il n’a jamais demandé de fixer une autre rencontre.

S’il vous revient avec les tâches accomplies, il confirme alors son intérêt réel à votre endroit, mais aussi pour sa démarche.

2.3 /

L’analyse de ce qu’il vous remet Vous aurez l’occasion de discuter du contenu de ce qu’il vous remet au moment de la rencontre avec l’étudiant (section 3). Cependant, sa façon de vous acheminer ce que vous lui avez demandé donne parfois déjà des indications sur son fonctionnement. Je fournis quelques exemples ici, mais ce retour de vos demandes peut être une indication des tendances de l’étudiant dans sa façon de répondre aux consignes.

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

2.3.1 /

Non-respect des procédures de remise L’étudiant vous achemine le texte tout juste avant la rencontre ou vous l’apporte en main propre contrairement à ce que vous lui aviez demandé. Il s’agit là d’un signe négatif, peu importe les justifications qu’il pourrait donner pour son retard. Je ne prendrais pas ma décision sur ce seul écart, mais il est déjà surprenant qu’il ne fournisse pas un document dans les délais alors qu’il m’a sollicité. Si je l’acceptais, je m’assurerais de mettre l’accent sur l’importance de respecter les dates et les procédures de remise lors de ma présentation sur mes modalités de rencontre et de suivi en prenant comme exemple son retard.

2.3.2 /

Remise d’un texte écrit à la main… Aussi surprenant que cela puisse paraître, il m’est arrivé encore récemment de recevoir une personne qui m’avait remis ses idées de recherche écrites à la main, dans mon casier. J’avais oublié de lui préciser que je les voulais par courriel… Cela suggère déjà un certain nombre de contraintes ou de faiblesses de l’étudiant. Cependant, il faut vérifier leur accès aux outils informatiques nécessaires pour leur cheminement. On tient trop souvent pour acquis que les étudiants ont tous un ordinateur à la maison et un accès illimité au réseau Internet. Dans la majorité des cas, on peut s’y attendre, mais il faut quand même le vérifier. Je ne parle pas ici de l’utilisation de logiciels spécialisés, mais de l’usage quotidien des outils informatiques de base.

J’ai encadré une personne, il y a peu de temps, qui n’avait pas encore d’ordinateur personnel. Elle l’a acquis dans les premiers mois de sa démarche après avoir réalisé qu’elle ne pourrait pas remplir les exigences en se fiant seulement aux heures d’ouverture du laboratoire informatique, comme elle l’avait fait lors de ses études de premier cycle. Mes exigences de communication par courriel plutôt que par téléphone et mes demandes de remises ne lui permettaient plus d’attendre de se rendre au laboratoire pour prendre connaissance de ses courriels et produire ce que j’attendais d’elle.

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Encadrer aux cycles supérieurs

2.3.3 /

Remise d’un écrit désorganisé ou sans structure L’étudiant vous remet un texte sans pagination, sans organisation particulière, sans présentation minimalement formelle. Cette absence d’utilisation d’une certaine forme pour sa remise suggère une certaine nonchalance à l’égard de ce qu’il fait qui ne lui apparaît pas « officiel ». Cela ne suggère pas nécessairement un risque pour le futur, mais il y a là la présence d’un indice qu’il faudra lui dicter des règles précises concernant vos exigences pour ces aspects. En fait, moins le document remis est structuré et organisé clairement et plus il y a un risque que l’étudiant ne mette pas l’effort et la rigueur nécessaires. C’est d’ailleurs une raison pour laquelle je recommande de lui fournir une consigne avec deux ou trois parties différentes, selon vos demandes. Il devrait ainsi structurer sa « réponse » en fonction de votre demande plutôt que de tout intégrer en un tout. Il se peut aussi que l’étudiant vous remette quelque chose qui ne corresponde pas du tout à ce que vous avez demandé, que l’information ne soit pas là, qu’il présente d’autres éléments que ceux que vous avez évoqués, etc. Je pense ici à un texte qui serait plutôt une « problématique » du sujet plutôt qu’une description des intérêts personnels de l’étudiant. Étant donné la clarté de la consigne que je donne aux étudiants pour préparer le matériel pour la rencontre, j’aurais automatiquement des doutes sur les objectifs de l’étudiant et sur le fait qu’il puisse répondre à ce que je lui demande plutôt que de faire ce qu’il pense ou ce qu’il veut (section 1.1).

2.4 /

La qualité de son expression écrite Je traite de ce point précis à cette étape parce que c’est un des problèmes importants qui surgit au cours du processus d’encadrement et qui fait l’objet de beaucoup de plaintes de la part des directeurs de recherche. J’y reviens d’ailleurs dans le chapitre 13 à propos des problèmes d’expression écrite (section 1). La remise du texte qui décrit ses objectifs, ses motivations et ses intérêts sert aussi à évaluer la qualité de son expression écrite. Bien qu’il vous ait fourni une production qu’il aura déjà faite, c’est le texte qu’il vous formule sur sa démarche et ses intérêts de recherche qui sera probablement le meilleur indicateur de sa façon d’écrire. Le texte qu’il a déjà produit pour un travail a peut-­être fait l’objet d’une correction approfondie et ce n’est pas nécessairement représentatif de sa façon personnelle d’écrire, notamment si le travail remis est un travail d’équipe.

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

Cet exercice peut vous indiquer quelle est la qualité de sa structure, comment il organise ses idées, comment il exprime ses propres intentions et les justifie ou les explique, en dehors du rapport d’écrits scientifiques et d’une formulation de connaissances disciplinaires. Il doit ici s’exprimer sur des aspects personnels et cela crée des conditions qui peuvent le rendre moins susceptible de faire attention à sa production. Cette évaluation de la qualité de l’expression écrite doit se faire très tôt dans le processus et vous devez avoir une idée de ses faiblesses, avant même de décider de l’accepter. Après, il est parfois trop tard et il y a des risques que ça devienne une cause de votre insatisfaction à son égard. S’il vous remet un texte exempt d’erreurs avec une syntaxe et l’expression d’idées claires et bien formulées, cela devrait correspondre à sa façon d’écrire et vous ne devriez pas rencontrer de problèmes importants avec son expression écrite. Par contre, si le texte contient plusieurs fautes, des problèmes de syntaxe, de ponctuation ou de grammaire importants, ce sera quelque chose à aborder lors de votre rencontre. Enfin, au-­delà de la remise de ce texte, la façon dont il vous contacte, formule sa demande par courriel et les erreurs qui apparaissent dans son courriel sont autant d’occasions pour vérifier la qualité de son expression écrite. Un courriel qui contient plusieurs erreurs, des problèmes de ponctuation ou des formulations plus ou moins appropriées, est une indication claire d’un problème. Si le courriel laisse voir des lacunes potentielles au sur le plan du français, le texte lui-­même en comportera probablement tout autant. Sinon, il est possible qu’il apporte un soin particulier à ses productions écrites plus officielles et qu’il ne fasse pas attention à ses courriels. Cependant, je n’ai pas de souvenir d’avoir rencontré un étudiant qui faisait plusieurs erreurs dans ses courriels et qui me ­produisait des textes sans erreurs.

3 / La rencontre avec l’étudiant La rencontre devrait servir à vérifier tous les aspects qui entrent en ligne de compte dans votre accompagnement de l’étudiant. Évidemment, le premier élément concerne vos perceptions et vos impressions à l’égard de l’étudiant qui ont été évoquées par rapport à vos préférences relationnelles (section 1.1). Elles vous fourniront des indications subjectives qu’il s’agira d’évaluer à la lumière de votre connaissance de vous-­même et de ce qui vous plaît ou vous déplaît.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Les autres éléments devraient servir à évaluer les motivations et les forces et les faiblesses de l’étudiant pour tous les aspects qui peuvent être impliqués dans les motivations et la capacité de travail de l’étudiant et des conditions relatives à son accompagnement. Ainsi, il faut mieux connaître l’étudiant sur le plan de : • Son cheminement scolaire antérieur avec les bons coups et les écueils ; • Ses motivations à propos de son choix d’études actuel ; • L’origine et l’orientation de ses champs d’intérêt de recherche ; • Ses motivations à vous solliciter ; • Ses forces ou ses faiblesses concernant les tâches et les activités requises aux cycles supérieurs ; • Ses conditions extérieures aux études. Pour synthétiser le processus de questionnement de l’étudiant, j’ai inséré, à la fin du chapitre (annexe 3.1), ma propre liste de questions qui abordent chacun des éléments précédents que j’approfondis, selon ce que l’étudiant me répond, en fonction de chacun des thèmes3. Comme pour les sections du chapitre, la liste des questions n’est pas suivie nécessairement dans l’ordre sur la feuille. Les points sont traités selon ce qui se présente au cours de l’échange. Le lecteur pourrait donc aller chercher directement mon questionnaire pour mener son entretien, et regarder les pistes d’analyse proposées pour chacun des thèmes, afin d’approfondir sa compréhension de ce que l’étudiant présente. Ces pistes d’analyse peuvent être considérées comme une façon d’étudier les propos de l’étudiant ou encore d’orienter des questions, si l’on veut vérifier un aspect.

3.1 /

Évaluer la dynamique d’échange et le degré de préparation de l’étudiant Au-­delà de ce que l’étudiant vous a remis, il s’agit de voir comment il reprend dans ses mots ce qu’il a écrit et ce qu’il peut en dire. Personnellement, je trouve enrichissant de voir comment l’étudiant a rédigé son texte et comment il s’en inspire ou non pour me parler de son intérêt. Le fait de lui avoir demandé un texte succinct peut faciliter son expression de l’origine de ses intérêts et de ses motivations, puisqu’il a eu à s’y pencher pour produire ses idées par écrit, contrairement à ce qui pourrait se passer si la question lui était posée de façon impromptue lors de la rencontre.

3

Personnellement, lorsque je réalise que les champs d’intérêt de recherche de l’étudiant ne correspondent pas aux miens ou encore que je comprends que je ne souhaiterais pas l’encadrer, je ne cherche pas à approfondir ma connaissance ou ma compréhension des autres aspects.

66

Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

Il s’agit de lui demander de vous parler de ce qu’il vous a remis dans son texte, de son ou de ses intérêts de recherche et du domaine ou du contexte choisi. Demandez-­lui de vous dire dans ses mots ce qu’il a écrit, de vous raconter un peu la provenance de ses intérêts et des idées qu’il en a. Il arrive que des étudiants aient des difficultés à transcrire leurs idées par écrit alors qu’ils peuvent en parler beaucoup plus aisément. D’autres rencontrent le problème inverse. Cela vous donne un aperçu de ce qui pourrait se passer au cours de vos rencontres, lorsque l’étudiant devra vous rapporter ce qu’il aura lu ou produit. Ça vous donne aussi une occasion de lui faire préciser des choses par rapport à ce qu’il vous dit ou, s’il ne vous en parle pas de façon orale, de revenir sur ce qu’il a écrit. Un étudiant qui s’en tient à une reformulation de ce qu’il a écrit sans vraiment fournir de détails supplémentaires alors que le texte lui-­même est relativement pauvre sur le plan des origines de l’intérêt ou de la précision du sujet suggère déjà que l’étudiant semble avoir une idée peu élaborée de ses intentions et de ses champs d’intérêt de recherche. C’est un aspect qui m’apparaît important, parce que ça peut représenter un problème pour choisir un sujet qui assure un engagement tout au long du processus. Cela peut signifier aussi que l’étudiant entreprend sa démarche non pas en fonction de son intérêt pour le sujet de recherche, mais pour d’autres raisons.

Pistes d’analyse pour le degré de préparation a) Est-­ce qu’il reformule exactement ce qu’il a écrit ? Est-­il capable de fournir plus d’informations que son texte en contient, si le texte est relativement pauvre en explications ? b) Est-­ce qu’il parle avec enthousiasme de ses expériences et de ses intérêts ou bien semble-­t-­il peu intéressé par ce qu’il vous raconte ? c) Est-­il capable de développer à partir de vos questions ou bien s’en tient-­il à des formulations générales de ce qu’il a déjà écrit ou dit ? d) Est-­ce que l’expression de ses idées ou de ses réflexions se fait de façon articulée ou élaborée ou bien donne-­t-­il des réponses qui ne sont pas seulement simples, mais qui font plutôt ressortir qu’il ne sait pas ou n’a pas d’avis ? e) S’exprime-­t-­il de façon claire ? Est-­ce qu’il a de la difficulté à exprimer ses idées ou ses opinions ? f) Est-­ce qu’il s’en tient à des réponses aux questions ou bien s’il a tendance à ne pas répondre aux questions, mais à partir sur autre chose et à considérer qu’il a répondu, ou encore à diverger au point où il oublie souvent quelle était la question ?

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Encadrer aux cycles supérieurs

Tout au cours de l’entretien, sa façon de répondre, la façon dont s’installent vos échanges, le plaisir que vous avez à vouloir approfondir certains aspects ou, au contraire, le peu d’intérêt que déclenchent ses propos sont autant d’informations pour vous aider dans votre décision de l’encadrer ou non.

3.2 /

Connaître le cheminement scolaire de l’étudiant ainsi que ses « forces » et ses « faiblesses » Il m’apparaît nécessaire que l’étudiant décrive sommairement son passé scolaire afin d’avoir une idée de son cheminement et des changements ou des évènements qui ont pu marquer ses études, de façon positive ou négative. Il ne m’apparaît pas utile de demander un relevé de notes puisque si l’étudiant a été admis, il répond aux exigences du programme4. On peut lui demander s’il connaît sa moyenne cumulative pour avoir une idée globale de sa performance scolaire5. Il s’avère cependant beaucoup plus riche en information de demander à l’étudiant ce qu’il retient de ses études et les expériences positives ou négatives qu’il a pu y vivre, notamment dans ses études universitaires antérieures. C’est une occasion, aussi, de vérifier de quelle façon il explique ou à qui, à quoi, il attribue les difficultés ou les résultats moins favorables. Ça peut donner une idée des excuses ou des raisons qu’il utilise pour justifier ce type de situation et les nuances qu’il y apporte. Par ailleurs, des changements importants d’orientation en cours de route, un passage d’un domaine d’études à l’autre, quelques arrêts consécutifs dans les études peuvent suggérer des difficultés à choisir un contexte de formation qui pourrait aussi se répercuter dans sa démarche actuelle. Ces informations peuvent alors être mises en relation avec le thème portant sur les motivations relatives à son choix de programme actuel (section 3.3).

4 5

Comme je le mentionne aussi dans le chapitre 2, les résultats scolaires n’ont pas été définis comme étant une variable significative pour expliquer les abandons ou la diplomation aux cycles supérieurs. C’est une information qui est confidentielle et un étudiant n’est pas tenu de vous donner cette information ou même de vous transmettre son relevé de notes, bien que vous puissiez trouver surprenant qu’il ne veuille pas vous en faire part. Habituellement, seule la direction du programme (et le registraire) a accès à cette information. C’est la raison pour laquelle l’obtention de cette information doit provenir de l’étudiant lui-­même.

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

Pistes d’analyse pour le cheminement scolaire a) Quel est son parcours scolaire depuis le secondaire et quels sont les établissements qu’il a fréquentés ? Qu’est-­ce qui l’a amené à étudier dans ce domaine, au départ ? b) Est-­ce qu’il a eu des échecs auparavant ? Si oui, dans quels cours ? Quelles matières ? À quoi attribue-­t-­il ses échecs (raisons, causes et évènements externes ou raisons, causes et évènements internes) ? c) Comment explique-­t-­il les échecs ou les difficultés ? Ses réussites ? d) Comment réagit-­il face à des difficultés, des blocages ou des échecs ? (Lorsque pertinent, essaie-­t-­il des démarches de contournement ou persévère-­t-­il ?) e) Quels sont les souvenirs qu’il conserve de ses études antérieures ? f) Qu’est-­ce qu’il a le plus aimé dans ses études ou dans ses expériences scolaires ? Pourquoi ? g) Qu’est-­ce qu’il n’a pas du tout aimé sur le plan de l’évaluation, des activités, des tâches, des situations scolaires ? Pourquoi ? À quoi attribue-­t-­il ces sentiments ou ces résultats ? h) Est-­ce que certaines tâches ou certaines activités envisagées dans ses études actuelles ou ses intérêts de recherche nécessiteraient qu’il ait fait certains apprentissages ? Qu’est-­ce qu’il peut en dire ?

3.3 /

Connaître les motivations de l’étudiant pour son projet d’études actuel La description des raisons pour entreprendre le programme et les études à ce moment-­ci est un moyen de saisir ce qui motive l’étudiant et l’origine de ses intentions. On peut ainsi évaluer le degré d’importance que représentent ces études, les conditions qui permettent cette décision et les enjeux éventuels qui peuvent en résulter. L’évocation d’une démarche d’études « en attendant » ou encore le choix de l’établissement comme un second choix en raison d’un refus d’un autre établissement peut révéler certaines fragilités quant à l’intérêt réel de s’engager à fond dans le processus. On peut également déterminer si certains enjeux ne viennent pas teinter le choix du sujet et certaines conditions qui pourraient s’avérer problématiques dans le processus de réalisation de la recherche. Ce sont des éléments qui doivent être approfondis lorsqu’un emploi ciblé est envisagé (ou « promis ») par l’obtention du diplôme. Les répercussions négatives de ces contextes sont décrites dans le chapitre 7 (section 1.2.3). Enfin, on peut évaluer de quelle façon l’étudiant conçoit le travail ou les efforts à mettre ou la démarche envisagée. On peut alors l’amener à préciser le temps qu’il évalue pouvoir mettre à ses études en général et à son projet de recherche en particulier. Ces informations pourront

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Encadrer aux cycles supérieurs

être mises en relation avec les conditions extérieures à sa démarche puisque ce sont ces conditions qui pourraient affecter le temps dont l’étudiant dispose.

Pistes d’analyse de son projet d’études actuel a) Pourquoi entreprendre son projet d’études maintenant ? b) Quelles sont les conditions facilitantes, nuisibles, potentielles ou envisagées ? c) Pourquoi prendre ce chemin (le diplôme en question) pour étudier le sujet plutôt que de suivre des cours pour un autre diplôme, selon le cas (un programme court, un diplôme d’études spécialisées, etc.) ? d) Qu’est-­ce qu’il prévoit faire avec son diplôme, qu’est-­ce qu’il pense que cela lui apportera ? e) Quelle est l’utilité du diplôme envisagé ? Pourquoi le poursuivre dans votre établissement (s’il avait accès à plusieurs autres établissements) ? f) Quelle peut-­être la durée envisagée de ses études ? g) Est-­ce que le temps qu’il pense mettre à ses études en général, et à son projet en particulier, semble suffisant ? Réaliste ? h) Est-­ce qu’il envisage poursuivre de façon continue ou bien planifie-­t-­il un arrêt temporaire ?

3.4 /

Connaître l’origine et les motivations liées aux champs d’intérêt de recherche de l’étudiant Ce que vous lui avez demandé de produire par rapport à ses champs d’intérêt de recherche sert à évaluer ses motivations et le degré d’intérêt qu’il peut avoir à ce propos. Certaines informations peuvent valoir la peine d’être approfondies, parce qu’elles peuvent avoir des effets sur le déroulement futur de sa démarche et sur l’émergence de problèmes potentiels. Ces difficultés sont décrites et expliquées dans le chapitre 7 portant sur l’accompagnement dans le choix du sujet (section 1.3), mais il faut les dépister lors de l’entretien, à partir de ce que l’étudiant vous fournit comme origine ou comme motivations à choisir un sujet. L’absence d’idées claires ou définies à propos d’un champ d’intérêt pour un sujet ou pour un champ de recherche laisse planer des difficultés à choisir éventuellement un sujet de recherche (à moins que l’étudiant sache que vous définissez et choisissez vous-­même les sujets de recherche). L’expression très précise d’un sujet de recherche et de son élaboration peut être favorable pour l’avancement rapide du travail, mais elle peut aussi cacher des motivations qui peuvent créer de l’obstruction de la part de l’étudiant si le projet doit être adapté ou modifié pour répondre aux exigences de faisabilité. 70

Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

Selon ce que l’étudiant vous a écrit à propos de ses intérêts de recherche et ce qu’il ajoute comme information à propos de ses motivations et de sa compréhension des enjeux, ce sera parfois intéressant ou utile d’aller vérifier la présence de facteurs qui peuvent s’avérer ­problématiques pour la suite. Pistes d’analyse pour les intérêts de recherche a) Présente-­t-­il un sujet ou des intérêts de recherche définis ou assez bien orientés ou bien sont-­ils vagues ou très généraux ? b) Est-­ce qu’il tire son intérêt du sujet ou du domaine d’expériences personnelles ? De cours antérieurs ? De ses expériences de travail ? c) Est-­ce qu’il exprime un intérêt ou une intention que son sujet lui serve à quelque chose (travail, milieu, études futures, etc.) ? d) Est-­ce qu’il semble particulièrement concerné ou impliqué par le contexte ou par les conditions étudiées par son sujet ? e) Est-­ce qu’il évoque un désir de faire valoir un point de vue ou une intention précise par rapport à des résultats possibles ? f) Est-­ce qu’il mentionne un point de vue déjà arrêté sur l’orientation des résultats qu’il devrait obtenir ? g) Est-­ce que son sujet semble déjà avoir fait l’objet d’une recherche ou d’une documentation de sa part ? h) Est-­ce que son choix de sujet semble être associé à des opinions personnelles plutôt qu’à des références ou à une recension des écrits ?

3.5 /

Connaître les motivations de l’étudiant à travailler avec vous Il faut déterminer les raisons pour lesquelles l’étudiant vous choisit, mais également s’assurer qu’il a effectué des démarches pour rencontrer d’autres directeurs. Ces démarches sont importantes en raison de la correspondance qui doit exister entre votre mode d’encadrement et ses attentes. Il faut qu’il puisse établir des comparaisons. C’est souvent plus facile de rencontrer deux ou trois directeurs potentiels pour la maîtrise et l’on doit encourager l’étudiant à le faire. Ça l’est toutefois beaucoup moins au doctorat en raison du degré de spécialisation des sujets. Vous êtes peut-­être le seul spécialiste du sujet dans votre établissement et cela ne vous permet donc pas d’orienter l’étudiant vers d’autres collègues. Lorsque c’est possible, il faut le recommander. Il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles un étudiant vient vous rencontrer dans sa recherche d’un directeur. Évidemment, ça peut être parce qu’il a établi que vos champs d’intérêt de recherche correspondaient

71

Encadrer aux cycles supérieurs

bien aux siens. Mais ça peut-­être aussi pour d’autres raisons et il faut tenter de clarifier ces autres motivations parce qu’elles peuvent influencer la façon dont l’étudiant abordera le travail avec vous ou s’engagera dans certaines activités. Une de ces motivations consiste à vous choisir en raison des avantages que vous représentez, notamment sur le plan du financement ou de l’accès à des données ou à du matériel. L’étudiant envisage ainsi de court-­circuiter certaines étapes comme celle de la recension des écrits ou encore de la collecte des données ou de leur analyse en s’associant à vos travaux parce que vous possédez déjà ces informations dans le cadre de vos propres recherches. Je décris plus en détail cette situation dans le chapitre 7 (section 1.2.3) et les moyens d’en tenir compte dans votre façon d’encadrer la démarche, mais il convient d’approfondir les motivations de l’étudiant à vous solliciter pour essayer de voir si ce type d’intention est présent. Un étudiant véritablement intéressé par vos travaux et la correspondance de vos intérêts de recherche avec les siens sera facile à distinguer notamment en raison des origines de son sujet qu’il est en mesure d’expliquer et de justifier de façon explicite. Au contraire, un étudiant dont les intérêts de recherche sont peu précis, mais qui oriente principalement sa motivation dans le fait de travailler avec vous, précisément, a peut-­être d’autres intérêts que le sujet lui-­même. Ce que l’étudiant vous a transmis dans le texte que vous lui avez peut-­être demandé (section 2.2) pourrait d’ailleurs déjà vous avoir fourni certains indices si les informations données sont plutôt vagues. Vous pourrez décider de l’accepter en vous assurant de lui spécifier clairement vos exigences relativement à son utilisation de votre matériel et à sa participation à vos travaux (section 1.2). Vous pouvez aussi décider de reporter votre décision après une deuxième rencontre, afin d’évaluer sa capacité à s’approprier véritablement un sujet de recherche autrement que par ce que vous faites. Cette suggestion peut être tout aussi valable si vous décidez des sujets de recherche de vos étudiants parce qu’ils s’intègrent dans vos travaux. Vous avez avantage à vérifier le degré d’intérêt réel des étudiants à propos du sujet de vos travaux plutôt qu’en fonction des bénéfices qu’ils peuvent en tirer. Leur motivation a plus de chance de les amener à fournir un apport significatif à leur recherche et vous risquez moins de devoir vérifier constamment leur participation à vos travaux.

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

Pistes d’analyse des motivations à vous choisir a) Est-­ce qu’il a consulté seulement le site du département ? b) Est-­ce qu’il a consulté seulement la liste des professeurs disponibles pour le programme ou a-t-il aussi cherché sur le site du département ou ailleurs sur le site de l’université ? c) Est-­ce qu’il a pensé rencontrer quelqu’un d’autre (ou simplement l’inviter à rencontrer un autre professeur) ? Si oui, qui et pourquoi ? Sinon, pourquoi ? d) Est-­ce que quelqu’un lui a suggéré votre nom ou s’il l’a trouvé seul ? e) Est-­ce qu’il a consulté votre C.V. ? Connaît-­il vos travaux ? Vos publications ? f) Qu’est-­ce qui l’a attiré dans vos travaux ou vos intérêts de recherche ? g) Comment parvient-­il à formuler les liens entre ses propres intérêts et les vôtres ? h) Parvient-­il à formuler des aspects précis à propos de ses champs d’intérêt de recherche ou bien s’il s’appuie seulement sur ce que vous faites ? i) Est-­ce qu’il est en mesure de parler de vos publications de façon détaillée ou bien s’il décrit seulement un intérêt général pour vos objets de recherche sans pouvoir vraiment donner des précisions ?

3.6 /

Connaître les préférences de l’étudiant pour les tâches et les activités Il n’y a pas si longtemps, je ne questionnais pas vraiment ces aspects dans mes rencontres avec les étudiants ou dans ce que je recommandais aux professeurs de faire. J’approfondis maintenant de façon plus détaillée ma connaissance de ces aspects chez les étudiants, parce qu’ils sont directement en cause dans l’abandon d’un de mes étudiants et qu’ils ont été très souvent évoqués par certains autres comme étant la source principale de leur découragement. Il est donc avantageux de connaître leur préférence sur le plan des tâches, des activités, des sujets ou même de certains choix méthodologiques ou d’analyse, ce sur quoi ils se sentent le plus habiles, ou ce qu’ils aiment beaucoup moins ou avec lesquels ils savent avoir de la difficulté. Un étudiant qui a toujours été « performant » dans les études a évidemment des chances de demeurer performant par la suite. Cependant, certaines des exigences, inhérentes au processus de formation aux cycles supérieurs et décrites au chapitre 1, exacerbent parfois des difficultés ou un intérêt mitigé pour le type d’activités requis par la réalisation d’une recherche. Il est approprié d’évaluer de quelle façon ces exigences peuvent affecter la progression ou même la motivation de l’étudiant à poursuivre.

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Encadrer aux cycles supérieurs

J’ai connu un étudiant qui avait entrepris sa maîtrise et qui avait un dossier scolaire assez exceptionnel au baccalauréat. Il avait fait sa demande de bourse (qu’il avait obtenue) à un organisme subventionnaire à la dernière année de son baccalauréat, parce qu’il envisageait déjà d’aller à la maîtrise. Malheureusement, il a abandonné au cours de la deuxième session, parce qu’il n’avait retiré aucune satisfaction du processus de recherche et des séminaires. Il ne se voyait pas faire continuellement des lectures et en discuter, travailler à approfondir constamment un seul sujet, ne pas voir la finalité ou le résultat à relativement court terme. Il avait l’impression de tourner en rond et ne retirait pas de gratification à faire ce type de travail. Il s’était senti beaucoup plus satisfait des tâches plus courtes et d’exigences relativement structurées dans le temps et ne trouvait pas, dans le travail de recherche, l­’impression d’être actif et de progresser sur quelque chose.

Certains étudiants vont beaucoup plus apprécier le contexte des examens et du contenu particulier à étudier plutôt que de devoir découvrir au fil des lectures des informations dont ils devront juger de la pertinence et peut-­ être avoir à approfondir. D’autres vont grandement préférer se retrouver en contexte d’action ou d’intervention plutôt qu’être assis à écrire ou à lire. Ce sont ces informations qu’il faut vérifier auprès des étudiants. L’écart est important entre le premier cycle et la maîtrise et leur méconnaissance de ce qu’implique ce nouveau diplôme peut faire en sorte qu’ils n’aient pas bien envisagé le type de travail auquel ils devront s’astreindre. Il faut aussi évaluer ces aspects chez les étudiants qui entreprennent un doctorat, parce que leur expérience de la maîtrise peut faire ressortir certaines limites ou reconnaître un certain désintérêt à l’égard de sujets, de méthodes ou d’analyses qu’ils n’exprimeront pas nécessairement d’entrée de jeu. Cela peut avoir son importance notamment dans le choix du sujet et dans l’élaboration du projet en raison de choix qu’ils voudraient privilégier ou éviter, sans que vous sachiez pourquoi (chapitre 9, sections 2.4 et 2.5).

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

Pistes d’analyse des préférences dans les tâches a) Quel est le degré de plaisir qu’il prenait à lire les textes pour ses cours ? b) Quel est le degré d’approfondissement qu’il donnait à ses lectures ? c) Comment se documente-­t-­il s’il recherche une information liée à ses cours ? • Utilise-­t-­il simplement la recherche de « réponses » sur des sites Internet facilement accessibles, ou bien consulte-­t-­il aussi des articles ou des textes qui lui fournissent des points de vue plus détaillés ? d) S’il entreprend un doctorat, comment a-­t-­il procédé pour faire la recherche de ses sources pour son mémoire de maîtrise ? Étaient-­elles déjà fournies par le projet de son directeur ou bien il a dû faire sa recherche à partir du début ? e) Qu’est-­ce qui l’attire le plus dans sa démarche, faire des lectures pour se documenter ou bien discuter des sujets lors des séminaires ou avec vous ? f) Est-­ce qu’il a une expérience significative pour produire des travaux ou son diplôme précédent était-il surtout orienté sur des examens ? g) Entre deux tâches, dans ces expériences antérieures, laquelle préférait-­il ? Faire des lectures et rédiger des travaux ou étudier pour des examens6 ? h) Aime-­t-­il mieux se documenter en écoutant quelqu’un lui expliquer ou en fouillant dans des textes et par la lecture ?

3.7 /

6

Connaître les conditions extérieures à la démarche scolaire de l’étudiant Pourquoi poser des questions sur ces aspects qui peuvent paraître personnels ? Ce sont des informations pertinentes pour savoir comment l’étudiant envisage de tenir compte de ses autres obligations extérieures. Il s’agit, selon moi, de données à connaître pour mieux évaluer les conditions de l’étudiant pour s’engager dans ses études et d’évaluer de quelle façon vos propres exigences peuvent être satisfaites dans ce contexte. Par exemple, une personne monoparentale qui a un ou quelques enfants en bas âge et qui étudie à temps partiel aura évidemment beaucoup moins de disponibilités et son horaire de travail sera beaucoup plus restreint. Lorsqu’on aborde ces aspects avec eux, il vaut la peine de leur expliquer les raisons de ces questions. D’ailleurs, je recommande de poser ces questions seulement si vous avez déjà décidé d’accepter l’étudiant et que vous lui avez signifié votre intérêt, pour éviter qu’elles ne soient perçues comme une façon de faire de la discrimination à son égard, si votre réponse s’avérait négative.

6

Il faut faire la différence, ici, entre l’activité d’étude ou de production d’un travail, et les notes obtenues ou le temps mis à faire la tâche. Le questionnement vise surtout à évaluer le plaisir retiré à se documenter et à la tâche de rédaction du travail lui-­même plutôt qu’à la valeur de la « performance » qui en a découlé.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Il n’est pas rare, aussi, que des étudiants sous-­évaluent la charge de travail reliée à la production de leur recherche qui s’ajoute à leur scolarité, ou évaluent mal leur capacité de travail, parce qu’ils tiennent compte des expériences passées qui ne sont pas toujours représentatives de ce que le nouveau diplôme exige. De nouvelles conditions familiales ou un engagement professionnel peut impliquer des obligations dont l’étudiant évalue mal les effets possibles sur sa progression à long terme. On le voit particulièrement chez les personnes qui entreprennent un retour aux études après plusieurs années d’absence7. Il faut aussi vérifier les conditions matérielles ou environnementales de travail, parce que dans certains cas, ces conditions peuvent ne pas être optimales. J’ai décrit, dans un ouvrage qui s’adresse aux étudiants, certaines conditions pour faciliter leur travail dans le contexte des études de cycles supérieurs8. Ce sont des éléments qui sont peu considérés par les étudiants, mais qui peuvent avoir une incidence majeure dans leur productivité et leur capacité à travailler à long terme. Ces informations peuvent vous permettre d’envisager des moyens de venir en aide à l’étudiant, pour lui faciliter l’accès à des ressources ou à un environnement de travail (comme un bureau à l’université) plus facilitant. Pistes d’analyse des conditions extérieures a) Quelles sont ses conditions de vie et ses activités actuelles (enfants, personnes à charge, obligations familiales) ? b) Est-­ce qu’il est en mesure d’entrevoir des facteurs ou des situations à venir qui pourraient affecter son cheminement (grossesse, transfert professionnel, déménagement, séparation, etc.) ? c) Est-­ce qu’il occupe un emploi actuellement ? À temps complet ou partiel ? d) Est-­ce qu’il a des responsabilités professionnelles extérieures particulières qui pourraient l’amener à se déplacer ou à avoir des périodes d’absence prolongées ? e) Est-­ce que son travail ou ses obligations personnelles amènent des périodes où il devient moins disponible ? f) Est-­ce qu’il a des conditions qui peuvent lui permettre de se libérer pendant certaines périodes plus longues au besoin (gardienne, parents proches, horaire variable, congé pour études, etc.) ? g) Est-­ce qu’il a des conditions matérielles et environnementales qui lui permettent de travailler chez lui ou ailleurs de façon efficace ?

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J’ai abordé ce sujet dans un ouvrage que j’ai écrit sur le retour aux études et qui fait référence aux différentes situations d’adaptation, notamment aux cycles supérieurs (Bégin, 2014, chapitre 5). Bégin (2007, p. 377-­414). L’ouvrage s’adresse à des étudiants de doctorat en arts, mais les informations du chapitre que j’ai écrit sont applicables à toutes les situations de travail et d’études aux cycles supérieurs, peu importe la discipline ou le niveau du diplôme. Ce sont des informations issues d’ailleurs des interventions que je faisais auprès des étudiants de cycles supérieurs dans différentes disciplines.

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

4 / La prise de décision9 Habituellement, on devrait être en mesure d’indiquer notre décision à l’étudiant avant la fin de notre première rencontre. Sinon, on peut se donner un certain temps pour y réfléchir. Lorsque ce sont des impressions ou des sensations qui vous amènent à mettre en doute votre intérêt à accepter l’étudiant, je vais souvent recommander de décider de ne pas l’encadrer. Je reviens sur ce refus un peu plus loin. Si une deuxième rencontre s’avère nécessaire, elle devrait alors porter sur la vérification de certains éléments précis.

4.1 /

L’utilité d’une deuxième rencontre Une deuxième rencontre avant d’arrêter votre choix peut avoir différentes utilités. Par exemple, elle sera l’occasion de discuter de sujets de recherche potentiels, dans le cas où l’étudiant a un profil qui vous semble intéressant, mais qu’il n’a pas vraiment d’idées par rapport à un sujet en particulier. Ce pourrait être aussi parce que vous voulez qu’il travaille sur un thème particulier pour lequel vous lui aurez remis quelques articles à lire, pour voir si ces orientations l’intéressent. Dans le cas où l’étudiant n’a pas encore rencontré d’autres directeurs potentiels, je suggère toujours que vous l’invitiez très fortement à le faire avant d’officialiser, de part et d’autre, votre relation. Vous pourriez l’aider en lui suggérant certains collègues en fonction de ce que vous connaissez maintenant de son sujet. Je rappelle que pour favoriser son cheminement, il faut qu’il y ait une correspondance entre les attentes de l’étudiant et l’encadrement qu’il reçoit (chapitre 2, section 1). Malgré un grand intérêt que vous auriez à l’encadrer, il trouvera peut-­être une plus grande correspondance avec ses attentes chez un autre professeur. Demandez d’ailleurs aux étudiants de vous indiquer leur décision, s’ils choisissent quelqu’un d’autre. Ils peuvent se sentir gênés de devoir vous faire savoir que vous n’êtes pas « choisi », mais vous ne devez pas, de votre côté, rester en attente d’une décision de leur part.

9

J’ai inséré, en annexe 3.3, à la fin du chapitre, une description de mon processus décisionnel et des facteurs qui peuvent compter plus que d’autres dans ma prise de décision. Cela constitue une sorte d’illustration de l’importance relative que j’accorde aux différentes informations que me transmet l’étudiant. Je le présente pour aider le lecteur qui aimerait réfléchir à son propre processus, notamment pour mesurer le poids relatif que certains facteurs pourraient représenter pour lui.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Il est évident que si vous demandez de le revoir, cela suggère qu’il y a de fortes chances que vous acceptiez de l’encadrer. Autrement, ce serait créer un faux espoir. Il faut que cette étape de la démarche soit faite de façon transparente pour éviter des confusions dans la planification d’une deuxième rencontre. Si vous lui suggérez de rencontrer d’autres directeurs en espérant qu’il se trouve quelqu’un d’autre, vous ne pouvez pas le refuser par la suite, s’il revient vers vous. Si vous ne voulez pas l’accepter, ne remettez pas votre décision à plus tard en espérant ne pas avoir à le lui dire. Dans le même sens, si vous demandez au candidat d’aller consulter d’autres directeurs potentiels et que celui-­ci vous revient pour vous signifier qu’il vous « choisirait », cela implique que vous avez préalablement accepté de le diriger et que vous attendez de voir son choix.

4.2 /

Quelques situations problématiques à vérifier L’approfondissement des divers sujets abordés lors de votre rencontre avec l’étudiant vous aura permis de connaître ses motivations et ses intérêts à l’égard de son sujet ou de sa démarche pour vous aider à prendre votre décision. Il existe toutefois certaines situations qu’il m’apparaît nécessaire de présenter et de décrire à cette étape-­ci parce qu’elles créent souvent des problèmes au fil de la démarche qu’on ne peut pas nécessairement anticiper, si l’on n’a pas déjà vécu la situation. Ce ne sont pas des raisons pour refuser l’étudiant, mais ce sont des aspects qu’il pourrait valoir la peine d’approfondir ou qui nécessiteraient une deuxième rencontre.

4.2.1 /

Situation 1

Un étudiant a déjà une idée de l’expérimentation qu’il veut faire et du contexte précis pour sa recherche. Il se montre peu intéressé à regarder son sujet sous d’autres angles ou vous exprime qu’il se cherche quelqu’un qui va l’aider à mener « son » projet à terme.

Ce type de situation présente un certain attrait, parce qu’on a l’impression que l’étudiant est très avancé dans sa réflexion et que cela pourra accélérer le travail. Le problème que la situation cache est qu’au cours du processus d’élaboration de sa question de recherche, il est fort possible que son sujet doive s’articuler un peu autrement pour tenir compte des écrits ou pour

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

répondre aux exigences de faisabilité dans le contexte particulier de son diplôme. Certains sont ouverts, mais il m’est arrivé de discuter avec un étudiant (dans le contexte d’un atelier) pour qui le sujet devait être traité et développé comme il l’avait pensé, et cela devait se faire comme il le voulait. Ce type d’approche rend l’encadrement très périlleux et il n’est pas impossible que l’étudiant n’exprime pas ses intentions si l’on ne le questionne pas en détail sur ses visées et sur sa perception de notre rôle. C’est pourquoi il faut vérifier si l’étudiant demeure ouvert à un ajustement ou à des modifications de son idée originale, lorsque celle-­ci semble très précise. Parfois, une deuxième rencontre peut servir à demander à l’étudiant de préciser son projet et ses buts si cela n’a pas déjà été fait dans le cadre de sa réflexion qu’il vous aura remise (section 2.2), et à discuter avec lui des changements éventuels que son sujet pourrait subir. Personnellement, si un étudiant présente peu d’ouverture pour ajuster son sujet et qu’il m’apparaît peu réaliste de le mener comme il est présenté, je ferais savoir à l’étudiant que je ne pourrais l’encadrer dans ce contexte. S’il démontre une volonté véritable à accepter des modifications et que j’accepte de l’encadrer, je demeurerais très vigilant pour la suite, par rapport au respect des décisions concernant l’opérationnalisation de son idée.

4.2.2 /

Situation 2

Un étudiant choisit un sujet pour une finalité « autre » que de répondre à une question ou étudier un objet d’intérêt (par exemple, choisir un sujet de recherche dont les résultats ou la démarche permettraient de se créer une renommée, ou encore d’ouvrir des portes par rapport à un poste, une promotion, etc.).

Je reviendrai sur ce type de situation dans le chapitre 7, parce qu’elle crée des problèmes dans le choix du sujet (section 1.2). Dans ce cas-­ci, ce n’est pas nécessairement le diplôme qui est perçu comme étant le but à atteindre, mais plutôt une « récompense » issue de l’objet de la recherche ou des résultats à obtenir par l’entremise du diplôme. Un tel objectif doit être clarifié, parce que cela crée des conditions défavorables à l’encadrement. La personne risque d’être constamment réticente à modifier certains aspects, si elle craint que cela l’éloigne de son but. Ça peut aussi poser des risques de ne pas pouvoir mener son projet à terme, si la

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Encadrer aux cycles supérieurs

personne se rend compte que les changements proposés ne lui permettront pas d’atteindre ce qu’elle visait. Il faut lui faire comprendre les dangers d’une telle approche. Si elle ne semble pas être ouverte à des ajustements, il est préférable de ne pas accepter de l’encadrer.

4.2.3 /

Situation 3

Un étudiant semble avoir une idée déjà toute faite des résultats ou des explications du phénomène qu’il veut étudier. Ces résultats proviennent de généralisations inadéquates, de préjugés, ou d’une mauvaise ­compréhension de l’objet de recherche.

Il faut se méfier des étudiants qui veulent « démontrer » une opinion ou un point de vue, et qui destinent leur recherche à prouver qu’ils ont raison. On le voit apparaître dans les justifications ou dans les explications qu’ils fournissent sur l’origine de leurs intentions. Il faut confronter l’étudiant qui énonce certains préjugés ou certaines conceptions préalables par rapport à son sujet ou aux résultats qu’il est « certain » d’obtenir. Ce sont des aspects qui peuvent causer des difficultés dans l’élaboration du projet, mais parfois aussi au moment de l’analyse et des interprétations. J’y reviens également dans le chapitre 7 (section 1.2.1).

4.2.4 /

Situation 4

Un étudiant adopte des propos qui suggèrent une compréhension très naïve de ce qu’est la recherche ou qui simplifient le processus à un « gros travail de session » (surtout à la maîtrise).

Les propos des étudiants et la façon dont ils expriment leur vision du processus qu’ils entreprennent et du temps requis pour le faire peuvent suggérer qu’ils évaluent mal le degré d’engagement nécessaire pour mener le projet à terme. Lorsqu’ils semblent sous-­évaluer le travail ou les exigences, il y a des risques qu’ils perdent rapidement leur intérêt.

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

Dans un premier temps, il faut être clair sur la quantité de travail à faire et le temps nécessaire pour le faire10. On peut aussi discuter avec l’étudiant de ces exigences et l’amener à réfléchir aux implications de sa démarche et valider l’intérêt réel à mener tout le processus jusqu’au bout. Si je perçois dans les propos que la personne pense faire certains efforts, mais qu’elle ne voit pas l’utilité ou la possibilité de faire certains sacrifices, j’évoque clairement mon incertitude quant à la possibilité qu’elle se rende jusqu’au bout. Le choix de l’accepter ou non peut alors dépendre de votre degré d’intérêt par rapport au sujet de l’étudiant ou du temps que vous êtes prêt à mettre en pensant que son cheminement peut se prolonger. Une deuxième rencontre pourrait alors s’avérer nécessaire pour que l’étudiant réfléchisse à certaines exigences que vous pourriez avoir pour l’accepter.

4.2.5 /

Situation 5

Un étudiant vient vous rencontrer et n’a pas lui-­même de sujets ou le champ d’intérêt de recherche à vous proposer, mais il attend de vous que vous lui fournissiez un sujet. Il dit vouloir travailler sur « n’importe quoi » qui vous intéresse « vous ».

Mon contexte en éducation est évidemment différent de ce qu’on rencontre dans d’autres disciplines comme en sciences, où les étudiants s’attendent habituellement à ce que ce soit le directeur qui fournisse le sujet. Cependant, même si c’était le cas, il est préférable que l’étudiant ait réfléchi à un intérêt de recherche et que sa démarche soit faite en ce sens. Un étudiant qui n’a pas d’idées de sujet ou d’intérêt pour un thème de recherche plus précis démontre un degré de réflexion insuffisant par

10

Personnellement, les chiffres que je donne aux étudiants sont les suivants : • minimum de 20 heures de production écrite par semaine, pendant un temps équivalent à environ 6 mois pour la période de rédaction. C’est un temps équivalent à temps complet. Pour un étudiant à temps partiel, l’équivalent du temps de travail sera sur une période plus longue puisque le nombre d’heures de production ne pourra pas être semblable par semaine ; • temps de travail minimum par semaine sur le projet (en plus de la scolarité) : temps complet = 10-­15 heures ; temps partiel = 3-­6 heures. Ce sont des chiffres approximatifs qui fournissent une estimation du travail. Vous pouvez aussi indiquer un nombre de lectures à faire en fonction des références qu’on retrouve à la fin d’un mémoire ou d’une thèse, en considérant que toutes les références ne seront pas conservées. Les heures de travail par semaine devraient être semblables au doctorat.

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Encadrer aux cycles supérieurs

rapport à l’importance que revêt cet aspect pour sa démarche. Il y a des risques que l’étudiant ne trouve pas, dans le sujet proposé, suffisamment d’attrait et qu’il décide d’abandonner après quelques mois. J’ai déjà évoqué des précisions à demander à l’étudiant au moment de le rencontrer, lorsque ce type de situation semble émerger de ce qu’il décrit. Si l’étudiant n’a pas d’idées, je lui donnerais un délai pour revenir me rencontrer avec une idée ou un intérêt pour une thématique de recherche mieux définie. Je pourrais aussi l’orienter vers certaines lectures à faire, pour voir ce qu’il retire comme éléments intéressants dans mes propres objets de recherche. Mais il devra me signifier en quoi ces aspects l’attirent. À moins que ce ne soit pour profiter de leurs recherches, plusieurs directeurs m’ont mentionné que ce type de situation amène souvent un manque de motivation, à la longue, ou les étudiants ne font jamais preuve d’un degré d’autonomie suffisant dans leurs réflexions et dans l’exécution des tâches. Il en découle une lourdeur, pour le directeur de recherche, parce qu’il doit les encadrer de façon plus importante pour les amener à ­s’approprier le sujet et à élaborer le travail à un niveau suffisant.

4.3 /

La décision de refuser l’étudiant C’est une situation qui n’est jamais abordée de façon explicite, lorsqu’il est question de la sélection d’un étudiant. Pourtant, refuser d’encadrer un étudiant est une décision qui peut parfois s’avérer difficile à prendre, mais surtout à annoncer. Je ne pense pas qu’il y ait de meilleures façons de procéder. Comme je l’ai évoqué précédemment, on ne doit pas reporter l’annonce de cette décision lorsqu’elle est prise. J’ai souvent rencontré des professeurs qui m’exprimaient leur regret d’avoir accepté un étudiant parce qu’ils n’avaient pas su comment lui dire non. À cette étape, ce n’est pas nécessaire de vous excuser de ne pas accepter d’encadrer un étudiant, et d’essayer de trouver toutes sortes de raisons pour justifier votre choix. Quand le sujet de recherche ou le contexte ne vous convient pas, il s’agit de le lui faire savoir, sans chercher d’autres justifications. Évidemment, si vous n’êtes plus en mesure de prendre d’autres étudiants, le refus aura dû être annoncé dès le premier contact. L’étudiant sera en droit de se poser des questions si c’est la raison que vous lui donnez alors que vous avez accepté de le rencontrer.

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

Les situations plus délicates sont celles où les raisons pour le refuser concernent plus des impressions ou des sensations plus négatives qui sont difficilement explicables et qui ne peuvent pas vraiment être exprimées. Si ces impressions perdurent pendant la rencontre, comme je l’ai déjà mentionné précédemment (section 1.1), il est préférable de faire savoir à l’étudiant que vous ne serez pas vraiment la bonne personne pour l’encadrer, et vous pouvez proposer tout de suite le nom de quelques collègues qui pourraient convenir à ses intérêts de recherche. Il est plutôt rare que les étudiants posent des questions sur les raisons de notre refus. Évidemment, si le refus vient du fait que le sujet de l’étudiant est en périphérie de nos champs d’intérêt, la raison sera explicite. Dans le cas de sensations plus diffuses, si l’étudiant cherche à savoir pourquoi, on peut simplement mentionner qu’on met de l’importance à ressentir des atomes crochus avec les étudiants qu’on accepte et que ce n’est malheureusement pas le cas. C’est une façon simple d’indiquer que ce sont des aspects plus subjectifs qui vous appartiennent. Enfin, je mets souvent en garde des collègues contre le sentiment de culpabilité qu’ils peuvent ressentir face à un étudiant qu’ils pensaient refuser, mais qui leur dit qu’ils sont leur dernière chance. Il n’est pas de votre responsabilité d’assumer l’encadrement parce que les autres professeurs ont refusé et ce peut être parfois une façon qu’a l’étudiant de mettre de la pression pour que vous l’acceptiez alors qu’il n’a pas vraiment fait le tour des autres professeurs. Ce n’est pas une situation facile, mais il est avantageux d’indiquer à l’étudiant les raisons pour lesquelles vous ne pouvez pas l’encadrer. Vérifiez que l’étudiant a bien contacté tous les professeurs dont les intérêts de recherche peuvent se rapprocher des siens. Le dernier recours de l’étudiant (et vous pouvez le lui faire connaître), dans ce cas, sera d’aller rencontrer le directeur du programme pour lui signifier qu’il n’a trouvé personne pour l’encadrer. C’est au directeur du programme que reviendra la responsabilité d’établir la suite de la démarche pour l’étudiant11.

11

Dans mon cas, si le directeur tentait de me convaincre d’accepter l’étudiant parce qu’il ne reste plus aucune autre solution, j’évaluerais la possibilité de revenir sur ma décision, à la condition que ma décision première ne soit pas liée à des impressions d’incompatibilité. Autrement, je pourrais accepter de l’encadrer en déterminant un certain nombre de conditions à l’étudiant, en fonction des raisons que je lui aurai déjà données, au départ, pour l’avoir refusé.

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Encadrer aux cycles supérieurs

5 / Le contexte particulier de sélection des étudiants étrangers ou à distance Être sollicité pour encadrer un étudiant étranger a un certain nombre d’implications. La décision d’accepter ou de refuser un étudiant étranger devrait se prendre en suivant les mêmes démarches que ce qui a été évoqué précédemment. Il faut toutefois prévoir certaines vérifications supplémentaires quant aux conditions d’études, de résidence et de ­déplacements possibles pour ces étudiants. Le sens que je donne à la notion d’étudiant étranger correspond à tout étudiant dont le diplôme à la base duquel la demande d’admission a été faite (ou sera faite) n’est pas d’une université québécoise et qui doit quitter son milieu pour étudier. Un étudiant du Nouveau-­Brunswick ou de l’Ontario apparaît évidemment moins « étranger » qu’un étudiant qui arrive d’un autre continent. Cependant, il faut quand même connaître les raisons pour lesquelles la personne décide de partir de son milieu pour entreprendre des études de cycles supérieurs. La question se pose évidemment moins dans le cas du doctorat. Certains facteurs sont plus favorables, comme lorsqu’ils impliquent le désir de travailler sur un sujet dont les experts ne se trouvent pas dans son université d’origine ou dans sa région. Cependant, c’est une façon de voir quels sont les facteurs qui sont en jeu dans la motivation de l’étudiant à poursuivre ses études12. Étudier à l’étranger (particulièrement en Amérique du Nord), pour des étudiants sud-­américains et asiatiques, et en français pour des étudiants africains, offre des avantages importants. La démarche de sollicitation d’une direction de recherche implique cependant certaines contraintes dont il faut tenir compte dans votre processus d’acceptation ou de refus des candidats.

5.1 /

Avoir au moins une rencontre « en personne » Vous ne devez jamais accepter d’encadrer un étudiant par un simple échange de courriel, même si l’étudiant vous fournit toutes les informations qui vous apparaissent pertinentes pour l’accepter. Le contact et l’échange visuels sont nécessaires. La présence physique est plus

12

Certains étudiants m’ont déjà indiqué faire la démarche de déménagement en raison d’une peine d’amour et leur désir de « s’éloigner » de leur milieu, ce qui présente certaines limites quant à la pertinence du choix de l’établissement, sur le plan de l’intérêt de recherche, ou même de la décision d’entreprendre des études.

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

favorable, mais l’étudiant doit parfois composer avec la distance, les frais qu’imposerait un voyage ou encore un manque de disponibilité ou de temps que nécessiterait parfois un déplacement. Cette rencontre ou ce contact personnel sert à évaluer de quelle façon se font les échanges avec l’étudiant et les sentiments ou impressions que vous en retirez. Elle devrait évidemment être préparée de la même façon que celles que vous tenez pour rencontrer les étudiants d’ici et les pré­­ occupations et les vérifications devraient être les mêmes. Si la venue ou non d’une personne de l’étranger qui vous sollicite dépend de votre décision, la responsabilité de bien évaluer la candidature qui demande de travailler avec vous devient encore plus importante.

Lors d’une formation sur l’encadrement aux cycles supérieurs, j’évoquais justement l’importance d’avoir une rencontre « face à face » avec un étudiant étranger et de ne pas se limiter à recevoir par courriel les documents qu’on avait pu demander. Il fallait pouvoir discuter de vive voix du contenu de ces documents pour évaluer la capacité de l’étudiant à pouvoir discourir sur ce qu’il avait acheminé. Un professeur est alors venu me voir à la pause pour me signifier comment cette étape était importante, parce qu’il avait un collègue avec qui il collaborait qui avait ainsi accepté un étudiant de l’étranger à qui il avait justement demandé de présenter ses motivations par écrit et de fournir un travail, mais sans n’avoir jamais eu d’échanges verbaux réels autres que les échanges de courriels et de documents. Après quelques mois, il est devenu évident que ce que l’étudiant avait envoyé n’était pas de lui et que le niveau et les habiletés qu’il démontrait sur place étaient très loin de correspondre au niveau attendu pour son doctorat. Le diplôme de doctorat devenait impossible à envisager et même la réalisation d’un mémoire de maîtrise s’avérait irréaliste, compte tenu de son niveau et de sa capacité de pouvoir mener les travaux à terme.

Ces échanges pourront aussi vous permettre d’approfondir votre connaissance de l’étudiant, notamment sur ses expériences antérieures d’études à l’étranger. Des questions supplémentaires peuvent s’avérer pertinentes pour évaluer des conditions particulières qui peuvent ­présenter des difficultés ou des défis : • La compréhension de la langue, lorsque celle-­c i n’est pas celle de l’établissement ;

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Encadrer aux cycles supérieurs

• La capacité à assumer ses dépenses personnelles et de logement, au moment de son arrivée ; • Les possibles difficultés d’adaptation par rapport au f­ onctionnement universitaire québécois ; • Les possibles difficultés d’adaptation, selon ce que l’étudiant connaît des études à l’extérieur de son pays ou de ce qu’il quitte en venant étudier ici ; • Les différences concernant le rapport particulier avec les professeurs ; • L’existence ou non de contacts ou de connaissances sur place.

5.2 /

Établir les contacts visuels à partir du bureau Dans le cas d’une rencontre par Skype, FaceTime ou autre, cette « rencontre » devrait se faire à partir des coordonnées et des outils informatiques de votre établissement, et non à partir de votre adresse courriel personnelle, de vos coordonnées personnelles ou à partir de votre domicile. Cette précision tient compte du fait qu’il faut conserver une distance entre son rôle de directeur de recherche et sa vie personnelle, surtout lorsqu’on n’a même pas encore rencontré l’étudiant. En raison de toutes les possibilités « négatives » que permettent les nouveaux outils de communication, il faut demeurer vigilant dans les premiers contacts qu’on établit à distance avec des personnes étrangères. Les contacts que vous établissez avec les étudiants (étrangers ou non) doivent donc s’entamer dans le contexte de votre travail.

5.3 /

Planifier la rencontre durant les heures « normales » de travail Déterminez les moments de contact à des périodes où vous êtes habituellement susceptible de rencontrer un de vos étudiants, dans des conditions normales. Évitez notamment des rencontres de soir, si vous ne rencontrez jamais vos étudiants le soir, ou pendant la fin de semaine, si cela ne fait pas partie de vos habitudes. Lorsque l’étudiant habite dans un pays dont le fuseau horaire implique que le jour, pour lui, correspond à la période du soir, pour vous, vous pouvez évidemment essayer de trouver une période mitoyenne qui convienne à chacun. Mais un étudiant qui veut vraiment étudier sous votre direction trouvera le moyen d’entrer en contact avec vous et de se rendre disponible à des heures qui vous satisferont.

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

Pour son acceptation, la liste des tâches et des exigences qui vous semblent pertinentes pour progresser vers le diplôme visé doit être plus précise, exhaustive et mentionnée explicitement à l’étudiant, en raison des conséquences pour lui. Comme c’est le cas pour tous les étudiants que vous décidez d’accepter, si des lacunes sont décelées ou si des aspects doivent être améliorés ou corrigés, il faut aussi les lui préciser tout de suite, de même que les mesures ou les actions que vous jugez nécessaires. Enfin, en ce qui concerne la relation d’encadrement à distance, les réseaux et les moyens de communication à distance actuels rendent beaucoup plus faciles ces échanges. Le processus de sélection, lui, ne devrait pas changer et la rencontre « face à face », qu’elle soit à distance ou non, demeure nécessaire. Les mêmes critères que pour l’encadrement en personne devraient s’appliquer, et vous devriez évaluer l’étudiant à partir des mêmes démarches, du même matériel et du même questionnement. Pour le processus d’encadrement lui-­même, les règles, suggestions et étapes ne changent pas, que l’étudiant soit dans votre bureau ou à distance.

6 / La finalisation de l’« acceptation » Confirmer de part et d’autre qu’on accepte de travailler ensemble constitue la dernière étape de ce processus de sélection de l’étudiant. Je recommande dès lors de prendre en notes un certain nombre d’informations et de p ­ rocéder à des vérifications pour mettre en branle le processus d’encadrement.

6.1 /

Prendre en notes les coordonnées Ces informations peuvent vous être utiles si vous avez besoin de contacter l’étudiant autrement que par courriel. Personnellement, je remplis une fiche que je me suis créée qui contient ces informations ainsi que quelques renseignements supplémentaires (fiche 3 sur les renseignements personnels, à l’annexe 3.2, à la fin du chapitre) que je demande à l’étudiant. L’élément important à retenir est de noter les coordonnées vous permettant de rejoindre l’étudiant, notamment par téléphone. Par exemple, la remise d’un rendez-­vous à la dernière minute, à une heure d’avis, ne peut se faire par courriel parce qu’il est possible que l’étudiant ne le reçoive pas à temps.

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Encadrer aux cycles supérieurs

6.2 /

Faire le décompte « à rebours » des étapes Cette procédure permet de donner à l’étudiant un aperçu des étapes et du temps nécessaires pour parvenir à compléter sa démarche. Cela permet aussi d’avoir en tête certaines dates importantes, et de voir comment le travail doit progresser pour arriver à respecter ces échéances. Cela donne aussi un aperçu du déroulement futur des étapes et des périodes qui pourront nécessiter un travail particulier de sa part en fonction de la date anticipée du dépôt de son mémoire ou de sa thèse (dépôt final du mémoire ou de la thèse, rédaction des deux derniers chapitres, obtention et analyse des données, examen doctoral, dépôt du projet, etc.). Cette procédure aide l’étudiant à « visualiser » le processus. Il est aussi possible qu’il puisse apporter des ajustements en fonction de dates ou des périodes anticipées d’engagements personnels. Elle peut aussi vous permettre de vous rendre compte que certaines de ces périodes correspondent à des moments où vous serez moins disponibles. Dans l’évaluation des étapes « à rebours », il faut aussi tenir compte du temps approximatif de correction dont vous aurez besoin, pour les nombreuses productions et versions à remettre.

6.3 /

Présenter vos modalités d’encadrement et vos règles de fonctionnement Il est possible que vous ayez déjà fait part de ces règles à l’étudiant, lorsqu’il est venu vous solliciter, par exemple, vos préférences relatives au degré de liberté de l’étudiant pour le choix de sujet, certaines préférences méthodologiques ou d’analyse, etc. Ce sont des éléments auxquels vous aurez probablement réfléchi (section 1.2). Assurez-­vous de lui indiquer l’ensemble de vos règles de fonctionnement avec les dates de dépôt de ses productions, les prises de contact, les délais de correction et de production, le fonctionnement de vos rencontres, etc. Ce sont autant de directives et de modalités de fonctionnement qui s’avèrent précieuses pour que la relation s’établisse sur des règles claires et explicites et ne mène pas à des mésententes ou à des incompréhensions. Ces différentes règles et modalités font l’objet du prochain chapitre.

6.4 /

Vérifier si l’étudiant connaît les prochaines étapes ou son échéancier C’est une vérification qui vous sert à savoir si l’étudiant fait le suivi de son cheminement. Il ne vous appartient pas de le faire, mais vous avez plutôt à vous assurer qu’il s’en occupe (chapitre 5, section 4.2). Vous pouvez

88

Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

lui demander quels sont les cours auxquels il est inscrit, ceux qu’il a suivis, le nombre de cours qu’il lui reste, les prochaines dates d’inscription, la prochaine étape ou procédure à suivre, etc. S’il ne connaît pas certaines informations dans les étapes à venir, cela devrait faire partie de la prochaine tâche à faire pour vous en tenir informé.

6.5 /

Déterminer le moment de la prochaine rencontre et les tâches à faire Dès que vous acceptez d’encadrer l’étudiant, vous avez avantage à déjà déterminer la prochaine rencontre ainsi que la tâche à laquelle il devra s’appliquer et ce qu’il devrait préparer ou vous remettre. Ce sont des procédures qui sont notamment précisées dans le prochain chapitre (chapitre 4, section 2.1). L’étudiant doit se mettre le plus rapidement possible au travail et la façon de le faire consiste déjà à délimiter certaines actions précises et à procéder à un suivi un peu plus fréquent au début. Vous lui signifiez ainsi que vous mettez l’accent sur le travail à accomplir.

6.6 /

Demander d’enregistrer vos rencontres Je reviens sur ce point dans le chapitre 4 (section 5) parce que c’est un aspect fort important pour le suivi de vos rencontres. Je le mentionne tout de suite, cependant, parce que cela fait partie des consignes que vous devriez lui donner à la première rencontre.

6.7 /

Présenter les autres consignes ou directives non mentionnées S’il y a des procédures ou des façons d’agir dont vous n’avez pas parlé jusqu’à maintenant, c’est le moment de les spécifier. Dans mon cas, je fournis aussi à l’étudiant une description de mon approche pour l’accompagner dans ses différentes tâches (chapitre 5, section 3), le questionnement que j’utilise et l’explicitation des justifications et des procédures que j’adopte dans nos rencontres, et leur rôle par rapport au développement de sa propre réflexion. Je lui fournis aussi mon gabarit pour prendre des notes de lecture et je lui explique la façon de l’utiliser (chapitre 6, section 4). Je le fais dès cette première rencontre, parce que je planifie souvent déjà quelques lectures à faire dont il devra me rendre compte lors de notre prochaine rencontre. À la fin de ce processus de sélection de l’étudiant, vous devriez être en mesure d’espérer le meilleur pour la suite de la relation. Ça ne signifie pas que l’étudiant ne rencontrera pas de difficultés ou ne décidera pas

89

Encadrer aux cycles supérieurs

d’abandonner en cours de route, ou que des problèmes ne surgiront pas que vous n’aviez pas anticipés. Toutefois, ce ne sera pas parce que vous aurez passé cette étape de sélection de façon superficielle. Récemment, lors d’une formation sur l’encadrement, un professeur me faisait la remarque qu’une telle démarche devait bien me prendre deux heures, lors de la première rencontre ! C’est effectivement au moins le temps que je prévois. Les discussions que j’ai eues avec des directeurs au fil des années m’ont permis de réaliser que l’importance de cette première étape de sélection est souvent sous-­évaluée. Les nombreuses difficultés qui seront abordées dans les prochains chapitres sont souvent issues de l’absence d’une certaine forme d’évaluation de l’étudiant, de ses forces, de ses faiblesses et de l’origine et des motivations rattachées à ses choix. Ensuite, la présentation de mes propres exigences à l’étudiant lui permet aussi de connaître, dès le début, quelles sont mes attentes et mes exigences à son égard et la façon dont on fonctionnera. La suite de la démarche est alors structurée de façon claire et il y a très peu de rappels à l’ordre qui doivent être effectués.

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

Annexe 3.1 /  Liste des questions de la première rencontre a)

Pourquoi vous orienter sur ce sujet ou vers ce domaine de recherche ? D’où l’intérêt vous vient-­il ?

b)

Pourquoi me choisir par rapport à d’autres directeurs ?

c)

Votre histoire scolaire personnelle et professionnelle (vos choix d’orientation, pourquoi le domaine ou le changement de domaine, etc.).

d)

Ce qui vous a amené à choisir votre domaine d’études antérieur.

e)

Ce qui vous amène à faire une maîtrise ou un doctorat à ce moment-­ci.

f)

Ce qui vous amène à choisir l’établissement (plutôt qu’un autre, par exemple, où existerait le même programme).

g)

Qu’est-­ce que vous avez « retenu » de votre formation (non pas dans le sens de mémoriser, mais ce qui a été significatif ou ce que vous avez eu l’impression d’apprendre de nouveau, qui a eu une ­incidence dans votre emploi ou pour la suite) ? ›› Aborder les impressions, les questions de précision, les commentaires à propos de ce que l’étudiant a remis comme production personnelle, si pertinent.

h)

Quelles sont vos expériences liées à l’écriture (articles, productions, textes de réflexion, etc.), que ce soit dans le cadre de votre travail ou dans d’autres contextes ?

i)

Quelles sont les tâches ou les activités que vous préférez dans les études et celles que vous aimez moins ?

j)

Est-­c e que vous avez certaines appréhensions par rapport à la démarche ?

k)

Quelle est la date de diplomation envisagée (date de fin) ? ›› Au besoin, forcer l’étudiant à en fixer une et demander d’expliquer pourquoi celle-­là.

l)

Quelles sont vos obligations actuelles et combien de temps évaluez-­ vous pouvoir mettre par semaine sur vos activités scolaires en général (scolarité) et sur le projet en particulier ?

91

Encadrer aux cycles supérieurs

m)

Quelles sont les étapes connues concernant votre cheminement (temps plein ou partiel) ? ›› ›› ›› ››

n)

Date limite de dépôt du nom du directeur de recherche ? Date limite de dépôt du projet de recherche ? Date limite pour le dépôt du mémoire ou de la thèse ? Date limite pour l’examen doctoral (pour le doctorat) ?

Avez-­vous des attentes ou des questions générales sur le processus ?

92

Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

Annexe 3.2 / Feuille de renseignements personnels Fiche 3 /  Feuille de renseignements personnels Informations générales Nom

Prénom

Adresse

N° d’appartement

Ville

Téléphone

Province

Code postal

Adresse électronique

Langue maternelle

 Français

 Autre :

Maîtrise du français

 Lu  (   %)

  Écrit  (   %)

 Parlé (   %)

  Écrit  (   %)

 Parlé (   %)

Maîtrise de l’anglais

 Lu  (   %)

Date estimée du dépôt du mémoire/de la thèse

Formation Université 1

Fréquentation

De

Diplôme obtenu

à

Université 2

Fréquentation

De

Diplôme obtenu

à

Collégial

Fréquentation

De

Diplôme obtenu

à

Autre

Fréquentation

De

Diplôme obtenu

à

(suite) 93

Encadrer aux cycles supérieurs

Fiche 3 /  Feuille de renseignements personnels (suite) Expériences diverses Préciser

 Recherche :   Entrée de données :   Rédaction d’articles ou d’autres documents :   Analyse de résultats :

Expériences de travail Emploi actuel 1

Endroit

Nbre heures/semaine

Tâches

Emploi actuel 2

Endroit

Nbre heures/semaine

Tâches

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

Explications Outre les informations personnelles, les indications relatives à la langue me permettent de jauger la perception que l’étudiant a lui-­même de ses compétences en anglais à partir des notes qu’il se donnerait pour chacune des activités liées à l’usage de l’anglais. Selon la langue maternelle de l’étudiant, je procéderais aussi à cette évaluation pour le français. Bien que j’aie pu demander des précisions concernant le cheminement scolaire, ces informations sont un aide-­mémoire du cheminement antérieur de l’étudiant que je note lorsqu’on établit qu’on va travailler ensemble. Il m’est arrivé à une reprise de retourner voir les études antérieures lorsque je me questionnais sur les années associées au cheminement antérieur d’un étudiant, en raison des doutes que j’avais sur le maintien de son engagement dans ses tâches. Cela représente parfois une façon d’évaluer si les années de formation antérieure présentent une durée plus longue que le temps habituellement requis, selon le rythme des études, parce qu’après quelques mois, on n’en a pas nécessairement le souvenir. Ça permet aussi de se rappeler le nombre d’années pendant lesquelles l’étudiant a été absent des études, pouvant expliquer certaines difficultés à faire certaines tâches. Pour les expériences diverses, on peut alors voir quelles sont ces expériences qu’on peut éventuellement mettre à profit par rapport aux tâches qu’il aura à accomplir. Ça ne signifie pas qu’il sera autonome, mais on peut discuter avec lui de ces expériences passées et voir comment elles peuvent aider à accélérer le travail. Enfin, j’inscris les différentes activités professionnelles autres dans lesquelles l’étudiant est engagé. Ce sont des informations qui peuvent servir aussi à évaluer le degré d’engagement « possible » de l’étudiant en fonction de ces activités. Lorsque je demande ces informations à l’étudiant, c’est aussi une façon d’avoir l’information de manière explicite plutôt que d’avoir une vague idée de ses activités extérieures. Ces informations ne représentent pas un enjeu, puisque je l’aurai déjà accepté au moment de remplir la fiche. Cependant, c’est encore une fois un aide-­mémoire pour la suite du processus. Selon les circonstances, je pourrais ainsi aller vérifier les engagements externes de l’étudiant si j’ai l’impression que ses productions semblent s’espacer parce qu’il aurait d’autres activités extérieures. Si la situation se répète, j’en discuterais évidemment avec lui, mais j’aurais vérifié sa situation d’abord, pour valider si ces informations d’origine sont encore valables et quelles peuvent être les implications sur le plan de son cheminement et des échéanciers qu’il aurait pu se donner.

95

Encadrer aux cycles supérieurs

Annexe 3.3 / Illustration du processus décisionnel Je décris ici les éléments principaux qui me viennent en tête lorsque je rencontre un étudiant et que je détermine si je l’accepte ou non. Une proportion importante de mes critères est basée sur des caractéristiques personnelles et sur la façon dont l’étudiant s’exprime, la clarté et la pertinence de ses idées, le réalisme des raisons et des arguments pour justifier sa démarche et la façon dont il entre en relation. Ce ne sont pas des critères « incontournables » puisque ce sont les miens, basés sur ma personnalité et mon expérience. Je les illustre dans ce processus décisionnel parce que dans le cadre des rencontres avec des professeurs, certains me demandaient comment j’établissais ma « priorité » pour décider ou non d’accepter un étudiant, à la suite d’expériences plutôt négatives avec des étudiants qu’ils avaient acceptés. Comme je le mentionne à l’occasion dans le chapitre, ce processus ne garantit pas l’élimination des situations problématiques. Sur le plan des relations de couple, certaines personnes vivent intimement pendant trois ans avant de se rendre compte qu’elles ne peuvent plus poursuivre ensemble. Il serait peu probable qu’une seule rencontre entre un directeur et un étudiant, même si elle dure deux heures, permette d’évaluer toutes les situations qui pourraient causer éventuellement des difficultés. Les réflexions que je porte visent à déterminer les aspects avec lesquels j’aurais le plus de difficultés à travailler ou qui me font suspecter une approche de travail de l’étudiant qui me rend incertain face à son engagement. Évidemment, si le sujet ne m’intéresse pas ou est relativement loin de mes objets de recherche, je n’accepterai pas d’encadrer l’étudiant. Cependant, même si le sujet s’éloigne un peu de mes champs d’intérêt pour une maîtrise, je vais être influencé positivement par le degré de « maturité » ou de réalisme du processus de décision, la cohérence entre les visées ou les buts pour faire le programme et le lien entre l’origine de la démarche, l’intérêt par rapport au thème ou au sujet de recherche et les raisons pour lesquelles ce projet est envisagé. Si l’origine ou l’intérêt du sujet de l’étudiant est ancré dans une expérience personnelle qui soulève chez lui des questions, c’est un point en sa faveur. Lors des discussions avec l’étudiant, quand je perçois une approche volontaire et décidée pour sa démarche, même si le sujet s’éloigne un peu de ce sur quoi je travaille, cela jouera en sa faveur.

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Chapitre 3 / La sélection d’un étudiant

Si le dossier de l’étudiant démontre une démarche d’études antérieures relativement stable et que l’ensemble de ses engagements antérieurs ou actuels suggère un degré d’implication important dans ce qu’il entreprend, je vais habituellement accepter assez facilement de l’encadrer. Évidemment, si l’étudiant présente un dossier scolaire de performance et des résultats scolaires supérieurs, je serai enclin à l’accepter si son sujet entre dans mes champs d’intérêt, mais je ne baserai pas ma décision sur ces données. Par contre, si un étudiant démontre peu d’enthousiasme ou semble proposer un sujet parce qu’il lui faut un sujet, même s’il me dit être intéressé par mes objets de recherche, je vais être réticent à l’accepter ­automatiquement (chapitre 7, section 1.2). Si le choix d’entreprendre le programme n’est pas lié à l’intérêt de l’étudiant de développer ou d’approfondir son sujet, qu’il évoque notamment des raisons exogènes pour entreprendre le programme, mais que celles-­ci sont présentées comme des « possibilités » plutôt que comme un but véritable et concret, cela représente un point négatif. Si j’ai la perception que son degré d’engagement est plus ou moins élevé par rapport à son sujet et que ce dernier n’entre pas clairement dans mes travaux, il faudra que la dynamique de la relation m’apparaisse très prometteuse pour que ­j’accepte l’étudiant. Dès que j’ai l’impression que l’étudiant n’a pas un degré suffisant d’intérêt pour son sujet ou sa démarche, il y a de fortes chances que je décide de ne pas trop approfondir les autres points, parce que j’aurai déjà pris la décision de ne pas l’accepter. Personnellement, j’accorde peu d’importance à « l’autonomie » perçue de l’étudiant sur le plan de la recherche et des différentes tâches qu’il aura à accomplir. Je préfère un étudiant qui sait qu’il n’a pas ce qu’il faut ou qui sait exprimer des doutes sur ces capacités, à un étudiant qui croit avoir ce qu’il faut et qui démontre une attitude de vouloir tout faire seul, parce qu’il « sait comment faire ». Je ne me préoccupe pas non plus énormément des lacunes méthodologiques ou d’une préparation à la recherche qui pourrait être un peu déficiente. Les cours du programme et la possibilité de le référer à des ressources ou à des activités pour qu’il acquière ce qui lui manque font en sorte que ce sont des aspects qui n’ont pas beaucoup d’importance pour moi.

97

Encadrer aux cycles supérieurs

En fait, au cours d’une partie de ma carrière, j’ai rencontré et aidé une multitude d’étudiants ayant des problèmes de rendement et de performance scolaire. Il se peut que mes critères pour accepter des étudiants soient beaucoup plus « permissifs » sur le plan scolaire que ce que d’autres choisiraient.

98

Chapitre 4 /

Les modalités de rencontre et de suivi

L’encadrement et l’accompagnement des étudiants nécessitent évidemment un certain nombre d’activités, de rétroactions et de rencontres qui se déroulent au fil du cheminement. Il n’existe pas, a priori, une séquence de rencontres ou des modalités précises qui sont reconnues pour assurer un encadrement optimal efficace. La raison est simple, l’encadrement dépend de l’étudiant, de ses besoins, de son autonomie, de ses expériences antérieures, des situations rencontrées dans sa démarche, de son sujet de recherche, du contexte d’expérimentation ou de collecte de ses données et de plusieurs autres facteurs ou évènements qui peuvent demander ou non une intervention du d ­ irecteur de recherche. Dans ce chapitre, je propose huit thématiques qui devraient faire l’objet d’une indication claire des modalités de rencontre et de suivi, ­accompagnées de certaines suggestions. Elles concernent : • • • • • •

la prise de rendez-­vous ; la détermination du sujet des rencontres ; les délais de réponse aux demandes ; le déroulement des échanges dans les rencontres ; les conditions aux échanges et au suivi ; la remise d’autres productions que celles associées à la recherche ; • les délais de correction et de retour du directeur ; • la gestion des absences. Mais avant tout, il m’apparaît utile de décrire le rationnel qui sous-­tend les thématiques et les orientations proposées.

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1 / Le rationnel de l’approche proposée pour les modalités de rencontre Royer (1998) proposait une répartition de l’intensité de l’encadrement en fonction de deux moments particuliers du processus, soit une intensité plus grande de l’encadrement nécessaire tout au début de la démarche, avec une baisse du besoin au moment de la collecte des données et de la réalisation de la recherche, et une deuxième hausse de l’intensité de l’encadrement au moment de la production des textes pour la réalisation de la thèse. Cette proposition du rythme des rencontres se comprend bien parce qu’elle décrit des moments plus importants, ou charnières, où l’étudiant a un besoin potentiellement plus grand d’encadrement et de suivi, et où les interventions du directeur peuvent l’aider à cheminer. Cependant, ces étapes ne sont pas précises dans le temps et ne tiennent pas compte des situations individuelles qui peuvent se produire. Le modèle demeure descriptif en fonction d’une vision de l’encadrement plutôt que ­prescriptif en fonction du besoin des étudiants. Les modalités de rencontre et de suivi ne se limitent pas à la fréquence des rencontres. Elles devraient aussi inclure l’ensemble des règles de fonctionnement et les modalités par lesquelles se régulera la relation entre l’étudiant et le directeur, pour tout ce qui a trait au processus de réalisation de la démarche. Ces règles devraient concerner les modalités relatives aux productions, aux remises, à la correction et à la gestion de la réalisation des étapes et de la progression de son travail jusqu’à la finalisation du mémoire ou de la thèse. Ces modalités de rencontre et de suivi doivent aussi aborder les situations ou les facteurs qui peuvent amener le ­directeur à remettre en question la relation d’encadrement avec l’étudiant. Les professeurs tiennent souvent pour acquis que les étudiants sont autonomes, organisés, qu’ils savent en quoi consiste l’encadrement qu’ils recevront et qu’ils sauront agir conformément aux attentes du directeur. Le plus souvent, les attentes du directeur demeurent implicites parce qu’il ne les formule pas clairement et qu’il n’y a finalement pas vraiment d’« entente » sur la façon dont la relation d’encadrement se déroulera dans le temps et selon les tâches à produire. Même les étudiants de doctorat qui ont une expérience antérieure du processus d’encadrement partent avec certains a priori selon lesquels les relations suivront les mêmes règles de fonctionnement qu’ils avaient connues à la maîtrise. Pourtant, un directeur de recherche différent aura probablement un fonctionnement différent.

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Chapitre 4 / Les modalités de rencontre et de suivi

Ce devrait être le directeur de recherche qui exprime à l’étudiant ses attentes et le mode d’encadrement qu’il est prêt à offrir plutôt que de demander à l’étudiant comment il voudrait être encadré. Cette suggestion est basée sur trois raisons. La première est que le directeur de recherche doit composer avec ses propres exigences et obligations et que l’encadrement représente seulement une portion de sa tâche. La seconde raison est que le directeur accompagne l’étudiant dans un processus et un sujet dont il est le spécialiste. Il est celui qui peut anticiper les moments où l’étudiant peut avoir besoin d’aide et, en ce sens, il peut être plus en mesure de prévoir les étapes qui requièrent plus ou moins de suivi. La troisième raison réside dans le fait que l’étudiant peut avoir des attentes qui proviennent de la conception qu’il a du rôle d’un directeur de recherche qui ne corresponde pas à la réalité de ce rôle, ou à la réalité de ce rôle pour le professeur qu’il aborde. Il ne sert donc à rien de demander aux étudiants quelles sont leurs préférences ou leurs attentes avant de décrire vos propres préférences en matière d’encadrement. Je reviens sur ce sujet dans le chapitre 5 (section 1.1), à propos justement de la perception des rôles de chacun. Il faut donc que le professeur définisse, pour lui-­même dans un premier temps, ses préférences dans la façon de suivre les étudiants et qu’il leur décrive de façon explicite les conditions et les modalités de suivi qu’il entrevoit utiliser avec eux. Il doit aussi annoncer les contraintes de temps ou de disponibilités auxquelles ses étudiants doivent s’attendre, en raison de ses propres obligations. Ainsi, un professeur qui indique que c’est à l’étudiant de déterminer lui-­même son projet ou son sujet de recherche, qu’il apportera son aide seulement sur le plan de la correction de ses productions, qu’il prend en général deux semaines pour remettre ses corrections, qu’il est très souvent parti en voyage, qu’il est ainsi peu accessible et que l’étudiant ne peut s’attendre à avoir des rencontres de plus de 90 minutes, informe clairement l’étudiant de son mode de fonctionnement. Cet étudiant devra planifier son travail et son cheminement en tenant compte de ces règles. Peut-­être que certains jugeront que ce professeur ne joue pas le rôle qu’il devrait jouer, mais la qualité de cette transparence est que l’étudiant n’aura pas de mauvaises surprises s’il poursuit avec ce professeur. À l’opposé, j’ai souvent rencontré des professeurs dont les façons d’encadrer devenaient problématiques pour eux-­mêmes parce qu’ils se montraient tellement disponibles et sans contraintes qu’ils étaient rapidement submergés par les demandes de leurs étudiants. L’objectif est évidemment d’offrir à l’étudiant les meilleures conditions de suivi et d’encadrement, mais il faut aussi tenir compte de ses propres occupations. C’est la raison pour laquelle

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Encadrer aux cycles supérieurs

j’aborde, dans les prochaines sections, différentes modalités de fonctionnement, en spécifiant celles qui présentent des conditions de rencontre et de suivi le plus favorable possible, pour l’étudiant et le directeur. Je précise aussi dans les prochaines sections les modalités qui peuvent créer des problèmes et celles qui sont à éviter. Je propose d’ailleurs un certain nombre de « règles » à suivre pour demeurer le plus disponible possible pour les étudiants qu’on encadre, tout en respectant ses propres besoins pour répondre aux autres exigences de sa tâche de professeur. Ces règles servent à définir des modes de fonctionnement et des conditions pour diriger l’étudiant dans sa démarche, tout en vous accordant le temps et l’espace pour accomplir vos propres tâches. Ces suggestions tiennent compte de l’importance de répondre aux étudiants en fonction de leur besoin, sans vous soumettre à leurs exigences et à leurs désirs. Dans le même sens, vous devriez exiger de vos étudiants les mêmes règles que celles que vous appliquez pour faciliter leur encadrement. Les délais de réponse, l’indication des dates de remise ou les délais à respecter devraient aussi s’appliquer à la façon dont vos étudiants s’engagent dans leur démarche avec vous.

2 / La prise de rendez-­vous J’ai indiqué, dans le premier chapitre, un certain nombre de contextes propres aux études de cycles supérieurs qui étaient susceptibles de créer des difficultés aux étudiants (chapitre 1, section 2). C’est la raison pour laquelle je recommande d’appliquer la première règle générale de fonctionnement de manière systématique, tout au long du processus d’encadrement. Règle générale no 1 Toujours déterminer, à la fin de chaque rencontre avec l’étudiant, la date et l’heure de la prochaine rencontre, la ou les tâches à accomplir, et les productions à remettre en prévision de cette rencontre.

Cette règle facilite énormément la gestion des rencontres avec les étudiants. Elle permet de discuter et d’anticiper les besoins et les disponibilités des étudiants, de tenir compte de leur cheminement, de ce qu’ils doivent produire ou rechercher, mais également de vos propres tâches,

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Chapitre 4 / Les modalités de rencontre et de suivi

responsabilités et disponibilités pour la période anticipée. L’application de cette règle permet de résoudre de nombreux problèmes : difficulté à déterminer un moment de rencontre lorsque aucune rencontre future n’était prévue ; difficulté à distinguer des retards dans l’exécution de tâches lorsque des délais ne sont pas clairement définis ; réception de demandes de rencontres ou de correction à de « mauvais » moments pour le ­directeur, etc. Cette règle présente aussi d’autres nombreux avantages : pouvoir tenir compte à l’avance des autres tâches ou obligations personnelles dans la fixation des dates de remise et de rencontres ; détermination de tâches ou de productions plus précises en fonction des délais pour les exécuter ; échéanciers clairement établis pour l’étudiant ; connaissance des délais de production en fonction des tâches, pour l’étudiant ; assurance d’une rencontre à un moment défini à l’avance pour l’étudiant et le directeur ; planification plus facile, pour le directeur, pour un temps de correction des productions de l’étudiant, puisque la tâche et sa remise devraient être définies justement pour laisser au directeur le temps de corriger en fonction de ses disponibilités.

2.1 /

Les choses à éviter La gestion des rendez-­vous et des rencontres avec les étudiants est un aspect problématique pour plusieurs professeurs, mais c’est également la source d’une grande insatisfaction de la part des étudiants : « Le directeur n’est jamais disponible lorsque je veux le rencontrer » ; « J’ai toujours l’impression de le déranger quand je lui demande un rendez-­vous » ; « Je dois attendre souvent plusieurs jours pour qu’il réponde à ma demande de rencontre », « Il m’a dit que sa porte était toujours ouverte pour moi, mais il n’est jamais à son bureau… », etc. Accepter d’encadrer un étudiant implique évidemment de se rendre disponible pour pouvoir le rencontrer. Ça ne veut cependant pas dire que vous devez être toujours disponible pour eux, au moment précis où ils en font la demande. C’est pourquoi les modalités qui sont « à éviter » évoquent cette idée de la « porte ouverte ». • « L’étudiant peut venir me rencontrer quand il en a besoin. » • « Ma porte est toujours “ouverte” pour les étudiants que je supervise. » • « Je suis “toujours” disponible sur-le-champ pour rencontrer un étudiant, que ce soit à mon bureau ou dans le corridor et qu’il veut me poser une question. » • « Je laisse l’étudiant déterminer la fréquence ou le moment des rencontres en fonction de ses besoins. »

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Encadrer aux cycles supérieurs

Être disponible à tout moment donne parfois l’impression de leur offrir une grande accessibilité, mais la contrepartie est que vous risquez justement d’être dérangé n’importe quand, et vos propres tâches et obligations peuvent en être affectées. Vouloir répondre sur-­le-­champ à une demande d’un de vos étudiants qui frappe à votre porte n’est pas efficace. À l’opposé, des étudiants m’ont souvent mentionné avoir de la difficulté à rencontrer leurs directeurs alors que ceux-­ci avaient pourtant signifié qu’ils pouvaient les rencontrer dès qu’ils en sentaient le besoin. Ils étaient malheureusement confrontés à une porte close ou à des délais importants parce que leur directeur était en voyage ou encore parce qu’il n’avait pas de périodes de disponibilité dans les jours suivants. Indiquer à l’étudiant que votre porte est toujours ouverte pour le recevoir n’est finalement pas recommandable. À moins que vous puissiez limiter votre réponse par oui ou non, sans autres explications, il est préférable de reporter l’échange à un moment précis sur lequel vous vous entendez. Invitez-­le à vous contacter pour réserver une période ou, si vous le pouvez, fixez tout de suite le moment de la rencontre.

Au début de ma carrière, j’encadrais mon premier étudiant qui était à temps partiel et qui venait me rencontrer dans la période qui précédait son cours, parce qu’il lui était difficile de pouvoir se déplacer à d’autres moments (comme la plupart des étudiants que j’encadre). Nous étions au début de sa démarche. Nous n’avions pas de rencontre prévue cette journée-­là, mais il profitait habituellement de cette période pour aller à la bibliothèque pour compléter les recherches ou les lectures pour son cours. En revenant d’une réunion, je l’ai rencontré par hasard dans un corridor et il m’a questionné par rapport à une orientation de recherche qui lui était venue à la suite de lectures qu’il venait de faire. Je devais me rendre à une autre réunion et je n’avais pas vraiment de temps à lui accorder, mais j’ai quand même écouté sa question pour essayer de lui répondre rapidement, parce que je ne voulais pas paraître « indifférent » à ses préoccupations. À l’orientation qu’il m’avait présentée de façon très succincte, je lui avais signifié que ça pouvait être effectivement une piste à explorer (c’est le souvenir que j’ai de ma réponse), sans apporter d’autres nuances ou sans lui demander de m’expliquer plus en profondeur le sens de sa réflexion.

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Chapitre 4 / Les modalités de rencontre et de suivi

Malheureusement, l’étudiant avait interprété de ma réponse que c’était ce qu’il pouvait choisir et il s’est lancé dans des recherches documentaires orientées précisément sur cet aspect de son sujet. Notre rencontre suivante était prévue deux semaines plus tard. Quand l’étudiant m’a envoyé le fruit de ses réflexions et de ses lectures pour préparer notre rencontre du lendemain, j’ai eu du mal à comprendre le lien entre ce qu’il m’envoyait et ce sur quoi l’on s’était entendu lors de la dernière rencontre. Ce qu’il envisageait m’apparaissait impossible à réaliser dans le cadre de sa maîtrise. J’avais complètement oublié notre rencontre dans le corridor et la question à laquelle j’avais répondu. Ma réponse, donnée sur le vif et sans l’amener à préciser sa pensée, l’avait amené à approfondir des lectures qui ne s’avéraient pas pertinentes pour la suite de son travail.

C’est pourquoi je recommande de reporter les réponses aux questions d’étudiants que vous encadrez posées dans le corridor, au hasard d’une rencontre, ou au coin de votre porte alors que vous sortez pour un rendez-­ vous. Il est évidemment préférable de l’annoncer à vos étudiants pour éviter qu’ils n’interprètent mal le renvoi à une rencontre ultérieure. Malgré ce que certains peuvent penser, il n’y a à peu près aucune situation, aussi exceptionnelle soit-­elle, qui exige de la part d’un directeur de recherche qu’il soit disponible sur-­le-­champ pour répondre aux questions1. Vous pouvez fixer la rencontre dans une heure, le lendemain, ou simplement inviter votre étudiant à vous acheminer ses questions par courriel, dans un premier temps. Ces situations de questions impromptues qui ne peuvent être réglées sur-­le-­champ doivent cependant l’être dans le délai le plus court possible. Dans les situations où l’étudiant vous a demandé une information ou une question et que vous n’avez pas été en mesure de lui donner l’information sur-­le-­champ, donnez la responsabilité à l’étudiant de vous recontacter par courriel, afin de fixer le moment d’une rencontre ou encore de vous rappeler l’information demandée. En fait, donnez-­lui la responsabilité (et la permission) de vous relancer.

1

Je fais ici une exception pour les situations d’expérimentation ou de recherche qui se passent dans les laboratoires et où l’intervention immédiate du directeur peut s’avérer nécessaire. Une telle situation est toutefois habituellement prévue et le directeur saura, à ce moment-­là, qu’il doit se tenir disponible (chapitre 10, section 2.2.4).

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Encadrer aux cycles supérieurs

Certains de mes étudiants m’ont raconté que des collègues les jalousaient parfois de l’encadrement que je leur offrais et de la grande disponibilité dont je faisais preuve à leur égard. Pourtant, je ne leur réponds jamais sur le moment, s’ils me rencontrent ou s’ils se présentent à mon bureau, à moins que je puisse leur accorder toute l’attention nécessaire2. Cette appréciation de ma disponibilité n’est pas bâtie sur le fait que ma porte est toujours ouverte, au contraire. Elle est probablement plutôt construite sur ma rapidité à répondre aux demandes formulées par courriel ou autrement et à fixer des rencontres dans des délais les plus courts possible, avec une récurrence des rencontres toujours planifiée.

2.2 /

Les approches recommandées

Je détermine la prochaine rencontre avec l’étudiant en fonction de ce qu’il a à faire et de mes propres disponibilités.

La règle générale no 1 établit que la prochaine rencontre doit être déterminée en fonction de la tâche à accomplir et des disponibilités de chacun. En ce sens, chaque date de rencontre devrait être définie à la suite d’un échange et d’une entente réciproque, avec l’étudiant, sur sa capacité anticipée à pouvoir produire ce qui est demandé, et en tenant compte des échéanciers qu’il doit respecter, du rythme d’avancement de son travail pour respecter les délais, de vos propres disponibilités dans la fixation de la période concernée et du temps dont vous aurez besoin pour corriger ou prendre connaissance de sa production, selon vos autres activités et tâches respectives.

Je me réserve certaines périodes précises pour mes rencontres avec les étudiants.

Pour faciliter la détermination de périodes de rencontre, il est avantageux de vous accorder des moments précis destinés à rencontrer les étudiants que vous encadrez, ainsi que des périodes éventuelles de correction des productions qu’ils vous soumettent. Si vous réservez

2

Cela fait partie des règles de fonctionnement que je leur précise au moment où je m’engage à les encadrer (chapitre 3, section 6.3).

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Chapitre 4 / Les modalités de rencontre et de suivi

certaines périodes définies pour ces rencontres, faites-­les connaître tout de suite à vos étudiants lorsque vous les acceptez et vérifiez si ces périodes leur conviennent en fonction de leur horaire. Il est possible que des ajustements soient nécessaires, mais il faut que vous teniez compte aussi de vos propres obligations et ne pas défaire votre planification pour insérer une rencontre ponctuelle avec un étudiant.

L’étudiant doit prendre rendez-­vous pour me rencontrer.

En dehors de ces périodes définies à l’avance, d’une rencontre à l’autre, les demandes ponctuelles devraient se faire par courriel pour que l’étudiant vous spécifie les raisons de cette rencontre non planifiée. Vous serez plus en mesure de déterminer si la rencontre est vraiment nécessaire, si vous pouvez répondre par courriel à la question, ou encore vous entendre pour discuter du sujet par téléphone, en déterminant le moment précis du rendez-­vous téléphonique. Ce sera d’ailleurs la même procédure si la rencontre devait se faire par des moyens de communication en ligne (FaceTime, Skype, etc.).

Je détermine une durée pour notre rencontre.

Il convient de fixer une période définie pour la durée de vos rencontres avec vos étudiants. Il n’y a évidemment pas de durée idéale, puisque cela dépend de la fréquence de vos rencontres ou des tâches sur lesquelles vous revenez ou dont vous discutez. Délimiter une durée permet de concentrer le travail pendant le temps prévu et vous assure ainsi de ramener votre étudiant à la tâche, s’il a tendance à se disperser. Si les objets de discussion n’ont pas tous été abordés, vous planifiez alors une autre rencontre pour compléter les échanges. Pour rentabiliser l’efficacité des rencontres, commencez par ce qui est le plus urgent et laissez les autres aspects pour une future rencontre, si elle s’avère nécessaire. Cette suggestion sera particulièrement utile avec les étudiants qui ont tendance à s’étendre dans les discussions et qu’on a parfois de la peine à ramener sur le sujet. Demandez à l’étudiant de déterminer quelles sont ses priorités en fonction du temps imparti. Je reviens d’ailleurs sur le sujet de la durée des rencontres dans le chapitre 14 (sections 2 et 3) parce qu’elles sont parfois la cause d’insatisfactions.

