Sartre Merleau-Ponty: Le dialogue inachevé (French Edition) 2140267966, 9782140267963

Cet ouvrage soutient la thèse qu'il n'y a pas eu de rupture entre Sartre et Merleau-Ponty. En effet, les diver

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French Pages 184 [185] Year 2023

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Sartre Merleau-Ponty: Le dialogue inachevé (French Edition)
 2140267966, 9782140267963

Table of contents :
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SartreMerleau-PontyLe dialogue inacheve
Ouverture philosophique
DU MEME AUTEUR
Ouverture philosophique
Chap. 1. La lettre, le corps, ou !'incarnation
Chap. 2 Les raisons du creur et le temps des assassins.
Chap. 3 Les sourcilleux temoins et l'agacement partage.
Chap. 4. Politique et philosophie ou la clise du marxisme.
Chap. 5 L'espoir italien ou l'imagination au pouvoir.
Chap. 6. V enise ou la derniere rencontre.
Chap.7 Les mots de l'anticolonialisme
Chap. 8. Moyens sans fin.

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Jean-Frangois Gaudeaux

SARTRE MERLEAU-PONTV Le dialogue inacheve

Sartre Merleau-Ponty Le dialogue inacheve

Ouverture philosophique Collection dirigee par Jean-Marc Lachaud et Bruno Pequignot Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux originaux sans exclusive d' ecoles ou de thematiques. 11 s' agit de favoriser la confrontation de recherches et des reflexions, qu' elles soient le fait de philosophes « professionnels » ou non. On n'y confondra done pas la philosophie avec une discipline academique ; elle est reputee etre le fait de tous ceux qu'habite la passion de penser, qu'ils soient professeurs de philosophie, specialistes des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou ... polisseurs de verres de lunettes astronomiques. Dernieres parutions

Sous la direction de Oumarou MAZADOU, Ethique et crise, de responsabilite, Reperes mythiques et philosophiques, 2022. Tiana Rado Charles ANDRIAMPARANY, Hans Jonas et l'ecologie. Vulnerabilite et Responsabilite, 2022. Giscard Kevin DESSINGA, Darwinisme epistemologique. Essai sur l 'eugenisme methodologique de Karl Popper, 2022. Maher AKHTTIAR, L 'epistemologie de l'histoire chez Fernand Braudel, (Espace, temps, homme), 2022. Une Giscard Kevin DESSINGA, KARL POPPER. epistemologie de la precarite et du combat, 2022. Sy HAMDOU RABBY, La politique de / 'impossible et l'ethique de l'agir. Pour une gouvernance mondiale a visage humain, 2022. Komlan A. AZIALE, Philosophie, societe et engagement en Afrique, 2022. Eric VALENTIN, Anselm Kiefer, Une evaluation critique, 2022. Auguste NSONSISSA, A la recherche de la pensee interstitielle, 2022. Lucien AYISSI, Crise et Superstition, 2022. Claude Stephane PERRIN, Bien vivre et philosopher, 2022. Robert TIRVAUDEY, Ontologie et theologie chez George Berkeley, 2021.

Jean-Frarn;ois Gaudeaux

Sartre Merleau-Ponty Le dialogue inacheve

L'

lfCmattan

DU MEME AUTEUR Sartre, l'aventure de l'engagement. Paris, L'Harmattan, 2006.

© 2022, L'Harmattan 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique - 75005 Paris www.editions-harmattan.fr ISBN :978-2-14-026796-3 EAN :9782140267963

Pour Lola

La revolte est I 'expression polemique d'un principe d'esperance qui a pour fondement un optimisme constate: le fait est que, contre toute raison, les hommes acceptent la vie et que les meilleurs d'entre eux attendent mieux d'elle; apres tout, qui dit eternel retour dit aussi eternel depart. Paul Veynes, Rene Char en ses poemes.

