Deus Medicus: Actes du colloque organisé à Louvain-la-Neuve les 15 et 16 juin 2012 9782503549293, 2503549292

Dans le présent volume le lecteur prendra connaissance des contributions importantes de spécialistes belges et français

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Deus Medicus: Actes du colloque organisé à Louvain-la-Neuve les 15 et 16 juin 2012
 9782503549293, 2503549292

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DEUS MEDICUS

HOMO RELIGIOSUS SERIE II La Collection Homo Religiosus Série II fait suite à la Collection Homo Religiosus publiée de 1978 à 2001 par le Centre d’Histoire des Religions de Louvainla-Neuve sous la direction de Julien Ries et diffusée par les soins du Centre Cerfaux-Lefort A.S.B.L. La Collection Homo Religiosus Série II est publiée et diffusée par Brepols Publishers. Elle est dirigée par un comité scientifique que préside René Lebrun, et dont font partie Marco Cavalieri, Agnès Degrève, Charlotte Delhaye-Lebrun, Charles Doyen, Patrick Marchetti, André Motte, Thomas Osborne, Jean-Claude Polet et Natale Spineto

HOMO RELIGIOSUS série ii

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DEUS MEDICUS Actes du colloque organisé à Louvain-la-Neuve les 15 et 16 juin 2012 par le Centre d’Histoire des Religions Cardinal Julien Ries

Édités par René Lebrun et Agnès Degrève

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© 2013, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2013/0095/102 ISBN 978-2-503-54929-3 Printed on acid-free paper

TABLE DES MATIÈRES Avant-propos, René Lebrun

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Hadrien Bru, « La mosaïque de l’eucharistie au monastère Mar Gabriel de Quartamin (Tur Abdin) »

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Christian Cannuyer, « Des dieux aux saints guérisseurs dans l’Égypte pharaonique et copte »

21

Marco Cavalieri et Debora Barbagli, « Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie »

49

Matthieu Demanuelli, « Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du Fer »

87

Julien De Vos, « Santa, Runta et Kubaba : divinités guérisseuses, protectrices des marins »

141

Charles Doyen, « L’Amphiaraon d’Oropos »

183

Frédéric Gangloff, «Le serpent d’airain : Yhwh une divinité guérisseuse ? »

205

Stéphane Lebreton, «La fontaine du sanctuaire de Zeus Asbama (Tyane) »

219

René Lebrun, « Réflexions sur l’origine du dieu Asklèpios »

245

Maria-Grazia Masetti-Rouault, « Justice divine, dieux guérisseurs, exorcismes et médecine : notes sur la gestion de la maladie en Mésopotamie ancienne »

249

Emilie Piguet, « Qu’est-ce qu’un dieu guérisseur ? Réflexions à propos des aspects guérisseurs du dieu anatolien Mèn »

263

Eric Raimond, « L’oracle sarpédonien dans La Vie et les Miracles de Sainte Thècle »

285

Jacques Vanschoonwinkel, « Le crocus et la déesse dans le monde cyclado-minoen »

299 

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AVANT-PROPOS

Le présent volume, dédié à la mémoire de son Éminence le Cardinal Julien Ries, fondateur du Centre d’Histoire des Religions de l’Université catholique de Louvain, regroupe les communications de spécialistes belges et français réunis à Louvain-la-Neuve les 15 et 16 juin 2012 en vue de réfléchir à l’histoire et à la personnalité des dieux guérisseurs ainsi qu’au rayonnement des centres qui leur étaient liés. Les recherches et publications du Centre d’Histoire des Religions, officiellement réintégré au sein de l’Alma Mater louvaniste depuis le 28 janvier 2012, se concentrent davantage sur l’Antiquité méditerranéenne, un secteur dans lequel des progrès considérables ont été accomplis depuis une cinquantaine d’années grâce aux découvertes archéologiques, épigraphiques et linguistiques. Si la recherche au sein du Centre s’articule en un premier temps autour d’une étude minutieuse des documents écrits et des vestiges archéologiques, elle se double d’une réflexion anthropologique sans laquelle nos travaux perdraient de leur signification et de leur vitalité. Une meilleure connaissance de l’Homme, de l’Homo Religiosus en particulier, constitue la colonne vertébrale du Centre au sein duquel opère actuellement une vingtaine de chercheurs. Le regard de l’être humain en souffrance physique et psychologique ou morale vers une divinité, la justification et la modalité d’une démarche teintée d’espérance, telles sont autant de routes dont aujourd’hui nous pouvons mieux suivre les contours et nous rendre compte combien ces êtres soit disant lointains sont proches de nous et de nos préoccupations. D’excellents spécialistes nous conduisent ainsi dans l’univers des douleurs et errances rencontrées par les êtres humains de l’Antiquité égyptienne, mésopotamienne, anatolienne, biblique ou encore paléo-chrétienne. A chacun d’entre nous, au terme d’une réflexion issue de la lecture du présent vo7

Avant-propos lume, de découvrir les permanences et, quelquefois, les différences du comportement humain face à l’immortel défi que constitue la maladie. Prof. Em. René Lebrun, Président du Centre d’Histoire des Religions Cardinal Julien Ries

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LA MOSAÏQUE DE L’EUCHARISTIE AU MONASTÈRE MOR GABRIEL DE QARTAMIN (TUR ‘ABDIN) Hadrien Bru* Université de Franche-Comté (Besançon) Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité

Au Nord de l’ancienne Assyrie, en Haute Mésopotamie, dans l’une des plus anciennes parties de l’église principale du monastère Mor Gabriel1 érigée en 512 après J.-C.2 et comportant une nef transversale, on peut voir sur la droite,

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Je remercie mon collègue Prof. Dr. Ergün Laflı (Dokuz Eylül Üniversitesi, İzmir) pour son intuition et son énergie. Mes remerciements s’adressent en outre au professeur René Lebrun (UCL) et aux organisateurs des IXèmes journées L. Delaporte – E. Cavaignac pour leur accueil à Louvain. 1 Fondé par Mor Samuel (mort vers 408) et Mor Syméon de Qartamin (mort en 433) en 397 (l’historien jacobite Bar Hebraeus [I, col. 120-122] du XIIIe siècle indique pour sa part la première année du règne de l’empereur Arcadius en 395, ce qui est une date proche), puis nommé Mor Gabriel, d’après cet évêque monophysite consacré par le patriarche Athanase et qui vécut entre 593 et 668. Le monastère se situe à environ 5 km au Nord-Est du village de Qartamin, dans le Tur ‘Abdin, aujourd’hui en Turquie orientale. 2 Grâce à l’appui de l’empereur byzantin Anastase (491-518) en sa 21e année de règne d’après le manuscrit du British Museum MS Add. 17265, voir infra. Des éléments de l’histoire du monastère sont notamment connus par un manuscrit syriaque conservé à Paris (BnF syr. 375) qui est un recueil de vies de saints incluant une Histoire de Samuel de Qartamin (f. 4v-33v), une Histoire de Siméon de Qartamin (f. 34v-61r) et une Histoire de Gabriel de Qartamin (f. 63v-132r); voir aussi le manuscrit du XVIIe siècle conservé à la Staatsbibliothek de Berlin (MS Sachau 221). Le décor de l’intérieur de l’église du monastère est précisément décrit par un manuscrit syriaque du XIIIe siècle (British Museum, MS Add. 17265, f.78r-81r; cf. Wright 1872, 1140) reprenant manifestement un original du VIIIe siècle : voir Baumstark 1922, 273; Leroy 1956, 75-81 (avec une traduction française de la description) et Grabar 1956, 83-91. Le passage du manuscrit syriaque du British Museum avait été précédemment traduit par Nau 1909, 36-75 mais nécessitait quelques corrections ; le décor intérieur de l’église avait en outre été commenté par Preusser 1911, 31 sq et pl. 43, sachant qu’il incluait notamment deux anges au dessus de l’ancien autel, ce dernier ayant été orné de quatre figures symboliques en partie inhérentes au paléo-christianisme et courantes en Syrie au VIe siècle  : un lion, un taureau, un aigle et un homme (cf. Péneaud 2007, 147). L’architecture des bâtiments est

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Hadrien Bru au sud de l’autel principal du Saint des Saints en usage de nos jours, une belle mosaïque byzantine murale, hélas endommagée, placée sous une voûte en plein cintre (fig.1)3. Un arrière-plan doré met en valeur un ciborium encadré par deux cyprès et par d’autres éléments végétaux idéalisés. Si l’on croise la représentation figurée de la mosaïque avec la description du sanctuaire qui apparaît dans le texte du manuscrit syriaque du British Museum (MS Add. 17265, f.78r-81r), on a l’impression que la mosaïque montre d’une façon idéalisée et épurée (de type paradisiaque) au moins en partie l’installation liturgique de l’église du monastère. En effet, le texte dit : « En outre, dans la nef, des deux côtés de la porte du sanctuaire, sont fixés deux arbres d’airain. La hauteur de chacun est de 20 coudées ». Y étaient suspendus « des lampes tremblotantes, 180 pour chaque arbre (…), des objets d’airain, comme œufs rouges, cratères, animaux, oiseaux, croix, couronnes, clochettes (ou grappes), objets ciselés, disques  »4. Comme l’a remarqué A.  Grabar, ce dispositif rappelle celui de Sainte Sophie de Constantinople décrit par Paul le Silentiaire, tout en renvoyant à des pratiques rituelles syriennes très anciennes, dont celles liées à des offrandes supendues à des arbres émissaires, non sans rapport avec la tradition de l’arbre de Noël5. Sur ce point en effet, j’ajoute que dans le cadre du culte solaire apollinien à Daphné près d’Antioche sur l’Oronte, on coupait des cyprès sacrés à une occasion précise et réglementée : comme le rappelle Franz Cumont, le temple d’Apollon à Daphné était planté de nombreux cyprès sacrés6 que seuls les alytarques en fonction étaient habilités à couper (un par an, tout en en replantant d’autres) afin de célébrer le retour de la lumière solaire au solstice d’hiver, cette renaissance symbolique se fêtant au 25 décembre à l’époque romaine7. Cette pratique éminemment païenne qui remontait à de hautes époques fut âprement discutée par les autorités chrétiennes et impé-

étudiée par Fourdrin 1985, 327-331. Voir aussi les remarques de Stern 1957, 385-386, ainsi que Krüger 1937, 28 et suivantes. 3 Pour une description précise de la mosaïque dans une perspective d’Histoire de l’Art, cf. Hawkins, Mundell & Mango, 1973, 279-296, spécialement 290-291. Plus récemment, voir également le rapport général de Blanc, Desreumaux & de Courtois, 2009, 5-19. 4 Trad. J. Leroy (dans Leroy 1956, 78). 5 Grabar 1956, 87-91. On pourrait mentionner en outre que les cyprès étaient régulièrement plantés à l’entrée de domaines ou de sanctuaires dans la Mésopotamie ancienne. 6 Voir Philostrate, Vie d’Apollonios de Tyane, 1, 16, 1 ; Libanios, Or., 11, 236 ; Jean Chrsysostome, Or., 18, 2 ; Sozomène, Histoire ecclésiatique, 5, 19 ; Malalas, 204 (éd. Dindorf ) ; Procope, Bellum Persicum, 2, 14. 7 Cumont 1928, 104-107 ; sur la fonction de l’alytarque, représentant de Zeus, de la justice et de l’ordre lors de l’organisation des concours grecs d’Antioche de Syrie, voir Bru 2011, 313316. Quant au dies natalis Solis (Inuicti) du 25 décembre, on sait quelle fut sa fortune grâce au détournement qu’en firent les chrétiens.

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La mosaïque de l’eucharistie au monastère Mor Gabriel de Qartamin riales aux IVe et Ve siècles, si l’on s’en réfère à la législation : sous Théodose Ier, une loi de l’an 379 confirma ce privilège des alytarques8, mais cela fut supprimé en 425 sous le règne de Théodose II9. La représentation de deux cyprès, dont un seul est orné, sur la mosaïque de l’église du monastère Mor Gabriel, implique à mon sens deux hypothèses : d’une part les commanditaires des travaux défendaient une ancienne tradition païenne face aux autorités religieuses centrales, d’autre part le temple païen sur lequel l’établissement chrétien avait été érigé était vraisemblement voué par le passé à une divinité solaire. Les disques « tardifs » suspendus à l’arbre-candélabre de bronze évoqués dans le manuscrit syriaque du British Museum sont sans doute un indice « solaire » supplémentaire qui invite à remonter le temps. Effectivement, on connaît d’un côté au moins un rituel mésopotamien d’expiation contre la maladie qui incite le patient à placer devant Shamash un encensoir de cyprès10, de l’autre plusieurs prescriptions assyriennes préconisant son usage auprès de la divinité solaire11. Dans la sphère culturelle mésopotamienne, assyrienne et araméenne, on avait recours à Shamash en tant que garant de la puissance solaire, de la justice, de la divination (par hépatoscopie et exstipicine12) et de la guérison. Les Assyriens utilisaient un disque solaire pour représenter Shamash, cette pratique ayant été plus tard reprise à la faveur de la divinité perse Ahura-Mazda, toutes deux très présentes dans le Nord de l’Assyrie à des époques dis-

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Cod. Theod., X, 1, 7, 10. La reconduction de ce privilège s’explique sans doute par la réputation et la vitalité des concours grecs d’Antioche de Syrie jusqu’à une époque tardive (voir Bru 2011, 248-254). 9 Cod. Inst., XI, 78, 2. On note par ailleurs que des monnaies d’Élagabale (adorateur et prêtre du soleil) frappées à Arados en Phénicie montrent un cyprès associé à un taureau et à un lion, probablement en rapport avec le sanctuaire de Zeus Baetocaecé dont un mur fait apparaître la représentation d’un cyprès (cf. Seyrig 1971, 359). Cela est d’autant plus intéressant qu’un taureau et un lion faisaient également partie du décor de l’autel de l’église du monastère Mor Gabriel. Toujours en Syrie, le cyprès apparaît aussi sur des monnaies de Damas associé à un taureau, ainsi que sur des objets à Sidon et à Baalbek (cf. Seyrig 1937, 204-205). 10 Mullo-Weir 1929, 283, à la ligne 18 d’une tablette cunéiforme. 11 Sous forme de fumigation avec encensoir, par application/onction d’huile ou poudre de cyprès, comme nous le montre la documentation cunéiforme (voir par exemple Campbell Thomson 1931, 2, 12-16 ; Campbell Thomson 1937, 414, 425, 429). On utilise le cyprès, notamment comme encens, dans une perspective de purification, sachant que plusieurs tablettes cunéiformes de prescription préconisent l’usage de cyprès des cimetières, probablement dans l’optique de conjurer la mort que peut entraîner la maladie. Ajoutons que des litanies d’Assur reprenant des traditions de la Babylonie ancienne mentionnent des « pays du cyprès », dont le mont Liban et le mont Oronte (Arandu), près d’Ecbatane en Médie (cf. Reiner 1956, 133, lignes 9 et 11). Sur les rapports entre les prérogatives des Grands Rois perses achéménides et les cyprès des paradis ou domaines royaux, voir Briant 1996, 249-250. 12 Voir notamment Arnaud 1996, 123-142, spécialement 141.

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Hadrien Bru tinctes. Bien que nous ne connaissions pas les divinités dédicataires du ou des temples païens qui ont précédé l’existence du monastère Mor Gabriel, nous pouvons néanmoins formuler quelques hypothèses en raison de ce qui vient d’être énoncé, dans l’optique où la Haute Mésopotamie fut soumise à différentes cultures religieuses ainsi qu’à diverses pressions géopolitiques depuis des époques reculées. Il est possible que le site défensif du monastère ait hébergé un sanctuaire de Shamash durant la période assyrienne, peut-être plus tard à l’époque babylonienne un lieu voué à un Bêl13, ou encore à Ahura-Mazda à l’époque achéménide. Sous la domination séleucide, le temple aurait pu être consacré à Apollon, ou peut-être davantage à Zeus, les deux divinités protectrices de la dynastie. La prééminence des cyprès au sanctuaire de Zeux Baetocaecé d’Arados et dans le cadre des concours grecs d’Antioche sur l’Oronte/ Daphné en l’honneur de Zeus Olympios ferait plutôt incliner pour la seconde hypothèse14. On devine en tout cas que ce sanctuaire possédait des terres sacrées dont il serait intéressant de retrouver les limites antiques. L’influence du mazdéisme et des cultes iraniens solaires, spécialement celui de Mithra, est à souligner, car sa mythologie et ses rites sont liés de près aux conifères. On connaît le succès du culte de Mithra et ses collèges de dendrophores à l’époque romaine, particulièrement dans les armées, et il est manifeste que les pratiques chrétiennes ont conservé ici en les dévoyant des rites iraniens et syriens, ce qui se conçoit bien au regard de l’histoire et de la géographie de la région15. Au centre de la scène mosaïquée, on distingue bien le ciborium constitué d’un dôme soutenu par quatre colonnes, dont les chapiteaux corinthiens stylisés doivent provenir de l’ancien temple païen utilisé pour son

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En plus du célèbre sanctuaire de Bêl à Palmyre, c’est l’autel palmyrénien de Rome (d’époque impériale) dédié en araméen et en latin à une divinité solaire qui permet de conjecturer cela, dans la mesure où ce monument quadrangulaire étonnant présente sur une de ses faces le dieu Malakbêl qui naît d’un cyprès, accompagné d’un chevreau (voir Cumont 1928, pl. XXXIX) ; l’association de ces éléments iconographiques est confirmée à Palmyre, en partie en rapport avec un culte voué par des éléveurs nomades de culture araméenne (Seyrig 1934, 178). 14 À titre de parallèle pour la fin de l’époque hellénistique (Ier siècle av. J.-C.), on note que dans un contexte culturel gréco-iranien, Zeus-Oromasdes et Apollon-Mithra-Hélios-Hermès sont les principaux garants du culte d’Antiochos Ier de Commagène au tombeau dynastique du Nemrud Dağ d’après la grande inscription grecque qui y est gravée (OGIS, 383 = IGLS, I, 1). 15 À titre d’exemple : dès le VIIIe siècle av. J.-C., le roi assyrien Teglath-Phalasar III avait déporté dans la région voisine d’Ulluba, laquelle devint connue ensuite sous le nom de Gordyène, des prisonniers de guerre syro-araméens provenant de Hamath et de ses alentours (voir l’inscription de Mila Mergi, Tigl. III, 62-63, et plus largement, sur le peuplement de la Gordyène, Bru 2012, 45-68). Les liens entre la Syrie du Nord et la Haute Mésopotamie se renforcèrent ensuite à l’intérieur des territoires dominés par les Séleucides. 

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La mosaïque de l’eucharistie au monastère Mor Gabriel de Qartamin site et ses spolia lors de l’installation du monastère fondé en 397 de notre ère, dans la foulée de l’édit de Thessalonique promu par Théodose Ier en 38016. Aux colonnes corinthiennes gauche et droite sont suspendu(e)s des lampes à huile ou des encensoirs. Juste sous le dôme, on devine une armoire quadrangulaire (tabernacle) sur laquelle reposent deux calices (ciboires) encadrant selon toute probabilité un pain strié, placé en position centrale. Bien que l’église soit dans son ensemble dépourvue de sculptures ornementales et qu’aucune figure vivante, même animale, ne semble apparaître sur la mosaïque peut-être en raison d’un aniconisme promu par les monophysites, ne pourrait-on pas en imaginer dans sa partie inférieure manquante ? Cela n’est guère vérifiable au regard de l’état désespéré de cette portion de la mosaïque. Le reste de l’oeuvre, particulièrement pour ses parties centrales et inférieures, est en effet très endommagé. Cependant sur la gauche, le long de la base du tympanon, on peut encore voir le début d’une phrase grecque écrite avec des tesselles sur une seule ligne (fig.2)17. En effet, juste après une croix grecque, on peut lire quinze lettres grecques :

ΕΓΕΝΕΤΟΙΜΟΥΣΩΜẠ Bien que cette courte inscription n’ait visiblement pas suscité l’attention des voyageurs et des chercheurs, voici tout de même la proposition de lecture/ transcription qui fut faite par Cyril Mango en 197318 :

ἐγένετο ϊ μούσομα. [---]

Cette proposition est plutôt étrange, et nous expliquerons où se situaient les difficultés, grâce à une approche épigraphique et paléographique à la fois critique et brève.

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Voir par exemple Briquel-Chatonnet 1985, 95-102. Comme le font remarquer à juste titre Hawkins & Mundell 1973, 281, l’église principale a livré trois inscriptions syriaques (deux dans la nef, une dans le narthex ; une est datée de 777, une autre remonte au XIe siècle, la troisième peut-être au XIVe siècle), mais « More surprising is the survival in the south-east corner of the sanctuary of a fragment of a Greek inscription heretofore unnoticed ». Cela dit, on ne peut souscrire aux conjectures qui suivent à propos du contenu épigraphique supposé de l’inscription détruite. 18 Mango 1973, 296. Après une transcription douteuse, l’auteur de cette note ne donne aucune traduction en raison de ses hésitations et d’un manque d’approche critique et paléographique du texte. 17

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Hadrien Bru Le premier mot ἐγένετο signifiant « il y eut » est clairement lisible. On note que l’artisan mosaïste fit immédiatement, aussitôt qu’il le put, la ligature Ν-Ε. La lettre Ι suivant cette première expression courante dans les textes bibliques a posé des problèmes, car l’on ne s’attendait pas nécessairement à une abréviation, qui pourtant ne surprend pas dans un tel contexte archéologique et religieux, dans la mesure où il s’agit tout simplement du nom du Christ sous sa forme épigraphique la plus sobre : Ἰ(ησοῦς). Ne perdons pas de vue le dispositif que décrit la mosaïque au dessus du texte grec, qui est clairement en rapport avec l’institution de l’eucharistie, un rite essentiel du paléo-christianisme centré sur la personne du Christ. La ligature suivante Ο-Υ en un seul signe courant sur les mosaïques byzantines vient s’intercaler entre le Μ et le sigma (Σ) carré, comme C. Mango l’a bien vu. Mais le chercheur a rencontré une autre difficulté avec le signe suivant : il a lu un omikron parce qu’il a cru voir la même forme « en goutte d’eau » que pour la dernière lettre du mot ἐγένετο, à la suite de quoi il a curieusement proposé de lire le mot μούσομα (évacuant ainsi la mention possible du mot σῶμα), bien qu’il n’en existe aucune forme d’attestation dans les textes grecs épigraphiques et littéraires19. C. Mango reconnaît que sa proposition est « unattested, but presents no difficulty », arguant que le grec écrit sur la mosaïque n’est pas correct et que le texte mentionnait un terme correspondant aux « wall-mosaics », tout en faisant référence dans sa partie lacunaire aux « sponsors » des travaux effectués ! En réalité, le Ο en goutte d’eau est fréquent sur les mosaïques byzantines du VIe siècle, mais si l’on scrute précisément le court texte grec endommagé de la mosaïque du monastère Mor Gabriel, on peut voir que le prétendu omikron est lié par une tesselle sur sa gauche au sigma carré qui précède, ce qui forme une ligature Σ-Ω. On peut signaler au moins une attestation parallèle contemporaine du début de l’époque byzantine provenant d’une stèle funéraire d’Hadrianopolis de Paphlagonie, où l’on croit également lire a priori σομάτων pour σωμάτων20. En raison des remarques épigraphiques et paléographiques qui précèdent, et parce que la mosaïque concernée représente l’eucharistie, c’est-à-dire la transfiguration du corps du Christ en pain grâce à la croyance en un phénomène liturgique que l’on nommera plus tard «  transsubtantiation », il convient plutôt logiquement de lire μου σῶμα (« mon corps »), ce qui renvoie à la fameuse et classique prière chrétienne « ceci est mon corps »

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Un tel raisonnement surprend d’autant plus que les auteurs de l’article co-signé avaient clairement identifié la thématique eucharistique de la mosaïque en question (Hawkins & Mundell 1973, 293). 20 Laflı & Christof 2012, 62, n° 30 = Laflı & Christof 2013, à paraître, n° 12 et fig. 9.

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La mosaïque de l’eucharistie au monastère Mor Gabriel de Qartamin présente dans les évangiles21. À l’issue de ces remarques, la nouvelle proposition de lecture est donc : ἐγένετο Ἰ(ησοῦς) μου σῶμα. [---] Traduction : « Il y eut Jésus : ‘[ceci est] mon corps…’ »22. Datation : début du VIe siècle de notre ère. Grâce à différents manuscrits syriaques, nous savons que le monastère fut créé par Mor Samuel et Mor Syméon en 397. Depuis l’édit de Thessalonique en 380, tous les cultes païens furent interdits par l’empereur Théodose Ier, et les moines eurent le droit d’établir leur monastère sur le site d’un ancien temple païen dont on ne connaît pas la divinité dédicataire, cela dans le saillant le plus oriental des territoires romano-byzantins, au contact de l’empire perse23. L’inscription grecque et la mosaïque consacrées à l’eucharistie en tant que rituel chrétien et principe religieux près de l’autel de l’église du monastère montrent que ses moines suivaient officiellement encore au moment des grands travaux du début du VIe siècle (vers 512) les préceptes décidés lors du concile œcuménique de Chalcédoine en 451, lesquels proclamaient la nature humaine (et bien sûr divine) du Christ contre les tendances monophysites locales, le monophysisme n’acceptant pas le principe de la nature double et humaine de Jésus. Depuis 482, un compromis religieux, l’Henotikon24, imposait formellement un statu quo officiel entre tenants et détracteurs du concile de Chalcédoine, afin de tenter de maintenir l’unité des églises d’Orient25. Les commanditaires des travaux inaugurés en 512 défendaient en toute logique le dogme du patriarcat de Constantinople imposé par le pouvoir impérial byzantin, parce qu’en l’occurrence, le rôle de l’empereur Anastase fut central : il

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Luc, 22, 19 : τοῦτό ἐστιν τὸ σῶμα μου. Dans ce verset, on lit la locution σῶμα μου, mais la forme μου σῶμα est attestée ailleurs, dans une inscription funéraire paléochrétienne de Crète, à Kydonia (Chania), aux IVe-Ve siècles de notre ère (Inscriptiones Creticae, II, x, 21 = Bandy 1970, n° 93). 22 La traduction proposée ici est simple et littérale, mais le sens, qui est précisément celui de Luc, 22, 19 est parfaitement clair : « Et Jésus dit : ‘ceci est mon corps…’». 23 Voir Dillemann 1962, 229. 24 « Acte d’union » imposé par l’empereur Zénon, prédécesseur d’Anastase, et Acacius, patriarche de Constantinople. Le document engageait théoriquement par leur signature les évêques d’Orient en vue d’un meilleur contrôle par les autorités centrales. 25 Sur le contexte historique et religieux de l’Henotikon, voir Grillmeier 1990 (trad. française), 350-403, spécialement 358 § 7, 365, 386-387.

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Hadrien Bru mena dans la région une lutte militaire acharnée contre les Perses sassanides, notamment de 502 à 506, en défendant par exemple les cités d’Amida et de Théodosiopolis, mais aussi en faisant de Dara un point d’ancrage du limès byzantin. Issu d’une famille partiellement de religion arienne, Anastase opta pour une politique favorable au monophysisme, ce qui lui fit désigner en 511512 des patriarches de cette obédience à Constantinople comme à Antioche de Syrie. En octobre 511, l’empereur byzantin Anastase convoqua dans le prolongement de l’Henotikon un synode à Sidon sous la houlette du patriarche d’Antioche Flavien II. Mais ce dernier fut déposé en conséquence et remplacé par Sévère d’Antioche (patriarche de 512 à 518), lequel fit plus tard rejetter le concile de Chalcédoine lors du synode oriental d’Antioche en 513, au grand dam d’Anastase qui cherchait à maintenir un équilibre religieux précaire26. Or c’est dans ce contexte politique, militaire et religieux que l’empereur ordonna et finança les travaux de l’église du monastère Mor Gabriel27. Les choses changèrent peu de temps après cette date, lorsque les Jacobites, chrétiens syriaques orthodoxes monophysites, proclamèrent qu’ils ne reconnaissaient que la nature divine du Christ. En dépit de cela, les moines de Mor Gabriel furent soutenus par le pouvoir impérial de Justinien et Théodora, d’une part en raison du grand rayonnement du monastère de Qartamin, d’autre part parce que ce dernier était situé en une place stratégique, à la limite des empires byzantin et perse, dans le saillant du Tur ‘Abdin. Pour ce motif, de nombreux envahisseurs déferlèrent ensuite sur la région, et il est possible que notre mosaïque fût partiellement détruite lors des pillages de 529-530 par ordre du patriarche d’Antioche Ephraim, plus tard par les Perses en 580, ou encore à l’occasion des crises iconoclastes des VIIIe et IXe siècles. Si effectivement aucune figure vivante ne se trouvait représentée sur cette œuvre, cette mosaïque offrait au regard une vision spiritualisée et désincarnée de l’eucha-

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Cf. Grillmeier 1990, 391-392, 396-398. Voici la traduction française du texte du manuscrit syriaque du British Museum (MS Add. 17265, f.78r-81r) par J. Leroy (Leroy 1956, 77-78) : « Et quand l’empereur Anastase apprit la belle renommée des bienheureux de ce monastère [Mor Gabriel], il envoya beaucoup d’or avec ses serviteurs et des experts, lapicides habiles et faiseurs de briques, ainsi que des ouvriers exercés et des architectes pour la construction du grand temple, dont l’ange et Mar Syméon avaient jeté les fondements et dont les architectes avaient nom Théodore et Théodose, surnommés fils de Šoufani ». Plus loin : « Il envoya aussi des orfèvres travaillant l’or et l’argent, l’airain et le fer, des peintres et des sculpteurs de marbre, des mosaïstes… » ; mais aussi, à propos de l’église qui nous intéresse : « Au dessus de l’autel il y a un chérubin et un ciborium d’airain, supporté et soutenu par quatre colonnes. Sur l’autel est un lustre d’or pur suspendu par une chaîne d’argent (…) et, au dessus, sur la voûte, des mosaïques de cubes dorés ». 

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La mosaïque de l’eucharistie au monastère Mor Gabriel de Qartamin ristie28, en tant que rite sacramentel explicité par la légende que nous avons présentée. Quant au monastère Mor Gabriel, on peut affirmer qu’il est un lieu de résistance religieuse et d’indépendance sur la longue durée : constitué en diocèse syriaque depuis le VIe siècle au sein d’une structure quasi autocéphale, il a résisté en dépit de sérieux revers à de nombreuses invasions et persécutions jusqu’à celle de 1915. Aujourd’hui encore, ce sanctuaire témoin de l’Orient ancien lutte face au pouvoir central pour tenter d’échapper à l’expropriation de ses 250 hectares de territoire. Bibliographie Arnaud, D., 1996 : « Le fœtus et les dieux au Proche-Orient sémitique ancien », RHR, 213, p. 123-142. Bandy, A.C., 1970 : The Greek Christian Inscriptions of Crete, Athènes. Baumstark, A., 1922 : Geschichte der syrischen Literatur, Bonn. Blanc, P., Desreumaux, A. & de Courtoıs, S., 2009 : « Report on the state of preservation of the Byzantine mosaics of the Saint-Gabriel monastery of Qartamin, Tur Abdin (South-West Turkey), October 10th-14th, 2006 », Journal of Syriac Studies, 12/1, p. 5-19. Briant, P., 1996 : Histoire de l’empire perse. De Cyrus à Alexandre, Fayard, Paris. Briquel-Chatonnet, F., 1985 : « Note sur l’histoire du Monastère Saint-Gabriel de Qartamin », Le Muséon, 98, 1-2, p. 95-102. Bru, H., 2011 : Le pouvoir impérial dans les provinces syriennes. Représentations et célébrations d’Auguste à Constantin (31 av. J.-C.-337 ap. J.-C.), Brill, Leiden-Boston. – 2012 : « Note sur la Gordyène », Res antiquae IX, p. 45-68. Campbell Thomson, R., 1931 : « Assyrian prescriptions for diseases of ears », Journal of the Royal Asiatic Society of Great Britain and Ireland, 1, p. 1-25. – 1937 : « Assyrian prescriptions for diseases of the feet », Journal of the Royal Asiatic Society of Great Britain and Ireland, 3, p. 413-432. Cumont, F., 1928 : « L’autel palmyrénien du musée du Capitole », Syria, 9/2, p. 104-107.  Dillemann, L., 1962 : Haute Mésopotamie orientale et pays adjacents. Contribution à la géographie historique de la région, du Ve siècle avant l’ère chrétienne au VIe siècle de cette ère, Paris. Fourdrin, J.-P., 1985 : « Les églises à nef transversale d’Apamène et du Tûr ‘Abdîn », Syria, 62, p. 319-335. Grabar, A., 1956  : «  Quelques observations sur le décor de l’église de Qartâmîn », Cahiers archéologiques, 8, p. 83-91. Grillmeier, A., 1990 : Le Christ dans la tradition chrétienne, t. II/1, Le concile de Chalcédoine (451). Réception et opposition (451-513), Cerf, Paris (1990 pour la traduction française).

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Sur la conception de l’eucharistie au début du VIe siècle, voir Grillmeier 1990, 423-424.

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Hadrien Bru Hawkins, E.J.W., Mundell, M.C. & Mango, C., 1973 : « The Mosaics of the Monastery of Mar Samuel, Mar Simeon and Mar Gabriel near Kartmin with a Note on the Greek Inscription », Dumbarton Oaks Papers, 27, p. 279-296. Krüger, P., 1937 : Das syrisch-monophysitische Mönchtum im Tur Ab(h)din von seinen Anfängen bis zur Mitte des 12. Jahrhunderts, Münster. Laflı, E. & Christof, E., 2012  : Hadrianopolis I: Inschriften aus Paphlagonia, Archaeopress, BAR International Series 2366, Oxford. – 2013 : « Neue Transkriptions- und Übersetzungsvorschläge zu 43 Inschriften aus Hadrianopolis und seiner Chora in Paphlagonien », dans H. Bru & G. Labarre (éds.), L’Anatolie des peuples, cités et cultures. Autour du projet d’Atlas Historique et archéologique de l’Asie Mineure antique (IIe millénaire av. J.-C.-Ve siècle ap. J-C.). Actes du colloque international de Besançon (26-27 novembre 2010), PUFC, Besançon, à paraître. Leroy, J., 1956 : « Le décor de l’église du monastère de Qartâmîn, d’après un texte syriaque », Cahiers archéologiques, 8, p. 75-81. Mango, C., 1973 : « A Note on the Greek Inscription », Dumbarton Oaks Papers, 27, p. 296. Mullo-Weir, C.J., 1929 : « Fragment of an Expiation-Ritual against sickness », Journal of the Royal Asiatic Society of Great Britain and Ireland, 2, p. 281-284. Nau, F., 1909 : « Notice historique sur le monastère de Qartamin », Actes du XIVe Congrès des Orientalistes, II, Alger, p. 36-75. Péneaud, P, 2007 : Les Quatre Vivants, L’Harmattan, Paris. Preusser, C., 1911 : Nordmesopotamische Baudenkmäler des christlichen Zeit, Berlin. Seyrig, H., 1934 : « Antiquités syriennes 17. Bas-reliefs monumentaux du temple de Bêl à Palmyre », Syria, 15/2, p. 178. – 1937 : « Antiquités syriennes 22. Iconographie de Malakhbêl », Syria, 18/2, p. 204-205. – 1971 : « Antiquités syriennes 95. Le culte du soleil en Syrie à l’époque romaine », Syria, 48, fasc. 3/4, p. 359. Reiner, E., 1956 : « Lipšur litanies », JNES, 15/3, p. 129-149. Stern, H., 1957 : Syria, 34, p. 385-386. Wright, W., 1872 : Catalogue of the Syriac manuscripts in the British Museum acquired since the year 1838, London.

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La mosaïque de l’eucharistie au monastère Mor Gabriel de Qartamin

Fig. 1  : Vue d’ensemble de la mosaïque de l’eucharistie au monastère Mor Gabriel (photographie H. Bru)

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Hadrien Bru

Fig. 2 : L’inscription grecque de la mosaïque de l’eucharistie au monastère Mor Gabriel (photographie H. Bru)

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DES DIEUX AUX SAINTS GUÉRISSEURS DANS L’ÉGYPTE PHARAONIQUE ET COPTE Christian Cannuyer Université catholique de Lille, Faculté de Théologie Président de la Société Belge d’Études Orientales

Dans l’Égypte pharaonique, la faculté de guérir les maladies a certainement été tôt reconnue aux dieux1. Dès le Moyen Empire, certains temples comprenaient des académies de médecine réputées2. L’usage d’en appeler spécifiquement à certaines divinités en vue de la guérison est surtout illustré dans la documentation à partir du Nouvel Empire, à la faveur de ce que d’aucuns considèrent comme une véritable «  mutation idéologique  »3 induisant l’émergence d’un nouveau rapport entre l’homme et le divin. Les dieux sont désormais perçus comme plus proches, intervenant davantage dans le quotidien, ils sont considérés comme des instances personnelles en dialogue avec chaque individu. Religion plus « personnaliste » qui voit en outre s’affirmer la souveraineté du « roi des dieux » thébain, Amon, assimilé au démiurge solaire Rê, l’« Un qui se fait des millions », le dieu par excellence, le « vizir du pauvre », auquel les petites gens confient volontiers leurs peines et leurs espoirs, notamment en matière de santé4. Comme d’autres divinités, Amon est appelé au secours par ceux qui souffrent dans leur corps. On trouve une illustration extraordinairement émouvante de cette confiance éperdue en la sollicitude divine dans une prière griffonnée sur un mur d’une tombe thébaine juste après la faillite de la « révolution » religieuse initiée par le pharaon Akhénaton : avec des accents presque amoureux, un aveugle du nom de

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Voir, pour une approche générale, Brunner 1977. Daumas 1957, 50. 3 Vernus 1995 ; il faut toutefois éviter de radicaliser la nouveauté de cette « mutation », dont des prémices sont clairement perceptibles dès avant le Nouvel Empire  : Cannuyer 2002, 57-61. 4 Sur tout cela, voir e.a. Assmann 1996, 4e partie. 2

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Christian Cannuyer Pawah y demande à Amon5 de pencher sur lui son beau visage, de lui rendre la lumière dans les ténèbres où il se trouve, afin qu’il lui soit donné de voir son dieu bien-aimé6. Selon les époques et les lieux, certains dieux se virent attribuer plus que d’autres des vertus thaumaturgiques. Ainsi la déesse Neith de Saïs, patronne d’une académie de médecine réputée (el-Sayed, 1975)  ; ou la redoutable déesse lionne Sekhmet, censée régenter les épidémies et dont les prêtres passaient pour des guérisseurs talentueux7  ; la déesse-scorpion Hededet et son homologue Selqet, déesse-nèpe, si efficaces contre les morsures des animaux venimeux8 ; Thot, dieu des savants en général, protecteur et inspirateur des médecins en particulier (Bardinet, 1995, 37-38) ; Isis, bien sûr, qui acquit un profil de déesse du salut universel à l’époque hellénistique, incluant la guérison des maladies9, rôle reconnu abondamment aussi à Sérapis, l’avatar alexandrin de son époux Osiris10. Des hommes exceptionnels divinisés et devenus dieux guérisseurs À côté de ces divinités de premier plan, il y en eut d’autres, occupant un rang mineur dans le panthéon, qu’on « spécialisa » dans le domaine thérapeutique. Ce fut notamment le cas, à la Basse Époque, d’Imhotep et d’Amenhotep, deux dieux régulièrement associés, qui ont fait l’objet d’une thèse remarquée de Dietrich Wildung11. Il s’agissait en fait de personnages

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Amon qui, selon le Papyrus Leiden I-350, III, 14-15, d’époque ramesside, « délie les maux, qui chasse les maladies, médecin qui guérit l’œil, sans remède, qui ouvre les yeux… » (Barucq et Daumas 1980, 219). 6 Barucq et Daumas 1980, 203-206 ; Cannuyer 2002, 63-64. 7 Lefebvre 1956, 25-26 ; Germond,1981 ; von Känel 1994. 8 von Känel 1994 ; Corteggiani 2007, 185-186, 495-498. 9 Diodore Bibl. Hist., I, 25, écrit : « Les Égyptiens disent qu’Isis est l’inventrice de beaucoup de remèdes pour la santé et qu’elle possède une grande expérience de la science médicale ». Cité par Daumas 1957, 51. 10 Des sanctuaires oraculaires dédiés à Sérapis où s’obtenaient des guérisons sont attestés à Canope, Memphis, Saqqara, ou encore dans le temple de Séthi Ier à Abydos (Dunand 1997a, 68-76). On connaît le miracle accompli en 69 au sortir du Sérapeum d’Alexandrie par le futur empereur Vespasien, qui guérit un aveugle en humectant ses yeux de sa salive et un infirme en le foulant de son pied, « exerçant ainsi la médication de Sérapis, c.-à-d. le pouvoir magique contenu dans le pied guérisseur du dieu » (Tacite, Hist. IV, 81-82 et Suétone, Vesp. 7 ; Veymiers 2009, 45 ; Grenier 2012, 48). 11 Wildung 1977b ; voir aussi Wildung 1977a, qui intègre les données du titre précédent dans une publication destinée à un public plus large. Ce qui est exposé ici en résumé sur Imhotep et Amenhotep se fonde sur ces deux ouvrages, dans lesquels on trouvera toutes les références utiles.

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Des dieux aux saints guérisseurs dans l’Égypte pharaonique et copte importants du passé qui avaient été divinisés12, avaient reçu l’honneur d’un culte, privilège normalement réservé aux pharaons, et furent finalement reconnus comme des divinités spécifiquement guérisseuses. Imhotep, contemporain de Djéser, le célèbre souverain de la 3e dynastie (vers 2700 av. n.-è.), fut principalement, d’après la maigre documentation remontant à cette haute époque, responsable des monuments royaux. C’est à ce titre qu’on lui attribua, vraisemblablement à bon droit, la conception et l’édification du tombeau de son roi à Saqqara, la première de toutes les pyramides et, de surcroît, le premier grand monument à avoir été bâti en pierres de taille. Tel est en tout cas le mérite insigne que lui reconnaît, sans le nommer explicitement, l’historiographe Manéthon, au 3e s. av. n.-è. Au Nouvel Empire, à partir de la 18e dynastie, Imhotep devint une figure de sagesse, le patron des gens lettrés ; on lui présuma la paternité d’un important écrit sapiential (jusqu’ici non retrouvé) et son iconographie le présenta comme un savant scribe assis, un papyrus déroulé sur ses genoux, iconotype qui se perpétuera jusqu’à l’époque romaine. Les scribes prirent l’habitude, chaque fois qu’ils trempaient leur calame, de verser quelques gouttes d’encre en offrande à sa mémoire. Son renom ne cessa de s’accroître, mais on ne peut parler de divinisation qu’à partir de la 26e dynastie (période saïte, 7e-6e s. av. J.-C.). Et il faut attendre la 30e dynastie (4e s.) pour qu’il soit vénéré comme un dieu guérisseur, considéré comme le fils de Ptah, le grand dieu de Memphis, et d’une mortelle nommée Kerdouankh. On prétendit alors que de son vivant il avait été médecin (et aussi astronome), affirmation vraisemblablement controuvée que la documentation primitive ne permet en tout cas pas de vérifier. Son culte en tant que dieu thérapeute se répandit et deux de ses sanctuaires nous sont particulièrement bien connus, celui de Saqqara, en lien avec le Sérapeum local, et le sanatorium installé au temps de Ptolémée III sur la terrasse supérieure du temple d’Hatchepsout à Deir el-Bahari (rive occidentale de Thèbes). Les Grecs l’identifièrent sous le nom d’Imothès à Asclépios, fils d’Apollon et de Coronis. Son culte survécut jusqu’au 5e s. ap. J.-C. et alla jusqu’à laisser une empreinte dans certaines traditions musulmanes d’Égypte. Son « compère » Amenhotep a un profil assez similaire. Sa vie terrestre nous est cependant mieux documentée par de nombreux monuments qui lui sont contemporains.

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Avant la synthèse de Wildung 1977a, le thème de la divinisation ou de la « héroïsation » dans l’Égypte ancienne avait été exploré par Otto 1942/3 (voir, sur ce travail, l’important correctif de Quaegebeur 1977, 137 suiv.)

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Christian Cannuyer Amenhotep fils de Hapou fut vizir et chef des travaux sous le règne fastueux d’Amenhotep III (18e dyn., 14e s. av. J.-C.). On lui doit la réalisation des grands monuments thébains de ce pharaon, comme le temple funéraire du Kom el-Hetan, dont subsistent notamment les célébrissimes « colosses de Memnon ». De son vivant, grâce à la faveur du roi et en raison du rôle essentiel qu’il assurait au service de ce dernier, Amenhotep eut le privilège de placer des statues à son effigie dans le grand temple d’Amon de Karnak, le représentant dans l’attitude d’un scribe accroupi et couvertes d’inscriptions dans lesquelles il se pare de mille vertus et revendique notamment d’être intercesseur (wͥԩm) auprès du roi et des dieux. L’une d’entre elles fut sans doute très tôt l’objet d’attentions pieuses : le papyrus qu’y déroule Amenhotep montre des traces d’usure causées par le frottement incessant des mains dévotes qui l’ont caressé, sans doute pour s’imprégner de ses vertus magiques. La présence durable de ces statues d’Amenhotep au sein du temple de Karnak, dans les espaces ouverts au commun des fidèles, a certainement perpétué le renom du personnage après sa mort. Sa tombe, creusée, également par privilège insigne, dans la « Vallée de l’aigle », proche de la « Vallée des rois », fut visitée dès l’époque ramesside et le personnage devint peu à peu comme un saint patron de la nécropole thébaine. À l’instar d’Imhotep et pour ainsi dire accouplé à lui, il finit aussi par être divinisé à la 26e dynastie et regardé comme un médecin. Une statue de la princesse Merneith, fille de Psammétique Ier, fondateur de la 26e dynastie, vers 620 av. J.-C., invoque « Amenhotep, le bon médecin » et lui attribue des compétences hors pair en matière d’ophtalmologie. Plus tardivement, on donnera également à Amenhotep un dieu comme père, sans doute choisi parce que son nom rappelait celui de son père biologique (Hapou) : Apis, le taureau sacré de Memphis. C’est étroitement associé à celui d’Imhotep que son culte se développa. Dans le sanatorium de Deir el-Bahari, déjà évoqué, il partageait ainsi avec Imhotep-Asclépios et sa parèdre Hygie la faveur des fidèles en quête de guérison. Il est intéressant de constater qu’on connaît au moins un autre13 homme divinisé et lui aussi spécialisé dans la guérison des maladies : Piy-

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On hésite à inclure dans ce dossier le cas assez particulier de Djed-her (Téos), un prêtre d’Athribis sous la 30e dynastie, ayant puissamment participé à la restauration des sanctuaires locaux ; il a laissé une statue « guérisseuse » d’un type apparu à son époque et bien connu, représentant le dédicant couvert de formules magiques destinées à combattre l’effet de la morsure d’animaux venimeux. Généralement, le texte invite à verser de l’eau sur la statue de façon à l’imprégner de la puissance magique des formules, puis de la boire. Mais les textes autobiographiques qu’on lit sur la statue de Djed-her sont surprenants. Garantissant lui-même – il se présente comme ayant été médecin et magicien – les vertus prophylactiques des formules gravées, Djed-her va jusqu’à en attribuer l’efficacité non à quelque dieu, mais à sa propre personne,

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Des dieux aux saints guérisseurs dans l’Égypte pharaonique et copte ris14, dont le culte, révélé par des fouilles publiées voici une dizaine d’années (Hussein, 2000), est né dans un milieu mi-égyptien, mi-grec, autour de sa tombe, à ‘Ayn Labakha, dans l’oasis de Kharga (désert occidental), à la fin du 1er ou au début du 2e siècle de notre ère, et s’est perpétué jusqu’au milieu du 4e siècle, quand son sanctuaire semble avoir été mis à sac et anéanti, probablement par le christianisme triomphant. Mais, à la différence d’Imhotep et d’Amenhotep, ce personnage ne semble pas s’être particulièrement distingué de son vivant15 et le pourquoi de sa divinisation nous est totalement inconnu ; par ailleurs, son culte ne dépassa jamais l’échelon local. Le sanctuaire de ‘Ayn Labkha présente en fait les caractères d’une banalité toute rurale, à laquelle on doit sans doute que n’y soient point explicités les motifs de la divinisation du maître des lieux et de sa réputation de thérapeute. Cela invite à penser qu’il n’est pas impossible qu’à la même époque aient été nombreux les oratoires à vocation curative analogue16. Le débat sur l’origine du culte chrétien des saints et de la croyance en leur pouvoir Il se trouve que l’Égypte chrétienne connaîtra à son tour des saints spécialisés dans l’action thaumaturgique et dotés de sanctuaires qui, nous allons le voir, présentent de frappantes similitudes avec ceux d’Imhotep et d’Amenhotep. Dans la mesure où il s’agit aussi de simples mortels élevés par la croyance populaire au rang de protecteurs célestes crédités de pouvoirs thérapeutiques, se pose la question d’une certaine continuité entre ces saints et les dieux guérisseurs de l’Égypte pharaonique. Que des saints guérisseurs se rencontrent dans toutes les aires culturelles du christianisme ancien et qu’ils ne soient nullement une ex-

se donnant motu proprio le titre étonnant de pț Šd, « le Sauveur ». Otto 1942/3, 34 ; JelÍnkovÁ-Reymond 1956, spéc. 122-135. 14 Forme hellénisée de l’égyptien 0ț WR, « le grand ». 15 Ce qui contredit les conclusions de l’étude d’Otto, 1942/3, estimant que seul un destin exceptionnel pouvait justifier la divinisation. 16 Hussein 2000, 108. Quaegebeur 1977, 135-137, avait déjà noté une certaine abondance, à l’époque tardive, de dieux pratiquement inconnus et aux cultes très localisés, dont les noms semblaient renvoyer à des humains ordinaires (Nekhtharaus, Ankhorinis, Stotoêtis, Petesoukhos). Un cas clair est celui d’un certain Apiôn ( Jouguet 1935). Quaegebeur en inférait que le culte de défunts ordinaires considérés localement comme des dieux intercesseurs devait avoir été plus répandu qu’on ne le croit. Il cite, à titre d’illustration de cette propension à « diviniser » des particuliers, deux montants de porte provenant de Memphis et datés de la 30e dynastie, couverts de textes où un fonctionnaire royal explique qu’il a réparé un monument érigé par un de ses prédécesseurs et que l’esprit de ce dernier fera descendre en conséquence sur lui et sur le souverain régnant, Nectanébo Ier, une féconde bénédiction divine.

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Christian Cannuyer clusivité du christianisme égyptien n’ôte pas a priori toute validité à cette interrogation. Mais cela implique de l’intégrer dans une réflexion plus large sur l’origine du culte des saints, notamment en Orient, et sur ses antécédents. Car il faut bien avouer que la vénération pour ces individus remarquables, censés investis après leur mort de pouvoirs surnaturels, est peu en accord avec les grandes options du christianisme premier, qui, en dehors du Christ, rejetait les médiations cultuelles entre Dieu et l’homme. Dans le christianisme primitif, le Christ est l’unique médiateur, le seul prêtre, « le chemin, la vérité et la vie ». En soi, le christianisme des origines ne portait pas la possibilité de la foi en ces autres instances médiatrices que deviendront les saints. Or, à partir du début du 4e siècle sinon avant17, s’est développé dans les milieux chrétiens un culte adressé à des hommes jugés exceptionnels par une sainteté de vie leur donnant de connaître dans l’au-delà une extraordinaire proximité avec le Seul Saint  ; le phénomène a d’abord exclusivement concerné les martyrs morts pour leur fidélité à leur foi, reconnus par là comme habilités à intercéder auprès de Dieu pour les vivants mais aussi, qui plus est, capables d’intervenir directement dans le quotidien de ceux-ci, de les aider, de les soutenir, de les guérir, d’opérer des miracles en leur faveur, bref de se trouver nantis d’une sorte de délégation partielle de la puissance divine émanant du Tout-Puissant (Delehaye, 1933, 110-123). Le rôle des saints, intermédiaires entre Dieu et les hommes, jouissant au bénéfice de ceux-ci d’une puissance surnaturelle, n’est pas sans analogie avec la posture des divinités subalternes dans maintes religions polythéistes. Certains auteurs chrétiens furent tôt conscients de l’ambiguïté et tentèrent de la minimiser en spécifiant bien la nature non divine des saints et leur simple pouvoir médiateur : ainsi Théodoret de Cyr, prenant soin de préciser qu’on ne va pas « à eux comme à des dieux, mais comme à des hommes divins, les priant de servir d’intercesseurs »18. Tout de même, la frontière était floue. Cette croyance

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S’agissant de l’Égypte, le culte des martyrs a pris naissance dès avant le règne de Constantin (Frankfurter 1994), et il est bien attesté au temps d’Athanase, qui en déplore déjà les aspects superstitieux (Brakke 1997 ; Frankfurter 2003, 365-366). Le culte de ces « morts très spéciaux » (Brown, 1981) est en fait attesté dès le 2e siècle, mais il se contente d’abord d’être «  mémoriel  » et centré sur la célébration de l’eucharistie  ; on ne leur reconnaît des «  pouvoirs  » surnaturels qu’à partir du 4e siècle, à la fin duquel les chrétiens commencent aussi à vénérer comme saints des défunts exceptionnels mais n’ayant pas subi le martyre : sur tout cela, voyez Saxer, 1983 (avec bibliographie). 18 Théodoret Graecorum affect. Curatio, VIII, 63, cité par Delehaye 1933, 114. Voir aussi Horbury 1998, 446, qui relève plusieurs textes polémiques anciens vitupérant la « déification » des martyrs par les chrétiens et quelques réponses de ceux-ci à ces attaques.

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Des dieux aux saints guérisseurs dans l’Égypte pharaonique et copte aux pouvoirs surnaturels d’êtres humains élevés à la périphérie de la gloire divine après leur mort est si peu en harmonie avec la conception du salut chez les premiers chrétiens, tout entière centrée sur la seule personne du Christ, que maints savants lui ont de bonne heure soupçonné des origines pré-chrétiennes. La première étude scientifique allant dans ce sens, celle d’Ernst Lucius19, a mis en avant la forte similitude entre le culte rendu aux saints chrétiens et celui des héros divinisés dans le monde hellénistique, dont les âmes pures étaient censées pouvoir intervenir depuis l’au-delà au profit des vivants. Certains ont été très loin dans cette direction, comme le folkloriste et anthropologue Pierre Saintyves 1907, alias Émile Nourry, qui concluait résolument que les saints chrétiens n’étaient que des décalques des dieux païens, la réintrusion d’un univers polythéiste dans un monothéisme de façade… Cette position excessive a suscité des réponses argumentées de spécialistes de l’hagiographie chrétienne, comme le P. Hippolyte Delehaye 1933, qui ont bien circonscrit la spécificité de la sainteté chrétienne20  : les pouvoirs des saints chrétiens ne sont jamais considérés comme leur appartenant en propre ni autonomes, ils sont constamment tributaires de la grâce de Dieu et strictement délégataires de sa puissance. On a pu d’autre part montrer le caractère souvent superficiel et hâtif des rapprochements développés par une littérature souvent mâtinée d’intentions polémistes. Quelques auteurs ont pour leur part souligné, dans une perspective a priori mieux concevable, l’enracinement du culte chrétien des saints dans le judaïsme intertestamentaire21, où la dévotion envers des saintes figures de la Bible, la vénération de leurs tombeaux et de leurs reliques, les demandes d’intercession qu’on leur adressait ne laissent effectivement pas de faire penser à l’attitude qui sera celle des chrétiens à l’endroit des martyrs puis des saints. Mais jamais, semble-t-il, les « saints juifs » ne sont gratifiés, en dehors de leur capacité d’intercéder auprès du Très-Haut, de pouvoirs d’intervention directe dans le cours de la vie des mortels semblables à l’efficacité opératoire et miraculeuse reconnue à l’intervention des saints chrétiens. Ce dernier aspect reste donc très interpellant. Il rend légitime de continuer à se poser la question de certaines continuités et d’éventuels transferts entre le

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Lucius-Anrich 1904, spéc. 34-48. Dans le même sens, concernant surtout l’Occident, voir l’étude remarquable de Brown 1981. 21 Klauser 1960 et 1974, qui affiche une certaine perplexité lorsqu’il s’agit de déterminer la part d’influence juive et païenne dans un phénomène dont il montre en tout cas la spécificité propre au christianisme ; Horbury 1998 (avec abondante bibliographie).

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Christian Cannuyer culte des « héros divinisés » et celui des saints, nonobstant l’incontestable singularité de celui-ci, accordée au cadre théologique du monothéisme chrétien et à l’exclusivisme de sa sotériologie. S’agissant de l’Égypte, cette problématique a été surtout été abordée, ces dernières décennies, par la thèse remarquée de Baumeister 1972, puis par l’essai selon moi plus discutable de Schenkel 1977, la même année par une courte mais très fine étude de notre regretté compatriote Jan Quaegebeur (1977), enfin, plus récemment, par les recherches stimulantes et peu convenues de David Frankfurter 1998, 2003. Précisons d’entrée de jeu que ces auteurs se refusent aux excès d’une position expéditive et radicale qui ne verrait dans les cultes chrétiens que la permanence de cultes anciens simplement rhabillés et revisités. Pour ce qui concerne notre sujet spécifique, Quaegebeur avait néanmoins mis en relief des analogies frappantes entre les dieux et les saints guérisseurs dans l’Égypte pharaonique et copte. C’est son étude qui est le point de départ de ma réflexion. Le culte de Cyr et Jean à Ménouthis : évident avatar d’un culte de guérison païen ? Voici deux lustres, notre connaissance sur les saints guérisseurs et l’étendue de leur culte à l’époque byzantino-copte de l’Égypte a considérablement progressé grâce à la thèse novatrice et très substantielle d’Arietta Papaconstantinou (2001). Lorsqu’on s’avise d’examiner les possibles prémices pharaoniques du culte des saints guérisseurs, on pense spontanément à se tourner vers le cas des saints Cyr et Jean, dont le sanctuaire de Ménouthis, près de Canope, sur la côte méditerranéenne, fut réputé pour les guérisons qui s’y opéraient. Un ensemble de textes hagiographiques en grec22 rassemblés ou rédigés par le rhéteur Sophrone23, qui avait lui-même été miraculeusement guéri, entre 610 et 615, d’une ophtalmie au sanctuaire ménouthéen, a accrédité l’idée que la naissance et le développement de la vénération envers ces deux anargyres étaient l’un des exemples les plus évidents de la transformation

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Ce corpus se compose de deux vitae, d’un panégyrique (nouvelle éd. par Pauline Bringel sur le site http://halshs.ccsd.cnrs.fr/halshs-00003975) dû à Sophrone et suivi de 70 miracles (traduction française par Gascou 2006b ; voir aussi FernÁndez Marcos 1975) et de trois prêches (oratiunculae) attribués à Cyrille d’Alexandrie. L’ensemble a été publié en 1840 par le cardinal Angelo Mai et repris dans PG 77, 1099-1106 et 87, 3379-3676. 23 Vraisemblablement le même Sophrone qui, devenu patriarche de Jérusalem, ouvrit les portes de la ville sainte aux musulmans en 636 : cf. Schönborn 1972, spéc. 239-242. Mais l’identité entre les deux personnages n’est pas tout à fait assurée : Déroche 1995.

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Des dieux aux saints guérisseurs dans l’Égypte pharaonique et copte d’un culte païen en un culte chrétien analogue. Dans ses grandes lignes, l’authenticité de cette tradition sophronienne a été acceptée, sur base des travaux du P. Hippolyte Delehaye24 et malgré les réticences d’un autre grand spécialiste du christianisme ancien, Mgr Louis Duchesne (1910). Se fondant sur trois homélies attribuées à saint Cyrille d’Alexandrie, cette tradition prétend que celui-ci aurait, vers 415, fait exhumer les squelettes entremêlés de deux saints martyrs alexandrins conservés dans l’église St-Marc de la grande métropole, Jean et Cyr, morts en 312 lors de la dernière vague de la persécution enclenchée par Dioclétien. Ces reliques auraient ensuite été transportées dans l’église des Évangélistes à Ménouthis afin de contrecarrer l’influence d’une Isis medica dont le culte et les activités thaumaturgiques du clergé avaient persisté malgré l’interdiction des pratiques païennes et la fermeture du temple isiaque local25 par l’oncle et prédécesseur de Cyrille, le bouillant archevêque Théophile... L’implantation du culte de Kyros (Cyr), «  vrai médecin envoyé du ciel » afin de « soigner par Dieu » aurait ainsi été un moyen de lutter contre celui de la « Dame », la Kyra, épithète par laquelle on désignait l’Isis ménouthéenne26. Nous aurions là un exemple – « presque trop clair (et qui en ce sens reste unique) », comme l’a écrit avec pertinence Pierre Maraval27 – de substitution d’un culte médical chrétien à un oracle païen. Récemment, une recherche menée par une équipe constituée autour de Jean Gascou à l’Université de Strasbourg (Gascou 2006a) a abouti à contester l’assise historique de cette tradition. Relevant que le culte des saints Cyr et Jean à Ménouthis n’a pas connu dans l’Égypte byzantine le grand rayonnement qu’on lui prête28, et qu’on n’en a en fait aucune attestation sûre avant le 7e siècle29, Jean Gascou conclut, s’accordant en partie aux intuitions de Mgr Duchesne, que tout le dossier a été forgé par Sophrone au bénéfice des moines chalcédoniens (ou redevenus tels) du couvent pachômien de la Métanoia de Canope soucieux de favoriser le pèlerinage à Ménouthis, dont le sanctuaire se trouvait dans leur

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Delehaye 1911 et 1933, 223-224 ; la même réception globalement confiante se retrouve chez Herzog 1939 et, plus récemment, chez Bernand 1970, 321-26, Cozzolino 1976, 35-67, Chuvin 1990, 110, Sansterre 1991, TakÁcs 1994, MacMullen 1997, 123-24, 132 ; Dunand 1997b, 252 ; Montserrat 1998 ; Knipp 2002 ; Csepregi 2010, 68-69 25 En vertu des édits de l’empereur Théodose de 391-392. 26 Selon la pseudo-homélie XVIII de Cyrille , II et III, dans P.G., 77, col. 1101-1105. 27 Maraval 1997, 46. Gascou 2006a, n. 56, ajoute : « Je serais tenté de commenter : testis unus, testis nullus ». 28 À l’inverse de son pendant grec, le dossier hagiographique copte des saints Cyr et Jean est d’ailleurs plutôt chiche (Papaconstantinou 2001, 135 ; Groterjahn 1938). 29 Hormis les prétendues lettres de Cyrille auxquelles fait référence Sophrone.

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Christian Cannuyer mouvance, et aussi de concurrencer la vénération envers l’archevêque Pierre d’Alexandrie, très en honneur chez les « monophysites »30. Les récits des miracles des saints rédigés par Sophrone avaient avant tout pour but l’éducation (paideusis) des fidèles fréquentant leur sanctuaire dans l’espoir d’une guérison (Maraval 1981) ; dans plusieurs de ces histoires, les saints guérisseurs se livrent à un chantage éhonté, accompagné à l’occasion de menaces ou de violences, envers les dévots hérétiques (monophysites) qui s’adressent à eux, posant pour condition préalable à leur guérison qu’ils rejettent le monophysisme et se convertissent à la foi de Chalcédoine31. Curieusement d’ailleurs, mais sans doute parce que le sanctuaire ménouthéen de Cyr et Jean avait été comme confisqué par les chalcédoniens, les « monophysites » s’étaient appropriés au 6e siècle celui d’une autre dyade de médecins, les célébrissimes Côme et Damien32, dont le culte, répandu dans tout l’Orient (van Esbroeck 1981), s’était bien acclimaté en Égypte à partir de la fin du 5e siècle33. L’intention apologétique de tout le dossier sophronien est donc manifeste. Telle qu’elle y est présentée, l’histoire des saints Cyr et Jean est vraisemblablement apocryphe, ce que confirment des incohérences internes et de criantes

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Supplicié le 25 novembre 311, Pierre est présenté par la tradition copte comme le « sceau des martyrs », le dernier à avoir péri des suites de la persécution de Dioclétien (Vivian, 1988). D’après la légende sophronienne, Cyr et Jean le supplantent dans cet honneur, puisqu’ils auraient été martyrisés après lui, en 312 (mais, en fait, la persécution avait alors cessé en Égypte !). Gascou montre en outre que l’hagiographie de Cyr et Jean est en plusieurs points tributaire de la version longue des Actes de Pierre d’Alexandrie. 31 Voir Schönborn 1972, 65-67 ; FernÁndez Marcos 149, 184, 188-89 ; Maraval 1981, 388-90 ; Sansterre 1991, 75-77 ; et surtout, maintenant, Gascou 2006a. Csepregi 2010, étudie de nombreux autres cas, dans le « monde byzantin », de cultes de saints guérisseurs ayant succédé à des cultes païens analogues, où l’incubation (voir ci-après) jouait un rôle majeur et où la guérison était conditionnée à une démarche de « conversion » ou encore à la réception de l’eucharistie (voir aussi, sur ce dernier aspect, Csepregi 2006). 32 Gascou 2008, 86-87, qui rappelle notamment qu’une des deux églises construites en 531-32 à Alexandrie par les non-chalcédoniens, après que l’empereur Justinien leur eut ôté leurs lieux de réunion traditionnels, était dédiée à Côme et Damien. 33 Papaconstantinou 1994, 129-132. Une fresque sur la paroi d’une carrière au Ouadi Sarga, près de l’actuelle Assiout, les représente, accompagnés de leurs trois frères Anthimos, Leontios et Euprepios, avec les instruments de leur profession ; certaines figurations les associent aux autres saints médecins autochtones, ainsi dans l’église rupestre de Deir Abou Hennis, où on les voit en compagnie de saint Kollouthos et d’un saint guérisseur syrien, Domètios (Van Loon et Delattre 2004), ou encore dans l’église de la Vierge du monastère des Syriens (Ouadi Natroun), où ils voisinent avec saint Cyr seul sur une fresque mise au jour voici une dizaine d’années et datée du 8e siècle (InnemÉe et Van Rompay 2002). Je dois les deux dernières références à Boutros 2008, 140. Sur la grande popularité de Côme et Damien illustrée par l’onomastique à partir du dernier quart du 5e siècle, voir Clarysse 1995, 387-88.

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Des dieux aux saints guérisseurs dans l’Égypte pharaonique et copte invraisemblances relevées par Gascou dans leurs deux vitae. Leur culte comme saints thaumaturges s’est certes implanté à Ménouthis – où est par ailleurs incontestablement attestée l’existence, du moins sous le Bas-Empire, d’un temple dédié à une Isis guérisseuse34 –, mais cette implantation n’est certainement pas due à l’initiative de Cyrille35. Mgr Duchesne (1910) et Ewa Wipszycka (1988, 138-142), se fondant sur un épisode de la vie de Sévère d’Antioche par Zacharie le scholastique36, ont suggéré que le transfert des reliques de Cyr et Jean aurait eu lieu vers la fin du 5e siècle sous le patriarche non chalcédonien Pierre Monge (477-489)37. Mais Jean Gascou et son équipe considèrent avec d’excellents arguments que l’installation du sanctuaire de Cyr et Jean à Ménouthis ne peut en fait être de beaucoup antérieur à Sophrone, c.-à-d. au début du 7e siècle38. Il y est resté en activité au moins jusqu’au 9e siècle, mais son succès a dû être moins considérable que ne le laissent entendre les sources chalcédoniennes : outre le fait qu’on n’a retrouvé jusqu’ici aucun vestige archéologique de l’établissement39, on n’a pas davantage repéré d’autres traces matérielles de la dévotion aux saints thérapeutes, du genre, par exemple,

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Kayser 1991, 214 ; Frankfurter 1998, 162-165. D’autant qu’une autre tradition, conservée dans le Synaxaire de Constantinople, attribue le transfert à Théophile, l’oncle de Cyrille ; Gascou 2006a, 23-25, montre comment l’hagiographie sophronienne se discrédite en tentant de combiner la tradition impliquant Théophile et celle donnant le premier rôle à son neveu. 36 Écrite avant 518, la Vie de Sévère par Zacharie le Scholastique n’est connue que par une version syriaque (cf. Patrologia Orientalis, II, 7-115). Y est racontée l’histoire (P.O.I, II,14-37, trad. dans Bernand 1970, 207-13 ; résumé dans Chuvin 1990, 108-114), censée s’être déroulée vers 485-487, alors que Zacharie et Sévère étaient tous deux étudiants à Alexandrie, d’un de leurs condisciples, païen d’origine carienne, Paralios, qui, ayant découvert combien fallacieux étaient les oracles rendus par Isis dans son sanctuaire semi-clandestin toujours en activité à Ménouthis, se convertit au christianisme  et dénonça les faits au patriarche Pierre Monge. Ce dernier fit alors raser le sanctuaire isiaque et transporter ses idoles à Alexandrie afin qu’elles y soient tournées en ridicule, non sans avoir fait une halte dans l’église de Ménouthis. Mais il n’est pas dit dans ce récit que l’église en question était dédiée aux saints Cyr et Jean, ni que le culte de ceux-ci ait déjà été implanté à Ménouthis. Sansterre 1991, 73-74 pense le contraire et juge excessive la position de Mgr Duchesne 1910, 11-12, lequel considérait que le culte de Cyr et Jean n’avait été établi en ces lieux qu’après la destruction du temple isiaque par Pierre Monge, mais que cet établissement avait été attribué par la suite à Cyrille, champion de l’orthodoxie, en raison du monophysisme de Monge. 37 Frankfurter 1998, 162-165, va sensiblement dans le même sens. 38 Gascou 2006a, 23 montre qu’il n’est pas fondé de vouloir reconnaître une représentation de leur église ménouthéenne sur une mosaïque de Gerasa ( Jerash, en Jordanie) datée de 531 (références dans Sansterre 1991, 81, n. 33). De même le passage d’un écrit nestorien qui ferait mention de l’existence de cette église en 451 est certainement une interpolation du 7e siècle. 39 Un miracle des saints Cyr et Jean conservé en arabe attribue le transfert de leurs reliques et la construction de leur martyrium ménouthéen à un riche marchand nommé Jules. Le sanc35

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Christian Cannuyer des fameuses ampoules à eulogie produites au sanctuaire de saint Ménas en Maréotide et répandues dans toute l’Égypte et dans l’ensemble du monde chrétien (Papaconstantinou 2001, 136). En outre, ont existé en Égypte40 d’autres lieux de culte de Cyr et de Jean, aussi sinon plus courus que celui de Ménouthis, et la centralité de ce dernier affirmée par le dossier sophronien doit donc être pour le moins relativisée41. Toutefois, la dévotion envers les saints thaumaturges de Ménouthis fut réelle, elle s’est perpétuée dans l’Église copte médiévale et jusqu’à l’époque contemporaine42, à tel point que la localité est maintenant connue sous le nom d’Abouqir (Saint-Cyr)43, fameuse par sa rade qui fut le théâtre en 1799 de la destruction de la flotte de Bonaparte par l’amiral Nelson. Ce qui, de mon point de vue, est intéressant dans ce dossier, c’est que Cyr, le personnage le plus important du « couple »44 et d’ailleurs vénéré initialement seul, est dit n’être qu’un simple moine dans la version originelle de sa légende. C’est à la faveur d’aménagements manifestement postérieurs opérés sans doute en milieu alexandrin (Gascou 2006a, 20-21) qu’on en fera un médecin ayant exercé à Alexandrie et dont le cabinet médical serait devenu, après son martyre, le premier lieu de son culte, où affluaient malades et handi-

tuaire évoqué dans ce texte semble certes avoir été magnificient. Mais en l’absence de tout vestige, il est difficile d’apprécier ce genre de témoignage. Boutros 2008, 130-132 et 141. 40 Mais aussi dans tout l’empire byzantin (longue et éclairante démonstration dans Gascou 2006a, 29-31) et jusqu’à Rome, où les reliques des anargyres sont réputées avoir été transportées dès le début du 5e siècle (avant même les premières attestations sûres de leur prétendue présence à Ménouthis) dans une petite basilique située à hauteur de St-Paul-hors-les-murs, sur la rive droite du Tibre, nommée aujourd’hui encore Santa Passera, vocable qui n’est autre qu’une déformation d’Abbakuros (Saint-Cyr) : cf. Delehaye 1933, 224. 41 En vérité, comme le prouve Gascou, c’est l’église St-Marc d’Alexandrie, martyrium de l’évêque Pierre, déjà évoqué, mais aussi des saints Cyr et Jean, qui revendiquait cette centralité, laquelle lui est encore reconnue par le synaxaire copte médiéval. 42 Boutros 2008. Le fait que le dossier hagiographique ancien relatif à Cyr et Jean soit très majoritairement grec laisse penser, comme y invitent aussi d’autres arguments évoqués plus haut, que leur martyrium de Ménouthis relevait à l’origine de la seule Église chalcédonienne, même si celle-ci tolérait que des « monophysites » le fréquentassent (Gascou 2008, 77-86). Le dossier copto-arabe étudié par Boutros montre que leur culte fut au fil du temps pleinement intégré dans les traditions de l’Église copte non chalcédonienne. 43 Une église moderne dédiée aux saints Cyr et Jean, conservant des reliques provenant de leur sanctuaire romain de Santa Passera (et provenant donc peut-être initialement de l’église St-Marc d’Alexandrie, martyrium concurrent de celui de Ménouthis dans l’antiquité !), y a été édifiée en 1935 : Boutros 2008, 140, n. 57. 44 Comme c’est souvent le cas dans les couples de saints associés, l’un est prévalant et ne laisse qu’un second rôle à l’autre. Baumeister 1972, 139.