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Encadrer aux cycles supérieurs

3 / Le sujet des rencontres De façon complémentaire à ce qui est proposé précédemment, le sujet des rencontres ou les raisons pour vous rencontrer devraient toujours avoir été déterminés avant la rencontre. C’est un principe d’efficacité et de productivité. Si vous ne savez pas pourquoi vous rencontrez votre étudiant, il y a des risques que la rencontre ne serve à rien ou que vous ne soyez pas en mesure de répondre à ses questions ou de lui faire des propositions sur des situations auxquelles vous n’avez pas eu le temps de réfléchir.

Le sujet de la prochaine rencontre est choisi à l’avance, lors de la rencontre précédente, avec la détermination des documents pertinents à remettre. ou L’étudiant m’envoie un « ordre du jour » ou les questions qu’il peut avoir et dont il veut traiter lors de cette rencontre ou de toute rencontre supplémentaire.

La règle générale no 1 implique évidemment que vous sachiez très bien sur quoi portera votre prochaine rencontre et ce que l’étudiant doit vous remettre. À ces sujets, les questions ou les aspects que votre étudiant veut aborder doivent aussi être ajoutés. Si, entre-temps, il vous a fait part de questions ou qu’il veut discuter d’un sujet avec vous, il faut alors le mettre à l’agenda de la rencontre pour en parler. Je décris, au chapitre 11, qu’on devrait aborder le suivi des corrections en premier (section 6.2). Cette séquence peut être revue avec l’étudiant, pour évaluer les priorités par rapport à ces sujets, dans le temps qui a été établi et selon l’ordre des sujets prévus.

4 / Les délais de réponse des demandes et des courriels Peu importe le contexte ou la situation, qu’il s’agisse d’une nouvelle demande ou encore d’un suivi qui implique déjà quelques échanges, il est avantageux de fournir une première réponse rapidement pour que l’étudiant sache que vous avez bien reçu sa demande.

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Chapitre 4 / Les modalités de rencontre et de suivi

Règle générale no 2 Il est préférable de répondre aux courriels de vos étudiants dans un délai maximum de 24 heures, même si ce n’est que pour confirmer la réception et l’analyse de sa demande.

C’est une règle qui m’apparaît importante pour assurer un suivi rigoureux des étudiants, tout en vous laissant une certaine marge de manœuvre lorsque vous manquez de temps pour une réponse complète. L’application de cette règle diminuerait probablement le taux d’insatisfaction des étudiants à l’égard des réponses de la part de leur directeur. Ainsi, si vous avez besoin de plus de temps pour répondre, ou que vous savez que vous ne pourrez formuler une réponse complète dans un court laps de temps, prenez la peine d’indiquer à l’étudiant que vous avez reçu sa question et indiquez-­lui le moment où vous lui répondrez de façon plus explicite (ou de prendre rendez-­vous, si vous jugez qu’une rencontre s’avère nécessaire). Précisez-­lui un moment précis où vous devriez lui avoir répondu, plutôt que de lui fournir une indication trop vague. L’étudiant a besoin de savoir que vous avez reçu son courriel et que vous vous en occupez. Par exemple, vous pouvez indiquer que vous répondrez avant vendredi midi, le dimanche soir au plus tard, dans la matinée de tel jour, etc. Pour éviter de ne pas lui envoyer votre réponse parce que son courriel a été enseveli sous les dizaines d’autres que vous avez reçus, donnez-­lui la responsabilité de vous relancer s’il n’a pas reçu de nouvelles de vous après le délai mentionné. C’est une précaution à prendre qui permet de rendre l’étudiant plus à l’aise de vous recontacter, si vous oubliez, et d’éviter qu’il ait l’impression que vous ne vous occupez pas de lui. Vous redonnez aussi la responsabilité à l’étudiant de faire le suivi de sa démarche et de ce dont il peut avoir besoin, alors que vous avez, de votre côté, plusieurs étudiants différents et de multiples demandes à gérer. L’étudiant se sent alors justifié de vous recontacter.

5 / L’expression des désaccords Le déroulement des rencontres constitue un moment clé dans l’accompagnement de vos étudiants. Dans ce contexte, l’étudiant se sent très rarement en confiance et à l’aise. Vous représentez, pour lui, la personne en

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autorité et il vous perçoit comme celui qui a le droit de « vie ou de mort » sur sa démarche. Ce sentiment et cette perception teintent évidemment grandement leur capacité de pouvoir discuter réellement ­librement de leurs avis, de leurs idées et de leurs opinions à propos de ce que vous leur proposez. Au fil des ateliers offerts aux étudiants, lorsque j’abordais l’importance de faire connaître à son directeur les sujets de mésentente ou encore d’incompréhension, la plupart d’entre eux exprimaient un certain nombre de craintes qui perduraient relativement longtemps selon les étudiants : • • • • • • • •

Crainte de décevoir ; Crainte de ne pas satisfaire les attentes ; Crainte que le travail ne soit pas bon ; Crainte de ne pas être à la hauteur ; Crainte de poser des questions idiotes ; Crainte de dire qu’ils ne comprennent pas ; Crainte d’exprimer un désaccord ; Crainte d’exprimer un doute, etc.

Vous n’avez peut-­être pas eu cette impression chez vos étudiants, mais j’ai récemment eu la confirmation de certains de mes étudiants, lorsque je leur ai posé la question, qu’ils conservaient certaines craintes à l’égard de la perception que je pouvais avoir d’eux, alors que je ne l’ai jamais perçu, lors de nos rencontres. Même si l’étudiant vous dit que tout va bien, il arrive qu’il ait quelques hésitations ou ne comprenne pas certains aspects qu’il ne veut pas dévoiler, espérant pouvoir s’en sortir seul. J’ai rencontré plusieurs étudiants qui m’ont exprimé avoir des réticences à informer leur directeur de désaccord par rapport à certaines décisions, notamment parce qu’ils ne se sentaient pas aptes à trouver les arguments pour s’y opposer. C’est pourquoi il peut être approprié de vérifier auprès de l’étudiant s’il est en accord avec ce qu’on propose, surtout s’il manifeste certaines réactions : • Réaction non verbale plus ou moins apparente (moue, changement de réaction du visage, froncement des sourcils, le regard qui semble dans le vide, etc.) ; • Hésitation dans le temps de réponse à la suite d’une question (notamment quand on demande si ça va ou si l’étudiant comprend) ; • Réaction répétée impliquant l’expression oui, mais… à tout ce qui est proposé ou discuté ; • Évitement à vouloir traiter d’un sujet.

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Chapitre 4 / Les modalités de rencontre et de suivi

Indiquez-­lui ce qui vous amène à douter de sa compréhension ou de son accord. S’il y avait vraiment un problème, ce sera alors l’occasion de vous y attaquer. Évidemment, après vérification, si l’étudiant vous indique que tout va bien alors qu’il est en désaccord avec quelque chose, vous ne pouvez pas le forcer à vous le faire savoir.

Personnellement, je mentionne maintenant systématiquement à chaque étudiant que j’encadre l’importance de me faire part d’une incompréhension, d’un désaccord ou d’une incertitude à l’égard de la démarche, des choix ou des activités qui se décident au cours de l’encadrement. Auparavant, j’attendais de percevoir des signes suggérant l’apparition de problèmes potentiels chez un étudiant. J’ai réalisé, avec le recul, et en pensant aux situations que j’avais rencontrées, que j’aurais pu prendre connaissance plus tôt de difficultés ou de désaccords en réitérant plus régulièrement à mes étudiants l’invitation à exprimer leur désaccord ou leur incompréhension des orientations ou des choix qui sont pris, même si j’ai l’impression que ces choix ou que ces décisions sont prises d’un commun accord.

6 / Des conditions favorables aux échanges et au suivi Les rencontres avec nos étudiants, on les espère productives et efficaces. Un reproche souvent entendu des directeurs à l’égard de leurs étudiants concerne le fait qu’ils ne respectent pas les tâches attendues ou les consignes et les directives qui leur ont été données lors des rencontres. D’autres fois, les étudiants qui semblaient très bien comprendre l’explication fournie reviennent à la rencontre suivante avec la même question, comme si leur mémoire avait fait défaut entre temps… Cet oubli important des informations et des échanges se comprend bien quand on tient compte de l’insécurité que peuvent ressentir les étudiants lors des échanges. On le comprend aussi par le fait que plusieurs aspects discutés lors des rencontres sont très souvent complètement nouveaux pour les étudiants, particulièrement lorsqu’ils en sont au début de leur processus.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Les étudiants peuvent avoir l’impression de très bien comprendre quand vous leur expliquez, mais tout oublier ce qu’ils avaient compris, parce qu’ils ne maîtrisent pas encore le sujet ou qu’ils ont trop d’informations nouvelles à traiter en même temps. Ils peuvent s’en rendre compte seulement au moment de vouloir se mettre au travail et de réaliser qu’ils ne se souviennent plus des directives ou des explications que vous leur avez fournies. La majorité d’entre eux n’oseront pas vous relancer pour que vous leur rappeliez ce dont vous aviez discuté. Certains attendront de vous revoir pour vous reposer la question, avec les implications de retards qui peuvent en découler. D’autres essaieront de se débrouiller seuls ou demanderont les avis de collègues avec les répercussions négatives sur ce qu’ils peuvent produire. C’est pourquoi je propose la troisième règle suivante. Règle générale no 3 Demander à l’étudiant d’enregistrer les rencontres.

Cela fait partie des exigences que j’exprime à mes étudiants lorsque j’accepte de les encadrer. À la rencontre suivante, ils doivent apporter un magnétophone ou utiliser leur téléphone ou leur ordinateur pour ­enregistrer nos rencontres. En plus de permettre de conserver les consignes, les références et l’objet de vos échanges lors de vos rencontres, les enregistrements sont d’une aide précieuse lorsque vous commentez des parties de textes que vous avez corrigées, que vous voulez fournir une suggestion à l’étudiant sur une formulation, sur un détail de style, sur une réorganisation possible qui vous vient lors de vos échanges et qui n’est pas inscrite sur le texte. Les enregistrements permettent aussi à l’étudiant d’avoir en main les explications que vous lui avez fournies oralement et qui ont pu lui permettre de comprendre quelque chose qu’il n’avait pas encore saisi. S’il ne l’a pas enregistré, il ne retrouvera jamais la précision de la formulation que vous avez donnée à ce moment-­là. L’enregistrement permet à l’étudiant d’y revenir aussi souvent qu’il le veut. Il peut ainsi se concentrer pleinement sur ce que vous lui dites plutôt que de tenter de le noter ou de le transcrire. Certains professeurs émettent parfois des réticences, parce qu’ils craignent que les étudiants utilisent le contenu de ces enregistrements contre eux, dans l’éventualité où ils auraient des reproches à leur faire.

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Chapitre 4 / Les modalités de rencontre et de suivi

Pourtant, l’enregistrement des rencontres permet justement de se prémunir contre des reproches ou des mésententes, puisqu’on peut toujours revenir aux enregistrements, si on n’est pas certain d’une ­décision prise en cours de route. Si les échanges portent sur la démarche de l’étudiant et sur la façon de l’aider dans son processus de formation à la recherche, il n’y a aucune raison de craindre des effets nuisibles d’enregistrer les rencontres. Je trouve au contraire que c’est la solution la plus facile à appliquer et la plus simple pour s’assurer que l’étudiant retient ce qu’on lui dit et peut s’y reporter au besoin. En procédant de la sorte, on donne aussi la responsabilité à l’étudiant de revenir lui-­même sur ce dont on a discuté, et éventuellement nous le rappeler, plutôt que d’essayer nous-­même de nous souvenir de ce dont on a pu discuter, des orientations ou du rationnel qui a mené à certains choix, surtout quand on doit gérer plusieurs étudiants en même temps.

6.1 /

Demander la tenue d’un cahier de bord L’enregistrement des rencontres a comme but particulier de conserver la teneur des échanges. Il faut cependant que l’étudiant lui-­même garde la trace de ses propres réflexions et de ses propres démarches, que ce soit pour vous en faire part, ou simplement pour son propre bénéfice, s’il veut retrouver une réflexion ou une idée qui lui était venue. C’est pourquoi je demande à l’étudiant de se créer un cahier de bord. Ce cahier de bord lui sert à inscrire, dans un même document, toutes ses réflexions, les notes qu’il prend de nos rencontres, ses démarches, les tâches à faire, les questions qu’il veut me poser ou les sujets à aborder à la prochaine rencontre. Je n’exige pas que ce document soit un véritable « cahier » et l’étudiant peut avoir un cahier de bord sur son ordinateur ou sa tablette. Cependant, bien que mes étudiants arrivent toujours avec leur ordinateur, j’ai remarqué qu’ils avaient toujours un cahier de bord « matériel » plutôt que d’inscrire leurs informations sur leur ordinateur. L’utilisation d’un cahier de bord par l’étudiant s’inspire évidemment du processus de formation des étudiants lorsqu’ils sont en stage, afin de les amener à réfléchir sur leur propre progression et sur les expériences qu’ils font au cours de leur apprentissage. Le contexte de formation à la recherche implique, selon moi, le même genre de réflexion et l’étudiant peut en plus y ajouter tout ce qui concerne sa démarche. Enfin, ceux qui utilisent des approches qualitatives de collecte des données verront dans cet usage du cahier de bord un outil comparable à ce qui est recommandé

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Encadrer aux cycles supérieurs

comme moyen pour avoir un regard plus critique sur son propre processus de recherche et d’utiliser ces données comme façon d’approfondir la compréhension des choix et des décisions.

Je ne fais pas de vérification de la tenue du journal de bord parce que c’est un outil qui leur appartient, mais je vois mes étudiants s’y reporter presque systématiquement lors de nos rencontres, et ce, du début jusqu’à la fin de leur cheminement. Au fil des échanges, ils y trouvent souvent un moyen de retourner vers des étapes ou vers des questions ou des réflexions personnelles, et il est fréquent qu’ils s’y reportent lorsqu’ils recherchent une information, une question ou les thèmes qu’ils veulent aborder. Parfois, ils vont même y retourner pendant nos échanges l­ orsqu’on discute d’un point qu’on a déjà évoqué.

6.2 /

Noter ses réflexions personnelles pour chaque étudiant Les notes personnelles du directeur sont importantes pour le suivi et le déroulement des tâches et des étapes. Je ne recommande pas de tenir un « journal de bord » pour chaque étudiant pour y noter tout ce dont on a discuté. Cela appartient à l’étudiant. Toutefois, il peut s’avérer pertinent de noter certaines informations dont on veut garder la trace. Personnellement, je note simplement la date de notre rencontre, ce que l’étudiant doit me retourner pour la prochaine rencontre et à quel moment, et la date de cette prochaine rencontre. Par ailleurs, si vous avez des doutes sur des façons de faire de l’étudiant, sur les tâches qu’il doit accomplir ou sur des points que vous voulez vérifier à la prochaine rencontre, ces notes deviennent utiles, entre autres si vous encadrez plusieurs étudiants en même temps. Vous évitez ainsi d’oublier de parler d’un élément à un étudiant en pensant que ça concernait l’étudiant suivant, ou de poser des questions à un autre étudiant alors que ça ne le concerne pas.

6.3 /

Demander à l’étudiant de vous faire un compte rendu Certains directeurs de recherche en font une règle formelle et s’attendent à ce que l’étudiant leur retourne un tel compte rendu de la rencontre qu’ils viennent de tenir ensemble. C’est une modalité qui peut aider à vérifier la compréhension des tâches et des consignes après la rencontre.

114

Chapitre 4 / Les modalités de rencontre et de suivi

Vous pouvez aussi utiliser ce compte rendu comme moyen de demander à l’étudiant de vous rappeler les tâches dont vous devez vous-­même vous occuper (par exemple, retrouver un article à lui transmettre, lui envoyer les coordonnées d’une personne pour des analyses, lui envoyer un lien Internet pour un document, etc.). C’est un moyen simple de vous rappeler les choses à faire qui concernent la démarche de l’étudiant. Il faut cependant être précis dans ce que vous attendez comme information et sur la forme que vous voulez. Ce serait pertinent de lui acheminer un exemple de ce que vous vous attendez à recevoir. Sinon, certains étudiants seront beaucoup trop synthétiques, alors que d’autres pourront penser qu’ils doivent présenter un résumé de tout ce qui s’est échangé. C’est à vous d’indiquer ce que vous attendez comme compte rendu et le maintien ou non de cette consigne selon la façon dont l’étudiant progresse dans son cheminement. Personnellement, j’ai trouvé que l’enregistrement et mes notes personnelles suffisaient à assurer un suivi adéquat de la démarche par l’étudiant avec un minimum de travail.

7 / La remise des autres productions À l’occasion, il se peut que vos étudiants veuillent que vous preniez connaissance d’un document, d’un article, d’un texte qui ne soit pas directement lié à son mémoire ou à sa thèse. Ça peut être pour un travail dans le cadre d’un de ses séminaires, pour une communication, etc. Vous devriez encadrer ce type de situation pour ne pas être submergé, à tout moment, par de telles demandes. Ce qu’il faut faire comprendre à l’étudiant, c’est qu’il doit vous informer à l’avance d’une demande qui ne concerne pas directement sa recherche, selon des modalités que vous décidez. Ces modalités doivent inclure les délais que vous exigez pour prendre connaissance de demandes ad hoc ainsi que des explications à fournir pour traiter la demande. Par exemple, si l’étudiant fait une demande de bourse et qu’il veut que vous la relisiez, il faut évidemment qu’il vous fasse connaître son intention suffisamment à l’avance pour lui indiquer une échéance à respecter afin que vous puissiez y mettre le temps nécessaire. S’il vous envoie sa demande le vendredi soir sans vous en avoir parlé au préalable, alors qu’il faut qu’il dépose sa demande au plus tard le lundi, vous pourriez vous sentir coincé de devoir y travailler pendant la fin de semaine, alors que vous aviez d’autres plans.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Selon le contexte ou la demande, il vous appartient de répondre positivement à la demande, ou encore de remettre la chose à plus tard. D’une part, ce n’est pas parce que l’étudiant vous demande de prendre connaissance d’un document ou d’un texte qu’il faut que vous le fassiez sur-­ le-­champ. D’autre part, selon la demande, il se peut que vous n’ayez pas le temps d’analyser le document comme le voudrait l’étudiant, en fonction du moment où il vous l’envoie et de ce qu’il attend de vous. Évidemment, ni l’étudiant ni nous-­même ne pouvons tout prévoir et il se peut qu’il doive nous acheminer une demande alors que les délais sont beaucoup plus courts que ce qui avait été entendu. On peut comprendre la situation lorsque ça arrive une fois, mais si ça se répète une deuxième ou une troisième fois, les règles et les directives devront être rappelées. Dans de telles situations, vous pouvez décider de ne pas prendre connaissance de sa demande dans les délais devant lesquels il vous place. Parfois, il est nécessaire que l’étudiant comprenne qu’il doit aussi développer sa compétence à planifier et à s’organiser d’une meilleure façon.

8 / Les délais de correction du directeur L’envoi des productions par l’étudiant et le retour des corrections par les directeurs constituent un problème important qui fait l’objet de beaucoup de plaintes, de part et d’autre. Recevoir un chapitre à corriger juste avant de partir en congrès, pendant un voyage sur le terrain ou juste avant les vacances sont des situations souvent déplorées par les directeurs de recherche. Pour les étudiants, ils se plaignent que leur directeur de recherche les laisse sans nouvelles plusieurs semaines, sans savoir ce qu’il advient de leur texte. Si vous exigez de vos étudiants qu’ils respectent certains délais relatifs à la remise de productions, vous devez faire preuve de la même rigueur à l’égard de ce que vous devez vous-­même leur remettre. Vous devez vous rappeler que l’avancement de leur travail de production dépend à peu près uniquement de la rétroaction que vous leur fournissez. Bien qu’il soit avantageux pour l’étudiant de déterminer un délai de correction que vous vous engageriez à respecter, il est évidemment difficile de déterminer un tel délai de correction parce que cela dépend beaucoup de vos autres activités au moment de recevoir le texte et de la longueur de ce qui sera à corriger.

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Chapitre 4 / Les modalités de rencontre et de suivi

Règle générale no 4 Prévoyez une date de remise de la production avec l’étudiant et, à sa réception, informez-­le du moment où vous prévoyez lui retourner vos corrections.

Cette règle vise en fait à gérer les corrections qui ne seraient pas issues des productions sur lesquelles vous vous êtes entendues par la règle no 1, puisque celle-­ci prévoit la période de correction d’une production dans les jours précédant votre prochaine rencontre. La règle no 4 s’applique particulièrement dans le contexte des remises de production « inattendues », notamment lorsque les délais de rédaction de l’étudiant ne sont plus toujours possibles à prévoir, en raison de l’ampleur de ce qu’il a à rédiger. La règle consiste en fait à déterminer l’échéancier de production de l’étudiant pour lui fournir une balise dans le temps (chapitre 1, section 2.3) et du délai que vous envisagez de prendre pour lui retourner vos corrections. Cela permet ainsi de prévoir la date de rencontre où se fera le suivi des corrections (chapitre 11, section 6.1). En procédant de la sorte, vous tenez compte du temps que vous avez au moment où la production vous est soumise et l’étudiant sait à quel moment il devrait recevoir de vos nouvelles. Cette règle permet aussi d’assurer un suivi par rapport à des difficultés potentielles de production avec lesquelles l’étudiant pourrait être confronté (chapitre 13, section 2). Sans date de remise prévue, vous n’êtes pas en mesure d’établir que l’étudiant tarde à produire ou qu’il rencontre des problèmes.

9 / La gestion des absences La gestion des absences permet de planifier les périodes pendant lesquelles vous suspendez les contacts et les rencontres. Elle évite en fait les malentendus qui pourraient être causés par le fait que vous, ou l’étudiant, ne recevez pas de réponse à l’une de vos demandes. Je formule ici des suggestions sur les durées possibles. Ce sont les durées que j’ai déterminées dans mes règles de fonctionnement personnelles, mais elles peuvent être différentes selon vos préférences.

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Encadrer aux cycles supérieurs

• L’étudiant me tient informé au moins une semaine (ou plus) à l’avance de ses absences de plus d’une semaine ; • J’informe l’étudiant au moins une semaine à l’avance (ou plus) de mon absence pendant plus d’une semaine. Le fait d’annoncer ses propres absences de plus d’une semaine se comprend facilement, pour informer l’étudiant que vous ne serez pas nécessairement en mesure de répondre à ses demandes pendant une période particulière. Ces absences peuvent être pour des conférences ou des congrès à l’extérieur, des sorties sur le terrain, des vacances, des congés, mais aussi des périodes où vous pourriez être au bureau, mais où vous ne serez pas disponible pour répondre à certaines demandes (comme à la période des demandes de subventions !). Dans le cas de voyages à l’étranger, Internet permet maintenant de garder contact à peu près n’importe où. Par contre, ce n’est pas parce que vous pouvez être joint que vous avez nécessairement le temps ou le désir de l’être. En faisant connaître vos périodes d’absences, ou les périodes pendant lesquelles vous ne serez pas en mesure de répondre aux demandes de vos étudiants, vous vous assurez ainsi qu’ils n’auront pas l’impression que vous les négligez si vous ne leur répondez pas. C’est aussi la meilleure façon de déterminer les périodes où vous ne pourrez pas (ou vous ne voudrez pas) évaluer leur production. J’ai souvent entendu des professeurs se plaindre qu’ils avaient reçu un chapitre à corriger (ou une demande de bourse) à la veille de leur départ de vacances, et qu’ils s’étaient sentis obligés de le corriger pendant les vacances en raison d’échéanciers que les étudiants devaient respecter. Une telle situation est évidemment un signe que les modalités relatives aux envois des productions par l’étudiant n’ont pas été déterminées. En annonçant ainsi vos absences le plus à l’avance possible, vous aidez l’étudiant à planifier son travail pour tenir compte de votre départ et de vos délais de correction, s’il veut vous envoyer quelque chose à corriger. La pertinence de recevoir aussi la même information de la part de vos étudiants réside dans le fait de connaître leur engagement dans leurs activités. Un étudiant qui s’absente à quelques reprises, alors que son plan de travail prévoyait qu’il devait vous remettre quelque chose pendant cette période d’absence, peut nécessiter une discussion avec lui pour déterminer l’avancement réel de son travail. Cette information variera évidemment selon le degré d’engagement que vous exigez de vos étudiants. Une dizaine de jours d’absence n’apparaît pas énorme, mais cela peut s’avérer significatif à certains moments. Par exemple, si vous vous attendiez à ce

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Chapitre 4 / Les modalités de rencontre et de suivi

que votre étudiant participe à la collecte de données de votre recherche (parce que son travail s’inscrit dans une recherche plus large) et que vous apprenez à la dernière minute qu’il part pour une semaine, cela vient contrecarrer votre propre planification. Évidemment, il ne s’agit pas de chercher à contrôler les moments d’absence de vos étudiants, mais simplement d’être tenu informé du déroulement de leur démarche. J’y reviens d’ailleurs dans le chapitre 14 (section 5), parce que c’est une procédure qui peut vous permettre de déceler des problèmes potentiels importants qui pourraient autrement passer inaperçus. Les règles que je propose ici m’ont été fort utiles au cours de l’encadrement de mes étudiants, mais ce sont aussi des suggestions que j’ai souvent faites aux directeurs de recherche que je rencontrais. Ce sont des modalités de rencontre et de suivi qui permettent d’assurer un encadrement constant de l’étudiant en tenant compte notamment de vos propres obligations, mais qui respectent également le rôle majeur que le directeur doit jouer dans l’accompagnement de l’étudiant et qui servent à éviter des situations qui ont des répercussions négatives sur le cheminement et la motivation des étudiants.

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PARTIE 3 /

L’ACCOMPAGNEMENT DANS LES DIFFÉRENTES ÉTAPES

Accompagner l’étudiant dans les différentes étapes signifie principalement de discuter avec lui du contenu et des idées à développer, pour chacun des chapitres, et de corriger ses productions pour qu’elles atteignent le niveau de qualité acceptable pour le diplôme visé. Le mot acceptable est choisi volontairement parce qu’il signifie que ce ne seront pas tous les projets et tous les mémoires ou les thèses qui seront excellents. Comme je le décris dans le chapitre 5, il n’y a pas d’approches universelles qui soient recommandées pour l’accompagnement pour la production d’un mémoire ou d’une thèse. Cependant, étant donné que l’étudiant est dans une situation d’apprentissage, il faut envisager l’accompagnement comme une approche à la formation, avec l’ouverture, le respect et l’aide qu’elle peut nécessiter. Il existe de nombreux obstacles pour passer de la compréhension d’un sujet à son expression adéquate, dans une forme particulière comme celle d’un mémoire de maîtrise ou d’une thèse de doctorat. J’ai évoqué dans les premiers chapitres de nombreuses sources de problèmes qui peuvent affecter les étudiants. L’accompagnement vise notamment à aider les étudiants à surmonter ces difficultés. C’est la raison pour laquelle j’aborde l’accompagnement de l’étudiant par l’entremise de la détermination des « facteurs de difficultés » ou des causes de problèmes que l’étudiant rencontre, et qui peuvent affecter sa progression dans l’une ou l’autre des étapes de réalisation de son mémoire ou de sa thèse. La détermination des problèmes et de leur cause permet ainsi de comprendre des situations de blocage ou de progression et d’être plus en mesure de choisir des façons d’intervenir. Je propose à l’occasion certaines interventions, mais le lecteur pourra évidemment choisir lui-­ même la façon d’accompagner l’étudiant selon son expérience, son propre style, ou le contexte dans lequel l’étudiant doit s’insérer.

Encadrer aux cycles supérieurs

Bien que les chapitres soient organisés en fonction des parties à produire pour l’étudiant et du type d’intervention que cela implique, certains problèmes ne sont pas exclusifs à ces parties et peuvent apparaître à différents moments du cheminement. J’ai choisi de les aborder en fonction du moment où ils apparaissent habituellement les premières fois, ou des étapes dans lesquelles ils peuvent être dépistés avant de causer des effets négatifs. Enfin, j’ai fait le choix d’aborder les situations en pensant à des étudiants qui doivent être suivis de plus près et qui ont besoin de plus d’encadrement. Ce sont ceux pour qui les interventions doivent être les mieux organisées et structurées, et où la clarté des consignes et la précision des questions et des commentaires doivent être à leur maximum. Ce sera alors beaucoup plus facile, au besoin, de transposer ce qui est décrit à des étudiants plus autonomes, ou qui ont plus de facilité à s’approprier les tâches et la démarche. Ce sont d’ailleurs rarement ces étudiants qui causent le plus de problèmes ou qui sont le plus confrontés à des difficultés. Amener des étudiants autonomes, compétents, débrouillards et qui ont déjà certains réflexes de chercheurs à diplômer n’est pas un défi et demande beaucoup moins de travail. Amener des étudiants qui n’ont pas de facilité avec les processus de recherche, qui peinent à s’approprier la démarche et à maintenir leur engagement dans le temps est beaucoup plus exigeant. Les prochains chapitres servent, entre autres, à intervenir auprès de ces étudiants.

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Chapitre 5 /

Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes

Il est reconnu depuis longtemps que les façons d’enseigner des professeurs dépendent de leurs conceptions de ce qu’est « enseigner » (Trigwell et Prosser, 1996). Ces conceptions et ces croyances définissent probablement aussi de quelle façon les enseignants interagissent avec les étudiants qu’ils encadrent. Ces conceptions concernent la vision qu’on a de son rôle « d’encadreur » et la façon dont cette activité devrait se dérouler. Elles ne tiennent pas nécessairement compte des besoins de l’étudiant ou des processus impliqués dans son apprentissage des compétences en recherche. Par l’autorité dévolue au directeur dans le processus, les étudiants n’entreprendront probablement jamais une discussion sur leurs besoins ou sur le rôle qu’ils attendent de leur directeur si le professeur n’aborde pas ce sujet de manière précise et qu’il ne fait pas l’objet de discussions ou d’échanges entre l’étudiant et le directeur. C’est donc au directeur que devrait revenir la responsabilité d’aborder le sujet. Pour commencer cette troisième partie du livre sur le processus d’encadrement et d’accompagnement, il m’apparaît pertinent de décrire les facteurs qui jouent un rôle dans la façon dont on aborde la situation d’encadrement avec nos étudiants, parce que ça aide à clarifier ce sur quoi l’on peut baser ses choix et comment ceux-­ci influent sur l’ensemble de notre accompagnement. Les besoins d’encadrement des étudiants peuvent varier au fil de leur démarche, sur le plan de la fréquence des rencontres ou selon les tâches ou les situations impliquées. Certains étudiants verront leurs besoins se transformer, passant d’une aide plus technique dans l’application de procédures liées à la recherche au début de leur processus (comme l’étape de recension des écrits ou la démarche de choix du sujet), à des besoins d’encouragement et de motivation en cours de route et à des exigences plus coercitives ou directives en fin de parcours

Encadrer aux cycles supérieurs

pour accélérer le dépôt du mémoire ou de la thèse. D’autres, au contraire, seront très autonomes au début, mais ressentiront des besoins plus grands aux étapes de collecte des données et voudront une relation plus centrée sur des échanges et des discussions à propos du matériel obtenu, plutôt que d’être vraiment « dirigé » vers la fin des étapes. L’élément primordial qui ressort des recherches est l’importance de la correspondance entre les interventions qu’effectue le directeur au cours de ce processus et les attentes ou les besoins des étudiants (chapitre 2, section 1). Mais ce rôle doit trouver sa place par rapport aux responsabilités qui devraient être dévolues à chacun. Le directeur doit prendre toutes les responsabilités qui lui incombent, par contre, il ne doit pas s’en attribuer davantage. La dernière section du chapitre fait le tour d’un certain nombre de principes qui déterminent des responsabilités que le directeur ne doit pas s’attribuer. J’aborde les limites plutôt que les actions à prendre parce que les problèmes de relation dont les directeurs m’ont fait part étaient le plus souvent causés par des approches à l’encadrement qui favorisaient la mise en place de contextes qui s’avéraient défavorables. Ces limites à la relation peuvent aider à circonscrire jusqu’où le directeur peut agir, et à partir de quels moments la suite des choses ne lui appartient plus. Enfin, dans la section 2 du chapitre, je présente un modèle qui décrit différentes approches à l’encadrement pour donner une idée de son propre style d’encadrement. Dans la section 3, je fais référence à un processus d’échange avec les étudiants qui vise à expliciter votre réflexion en tant qu’« expert » en recherche pour aider à développer une plus grande autonomie de l’étudiant à l’égard des choix auxquels sont confrontés les chercheurs.

1 / Sa conception de ses rôles et responsabilités Au cours des formations que je donne sur l’encadrement aux cycles supérieurs, j’utilise une version raccourcie de la grille sur la perception des rôles et responsabilités des directeurs que je fournis en annexe 5.1 à la fin de ce chapitre, pour amener chacun à réfléchir sur ses propres conceptions et sur ses positions à l’égard de son rôle et de ses responsabilités pour un certain nombre de situations ou de contextes propres au processus d’accompagnement et d’encadrement. Je suggère alors de remplir la

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Chapitre 5 / Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes

grille afin de clarifier quelle est sa propre perception de son rôle et de ses responsabilités, afin de rendre explicite sa position, pour soi-­même, et éventuellement pour en informer l’étudiant.

1.1 /

La grille de perception des rôles et responsabilités La grille de perception des rôles et des responsabilités est construite autour d’un certain nombre d’énoncés qui abordent des situations relatives aux activités d’encadrement et aux étapes de recherche. Les énoncés sont répartis de part et d’autre d’une échelle de Likert à cinq niveaux, sur laquelle on encercle le chiffre qui se rapproche le plus de notre perception du niveau de responsabilité à l’égard du sujet abordé dans l’énoncé. Par exemple, pour le premier sujet énoncé, vous encerclez le chiffre qui se rapproche le plus de votre position à l’égard du choix du sujet de recherche. Ainsi, si, selon vous, c’est le directeur de recherche qui a la responsabilité de choisir un sujet de recherche prometteur, vous encerclez le chiffre qui tend vers le niveau 1 et qui se rapproche de l’énoncé : « Le superviseur a la responsabilité de choisir un sujet de recherche prometteur. » Par contre, si vous considérez que c’est plus de la responsabilité de l’étudiant de se choisir un sujet de recherche prometteur, vous encerclez alors le chiffre qui tend vers le niveau 5 et qui désigne cette responsabilité. Vous encerclez ainsi le chiffre, sur l’échelle, qui correspond le mieux à votre perception du niveau de responsabilité à l’égard de chacun des énoncés. Il est possible que votre évaluation des rôles et responsabilités pour les énoncés varie selon que vous pensiez aux situations de la maîtrise ou à celles du doctorat. Vos réponses peuvent aussi varier dans le temps, en fonction des expériences que vous vivrez sur le plan de l’encadrement et des étudiants que vous encadrerez. À cet effet, vous trouverez peut-­être utile de vous faire quelques copies de la grille afin de la remplir à quelques reprises dans le temps. Los des formations sur l’encadrement, je fais habituellement remplir la grille aux professeurs et je leur demande ensuite de comparer leur évaluation et d’indiquer les énoncés dont les évaluations présentent des écarts de deux points entre les perceptions de chacun. Il n’est jamais arrivé que tout le monde s’entende sur tous les énoncés. Les évaluations que vous faites de votre degré de responsabilité à l’égard des thématiques mentionnées dans les énoncés demeurent des évaluations subjectives.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Il n’existe pas d’évaluation unique ni d’évaluation « préférable », « recommandée », « à proscrire » ou « à éviter ». Votre évaluation est basée sur vos ­conceptions, mais aussi sur vos expériences. Des différences apparaissent souvent entre des professeurs de disciplines différentes. Par exemple, les professeurs en sciences humaines vont souvent laisser un peu plus de marge de manœuvre à leurs étudiants pour choisir leur sujet que les professeurs en sciences, où les sujets sont souvent définis par la structure de recherche qui implique l’intégration des étudiants dans des équipes de recherche déjà existantes, et dont les sujets sont déjà relativement bien cernés. Toutefois, même entre les professeurs d’une même discipline, plusieurs différences apparaissent sur l’évaluation du rôle et de la responsabilité que chacun s’attribue.

1.2 /

L’usage de la grille avec les étudiants Si les rôles et responsabilités de l’encadrement sont perçus différemment selon les professeurs, ils sont évidemment aussi perçus différemment selon les étudiants. Ces perceptions sont évidemment aussi différentes entre les étudiants et les professeurs.

Au cours d’un atelier portant sur l’encadrement aux cycles supérieurs présenté lors d’un congrès de la Canadian Association for Graduates Studies (CAGS) (Bégin, Mighty et Bourret, 2006), j’ai eu l’occasion de faire remplir la grille par des étudiants et des professeurs, et de comparer leurs résultats. La centaine de participants était composée d’étudiants et de professeurs, à peu près à parts égales. Après avoir répondu individuellement, les étudiants ont comparé leur évaluation entre eux et les professeurs ont fait de même de leur côté. Pour chaque groupe, on retrouvait des différences entre les personnes, mais ces différences étaient plus grandes encore entre les professeurs et les étudiants. La principale différence résidait dans le fait que les étudiants évaluaient les rôles et responsabilités selon deux critères donnant des résultats différents, soit celui basé sur leur désir de la façon dont ils souhaitaient que les choses se passent, et celui basé sur leurs craintes que les directeurs s’approprient la totalité des décisions, sans qu’il y ait la possibilité d’en discuter. Il s’en est suivi un échange fort intéressant puisque plusieurs directeurs eux-­mêmes étaient surpris de la réaction des étudiants, croyant qu’il était entendu qu’un certain nombre d’aspects devait faire l’objet de discussion avec les étudiants. Le fait d’avoir

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Chapitre 5 / Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes

rempli le questionnaire et d’avoir entendu les avis des étudiants les avait rendus conscients de l’utilité de discuter avec leurs étudiants de ces perceptions et de ces attentes réciproques.

Ces écarts entre les conceptions et les attentes de chacun font en sorte que les mésententes sont grandement possibles au cours de l’encadrement. Ce sont ces situations de mésentente qu’il faut notamment éviter. Par exemple, si le directeur croit que c’est à l’étudiant de prendre l’initiative du contact régulier avec lui, alors que l’étudiant considère que c’est de la responsabilité de son directeur de le faire, on se retrouve devant une situation où ni l’étudiant ni le directeur ne contacteront l’autre. Le directeur percevra que la situation doit bien se dérouler puisque l’étudiant ne le contacte pas. L’étudiant pensera peut-­être que le directeur n’est pas disponible… ou qu’il ne s’intéresse pas du tout à ce qu’il fait, puisqu’il ne le contacte pas. L’étudiant est évidemment susceptible de considérer que son directeur est inadéquat et il pourra même s’en plaindre, alors que le directeur attend juste un signe de sa part ! Il m’est arrivé de rencontrer des étudiants qui venaient se plaindre de leur directeur et qui ne savaient pas quoi faire pour qu’il les contacte. Ils m’indiquaient parfois qu’ils n’avaient pas eux-­mêmes planifié de rendez-­ vous parce qu’ils jugeaient que c’était à lui de le faire, bien qu’aucune précision ou directive en ce sens n’ait été mentionnée par le directeur. J’ai souvent dû faire comprendre aux étudiants que s’ils avaient besoin de contacter leur directeur et qu’aucune directive n’avait été précisée à ce sujet, ils pouvaient le faire au besoin. Les thématiques de la grille de perception des rôles pourraient constituer des sujets à aborder avec vos étudiants, au moment où vous les acceptez ou lorsqu’ils viennent vous solliciter. Vous avez alors la possibilité de choisir quels sont les sujets ou les thèmes pour lesquels vous avez une position relativement claire et fixe (que ces thèmes soient de votre responsabilité ou de celles de l’étudiant, selon vous) et les thèmes pour lesquels vous n’avez pas défini de responsabilité « exclusive ». Elle peut d’ailleurs servir à revenir à l’occasion sur le déroulement de la relation, pour évaluer de quelle façon les choses se passent. Cette suggestion m’est venue d’un professeur récemment engagé qui m’a raconté que son directeur de recherche avait procédé de la sorte, ce qui permettait de revenir sur des conceptions ou des attentes qui pouvaient différer au fil de la réalisation de sa thèse.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Je ferais cependant une mise en garde par rapport à l’utilisation de la grille avec vos étudiants. Il faudrait éviter de leur présenter le contenu de la grille comme un enjeu de négociation sur les responsabilités réciproques. Si vous jugez que certaines étapes ou certaines tâches sont de votre responsabilité, ou de la responsabilité de l’étudiant, il ne faut pas que l’échange autour de la grille de perception des rôles se transforme en jeu de pouvoir, par rapport à ce que vous jugez important de conserver comme responsabilité ou que vous attribueriez à l’étudiant. Vous ne devez pas laisser croire à l’étudiant qu’il peut être le principal responsable de certains choix alors que vous jugez que ces aspects sont de votre responsabilité. Étant donné que la grille couvre une grande variété de situations associées à l’encadrement, elle peut servir à définir les éléments qui vous apparaissent significatifs pour présenter votre position et vos préférences à l’étudiant, lorsqu’il vient vous rencontrer la première fois (chapitre 3, sections 1.2 et 6.3).

2 / Son « style » d’accompagnateur Un certain nombre de chercheurs ont proposé des modèles pour décrire ou catégoriser le processus d’encadrement. J’ai choisi de présenter un modèle proposé par Gatfield et Alpert (2002) et Gatfield (2005) (figure 5.1) parce qu’il me semble recouvrir une panoplie de situations et d’approches, tout en permettant la possibilité qu’un même directeur puisse adopter une variété de styles selon le besoin de son étudiant, ou les étapes de recherche dans lesquelles il est engagé. L’ouvrage ne se veut pas un livre « théorique » sur l’encadrement, mais on peut vouloir se positionner, comme directeur de recherche, en fonction de certaines caractéristiques, et l’apport d’un modèle permet de répondre à ce type de questionnement, ne serait-­ce que pour prendre connaissance des approches différentes qui peuvent être adoptées. Le positionnement de son approche à l’intérieur d’un cadre permet de ­réfléchir à ses conduites et de les renforcer ou de les adapter.

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Chapitre 5 / Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes

Figure 5.1 /  Grille de gestion de l’encadrement1 Élevé Pastoral

Contractuel

Laisser-­faire

Directif

Soutien

Faible Faible

Élevé Structure

Le modèle indiqué ici est construit à partir d’un certain nombre de variables déterminées comme étant importantes pour la progression de la recherche et la supervision, dans les écrits portant sur l’encadrement de la recherche. Par un processus de classification et de regroupement des variables, les auteurs en sont arrivés à un modèle comportant deux grandes dimensions, soit la dimension de soutien (support, en anglais) et la dimension de structure. Ils ont organisé leur modèle en s’inspirant d’une démarche proposée par deux chercheurs en gestion pour décrire le style managérial, soit la dimension qui se centre sur les personnes et la dimension qui se centre sur la production. Bien que le contexte et les conditions d’encadrement des étudiants ne s’inscrivent pas nécessairement dans une approche de gestion du personnel (quoique les conditions d’encadrement dans des laboratoires et de grosses équipes de recherche peuvent parfois s’en rapprocher), ce sont les orientations qui peuvent tout de même présenter des similitudes facilement transposables. La dimension de soutien implique tout ce qui peut être fourni ou disponible par l’entremise du directeur ou de l’établissement, et qui est optionnel, discrétionnaire (c’est-­à-­dire que l’étudiant peut vouloir les utiliser ou non) et qui ne fait pas partie d’exigences soumises par le directeur. De façon précise, mais non exhaustive, on retrouve dans cette dimension les encouragements, les actions proactives du directeur pour 1

Il s’agit d’une traduction de la grille proposée par Gatfield et Alpert (2002). Les termes utilisés ont été traduits « textuellement » afin de respecter la version originale, sauf dans le cas du terme directif qui remplace le terme anglais directorial dont le sens en français est considéré comme obsolète.

129

Encadrer aux cycles supérieurs

contacter son étudiant, l’accès à des ressources matérielles (ordinateurs, logiciels d’analyse, etc.), à du financement, à un bureau de travail, à des rencontres informelles, etc. La dimension de structure concerne ce qui est principalement du ressort du directeur et qui se fait par des interventions explicites ou par négociation auprès de l’étudiant. Elle intègre notamment le processus de sélection de l’étudiant, les modalités d’encadrement et de rencontre mises en place, le processus d’évaluation des différentes étapes et des productions, les interventions sur les habiletés de toutes sortes (rédaction, analyse de données, gestion du temps, etc.), les règles de ­déroulement des rencontres, etc. La mise en abscisse et en ordonnée des dimensions permet d’obtenir une grille comportant quatre modalités qui sont déterminées par le niveau faible ou élevé des interventions ou des ressources impliquées dans chaque dimension. Il en découle quatre styles de supervision : le style « laisser-­faire », qui se caractérise par un faible niveau d’intervention pour le soutien et un faible niveau d’intervention sur des aspects de structure ; le style « pastoral », qui implique un faible niveau d’intervention pour les aspects de structure, mais un niveau élevé de préoccupation pour le soutien à l’étudiant ; le style « directif », qui se caractérise par un niveau élevé concernant les aspects de structure, mais faible pour le soutien et enfin, le style « contractuel », qui comporte un niveau d’intervention élevé sur les deux dimensions. Dans une analyse des caractéristiques de l’encadrement offert par une douzaine de directeurs de recherche reconnus pour obtenir un très haut taux de diplomation de leurs étudiants, dans les temps prévus et avec un degré de satisfaction élevé des étudiants, Gatfield (2005) a déterminé que 9 superviseurs sur les 12 offraient un encadrement qui se caractérisait par le style « contractuel » (degré élevé d’intervention et de ressources offertes dans les deux dimensions) alors que les trois autres superviseurs se répartissaient dans chacun des trois autres quadrants. Ces données laissent penser que le style « contractuel » serait celui qui devrait être adopté pour favoriser la diplomation des étudiants. Gatfield (2005) amène lui-­même des nuances à ces résultats en indiquant qu’il s’agit d’un nombre de sujets très restreint et la provenance des professeurs se limite au contexte des sciences humaines. De plus, il fait ressortir que ses données ne tiennent pas compte des étudiants encadrés et

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Chapitre 5 / Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes

de leur besoin, et il est peu probable qu’un professeur maintienne un style unique, peu importe les situations rencontrées et les étudiants qu’il supervise. Toutefois, la grille donne quand même une certaine direction à ce qu’il peut être avantageux de faire. Pour situer de manière plus concrète ce que peut signifier l’encadrement en fonction des styles, je présente ici un exemple du type d’encadrement que peut représenter chaque style. Ces descriptions s’inspirent de ce que propose Gatfield dans son article, bien que j’aille un peu plus en détail pour certains aspects.

2.1 /

« Laisser-­faire » Le directeur offre lui-­même peu de soutien et s’intéresse peu aux inter­ actions avec ses étudiants. Il n’intervient pas de manière précoce ou ne planifie pas d’activités ou de rencontres sur l’avancement des tâches ou sur leur progression. Il ne cherche pas à vérifier la qualité du travail de l’étudiant et ne vérifie pas les capacités de l’étudiant à effectuer le travail. Le directeur peut sembler peu engagé dans la supervision et peu préoccupé de l’avancement ou de la progression de ses étudiants. Il a une approche passive d’encadrement et donne à l’étudiant toute la responsabilité de la direction de ses choix et de sa décision de les faire vérifier ou non. Il peut être « là », mais il n’entreprend pas les actions ou les interventions.

2.2 / « Pastoral » Le directeur accorde une grande importance au bien-être de l’étudiant, un peu au détriment des aspects précisément liés aux tâches et aux procédures à suivre pour mener le projet à terme. Il met beaucoup d’accent sur le climat des rencontres et se préoccupe que les étudiants soient engagés et motivés et qu’ils ne rencontrent pas de problèmes importants qui pourraient nuire à leur progression. Il peut même décider de se mêler des aspects plus personnels de la vie de l’étudiant. Il cherche à assurer les meilleures conditions possible pour progresser, mais n’aborde pas, ou très peu, les aspects techniques et les habiletés ou les procédures propres au processus de recherche.

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2.3 / « Directif » Le style directif se caractérise par une approche inverse du style « pastoral », en ce qu’il ne se préoccupe pas vraiment des aspects plus personnels ou motivationnels de l’étudiant, mais se centre sur un suivi plus serré des processus et des tâches reliés à l’exécution du mémoire ou de la thèse. Il peut rencontrer l’étudiant très régulièrement, parce que cela permet d’encadrer son travail, mais il n’aborde pas ou évite tout sujet de nature plus personnelle ou qui ne concerne pas précisément les tâches liées à la réalisation de la recherche ou de la production du mémoire ou de la thèse. Il intervient sur les aspects de planification des tâches et de développement des habiletés de réflexion de nature scientifique nécessaires pour mener la recherche à terme. À l’extrême, ce type de directeur évite les sujets plus personnels de l’étudiant et ne cherche pas à en savoir plus sur les difficultés personnelles ou les problèmes motivationnels ­rencontrés par l’étudiant, si ceux-­ci commencent à affecter sa production.

2.4 / « Contractuel » Le directeur fait preuve d’une capacité de pouvoir gérer la démarche de l’étudiant sur les plans scientifique et procédural en l’accompagnant dans les tâches à réaliser, mais il se préoccupe aussi des aspects plus émotifs ou motivationnels qui peuvent affecter l’étudiant. Il agit sur le plan des ressources offertes et joue un rôle-­conseil important sur les habiletés et les activités qui peuvent permettre à l’étudiant de développer un certain nombre de compétences pour réaliser sa recherche. Il « dirige » l’étudiant au sens où il lui donne des directions à suivre, mais il s’assure de vérifier son état d’esprit et d’évaluer les répercussions possibles de situations extérieures à sa démarche de recherche. Ce serait le style le plus exigeant sur le plan de la disponibilité, du temps requis et du nombre d’interventions. À la lumière de ces descriptions, il m’apparaît toutefois important d’apporter certaines nuances d’interprétations pour éviter une trop grande « dévalorisation » de certains styles. Par exemple, le style « laisser-­faire » correspond évidemment à ce qu’on reconnaît chez les professeurs qui sont reconnus pour ne pas s’occuper de leurs étudiants. Ce sont les directeurs de recherche dont je qualifie le rôle d’« administratif », c’est-­à-­dire qu’ils signent le formulaire qui les désigne comme directeur de recherche, mais cela représente presque la seule action précise qu’ils feront pour accompagner l’étudiant. Même au moment de corriger le mémoire ou la

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Chapitre 5 / Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes

thèse déposée par l’étudiant, ils peuvent corriger de façon plus sévère que les autres évaluateurs ce que leur propre étudiant a produit, alors qu’ils n’avaient jamais pris la peine de faire des commentaires ou des propositions à l’étudiant, auparavant, sur des changements à apporter. Cependant, il peut arriver que la position de « laisser-­faire » soit appropriée dans certaines circonstances, selon le déroulement de la démarche de l’étudiant et en fonction de sa propre autonomie.

Bien que mon approche d’encadrement soit surtout du style « contractuel », j’ai encadré un étudiant dont l’autonomie et la réflexion étaient tellement organisées que finalement, je suis intervenu de façon très minimale dans sa démarche. Nous convenions de la prochaine rencontre et du travail à produire (règle générale no 1, chapitre 4, section 2) et je corrigeais ses productions au fur et à mesure, mais là s’arrêtait souvent mon travail d’encadrement. Il savait comment se motiver lui-­même, il gérait sa situation personnelle et familiale en m’informant, à l’occasion, de délais nécessaires pour me remettre une production sans que j’aie à vérifier son parcours. Il m’avait déjà indiqué me faire pleinement confiance et il m’avait sollicité pour l’encadrer sur son sujet parce qu’il trouvait que je l’amenais à approfondir sa réflexion. En même temps, il avait un ami qui était très avancé sur le plan des analyses statistiques à qui il demandait conseil et qui l’a accompagné dans ces étapes et j’ai appris qu’au besoin, il allait lui-­même consulter d’autres professeurs dont l’expertise pouvait être reconnue pour certaines dimensions concernant son sujet, avant même d’en discuter avec moi. On se rencontrait pour discuter de mes corrections sur ce qu’il avait écrit, et j’ajustais certaines décisions relatives aux analyses planifiées, principalement pour diminuer un peu l’ampleur de ce qu’il envisageait. J’aurais pu facilement encadrer plusieurs étudiants de ce type en même temps, sans problèmes. La très grande majorité de mon encadrement pour cet étudiant a donc souvent pris la forme du « laisser-­faire ».

Appliqué de manière constante et sans distinction pour les besoins de l’étudiant, ce type d’approche demeure cependant peu profitable et peu recommandable. L’approche « pastorale » présente un avantage parce qu’elle se préoccupe de la motivation de l’étudiant et des facteurs extérieurs à la démarche qui peuvent affecter sa progression. Cependant, comme on le

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verra plus loin dans ce chapitre (section 4), il faut demeurer à l’intérieur de certaines limites concernant les aspects de la vie personnelle, familiale ou professionnelle de l’étudiant. Il est pertinent de s’en préoccuper dans la mesure où l’on en tient compte dans l’organisation du travail de l’étudiant et dans sa progression. L’état psychologique ou émotif de l’étudiant est un facteur important dans sa capacité à pouvoir travailler à sa recherche (chapitre 2, section 3). Mais aller au-­delà des répercussions sur le travail de l’étudiant et vouloir s’immiscer dans les solutions à ces situations risquent de créer des problèmes dans la nature de la relation. Par contre, le style « directif » ne présente pas les mêmes problèmes potentiels, parce qu’il se centre sur la tâche à exécuter et sur le travail à faire. Dans la mesure où l’étudiant recherche un accompagnement « intellectuel » dans sa recherche, il sera probablement satisfait de l’aide de son directeur, mais il devra trouver ailleurs les sources de réconfort et d’encouragement s’il vient à rencontrer des problèmes de motivation et de perte de sens de sa démarche, notamment si celle-­ci se prolonge le moindrement. Dans les prochains chapitres, j’aborde un certain nombre de sujets et je propose des interventions qui cadreront beaucoup plus avec le style « contractuel ». La prochaine section du chapitre introduit une approche qui cadre plus avec le contexte « directif » en ce qu’elle vise l’intervention et le développement des habiletés liées aux tâches et aux procédures de recherche. L’aspect « soutien » est traité dans la dernière section du chapitre. J’évoque alors des situations et des mises en garde qui peuvent laisser penser que la dimension « soutien » ne doit pas entrer en ligne de compte dans le processus d’accompagnement de l’étudiant. En fait, ce que je décris représente beaucoup plus des mises en garde par rapport aux limites à ne pas dépasser, lorsqu’on se préoccupe de ces dimensions plus personnelles et motivationnelles de l’étudiant.

3 / Le compagnonnage cognitif Intervenir auprès des étudiants pour les accompagner dans le développement de compétences en recherche implique notamment de les initier ou de les aider à accomplir certaines tâches inhérentes à la démarche scientifique et aux activités propres aux chercheurs. Certains étudiants démontrent déjà certaines qualités et habiletés qu’on a simplement à actualiser ou à mettre en contexte par rapport aux exigences à remplir pour leur mémoire ou leur thèse. On rencontre d’ailleurs le même type

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d’accompagnement dans les situations ou un professeur-­chercheur sénior décide de prendre sous son aile un jeune professeur, afin de l’aider à développer rapidement un dossier de chercheur susceptible de lui faciliter l’obtention de subventions de recherche. Cependant, ce ne sont pas tous les étudiants qui démontrent déjà le savoir-­faire nécessaire pour accomplir l’ensemble des tâches requises pour accomplir leur mémoire ou leur thèse. Pour plusieurs, l’initiation à la recherche se fait lors de leur entrée à la maîtrise. Même au doctorat, il n’est pas rare d’avoir à intervenir auprès d’étudiants à qui il manque certains apprentissages pour assumer pleinement leur autonomie de chercheur, au début de leur démarche aussi bien que lorsque arrivent des étapes plus avancées de rédaction. Évidemment, si l’on veut que les étudiants puissent avancer dans leur recherche et la réalisation de leur projet, il faut pouvoir intervenir sur ces aspects auprès d’eux, selon leurs besoins. Collins, Brown et Hollum (1991) ont décrit une approche qui s’inspire de la dynamique de compagnonnage qu’on retrouve dans la relation maître apprenti pour les métiers, mais qui est transposée sur le plan des processus de pensée et de réflexion propres à une discipline, à une matière ou à une tâche scolaire, qu’ils ont appelées « cognitive ­apprenticeship » et qu’on traduit en français par le « compagnonnage cognitif ». Je n’entrerai pas dans le détail de l’approche, de ses étapes, de ses procédures et de ses fondements, mais au début, cette approche visait à rendre explicite les façons d’aborder les situations de résolution de problème, pour aider les jeunes à s’approprier et à apprendre une démarche intellectuelle organisée, basée sur ce que font les « experts » pour résoudre les problèmes. En considérant les apprentissages que les étudiants doivent faire aux cycles supérieurs, le directeur est alors susceptible de pouvoir jouer ce rôle d’expert, pour amener progressivement les étudiants qu’il encadre à développer le même type d’expertise que lui. Austin (2009) a d’ailleurs décrit comment cette approche est tout à fait pertinente pour ­accompagner des étudiants du doctorat2.

2

La maîtrise n’est pas mentionnée dans l’article d’Austin parce qu’aux États-­Unis, le passage au doctorat se fait, la plupart du temps, tout de suite après le diplôme de premier cycle. La maîtrise constitue souvent une voie de sortie pour ceux qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas compléter leur doctorat en se faisant reconnaître le diplôme de maîtrise, selon certaines exigences. Cependant, le processus peut tout à fait bien se transposer pour accompagner les étudiants de maîtrise.

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L’idée, derrière cette approche, est de rendre transparents les processus qu’un expert utilise dans l’analyse d’une situation et dans sa résolution. Il s’agit d’exprimer tout le processus de réflexion, la façon de mettre en relation les éléments, de les comparer, d’expliciter comment se font les raisonnements et comment ils se construisent à partir des connaissances en jeu et ce qui en résulte. Plutôt que de simplement indiquer l’argument derrière une décision, on décrit ce qui sous-­tend cet argument et comment il s’est structuré, comment il a été développé pour en arriver à la décision. On procède de la même façon pour définir et exécuter les tâches et ce qui sous-­tend leur choix. Cette approche s’applique particulièrement bien dans les contextes de résolution de problème et de prise de décision, comme peuvent l’être toutes les situations où des choix doivent être faits par rapport à la progression de la recherche. On amène ensuite progressivement l’étudiant à faire de même en lui laissant de plus en plus d’autonomie et d’occasions d’exprimer lui-­même sa pensée et sa réflexion, en réajustant sa réflexion au besoin, mais toujours dans cette idée d’expliciter les processus cognitifs utilisés, plutôt qu’en faisant seulement « corriger » le raisonnement ou le produit de la réflexion. Il s’agit de favoriser cette « transparence » de la façon dont votre expertise s’utilise dans les situations de recherche et de prise de décision que rencontre l’étudiant. Il s’agit de jouer le rôle de modèle en extériorisant votre propre façon de penser, pour amener peu à peu l’étudiant à pouvoir analyser et corriger son propre processus de pensée à l’égard des ­situations de la recherche qu’il mène. Comme je l’ai aussi mentionné précédemment dans le chapitre 1 (section 1) et dans l’introduction, cette approche implique qu’il faut concevoir l’encadrement des étudiants aux cycles supérieurs comme une formation à la profession de chercheur. Ce sont les processus de pensée, de choix, de décision et d’analyse des contenus et des situations propres aux contextes de recherche dans sa discipline qu’on doit développer chez eux. Cette approche vise principalement à amener l’étudiant à exprimer ses connaissances et à développer sa réflexion à partir d’exemples ou de façons de faire que le directeur exprime par rapport à ses propres ­processus de pensée.

Personnellement, je suis très peu « fournisseur de savoirs » avec mes étudiants, mais j’explique beaucoup les raisons pour lesquelles je leur fais faire les procédures et les démarches et la façon dont ils peuvent procéder. Mes étudiants apprennent rapidement qu’ils doivent faire

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un travail de réflexion et de recherche avant que je ne leur donne une information. Je ne les fais pas travailler pendant des heures pour rien, mais ils doivent exprimer plusieurs hypothèses, me proposer plusieurs informations ou me décrire les recherches qu’ils ont faites sans succès pour que j’aborde le comment faire, plutôt que de leur fournir la « réponse ». Ils en viennent d’ailleurs rapidement à me décrire spontanément leur réflexion, le processus ou la démarche adoptée qui n’a mené à aucun résultat, sans que je n’aie à le leur demander. Je mets une grande partie du temps à leur faire exprimer leur réflexion et à le faire moi-­même en leur indiquant de quelle manière je procéderais. J’essaie ainsi de les habituer à penser par eux-­mêmes, plutôt que de leur fournir l’information attendue. Il arrive d’ailleurs souvent que j’exprime à voix haute la réflexion que je fais à la suite de leurs questions ou que je le fasse en même temps qu’eux, devant un problème qui se présente, pour qu’ils s’approprient, si nécessaire, la façon dont peut se déterminer le choix et qu’on discute du processus même d’analyse et de réflexion.

L’étudiant retirera aussi beaucoup de vos justifications ou de vos explications sur les démarches que vous faites avec lui, des raisons pour lesquelles vous lui faites faire certaines démarches ou que vous lui demandez de faire une tâche en particulier.

4 / Des principes et des limites à l’accompagnement Le contexte d’encadrement est souvent susceptible de créer des situations ou des conditions qui rendent difficile de départager, pour le directeur, à quel moment il doit poursuivre ses interventions et à quel moment cela concerne la responsabilité de l’étudiant. Certains principes et certaines limites à la relation doivent orienter le directeur de recherche dans ses actions d’encadrement, dans la dynamique à établir avec l’étudiant et dans le degré d’intervention possible qu’il peut s’attribuer. Les limites et les principes que je formule ici sont issus du postulat que la relation d’encadrement est une relation pédagogique qui prend place dans un environnement ou un milieu déterminé3. En ce sens, la relation pédagogique implique ­habituellement de se soucier aussi bien de l’aspect « intellectuel »

3

Ce type de relation est défini par Legendre (2005) en fonction d’une vision systémique de la situation pédagogique.

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Encadrer aux cycles supérieurs

des apprentissages que des aspects motivationnels. Toutefois, le contexte de la démarche aux cycles supérieurs et la relation avec le directeur de recherche exigent d’établir un certain nombre de balises. Ces principes et ces limites sont ceux qui sous-­tendent une grande partie des propositions et des interventions qui sont décrites dans les prochains chapitres.

4.1 /

Le projet de recherche appartient à l’étudiant Le projet de recherche (et ce qui en résulte, soit la production du mémoire ou de la thèse) appartient à l’étudiant. Les universités ont à peu près toutes adopté des règlements précis concernant la propriété intellectuelle du contenu des mémoires et des thèses. Ces règlements ont souvent été instaurés parce que des étudiants s’étaient plaints de s’être fait « voler », par leur direction de recherche ce qu’ils avaient développé au fil de leur recherche. Ce qui est suggéré ici ne concerne pas cet aspect de propriété intellectuelle. Ce principe vise plutôt à délimiter les responsabilités du directeur à l’égard de ce qui s’écrit et de ce qui s’inscrit dans le travail de l’étudiant. Lorsqu’on accompagne un étudiant à la maîtrise ou au doctorat, notre nom est inévitablement associé à ce qu’il produit. Il est habituellement mentionné dans les remerciements de l’étudiant (l’inverse serait une indication de l’absence complète du directeur…), et les évaluateurs savent que nous avons été impliqués dans ce qu’ils corrigent. On est donc tenté de faire en sorte que la qualité du travail est au mieux, parce qu’on a l’impression que l’évaluation du travail sera, d’une certaine manière, l’évaluation de notre propre accompagnement, et ­teintera la perception que les correcteurs pourront avoir à notre égard. Beaucoup de directeurs m’ont mentionné craindre pour leur renommée face à de « mauvaises » productions produites par des étudiants qu’ils encadraient, et dont ils ne parvenaient pas à hausser le degré de qualité. Ils étaient souvent incertains face au degré d’implication qu’ils pouvaient avoir dans la production du texte du mémoire ou de la thèse, et jusqu’où ils pouvaient aller pour écrire à la place de l’étudiant. En ce qui concerne cette crainte des effets d’un mauvais travail sur sa renommée, ce n’est pas un facteur si important. On ne définit pas la qualité d’un professeur à la qualité de ses étudiants. Par contre, si tous les étudiants que vous encadrez remettent toujours des productions de piètre qualité, il faut alors revoir la façon de les sélectionner et d’évaluer leur potentiel (chapitre 3, sections 2 et 3). Il en est de même pour des étudiants de grande qualité que vous avez déjà encadrés. Un étudiant qui

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Chapitre 5 / Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes

fournit un travail d’une très grande qualité sera un étudiant qui sera plus facile à encadrer, mais ça ne vous donne pas une valeur supplémentaire en tant que chercheur4. Il ne faut donc pas s’attribuer les lacunes d’un étudiant lorsqu’il produit quelque chose qui demeure plus faible, comme il n’est pas vraiment pertinent de s’attribuer la responsabilité d’une thèse exceptionnelle produite par son étudiant, à moins qu’elle n’ait été écrite par nous… Je reviens sur ce sujet dans le chapitre 11 portant sur le processus de correction (section 4) parce que c’est surtout là que se présente le questionnement d’intervenir directement dans la production. Le rôle du directeur se situe entre celui de correcteur et de réviseur linguistique, dans la mesure où il faut indiquer les erreurs et les modifications à apporter sur le plan de la forme et du contenu. Cependant, l’intervention directe du directeur sur le texte doit n’être que ponctuelle et sur des éléments déjà écrits. Lorsque ce que l’étudiant produit n’est pas du tout à la hauteur de nos attentes et de nos exigences, il faut considérer travailler avec lui pour rendre les choses les plus satisfaisantes possible, pour qu’elles soient acceptables du point de vue de ce qui est attendu pour son diplôme. Dans certains cas, il se peut que le seul choix que vous envisagiez soit de suggérer à l’étudiant d’abandonner, parce qu’il ne présente pas une production d’une qualité suffisante. Évidemment, il ne faut pas attendre à la dernière minute pour considérer que le travail de l’étudiant n’est pas du niveau suffisant. Il faut le lui faire savoir le plus tôt possible dans sa démarche et faire tout ce qui est en notre pouvoir pour indiquer à l’étudiant les ressources dont il aurait besoin. Poussé à la limite, si l’étudiant ne veut pas abandonner, un changement de direction de recherche peut devenir la seule issue possible. Ces aspects seront abordés plus loin dans le chapitre 11 (section 8) et dans le chapitre 13 (section 2.1.1). Considérer que le travail de l’étudiant lui appartient signifie qu’on ne doit pas se substituer à lui pour produire les choses à sa place. Le directeur peut jouer un rôle important sur le plan de l’orientation et des choix à faire sur différents aspects de la recherche, mais il n’appartient pas au directeur de devenir le principal acteur dans le mémoire ou la thèse de l’étudiant. Les façons d’intervenir sont décrites particulièrement dans le chapitre 8

4

Il est d’ailleurs surprenant de voir que les organismes subventionnaires demandent ce type d’information aux chercheurs, à savoirs quels sont leurs étudiants qui ont obtenu des récompenses, des prix ou des bourses… comme si cela définissait la qualité du chercheur, alors que c’est l’étudiant qui est supposé avoir fait le travail.

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concernant l’accompagnement à la production des différentes étapes, le chapitre 9 à propos de l’accompagnement à l’analyse et à l’interprétation des données, ainsi que dans le chapitre 11 sur le processus de correction. Même si le projet de recherche appartient à l’étudiant, vous demeurez juge de ce qui vaut la peine d’être déposé ou non et de la qualité suffisante ou non de ce qui a été produit. Il faut donner l’occasion à l’étudiant de s’améliorer, mais devant une situation qui ne s’améliore pas malgré tous vos efforts, vous ne devez pas « remplacer » l’étudiant pour mener son projet à terme. Il y a là, à mon sens, des facteurs éthiques, de crédibilité et de la valeur réelle du candidat lorsqu’il reçoit le diplôme qu’il ne faut pas prendre à la légère. Il m’apparaît bien plus dommageable pour l’établissement et pour l’image du directeur qu’un étudiant obtienne son diplôme alors qu’il s’avérerait incapable de faire adéquatement le travail auquel on s’attendrait de lui, parce que le directeur a agi à sa place ou a fait de la pression sur les membres-évaluateurs pour qu’ils acceptent son mémoire ou sa thèse.

4.2 /

La démarche de formation de l’étudiant est sa responsabilité5 J’évoque ce principe, parce que c’est un aspect sur lequel j’ai souvent des discussions avec les professeurs. Comme pour le degré d’intervention possible sur le travail de l’étudiant, les directeurs de recherche ne doivent pas prendre en charge certaines étapes ou certaines démarches que devrait faire l’étudiant, comme le fait de vérifier les dates d’échéances réglementaires, aller chercher des formulaires, demander pour des ­signatures, consulter des ressources pour obtenir des informations, etc. Évidemment, dans beaucoup de situations, le directeur a avantage à intervenir pour diriger l’étudiant dans le choix des séminaires, dans la séquence des cours à suivre ou des activités auxquelles s’inscrire. Cependant, il ne devrait pas se substituer à l’étudiant et faire les démarches à sa place. Considérer que la démarche de l’étudiant est sa responsabilité signifie que c’est à l’étudiant de faire les démarches et de s’informer de ce qu’il doit savoir. Le directeur ne doit pas « savoir » à la place de l’étudiant. Si

5

Ce que je décris dans cette section va à l’encontre de ce qu’on retrouve souvent dans les ouvrages portant sur l’encadrement des étudiants. On y suggère que le professeur devrait s’occuper de faire le suivi des règles administratives et des procédures que l’étudiant doit respecter. Je pense qu’il s’agit là d’une approche qui considère que l’étudiant n’est pas en mesure de le faire convenablement et qu’un « bon » directeur de recherche doit s’occuper de ces aspects administratifs, ce qui met alors cette responsabilité sur le dos du directeur. C’est une position que je ne partage pas pour les raisons expliquées ici et plus loin.

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vous fournissez une information qui s’avère erronée ou incomplète, les conséquences négatives qui peuvent en découler sur le cheminement de l’étudiant (surtout lorsque ce sont des aspects règlementaires) deviennent alors de votre responsabilité. Le rôle du directeur est de s’assurer que l’étudiant vérifie les informations qui peuvent le concerner et les actions demeurent de sa responsabilité. Il peut parfois servir d’intermédiaire parce que son statut lui donne accès à des ressources, ou parce qu’il peut aider à faire accélérer certaines décisions, mais ce sont des interventions qui devraient être exceptionnelles.

Il y a quelques années, j’avais rencontré un directeur de recherche qui me disait être exaspéré par la difficulté qu’il avait avec différentes instances administratives pour obtenir des informations précises et par le fait que des formulaires étaient difficilement accessibles pour ses étudiants. En échangeant avec lui sur cette situation, j’ai réalisé qu’il faisait lui-­même les démarches et prenait les informations pour ses étudiants en fonction de leurs parcours et des échéanciers administratifs qu’ils devaient respecter. Il voulait s’assurer que ses étudiants respectent les dates limites de réinscription, chaque session (il fallait donc qu’il les connaisse), il se procurait certains formulaires administratifs pour leur faire signer (par exemple, le formulaire confirmant l’acceptation de la direction de recherche et du sujet de recherche). Il en gardait d’ailleurs un certain nombre d’exemplaires dans son bureau. Ses étudiants se trouvaient certainement privilégiés que leur directeur se préoccupe de leur cheminement de cette façon, mais je lui ai exprimé ma perception qu’il s’appropriait une responsabilité qui n’était pas la sienne. En agissant ainsi, les étudiants devenaient dépendants de ses propres informations et ils risquaient de ne plus suivre eux-­mêmes leur cheminement, puisque leur directeur s’en occupait. Il m’avait candidement confirmé que les étudiants se reportaient à lui pour être certains de respecter les échéanciers et les étapes de leur démarche, et qu’il recevait régulièrement des courriels lui demandant quelles étaient les prochaines étapes ou les prochaines dates à respecter.

Une telle disponibilité relève évidemment de la bonne volonté et du désir d’accompagner ses étudiants le mieux possible. Cependant, le directeur s’attribuait une charge supplémentaire de travail qui ne devait pas être de son ressort.

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Il faut que l’étudiant assume les responsabilités qui concernent son cheminement. Vous pouvez lui signifier qu’il doit vérifier telle ou telle étape et s’informer si des formulaires sont à remplir ou à signer, mais votre responsabilité de directeur de recherche devrait se situer à cette limite : lui rappeler de vérifier ses propres devoirs. Si l’étudiant ne fait pas les démarches qu’il faut ou ne respecte pas certaines échéances administratives, ce n’est pas votre responsabilité, même si ça peut déboucher sur une exclusion du programme. J’entends parfois des directeurs de recherche se plaindre du manque d’autonomie de leurs étudiants, parce qu’ils doivent justement leur rappeler constamment les étapes à vérifier ou les démarches à accomplir… Si c’est le cas, c’est probablement le signe que les étudiants se fient à eux pour le leur rappeler, parce qu’ils ont implicitement établi cette forme de relation. Je ne fournis aucune information de nature administrative à mes étudiants. Je leur fais savoir, dès la première rencontre, que je ne connais pas les étapes d’inscription ou les règlements pédagogiques les concernant personnellement et que je ne peux pas faire le suivi de leur cheminement, parce que c’est de leur responsabilité. Je me préoccupe beaucoup qu’ils respectent les règlements et les échéanciers, mais ma préoccupation se limite à leur demander s’ils ont vérifié la progression de leur cheminement, et s’ils se sont intéressés à savoir quelles étaient les procédures à respecter dans les prochains mois. Je ne leur demande d’ailleurs même pas de me donner les informations en question, puisque cela concerne leur propre cheminement. Cependant, plusieurs étudiants prennent la peine de m’informer des prochaines étapes et de ce qu’ils ont à faire pour me tenir au courant qu’ils ont bien fait « leur devoir ».

4.3 /

La nécessité d’être transparent et respectueux dans la relation Être transparent signifie faire connaître à l’étudiant ses raisonnements, ses justifications, ses décisions, les bons choix comme ceux qui s’avèrent moins favorables et qui doivent être modifiés, et d’expliquer les propositions qu’on lui fait sans chercher à enjoliver la situation ni à la dramatiser. C’est un principe que je considère comme fondamental pour assurer une relation harmonieuse et franche avec l’étudiant. J’ai été témoin de façons de faire qui pouvaient aller de l’acceptation sans exception de ce que l’étudiant présentait, sans lui faire valoir les erreurs ou le confronter à des faiblesses apparentes, à des situations opposées où le directeur ne faisait jamais ressortir les points positifs ou

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cherchait constamment à pousser ses étudiants dans leurs plus profonds retranchements pour qu’ils apprennent de leurs erreurs et pour qu’ils soient en mesure, plus tard, d’« affronter l’adversité ». Le principe de la transparence consiste à faire connaître à l’étudiant ce qu’on a en tête par rapport à son projet et à sa démarche, pour qu’il soit en mesure d’y réagir et de comprendre le processus qu’on adopte à son endroit. En raison du contexte particulier de l’encadrement aux cycles supérieurs et des apprentissages que l’étudiant doit faire, je considère que les raisons pour lesquelles on demande à l’étudiant de faire certaines tâches ou démarches doivent être explicites. Il en va de même pour les raisons pour lesquelles on est en accord sur certains aspects de son travail et qu’on désire qu’il en modifie d’autres. La relation d’encadrement n’est pas basée (ou ne devrait pas l’être) sur une relation d’autorité au sens d’un « patron » et de son employé. Si c’était le cas, les deux premiers principes évoqués précédemment ne seraient pas applicables et justifiés. La relation d’encadrement est une relation qui vise à permettre à l’étudiant de développer une réflexion et les habiletés nécessaires pour mener à terme une recherche, du début jusqu’à la fin. La transparence est une façon de rendre explicites les raisonnements qui sous-­tendent ces choix pour développer et produire la recherche et le document qui en fait foi. Dans mon cas, la transparence va jusqu’à annoncer à l’étudiant à l’avance que je vais essayer de changer quelque chose que je sais qu’il juge importante, plutôt que de tenter de le lui faire changer sans nécessairement le mentionner de manière explicite, par des moyens détournés. Être transparent signifie qu’on sait dire que c’est de grande qualité et pourquoi, mais aussi de le dire lorsque c’est de piètre qualité et pourquoi (chapitre 11, sections 2, 3 et 5). La transparence consiste à mentionner lorsqu’on est inquiet pour la suite de la démarche en raison des retards dans les productions, ou d’annoncer qu’on ne voit pas comment l’étudiant parviendra à compléter son diplôme, parce qu’il n’a pas accompli le travail nécessaire pour s’y rendre. Comme le mentionne aussi le sous-­titre de cette section, le respect doit être imbriqué dans cette transparence. C’est une valeur fondamentale qui devrait être présente dans toute communication et tout échange que vous avez avec les étudiants que vous encadrez. Annoncer à un étudiant que ce qu’il a produit est de piètre qualité peut se faire respectueusement, de façon à ne pas blesser ce dernier. Je reviens d’ailleurs plus loin sur le processus de correction (chapitre 11 ; chapitre 14, section 1).

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Encadrer aux cycles supérieurs

4.4 /

La relation d’encadrement ne s’établit pas par l’amitié ou la familiarité Le rôle pédagogique de l’encadrement aux cycles supérieurs sous-­entend que la relation n’implique pas, de prime abord, un climat de familiarité et d’amitié. Ça ne veut pas dire que les relations ne peuvent pas évoluer en ce sens au fil des mois et des années, mais ça ne doit pas être la façon avec laquelle il faut engager la relation. En abordant cette mise en garde, je vais à l’encontre de ce qu’on retrouve dans plusieurs ouvrages sur l’encadrement aux cycles supérieurs. On y suggère souvent, au contraire, d’établir une relation avec les étudiants qui va au-­delà du seul encadrement. Certains vont même jusqu’à encourager les directeurs à inviter leurs étudiants chez eux, lors de repas familiaux et de partager des informations sur les familles respectives, afin de créer un climat chaleureux permettant à l’étudiant de se sentir accueilli. J’ai toujours été surpris par de telles recommandations. J’ai rencontré de nombreux directeurs qui m’ont rapporté des situations problématiques qui sont apparues à la suite de telles activités. Les problèmes qui peuvent en découler sont beaucoup plus nombreux que les effets positifs réels sur le cheminement de l’étudiant. Inviter ou non un étudiant chez soi, au début ou pendant la relation d’encadrement, n’est pas un élément déterminant pour une relation d’encadrement saine, respectueuse, formatrice et aidante. On vient simplement changer la nature de la relation.

Il y a quelques années, à la suite d’un atelier sur l’encadrement où j’avais fait part de cette mise en garde, une professeure6 est venue me voir pour m’indiquer qu’elle venait de comprendre pourquoi elle rencontrait très souvent des difficultés avec les étudiantes qu’elle encadrait7. En tant que femme, elle voulait encourager ses étudiantes à poursuivre des études supérieures en leur démontrant qu’il était possible de poursuivre une carrière universitaire tout en ayant une famille et des enfants. Elle avait affiché dans son bureau de nombreuses photos de sa famille, de ses enfants et des multiples voyages qu’elle avait faits avec eux pour illustrer la faisabilité d’équilibrer sa vie professionnelle et familiale.

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Je mentionne le sexe de la personne, cette fois-­ci, parce que la situation aurait eu moins de sens par rapport au contexte et au sujet de l’encadré. La majorité des étudiants qu’elle encadrait étaient, en fait, des étudiantes.

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Chapitre 5 / Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes

Lors des toutes premières rencontres avec chacune des étudiantes qu’elle acceptait d’encadrer, il était presque toujours question de ses photos, et une partie des échanges portait sur sa vie personnelle et sur celle de ses étudiantes. Par la suite, au début de chaque rencontre, les étudiantes prenaient l’habitude de lui parler de leur vie, de leurs enfants (si elles en avaient) et de leur conjoint ou de leur relation sentimentale. Les étudiantes se mettaient même parfois à lui raconter leurs déboires amoureux et ça devenait difficile par la suite de les recentrer sur le travail à faire. D’une rencontre à l’autre, le temps que les étudiantes prenaient pour parler de leur situation devenait parfois de plus en plus long et elle devait alors les interrompre pour ramener les échanges sur leur travail, ce qu’elle se sentait toujours mal à l’aise de faire. Elle n’avait pas l’impression d’avoir encouragé ces confidences, mais elle a fait le lien, à partir de mes propos, qu’en mettant ainsi sa « vie » personnelle sur les murs de son bureau, d’inviter les étudiantes à parler de leurs vies, à échanger sur leurs aspirations familiales, cela leur ouvrait la porte à parler de leur vie personnelle. Il devenait ainsi tout à fait normal que les étudiantes lui parlent de leur vie, de leurs malheurs, de leurs difficultés de couples ou amoureuses, comme elles l’auraient fait à une confidente ou à une bonne amie. Les étudiantes prenaient souvent l’habitude de commencer la rencontre en demandant des nouvelles des enfants ou de la situation familiale de leur directrice, et elles en profitaient pour en donner de leur propre famille ou de leur couple. C’est elle qui m’a indiqué avoir ainsi réalisé pourquoi elle vivait ces difficultés que certaines autres collègues féminines ne semblaient pas vivre, parce qu’elles n’avaient pas créé ainsi un lieu propice à parler de sujets personnels.

Il ne faut évidemment pas conclure que le développement de relations plus familières avec des étudiants est à proscrire, mais celles-­ci doivent se développer de façon naturelle et progressive au fil des rencontres et des échanges. Les échanges et le travail avec ses étudiants peuvent effectivement mener à une plus grande familiarité et même déboucher sur une grande amitié, notamment au niveau du doctorat. Mais la relation d’encadrement ne doit pas s’établir ou s’amorcer en favorisant une ­relation de cette nature.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Il arrive que des professeurs expriment leur désaccord avec cette mise en garde en m’indiquant qu’il est important que l’étudiant puisse trouver, dans son directeur, une personne-­ressource en qui il peut avoir confiance. Mettre en confiance, être chaleureux, empathique, ne signifie pas qu’il faille créer un lien d’amitié avec les étudiants et, même si l’on décide d’organiser une réunion chez soi, avec tous les étudiants qu’on encadre, pour leur donner l’occasion de se rencontrer8, ça ne signifie pas que notre vie personnelle devient un sujet de discussion. Cela m’amène à parler de l’encadrement d’une personne avec qui l’on a un lien d’amitié ou un lien professionnel. La mise en garde demeure la même et l’on ne devrait pas accepter d’encadrer quelqu’un avec qui un tel lien existe. Les établissements universitaires ont parfois mis en place des règles formelles pour éviter les conflits d’intérêts, souvent interprétés par rapport à des liens familiaux entre un professeur et ses étudiants. Toutefois, encadrer une personne avec qui l’on a un lien d’amitié ou de proximité va dans le même sens. Cela rend très difficiles l’objectivité et la distance suffisante pour faire valoir des faiblesses, une mauvaise qualité de production ou une incompétence qui viendrait à apparaître. Il se peut qu’en tant que directeur de recherche, vous vous sentiez à l’aise de le faire, mais il est possible que l’autre personne le prenne de manière moins positive. Ça peut affecter ce lien d’amitié ou cette proximité, si la personne accepte mal les critiques ou les observations que vous devez lui faire. Vous êtes alors confronté à devoir peser vos mots et vos i­ nterventions par rapport à l’effet négatif que cela pourrait avoir sur votre relation. Ça peut être la même chose si vous aviez des liens avec un collègue dans une « autre vie » et que cet ex-­collègue vous demande de le diriger. Ce sont des situations à éviter à tout prix. On peut ne pas y voir de problèmes dans un premier temps, mais dès qu’il y aura des mésententes sur certains aspects de la démarche ou du travail produit, la nature de vos relations antérieures viendra teinter votre capacité à intervenir de manière franche et transparente, ou affectera sa capacité à recevoir des commentaires de votre part. La relation d’encadrement vous met inévitablement dans un rapport d’autorité qui s’ajuste mal à une relation bâtie sur d’autres bases. Dans le cas où des problèmes apparaissent dans la relation d’encadrement et dans le travail produit par l’étudiant, cette situation va se transposer et teinter

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Je pense toutefois qu’il peut y avoir d’autres endroits que son milieu de vie personnelle pour organiser des rencontres avec tous ses étudiants.

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Chapitre 5 / Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes

inévitablement les rencontres en dehors du contexte d’encadrement, ou nuire à la capacité de l’un ou de l’autre d’agir ou d’interagir ­adéquatement face à des sujets de mésententes ou de désaccord. Dans le même sens, j’exclus complètement la transformation de la relation d’encadrement en une relation impliquant des rapports intimes ou sexuels. On peut débattre sur le fait que ce type de relation puisse se développer, ou non, de manière adéquate et mener, ou non, à la création d’un couple stable dans le temps. Je connais personnellement une situation semblable qui s’est effectivement soldée par une union et des enfants et qui dure encore. Toutefois, même si le consentement est conscient et éclairé, les risques de dérapage sont beaucoup plus grands que les chances de succès, et c’est encore plus dangereux en cours d’encadrement. Si la relation est en train de se transformer en ce sens, je suggère très fortement de ne pas entreprendre quelque action que ce soit ni d’établir quelque contact que ce soit, et d’attendre à la fin du processus, après l’obtention du diplôme, pour en vérifier le potentiel. D’ailleurs, dans le cas où la relation de proximité en viendrait à se briser en cours de route, cela place le professeur dans une situation de vulnérabilité, même si au départ la relation semblait consentante, puisque l’étudiant peut alors se plaindre que le professeur a usé de son autorité. Évidemment, si c’est un étudiant qui tente de vouloir transformer la relation d’encadrement en autre chose, la même restriction s’impose et il faut le faire savoir rapidement à l’étudiant. Je suggère d’ailleurs d’évoquer vos préoccupations à cet effet à des collègues et éventuellement à la direction du programme ou du département, parce que de telles situations invitent à un changement de direction pour l’étudiant.

4.5 /

La nécessité de fixer des limites et de clarifier le cadre des relations rapidement C’est un principe qui sous-­tend la très grande majorité des suggestions qu’on retrouve dans le livre. J’ai justement souvent travaillé avec des directeurs de recherche pour les amener à établir des limites et à définir de façon plus claire le cadre des relations qu’ils établissaient avec les étudiants qu’ils acceptaient d’encadrer. Les deux premiers principes vont d’ailleurs dans ce sens. Mais au-­delà des différentes modalités d’encadrement et d’action qui sont proposées dans le livre, il faut que vous établissiez quelles sont les limites de vos actions et comment vous envisagez établir votre relation avant de le faire à l’égard de l’étudiant. Lorsqu’on a peu d’expérience,

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Encadrer aux cycles supérieurs

ce genre de délimitation et de choix se fait plus difficilement. C’est d’ailleurs pourquoi j’aborde ces principes tout au début et que les autres chapitres contiennent un certain nombre d’indications pour établir vos propres conditions dans la façon d’encadrer vos étudiants et dans le degré d’engagement que vous pouvez avoir envers eux et dans les tâches qu’ils effectuent. Il ne faut pas hésiter, en cours de route, à déterminer de nouvelles limites, ou à décider de ne pas intervenir sur certains aspects ou pour certaines situations même si, auparavant, vous étiez intervenu. J’ai parlé de transparence précédemment, et de l’importance d’aborder les situations difficiles lorsque c’était nécessaire. Cela se fait en ayant présenté à l’étudiant, de façon continue, les obstacles auxquels il est confronté et les limites qu’il semble avoir pour les surmonter. Il faut ainsi annoncer le plus tôt possible les difficultés ou les blocages qui vous semblent annonciateurs d’un diplôme qui ne sera pas mené à terme ou la limite de la relation d’encadrement. Ces situations seront reprises dans les prochains chapitres.

4.6 /

L’encadrement n’est pas du financement Je parle plus loin de certains problèmes qui peuvent survenir lorsqu’il y a un mélange des rôles, particulièrement lorsque l’étudiant travaille pour son directeur à titre d’auxiliaire de recherche (chapitre 14, section 4). La limite de la relation à laquelle je fais référence, ici, concerne l’engagement que le directeur peut prendre envers ses étudiants de financer leur travail sur leur recherche. Je sais qu’il y a, actuellement, une tendance des établissements à vouloir renforcer la participation des professeurs au financement de leurs étudiants9. Cependant, une telle approche présente des contraintes importantes pour le directeur, parce qu’il lui incombe alors de trouver les moyens d’assurer le financement qu’il avait annoncé. J’ai rencontré des directeurs de recherche qui s’étaient retrouvés devant des situations problématiques avec leurs étudiants après s’être engagés à financer leur recherche. Cette option est intéressante pour l’étudiant, et l’on conçoit facilement que cela lui facilite les choses en lui permettant de concentrer son temps sur l’avancement de sa recherche. Cependant, la réalité est souvent bien différente. La situation n’est plus

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Dans certains établissements, des « ententes d’encadrement » doivent être signées entre le directeur et son étudiant dont une part importante des informations porte sur la façon dont le directeur financera son étudiant.

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Chapitre 5 / Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes

aussi positive lorsque l’étudiant tarde à produire, prend beaucoup plus de temps que prévu, s’engage dans d’autres activités ou, éventuellement, décide même d’abandonner. Engager un étudiant pour travailler à votre recherche dans laquelle il pourra puiser son matériel pour son projet, ou même l’engager pour un autre projet qui n’a pas de liens avec le sien, présente, à mon sens, de meilleures conditions pour établir des règles plus claires et plus faciles à définir. Le contexte est différent si l’on s’engage à financer l’étudiant pour qu’il travaille à sa propre recherche, que ce soit en fonction d’un salaire ou d’une bourse. Le directeur établit alors un contexte où il devient le pourvoyeur financier de l’étudiant, sans nécessairement être en mesure de mettre en place des règles claires quant à la production que l’étudiant devrait fournir en retour. Ce sont des types de situations qu’il faut essayer d’éviter, si les critères et les règles qui définissent le paiement et les productions requises ne sont pas clairement précisés et définis pour l’étudiant. Qu’est-­ce qui justifierait que vous cessiez de financer le travail de l’étudiant sur son projet ? À quel moment jugeriez-­vous que son travail est adéquat ou insuffisant ? Quels sont les paramètres ou les critères que vous avez fixés pour évaluer la progression de l’étudiant ? J’en ai déjà parlé dans le chapitre 3, lorsque l’étudiant désire travailler à vos projets, mais qu’il ne semble pas avoir une idée mieux définie de ce qui l’intéresse (section 4.2). Si vous l’engagez pour participer à votre recherche pour y puiser, par exemple, ses propres données, vous devrez vous assurer d’exiger, dans le cadre plus large de son engagement dans votre recherche et dans le contrat qui le lie à vos travaux (et pour lesquels il reçoit un salaire), de bien définir les tâches et les productions qui concernent son travail d’auxiliaire et les différencier de celles qui concernent son travail d’étudiant pour son mémoire ou sa thèse. Cela évite aussi de mélanger les rôles (chapitre 14, section 4).

4.7 /

Le directeur n’est pas un confident, un conseiller personnel ou un thérapeute J’aborde cet aspect, bien que je sache que ce n’est pas la majorité des professeurs qui se rendent disponibles ainsi pour être à l’écoute des réalités personnelles, familiales ou professionnelles des étudiants. J’y reviens aussi plus loin concernant les problèmes personnels de l’étudiant (chapitre 13, section 4).

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Encadrer aux cycles supérieurs

Le directeur ne devrait pas se mêler de ces sujets, et il ne doit pas inviter l’étudiant à tout partager sur son vécu par rapport à sa situation ou à ses problèmes personnels. Il est presque inévitable que l’étudiant rencontre des difficultés d’ordre personnel ou familial au cours du processus, et que ces difficultés puissent même affecter sa capacité à produire et à avancer dans sa démarche. Mais le directeur n’est pas là pour intervenir ni pour conseiller l’étudiant sur ce qu’il vit et sur les décisions qu’il peut être amené à prendre. Il n’est pas là non plus pour recueillir ses doléances et devenir son confident. Lorsque vous acceptez de jouer ce type de rôle, la nature de la relation que vous entretenez avec votre étudiant est à coup sûr modifiée. Par la suite, il est presque inévitable que les rencontres deviennent des moments où l’étudiant prendra du temps pour vous parler de ce qu’il vit et ainsi accaparer une plus grande partie de la rencontre parce que la situation est plus difficile. Après avoir donné de l’espace pour discuter de ces sujets, vous ne pouvez plus vraiment l’empêcher, parce que ça donnera l’impression que vous n’êtes plus intéressé. L’étudiant peut ressentir un malaise important et même se sentir rejeté par rapport à ce changement d’attitude. D’autre part, comme vous n’êtes probablement pas formé pour agir sur ces aspects, il faut faire en sorte que l’étudiant ne vous raconte pas en détail les problèmes personnels auxquels il est confronté. Ça demeure aussi vrai, même pour ceux qui sont formés en relation d’aide. On peut se montrer sensible à des difficultés de l’étudiant qui l’empêchent de progresser, mais il n’appartient pas au directeur d’agir ou d’intervenir directement sur ces aspects personnels. Le directeur doit plutôt jouer un rôle d’orienter vers les ressources pertinentes. Ne pas entreprendre les échanges sur les problèmes personnels, ou ne pas vouloir en savoir plus si l’étudiant mentionne rencontrer des difficultés de cet ordre ne signifie pas que vous n’êtes pas intéressé par ce qu’il vit. Cela ne veut pas dire non plus qu’on ne doit jamais parler ou échanger sur des sujets d’ordre familial ou personnel de l’étudiant. Le principe est en fait de pouvoir aborder ces sujets lorsqu’ils se présentent, en respectant certaines limites, et ne pas chercher systématiquement à les ramener comme sujet de discussion à chaque rencontre. Un étudiant qui vous indique qu’il accompagne un de ses parents gravement malade a besoin de vous faire connaître la situation. Il n’est pas déplacé de lui poser quelques questions sur la nature de la maladie, le type d’aide qu’il lui apporte, éventuellement d’échanger avec votre étudiant, si vous avez vous-­même vécu une situation semblable et que vous vous sentez à l’aise

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Chapitre 5 / Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes

pour en parler. L’idée est de connaître la situation et de vous montrer réceptif à changer les modalités des rencontres au besoin. Pour les rencontres suivantes, il n’est pas nécessaire que vous rameniez ­vous-­même le sujet de conversation. Si une étudiante vous annonce tout enjouée qu’elle vient d’apprendre qu’elle est enceinte de son premier enfant, c’est une occasion de prendre quelques minutes pour échanger avec elle sur ce qu’elle vit. Si vous n’êtes pas en mesure de savoir si la grossesse était souhaitée ou non, ça devient toujours plus délicat de poser la question. Le « partage » d’émotions ou de sentiments peut être approprié dans la mesure où vous vous sentez à l’aise pour le faire et surtout, que vous saurez ramener le sujet sur la démarche d’étude après quelques minutes. Par contre, si cette grossesse n’était pas prévue et que vous comprenez que l’étudiante ou que l’étudiant que vous avez devant vous est préoccupé par la situation, il est moins approprié d’essayer de voir quelle est la décision qu’il ou qu’elle pense prendre à l’égard de la poursuite ou non de la grossesse.

