Le traité De l'infini de Jean Mair

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LE TRAITÉ doit être proba-

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rum quelibet est pedaliter profunda, ergo p artes secundum unam dimensionem sunt equales, et sunt in finite cathegoreu­ matice. Sed si dicas non sufficit secundum unam dimensionem , cons tra. Capitur corpus octo pedum i n longitudine, latitudinis et profunditatis pedalis, j am illud corpus habct in finita s p arte s proportionales secundum longitudinem, equalis latitudinis et profunditatis : et tamen adhuc illud non vocatur in finitum ; ergo nec debet linea girativa vocari i nfinita. 10 Respondetur : quicquid sit de argumento, nihil est contra intentionem nostram ; intcndimus enim quod illa linea est in fi­ nite longa ; sive sequatur : crgo est i n finita , sive non, nihil im­ pcdimenti est. Secundo dicitur quod non sufficit a d hoc quo d aliquid dica1 q tur in finitum, habere infinitas p artes cquales secundum unam dimensionem aut duas, ut argumentum arguebat ; requiritur secunduni omnem dimcnsionem in finitas a d i n finitum simpli­ citer. Et ad in finitum secundum longitudinem sufficit habere in finitas partes equales secundum longum protractas, et sic d e 20 aliis dimensionibus. Ex quo p atet quod pilare datum non est in finite profundum nec corpus octo pedum in finite l atum, e sto quod sint infinite partes inequalis longitudinis , cqualis semper latitudinis ; non enim protenditur latitudo i n in finitu1n ut in linea girativa. 25 Tertio dico quod scquitur ex dictis quod linea girativa est infinita linea. Sed contra ista arguitur : linea girativa data ab, que deno­ minatur a punctis terminantibus, terminatur s ecundum lon gi­ tudinem, ergo non est i n finita linea. Consequentia tene t : quan30 tum infinitum simpliciter debet esse non terminatum, ita infi­ nita linea debet esse non terminata secu ndum longitudinem. Preterea bene sequitur : hec linea girativa est i n finita et hec linea girativa est hoc corpus, ergo hoc corpus est i n finitum. 5. Les éditions de 1510 et de 1519 abrègent ici comme suit : capio unum corpus octo pedum longitudinis, latitudinis et profunditatis, et tamen adhuc . . .

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nelles infinies, dont chacune est haute d'un pied : donc les parties selon une dimension sont égales et infinies au sens catégorématique. Et, si l'on dit que, pour être infinies, il ne suffit pas que des parties soient selon une dimension, l'on répond qu'un corps de huit pieds de longueur, d'un pied de largeur et de hauteur a des parties proportionnelles infinies selon la longueur, d'une largeur et d'une hauteur égales, et cependant ce corps n'est pas considéré comme infini : donc, dit-on, la spirale ne doit pas être considérée comme infinie. L'on répond que, quoi qu'il en soit de l'argument, il n'y a là rien qui soit contre notre thèse. Nous estimons que cette ligne est infiniment longue : l'on peut aussi bien en conclure qu'elle est infinie ou qu'elle ne l'est pas. L'on dit en second lieu que, pour qu'une chose soit dite infinie, i] ne suffit pas qu'elle ait des parties égales infinies selon une dimension ou deux comme dans l'argument précité, mais il est requis qu'elle ait des parties infinies à l'infini tout court, et, pour qu'une chose soit dite infinie selon sa longueur, il suffit qu'elle ait des parties infinies égales étendues en longueur, et il en est de même des autres dimensions. D'où il résulte qu'un cylindre donné n'est pas infiniment haut, et qu'un corps de huit pieds [cubes] n'est pas infiniment large, bien qu'il y ait en eux des parties infinies d'une longueur inégale, d'une largeur toujours égale ; la largeur ne s'étend pas à l'infini comme dans la spirale. L'on dit en troisième lieu qu'il résulte de ce qui précède que la spirale est une ligne infinie. Ce contre quoi l'on argue qu'une spirale donnée a b (a et b étant les points qui la terminent) est terminée selon sa longueur, que donc ce n'est pas une ligne infinie. La conséquence est bien exacte, puisque, pour autant que l'infini tout court ne doit pas être terminé, de même la ligne infinie ne doit pas être terminée selon sa longueur ; en outre, de ce que cette spirale est infinie et de cc qu'elle est un corps, il s'ensuit bien que blement considérée comme vraie, ainsi qu'il ressort de ce qui a été dit à propos de la ligne spirale. »