Allers-retours, nouveaux departs qui se decident clans l'instant, parfois clans la colere, toujours clans le present et qui engagent l'avenir, jamais garanti; et sans jamais rien sacrifier a la pensee, tels s'affirment Merleau-Ponty et Sartre. Une indefectible volonte de penser les anime ; un vouloir tout penser. D'ou le melange, Sartre et MerleauPonty vont faire operer un melange, il s'appellera Les Temps Modernes. Des sa creation le comite de redaction de cette revue est un melange d'individus, de sensibilites, d'options politiques et philosophiques differentes, mais qui s 'unissent dans un meme embarquement a penser et a faire penser. Tous les mois cette revue livrera son recueil de melanges, des textes divers sur des sujets divers, mais tous permettent de penser leur epoque et d'agir dans cette epoque. Merleau-Ponty et Sartre ecriront des melanges : Signes, Situations. Pour l'un comme pour l'autre, cet

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ensemble de textes se definit par : "des articles qui se rapportent a ma philosophie mais qui sont ecrits dans un style tres simple et qui parlent de chose que tout le monde connait. "1 La encore, ces textes et toute leur ceuvre manifestent cet engagement : penser et faire penser. "Penser par soi-meme", telle est la devise du philosophe ; et parfois son mot d' ordre. Et pour un philosophe tout commence avec Socrate. Son "connais-toi toi-meme" implique cette capacite a penser par soi-meme. De la des variantes, celle de Descartes, celle de Marx, celle de Sartre du "penser contre soi-meme"(formule qu'il prend chez Nietzsche), celle de Merleau-Ponty qui, en se defiant de toute "pensee de survol", interpellait ainsi la pensee politique, cet art des possibles. Toutes ces demarches, depuis Platon, ont un but commun : "Discerner si l' esprit enfante une chimere et une faussete, ou un fruit reel et vrai." Cette recherche de la verite necessite de "voir clair en nous-memes" (comme disaient Marx et Engels) et, parfois, de regler quelques comptes avec soi-meme, avec sa conscience philosophique, avec son idealisme (et cela prend du temps 2), ou de congedier sa "belle ame", ou "la politique des philosophes, celle que personne ne fait. " 3 Mais, dans tous les cas, cet acte de pensee, cet engagement a penser par soi-meme, s'accompagne d'une volonte de dialogue avec les autres. Sartre constitue un modele du genre, un 1

J-P Sartre, entretiens, La Ceremonie des adieux, Paris, Gallimard, 1981, 215. Commentant cette reponse, Simone de Beauvoir ajoute "Une espece de reflexion critique sur tous les aspects de l'epoque en somme ? sur les aspects politiques, les aspects litteraires et artistiques ?" ; Sartre acquiesse. Signes de Merleau-Ponty repond aux memes criteres. 2 J-P Sartre : 11 cet idealisme dont j'ai mis trente ans a me defaire. 11 Les Mots, Paris, Gallimard, 1964, 39. 3 M. Merleau-Ponty, Preface aSignes, Paris, Gallimard, 1960, 10.

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archetype. En effet, toute sa vie durant, Sartre a dialogue avec ses contemporains, celebres ou inconnus. Avec les inconnus, c'est-a-dire avec tous les hommes et n'importe qui, il souhaitait que ce dialogue perdure. D'ou, nous semble-t-il, la disponibilite de Sartre aux rencontres, aux entretiens, aux prefaces; et avec Les Temps Modernes l'appel ace que cet "organe de recherche" se developpe et augmente le nombre de ses membres 1. Plus encore, ce dialogue Sartre voulait qu 'il se continue par-dela sa mort : "que mes congeneres m' oublient au lendemain de mon enterrement, peu m'importe; tant qu'ils vivront je les hanterai( ... )"2 . Merleau-Ponty, plus reserve, plus discret, appelle aussi a hanter le monde, les corps, les autres, telle est la condition, nous dit-il, pour que : "Dans cette historicite primordiale, la pensee allegre et improvisatrice de la science apprendra a s'appesantir sur les choses memes et sur soi-meme, redeviendra philosophie."3 Ainsi, apres d'autres, les philosophes Sartre et Merleau-Ponty en appellent aux spectres. L' interet des spectres, a la difference de la chouette de Minerve, c'est qu'ils n'ont pas d'heure, et qu'ils ont le temps; pour ne pas dire l'eternite. Car, pour les spectres, il n'y a nulle fin de l'histoire, ni sortie de la philosophie ; ils ne mettent jamais fin aux dialogues. Merleau-Ponty et Sartre perpetuent leur dialogue et veulent continuer de dialoguer avec tous les hommes. Vincent Peillon touche juste lorsqu'il ecrit : "Il faut reprendre le contact avec l 'homme ordinaire que nous ne pouvons cesser d'etre, replacer les essences clans leur veritable milieu, celui de }'existence. Tel est le programme accompli par la phenomenologie de Merleau-Ponty."4 1

J-P Sartre, "Presentation des Temps Modernes", Situations, II, Paris, Gallimard, 1948, 21 et 30. 2 J-P Sartre, Les Mots, op. cit., 208. 3 M. Merleau-Ponty, L'CEil et !'esprit, Paris, Gallimard, 1964, 13. 4 V. Peillon, La tradition de !'esprit. Itineraire de Maurice MerleauPonty, Paris, Grasset, 1994, 119.