Il y a quelques années, un de mes étudiants vient me rencontrer pour faire le suivi d’une production qu’il m’avait remise quelques jours auparavant. À son arrivée, je lui demande comment il va, mais sa réponse « qu’il va bien » n’est pas très enthousiaste et son ton me fait croire que ça ne va pas si bien. Après lui avoir exprimé mon doute que ça ne semblait pas aller aussi bien, il m’apprend qu’il vient de se séparer… Je n’ai pas cherché à savoir comment l’étudiant vivait la situation, s’il « l’avait vu venir », quelles étaient les implications ou s’il trouvait ça difficile. Avoir posé ce type de question aurait automatiquement suggéré que j’étais disposé à ce qu’il m’en parle et que je voulais partager ses états d’âme ou ses sentiments. Étant donné que ce n’est pas mon rôle et que je n’ai pas à m’immiscer dans ces réalités personnelles, je n’ai pas abordé le sujet de façon plus détaillée. Je lui ai demandé s’il préférait qu’on remette la rencontre à un autre moment, parce qu’il n’avait peut-­être pas l’esprit pour discuter de ce qu’il m’avait remis (à quoi il m’a répondu que c’était correct qu’on se rencontre). Puis, j’ai simplement indiqué que s’il voulait prendre un certain temps d’arrêt, dans les prochaines semaines, pour s’occuper de ses aspects personnels, de ne pas hésiter à me le faire savoir et qu’on établirait alors un autre calendrier, quand il se sentirait plus en mesure de reprendre le travail. Il m’a indiqué qu’il pensait pouvoir poursuivre pour l’instant. J’ai alors enchaîné sur le sujet pour lequel on se rencontrait.

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Ne pas poser de questions ou ne pas chercher à comprendre ce que l’étudiant ressent par rapport à des évènements de sa vie personnelle, familiale ou professionnelle ne signifie pas que vous ne vous intéressez pas à lui. Vous lui faites savoir que vous êtes sensible aux répercussions que sa situation peut avoir sur l’avancement de sa démarche, et que s’il a besoin de plus de temps, de vous en informer. Les étudiants font habituellement la part des choses et ne vous parleront pas de ce qu’ils vivent, si vous ne cherchez pas à favoriser leurs confidences. Il faut toutefois demeurer empathique et réceptif vis-­à-­vis des situations difficiles (ou joyeuses) qu’ils vivent.

Un étudiant dont je n’avais pas eu de nouvelles au retour des vacances m’a tout à coup fait parvenir la production sur laquelle nous nous étions entendus. La qualité de ce qu’il me transmettait laissait à désirer et ne correspondait pas à l’état d’avancement auquel je m’attendais. J’avais envisagé de discuter avec lui de la faible qualité et du manque d’éléments dans ce qu’il m’avait transmis. À son arrivée dans mon bureau, il m’a tout de suite indiqué qu’il avait décidé de prendre un temps d’arrêt de sa démarche, parce qu’il était aux prises avec une situation personnelle et familiale très difficile. Il aurait été facile de lui demander de quelle nature étaient ses difficultés, pour essayer de « comprendre » (parfois, il s’agit plutôt de curiosité), mais il aurait pu alors considérer qu’il devait me tenir au courant de la progression de la situation, à son retour, étant donné qu’il m’en avait parlé. Je lui ai précisé simplement les procédures à suivre pour prendre ce « congé » par rapport à son cheminement. Pour éviter qu’il ne soit pénalisé éventuellement par rapport à la durée de son programme, si son « congé » devait se prolonger, je lui ai suggéré certaines démarches à faire auprès des responsables du programme. Je l’ai invité à me contacter lorsqu’il penserait pouvoir se remettre à son travail.

Évidemment, si un de vos étudiants vous parle d’une situation personnelle difficile et qu’il cherche à échanger sur le sujet avec vous, ce sont des situations délicates parce qu’il ne faut pas que vous rejetiez l’étudiant de façon cavalière en lui indiquant que ça ne vous intéresse pas. Si cela se produit, vous pouvez écouter brièvement l’étudiant et lui exprimer que vous n’êtes pas en mesure de l’aider ou d’échanger sur le sujet,

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Chapitre 5 / Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes

parce que cela ne va pas dans le sens de votre relation. Il faut savoir être empathique, c’est-­à-­dire savoir démontrer qu’on est sensible au fait que la personne vit des difficultés, mais cela n’implique pas d’en savoir plus ou d’inviter l’autre à se confier. Toutefois, si vous n’avez jamais abordé de telles situations ou de sujets semblables au fil des rencontres, il est très rare que les étudiants engagent la conversation sur ces sujets. Parfois, certains étudiants vont avoir l’impression de vous décevoir s’ils ne parviennent plus à travailler sur leur recherche en raison de situations personnelles difficiles. Ils vont tenter de s’acharner à travailler sans aucun résultat, alors qu’ils devraient plutôt s’occuper d’eux. Ça devient le rôle du directeur de les encourager à prendre une pause ou de consulter un professionnel si les difficultés deviennent plus difficiles à gérer (chapitre 13, sections 2.3.1, 2.3.2 et 4). Vous pouvez le faire sans avoir à connaître le détail de la situation.

4.8 /

L’encadrement n’est pas du parrainage Cette mise en garde s’adresse particulièrement aux directeurs de recherche qui encadrent des étudiants étrangers. Leur situation est particulière, parce qu’ils arrivent parfois à la dernière minute, quelques jours avant ou même tout juste à la veille du début de la session (quelquefois même quelques jours plus tard). Parfois, leur arrivée se passe en plein hiver, alors qu’ils n’ont que leurs sandales aux pieds, sans manteau, avec une température sous zéro. Certains d’entre eux arrivent sur le campus ou dans la ville pour la première fois, et ils ne connaissent aucune ressource ni aucun contact pour les aider à s’y retrouver. Il n’est pas rare non plus que, dans le cas des boursiers internationaux, le paiement de leur bourse se fasse attendre et qu’ils soient sans ressources financières, alors qu’ils doivent payer leur logement et se nourrir. Ces situations peuvent créer de la pression chez le directeur pour intervenir de façon un peu plus ­personnelle pour aider ces étudiants. Ce sont des situations souvent dramatiques qui ne laissent personne indifférent. Cependant, il n’appartient pas au directeur de recherche d’agir à titre de « parrain » comme on pourrait le définir dans le cas de l’accueil de réfugiés. Ce ne sont pas des réfugiés et votre relation avec ces étudiants est de nature éducative et pédagogique. J’aborde cette mise en garde en raison de nombreux cas qui m’ont été racontés par les directeurs eux-­mêmes qui se sont engagés de cette façon auprès de leurs étudiants. La suite des évènements a malheureusement toujours mené à des situations de malaise et à des problèmes de relation avec les étudiants. Ça teinte évidemment toute la relation par la suite.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Si vous désirez accueillir temporairement chez vous des étudiants qui arrivent de pays étrangers, leur offrir des vêtements d’hiver pour faire face au climat, ou encore intervenir d’une façon ou d’une autre pour les aider à s’intégrer, c’est un engagement appréciable, mais qui doit se faire à travers les ressources qui existent déjà en ce sens et non parce que tout à coup, vous êtes confronté à un de vos étudiants qui vous fait savoir qu’il est dans une situation problématique.

Un étudiant est arrivé de son pays tout juste pendant la période des fêtes et il s’est présenté à son directeur de recherche quelques jours plus tard en expliquant comment il avait de la difficulté à pouvoir subvenir à ses besoins, parce que la bourse qu’il attendait n’était toujours pas arrivée. Le professeur a alors décidé de lui avancer personnellement l’argent pour qu’il puisse stabiliser sa situation, en attendant qu’il reçoive sa bourse. Le problème est apparu lorsque le professeur a réalisé que l’étudiant avait finalement reçu sa bourse depuis un certain temps, mais qu’il n’avait pas offert de le rembourser…

Un autre professeur reçoit un étudiant qu’il a accepté d’encadrer et qui descend tout juste d’avion, le vendredi précédant le début du trimestre. Il lui mentionne ne pas savoir où demeurer parce qu’il n’est pas parvenu encore à se trouver un logement. Le professeur propose à l’étudiant de l’héberger temporairement chez lui, afin de lui permettre de débuter la session et pour qu’il ait un pied-à-terre pour se trouver un logement. Mais après un temps, l’étudiant n’a toujours pas trouvé de logement qui lui convient… Le professeur est alors devant la délicate situation où il devrait demander à l’étudiant de partir, mais comme celui-­ci n’a rien trouvé, il ne veut pas le jeter à la rue…

Dans ces deux encadrés, la situation des étudiants est problématique, mais en agissant de la sorte, les directeurs de recherche se sont retrouvés devant des problèmes à gérer qui n’étaient pas de leur ressort, même si leur intention de départ était d’aider les étudiants. Certains ont mentionné être très hésitants, maintenant, à accepter d’encadrer des étudiants é ­ trangers par crainte d’être confrontés de nouveau à ce type de situation.

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Chapitre 5 / Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes

Annexe 5.1 / Grille de perception des rôles et responsabilités dans l’encadrement aux cycles supérieurs10 Chacune des paires d’énoncés qui suivent représente des tâches ou des thèmes pour lesquels l’étudiant ou le directeur peut avoir à jouer un rôle particulier. Estimez votre perception du niveau de responsabilité respectif de l’étudiant et de vous-­même pour chacun des énoncés en encerclant le chiffre qui correspond le mieux à votre évaluation. Selon l’échelle, plus vous considérez que la responsabilité pour le thème évoqué par un énoncé relève du directeur, plus vous devriez encercler un chiffre qui se rapproche de la valeur « 1 ». Au contraire, pour un énoncé dont la responsabilité vous apparaît relever plus de l’étudiant, vous devriez encercler un chiffre qui se rapproche de la valeur « 5 », sur l’échelle. Par exemple, si vous croyez fermement que c’est le directeur de recherche qui devrait choisir le sujet de recherche de l’étudiant, vous devriez alors encercler le chiffre « 1 » ou un chiffre qui s’en rapproche sur l’échelle. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Il se peut qu’il vous vienne en tête des situations particulières qui pourraient influer sur vos réponses, notamment si vous pensez à des étudiants de maîtrise ou de doctorat. Dans ce cas, il peut valoir la peine d’utiliser une grille différente en vous concentrant sur vos perceptions de vos rôles et responsabilités selon le niveau d’études des étudiants que vous encadrez. Le directeur de recherche

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L’étudiant

Le directeur de recherche a la responsabilité de choisir un sujet de recherche prometteur.

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L’étudiant a la responsabilité de se choisir un sujet de recherche prometteur.

La responsabilité incombe au directeur de recherche de décider du cadre de référence théorique le plus approprié. Le directeur de recherche a la responsabilité de définir les buts et l’étendue du projet. Le directeur de recherche est responsable de diriger l’étudiant dans les choix de son programme d’études (cours, activités) et de recherche.

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L’étudiant a le droit de choisir son propre cadre de référence théorique même s’il diffère de celui privilégié par le directeur de recherche.

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Il appartient à l’étudiant de définir ses propres buts et l’étendue du projet qu’il entreprend.

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L’étudiant fait ses propres choix à l’égard de son cheminement et de son programme d’études (cours, activités) en fonction de ses propres intérêts.

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Traduit, adapté et enrichi de Moses (1992).

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Encadrer aux cycles supérieurs

Le directeur de recherche est responsable d’indiquer à l’étudiant les thématiques qu’il doit aborder pour documenter son sujet de recherche. Le directeur de recherche doit limiter les orientations de recherche possibles en fonction des sujets qui l’intéressent. Le directeur de recherche doit former l’étudiant aux méthodes d’analyse dont il a besoin pour sa recherche.

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L’étudiant choisit les thématiques qu’il juge les plus pertinentes pour documenter son sujet et le directeur de recherche lui fait des suggestions en fonction de ces choix.

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Le directeur de recherche ne devrait pas influencer l’orientation des sujets de recherche parmi lesquels l’étudiant pourrait choisir.

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L’étudiant ne doit pas attendre de son directeur qu’il assure sa formation sur les méthodes d’analyse pertinentes à sa recherche.

Il est de la responsabilité du directeur de recherche de déterminer la formulation de la question de recherche.

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Les relations directeur/étudiant sont purement professionnelles et les sujets personnels ne devraient pas être abordés.

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Il est de la responsabilité du directeur de recherche de fournir le financement permettant à l’étudiant de mener son projet de recherche à terme. Le directeur de recherche est en droit de refuser de rencontrer l’étudiant lorsque celui-­ci se présente à l’improviste. Le directeur de recherche doit exiger d’être tenu informé régulièrement de l’état d’avancement du projet de l’étudiant.

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L’étudiant est le seul responsable de la formulation de sa question de recherche. Une relation intime est essentielle pour une supervision réussie.

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L’étudiant doit assumer la responsabilité de financer lui-­même les activités entourant la réalisation de son projet de recherche.

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L’étudiant est en droit de s’attendre à ce que son directeur de recherche le reçoive à n’importe quel moment, en fonction de ses besoins.

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L’étudiant doit avoir la liberté d’informer son directeur de l’état d’avancement de ses travaux lorsqu’il le juge nécessaire.

Le directeur de recherche a la responsabilité de se tenir informé des absences prolongées ou des activités de l’étudiant qui l’empêchent de travailler à sa recherche.

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Il appartient à l’étudiant d’informer ou non le directeur de recherche de ses autres activités ou de ses absences prolongées qui peuvent diminuer son travail sur sa recherche.

Le directeur de recherche doit amorcer le maintien d’un contact soutenu et régulier avec l’étudiant.

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C’est la responsabilité de l’étudiant de décider lorsqu’il a besoin de rencontrer le directeur de recherche.

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Chapitre 5 / Le processus d’encadrement et d’accompagnement dans les étapes

C’est la responsabilité du directeur de recherche de tenir l’étudiant informé des échéances et des démarches relatives à son cheminement pour s’assurer qu’il les respecte.

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Il est de la responsabilité de l’étudiant de connaître les démarches et les échéances relatives à son cheminement.

Le directeur de recherche délimite les parties du projet, du mémoire ou de la thèse à remettre pour en faire la correction.

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Le directeur détermine les délais qu’il veut prendre pour corriger les productions de l’étudiant.

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L’étudiant établit les délais de correction de ses productions en fonction de ses propres besoins.

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L’étudiant peut décider de remettre des parties de texte à corriger à n’importe quel moment qu’il juge pertinent pour ses besoins.

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L’étudiant possède le contrôle entier des réorientations qu’il décide de donner à son mémoire ou à sa thèse. Le directeur de recherche devrait soutenir l’étudiant jusqu’à la remise du mémoire ou de la thèse, peu importe l’idée ou l’opinion qu’il se fait du travail.

Les moments pour recevoir les parties de textes à corriger sont déterminés par le directeur de recherche. Le directeur doit décider de la réorientation du mémoire ou de la thèse s’il juge que c’est plus approprié. Le directeur de recherche devrait mettre fin à la supervision s’il croit que l’étudiant est dépassé par le projet. C’est au directeur de recherche de déterminer les parties du projet sur lesquelles l’étudiant doit travailler. Le directeur de recherche est directement responsable du niveau de qualité du contenu et du format du mémoire ou de la thèse produit. Le directeur de recherche devrait insister pour vérifier les différentes versions de chaque section produite du mémoire ou de la thèse. Le directeur de recherche devrait reformuler ou rédiger les parties de texte qui présentent des faiblesses.

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L’étudiant remet les parties qu’il juge lui-­même les plus appropriées à son directeur pour qu’il les corrige.

L’étudiant détermine lui-­même quelles sont les parties sur lesquelles il veut travailler.

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Le directeur de recherche ne fait que suggérer et laisse à l’étudiant toutes les décisions relatives au contenu, au format et au niveau de qualité.

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C’est la responsabilité de l’étudiant de demander à recevoir une critique constructive des versions préliminaires de la part de son directeur de recherche en cours de travail.

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Le directeur de recherche ne devrait pas proposer des formulations pour des passages du texte étant donné que l’étudiant en sera le seul signataire.

Encadrer aux cycles supérieurs

Le directeur de recherche est responsable d’orienter l’étudiant à propos des publications qui pourraient être tirées de son travail de recherche. Le directeur de recherche doit s’assurer que le mémoire ou la thèse soit terminé dans les délais réglementaires requis. Le directeur de recherche peut refuser à l’étudiant de déposer son mémoire ou sa thèse parce qu’il juge qu’il n’a pas le degré d’excellence suffisant.

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L’étudiant choisit par lui-­ même s’il désire publier ou les publications qu’il entend faire à partir de son mémoire ou de sa thèse.

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Aussi longtemps que l’étudiant travaille de façon régulière sur son mémoire, il peut prendre tout le temps dont il a besoin pour finir son travail.

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Si l’étudiant considère que son mémoire ou sa thèse est de qualité suffisante, son directeur doit l’appuyer et en permettre le dépôt.

Chapitre 6 /

L’aide à la recension des écrits1

Le processus de recherche commence inévitablement par une démarche de lecture et de recension des écrits. C’est un passage obligé qui ne doit pas (ne devrait pas) être escamoté, même si la recherche dans laquelle l’étudiant s’intègre a déjà fait l’objet d’une recension des écrits et que l’étudiant peut utiliser la totalité des sources disponibles et du matériel déjà analysé pour construire son travail. Il faut que l’étudiant s’approprie personnellement cette étape cruciale dans le processus de recherche. L’étape de recension des écrits devrait jouer trois rôles pour la ­réalisation du mémoire ou de la thèse : • aider à recueillir les informations et les savoirs nécessaires pour comprendre et décrire les enjeux et les orientations du sujet et du domaine ; • aider à la réflexion à l’égard de ce qui s’est écrit et de ce que l’étudiant veut en faire par rapport à ses propres champs d’intérêt et à ­l’orientation qu’il veut donner à son sujet ; et • aider aux processus de production et de rédaction du texte. Le premier rôle de la recension des écrits est probablement le seul que les étudiants eux-­mêmes entrevoient lorsqu’ils entreprennent cette recension. Pourtant, les deux autres rôles sont tout aussi importants, mais ils sont très peu abordés ou expliqués dans les ouvrages qui traitent de la réalisation d’une recherche ou de la supervision de la recherche.

1 L’expression recension des écrits est utilisée plutôt que revue de littérature ou recensement des écrits, parce qu’en français, c’est celle qu’on retrouve le plus souvent utilisée dans les publications (journaux et livres) qui en font l’objet.

Encadrer aux cycles supérieurs

Dans les ouvrages destinés aux étudiants, on fournit souvent un certain nombre de suggestions sur la façon de faire, mais on ne décrit pas ces rôles sur le processus de recherche et de réalisation du mémoire ou de la thèse. La compréhension de leur incidence aide pourtant à mieux saisir comment on peut aider l’étudiant et quelles sont les conséquences des difficultés qu’il peut rencontrer. Sur le plan des informations et des savoirs : • relever ce qui s’est écrit sur son sujet ; • justifier la pertinence de son sujet à partir des écrits ; • définir le cadre conceptuel ou théorique de son sujet ; • appuyer sa méthodologie et ses analyses. Sur le plan de la réflexion : • prendre position à l’égard de ce qui s’est écrit ; • établir des relations entre les écrits ; • faire un choix argumenté des textes pertinents ; • construire son argumentation pour les prises de position. Sur les plans de la production et de la rédaction du texte : • rendre les connaissances accessibles plus facilement et précisément en mémoire pour écrire ou produire un texte ; • faciliter l’expression, l’articulation et la mise en relation des idées par écrit ; • exprimer les faits et les concepts de manière précise et juste. J’ai rencontré une grande proportion d’étudiants dont les méthodes pour se documenter et prendre en note les informations utiles à leur recherche étaient déficientes. Les difficultés de production des étudiants, que je décris au chapitre 2 (section 3), démontrent que les problèmes de lecture qui ont lieu au moment de la recension des écrits sont la principale cause des problèmes de production des étudiants. C’est aussi une tâche que les directeurs de recherche tiennent souvent pour acquise ou ils en ­sous-­estiment l’effet, si l’étudiant ne procède pas avec méthode. J’ai rencontré très peu d’étudiants qui savaient comment procéder pour que leur recension des écrits soit systématique, efficace et, surtout, utile pour les aider à rédiger. Ils ont l’habitude de rechercher des informations pour répondre à des consignes particulières, beaucoup moins pour dresser le bilan de ce qui s’est écrit sur un sujet. Les étudiants au doctorat

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

ont déjà une meilleure expérience, mais la façon de prendre des notes et de ressortir les éléments pertinents des textes pour que la démarche les aide ensuite à rédiger n’est pas toujours mieux acquise, même s’ils ont complété une maîtrise. On considère souvent à tort que les étudiants savent comment « lire ». En fait, très peu d’étudiants ont reçu une véritable formation explicite sur ce qui doit être fait au moment de la lecture des textes dans un contexte comme la maîtrise ou le doctorat. Les problèmes d’interprétation, de production de texte, d’appropriation des contenus ou de prise de position qui apparaissent souvent plus tard dans la démarche de l’étudiant sont, la plupart du temps, causés par des lacunes au moment de la recension des écrits. Aider à la recension des écrits implique d’agir sur différents aspects de la démarche qui vont bien au-­delà de la seule information concernant l’usage des bases de données. Ce que je présente, ici, est une description des facteurs associés à la recension des écrits susceptibles de nuire aux étudiants dans la progression de leur pensée et dans leur capacité à mettre en mots le fruit de leur recherche. Je ne dirais pas que je couvre tous les problèmes et toutes les difficultés, mais certainement les ­situations les plus problématiques ou les plus fréquentes. La recension des écrits est interprétée ici dans le sens de couvrir, d’analyser et de critiquer les écrits entourant un sujet. L’aide à apporter devrait aussi concerner la façon de choisir et de noter les informations lues pour que l’étudiant puisse y développer sa propre réflexion à l’égard de son sujet. Ce chapitre décrit les différentes étapes et tâches pour lesquelles le directeur peut accompagner l’étudiant au fil de sa recension. On y retrouve les conditions et des suggestions sur les façons avec lesquelles le directeur peut accompagner son étudiant, en fonction des tâches et des étapes liées à la lecture et à l’analyse des textes. Je présente le processus d’accompagnement de la recension des écrits selon des étapes que j’ai jugées les plus logiques pour la séquence des évènements et en fonction de ma propre expérience avec mes étudiants, mais ces étapes peuvent évidemment différer d’une situation à l’autre et d’un étudiant à l’autre. Cela dépend du degré de préparation et de travail préalable que l’étudiant aura fait avant notre première rencontre officielle. Certains étudiants entreprennent ainsi leur recherche avant que nous nous soyons rencontrés, particulièrement lorsqu’ils ont déjà une idée plus précise du sujet et

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Encadrer aux cycles supérieurs

qu’ils ont déjà commencé à se documenter. Il est possible que certaines étapes soient superflues au début, ou encore qu’il faille y revenir parce que l’étudiant avance lentement ou rencontre des difficultés.

1 / Le suivi du processus de recherche des références et des sources C’est évidemment l’étape préliminaire à la lecture et à la consultation des documents. Les difficultés ou les besoins des étudiants à cet égard sont évidemment différents selon qu’il s’agit d’une démarche au doctorat ou à la maîtrise et que l’étudiant connaît ou non les ressources à consulter. La tâche du directeur ne devrait pas porter sur la description du fonctionnement et du processus de consultation des bases de données et de référence. Ce sont des démarches que les étudiants devraient faire par eux-­mêmes auprès des services concernés, la plupart du temps dans les bibliothèques. Le directeur de recherche peut cependant jouer un rôle important pour circonscrire les façons de rechercher dans les bases de données et d’utiliser les ressources documentaires en fonction du sujet précis de l’étudiant, comme de circonscrire des mots-­clés, les termes et les critères de recherche qui sont les plus favorables pour obtenir les références susceptibles d’être pertinentes à son sujet. Ce sont là des aspects qui aideront l’étudiant à développer des habiletés et un savoir-­faire propres à son domaine de recherche qui est plus précis que la base de données qui concerne la discipline. Lorsque l’étudiant s’insère dans nos projets de recherche pour lesquels une recension a déjà été faite, il pourra ainsi bénéficier des recherches antérieures. Toutefois, je suggère quand même d’exiger de l’étudiant qu’il procède lui-­même à une recherche dans les bases de données, même s’il a accès à toute la documentation dont il peut avoir besoin et que celle-­c i a déjà été mise à jour. C’est le meilleur moyen de lui faire comprendre la façon dont s’organisent les concepts ou les thématiques de son sujet ou du domaine et de les retrouver dans les écrits. L’autre avantage est qu’il sera plus en mesure, dans le cadre d’une autre recherche, de réappliquer la logique et la procédure pour trouver les ressources dont il a besoin. À cet égard, l’utilisation des expressions booléennes (et, ou, sauf, etc.) n’est pas nécessairement toujours mise en pratique par les étudiants. Ils gagneraient pourtant à en comprendre l’usage pour raffiner leur recherche. Lors de cette étape de recherche,

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

le degré d’aide du directeur dépendra évidemment du degré de maîtrise de la tâche par l’étudiant. Si cette vérification n’a pas été faite à la première rencontre, les premières rencontres subséquentes devraient servir à vous donner un aperçu de ce qu’il est en mesure de trouver. De façon générale, je suggère de commencer par demander à l’étudiant de déterminer les mots-­clés qu’il juge les plus appropriés pour entamer sa recherche, selon le degré de précision de son idée de sujet. Dans certains cas, les étudiants peuvent avoir les bons mots-­clés et bien comprendre l’organisation du domaine, mais d’autres fois, ils se méprennent sur les liens entre des concepts ou des thèmes et leur recherche ne fournit donc pas beaucoup de références pertinentes. Un étudiant qui connaît moins le domaine plus particulier aura probablement besoin de plus d’aide, surtout de comprendre la hiérarchie entre les concepts ou les mots-­clés. Le nombre de références qu’on obtient lorsqu’on consulte une base de données indiquée pour chaque mot-­c lé utilisé dans la recherche booléenne permet de lui donner un aperçu de la façon dont il peut circonscrire le sujet. On peut aussi l’aider à prendre conscience des articles ou des textes qui ne sont pas pertinents à cause de l’effet d’un des mots-­clés qui fait référence à un autre domaine d’étude. J’indique ici un certain nombre de questions ou de mentions à fournir à l’étudiant pour l’amener à réaliser comment il peut perfectionner son approche. Quelques informations à vérifier ou à suggérer à l’étudiant : • Combien de références obtenues pour chaque mot-­clé, pris séparément (dans le cas d’une combinaison de mots-­c lés avec les ­opérateurs booléens) ? • Pour les combinaisons de mots-­clés ? • Qu’est-­ce que donnent les résultats sur le plan du nombre de ­références pertinentes ? • Quelles sont les références qui ont été les plus pertinentes ? ›› Quels sont les mots-­clés ou les thèmes de ces références (pour usage éventuel) ? • Quelles sont les dates utilisées pour la période visée ? ›› Est-­ce que le nombre est plus important selon les ­regroupements de dates ? ›› Est-­ce qu’il y a des variations selon les mots-­clés utilisés ? • Est-­c e que certains sujets ou sous-­s ujets ressortent de façon ­privilégiée alors que ce n’est pas l’objet souhaité de la recherche ?

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Encadrer aux cycles supérieurs

›› Quels seraient les mots-­clés qui sont associés à ces sujets et qu’on pourrait utiliser pour exclure ces « sous-­sujets » ? ›› Comment pourrait-­on procéder pour exclure ces sujets ? • À partir d’une référence qui a été trouvée et qui est très pertinente (ou d’une référence que j’ai pu moi-­même proposer), quels sont les mots-­clés auxquels cette référence est associée ? ›› Quelles sont les autres références qui sont trouvées à partir de ce ou ces mots-­clés ? ›› Sont-­elles pertinentes ou pas vraiment plus qu’avec les autres mots-­clés ? • Est-­ce que le nom de l’auteur (ou de deux auteurs) a été utilisé pour rechercher d’autres références ? • Est-­ce que les mots-­clés demeurent les mêmes ? Évidemment, ce type de questionnement paraitra simpliste pour une personne habituée à consulter les bases de données et à faire de la recherche. Ce sont des processus souvent implicites de recherche auxquels on ne pense même plus lorsqu’on aborde cette tâche. Cependant, pour un étudiant qui fait cette démarche pour la première fois, il est possible qu’il n’ait pas su comment procéder pour découvrir d’autres références auxquelles il n’aurait pas eu accès par la première recherche. Ils ont pu facilement faire tout leur premier cycle en ne sachant même pas que de tels outils ou bases de données existaient, parce qu’ils n’ont jamais eu à s’y reporter. Les exigences de recherche d’information ne sont ­habituellement pas aussi exigeantes qu’à la maîtrise. On peut procéder à ce questionnement pour l’amener à observer les résultats de ses recherches et à en comprendre la structure, mais on peut aussi, de façon plus directe, lui faire part des moyens de contourner certains types de résultats qu’on sait déjà qu’ils seront obtenus par l’usage de certains mots-­clés.

2 / Le suivi du processus de tri et de sélection des ouvrages L’étudiant doit apprendre à faire un tri parmi les ouvrages et les textes pour sélectionner ceux qui lui seront les plus utiles. On peut croire que les étudiants du doctorat savent bien faire ce tri. Ce n’est pas toujours le cas, notamment si le sujet diffère un peu de ce qu’ils avaient fait à la maîtrise, ou encore si l’étudiant se laisse absorber par des articles ou des ouvrages

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

qui attirent son intérêt, mais qui ne présentent pas le même degré de pertinence pour le sujet lui-­même. Lorsque l’étudiant connaît bien son sujet et qu’il a une idée assez claire de l’orientation à lui donner, cette sélection est beaucoup plus facile à faire. Pour un étudiant qui commence son processus de recherche et qui en est à une première étape, ce travail de tri est essentiel. J’introduis ici les quelques éléments de base à vérifier auprès des étudiants. Bien que certains d’entre eux puissent paraître évidents, j’ai régulièrement des confirmations que les étudiants ne savent pas nécessairement aborder les textes de la bonne façon pour faire un premier tri dans les ouvrages ou les références qu’ils obtiennent par leur recherche. Quelques informations à vérifier ou à suggérer : • Lire les titres et les résumés : beaucoup d’étudiants hésitent à éliminer un article, dans les premières phases de sélection, parce qu’ils craignent d’en laisser de côté qui auraient pu leur être utiles. Ils ont tendance à lire une proportion importante du texte avant de décider de le conserver ou de le laisser de côté. Cette boulimie crée souvent une diversion du sujet parce qu’ils ont tendance à s’accrocher à un texte qui les intéresse, même si ça ne concerne pas précisément leur sujet et, parfois, ça finit par influer sur la suite de leur recherche documentaire. J’ai rencontré des étudiants qui ne savaient pas comment faire une analyse rapide de la pertinence des articles à partir du titre et du résumé. Ils ne savaient donc pas comment « questionner » le titre et analyser le résumé. On peut alors avantageusement leur décrire comment « lire » un résumé d’un article pour déterminer comment ensuite passer à une analyse plus fine du texte. • Les procédures propres à la culture du domaine et du sujet : la façon de circonscrire le sujet, de faire ce tri et de conserver ou d’éliminer les articles ou les publications peut dépendre, à l’occasion, des caractéristiques de la discipline ou de la connaissance du sujet en question. Certains choix plus précis comme des termes dans le résumé, la présence de certains auteurs dans les références ou encore des indications sur le plan de la méthodologie peuvent aider l’étudiant à choisir les textes les plus pertinents. Cette connaissance plus opérationnelle du tri des références ne peut s’apprendre que par l’expérience de la recherche dans son propre domaine. C’est le fruit de cette expérience que vous pouvez transmettre à l’étudiant pour qu’il acquière plus rapidement ce savoir-­faire.

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Encadrer aux cycles supérieurs

La principale difficulté du directeur est souvent, à cette étape, de rendre explicites et conscients la réflexion et les critères de choix qu’il utilise depuis plusieurs années de manière implicite et automatique. Il en va de même pour les approches inutiles ou peu efficaces. Cela fait partie du type de formation à la recherche qui n’est pas souvent abordé.

Il y a quelques années, j’ai encadré un étudiant qui ne provenait pas du domaine de l’éducation. Sa connaissance des outils, des bases de données référentielles ainsi que des concepts impliqués était donc nulle. Il avait fait une première démarche de formation, donnée par les ressources de la bibliothèque, pour savoir comment les utiliser. Le nombre de références qu’il avait conservées de ses premières recherches montrait toutefois qu’il allait perdre un temps énorme à sélectionner les textes pertinents, parce qu’il craignait justement de passer par-­dessus un texte qui pouvait s’avérer utile par la suite. Il lisait au complet presque tous les articles, à la recherche d’un indice potentiellement pertinent, avant de décider que le texte ne pouvait lui être utile. Il avait ensuite tendance à se disperser dans ses recherches, parce que la lecture des textes l’amenait à s’intéresser à des aspects complémentaires, mais qui ne concernaient pas du tout son sujet plus précis. J’avais alors pris le temps de regarder une partie de sa liste de référence et de lui suggérer un certain nombre de critères à se donner, au niveau du contenu et de l’organisation de l’article, pour choisir les textes pour son sujet et en fonction de ses besoins éventuels. Je ne fais pas la démarche avec tous mes étudiants, mais je vérifie maintenant très rapidement le temps qu’ils prennent à lire les références proposées pour sélectionner celles qui peuvent présenter un intérêt lorsque je fais la vérification des références obtenues.

Une première vérification de leur méthode pour traiter les textes qu’ils obtiennent peut aider à distinguer les étudiants qui pourraient bénéficier de ce type d’encadrement. Les procédures qu’on utilise personnellement sont faites parfois de manière implicite et notre propre méthode s’est développée au cours de notre carrière. Pour ceux qui auraient de la difficulté à expliciter leur processus ou qui voudraient s’en inspirer pour vérifier comment leurs étudiants fonctionnent, j’ai inséré, en annexe 6.1 de ce chapitre, une série de questions qui visent à rendre plus transparentes les réflexions et les démarches pouvant servir de guide pour effectuer la démarche d’explicitation de ses propres procédures.

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

3 / Le suivi des premières étapes de la recension des écrits Dans les débuts de la recension des écrits, je recommande de revoir l’étudiant dans des délais très courts pour suivre sa démarche. Pour la sélection des références, il faut vérifier régulièrement ce qu’ils obtiennent et ce qu’ils conservent ou non. Ce n’est pas très long de faire une recherche à partir de mots-­clés, il n’a donc pas besoin de délais très longs. L’idée, à cette étape, n’est pas qu’il vous revienne avec une analyse approfondie des références, mais qu’il cible les titres qui semblent les plus pertinents parmi ceux qu’il a dénichés. Selon les disponibilités de chacun, le retour devrait se faire à l’intérieur d’une semaine (pour les étudiants à temps complet, un peu plus long pour ceux à temps partiel) pour que l’étudiant rapporte le bilan de ses premières recherches. Il faut éviter qu’il ne s’avance trop et qu’il ne prenne des directions inadéquates, ou encore qu’il nous dise, après quatre semaines, qu’il n’existe pas de publications sur son sujet ! C’est aussi souvent à cette étape que l’étudiant aura tendance à lire des textes qu’il trouve intéressants, mais qui ne sont pas nécessairement pertinents à son besoin. Personnellement, je leur demande de me faire parvenir la liste des références qu’ils ont trouvées et qu’ils ont jugées pertinentes à partir du premier regard. J’attends d’avoir l’étudiant devant moi pour discuter de la pertinence de ses textes. J’ai alors la possibilité de faire une vérification rapide de leur pertinence, de leur récence ou de leur valeur et d’en discuter avec l’étudiant, en lui fournissant des indications sur lesquelles je base mon jugement. Dans certains cas, cela permet aussi d’orienter l’étudiant vers d’autres recherches possibles à partir de ce qu’il a trouvé.

Il m’est arrivé de penser qu’un de mes étudiants avait suffisamment d’expérience et de pratique pour le laisser aller avec sa recherche documentaire. Il m’avait déjà présenté certains ouvrages qu’il avait commencé à consulter avant de me rencontrer. Ces documents étaient pertinents et il m’avait fait part des mots-­clés et de la démarche qu’il entrevoyait faire pour trouver d’autres références. J’ai donc planifié une autre rencontre un mois plus tard. Quand je lui ai demandé de me faire une synthèse de ses lectures dans le but de commencer à préparer sa problématique, j’ai réalisé malheureusement que les références qu’il avait le plus consultées n’étaient plus pertinentes pour son projet de recherche. Il était tombé sur certains articles et ouvrages qu’il trouvait très intéressants pour sa pratique de professeur, mais qui étaient en marge de son sujet de

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Encadrer aux cycles supérieurs

recherche. Il s’était mis à approfondir ses recherches sur cet aspect et son texte montrait très peu d’éléments utiles pour son sujet. Il n’était alors pas en mesure de construire une problématique en fonction de son sujet.

Ces rencontres fréquentes, au début du processus de recherche, obligent aussi les étudiants à travailler sur leur sujet de façon continue et à ne pas attendre la fin de leur scolarité pour entreprendre un travail sérieux sur leur recherche (chapitre 8, section 1). Cette étape de vérification de la valeur des références peut se faire à deux ou trois reprises, selon l’avancement de ses recherches et de ce que l’étudiant trouve au cours de son processus de recension. Ce n’est pas un suivi qui prend beaucoup de temps, mais il peut permettre d’en économiser beaucoup à l’étudiant. Si de nouvelles références doivent être recherchées, elles sont alors beaucoup plus faciles à circonscrire. L’étape suivante permet aussi de faire cette vérification, mais on entre alors plus directement dans le contenu des textes.

3.1 /

Aider à la lecture Les étudiants ne saisissent souvent pas l’importance de cette étape, et ils considèrent à tort que la lecture consiste simplement à passer à travers les textes en soulignant, à l’occasion, quelques portions plus ou moins importantes. La lecture des textes joue plusieurs rôles importants. Évidemment, le premier rôle vise à permettre à l’étudiant de trouver les informations pertinentes dont il aura besoin pour asseoir l’ensemble de ses choix relatifs à l’articulation de son sujet, de son cadre théorique, de sa méthodologie et de l’analyse et l’interprétation de ses données. Mais la lecture et le traitement de ses textes jouent également des rôles essentiels qui ne concernent pas uniquement l’accès à un contenu ou à un savoir pertinent. La lecture et la prise de notes qui devrait y être associée devraient servir aussi à faciliter les activités suivantes : • aider à élaborer une réflexion à l’égard de ce qui s’est écrit ; • aider à restreindre au maximum les relectures et les recherches à répétition dans les textes ; • aider à mettre en relation les informations lues dans des textes différents ; • aider à la production du texte et à l’expression de ses propres idées par écrit.

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

Deux grandes activités sont en jeu dans cette étape, soit la détermination des informations pertinentes avec leur « classement » en fonction de leur usage potentiel pour le projet de recherche et la réflexion à l’égard de ce qui est lu pour faciliter l’établissement des liens et la production éventuelle du texte. Ces activités sont d’ailleurs en cause dans les difficultés de production des étudiants (chapitre 13, section 2.3.4). Le bon déroulement ou l’amélioration de l’exécution de ces activités se fait par l’accompagnement des étudiants dans le processus de lecture et dans le processus de prise de notes. L’étudiant doit bien saisir comment « lire » les textes pour y trouver les éléments utiles. Ce qui affecte la qualité et la quantité d’informations retenues lors d’une lecture dépend beaucoup du degré de connaissance du domaine concerné ainsi que de la clarté du « besoin » d’information et de son usage. La capacité de l’étudiant à saisir ou à distinguer ou non les bonnes informations va dépendre de son degré de familiarité avec le contenu, avec la forme des textes, avec le type d’informations qu’il recherche et le degré d’appropriation des raisons et du sens qu’il attribue à la lecture qu’il fait. Moins son degré de familiarité est élevé et moins il sera susceptible de reconnaître clairement les informations utiles ou pertinentes. Le comportement des étudiants peut prendre de multiples formes, pour un même degré de familiarité. Un étudiant peu familier avec le contenu ou le contexte peut vouloir tout conserver (surtout tout souligner) pour ne rien perdre de ce qui est lu, alors qu’un autre étudiant qui n’est pas plus familiarisé ne conservera rien (ou ne soulignera pas), parce qu’il ne voit pas nécessairement la pertinence de ce qu’il lit, attendant souvent que se produise une sorte d’illumination à la lecture d’un passage qui lui ferait beaucoup de sens, mais sans que ce passage soit nécessairement aussi pertinent. Certains cherchent à noter ce qu’ils ne connaissent pas alors que d’autres ne conservent que ce qu’ils reconnaissent. Savoir lire adéquatement, savoir noter les éléments pertinents de la bonne façon pour en faire ensuite une synthèse adéquate requiert beaucoup de pratique. Certains étudiants démontreront une certaine aisance dès le début, alors que d’autres ne parviendront jamais à maîtriser l’activité complètement. Il faut cependant différencier les capacités d’interprétation des informations d’un étudiant qui entreprend l’étude d’un sujet nouveau pour lui et celles d’un étudiant qui en a une plus grande connaissance. L’étudiant qui aborde un sujet pour la première fois aura beaucoup plus de difficultés à saisir rapidement les informations les

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Encadrer aux cycles supérieurs

plus pertinentes. Parfois, leur connaissance restreinte d’un sujet peut les amener à tenter de faire des amalgames erronés entre ce qu’ils croient savoir et ce qu’ils lisent de nouveau. J’ai suggéré au chapitre 3 (section 2) qu’il était utile de demander à l’étudiant, en préparation à la première rencontre, de commenter certains textes afin d’avoir une idée de la façon avec laquelle il aborde la lecture et peut en rapporter le contenu. Cette évaluation préliminaire est une bonne façon de voir le degré d’encadrement et de suivi dont l’étudiant aura besoin et le type d’accompagnement que vous pourriez lui offrir. Devant un étudiant qui semble ne pas avoir développé de méthodes de lecture et d’analyse de textes qui soient très efficaces, il peut valoir la peine de lui fournir une aide, au début. Un échange à partir d’un article pourra l’aider à mieux aborder les textes et nous, de savoir si ses difficultés proviennent d’une absence de connaissance sur le sujet ou de lacunes méthodologiques.

3.2 /

Expliciter ses propres processus de lecture Pour aider à la lecture, on peut initier l’étudiant à nos propres processus de lecture et aux réflexions ou aux questions qui sous-­tendent notre lecture. Je propose ici un certain nombre de questions que j’adresse aux directeurs afin d’expliciter des démarches d’analyse ou de réflexion qui pourraient être transmises ou expliquées à l’étudiant. Si vous posez ces questions aux étudiants et qu’ils ne savent pas vraiment quoi répondre, je vous suggère de leur fournir vos propres réponses. Il est possible que vous ayez d’autres types de questionnement ou des démarches particulières qui ne sont évidemment pas décrites ici. Vous pouvez alors les rendre explicites pour les décrire à vos étudiants. • Comment faites-­vous, lorsque vous lisez un texte, pour saisir ­l’information pertinente ? • Quelles sont les questions que vous vous posez au moment de lire ? • Quelles sont vos intentions de lecture ? Qu’est-­ce que vous pensez chercher ou espérez trouver ? • Comment savez-­vous qu’une information vaut la peine d’être notée ou saisie ? • Quelles questions pourriez-­vous vous poser pour savoir ce qui vaut la peine d’être noté ? • Dans chaque partie d’un article, qu’est-­c e que vous cherchez à cerner ? • Qu’est-­ce qui devrait être noté qui pourrait être utilisé plus tard ?

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

Cette transposition de votre réflexion pour amener l’étudiant à le faire sur un autre article correspond à l’étape d’échafaudage progressif2 où l’étudiant applique le même type de questionnement sur un texte en rendant explicite sa réflexion. Vous pouvez réajuster ou préciser la méthode selon la lecture. Ce sont évidemment les étudiants les plus faibles qui vont bénéficier de cette aide, mais cela peut leur faire gagner beaucoup de temps au moment où ils effectuent leur lecture et probablement augmenter la qualité de ce qu’ils ressortent des textes. Le fait d’aborder ainsi l’analyse d’un article pour en tirer les éléments importants et savoir comment « questionner » le texte peut être un exemple très utile et rentable3.

3.3 /

Éviter que l’étudiant ne construise sa connaissance sur vos propres explications Certains étudiants vont chercher à connaître votre avis et à vous amener à exprimer vos interprétations, parce que c’est un moyen, pour eux, de construire leur connaissance sur le sujet ou le domaine, à partir de ce que vous leur dites plutôt qu’en fonction de ce qu’ils pourraient lire. Ce sont les propos du directeur qui deviennent les éléments importants. Ils n’abordent pas les lectures dans une idée de se documenter et de réutiliser ces informations pour leur réflexion et la progression de leur pensée, mais seulement dans le but de confirmer ou préciser les opinions ou les interprétations que vous avez pu exprimer ou leur décrire, ou encore pour questionner leur directeur afin qu’ils leur expriment leurs idées et leurs interprétations sur ce qu’ils ont lu. Au cours des échanges, ils savent énoncer des faits ou des positions qui sont cohérents et pertinents, et ils peuvent ainsi discuter avec nous tout en travaillant à construire leur propre compréhension et leur propre connaissance de ce qu’on leur explique. Ils profitent d’ailleurs souvent d’une explication qu’on peut leur donner pour essayer d’approfondir le sujet en posant d’autres questions, pour voir des nuances possibles et continuer à nous questionner pour nous faire exprimer tout ce qu’on connaît et en tirer ce qu’ils ont besoin de savoir.

2 3

Il s’agit d’une des étapes du compagnonnage cognitif qui vise à rendre l’étudiant plus autonome dans l’exécution des processus (chapitre 5). Une recherche de Gemme et Gingras (2006, p. 23-­45) a d’ailleurs fait ressortir que la satisfaction des étudiants à l’égard de leur processus d’encadrement était grandement supérieure lorsqu’ils avaient ce type d’activités avec leur directeur, et ce, même pour des étudiants boursiers pourtant performants.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Cette situation donne l’impression que l’étudiant est très vif d’esprit et qu’il semble bien comprendre l’ensemble du sujet. Pourtant, il ne fait que travailler à partir des liens qu’on établit dans ce qu’on dit et non à partir de sa propre réflexion ni de ses lectures. Si on le questionne sur ce qu’il comprend, il peut avoir tendance à rapporter ce qu’on lui a dit en s’y référant comme s’il s’agissait du fruit d’une lecture qu’il a faite. Il rapporte nos propos (en nous les attribuant, évidemment) et l’on peut se rendre compte qu’il a très bien intégré ce qu’on lui a présenté, mais ce n’est pas aussi clair qu’il a fait la même intégration pour le contenu des lectures qu’il a faites. Ses connaissances sont structurées en fonction du filtre de notre propre interprétation et de nos propos par lesquels il construit sa compréhension et l’apprentissage du contenu de ce qu’il lit. Je décris plus loin, dans le chapitre 8, un problème issu de cette approche qui apparaît dans les productions de l’étudiant (chapitre 8, section 4.5). Parfois, on ne verra pas ce problème si les échanges avec l’étudiant portent uniquement sur ce qu’il vient de lire. Si ses lectures sont très récentes, il peut avoir en tête un certain nombre d’informations qu’il n’a cependant pas prises en notes. Si ce qu’il évoque vous amène à commenter ou à enrichir ce qu’il vous dit, il pourrait alors prendre ce que vous lui dites comme un élément de sa réflexion et ne pas retenir ce qu’il a tiré des écrits. Il ne conservera que le souvenir de ce dont vous avez discuté. La vérification des notes de lecture et des réflexions issues de ces notes (section 5) est un bon indicateur de l’appropriation réelle du contenu provenant des lectures, par rapport à ce que l’étudiant peut tirer de vos échanges. Vous avez avantage à le diriger vers d’autres lectures si ce qu’il présente est très partiel ou s’il ne semble pas avoir déterminé les éléments que vous jugiez importants. Ne lui précisez pas ces éléments, ne lui donnez pas d’explications tout de suite, ou ne commentez pas ce qu’il vous dit avant qu’il n’ait lui-­même exprimé son avis. Il y a des risques qu’il se limite à ce que vous lui dites plutôt que d’aller chercher la documentation qui lui manque, ou de ne faire qu’une lecture en survol pour saisir seulement ce que vous lui aviez déjà mentionné. C’est pourquoi je propose, dans le chapitre 8 (sections 4.4 et 5.10), de demander à l’étudiant de vous exprimer ce qu’il a lu avant de lui proposer des interprétations, et de partir des notes qu’il a prises plutôt que de vous baser seulement sur les propos qu’il vous tient.

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

4 / Un modèle de « fiche de notes de lecture » et son usage La plupart d’entre vous ont probablement vos propres méthodes de prise de notes de lecture que vous avez pu développer au fil de vos expériences de lecture pour la recherche. Peut-­être avez-­vous pensé communiquer votre méthode à vos étudiants pour les rendre plus efficaces. J’ai eu peu connaissance de directeurs de recherche qui apportaient un certain soin à vérifier la qualité des notes de lecture prises par leurs étudiants. En fait, même si l’étudiant lit de manière adéquate et sait reconnaître les éléments importants, s’il ne les prend pas en notes ou s’il les note de façon partielle, ses lectures deviendront presque inutiles parce qu’il n’aura pas en main les éléments dont il pourrait avoir besoin pour la suite de son travail. Cette situation est un problème important déjà mentionné (chapitre 2, section 3).

4.1 /

Introduire l’étudiant à la prise de notes de lecture J’associe beaucoup la prise de notes à l’aide à la lecture, parce que ce sont deux activités complémentaires importantes et la prise de notes de lecture présente des avantages significatifs sur lesquels je reviendrai. À cet égard, certains expriment des doutes quant au fait que les étudiants semblent moins bien outillés « maintenant » pour utiliser ces méthodes alors que c’était mieux « avant ». Personnellement, j’interviens sur ces aspects depuis 1990 et c’est un problème que j’ai toujours rencontré. J’ai d’ailleurs moi-­même senti la nécessité de me donner une méthode de prise de notes de lecture pendant que je faisais ma maîtrise, parce que personne ne m’avait initié à cette démarche et je trouvais que je perdais du temps à retourner dans mes textes. C’était entre 1983 et 1985… J’ai personnellement développé un gabarit de prise de notes de lecture que je demande à mes étudiants d’utiliser et qui est présenté au tableau 6.1. Je décris mon gabarit de façon détaillée ici, parce que les professeurs ou les étudiants qui assistent à des formations où je le présente me demandent de le leur transmettre. D’autres outils peuvent être donnés aux étudiants. La façon de diviser la fiche de prises de notes en un nombre de sections limitées vise ici à simplifier la répartition des informations. La « forme » du gabarit a plus ou moins d’importance, ce sont plutôt les activités de l’étudiant pour y inscrire les informations qui sont significatives et le fait qu’on puisse vérifier, par son entremise,

173

Encadrer aux cycles supérieurs

la pertinence et la valeur des textes lus et des notes prises. On peut aussi trouver d’autres exemples sur le Web4 à propos de la façon de prendre des notes de lecture pour un mémoire ou une thèse. Tableau 6.1 /  Gabarit de la fiche de notes de lecture*

Concept X Références Nom, P. Titre  selon les normes de rédaction. Montréal : Presses

3

Notes de lecture et réflexions

1

p. 124

2a

L’auteur décrit le concept X en se basant sur la théorie de  machin. Il en donne trois composantes qui sont les suivantes : 1, etc. Réflexion

2b

Il définit son concept de telle manière, mais les composantes qu’il utilise ressemblent à celles d’Y (année) sauf qu’il préfère utiliser le terme de « xxxxx » pour décrire cette portion. Je  trouve que ça ne change pas grandchose, mais en même temps, je pourrais peut-être utiliser cette ressemblance pour faire le lien avec l’autre auteur et cela me laisse penser que dans le fond, jusqu’à maintenant, toutes les définitions ou explications du concept tournent toujours autour de la même idée de… etc. Réflexion

2c

Bon, je pense que je devrais commencer par décrire les trois visions différentes que j’ai lues en les présentant à tour de rôle pour montrer que ce sont des visions du même sujet et que… etc. *

4

Pour des raisons de lisibilité, le gabarit a été disposé en mode page. Mon gabarit original comprend les mêmes sections avec les « textes » insérés comme exemple, mais il est disposé en mode paysage, sur une feuille 8 1/2 x 11. L'espace pour la référence est évidemment moins important et n'occupe que le quart de la fiche. Tout le reste de l'espace est accordé aux notes de lecture et aux réflexions.

Le Bureau de transfert et d’échanges de connaissances (BTEC) de la Faculté des sciences infirmières, de l’Université Laval, propose un document très pertinent qui décrit de façon détaillée les approches qu’on peut adopter pour lire et se faire des notes de lecture d’articles scientifiques (BTEC, s. d.). Un autre exemple est proposé par Ariane Beldi (2013) qui utilise le logiciel OneNote à la place d’un fichier Word. Ce sont deux exemples qui peuvent être acheminés aux étudiants.

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

Toutefois, je recommande fortement que vous exigiez de vos étudiants qu’ils adoptent un gabarit ou un modèle de prise de notes de lecture, selon ce que vous utilisez ou ce que vous jugez comme étant pertinent. Vous forcez ainsi les étudiants à suivre une procédure qui les aideront, s’ils n’ont pas eux-­mêmes développé une façon de faire adéquate. Je ne prétends pas que ce soit la meilleure « fiche de lecture », mais je la juge efficace pour moi pour analyser ce que l’étudiant ressort des textes et, pour lui, pour qu’il puisse s’en servir par la suite.

J’impose le gabarit de prise de notes à mes étudiants tout au début du processus d’encadrement. Dès la première rencontre, je présente le gabarit, je décris ses composantes, le type d’information à y inscrire et la « forme » à donner à ces notes. J’envoie à l’étudiant la version électronique « vide » du gabarit afin qu’il y ait accès directement sur son ordinateur. À la rencontre suivante, il doit m’acheminer ses notes de lecture, selon les délais prescrits, afin que j’en prenne connaissance avant notre rencontre. Je lis habituellement ses notes de lecture au complet lors des premières remises, pour vérifier la qualité, la pertinence, la récence et la diversité des lectures qu’il a effectuées. Parfois, je maintiens ma vérification si je juge que l’étudiant a tendance à se perdre dans ses textes ou à ne pas bien tirer les informations auxquelles je m’attendais. Si je lui ai indiqué certaines lectures précises, cela permet aussi de valider sa compréhension des textes et du type de notes qu’il a prises. Je peux ainsi vérifier s’il a noté les informations pertinentes, s’il en manque ou s’il les interprète adéquatement. De plus, je peux analyser le type de réflexions qu’il émet à l’égard de ce qu’il a noté pour voir comment il aborde cette réflexion et l’usage qu’il entrevoit faire de ses notes dans son processus de production. Cette étape de lecture préalable des notes prend environ une dizaine de minutes. En procédant par des rencontres régulières, au début, le nombre de lectures effectuées n’est pas très grand et je ne relis évidemment pas les mêmes notes de lecture d’une fois à l’autre. L’étudiant me fait parvenir seulement ses notes de lecture prises depuis son dernier envoi.

Dans les pages qui suivent, j’indique de façon précise les consignes que je donne à l’étudiant pour insérer les différentes informations dans les sections du gabarit que je leur fournis, ainsi que les explications sur les raisons pour lesquelles je le demande de cette façon. J’ai fait le choix

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Encadrer aux cycles supérieurs

de partir du gabarit particulier que je donne à mes étudiants parce que c’est la façon qui m’est apparue la plus facile pour décrire les tâches et les réflexions à faire pour s’approprier le contenu de ses lectures. J’ai aussi inséré les formulations précises que je donne aux étudiants pour illustrer les informations qu’il m’apparaît nécessaire de lui préciser.

4.2 /

Section 1 de la fiche : section référence Consigne fournie à l’étudiant :

Mettre la référence telle qu’elle devra paraître dans le mémoire ou la thèse, selon les règles de présentation exigées pour l’établissement ou pour la revue, selon le cas. Si l’on a un gabarit qui transpose ou corrige automatiquement la forme (comme on le retrouve souvent lorsqu’on soumet un article à une revue), on peut alors l’utiliser pour cette partie de la fiche.

Cette exigence sert à forcer l’étudiant à apprendre tout de suite les règles de présentation des références, selon le type de référence, et à les appliquer systématiquement pour tous les ouvrages qui sont lus et notés. L’utilisation de logiciels de gestion des références comme EndNote, Zotero ou Mendeley permet d’enregistrer les références selon les normes voulues et facilite ainsi leur disposition dans le texte, mais il faut que l’étudiant en fasse une première expérience pour apprendre à respecter ces normes. C’est également le seul moment où je vérifie le respect de la forme des références. S’il a respecté les normes de rédaction à cette étape-­ci, il devrait simplement transposer la référence dans sa bibliographie ou cela devrait se faire de façon automatique, s’il utilise un logiciel de gestion des références. Je ne vérifie donc plus la forme des références par après (chapitre 12, section 3). Je demande aux étudiants de répéter la référence dans l’espace de la section 1 chaque fois qu’il ajoute une nouvelle information ou un nouvel extrait du texte. C’est une façon de conserver clairement le lien entre l’auteur ou le document et l’information inscrite dans la section 2a. Lorsque je lis ses notes, cela me permet de savoir toujours à quel document elles font référence.

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

4.3 /

Section 2a de la fiche : les notes de lecture Consigne fournie à l’étudiant :

Indiquer la ou les pages concernées et noter les informations utiles, intéressantes, qui décrivent les concepts, les procédures, les explications, les justifications, etc. S’il s’agit de « citations », ça doit être indiqué très clairement que vous avez noté une citation. Si le texte d’où sont tirées les notes de lecture se répartit sur plusieurs pages, indiquer alors les pages. Mais si une information précise est notée qui provient d’une page précise, indiquer la page précise, même si elle fait déjà partie du groupe de pages indiqué précédemment.

Évidemment, mes consignes peuvent paraître un peu trop précises pour certains, mais je les exprime ainsi par souci de clarté et de précision lorsque je les énonce aux étudiants, parce qu’ils doivent bien saisir quelles sont mes attentes relatives aux informations à noter et ce que je souhaite retrouver.

4.3.1 /

Les avantages de la section 2a pour la prise de notes • Elle diminue le risque qu’ils « perdent » une information parce qu’ils ne se souviennent plus où ils l’ont trouvée, ou encore parce qu’ils l’ont vue dans un ouvrage de la bibliothèque qui est perdu ou emprunté pour une longue période. Elle élimine aussi la nécessité de rechercher une information qui aurait été seulement soulignée et qu’il faudrait retrouver à travers des documents lus. • Elle aide à mettre en mémoire les passages qu’ils ont lus, puisqu’ils les transposent par écrit dans leurs propres mots. La relecture de leurs notes permettra de rappeler toutes les i­ nformations ­pertinentes, qui seront regroupées en un seul document. • La formulation des informations dans ses propres mots, au moment de la lecture, peut aussi aider à transposer cette reformulation dans le texte à produire, puisqu’elle constitue déjà une formulation personnelle qui rapporte un extrait d’article. • C’est une aide à la rédaction, puisqu’ils s’entraînent à formuler leur pensée par écrit et dans un style qui se rapproche de celui du texte du mémoire ou de la thèse.

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Encadrer aux cycles supérieurs

• Ils peuvent déjà organiser leurs notes de lecture en fonction de sections ou de thématiques en reportant les informations tirées d’un même article en inscrivant, dans la section 3 de la fiche, le thème ou la partie visée (la section 3 de la fiche est optionnelle). Par exemple, s’ils tirent des éléments d’un article sur le plan du cadre conceptuel, ce même article peut aussi comporter des informations intéressantes sur le plan de la méthodologie. L’étudiant peut alors transposer ses notes de lecture dans des sections particulières prévues à cette fin et destinées à chaque partie de son mémoire ou de sa thèse. Au lieu de regrouper les articles en fonction des sections du document, ce sont les informations tirées des lectures qui sont regroupées en fonction de leur pertinence pour les différentes parties de son mémoire ou de sa thèse, lorsque l’étudiant est en mesure de faire cette organisation. • Ils ont accès aux informations lues et accumulées dans un seul outil qui permet aussi éventuellement d’insérer des documents de natures diverses (documents écrits, vidéos, images, extraits audio, etc.). • Le format des notes de lecture permet la réorganisation des notes selon certaines caractéristiques pouvant correspondre à des sections ou à des sous-­sections de chapitres. • Ils ont accès à des outils de recherche plus performants (électroniques) pour cerner des passages précis de leurs notes de lecture par l’utilisation de mots ou d’expression, etc.. • La majorité du travail de rédaction et de référence des informations se fait par la suite à partir des notes de lecture et non plus à partir des documents originaux. Au besoin, une information peut être recherchée dans le texte, mais les notes aident à circonscrire plus rapidement le ou les passages qui doivent être revus. Pour les notes de lecture, je demande aux étudiants d’éviter de se limiter à copier des parties de textes qu’ils jugent utiles et les mettre telles quelles dans leurs notes (notamment lorsque les documents sont en format .pdf). Cette habitude de copier-­coller des extraits de textes diminue le traitement approfondi qu’ils font du texte et ils assimilent beaucoup moins le contenu. C’est justement l’erreur que beaucoup d’étudiants commettent au cours de leur lecture, en soulignant simplement des passages des textes et en ayant l’impression que c’est tellement évident qu’ils seront en mesure de se les rappeler. Ils ne font que relever que le texte contient des éléments utiles, mais sans les traiter personnellement et les transformer

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

dans leurs mots. Ils diminuent leur capacité de se rappeler le contenu de la lecture et de pouvoir en discuter de façon détaillée, parce qu’ils sont moins en mesure de décrire de mémoire ce qu’ils viennent de lire, puisqu’ils ont simplement copié-­collé l’extrait. Une partie des problèmes d’appropriation des connaissances et de production mentionnés au chapitre 2 (chapitre 2, section 3) est justement due à cette fausse croyance que le fait de « comprendre » une information ou de la trouver utile permet de s’en souvenir précisément et de façon complète. Au début du processus, la seule façon d’y parvenir consiste à transformer dans ses mots le texte lu et jugé pertinent. S’ils insèrent une portion de texte copiée, j’exige qu’ils résument quand même cette portion dans leur mot pour en faire ressortir les éléments significatifs pour eux. Je veux savoir ce qu’ils retirent du texte au niveau du contenu et comment ils savent le décrire. Si un passage comprend un schéma, une figure, un tableau, etc., ils peuvent l’insérer dans la cellule de la fiche de notes de lecture, mais ils doivent ensuite en faire la description, l’expliquer ou décrire le contenu et ce qu’il signifie. Encore là, cette obligation vise à les forcer à extraire les éléments et à les décrire dans leurs mots plutôt que de seulement savoir qu’ils existent parce qu’ils les ont copiés. Je leur demande aussi de rapporter ce qu’ils lisent, comme s’ils me « décrivaient » ce qu’ils ont lu en lui donnant une forme plus scientifique qui se rapproche de la forme d’écriture qu’ils devront insérer dans leur production. Je l’illustre dans les exemples fournis dans le gabarit de « fiche de notes » que je leur donne : « L’auteur x explique dans son schéma que… » ; « Tel auteur rapporte que… » ; « Tel auteur s’oppose à la position de tel auteur en expliquant que… », etc. L’étudiant doit aussi bien distinguer les relations ou les oppositions de points de vue qu’expriment les auteurs de celles qu’il pourrait faire lui-­même dans ses réflexions. Il doit pouvoir retrouver ces positions des auteurs en tant que positions extérieures à son propre avis et ne pas mélanger les deux. Au fil du temps, les étudiants peuvent parfois ne plus être en mesure de faire la différence entre une position qu’ils ont lue et qu’ils ont adoptée, d’une position qu’ils auraient eux-­mêmes développée au fil des lectures. Il arrive à l’occasion que je doive poser la question aux étudiants, lorsque je corrige leur texte, parce que cette nuance n’est pas toujours évidente et quelqu’un pourrait accuser l’étudiant de plagiat s’il s’approprie ainsi une position déjà explicitée dans un article, sans y faire référence.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Par ailleurs, je n’accorde pas d’importance à la « qualité » de la rédaction sur le plan syntaxique ou grammatical, parce que ce sont des notes de lecture de l’étudiant. Je ne veux pas mettre de la pression sur la qualité de rédaction pour ces notes de lecture, puisque ce doit être un outil utile pour l’étudiant pour sa recherche et sa pensée. Il doit avoir le goût de noter le maximum d’informations et d’y mettre le maximum de réflexions. Il y aurait des risques que l’étudiant diminue la quantité de ses notes parce qu’il ne veut pas avoir à corriger « trop » de texte, sachant qu’il me les remettra pour vérification. Je lui indique clairement que je ne regarderai pas la qualité de son écriture et de son texte.

4.3.2 /

Quelques avantages pour le directeur Trois derniers éléments m’apparaissent importants à préciser sur l’usage et la vérification des notes de lecture par le directeur. Premièrement, lorsque l’étudiant ne fait qu’insérer des extraits copiés ou qu’il retranscrit des « citations » tirées des textes sans les commenter, il risque de rencontrer des difficultés, au moment de la rédaction, à pouvoir émettre son opinion, parce qu’il s’en tient toujours à la formulation de l’auteur cité. Le fait de vérifier comment l’étudiant reformule les informations qu’il ressort de ses écrits permet au directeur de voir très rapidement quel est le niveau de compréhension ou d’approfondissement des textes et ce qu’il en retire. Trop peu de notes pour un texte que vous jugeriez important peuvent être le signe que l’étudiant n’a pas bien lu ou qu’il n’a pas reconnu les informations utiles. Un accompagnement plus serré sera peut-­être nécessaire sur le plan de la lecture (section 3.1).

J’ai rencontré un grand nombre d’étudiants qui avaient des difficultés à mettre par écrit ce qu’ils savaient et ce qu’ils avaient tiré de leur lecture, parce qu’ils avaient toujours noté les « citations » des passages jugés pertinents. Ils avaient une liste de connaissances, un ensemble d’éléments qui leur paraissait très clair, mais la transposition de ces informations en texte suivi et organisé à partir de leur propre expression devenait difficile. Ils ne faisaient pas de liens entre les idées, mais ils les exprimaient plutôt comme une suite d’informations ou de faits séparés, comme un enchaînement ou une liste de propositions. Ils pouvaient « rapporter » les propos, mais ceux-­ci ne devenaient pas du matériel qu’ils pouvaient mettre en relation de façon détaillée, parce

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

que ce n’étaient que des extraits tirés ici et là de leurs lectures. Les liens se faisaient seulement si les extraits pointaient sur des aspects ­précisément déterminés.

Le deuxième avantage concerne le plagiat. La vérification systématique des notes de lecture, au début, est une bonne façon de voir à quoi ressemble la production du texte de l’étudiant par rapport à ce qu’il a noté. C’est une façon de faire un suivi entre les lectures et la production du texte, pour s’assurer que ce qui est écrit provient de l’étudiant et n’est pas une copie de ce qu’il a lu. On peut ainsi revenir sur les notes de lectures prises et voir s’il y a un écart entre ce que produit l’étudiant et ce qu’il a noté, et vérifier rapidement si on a des doutes sur sa façon d’utiliser le contenu des textes. Troisièmement, la vérification des notes de lecture permet de vérifier que les références utilisées et les notes prises expriment des oppositions ou des divergences de point de vue entre les auteurs, lorsqu’on sait qu’il y en a. Parfois, les étudiants omettent délibérément des auteurs ou des textes qui vont à l’encontre de leur position, en pensant que s’ils ne les mentionnent pas ou qu’ils évitent de les aborder dans leurs lectures ou dans leurs notes de lecture, ils n’ont pas à en tenir compte. C’est une façon de rappeler l’importance de la divergence des points de vue, puisqu’on doit rapporter « toute » la recherche qui s’est faite sur le sujet.

4.4 /

Section 2b de la fiche : les réflexions de l’étudiant Cette sous-­section de la fiche de prise de notes est destinée aux réflexions de l’étudiant sur ce qu’il a pris en notes. Pour les besoins de l’explication, j’ai séparé les sections 2a et 2b par un pointillé, mais dans les faits, le gabarit que j’envoie aux étudiants ne comprend pas de séparation entre les deux sections. C’est à l’étudiant d’indiquer sa réflexion à la suite de son extrait. Consigne fournie à l’étudiant :

Vous devez indiquer une réflexion personnelle par rapport à chaque information notée. Cette réflexion peut prendre n’importe quelle forme et correspondre à une idée, à une réflexion venue de la lecture, à un commentaire, à l’expression d’un accord ou d’un désaccord par rapport à ce qui a été noté, à un souvenir d’une autre lecture, à un lien avec

181

Encadrer aux cycles supérieurs

une autre information, à une recherche à faire pour vérifier une idée, à un avis personnel ou à une question à poser, etc. Vous pouvez insérer plusieurs réflexions différentes à la suite de ce qui est noté ou insérer des réflexions à différents endroits des informations notées. Le principe, ici, est d’exprimer le maximum de réflexions et d’idées qui émergent de ce que vous venez de noter. Si vous notez une information, c’est qu’il y a une raison. Ce peut être simplement parce que vous trouvez que la formulation est bien faite et que vous pensez que ça pourrait être utilisé comme citation pour un passage de votre texte. C’est la « réflexion » qu’il faudrait alors inscrire, si c’est la seule raison pour laquelle vous avez noté un extrait. Si vous n’êtes pas certain qu’un passage sera utilisé, mais vous préférez le noter parce que vous ne voulez pas le perdre, ça constitue aussi votre « réflexion » à l’égard de ce que vous avez noté. Il n’y a pas de « bonnes » ou de « mauvaises » réflexions. Ces réflexions vous appartiennent, mais elles sont nécessaires. L’important est d’inscrire quelque chose lié à ce que vous notez. S’il vous vient plusieurs idées, vous les inscrivez, même si l’idée qui émerge vous fait penser à un autre aspect qui n’est pas nécessairement lié à la note de lecture que vous venez de prendre. Vous pouvez l’inscrire en gras dans votre réflexion pour désigner que c’est quelque chose à vérifier ou à approfondir, ou encore le noter aussi dans votre cahier de bord (chapitre 4, section 6.1) comme étant une tâche que vous voulez faire.

La majorité des étudiants entreprennent leur lecture et la recension des écrits avec l’idée d’accumuler des informations et de procéder, plus tard, à l’analyse de ce qu’ils ont lu et noté pour voir ce qu’ils peuvent en faire. Ce que très peu d’étudiants réalisent, c’est que les connaissances prennent sens, dans un premier temps, dans le contexte où elles sont traitées ou apprises une première fois. Les liens qui se font spontanément et les idées qui émergent le seront très souvent dans un premier contact avec ce qui est lu. Avec le temps, à force de les revoir, il est possible de pouvoir en tirer d’autres compréhensions, une interprétation plus fine, voire différente, mais ces informations seront à peu près toujours teintées de ce premier contexte dans lequel elles ont été lues. Les « inspirations » viennent de ce qu’une information lue est mise en relation avec une connaissance déjà ancrée qui est activée au moment où ces éléments se retrouvent en mémoire en même temps.

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

Les étudiants qui remettent à plus tard l’activité de « réflexion », parce qu’ils cherchent uniquement à compiler le maximum d’information, risquent de ne plus avoir la possibilité de retrouver ces réflexions par la suite. Il est d’ailleurs fréquent de rencontrer des étudiants qui disent avoir eu des idées au moment de lire, mais qui avouent ensuite ne plus se souvenir de ces liens qu’ils avaient pourtant trouvés au moment de la lecture. Ils ne les avaient pas notés parce que ces idées étaient tellement claires ! Le lien ou l’idée ne s’avère pas toujours pertinent ou valable, mais il est au moins possible de le vérifier par la suite, quand on l’a noté.

4.4.1 /

Les avantages de la section 2b pour l’étudiant Les avantages sont nombreux pour l’étudiant de procéder à la rédaction de ses réflexions personnelles à propos des lectures et des notes qu’il prend. • Forcer l’étudiant à prendre tout de suite position par rapport à ce qu’il note et à émettre des idées ou des avis, même partiels. • Permettre l’établissement de liens entre des informations en forçant l’étudiant à inscrire les idées et les liens qui peuvent émerger au fil de la lecture. • Faciliter l’expression personnelle de ses idées et de sa compréhension en la pratiquant par l’inscription de ces réflexions lors de la prise des notes de lecture. • Favoriser la rédaction de parties de textes qui peuvent émerger par la rédaction de réflexions, en commençant l’écriture de ses propres idées à la suite des notes prises. Les répercussions de la production des réflexions à la suite des notes de lecture s’avèrent majeures sur les plans de la rédaction, du d ­ éveloppement de la réflexion et de l’appropriation des connaissances.

Il y a plusieurs années, j’ai été invité à offrir un atelier sur le processus de rédaction du mémoire et de la thèse aux étudiants de maîtrise et de doctorat d’un département d’études littéraires. Ce sont évidemment des étudiants reconnus pour la qualité de leur rédaction et leur tâche est intimement associée à l’analyse d’auteurs et d’ouvrages, ce qui se rapproche de très près du travail à faire dans l’étape de recension des écrits pour un sujet.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Je me rappelle que la première fois, j’avais des doutes sur ce que je pourrais leur apporter de nouveau, étant donné la proximité de ce qu’ils étaient habitués de faire avec la tâche de rédaction qu’ils avaient à entreprendre. J’ai réalisé que le processus de prise de notes et, surtout, de réflexion à l’égard de ces notes se faisait rarement de manière systématique et que beaucoup d’étudiants étaient curieusement confrontés avec des problèmes que je rencontrais dans plusieurs autres domaines. Certains avaient déjà adopté une forme de prise de notes qui était très bien organisée, mais ils n’avaient jamais inscrit de réflexions ou de commentaires personnels pour toutes les informations qu’ils avaient notées. D’autres avaient des notes moins bien organisées et souvent constituées surtout de citations d’auteurs et d’extraits d’ouvrages, mais ils ne parvenaient pas à structurer leur pensée à travers ces écrits d’autres personnes, parce qu’ils n’arrivaient plus à énoncer leur propre pensée ; les extraits et les citations représentaient le sens même de ce qu’ils auraient voulu exprimer. Beaucoup se disaient incapables de pouvoir dire les choses autrement que les citations qu’ils avaient notées. Pour d’autres encore, le problème était de prendre « leur » voix à travers ces auteurs « renommés », où ils devaient même parfois ­adopter une position divergente. En leur expliquant le rationnel derrière les suggestions que je leur faisais à l’égard de la prise de notes, et surtout concernant les réflexions à ajouter, j’avais alors déclenché des dizaines de questions et de témoignages de problèmes que chacun rencontrait, et ils exprimaient comment la suggestion relativement simple de « réfléchir » pour chaque information notée leur permettait de comprendre les problèmes qu’ils rencontraient et des pistes pour les résoudre.

La prise de position à l’égard des auteurs et des propos n’est pas facile pour tous les étudiants (chapitre 8, sections 3.12 et 5.12). Certains sont habitués de donner leur avis et de commenter ce qu’ils lisent et ce qu’ils entendent. Pour eux, le processus se fait de manière plus naturelle et ils ont plus de facilité à conserver leur réflexion. Cependant, plusieurs autres étudiants cherchent plutôt à rapporter ce qu’ils ont lu pour démontrer qu’ils ont fait le tour du sujet, mais sans jamais oser prendre position. Prendre position pour une orientation ne signifie pas que les autres ne sont pas adéquates. Il faut cependant justifier pourquoi on préfère une position à une autre. L’étape de réflexion est une façon simple de les amener à émettre leur opinion dans un contexte « protégé » puisque cet

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

avis s’inscrit dans une réflexion, dans une hypothèse, plutôt que dans un texte formel ou « officiel ». La production d’une réflexion personnelle sur ce qu’ils ont pris en notes est une première activité qui met en branle leur propre expression et qui favorise une première étape d’explicitation par l’écrit de ce qu’ils savent et pensent.

4.4.2 /

Les avantages de la section 2b pour le directeur de recherche Comme c’était le cas pour les notes de lecture elles-­mêmes, les réflexions sur ses notes donnent plusieurs indices au directeur à propos de la qualité du travail intellectuel que l’étudiant est en mesure de produire à l’égard des informations qu’il traite. Vous pouvez discuter avec l’étudiant de ces réflexions et des positions qu’il émet avant qu’il ne s’avance à les décrire dans son texte. Ça vous donne l’occasion d’échanger avec l’étudiant sur ses arguments et de l’aider à y voir plus clair, en lui proposant éventuellement des interprétations différentes. Vous l’encouragez ainsi à émettre ses opinions et à en discuter. La lecture des réflexions inscrites dans les notes de lecture permet aussi de vérifier si leur lecture est active, c’est-­à-­dire s’ils font autre chose que d’accumuler simplement des faits. Personnellement, s’ils n’ont inscrit aucune réflexion, je les questionne sur ce qu’ils ont pris en notes et comment ils justifient ce qu’ils ont noté. Souvent, cette seule étape permet de voir le sérieux avec lequel les étudiants procèdent à la lecture et ce qu’ils tirent des notes de lecture qu’ils ont prises. S’ils sont en mesure de justifier ce qu’ils ont noté et qu’ils peuvent me le commenter, je sais qu’ils pourront avoir une réflexion par rapport à ce qu’ils lisent. Sinon, ils risquent de produire des textes qui manquent de liens ou qui ne sont que des accumulations d’informations. Plusieurs des interventions proposées pour aider l’étudiant dans la production de ses différents chapitres sont basées sur cette vérification des notes de lecture et particulièrement des réflexions. Cela ne garantit pas que l’étudiant puisse produire ses chapitres rapidement et sans heurts, mais au moins, vous pourrez déceler des lacunes sur le plan de la maîtrise des connaissances.

4.5 /

Section 3 de la fiche : les thématiques abordées Cette troisième section de la fiche demeure facultative, selon la capacité de l’étudiant d’entrevoir déjà des thématiques particulières, que ce soit en fonction de ses chapitres ou en fonction de sujets déterminés pour

185

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lesquels il peut être pertinent de regrouper les informations. S’il peut déjà comprendre la nature ou l’utilité d’une information lue, il peut alors rentabiliser son temps en répartissant tout de suite les informations dans les bonnes « sections » (concepts, méthodologies, pertinence sociale, etc.). L’idée, derrière cette procédure, est d’amener l’étudiant à tirer le maximum d’informations lors de la première (et peut-­être deuxième) lecture d’une source, pour éviter de relire plusieurs fois un même texte parce qu’il y cherche une information qu’il n’avait pas notée ou dont il ne se souvient plus. Certaines relectures s’avèrent parfois nécessaires parce qu’une meilleure connaissance du sujet peut amener à redécouvrir des informations qui n’avaient pas été jugées pertinentes au début. Cependant, ces relectures doivent viser des éléments précis plutôt qu’une démarche de réappropriation globale du contenu d’un texte.

5 / La procédure de vérification des notes de lecture La vérification des notes de lecture et de leur réflexion devrait se faire très tôt au début du processus de lecture, afin d’apporter les correctifs et suggestions nécessaires avant que l’étudiant ne soit trop avancé dans ses lectures. La lecture des notes et des réflexions ne prend pas beaucoup de temps, mais c’est une étape très riche en enseignement qui permet de cibler rapidement des faiblesses potentielles (ou des forces) de l’étudiant sur lesquelles vous pouvez revenir au moment de le rencontrer.

5.1 /

La vérification du contenu des notes J’ajoute, ici, une série de questions ou de vérifications possibles qu’on peut faire des notes de lecture de l’étudiant. Je les propose à titre indicatif. Ce sont des éléments qui manquent régulièrement dans les textes produits par les étudiants et l’on peut déceler ces failles au moment de la vérification des notes de lecture. • Est-­ce que l’étudiant a évoqué une théorie, une approche particulière ou le courant dans lequel s’inscrit le texte, si c’était mentionné ? • Est-­ce qu’il a inscrit les auteurs qui semblaient importants dans ses notes ? A-­t-­il mis les références s’il ne les avait pas déjà ? • Est-­ce que l’étudiant a inscrit le raisonnement ou l’argument pour justifier la pertinence de la recherche ou pour traiter du sujet ?

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

Si oui, quels étaient ces circonstances ou ces contextes ? • Est-­ce que l’étudiant fait ressortir les comparaisons ou les divergences de position de l’auteur par rapport à d’autres qu’il a l­ ui-­même évoquées auparavant dans ses notes ? • Est-­ce que l’étudiant a indiqué des définitions de concepts, des termes, des modèles et les a-­t-­il décrits ? L’étudiant a-­t-­il fait un lien ou spécifié la pertinence ou non de ces éléments par rapport à son propre projet ? • Est-­ce que les informations présentées sont précises ou si elles ne sont que des descriptions générales ? • Est-­ce que l’étudiant utilise des paraphrases ou s’il ne fait que « copier-­coller » des extraits de textes ? Utilise-­t-­il les deux ? • S’il utilise des extraits, est-­ce qu’il reformule ou décrit le contenu de ces extraits par la suite ? Dans ce questionnement et dans la vérification, il faut considérer les informations qui sont les plus pertinentes pour l’étudiant, et tenir compte de son degré de familiarité avec le sujet et l’avancement de sa propre démarche. Par exemple, si l’étudiant est à définir son sujet et à rédiger sa question de recherche, il pourrait ne pas saisir l’importance des informations méthodologiques ou des analyses de données effectuées. Cependant, s’il n’est pas en mesure d’évaluer la pertinence ou la valeur de ces analyses ou des choix méthodologiques, on peut quand même lui indiquer que tel texte contient des informations pertinentes à propos de la méthodologie ou du cadre conceptuel, pour qu’il y revienne par la suite.

5.2 /

Quelques démarches complémentaires • Lisez ses notes pour savoir si ce qu’il a noté semble utile ou correspond à des éléments pertinents des textes qu’il a lus ou qui concernent son sujet. • Vérifiez le type de réflexion que l’étudiant émet par rapport aux notes de lecture qu’il a prises ou aux réflexions générales qu’il peut ajouter. Je mets, à l’occasion, pour mon propre bénéfice, des commentaires dans ses notes de lecture sur lesquels je reviens au moment de le rencontrer, pour ajuster certaines interprétations qu’il a insérées dans ses notes, apporter des précisions ou parler de certains choix que l’étudiant envisage dans ses réflexions.

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• Au moment de la rencontre, demandez à l’étudiant de vous décrire globalement ce qu’il retient de ce qu’il a noté et si des aspects lui paraissent plus significatifs. C’est une façon de vérifier ce qu’en a retenu l’étudiant. Comment explique-­t-­il ce qu’il a lu et quelle est la différence entre ce qu’il a noté et ce qu’il vous décrit ? En laissant parler l’étudiant, vous aurez aussi une bonne idée de la précision des informations qu’il a retenues, comprises et assimilées. Il faut se rappeler que l’étudiant n’est pas nécessairement en mesure de tout saisir du texte et des informations s’il connaît encore peu le sujet. C’est aussi une façon d’éviter qu’il ne construise sa compréhension à partir de vos propres connaissances (section 3.3). • Pour la rencontre suivante, si vous lui demandez à nouveau de vous acheminer ses notes de lecture, demandez-­lui de vous envoyer seulement la portion « nouvelle » de ses notes afin que vous n’ayez pas à rechercher vous-­même ce qui a été ajouté. Ce processus devrait être repris un certain nombre de fois, selon ce que l’étudiant remet d’une fois à l’autre, selon la qualité des notes qu’il prend et des réflexions qu’il fait. C’est aussi une très bonne façon d’évaluer la qualité et la quantité de travail que l’étudiant fournit d’une fois à l’autre. Si la lecture qu’il a faite ne correspond pas à ce qu’il aurait pu faire ou à ce sur quoi vous vous étiez entendu, c’est déjà une indication d’un problème.

5.3 /

La nécessité d’encourager la relecture et la synthèse des notes de lecture J’ajoute ce dernier point concernant l’utilisation des notes de lecture parce que récemment, un étudiant que j’encadrais et dont les notes de lecture étaient d’une très grande qualité m’a fait réaliser que malgré les suggestions d’utilisation de ses notes de lecture, il ne les utilisait pas nécessairement de manière efficace. Cette situation n’était jamais ­apparue aussi clairement auparavant.

Un étudiant m’avait envoyé une nouvelle partie de sa problématique et y avait joint les notes de lecture qu’il avait accumulées pour cette partie. Son texte manquait de liens entre les aspects qu’il abordait. Il manquait aussi une certaine analyse critique des propos et de ce qu’il en tirait. En lisant ses notes de lecture par la suite, j’ai trouvé dans ses réflexions associées à chaque note tous les éléments qui manquaient à son texte et que je lui avais indiqués dans mes commentaires.

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

Lors de notre rencontre, quand on a abordé mes commentaires et que je lui montrais ses propres réflexions, il s’est dit surpris de pouvoir ainsi utiliser ses réflexions parce qu’il avait l’impression que cela n’était pas « scientifique », pour lui, puisque ça provenait de ses propres idées.

Cette anecdote montre qu’il faut rappeler à l’étudiant de retourner régulièrement dans ses notes de lecture. Il est possible que certains étudiants prennent des notes de lecture, mais n’y retournent jamais par la suite ou ne relisent jamais leur propre réflexion pour alimenter leur rédaction. Les contenus plus factuels des notes sont un élément important pour retrouver les savoirs pertinents, mais ce sont les réflexions qui peuvent aider l’étudiant à progresser dans sa compréhension et dans l’analyse et la critique qu’il peut émettre sur son sujet et les contenus qu’il aborde. Quand arrive le temps de passer à la rédaction de parties significatives de textes, comme la problématique ou le cadre conceptuel, une façon simple de procéder consiste à demander à l’étudiant de rédiger une synthèse de ses notes de lecture sur un des objets précis à décrire comme point de départ de son écriture. Vous pouvez ainsi l’orienter vers une relecture de ses notes et de ses réflexions pour répondre à une demande de votre part ou pour mettre par écrit une partie de texte. En procédant de la sorte (c’est ce que j’avais demandé à l’étudiant dans l’encadré précédent), vous délimitez premièrement une petite partie précise de production à faire et vous pouvez mieux évaluer la qualité de rédaction sur le contenu (chapitre 8, section 1). Deuxièmement, vous pouvez voir plus facilement comment l’étudiant utilise le fruit de ses lectures et de ses réflexions pour argumenter ou documenter le contenu que vous lui avez demandé de produire. En portant sur un aspect particulier sur lequel l’étudiant a fait une recension des écrits, de telles synthèses permettent aussi de vérifier si l’étudiant a tout le contenu dont il a besoin, ou si d’autres recherches sont nécessaires. C’est enfin un moyen d’éviter qu’il ne structure sa pensée uniquement à partir des discussions que vous pouvez avoir avec lui (section 3.3) puisque son texte doit partir des écrits qu’il a cumulés. Ces synthèses sont évidemment utiles lorsqu’elles servent de premières productions pour faire avancer le texte de l’étudiant.

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6 / Les notes de lecture et les outils de gestion des références (EndNote, Zotero, etc.) Le rôle de ces outils n’est pas de noter des informations et des réflexions, mais de compiler des références et de les retrouver avec toutes les informations qui leur sont pertinentes. En ce sens, par la façon dont ils fonctionnent, ils ne permettent pas cette accumulation et cette vérification des notes de lecture et des réflexions comme je le propose. Cependant, la démarche de prise de notes de lecture permet d’utiliser les notes prises et les réflexions pour les recopier ensuite dans les espaces prévus pour les notes. L’étudiant pourrait donc joindre ses notes à chaque référence qu’il a utilisée et ainsi regrouper toutes les informations pertinentes pour ses textes dans l’outil de gestion de ses références. Une recherche dans ses références lui permettrait automatiquement d’avoir accès à ses notes de lecture et aux réflexions associées.

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

Annexe 6.1 / Questions pour expliciter le processus de recherche et de sélection de textes Quelles sont les questions ou les « préoccupations » qui vous viennent au moment de faire votre analyse ? • Qu’est-­ce que vous recherchez ou désirez obtenir dans un premier temps ? Dans le contexte du sujet de l’étudiant ? ›› Les textes les plus pertinents ? ›› Les plus nombreux ? ›› Les plus utiles ? Etc. • Qu’est-­ce que vous feriez comme deuxième étape ? Est-­ce qu’il y a des précautions que vous prenez par rapport à des textes que vous pourriez retenir ou laisser de côté (de faux positifs ou de faux négatifs) ? • Quels sont les faux positifs que vous voudriez éviter de traiter ? On fait ici référence à des thèmes ou à des sujets qui sont présentés et qui laissent penser que le sujet est pertinent, mais finalement, même s’il évoque bien le sujet dans le résumé, l’article n’a de pertinent que son titre et le résumé, ou il aborde le sujet en fonction d’une orientation qui n’est pas pertinente ›› Comment procéderiez-­vous pour faire cette vérification et exclure ces textes rapidement ? ·· Est-­ce que vous regardez à un endroit précis dans l’article ? ·· Est-­ce que vous faites une vérification des grandes parties de l’article (par exemple, est-­ce qu’il y a des sujets, des procédures, une méthodologie, le contexte, etc.) ? ·· Est-­ce qu’il faut que vous lisiez tout l’article ou si vous allez directement à certaines sections ? ·· Est-­ce qu’il y a des risques à procéder ainsi (tout lire ou choisir des sections, ou faire autrement, etc.) ? ·· Est-­ce qu’il y a des avantages qui dépassent les risques ? ›› À quel moment faites-­vous cette vérification ? ·· Est-­ce au moment où vous voyez l’article pour la première fois ou le mettez-­vous de côté pour en faire une analyse ensuite ?

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·· Pourquoi procédez-­vous comme ça ? Quels sont les avantages de procéder ainsi et quels peuvent être les désavantages de faire autrement ? • Quels sont les faux négatifs que vous voulez éviter de laisser de côté ? Les faux négatifs sont les articles qui ne semblaient pas du tout pertinents au départ, mais dont le contenu, les propos ou les références s’avéreront utiles pour la suite. Il y a peu de « faux » négatifs. Parfois, ce sont peut-­être des aspects particuliers qui s’avèrent utiles pour confirmer des éléments qui ont été mentionnés auparavant. Ils apparaissent surtout au début du processus de recherche et de « défrichage » d’un sujet. ›› Est-­ce qu’il peut y avoir des faux négatifs ou bien cela est évité par le premier tri ? ›› Est-­ce que vous pouvez prendre certaines précautions ? ›› Quels sont les aspects qui peuvent s’avérer utiles qui ne sont pas vérifiables au début (s’il y en a) ? ›› Est-­ce que certaines parties du texte sont toujours ou presque toujours inutiles ? Quelle est votre procédure pour analyser ces écrits à partir des listes qui sont proposées à partir des mots-­clés ? • Est-­ce que vous avez une classification de la pertinence des références que vous utilisez pour les classer ou pour les catégoriser quand vous les analysez la première fois ? • Avez-­vous plusieurs étapes d’analyse ou bien procédez-vous à une analyse approfondie dès la première lecture ? ›› Faites-­vous un premier tri (selon quels critères) et ensuite un deuxième tri pour une analyse plus approfondie ? ›› Faites-­vous un enregistrement de toutes les références pour en faire ensuite un tri et éliminer ce qui n’est pas pertinent ? ›› Selon le tri, quels sont les critères que vous utilisez ? Qu’est-­ce que vous recherchez par ce premier (deuxième) tri ? ›› Comment classez-­vous vos articles ou les textes pour en faire une analyse par la suite ? ›› Est-­ce que vous avez une priorisation des critères (lesquels) pour commencer par certains ou bien vous lisez toutes les références ressorties ? • Est-­ce que vous faites ainsi pour toutes vos recherches ou avezvous des façons différentes selon les niveaux d’analyse ou selon la précision de votre sujet ?

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Chapitre 6 / L’aide à la recension des écrits

• Qu’est-­ce qui pourrait s’appliquer pour le sujet de l’étudiant en tenant compte de sa connaissance du sujet et de ses connaissances antérieures ? ›› Si votre sujet est encore général, comment procédez-­vous ? ›› Si votre sujet est assez précis, comment procédez-­vous ? Quels sont les critères ou les indices que vous recherchez dans une ou l’autre des procédures ou des situations ? • Est-­ce que vous prenez des notes à cette première étape pour des écrits jugés pertinents ou faites-vous simplement enregistrer les articles jugés pertinents au premier coup d’œil ? • Quels sont les critères ou les règles que vous vous donnez pour faire cette démarche ? • Est-­ce que vous recherchez quelque chose en particulier ou avancezvous en vous laissant inspirer de ce que vous avez obtenu ? • Est-­ce qu’il y a certains avantages à procéder ainsi ? • Est-­ce qu’il y a certains désavantages à procéder ainsi ? ›› Quels sont les critères qui vous font préférer cette façon ? • Est-­ce que vous avez déjà utilisé une autre façon ? ›› Qu’est-­ce qui vous a amené à changer votre façon de faire ? ›› Est-­ce qu’il y a une ou quelques suggestions que vous jugeriez pertinentes à fournir pour aider à faire cette démarche ? ›› Est-­ce qu’il y a quelque chose qu’il faudrait éviter de faire et qui pourrait nuire ou diminuer l’efficacité ? • Est-­ce que vous connaissez des collègues qui procèdent autrement ? ›› Si oui, pourquoi préférez-­vous faire à votre façon ? Dans les étapes que vous adoptez, est-­ce que vous utilisez certaines « sources » ou certains types de documents en premier ou vous n’avez pas de préférence ? Est-­ce que l’étudiant aurait avantage à procéder selon un choix particulier en fonction de son sujet (exemples : méta-­analyse, handbook, mémoire ou thèse, Google Scholar, etc.) ? • Si vous avez certaines préférences, quelles sont les situations où vous pourriez proposer de regarder certains de ces ouvrages en premier ? ›› Est-­ce qu’il y a des précautions ou des avantages à les utiliser ? ›› Est-­ce qu’il y a des moments où ce n’est plus (ou moins) avantageux d’y faire référence ? ›› Quels sont ces moments ou ces raisons ?

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Chapitre 7 /

L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche

L’étape du choix et de la définition du sujet n’est pas une étape désincarnée qui se fait par elle-­même. Elle doit explicitement mener à la problématisation du sujet et à la production du premier chapitre du mémoire ou de la thèse. L’étudiant doit donc passer, au fil de sa démarche, d’une idée de sujet qui est souvent plus ou moins claire (un contexte, une situation, une préoccupation, une curiosité, un thème, une question, un intérêt, etc.), à la formulation d’une question de recherche opérationnelle qu’il devra ensuite expliquer sous la forme d’un chapitre qui en justifiera la valeur sociale et scientifique. Même dans le cas d’un sujet imposé, l’étudiant devra tout de même formuler une problématique assurant la ­pertinence et la valeur du sujet qu’il doit étudier. C’est pourquoi le choix du sujet et la formulation de la question de recherche sont traités dans le même chapitre. Ce sont des choix et un processus qui s’articulent de façon complémentaire. Les réflexions, les lectures, les échanges avec le directeur servent à définir le sujet de façon concrète et à déterminer les questions de recherches desquelles dépendra toute la suite de la démarche. La rédaction de la problématique en constitue la formalisation au niveau du texte. L’accompagnement à la production de la problématique sera traité dans le prochain chapitre, mais la réflexion qui devrait mener à cette problématisation devrait prendre forme dans le choix du sujet et de la question de recherche. C’est aussi à cette étape que se joue une grande partie de l’engagement de l’étudiant pour la suite des choses. C’est habituellement par ce travail sur le choix du sujet et les questions qui en découlent que se concrétise l’idée qu’il se faisait du processus de recherche (particulièrement à la maîtrise) ou de l’intérêt réel que le sujet et que la démarche éveille chez lui. Délimiter le sujet et rédiger une question de recherche dépendent principalement des activités de lecture et de réflexion dont il a été question dans le chapitre précédent. Habituellement, si l’accompagnement à la

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lecture et à la recension des écrits se fait de façon régulière pour s’assurer que l’étudiant progresse bien dans l’appropriation de son sujet, et qu’il est amené régulièrement à formaliser ses réflexions sous forme écrite, la production de sa problématique ne devrait pas poser de problèmes importants. Comme on le verra dans le prochain chapitre, la problématisation demeure cependant une forme d’argumentation que certains étudiants ont beaucoup de difficultés à articuler. Le travail d’accompagnement pour le choix du sujet et la détermination des questions de recherche ne se fait évidemment pas tout à fait de la même façon selon que l’étudiant a la pleine liberté ou non de choisir un sujet de recherche. Un étudiant qui part de sa propre idée ou d’une expérience personnelle qu’il veut approfondir par l’entremise d’une recherche nécessite un accompagnement plus élaboré et implique des étapes préalables plus longues que l’étudiant qu’on intègre à son propre projet de recherche pour lequel la recension des écrits est déjà complétée et dont les questions de recherche peuvent même être déjà assez bien définies. Cependant, même dans le cas d’un sujet imposé, certaines situations peuvent se présenter qui pourraient affecter son engagement réel à l’égard du sujet. Le chapitre est divisé en deux sections. La première, qui est plus imposante, traite des différents problèmes ou situations que rencontrent les étudiants pour choisir et délimiter leur sujet. Certains de ces « problèmes » sont en fait des intentions de l’étudiant, par rapport au choix du sujet, qui peuvent amener des réticences ou des refus à adopter certaines ­orientations dans le choix de sujet. La deuxième section aborde les problèmes à formuler des questions de recherche et quelques suggestions sont fournies pour tenter de résoudre les difficultés sans que le directeur ait lui-­même à formuler ce qu’il ­appartiendrait à l’étudiant de faire.