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Consequentia tenet expositorie, et maj or est concessa et minor patet, tenendo quod linea non distinguitur a re lineata. Con­ clusio est falsa, quia non est trina dimensio infinita . Insuper secundum omnem positionem quodlibet corpus quod 5 potest in in finitum longum extendi sine rarefactione est infi­ nite longum. Propterea dicebas supra : lineam girativam esse in finite longam, filum conglobatum non est brevius quam actualiter in longum protractum in analogiam adduxisti ; sed ex corpore octo pedum sine rarefactione potest esse lin ea infi1 0 nita sine rarefactione, ergo corpus datum octo pedum est i n fi­ nitum vel infinite longum. Minor patet : capiat Deus in prima parte proportionali hore unam medietatem, puta quattuor p e­ dum , et pone prope portam sancti Vietoris , quod latitudo j aceat ex transverso porte, capiat secundam partem proportio1 5 nalem duorum pedum et addat alteri sic scilicet quod nunc faciat longitudinem ex prioribus latitudinibus, ita quod prima pars proportionalis erit lata quadrupedaliter, secunda p ars lata bipedaliter, capiat tertiam partem proportionalem que est pe­ dalis : nunc secundum omnem dimensionem ibi habes corpus 20 bipedalis longitudinis ; accipe quartam partem proportiona­ lem, erit pedalis longitudinis, quia prior latitudo e di ficabi t lon­ gitudinem, et sic per omnes partes proportionales unius b ore : dabitur una linea in finite longa sine rarefactione , sic scilicet quod prima pedalitas in porta sancti Vietoris erit quadrupeda25 liter lata, secunda bipedaliter, tertia pedaliter, et sic consequen­ ter, semper manebit pedalis profunditas et pedalitas pro ce­ dendo quoad longitudinem, solum erit difformitas quoad lati­ tudinem de novo productam. Ad primum dicitur quod dupliciter potest intelligi quo d 30 linea girativa terminetur : vel per aliquam certam partem, puta pedalem, vel digitalem, et sic negatur, et licet in o mnibus corporibus finitis non datur ultima pars simpliciter, datur ultima pedalitas, si pedalitatem habeat ; vel quod non proten­ ditur in infinitum i n ordine ad aliquam lineam rectam veram 35 vel imaginariam, et sic conceditur.

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ce corps est infini. C'est là une conséquence par exposition ; la majeure est admise et la mineure est évidente, puisque nous admettons que la ligne ne se distingue pas de la chose sur laquelle elle est tracée. La con­ clusion est fausse, car il n'y a pas de triple dimension infinie ; en outre, tout corps q ui peut être étendu en longueur à l'infini sans raréfaction est infiniment long. C'est pourquoi l'on disait ci-dessus que la spirale est infiniment longue, et l'on ajoutait par analogie que le fil ramassé en pe­ lote n'est pas plus court q u'actuellement tendu en long : or, un corps de huit pieds cubes sans raréfaction peut être une ligne infinie sans ra­ réfaction, donc un corps donné de huit pieds cubes est infini ou infini­ ment long. On prouve la mineure comme suit. Admettons que Dieu, dans la première partie proportionnelle d'une heure, prenne une moitié de ce corps , quatre pieds cubes, par conséquent, et la place près de la porte Saint-Victor, de manière à ce que la largeur soit en travers de la porte, puis qu' Il prenne une seconde partie proportionnelle de deux pieds cubes et l'ajoute à l'autre, ce qui revient à dire que Dieu ferait avec les largeurs précédentes une longueur, dont la première partie pro­ portionnelle serait large de quatre pieds, la seconde large de deux pieds, puis Il prendrait une troisième partie proportionnelle, qui serait d'un pied : nous aurons donc ici, selon toutes les dimensions, un corps de trois pieds de longueur. Prenons une quatrième partie proportionnelle, elle sera d'un [ demi] pied de longueur, puisque la largeur primitive doit ser­ vir à construire la longueur, et ainsi pour toutes les parties proportion­ nelles d'une heure on aura une ligne infiniment longue sans raréfaction, c'est-à-dire que la première mesure d'un pied à la porte Saint-Victor sera large de quatre pieds, la seconde de deux pieds, la troisième [d'un pied] , et ainsi de suite : il restera toujours une dimension en hauteur et une autre quant à la longueur en extension, il y aura seulement diffor­ mité quant à la nouvelle largeur. Au sujet du premier argument, l'on dit que la phrase : « La spirale a une fin », peut être entendue de deux manières différentes. Ou bien l'on peut dire par là qu'elle se termine par une partie positive, par exemple d'un pied ou d'un doigt, ce qui doit être nié, et, bien que dans tous les corps finis il n'y ait pas de dernière partie proprement dite, il y a une dernière dimension si le corps a une dimension. Ou bien l'on entend par là que la spirale ne s'étend pas à l'infini par rapport à une ligne droite, vraie ou imaginaire, et cela est exact.