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Des dieux aux saints guérisseurs dans l’Égypte pharaonique et copte capés45. Le processus est curieusement similaire à celui observé dans le cas d’Imhotep et d’Amenhotep. Ces dieux guérisseurs de l’époque pharaonique et le principal saint guérisseur chrétien de Ménouthis ont été regardés comme des médecins qui auraient pratiqué l’art médical de leur vivant, alors que telle n’avait pas été la réalité. C’est leur efficacité thaumaturgique post mortem qui les a crédités rétrospectivement de la qualité de médecins. Le grand saint guérisseur des Coptes : Kollouthos Or le même processus s’observe avec saint Kollouthos, lui aussi martyr sous Dioclétien, dont le culte, centré dès le 4e siècle sur la ville d’Antinoé, où s’élevait son martyrium, a été autrement répandu que celui de saint Cyr. Ce fut sans doute le plus populaire et le plus sollicité des saints guérisseurs de l’Égypte copte, notamment pour les maladies des yeux, si fréquentes dans la Vallée du Nil. Dans les strates les plus anciennes de son martyre46, Kollouthos est un prêtre dévot. Il n’est nullement présenté comme un médecin ; mais cette qualité lui sera ensuite dévolue, en raison de l’excellence de ses interventions curatives. On prétendit que son évêque, Pinoution d’Antinoé, avait un fils médecin du nom de Philippe, duquel il avait appris l’art médical. On lui conféra l’épithète de saein eme, « médecin véritable », et les fouilles de son sanctuaire à Antinoé ont mis au jour de nombreux ex-voto figurant les parties du corps qu’on l’implorait de guérir, surtout les yeux ainsi qu’il a déjà été dit. Peut-être la croyance aux vertus thérapeutiques de Kolluthos a-t-elle été motivée par le fait qu’Antinoé, lieu de son martyrium, était une cité à longue tradition médicale, pourvue d’infrastructures hospitalières anciennes et renommées, sous la direction d’un édile municipal héréditaire qui portait le titre d’archiatros (Marganne 1984), titre qui sera précisément donné à Kollouthos lui-même, ainsi dans ce papyrus médical du 9e ou du 10e siècle (P.IFAO Med 211) où l’on trouve la recette d’un collyre dont le saint passait pour l’inventeur : kollion monaHumeron kollouqos archatrou ku marthrou ! On peut aussi présumer une influence du culte d’Antinoüs, le mignon de l’empereur Hadrien, divinisé après qu’il se fut noyé dans le Nil en

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La tradition ménouthéenne fut à ce sujet plus réservée, préférant surtout voir en Cyr un thaumaturge guérissant par le biais des rêves, sans référence à la médecine naturaliste. 46 La tradition littéraire relative à saint Kollouthos est d’une grande complexité, à la mesure de l’importance du culte de ce saint ; elle a admirablement été débroussaillée par le P. Ugo Zanetti 1993. Voir aussi le copieux dossier rassemblé par Papaconstantinou 2001, 122128, et la notice de Cannuyer 2006. On y trouvera toutes les références utiles.

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Christian Cannuyer 13047  : la ville neuve d’Antinoé (Antinooupolis) avait été fondée en sa mémoire ; le bel éphèbe considéré comme le fils de Rê et d’une vierge y avait un important sanctuaire où il opérait des guérisons48. Analogies entre le culte des dieux et celui des saints guérisseurs Le besoin si singulier d’identifier Imhotep et Amenhotep d’une part, Cyr et Kollouthos de l’autre, à des médecins, alors qu’ils ne l’avaient pas été dans leur vie terrestre, amène à s’interroger sur une certaine continuité non pas directement entre les dieux guérisseurs païens et leurs émules chrétiens, mais entre le ressenti des Égyptiens de l’époque pharaonique tardive vis-à-vis des divinités thérapeutes et celui des chrétiens coptes vis-à-vis des saints semblablement spécialisés. Il y a une autre observation qui va dans le même sens et qui se situe au niveau des pratiques usitées pour obtenir des dieux anciens ou des saints chrétiens la guérison souhaitée49. Imhotep comme Amenhotep, de même que leur homologue plus tardif Pyiris, étaient censés guérir leurs fidèles ou leur indiquer la voie de la guérison par le truchement de deux techniques essentielles : la première était l’incubation, c’est-à-dire le fait de passer la nuit dans le sanctuaire (ou de s’y plonger en plein jour dans un sommeil cataleptique) avec l’espoir de voir le dieu apparaître en rêve et annoncer la guérison ou informer du remède salvateur. Il est douteux que cette technique ait été connue dans l’Égypte pharaonique50, mais elle s’y implanta – provenant vraisemblablement de Grèce –

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Sur la noyade dans le Nil entraînant la divinisation, par référence à Osiris, voir Quaegebeur 1977, 138-142. 48 Grenier 2012, 44-45, qui cite ce passage du texte hiéroglyphique de l’obélisque élevé sur la tombe de l’amant de l’empereur à Rome, retrouvé au 16e siècle et ornant depuis 1822 les jardins du Monte Pincio : « Il va du lieu qui lui est consacré vers de nombreux sanctuaires de la Terre entière parce qu’il entend la prière de celui qui l’appelle, il prodigue ses soins au malade et à l’indigent, envoyant des rêves car c’est ainsi qu’il manifeste son action parmi les humains ». Grenier évoque (p. 50) des balsamaires de bronze, dont la panse reproduit un buste ou un visage faisant penser à l’iconographie d’Antinoüs et qui pourraient être des témoins archéologiques de son activité de dieu thérapeute. 49 Ces analogies ont déjà été bien soulignées par Dunand 1991, à laquelle je suis en partie redevable de ce qui suit. 50 Si les sources pharaoniques relatent des songes oraculaires accordés à des souverains (ou, mais dans des cas rarissimes, à des personnages très privilégiés : Cannuyer 2010, 439), les attestations d’incubation qu’ont pensé reconnaître Bruyère 1929, 26-30 et Sauneron 1959, 41, au Nouvel Empire finissant, sont d’une interprétation délicate et il n’est pas sûr que ces textes se réfèrent à des sollicitations d’oracles (selon Dunand 1997a, 66, n. 7).

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Des dieux aux saints guérisseurs dans l’Égypte pharaonique et copte aux époques ptolémaïque et impériale51, quoique ce fût avec moins d’ampleur que dans d’autres contrées du monde hellénistico-romain52. Elle est particulièrement bien documentée s’agissant du culte d’Imhotep et d’Amenhotep associés à Hygie dans le sanatorium placé sous leur patronage parmi les ruines du temple de Deir el-Bahari53. On ne peut qu’être frappé par la similitude avec le culte d’Asclépios à Épidaure, où l’incubation était aussi la voie privilégiée par laquelle le dieu médecin communiquait aux malades le moyen de recouvrer la santé (Taffin 1960). Là ne s’arrête pas la ressemblance entre Asclépios et Imhotep ; peut-être pas initialement54 mais du moins dans la tradition grecque contemporaine des premiers contacts avec l’Égypte, le dieu grec est un homme divinisé, révéré comme le fils d’Apollon et de la princesse Coronis, à l’instar d’Imhotep considéré comme le fils de Ptah et d’une mortelle. On pourrait d’ailleurs faire le même rapprochement avec Antinoüs, bellâtre divinisé, considéré comme fils du Soleil et d’une vierge, qui guérissait également les malades au moyen de rêves, ainsi que nous l’avons vu, dans son sanctuaire d’Antinoé, la ville où sera plus tard vénéré saint Kollouthos. Comme Imhotep encore, Asclépios est présumé avoir exercé de son vivant l’art médical. On comprend que les Grecs aient identifié les deux divinités. Le culte d’Asclépios étant attesté dès l’époque homérique, on peut d’ailleurs se demander s’il n’a pas joué un rôle dans le développement de celui d’Imhotep en Égypte à l’époque saïte, quand les premiers contacts soutenus avec la Grèce se précisent (présence de mercenaires grecs dans l’armée des pharaons de la 26e dyn. ; établissement de colonies grecques dans le Delta et à Memphis). Françoise Dunand (1997a, 72) a même émis l’hypothèse que c’est au culte d’Asclépios que la pratique de l’incubation devait avoir été empruntée par les sanctuaires égyptiens, probablement d’abord au bénéfice de Sérapis55.

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Daumas 1957, 52-55 ; Sauneron 1959, 40-48 ; Bresciani 2005, 113-26. D’après le passage de Diodore (I, 25) cité plus haut, c’est par le biais de l’incubation qu’Isis opérait de manière privilégiée ses guérisons : « Elle accorde pendant le sommeil des secours à ceux qui l’implorent, se manifestant par sa propre épiphanie et sa bienfaisance envers les hommes qui la prient… Presque tout le monde habité est témoin de ces faits… Se tenant auprès des malades durant le sommeil, elle dispense son aide et guérit de façon surnatuelle ceux qui lui obéissent. » (citation d’après Sansterre 1991, 71). 52 FestugiÈre 1944, 312-17 ; Sansterre 1991, 79, note 3 (importante bibliographie). 53 Laskowska-Kusztal 1984, 118-27. Même si les inscriptions votives y disparaissent à la fin du second siècle, le sanctuaire fut fréquenté jusqu’au milieu du 4e : Łajtar 1991. 54 Cf. la communication de René Lebrun à ce présent colloque. 55 Il n’est pas étonnant qu’on ait tôt fait aussi le rapprochement entre les rites incubatoires pratiqués dans certains sanctuaires du monde byzantin dédiés à des saints guérisseurs et ceux attestés dans le culte d’Asclépios : Tolstoi 1926.

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Christian Cannuyer La deuxième technique thérapeutique connue dans les sanctuaires des dieux guérisseurs de l’Égypte ancienne, et d’origine autochtone cette fois, était l’oracle par le biais de billets couplés56. Le malade présentait au dieu, inscrits sur une paire de bouts de papyrus, deux pronostics divergents, deux possibilités de remède, deux issues différentes à la maladie… Le prêtre de faction tirait sans doute alors au sort l’un des deux billets, qui passait pour traduire la décision ou l’information divine. L’incubation continua à se pratiquer dans les sanctuaires chrétiens d’Égypte57 à l’époque copte, au moins à partir du début du 5e siècle, souvent dans le dessein d’obtenir la guérison, par exemple dans le grand sanctuaire d’Abou Mina où l’on venait passer la nuit au pied du tombeau de saint Ménas « le miraculeux » (Dunand, 1997b, 251). Il s’agit manifestement d’une permanence des pratiques païennes, qui fit d’ailleurs l’objet de vitupérations d’auteurs comme Cyrille ou le bouillant Shenouté58. L’incubation est notamment réputée avoir été la pratique privilégiée des fidèles des saints Cyr et Jean à Ménouthis ; le dossier sophronien y fait maintes fois référence (Herzog 1939, 117-24). Ainsi dans l’histoire de Rhodope, épouse d’un rhéteur d’Alexandrie qui, souffrant de la maladie du charbon, s’en va passer la nuit dans le sanctuaire ménoutéien et y voit en rêve les saints circuler parmi les lits

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Cette technique de l’interrogation par billets couplés est connue plus généralement dans les pratiques oraculaires depuis le Nouvel Empire : Černý 1935, 57-58 et 1962, 45-47. 57 Et bien ailleurs dans le monde chrétien, tant en Occident qu’en Orient : Hamilton 1906 ; Parmentier 1988, Sigal 1985, 138-44. Un cas très significatif est celui de l’Asclépion d’Athènes, où s’est perpétué un culte de guérison à l’époque chrétienne : Frantz 1965. Bien que cela ait été nié, l’incubation paraît bien avoir été pratiquée également dans le diakonikon ou « chapelle des médecins » de l’église Sainte-Marie Antique à Rome, dont les fresques, datées du 8e siècle et très semblables à celles qu’on peut trouver en Égypte à la même époque, représentent plusieurs saints anargyres dont il est question dans cet article : Côme et Damien, Cyr et Jean, Dométios, Pantélémon… Contrairement à ce qui est fréquemment affirmé, Knipp 2002, dans un article neuf et bien charpenté, estime qu’il y n’y a pas filiation entre le culte de ces saints guérisseurs et les cultes de guérison qui existaient dans l’antiquité autour du puits de Juturna et du sanctuaire de Castor et Pollux tout proches. Le hiatus chronologique est trop grand pour qu’on puisse soutenir l’idée d’une continuité. Knipp pense plutôt que le culte de ces saints médecins orientaux a été implanté en cet endroit au 7e-8e siècle par des émigrés byzantins voire par des Égyptiens qui auraient fui la domination musulmane. Ce qui expliquerait la facture presque copte des fresques : Knipp va jusqu’à suggérer, plutôt audacieusement, que l’une d’entre elles, représentant un saint non identifié, s’inspire à la fois des images du Christ Pantocrator byzantin et de celles de Sérapis ou d’Asclépios. Bref, il y a, dans cet espace cultuel au cœur de Rome, une ambiance tout à fait orientale caractérisée par un important collège de saints guérisseurs qui amène à penser, avec d’autres indices, que des rites incubatoires y étaient organisés. 58 Baumeister 1972, 69-72.

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Des dieux aux saints guérisseurs dans l’Égypte pharaonique et copte des autres patients, distribuant remèdes et encouragements mais dédaignant de s’intéresser à son cas. Nous y reviendrons. Au moins un miracle copte de saint Kollouthos guérissant le sein d’une femme possédée par un démon semble bien évoquer également le recours à cette technique dans son sanctuaire d’Antinoé59 : parmi des ex-voto en bronze récemment trouvés sur le site, l’un, exhumé en 2007, présente précisèment la forme d’un sein et notre excellent collègue et compatriote Alain Delattre (2010, 174) propose de le mettre en rapport avec ce récit. Il suggère aussi que les deux lits trouvés dans le complexe autour de l’église du saint pourraient être un témoignage particulièrement significatif de la pratique de l’incubation. Quant aux oracles par billets couplés, ils sont également bien attestés en Égypte chrétienne60. On y recourait dans le culte des saints Cyr et Jean, ainsi que dans celui d’autres saints médecins mais d’origine non égyptienne : saint Philoxène61, dont le sanctuaire d’Oxyrhynque avait succédé à un temple de Sérapis guérisseur, ainsi que Côme et Damien62. L’oracle par billets couplés est enfin et surtout attesté dans le culte de Kollouthos : on a retrouvé dans son sanctuaire d’Antinoé pas moins de 200 billets oraculaires63. Comme dans les temps païens, il revenait vraisemblablement à un prêtre d’opérer le tirage au sort entre deux propositions soumises au saint64, à moins que cette mission n’eût été confiée à un enfant impubère, ainsi que c’est attesté en Occident au haut Moyen-Âge65.

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Devos 1981 ; Zanetti 2004, 101. Voir Papaconstantinou 1994 et 2001, 337-40 ; Frankfurter, 1998, 193-95 ; Husson et Valbelle 1998. 61 Papaconstantinou 1994, 282 et 2001, 203-204. Les requêtes à saint Philoxène par le truchement de billets couplés ne concernaient pas que des problèmes de santé, loin s’en faut. 62 P. ex. le Pamst 1.22 (6e-7e siècle) : Papaconstantinou 1994, 283. L’incubation était aussi pratiquée dans le sanctuaire de Côme et Damien à Constantinople (Sansterre 1991, 70). 63 Papaconstantinou 2001, 126, parle d’une septantaine de documents (avec références). Mais leur nombre, notamment après les fouilles qui ont repris en 2002, s’élève maintenant à 200, majoritairement en copte, datant des 6e-7e siècles : voir Delattre 2010, qui annonce une étude exhaustive à venir sur toute cette nouvelle documentation. 64 Il est très possible, comme le suggère Delattre 2010, 173, que parfois seule la formulation positive était inscrite sur un billet, tandis que celui censé contenir la formulation négative restait vierge, puisqu’il était au fond inutile de retranscrire deux fois le même texte à une négation près. C’est sans doute ainsi qu’il faut interpréter les billets retrouvés entièrement blancs. Delattre signale aussi d’autres variantes de la technique de consultation de l’oracle de saint Kollouthos récemment révélées par les fouilles. 65 Le recours au bon office d’un membre du clergé pour le tirage au sort est attesté dans les sanctuaires païens d’époque gréco-romaine, mais on n’en a pas d’exemple explicite dans l’Égypte chrétienne ; en revanche, il est attesté à Constantinople, à la cour d’Alexis Comnène, 60

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Christian Cannuyer On relèvera aussi qu’à l’instar de ce qui se passait dans les sanctuaires païens, la guérison sollicitée des saints par le truchement de l’incubation ou de l’oracle pouvait passer tantôt par l’indication d’un traitement médical objectif et éprouvé, tantôt par des méthodes plus irrationnelles, magiques, subjectives voire carrément aberrantes (Daumas, 1957, 53) : ainsi cet incroyable miracle de saint Kollouthos, si peu conforme à l’éthique chrétienne, qui prescrivit en songe à un paralytique de passer la nuit avec une prostituée d’Antinoé pour être guéri et obtenir en même temps la conversion de la gourgandine (Devos, 1980). Ajoutons pour finir une dernière analogie qui rapproche les saints coptes guérisseurs d’au moins deux de leurs homologues du panthéon pharaonique : de même qu’Imhotep et Amenhotep étaient indissociablement unis par leurs fidèles dans une commune dévotion66, la piété populaire copte avait tendance à associer étroitement les principaux saints médecins67. Cyr et Jean, Côme et Damien forment de véritables couples, quoiqu’ils soient, comme nous l’avons déjà noté, plutôt asymétriques, l’un des saints prévalant nettement sur l’autre. Révélateur de cette tendance à l’association, Arietta Papaconstan-

et même en Occident, au haut Moyen Âge, par un texte de Grégoire de Tours. Il l’est aussi dans une loi germanique du 8e siècle déterminant la procédure à suivre pour confondre quelqu’un soupçonné de meurtre, où le tirage au sort du billet incriminant ou non le suspect, est accompli par un prêtre ou un enfant « innocent » : Papaconstantinou 1994, 285. Il est frappant de constater que c’est ainsi que de nos jours encore est finalement désigné le pape copte, au terme d’un processus électoral complexe. Les trois candidats arrivés en tête des suffrages du collège électoral sont départagés par tirage au sort. Un jeune garçon tire, les yeux bandés, le nom de l’élu parmi trois billets placés dans un calice sur l’autel de la cathédrale Saint-Marc d’Alexandrie. La coutume n’est clairement attestée que depuis le Moyen Âge (Saad et Saad 2001), elle a connu des éclipses mais, tout en se référant au tirage au sort qui désigna Matthias pour remplacer Judas dans le collège apostolique selon Actes 1,26, il n’est pas impossible qu’elle soit héritée des pratiques oraculaires de l’Egypte chrétienne byzantine voire de l’Égypte gréco-romaine. 66 Cette association étroite de deux « héros » divinisés n’est pas un phénomène isolé. On connaît aussi le cas de Pétéisis et Pehor (Paüris). Ils étaient, il est vrai, frères de sang, nés d’un certain Qouper, qui avait soutenu l’empereur Auguste dans sa défense de la Nubie envahie par les Méroïtiques. Sans doute en signe de reconnaissance, Auguste fit édifier un temple en l’honneur des deux frères, celui de Dendour, aujourd’hui remonté au Metropolitan Museum de New York. Mais il ne semble pas qu’ils y aient été vénérés comme des dieux spécifiquement guérisseurs. Notons que Quaegebeur 1977, 141-142 a montré qu’il n’y avait pas lieu de considérer que le motif de leur divinisation avait été qu’ils étaient morts noyés, comme ce serait le cas, un siècle et demi plus tard, d’Antinoüs (contra Corteggiani 2007, 440-441). 67 Il faut relativiser l’originalité de ces regroupements, car le phénomène touchait bien d’autres saints, et pas seulement les guérisseurs : cf. Papaconstantinou 2001, 239-240.

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Des dieux aux saints guérisseurs dans l’Égypte pharaonique et copte tinou (2001, 135) signale le cas d’une femme malade qui, à Abydos, invoque dans un même graffiti Cyr, Kollouthos, Côme et Damien, « les saints guérisseurs qui guérissez charitablement68 » (nrefrpaHre etetnarpaHre). Conclusion : continuité et adaptation En conclusion, on ne peut que prendre acte de la conjonction de trois analogies remarquables entre le culte des dieux guérisseurs dans l’Égypte tardive et celui des saints coptes thérapeutes : 1. l’attribution a posteriori de la qualité de médecin à des hommes devenus dieux ou saints guérisseurs, qui n’ont cependant de toute leur vie jamais exercé cette profession  ; 2. l’étroite association « en couple » de certains de ces hommes divinisés ou élevés sur les autels au titre de guérisseurs, sans que cet « accouplement » soit forcément justifié par leur histoire69 ; 3. parmi les moyens employés pour solliciter l’intervention curative de ces dieux ou saints, on note les pratiques très spécifiques de l’oracle par billets couplés et de l’incubation. De ces trois analogies, il me paraît difficile de ne pas conclure à une certaine continuité. Il ne s’agit pas, comme on a pu le soutenir avec excès, d’un transfert pur et simple d’un culte à un autre, ou d’une personnalité divine « païenne » à un figure de sainteté chrétienne. J’y vois plutôt une permanence de la manière dont en Égypte on a appréhendé la relation avec des entités supérieures censées délivrer de la maladie. Il faut certainement y ajouter aussi la prégnance de certains lieux où s’opéraient les guérisons, dont la renommée traversait les âges et s’imposait comme une évidence, presque indépendamment de l’identité changeante du maître de céans (Csepregi, 2010, 59). Ce qui est vrai en Égypte l’est aussi dans bien d’autres contrées, mais il me semble tout de même que le dossier égyptien présente quelques singularités qui lui donnent du relief (dieux guérisseurs qui ont d’abord été, comme les martyrs et les saints, de simples mortels ; pratique de l’oracle par billets couplés).

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Tous ces saints médecins étaient, rappelons-le ici, réputés anargyres, c.-à-d. non vénaux, ayant mis, lorsqu’ils étaient ici-bas, leur science à titre gracieux au service des plus démunis. 69 Cette association a-t-elle pour but d’accroître la puissance thérapeutique de ces personnages, en conjuguant leurs forces ? C’est la seule explication plausible qui me vient à l’esprit.

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Christian Cannuyer L’ambiguïté de ce continuum a sans nul doute été perçue par les chrétiens du Nil. Dans sa 42e Lettre festale, saint Athanase flétrit ceux qui, allant aux tombeaux des martyrs, les interrogent «  par le truchement des démons  », pratique qu’il estime relever de l’idolâtrie70. Quant au bouillant moine réformateur Shenoute, il a des mots très durs contre « ceux qui dorment dans les tombeaux en vue de rêves, et qui interrogent les morts au sujet des vivants », ce qui renvoie de toute évidence à l’incubation et aux questions oraculaires adressées aux martyrs71. Le même malaise me paraît implicitement illustré par deux graffiti en grec, l’un « païen », l’autre chrétien, relevés sur un mur du sanatorium d’Imhotep et d’Amenhotep aménagé sous les Lagides dans le temple de Deir el-Bahari. Au temps où le sanctuaire païen était encore en activité, l’ouvrier Andromachos, satisfait d’avoir sollicité l’intervention divine, a écrit en signe de gratitude, à l’issue d’une cure aussi rapide que fructueuse : « Je suis venu voir Amenôthès, et en un seul jour le bon dieu m’a guéri ». Non loin de là, une courte prière signée par un certain Eugraphis loue « notre seigneur, le dieu Asclépios, Amenôthès et Hygie ». Or, ultérieurement, un chrétien a superposé à cette inscription une autre, cernée de deux croix ansées72 ornées de palmes : « Un seul Dieu notre sauveur » (Eis Theos ho boèthon humôn)…73 Par là, ce chrétien, peut-être un moine, entendait affirmer haut et clair que toute guérison ne pouvait venir que du Dieu de Jésus-Christ. Mais ne voulait-il pas subrepticement souligner également que, quelle qu’ait pu être la part de récupération chrétienne de certains cultes guérisseurs anciens, la spécificité des saints thérapeutes tenait en ce qu’ils n’étaient considérés que comme des médiateurs et non comme la source des guérisons salutaires opérées grâce à leur intervention  ?74 Cette spécificité revendiquée par opposition aux dieux guérisseurs d’antan dont les saints pouvaient paraître les héritiers, est bien explicitée par Sophrone dans les Miracles de Cyr et Jean  : « Que nul ne s’étonne si les saints

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Et qu’il attribue, évidemment à tort, aux seuls schismatiques mélitiens. Cf. Papaconstantinou 1994, 284-285. 71 Cf. Delehaye 1922, 36-39. 72 La symbolique est forte, puisque la croix ansée, symbole de vie dans la symbolique de la religion égyptienne ancienne, avait été réinterprétée par les chrétiens comme croix du Christ, instrument du triomphe de la vie sur la mort. Cf. Thélamon 1981, 269. 73 Bataille 1951, n° 86 et n° 126. 74 Bien souligné par Papaconstantinou 1994, 284. On pourrait cependant alléguer que dans l’Égypte pharaonique les « héros » divinisés pouvaient aussi être considérés comme des intercesseurs (le terme employé est whm, · « héraut, rapporteur ») auprès des dieux et que c’est à ce titre de médiateurs qu’on les invoquait (Otto 1942, 33).

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Des dieux aux saints guérisseurs dans l’Égypte pharaonique et copte opèrent de part et d’autre les mêmes miracles. C’est en effet à une source unique que Cyr et Jean, Côme et Damien puisent les guérisons, le Christ notre Dieu. Ils ont un Seigneur unique qu’ils honorent les uns et les autres et qui, à travers eux, nous accorde des cures et accomplit des prodiges de toute espèce »75. C’est dans le même sens qu’il faut apprécier l’anecdote concernant une certaine Rhodope dont il a déjà été question plus haut : constatant, au cœur de son rêve incubatoire dans le sanctuaire de Ménouthis, que les saints Cyr et Jean ne visitaient pas son lit pour remédier à son cas, elle eut l’audace de les interpeller : à son grand désappointement, les saints lui répondirent qu’ils ne pouvaient rien pour elle, qu’elle était condamnée, que sa fin était proche, et que seul le Christ et non eux pouvait disposer de la vie et de la mort76. La leçon est claire : elle a pour dessein de bien marquer les limites et surtout la contingence des pouvoirs guérisseurs des martyrs77. En somme, les chrétiens de ce temps étaient conscients à la fois d’une certaine continuité avec la religiosité antérieure mais aussi de la profonde nouveauté de leur relation au divin, une nouveauté et une fracture dont les études de Peter Brown (1981, 1982) ont magistralement démontré le caractère radical. Le souci de bien définir la singularité des saints guérisseurs, délégataires et non détenteurs du pouvoir de rendre miraculeusement la santé, ne s’exprime pas que dans les sources littéraires chrétiennes. Il transparaît aussi dans les textes de la pratique qui nous ont été préservés, par exemple dans les billets oraculaires  où les prières de demande de guérison sont adressées d’abord à Dieu lui-même et secondairement au saint médiateur78 : « Dieu de saint Kollouthos, le médecin qui guérit les âmes et les corps, accordez la guérison à un tel… » trouve-t-on ainsi généralement dans l’en-tête des billets oraculaires exhumés des ruines du sanctuaire de ce saint à Antinoé… Encore l’un d’entre eux ne s’embarrasse-t-il pas de cette précaution et s’adresse-t-il directement à Kollouthe martus christianos, « Kollouthos, martyr chrétien ». Mais le qualificatif « chrétien » qui clôt l’épithète ne manque pas d’intriguer : ne pourrait-il pas indiquer que l’auteur du billet était un païen ? Un fidèle chrétien n’aurait peut-être pas ressenti le besoin de spécifier la religion du saint solli-

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Sophrone, Miracles de Cyr et Jean, 30, 14, trad. de Gascou 2008, 87-88  ; voir aussi Sansterre 1991, 75. 76 Sophrone, Miracles de Cyr et Jean, 62. 77 Maraval 1981 ; Sansterre 1991, 69-70. 78 Voir de nombreux exemples, dont ceux cités ici, dans Papaconstantinou 2001, 337-339.

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Christian Cannuyer cité79. Il pourrait ainsi s’agir d’un indice parmi d’autres qui ont été repérés, montrant qu’aux 4e et 5e siècles des païens d’Antinoé s’en remettaient volontiers au saint chrétien Kollouthos pour obtenir la délivrance de leurs maux, comme ils s’en seraient autrefois remis à la bienveillance d’Imhotep ou d’Amenhotep. Possible illustration de la continuité des pratiques dévotionnelles étudiée dans cet article. La religion a beau changer, l’espoir d’obtenir la guérison en sollicitant l’intervention de forces supérieures reste constant, de même que se perpétuent les moyens de provoquer cette intervention. Je rejoindrais volontiers ce que dit Catherine Mayeur-Jaouen dans l’introduction à sa belle étude sur les pèlerinages (mouleds) coptes et musulmans d’Égypte, dont on s’est souvent demandé s’ils n’avaient point hérité de pratiques remontant à l’antiquité (Dunand, 1997b). Plutôt que de « survivances » ou de « substitutions », il convient de parler d’une piété constante, « agraire… fruit d’une civilisation de sédentaires enracinée dans son terroir… qui s’affirme dans le culte des morts dont le culte des saints est en partie le fruit », dans des sites sacrés où s’opèrent cependant une « recréation de nouvelles topographies religieuses » et une « mutation radicale du sens » (Mayeur-Jaouen, 45-48). La permanence de certaines réalités profondes de la vie religieuse est telle en Égypte qu’il n’est pas rare aujourd’hui de voir des musulmans fréquenter des sanctuaires, des monastères ou des pèlerinages chrétiens pour y solliciter l’assistance des saints ou de la Vierge Marie. Les coptes aussi ont recours à l’intercession de saints de l’islam et prient sur leurs tombes ; et on connaît des saints chrétiens qui ont été carrément « islamisés » (Voile, 2004, 252-253). Un cas particulièrement frappant dans la perspective de cette étude est celui, à Louqsor, de saint Chanatome (plutôt Shenetôm), un militaire devenu médecin, martyrisé sous Dioclétien. Après la conquête arabe, les musulmans transformèrent son martyrium en mosquée et le rebaptisèrent Abû Alî al-Megashgish (le « guéri de la gale » ou le « repenti ») : les blessés et les malades,

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Il convient toutefois d’être prudent. Cette façon de parler pourrait aussi se comprendre chez un chrétien soucieux de faire étalage de sa communauté de foi avec le martyr invoqué. Un billet du 6e ou du 7e siècle trouvé à Krokodilopolis (Kom Fares) comporte une question dont la formulation est analogue : « Dieu des chrétiens, est-ce ta volonté que nous donnions Théodora à Joseph ? » (Papaconstantinou 1994, 283). Dans ce cas, il est probable, en raison de l’onomastique, que l’émetteur du billet appartienne à une famille chrétienne et que l’interrogation porte sur la possible union entre deux jeunes gens chrétiens. Encore le doute est-il aussi permis, car le prénom Théodora n’est pas spécifiquement chrétien et fut porté par des païennes (ainsi une épouse de l’empereur Constance Chlore). Peut-être seul le fiancé, portant le nom biblique de Joseph, est-il chrétien ?

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Des dieux aux saints guérisseurs dans l’Égypte pharaonique et copte musulmans et coptes, ne cessèrent de venir passer la nuit en prière sur son tombeau et se disaient ensuite guéris, parfois après une apparition du saint en songe. Son efficacité comme guérisseur et la conscience qu’avait la population locale de son transfert du christianisme à l’islam donnèrent naissance à une légende selon laquelle il avait été de son vivant un médecin ayant connu à la fois Jésus et Mahomet !80 Bibliographie* Assmann, Jan, 1996 : Ägypten. Eine Sinngeschichte, Munich, 1996. Bardinet, Thierry, 1995 : Les papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique, Paris, 1995. Barucq, André et Daumas, François, 1980 : Hymnes et prières de l’Égypte ancienne (Littératures anciennes du Proche-Orient, 10), Paris, 1980. Bataille, André, 1951 : Les inscriptions grecques du temple de Hatshepsout à Deir El-Bahari (Publications de la Société Fouad I de Papyrologie. Textes et Documents, 10), Le Caire, 1951. Baumeister, Theofried, 1972  : Martyr Invictus. Der Martyrer als Sinnbild der Erlösung in der Legende und der Kult der frühen koptischen Kirche. Zur Kontinuität des ägyptischen Denkens (Forschungen zur Volkskunde, 46), Münster, 1972. Bernand, André, 1970 : Le Delta égyptien d’après les textes grecs, I : Les confins libyques (MIFAO, 91), Le Caire, 1970. Boutros, Ramez, 2008 : « Le culte des saints Cyr et Jean chez les Coptes à la lumière des sources hagiographiques arabes », dans Jean-Yves Empereur et Christian Décobert (éd.), Alexandrie médiévale 3 (Études Alexandrines, 16), Le Caire, IFAO, 2008, p. 115-144. Brakke, David, 1997  : «  Athanasius of Alexandria and the Cult of the Holy Dead », Studia Patristica 32 (1997), p. 12-18. Bresciani, Edda, 2005 : L’Égypte du rêve. Rêves, rêveurs et interprètes au temps des pharaons, trad. Juliette Blamont, Paris, 2005. Brown, Peter, 1981 : The Cult of the Saints. Its Rise and Function in Latin Christianity, Londres, 1981. — 1982 : La Société et le Sacré dans l’Antiquité tardive, Paris, 1982. Brunner, Helmut, 1977: «  Götter, Heil– », dans Lexikon der Ägyptologie, II, Wiesbaden, 1977, col. 645-647. Bruyère, Bernard, 1929 : Mert Seger à Deir el-Médineh (MIFAO, 58), Le Caire, 1929.

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Legrain 1914, 9-17 ; Papaconstantinou, 2001, 224-225. Je ne sais si la vénération des chrétiens et des musulmans de Louqsor envers Shenetôm (fêté par le synaxaire arabe le 20 hathyr sous le nom de Shânâzhoum), encore bien vivante du temps de Georges Legrain (il publie la photo de la mosquée du saint), s’est perpétuée jusqu’à maintenant. * Cet article était à l'impression lorsqu'a paru l'article fort important pour le sujet ici traité de Mario Cappozzo, “Saints guérisseurs dans l'Égypte copte”, dans Rivista degli studi orientali, 85 (2012) [2013], p. 125-157. Il n'a évidemment pas été possible d'en tenir compte.

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DIVINITÉS ET CULTES GUÉRISSEURS EN ÉTRURIE : UN ÉTAT DE LA QUESTION par Marco Cavalieri* et Debora Barbagli**

Résumé Cette contribution présente un bilan comparatif sur les cultes guérisseurs dans le monde étrusque depuis l’époque archaïque, mais avec une attention particulière pour la période hellénistique, plus riche en témoignages archéologiques. Le territoire pris en considération comprend toute la sphère culturelle de l’Étrurie septentrionale, méridionale et padane. À partir de l’analyse de divers centres cultuels et de nombreuses attestations d’offrandes votives anatomiques, ou plus généralement liées à des pratiques courotrophes et/ou à la sanatio, on a tenté de comprendre plus en profondeur le panthéon des divinités guérisseuses étrusques, en le mettant en rapport, lorsque c’était possible, avec les mondes grec et romain. Plusieurs phénomènes ont ainsi été mis en évidence : contacts, interpretationes, différences et ressemblances. Enfin, toujours sur la base du matériel, interprété à la lumière des sources littéraires et épigraphiques, on a cherché à mieux comprendre, d’une part, le phénomène des cultes guérisseurs en lien avec les classes sociales qui ont laissé des traces d’elles-mêmes dans les ex-voto, d’autre part, les conséquences de la conquête romaine sur la pratique des offrandes votives. Introduction1 Pour tous les aspects liés à la santé, les Étrusques semblent avoir fait appel à l’aide et à la protection des divinités. Si cette affirmation peut être admise de façon générale, on ne peut en revanche ignorer les difficultés que pose l’identifica-

*

Université catholique de Louvain, Centre d’Histoire des Religions, Cardinal Ries, Place Blaise Pascal 1, Collège Erasme, bte L3.03.13, 1348 Louvain-la-Neuve, Belgique. ** Complesso Museale Santa Maria della Scala, Piazza Duomo, 1, 53100 Sienne, Italie.

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli tion des divinités préposées aux soins et à la protection contre les maladies et d’autres maux tels que l’impotence, la stérilité, les déformations et malformations physiques, etc., sans oublier les épidémies, comme la malaria2, ou les cas de conditions hygiéniques précaires qui pouvaient réellement compromettre l’existence humaine dans le monde antique. Il faut aussi souligner que les cultes guérisseurs ont acquis un caractère prédominant dans la société étrusque à l’époque hellénistique et que, corollairement, l’essentiel de la documentation archéologique y afférente s’inscrit, à de rares exceptions près, dans une fourchette chronologique bien définie à l’intérieur de cette période. Enfin, il n’est pas moins important de rappeler à quel point il est difficile de comprendre, sur la seule base des données archéologiques et épigraphiques – celles fournies par les sources littéraires sont très limitées –, quelle valeur socio-politique il convient d’attribuer aux cultes guérisseurs étrusques : étaient-ils liés prioritairement à la salus de la communauté ou de l’individu ? Il est évident que ces catégories simplifient, parfois de façon excessive, la complexité de la réalité historique et anthropologique antique, dans la mesure où une religion publique officielle n’interdit pas une religion privée personnelle – même si celle-ci nous est moins connue puisqu’elle n’est pas liée à la sphère officielle des rites de la communauté (qu’il s’agisse d’une polis ou d’une ciuitas). Néanmoins, dans le monde étrusque d’époque hellénistique, la documentation archéologique suggère un ensemble de cultes davantage en lien avec les exigences de la personne plutôt que de la communauté3. A priori, la comparaison – presque inévitable – avec le monde grec et romain amène à considérer le rapport individuel entre la divinité guérisseuse et le dévot comme une particularité étrusque. Mais à y regarder de plus près, il n’en est rien : que l’on

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Cette contribution se fonde sur l’étude de D. Barbagli, G. Paolucci, Divinità salutari e depositi votivi, dans Rafanelli, Spaziani (éds.), Etruschi. Il privilegio della bellezza, Sansepolcro 2011, 104-116. Les auteurs remercient Giulio Paolucci, directeur du Museo Civico e delle acque di Chianciano Terme, qui a accepté avec enthousiasme la réélaboration du texte pour le colloque Les dieux guérisseurs dans l’Anatolie antique et dans les régions voisines. Les auteurs sont reconnaissants aussi à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont aidé à la rédaction de ces pages : en particulier Giuseppina Carlotta Cianferoni, vice-Surintendant des Biens archéologiques de la Toscane, qui a autorisé la reproduction de la plupart des matériels présentés, et les collègues de l’UCLouvain, Nicolas Amoroso e Pierre Assenmaker, qui ont traduit de l’italien et relu avec les plus grandes acribie et compétence ce texte. 2 Des épisodes de paludisme sont attestés dans les sources, bien qu’elles se réfèrent à une époque tardive ; pour un examen des sources, cf. Frati, Giulierini 2002, 61-65. Sur le lien entre les ex-voto en forme de viscères et la diffusion de la malaria à l’époque républicaine, cf. Sterpellone 2002, 175-189 ; Fabbri 2004-2005, 115 et infra. 3 À cet égard, les ex-voto anatomiques sont représentatifs, même si quelques inscriptions sacrées ouvrent de nouvelles pistes d’interprétation quant au rôle de la communauté par rapport à la divinité : cf. CIE 446 = ETCo 3.6 infra.

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question considère par exemple le cas d’Asclépios, qui, en Grèce et Grande Grèce également, assumait le rôle de Sôter non seulement de la communauté, mais aussi de l’individu qui invoquait les pouvoirs guérisseurs du dieu4. M.C. Les témoignages épigraphiques Comme principale source pour l’identification des divinités liées aux pratiques médicinales, on considérera en premier lieu les attestations épigraphiques présentes sur les offrandes votives et, en particulier, sur les ex-voto anatomiques qui, plus que d’autres documents, permettraient d’établir un lien assuré entre la pratique dédicatoire, qu’elle consiste en une demande ou un remerciement, et la divinité à qui est adressée la dédicace regardant la salus5. Malheureusement, les ex-voto présentant des inscriptions sont rarissimes par rapport à l’énorme quantité d’objets votifs retrouvés dans les favissae et bothroi des sanctuaires. En réalité, seuls quatre objets présentent une dédicace à une divinité6  : deux ex-voto en forme d’utérus provenant du dépôt votif du sanctuaire suburbain de Fontanile de Legnisina à Vulci7 avec une dédicace à Vei8, incisée avant la cuisson ; un ex-voto de Lavinium portant l’inscription sennia. menrva. meisa9 ; un genou en terre cuite provenant du dépôt de l’Ara della Regina à Tarquinia, sur lequel est inscrit alce : vel : tiples (« Vel Tiples a fait un don »)10. Le caractère exceptionnel de ces exemplaires tient au fait, déjà mentionné, que l’inscription a été réalisée avant la cuisson de la céramique : les dédicants ont donc commandé ces pièces alors qu’elles portaient déjà leur inscription. Un

4

Cf. à ce propos Torelli 2011, 71, 115-116. Il convient de souligner, avec Fabbri 2004-2005, 104, que tous les objets votifs anatomiques ne sont pas exclusivement utilisés en rapport avec la guérison. En tout cas, lorsque l’on peut supposer un lien avec la guérison – qu’il s’agisse d’une demande ou d’un remerciement –, il se crée un lien étroit, surtout en ce qui concerne les objets anatomiques, avec le concept de « substitution » de la partie anatomique reproduite à la réalité physique, comme si la maladie était une faute à expier. 6 Turfa 2006, 101-102. 7 À propos du dépôt, cf. Ricciardi 1988 ; synthèse dans Ead. 2003, 125 avec bibliographie. 8 Turfa 2006, 104. 9 Il s’agit d’un petit cippe « à cœur » en terre cuite présentant une dédicace inscrite avant cuisson ; Fenelli 1984, 336, fig. 11 ; Guaitoli 1990, 183. 10 Les caractéristiques générales permettent de dater l’inscription des IIIe-IIe siècles av. J.-C. ; le nom de la divinité n’y figure pas et le gentilice Tiples est d’origine grecque (Δίφιλος) et traduit vraisemblablement le statut d’affranchi du personnage ou de l’un de ses ancêtres ; CIE 10012 = ET Ta 3.5. Colonna 1966, 321-322, fig. 51 ; Comella 1982, 112, 115, n. D9 Fr. I; Benelli 2007, 223-224. 5

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli cinquième objet pourrait intégrer cette liste : un ex-voto en forme de jambe provenant de Campetti de Véies, dont l’inscription a été complétée par Colonna11 en mi f[uflunsl], ce qui en ferait une dédicace à la divinité associée de façons diverses au Dionysos grec. Sur d’autres offrandes votives, dont l’iconographie n’est pas forcément en rapport avec la sphère médicale, sont attestés des noms de divinités liées à l’enfance et à sa protection, qui concernent donc la santé, la salus entendue dans son sens le plus large. Parmi celles-ci, mentionnons la statuette en bronze d’un jeune garçon de Montecchio Vesponi, près de Castiglion Fiorentino (entre Arezzo et Cortone), aujourd’hui conservée à Leyde12 et datée du deuxième quart du IIe siècle av. J.-C. Elle représente un jeune garçon nu, debout, portant une bulla au cou et une armilla au bras gauche, et tenant une oie dans les bras. L’inscription13 suivante est disposée verticalement sur le côté et la cuisse droite de la statuette : veliaś · fanacnal · ϑuflϑaś / alpan menaχe · clen · ceχa · tuϑineś · tlenaχeiś. Elle contient donc la dédicace d’un don (alpan, peut-être un ex-voto ?) fait à la divinité Thufltha14 de la part de la Tuϑina de Tlenaχe en faveur du fils15 de Velia Fanacnei (la mère)16. À ce propos, on relèvera la réflexion intéressante de Benelli sur le terme Tuϑina, qui semble désigner une forme de subdivision territoriale (pagus/vicus ?), peut-être à caractère administratif (si l’on peut reconnaître dans sa racine le terme italique touta, qui indique la communauté), caractéristique du territoire de Cortone, où il figure au moins dans un autre cas de dédicace individuelle : l’inscription de la toge17 de « l’Arringatore » du Musée Archéologique National de Florence18. Si l’interprétation terminologique s’avérait correcte, la valeur publique et communautaire de l’inscription fournirait de nouveaux éléments en faveur du rôle politique des cultes guérisseurs, y compris à l’époque tardive. Deux autres petits bronzes, provenant de Tarquinia et du Lac de Trasimène, ont souvent été mis en parallèle avec le « putto » de Montecchio. Ceux-ci fi-

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Colonna 1981, 231 n. 13 ; cf. aussi Fabbri 2004-2005, 127. Cristofani 1985, 299-300 n. 128 ; Scarpellini 2002, 93 n. 3. Le « putto de Montecchio » provient de Castiglion Fiorentino (entre Arezzo et Cortone) et date du IIIe siècle av. J.-C (bronze fondu à la cire perdue ; haut. 32,5 cm, inv. CO4, Rijksmuseum van Oudheden de Leyde). 13 CIE 446 = ETCo 3.6. 14 LIMC VIII, c. 19. Cf. infra. 15 Exprimé par l’ablatif clen + la postposition ceχa. 16 Benelli 2007, 226. 17 CIE 4196 = ET Pe 3.3. 18 Fiorini 2005, 295-296, 313-314 n. VII, 71. 12

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question gurent aussi de jeunes garçons, représentés assis et nus, portant la bulla autour du cou ; ils sont dédiés respectivement aux dieux Selvans19 et Tec(e)20. Dans le premier cas, le garçon présente sur l’épaule droite une inscription partiellement conservée : [---] nas : veluśa/[---]xis · selvansl : /[---] as · cver : ϑveϑli/[---] : clan21 ; sur la deuxième statuette, la dédicace suivante est inscrite sur la jambe droite : flereś · tec sanśl · cver22. Pour reprendre les termes de Celuzza, nous pouvons affirmer qu’avec ce type de dédicace, notamment23, « i frequentatori dei santuari pregavano per poter avere figli e, quando li avevano, perché restassero in vita »24, ce qui met en évidence, de façon générale, le lien avec la sphère de la santé ou, plus précisément, de la protection de la santé. D.B.

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LIMC VII, c. 718 ; Krauskopf 1985, 269. Cristofani 1985, 299, nn. 126-127. D’un point de vue stylistique, pour Cristofani, le rapprochement « non supera comunque il ‘genere’ del monumento… » et ne permet que de situer ces deux bronzes également vers le milieu du IIe siècle av. J.-C. 21 CIE 5549 = TLE 148. Le « putto Carrara » provient de Tarquinia et date de la fin du IVe siècle av. J.-C. ou du début du siècle suivant (bronze fondu à la cire perdue; haut. 32,7 cm, inv. 12108, Musées du Vatican, Grégorien Étrusque). La statue était initialement fixée sur une base par une coulée de plomb ; il lui manque le bras gauche et deux doigts de la main droite (ces derniers ayant été brisés durant l’Antiquité). Le bras droit présente une inscription lacunaire mentionnant une offrande votive au dieu Selvans. La statue appartient à la catégorie des ex-voto représentant des garçons accroupis ou assis, en train de faire une offrande à la divinité, dont nous connaissons des exemples provenant des sanctuaires étrusques du Lac de Trasimène, de Vulci et de Cerveteri. La physionomie du garçon, au visage mûr, a fait supposer qu’il s’agirait d’une représentation du héros mythique Tagès, l’enfant devin dont la sagesse égalait celle des anciens  : à Tarquinia, il était prodigieusement apparu, émergeant du sol lors d’un labourage trop profond, et il fut le premier à dicter aux principes Etruriae la « discipline étrusque » (c’est-à-dire les fondements de la religion étrusque), qui fut ensuite codifiée dans les livres sacrés ; Santuari d’Etruria 1985, 37-38 n. 1.24. 22 CIE 4561 = TLE 624. Il s’agit du « putto Graziani », retrouvé en 1587 à Sanguineto, près du Lac de Trasimène, sur le territoire de Cortone ; il date de la première moitié du IIe siècle av. J.-C. (bronze fondu à la cire perdue ; haut. 26 cm, inv. 12107, conservé aux Musées du Vatican, Grégorien Étrusque). La statue présente un jeune garçon nu, assis par terre, le corps légèrement penché en arrière et la jambe gauche repliée sous la droite. Sur cette dernière figure une inscription en langue étrusque : « en don au dieu Tec(e) Sanś ». Le garçon tend les bras, tenant un oiseau dans la main droite et une balle dans la main gauche. Il porte au cou une grosse bulla, deux anneaux à la cheville et au poignet droit, et une armilla entourant son poignet gauche. Le visage, souriant et joufflu, et la vivacité des mouvements permettent de rattacher le bronze à un archétype de la période hellénistique, qui a vu en Étrurie une grande diffusion d’ex-voto de ce type, aussi bien en terre cuite qu’en bronze (cf. supra le « putto Carrara »). Le « putto Graziani » est donc dédié à la divinité Tec(e) Sanś, protectrice de l’enfance. 23 Cf. infra. 24 Celuzza 2011, 45. 20

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli Les lieux de culte Les témoignages archéologiques mêmes des lieux de culte, en particulier ceux des sanctuaires25 ruraux, pour lesquels l’élément d’identification le plus clair est souvent fourni par le contenu des dépôts votifs26, ne permettent pas toujours d’identifier les divinités auxquelles les cultes étaient destinés. Les sanctuaires naissent en effet dans les lieux les plus divers – en pleine campagne, à proximité de reliefs, de grottes, de forêts, de cours d’eau, aux confins de territoires – et parfois, leurs vestiges sont plutôt évanescents27. Pourtant, ils devaient avoir une grande diffusion et vitalité, surtout à l’époque hellénistique, et les cultes qui y étaient pratiqués n’étaient certainement pas négligeables28. Parmi ceux-ci, il faut reconnaître un rôle majeur aux pratiques liées à la présence des eaux, des lacs, rivières ou sources, dont l’importance et la récurrence dans le monde étrusque ont désormais été mises en évidence par la documentation archéologique et la grande attention qu’y a portée la recherche scientifique29. Du reste, comme l’a souligné Torelli, le concept de locus religiosus remonte à l’époque pré- ou protohistorique et peut désigner un quelconque lieu naturel (cavité, lac, cours d’eau, montagne), marqué par une monumentalisation de forme très variée30. On peut obtenir quelques informations supplémentaires dans le cas des grands sanctuaires suburbains, où les inscriptions et les dédicaces, ainsi que les restes des structures monumentales, autorisent une réflexion sur plusieurs aspects, notamment diachroniques, du culte et des divinités honorées. Au sanctuaire de Portonaccio à Véies31, situé «  in una cornice naturale fortemente marcata da rupi scoscese, acque impetuose e certo anche, come oggi, rigogliose

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Jannot 1998, 98 définit le concept de sanctuaire de la façon suivante : « Le sanctuaire est d’abord un lieu voué à une divinité, un espace, un domaine clos ou du moins borné, et clairement délimité par des signes visibles comme les cippes inscrits ou non que nous trouvons ici et là ». 26 Jannot 1998, 101. 27 Les généralisations peuvent parfois s’avérer réductrices : cf. par exemple Rastrelli 1992, pour la présence considérable de sanctuaires suburbains et ruraux dans la campagne de Chiusi, dont certains ont même livré des restes de décoration architectonique, et pour la riche documentation sur la présence de cultes des eaux en Étrurie, cf. infra. 28 Jannot 1998, ibidem. 29 Cf. Gasperini 1988 ; Torelli 1991 ; Prayon 1993 ; Maggiani 1999 ; Maggiani 2003 ; Fabbri 2004-2005. À ce propos, cf. infra. 30 M. Torelli dans ThesCRA IV, s.v. Locus religiosus, 265. 31 Santuari d’Etruria 1985, 99 n. 5.1 ; Colonna 2001, 37-44.

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question frange di bosco »32, le culte, dans sa phase primitive, était lié à des divinités féminines (Menerva/Menrva, accompagnée aussi de Turan et d’Aritimi) et se signalait par ses aspects oraculaires. Dans la phase monumentale de la fin de l’époque archaïque, la déesse titulaire est accompagnée des figures d’Aplu33 et de Latona, ainsi que d’Hercle. Durant la phase de vie la plus tardive du sanctuaire, les ex-voto semblent indiquer que l’élément désormais caractéristique de la dévotion envers Menerva serait, comme ailleurs, lié aux aspects courotrophes et initiatiques34. Un autre site de grand intérêt de par son caractère monumental est le sanctuaire de Camucia (vicus situé le long de la voie d’accès principale depuis et vers Cortone), dans la zone de l’ex Consorzio Agrario. Le sanctuaire a connu une longue phase d’occupation, du VIe au IIe siècles av. J.C., mais semble avoir été fréquenté jusqu’à l’Antiquité tardive. Il présente des structures architecturales décorées d’éléments en terre cuite auxquels sont associées des offrandes votives telles que des statuettes masculines et féminines en bronze représentant des porteurs d’offrandes35. La planimétrie complexe du site (pièces, portiques, petits autels, etc.) et le matériel votif font supposer que les cultes pratiqués avaient une connotation guérisseuse. Un lien avec la sphère de la santé et de la fécondité se perçoit aussi, en raison de la présence d’ex-voto anatomiques, dans le cas de la Menerva mentionnée dans les inscriptions votives du petit sanctuaire rural de Punta della Vipera, près de Santa Marinella (Civitavecchia, dans le territoire de l’antique Caere)36, qui semble avoir été en fonction du VIe au IIe siècles av. J.-C. : « La dea venerata a Punta della Vipera, dal carattere multiforme, appare così connessa alla sfera naturale e riproduttiva ed inoltre dotata di valenze salutifere ed

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Colonna 2001, 38. En ce qui concerne la Rome archaïque, Tite-Live raconte aussi que Numa Pompilius a rencontré la nymphe Égérie dans un lucus, au centre duquel se trouvait une grotte où coulait une source pérenne (Liv. I, 21). D’après Festus, les femmes enceintes faisaient des sacrifices à la nymphe en ce lieu dont le nom rappelait l’acte de l’accouchement : quod eam putabant facile conceptum alvo egere (Festus p. 67, éd. Lindsay). 33 C’est à ce dieu et à Hercle, dont le lien avec les eaux est particulièrement important en Étrurie (cf. infra), qu’il faut relier l’usage à des fins de guérison – ou du moins de purification – du grand bassin sacré, Santuari d’Etruria 1985, 100, 101. 34 Sur la reconstitution des différentes phases d’occupation du sanctuaire et sur les aspects du culte qui y était pratiqué, cf. Colonna 2001 (avec la bibliographie antérieure). 35 Salvi, Zamarchi Grassi 2005, 286-290. 36 Santuari d’Etruria 1985, 149 n. 8.1 ; Jannot 1998, 102 ; Tomassucci 2005, 241 ; Turfa 2006, 98.

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli oracolari, queste ultime attestate dal rinvenimento di una sors ed inoltre ribadite dalla laminetta di piombo […] proveniente dal pozzo »37. De façon analogue, le sanctuaire (déjà mentionné) de Fontanile de Legnisina à Vulci, dédié à Vei-Déméter ainsi que, dans un second temps, à Uni, a livré une quantité importante d’objets votifs en forme d’utérus38 issus des fentes taillées dans le rocher situé à l’intérieur de l’enceinte sacrée. Enfin, le cas de Cortone revêt un certain intérêt en raison du nombre de sanctuaires identifiés sur le territoire de la polis, soit situés en rase campagne, soit connectés aux vici, centres mineurs entourant le chef-lieu. Bien qu’attestés dès l’époque archaïque, ces sanctuaires ne présentent une documentation assurée qu’à partir de la période hellénistique (qui n’est pas toujours en continuité avec la phase romaine successive) : parmi les neufs sites identifiés, ceux de Peciano (près du Mulino Piegai), de San Martino alla Rota et de Montecchio sont dédiés à des divinités de la reproduction39; ceux de Santa Luci, des Vivai Felici40 et du Consorzio Agrario de Camucia sont consacrés à des dieux guérisseurs ; enfin, nous avons déjà mentionné le site du sanctuaire du dieu Tec(e), duquel proviennent vraisemblablement «  l’Arringatore » et le « putto Graziani »41. Plus au Nord, le long de l’Arno, le site de Fiesole présente un temple urbain tripartite de type toscan, dont on voit encore les restes des murs en pierre à l’intérieur de l’aire archéologique, et qui a été aussi mis en lien avec une divinité guérisseuse – peut-être Minerva Medica – en raison de la présence de formes anatomiques parmi les ex-voto et d’une chouette en bronze42. M.C.

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Tomassucci 2005, 241. Comme pour le sanctuaire de Portonaccio à Véies, on observe la cohabitation de traits oraculaires et guérisseurs, qui n’apparaît en rien occasionnelle. 38 A. Comella dans ThesCRA IV, s.v. Deposito votivo, 228. 39 Près de San Martino alla Rota, dans la localité Il Bagnolo, on a signalé la découverte, près d’un cours d’eau, d’un fragment de statuette en terre cuite représentant un enfant emmailloté : Fiorini 2005, 296, avec la bibliographie de référence. 40 Il semble qu’il faille rapporter à un culte guérisseur en lien avec une source les trouvailles de Santa Lucia : du matériel céramique et métallique d’époque archaïque probablement relatif à un dépôt votif ; par ailleurs, les quatre statuettes en terre cuite d’enfants emmaillotés découvertes à la fin des années 1920 près de Peciano, au nord de Cortone, se réfèrent à une divinité tutélaire de la reproduction et de l’enfance ; Fiorini 2005, 295, avec la bibliographie de référence. 41 Fortunelli 2005, 260-262 ; Fiorini 2005, 295-296, 313-314 nn. VII, 70 e 71 ; Torelli 2005, 204-205 ; cf. supra, note 22. Sur l’existence notable de sanctuaires extra-urbains « dedicati a divinità con connotazioni salutari » qui se trouvaient « sistematicamente a ridosso di fonti o polle d’acqua », cf. aussi Giulierini 2011, 138. 42 Giulierini 2011, 119.

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question Les divinités guérisseuses Pour en venir à une analyse plus détaillée des divinités du monde étrusque qui présentent un lien avec la sphère de la santé, il est possible d’identifier une série d’attributions qui associent, de manière diverse, quelques divinités au monde de la naissance et de l’enfance. Si ces caractéristiques semblent être typiquement féminines, le monde étrusque connaît en réalité aussi plusieurs divinités masculines associées au culte de la fertilité43. La déesse Uni44, qui occupe une place importante au sein de la cosmogonie étrusque, ainsi que l’atteste le modèle liturgique offert par le foie en bronze de Plaisance45 (où elle occupe la quatrième place de la première section céleste qui débute avec Tinia), semble être la protectrice de tous les enfants. C’est à elle qu’est dédiée une statuette en bronze présentant l’inscription ecn : turce : pive / patrus : unial / huinthnaias46, qui provient du dépôt de Fontanile de Legnisina, déjà mentionné, qui a livré, outre des statuettes en bronze de dédicants, de nombreux ex-voto en forme d’utérus, de mamelles ou d’enfants emmaillotés. La déesse apparaît souvent à côté d’autres divinités en tant que protectrice d’aires sacrées (à Legnisina, elle figure probablement avec Vei/ Déméter, à Gravisca47 avec Vei/Déméter et Turan) ; elle est aussi vénérée comme divinité de la fertilité dans ce même sanctuaire de Legnisina, mais également à Pyrgi (temple A) et près du temple de Celle à Falerii48. Des liens prononcés avec la sphère de la santé sont présents, ainsi que l’ont relevé dernièrement Fabbri49 et Bartoloni50, dans le culte de Iuno Regina à Véies. Le matériel votif livré par le dépôt de la Piazza d’Armi suggère que celleci a peut-être été vénérée afin de soigner des pathologies affectant les organes internes  ; des fonctions thérapeutiques spécifiques peuvent aussi être attribuées à la Junon que nous fait connaître le dépôt de Praeneste-Santa Lucia51. Nous pouvons probablement rapprocher également de la Iuno Regina de Véies

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Frati, Giulierini 2002, 67-69. À ce propos, cf. infra. LIMC VIII, cc. 159-171. 45 Sur le foie et son interprétation, cf. Maggiani 1984 ; Colonna 1994; cf. une synthèse sur les multiples aspects liés au foie de Plaisance chez Carini 2000. 46 Colonna 1988, 23 sq. 47 Sur le sanctuaire extra-urbain, cf. Santuari d’Etruria 1985, 141 n. 7.2. 48 Fabbri 2004-2005, 124. 49 Ead. 2004-2005, 124-125. 50 Bartoloni 2005, 171-178, cf. infra. 51 Pensabene 2005, 128. 44

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli

1a et 1b. Photo et dessin de miroir en bronze représentant Uni allaitant Hercle en présence de Tinia, Turan et Aplu. De Volterra, 325 av. J.-C. Florence, Museo Archeologico Nazionale, inv. 72740. Clichés reproduits avec l’autorisation de la Soprintendenza per i Beni Archeologici della Toscana.

la déesse Uni, protectrice des naissances de la cité, à qui était dédié, à Cortone, le sanctuaire de la zone occupée ensuite par l’église San Francesco52. Ses qualités de déesse tutélaire des naissances et des enfants sont documentées iconographiquement dans de nombreuses représentations d’Uni, où (surtout sur les miroirs) elle est associée à des naissances et des allaitements divins : ainsi, sur un miroir aujourd’hui conservé à Londres53, la déesse assiste à la naissance de Menerva ; plus significatif encore est son lien avec Hercle, qu’elle allaite dans une série de représentations54. Sur ces derniers, en effet, Hercle apparaît accepté et « adopté » par Uni dans une scène qui se déroule en présence d’autres divinités (Turan, Aplu et Tinia dans le célèbre exemplaire de Volterra, ES V, 60 ; Figg. 1a et 1b) : l’adoption, selon Massa Pairault, garantit « l’avvento di una nova progenies »55. Les prérogatives d’Uni semblent la rapprocher de la Iuno Sospita romaine, comme le démontre la très récente découverte à La-

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Giulierini 2011, 137 : la zone est connue sous le nom de « Bagno della Regina ». De Grummond 2006, 81, fig. V.10. 54 Ead. 2006, 82-83, figg. V.14-17. 55 Massa Pairault 1998, 244-245. Le miroir présente l’inscription suivante : sren : tva : ichnac : hercle : unial : clan : thra : sce, généralement traduite comme « la décoration montre 53

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question nuvium (Colli Albani) d’un dépôt votif d’époque républicaine dans une grotte à l’intérieur du bois sacré de la déesse. Le dépôt, ainsi soustrait au marché clandestin des « tombaroli », a délivré un millier d’objets votifs en rapport avec la sanatio (c’est-à-dire la guérison des maladies et la fertilité) de la femme en particulier : en effet, parmi les ex-voto, on trouve en très grand nombre des utérus et des organes sexuels masculins et surtout féminins56. La fonction guérisseuse de Menerva57, ainsi que son rôle de nourrice et de protectrice des enfants, est attestée à l’époque hellénistique (cf. supra) par les nombreux ex-voto anatomiques provenant de dépôts liés au culte de la déesse ; une connotation typiquement guérisseuse semble émerger – nous l’avons vu – dans le cas du sanctuaire de Punta della Vipera58. Au niveau mythologique, la Menerva étrusque est aussi associée, probablement avec des fonctions analogues, aux Mariś59, ces figures représentées comme des enfants sur deux miroirs60 où ils semblent sortir d’un cratère ou d’une amphore61 ; on a proposé de voir dans cette scène un « rito di iniziazione, effettuato attraverso un bagno purificatorio […]. Né va trascurato il particolare che sugli specchi i bambini hanno sempre una bulla al collo, la quale, in quanto amuleto, serviva ad allontanare gli spiriti maligni e perciò poteva comportare un rito di purificazione preventiva »62. La déesse est également présente dans les scènes où figure Epiur63 – un personnage à l’interprétation controversée, peut-être fils d’Hercle (le prophète Tagès du mythe)64 –, dans lesquelles on a récemment vu la représentation d’un rite d’enlèvement et

comment Hercle devient fils d’Uni », ou « la décoration montre comment Hercle, en tant que fils d’Uni, a tété le lait » ; Van der Meer 1995, 126-127. 56 Marimpietri 2012, 8-10. 57 LIMC II, cc. 1050-1074. 58 Fabbri 2004-2005, 123. Aux lieux de culte signalés par Fabbri, on peut ajouter Fiesole, cf. supra, note 42, et aussi infra. 59 LIMC VI, cc. 359-360. 60 Berlin, Staatliche Museen Fr. 47 ; London, British Museum BR 618. Sur cinq autres miroirs, les Mariś sont représentés comme des guerriers adultes. 61 De Grummond 2006, 74-75 suggère de les interpréter comme des figures semblables à des esprits, des genii, cf. Simon 2006, 58. Les propositions de lecture des documents iconographiques relatifs aux Mariś sont en réalité très articulées et complexes : récemment, Domenici 2009, 244-245 a repris de façon globale l’exégèse des scènes et souligné le lien étroit qui unit les valeurs oraculaires et courotrophes de Menerva en rapport avec les représentations de la déesse accompagnée des jeunes Mariś en train de sortir du cratère. 62 G. Camporeale dans ThesCRA II, s.v. Purificazione, 54 ; cf. aussi Van der Meer 1995, 167. 63 LIMC III, cc. 810-812 ; Van der Meer 1995, 93-97. 64 Festus 542, 359 éd. Lindsay.

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli de paideia : l’enfant ravi par Hercle est confié à Menerva en qualité de divinité courotrophe65. Nous retrouvons des fonctions similaires chez la déesse Turan, qui jouit d’un culte dès l’époque archaïque et est appelée ati « mère »66. Vénérée en compagnie de Vei et d’Uni à Gravisca, elle y est aussi associée à Atunis (Adonis), à qui était dédiée la caisse rectangulaire présente sur l’esplanade du sacellum de la déesse67. Les objets votifs anatomiques semblent confirmer la prédominance des aspects liés à la fécondité pour les époques classique et hellénistique68. Le rapport avec les enfants est aussi attesté pour Vei69 (Déméter), qui pourrait être représentée dans des terres cuites hellénistiques retrouvées à Gravisca et à Vignaccia à Caere : deux figures féminines sur un trône soutiennent un enfant, sans doute une représentation de leur qualité de kourotrophos. Cette fonction est endossée aussi par Aritimi70, qui, par rapport à l’Artémis grecque, semble révéler, à l’époque tardive au moins, des aspects davantage liés au monde féminin et aux naissances. En effet, une inscription de l’Ara della Regina, à Tarquinia, mentionnant artum71 atteste la présence de cette divinité dans un contexte votif qui a livré de nombreux objets anatomiques, en plus de têtes humaines et d’enfants emmaillotés72. La déesse est honorée avec d’autres divinités à Véies, Caere, Tarquinia, Roselle et peut-être à Gravisca : le matériel du dépôt votif de Vignaccia à Caere laisse en effet transparaître son rôle de divinité courotrophe73

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Domenici 2009, 197-231. LIMC II, cc. 169-176. L’épithète ati se retrouve sur un miroir daté de la fin du IVe siècle av. J.-C., produit à Volsinii (TLE 752 ; ES V, 191 : tite cale : atial : turce / maestria : cver), où Tite Cale (Tite kalos à la grecque ?) offre à la Mère un miroir comme objet sacré. Puisque la scène figure, entre autres personnages, les déesses Menerva et Turan et que l’épithète ati ne se rapporte jamais à la première, on peut l’attribuer à Turan, ce que confirme d’ailleurs un autre miroir plus ancien, daté de la fin du Ve siècle av. J.-C. (ES V, 116), conservé à Berlin. Van der Meer 1995, 20-22. 67 Santuari d’Etruria 1985, 142. 68 Fabbri 2004-2005, 126. 69 La statue de culte en marbre de la Cannicella di Orvieto au Museo Faina a été hypothétiquement identifiée à cette divinité, dont le nom est attesté dans plusieurs inscriptions du sanctuaire, cf. Simon 2006, 47; par contre, Jannot 1998, 158 identifie la déesse nue à Turan. 70 LIMC II, cc. 774-792. 71 CIE 10006: l’inscription votive figure sur un fragment de bronze appartenant à une lance; sur l’usage de la forme dorique du nom, cf. Krauskopf 1998, 180-181. 72 Voir Krauskopf 1998, 182. Sur le dépôt de l’Ara della Regina cf. infra. 73 Ead. 1998, 192. 66

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question La déesse de l’aurore, Thesan74, mentionnée dans le liber linteus de la momie de Zagreb75, devait être liée à la sphère de la naissance au même rang que les divinités déjà citées. Enfin, il est probable que des fonctions similaires aient été revêtues par des figures mineures du panthéon étrusque, nymphes ou déesses liées à divers titres au monde de la fertilité et des enfants. Nous avons mentionné précédemment le culte de Thufltha76, divinité en lien avec les découvertes de Montecchio Vesponi (véritable castellum défensif situé à la limite septentrionale de la ville de Cortone), qui attestent probablement la présence d’un sanctuaire lié à une source d’eau dans la localité de Poggiolo77. En réalité, il est difficile de reconstituer la physionomie religieuse de Thufltha dans la mesure où elle ne nous est connue que par des attestations épigraphiques : si d’une part, en effet, on a considéré que ce terme désignait un concilium de divinités, interprétées comme les dei Consentes, ou les Penates étrusques, on y a vu d’autre part le théonyme d’une divinité féminine aux multiples facettes78. Ainsi, certains lui ont attribué une valeur céleste et propitiatoire en raison de sa position dans la pars familiaris du foie de Plaisance79 ; d’autres, au contraire, associent la déesse à un groupe de divinités chtoniennes80 – Selvans, Tec(e), Sanś, Mantrnś – liées à la fécondité et à la fertilité, et en tant que telles préposées à la protection de la descendance, comme en témoignerait l’offrande du « putto » de Montecchio mentionnée ci-dessus ; enfin, il semble que la divinité présente aussi certains traits de l’Aphrodite grecque, comme le font supposer les attributs – le torques et la colombe – de la statue d’une femme porteuse d’offrande récemment attribuée au même complexe sacré de Montecchio et également conservée au Rijksmuseum van Oudheden de Leyde81.

74

LIMC III, cc. 789-797. Voir récemment Van der Meer 2009, 221-222. 76 Cf. supra notes 12-18. 77 Fiorini 2005, 293. 78 Id. 2005, 294, avec la bibliographie de référence. 79 Cristofani 1993, 18 ; Morandi 1995-1996, 92. 80 Chiadini 1995, 169. Sur l’association de la déesse à d’autres divinités, cf. Fiorini 2005, 294 note 110. 81 Id. 2005, 295 ; Id. 2005, 310 n. VII, 66. La statuette date de la première moitié du IIIe siècle av. J.-C. (bronze fondu à la cire perdue ; haut. 20 cm, inv. CO30). Elle représente un personnage féminin debout, la tête légèrement tournée vers la gauche, la jambe droite tendue et la gauche pliée à hauteur du genou. La figure porte une tunique à manches courtes tombant jusqu’aux pieds et s’arrêtant aux épaules, ainsi qu’un manteau autour de la taille qu’elle soulève avec le bras gauche. De sa main droite tendue, 75

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli Ainsi que nous l’avons évoqué, cependant, plusieurs divinités masculines semblent aussi exercer des fonctions touchant à des aspects de la salus, tels que la fécondité et la naissance. Le sanctuaire de la Porte Nord de Vulci, fréquenté aux IIIe et IIe siècles, qui a livré de nombreux ex-voto représentant des enfants emmaillotés et des organes génitaux masculins, ainsi que des bras et des seins, était probablement dédié à Fufluns82, dieu lié à la fertilité agraire, mais pas uniquement83. Le dieu Culśanś84, de même que les Lares, semblent assumer des fonctions similaires. Il convient de réserver un traitement particulier à une autre figure divine, qui accéda en Étrurie au rang de dieu à part entière : Hercle85. Son nom figure sur le foie de Plaisance, où il occupe la case voisine de Nethuns et de Mariś, dans la région associée à l’eau. On le trouve très souvent associé à cet élément : il est le héros porteur d’eau représenté sur de nombreux miroirs, luttant contre Achéloos ou se tenant près de fontaines, ou encore portant une amphore d’où jaillit de l’eau86 (Fig. 2). Son lien avec les sources est aussi attesté par Tite-Live, qui mentionne une fons Herculis à Caere (Liv. XXII, 1, 10 : et aquas Caeretes sanguine mixtas fluisse fontemque ipsum Herculis cruentis manasse respersum maculis) ; selon le témoignage de Servius (Ad Aen. VII, 697), c’est le coup de massue de Hercle qui aurait donné naissance au lac de Vico (Ciminicum lacum fecit)87. Son rapport avec les cultes des eaux guérisseuses est largement documenté88, de même que de nombreuses données archéologiques et sources littéraires, surtout latines (et plus tardives), attestent que la salubrité de diverses sources dans le monde étrusque était attribuée à la juridiction divine89. Sur le plan iconographique aussi, Hercle est parfois associé à l’élément aquatique, comme le montrent divers miroirs en bronze sur lesquels le dieu est

elle tient un oiseau (peut-être une colombe). Parée d’un bracelet au poignet droit et d’un torques au cou, elle est coiffée d’un diadème qui orne de longs cheveux bouclés formant une grande mèche sur le front. 82 LIMC III, cc. 531-540. 83 Pautasso 1994, 112-113. 84

LIMC III, cc. 306-308.