1 / Le choix ou la délimitation du sujet1 Le choix ou la délimitation du sujet varie énormément d’une situation à l’autre. Ce qui demeure important, peu importe le degré de liberté accordé pour le choix du sujet, c’est le processus de réflexion et de prise 1

Les situations et les difficultés décrites ici concernent plus précisément les cas où l’étudiant a une autonomie relativement importante pour délimiter lui-­même son sujet. Les situations d’imposition des sujets et des questions de recherche entrent moins dans ce contexte, parce que ce sont des situations qui sont prédéfinies et pour lesquelles le questionnement de l’étudiant n’aura pas la même nature. Cependant, il est possible que les problèmes évoqués ici puissent malgré tout se retrouver dans ces autres situations.

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Chapitre 7 / L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche

de décision face aux différents choix qu’implique la détermination du sujet de recherche. En ce sens, même si l’on oblige l’étudiant à s’inscrire dans un sujet qu’on a soi-­même établi et pour lequel certaines questions de recherche sont peut-­être déjà prévues, cela n’enlève pas la nécessité de demander à l’étudiant de s’approprier lui-­même le processus, pour être en mesure de comprendre et de justifier les choix qui ont été faits. Autrement, on ne forme qu’un exécutant qui n’aura pas développé la capacité de mener lui-­même la démarche. L’articulation de l’argumentaire pour formuler la problématique risque alors d’être déficiente. Cette section comprend trois sous-sections : les difficultés associées au choix du sujet prises dans leur contexte plus général, les difficultés liées à des préférences ou à des attentes de l’étudiant et quelques pistes pour aider l’étudiant dans ce processus.

1.1 /

Les difficultés associées au choix du sujet Ces difficultés apparaissent dans toutes sortes de contextes. Souvent, l’étudiant qui rencontre ces difficultés arrive avec un choix de sujet plutôt global et y a peu réfléchi avant d’entreprendre son diplôme.

1.1.1 /

Ne pas savoir qui a la responsabilité de choisir le sujet J’ai indiqué dans le chapitre 3 (section 6.3) qu’il fallait annoncer clairement à l’étudiant vos préférences en ce qui concerne l’encadrement. Le degré de liberté accordé pour le choix de son sujet de recherche fait partie de ces préférences (sujet imposé, libre, etc.). Si cet aspect n’a pas été abordé, il y a des risques que l’étudiant attende du directeur qu’il lui soumette des propositions de sujets, alors que le directeur s’attend à ce que l’étudiant lui propose ses idées. Son questionnement pourra donner l’impression qu’il est en train de développer sa réflexion alors que finalement, il essaie seulement d’interpréter les « sujets » qu’il croit qu’on lui propose. C’est une situation difficile à dépister parce que les propos de chacun peuvent donner à l’autre l’impression qu’on avance dans la même direction, alors que les attentes sont complètement inversées.

Un directeur de recherche m’a déjà raconté une anecdote concernant un de ses étudiants qu’il avait accepté d’encadrer. Il avait été approché parce qu’il travaillait sur un sujet qui intéressait l’étudiant. Il avait alors expliqué l’angle par lequel il abordait le sujet pour différencier son approche d’autres collègues qui étudiaient des thématiques similaires.

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Encadrer aux cycles supérieurs

De fil en aiguille, d’une rencontre à l’autre, l’étudiant revenait avec de nouvelles lectures, de nouvelles idées et propositions et le directeur l’encourageait à poursuivre, parce qu’il trouvait que l’étudiant progressait bien dans ses lectures, mais il « tournait un peu autour du pot » et le directeur considérait que l’étudiant devait bientôt s’arrêter à choisir ce qui l’intéressait le plus, pour mieux arrêter ses questions de recherche. Au bout de quelques semaines, quand le directeur informa l’étudiant qu’il devait cesser de « chercher » des pistes différentes de recherche et s’arrêter sur ce qui pouvait le plus l’intéresser, il me raconta que l’étudiant avait eu une réaction de surprise et qu’il lui avait exprimé qu’il pensait que le sujet était déjà « choisi » par le directeur et que lui, il cherchait à documenter ce sujet en continuant de l’approfondir, jusqu’à ce que le directeur lui indique qu’il avait ce dont il avait besoin. J’ai déjà entendu une histoire semblable racontée par un étudiant qui était venu me consulter parce qu’il avait l’impression que son directeur de recherche le faisait lire pour rien, parce qu’il ne lui signifiait jamais qu’il avait accumulé l’information pertinente pour le sujet que l’étudiant croyait « imposé ». C’est moi qui avais indiqué à l’étudiant qu’il devait vérifier auprès de son directeur de recherche s’il imposait un sujet ou non, parce qu’il était possible que le directeur attende de l’étudiant qu’il détermine lui-­même son sujet. Il avait paru surpris, pensant que c’était le rôle du directeur de trouver un sujet.

1.1.2 /

L’étudiant ne « trouve pas » de sujet C’est probablement l’un des problèmes les plus fréquemment évoqués au moment de choisir ou de délimiter le sujet. Il peut penser que « tout a été dit », « que ce sont des évidences », ou qu’il n’arrive tout simplement pas à se fixer sur quelque chose. La principale raison de cette perception provient de faiblesses dans la recension des écrits, dans la façon d’aborder les textes et de poser un regard critique sur ce qui y est présenté. Quelques fois, ils ont une approche de lecture plutôt descriptive de ce qui s’est écrit plutôt que d’avoir une approche analytique ou critique. D’autres fois, le type de texte lu est principalement composé d’ouvrages généraux qui ne traitent pas de contexte suffisamment précis pour faire ressortir des objets d’intérêts. Quelques fois, encore, c’est justement parce qu’ils ont lu des articles qui posaient des questions et qui y répondaient qu’ils ont l’impression que

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Chapitre 7 / L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche

les réponses sont déjà données. Ils ne perçoivent pas, dans les contextes ou les contenus décrits par l’article, des éléments qui pourraient présenter un intérêt à approfondir. C’est la raison pour laquelle le processus de recension des écrits et les notes de lecture qu’ils prennent revêtent une grande importance (chapitre 6).

1.1.3 /

L’étudiant s’intéresse à tout C’est une difficulté fréquente chez les étudiants qui sont intéressés par le diplôme, mais dont l’idée d’un sujet n’est pas bien définie. Ils désirent faire le diplôme, mais ils n’ont qu’une thématique ou un domaine général d’intérêt en tête. Ils ont pu vous solliciter parce que vos intérêts de recherche pouvaient impliquer leurs propres intérêts, mais sans pouvoir déterminer de manière plus précise ce qui les intéresse. Les étudiants qui s’intéressent à tout doivent être encadrés de manière un peu plus serrée et l’on doit vérifier leur progression de façon fréquente, parce qu’ils s’écartent très facilement d’une voie et sont constamment tentés de changer de sujet. D’un texte à l’autre, d’un article à l’autre, d’une référence à l’autre, chaque document semble encore plus prometteur et ils ont l’impression de ne jamais pouvoir s’arrêter sur un seul sujet, ou choisir une piste principale à explorer. C’est le sujet abordé dans le texte qui est intéressant et pas nécessairement les pistes prometteuses qu’il peut contenir. Certains craindront d’ailleurs que le fait de s’arrêter sur un sujet fasse en sorte qu’ils découvrent tout à coup un autre sujet qui se serait avéré plus profitable ou intéressant. Certaines suggestions décrites plus loin (section 1.3) sont particulièrement utiles pour ces étudiants.

1.1.4 /

L’étudiant ne trouve aucun sujet d’intérêt Il se peut que cette absence d’intérêt provienne d’une impression que les sujets ont tous déjà été abordés ou du manque de défis ou de la faiblesse des retombées envisagées. Je reviens sur ce point plus loin dans le chapitre (section 1.2.2). Il se peut aussi que cette absence d’intérêt soit causée par ses attentes et par ce qui peut l’animer sur une longue période. On peut souvent la définir à partir des motivations dont il a pu nous parler, au moment de la première rencontre, à propos des raisons pour entreprendre son diplôme ou de l’origine des motivations pour ses intérêts (chapitre 3, sections 3.3 et 3.4). Si ce questionnement n’a pas déjà été fait, il conviendrait alors de le faire pour clarifier ce qui peut satisfaire ses attentes et si elles sont réalistes.

199

Encadrer aux cycles supérieurs

1.1.5 /

L’étudiant attend ou recherche l’illumination Les étudiants qui attendent l’« illumination » ont une approche passive du processus de délimitation du sujet. Ils mettent une grande partie de leur réflexion à « penser » au sujet plutôt qu’à se documenter et à définir des aspects problématiques à approfondir. On s’en aperçoit particulièrement chez les étudiants qui sont plus intéressés par une thématique (les stratégies d’apprentissage, par exemple) plutôt que par un sujet un peu plus précis (l’usage des stratégies dans un contexte donné, par exemple). Ils font peu usage des lectures et semblent surtout s’orienter vers des ouvrages généraux. Ils cherchent des « suggestions » qui exprimeraient précisément des sujets de recherche. Ils lisent à gauche et à droite en espérant qu’un des textes ou des articles leur indique le chemin à suivre. Ils peuvent dire qu’ils y pensent constamment, mais ils n’y mettent pas un temps réservé à la recherche organisée pour la réflexion. Ils évoquent notamment qu’ils n’ont pas d’« inspiration ». La pauvreté des lectures et des références consultées peut suggérer cette attente d’une illumination.

1.2 /

Les difficultés liées à des préférences ou à des attentes de l’étudiant J’ai intégré ici la description d’un certain nombre de facteurs de difficultés ou de blocages, dans le choix du sujet, qui amènent parfois des divergences d’opinions entre l’étudiant et le directeur. Ce sont des conditions que le directeur n’est pas nécessairement en mesure de cerner, parce que ce sont des aspects qui concernent les visées ou les aspirations de l’étudiant lui-­même qu’il ne partagera pas nécessairement avec son directeur. Ces éléments peuvent cependant avoir des répercussions négatives importantes concernant les échanges sur le choix du sujet et provoquer l’apparition de problèmes et de confrontations dans ­l’accompagnement que vous pourriez lui apporter. C’est à partir de l’origine et des motivations pour ses préférences de recherche (chapitre 3, section 3.4) qu’on peut établir les premiers signes de problèmes qui seront décrits ici. Les différentes pistes d’approfondissement que je propose dans cette section servent en fait à dépister les difficultés à partir des réponses ou des informations que les étudiants peuvent vous donner et qui sont décrites ici.

1.2.1 /

Vouloir prouver quelque chose ou confirmer une idée déjà faite Il s’agit là d’un désir qui n’est pas apparent dans tous les domaines, mais qui demeure possible dans plusieurs contextes. Certains étudiants entreprennent ainsi leur démarche parce qu’ils ont déjà en tête de vouloir

200

Chapitre 7 / L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche

prouver un point de vue, une idée, une conception, et c’est cette idée qui mène leur réflexion et leur choix. Ces étudiants savent habituellement décrire assez précisément le contexte et la situation qui les intéressent et peuvent présenter un sujet assez bien articulé. Voici quelques types de réponses des étudiants aux questions ­d’approfondissement proposées au chapitre 3. • L’étudiant décrit une position ou une expérience dont il fait ressortir les bienfaits ou les conséquences négatives, et il veut « ­documenter » son expérience ou sa position. • L’étudiant décrit certaines hypothèses qu’il veut vérifier par rapport à son sujet, mais dans sa façon de les exprimer, il fait plus souvent référence à des explications du phénomène ou du résultat d’une des hypothèses qu’il dit vouloir étudier, que des hypothèses qu’il veut vérifier. • Il présente un sujet pour lequel il émet une idée précise quant aux causes du phénomène qu’il dit vouloir étudier. • Il émet une idée relativement claire du sujet et même du contexte de son expérimentation (ou de la collecte de ses données), mais il se défend d’avoir une idée des conclusions. Ce type de situation particulière est peut-­être dû au fait qu’il ne veut pas être contredit ou que vous vous opposiez à son approche ou à ses ­intentions et qu’il veut les garder pour lui. • Il se présente à vous en faisant valoir que vos préférences de recherche correspondent aux siennes et il vous décrit un sujet « clé en main », c’est-­à-­dire qu’il n’indique pas explicitement, d’entrée de jeu, qu’il veut prouver quelque chose. Cependant, le sujet qu’il vous présente contient toutes les composantes de son projet et il veut être accompagné pour réaliser son projet tel qu’il vous le présente, sans y apporter de changements.

Au cours d’une rencontre avec des étudiants portant sur leur démarche du choix d’un directeur de recherche, un étudiant m’avait précisément indiqué qu’il avait un projet de recherche (et non seulement un sujet) qu’il voulait réaliser. J’avais évoqué que les sujets, même très précis, devaient parfois être modifiés pour les rendre opérationnels, ou que les contextes de recherche demandaient des ajustements au protocole

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Encadrer aux cycles supérieurs

parce que les idées de départ ne pouvaient être réalisées dans leur forme originale. Il ne démontrait aucune ouverture à accepter des modifications à son projet et sous-­entendait que son projet était adéquat. Après lui avoir expliqué que le rôle du directeur de recherche était justement d’aider l’étudiant à formuler un sujet qui soit opérationnel et que cela pouvait impliquer de faire des changements dans l’idée originale, il s’était alors offusqué et s’était exprimé de façon véhémente sur le fait que les directeurs de recherche n’acceptaient jamais les sujets qu’on leur offrait, qu’ils cherchaient seulement à faire les choses qui les intéressaient et ne tenaient pas compte de ce que les étudiants voulaient faire. Pour lui, son sujet et son projet étaient bons, et c’était au directeur d’accepter le projet. Je n’ai jamais su si l’étudiant s’était trouvé un directeur par la suite. Pour ma part, je n’aurais jamais accepté d’encadrer un étudiant qui aurait eu cette approche.

Lorsque l’étudiant cherche ainsi à vouloir prouver quelque chose et que cela n’a pas été dépisté au début, des problèmes ou des confrontations peuvent surgir en cours de route, lorsqu’on tente d’apporter des changements à l’orientation du sujet ou à l’approche adoptée pour rendre le projet réalisable. Voici quelques exemples de réactions qui peuvent surgir de vos propositions : • Si vous considérez que son sujet ne peut être opérationnalisé ou réalisable dans sa formulation originale, il exprimera certaines réticences à aborder le sujet sous un autre angle que celui qu’il vous a présenté. • Il pourra ne pas trouver d’éléments pertinents ou intéressants par rapport à ce que vous lui demandez de vérifier ou de changer, parce que les écrits divergent un peu de son idée originale. • Il peut rechercher et lire des textes ou des articles différents de ceux sur lesquels vous vous seriez « entendus », parce qu’il réalise que cela ne va pas dans le sens du sujet qu’il a en tête et il vous apporte d’autres points de vue. À cet égard, il est possible qu’il aille jusqu’à « interpréter » ce que certains auteurs ont écrit pour tenter de faire valoir que les pistes que vous proposez, pour rendre le sujet opérationnel, ne sont pas les meilleures ou que son idée est préférable2 : 2

Je ne suggère pas que les étudiants peuvent inventer des propos pour justifier leur idée, mais j’ai rencontré des étudiants qui interprétaient mal certains propos parce qu’ils en avaient inféré des arguments qu’ils ­recherchaient, alors que ce n’était pas vraiment ce que les auteurs suggéraient.

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Chapitre 7 / L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche

• Il peut tenter différentes propositions pour essayer de faire adopter son point de vue, en essayant de modifier en surface le sujet désiré, mais il conserve ce qui cause justement le problème. • Si la validation de son point de vue nécessite une recherche d’une plus grande ampleur que celle qui serait faisable, il se montre habituellement très réticent à restreindre son sujet ou à restreindre le contexte anticipé. • Il peut rapporter ou choisir des lectures qu’il décrit comme pertinentes, parce qu’elles vont dans le sens de ce qu’il désire, même si celles-­ci sont plus ou moins utiles ou en marge du sujet. • Il peut finalement accepter les propositions amenant certaines modifications de son sujet, mais il y a des risques qu’il conserve malgré tout le désir de réaliser son sujet de départ, même s’il a l­ ’impression d’avoir adopté les nouvelles orientations (section 1.2.5).

1.2.2 /

Vouloir faire sa marque Beaucoup d’étudiants veulent laisser leur marque dans leur milieu ou avoir un impact dans leur domaine ou dans leur discipline. Ils affirment souvent ne pas vouloir que leurs travaux finissent sur une tablette de la bibliothèque et que personne n’y fasse référence. Pour eux, faire un mémoire ou une thèse qui ne serait consulté par personne serait un travail inutile qu’il ne vaut pas la peine d’entreprendre. Alors qu’ils n’envisageaient jamais un tel apport lors des études de premier cycle, cela devient tout à coup essentiel quand ils entreprennent les études de cycles supérieurs. • Les étudiants qui ont cette intention (ou la crainte de faire un projet « sans envergure ») ont tendance à exclure rapidement tout sujet qui semblerait avoir déjà été abordé. Si un article relate une expérience à propos du sujet envisagé, ils se détournent tout de suite du sujet parce que ce qui les intéressait « a déjà été fait », selon eux. Ils ne pensent pas reconnaître des éléments qui auraient été oubliés, intégrer une nouvelle variable ou encore changer un peu le contexte trop restreint de la recherche. C’est tout le sujet lui-­même qui devient inintéressant. • L’étudiant peut avoir l’impression de se démarquer parce qu’il ne trouve pas d’écrits sur son sujet, dans les premières étapes de sa recension des écrits, mais il veut changer rapidement de sujet s’il trouve un article qui aborde l’idée à laquelle il avait pensé. Il peut ainsi perdre sa motivation simplement parce qu’il a trouvé un

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Encadrer aux cycles supérieurs

article qui pose une question semblable à ce à quoi il avait pensé. Cette situation devient problématique s’il a beaucoup progressé dans la préparation de son projet et qu’il tombe tout à coup sur une publication qui traite de son sujet. Cette préoccupation est souvent légitime chez les étudiants de doctorat qui doivent avoir un apport original à leur discipline ou à leur champ de recherche. Ce désir de faire sa marque m’a cependant été plus souvent mentionné par les étudiants de maîtrise. Ce désir est plus grand lorsqu’ils n’entrevoient pas, justement, poursuivre au doctorat. Il faut faire valoir la différence entre choisir un sujet qui nous intéresse et l’apport « anticipé » que la recherche peut avoir. Un sujet « prometteur » peut donner des résultats décevants et un sujet déjà analysé peut permettre de découvrir des informations et des données nouvelles selon la façon dont il est étudié. Dans certains cas, c’est l’interprétation de résultats dits « négatifs » qui peut mener à de nouvelles pistes prometteuses. On peut ainsi sensibiliser les étudiants aux attentes déçues de résultats négatifs et les préparer dès le début à anticiper des ­interprétations possibles des résultats à partir des écrits (chapitre 10, section 1.2.5).

1.2.3 /

Avoir des intentions cachées Cette situation n’est pas courante, mais elle peut avoir des effets néfastes importants. J’en parle dans ce chapitre, parce que ce sont les choix concernant la démarche de recherche et l’élaboration du sujet qui sont les plus souvent impliqués dans cet « agenda caché ». Toutefois, vérifier la présence d’intentions cachées ou éviter que de telles situations s’installent doit s’imposer dès la première rencontre, encore une fois, par la détermination de l’origine de ses champs d’intérêt et de ses motivations (chapitre 3, section 3.4). Avoir des intentions cachées signifie que l’étudiant a des raisons non déclarées de faire sa démarche, soit de vouloir un sujet en particulier, choisir un lieu d’expérimentation ou choisir même un directeur de recherche. Parfois, elles peuvent viser des finalités que l’étudiant ne veut pas déclarer pour toutes sortes de raisons. Les étudiants cachent très rarement l’origine de leur choix de sujet et les raisons pour lesquelles ils s’orientent dans ce sens. Parfois, ils ont déjà déterminé certaines décisions sous-­jacentes pour des raisons qu’ils ne veulent pas nécessairement faire connaître. Les questions et les informations demandées à l’étudiant, au moment de la première rencontre, servent justement à clarifier les choix et à déterminer les motivations

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Chapitre 7 / L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche

derrière ces choix. Cependant, l’étudiant peut préférer vouloir cacher certaines raisons. Les étudiants prévoient parfois que certains éléments des buts qu’ils poursuivent sont « questionnables » ou ils craignent que le directeur ne soit pas en accord ou qu’il apporte des restrictions, s’il connaissait les enjeux que le sujet implique pour l’étudiant. Je décris dans les prochaines pages un certain nombre de ces indices qui peuvent suggérer la présence d’intentions cachées.

Un intérêt exclusif à vos travaux J’ai déjà indiqué dans le chapitre 3 (section 3.5) qu’il était pertinent de vérifier les motivations de l’étudiant à vous choisir parce que cela pouvait cacher certaines raisons, dont le fait de vouloir profiter de vos données et de vos recherches. Ce type de situation n’est pas facile à prévoir, parce que les étudiants vous approchent en faisant valoir la valeur de vos recherches et l’intérêt qu’ils y portent. On peut être attiré par ces étudiants, puisque leur intérêt suggère qu’ils voudront investir dans notre projet dans lequel ils s’insèrent. Malheureusement, lorsqu’ils ont des intentions cachées, il y a des risques que vous vous en aperceviez un peu trop tard.

Je venais de donner une formation sur l’encadrement aux cycles supérieurs et au cours des échanges qui avaient suivi, des professeurs avaient exprimé une insatisfaction à l’égard de certains étudiants qu’ils avaient accepté d’encadrer. J’avais d’ailleurs eu la même discussion avec un collègue quelques semaines auparavant. Les difficultés commençaient à apparaître lorsque les étudiants utilisaient les données de la recherche sans participer au développement des autres portions du projet. Ils concentraient tout leur temps aux seuls aspects qui concernaient leur propre projet. Cela devenait même difficile de les amener à enrichir le travail du projet plus global pouvant concerner les recherches des autres étudiants. Les relations devenaient tendues parce que les directeurs devaient constamment mettre de la pression pour que les étudiants enrichissent le projet ou développent les autres aspects qui ne concernaient pas précisément leur propre projet. Dans tous les cas, les étudiants s’étaient présentés en mentionnant vouloir travailler avec eux parce qu’ils s’intéressaient grandement à leur recherche. Leur intérêt leur avait semblé tout à fait réel et leurs candidatures étaient intéressantes parce qu’ils avaient un dossier scolaire

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Encadrer aux cycles supérieurs

favorable. Ils avaient orienté les étudiants sur des données du projet de recherche global qui pouvaient être approfondies. Mais une fois le sujet précis déterminé, les étudiants ne travaillaient que sur les aspects qui les concernaient, allant même parfois jusqu’à séparer des données pour analyser seulement celles les concernant, alors qu’ils auraient pu faire des analyses plus générales sans nécessairement que cela représente plus de travail et dont d’autres étudiants auraient pu bénéficier.

Je regroupe ici un certain nombre d’exigences à poser dans le processus d’acceptation des étudiants et dans les règles à définir pour le processus d’accompagnement pour ce type de situation où les étudiants veulent utiliser vos données. Certaines des questions visent aussi à débusquer les situations où ce serait l’intention de l’étudiant, sans qu’il vous en parle de manière explicite : • Ne vous contentez pas de l’intérêt « général » manifesté à l’égard de vos travaux. Demandez toujours à l’étudiant de documenter, expliquer, raconter ce qui l’intéresse particulièrement dans vos travaux, ou quelle portion particulière de vos travaux les attire, pour voir s’ils sont en mesure de déterminer des aspects précis et pertinents, ou bien si ce n’est que votre renommée qui les attire. Lorsqu’un étudiant ne parvient pas à décrire des éléments concrets de vos travaux qui l’intéressent, sa motivation est peut-­être alimentée par autre chose que le sujet. Demandez-­lui alors de faire quelques lectures pour vous revenir avec une idée plus précise de son intérêt pour vos travaux. Il aura la responsabilité de formuler une piste de recherche à partir de laquelle vous pourrez l’orienter. S’il vous dit que « tout » l’intéresse, exigez qu’il fasse un choix en fonction de ce qu’il pourra documenter, et des raisons pour lesquelles un aspect particulier est plus significatif pour lui, à partir des écrits qu’il aura lus (et que vous lui aurez peut-­être fournis). • Lorsque vous acceptez un étudiant et que vous l’invitez à participer à vos travaux de recherche, déterminez les exigences et les tâches auxquelles l’étudiant devra accepter de participer pour être encadré par vous. Cela peut concerner le travail d’analyse, de lecture, etc., en intégrant d’autres données que les siennes, dans la mesure où ces analyses ne lui demanderont pas de travail supplémentaire, à moins, évidemment, que vous le payiez pour faire ces travaux, à titre d’auxiliaire de recherche.

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Chapitre 7 / L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche

• Établissez des règles claires et explicites par rapport à sa participation à des travaux qui peuvent concerner d’autres aspects de votre projet, et qui peuvent différer de ce qui concerne son propre projet, si c’est pertinent. Par exemple, s’il procède à une recension des écrits pour son projet, qu’il verse dans l’ensemble des références, celles qu’il a trouvées. Si vous ne le faites pas au début, l’étudiant ne verra pas les raisons de s’y soumettre par la suite. • Dans certains cas, une description des tâches faisant partie de son projet et qui doivent contribuer à l’ensemble du projet devrait être précisée par écrit. • Évidemment, si vous payez l’étudiant, sa contribution et le travail qu’il doit effectuer pour la recherche doivent aussi être définis de façon claire, pour qu’il sache ce qui est attendu de lui. Par contre, s’il n’est pas financé, vous pouvez quand même établir de quelle façon il doit contribuer au travail collectif par son usage des données ou du matériel déjà développé par vous ou par d’autres étudiants. Par exemple, s’il procède à des analyses des données qui peuvent impliquer d’autres données que les siennes, exigez de lui qu’il les intègre plutôt que de les exclure. Cela ne lui demande pas plus de travail, puisque ces données sont habituellement accessibles dans la base de vos données. Cependant, vous ne devez pas lui demander de participer au travail collectif qui s’éloignerait de sa propre recherche, si vous ne l’engagez pas à titre d’auxiliaire de recherche. Il y a eu des dérives de certains directeurs, dans le passé, qui font en sorte que cela devient plus difficile de demander aux étudiants de travailler à un effort collectif alors qu’ils ne sont pas payés.

La volonté de recourir à une codirection L’étudiant peut vouloir recourir à une codirection pour essayer d’intégrer une personne qui pourrait le servir par la suite. Une telle proposition peut être pertinente, mais il faut que ce choix se fasse selon les critères qui assurent la participation efficace d’une codirection. C’est au directeur que doit revenir le choix d’accepter ou non une codirection. Les préférences auxquelles vous avez pu penser (chapitre 3, section 1.3) vous permettent alors d’indiquer clairement aux étudiants quelles sont les raisons pour ce faire. Si ces raisons ne s’appliquent pas dans leur cas, vous êtes en mesure de le faire savoir dès le départ.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Malgré votre refus, s’il a des intentions cachées, il est fort possible que l’étudiant tente de modifier votre choix. Essayez alors de savoir ce qui motive tant l’étudiant en le questionnant clairement sur ses intentions. Vous pouvez aussi lui faire savoir que s’il tient à une codirection, vous ne pourrez pas l’encadrer dans ces conditions et qu’il doit se trouver une autre direction de recherche.

Le choix du milieu, du matériel, des outils utilisés, etc. Ces facteurs peuvent cacher des raisons sous-­jacentes au choix d’entreprendre le diplôme ou de choisir un sujet précis. En soi, ce ne sont pas des facteurs négatifs. Évidemment, si les étudiants vous ont parlé plus précisément de leurs intentions, vous pouvez juger de la faisabilité ou de l’acceptabilité du processus et les accompagner en ce sens. Autrement, ce type de considération peut présenter, dans ce cas-­ci, des problèmes éthiques ou encore poser des difficultés pour la poursuite de la recherche.

Il y a quelques années, j’ai rencontré un étudiant qui était venu me consulter pour des problèmes de progression dans sa démarche. Il avait fait la collecte de ses données dans un milieu de travail et il avait terminé l’analyse de ses résultats. Il se disait complètement bloqué pour la suite parce qu’il ne savait plus comment il devait procéder. Après quelques échanges pour comprendre son contexte et saisir pour quelles raisons il n’arrivait plus à poursuivre, il m’a finalement avoué avoir utilisé son propre milieu de travail pour effectuer sa recherche, mais à l’insu de son directeur. Il lui avait présenté ce milieu comme un milieu qui s’était montré intéressé à le recevoir et à permettre la collecte des données et, comme cela cadrait parfaitement bien avec son sujet et son contexte, son directeur avait alors accepté. L’étudiant avait un certain nombre d’objectifs personnels dans sa démarche, mais ceux-­ci n’avaient jamais été mentionnés et son directeur n’avait pas fait d’autres vérifications au sujet des liens possibles de l’étudiant avec ce milieu. En choisissant ainsi son milieu, il envisageait la possibilité d’obtenir une promotion avec l’obtention de son diplôme. Sans en parler à son directeur, il s’était aussi engagé à présenter ses résultats à l’équipe de direction pour qu’ils acceptent qu’il effectue sa recherche chez eux. Le problème venait justement des résultats qu’il avait obtenus. Ceux-­ci faisaient ressortir un certain nombre de problèmes qui semblaient provenir de certaines personnes du niveau hiérarchique

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Chapitre 7 / L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche

au-­dessus de lui… Il n’avait pas du tout anticipé l’importance de ces problèmes, parce qu’il ne connaissait pas suffisamment le contexte et le sujet au moment d’entreprendre sa recherche. Non seulement il allait devoir rapporter ses résultats dans son mémoire, mais comme il s’était engagé à présenter ses résultats dans son milieu, certaines personnes concernées par ses données allaient être là au moment de la présentation de ses conclusions, et elles seraient clairement reconnues comme étant liées aux problèmes rencontrés dans l’entreprise. Il ne savait plus comment présenter ses résultats (dans son chapitre). Cela faisait plusieurs semaines qu’il avait complété ses analyses et il avait cherché à formuler les résultats pour essayer de « cacher » ce qu’ils démontraient, mais il n’y arrivait pas. Étant donné que son directeur n’était pas au courant de sa démarche, il n’osait pas se reporter à lui pour ne pas lui faire connaître la situation à laquelle il était confronté, alors que c’était finalement la seule issue possible à son problème.

On pourrait reprocher au directeur de ne pas avoir fait les vérifications nécessaires, mais selon la façon dont l’étudiant a pu présenter la possibilité d’accéder à ce milieu, si le directeur ne savait pas que l’étudiant y travaillait, cette possibilité ne lui est probablement jamais venue à l’esprit. Il n’y a évidemment pas de problèmes à procéder à la collecte de données dans son milieu de travail, sinon, aucun de mes étudiants n’aurait pu obtenir de diplôme ! Mais il faut tenir compte du contexte, du sujet, des données à obtenir et de ce qui en sera fait par la suite. Le problème réside dans le fait que l’étudiant n’ait pas informé son directeur de cette situation pour qu’il considère les enjeux impliqués. C’est la raison pour laquelle il faut s’assurer d’obtenir de l’étudiant un certain nombre d’informations concernant ses autres occupations et les objectifs de sa démarche (chapitre 3, section 3.7). D’autres motivations semblables peuvent avoir des influences importantes par rapport à des enjeux liés à la progression de la recherche, ou à des choix qui ne seront pas toujours exprimés par l’étudiant.

Il y a quelques années, un étudiant était venu me rencontrer pour travailler avec moi et après m’avoir indiqué très sommairement quel était le sujet qui l’intéressait, il avait passé la plus grande partie de la description de ses champs d’intérêt à m’expliquer ce qu’il pensait

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Encadrer aux cycles supérieurs

faire avec les iPod comme moyen d’obtenir ses données. Le petit appareil venait à peine d’arriver sur le marché et il y voyait un potentiel ­important pour faire son expérimentation. Je l’ai questionné sur ses motivations réelles d’utiliser l’appareil pour son expérimentation, alors que son sujet ne se prêtait pas nécessairement à son usage, d’autant plus qu’on ne pouvait pas encore déterminer quelle allait être la nature des données à obtenir. Après quelques tentatives de me convaincre du bien-fondé de son intérêt, il m’a finalement indiqué qu’il voulait utiliser l’appareil dans sa démarche parce qu’il espérait ainsi pouvoir démontrer qu’il avait les compétences avec les nouvelles technologies pour être engagé dans son milieu. Le sujet de recherche était alors accessoire, puisque c’était l’usage du iPod qui devenait l’objectif de sa démarche.

J’évoque l’expérience avec les iPod, dans l’encadré, mais on peut facilement envisager des situations semblables lorsque des étudiants recherchent une finalité qui porte sur des outils, des instruments ou des expériences à intégrer dans leur recherche, plutôt qu’en fonction d’un intérêt pour un sujet. Ce sont des situations où les étudiants peuvent perdre rapidement leur intérêt, s’ils s’aperçoivent que les raisons pour lesquelles ils avaient entrepris leur démarche ne sont plus accessibles ou ne pourront plus se réaliser.

1.2.4 /

Vouloir poursuivre au doctorat Certains étudiants entreprennent la maîtrise, mais ils ont déjà en tête de poursuivre par la suite au doctorat. Bien que cela démontre la motivation de l’étudiant, choisir un sujet avec l’idée de poursuivre la recherche au doctorat est une décision qui peut s’avérer très coûteuse pour l’étudiant et je le déconseille. Des directeurs de recherche sont parfois surpris de cette mise en garde parce qu’ils jugent, au contraire, qu’il est avantageux de pouvoir étudier un sujet, au doctorat, qui a déjà fait l’objet de travaux à la maîtrise. Cela accélère le processus puisqu’une grande partie de la recension des écrits est déjà effectuée et, souvent, la problématique et le cadre conceptuel peuvent être relativement bien transposés et approfondis.

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Chapitre 7 / L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche

Ce qui est en jeu ici, dans le problème évoqué, n’est pas de poursuivre au doctorat en choisissant d’approfondir un sujet déjà abordé, mais de tenter de choisir un sujet dont l’étude et les analyses pourront se poursuivre au doctorat. Cela provient souvent d’une mauvaise conception qu’ont les étudiants du passage de la maîtrise au doctorat. Il faut rappeler que l’étudiant qui s’engage dans une démarche de maîtrise doit pouvoir compléter son diplôme dans le temps requis, ce qui signifie, en pratique, que la recherche doit avoir les caractéristiques permettant de respecter ces délais. Pour qu’un sujet soit acceptable au doctorat, il doit avoir une plus grande ampleur qu’à la maîtrise et fournir un apport novateur ou original au domaine ou à la discipline. Adopter un sujet qui pourra se poursuivre au doctorat signifie qu’il faut déjà qu’il ait une ampleur significativement plus grande que s’il était destiné uniquement à la maîtrise. Il faut aussi entrevoir l’intégration d’une certaine originalité pour respecter les exigences d’un doctorat, ce qui élimine tout de suite un sujet de niveau maîtrise qui n’a pas cette ampleur. C’est une tâche pratiquement irréalisable. Au lieu de chercher un sujet qui pourrait se poursuivre au doctorat, on peut évoquer avec l’étudiant la possibilité de faire un passage accéléré au doctorat, lorsque les règlements le permettent et que l’étudiant semble présenter les qualités et les habiletés suffisantes pour réussir ce passage. Si un étudiant passe ainsi au doctorat, il faut s’assurer qu’il puisse mener son sujet et son projet à terme parce qu’autrement, il n’obtiendra pas de maîtrise s’il abandonne en cours de route. C’est aussi un enjeu auquel il faut penser.

1.2.5 /

L’écart entre le sujet original et le sujet « opérationnalisé » Ce n’est pas non plus une situation très fréquente, mais elle passe souvent inaperçue pour le directeur de recherche. Je l’ai d’ailleurs évoquée comme une cause des problèmes de progression au chapitre 2 (chapitre 2, section 3). Il s’agit d’un écart qui se creuse progressivement entre l’idée que l’étudiant avait de son sujet, lorsqu’il vous l’a présenté dans les toutes premières rencontres, et la forme que prend cette idée au fur et à mesure que la démarche d’élaboration du sujet se structure. Il est presque inévitable que le sujet de départ se transforme en cours de démarches, parce qu’il doit être structuré en fonction des écrits et de son opérationnalisation. Le sujet auquel l’étudiant avait pensé, au départ, a pu être modifié, ajusté pour qu’il puisse être étudié dans le contexte du

211

Encadrer aux cycles supérieurs

diplôme. L’étudiant participe aux discussions, il émet ses idées, indique ses préférences, fait des propositions et entérine les changements ou les adaptations nécessaires. Mais dans son esprit, le sujet demeure le même qu’au départ, et les ajustements qu’il accepte en cours de route ne modifient pas, dans sa tête, l’idée originale qu’il en avait. Ce n’est pas par opposition qu’il conserve son idée, mais uniquement parce qu’il ne saisit pas encore que les changements apportés ont modifié la forme et certaines orientations de son sujet. Ce problème apparaît souvent au moment où l’étudiant doit produire sa problématique et articuler son contenu pour faire valoir sa question de recherche. Il tente d’intégrer certains des éléments qui ont été éliminés dans ses écrits et, malgré des indications de corrections, l’étudiant réorganise ces mêmes éléments et tente de les conserver, comme s’il s’agissait simplement d’une reformulation à faire, plutôt qu’une élimination du contenu. Je reviens d’ailleurs sur ce sujet dans le chapitre 11 (section 8.4), à propos de certains signes qui apparaissent relativement à ce problème dans le suivi des corrections.

1.3 /

La nécessité d’aider l’étudiant à faire un choix de sujet Lorsque l’étudiant tarde à trouver un sujet précis ou qu’il rencontre des difficultés à mieux le définir, il faut le forcer à faire un choix plus définitif dans un délai relativement court, parce qu’il faut l’amener le plus rapidement possible à concentrer ses lectures sur le développement et la formulation de sa problématique. Un étudiant qui « papillonne » d’un sujet à l’autre, sans vraiment indiquer un intérêt particulier, peut cependant avoir un problème d’intérêt réel pour la thématique. Il faut le vérifier rapidement pour éviter que l’étudiant ne se désengage.

1.3.1 /

Adopter un certain nombre d’étapes Proposer une démarche systématique et organisée de recension des écrits, avec des aspects à relever au fil des lectures, aide à diminuer plusieurs difficultés, notamment cette attente de l’illumination, lorsque l’étudiant ne vous a pas décrit un sujet plus précis ou un intérêt particulier, lors de vos échanges dans la première rencontre. Je propose ici une suite d’étapes ou d’actions possibles pour aider un étudiant à délimiter un sujet. Évidemment, ces étapes sont pertinentes si vous n’avez pas choisi un sujet précis pour l’étudiant. Elles sont également mentionnées dans les différentes étapes de la recension des écrits (chapitre 6), parce que ce processus peut jouer un rôle extrêmement important pour aider au choix du sujet.

212

Chapitre 7 / L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche

• Vérifier le processus de recension des écrits et les mots-­clés utilisés. • Vérifier l’éparpillement des lectures à propos des sujets traités et les réflexions qu’elles suscitent (cela nécessite que vous demandiez à l’étudiant de vous fournir les références des documents qu’il consulte). • Vérifier le type de textes consultés (éviter les ouvrages généraux, les handbooks qui ne sont que des introductions à un sujet3). Outre la vérification des lectures et ce qui en ressort, on peut aussi travailler avec l’étudiant sur un certain nombre de sujets ou de pistes à explorer. Cette étape peut d’ailleurs se faire assez rapidement dans la démarche, lorsqu’on se rend compte que les lectures n’aident pas à circonscrire un sujet plus précis. • Obliger les étudiants à lire un nombre minimum de textes (qui auront été déterminés ou portant sur un sujet très précis) dans un temps relativement restreint. Il faut accélérer le processus de réflexion et forcer un travail régulier sur plusieurs textes plutôt que d’accorder des temps plus longs de réflexion en « attendant » que les idées viennent. • Demander aux étudiants de cerner, à travers des lectures, les aspects qui ne les intéressent pas à propos du sujet ou des aspects abordés dans les lectures. Le fait de déterminer ce qui ne les intéresse pas aide parfois à circonscrire un peu mieux ce qui les attire en procédant par « élimination ». • Demander de produire une liste de 10 sujets ou aspects à approfondir concernant les pistes de sujets auxquels ils pensent, à partir de leurs lectures. Il s’agit là d’une des principales approches que j’utilise avec mes étudiants, mais aussi avec des étudiants qui me consultent, lors d’ateliers. Ce nombre de 10 est un nombre arbitraire, mais je considère qu’il force l’étudiant à penser à des sujets et à sortir un peu des idées récurrentes qu’il peut avoir en tête. Lui en demander seulement 3, 4 ou 5 ne le force pas à penser différemment et à élargir son point de vue. Les étudiants ont parfois une pensée circulaire à propos des sujets qu’ils analysent et, ce

3 Certains handbooks proposent un aperçu de l’état de la recherche pour un sujet particulier. Ces ouvrages peuvent être pertinents, à l’occasion, pour situer les différents objets de recherches possibles autour du sujet. Ils peuvent alors servir à trouver des pistes qui pourraient intéresser les étudiants et qui seront alors à approfondir selon ses préférences.

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Encadrer aux cycles supérieurs

faisant, ils ont l’impression que tout tourne autour des mêmes aspects qui ne les intéressent pas. Les propositions de sujets potentiels s’avèrent alors souvent des formulations différentes du même sujet. Par la suite, un certain nombre d’étapes ou d’échanges servent à ­raffiner le résultat de leurs réflexions : • Discuter ensuite de ces aspects avec eux, pour voir ce qui les attire dans ces sujets, les idées qui leur sont venues, la raison de ces idées, ce qui les a inspirés, etc. • Leur demander d’éliminer la moitié des sujets pour ne conserver que ceux qui présentent plus d’intérêt.

À cette étape, il ne faut pas chercher à éliminer tout de suite les aspects qui ne nous semblent pas opérationnels ou réalisables. Il faut commencer par mettre l’étudiant en situation où il pense à un sujet et où il tente de faire ressortir les aspects qui peuvent l’intéresser :

• Leur demander ensuite de lire sur un ou deux de ces sujets de façon plus précise pour qu’ils s’en fassent une meilleure idée.

Cette lecture devrait être faite dans un temps relativement restreint, en tenant compte des disponibilités de l’étudiant.

• Leur indiquer de ne pas lire autre chose que ces lectures pourraient inspirer, mais plutôt rajouter le sujet « nouveau » à la liste des sujets à explorer, qui pourrait émerger de ces lectures. • Les revoir pour discuter de ce qu’ils ont trouvé et ne conserver qu’un ou deux choix parmi ceux sur lesquels ils ont lu. • Distinguer un choix « préféré » et un choix « secondaire » peut aussi aider à arrêter une décision en utilisant le choix par « élimination » ; • Si d’autres thèmes n’avaient pas été approfondis, leur faire faire la même démarche que précédemment. • Au besoin, formuler des idées de sujets auxquels vous pensez, qui seraient intéressants à aborder et qui iraient dans le sens des ­préférences qu’ils ont déjà indiquées dans leur liste.

Ajoutez ces idées à la liste de leurs sujets qu’ils approfondiront :

• Essayez de reformuler les idées de sujets qui les intéressent en leur donnant une forme plus opérationnelle et concrète, sans nécessairement chercher à exprimer une question de recherche, mais cela peut aussi convenir si les idées vous viennent.

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Chapitre 7 / L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche

On peut facilement donner un sens plus précis au sujet simplement par la façon avec laquelle on reformule l’idée de départ pour la rendre plus opérationnelle ou encore en la plaçant dans un contexte. Cela permet aussi d’aider l’étudiant à entrevoir des possibilités auxquelles il n’aurait pas pensé, parce qu’il n’arrive pas à exprimer son idée de façon ­suffisamment précise. Ce type de démarche sert avant tout à centrer la réflexion de l’étudiant sur le sujet à trouver ou à préciser, plutôt que sur le processus de recherche. Au cours des lectures, certains étudiants pensent déjà à la démarche de recherche et ont parfois des perceptions ou anticipent des problèmes ou des situations qui peuvent influer sur leur ouverture ou leur intérêt face à certains aspects d’un sujet. Par exemple, un étudiant qui ne veut pas avoir à faire certaines manipulations en laboratoire essaiera d’éviter tout sujet qui pourrait nécessiter ce type de manipulation. Un étudiant qui veut passer des questionnaires, plutôt que de faire des entretiens, pourrait avoir tendance à « ne pas penser » à certains aspects de son sujet, en croyant qu’ils mènent inévitablement vers des entretiens. Ce faisant, ils vont chercher à éviter ce qu’ils ne veulent pas faire plutôt que de trouver des aspects qui peuvent les intéresser. Ce sont des informations à valider au moment de la première rencontre avec l’étudiant. Les pistes d’approfondissement peuvent aider à circonscrire ces préférences ou ces éléments qu’il veut éviter (chapitre 3, section 3.6). C’est la raison pour laquelle aborder les sujets potentiels, à partir de ce qui ne les intéresse pas, peut aider à circonscrire ces perceptions ou ces conceptions et les réajuster au besoin. On peut alors en tenir compte pour la suite des choses. Personnellement, je laisse une grande marge de manœuvre à l’étudiant pour qu’il fasse son propre choix, mais si vous établissez une dynamique d’encadrement où vous jouez un rôle plus directif, vous pouvez alors faire des propositions allant dans ce sens et ne pas prendre de temps à laisser l’étudiant « chercher » à délimiter un sujet.

1.3.2 /

Définir un moment « limite » Dans cette démarche, il vous appartient de définir à quel moment il conviendrait d’imposer un sujet ou une orientation précise à l’étudiant, si vous jugez que son choix prend trop de temps. Le principe étant qu’il faut arrêter l’étudiant le plus vite possible sur un choix plus précis, la première moitié de son premier trimestre dans le programme

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devrait être considérée comme la période limite maximale pour qu’il définisse ainsi son sujet. Il pourra passer plus rapidement par la suite à ­l’approfondissement de son sujet et à la production de sa problématique. Évidemment, ce choix peut aussi varier selon le travail que vous aurez amené l’étudiant à produire au cours de cette période. Il appartient au directeur de recherche d’encadrer cette démarche pour favoriser la délimitation rapide du sujet. Si le processus d’accompagnement ne semble rien donner, ça vaut la peine de rediscuter de la suite avec l’étudiant. Lorsque le choix du sujet relève complètement de la responsabilité de l’étudiant et qu’on a tenté différentes approches pour l’aider sans que ça ne débouche sur un sujet plus précis qui le satisfasse, il faut savoir lui exprimer que vous avez atteint les limites de ce que vous pouviez faire pour l’aider. Cela fait partie de la transparence et des limites dont j’ai parlé dans le chapitre 5 (sections 4.3 et 4.5). À moins que l’étudiant décide d’accepter de travailler à un sujet que vous lui imposeriez, il se peut que les deux seules « suites » possibles soient que l’étudiant se questionne sur sa décision de poursuivre, ou encore qu’il trouve une autre direction de recherche. Parfois, cependant, on peut « surseoir » à cette décision de forcer l’étudiant à accepter un projet, si on juge qu’il a ce qu’il faut pour prendre plus de temps pour choisir un sujet, parce qu’il saura rattraper le temps perdu.

J’ai encadré un étudiant particulièrement performant qui avait une capacité d’analyse et de synthèse supérieure. Le problème était qu’il ne parvenait pas à trouver un sujet qu’il saurait vouloir mener jusqu’au bout, sans s’en détacher trop rapidement par manque d’intérêt et de perte de sa motivation. Le sujet qui l’avait amené à me solliciter ne représentait plus vraiment d’attrait et ne le motivait plus à la suite de sa recension des écrits qui était particulièrement exhaustive. Il n’y trouvait pas un enjeu suffisamment important pour aller jusqu’au bout. En raison de ses capacités que je jugeais suffisantes pour rattraper le temps perdu, quand il aurait trouvé son sujet, et parce que je savais aussi que l’imposition d’un sujet ne parviendrait pas à le maintenir dans sa démarche, nous nous sommes entendus pour que je le laisse « réfléchir » pendant la période d’été (du mois de mai jusqu’à septembre) pour trouver un sujet qui allait vraiment le motiver. Il m’a finalement recontacté à la mi-­août avec un sujet qui l’emballait, pour lequel j’étais en mesure de l’encadrer, et qu’il a su mener rondement par la suite.

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Chapitre 7 / L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche

Ce ne sont pas tous les étudiants qui parviennent ainsi à progresser dans leur réflexion après un délai aussi long, et je ne suggère pas de procéder de la sorte avec tous les étudiants. Si l’étudiant fait preuve de travail constant et de réflexion, il peut avoir besoin d’un certain recul pour revoir ce qui l’intéresse, et ceux qui sont vraiment motivés y trouveront ­éventuellement un temps et un espace de réflexion qui s’avéreront bénéfiques.

2 / La difficulté à formuler des questions de recherche J’aborde cet aspect de façon précise, même si le processus de détermination d’une question de recherche se fait habituellement dans une dynamique d’alternance entre les lectures et le questionnement qui se précise de plus en plus au fil de la démarche. Ce processus est d’ailleurs souvent décrit de cette façon dans les ouvrages portant sur la ­méthodologie de la recherche. C’est un processus qui présente un défi important, parce beaucoup d’étudiants n’ont jamais appris à analyser la matière ou les contenus à apprendre sous forme de questions et pour lesquelles ils devaient ensuite procéder à une démarche de recherche pour y répondre.

2.1 /

L’incapacité à formuler des questions Certains étudiants ne parviennent pas à formuler une ou des questions à l’égard du sujet qui les intéresse. Ce qu’ils tirent de leur lecture constitue des constats et des affirmations qui ne les amènent jamais à vouloir aller plus loin dans leur compréhension de ce qui est écrit. Tel phénomène est causé par tel aspect, telle variable joue tel rôle, telle analyse donne tel résultat. Pour eux, l’exploration d’un phénomène consiste à faire des constats et trouver des réponses. Ils ne pensent pas « questionner » ces constats pour savoir pourquoi tel phénomène serait causé par tel aspect. Ils sont intéressés par les « réponses » concernant un sujet : « Je veux comprendre le développement de telle maladie » ; « Je veux connaître tel mécanisme », « Je veux étudier tel phénomène ». C’est la compréhension du phénomène ou la connaissance d’un mécanisme qui les intéresse au départ. Ils recherchent alors des « réponses » dans les lectures. S’ils veulent « comprendre » ou « connaître » en quoi ça consiste, quoi faire, comment intervenir, comment modifier les choses, etc., ils découvrent alors plusieurs raisons pour l’expliquer. Par exemple, si le sujet qui les intéresse vise un phénomène social et qu’ils veulent

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essayer de comprendre « comment ce phénomène social se développe » en approfondissant leur connaissance du sujet par les lectures, ils trouveront éventuellement un certain nombre de « réponses ». Ils trouveront alors que plusieurs facteurs sont en jeu, mais ne se poseront pas d’autres questions, et leurs questions seront résolues. On voit apparaître cette difficulté à partir des réflexions qu’ils produisent (ou pas) à l’égard des lectures qu’ils ont à faire (chapitre 6, sections 5.1 et 5.2). L’absence de pistes à explorer, d’aspects intéressants qui pourraient être approfondis ou encore l’absence de formulation de questions précises par rapport à ce qu’ils notent est souvent un bon indice que les étudiants n’ont pas de questionnement. On peut alors les aider à apprendre à se questionner en leur posant des questions sur ce qu’ils ont lu, afin de montrer que derrière les « réponses » qu’ils ont pu obtenir, se cachent peut-­être d’autres questions. On peut faire participer l’étudiant en lui demandant d’exprimer à voix haute ce qui lui vient comme idée, et comment il établit les liens entre les éléments qu’on évoque. Pour que l’étudiant puisse développer sa capacité à trouver des questions de recherche, il faut qu’il soit amené à le faire le plus souvent possible, particulièrement au début du processus. Plus il formulera des questions par rapport aux contenus de ses lectures, plus il développera cette approche pour analyser les situations, plutôt que de considérer qu’il s’agit simplement de faits et de « vérités ». On peut aussi décrire la façon avec laquelle on « trouve » soi-­même des questions qu’on peut leur proposer. Il s’agit d’exprimer à voix haute les réflexions et les liens qu’on peut faire et comment on en vient à se poser une question ou à déterminer un élément qui peut faire l’objet d’une recherche. Parfois, cette formulation de nos propres questions peut déclencher chez lui un intérêt pour un aspect auquel il n’avait pas pensé.

2.2 /

Un questionnement qui définit trop d’objets Personnellement, c’est probablement la situation la plus fréquente que j’ai rencontrée. C’est une situation un peu paradoxale, parce que la question s’exprime à partir d’une situation réelle très concrète et peut sembler claire et précise à l’étudiant, mais la question elle-­même ne permet pas de préciser des objets à étudier. Contrairement à la difficulté précédente, les étudiants formulent des questions, mais celles-­ci ont tendance à prendre la forme des « pourquoi » des jeunes enfants dans une séquence sans fin. Leur question n’aide pas

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Chapitre 7 / L’accompagnement dans le choix du sujet et l’énoncé de la question de recherche

à déterminer un aspect particulier à approfondir par rapport à leur sujet d’origine, mais chaque élément de réponse à une question devient la source d’un nouvel objet d’étude. Pourquoi cette situation ? Parce que telle variable ou tel facteur serait en jeu… Pourquoi ce facteur est-­il en jeu ? Les écrits disent que c’est en raison du contexte… Pourquoi ce contexte fait-­il cet effet ? Parce qu’il a certaines caractéristiques… Pourquoi a-­t-­il ces caractéristiques ? Chaque question menant à d’autres lectures, qui mènent à d’autres « réponses », qui mènent à d’autres questions… Comme les jeunes enfants, ils superposent des pourquoi auxquels ils font eux-­ mêmes la recherche de réponses, mais ces nouvelles réponses les dirigent vers de nouveaux pourquoi. L’étudiant parvient à définir des aspects qui peuvent être pertinents, mais il perd de vue l’idée de départ. S’il tente d’y revenir, il en revient à son questionnement du début. Il sait reconnaître un certain nombre de facteurs impliqués dans la situation ou le sujet qui l’intéresse, mais il ne sait pas comment mettre en lien ces facteurs avec son objet et il cherche plutôt à définir ou à approfondir chacun des facteurs. Le rôle du directeur de recherche est alors très important. Il doit aider l’étudiant à analyser la situation pour en faire ressortir les éléments qui pourront être étudiés. Le questionnement et les échanges avec l’étudiant doivent se faire tôt pour l’amener à comprendre comment on peut circonscrire, dans un sujet, les pistes à explorer pour le préciser et en arriver à un sujet qui puisse être étudié. Habituellement, dans les ouvrages méthodologiques portant sur le processus de recherche (qui traitent notamment de la façon de « préciser » le sujet), on évoque bien l’importance de se documenter sur le sujet en général, pour trouver des pistes à explorer de façon plus précise. L’expérience que j’ai, particulièrement avec les étudiants à la maîtrise, est que ce processus peut rarement se faire de façon complètement autonome sans l’aide du directeur de recherche. On peut le concevoir au doctorat, mais là aussi l’accompagnement du directeur est facilitant pour éviter que l’étudiant ne dépense du temps et de l’énergie à chercher des pistes qu’il ne trouve pas. Une façon de procéder pour le faire sortir de cette séquence de questions consiste à lui demander de cerner le facteur, la condition, le contexte, le concept qui fait l’objet de sa préoccupation. Il ne s’agit pas de déterminer tout de suite une question, mais de commencer par définir quelles sont les composantes de cet objet, de ce contexte, afin de faire ressortir un ou quelques éléments qui sont à approfondir. Il ne s’agit pas de

219

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poser la question « pourquoi », mais « qu’est-­ce qui explique », « qu’est-­ce qui manque », « qu’est-­ce qui influence », etc. L’usage du schéma comme moyen d’illustrer les relations entre les éléments et d’illustrer ce qui peut faire défaut sur le plan des relations entre ces éléments aide parfois aussi à faire ressortir un sujet ou une question d’intérêt. Personnellement, je procède le plus souvent moi-­même à la structuration du schéma de ce que l’étudiant me dit ou m’explique, pour éviter qu’il n’ait à gérer les deux tâches en même temps, soit de m’exprimer sa pensée et de tenter de la transposer dans un mode graphique. Ce travail avec l’étudiant a le grand avantage de l’amener à faire lui-­ même la réflexion pour délimiter les aspects qui l’intéressent. Il s’approprie donc plus rapidement et plus profondément le sujet qu’il délimite, mais c’est une démarche qui demande un certain temps.

2.3 /

L’attente des « bonnes » réponses Beaucoup d’étudiants vont considérer notre point de vue comme étant « la vérité », et ils peuvent adopter une approche passive dans l’attente que nous leur indiquions ce qu’ils doivent penser et comment ils doivent interpréter les choses. À cet égard, les étudiants sont très nombreux à considérer nos questions comme étant des « tests », ou encore qu’il y a une bonne réponse derrière la question. Même si la démarche vise à connaître leur opinion, à les amener à faire des hypothèses ou encore à exprimer les interprétations qu’ils peuvent avoir, s’ils pensent qu’il y a une « bonne » réponse, ils vont tenter de la trouver ou dirons qu’ils ne savent pas, plutôt que d’exprimer leur avis. J’ai réalisé que souvent, les commentaires ou les précisions qu’on peut apporter diminuent les initiatives de l’étudiant et la liberté qu’il se donne de remettre en question le processus à suivre. Il risque de laisser de côté son questionnement en attendant que vous lui fournissiez les réponses. Je suggère de lui demander de justifier, d’expliquer ou de donner l’origine de sa réflexion avant d’indiquer ce que vous en pensez. On peut être tenté de réagir tout de suite et de donner notre avis, ou encore de faire connaître notre opinion avant de demander la sienne. Évidemment, si vous voulez accélérer le processus, vous aurez avantage à adopter une approche plus directive parce que cette démarche requiert parfois un certain temps avec des étudiants. C’est une façon d’aborder les choses que l’étudiant gagne toutefois à acquérir pour être plus autonome, lorsqu’il devra diriger lui-­même le processus, une fois son diplôme obtenu.

220

Chapitre 8 /

L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

La production des deux premiers chapitres du projet représente habituellement les toutes premières productions importantes de l’étudiant, à moins que son mémoire ou sa thèse ne se fasse par article. Dans ce cas, ce seront les premières versions des articles qui seront ses premières productions significatives1. Ce chapitre porte sur l’accompagnement de l’étudiant pour la production des deux premiers chapitres de son projet de recherche. La pro­ duction de ces chapitres est la première occasion, pour le directeur de recherche, de mesurer la capacité de l’étudiant à formuler et à articuler ses idées par écrit, et à démontrer sa compréhension réelle de son sujet. L’accompagnement dans la production de ces chapitres est décrit, comme pour les autres chapitres à venir, par l’entremise des difficultés que les étudiants sont susceptibles d’y rencontrer. De façon générale, ces difficultés concernent la façon avec laquelle les étudiants sont en mesure de comprendre et de répondre aux exigences propres à chaque chapitre, dans leur forme et dans leur contenu. J’aborde les deux premiers chapitres ensemble parce que les difficultés que les étudiants y rencontrent sont souvent les mêmes. Ces difficultés sont décrites dans la troisième section du chapitre, les causes potentielles de ces difficultés sont décrites dans la quatrième section et enfin, les interventions possibles pour aider les étudiants à résoudre leur difficulté sont proposées dans la dernière section du chapitre.

1

Il n’existe pas de formes uniques dans la façon de produire un mémoire ou une thèse par article. Les règlements pédagogiques de chaque établissement, et même parfois de chaque programme, peuvent présenter des différences dans ce que doit comprendre un mémoire ou une thèse par article et dans la façon d’articuler les parties entre elles.

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Je n’ai pas associé des problèmes précis à des causes précises et à des interventions précises, parce que souvent, une même difficulté peut venir de quelques causes et une intervention peut s’appliquer à plusieurs causes en même temps. On peut évidemment faire des rapprochements entre les problèmes qui sont abordés ici et ceux qui seront présentés dans le chapitre 13, qui traite des problèmes de rédaction et de production. Cependant, les difficultés dont il est question ici concernent plus la façon d’articuler le contenu et la clarté de ce contenu alors que les difficultés abordées dans le chapitre 13 concernent plutôt les difficultés de rédaction sur le plan des processus de production (section 2) et de la qualité de l’expression qu’on associe plutôt à la qualité du français (section 1). Je présente un certain nombre d’exemples pour illustrer les types de difficultés qu’on voit apparaître dans les textes. Ce sont des formulations que j’ai tirées d’exemples de rédaction d’étudiants que j’ai rencontrés et de mes propres étudiants, mais que j’ai « reformulées » afin de les rendre plus succinctes. En ce sens, les auteurs et les dates utilisés dans les exemples ne correspondent pas nécessairement à des références réelles. J’ai choisi de décrire toutes les situations de difficultés auxquelles j’ai dû faire face, même si certaines de ces difficultés peuvent paraître évidentes à certains et ne seront pas considérées comme étant quelque chose de particulièrement difficile à reconnaître. Mon but est de faire une description la plus complète possible des problèmes et de ne pas tenir pour acquis que certains problèmes sont connus de tous. Cependant, après avoir encadré quatre ou cinq étudiants qui ont des difficultés significatives dans la production de leur projet de recherche, on voit plus rapidement et facilement surgir des signes de problèmes qu’on pouvait ne pas voir auparavant. J’aborde, dans la section 2 du chapitre, certains problèmes propres à chacun des deux premiers chapitres du mémoire ou de la thèse et qui sont créés par les exigences propres à ces chapitres. Mais avant tout, il importe de présenter un principe important pour accompagner la production de l’écrit de ces deux premiers chapitres, mais qui s’applique également pour commencer l’accompagnement de tout le processus de rédaction du projet.

222

Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

1 / Un principe préalable : faire produire rapidement de petites parties Ce principe constitue la base même de l’entraînement à la production, du passage de l’idée à son expression écrite et assure, en même temps, de pouvoir évaluer rapidement la capacité de l’étudiant à exprimer ses connaissances par écrit, selon les normes et le style attendus. Je présente ce principe préalable à l’accompagnement de la production du projet de recherche parce qu’il s’agit d’une approche qui facilite la vérification d’une multitude d’éléments avant que l’étudiant ne s’engage dans la rédaction élaborée de tout un chapitre : • sa maîtrise du contenu du sujet ; • son usage adéquat et suffisant des références sur lesquelles il s’appuie ; • la qualité de son style de rédaction scientifique ; • l’organisation de ses idées ; • sa façon de rapporter le fruit de ses lectures et de mettre en lien les auteurs ou les propos dans un texte suivi. Il est grandement préférable de demander à l’étudiant de faire ses premières productions sur des petites parties à la fois, dont vous déterminez le sujet ou l’objet de manière précise, plutôt que de le laisser produire au gré de ses envies ou de son inspiration sur de grandes parties de texte. Je suggère évidemment de commencer par faire produire l’étudiant sur sa problématique, mais de lui demander de rédiger une portion de la problématique (par exemple, la pertinence sociale de sa recherche), plutôt que de le laisser produire la totalité de son premier chapitre, avant de corriger ce qu’il a produit. Chez certains étudiants, ce principe ne s’appliquera pas parce qu’ils sauront vous produire la totalité de leur chapitre en un seul jet. Parfois, la qualité de cette première version sera malgré tout appréciable, mais la plupart du temps, le nombre d’éléments à corriger, aussi bien sur la structure, le style ou le contenu, rendra votre correction beaucoup plus lourde parce que tout doit être corrigé en même temps (chapitre 11, sections 2 et 3). Vous pourrez ainsi lui faire les commentaires et les suggestions appropriés sur une partie plus limitée, ce qui rend le processus de correction moins lourd, mais qui permet aussi à l’étudiant de réajuster sa ­rédaction pour la suite de sa production du premier chapitre.

223

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Encore une fois, certains étudiants n’auront pas besoin de cette production « progressive », parce que la qualité de leur rédaction et la compréhension qu’ils ont de leur sujet et du processus de production leur permettent de tout produire d’un seul coup. J’ai cependant rarement rencontré des étudiants qui étaient en mesure de produire un premier jet global de leur premier chapitre sans que la correction soit beaucoup plus longue et qu’elle donne lieu à de nombreuses modifications et à de multiples commentaires. Lorsque le premier chapitre a été produit dans son entièreté avec une qualité suffisante, on peut passer au deuxième chapitre (soit le cadre conceptuel ou théorique), mais je suggère de conserver la même démarche, c’est-­à-­dire de commencer par produire sur une petite partie définie. La complexité de ce chapitre est parfois différente pour l’étudiant, parce qu’il doit rapporter de manière plus précise les éléments conceptuels décrivant son projet. Il faut alors qu’il démontre qu’il a bien intégré les concepts ou les modèles sur lesquels il appuie sa recherche ou ceux qu’il met de côté. Ce type d’apport exige non seulement qu’il ait bien compris ces éléments théoriques, mais il doit pouvoir les décrire par écrit de façon claire et cohérente. C’est d’ailleurs souvent au moment de faire cette description qu’on peut se rendre compte que sa compréhension des concepts ou des modèles n’est pas aussi grande qu’on le pensait. Cette rédaction progressive, dans les deux premiers chapitres, aide aussi à le faire produire par écrit plus rapidement que si vous exigiez de lui qu’il rédige tout un chapitre à la fois. En fait, on peut lui demander de commencer sa rédaction dès la troisième rencontre2. Vous pouvez alors contrôler plus facilement son rythme de production, le faire travailler plus régulièrement sur sa recherche, vous assurer des retours réguliers pour éviter qu’il ne soit bloqué trop longtemps sur un aspect de sa rédaction, et votre correction sera peut-­être plus fréquente, mais vous y mettrez moins de temps chaque fois. Il n’y a pas vraiment de longueur particulière à prévoir pour ces productions. Cela dépend du sujet et surtout, de l’habileté de l’étudiant à exprimer par écrit ce qu’il sait et la qualité de sa compréhension de son sujet. Si vous avez commencé assez tôt à faire produire des synthèses de ses lectures au moment de sa recension des écrits (chapitre 6, section 5.3),

2

Selon que l’étudiant est à temps complet ou à temps partiel, la troisième rencontre pourra se faire dans des délais différents, mais étant donné qu’il aura eu à lire dès votre deuxième rencontre (chapitre 3, section 6.5), il devrait déjà être en mesure de mettre par écrit le fruit de ses lectures pour commencer à articuler sa problématique (chapitre 6, section 5.3).

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

vous devriez être en mesure rapidement d’évaluer ce que l’étudiant peut produire et le degré de liberté que vous pourrez lui donner pour la suite de sa rédaction.

Je n’ai laissé que quelques étudiants produire un chapitre entier avant de les corriger. La majorité des autres étudiants ont produit les deux premiers chapitres par « partie », pour que je les corrige au fur et à mesure. Ils ont pu ensuite rédiger le chapitre méthodologique d’un seul trait, avant que je ne le corrige. Par contre, j’ai exigé d’un étudiant qu’il me produise ce troisième chapitre par partie, parce que son manque d’aisance à rédiger nécessitait que je le suive de façon plus serrée.

2 / La production des chapitres de la problématique et du cadre conceptuel J’utilise ici le terme problématique pour désigner le premier chapitre du projet (et du mémoire ou de la thèse), mais ce n’est pas toujours le terme utilisé, selon les disciplines. C’est le chapitre qui justifie, en fait, le but de la recherche. Dans le cas du deuxième chapitre, il peut être appelé également de différentes façons, selon les préférences du directeur ou des exigences des normes de présentation de l’établissement ou du programme. Ce peut être cadre théorique, cadre conceptuel, cadre de référence, etc. Le premier chapitre est la première étape de mise en forme de la pensée de l’étudiant. Cette formalisation de l’argumentaire pour justifier la pertinence sociale et scientifique de la recherche présente en elle-­même quelques défis pour les étudiants.

2.1 /

La compréhension de la notion de problématique (ou de problématisation) Il ne faut pas sous-­estimer les répercussions des difficultés que les étudiants éprouvent pour comprendre la notion de problématique et du rôle de ce premier chapitre. J’ai rencontré beaucoup d’étudiants qui ne parvenaient pas à produire un chapitre adéquat parce qu’ils ne saisissaient pas le sens de ce qu’était une « problématique ». Malgré les corrections et les suggestions, ils ne parvenaient pas à organiser les choses

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convenablement ou intégraient des informations qui n’étaient pas pertinentes. Une grande partie du problème vient de la façon avec laquelle on leur décrit la notion de problématique et la représentation qu’ils s’en font. Deux obstacles majeurs semblent empêcher les étudiants de pouvoir véritablement s’approprier cette notion de problématique : la présence d’un « problème » suggéré par le terme et qui n’est pas là pour l’étudiant, et la compréhension erronée qu’ils ont de l’idée d’« entonnoir » souvent utilisée pour décrire comment le contenu devrait s’articuler dans le texte.

2.1.1 /

La présence d’un « problème » qui n’est pas là pour l’étudiant La notion de « problématique » sous-­entend évidemment l’idée de la présence d’un problème. Les définitions qu’on trouve du concept, la façon d’exprimer l’orientation générale des propos tournent autour de la description d’un problème. Cependant, un bon nombre d’étudiants ne voient pas leur sujet de recherche comme étant un « problème » qu’ils étudient. Un étudiant qui s’intéresse à vérifier l’efficacité d’une intervention n’a pas du tout l’idée d’étudier un « problème ». Un étudiant qui veut décrire le mécanisme de transformation d’une molécule parce que cela pourrait expliquer des effets positifs sur une réaction ne voit pas du tout la chose comme un « problème ». Cette qualification de leur démarche et de sa justification fait en sorte que plusieurs étudiants vont chercher à formuler un « problème » en pensant qu’ils doivent énoncer autre chose que ce qu’ils ont déjà identifié comme sujet et comme question de recherche. Certains vont même essayer de « trouver un problème » et éventuellement produire un texte qui s’éloigne complètement de leur sujet. Plusieurs de ces étudiants me faisaient savoir qu’ils avaient longtemps essayé de « trouver » un problème alors que les corrections et les commentaires de leur directeur indiquaient qu’ils n’avaient pas formulé leur problématique de la bonne façon. Certains avaient d’ailleurs l’impression qu’ils n’avaient pas encore trouvé leur sujet (même si leur question de recherche était déjà confirmée avec leur direction de recherche), parce qu’on leur avait dit que leur problématique ne décrivait pas bien le « problème ». Puisque pour eux, ils n’avaient pas de « problème » à étudier, il fallait donc qu’ils en trouvent un ! Bien que l’utilisation du terme problématique ne puisse être évitée parce que c’est le terme en usage, je suggère de traduire à l’étudiant l’idée derrière cette notion de problématique, soit de faire valoir la pertinence de son sujet. Personnellement, j’utilise très rarement le terme problème pour désigner le contenu du chapitre et l’argumentaire pour faire valoir la pertinence sociale et scientifique de son sujet et de sa question de

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

recherche. Lorsque j’utilise le terme, je reviens toujours à l’idée de démontrer et justifier la pertinence de son sujet, en se basant sur ce que ses lectures peuvent suggérer comme élément à approfondir à propos de son sujet de recherche, comme manque à combler, comme point de vue à vérifier, etc., selon son sujet et l’orientation de la question (ou des questions) de recherche. La problématisation du sujet est en fait ce processus de mise en évidence des raisons pour lesquelles un sujet doit être étudié. Il est souvent préférable d’indiquer à l’étudiant ce qu’il devra présenter comme informations pour expliquer sur quoi il s’appuie pour justifier l’intérêt et la valeur de sa recherche. Il ne faut pas tenir pour acquis que les étudiants comprennent le sens de cette « problématisation » s’ils ne vous ont pas posé de questions. Pour plusieurs, c’est un terme lié à la recherche dont ils ne comprennent pas le sens, mais qu’ils tentent de « respecter » ou de « réaliser » sans nécessairement savoir comment.

Un de mes étudiants m’a raconté qu’il faisait régulièrement rapport de nos échanges avec ses collègues étudiants avant ses cours, sur les différentes explications que je lui fournissais par rapport au processus de recherche et aux suggestions que je lui faisais sur sa façon de travailler. Lorsqu’il avait commencé à travailler à la rédaction de son premier chapitre, je lui avais expliqué (comme je le fais pour tous mes étudiants) le sens de la problématisation de son sujet, ce que représentait cette idée de « problématique », ce que ça voulait dire sur le plan de l’argumentaire à fournir, et quelle forme pouvait prendre cet « entonnoir » dont il allait entendre parler pour organiser son contenu. En en discutant avec ses collègues, il avait réalisé qu’ils avaient tous un questionnement par rapport à ces idées qu’ils ne comprenaient pas très bien et qu’ils ne savaient pas vraiment comment cela pouvait prendre forme dans un texte. Il m’avait mentionné « raconter » à ses collègues mes propos pour leur fournir des explications que je lui avais moi-­même fournies.

Ils arrivent la plupart du temps à formuler les choses, mais ils n’ont pas nécessairement mieux compris le sens de la problématisation. Ils en ont alors une compréhension « impressionniste » issue des corrections que vous leur aurez présentées ou encore des directives que vous leur aurez données pour produire cette portion de texte.

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Encadrer aux cycles supérieurs

2.1.2 /

Le problème de l’« entonnoir » L’image de l’« entonnoir » est celle qui est habituellement utilisée pour décrire comment se structure le contenu de la problématique. Cette image a du sens lorsqu’on a déjà produit une problématique et délimité un sujet. Il faut être parvenu à distinguer les idées et à les produire selon une organisation hiérarchique en fonction de l’argumentaire à développer pour comprendre cette « forme » d’entonnoir dans les propos. Lorsqu’on a déjà produit une problématique, on est plus en mesure de comprendre comment s’articule l’organisation du texte et les raisons pour lesquelles cette image d’entonnoir représente bien le développement du contenu. Mais pour beaucoup d’étudiants, cette image suggère souvent toutes sortes d’autres choses. Lorsque les étudiants tentent de reproduire cet « entonnoir » dans leur façon de lier les idées et de les décrire, on peut se retrouver devant des textes qui ne répondent pas du tout à une organisation structurée et pertinente. Malgré les corrections et les commentaires que vous pourriez leur demander de faire, ils peuvent persister à produire un texte qui ne répond pas à une structure adéquate, simplement parce qu’ils tentent de présenter leur contenu avec cette idée d’entonnoir, surtout si c’est l’expression que vous utilisez pour essayer de lui faire comprendre comment il doit organiser ses informations. Souvent, les étudiants perçoivent de l’« entonnoir » cette idée que l’embout (la fin de leur texte) est sa partie la plus fine, la plus « pointue ». Pour eux, cela devrait se transposer par la présentation d’un « détail » à la fin de leur texte. En ce sens, un étudiant cherchera à développer son texte en allant du « plus général » vers le « détail ». La structure adoptée n’est donc pas très cohérente, sinon par le fait que d’une information à l’autre, l’étudiant essaie de faire ressortir une idée ou un élément de contenu hiérarchiquement sous-­jacent à la thématique précédente. Si vous utilisez l’image de l’entonnoir pour leur faire comprendre la façon avec laquelle ils doivent structurer leur chapitre et que ce qu’ils vous présentent n’offre pas une structure cohérente, discutez avec eux des « parties » à organiser et de leurs liens hiérarchiques en n’utilisant pas l’image d’entonnoir. Parfois, on a déjà une idée de la structure du chapitre et des sections et sous-sections qu’il peut comprendre. On peut décrire la façon dont cet entonnoir prend forme en l’illustrant à partir de l’organisation des sections du chapitre qu’on peut lui proposer. Il faut

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

cependant être prudent si on tente d’induire une structure au texte parce que certains étudiants se trouveront bloqués dans leur production s’ils doivent produire un texte dont la structure leur est imposée ou même suggérée (section 5.7).

2.2 /

Le cadre conceptuel ou théorique La production du chapitre présentant le cadre théorique ou conceptuel de la recherche constitue habituellement la partie d’appropriation et de description des théories, des modèles ou de concepts qui servent de base à la recherche. Selon les expériences et la connaissance antérieure du domaine de l’étudiant, le processus de production de ce chapitre peut représenter un défi considérable. Le degré de difficulté est souvent inversement proportionnel au degré de connaissance préalable des théories ou des concepts en jeu. Beaucoup d’étudiants parviennent à progresser de façon adéquate dans la production de leur texte, mais certains demeurent avec des faiblesses qui perdurent au-­delà de quelques versions. Les difficultés des étudiants à produire ce chapitre résident dans l’obligation de faire part de leur compréhension des théories ou des concepts en jeu. Souvent, la seule description de modèles ou de théories ne suffit pas. Ils doivent aussi prendre position pour justifier leur choix d’un modèle ou d’une théorie entre un certain nombre de propositions (théories, modèles, définitions, etc.). C’est cette démonstration de l’appropriation du contenu du domaine qui est exigeante pour eux et la difficulté s’accroît d’un cran s’ils doivent en plus justifier un choix particulier par rapport à plusieurs possibilités. Comme c’était le cas pour la problématique, les difficultés rencontrées viennent alors souvent de l’obligation de prendre position et de déterminer un choix qu’ils doivent argumenter. Les indices d’un problème apparaissent souvent sous la forme d’un traitement plus superficiel du sujet ou bien l’étudiant semble demeurer en « retrait » de ce qu’il décrit, comme s’il rapportait des propos sans indiquer ce qu’il considère comme pertinent au besoin de sa recherche. Plusieurs des problèmes peuvent être anticipés ou prévenus, mais il est possible que, malgré tout, on ne voie apparaître certains des signes de difficultés qu’au moment de la production de ce chapitre, ou le même type de faiblesse demeure présent malgré une ou deux versions corrigées.

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Encadrer aux cycles supérieurs

3 / Les difficultés dans l’expression de la problématique et du cadre conceptuel3 Les difficultés rencontrées dans ces premiers chapitres se caractérisent souvent par une rédaction malhabile des informations et par un manque de savoir-­faire à l’égard de la rédaction scientifique, particulièrement pour les étudiants de maîtrise. Cependant, les productions des doctorants ne sont pas exemptes de ces types de problèmes, parce que les causes qui provoquent ces problèmes peuvent affecter tout autant les étudiants du doctorat. Ce sont souvent les expériences vécues à la maîtrise et le type d’encadrement reçu qui peut faire en sorte qu’une difficulté qu’on pouvait croire « réglée » au doctorat, surgisse tout à coup dans les premières productions de son étudiant.

3.1 /

L’étudiant exprime ses opinions comme étant des « évidences » Cette forme de « prise de position » est très souvent malhabile au début parce qu’ils mélangent opinions, impressions et prises de position scientifiques. Ces opinions peuvent prendre plusieurs formes différentes, parfois plus directes, parfois plus subtiles : « Il n’est plus à démontrer que… », « Nul ne peut s’opposer à… », « Tout le monde s’entend pour affirmer que… ». Dans d’autres cas, ces opinions s’expriment plutôt sous la forme de sentiments ou d’émotions attribués directement à ce qui est décrit : « Tel auteur a certainement été surpris que… », « C’est certainement le découragement de l’auteur face à la situation qui l’a amené à étudier… ».

3.2 /

L’étudiant n’utilise pas la « forme scientifique » C’est une des grandes difficultés des étudiants qui commencent un programme aux cycles supérieurs. Écrire dans une forme ou un style scientifique implique que l’étudiant ait déjà pris conscience de cette forme particulière. Il a pu lire des dizaines de textes auparavant sans avoir réalisé que les textes avaient leur forme propre. Il peut aussi savoir reconnaître le style scientifique sans être en mesure de le transposer à ses

3

Je décris ici les principales difficultés en fournissant à l’occasion des exemples de formulation. Cependant, on peut aller directement aux pistes d’intervention si on ne juge pas utile de passer à travers la description de chaque difficulté ou erreur. Le chapitre 11, qui aborde le processus de correction, fournit aussi plusieurs pistes dans la façon d’accompagner l’étudiant dans les différentes étapes de production.

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

propres textes. C’est un peu la même difficulté de transfert entre la possibilité de lire un texte en langue étrangère et celle d’écrire ­adéquatement avec ce même langage. Le style scientifique est une forme d’écriture, qui, comme toute forme d’écriture, s’acquiert avec la pratique et une correction déterminée. En ce sens, il faut différencier les corrections qui relèvent d’une correction de style à celles qui concernent le contenu. S’il croit que ce qui lui est demandé relève du contenu, vous ne verrez pas de différences dans sa façon d’écrire. Certains étudiants auront toujours une grande difficulté à adopter un style scientifique, malgré les nombreuses corrections qu’on pourra leur faire. Un de mes étudiants reprochait d’ailleurs à ce style d’être « désincarné » et peu intéressant. Il avait l’impression que l’écriture s­ cientifique l’empêchait de pouvoir rédiger quelque chose qui lui ressemble…

3.3 /

L’étudiant ne saisit pas le lien entre les écrits et la formulation de la question Les étudiants rencontrent des difficultés à faire un lien entre les écrits qu’ils lisent et la justification de la question ou du sujet qui les intéresse. Pour eux, ils doivent démontrer qu’ils ont une bonne connaissance du sujet et de ce qui s’est écrit à son propos, mais ils ne parviennent pas à exprimer en quoi la question ou la situation qu’ils étudient s’inscrit dans ce qu’ils ont présenté. Souvent, d’ailleurs, la question arrive en fin de chapitre sans avoir été remise en contexte, comme si elle était issue de la réflexion de l’étudiant et non pas de ce qu’il avait pu présenter dans son texte et sa documentation. Cette difficulté à construire la structure de leur problématique vers la question est particulièrement apparente lorsque le sujet ne vient pas de leur propre choix ou que la formulation de la question s’est faite à partir de discussions avec le directeur et de suggestions de sa part plutôt qu’en fonction de la détermination de ce que présentent les écrits. Ils ont pu trouver la suggestion de leur directeur pertinente parce qu’elle exprimait bien leur « questionnement », mais ils n’ont pas fait le cheminement intellectuel à partir des écrits leur permettant de les mettre en lien avec la question. Ils cherchent à décrire le domaine, le sujet et les éléments pertinents, mais ils ne parviennent pas à les organiser et à les mettre en relation pour faire ressortir les composantes menant à la question. Cette situation peut entraîner le directeur à vouloir formuler lui-­même ces liens

231

Encadrer aux cycles supérieurs

parce que l’étudiant ne les perçoit pas. Ça devient alors difficile pour l’étudiant de produire un texte qui nous satisfasse puisqu’il doit tenter de convertir notre propre compréhension des liens dans son texte alors qu’il n’a pas fait nécessairement la même réflexion. On peut s’apercevoir qu’il essaie de reformuler nos propos dans son texte, sans que cela soit réellement satisfaisant.

3.4 /

L’étudiant veut montrer qu’il a beaucoup lu Le travail de recherche et de lecture occupe une partie importante des premiers mois. Il en résulte, pour certains, des tentatives d’intégrer tout ce qui a été lu, même ce qui n’est pas pertinent, parce qu’ils y ont mis du temps. On verra aussi apparaître des textes qui contiennent de nombreuses informations qu’on juge non pertinentes. Pour l’étudiant, les informations sont utiles et pertinentes parce qu’elles font partie de ses lectures. Cela devient plus fréquent si l’on a laissé l’étudiant avancer dans ses lectures pendant une plus longue période, sans faire de vérification de sa progression et du contenu de sa recension des écrits. S’il a pris certaines directions qui ne vont pas avec son sujet, il pourra chercher ensuite à intégrer le fruit de ses lectures, parce qu’il aura l’impression de laisser de côté des éléments qu’il juge importants, seulement parce qu’il y aura mis beaucoup de temps. Dans d’autres cas, sa façon de démontrer la pertinence de sa réflexion et de ce qu’il a lu sera d’inverser le sens de l’attribution de l’idée : « Tel auteur va dans le sens de ce que je crois quand il propose… » ; « Tel auteur me donne raison quand il écrit… ». Ils ne saisissent pas la différence de sens dans le fait de s’approprier ainsi les propos. Ils ont l’impression que cela peut augmenter la valeur de leur interprétation.

3.5 /

L’étudiant énumère plutôt que de décrire ou d’expliquer On rencontre cette situation notamment lorsque les étudiants ont « interprété » le style scientifique comme un enchaînement de faits et d’auteurs qui sont présentés. L’étudiant fournit simplement une liste d’auteurs ou de références en exprimant certains liens, mais ne décrit pas les propos ou les explications des liens énoncés. Il peut utiliser des propos qu’il attribue à des auteurs, mais il ne présente que les conclusions des auteurs ou les liens qu’il établit lui-­même entre ces auteurs, sans expliquer ou décrire le contenu des textes auxquels il fait référence. Ça donne un texte qui semble logique avec une structure argumentaire, mais ça donne une

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

impression d’une accumulation d’auteurs et de propos sans trop savoir sur quoi les recherches en question ont porté. Parfois, l’énumération va aussi se limiter à une simple indication du sujet abordé sans qu’il n’y ait une description de la nature des travaux effectués, ou comment l’auteur en est venu à énoncer ses propos. Exemple : Guss (2003) indique que la recherche a peu avancé depuis les dernières années. Josh (2004) pense qu’on voit une plus grande sensibilisation à l’étude du phénomène. Bill (2011) et Anvers (2009) émettent plutôt l’idée que cela dépend de la nature des ­publications étudiées. Cette tendance vient souvent d’une interprétation erronée de l’étudiant de la façon dont les arguments se structurent dans un texte. Certains étudiants mettent leur effort sur les liens logiques ou les arguments qu’ils trouvent dans les textes lus plutôt que de construire leur travail sur la description des résultats de recherche ou des objets d’étude. Ce sont les avis des auteurs qu’ils enchaînent sans nécessairement les expliquer ou même sans décrire le contexte des recherches en question. Cela peut d’ailleurs donner des propos qui semblent logiques ou « argumentés » dans le texte par l’étudiant, mais la vérification de la connaissance des écrits montre plutôt que l’étudiant n’a pas du tout tenu compte du contexte dans lequel ces propos avaient été tenus.

3.6 /

L’étudiant décrit plutôt que d’argumenter ou de critiquer Cette difficulté s’exprime par une description qui peut être très élaborée des idées et des propos des auteurs ou de leurs recherches, mais ces descriptions sont présentées les unes à la suite des autres, et ce, sans aucune analyse, sans établir de quelles façons elles se comparent, se complètent ou s’opposent. L’étudiant présente les contenus ou les recherches, mais ne les associe pas ensemble ou ne les regroupe pas selon des particularités qu’ils possèdent. Il démontre qu’il a analysé les recherches, mais on ne voit pas bien ce qu’elles apportent à la compréhension du sujet ou de la problématique, parce que les descriptions ne sont pas faites et justifiées en ce sens. On peut avoir l’impression que l’étudiant n’utilise pas de marqueurs de relation, mais le problème est plus général en ce que l’étudiant n’a pas lui-­même effectué un regroupement des écrits qu’il présente. On est alors

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Encadrer aux cycles supérieurs

souvent confronté à un texte qui est relativement long puisque l’étudiant n’établit pas de liens ou ne fait pas de distinctions quant à la pertinence ou aux relations entre les textes rapportés. Exemple : Josh (2004) a analysé les effets de… [avec une description de la recherche et parfois des conclusions]. De son côté, Bills (2011) a étudié quelles étaient les différences d’effets avec des sujets plus jeunes… [en faisant ensuite la description de la recherche]. Anvers (2009) décrit les effets de… [en décrivant sa recherche]. Pour l’étudiant, en cumulant ainsi les descriptions des recherches, il fait le tour de son sujet en présentant le contenu des articles, mais ceux-­ci sont traités sur un plan équivalent. Si l’on perçoit des éléments qu’il pourrait faire ressortir pour aider à argumenter sa problématique, l’étudiant, lui, ne les voit pas ou ils sont « implicites » dans le fait qu’il décrit les recherches. On peut lui suggérer une organisation pour traiter de certains thèmes ensemble, mais même à l’intérieur de la section, il pourra se limiter à énumérer les auteurs et leurs idées sans les mettre en relation. La suggestion de mettre en lien certaines recherches déjà énoncées pourrait amener l’étudiant à simplement les mettre dans le même paragraphe. Chaque recherche est traitée comme une entité séparée des autres, comme s’il n’y avait pas de rapport entre elles, sinon d’avoir été lues et de porter sur le sujet. Une partie de ce problème est causée souvent par le fait que l’étudiant n’a jamais procédé à une réflexion à l’égard de ce qu’il a lu et qu’il n’a fait qu’accumuler les informations. Leur présentation devrait suffire, selon lui, puisqu’elle démontre qu’il a bien étudié le sujet. Il y a là une absence potentielle du processus de réflexion lors de la recension des écrits (chapitre 6, section 4.3).

3.7 /

L’étudiant survole plutôt qu’il approfondit L’étudiant évoque les concepts clés, les auteurs, mais il n’en fait pas une description élaborée et complète. Il procède plutôt à une sorte de justification ou de confirmation de l’importance du concept, du modèle ou de la théorie en question, de son usage ou de ses applications, mais sans vraiment expliquer en quoi ça consiste. Ce type de problème

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

est souvent plus apparent dans le chapitre du cadre théorique parce que c’est là où ­l’étudiant doit entrer dans le détail des théories ou des concepts. Exemple : Biggs définit très bien le concept d’alignement pédagogique. Il est ensuite repris par Chavez et on le retrouve aussi souvent dans des ouvrages en pédagogie [liste d’auteurs et de dates]. Il est d’ailleurs considéré par plusieurs comme le concept le plus significatif pour expliquer la correspondance entre les trois étapes de la p ­ lanification pédagogique [liste de plusieurs auteurs et dates]. Il n’y a pas d’autres indications ou de descriptions plus précises de ce qu’est le concept. L’étudiant a l’impression qu’il a fait le tour des arguments pour sa justification. Ce type de faiblesse apparaît souvent dans une première version d’un texte ou d’une partie de texte. Lorsque ce type d’erreur se répète après une ou deux versions, surtout après avoir fourni des commentaires explicites sur ce qui manque, c’est alors une indication d’un problème concernant la véritable appropriation de la théorie et de sa présentation. L’étudiant parvient clairement à indiquer ce qu’en pensent les auteurs, à évoquer même des recherches qui ont porté sur le concept ou le modèle, mais les descriptions et les explications de l’objet lui-­même sont absentes.

3.8 /

L’étudiant décrit plutôt que d’expliquer On est ici aussi devant un problème qui apparaît le plus souvent dans le chapitre du cadre théorique parce que c’est dans ce chapitre qu’il doit mettre l’accent à décrire et expliquer les modèles et les théories rattachés à son sujet. La description de la théorie peut être assez précise, ou encore du modèle (ses composantes, les concepts, etc.), mais l’étudiant ne fournit aucune explication du processus ou de la façon dont le modèle ou la théorie s’applique. Il pourra, par exemple, décrire un modèle avec toutes ses composantes, mais il n’explique pas comment les parties de ce modèle interagissent entre elles et comment cela s’inscrit dans son sujet ou de quelle façon c’est associé à celui-­ci. Un exemple simple d’une telle difficulté serait une situation où un étudiant décrirait les composantes d’une cellule, mais sans jamais expliquer comment les parties de la cellule fonctionnent ou interagissent sur

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Encadrer aux cycles supérieurs

le plan fonctionnel. L’étudiant fournira même une figure ou un schéma, mais le texte se résumera à une description en mot de ce qui a été présenté visuellement, sans fournir d’explications supplémentaires. Les informations demeurent factuelles et descriptives sur les parties de la cellule sans ajouter comment les parties de la cellule fonctionnent ou quels sont leurs rôles. L’usage de plusieurs citations des auteurs pour décrire justement les composantes ou le sens à donner à des parties de l’objet à l’étude ou du concept est souvent une indication que l’étudiant ne parvient pas à s’approprier lui-­même le concept, mais qu’il demeure tributaire de ce qu’il en a lu et de ce qu’en disent les auteurs.

3.9 /

L’étudiant se limite à des évidences Ce type de faiblesse est souvent associé à un texte plutôt pauvre en matière de contenu. Les propos sont uniquement structurés en fonction de ce que des auteurs ont rapporté et on n’est pas en présence d’une description ou d’une énumération d’éléments. Les références qu’on retrouve dans le chapitre de la problématique seront probablement exactement les mêmes que celles qu’il utilisera dans le chapitre du cadre théorique. Le texte et les formulations demeurent très similaires d’un chapitre à l’autre. C’est souvent un signe que l’étudiant n’a pas vraiment approfondi son sujet et qu’il n’est pas vraiment en mesure de démontrer une compréhension de ce qu’il décrit. D’ailleurs, il est fort possible que le texte soit relativement court parce que ce que décrit l’étudiant est ­constitué d’idées générales et peu développées.

3.10 /

L’étudiant se restreint aux auteurs majeurs ou aux ouvrages de référence Dans ce type de situation, le problème relève plus du manque de variété des auteurs utilisés que de la faiblesse des propos. Il est parfois normal que le cadre théorique se limite à un nombre restreint d’auteurs. Ce n’est pas une lacune en soi. La difficulté qui apparaît ici devient évidente surtout lorsque les références se limitent particulièrement à un seul ou à deux documents principaux ou encore à quelques auteurs limités regroupés autour de quelques documents. Ça donne évidemment souvent un texte peu riche qui se limite aussi à des évidences ou dont les explications demeurent souvent simplistes.

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

Il se peut qu’une deuxième ou une troisième version contienne plus de détails ou d’explications, mais ceux-­c i demeurent superficiels et se restreignent encore une fois aux mêmes documents. On voit aussi apparaître des références de deuxième ou même de troisième source (« Parker [1999], comme le présente Gill [2003], dans Gauthier [2008] explique que… »). On est évidemment devant une situation de sources restreintes ou d’un manque de variété des types d’ouvrages consultés.