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Ad secundum argumentum est mihi indifferens tenere quod linca est longitudo sine latitudine et profunditate, vcl quod est corpus et sup erficies ; illo admisso male concludis. Debes sic concludere : hoc corpus est in finita linea . Ad hoc enim quod 5 aliquid dicatur in finitum corpus, requiritur quod habeat tres dimensiones interminatas ; capiendo enim corpus ut est de pre­ dicamento quantitatis, trinam dimensionem connotat, et poni­ tur secum ille terminus infinitum cuius connotatio cadit super connotatum alterius per regulam tacitam in appellationibus. 10 Ad tertium ubi intendis probare quo d illud corpus octo pedum est in finite longum, nego maiorem. Non enim sufficit quod potes per nov am situationem sin e raref actione facere lineam longiorem, sic potest Deus ulne fun e facere sine rarefac tione corpus longum decem pedibus. Secus est de filo conglobat o , 1 5 q uia h o c potest fieri secundum disposi tioncm propinquam, et sic nunc actu est de linea girativa et non de corpore recto . Sed contra illud arguitur sic. Illud corpus potest replere omnem locum possibilem sine rarefactione, vel s altem locmn infinitum, ergo nunc est infinitum. Tenet consequentia, quia. 20 nullum finitum potcst rcplere omnem locum possibilem, vel in finitum, non ponendo idem in divcrsis locis sine rarefactione, oppositum intellectus caperc nequit. Probo assumptum : re­ tento casu tertii argumenti, ponendo illas pedalitates prope por­ tam sancti Vietoris, vocctur prima pars proportionalis a. , se2 5 cunda b , tertia c, et sic consequenter p er ord1nem alphabeti : quelibet pars pedalis secundum istum processum longitudinis est in duplo latior quam pars subsequens. Volo quod Deus in prima parte proportionali huius hore removeat excessum l ati­ tudinis quem habet a super b : iam utraque p ars erit bipeda3 0 liter lata. In secunda parte proportiona1i volo quod Deus equet primam et secundam partes tertie p arti auferendo exces­ sum supra tertiam : iam 1lle tres partes erunt pedaliter late. In H . Secus. Les lignes q u i suivent, jusqu'à Sed contra, n'ont pas été reproduites par les éditions de 1510 et de 1519.

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Quant au second argument, il m' est indifférent d'affirmer que la ligne est une longueur sans largeur ni profondeur, ou qu' elle est un corps et une superficie. Ceci admis, la conclusion est mauvaise. L'on doit argu­ menter comme suit. Pour qu'une chose soit dite corps infini, il est néces­ saire qu' elle ait trois dimensions non terminées ; l'on prend le mot « corps » dans le même sens qu'à propos de la catégorie de la q uantité, il connote une triple dimension, et on l ui adjoint ce terme « infi ni » dont la connotation tombe sur ce qui est connoté par le mot cc corps », conformé­ ment à une règle tacite en matière d'appellations. Quant au troisième argument, par lequel l'on entend prouver q ue cc corps de huit pieds est infiniment long, je nie sa majeure. Il ne suffit pas qu'on puisse, par une nouvelle situation sans raréfaction, rendre la ligne plus longue. Dieu peut ainsi, d'une corde d'une aune, faire sans raréfac­ tion un corps long de dix pieds. Il en est autrement de la pelote de fil, car elle peut être faite en rapprochant ses parties, et il en est de même, en acte, à un instant donné , de la spirale, mais non d'un solide. Mais, contre ce qui précède, l'on argue comme suit. C e corps peut rem­ plir sans raréfaction tout lieu possible, ou du moins un lieu infini, donc, à un instant donné, il est infini. La conséquence est bonne, car aucune chose finie ne peut remplir tout lieu possible, c' est-à-dire l'infini, si l'on ne place pas une même chose en divers lieux sans raréfaction : l'intellect ne peut comprendre le contraire. La mineure se prouve comme suit. Prenons l'exemple du troisième argument précité et plaçons ces dimen­ sions près de la porte Saint-Victor. Appelons a la première partie pro­ portionnelle, b la seconde, c la troisième, et ainsi de suite par ordre alpha­ bétique. Selon cette progression de la longueur, toute partie en longueur est deux fois plus large que la partie suivante. Admettons que, dans la première parti e proportionnelle de cette heure, Dieu enlève le surcroît de largeur qu'a a par rapport à b : chacune de ces deux parties sera alors large de deux pieds. Admettons que; dans la seconde partie proportion­ nelle, Dieu égalise la première et la seconde partie en enlevant à la troi­ sième partie ce q u' elle a de plus que la seconde. Ces trois parties seront ainsi larges d'un pied. Dans la troisième partie proportionnelle de l'heure,