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LIMC V, cc. 196-253. Cf. De Grummond 2006, 182-183. 87 Edlund 1987, 55 et note 131 ; Maggiani 2003, 39. 88 Par exemple, pour la diffusion en Étrurie padane, cf. Malnati 2003, 35-37. 89 Pour une anthologie des sources littéraires relatives au domaine de l’eau en Étrurie et à Rome, constituée parfois sans grand sens critique, mais de façon assez systématique, et visant à rendre compte de façon synthétique des valeurs thérapeutique, fonctionnelle et guérisseuse de l’élément aquatique, cf. Sterpellone 2002, 51-67. 86

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question

2. Miroir étrusque en bronze, produit à Chiusi. Fin du IVe siècle av. J.-C.. La scène représente trois personnages : Turms figure au centre et est flanqué à droite par Hercle avec la massue et à gauche par Vilae, qui tient en main un strigile. Le protomé à tête de lion d’où jaillit de l’eau peut symboliser la puissance guérisseuse d’Hercle. Parme, Museo Archeologico Nazionale, inv. B 205. Cliché de Marco Cavalieri, reproduit avec l’autorisation de la Soprintendenza per i Beni Archeologici dell’Emilia Romagna.

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli représenté près d’une source90 et semble connoté par des caractéristiques cultuelles. Bayet91 fut l’un des premiers à analyser les représentations étrusques d’Hercle dans l’optique grecque, reconnaissant que si l’analogie entre l’Hercle étrusque et l’Herakles grec est très forte pour l’époque archaïque, au IVe siècle, et plus encore au IIIe, les deux figures ne peuvent plus être superposées. C’est à travers ce prisme, donc, qu’il convient de lire le mythe d’Héraclès à la fontaine, un thème indubitablement emprunté à la Grèce92, mais profondément revisité en Étrurie à cause, notamment, de la présence de personnages tels que Vilae93, une figure absolument secondaire dans la mythologie et l’iconographie helléniques (la forme du nom attestée en Occident, bien que calquée sur le modèle péloponnésien/corinthien, semble assurer que le transfert vers l’Étrurie s’est effectué via les colonies achéennes de la Grande-Grèce)94. Le rapport entre Hercle et l’eau, évidemment symbolisé par la source sur les miroirs, peut être interprété, dans ces scènes, comme une allusion à un bain lustral95 : en effet, le lien entre Hercle et la source ne peut être fortuit, puisque, pour reprendre les termes de Servius, nullus fons non sacer96, à tel point que celle-ci représente la faculté guérisseuse première de la divinité97. Hercle n’est par ailleurs pas la seule divinité associée aux eaux : de fait, on observe des rapports divers avec les eaux cultuelles pour Aplu98, Menerva99,

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ES II, 127 e 135 ; cf. aussi Van der Meer 1995, 215-221. Bayet 1926, 50-54. 92 Outre les exemples cités dans Bayet 1926, 163-164, cf. De la Genière, Zancani Montuoro 1980, 76-77, tav. IV, 2. 93 Cf. le miroir du Musée Archéologique de Parme, ES II, 127 ; Cavalieri, Baldini 2013 (sous presse). 94 Bayet 1926, 164-167. 95 Les références aux ‘Hράκλεια λουτρά dans les textes antiques sont bien connues (cf. Bayet 1926, 166-168 ; Mansuelli 1941, 107 sq. ; De la Genière, Zancani Montuoro 1980) et ont récemment été confirmées par les recherches qui ont identifié des cultes liés à Hercle sur le territoire étrusque et plus généralement italique. Ceux-ci présentent des rapports spécifiques avec les sources thermales (cf. en particulier Maggiani 1998, 188 ; Maggiani 2003) ou concernent les sources d’eau douce, avec une référence claire à la dévotion dont Hercle jouissait en tant que héros culturel – dans le sens de civilisateur (Malnati 2003, 37 le définit comme « signore delle acque » ; cf. Prayon 1993 ; Bellelli 2006, 204-209 ; Fabbri 2004-2005 ; Giontella 2006, avec la bibliographie antérieure). 96 Serv. Ad Aen, VII, 84. 97 Surtout en référence à Aplu et à Hercle : Maggiani 1998, 188. 98 Au Portonaccio (cf. la note 34) et peut-être aussi au sanctuaire « de source » de Marzabotto, ainsi Simon 1998, p. 123 (qui propose aussi de voir un Apollon dans la statuette de kouros aujourd’hui conservée à Bologne). 99 Voir dans ce sens, pour le culte de la Grotta Lattaia du Monte Cetona, Manconi, Paolucci 2003, 153-154 ; Maggiani 2003, 42 ; à ce propos, Maggiani émet l’hypothèse que ce 91

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question Vei100, Uni101, Turms102 et Nethuns (même si le culte de cette dernière divinité n’est associé à aucun sanctuaire des eaux – et même aucun sanctuaire en général)103. Comme l’a démontré Maggiani, il est probable que les divinités majeures du panthéon se soient vu attribuer, surtout à l’époque hellénistique, les cultes rendus à toute une série de figures divines liées aux eaux et dépourvues de théonyme précis104. De nombreux lieux sacrés du monde étrusque105 présentent des cultes liés à la présence de cours d’eau106, de sources, de lacs, mais aussi de grottes ; certains de ces endroits témoignent d’ailleurs d’une fréquentation107 très ancienne et, dans quelques cas, d’une canalisation et fonctionnalisation des eaux108. Les eaux courantes, objet de vénération, étaient elles-mêmes assujetties à des puissances divines, dont l’épigraphie nous a parfois gardé trace : tel est le cas de la rivière aujourd’hui appelée Chiana, dont une statuette d’athlète en bronze présentant la dédicace mi klanin[sl] a

sanctuaire aurait été auparavant dédié aux nymphes, vu la datation tardive (Ier siècle av. J.-C.) des statuettes représentant Menerva (Maggiani 1999, 195, 200 ; cf. aussi infra). 100 À la Cannicella, à Fontanile di Legnisina, à Carriaccio dell’Osteria : Maggiani 1999, 193 ; Id. 2003, 41. 101 Dans le sanctuaire suburbain de Celle à Faleri, Santuari d’Etruria 1985, 110 ; Jannot 1998, 99. 102 Ainsi à Sassi Caduti, Santuari d’Etruria 1985, 113 ; Jannot 1998, 99. 103 LIMC VII, cc. 479-483. Pour son association avec les eaux, cf. Maggiani 1999, 187, 193. 104 Id. 2003, 41. 105 Sur ce point, cf. Id. 1999 ; Id. 2003. 106 Qui ne sont pas forcément tous liés à des cultes guérisseurs, cf. Id. 1999, 197-199 pour l’exemple de Buca di Castelvenere. 107 Le dépôt votif de Fonte Veneziana, à Arezzo, semble être lié à un culte des eaux guérisseuses pratiqué au cours du VIe siècle av. J.-C., cf. Zamarchi Grassi 2001, 116 ; synthèse chez Zinelli 2003, 103. 108 Ainsi à Marzabotto, où le sanctuaire « de source » peut être daté du milieu du VIe sec. av. J.-C. (Desantis 2003, p. 107), ou dans le cas déjà cité de Fonte Veneziana, à Arezzo, Maggiani 1999, 189. À Pyrgi, en outre, la présence du groupe d’antéfixes représentant Achéloos et les nymphes pourrait être interprétée en référence au détournement d’un cours d’eau local à l’occasion de la construction du sacellum ß si l’on se souvient qu’Achéloos est avant tout le symbole de la mise en œuvre de bienfaits tels que notamment le détournement, l’endiguement et l’union de cours d’eaux par l’homme. Le cas de Véies est tout aussi intéressant : Achéloos y apparait de manière répétée sur divers matériels, parmi lesquels les antéfixes du grand temple de Portonaccio. À Véies comme dans l’ager Veientanus, en effet, d’imposants travaux hydrauliques furent mis en œuvre dès l’époque archaïque par le biais d’un réseau de petits tunnels qui servaient à drainer et canaliser les eaux, et permettaient donc de cultiver les terrains. Sur ce point, cf. Di Giuseppe 2008, 74-79, avec une importante bibliographie.

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli conservé le nom du dieu tutélaire, Clanis109. On peut aussi reconnaître une valeur cultuelle, à caractère chtonien et en lien avec une source (à laquelle étaient attribués des dons guérisseurs), au petit dépôt retrouvé dans la localité de Casamaggiore, située dans les collines entre les lacs de Trasimène et de Chiusi110, lequel contenait des statuettes de bronze présentant des inscriptions dédicatoires à la déesse Cel, datées de la première moitié du IVe siècle av. J.-C.111. Le cadre que nous venons de tracer rapidement révèle, pour le monde étrusque d’époque tardive, un large éventail de divinités auxquelles les fidèles, par l’usage de diverses épithètes, reconnaissaient des compétences dans le domaine de la salus112, en tant que guérisseuses, protectrices ou kourotrophoi. C’est l’époque où arrive en Italie l’influence du culte d’Asclépios, tandis que les Asklepieia se font de plus en plus nombreux en Grèce et que le culte du dieu guérisseur s’installe à Rome, sur l’Île Tibérine. Dans ce contexte, l’Étrurie voit se multiplier les formes de cultes guérisseurs, qui, généralement, sembleraient toutefois s’adresser plutôt à des divinités étrusco-italiques113. Ce phénomène touche aussi des sanctuaires dans lesquels, vers la fin du IVe siècle av. J.-C., des formes de dévotion populaire à finalité thérapeutique semblent remplacer les anciens cultes114. Bien que l’on puisse vraisemblablement supposer un lien entre les cultes guérisseurs de Grèce et ceux d’Étrurie et d’Italie centrale, on ne s’explique pas clairement comment Asclépios, héros guérisseur fils d’Apollon et d’Arsinoé (ou de Coronis, selon d’autres versions du mythe), élevé au rang de divinité à son arrivée à Épidaure à la fin du VIe siècle av. J.-C.115, et plus encore les figures qui l’entourent ne se superposent pas aux divinités locales116. Actuellement, une hypothèse de culte guérisseur faisant intervenir Asclépios a été avancée à propos du seul dépôt votif de Tessennano, sur le territoire de Vulci, d’où pro-

109

Maggiani 1999, 193 ; Id. 2001, 87 ; Id. 2003, 39 ; Giulierini 2011, 123. L’athlète barbu de bronze, daté du Ve siècle av. J.-C. et retrouvé en 1844 à Quarrata, dans la localité de Burron della Vecchia, près d’Arezzo, est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Nationale de Paris. 110 Paolucci 2002, 177 s. 111 Colonna 1976-77, 45 sq. 112 Jannot 1998, 152. 113 Comella 1999, 12 ; Jannot 1998, 152 ; Turfa 2006, 104. 114 Maggiani 1999, 200. 115 LIMC I, 615-641; l’ouvrage de Edelstein, Edelstein 1998 reste fondamental en ce qui concerne les formes et la diffusion du culte. 116 Fabbri 2004-2005, 129.

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question viennent deux objets représentant des viscères humains se terminant en tête de serpent, qui rappellent le serpent d’Épidaure117. D’autre part, cependant, on ne peut passer sous silence les points de contact entre la religion d’Asclépios et les cultes guérisseurs du monde étrusque. En effet, les sanctuaires du dieu grec étaient aussi établis de préférence à proximité des sources, souvent –sans que ce soit systématique – dans des lieux à la végétation luxuriante, en dehors des zones d’habitats118. Si la situation à proximité d’eaux guérisseuses ou réputées telles semble donc autoriser un rapprochement, il paraît plus difficile, en raison des évidentes lacunes de la documentation archéologique pour le monde étrusque, d’établir des comparaisons concernant les modalités de culte et le rituel, bien attestés pour la Grèce classique et hellénistique grâce aux inscriptions votives et aux catalogues des sanctuaires119. En dépit du caractère hautement hypothétique du rapprochement, il ne nous semble pas qu’il faille négliger certains éléments de comparaison avec les Asclepieia du IVe siècle av. J.-C.120, dans lesquels les pratiques rituelles de guérison associées à la présence de l’eau sacrée devaient jouer un grand rôle et dont les nombreux thesauroi documentent les offrandes faites par les fidèles dans l’espoir d’une guérison. Bien qu’en Étrurie, le « sentiment » de la monumentalisation ne corresponde pas toujours aux formules architecturales du monde grec, la pratique du dépôt d’objets votifs anatomiques pourrait rappeler, dans des environnements à fréquentation populaire, des habitudes de la tradition grecque121. Enfin, on ne s’étonnera guère, en vérité, que l’identité d’Asclépios en Étrurie ne soit à ce jour pas attestée épigraphiquement ou iconographiquement, du moins selon des canons qui nous sont connus – c’est-à-dire grecs. Celle-ci fut en effet probablement remplacée ou annoncée par celle de son père, Apol-

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Costantini 1995, 152 ; Fabbri 2004-2005, 114, 128. Voir récemment Cricelli 2008, 178 et surtout Melfi 2007, passim et en particulier 494 sq., qui a bien montré que le culte d’Asclépios ne peut être dissocié de l’analyse des changements sociaux, politiques, et économiques, et doit dès lors être remis en contexte par une lecture plus large et non limitée aux aspects religieux et cultuels des époques classique et hellénistique. 119 Cricelli 2008, passim. 120 Ceux dits de « diffusion » par Melfi 2007, 497 sq. 121 L’utilisation d’objets votifs anatomiques pourrait dériver de la pratique grecque des Asclepieia (attestations à Corinthe, par exemple), même s’il faut souligner d’une part que la représentation d’organes internes ne semble pas commune à la tradition grecque et d’autre part que la pratique de l’offrande votive anatomique semble déjà attestée sporadiquement en Étrurie à une époque plus ancienne, cf. Turfa 2006, 105, notes 126, 127. 118

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli lon/Aplu, dont la vocation à la sanatio précède et véhicule celle de son fils en Grèce également122. M.C. – D.B. Les dépôts votifs Comme il a déjà été mentionné, les ex-voto constituent sinon le seul, du moins le plus fort indice pour l’identification de cultes entretenant des liens divers avec la sphère de la salus. À ce jour, plus de deux cents123 dépôts votifs124 nous sont connus. Parmi ceux-ci, les ex-voto anatomiques125, les enfants emmaillotés (et plus généralement les représentations d’enfants) et les terres cuites figurant des kourotrophoi semblent pouvoir être le plus facilement mis en rapport avec les deux aspects de la salus que nous prenons en compte, celui de la sanatio pro3. Ex-voto d’enfant emmailloté prement dite et celui de la fertilité et de la féen terre cuite. IIIe-IIe siècles av. condité (Fig. 3). Évidemment, même dans le cas J.-C. des divinités guérisseuses, on ne peut exclure Florence, Museo Archeologico d’autres types d’offrandes, telles que des repréNazionale, inv. 4773. sentations de dédicants (têtes ou statues), des Cliché reproduit avec l’autorisation de la Soprintendenza per i instruments ou divers objets, et surtout la Beni Archeologici della Toscana. grande quantité de céramiques. De manière générale, cependant, la statuaire en terre cuite figure parmi les offrandes les moins attestées dans les dépôts votifs étruscoitaliques, et ce en raison, bien sûr, des questions de coût économique et de

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Sur la phénoménologie du culte d’Asclépios dans le Péloponnèse et à Athènes, cf. Torelli 2012, 165-177. En diverses localités, le dieu est lié – directement ou à travers d’autres figures mythiques – à Apollon ou à Hélios ; par ailleurs, le lien avec Apollon et le Soleil transparaît dans l’étymologie même du nom d’Asclépios, qui pourrait être mis en rapport avec αἴγλη, de ἄσγλα, « éclatant de lumière », terme que l’on retrouve du reste dans la forme Aiglètes, épithète d’Apollon sur l’île cycladique d’Anaphe/Anafi (Paus. II, 11, 5). 123 Turfa 2006, 90. Le catalogue critique le plus complet est à ce jour celui publié par Fabbri 2004-2005. 124 Pour la définition, nous renvoyons à A. Comella dans ThesCRA IV, s.v. Deposito votivo, 226. 125 Pour certains d’entre eux aussi, comme les objets en forme de jambes et de bras, la possibilité d’une autre lecture, plus étroitement liée aux pratiques de la dévotion, n’a pas été exclue, cf. Gatti, Onorati 1999, 16.

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question

4. Bras votif en terre cuite. IIIe-IIe siècles av. J.-C. Florence, Museo Archeologico Nazionale, inv. 4777. Cliché reproduit avec l’autorisation de la Soprintendenza per i Beni Archeologici della Toscana.

5. Jambe votive en terre cuite. IIIe-IIe siècles av. J.-C. Florence, Museo Archeologico Nazionale, inv. 4796. Cliché reproduit avec l’autorisation de la Soprintendenza per i Beni Archeologici della Toscana.

6. Visage votif en terre cuite. IIIe-IIe siècles av. J.-C. Florence, Museo Archeologico Nazionale, inv. 4785. Cliché reproduit avec l’autorisation de la Soprintendenza per i Beni Archeologici della Toscana.

7. Sein votif en terre cuite. IIIe-IIe siècles av. J.-C. Florence, Museo Archeologico Nazionale, inv. 4817. Cliché reproduit avec l’autorisation de la Soprintendenza per i Beni Archeologici della Toscana.

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli

9. Ex-voto en forme d’utérus en terre cuite. IIIe-IIe siècles av. J.-C. Florence, Museo Archeologico Nazionale, inv. 4775. Cliché reproduit avec l’autorisation de la Soprintendenza per i Beni Archeologici della Toscana.

8. Torse et organe génital masculin votif en terre cuite. IIIe-IIe siècles av. J.-C. Florence, Museo Archeologico Nazionale, inv. 4793. Cliché reproduit avec l’autorisation de la Soprintendenza per i Beni Archeologici della Toscana.

10. Ex-voto représentant une plaque à viscères humains, en terre cuite. IIIe-IIe siècles av. J.-C. Florence, Museo Archeologico Nazionale, inv. 82028/2. Cliché reproduit avec l’autorisation de la Soprintendenza per i Beni Archeologici della Toscana.

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question status social induites par la pratique du don – quelques exceptions existent, ainsi à Comunità à Véies, où sont attestées par défaut 62 statues126. Les ex-voto anatomiques127 constituent de fait le type d’objets votifs de loin le plus répandu – après la vaisselle seulement128 – aux IVe et IIIe siècles av. J.-C., surtout en Campanie, dans le Latium et en Étrurie méridionale. Ces objets en terre cuite – parties de membres, bras, jambes, mains, pieds, yeux, visages, torses, seins, organes génitaux masculins et féminins, plaques ou torses avec la représentation d’organes internes (Figg. 4-10) – ont été retrouvés, distribués de façon variable, dans les principaux lieux de culte étrusques, où ils avaient été rassemblés dans des stipes lorsque l’espace à l’intérieur de la zone sacrée venait à manquer et qu’il fallait faire une place pour les nouvelles dédicaces –un processus évident dans le cas du dernier dépôt votif publié de façon détaillée, retrouvé sur le plateau de Comunità à Véies129. Le dépôt déjà mentionné de l’Ara della Regina130 montre par exemple une prédominance d’objets votifs en lien avec la salus : outre des têtes masculines et féminines, presque toutes les parties de l’anatomie y figurent, ainsi que de nombreux enfants emmaillotés. À Gravisca, un culte guérisseur est attesté pour la dernière phase du sanctuaire par la présence de nombreux objets votifs anatomiques, la majorité étant en forme d’utérus ; certains d’entre eux ont été retrouvés dans la citerne située à proximité du bâtiment α, d’autres dans la cour I et dans les zones G et M (dans ce dernier cas, associés à des enfants emmaillotés131). Le dépôt votif du sanctuaire de Punta della Vipera132dédié à Menerva a également fourni une grande quantité d’objets votifs anatomiques. À Véies, le sanctuaire de Campetti continue à vivre après la conquête romaine, la Cérès romaine se superposant à la Vei étrusque ; nombre d’objets votifs sont des terres cuites de kourotrophoi. Le très riche dépôt fouillé à la fin du XIXe siècle sur les pentes du plateau de la Piazza d’Armi133 (dans la localité

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Bartoloni, Benedettini 2011, 27. Pour un examen de ce type d’objet, avec un catalogue exhaustif, cf. Fabbri 2004-2005. 128 Turfa 2006, 103. 129 Bartoloni, Benedettini 2011, 11-19 : reprenant les rapports rédigés par R. Lanciani à la fin du XIXe siècle, les auteurs parlent d’un dépôt d’environ deux mille ex-voto entiers, en bronze et en terre cuite, pour une profondeur d’environ 2 m. 130 Comella 1982 ; Ead. 1999 ; Costantini 1999, 13 ; Turfa 2006. 131 Cf. infra. 132 Voir récemment Tomassucci 2005, 237-243. 133 Bartoloni 2005, 171-178 : le rassemblement des groupes d’objets éparpillés dans divers musées permet de relier au dépôt environ 10 000 fragments, dont les datations se concentrent 127

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli Pendici di Comunità) témoigne aussi d’une certaine connexion avec la salus : on y trouve plus de 600 représentations de jambes, de bras et de mains, 80 exvoto représentant les viscères sur une plaque ou un torse/abdomen, et – beaucoup moins nombreux –des organes génitaux masculins et féminins et des nourrissons. À Caere, des ex-voto anatomiques ont été retrouvés, entre autres, dans le sanctuaire de Pyrgi, dans le dépôt de Manganello134 et sur les hauteurs de la Tolfa, à Grasceta dei Cavallari135. Le territoire falisque présente également une importante documentation d’objets votifs anatomiques pour les IVe et IIIe siècles av. J.-C : à Falerii, à proximité du « Ninfeo Rosa », ce sont les aspects liés à la procréation qui prédominent, comme l’attestent les organes génitaux féminins, qu’il faut sans doute mettre en rapport avec le culte de Iuno Curitis136 ; à Corchiano, par contre, le dépôt d’ex-voto d’époque hellénistique est composé pour une très large majorité de phallus, réalisés à partir de différentes matrices et présentant des typologies spécifiques137, lesquels sont probablement en lien avec un culte lié à la sphère sexuelle masculine. La documentation fournie par les espaces sacrés de Vulci n’est pas moins abondante : des ex-voto représentant des enfants emmaillotés, des bras et des seins proviennent du sanctuaire situé à proximité de la Porte Nord138 ; à Fontanile de Legnisina139, on a retrouvé en grand nombre des objets votifs en forme d’utérus, de formes et de types divers, dont certains, présentant une ou deux boules, peuvent être comparés à des exemplaires analogues du dépôt de Tessennano140, qui a également livré des enfants emmaillotés, des membres, des organes génitaux masculins et des plaques à viscères. (Fig. 11). Des ex-voto anatomiques proviennent aussi de la région du lac de Bolse141 na , ainsi que du dépôt de Pozzarello, également à Bolsena142. Ce dernier, comme l’a souligné Acconcia, est caractérisé par la présence conjointe d’élé-

au IIIe siècle av. J.-C. ; Bartoloni, Benedettini 2011. 134 Santuari d’Etruria 1985, 38 n. 1.26 ; Turfa 2006, 101-102. 135 Santuari d’Etruria 1985, 155 n. 8.3. 136 Benedettini, Carlucci, De Lucia Brolli 2005, 222. Rappelons aussi les nombreux ex-voto anatomiques qui proviennent du sanctuaire de Celle, distant d’un peu plus de 300 mètres, et, dans la zone urbaine, ceux du sanctuaire de Vignale. Cf. aussi Maggiani 1999, 200. 137 Benedettini, Carlucci, De Lucia Brolli 2005, 222 : presque 2000 phallus et 300 vulves qui constituent environ 80% du dépôt ! 138 Pautasso 1994 ; Costantini 1999, 19 ; Turfa 2006, 101. 139 Comella 1999, 13 ; Costantini 1999, 19-20 ; Turfa 2006, 101-102. 140 Turfa 2006, 110 note 85 ; Costantini 1995 ; Ead. 1999, 20. 141 Berlingò, D’Atri 2005, 272. 142 Acconcia 2005, 277.

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question

11. Ex-voto représentant un torse humain et ses viscères, en terre cuite. IIIe-IIe siècles av. J.-C. Florence, Museo Archeologico Nazionale, inv. 4792. Cliché reproduit avec l’autorisation de la Soprintendenza per i Beni Archeologici della Toscana.

ments originaires de l’Étrurie méridionale (ex-voto anatomiques en forme de viscères) et septentrionale (statuettes en bronze de dévots, masques réalisés en feuilles d’or, pinces et couteaux miniatures)143. Si les ex-voto anatomiques et les masques semblent se rapporter à une forme de culte guérisseur, les autres éléments tels que les pinces, les couteaux et les clefs miniatures indiquent des cultes liés à la fertilité et à la reproduction144. De fait, les ex-voto anatomiques en terre cuite, caractéristiques des dépôts d’Étrurie et du Latium, et principalement attestés en Étrurie méridionale, sont aussi documentés dans les régions limitrophes entre l’Étrurie méridionale et septentrionale145  : ainsi dans le dépôt de Ghiaccio Forte (Scansano, dans la province de Grosseto), dans lequel figurent, à côté de statuettes de dédicants en bronze, quelques ex-voto anatomiques et des membres, liés au culte d’une divinité garante de santé et de fertilité146 ; on en trouvera d’autres exemples encore à Saturnia147, Marsiliana, Roselle148 et Paganico149. Le dépôt de Pantano, dans le territoire de Pitigliano, a lui aussi livré, entre autres, des

143

Ead. 2005, 277. Ead. 2005, 278. L’auteur, qui replace le sanctuaire de Pozzarello dans le contexte plus large de la définition de l’espace urbain de Volsinii, souligne la possibilité d’un culte rendu à une divinité proche de Cérès/Déméter. 145 Fabbri 2004-2005, 104. 146 Santuari d’Etruria 1985, 157 n. 8.4 ; Rendini 2005, 285. 147 Ead. 2009. 148 À propos des découvertes réalisées dans cette localité, Ead. 2005, 289. 149 Fabbri 2005, 309-310. 144

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli objets votifs figurant des nourrissons emmaillotés ainsi que des membres supérieurs et inférieurs du corps humain, ce qui suggère un double lien avec les sphères de la fécondité et de la salus, bien documenté dans la vallée de l’Albegna150. D.B. Dédicaces votives et pratiques thérapeutiques L’ampleur de la documentation fournie par les ex-voto anatomiques a rapidement soulevé aussi de nombreuses questions sur leur fonction à l’intérieur des lieux sacrés. On s’est ainsi interrogé sur la valeur de ces représentations, surtout dans le cas des objets en forme d’utérus ou d’organes génitaux ; on s’est aussi demandé si ces figurations, dans leur rendu schématique et souvent cursif, donnaient à voir des traces de pathologies ou de malformations réelles151. Ces questions sont nécessairement liées à celle de la fonction de ces objets. L’existence de quelques pièces votives anatomiques présentant de possibles traces de maladie a fait penser à des demandes de guérison plutôt qu’à des remerciements adressés à la divinité152. Cependant, ces objets votifs faisant voir des signes évidents de maladie semblent être davantage l’exception que la règle153. Sans exclure qu’il puisse parfois s’agir d’offrandes à la divinité consécutives à la grâce reçue, les nombreuses reproductions d’organes génitaux masculins et féminins, ainsi que les innombrables enfants emmaillotés, peuvent représenter une demande de fécondité et de conception. À cet égard, le cas de Gravisca est assez significatif : on y a trouvé dans le même contexte des représentations d’utérus fécondés et d’enfants emmaillotés, associant ainsi l’organe concerné à la requête154. L’évocation de la maternité est plus évidente encore dans une série d’objets en forme d’utérus dans lesquels figurent une ou plusieurs boules, peut-être en référence précoce à la conception155. Une proposition de lecture intéressante assimile de plus les utérus, représentés comme des outres, à des ustensiles de transport de l’eau, laquelle est un élément essentiel

150

Pellegrini, Rafanelli 2009, 206-207. Des pathologies telles que l’hydropisie, le rachitisme, la poliomyélite, les déviations de la colonne vertébrale et le phimosis ont ainsi été identifiées sur certaines statuettes votives, bien que de façon hypothétique; Sterpellone 2002, 47. 152 Par exemple, Jannot 1998, 153. 153 Comella 1999, 13 ; Fabbri 2004-2005, 104 et note 14, où sont signalés les rares cas évidents (seins avec traces de rhagades de Punta della Vipera, bras avec ulcère de Tarquinia, etc.). 154 Dans la zone M : cf. Turfa 2006, 97. 151

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question pour la santé, nous l’avons vu, ce qui pourrait donc suggérer un lien avec les cultes des eaux156. Voici ce qu’écrit Fabbri à ce propos : « Degno di nota sembra il fatto che sono numerose in territorio etrusco le attestazioni contestuali di votivi anatomici riproducenti uteri e mammelle, assieme a quelle di statuette di bambini in fasce ed a raffigurazioni di kourotrophoi, presso sorgenti e affioramenti di acque (o località con toponimi ad esse riferentisi), ritenute propiziatrici di fertilità, nonché, in alcuni casi fino a tempi piuttosto recenti, apportatrici della monta lattea »157. En outre, on peut voir une référence évidente à la puissance sexuelle et à la fertilité dans les objets votifs du dépôt de Corchiano représentant des organes génitaux masculins : si certains d’entre eux ont été interprétés comme évoquant le phimosis158, il doit s’agir de façon générale d’une célébration de la puissance sexuelle, explicite même dans le cas des objets interprétés comme la représentation d’une triade phallique159. Le lien avec les eaux guérisseuses est également confirmé pour d’autres sanctuaires, tant en Ombrie qu’en Toscane et en Émilie : par exemple au sanctuaire de Colle Arsiccio160, à Pérouse, on a découvert, outre des statuettes en bronze, des objets votifs anatomiques, des enfants emmaillotés et des femmes en train d’allaiter. Ce culte concernant la fertilité était lié à la présence d’une source dont les eaux étaient considérées comme guérisseuses. Des objets votifs anatomiques sont attestés dans diverses localités d’Étrurie septentrionale, même s’ils sont plus rares que dans la partie méridionale ; il est intéressant de noter que des ex-voto anatomiques réalisés en bronze apparaissent à une époque antérieure à la diffusion des objets votifs en terre cuite dans la région étrusco-latiale : on trouve ainsi des bronzes anatomiques dans le dépôt de la Fonte Veneziana161, dans celui du mont Falterona et, plus au nord, en Émilie, dans le sanctuaire de la source à Marzabotto162. Par la suite, l’offrande votive anatomique en terre cuite, inspirée du modèle étrusco-latial, se répand aussi dans le nord de l’Étrurie163 : dans l’ager de Chiusi, dans la grotte de Lattaia, près du mont Cetona – à propos de laquelle nous avons déjà mentionné les aspects courotrophes du culte et le passage probable d’un culte

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Baggieri, Margariti, Di Giacomo 1999, 27. Fabbri 2004-2005, 112. 158 Une hypothèse qui ne fait pas l’unanimité : Pinna 1986, 135 – cet aspect serait en réalité une façon conventionnelle de représenter l’organe génital. 159 Baggieri, Margariti, Di Giacomo 1999, 27. 160 Bruschetti 2009, 186. 161 Datables du milieu du VIe siècle av. J.-C. 162 Santuari d’Etruria 1985, 113-115 ; Desantis 2003, 110 : datés du Ve siècle av. J.-C. 163 Maggiani 1999, 191. 157

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli lié aux nymphes à une dédicace à Menerva164 – la majorité des offrandes consistait en représentations de seins et d’enfants emmaillotés165. Le dépôt de La Fonte, toujours à Cetona, qui a livré des objets votifs en forme d’utérus, devait avoir des caractéristiques similaires166. Le lieu de dépôt des objets votifs mérite aussi une réflexion. Malheureusement, bien des découvertes faites à une époque assez éloignée n’ont pas permis de garder trace des contextes de trouvaille ; un cas un peu plus favorable est celui de Gravisca, où de nombreux ex-voto ont été trouvés in loco, sous des couches d’écroulement167. De manière générale, on peut retenir, également grâce à la comparaison avec le monde grec, que les objets votifs trouvaient des places diverses dans les lieux sacrés, où ils étaient déposés de façon plus ou moins ordonnée à l’intérieur et à l’extérieur des édifices sacrés, sans oublier qu’ils étaient périodiquement enlevés et enterrés ou, dans le cas de sanctuaires pourvus de grottes naturelles, disposés à l’intérieur de celles-ci (comme à Campetti, à Véies et à Fontanile de Legnisina). Dans le cas de quelques sanctuaires liés au culte des eaux, la pratique cultuelle de l’engloutissement est attestée (ainsi à Brolio, ou au mont Falterona)168. M.C. Un cas paradigmatique : le dépôt votif de Pendici di Comunità à Véies Il est intéressant de présenter ici, même brièvement, une synthèse des conclusions récemment publiées169 à propos du dépôt votif de Comunità, qui est à ce jour la trace archéologique la plus évidente d’un lieu de culte, peut-être monumentalisé170, né comme sanctuaire de « confin »171 dès la fin de l’époque archaïque, à côté de l’enceinte urbaine de Véies, près d’une porte de la ville et le long de l’artère principale qui traversait la cité antique. En dépit des péripéties de la découverte, de la récupération et de la conservation du dépôt votif (déjà identifié et fouillé par R. Lanciani en 1889), il est

164

Cf. supra. Manconi, Paolucci 2003, 154-155. 166 Paolucci 2003a, 165-166. 167 Comella 1999, 11. 168 Maggiani 1999, 190. 169 Bartoloni, Benedettini 2011, 779-790. 170 Eid. 2011, 727-728, tav. LXXXIX, montrent des parties de revêtements architectoniques en terre cuite, même si aucune structure appartenant à un temple n’a encore été retrouvée sur le terrain. 171 Cristofani 2000, 409 sq. ; L’abitato etrusco di Veio 2009, 115 sq., figg. 41 e 42, 4-8. 165

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question possible de retracer l’histoire du site qui, de la fin de l’époque archaïque jusqu’au milieu du IIe siècle av. J.-C., connaît une continuité d’occupation où la documentation ne fait défaut que pour l’ensemble du IVe siècle av. J.-C., ce qui coïncide avec la prise de Véies par Rome (396 av. J.-C.), l’abandon temporaire du lieu de culte et sa réutilisation par les nouveaux colons romains à partir de la fin du siècle. Il est évident que cette longue histoire, retraçable à partir des matériels, en fait un cas d’étude exemplaire pour définir un modèle interprétatif du culte du sanctuaire et pour identifier la ou les divinités tutélaires, dont la nature semble faire évoluer certaines caractéristiques cultuelles au fil des siècles. De fait, en l’absence de données épigraphiques, les ex-voto mis au jour semblent révéler la présence, à l’origine, d’une divinité en laquelle coexistent des aspects matronaux – qui, plus tard, prendront une valeur courotrophe (enfants emmaillotés) à des fins de protection de la naissance et de la croissance – et des aspects plus spécifiquement guerriers. On perçoit aussitôt le rapport avec la Iuno Regina des sources littéraires172, ce que corroborent la situation topographique du dépôt et les fouilles archéologiques récentes. Cependant, comme nous l’avons déjà noté par ailleurs, le culte de Menerva présente des caractéristiques analogues : à Véies, celui-ci jouit d’une faveur particulière à partir du milieu du Ve siècle av. J.-C., surtout en ce qui concerne ses rapports avec la salus, non dénués d’aspects matronaux et courotrophes (exvoto figurant des femmes assises sur un trône, parfois avec des enfants sur les genoux) et en lien aussi avec Apollon. De façon analogue à ce qui se passe dans d’autres dépôts votifs étrusco-italiques, celui de Comunità présente, à partir de la fin du IVe siècle av. J.-C., un changement important dans le régime des offrandes, marqué par une augmentation du nombre de statues de dévots (complètes ou partielles) et d’ex-voto anatomiques en lien avec la salus, mais qui, selon Bartoloni et Benedettini, accentue aussi « il carattere medico con valenza ‘didattica’ e magico-religiosa del dono »173. En ce sens, la composante strictement anatomique liée à la sanatio serait moins évidente en raison de la grande quantité des ex-voto. Du IVe au IIe siècles av. J.-C., la présence d’ex-voto identifiables à l’Apollon lyricine, à Hercule et à Vediovis-Iuppiter Libertas (parèdre de Iuno Regina)174 témoigne de l’évolution du sanctuaire, qui présente désormais un culte plus com-

172

Liv. V, 21, 1-4, 10 ; Plut. Camillus, V, 4-6. La tradition littéraire met en lien avec les statuettes assises sur un trône et posant les mains sur les genoux la Uni-Junon assimilée à Eileithyia-Lucina, protectrice des parturientes ; cf. supra note 44. 173 Bartoloni, Benedettini 2011, 785. 174 Voir le sanctuaire où le dieu était honoré à Rome, sur l’Aventin, au IIIe siècle av. J.-C. ; Colonna 2004, 214.

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli plexe, où la forte connotation féminine semble perdre de ses anciens traits maternels et matronaux, ainsi que ceux liés à la sphère de l’enfance, au profit d’une plus grande attention à la phase de passage entre l’adolescence et l’âge adulte, comme le montrent bien les jeunes garçons en toga uirilis. La divinité féminine de la fin de l’époque archaïque gagne en diversité et complexité ; ce faisant, sa connotation courotrophe cède le pas à un caractère davantage « civil », en lien avec la protection de la res publica et des jeunes qui l’intègrent. En ce sens, la figure d’Hercule, également liée au voyage et au passage, est bien adaptée à ce sanctuaire situé à proximité d’une porte de la ville, près de laquelle on perçoit d’évidents signes de rites de passage – ce dernier compris comme un changement de statut175. À Comunità, donc, le culte d’époque hellénistique présente une polysémie qui inclut un caractère guérisseur manifeste en lien avec des pratiques initiatiques et purificatoires, caractéristiques non seulement de Junon et de Menerva (préposée aux rites de passage menant du statut de puer à celui de uir), mais aussi d’une divinité éminemment autochtone, Vei-Cérès, omniprésente à Véies176. Celles-ci sont accompagnées d’autres divinités masculines au sein d’un panthéon complexe et multiforme, bien différent du « cosmos » ordonné et défini dans lequel l’esprit classificateur de nos études voudrait les insérer. M.C. Production et société Un autre aspect intéressant, au moins en ce qui concerne la production des objets votifs en terre cuite, est celui des ateliers de production. Il est probable que dans le cas de bien des sanctuaires, les fidèles pouvaient acquérir les objets votifs directement sur place : les matrices étaient en effet réutilisées de nombreuses fois et dans certains cas, on peut supposer une production à grande échelle, avec une répartition systématique du travail177. Dans le site de Comunità à Véies, l’identification de puits, de citernes et de fours est liée à la présence de quartiers d’artisans et d’ateliers actifs, à partir de la fin du VIIe siècle av. J.-C., dans la production de vaisselle en céramique fine : une zone à vocation « productive », dont on ne peut exclure que l’activité ait été placée sous le contrôle politique et religieux du sanctuaire. En fait, sur la base aussi d’autres centres cultuels, il est légitime de supposer qu’il existait, dans le voisinage du sanctuaire, de véritables ateliers dans lesquels ont été

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Pour les implications politico-religieuses des portes urbaines, cf. F. Marcattili dans ThesCRA IV, s.v. Porta, 296-299. 176 Les deux divinités sont respectivement liées aux cultes du Portonaccio et de Campetti ; Bartoloni, Benedettini 2011, 788. 177 Sur ce point, cf. Gatti, Onorati 1999, 17-18.

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Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question conçus différents types d’objets votifs, sans doute directement sur commande d’une clientèle assez variée. En réalité, la «  dévotion populaire  » qui s’exprime dans les dépôts votifs étrusco-italiques requiert une classification plus prudente : l’offrande votive ne peut être simplement considérée comme un indicateur de status ou de classe censitaire, mais apparaît comme un phénomène transversal dans le paysage dévotionnel et s’avère être l’apanage d’une grande partie de la société. Il existe des ex-voto d’une facture d’assez haut niveau (des statues, par exemple) et, plus nombreux, des exemplaires de piètre qualité et partant de moindre valeur économique. Il devait dès lors y avoir des circuits de production qui répondaient aux diverses exigences d’une clientèle qui comprenait à la fois des personnes de haut rang, qui offraient des icônes précieuses à leur effigie, et des représentants de la « classe » des humiliores ou des esclaves qui, pour le même geste votif, recouraient à des produits en série de qualité médiocre178. Une fois encore, l’exemple de Comunità est intéressant. Dans ce sanctuaire que fréquente surtout, à l’époque hellénistique, une population masculine importante et hiérarchisée, bien qu’à caractère majoritairement populaire, la pratique rituelle prévoit le port du voile, de la toge et de chaussures : tandis que les dévots des couches inférieures portent les soleae, les représentants des classes supérieures témoignent de leur rang par divers types de calcei et de bijoux. De la même façon, toujours pour l’époque hellénistique, un autre cas exemplaire est celui du territoire de Cortone, réorganisé via une constellation de lieux de culte, de nature et de fonction diverses, auxquels s’adresse la dévotion de la classe aristocratique autant que de la classe populaire. Si des ex-voto en bronze de très bonne facture peuvent être directement associés aux nobles gentes locales – des Metelli de « l’Arringatore » aux Cusu de Montecchio Vesponi179 – ou du moins refléter, dans le sujet représenté, le status éminent des dédicants (comme dans le cas des deux garçons de Montecchio Vesponi et de Sanguineto), c’est d’une couche sociale bien plus modeste que devaient être issus les fidèles qui offrirent les statuettes en terre cuite de nouveau-nés em-

178

Bartoloni, Benedettini 2011, 784-786. La récente reconstitution du dépôt votif de Montecchio Vesponi propose une hypothèse d’accumulation de dons votifs qui, bien que se rapportant à un sanctuaire dédié à Thulftha, furent réalisés dans des circonstances et en des périodes diverses. Outre les objets en bronze représentant un garçon avec une oie, un dévot avec une colombe et une palette, le dépôt a livré aussi un thymiaterion de bronze de la première moitié du IIIe siècle av. J.-C. et dédié par A(rnt) Vels(i) Cus(u), noble membre de la gens des Cusu de Cortone, également attestée dans la célèbre Tabula Cortonensis : CIE 445 ; ETCo 3.5 ; TLE 654. À l’instar des autres objets du dépôt, le brûle-parfum fait aussi partie des collections du Rijksmuseum van Oudheden de Leyde (inv. CO4, haut. 53 cm). 179

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Marco Cavalieri et Debora Barbagli maillotés retrouvées dans les sanctuaires de Peciano et de San Martino alla Rota : ce type d’ex-voto est caractéristique d’une religiosité populaire et à certains égards utilitariste. M.C. La romanisation des cultes et son contexte topographique Il nous faut enfin traiter des formes de religiosité liées aux cultes guérisseurs dans la sphère étrusque du IVe siècle av. J.-C. à la romanisation. Ainsi que nous l’avons déjà mentionné, ces cultes semblent correspondre à une forte demande de dévotion émanant d’un public varié, bien que majoritairement issu d’une classe moyenne et souvent rurale, qui s’adresse aux divinités pour garantir la préservation physique nécessaire à la vie même ; en bien des endroits, ces cultes guérisseurs prolongent la tradition de lieux de dévotion plus anciens, dont ils altèrent partiellement le caractère, ainsi dans le cas des sanctuaires de passage dans lesquels le lien avec la salus devient prédominant, ou dont ils modifient les aspects dévotionnels, comme pour de nombreux cultes liés de façon générale aux eaux180. Cette « transformation » ne se manifeste cependant pas toujours de façon aussi évidente dans les connotations du culte181 que dans les pratiques rituelles : le hiatus matérialisé, dans le dépôt de Comunità, par l’absence de documentation pour l’ensemble du IVe siècle av. J.-C. a vu en effet la conquête de la cité par les Romains et la déportation consécutive des statues de culte à Rome182. À la reprise des activités à la fin du siècle, les ex-voto suggèrent que les fidèles –colons ou Étrusques romanisés – adoptent des formules d’autoreprésentation velato capite, bien que l’usage de l’aperto capite ne disparaisse pas183. De façon générale, la recomposition de la topographie des centres de cultes extra-urbains dans le monde étrusque est une tâche complexe, puisqu’elle impliquerait au préalable une reconstitution suffisamment détaillée – dans le temps et dans l’espace – des paysages et du territoire pour chaque grand centre

180

Sur ce point : Giontella 2006 ; Chellini 2002 ; cfr. aussi Gasperini 1988, 27 sq. Que l’on pense au sanctuaire suburbain de Castelsecco, à trois km d’Arezzo, d’où proviennent entre autres des ex-voto d’enfants emmaillotés et des poids de métiers à tisser, éléments qui évoquent le culte d’une divinité féminine, protectrice des naissances et de la vie domestique, peut-être Uni sur la base de l’inscription tinś lut (TLE2 657) qui renvoie au culte de Tin; il est intéressant de noter que le sanctuaire date du milieu du IIe siècle av. J.-C. ; Camporeale 2009, 76-77. 182 Liv. V, 22, 8. 183 Bartoloni, Benedettini 2011, 789-790. 181

80

Divinités et cultes guérisseurs en Étrurie: un état de la question urbain, et devrait tenir compte du rapport entre les poleis limitrophes, les voies de communication, les frontières et la topographie antique. À cet égard, l’analyse la plus aboutie fournie par l’archéologie est sans doute celle du territoire de Cortone, où l’étude des sanctuaires extra-urbains mise au point dernièrement par Fiorini semble indiquer que des centres cultuels tels que celui de Sanguineto, qui présente une connotation gentilice plus marquée, assument en même temps des fonctions d’intégration et de défense, de par leur situation sur la ligne de démarcation entre les territoires de Cortone et de Pérouse : il s’agit donc en fait de sanctuaires « de frontière ». D’autres lieux de culte, en revanche, paraissent répondre à une logique territoriale intérieure et se distinguent – c’est évident dans le cas de Peciano et de San Martino alla Rota – par leur situation, leurs caractéristiques cultuelles (liées à la protection de la descendance) et l’extraction modeste de leurs dévots184. Bien entendu, ces caractéristiques ne peuvent être appliquées de façon mécanique au cadre général des cultes guérisseurs en Étrurie, mais elles peuvent fournir des formules qu’il convient de vérifier cas par cas. M.C. Bibliographie Acconcia 2005 : V. Acconcia, Considerazioni sulla stipe del Pozzarello a Bolsena (VT), dans A. Comella, S. Mele (éds.), Depositi votivi e culti dell’Italia antica dall’età arcaica a quella tardo-repubblicana, Actes du colloque de Pérouse, 1-4 juin 2000, Bari 2005, pp. 277-284. Baggieri, Margariti, Di Giacomo 1999 : G. Baggieri, P. A. Margariti, M. Di Giacomo, Fertilità, virilità, maternità, dans G. Baggieri (éd.), L’antica anatomia nell’arte dei donaria, Rome 1999, pp. 22-27. Barbagli, Paolucci 2011 : D. Barbagli, G. Paolucci, Divinità salutari e depositi votivi, dans S. Rafanelli, P. Spaziani (éds.), Etruschi. Il privilegio della bellezza, Sansepolcro 2011, pp. 104-116. Bartoloni 2005 : G. Bartoloni, Il deposito votivo rinvenuto a Veio negli scavi del 1889, dans A. Comella, S. Mele (éds.), Depositi votivi e culti dell’Italia antica dall’età arcaica a quella tardo-repubblicana, Actes du colloque de Pérouse, 1-4 juin 2000, Bari 2005, pp. 171-178. Bartoloni, Benedettini 2011 : G. Bartoloni, M. G. Benedettini, Veio. Il deposito votivo di Comunità (Scavi 1889-2005), Rome 2011. Bayet 1926 : J. Bayet, Herclé. Etude critique sur les principaux monuments relatifs à l’Hercule étrusque, Paris 1926. Bellelli 2006 : V. Bellelli, Un bronzetto etrusco, Cerveteri, e le ‘acque di Ercole’, dans Mediterranea. Quaderni annuali dell’Istituto di studi sulle Civiltà italiche e del Mediterraneo antico III, 2006, pp. 173-228.

184

Fiorini 2005, 297.

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FAVEURS ET PROTECTIONS DIVINES EN TABAL À L’ÂGE DU FER. Matthieu Demanuelli, doctorant de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, section 5 (Sciences religieuses).

Le terme « guérison » désigne la suppression d’un mal physique ou le fait de recouvrer la santé. Ce mot peut être pris au sens large, sous l’angle des faveurs et de la protection divine, en lien avec les notions de santé, de longue vie, de vitalité physique, mais aussi de « bonne mort ». De même, les maux qui peuvent affecter l’être humain ou le personnage royal sont parfois d’origine infectieuse (la maladie) mais il peut s’agir aussi plus largement de la faim, de la soif, des blessures (lors des chasses ou des guerres), des catastrophes naturelles (famines, sécheresses…). Dans le monde hittite, le ou les dieu(x) maîtrise(nt) les maux, la vie, la mort : la divinité apporte le mal, mais a aussi le pouvoir de le faire disparaître ; elle insuffle l’âme dans le corps de l’être humain à sa naissance et la lui reprend à sa mort. Mais si les dieux décident du sort des hommes, les hommes peuvent aussi influencer les dieux et le but des rites est bien d’apaiser la potentielle colère divine1. D’après les textes cunéiforme hittites du 2ème millénaire, les éléments déclencheurs d’abord des épidémies, mais aussi des guerres, des catastrophes naturelles ou des maladies qui touchent le Grand Roi et / ou ses sujets sont principalement de deux types : d’une part les négligences, les offenses faites à tel ou tel dieu (pietas inconstante ou hypocrite, oubli d’offrandes ou de rituels, en bref tout manquement aux obligations rituelles), d’autre part les actes politiques mauvais, à commencer par la faiblesse de légitimité (usurpations et coups d’état)2. Au premier millénaire, ces traditions restent très vivantes, tout particulièrement en Tabal, mais des ruptures apparaissent. Comme on va l’observer, les

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Haas 1994, 36. Voir aussi Singer 1996 ; Lebrun 1980 ; Gurney 1977. Haas 1994, 37. On peut citer les exemples de Mursili II ou de Hattusili III, qui voient la cause des épidémies et des malheurs qui frappent le pays de Hatti dans les fautes de leur ancêtre respectif.

2

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Matthieu Demanuelli faveurs divines sont obtenues certes en récompense de la pietas optimale des personnages, mais aussi de leurs actes terrestres, socio-politiques, administratifs, voire économiques et judiciaires : si l’homme désire obtenir des faveurs et des protections particulières, à lui désormais de faire sa part, d’appliquer sa justice et de mener une vie saine et parfaite, et au roi de gérer au mieux les ressources de son territoire, de maintenir la concorde, l’oenomia, et de se préoccuper régulièrement du bien-être de ses sujets, aspect qui prend de plus en plus d’importance tout au long de l’âge du fer proche-oriental et méditerranéen3. Le Tabal à l’âge du fer, entre le royaume de Hartapu, (XIIème siècle avant J.C.) la chute de Hattusha suivie de la continuité probable du royaume du Tarhuntassa autour des XIIème et XIème siècles et la fin du VIIème siècle, lorsque Mèdes et Lydiens prennent le contrôle des derniers Etats cappadociens indépendants, est un vaste espace divisé en structures politiques diverses et complexes, qui se transforment, s’agrandissent ou disparaissent au fur et à mesure des évolutions géopolitiques, et ce face aux pressions diverses assyriennes surtout, mais aussi urartéennes puis cimmériennes4 : grand royaume du Tarhuntassa ; confédération dirigée par la dynastie de Tuwati ; royaumes durables qui s’étendent comme celui d’Atuna ou encore celui de Tuwana au sud ; cités-Etats plutôt florissantes comme celles de Hubisna ou de Sinhutu. Il est donc assez logique au sein de cet espace complexe que le Ier millénaire tabalien soit une période de bouillonnement et de créativité intense en terme d’idéologies, de pensée et de pratiques politico-religieuses5. Du milieu du XIIIème siècle au milieu du VIIème siècle avant J.C., l’espace tabalien est délimité par plus de 50 stèles, inscriptions et reliefs rupestres en écriture hiéroglyphique louvite, entre le royaume du Melid et l’Urartu à l’est, la sphère d’influence phrygienne à l’ouest, les royaumes de Que et du Hilakku au sud, ce avec des occupations étrangères plus ou moins partielles et temporaires. L’espace correspond approximativement à trois régions de l’empire hittite, espaces des premières expansions hittites depuis le nord et sa capitale, Hattusha, marqués par les présences anciennes louvites mais aussi hourrite : le Bas-Pays, le nord du Kizzuwatna et la zone nord-ouest du Tarhuntassa6.

3

Masetti-Rouault 2004 ou Raalflaub 2000. Sur les évolutions historiques et géopolitiques du Tabal, voir Hawkins CHLI, 425 à 433. Aussi Freu in Casabonne et Lebrun 2005, 399 à 418 ; Bryce in Melchert 2003, 27 à 127 ; Aro 1998 ; Jasink 1995 ; Prayon et Wittke 1994. 5 Sur ces aspects, voir les études récentes de Bonatz 2007, 9 à 15 ; Woudhuizen in Hutter et Hutter-Braunsar 2006, 241 à 249 ; Lebrun 2005, 419 à 426 ; Hutter in Melchert 2003, 211 à 280. 6 On peut déjà remarquer que la région du Kizzuwatna est au IIème millénaire l’espace par excellence des rites magiques, des rituels de guérison ou de purification, des oracles consultés 4

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer

Fig. 1 : monuments et inscriptions du Tabal à l’âge du fer (Coindoz 1991, repris par Mora et Balatti, 2010, p. 532, Fig. 1).

Trois éléments, en lien étroit entre eux, peuvent nous permettre d’esquisser les structures fondamentales de la pensée religieuse, de l’anthropologie et de l’idéologie royale louvite tabalienne, trois éléments bien attestés depuis les inscriptions de KIZILDAĞ-KARADAĞ (XIIème siècle), groupe que nous incorporons à notre étude en raison des liens très forts qu’il entretient avec des sources bien plus tardives et donc des ruptures mais aussi des continuités qu’il suppose, jusqu’aux dernières inscriptions du royaume de Tuwana (fin du VIIIème – début du VIIème siècle) : le thème de la faveur et de la protection divine, les cultes rendus aux montagnes et le caractère sacré du rocher, la pratique du sanctuaire rupestre. Ainsi, et en s’appuyant sur un corpus de sources variées (stèles votives ou funéraires, inscriptions, reliefs et sanctuaires rupestres, Fig. 1), tout en intégrant les apports de l’anthroponymie7 et des formules d’imprécation, l’on se

en cas de maladie, par le roi Mursili II ou la reine Puduhepa notamment. De même, de nombreux rituels magiques et guérisseurs du Kizzuwatna, datant de la période impériale hittite, comportent des chants et des incantations à réciter spécifiquement en langue louvite. 7 Les théophores sont à interpréter certes comme la volonté de donner un éclat, une force particulières à un personnage, destinés à impressionner autrui, mais ils possèdent aussi une

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Matthieu Demanuelli propose ici d’esquisser, à travers le thème de la faveur, de la protection, voire de la guérison divine, à la fois une analyse des liens entre l’être humain, rois, gouverneurs, fonctionnaires ou scribes, et les grandes divinités louvites tabaliennes que sont d’abord Tarhunza, Sarruma et Runtiya, mais aussi une étude des sphères de protection particulières, propres à chacune de ces divinités. Ces structures politico-religieuses seront examinées sous un double prisme : celui des héritages et des continuités très fortes avec les traditions hittites et hourrites d’une part, celui des spécificités louvites tabaliennes de l’âge du fer et de certaines transformations des mentalités d’autre part, perceptibles sur le long terme à travers l’évolution des idéologies politiques et de certaines figures divines8. 1. Les concepts de base de l’anthropologie et de la pensée religieuse louvites en Tabal. Deux groupes d’inscriptions tabaliennes nous donnent une bonne vision des concepts de base de la pensée religieuse et des liens fondamentaux homme / dieu en Tabal à l’âge du fer : les inscriptions de Kululu (KULULU 2, 3, 4 et 5 surtout ; milieu du VIIIème siècle av. J.C.) et la stèle de ÇIFTLIK (fin du IXème)9. A l’exception de KULULU 5, les inscriptions de Kululu sont des stèles funéraires. Avec les apports d’autres inscriptions tabaliennes, elles nous révèlent les éléments suivants : 1° Les dieux placent l’âme, insufflent la vie dans le corps de l’être humain et la lui reprennent à sa mort, aspect conforme aux traditions hittites10. Ainsi

valeur prophylactique, donc un sens de protection, de guérison en cas de maladie, comme pour placer le personnage sous la protection particulière du ou des dieux qui compose (-nt) son nom. 8 L’ordre d‘apparition des divinités étudiées ici dépend de leur attestation respective, plus ou moins importante, en l’état actuel du corpus tabalien et de leur popularité, perceptible aussi dans l’onomastique. Outre l’ensemble du panthéon (« tous les dieux », épithète « aimé des dieux »...), feront ainsi partie de l’étude d’abord Tarhunt et ses différentes épithètes, puis Sarruma et enfin le dieu LAMMA Runtiya. Nous évoquerons également le rôle joué par la montagne et la vigne dans la protection et la bonne santé de l’individu, et de manière plus rapide d’autres figures divines avec leur sphère de protection, comme le dieu Lune de Harran, Santa et son cercle, Kubaba et son cercle, Nikaruha. 9 Hawkins, CHLI : KULULU 2, 488 ; KULULU 3, 490-491 ; KULULU 4, 445-446 ; KULULU 5, 485-486 ; CIFTLIK, 449. Sur les inscriptions de Kululu, voir aussi Hawkins 1980, 213 à 225. Sur ÇIFTLIK, Lebrun 2005, 422 et 423. 10 Hutter 2003, 274-275. L’auteur souligne aussi p. 261 l’importance du dieu Soleil dans l’acte d’insuffler la vie, l’âme originelle, dans le corps inanimé du nourrisson, citant une prière hittite au dieu Soleil, datant du XIVème siècle (KUB 31.127+iv 24f )  : «  alors que j’étais

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer que nous l’avons observé plus haut, si l’homme commet un acte mauvais, s’il néglige un culte, alors les dieux risquent d’être « TARPA- contre lui », l’attaqueront, lui retireront son âme, tout ou en partie, et donc le feront mourir11. Mais lors d’une mort naturelle, à la fin d’une vie longue et heureuse, les dieux reprennent l’âme de la personne, visiblement avec un certain enthousiasme : KULULU 4, 1 § 4 : « Les dieux ont aimé mon temps et ils ont insufflé en moi une âme aimée [d’eux-mêmes] », et plus loin 3. § 9 : « [à ma mort] les dieux reçurent l’âme bien-aimée qu’ils avaient insufflée en moi [à la naissance] comme un WALIYAWA(N)TI- »12. 2° Faveurs et protections divines ne viennent que si la personne a rempli certaines conditions pendant sa vie terrestre, conditions bien attestées dans de

d’abord né des entrailles de ma mère, toi, ô mon dieu, tu as insufflé en moi cette âme ». Le dieu Soleil louvite, Tiwat, moins présent à ce jour dans les sources tabaliennes, apparaît malgré tout sur l’inscription de KULULU 5, associé au dieu-lune. Le dieu est aussi présent dans le titre « Sun-blessed man » (louv. tiwatami), à traduire par « dévoué au dieu Soleil » plus que « béni du dieu Soleil » (Hutter in Melchert, 227, qui note cette «étroite connexion entre le dieu-Soleil louvite et l’humanité  »  ; d’autres auteurs comme Payne ou Watkins proposent « rejeton/descendant du dieu Soleil »), porté par des « princes » ou des tarwani sur plusieurs inscriptions de Kululu et par d’autres personnages à HISARÇIK 1 et 2. Le théonyme apparaît enfin dans la racine de l’unité de mesure agricole, le tiwatalis, que Giusfredi 2010, 180-18, traduit – prudemment - par « ce qui peut être récolté, transporté ou échangé en un seul jour », mais ne pourrait-on pas l’interpréter comme « ce que donne / ce que fait croître, pousser, le dieu Soleil [sous-entendu «  le minimum de base]  » ? Concernant la notion d’âme (hitt. istanza(n)), qui semble être aussi une chose bien réelle à l’âge du bronze hittite, comme une partie du corps comme les autres, voir les études récentes de Kapelus 2010, 267, et sur la possible permanence de cette notion au Ier millénaire dans la stèle funéraire de Kuttamuwa, Sam’al, 269, et surtout les travaux de Masson 2010, pour qui l’âme du roi défunt habiterait la stèle elle-même. Sur le dieu Soleil et la divinité louvite « dieu Soleil du Hilamar », exemple de divinité « pan-louvite » illustrant l’importance des divinités solaires chez les Louvites, voir les études récentes de Mouton et Rutherford, idem, 277 et suiv . 11 Cette idée apparaît bien sur l’inscription de SULTANHAN (stèle, section 5.)  : «  Quiconque sera d’une grande piété et MASTITAYA-, et quiconque craindra ce dieu, lui aussi obtiendra ses grâces ici. Mais quiconque osera l’offenser, ou le négligera, que les dieux soient TARPA- contre lui avec malveillance ». De même, une action malveillante dirigée contre le vignoble aménagé par l’auteur de cette inscription entraînera la soif et l’absence de satiété (stèle, face E.) : « Quiconque viendra à l’avenir avec malveillance dans ce vignoble / que Tarhunza ne le laisse en aucun cas boire ici ». Sur le hapax legomenon TARPA-, que l’on retrouve aussi sur les inscriptions de KULULU 5 et de KAYSERI, cf Hawkins, CHLI, 487. Ce terme semble s’appliquer à toute personne ayant commis un acte mauvais, un sacrilège contre des temples, des stèles ou des bâtiments protégés. 12 Hawkins, CHLI, 447, qui propose « full of exaltation ».

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Matthieu Demanuelli très nombreuses inscriptions tabaliennes. Il faut d’abord avoir été d’une pietas optimale d’une part, un trait et un geste bien attestés dans l’ensemble des cultures reposant sur des fondements politico-religieux et bien représentés pour le Proche Orient ancien : BOHÇA, §§ 2-3 : « ici je suis dévoué envers Tarhunt, et il m’a accordé de prendre le pouvoir sur les territoires »13 SULTANHAN, stèle, section 2. : « Lorsque je l’installai ici [une statue du Tarhunt du Vignoble, avec sacrifices] / il vint avec toutes ses faveurs » puis plus loin, 5. (voir note 8 ci-dessous) : « Quiconque sera d’une grande piété et MASTITAYA- / et quiconque craindra ce dieu / lui-aussi obtiendra ses grâces ici ».14 BOR, §§ 3-6 : « J’ai moi-même planté ce vignoble / et ce Tarhunt des Vignes j’ai érigé / Pour moi, il marchera à mes côtés. » BULGARMADEN, §§ 10-12 : « Quiconque deviendra gouverneur de la divine montagne Muti, / devra offrir aux dieux de Tarhunaza un mouton-kurupi chaque année / et alors pour lui, puissent les dieux Mutiens [tous les dieux peuplant la divine montagne Muti] lui être favorables »15.   D’autre part, l’homme doit avoir accompli de son vivant des actes justes (louv. tarwana-, « justice »), bons et sages (louv. atanasama-, « sagesse »)16. Cette notion de justice est, sinon plus nouvelle (voir justement la célèbre « justice hittite » décrite par Alfonso Archi), en tous cas plus fréquente et visible dans les sources de l’âge du fer, et appartient d’abord à l’être humain et moins aux dieux, comme c’était davantage le cas au IIème millénaire17 :

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Hawkins, CHLI, 479. Sur la stèle de BOHÇA, voir aussi Jasink 1995, 145-146 ; Mopurgo Davis et Hawkins 1979, 387 à 407. L’expression (BONUS) wa/i-su-wa/i-i, de wasu-, “être bon”, est, il me semble, à comprendre ici avec un sens religieux, “j’étais dévoué”. L’expression se retrouve dans un tout autre contexte, dans lequel un vassal parle de son seigneur (Bulgarmaden, § 2). 14 Hawkins, CHLI, 466-467. Voir aussi Giusfredi 2010, 247-251. Pour les premières traductions, cf. Meriggi 1934, 241 à 246. 15 Hawkins, CHLI, 522-523. Voir aussi Jasink 1995, 141 ; Lebrun 2005, 421 ; Bergès et Nollé 2000, 99-100, 474-475. 16 Ibid. note 8. 17 Haas 1994, 37, concernant le rôle divin de surveillance de l’ordre social, du droit et de la justice chez les Hittites.

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer KULULU 4, 3 §§ 10-12 « J’ai servi mes seigneurs de la meilleure manière / et j’étais comme un père pour chaque homme / et pour chaque homme, j’ai accompli le bien ». AKSARAY, § 5 « du fait de ma TARWANA- [ma justice], j’étais cher à Tarhunt et à tous les autres dieux ici ».18 KULULU 3, § 2 « Je suis resté vigoureux [fort, en bonne santé ? + toute ma vie durant] grâce à ma justice »19. 3° Lorsque l’être humain meurt, et s’il a accompli le bien de son vivant, il est admis auprès des dieux, pour souvent festoyer et banqueter avec eux20. Ainsi, l’auteur de l’inscription KULULU 1, Ruwa, utilise pour désigner le jour de sa mort l’euphémisme « lorsque moi-même, je devrai me rendre en présence des dieux » (§ 15)21, proche de l’expression utilisée par le scribe Ilalis « [lorsque] je m’en suis allé » (KULULU 3, § 6). Enfin, le « prince » Panuni dit sur l’inscription KULULU 2 « grâce à Santa, je mourus sur mon lit en mangeant et en buvant » (§ 3) : outre le rôle important du dieu Santa22 (voir plus loin), qui semble avoir accordé à Panuni une « bonne mort », on peut aussi d’une certaine manière comprendre cette affirmation comme une sorte de prémisse de la vie du défunt dans l’au-delà : l’auteur termine sa vie...de la même manière qu’il la continuera dans l’au-delà. 4° Enfin, l’inscription de ÇIFTLIK, dans laquelle un gouverneur adresse des louanges au « grand roi » Tuwati et demande d’abord aux dieux dont les temples viennent d’être construits, puis à l’ensemble des dieux du panthéon d’accorder des faveurs (« puissent tous les dieux lui accorder tout cela » § 18), permet de lister les bienfaits divins attendus par l’homme, ici par un roi, qui aurait accompli les bons actes cités en 3° : d’une part la force (louv. muwa- / ici muwita-), la vitalité physique et militaire, qui peut dans un contexte royal aller avec la victoire à la guerre et la conquête de nouveaux territoires, et d’autre

Hawkins, CHLI, 476. Voir aussi Giusfredi 2010, 243 à 245 ; Hawkins 1979, 164 et Poetto 1982, 275 à 285.

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Hawkins idem, 490, mais qui reste sceptique sur la traduction de cette phrase. Sur cette notion, conforme elle aussi aux traditions hittites de l’âge du bronze, Bonatz 2000, 190 et suiv. Voir aussi Hutter 2003, 276, pour ces stèles de Kululu et les stèles de Marash, figurant des « banquets sacrés ». 21 Hawkins, CHLI, 444. 22 Lebrun 2005, 424. 20

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Matthieu Demanuelli part une longue et heureuse vie, en bonne santé, évitant les blessures et les maladies, une vie faite de satiété et d’abondance : ÇIFTLIK, § 12 « que Tarhunt lui donne la puissance... », puis plus loin §§ 15-17  : «  que pour Tuwati, tous ces dieux soient favorables / qu’ils lui donnent à manger et à boire [à satiété], qu’ils lui donnent les têtes de ses ennemis / et qu’ils lui garantissent de longs jours »23. On retrouve ces notions de longue vie et de bonne santé dans la formule de salutation de la lettre sur plomb de Kirsehir (l. 1 à 3) : « Parlant à Tuwati, mon seigneur, votre serviteur Muwatali a dit : puisse mon seigneur Tuwati avoir une longue vie et être en parfaite santé »24. Dans nombre d’inscriptions de fonctionnaires, abondance et satiété devraient venir de même pour tous successeurs se montrant particulièrement dévots, vigilants ou bienveillants pour les stèles ou monuments concernés, comme sur l’inscription KULULU 5, ce après une longue formule d’imprécation, §§ 13-15 : « Mais quiconque veillera sur ces temples avec bienveillance / que ces dieux lui soient favorables ! / Qu’ils lui donnent à manger à sa faim ! ». Ces topoi et expressions, qui comportent implicitement une peur de la faiblesse du corps, du manque, de la famine et de la maladie, rappellent tout à fait des extraits de rituels de l’âge du bronze hittite25, démontrant ainsi des schémas de pensée pérennes, comme le rituel de guérison de Kuwattalla : lorsque Kuwattalla a guéri le mal, le patient est réconcilié avec « la vie, la virilité, de longs jours, avec le futur, avec la faveur des dieux, avec la vitalité »26. Dans un autre texte, la famille espère que le patient aura « des petits-enfants, des arrières-petits-enfants, de longues années, un bel avenir, santé, faveur des dieux et vitalité »27. D’autres extraits de textes de l’âge du fer permettent de compléter cet aperçu des notions de vie, de mort et de relations sinon hommes / dieux en tous cas roi / dieu, comme l’inscription de Bor28  : en récompense

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Hutter 2003, 264, qui cite l’inscription de ÇIFTLIK à propos des espoirs attendus dans le futur, à commencer par la « longue vie ». Il compare cette inscription à d’autres inscriptions « néo-hittites » comme celles de KARATEPE 1 (royaume de Que) et de SHEIZAR (royaume du Hamath). 24 Akdogan et Hawkins 2010, ou Giusfredi 2010, 237. 25 Ibid., note 14, p. 263; Kammenhuber 1985, 99. Voir également Haas 1988, 1994 et surtout 2003. 26 KUB 35.43 ii 8-10. 27 KBo 9.143 iii 13-15. 28 Sur la stèle de Bor, voir Hawkins, CHLI, 520. Concernant les interprétations et analyses récentes, cf Bergès et Nollé 2000, 99 ; Giusfredi 2010, 245 à 247 ; Mora et Balatti

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer de la pietas du souverain (« ce Tarhunt des Vignes, j’ai érigé » § 4) mais aussi, en lien avec cette dévotion, de sa geste agraire (« j’ai moi-même planté ce vignoble » § 3), Warpalawa reçoit du Tarhunt des Vignes d’abord des faveurs particulières (« pour moi, il viendra favorablement » § 5), puis abondance et satiété, avec le très haut rendement de son vignoble (« et ici, les années où il me sera favorable, il y aura pour moi 100 tiwatalis de X [huile ?] et 100 tiwatalis de vin sucré » § 7), ensuite les victoires militaires (« l’année où je suis devenu roi, cette année là, Tarhunza jeta mes ennemis à mes pieds » § 9), et espère enfin longue vie et bonne santé (« puisse Tarhunt m’accorder de longs jours, puisse-t-il le faire » § 11). Avant d’étudier la sphère de protection du chef du panthéon louvite tabalien, Tarhunt / Tarhunza-, notons les occurrences de l’ensemble des dieux comme protecteurs d’un individu, via certaines expressions rappelant les formules annalistiques de l’âge du bronze d’une part, et le participe azami(« aimé de... », « protégé par... ») d’autre part, souvent intégré dans les titulatures royales. Ces éléments apparaissent dès la fin de l’empire hittite et tout au long de l’âge du fer, des inscriptions du « grand roi Hartapu » (XIIème siècle) aux monuments de la dynastie de Tuwana (fin VIIIème-début VIIème siècle) et, du point de vue de la propagande royale, ils « soulignent implicitement que le roi tire sa légitimité d’une élection divine »29, non seulement à la faveur du dieu de l’orage (voir plus loin) mais aussi plus largement à celle de l’ensemble du panthéon : par exemple à KIZILDAĞ 4, § 3-4 (« par la bonté du dieu de l’orage du ciel et de tous les autres dieux, celui qui a conquis tous les pays [...] »), à KARADAĞ 1, § 3 (« le dieu de l’orage et les dieux marchaient devant moi [dans la bataille] »)30 ou sur la stèle de NIĞDE 2, § 2 (« le héros, le roi, aimé de Tarhunt et des dieux [...] »). D’autres inscriptions illustrent l’implication de l’ensemble d’un panthéon, cité de manière générale, dans la protection et les faveurs toutes spéciales accordées à tel ou tel individu , comme celle de KULULU 4 (biographie et sorte de cursus honorum du tarwani Ruwa, « les dieux ont aimé mon temps » § 3),

2012, 529. 29 Gérard 2004, 307. Cet aspect est à nouveau conforme aux traditions hittites de l’âge du bronze. Le roi Suppiluliuma I fut en effet le premier à utiliser cet épithète « aimé (des dieux) » (sum. NARAM DU), dans le but de renforcer une légitimité douteuse, comme la rappelle Gonnet 1984, 120 et 1990. Voir aussi Masson 1988, 148. 30 Pour les traductions des inscriptions du Kızıldağ et Karadağ, voir Hawkins, CHLI, 433 et suiv. Concernant les aspects chronologiques et politiques, et donc aussi les problèmes de datation de ce groupe, voir les études, notamment, de D’Alfonso (en cours de publication, avec mes remerciements pour avoir partagé ses hypothèses), de Mora 1992, 385 et suiv., Hawkins 1992 ; Gonnet 1990 et Bittel, 1986.