3.11 /

Les propos de l’étudiant ne sont pas mauvais, mais… J’évoque cette difficulté de cette façon parce qu’il s’agit du type de commentaires qui est souvent exprimé par les directions de recherche. La particularité de ce type de problème est qu’il s’amenuise au fil des corrections et des révisions, mais cela se fait par petit pas et une incertitude demeure toujours, d’une fois à l’autre, quant au degré de compréhension des choses, même si le texte semble suggérer que la compréhension est présente. C’est un problème qui n’est pas toujours évident à distinguer. Il s’agit d’une impression générale qui ressort du texte. On peut essayer de faire des propositions de corrections ou d’améliorations, mais d’une fois à l’autre, la même impression demeure, malgré les changements apportés. Par exemple, on peut demander de développer un peu plus, d’expliquer un peu plus, de fournir un peu plus de références, de préciser un peu plus les termes ; on obtient alors quelques améliorations dans les versions suivantes, mais cela n’atteint pas vraiment le niveau espéré et on reste avec une certaine insatisfaction. Le problème n’est pas sur le plan de la structure ou de la formulation des choses, mais bien sur le plan du contenu et de la façon avec laquelle il est décrit et présenté. C’est difficile de pouvoir cerner le problème réel parce que les propos des étudiants demeurent malgré tout relativement cohérents et contiennent des idées qui donnent l’impression que ­l’étudiant possède le sujet. Il s’agit d’une indication habituellement assez claire que la connaissance que l’étudiant a de son sujet dépend de vos propres connaissances. Il structure sa connaissance et sa compréhension des choses, non pas en fonction de ce qu’il se souvient de ses lectures, mais des explications, des commentaires que vous émettez, des questions qu’il vous pose et des réponses que vous donnez à propos des lectures et du contenu. J’ai déjà évoqué cette situation dans le chapitre 6 (section 3.3). Il parvient

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à mettre par écrit ce que vous décrivez du sujet. C’est pourquoi son texte contient des éléments très pertinents et qu’il semble connaître le sujet, mais c’est parce qu’il a su bien mettre en relation les quelques éléments qu’il connaissait avec les précisions que vous avez pu lui fournir. C’est une situation difficile à cerner justement parce que vous n’aurez pas toujours connaissance que l’étudiant tire sa compréhension de vos propres propos plutôt que par sa connaissance personnelle du sujet. Une autre possibilité plus rare est qu’il s’inspire d’un ou deux textes pour expliquer et présenter les choses, sans cependant les mentionner de manière explicite dans ses références. On pourrait, par exemple, penser à l’utilisation d’une thèse ou d’un mémoire de maîtrise desquels il s’inspire pour présenter son contenu. Il peut alors se coller au texte « d’emprunt » en formulant les choses dans ses mots, mais il ne peut approfondir le sujet parce que sa compréhension se limite à ce qu’il essaie de transposer dans ses propres écrits. Ce n’est pas formellement du plagiat, parce que c’est la « compréhension » exprimée dans le texte utilisé qu’il tente de s’approprier et de remettre par écrit, mais cette compréhension demeure très partielle, même si les idées et les concepts sont pertinents.

3.12 /

L’étudiant ne prend jamais position ou ne parvient pas à émettre une critique Ces deux aspects sont traités ensemble parce qu’ils sont souvent une position différente d’un même problème. On se rend compte que l’étudiant n’indique jamais ce qui semble plus important, significatif ou utile par rapport aux propos qu’il rapporte. Il ne fait pas de distinction entre ce qui influence ou non son positionnement théorique ou conceptuel, ou les avantages ou inconvénients que représente un modèle par rapport à un autre, lorsqu’il doit en présenter plusieurs. Ce n’est pas un problème qui survient très souvent, mais lorsque je l’ai rencontré, les conséquences étaient importantes parce que l’étudiant était pris avec un blocage majeur à être capable d’assumer les choix qu’il devait faire. Ces étudiants tentent d’expliquer ou de justifier leur choix comme si les autres possibilités étaient inexistantes. Ils peuvent commencer par exclure toutes autres possibilités que celle qu’ils ont choisie, mais quand on demande de présenter les autres modèles ou positions, ils les évoquent sans les décrire et sans justifier pourquoi ils ne les ont pas conservés.

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

Dans certains cas, ils sont en mesure de vous exprimer oralement leur avis ou les raisons qui justifient leur choix. À l’écrit, ils peuvent faire valoir la pertinence de leur choix, mais ne parviennent pas à exprimer de façon explicite pourquoi les autres choix n’étaient pas valables ou étaient moins favorables.

3.13 /

L’étudiant n’a pas de fil conducteur pour construire son argument L’absence de liens entre les éléments ne concerne pas seulement l’absence de liens entre différentes sections du chapitre, mais parfois aussi à l’intérieur d’une section. On n’est pas ici devant un problème d’« accumulation » ou d’addition des éléments. On ne voit tout simplement pas à quoi réfèrent les informations décrites ou présentées et pourquoi elles sont inscrites à cet endroit. Chaque aspect pris séparément peut être bien justifié, mais on passe de l’un à l’autre sans comprendre quels sont les liens. Il n’est pas rare, d’ailleurs, de voir apparaître des marqueurs de relation entre certaines parties pour tenter de justifier les liens, mais ces marqueurs de relations ne permettent pas de mieux comprendre ces liens. Ils sont même parfois inappropriés. C’est un problème de compréhension de la façon dont le contenu peut être structuré. Il est possible aussi que l’étudiant produise « par association » (chapitre 2, section 3 ; chapitre 13, section 1.3), mais ne sache pas revenir sur ce qu’il a produit pour replacer les éléments ensemble.

3.14 /

L’étudiant exprime ses émotions, ses sentiments ou ses opinions L’étudiant utilise l’expression d’émotions ou de sentiments pour commenter ou critiquer. Je n’ai pas rencontré cette erreur dans tous les domaines, mais je l’ai souvent vue (mais pas exclusivement) dans des contextes où les sujets abordés étaient plus « sensibles » ou lorsque l’étudiant cherche à prouver quelque chose (chapitre 7, section 1.2.1). L’utilisation du « je » dans les textes peut porter plus facilement à ce type de propos. Certains étudiants vont d’ailleurs « commenter » ce qu’ils rapportent de leur lecture en mettant leur opinion : « Je trouve triste de lire que… » ; « Je ne comprends pas que tel auteur justifie que… » ; « Il est inacceptable que… ». Les propos prennent alors plutôt la forme d’un éditorial ou d’une chronique.

239

Encadrer aux cycles supérieurs

3.15 /

L’étudiant généralise la portée des propos Il ne s’agit pas de « généralités », mais plutôt d’utiliser le propos d’un auteur pour suggérer que c’est ce que tout le monde conçoit ou, à l’inverse, qu’il est le seul à penser de la sorte. Les généralisations sont une façon de tenter de justifier une idée ou de construire une argumentation en donnant du crédit à un seul article. L’étudiant pense que s’il a interprété un point de vue d’un auteur, il peut en faire une règle ou une opinion partagée par tout le monde. Il pourra écrire ainsi « La position d’Ogden (2001) fait consensus… », alors qu’il n’appuie pas ce « consensus » sur des propos d’autres auteurs.

3.16 /

L’étudiant utilise des lieux communs L’utilisation de lieux communs est souvent une façon, pour les étudiants, de tenter de justifier leur propos ou leur travail en le situant à un niveau d’importance supérieur qui dépasserait le simple contexte de la recherche : « L’homme est à la recherche d’une meilleure compréhension de ses semblables » ; « Le désir de l’humanité est de pouvoir dépasser ses limites », « La science se doit de trouver les solutions au bien-être des autres… », etc. Ils cherchent à faire valoir la valeur de leur propos ou de leur démarche en tentant d’exprimer une pensée profonde ou « ­philosophique », selon eux.

4 / Les causes ou les facteurs impliqués Comme je l’ai décrit au début du chapitre, les causes mentionnées ici sont, la plupart du temps, impliquées dans plusieurs des problèmes décrits précédemment. Je n’ai pas voulu faire de distinction entre les causes qui pouvaient être associées parfois à un ou deux problèmes précis de celles qui étaient plus généralisées à plusieurs problèmes, parce que cela aurait nécessité de regrouper les problèmes avec leurs causes particulières et certaines causes auraient dû être répétées plusieurs fois. Lorsque c’est approprié, des indications plus précises associées aux problèmes sont mentionnées dans le texte.

4.1 /

L’inexpérience ou le manque de rigueur de l’étudiant C’est évidemment la première cause des problèmes de rédaction qu’on retrouve dans la production des deux premiers chapitres et qui peut s’étendre à la production éventuelle de chacun des autres chapitres par la 240

Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

suite. Cette cause est inhérente au processus d’adaptation aux exigences des études de cycles supérieurs évoqué au chapitre 1 (section 1.2). Il ne s’agit pas d’incompétence, mais de manque d’expérience et de pratique de cette forme d’écriture. Toutefois, l’inexpérience seule n’est pas toujours en cause, notamment au doctorat. Le degré d’exigence de rédaction du directeur de recherche à la maîtrise peut avoir fait en sorte que le degré d’importance accordée aux règles de rédaction du style scientifique n’ait pas toujours été très systématique ou que l’étudiant lui-­même n’ait pas intégré ces compétences de façon suffisamment appropriée. Il peut alors reprendre certaines habitudes d’écriture qu’il aura développée pendant ses nombreuses années d’études antérieures, particulièrement dans les premières versions de ses premiers chapitres et notamment lorsqu’il entreprend un doctorat plusieurs années après avoir complété sa maîtrise. Vous avez peut-­être vous-­même un degré d’exigence plus élevé (ou moins élevé) que d’autres collègues pour certaines formes d’expression que vous permettez ou non d’utiliser dans les productions de vos étudiants. Ce faisant, il se peut que vous laissiez passer certaines formulations alors que vous en proscriviez d’autres. À ce titre, l’utilisation même des pronoms ne fait pas l’unanimité entre les disciplines. C’est ainsi que l’utilisation de la forme impersonnelle, l’utilisation du « je », du « nous » ou du « on » sera perçue différemment d’une discipline à l’autre, d’un domaine à l’autre et même d’un professeur à l’autre dans certains domaines. Parfois, ce seront le sujet de recherche et la méthodologie elle-­ même qui pourraient suggérer l’utilisation du « je », autrement interdite4. On le verra dans la section suivante, mais le principal mode d’intervention pour cette cause consiste à faire écrire l’étudiant le plus tôt possible (chapitre 8, section 1) et le corriger de façon systématique (chapitre 11, sections 2 et 3) en indiquant de façon précise le type d’erreur qu’il commet.

4.2 /

L’étudiant n’a pas de notes de lecture élaborées ou pertinentes On s’aperçoit souvent des conséquences de ce manque de notes de lecture dans la production des deux premiers chapitres du projet. La pauvreté des sources ou le traitement des informations en survol constituent des exemples significatifs de l’effet de ce manque de notes de lecture. Certains

4

Certaines méthodologies qualitatives en sciences sociales, en sciences humaines et en sciences de l’éducation impliquent le chercheur de façon précise et peuvent ainsi amener l’utilisation du « je » dans le texte.

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Encadrer aux cycles supérieurs

étudiants rencontrés en consultation individuelle m’ont d’ailleurs avoué qu’ils avaient produit leur texte sur le seul souvenir des lectures qu’ils avaient faites, sans avoir de notes de lecture à consulter. De plus, certains étudiants n’avaient pas cherché à se documenter de manière plus précise sur les théories ou les concepts qu’ils devaient décrire dans leur cadre théorique, cherchant à se limiter aux lectures ayant servi à articuler leur problématique. Dans d’autres cas, ce manque de notes de lecture se traduit par une approche ciblée de références et d’extraits. Ils retournent dans leur texte pour choisir des passages ou des extraits qui servent à « justifier » ou à « documenter » des affirmations qu’ils font en fonction du souvenir qu’ils ont de leur lecture. Ils butinent d’un article ou d’un document à l’autre seulement pour essayer de construire leur texte, sans chercher à se donner une réelle compréhension du phénomène, du concept ou de la théorie à expliquer. Ils procèdent à une sorte de balayage des textes à la recherche d’indices pouvant les aider à cibler des parties utiles des textes. Ils vont alors se restreindre à utiliser la référence de l’ouvrage sans retourner de manière précise au contenu du texte. En ce sens, cela ressemble à l’approche de recherche de références de comblement (section 4.7).

4.3 /

L’étudiant a limité ses lectures à des ouvrages généraux Pour s’approprier une compréhension adéquate de théories, de modèles ou de concepts, l’étudiant peut parfois bénéficier d’ouvrages généraux qui peuvent l’introduire aux idées et aux modèles importants, particulièrement lorsque ces thèmes sont nouveaux pour lui. Dans certains cas, ces ouvrages représentent la meilleure façon de couvrir la majorité des aspects concernés par le concept, le modèle ou la théorie en question de façon simple et assez complète. Le problème survient lorsque ce sont les seuls ouvrages consultés ou, pire, lorsque l’étudiant se limite à un seul ouvrage qui définit ou décrit son objet. La répétition de la même référence tout au long du chapitre fournit une indication évidente de l’usage exclusif de ce type d’ouvrage. D’autres vont utiliser quelques livres semblables, mais le contenu présenté demeure toujours plutôt descriptif parce que les ouvrages consultés n’abordent pas d’autres modèles ou les étudiants n’utilisent pas d’autres auteurs pour donner plus de nuances ou de points de vue différents de ce qu’ils présentent. Cet usage des ouvrages généraux se rencontre particulièrement chez des étudiants pour qui le sujet traité et

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

les modèles impliqués sont assez nouveaux ou peu connus d’eux. J’ai rencontré cette situation chez des étudiants de doctorat aussi bien que chez des étudiants de maîtrise. Cette approche représente une lacune importante pour l’étudiant, notamment lorsqu’il ne reçoit pas d’accompagnement adéquat de la part de sa direction de recherche. J’ai été témoin de soumissions de thèse qui ont mené à des modifications majeures avant soutenance parce que les étudiants présentaient des explications de théories ou de concepts qui n’avaient pas l’ampleur attendue pour une thèse de doctorat. Le processus de vérification des références est encore ici important pour s’assurer de la variété et de la pertinence des sources utilisées par l’étudiant, particulièrement dans sa description et sa présentation des théories ou des concepts sur lesquels il appuie sa recherche.

4.4 /

L’étudiant craint de ne pas avoir ce qu’il faut (complexe de l’imposteur) Le complexe de l’imposteur est une des principales causes qui explique les hésitations ou l’incapacité à prendre position sur le plan théorique. Certains étudiants ont ainsi l’impression qu’ils n’ont pas assez d’expérience ou encore qu’ils ne sont pas suffisamment « connaissant » pour être en mesure de commenter ou de critiquer ce que des auteurs « célèbres » et beaucoup plus expérimentés ont pu publier. Les étudiants considèrent ne pas avoir le bagage ou les connaissances suffisantes pour pouvoir émettre leur avis. Ils ne pensent pas avoir la crédibilité pour prendre position. Certains ont parfois l’impression de devoir rejeter des théories ou des modèles d’auteurs qu’ils avaient pourtant dû apprendre dans leurs études antérieures. Ce positionnement théorique et conceptuel peut ainsi e ­ ntraîner une rupture par rapport à ce qu’ils ont appris ou ce qu’ils savaient. Certains étudiants interprètent l’idée de critique comme étant un rejet plutôt que comme une interprétation différente ou nuancée d’un point de vue. Le fait de dire qu’un modèle s’applique mal ou qu’il ne tient pas compte de toutes les dimensions pertinentes est une position qui se fait difficilement pour eux parce qu’ils craignent de ne pas être adéquats dans leur propos. Les étudiants qui ont le complexe de l’imposteur auront beaucoup de difficultés à mettre par écrit les arguments et les justifications sous-­jacentes à leur position parce qu’ils ne se sentent pas la ­légitimité pour le faire.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Enfin, pour certains, des opinions ou des critiques ne peuvent être émises lorsque le texte a été publié. Ce qui est publié a déjà fait l’objet de critique et d’évaluation. Il n’est donc pas adéquat, selon eux, de remettre en question quelque chose qui est publié. Non seulement ils peuvent avoir l’impression qu’ils remettent en question les propos de l’auteur, mais qu’ils remettent également en question le jugement des évaluateurs ou de l’éditeur qui ont permis la publication de l’article ou du livre.

À la suite de la publication d’une taxonomie des stratégies d’apprentissage que je proposais (Bégin, 2008), des étudiants m’ont envoyé des courriels me demandant la permission de l’utiliser dans leur recherche et souvent, ils ajoutaient qu’ils allaient l’utiliser sans suggérer aucun changement… Un de mes étudiants m’avait d’ailleurs approché pour l’encadrer en raison de mon intérêt pour les stratégies d’apprentissage et il m’avait demandé, en cours de démarche, ma permission d’utiliser ma taxonomie en me promettant de ne rien changer et de ne pas la critiquer !

Il y a parfois, derrière ces hésitations, une conception de ce qu’est la science et la valeur inéluctable de ce qui est publié. Il faut évidemment changer leur perception et leur faire comprendre la possibilité d’apporter des points de vue différents à partir du moment où ces points de vue sont argumentés et documentés. Dans certains cas, ça peut être enrichissant de leur décrire le processus d’évaluation des articles pour qu’ils puissent comprendre que l’évaluation d’un texte pour publication ne porte pas sur l’évaluation des positions théoriques ou épistémologiques5, mais sur la rigueur et la clarté de la proposition du texte. Pour certains, il faudra presque les forcer à prendre position et à s’engager dans la description de leur position théorique ou conceptuelle pour que leur texte ait la valeur suffisante pour un mémoire ou pour une thèse.

4.5 /

L’étudiant se « documente » à partir des échanges avec son directeur de recherche J’ai déjà décrit cette situation dans le chapitre précédent (chapitre 6, section 3.3). J’y reviens parce que c’est une cause des faiblesses du texte. Cette façon de procéder vient du fait que les étudiants se documentent

5

En fait, « théoriquement » ce ne sont habituellement pas des critères qui devraient être considérés si la rigueur du processus et des propos est adéquate.

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

à partir de ce que leur direction de recherche leur explique ou leur commente, et des échanges qu’ils ont ensemble sur les aspects théoriques ou les interprétations à faire de ce que l’étudiant rapporte ou de ce que le directeur suggère. L’étudiant fait des lectures, mais il n’en tire aucune note de lecture. Les rencontres qu’il a avec son directeur lui servent à rapporter ce qu’il a lu (qu’il décrit uniquement de mémoire). La participation de son directeur de recherche lui permet d’en tirer des idées et des propos qu’il transpose ensuite dans son texte, comme si c’était ses propres idées ou ses propres interprétations. Il les exprime à sa façon avec le souvenir qu’il a de ce qu’il a lu, ne donnant pas l’impression qu’il « copie » ce que le directeur lui a présenté. C’est une situation un peu paradoxale parce que cela se produit lorsque le directeur s’implique beaucoup avec l’étudiant pour l’aider à interpréter et à donner du sens aux écrits. Je mentionnais l’importance d’aider l’étudiant à faire du sens des textes à lire, notamment s’ils ont de la difficulté à faire le tri parmi toutes les informations qu’ils doivent traiter (chapitre 6, section 2). Ce type d’étudiant tire de ces situations les informations dont il a besoin, mais il n’approfondit pas les textes eux-­mêmes. Il en ressort une faiblesse dans la précision des informations.

Il y a quelques années, un professeur m’avait recommandé à un étudiant qu’il encadrait parce qu’il ne parvenait pas à mettre le doigt sur le problème de rédaction de l’étudiant. Il voulait l’aider à avancer, mais il ne savait plus comment, malgré plusieurs versions différentes sans que la qualité et la précision des propos s’améliorent de façon significative. Quand j’avais rencontré le professeur pour qu’il me décrive son « problème », il m’avait mentionné que c’était un étudiant qui connaissait bien son sujet et ils avaient souvent des discussions intéressantes sur ce que les auteurs mentionnaient. L’étudiant parvenait souvent à cheminer dans sa réflexion, à partir de ce qu’ils échangeaient lors de leurs rencontres. Malheureusement, ce que l’étudiant produisait était toujours bien en deçà de ce qui était attendu. Le texte n’était pas mauvais, mais le contenu était toujours trop en survol. L’étudiant en était à sa quatrième version et les mêmes défauts apparaissaient dans le texte. L’argumentaire était là, l’organisation des idées aussi, mais ce que l’étudiant rapportait des écrits et ce qu’il présentait n’était jamais vraiment satisfaisant. Pourtant, leurs échanges étaient de bonne qualité.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Au cours de la rencontre que j’ai eue avec l’étudiant, je lui ai rapidement demandé de me montrer comment il abordait ses lectures et comment il notait ce qu’il lisait. Sa surprise me confirma ce que je pensais. Il ne prenait aucune note de lecture, il soulignait seulement quelques passages, à l’occasion, mais son « travail » de réflexion et de retour sur ses textes se faisait dans le bureau de son directeur, en lui indiquant le fruit des lectures dont il se souvenait et en s’assurant de noter les idées, les réflexions et les liens que son directeur faisait entre les auteurs et les écrits. Comme il rencontrait son directeur presque toutes les semaines ou toutes les deux semaines, il n’avait pas « besoin » de prendre des notes puisqu’il se souvenait assez bien de ses lectures au moment de leurs rencontres. Il m’avait d’ailleurs indiqué que son directeur lui faisait parfois penser à des choses qu’il avait oubliées. Il lui revenait des éléments qui servaient à valider son souvenir en comparant avec ce que son directeur disait, s’il avait l’impression que le sens était différent. Il adorait ces échanges et ces discussions et, pour lui, il comprenait et savait tout ce qu’il avait besoin de comprendre et de savoir à partir de ces rencontres. À la lumière des commentaires à propos de ses productions, il pensait qu’il devait simplement ajouter des références et il procédait alors à une recherche des écrits qui allaient dans le sens de ce qu’il avait déjà fourni comme information, mais sans vraiment entrer dans des descriptions ou des explications plus élaborées. Quand je lui ai demandé de m’expliquer certains passages pour ma propre compréhension (à partir d’un certain nombre de concepts et d’idées qui étaient dans son chapitre qu’il m’avait lui-­même apporté), il ne parvenait pas à le faire si je lui posais des questions de précisions (c’était dans un autre domaine que l’éducation). En dehors de ce qu’il avait écrit, il ne pouvait me formuler aucune information supplémentaire. Il ne pouvait pas non plus se souvenir de ce que certains articles décrivaient, parce qu’il avait inséré la référence à la suggestion de son directeur qui lui avait expliqué l’impact de cette recherche par rapport à sa problématique. Il avait simplement trouvé la référence exacte et il avait inscrit cet « impact » dans son texte, en le mentionnant à partir de ce que son directeur avait expliqué, sans aller le lire par lui-­même.

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

Dans ce type de situation, l’étudiant lui-­même fait habituellement preuve d’une certaine vivacité d’esprit puisqu’il semble en mesure de commenter ou même, parfois, d’argumenter les propos du directeur. Il procède en fait à partir de ce que les propos font ressurgir comme souvenir et comme idée. Si le directeur mentionne quelque chose qui lui rappelle le propos d’un article, il va faire le lien et tenter de chercher l’origine, ce que le directeur peut alors parfois faire à sa place. Il va le noter et c’est la façon avec laquelle il rappellera le lien au moment de rédiger son chapitre. Parfois, il ajoutera des références par comblement à ces idées (section 4.7), mais les propos ne seront pas nécessairement plus articulés ou encore beaucoup plus précis. Lors d’une formation sur l’encadrement aux cycles supérieurs, au moment où je décrivais cette situation, un professeur s’étonna de cette façon de faire et exprima un jugement négatif très fort à l’égard des étudiants qui pouvaient procéder de la sorte, en suggérant qu’il s’agissait, ni plus ni moins, que d’une forme de manipulation de la part des étudiants et que c’était inacceptable… Je rapporte cette situation pour préciser que la « manipulation » n’est pas l’objectif des étudiants. En fait, ils ne se rendent pas nécessairement compte qu’ils n’intègrent pas ce qu’il faut de leur sujet et ils ne voient pas qu’ils « court-­circuitent » leur propre processus de pensée. Pour eux, cela se fait dans la continuité de ce qu’ils ont toujours vécu au niveau du premier cycle. Ils ont simplement l’avantage de pouvoir accéder à un professeur « personnel » qui les aide à donner du sens et à échanger sur le contenu qu’ils ont à apprendre. Le processus de lecture est un processus qui ressemble à ce qu’ils ont connu pour préparer leurs cours et les échanges avec le professeur correspondent à ce qu’ils recevaient comme enseignement dans leurs cours. Ils ne voient donc pas en quoi une telle approche n’est pas adéquate ou profitable pour eux, puisque la démarche demeure sensiblement la même que celle qu’ils ont toujours connue. La seule différence est qu’ils peuvent avoir un échange individuel avec le professeur qui leur « enseigne », alors qu’en classe, l’enseignement se faisait en groupe. Parfois, le processus d’échange dans certains séminaires à la maîtrise ou au doctorat n’est pas très différent. Les étudiants peuvent lire des textes sans nécessairement prendre des notes très élaborées et les échanges et discussions qui se font dans le séminaire permettent de s’approprier le contenu des textes et les idées véhiculées de manière plus

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Encadrer aux cycles supérieurs

précise. L’étudiant lui-­même ne tirera peut-­être de ses lectures que ce qui sera discuté dans le séminaire et il n’approfondira pas nécessairement sa compréhension par des lectures complémentaires ou supplémentaires. Les échanges deviennent le « contenu » pertinent, pour les étudiants, plutôt que ce que le ou les textes contiennent. Il est aussi possible que cette approche soit due à la crainte du travail d’approfondissement (voir cause suivante).

4.6 /

L’étudiant craint le travail d’approfondissement Certains étudiants perçoivent, dès le départ, que les exigences auxquelles on les soumet demandent un degré d’engagement trop important par rapport à ce qu’ils avaient envisagé. Si l’on n’a pas procédé à une vérification régulière des lectures et des références préalables à la production des chapitres, on le voit apparaître dans la redondance des sources utilisées et dans le peu d’approfondissement du sujet. Après deux versions d’une même partie qui présente les mêmes lacunes sur le plan des références utilisées et du peu d’approfondissement du sujet, on peut questionner l’étudiant sur les lectures qu’il fait et le temps qu’il a mis pour approfondir le sujet, si ça n’a pas été fait auparavant. Souvent, la seule mention à l’étudiant qu’on a l’impression qu’il n’a pas vraiment mis de temps sur son travail et ses lectures peut être suffisante pour qu’il nous confirme que c’est le cas. Il aura parfois une « excuse » valable, une première fois, mais quand cela se reproduit, on est alors devant une situation problématique qu’il faut aborder de manière explicite (chapitre 13, section 2.1 ; chapitre 5, section 4.5). Si l’étudiant mentionne ne pas pouvoir y mettre le temps parce qu’il avait mal évalué les exigences, il faut réévaluer avec lui la possibilité de changer son statut (temps complet à temps partiel, par exemple) ou simplement lui exprimer l’impossibilité qu’il puisse progresser avec le degré d’engagement qu’il semble pouvoir offrir. Pour certains étudiants, le travail de recension des écrits et d’approfondissement nécessite un type de travail qu’ils jugent trop lourd, trop long ou trop fastidieux. Certains professeurs vont avoir tendance à étiqueter cette impression de « paresse intellectuelle ». J’ai surtout rencontré des étudiants chez qui le problème venait plus d’une fatigue psychologique à l’égard de ce type de tâche. S’ils ont peu l’habitude de faire ce travail, certains auront rapidement l’impression qu’ils deviennent surchargés et qu’ils ne voient pas la fin du processus… alors qu’ils viennent à peine de commencer.

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

Je me souviens d’un étudiant qui était venu me consulter pour des problèmes de motivation parce que depuis plusieurs semaines, il n’arrivait pas à s’engager dans les lectures que son directeur lui avait indiquées pour son cadre théorique. Il faisait beaucoup de procrastination et il arrivait à peine à s’asseoir pour commencer à lire. Lorsqu’il le faisait, il se décourageait après seulement un article. En fait, il se sentait complètement submergé par les lectures. Il ne voyait que le travail qui lui restait à faire et il avait l’impression qu’il ne faisait que ça, alors qu’il prenait de moins en moins de temps pour travailler. Son directeur lui avait indiqué une vingtaine d’articles pour qu’il puisse documenter son cadre théorique et il avait eu l’impression que ça ­représentait une tâche immense dont il ne s’imaginait plus pouvoir sortir. J’ai travaillé avec lui à déterminer un nombre très limité de lectures, à les faire à des moments très précis, dans le but de décomposer sa tâche en petites parties. Le but était de défaire sa vision globale de tout ce qu’il y avait à faire et je lui ai suggéré ensuite de prendre contact avec son directeur afin de rapporter le fruit de ses quelques lectures avant de poursuivre plus loin. Cette dernière suggestion visait à créer des échéanciers « intermédiaires » afin qu’il puisse rapporter à son directeur le résultat de ses lectures et de ses réflexions de façon progressive plutôt que de passer à travers toute la tâche (en plus de rédiger le chapitre) avant de contacter son directeur.

J’y reviens un peu plus loin dans le chapitre 13 (sections 2.3 et 2.3.1), mais il ne faut pas sous-­estimer l’importance de la « fatigue psychologique » et le découragement que certains étudiants peuvent ressentir devant certaines tâches. En raison d’expériences diverses ou de leur situation actuelle, la perception de la lourdeur de la tâche associée à l’approfondissement d’un sujet peut faire en sorte qu’ils tentent de contourner le problème en demeurant en survol du sujet. Parfois, cette difficulté est associée au fait qu’ils n’ont jamais vraiment eu à approfondir un sujet et à se l’approprier de façon autonome. Il arrive aussi qu’en cours de processus, l’étudiant ait l’impression qu’il devra tout lire sur le sujet pour vraiment bien le posséder et cela en découragera quelques-­uns. Pour certains, c’est une tâche qui va de soi et il faut parfois même les arrêter parce que leur désir de tout lire les amène au-­delà de ce qui est pertinent. Pour d’autres, c’est la perception qu’ils ont de l’ampleur de la tâche qui les décourage et les amène à considérer des façons de contourner cette lourdeur.

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Encadrer aux cycles supérieurs

J’ai vu apparaître ce problème surtout au moment de l’élaboration du deuxième chapitre, soit celui du cadre conceptuel, quand on leur demande d’approfondir leur connaissance du sujet (sur le plan théorique ou conceptuel) et qu’ils réalisent qu’ils doivent reprendre le processus de recension des écrits et de documentation parce que les lectures faites pour le premier chapitre ne sont pas suffisantes. On voit aussi ce problème apparaître chez les étudiants dont les tâches de recherche sont accessoires et qui retirent plus de satisfaction par la pratique, la manipulation ou l’intervention.

4.7 /

L’étudiant procède à la recherche de références de comblement Les problèmes de qualité de l’argumentation et de rédaction sont parfois dus à une façon très particulière avec laquelle certains étudiants vont procéder pour documenter ou justifier leurs propos. La recherche de références de comblement sert en fait à chercher des articles ou des textes qui évoquent des idées ou dont les propos peuvent être collés à des affirmations ou à des énoncés que l’étudiant a déjà mis dans sa rédaction. L’étudiant ne procède pas à une lecture approfondie des textes pour les comprendre et s’approprier véritablement le contenu et son sujet. Il les survole pour en avoir une idée et il produit ensuite son texte en retournant dans les articles pour essayer d’y retrouver des passages qui confirment ce qu’il a déjà écrit. Il peut ainsi consulter des dizaines d’ouvrages qui laissent croire qu’il a fait une analyse exhaustive des écrits, mais il ne connaît pas vraiment ce qui s’y trouve. Il s’en est donné un aperçu qu’il peut décrire et il semble alors bien comprendre ce dont il est question, mais son texte ne contient jamais le détail et la description adéquate des propos. D’autres fois, sa recherche vise à trouver des arguments ou des idées et ce sont ces « trouvailles » qu’il insère dans son texte. Ça peut donner des résultats pertinents, mais il peut être passé par-­dessus un aspect qu’il n’a pas vu, parce qu’il a trouvé pertinent un des arguments sans se rendre compte que ce n’était qu’un détail plutôt que de présenter l’idée maîtresse. Cette recherche de références de comblement peut aussi se faire à la suite de discussions avec son directeur. Il cherchera à documenter ce que son directeur a présenté par un survol des écrits sans vraiment lire de façon approfondie. Ce qu’il présente est le résultat de son « butinage »

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

d’un texte à l’autre. Les propos ne sont pas mauvais, mais ils manquent de précision. Ce sont des idées plus générales avec certaines explications, mais le tout manque de profondeur et de détails. L’étudiant fait des descriptions des modèles ou des théories qu’il « justifie » ou documente à partir de références, mais ce sont des contenus qui demeurent sommaires. Il n’est d’ailleurs jamais vraiment capable d’en parler par la suite, même à partir du texte qu’il a pu produire. Pour un directeur de recherche, ce n’est pas toujours facile de s’en apercevoir parce que les propos de l’étudiant peuvent être structurés de manière tout à fait cohérente et suffisamment détaillée pour donner l’impression qu’il a vraiment couvert le sujet. De plus, parfois, l’étudiant intègre un nombre très important de références, ce qui donne l’impression qu’il a vraiment fait le tour des écrits, alors qu’il les insère parce qu’il en a tiré un propos ou une idée et que c’est le seul élément qu’il est en mesure de rappeler de l’article. Une telle approche pose évidemment des risques importants pour une thèse de doctorat, notamment au moment de la soutenance de thèse. Si le directeur n’a pas vérifié le degré de compréhension et d’appropriation réel du sujet, l’étudiant qui a cette approche peut se retrouver avec des connaissances incomplètes ou partielles de son sujet sans vraiment le savoir, et le directeur peut ne pas non plus s’en douter. Ayant concentré ses démarches sur l’idée ou l’argument qu’il voulait faire valoir, il peut alors avoir oublié de considérer certains aspects qui seraient pourtant appropriés ou dont il aurait dû débattre. Parfois, un des correcteurs pourra s’en apercevoir et demander des corrections (avant ou après soutenance) pour approfondir ces aspects. Cependant, le risque demeure que les questions, lors de la soutenance, fassent tout à coup ressortir l’incapacité de l’étudiant de discuter de certains enjeux qu’il a pourtant énoncés. J’ai aussi rencontré ce problème chez certains étudiants qui avaient documenté un modèle ou la théorie centrale de leur démarche en lisant seulement des écrits récents qui traitaient du sujet, mais sans retourner eux-­mêmes au modèle ou au texte original. Ils n’appuyaient leur description et leur propos que sur ce que d’autres en disaient plutôt que de revenir à la version originale pour se l’approprier. Ils préféreront lire des auteurs qui « rapportent » ce que les textes originaux décrivent, et parfois, ils indiqueront les textes originaux comme référence alors qu’ils ne les auront jamais consultés.

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Encadrer aux cycles supérieurs

5 / Les pistes d’intervention Les pistes d’interventions proposées ici ne se limitent pas à un seul type d’erreur, quoique certaines pistes puissent être plus appropriées pour une erreur particulière. Il s’agit d’approches générales pour l’accompagnement à la production des deux premiers chapitres, en particulier. Dans ces pistes d’intervention, certaines sont mentionnées ailleurs dans d’autres chapitres. Je les présente quand même ici parce qu’elles ont un rôle important à jouer dans le développement de la réflexion de l’étudiant et la production des deux premiers chapitres.

5.1 /

Encadrer les lectures et les objectifs de documentation Il en a été question dans le chapitre 6 à propos de l’accompagnement à la recension des écrits (sections 3 et 5). Il est avantageux de vérifier régulièrement les lectures pour éviter que l’étudiant ne s’éloigne des éléments pertinents à son sujet et qu’il perde ainsi du temps de lecture et d’écriture. Un étudiant qui déborde beaucoup de son sujet aura tendance à essayer d’intégrer tout ce qu’il a lu à son texte, même si ça ne correspond pas à ce qu’il devrait présenter. Il voudra, par exemple, rajouter une sous-­ section à son chapitre pour décrire une variable ou une composante de son sujet, parce qu’il a beaucoup développé sa réflexion sur cet aspect et il veut essayer de la faire valoir. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai mentionné qu’il était important de demander des rapports périodiques sur ce que l’étudiant a parcouru et ce qu’il approfondit si vous n’avez pas vous-­même imposé les lectures (chapitre 6, section 5). Même si vous avez fourni des lectures à l’étudiant, cela n’élimine pas complètement la possibilité qu’il aille par lui-­même essayer de trouver autre chose qui s’avérerait finalement inutile. Dans le même sens, c’est important de demander à l’étudiant de mettre par écrit sa réflexion et ses connaissances en structurant un texte le plus rapidement et le plus souvent possible. C’est la seule façon avec laquelle vous pourrez juger de sa compréhension. C’est en lui demandant d’exprimer sa propre compréhension et comment il pense aborder son sujet que vous verrez si son approche semble pertinente. Si vous lui indiquez des pistes à suivre et que vous vérifiez s’il les comprend, il sera probablement en mesure de vous répéter ce que vous lui avez dit de faire, mais ça ne signifie pas qu’il saura exactement comment y parvenir lorsqu’il aura à produire son texte. Il faut parfois mieux lui demander de les exprimer par lui-­même si vous avez des doutes sur sa compréhension réelle.

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

Je me souviens de la problématique d’un étudiant qui, après trois versions, montrait toujours les mêmes problèmes d’organisation et de mauvais ajustements entre ce qui était trop détaillé et ce qui ne l’était pas assez ainsi que de certaines sections qui auraient dû être des sous-­sections. Certaines parties corrigées étaient un peu mieux, mais quand d’autres parties étaient ajoutées, au fil de l’élaboration de son chapitre, elles avaient les mêmes faiblesses que les parties précédentes et comportaient, elles aussi, des informations non pertinentes ou mal organisées. Je ne pouvais pas lui reprocher de ne pas travailler parce que son texte était relativement développé, bien qu’il ne soit pas vraiment adéquat. Lors de notre quatrième rencontre, j’ai décidé de lui demander de me décrire son objet de recherche et ce qu’il tentait de faire dans sa problématique en me justifiant chacune de ses parties, sans que j’intervienne pour lui préciser des orientations ou encore, sans faire référence aux commentaires que je lui avais faits dans sa production. Au fil de ses tentatives de m’expliquer pourquoi il abordait les sujets et ce qu’il « comprenait » de ce qu’il devait présenter, j’ai réalisé qu’il m’exprimait une vision de son objet de recherche et de son sujet qui n’était pas la même que j’avais. Il devait introduire deux aspects de son sujet (le contexte dans lequel les étudiants avaient des difficultés et la nature des tâches qu’ils devaient faire) pour en arriver à situer sa question de recherche. Quand il commençait à aborder le premier aspect, ses propos s’orientaient tout de suite vers la dimension pédagogique plutôt que vers le contexte de classe et le contenu de la discipline. Pour situer l’importance des tâches pour l’apprentissage des étudiants, elles devenaient tributaires des actions du professeur plutôt que de les centrer en fonction de ce que l’étudiant faisait comme activité ­personnelle de travail. En fait, je n’avais pas suffisamment encadré son processus de documentation et vérifié la totalité de ses lectures. Nos échanges me donnaient l’impression qu’il saisissait parfaitement bien la démarche puisque je lui avais simplement indiqué des pistes à suivre pour documenter son idée de sujet. Nos échanges semblaient finalement avoir été purement « intellectuels » plutôt que d’orienter son travail, parce que le processus de rédaction le ramenait à une idée qui était différente de celle que je croyais qu’il avait et sur laquelle j’étais pourtant convaincu qu’on s’était entendu. C’est en lui demandant de formuler ce qu’il avait en tête et en travaillant à partir de son texte et des idées qu’il avait voulu exprimer que j’ai pu mettre le doigt sur cet écart.

253

Encadrer aux cycles supérieurs

5.2 /

Définir et nommer précisément les types d’erreurs Ce type d’intervention a son importance au tout début du processus de production pour faire ressortir en quoi ce que l’étudiant écrit ne va pas dans le sens d’une problématique ou d’un cadre théorique. Ça signifie, par exemple, d’indiquer que dans un passage, l’étudiant inonde d’information plutôt que de choisir les éléments les plus pertinents, qu’il décrit au lieu d’argumenter ou encore que telle partie de son texte n’a pas de fil conducteur pour décrire les éléments qui la compose. Je reviens sur cet aspect de façon plus précise dans le chapitre 11 à propos de la correction des textes (section 3). Ce type d’intervention est particulièrement utile lorsque l’étudiant manque d’expérience ou de connaissances des exigences du style scientifique. Cela permet de lui préciser de façon pointue le type d’erreur qu’il commet et pourquoi c’est inopportun dans le contexte d’une telle rédaction. Cependant, en plus de nommer précisément et systématiquement des erreurs de son texte, je suggère aussi de le faire dans le cadre des échanges que vous avez avec vos étudiants, même si vos échanges ne portent pas sur une de leur production. Les erreurs mentionnées précédemment sont repérables dans les textes, mais il est tout aussi possible que les étudiants fassent de même dans les propos qu’ils tiennent au cours de vos échanges. Un étudiant qui fait une généralisation abusive, qui utilise des lieux communs ou encore qui émet un avis ou une opinion qui soit l’expression d’une généralisation plutôt qu’une affirmation fondée sur des sources ou des données fiables, devrait être informé de ce type d’erreur et invité à formuler les choses de manière plus scientifique. Si vous ne le faites pas sur-­le-­champ, il y a de grands risques que l’étudiant fasse attention à ses propos dans ses textes, mais que ses positions ou son discours ne soient pas aussi rigoureux. La rigueur ne se délimite certainement pas seulement dans l’écriture. L’accompagnement de l’étudiant pour l’aider à développer ses compétences de chercheur ne doit pas seulement se faire dans ce qu’il écrit, mais aussi dans ce qu’il vous dit.

Personnellement, je confronte systématiquement mes étudiants s’ils font des généralisations, s’ils émettent une opinion comme si c’était un fait prouvé ou appuyé, etc., même dans leur propos lors de nos échanges. S’ils émettent un commentaire qui m’apparaît être une généralisation, je leur demande de m’indiquer sur quoi ils basent leur propos ; s’ils font une affirmation gratuite ou encore qu’ils émettent un

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

jugement de valeur, je les reprends en leur demandant de me préciser s’ils peuvent justifier ce qu’ils avancent ou si cela constitue une opinion personnelle. Il m’arrive aussi régulièrement de les confronter, au besoin, à la valeur de leur argument ou aux faits sur lesquels ils se fondent. S’ils veulent exprimer une opinion personnelle, ils doivent alors indiquer qu’il s’agit d’une opinion personnelle et m’expliquer leur point de vue, mais ils ne doivent pas faire valoir qu’il s’agit d’une « vérité » ou d’un point de vue partagé par « tout le monde ». Je m’assure d’ailleurs qu’ils ne vont pas tenter de m’intégrer à leur opinion : « Vous serez d’accord avec moi que la situation n’a pas d’allure… » Si l’on ne les amène pas dès le début à adopter une approche plus rigoureuse dans leurs propos, ce peut être difficile de justifier qu’ils doivent le faire à l’écrit. Ils pourraient aussi interpréter qu’ils doivent se « contrôler » à l’écrit, mais qu’à l’oral, ils peuvent se permettre un certain nombre de commentaires ou de positions. Ça peut avoir des conséquences négatives lors de la soutenance de la thèse… J’essaie de m’assurer qu’ils adoptent une approche rigoureuse à l’égard de ce qu’ils avancent, et ce, même si ce sont des propos qui ne concernent pas nécessairement leur sujet. C’est une position qu’il est important de valoriser et de renforcer.

5.3 /

Faire exercer dans les lectures Les difficultés relatives à la façon d’émettre des commentaires ou de faire des critiques émergent souvent au moment de construire leur problématique ou leur cadre théorique. La capacité d’émettre des « critiques », de comparer les positions des auteurs et de prendre position par rapport à des propos devrait donc être pratiquée et vérifiée au fil de leurs lectures. L’importance attribuée à la vérification des réflexions dans les notes de lecture (chapitre 6, sections 4.4 et 5.1) sert justement à voir comment l’étudiant peut déceler ces relations et prendre position par rapport à ce qui s’est écrit. Ces positions doivent s’établir sur la base de comparaisons entre les auteurs et les textes au fil des lectures et c’est pourquoi elles doivent apparaître au moment où l’étudiant prend connaissance des écrits.

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S’ils ne pratiquent pas cette analyse et ces positions lors de leurs lectures, le processus de recension des écrits devient beaucoup moins utile parce qu’ils devront refaire ce travail d’analyse une fois leur documentation accumulée. Pour certains, ils attendront alors que leur directeur les oriente sur ce qu’ils doivent interpréter quand ils auront produit leur texte. Ils attendront les corrections et les commentaires qui les ­orienteront sur les positions qu’ils devraient prendre. Cette absence de réflexions lors de la production de la problématique et du cadre conceptuel pourrait avoir des répercussions majeures au moment d’interpréter les résultats, parce qu’ils ne maîtriseront pas vraiment les nuances ou les positions qui pourraient s’appliquer à leurs résultats. Il se peut alors que vous soyez obligé de faire vous-­même l’interprétation de leurs résultats pour la leur transmettre (chapitre 10, section 4.2.1). Pour les faire développer cette aptitude, il faut les forcer à exprimer leur avis, ce qu’ils pensent de ce que l’auteur a écrit, ce qu’ils pensent des résultats, s’ils sont d’accord ou non ou s’ils voient des liens ou des contradictions (ou oppositions) avec ce qu’ils ont pu lire ailleurs. Si les étudiants ne le font pas spontanément, il faut les obliger à le faire, et ce, d’autant plus souvent que leurs réticences sont élevées. Au tout début des lectures, l’étudiant peut exprimer des hésitations ou des difficultés à le faire. L’accompagnement à la recension des écrits sert justement à mettre en pratique l’expression de leur avis et de leurs commentaires et de pouvoir les aider à le faire (chapitre 6, sections 4.3 et 5.1). On peut évidemment avoir déjà évalué comment l’étudiant parvient à commenter les textes, faire des liens entre les propos des auteurs, donner son avis ou critiquer certains points de vue. J’ai proposé, dans le chapitre 3 (section 2.2), de donner deux ou trois textes à l’étudiant et de lui demander d’indiquer quels sont les liens entre ces textes et de prendre position par rapport à certains propos. Vous pouvez surseoir à cette tâche si le travail que l’étudiant vous a remis avant votre première rencontre démontre une capacité à poser ce type de regard sur les écrits. La vérification des lectures et des notes de lecture, au début, pourra aussi vous indiquer les forces ou les faiblesses de l’étudiant à cet égard. Si vous n’avez pas procédé à l’évaluation des notes de lecture et aux réflexions que peut faire l’étudiant, et qu’il semble avoir des problèmes dans la façon de rapporter le contenu des écrits et dans leur mise en relation, il est préférable de ne pas lui fournir, dans vos corrections, tous ces commentaires ou ces critiques qu’ils auraient dû présenter, mais qu’ils

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

n’ont pas faits. Certains peuvent percevoir qu’il n’y a que vous qui êtes en mesure de le faire, et qu’eux n’y parviendront pas parce qu’ils n’ont pas les connaissances ou une expérience suffisante. Ils pourraient se mettre en attente que vous leur indiquiez quelles sont les relations à faire et quels sont les commentaires qu’ils doivent fournir par rapport à ce qu’ils ont présenté. Le travail sur les notes de lecture est probablement le moment privilégié pour aborder ces éléments, surtout qu’il se fait très tôt dans le processus. Vous pouvez l’orienter vers le sens du lien à chercher (opposition, complémentarité, accord, etc.) dans les lectures ciblées, mais il devra lui-­même le trouver et l’argumenter. C’est la meilleure façon de l’amener à considérer le contenu de ses lectures avec un esprit critique puisqu’il sait qu’il doit y trouver quelque chose. Surseoir à cette étape de travail à partir des notes de lecture pour un étudiant qui présente des faiblesses pour cet aspect peut vous placer dans la situation où l’étudiant ne se montrera jamais en mesure de faire ce travail préalable de réflexion, et vous vous sentirez obligé de le faire à sa place pour qu’il puisse progresser dans sa rédaction. Il faut aussi tenir compte du degré de connaissance du sujet. Un étudiant qui connaît peu son sujet n’a pas nécessairement la même capacité de commenter ce qu’il lit et d’établir des relations entre les auteurs ou les textes que celui qui a déjà étudié le sujet. Il faut donc parfois attendre que l’étudiant ait accumulé une certaine quantité de connaissances sur son sujet, mais ça ne doit pas l’empêcher d’exprimer des liens ou de commenter ce qu’il a lu en fonction de ce qu’il en comprend. Et si l’étudiant n’y arrive toujours pas ? Je reviens sur ce problème dans le chapitre 11 à propos des corrections (section 8.3).

5.4 /

Fournir des exemples de formulation Il en sera question de façon plus détaillée pour la correction des textes (chapitre 11, section 3.2), mais je trouve important d’introduire tout de suite l’idée de fournir des exemples de formulation adéquate lorsque sa façon de décrire les choses manque de nuances ou est malhabile. J’ai mentionné précédemment l’absence d’entraînement qu’ont beaucoup d’étudiants à rédiger dans un style scientifique. Il existe certains ouvrages qui donnent des conseils de rédaction, mais ceux que j’ai relevés ne sont qu’en anglais. Il ne s’agit pas ici de corrections de structures de phrase, mais plutôt de fournir des exemples de formulations pour commenter, critiquer ou rapporter des propos.

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J’ai souvent entendu des professeurs se plaindre de devoir réécrire ou rédiger le texte à la place de leurs étudiants, parce qu’ils avaient de graves lacunes de rédaction et ils se sentaient obligés de le faire pour que le travail puisse avancer (chapitre 11, section 4). Dans les exemples de formulation auxquels je fais référence, il ne s’agit pas de rédiger des éléments qui ne sont pas déjà écrits. L’idée est de faire quelques suggestions de formes ou de formulations pour ajuster ce qui est déjà formulé. Toutefois, ces propositions peuvent être placées dans les « commentaires » que vous pouvez ajouter au texte6 plutôt que de simplement corriger des phrases ou des formulations et laisser l’étudiant « accepter » vos corrections. Vous introduisez ainsi des exemples dans les bulles de commentaires que vous pouvez expliquer ou nuancer sans nécessairement chercher à corriger les formulations directement dans le texte. L’étudiant peut alors s’inspirer de ce que vous proposez. Par exemple, je rapportais précédemment la situation d’une inversion d’attribution des propos d’un étudiant qui avait rédigé : « Tel auteur me donne raison quand il écrit… » Il est plus constructif pour l’étudiant de lui proposer une formulation en lui faisant bien voir qu’il inverse la paternité des propos et en lui faisant deux ou trois suggestions : « La position exprimée ici va dans le sens de ce que propose tel auteur… » ; « La position s’appuie sur celle de tel auteur » ; « On donne raison à tel auteur… », etc. Si vous modifiez directement la formulation sans spécifier quelle était l’erreur, l’étudiant ne saisira probablement pas ce qui faisait défaut. Il ne sera donc pas en mesure de se corriger par la suite. Certains ouvrages qui abordent les normes de présentation offrent parfois ce type de suggestions pour améliorer la lisibilité du texte et proposer des formulations plus adéquates7.

5.5 /

Demander de justifier et d’expliciter Pour certains, ce qui doit être écrit leur paraît être des « évidences ». Je me rappelle d’un étudiant qui m’avait répondu : « Il faut que j’explique ça ? Mais ceux qui vont me lire le savent déjà ? Ça ne sert à rien ! » Je lui avais rappelé la nature de l’écrit qu’il devait produire, que la lecture de son texte ne se limitait pas aux membres évaluateurs, que des lecteurs

6 7

Je fais référence ici au mode « commentaire » des logiciels de traitement de texte. On trouve des suggestions de formulations pour différentes situations dans des ouvrages de l’American Psychological Association (2010) et de Aaron et Bander (2014).

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

moins expérimentés allaient peut-­être le lire et qu’il devait conséquemment leur fournir les indications pour comprendre d’où venaient les liens qu’il faisait. Cette pratique de la justification et de l’explicitation par écrit est très importante et doit être développée très rapidement. Ces justifications leur permettent de saisir comment concevoir leur texte du point de vue du chercheur et non pas de considérer uniquement leur production comme un « travail » à faire. Cela fait aussi partie du développement du style scientifique qu’ils peuvent perfectionner, même au doctorat. Il y a d’ailleurs un certain apprentissage à faire pour ceux qui veulent travailler à la publication d’articles, afin de bien comprendre ce qu’il est pertinent d’expliciter et ce qui relève plus de la description de détails inutiles. L’ajout de commentaires pour expliquer vos demandes permet à l’étudiant de mieux saisir le sens et la forme de ce qu’il doit produire.

5.6 /

Expliquer les portions utiles ou inutiles et pertinentes ou superflues J’ai évoqué, dans le chapitre 4, qu’on devait savoir à l’avance ce que l’étudiant allait nous remettre comme production (chapitre 4, section 1). Selon votre propre façon de travailler avec l’étudiant, vous avez aussi peut-­être déterminé quelles allaient être les informations que devait contenir la partie en question. Même si on s’entend sur ces parties, il est possible que l’étudiant intègre des éléments ou des ajouts qui sont inutiles ou qui nous apparaissent superflus.

J’ai encadré un étudiant dont le sujet concernait une situation d’apprentissage, mais ses premières versions de problématiques intégraient systématiquement une recension relativement exhaustive d’écrits qui présentaient les causes de l’abandon scolaire (comme pertinence sociale de son sujet), puis un ensemble d’écrits sur les difficultés des étudiants (notamment la différenciation entre troubles et difficultés d’apprentissage), de nombreux écrits sur les facteurs favorables ou défavorables à l’apprentissage, etc. Ses textes faisaient la plupart du temps plus de 40 pages ! Bien que je lui aie indiqué de façon claire les éléments à éliminer, la version suivante comprenait à peu près autant d’éléments non pertinents.

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Après la deuxième version, je lui ai demandé de me justifier la pertinence des parties de texte chaque fois qu’il voulait en intégrer. C’est alors que j’ai compris que ce premier chapitre était associé, pour lui, à la description de la démarche de recherche lui ayant permis d’en arriver à délimiter sa question. Il intégrait ainsi les thèmes sur lesquels il avait lu (l’abandon scolaire – les difficultés et troubles d’apprentissage, etc.) en décrivant tout ce qu’il y avait trouvé, même si les thèmes en eux-­mêmes n’étaient pas vraiment utiles à approfondir par rapport à son sujet.

On peut évidemment enlever une portion de texte, mais comme pour les autres pistes d’intervention suggérées, je recommande de mettre un commentaire pour expliquer ou remettre en question la raison pour laquelle cette partie est superflue plutôt que de simplement rayer le texte sans indiquer pourquoi. Si l’étudiant a tendance à mettre beaucoup trop d’informations qui ne cadrent pas avec le texte ou qui n’ont pas vraiment d’utilité par rapport au sujet, ça devient nécessaire de le forcer à se questionner sur la pertinence de ce qu’il écrit et de lui demander de faire sa réflexion au moment de produire. Autrement, il pourrait croire qu’il lui suffit de mettre tout ce à quoi il pense et de vous laisser faire le tri à sa place, séparer l’utile et le pertinent de ce qui est inutile et superflu. Il faut éviter d’être soumis à des situations où les étudiants produisent sans réfléchir, en mettant tout ce qu’ils savent, non pas parce qu’ils pensent que tout est important, mais simplement parce qu’ils vous donnent la responsabilité de « faire le ménage » dans leur texte ! S’ils ne perçoivent pas rapidement qu’ils ont la responsabilité de juger de la pertinence de ce qu’ils écrivent plutôt que de vous donner cette responsabilité, ils auront tendance à produire un texte plein d’informations en pensant que vous ferez le choix de ce qui est à conserver et que vous vous ­occuperez du raffinement. Si vous rencontrez de nombreux passages ou parties de textes qui vous apparaissent superflus, demandez à l’étudiant, dans un commentaire relié à chaque partie superflue, de vous justifier les raisons de l’ajout de ces informations, leur but ou leur pertinence relativement au contenu ou à la partie dans laquelle il a inséré le passage. Lors des échanges, pour le suivi des corrections (chapitre 11, section 6), vous saurez alors ce que l’étudiant avait en tête, s’il avait une idée qu’il n’a pas su mettre par écrit, ou bien s’il cherchait plutôt à vous remettre la tâche de trouver dans son texte ce que vous pouviez juger nécessaire de conserver.

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

Comme je le mentionnais plus tôt, il se peut que l’étudiant n’ait pas vraiment compris le sens de ce qu’il doit mettre dans sa problématique. Autrement, faire savoir à l’étudiant qu’on ne veut pas effectuer l’élagage de son texte à sa place suffit habituellement pour qu’il démontre un peu plus de rigueur par la suite.

5.7 /

Ne pas « prévoir » le plan pour l’autre Cette recommandation peut s’appliquer même lorsque vous avez défini le sujet pour l’étudiant et que vous attendez de lui qu’il vous produise un texte selon des attentes bien définies. Prévoir le plan pour l’étudiant est une pratique qui peut être tentante, parce qu’on dirige plus rapidement l’étudiant vers une organisation adéquate de son texte. Ce choix de prévoir le plan peut se faire pour accélérer le travail ou simplifier la vie de l’étudiant en lui fournissant des balises assez claires (pour le directeur) sur la façon d’organiser son texte. Malheureusement, j’ai rencontré beaucoup d’étudiants (parfois même envoyés par des professeurs qui ne comprenaient pas eux-­mêmes la difficulté de l’étudiant) qui n’arrivaient pas à produire dans le sens attendu, simplement parce qu’ils n’arrivaient pas à s’approprier la logique du texte conçue par leur directeur. Ce qu’ils produisaient n’était jamais satisfaisant. L’étudiant ne parvenait pas à s’approprier le plan ou le fil conducteur que le directeur avait lui-­même établi. C’était particulièrement vrai lorsque la compréhension, la connaissance, les liens et les réflexions que l’étudiant avait tirés de ses lectures étaient bien inférieurs à ce que le directeur connaissait du sujet (ce qui est habituellement le cas). Beaucoup d’étudiants faisaient alors face à un blocage de production parce qu’ils ne parvenaient pas à produire un texte dont la structure correspondait à celle attendue. Les propos et l’organisation des informations dans les paragraphes ne présentaient pas la cohérence et la pertinence que le directeur attendait et l’étudiant tentait alors de faire un « collage » d’éléments sans que le texte fasse ressortir les idées et les liens pertinents. L’étudiant avait pourtant été capable d’exprimer sa connaissance et sa compréhension du sujet lors des échanges, mais la façon de transposer ces connaissances et cette ­compréhension dans une séquence précise leur rendait la tâche impossible. Il se peut que la proposition d’un plan ne cause pas de problèmes de production à l’étudiant et qu’elle permette justement d’accélérer son travail ou de résoudre un blocage. Il faut cependant évaluer à très court terme et sur une petite partie à produire comment l’étudiant parvient à

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Encadrer aux cycles supérieurs

répondre à la demande. L’avantage de produire des petites parties à la fois (section 1), surtout dans le cadre d’une structure commandée, permet plus facilement de faire un suivi de la capacité de produire de l’étudiant et de pouvoir intervenir s’il rencontre des difficultés à « suivre » le plan que vous lui proposez. Il sera alors peut-­être nécessaire de revoir cette procédure et de laisser une marge de manœuvre plus grande à l’étudiant pour qu’il structure lui-­même ses idées.

5.8 /

Faire exprimer ou définir le fil conducteur, l’organisation Il existe plusieurs façons d’amener l’étudiant à construire son fil conducteur ou de lui demander de nous le décrire. Cela dépend beaucoup de votre propre façon de travailler avec vos étudiants et des qualités (ou difficultés) des étudiants eux-­mêmes. L’idée de fil conducteur n’est pas nécessairement très explicite pour l’étudiant. Il faut parfois plutôt l’amener à expliquer son intention dans sa façon de décrire les parties ou pourquoi il procède de cette façon pour séparer ses parties ou les sous-­parties qu’il présente. Encore une fois, on peut indiquer précisément une organisation pertinente à l’étudiant lorsque la sienne ne nous apparaît pas adéquate, mais parfois, ça peut donner le gout à l’étudiant de simplement produire le texte et de vous laisser faire le travail de réorganisation. Dès la première version d’un texte dont les parties, l’organisation des parties, ou la séquence des paragraphes dans chaque partie ne vous semblent pas pertinentes, demandez à l’étudiant de vous expliquer pourquoi il a organisé les éléments de la sorte. N’essayez pas tout de suite de le corriger à sa place, surtout s’il s’agit d’une première ou d’une seconde version. Prenez en note cette « meilleure » structure du texte à laquelle vous pensez, mais ne la transmettez pas avec vos corrections. La discussion avec l’étudiant sur son travail d’organisation pourra vous permettre de voir quelle est sa réflexion, s’il en a une… Souvent, l’étudiant vous expliquera sa compréhension des choses et, dans ce cas, vous pourrez l’aider à restructurer son texte et ses parties en lui présentant alors votre suggestion. S’il démontre avoir peu de réflexions et qu’il a organisé ses parties et son contenu sans avoir d’idées précises des raisons pour lesquelles il a procédé de la sorte, demandez-­lui d’essayer de trouver une façon plus adéquate de restructurer son contenu, soit en le faisant sur place, dans votre bureau, ou simplement en lui demandant de vous envoyer son « plan » avant d’entreprendre la suite de sa correction, mais sans lui remettre votre propre plan.

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

Ça pourrait d’ailleurs faire l’objet de son travail suivant à vous remettre sans ajouter plus de contenu à son texte. Vous lui redonnez alors la responsabilité de s’approprier sa propre production. S’il vous présente une autre version qui a aussi des lacunes, mais qu’il vous exprime une réflexion plus structurée sur ces choix, ce sera alors le temps de lui venir en aide. Une autre façon de procéder consiste à produire un schéma qui illustre les relations entre les idées qui sont émises dans son texte. Ça permet souvent d’illustrer les liens entre les parties ou les concepts que l’étudiant n’avait pas envisagés. Par contre, je ne recommande pas de demander nécessairement aux étudiants de faire un schéma de leur compréhension de l’organisation de leur texte avant de produire celui-­ci. Certains étudiants s’avèrent à peu près incapables de penser à l’organisation de leur contenu en produisant un schéma. C’est une habileté qui peut se développer, mais si l’étudiant n’a pas déjà cette facilité, ce n’est pas une activité qu’on devrait favoriser dans le cours de la production de leurs chapitres. La capacité de schématiser le contenu dépend beaucoup de la qualité de la connaissance du sujet. Un étudiant qui en est encore à acquérir ou à approfondir sa compréhension d’un domaine n’est pas nécessairement en mesure de schématiser correctement ses connaissances, encore moins de pouvoir les articuler pour bien illustrer les liens de dépendances ou les liens hiérarchiques entre tous les éléments qu’il veut décrire, avant de les décrire. Pour plusieurs, ce sera le travail de rédaction des idées et de production du texte qui jouera un rôle d’intégrer les connaissances et non celui sur la schématisation. Celle-­ci est plus souvent une transposition des connaissances acquises qu’une organisation permettant de faire cette intégration. Demander la mise en schéma du texte ou du contenu à produire sera parfois plus contraignant et improductif pour un étudiant que la simple tentative de rédiger ses idées et de les réorganiser par la suite. La structuration et la présentation d’un plan ou d’un schéma préalable à la rédaction par l’étudiant pourront être rassurantes pour le directeur, parce que ça donne l’impression que l’étudiant sait où il s’en va, mais l’exigence pourra s’avérer contre-productive pour certains étudiants.

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5.9 /

Vérifier les références et les notes de lecture La vérification des références et des notes de lecture est une étape préalable qui a déjà été rappelée plusieurs fois (chapitre 6, section 5). Si elle n’a pas été faite de façon formelle auparavant, elle s’avère essentielle à cette étape de rédaction des deux premiers chapitres. Elle permet de vérifier la qualité et le degré de pertinence des textes utilisés, mais aussi la capacité de l’étudiant d’en décrire et d’en expliquer le contenu. Beaucoup d’étudiants de maîtrise, notamment, vont chercher à se documenter dans des livres plutôt que dans des articles. La démarche de recherche pour trouver des références pertinentes est beaucoup plus simple et le traitement du sujet est plus « complet » au sens où tous les aspects sont souvent traités dans le même ouvrage. Dans la mesure où il devient nécessaire d’expliquer ou de situer le concept ou la théorie dans un contexte particulier du sujet, l’usage de livres devient alors insuffisant. Évidemment, si le sujet aborde un aspect relativement pointu ou spécialisé, il n’existe habituellement pas de livres qui traitent du sujet. Parfois, des chapitres de livres peuvent répondre à une partie du besoin lorsqu’ils abordent justement de façon précise des modèles ou des théories. Mais c’est votre rôle de lui spécifier, parmi les références qu’il a trouvées, celles qui vous apparaissent pertinentes à utiliser et celles qu’il peut consulter pour son propre besoin de compréhension, mais qui n’ont pas de valeur ou ne sont pas suffisantes pour le niveau de traitement exigé. J’ai déjà vu une référence de la collection des éditions Marabout « J’ai lu » dans une thèse de doctorat pour expliquer un concept… Le contenu des notes de lecture de l’étudiant est aussi un très bon indicateur de ce à quoi l’étudiant pourra se référer lorsqu’il voudra rédiger son chapitre et le degré d’appropriation des contenus théoriques qu’il devra décrire. S’il n’a pas intégré les informations essentielles dans ses notes de lecture, il y a des risques qu’il se limite à ces informations lorsqu’il passera à l’étape de rédaction de son texte. Les suggestions déjà formulées de faire produire des petites parties à la fois ou de faire des synthèses de ses lectures demeurent pertinentes (section 1).

5.10 /

Demander d’expliquer sans « échanger » Cette suggestion est évidemment liée au fait que des étudiants peuvent construire leur compréhension et leur argumentation uniquement à partir des échanges avec leur directeur de recherche (chapitre 6, section 3.3 ;

264

Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

présent chapitre, section 4.5). Afin d’éviter ces situations, mais aussi pour évaluer correctement la compréhension qu’ont les étudiants des concepts, des modèles ou des écrits, il est toujours préférable de leur demander de vous décrire ce qu’ils savent et ce qu’ils comprennent de ce qu’ils ont lu, plutôt que d’exprimer vous-­même votre compréhension. Encore une fois, la vérification des notes de lecture et la production d’un texte faisant le tour du sujet demeurent les meilleures façons d’évaluer leurs connaissances et leur appropriation du contenu et du sujet. Lors de rencontres qui peuvent précéder la production du texte, on peut éventuellement discuter avec eux de certains aspects reliés à leur compréhension des choses, mais il faut demander à l’étudiant, dans un premier temps, d’expliquer ce qu’il comprend et les écrits sur lesquels il se base. C’est le seul moyen de juger du travail et du niveau de compréhension. Si l’étudiant n’a pas fait suffisamment de lectures, il faut alors lui demander de poursuivre son travail et lui recommander des textes, au besoin. Si l’étudiant a traité les éléments théoriques de son projet de façon superficielle, que vous lui avez fourni les explications et les indications pertinentes pour qu’il les insère dans son texte, même si celui-­ci s’avère satisfaisant, il pourrait ne pas être en mesure de faire les liens nécessaires pour interpréter ensuite convenablement les résultats qu’il obtiendra. Cette étape est déjà particulièrement difficile pour les étudiants (chapitre 10, sections 4.1 et 4.2). Des faiblesses sur le plan théorique peuvent nuire encore plus à leur capacité de produire des interprétations structurées et pertinentes. Au doctorat, cette situation peut s’avérer impossible à compenser puisque ce sera l’étudiant qui devra soutenir sa thèse, plutôt que vous, si celle-­ci se rend à cette étape. Il doit donc être en mesure de produire lui-­même les réflexions, sa compréhension des fondements théoriques de sa recherche ainsi que de pouvoir argumenter ses positions.

5.11 /

Faire lire les « originaux » Cette suggestion n’est pas toujours applicable, mais je la mentionne parce que c’est une façon simple d’aider les étudiants à pouvoir mieux s’approprier un modèle ou une théorie, notamment lorsque son origine est plus ancienne. Je l’évoque aussi parce que j’ai rencontré des situations où les étudiants n’avaient pas démontré qu’ils connaissaient les écrits originaux de modèles ou de concepts qu’ils décrivaient pourtant dans leur texte.

265

Encadrer aux cycles supérieurs

On véhicule beaucoup l’importance d’utiliser des références récentes pour montrer que la recherche est à la fine pointe de ce qui s’est écrit sur le sujet. Parfois, les étudiants prennent cette règle au pied de la lettre et n’utilisent que les références récentes, sans considérer que les auteurs « originaux » valent la peine d’être étudiés. Chaque discipline scientifique s’est développée au fil des ans et les auteurs qui ont élaboré des modèles, des concepts, des théories demeurent habituellement associés à ce qu’ils ont proposé. Cependant, la démarche scientifique est ainsi faite que d’autres auteurs vont y apporter des nuances, des changements, vont en faire des critiques et ce sont ces auteurs qui sont ensuite mentionnés. J’ai remarqué que les travaux originaux ne sont pas souvent consultés par les étudiants eux-­mêmes. Cette faiblesse fait en sorte qu’ils véhiculent parfois des interprétations issues de ce que certains auteurs ont mentionné, sans qu’ils se fassent eux-­mêmes leur avis à partir du travail original. Cela devient particulièrement évident lorsque l’étudiant consulte des textes qui fournissent certaines explications du modèle ou du concept, mais qu’ils limitent au contexte particulier dans lequel se situe leur recherche, l’application ou la transposition du modèle en question. La compréhension que l’étudiant en a est donc teintée de ces contextes et l’étudiant ne voit pas toujours que cela s’applique plus ou moins bien à sa propre situation. Ils vont parfois mentionner, à l’occasion, qu’ils connaissent les travaux originaux puisqu’ils en ont entendu parler dans leurs années antérieures d’études. Ce qu’ils connaissent vient souvent surtout des cours qu’ils ont eus et de l’enseignement qu’ils ont reçu sans qu’ils aient eux-­mêmes pris connaissance des écrits. Vous ne devez pas tenir pour acquis qu’ils se sont approprié réellement le concept ou la théorie dont ils parlent parce qu’ils mentionnent des références de l’auteur en question. Il n’est pas rare qu’ils se limitent aux références tirées des enseignements reçus et de leurs notes de cours plutôt que d’avoir réellement analysé eux-­mêmes le texte.

Lorsque mes étudiants introduisent certaines critiques à propos de modèles ou de concepts (que ce soit par écrit ou lors de nos échanges), ils ne doivent jamais se limiter à rapporter les critiques recensées dans leurs lectures s’ils ne sont pas capables de me démontrer qu’ils ont pris connaissance eux-­mêmes du concept, de la théorie ou du modèle original. J’ai souvent réalisé, au cours de ces échanges, qu’ils s’en tenaient à ce qu’ils avaient lu dans certains ouvrages ou dans certains articles

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Chapitre 8 / L’accompagnement dans la production de la problématique et du cadre théorique

qui faisaient une synthèse ou qui présentaient l’objet en question. J’ai souvent réalisé que la suite de leur réflexion allait être basée sur ces « interprétations » extérieures et non sur leurs propres connaissances. Ils avaient tendance à simplifier certains aspects ou ne pas être en mesure de décrire le sujet de façon précise. J’ai ainsi parfois obligé certains étudiants à lire des textes qui dataient de plus de 20 ou 30 ans pour m’assurer qu’ils parlaient de leur objet de recherche en toute connaissance, plutôt que d’en parler en fonction de ce que d’autres en disent8. Par exemple, j’ai proposé une taxonomie des stratégies d’apprentissage dans ma thèse que j’ai ensuite reprise dans un article. Certains étudiants ont tendance à vouloir se limiter à la lecture de l’article pour situer la taxonomie qu’ils disent vouloir utiliser. D’autres vont aussi lire le chapitre de ma thèse qui fait une analyse des taxonomies pour mener à ma proposition, mais ils veulent s’arrêter là puisque j’ai « tout dit », selon eux. Je les oblige cependant à lire les textes originaux des autres auteurs qui datent souvent de plus de 30 ans parce qu’autrement, ils n’auraient que mon point de vue et ils seraient incapables de comprendre comment les autres taxonomies sont construites et quels sont leurs fondements. Ils deviennent alors beaucoup plus aptes à ­justifier leurs choix et à documenter leur position.

5.12 /

Différencier la critique du rejet Certains étudiants n’osent pas faire une critique des textes qu’ils lisent parce qu’ils mélangent critique et rejet. Apporter des nuances d’interprétation à un modèle ou à un concept revient, pour eux, à rejeter la proposition initiale de l’auteur. C’est la raison pour laquelle certains ne considèrent pas avoir la légitimité d’apporter des points de vue différents. Il faut leur faire voir la différence entre critique et rejet, notamment dans l’idée d’amélioration et de bonification des modèles et des théories. Les disciplines en sciences fournissent de nombreux exemples de modèles ou de théories qui ont été modifiés ou améliorés en cours de route. Il est ainsi avantageux de fournir des exemples de critiques ou de commentaires qu’on peut faire à l’égard de certaines informations dans un article, par exemple, sans nécessairement signifier qu’il faut rejeter les propos de

8

Ce que je décris ici est évidemment une position personnelle. Je n’en fais pas une recommandation formelle, bien que cela présente un avantage important pour solidifier les connaissances des étudiants.

267

Encadrer aux cycles supérieurs

l’auteur. On pourra d’ailleurs faire la différence entre faire ressortir des éléments qui peuvent manquer à l’interprétation ou à l’explication d’un auteur et s’opposer à une position par une approche issue de différences épistémologiques. Selon ses expériences antérieures, l’étudiant n’aura pas toujours été en mesure de faire ces différences.

268

Chapitre 9 /

L’accompagnement dans le choix de la méthodologie

Le chapitre sur la méthodologie est peut-­être, avec le chapitre sur l’analyse des résultats, celui que les étudiants souhaitent le moins approfondir et aussi, parfois, celui pour lequel ils sont le moins bien préparés. Il existe probablement des différences entre les disciplines, mais j’ai souvent eu des conversations avec des professeurs de diverses disciplines qui évoquaient des faiblesses à ce niveau. C’est d’ailleurs un des éléments pour lequel les professeurs vont souvent évoquer des lacunes dans la formation antérieure. Ici aussi, les faiblesses apparaissent au moment de la production du texte, à moins qu’on en ait fait une certaine évaluation préalable au moment des choix méthodologiques. Comme c’était le cas pour les pistes de difficultés reliées à la rédaction des deux premiers chapitres, les difficultés évoquées ici servent avant tout à décrire les possibilités de problèmes rencontrés par les étudiants pour démontrer que les difficultés avec cette portion du projet ne viennent pas nécessairement d’une incompétence de l’étudiant, mais aussi de problèmes rencontrés en raison de la nature particulière de ce type de contenu.

1 / Les pistes de difficultés 1.1 /

L’étudiant ne justifie aucun choix C’est un des principaux problèmes qu’on rencontre sur le plan méthodologique. À moins que l’étudiant fasse partie d’un groupe de recherche dont les informations relatives à la méthodologie sont déjà prédéfinies,

Encadrer aux cycles supérieurs

les premières descriptions qu’ils font de leurs choix méthodologiques sont souvent peu développées, comme si ce qu’ils choisissent de faire ne dépend que de leur volonté et de leur préférence.

1.2 /

L’étudiant propose des procédures sans lien avec la question de recherche Ce type de difficulté n’apparaît pas nécessairement en même temps que la difficulté précédente. Il se peut que l’étudiant justifie ses choix à partir d’autres recherches qu’il a pu lire, mais il n’y a pas de correspondance entre les contextes ou entre les aspects étudiés et la méthodologie proposée. C’est une situation parfois surprenante, parce que ça donne l’impression (et c’est souvent aussi le cas) que l’étudiant ne fait pas de liens avec la nature des informations dont il a besoin à partir de sa question de recherche et de ce qu’il propose comme méthodologie. Les étudiants sont parfois attirés par une approche méthodologique qu’ils voudraient utiliser, notamment si l’approche était mentionnée dans les articles qu’ils ont lus, mais elle n’est pas nécessairement pertinente à leur situation et ils ne s’en préoccupent pas vraiment.

1.3 /

L’étudiant est peu (ou trop) précis dans la description Ce type de difficulté se rapproche un peu de la difficulté dont il sera question dans le chapitre 13 concernant les problèmes de production de l’écrit (section 1). Il s’agit d’une difficulté à décrire de façon détaillée les procédures ou les informations. Cette difficulté peut d’ailleurs perdurer même après quelques versions corrigées. Les étudiants ne saisissent pas le rôle de ces informations et leur pertinence. Ils décrivent les grandes lignes, mais ne parviennent pas à formuler les choses pour qu’elles soient suffisamment claires et détaillées tout en évitant de préciser des détails inutiles. Le juste milieu est souvent difficile à cerner pour les étudiants qui n’ont pas l’expérience de ce type de contenu. Parfois, à la suite des demandes de préciser certaines informations, les étudiants auront tendance à aller dans l’excès inverse, en ajoutant des éléments qui ne sont pas appropriés.

1.4 /

L’étudiant fait des choix simplistes ou trop ambitieux L’inexpérience des étudiants à définir une méthodologie pour répondre à une question de recherche les amène parfois à faire des choix qui sont trop simples ou encore trop complexes et peu réalisables. Les raisons de ces choix sont variées et sont évoquées ci-­après sur le plan des causes de ces problèmes.

270

Chapitre 9 / L’accompagnement dans le choix de la méthodologie

2 / Les causes ou facteurs impliqués 2.1 /

L’étudiant affirme que ses choix valent bien ceux des autres Certains étudiants considèrent que les choix inhérents à la méthodologie dépendent de leur seule volonté ou décision et qu’ils n’ont pas à être justifiés ou argumentés en fonction de ce que d’autres ont pu présenter. Cette conception peut être surprenante, mais elle provient de l’idée que les choix méthodologiques sont simplement des « choix » personnels. Les articles scientifiques qu’ils lisent fournissent d’ailleurs rarement une argumentation très développée et argumentée des choix qui sont décrits. Les méthodologies sont mentionnées, mais ne sont pas nécessairement expliquées et justifiées sur la base des fondements ou des connaissances théoriques liées à la méthode de collecte des données. On retrouve le plus souvent cet argumentaire lié à la méthodologie dans les mémoires et les thèses. À la seule lecture d’articles ou de monographies, l’étudiant peut avoir l’impression que les choix dépendent uniquement du désir du chercheur.

2.2 /

L’étudiant ne tient pas compte des contextes ou des approches La préparation méthodologique des étudiants est un aspect qui n’est pas vraiment très développé. On ne forme pas les étudiants à être des spécialistes méthodologiques, à moins que les méthodologies constituent en elles-­mêmes leur objet de recherche. C’est pourquoi ils ont souvent des problèmes à bien s’approprier le cadre et les justifications liées à leurs choix méthodologiques. Ce manque d’information à l’arrivée à la maîtrise, notamment, s’explique par le fait que les étudiants ne sont pas formés, au baccalauréat, pour effectuer de la recherche. Ils ont peut-­être un cours de méthodologie qui leur est imposé, mais ces cours servent souvent à aborder les bases méthodologiques du domaine. Il y a pourtant une différence entre connaître différentes méthodologies et comprendre quels sont les liens entre une question de recherche, le choix méthodologique qu’elle impose en fonction des données désirées et la façon dont cette méthodologie doit s’articuler en fonction d’une procédure particulière. Les étudiants peuvent connaître un certain nombre d’approches, mais c’est souvent le lien entre l’approche et le contexte de la recherche qu’ils ne sont pas en mesure de faire. C’est pourquoi les cours de méthodologie de la recherche qui sont donnés au niveau de la maîtrise ou du doctorat devraient servir à combler ces lacunes. Les étudiants ont évidemment avantage à suivre ces cours,

271

Encadrer aux cycles supérieurs

au moment où ils sont à réfléchir à leur méthodologie. La correspondance du moment où se donne le cours par rapport à la préparation du projet revêt donc un avantage indéniable pour aider à faire les liens pertinents entre contextes et approches méthodologiques. L’importance de faire travailler régulièrement l’étudiant sur son projet de recherche au cours de sa scolarité facilite ainsi sa progression pour que les séminaires arrivent à point par rapport à ses besoins.

2.3 /

L’étudiant ne s’est pas approprié la forme ou le style de description Ce type de difficulté est moins problématique que d’autres, mais il pourra demander un certain nombre de corrections avant que la description de la méthodologie corresponde à la forme et au style attendu. Certains étudiants ne parviennent tout simplement pas à adopter un style d’écriture plus descriptif et formel que requiert la présentation de la méthodologie. Ils vont parfois chercher à documenter l’utilisation de la méthodologie comme ils ont fait pour la problématique, c’est-­à-­dire en indiquant son utilisation dans des contextes semblables ou tirés d’articles qu’ils ont rapportés, mais sans expliquer la pertinence du choix sur le plan des fondements méthodologiques. Cependant, même en essayant de procéder de la sorte, leur description entre trop dans le détail de ce que d’autres ont fait plutôt que de se restreindre à ce qu’ils veulent ­eux-­mêmes faire et de le justifier sur le plan des fondements.

2.4 /

L’étudiant a une préférence méthodologique Parfois, certains étudiants ont déjà en tête une idée d’une procédure ou d’une méthode de collecte de données pour leur sujet, avant même que leur question de recherche n’ait été formulée. Dans ces situations, l’étudiant tentera de faire valoir son idée, cherchant même parfois à formuler sa question pour la démarche de collecte de données privilégiée. On assiste alors aussi à un manque de cohérence entre la question et la problématique. D’autres fois, c’est seulement au moment de discuter de la procédure de collecte des données (ou lorsqu’il développe cette partie de son chapitre) qu’il tente de faire valoir son choix. Il y a parfois un risque que l’étudiant veuille s’opposer à un choix ou qu’il fasse voir un certain désintérêt à adopter une autre approche que vous pourriez lui suggérer. Il est même possible que cela entraîne un ralentissement dans l’avancement de

272

Chapitre 9 / L’accompagnement dans le choix de la méthodologie

sa démarche, particulièrement si les choix vers lesquels il devrait s’orienter correspondent à un choix qu’il pensait lui-­même éviter, ou s’il doit documenter une approche qui diffère de celle qu’il avait prévue.

2.5 /

L’étudiant a une idée préconçue ou veut éviter une méthodologie Un pourcentage important d’étudiants que j’ai encadrés et que j’ai reçus en consultation avait ainsi des appréhensions à l’égard de certaines méthodologies1. Deux raisons sont apparues lorsque les étudiants tentaient d’éviter des méthodologies particulières. La première concerne les croyances que les étudiants peuvent avoir à l’égard de la démarche méthodologique en question, lorsqu’ils n’en ont pas l’expérience. Ces croyances proviennent de ce qu’ils ont pu entendre dire par d’autres étudiants ou même, parfois, par certains de leurs professeurs et des conclusions qu’ils en ont tirées : « C’est une approche inadéquate », « Ce n’est plus à jour », « C’est une approche dépassée », « Ça ne donne rien d’intéressant », etc. Ils ont alors conclu, a priori, qu’ils ne voulaient pas adopter une telle procédure de collecte des données. Parfois, ils vont indiquer vouloir en privilégier une, mais c’est plutôt pour en éviter une autre. L’autre raison vient d’une expérience qu’ils ont déjà vécue avec une procédure et qu’ils ne veulent pas renouveler. Ils vont tenter d’ailleurs d’orienter toute leur démarche pour éviter d’utiliser la méthodologie en question qui leur aura causé des difficultés. Cette dernière raison est évidemment plus fréquente au doctorat.

3 / Les pistes d’intervention 3.1 /

Faire suivre un « cours » orienté vers les fondements appliqués C’est probablement la suggestion que j’ai faite le plus souvent à des professeurs concernant les limites des fondements méthodologiques ou des faiblesses sur le plan des procédures expérimentales qu’ils voyaient chez leurs étudiants. Habituellement, de tels cours sont inclus dans les programmes de cycles supérieurs. Si ce n’est pas le cas ou si les enseignements donnés ne répondent pas à des exigences particulières du projet de

1

Ce n’était pas nécessairement les mêmes méthodologies qui étaient concernées.

273

Encadrer aux cycles supérieurs

l’étudiant, on peut lui demander de s’inscrire à des activités complémentaires ou à des cours en dehors du programme qui répondraient mieux à son besoin. Je considère qu’il n’appartient pas au directeur de recherche d’« enseigner » à l’étudiant les savoirs nécessaires pour combler ses lacunes sur le plan de la méthodologie. Il se peut que ce ne soit pas utile de lui demander de s’inscrire à un cours complet de méthodologie si ses faiblesses ou son besoin se situent sur un aspect particulier qui est malgré tout essentiel pour qu’il puisse construire sa procédure de recherche et la justifier de façon cohérente. Certaines lectures sont souvent suffisantes pour fournir à l’étudiant les bases pertinentes, mais il se peut aussi qu’il ait besoin d’un peu plus d’informations. C’est la raison pour laquelle j’ai mis le terme « cours » entre guillemets. Si l’étudiant a besoin de recevoir un certain enseignement à propos d’un sujet, ça peut représenter un avantage important pour lui qu’il assiste à quelques périodes d’un cours qui touche aux informations dont il a besoin. J’y fais référence ici sur le plan méthodologique parce que ce sont souvent les aspects les plus faibles, mais ça pourrait s’avérer tout aussi pertinent pour d’autres types de connaissances à acquérir.

Bien que ça ne fasse pas partie de méthodologies, j’ai ainsi demandé à certains de mes étudiants d’assister à deux ou trois rencontres d’un cours que je donnais sur les stratégies d’apprentissage, parce qu’ils étaient néophytes par rapport au sujet et ils voulaient utiliser ma taxonomie. Dans le cadre du cours, ils avaient à lire un certain nombre de textes sur la taxonomie et les stratégies d’apprentissage, mais ils avaient aussi les explications et les informations plus détaillées que je donnais au groupe pour leur permettre de comprendre sa nature et son application. Cela leur donnait ainsi les bases pour mieux interpréter et comprendre les écrits qu’ils devaient lire. J’évitais de devoir répéter la même information à chacun, alors que je donnais toute l’information détaillée dans mon cours. J’aurais pu leur suggérer une partie de cours d’un autre professeur si un aspect précis de leur démarche avait requis une mise à jour ou un perfectionnement plus structuré de ces contenus que par la simple lecture.

274

Chapitre 9 / L’accompagnement dans le choix de la méthodologie

Une telle approche vaut pour des savoirs de base dont ils ont absolument besoin. Cela les oriente aussi sur les documents dont ils peuvent avoir besoin pour s’approprier plus personnellement le sujet. Plutôt que de leur faire un enseignement direct individualisé, ou de leur faire lire une grande quantité d’ouvrages et de textes pour les mettre à jour, quelques périodes de cours permettent parfois de couvrir ce dont ils ont besoin pour pouvoir ensuite l’approfondir par eux-­mêmes, au besoin. Si ce n’est pas vous qui enseignez la matière, il suffit de vous entendre avec le professeur qui l’enseigne pour connaître la partie du cours qui serait appropriée et, avec son accord, demander à l’étudiant d’assister aux rencontres pertinentes. Encore une fois, il ne s’agit pas de lui éviter de faire des lectures pour s’approprier le sujet, mais de lui fournir un enseignement de base nécessaire pour accélérer la compréhension plus pointue dont il a besoin pour avancer dans ses lectures. Au contraire d’une propédeutique qui vise à fournir les bases plus larges du domaine, dans ce cas-­ci, il s’agit de combler une lacune très précise sur un objet précis et bien circonscrit.

3.2 /

Ne pas définir les choix pour l’étudiant Cette proposition de laisser l’étudiant faire ses propres choix dépend évidemment de votre façon de l’encadrer et du contexte dans lequel s’inscrit la recherche de l’étudiant. Si vous imposez un sujet et une méthodologie, il est évident que l’étudiant n’aura pas vraiment le choix de suivre la méthodologie déterminée pour la recherche dans laquelle il s’insère. Lorsque l’étudiant est libre de choisir son sujet, le laisser choisir aussi sa méthodologie lorsque c’est possible lui permet de faire ses propres apprentissages et de mieux comprendre de quelle façon s’effectuent ces choix. Évidemment, comme pour toutes les autres étapes, des échanges et un accompagnement lui permettront d’apprendre de cette situation. Il y a alors plus de chances qu’il devienne plus autonome pour délimiter une méthodologie dans un cadre extérieur à son diplôme lorsqu’il aura déjà fait la démarche dans le cadre de sa recherche.

3.3 /

Choisir le moment opportun pour aborder la méthodologie J’ai mentionné que les étudiants avaient parfois des idées déjà arrêtées sur le type de procédures ou de méthodes qu’ils désiraient utiliser. Il se peut aussi que vous ayez vous-­même déjà en tête des avenues possibles pour la collecte des données, compte tenu de l’orientation de sa question.

275

Encadrer aux cycles supérieurs

Je recommande cependant de ne pas évoquer les méthodologies envisagées tant que l’étudiant n’est pas en mesure de faire le lien entre ses choix conceptuels et théoriques et les choix méthodologiques qui en découlent. Il s’agit de faire comprendre à l’étudiant que la démarche de recherche ne se fait pas en fonction d’une méthodologie particulière prédéterminée, mais en fonction d’une question et d’un objet de recherche à définir et qui orienteront alors la façon de le mesurer ou de l’étudier. J’apporte ici une précision en ce qui touche les préférences méthodologiques et épistémologiques relatives aux approches qualitatives ou quantitatives. Je sais que certains professeurs ont, pour toutes sortes de raisons, des préférences parfois exclusives à propos d’une des approches. Il s’agit d’une orientation générale qui fait d’ailleurs en sorte que les problèmes étudiés et la façon d’articuler les questions déterminent évidemment le type de méthode préférée. Cela ne va pas à l’encontre de ce que je mentionne ici. Si je suggère de ne pas définir les choix à l’avance, je pense aux procédures plus opérationnelles de chaque approche. J’ai d’ailleurs indiqué au chapitre 3 (sections 1.2, 6.3 et 6.4) qu’il était nécessaire d’informer l’étudiant de ses préférences méthodologiques et épistémologiques afin qu’il les connaisse avant de s’engager avec nous. Un étudiant qui sait qu’on adopte plutôt (ou exclusivement) des méthodologies quantitatives ou qualitatives saura aussi que sa façon d’obtenir les données et les analyses qui en découleront seront orientées en fonction de ces approches. En dehors de tels contextes que vous définissez vous-­même, si l’étudiant mentionne très tôt qu’il s’imagine adopter une procédure particulière (il peut notamment le mentionner lors de la rencontre de sélection, selon les questions que vous lui posez [chapitre 3, section 3.6]), je suggère de reporter toute discussion sur le sujet en lui rappelant que les méthodes, le matériel, les sujets ou les données à obtenir doivent être déterminés à partir de la question de recherche, de la présentation des concepts et des modèles, et non pas en fonction de l’intérêt préalable qu’on peut avoir d’une procédure particulière. Il peut arriver qu’on évoque un certain nombre de choix possibles, sans parler d’un choix définitif. On peut alors indiquer à l’étudiant les raisons de ces choix et ce qui déterminera la décision finale. Évidemment, dans certains contextes, la méthodologie est déjà définie par le problème qu’on étudie et le contexte de recherche implique que les problèmes étudiés le seront en fonction de cette méthodologie. Pour certains chercheurs, la méthodologie devient intimement imbriquée dans les problèmes ou les sujets qu’ils étudient, parce qu’ils ont ainsi construit

276

Chapitre 9 / L’accompagnement dans le choix de la méthodologie

leur programme de recherche. Pour les étudiants, cette dynamique n’est pas toujours comprise et ils peuvent parfois interpréter qu’on peut choisir une méthodologie qui nous intéresse et ensuite essayer de trouver des sujets de recherche pour l’utiliser.

3.4 /

Remettre en question les choix et les préférences Les questions qu’on leur pose ou sur lesquelles on leur demande de réfléchir devraient porter sur leur expression du lien qu’ils font entre leur question et leur choix méthodologique, le type de données qu’ils pensent obtenir, les outils qu’ils pensent utiliser, les raisons de ces préférences ou de leur choix par rapport à d’autres choix possibles ou existants, les limites possibles, les difficultés, les étapes, les procédures, le temps ou les outils ou le matériel requis, etc. L’objectif de ce questionnement est d’évaluer le degré de réflexion et de connaissances des étudiants à propos de la méthodologie envisagée. Il permet aussi de les orienter vers des lectures, s’ils en sont au début de leur processus, ou encore de leur spécifier tout de suite des limites à des choix méthodologiques qu’ils peuvent envisager ou l’impossibilité de tenir un type de recherche précis dans leur contexte particulier. Ce questionnement va dans le sens de rendre explicite votre connaissance sur des choix qu’ils ne sont pas toujours en mesure de bien évaluer, et de comprendre les raisons pour lesquelles leurs choix sont valables ou non. Les étudiants sont alors forcés de se questionner sur leurs choix en fonction de ce qu’ils connaissent de leur sujet ou de leur question de recherche et à ne pas prendre pour acquis que vous allez définir ­vous-­même ce qu’ils doivent faire.

3.5 /

Être plus directif dans l’opérationnalisation Au-­delà du désir d’aider l’étudiant à développer sa compétence pour choisir une approche méthodologique qui soit cohérente avec son sujet et sa question de recherche lorsque vous le laissez faire son choix de méthodologie, il devient parfois nécessaire de déterminer certains paramètres dans la sélection de sa méthodologie. En même temps qu’on peut lui laisser une certaine marge de manœuvre, il est aussi possible d’établir des limites à l’intérieur desquelles il pourra faire ses choix. On peut notamment le faire si son projet s’inscrit dans une recherche plus vaste à laquelle il participe.

277

Encadrer aux cycles supérieurs

Être plus directif dans l’opérationnalisation va aussi dans le sens de restreindre l’étudiant sur le plan de certaines caractéristiques concrètes de ses procédures. Ça peut d’ailleurs être des choix ou des contraintes qui lui sont signifiés dès le départ, comme modalité de contrôle ou de vérification de sa démarche. Pour certains, ce sera la meilleure façon de les encadrer s’ils ne semblent pas être en mesure de progresser convenablement lorsqu’on les laisse totalement libres de choisir leur approche. Choisir le nombre de sujets, le nombre d’étapes, la grosseur du corpus, le temps de collecte des données sont autant d’éléments pour lesquels vous pouvez décider d’être plus directif, particulièrement lorsque vous envisagez des problèmes potentiels en fonction des choix de l’étudiant. Ce sont des décisions qui devraient aussi lui être expliquées.

3.6 /

Faire lire des chapitres de méthodologie de mémoire ou de thèse « bien faits » C’est un moyen facile de proposer à l’étudiant des exemples de formulations et de descriptions pour qu’il s’en inspire. Il présente cependant deux dangers importants. Le premier est que l’étudiant décide de simplement transposer telles quelles les informations issues du texte sans nécessairement chercher à vraiment comprendre et apprendre ce qu’il faut qu’il apprenne. Il peut chercher seulement à reformuler les informations si celles-­c i correspondent exactement à ce dont il a besoin sans faire les lectures nécessaires. S’il a accès à plusieurs chapitres décrivant une méthodologie ayant les mêmes caractéristiques que la sienne, ce sera encore plus facile pour lui de faire un maillage de texte. Le deuxième danger réside dans l’adoption de la structure précise du texte, en essayant de combler les informations différentes à sa situation par celles qui le concernent. J’ai rencontré régulièrement ce type de problème lorsqu’on suggère des exemples de « bons chapitres » à des étudiants moins à l’aise avec le contenu méthodologique. On voit apparaître une organisation et une description des informations qui sont presque calquées sur la structure des paragraphes de l’exemple proposé et parfois, cela mène à une difficulté à faire le suivi des corrections. Donner un ou des exemples de chapitres de méthodologie devrait s’accompagner d’une explication de l’apprentissage que l’étudiant devrait en tirer. Outre les justifications et l’argumentaire reliés aux fondements de sa démarche, de tels exemples aident beaucoup l’étudiant à comprendre le niveau de détail et le type d’informations à décrire concernant les ­caractéristiques de ses sujets et les procédures qu’il doit fournir.