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tertia p arte proportionali hore volo quod equet tres primas p artes cum quarta parte que est semipedalis latitudinis : iam omnes ille partes erunt semipedalis latitudinis. Et sic per omnes partes proportionales hore f aciat Deus similiter : iam erunt infinite partes equales secundum omnem dimensionem. Est equalis crassitudo, quia pedalis, et capiendo latitudines priores corporis pedaliter l ati, ponendo versus longitudinem, est equalis longitudo ; et omnes equantur secundum l atitudi­ nem dispositionis huius linee ; et tune sic : o mnis multitudo infini ta partium equalis magnitudinis secundum o mnem di­ mensionem potes t replere omnem loc um possibilem, vel spa­ cium in finitum, ut infra ostendetur, et ferme claret ex seips a ; illa multitudo est huiusmodi , igitur. Respondetur quod quando primo est facta linea in finita, ibi est difformis latitudo, et propterea in infinitu m p arva est l ati­ tudo in illa linea. Patet : datur enim pedalis l atitudo, p atet de parte c, semipedalis, patet de d, et quarte p artis pedis, p atet de e, et sic sine statu. Non autem datur pars maxime angusta, quia si sic , oportet dare ultimam partem proportionalem continui, ut facile est deducere . Propterea non potest signari tota latitudo quam tota linea habebit ; si omnes p arte s e quentur, alique possunt equari , immo quelibet cum qualibet potest equari, sed impossibile est quamlibet p arte m cum qualibet esse equam, ut argumentum bene probat ; sed ante e quationem partium, quando tota linea extendebatur cum p artibus difformibus, tota linea sic non sufficiebat de se replere omnem locum possibilem. Prima pars proportionalis non occupat maiorem locum quam antea, nec aliqua alia, nec total e corpus, et origo huius theorice est quia occupabat octo pedes i n longitudine, unum in profunditate et unum in latitudine. N unc cor­ pus ex isto resultans , quod est idem numero, acquirit infinit a m longitudinem, tenet pedalem profunditatem. Licet prima p ars 2�. probat. Les éditions de 1510 e t d e 1519 ajoutent ici c e qui suit : quia s i in instanti terminanto horam maneat minor latitudo vel e q ua cum ali q ua precedente, et in infi­ nitum parva erat latitudo precedens, dabitur latitudo aliqua infinita parva, immo

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admettons q u e Dieu égalise les trois premières parties avec la quatrième, qui est d' un demi-pied de large : toutes ces parties seront alors d'un demi-pied de large, et, si Dieu fait de même pendant toutes les parties proportionnelles d' une heure, il y aura d'infinies parties égales, selon toutes les dimensions. La hauteur est égale, puisqu' elle est d' un pied ; en prenant les largeurs du corps précédent, qui était large d' un pied, et en les plaçant dans le sens de la longueur, on obtient une longueur égale, et toutes les parties sont égales selon la largeur par la disposition de cette ligne. Il en résulte que toute multitude de parties d' une grandeur égale peut, sous le nom de dimension, remplir tous les lieux possibles ou un espace infini, ainsi qu'il sera montré ci-dessous, et il apparaît clairement de soi-même que tel est le cas de la multitude dont il s'agit ici. L'on répond que, quand auparavant on a fait une ligne infi nie, il y a là une largeur difforme, et que c 'est pour cette raison que la largeur est infiniment petite dans cette ligne. En effet, il y a une largeur d' un pied pour la partie c, d'un demi-pied pour d, et d' un quart de pied pour e, et ainsi de suite. Il n'y a pas de partie qui soit la plus étroite, car, s'il en était ainsi, il faudrait admettre une dernière partie proportionnelle d' un continu, ainsi qu'il ressort de ce qui précède. C'est pourquoi on ne peut tracer la largeur totale qu'aura la ligne totale si toutes les parti es sont rendues égales. Quelques parties peuvent être rendues égales, une partie quelconque peut même être rendue égale à. n'importe quelle autre, mais il est impossible que n'importe quelle partie soit égale à n'importe quelle autre, ainsi que le prouve bien l'argument en question 1 . Or, avant l'équation des parties, quand toute la ligne s'étendait avec des parties difformes, la ligne tout entière ne suffisait pas ainsi à remplir tout lieu possible. La première partie proportionnelle n'occupe pas plus de place qu'auparavant, aucune autre non plus. Le corps total, origine de celui-ci, occupait huit pieds de longueur, un de profondeur et un de largeur. Main­ tenant, le corps qui en résulte, le même en nombre, acquiert une Ionnon latitudo, et hoc secundum uniformem lati tudinem, quod est penitus impossibile. Sed ante . . . (24). 1. L e s éditions de 1510 et de 151!) ajou tent ici ce qui suit : « Car si, à l 'instant ter­ minant l'heure, il reste une largeur plus petite que quelque largeur précédente, ou égale à elle, et que la largeur précédente ait été infiniment petite, l'on aura une largeur in finiment petite, et cela selon une largeur uniforme, ce qui est tout à fait impos:' sible. »