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C'est aussi le programme de Sartre dans sa "passion de comprendre les hommes", et c'est la meme influence de la phenomenologie de Husserl, Sartre, comme MerleauPonty sont "homme parmi les hommes. " 1 Et il nous semble qu'il est possible d'appliquer a Merleau-Ponty aussi la conclusion des Mots : "Tout un homme, fait de tousles hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui." Cependant, avec d'autres, qui ne se prenaient pas pour n'importe qui, Sartre met un terme au dialogue, patfois violemment. Ainsi le dialogue s'acheva, au sens de Michaux : "Qu'est-ce qui est pire que d'etre acheve ? Adulte -acheve - mort: nuances d'un meme etat. On ajete ses atouts."2 Entre Sartre et Merleau-Ponty rien de semblable. Certes, les ruptures celebres de Sartre, avec Camus, avec Etiemble, avec Lefort servent de reference et d'analogie. Alors, il ne reste plus aux exegetes qu'a livrer leurs interpretations, souvent unilaterales, et a distribuer les torts et les raisons ; la mort des protagonistes les protegeant a jamais de toute contestation. Dans cette optique, le recit de l 'histoire des rapports entre Sartre et Merleau-Ponty se fait en fonction d'une prise de parti qui n'a pas forcement a voir avec la realite de cette histoire. Nous sommes confrontes la aux rapports entre l 'histoire et l 'historiographie. Certes l 'historiographie est une des modalites de l 'histoire, elle est liee a elle, mais en tant qu' elle se donne comme le rec it de l 'histoire ; tout reside alors dans la fa9on dont on raconte l 'histoire et, aussi ou d 'abord, de la fa9on dont on s 'en souvient. Sur ce demier 1 J-P Sartre, "Une idee fondamentale de la phenomenologie de Husserl• l'intentionnalite", Situations, I, Paris, Gallimard, 1963, 37. 2 H. Michaux, Passages, Paris, Gallimard, 1963, 37.

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point, la reference i Bergson s 'impose1, lui qui etahlit comment la memoire est residuelle ; ainsi de partielle elle peut devenir partiale. Enfin, ce que ces historiographes ouhlient, dans leur ohstination i distrihuer les hons et les mauvais points, reside dans ce que Benedetto Croce expliquait i propos de l 'histoire pour celui qui pretend en rendre compte : Pour la conscience historique, il n' existe pas de faits hons et de faits mauvais, mais des faits qui sont toujours hons quand ils sont compris dans leur essence et leur realite concrete ; il n 'existe pas de partis adverses, mais un seul grand parti qui englohe les adversaires et qui se trouve etre justement la consideration historique. 2 Merleau-Ponty reaffirme cette meme idee : "L 'histoire de la pensee ne prononce pas sommairement : ceci est vrai, cela est faux. " 3 I1 ne s 'agira done pas, dans ce livre, de justifier la position de l 'un contre celle de l' autre. Nous souhaitons seulement rendre compte d 'une periode de l 'histoire et de la philosophie, marquee pour nos deux auteurs par la lutte des classes ; et tenter une approche du vecu 4 de cette periode par ces deux philosophes.

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On peut meme soutenir qu'elle s'impose doublement, sur la question de la memoire, mais aussi en fonction de l'importance qu'il a pour nos deux philosophes. 2 B. Croce, La philosophie comme histoire de la liberte, Paris, Seuil, 1983, 166. 3 M. Merleau-Ponty, Preface, Signes, Paris, Gallimard, 1961, 21. 4 Le vecu n'est pas le "raconte" ; il est l'epreuve que l'individu fait de son existence et de sa situation singuliere. Rappelons egalement que ce concept de vecu renvoie a l'influence commune sur Merleau-Ponty et Sartre de la phenomenologie de Husserl.