278

Chapitre 9 / L’accompagnement dans le choix de la méthodologie

Traditionnellement, les choix méthodologiques représentent les dernières étapes du processus de planification de la recherche. Dans le cas d’un projet de mémoire ou de thèse, il en constitue habituellement le dernier chapitre « complet » à produire. Il y aura certaines descriptions qui seront intégrées à propos des analyses des données, mais celles-­ci représentent une première ébauche puisque les données ne sont pas encore obtenues. Certaines informations méthodologiques ne sont évidemment pas complètes puisque souvent le nombre réel de sujets, le corpus final des données, ne sont pas encore officialisés puisque ces éléments seront connus seulement à la fin de l’étape d’expérimentation ou de collecte des données. Cependant, la structure finale du chapitre demeurera à peu près inchangée. En ce sens, au moment de revoir la version finale de ce chapitre pour le mémoire ou la thèse, il faut toutefois s’assurer de rappeler à l’étudiant d’apporter toutes les modifications appropriées à son chapitre. Souvent, il fera les modifications évidentes d’ajuster les caractéristiques de ses sujets ou des procédures appliquées, mais il oubliera d’ajuster le temps des verbes ou des formulations présentant des activités à venir alors qu’elles ont été effectuées. J’ai souvent rencontré des corrections partielles de ces éléments parce que des étudiants n’ont pas revu la totalité de leur texte parce qu’il est considéré comme adéquat et, puisqu’il n’y a pas de changements importants, la correction de la totalité du chapitre n ­ ’apparaîtra pas utile.

279

Chapitre 10 /

L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

L’étape de planification des analyses donne lieu à de nouveaux problèmes pour les étudiants. Ces problèmes sont souvent liés au difficile passage de la connaissance des outils et des analyses qu’ils ont pu voir dans le cadre de cours à leur application concrète dans des situations qu’ils développent eux-­mêmes. La compétence à pouvoir choisir ses analyses et de pouvoir les interpréter s’acquiert principalement par l’expérience. Les étudiants qui n’ont jamais été en contact avec des données de recherche autres que celles utilisées dans les problèmes de leurs cours de méthodologie ou d’analyse ont une expérience limitée des situations. Un étudiant qui change de méthode d’analyse, passant d’un modèle plutôt quantitatif à une approche qualitative (ou l’inverse) peut se retrouver avec des problèmes qu’il n’avait jamais rencontrés auparavant. J’ai séparé les problèmes potentiels qui peuvent apparaître en fonction des quatre étapes associées au processus d’analyse des données, soit l’étape du choix des analyses, l’étape de collecte des données (l’étape d’expérimentation), celle du processus d’analyse des données et celle de leur interprétation.

1 / La planification des analyses Les étapes d’analyse et d’interprétation des résultats devraient se préparer en amont du moment de procéder aux analyses elles-­mêmes. L’accompagnement devrait commencer au moment du choix des analyses, alors que le projet est encore en construction et que la méthodologie est en développement. L’étudiant doit être en mesure de comprendre que le choix des analyses mènera à des données d’un certain type, mais que ces analyses dépendent de la question et de la méthodologie utilisée.

Encadrer aux cycles supérieurs

1.1 /

Les pistes de difficultés

1.1.1 /

L’étudiant n’a pas d’idées des données à obtenir Cette situation survient principalement lorsque l’étudiant n’a jamais été mis en contact avec des données brutes issues de la collecte de données. Sur le plan quantitatif, les données sont plus faciles à anticiper parce qu’on sait que ce seront des valeurs particulières (poids, pressions, nombre de réponses, nombres d’une échelle de Likert, indices issus d’un test ou d’une épreuve, temps de réaction, etc.). Mais ils ne sauront pas nécessairement comment elles doivent être organisées et regroupées pour répondre à leurs questions, une fois obtenues. Le problème est semblable pour les analyses qualitatives où l’étudiant recueille les propos de ses sujets. Certains ne voient pas comment ces propos, les paroles des sujets, pourront être analysés. On s’en rend compte assez facilement au moment de la rédaction des « analyses » qui seront effectuées dans le projet à déposer. La description des procédures qui seront adoptées demeure vague et aucune démarche particulière de traitement de ces données et de leur organisation n’est fournie.

1.1.2 /

L’étudiant ne sait pas quoi écrire Comme c’est le cas pour la méthodologie, le style à adopter pour décrire les outils d’analyse et les procédures demeure étranger à certains étudiants. Le problème n’est pas nécessairement qu’ils ne connaissent pas les outils ou les analyses qu’ils devront faire, mais ils se sentent démunis dans la façon d’introduire ces informations et de les décrire. Même après quelques versions, certains étudiants ont de la difficulté à s’astreindre à une description relativement simple mais précise des analyses et de leur sens. On est surtout confronté à des présentations beaucoup trop succinctes des procédures qui seront suivies, comme s’ils manquaient de « formules » ou de mots pour énoncer simplement, mais précisément, ce qu’ils envisagent comme analyse. Parfois, ce problème sera renforcé par les autres difficultés présentées ci-­après.

1.1.3 /

L’étudiant ne sait pas quoi faire, comment faire, n’anticipe pas les tâches à faire J’ai énoncé ce type de difficultés sous ces trois formes parce qu’il peut s’exprimer de différentes manières chez l’étudiant. Il s’agit d’un problème de transposition des connaissances que l’étudiant peut avoir apprises dans le cadre de cours à des situations concrètes sur ses propres données à venir. Les étudiants ont parfois une connaissance « théorique »

282

Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

d’un certain nombre de types d’analyses à faire, mais ils ne sont pas en mesure de faire le lien entre la situation expérimentale envisagée et les analyses appropriées pour leurs données. La difficulté à pouvoir envisager la nature des données brutes concourt à cette difficulté à décrire les analyses et les procédures qui seront adoptées. Dans ses cours, l’étudiant a souvent travaillé avec des données déjà obtenues et « formatées » pour exécuter les exercices de pratique, mais il a très rarement fait toute la démarche du début jusqu’à la fin.

Je me rappelle d’un étudiant que j’encadrais qui avait suivi un cours sur les méthodes qualitatives (avec l’utilisation de logiciels d’analyse) parce qu’il envisageait de devoir faire l’analyse du contenu des entretiens prévus à sa méthodologie. Je lui avais demandé de suivre ce cours pour éviter d’avoir moi-­même à lui enseigner les procédures d’utilisation du logiciel, afin qu’il soit aussi plus autonome pour procéder aux analyses et à leur interprétation. Il avait obtenu une très bonne note et semblait bien connaître les procédures pour utiliser le logiciel et en tirer les informations pertinentes. Dans son cours, il avait eu à appliquer ses connaissances sur différentes données et de différentes manières proposées par le professeur. Leur capacité à pouvoir utiliser le logiciel dans différentes situations et avec plusieurs types de données avait ainsi été vérifiée par le professeur. Lorsque arriva le temps de rédiger la partie de son projet de recherche sur les analyses qu’il allait devoir faire, il m’informa qu’il ne savait pas quelles analyses il devait utiliser ni ce qu’il allait faire une fois qu’il aurait transcrit toutes les entrevues…

Ce n’est pas une situation surprenante. J’ai très souvent rencontré ce type de difficulté. Les cours portant sur les outils d’analyses qualitatives ou statistiques mettent l’accent sur la connaissance des procédures pour utiliser ces outils, mais il n’existe pas vraiment de cours qui permettent de faire le pont entre la formulation d’une question, la méthodologie et les outils qui en découlent. Bien qu’on utilise souvent des exemples de contextes de recherche pour introduire les analyses et les procédures, ceux-­c i sont habituellement choisis en fonction des analyses à apprendre. Le processus est pourtant inversé dans la réalité. On relève une question pour laquelle

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Encadrer aux cycles supérieurs

on choisit des procédures et on détermine ensuite les outils d’analyses pertinents. Il est cependant difficile de faire différemment dans le cadre des cours, parce que les étudiants ne sont habituellement pas rendus à l’étape d’analyse de leurs données lorsqu’ils suivent leur cours. J’explique souvent cette situation en faisant le parallèle avec la connaissance, sur le plan de la grammaire, de l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir. Des étudiants peuvent être en mesure de décrire la règle, réussir des dizaines d’exercices dans lesquels on leur demande d’accorder le participe passé avec l’auxiliaire avoir dans toutes sortes de situations, mais ils continuent de faire régulièrement des erreurs lorsqu’ils utilisent eux-­mêmes le participe passé, parce que les exercices ne favorisent pas nécessairement le passage de la connaissance dans son application dans des contextes très bien définis à son utilisation indépendante dans des phrases que les étudiants élaborent par eux-­mêmes. Ils ne savent souvent pas reconnaître qu’ils ont utilisé la forme passée du verbe qui utilise l’auxiliaire avoir. Il ne faut donc pas se surprendre si des étudiants qui ont suivi un cours portant sur des analyses particulières ne savent pas nécessairement comment transposer ce qu’ils ont appris dans un cours à une utilisation plus concrète pour leur propre recherche1.

1.1.4 /

L’étudiant privilégie un type d’analyse ou un outil particulier Cette situation est semblable à celle que j’ai décrite sur le plan méthodologique, où l’étudiant voulait adopter (ou éviter) une procédure ou une méthodologie particulière (chapitre 9, sections 2.4 et 2.5). Le type d’analyses privilégié peut ne pas être cohérent avec le type de « réponses » recherché. L’étudiant n’a pas fait le lien entre les données qu’il obtiendra et les analyses qu’il veut privilégier. Il veut utiliser une approche particulière parce que c’est celle qu’il croit la plus utile, valable, reconnue, selon lui, ou encore parce qu’il ne veut pas utiliser un autre type d’analyse pour les raisons inverses. Parfois, ça peut être aussi parce qu’il ne sait pas comment procéder pour faire cet autre type d’analyse. J’ai rencontré des étudiants qui n’avaient pas de connaissances des analyses de type qualitatif et ils jugeaient que les analyses quantitatives étaient plus appropriées, sans tenir compte de leur question et des objectifs de leur recherche. Le cas inverse était aussi fréquent pour des étudiants qui craignaient de faire des analyses quantitatives parce qu’ils avaient des

1

Cela pose alors la question des formules pédagogiques et des apprentissages visés pour ces types de contenu… mais cela relève d’un autre sujet.

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Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

faiblesses sur le plan mathématique et qui tentaient d’éviter d’avoir à faire de telles analyses, même si leur sujet et le problème étudié nécessitaient les analyses quantitatives.

1.1.5 /

L’étudiant espère des résultats « positifs » Bien que ce soit l’espoir de tout chercheur, vouloir obtenir des résultats « positifs » peut représenter un problème pour les étudiants. L’éventualité d’obtenir des résultats contraires à ce qu’ils attendent provoque une pression chez eux et ils vont tenter, avant même de collecter leurs données, d’essayer d’anticiper un type d’analyse ou des procédures pour « assurer » des résultats significatifs ou qui vont dans le sens de ce qu’ils désirent. Ils cherchent notamment à proposer des démarches supplémentaires, complémentaires ou d’obtenir des informations qu’ils pourraient utiliser pour donner plus de « valeur » à leur recherche au cas où ce qui est espéré ne se produit pas. On le constate d’ailleurs dans la façon avec laquelle ils tentent de nous suggérer des analyses différentes ou à rajouter, ou au moment d’effectuer des analyses elles-­mêmes (section 3.1.1). Un étudiant qui n’est pas préparé à l’éventualité de résultats « négatifs » ou contraires à ses attentes peut vivre cette expérience comme un cuisant échec lorsque arrive le temps d’interpréter les résultats. J’y reviens un peu plus loin concernant l’obtention de résultats « négatifs », mais il faut préparer les étudiants d’avance sur la possibilité qu’ils n’obtiennent pas de résultats qui leur permettent de tirer les conclusions qu’ils espéraient. On doit l’aborder au moment où ils choisissent les analyses à faire, mais ça doit être aussi évoqué dès le moment où ils définissent leur question de recherche et qu’on évalue les finalités possibles par rapport à leur ­question et leur objectif de recherche.

1.2 /

Les pistes d’intervention La préparation à l’analyse des résultats devrait commencer dès le moment où la question de recherche est formulée et du type d’information qui devrait en découler, ou des attentes de l’étudiant à l’égard des finalités de sa recherche. Souvent, ces aspects commencent à être évoqués au moment où les choix méthodologiques et de collecte des données sont envisagés. Mais certaines des pistes d’intervention et des discussions devraient avoir lieu aussitôt que l’étudiant se questionne sur la nature de ses résultats et qu’il évoque des résultats ou des conclusions possibles par rapport à la formulation de sa question.

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Encadrer aux cycles supérieurs

1.2.1 /

Faire expliquer ou expliquer soi-­même le type de résultat attendu Une façon simple de vérifier ce que l’étudiant anticipe comme données potentielles est simplement de lui demander de nous décrire à quoi il s’attend. S’il ne sait pas trop comment nous l’expliquer, il aura probablement des lacunes dans les façons d’expliquer les procédures d’analyses qu’il pense utiliser. Il est avantageux de vérifier la compréhension que l’étudiant en a dès le moment où sa question de recherche est choisie. À partir de cette étape, il devrait commencer à envisager la suite de la démarche, les données qui devraient constituer les éléments de réponse à sa question et les procédures à utiliser. L’avantage de le faire si tôt est qu’on permet à l’étudiant de formuler ce qu’il en comprend et de savoir rapidement le type d’aide ou d’accompagnement dont il aurait besoin pour faire le travail. Si l’on se rend compte seulement au moment d’analyser et de préciser les résultats que l’étudiant n’est pas en mesure de le faire, on peut être obligé de procéder soi-­même au travail d’analyse ou de trouver quelqu’un d’autre pour le faire. Il est parfois très tard pour demander à l’étudiant d’aller chercher les outils dont il peut avoir besoin. Lorsque l’étudiant semble déjà posséder les connaissances requises pour effectuer les analyses (il a notamment suivi un cours sur le sujet), mais qu’il exprime ne pas trop savoir comment procéder pour transposer les données et répondre à sa question, on peut l’aider en lui fournissant des données brutes que vous auriez déjà en votre possession et demander à l’étudiant de préciser ce qu’il peut en faire. Souvent, c’est cette application de la question de recherche à des données brutes pour choisir le traitement et leur analyse que l’étudiant n’est pas habitué de faire. Comme c’était le cas pour d’autres aspects mentionnés dans les chapitres précédents, on peut choisir de demander à l’étudiant de nous décrire lui-­même comment il conçoit l’étape de traitement, d’analyse et d’interprétation des résultats, plutôt que de lui désigner les procédures tout de suite. Toutefois, même si l’étudiant vous dit « comprendre » ce que vous attendez ou ce que vous lui suggérez, il y a des risques qu’il ne vous dise pas qu’il ne sait pas quoi faire et qu’il cache son incompréhension par crainte du jugement négatif que vous pourriez avoir à son égard.

Après avoir fait un peu le tour de la situation d’un étudiant venu me consulter pour des problèmes d’avancement dans sa recherche, la difficulté de l’étudiant semblait liée à l’étape d’analyse de ses résultats. Il m’avait décrit toutes sortes de problèmes auxquels il semblait confronté et j’essayais de trouver la source de son blocage quand je

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Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

lui ai finalement suggéré de se reporter à son directeur, parce que sa difficulté semblait surtout associée à l’utilisation des outils informatiques impliqués. Il m’a alors mentionné ne pas savoir comment faire les analyses prévues pour ses données et qu’il avait essayé d’apprendre à utiliser le logiciel par lui-­même, mais il était confronté à toutes sortes de problèmes d’accès, de téléchargement et de détermination des procédures pour faire les analyses. En fait, ce qu’il venait chercher était beaucoup plus une aide concernant l’utilisation de l’outil d’analyse et des analyses à faire. J’ai évidemment renchéri sur l’importance qu’il consulte son directeur parce que c’était la personne la mieux placée et que ses propos me laissaient croire que sa relation avec son directeur était tout à fait adéquate. C’est alors qu’il m’a mentionné que son directeur ne savait pas qu’il avait ces problèmes, parce qu’il ne lui en avait jamais parlé. Quand son directeur lui avait indiqué les types d’analyses qu’il envisageait pour ses données, l’étudiant ne lui avait pas fait savoir qu’il ne connaissait pas le logiciel et qu’il ne savait pas comment il allait pouvoir procéder. Il avait demandé de l’aide auprès de ses collègues, mais ceux-­ci étaient évidemment déjà occupés par leur propre recherche. Il avait besoin d’entrer et de codifier ses données et avait besoin d’accompagnement pour comprendre la façon d’utiliser le logiciel. Il n’avait trouvé personne pour l’aider. Les délais sur lesquels il s’était entendu avec son directeur pour remettre ses résultats arrivaient à terme. Il avait déjà reporté une première rencontre soi-­disant parce qu’il avait eu des difficultés à pouvoir utiliser le logiciel, mais il voyait bien qu’il ne pouvait la reporter une fois de plus.

Dans le chapitre 3, j’ai suggéré de vérifier auprès des étudiants quelles étaient leurs connaissances à propos des outils et des procédures d’analyse des données (section 3.6 et annexe 3.1). Cette information permet justement d’évaluer très tôt le besoin de l’étudiant et les activités (créditées ou non) qui lui permettront de se mettre à jour pour les types d’analyses dont il aurait besoin. L’avantage de poser ces questions au début de la relation permet de vérifier ces informations avant que l’étudiant ne soit rendu trop loin dans son processus. Dès le moment où la forme des analyses se précise avec l’élaboration des questions de recherche, vous pouvez déjà discuter des étapes suivantes avec l’étudiant, en fonction de ce qu’il connaît.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Si vous avez vous-­même des préférences et que l’orientation des recherches des étudiants que vous encadrez implique une approche d’analyse particulière, il sera nécessaire d’évaluer leur capacité pour ces types d’analyse. Même si vous savez que les étudiants ont suivi (ou suivront) un cours sur le sujet, il faut quand même prévoir évaluer comment les étudiants sont en mesure d’être autonome ou non pour ces aspects, avant que n’arrive le moment où ils devront effectuer le travail attendu.

1.2.2 /

Donner des exemples de résultats et de transformations C’est souvent une méthode facile et rapide pour donner une idée de ce que l’étudiant pourra obtenir par son processus de recherche et la façon avec laquelle il pourra ensuite procéder pour analyser les résultats qui en découlent. Cette méthode implique notamment la transformation des données brutes en tableaux pour les rendre plus lisibles ou intelligibles ou encore l’illustration des procédures pour tirer du sens de certains types de données (notamment qualitatives). On peut prendre l’habitude de conserver des exemples de données brutes de ses étudiants passés ou de ses propres recherches, obtenues selon différentes façons, qu’on peut présenter à ses étudiants, au besoin. Évidemment, si l’étudiant travaille dans votre équipe de recherche et que d’autres étudiants sont plus habiles pour utiliser les logiciels, ces étudiants peuvent devenir des guides pour les analyses.

1.2.3 /

Faire réfléchir aux finalités possibles pour répondre à la question Il s’agit de préparer les étudiants aux résultats qu’ils pourraient obtenir et au sens qu’ils pourraient leur donner. On peut leur demander de penser à toutes les possibilités de résultats qui peuvent être obtenus, à partir de la formulation de leur question. Il faut les faire travailler à une réflexion d’anticipation et d’hypothèses des finalités possibles et non uniquement se placer en « attente » de voir ce qu’ils obtiendront. Il ne s’agit pas de tout prévoir, mais cette démarche consiste à leur faire réaliser qu’ils peuvent envisager un certain nombre d’issues possibles et s’y préparer, tout en demeurant ouvert à ce qu’ils obtiennent autre chose. Il y a ainsi plus de chances qu’ils voient dans leurs résultats tout ce qu’il y a à voir, plutôt que de se restreindre à attendre une seule réponse en fonction de la question. Avec l’expérience, on a une idée, même approximative, du type de résultats qu’on s’attend d’obtenir. Il est important pour les étudiants d’apprendre à faire cette même anticipation pour leur propre recherche.

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Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

Une telle démarche permet de les préparer à ces résultats et d’envisager différentes possibilités. C’est aussi une façon d’évaluer si les procédures de collecte de données sont adéquates par rapport à ce qu’ils souhaitent obtenir. Les étudiants ont beaucoup tendance à se fier à notre accord ou à nos suggestions pour développer leurs analyses, sans nécessairement procéder eux-­mêmes à une anticipation préalable de ce qu’ils pensent avoir. C’est une approche qui peut d’ailleurs s’appliquer même au moment du choix de la méthodologie, pour amener l’étudiant à comprendre de quelles façons la formulation de sa question et les outils utilisés influent sur le type d’information obtenue. On peut parfois être plus directif à propos des analyses à faire, mais il m’apparaît quand même formateur pour l’étudiant de voir les répercussions du type d’analyse et des outils de collecte des données sur la façon de considérer le problème.

Personnellement, je prends presque toujours un moment pour décrire à l’étudiant une autre façon d’obtenir des données que celles qu’il a choisies, afin de lui montrer quel genre d’information différente il obtiendrait. Je le fais particulièrement pour différencier le choix d’outils menant à des analyses quantitatives ou qualitatives, pour lui démontrer que les informations obtenues ne « répondent » pas de la même façon à une question et que la formulation de la question de façon différente peut amener des analyses différentes. Je présente ainsi une autre approche pour obtenir les données (de qualitative à quantitative ou l’inverse, selon la situation), la nature des données obtenues et ce qu’on pourrait interpréter de ce type de résultats. J’essaie de faire en sorte que les étudiants puissent envisager ce que chaque type d’approche fournit comme renseignement, comment elles peuvent être parfois complémentaires, mais qu’elles ne sont pas équivalentes et qu’elles ne mènent pas aux mêmes interprétations.

1.2.4 /

Orienter vers des ressources extérieures (cours ou ateliers) Déterminer rapidement ses besoins ou ses lacunes au moment de la rencontre de sélection aide à orienter l’étudiant rapidement vers des ressources ou des activités pour qu’il se perfectionne. À moins que vous ayez vous-­même développé une procédure que vous êtes la seule

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Encadrer aux cycles supérieurs

personne à pouvoir lui expliquer, l’enseignement concernant l’utilisation d’outils pour le traitement des données ne devrait pas relever de la responsabilité du directeur. La première solution à envisager serait de l’orienter vers des ressources externes pour qu’il aille combler les manques qu’il peut avoir à propos du processus d’analyse de ses données. Vous pouvez le conseiller sur certaines procédures ou sur des raccourcis efficaces, mais c’est pertinent lorsque l’étudiant est en mesure de ­procéder de façon ­autonome pour les analyses. Il y a toutes sortes de moyens, pour l’étudiant, d’acquérir les connaissances minimales suffisantes à son besoin qui ne dépendent pas de vous. Les ressources possibles peuvent être un auxiliaire de recherche, un autre de vos étudiants, un atelier offert par l’établissement, une rencontre organisée par un groupe de recherche, la consultation d’un service d’analyse (s’il en existe un disponible pour les étudiants), ou même un cours complet, si l’étudiant présente vraiment de grosses faiblesses. Dans ce dernier cas, il est évidemment avantageux de le savoir au début pour entrer ce cours dans la planification des activités de l’étudiant. Parfois, les besoins de l’étudiant peuvent être satisfaits en assistant à un certain nombre de périodes de cours pour qu’il acquière certaines connaissances de base nécessaires, sans qu’il ait à suivre la totalité des activités ni à faire les travaux ou les examens. Des professeurs à qui je décris ces situations sont parfois surpris que des étudiants puissent ne pas être préparés aux analyses ou encore aux outils pertinents, ou qu’on délaisse cette responsabilité à quelqu’un d’autre. Je considère, pour ma part, qu’un directeur ne doit pas compenser les lacunes ou le manque de connaissances des étudiants pour certains aspects qu’il « devrait » avoir appris. Si vous réalisez qu’un de vos étudiants a des faiblesses pour un type de logiciel ou d’analyse et qu’il aurait besoin d’un certain encadrement, vérifiez auprès de collègues s’ils ont aussi des étudiants qui ont ces difficultés ou demandez s’ils ont un étudiant (ou une autre ressource) qui peut offrir une formation ou fournir un accompagnement pour combler les lacunes. Dans certains cas, peut-­être que la présence d’un problème plus généralisé pourrait mener à l’organisation d’une activité pour plusieurs autres étudiants (les vôtres et ceux d’autres directeurs) et répondre à leur besoin en même temps. Il ne s’agit pas de laisser l’étudiant se débrouiller seul, mais de savoir mettre en place ou de déterminer les ressources que l’étudiant pourra utiliser. À cet égard, il faut redonner à l’étudiant la responsabilité qui lui appartient (chapitre 5, sections 4.1 et 4.2), mais lui donner aussi les ressources nécessaires lorsqu’il en a besoin.

290

Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

1.2.5 /

Faire anticiper des résultats (positifs ou négatifs) J’ai mentionné précédemment que certains étudiants avaient de la difficulté à envisager le type de données qu’ils allaient obtenir et que c’était souvent utile de les y préparer pour l’étape d’analyse. C’est encore plus important de le faire pour anticiper l’obtention de résultats « négatifs ». Il s’agit là d’une préparation importante pour l’interprétation éventuelle des résultats. Je recommande de revenir régulièrement sur cette possibilité avec ses étudiants, pour être certain qu’ils gardent en tête la possibilité que leurs résultats n’aillent pas dans le sens de ce qu’ils espéraient. Évidemment, il n’y a pas vraiment de résultats « négatifs » lorsqu’ils sont dans une démarche exploratoire, mais les étudiants ont quand même toujours un certain espoir de voir apparaître des informations donnant de la « valeur » (pour eux) à leur démarche. Je n’ai jamais rencontré d’étudiants qui étaient complètement détachés par rapport à l’orientation de résultats éventuels. Ils souhaitent tous une finalité qu’ils espèrent « positive ». C’est cette perception de finalité, lorsqu’ils me l’ont exprimée, que je tente de défaire ou d’amoindrir en leur suggérant des résultats inverses ou éloignés de ceux attendus. J’essaie ainsi de les préparer à autre chose que ce qu’ils espèrent pour discuter des suites éventuelles qui en résulteraient. Une autre approche est de leur demander avec quel type de résultats ils seraient insatisfaits ou déçus. Ça permet ainsi de connaître la façon dont ils envisagent leurs résultats. On peut les confronter à la possibilité qu’ils n’obtiennent aucune information leur permettant de documenter le sujet comme ils le prévoyaient et leur demander d’interpréter le sens que cela pourrait avoir par rapport à ce qu’ils savent du sujet, de ce que sous-­tend leur question de recherche, leur cadre conceptuel et leur méthodologie. On introduit alors l’interprétation à venir et du sens à donner à ces résultats, particulièrement s’ils sont contraires ou différents de ceux qui sont espérés.

2 / La collecte des données et l’expérimentation Cette étape se caractérise par une confrontation du projet à la réalité. La planification, aussi bonne soit-­elle, peut toujours se dérouler différemment de ce qui était prévu. Cette situation de la collecte des données ou de l’expérimentation peut aussi donner lieu à un certain nombre d’écarts ou de choix improvisés par l’étudiant, qui divergent de ce qui était prévu au départ, parce qu’il croit qu’il y gagnera en regard des données ou des résultats.

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Encadrer aux cycles supérieurs

2.1 /

Les facteurs problématiques

2.1.1 /

Situations non prévues Les étudiants ne sont pas nécessairement en mesure d’envisager les problèmes s’ils n’ont pas beaucoup d’expérience avec les outils ou les procédures utilisées. Avec l’appareillage et les instruments, les problèmes techniques peuvent venir contrecarrer des mesures pourtant attendues depuis longtemps. Avec les sujets humains, ce sont autant de situations inattendues qui peuvent se produire. Dans les milieux naturels, ce sont les aléas du climat, des circonstances, des évènements et des conditions environnementales qui peuvent changer les plans à la dernière minute. Ce sont des évènements qui se produisent lors de recherches menées par des chercheurs expérimentés. Il est alors tout autant possible que de tels évènements se produisent pour des chercheurs novices. Ce sont des situations qui requièrent souvent de rencontrer l’étudiant de façon rapide pour tenter de trouver des solutions à ce qui se passe. D’une certaine façon, il faut s’entendre avec l’étudiant sur ce qu’il doit faire dans le cas où des situations non prévues surviennent. On ne peut pas prévoir les évènements eux-­mêmes, mais il faut établir une procédure pour que l’étudiant nous fasse savoir qu’il rencontre des situations imprévues.

2.1.2 /

Prolongation de la démarche (délais non prévus) Dans certains cas, il est possible d’anticiper la présence de délais et de prévoir les procédures à mettre en place. Habituellement, ces délais ne sont pas dramatiques lorsqu’ils font partie du processus souvent normal de l’étape de collecte des données. Il se peut cependant que des délais surviennent alors qu’ils n’étaient pas prévus ou prévisibles. Ces délais peuvent avoir des répercussions importantes pour l’étudiant sans qu’il ait de contrôle sur la situation.

Avant l’époque d’Internet et du courriel, un étudiant avait planifié un voyage de trois semaines dans quelques villes en Europe pour accéder à des documents qui se trouvaient dans les archives de diverses bibliothèques. Son sujet nécessitait qu’il consulte de vieux documents et il s’était assuré qu’il allait pouvoir y accéder en contactant (par courrier traditionnel), plusieurs mois à l’avance, les personnes responsables des

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Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

archives dans les bibliothèques dans lesquelles ils se trouvaient. Après avoir reçu les accords nécessaires et déterminé des périodes précises de consultation, il entreprit son voyage. Malheureusement, à la première bibliothèque qu’il devait visiter, il apprit seulement une fois sur place que la section contenant les documents archivés était fermée pour deux semaines en raison de travaux de rénovation. Pour lui, tout son voyage se trouvait désorganisé parce que les ententes pour consulter les documents dans les autres bibliothèques n’avaient pas prévu qu’il modifie son horaire et cela entraînait aussi des changements dans ses billets de train et d’avion et des frais supplémentaires qu’il n’était pas en mesure d’assumer. Il a évidemment été pris au dépourvu et il n’avait pas su comment faire face à la situation. Il est revenu avec une portion seulement de son matériel.

Ce type de situation peut demander un contact rapide de l’étudiant avec son directeur parce que son manque d’expérience peut l’empêcher d’envisager des solutions. Évidemment, du fait que c’était avant Internet et le courriel, il n’avait pu recevoir l’information concernant les rénovations et il s’était retrouvé avec moins de possibilités de communiquer avec son directeur de recherche. Avec l’accès aux moyens de communication actuels, un tel problème peut apparaître anodin, mais à l’époque, c’était une situation beaucoup plus complexe. Quoi qu’il en soit, l’étudiant doit pouvoir joindre son directeur rapidement si un problème survient dans le contexte de collecte des données et c’est pourquoi il faut discuter avec l’étudiant des moyens et de la procédure pour vous contacter et vous faire connaître ses problèmes.

2.1.3 /

Manque de préparation ou improvisation Beaucoup d’étudiants vont sous-­estimer le degré de préparation nécessaire pour que l’étape d’expérimentation ou de collecte des données se déroule sans trop de problèmes. Souvent, ce manque de préparation est causé par l’impression que la tâche à exécuter ou la procédure à suivre est relativement facile, soit parce qu’elle a déjà été exécutée à l’occasion sans problème ou encore parce qu’elle se rapproche d’activités quotidiennes. Devant des difficultés, ils ne savent habituellement pas comment réagir. Ils peuvent improviser pour tenter de se soustraire à la difficulté ou éviter que ces difficultés aient des conséquences sur leur façon de procéder, ce qui peut rendre les données beaucoup moins valides ou pertinentes.

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Encadrer aux cycles supérieurs

J’ai entendu des directeurs se plaindre que les étudiants qu’ils encadraient avaient pris à la légère l’application de procédures précises dans des tâches de laboratoire qu’ils avaient dû apprendre. Les étudiants s’imaginaient que cela allait se dérouler sans problème, puisqu’ils savaient comment faire, mais sans mettre plus de préparation préalable pour s’assurer de bien maîtriser la procédure. Le même problème se rencontre souvent chez des étudiants qui doivent faire passer des entrevues et qui s’imaginent qu’ils n’ont qu’à poser des questions et enregistrer les réponses. Ceux qui prennent ces situations à la légère sont parfois déçus de se rendre compte qu’après quelques entrevues, ils sont passés à côté de certaines informations parce qu’ils n’avaient pas su relancer les propos des sujets, mais il est trop tard. D’autres fois, les étudiants ne s’en aperçoivent même pas eux-­mêmes et c’est le directeur qui s’en rend compte lorsqu’il observe les résutlats avec l’étudiant parce qu’il réalise que des éléments sont manquants ou que des pistes ont été laissées de côté. On peut le voir aussi dans les procédures de passation de questionnaires à des groupes, où la gestion de la procédure revêt une grande importance pour s’assurer de recueillir tous les questionnaires et de fournir les consignes de manière claire et de savoir répondre aux questions d’éclaircissement. Il n’est pas rare de réaliser que l’étudiant a donné des informations supplémentaires, à la suite de questions posées par les sujets, qui peuvent orienter les sujets vers des interprétations que d’autres groupes de sujets n’auront pas reçues. Lorsqu’on encadre des étudiants qui participent à la collecte de données de nos travaux, on s’assure habituellement de bien les préparer parce que les données qu’ils obtiendront concernent aussi notre recherche. Toutefois, les étudiants n’ont pas nécessairement la même rigueur pour leur propre recherche et ils ne sont souvent pas en mesure de saisir les conséquences du manque de préparation, particulièrement s’ils n’ont pas d’expérience en recherche.

2.1.4 /

Une dérive vers autre chose Une telle dérive peut se produire principalement pour deux raisons : un désir d’obtenir plus d’informations que ce qui était prévu pour répondre à des questions de recherche « non formulées », ou encore la « découverte » de données obtenues au début du processus d’expérimentation qui ouvre sur d’autres possibilités que l’étudiant veut approfondir sur-­le-­champ. Dans ces deux cas, l’étudiant veut aller au-­delà de ce que prévoyait la démarche initiale, mais les conséquences peuvent être néfastes pour le projet de l’étudiant.

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Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

Lorsque j’évoque cette situation, il arrive que des professeurs me disent qu’il faut laisser aller les étudiants puisqu’ils ont peut-­être mis le doigt sur quelque chose qui enrichirait le domaine. Effectivement, ça peut s’avérer positif, mais souvent, ça met en péril la réalisation du projet initial parce que l’étudiant n’est pas toujours en mesure de bien juger de la valeur de cette nouvelle piste. Ce « laisser-­aller » m’apparaît présenter des dangers pour la suite de la démarche de l’étudiant. Il faut rappeler que les étudiants poursuivent une maîtrise ou un doctorat pour obtenir un diplôme. C’est le but ultime. Décider en cours de route de changer ses questions, la façon de collecter ses données ou de modifier certaines procédures pose un risque important que les résutlats obtenus ne soient plus conformes à ce que la question de recherche visait. Il pourrait ainsi se retrouver avec des données fort intéressantes, mais qui ne cadrent plus du tout avec sa question de recherche et l’ensemble de sa problématique. Il lui faudrait alors revoir de façon significative le contenu de ses trois chapitres. Pire, il peut avoir délaissé la collecte des données recherchées pour se concentrer sur autre chose et se retrouver avec des données impossibles à analyser ou qui s’avèrent peu pertinentes et peu intéressantes au regard de ce qu’elles apportent au sujet. Selon les circonstances, il peut se retrouver à devoir reprendre son étape de collecte de données, ce qui s’avère parfois difficile ou même impossible, selon le contexte visé par la recherche.

Un étudiant avait longuement hésité pour choisir entre deux aspects à étudier d’une même situation. Son questionnaire avait été développé en fonction d’une thématique particulière parce que son directeur l’avait mis en garde contre la difficulté d’aborder les deux thèmes en même temps, en raison de l’ampleur que ça représentait par rapport à sa démarche. Lorsqu’il a commencé à poser ses questions à ses sujets à partir de sa grille d’entrevue, il a jugé utile d’ajouter des questions pour aborder l’autre aspect qu’il avait en tête, histoire d’aller « pêcher » un peu quelques renseignements sur le sujet. Puisqu’il rencontrait ses sujets à des intervalles de temps différents, il avait progressivement modifié des questions en y insérant, d’une fois à l’autre, des « nouvelles » questions qui lui semblaient intéressantes, mais celles-­ci mettaient progressivement en second plan l’objet même de sa recherche. Il était venu me consulter parce qu’il avait commencé à ressentir des signes d’anxiété et de panique. Il avait réalisé qu’après avoir rencontré ses sujets et mis par écrit le contenu de ses entrevues, les données

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Encadrer aux cycles supérieurs

obtenues ne cadraient plus vraiment avec sa question et sa problématique de recherche et il n’était même plus en mesure de faire les analyses à partir des concepts et des codes prévus à l’origine, puisque ses questions avaient progressivement orienté les réponses de sujets vers d’autres aspects que ce qu’il avait choisi au départ. Il ne savait plus quoi faire parce qu’il entrevoyait qu’il allait devoir tout recommencer alors que sa démarche avait déjà pris plusieurs semaines. Aucune rencontre n’avait été prévue avec son directeur et c’est l’étudiant qui devait le contacter lorsqu’il aurait complété ses analyses. Son anxiété avait commencé à apparaître lorsqu’il avait réalisé qu’il allait devoir tout recommencer et qu’il allait aussi devoir l’expliquer à son directeur qui attendait de ses nouvelles.

2.2 /

Les pistes d’intervention Le principe général d’intervention qui s’applique à cette étape consiste à suivre la progression de l’étudiant au moment de la collecte de ses données et dans la planification de celles-­ci. Il est plus facile de corriger des erreurs potentielles avant qu’elles ne se produisent que d’essayer de corriger des lacunes à la fin du processus de collecte des données.

2.2.1 /

Sensibiliser aux imprévus Sensibiliser aux imprévus signifie penser aux étapes charnières ou aux « dangers » de certaines procédures en raison de leur complexité ou de leur ampleur, et envisager les solutions possibles. Au moment de l’élaboration de la méthodologie et dans la préparation à l’expérimentation, il est utile de regarder avec l’étudiant les situations où des imprévus peuvent survenir, leurs répercussions, ainsi que les solutions possibles. Ce type de mise en contexte permet de sensibiliser l’étudiant aux réflexions à avoir dans la planification de son expérimentation et d’obtention de ses données. C’est aussi une façon d’informer l’étudiant sur ce qu’il peut faire, ou encore comment vous contacter si une telle situation se produit. Dans un premier temps, je recommande de demander à l’étudiant de faire lui-­même ce travail d’envisager ce qui peut aller mal, ce qui peut se produire d’inattendu et de penser au plus grand nombre de scénarios possibles. Parfois, les étudiants sont surpris par cette possibilité parce qu’ils ne l’avaient jamais envisagée. Leur première réaction est souvent

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Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

de craindre que n’arrive le pire. Ils deviennent cependant beaucoup plus conscients des enjeux et sont moins pris au dépourvu si quelque chose se produit. Si vous voyez d’autres problèmes possibles que ceux auxquels ils ont pensé, discutez-­en avec eux.

2.2.2 /

Pratiquer ou faire pratiquer On ne peut pas forcer l’étudiant à se préparer convenablement pour son expérimentation et l’encadrer en ce sens s’il n’en voit pas l’intérêt. Vous pouvez évidemment l’obliger à vérifier sa capacité de mener la collecte des données lorsqu’il s’agit de votre propre recherche à laquelle l’étudiant participe. Vous pouvez cependant faire valoir les problèmes potentiels qui peuvent survenir dans le cas où il prendrait un peu trop à la légère cette étape de collecte des données.

Tout au début de mon expérience d’encadrement, j’ai encadré un étudiant assez performant à qui je n’avais pas parlé de l’importance de se pratiquer (je ne le faisais pas, alors) et je ne voyais pas l’utilité d’aborder ce sujet avec lui, en raison de sa débrouillardise, et ce, même si c’était sa toute première expérience d’entrevues. Lorsqu’il m’a montré les transcriptions des entrevues avec les observations qu’il en avait tirées, j’ai réalisé alors qu’il n’avait jamais approfondi, par des questions de précisions, un aspect que la majorité de ses sujets lui avait mentionné. Il aurait pu ainsi obtenir beaucoup plus de détails et d’explications sur le sujet qu’il était pourtant en train d’étudier. Lorsque je lui ai demandé s’il avait approfondi ces réponses avec certains sujets en leur demandant d’expliquer ce qu’ils voulaient dire, il n’y avait jamais pensé parce que pour lui, les étudiants avaient répondu à sa question. Ça n’a pas présenté de conséquences trop négatives pour pouvoir analyser ses résultats et tirer des conclusions, mais il y a tout un pan de ce qu’il étudiait qui est demeuré « inconnu » parce qu’il n’avait pas su approfondir les réponses et relancer l’étudiant par rapport à certaines informations fournies. Il aurait pu mieux documenter et peut-­ être même préciser certains résultats, mais l’inexpérience de l’étudiant ne lui permettait pas de le voir. Je me suis rendu compte que j’aurais dû le faire pratiquer à faire préciser des réponses, si celles-­ci pouvaient donner des informations complémentaires.

297

Encadrer aux cycles supérieurs

À moins que ce ne soit dans un laboratoire où vous avez accès à un technicien qui peut accompagner l’étudiant pour vérifier sa capacité à mener la procédure expérimentale telle qu’elle est prévue, la plupart du temps, si vous voulez faire pratiquer l’étudiant à présenter ses consignes, répéter les étapes pour faire remplir un questionnaire ou encore tenir son entrevue et le faire pratiquer à poser ses questions et à approfondir les réponses, vous serez probablement la meilleure personne pour l’accompagner. Ça ne nécessite pas un temps énorme, mais cela demande malgré tout votre disponibilité.

2.2.3 /

Demander des rapports réguliers et explicites Je recommande de demander aux étudiants de faire rapport de la situation dès les débuts du processus2. Ça peut se faire par courriel si c’est plus facile, mais prenez soin de poser des questions sur les aspects qui peuvent être problématiques, même si l’étudiant vous informe que tout va pour le mieux. Parfois, les étudiants qui ont rencontré une situation difficile une seule fois vont interpréter que cette situation était « anecdotique » et ne vous en parleront probablement pas. Votre rôle, à cette étape, consiste à cibler les éléments qui peuvent nuire à la qualité des données obtenues et de proposer à l’étudiant des solutions ou des suggestions pour résoudre les difficultés. Si le déroulement de l’expérimentation ou de collecte de données se fait sur une certaine période, convenez avec l’étudiant des moments précis où il vous fera rapport, en plus de la possibilité qu’il vous contacte s’il rencontre une situation problématique. Le fait de déterminer ainsi des moments prédéfinis de retour sur sa démarche de collecte de données permet à l’étudiant de se sentir en confiance de vous contacter, même si les choses se déroulent adéquatement. Il se sentira encore plus à l’aise de le faire si des problèmes surviennent.

2.2.4 /

Être disponible Les professeurs qui sont responsables de laboratoires dans lesquels se déroulent les expériences savent que cette étape nécessite leur présence ou leur disponibilité pour pouvoir agir rapidement si des problèmes surviennent. Habituellement, ils sont responsables de l’infrastructure de recherche dans laquelle l’étudiant expérimente et les données sont souvent associées à la recherche dans laquelle l’étudiant s’inscrit.

2

Cette recommandation est évidemment peu pertinente lorsque l’expérimentation se déroule dans un lieu, comme un laboratoire, où le directeur aurait un bureau et pourrait suivre le déroulement de la démarche.

298

Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

L’importance d’être disponible pendant l’expérimentation ou la période de collecte des données de l’étudiant est cependant une suggestion qui devrait s’appliquer à tous les contextes et à toutes les procédures de recherche. Lorsqu’un étudiant entreprend son expérimentation, il est approprié de connaître exactement les périodes concernées afin de savoir à quel moment il est susceptible de nous contacter. La disponibilité peut s’exprimer de toutes sortes de façons, mais il est souvent préférable de déterminer à l’avance des moments de contact afin d’éviter que l’étudiant ne fasse appel à vous alors que vous êtes absent. Les directives qui sont suggérées dans le chapitre 4 concernant les ententes de suivi et de rencontres peuvent notamment être ajustées pour cette période ­d’expérimentation (section 1).

3 / L’accompagnement dans l’étape d’analyse des données L’étape d’analyse est habituellement assez simple puisque les procédures ont été déterminées à l’avance au moment de présenter le projet. Cependant, certains étudiants adoptent des comportements qui peuvent nuire à la progression de leur démarche au moment d’entreprendre concrètement les analyses.

3.1 /

Les pistes de difficultés

3.1.1 /

Multiplier les analyses

J’ai connu l’époque où l’on devait passer par l’étape des cartes perforées pour programmer des analyses statistiques sur des logiciels comme SPSS et SAS… Cela demandait de faire de la programmation et d’écrire les séquences et les lignes de programme pour enregistrer les données, commander les analyses et les « transcrire » sur des cartes. Chaque carte contenait une seule ligne de programmation et on devait respecter scrupuleusement la séquence et la syntaxe appropriée pour faire nos commandes. L’ensemble des données brutes devait ainsi être entrées sur les cartes. Les données pour un seul sujet pouvaient alors nécessiter plusieurs cartes et on entrait seulement les données, puisque le nom des variables et leur emplacement dans la séquence des informations transmises étaient indiqués sur une ou plusieurs cartes préalables.

299

Encadrer aux cycles supérieurs

On accumulait souvent des centaines (voire des milliers de cartes) qui comprenaient nos données, les variables ainsi que les commandes pour les analyses statistiques. Ces cartes étaient regroupées dans des boîtes (parce que c’était la façon la plus facile de les transporter), organisées et mises ensemble selon une séquence très précise, liées par d’énormes élastiques pour conserver l’ordre dans lequel le technicien allait les insérer dans le lecteur de carte pour transmettre les informations à l’ordinateur. On avait accès à un seul endroit pour déposer nos cartes qu’on remettait au technicien. Les cartes étaient soumises à l’ordinateur dans l’ordre des demandes qui étaient déposées dans l’espace prévu à cette fin. Notre « pile » pouvait être la deuxième, la huitième, la vingtième dans la file. On devait attendre parfois plus d’une heure (et parfois plus encore dans les périodes de pointe) avant d’obtenir les sorties de l’ordinateur. Le technicien remettait alors nos cartes et la sortie d’ordinateur qui en avait résulté dans un espace prévu à cette fin. On faisait la file pour vérifier si notre paquet de cartes avait été analysé. On savait alors si notre programmation contenait des erreurs qui avaient empêché le programme de procéder aux analyses. Si c’était le cas, il fallait trouver dans le document de sortie de l’ordinateur à quel endroit notre syntaxe ou la séquence des commandes avait pu poser des problèmes, mettre en évidence la ou les cartes perforées impliquées, corriger l’erreur en perforant une ou de nouvelles cartes, resoumettre notre pile, attendre encore la sortie et vérifier le résultat. Si aucune erreur de syntaxe ne s’était produite, on avait alors les résultats et on pouvait commencer à les analyser… à la condition que les commandes aient été faites pour les bonnes variables…

Je raconte cette anecdote pour illustrer que dans ces conditions, il était évidemment très hasardeux de tenter de faire de nouvelles analyses qui n’étaient pas prévues, puisque ce travail pouvait demander un temps énorme. Aujourd’hui, l’accès aux logiciels disponibles sur les ordinateurs personnels et leur convivialité d’utilisation facilitent grandement la possibilité de faire de nouvelles analyses pour tenter d’explorer plus à fond les données obtenues. Cela pose cependant un certain danger parce que les étudiants sont souvent tentés de procéder à des analyses qui les détournent de l’objectif de leur question, et de chercher dans les nouvelles analyses des résultats

300

Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

qu’ils jugent plus intéressants que ceux qu’ils ont obtenus. La multiplication des analyses peut faire en sorte qu’ils retardent l’étape de production de leur texte s’ils sont insatisfaits de leurs résultats. Cette multiplication des analyses est souvent causée par deux circonstances. La première circonstance fait suite à l’obtention de résultats « négatifs », c’est-­à-­dire des résultats qui sont contraires à ceux qui sont attendus ou espérés. Les étudiants peuvent avoir l’impression que leur recherche est un échec et vouloir essayer de trouver quelque chose d’autre qui rehausse sa valeur. Même s’ils ont été sensibilisés et préparés à l’obtention de résultats négatifs, ils voudront probablement quand même essayer de faire des analyses de toutes sortes pour tenter de trouver des résultats qui se cacheraient dans leurs données. L’autre situation est celle où ils obtiennent des résultats contradictoires ou qui « ne veulent rien dire ». Ce sont en fait des résultats qui ne permettent pas de tirer des conclusions claires ou qui vont dans différentes directions qui ne cadrent pas vraiment avec ce qui était attendu. Comme je l’ai évoqué précédemment, les étudiants ont habituellement une certaine idée du sens des résultats qu’ils espèrent. Cependant, le premier regard qu’ils portent à leurs résultats est souvent superficiel. S’ils ne voient pas instantanément une direction claire correspondant à leur idée de départ, ils considèrent que leurs résultats ne sont pas « significatifs » ou qu’ils n’ont pas de sens. Cette première impression est d’ailleurs souvent difficile à défaire parce qu’ils ne voient plus les autres explications possibles qui peuvent aller bien au-­delà de la première impression qu’ils en ont.

À la suite de l’obtention de ses données, qui étaient constituées de réponses à des entretiens portant sur une expérience à laquelle les sujets participaient dans le cadre d’un stage, mon étudiant était complètement découragé de voir que ce que les sujets disaient avoir appris était en fait une démarche qu’ils auraient dû avoir déjà compris depuis le début de leur programme. Il s’agissait d’une procédure qu’on leur apprenait à utiliser dès le premier trimestre et qu’on rappelait à chaque situation où ils avaient à développer une intervention. Sa première impression de ses résultats était que le stage ne servait absolument à rien et que, finalement, les étudiants n’apprenaient rien de ce qu’ils auraient dû apprendre. Selon lui, sa recherche n’apportait rien de neuf, elle démontrait tout simplement que le stage en question n’était pas utile.

301

Encadrer aux cycles supérieurs

Pour ma part, je trouvais au contraire que ces informations étaient très riches puisque cela permettait de situer la différence qui pouvait exister entre la conception que les enseignants avaient des activités et l’apprentissage que les étudiants en retiraient. Cela cadrait très bien avec sa problématique et sa question. J’y voyais là une indication importante pour aider à circonscrire la nature des apprentissages visés par l’entremise du stage et sa pertinence pour faire réaliser l’importance de cette étape dont ils n’avaient pas vraiment pris conscience ­auparavant, malgré la répétition et les rappels aux étudiants. J’ai dû faire un travail important d’encouragement et recadrer régulièrement les résultats par rapport à ce que l’étudiant espérait, pour lui faire voir comment ses résultats aidaient à comprendre pourquoi l’appropriation de cette connaissance ne se faisait pas avant, et pourquoi le stage prenait toute l’importance qu’il avait pensé y voir. L’étudiant revenait constamment avec différentes propositions pour essayer de regarder d’autres liens dans les propos des étudiants et pour essayer de faire ressortir des réponses qui soient plus « positives » ou « c­ onstructives » par rapport à la pertinence de l’activité. Il a finalisé son travail en faisant ressortir que les sujets avaient pris conscience de l’importance de cette étape en raison du cadre particulier que permettait le stage, mais son texte ne faisait pas ressortir autant de valeur à ce stage que ce que je voyais moi-­même, parce que mon étudiant demeurait déçu que le résultat ne soit que « ça ». Je ne suis pas intervenu pour ajouter des éléments à son interprétation parce que cela ne ­m’appartenait pas d’agir sur son texte (chapitre 11, section 4.1).

3.1.2 /

Retarder les analyses C’est une difficulté qui peut prendre longtemps avant d’être cernée, si l’on n’a pas mis en place un suivi plus serré de la démarche d’analyse. Retarder les analyses est habituellement une façon d’éviter ou de repousser une situation que l’étudiant anticipe de façon négative. Cela peut concerner la rentrée ou la compilation des données ou encore le processus d’analyse lui-­même. J’ai décrit précédemment la situation d’un étudiant qui n’était pas arrivé à faire les analyses parce qu’il ne savait pas comment procéder et qu’il n’en avait pas parlé à son directeur. Un étudiant qui ne sait pas comment faire certaines analyses prévues ou encore qui ne sait pas comment donner du sens aux résultats obtenus peut évidemment vouloir retarder au maximum le moment où il sera confronté à ses

302

Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

lacunes. Dans certains cas, les étudiants prendront des moyens détournés pour essayer de faire ce qui est attendu d’eux, sans jamais le mentionner à leur directeur.

J’ai rencontré plusieurs situations différentes où des étudiants venaient me consulter parce qu’ils étaient bloqués dans leur démarche, en raison des problèmes avec leurs analyses ; ils cherchaient un moyen de s’en sortir sans devoir passer par leur directeur. Un étudiant m’avait contacté parce qu’il cherchait quelqu’un pour faire ses analyses, moyennant une rémunération, parce qu’il ne connaissait pas le logiciel à utiliser (il n’en avait jamais parlé à son directeur). Il m’avait d’ailleurs rencontré parce qu’il se demandait si j’accepterais de les faire ! Un autre étudiant n’avait pas le logiciel nécessaire et il ne voulait évidemment pas débourser le montant pour se le procurer, mais il ne savait pas comment faire pour y avoir accès (sans l’avoir demandé à son directeur). Il avait dit à son directeur qu’il y avait accès parce qu’il croyait qu’un de ses amis l’avait en sa possession, mais il avait été impossible de pouvoir l’installer à son tour parce que la licence d’utilisation l’empêchait. Son ami n’était évidemment pas en mesure de lui laisser son ordinateur ou de cesser de l’utiliser. Il avait aussi essayé de trouver d’autres collègues qui l’avaient, mais sans succès. Il n’osait plus le dire à son directeur parce que cela faisait déjà plusieurs semaines qu’il aurait dû avoir complété les analyses et il craignait sa réaction en lui faisant savoir que finalement il avait « menti » concernant l’accès au logiciel3. Dans un autre cas, l’étudiant pouvait utiliser le logiciel et il avait eu le nom des analyses à effectuer, mais il n’avait aucune idée de la façon d’interpréter les résultats obtenus parce qu’il n’avait jamais fait ce genre d’analyses. Il avait bien les résultats, mais cela faisait plusieurs semaines qu’il retardait la rencontre avec son directeur parce qu’il ne savait pas comment lui dire qu’il ne comprenait rien à ce qu’il avait obtenu et le sens à en tirer.

3

J’y reviens dans le chapitre 14 (section 5.4), à propos de cette crainte de la réaction du directeur. C’est un facteur très important qui explique que des étudiants qui rencontrent des difficultés ne veulent pas le faire savoir à leur directeur, même si aucun indice ne peut laisser croire que le directeur aurait une réaction négative.

303

Encadrer aux cycles supérieurs

Aujourd’hui, l’accès aux logiciels eux-­mêmes ne représente plus vraiment un obstacle parce que la majorité des établissements ont une licence institutionnelle pour rendre les principaux logiciels d’analyse et de traitement accessibles à tous. Leur capacité de faire les analyses ou de comprendre le sens des résultats obtenus n’est cependant pas aussi grande. Il faut donc vérifier la capacité réelle de l’étudiant de faire le travail d’analyse et de lecture des résultats et l’inviter explicitement à nous faire savoir s’il ne connaît pas l’outil ou ne se sent pas à l’aise de l’utiliser.

3.2 /

Les pistes d’intervention

3.2.1 /

Déterminer des échéanciers précis L’étape d’analyse requiert la détermination d’échéanciers précis pour discuter avec l’étudiant de sa progression. Ces échéanciers servent aussi bien au directeur pour suivre la démarche de l’étudiant, que pour l’étudiant lui-­même qui a ainsi certaines balises temporelles à l’intérieur desquelles il doit produire ses analyses. Je suggère de discuter formellement avec l’étudiant des conditions dans lesquelles il procédera aux analyses et de vous entendre sur une date (plus près que loin) où l’étudiant vous fera part de l’avancement de ses analyses. En ce sens, c’est préférable d’avoir des nouvelles de l’étudiant avant qu’il n’ait envisagé d’avoir complété l’entrée de ses données et de ses analyses. Comme je l’évoquais dans les difficultés possibles, ce n’est pas une bonne chose de laisser l’étudiant procéder à l’entrée des données et à ses analyses sans faire un suivi de ce qu’il fait. Vous pourriez ainsi vous entendre sur la date où il envisage commencer l’entrée de ses données4 pour qu’il vous fasse rapport de la façon dont les choses se déroulent, et faire de même pour l’étape d’analyse proprement dite. Bien que ce soit avantageux de le faire pour tous les étudiants, même avec ceux qui semblent à l’aise avec le processus d’analyse, ce contact vous permettra de garder un œil sur ceux qui peuvent avoir certaines difficultés et qui tentent parfois de s’en sortir seuls, alors qu’ils bénéficieraient de recevoir de l’aide. Si l’étudiant ne vous a pas contacté comme il devait le faire, un courriel de rappel est approprié. Je le décris aussi plus loin, mais il y a une part de contrôle que le directeur devrait assurer sur la progression de son

4

Cela suggère évidemment que l’étudiant vous aura fait savoir qu’il a complété son processus de collecte de données.

304

Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

étudiant pour éviter l’installation d’une dynamique d’évitement de sa part (chapitre 14, section 5). Le fait d’être proactif envers l’étudiant peut aussi aider à éviter des situations où vous êtes pris à devoir agir à la dernière minute parce que vous êtes tout à coup aux prises avec des demandes que vous n’aviez pas envisagées.

3.2.2 /

Valider la mise en forme des données pour analyse Une autre façon de suivre le déroulement de l’étape d’analyse est de demander à l’étudiant de valider avec vous la forme qu’il pense donner à ses données et de les voir avant qu’il ne procède aux analyses. Dans n’importe quel type d’analyse, que ce soit des données numériques, des rapports d’entretiens, des informations tirées d’ouvrages pour des analyses de contenu ou encore des résultats d’observations, la mise en forme des données, pour être analysées, peut parfois faire une différence sur le plan de la facilité du traitement. C’est une étape importante pour laquelle les étudiants n’ont pas toujours les connaissances ou l’expérience suffisante pour le faire de façon optimale.

3.2.3 /

Demander de rapporter les observations au fur et à mesure Déterminer des échéanciers précis ou des dates de rencontre pour faire le suivi n’est pas toujours possible à planifier ou les horaires ne concordent pas toujours. Une façon simple de faire le suivi consiste à demander à l’étudiant de vous acheminer les résultats de ses analyses au fur et à mesure où il les produit, si elles sont nombreuses. Ça ne vous engage pas à les regarder tout de suite et à les vérifier, mais ça vous donne ­rapidement une indication de l’avancement de son travail. Demandez à l’étudiant de vous signifier dans son courriel la nature des analyses qu’il a faites et les premières observations qu’il peut en tirer. Vous aurez alors une idée de sa progression. Cependant, si l’étudiant a complété les analyses qu’il devait faire et que vous commencez à recevoir d’autres types d’analyses qui n’étaient pas prévues, il est alors pertinent de le rappeler à l’ordre et de lui proposer un moment de rencontre pour discuter des résultats qu’il a obtenus. L’étudiant peut poursuivre d’autres analyses, s’il le veut, mais il faut que vous vous arrêtiez sur ce qui était prévu et que vous en discutiez plutôt que de le laisser aller à ses inspirations. Par contre, si vous n’avez pas de nouvelles après un certain temps alors qu’il devait vous fournir d’autres résultats, ça peut valoir la peine de vérifier auprès de lui ce qui se passe par un simple courriel.

305

Encadrer aux cycles supérieurs

Dans la situation où vous lui demandez de vous acheminer les résultats, demandez-­lui de vous envoyer aussi un premier survol par écrit de ce que les résultats semblent suggérer. Il est avantageux de recevoir une description de ces résultats plutôt que de recevoir un fichier de résultats « bruts ». Il faut demander à l’étudiant de faire une première étape de traitement pour ne pas vous laisser le rôle de décortiquer les données pour lui.

3.2.4 /

Demander de justifier d’autres analyses Si l’étudiant évoque l’idée de procéder à d’autres analyses (ou s’il vous envoie des résultats associés à ces autres analyses), demandez-­lui de justifier ces ajouts en vous expliquant ce qu’il tente d’obtenir et comment ces nouvelles analyses s’inscrivent de façon cohérente dans son projet et comment elles respectent le sens de sa question de recherche. Comme je l’évoquais plus haut, le but de l’étudiant doit être de compléter son diplôme. Il faut donc l’aider à se centrer sur ses tâches pour y arriver dans les délais prescrits. Si l’étudiant est en mesure de justifier de façon pertinente l’ajout d’autres analyses, il est évidemment préférable qu’il les fasse. Autrement, il faut tenter de restreindre l’étudiant dans ses intentions. Habituellement, je leur demande de se concentrer sur ce qui était prévu pour avancer leur production des derniers chapitres et de remettre à plus tard les autres analyses qu’ils voudraient faire. Le fait qu’ils aient en main leurs données et qu’ils puissent faire toutes les analyses qu’ils veulent par la suite leur donne la liberté d’approfondir les données qu’ils ont obtenues à « temps perdu » tout en s’assurant qu’ils concentrent leur travail sur ce qui était prévu.

3.2.5 /

Demander des productions écrites organisées Au moment de partager les résultats obtenus, les étudiants ont parfois tendance à les envoyer sans nécessairement les traiter au préalable. Ils peuvent envoyer simplement les graphiques ou les tableaux compilés par le logiciel d’analyse, sans en faire une organisation ou les associer aux questions ou aux variables concernées. Je suggère de demander à l’étudiant de vous remettre une version préalable de ses résultats plutôt que de seulement vous en faire rapport oralement ou de les apporter avec lui sans vous en avoir fourni une copie au préalable.

306

Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

Cette exigence de produire un texte ou, au moins, une synthèse de ses résultats, oblige l’étudiant à faire un premier travail d’analyse plutôt que de s’en remettre complètement à vous. Ça oblige aussi l’étudiant à mettre en relation les résultats et les questions de recherche avant de vous les soumettre. Vous pouvez demander qu’il vous produise ses résultats selon une forme particulière, en fonction de ce que vous jugez pertinent pour la situation. Il se peut que l’étudiant ne sache pas trop comment les organiser et qu’il ait besoin de votre aide pour ce faire. Comme je l’ai souvent répété au fil des différents chapitres, cette exigence va aussi dans le sens d’amener l’étudiant à produire par écrit ce qu’il veut décrire plutôt que de procéder uniquement de façon orale lors de vos rencontres.

3.2.6 /

Faire produire au moins une partie des analyses Cette suggestion ne s’adresse pas à toutes les situations. Elle est valable principalement dans les cas où la recherche de l’étudiant s’inscrit dans une recherche plus globale et où l’analyse des résultats ou le traitement des données sont souvent effectués par une tierce personne. On le voit souvent dans des projets de recherches associés à des laboratoires ou à des groupes de recherche dans lesquels s’inscrivent les étudiants. On engage un analyste qui s’occupe de procéder aux analyses et au traitement des données. Les étudiants peuvent n’avoir qu’à collecter les données et les codifier et ensuite les transmettre à l’analyste qui en fera le traitement selon les directives ou les procédures prévues dans la recherche. L’étudiant ­pourrait alors ne jamais avoir à procéder lui-­même aux analyses. Dans le contexte où il est en situation d’apprentissage, il est grandement préférable qu’il procède au moins partiellement au traitement de ses propres données, même si une autre personne est habituellement responsable de le faire. L’apprentissage du processus de recherche devrait impliquer d’effectuer au moins partiellement la totalité des tâches liées à sa procédure ou à sa partie de recherche. Sur le plan de la rapidité et de l’efficacité, on peut considérer avantageux de confier la tâche à une personne qui est plus expérimentée, mais cela ne sera pas nécessairement profitable pour l’étudiant lui-­même. Si l’étudiant n’a pas à entrer ses propres données et à les analyser, il pourrait avoir l’air incompétent devant un employeur s’il ne sait pas faire la tâche alors qu’il aurait dû l’apprendre dans le cadre de son diplôme. On peut comprendre qu’un professeur n’a pas à faire le travail technique d’entrer lui-­même les données de ses recherches et de les analyser, mais il en est autrement lorsqu’on considère qu’un étudiant est dans un contexte de formation à la recherche.

307

Encadrer aux cycles supérieurs

4 / L’accompagnement dans l’étape d’interprétation des résultats 4.1 /

Les pistes de difficultés

4.1.1 /

Réécrire un chapitre d’analyse des résultats Les premières versions que les étudiants remettent de leur chapitre d’interprétation des résultats ressemblent très souvent à une « reformulation » de ce qu’ils ont écrit dans leur chapitre d’analyse des résultats. Ils ont souvent tendance à reprendre les mêmes observations et les mêmes descriptions des résultats en les décrivant de manière plus « verbalisée » au lieu d’en faire des tableaux ou des figures, comme ils ont pu le faire dans leur chapitre précédent. Ils ne fournissent cependant pas plus d’interprétations, d’explications ou de sens plus approfondis sur ce que les résultats veulent dire. Un étudiant va évoquer une relation « significative » s’il en obtient une, mais il ne décrira pas ce que cela veut dire sur le plan de son sujet et du sens à en tirer par rapport aux écrits et à sa question de recherche. Il ne fera souvent que paraphraser différemment la description qu’il aura déjà proposée dans le chapitre où il rapporte ses résultats.

4.1.2 /

Interpréter sans s’appuyer sur les écrits des premiers chapitres À cette façon d’« interpréter » des résultats, en répétant ce qui a été écrit dans le chapitre d’analyse, s’ajoute aussi le fait que les étudiants ont souvent de la difficulté à mettre en lien leurs résultats avec les références à partir desquelles ils ont rédigé leurs deux premiers chapitres. Ce faisant, la qualité de leur interprétation et les nuances qu’ils parviennent à tirer de leurs résultats laissent à désirer. Ils n’arrivent pas à faire le lien entre les arguments et les propos des auteurs, les résultats qu’ils ont obtenus et le sens qu’ils peuvent leur donner par rapport aux contextes qu’ils avaient pourtant décrits. Ils oublient d’ailleurs même parfois de mettre en relation les résultats et la question ou les questions de recherche qu’ils avaient énoncées.

4.1.3 /

Avoir une capacité d’interprétation limitée Il n’est pas rare que le directeur puisse interpréter les résultats bien au-­delà de ce que l’étudiant lui-­même parvient à observer. C’est évidemment tentant, pour un directeur, de faire ressortir du sens que l’étudiant ne voit pas pour enrichir son travail. C’est un aspect qui pose un défi pour le directeur, de ne pas substituer ou imposer ses observations à celles que

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Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

peut faire l’étudiant, même s’il croit qu’elles seraient plus intéressantes. Il faut que l’étudiant soit en mesure de comprendre et de formuler lui-­même les interprétations qu’il sait faire. Lui suggérer des interprétations qu’il ne voit pas lui-­même peut placer le directeur dans l’obligation de rédiger une part des explications pour qu’elles soient véritablement cohérentes. Le directeur doit au contraire tenter d’amener l’étudiant à faire la même lecture que lui des résultats sans l’imposer. Si l’étudiant demeure limité dans le niveau des interprétations qu’il parvient à formuler et qu’il n’arrive pas à s’approprier les pistes qu’on peut lui suggérer, il faut alors accepter les limites de l’étudiant.

C’est probablement la portion de la démarche de l’étudiant pour laquelle je dois restreindre le plus mes interventions lorsque je vois des interprétations possibles. Cependant, aller au-­delà de ce que l’étudiant parvient à « lire » lui-­même ou à expliquer de ses résultats nécessiterait habituellement que je détermine aussi les écrits que ces interprétations viennent confirmer ou nuancer. Cela serait alors ma propre interprétation basée sur mes connaissances et non pas sur celles de l’étudiant.

On pourrait être tenté de le faire aussi pour la situation d’une thèse, dans le cas où une interprétation n’est pas mentionnée par l’étudiant alors qu’elle nous apparaît significative. Dans ce cas, il faut discuter clairement avec l’étudiant de ce qu’il peut lui-­même interpréter et voir comment il peut en discuter. Même si l’étudiant trouve judicieux de l’insérer dans son texte parce que ça rehausse la valeur de son travail, il peut ne pas être en mesure de vraiment discuter de cette interprétation lors de la soutenance. Il est préférable de ne pas en parler, quitte à ce qu’un des évaluateurs y fasse référence lui-­même et en discute lors de la soutenance, plutôt que l’étudiant l’inscrive, mais qu’il ne soit pas en mesure de défendre son point de vue.

4.2 /

Les causes possibles

4.2.1 /

Ne pas avoir bien intégré les concepts ou les situations Bien que ça puisse sembler surprenant rendu à cette étape, il n’est pas rare que les étudiants aient des limites à pouvoir utiliser les concepts et les contextes décrits dans les chapitres antérieurs pour expliquer les données qu’ils ont eux-­mêmes obtenues. J’ai souvent observé une différence dans

309

Encadrer aux cycles supérieurs

la capacité des étudiants à pouvoir expliquer des concepts et mettre ensemble des contextes pour rédiger leur question de recherche, et ne pas savoir comment réutiliser ces mêmes informations pour tirer du sens de leurs résultats. Cette différence est due principalement à un degré d’intégration des connaissances qui n’est pas suffisant pour transposer des conceptions d’un contexte à son application dans un autre contexte. On se rapproche beaucoup d’une situation qui nécessite le transfert des connaissances, surtout lorsque la situation expérimentale ou de collecte des données s’éloigne de ce que les auteurs rapportés dans les premiers chapitres du mémoire ont pu utiliser. Les étudiants parviennent à rapporter le fruit de leur lecture pour composer une problématique et un cadre conceptuel par un processus de correction dans lequel le directeur est évidemment directement impliqué. Ces phases de corrections peuvent faire en sorte que le résultat produit est adéquat, mais cela n’assure pas pour autant que l’étudiant se soit vraiment approprié le sens approfondi des concepts et des idées exprimées dans les écrits, pour être en mesure d’y trouver des pistes d’explications des résultats qu’il obtient. C’est une situation semblable à celle qu’on pourrait retrouver si l’on engage un étudiant pour faire la recension d’écrits sur un sujet et que l’étudiant nous produit une synthèse de ses lectures. Cette synthèse constitue un travail d’organisation des idées et des thèmes qui sont évoqués, mais cela ne signifie pas pour autant que l’étudiant serait en mesure d’expliquer des résultats qu’on lui présenterait en utilisant les mêmes références qu’il vient de synthétiser. Il s’est attardé à analyser les articles lus pour en ressortir les informations importantes, mais il n’a pas nécessairement fait un travail d’intégration lui permettant d’extrapoler de ces idées des ­interprétations pour des données qui ne sont pas issues de ces mêmes textes. Pour faire le passage de la lecture et de la construction d’une problématique et d’un cadre conceptuel à une interprétation de résultats, il faut bien assimiler les connaissances et les rendre les plus « décontextualisées5 » possibles. Il existe ainsi un écart entre la capacité à mettre en relation des informations, à les décrire et à les expliquer avec les textes

5

La décontextualisation est un processus qui permet de sortir une connaissance de son contexte afin d’en déterminer les caractéristiques immuables d’un contexte à l’autre, pour qu’elle puisse devenir utilisable dans d’autres contextes. C’est une étape essentielle pour permettre le transfert plutôt que la simple application (Tardif, 1999).

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Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

en appui, et en tirer par ailleurs une compréhension suffisamment claire pour être en mesure de donner du sens à des éléments nouveaux qui n’ont pas été préalablement analysés. C’est là tout l’art de l’interprétation dans le processus de recherche.

Je me souviens d’un étudiant qui se disait « bloqué » par la production de son chapitre d’interprétation (ce n’était pas un étudiant que j’encadrais moi-­même). Il m’avait déjà consulté pour une autre difficulté dans une des étapes précédentes de sa maîtrise. Il avait étudié ses résultats avec son directeur et il en était à l’étape de les interpréter, mais il ne voyait pas comment. Son directeur lui avait exprimé que ses données étaient claires et qu’il ne lui restait qu’à mettre ensemble ses résultats et les aspects qu’il avait décrits dans son cadre conceptuel… Mais il ne voyait pas comment, et il ne voulait pas en parler à son directeur pour ne pas le décevoir. Il ne comprenait pas comment il pouvait s’inspirer des autres auteurs alors que ses résultats n’avaient pas fait l’objet de « recherches » antérieures ! C’est en discutant avec lui que j’ai compris qu’il avait été en mesure de produire tout à fait bien les premiers chapitres parce qu’il s’était concentré sur la synthèse des textes et à faire ressortir les éléments qui les reliaient et les distinguaient. Il disait bien comprendre les concepts et les contextes qu’il avait décrits, mais pour lui, c’étaient des aspects qui avaient du sens en fonction de ce qu’il avait lu… et il ne voyait pas comment on pouvait l’appliquer à ses données. C’étaient des situations complètement différentes. Il avait reçu un très bon appui de son directeur de recherche qui l’avait notamment beaucoup orienté pour sa méthodologie et les analyses à venir, mais une fois ses résultats obtenus, il ne savait plus comment procéder. Il avait une connaissance que je qualifierais de « rhétorique » des concepts et des contextes, parce qu’il les avait découverts dans les écrits. Il pouvait en discourir en les présentant les uns par rapport aux autres, mais le contenu et les concepts ne voulaient rien dire pour lui, sur le plan des données qu’il avait obtenues, parce qu’il les avait traitées à un niveau purement conceptuel, plutôt qu’en fonction de leur application dans le cadre des recherches.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Cet écart entre la capacité de décrire des concepts ou des contextes et leur lien avec des résultats m’est apparu particulièrement présent lorsque les étudiants devaient assimiler des théories ou des domaines qui leur étaient inconnus ou qu’ils n’avaient jamais approfondis auparavant. Je l’ai vu chez des étudiants de maîtrise, mais aussi chez des étudiants de doctorat qui intégraient un cadre théorique pour lequel ils n’avaient pas vraiment de connaissances ou que celles-­ci étaient demeurées plutôt superficielles. Les difficultés apparaissaient au moment de passer à l­ ’interprétation des résultats.

4.2.2 /

Avoir une vision morcelée de chacun des chapitres Cette absence de liens entre les chapitres peut s’expliquer de différentes façons. D’une part, il est possible que les étudiants ne voient pas de liens et de logique entre leurs chapitres parce qu’on ne leur a tout simplement pas expliqué qu’il pouvait y en avoir. J’ai souvent été surpris de voir combien d’étudiants ignoraient le fait que leurs chapitres devaient se construire sur des liens de cohérence entre la problématique, la question de recherche, le choix des concepts à décrire, les objectifs de recherche à atteindre, qui induisent ainsi les méthodes et le choix des analyses, pour obtenir des résultats qui soient cohérents avec la question posée au début et le cadre conceptuel, et qui devraient mener enfin à des interprétations qui s’appuient, nuancent ou se distinguent des écrits à partir desquels la recherche s’est construite. Il semble que c’est un aspect du processus et de la cohérence de la recherche qui est tenu pour acquis et dont l­ ’importance n’est pas toujours explicitement mise en valeur auprès de l’étudiant. À l’occasion, les étudiants considèrent la production de chaque chapitre comme autant de parties séparées d’un « gros » travail, sans y voir la nécessité de maintenir une vision globale générale et intégrée d’un processus de recherche. Ils vont différencier la recherche qu’ils veulent mener de la production des différentes parties du mémoire ou de la thèse à laquelle ils travaillent. Pour eux, la « recherche » n’est pas le travail requis pour produire les chapitres.

J’encadrais un étudiant qui avait rencontré plusieurs difficultés à compléter ses deux premiers chapitres et qui, au moment d’entreprendre la production de son chapitre méthodologique, m’avait affirmé avoir hâte d’arrêter de lire et d’écrire pour pouvoir « enfin faire de la recherche » !

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Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

Parfois, cette absence de liens entre les chapitres est aussi causée par la difficulté rencontrée pour produire chacun des chapitres séparément. Les efforts investis pour arriver à produire un seul chapitre suggèrent un problème d’intégration des connaissances, mais aussi une vision adéquate de ce que doit contenir le chapitre en question. N’ayant pas une idée claire du contenu et du rôle de chaque chapitre, les liens entre chacun ne peuvent évidemment pas être bien interprétés et les connaissances qu’ils contiennent peuvent aussi souffrir d’un manque d’appropriation suffisant pour mener à des interprétations nuancées. La vision morcelée des chapitres peut se produire notamment lorsque la production des textes de chaque chapitre a nécessité beaucoup d’interventions de corrections de notre part, pour aider à structurer et à rendre le texte le plus adéquat possible. En raison des lacunes dans les premières versions, on peut être amené à donner des suggestions très précises sur la façon de faire les liens entre les auteurs et les écrits, ce qui diminue les chances que l’étudiant s’approprie réellement personnellement les concepts et le contenu. Il peut être en mesure d’effectuer le travail qu’on lui demande d’exécuter, de suivre les indications qu’on lui fournit, mais il n’en retirera pas nécessairement les apprentissages nécessaires pour qu’il puisse éventuellement utiliser ces connaissances par la suite, au moment de l’interprétation.

4.2.3 /

Expliquer les données et les résultats par eux-­mêmes Cette façon de voir les résultats provient parfois de la vision morcelée des différentes parties produites auparavant, mais elle peut aussi provenir d’une perception que l’interprétation doit se faire sans appui des écrits, comme si le fait de faire référence aux écrits ne permettait pas de faire une contribution « originale ». Certains étudiants considèrent que le véritable travail d’interprétation consiste à proposer des explications à partir de la procédure elle-­même ou de leur compréhension des résultats, et non en fonction de la comparaison avec ce que les écrits pouvaient suggérer. S’ils ne s’inspirent pas des auteurs et des écrits, ils vont chercher à expliquer les résultats en fonction des procédures utilisées pour obtenir les données ou en fonction des résultats entre eux. Les liens qu’ils présentent sont des liens surtout logiques. Exemple : Il n’est pas surprenant que les élèves se distinguent de la position de leurs parents parce qu’ils avaient déjà donné des réponses en ce sens aux questions précédentes.

313

Encadrer aux cycles supérieurs

Ils peuvent aussi être de pertinence méthodologique. Exemple : L’entretien avec les sujets a permis de répondre à la question de recherche parce que leur réponse a fait ressortir clairement les trois concepts qui sont associés à la notion chez les élèves. Mais ces explications ne fournissent aucune explication supplémentaire sur le plan théorique ou conceptuel. Le fait de demander à l’étudiant de se référer aux écrits ne l’aidera pas nécessairement, parce qu’il ne verra pas dans les écrits des pistes d’explications, surtout lorsque les écrits n’ont pas fait référence à des contextes de recherche similaires à ceux utilisés.

4.3 /

Les pistes d’intervention Le problème de l’interprétation doit être le plus souvent résolu par une préparation à l’interprétation à partir des connaissances et des contenus dans les étapes précédentes.

4.3.1 /

Anticiper l’interprétation à partir des auteurs déjà déterminés Il a été question, pour accompagner l’étudiant dans l’étape d’analyse de ses résultats, de le préparer à anticiper un certain nombre de résultats et la forme qu’ils prendraient. Dans ce sens, on peut lui demander de faire des liens entre ce que les recherches qu’il a décrites proposent par rapport aux concepts ou aux situations visées et ce qu’il pense obtenir comme résultats. On peut utiliser certaines questions pour l’aider : • « Si tu obtenais des résultats qui montraient que c’est cette notion qui ressort le plus de tes données, quel auteur ou quels auteurs6 parmi ceux mentionnés suggéreraient que le sens pouvait être interprété de la sorte ? » • « Est-­ce que ça va dans le sens qu’ils indiquaient ou les résultats seraient-ils un peu différents ? » • « Est-­ce que d’autres auteurs ou d’autres recherches suggèrent quelque chose de différent par rapport à ce que tu anticiperais ? »

6

Je recommande la plupart du temps de formuler le choix « d’un ou de plusieurs » afin de forcer l’étudiant à vérifier les réponses possibles plutôt que d’être influencé par le fait que vous dites qu’il n’y en « qu’une » ou qu’il y en a plusieurs.

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Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

• « Si tu obtenais une différence significative entre ces deux situations, quel auteur ou quels auteurs avaient indiqué qu’il pouvait y avoir une telle différence ? » • « Comment expliquerais-­tu cette différence si tu t’appuies sur le modèle que tu as décrit au chapitre 2 ? » • « Comment le modèle permettrait-­il de justifier que tu aies une différence significative entre tes deux groupes ? » • « Et s’il n’y a pas de différence, est-­ce que le modèle permet aussi de l’expliquer ou bien cela irait un peu à l’encontre de ce que le modèle propose ? » • « Si ça va à l’opposé du modèle, est-­ce qu’il y a un ou des auteurs qui suggéraient des explications qui vont dans le sens de tels ­résultats ? », etc. Les exemples de questions soumises ici ne sont qu’un échantillon de ce qui peut être demandé à l’étudiant. Le principe de ce questionnement est de le forcer à retourner à ses sources pour tenter d’anticiper comment il pourrait expliquer ce qu’il est susceptible d’obtenir. On peut lui demander de partir des auteurs, de ses articles, des modèles, d’autres explications, etc. C’est aussi un bon moyen de vérifier si l’étudiant a vraiment intégré les notions et les contenus des textes, s’il a été capable de s’approprier véritablement les concepts ou s’il a simplement transposé ses notes par écrit sans assimiler le contenu des recherches et les modèles. Évidemment, on doit s’attendre à ce qu’il revienne aux textes (ou à ses productions) pour répondre plutôt que de pouvoir le faire de mémoire. L’idée est de vérifier s’il est en mesure de faire un lien entre des résultats à venir et ce qu’il a intégré dans ses chapitres. Une incapacité à mettre en relation les auteurs ou les modèles avec des résultats possibles exigerait que vous lui demandiez de retourner à ses lectures pour trouver des pistes d’interprétation.

4.3.2 /

Faire relire les deux premiers chapitres avant de discuter de l’interprétation Bien qu’on ait pu travailler à anticiper les interprétations au moment de la finalisation du chapitre de l’analyse des résultats, je suggère toujours de faire relire les deux premiers chapitres (et le troisième si la méthodologie peut avoir une incidence particulière parce qu’elle est issue d’un cadre qui peut aider à expliquer des résultats) avant de passer à l’étape d’interprétation, lorsque les résultats ont effectivement été obtenus. Ce

315

Encadrer aux cycles supérieurs

retour en arrière est avantageux parce qu’il se sera passé parfois quelques mois entre la production de ces deux chapitres et l’étape d’interprétation des résultats. C’est une façon simple d’amener l’étudiant à se remettre en tête le contexte précis de sa recherche et des sources possibles d’interprétation. À cette étape, il connaît ses résultats et ce sera peut-­être plus facile de trouver des liens avec les écrits. Il ne doit pas seulement « lire » ses deux chapitres, mais avoir ses résultats en tête pour essayer de voir comment ce qu’il a écrit peut l’aider à trouver des explications à ses résultats.

4.3.3 /

Discuter des interprétations avant que l’étudiant ne tente de rédiger le chapitre Une façon d’évaluer de quelle façon il pense interpréter ses résultats consiste à lui demander ses interprétations au moment même où vous discutez de ses résultats, notamment à partir de la révision des corrections de son chapitre des analyses, avant d’entreprendre la rédaction formelle de la partie sur l’interprétation. Cela permet ainsi d’évaluer s’il a déjà pensé à certaines pistes d’interprétation et sinon, de l’orienter vers certains auteurs ou certaines interprétations. Il est toujours préférable qu’il vous soumette ses interprétations avant que vous en discutiez ensemble pour éviter que l’étudiant ne construise son argument et sa compréhension uniquement à partir de vos échanges (chapitre 6, section 3.3 ; chapitre 8, section 4.5). Ces échanges ne doivent pas être simplement « oraux », mais ils doivent prendre appui sur une formulation écrite de l’étudiant qui décrit les interprétations qu’il fait et ce sur quoi il s’appuie. Il ne s’agit pas nécessairement de lui demander de construire tout le chapitre, mais de formuler ses idées par écrit et d’énoncer les auteurs sur lesquels il se base. Cela permet notamment d’éviter qu’il mette beaucoup de temps à produire son chapitre et que le résultat des interprétations proposées ne soit pas satisfaisant. Ça peut être de simples explications sans entrer dans un texte formel, mais la description écrite demeure avantageuse. Si l’étudiant ne vous fournit aucune interprétation ou que celle-­ci n’est pas pertinente, retournez-­le à ses lectures afin de vous assurer qu’il aura fait un premier travail d’interprétation personnelle plutôt que d’essayer tout de suite de lui en proposer ou qu’il tente de produire le texte de son chapitre.

316

Chapitre 10 / L’accompagnement dans l’analyse des résultats et leur interprétation

4.3.4 /

Accepter les limites Cette suggestion n’est pas vraiment une façon d’aider l’étudiant, mais cela demeure parfois la seule solution possible à sa difficulté à formuler des interprétations. Le contexte de l’interprétation des résultats peut éventuellement mener à une impasse et on ne peut aller au-­delà de ce que l’étudiant lui-­même peut faire pour interpréter ses résultats. Il faut évaluer si ce qu’il propose est suffisant par rapport à son sujet et par rapport au domaine, pour juger si son travail sera malgré tout accepté au moment de son évaluation. Cela fait partie des situations où le jugement du directeur est important pour mesurer le degré de maîtrise de la démarche. Personnellement, je n’ai jamais assisté à une situation de rejet d’un mémoire ou d’une thèse si la partie la plus faible était la partie de l’interprétation. Si on craint cette situation, il faut alors évaluer de quelle façon on peut aider l’étudiant à atteindre le niveau d’interprétation espéré. Il se peut que le travail à faire soit important. Il faut cependant éviter de trop « agir » à la place de l’étudiant sur le plan de la rédaction (chapitre 11, section 4), parce qu’il y a des risques que les correcteurs remettent en question la provenance de ces interprétations si elles semblent aller au-­delà du niveau du reste du travail, ou que certaines parties soient beaucoup mieux articulées et précises.

317

Chapitre 11 /

L’accompagnement dans la production du texte Le processus de correction

Le texte que l’étudiant produit (le mémoire ou la thèse) demeure le moyen de prouver qu’il a atteint les finalités visées par son diplôme 1. Malgré toutes les discussions et les échanges que vous aurez pu avoir avec votre étudiant sur sa connaissance de son sujet, c’est seulement par ses écrits que vous pouvez vraiment mesurer son degré d’atteinte des objectifs visés par son diplôme. Je rappelle qu’il est nécessaire de faire écrire l’étudiant le plus tôt et le plus souvent possible pour développer son habileté à exprimer sa pensée et ses connaissances par écrit (chapitre 8, section 1). La seule façon de mieux écrire est d’écrire plus et de se faire corriger. Cela signifie qu’il faut donner à l’étudiant le plus de rétroactions possibles sur la forme et le contenu de ce qu’il écrit et de le faire écrire le plus souvent possible. Je ne traiterai pas ici de différentes approches relatives à l’entraînement à l’écriture ou des conseils pour augmenter la capacité de produire des étudiants. Je ne pense pas que ce soit le rôle du directeur d’agir en ce sens de manière systématique, à moins que ce ne soit pour répondre à des demandes explicites de l’étudiant. Il existe de nombreux ouvrages sur le sujet. Vous pourrez lui faire vos recommandations ou encore l’orienter vers quelques lectures appropriées. L’étudiant pourra aussi faire ses propres recherches et tenter de trouver les façons de faire qui lui conviennent le mieux. J’ai longtemps hésité à aborder la thématique de la correction des textes des étudiants dans les formations et les ateliers destinés aux directeurs de recherche. Il me semblait que c’était quelque chose qui devait

1

Le mémoire ou la thèse par article implique un certain nombre de productions qui peuvent différer un peu de la forme traditionnelle du travail remis, mais elles n’en constituent pas moins la production d’un texte qui doit être entériné par une évaluation d’un comité d’évaluation composé d’un certain nombre de personnes.

Encadrer aux cycles supérieurs

être connu de tout le monde. Au fil des rencontres et des échanges, j’ai réalisé que beaucoup de professeurs avaient de la difficulté avec cet aspect parce qu’ils se questionnaient constamment sur ce qu’il était « permis » ou « acceptable » de faire sur le travail de l’étudiant et sur les façons de ­diminuer le temps passé à corriger. Plusieurs contextes peuvent expliquer ces difficultés. Premièrement, dans beaucoup de disciplines, la forme écrite du mémoire ou de la thèse représente probablement un contexte de correction fort différent de ce qui se fait pour les modalités d’évaluation habituelles. Les examens et les travaux des étudiants de génie, de mathématiques, de biologie ou d’autres domaines en sciences naturelles et appliquées, particulièrement au premier cycle, sont rarement constitués de productions dans lesquelles l’écriture de textes constitue la forme la plus importante d’expression. L’accompagnement à la production de textes par la correction ne fait donc pas partie des pratiques fréquentes des professeurs avant qu’ils n’aient à corriger des productions liées au mémoire ou à la thèse. Il en résulte que des professeurs ne savent pas toujours comment aborder cette partie du travail. Enfin, mis à part le domaine de l’éducation, les professeurs ne sont pas formés sur le plan pédagogique pour développer des mesures d’évaluation qui s’apparentent à de l’évaluation formative et ils peuvent être tiraillés entre l’accompagnement qu’ils doivent offrir et la sanction qui fait aussi partie de leur rôle. Accompagner dans la production du texte par la correction implique d’avoir une approche relativement systématique de correction des textes pour que l’étudiant y trouve les informations pertinentes pour améliorer sa production (forme et contenu) et pour aider à cibler les lacunes et les aspects qui demandent une attention particulière. Cette démarche est décrite dans les prochaines pages. Il m’apparaît cependant important de commencer ce chapitre en parlant du choc de la correction que vivent probablement tous les étudiants aux cycles supérieurs, parce que le choc de la correction et ses conséquences sont souvent sous-­estimés par les directeurs de recherche.

1 / Le choc de la correction Peu importe l’expérience antérieure du rédacteur, ce « choc » de la correction demeure présent et affecte, à des niveaux divers, tous ceux dont les productions doivent passer par un processus d’évaluation (même les professeurs qui soumettent leurs premiers articles…) !

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Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte

Ce processus de correction représente une épreuve particulièrement difficile à vivre pour les étudiants pour différentes raisons. Premièrement, pour ceux qui entreprennent une maîtrise et qui proviennent du premier cycle, leur expérience scolaire antérieure est composée de travaux ou d’examens qu’ils ont produits et pour lesquels ils ont reçu des notes. Point. La qualité de ce qu’ils ont produit était probablement suffisamment bonne pour que les notes reçues leur donnent accès aux cycles supérieurs, mais ils n’ont habituellement jamais eu accès à une version corrigée de leur travail qui ferait ressortir toutes les erreurs et les lacunes avec le but de le reprendre pour l’améliorer. Ils ne sont donc pas préparés à recevoir une telle rétroaction. Deuxièmement, la correction ne vise justement pas à cerner seulement les points faibles, mais c’est un processus qui devrait amener l’étudiant à retravailler sa production pour la rendre meilleure. Cela implique donc plusieurs étapes consécutives de correction et de révision qui ajoutent un effet négatif supplémentaire puisqu’il se répète d’une fois à l’autre, jusqu’à la production jugée adéquate. Les étudiants qui entreprennent un doctorat ont parfois l’impression que leur expérience de la maîtrise leur évitera de telles corrections, parce que leur production sera bien « meilleure ». Elles sont habituellement effectivement de meilleure qualité, mais cela ne diminue pas nécessairement le nombre de corrections et de commentaires des premières versions. Certains auront plutôt l’impression de régresser dans leur rédaction et pourraient parfois même remettre en question leur capacité de poursuivre, croyant que la quantité de correction, malgré leur expérience, démontre qu’ils ont atteint leur niveau d’incompétence. Au cours de mes années de consultation, j’ai rencontré plusieurs étudiants qui étaient défaits de voir la quantité de corrections, de ratures et de commentaires pour un texte qu’ils avaient pourtant cru être à la hauteur. Évidemment, si ces corrections sont fournies par leur directeur de recherche à la toute fin du processus alors qu’il n’a jamais corrigé ou commenté adéquatement les productions antérieures de l’étudiant, il est compréhensible que les étudiants en soient affectés. Il m’est arrivé régulièrement de devoir corriger de fausses impressions d’étudiants qui venaient me consulter parce qu’ils pensaient abandonner ou changer de direction de recherche. Ils croyaient que leur directeur leur en voulait et qu’il tentait de les décourager de poursuivre en multipliant les corrections et les commentaires, version après version. Chaque fois, ils pensaient que la version soumise était la bonne alors que les corrections reçues indiquaient qu’il y avait encore beaucoup de travail à faire. On ne leur avait jamais expliqué la raison d’être du processus de correction et la nécessité de corriger une même version plusieurs fois. 321

Encadrer aux cycles supérieurs

Au cours des formations et des ateliers offerts aux directeurs de recherche, je rappelle l’importance de porter une attention particulière à préparer ses étudiants au découragement que peuvent provoquer les nombreux commentaires et corrections que comportera leur texte, et ce, dès la première rencontre où l’on accepte d’encadrer l’étudiant.

Quand j’accepte d’encadrer les étudiants, je leur présente toujours une première version corrigée du premier chapitre d’un de mes anciens étudiants qui comporte un très très grand nombre de corrections et de commentaires et je leur présente ensuite la version « finale » du même chapitre, dans le mémoire terminé. Cela permet de leur faire comprendre que les premières expériences de rédaction ne sont jamais aussi valorisantes que les expériences antérieures qu’ils ont pu vivre. Je montre la version corrigée d’un chapitre sur mon écran d’ordinateur pour qu’ils voient la quantité potentielle de corrections qu’ils recevront et pour leur donner un avant-­goût visuel associé à l’utilisation des couleurs pour les corrections et les commentaires. Ils peuvent ainsi visualiser à quoi ressemblera probablement leur texte corrigé quand ils le recevront, et je leur explique comment je procède lors de la correction des productions.

Il faut aussi penser refaire ces mises en garde aux étudiants au moment de leur retourner les premières versions corrigées ou lorsque le nombre de corrections est particulièrement important. À moins qu’il y ait des indices d’un mauvais travail ou d’un manque d’effort de leur part pour effectuer les corrections ou les modifications demandées dans leur version précédente (section 8), je m’assure de leur rappeler que leur travail est en processus d’amélioration et de bonification et je fournis habituellement des encouragements par rapport à ce qui a été amélioré depuis la dernière fois.

J’intègre ici quelques exemples d’échanges de courriels que j’ai eus avec certains étudiants, au moment de leur transmettre mes corrections, afin d’illustrer comment ces mises en garde peuvent les aider à surmonter le choc que les corrections peuvent créer. Les extraits transmis et les réponses des étudiants sont recopiés tels quels.

322

Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte

Exemple 1 Moi

Voici mes commentaires et corrections ! Je veux tout de suite te dire de ne pas considérer le nombre de commentaires et de « corrections » comme étant un signe d’une mauvaise qualité de ton travail ! Au contraire, […] tu as tout ce qu’il faut, il s’agit maintenant surtout de le développer sur certains aspects et de le traiter selon les thématiques mentionnées dans le plan. Bravo !

Étudiant

Ouf… J’ai pris note de vos commentaires et les apprécie… mais je suis tout de même content de les avoir eus avant notre rencontre… La pilule sera passée demain !

Exemple 2 Moi

Je te suggère d’ouvrir le premier fichier (problématique troisième version) pour que tu voies que j’ai fait très très peu de corrections ! Pourquoi je te suggère cela ? Parce que dans le deuxième document (proposition), j’ai travaillé l’ordre des sections du chapitre […], ce faisant, en changeant chaque paragraphe de place, ils se trouvent barrés, dans le mode révision. C’est ce qui donne au texte l’impression qu’il n’y avait rien de bon, alors que tout le contenu était là ! D’où la suggestion que tu regardes le premier fichier en premier !