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proportionalis primi corporis sit quadrupedalis latitudinis in ordine ad hoc c orpus rcsultans, c pars est pedalis latitudinis et quelibet alia pars minor. Et sic fortassis id quod lucratur in longitudine amittit in latitudine : sicut corrigia tracta in lon5 gum latitudinem amittit, vel a mittit latitudinem tantam vel tantam, quin nec latitudinem amittit sed a mittit l atitudinem pedalem, supposito quod erat pedaliter l ata a principio .- E x his habes methodum aptam ad investigandum an ex quocun que corpore quantolibet parvo sine rarefactione Deus potest f acere 1 0 actu in finitum. Hoc argumentum factum (ut mea fert opinio ), si ponderetur, probatur tenendo lineam more· mathematicorum et realium esse latitudinis atque profunditatis experte m. Non ignoro quid J oannes Buridan us dicat et Albert us Saxo . I psi enim dicunt 15 quod nulle sunt omnes partes continui et in finite longa e st linea gyrativa syncatègoreumatice. Verum nulla linea gyra­ tiva est in finite longa, sed certum est quo d n ulle sunt o mnes partes continui , capiendo o mnes distributive, verum de o mnes collective refragor, et illorum placitum miror cum teneant 20 constanter totum esse suas partes simul sumptas. Marsilius in hac distinctione insequitur sicque probat quod nulle sint omnes quando de aliqua multitudine dicitur : est o mnia simul accepta respectu alicuius termini , tune requiritur quod ille ter­ minus pro nullo supponit in propositione de presenti quando 2 5 illud sit unitas illius multitudinis. E xempli ficat quod si du o ­ decim sunt o mnes apostoli Dei , requiritur quod nullus sit apos­ tolus Dei quando erit aliqua unitas illorum duodecim. Ergo si due medietates essent omnes partes alicuius continui conse­ quenter se habentes , requiritur quod nulla esset p ars continui 1 . C'est-à-dire l'argument de la spirale. Les pages qui suivent, jusqu'à la p. 50, sont extraites de l'édition de 1530. Nous avons déjà vu, à la p. 20, à la suite de la cin­ quième proposition, le passage que Jean Mair avait ajouté, dans l'édition de 1 51 9, en réponse aux arguments de Louis Coronel (voir notre appendice) . Il s'agit ici des ultimes considérations de l'auteur sur la question, puisque l'édition de 1530 est la dernière de ses œuvres. Dans ce tte édition, Jean Mair commence par exposer le pro­ blème de la spirale en des termes à peu près identiques à ceux des éditions anté-