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Ce vecu de l 'histoire et de la philosophie, interdit par lui-meme de parler de rupture ou d'une fin du dialogue entre Sartre et Merleau-Ponty. 1 Pour l 'un comme pour l'autre la philosophie n'est pas conjoncturelle, qu'elle soit une presence constante qui, au travers des difficultes rencontrees, permet d'avancer2, ou meme qu'elle soit definie comme un moyen d'atteindre a l'immortalite. Pour eux la philosophie est un choix dont ils ne se dedisent pas; rappelons ces propos de Merleau-Ponty a Madeleine Chapsal : "le jour ou je suis entre en classe de philosophie, j 'ai compris que c' etait de la philosophie que je voulais faire. Alors, ni depuis, je n'ai jamais eu la moindre hesitation la-dessus. "3 A la meme Madeleine Chapsal, Sartre explique que "la philosophie compte d'abord". 4 Elle est, pour eux, une constante preoccupation, dans une non moins constante inscription et preoccupation de l'histoire. Merleau-Ponty y insiste : "nous avons appris l'histoire et nous pretendons qu'il ne faut pas l' oublier." D' ou l 'importance qu' il attache a la philosophie de l 'histoire5 ; et l'importance de l'histoire pour la philosophie, en pa1ticulier chez Husserl. D' ou, aussi, pour Sartre l'importance du role des individus dans l'histoire, tel qu'il le traque au travers de textes si differents de La Nausee a L 'Universe/ singulier, en passant par le Saint Genet, la Critique de la raison dialectique et, bien sur, L 'Idiot de la 1

Il suffit de relire la preface de Signes (ecrite pendant I' ete 1960), les longues pages que Merleau-Ponty consacre a l'analyse du texte que Sartre vient d' ecrire sur Nizan, sont toutes de reconnaissances, d'affirmations de points de vue partages (a tort OU a raison); on y trouvera nulle part le ton de la rupture. 2 Ibidem, 9. 3 M. Merleau-Ponty, entretiens avec Madeleine Chapsal, in Parcours dew: 1951-1961, Lagrasse, Verdier, 288. 4 J-P Sartre, Situations, IX, op. cit. 10. 5 M. Merleau-Ponty, Les aventures de la dialectique, Paris, Gallimard, 1955, 9.

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famille. Ce rapport a l'histoire ne peut que les conduire a la politique, cette "action qui s'invente"1, cet autre lieu de la lutte des classes ; pour eux, l'histoire est un environnement auquel on ne peut echapper. Pour nos deux philosophes les liens qui unissent l 'histoire, la philosophie et la politique ne sont pas simples et, concernant les rapports entre la philosophie et la politique, ne peuvent, ni pour Sartre ni pour Merleau-Ponty, etre des liens de subordination : la philosophie ne doit pas etre subsumee par la politique et il faut prendre garde a la politique des philosophes. Certes, on nous objectera que c 'est justement la critique que Merleau adresse a Sartre, c'est exact; mais encore faut-il considerer qu'il s'agit aussi d'une autocritique sur un fond commun : l 'histoire et le marxisme 2. Ce rapport se vit, pour chacun deux, de fa;on bien differente, dans des lieux et des postures sans comparaison. Sartre est partout dans le monde, MerleauPonty va des bureaux des Temps Modernes a la chaire du College de France ; d'ou observe-t-on mieux le monde ? Tous les deux sont en discussion avec le marxisme, mais pas toujours avec les memes marxistes, tous les deux sont sous !'influence de la phenomenologie de Husserl, mais pas de la meme maniere, pour l'un c'est l'imaginaire, pour l'autre c'est la perception. Enfin chacun deux a ete forme a la meme ecole de la philosophie frarn;aise, le bergsonisme, et de !'institution Ecole normale superieure, ils n' en font pas le meme bilan. Ce qui les reunit c 'est l 'histoire et la violence de la guerre. Dans cette periode, s'etablit entre eux un partage des taches et des roles, aux Temps modernes et, par la, pourrait-on dire, partout dans 1

M. Merleau-Ponty, Les aventures de la dialectique, op. cit. 11. Il suffit pour s'en apercevoir de relire la preface de Signes ou Merleau-Ponty retrace cette histoire comme une histoire de la philosophie et une histoire de marxisme ; et cette histoire, il ne le cache pas, c'est aussi la sienne.