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Matthieu Demanuelli d’EGRIKÖY (stèle d’une femme, certainement une reine, « Tatuhapa, servante(?) de Tarhunt, aimée des dieux », § 1), ou d’AKSARAY (inscription du roi Kiyakiya, § 5 cité plus haut et § 1, dont la traduction proposée par Hawkins est « les dieux aimaient ma cité »)31. 2. Le dieu de l’orage : divinité tutélaire de la royauté et rôle agraire primordial. A la fin de l’époque impériale hittite et comme on peut l’observer à Yazĭlĭkaya, le panthéon, alors sous forte influence hourrite, était dominé par le couple Teshoub (dieu de l’orage) – Hebat32. Dans les inscriptions tabaliennes du Ier millénaire, Hébat se maintient, mais le chef du panthéon Teshoub laisse sa place au dieu de l’orage louvite, Tarhunt / Tarhunza-33, attesté en Tarhuntassa (« pays de Tarhunt ») et dans le Bas-Pays louvite dès le IIème millénaire et dans les inscriptions du grand roi Hartapu (groupe KIZILDAĞKARADAĞ-BURUNKAYA), qui domine ensuite largement le corpus et l’anthroponymie du IXème jusqu’au VIIème siècle, avec toutefois des épithètes et des hypostases multiples. Les théophores construits à partir du nom divin Tarhunt / Tarhunza- sont particulièrement nombreux et la plupart contiennent d’ailleurs en eux-mêmes des notions de faveur et de protection : Tarhunaza (« aimé de Tarhunt »), nom du gouverneur de l’inscription de BULGARMADEN, qui apparaît également à trois reprises sur les lamelles de plomb retrouvées à Kululu34, Tarhuwari / -wara (« aidé par Tarhunt »), attesté sur les inscriptions de BULGARMADEN et d’EGREK35, Tarhuntapiya (« don de Tarhunt ») à nouveau sur les lamelles de Kululu ou encore Tarhuntinani à KULULU 6. Deux éléments peuvent être signalés ici  : d’une part l’absence en Tabal – à ce jour du moins – de noms royaux formés à partir du

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Hawkins, CHLI, p. 476. Pour les figures du dieu de l’orage hittite aux IIème et Ier millénaire avant J.C., voir Haas 1994, 322 à 330, et Houwink ten Cate 1992, 83 à 148. Concernant ces figures en Syrie du Nord et Anatolie méridionale, voir Bunnens 2004, 57 à 81, et pour une étude complète des dieux de l’orage proche-orientaux, l’étude très exhaustive de Schwemer 2001 et la synthèse de Green 2003, 89 à 153 pour l’espace anatolien. L’auteur laisse toutefois presque totalement de côté le Ier millénaire louvite, Malatya excepté.. 33 Sur l’assimilation entre le dieu de l’orage louvite et le dieu hourrite Teshoub au Ier millénaire, cf Hutter in Melchert, 272, et Lebrun 2005, 422. Sur Tarhunt, voir Popko 2007, 65 à 67, et Hutter ibid. ci-dessus, 220 et 221. Concernant les trois types iconographiques de Tarhunt à l’âge du fer, voir la classification proposée par Aro in Melchert, 317 à 320, reprise par Bonatz 2007, 12 et 13. 34 Hawkins, CHLI, 503-513. Voir aussi Giusfredi 2010, 192-207. K.L.S. = Kululu Lead Strip. 35 Hawkins idem, 492. 32

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer nom Tarhunt-, les souverains portant des noms formés plutôt à partir du théonyme Sarruma (voir plus loin) ou des noms exprimant la royauté ou ses qualités ; d’autre part, le phénomène de transmission de père en fils de théophores, phénomène qui dans tout notre corpus ne concerne que le dieu Tarhunt, autre indice de la popularité et des valeurs prophylactiques de ce dieu. Ainsi à BULGARMADEN («  Tarhunazas, fils de Tarhuwara  ») et à EGREK («  Tarhuwari, le bien-aimé fils de Tarhuzarma »). Dans les inscriptions du grand roi Hartapu, Tarhunt apparaît sous trois formes différentes : sa forme simple, le « dieu de l’orage » (DEUS.TONITRUS-za, Tarhunza), le « dieu de l’orage du ciel » ((DEUS)TONITRUS. CAELUM), qui est une des épithètes du dieu de l’orage les plus attestées à l’âge du bronze36, et enfin le « dieu de l’orage muwatalli- » ((DEUS)TONITRUS.FORTIS), « le fort », « le (sur-)puissant », épithète datant de la période impériale qui apparaît au XIVème siècle dans les titulatures de Suppiluliuma Ier et de son fils Mursili II37, ou dans la liste des dieux garants du traité conclu entre Tudhaliya IV et le « grand roi du Tarhuntassa, Kurunta »38. Ces deux épithètes, normalement propres à Teshoub au IIème millénaire, sont donc utilisées ici pour Tarhunt et semblent employées par rapport à des faveurs particulières, en lien clair avec les conquêtes territoriales et les victoires militaires, une fonction protectrice classique des dieux de l’orage de l’âge du bronze39 : - le « dieu de l’orage du ciel » est mentionné à deux reprises : « par la bonté du dieu de l’orage du ciel et de tous les dieux, celui qui a conquis tous les pays  » (KIZILDAĞ 4, § 2)  ; «  il a conquis chaque pays, et le dieu de l’orage du ciel et tous les dieux [marchaient devant lui] » (KARADAĞ 1, § 3)40. De multiples éléments rappellent ici les inscriptions des grands rois de Hattusha, comme celle de Yalburt  : éléments paléographiques, expressions annalistiques classiques type «  par la bonté du dieu X  » ou «  le dieu de l’orage courait devant moi [dans la bataille] »41, présence de l’épithète royale

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Haas 1994, 325. Gonnet 1983, 23. Voir aussi Hutter in Melchert, 221-222. Cette épithète est aussi à l’âge du fer attestée à Karkemish (A 4b, § 4), dans un contexte de victoire et de bravoure militaire, similaire aux contenus des inscriptions de Hartapu : le roi Ura-Tarhunza dit avoir reçu du « dieu de l’orage muwatalli- et de Kubaba » un « puissant courage ». 38 Lebrun 1992, 15 à 31. 39 Green 2003, 287 : « le dieu de l’orage donne la puissance au roi pour que celui-ci fasse des conquêtes en son nom ». 40 Hawkins, CHLI, 438 pour les traductions. Pour l’hypothèse du segment « marchaient devant moi », voir p. 441. 41 Hutter in Melchert, 222 („the god who „runs in front“ to help the king“). 37

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Matthieu Demanuelli

Fig. 2 : cartouche du grand roi Hartapu, KIZILDAĞ 2 (Hawkins, 1992, Abb. 10).

« le tarwani », là aussi en lien avec des conquêtes territoriales, que l’on retrouve aussi sur les inscriptions de SÜDBURG à Boghazköy, dans un contexte similaire et chronologiquement très proche. - le « dieu de l’orage muwatalli » apparaît une seule fois dans la titulature du grand roi sur l’inscription KIZILDAĞ 2 (« aimé ( ?) du puissant dieu de l’orage, Mon Soleil, le grand roi Hartapu »), si on accepte la lecture de Gonnet. Il semble ainsi que cette épithète renvoie ici à un dieu de l’orage personnel du grand roi Hartapu. Cette idée de protection particulière, personnelle, apparaît bien dans le cartouche royal (Fig. 2), original par la superposition des signes hiéroglyphiques L. 199 et L. 28 au-dessus du nom du roi et du disque solaire ailé42. Il est d’ailleurs à noter que le grand roi hittite Mursili II, lointain ancêtre de Hartapu, avait déjà fait de cette divinité son dieu tutélaire, qui était probablement aussi la divinité poliade de la ville de Katapa43. Au Ier millénaire, on retrouve chez Tarhunt, souvent accompagné de son fils, Sarruma, cette fonction de protection du roi sur le champ de bataille et de

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Gonnet 1983, Fig. 1 et 2. Popko 2001.

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer

Fig. 3 : stèle NIĞDE 2 (photographie prise au musée archéologique de Niğde, juillet 2012).

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Matthieu Demanuelli punisseur des ennemis du roi. Est ainsi par exemple bien attesté au IIème millénaire un « dieu de l’orage des armées », qui occupe d’ailleurs une des premières places dans la liste des dieux témoins du traité entre Tudhaliya IV et Kurunta. Le théonyme porte d’ailleurs en lui-même la notion de puissance et surtout de victoire, avec le mot tarhu- (litt. « le Victorieux ») ou encore tarhuant-, «  soufflant ici avec violence, tempête puissante  », des termes qui évoquent ici à la fois la victoire du grand dieu sur le chaos originel et aussi son incomparable force44. Le dieu donne la victoire et épargne également au roi les blessures ou les coups mortels. Même lorsque d’autres dieux sont cités, Tarhunt occupe toujours la première place, ce qui est logique en tant que chef politique, chef de lignée et primus protector du souverain, lui-même primus protector de ses sujets. Ainsi, sur l’inscription de TOPADA (deuxième moitié du VIIIème siècle), qui relate plusieurs batailles que le grand roi Wasusarma et ses alliés auraient remportées face à huit rois coalisés : « mon seigneur Tarhunza, Sarruma, Halki- et Y ( ?) coururent devant moi / et je remportai la victoire»45. A la fin de l’inscription, alors que les rebelles préparent une nouvelle attaque contre les frontières du roi, Tarhunza intervient à nouveau pour donner la victoire finale à Wasusarma : « la cavalerie du Parzutéen et tous les rebelles revinrent vers mes frontières. Il ne parvint pas à la traverser. Tarhunza remporta la victoire en l’écrasant et il ne fit aucune conquête »46. De même, Tarhunt a aussi pour fonction de punir les ennemis du roi, comme sur l’inscription de BOR : « l’année où je suis devenu roi / cette année là, Tarhunza jeta mes ennemis à mes pieds » (§§ 8-9). Ainsi, en tant que dieu guerrier, punisseur et « frappeur », il semble porter une longue épée au fourreau sur la stèle d’AKSARAY, ce malgré le caractère nourricier du Tarhunza qui apparaît dans l’inscription, et tient une double hache dans sa main droite sur la stèle de NIĞDE 2 (Fig. 3) et le relief rupestre de Gökbez47. Dans les formules d’imprécation, la hache se retrouve en tant qu’attribut de Tarhunt dans son rôle de protecteur des lieux (sanctuaire,

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Haas 1994, 322. Hawkins, CHLI, 452 à 454 pour la traduction. Voir aussi Lebrun 2005, 423-424  : « « [...] coururent devant moi », ce qui revient à dire « m’aidèrent » ». L’auteur est d’accord avec l’identification de la « déesse Grain », Halki, mais doute de Shaushka. D’autres spécialistes évoquent, de manière prudente et très spéculative, la possibilité de la présence des deux parèdres Hebat et Alazuwa, comme Hutter in Melchert, 271, note 48. Pour les interprétations récentes de l’inscription de TOPADA, on renverra à Woudhuizen 2007, 23 à 41, et surtout à Weeden 2010, 39 à 61 (53 pour ce passage en particulier). 46 Weeden ibid, 54. 47 Sur la stèle de Niğde 2, voir Bergès et Nollé 2000, 102-103, et les études récentes de Mora et Balatti 2010, 534 à 537, qui relèvent et modifient la chronologie des rois de Tuwa45

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer temple, ville, pays) placés sous la garde de certains dieux par les auteurs de deux inscriptions48 : celle de KAYSERI (« quiconque viendra convoiter / ces maisons / ou viendra [...] la ville / ...ou... [...] / que Tarhunza le frappe avec sa hache », §§ 3-6) et celle de SULTANHAN (« Et celui qui désire cet ARMA/ ou si [un homme ou ?] une femme l’emporte pour soi / qu’il soit un gouverneur / ou un roi / que [Tarhunza] le frappe avec sa hache ! », base, partie F, section 2. à 5.). Ces attributs, auxquels on peut ajouter le foudre en forme de trident (reprenant le hiéroglyphe *199 qui désignait le dieu de l’orage hittite) qui apparaît sur la stèle de NIĞDE 2 et peut-être sur le relief de Gökbez, illustrent bien le premier type iconographique dégagé par Sanna Aro, qui est la figure du dieu de l’orage la plus représentée dans les Etats néo-hittites de l’âge du fer49 et qui survit jusqu’à l’époque gréco-romaine, à travers la figure du « Zeus/Jupiter Dolichenus », avec foudre et hache : un dieu qui peut frapper, écraser, foudroyer. Outre ces rôles militaire et punisseur, Tarhunt assume un rôle politique, qui est de donner la royauté, le pouvoir royal au souverain, autre fonction classique du dieu de l’orage à l’âge du bronze hittite et d’une divinité tutélaire proche-orientale. Cette fonction apparaît implicitement, comme on l’a vu, dans les épithètes royales « aimé de Tarhunt », mais aussi de manière plus explicite comme sur l’inscription d’AKSARAY (« Qui m’a donné une telle position [un tel statut] ? Tarhunza ne l’a accordé à personne d’autre / mais à moi, Kiyakiya, le tarwani, le roi, il l’a accordé », §§ 7-9) et sur celle de BOHÇA, citée plus haut : « J’étais dévoué envers Tarhunza, et il m’a accordé de prendre le pouvoir sur les territoires »50. L’idée d’une protection toute particulière, unique, apparaît plus loin sur la même inscription, et rappelle à nouveau la phraséologie annalistique impériale, §§ 6-9 : « Et ceux qui étaient mes pères et grands pères, Tarhunza ne les aida en effet pas du tout comme il m’aide moi, et il m’accorde le pouvoir sur ces territoires »51. Enfin, Tarhunza accorde aussi certaines qualités et capacités, comme la bravoure mais aussi des qualités peut-être plus personnelles et intellectuelles : ainsi à SULTANHAN, où un serviteur du grand roi Wasusarma, S/W-arwatiwara, affirme que le Tarhunza du Vignoble « donna à Wasusarma, le roi, une

na. Sur le relief de Gökbez, voir Bergès et Nollé 2000, 103-104, et Mora 2011, 552-553, qui propose le milieu du VIIIème siècle comme date pour ce monument. 48 Hutter in Melchert, 222 : “Also in curse-formulas we find the god stricking his ennemies, an idea wich stills lives on with the Lycian Trqqas”. 49 Aro in Melchert, 317-318, reprise par Bonatz 2007, 12. 50 Hawkins, CHLI, 479. Verbe «  CAPERE  »(-)la/i/u-na  », du louvite la-la-u-na « prendre le pouvoir ». 51 Idem, 180. Verbe wariya-, « aider ».

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Matthieu Demanuelli puissante capacité warpi- » avant de « jeter ses ennemis à ses pieds » (section 3.)52. Toutefois, ce rôle primordial du dieu de l’orage, ce don de la royauté, est moins attesté dans les sources tabaliennes, loin d’être aussi envahissant qu’à l’époque impériale, où les expressions du type « le dieu de l’orage m’a donné la royauté » abondaient, et que dans d’autres royaumes néo-hittites. Entre le XIIIème siècle et les IXème-VIIIème siècles, cette fonction et le rôle militaire de Tarhunt tendent, semble-t-il, au contraire à s’effacer quelque peu, à la fois devant la multiplication des fonctions et des responsabilités proprement humaines (rois ou élites locales), mais aussi au profit d’une autre fonction, celle de divinité agraire, protectrice des récoltes et des vignobles, en lien étroit avec la pluie, les montagnes et la fertilité, qui domine non seulement dans les sources écrites, mais aussi dans l’iconographie. Nous sommes ici confrontés à une spécificité du Tabal, qui apparaît à la fois comme un véritable « conservatoire » des traditions hittites53, puisées dans des structures religieuses parfois millénaires, mais aussi un espace original et novateur : contrairement aux autres états néo-hittites, le dieu Tarhunt n’y apparaît pas systématiquement comme « une force destructrice, portant les symboles de la foudre, de l’orage et du vent », mais plutôt avec une « claire fonction agricole, qui se retrouve dans plusieurs inscriptions de la région centre-anatolienne  »54. Comme le montrent les inscriptions et reliefs rupestres du royaume de Tuwana, mais aussi d’autres sources, plus au nord,

Le terme warpi- reste problématique et particulièrement polysémique. Voir Weitenberg 1977  : sens d’  «  enceinte, de  temenos  », sens militaire de «  vaincre, soumettre, avec le verbe (anda)warpa-, ou un sens général de « fort, puissant », avec l’adjectif warpali- / warpi-. Certains y voient une qualité religieuse, proche de la piété ( Jasink 1998), d’autres une capacité davantage militaire ou stratégique. Quoi qu’il en soit, toutes les écoles s’accordent pour dire qu’il s’agit d’une qualité humaine, d’une «capacité indispensable pour un souverain, qui lui permet de se situer au-dessus des autres », pour reprendre les termes de Hawkins, 96. Giusfredi synthétise les différentes traductions (2010, 107), « capacité, qualité, bravoure, puissance », avant de proposer un sens presque unique de tous les termes en warpi-  , et ainsi pour le titre « l’homme warpasi-  « personne puissante » p. 108. Un sens de « courageux, brave » me semble aussi possible, d’après cette inscription et celle d’EGREK, mais l’idée d’une qualité, d’abord humaine, nécessaire à la « bonne gouvernance » et que le dieu aurait ici développé a maxima, n’est pas à exclure.

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53 Lebrun 2005. Sur le rôle agraire et la force nourricière du dieu de l’orage dans les textes hittites, voir Haas 1994, 327, citant plusieurs épithètes du dieu de l’orage : « de la maturation », « des laboures », « des champs », et particulièrement « du vignoble » ou « de la verdure du vignoble ». Dès l’Ancien Royaume hittite, le dieu de l’orage est un « dieu généreux, qui fait descendre la pluie du ciel » (Green 2003, 283 ; 281-285 pour ce dieu comme « a force in Nature »). 54 Bonatz 2007, 12 et 13.

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer comme les inscriptions de SULTANHAN et d’AKSARAY, le dieu de l’orage tel qu’il apparaissait encore au KIZILDAĞ et KARADAĞ et tel qu’il est figuré en Syrie du Nord, dieu guerrier, armé, tonitruant et violent, semble devenir aux IXème et VIIIème siècles un dieu plus bienveillant, souvent désarmé et clairement fécondant55. Cette fonction n’est pas propre, bien que fondamentale, au seul Tarhunza du Vignoble (voir plus loin), mais fait partie de la sphère de faveur et de protection générale propre au Tarhunza tabalien et plus généralement au prototype du dieu de l’orage anatolien, qui est d’abord et avant tout un « puissant dieu atmosphérique » et terrestre. Elle est liée aussi certainement aux nouvelles conditions de vie et préoccupations agricoles, aux nouveaux aménagements des territoires et des paysages par les hommes, et peutêtre aux changements climatiques (la longue période de sécheresse contemporaine des Dark Ages par exemple) qui caractérisent l’âge du fer56. Elle apparaît dans des inscriptions à travers deux topoi, celui de l’abondance naissant de la Terre grâce à la pluie fécondante du Ciel, par l’action de Tarhunza, souvent suivi des « prix idéaux » établis par un roi ou un dirigeant local57 : AKSARAY, §§ 1-4 : « Tarhunza fit prospérer la NISA / et l’abondance vint du ciel / et l’abondance sortit de terre / Et en ces années, un mouton valait 30 tiwatalis d’orge / 20 tiwatalis d’huile (?) / et [...] tiwatalis de vin... »  EREĞLI, §§ 1-4 : « le ciel fit [tomber ?] le...au-dessus / mais la terre (...) [reçut ?] le...en dessous / et (pour) le roi... ensuite [ qui viendrait après] et [qui

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Il est à noter toutefois que cette dualité dieu violent / dieu bienveillant semble être un trait permanent, de Sumer jusqu’à l’âge du fer (Green 2003, 182), mais certaines figures montrent clairement la seconde facette, comme Enlil, Ba‘al ou Tarhunt en Tabal, L’évolution de la figure de Hadad, dieu de l’orage guerrier, vers celle de Ba‘al, divinité de la fertilité est à ce titre intéressante, surtout si l’on pense à l’iconographie du « Ba‘al de Tarse », calquée sur celle du Tarhunt d’Ivriz. 56 Sur ces aspects concernant l’Anatolie en général, aux deuxième et premier millénaire, cf Yakar 2000, particulièrement 50 à 52. Sur ces mêmes aspects paléo-environnementaux et paléo-climatiques, mais concernant la Cappadoce méridionale et le royaume de Tuwana, voir Balatti et Balza 2012, 98 à 101. Les auteurs insistent sur cette figure de Tarhunza, sur les thèmes souvent agrariens des inscriptions de Tuwana et sur l’économie mixte de ce royaume : « la magnification des fruits de la terre montre que l’agriculture en général était fondamentale pour l’économie du royaume de Tuwana », au sein d’une région bordée de certaines autres zones plus arides.  57 Sur les « prix idéaux », voir Hawkins 1986, 96 et suiv., et les études récentes de Giusfredi 2010, 241 à 251.

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Matthieu Demanuelli ne sacrifierait pas] les moutons... / que Tarhunza [ne fasse ] rien descendre du ciel »58. SULTAHAN, stèle, sections 4. puis 6. : « Alors, Tarhunza [du Vignoble] accorda ces bienfaits à S/Warwatiwara, le serviteur de Wasusarma / et WASUNATA59 descendra en abondance du ciel / et les épis de blé sortiront de terre, et le vin aussi », puis plus loin « Puisse Tarhunza faire croître ce vignoble / et le vin coulera en abondance / puisse-t-il le rendre florissant / et puisse-t-il produire 1000 mesures de vin [dès la première année] »60. Cet aspect vient ainsi culminer dans la figure du « Tarhunza tuwarsasi- », « du Vignoble », qui n’apparaît qu’en Tabal61, sans être restreinte d’ailleurs au seul royaume de Tuwana, et encore moins au roi Warpalawa (voir plus loin) comme on a pu le supposer, bien que ce roi en ait fait son dieu personnel. Cette épithète tuwarsasi-, qui rappelle très clairement des épithètes impériales du dieu de l’orage, comme le « dieu de l’orage de la maturation »62 et surtout « le dieu de l’orage de la verdure du vignoble », que Volkert Haas comparait justement au Tarhunza d’Ivriz63, apparaît textuellement au nord de notre espace dans l’inscription de SULTANHAN (règne de Wasusarma), et au sud dans les inscriptions d’IVRIZ 2, qui montre aussi la partie inférieure d’une figure représentant ce dieu64, et de BOR (règne de Warpalawa), stèle proba-

58

Poetto 2001, 398-399. Giusfredi, ibid note 43, qui pour traduire ce hapax WASUNATA propose « la pluie », p. 249, notes 536 et 537. Le terme fait effectivement sens ici. 60 Hawkins, CHLI, p. 470 pour les problèmes et les propositions de traductions. 61 On ne trouve qu’une seule attestation d’un « dieu de l’orage du vignoble » dans les autres états néo-hittites : l’inscription de Kutamuwa. Voir Masson 2010, 56 et suiv. 62 KUB 6.45 Ro II 72 ou 38.10 Vo IV 6, 21. 63 Haas 1994, 327, note 99, à propos du texte KUB 43.23, Ro 1-2. L’auteur cite aussi p. 328 le texte CTH 670, qui décrit les rituels d’une fête en l’honneur d’un dieu de l’orage, au cours de laquelle, lorsqu’il est question de la croissance d’un vignoble royal, un prêtre doit chanter un hymne en louvite. 64 Hawkins, CHLI, p. 526. Cette inscription bilingue louvite-phénicienne, non publiée à ce jour (attendre les travaux, très attendus, issus de la collaboration entre Ali et Belkis Dinçol, M. Poetto et W. Röllig) présente d’après les premières études de Hawkins (ibid.) et de Dinçol 1994, 117 à 128, une dédicace au Tarhunza du Vignoble et semble mentionner, aux côtés de ce dieu, les dieux Grain et Vin (ll. 5 – 6). Voilà qui pourrait donner une toute autre lecture des grands épis de blé et des hauts ceps de vignes, à identifier alors avec d’un côté Halki (nommée sur l’inscription de TOPADA, juste après Tarhunza et Sarruma ; cette déesse appartient d’ailleurs au cercle du dieu de l’orage), de l’autre une divinité « Vigne ». Impossible à ce jour de déterminer s’il s’agirait de Maliya, appelée « mère du vin et du grain » dans un rituel hittite censé favoriser la croissance d’un vignoble royal (KUB 43.23), d’une divinité Maruwan- ou encore d’un autre dieu LAMMA, type « dLAMMA des champs »... 59

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer blement érigée au milieu du vignoble aménagé par le souverain lui-même. Le Tarhunza figuré sur la stèle de Keslik Yayla65, sur le célèbre relief rupestre d’Ivriz (Fig. 4) et sur celui d’Ambarderesi (Fig. 6), situé à une centaine de mètres d’altitude au nord du sanctuaire d’Ivriz, au sommet des contreforts du Taurus, ont également les traits de ce Tarhunza tuwarsasi-66, comme traduction figurée littérale de certains textes : le dieu tient dans chacune de ses mains quatre épis de blé, qui « bourgeonnent à ses pieds » (SULTANHAN, stèle, section 2.), et un cep de vigne avec quatre Fig. 4 : relief rupestre d’Ivriz (photographie prise grappes de raisin, que Tarhunza sur le site, juillet 2012). doit «  faire pousser [...] et qui déploiera ces feuilles, et produira des milliers de tiwatalis [mesures] de vin ». On notera également que cep de vigne et épis de blé apparaissent de part et d’autre de la figure d’un Tarhunza

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Sur la stèle de Keslik et son contexte, voir Sezer 1974, 133, et surtout D’Alfonso / Mora 2010, 128, et Balatti / Balza 2012, 136-137 (Fig. 6-8). 66 Du point de vue iconographique, le Tarhunt figuré à Ivriz est bien à considérer comme une divinité-synthèse : outre des influences vestimentaires et techniques à la fois assyriennes et anatoliennes, il présente des traits hittites classiques du dieu de l’orage-chef du panthéon (la harpè, avec la tiare à deux étages de cornes), des aspects de « dieu de l’orage de la montagne », inscrit dans les rochers (reliefs rupestres d’Ivriz ou de Gökbez) et séjournant dans les hauts-sommets (relief rupestre d’Ambarderesi, ou épithète « du artali », « de la montagne », voir plus loin), de dieu protecteur dLAMMA, comme le « dLAMMA des champs » hittite, de la déesse louvite Maliya (« mère du vin et du grain ») ou d’un dieu peut-être « fondateur » et fugitif comme Telipinu. Mazoyer a tenté de démontrer que ce dieu, tel qu’il est figuré à Ivriz, est Telipinu lui-même. Certes, Telipinu est bien dans les textes celui qui « casse les mottes de terre et laboure ; détourne l’eau, fait pousser et croître » (VBoT 58 Vs., cité par Haas 1994, p. 443), mais l’hypothèse de Mazoyer est peut-être à nuancer. Voir aussi à ce sujet les doutes de Mouton, in Chroniques assyriologiques. De même, et malgré des éléments intéressants et une hypothèse novatrice, je ne souscrirais pas à l’idée défendue par Dalley, selon laquelle cette divinité est le dieu Santa. Cela dépend surtout de la traduction de TONITRUS : une épithète (« le victorieux ») si on suit l’hypothèse des deux auteurs, ou le nom même du dieu de l’orage louvite, Tarhunt, ce qui semble préférable.

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Matthieu Demanuelli sur la stèle de NIĞDE 2 (Fig. 3), où l’idée de protection divine particulière de la royauté et du personnage royal est suggérée par le disque solaire ailé figurant au-dessus du casque à cornes de la divinité, et qu’un grand cep, dont un des rameaux semble constituer le manche de la double hache du dieu, à la manière d’une sorte de thyrse, est représenté sur le relief de Gökbez, jaillissant du pied droit de la divinité. Sur les représentations d’Ivriz (IVRIZ 1 et 2), le cep de vigne semble se confondre avec la musculature et les articulations des genoux du grand dieu, tandis que les épis de blé font écho aux motifs en arêtes de poisson qui décorent sa ceinture : il est bien en lui-même un grand dieu des forces de la nature. Par rapport aux figures classiques du dieu « aux bras levés », brandissant sa hache et menaçant de sa foudre, on peut dire qu’à Ivriz, Ambaderesi et Keslik Yayla, la main gauche conserve la même position, mais le foudre s’est mué en épis de blé ; le bras droit s’est en revanche abaissé et tient sur sa poitrine la vigne, qui a remplacé la hache. Des comparaisons iconographiques et symboliques, à interpréter avec précaution toutefois, peuvent être faites à ce titre entre ces oeuvres et d’autres stèles, comme celle, célèbre et plus ancienne, du Ba‘al d’Ugarit, le dieu qui lutte contre la sécheresse et le sel (la lance fichée dans le sol par le dieu se transforme en arbre) ou celle de Djekké (VIIIème siècle  ; le dieu porte bien le foudre, mais celui-ci se prolonge en laisse pour les deux taureaux qui le portent)67. Sur le relief rupestre d’Ivriz, et sans doute aussi sur celui d’Ambarderesi68, cette fonction agraire est encore plus évidente, si comme M. Sahin l’a proposé on identifie l’objet avec un manche en forme de tête d’aigle, non pas comme une épée mais comme une faucille69  : le dieu serait donc figuré en train de

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Sur cette dernière comparaison, intéressante, voir Salmon 2007, 292, mais les conclusions de l’auteur me semblent discutables, notamment les notions de  «  tradition artistique purement assyrienne » et de « créolisation », concernant le relief d’Ivriz.. 68 J’ai pu visiter et explorer le site en juillet 2012, avec Marco Capardoni (Université de Pavie). La situation du relief d’Ambarderesi nous a paru extrêmement intéressante et riche d’interprétations. En effet, outre la continuité d’occupation à travers les périodes et les âges, avec d’abord un kale puis, en face du relief, un vaste monastère byzantin semi-rupestre, le lieu semble potentiellement chargé de sacré, de divin, de forces à la fois célestes, montagneuses et chtoniennes : omniprésence de l’eau et des sources, avec le Aydinkent Cayi, au moins deux vastes grottes, grande arche naturelle située non loin du relief, multiples « portes » naturelles dans les gorges... Sur ces aspects, voir aussi les descriptions d’Ivriz par Delaporte, Revue Hittite et Asianique 29, 1936-1938, et d’Ambarderesi par Bergès et Nollé 2000, 101. Il n’en reste pas moins que l’ensemble du site d’Ivriz-Ambarderesi mériterait d’être exploré et étudié dans son ensemble. 69 Sahin 1999, 166-167, qui compare la scène avec d’autres monuments babyloniens et néoassyriens, et qui cite des textes de l’âge du bronze hittite, qui mentionnent par exemple une « fête de la faucille » en l’honneur du dieu de l’orage.  

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer donner au roi les premières grappes de vignes et les premiers épis de la nouvelle moisson, épis qu’il vient de couper avec sa faucille, ce qui semble être matérialisé sur le relief par l’incision présente au milieu des tiges (Fig. 5). Si l’on ajoute à cela le caractère rupestre et montagneux de ce relief et de celui d’Ambarderesi, le fait que sur ces deux images, le roi soit clairement figuré sur une montagne (partie inférieure de la scène, sous les pieds du roi, laissée à l’état brut) en train de prier, mais aussi le contexte naturel et environnemental de ces deux figures, chacune située au-dessus d’une source ou d’un cours d’eau70 et dans des espaces encore aujourd’hui marqués par l’agriculture et d’innombrables vergers, nous pouvons émettre une hypothèse et un constat intéressants pour notre sujet. . D’une part, le site d’Ivriz dans son ensemble est bien un grand sanctuaire d’un dieu de l’orage, aménagé peut-être pour faire revenir les dieux fugitifs, certainement pour honorer et faire apparaître Tarhunza, fréquenté probablement régulièrement (cultes, festivals religieux) et de manière plus exceptionnelle, en temps de famines, de sécheresse ou de guerre. Il englobe Ivriz, les petits massifs situés au Nord du relief, où était sculpté le petit relief rupestre visible aujourd’hui dans la cour du musée d’Ereğli71, et le lieu-dit Kizlisaray (relief d’Ambarderesi, en altitude). Il faut ajouter plusieurs fragments d’inscriptions retrouvés à divers endroits du site72 de même que la stèle d’IVRIZ 2 et la tête colossale d’une statue royale retrouvée près de cette stèle73. Ce sanctuaire est à la fois pluriséculaire, le petit relief d’Ivriz pouvant être daté proba-

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Popko 1999, 97 à 108. L’auteur cite ainsi un passage du rituel KUB 9.28 Ro I 10` sq., qui illustre parfaitement l’environnement d’Ivriz et montre des schémas de pensée religieuse durables : « le fidèle doit accomplir le rituel comme suit : sur une montagne, dans un lieu sacré (hitt. suppi, ici suppai ), où l’eau ne manque pas, là, il doit façonner l’image de la divinité ». D’autres passages démontrent eux l’importance de la montagne, du rocher et de la falaise comme lieu des théophanies, comme KBo 17.3+ Ro II 48 ‘’’ (« Alors, j’allais sur la montagne pour rencontrer le dieu ») ou KBo 17.3 + Vo III 45 (« Nous allons alors sur le rocher » à comparer avec la position du roi à Ivriz). 71 Bier 1976, 120, avec la comparaison entre cette scène et des orthostates de Malatya et de Karkemish. Le dieu ici honoré par le sacrifice d’un animal (l’auteur propose un capridé, mais un cheval, étonnement, pourrait être identifié, si l’on examine la queue, ce qui pourrait alors faire penser à d’autres divinités, comme Pirwa, dont les cultes rupestres sont attestés à l’âge du bronze, Pirinkar ou Ishtar) et par une libation, peut-être effectuée par une reine, semble être un « dieu fugitif », rappelant le dieu Telepinu ou le dieu de l’orage de Nérik du IIème millénaire, qu’il faut faire revenir, capter, via une source, située ici sous le relief rupestre. J’ai pu examiner ce relief, qui n’est plus in situ car il s’est (ou a été ?) décroché de la falaise, au musée d’Ereğli et j’attire ici l’attention sur son très mauvais état de conservation...à tous les sens du terme. 72 Hawkins, CHLI, 529-530 (Ivriz fragments 1 – 3). 73 Dinçol 1994.

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Matthieu Demanuelli blement entre le XIème s. et le début du IXème s. av. J.C., et montre également un royaume, une religion et une propagande royale multiethniques, si l’on se réfère à la bilingue louvite-phénicienne, aux différents motifs figurant sur le manteau de Warpalawa, d’influence phrygienne, mais aussi en partie peutêtre urartéenne, ou si l’on songe aux inscriptions phrygiennes retrouvées à Kemerhisar-Tyana, dont une pourrait justement porter une dédicace à un dieu de l’orage local, de la part du roi phrygien Mita (Midas)74. Mais d’autre part et surtout, ne pourrions-nous pas interpréter ce sanctuaire comme un lieu, chargé de divin et particulièrement suppi-, « sacré », où se déroulait chaque année une fête de la moisson, une fête des récoltes ou une fête plus tôt dans l’année, au printemps, avec des rites et des infrastructures cultuelles destinés à la fois à faire « revenir dans son pays » un dieu de l’orage fugitif et à provoquer une théophanie du Tarhunza du Vignoble75 ? Et, selon la pensée hittite-louvite, où un roi a-t-il le plus de chances de rencontrer le dieu de l’orage, sinon dans un cadre rupestre, réceptacle de l’enveloppe divine du dieu, et au sommet d’une montagne, déjà en elle-même divine et lieu de séjour régulièrement fréquenté par Tarhunza, ainsi que l’attestent d’autres sources tabaliennes ? Nous pourrions ainsi imaginer une sorte de festival religieux et agraire, avec comme premières étapes des rites collectifs liés à la fauche des premiers épis de blé76, près du grand relief d’Ivriz, des sources et du petit relief, puis, si l’on se réfère à des exemples hittites similaires, une procession, dans laquelle le roi occuperait la première place, « montant sur la montagne » vers le relief d’Ambarderesi. L’idée reste bien entendu à l’état d’hypothèse, mais celle-ci semble séduisante. Notons enfin que sur les reliefs d’Ivriz et d’Ambarderesi, le pied gauche du roi touche directement les épis de blé

74 Bergès et Nollé 2000, 470. Trois inscriptions en phrygien proviennent de Kemerhisar, l’antique Tuwana (Brixhe et Lejeuene, 253 à 268, T 01 à T 03). L’inscription T 03, retrouvée sur le site d’Ambartepe, sanctuaire peut-être dédié à un Tarhunza du Vignoble, pourrait bien être un hommage du roi Mita à ce dieu local. Sur cette hypothèse, voir Brixhe 1991, 46 et Dupré 1983, 110. 75 Sur les grands festivals hittites, leurs hymnes et leurs rites, comme la « fête de la récolte » ou le festival AN.TAH.SUM, voir Haas 1994, et Lebrun 1980. Les cérémonies exécutées par exemple sur la divine Montagne Puškurunuwa (33ème et 34ème jours de la Fête d’AN.TAH. SUM) montrent bien cette ascension du roi sur la Montagne et les offrandes qu’il fait à Puškurunuwa, au feu, à des sources... Cette procession se termine par le rituel de l’apaisement, justement destiné à faire en sorte que les dieux n’abandonnent pas le pays et à préserver la stabilité du royaume. Voir l’analyse de Mazoyer 2006, 263-264. 76 On remarquera à ce propos que la faucille ne figure ni sur la stèle de Keslik Yayla, ni sur celle de NIĞDE 2, et semble être également absente du relief d’Ambaderesi, indice qui tendrait peut-être vers l’hypothèse, déjà, d’un dieu personnel du souverain, mais aussi d’un moment précis d’un rituel, figuré sur le grand relief d’Ivriz.

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer (Fig. 5). Le roi joue bien un rôle, en tant qu’intermédiaire entre le don par le dieu de récoltes abondantes et ses sujets. Ses parures ostentatoires, ses vêtements - de prêtre ou d’apparat – richement décorés, les jeux d’échos des symboles et des motifs entre lui et son dieu personnel (fibule et escarboucles décorés de granules / raisins, ceinture du roi / tiges de blé...)  : autant d’éléments dénotant des notions de richesses, de fertilité, d’abondance, ce dans une propagande à la fois interne et externe. Non seulement il gravit la montagne et prie son dieu, mais il est aussi acteur, particiFig. 5 : relief d’Ivriz, détail (manche de la faucille pant aux activités agricoles et à la à gauche, épis de blé au centre, roi à droite, idem prospérité générale de son fig. 4). royaume. Nous retrouvons ici des fonctions et des valeurs royales bien attestées dans les cités-états et royaumes tabaliens de l’âge du fer. Concernant le thème des faveurs et des protections divines, on peut observer enfin que les deux Tarhunza figurés l’un sur le relief rupestre d’Ivriz (roi Warpalawa) et l’autre sur la stèle de NIĞDE 2 (roi Muwaharani) sont des divinités que l’on pourrait aussi considérer comme les divinités personnelles de chacun des souverains. Aucun des deux ne porte l’épithète tuwarsasi- dans les inscriptions qui légendent les figures et la stèle de NIĞDE 2 présente une synthèse originale et unique dans tout le corpus, entre des traditions tabaliennes, avec cep de vigne et épis de blé, et nord-syriennes, avec hache, foudre et disque solaire ailé, rappelant ici des figures de Karkemish, mais toutefois ici sans épée à la ceinture. Le cas semble même plus évident pour le Tarhunza d’Ivriz, présenté par l’inscription comme étant « le grand Tarhunza de Warpalawa », et la majorité des écoles s’accordent pour dire que cette figure, avec celle présente à Ambarderesi, est bien celle du dieu tutélaire et personnel du roi Warpalawa77. Ce souverain insiste d’ailleurs beaucoup sur les liens étroits

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Jasink 1995, 139, qui parle du « dieu protecteur de Warpalawa », ou Hutter in Melchert

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Matthieu Demanuelli

Fig. 6 : relief rupestre d’Ambarderesi, gorges du Aydınkent Çayı (juillet 2010).

et anciens existant entre lui et le Tarhunza du Vignoble, dans l’inscription de Bor : alors qu’il n’était que « fils de la maison », il a planté un vignoble et élevé une statue d’un Tarhunza du Vignoble, qui, déjà, lui accordait ses faveurs, ce qui s’est confirmé l’année de son accession au trône, Tarhunza ayant alors « jeté ses ennemis à ses pieds ». Nous sommes donc bien confrontés en Tabal à de multiples aspects locaux de Tarhunza, qui varient en fonction des époques, des fonctions protectrices particulières, des traditions et des élites locales, mais avec quelques grands points communs, qui se retrouvent dans tout le Tabal, le rôle guerrier et « tonitruant » du dieu certes, mais aussi et surtout son rôle nourricier. Outre l’épithète tuwarsasi- et les aspects de dieu protecteur personnel d’un souverain, d’autres épithètes méritent d’être signalées ici : - le « Tarhunza uruhihas » cité sur l’inscription de Çiftlik, hapax legomenon qui pose des problèmes de traduction et d’interprétation78. D’après l’ins-

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Hawkins, CHLI, 450. Voir aussi Lebrun 2005, 423. Pourrait-on y voir une forme construite à partir de ura, « grand » ?

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer cription, la place qu’il occupe dans le panthéon local et dans les différents sanctuaires construits par le grand roi Tuwati semble dominante. Il est cité après la triade Tarhunza-Sarruma-Sarhunta, au § 7, avec un superlatif : « Mais [tout] au-dessus, il y a le Tarhunza uruhihas ». S’agit-il simplement de la principale divinité de ce vaste sanctuaire, constitué d’au moins cinq temples différents ? D’un aspect spécifique, particulier du dieu ? Ou serait-on alors face à une divinité propre à une ville, ici le site d’Egriköy, donc à une sorte de divinité poliade ? - deux autres épithètes portent en tous cas en eux-mêmes ce caractère local du dieu Tarhunt, comme le « Tarhunza upatitasi- », « de cette enceinte, de ce sanctuaire, de ce téménos », et le « « DOMUS.LOCUS »-tatalasi », « de ce lieu, de cette localité » (KAYSERI, § 1). Concernant cette dernière occurrence, s’agirait-il ici à nouveau d’un Tarhunza protecteur d’une ville ou d’une cité-État ? Cette hypothèse pourrait faire sens dans la mesure où l’auteur de l’inscription de KAYSERI, un « serviteur du grand roi Wasusarma », semble placer non seulement les bâtiments qu’il a érigés, probablement des temples, mais aussi la ville (§ 4), sous la protection des dieux. Il convient de signaler toutefois que dans aucune des trois épithètes divines citées n’apparaît le nom d’une ville ou le déterminatif URBS.   - enfin, le « Tarhunza artalasi- » (KULULU 1 et TEKIRDERBENT)79, « de la montagne », qui rappelle une épithète bien attestée à l’âge du bronze, le « dieu de l’orage ariyaddali- », « de la montagne », et qui, d’après ce qu’on a dit plus haut, semble désigner un aspect important et fréquent de Tarhunt. Le dieu demeure donc bien une divinité des sommets au Ier millénaire. 3. Montagne, vigne et protections divines. Dans les rituels hittites de guérison et de protection, outre l’élément aquatique et ses propriétés guérisseuses et purificatrices, on trouve en bonne place la pierre et la roche d’une part, la vigne, le vin et le raisin de l’autre. La pierre possède ainsi des propriétés magiques et guérisseuses, tandis que le cep de vigne apparaît comme « symbole de vie » et que le vin est assimilé au sang humain80. Il serait ainsi étonnant que l’on ne retrouve pas ces aspects au Ier

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Hawkins, ibid, 473. Lebrun fait, justement, dériver le terme du substantif louvite ariyatti-, « montagne ». Pour cette épithète du dieu de l’orage à l’âge du bronze, voir Haas 1994, 329 : « en pays de Hatti, le dieu de l’orage séjourne dans les montagnes, aux sommets desquelles il est proche du ciel ». On peut citer aussi les textes KUB 12.58 I 58 – 59 ou KUB 38.7 Vo 19, qui mentionnent tous deux un « dieu de l’orage de la montagne » 80 Haas 2003, 192 et suiv. pour les différentes matières minérales utilisées dans les rituels de guérison ; p. 249 et suiv. pour la vigne et le vin, qui montrent des propriétés variées comme

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Matthieu Demanuelli millénaire, au vu de l’omniprésence de ces deux éléments dans les sources tabaliennes. Dans la pensée religieuse hittite, la montagne et le rocher possèdent en eux-mêmes un caractère sacré et divin. Liée aux pluies fécondantes et à l’élément aquatique, la montagne est l’espace des sources purificatrices, lieu de vie des divinités LAMMA et des Déesses-mères, et plus généralement « lieu privilégié d’arrivée sur terre de l’esprit divin  »81. Montagnes et rochers sont donc l’espace privilégié des rencontres roi / dieu de l’orage, où se déroulaient de nombreux rites et cultes destinés à honorer certains dieux autres que des dieux-montagnes, particulièrement le dieu de l’orage, Sarruma et le dieu-cerf, à régénérer, à refonder les forces fécondantes de la nature, en même temps que le pouvoir royal et les forces vitales du couple royal82. On y trouve aussi les hekur, sanctuaires nichés sur des pics montagneux, comme le sanctuaire de Gavür Kalesi, parfois en lien avec le culte des rois défunts, comme le montre la chambre B de Yazĭlĭkaya, temple funéraire du Grand Roi Tudhaliya IV. Plusieurs montagnes sont elles-mêmes des divinités (DEUS. MONS), comme par exemple la montagne Patara, honorée par Tudhaliya IV sur l’inscription de YALBURT83, le mont Tippuwa près de Hattusha ou encore la montagne Sarlaimi, « montagne sublime », près de Hubisna, actuelle Ereğli84. De même, de nombreux reliefs et inscriptions rupestres sont attestés à l’époque impériale, principalement dans le Tarhuntassa et le nord du Kizzuwatna, près de passes ou sur des sommets, et certains montrent bien des théophanies, en présence du roi ou du prince, comme à Immankulu (dieu de l’orage) ou à Hanyeri (Sarruma)85. Les rochers sur lesquels sont gravées ces images et ces inscrip-

défaire un envoûtement, accomplir des rituels de catharsis, renforcer la résistance du corps humain, s’en servir comme sédatif ou médicament... 81 Lebrun 2006, 253. Voir aussi dans le même volume des Res Antiquae (n°3, 2006, consacré à la montagne dans le monde hittite-louvite), les analyses de Raimond, 298 (la montagne comme « réalité religieuse, parfois douée d’une personnalité propre[...] mais surtout un lieu sacré ») , de Gérard et de Freu. Voir aussi Haas 1994, 461 à 464. 82 Mazoyer 2006. La montagne « protégeait en écartant les menaces ennemies, elle enracinait et assurait la prospérité du royaume » (p. 262). 83 Raimond 2002. 84 Lebrun 2007, 244-245. 85 D’autres reliefs rupestres se retrouvent, mais sans présence divine, à Tasçi (roi et hauts fonctionnaires près d’une rivière), à Hemite (un prince du Kizzuwatna), à Keben (la Grande Reine Puduhepa). On notera que cette zone fait au VIIIème siècle la jonction entre le Melid, le Tabal du nord et le royaume de Tuwana au sud-ouest, qui sont les trois régions les plus riches à ce jour en pratiques rupestres à l’âge du fer. Ces espaces, Tarhuntassa et Kizzuwatna, ont bien joué un rôle de transmission religieuse, en particulier à travers cette dévotion aux montagnes et ce caractère sacré du rocher.

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer tions possédaient clairement un caractère saint, magique, prophylactique, et donc aussi inviolable Enfin, les noms de montagnes sont nombreux dans l’anthroponymie, particulièrement pour les grands rois de Hattusha, avec pas moins de trois Arnuwanda, l’Arinnanda des textes hitttes, la « montagne aux sources », et quatre Tudhaliya. Deux grandes régions semblent avoir conservé tout au long de la période ces schémas de pensée religieux, le royaume de Melid à une haute époque (XIIème-IXème siècles) mais surtout le Tabal, du royaume du Tarhuntassa au XIIIème siècle jusqu’au début du VIIème siècle. Il est clair que dans ces deux espaces, les populations rendaient de nombreux cultes aux montagnes et en attendaient des faveurs particulières, en lien avec les forces vitales et la régénération de ces forces. Outre les sept inscriptions rupestres du groupe KARADAĞ-KIZILDAĞ-BURUNKAYA (grand roi Hartapu), on peut relever en tout pour l’ensemble des états néo-hittites 13 inscriptions ou groupes d’inscriptions rupestres, avec ou sans relief correspondant : 9 d’entre elles sont situées en Tabal86 et 3 en territoire mélidéen. Il en va de même pour les reliefs rupestres, avec ou sans inscriptions correspondantes : sur les 8 au total, 6 se trouvent en Tabal87. La pratique des sanctuaires rupestres dans des espaces mettant en relation montagnes, rochers, pâturages, sources et rivières, est elle aussi bien attestée  : le grand sanctuaire rupestre d’Ivriz, un sanctuaire à Karadağ dédié au dieu de l’orage et à la Grande Montagne divine, la DEUS. MAGNUS.MONS (inscription de KARADAĞ 1)88, un hekur destiné au culte royal dynastique à l’est du site de Kĭzĭldağ, avec la stèle semble-t-il funéraire du « grand roi Mursili » (KIZILDAĞ 5). On peut également supposer l’existence de sanctuaires et d’aménagements cultuels près du relief du Gökbez, et sur les pentes ou sommets des Montagnes divines, comme la Montagne Muti (inscription de BULGARMADEN), le Mont Harhari (inscriptions

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Ces inscriptions tabaliennes ou groupe d’inscriptions sont les suivants : TOPADA, SUVASA (4 inscriptions), GÖSTESIN (22 fragments en tout, voir la publication de Senyurt 2010), HISARÇIK 1 et 2, KARABURUN, IVRIZ (trois inscriptions) et BULGARMADEN. On note également l’existence de deux rochers inscrits, laissés à l’état brut, ERKILET 1 et 2. On peut aussi ajouter à cette liste des stèles élevées au sommet de collines ou en altitude comme celles d’ANDAVAL (au milieu d’un yayla de chevaux) et de BOHÇA (sur un plateau montagneux, lieu de chasses royales), ou les différents monuments jalonnant l’ancienne route Altunhisar-Göllüdağ, comme la stèle de Keslik, dont la base a été creusée à même la roche (d’Alfonso et Mora 2010, 128). 87 KIZILDAĞ 1, IVRIZ 1, petit relief d’Ivriz, Karapĭnar, Ambarderesi, Gökbez. 88 « Dans cette enceinte sacrée, Hartapu honorait le dieu de l’orage du ciel, la Grande Montagne divine [ la montagne de Karadağ] et tous les dieux  ». Sur cette DEUS.MAGNUS. MONS, voir Lebrun 2007, 245 et suiv.

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Matthieu Demanuelli d’HISARÇIK et de TEKIRDERBENT) et probablement la Montagne Sarlaimi, près de l’ancienne cité de Hubesna, actuelle Ereğli. Ces différents noms portent d’ailleurs en eux-mêmes les notions de stabilité et d’enracinement (la montagne Tarlaimi des textes hittites, le mont « cloué, fixé, stabilisé »), de force et de puissance exceptionnelle (terme Muti, de muwati-, « puissant »), de magique et de sacré (montagne Sarlaimi, la montagne «  sublime  », du verbe sarlai-, « exalter, sublimer »)89. Enfin et plus généralement, les montagnes jouent aussi un rôle de protection des frontières des différents royaumes, en tant que remparts naturels, comme on le voit dans différents traités de l’âge du bronze90 mais aussi au Ier millénaire sur l’inscription de TOPADA, puisque des contreforts montagneux constituent la frontière – et la source de tensions – entre Wasusarma et son adversaire91. La montagne Muti devait jouer aussi un rôle similaire pour le royaume de Tuwana, face au « corridor d’invasions », assyriennes surtout, que représentaient le royaume de Que et la Cilicie, de même que la chaîne de l’Anti-Taurus entre les deux royaumes du Tabal et du Melid. A BULGARMADEN, l’auteur dit avoir reçu de son seigneur, le roi Warpalawa, « la divine Montagne Muti » (§§ 2-3), avec ses richesses naturelles (fer, albâtre, argent...) et probablement ses lieux de culte. Il affirme avoir « bien exploité » la montagne, grâce à « Tarhunza et Kubaba », qui l’auraient « rendue prospère » (§§ 4-6), avant de remercier le dieu Runtiya du IPA-, qui lui a « en ce lieu » accordé de chasser des bêtes sauvages (§ 7). Enfin, si son successeur en tant que gouverneur de la montagne veille bien à sacrifier un « mouton-kurupi » chaque année, « les dieux habitant la montagne » lui « apporteront le bien » (§ 12). Les divinités peuplant la divine Montagne sont donc ici Tarhunza, Kubaba et Runtiya mais aussi sans doute implicitement le dieu-montagne Muti lui-même et les différentes divinités dLAMMA locales, des sources, des rivières et des forêts. Dans un contexte de don royal et de fondation92, les faveurs attendues sont ici à la fois de garantir une bonne gestion originelle des ressources naturelles de la montagne par les dieux, qui seuls peuvent autoriser un individu à les exploiter, et d’assurer la stabilité économique de l’espace ainsi que son renouvellement futur.

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Lebrun 2006. Freu 2006, justement pour les frontières du Kizzuwatna ou du Tarhuntassa. Weeden 2010, 58-59. Voir aussi Woudhuizen 2007. Mazoyer 2006a, 117.

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer Sur les inscriptions d’HISARÇIK93 et de TEKIRDERBENT94, différents personnages rendent des cultes à la divine Montagne Harhara, la HUR.SAG har-ga-/BABBAR (la « Montagne blanche ») des textes hittites, le classique Mont Argée et l’actuel Erciyes Dağ95, autre excellente preuve de continuité. L’inscription HISARÇIK 2, très fragmentaire, mentionne le nom « Mont Harhari » (§ 1) et des dons d’offrandes (§ 2) ; celle de TEKIRDERBENT 1 évoque le nom de la montagne à deux reprises (ll. 2 et 4), juste après le verbe kumani-, « consacrer, honorer » (l. 1). Mais la plus intéressante est l’inscription d’HISARÇIK 1, située au sommet du col de Toptepesi, qui parle d’un culte complexe, peut-être une fête religieuse, rendu en l’honneur de cette Montagne divine : HISARÇIK 1, §§ 1-4 : « Je suis Warpiri, l’homme dévoué au Soleil / J’ai célébré la montagne Harhara à neuf reprises, avec une gazelle irwa / [...] Et quand arriva le « neuvième de l’an » (?) / pendant laquelle je t’ai honoré à neuf reprises, avec une gazelle irwa... »96. L’animal sacrifié ici est une bête sauvage, qui donc fait partie des cortèges des divinités naturistes des sommets et des proies de prédilection des chasses royales tabaliennes, que l’on retrouve à BOHÇA. Divers rituels semblent donc liés à la capture puis au sacrifice ou au don de cet animal, dans un contexte rupestre. L’auteur semble terminer son hommage en s’adressant directement à la montagne (§§ 4-5) : « puissé-je être ton SISARALI- ». D’autres inscriptions, plus fragmentaires, mentionnent des cultes rendus à des Montagnes divines, comme celles de ÇALAPVERDI (VIIIème siècle), en particulier ÇALAPVERDI 1 § 3-4 : « il y en eut cent pour la montagne », puis la phrase classique « il (?) vint ici favorablement »97. Si le massif du Kerkenes

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Hawkins, CHLI, 496 –497 pour HISARÇIK 2, et 483-485 pour HISARÇIK 1. Voir aussi Jasink 1995, 149-150. 94 Hawkins, 498-500. 95 Sur ces inscriptions et cette Montagne divine, voir Lebrun 2005, 424-425, Mazoyer, ibid, 118 et Raimond 2006, 294. 96 Hawkins, CHLI, 484. L’auteur propose pour le passage « 9-ti-sa [...]ANNUS-sa4-sisa- » soit le « 9ème festival de l’an », soit « le 9ème mois de l’année ». Hawkins, qui cite Gurney, et Mazoyer insistent tous deux sur l’importance symbolique religieuse du chiffre 9 dans plusieurs rituels du IIème millénaire, comme KUB 33.120 I 12, 18. 97 Hawkins, CHLI, 498. Le chiffre 100 pourrait ici désigner soit le nombre d’animaux offerts en sacrifice à la montagne, ou peut-être plutôt une offrande exprimée en mesure type tiwatalis (100 tiwatalis de vin, d’orge ou d’huile, comme sur la stèle de SULTANHAN, qui prévoit d’offrir au dieu la première année 100 tiwatalis de vin).

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Matthieu Demanuelli Dağ, situé au nord-est du site actuel de Çalapverdi98, correspond bien à la « montagne Puškurunuwa » des textes hittites99, il serait alors tentant d’identifier la «  montagne  » qui apparaît dans l’inscription à cette divine Montagne hittite, nouvel indice de continuité religieuse entre âge du bronze et âge du fer. Il convient enfin d’insister sur les fonctions certes mémorielles, saintes et sacrées, mais aussi magiques et prophylactiques de la roche, du rocher et de la pierre. L’élément rocheux et les noms de Montagnes divines apparaissent bien dans l’anthroponymie tabalienne du Ier millénaire : un Harhariya sur une des lamelles de plomb de Kululu (KLS 1, partie 2), du nom de la divine Montagne examinée plus haut, un Arnuwanda sur l’inscription C de SUVASA, ou encore un scribe Wana, du louv. wani-/uwani-, « pierre », qui a gravé et signe l’inscription de KARABURUN100. De même, il semble intéressant de remarquer ici que le signe hiéroglyphique MONS (*207) est utilisé pour marquer la valeur phonétique wa4 dans les deux noms royaux Tuwati et Wasusarma101. Du point de vue des valeurs prophylactiques de la pierre, des forces chtoniennes de la roche brute et des faveurs certaines accordées par les montagnes, on terminera sur l’analyse des deux inscriptions d’ERKILET102. Elles semblent complètes, ont été retrouvées l’une à côté de l’autre et se présentent sous la forme de deux gros rochers, laissés semble-t-il à l’état brut : « Huhasarma, le putiti du dieu Santa, j’ai moi-même gravé cette pierre, et que personne ne la déplace » (ERKILET 1) / « Cette ALA-, Astiwasu l’a élevée, et que personne ne la déplace » (ERKILET 2). Bien qu’il soit difficile de dégager un contexte clair (fonction funéraire ? cultuelle ?), il est à noter que le déterminatif habituel STELA est absent : les termes utilisés sont en effet dans le premier cas uwani-, terme louvite pour « pierre, rocher », et dans le second, un hapax, ALA-. Il semble bien ainsi que nous soyons en présence d’un type bien particulier de monument, aux propriétés prophylactiques – graver son nom dans la roche revient à se protéger et à être protégé par la Montagne ou les divinités qui l’habitent – et pourquoi pas, sinon guérisseuse, du moins régénératrice. Concernant enfin la vigne et ses fonctions curatives ou protectrices, on peut relever une forte analogie entre la croissance des vignobles royaux ou

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Tas et Weeden 2010. L’occupation du site de Çalapverdi est bien attestée au XIIIème siècle, date du monument publié par les deux auteurs, qui mentionne une divinité solaire. 99 Gurney 1995, 69. 100 Sur la lecture du nom Arnuwanda à SUVASA C, voir Woudhuizen 2007, 30 ; sur la lecture du nom Wanas et les lapicides en Tabal à l’âge du fer, voir Ramaekers-Hue 2005, 443. 101 Gérard 2006. Voir aussi Weeden 2010, 59. 102 Hawkins, CHLI, 493-495.

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer plantés par le roi d’une part, la longue vie, la prospérité et la bonne santé du roi ou du couple royal d’autre part. Ainsi, un rituel hittite, destiné à stimuler la croissance d’un vignoble royal, s’organise comme suit103 : d’abord une prière au dieu de l’orage, suivie d’un remerciement solennel au couple dieu de l’orage-déesse solaire de la terre pour avoir d’abord bien fait prospérer la vigne et ensuite assuré la prospérité de la maison royale, enfin une liste d’offrandes pour une déesse « gardienne du vignoble ». Ces rituels font écho aux inscriptions de SULTAHAN et de BOR. Dans cette dernière, comme on l’a observé plus haut, le roi Warpalawa dit avoir planté un vignoble sacré, alors qu’il était prince, et on relève tout au long du texte des parallélismes entre le vignoble qui doit d’année en année croître et produire toujours plus, et les « longues années » ou les faveurs que Warpalawa attend du Tarhunza tuwarsasi-104. On peut penser ici que la croissance et l’abondance des vignes correspondaient symboliquement aux « longs jours » et à la « bonne santé » du roi, voire des êtres humains en général, de la même manière qu’il existait dans certains rituels de guérison de l’âge du bronze une analogie entre le vin et le flux sanguin105. 4. Le dieu Sarruma : protection militaire, dieu guérisseur et protecteur des princes. Dans le panthéon de Yazĭlĭkaya (reliefs de la chambre A), le dieu Sarruma est le fils du couple formé par Teshoub et Hebat. Sa soeur est la déesse Alanzu106. Du point de vue iconographique, il est représenté souvent sur un léopard ou un lion, et son principal attribut est une lance, symbole des dieux protecteurs et des dieux-montagnes, mais aussi de sa fonction protectrice mili-

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Haas 1988, 131 à 141, et 1994, 328. Texte KUB 43.23. Ainsi §§ 6-7 : « et ici, les années où il me sera favorable, il y aura pour moi 100 tiwatalis de X et 100 tiwatalis de vin sucré ». Le contexte de l’inscription de SULTANHAN n’est pas spécifiquement royal, mais le gouverneur W/Sarwatiwara, qui attend d’après le texte une croissance florissante de son vignoble, place à première vue artificiellement les bienfaits que son « seigneur, le roi Wasusarma » a reçus de Tarhunza immédiatement après la section introductive, dans laquelle il dit avoir « installé ici un Tarhunza du Vignoble  » (sections 2 et 3)  : « Lorsque je l’installai ici / il vint avec toutes ses bontés / et les épis de blé bourgeonnaient sur son pied / et le vin était bon ici. / Et Tarhunza du Vignoble / donna à Wasusarma, le roi, une puissante capacité warpi-. / Et pour lui, il jeta ses ennemis à ses pieds ». 105 Par exemple KUB 43.38 Vo 13-16. 106 Concernant la figure de Sarruma aux IIème et Ier millénaires , voir Trémouille 2006, 191 à 225, et, pour une des premières synthèses sur cette divinité, Laroche 1963, 299 à 312. Sur la diyade Sarruma-Alanzu, établie par les prêtres d’Alep et de Kummani, voir la tablette d’Alep (CTH 698) et Lebrun 2005, 423. 104

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Matthieu Demanuelli taire107. ; il est le « taurillon » (le hubidi) du couple principal, mais aussi un dieu-montagne108, comme on peut le voir sur le relief rupestre de Hanyeri, qui date de l’époque impériale et figure Sarruma comme un taurillon jaillissant d’une montagne. Il apparaît fortement connecté à la royauté, avec une fonction de protection et de guérison des rois et des princes. Deux figures royales ont ainsi fortement participé au développement de son culte, le Grand roi Muwatalli II, puis la grande reine Puduhépa, qui s’est entièrement consacrée à lui et l’honore en tant que divinité guérisseuse de son époux, le grand roi Hattusili III109. La divinité apparaît également comme le dieu protecteur personnel non seulement de Puduhépa elle-même, mais aussi du tukhanti (prince héritier) Mursili III, comme on le voit sur ses sceaux, et de Tudhaliya IV, ainsi qu’il apparaît sur le relief du mur Est de la chambre B de Yazĭlĭkaya, entourant le grand roi de son bras110. Au Ier millénaire, il possède dans plusieurs cas une graphie hiéroglyphique originale (Sarma, avec le pied tourné vers la gauche), différente de celle de l’âge du bronze,  et occupe une place importante dans plusieurs états néohitttes, comme à Alep ou à Tell Halaf, mais surtout à Melid, où il apparaît sur un orthostate, debout sur un léopard et avec les mêmes vêtements et attributs (manteau de prêtre et kalmus) que le roi qui lui fait face et lui offre une libation. On retrouve cette iconographie sur la stèle de DARENDE. En Commagène, le dieu figure sur deux inscriptions d’ANCOZ aux côtés de sa soeur Alanzu, avec son épithète classique à l’âge du fer, « la montagne royale » (voir plus loin). En Tabal, signalons tout d’abord deux inscriptions qui nous donnent une vision générale des principaux dieux du panthéon louvite-hourrite tabalien et dans lesquelles Sarruma apparaît en bonne place : ÇIFTLIK et KULULU 5. Celle de ÇIFTLIK mentionne Sarruma à deux reprises et énumère les constructions de plusieurs temples, le premier pour la triade Tarhunza-Sarhuntas-Sarruma, et le tout dernier pour Sarruma et Alasuwa (Alanzu). L’inscription de KULULU 5 dresse la liste divine suivante, presque similaire (§ 1) : «  les dieux Tarhunza, Hiputa (Hebat), [Ea], Kubaba, Sarruma de Harran, Alasuwa de la ville de Harmana, le dieu Lune de Harran, le dieu Soleil »111.  On constate à travers ces figures de Sarruma et de Hebat une spécificité « ta-

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Haas 1994, 390 à 393. Voir les textes d’Emar ou d’Ugarit notamment. 109 Haas ibid, 391 et le texte KUB 15.1 Ro II 42-44 et I, 19 ff (« si, pour moi, Montagne Sarruma, tu maintiens longtemps en vie mon seigneur, Sa Majesté [Hattusili] alors etc...»). 110 Bittel 1986, 219, ill. 253. 111 Haas ibid, 393. Voir aussi Hutter 2001, 178 à 180. 108

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer balienne », qui est la forte permanence des traditions hourrites telles qu’elles apparaissaient à l’époque impériale, avec toutefois des graphies nouvelles pour les deux théonymes (Sarma et Hiputas)112. Sarruma apparaît ainsi particulièrement populaire en Tabal et ses attestations sont à la fois plus nombreuses et plus récentes (IXème-VIIIème siècles) que dans les autres états néo-hittites, malgré son absence dans l’iconographie : outre les deux temples qui lui sont dédiés dans l’inscription de ÇIFTLIK, on relève un « Sariya, prêtre de Sarruma » dans l’inscription rupestre de SUVASA (inscription B), où le dieu porte l’épithète « roi du WARPI » (« protecteur de l’enceinte »)113. Sarruma est bien attesté dans l’anthroponymie, particulièrement pour les rois (le « grand roi » Wasusarma, qui signifie d’ailleurs « Sarruma est bon, aide, favorise » ou le roi du Hilakku au début du VIIème siècle, Sandasarme, nom formé des deux théonymes Santa et Sarruma) et pour les prêtres (Huhasarma, « Sarruma est l’ancêtre », qui est « putiti [prêtre ?] du dieu Santa », dans l’inscription ERKILET 1). On peut relever aussi un Piyasarma (« donne, Sarruma ») sur les lamelles de plomb de Kululu (K.L.S., Frag. 1). Cette popularité dans l’anthroponymie se retrouve en Cilicie et dans les noms des prêtres de Corycos à l’époque hellénistique, avec des noms comme Rosarmas (théonymes Runtiya et Sarruma), Iasarmas (Ea et Sarruma ?) ou Trokosarmas (Tarhunt et Sarruma)114. Les sources permettent ainsi de dégager en Tabal trois grandes fonctions protectrices différentes pour le dieu Sarruma :

112 Aspect étudié notamment par Hutter in Melchert, 220, note 9, sur la « louvitisation » de ces deux divinités au Ier millénaire, en Tabal et en Commagène. Voir aussi Lebrun 2005, 423 et 426. On retrouve Hebat, déesse « difficile à identifier clairement au Ier millénaire » (Bonatz 2007, 13), sur la stèle de DARENDE, assise sur un trône cruciforme. Vêtu d’un polos, elle tient une coupe et une sorte de bâton, type « bâton à fouir ». En Tabal, elle apparaît dans les deux inscriptions citées et dans l’anthroponymie (nom d’une femme, Taduhepa, sur l’inscription d’EGRIKÖY, probablement une reine, si on se réfère aux exemples impériaux). Pour la stèle de Tavsan Tepesi, voir Aro in Melchert, 321, et Bonatz, 13 : la stèle, qui pourrait dater du IXème ou du Xème siècle avant J.C., voire peut-être avant (forme du chignon, symbole du bâton, type d’autel, traits du visage...) figure soit Hebat, si l’animal figuré sous le trône de la déesse est une panthère, soit Kubaba, si il s’agit d’un lion. Une panthère n’est pas à exclure et la déesse montre ici certains points communs avec la figure de Hebat à Yazĭlĭkaya (chambre A)  : même longue robe à plis verticaux, bâton... Concernant la figure de Hebat, « divinité syro-anatolienne », voir la synthèse de Trémouille 1997. 113 Hawkins, CHLI, 462-463 pour la traduction et les commentaires. Voir aussi Trémouille 2006, 220 et suiv. . Sur le terme WARPI.REX, voir Weitenberg 1977, 49, et Giusfredi 2010, 137, qui le traduit par « roi du téménos ». 114 Houwink ten Cate 1961, 189.

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Matthieu Demanuelli - d’abord un rôle de protection de l’individu sur le champ de bataille. Il est cité en deuxième position dans l’inscription de TOPADA, juste après son père, « courant devant » le roi dans la bataille (§ 17). Sur l’inscription de PORSUK (IXème siècle), le dieu semble être également le dieu protecteur de Parhwira, qui porte le titre de « EXERCITUS-la/i/u-na-sa8 », « général de l’armée », § 2 : « pour moi, mon seigneur Sarruma WAMA- favorablement ». Le dieu a probablement favorisé l’auteur au cours d’une campagne militaire115. On retrouve ici la puissance destructrice et guerrière du dieu. On peut même aller jusqu’à le considérer comme le dieu protecteur des soldats et des armées, comme le montrent plusieurs textes hittites116. De même, avec un caractère lunaire et cité parfois aux côtés du dieu Lune, il protège les serments et les stèles, ainsi que le montre son épithète à KULULU 5, le « Sarruma du Haran ». On notera toutefois qu’à l’exception de cette épithète, Sarruma n’est cité en Tabal dans aucune des formules exécratoires : il joue d’autres rôles.. Il en va de même d’ailleurs pour le dieu Runtiya. - ensuite des fonctions de dieu-montagne, avec son épithète «MONS. REX.SARMA », que René Lebrun traduit par « Montagne Royale », plutôt que par « roi-montagne »117. Cette épithète est le titre le plus attesté pour Sarruma, au IIème comme au Ier millénaire av. J.C., et on le retrouve à plusieurs reprises durant l’âge du fer, dans des inscriptions du royaume de Kumuh, sur le relief n° 7 de Malatya et sur le bol de Persépolis (VIIIème siècle). En Tabal, il apparaît dans l’inscription SUVASA B et sur le fragment d’inscription KULULU 8, où un « prince » se dit « serviteur de la Montagne Royale Sarruma »118. Ce titre et cet aspect de dieu-montagne illustrent ainsi une étroite connexion entre Sarruma et la royauté  : en tant que dieu-montagne protecteur, peut-être d’ailleurs considéré comme primus deus du cortège des dieux-montagnes, il participe à la fondation, à l’enracinement et à la stabilisation du pouvoir royal, ainsi que l’a démontré Michel Mazoyer119.

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Hawkins, CHLI, 528, pour la proposition de traduction « marchait favorablement [à mes côtés] ». Sur l’hypothèse d’une victoire remportée ici par l’auteur de l’inscription au cours d’une campagne militaire, voir Trémouille, 212.

Haas 1994, 390 qui cite un rituel hittite de prestation de serment des soldats, au cours duquel Sarruma est appelé avec le dieu Lune Umbu à détruire tous ceux qui rompraient le serment.

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Lebrun 2006, 254. Hawkins, CHLI, 502, pl. 284.

Mazoyer 2006, 115 et 120 (« Les montagnes sacrées sont, comme dans la religion du 2ème millénaire, étroitement liées à la fondation ; il en va de même de Sarruma [...] »). Dans plusieurs textes de la fin de l’empire, le dieu se substitue au dieu Telipinu dans la fonction de divinité fondatrice. Telepinu disparaît en effet totalement des sources de 119

120

Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer - mais la fonction peut-être la plus intéressante est le rôle particulier de protecteur des fils des rois, des « princes », rôle bien attesté au IIème millénaire. Plusieurs princes héritiers ou fils de rois hittites s’étaient ainsi placés sous la protection spéciale de Sarruma, tout en étant les pontifex maximus de ce dieu, comme par exemple Telibinu, fils de Suppiluliuma Ier, vice-roi d’Alep et « grand prêtre de Sarruma »120, Mursili II, dont le nom de naissance hourrite était d’ailleurs Tašmi-Sarruma, Tudhaliya IV, au nom princier de HišmiSarruma et qui, lorsqu’il sera « Grand roi », fera du dieu sa divinité protectrice personnelle et tutélaire, de même que Mursili III, qui s’est placé sous sa protection lorsqu’il était tukhanti. Ce dernier était le fils de Muwatalli II , « Grand roi » qui, ne l’oublions pas, s’est pendant plusieurs années replié sur le Tarhuntassa, donc au sud de notre espace, pour des raisons politiques et religieuses (pour le « dieu de l’orage de l’éclair », divinité très personnelle de ce roi), et qui a clairement introduit ensuite Sarruma dans le panthéon de la capitale hittite. Or l’inscription de KULULU 8, sorte de courte graffite similaire aux inscriptions rupestres de SUVASA et gravée sur une pierre de petite taille, semble à ce propos intéressante. Elle mentionne un « fils du Héros », donc un prince, qui se dit « serviteur de la Montagne Royale Sarruma », qu’il est possible de comprendre dans ce contexte comme « prêtre de / entièrement dévoué à Sarruma ». Il pourrait s’agir de Wasusarma lui-même, ou plus probablement d’un de ses fils, puisque les inscriptions de SUVASA datent du règne de Wasusarma121. On serait alors face à un exemple de continuité remarquable dans les pratiques politiques et idéologiques hittites-louvites, avec un nouvel indice de la recherche de filiation entre la dynastie tabalienne de Tuwati et la dynastie de Muwatalli-Kurunta-Hartapu, filiation qui ne semble décidément pas aussi lointaine ou superficielle qu’on le pensait. 5. L’autre grand dieu LAMMA, Runtiya : dieu protecteur des forces vives de la nature, des chasses et du territoire royal. Au IIème millénaire, la principale divinité louvite dLAMMA, sumérogramme désignant chez les Hittites les divinités protectrices des forces vives de la nature, est le dieu-cerf Kurunta, nom racourci en Runta, avec pour hiéroglyphe les bois de cerf, symbole de fertilité et du monde sauvage122. Le « Grand roi » du Tarhuntassa, contemporain des « Grands rois du pays de Hatti »

l’âge du fer, au contraire de Sarruma justement, dont les attestations sont nombreuses et variées. 120 121 122

KUB 19.25 Freu 2005, 414. Haas 1994, 450.