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gueur infinie, a une profondeur d'un pied et, bien que la première partie proportionnelle du premier corps soit de quatre pieds de largeur, la partie c qui en résulte, par rapport à ce corps, est d'un pied de large, et toute autre partie est moindre. Et ainsi peut-être ce qui gagne en lon­ gueur perd en largeur, de même qu'une corde tirée en long perd de la largeur, ou perd tant ou tant de largeur, car elle ne perd pas vraiment sa largeur, mais elle perd une largeur d'un pied, à supposer qu'elle fût lar"':e d'un pied au début. L'on a ainsi une méthode permettant de trou­ ver si, d'un corps aussi petit que l'on veut, sans raréfaction, Dieu peut faire un corps infini en a cte. Cet argument 1 est, à mon avis, décisif, si l'on considère, ainsi que le font les mathématiciens et les Réaux, la ligne comme n'ayant ni largeur ni profondeur. Je n'ignore pas ce que disent Jean Iluridan et Albert de Saxe. Ils disent, en effet, qu'il n'y a pas de parties dont on puisse dire qu'elles sont toutes les parties d'un continu, et que la ligne spirale est infiniment longue, au sens syncatégorématique, mais non au sens caté­ gorématique. Or, s'il est certain qu'il n'est pas de parties dont on puisse dire qu'elles sont toutes les parties d'un continu, en prenant « toutes » au sens distributif 2 , je maintiens qu'il est vrai de dire qu'il y a des par­ ties dont on peut dire qu'elles sont toutes les parties d'un continu, en prenant cc toutes » au sens collectif. Et je m'étonne que ces deux docteurs puissent émettre une telle opinion, alors qu'ils soutiennent d'une ma­ nière constante que le tout n'est autre chose que ses parties prises simul­ tanément. Dans cette distinction, Marsile d' lnghen prouve comme suit qu'il n'y a pas d� parties dont on puisse dire qu'elles sont toutes les par­ ties 3 • Quand, écrit-il, on dit d'une multitude qu'elle est toutes les choses prises ensemble par rapport à un terme, il faut alors que ce terme ne soit mis pour rien dans une proposition au présent, quand il signifie une unité de cette multitude. Marsile donne pour exemple que, si l'on admet que tous les apôtres de Dieu sont douze 4, il est nécessaire qu'il n'y en ait aucun qui soit apôtre de Dieu quand il sera une unité de ces douze. Donc, si l'on admet que les deux moitiés sont toutes les parties d'un continu rieures, puis il énonce deux propositions seulement, à savoir la première et la cin­ quième de celles indiquées ci-dessus. Débute ensuite la discussion qui commence ici. 2. Cf. p. 1 9, note 2. 3. Cf. le passage du Sententiaire de Marsile d'lnghen, que nous avons traduit en appendice. r... Cf. p . 19 , note 2.

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quin esset ille medietates, sed hoc est falsum, igitur. Sane pro­ bationem ho minis demiror ; inf erre deberet per locum a simili : nulla est pars illius continui quin est aliqua unitas illarum me­ dietatum, hoc est pars unius, vel alterius, vel p ars a mbarum . Amplius dicit quod nulle sunt aut esse possunt o mnes p artes continui, collective c apiendo o mnes , nec Deus videt o mnes partes continui. Dico quo d alique partes de facto sunt o mnes, utpote due medietates sunt omnes, tres tertie sunt omnes. Et patet : iste partes, et iste p artes, et sic de aliis copulatim sunt omnes, ascendendo copulatim sub termino sequenti omnes. Dictio omnes collective sumpti confundit confuse tantum co­ pulatim. Hoc pacto , probamus quod o mnes apostoli D ei sunt duodecim : denique tota collectio partium est hoc totum secun­ dum istos tres regentes nobiles, et hoc totum est due mediet ates, i gitur. I taque concedo quod Deus videt o mnes p artes continui distributive atque collective. Quando dicimus omnes partes conti nui, intransitive loquimur ; transitive e ni m nulle sunt omnes partes continui , nec de hoc contenditur. Nemo dubitat quin aliqua pars continui non i denti ficatur cum toto . Redeundo ad principium digressionis, si aliqua linea gyret o mnes partes distributive , illa gyrat o mnes collective ; de­ monstrando omnes collective, erit una singularis de o mnes dis­ tributive ; non tamen propterea concluditur quo d o mnes apos­ toli Dei pauciores duodeci m sunt pauciores duodecim, ergo omnes apostoli Dei pauciores duodecim sunt pauciores duode­ cim , capiendo o mnes distributive i n antecedente et collective in consequente, quoniam antecedens est verum et consequens negandum, quia omnes apostoli D ei pauciores duodecim sunt duodecim. Nec sto in hac probatione . lnfinita est linea gyra1 . Cf. p. 1 70, note 1 , et p. 1 72, note 1 .