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le monde, puisque clans ces annees (1945-1950), Les Temps Modernes tentent de rendre compte du monde : l'Amerique, l'Indochine, l'Italie, l'URSS, de philosophie et de politique ; et toujours de la guerre, de l'histoire. Ils sont alors, tous les deux embarques, engages, ils l'ont choisi, ils le revendiquent, pas forcement de la meme fa9on. Dans cet engagement, la contingence de l 'histoire le dispute a la liberte en situation. Tels sont les points de departs et les points communs entre eux. Une autre guerre, celle de Coree, sur fond de guerre froide, relance leur dialogue et ouvre a leurs desaccords. Mais, en fait, le dialogue se continue avec la meme claire conscience, on pourrait dire la meme obsession, en tout cas la meme situation y preside, celle que Croce definissait deja ainsi clans les annees 1930 : La recherche et la reflexion historiques naissent de la lutte presente, de }'exigence morale, du besoin qui est en chacun de nous de tracer la ligne de son devoir, besoin qui exige }'examen objectif, c 'est-a-dire la connaissance du passe clans toute sa necessite et sa logique. Mais ce qui s 'est passe n'est pas definitif, et final : l'histoire du monde continue et il ne suffit pas de la penser : ii faut faire la nouvelle histoire, agir. 1 Car, la encore, c 'est bien le meme point commun qui pousse nos philosophes : agir. Jusqu'au creur de leur desaccord quant aux modalites de }'action, ii n'est pas question de renoncer a agir. Relisons seulement la fin du chapitre des A ventures de la di aleeti que, "Sartre et I 'ultra bolchevisme" : "11 faut alors revenir, attaquer de biais ce qui n'a pu etre change de front, chercher une autre action 1

B. Croce, op. cit. , 32.

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que l'action communiste."1 Sur le fond, comment Sartre ne pourrait-il souscrire a cette proposition, lui qui ecrivait dans ses Carnets de la dr6le de guerre : "Quoique soit devenu le P. C. il fut un temps ou il m ' etait demande de choisir et j'ai choisi contre lui. Et d'ailleurs communisme n'est pas marxisme."2 Il faut souligner la premonition... Mais, plus generalement, il convient de prendre quelque peu en consideration la these de Gilbert Murray qui voit en Croce une influence comparable a celle de Bergson. Nous avons la de fa9on resumee les deux influences singulieres qui ont pousse Sartre et MerleauPonty : l' ecole italienne et sa passion pour la dialectique et l 'histoire, depuis Machiavel et Vico et, bien sur Benedetto Croce ; l' ecole fran9aise de philosophie et son approche psychologique de Lagneau et Alain ; et la nouveaute de Bergson qui influencera durablement les jeunes philosophes de la generation de Sartre et Merleau-Ponty. Certes, cette separation n ' est pas absolue, mais nos deux hommes ont ete soumis d'abord a la meme influence de cette ecole fran9aise, et de Bergson en particulier. Cependant, il convient deja de noter que, des leurs premiers textes, leur rapport a Bergson se differencie. En effet, si !'influence de la tradition philosophique fran9aise est indiscutable chez ces deux philosophes, elle cede, peu ou prou, la place a la phenomenologie, avec Husserl comme point d'origine. La philosophie vise au concret. Il faut, sur ce point, rappeler l'echo rencontre par le livre de Jean Wahl, Vers le concret. C'est a partir de ce livre que Merleau-Ponty et Sartre se toument du cote de Husserl. Or ce point d 'origine ouvre a differents developpements et interpretations-utilisations de la phenomenologie, au 1

M. Merleau-Ponty, Les aventures de la dialectique, op. cit , 295. J-P Sartre, Les Carnets de la drole de guerre, Paris, Gallimard, 1995, 43.

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risque de devenir "l'histoire des heresies husserliennes", selon la formule de Paul Ricceur. Reste que de Bergson a Husserl se retrouvent des figures philosophiques communes : la conscience, le temps, l 'histoire, la duree. Sartre et Merleau-Ponty le savent mieux que quiconque, et le titre de leur revue Les Temps Modernes peut en constituer la preuve en forme de synthese programmatique.

A tout cela, dans tout cela, la dialectique se manifeste comme un autre (Autre ?) theme commun de ce dialogue. Un dialogue ou les tiers mediateurs sont nombreux, mais ils ne constituent pas vraiment, nous le montrerons, cette "autre forme de l' alterite", ces "autres soi-meme"1 que nous presente Sartre dans la Critique de la raison dialectique. Or, cette alterite nouvelle ne se donne-t-elle pas deja a voir dans l'amitie de ces deux hommes, c ' est-adire dans leur respect philosophique mutuel : "Nous essayfunes chacun de rester fidele a soi et a l ' autre, nous y reussimes a peu pres."2 Tel est ce dont temoigne l 'hommage de Sartre a Merleau-Ponty. Mais, effectivement, la mort saisie le vif, c'est elle qui interrompt le dialogue de Sartre et Merleau-Ponty, celui qui se poursuivait dans leur rencontre a Venise (1956) et apres. Cette interruption doit nous ramener aux textes, et aux specificites de depart de chacun : l 'imaginaire et la perception et leurs champs privilegies d'application, la litterature et la peinture. La encore, il faudra prendre garde de n'oublier ni l'histoire, ni la dialectique, ni la lutte des classes ; et de ne pas ignorer l'ecole Italienne.