121

Matthieu Demanuelli Hattusili III et Tudhaliya IV, porte le théonyme Kurunta et une tête de cerf démesurée forme la graphie hiéroglyphique de son nom sur le relief rupestre de Hatip, la divinité apparaissant ainsi comme son dieu tutélaire, aspect observable également sur plusieurs de ses sceaux123. Dans les différents royaumes néo-hittites de l’âge du fer, Runta/Runtiya est un dieu extrêmement populaire, surtout en Melid et à Kummuh124. Parfois debout sur un cerf, il apparaît avec arc et lance, sur l’orthostate n° 5 de MALATYA, sur le relief n° 4 d’ALEPPO (où le dieu porte son nom de l’âge du bronze, Kurunta)125 ou encore sur le relief rupestre de la rivière Karasu, près de Bireçik, qui figure un roi « mort donc devenu dieu », figuré sous les traits d’un dieu-cerf dont la tête est surmontée par un disque solaire ailé, qui donne un caractère royal au relief126. A Malatya, il apparaît même comme la divinité tutélaire sinon d’une des dynasties royales mélidéennes, en tous cas du roi Satiruntiya, qui affirme que le « dieu Runtiya m’a fait roi ». En Tabal, il est bien attesté dans l’anthroponymie, avec des noms comme Kurti, très répandu en Anatolie centrale et du sud (un roi d’Atuna sur l’inscription de BOHÇA, dans laquelle le dieu occupe d’ailleurs une place importante, un personnage cité dans l’inscription d’HISARÇIK, trois individus cités dans les lamelles de plomb de Kululu...) ou Kurtiya. Runtiya n’apparaît pas dans l’iconographie tabalienne, mais on peut citer malgré tout la stèle retrouvée à Kültepe figurant, non pas le dieu-cerf Runtiya proprement dit, mais une « divinité protectrice » classique, avec lance, lièvre et aigle, fort proche des modèles hittites impériaux et des divinités représentées sur d’autres stèles néo-hittites comme celles de Gölpĭnar (royaume de Kummuh) ou d’Haçibebekli127. Concernant ses protections et faveurs, il occupe une place centrale dans deux inscriptions, celle de BOHÇA et celle de BULGARMADEN, en tant que divinité de la campagne, maître des forces sauvages de la nature et protecteur des chasses, donc en cela connecté aussi à la royauté et à la maîtrise d’un territoire128. Sur la stèle de BOHÇA, au nord de notre espace, élevée à l’époque au milieu d’une zone de chasses royales et peut-être dans des territoires fraîchement conquis, le roi Kurti affirme sa pietas, son pouvoir, sa double protec-

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Mora 1998, 85 à 91. Sur les figures de Muwatalli, Mursili, Kurunta et Hartapu, et la datation, convaincante, des inscriptions de Hartapu voir aussi d’Alfonso, en cours de publication. 124 Hutter in Melchert, 229. 125 Hawkins 2011, 38-39, Fig. 2. 126 Aro in Melchert, 334. 127 Bonatz 2007, 14 ; Hutter 2003, 229. 128 Sur cet aspect sous le règne de Tudhaliya IV, voir Hawkins,

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer tion divine et ses chasses prolifiques sur « ce territoire », à travers une anaphore  : pouvoir politique donné par Tarhunza (§§ 2-3 puis 6-9) / chasses miraculeuses grâce à Runtiya (§§ 4-5 puis 10-12). BOHÇA : « et ici, je suis dévoué envers Runtiya / et ici il m’accorde, en récompense de ce contrat [= ce pacte pieux ?], de tuer des bêtes sauvages » puis « et lorsque mes pères et grands pères vinrent ici, chevauchant / Runtiya ne les aida en effet pas du tout / comme il m’aide moi / car une fois / dans ces territoires, en ce lieu, j’ai chassé 100 gazelles » 129. Ce passage montre ainsi que le dieu Runtiya est bien le maître des animaux sauvages, qu’il s’agisse de gazelles ou, peut-être, de lions. Il illustre également l’idéologie politico-religieuse des chasses royales, qui sont bien un marqueur de domination territoriale, avec les lourdes répétitions de « ici », « en cet endroit », « dans ces territoires », et une preuve à la fois de la force physique exceptionnelle du souverain comme de l’exercice effectif du pouvoir royal, auquel Runtiya est ici clairement associé130. L’inscription rupestre de BULGARMADEN, au sud du royaume de Tuwana, laisse apparaître des éléments similaires. L’auteur dit en effet § 7 : « Par la faveur de Runtiya du IPA, j’ai...[offert] des bêtes sauvages ici, pour mon seigneur ». Outre les gazelles comme cadeaux visiblement appréciés des souverains, on retrouve le rôle de Runtiya, protecteur des forces sauvages de la nature, mais connecté ici à la fois à un cadre montagneux sacré, celui de la « divine montagne Muti », et à un contexte rural et peut-être agraire, avec l’épithète « du IPA »131. Cette épithète de Runtiya, attestée également à l’âge du bronze dans les inscriptions d’EMIRGAZI, un « Kurunta du IPA », du SÜDBURG, une « Shaushka du IPA », mais aussi dans d’autres royaumes néo-hittites comme celui de Gurgum (inscription MARASH 1) et de Kummuh (inscription ANCOZ 1), renvoie à un dieu LAMMA de la campagne et

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Hawkins, CHLI, 480, pour la proposition de traduction d’ « animaux SAMAYA » (§ 5), que l’auteur rapproche de sa-ma-za, « sceau », « document scellé », « contrat », avec ici l’idée d’un pacte. Concernant le terme louv. hwisara, Hawkins le traduit par «  bêtes sauvages », là où Marazzi ou encore Mora préfèrent « lions ». Le § 13 pose lui aussi plusieurs problèmes de traduction : « depuis » ou « car, parce que » ; « une fois » ou « en une seule prise ». 130 Hawkins 2006, sur l’idéologie des chasses royales apparaissant sur les inscriptions du grand roi Tudhaliya IV. 131 Hawkins, CHLI, 524.

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Matthieu Demanuelli des champs132. Il est à noter enfin que Runtiya, en tant que protecteur des forces sauvages de la nature, sera assimilé à l’époque hellénistique à Hermès, comme dans le sanctuaire de Corycos en Cilicie, restant omniprésent dans l’anthroponymie. 6. Les autres divinités majeures du panthéon tabalien : le dieu Lune de Harran, Kubaba et son cercle, Santa et son cercle, Nikaruha. D’autres dieux peuvent compléter ici ce panel, mais ils apparaissent en Tabal et dans l’état actuel des sources presque exclusivement dans les formules de protection et d’imprécation qui concluent nombre de monuments de cette époque, à l’exception notable de la présence de plusieurs d’entre eux dans les deux « listes » divines examinées précédemment et de la figure, plus complexe, de Kubaba. Quatre grandes divinités sont ainsi omniprésentes dans les formules finales des inscriptions tabaliennes, et certaines possèdent aussi leur cercle fait d’enfants monstrueux, de compagnons et d’émissaires : le dieu Lune de Harran, Kubaba et son cercle, Santa et son cercle, et enfin Nikaruha. Dans ce type de formules, construites sur les mêmes schémas que celles de l’époque impériale (inscriptions d’EMIRGAZI ou de YALBURT par exemple), tous ces dieux, qui sont souvent invoqués par groupes, possèdent donc principalement une fonction de protection des stèles, funéraires ou autres, des temples mais aussi des contrats, des bâtiments et parfois une cité (KAYSERI § 3-4) ou un « pays » entier. Certains montrent des connexions avec la sphère de l’application des peines et plus généralement de la justice. Ils occupent le rôle de dieux punisseurs et vengeurs, convoqués pour châtier et « être TARPA- contre » quiconque, quel que soit son rang ou son statut, déplacerait une stèle funéraire ou dérangerait un défunt (KULULU 2 §§ 5-7, et 3 § 8), romprait un serment conclu lors de la construction d’une forteresse (KARABURUN §§ 7-13) ou un pacte sacrificiel avec un dieu (BULGARMADEN §§ 12-17, et EREĞLI §§ 3-4), profanerait un vignoble sacré et/ou mettrait à terre une statue divine (SULTANHAN, base et partie E. de la stèle), détruirait des temples (KULULU 5 §§ 7-17) ou des bâtiments agricoles et viticoles (KULULU 1 §§ 7-11), ne s’acquitterait pas de sa tâche religieuse, politique ou administrative. Ces formules sont souvent codifiées, avec des topoi récurrents et en deux étapes: un ou plusieurs dieux commencent par pour-

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Haas 1994, 452 à 454, qui cite les différentes divinités LAMMA attestées dans les textes hittites : « les divinités LAMMA des champs, des forêts, des fruits, des montagnes, des fleuves, du monde animal ».

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer chasser, déstabiliser ou blesser le coupable, puis un ou plusieurs autres l’achèvent, la plupart du temps en le dévorant, tout ou en partie (KULULU 1, SULTANHAN, KAYSERI, BULGARMADEN). On note enfin que trois parties du corps humain peuvent faire l’objet d’attaques spécifiques, et devaient être alors considérées comme particulièrement – et assez logiquement - indispensables à l’être humain : le coeur surtout (celui de l’agresseur du lieu doit être « dévoré » dans les inscriptions de KULULU 5 et de KARABURUN), mais aussi les pieds et les yeux (le dieu Lune et Kubaba doivent « avaler » les yeux et/ou les pieds du coupable de parjure à KARABURUN). Mais il est malgré tout possible à la fois d’identifier des rôles et des fonctions de protection très spécifiques à chacune de ces divinités au premier abord exclusivement « punisseuses », mais aussi d’en tirer quelques éléments qui nous permettraient de mieux comprendre ces différentes figures divines, pour l’instant absentes des dédicaces et des stèles religieuses qui sont parvenues jusqu’à nous, ainsi que leurs cultes et certaines pratiques funéraires. Le dieu Lune de Harran apparaît dans quatre des sept inscriptions contenant des formules d’imprécation et de protection. Dès le IIème millénaire, alors que le dieu Lune Arma domine en Anatolie occidentale, deux autres divinités lunaires sont vénérées au Kizzuwatna et dans le Tarhruntassa, le dieu hourrite Kushuh et surtout le dieu Lune local de Harran133. Sous sa forme lunaire, Arma se maintiendra dans les cultes et l’anthroponymie en Pamphylie, Cilicie, Carie et en Lycie, mais c’est le dieu Lune de Harran qui reste la seule et unique divinité lunaire attestée dans les sources tabaliennes du IXème au VIIème siècle. Il joue à la fois un rôle de dieu protecteur des monuments et de punisseur des profanateurs (il est celui qui « frappe » le coupable à BULGARMADEN, qui « blesse » avec sa KIPURA-134, probablement sa tiare, avec cornes et croissant de lune, à KAYSERI et à SULTANHAN), mais aussi le rôle d’un dieu de la justice, de garant et de surveillant de l’application des serments et des contrats, fonction classique d’une divinité lunaire telle qu’elle apparaît chez les Hittites au IIème millénaire, dans les autres états néo-hittites anatoliens mais aussi dans les royaumes araméens au Ier millénaire135. Enfin, et

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Hutter in Melchert, 227-228. Voir aussi Haas 1994, 374. Hawkins, CHLI, 475 : “« CORNU »k[i-p]u+ra/i”. 135 Par exemple dans le traité conclu entre Kurunta et Tudhaliya IV, sont cités dans le troisième groupe de divinités garantes du traité « Kulitta, le dieu Lune roi du serment, Ningal reine du serment ». Au Ier millénaire, le dieu Lune de Harran (Bonatz 2007, 14) apparaît dans l’iconographie des royaumes de Malatya, de Karkemish et d’Alep, systématiquement associé au dieu-Soleil (les symboles des deux divinités étant parfois intervertis), ce qui se retrouve en Tabal, dans la dernière dyade citée dans la liste de l’inscription KULULU 5. Dans les 134

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Matthieu Demanuelli outre ses liens potentiels avec les cycles menstruels et le bon déroulement des accouchements, attestés au IIème millénaire, il semble être chargé, en lien avec sa fonction de garant des serments et des pactes, de protéger spécialement les inscriptions contenant une prestation de serment, et de punir quiconque viendrait effacer – une damnatio memoriae -, et détruire les « mots gravés » sacrés, comme à KARABURUN et probablement à KAYSERI. Ainsi à KARABURUN, deux personnages, un roi et un gouverneur concluent un contrat (un samaza) suite à la construction commune d’une forteresse, contrat qu’ils ont « gravé sur la pierre », à l’entrée de la citadelle (§§ 6-7) . Le dieu Lune de Harran occupe ces deux fonctions : il doit d’abord, aidé de Kubaba, « avaler les yeux et [ou] les pieds » de chacun des contractants, ou de sa descendance, qui « voudrait du mal » à l’autre (§§ 7-10), mais il est ensuite censé, cette fois seul semble-t-il, «  descendre [avec] KIHARANI- sur lui et [dévorer  ?] le coeur » de celui qui effacerait ce pacte sacré ou réécrirait par- dessus (§§ 1113). Cette inscription révèle d’ailleurs deux éléments intéressants, qui illustrent la vitalité des cultes rendus à ce dieu en Anatolie : d’une part le couple formé avec Kubaba, attesté aussi à SULTANHAN et nouvel indice de l’identification en Tabal au Ier millénaire entre Kubaba et une des grandes divinités garantes des serments hittites au IIème millénaire NINGAL136, et d’autre part, outre le nom classique de « dieu Lune » ((DEUS)LUNA + MI), deux épithètes différentes, le « roi du Harran » (REX ha+ra/i-na-wa/i-ni-sa) et le « dieu de la ville de Haran » (REX-ti hara/i-na-wa/i-ni-sa (URBS) ). Kubaba ensuite, déesse à la fois originaire et tutélaire des dynasties de Karkemish (la « divine reine du pays »), semble connaître un succès important, tant dans les différents royaumes anatoliens que dans des Etats sous influences araméennes comme à Sam’al137. Cette origine est d’ailleurs explicite

royaumes araméens, cette fonction de garant des serments chez le dieu « Sin de Harran » est bien représentée dans l’iconographie : le croissant de lune et les deux cordelettes figurées à ces deux extrémités symboliseraient le dieu-Lune et les deux parties concernées par une prestation de serment, et ce symbole du croissant ou du disque lunaire figure sur nombre de sceaux apposés sur des documents officiels et administratifs (synthèse de Bonatz ibid, 18). 136 Sur cette identification au Ier millénaire entre Kubaba et soit NINGAL, soit Lelwani, voir Mazoyer 2006, 119-120. Voir aussi les notes précédentes 118 et 120. Dans les formules exécratoires des inscriptions de BULGARMADEN et de KAYSERI, Kubaba et le dieu Lune de Harran apparaissent ensemble, mais pas côte à côte, comme c’est le cas dans les deux autres documents cités. 137 Hutter in Melchert, 272-273. De même, Aro, 320-321. Sur Kubaba à Sam’al et sur la déesse formant un couple avec Nikaruha sur un orthostate de Malatiya (Xème s.), voir Bonatz 2007, 13 et 15. Sur la triade avec Tarhunt et Nikaruha à Karkemish, voir Haas 1994, 408. Des traces de ces différentes associations (couple ou triade) peuvent être relevées en Tabal sur les inscriptions de BULGARMADEN (Tarhunt et Kubaba, pour la protection et la ges-

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer sur l’inscription de SULTANHAN (base, Face C.), avec l’épithète « Kubaba de Karkemish ». Comme on l’a vu plus haut et dans les deux notes précédentes, elle peut être associée à des dieux très divers, dans des couples ou des triades, sans caractère théologiquement fixe et établi : avec Ea, assimilée dans ce cas à Lelwani, « maîtresse des enfers » et compagne d’Ea dans plusieurs textes hittites ; avec le dieu Lune surtout, assimilée alors à NINGAL, épouse du dieu-Lune au IIème millénaire ; avec Tarhunza et / ou Nikaruha, donc plus proche ici de la « Kubaba de Karkemish » originelle138. C’est visiblement en Tabal une déesse particulièrement violente et terrifiante, qui dans les formules d’imprécation « avale » l’ennemi (KARABURUN) ou « l’attaque par derrière » (SULTANHAN, KAYSERI), et elle n’apparaît pas dans son rôle de reine de la vie et de déesse de la fertilité, du moins dans l’état des sources tabaliennes actuelles et à l’exception peut-être de l’inscription de BULGARMADEN. Sur l’inscription KULULU 1 (§§ 11-12), elle est aidée dans un rôle punisseur par un de ses enfants, un « chien HASAMI- de Kubaba », qui doit poursuivre puis « dévorer la descendance et la propre personne » de l’agresseur. A noter qu’un « chien de Nikaruha » apparaît dans un contexte imprécatoire similaire, sur l’inscription KARKEMISH A 6139 : les chiens-enfants de divinités terrifiantes et en lien avec les enfers semblent ainsi en être les auxiliaires monstrueux, qui achèvent les ennemis. Elle est aussi bien secondée par les « dieux du ATAHA- », systématiquement chargés de « dévorer » l’ennemi (KULULU 5, où ils apparaissent sans Kubaba mais avec un « dieu ARMALI-  », sorte d’émissaire divin140  ; base de SULTANHAN, KAYSERI). Sur ces deux dernières inscriptions, ces divinités semblent appartenir au cercle de Kubaba, puisqu’elles apparaissent immédiatement après que la déesse a « attaqué par derrière » l’ennemi. On peut émettre plusieurs hypothèses sur ces divinités  : il peut s’agir de divinités infernales, particulièrement terrifiantes, appartenant au IIème millénaire au cercle de Lelwani ou à celui d’Iyarri, mais il n’est pas impossible de les voir comme des dieux spécialement protecteurs des infrastructures cultuelles, des temples, et en particulier du naos. Ils apparaissent ,en effet, exclusivement dans des formules destinées à protéger des statues divines (SULTANHAN et KAYSERI) ou des temples (KU-

tion des mines de la Montagne Muli, formant peut-être une triade avec le dieu Runtiya, Lebrun 2005, 421), de KAYSERI (triade Tarhunt / Nikaruha / Kubaba dans la formule de protection) et peut-être de KULULU 1, où Tarhunt est associé à un chien-enfant de Kubaba dans la punition des potentiels agresseurs de la stèle. 138 Voir sur ces aspects Hawkins 1981. 139 Hawkins, CHLI, 474. 140 Idem, 487, qui propose « une sorte d’agent, d’envoyé divin ».

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Matthieu Demanuelli LULU 5). Un passage de l’inscription de KAYSERI, dont la traduction reste toutefois très problématique, pourrait peut-être aller dans ce sens, § 12, « et que les dieux du ATAHA-, ceux de la chambre de l’intérieur ( ?), le dévorent », si bien sûr cet « intérieur » est à comprendre comme la chambre ou le « saint des saints » d’un temple ou d’un sanctuaire141. Dans une autre fonction, en lien probablement avec la sphère des enfers et des mondes souterrains, Kubaba semble être la déesse des mines et des sous-sols montagneux (BULGARMADEN, § 4-6  : «  Tarhunza et Kubaba l’ont [la divine Montagne Muti] rendue prospère », suivi du passage dans lequel l’auteur semble affirmer qu’il a « bien exploité les mines »). Enfin, comme le dieu Lune, Kubaba est aussi une déesse de la justice, des tribunaux et bien sûr de l’application des peines, en tous cas à Karkemish, comme le montre un document inédit et fort intéressant traduit par Hawkins, où figure une « Kubaba du procès, du tribunal »142. Enfin, le dieu Santa, omniprésent dans l’onomastique de Kültepe et dans le rituel de Zarpiya, est au IIème millénaire à la fois un garant des serments, un dieu sanglant et guerrier, dans le cercle du grand dieu hittite - mais emprunté aux Louvites - de la guerre, Iyarri, avec lequel il se confond parfois, et aussi une divinité des épidémies et de la mort143. Son culte est attesté en nord Tabal aux IXème-VIIIème siècles, l’inscription ERKILET 2 évoquant un «  putiti du dieu Santa », probablement un prêtre ou un fonctionnaire du culte144. L’inscription d’ISTANBUL 2 (règne de Tuwati) pourrait mentionner son nom, dans un contexte confus de guerre et de pillages145. C’est en lien avec cette sphère de la mort et des pratiques funéraires qu’on le retrouve en Tabal au Ier millénaire, sur l’inscription de KULULU 2, où il occupe une double fonction. Il est d’abord celui qui protège le monument funéraire, secondé par les divinités marwainzi, « les sombres, les ténébreux » des textes hittites, euxaussi membres du cercle d’Iyarri146. Nous retrouvons d’ailleurs le même topos

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Hawkins, CHLI, ibid., reste très prudent sur cette proposition de traduction, qu’il suggère à partir du terme a-ta-ti-, « intérieur ». Il est d’ailleurs à nouveau question de « tous les intérieurs des ces bâtiments » à la fin de l’inscription, § 20, mais dans un contexte obscur. 142 Hawkins 2008, 185, qui propose « Kubaba of the law-suit ». 143 Sur ce dieu, voir les études de Kammenhuber 1990, 191 à 193 pour le Santa « louvite », de Melchert 2002 et de Polvani 2002. Pour une synthèse rapide, voir aussi Hutter in Melchert, 228-229. Sur Santa et les dieux « aux habits tâchés de sang » Innarawantes (litt. « les violents ») dans le rituel de Zarpiya, voir Collins 1997, 163, et Starcke 1985, 50 (1.29’). 144 Bien un prêtre pour Hawkins, 494, qui suit Meriggi. Idem Lebrun 2005, 424 ou Giusfredi 2010, 121. 145 Taş et Weeden 2011, 59. Il est question en A:(3’) d’un « dieu Sanana(nta) ») mais les auteurs restent prudents sur son ientification avec Santa. 146 Hawkins, CHLI, 490. Cf. Starcke 1986, 162. marwai- : „sombre, noir“.

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer d’égalité de tous face à la faute commise, ici le déplacement ou la destruction de la stèle funéraire, examinés plus haut :  KULULU 2, §§ 5-7 : Quiconque me dérangera, qu’il soit un grand homme ou une humble personne, qu’importe son statut / que les dieux marwainzi de Santa attaquent cet endroit ! / Puissent-ils apposer leurs sceaux sur [= condamner] sa maison !147 La deuxième fonction perceptible de Santa dans cette inscription est le rôle funéraire cette fois général, § 3 : « grâce à Santa, je suis mort sur mon lit en mangeant et en buvant ». La divinité peut à la fois accorder une « belle mort » à l’individu, mais aussi, en tant que dieu de la guerre et des épidémies, infliger la « male mort ». Il est à noter ici que le culte de Santa conservera les faveurs des populations lydiennes (avec les divinités marwainzi-), ou lyciennes (forme un couple avec Cybèle), et le dieu sera assimilé par les Grecs à Héraklès à l’époque hellénistique148. Quelques informations concernant les cultes et les pratiques funéraires peuvent enfin être relevées dans cette inscription, dans laquelle l’auteur dit que ses enfants « ont ZARUMATA le KAWARI pour moi  » (§ 5), deux hapax legomenon désignant probablement des pratiques funéraires149, et dans l’inscription KULULU 3 (§ 4), où le scribe défunt affirme que ses enfants lui « ont donné [... ?] et à moi, du bon pain »150, qui, peut-être, caractérise ici des offrandes funéraires ou suggère, justement, une « bonne mort », entre abondance, satiété et bonne santé. Ces différentes divinités présentes dans les formules de protection des stèles, des temples ou des cités, auxquelles on pourrait ajouter «Nikaruha et le dieu maruwani- » de KAYSERI (§ 8)151 ou la courte liste divine finale « les

147 On peut noter ici le rôle joué par les dieux marwainzi : comme l’agresseur a profané la demeure du défunt, alors ces dieux s’en prennent à la demeure de l’agresseur de son vivant, condamnant « sa maison ». 148 Sur ces aspects, voir Lebrun 1987, 247-249 ; Haas 1994, 408 ; Dalley 1999 ou Melchert 2002, 242 et 243. Concernant l’importance de Santa dans l’anthroponymie hellénistique et à Tarse, dont le dieu était à l’époque gréco-romaine la divinité poliade, voir Houwink ten Cate 1961, 136 et 201, et Kammenhuber 1990, 192. 149 Hypothèse de Hawkins, CHLI, 489. 150 Hawkins, idem, 491 (« PANIS-ni-sa »). 151 Nikaruha, particulièrement vénéré et haut-placé dans le panthéon à Karkemish (Haas 1994, 408), supplante Runtiya, en tant que divinité dLAMMA, dans plusieurs royaumes néohittites (Bonatz 2007, 13, mais pas en Tabal) et figure souvent, cette fois davantage sous un aspect de divinité ZA.BA4.BA4, comme gardien des portes des cités, par exemple à Sam’al, où il est d’ailleurs nommé dans une inscription (Masson 2010). Il apparaît finalement peu en Tabal et avec un aspect terrifiant. Il est chargé de « faire chuter » le coupable à KAYSERI (§ 8) et de le « dévorer » à BULGARMADEN (§ 16), précédant la déesse Kubaba dans les deux

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Matthieu Demanuelli dieux du ciel et les dieux de la terre, les dieux et les déesses » de la base de SULTANHAN (Face D.)152, ont ainsi un rôle de gardiens sacrés, devant punir quiconque profanerait l’espace mis sous protection. Mais on peut remarquer ici toutefois, élément marquant et propre au Ier millénaire, que les rois ou tarwani sont aussi invoqués aux côtés de ces dieux punisseurs, dans un rôle similaire de surveillance, de protection ou d’entretien des différents espaces, comme à SULTANHAN, où l’auteur en « appelle à l’autorité royale contre » tout agresseur153, ou à KULULU 1, où l’auteur envisage sa mort et termine son inscription ainsi, § 15-16 : « Par la justice de Tuwati [le grand roi] / ces bâtiments devront rester intacts ! ». Tout agresseur, quel que soit son statut social – roi ou reine, roi ou gouverneur, notable ou humble personne, homme ou femme - , est bien égal devant cette « loi ». Dans beaucoup de cas, ces divinités sont les garants d’un pacte, à la fois social, religieux et politique. Le terme louvite samaza est utilisé pour caractériser trois grands types de pactes154  : véritable serment ou contrat conclu entre deux parties (KARABURUN), dont l’application est surveillée spécifiquement par le dieu Lune de Harran ; pacte lié aux pratiques funéraires concernant l’érection, la surveillance et l’entretien d’une stèle funéraire (KULULU 2, citant le lalamanza, peut-être la stèle elle-même ou un autre pacte, conclu soit entre le père et ses fils, soit entre les fils du défunt, et probablement KULULU 3)155, protégée spécialement par Santa, dieu de la mort et des cultes funéraires  ; un pacte sacré, où un individu instaure des sacrifices et des of-

cas. Sur le « dieu maruwani- », voir Lebrun 2005, 425, qui fait dériver le terme du substantif louvite *maru / matu, « le vin ». Il s’agirait donc d’une divinité habitant le vignoble. Dans la mesure où ce dieu apparaît dans les formules d’imprécation et de fondation sacrée, il serait tentant d’y voir une divinité «  gardienne  des vignobles  », telle qu’il en existait à l’âge du bronze hittite, comme l’atteste le texte KUB 43.23 cité plus haut, qui mentionne des offrandes à une « déesse gardienne du vignoble ». 152 Rappelle un passage du traité entre Kurunta et Tudhaliya IV, qui mentionne dans le sixième groupe des divinités garantes du pacte « les dieux et les déesses, le Ciel-Terre, la grande Mer [...] » (Lebrun 1992). 153 Stèle partie E. et base, partie F., après les formules faisant intervenir les dieux punisseurs : «  quiconque viendrait agir avec malveillance contre W/Sarwatiwara / ou viendrait s’en prendre à cette cité / [...] au pays / ou [...] / nous en appellerons l’autorité royale contre lui / Que cette place reste inviolée ! » 154 Hawkins, CHLI, 489, qui fait dériver ce mot « CAPERE-ma-za », samaza, du stème sa-, « sceau », donc « document scellé, contrat ». 155 Hawkins, CHLI, 489, qui émet l’hypothèse que le samaza désignerait ici la stèle ellemême, dont l’érection, après les obsèques, et l’entretien étaient à la charge des enfants de la personne défunte (KULULU 2 et 3) ou à défaut de la personne la plus proche dans les liens de parenté (le neveu du défunt à KULULU 4). Sur la stèle, probablement funéraire, d’EGREK, il semble que ce soit le père du défunt qui ait élevé le monument pour son « bien-aimé fils ».

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer frandes codifiés, que son successeur devra renouveler chaque année (par exemple le samaza- instituant le sacrifice annuel d’un mouton-kurupi aux dieux de la Montagne Muti à BULGARMADEN ; EREĞLI également, où l’auteur instaure le sacrifice de plusieurs moutons pour Tarhunt). Ces dieux possèdent donc une fonction bien plus fondamentale qu’un simple rôle punisseur et vengeur : ils participent à la paix sociale, à la stabilité politique et religieuse des communautés, dans la vie comme dans la mort156. Ils montrent enfin des continuités remarquables avec les structures religieuses de l’âge du bronze hittite et la longue liste des divinités garantes du traité entre Kurunta et Tudhaliya IV peut se révéler comme un référent comparatif convaincant. Mais les mutations et le dynamisme religieux sont aussi bien certains : prêtres et cultes attestés, couples divins et triades multiples, fonctions particulières, comme pour le dieu Lune de Harran ou Kubaba, mais aussi des mutations, importance des divinités de la justice et du droit, épithètes divines originales, participation des rois ou des tarwani locaux à cet équilibre social et à cette justice protectrice ou punitive, multiplication des pactes et des serments dans la vie religieuse, économique et politique quotidienne, dieux punisseurs a priori non attestés auparavant et dont les théonymes ont récemment été étudiés comme le « chien-HASMI de Kubaba » et le « dieu maruwan- » ou restent encore à analyser comme « l’ARMALI » ou les « dieux du ATAHA- ». Ainsi, dans les schémas de pensée religieuse louvites, tels qu’ils apparaissent en Tabal à l’âge du fer, faveurs et protections des dieux ne viennent que si la personne a rempli certaines conditions pendant sa vie terrestre, conditions bien attestées dans les inscriptions tabaliennes, entre permanences et mutations : piété optimale d’une part, mais aussi actes justes et bons d’autre part. En échange, le roi, par exemple, attend et doit recevoir du ou des dieux plusieurs types de faveurs : force et puissance, bonne santé et satiété, longue vie et « belle mort ». On peut donc isoler quelques divinités aux grands pouvoirs protecteurs et/ ou guérisseurs, à travers des sphères de protection spécifiques, dont les deux dénominateurs communs seraient au Ier millénaire la fertilité et la justice   : Tarhunt, qui accorde les victoires sur les champs de bataille, épargne au roi les coups mortels de ses ennemis, donne la royauté et les territoires, mais distribue aussi les fruits de la terre, assurant une fonction agraire et fécondante, ce

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Bonatz 2000, 162. Les différentes statues et les stèles, surtout les monuments funéraires, ont bien « pour but de préserver l’identité collective de toute la communauté, qu’il s’agisse de la « communauté politique » de la cité Etat en question, ou de la « communauté privée » du cercle familial ».

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Matthieu Demanuelli qui apparaît comme un trait propre et endogène au Tabal, notamment à travers la figure du Tarhunza du Vignoble, ses cultes et ses sanctuaires rupestres, comme à Ivriz ; son fils, Sarruma, est un protecteur des armées et des soldats, tout en montrant une fonction de divinité tutélaire personnelle et potentiellement guérisseuse des « princes » et en participant, en tant que « Montagne royale », à la fondation, à la stabilisation et à la régénération du pouvoir royal ; le dieu cerf Runtiya, grande divinité LAMMA tabalienne, protège les forces sauvages de la nature et les espaces ruraux, en accordant aussi ses faveurs lors des chasses royales et en permettant au souverain une bonne maîtrise, une domestication de son territoire. Enfin, le dieu Lune de Harran reste le protecteur et le garant des serments comme des documents qui les officialisent, Kubaba est une divinité aux facettes complexes et aux associations diverses, en lien avec la justice, l’application du droit et des peines mais aussi la protection des ressources du sous-sol, et Santa se charge de la sphère funéraire, accordant bonne ou «  male mort  » et surveillant aussi bien les cultes que les stèles funéraires. D’autres divinités semblent plus discrètes, dans l’état actuel des sources, mais sont bien attestées, avec des fonctions de protection malgré tout perceptibles, si l‘on se réfère à certaines inscriptions du Ier millénaire et aux traditions hittites impériales : Hebat, « Reine des Cieux », proche des reines, le dieu Soleil Tiwat, qui insuffle le principe de vie à la naissance, veille à la survie de l’individu et participe lui aussi à la croissance des fruits de la terre et à la satiété, Nikaruha enfin, divinité punisseuse redoutable en Tabal, participe à la surveillance des lieux mis sous protection, en gardien féroce et impitoyable. De même, la montagne et la roche, la vigne et le vin, éléments et symboles surreprésentés à l’âge du fer, chargés de divin et de pouvoirs sacrés, prophylactiques ou guérisseurs, jouent un rôle important dans la protection et la vie de l’individu, dans la garantie d’une longue vie, d’une bonne santé et d’une fertilité optimale. Ces éléments démontrent bien l’existence d’une « religion tabalienne »157, sous forte influence mais non strictement louvite, faite à la fois de continuités particulièrement fortes et d’échos souvent étonnants avec le IIème millénaire hittite-louvite, quatre siècles après la chute de l’empire, puisant dans une idéologie, une histoire, des traditions cultuelles et des mentalités millénaires, mais aussi de ruptures et d’innovations, « louvitisant » des composantes hourrites, nord-syriennes et néo-assyriennes, ou intégrant des éléments phrygiens, urartéens et phéniciens158. Cités-états et royaumes tabaliens constituent ainsi autant

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Hutter in Melchert, 275. Aro 2011, 7. Parlant de la présence louvite dans le royaume d’Alep, l’auteur conclut en insistant sur ce trait saillant des Louvites : « les Louvites ne furent pas politiquement très do-

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Faveurs et protections divines en Tabal à l’âge du fer d’espaces-carrefours et de plaques-tournantes, intégrant et transmettant d’innombrables influences et divinités, dont certaines resteront particulièrement vivantes du VIIème au Vème siècle en Lydie, Lycie, Carie ou Cilicie, puis aux époques achéménide, hellénistique et romaine, comme Tarhunt, sous sa forme générale ou son aspect « du Vignoble », Sarruma, Runtiya, Santa et certaines Montagnes divines, comme le Mont Argée, le Mont Casius et sans doute la Montagne Muti et la Montagne Puškurunuwa. Cette religion montre bien des dynamismes intenses et une créativité religieuse de la part des souverains et des élites locales, avec des panthéons très divers, des dieux personnels-synthèses originaux et des épithètes multiples, mais illustre aussi une idéologie politico-religieuse d’un nouveau type, plus désacralisée et moins guerrière, avec des valeurs de bonne gouvernance, des qualités humaines et des fonctions royales considérées désormais comme indispensables pour s’attirer les faveurs des dieux : le roi applique sa justice, y compris pour les couches sociales les plus pauvres, fixe des prix stables, participe activement à l’aménagement du territoire. En cela, le Tabal, qui demeure à ce jour un des espaces les plus riches et les plus complexes par comparaison aux autres états néo-hittites, conservatoire par excellence des traditions hittites de l’âge du bronze159, offre bien « un des plus grands champs d’investigation pour l’historien des religions de l’Anatolie antique, de la préhistoire à l’époque gréco-romaine », pour reprendre les mots de René Lebrun160. Les recherches récentes ou en cours et les découvertes de nouvelles inscriptions en hiéroglyphes louvites se multiplient depuis quelques années, invitant à l’étude de divinités problématiques ou non attestées auparavant dans les sources tabaliennes161. Il en va de même pour plusieurs missions et chantiers archéologiques très prometteurs, comme les sites

minants, mais quoi qu’il en soit, ils semblaient culturellement avoir une extraordinaire capacité à donner et à emprunter ». Aro souligne également l’importance au Ier millénaire de « ces « Hittites parlant louvite » comme transmetteurs de l’héritage hittite ». 159 Demanuelli, Images et langages du pouvoir royal en Anatolie et Syrie du Nord, de la chute de l’empire hittite à la fin de l’empire assyrien : entre permanences et mutations, Master 2, Université Lumière Lyon 2, 100. 160 Lebrun 2005, 426. 161 Par exemple les inscriptions d’ISTANBUL 2, de GÖSTESIN, d’IVRIZ 2, ou la lettre sur plomb de Kirsehir. On peut ainsi relever les occurrences du « dieu Husi » (?) à ISTANBUL 2 (Tas et Weeden 2011, 57) ou des dieux « Grain » et « Vigne » à IVRIZ 2. L’anthroponymie révèle elle aussi la permanence de plusieurs divinités louvites du IIème millénaire comme le dieu Ilali (le scribe Ilali, auteur de l’inscription KULULU 3), le dieu de l’orage local Tatta, qui est aussi le nom d’une montagne ( deux « Tatas » sur les lamelles de plomb de Kululu) ou la déesse Mamma (un autre scribe, Tyamamus, à IVRIZ 1, C., si l’on accepte la lecture de Jasink 1995, 139, note 56). Au vu de l’iconographie et des symboles attestés, on pourrait évoquer enfin des divinités pour l’instant non attestées textuellement, et supposer localement le

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Matthieu Demanuelli de Porsuk, de Kemerhisar-Tyana, de Kınık Höyük ou d’Övaören. On attirera également ici l’attention sur la nécessaire activation de recherches approfondies sur des sites comme Ereğli, Ivriz-Ambarderesi ou les tumulus de la région de Tuwana, comme celui d’Hamam Tepe, près de Niğde. Ces investigations sur des sites urbains ou des sanctuaires, en cours ou à venir, dont certains démontrent clairement tout au long de l’âge du fer des continuités d’occupation, en parallèle à la forte pérennité des schémas de pensée religieuse observée dans cette étude entre le IIème et le Ier millénaire, plus précisément entre le XIIème siècle (inscriptions de Hartapu) et le début du VIIème siècle (inscriptions des derniers rois de Tuwana), nous permettront sans aucun doute de mieux comprendre encore les structures géopolitiques et politico-religieuses tabaliennes, tout en comblant, nous l’espérons, ce gap qui subsiste toujours pour les sources centre et sud-anatoliennes, entre le XIIème et le IXème siècles162. Je tiens ici à exprimer toute ma gratitude et ma reconnaissance au Professeur René Lebrun (U.C.L.), ainsi qu’aux Professeurs et Directrices d’étude Maria-Grazzia Massetti-Rouault (EPHE Paris) et Clelia Mora (Université de Pavie), pour m’avoir guidé, conseillé et corrigé, dans cet article comme dans mes recherches. Je remercie également vivement le Professeur et Directeur de la mission de Kınık Höyük Lorenzo d’Alfonso, ainsi que les membres de cette mission, pour m’avoir intégré dans leur campagne archéologique de 2012 et avoir partagé leurs conclusions et leurs recherches, en particulier autour de l’âge du fer anatolien. Bibliographie : Akdoğan R. et Hawkins J.D., 2010. ”The Kirsehir Letter : a New Hieroglyphic Luwian text on Lead Strip”, Acts of the VIIth International Congress of Hittitology, Corum, August 25-31, 2008, Ankara, p. 1-16. Aro S., 1998 Tabal. Zur Geschichte und materiallen Kultur des zentral-anatolischen Hochplateaus von 1200 bis 600 v. Chr. Phd Dissertation University of Helsinki. 2003. “Art and Architecture”, in Melchert H.Craig. éd., The Luwians, Leiden/Boston, p. 281-337.

maintien de leur culte, comme les déesses Ishtar-Shaushka et Pirwa, en lien avec les chevaux, ou la déesse Maliya, « mère du grain et du vin ». 162 Cette absence totale de sources pendant les Dark Ages est déjà sans doute à nuancer, si l’on considère, en évoquant des datations très vagues et incertaines, le petit relief rupestre d’Ivriz (Xème siècle  ?), le relief rupestre aujourd’hui disparu de Karapınar, au nord de Kültepe, (Xème-IXème siècle ?) ou les deux stèles de Tavsan Tepesi (XIème-Xème siècle ?), sans même parler des fragments de statues et de colonnes aux datations très problématiques conservées dans les musées d’Aksaray, de Kayseri, d’Ereğli ou de Sivas.

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LES MARINS ANATOLIENS ET LEURS DIVINITÉS GUÉRISSEUSES DANS LES SOURCES ÉGYPTIENNES Julien De Vos Université catholique de Louvain

Les sources égyptiennes, illustrant les contacts diplomatiques et commerciaux entretenus entre les autorités de la Vallée du Nil et diverses contrées de la Méditerranée orientales, indiquent que l’Anatolie, dès la mise en place de l’État égyptien, n’était pas inconnue des Égyptiens. Les aegyptiaca d’Asie mineure attestent d’échanges culturels et économiques1, tout autant que la présence possible d’objets originaires d’Asie mineure sur des sites datés du Moyen Empire, tel que le dépôt de fondation dénommé « Trésor de Tôd » qui serait à dater du règne d’Amenemhat II2. En outre, les textes eux-mêmes représentent de précieuses sources de renseignements. Évoquons ainsi, à propos des éventuelles campagnes-expéditions pharaoniques qui auraient déjà pu mettre en contact Égyptiens et ressortissants anatoliens au Moyen Empire, les célèbres Annales de Memphis (col. 8-9, 16-18 et 25-26), datées du règne d’Amenemhat II3. Ce texte annalistique, résultant de

1

Pour les aegyptiaca d’Asie Mineure datés de l’Âge du Bronze, cf. en dernier lieu De Vos 2002(a) ; Müller(1) 2002 ; De Vos 2004(b), 149-150 ; Genz 2004 ; De Vos 2007(a).

À propos de ce dépôt d’objets étrangers, de la provenance des artefacts et de leur datation, cf. notamment Bisson de la Roque 1950  ; Bisson de la Roque – Conteneau – Chapouthier 1953 ; Seyrig 1954 ; Montet 1962, 91-96 ; Negbi – Moskowitz 1966 ; Helck 1979, 17-19 ; Porada 1982 ; Walberg 1984 ; Maran 1987 ; Laffineur 1988 ; Bénazeth 1991 ; Pierrat – Étienne – Leconte – Barbotin – Adam – Guichard 1992 ; Menu 1994 ; Pierrat 1994 ; Grimal 1995, 21-22  ; Maxwell-Hyslop 1995  ; Warren 1995, 3 et 12-13  ; Laffineur 1998, 62-63.

2

3 À propos de ce texte, cf. Farag 1980 ; Posener 1982 ; Ward 1987, 528 et n. 90-91 ; Helck 1989 ; Valbelle 1990, surtout 88-89 ; Altenmüller – Moussa 1991 ; Goedikke 1991 ; Malek 1992 ; Malek – Quirke 1992 ; Redford 1992, 78-80 ; Pierrat 1994, 23-24 ; Haider 1995 ; Obsomer 1995, 505-507 et 595-606 doc. n° 53 ; Vandersleyen

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Julien De Vos la compilation des archives royales, transmet avec soin diverses informations, permettant de prendre connaissance de toutes les activités de l’État. Les relations avec les pays voisins y prennent singulièrement une part importante. Non seulement est ici question de l’envoi d’une expédition vers Ioua, soit le topo{ég. Ἰ-wț-ỉ} ou {ég. Ἰ-wț-țN25} que l’on a volontiers identinyme fié comme pouvant être la ville d’Ura4, mais il est fait aussi mention d’Iasy, sous {ég. Ἰ-ț-s-ỉ-ỉ}. La plupart des égyptologues n’hésitent plus à atla forme tacher ce dernier toponyme Asiya à la désignation Alasiya, en l’occurrence l’île de Chypre5. Néanmoins, une identification avec l’Aššuwa des sources hittites et des tablettes mycéniennes de Mycènes, Pylos et Cnossos ne peut être légitimement écartée6. Dès lors, en se fondant sur les sources anatoliennes, il serait alors

1995, 80 ; Eder 1996, 176-195 ; Redford 1996, 79 ; Flammini 1997 ; Giumlía-Mair – Quirke 1997 ; Dantong 1998 ; Marcus 1998 ; Pereyra de Fidanza 1998 ; Flammini 2001, 61-63 ; Cohen 2002, 41-45 ; Marcus 2002 ; Flammini 2004, 76 et 80-81 ; Grimal 2005, 558 ; Tallet 2005, 170-172 et 302 n. 247-249 ; Grajetski 2006, 46-47; Wastlhuber 2006 ; Kitchen 2007, 4-8 ; Marcus 2007 ; Grimal 2009(a) ; Wastlhuber 2009 ; Ilin-Tomich 2010 ; De Vos 2011, 239. 4 La ville méditerranéenne d’Ura (II) est connue, dans les textes hittites, comme un port par lequel étaient vraisemblablement importés des lainages colorés ainsi que des grandes quantités de blé. Ses marchands ont eu des activités commerciales et « bancaires » d’importance à Ougarit. Pour ce toponyme, son étymologie (louv. ura- = « (La) Grande »), cf. en dernier lieu Goetze 1962 ; Cornelius(1) 1973, 186 ; Grayson 1975, 103-104 ; Freu 1980, 457 et suiv. ; Jasink 1988 ; Jasink 1990 ; Lemaire – Lozachmeur 1990 ; Lemaire 1994 ; Haider 1995 ; Lebrun 1995 ; Bryce 1998, 364 et n. 19 ; Hajnal 2011, 254. 5 Pour un aperçu bibliographique sur les relations entre Chypre et l’Égypte, cf. particulièrement Vercoutter 1956, 86-95, 139-145 et 179-182 ; Helck 1971, 290 ; Holmes 1971 ; Muhly 1972 ; Dugand 1973, notamment 130-136 ; Merrillees 1978, 111-119 ; Helck 1979, 28-29 et 34-35  ; Hellbing 1979, ch. 7-8  ; Osing 1980  ; Strange 1980, 16-20  ; Holmes 1982 ; Muhly 1982 ; Knapp 1983 ; Muhly 1983 ; Baurain 1984, 25 ; Knapp 1985 ; Wachsmann 1986 ; Buchholz 1987(b) ; Helck 1987, 222-224 ; Merrillees 1987 ; Wachsmann 1987, ch. 6 ; Freu 1989, 154-170 ; Knapp 1991 ; Merrillees 1992 ; Osing 1992 ; Cline 1994, 60 ; Karageorghis 1995 ; Quack 1995 ; Knapp 1996 ; Senfe 1996 ; Knapp 1997 ; Cline 1998(a) ; Buchholz 2000 ; Iacovou 2001 ; Goren – Finkelstein – Na῾aman 2002 ; Cochavi-Rainey 2003 ; Goren – Bunimovitz – Finkelstein – Na῾aman 2003  ; Goren – Finkelstein – Na῾aman 2004, 57-62 et 88-90  ; Lebrun 2004 ; Casabonne – De Vos 2005, 87-88 et n. 14 ; Cline 2005(a) ; Fabre 2005, 29-30 ; Cline 2007, 199 ; De Vos 2007(b), n. 12 ; Kitchen 2007, 3-8 ; Duhoux 2008, 23 ; Kitchen 2009. Pour la remise en cause, totale ou partielle, de l’identification d’Alasiya avec Chypre, cf. notamment Wainwright 1915 ; Strange 1980, 183-184 ; Nibbi 1985, 121153 ; Nibbi 1986 ; Vandersleyen 1999(a), 131-132. 6 Pour ce dernier toponyme et son étymologie, ainsi que ses ressortissants dans les tablettes mycéniennes, cf. entre autres Chadwick – Ventris 1973, 410, 417 et 534-535 ; Helck 1983(a) ; Starke 1997, 456 ; Morris 2001, notamment 425-428 ; Starke 2001, 36 ; Beekes 2003, 17 ; Melchert 2003(b), 7 et n. 10, ainsi que n. 126 ; Kelder 2004-2005, 65 ;

142

Santa, Runta et Kubaba: divinités guérisseuses, protectrices des marins loisible de supposer qu’en plus de la cité d’Ura, l’un des grands ports méridionaux de l’Empire hittite à Silifke ou dans ses environs en Cilicie Trachée (delta du Göksu/Calycadnos)7, il serait également fait mention d’un pays dont l’emplacement géographique correspondait, à l’époque de Tudͫaliya  II, plus ou moins à la Lydie8. Il nous est à tout le moins permis de souligner que l’expédition semble avoir consisté à envoyer (par bateau et/ou par voie terrestre ?) une armée commandée par un responsable d’infanterie. Lors du retour triomphal, les scribes ont dénombré, en plus des objets métalliques (armes et outils, bijoux, …) ainsi que des matières précieuses ou des objets de « luxe », un grand nombre de captifs vivants. Sous la IIe Période Intermédiaire et le règne des Hyksos dans le Nord de l’Égypte, un texte dédicatoire de Byblos nous indique la présence singulière d’un possible ressortissant anatolien dans ce port très important à l’emplacement stratégique sur la côte levantine9. Le document est analysé dans l’étude déjà ancienne et toujours sujette à caution de Tr.R. Bryce10. Cette inscription particulièrement instructive, provenant du temple aux obélisques (Obélisque Byblos n° 16980)11, fait état d’un chancelier royal du souverain Abišemou.12. Ce chancelier, portant le nom de Koukoun, transcrit sous la forme hiéro{ég. K-w-k-w-n}, est présenté comme le fils de Lukk(a), en glyphique

Bryce 2005, 124-127 ; Latacz 2005, 122, 125-126 et 328 ; Ergin 2007, 279-280 ; Palaima 2007 ; Kelder 2008, 72 ; Herda 2009, 50-51 et n. 125, 52, 86 et n. 337, ainsi que 87 et n. 341 ; Vanschoonwinkel 2010, 203-204 et n. 56-57. 7 1. L’emplacement de cette cité a longtemps été localisé à Uzunca Burç/Olba/Diocaesarea. Cf. notamment Goetze 1962 ; Bing 1969 ; Helck 1989. 2. R.H. Beal a tenté, sans argument décisif et convainquant, de la localiser à Aydincik/Gilindire/Kélendéris. Cf. Beal 1992. 3. Une localisation à Ayus/Elausa a également été proposée. Cf. Cornelius(1) 1973, 186. 4. Il semble qu’il faille plutôt la situer à Silifke ou dans ses environs, en Cilicie Trachée. Cf. Freu 1980, 234-236 ; Davesne – Lemaire – Lozachmeur 1987, 372-376 ; Forlanini 1988, 131 (carte), ainsi que 145-146 et n. 76 ; Casabonne 1999 (de loin l’étude la plus significative) ; Casabonne 2004, notamment 57, 65 et 142-150 ; Freu 2004(b), 275 et n. 2. 8 Cf., en particulier, Lebrun 2011, notamment 221-222. 9 Dunand 1950-1958, t. 2/2 pl. 32 (n° 2) ; Albright 1959, 33-34 ; Montet 1962, 8990 et 96 fig. 5 ; Flammini 2001, 61-63. 10 Bryce 1974, 395-396. 11 L’inscription figure sur l’un des huit obélisques découverts à l’emplacement du temple aux obélisques de Byblos. Originellement dressé dans le secteur du sanctuaire, ce petit obélisque, d’environ 125 centimètres de haut, fut déplacé au Musée de Beyrouth où P. Montet a copié l’inscription en 1953. 12 Il pourrait s’agir non pas du roi contemporain d’Amenemhat  III (hypogée n°  1), mais plutôt le monarque inhumé à l’époque de la XIVe dynastie égyptienne (hypogée n° 9), de sorte qu’il est bien plus préférable de dater l’inscription du début de la IIe Période Intermédiaire que du Moyen Empire. Cf. Montet 1962, 89-90 ; Vandersleyen 1995, 111.

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Julien De Vos {ég. Lw-ͳ ͳ}, patronyme qui pourrait être traduit comme l’occurrence « (Le/Celui) du Lukka »13. Il pourrait s’agir alors de la première allusion au pays Lukka. Quoi qu’il en soit, dans le cas précis du premier nom mentionné, un rapprochement a rapidement été tenté avec l’anthroponyme hittito-louvite Kuk(k)un(ni)š {gr. Κύκνος}14, tel qu’il apparaît dans le célèbre traité conclu entre le roi du Wilusa Alaksandu et l’empereur hittite Muwatalli  II (CTH 76)15. Mais il faut vraiment attendre le milieu de la XVIIIe dynastie, alors que l’État égyptien du Nouvel Empire a entrepris une vaste politique hégémonique en direction du couloir syro-palestinien et de la côte levantine, pour que les relations avec le Sud et l’Ouest anatoliens prennent une tournure plus concrète. À cette époque, sur des bateaux étrangers accostant dans la localité de Pérou-nefer16, ce port-arsenal principal de l’Égypte jadis localisé aux alentours de Memphis puis aujourd’hui à Tell el-Dab῾a/Avaris17, des Égéens, des Chypriotes, des Hourrites et des populations anatoliennes s’activent. Dans la tombe de Kenamon18 (TT 162), des populations anatoliennes sont représen-

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La graphie porte cependant à confusion. P. Montet semble avoir copié un groupe de hiéroglyphes qui pourraient être interprétés comme {ég. Rw-ͳ ͳ}, alors que lui-même, envisageant la lecture Routata {ég. Rw-tZ-tZ} voire Routaouy {ég. Rw-tZwy}, affirme pouvoir le lire . Cf. Montet 1962, 89 et 96 fig. 6. Pour la lecture R(w)/L(w)-ͳ ͳ, cf. Dunand 19501958, t. 2/1 878 (11/20 n° 16980) ; Albright 1959, 33-34 ; Bryce 1974, 395-396. 14

NH, 243 ; Hajnal 2011, 243-244 ; Steiner 2011, 266 et 279.

15

Dans ce texte, Kukunni (§ 5) serait le prédécesseur immédiat d’Alaksandu et, ce qui n’est pas exclure, son père adoptif. Cf. Bryce 1998, 247 n. 15. Pour un aperçu bibliographique, cf. avant tout Garstang – Gurney 1959, 102-103 ; NH, 26 (n° 21) ; Heinhold-Krahmer 1977, 91 et 159-160 ; Houwink ten Cate 1983-1984, 62-64 ; Güterbock 1986, notamment 34-37 et 43 ; Watkins 1986, 48-50 et 54-58 ; Otten 1993, 118 ; Beckman 1996, 82-88 (n. 13) ; Starke 1997 ; Bryce 1998, surtout 247-248 ; Freu 1998, 101-102 et n. 31 ; Starke 2001, 40 ; Bryce 2003, 35-38, 69-70 et 76 ; Bryce 2005, 226 ; Klengel 1999, 213 ; Starke 2001 ; Latacz 2002 ; Altman 2004 ; Freu 2004(b), notamment 281 ; Bryce 2005, 359 ; Bryce 2006, 118-122 ; Latacz 2005, 145-146 ; Latacz – Starke 2006, 6368 ; Starke 2006, 70 et n. 12 ; Herda 2009, 53 et n. 132. 16 Pour ce port, cf. spécifiquement Spiegelberg 1927 ; Säve-Söderbergh 1946, notamment 37-38 ; Badawy 1947, 134-142 ; Helck 1958, 40-43 ; Helck 1970 ; Kamish 1985 ; Kamish 1986 ; Zayed 1987 ; Jeffreys – Smith 1988 ; Kitchen 1991 ; Zivie-Coche 1994, 44 ; Cabrol 2000, notamment 234-235 ; De Vos 2008(a) ; De Vos 2010, 97. 17 Auparavant, ce port était localisé dans le quardier méridional de la ville de Memphis. Les études de M. Bietak désignent plutôt aujourd’hui la localité de Tell el-Dab῾a/Avaris. Cf. Bietak 2005 ; Maruéjol 2007, 119 ; Bietak 2009(a) ; Bietak 2009(b) ; Obsomer 2012, 105 et 319. 18 Pour cette paroi de la tombe, aujourd’hui irrémédiablement dégradée, cf. Säve-Söderbergh 1946, 56 ; Davies – Faulkner 1947 ; Davies 1963, pl. 15 ; Keel 1977, 107 fig. 31 ;

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Santa, Runta et Kubaba: divinités guérisseuses, protectrices des marins tées parmi les artisans et les vendeurs des échoppes sur les quais de ce port. Les membres d’équipage avaient déjà été qualifiés de « Phéniciens » par G. Daressy19. Dans cette région-nœud stratégique du Delta, la présence de dieux venus de l’étranger est d’ailleurs à signaler dès le règne de Thoutmosis III et de son fils, Amenhotep II20. En outre, des aegyptiaca datés de ce règne sont à signaler dans le monde égéen21. Alors même que le royaume du ͪatti apparaît pour la première fois dans les Annales de Thoutmosis III, gravées sur des murs proches du sanctuaire de Karnak22, le toponyme Tinayou fait aussi son apparition dans le même texte, à l’occasion de la remise de tributs par des dignitaires de cette contrée à l’issue de la XVIe ou XVIIe campagne en l’An 4223, avec la graphie hiéroglyphique {ég. Tỉ-ỉ-n-ț-ỉ-ỉN25}. Cette désignation pourrait généraliser l’ensemble des toponymes originaires de la Grande Grèce (= Danéens)24. Certains chercheurs ont au contraire identifié les Tinayou avec les populations de Rhodes ou avec les Danéens (Péloponèse). D’autres, plus audacieux, ont proposé une identification avec les Athéniens25. Outre la localisation dans le monde égéen et le lien avec la Grande Grèce, certains chercheurs ont proposé une localisa-

Wachsmann 1987, pl. 4b et 5 ; Vinson 1994, 40-41 et fig. 28 ; Cabrol 2000, 231-233 et fig. 61 ; Wachsmann 2000, 815 et 816 fig. 10a ; De Vos 2008(a). 19 Daressy 1895(a) ; Daressy 1895(b) ; Daressy 1931.

Pour le rôle joué, sous la XVIIIe Dynastie, par la capitale Memphis et sa région dans la diffusion des cultes étrangers, et la présence de diverses populations « asiatiques », cf. en dernier lieu Zivie-Coche 1994, 44-45.

20

21

Cline 1991. Pour une bibliographie consacrée spécifiquement aux Annales de Thoutmosis III, cf. en dernier lieu Goedicke 2000 ; Hoffmeier 2000 ; Cavillier 2001, 127-132 ; Lundh 2002, 73-106 ; Grimal 2003(b) ; Redford 2003 ; Spalinger 2005, notamment 83-139 ; Grimal 2006 ; Redford 2006 ; Maruéjol 2007 ; Grandet 2008, 79-114 ; Grimal 2009(b). 23 Urk. IV, 733:3-7 doc. n° 207 § 4/M ; Urk. IV Üb. II, 223. Cf. Pritchard 1959, 241 ; Strange 1980, 96-97 ; Osing 1992, 31. 24 Pour un aperçu bibliographique, cf. Edel 1966, 53-55 ; Faure 1968, 145-147 ; Kitchen 1969 ; Helck 1971, 306-307 ; James 1971, 145 ; Sergent 1977, 170-173 ; Helck 1979, 26 et surtout 30 ; Strange 1980, 25-26 ; Cline 1987, 3 et 22 ; Helck 1987, 218-219 et 222 ; Lambrou-Philipson 1990, 119 ; Mellaart 1993, 418 ; Cline 1998(a), 238-239 ; Merrillees 1998, 149 ; Driessen 1998-1999, 87 et n. 22 ; Gestoso-Singer 2001, 82-83 ; Kyriakidis 2002, 216 ; Vandersleyen 2003, 211 (contra) ; de Fidio 2008, 97-99 ; Duhoux 2008, 26-27. 25 Faure 1968, 147 pour la suggestion ; Carruba 2002, notamment 145-149, qui considère la forme Tỉ-nț-y-w comme une mention des Athéniens, et voit la graphie simple Tỉ-nț-y comme une mention d’Athènes. 22

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Julien De Vos tion en Asie, et plus spécifiquement en Syrie26. D’autres encore, parmi lesquels E. Edel27, à partir de la géographie anatolienne, ont préféré proposer une identification avec la ville cilicienne d’Adana et les Adanéens, pour autant que soit acceptée l’aphérèse de la syllabe initiale28. Toutefois, ce sont surtout d’autres toponymes qui semblent occuper prioritairement l’avant-plan de la scène internationale, à tout le moins dans les textes officiels reflétant les préoccupations de la chancellerie royale égyptienne, de ses gouvernants et de ses scribes29. Les documents de la pratique, surtout, ne sont pas exempts d’anthroponymes se référant à la méditerranée orientale et aux côtes de l’Asie mineure. Relevons que l’anthroponymie nous révèle que le 17e jour (?) du 1er mois de péret, en l’An 30 (?) du règne de Thout{ég. ͥmww wr}31 répondant au nom mosis III30, un « grand artisan » {ég. Ἰỉ-rț-ί-wT14}, aude « (Le/Celui) d’Arzawa », en l’occurrence 32 rait eu en sa possession des pièces/planches de bois aš (conifère/pin33 ?) uti-

26

Pour une localisation en Syrie, cf. notamment Vandersleyen 1995, 309 et n. 6, ainsi que 380. 27 Edel 1975, 63 ; Edel 1980, 66-73. 28 Görg 1986, 17-18 ; Görg 1989(b), 111-112 ; Vanschoonwinkel 1991, 326-327. 29 La lecture du toponyme crénelé demeure problématique. Les déterminatifs (Z1 + N21) indiquent que la première partie pourrait être un substantif géographique. Il faudrait donc comprendre le groupe de hiéroglyphes comme « le(s) des … », {ég. nw} étant un génitif pluriel. Il faudrait alors décomposer cette expression géographique en R(țw) nw R(ț)/L(ț)k-ț, en l’occurrence les rouou du Lukka (?). Le lapicide égyptien pourrait aussi avoir noté {ég. R(Zw)-nw-R(ț)/L(ț)-k-ț} pour {ég. Ἰwn-nw-R(ț)/L(ț)-k-ț}. Cf. Simons 1937, 121 (liste Ib, toponyme n° 283/194). Il faudrait alors décomposer cette expression géographique en Ἰw(w) nw R(ț)/L(ț)-k-ț, en l’occurrence les iou du Luk(k)a (?). La ressemblance entre les signes et a, dans les textes géographiques, souvent été observée. Cf., par exemple, Vandersleyen 2008, 38 n. 21. 30 Papyrus British Museum n° 10056 verso 8-9. Cf. Ranke 1935-1977, t. 2 266 n° 26 et n. 1 ; Helck 1965, 874-882 ; Helck 1971, 280 et 356 (V.2) ; Schneider 1992, 40-41 et 304 (N 64); De Vos 2010, 111 et n. 69. 31 Wb.III, 83 s.v. ͥmww. 32 Wb.I, 132 s.v. ỉśwt. Cf. Helck 1965, 280. Cette précision concernant le métier, compte tenu du contexte portuaire, laisse envisager qu’il pourrait s’agir d’un artisan du bois attaché aux navires, donc peut-être un charpentier de marine. 33 Wb. I, 228 s.v. ‘š. À propos du bois d’aš, du cèdre du Liban et de la question très débattue de son éventuelle appellation en Égyptien, cf. en dernier lieu Charpentier 1981, 176-181 n° 268 ; Meiggs 1982, annexe n° 2 ; Hepper 1990 ; Helck 1994 ; Vandersleyen 1995, 26-27 ; Nibbi 1996 ; Manniche 2006, 70-71 (abies cilicia) ; De Vos 2008(a), 68-69 et n. 8. Un rapprochement pourrait être tenté avec l’expression biblique bath-’aš(u)rîm / bi-te ’aš(u)r (= as. Hašurru?) se rapportant à une sorte de conifère (buis, cyprès, pin ou sapin) dont le parfum était d’ailleurs comparable à celui du cèdre. Ce bois, bien que peu durable, était utilisé dans la construction navale (en particulier pour les mâts et les avirons), en raison de son élasti-

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Santa, Runta et Kubaba: divinités guérisseuses, protectrices des marins lisé pour le gros œuvre, particulièrement utile sur les chantiers de marine et les quais d’un port. Or précisément, l’action se déroule en relation avec les entrepôts de Pérou-nefer, sous l’égide entre autres du prince royal et prêtre sem Amenhotep, soit le futur pharaon Amenhotep II en personne. Un ouchebti, mentionnant un scribe royal du nom de «  (Celui/Le) d’Arzawa  », sous la {ég. Ἰỉ-rț-ί-wA52}, pourrait bien dater de cette époque, à forme moins qu’il ne s’agisse d’une inscription funéraire à dater du règne suivant34. En effet, sous le règne d’Amenhotep II, l’Arzawa apparaît sans doute à son tour dans une liste de toponymes étrangers à Karnak35, sous la forme hiéro{ég. [Ἰỉ-rț-ί]-[w]N25}. L’apparition de cette contrée glyphique dans un texte monumental pharaonique peut s’expliquer par une ouverture accrue de l’Égypte vers les peuplades bordant les eaux de la Méditerranée. Enfin, de manière encore plus significative, dans un document provenant vraisemblablement de la même administration, il est fait cette fois mention à deux reprises, précisément le 2e et le 7e jours du 3e mois de šemou en l’An 18 du règne d’Amenhotep II36, d’un « chancelier (porteur de sceau) » {ég. s͏țw}37 répondant à nouveau au nom de « (Celui/Le) d’Arzawa », en l’occurrence (l. 48) ou encore (l. 64) {ég. Ἰỉ-rț-ίț-w-yA1}. Ce dernier texte évoque en particulier la livraison de denrées, dont le plus souvent du grain, à destination d’un certain nombre de légats diplomatiques (envoyés et maryannou38) de contrées étrangères septentrionales. Si les contacts maritimes semblent donc prendre une tournure très concrète dès le règne de Thoumosis III, le tournant des relations internationales semble s’opérer sous le règne d’Amenhotep III, et prendre un caractère résolument historique, comme le révèle par exemple non seulement les aegyptiaca retrouvés dans bon nombre de sites39, mais aussi la correspondance internationale en

cité et de sa résistance aux chocs. Cf. par exemple Casabonne – De Vos 2005, 88-89 et n. 23.

Ranke 1935-1977, t. 2 266 n° 26 et 343 (pour le n° 43:29) ; Steindorff 1946, 160 et pl. 119 ; Helck 1971, VIII.1 ; Schneider 1992, 39-41 et 304 (N 62). 35 Urk. IV, 1336:1-11 doc. n° 385 (toponyme n° 10) ; Cumming 1982-1984, t. 1 42. Cf. Simons 1937, 39-40 et 125 (liste n°  3, toponyme n°  17), avec une datation ancienne sous le règne de Thoutmosis III ; Görg 1978. 36 Papyrus Léningrad/Saint-Pétersbourg n°  1116A (vo 48 et 64). Cf. Ranke 19351977, t. 1 43 n° 29 ; Helck 1964, 620-633 ; Helck 1971, 280 et 354 (III.2) ; Helck 1975(a), col. 455 ; Schneider 1992, 40-41 et 304 (N 65) ; De Vos 2010, 111 et n. 69. 37 Bonnamy – Sadek 2010, 613 s.v. s͏Zw. 38 Pour cette catégorie particulière d’étrangers, cf. en dernier lieu De Vos 2011. 39 Pour les aegyptiaca en relation avec le règne d’Amenhotep  III, cf. par exemple Cline 1987 ; Laffineur 1988 ; Lambrou-Phillipson 1990 ; Cline 1994 ; Bass 1998 ; Cline 1998(a) ; Knapp 1998 ; Laffineur 1998 ; Merrillees 1998 ; Cline 34

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Julien De Vos akkadien40. Ainsi nous pouvons raisonnablement suggérer la venue de populations hittito-louvites dans le sillage de la fille du roi Tarͫundaradu d’Arzawa (Sud-Ouest de l’Anatolie), si tant est que le mariage envisagé dans les lettres amarniennes EA 31-32 ait finalement été conclu41. Ces diverses mentions, tant en Nubie qu’en Égypte, ouvre des perspectives particulièrement intéressantes, mettant en relation possible tant des événements historiques que la perception sans cesse évolutive que les lettrés égyptiens et la chancellerie officielle ont pu avoir de la sphère politique et des diverses entités géographiques qui les entouraient. Très progressivement, une « carte » de la Méditerranée orientale se dessine ainsi tout au long de la XVIIIe dynastie, où les ports et les marins exercent un rôle désormais capital. En l’An 5 du règne de Ramsès II, la célèbre bataille de Qadeš42 semble marquer véritablement un tournant, dans la mesure où, à l’occasion de l’énumération des alliés du Grand roi du ͪatti, il est clairement mentionné que les troupes envoyées aux côtés de Muwatalli II comportent des populations issues de l’Anatolie occidentale et méridionale43. De manière encore plus significative, des toponymes anatoliens sont énumérés dans la liste des pays tributaires composant la dot de la princesse royale anatolienne lors du Deuxième mariage hittite44, contracté par Ramsès II aux alentours de l’An 40 de son règne. Les objets et les denrées transportés dans la suite de la future épouse étaient énu-

1999(a) ; Cline 1999(b) ; Gestoso-Singer 2001 ; Forstner-Müller – Müller – Radner 2004 ; Cline 2005(b) ; Phillips – Cline 2005. 40 Pour les lettres amarniennes, cf. en définitive Moran 1987 ; Liverani 1998 ; Liverani 1999 ; Cohen – Westbrook 2000 ; Goren – Finkelstein – Na‘aman 2004 ; von Dassow – Greenwood 2006 ; Miller 2007 ; Miller 2012. 41

Pintore 1978, 32-33 ; Moran 1987, 192-195 ; Schmidt 1993, 159-160 ; Haider 1996, 148 ; Bryce 1998, 160 ; Liverani 1999, 406-409 ; Cabrol 2000, 135-136 ; Cline 2001, 112 ; Klengel 2002(a), 128 et 168 n. 214 ; Freu 2004(a), 132.

La bibliographie consacrée à la bataille de Qadeš est particulièrement abondante. Cf. plus particulièrement Assmann 1983-1984 ; Singer 2002 ; Obsomer 2003(a) ; Obsomer 2003(b) ; De Vos – Peker 2010. 43 Pour une étude de tous les toponymes mentionnés dans les récits narrant la Bataille de Qadeš, cf., entre autres, Helck 1971, 195-197 ; Barnett 1975, notamment 359363 ; Edel 1983, notamment 92-94 ; Bryce 2005, 235 et n. 45 ; Bryce 2006, 144. 42

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Pour les mariages hittites de Ramsès II, cf. en particulier Kitchen 1982, notamment 8688 ; Kitchen 1985, notamment 120-127 ; Bittel 1986 ; Vernus 1995, notamment 139140 ; Desroches-Noblecourt 1996, 328-345 et 364-365 ; Houwink ten Cate 1996 ; Archi 1997, 11-15 ; Bryce 1998, 310-312 et 315 ; Klengel 1999, 261, 267-268 et n. 539, ainsi que 289 et 291 ; Meier 2000, 167 et 171-172 ; Klengel 2002(a) ; Klengel 2002(c), 71 ; Roth 2002, 55-57 et fig. 15 ; Roth 2003, 179-180 ; De Vos 2004(a) ; Freu 2004(a) ; Lefèvre 2005 ; Kitchen 2006 ; Lefèvre 2006 ; De Vos 2008(b) ; Grimm 2008 ; Cannuyer 2010 ; De Vos 2010.

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Santa, Runta et Kubaba: divinités guérisseuses, protectrices des marins mérés, en tenant compte de leur lieu de provenance. Le Grand Roi du ͪatti et son empire, comme le laisse supposer cet extrait, semblent contrôler non seulement le pays hittite, mais aussi des pays/royaumes qui semblent lui être suffisamment soumis que pour pourvoir à la dot de la future mariée, dont l’Arzawa. L’anthroponymie n’est pas en reste à l’époque ramesside, puisque sur des étiquettes de jarres à vin45, un maître de chais répondant au nom de « Le/ Celui du Lukka  »46 apparaît. Retenons par exemple, parmi les documents ayant pour région d’origine commune la rive occidentale de Thèbes avec le Ramesséum (temple funéraire de Ramsès II) et le village des artisans de Deir el-Médineh, un autre l’anthroponyme inspiré par le toponyme Lukka, la {ég. Lw-kțT14.A1}. À Pi-Ramsès/Qantir47, alors que forme hiératique du matériel de fonderie indique la présence de spécialistes des armes et des chars hittites dans la capitale ramesside, il faut aussi souligner un fragment de stèle inédit qui indiquerait l’existence d’un intendant de magasin comprenant dans son nom une allusion à l’Arzawa48, et dont le nom du condisciple serait lié à Seth/Baâl (ou peut-être à Tarͫunt, le correspondant hittito-louvite ?)49. Enfin, signalons que sur une stèle d’Abydos à dater de la XIXe dynastie (règne de Ramsès II ?), un scribe est appelé « (Le/Celui) d’Arzawa »50, avec la gra{ég. Ἰỉ-y-rț-ί-wT14.A1}. phie De toutes ces mentions, le lecteur retiendra donc que les communications demeuraient très intenses entre les côtes d’Asie mineure et les villes du Delta

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Pour un aperçu bibliographique sur le vin, et les étiquettes de jarre durant le Nouvel Empire égyptien, en particulier au Ramesséum, cf. notamment Helck 1964, 733-734 ; Kitchen 1992 ; Koenig 1992 ; Koenig 1993 ; Meeks 1993 ; Bouvier 1997 ; Tallet 1998(a) ; Tallet 1998(b) ; Bouvier 2000. 46 Ostracon Deir el-Médineh n° 6381 : KRI VII, 52:11-53:3 doc. n° 417 § A/a formule XIIA. Cf. Koenig 1980, pl. 47 n° 6381. 47 Pour les communautés d’artisans anatoliens à Pi-Ramsès/Qantir, cf. Pusch 1989 ; Pusch 1990 ; Pusch 1993(a) ; Pusch 1993(b) ; Pusch 1993(c) ; Herold 1999; Pusch 1999(a) ; Herold 2001  ; Herold 2003  ; Pusch – Jakob 2003  ; Pusch 2004(a)  ; Schneider 2009(a), 154-155. Pour les temples des divinités étrangères à Pi-Ramsès, le quartier des écuries, cf. par exemple Pusch 1989 ; Dorner 1996 ; Dorner 1999 ; Pusch 1999(b) ; Pusch – Becker – Fassbinder 1999(a), notamment 146-152 ; Pusch – Becker – Fassbinder 1999(b), surtout 168-170 ; Pusch 2003 ; Pusch – Jakob 2003, 143 ; Pusch 2004(b). 48 Stèle Qantir n° FZN 1982/0268. Cf. Pusch – Jakob 2003, 151 et n. 30. 49 Pour les divinités étrangères vénérées en Égypte, dont tout particulièrement le dieu de l’orage, cf. en dernier lieu Pusch 1989 ; Zivie-Coche 1989 ; Bietak 1990 ; Cornelius(2) 1994 ; Zivie-Coche 1994 ; Schneider 2003 ; Wettengel 2004 ; Schneider 2009(b). 50 Clère 1959, 87-89 et pl. 4 ; Helck 1971, 357 VI.1 ; Schneider 1992, 39-40 et 304 (N 63).