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à la suite l'une de l'autre, il faudrait aussi admettre qu'il n'existe aucune partie de ce continu qui ne soit ces deux moitiés. Or, cela est faux. En vérité, j e trouve étonnante la démonstration de notre homme ; il aurait dû inférer par voie de similitude qu'il n'y a aucune partie de ce continu qui ne soit une unité de ces moitiés, c'est-à-dire une partie de l'une, ou de l'autre, ou une partie des deux. Marsile dit, en outre, qu'il n'y a pas de parties dont on puisse dire qu'elles sont ou qu'elles peuvent être toutes les parties d'un continu, en prenant « toutes » au sens collectif, et que Dieu ne voit pas toutes les par­ ties d'un continu. Je dis que certaines parties de facto sont toutes les par­ ties ; c'est ainsi que les deux moitiés sont toutes les parties, que les trois tiers sont toutes les parties. En effet, ces parties que voici, et ces autres parties, et ainsi de suite des autres parties par induction sont toutes les parties, en procédant par induction, d'une manière copulative, sous le terme qui suit « toutes ». Le mot « tous », s'ils sont pris au sens collectif, exerce une fonction de réunion d'une manière confuse seulement, par voie d'induction 1 . Ceci dit, prouvons que tous les apôtres de Dieu sont douze. En efîet, à la fin, la collection entière des parties n'est autre que ce tout, selon ces trois illustres régents, et ce tout n'est autre que les deux moitiés. C'est pourquoi j 'estime que Dieu voit toutes les parties d'un continu, à la fois distributivement et collectivement. Quand nous disons « toutes les par­ ties d'un continu », nous parlons intransitivement ; au sens transitif, en effet, il n'y a pas de parties dont on puisse dire qu'elles sont toutes les parties d'un continu, mais là n'est pas l'objet de la discussion. Personne ne met en doute qu'une partie d'un continu ne s'identifie pas avec le tout. Pour en revenir au début de la digression, si une ligne embrasse toutes les parties distributivement, elle les embrasse toutes collectivement ; si on les montre toutes collectivement, on aura une proposition particu­ lière avec « toutes » pris distributivement. Ce n'est cependant pas une raison pour conclure comme suit : tous les apôtres de Dieu moins nombreux que douze sont moins nombreux que douze, donc tous les apôtres de Dieu moins nombreux que douze sont moins nombreux que douze, en prenant « tous » distributivement dans l'antécédent et collectivement dans le conséquent, car l'antécédent est vrai, mais je nie le conséquent, parce que tous les apôtres de Dieu moins nombreux que douze sont douze.

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tiva , ergo aliqua linea gyrativa est infinite longa, argumen­ tando a suppositione conf usa tantum ad determinatam, re­ tento signo confusivo virtualiter distributivo, sed i n hac gyra demonstrata gyrat omnes partes proportionales distributive , 5 et dabiles sunt omnes collective . l mplicat quod in finite sunt partes anguli vel puncta syncategoreumatice, quia i n finita sunt talia categoreumatice, sed negando lineas realium more, dicitur quod quelibet linea est lata, et eius latitudo sicut lon­ gitudo. Adhuc dicitur linea est ita longa sicut eius longissima 10 p ars . Homo est tante longitudinis sicut linea protrahibilis a planta pedis ad verticem ca pitis, et non a pedum sole a a d ver­ ticem humerorum respectus habetur, illam difformitatem ad uniformitatem reducendo , et si esset linea centumpedaliter lata in finite longa versus Orientem, P arisii terminata, si D eus 1 5 latitudinem difformem faceret , adhuc tota manente longitu­ dine , in finita in longitudine reputaretur ; et licet linee gyrative sint partes corporum quibus insunt, penes aliud longitudo linee curve attenditur quam linee recte, ut i n columna data proceritas lince gyrative in obliquo processu est mensuranda, 2 0 que utiquc infi nita invenietur, et si esset linea recta in finite procera ad imaginationem et extenderetur cum linea gyrativa nostra , non pertransiret eam, supposito quo d spiras curvas secundum ordinem partium proportionalium s e quatur. Linee recte longitudo secundum processum rectum attenditur ; quare 2 5 licet columna assignata sit decupedalis , linea gyrativa est cen­ ties mille pedum. Et secundum adversarios concedens quo d infinite longa est linea gyrativa syncategoreumatice , i nsultas : hec columna est solum decupedalis, et hec columna est o mnes gyre eam gyrantes, i gitur omnes gyre columnam gyrante s sunt 30 decupedaliter longe. Minor patet, capiendo gyras curvas pro omnibus partibus. Respondetur quod sunt in columna linee 1. La supposition personnelle se subdivisait en supposition commune et supposi­ tion discrète. La supposition commune (à savoir un terme commun et exerçant une fonction de substitution d'une manière commune) se subdivisait elle-même en suppo­ sition confuse et supposition déterminée. « Tout terme pris communément, exerçant