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J-P Sartre, Critique de la raison dialectique, Paris, Gallimard, 1960, 420. 2 J-P Sartre, Merleau-Ponty, Situations, IV, Paris, Gallimard, 1964, 189.

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Il nous faut aussi, des l'abord, souligner le role de la subjectivite et de l'intersubjectivite. Ces concepts sont communs a nos deux penseurs et presents dans leurs reuvres des premiers livres jusqu'aux demiers. Pour Sartre comme pour Merleau-Ponty, ces concepts permettent de connaitre la situation et, potentiellement, de la transformer. C'est par la subjectivite que l'on apprehende le monde et les autres. Et, ajoutons que la subjectivite et l'intersubjectivite constituent autant de formes de l'incamation. Or, l'incarnation n'est-elle pas le lieu, le temps et la force de ce dialogue philosophique vecu ? Paree qu'avec Merleau-Ponty, comme avec Sartre, la philosophie n'est jamais la sphere des idees pures ou des essences liberees du corps, elle est le lieu des hommes-concrets-vivants. Cette philosophie parle et agit au present, la difference, dans la similitude de leur demarche, portera sur la fa9on dont ils interpretent la portee de cette action presente. Et, comme nous le montrerons, cette pensee-action se fait souvent dans l'urgence, cette urgence est bien lisible dans l'ecriture de la Critique de la raison dialectique. Elle preside a certaines prises de positions dans la periode de la Guerre froide. Dans cette temporalite, dans les urgences de l ' histoire, caracterisee par cet ensemble : Guerre froide, guerres coloniales, anticommunisme omnipresent ; tout cela taraude nos deux penseurs ; l'art n'en reste pas moins constamment present dans leurs reuvres. Il s' op ere, croyons-nous, entre l' art et l 'histoire un "recroisement"1, car pour eux il n'y a d'art, comme il n'y a d'histoire que sous la forme de l'incamation. Et cette incarnation dont ils parlent n'est pas une abstraction, elle est corporeite; elle est la marque de notre humanite. Cette corporeite, cette concretude humaine, faites de chair et de sang, est 1

M. Merleau-Ponty, L'CEil et !'esprit, op. cit., 21.

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omnipresente dans leurs textes, elle renvoie, redisons-le, a leur point de depart commun : la phenomenologie de Husserl, et c 'est la, d' abord, que s' exprime leur difference quant a la conscience. Merleau-Ponty refuse le privilege de la conscience souveraine, transparente a elle-meme de L 'Etre et le Neant. Cette divergence meme rend le dialogue possible, qu'on nous autorise ici ce paradoxe d'une reference a l'article "Les communistes et la paix": 11 est arrive cent fois, depuis le Congres de Tours, que des hommes ou des group es « de gauche » proclament leur accord de fait avec le P. C. tout en soulignant leurs divergences de principes. ( ... ). 11 me semble aujourd'hui que la situation, pour lui comme pour nous, a change de telle sorte qu'il doit souhaiter de semblables alliances en partie a cause des divergences. 1 Cette meme idee preside a l'intervention de MerleauPonty, a Venise, en 1956, ou avant de developper sa communication sur "l' engagement", il s 'inquiete de la volonte de plusieurs intervenants de taire les divergences. Pour lui c 'est : en quelque sorte, un langage hors de saison, un langage intemporel : parler de ce qui nous unit et non de ce qui nous divise, on a pu le faire de tout temps, on l'a deja fait autrefois, quand on s 'entendait un peu vaguement sur la defense de la culture. Ces termes m'inquietent, parce que je crains que

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J-P Sartre, « Les Communistes et la paix », Situations, VI, Paris, Gallimard, 1964, 168.

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si nous en restons la nous ne soyons appeles a rester dans le vague." 1 En effet, ii y a des divergences de principe entre Merleau-Ponty et Sartre, mais elles ne