Étudiant

Bonjour M. Bégin, dans un premier temps, merci d’avoir précisé d’ouvrir le premier document, avant le second… J’aurais probablement fait une attaque en ouvrant le deuxième en premier  !

Exemple 3 Réaction d’un étudiant à la suite de l’envoi de mes corrections : Étudiant

À la lecture de vos commentaires, il me semble maintenant évident que je n’arriverai pas à une version définitive de mon cadre théorique avant le début de vos vacances… ! Vos commentaires (généreux !) me seront d’une grande aide, mais vu l’ampleur de la tâche… ouf ! il me semble clair que je dois retourner à la tâche avant d’en arriver à une première version qui serait somme

323

Encadrer aux cycles supérieurs

toute « acceptable ». […] Un grand merci, même si la lecture de vos commentaires a été un peu « raide » ce matin… Moi

Je crois que ton ambition était très grande et je ne m’attendais pas à ce que tu aies le temps de tout terminer… même si je savais que le courriel allait avoir un effet… disons… démobilisateur… Je ne crois pas impossible que tu puisses produire quelque chose de structuré rapidement… (ce n’est pas une demande, c’est une impression), étant donné que cela ne serait qu’une « ébauche », même si je sais qu’intérieurement, les étudiants envoient toujours des « ébauches » en souhaitant très fortement que mes commentaires indiquent que ce soit finalement plus que ça ! Mais tu peux avancer sur le concept de réussite et pour moi, ce serait déjà un pas important !

Étudiant

Cher M. Bégin, si vous saviez comme ce courriel me fait du bien… Vous comprenez tout à fait vos étudiants ! Je travaillerai sur le concept de réussite et attendrai votre appel à la maison vendredi matin.

2 / La nécessité de corriger « sévèrement » dès le début J’ai mentionné à différents endroits dans les chapitres précédents que l’étudiant devait développer des habiletés de rédaction propres au style scientifique, aussi bien sur le plan de la forme que du contenu. C’est la raison pour laquelle vous ne devez pas corriger ce que l’étudiant fait en variant le degré de « sévérité » que vous y mettez, en fonction de l’importance de ce qu’il produit ou de l’étape de production où il est rendu. Mis à part quelques productions pour lesquelles le style et la structure n’ont pas vraiment d’importance, il est préférable de corriger chacune des productions de l’étudiant avec la même sévérité et la même rigueur, comme s’il s’agissait de sa dernière version, même si l’étudiant vous ­signifie qu’il s’agit d’une ébauche. Certains professeurs expriment leur hésitation à corriger de la sorte, dès le début, parce qu’ils craignent que le nombre d’erreurs et de commentaires important dans les premières versions ait un effet dissuasif et de découragement de l’étudiant à poursuivre. Ils indiquent préférer

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Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte

une correction « progressive », c’est-­à-­dire devenir de plus en plus sévère à mesure que l’étudiant gagne en expérience et maîtrise de mieux en mieux son sujet. Les rencontres que j’ai eues au fil des ans avec les étudiants suggèrent que cette approche a plutôt l’effet inverse à celui attendu. Lors d’ateliers sur le processus de rédaction, les étudiants exprimaient souvent leur découragement dans le fait que les premières versions qu’ils avaient remises semblaient présenter peu de problèmes alors qu’à mesure qu’ils progressaient dans leur travail, le nombre de corrections et de commentaires augmentait au lieu de diminuer, ce qui leur laissait l’impression qu’ils régressaient sur le plan de leur texte ou encore que leur directeur les « punissait » en devenant plus sévère sans qu’ils ne sachent pourquoi. En temporisant ainsi la sévérité des corrections ou en corrigeant des aspects différents du texte, d’une fois à l’autre (par exemple, corriger la structure du texte dans la première version remise par l’étudiant, puis la syntaxe ou le style dans une deuxième version du texte, puis autre chose dans la troisième version, etc.), l’étudiant ne comprend pas pourquoi quelque chose qui était « bon » la première fois (puisque ça n’avait fait l’objet d’aucun commentaire ou correction) devient tout à coup incorrect et qu’il faille le changer. De plus, le fait de ne pas corriger sévèrement au début peut amener une progression moins rapide dans la qualité de la production, puisque l’étudiant ne modifie pas tout de suite tout ce qui devrait être modifié. Enfin, l’étudiant ne verra pas la progression de la qualité de son texte si, d’une fois à l’autre, vous corrigez des choses différentes ou si vous augmentez le degré de sévérité.

Je demande habituellement à mes étudiants de rédiger une ébauche de leur problématique qui sert souvent à formaliser par écrit l’organisation des informations recueillies au fil de leurs lectures, pour les amener rapidement à produire une première version de leur texte (chapitre 8, section 1). Je corrige alors cette première version de manière aussi sévère que s’il s’agissait d’une version définitive. Évidemment, je les « prépare » à prendre connaissance de ces corrections, mais cela me permet de déterminer tout de suite les problèmes, les lacunes ou les forces sur le plan de la rédaction et de pouvoir agir rapidement auprès de l’étudiant si des problèmes particuliers apparaissent. Sauf dans de rares exceptions, le nombre de commentaires et de corrections ­diminuera avec les versions.

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Encadrer aux cycles supérieurs

À titre indicatif, je fournis ici le nombre de commentaires pour différentes versions de chapitres du projet de recherche de certains de mes étudiants. Cela ne comprend évidemment pas les corrections directement inscrites dans le texte, mais le nombre de commentaires est un indice significatif du degré de corrections à faire, puisque je commente la plupart du temps les corrections que je demande ou les ajustements à apporter, particulièrement dans les premières versions. Ces chiffres indiquent la version du chapitre, le nombre de pages produites par l’étudiant et le nombre de commentaires. Je fournis d’ailleurs parfois ces données à des étudiants, si je sens qu’ils sont ­découragés par les corrections après une deuxième version. Michel2/chapitre de la problématique Ébauche : 6 pages = 24 commentaires Version « 2 » : 11 pages = 18 commentaires Version « 3 » : 14 pages = 3 commentaires Michel/chapitre de l’analyse des résultats3 Ébauche : 13 pages = 40 commentaires Version « 2 » : 14 pages = 10 commentaires Version « 3 » : 15 pages = aucun commentaire (que quelques corrections directement dans le texte) Simon/chapitre de la problématique Ébauche : 7 pages = 29 commentaires Version « 2 » : 24 pages = 58 commentaires Version « 3 » : 20 pages = 12 commentaires Version « 4 » : 22 pages = 1 commentaire Pierre/chapitre de l’interprétation des résultats Ébauche : 9 pages = 15 commentaires Version « 2 » : 14 pages = 47 commentaires

2 3

J’utilise évidemment des pseudonymes masculins pour aller dans le sens de la masculinisation du texte que j’ai décrite dans l’introduction. Ce chapitre porte uniquement sur la description des résultats obtenus et n’intègre pas la partie d’interprétation de ces résultats qui fait l’objet d’un chapitre précis.

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Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte

Version « 3 » : 14 pages = 43 commentaires Version « 4 » : 13 pages = 27 commentaires Version « 5 » : 11 pages = 26 commentaires Version « 6 » : 13 pages = 8 commentaires (dont 3 commentaires de félicitations pour la qualité des explications).

Dans le cas du dernier étudiant mentionné, le problème était surtout associé à sa capacité à formuler des interprétations et à pouvoir le faire de manière adéquate, en s’appuyant sur les auteurs plutôt que sur la structure et la formulation scientifique, comme je le décrivais dans le chapitre 10 (section 4.2.3).

3 / La nécessité de corriger de façon explicite et précise Un reproche maintes fois entendu de la part des étudiants concerne le peu de précision des corrections et les commentaires vagues que les directeurs se contentent de mettre sur les textes produits. Les étudiants ne sont pas en mesure de savoir comment ajuster toute une partie d’un chapitre pour laquelle ce serait simplement indiqué « partie pas claire ». Ils ne peuvent pas non plus savoir comment mieux organiser un chapitre dont la seule mention inscrite sur la première page ou dans le courriel d’envoi des « corrections » mentionnerait que le chapitre est mal structuré. Cette façon de corriger les productions des étudiants demeure inappropriée et peu constructive pour former les étudiants et les amener à progresser.

J’ai déjà rencontré un étudiant qui venait de réécrire son premier chapitre au complet pour une cinquième fois parce que la seule mention inscrite au début de son texte était : « Ce n’est pas clair4… » Il avait rencontré son directeur chaque fois à propos de sa correction et il lui avait seulement répété, d’une fois à l’autre : « C’est un peu mieux, mais on ne voit pas encore très bien où tu veux en venir, ce n’est pas tout à fait ça… »

4

C’était avant l’époque du traitement de texte et la mention était inscrite au crayon au début de son chapitre.

327

Encadrer aux cycles supérieurs

Tout ce qu’il savait, c’est que l’imbrication des idées et la problématique n’étaient pas claires. D’une fois à l’autre, il ne savait donc pas ce qui était « mieux » et ce qui manquait. Sans que j’aie lu son chapitre, j’avais essayé de discuter avec lui de sa vision des choses et des changements qu’il avait faits, ce qui lui apparaissait meilleur et comment il envisageait de modifier son chapitre… mais la seule option possible était qu’il se relise une fois de plus et d’essayer de construire une « meilleure » ligne directrice. Je l’avais rencontré par hasard, plusieurs semaines plus tard et il m’avait fait savoir qu’après avoir encore une fois réécrit complètement son chapitre, en essayant de transposer différemment certaines parties et en apportant quelques détails ou des explications supplémentaires, il avait enfin obtenu l’approbation de son directeur avec la mention suivante : « Enfin, on a réussi ! » Son processus de correction et de travail sur son texte s’était fait seulement par essai-­erreur, sans vraiment comprendre ce qu’il avait pu améliorer. Il ne savait pas pourquoi cette dernière version était meilleure et en quoi elle était meilleure !

Le directeur de recherche devrait être un correcteur privilégié pour les productions de l’étudiant. II devrait jouer le même rôle qu’un évaluateur externe, mais avec la possibilité d’agir de façon formative en fournissant des commentaires et des suggestions pour améliorer la compréhension, la lisibilité et la cohérence du texte, que ce soit pour la forme aussi bien que pour le contenu. Pour répondre à ces exigences d’être systématique et explicite, deux conditions sont nécessaires.

3.1 /

Indiquer les types d’erreurs et les expliquer Être explicite sur le plan des corrections et des commentaires consiste à indiquer avec précision les types d’erreurs commises et, éventuellement, expliquer en quoi ce sont des erreurs, ou pourquoi il faut modifier ce qui est demandé. Pour avoir une bonne idée des types d’erreurs qui peuvent être commentés, Victor Thibaudeau (1997) a publié un ouvrage et propose une grille qui évoque les problèmes sous-­jacents à la rédaction d’un texte qui cachent des problèmes de logique et de raisonnement. La méthode

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Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte

des 88 clés qu’il a développée5 contient aussi une description particulière de chacun des corrigés ainsi que des exercices possibles que l’étudiant peut utiliser. Sans aller jusqu’à demander à l’étudiant de procéder à des exercices, dans le cas d’un directeur de recherche, sa méthode a le grand avantage de fournir des indications précises sur les erreurs trouvées. Celles-­ci peuvent concerner des aspects de structure, de titre aussi bien que de style. Je ne les utilise pas personnellement, mais elles peuvent servir à nommer des types d’erreurs, si vous ne savez pas vraiment comment les formuler. Vous pouvez évidemment utiliser ses formulations telles quelles ou encore vous en inspirer si vous ne voulez pas utiliser exactement ses termes. Le principe demeure la précision dans la ­détermination des erreurs. La seule indication des erreurs n’est cependant pas toujours suffisante. Si l’on veut que l’étudiant apprenne de ses erreurs, il est souvent nécessaire de lui expliquer les raisons pour lesquelles ses formulations sont inexactes ou inadéquates ou encore, pourquoi les informations indiquées (ou manquantes) posent problème. C’est la raison pour laquelle je suggère de préciser, lorsque c’est utile, les effets que l’erreur peut avoir sur la compréhension ou l’interprétation du texte. En quoi une formulation peut-­elle ne pas être appropriée pour le style scientifique ou encore en quoi les modifications proposées aideront-­elles à la lisibilité ou à la qualité du texte ? Ces précisions peuvent aider l’étudiant à faire plus attention, dans ses rédactions futures, s’il saisit mieux les répercussions des erreurs qu’il a commises ou pourquoi elles constituent des « erreurs ».

J’ai inséré, ci-­après, un certain nombre d’exemples de commentaires adressés à certains de mes étudiants pour illustrer la forme que peut prendre la désignation des types d’erreurs. Encore une fois, je ­retranscris les commentaires tels quels. Commentaire [CB4] : Ce paragraphe n’est pas utile parce qu’il n’ajoute rien à l’idée que tu as exprimée précédemment… Commentaire [CB16] : Il est important de définir chaque sigle dès qu’il est présenté la première fois. En fait, il est habituellement préférable de décrire l’élément dans sa totalité pour ensuite mettre entre parenthèses le sigle utilisé. Ce n’est qu’ensuite qu’on peut présenter le sigle sans faire référence à son appellation allongée complète.

5

Adresse du site Internet : , consulté le 13 décembre 2017.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Commentaire [CB13] : Si tu veux introduire le deuxième type de but, ce serait préférable de le faire de manière explicite en indiquant « un autre type de but… » C’est plus facile de suivre le déroulement de ton idée et les éléments dont tu veux parler. Commentaire [CB11] : Phrase un peu boiteuse… parce qu’on ne sait pas de quelles relations il s’agit et comment elles sont privilégiées. Commentaire [CB17] : Inapproprié… ce n’est pas « à ton avis », sauf si tu bases ton avis à partir de références que tu utilises pour aller plus loin dans ton interprétation ou dans ta compréhension… Sinon, il faut que tu justifies ce que tu avances. On ne doit pas faire un jugement impressionniste, mais le fonder sur les écrits. Commentaire [CB4] : Cette citation n’est pas appropriée parce qu’elle porte sur un élément général alors que toi tu parles d’une intervention précise. Il y a un écart entre les deux niveaux d’information mentionnés. Commentaire [CB17] : Mauvaise formulation : on ne sait plus si tu parles du traitement de l’information ou de la résolution de problème. Commentaire [CB32] : Une telle présentation n’est pas adéquate comme style de présentation. Dans le cadre conceptuel, tu dois élaborer de manière plus détaillée ce que tu veux présenter et expliquer pourquoi tu le présentes. Dans la façon de le faire ici, on est plus dans un style discursif (présentation orale) que dans un style de rédaction d’un projet de recherche. Commentaire [CB5] : Fais attention à tes débuts de phrases, tu ne dois pas commencer une phrase par « Et »… Vérifie qu’il s’agit bien d’une nouvelle phrase avec une nouvelle idée et non que c’est simplement une partie de la même idée. Commentaire [CB6] : Le mot apte ne peut s’appliquer qu’aux personnes et non aux choses… une personne peut être « apte » à faire quelque chose, mais pas une activité ! Commentaire [CB10] : Phrase mal placée… tu n’as pas encore introduit ces deux idées d’état initial et final, alors tu ne peux pas décrire la situation de cette façon avant d’avoir exprimé comment ces notions sont présentées. Commentaire [CB10] : Ici, il y a une déduction qui est un peu forcée parce que tu fais un saut pour en arriver à cette conclusion. Soit tu développes ta réflexion et tes idées pour en arriver à cette conclusion, soit tu n’en parles pas ici et tu l’intègres plus loin dans le texte, soit tu ne l’évoques pas du tout.

330

Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte

Lorsque je présente des exemples similaires dans les formations, certains professeurs craignent qu’une telle approche exige beaucoup de temps pour penser et formuler les commentaires. Comme je le décris plus loin (sections 3.3 et 4), la démarche doit se faire de façon spontanée, sans « réfléchir » aux commentaires, mais simplement spécifier ce qui fait défaut. Tous les commentaires précédents ont été écrits spontanément pour indiquer l’erreur ou le problème. Les précisions viennent lorsque je veux que l’étudiant centre sa correction sur un aspect particulier qui fait défaut. Je veux surtout lui faire comprendre en quoi ça fait défaut, pour ne pas qu’il corrige dans un sens qui ne soit pas celui que j’attends. Évidemment, les formulations dans les exemples représentent mon propre style de commentaire. On peut fournir les mêmes précisions de façon plus courte ou plus élaborée. L’élément essentiel est d’expliquer en quoi une formulation ou un propos est une erreur plutôt que de simplement le rayer ou le remplacer par autre chose. C’est la seule façon d’aider l’étudiant à « apprendre » de ses erreurs.

3.2 /

Formuler des exemples ou donner des suggestions Une façon simple d’indiquer à l’étudiant le type de modifications consiste à formuler, dans l’espace du commentaire, un début d’explication ou encore d’indiquer les éléments qui devraient être inclus dans la reformulation ou la précision. Cette façon de faire est simple et vous donne l’occasion de préciser votre pensée lorsque c’est pertinent. En procédant de la sorte, vous aidez aussi l’étudiant à comprendre le sens du commentaire et à avoir une idée concrète de la forme que son texte pourrait prendre.

J’ai inclus, ci-­après, quelques exemples de commentaires tirés de ce que j’ai déjà fourni à mes étudiants et qui donnent une orientation à ce qui peut être écrit. Commentaire [CB22] : Il faudrait bien expliquer la façon dont est considéré l’écart. La façon dont tu le décris ne m’apparaît pas claire. C’est l’écart que l’étudiant présentait entre ses deux résultats qui était considéré. Commentaire [CB23] : Revoir la formulation de ce passage en le remettant comme une phrase complète et en précisant de façon plus explicite les différences théorie-­pratique que tu veux faire ressortir. Indiquer que le tiers (plutôt que 33,3 %) des étudiants présentait un tel écart entre les résultats aux deux types d’examens.

331

Encadrer aux cycles supérieurs

Commentaire [CB29] : Il faudrait ajouter une phrase qui ferait une introduction générale à la notion de transfert. Quelque chose comme « L’idée de transfert est associée à la capacité de… ». Un tel début de phrase permettrait plus facilement d’introduire le sujet plutôt qu’en soulignant qu’« il se produit lorsque… » comme tu l’as écrit. Commentaire [CB37] : Pour cette partie sur les « 3 contextes », il faudrait commencer le paragraphe en évoquant que Tardif décrit le processus en 3 principales étapes : la contextualisation, etc. Et tu décris chaque étape par rapport au rôle qu’elle devrait jouer. Cela permettra de situer directement qu’il s’agit d’un élément clé dans le processus sur lequel tu pourras ensuite t’appuyer. Commentaire [CB17] : Pour affirmer ceci, il faut qu’on perçoive de quelle manière la réaction est suscitée et quelle forme elle peut prendre. Si tu n’en as pas parlé dans les phrases précédentes, il faudrait alors que tu l’expliques ici. Sinon, on ne peut interpréter la possibilité de la réaction. Commentaire [CB13] : À reformuler. Ton idée est très bonne, mais il faudrait plutôt présenter les choses en indiquant que ces approches portant sur les buts les définissent ou situent leur effet au niveau de telle ou de telle chose (notamment sur le plan de mener l’élève à des actions pour favoriser l’atteinte du but), mais elles ne s’arrêtent nullement à tenter d’expliquer de quelle manière ces buts peuvent amener l’élève à considérer ou à interpréter les résultats scolaires qu’il a obtenus. Commentaire [CB37] : À reformuler : quelque chose comme « les élèves associent beaucoup la notion de réussite aux notes ou aux résultats ainsi qu’à l’engagement et à l’effort… ». Il faut que tu te concentres à évoquer tes résultats pour faire ressortir cette idée de « quels sont les facteurs qui déterminent la conception de réussite… », mais aussi, comment les élèves conçoivent la notion de réussite… Commentaire [CB31] : Ce que j’ai dit dans le commentaire précédent rejoint cette idée, alors que tu évoques un lien « à la négative »… « pas assez présent pour être un facteur déterminant… », il faudrait formuler les choses sous une forme positive plutôt que d’utiliser la forme négative.

332

Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte

Je rappelle que la formulation des exemples ou des précisions doit se faire spontanément. Vous ne devez pas chercher une meilleure formulation en faisant plusieurs essais. Si aucune suggestion ne vous vient, faites simplement préciser le problème ou l’erreur. Vous pourrez en discuter de vive voix au moment où vous ferez le suivi des corrections (section 6.3).

Commentaire [CB2] : Ce paragraphe n’est pas mauvais, mais lors de notre rencontre, on discutera de la manière d’insérer les informations qu’il contient avec des données précises de ta recherche plutôt que de juste évoquer ces étapes. Il faut les situer par rapport à tes résultats.

Le temps et l’énergie mis à corriger sont une source fréquente d’insatisfaction chez les directeurs de recherche. Certains sont soucieux de fournir des corrections explicites et précises, mais ils perdent parfois de vue que le travail de production du texte et de la pensée doit être celui de l’étudiant. Certains directeurs corrigent comme s’ils faisaient équipe avec leur étudiant et qu’ils avaient tout autant de responsabilités dans la qualité du travail produit. Le directeur participe au processus du développement de la recherche et de la production des chapitres, mais son action vise à aider l’étudiant à développer ses propres compétences. Le processus de correction devrait se faire dans cet esprit. Cela ne signifie pas que cette correction est une tâche toujours facile et qu’elle se fait toujours rapidement, mais la lourdeur et la complexité de la tâche devraient être l’exception plutôt que la norme. Si vous trouvez que c’est toujours (ou presque) long et fastidieux, c’est peut-­être parce que vous vous accordez une responsabilité trop grande par rapport à l’écriture même du texte, ou que vous essayez de penser à la place de l’étudiant, comme si c’était votre propre travail6. Je propose ici trois suggestions pour tenter d’alléger au maximum ce travail de correction.

6

Il se peut que ce soit aussi parce que votre processus d’acceptation des étudiants ne vous permet pas de jauger leur potentiel et leurs faiblesses et que vous vous retrouvez avec des candidats dont vous n’aviez pas perçu les lacunes (chapitre 3, sections 2 et 3).

333

Encadrer aux cycles supérieurs

3.3 /

Alléger le travail de correction

3.3.1 /

Ne pas faire d’efforts de compréhension La première suggestion est de ne pas chercher à comprendre ce que l’étudiant essaie de dire ! Vous devez évidemment comprendre ce que ­l’étudiant écrit, mais si vous ne comprenez pas ou que vous n’en êtes pas certain, vous n’avez pas à essayer de décortiquer son texte pour en ressortir le sens que vous croyez qu’il voulait y mettre. Si vous étiez un évaluateur externe, vous ne prendriez pas de temps pour décortiquer le texte. Vous noteriez simplement que les propos ne sont pas clairs à tel moment ou sur tel sujet. Point. En tant que directeur de recherche, le processus de correction des productions de l’étudiant devrait se faire de la même façon. Ce que l’étudiant a écrit n’est pas très clair, mais vous pensez savoir ce que l’étudiant veut dire ? Vous lui indiquez alors un commentaire qui va exactement dans ce sens en sélectionnant le passage approprié : « Je pense savoir ce que tu veux dire, mais ce n’est pas clair de la façon dont tu l’exprimes. À reformuler ou à clarifier. » Vous ne devez pas chercher à reformuler ce qui est écrit pour essayer de rendre les propos plus clairs si vous ne les comprenez pas spontanément. Vous ne devez pas non plus perdre de temps à essayer de voir plus loin dans le texte (ou avant) pour déceler des indices qui vous permettraient d’interpréter le sens de ce qui n’est pas clair. Vous lui exprimez votre incompréhension et ce sera un aspect sur lequel vous pourrez revenir avec l’étudiant lors de la rencontre de suivi de vos corrections. Il pourra vous expliquer alors son point de vue ou son intention.

3.3.2 /

Faire la lecture du texte d’un seul jet Faites la lecture du texte d’un seul jet, sans prendre le temps de vous en donner un aperçu général auparavant. Cela signifie de ne pas faire une première lecture rapide avant de commencer vraiment à corriger. Le texte doit être clair dès la première lecture. Si ce n’est pas le cas, vous fournissez les indications nécessaires à l’étudiant, au fur et à mesure où vous avancez dans le texte.

3.3.3 /

Ne pas relire le texte, une fois corrigé La troisième suggestion est de ne pas relire le texte, une fois corrigé, pour vérifier la totalité des corrections. Les seuls retours en arrière devraient être pour vérifier quelque chose que vous n’êtes pas certain d’avoir

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Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte

commenté ou dont vous voulez vérifier la présence. Autrement, évitez des retours en arrière constants pour vérifier si vous avez compris. Si vous êtes obligé de revenir continuellement sur vos pas parce que vous n’êtes pas certain de comprendre le sens de ce qui est écrit, c’est que ce qui est écrit n’est pas clair. Indiquez-­le à l’étudiant dans un commentaire qui englobe toute la partie : « Dans toute cette partie, les propos ne sont pas clairs et ils sont difficiles à suivre parce qu’on doit constamment retourner en arrière dans le texte pour être en mesure de bien faire les liens… revoir toute la partie. » Ce que ce commentaire exprime est simplement la difficulté rencontrée et le travail à faire. Vous n’avez pas à penser de façon approfondie à ce que vous devriez lui formuler, vous ne faites qu’inscrire la difficulté que vous avez rencontrée avec son texte. Si le même problème apparaît quelques paragraphes plus loin, sélectionnez la partie et indiquez simplement « même commentaire que le commentaire précédent » (ou que le commentaire X avec le numéro de commentaire). Si vous avez été précis dans la description de ce qui fait défaut, l’étudiant aura le travail de clarifier la chose et vous n’aurez pas vous-­même à essayer de comprendre ce que l’étudiant veut dire. Vous aurez d’ailleurs l’occasion d’y revenir au moment du suivi des corrections (section 6). À la fin de la correction, au lieu de tout lire, reprenez simplement la lecture des commentaires que vous avez formulés afin d’en vérifier l’exactitude ou la formulation. Rappelez-­vous également que vous réviserez tous les commentaires avec l’étudiant (présent chapitre, section 6.3), ce qui vous permettra de clarifier les commentaires qu’il comprend moins bien. Si certains de vos commentaires ne sont plus appropriés après discussion, l’étudiant n’a tout simplement plus à en tenir compte. En faisant produire l’étudiant le plus souvent possible au début par la production de petites parties de textes (chapitre 8, section 1), vous allégez les premières corrections. L’étudiant travaille aussi sur des parties restreintes, ce qui allège son travail de reprise de ses corrections. Les commentaires qui ont été faits sur une version antérieure devraient avoir permis de bonifier le texte pour la prochaine version. Si la version suivante ne vous semble pas adéquate et que vous avez l’impression d’avoir fait des commentaires semblables dont l’étudiant n’aurait pas tenu compte, ça peut valoir la peine de le faire savoir à l’étudiant, sans nécessairement que vous ayez à retourner vous-­même dans la version précédente.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Exemples : Commentaire [CB6] : Est-­ce la perception de la réussite ou bien ce qui détermine le sens que l’élève donne à la notion de réussite ? Je te pose la question sans avoir été vérifier ta question de recherche parce que l’idée de « perception » de réussite ne me semble pas correspondre à ce que tu recherches… À vérifier7. Commentaire [CB7] : Je comprends ce que tu veux évoquer, mais la formulation n’est pas adéquate, trop embrouillée… Il me semble que la formulation que tu avais utilisée dans une version antérieure était meilleure… À vérifier. Si tu la réintègres, il faudra t’assurer que tu le fais au bon endroit dans le texte en fonction des changements que je te propose.

3.3.4 /

Une dernière précision Au cours de la lecture, il se peut que vous doutiez tout à coup de la cohérence ou de la clarté de la structure du texte tel qu’il vous est proposé. Il se peut que vous soyez obligé de revenir en arrière pour vérifier la pertinence de l’organisation des paragraphes. Comme ce sera expliqué plus loin, vous ne devriez pas tenter de restructurer l’ordre des paragraphes dans un premier temps, à moins que ce soit un déplacement d’un nombre de paragraphes restreints qui vous apparaisse évident lors de la première lecture. Si un réaménagement plus important de la structure même du texte s’avère nécessaire, attendez que les demandes de corrections précédentes aient été apportées avant d’envisager de modifier de façon importante l’organisation des paragraphes. Un commentaire portant sur la structure ou l’ordre des paragraphes peut être suffisant pour sensibiliser l’étudiant à cet ordre. Vous pourrez alors en parler avec lui lors de la rencontre de suivi de ses corrections. Au besoin, vous pourrez éventuellement évaluer si cela peut vous prendre moins de temps de structurer une partie en réorganisant vous-­même les paragraphes, si vous voyez la structure apparaître rapidement, que de demander à l’étudiant de le faire.

7

Qu’on encadre un étudiant ou plusieurs, il n’est pas utile de nous rappeler la question de recherche de chaque étudiant. On invite ainsi l’étudiant à vérifier lui-­même l’information qui fait l’objet de notre préoccupation et on peut y revenir pour en discuter lors de la rencontre de suivi des corrections, plutôt que faire nous-­même la recherche.

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Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte

4 / Le choix d’écrire ou non à la place de l’étudiant Un sujet important de préoccupation concerne le degré d’intervention sur le texte de l’étudiant qui serait « acceptable » pour le directeur sans qu’il ait l’impression de tout rédiger à la place de l’étudiant. Votre nom est inévitablement associé au travail de l’étudiant parce que c’est vous qui l’encadrez. Cela peut créer, chez certains professeurs, une pression supplémentaire pour s’assurer que le travail soit de qualité : personne ne veut être associé à un échec ou à un mémoire ou une thèse de piètre qualité. Cette réécriture est cependant une tâche importante qui prend beaucoup de temps et j’ai rencontré de nombreux professeurs qui m’ont exprimé leur découragement d’avoir « dû » refaire des parties de textes. Deux principes m’apparaissent importants pour guider votre choix de rédiger à la place de l’étudiant. Cela signifie qu’on peut parfois le faire, mais pas à n’importe quelle condition.

4.1 /

Premier principe : agir seulement sur ce qui a déjà été écrit Étant donné que le travail appartient à l’étudiant, il serait inapproprié de rédiger une portion de texte qui n’a pas encore été écrite ou à laquelle l’étudiant n’avait pas pensé. Par exemple, si l’étudiant n’a pas intégré les propos ou le point de vue d’un auteur dans son texte pour ajouter à la qualité de son argument, il ne vous appartient pas de le faire à sa place. On peut indiquer dans un commentaire qu’il manque une portion ou une explication et même donner une orientation quant à la façon de la formuler, mais sans la rédiger formellement à la place de l’étudiant. Même après lui avoir fait des suggestions, si l’étudiant n’intègre pas la partie que vous lui avez suggérée, il ne vous appartient pas de le faire à sa place. Au mieux, vous tentez de lui faire comprendre la pertinence qu’il ajoute ce que vous lui demandez ; au pire, vous laissez les choses telles qu’elles sont.

Commentaire [CB35] : Il manque ici des éléments d’information concernant la dynamique du rôle de la phase d’encodage. Plusieurs des paragraphes qui suivent m’apparaissent pouvoir représenter des éléments de cette phase, notamment quand on parle de contextualisation, mais les deux autres phases se passent à une autre étape. Il serait donc

337

Encadrer aux cycles supérieurs

important que tu définisses de manière plus explicite les caractéristiques de cette phase et ses implications avant de passer aux phases subséquentes de recontexte et de décontexte. Commentaire [CB2] : Ici, je développerais sur le fait qu’on reconnaît que l’enseignant a un rôle majeur à jouer sur cet apprentissage et sur l’acquisition des connaissances, mais que les élèves demeurent les maîtres d’œuvre de leurs apprentissages (Tardif, 1992 et autres). Je mettrais un paragraphe supplémentaire qui introduirait la notion de variabilité dans l’intérêt et dans l’importance accordée aux études ou au degré d’engagement des élèves […] Cela te permettrait de faire une transition vers les efforts que tu traites dans ton paragraphe suivant.

Si vous rédigez au complet des portions de textes pour l’étudiant alors qu’il ne les avait pas encore produites, vous vous substituez à lui. Dans certains cas, il pourrait même ne pas être en accord avec ce que vous rédigez, même si vous savez que ce que vous mettez est approprié. Le danger est encore plus grand dans la situation d’une défense de thèse, où une question pourrait être posée à l’étudiant sur ce que vous avez vous-­même produit et qu’il ne soit pas vraiment en mesure de justifier ou d’expliquer cette portion ou cette position parce que c’est vous qui avez ajouté et formulé l’idée. À cet égard, il est préférable qu’on reproche à l’étudiant de ne pas avoir mis ce que vous auriez voulu, plutôt que de le mettre et qu’il ne sache pas comment le défendre.

4.2 /

Deuxième principe : reformuler seulement ce qui se fait spontanément Le deuxième principe implique de modifier ou d’ajuster la forme du texte seulement si la modification se fait spontanément, sans effort de réflexion sur la meilleure manière d’écrire. Ces « corrections » peuvent consister à ajouter un marqueur de relation pour rendre le texte plus fluide, défaire un paragraphe en deux parce qu’il contient deux idées, enlever une phrase (ou toute une partie de texte !) parce qu’elle est inutile, reformuler une phrase, une expression, reprendre les phrases d’un paragraphe pour les restructurer et les formuler différemment, etc. Ce sont autant de situations où vous pouvez modifier le texte de l’étudiant en « réécrivant » à sa place, mais cette réécriture doit se faire spontanément, sans aucun effort de réflexion de votre part. Il faut que la correction soit automatique, qu’elle vous saute aux yeux dès la première lecture. Ainsi, lorsque la nouvelle formulation vous vient spontanément,

338

Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte

qu’il est plus facile et rapide de faire vous-­même la correction plutôt que de tenter d’expliquer à l’étudiant comment il pourrait reformuler le passage. Évidemment, pour qu’elles se fassent spontanément, de telles corrections ne concernent habituellement pas de très longs passages. Vous ne devriez pas avoir à relire plusieurs fois les phrases pour essayer de leur donner du sens dans le but de les reformuler. Dans ce cas, mettez simplement un commentaire relatif à la formulation inadéquate ou incompréhensible du texte ou des paragraphes. La question suivante est alors souvent évoquée : « Et si tout ce qu’écrit l’étudiant n’est vraiment pas bon ? » C’est au début du processus d’encadrement que vous devez vérifier la capacité de l’étudiant à écrire et à exprimer sa pensée. La première rencontre avec l’étudiant devrait vous avoir permis d’évaluer cet aspect (chapitre 3, section 2.3.2). Toutefois, si vous êtes confronté à des faiblesses majeures sur le plan de l’expression écrite ou de la capacité de l’étudiant à formuler sa pensée de façon adéquate, il faut lui faire savoir que ce qu’il écrit n’est pas d’un niveau acceptable. Si la qualité ne change toujours pas après plusieurs tentatives et des corrections explicites et complètes, il est possible que l’étudiant n’ait tout simplement pas les habiletés pour poursuivre. Il faut alors le lui faire savoir et envisager qu’il abandonne, ou qu’il change de direction de recherche.

5 / La séparation des commentaires généraux des commentaires explicites Il arrive que certains aspects du texte présentent des lacunes qui se répètent d’une fois à l’autre. Ça peut être des lacunes sur le plan de l’organisation, de la compréhension du contenu, de la faiblesse de certaines parties précises pour lesquelles les seuls commentaires, pris individuellement, ne font pas ressortir le problème général. Lors de vos corrections, faites alors des commentaires généraux que vous placez sur une (ou plusieurs) page à part, au début de son texte afin de spécifier cet aspect général qui ressort de votre lecture. Cela permet de mettre en exergue les points qui devraient faire l’objet d’une attention particulière pour l’étudiant, notamment si ce sont des éléments sur lesquels vous voudrez revenir avec lui, plutôt que de repasser tous les commentaires qui concernent le sujet. Ça permet de mieux mettre en contexte les commentaires qui peuvent revenir de façon récurrente.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Il est avantageux de rédiger ces commentaires généraux au début du texte plutôt que d’attendre de les faire de façon orale, lorsque l’étudiant se trouve dans votre bureau. Ça vous permet d’y revenir si la version suivante ne semble pas avoir été améliorée, puisque ces commentaires sont écrits. Vous êtes alors certain que l’étudiant ne peut donner l’excuse de ne pas s’en souvenir. Vous n’avez pas à reformuler vos recommandations, mais simplement à rappeler leur existence. Je recommande aussi d’énoncer l’idée de ces commentaires généraux dans votre courriel, lorsque vous lui retournez vos corrections, comme une sorte de mise en garde et de préparation à ce qu’il lira.

J’indique ici deux exemples pour illustrer ce que je veux dire par un « commentaire général ». Exemple 1 [Commentaire général] : Je me pose la question du suivi que tu as fait de mes commentaires sur tes versions précédentes pour le premier chapitre. Il y a des changements que tu as faits qui ne sont pas nécessairement mieux que dans tes versions précédentes. Certains passages étaient beaucoup plus clairs dans des versions antérieures et je ne comprends pas pourquoi tu as fait certains changements, alors que j’avais demandé des réajustements mineurs. Exemple 2 (Cet extrait prenait presque une page en entier, c’est pourquoi j’ai coupé des passages). [Commentaire général] : Ton deuxième chapitre présente des difficultés semblables à celles que tu avais rencontrées pour les premières versions de ton premier chapitre. L’impression générale qui en ressort est un manque d’approfondissement des concepts importants qui sont abordés plutôt en survol. Des éléments sont présents, mais on ne voit pas très bien ressortir les informations clés qui concernent les sujets qui devraient être abordés dans ton cadre conceptuel. […] Une première difficulté importante vient de l’organisation que tu as donnée à ton chapitre. Les différentes parties ne présentent pas vraiment de liens entre elles et on se demande pourquoi tu passes de l’une à l’autre et ce qui explique que la partie suivante soit celle que tu as choisie.

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Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte

[…] Une deuxième difficulté vient du fait que les explications et les descriptions que tu donnes des concepts que tu abordes sont peu approfondies. J’avais souvent l’impression que tu décrivais les choses sous une forme d’introduction au sujet alors qu’il faut que tu démontres que tu as lu et que tu maîtrises bien les concepts. On retrouve rarement une description approfondie et argumentée de ce que tu présentes. […] La troisième difficulté concerne la dernière partie de ton chapitre. […] Ton utilisation des citations est souvent peu adaptée au style d’un projet de recherche. […] Dans ton texte, les citations sont trop souvent utilisées pour décrire un contenu que tu n’as pas toi-­même décrit ou expliqué au préalable.

L’étudiant voit ainsi très clairement ce que vous reprochez à son texte et ça permet de préciser votre opinion de façon globale, ce qui n’est pas nécessairement possible en considérant séparément les commentaires. De plus, de tels commentaires généraux peuvent être ajoutés rapidement au début du texte lorsque vous vous rendez compte de lacunes récurrentes. Ça peut vous permettre de ne pas redire le même commentaire à plusieurs reprises, mais de simplement évoquer le commentaire général que vous aurez inscrit. Vous accélérez alors votre processus de correction en ne réexpliquant pas la même erreur.

6 / Le suivi des corrections Faire le suivi des corrections consiste à rencontrer l’étudiant pour vérifier sa compréhension des corrections demandées et de discuter des éléments qui peuvent être problématiques, soit parce qu’il ne les comprend pas, qu’il n’est pas d’accord avec la correction demandée ou pour discuter éventuellement de la forme que la modification demandée peut prendre, si vous n’avez pas fourni d’indications précises. Ce suivi devrait se faire le plus rapidement possible. On peut temporairement être dans l’incapacité de corriger la production de l’étudiant, mais on doit le lui faire savoir et lui indiquer le moment prévu pour lui retourner son texte corrigé. Je suggère ici certaines modalités d’intervention

341

Encadrer aux cycles supérieurs

pour faire le suivi des corrections qui tiennent compte, notamment, du choc de la correction que l’étudiant peut vivre et qui visent à faciliter le retour sur les commentaires et les modifications demandées.

6.1 /

Accorder un court délai après l’envoi Il faut accorder un délai à l’étudiant pour qu’il prenne connaissance de vos corrections avant de le rencontrer pour en discuter. Cependant, ce délai doit être relativement court, surtout lorsque le nombre de corrections ou de commentaires est élevé et que la version corrigée n’en est pas encore à un état achevé. Évidemment, cela suggère que l’envoi des corrections à l’étudiant implique automatiquement que vous savez à quel moment vous le rencontrez par après (chapitre 4, section 8). Il n’y a pas de délai « optimal » pour cette rencontre de suivi parce que cela dépend évidemment des obligations et des disponibilités de chacun. Je recommande toutefois de laisser minimalement au moins une soirée à l’étudiant pour qu’il ait le temps de prendre connaissance des corrections, d’assumer le choc et d’avoir un certain temps de recul avant de pouvoir en discuter avec vous. Par contre, le délai maximum à accorder devrait être d’environ deux à trois jours. D’une part, il faut laisser à l’étudiant le temps d’évaluer ce qu’il en comprend, mais il faut aussi que vous ayez le plus frais possible en mémoire les réflexions ou les commentaires que vous avez notés sur son travail pour être en mesure de discuter des éléments sur lesquels vous vouliez revenir. Un délai trop long après la remise de vos corrections risque de rendre difficiles les discussions sur certains aspects que vous vouliez aborder, surtout si vous devez corriger plusieurs p ­ roductions de différents étudiants dans le même laps de temps. La discussion des corrections avec l’étudiant sert aussi à évaluer la façon avec laquelle il aborde vos commentaires et vos suggestions. Cet échange devrait impliquer son opinion et sa compréhension de ce que vous avez indiqué. S’il vous indique ne pas avoir eu le temps d’en prendre connaissance, il y a là matière à remettre en question le sérieux de ses intentions par rapport à sa démarche, surtout si cela se produit à plus d’une reprise (chapitre 13, section 2.1.1 ; chapitre 14, sections 5.3 et 5.5). Je recommande aussi d’avertir les étudiants de rapporter leur version corrigée avec eux sans y apporter de modifications, afin de pouvoir aborder toutes les corrections et les commentaires qui avaient été inscrits. Au moment de la remise des corrections, certains étudiants ne se donnent pas nécessairement la peine de réfléchir aux commentaires et d’évaluer

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Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte

comment ils peuvent corriger les choses. Certains vont accepter d’emblée toutes les corrections que vous proposez. S’ils modifient la version corrigée ou qu’ils effacent des commentaires avant que vous en discutiez, le suivi se fait beaucoup plus difficilement.

6.2 /

Commencer par le retour sur les corrections Le suivi des corrections avec l’étudiant vise deux objectifs : lui expliquer vos demandes et vos remarques et vous assurer de sa compréhension des suites à donner et des modifications à apporter. Cependant, ces rencontres servent également à discuter d’autres étapes de son travail de recherche ou de sa démarche. Mon expérience personnelle et les échanges que j’ai eus à ce propos avec des professeurs m’amènent à suggérer de réserver la première partie de la rencontre pour revoir avec l’étudiant chacun des commentaires ou des corrections sur lesquels vous voulez revenir, avant de prendre du temps pour répondre à des questions de l’étudiant sur d’autres aspects de sa démarche. Ce choix sert à « régler » les corrections pour le travail accompli afin de préparer la suite du travail, avant d’aborder de nouveaux sujets. Ce faisant, vous évitez de vous disperser d’un sujet à l’autre, au gré des questions de l’étudiant et de ne pas parvenir à faire le tour des corrections si vous prenez trop de temps à aborder d’autres sujets.

6.3 /

Reprendre chaque commentaire dans l’ordre d’apparition dans le texte Il est toujours préférable de procéder de façon systématique à la révision de chacun des commentaires ou des corrections, dans leur ordre d’apparition, plutôt que d’y aller au gré des questions que l’étudiant pourrait avoir pour certains passages particuliers. Il faut surtout éviter de procéder de façon aléatoire et de « butiner » d’un passage à l’autre selon les échanges. On risque alors d’omettre de revenir sur certains commentaires ou d’oublier d’aborder un sujet faisant l’objet d’une correction qu’on jugeait pourtant importante parce qu’on est passé par-­dessus sans s’en rendre compte. Le fait de revenir sur tous les commentaires peut prendre un certain temps, surtout lorsque le nombre de commentaires est important, mais si l’étudiant a pris le temps de lire vos corrections et vos commentaires, une grande partie des éléments pourront être survolés rapidement puisqu’il est en mesure de dire tout de suite qu’il les accepte, lorsque c’est le cas.

343

Encadrer aux cycles supérieurs

6.4 /

Indiquer les modalités de suivi et de corrections à effectuer par l’étudiant À la suite de la rencontre, l’étudiant devrait repartir avec une idée précise de ce sur quoi il travaillera et la nature des corrections qu’il doit apporter à son texte. Différentes mesures peuvent être prises pour vous aider à établir si les corrections apportées à la suite de votre rencontre ont été faites dans le respect de ce qui avait été déterminé.

6.4.1 /

Travailler uniquement sur les parties corrigées sans ajouter d’autres éléments de contenu C’est une façon de vérifier, au fur et à mesure de l’avancement et de la correction des parties, si l’étudiant respecte bien les corrections et les suggestions avant de lui demander de produire une autre partie. On élimine ainsi les parties, progressivement, et l’étudiant voit son travail avancer.

6.4.2 /

Utiliser des marqueurs pour les nouvelles parties On peut demander à l’étudiant de faire ses corrections et ses ajouts en surlignant (surligner les nouvelles parties en jaune, par exemple) ou en mettant un indicateur visuel permettant de différencier ce qu’il vient de produire, de ce qu’il avait produit dans la version précédente (mettre les caractères dans une autre couleur que noir, comme violet, par exemple). Cette façon de faire vous permet de vous centrer rapidement sur ce que l’étudiant a ajouté ou sur ce qu’il a modifié à sa version précédente à la suite de votre rencontre. Cette approche présente cependant un danger dans le fait que si vous ne corrigez que la partie « ajoutée », vous perdez de vue l’ensemble et il est possible que les modifications effectuées par l’étudiant soient pertinentes en elles-­mêmes, mais qu’à la lecture du tout, elles apparaissent moins cohérentes ou qu’elles trouvent moins bien leur place dans le texte qu’il aurait fallu remanier. Cette approche peut être aussi parfois difficile à opérationnaliser lorsque le nombre de corrections et leur ampleur sont trop grands et touchent une grande quantité de passages différents. On peut utiliser cette approche particulièrement si l’on a ciblé des parties significatives qui ne demandent plus de corrections et que d’autres parties doivent être revues de manière plus précise.

344

Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte

7 / La révision finale Il est évident qu’au fur et à mesure que les chapitres sont complétés, il devient nécessaire de reprendre la correction plus globale de toutes les parties, à chacune des étapes principales, soit lors du dépôt du projet ou encore du dépôt du mémoire ou de la thèse. Cette correction finale globale assure alors que le travail présente une cohérence du début jusqu’à la fin. Le fait de corriger des parties séparées peut amener à ne pas voir un élément qui manque parce qu’on a oublié de faire le lien entre deux chapitres. Cependant, cette correction finale ne devrait se faire qu’à partir du moment où chaque partie séparée a été complétée et corrigée. C’est une sorte de validation de tout le travail, pour vous en donner un aperçu complet. À cette étape, il ne devrait évidemment pas y avoir de corrections importantes, sauf pour des ajouts ou des ajustements issus de la vision globale que vous aurez du travail. Cela devrait constituer la dernière vérification et la dernière démarche de correction apportée à la production. Ce n’est parfois que lorsqu’on porte un regard sur l’ensemble du travail qu’on voit peut-­être un élément qui pourrait être ajouté pour apporter plus de clarté pour faciliter les liens ou pour faire ressortir certaines idées. Ce peut-­être notamment le cas dans la conclusion qui devrait constituer la synthèse de tout le travail et qui est l’occasion de faire ressortir les idées importantes que la thèse devrait faire valoir. En ce sens, la conclusion devrait être produite à la toute fin du travail et constituer la dernière partie produite, alors que tout le reste a été complété et accepté.

8 / Des reprises inadéquates des corrections par l’étudiant Les suggestions précédentes devraient aider à faire progresser l’étudiant à chacune de ses versions. Il faut aussi se rappeler que le processus de production de chacun des chapitres nécessite habituellement plus de deux versions complètes d’un même chapitre, en plus des productions intermédiaires (par exemple, des parties de chapitres) que l’étudiant a pu produire. Il ne faut pas se surprendre que l’étudiant ne corrige pas parfaitement bien, et d’un seul coup, tout ce qu’on a pu lui demander de modifier une première ou même une deuxième fois. On doit s’attendre évidemment à observer une certaine progression qui confirme que ­l’étudiant a compris, dans l’ensemble, ce qu’on attendait de lui.

345

Encadrer aux cycles supérieurs

Des professeurs m’ont parfois exprimé devenir impatients parce que les corrections demandées n’avaient pas toutes été effectuées correctement et qu’il fallait qu’elles soient réitérées pour la version suivante du même texte. C’est une situation qui peut survenir assez régulièrement après une première étape de correction. Mais lorsqu’elle se répète, elle peut être le signe d’un problème dans le processus de correction et de suivi. Ainsi, l’absence répétée de modifications demandées sur une version ultérieure d’un texte peut être causée par un certain nombre de facteurs : 1) vos indications, corrections et commentaires ne sont pas suffisamment précis et explicites ; 2) l’étudiant fait une opposition passive face aux corrections ; 3) il présente des lacunes dans la connaissance ou la maîtrise des contenus ou n’y met pas le temps requis ; et 4) une tierce personne provoque une certaine interférence par rapport à vos corrections.

8.1 /

Indications de corrections imprécises C’est la première hypothèse à considérer. Il est possible que les corrections demandées ne soient pas assez claires ou explicites ou que les indications de changements soient trop générales. Est-­ce que vous avez fourni, dans un commentaire, un exemple de correction ou une suggestion dans la façon de formuler ? Est-­ce que vous en avez discuté avec l’étudiant, lors d’une rencontre, pour lui faire comprendre la nature exacte de la correction et des raisons pour la faire ? Est-­ce que vous aviez précisé si la correction demandée portait sur le style, sur la valeur du contenu ou sur la précision de la formulation ? Est-­ce que la modification était très claire pour vous ou bien la forme exacte ou le sens exact de la modification demeurait plus ou moins précis et difficile à expliquer ? Le suivi des corrections est un moment privilégié pour évaluer la clarté de ce qu’on a indiqué à l’étudiant. Au fil du processus, il se peut même qu’avec certains étudiants un peu plus performants, il ne soit plus nécessaire de faire un suivi des corrections en personne, surtout vers la fin du processus avec des corrections que vous jugeriez finales. Les rencontres peuvent alors être déterminées selon les préférences de l’étudiant. Cependant, les rencontres peuvent s’avérer quand même n ­ écessaires pour aborder d’autres sujets.

8.2 /

Opposition passive face aux corrections Des rencontres de suivi ne signifient pas nécessairement que les corrections sont toujours faites selon les demandes. Si ce n’est pas le cas, il faut questionner l’étudiant sur les raisons pour lesquelles il n’a pas apporté

346

Chapitre 11 / L’accompagnement dans la production du texte

les corrections prévues. Il ne devrait jamais y avoir de « bonnes » raisons pour justifier que l’étudiant ait retravaillé un texte en y apportant des corrections qui ne vont pas dans le sens de ce qui avait été prévu. Il faut premièrement s’assurer que l’étudiant comprend bien et accepte le sens des corrections qu’on lui demande de faire. Si la version suivante ne tient toujours pas compte des demandes et des commentaires alors que l’étudiant semblait d’accord, des clarifications s’imposent pour en connaître les raisons. J’ai évoqué, notamment au chapitre 7, qu’un étudiant qui a des intentions cachées peut se montrer réticent à corriger certaines parties, malgré vos demandes (section 1.2.3). Il peut essayer, notamment, d’argumenter sur les corrections ou sur les changements proposés. Si vous jugez que sa version n’est pas acceptable et qu’il y tient malgré tout, il faut ­probablement discuter de la suite de votre relation.

8.3 /

Lacunes dans les contenus et manque d’engagement L’étudiant qui ne maîtrise pas ses contenus n’est pas en mesure d’effectuer les changements demandés sur les contenus. Les modifications apportées risquent donc d’être inadéquates. Ce sont des situations qui apparaissent rapidement dans les deux premiers chapitres (chapitre 8, section 4). Il en est de même lorsque l’étudiant s’y prend à la dernière minute ou ne met pas les efforts requis pour retravailler le texte à modifier. On se retrouve alors devant une version « corrigée », mais non enrichie, comme si l’étudiant n’avait travaillé que sur les corrections précises qui ne demandaient pas de travail supplémentaire. On peut alors avoir l’impression, à la relecture, que l’étudiant a simplement « plaqué » des corrections aux endroits demandés sans vérifier si ces changements apportaient des modifications ailleurs dans le texte. Il faut faire savoir à l’étudiant que son mode de travail ne correspond pas à ce que vous attendez de lui pour l’aider.

8.4 /

Écart de conception du sujet entre le directeur et l’étudiant J’ai déjà évoqué ce problème dans le chapitre 2 (section 3) et dans le chapitre 7 (section 1.2.5). Cette situation donne souvent lieu à des reprises de parties de textes semblables à ce qui avait été déjà écrit, mais que vous aviez demandé de modifier ou d’enlever. Parfois, l’étudiant ajoutera certaines parties pour répondre à des suggestions que vous lui avez faites, mais ces parties ne correspondent pas vraiment aux aspects auxquels

347

Encadrer aux cycles supérieurs

vous vous attendiez. Lors du retour sur les corrections, ses justifications ne sont pas complètement inappropriées, mais cela ne cadre pas tout à fait avec le contexte précis du sujet. C’est par la répétition de ce type de situation qu’on peut commencer à suspecter cet écart de compréhension du sujet entre vous et l’étudiant. Le processus de correction se fait par de multiples étapes d’aller-­retour sur ce que l’étudiant produit. C’est probablement la tâche qui requiert le plus de régularité parce que, mis à part les étapes de collecte de données et d’analyse des résultats, tout le reste du processus implique la p ­ roduction d’écrits qui serviront à la validation de sa démarche.

348

Chapitre 12 /

L’accompagnement dans les étapes de finalisation du mémoire ou de la thèse

Ce dernier chapitre de la partie aborde les étapes de finalisation du mémoire ou de la thèse. Ce qui est traité ici peut aussi être transposé, à plusieurs égards, à l’étape de la finalisation du projet de mémoire ou de thèse qui doit être déposé pour approbation. Ce dépôt est en fait la première remise officielle d’une production de l’étudiant devant mener ensuite à l’expérimentation ou à la collecte des données. À cet effet, d’ailleurs, je préciserais l’importance d’accompagner l’étudiant dans la réalisation et la formulation de sa demande éthique. Ce n’est pas formellement une étape de réalisation de son mémoire ou de sa thèse, mais cette demande éthique n’en constitue pas moins une exigence à laquelle sont confrontés les étudiants. Même au doctorat, la rédaction de la demande éthique et les étapes nécessaires à son acceptation impliquent que vous apportiez un certain soin à évaluer la demande et à faire des propositions à l’étudiant. Une demande éthique incomplète provoque très souvent des délais et peut empêcher l’étudiant de procéder dans les temps voulus à la cueillette de ses données. En tant que directeur de recherche, la vérification de cette demande relève de votre responsabilité. Il est dommage que des étudiants soient pénalisés par des retours de formulaires incomplets ou mal formulés parce que leur directeur n’a pas cru bon les vérifier1. Évidemment, lorsque l’étudiant participe à votre propre recherche pour obtenir ses données, il fera habituellement partie de votre propre demande éthique, ce qui simplifie les choses pour lui.

1

Des échanges récents avec des personnes responsables des procédures d’approbation éthique pour les recherches des étudiants montrent que la majorité des demandes éthiques formulées par les étudiants leur sont retournées parce qu’il y manque plusieurs informations importantes ou que certains enjeux n’ont pas été prévus par les étudiants.

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1 / Le choix des membres du jury ou des évaluateurs Le choix des membres du jury ou des évaluateurs est abordé ici, mais c’est une décision qui devrait se prendre beaucoup plus tôt en amont de la démarche et non à la veille de déposer. Ce choix est un élément essentiel pour contribuer à la finalisation « en douceur » du processus. La sélection des membres du jury ou des évaluateurs peut jouer un rôle considérable dans la poursuite du travail (pour le projet) ou dans la façon dont va se dérouler l’étape de correction du mémoire ou de la soutenance. J’ai souvent entendu des histoires d’horreur, racontées par des étudiants aussi bien que par des professeurs, à propos du déroulement de la correction et particulièrement du processus de soutenance de la thèse. J’ai personnellement eu connaissance de quelques situations de mésententes, d’incompréhensions ou de tensions entre des directeurs de thèse, des étudiants ou des membres de leur jury au moment de la soutenance. Ce sont des situations regrettables. À partir du moment où la thèse est jugée satisfaisante pour se rendre à l’étape de la soutenance, il n’y a pas de raisons pour la refuser au moment de la soutenance, à moins qu’il devienne évident que le candidat n’est pas en mesure de discuter de son sujet et que cela laisse penser qu’il n’en est peut-­être pas l’auteur « principal ». Autrement, le processus devrait mener à l’acceptation de la thèse. J’évoque ce type de situations parce qu’il dépend beaucoup du choix des évaluateurs. Le choix des évaluateurs et des membres du jury de thèse devrait se faire avec le but avoué de faciliter la tâche à l’étudiant pour finaliser son processus et présenter une production de la meilleure qualité possible. Cela ne veut pas dire de choisir des personnes qui n’auront pas de regard critique sur ce qui a été produit, mais dont l’apport sera d’améliorer ce qui a été fait. Cela implique de faire un choix qui élimine, dans la mesure du possible, le maximum de risque d’affrontements, de mésententes, de demandes de corrections douteuses, de jugements inappropriés, des difficultés à pouvoir obtenir les corrections claires et précises dans un délai adéquat et de pouvoir tenir la soutenance dans un délai raisonnable pour l’étudiant. Cette évaluation externe demeure la dernière exigence à l’obtention du diplôme. Cette sélection devrait se faire de façon stratégique pour créer les meilleures conditions possible pour la correction de la thèse (ou du mémoire) et pour la soutenance et doit évidemment impliquer l’accord de l’étudiant.

350

Chapitre 12 / L’accompagnement dans les étapes de finalisation du mémoire ou de la thèse

La soutenance (ou la correction) n’est pas le moment de confronter des personnes ayant des avis divergents ou de créer une occasion de débats entre des visions différentes. C’est une occasion, pour un candidat, de faire connaître la réflexion et la connaissance qu’il a développées pour son sujet et de démontrer sa capacité d’en débattre. Cependant, débattre ne veut pas dire affronter et certains choix sont peut-­être à éviter si les écarts épistémologiques ou les positions théoriques de membres du jury présentent des écarts importants qui pourraient amener des divergences, simplement sur la base de ces positions, plutôt qu’en raison de ce qu’avance l’étudiant dans son travail.

2 / La finalisation pour le dépôt Travailler à la finalisation du dépôt consiste parfois à faire accélérer le travail de l’étudiant pour le « forcer » à compléter ce qu’il lui reste à ­accomplir pour déposer.

2.1 /

Utiliser certaines contraintes externes pour fixer une date de dépôt Ces contraintes sont des évènements qui sont prévisibles et connus (ou qui peuvent être rendus explicites si l’étudiant n’y a pas pensé) afin de définir une date « limite » pour déposer le travail, lorsqu’il est suffisamment avancé. J’ai indiqué qu’il était pertinent de connaître à quel moment l’étudiant prévoyait compléter son diplôme, lorsqu’on le rencontre pour la première fois (chapitre 3, section 6.2). Cette date peut évidemment se modifier selon la progression de l’étudiant, mais lorsque vous jugez que l’étudiant est suffisamment avancé pour envisager un dépôt dans un laps de temps relativement court, vous pourriez l’amener à produire plus rapidement pour finaliser son travail. Ces contraintes peuvent apparaître en cours de processus (comme l’arrivée d’une grossesse, une période de vacances ou un congé sabbatique), mais lorsqu’elles surviennent vers la fin du processus, elles nécessitent qu’on planifie de manière plus spéciale la finalisation du mémoire ou de la thèse. Si le processus de correction et de suivi de l’étudiant s’est fait de manière relativement systématique depuis le début, je considère qu’un délai de trois à quatre mois maximum devrait être considéré pour établir un plan de travail permettant d’accélérer la production vers la finalisation du travail. Évidemment, cette durée dépend beaucoup du statut de l’étudiant (temps complet ou temps partiel), de la contrainte elle-­même,

351

Encadrer aux cycles supérieurs

de la qualité et de la vitesse de sa production, de la facilité qu’il a à faire le suivi des corrections et de l’importance des modifications que vous lui demandez. Des contraintes réglementaires, comme la date limite de dépôt du travail alors que l’étudiant est à la veille de dépasser le temps qui lui est accordé pour son diplôme, sont souvent les premières contraintes qui viennent en tête. Le directeur peut demander à l’étudiant de lui faire connaître les délais qu’il lui reste pour éventuellement utiliser cette période pour faire produire l’étudiant un peu plus rapidement. C’est une façon d’utiliser cette limite comme levier pour pousser un peu l’étudiant à accélérer le travail. Vous pourriez aussi utiliser certaines contraintes personnelles comme vos vacances ou l’arrivée d’un congé sabbatique. C’est une façon de mettre une échéance pour faciliter le travail de ­planification et anticiper le dépôt.

2.2 /

Officialiser les dernières étapes avant le dépôt J’ai souligné, plus tôt, l’importance de déterminer des dates de remise à l’étudiant et de structurer le rythme des rencontres en fonction des productions à réaliser. Avec la fin qui approche, cette échéance devient beaucoup plus concrète puisqu’on peut alors choisir le moment du dépôt du mémoire ou de la thèse, étape ultime du travail. Cette concrétisation de la fin crée souvent une motivation supplémentaire chez l’étudiant. Je situe habituellement cette étape avec mes étudiants lorsque la version de leur chapitre d’interprétation des résultats présente peu de corrections ou qu’il reste une dernière version à compléter et à vérifier. Étant donné que l’ensemble des autres chapitres devrait présenter seulement des ajustements mineurs à apporter2, les tâches à compléter seront relativement restreintes. Cet encouragement à l’accélération ou à la finalisation du travail doit être initié par le directeur, même si l’étudiant peut avoir lui-­même déterminé qu’il envisage la fin de sa démarche. Vous avez alors un rôle majeur à jouer parce que l’accélération du travail signifiera aussi que vous serez amené à corriger plus souvent, dans un temps plus restreint et, é ­ ventuellement, à prendre moins de temps que vous preniez pour corriger.

2

Pour que ce soit le cas, il faut évidemment que le processus de correction ait été fait dans le sens de ce qui est proposé dans les chapitres précédents.

352

Chapitre 12 / L’accompagnement dans les étapes de finalisation du mémoire ou de la thèse

2.3 /

Laisser aller les imperfections C’est la dernière recommandation à faire pour permettre de faciliter le dépôt du mémoire ou de la thèse (ou du projet). Il faut que vous acceptiez (et l’étudiant aussi) de laisser aller le travail avec un certain nombre d’imperfections, s’il y en a. Il faut juger de ce qui peut relever de l’oubli et ce qui serait considéré plutôt comme une erreur majeure. À partir du moment où l’étudiant doit produire et finaliser son travail à une date incontournable, il faut qu’il puisse le faire avec la meilleure qualité possible, mais sans attendre que ce soit quelque chose de parfait. C’est donc au directeur de juger et d’évaluer ce qui peut faire l’objet d’un « laisser-­aller » et ce qui doit être réajusté absolument. À cet effet, il y a certains ajustements qui valent la peine d’être demandés et certains autres qui ne seront pas rentables. C’est notamment le cas d’éléments que l’étudiant voudrait ajouter, mais qui ne sont pas essentiels et qui ne donnent pas autant de valeur supplémentaire au travail que ce qu’il peut envisager. Il est souvent préférable, dans les derniers moments, de ne pas accepter d’ajouts qui n’avaient pas semblé utiles auparavant, et que l’étudiant veut tout à coup insérer. Il en est de même pour les corrections à faire de votre part. Pour certains directeurs, un tel abandon représente un choix difficile parce qu’ils ont l’impression que si le travail n’est pas « parfait », le jugement des collègues sera sans pitié à leur égard. Comme je l’ai évoqué dans le chapitre 11, à propos de la correction, il faut malgré tout savoir prendre de la distance par rapport à ce que l’étudiant remet. L’idée n’est pas d’amener l’étudiant à soumettre n’importe quoi. Cependant, comme directeur, il faut encourager l’étudiant à déposer, et ce, même si ce n’est pas parfait. Par contre, il arrive parfois que l’étudiant veuille déposer alors que le directeur n’est pas d’accord. On retrouve ce genre de situation lorsqu’un emploi est envisagé et que les exigences pour considérer les candidatures demandent, au minimum, le dépôt de la thèse ou du mémoire. Vous pouvez évaluer les corrections minimales qui seraient nécessaires pour qu’il y ait, au pire, des modifications et des corrections demandées avant soutenance, dans le cas d’une thèse, et les faire connaître à l’étudiant. Cependant, il faut évoquer clairement à l’étudiant quelles sont les conséquences potentielles d’une telle situation. Un dépôt prématuré de la thèse ou du mémoire, si les qualités minimales requises ne sont pas présentes, peut mener à l’échec.

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Si l’étudiant désire déposer son travail malgré votre avis3, vous devez l’informer de votre évaluation de son travail et des commentaires que vous ferez en tant qu’évaluateur. Il ne sera pas surpris, ainsi, de la teneur de votre rapport d’évaluation.

3 / Le processus de vérification et le dépôt Au moment de la finalisation du travail, une dernière étape de vérification doit être effectuée pour la qualité du travail et sa cohérence, sur le plan de la forme et du contenu. Les différentes phases de correction précédentes auraient évidemment dû permettre de faire cette vérification. Toutefois, certains éléments ne peuvent être vérifiés qu’au moment où toutes les parties sont mises ensemble. J’aborde cette étape de vérification ici, bien qu’elle ait pu se faire au cours des différentes corrections précédentes. Ces vérifications finales impliquent un certain travail qui peut devenir fastidieux et, selon moi, elles ne sont pas nécessairement de la seule responsabilité du directeur. Je fais cette distinction parce que des professeurs m’ont questionné à ce sujet au cours des formations. Ils avaient mis beaucoup de temps et d’énergie à vérifier toutes sortes de choses qui auraient dû l’être, selon moi, par l’étudiant. Vous trouverez, dans la liste qui suit, le type de vérification auquel le directeur peut apporter un certain regard et noter les aspects qui font défaut, mais qui devraient relever majoritairement de la responsabilité de l’étudiant. Ces choix sont en lien avec le temps requis pour faire les vérifications et le degré de compétence qu’ils demandent. En tant que directeur de recherche, votre action devrait se situer sur le plan du contenu et des processus. Votre rôle ne devrait pas concerner la vérification d’éléments de surface, bien que vous puissiez en déceler lorsque vous faites une correction répétée des différentes versions et lors de la dernière lecture de tout le document avant le dépôt. Éléments de vérifications du contenu et de la forme qui devraient ­relever de la responsabilité de l’étudiant : • Vérification des coquilles, des mots répétés ou manquants ;

3

Habituellement, la signature du directeur de recherche est requise pour permettre le dépôt du mémoire ou de la thèse.

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Chapitre 12 / L’accompagnement dans les étapes de finalisation du mémoire ou de la thèse

• Vérification des erreurs grammaticales et syntaxiques4 ; • Vérification des espaces, des marges et des règles de présentation du format du texte ; • Vérification des règles de présentation (forme, caractère et espacements) ; • Tableaux, figures, etc. ; • Titres et sous-­titres ; • Citations ou extraits ; • Références et bibliographie ; • Vérification du respect de l’ordre de la numérotation et des listes ; • Correspondance des références des tableaux et des figures dans le texte avec la numérotation de ces tableaux et figures ; • Séquence adéquate de la numérotation (tableaux, figures, schémas, etc.) ; • Correspondance des auteurs référencés et des dates dans la bibliographie avec ce qui se trouve dans le texte ; • Présence réciproque des références dans la bibliographie et dans le texte ; • Correspondance et séquence des numéros de chapitres et des appendices ; • Correspondance des références des appendices avec leur positionnement dans le texte. C’est à l’étudiant qu’appartient la responsabilité de vérifier ces aspects. Il peut y avoir d’autres éléments, mais cette liste donne un aperçu relativement complet de ce qui est à vérifier. Pour éviter des attentes de sa part, il faudra être explicite à ce sujet, au début de votre encadrement. Si vous ne l’avez pas précisé au moment d’accepter l’étudiant, la correction des premières productions de l’étudiant devrait être le moment de le lui faire savoir. Vous pouvez indiquer un commentaire à l’effet de vérifier un tableau, un schéma, un titre ou un sous-­titre qui vous apparaissent peut-­ être présenter une erreur ou ne pas correspondre à la forme attendue, mais vous lui demandez de le faire en lui précisant qu’il doit s’assurer de respecter ces exigences et que vous ne ferez pas de vérification de ces aspects.

4

Le processus de correction des différentes versions peut avoir aidé à éliminer une bonne part de ce type d’erreur, mais je demande aux étudiants, selon les situations, de passer leur texte à l’analyse du logiciel de correction du français Antidote pour s’assurer d’éliminer le maximum d’erreurs. Le logiciel de correction risque moins d’avoir des périodes d’inattention que moi ou qu’eux pendant la lecture.

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4 / Des corrections majeures ? Malgré toute la bonne volonté et la rigueur dont on peut faire preuve, il se peut que ce que l’étudiant dépose fasse l’objet de critiques importantes et soit retourné pour des modifications majeures. Certains étudiants qui sont plus faibles que les autres demandent un niveau d’encadrement très élevé et de nombreuses étapes de corrections et de révisions, que ce soit sur le plan de la méthode, des connaissances, du processus de recherche, etc. Cette situation de répétition de correction et de suivi plus intense fait en sorte qu’on développe parfois des « taches aveugles » sur le plan du contenu de leur travail et qu’on ne réalise plus qu’il leur manque des éléments essentiels qu’ils auraient dû traiter. J’ai vécu l’expérience avec un de mes étudiants et j’ai réalisé, par les échanges avec d’autres directeurs, que c’était un facteur important dans le fait de ne plus « voir » ce qui pouvait manquer. Plus l’accompagnement demande du temps et un travail important de correction, plus il y a des risques qu’on ne parvienne plus à avoir suffisamment de recul pour distinguer les éléments qui sont absents. À la longue, on finit par voir dans le texte et le contenu la cohérence et l’organisation adéquate qu’on recherchait pour ce qu’ils avaient produit, mais à force de « corriger » ce qui n’est pas adéquat, on oublie de considérer ce qui pourrait être ajouté et ce qui manque. Quand cela se produit, il peut y avoir une sorte de doute qui s’installe sur notre propre compétence… Il faut donc redoubler de prudence avec un étudiant pour qui on met beaucoup de travail de correction, d’élagage, de suggestions et de suivi. Parfois, lorsque le contexte le permet, on peut demander à un collègue de vérifier certains éléments, si l’on doute d’avoir oublié quelque chose sur un aspect. Il m’est ainsi arrivé d’avoir complètement oublié de rappeler à un de mes étudiants de maîtrise de mettre ses objectifs de recherche… Cette information était complètement passée sous mon radar et je ne m’en suis aperçu que le matin où il allait présenter son projet de recherche5.

5

Dans notre programme de maîtrise, l’étudiant doit déposer et défendre son projet de recherche devant un comité d’évaluation qui lui fait ses commentaires avant de procéder à la collecte de ses données et à la suite du processus.

356

Chapitre 12 / L’accompagnement dans les étapes de finalisation du mémoire ou de la thèse

5 / La soutenance de thèse La soutenance est un moment important, parce que c’est l’étape ultime où l’étudiant devra démontrer qu’il maîtrise son sujet et qu’il est en mesure de défendre sa recherche avant d’obtenir son diplôme. C’est à l’étudiant de se préparer, mais le directeur peut encore avoir un rôle de soutien pour sa préparation. L’étudiant peut avoir besoin de suggestions dans la façon de se préparer et de tenir compte des questions ou des commentaires qui ont été formulés lors de la correction de la thèse. C’est sur ce plan que le directeur peut accompagner l’étudiant. La clarté et l’organisation des informations transmises constituent deux éléments significatifs dans le déroulement de la soutenance. Certains étudiants ont plus d’habiletés que d’autres pour organiser et décrire leur recherche, ce qui signifie que certains auront éventuellement besoin de plus d’aide pour structurer leur présentation. Décrire de façon synthétique sa thèse et son travail de recherche est très souvent difficile pour un étudiant de doctorat. Il y a accordé de nombreuses années et ce moment où il peut en témoigner est souvent une occasion de tenter de faire valoir tout l’effort et le travail qu’il y a mis. Cela peut entraîner une pléthore de détails et d’explications qui ne sont pas toujours pertinents ou utiles pour favoriser la discussion et les échanges par la suite… alors que c’est l’objectif de la présentation de la soutenance. Le directeur de recherche peut avantageusement valider le contenu et la structure (sur papier) de la présentation pour voir de quelle façon l’étudiant prévoit aborder sa démarche. Cette validation pourra servir à aider l’étudiant à mettre l’accent sur les aspects les plus significatifs ou qui traitent des commentaires ou des questions des membres du jury.

357

PARTIE 4 /

LES PROBLÈMES ET LES SITUATIONS CRITIQUES

L’encadrement des étudiants ne se fait pas toujours dans la joie et dans la progression constante et régulière de leur recherche. Les consultations que j’ai menées avec les étudiants et les directeurs de recherche au fil des ans, et les témoignages reçus au cours des formations, ont fait souvent surgir des problèmes et des situations devant lesquelles les directeurs ne savaient pas comment agir ou ignorait comment les éviter. Cette dernière partie comprend trois chapitres qui traitent de problèmes de différente nature qui peuvent affecter la progression de l’étudiant aussi bien que la relation avec le directeur de recherche. J’aborde les situations qui font souvent l’objet de plaintes ou de préoccupations de la part des directions de recherche. J’évoque ainsi un certain nombre de problèmes pour lesquels je décris les causes possibles, notamment pour éviter de croire qu’un manque de production ou d’avancement est nécessairement lié à un manque de productivité et d’intérêt de l’étudiant. Certaines de ces situations se rapprochent de ce que j’ai pu décrire dans le chapitre 8 sur l’accompagnement à la production du projet (sections 3 et 4). Cependant, les difficultés abordées ici concernent des faiblesses ou des lacunes qui ont souvent une ampleur beaucoup plus grande ou plus généralisée. Je les traite séparément de celles évoquées au chapitre 8 parce qu’elles ne sont pas nécessairement liées à la production de parties précises, comme l’étaient les difficultés rapportées alors. Le lecteur peut ainsi consulter ce chapitre pour rechercher des lacunes décelées chez un étudiant et passer ensuite au chapitre 8, s’il ne retrouve pas ­nécessairement ce qu’il cherche. Je présente aussi un certain nombre d’autres situations problématiques qui apparaissent en cours de démarche et qui n’ont pas nécessairement pu être dépistées au début, lors des premières rencontres avec

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les étudiants. Sans revenir sur les causes des problèmes de progression déjà mentionnées au chapitre 2, cette partie se veut une sorte de « guide d’interprétation » des situations susceptibles de produire de l’insatisfaction envers vos étudiants et pour indiquer de quelle manière on peut tenter d’éviter l’apparition de ces situations, ou les façons d’intervenir lorsqu’elles se présentent. J’ai ainsi intégré la description de situations conflictuelles potentielles qui peuvent se développer entre le directeur et l’étudiant dans le chapitre 14. Ces situations ne sont pas seulement des sources d’insatisfaction pour le directeur, mais elles sont parfois aussi insatisfaisantes pour l’étudiant. J’évoque ces problèmes ici parce que ce sont seulement les actions du directeur qui peuvent permettre de redresser la situation, et ces problèmes sont souvent symptomatiques de certaines lacunes dans les modalités d’encadrement mises en place par le directeur lui-­même. Je ne prétends pas qu’il s’agit d’une liste exhaustive et complète des causes et des problèmes potentiels, mais ils constituent les principales situations problématiques susceptibles d’être rencontrées, celles que les directeurs de recherche me rapportent le plus fréquemment, et aussi celles qui sont peut-­être moins fréquentes, mais qui peuvent avoir une incidence significative et que les directeurs ne sont pas toujours en mesure de reconnaître, à moins de les avoir déjà vécues. Enfin, le dernier chapitre aborde succinctement la situation particulière d’encadrement d’étudiants étrangers. Ces situations sont particulières, parce que le contexte des étudiants étrangers se distingue de celui des étudiants d’ici, puisqu’ils ont eux-­mêmes de la pression et des conditions d’études qui peuvent parfois entraîner de la pression ou des malaises chez les ­directeurs de recherche.

360

Chapitre 13 /

Les problèmes de rédaction et de production

1 / Les problèmes dans l’expression écrite L’une des principales insatisfactions mentionnées par les directeurs concerne les problèmes d’expression écrite qu’ils énoncent souvent simplement par « Il ne sait pas écrire… ». Dans la très grande majorité des cas, c’est probablement une généralisation abusive. Comme pour beaucoup de problèmes qui seront abordés plus loin, il faut différencier les faiblesses ponctuelles des lacunes généralisées. Sur le plan de l’écriture, il faut différencier les difficultés qui proviennent d’un manque de pratique d’un type d’écriture des problèmes d’expression écrite provenant d’une faiblesse de la connaissance ou de la maîtrise de la langue et de ceux qui proviennent d’un laisser-­aller de l’étudiant concernant la correction et la vérification de ses propres productions. La majorité de ces difficultés apparaissent souvent dans les premières versions des textes de l’étudiant. C’est pourquoi un certain nombre de problèmes évoqués ici ressemblent à certains problèmes expliqués dans le chapitre 8 à propos de la production des chapitres de la problématique et du cadre conceptuel (section 3) et que certaines causes sont similaires (section 4). Les suggestions ­d’interventions mentionnées alors (section 5) sont tout aussi pertinentes. J’ai fait ce choix de séparer les types de problèmes en deux chapitres parce que parfois les difficultés observées ne sont pas catégorisées de la même façon par les professeurs. Étant donné qu’on peut consulter l’ouvrage en fonction de l’objet de préoccupation, il se peut que le premier chapitre consulté soit celui-­ci, lié aux problèmes de rédaction en raison des problèmes perçus dans l’expression écrite, plutôt que pour les problèmes liés à la production des premiers chapitres.

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La description des types d’erreurs ou de faiblesses du texte mentionnés ici vise à présenter des problèmes dont la forme peut donner l’impression de lacunes en français alors que les causes peuvent être d’une tout autre nature. Je propose à l’occasion des façons de dépister ces causes ou des suggestions sur la manière de faire travailler les étudiants pour améliorer la qualité de la production. Il est cependant fréquent que l’étudiant soit parvenu à produire un chapitre adéquat au fil des corrections et que la première version du chapitre ou d’une partie du chapitre suivant présente les mêmes erreurs reprochées au début de sa production précédente. Ce type de problème ne concerne habituellement pas la qualité de la rédaction sur le plan de la langue, mais la difficulté de l’étudiant d’intégrer le style et la forme de rédaction propre à un texte scientifique. J’ai déjà encadré un étudiant qui était incapable de produire des « premières versions » de chacun de ses chapitres qui respectent, d’une fois à l’autre, le style scientifique. Ce fut vrai pour les cinq chapitres de son mémoire… Pourtant, sur le plan du français, son écriture était d’une excellente qualité !

1.1 /

Énumération de phrases et d’idées sans descriptions ni explications On rencontre souvent ce type de problème dans les premières versions des textes des étudiants, surtout dans les deux premiers chapitres (la problématique et le cadre théorique). Certains étudiants cherchent principalement à faire une énumération des informations qu’ils ont colligées sans se préoccuper de décrire et d’expliquer ces observations qu’ils tirent de leur recension des écrits. Ils interprètent de façon erronée qu’un texte scientifique précis et concis ne contient qu’une énumération d’informations ou d’idées (souvent des propos d’auteurs) qu’ils ont tirées de leurs lectures, sans fournir d’autres explications ou des descriptions plus détaillées (chapitre 8, sections 3.5 et 3.8). Il y aura là une certaine pratique qui sera à développer par des indications précises lors de la correction (chapitre 11, section 3). Cependant, d’autres causes possibles peuvent expliquer ce problème d’expression trop synthétique. Ce peut être une difficulté de l’étudiant à transposer ses idées en phrases et à les développer par écrit ou un manque d’approfondissement des concepts et des textes. Dans le premier cas, ce problème vient de la difficulté de certains étudiants à développer leur pensée par écrit. Ils ont une approche synthétique de tout ce qu’ils présentent ou de tout ce dont ils parlent. Parfois, certains seront un peu plus en mesure de développer leur propos à l’oral,

362

Chapitre 13 / Les problèmes de rédaction et de production

mais ils auront quand même tendance à émettre l’idée, sans détailler nécessairement toutes les connaissances ou les liens qui sont sous-­ entendus par cette idée. C’est comme si, dans leur esprit, ils voyaient les informations à traiter comme une sorte de table des matières mentale qui comprend les éléments importants et qu’une fois énoncés, ils ont l’impression que tout a été dit. Lorsqu’on discute avec eux, on se rend bien compte qu’ils connaissent leur sujet parce qu’ils sont capables de nous décrire tout qu’ils auraient dû ajouter. Mais la seule mention qu’ils devraient décrire les choses plus en détail n’est toutefois pas suffisante pour qu’ils comprennent ce qui manque. Parfois, on peut préciser la nature des informations manquantes lors de la correction (chapitre 11, section 3.2). Lors du retour sur les corrections (chapitre 11, section 6.3), il faut s’arrêter sur les premières parties problématiques et les amener à énoncer ce qu’ils voulaient dire et ce à quoi ils pensaient pour rendre explicite les éléments d’information pertinents (chapitre 8, section 5.5). On peut alors préciser, dans ce qu’ils nous énoncent, ce qu’ils peuvent ajouter à leur texte et ce qui n’est pas utile. Après quelques exemples, ils pourront ajuster eux-­mêmes les autres parties problématiques, mais le travail sera parfois à refaire pour de nouvelles parties produites. Dans le deuxième cas, le manque de connaissance fait en sorte qu’ils parviennent seulement à décrire des idées glanées ici et là au gré des lectures, sans vraiment pouvoir les présenter de façon plus précise. Ils énoncent un fait ou rapportent les propos d’un auteur, mais sans décrire le contexte des articles référés, la procédure de recherche ou encore des explications de ce que cela signifie. Les questions posées lors du retour sur les corrections peuvent aider à dépister cette cause puisque les étudiants auront souvent de la difficulté à expliquer en détail ce que leurs propos pouvaient suggérer. Ils s’en tiendront à des généralités et ne pourront pas, par eux-­mêmes, fournir beaucoup plus d’informations que ce que leur texte contient déjà. La vérification des notes de lecture (chapitre 6, sections 5.1 et 5.2) demeure probablement le meilleur moyen de vérifier ce sur quoi ils construisent leur texte, à partir du moment où on s’est assuré d’encadrer leur recension des écrits. Dans ce cas, si celles-­ci semblent contenir les informations pertinentes, la résurgence du même type d’erreur pour les mêmes passages suggère alors qu’ils s’y prennent peut-­être à la dernière minute pour produire ce qu’ils vous remettent. Les corrections qu’ils apportent au texte pourraient s’avérer un peu plus précises, mais parfois, ils effectueront les changements « à la pièce », selon vos demandes, en ajoutant notamment une ou quelques références supplémentaires, ou en

363

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reformulant simplement le passage autrement, sans donner plus de précisions. Certains étudiants enlèveront d’ailleurs les passages en question, s’ils ne trouvent pas facilement des éléments supplémentaires à ajouter. Parfois, les corrections mèneront plutôt au problème suivant.

1.2 /

Phrases ou contenu trop vagues, en survol ou trop verbeux Ce problème est habituellement associé seulement à un manque d’approfondissement des sujets abordés. Certains étudiants demeurent très habiles pour dire (et écrire) des généralités en donnant l’impression qu’ils savent de quoi ils parlent. Ils ont pu lire des textes et avoir fait une recension des écrits convenable, mais ils rédigent leur texte en fonction du souvenir qu’ils ont de ce qu’ils ont lu, plutôt que de se référer à des notes de lecture. Celles-­ci sont d’ailleurs souvent inexistantes. Ils n’ont pas de notes de lecture parce qu’ils ont simplement souligné (surligné) les éléments jugés importants dans les textes. Leur rédaction se fait à partir de souvenirs, et ils vont rechercher alors, dans les textes lus, les références permettant de justifier leur propos (chapitre 8, section 4.7). D’autres étudiants vont combler ce manque d’approfondissement des lectures et d’absence de contenu auquel ils se réfèrent en construisant leur connaissance sur les échanges qu’ils ont avec leur directeur. J’ai déjà décrit cette approche dans le chapitre 8 (section 4.5). Ce n’est pas nécessairement une tentative de cacher leur méconnaissance, mais ils ont simplement l’impression que c’est la façon de procéder. Ils peuvent tirer cette façon de faire de leurs anciennes habitudes pour produire leurs travaux. Ils faisaient un certain nombre de lectures et ils écrivaient ensuite leur travail à partir de ce dont ils se souvenaient, en structurant les informations en fonction des exigences des travaux et des consignes qui leur avaient été données. Dans le cadre de leur maîtrise, ils ont en plus l’occasion de vérifier leur compréhension parfois sommaire des informations avec leur directeur, qui leur fournit de nombreuses explications et précisions supplémentaires dont ils peuvent s’aider pour ajouter des éléments à leur texte. Il en résulte quelque chose de moins clair et de moins bien articulé qui aurait cependant pu être tout à fait recevable dans le cadre d’un travail de premier cycle. L’étudiant peut avoir tendance à devenir plus « verbeux » dans sa formulation, parce qu’il essaie d’exprimer une pensée qui n’est pas vraiment claire, mais qu’il a l’impression de comprendre. Il peut aussi chercher à « faire savant » en pensant que des formulations ampoulées cacheront son manque de connaissance.

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Chapitre 13 / Les problèmes de rédaction et de production

Il est important, lors des rencontres, de les laisser décrire ce qu’ils ont lu et compris de leurs lectures, et de leur poser des questions d’éclaircissement sur leur propre position et ce qu’ils en retiennent, plutôt que de discuter avec eux de ce qu’ils ont lu, comme s’il s’agissait de collègues (chapitre 8, sections 5.5 et 5.10). Il faut vérifier verbalement ce que l’étudiant sait de son sujet et ce qu’il exprime par lui-­même et non s’il est capable d’échanger avec vous sur le sujet. La vérification des notes de lecture (chapitre 6, section 5.1) est encore une fois un moyen rapide, très tôt dans le processus d’accompagnement, de vérifier jusqu’à quel point l’étudiant s’approprie les connaissances sur son sujet.

1.3 /

Texte mal organisé, idées pêle-mêle ou structure circulaire du texte Les premières versions des productions sont souvent mal organisées et les idées réparties un peu partout dans le texte. Au début, ils n’ont pas nécessairement une connaissance suffisamment approfondie de leur sujet. Ils peuvent mélanger les notions principales des éléments secondaires et tout mettre sur un même niveau. L’amélioration de la structure du contenu devrait apparaître progressivement lors de chaque nouvelle version, surtout si vos corrections et les commentaires sont relativement explicites (chapitre 11, sections 3.1 et 3.2). Parfois, le problème vient de la façon dont les étudiants s’y prennent pour rédiger leur texte. Dans certains cas, ils procèdent à une production « par association ». Cela fait partie des problèmes de production mentionnés dans le chapitre 2 (section 3). Cela signifie que leur rédaction se construit au fil de leur pensée, au fur et à mesure que les idées leur viennent. Ce n’est pas un problème en soi, mais ils ne procèdent pas ou ne parviennent pas, par la suite, à une révision ou à une restructuration de leurs idées. En fait, comme les phrases se suivent par une sorte de lien, d’une idée à l’autre, ils ont l’impression, en se relisant, que cela a du sens, sans vraiment se rendre compte que l’idée générale disparaît rapidement. Tout à coup, plus loin, on retrouve l’idée du début, mais sans qu’elle ne soit véritablement associée aux parties précédentes. D’autres fois, il est possible que la structure circulaire du texte soit liée au fait que l’étudiant ne sache pas trop comment organiser les thèmes qu’il veut traiter. Il peut avoir l’impression que deux parties peuvent être interchangées dans l’ordre de leur présentation et il ne sait pas vraiment quelle organisation serait meilleure. Ce type de situation est très souvent une indication que l’étudiant cherche à intégrer une information ou une partie qui n’est pas vraiment pertinente. C’est cette absence de

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pertinence qui fait que l’étudiant n’arrive pas à l’intégrer convenablement. Cependant, il se peut que vous ne vous en aperceviez pas tout de suite, parce que le thème en question semble pourtant faire partie du sujet. Il est alors possible que ce soit une situation où un écart s’est établi entre votre compréhension respective de ce qu’est devenu le sujet (chapitre 2, section 3 ; chapitre 7, section 1.2.5). Une façon d’intervenir sur l’une ou l’autre des causes consiste à demander à l’étudiant d’expliquer ou de décrire la structure ou l’ordre de ses idées comme je le décris dans le chapitre 8 (section 5.8). Évidemment, les approches proposées sont plus faciles à appliquer si l’on travaille sur de petites parties à la fois (chapitre 8, section 1) plutôt que sur tout un chapitre, avant de le lire une première fois. Il faut essayer d’amener l’étudiant à réfléchir à sa structure et lui demander de la dégager de ce qu’il a écrit pour essayer de voir quelle peut être la difficulté. Ça permet de voir comment il parvient à articuler les choses sur le plan conceptuel, à partir de sa propre rédaction. On s’aperçoit alors rapidement s’il s’agit d’un manque de « correction » de sa part parce qu’il ne sera pas capable de nous expliquer ses choix de façon très réfléchie. Autrement, on peut lui faire des suggestions sur les liens hiérarchiques entre les concepts ou entre ses parties et sous-­parties. Il faut cependant favoriser un travail de réorganisation de ce qu’il a écrit ou de ce qu’il veut écrire avant de penser lui suggérer un plan ou une structure parce que ce type de suggestion peut provoquer d’autres problèmes sur le plan de la production (chapitre 8, section 5.7).

1.4 /

Problèmes de syntaxe et de ponctuation C’est probablement le meilleur indice d’un problème réel de maîtrise de la langue écrite. C’est un problème évidemment important, mais qui aurait dû être déterminé dans les toutes premières étapes d’encadrement de l’étudiant. Ce n’est pas lorsque l’étudiant a terminé ses cours et qu’il se met à rédiger son projet que c’est le temps de se rendre compte qu’il a des faiblesses importantes en ce qui concerne la langue. C’est une des premières choses à évaluer lorsque vous rencontrez les étudiants qui vous demandent de les diriger (chapitre 3, section 2.4). Si vous vous rendez compte, au début, qu’un étudiant présente des lacunes de rédaction qui sont importantes, vous pouvez alors simplement décider de ne pas l’encadrer. Si vous l’acceptez, vous le ferez en toute conscience et vous pourrez l’avertir des exigences que vous avez à cet égard.

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Chapitre 13 / Les problèmes de rédaction et de production

Il n’appartient pas au directeur de recherche de faire l’éducation de l’étudiant lorsqu’il présente des faiblesses importantes sur le plan de la langue. Le directeur peut aider à former à l’écriture scientifique, à l’organisation des idées en fonction de son sujet, mais ce n’est pas son rôle d’enseigner les règles de français. On doit corriger des erreurs qui apparaissent dans le texte, on peut mettre l’accent sur certains « tics » d’écriture de l’étudiant, mais on n’a pas à corriger toutes les erreurs dans un texte dont la qualité du français est déficiente. Lorsque le nombre d’erreurs est trop élevé à votre goût, cessez de les corriger et laissez une note explicite à l’étudiant. Vous pouvez poursuivre votre correction dans la mesure où le contenu du texte est compréhensible malgré les fautes, mais si cela devient impossible, indiquez-­le à l’étudiant pour qu’il reprenne son texte et en améliore la lisibilité sur le plan du français (chapitre 5, section 4.5). Deux solutions demeurent possibles pour l’étudiant, s’il a vraiment besoin d’un encadrement important en ce qui concerne le français : soit qu’il fasse corriger son texte par quelqu’un qui maîtrise mieux la langue (au même titre qu’un réviseur linguistique corrige les manuscrits à publier) ; soit qu’il utilise un logiciel de correction comme Antidote1. Vous lui donnez alors la responsabilité de vérifier et de corriger son texte avant de vous le soumettre. L’usage d’un logiciel spécialisé comme Antidote n’élimine pas nécessairement toutes les erreurs, parce que l’étudiant demeure responsable d’accepter ou de refuser les suggestions 2, mais permet souvent d’en diminuer le nombre de façon très significative.

Pour tous les travaux que je demande, même ceux à remettre dans le cadre de mes cours, je donne ces deux solutions aux étudiants dès le premier cours ou la première rencontre. Je ne reçois à peu près jamais de textes de mauvaise qualité sur le plan grammatical ou syntaxique, et si on m’en remet un, le même étudiant ne m’en remet jamais un deuxième, parce qu’il sait que je ne le corrigerai pas. Je ne fais pas cette précision d’emblée à tous les étudiants que j’encadre, puisque je procède à une vérification de leur qualité d’écriture dans les documents que je leur demande de préparer pour notre 1

2

Antidote est un logiciel de correction et de rédaction du français très puissant et très convivial que je recommande même à ceux dont le français est de bonne qualité. Il permet de vérifier les textes et de proposer certaines corrections. Il peut s’appliquer aussi sur les textes anglais pour ceux qui maîtrisent moins l’anglais. Le logiciel propose parfois certaines corrections lorsque le sens peut être interprété de deux façons, ce qui fait qu’un étudiant maîtrisant moins le français pourrait se tromper dans le choix de la « bonne » correction.

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Encadrer aux cycles supérieurs

première rencontre (et dans leur courriel). Je ferai les avertissements seulement aux étudiants dont l’écriture suggère des problèmes de maîtrise de la langue écrite ou lorsque des lacunes apparaissent au cours de leur démarche.

Il existe aussi parfois des services d’accompagnement en français ou de communication, dans les établissements, qui visent à fournir à l’étudiant des connaissances de base sur des éléments de rédaction du français qu’il ne connaîtrait pas. Ces services peuvent aider l’étudiant à développer de meilleures compétences en français, mais dans le processus de rédaction et de remise de ses productions, ce travail ne permet pas nécessairement d’améliorer la totalité de sa rédaction d’un seul coup. On peut alors encourager l’étudiant à utiliser ces aides parce qu’elles lui permettront de devenir plus autonome et plus compétent en français, mais cela devra probablement se faire en parallèle avec l’utilisation des autres ­solutions possibles pour diminuer les fautes lorsqu’il remet ses productions.

2 / Les problèmes de production Les problèmes de production font référence à la difficulté de produire un texte dans un temps donné. Il n’est pas question de qualité, pour ce type de problèmes, mais plutôt de capacité à produire. Les problèmes de productions des étudiants n’affectent pas nécessairement les directeurs et ces problèmes font rarement l’objet d’insatisfaction chez eux… à moins qu’ils aient l’impression que ces problèmes sont dus à un manque de travail de l’étudiant. J’aborde ces problèmes pour aider à distinguer éventuellement les situations qui relèvent de difficultés que l’étudiant rencontre à pouvoir produire ses textes de celles qui sont plutôt causées par un manque d’engagement de sa part.