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Julien De Vos égyptien ouvertes sur la mer ! Si l’élément diplomatique joue un rôle prépondérant, nul doute que l’artisanat et le commerce sont eux aussi des facteurs déterminants. Ainsi par exemple, sous le règne du successeur du pharaon Séthy II, un texte mentionne les préparatifs à effectuer avant l’arrivée au palais du monarque. Cette énumération est insérée dans une lettre rédigée à l’intention du scribe Paibès par un autre scribe, en l’occurrence Amenemopé51. Lors de la description des divers éléments à déposer aux environs de la fenêtre d’apparition royale52, il est ainsi énuméré plusieurs catégories d’huile et de substances odoriférantes en provenance du port, mais dont la contrée d’origine met en scène notamment le ͪatti. À la suite53, le texte mentionnerait même de l’huile baq de Iren/Iournou (Ura54 ?), avec la graphie hiératique {ég. Ἰ-w-y-rț-n-(w)T14.N25}. Si des denrées anatoliennes transitant par les ports mettent en scène, pendant tout le Nouvel Empire, des ressortissants d’Asie mineure (dont principalement des marins ou des artisans apparentés, tout autant que des diplomates55  !), nul doute que, dans les bagages de ces étrangers, des divinités anatoliennes devaient transiter. En dehors de la stèle de Pi-Ramsès/Qantir, les sources égyptiennes demeurent encore étonnamment discrètes sur ces dieux en transhumance. Notons toutefois que le problème épineux de la localisation des Keftiou pourrait, indirectement, apporter un premier élément de réponse … En ne tenant compte que des sources égyptiennes, il s’avère que la localisation géographique, la plus communément admise pour le toponyme Keftiou,

51 1. Papyrus Anastasi IV, 13:8-17:9 (Papyrus British Museum n° 10249). 2. Papyrus Anastasi IIIA, 1-8 (Papyrus British Museum n° 10246). Pour un aperçu bibliographique sur ce texte, cf. en dernier lieu Gardiner 1937, XIV et 33-34 ; Caminos 1954, 117-122 et 198-219. 52 Papyrus Anastasi IV, 15:1-15:5 (Papyrus British Museum n° 10249). Cf. Gardiner 1937, XIII-XIV et 52:9-10  ; Caminos 1954, 200. Pour cet extrait, cf. en dernier lieu De Vos 2007(b) ; De Vos 2008(a) : notamment 77 et 80. 53 Papyrus Anastasi IV, 17:5-9 (Papyrus British Museum n°  10249). Cf. Gardiner 1937, XIII-XV et 53-54 ; Caminos 1954, 201. 54 Le toponyme n’a pas été identifié par R.A. Caminos. Cf. Caminos 1954, 202 (13,11). Il pourrait cependant s’agir de la ville portuaire d’Ura. Cf. Helck 1986, col. 1453 et 1454 n. 12. 55 D’autres « confusions » peuvent aussi survenir dans les textes hiéroglyphiques égyptiens. Ainsi, un ouchebti (Musée du Caire n° 47644) provenant de Saqqarah et au nom de Tour(o), un chef des portiers officiant probablement au département des affaires étrangères à Memphis, utilise un signe cunéiforme à la place de comme déterminatif de l’eau. Cf. Legrain 19081909, 284 ; Kitchen 2006, 31 et 34 ; De Vos 2008(b), 314 et n. 20.

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Santa, Runta et Kubaba: divinités guérisseuses, protectrices des marins demeure le plus souvent la Crète56. Les arguments en faveur d’une identification avec la civilisation minoenne reposent, en grande partie, sur des considérations iconographiques. Dans quelques tombes égyptiennes du Nouvel Empire, la représentation des populations égéennes, qui apportent des objets manufacturés, offre des ressemblances évidentes avec l’iconographie minoenne et les objets découverts dans le monde égéen57. Bon nombre de spécialistes considèrent que la similitude entre les représentations égyptiennes et minoennes est confortée non seulement par une mention problématique de la tombe du vizir Rekhmirê58, associant les Keftiou aux populations des « îles qui sont au milieu de Ouadj-Our », mais aussi par la présence, sur la base de statue EN du temple funéraire d’Amenhotep III à Thèbes, d’une mention des Keftiou associée à une série de toponymes septentrionaux considérés comme « égéens » (Kôm el-Heitan, socle EN59). Sur ce socle, le toponyme Keftiou figure sur la

56

Pour un aperçu bibliographique, cf. par exemple Vercoutter 1956, notamment 394395 ; Edel 1966, 53-58 ; Helck 1987, 218-222 ; Wachsmann 1987, 98-99 et 111 ; Lambrou-Phillipson 1990, 40 et 117-120 ; Osing 1992, 29 et n. 20 ; Grimal 1995, 25 pour la Crête et ses comptoirs en Syrie-Palestine ; Warren 1995, 7-8 ; Haider 1996, 144 ; Leclant 1996, 615 ; Quack 1995, notamment 79 ; Cline 1998(a), notamment 237-239 ; Merrillees 1998, 149  ; Niemeier 1998, 18  ; Poursat 1999, 184  ; Gestoso-Singer 2001, 82-83 ; Panagiotopoulos 2001, 263-264 ; Carruba 2002, 144 ; Klengel 2002(a), 49 ; Duhoux 2003, 267. 57 Pour un aperçu bibliographique à propos des éléments iconographiques, cf. Pritchard 1951, 40-41 ; Wainwright 1952, 205-206 ; Vercoutter 1956, 183-395 ; Helck 1979, 55-82 ; Strange 1980, notamment 56-70 ; Cline 1987, 18-19 ; Wachsmann 1987 ; Laboury 1990, surtout 113-115 ; Oosthoek 1992, 336-346 ; Osing 1992, 26-29 ; Aruz 1995, notamment 40-43 ; Grimal 1995, 14-15 et 20-24 ; Haider 1996, 138-140 et 148 ; Hiller 1996 ; Leclant 1996, 623 ; Vercoutter 1997(b), 223-225 ; Morgan 1998 ; Pinch Brock 2000 ; Wachsmann 2000, surtout 807-810 et 814-816 ; Panagiotopoulos 20014. Pour l’absence de représentations de Mycéniens en Égypte dans les tombes des XVIIIe et XIXe dynasties, cf. Gestoso-Singer 2001, 85 ; Grimal 1995, 15. 58 Urk. , 1098. Pour les différentes traductions proposées, cf. entre autres Vandersleyen 1999(b), 350 ; Duhoux 2003, 164-166. 59 Pour les toponymes dits « égéens » du temple funéraire d’Amenhotep III à Kôm el-Heitan, cf. en particulier Edel 1966 ; Faure 1968 ; Goedicke 1969 ; Helck 1969 ; Kitchen 1969 ; James 1971 ; Sergent 1977 ; Helck 1979, 29-32 ; Strange 1980, notamment 2324 et fig. 1 ; Helck 1983(b) ; Helck 1987, 218-219 ; Edel 1988 ; Osing 1992 ; Redford 1992, 241-243 ; Grimal 1995, notamment 13-17 et 25 ; Helck 1995, 23-26 ; Vandersleyen 1995, 379-380 ; Leclant 1996 ; Vercoutter 1997(a) ; Vercoutter 1997(b) ; Haider 2000 ; Wachsmann 2000, 812-813 ; Carruba 2002, notamment 144-145 ; Kyriakidis 2002, 211-212 et surtout 216-217 ; Müller(1) 2002 ; Duhoux 2003, 234-258 ; Hajnal 2003 ; Ulf 2003 ; Edel – Görg 2005, notamment 192-213 ; Kelder 2005, 133 et 146-147 ; Latacz 2005 ; Phillips – Cline 2005 ; Kitchen 2007 ; Kelder 2010 ; Cline – Stannish 2011 ; Röllig 2011, 121-122.

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Julien De Vos face antérieure droite de la base de statue, au côté de la désignation géogra{ég. K-f-tỉphique Tinayou, écrits respectivement avec les graphies {ég. Tỉ-ỉ-n-ț-ỉ-ỉ-w}. Les autres toponymes identifiés comme wN25} et « égéens » figurent sur la face antérieure gauche et sur le côté gauche de la base de statue, séparés ainsi des deux premiers par un sema-taouy. Signalons d’ailleurs, que sur le côté gauche de la statue, est mentionné l’étrange topo{ég. Wț-ỉwN20/21-rț-ỉ-y-ỉ}, que d’aucun ont voulu identifier nyme comme l’antique Troie (Wilusa = ῎Ιλιος), même si cette identification demeure encore aujourd’hui controversée60. L’idée que le terme Keftiou désigne la Crète ou les Crétois leur semble donc assurée. Ces dernières années, les découvertes sur le site égyptien de Tell el-Dab῾a/ Avaris61 ont permis à de nombreux chercheurs de compléter les données relatives à l’origine crétoise des Keftiou, la mise au jour de peintures dites « minoennes » n’y étant, du reste, pas étrangère62. Les liens entre la civilisation crétoise et l’Égypte des Hyksos et du début du Nouvel Empire sont, grâce à ces découvertes, confirmés de manière éclatante. À cet égard, Y. Duhoux envisage la possibilité de considérer les Keftiou de la XVIIIe dynastie comme une population d’origine minoenne résidant, à partir du début du Nouvel Empire égyptien, au cœur du Delta égyptien. C’est à tout le moins ce que révèlerait la précision géographique «  les îles qui sont au milieu de OuadjOur »63 qui est parfois associée aux Keftiou64. Au Moyen Empire, le terme Keftiou pourrait désigner la Crète, alors qu’au Nouvel Empire, Keftiou dé-

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Ce toponyme est aussi identifié avec Eleia en Crète, tout autant qu’avec Elos et Aulis en Grêce. Pour cette question, cf. en dernier lieu Edel 1966, 52 ; Kitchen 1966, 24 ; Faure 1968, 143 ; Goedicke 1969, 10 ; Sergent 1977, 152-161 ; Strange 1980, 21 ; Hajnal 2003 ; Ulf 2003 ; Edel – Görg 2005, 209 ; Latacz 2005 ; Duhoux 2008, surtout 29 ; Cline – Stannish 2011, notamment 9-10. 61 Pour un aperçu du matériel archéologique exhumé et des conclusions à en tirer, cf. entre autres Grimal 1995, 17, 20-21 et 23-24 ; Vandersleyen 1995, 168 ; Bietak 1996 ; Quack 1995, 81 ; Holladay 1997, 184-187 et 198-199 ; Cline 1998(b), 207-208 ; Laffineur 1998, 56-62 ; Martin 1998 ; Bietak 1999, 39 ; Caubet 1999(b), 10 ; Poursat 1999, 183 et 185. 62 Pour les études prenant en compte les fresques de Tell el-Dab῾a, cf. particulièrement Bietak 1994 ; Grimal 1995, 17-18 et 22 ; Mellink 1995, 86-87 et 89 ; Warren 1995, 3-5 ; Vercoutter 1997(b), 222-223 ; Aruz 1998, 301-302 ; Cline 1998(b), notamment 202206 et 210-219 ; Knapp 1998, 197-202 et 205 ; Laffineur 1998, surtout 56-60 ; Niemeier – Niemeier 1998, surtout 78-82 et 85-96 ; Rehak 1998, 39 et 48-49 ; Bietak 1999, 40-46 ; Caubet 1999(b), 14 et 17 ; Poursat 1999, 183, 185 et 187 ; Bietak – Marinatos – Palyvou 2000 ; Cabrol 2000, 396-397 ; Niemeier – Niemeier 2000, 763-767 et 790-793 ; Vandersleyen 2001 ; Aslanidou 2002 ; Brysbaert 2002. 63 Le terme Ouadj-Our désignerait alors le Delta. 64 Pour l’argumentation, cf. Duhoux 2003, spécialement 155-264. Le terme Keftiou, utilisé tout d’abord pour désigner la Crête, aurait ensuite servi (c. 1475 avant J.-C. au plus tard) à

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Santa, Runta et Kubaba: divinités guérisseuses, protectrices des marins nommerait les Minoens au centre du Delta. Dès lors, Cl. Vandersleyen suppose que les Keftiou résideraient dans la région proche de Tell el-Dab῾a65. Dans cette optique, le terme Keftiou désignerait les populations du Delta et, plus précisément, la région de Tell el-Dab῾a/Avaris. En parallèle, l’identification des Keftiou avec les Hyksos pourrait être envisagée, ce qui induirait que le pays Keftiou correspondrait de facto au pays Hyksos dans le Delta. Signalons que le lien entre les Keftiou et Ouadj-Our a aussi conduit certains chercheurs à rechercher l’origine des Keftiou dans d’autres îles de la Méditerranée. Les Keftiou sont parfois considérés comme les populations de l’île de Rhodes, ou comme les habitants de l’île de Chypre66. Dans ce dernier cas, l’argumentation, avancée en dernier lieu par J. Strange, se fonde principalement sur la position géographique, l’histoire et la métallurgie de Chypre, convenant positivement aux informations glanées sur les Keftiou dans les textes égyptiens et proche-orientaux. Selon l’auteur, le terme Alasiya ne désignant pas Chypre et le toponyme Tinay(ou) désignant l’Asie Mineure, seul le toponyme Keftiou pourrait désigner l’île de Chypre67. Cette hypothèse a cependant été fréquemment remise en cause par les chercheurs modernes68 ! D’autres localisations hypothétiques des Keftiou, cette fois «  asiatiques69  », ont également été suggérées70. Les Keftiou ont été identifiés, de manière générique, comme appartenant à une population originaire du couloir syro-palestinien71, sur base, principalement, de trois mentions textuelles. Tout d’abord, dans un texte funéraire royal de Ramsès VI72, le pays Keftiou, {ég. K-f-tȜ-w}, est situé en Syrie, dans la mentionné avec la graphie

désigner des populations d’origine minoenne installées dans le Delta. Cf. Duhoux 2003, 267-274. 65 Vandersleyen 1999(a), 122-123 et n. 132 ; Vandersleyen 2000, 62. 66 Strange 1980, 147-183 et surtout 183-184. 67 Strange 1980, 183-184. 68 Muhly 1982, 259-260 ; Knapp 1985, surtout 284-285 ; Wachsmann 1987, 3 et 93102 ; Leclant 1996, 615 ; Quack 1995, 75 n. 2 ; Driessen 1998-1999, 86 n. 20 ; Duhoux 2003, 31. 69 En l’occurrence, à l’Est du Delta du Nil soit, dans la conception géographique égyptienne qui considère les bouches du Nil comme le Nord, à l’Ouest. Cf. Strange 1980, 19 et 143 ; Duhoux 2003, 31-32. 70 Cf. principalement Nibbi 1974, 38-39 ; Strange 1980, 113-146 ; Duhoux 2003, 31-39. 71 Christophe 1951, surtout 113 et n. 1 ; Vandersleyen 1985, 46-50 ; Vandersleyen 1994, 41-42 ; Vandersleyen 1995, 28 n. 4, 309, 354 et 380 ; Vandersleyen 1999(a), 122123 ; De Vos 2002(b), 156. 72 Vercoutter 1956, 98-99 ; Strange 1980, 87-90 ; Quack 1995, 77-79 ; Duhoux 2003, 32-33. Ce texte serait une compilation de versions antérieures, remontant peut-être au Moyen Empire. Cf. Quack 1995, 78.

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Julien De Vos « terre septentrionale du dieu ». Ensuite, dans un texte figurant sur un ostracon {ég. Pț K-f-tỉ-w-yT14.A2 daté du Nouvel Empire, un ethnique = « Celui/de Keftiou »}, dérivé du radical Keftiou, désigne des Syro-Phéniciens73. Enfin, dans le célèbre Décret de Canope trigraphe (238 avant J.-C.)74, la {ég. K-f-ί-t-tN25} pour Keftiou correspond au graphie hiéroglyphique , {ég. ͪț-ț-rwT14.N25} c’est-à-dire le pays de ͪarou75 et, en démotique grec, à la Phénicie. Au vu de ces arguments textuels, l’idée que le terme Keftiou dénomme une population syro-palestinienne a obtenu un certain succès. Il faut ajouter que le toponyme Keftiou, dans les listes topographiques76, figure aux côtés de toponymes souvent considérés comme « asiatiques », tels que le Naharina, Ugarit, Sangar, le ͪatti, Qedy, Karkemish, le Reίenou, le ͎ahi, l’Iššuwa, les Tinayiou ou encore le mystérieux toponyme Men(n)ous. Cette analyse de la mention des Keftiou dans les listes topographiques égyptiennes permettrait alors de conclure que les anciens Égyptiens localisaient ces Keftiou parmi des peuplades considérées comme « asiatiques »77. Cette observation a amené d’autres chercheurs modernes, dont G.A. Wainwright, à localiser le pays Keftiou en Asie Mineure78, et plus précisément en Anatolie du Sud-Ouest, c’est-à-dire en Cappadoce et en Cilicie79. En

73 À propos de l’Ostracon BM 5647, cf. Vercoutter 1956, 96-97 ; Strange 1980, 101 ; Haider 1988, 20 ; Grimal 1995, 13-14 ; Haider 1996, 144. 74 Vercoutter 1956, 100-101 ; Strange 1980, 78-79 ; Vandersleyen 1999(a), 124, 131-132 et 192 ; Vandersleyen 2002, 112 ; Duhoux 2003, 32-34 ; Vandersleyen 2003, 211. 75 Le toponyme ͪarou désignerait le plus souvent la Syrie et/ou la Palestine. A. Nibbi refuse cette localisation conventionnelle, et propose de l’identifier plutôt avec le Wadi Tumilat. Cf. entre autres Nibbi 1987, 36 (carte) et 39-43 ; Nibbi 1989, 93. Cependant, il pourrait aussi désigner également le pays hourrite et ses ressortissants en Syrie-Palestine, voire même en Égypte. Cf. Vernus 1977 ; Vernus 1978. 76 Wainwright 1952, 198. Pour les listes topographiques mentionnant les Keftiou, cf. Strange 1980, 20-29, 41-44 et 54-55 ; Görg 1989(a), 23 et 25-26. 77 Pour la confusion, dans l’esprit de certains égyptiens, entre l’origine minoenne et les provenances occidentale et/ou asiatique des Keftiou, cf. les remarques exprimées dans Wachsmann 2000, 813-814. Cf. également Helck 1987, 221 ; Lambrou-Philipson 1990, 117 et 152. 78 Pour un aperçu bibliographique sur les objets égéens découverts en Asie Mineure, et les objets d’Asie Mineure découverts dans le monde égéen, Lambrou-Phillipson 1990, 96106, 144-146 et 158-161. Pour les établissements minoens dans le sud-ouest anatolien, cf. Mee 1998. 79 Müller(2) 1893, 337-353  ; Wainwright 1914  ; Wainwright 1931(a)  ; Wainwright 1931(b), 26 et 40-43  ; Wainwright 1931(c)  ; Wainwright 1952  ; Wainwright 1954, 44-48 ; Wainwright 1956 ; Wainwright 1959 ; Wainwright 1961, 77 et n. 5, ainsi que 78; Vandersleyen 1994, 41-42 et n. 31.

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Santa, Runta et Kubaba: divinités guérisseuses, protectrices des marins dehors des rapprochements iconographiques opérés entre l’iconographie égyptienne et l’iconographie d’Asie Mineure80, en effet, le premier argument en faveur d’une telle localisation est l’existence d’une tablette de scribe, datée du début de la XVIIIe dynastie, énumérant des noms de Keftiou81. Certains de {ég. Ἰw-d-y-n-țces anthroponymes sont d’origine akkadienne tel {ég. Ἰw-šț-ț-ͥw-rț-wT14 = yT14 = Idina82}, ouest-sémitique tel {ég. N-ț-sw-w-ỉ-ỉT14 = Nasuya84} et anatolienne Išiͥara83}, hourrite tel {ég. Rw-w-w-n(w)-t-ỉT14.A1 = Ruwanta85}. Certains auteurs tel soulignent l’origine ouest-asiatique de ces anthroponymes86. M.C. Astour, quant à lui, voit dans cette liste de noms le reflet de la population de Syrie du Nord, entretenant des relations diverses avec la Crête87, alors que G.A. Wainwright y voit les composantes de la population cilicienne88. L’idée d’identifier, parmi les Keftiou, des populations originaires des côtes d’Asie mineure, trouve d’ailleurs un écho certain dans les derniers fragments de listes de Kôm el-Heitan, publiés dès la fin de l’année 2005 par H. Sourouzian et R. Stadelmann89. Ainsi, non seulement les Tinayou/(A)danéens

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Wainwright 1954, 33-43 et 46. Pour un aperçu bibliographique sur la datation de la tablette, la lecture des noms étrangers et les informations ainsi récoltées, Wainwright 1931(b), surtout 30-38  ; Wainwright 1952, 200-202  ; Vercoutter 1956, 45-50  ; Wainwright 1956, 204  ; Wainwright 1961, 78 ; Astour 1964, 248-254 ; Strange 1980, notamment 94-96, 115-117 et 128-132 ; Kyriakidis 2002, 217 et 219. Pour un aperçu bibliographique à propos du Papyrus British Museum n° 10056, énumérant deux noms asiatiques parmi la liste d’ouvriers débarquant du bois nécessaire à la construction d’un bateau Keftiou, cf. Kamish 1985, 12 et n. 11-13. 82 Pour les différentes attestations de ce nom à Nuzi et Alalakh, cf. Astour 1964, 250-251 ; Schneider 1992, 50. Pour une autre possibilité d’identification du nom dans des documents d’Asie Mineure, cf. Wainwright 1931(b), 36. 83 Astour 1964, 248-249 ; Schneider 1992, 44-45. Pour une autre identification du nom, cf. Wainwright 1931(b), 37-38. 84 Pour les différentes attestations de ce nom à Nuzi et Alalakh, cf. Astour 1964, 249  ; Schneider 1992, 144. Pour d’autres possibilités d’identification, cf. Wainwright 1931(b), 33 ; Wainwright 1952, 200. 85 Pour l’attestation de ce nom en Lycien, cf. Woudhuizen 1992, 2 et n. 6. Pour une étymologie hourrito-sémitique, cf. Astour 1964, 253 ; Schneider 1992, 270. 86 Lambrou-Philipson 1990, 118. 87 Astour 1964, 254. 88 Wainwright 1931(b), notamment 43. 89 Pour les nouvelles fouilles et les restauration entreprises à Kôm el-Heitan, ainsi que les fragments de bases de colosses récemment découverts, cf. Sourouzian – Stadelmann 2001  ; Görg 2005  ; Sourouzian – Stadelmann 2005(a)  ; Sourouzian – Stadelmann 2005(b) ; Marazzi 2006 ; Sourouzian 2006 ; Sourouzian – Stadelmann – Hampikian – Seco Alvarez – Noureddine – Elesawy – Lopez Marcos – Perzlmeier 2006 ; Widmer 2006 ; van Dongen 2007, 23-24 ; Adrom 2008 ; De Vos 2008(a), 81

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Julien De Vos (?) sont une nouvelle fois mentionnés sur un socle (colosse de la cour péristyle {ég. au niveau de la galerie nord, socle FN top. n° x+1), sous la forme Tỉ-ỉ-n-ȝ-ỉ-ỉ-w}90, alors même que la restitution d’une liste de toponymes, localisée sur le socle d’une colonne de Soleb (colonne N11α, top. n° 3), propose de {ég. [Tỉ]-¦ỉ-[n]- ț -¦ỉ-ỉl’y inclure sous la graphie reconstituée w¦N25}91. En outre, il est aussi fait référence, sur une autre base (Kôm el-Heitan IIe pylône, socle GN top. n° 2), à la contrée anatolienne d’Aššuwa, toujours {ég. Ἰ-s-ỉ-ỉ-w}92. Bien plus, de nouvelles désignations géosous la forme graphiques apparaissent sur une autre face d’une base (colosse de la cour péristyle, au niveau de la galerie nord, top. n° 2), avec la mention du pays louvite {ég. Lț-ỉỉ-wț-ț-n-ț}93, mais aussi de la Luwina, sous la forme grande Ionie sous la dénomination Iouni-Âa (top. n° 3), avec la graphie {ég. Ἰ-ỉ-w-n-y ‘ț-‘Y1}. Bien plus, en dehors des rapprochements iconographiques opérés entre l’iconographie égyptienne et l’iconographie d’Asie Mineure94, le premier argument, en faveur d’une localisation en Asie mineure, est l’existence de cette tablette de scribe, datée du début de la XVIIIe dynastie, énumérant des noms de Keftiou95. Le deuxième argument est une invocation magique en langage Kef-

92-93 et n. 124 ; Duhoux 2008, 30-31 ; Görg 2008 ; Haider 2008(a) ; Haider 2008(b) ; Haider 2008(c) ; Sourouzian 2008 ; Haider 2009 ; Herda 2009, 32 et n. 25 ; De Vos 2010, 110 et n. 69 ; Cline – Stannish 2011, notamment 136. 90 Fragment d’une liste comportant encore deux toponymes. Cf. Sourouzian – Stadelmann 2005(a), 83 et fig. et fig. 7. 91 Il s’agit d’une liste figurant à la base d’une des colonnes de la travée centrale de la salle hypostyle (C) du temple d’Amon à Soleb, en l’occurrence la colonne N11(α) du secteur IV. Pour cette liste, cf. Edel 1980 ; Cline 1998(a), 241 et n. 84, ainsi que 242 ; Schiff Giorgini – Robichon – Leclant 1998, pl. 234 ; Haider 2000, 157 et n. 42 ; Grimal 2003(a), 722724 ; Edel – Gorg 2005, 198. 92 Sourouzian – Stadelmann 2005(a), 81 et fig. 4 ; Sourouzian – Stadelmann – Hampikian – Seco Alvarez – Noureddine – Elesawy – Lopez Marcos – Perzlmeier 2006, 378-379 et pl. 8 fig. f. 93 Sourouzian – Stadelmann 2005(a), 82 et fig. 6. 94 Wainwright 1954, 33-43 et 46. 95 Pour un aperçu bibliographique sur la datation de la tablette, la lecture des noms étrangers et les informations ainsi récoltées, Wainwright 1931(b), surtout 30-38  ; Wainwright 1952, 200-202  ; Vercoutter 1956, 45-50  ; Wainwright 1956, 204  ; Wainwright 1961, 78 ; Astour 1964, 248-254 ; Astour 1965, 346 n. 2 ; Astour 1973, 23 ; Strange 1980, notamment 94-96, 115-117 et 128-132 ; Redford 1992, 241 et n. 3 ; Lambrou-Philipson 1990, 118 ; Kyriakidis 2002, 217 et 219. Pour un apercu bibliographique à propos du Papyrus British Museum n° 10056, énumérant deux noms asiatiques parmi la liste d’ouvriers débarquant du bois nécessaire à la construction d’un bateau Keftiou, cf. Kamish 1985, 12 et n. 11-13.

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Santa, Runta et Kubaba: divinités guérisseuses, protectrices des marins tiou, énumérant plusieurs divinités d’origine louvite96 : {ég. SЗ-n-(w)-tỉ} {ég. K-ț-p-w-p-y} notant la déesse notant le dieu Santa97 vénéré à Tarse98, {ég. Tỉ-ỉ-rț-kț} notant le dieu de Kubaba99 originaire de Karkémiš100 et {ég. K-ț-ỉ(ỉ)-rț}, c’est-à-dire de « Cal’orage Tarͫunt101, qualifié ici de rien »102. Malheureusement, l’étude phonologique des toponymes du temple funéraire d’Amenhotep III, mais aussi de l’onomastique en vigueur dans la tablette de bois et l’invocation magique, n’a pas permis véritablement de déterminer la nature du langage des Keftiou103. Mais pour autant qu’il soit accepté ce que les sources égyptiennes suggèrent, en l’occurrence que certains des ressortissants Keftiou, à tout le moins, soient originaires des côtes d’Anatolie méridionale (marins et artisans d’Arzawa, du Lukka et de Cilicie), il faudrait alors suggérer, non sans arguments, que parmi les divinités itinérantes originaires d’Anatolie présentes dans les ports et parmi les communautés étrangères, figureraient des dieux et des déesses à la forte empreinte louvite. Ainsi, ces divinités guérisseuses, citées dans un papyrus à la vocation médicale incontournable, s’inscriraient dans un processus de protection essentiel pour des étrangers loin de leurs contrées d’origine, en l’occurrence tout particulièrement la Cilicie (Ura, Tarse et Adana) avec ses connections diverses en Syrie septentrionale. Le lien entre l’univers maritime et la présence de divinités étrangères en Égypte, et les inévitables mélanges de populations et de cultures qui peuvent être constatés dans les

96

Pour un aperçu bibliographique sur la datation de cette invocation, la lecture à adopter et la langue employée, cf. Wainwright 1931(b), 27-30 ; Wainwright 1952, 199-200 ; Vercoutter 1956, 82-85  ; Strange 1980, notamment 99-100 et 132-133  ; Billigmeier 1981 ; Helck 1987, 219-220 ; Wachsmann 1987, 112 ; Woudhuizen 1992, 2-10 ; Warren 1995, 7  ; Cline 1998(a), 240  ; Merrillees 1998, 152  ; Haider 2001  ; Klengel 2002(a), 49 ; Kyriakidis 2002, 212-216 ; Haider 2004 ; Haider 2007. 97 Pour un aperçu bibliographique sur cette divinité, cf. Haas 1994, 370-371, 408, 467-468, 569 et n. 205, 570 et 653. 98 Pour Tarse et les Hittites, cf. en dernier lieu Lebrun 2001. 99 Pour un aperçu bibliographique sur cette déesse, cf. Haas 1994, 392, 406-408, 478, 506, 527-528, 555-556, 578 et n. 244, 614 et 811. 100 Pour un aperçu bibliographique sur Karkemiš, le titre de « Grand roi » porté par ses souverains et leur statut, cf. par exemple Klengel 1992, 120-128  ; Kupper 1992  ; HutterBraunsar 1993 ; Starke 1999(a), col. 521-527 ; Starke 1999(b) ; Lebrun 2000, 10-11 et 15-16 ; Klengel 2001 ; Hawkins 2002(a), 57-58 ; Hawkins 2002(b), 265 et 269 ; Klengel 2002(b) ; Starke 2002(a) ; Starke 2002(b) ; Mora 2010. 101 Pour un aperçu bibliographique sur ce dieu, cf. Haas 1994, 31, 308-309 et 338-339. 102 Woudhuizen 1992, 7-8. 103 Pour le choix à opérer entre une langue agglutinante, une langue sémitique ou un autre groupe de langue distinct, cf. Kyriakidis 2002, 214, 216 et 219.

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Julien De Vos zones portuaires, expliqueraient sans doute aussi la présence, tant dans les sources orientales104 en akkadien {ak. ͫu-up-pa-ti} et en ougaritique {oug. ͫp} que surtout dans la version égyptienne de la Légende d’Anat105, du thème hittite {ég. ͫț-ț-p-wN35A.N36. ͫapa106. Présent avec les graphies hiératiques N23 } et {ég. ͫ-p-wZ5.Y1.N35A.N36.N23}107, il désignerait alors une « étendue/surface/entité aqueuse » ou un « bain » voire, de manière plus précise, les « rivages » et les « côtes »108.

104

Hoch 1994, 243-244 n° 337 s.v. *ͫuppa. Pour un aperçu bibliographique sur la Légende d’Anat, cf. Roccati 1972  ; Roccati 1982 ; Ritner 1989, 113. 106 À propos des désignations de l’eau en hittite, cf. Watkins 1972 ; Laroche 1973, spécialement 179-184 ; HED III, 114-115 s.v. hapa- ; HW² III/13, 197-205 ; Hawkins 2000, t. 1 414. Le hittite utilise deux thèmes pour désigner le fleuve, notés soit par le sumérogramme ÍD (MEA 579), soit par le hiéroglyphe louvito-hittite FLUMEN/AQUA (L 212-214). Cf. HH, 116-117 n° 212 ; Lebrun – De Vos 2006, notamment 53. Il s’agit des thèmes wātar et ͫapa, ce dernier thème de genre animé concordant avec un mot ancien du dialecte pala. Cf. Laroche 1973, 115 ; HED III, 115. Le correspondant régulier du hittite ͫapa- est le louvite ͫapali-, terme attesté tant dans les textes cunéiformes anatoliens que dans les inscriptions hiéroglyphiques louvito-hittites. Cf. Laroche 1973, 180-181 ; Hawkins – Morpurgo Davies 1987, 270-271 ; HED III, 115 ; Melchert 1993, 54 s.v. *ͫāpa(i)-. 107 1. Papyrus Chester Beatty VII vs. 1 : 5, l. 2 § II (XIXe dynastie). 2. Papyrus Turin, l. 2 § II (XIXe dynastie). Cf. Roccati 1972, 155-156 ; Hoch 1994, 243. 108 Breyer 2004, 267 ; Schneider 2004, 24 ; Simon 2010. 105

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LA FIGURE ÉPIQUE D’AMPHIARAOS ARCHÉOLOGIE D’UN DIEU GUÉRISSEUR Charles Doyen Chargé de recherches F.R.S.–FNRS UCLouvain en mémoire de Michèle Daumas

Terre d’oracles, particulièrement fameuse à cause de la divination singulière pratiquée dans l’antre de Trophonios à Lébadée1, la Béotie célèbre également un autre devin englouti dans les profondeurs du sol : le héros Amphiaraos, étroitement lié au cycle thébain, aurait été avalé par la terre lors de l’expédition impie menée par le roi argien Adraste contre Thèbes, au cours de laquelle s’entretuèrent les jumeaux ennemis Étéocle et Polynice. Conformément à la tradition épique, le plus ancien sanctuaire d’Amphiaraos se situait donc à proximité de Thèbes, à l’endroit où le guerrier serait tombé2 ; ce sanctuaire archaïque était probablement en désuétude lorsqu’est fondé, vers 420 av. J.-C., le grand Amphiaraion d’Oropos, aux limites de la Béotie et de l’Attique, en face de l’Eubée et de la cité d’Érétrie, autour de la source sacrée que le héros est censé avoir empruntée pour remonter à la surface de la terre3. Devin de son vivant, Amphiaraos continue après sa mort de vaticiner au bénéfice des fidèles qui passent la nuit dans son sanctuaire ; ce rite d’incubation permet au patient, visité en rêve par le dieu, d’obtenir soit un oracle (oni-

1

Cf. en part. Bonnechere 1990 ; Bonnechere 2003. Pindare, Pyth., VIII, v. 38-60 (cf. Hubbard 1992, 101-107 ; Hubbard 1993 ; Van ’t Wout 2006) ; Hérodote, I, 46-52 ; I, 92 ; VIII, 134. Pausanias (IX, 8, 3) signale un petit péribole sur la route de Potnies à Thèbes, à l’endroit où Amphiaraos aurait été englouti par la terre (cf. aussi Strabon, IX, 2, 10), mais les gens de Tanagra prétendent que la catabase du héros se serait produite au lieu-dit Harma « Le Char » (Pausanias, I, 34, 2 ; IX, 19, 4 ; cf. aussi Strabon, IX, 2, 11). Cf. Sineux 2007, 65-73. 3 Strabon, IX, 1, 22 ; Pausanias, I, 34, 1-5. Cf. Πετρακος 1968 ; Schachter 1981, 19-26; Roesch 1984 ; Sineux 2007 ; Terranova 2008 ; Polignac 2011. Au Nord de l’Attique, la forteresse de Rhamnonte accueille également un sanctuaire d’Amphiaraos : cf. e. a. Sineux 2007, 109-117. 2

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Charles Doyen romancie), soit — dans une perspective iatromantique qui nous rattache à la thématique générale du présent Colloque — la prescription d’un remède, voire une guérison immédiate. De héros épique, Amphiaraos s’est ainsi mué en dieu guérisseur4, en faisant la synthèse de traditions mythiques riches, denses, complexes, pour ne pas dire encombrantes — tant l’on perçoit mal, a priori, la cohérence entre les différentes figures d’Amphiaraos, « guerrier, devin et guérisseur »5, au point d’en venir à regretter, peut-être, d’avoir conservé à son propos un mythe autrement plus développé que dans le cas d’Asclépios ou de Trophonios. Dans ce contexte, cette communication s’attache à souligner les lignes de force, extrêmement cohérentes, qui caractérisent l’Amphiaraos archaïque, l’enracinent dans le fonds commun de l’épopée grecque et imposent de dépasser, une fois de plus, les clivages entre cycles thébain et troyen6. 1. Le meilleur des Argiens Véritable encyclopédie de l’époque archaïque, somme sans cesse remaniée et enrichie de connaissances orales transmises de génération en génération, dans le savant langage de l’hexamètre dactylique, en conformité avec une diction et un canevas traditionnels, l’épopée grecque — qui se confond avec la «  parole  » même (ἔπος) — peut notamment prendre la forme d’un chant (ἀοιδή) à la gloire des héros : par une belle mise en abîme, l’épopée homérique représente à plusieurs reprises un aède (ἀοιδός) inspiré des Muses s’attelant à « chanter les gloires des hommes » (ἀειδέμεναι κλέα ἀνδρῶν), tel Achille luimême, retiré dans sa tente, qui calme sa colère en déclamant une épopée avec Patrocle pour seul public (Il., IX, v. 185-191), ou tel Démodocos, qui remémore malencontreusement devant les Phéaciens, en l’honneur d’un Ulysse encore anonyme accueilli à la cour du roi Alkinoos, le conflit (νεῖκος) qui opposa précisément ce héros à Achille, pour le plus grand plaisir de l’Atride Agamemnon (Od., VIII, v. 72-83). Que l’Iliade et l’Odyssée, joyaux épiques si semblables et pourtant tellement différents, célèbrent respectivement les exploits d’Achille et le retour d’Ulysse ne nécessite plus d’autre démonstration que l’invocation des deux prologues les plus célèbres de la littérature grecque (Il., I, v. 1-5 ; Od., I, v. 1-5). Qu’Achille et Ulysse puissent chacun être le «  meilleur des Achéens  » (ἄριστος Ἀχαιῶν), en incarnant au plus haut point deux paradigmes héroïques

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Verbanck-Piérard 2000 ; Gorrini & Melfi 2002 ; Vikela 2006. Pour citer le sous-titre du beau livre de Sineux 2007. Pour le cas emblématique de Diomède, cf. Marchetti 1998, Brillante 2010.

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La figure épique d’Amphiaraos fondamentalement distincts — la puissance physique (βίη) pour le premier, les « ruses de l’intelligence » (μῆτις) pour le second7 — et nécessairement opposés — comme le rappelle opportunément le conflit traditionnel mettant aux prises les deux « meilleurs des Achéens » (ἄριστοι Ἀχαιῶν) chanté par l’aède Démodocos — ne doit plus être discuté, tant cette dichotomie a fait l’objet d’études remarquables et stimulantes8. Mais qu’en est-il de la troisième épopée communément attribuée à Homère9, la Thébaïde cyclique, qui n’est aujourd’hui conservée que par une dizaine de fragments10, par plusieurs avatars épiques — de la Thébaïde d’Antimaque de Colophon à la Thébaïde de Stace —, par de nombreux remplois littéraires11 — depuis les Tragiques athéniens jusqu’aux mythographes d’époque impériale — et de multiples documents iconographiques, sur toute sorte de supports ? Ce chef-d’œuvre reconnu du cycle thébain qui, au jugement de Pausanias (IX, 9, 5), mérite le plus d’éloges après l’Iliade et l’Odyssée, commémorait-il également la gloire d’un héros ? ou s’attachait-il seulement à retracer une déroute collective, honteuse, totale, de l’expédition des chefs argiens contre Thèbes, comme semble le suggérer le premier vers de la Thébaïde, fort heureusement conservé (frag. 1 Bernabé) ? Ἄργος ἄειδε, θεά, πολυδίψιον, ἔνθεν ἄνακτες « Chante Argos, déesse, l’assoiffée, d’où les chefs […] » Cet incipit présente des consonances marquées avec le début de l’Iliade (I, v. 1) : ΜӬ̩̥̩к̡̡̥̠ ̡̤қ ̧̣̣̍¢қ̴̡̠о̧̲̥Ӭ̫̭ « Chante la colère, déesse, du Péléiade Achille […] »

Cette analogie troublante invite à considérer la possibilité qu’à l’instar de l’Iliade, qui ne chante ni la gloire d’Ilion, ni celle du vieux Priam, ni celle du prince Hector, ni celle d’Agamemnon, la Thébaïde cyclique ne glorifierait pas Thèbes, ni le vieil Œdipe, ni les princes rivaux Étéocle et Polynice, ni Adraste. De toute évidence, l’une et l’autre épopée sont tout à la gloire d’un héros emblématique de la mentalité archaïque, assumant pleinement son statut en mourant devant les murs de la ville assiégée : de la même manière que l’Iliade est une Achilléide qui ne dit pas son nom, la Thébaïde paraît célébrer la geste

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Detienne & Vernant 1974. Cf. en particulier les travaux de Nagy 1994 ; Nagy 2005. 9 Thébaïde, test. 2-8 Bernabé ; Torres Guerra 1998. 10 Cf. Burkert 1981 ; Bernabé 1987, 20-28 ; Davies 1988, 21-26 ; Torres-Guerra 1995a ; Torres Guerra 1996 ; West 2003, 42-55. 11 Pour les époques archaïque et classique, cf. l’étude stimulante de Vicaire 1979. 8

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Charles Doyen du grand héros argien Amphiaraos. Cette lecture se fonde sur la concordance des sources iconographiques et littéraires de l’époque archaïque enracinées dans le cycle thébain qui, pour les premières, représentent très majoritairement le départ d’Amphiaraos à la guerre12 — en écho remarquable au titre subsidiaire de l’épopée, l’Expédition d’Amphiaraos (Ἀμφιαράου ἐξελασία)13 — et, pour les secondes, décrivent systématiquement Amphiaraos comme le « meilleur » (ἄριστος) de l’expédition argienne, tout à la fois comme devin et comme guerrier. Ainsi, dans l’Odyssée (XV, v.  222-256), le récit de la généalogie du devin Théoclymène, descendant du Mélampous installé «  en Argos nourricière de cavales » (Ἄργος ἐς ἱππό̺οτον), évoque Amphiaraos, « rassembleur d’hommes » (λαοσσοός), aimé de Zeus et d’Apollon, à la mort duquel Polyphide deviendra « de beaucoup le meilleur devin parmi les mortels » par la grâce d’Apollon (v. 252-253  : αὐτὰρ ὑπέρθυμον Πολυφείδεα μάντιν Ἀπόλλων | θῆκε βροτῶν ὄχ’ ἄριστον, ἐπεὶ θάνεν Ἀμφιάρηος). Le Catalogue des femmes hésiodique confirme l’importance d’Amphiaraos en terre d’Argos (frag. 25 Merkelbach & West, l. 34-38) : ́ˀ[ῖα δ᾽] Ὑπερμήστρη λαῶν ἀγὸν Ἀμφιάρηον γε[ί]νατ᾽ Ὀϊκλῆος θαλερὸν λέχος εἰσανα̺ᾶσα Ἄ[ρ]γει ἐν ἱππο̺ότωι πολέων ἡγήτορα λαῶν· ὅς ῥ᾽ ἀγαθὸς μὲν ἔην ἀγορῆι, ἀγαθὸς δὲ μάχεσθαι, ἐ[σ]θλὸς δ᾽ ἐν πραπίδεσσι, φίλος δ᾽ ἦν ἀθανάτοισι. « Et la divine Hypermestre engendra Amphiaraos, meneur d’hommes, après être montée à la couche florissante d’Oiklês, en Argos nourricière de cavales. Amphiaraos, commandant de nombreux hommes ! il était bon à l’assemblée, et bon pour combattre, noble en ses pensées, et aimé des immortels. »

La description d’Amphiaraos comme un héros remarquable à l’assemblée (ἀγορή) et au combat (μάχη) correspond exactement à la double aspiration à l’excellence (ἀρετή) des héros épiques, tel un Achille ou un Diomède, dont la parole est d’autant plus respectée à l’assemblée que leur force est redoutée sur

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Pour la scène du départ d’Amphiaraos, cf. en part. Krauskopf 1981, nos 7-27, 71-78a, 706-708 ≈ Krauskopf 1994, 735 ; Torres 2012, 526-528. Par ailleurs, une autre scène archaïque représentant le combat entre Amphiaraos et Lycurgue fils de Pronax, roi de Némée, arbitré par Adraste (Krauskopf 1981, nos 32-33, 79 ≈ Krauskopf 1994, nos 4, 21-23) correspond bien à la représentation typique des duels entre héros épiques : cf. p. ex. le conflit entre Achille et Ulysse devant Agamemnon (Od., VIII, v. 72-83), ou encore le duel entre Hector et Ajax encadré par les hérauts Talthybios et Idée (Il., VII, v. 206-312). 13 Thébaïde, test. 7-8 Bernabé. Cf. Torres Guerra 1995b.

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La figure épique d’Amphiaraos le champ de bataille14. Ces caractéristiques se doublent, dans le cas d’Amphiaraos, d’une excellence dans l’art divinatoire, s’inscrivant dans la tradition familiale des Mélampodides. Pindare et Eschyle se rattachent pleinement à cette tradition épique15, en décrivant tous deux Amphiaraos comme un devin et un guerrier excellent. Dans une épinicie offerte à Agésias de Syracuse à l’occasion d’une victoire olympique (468), Pindare, le premier, place dans la bouche d’Adraste un éloge (αἶνος) d’Amphiaraos, qui en l’occurrence prend la forme d’un vers épique (ἔπος), probablement emprunté à la Thébaïde cyclique (Ol., VI, v. 16-17 = Théb., frag. 10 Bernabé) : Ποθέω στρατιᾶς ὀφθαλμὸν ἐμᾶς, ἀμφότερον μάντιν τ’ ἀγαθὸν καὶ δουρὶ μάρνασθαι. « Je pleure l’œil de mon armée, tout à la fois bon comme devin et pour lutter à la lance. »

À la même époque, dans les Sept contre Thèbes (467), Eschyle représente un long dialogue entre le roi Étéocle et un messager envoyé en éclaireur, qui décrit en détail les sept chefs rangés face à chacune des portes de la ville (v. 369-719). Les cinq premiers chefs, à commencer par Tydée et Capanée, se distinguent par leur démesure et leur bestialité, en paroles et en actes ; à la sixième porte, par contre, se présente Amphiaraos, homme remarquable en tout point — le seul véritable héros des Sept contre Thèbes —, qui contraste d’autant plus avec le chef de la septième et dernière porte, Polynice lui-même, opposé à Étéocle dans un duel fratricide. Le messager présente d’emblée Amphiaraos selon la double qualité de héros et de guerrier (v. 568-569) : ἕκτον λέγοιμ᾽ ἂν ἄνδρα σωφρονέστατον, ἀλκήν ἄριστον μάντιν, Ἀμφιάρεω βίαν· « Je vais parler du sixième homme, très sage, supérieur en vaillance, devin, la force d’Amphiaraos. »

Connaissant l’issue inéluctable de l’expédition, Amphiaraos invective Tydée et Polynice, les responsables du désastre à venir. Après avoir rapporté ces griefs du devin, le messager conclut son intervention en expliquant l’absence

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Cf. p. ex. Il., I, v. 488-492 ; IX, v. 53-54. Pour les rapports étroits de ces deux auteurs avec la tradition épique, cf. en part. Sideras 1971 ; Herington 1985 ; Nagy 1990. Pour le cas particulier de la VIIIe Pythique et les Sept contre Thèbes, cf. Nagy 2000. 15

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Charles Doyen de blason sur le bouclier du seul Amphiaraos par l’authenticité de ce héros, en opposition aux six autres assaillants de Thèbes (v. 590-594)16 : Τοιαῦθ᾽ ὁ μάντις ἀσπίδ᾽ εὔκηλος νέμων πάγχαλκον ηὔδα. Σῆμα δ᾽ οὐκ ἐπῆν κύκλωι· οὐ γὰρ δοκεῖν ἄριστος ἀλλ᾽ εἶναι θέλει, βαθεῖαν ἄλοκα διὰ φρενὸς καρπούμενος, ἐξ ἧς τὰ κεδνὰ βλαστάνει βουλεύματα. « Voilà ce que disait le devin, en prenant calmement son bouclier en bronze massif ; et aucun signe ne se trouvait sur le disque. De fait, il ne veut pas paraître le meilleur, mais il veut l’être, en recueillant en son cœur les fruits du sillon profond d’où germent les nobles desseins. »

Le roi Étéocle lui-même ne peut qu’abonder en ce sens, et regretter qu’Amphiaraos ait été contraint malgré lui de prendre part à l’expédition contre Thèbes (v. 609-614) : Οὕτω δ᾽ ὁ μάντις, υἱὸν Οἰκλέους λέγω, σώφρων δίκαιος ἀγαθὸς εὐσε̺ὴς ἀνήρ, μέγας προφήτης, ἀνοσίοισι συμμιγείς θρασυστόμοισιν ἀνδράσιν βίαι φρενῶν, τείνουσι πομπὴν τὴν μακρὰν πάλιν μολεῖν, Διὸς θέλοντος ξυγκαθελκυσθήσεται. « Ainsi le devin, je veux dire le fils d’Oiklès, homme sage, juste, bon, pieux, grand prophète, mêlé contre sa volonté à des hommes sacrilèges, aux paroles arrogantes, qui entament péniblement un long chemin de retour, partagera leur chute, si Zeus le veut. »

L’Œdipe à Colone de Sophocle, créé en 401, après la mort du dramaturge, insiste encore sur la bivalence traditionnelle du héros qui occupe la première place parmi les sept chefs assiégeant Thèbes, « Amphiaraos, brandisseur de lance s’il en est, qui l’emporte par sa lance, qui l’emporte par le vol des oiseaux  » (v. 1313-1314  : oἷος δορυσσοῦς Ἀμφιάρεως, τὰ πρῶτα μὲν | δόρει κρατύνων, πρῶτα δ᾽ οἰωνῶν ὁδοῖς). Cette double définition est par ailleurs en parfaite adéquation avec l’anecdote que rapporte Hérodote (VIII, 134) au sujet de l’interdiction faite aux Thébains de consulter l’oracle thébain d’Amphiaraos, après que le héros les eut sommés de le considérer exclusivement soit comme « devin » (μάντις), soit comme « allié » (σύμμαχος), et qu’ils eurent opté pour le second terme de l’alternative: depuis lors, Amphiaraos protège

16 Moreau 1976  ; Vidal-Naquet 1979  ; Lupaş & Petre 1981, 183-192  ; Moreau 2007 ; Zeitlin 20092.

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La figure épique d’Amphiaraos les seuls Thébains comme un guerrier, et délivre aux seuls étrangers ses oracles réputés. La noblesse du comportement d’Amphiaraos contraste très fortement avec l’inhumanité d’un Tydée privé de l’immortalité par Athéna, pour avoir dévoré la cervelle du Thébain Mélanippe tué par Amphiaraos (Théb., frag. 9 Bernabé), ou celle d’un Capanée foudroyé par Zeus en châtiment de son arrogance (Eschyle, Sept, v. 444-446). Bien plus, les analogies que nous entrevoyons entre Amphiaraos et Achille en tant que héros (ἄριστοι) épiques, dont la gloire (κλέος) doit être célébrée par une épopée — la Thébaïde pour le premier, l’Iliade pour le second —, permettent d’éclairer d’un jour nouveau les rapports ambigus qu’entretiennent Amphiaraos et Adraste, sur le modèle des relations tendues entre Achille et Agamemnon. 2. Querelles et tentations Une épopée telle que l’Iliade se déploie autour d’une dialectique fondamentale entre le meilleur guerrier (ἄριστος) et le roi le plus puissant (βασιλεύτατος). De fait, la valeur héroïque (ἀρετή) d’Achille, qui se manifeste dans sa supériorité (κράτος) au combat, est clairement distincte de l’honneur royal (τιμὴ βασιληίς) d’Agamemnon, qui légitime sa position à la tête de l’expédition achéenne contre Troie. Idéalement, pour assurer l’ordre social et, en l’occurrence, garantir le succès du siège, chaque protagoniste doit reconnaître et respecter la position de l’autre : l’ἄριστος doit faire allégeance au βασιλεύτατος et se comporter, sur le champ de bataille et en assemblée, conformément à ce que la société attend du meilleur des guerriers ; pour sa part, le βασιλεύτατος doit honorer et récompenser l’ἄριστος selon ses mérites. Ce faisant, tant l’ἄριστος que le βασιλεύτατος seront confortés dans leur position respective17. Dans la dynamique du cycle troyen, la collaboration active de l’ἄριστος et du βασιλεύτατος est indispensable à la chute de Troie : Agamemnon ne peut prendre la ville sans le concours d’Achille, mais Achille ne peut évoluer en dehors de la société humaine dirigée par Agamemnon. Le vieux Nestor est bien conscient de cette double nécessité, lorsqu’il tente d’apaiser la querelle naissante, en rappelant à Achille la nature et les obligations de chacune des deux fonctions, conçues comme des dons divins (Il., I, v. 277-281) : Μήτε σύ, Πηλείδη, ἔθελ᾿ ἐριζέμεναι βασιλῆϊ ἀντι̺ίην, ἐπεὶ οὔ ποθ᾿ ὁμοίης ἔμμορε τιμῆς σκηπτοῦχος βασιλεύς, ὧι τε Ζεὺς κῦδος ἔδωκεν.

17

Pour ces notions de justice sociale, d’honneur et de réciprocité, cf. en part. Rudhardt 1999 ; Janik 2003 ; Du Sablon 2013.

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Charles Doyen Εἰ δὲ σὺ καρτερός ἐσσι, θεὰ δέ σε γείνατο μήτηρ, ἀλλ᾿ ὅδε φέρτερός ἐστιν, ἐπεὶ πλεόνεσσιν ἀνάσσει. « Quant à toi, Péléide, ne cherche pas à quereller le roi par la force, puisque rien n’égale l’honneur que détient un roi porteur de sceptre, auquel Zeus a donné le renom. Si toi, tu es supérieur en force, c’est qu’une déesse, ta mère, t’a engendré ; mais lui est plus puissant, puisqu’il commande à plus d’hommes. »

Pourtant, la querelle entre Agamemnon et Achille est aussi inéluctable que traditionnelle, comme le sont d’ailleurs les querelles mettant aux prises Achille et Ulysse, autour de la définition du « meilleur des Achéens », ou opposant ces deux héros au bouffon Thersite, figure antithétique du héros épique18. Dans l’Iliade, l’iniquité des partages de butin opérés par Agamemnon, qui garde beaucoup pour lui-même et rétribue de la même manière les preux et les pleutres, est au fondement de l’inimitié entre Achille et Agamemnon ; cette inimitié se transforme en conflit ouvert dès le moment où l’Atride enlève Briséis, captive d’Achille, pour compenser la perte de sa propre captive, Chryséis19. En privant Achille de cette part d’honneur (γέρας), Agamemnon méconnaît la position sociale d’Achille et les égards dus à son rang. Ce comportement inadéquat d’Agamemnon provoque la colère (μῆνις) d’Achille, qui sera le sujet et le moteur de toute l’Iliade  : exclu de la société des Achéens par le βασιλεύτατος, l’ἄριστος agit en conséquence, en se retirant de l’assemblée et du combat. In fine, l’enjeu du conflit est donc la reconnaissance sociale des fonctions occupées par Achille et Agamemnon : le premier, dans son rôle de héros épique, indispensable au succès de l’expédition ; le second, dans son rôle de grand roi, capable de maintenir la cohésion de la société qu’il dirige. De la même manière, le cycle thébain relate deux conflits entre Amphiaraos et Adraste, qui mettent en jeu les positions sociales des deux protagonistes. Le premier conflit, qu’atteste la IXe Néméenne de Pindare (ca 475-471), concerne le rôle de βασιλεύτατος : Amphiaraos dispute à Adraste la fonction royale, suscite une terrible sédition (δεινὰ στάσις) et force son cousin à s’exiler dans le pays de Sicyone, où celui-ci instituera le concours néméen ; leur réconciliation et la reconnaissance du statut royal d’Adraste sont scellés par le mariage d’Amphia-

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La querelle entre Achille et Agamemnon, fil rouge de l’Iliade, apparaît également dans les Chants cypriens (argum., l. 51-52 ; frag. 25 Bernabé) ; la dispute entre Achille et Ulysse, évoquée par Démodocos (Od., VIII, v. 72-83) peut également se lire dans l’opposition radicale entre l’Iliade et l’Odyssée ; quant à Thersite, il est décrit comme l’ennemi habituel d’Achille et Ulysse, qui se plaît également à prendre à parti Agamemnon (Il., II, v. 212-277). Sur ces deux autres querelles traditionnelles, cf. en part. Nagy 1994, ch. 3, 66-83 ; ch. 14, 298-310. 19 Cf. en part. Il., I, v. 161-168 ; IΧ, v. 318-319, 330-333.

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La figure épique d’Amphiaraos raos et d’Ériphyle, sœur d’Adraste20. Le second conflit porte sur la définition de l’ἄριστος : sollicité par Polynice et Tydée, Adraste monte une expédition contre Thèbes, à laquelle le héros Amphiaraos refuse de prendre part ; derechef, la réconciliation entre les deux hommes et l’acceptation par Amphiaraos de son statut de héros épique seront le fait d’Ériphyle21. L’antagonisme traditionnel du roi et du guerrier dans les cycles troyen et thébain repose sur les attitudes stéréotypées de ces personnages : le premier est trop lâche pour assumer sa fonction  ; le second, connaissant son destin funeste, est en proie au doute existentiel. a) Travers traditionnels du roi Devant les murs de Troie, les guerriers accomplis ne se contentent pas de dénoncer l’iniquité du roi, mais s’en prennent également à sa couardise, lorsqu’il rechigne à combattre. Ainsi, Achille stigmatise d’emblée Agamemnon par ces termes (Il., I, v. 225-228) : Οἰνο̺αρές, κυνὸς ὄμματ᾿ ἔχων, κραδίην δ᾿ ἐλάφοιο, οὔτέ ποτ᾿ ἐς πόλεμον ἅμα λαῶι θωρηχθῆναι οὔτε λόχονδ᾿ ἰέναι σὺν ἀριστήεσσιν Ἀχαιῶν τέτληκας θυμῶι· τὸ δέ τοι κὴρ εἴδεται εἶναι. « Ivrogne au regard de chien, au cœur de cerf ! T’armer d’une cuirasse pour aller au combat avec les hommes, ou dresser une embuscade avec les meilleurs des Achéens, jamais tu n’en as eu le cœur ; cela te semble être la mort ! »

Par ailleurs, à deux reprises, d’abord par calcul ensuite par véritable lâcheté, Agamemnon propose en des termes identiques à l’assemblée (ἀγορή) d’abandonner le combat et de retourner en Argos sans avoir pris Troie (Il., II, v. 110-141 ; IX, v. 17-28). La première tentative est contrée par Ulysse, qui accomplit la ruse d’Agamemnon en convainquant les Achéens de poursuivre le combat (Il., II, v. 182-335). La seconde tentative est vertement blâmée par Diomède, qui dénonce également le manque de courage d’Agamemnon en rappelant la dichotomie épique entre le roi et le guerrier (Il., IX, v. 37-39) : Σοὶ δὲ διάνδιχα δῶκε Κρόνου πάϊς ἀγκυλομήτεω· σκήπτρωι μέν τοι δῶκε τετιμῆσθαι περὶ πάντων,

20

Pindare, Ném., IX, v.  8-27 et scholies ad loc. (cf. Hubbard 1992, en part. 87-92)  ; Krauskopf 1981, nos 69-70. Pour la royauté d’Adraste à Sicyone, cf. Il., II, v. 572 ; Hérodote, V, 67 ; pour les différents mythes étiologiques des concours néméens, cf. Doffey 1992. 21 Sur les querelles d’Amphiaraos, cf. e. a. Sineux 2007, ch. 1, 23-58. Pour le départ du héros à la guerre contre son gré, à cause de la trahison d’Ériphyle, cf. aussi infra, n. 29.

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Charles Doyen ἀλκὴν δ᾽ οὔ τοι δῶκεν, ὅ τε κράτος ἐστὶ μέγιστον. « Toi, le fils de Cronos à l’intelligence retorse ne t’a donné qu’une moitié : par le sceptre, il t’a donné d’être honoré plus que tous, mais la vaillance, il ne te l’a pas donnée, et c’est la plus grande force. »

Diomède affirme ensuite qu’il poursuivra le combat avec son compagnon Sthénélos, même si Agamemnon et tous les Achéens s’en retournent dans leur patrie (v. 40-49). Ainsi, ces deux Épigones se font forts de prendre Troie, tout comme ils se glorifiaient d’avoir pris Thèbes, contrairement à leurs pères Tydée et Capanée (Il., IV, v. 364-421). L’implication de Diomède et Sthénélos au carrefour des cycles thébain et troyen souligne les faiblesses partagées des expéditions menées par Adraste devant Thèbes et par Agamemnon devant Troie, qui sont imputables pour partie à la lâcheté de leur chef. À l’instar d’Agamemnon, en effet, le chef de l’expédition contre Thèbes est un couard : non seulement Adraste ne figure pas au nombre des sept chefs assiégeant la Thèbes « aux sept portes » (ἑπτάπυλος)22, selon les listes concordantes données par les Sept contre Thèbes d’Eschyle (467), les Suppliantes d’Euripide (ca 423) et l’Œdipe à Colone de Sophocle (401), mais bien plus, il se tient à l’écart, prêt à effectuer la retraite honteuse souhaitée par Agamemnon au plus fort de la guerre de Troie, en rentrant seul à Argos, à l’aide de son cheval immortel Arion23. Les ensembles architecturaux érigés à Argos (ca 550) et à Delphes (ca 450) en référence au cycle thébain, qui associent dans les deux cas les Sept et leurs Épigones, confirment le témoignage des trois Tragiques : le monument argien commémore les héros tombés à Thèbes, ce qui exclut de facto Adraste, revenu vivant à Argos24  ; quant au monument delphique, il figure Adraste en tant que chef de l’expédition, ainsi que huit autres personnages, parmi lesquels se trouvent les sept guerriers25.

22

L’épithète est épique (LfrGE, t. II, col. 665, s. v. ἑπτάπυλος), et Pindare (Ol. VI, v. 15 ; Ném. IX, v. 24) évoque les sept bûchers élevés pour brûler les morts des sept corps d’armée placés devant chaque porte (cf. Hubbard 1992, 92-100). Pour les antécédents orientaux du thème des Sept, cf. Burkert 1981, 38-46 ; Deforge 1990. Pour l’identité fluctuante des Sept dans les traditions grecques, cf. e. a. Cingano 2002 ; Gantz 2004, 911-916. Pour leurs représentations iconographiques, cf. Krauskopf 1994. 23 Cf. e. a. Il., XXIII, v. 346-347 ; Théb., frag. 7-8 Bernabé ; Eschyle, Sept, v. 42-53. Sur Arion, cf. Doyen 2011, 37-40. 24 Pariente 1992 ; Krauskopf 1994, no 2. L’hérôon archaïque fut probablement réaménagé à l’époque classique avec les statues des Sept contre Thèbes qui, selon Pausanias (II, 20, 5), ne diffèrent pas de la version d’Eschyle. 25 Pausanias, X, 10, 3 ; Bommelaer 1991, 113-114, no 112 ; Krauskopf 1994, no 1. Pour l’hypothèse d’une origine thébaine de ces statues, cf. Jeffery 1965, Daumas 1992. Le monument de Delphes regrouperait sur une même base semi-circulaire les statues des Sept et de leurs

192

La figure épique d’Amphiaraos

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

Eschyle, Sept, v. 39-68, 375676 Tydée Capanée Étéoclos Hippomédon Parthénopée Amphiaraos Polynice

8. (Adraste)

Euripide, Suppl., Sophocle, O. C., Monument v. 837-954 v. 1301-1325 d’Argos Capanée Étéoclos Hippomédon Parthénopée Tydée Amphiaraos Polynice

Amphiaraos Tydée Étéoclos Hippomédon Capanée Parthénopée Polynice

(Adraste)

Monument de Delphes

Les héros tombés Adraste Tydée à Thèbes Capanée Étéoclos Polynice Hippomédon Char d’Amphiaraos et Batôn Alithersès

Table 1. Listes anciennes des Sept contre Thèbes

Une liste divergente, qui intègre Adraste au nombre des Sept, est donnée par les Phéniciennes d’Euripide (ca 409) ; devenue canonique, cette liste sera reprise par tous les auteurs d’époque impériale.

1. 2. 3. 4. 5.

Euripide, Phén., v. Euripide, Phén., Diodore, IV, 65, 118-192 v. 1090-1140 4-5 = Hygin, Fab., 70 Hippomédon Parthénopée Adraste Tydée Amphiaraos Polynice Parthénopée Hippomédon Tydée Polynice Tydée Amphiaraos Adraste Polynice Capanée

Stace, Théb., IV, ps.-Apollodore, v. 32-308 Bibl., III, 6, 3 Adraste Polynice Tydée Hippomédon Capanée

6. Amphiaraos

Capanée

Hippomédon

Amphiaraos

7. Capanée

Adraste

Parthénopée

Parthénopée

Adraste Amphiaraos Capanée Hippomédon Polynice ou Étéoclos Tydée ou Mécisteus Parthénopée

Table 2. Listes récentes des Sept contre Thèbes

b) Hésitations traditionnelles du héros Le cycle troyen relate plusieurs épisodes a priori incompatibles avec la définition des figures héroïques paradigmatiques d’Ulysse et d’Achille. D’une part, les Chants cypriens attestent qu’Ulysse simula la folie afin d’éviter de prendre part à l’expédition qui devrait le tenir éloigné pendant vingt longues années de son foyer26. D’autre part, deux traditions concomitantes attestent la

Épigones, organisées autour du char d’Amphiaraos : cf. Bommelaer 1992. Pour les concordances entre la version d’Eschyle et les listes des Chefs et des Épigones à Delphes et Argos, et pour l’identification problématique du septième Chef à Delphes — Alithersès, Parthénopée, voire Batôn ? —, cf. ibid., 265-274. 26 Cypr., argum., l. 30-33 Bernabé ; Touchefeu-Meynier 1992, nos 31-32. Cf. Severyns 1928, 283-285 ; Gantz 2004, 1022-1023.

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Charles Doyen réclusion d’Achille dans l’île de Scyros pour échapper à la guerre de Troie. Selon la première, relayée par les Chants cypriens, la Petite Iliade et peut-être l’Iliade, Achille échoue à Scyros après la tempête qui mit prématurément fin à la première expédition des Grecs contre Troie ; il y épouse Deidamie, fille du roi Lycomédès27. Selon une autre version, par contre, qui a sans aucun doute des racines épiques et s’impose dans l’iconographie et les sources littéraires ultérieures28, Achille aurait été d’emblée caché à Scyros par sa mère Thétis ou son père Pélée, accoutré en jeune fille au milieu des filles du roi Lycomédès, afin d’échapper à la mort inéluctable devant les murs de Troie. Achille aurait été démasqué par une ruse d’Ulysse, envoyé en ambassade avec Phénix et Nestor : des armes et des paniers remplis de textiles sont jetés dans le gynécée ; seul Achille est attiré par les armes, et se trouve dès lors contraint de prendre part à l’expédition contre Troie. La réticence du héros à prendre part à une expédition militaire à l’issue fatale trouve un parallèle évident dans le cycle thébain, lorsqu’Amphiaraos, tentant d’échapper à l’expédition, est trompé par Ériphyle, corrompue par le collier d’Harmonie ou par un autre bijou, cadeau de Polynice ou d’Adraste. Ce thème traditionnel est attesté dès l’Odyssée et trouve un prolongement dans l’ultime épopée du cycle thébain, l’Alcméonide29  : meurtrière de son époux, Ériphyle sera elle-même assassinée par son fils Alcméon. La vaine tentative d’Amphiaraos de se soustraire au combat, peut-être en se cachant30, semble évoquée dans l’un des fragments de la Thébaïde, lorsque le héros enjoint à son second fils, Amphilochos, d’adopter l’esprit du poulpe, animal emblématique de l’intelligence rusée (μῆτις) à cause de sa capacité à se déformer et se camoufler (frag. 4 Bernabé)31 : Πουλύποδός μοι, τέκνον, ἔχων νόον, Ἀμφίλοχ’ ἥρως, τοῖσιν ἐφαρμόζειν, τῶν κεν κατὰ δῆμον ἵκηαι, ἄλλοτε δ’ ἀλλοῖος τελέθειν καὶ χώρωι ἕπεσθαι.

27

Cypr., argum., l. 38-40 Bernabé ; Il., IX, v. 666-668 ; Il. parv., frag. 24 Bernabé. Cypr., frag. 19 Bernabé (scholie ad Il., XIX, v. 326-333) ; Kossatz-Deissmann 1981, 55-69. Cf. Severyns 1928, 285-291 ; Gantz 2004, 1023-1026. 29 Homère, Od., XI, v. 326-327 ; XV, v. 246-247 ; Bernabé 1987, 32-36. Cf. Delcourt 1959, 31-54. 30 Comme le suggèrent plusieurs auteurs d’époque impériale : cf. e. a. Hygin, Fab., 73 ; Servius, ad Aen., VI, v. 445 ; Premier mythographe du Vatican, II, 50. 31 Ce rapprochement est dû à Delcourt 1959, 34-35. Le tour est proverbial : cf. Pindare, frag. 10 Puech ; Théognis de Mégare, v. 213-218 ; Sophocle, Iphigénie, frag. 307 Radt (tous trois cités par Athénée de Naucratis, Deipn., XII, 513c-d — comme le fragment de la Thébaïde, ibid., VII, 317a). Sur la μῆτις du poulpe, cf. Detienne & Vernant 1974, 32-57. 28

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La figure épique d’Amphiaraos « Aie l’esprit du poulpe, mon enfant, ô héros Amphilochos ! pour t’entendre avec ceux dont tu parcourras le pays, pour te trouver différent à différents moments et te confondre avec l’endroit ».

De nouveau, les attitudes d’Achille et d’Amphiaraos semblent strictement comparables : à l’inverse d’un Ulysse « aux mille tours » (πολύτροπος), les deux héros se définissent exclusivement comme des héros de force (βίη), foncièrement dépourvus de ruse (μῆτις). Dès lors, leur camouflage, semblable à la ruse du poulpe, est nécessairement voué à l’échec : Achille est vaincu sur ce plan par Ulysse, mandaté par Agamemnon  ; Amphiaraos, par Ériphyle, laquelle est manipulée par Adraste et Polynice. Dans les deux cas, les colifichets féminins contribuent à perdre le héros, attiré par les armes : Achille préfère armes et trompettes aux tissus et bijoux, tandis que plusieurs représentations iconographiques du départ d’Amphiaraos opposent nettement le bouclier du héros à la forme oblongue du collier d’Harmonie, dans les mains d’Ériphyle32. Par ailleurs, le chiasme est frappant, entre la protection garantie par les parents d’Achille et la trahison perpétrée par l’épouse d’Amphiaraos. 3. Maître de vérité Si Achille et Amphiaraos refusent de prendre part aux guerres contre Troie et Thèbes, c’est que tous deux connaissent le destin du héros épique, qui est révélé tantôt par les oracles de Thétis, tantôt par la divination d’Amphiaraos, et qui se confond avec le dessein de Zeus (Διὸς βουλή), c’est-à-dire avec la tradition épique elle-même33. Ainsi, Achille présente très clairement l’alternative qui lui est offerte, à l’opposé du destin traditionnel d’Ulysse : seule la mort à la bataille lui permet obtenir la gloire (κλέος) célébrée dans une épopée, tandis que le retour dans sa patrie (νόστος) ne mettrait pas en valeur les qualités héroïques qui sont les siennes et serait nécessairement dépourvu de gloire (Il., IX, v. 410-415). Μήτηρ γάρ τέ μέ φησι θεὰ Θέτις ἀργυρόπεζα διχθαδίας κῆρας φερέμεν θανάτοιο τέλοσδε· εἰ μέν κ’ αὖθι μένων Τρώων πόλιν ἀμφιμάχωμαι, ὤλετο μέν μοι νόστος, ἀτὰρ κλέος ἄφθιτον ἔσται· εἰ δέ κεν οἴκαδ’ †ἵκωμαι φίλην† ἐς πατρίδα γαῖαν, ὤλετό μοι κλέος ἐσθλόν, ἐπὶ δηρὸν δέ μοι αἰών. «  Ma mère, en effet, la déesse Thétis aux pieds d’argent, me dit que des destins opposés me portent vers le terme de la mort : si je demeure ici même et combats

32 33

Sineux 2007, 38-42. Sur cet aspect, cf. e. a. Nagy 1994 ; Rousseau 1995 (non vidi) ; Rousseau 2001.