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Je n'insiste pas sur cette démonstration. La ligne spirale est infinie, au sens syncatégorématique, donc une ligne spirale est infinitivement longue, en argumentant de la supposition seulement confuse à la suppo­ sition déterminée 1, et en conservant le signe virtuellement distributif qui exprime la confusion. Or, dans cette phrase, la spirale que l'on désigne ainsi embrasse toutes les parties proportionnelles distributivement, et l'on aura aussi « toutes » au sens collectif. Il implique contradiction que les parties d'un angle ou les points soient infinis au sens syncatégoréma­ tique, à moins que ces choses ne soient infinies au sens catégorématique. Mais, si l 'on nie que les li gnes soient telles que le disent les Réaux, l'on dit que toute ligne est large, et sa largeur est comme sa longueur. De plus, l ' on dit que la ligne est aussi longue que sa partie la plus longue. Un homme est d'une longueur égale à la ligne pouvant être tirée de la plante d 'un de ses pieds au sommet de sa tête, et il n'y a pas à tenir compte de la ligne qui va de la plante de ses pieds du sommet de ses épaules, en réduisant la difformité de la précédente à l'uniformité. S 'il y avait u ne ligne large de cent pieds, in finiment longue vers l ' Orient et terminée à Paris, et si D ieu rendait sa largeur difforme en lui laissant toute sa longueur, cette ligne serait considérée comme infinie en lon­ gueur, et bien que les lignes spirales soient des parties des corps dans lesquels ils sont, la longueur d'une li gne courbe est considérée eu égard à. autre chose que celle d'une ligne droite ; c'est ainsi que, dans la colonne dont il s'agit, la longueur de la spirale doit être mesurée en oblique, ce qui n'empêche pas qu'elle ne soit trouvée in finie, et si l'on imagi nait une ligne droite i n finiment longue et qu'on l'étende sur notre ligne spirale, elle ne la dépasserait pas, à supposer qu'elle suive les spires courbes selon l'ordre des parties proportionnelles. La longueur d'une ligne droite se calcule selon une progression en ligne droite, car, bien que la colonne dont il s'agit soit de dix pieds, la ligne spirale est de cent mille pieds. Et, selon nos adversaires, il faudrait admettre que la spirale ne serait infi nie qu'au sens syncatégorématique ! Vous déraisonnez : cette colonne, dites­ vous, est seulement de dix pieds, et cette colonne n'est autre que toutes les spires qui l'embrassent, donc toutes les spires embrassant la colonne sont longues de dix pieds. On prouve la mineure en prenant les spires courbes pour toutes les parties. une fonction de supposition et sur lequel il ne peut y avoir aucun signe, exerce cette fonction d'une manière déterminée. >> La supposition confuse elle-même se subdivi­ sait en supposi tion confuse seulement et supposi tion confuse et distributive .

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DE

L ' I N FI N I

recte sed , minore admissa , in logicam peccas male conclu­ dendo. Maiorem extremitatem i n conclusione inf erre oportet, scilicet he omnes gyre sunt columna solum decupedali s . Cui placet dicere quod linee diff ormis longitudo ad uniformitatem s est reducenda et secundum bec illius proceritas mensurabitur, ut capto assere cuius due partes extreme a et b sunt dec e m pe­ dum et medietas c est octo pedum, et sit a pedalis i n latitudine sic b et c, tune totius asseris difformitas ad uniformitatem re­ ducetur, que mensurabit longitudinem totius ex p artibus di1 0 verse longitudinis con flati, dicas consequenter ad illud p ara­ doxum quod in presentia non sequimur, unde · fit quo d aliquis homo est infinite longus. Patet de gyra brachium aut tibia m girante, supponendo unum topicum quod quelibet pars inte­ gralis hominis est homo . Unde fit quod si unum mobile suum 15 motum inchoaret a partibus maioribus proportionalibus linee assignate et quolibet die centies mille passus pertransiret et mundus duraret perenniter pariter et motus datus, quamlibet partem proportionalem illius linee alius [ ?] pertransibit , sed nullo die totum motum complebit ; verumtamen si unum mo20 bile inciperet in alio extremo per motum, in quolibet inst?-nti post ultimum instans non esset motus , in finitam lineam a tergo relinquit, et totam determinato die pertransibit. Assueto in logicalibus meandris omnia bec sunt pervia, inassueto te­ diosa. 25

Tertio potes arguere, et ferme similiter solvere , sic : dando 1 . Ici finit le passage ajouté à ce sujet dans l ' édition d e 1 530 e t qui avait débuté p. 44. Les lignes qui vont suivre en note sont extraites du Commentaire de Jean Mair sur le troisième l ivre des Sentences (qu. m , dist . x m ) . Elles tiennent compte, on le verra , des objections de Lot1is Coronel, que nous donnons en appendice . Nous aurons ainsi reproduit tout ce que l ' auteur a écrit sur cette ques tion de la s pirale, qui lui tenait tant à cœur.