2.1 /

L’étudiant produit toujours moins que ce qui avait été demandé Évidemment, dans la mesure où vous n’avez pas déterminé une partie précise à produire en fonction d’un échéancier précis (chapitre 3, section 6.5 ; chapitre 4, section 2), vous ne pourrez pas vraiment savoir que l’étudiant produit moins que ce qui avait été demandé. Dans ce cas, cela peut prendre un certain temps avant de savoir que l’étudiant rencontre des problèmes de production. Si vous lui demandez de produire une partie importante de texte pour une première version, il est possible

368

Chapitre 13 / Les problèmes de rédaction et de production

que l’étudiant ne puisse produire la totalité dans le temps prévu, simplement parce que les premières versions sont souvent plus difficiles à produire. En lui faisant produire de petites parties à la fois (chapitre 8, section 1), il devient beaucoup plus facile de se rendre compte que l’étudiant ne met peut-­être pas le temps requis pour avancer dans son travail puisque les portions à produire sont moins importantes. Il peut arriver, à l’occasion, que l’étudiant ne remette pas au moment prévu la totalité de ce qu’il devait produire. On devrait discuter avec lui des difficultés qu’il a rencontrées pour comprendre si le problème est venu d’une difficulté liée au contenu, à la compréhension ou à d’autres facteurs externes. Si la situation se répète à deux ou trois reprises de façon consécutive, elle suggère un problème important, qui n’est pas que passager, et il faut l’aborder clairement avec l’étudiant. Les causes peuvent être variées. J’en décris trois, ici, qui sont celles que j’ai rencontrées le plus souvent.

2.1.1 /

L’étudiant n’a pas mis le temps requis pour produire son texte C’est la première cause qui vient en tête lorsque l’étudiant ne produit pas ce qui était attendu. Lorsque c’est le cas, la quantité de texte produite est très loin de ce qui avait été prévu ou encore la qualité du texte est vraiment en deçà de ce que l’étudiant nous a déjà démontré dans d’autres productions. À moins que l’étudiant fasse preuve d’une très grande franchise, il cherchera à expliquer ce résultat par différentes situations externes qui seront venues le déranger dans sa production : • « J’ai reçu chez moi un ami d’Europe et j’ai dû le véhiculer un peu partout… » • « J’ai une voisine qui est très âgée et qui n’a pas d’auto et je me suis offert pour la reconduire à ses rendez-­vous chez le médecin… » • « J’ai donné du temps à Opération Nez rouge parce que je suis ­bénévole depuis 8 ans… » On pourrait ainsi défiler une multitude de raisons, mais ça signifie que l’étudiant a préféré s’engager dans ces activités plutôt que de travailler à sa production. À la suite d’une deuxième remise d’une production incomplète par rapport à ce sur quoi on s’était entendus (ou d’aussi mauvaise qualité que la précédente), il faut lui exprimer notre préoccupation à l’égard de son travail. On doit laisser à l’étudiant quelques occasions d’améliorer son travail, mais lorsque la progression ne se fait pas, une discussion s’impose.

369

Encadrer aux cycles supérieurs

Personnellement, à la troisième occasion où il remet ses productions en retard ou dans une version incomplète, je juge qu’il faut aborder le sujet clairement, poser la question à l’étudiant sur ce qui nuit à sa capacité à produire. Des problèmes personnels ou une situation difficile peuvent effectivement empêcher l’étudiant de pouvoir produire comme il le voudrait, mais il faut le savoir pour en tenir compte dans la façon de déterminer la suite du travail (section 4). Lorsque l’étudiant semble vraiment faire autre chose que de travailler sur son mémoire ou sa thèse, il faut lui mentionner les limites que vous entrevoyez à continuer de l’encadrer et ce à quoi vous vous attendez pour poursuivre son encadrement. Si l’étudiant évoque une perte d’intérêt ou de motivation, vous pouvez en discuter pour tenter de trouver des moyens de ranimer cet intérêt ou cette motivation et encourager l’étudiant à poursuivre, mais vous ne devez pas y mettre plus d’effort que l’étudiant lui-­même. J’ai rencontré des professeurs qui se plaignaient de retards répétés des étudiants et de la prolongation indue de leur démarche en raison de ces retards, sans qu’ils n’aient osé intervenir de façon précise auprès d’eux. Vous ne devez pas faire preuve de trop de laxisme par rapport à leur éparpillement dans d’autres activités que le travail sur leur projet. Cela peut être une décision personnelle de continuer d’accompagner un étudiant qui ne met pas le temps nécessaire pour progresser, mais il vous appartient de faire savoir à l’étudiant à quel moment votre accompagnement peut cesser, si ses propres efforts ne sont pas mis pour faire avancer son travail (chapitre 5, section 4.5). Ce type de situation s’évalue différemment pour chaque étudiant. Le principe à retenir est que si vous jugez que l’étudiant ne met pas le temps et l’effort requis pour produire ce qu’il a à produire en fonction de ce sur quoi vous vous étiez entendus, donnez-­lui un nombre limité de chances pour se reprendre en lui fournissant toute l’aide et tout l’encouragement possibles. Délimitez toutefois clairement un moment où votre accompagnement ne pourra plus se faire, avertissez l’étudiant de cette limite et respectez-­la. Encore une fois, le manque d’intérêt ou d’engagement peut être dû à des raisons personnelles, familiales ou professionnelles qui ont accaparé l’étudiant et l’ont empêché de pouvoir produire. Quand il nous indique des problèmes de cette nature (quand c’est le cas, l’étudiant nous le mentionne habituellement d’emblée), il faut évaluer de quelle façon ces situations peuvent affecter sa production et en tenir compte pour la suite.

370

Chapitre 13 / Les problèmes de rédaction et de production

2.1.2 /

L’étudiant recherche la perfection dans son écriture Voilà un problème qui affecte certains étudiants, mais habituellement, on ne le sait pas parce que cela se passe quand l’étudiant est devant son ordinateur. J’ai rencontré des étudiants venus me consulter qui avaient ce problème, et qui finissaient par abandonner des cours parce qu’ils ne parvenaient jamais à remettre leurs travaux à temps, simplement parce qu’ils mettaient trop de temps à raffiner et à peaufiner leur rédaction. Ce problème peut être exacerbé aux cycles supérieurs, lorsqu’ils craignent que leur production ne soit pas d’un niveau suffisant, particulièrement s’ils ont une grande estime du professeur qui les encadre. Cela peut être un aspect à vérifier avec eux, lors de la première rencontre. Les étudiants qui rencontrent cette difficulté sont peu nombreux, notamment aux cycles supérieurs, parce qu’ils auront souvent rejeté l’idée de poursuivre leurs études en raison du problème important que la rédaction leur cause. Leur façon d’écrire consiste à rédiger et à corriger chaque phrase, sur le plan du sens aussi bien que de la forme, comme s’il fallait qu’elle soit parfaite en elle-­même. Leur production de texte ne se fait pas par un processus de rédaction sur lequel ils reviennent, mais par une démarche de production d’une phrase à la fois, sur laquelle ils vont mettre toute leur énergie, avant de produire une deuxième phrase. Pour aider un étudiant qui rencontre ce problème, vous pouvez lui demander de produire toutes les idées et le contenu qu’il juge pertinent, sans chercher à rédiger un texte formel. Cette démarche que je nomme l’« élaboration du contenu » vise à sortir l’étudiant de l’impression qu’il doit produire un texte, pour se concentrer plutôt sur les idées et le contenu. L’étape préliminaire à la rédaction consiste alors à sortir toutes les connaissances et les idées à présenter. Il peut commencer par une liste d’éléments et ensuite simplement les expliquer et les décrire, comme une simple accumulation d’informations, comme une sorte de production « en vrac » de ce qu’il veut mettre dans son texte. Parfois, j’irai jusqu’à suggérer qu’il rédige et exprime ses idées comme s’il les présentait oralement, sans chercher à structurer un texte écrit. C’est l’approche que j’ai trouvé la plus utile à adopter pour ce type de problème. Lorsque cette production est complétée pour la partie prévue, l’étudiant peut alors la reprendre et réorganiser les idées selon un ordre conséquent. La qualité habituelle de leur rédaction est souvent suffisamment bonne pour que la réorganisation en texte ne consiste qu’en un ordonnancement des idées qui auront été écrites.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Une autre façon de contourner ce problème consiste à faire produire des synthèses des lectures pour reformuler les éléments qui paraissent pertinents à l’étudiant (chapitre 6, section 5.3). Vous mettez alors l’accent sur le rapport de ce qu’il a lu, plutôt que de lui donner l’impression qu’il doit rédiger un texte. Le niveau de correction doit être un peu moins exigeant dans ces premières étapes pour vous assurer avant tout que cela lui permet de surmonter sa difficulté.

2.2 /

L’étudiant ne produit pas ce qui avait été prévu Dans ce cas-­ci, l’étudiant produit autre chose que ce sur quoi l’on s’était entendus. En soi, ça ne présente pas vraiment de problème si ce qui a été produit est adéquat, mais il faut se méfier de ce que ce choix peut cacher. Ce type d’initiative de l’étudiant peut provenir d’un problème avec la partie sur laquelle vous vous étiez entendus. La cause peut être de nature diverse (manque d’information, n’a pas fait les lectures, ne comprends pas le contenu, ne sait pas vraiment quoi écrire, etc.), mais l’étudiant tente de contourner le problème en travaillant sur autre chose. Si vous aviez déterminé d’un commun accord une partie précise sur laquelle il devait travailler et qu’il vous remet autre chose sans vous en avoir parlé au préalable, il faut lui demander d’exprimer ses raisons et en discuter avec lui. Si vous ne discutez pas de ces situations, vous n’êtes pas en mesure de voir apparaître des problèmes qui pourraient avoir des conséquences sur sa production et sur l’avancement éventuel de son travail. J’ai rencontré des étudiants qui n’avaient rien produit depuis plusieurs semaines parce qu’ils ne savaient pas comment résoudre une difficulté par rapport à une partie donnée. Parce que leur directeur « leur faisait confiance », les étudiants avaient tendance à ne pas leur parler de ces difficultés et ils essayaient de résoudre leurs problèmes par eux-­ mêmes. Mon intervention a souvent consisté à leur faire comprendre qu’ils devaient se reporter à leur directeur plutôt que de tenter de ­contourner le problème en travaillant sur autre chose.

2.3 /

L’étudiant souffre d’une « panne » de rédaction C’est une situation difficile à définir, à moins que l’étudiant l’exprime de cette façon. S’entendre avec lui sur les parties déterminées à produire dans un temps précis est souvent la seule façon de cerner un tel problème. Le processus d’accompagnement régulier que je propose dans les différents chapitres permet d’éviter que l’étudiant ne s’enlise dans un tel

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Chapitre 13 / Les problèmes de rédaction et de production

état d’incapacité de rédiger. Certains étudiants ont ainsi été en panne plusieurs mois avant de décider d’en parler à leur directeur, souvent parce qu’ils étaient venus me consulter et que c’était la seule solution que je leur proposais.

2.3.1 / Épuisement C’est la cause la plus fréquente que j’ai relevée pour les pannes de rédaction. On parle surtout d’épuisement psychologique ou mental. Cet épuisement frappe souvent des étudiants qui sont ou qui ont été assez performants. J’ai rencontré des étudiants qui en étaient arrivés à un tel état d’épuisement qu’ils ne parvenaient plus à produire, malgré plusieurs semaines d’effort. Ils me consultaient parce qu’ils ne voulaient pas faire savoir à leur directeur qu’ils rencontraient des difficultés, souvent parce qu’ils avaient plutôt démontré, auparavant, qu’ils étaient en mesure de produire de façon importante. Dans beaucoup de cas, le problème provient d’un mauvais équilibre entre le travail sur le mémoire ou la thèse et les autres facettes de leur vie. Parfois, la panne peut être déclenchée par certains sentiments de culpabilité de ne pas être suffisamment présent pour les personnes de l’entourage, ou une fatigue mentale généralisée de considérer tout le travail qui peut encore rester à faire. Ce sont d’ailleurs des conditions souvent inhérentes aux études de cycles supérieurs que je décris dans le chapitre 1 (sections 3 à 5). Dans ces situations, un temps de pause peut s’avérer nécessaire. Le directeur est d’ailleurs souvent la seule personne de qui l’étudiant acceptera la suggestion de prendre un temps de pause. Outre la période de pause, une autre façon de l’aider à avancer malgré tout consiste à le faire travailler sur des aspects qui touchent plus à la forme ou à des aspects techniques du contenu de son mémoire ou de sa thèse. Cela peut être la mise en forme de tableaux ou de graphiques, la vérification de la mise en forme des références, la production des annexes ou de toutes autres tâches associées à la production qui représentent une activité technique et qui demandent peu de créativité et d’« inspiration ». Le fait de travailler sur des aspects plus techniques peut d’ailleurs redonner un second souffle parce que l’étudiant a l’impression que le travail avance malgré tout. Il faut cependant inviter explicitement l’étudiant à vous contacter s’il rencontre une panne de rédaction. Il arrive que de telles pannes se prolongent simplement parce que l’étudiant culpabilise de ne pas produire et cela n’aide en rien à se sortir de la situation.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Par contre, si l’étudiant est affecté par une certaine forme d’épuisement, il ne faut pas traiter la chose à la légère. Quelques jours de repos commandés par le directeur peuvent faire le plus grand bien, mais parfois, le problème est beaucoup plus profond et il faut en vérifier l’importance. Il faut discuter avec l’étudiant pour savoir si cet épuisement provient seulement du travail sur le projet ou si d’autres situations ou facteurs extérieurs à la démarche sont en jeu (problèmes personnels, pressions au travail, etc.). Il faut notamment vérifier si la sensation d’épuisement vient tout juste d’apparaître ou bien si l’étudiant ressent cet épuisement depuis un certain temps, parce qu’il peut être affecté par ce que j’appelle l’« indigestion de la tâche ».

2.3.2 /

Indigestion de la tâche ou du sujet Je parle de cette indigestion de la tâche de façon séparée parce que c’est un contexte d’épuisement qui est beaucoup plus grave que le précédent. J’utilise cette expression parce que c’est une réaction qui se rapproche énormément d’une indigestion, par les sensations ressenties et par le fait que cette réaction est associée à une tâche ou à un contenu précis. Elle ressemble aussi parfois à des réactions qu’on ressent à la suite d’une indigestion issue d’une exagération dans la consommation d’un aliment… ou d’une boisson. L’exemple que je prends souvent est celui de la personne qui est malade à la suite de la consommation d’alcool et qui, par la suite, ne parvient plus à boire (ni même à sentir) l’alcool qui a été la cause de l’indigestion. Les sensations ressenties se rapprochent alors de cette sensation lorsque la personne entre à nouveau en contact avec l’objet déclencheur de la réaction. L’indigestion de la tâche ou du contenu se distingue de l’épuisement parce que la réaction de fatigue ou les symptômes associés se seront élargis à tout ce qui touche au travail et aux démarches concernant le mémoire ou la thèse, et ils peuvent même être déclenchés par le sujet lui-­même du mémoire ou de la thèse. C’est un état d’épuisement psychologique et émotif dont l’étudiant est habituellement conscient depuis un certain temps, mais il ne sait pas encore que cet état s’est généralisé à tout ce qui touche à sa démarche. Quelquefois, les sensations sont plutôt diffuses ou peu ressenties, sinon comme une fatigue jugée normale après un effort intellectuel important et concentré, mais le choc apparaît lorsque l’étudiant doit tout à coup se remettre à travailler sur son mémoire ou sa thèse.

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Chapitre 13 / Les problèmes de rédaction et de production

Au cours d’une présentation destinée aux étudiants de cycles supérieurs sur les conditions à mettre en place pour organiser son temps et son travail, je parlais de cette indigestion de la tâche et de ses symptômes. À la fin de la présentation, un étudiant s’est présenté à moi en affirmant avoir enfin compris le malaise qu’il ressentait depuis plusieurs mois et qui l’avait obligé à s’arrêter de travailler sur son mémoire. Il m’a raconté que dans son cas, il en était à l’étape de déposer son projet de recherche pour approbation. Pour accélérer son travail, il avait décidé de se louer un chalet pendant une semaine complète, dans le Nord, afin de s’isoler de la famille et des obligations pour produire tout son projet. Il y voyait la possibilité de prendre des pauses en plein air, au besoin, et d’être dans un cadre plus favorable pour produire. Il travailla pendant de longues heures, chaque jour, entrecoupant son travail de marches dans le bois. Il parvint à tout compléter en six jours et au retour, il envoya son projet à son directeur pour correction. Celui-­ci prit environ deux semaines pour le corriger et lui retourna son projet, avec un certain nombre de corrections. Lorsque l’étudiant commença à prendre connaissance des corrections, c’est alors que se déclencha la réaction : nausées, maux de tête, étourdissements. Il ne parvenait même pas à compléter la lecture des corrections puisque les réactions perduraient. Après avoir consulté un médecin, celui-­ci le mit en congé. L’étudiant n’était même pas en mesure de se rendre au département, parce que dès qu’il entrait en contact avec des éléments « académiques », ses sensations de malaise reprenaient. Cela faisait maintenant plus de deux mois qu’il était ainsi incapable de travailler. Chez lui, il avait une pièce qui lui servait de bureau pour son travail et il avait dû mettre des draps sur ses tables, pour cacher tous les documents et le matériel qui concernaient son mémoire. Le seul fait d’entrer dans la pièce et d’entrer en contact avec son matériel était suffisant pour déclencher à nouveau les réactions.

Ces cas sont assez graves, parce que c’est toute la suite du travail qui est impliquée et cela peut remettre en cause la poursuite du diplôme. Dans le cas précédent, la réaction de l’indigestion de la tâche s’est déclenchée au moment de vouloir reprendre le travail sur le projet, à partir de la lecture des corrections. D’autres fois, la réaction se déclenche à la fin d’un diplôme et se fait sentir dès le début des études suivantes.

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Encadrer aux cycles supérieurs

J’avais donné un atelier sur les facteurs de réussite du doctorat où j’abordais aussi cet aspect de l’indigestion de la tâche pour faire valoir l’importance de maintenir un certain niveau d’équilibre dans la répartition de son temps de travail. Quelques jours plus tard, un étudiant me contacta parce qu’il n’avait pas été en mesure de venir me parler, à la fin de l’atelier. Il se sentait complètement épuisé depuis un an, en raison du travail intensif qu’il avait mis pour compléter son mémoire de maîtrise afin d’entreprendre tout de suite après le doctorat. Cependant, dès le début de son doctorat, il est arrivé difficilement à produire. Il avait eu l’occasion d’aller à l’extérieur du pays pour le choix et l’élaboration de son sujet, à la fin de sa première année, mais l’expérience avait été très difficile parce qu’il n’était pas parvenu à avancer sur quoi que ce soit en raison de son incapacité à travailler. Il se sentait complètement épuisé psychologiquement et tout travail intellectuel était très difficile à accomplir.

J’ai rencontré ce type de problème pour des étudiants terminant le cégep et qui sont devenus incapable de poursuivre leurs études universitaires, soit parce qu’ils ont dû changer complètement de domaine (c’était le sujet même des études qui avait été affecté de cette réaction), soit parce qu’ils ne pouvaient plus fournir un travail intellectuel continu. Il n’y a pas beaucoup de solutions à ce type de situation autre que de devoir s’arrêter pour refaire ses énergies sur le plan psychologique et émotif. Ce temps d’arrêt pourrait cependant se prolonger pendant des mois. Le problème réside souvent dans la crainte qu’ont les étudiants de ne pas pouvoir reprendre leurs études et l’impression de vivre un échec, en étant obligé d’arrêter. Le rôle du directeur est cependant central dans ces situations. Évidemment, on ne peut pas forcer un étudiant à s’arrêter, mais il faut parfois discuter franchement avec l’étudiant des conséquences négatives de tenter de poursuivre, alors qu’il n’est pas en mesure d’avancer véritablement dans son cheminement. Ce type de situation se rapproche beaucoup des sensations d’épuisement professionnel. Cependant, la particularité du contexte d’indigestion de la tâche est que la sensation se déclenche pour la tâche ou le contenu. J’ai rencontré une personne dont la réaction s’est déclenchée au cours de sa première semaine de travail, après avoir fait ses études en économie. Il a été ­incapable de poursuivre dans son emploi et il a dû se réorienter.

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Chapitre 13 / Les problèmes de rédaction et de production

2.3.3 /

Manque de régularité dans la rédaction Les pannes de rédaction que certains étudiants expriment viennent parfois de l’absence de régularité dans leur production. Ils laissent de côté leur rédaction pendant plusieurs semaines et au moment de reprendre le travail, ils ne parviennent pas à produire comme ils le voudraient. Dans certains cas, ils peuvent fixer leur ordinateur pendant plusieurs minutes, incapables de formuler leur idée et de produire un texte. Ils se découragent et remettent la rédaction à une autre période, quelques jours plus tard, mais le problème se poursuit. C’est très difficile de produire de manière efficace lorsqu’on le fait de façon ponctuelle, en essayant de rédiger après de longues périodes sans avoir travaillé sur le sujet. La difficulté est particulièrement fréquente chez les étudiants qui sont à temps partiel parce que souvent, ils n’ont pas d’horaire régulier de travail. Devant un étudiant qui exprime une panne de rédaction, il faut vérifier quel est le rythme de ses périodes de production et comment son travail se répartit au cours de la semaine. Lorsqu’il adopte une approche plus morcelée de ses périodes de rédaction, même s’il procède parfois avec des périodes peu fréquentes, mais très longues de travail, il faut plutôt encourager l’étudiant à faire des périodes plus courtes de travail, mais plus fréquentes. Ce sont des suggestions qui peuvent être fournies à l’étudiant dès les premières rencontres. Vous pouvez aussi lui donner des conseils ou des consignes par rapport à son processus de rédaction, si l’étudiant indique avoir parfois des problèmes à produire, ou lorsqu’il exprime des difficultés à se mettre au travail.

2.3.4 /

Manque de connaissances J’ai mentionné précédemment que certains étudiants remettaient des productions incomplètes parce qu’ils n’avaient pas suffisamment approfondi les lectures et leur connaissance du sujet. Chez certains, ce manque de connaissances amène inévitablement une « panne » de rédaction. Ils tentent de produire du texte, mais ils ne maîtrisent pas assez le contenu pour pouvoir produire quelque chose qui se tienne. Ils essaient d’écrire des phrases, mais ils ne sont pas en mesure de progresser et vont d’ailleurs souvent associer ces difficultés à un manque d’« inspiration ». Encore là, la vérification des sources étudiées et la connaissance du contenu permettent d’éviter que l’étudiant tente de produire quelque chose alors qu’il ne maîtrise pas encore son contenu. On peut alors ­l’amener à mieux approfondir ses lectures, plutôt que de ­l’encourager à écrire.

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Encadrer aux cycles supérieurs

3 / Les problèmes de plagiat et de tricherie Au départ, aborder les situations de tricherie et de plagiat peut sembler inutile, étant donné qu’un directeur devrait les déceler avant que l’étudiant ne dépose son mémoire ou sa thèse. Ce sera le cas si le suivi de l’étudiant est systématique et rigoureux, et que les étapes de production et de vérification se font de façon progressive et continue. Les procédures de suivi et d’encadrement que je propose au fil des chapitres constituent des formes de pare-­feu à l’encontre de telles tentatives. Les risques de laisser passer des portions plagiées ou des données ou du contenu inventé sont beaucoup plus grands lorsqu’on laisse l’étudiant aller seul pendant de longues périodes et qu’on ne corrige ou ne vérifie que des chapitres entiers, sans avoir validé au préalable l’origine du contenu et son élaboration. Si des situations de plagiat ou de tricherie se produisent et que les documents se sont rendus jusqu’à l’étape de l’évaluation par un jury, j’ai des doutes que les textes produits aient été vérifiés et corrigés de façon progressive tout au long de la démarche par la direction de recherche. Il est évidemment possible que des extraits de textes plagiés ne soient pas connus de la direction de recherche, mais qu’ils soient relevés par un évaluateur externe. Cependant, ce risque diminue grandement si les textes et les productions sont remis de façon progressive et corrigés au fur et à mesure. Si vous voulez diminuer au maximum les risques de plagiat ou de tricherie de la part de vos étudiants, les tâches de notes de lecture et leur vérification (chapitre 6, sections 4 et 5), la production de petites parties précises de textes à la fois (chapitre 8, section 1), la vérification des données brutes et le suivi de l’étudiant au moment de la collecte de données et de l’analyse des résultats (chapitre 10, sections 3 et 4) demeurent les meilleurs moyens de valider ce qu’il produit et de vérifier ce qu’il s’attribue. En ce qui concerne la recension des écrits, les procédures que je décris permettent de juger de la qualité d’écriture de l’étudiant pour rapporter le fruit de ses lectures et vérifier la provenance de ce contenu. La production de petites parties de texte à la fois aide à vérifier le style de rédaction de l’étudiant, d’une portion de texte à l’autre, et qu’il n’y a pas tout à coup une portion qui serait de bien meilleure qualité. Cet indice est beaucoup plus facile à cerner dans de petites portions de texte que lorsque des passages plagiés sont insérés ici et là dans des chapitres entiers, dont vous n’aviez pas corrigé de portions séparées au préalable.

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Chapitre 13 / Les problèmes de rédaction et de production

Il faut aussi « éviter » que l’étudiant se mette dans une telle situation en lui rappelant l’importance de rapporter les écrits correctement et de faire un usage adéquat des sources qu’il utilise. Il appartient d’ailleurs au directeur de rappeler à l’étudiant les règles relatives à la citation et au référencement de ses sources et de vérifier leur application, même s’il s’agit de paraphraser les propos d’un auteur.

Lors de la correction, j’apporte une grande attention à vérifier si une interprétation, une phrase particulièrement bien formulée qui évoque une idée précise ou encore un extrait qui réfère à un auteur est bien la construction de l’étudiant ou s’il a tiré la phrase du texte dont il est question. Ces commentaires et ces vérifications sont faits particulièrement au début du processus de correction, lors des premières versions, notamment pour m’assurer que l’étudiant se rappelle de l’importance de faire mention de ses sources pour éviter d’être accusé de plagiat. Je l’énonce d’ailleurs maintenant de façon automatique, lors de notre première rencontre, quand j’indique à l’étudiant que je l’accepte. Si j’avais des doutes par rapport au style de l’étudiant, cela me permettrait d’aller le vérifier tout de suite, alors que le nombre de ses références est encore restreint et le texte relativement peu développé.

Enfin, en tant que directeur de recherche, on doit valoriser la rigueur et l’éthique auprès de ses étudiants. C’est pourquoi, pour moi, ce peut être une raison de mettre fin à la relation, si une telle situation de plagiat survenait en cours de production du mémoire ou de la thèse.

4 / Les problèmes personnels de l’étudiant Les problèmes personnels sont des problèmes qui ne concernent que l’étudiant. Ils peuvent être associés à des problèmes familiaux, de couple, des problèmes de maladie, des problèmes avec des parents, des ennuis professionnels, des ennuis financiers, etc. Je les évoque ici parce qu’ils font partie des conditions qui peuvent affecter son cheminement et, par la bande, avoir des effets sur votre accompagnement et votre propre engagement à l’égard de l’étudiant. L’étudiant peut devenir incapable de produire alors qu’il en est rendu à rédiger ses derniers chapitres et qu’il ne lui reste que ça à faire.

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Encadrer aux cycles supérieurs

Les problèmes personnels qu’un étudiant rencontre ne peuvent évidemment pas lui être reprochés. Il faut ajuster nos propres façons d’intervenir et même revenir sur les modalités des rencontres et de suivi, si ces modalités s’avèrent difficiles à respecter pour un étudiant en situation problématique. Ces problèmes peuvent cependant vous amener à devoir discuter avec l’étudiant de sa situation pour évaluer sa capacité ou non de poursuivre. Les précautions que j’ai mentionnées au chapitre 5 (section 4.7) sont de mises. Certains étudiants voudront poursuivre à tout prix en maintenant une certaine activité, parce que ce sera la façon, pour eux, de mettre leur attention sur d’autres choses que leur situation problématique. D’autres voudront poursuivre, mais n’y parviendront que partiellement. D’autres encore voudraient le faire, mais ils en sont complètement incapables. Votre rôle devrait être d’accompagner l’étudiant dans sa décision. Vous pouvez lui suggérer d’essayer de poursuivre, s’il vous le demande et qu’il croit que cela pourrait être bénéfique pour lui. Mais lorsqu’il ne parvient plus à produire, même si vous avez diminué les demandes, il faut envisager de l’inviter à s’arrêter ou, au moins, lui demander de consulter un professionnel qui pourra l’aider à déterminer s’il est en mesure de ­poursuivre et les conditions pour le faire. Si l’étudiant vous indique qu’il croit devoir arrêter le temps que sa situation se rétablisse, n’essayez pas de l’encourager à poursuivre en lui suggérant que cela pourrait être bénéfique pour se changer les idées. Votre rôle d’accompagnement devrait se faire en considérant la position de l’étudiant avant tout.

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Chapitre 14 /

Les problèmes relationnels et de suivi

Ce chapitre aborde des situations qui concernent la dynamique relationnelle avec l’étudiant. Certains problèmes relèvent de la responsabilité du directeur et ont des conséquences négatives sur le cheminement de l’étudiant alors que d’autres situations créent un contexte de rencontres qui peut devenir insatisfaisant, pour l’étudiant aussi bien que pour le directeur.

1 / Le manque de respect de la part du directeur de recherche C’est évidemment un problème qui concerne le directeur de recherche parce qu’il en est la cause. Les écrits sur le sujet de l’encadrement et les témoignages que j’ai reçus d’étudiants font rapport de comportements et d’attitudes de certains directeurs de recherche qui peuvent sembler surprenants, pour des personnes dont une partie importante du rôle devrait consister à former et à encadrer d’autres personnes. Le directeur est une personne en position d’autorité par rapport à l’étudiant et cela lui donne un pouvoir immense sur lui. Certains aiment pouvoir user de ce pouvoir, mais c’est un comportement inadéquat.

Il m’est arrivé de recevoir des étudiants venus me consulter parce qu’ils vivaient des situations problématiques avec leur directeur et qu’ils cherchaient des façons de s’en sortir ou de faire cesser les comportements inadéquats. Les situations pour lesquelles les étudiants me rencontraient n’ont jamais été de nature sexuelle, mais ce n’est pas parce que je n’ai pas rencontré d’étudiants à ce propos que ces situations ne se produisent pas. Par contre, les façons d’agir de leur directeur auraient pu facilement faire l’objet de plaintes de harcèlement ou de violence

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psychologique. Mon apport a été surtout de les amener à envisager différentes possibilités d’intervention ou d’action. Certains étudiants se sont sentis suffisamment outillés pour confronter directement leur directeur alors que d’autres ont plutôt décidé de ne rien faire, par crainte des conséquences que cela pouvait avoir sur la suite de leur démarche. D’autres ont décidé d’abandonner.

Dans beaucoup de cas, particulièrement au doctorat, le directeur est la seule personne de l’établissement à pouvoir encadrer les étudiants intéressés par le sujet. Un changement de direction signifierait aussi souvent un changement d’établissement, ce qui apparaît alors comme une solution souvent impossible en raison des contraintes personnelles, financières ou simplement géographiques que cela imposerait. Malheureusement, certains étudiants ont finalement abandonné parce qu’ils ont été trop affectés par les propos ou les comportements destructeurs de leur directeur à leur endroit, ou qu’ils n’ont pas été en mesure de poursuivre en raison du climat que faisait régner le directeur. Compte tenu du nombre d’étudiants que j’ai rencontrés au cours de ma carrière, je ne crois pas que ces situations représentent la majorité de ce que vivent les étudiants ni même une portion significative du type de relation établi par les directeurs de recherche. Comme dans nos sociétés, il s’agit probablement d’un certain nombre de personnes qui viennent noircir le portrait de la majorité. Je n’ai pas vraiment de suggestions à faire, mais je trouvais quand même important de mentionner cette situation dans un livre qui aborde les divers problèmes impliquant la relation entre un directeur et ses étudiants. Je considère qu’il est regrettable que des personnes en position d’autorité se comportent de la sorte et qu’il y ait souvent peu de leviers pour les étudiants, aussi bien que pour les collègues, pour intervenir.

2 / Les problèmes d’intérêt et de suivi J’ai parlé précédemment du manque d’engagement de l’étudiant dans sa démarche. Le directeur peut agir de différentes façons lorsqu’il considère que l’étudiant démontre un manque d’intérêt et n’assure pas une réponse appropriée à ses tentatives de l’accompagner dans ses différentes tâches. Le directeur a le loisir de décider de ne plus encadrer un étudiant qui démontrerait trop peu d’engagement dans son projet et qui ne fournirait pas les efforts minimums pour avancer dans sa démarche.

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Chapitre 14 / Les problèmes relationnels et de suivi

Vous avez un rôle d’accompagnateur qui peut aider à motiver l’étudiant et vous pouvez faire tout ce qui est en votre pouvoir pour l’encourager et lui faciliter le travail. Mais si vous vous sentez obligé de le forcer à travailler à son propre mémoire ou à sa thèse, la personne qui travaille alors le plus n’est pas la bonne. C’est comme si vous preniez la responsabilité qu’il termine sa démarche, coûte que coûte. Vouloir forcer l’étudiant à cheminer alors qu’il n’est pas prêt à y mettre les efforts et l’engagement nécessaires n’est pas une solution adéquate pour vous. On ne peut pas travailler plus que l’étudiant pour qu’il mène son projet à terme. On peut essayer de le motiver et de l’encourager du mieux qu’on peut, mais on ne peut pas travailler à sa place. Si vous n’êtes plus en mesure de l’accompagner parce que, finalement, vous êtes le seul à « avancer », vous avez le choix de mettre un terme à la relation ou de continuer. L’étudiant n’a cependant pas les mêmes libertés lorsque son directeur ne joue pas le rôle qu’il devrait jouer. On entend évidemment beaucoup plus parler des situations problématiques qui mènent à des conflits entre les étudiants et les professeurs que de toutes les situations où les choses se sont bien passées. Toutefois, les comportements inadéquats ne sont pas toujours publicisés parce que certains étudiants démontrent un degré de résilience extraordinaire en parvenant à diplômer malgré l’absence d’encadrement adéquat du directeur ou même parfois, malgré ses actions négatives, sans s’être plaints de son manque d’accompagnement. Le directeur de recherche a une responsabilité de formation et de suivi auprès des étudiants qu’il encadre. Il est inacceptable qu’un étudiant demeure sans nouvelles de son directeur pendant plusieurs semaines alors qu’il attend des corrections de sa part. Il est inacceptable qu’un directeur ne retourne pas les courriels envoyés par ses étudiants. Il est tout aussi inacceptable que le directeur ne fournisse aucune indication sur les démarches, les étapes et la progression du travail à faire et qu’il laisse l’étudiant découvrir par lui-­même ce qu’il doit apprendre et ce qu’il doit faire. Le directeur ne doit pas prendre en charge les démarches pour l’étudiant (chapitre 5, sections 4.1 et 4.2). Il a cependant la responsabilité d’accompagner l’étudiant dans sa démarche. Il m’est arrivé régulièrement de devoir expliquer à des étudiants les étapes à travers lesquelles ils allaient passer au cours de leur formation et de leur expliquer les différentes tâches auxquelles ils devaient s’astreindre pour choisir leur sujet et proposer leur projet. Mais ce n’étaient pas mes étudiants… Il me fallait

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aussi souvent leur fournir des trucs et des moyens de mettre de la pression sur leur directeur pour que celui-­ci daigne finalement leur répondre et fournir un minimum de suivi. Un directeur, qui aura fait part de façon explicite à l’étudiant venu le solliciter qu’il entendait l’encadrer en le laissant complètement libre et autonome dans ses démarches, sans lui apporter vraiment de soutien et qu’il sera très peu disponible, aura au moins permis à l’étudiant d’en être informé dès le début, avant qu’il ne prenne sa décision de poursuivre avec ce professeur. Dans ce contexte, le directeur de recherche aura été transparent et l’étudiant qui se plaindrait devrait avant tout penser au fait qu’il avait accepté en toute connaissance de cause. On voit apparaître de plus en plus de tentatives, dans les établissements universitaires, de mettre en place des mesures ou des initiatives réglementaires qui assureraient un suivi adéquat des étudiants par leur directeur. Dans certains cas, des ententes formelles d’encadrement ont été créées, que les directeurs et les étudiants doivent signer conjointement et qui définissent un certain nombre d’informations et de règles dans la conduite et la supervision du cheminement de l’étudiant. Cet intérêt accru s’explique par l’impression (souvent réelle) que les directeurs de recherche ne jouent pas toujours bien leur rôle et que les étudiants sont ceux qui en paient le prix. Ces mesures sont souvent initiées par les doyens ou les principaux d’établissements qui sont habituellement les personnes qui sont appelées à agir lorsqu’un étudiant se plaint officiellement de l’absence d’aide de la part de son directeur, ou que des problèmes surgissent dans son cheminement et qu’une partie du problème réside dans la façon dont le directeur a (ou plutôt n’a pas) accompagné l’étudiant. La répétition de ces situations devient alors un motif pour tenter de contrôler la relation entre le directeur et l’étudiant. Lorsque des établissements mettent en place des mesures institutionnelles de suivi de la relation d’encadrement entre le directeur et son étudiant, ce sont ces situations que de telles mesures tentent souvent de normaliser ou d’éviter. Je conserve cependant certains doutes quant à l’efficacité réelle de ces mesures pour forcer un professeur à jouer le rôle qu’il devrait auprès de ses étudiants. Les contrats d’encadrement peuvent aider à confirmer la tenue de rencontres (ou leur absence) et le fait que certaines mesures sont effectivement établies entre le directeur et son étudiant. La façon dont ces ententes sont formulées et leur contenu ne

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Chapitre 14 / Les problèmes relationnels et de suivi

garantissent pas toujours que les rencontres répondent véritablement aux besoins des étudiants et permettent d’améliorer la nature de l’encadrement effectué par des professeurs dont les actions laissent à désirer. Selon la forme qu’ils adoptent, ils peuvent faire de la pression sur les directeurs récalcitrants, mais j’ai des doutes que cela modifie réellement l’attitude de certains par rapport au rôle qu’ils ne jouent pas envers les étudiants qu’ils encadrent. Lorsque de telles ententes formelles sont établies, cela donne un certain pouvoir à l’étudiant, soit d’exiger le respect de ce que le contrat avait prévu. Il peut alors en référer à des instances supérieures en cas de mésentente. L’étudiant peut ainsi se sentir plus légitimé de le faire. Toutefois, de telles situations ne favorisent pas nécessairement une relation d’encadrement positive. Le fait que de tels contrats apparaissent nécessaires dénote tout de même la présence d’un problème. Si vous voulez rendre explicites les modalités d’encadrement et le fonctionnement de votre relation sous forme d’entente écrite qui intégrerait les règles générales de fonctionnement et les remettre à l’étudiant, ce type d’entente peut s’avérer valable pour officialiser la façon dont vos rencontres se dérouleront et comment s’établiront les modalités de fonctionnement. Vous pouvez alors mettre par écrit les sujets liés à l’encadrement que vous avez abordés, et les règles et procédures que vous adoptez (et qui s’inspirent peut-­être de ce qui est décrit dans les chapitres 3 [sections 1.2 et 6.3] et 4) et les faire entériner par l’étudiant. Cela peut se faire dans le cadre des ententes d’encadrement formelles, mais ce type d’entente peut tout aussi bien s’effectuer sans l’existence de tels contrats.

3 / La gestion des rencontres et du déroulement Les professeurs se plaignent parfois que certains étudiants s’éternisent dans leur bureau, qu’ils prennent trop de temps lors des rencontres ou qu’ils n’arrivent pas suffisamment préparés pour que les choses avancent bien. Ce sont des signes qui suggèrent que ces professeurs n’ont jamais défini clairement le cadre très précis des rencontres et que l’étudiant peut, à son gré, aborder toutes sortes de sujets qui ne sont pas nécessairement liés de façon précise à sa démarche. Il faut clarifier le fonctionnement et l’objectif des rencontres dès le début de la relation de façon à ce que le travail et les échanges se restreignent aux sujets définis à l’avance et aux

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Encadrer aux cycles supérieurs

problèmes à résoudre (chapitre 4, section 3). Ce sont des informations et des règles que vous devez explicitement décrire à l’étudiant, dès les toutes premières rencontres.

Personnellement, je définis habituellement des moments de rencontre précis avec mes étudiants pour chacune des sessions, en fonction de leur horaire de cours ou de travail. Ainsi, je m’entends avec chaque étudiant pour le rencontrer à la même période de la semaine, selon les échéanciers des productions qu’il doit me remettre. Par exemple, je rencontre tel étudiant le mardi en matinée, tel autre le mercredi après-­midi, tel autre le mercredi matin, etc. Étant donné que je ne les rencontre pas toutes les semaines, je peux avoir une même plage horaire pour deux étudiants. L’avantage de procéder de la sorte est que vous définissez certaines périodes de rencontre des étudiants dans votre horaire. En l’absence de rencontres, vous occupez ces périodes par d’autres activités, mais cela vous permet de prioriser des moments choisis lorsque des rencontres s’avèrent nécessaires. Pour ma part, je réserve toujours environ deux ou trois heures pour chaque rencontre et les étudiants en sont informés au moment où on entreprend les rencontres1. Cette durée est souvent moindre, dans les faits, prenant fin lorsque tous les sujets prévus pour la rencontre ont été traités. Cependant, je réserve rarement moins de temps (sauf exception) parce que je veux être certain que si le besoin est plus grand, j’ai le temps nécessaire à accorder à l’étudiant. Dans certains cas, je prévois que la rencontre sera seulement d’une heure (ou un peu plus) parce que le sujet à discuter est relativement restreint. Avec certains étudiants, lorsque c’est pertinent, j’annonce d’ailleurs à l’avance que je dispose de moins de temps pour la rencontre, si je sais que cela ne devrait pas durer plus longtemps.

Il n’y a évidemment pas de durée optimale pour les rencontres. Cette durée devrait dépendre du sujet à discuter, du retour sur les corrections, du mode de fonctionnement que vous avez établi avec l’étudiant et du 1

C’est mon temps personnel que je réserve dans mon agenda, ce n’est pas un objectif à atteindre. Il m’arrive de devoir dépasser ce temps à certains moments charnières où les productions sur lesquelles on revient sont plus longues et où des choix doivent être arrêtés pour la suite des choses, surtout avec les étudiants à temps partiel que je rencontre moins souvent. Ce temps n’a pas de valeur particulière et ne définit pas la qualité de l’encadrement qu’on peut accorder. Il dépend surtout souvent du niveau de l’étudiant et de ses habiletés à réaliser les différentes étapes de la recherche.

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Chapitre 14 / Les problèmes relationnels et de suivi

besoin de l’étudiant en fonction de ses forces et de ses faiblesses. Les obligations de chacun peuvent aussi influer sur la durée prévue d’une rencontre. Ce ne sont pas des règles qui sont fixes, mais si une rencontre ne peut avoir la durée habituelle prévue, il faut en informer l’étudiant. De la même façon, il faut que l’étudiant vous informe qu’il n’a pas tout le temps prévu pour votre rencontre si vous passez plus de temps avec lui et que la durée est prédéterminée. Lors des formations, certains directeurs m’ont confirmé restreindre les rencontres à des durées beaucoup plus courtes que ce que j’adopte moi-­ même, parce qu’ils ont été confrontés, dans le passé, à quelques étudiants qui n’en finissaient plus de vouloir discuter et échanger sur toutes sortes de sujets. C’est la solution qu’ils ont trouvée pour restreindre les échanges avec leur étudiant, pour éviter qu’il ne s’étende sur d’autres sujets. Déterminer une durée précise et la respecter permet effectivement souvent de s’assurer que l’étudiant concentre ses questions et aborde les sujets vraiment importants. Cependant, limiter toujours les rencontres avec ses étudiants à 30 minutes, par exemple, est un fonctionnement qui m’apparaît un peu excessif parce qu’il tient moins compte de situations où le besoin de l’étudiant pourrait être plus important2. C’est un reproche que j’ai maintes fois entendu de la part des étudiants : les rencontres étaient toujours trop courtes et ils n’avaient pas le temps de discuter de plusieurs points pour lesquels ils devaient ensuite essayer de se débrouiller. Certains contextes peuvent cependant faciliter cette courte durée de rencontre lorsque d’autres personnes peuvent assumer une partie de l’accompagnement de l’étudiant. On retrouve souvent ce contexte dans les équipes de recherche, dans lesquelles les post-­doctorants jouent un rôle actif auprès des étudiants. Le déroulement des rencontres avec le directeur est aussi souvent une source de reproches de la part de l’étudiant. Certains directeurs de recherche permettent les dérangements et les intrusions dans leur bureau lorsqu’ils rencontrent leurs étudiants. Des étudiants m’ont rapporté que leurs directeurs répondaient à tous les appels téléphoniques qu’ils recevaient, qu’ils faisaient même parfois eux-­mêmes des appels, qu’ils discutaient avec des étudiants ou des collègues qui se présentaient au bureau et qui venaient frapper à la porte…

2

J’évoque cette durée parce que c’est l’expérience qu’un étudiant m’avait rapportée. Ses rencontres avec son directeur ne devaient jamais dépasser cette durée. Le directeur mettait fin à la rencontre lorsque le temps était terminé.

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Les rencontres avec l’étudiant devraient occuper un temps déterminé et exclusif pour lequel on ne devrait prévoir aucune autre activité. Si l’on pense devoir répondre au téléphone ou recevoir une visite qui ne peut être reportée, il faut alors en avertir l’étudiant et raccourcir au maximum le temps de l’interruption. Cela m’apparaît toujours un peu exagéré de faire ce genre de mise au point, mais les expériences et les témoignages que j’ai reçus de nombreux étudiants m’obligent à rappeler certaines règles qui ne sont peut-­être pas évidentes pour tout le monde.

4 / Le mélange des rôles Le directeur occupe parfois certains rôles dans sa relation avec l’étudiant qui peuvent devenir nuisibles (chapitre 5, sections 4.6 et 4.7). Il existe aussi une autre situation où le mélange des rôles peut s’avérer problématique : celle où le directeur joue à la fois un rôle de direction de recherche et un rôle de « patron3 », dans le cadre du travail de l’étudiant sur le projet de recherche, ou lorsque le directeur finance le travail de l’étudiant. Ce n’est pas une condition amenant obligatoirement des problèmes, mais le risque est plus grand quand la relation entre le directeur et l’étudiant est teintée d’une double contrainte relative à la progression du travail de l’étudiant et de la recherche du directeur. Celui-­ci peut avoir l’impression que l’étudiant se concentre surtout sur son projet et ne fournit pas assez d’efforts et de travail pour faire progresser la recherche commune. À l’inverse, l’étudiant peut ressentir de l’insatisfaction lorsque le travail qu’il met sur son propre projet ne reçoit pas la même attention que ce qu’il doit produire pour la recherche de son directeur, ou lorsqu’il est constamment amené à travailler à la recherche de son directeur et qu’il lui reste peu de temps pour faire progresser son propre projet. Ces insatisfactions rapportées par les étudiants et les directeurs sont habituellement causées par l’absence de règles claires concernant cette double relation. Il ne faut pas penser que l’étudiant saura comment agir et qu’il s’intégrera à l’équipe de recherche en faisant preuve d’initiative et de participation active à toutes les activités du laboratoire sans qu’on lui définisse clairement les attentes et les tâches dont il devra s’acquitter. Cette

3

C’est souvent l’appellation qui est utilisée dans un grand nombre de disciplines lorsque l’organisation de la recherche est structurée autour d’équipes de recherche. Ce terme désigne le ou les responsables de l’équipe de recherche et c’est aussi le terme utilisé alors par les étudiants pour désigner leur directeur.

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Chapitre 14 / Les problèmes relationnels et de suivi

partie de la détermination des tâches devrait relever de la responsabilité du directeur, parce que c’est surtout à lui qu’incombe de définir ce à quoi il s’attend de l’étudiant sur le plan du travail sur la recherche commune. Il faut exprimer les attentes de façon explicite par rapport aux heures à fournir, à sa présence dans le laboratoire et à sa participation aux rencontres de travail (chapitre 3, section 1.2). Lorsque des directeurs de recherche me rapportent ce type de problèmes avec leurs étudiants, j’ai souvent constaté qu’ils n’avaient jamais exprimé clairement à l’étudiant quelles étaient leurs attentes parce qu’ils croyaient que les étudiants allaient les comprendre d’eux-­mêmes et s’engager spontanément dans le travail collectif. Dans le même sens, il faut que le travail d’encadrement de la démarche de l’étudiant occupe un espace et un temps déterminés de rencontre et qu’il ne soit pas amalgamé avec le temps que l’étudiant met à travailler à la recherche commune. Si vous mêlez les deux types de relation, vous diminuez l’accompagnement que vous offrez uniquement à son travail de recherche et il risque de ne pas obtenir l’encadrement ou l’accompagnement dont il aurait besoin pour sa propre progression. Il faut séparer clairement les consignes que vous lui adressez pour son travail dans l’équipe de recherche et accorder un temps réservé pour parler de la progression de son travail sur son projet.

5 / Les signes de problèmes nécessitant des rencontres Cette dernière section concerne la description des signes de difficultés ou de problèmes chez les étudiants. Je les évoque à part parce que ce sont des signes qui se sont avérés très souvent annonciateurs de problèmes importants dans la production ou le cheminement de l’étudiant, mais qui n’avaient pas été perçus comme tels par les directeurs. La qualité de production des étudiants et les retards à remettre ce qui est attendu sont des signes évidents de difficultés. J’y ai déjà fait référence dans les chapitres précédents. Ce que j’évoque ici a trait aux comportements ou aux attitudes qui sont des signes que l’étudiant est confronté à des problèmes de cheminement et d’avancement de son travail, mais qu’il tente de cacher à son directeur. J’ai reconnu ces manifestations et ces signes chez mes propres étudiants et chez d’autres qui m’ont consulté parce qu’ils n’arrivaient plus à produire. Ce sont des manifestations d’évitement des rencontres

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ou de contacts qui passent souvent inaperçues au début, parce qu’elles peuvent laisser penser que l’étudiant a simplement besoin d’un peu plus de temps. Elles ne sont pas exclusives à des étudiants performants et peuvent concerner tous les étudiants, mais elles deviennent particulièrement significatives lorsque ce sont des étudiants reconnus comme étant productifs qui ont ce type de comportements.

5.1 /

Situations de retard et de remise de rendez-­vous par l’étudiant Il est normal qu’à l’occasion un étudiant se présente en retard ou encore qu’il remette son rendez-­vous parce qu’il a eu un empêchement hors de son contrôle. Cette situation devient un problème lorsqu’elle se répète systématiquement lors de chaque rencontre ou de façon très régulière. Pour ce qui est des retards répétés et de l’absence d’avertissement, c’est habituellement un signe que vous n’avez pas exprimé de règles de fonctionnement précises à l’étudiant pour la tenue des rencontres, comme le fait d’être ponctuel, par exemple, ou d’annoncer un retard prévu à une rencontre. Certains considèrent que ce sont des comportements qui devraient aller de soi. Peut-­être, mais il faut malgré tout expliciter des règles de fonctionnement pour les rencontres, parce qu’il y aura toujours des étudiants qui n’accorderont pas d’importance à ces aspects, tant qu’on ne leur aura pas signifié nos exigences. Le principal moyen d’éviter de telles habitudes de retard est d’en faire mention lorsque vous présentez les règles de fonctionnement de vos rencontres à vos étudiants (chapitre 3, sections 1.2 et 6.3). Si vous craignez d’infantiliser l’étudiant en lui faisant cette mention, vous pouvez choisir d’attendre que la situation se présente pour intervenir. Toutefois, une répétition des retards aux rencontres nécessite d’en discuter clairement avec l’étudiant. On ne doit pas traiter cette répétition des retards comme étant secondaire. Il faut lui donner de l’importance en fonction des désagréments que ces retards ou ces absences vous causent à vous. Évidemment, si cela ne vous dérange pas, il ne sert à rien de le faire savoir. Si l’étudiant arrive très souvent en retard, il vaut mieux évaluer le fait de le voir plus tard ou, si ce n’est pas possible en raison de vos obligations, lui indiquer clairement les conséquences de ces retards qui limitent le temps que vous pouvez lui accorder. Dans le cas des remises de rendez-­vous qui se répètent occasionnellement, il faut aussi rappeler ­l’importance de respecter les moments de rencontre.

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Chapitre 14 / Les problèmes relationnels et de suivi

5.2 /

Période sans contact (maximum de cinq semaines) J’ai fourni plusieurs suggestions dans le chapitre 4 et ailleurs pour assurer un suivi régulier du travail et des productions de l’étudiant. Toutefois, les horaires particuliers à chaque étudiant (et vos propres obligations) ne permettent pas toujours de les rencontrer dans des intervalles rapprochés. C’est particulièrement le cas pour les étudiants à temps partiel, mais cela peut aussi se présenter lorsque l’étudiant ou vous-­même devez vous absenter pour une certaine période ou en raison des vacances. Avec le temps, j’ai déterminé que le délai maximum entre les rencontres ne devrait jamais dépasser cinq semaines. Ce délai m’est apparu critique, même avec mes étudiants qui étudient à temps partiel et dont le rythme de production est évidemment plus lent. Au-­delà de cette période, les étudiants ont tendance à se disperser, ils ne produisent pas nécessairement plus de travail, leur travail n’est pas meilleur, et s’ils ont été confrontés à des difficultés qui les ont empêchés de rédiger, ils chercheront à reporter la rencontre parce qu’ils voudront cacher qu’ils n’ont pas produit « suffisamment ». Pour des raisons que je ne suis pas en mesure d’expliquer, c’est un délai critique après lequel les étudiants qui rencontrent des problèmes n’osent plus contacter leur direction de recherche. Ils tentent habituellement de résoudre seuls leurs difficultés ou font appel à des collègues qui ne sont pas nécessairement les mieux placés pour aider. C’est aussi à partir de ce délai que les étudiants peuvent commencer à adopter des comportements d’évitement. Les étudiants peuvent parfois vouloir des délais plus longs que cinq semaines pour produire. Je recommande de ne pas dépasser le délai de cinq semaines pour revoir un étudiant et évaluer alors ce qu’il a pu produire. Au besoin, on fixera un nouveau rendez-­vous, à la fin de la rencontre, en fonction de ce qu’il doit compléter. Le délai peut évidemment excéder cinq semaines à la période des vacances ou dans une situation où vous n’êtes pas disponible, mais ce devrait être des circonstances exceptionnelles. Les rencontres qui suivent ces absences devraient se faire le plus rapidement possible pour ne pas prolonger la période sans rencontre. Si vous aviez un rendez-­vous prévu après cinq semaines de délai et que votre étudiant vous contacte pour le reporter, n’acceptez pas ce report et exigez de le voir au moment prévu, à moins que ce ne soit pour des raisons hors de son contrôle. Si c’est le cas, essayez de fixer la rencontre à un moment qui soit le plus rapproché possible.

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Si vous n’aviez pas prévu de rendez-­vous avec votre étudiant et que vous le laissiez libre de vous contacter au besoin, si cela fait plus de cinq semaines que vous n’avez pas eu de ses nouvelles, contactez-­le et demandez une rencontre avec lui. Selon sa réponse, vous verrez alors si d’autres signes de difficultés mentionnés ci-­après sont présents.

5.3 /

Report ou demande de report deux fois de suite pour la même production Il peut arriver qu’un étudiant ne parvienne pas à terminer ce qu’il devait vous remettre et qu’il demande un report pour le compléter. En général, ce report devrait être d’une semaine maximum, puisqu’on s’attend à ce que le report serve à compléter quelque chose qui est déjà bien entamé. On ne devrait pas permettre un délai « infini » pour compléter quelque chose qui aurait dû l’être auparavant. On doit accorder un délai restreint pour rencontrer l’étudiant, voir ce qui reste à compléter et évaluer ce qu’il a fait. À cet effet, plus le délai demandé par l’étudiant est long et plus cette situation indique qu’il n’est pas avancé. Vous avez toujours avantage à le rencontrer comme prévu pour évaluer sa progression et qu’il vous envoie comme prévu sa production, selon l’entente que vous aviez (chapitre 4, section 2). Vous serez beaucoup plus en mesure de voir tout de suite si sa difficulté provient d’un blocage quelconque, si c’est parce que l’étudiant s’y est trop pris à la dernière minute, ou qu’il n’a pas mis le temps requis pour produire ce qui avait été prévu. Dans ces cas, on place l’étudiant devant la situation où il doit justifier le peu de travail effectué et discuter de son engagement. Si vous aviez déjà accordé un délai à l’étudiant pour compléter la même partie (que vous l’ayez rencontré ou non pour lui accorder ce délai), mais qu’au moment où il doit vous transmettre sa production il vous demande à nouveau une prolongation, vous devriez exiger de le rencontrer comme prévu et lui demander de vous acheminer ce qu’il a produit, même si ce n’est que partiel. Ces demandes consécutives de report pour une même partie sont un signe que l’étudiant rencontre des difficultés. Elles peuvent être causées par le fait qu’il n’a pas mis le temps requis pour produire ce qui était prévu, qu’il a perdu un peu le sens de ce qu’il devait faire, qu’il rencontre des difficultés dans d’autres sphères de sa vie qui empiètent sur sa démarche et sa capacité de produire, etc. Il faut que vous puissiez évaluer

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Chapitre 14 / Les problèmes relationnels et de suivi

sa situation et discuter avec lui des problèmes qu’il rencontre. Un étudiant qui fait des demandes ponctuelles de report, mais qui produit autrement de façon adéquate, n’entre évidemment pas dans ces situations. Le principe est le même pour une remise de rendez-­vous, même s’il n’y a pas de production à remettre. Deux demandes consécutives de report pour un rendez-­vous est aussi un signe que quelque chose ne va pas. Il faut rencontrer l’étudiant et aborder la situation de ces reports avec lui. Dans le cas où le problème réside dans la faible qualité de ce qu’il a produit parce qu’il s’y est pris à la dernière minute ou qu’il n’a pas mis le temps nécessaire, il faut exprimer son insatisfaction à l’étudiant et discuter avec lui de ce qu’il entrevoit pour la suite de sa démarche. S’il rencontre des problèmes personnels qui influent sur ses disponiblités, il faut aussi le savoir pour mieux planifier la suite et peut-­être changer le moment des rencontres.

5.4 /

Délais de réponse très longs ou en dehors des périodes habituelles de contact Depuis l’avènement des courriels, les échanges se font beaucoup plus par ce moyen de communication que par téléphone. Cependant, les étudiants qui sont difficiles à joindre et qui rencontrent des difficultés dont ils ne veulent pas parler peuvent choisir de retourner les courriels à des moments où ils pensent qu’on n’est pas en mesure de leur répondre sur-­le-­champ. Ça peut être à des heures avancées le soir ou très tôt le matin, ou encore à la période où l’on enseigne, sachant qu’on n’est pas dans notre bureau pour lui retourner une réponse tout de suite. À la suite d’un message de notre part, il pourra se passer un long laps de temps avant qu’il nous réponde, même si l’on vient à peine de recevoir son courriel. Cela devient difficile de pouvoir échanger des informations rapidement parce que les délais entre ses réponses et nos demandes deviennent très longs.

Un étudiant que j’encadrais depuis peu devait me remettre une synthèse de ses lectures et je devais le rencontrer le lendemain. Il avait déjà pris un certain retard dans ses lectures, et ses notes de lecture précédentes montraient qu’il n’avait pas beaucoup mis de temps pour se documenter. Je n’avais toujours pas reçu ses notes de lecture et sa synthèse, au cours de la soirée précédente, lorsqu’il m’envoya un courriel, à 1 h 30 du matin prévu pour notre rencontre. Il m’indiquait dans son courriel

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Encadrer aux cycles supérieurs

ne pas pouvoir me remettre le travail prévu et qu’il jugeait alors que la rencontre n’était pas nécessaire. Malheureusement pour lui, j’étais en train de travailler à mon ordinateur à cette heure… J’ai donc vu son courriel entrer et j’ai pu lui répondre tout de suite que je voulais quand même le rencontrer pour en discuter et que je maintenais le rendez-­vous. Étant donné l’heure où il m’écrivait, j’imaginais qu’il l’avait fait aussi tard en espérant que je ne prenne connaissance du courriel que le lendemain matin et que je n’aurais pu lui faire savoir à temps que je maintenais le rendez-­vous. Il m’a répondu presque tout de suite en se disant surpris de ma réponse aussi rapide, mais il a été obligé de venir au rendez-­vous. Comme je le pensais, il n’avait à peu près pas avancé depuis notre dernière rencontre. Il a décidé d’abandonner quelques semaines plus tard en faisant valoir qu’il venait d’obtenir des charges d’enseignement et qu’il n’avait plus de temps à mettre à ses études.

Lorsqu’on est confronté à des difficultés à communiquer avec l’étudiant, il ne faut pas se gêner d’exiger une rencontre en lui demandant, notamment, de fixer quelques périodes de disponibilité dans les jours suivants parmi lesquelles vous allez pouvoir faire un choix pour votre rencontre. Face à une situation où vous avez l’impression que l’étudiant tente de se défiler, vous devriez être insistant. Vous pouvez, entre autres, faire valoir que vous vous inquiétez de la difficulté de le joindre et de l’avancement de son travail et que vous voulez en discuter. Il ne s’agit pas de lui faire des reproches, mais plutôt de connaître quelle est la nature de la situation qui le rend moins disponible. Je ne recommande pas de tenter de culpabiliser l’étudiant en lui faisant des reproches lorsque vous discutez des lacunes ou des retards. Il est pertinent de signifier ses lacunes à l’étudiant ou le fait qu’il est en retard, mais il ne faut pas les aborder comme des reproches, plutôt comme des constats. À partir du moment où l’étudiant fait sa propre démarche, si son fonctionnement n’est pas adéquat pour le travail que vous faites avec lui, cela concerne alors votre propre engagement dans la relation. C’est sur ce plan que vous pouvez déterminer les échanges, plutôt que de lui faire des reproches sur ce qu’il fait ou non et de tenter de le culpabiliser. S’il ne fournit pas le travail sur lequel vous vous étiez entendus et que cela a des répercussions sur le temps que vous devez lui accorder, c’est votre propre temps et vos disponibilités qui deviennent le facteur qui

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Chapitre 14 / Les problèmes relationnels et de suivi

vous affecte. Si vous devez reporter vos rencontres avec lui, c’est votre horaire qui est affecté. Si c’est plutôt parce que vous ne voulez pas mettre du temps et toujours attendre après quelqu’un qui ne respecte pas ses engagements, c’est ce point dont il faut discuter avec l’étudiant. Si ce qui vous embête, c’est d’accompagner quelqu’un pendant plusieurs années parce qu’il ne met pas le temps requis, alors qu’il ne rencontre pas de difficultés particulières qui pourraient expliquer ses problèmes de production et ­d’engagement, c’est de ça que vous devez parler. J’ai mentionné la situation des courriels reçus à des moments particuliers, mais ça peut être aussi le cas pour la remise d’une production que vous retrouvez tout à coup glissée sous votre porte, un formulaire à signer qu’il vous laisse dans votre casier plutôt que de venir vous le porter en main propre, etc. Si ce ne sont pas les modalités prévues pour ce type de remise, vérifiez auprès de l’étudiant si les choses se passent comme prévu. Habituellement, une réponse rapide et claire de l’étudiant permet de dissoudre les craintes (ou confirme les difficultés). Un délai plus long et une réponse plus évasive indiquent la possibilité d’un problème d’évitement à votre égard. Il faut être particulièrement sensible à ces ­manifestations et exiger une rencontre si vous suspectez des difficultés

5.5 /

Étudiant qui dit « avoir été très occupé » et qui promet de « s’y remettre dès cette semaine » C’est une réponse typique d’un étudiant qui a pris du retard. Si un étudiant vous donne ce genre de réponse concernant l’avancement de son travail, demandez de le rencontrer pour voir ce qu’il a produit. Une telle réponse indique que l’étudiant n’a pas mis de temps (ou a mis un temps insuffisant) à son projet en raison d’autres occupations, et il faut vérifier tout de suite ce qu’il a été en mesure de produire. Vous ne devez pas laisser l’étudiant cheminer au gré de ses autres activités sans vous assurer qu’il a des balises précises pour produire. Autrement, le contexte particulier de la production de son projet peut facilement laisser place à d’autres préoccupations qui semblent plus « urgentes ». Un étudiant qui dit avoir été « très occupé » et qu’il s’y remet « tout de suite » fournit alors un indice que son mémoire ou sa thèse ne constitue pas une priorité maintenant. Il faut lui faire connaître votre préoccupation concernant sa capacité à mener à terme sa démarche s’il ne parvient pas à mettre le temps suffisant dans son projet. Ça peut être pertinent de

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Encadrer aux cycles supérieurs

revenir sur la planification que vous avez envisagée au début de votre relation d’encadrement et de remettre en question à nouveau son intérêt véritable à poursuivre. Lorsque l’étudiant ne semble pas vraiment fournir le travail minimal sur lequel vous vous étiez entendus et que son engagement laisse à désirer par des remises répétées de mauvaise qualité ou en retard, vous ne devez pas assumer les retards ou les problèmes de planification qui peuvent en découler. Dans le même sens, si vous ne savez pas à quel moment il produira ou quand il vous remettra quelque chose à corriger, vous risquez de vous retrouver dans des situations où votre charge de travail deviendra tout à coup difficile à gérer par un surcroît de travail inattendu causé par la remise de votre étudiant. Je rappelle ici qu’il faut que l’étudiant diplôme et c’est parfois le rappel qu’il faut aussi qu’on lui fasse. Il doit travailler sur son projet de façon régulière. Votre accompagnement vise à le soutenir dans son cheminement et il doit favoriser la progression de l’étudiant dans la mesure où il participe lui-­même à cette progression. C’est peut-­être aussi une condition que vous aurez établie dès le départ, quant aux facteurs qui peuvent faire en sorte que vous remettiez la relation en question.

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Chapitre 15 /

La situation avec les étudiants étrangers

La situation des étudiants étrangers qu’on accueille pour entreprendre une maîtrise ou un doctorat exige d’être traitée à part. J’en fais l’objet d’un chapitre particulier, parce que le contexte dans lequel ils évoluent et leur statut sont susceptibles de créer des situations particulières auxquelles les directions de recherche peuvent être confrontées.

1 / Le sentiment de culpabilité ou de pression J’évoque premièrement ces deux réactions parce que j’ai eu plusieurs discussions avec des directeurs de recherche aux prises avec l’un ou l’autre de ces sentiments face à des situations avec des étudiants étrangers dont la performance ou le rendement pour mener leur projet à terme laissait à désirer. Parfois, il s’agissait de difficultés personnelles vécues par l’étudiant étranger, mais d’autres fois, il s’agissait de comportements ou d’attitudes à l’égard de leur travail qui montrait un manque d’engagement, et d’autres fois encore, les étudiants démontraient des faiblesses importantes pour l’une ou l’autre des étapes ou des tâches à accomplir. Je n’ai pas vraiment eu connaissance de ce type de sentiment mentionné par des directeurs de recherche à l’égard d’étudiants d’ici qui pouvaient démontrer des situations similaires.

1.1 /

Le sentiment de culpabilité Le sentiment de culpabilité (ou la crainte d’en vivre) est souvent présent chez les directeurs qui encadrent des étudiants étrangers dont le fonctionnement devient improductif. Ils hésitent souvent à agir de façon plus directe auprès de l’étudiant ou de se désengager comme ils le feraient peut-­être pour des étudiants d’ici, parce qu’ils craignent les effets que cela

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pourrait entraîner sur la poursuite des études de ces étudiants, notamment en raison de la durée limitée de leur visa d’étudiant. Cela mène parfois à des situations problématiques du point de vue de la rigueur et de la qualité du travail produit parce que le directeur ne veut pas être celui qui aura fait échouer l’étudiant.

Il m’est arrivé à quelques reprises de rencontrer des professeurs qui m’ont raconté qu’ils s’étaient sentis obligés de compléter des parties du mémoire ou de la thèse de leur étudiant étranger parce que celui-­ci ne faisait plus le travail ou que ce qu’il produisait n’était pas d’un niveau suffisant. Parce qu’il lui restait peu de temps pour compléter avant la fin de son visa d’études, le rejet du travail aurait signifié le renvoi de l’étudiant dans son pays, sans diplôme, ce que certains directeurs ne se sentaient pas capables d’assumer, se rendant « responsables » d’une telle conséquence.

Devoir agir de façon plus coercitive auprès d’étudiants qui n’avancent pas dans leur travail ou dont l’engagement et la qualité de ce qui est produit laissent à désirer demeure souvent difficile pour plusieurs, peu importe que leurs étudiants soient des étudiants étrangers ou des étudiants d’ici. Dans le cas des étudiants étrangers, l’incidence sur la durée des études et sur la possibilité qu’ils doivent rentrer dans leur pays en raison du désengagement du professeur demeure une conséquence considérée souvent comme plus importante et encore plus difficile pour entreprendre des actions. J’ai eu des discussions avec certains directeurs qui avaient décidé de ne plus accepter d’étudiants étrangers parce qu’ils avaient trouvé leur encadrement trop exigeant. Malheureusement, dans beaucoup de cas, ils n’avaient jamais procédé à une analyse de leur candidature ni établi de limites et de contraintes dans leur encadrement comme celles que je propose aux chapitres 3 et 4. Souvent, ils n’avaient jamais ressenti le besoin de le faire avec des étudiants d’ici. L’adaptation aux études et l’appropriation des méthodes et des processus de travail des étudiants étrangers sont parfois beaucoup plus difficiles que pour des étudiants d’ici. En ce sens, il faut que les démarches de sélection de l’étudiant se fassent de façon aussi rigoureuse que pour des étudiants d’ici (chapitre 3) et que vous exprimiez de la même façon vos exigences sur le plan de l’encadrement (chapitre 3, section 6.3).

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Chapitre 15 / La situation avec les étudiants étrangers

L’importance de rencontrer plus d’un directeur (c’est souvent surtout réalisable à la maîtrise) prend encore plus de valeur dans leur situation, quand c’est possible, pour qu’ils puissent aussi vérifier si la dynamique de travail semble adéquate pour eux.

1.2 /

La pression Dans certains départements, les professeurs peuvent ressentir une forte pression de la part des autorités ou des collègues pour accepter des étudiants provenant de l’étranger, notamment parce qu’ils représentent une proportion importante des étudiants du programme et parce qu’ils sont une source de revenus supplémentaire pour le département ou pour l’établissement1. Les étapes préalables de discussion avec un étudiant étranger sont d’autant plus importantes pour assurer qu’il puisse obtenir un encadrement adéquat en fonction de ses intérêts de recherche. Il arrive qu’un étudiant soit admis dans un programme de cycle supérieur sans qu’il ait effectué de démarches préalables pour vérifier la disponibilité de professeurs pouvant l’encadrer sur son sujet de prédilection. Parfois, le choix de l’établissement et du département s’est fait surtout pour des raisons financières et pratiques (ententes bilatérales, famille dans la ville, etc.). Une fois admis, l’étudiant peut se retrouver devant une situation où peu ou pas de professeurs ne s’intéressent à son sujet. Le choix d’un directeur de recherche devient alors une démarche pour convaincre un professeur d’accepter un étudiant dont les préférences de recherche concordent plus ou moins avec les siens. Quant à l’étudiant, il devra peut-­être accepter un sujet qui ne cadre pas avec ses champs d’intérêt. Dans un cas comme dans l’autre, une pression peut s’exercer sur le professeur ou sur l’étudiant pour aménager les conditions d’une relation d’encadrement qui ne soit pas basée sur un choix réciproque réel en fonction d’une thématique de recherche. Ces situations sont particulièrement problématiques pour des étudiants étrangers parce qu’ils n’ont souvent pas la liberté de changer d’établissement, surtout en raison des durées limitées de leur séjour. Bien que des démarches préalables de l’étudiant aient pu lui permettre de faire un choix un peu plus éclairé, parfois, ces problèmes peuvent être évités ou contournés par des règles ou des procédures d’admission

1

En raison des droits de scolarité supérieurs que les étudiants étrangers doivent débourser.

399

Encadrer aux cycles supérieurs

dans des programmes obligeant les étudiants à un premier travail de sélection de professeurs ou à l’expression des préférences de recherche pour s’assurer d’une correspondance minimale entre les champs d’intérêt des professeurs et ceux de l’étudiant. Vous n’avez évidemment pas de pouvoir précis sur ces règles, mais comme elles sont habituellement adoptées en assemblée départementale ou par les comités de programme, ces choix peuvent faire l’objet de discussion entre vous, lorsque ce type de problème se reproduit.

2 / L’intégration intellectuelle, universitaire et « sociale » L’intégration intellectuelle, universitaire et sociale d’un étudiant étranger est un défi majeur, particulièrement lorsque ses référents culturels, au sens très large du terme (éducation, relations professeur étudiant, interactions sociales, etc.), sont très différents des nôtres. Le directeur de recherche peut jouer un certain rôle à cet effet, bien qu’une part de cette intégration doive aussi relever du programme ou de l’établissement lui-­même. Pour agir sur cette intégration intellectuelle et universitaire (parce que ce sont les aspects qui concernent plus directement le directeur de recherche), vous pouvez transmettre à votre étudiant des informations sur la « culture » professorale du département ou de l’établissement, la façon de prendre contact, le fonctionnement des services administratifs ou des instances auxquels ils sont susceptibles de devoir s’adresser dans le déroulement normal de leur parcours, etc. Les informations peuvent aussi favoriser son insertion sur le plan de la culture « académique » de l’établissement ou du milieu universitaire en général. Il appartient à chacun de déterminer les informations pertinentes à fournir en fonction de son propre milieu. Toutefois, vous êtes peut-­être la seule personne qui puisse lui donner des informations de base sur le fonctionnement de l’établissement, dans la mesure où vous connaissez vous-­même ces informations. En ce sens, vous pourriez l’inviter à vous formuler les questions qui le préoccupent à cet égard. Évidemment, si le questionnement de l’étudiant porte sur des éléments qui ne vous apparaissent pas relever de vos compétences, vous dirigez l’étudiant vers d’autres sources d’information, mais il est important que l’étudiant puisse se sentir à l’aise de vous mentionner ces aspects de son intégration.

400

Chapitre 15 / La situation avec les étudiants étrangers

Une autre partie importante de son intégration universitaire concerne le déroulement des sessions et le fonctionnement administratif des programmes et des règlements. Bien que ce ne soit pas votre responsabilité de connaître les échéanciers administratifs et de cheminement dans son programme (chapitre 5, section 4.2), ce sont des éléments que vous devez aussi lui rappeler de vérifier, particulièrement dans les quelques premières sessions, le temps qu’il s’ajuste aux procédures. L’intégration sociale est aussi un élément important de l’intégration de l’étudiant, mais ce n’est pas à vous, en tant que directeur, de lui expliquer « comment se faire des amis » dans son milieu. Il faut que ces étudiants créent des liens avec d’autres étudiants, sinon, vous devenez la seule personne avec qui ils auront des échanges.

Lorsque je faisais de la consultation, j’avais rencontré un étudiant étranger dans les premières semaines d’une session. Il m’avait exprimé qu’il se sentait rejeté par ses collègues dans ses premiers séminaires, parce que ceux-­ci refusaient ses invitations à aller prendre un verre ou à participer à d’autres activités sociales. En discutant avec lui, il m’a précisé qu’il arrivait d’un pays d’Afrique où les étudiants de son programme précédent avaient énormément de contacts et passaient beaucoup de temps ensemble à étudier, à travailler et à socialiser entre les cours. Tous ses collègues ou presque résidaient sur le campus ou tout près et ils avaient ainsi la possibilité de développer des liens significatifs entre eux, étant donné qu’ils étaient tous très loin de leur famille. Je lui avais décrit la différence de contexte de son université actuelle où tous ses collègues étudiaient majoritairement à temps partiel, qu’ils travaillaient à temps plein et qu’ils résidaient presque tous assez loin du campus. Je lui avais expliqué de laisser aux gens le loisir d’accepter ou de refuser ses invitations parce que de trop insister pouvait créer plus de distance que de rapprochement. Il m’avait indiqué qu’il réitérait ses invitations plusieurs fois à gauche et à droite, mais il ne s’était pas rendu compte que cette façon de faire pouvait être interprétée comme du harcèlement. Je l’ai plutôt invité à contacter des groupes étudiants qui pouvaient représenter un lieu plus propice pour établir des liens avec des collègues et faciliter son intégration, comme l’association des étudiants étrangers ou certains groupes qui pouvaient s’intéresser à des aspects qui le rejoignaient aussi.

401

Encadrer aux cycles supérieurs

Vous avez un rôle d’accompagnement sur le plan intellectuel et scolaire, mais ce n’est pas votre rôle sur le plan social ou personnel. Il faut alors recommander l’étudiant aux services ou aux activités appropriées. Dans les contextes où vous encadrez plusieurs étudiants, même s’ils ne participent pas à vos projets de recherche, cela peut être intéressant de créer des occasions pour qu’ils discutent entre eux de leur démarche, de leur réflexion et de leur expérience. Vous n’avez évidemment pas à attendre d’encadrer un étudiant étranger pour organiser de telles rencontres, mais cela donne une occasion à un étudiant étranger de partager ses expériences avec d’autres collègues. Il ne faut cependant pas que ces rencontres aient des visées « sociales » pour l’étudiant. Elles doivent être abordées avant tout sur un plan intellectuel, même si des amitiés peuvent en résulter. Encore une fois, votre rôle n’est pas de lui permettre de se faire des amis, mais peut-­être simplement d’établir des contacts avec d’autres collègues. De telles activités « intellectuelles » peuvent parfois aider à briser la glace et à augmenter les activités d’échanges qui aident à l’intégration. Il y a plusieurs années, j’avais développé des ateliers sur la culture et l’adaptation universitaire destinés à des groupes d’étudiants étrangers. J’y parlais des règles, de certaines caractéristiques de la culture de l’établissement, des modalités pour prendre contact avec le personnel administratif, des façons de s’adresser aux personnes et des façons avec lesquelles on pouvait leur répondre. Je faisais également référence aux modalités particulières des travaux, des examens, des attentes de production et des façons d’aborder ces situations pour mieux s’y préparer, lorsqu’on vient de l’extérieur. J’apportais même certaines mises en garde concernant l’importance de verrouiller ses portes de bureau ou d’appartement2, ou de ne pas laisser ses choses sans surveillance à la bibliothèque… L’atelier était souvent l’occasion de préciser le sens de certains termes administratifs ou d’indiquer ce que voulaient dire certains symboles ou certains sigles utilisés librement par tout le monde, mais souvent complètement incompris pour ceux qui ne provenaient pas de l’établissement. Je faisais une brève description du système scolaire québécois afin qu’ils comprennent un peu mieux le parcours scolaire des collègues québécois. L’atelier facilitait très souvent le contact entre les personnes provenant

2

Bien qu’une telle précision puisse paraître superflue, c’est un étudiant étranger arrivé au pays depuis plus longtemps qui m’avait fait la suggestion d’en parler parce que dans sa région natale, il était coutume de ne pas verrouiller les portes (plusieurs maisons n’en avaient même pas) et qu’il s’était ainsi fait voler dans son appartement, quelques semaines seulement après son arrivée.

402

Chapitre 15 / La situation avec les étudiants étrangers

des différents pays, et c’était l’occasion pour plusieurs de poser des questions sur la culture ou sur les modes de fonctionnement qu’ils n’auraient ­probablement pas osé poser autrement. Il faut encourager les étudiants étrangers à participer aux activités de groupes ou d’associations étudiantes, notamment s’il s’agit d’une association d’étudiants étrangers. Cela leur donne l’occasion d’échanger avec des collègues dans un cadre social et souvent ludique autour d’activités portant sur un objet commun d’intérêt. Ils ont plus de chance d’y trouver des ­occasions de partages et de contacts sociaux qui facilitent leur adaptation.

3 / Les problèmes de préparation et de préalables Malgré les évaluations et les mesures qui sont habituellement prises par les établissements pour assurer un minimum d’équivalence des dossiers universitaires des étudiants provenant d’ailleurs, les écarts demeurent fréquents en ce qui a trait aux degrés de préparation aux situations et aux tâches scolaires d’ici, pour des étudiants provenant d’autres pays. Pour éviter des insatisfactions, en cours de route, à propos de l’absence de préalables ou de méconnaissance de tâches ou d’activités que l’étudiant étranger ne maîtrise pas, l’étape de sélection demeure encore une fois primordiale. L’évaluation de certaines habiletés ou connaissances peut être ajoutée aux tâches ou aux informations que vous devriez demander aux étudiants (chapitre 3, section 2.2). Cela vous permettra de leur suggérer des façons de combler les faiblesses avant qu’elles n’affectent leur rendement. Il faut cependant avertir l’étudiant de ces faiblesses que vous avez détectées et de leurs répercussions possibles sur sa progression ou sur l’exécution de son travail.

4 / Les problèmes de langage, de langue, d’expression et de compréhension Les problèmes de langue et de communication des étudiants anglo-­ saxons (dans les universités francophones) sont parfois éliminés en leur permettant de produire leurs travaux et leur mémoire ou leur thèse dans leur langue, lorsque les règlements de l’établissement le permettent. Autrement, n’importe quel étudiant dont la langue maternelle n’est pas le français pourra rencontrer des problèmes importants d’expression et la qualité de ses productions s’en ressentira.

403

Encadrer aux cycles supérieurs

Plusieurs situations problématiques concernent cependant les étudiants étrangers dont la langue maternelle n’est pas le français, bien que le système éducatif de leur pays soit en français, en totalité ou en partie. On peut penser, notamment, à de nombreux pays africains, que ce soit de l’Afrique noire ou des pays maghrébins. Leur langue maternelle, qu’elle soit l’arabe ou encore un dialecte africain, teintera énormément la structure et la forme d’expression à l’écrit, alors qu’elle ne laissera pas paraître de problème à l’oral. Chez plusieurs étudiants de ces pays, l’expression orale est souvent exemplaire. Ce qui surprend, c’est que l’expression écrite n’a pas la même qualité et présente des problèmes importants de syntaxe, de style et p ­ articulièrement de ponctuation. Une proportion importante d’étudiants étrangers à qui j’ai enseigné ou que j’ai suivis au cours de leur formation présentait ces écarts entre l’oral et l’écrit. Le problème avec la syntaxe et la ponctuation est particulièrement dérangeant parce que la correction devient beaucoup plus difficile puisque les phrases présentent souvent une structure ou des séparations ­inhabituelles. Le sens des phrases est alors difficile à comprendre. Je mentionne cet écart parce qu’on pourrait penser que la qualité de l’expression orale d’un étudiant qui se présente à nous est représentative de la qualité de sa rédaction, alors que ce n’est pas toujours le cas. C’est d’ailleurs un reproche très souvent exprimé à l’égard des étudiants étrangers, mais les échanges que j’ai eus avec les directeurs de recherche ont montré qu’ils n’avaient jamais pensé évaluer ces aspects au moment de rencontrer les étudiants ni indiquer leurs exigences sur ce point. Le processus de vérification de la qualité de la langue écrite demeure une étape incontournable, même si vous avez la forte impression que la qualité de la rédaction ne sera pas un enjeu avec un étudiant. Là aussi, les courriels sont souvent les premiers indicateurs d’un problème ou de difficultés potentielles à l’écrit. Vous devez informer vos étudiants des attentes relatives à la qualité de la langue écrite que vous attendez d’eux (ça peut être le français, mais aussi l’anglais, si vos étudiants peuvent remettre leur production en anglais). Il est de leur responsabilité de prendre les moyens de vous remettre des textes écrits de bonne qualité. Ce n’est pas à vous d’assumer la correction de la langue ou de compenser par des interventions dans le texte de l’étudiant, si les lacunes sont trop importantes (chapitre 11, section 4). Ce sont des conditions qui doivent être annoncées à l’étudiant au début du processus.

404

 

Conclusion

La démarche d’encadrement et d’accompagnement aux cycles supérieurs est un processus qui change constamment en fonction des étudiants, des sujets, des conditions de recherche qu’ils impliquent, des évènements propres à la recherche et en fonction de nos propres expériences, conceptions et perceptions. La vision et les principes adoptés dans l’ouvrage correspondent donc à une vision pédagogique de l’encadrement issue de mes propres conceptions et expériences. La présence récurrente d’exemples personnels de fonctionnement s’explique par le fait que j’applique évidemment les principes et les règles proposés dans l’ouvrage qui se sont développés au fil de ma pratique et d’années de consultation. Ces approches se sont aussi développées à partir des problèmes que j’ai rencontrés avec mes étudiants et de ceux rapportés par d’autres directeurs ou par des étudiants en difficulté. Encadrer un étudiant qui est autonome, performant, débrouillard, qui sait utiliser ses propres ressources ne représente pas un défi. Ces étudiants sont cependant peu nombreux au moment d’entreprendre leurs études de maîtrise. Ils le sont parfois plus au doctorat, mais cette étape ultime avec ses exigences, ses difficultés et l’ampleur de la démarche qu’elle implique n’assure pas que ceux qui sont parvenus à réaliser une maîtrise sans heurts y parviendront tout aussi facilement au doctorat. La majorité des étudiants que vous accepterez d’accompagner seront affectés par des difficultés diverses, feront preuve d’un manque de connaissance ou de savoir-­faire, ou devront faire face à différentes situations inhérentes au processus d’apprentissage et aux contextes du métier de chercheur. Vous serez probablement la première et souvent la seule ressource pour les aider à éviter, à affronter ou à contourner ces

Encadrer aux cycles supérieurs

situations. Ce faisant, vous serez amenés à donner des tâches, à proposer des orientations, à expliquer comment faire, à créer des échéances, à faire réfléchir, à vérifier la progression, à corriger des textes, etc. Au-­delà de toutes ces tâches, ce qui demeure fondamental dans le fait d’accepter d’encadrer un étudiant est de l’informer de votre approche d’encadrement, au moment où vous le recrutez ou qu’il vous sollicite. Il doit connaître, dès le départ, les conditions qui entoureront sa démarche et les modalités dans lesquelles s’établiront vos rencontres de travail. En ce sens, certains lecteurs pourront considérer que des situations ou des problèmes évoqués dans des chapitres ne relèvent pas de leur responsabilité et qu’ils n’ont pas à s’en préoccuper. D’autres pourront trouver que des responsabilités que j’attribue aux étudiants devraient plutôt relever de la responsabilité des directeurs de recherche. Un consensus existe toutefois autour du rôle central que joue le directeur de recherche pour favoriser la réalisation du mémoire ou de la thèse et l’importance de la correspondance entre son mode de fonctionnement et les attentes de l’étudiant. Un minimum de disponibilité, de respect et de professionnalisme quant aux rôles d’éducation et de formation qu’un directeur de recherche doit jouer s’avèrent aussi des conditions essentielles. Dans ce processus d’accompagnement, un dernier principe à retenir m’apparaît central et il est souvent sous-­entendu dans plusieurs des suggestions ou des interventions proposées au long du livre : formuler les consignes, les demandes ou les attentes de la façon la plus précise et explicite possible, même si vous pensez que cela peut avoir l’air exagéré ou que vous craignez que cela donne l’impression d’infantiliser l’étudiant. Dans un contexte d’apprentissage, la précision des consignes ou des directives n’est jamais superflue. Par exemple, un plan peut avoir une forme très claire, pour vous. Cette forme peut cependant être différente pour l’étudiant. Vous pourriez donc être déçu de ce qu’il vous remet parce que cela ne correspond pas à ce que vous attendiez. Assurez-­vous de décrire la forme finale ou le type d’informations que vous voulez ou précisez la façon d’exécuter une tâche, plutôt que de penser que l’étudiant saura de quoi vous parlez. Ce principe de clarté et de précision vaut pour tous vos échanges avec vos étudiants et sur toutes les dimensions de votre accompagnement. Il faut aussi, en fin de compte, que vous retiriez une certaine satisfaction du processus d’encadrement. Des insatisfactions ponctuelles sont normales, mais si ce processus devient trop lourd d’une fois à l’autre, il est probablement temps de revoir vos modes de fonctionnement. Ces insatisfactions proviennent parfois de la difficulté à conjuguer avec les exigences

406

Conclusion

de cet encadrement et les autres composantes de la tâche professorale. Une grande portion des suggestions du livre a été justement orientée vers le respect de ce temps nécessaire pour s’occuper de ces autres obligations. L’encadrement ne doit pas se faire au détriment de ses autres activités. Enfin, un sujet que je n’aborde pas vraiment dans l’ouvrage, parce que ce n’en était pas le but, est l’intérêt et la richesse que procure parfois l’accompagnement des étudiants, parce qu’ils font surgir chez soi des idées ou des pensées qui n’avaient jamais été réfléchies ou formalisées auparavant, par les questions qu’ils posent et par les interprétations ou les hypothèses qu’ils proposent. Cela fait partie des bénéfices qu’on peut retirer de l’accompagnement aux cycles supérieurs, lorsque les obstacles au processus d’accompagnement ont été aplanis ou que les modalités d’encadrement sont établies sur des bases claires et communes. Ce sont des moments privilégiés où l’accompagnement aura permis de créer des conditions pour nous faire avancer nous-­même dans notre propre démarche.

407

Encadrer aux cycles supérieurs

Annexe C.1 / Référencement des questions ou des préoccupations dans les chapitres Questions ou situations

Chapitre : section

• J’ai l’impression qu’il faudrait que je rédige souvent à la place de l’étudiant.

11 : 4

• Est-­ce que je dois tout vérifier dans la version définitive du mémoire ou de la thèse ?

12 : 3

• Qu’est-­ce que je fais si tout ce qu’écrit l’étudiant n’est pas bon ?

11 : 4.2

• Au début, je préfère corriger progressivement au fur et à mesure que l’étudiant prend de l’assurance plutôt que de corriger sévèrement tout ce qu’il écrit.

11 : 2

• Qu’est-­ce que je fais avec un étudiant qui ne produit pas ce qu’il devrait après plusieurs fois ?

13 : 2.1

• J’ai une connaissance, un ami, un parent, un ancien collègue qui m’a demandé d’être son directeur de recherche…

5 : 4.4

• J’ai un étudiant qui a tendance à s’éterniser dans mon bureau lors de nos rencontres.

14 : 3

• Quelle serait la durée que je devrais accorder à nos rencontres lorsque je reçois mes étudiants ?

4 : 2.2

• Ne devrait-­on pas établir un contrat écrit avec les étudiants ?

14 : 2

• Je ne sais pas quoi faire avec un étudiant qui rencontre des problèmes personnels.

5 : 4.7

• Comment faire pour éviter que l’étudiant me remette ses productions à corriger à des moments inappropriés ?

4 : 8

• Quoi faire si l’étudiant n’arrive plus à produire ?

13 : 2.3

• La qualité du français de mon étudiant est vraiment déficiente.

13 : 1.4

• Je me retrouve parfois avec des étudiants qui ont de grandes déficiences en français.

3 : 2.2 et 2.4

• Mon étudiant ne travaille pas sur ce que nous nous étions entendus.

13 : 2.2

• Comment savoir si ça va bien fonctionner avec un étudiant ?

3 : 1 ; 3 : 2.2 ;

14 : 3

13 : 4

3 : 3.1 • Je trouve que je perds beaucoup de temps lors des rencontres avec mes étudiants.

4 : 2 11 : 6.2 14 : 3

• J’essaie de connaître les prochaines étapes que l’étudiant devra suivre du point de vue de son cheminement.

5 : 4.2

• Certains de mes étudiants utilisent mes données de recherche, mais ils ne fournissent jamais rien en retour.

7 : 1.2.3

• Quoi faire avec un étudiant qui n’arrive pas à s’arrêter sur un sujet ?

7 : 1.3

• Comment se fait-­il que je n’aie pas vu qu’il manquait quelque chose d’essentiel au texte d’un de mes étudiants avant qu’il ne dépose son mémoire ou sa thèse ?

12 : 4

408

3 : 3.5

Conclusion

• Qu’est-­ce que je fais si un étudiant me demande d’avoir une codirection ?

3 : 1.3

• À quel moment puis-­je décider de relancer un étudiant qui ne me donne pas signe de vie ?

14 : 5

• Un étudiant voudrait avancer plus sur sa scolarité avant de travailler à son sujet de recherche.

3 : 6.5

409

7 :1.3.2

8 : 1

Encadrer aux cycles supérieurs

Annexe C.2 / Liste des fiches et des grilles à consulter Sujets ou thèmes abordés

Chapitre : section

Déterminer ses critères ou exigences particulières personnelles concernant les modalités d’encadrement et les choix associés à la recherche

3 : 2.1

Liste des tâches et consignes à demander à l’étudiant pour préparer la rencontre de sélection

3 :2.2

Liste des questions à poser à l’étudiant lors de la rencontre de sélection

3 : annexe 3.1

Feuille des renseignements personnels de l’étudiant

3 : annexe 3.2

Grille de perception des rôles et des responsabilités dans l’encadrement aux cycles supérieurs

5 : annexe 5.1

Gabarit de la fiche de notes de lecture pour la recension des écrits

6 :4.1

Questions pour expliciter le processus de recherche et de sélection de textes lors de la recension des écrits

6 : annexe 6.1

410

 

Bibliographie

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Encadrer aux cycles supérieurs

Malone, B.G., J.S. Nelson et C.V. Nelson (2001). An Analysis of the Factors Contributing to the Completion and Attrition Rates of Doctoral Students in Educational Administration, Paper presented at the Annual Meeting of the Mid-­Western Educational Research Association, Chicago, 24-­27 octobre 2001. McAlpine, L. et J. Norton (2006). « Reframing our approach to doctoral programs : An integrative framework for action and research », Higher Education Research & Development, vol. 25, no 1, p. 3-­17. Seagram, B.C., J. Gould et S.W. Pyke (1998). « An investigation of gender and other variables on time to completion of doctoral degrees », Research in Higher Education, vol. 39, no 3, p. 319-­335. Stock, W.A., A. Finegan et J.J. Siegfried (2006). Attrition in Economics Ph.D. Programs, document de travail n o  06-­W 08, mars, Nashville, TN, Department of Economics, Vanderbilt University.

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L’encadrement des étudiants aux cycles supérieurs fait partie des tâches des professeurs universitaires. Le fait d’avoir réussi une maîtrise ou un doctorat ne prépare cependant pas nécessairement ces derniers à accompagner des étudiants qui entreprennent de telles études. Les directeurs de recherche ont souvent à faire face à des difficultés qui dépassent largement les expériences qu’ils ont eux-mêmes vécues ou pour lesquelles ils ont été formés. Encadrer aux cycles supérieurs : étapes, problèmes et interventions expose ces situations et les contextes qui les provoquent. L’ouvrage décrit les étapes du processus d’accompagnement – du premier contact avec l’étudiant jusqu’au dépôt du mémoire ou de la thèse –, les problèmes liés à chaque étape et les façons de les éviter, de les contourner ou de les résoudre. Des anecdotes et des cas concrets illustrent les propos de l’auteur. L’ouvrage aborde aussi les relations entre le directeur et l’étudiant, prônant des rencontres de travail les plus profitables possible. Il s’agit là d’un sujet jusqu’à maintenant peu discuté de manière explicite parce que la relation d’encadrement est souvent perçue comme étant de nature privée entre le directeur et l’étudiant – dimension qui peut aussi présenter son lot de difficultés. Cet ouvrage sera utile à tous les professeurs universitaires, mais il intéressera aussi les professionnels et les cadres universitaires qui désirent comprendre les difficultés inhérentes au processus de formation et d’encadrement aux cycles supérieurs.

Christian Bégin est psychologue et professeur au Département de didactique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il est intervenu pendant près de 15 ans auprès des étudiants de maîtrise et de doctorat ayant des problèmes de production ou de progression dans leurs études. Il a notamment mis sur pied différents ateliers destinés à les outiller pour qu’ils puissent relever les différents défis qui les attendent. Il a dirigé pendant 5 ans le Centre de formation et de recherche en enseignement supérieur (CEFRES) à l’UQAM et il donne depuis 20 ans des ateliers de formation et des conférences sur l’encadrement aux cycles supérieurs dans les établissements universitaires francophones du Québec et du Nouveau-Brunswick.

PUQ.CA