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Charles Doyen autour de la ville des Troyens, disparaît pour moi le retour, mais ma gloire sera immortelle ; si au contraire je retourne chez moi, dans la chère terre de ma patrie, disparaît pour moi la noble gloire, mais j’aurai une longue vie. »

En ce qui concerne le cycle thébain, l’expédition des Sept est contraire au dessein de Zeus34, tandis que les Épigones prendront Thèbes avec l’assentiment de Zeus, comme le rappelle Sthénélos à Agamemnon, en opposant son propre sort et celui de Diomède au destin de leurs pères Capanée et Tydée (Il., IV, v. 405-410) : Ἡμεῖς τοι πατέρων μέγ᾽ ἀμείνονες εὐχόμεθ᾽ εἶναι· ἡμεῖς καὶ Θή̺ης ἕδος εἵλομεν ἑπταπύλοιο, παυρότερον λαὸν ἀγαγόνθ᾽ ὑπὸ τεῖχος ἄρειον, πειθόμενοι τεράεσσι θεῶν καὶ Ζηνὸς ἀρωγῆι· κεῖνοι δὲ σφετέρηισιν ἀτασθαλίηισιν ὄλοντο. Τὼ μή μοι πατέρας ποθ᾽ ὁμοίηι ἔνθεο τιμῆι. « Oui, nous nous flattons d’être bien meilleurs que nos pères : nous avons pris le sol de Thèbes aux sept portes, en menant moins d’hommes sous un rempart plus fort, en nous fiant aux présages des dieux et au secours de Zeus ; ceux-là ont péri, du fait de leur propre folie. Garde-toi de jamais accorder à nos deux pères un honneur égal au nôtre. »

Amphiaraos refuse donc de participer à l’expédition contre Thèbes, non pas tant par crainte de sa propre mort que par refus d’aller à l’encontre du dessein de Zeus et de la tradition épique. Cette tension est palpable dans la tirade ironique qu’Amphiaraos adresse à Polynice dans les Sept contre Thèbes (v. 580-589) : Ἦ τοῖον ἔργον καὶ θεοῖσι προσφιλές καλόν τ᾽ ἀκοῦσαι καὶ λέγειν μεθυστέροις,

πόλιν πατρώιαν καὶ θεοὺς τοὺς ἐγγενεῖς πορθεῖν, στράτευμ᾽ ἐπακτὸν ἐμ̺ε̺ληκότα; Μητρός τε πηγὴν τίς κατασ̺έσει δίκη, πατρίς τε γαῖα σῆς ὑπὸ σπουδῆς δορί ἁλοῦσα πῶς σοι ξύμμαχος γενήσεται; Ἔγωγε μὲν δὴ τήνδε πιανῶ χθόνα, μάντις κεκευθὼς πολεμίας ὑπὸ χθονός· μαχώμεθ᾽· οὐκ ἄτιμον ἐλπίζω μόρον. « Est-ce un tel exploit, agréable aux dieux, beau à entendre et à dire à la postérité, que de ravager la ville de ses ancêtres et les dieux du lieu, en jetant contre eux une expédition étrangère ? Et la source maternelle, quel genre de justice pourra la tarir ? Et le pays de ton père, péniblement conquis par la lance, comment deviendra-

34

Cf. e. a. Il., IV, v. 381 ; Pindare, Ném., IX, v. 19-20 ; Eschyle, Sept, v. 377-383.

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La figure épique d’Amphiaraos t-il ton allié ? Quant à moi, j’engraisserai cette terre, devin caché sous la terre ennemie ; combattons ! je n’espère pas un sort déshonorable. »

D’une telle guerre, ni Polynice ni les Argiens ne tireront aucune gloire (κλέος) : de ce point de vue, à l’inverse de l’Iliade, qui chante la gloire immortelle (κλέος ἄφθιτον) d’Achille, la Thébaïde est une anti-épopée, que nul n’aura plaisir à entendre ou à répéter (v. 580-581 : ἔργον … | καλόν τ᾽ ἀκοῦσαι καὶ λέγειν μεθυστέροις) — comme en témoigne, a posteriori, la disparition presque totale de cette œuvre, dont ne subsistent qu’une dizaine de fragments ! Cependant, Amphiaraos entend bien mourir en héros de cette anti-épopée, les armes à la main. À cet égard, l’emploi de l’adjectif ἄτιμος en litote (v. 589 : οὐκ ἄτιμον ἐλπίζω μόρον) paraît très significatif : dans l’Iliade, ce terme même s’applique à Achille, déshonoré par Agamemnon, qui menace de se retirer du combat35 ; au contraire, Amphiaraos entend assumer pleinement son statut de héros épique, ce qui lui vaut une mort héroïque, enseveli par le foudre de Zeus dans la terre thébaine36. Par cet aspect, Amphiaraos s’apparente très fortement à la figure archétypale du « maître de vérité » que Marcel Detienne a définie jadis autour des paradigmes archaïques de l’aède, du devin et du roi de justice37. Tout comme un Achille capable de célébrer lui-même les gloires des hommes (κλέα ἀνδρῶν), Amphiaraos connaît intimement les conditions du κλέος et les modalités de sa célébration, à tel point que la figure du héros épique se confond avec celle de l’aède inspiré. À l’instar d’Achille encore, la connaissance des oracles et la science du destin rapprochent Amphiaraos de la catégorie typiquement archaïque des « démiurges » (δημιουργοί) — le devin (μάντις), l’aède (αἰοιδός), le héraut (κῆρυξ), mais aussi le médecin (ἰητήρ), le charpentier (τέκτων) ou le potier (κεραμεύς), tous détenteurs d’un savoir technique (τέχνη), qui œuvrent pour le bien du peuple (δῆμος)38. Enfin, toujours à l’image d’Achille, Amphiaraos affronte traditionnellement un souverain lâche, afin de rétablir l’équilibre de la société archaïque et d’instituer un roi de justice. Enraciné dans sa tradition épique, le héros détient sa part de « vérité » (ἀλήθεια), qui s’inscrit parfaitement dans l’ordre archaïque de Zeus et se confond avec la nécessité

35

Il., I, v. 171 ; cf. LfrGE, t. I, col. 1495-1500, s. v. ἀτιμάω, -άζω ; ἀτίμητος ; ἀτιμί(η) ; ἄτιμος. Cf. De Vito 1999. La mort d’Amphiaraos, par foudroiement et engloutissement (cf. e. a. Pindare, Ném., IX, v. 25-27 ; X, v. 8-9), équivaut à une immortalisation, comme dans le cas d’Érechthée, enseveli dans la terre de l’Acropole par le trident de Poséidon (cf. e. a. Van Liefferinge 2008 ; Doyen 2011, 59-65). 37 Detienne 19812. 38 Od., XVII, v. 382-386 ; XIX, v. 134-135 ; Hésiode, Trav., v. 25-26. Cf. Ndoye 2010, 141170. 36

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Charles Doyen supérieure de l’ordre universel ; dès lors, il est étroitement lié à Apollon et aux Muses, auxiliaires essentiels du règne de Zeus, au même titre que Thémis, les Heures et les Moires39. Tels sont les enjeux de l’intégration de la figure d’Amphiaraos et du cycle thébain dans le théâtre athénien, d’Eschyle à Aristophane, ainsi que l’installation du héros dans le territoire disputé d’Oropos, aux confins de l’Attique, dans les années où fleurissent partout les Asclepieia, jusqu’au flanc Sud de l’Acropole (420/419). Comme ils l’avaient fait avec Thésée40, les Athéniens accaparent de nouveau un grand héros épique péloponnésien, qui n’est rien de moins qu’un Achille. À ce moment, les « démiurges » et les « maîtres de vérité » de l’époque archaïque ont largement disparu, en même temps que les traditions orales de l’épopée, et avec eux un Mélampous, aïeul d’Amphiaraos, capable de guérir la folie des Proïtides ou des femmes d’Argos41, un Calchas donnant les indications adéquates pour faire cesser devant les murs de Troie la peste d’Apollon (Il., I, v. 53-100) — deux maladies collectives, reflétant avant tout un désordre social — ou un Amphiaraos estimé par le roi Crésus à l’égal de l’Apollon Pythien, prédisant les destinées du royaume lydien et de l’Empire perse (Hérodote, I, 46-52). Le monde grec a définitivement changé : désormais, le même Amphiaraos en est réduit dans la comédie homonyme d’Aristophane (414) à soigner en son sanctuaire d’Oropos les désordres intestinaux d’un vieillard, contre des espèces sonnantes et des sacrifices réglementés, pour le plus grand bénéfice d’une caste de prêtres semblables aux Asclépiades, que les sources antiques distinguent par leur appât du gain — comme le sont d’ailleurs les sophistes, les rhéteurs et les artisans de l’époque classique, héritiers si proches et si lointains des «  maîtres de vérité  » et des «  démiurges » de l’époque archaïque. Il convient, en bonne méthode, de ne pas céder à la tentation d’étudier à rebours la figure d’Amphiaraos, malgré la facilité qu’autorise la diversité des sources tardives. Tout au contraire, c’est l’aspect fondamental, archétypal, profondément archaïque de ce héros qui doit nous guider pour expliquer la présence des Amphiaraia antiques encore remarqués par Pausanias, au iie s. de notre ère, au cœur des agoras d’Argos (II, 23, 2) et de Sparte (III, 12, 5)42,

39

Il., II, v. 484-493 ; Hésiode, Théog., v. 80-103. Cf. e. a. Detienne 19812 ; Nagy 1994 ; Rudhardt 1999 ; Doyen 2011, 90-101. 40 Cf. Calame 19962. 41 Cf. e. a. Simon 1992 ; Jost 1992. 42 Pour la grande cohérence des agoras d’Argos et de Sparte à l’époque archaïque, dans une perspective dorienne, cf. e.a. Marchetti & Kolokotsas 1995, ch. 2, 203-220  ; Marchetti 1996 ; Marchetti 2008.

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La figure épique d’Amphiaraos ainsi qu’à Phlionte (II, 13, 7) et à Lerne (II, 37, 5), mais aussi dans diverses localités de Béotie (I, 34, 2 ; IX, 8, 3 ; 19, 4) et, finalement, à Oropos (I, 34, 1-5). Comme Achille, Amphiaraos est d’abord un roi aimé de Zeus, ainsi qu’un devin et un aède inspiré par Apollon qui, en tant que substitut (θεράπων) du grand dieu de Delphes, porte en germe des capacités oraculaires et le pouvoir de guérison, qui s’actualiseront dans le vieux sanctuaire de Thèbes et dans le nouveau sanctuaire d’Oropos. Comme Achille, Amphiaraos doit nécessairement mourir pour que tombe la ville ennemie et, surtout, pour que se réalise pleinement son statut héroïque, à la fois dans sa dimension épique et dans ses implications cultuelles : dès lors, le protégé d’Apollon est inévitablement aussi voué à Arès, comme en témoignent d’une part les épithètes traditionnelles βροτολοιγῶι ἶσος Ἄρηι (Il., XI, v. 295 ; XIII, v. 802 ; XX, v. 46), ἶσος Ἐνυαλίωι (Il., XXII, v. 132) ou θοῶι ἀτάλαντος Ἄρηι (Il., VIII, v. 215 ; XVII, v. 72), qui caractérisent notamment Achille ou Hector, dont la mort héroïque préfigure et conditionne le destin glorieux du Péléide43, et d’autre part le nom d’Amphiaraos lui-même, dont l’étymologie révèle les liens étroits avec la guerre meurtrière (Ἀμφι-άρηος, Ἀμφι-άρης)44. Comme Achille, Amphiaraos contribue également à estomper la frontière commode — mais factice — entre héros épique, héros cultuel et dieu panhellénique, en mettant en évidence la richesse polymorphe du polythéisme grec45. Héros épique, démiurge, maître de vérité, divinité oraculaire et guérisseuse : le développement de la figure d’Amphiaraos révèle ainsi l’extraordinaire plasticité d’un mythe grec qui, à l’image du poulpe (πουλύπους) finalement, est capable de s’adapter aux moindres variations de son environnement pour toujours demeurer ancré au cœur des préoccupations sociales et religieuses du moment.

43

Cf. Nagy 1994, ch. 17, 335-347. Cf. la synthèse de Sineux 2007, 46-50. 45 À ce propos, on relira avec profit les analyses très suggestives de Nagy 1994, ch. 5-10, 91251. 44

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LE SERPENT D’AIRAIN (2 ROIS 18, 4 & NOMBRES 21, 4-9) : YHWH UNE DIVINITÉ GUÉRISSEUSE ?1 Frédéric Gangloff (CHiR)

Introduction Dans le monde antique, mis à part les rivalités habituelles entre dieux et déesses, la coexistence entre les différentes divinités était normale et souvent pacifique, voire conviviale avec des échanges mutuels. Or, l’une des idées reçues est que la religion de l’Israël ancien a porté très tôt – Moïse inventeur du monothéisme – un coup d’arrêt à la convivialité entre divinités et donc entre religions. Le Dieu d’Israël ne déclare-t-il pas dans le prologue aux dix commandements : « Je suis Yhwh, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude. Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi (devant ma face) » (Exode 20, 2-3). C’est aussi dans l’Ancien Testament que nous trouvons les prescriptions ordonnant le renversement des autels des autres dieux ou la destruction des installations cultuelles qui leur étaient consacrées, tant il est vrai que l’exclusivisme de Yhwh, et puis son unicité, sont des données incontournables autour desquelles s’est construite une grande part de la Bible hébraïque. Il n’en demeure pas moins qu’il y a plusieurs éléments qu’il faut rappeler : - Les textes bibliques étaient longtemps les seuls à nous renseigner sur la religion pratiquée par l’Israël ancien. Or, il faut savoir qu’ils émanent majoritairement de cercles littéraires plus tardifs (8/6ème s.), judéens, prônant la centralisation de l’unique Temple de Jérusalem et la fidélité à un Yhwh jaloux et exclusif.

1

Je remercie Monsieur le Prof. Jean-Claude Haelewyck de l’Institut Orientaliste de Louvain pour ses remarques pertinentes et les corrections qu’il m’a suggérées. J’aimerai également témoigner ma gratitude à Monsieur le Prof. em. René Lebrun pour son invitation à ce colloque.

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Frédéric Gangloff - La religion qu’ils préconisent correspond davantage à un idéal à atteindre et n’est guère le reflet fidèle du système religieux de l’époque. - Ces textes présentent d’emblée une vision tronquée et déformée de la religion du royaume du Nord (Israël) et n’hésitent pas à censurer ou à diaboliser toutes les influences qu’ils jugeront étrangères ! - L’archéologie, l’épigraphie, l’iconographie et l’histoire des religions du ProcheOrient ancien ont révélé ces dernières décennies un visage radicalement différent de la religion de l’Israël ancien. Elles ont montré, entre autres, que la coexistence entre divinités voisines et le respect des prérogatives des autres divinités trouvent aussi une certaine place dans l’Israël ancien. - L’évolution du système religieux de l’Israël ancien ne se singularise pas par rapport à son environnement, mais elle s’inscrit dans la longue durée et dans le contexte plus large du Proche-Orient ancien. A ces différentes manières de représenter le divin au Proche-Orient ancien, s’ajoute également un riche dossier iconographique et épigraphique qui indique qu’en Israël/Juda, à l’époque royale (9-6ème s.), non seulement Yhwh n’était pas le seul Dieu vénéré, mais qu’en outre il pouvait être représenté et vénéré de manière humaine, animale ou inanimée à l’instar d’autres divinités !2

Concernant ces divers domaines de compétence, on note cependant une évolution. Au départ, Yhwh est une divinité tribale/nationale et guerrière, vénérée par deux royaumes (nord/sud), dont l’autorité s’étend sur un territoire donné. A ce titre Yhwh s’insère dans un panthéon plus large où il côtoie d’autres divinités. Il pouvait être vénéré sous différentes formes. Aux 9e et 8e s., on voit émerger des mouvements politiques et religieux qui préconisent la vénération d’un Yhwh national. C’est le combat de Yhwh contre le Baal phénicien ou, pour le dire autrement, la lutte d’un Yhwh rural contre un Baal urbain pour déterminer qui est le véritable pourvoyeur de pluie du pays ! Un écho à cette guerre des divinités pour l’autorité sur le mont Carmel, se retrouve dans 1 Rois 18 qui relate le fameux concours entre Élie et les prophètes de Baal. Ce combat va se prolonger en Israël et se focaliser ensuite sur l’identité ultime de Yhwh. Un prophète comme Osée (8ème s.) proposera une nouvelle conception de Yhwh comme celui qui a complètement assimilé Baal et qui divorcera de ses épouses (Ashérah et Anat). Ces deux divinités se profilent derrière l’identité de la mère/femme, mais elles ont souvent été occultées dans la transmission du texte biblique. Ainsi en est-il par exemple des déesses Anat

2

Uehlinger 1996, 543-545  ; Schroer 1987  ; Keel-Uehlinger 1992  ; Gangloff 2000, 125-162.

206

Le serpent d’airain (2 Rois 18, 4 & Nombres 21, 4-9) et Ashérah en Os 4, 17-19 et Os 14, 9.3 En s’exprimant ainsi, le prophète évacue l’élément féminin qui risquait de porter préjudice à Yhwh. A l’instar d’autres divinités voisines, Yhwh, le mâle célibataire, tend à devenir exclusif et se transforme petit à petit en une divinité céleste. Vers la fin du 6ème s., parallèlement à une alphabétisation intensive, l’aniconisme commence à s’imposer et le texte prend le pas sur l’image. La Loi commence à prendre la place du Temple (cf. 2 Rois 22).4 Dans cette lente marche vers le monothéisme, il est cependant un domaine dans lequel Yhwh est peu présent : c’est celui de la médecine. En effet, les récits de guérison sont rares dans l’AT, et ils sont connus par des textes tardifs où les émissaires de Yhwh jouent les rôles de médium sans intervention directe de sa part. On remarque également, au fil des siècles, une évolution dans la figure de Yhwh-médecin5: 1. Dans les textes anciens, Yhwh est en concurrence avec d’autres divinités sur son propre territoire pour tout ce qui se rapporte aux phases cruciales de l’existence : naissance, maladie et guérison. 2. Au cours du 8ème s., Yhwh se mue en divinité solaire puissante et régénératrice de son peuple. Cette accession à une divinité ouranienne répond à une mutation de l’ensemble du système religieux syro-palestinien. Ce phénomène se retrouve dans l’iconographie (scarabées ailés). En 2 Rois 23, le roi réformateur Josias fait disparaître les chevaux que les rois de Juda avaient dédiés au soleil à l’entrée du Temple de Yhwh ; il fera de même pour le char du soleil6. 3. Avec la période exilique (5ème s.), Yhwh devient le « Dieu des cieux », de plus en plus transcendant. Dès lors ce sont ses émissaires/prophètes qui guérissent sur sa seule initiative. 4. Entre les deux Testaments, des anges vont prendre la fonction de guérisseur (Raphaël) à cause de l’éloignement de Yhwh qui devient ainsi inaccessible…

La maladie se voit doter d’une explication théologique  : elle devient la conséquence et la punition des péchés de l’individu, péchés qui rejaillissent sur l’ensemble de la communauté et se transmettent de génération en génération…Au terme de ce parcours, l’unicité et l’exclusivisme de Yhwh vont trou-

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Gangloff-Haelewyck 1995, 370-382  ; Heintz 1986, 3-13; Gangloff 1998, 373385. 4 Gangloff 2009, 133-150. 5 Niehr 1991, 3-17 ; Humbert 1964, 1-29 ; In Der Smitten 1974, 103-129; Hasel 1983, 191-202. 6 Taylor 1993.

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Frédéric Gangloff ver leur expression ultime dans des passages tels que Exode 15, 26 : « Si tu entends bien la voix de Yhwh, ton Dieu, si tu fais ce qui est droit à ses yeux, si tu prêtes l’oreille à ses commandements, si tu gardes tous ses décrets, je ne t’infligerai aucune des maladies que j’ai infligées à l’Egypte, car c’est moi Yhwh qui te guéris  ». En fait, Yhwh, maître de la vie et de la mort, pourvoyeur de maladie ou unique guérisseur, n’a pas été, loin s’en faut, dans cette position au départ. J’en veux pour preuve le récit controversé de 2 Rois 1, 2-47 : « Okhozias tomba du balcon (treillis) de sa chambre haute à Samarie et se blessa grièvement. Il envoya des messagers en leur disant  : Allez consulter Baal-Zeboub, le Dieu d’Eqrôn, pour savoir si je me remettrai de mes blessures ! Alors l’ange de Yhwh parla à Elie le Tishbite : Lève-toi ! Monte à la rencontre des messagers du roi de Samarie et dis-leur : N’y a-t-il pas de Dieu en Israël, que vous alliez consulter Baal-Zeboub, le Dieu d’Eqrôn  ? C’est pourquoi, ainsi parle Yhwh : « Le lit sur lequel tu es monté, tu n’en descendras pas, car tu mourras certainement. » Et Élie s’en alla ». Un roi israélite, identifié ici avec Okhozias, fait une chute dans sa maison de Samarie. On ignore s’il s’agit du palais royal ou d’une autre de ses résidences. Le mot traduit par « balcon » (sevakhah) est imprécis. Deux interprétations du passage sont dès lors possibles : 1. Le roi aurait-il fait une chute en traversant le sol boisé de son balcon (ou toit) qui se trouve à l’étage supérieur ? 2. Se serait-il penché par le treillis boisé de la fenêtre de sa chambre haute, dans laquelle il se reposait, et ce dernier aurait-il cédé ?

Quoi qu’il en soit, cet accident cloue le roi sur son lit. Dans cette situation, il était de coutume de consulter la divinité : on cherchait alors à savoir si un rétablissement était possible. Le roi cependant ne s’adresse pas à Yhwh, le dieu national, mais à une divinité philistine, le Baal-Zebub. Baal-Zebub (maître des mouches) est une déformation voulue de Baal-Zebul «  le souverain Baal ». On sait que les auteurs bibliques aiment déformer les noms des divinités autres que Yhwh (Méphiboshet à la place de Méphibaal). Il est possible que ce Baal soit une divinité d’origine phénicienne, installée à Eqrôn et renommée pour son pouvoir guérisseur et régénérateur. Divinité régionale,

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Parmi le foisonnement des commentaires on citera Würthwein 1984, 266-269 et Buis 1997, 179-181.

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Le serpent d’airain (2 Rois 18, 4 & Nombres 21, 4-9) voire internationale… Les fouilles à Eqrôn ont révélé une phase d’influence phénicienne sur le site du 10ème au 7ème s. av. J.C8. On peut se demander si ce qui est dénoncé ici n’est pas simplement une question de territorialité. Dans la mentalité antique, le rayon d’action de la divinité est limité à son pays, voire à son sanctuaire. L’accident du roi est survenu à Samarie, sur le territoire du Dieu national Yhwh ; c’est donc tout naturellement à Yhwh que le roi aurait dû s’adresser pour sa requête, Baal Zebub étant la divinité locale d’Eqrôn. Si le roi n’a pas consulté Yhwh, c’est qu’il pensait peut-être qu’il n’était pas compétent dans le domaine de la guérison physique. Tout comme il existe de nos jours des spécialistes dans le domaine médical, peut-être existait-il des divinités spécialisées dans les chutes. Dans ce cas, le roi aurait préféré consulter un spécialiste, plutôt qu’un généraliste ! Le véritable grief à l’encontre Okhozias, c’est que le rédacteur estime qu’il avait tout sous la main, mais qu’il a préféré consulter à « l’étranger ». Ce récit exprime encore une tradition ancienne où la compétence médicale de Yhwh, sur son propre territoire, lui est déniée par une divinité étrangère. Par la suite, les auteurs bibliques n’ont plus toléré cette remise en question de l’autorité de Yhwh sur la vie de ses sujets et ont rattaché la mort du roi à l’accomplissement de la parole de Yhwh au v. 16 : « Parce que tu as envoyé des messagers pour consulter Baal-Zeboub, le Dieu d’Eqrôn -n’y a-t-il pas de Dieu en Israël dont on puisse consulter la parole ? A cause de cela, le lit sur lequel tu es monté, tu n’en descendras pas, car tu mourras certainement. » Cette conclusion théologique insiste bien sur un domaine de compétence élargie de Yhwh impliquant tous les aspects de la vie et de la mort. Ce qui est primordial, c’est la confiance et la fidélité en Yhwh. Ces lignes suggèrent justement que c’est le manque de confiance en Yhwh qui a tué Okhozias et non les conséquences de sa chute. Ainsi entre ces deux positions extrêmes (Yhwh en concurrence et Yhwh ayant le monopole), n’y aurait-il pas traces de quelques étapes intermédiaires où Yhwh aurait pu prendre les traits d’une autre divinité guérisseuse ? C’est ce qu’il est possible de découvrir à travers deux autres textes mentionnant un mystérieux serpent :

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Dothan-Gitin 1993, 1051-1059.

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Frédéric Gangloff 1. Traduction de 2 Rois 18, 4 et Nombres 21, 4-9 2 Rois 18, 4 C’est lui (Ézéchias) qui fit disparaître les hauts lieux (bamôt), brisa les stèles (massebot), coupa le poteau sacré (l’ashérah) et mit en pièces le serpent de bronze (nekhoshet) que Moïse avait fait, car les fils d’Israël avaient brûlé de l’encens devant lui jusqu’à cette époque  : on l’appelait Nehoustan.

Nombres 21, 4-9 Ils partirent de Hor-la-montagne par la route de la mer des joncs, en contournant le pays d’Édom, mais le peuple perdit courage en chemin. 5. Le peuple se mit à critiquer Elohim et Moïse : « Pourquoi nous avez-vous fait monter d’Égypte  ? Pour que nous mourrions dans le désert ! Car il n’y a ici ni pain ni eau et nous sommes dégoutés de ce pain de misère ! » 6. Alors Yhwh envoya contre le peuple des serpents brûlants (hannekhashim hasseraphim)qui le mordirent, et il mourut un grand nombre de gens en Israël. 7. Le peuple vint trouver Moïse en disant : « Nous avons péché en critiquant Yhwh  ; intercède auprès de Yhwh pour qu’il éloigne de nous le serpent ! » Moïse intercéda pour le peuple, 8 et Yhwh lui dit  : «  Fais faire un serpent brûlant (soraph) et fixe-le à une hampe (signe  ?)  : quiconque aura été mordu et le regardera aura la vie sauve. » 9 Moïse fit un serpent de bronze et le fixa à une hampe et lorsqu’un serpent mordait un homme, celui-ci regardait le serpent de bronze et il avait la vie sauve.

2. 2 Rois 18, 4 et Nombres 21, 4-9 : Comparaison et mise en contexte En procédant à un examen – nécessairement rapide –de ces deux passages, on constate qu’ils sont de nature différente et qu’ils semblent viser deux actions bien distinctes se déroulant en deux lieux géographiques non identifiés9 : a) 2 Rois 18, 4 est une notice tardive, insérée par l’école deutéronomiste et sensée évaluer l’aspect religieux du règne d’Ézéchias. Ce passage ouvre trois chapitres de genres variés, à savoir une esquisse de réforme religieuse, une maladie guérie par Yhwh et la révolte contre l’Assyrie. C’est un monarque bien noté, dans la lignée de David, auquel on attribue toute une série de mesures contre la « ca-

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Würthwein 1984, 406-412 et BUIS 1997, 258-260.

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Le serpent d’airain (2 Rois 18, 4 & Nombres 21, 4-9) naanisation » du culte de Yhwh : 1. Une mise hors service de sanctuaires locaux (hauts-lieux) ; 2. la destruction des pierres dressées ; 3. L’abattage de l’Ashérah (déesse ou symbole cultuel ?). Le summum de ses efforts est matérialisé par la mise en pièces du serpent de bronze (Nekhushtan), un sobriquet fabriqué à partir d’une combinaison de termes (nahash = serpent et nekhoshet= bronze). Ce serpent semble là depuis fort longtemps : la tradition deutéronomiste le rattache à Nombres 21, 9 afin de lui allouer une antiquité certaine. Mais, par ailleurs, comment se fait-il que ce symbole ait pu voyager de la préhistoire du désert jusqu’au 8èmes. pour atterrir à Jérusalem ? D’une certaine manière la tradition judéenne ultérieure tente, par ce biais, de dénier à une vénération du serpent typiquement judéenne une quelconque origine urbaine ou autochtone en la rattachant aux temps obscurs dans le désert… b) Le passage de Nombres 21, 4-9 est bien plus complexe car il a connu une élaboration littéraire longue et mouvementée. On s’accorde aujourd’hui à en dégager les phases suivantes10 : - Une ancienne tradition relate l’attaque de seraphim (une espèce de serpents mythologiques très venimeux) et l’érection de l’image d’un saraph par l’entremise de Moïse pour guérir des morsures de ce reptile en annihilant son pouvoir magique (v. 6 et 8). - La tradition yahviste a ensuite intégré le nehustan de Jérusalem dans l’histoire afin d’en constituer un récit étiologique. A la fin du récit, le nehustan de Jérusalem prend la place du saraph dans le désert (v. 9) ! - Une dernière couche rédactionnelle a fourni le cadre à l’ensemble en le plaçant dans le désert, à la lisière du monde habité, et dans la catégorie des récits de murmures du peuple contre l’autorité de Yhwh. Elle a ainsi totalement démystifié le récit puisque les serpents sont envoyés par Yhwh afin de punir le peuple de son incroyance et de la nostalgie de l’Égypte. Puis Yhwh ordonne aux serpents de mordre les individus et c’est encore lui qui enjoint Moïse à construire le serpent et de l’ériger. C’est toujours lui qui explique que ceux qui élèveront leurs yeux vers ce symbole seront finalement guéris. Le serpent est en fin de compte devenu un instrument thérapeutique provisoire, fabriqué par Moïse, relativement passif et destiné à disparaître puisque la guérison est bien promise par Yhwh. Tout soupçon idolâtrique qui pourrait peser sur cette histoire est ainsi écarté.

3. La symbolique du serpent dans le Proche-Orient ancien11 Une rapide comparaison des deux récits artificiellement liés révèle, à côté des nombreuses divergences, au moins trois points de contacts : a) l’assimilation du saraph au nehustan ; b) leur fabrication par Moïse ; c) l’absence de

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Noth 1968, 155-158 ; Scharbert 1992, 83-85; Levine 2000, 85-90 ; Seebass 2003, 311-327. 11 Joines 1974 ; Schroer 1987, 104-115; Keel 1992, 195-266; Koenen 1999, 353-372 ; Wilson 2001 ; Schipper 2009, 369-387.

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Frédéric Gangloff toute localisation précise. Revenons maintenant à Jérusalem et tentons de déterminer la fonction et l’origine du Nehustan réduit en pièces par Ezéchias. Pour ce faire, il faut prendre en compte la symbolique du serpent dans le monde du Proche-Orient ancien et la confronter à notre passage de 2 Rois 18, 4 : - Le venin des serpents et surtout la position d’attaque des cobras attestent leur caractère apotropaïque. Ils sont destinés à protéger les lieux saints et les instruments du culte. - Fichés en terre ou fixés sur une hampe, ils sont aussi dotés d’une symbolique chtonienne. Directement reliés au monde souterrain, ils peuvent représenter la mort, le chaos, la disharmonie…12 - Leur forme phallique témoigne de leur rapport avec la fertilité, la vitalité et l’élément féminin du culte. En 2 Rois 18, 4, le serpent est mis en relation avec l’Ashérah.13 - Le serpent est décrit comme le rusé, celui qui a eu accès à l’immortalité (cf. récit de Gilgamesh). Cette croyance émane de l’observation du phénomène de la mue, signe de renouvellement perpétuel de la vie aux yeux des anciens.

4. Le Nehustan de Jérusalem14 Ces différentes fonctions semblent entrer en ligne de compte pour le Nehustan de Jérusalem. Néanmoins, l’insistance de la part de la tradition yahviste à assimiler le Nehustan au Saraph plaide pour une ancienne tradition remontant à une divinité ophidienne. Dans les références bibliques anciennes, les Seraphim sont clairement des serpents15. Ces passages décrivent le caractère effrayant du désert comme un repaire démoniaque de créatures parmi lesquelles on dénombre les scorpions et les Seraphims ailés16. Le Saraph semble bien désigner un cobra qui est l’espèce la plus dangereuse. Deux sortes de reptiles d’Egypte sont connus : le naja Haje et le cobra cracheur qui possède trois rayures noires sur le cou et qui répand son venin en crachant. Le terme « Saraph » reste flou. Il pourrait dériver du verbe « brûler ». Le serpent cracheur brûle avant tout les yeux, ce qui ne semble pas suggéré dans notre texte puisque les individus sont piqués ! Peut-être cela fait-il allusion à la brûlure occasion-

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Mehlmann 1960, 207-222; Yeivin 1977, 10-11; Barak 2000, 45-50. Joines 1968, 245-256; Garbini 1988, 264-267; Provera 1990, 209-214. 14 Keel 1977, 70-74 ; Hannig 2000, 723; Keel 2001, 259 et fig. 6, 10-11 ; Keel 2003, 60-62 ; 15 de Savignac 1972, 320-325. 16 Deutéronome 8, 15 : « (Yhwh) qui t’a fait marcher dans ce grand et affreux désert, où il y a des serpents brûlants et des scorpions… ». 13

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Le serpent d’airain (2 Rois 18, 4 & Nombres 21, 4-9) née lors de la morsure ? Toujours est-il que le motif du cobra est connu en Égypte depuis fort longtemps. Le fait que l’on ait rajouté des ailes accroît son pouvoir protecteur et augmente sa mobilité. Dans l’imaginaire collectif, ces cobras du désert étaient bien plus menaçants et c’est ainsi que l’on a finit par se les représenter. D’anciennes représentations de cobras, remontant au 4ème millénaire, les montrent encore sans ailes, dans leur posture naturelle menaçante, dressés, prêts à l’attaque et le cou gonflé. En Égypte la déesse cobra est celle « qui se dresse, et qui s’élève… ». C’est dans cette posture agressive qu’elle apparaît sur le front des monarques (uraeus). Sa présence indique que les personnes et les domaines auxquels elle est associée sont considérés comme sacrés. En Syrie-Palestine, le cobra comme symbole de protection fait son entrée lorsque l’iconographie locale imita les scarabées égyptiens. Dans les temples du Bronze Récent (16-12èmes.), on a découvert de petites statuettes de bronze en forme de cobra qui avaient pour fonction de garantir l’inviolabilité du Saint des Saints. Ce même cobra connut un épanouissement particulier en Juda au cours du 8ème s. La menace assyrienne renforça l’alliance avec l’Égypte vers lequel Juda avait toujours lorgné. Sur de nombreux sceaux judéens de l’époque d’Ézéchias, se trouve un uraeus à quatre ailes protégeant le nom du propriétaire. Tous ces éléments indiquent que le cobra égyptien a pu, à l’époque du roi Ézéchias, être vénéré à Jérusalem comme une divinité. A quoi l’image en question ressemblait-elle ? Peut-être à la représentation d’un uraeus égyptien dont on attendait qu’il procure protection, guérison et longue vie. Tout comme en Égypte, c’est avec de l’encens qu’on cherchait à s’attirer les faveurs de l’uraeus. Mais, si ce serpent était tellement populaire, pourquoi Ezéchias fit-il briser son image ? Plusieurs explications ont été proposées : - Ézéchias aurait agit dans le cadre d’une campagne d’éradication et de purification religieuses afin de débarrasser le Yahwisme de toute tentation idolâtrique17. - L’astralisation de la divinité a rendu caduque toute vénération sous forme animale vers la fin du 8èmes. - Le Nehustan est devenu tellement populaire que l’image, simple médium, a pris trop d’importance et que ses adorateurs l’ont considérée comme l’incarnation de Yhwh. - Ezéchias a réduit le Nehustan en miettes parce qu’il avait besoin du bronze pour payer le tribut qu’il devait à l’Assyrie18.

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Asurmendi 1988, 283-294 ; Goncalves 1988, 32-34 ; Schanks 2007, 58-63. Cette explication qui fait intervenir des raisons « bassement matérialistes », n’est pas la moins dénuée de sens.

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Frédéric Gangloff - Ézéchias s’est résolu à cet acte symbolique d’un changement d’allégeance après que son espoir d’obtenir l’aide des Égyptiens contre l’Assyrie a été déçu. Une fois que Juda s’inscrit sous domination assyrienne, il ne peut plus y avoir de place pour une imagerie égyptienne19.

5. Le Saraph dans le désert Si nous revenons maintenant à Nombres 21, certains éléments pourraient receler des traces de la vénération d’une divinité guérisseuse sous la forme d’un serpent et qui aurait été plébiscitée par le peuple. Voici ces éléments : - La manufacture d’un Saraph par Moïse est l’image maîtrisée d’un serpent volant qui hante le désert et dont le venin est meurtrier. Le représenter, c’est s’approprier son pouvoir maléfique et se concilier ses bonnes grâces. - Le fait de mettre le Nehustan en relation avec ce serpent vers lequel le peuple regarde après s’être fait piquer, n’est-ce pas une manière d’assimiler cette ancienne divinité guérisseuse au Nehustan de Jérusalem  ? Ajoutons que le fait d’exposer le serpent, de l’ériger, est semblable à un acte de «  magie sympathique » par lequel le porteur de venin est dressé en vue de soulager celui qu’il a empoisonné20. - Le souci de certains rédacteurs d’encadrer le récit, de le démythologiser, et d’en extirper toute connotation idolâtrique (par le fait que c’est Yhwh qui contrôle tout et de qui tout émane) répond peut-être à une polémique contre toute magie ou médecine qui ne correspond pas aux critères énoncés en Exode 15, 26 ou Deutéronome 18, 10 : « Il ne se trouvera chez toi personne pour faire passer par le feu son fils ou sa fille, interroger les oracles, pratiquer l’incantation, la magie, les enchantements et les charmes… ». C’est aussi une manière d’écarter Yhwh de l’image du serpent comme si on voulait absolument les dissocier pour éviter toute confusion entre les deux. - Les fonctions de ce serpent semblent connues, même si on ne peut trancher avec certitude. Reste cependant l’énigme de l’identité du serpent. La volonté en Nombres 21 de séparer absolument Yhwh du serpent et la vénération importante du Nehoustan, bénéficiant de toute l’attention de ses adorateurs, ne renvoient-elles pas vers l’hypothèse d’une ancienne vénération de Yhwh, divinité guérisseuse, sous la forme d’un serpent, à qui au fil des siècles on aurait attribué d’autres domaines de compétence  ? La vénération typiquement judéenne de Yhwh sous forme de serpent conjurant les morsures serait à mettre en parallèle avec la vénération spécifiquement Israélite de Yhwh sous forme de taurillon. Mais cela est une autre histoire… D’ailleurs, dans la grande vision d’Esaïe 6, le prophète voit Yhwh escorté par des Seraphim ailés. Ils possèdent chacun six ailes. Deux pour se mouvoir et quatre pour se voiler la face et les pieds afin de se

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Keel 2003, 61. Bordreuil 2007, 35-38.

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Le serpent d’airain (2 Rois 18, 4 & Nombres 21, 4-9) protéger de la sainteté divine. Esaïe s’empresse de supprimer la part mystérieuse et effrayante des Seraphim en les humanisant et en les transformant en simples valets de Yhwh sans aucune force magique ou protectrice. Le chemin vers les Séraphins poupins et blondinets de l’imagerie populaire est ainsi tout tracé.

Conclusion Sur le plan historique et surtout archéologique, de nouvelles données semblent confirmer l’existence d’une réforme cultuelle entreprise par Ézéchias, en tout cas la possibilité d’une transformation de la pratique cultuelle21. Il faut également prendre en compte le contexte politique et économique de la région. Ézéchias s’est rebellé contre les Assyriens. Il sait que ces derniers vont contre-attaquer. Il va mettre à profit le peu de temps qu’il lui reste pour fortifier et préparer ses cités à soutenir les sièges qui s’annoncent. La destruction des sanctuaires provinciaux va contribuer à l’émergence de la nouvelle capitale Jérusalem. Et le démantèlement progressif de ces lieux de cultes rivaux du Temple de Jérusalem – lieux dont il n’est pas fait mention dans la Bible – fait l’affaire des courants nationalistes deutéronomistes qui militent en faveur de la centralisation autour du Temple de Jérusalem. Le serpent semble donc ramper vers la sortie en quittant le monde commun des animaux et des hommes. Néanmoins, la réforme plus radicale encore de Josias (tout à la fin du 7e s.) n’aura pas raison de lui. Le voilà en effet qui remontre le bout de sa queue à l’époque du prophète Ézéchiel (6ème s.) qui, dans sa vision de l’intérieur du Temple (Ézéchiel 8, 10), fustige les images de reptiles sur les murs du Temple. Mais c’est bien son rôle dans l’histoire du jardin d’Eden qui va l’assimiler, à tort, au mal et à la mort. Jusqu’à ce que l’Évangile de Jean redonne au serpent du désert sa symbolique de guérison et de vie comme préfiguration du Christ élevé sur la croix22, « afin que quiconque croit ait, en lui, la vie éternelle » ( Jean 3, 14). Bibliographie Asurmendi J., « En torno a la serpiente de bronce », Estudios Bíblicos 46 (1988), 283-294. Bagatti B., « Jésus symbolisé par le serpent d’airain », Terre Sainte 9-10 (1965), 229. Barak M., « Le serpent d’airain serait-il un mythe emprunté aux madianites ? », La Terre Sainte 1 (2000), 45-50.

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Hutter 1982 ; Naaman 1995, 179-195 ; Provan 1988. Bagatti 1965, 229.

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Frédéric Gangloff Bordreuil P., L’antidote au venin dans le mythe ougaritique de Horon et les serpents et le serpent d’airain de Nbres 21, 4-9, 2007, Münster. Buis P., Le livre des Rois, 1997, Paris. De Savignac J., « Les Seraphim », Vetus Testamentum 22 (1972), 320-325. Dothan T. – Gitin S., « Tel Miqne (Ekron) », New Encyclopedia of Archaeological Excavations in the Holy Land 3 (1993), 1051-1059. Gangloff F. – Haelewyck J.C., « Osée 4, 17-19 : Un Marzeah en l’honneur de la déesse ‘Anat ? », Ephemerides Theologicae Lovanienses LXXI (1995), 370-382. Gangloff F., « Je suis son ‘Anat et son Asherâh (Os 14, 9)», Ephemerides Theologicae Lovanienses LXXIV (1998), 373-385. Gangloff F., « Can God be pictured? In Search of Yhwh’s Images during the Iron Age. A Reminder », Theological Review 21 (2000), 125-162. Gangloff F., « De la ‘convivialité’ entre divinités au Dieu unique ? Des réformes au sein de la religion de l’Israël ancien », Positions luthériennes 57/2 (2009), 133-150. Garbini G., « Le serpent d’Airain et Moïse », Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft 100 (1988), 264-267. Goncalves F.J., « La réforme d’Ezéchias », Monde de la Bible 54 (1988), 32-34. Hannig R., Die Sprache der Pharaonen. Großes Handwörterbuch Deutsch-Ägyptisch, 2000, Mainz. Hasel G.F., « Health and Healing in the Old Testament », American University Semitic Studies 21 (1983), 191-202. Humbert P., « Maladie et médecine dans l’AT », Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses 44 (1964), 1-29. Hutter M., Hiskia, König von Juda, 1982, Graz. in der Smitten W.T., « Patient und Arzt. Die Welt des Kranken im AT », Janus 61 (1974), 103-129. Joines K.R., « The Bronze Serpent in the Israelite Cult », Journal of Biblical Literature LXXXVII (1968), 245-256. Joines K.R., Serpent Symbolism in the OT. A linguistic, Archaeological and Literary Study, 1974, New Jersey. Keel O., Jahwe-Visionen und Siegelkunst. Eine neue Deutung der Majestätsschilderungen in Jes 1, Ez 1 und 10 und Sach 4, 1977, Stuttgart. Keel O., Das Recht der Bilder gesehen zu werden, 1992, Freiburg. Keel O – Uehlinger C., Göttinnen, Götter und Gottessymbole. Neue Erkenntnisse zur Religionsgeschichte Kanaans und Israels aufgrund bislang unerschlossener ikonographischer Quellen, 1992, Freiburg. Keel O., « Das Land der Kanaanäer mit der Seele suchend », Theologische Zeitschrift 57 (2001), 259s. Keel O., Comment les animaux sont devenus des symboles, 2003, Fribourg. Koenen K., « Eherne Schlange und goldenes Kalb. Ein Vergleich der Überlieferungen », Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft 111 (1999), 353-372. Levine B.A., Numbers 21-36, 2000, New York. Mehlmann J., « A Serpente de Bronze (Num 21, 4-9) », Revista de Cultura Biblica 4 (1960), 207-222. Naaman N., «  The Debated Historicity of Hezekiah’s Reform in the Light of Historical and Archaeological Research », Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft 107 (1995), 179-195.

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LA FONTAINE DE ZEUS ORKIOS OU FONTAINE D’ASBAMA TYANE, CAPPADOCE Stéphane Lebreton1 Université d’Artois, CREHS

Il me faut préciser, avant de commencer cet article, que je ne suis pas spécialiste d’histoire des religions. Ce n’est donc pas sous cet angle que je vais traiter de la question de la fontaine d’Asbama. Travaillant sur l’Asie Mineure et plus particulièrement sur la Cappadoce, je me suis intéressé aux curieuses descriptions d’une fontaine consacrée à Zeus Orkios, appelée aussi fontaine d’Asbama. Le bassin est traditionnellement situé sur le territoire de Tyane, en Cappadoce méridionale2.

1 [email protected]  ; [email protected]. Je remercie vivement René Lebrun pour son invitation à participer au colloque sur les cultes guérisseurs et pour la patience avec laquelle il a attendu cet article. La question de la fontaine d’Asbama a attiré mon attention depuis un certain temps, mais je ne pensais pas forcément pousser mes recherches dans ce domaine. L’invitation de René Lebrun a ainsi été particulièrement stimulante. J’ai bien conscience que mon article ne répond qu’imparfaitement à la question proposée par le colloque sur les cultes guérisseurs. Toutefois, le caractère « guérisseur » est bien présent dans les rituels ou les croyances attribués à la fontaine d’Asbama, même s’il apparaît comme un élément secondaire. C’est un aspect que je développerai à la fin de l’article. 2 Sur l’emplacement de la fontaine : Cassia 2004, 231, s.v. « Bazis » propose une synthèse utile des différentes hypothèses. Elle rappelle que le sanctuaire de Zeus Asbama a été identifié au toponyme Bazis présent chez Ptolémée (V, 6, 18). Le géographe indique que Bazis est à l’est de Tyane. Ainsi, Ramsay 1890, 347 ; 449 place le sanctuaire à Bazis. Il rapproche le toponyme du nom féminin cappadocien « Bazeis ». Il le fait dériver du vieux perse : baga (dieu) et du phrygien Bagaios (Zeus). Voir également Franck 1966, 98, note 204 et F. Lasserre 1981, 250-251, s.v. « Zeus Daciéos ». À la suite des observations de Hamilton 1842, II, 302-303 et de De Tchihatcheff 1853, 360-361, on a identifié le site au lieu dit Direktaş, à 4 km au sud de Tyane (Kemerhisar) en raison de la présence de deux lacs présentant les caractéristiques naturelles de la fontaine d’Asbama et de la présence de ruines. Rosada et Lachin 2010, 115 localisent le sanctuaire et la fontaine plutôt au pied du Kösk Höyük, situé à moins de 5 km au nord-est de la cité. Ils identifient la source au bassin monumental alimentant l’aqueduc

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Stéphane Lebreton La fontaine d’Asbama a fait l’objet de trois descriptions. La première est celle présente dans le De mirabilibus auscultationibus. « On dit qu’il y a près de Tyane une fontaine consacrée à Zeus Orkios ; on l’appelle la fontaine d’Asbama. La source qui en coule est très froide, mais elle bouillonne comme les chaudrons. Elle est douce et propice à ceux qui sont fidèles à leurs serments ; quant aux parjures, elle leur fait justice immédiatement. Elle s’attaque en effet à leurs yeux, à leurs mains et à leurs pieds ; ils sont la proie de l’hydropisie et de la consomption ; il leur est impossible de fuir, mais ils sont pris et se lamentent au bord de la source en avouant les faux serments qu’ils ont faits ».3

L’origine de ce texte pose problème. Le De mirabilibus est un recueil de 178 courts chapitres traitant des plantes et d’animaux étranges ou légendaires. Il y est aussi question de fragments de mythes, de considérations ethnographiques ou d’histoires locales prenant en considération l’ensemble du monde connu, de l’Inde jusqu’aux colonnes d’Héraclès4. Ouvrage de paradoxographie, cette compilation pourrait provenir d’un travail scolaire rassemblant un ensemble d’informations recueillies dans différentes sources littéraires et coupées de leur contexte initial. Pour G. Vanotti, auteur du commentaire le plus récent sur cette œuvre, le De mirabilibus serait constitué d’un noyau rédigé dans le milieu aristotélicien. Ce dernier, formé des chapitres 78 à 138, pourrait être daté de la première moitié du IIIe s. av. n.è.5. Cependant, le passage qui nous intéresse sur la fontaine d’Asbama n’appartiendrait pas à cette première partie. Il serait constitutif d’un deuxième ensemble de textes, des chapitres 152 à 178, qui n’apparaît que dans certains manuscrits. Il s’agirait donc d’un complément tardif. Cette deuxième partie n’aurait été rédigée et ajoutée à l’œuvre initiale que dans un deuxième temps6. Ce dernier groupe de textes se rapporte, à quelques exceptions près, aux sources et aux fleuves. Il a été rapproché du traité sur les fleuves du Pseudo Plutarque7. Des notices présentes dans ce deuxième groupe ressemblent en effet à certaines données du De fluviis8. Or, la datation proposée pour le traité du Pseudo Plutarque est située entre la

construit sous Caracalla. Ils rappellent enfin l’ancienneté de l’occupation du site de Kösk Höyük dont les origines remontent au Néolithique-Chalcolithique. Voir également, Ruge 1897, s.v. « Bazis » ; Hill, Restle 1981, 154, s.v. « Asbamaion » ; 298-299, s.v. « Tyana ». 3 Ps. Aristote, De mirabilibus auscultationibus, 152, 845b-846a, trad. Franck 1966, 98. 4 Vanotti 2007, 32-33 ; 38-39. 5 Vanotti 2007, 51-52. 6 Vanotti 2007, 33-34. 7 Vanotti 2007, 33. Voir aussi Delattre 2011, 14-16. 8 Vanotti 2007, 212 ; Delattre 2011, 15-16. Ce n’est pas le cas pour le chapitre 152 du De mirabilibus consacré à la fontaine d’Asbama.

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La fontaine de Zeus Orkios ou fontaine d’Asbama fin du IIe s. et le début du IIIe s. de n.è.9. Toutefois, nous ne faisons ici que réfléchir à la datation du travail de compilation du paradoxographe. Cela ne nous apprend rien sur la date de la description de la fontaine d’Asbama, qui peut être beaucoup plus ancienne. Ainsi, il est difficile d’établir le contexte d’origine et la datation de cette présentation. La deuxième description provient de la Vie d’Apollonios de Philostrate. « Il y a aux environs de Tyane, une source que l’on dit appartenir à Zeus-des-Serments [Orkios] et que l’on appelle la fontaine d’Asbama : son eau jaillit froide, mais elle bouillonne, comme celle d’un chaudron que l’on chauffe. Cette eau est favorable et douce à qui est fidèle à ses serments, mais aux parjures, elle apporte un prompt châtiment : elle s’en prend à leurs yeux, à leurs mains et à leurs pieds ; ils sont saisis d’hydropisie et de consomption et ne peuvent même pas s’en aller, mais demeurent sur place et se lamentent au bord de la fontaine, avouant leurs parjures. Les gens de ce pays assurent qu’Apollonios était le fils de ce Zeus, mais Apollonios lui-même se disait fils d’Apollonios »10

A l’exception de la dernière phrase, ce texte ressemble de très près au premier11. Ils semblent dépendre d’une même tradition ou d’une même source. La précision donnée par Philostrate selon laquelle « les gens du pays assurent qu’Apollonios était le fils de ce Zeus » prête à penser que l’auteur aurait pu recueillir des informations sur place12. Toutefois, la très grande ressemblance de ce passage avec la description du chapitre 152 du De mirabilibus indiquerait plutôt que Philostrate dépend ici d’une documentation littéraire. La remarque sur les dires des gens du pays servirait alors à faire la transition entre cette référence et la suite du récit centrée sur Apollonios proprement dit13. La Vie d’Apollonios est écrite au début du IIIe s. de n.è. L’emprunt de Philostrate à cette source ou cette tradition commune serait donc antérieur à celui du compilateur anonyme de la deuxième partie du De mirabilibus. Mais on peut tout aussi bien imaginer que l’auteur du deuxième groupe de textes du traité paradoxographique tire ses informations de Philostrate. Dans ce dernier cas, cet

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Delattre 2011, 10-11. Philostrate, Vie d’Apollonios, I, 6, trad. Grimal 1958, 1035. 11 Cette ressemblance a déjà été évoquée, par exemple par Franck 1966, 98, note 205 et par Vanotti 2007, 212. Mais aucune explication, à ma connaissance, n’a été proposée. 12 Philostrate, Vie d’Apollonios, I, 6. Voir Dzielska 1986, 57 ; 62. Philostrate aurait accompagné Julia Domna et son fils, Caracalla, dans leur voyage vers l’est, Dzielska 1986, 31, il aurait pu visiter Tyane située près des Portes de Cilicie, à cette occasion. 13 La présence de ce passage paraît artificielle. L’histoire pourrait très bien se dérouler sans cette description. Il n’est d’ailleurs pas sûr que la prairie sur laquelle naît Apollonios (Vie d’Apollonios, I, 5) soit aux abords de la fontaine. Le texte n’en dit rien. C’est la juxtaposition de ce passage avec celui de la fontaine qui le suggère. 10

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Stéphane Lebreton emprunt aurait pu avoir lieu à partir du début du IVe s. de n.è., lorsque la Vie d’Apollonios devient mieux connue14. Remarquons que dans ces deux premiers textes, la fontaine est décrite pour elle-même et pour les particularités de son eau. Dans la deuxième description, elle n’a pas de véritable relation avec le personnage d’Apollonios. C’est parce que Philostrate incorpore ce développement dans son récit qu’un rapport peut s’établir entre le lieu de la source et la naissance du philosophe. Mais, encore une fois, ce passage paraît être une parenthèse introduite pour donner plus de force à la destinée du grand homme dès sa naissance15. Quel rôle joue alors la description de la fontaine d’Asbama ? On peut penser que cet ajout a pour fonction de resserrer les liens entre Apollonios et sa cité d’origine. D’ailleurs, la Vie de Philostrate insiste sur l’ascendance illustre de son héros : « sa race était ancienne, remontant aux fondateurs de la ville »16. Mais cette supposition ne peut fonctionner qu’au prix d’une deuxième hypothèse. Si l’auteur cherche à ancrer son personnage dans le paysage de la cité par le biais de l’évocation de la fontaine d’Asbama, cela implique que cette source est un lieu reconnu par les gens de Tyane au début du IIIe s. ou que c’est un élément participant à l’identité de l’agglomération dans le regard extérieur17. C’est la question de la renommée de cette fontaine qui est ainsi posée. Le bassin de Zeux Orkios est-il un simple lieu littéraire, propre à des recueils ethnographiques ou paradoxographiques qui en déforment la réalité pour en accentuer le caractère étrange  ? Ou est-il question d’un endroit reconnu et réputé au moins régionalement ? La troisième description, plus tardive, est celle d’Ammien Marcellin. «  Près du temple de Jupiter Asbaméen en Cappadoce, où la tradition place l’éminent philosophe Apollonius, près de la ville de Tyane, on peut également voir s’écouler d’un bassin une source dont le débit grossit et se résorbe, sans jamais s’enfler jusqu’à en déborder ».18

La mémoire d’Apollonios est ici clairement en relation avec le sanctuaire de Zeus d’Asbama. La tradition semble avoir attaché le souvenir du sage non

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Après le traité écrit par Sossianes Hieraclès, au début du IVe s., pour opposer Apollonios au Christ lors des persécutions de Dioclétien. Voir Dzielska 1986, 15 ; 153-155 ; 157. 15 Philostrate, Vie d’Apollonios, I, 4. 16 Philostrate, Vie d’Apollonios, I, 4. 17 Malheureusement, nous n’avons aucune indication à ce sujet. Sur le regard extérieur qui participe à donner une identité à la cité, dans le cas de Tyane et de Mazaca voir Lebreton, (à paraître). 18 Marcellin, XXIII, 6, 19, trad. Fontaine 1977, 103.

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La fontaine de Zeus Orkios ou fontaine d’Asbama seulement à Tyane, mais aussi au temple. Plus encore, la cité semble identifiée par référence au sanctuaire. Si Ammien Marcellin connaît sans doute la tradition littéraire concernant Apollonios, sa présentation du bassin s’écarte de celle de Philostrate19. J. Fontaine, éditeur du livre XXIII, estime que l’auteur « semble en parler comme d’une chose vue, ce qui n’a rien d’impossible si l’on considère que Tyane (…) se trouvait en son temps sur la grande voie stratégique d’Ephèse à la Haute Mésopotamie  »20. Dans ce cas, le témoignage d’Ammien pourrait provenir d’une tradition recueillie sur place. Néanmoins la structure de cette partie des Res Gestae ne donne pas cette impression. En effet, ces quelques lignes sont issues d’un excursus géographique sur la Perse, qui insère des considérations sur l’étrangeté des milieux souterrains sous la forme de puits, gouffre ou source. L’ensemble de ce passage paraît donc se référer à une documentation livresque. La structure est pour l’essentiel géographique. Elle est sans doute complétée, quand l’auteur s’intéresse aux phénomènes naturels souterrains, par des références à des mirabilia. J. Fontaine rapproche justement les premiers exemples de manifestations extraordinaires cités par Ammien Marcellin de la littérature des mirabilia21. Et à propos du bassin de Tyane, l’éditeur compare ce paradoxe de la source qui grossit sans jamais déborder à deux passages, l’un provenant de l’Histoire naturelle de Pline, l’autre d’une des lettres de son neveu consacrée à la description d’une source22. Cette description de la fontaine d’Asbama d’Ammien Marcellin est traditionnellement comparée à la présentation par Strabon d’un bassin aux caractéristiques similaires. Ce dernier se tient à proximité d’un sanctuaire cappadocien.

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A propos de la connaissance d’Ammien Marcellin sur la Vie d’Apollonios : Dzielska 1986, 122 explique qu’il existait certainement une tradition ancienne sur Apollonios à Antioche. L’opinion d’Ammien sur Apollonios est proche de celles de l’Histoire Auguste  : Dzielska 1986, 176. 20 Fontaine 1977, 69-70, note 157. 21 Fontaine 1977, 68-69, note 154 : « C’est en amateur des mirabilia qu’Ammien décrit ici les propriétés gluantes et ignées du naphte, ou bitume liquide (pétrole brut) : c’est du côté des recueils de littérature « merveilleuse », du type de Solin, Collectanea rerum memorabilium, qu’il faut conjecturer l’origine et la mise en forme de ces renseignements ». Voir également, p. 69, note 155. 22 Fontaine 1977, 69-70, note 157. Pline, N.H., II, 232 et Pline, Lettres., IV, 30. La description de la source dans la correspondance de Pline tient cependant davantage de la chose vue. On pourrait ajouter le livre XXXI de l’Histoire naturelle traitant de eaux.

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Stéphane Lebreton « Il existe une troisième prêtrise, celle de Zeus Daciéos ( ?), inférieure à celle que je viens de nommer, mais pourtant importante. Dans le lieu où elle a son siège est une cuvette naturelle d’eau saumâtre dont le périmètre atteint celui d’un lac de grande dimension. Elle est ceinte d’escarpements élevés et verticaux qui font qu’on ne peut y descendre que par un escalier. A ce qu’on prétend, d’une part le niveau de son eau ne s’élève pas, d’autre part, il ne montre d’écoulement à aucun endroit »23

La localisation précise de ce sanctuaire est absente du texte. Parallèlement l’épiclèse de ce Zeus pose problème24. En fait, la notice s’insère artificiellement dans la partie sur la Cappadoce de la Géographie, sans lien avec les passages précédents et suivants25. Il n’est donc pas certain que cette présentation se rapporte au sanctuaire de Zeus d’Asbama. C’est la ressemblance de ce passage avec celui d’Ammien Marcellin, les deux textes étant basés sur le même paradoxon, qui a été retenue pour identifier le sanctuaire évoqué par Strabon avec celui de Tyane26. On pourrait ajouter un autre argument en faveur de cette reconnaissance. Parmi les phénomènes naturels expliqués par Ammien Marcellin, celui qui est développé juste avant la description du bassin du sanctuaire de Zeus Asbama, raconte qu’il existe à Hiérapolis de Phrygie un orifice d’où sort un souffle pernicieux mettant à mal « tout être qui en approchait, à l’exception des seuls eunuques »27. Or, cette mention apparaît comme un résumé simplifié du commentaire de Strabon sur le même sanctuaire28. Dans ce

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Strabon, XII, 2, 6, trad. Lasserre 1981, 54. Voir par exemple, Casabonne 2006, 195, note 7 ; Franck 1966, 97-98, note 204 ; Lasserre 1981, 250-251, s.v. « Zeus Daciéos ». 25 Voir à ce propos la remarque de Lasserre 1981, 153, note 6 qui indique que « la notice entière portant visiblement sur le παρἀδοξον plutôt que sur le rôle du sanctuaire, on peut se demander si elle ne provient pas tout droit d’un traité de paradoxographique et si Strabon ne l’a pas ajoutée après coup dans la marge, par exemple en se relisant, ce qui pourrait expliquer pourquoi son «éditeur» l’a incorporée tout entière à la mauvaise place ». 26 Par exemple, Casabonne 2006, 195 ; Franck 1966, 97, note 204 ; Lasserre 1981, 250, s.v. « Zeus Daciéos », qui sont des reprises de Texier 1862, 511 :« Jupiter Dacius paraît avoir été principalement dans la ville de Tyana. Près de son temple était un lac qui, encore aujourd’hui, en marque l’emplacement. Il jouit de la propriété d’avoir un écoulement souterrain ; de sorte qu’il n’est pas sujet aux débordements ». L’auteur se réfère aussi à Ammien Marcellin à ce propos : note 3 et de Reinach 1890, 240, note 2 (« la description [d’Ammien Marcellin] prouve qu’il s’agit bien du même sanctuaire chez Strabon). 27 Marcellin, XXIII, 6, 19, trad. Fontaine 1977, 103. 28 Fontaine 1977, 69, note 156 ; Strabon, XIII, 4, 14, trad. Tardieu : « l’animal qui pénètre dans l’enceinte même est frappé de mort à l’instant : des taureaux, par exemple, à peine introduits, tombent et sont retirés morts. Nous y avons lâché, nous personnellement, de pauvres moineaux, pour les voir tomber aussitôt sans souffle et sans vie. Toutefois, les eunuques de Cybèle (les Galles, comme on les appelle entrent impunément dans l’enceinte ; on les voit 24

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La fontaine de Zeus Orkios ou fontaine d’Asbama contexte, on peut se demander si Ammien n’a pas fait la même chose pour le sanctuaire de Tyane29. Serait-il possible que l’auteur ait lu Strabon en se constituant des fiches thématiques sur les sujets qui l’intéressaient, en particulier sur les sanctuaires ? Ainsi, les quatre présentations de la fontaine d’Asbama semblent appartenir à deux traditions différentes. Toutefois, l’ensemble paraît dépendre du genre paradoxographique. Les quatre descriptions constituent une suite de paradoxes. Chez Strabon et chez Ammien, le bassin ne déborde jamais alors qu’il ne connaît aucun écoulement. Les textes du De mirabilibus et de Philostrate sont plus fournis en présentant deux paradoxes. L’eau de cette source est froide au touché, tandis qu’elle bouillonne en surface. La source est salutaire à ceux qui sont fidèles à leur engagement. Mais à l’inverse, elle s’attaque à ceux qui sont parjures. Indirectement, on comprend qu’elle a un pouvoir de guérison. Les derniers éléments ne sont pas moins intéressants. L’eau s’attaque à trois endroits du corps : les yeux, les mains et les pieds. Enfin, les parjures ne pouvant s’enfuir sont obligés de confesser leur faute. Ces indications justifient ainsi la référence à Zeus Orkios, dieu des serments. De fait, à lire ces textes, on pense à une ordalie par l’eau et au pouvoir purificateur de cet élément. La référence au Styx M. Tardieu et, à sa suite, E. Soler, ont rapproché les descriptions de la fontaine d’Asbama de la présentation des sources du Yarmuk dans la Vie d’Isidore

même s’approcher du trou, se pencher au-dessus, y descendre à une certaine profondeur (mais à condition de retenir le plus possible leur haleine, comme le prouvent les signes de suffocation que nous surprenions sur leurs visages). Or, est-ce là un effet de la castration pouvant s’observer de même chez tous les eunuques ? Ou faut-il y voir un privilège réservé aux desservants du temple et qu’ils tiennent, soit de la protection spéciale de la déesse (comme il est naturel de le supposer par analogie avec ce qui se passe dans les cas d’enthousiasme), soit de l’emploi de certains préservatifs secrets ? ». Il est intéressant de noter un passage similaire dans la Vie d’Isidore de Damascius, repris par Photius (242, 131) : « A Hiérapolis, en Phrygie, il y avait un temple d’Apollon et, sous ce temple, descendait un couloir souterrain qui exhalait des vapeurs mortelles. Il est impossible de passer sans danger même par-dessus ce gouffre, impossible même pour les oiseaux : tout être qui parvient dans ces parages, meurt. Mais, dit l’auteur, il était possible aux initiés de descendre dans la crevasse même et d’y séjourner sans dommage », trad. Henry 2003, 33. 29 En considérant que la version qui nous soit parvenue ait été lacunaire. Ammien aurait pu alors avoir à disposition un manuscrit dans lequel l’épiclèse du Zeus (Daciéos) n’était pas corrompue et qui faisait plus clairement le lien entre Tyane et le sanctuaire d’Asbama. A moins que l’auteur des Res gestae ait interprété le texte de Strabon.

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Stéphane Lebreton de Damascius30. Cette référence nous amène dans le paysage syrien de la province romaine d’Arabie, à la fin du Ve s. de n.è. Dans ce contexte littéraire, les sources du Yarmuk sont considérées comme une résurgence du Styx31. Le texte s’intéresse en premier lieu à la localisation du site32. Il se poursuit par une évocation des rites qui s’y déroulent sous la forme d’offrandes jetées dans les eaux33. Enfin, plus intéressant pour notre propos, l’auteur consacre quelques mots aux serments passés en ces lieux. « Le serment qu’on prête sur l’endroit et les eaux, les indigènes en ont, d’expérience, un frisson sacré. Aussi jurent-ils le moins possible. Si jamais on se parjure, on meurt dans l’année, disent-ils, en ayant le corps gonflé par une hydropisie et personne n’a échappé au châtiment. »34

Nous retrouvons ainsi le thème de l’ordalie par l’eau et celui de la force du serment prononcé. Le corps du parjure se transforme de la même manière : il gonfle par hydropisie. Et bien sûr, le parjure ne peut échapper au châtiment. M. Tardieu explique que l’on devine dans cette description sur les sources du Yarmuk les attributs classiques attribués au Styx de la tradition grecque35. Depuis les épopées homériques, les eaux du Styx sont associées aux terribles serments36. Parallèlement, il rappelle qu’au IIIe s. de n.è., Porphyre consacra un traité perdu à l’eau du Styx : « des fragments conservés par Stobée montrent que (non seulement) Porphyre avait rassemblé dans ce livre tout ce qu’il avait lu sur les mythes et rites de Styx dans la littérature grecque (mais qu’il) utilisa également des témoignages d’informateurs syriens ou de la littérature orientale qui lui était accessible »37. La lecture que nous propose Damascius sur les faits et les gestes entrepris aux sources du Yarmuk correspondraient donc, selon M. Tardieu, à une interprétation grecque de croyances et de rituels plus anciens d’origine sémitique38.

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Soler 2004, 41-42 ; Tardieu 1990, 68. Tardieu 1990, 38-69. 32 Commentaire complet dans Tardieu 1990, 49-65 : localisation du site, description du site vu d’en-haut, la descente dans le gouffre, description du site vu d’en-bas. 33 Photius, 242, 199, trad. Henry 2003, 42 : « Parmi les offrandes que les gens jettent à l’eau, les unes coulent à pic, même quand elles sont légères, si la divinité est favorable à ceux qui les font ; quand elle ne l’est pas, même si les offrandes sont très pesantes, elles flottent et sont rejetées d’une façon étonnante ». Tardieu 1990, 65-67. 34 Photius 242, 199, trad. Tardieu 1990, 45. 35 Tardieu 1990, 67-69. 36 Tardieu 1990, 36-41. 37 Tardieu 1990, 41. 38 Tardieu 1990, 42-43. Voir également Soler 2002, 42. Par contre, Tardieu ne semble pas envisager d’emprunt par Damascius à des sources littéraires de type mirabilia. Pourtant 31

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La fontaine de Zeus Orkios ou fontaine d’Asbama Il est possible d’envisager qu’il en a été de même pour les descriptions de la fontaine d’Asbama. Les auteurs des premiers textes ont pu vouloir faire œuvre d’ethnographe en témoignant de croyances locales tout en les modifiant en fonction de leurs propres intérêts. Toutefois, à l’exception de la forme paradoxographique, il n’y a pas d’allusion explicite aux références classiques dans ces passages, comme à celles des eaux du Styx par exemple. M. Tardieu estime « qu’à partir du IIe s. de n.è. l’eau de Styx n’est plus confinée au territoire grec, mais qu’elle est cherchée et repérée un peu partout en Orient, de la Syrie jusqu’aux confins méridionaux de l’Arabie proprement dite, et de celle-ci jusqu’à l’Inde »39. Si les descriptions de la fontaine d’Asbama ne comportent pas de telles références alors qu’elles en avaient le potentiel, peut-on en déduire que l’origine de ces textes soit antérieure au IIe s. de n.è. ? Ce ne serait pas inconcevable. Il existait au XIXe s. une autre interprétation sur l’origine de ces présentations. On la trouve en particulier dans les Etudes hébraïques facilitées de 1834 et dans Lectures on the religion of the Semites de W. Burnett40. Elle attribuerait au nom « Asbama » des racines sémitiques. Dans le premier ouvrage, la fontaine de Tyane est considérée comme imaginaire. La description que lui a consacrée Philostrate, serait une déformation issue d’une tradition altérée des Nombres de l’Ancien Testament sur les « eaux du serment, breuvage terrible, qui devait attirer la malédiction de Dieu sur la tête du coupable parjure »41. Mais l’ouvrage n’explique pas par quel processus on serait passé de l’un à l’autre. Il se focalise sur le nom d’« Asbamée » ou « Sbamée » qui serait « l’expression hébraïque qui signifie l’eau du jurement »42. De la même façon, W. Robertson-Smith cherche à prouver l’origine sémitique du sanctuaire de Tyane en s’appuyant sur le nom Asbama. Mais il lui donne une autre signification. Selon lui, Asbama signifierait les « sept sources » en se référant au syrien : shab῾ā mayā43. Sans avoir les compétences pour juger du bien fondé de ces constructions linguistiques, il me semble cependant que ces hypothèses sont peu crédibles. Elles s’appuient essentiellement sur la référence aux eaux

Henry (1991, 189, note 1) fait remarquer à propos du codex 130 de sa Bibliothèque que « Photius signale parmi les œuvres de Damascius des «mirabilia» sur lesquels il est le seul à nous renseigner ». On peut d’ailleurs s’en rendre compte à propos de la description de Damascius de Hiérapolis de Phrygie (voir note 28). 39 Tardieu 1990, 43. 40 Etudes, 1834 ; Robertson-Smith 1927, 181 ; 182. 41 Etudes, p. 333. 42 Etudes, p.333 : « Ces deux mots réunis (eau et jurement) forment Sba-mi ». 43 Robertson-Smith 1927, 182.

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Stéphane Lebreton du serment interprétée selon un filtre hébraïque ou sémitique44. Le nom d’Asbama doit davantage être rapproché de l’épiclèse « Asbameus » présente sur une dédicace d’Amastris. Il ne présente donc aucun lien avec l’eau du serment de la Bible ou d’une quelconque mention à sept sources. Sur cette inscription, malheureusement non datée, un Theos Aneikètos Asbameus (ΘεÒς Ἀνεικἡτος Ἂσβαμεὑς) est associé à une Gè Kuria (Γῆ Κυρἰα)45. Ainsi, on peut estimer que les récits sur la fontaine d’Asbama avant de constituer un lieu commun littéraire entre le IIe s. et le IVe s. de n.è., se rattachent certainement à des croyances locales anciennes. Si on prend en considération le témoignage de Strabon, on peut les faire remonter au moins au Ier s. av. n.è.46. L’intérêt du dossier porte alors sur l’origine et la signification de ces rituels et des croyances qui y sont associées. Des références iraniennes ? Il est tentant, en raison de l’importance des indications sur le serment et sur le mensonge dans le De mirabilibus et dans la Vie d’Apollonios, de regarder du côté du monde iranien. L’influence iranienne a en effet été conséquente en Cappadoce, au moins jusqu’à la fin de la période hellénistique47. De fait, le mot « Asbama » a été expliqué, au début du XXe s., par référence au perse. H. Grégoire a rapproché asba- du vieux perse : cheval. En suivant une proposition de Fr. Cumont, il interprétait « le second élément –mai par le vieux perse maya ou mâya. «Asbamaios» signifierait donc «celui qui

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Ces interprétations linguistiques du XIXe s. (la première version de l’ouvrage de W. Robertson-Smith date de 1894) appartiennent à un contexte scientifique daté. On retrouve ce type de proposition dès le XVIIIe s. dans Moreri 1743, 493, s.v. « Asbamée » : « le nom d’Asbamée vient peut-être de l’hébreu Meseba ou Mebasseba, c’est-à-dire, eau du serment  ; comme Béersseba signifie puits des serments. Les Cappadociens, qui parlaient syriaque, ont pu aisément transposer les syllabes pas corruption du langage ». C’est une tendance que l’on retrouve dans Reinach 1890, 240 qui à partir des monnaies du satrape Ariarathe frappées à Gaziura dans le Pont avec la légende « Baal de Gaziura » admet que l’« on voudrait pouvoir en conclure que le dieu céleste cappadocien s’appelait Baal, ce qui achèverait de prouver le sémitisme primitif de la nation leucosyrienne : malheureusement le type et la légende sont si manifestement imités des monnaies des satrapes de Cilicie (…) qu’il est bien possible que le Jupiter cappadocien s’appelât aussi bien Baal que Zeus ». 45 Marek 1993, 157-187, n°27. 46 En considérant que les sources utilisées pour la Cappadoce remontent au moins au début du Ier s. av. n.è. Lasserre 1981, 22 attribue à Posidonios la majeure partie des informations de Strabon sur la Cappadoce. 47 Sur l’importance de la culture iranienne en Cappadoce, voir par exemple : Debord 1999, 88-89 ; Robert 1963, 514-519. À propos de Mazaca : Lebreton 2011, 163-202.

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La fontaine de Zeus Orkios ou fontaine d’Asbama s’entend en chevaux, qui connaît les chevaux» »48. Cette lecture a été reprise notamment par J. Gagé pour qui le dieu Asbamaios est « à l’origine le patron de l’élevage des chevaux dans la Thyanitide »49. Toutefois, il semblerait que le radical asba- puisse aussi traduire le terme de cheval en louvite50. Je laisse à de plus apte que moi le soin de trancher entre ces différentes propositions. Remarquons cependant que nous retrouvons dans les deux cas la référence au cheval. Parallèlement, il peut être intéressant de faire un rapprochement avec l’inscription gravée sur la tombe de Darius à Naqš-i Rustan51. Une des parties de ce texte compose, selon les termes de P. Briant, « une sorte de catalogue des vertus royales et d’exposé des devoirs du roi et de ses sujets »52. Le défunt est présenté sur cette inscription comme un roi de justice luttant contre le mensonge. « Je veux ce qui est juste. A l’homme menteur, je ne suis pas favorable. Je ne suis pas coléreux  ; ce qui se développe en moi lors d’une querelle, fermement je le contiens, fermement, je reste maître de mon esprit ».53

P. Briant précise que le roi oppose ainsi la justice au mensonge : « ses capacités de compréhension et de jugement lui permettent de rendre la justice en toute sérénité »54. D’une certaine façon, l’eau de la fontaine agit sur le même modèle. Le principe mis en avant dans les présentations de la fontaine paraît fonctionner sur la conception de la monarchie achéménide de la justice. Comme le roi, l’eau sacrée punit l’homme menteur. D. Briquel s’avance davantage en considérant que l’ordalie par l’eau peut être un attribut royal dans le contexte achéménide55. Le succès ou l’échec du prétendant au trône dans

48

Information que je reprends de Franck 1966, 98, note 204 ; Grégoire 1905, 69. Voir aussi Casabonne 2006, 195. 49 Gagé 1926, 117-118, n. 3 et 123, n. 1. 50 Je remercie René Lebrun pour cette information qu’il développe dans un article à paraitre : « Considération sur le dieu Fleuve en Asie Mineure de l’âge du Bronze à la période gréco-romaine » : « Le terme Asbamaios (…) pourrait renvoyer au lycien esbe- « cheval », au louvite hiéroglyphique azu(wa)- de même sens ». 51 Briant 1996, 222-228. 52 Briant 1996, 224. Cette partie « fut ultérieurement reprise à quelques mots près par Xerxès ». 53 § 7 ; Briant 1996, 224. 54 Briant 1996, 227. 55 Briquel 1985, 141-143, en s’appuyant sur «  l’épisode de la geste de Cyrus où le roi, parti à la conquête de Babylone, commence par épuiser les eaux du Gyndès puis s’empare de la ville ». Voir également Desnier 1999, 1160-1161 et Dumézil 1995, 957-960.

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Stéphane Lebreton l’épreuve que constituent ses rapports avec l’eau, est déterminant pour sa qualification comme roi. La force de l’eau révèle l’usurpateur56. Dans cette même partie de l’inscription de la tombe de Darius, le roi apparaît également comme un guerrier accompli. Il est bon cavalier et bon archer : « je suis habile avec mes mains et avec mes pieds »57. Il a également d’excellentes dispositions intellectuelles pour faire de lui un bon chef de guerre : « se pose à ma compréhension de savoir de manière correcte si je vois un ennemi, si je vois un non ennemi »58. Or, en cas de parjure, le châtiment de la fontaine d’Asbama s’exerce justement sur les parties du corps qui garantissent l’intégrité physique et intellectuelle du roi : les yeux ou l’esprit de discernement, les mains qui font du souverain un bon archer et les pieds qui lui permettent d’être un bon cavalier. On pourrait alors comprendre les rites associés au bassin du sanctuaire de Tyane comme faisant partie d’un rituel légitimant le détenteur d’un pouvoir territorial selon des principes achéménides. Dans la conception iranienne du pouvoir, le souverain est le détenteur de la vérité, qui pourrait être garantie par l’ordalie. Il est en accord avec l’ordre du monde voulu par les divinités, alors que le menteur n’est autre que l’usurpateur59. Cependant cette hypothèse ne peut être recevable que si le sanctuaire d’Asbama a constitué un haut lieu symbolique en relation avec le centre d’un pouvoir territorial. Or, d’après Strabon –si on accepte que sa description se réfère bien au territoire de Tyane-, ce sanctuaire n’aurait été que le troisième en importance60. Il est difficile de situer avec précision dans le temps le renseignement livré par le géographe. On peut au moins le faire remonter au début du Ier av. n.è.61. Je ne vois en fait qu’un moment possible pendant lequel ce sanctuaire aurait pu tenir un tel rôle : le début du IIIe s. Tyane a pu alors être le siège d’un pouvoir autonome62. Il serait certainement naturel pour un dynaste local, cherchant à s’établir sur la Tyanitide, de se référer à un système de valeurs iranien. Les premiers Ariarathides ne paraissent pas agir autrement pour la même période à partir de Mazaca63. Malheureusement, aucune donnée ne permet de valider cette proposition.

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Briquel 1985, 143. § 13 ; Briant 1996, 225. 58 § 13 ; Briant 1996, 225. 59 Briant 1996, 226-227. 60 Strabon, XII, 2, 5-6. 61 Briant 1996, 227. 62 Par exemple : Lebreton 2011, 201 en tenant compte des travaux de Robert 1963, 484 et de Regling 1932, 1-23. L’autonomie de Tyane et l’existence d’un dynaste en ces lieux restent cependant hypothétiques. 63 Lebreton 2011, 201. 57

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La fontaine de Zeus Orkios ou fontaine d’Asbama La référence au louvite n’est pas non plus à perdre de vue. Les origines du sanctuaire peuvent être anciennes. On connaît en effet l’antiquité de l’agglomération de Tyane, la hittite Tuwanuwa, ce dont témoigne d’ailleurs Strabon en évoquant des constructions dues à Sémiramis64. Fr. Cumont pensait que « la confession en usage chez les Hittites, comme le prouvent les prières du roi Mursili, se perpétua en Cappadoce dans le temple de Zeus Asbamaios  »65. Doit-on pour autant faire remonter aussi loin dans le temps la signification des descriptions de la fontaine d’Asbama ? La généralisation d’un thème Faute d’information plus précise, j’ai cherché à modifier l’angle d’étude en m’intéressant à la fois à la structuration des récits et à la recherche de parallèles possibles. Ces derniers sont nombreux. Il semblerait que le thème de la fontaine aux serments ait connu une grande fortune. Je ne prétends pas dresser ici un inventaire exhaustif mais seulement recueillir quelques exemples significatifs66. Ainsi, ce motif de la source ordalique se retrouve à plusieurs endroits de la Bible. On peut citer l’épreuve des eaux amères dans Les nombres67, le puits de Bersabée dans Genèse68 et la guérison du malade de Bethesda à Jérusalem dans l’évangile de Jean69. Ce type de récit se retrouve également chez Solin à propos de sources en Sardaigne70 et dans une description d’un temple des dieux Paliques en Sicile chez Diodore71. Ce thème est aussi évoqué lors d’un développement sur le fleuve Phase dans le De fluviis72. Philostrate, dans la Vie d’Apollonios, évoque un autre exemple en Inde. Enfin, gardons en mémoire la présentation des sources du Yarmuk par Damascius dans la Vie d’Isidore. Je reprends ici les exemples les plus régulièrement cités par les chercheurs qui se sont intéressés à la question. Je crois cependant qu’il faut établir des différences plus rigoureuses, tous ces récits ne nous parlent pas de la même chose.

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Strabon, XII, 2, 7 : « La ville est située sur une butte artificielle due à Sémiramis ». Sur Tuwanuwa : voir par exemple Lebrun 2005, 420. 65 Cumont 1926, 1105. 66 On peut trouver d’autres exemples dans Robertson-Smith 1927, 164-212 (avec prudence) ; Tardieu 1990, 38-69 (pour les eaux du Styx) ; Lajoye 2006, 211-245 (sur le motif des atteintes aux yeux, aux bras et aux pieds ou aux jambes). 67 Les nombres, V, 11-25. 68 Gen. XXI, 22-32 ; XXVI, 23-33. 69 Jean, V, 1-14. 70 Solin, IV. 71 Diodore, XI, 89. 72 Ps. Plutarque, De fluviis, V.

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Stéphane Lebreton Il convient ,en effet, de distinguer les textes se référant au seul serment par les eaux de ceux qui incluent le bouillonnement de la source, l’incapacité du parjure à s’enfuir, ainsi que l’énumération des parties du corps blessées. C’est bien sûr le deuxième groupe qui est le plus intéressant. Mais le nombre de parallèles, sans être négligeable, est plus réduit. On peut retenir les descriptions de Diodore et de Solin : -« Suivant la tradition, le temple des dieux Paliques se distingue des autres par son antiquité, sa sainteté et les choses curieuses qu’on y observe. D’abord on y voit des cratères d’une largeur, il est vrai peu considérable, mais qui lancent, d’une immense profondeur, d’énormes étincelles ; on dirait des chaudières posées sur un grand feu et pleines d’eau bouillante. L’eau qui jaillit de ces cratères a l’apparence de l’eau bouillante ; mais on n’en a pas la certitude, car personne n’a encore osé y toucher, et la terreur qu’inspire cette éructation aqueuse semble y attacher quelque chose de surnaturel et de divin. Cette eau répand une forte odeur de soufre, et l’abîme d’où elle s’échappe fait entendre un bruit effroyable. Ce qu’il y a de plus surprenant, c’est que cette eau ne déborde jamais, ne cesse jamais de couler, et est lancée avec une force à une hauteur prodigieuse. Le temple est si vénéré qu’on y prononce les serments les plus sacrés, et les parjures reçoivent aussitôt le châtiment divin : quelques-uns sont sortis aveugles de ce temple. Enfin, la crainte superstitieuse attachée à ce lieu est telle que l’on termine des procès difficiles par les serments que l’on y fait prononcer ».73 -« En quelques lieux bouillonnent des sources d’eaux chaudes et salutaires, dont on tire des remèdes, et qui sont propres soit à consolider les os fracturés, soit à détruire le venin insinué par des solifuges, soit à guérir les maladies des yeux. Celles qui guérissent les yeux servent aussi à découvrir les voleurs : car celui qui, sous la foi du serment, nie un larcin, et se mouille les yeux de cette eau, y voit mieux, s’il n’est pas coupable de parjure ; s’il a violé sa foi, il est frappé de cécité, et la perte de la vue est une preuve du crime commis dans les ténèbres ».74

Outre la question du serment, les auteurs relèvent dans les deux cas le bouillonnement de l’eau et l’aveuglement du parjure : deux thèmes communs avec les descriptions de la fontaine d’Asbama. Mais assez étonnamment, le texte qui serait le plus proche de nos descriptions est celui de l’évangile de Jean.

73

Diodore, XI, 89, trad. Hoefer. Solin, IV, trad. Agnant. Ce type d’épreuve a été considéré par certains historiens comme un témoignage réel de pratiques. Par exemple, Marongiu 1951, 242 : « L’historien Solin (…) nous raconte une espèce de jugement de dieu ou ordalie qui était en usage en Sardaigne en ces temps de l’Empire romain. Le voleur qui refusait d’avouer sa faute était soumis à l’épreuve de l’eau et, s’il était coupable, il était censé perdre immédiatement la vue ». L’auteur trouve la trace de ces sources dans des structures archéologiques « préhistoriques ».

74

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La fontaine de Zeus Orkios ou fontaine d’Asbama « Or, à Jérusalem, près des portes des Brebis, il y a une piscine qui s’appelle en hébreu Bethesda, et qui a cinq portiques. Sous ces portiques étaient couchés un grand nombre de malades, d’aveugles, de boiteux et de paralytiques (ils attendaient le bouillonnement de l’eau. Car un ange du Seigneur descendait à certains temps dans la piscine, et agitait l’eau : et celui qui y descendait le premier après l’agitation de l’eau était guéri de son infirmité quelle qu’elle fût). Là se trouvait un homme malade depuis trente-huit ans. Jésus l’ayant vu gisant, et sachant qu’il était malade depuis longtemps, lui dit : « Veux-tu être guéri ? ». (…) Plus tard, Jésus le trouva dans le temple et lui dit : « Te voilà guéri ; ne pêche plus de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pire ».75

De fait, le motif du bouillonnement est bien présent. Il est ici expliqué par l’intervention divine. Il permet aussi de comprendre les guérisons. C’est le bouillonnement de l’eau, activé par l’ange, qui est le principe actif de la guérison. Autour de la piscine se pressent des aveugles, des boiteux et de façon plus générale des paralytiques. Etablir un rapprochement entre les aveugles, les boiteux de la « piscine » de Bethesda et les parties du corps atteintes par la source de Tyane est tentant. Parallèlement, le malade guéri par Jésus semble avoir failli. Il est prévenu de ne plus pécher « de peur qu’il ne t’arrive quelque chose de pire ». Son infirmité proviendrait donc d’une faute passée. Enfin, le texte nous apprend que cet homme malade gisait au bord de la piscine depuis trente-huit ans, comme s’il avait été enchaîné à cet endroit à l’image des parjures de la fontaine d’Asbama incapables de s’enfuir des lieux. Au vu, de cette rapide comparaison, on peut se demander si les témoignages sur la fontaine de Tyane ne sont pas les plus complets sur ce thème. Les descriptions de Diodore et de Solin n’évoquent, par exemple, que les risques d’aveuglement. L’évangile de Jean paraît reprendre ce motif pour le réinsérer dans un contexte événementiel particulier en lien avec la vie de Jésus. On perçoit aussi les modifications qui, à partir d’une histoire initiale, ont pu être faites dans le De mirabilibus et la Vie d’Apollonios. Ces deux dernières présentations jouent d’un paradoxe entre la froideur de l’eau au touché et son aspect bouillonnant en surface. Cela n’est pas présent dans les autres récits. L’eau est simplement bouillonnante. L’ensemble donne l’impression d’avoir affaire à un thème littéraire, issu d’une tradition orale, qui se serait répandu peu à peu par contamination. D’une certaine manière, Philostrate nous fournit un exemple possible de ce procédé de diffusion quand il décrit le « puits de la preuve »76. La scène est censée se passer en Inde.

75 76

Jean, V, 1-14, trad. Crampon. Voir note 84.

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Stéphane Lebreton «  Apollonios dit qu’il fit l’ascension de la colline sur sa face sud, à la suite de l’Indien, et qu’il vit d’abord un puits de quatre brasses de la bouche duquel émane une lueur bleutée, et lorsque, à midi, le soleil se pose sur lui, la lueur est attirée en l’air par les rayons et s’élève en présentant l’aspect d’un arc-en-ciel ardent. Il avait appris, par la suite, au sujet de ce puits, que le sol, sous lui, était fait d’arsenic, et que l’eau en était regardée comme sacrée et mystérieuse, que personne n’y venait boire ni puiser, et que toute l’Inde, alentour, jurait par elle. Près de ce puits, il y avait un cratère de feu d’où jaillissait une flamme couleur de plomb, mais il n’en sortait aucune fumée, ni aucune odeur, et ce cratère ne débordait jamais, mais l’éruption demeurait toujours juste en deçà du point où elle aurait débordé de la fosse. C’est là que les Indiens se purifient des fautes involontaires, et c’est pourquoi les sages appellent le puits : «le puits de la preuve», et ce feu : «le feu du pardon» »77

Visiblement, l’une des sources d’inspiration de l’auteur pour imaginer ce « puits de la preuve » est la description de la fontaine d’Asbama. Il semble dissocier les fonctions attribuées au bassin de Tyane pour les reporter entre le « puits de la preuve » et le « feu du pardon ». De plus, l’idée du cratère, qui ne déborde jamais, rappelle les dires de Strabon et d’Ammien Marcellin sur la source qui ne connaît pas d’écoulement78. Si ce type de descriptions correspond bien à un thème littéraire, ce dernier se serait diffusé, copié d’un auteur à un autre, au moins entre le Ier s. av. n.è. – date de la rédaction du texte de Diodore et des sources de Strabon – et le IVe s. de n.è. L’ensemble des textes sur les eaux du serment peut sans doute se classer autrement. On peut ainsi distinguer les textes qui consistent essentiellement en des descriptions de rituels ordaliques. Il s’agit en premier lieu des références bibliques, présentes dans l’Ancien Testament. Nous pourrions ajouter les exemples connus d’ordalie en Mésopotamie ou dans le monde hittite79. Le développement sur le Phase dans le De fluviis fonctionne sur le même registre80. Ces textes pourraient presque avoir un caractère normatif en relation avec l’exercice d’une justice. Enfin, il s’agit pour l’essentiel des témoignages les plus anciens. Ils concernent surtout le monde oriental.

77

Philostrate, Vie d’Apollonios, III, 14, trad. Grimal 1958, 1112. Mais c’est un motif répandu que l’on retrouve chez d’autres auteurs à propos de sources différentes. Voir note 66. 79 Par exemple : Dossin 1958, 378-393 ; Laroche 1973, 179-189 ; Lebrun (à paraître). 80 Ps. Plutarque, De fluviis, V. Une plante cueillie dans le fleuve et déposée dans une pièce fait perdre la raison aux personnes impures. Celles-ci avouent alors en public tous les crimes commis. Les hommes présents saisissent les coupables et les jettent dans le fleuve en un lieu ressemblant à un puits, appelé embouchure des impies. 78

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La fontaine de Zeus Orkios ou fontaine d’Asbama Le deuxième groupe de textes, celui qui nous concerne, correspond plutôt à des descriptions ethnographiques, à l’exception de la scène de la piscine de Bethesda dans l’évangile de Jean. Ces présentations sont coupées de leur contexte initial. Nous ne connaissons pas la signification première de ces descriptions. De la façon dont elles nous sont aujourd’hui connues, elles apparaissent comme des anecdotes cherchant à mettre en avant les particularités d’un lieu en insistant à la fois sur le caractère merveilleux des manifestations qui s’y déroulent et sur leurs spécificités. Il est d’ailleurs possible que certains auteurs, ce peut être le cas de Strabon, aient cherché à rationaliser leur récit81. Le sens originel est donc perdu. Ainsi, à propos des sources du Yarmuk, Damascius semble s’appuyer sur des informations glanées sur le terrain : « les indigènes disent ». Néanmoins, la signification donnée aux gestes et aux récits recueillis sur place par l’auteur est nécessairement modifiée lors de la mise par écrit de ces témoignages. Le contexte de la narration est celui d’un voyage-pèlerinage vers des sites sacrés encore en activité dans un monde devenu chrétien. Il est différent de celui des informateurs indigènes qui s’inscrivent dans une autre logique déterminée par une tradition sans doute aussi ancienne qu’elle peut être complexe82. Ce constat est encore plus vrai pour les passages de Diodore et de Solin. L’anecdote sur la source des dieux Paliques en Sicile est une ornementation dans le récit, raconté par Diodore, sur la tentative de Ducétius d’unir les Sicules au milieu du Ve s. av. n.è. La description par Solin des sources sacrées de Sardaigne consiste, là encore, en un développement qui ne conserve que peu d’éléments de son contexte initial. Enfin, le récit de Philostrate sur le « puits de la preuve » et le « feu du pardon », bien qu’imaginaire, pourrait se comprendre de la même façon. Il s’agit avant tout de s’intéresser à une coutume aussi étrange que singulière d’un peuple. Ce type de descriptions rentre dans un inventaire des us et coutumes remarquables. Les auteurs insistent plus ou moins directement sur l’éloignement géographique ou ethnographique et sur l’ancienneté. Les coutumes, ou les sanctuaires qui en sont dépendants, sont souvent très vénérables. En définitive, ces descriptions semblent répondre à une grille de lecture combinant des éléments attendus

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On peut considérer que c’est aussi le cas de Philostrate à propos du « puits de la preuve » où il fait intervenir, alors que sa description reste dans le domaine de l’imaginaire, l’arsenic pour expliquer les manifestations physiques. Vanotti 2007, 20-24 précise que le genre paradoxographique est une conséquence du goût pour la recherche intellectuelle. C’est une forme de textes qui se nourrit des traités scientifiques. 82 On peut d’ailleurs penser qu’il peut en être de même pour la piscine de Jérusalem. L’évangéliste n’est pas dans la même logique que celle qui explique les rites ou les histoires associés à ces lieux. S’il reprend la trame de cette tradition, c’est pour lui donner une autre signification au bénéfice de son personnage.

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Stéphane Lebreton sur des sources particulières d’une part et sur l’ordalie par l’eau de l’autre. Cela ne signifie pas que ces rites n’ont pas existé là où ils sont décrits, mais plutôt que leurs présentations sont lissées, modifiées pour répondre aux intérêts d’un public de culture grecque. Le passage de Philostrate sur le «  puits de la preuve » est très instructif à ce propos. Le récit ne peut être qu’imaginaire, ou reprendre des topoi sur l’Extrême Orient83. Le «  puits de la preuve  » et le « feu du pardon » sont situés chez le peuple le plus sage rencontré par Apollonios. Les rituels qui y sont associés semblent correspondre à ce que l’on peut attendre chez un peuple, certes idéal, mais tout aussi exotique en habitant aux confins du monde habité. Ce jugement par les eaux paraît juste. Toutefois, il l’est surtout pour les autres, pour des populations éloignées ou anciennes84. Si les descriptions concernant la fontaine d’Asbama sont issues de cette tradition ethnographique et paradoxographique, on peut estimer que la signification première des usages et des croyances évoqués ressemblent à des présentations de rituels en relation avec l’exercice d’une justice ordalique par l’eau. Ce serait l’explication la plus acceptable. Il est possible également, comme nous l’avons dit, que le sanctuaire de Tyane ait joué un rôle dans un processus de légitimation d’un pouvoir. Le thème de la justice ordalique peut d’ailleurs, dans certaines sociétés, avoir été pensé à l’image du fonctionnement de la justice royale. Ce constat n’est guère original et il n’est construit en plus que sur des hypothèses. Il faut certainement accepter de ne pas pouvoir en apprendre davantage sur les origines et la signification de ce fameux bassin de Tyane.

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Tardieu 1990, 41-42 indique qu’un « long fragment du De Styge, que Porphyre tire de Bardesane d’Ephèse, concerne «un lac dit d’Ordalie», situé chez les Indiens. Les caractéristiques topographiques et religieuses de ce lac sont tout à fait analogues aux représentations grecques de l’eau de Styx ». Voir également 42, note 86. Pour Tardieu 1990, 68, note 164 le « puits de la preuve » est sans doute « le même lac indien, appelé dokimastèrion chez Bardesane transmis par Porphyre, De Styge, ap. Stobée, Anth., 1, 3, 56 ». 84 On peut aussi remarquer que, dans ce type de descriptions, ces bassins semblent souvent se situer au centre d’un territoire. Ainsi, dans le récit de Philostrate sur le « puits de la preuve », la colline dans laquelle il se tient est au centre d’une plaine (III, 13). Une nuée entoure la colline dans laquelle habitent les Indiens (III, 13). Toute l’Inde alentour jurait par l’eau du puits (III, 14). Le temple des dieux Paliques est également au centre d’une plaine, près de laquelle Dicétius implante sa nouvelle cité de Palica (XI, 88). De la même façon, la fontaine d’Asbama, proche de Tyane, semble se tenir au cœur « pensé » de la Tyanitide. Dans l’épisode de la piscine de Bethesda, cette eau miraculeuse se tient au pied de Jérusalem. Enfin, il est intéressant de constater que dans la Vie d’Apollonios, les deux bassins (Asbama et le « puits de la preuve ») semblent structurer deux extrémités du voyage du philosophe. La fontaine d’Asbama est située dans sa cité d’origine, point de départ de ses itinéraires. Le puits de la vérité se situe à l’extrémité orientale de son parcours. Voir aussi la note 95.

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La fontaine de Zeus Orkios ou fontaine d’Asbama Fontaine d’Asbama, épopée et mythe Toutefois, je crois qu’il reste une dernière entrée possible. Les auteurs contemporains, qui se sont intéressés soit au thème des eaux du serment, soit à celui des trois endroits du corps devenus invalides à la suite d’une faute commise, se réfèrent fréquemment aux travaux de G. Dumézil. Ce dernier s’est intéressé à la question dans un chapitre sur « la saison des rivières ». Il rend compte en particulier d’une tradition irlandaise qui partage de nombreux traits avec les textes relatifs à la fontaine d’Asbama. Il est question d’un récit, comprenant plusieurs variantes, centré sur le personnage de Nechtan, « ancien dieu, l’un de Tuatha Dé Danann »85. L’histoire met en scène un puits secret donnant accès à des pouvoirs propres. Seul Nechtan et ses trois échansons peuvent y puiser de l’eau. « D’où vient le nom de la Bóand ? – Ce n’est pas difficile. Bóand, femme de Nechtan fils de Labraid, vint au puits secret qui se trouvait dans la prairie du sídh de Nechtan. Quiconque y venait, n’en repartait pas sans que ses yeux n’éclatassent, sauf si c’était Nechtan lui-même et ses trois échansons, Flesc, Lam et Luam. (…). Une fois, par orgueil, Bóand vint pour éprouver le pouvoir du puits et dit qu’il n’y avait pas de pouvoir secret égal au pouvoir de sa beauté. Et elle tourna trois fois par la gauche autour du puits. Et trois vagues sortant du puits se brisèrent sur elle et lui enlevèrent une cuisse, une main et un œil. Fuyant sa honte, elle tourna vers la mer, avec l’eau derrière elle (la poursuivant) jusqu’à l’estuaire de la Boyne ».86

Bóand, désignée comme fautive, est attaquée sur les mêmes parties du corps que les parjures du bassin de Tyane. Cherchant à fuir, elle ne parvient pas à distancier l’eau qui la poursuit. Ici, Bóand est punie non seulement pour son orgueil, mais surtout pour avoir voulu accéder à ce qui lui était interdit. On retrouve le thème de l’usurpation que l’on soupçonne aussi dans le cadre de la fontaine d’Asbama. Dans une autre version la femme de Nechtan, devenue adultère, cherche à cacher sa faute en se baignant dans les eaux du puits. Bien évidemment, elle s’y noie. Le fonctionnement du puits de Nechtan procède donc de l’ordalie. Dans la suite de sa démonstration, G. Dumézil compare cette tradition avec celle, iranienne, du Touranien Fra΅rasyan87. Cependant, ce n’est pas le comparatisme qui m’intéresse dans cette recherche, mais plutôt l’attention portée au contexte. Dans ces traditions étudiées par G. Dumézil, le thème du puits appartient au cadre plus général d’un mythe ou d’une épopée. L’épisode de puits constitue alors l’un des points nodaux d’une histoire plus importante. Il s’agit d’un des motifs essentiels

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Dumézil 1995, 1099. Dumézil 1995, 1099-1100. Dumézil 1995, 1103 et voir avant 1093-1099.

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Stéphane Lebreton structurant la narration. Peut-il en être de même pour les descriptions de la fontaine d’Asbama ? La source originelle ne pourrait-elle pas appartenir à une tradition orale plus consistante mettant en scène la geste d’un héros ? Dans ce cas, la localisation de la source importerait peu. Dans ce type de récits, la géographie perd ses droits. L’emplacement de chaque épisode peut varier selon les versions. Il se peut que ce ne soit que dans un deuxième temps que le motif de la source soit identifié à un lieu précis. Intéressons-nous à nouveau à l’œuvre de Philostrate. Nous pourrions revenir, à titre d’hypothèse de travail, sur le parti pris au début de l’article. La présentation de la fontaine d’Asbama n’est peut-être pas une parenthèse isolée, développement livresque qui se rajouterait à la trame principale de l’histoire. M. Dzielska pense que l’auteur a pu bénéficier d’informations locales provenant de Tyane88. La description du bassin de Tyane aurait pu en faire partie : « les indigènes disent ». Philostrate nous raconte que « les gens du pays assurent qu’Apollonios était le fils de ce Zeus » d’Asbama89. Ammien Marcellin, à son tour, lie selon la tradition l’éminent philosophe à la source. Le rapprochement entre Apollonios et l’emplacement de la fontaine d’Asbama n’est peut-être pas si artificiel. On s’aperçoit que la description de la fontaine participe à structurer en partie l’histoire racontée90. Ainsi, Philostrate écrit que, lors de ses jeunes années, Apollonios sert le dieu Asklépios dans son sanctuaire d’Aigeai en Cilicie91. Il devient alors l’outil ou le témoin des guérisons accordées par le dieu. Le récit développe alors trois exemples. Dans le premier, Asklépios soigne, par le biais d’Apollonios, un jeune Assyrien atteint d’hydropisie. C’est le dieu, lui-même, qui ordonne au malade de consulter Apollonios92. Dans le deuxième, le héros doit s’occuper d’un homme à l’œil crevé. Mais il refuse de le faire parce que le patient en question est un « impur (…) et sa maladie n’a pas une cause avouable ; et le fait même d’offrir des sacrifices

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Des traditions, propres à Tyane, devaient exister, mais on n’en connaît ni la nature ni la datation. Existent-elles depuis le Ier s. de n.è. ou ont-elles été constituées à la suite de la renommée acquise par le personnage soit localement, c’est-à-dire vraisemblablement avant le IIe s., soit après le traité de Hiéroclès, conseiller de Dioclétien, qui en fait le rival du Christ. Ce dernier a été écrit au début du IVe s. Sur la célébrité acquise peu à peu par Apollonios, voir Dzielska 1986, en particulier 19-84 ; 96 ; 153-157 ; 161. Tzetzes, Chil. II, 973 résumant l’œuvre de Philostrate aurait ajouté des parties dont certaines proviendraient de Tyane. Des témoignages sur des actes miraculeux attribués à Apollonios auraient été écrits et préservés à Tyane : Dzielska, 1986, 58-59. 89 Philostrate, Vie d’Apollonios, I, 4. 90 Voir note 84 et 95. 91 Sur les relations entre le sanctuaire d’Asklépios et Apollonios à Aigeai, voir Dzielska 1986, 62-73. 92 Philostrate, Vie d’Apollonios, I, 9.

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La fontaine de Zeus Orkios ou fontaine d’Asbama magnifiques au dieu avant d’avoir rien reçu de celui-ci n’est pas d’un fidèle ordinaire mais de quelqu’un qui cherche à éviter le châtiment de crimes abominables et terribles »93. Enfin la troisième histoire s’intéresse au gouverneur de Cilicie, décrit comme une personne sans mœurs et de passions déréglées, qui feint d’être malade pour approcher le bel Apollonios. Ce dernier lui résiste. Le gouverneur le menace alors de lui faire trancher la gorge. Trois jours plus tard, le gouverneur est égorgé sur la route pour avoir conspiré contre Rome94. Dans ces trois anecdotes, la guérison est une délivrance, tandis que la maladie apparaît comme un juste châtiment. Ces histoires ont des similitudes avec le fonctionnement de la fontaine d’Asbama. Les atteintes aux corps se ressemblent par deux fois : l’hydropisie et l’œil crevé. L’aveuglement est un indice de la mauvaise moralité de la personne comme du parjure d’Asbama. D’ailleurs, on apprend plus loin que l’homme à l’œil crevé n’a pas respecté la parole donnée. Il a trompé sa femme avec sa belle-fille. Son épouse lui a donc crevé l’œil en punition. L’idée d’ordalie, bien que de façon indirecte, semble bien présente dans ces exempla. Le jeune Assyrien est reconnu digne d’être guéri par le dieu alors que les deux autres personnages, qui s’avèrent être coupables de forfaits odieux, sont sévèrement punis. On pourrait ainsi considérer que les interventions d’Apollonios sont conformes à ce que l’on apprend quelques pages plus tôt sur les croyances liées à la fontaine de Tyane95. Il existerait un lien presque organique entre le personnage principal de l’œuvre de Philostrate et la source d’Asbama près de laquelle il est né. On a pu vouloir rattacher de cette manière Apollonios à sa cité d’origine96. Parallèlement, Philostrate indique d’une part que ses ancêtres remontaient aux fondateurs de la ville et d’autre part que son père portait le même nom que lui. Arrien dans un développement qui s’apparente à une légende de fondation raconte que le nom de Tyane vient de celui de Thoas, roi des Taures.

93

Philostrate, Vie d’Apollonios, I, 10. Philostrate, Vie d’Apollonios, I, 12. 95 On peut aussi remarquer une analogie avec une autre scène de guérisons se passant en Inde (III, 39). Les sages rencontrés par Apollonios soignent un boiteux, un aveugle et un homme au bras paralysé : « Il arriva aussi un boiteux, un homme d’une trentaine d’années, qui était un terrible chasseur de lions, mais un lion s’était jeté sur lui, lui avait désarticulé la hanche et depuis l’homme était resté boiteux. Les sages lui massèrent les hanches et le jeune homme se retira en marchant droit. Un autre avait eu les deux yeux crevés : il s’en alla en possession de sa vue entière ; un autre encore avait le bras paralysé : il s’en alla avec l’usage de son membre ». Lajoye 2006, 219 pense que cette anecdote constitue une trace, parmi d’autres, d’un motif indo-européen répandu. Je crois plus simplement que dans le contexte de la Vie d’Apollonios, il s’agit pour l’auteur de relier le territoire d’origine du philosophe avec la terre idéale des sages rencontrés en Inde. Voir aussi la note 84. 96 Sur les liens entre Apollonios et sa cité, voir Dzielska 1986, 60-61. 94

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Stéphane Lebreton Poursuivant Oreste et Pylade, Thoas meurt de maladie dans la région97. Dès ses origines, l’agglomération est étroitement liée à la maladie. Roi redoutable des Taures, responsable de sacrifices sanglants, on peut imaginer que le mal dont souffre Thoas est un juste châtiment. On pourrait donc retrouver, dès les origines légendaires de la cité, l’importance de la maladie comme manifestation d’une justice divine98. D’ailleurs, dispenser la maladie et la santé sont aussi les attributs traditionnels d’Apollon, théonyme auquel semble attachée la famille d’Apollonios99. Le Zeus d’Asbama, considéré comme un dieu cavalier par J. Gagé, ne pourrait-il pas ressembler aux Apollon cavaliers connus pour d’autres parties de l’Asie Mineure100 ? En conclusion, je me demande si derrière la figure historique d’Apollonios ne se cache pas un archétype plus ancien, une figure locale. Le personnage d’Apollonios aurait pu être confondu avec le souvenir d’un héros local particulièrement honoré à Tyane, peut-être de type itinérant, en relation avec ce dieu d’Asbama ou en prenant l’une des caractéristiques101. Dans la structuration classique des histoires traditionnelles, le héros doit surmonter un certain nombre d’obstacles ou d’épreuves. Il s’agit là d’un motif récurrent. Les caractéristiques attribuées à la fontaine d’Asbama font penser justement à une épreuve imposée. Ce type d’obstacle doit mettre en lumière la grande moralité du héros. Il peut aussi lui permettre d’asseoir sa légitimité et d’accéder à un pouvoir.

97

Arrien, Périple, VI, 4 : « ainsi également Tyana, en Cappadoce, qui dit-on, était nommée Thoana d’après Thoas, le roi des Taures qui, à la poursuite d’Oreste et de Pylade, parvint à ce qu’on raconte, jusqu’en ce pays et y mourut de maladie ». Voir Lebreton (à paraître). 98 Voir sur cet aspect : Lebreton (à paraitre). Il est intéressant de noter que le saint « poliade » de Tyane, s’appelle Oreste et qu’il est médecin. 99 Particulièrement important en Asie Mineure, p. 108. Dzielska 1986, 57 rappelle que Schütz 1953, 56-58 estimait que la prairie, sur laquelle est né Apollonios (Vie d’Apollonios, I, 5) et qui a vu l’érection d’un sanctuaire en son honneur par la suite, était consacrée à Apollon. Il pensait d’ailleurs que les cultes voués à Apollonios et à Apollon avait fusionné. Pour lui, le culte d’Apollon était ancien à Tyane. Le lien entre Apollon, Apollonios et Tyane semble être établi par le contenu d’une inscription «  l’épigramme d’Apollonios », datant probablement du IIIe s. Voir Dagron, Marcillet-Jaubert 1978, 402-405  ; Dzielska 1986, 64-71  ; Robert 1979, n°592. 100 Gagé 1926, 103-123. Lebrun (à paraître) parle d’Asbamaios comme « indissociable du nom donné à un dieu «invincible» d’Anatolie occidentale » (Amastris). Voir note 45. 101 Remarquons que Tyane et Aigeai font référence à Persée dans leur monnayage. Il apparaît comme le fondateur légendaire de la dernière cité. Voir Chuvin 1992, 273 et Mutafian 1988, I, 90. La place de Persée à Tyane est moins claire.

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La fontaine de Zeus Orkios ou fontaine d’Asbama Je reconnais que cette étude peut paraître fragile sur bien des points, mais je suis persuadé que les descriptions de la fontaine d’Asbama ne sont pas qu’anecdotiques. Elles font références bien sûr à des croyances et à des rituels, mais certainement aussi à des traditions complexes dont nous ne conservons plus que quelques traces. Bibliographie - Briant (P.), Histoire de l’empire perse de Cyrus à Alexandre, Paris, 1996. - Briquel (D.), « Vieux de la mer grecs et descendant des eaux indo-européen », dans R. Bloch, Fr. Bader, D. Briquel, Fr. Guillaumot (éd.), D’Héraklès à Poséidon, mythologie et protohistoire, Paris (Hautes études du monde gréco-romain, 14), 1985, p. 141158. - Casabonne (O.), « La divinité du mont Argée », Rant, 3, 2006, p. 193-200. - Cassia (M.), Cappadocia romana. Strutture urbane e strutture agrarie alla periferia dell’Impero, Catane, 2004. - Chuvin (P.), Mythologie et géographie dionysiaques. Recherches sur l’œuvre de Nonnos de Panopolis, Paris, 1992. - Cumont (Fr.), « Pettazzoni (Raffaele). La confessione dei peccati, t. III (compterendu) », Revue belge de philologie et d’histoire, 15-3-4, 1936, 1104-1106. - Dagron (G.), Marcillet-Jaubert ( J.), «  Inscriptions de Cilicie et d’Isaurie », Türk Tarih Kurumu Belleten, 42, 1978, p. 402-405. - Debord (P.), L’Asie Mineure au IVe siècle (412-323 a.C.), Bordeaux (Etudes, 3), 1999. - Delattre (Ch.) (éd. et trad.), Ps. Plutarque, Nommer le monde, origine des noms de fleuves, de montagnes et de ce qui s’y trouve, Villeneuve-d’Ascq, 2011. - Desnier ( J.-L.), « De Cyrus le Grand à Julien l’Apostat. Essai sur la légitimité du souverain. Le passage du fleuve », Annales HSS, 54-5, 1999, 1160-1161. - Dottin (G.), « L’ordalie à Mari », CRAI, 102, 4, 1958, p. 387-393. - Dumézil (G.), Mythe et épopée, I, II, III, Paris (Quarto), rééd. 1995. - Dzielska (M.), Apollonius of Tyana in Legend and History, Rome (Problemi e ricerche di storia antica, 10), 1986. - Etudes hébraïques facilitées, Dijon, 1834. - Fontaine ( J.) (éd. et trad.), Ammien Marcellin, Histoire, IV, (livres XXIII-XXV), Paris (CUF), 1977. - Franck (L.), « Sources classiques concernant la Cappadoce », Revue hittite et asianique, 24, 1966, p. 6-117. - Gagé ( J.), « Deux dieux cavaliers d’Asie Mineure (d’après deux bas-reliefs inédits) », MEFRA, 43, 1926, p. 103-123. - Gregoire (H.), Saints jumeaux et dieux cavaliers, études hagiographiques, Paris, 1905. - Grimal (P.) (éd. et trad.), Romans grec et latins, Paris, 1958. - Hamilton (W.J.), Researches in Asia Minor, Pontus and Armenia, Londres, 1842. - Henry (R.) (éd. et trad.), Photius, Bibliothèque, IV (242-245), Paris (CUF), 2003. - Hild (Fr.), Restle (M.), Kappadokien (Kappadokia, Charsianon, Sebasteia und Lykandos), Vienne (TIB, 2), 1981.

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RÉFLEXIONS SUR L’ORIGINE DU DIEU ASKLÈPIOS René Lebrun Prof. Ém. Université catholique de Louvain

Une tradition fait d’Ἀσκληπιός / dor.’Ασκλαπιός (latin Aesculapius) le fils d’Apollon, dieu civilisateur par excellence, et, éventuellement, d’une mortelle, Koronis, un nom pouvant désigner un point culminant ou une couronne. Le statut d’Asklèpios serait-il celui de ces êtres mi-dieu, mi-homme que l’on désigne du terme grec « héros » ? Pour d’aucuns le culte rendu à Asklèpios aurait pris naissance à Trikhè en Thessalie. Il pourrait s’agir, au départ, d’un être exceptionnel, sorte de super sage, consacré par la dévotion populaire, soit un statut quelque peu comparable à celui d’un « saint »1. À une époque tardive en a-t-on dès lors fait un dieu et imaginé que son père « adoptif » eût été Apollon, le dieu savant et bienfaisant, assimilé au Soleil ? Dans l’Iliade Asklèpios est mentionné, mais, comme son fils Machaon, il se trouve être un « précieux » médecin au service du camp achéen, ce qui ne signifie pas pour autant que son nom doit obligatoirement être interprété par le grec2. Mais, peut-être y a-t-il aussi à prendre en considération une explication moins artificielle, tenant compte d’une réalité, à savoir qu’Asklèpios est un dieu anatolien lié à Apollon, lui aussi dieu anatolien, en particulier une divinité importante du royaume de Wilusa (Troade) mentionné sous la forme probable Apaliuna > ’ Απελιων3.

1

Sur la problématique d’Asklèpios, cf. Grégoire, Goossens, Mathieu 1943 ; Bodson 1984, 1076 ; Jacquemin 2005, 249. 2 Hom. Il. 2, 731 ; 4, 194 ; 11, 518. 3 Dans la liste des dieux témoins du traité conclu entre le roi hittite Muwatalli II et Alaksandus, roi de Wilusa, nous lisons pour le côté « wiluséen » : KUB 21.1 IV 27 :D ?Ap-pa-li-u-naaš.

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René Lebrun Il était également raconté que Zeus foudroya Asklèpios car jaloux de ce qu’il avait ressuscité un mortel. Ce fait entraîna la descente d’Asklèpios dans les Enfers, dont il revint toutefois, un fait qui lui conféra évidemment un statut divin4. Dès lors, sa renommée ne fit que croître. Bien sûr, tenons compte de ce que le théonyme « Zeus » peut cacher aussi bien le dieu de l’orage purement grec qu’un dieu de l’orage anatolien, hittito-louvite par exemple. Dans cette optique il convient de souligner que plusieurs grands lieux de culte d’Asklèpios se situent, à côté d’Epidaure, à l’origine en Asie mineure : Kôs constitue un haut lieu de culte tout comme Knide, Pergame. D’après le poète Hérondas de nombreuses statues sont offertes au dieu dans la ville d’Hippocrate, le fameux médecin5. Il en va de même à Knide où s’était constitué, comme à Kôs, le groupement sacerdotal des Asklèpiades. Il est ainsi significatif de s’intéresser au passage à l’analyse du toponyme grécisé Kôs ; ce nom me paraît renvoyer au thème louvite *kuwa- , lequel implique la notion de respect, de crainte respectueuse (cf. grec δείδω). L’anthroponymie hittito-louvite nous livre le nom mKuwa (NH 659) > Koua en pisidien. Ainsi, la dénomination de l’île nous renverrait au monde louvite, et, dès lors, pourquoi n’en irait-il pas de même pour le nom d’un grand dieu de l’île ? Je suggère ainsi de décomposer le nom divin en : asklè/a + pio-s. Les noms propres d’Asie mineure comportant une finale grécisée en –πιος, – souvent des noms théophores -, renvoient plus que probablement au louvito-hittite piye- « cadeau, don ». Il reste dès lors à analyser Ask(a)lè, lequel, à mon avis, renverrait à Askaliya-, un anthroponyme déjà attesté en vieux-hittite désignant un seigneur de Hurma ou encore un scribe (cf. NH 170 et p. 338) ; le terme signifie « portier » ( J. Puhvel, HED 1, 1984, p. 215 ), soit un dérivé du substantif aska-«  porte  », un terme retrouvé lui aussi comme premier élément du théonyme Askasepa « génie de la porte », des anthroponymes Askayani (nom propre féminin) (NH 169), ou encore Aska-nasu (NH 171). Sous une forme grécisée, le terme aska- se retrouve également dans Askaènos < * louvite aska-wani- « habitant de la porte » , ou Askaios, deux épiclèses du dieu pisido-phrygien Mèn, le dieu Lune6 ; on ajoutera encore l’anthroponyme Askanios, le fils d’Enée, dont l’étymologie serait semblable à celle de Askaènos, et ne perdons pas de vue que la majorité des anthroponymes troyens relèvent d’une interprétation louvite, ce qui semble conforme aux découvertes effectuées récemment : ainsi, Priamos < louvite *pariya-muwa- « super force » et le nom de son fils Pâris < louvite pari(ya) « super ».

4 5 6

Benadum 1990, 210-226. Hérondas, Mimiambes, 4. Labarre 2010.

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Réflexions sur l’origine du dieu Asklèpios Il convient toutefois de signaler que d’autres étymologies ont été proposées : • A . O. Szemerényi notamment proposait en 1974 une grécisation de *ass(u)lâpiya « don de santé, de bien-être » , une étymologie conforme à la fonction d’Asklèpios7 . • B. En 1980, J. Puhvel, dans la foulée de H. Grégoire, R. Goossens et M. Mathieu, dégageait en première partie du mot le hittite asku- «  animal minuscule  » , retrouvé dans le grec άσκάλαβος / (α)σκαλοψ < aspalax «  taupe  »8. Nous serions donc en présence du dieu « taupe », soit un dieu dont historiquement l’animal sacré serait entre autres la taupe.

Ainsi, tout comme Apollon, ou sa sœur Artémis, tous deux très vénérés en Anatolie occidentale, Asklèpios arriverait éventuellement de proche en proche, sans doute via les îles égéennes, en Grèce continentale où un centre cultuel en son honneur semble particulièrement se développer, à savoir Epidaure. Les animaux symboliques du dieu sont le chien et la couleuvre, sans oublier la taupe. Les textes le qualifient de « doux Asklèpios, ami de l’humanité souffrante, sauveur »9. Et, répétons-le, comme fils d’Apollon, il ne peut qu’avoir un aspect bienfaisant, civilisateur. Nous soulignerons enfin l’importance du procédé incubatoire dans les oracles thérapeutiques, que ce soit à Epidaure, Kôs, Knide. Cette pratique mettant le patient en relation directe avec le dieu constitue peut-être l’héritage d’une tradition anatolienne : l’incubation hittite ; en effet, cette pratique permet au patient de connaître la faute, l’erreur à l’origine de la maladie. Ainsi, le Grand roi hittite Mursili II (env. 1318-1290 av. J.-C.) enjoint à des prêtres de trouver la cause de l’épidémie de peste qui ravage le Hatti « par un sommeil sur un lit propre » !10. Abréviations HED  : Puhvel, Hittite Etymological Dictionary, Berlin-New York-Amsterdam, 1984 sqq. NH : Laroche, Les noms des Hittites, Paris, 1966.

7 8 9 10

Szemerényi 1966, 215-218. Puhvel 1980, 137-138. Pindare, Pythiques, 3. 2éme Prière de Mursili II contre la peste C IV 12-14.

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JUSTICE DIVINE, DIEUX GUÉRISSEURS, EXORCISMES ET MÉDECINE : NOTES SUR LA GESTION DE LA MALADIE EN MÉSOPOTAMIE ANCIENNE Maria Grazia Masetti-Rouault École Pratique des Hautes Etudes, Section Sciences religieuses, Sorbonne, Paris UMR 8167, Orient et Méditerranée, Laboratoire Mondes Sémitiques, Paris

Introduction Dans sa présentation de la culture babylonienne, dans le Livre I de l’Enquête (I, 197)1, Hérodote se plaît à décrire ainsi la gestion des problèmes sanitaires dans la société mésopotamienne : « Voici la seconde, en sagesse, de leurs coutumes  (après celle de la vente aux enchères des jeunes filles à marier): ils apportent leurs malades sur la place publique, car ils n’ont point de médecins. Les gens s’approchent du malade, et ceux qui ont souffert d’un mal semblable ou vu quelqu’un en souffrir, proposent leurs conseils  ; ils s’approchent, donnent des conseils et recommandent les remèdes qui les ont guéris d’un mal semblable, ou qu’ils ont vu guérir quelqu’un. Il est interdit de passer près d’un malade sans lui parler, et de continuer sa route avant de lui avoir demandé quel est son mal. » Peut-être encore plus que le récit des usages bizarres attribués aux petites femmes de Babylone2, la description hérodotéenne du traitement des malades dans les villes de Mésopotamie étonne et scandalise les assyriologues, qui, depuis longtemps, ont protesté fermement contre ce témoignage grec «  tardif », outrageusement connoté par les préjugés habituels anti-orientalistes3. Il est facile de rappeler à Hérodote et à son audience que la culture cunéiforme proche-orientale antique avait à sa disposition un arsenal vaste et différencié de moyens et de connaissances pour s’occuper, soigner et guérir les malades, et qu’il y avait des médecins, les asû, et une législation régulant les pratiques

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Barguet 1985, 147. Masetti-Rouault 2009. Mais voir Rollinger 1993, 2000 ; Said 2005.

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Maria Grazia Masetti-Rouault médicales. Enfin, il est difficile d’imaginer leur disparition et l’effacement total de leur mémoire dans un laps de temps relativement court. De fait, les savoirs spécialisés impliqués dans les pratiques de la guérison sont bien documentés et vérifiables dans une importante production textuelle, accumulée de façon explicite dès l’époque d’Ur III, puis babylonienne ancienne, au début du deuxième millénaire4. Mais c’est surtout la situation à l’époque néo-assyrienne, la première moitié du premier millénaire, que les textes, retrouvés dans des archives officielles et dans des bibliothèques institutionnelles et privées, permettent de reconstruire avec une certaine précision5. 1. La cure et la guérison : une culture et un devoir social ? Si on accepte de mettre de côté, pendant un moment, les soupçons pesant sur les intentions obliques d’Hérodote, il reste que la logique de son raisonnement, qui souligne la responsabilité et l’intervention directe de la communauté toute entière dans les soins des malades – « car ils n’ont point de médecins  » -, met en scène une société qui semble avoir perdu ses repères, qui s’interroge et qui ressent l’obligation, morale et légale, de reconstruire un savoir et des expériences anciennes de grande valeur, quoique de façon désespérée, sur la place et dans les rues. Ce sont apparemment les connaissances « médicales », thérapeutiques et pharmacologiques, la formule des remèdes qu’on cherche à restituer. D’ailleurs – et il faut le remarquer -, pour ce faire, on se fonde sur des résultats obtenus et reconnus, procédant donc avec une méthode expérimentale et statistique (presque) scientifique. La modernité de cette attitude intelligente attribuée à la société babylonienne est confirmée par la constatation qu’Hérodote, quelque peu étonné, fait du souci « social » et communautaire de la protection et des soins à prodiguer à tous les malades, sans exclusion de classes. Il serait bien difficile de retrouver, dans la documentation ancienne, la mention de ce devoir explicite d’intervention, et cette vision large, presque démocratique, du droit généralisé des malades aux soins et à l’attention publiques. Il est vrai que la casuistique présentée par le Code d’Hammourabi, qui établit des tarifs de prix des interventions chirurgicales relativement élevés, croissants selon la catégorie sociale à laquelle appartient le malade, indique qu’au fond ces opérations étaient envisageables pour tous6. Au contraire, le fait que le code prévoit une punition allant jusqu’à la « coupure du poignet » pour le chirurgien dont le

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Biggs 1990 ; Battini et Villard (éds) 2006. Cf. Parpola 1993; Cole et Machinist 1998. Finet 1973, 113-115.

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Justice divine, dieux guérisseurs, exorcismes et médecine patient (bourgeois) meurt après l’opération, laisserait plutôt penser que l’abstention, et non l’intervention, était en général la stratégie la plus sage et prudente pour les spécialistes. 2. Confusion des genres Bien plus que les médecins, ce qui est absent de cette image, incroyablement perdu dans l’interprétation hérodotéenne, est par contre l’aspect « religieux », voire sacramentel – comme aurait dit J. Bottéro7 –, ou encore magique, des pratiques de guérison mésopotamiennes, pourtant d’une évidence aveuglante dans toute la culture cunéiforme, depuis ses attestations les plus anciennes. Les lecteurs modernes peuvent certes trouver cette situation normale et la considérer, avec bienveillance, comme une preuve objective de l’avancement de la civilisation de Babylone. Mais en réalité, le manque du « religieux » dans ce cadre est immédiatement perceptible, quoiqu’inexplicable, pour les assyriologues, et amène à s’ interroger encore une fois sur le traitement que l’Enquête réserve à la civilisation orientale. L’importance et l’usage de la relation avec le divin, le surnaturel ou la magie, pour soigner le mal, les maladies et la souffrance, à travers rites, liturgies, exorcismes et incantations, mais aussi par les interventions directes des dieux sur le patient, sont largement documentés en Mésopotamie pendant toutes les époques historiques. Ils apparaissent en même temps, et dans les mêmes contextes, que les traitements spécifiquement médicaux, fondés sur des thérapies et une pharmacopée traditionnelles. Les études modernes ont toutes reconnu la réalité de cette lourde « confusion des genres », - entre médicine et religion, naturel et surnaturel, entre remèdes et exorcismes, diagnostique, pronostique et divination -, dans le développement des techniques actives contre le mal et les maladies8. Ainsi, et par exemple, les asû, les « médecins », apparaissent souvent dans les énumérations de technocrates apparaissant dans les textes, les ummânu, professionnels de haut niveau, précédés par les tupšarru, les scribes/astrologues, les barû, les spécialistes de la divination, les āšipu et mašmaš (š)u, les exorcistes et conjurateurs, suivis par les kalû, les chantres9. Ces savants constituaient, sûrement au premier millénaire, une catégorie sociale unie et unifiée, bien définie dans ses relations avec le pouvoir, le palais et les temples, mais aussi avec la culture, jouant un rôle important dans sa transmission. Ils se partageaient, d’une façon parfois difficile à saisir pour nous,

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Bottéro 1985. Oppenheim 1964, 289-305 ; Ritter 1965 ; Scurlock 1999. Cf. Jean 2006, 3-33.

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Maria Grazia Masetti-Rouault l’ensemble des responsabilités relatives à la protection du bien-être des élites et surtout de la dynastie sur le trône, mais ils intervenaient aussi dans le gouvernement politique et dans l’administration de l’Etat, à travers leurs activités d’expertise et de conseil auprès du roi. Non seulement ils interprétaient l’ensemble des signes envoyés par les dieux dans le monde et dans la nature, mais ils pouvaient aussi interférer dans la réalisation des volontés divines, par leur connaissance de rituels assez puissants pour éloigner le mal, déjà manifeste ou seulement prévu10. La maladie, surtout dès qu’elle est explicitement considérée en premier lieu comme l’effet d’un jugement divin sur le malade et une punition, peut ainsi être éloignée, si on arrive à contrecarrer la logique de l’accusation et les intentions des juges divins, ou la violence des exécuteurs de la peine, les démons. La guérison devient alors la preuve de l’accord retrouvé avec les dieux, et de la réintégration morale et sociale du malade. Le triomphe de cette confusion apparente des savoirs et des pratiques dans le traitement des maladies a été confirmé à plusieurs reprises par l’analyse des textes spécialisés, comme des traités ou des compendia destinés à la conservation des traditions et à la formation des personnels, les rituels et les cérémonials. Elle peut être constatée aussi dans le discours porté par la littérature, les hymnes aux dieux et les prières, les lettres ou les documents administratifs. Reconnue souvent avec un certain embarras et consternation, cette continuité des disciplines engagées dans le traitement des malades est regrettée surtout dans les études essayant d’établir la position des savoirs mésopotamiens dans une histoire générale de la médecine occidentale et dans une perspective évolutive, qui voit la situation de la médecine dans les sociétés contemporaines comme l’aboutissement d’un long développement vertueux de la logique scientifique et du contrôle de la nature. Dans leur ensemble, on reconnaît aux pratiques médicales babyloniennes, la thérapeutique comme la pharmacopée, une certaine logique et aussi une forme d’efficacité, au-delà des effets placebo, par l’accumulation d’expériences et de compétences filtrées par une tradition, contrôlée et institutionnalisée par une forme d’autorité. Par exemple, l’école de médecine de la ville d’Isin, dont la déesse Ninkarrak/Gula était la divinité poliade, jouissait d’une grande célébrité dans toute la Mésopotamie au moins depuis l’époque paléo-babylonienne11. Gula elle-même était appelée la « Grande Doctoresse », patronne des médecins12, identifiée dans des hymnes comme divinité guérisseuse par

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Bottéro 1985b. Frankena 1957-1971 ; Seidl 1957-1971 ; Black et Green 1992, 101. 12 Sur l’image des médecins dans la littérature mésopotamienne, voir aussi D’Agostino 2001. 11

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Justice divine, dieux guérisseurs, exorcismes et médecine excellence par ses connaissances médicales13. Elle était associée, dans l’iconographie comme dans le culte, aux chiens, les nettoyeurs de tout espace publique, et aussi symboles de santé et vigueur14. Dans son temple à Isin, ont été retrouvés, en grande quantité, des modèles en terre cuite de parties du corps humain, sans doute des ex-voto, pour grazia ricevuta. Ces connaissances traditionnelles, concernant le développement d’une maladie et les remèdes naturels possibles pour la guérir, pourraient donc se situer à une phase certes primitive, mais déjà reconnaissable, de nos propres sciences et de nos conceptions de la santé et de la maladie. Toutefois, sans une vraie solution de continuité, elles sont prises dans la documentation entre les pratiques des exorcismes et de liturgies variées, de telle manière qu’il est difficile, aujourd’hui, d’évaluer les acquis de cette tradition et sa fonction réelle dans la réalité quotidienne antique. Il n’est pas possible non plus d’identifier les limites entre une discipline et une autre, ni de savoir à quel moment, à quel degré de gravité de la situation, et pour quel type de maladies spécifiques, on passait d’une thérapie « médicale », par exemple à base d’herbes, à un traitement « religieux » du problème, et on abandonnait son médecin pour avoir recours au devin, puis à l’exorciste ou au prêtre, choisissant de se tourner directement vers une divinité. 3. Dieux guérisseurs et dieux guerriers Les études assyriologiques les plus récentes sont d’accord pour affirmer qu’il n’est toutefois pas possible d’opposer, ni d’un point de vue chronologique ou « évolutif », dans un sens comme dans l’autre, ni d’un point de vue épistémologique, une pratique de la médecine qui utiliserait des éléments naturels, choisis et préparés par une technique spécialisée, - et d’autre part les exorcismes, les incantations et la magie, qui opèrent en exploitant des savoirs et des forces sacralisés et attribués aux dieux. La proximité et la continuité de ces deux types de savoirs dans les pratiques de guérison sont documentées depuis les époques les plus anciennes, et c’est ensemble qu’elles se manifestent, au moment même où la production littéraire et mythologique est enregistrée par l’écriture. En effet, si les archives d’Ebla, qui remontent à la seconde moitié du IIIe millénaire, ne contenaient pas de compositions littéraires, quelques aspects des traditions mythologiques et des conceptions religieuses les plus antiques nous ont été transmis par des rituels d’exorcismes et des incantations, qui

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Cf., par exemple, Seux 1976, 103-107 ; 462-464. Black et Green 1992, 101.

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Maria Grazia Masetti-Rouault évoquent des histoires et des interventions divines. En particulier, justement interprétée aussi comme l’attestation la plus ancienne d’un mythe cosmogonique fondateur de l’idéologie royale syro –mésopotamienne, une incantation éblaïte reconstitue le combat de Hadda, le dieu de l’Orage, contre le Serpent, une créature de la Mer et du Chaos15. Le récit de cette lutte cosmique établit sans doute un modèle idéologique pour l’œuvre du roi16, mais la formation du texte, et sa lecture pendant le rite, devaient aussi permettre de réactiver et d’exploiter la force magique développée par le dieu et par ses armes, sans doute pour dissoudre la violence de l’agression des serpents, et permettre au malade de surmonter l’empoisonnement. Dans ce cas archaïque, l’intervention d’une divinité comme le dieu de l’Orage, qui pourtant n’a pas les caractéristiques ou l’hagiographie d’un « guérisseur », devient de fait un instrumental pour la guérison du malade. Toutefois, le dieu n’est pas convoqué directement dans la procédure, intervenant seulement par l’évocation de son histoire parallèle, réalisée par un spécialiste - à Babylone on dirait un āšipum -, qui connait le mythe, et qui sait s’en servir. D’époque plus tardive, caractérisé par une formulation moins mystique, mais plus pittoresque et immédiatement convaincante, un texte babylonien récupère une version sans doute «  populaire  » des mythes de création du monde, pour structurer un rituel accompagnant des soins dentaires17. Il s’agit apparemment de l’extraction du nerf d’une dent malade – expliquée comme le jugement et l’expulsion d’un « ver » qui s’est introduit de façon illicite dans la gencive, réalisée parallèlement par le dieu Ea, l’organisateur du cosmos, et par le spécialiste. Récitant le texte pendant l’opération, le dentiste - l’ āšipu/conjurateur, l’asû médecin, ou peut-être le barbier du quartier ?- revient ainsi à la situation primordiale de l’organisation du monde. Il interpelle le ver, le chasse et l’écrase pour ne pas avoir accepté la demeure et la nourriture fixées pour lui par les dieux, dans la pulpe des fruits. Un texte magique d’Ougarit, KTU 1.100, postérieur d’environ un millénaire par rapport à l’exorcisme éblaïte, utilisé lui aussi dans la thérapie contre les morsures de serpent, met en scène d’autres personnages mythiques, qui ne sont pas des dieux de premier plan du panthéon syro-mésopotamien, ni non plus des divinités guerrières, comme Phlt, la «Mère des chevaux», la Cavale, et le dieu Horon18. Après avoir en vain demandé aux grandes divinités du Moyen-Euphrate, comme Dagan de Tuttul et Ashtarté de Mari, des incanta-

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Edzard 1984 ; Fronzaroli 1997, 2003. Cf. Schwemer 2001 ; Masetti-Rouault 2008. Labat 1970, 77-78 . Pardee 1978, 1979 ; Levine et Terragon 1988.

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Justice divine, dieux guérisseurs, exorcismes et médecine tions efficaces contre les morsures des serpents, la Cavale, reconnaissante, épouse enfin le dieu chthonien et guérisseur Horon19 qui, seul, se montre capable de soigner les victimes des vipères. Horon n’est pas, pourtant, un dieu combattant héroïque ni un tueur de monstres : il annule la puissance du poison en utilisant sa familiarité avec le monde souterrain, ses savoirs, ses rituels et ses remèdes à base de plantes. Dans tous ces cas, resituant la thérapie dans les lieux et les temps primordiaux, la guérison est obtenue par l’évocation mystique de récits mythiques, - un combat cosmogonique, un jugement divin, un mariage et la connaissance des rites et des remèdes - dont la qualité littéraire dépend, il est évident, du contexte spécifique de chaque cure. 4. Mythes et rites Au-delà du renvoi aux récits mythologiques, les textes des exorcismes prescrivent ou se référent aussi à une gestualité rituelle complexe citant, dans quelques cas, des lieux sacrés hors de la ville, des temples, ou alors des statues, des objets, peut-être symboliques, qui devaient avoir une fonction précise, et une signification pleine dans la dynamique de la guérison, même si pour nous leur identification est souvent difficile. Des lettres des archives de Mari, d’époque paléo-babylonienne, révèlent par exemple que la divinité poliade Itur-Mer – sans doute une forme du dieu de l’Orage - était connue pour ses pouvoirs de guérison, en particulier des enfants, et que des malades étaient amenés en pèlerinage en ville, dans son temple, dans l’espoir d’une guérison20. Les statues divines sortaient parfois rituellement de leurs temples et parcouraient des circuits dans la région environnante,- comme la « Dame de Nagar (Tell Brak) »21. On peut penser que ces sorties, offrant à toute la population la possibilité d’un contact visuel avec la déesse, fonctionnaient aussi comme des rites prophylactiques et de guérison pour les malades. Un autre exemple d’une statue qui voyage très loin est représenté par le cas de l’effigie de la déesse Shawska/Ishtar de Ninive, envoyée par le roi Tushratta de Mitanni à la cour du pharaon égyptien, selon la lettre de Tell Amarna EA 23, peut-être afin qu’elle soulage et guérisse le vieux souverain malade, ou alors, plus probablement, pour rassurer son épouse, la princesse mitannienne Tadu-Hépa22.

19 Caquot 1979-1980 ; Xella 1989 ; et cf., pour les dieux « guérisseurs » du panthéon syrien, Resheph, Horon et Eshmun, respectivement Xella 1999 ; Rüterswörden 1999 ; Ribichini 1999. 20 Durand 1997 ; sur la médecine à Mari, à l’époque paléo-babylonienne, voir Durand 1988, 543-584. 21 Durand 2008, 310-312. 22 Moran 1987, 137-139.

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Maria Grazia Masetti-Rouault Si la statue divine ne pouvait pas se déplacer pour soulager chaque malade, on pouvait utiliser des objets associés, qui la remplacent. Les fouilles archéologiques dans la cité de Terqa, dans le Moyen-Euphrate syrien, ont peut-être documenté cet usage : dans le temple local, dédié à la déesse de la guérison Gula/Ninkarrak, dans les niveaux d’époque post paléo- babylonienne, a été retrouvée une très grande quantité de perles en cornaline, qui n’étaient pas montées en colliers23. On peut supposer que ces perles étaient distribuées aux malades venus au temple, comme gage de l’attention et de l’écoute de la divinité, et restituées ensuite comme des ex-voto, une fois obtenue la guérison. 5. Du guerrier héroïque au savant magicien. Dans le monde syrien, la comparaison entre les exorcismes éblaïtes et le rituel d’Ougarit de la Cavale et Horon pour guérir les morsures de serpent, montre déjà que la force du guerrier divin tend à être remplacée par les savoirs spécialisés d’un jeune dieu chtonien, qui connaît l’usage des plantes. Les exorcistes qui luttent contre les maladies et, de plus en plus, contre les démons qui les infligent aux hommes, n’assument pas volontiers le rôle de combattants. Au contraire, réclamant la protection divine, ils mettent souvent en scène leur propre angoisse, et ils préfèrent s’identifier comme acolytes et opérateurs attitrés des divinités de l’intelligence et de la sagesse, Ea le père, et Marduk le fils, puis Nabû, la troisième génération, souvent représentés dans le rituel en train de se transmettre leurs savoirs divins – les communiquant, par la même occasion, aux exorcistes. Si Marduk est certes aussi une épiclèse du dieu de l’Orage, ces divinités sont actives et agissent avec succès dans la lutte contre le mal et la maladie surtout par la ruse, leur connaissance et intelligence des choses secrètes, par leur contrôle sur les lois cosmiques. Si, par l’usage des mythes, la culture mésopotamienne reconnaît que la guérison est un effet des pouvoirs cosmiques des dieux, ces mêmes forces sont enfin progressivement identifiées comme des savoirs magiques, et équivalent à la connaissance correcte des rituels, délégués aux exorcistes. Puisque, et quand, la maladie vient à être traitée en premier lieu comme l’effet d’une attaque externe, signe et communication d’un message et d’une volonté divine, la connaissance des codes de cette transmission devient fondamentale pour son traitement, doublant ou remplaçant d’autres méthodes thérapeutiques. Provoquée par une attaque, un « toucher » direct d’un dieu, -« main d’Ishtar », « main de Nergal » sont les noms attribués à différents cadres patholo-

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Masetti-Rouault 1993.

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Justice divine, dieux guérisseurs, exorcismes et médecine giques -24, ou par une possession de la part des démons, la maladie est toujours rendue possible par l’absence de la protection d’un dieu, qui l’a retirée au malade pour des raisons diverses – ou sans raison ? –, laissant ainsi l’espace libre pour la manifestation agressive du mal. Le rôle des exorcistes consiste alors à expulser les forces et énergies externes qui accablent le malade, utilisant l’autorité et les savoirs qui leur ont été délégués par les dieux, les mêmes qui conservent l’ordre du monde25. S’appuyant sur la puissance des dieux savants, évoqués par leurs noms rares, non-mythologiques, Asalluhi, Nudimmud, Ningirimma, les exorcistes opérant sur le malade agissent comme s’ils manipulaient les lois physiques du cosmos. Toutefois, les savoirs impliqués n’ont aucune prise sur les origines mêmes du mal, ni sur la position personnelle du pécheur - le malade. 6. Guérison et justice divine  La question des dieux guérisseurs, et de la nature et de la forme de leurs pouvoirs, prend sans doute une tournure particulière dans la culture mésopotamienne lorsque l’idée de la maladie comme message et punition divine directe, ou comme conséquence d’un abandon de la divinité protectrice du malade, amène à poursuivre la recherche de la faute, la cause première qui a provoqué l’irritation et la vengeance divines26. Dans le renversement de la perspective, les patients, victimes du mal, deviennent les accusés coupables, tandis que le dieu qui frappe et qui punit, ou qui abandonne son protégé au malheur, devient la partie lésée, objet d’un comportement injuste et impie de la part de son serviteur. Le dieu guérisseur est avant tout un dieu victime, puis juge, qui a condamné le malade et décidé sa punition, puis finalement changé d’avis. Dans ce cadre conceptuel, et dans la documentation littéraire des hymnes et prières, se définit une nouvelle rhétorique qui structure le discours présenté par le malade à sa divinité protectrice, à son dieu « personnel ». Si une certaine préférence est montrée encore pour Ea, Marduk, Nabû, Ishtar, Gula, n’importe quelle divinité du panthéon, local et national, ou divinité spécialisée dans des activités et secteurs d’intérêt du malade, peut être convoquée. Un corpus comprenant une quantité d’hymnes et de prières « personnalisés », parfois de bonne qualité littéraire, semble indiquer que, malgré l’atmosphère

Black et Green 1992, 102. Bottéro 1985, 1985b ; Jean 2006. 26 Von Soden 1964  ; Labat 1970, 320-346 ; Bottéro 1977  ; Masetti-Rouault 2009b. 24 25

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Maria Grazia Masetti-Rouault plutôt judiciaire de leur relation, les souffrants pouvaient interpeller directement le dieu de leur choix27. Toutefois, la plupart de ces compositions étaient intégrées dans des rituels complexes, destinés à calmer la rage divine, phase préalable à toute requête ultérieure. Bien que le malade puisse y jouer un rôle plus actif, communiquant ses sentiments et décrivant sa souffrance et son désespoir au dieu, en réalité les rituels de guérison restaient sous le contrôle et la responsabilité d’un célébrant, d’un exorciste, ou d’un devin. Dans la plupart de ces textes, le malade interpelle le dieu qui peut le guérir afin qu’il décide d’arrêter l’exécution de sa condamnation, sans solliciter uniquement sa miséricorde et sa pitié, - qualités dont la divinité est de toute manière largement pourvue, selon la partie hymnique du texte. Plutôt que de protester inutilement de son innocence et de manifester son repentir, le souffrant rappelle de façon explicite au dieu guérisseur quel est son intérêt immédiat dans la transaction et dans le jugement, lui démontrant que la vengeance et sa mort n’apporteront à la divinité aucun avantage réel. Si le malade meurt, le dieu perdra un serviteur fidèle prêt à assurer son entretien, ses prières et ses offrandes : plus que l’incantation, c’est bien ce calcul qui doit convaincre le dieu de suspendre la peine, et de guérir un homme qui travaillera pour lui et chantera sa gloire et sa bonté28. 7. Conclusions Au premier millénaire, la séquence établie culpabilité/punition, puis pardon/guérison, élaborée en exploitant une version antique de la dialectique maître/serviteur, sera âprement critiquée, en particulier par les œuvres relevant du thème du « juste souffrant »29. Par exemple, le Ludlul Bēl Nēmeqi30 commentera de façon très négative toutes les techniques religieuses traditionnelles de recherche de guérison : refusant la vision de la souffrance et de la maladie comme des punitions, mais aussi comme des épreuves ou des rites de passage, la nouvelle mentalité rejette, comme inutiles et illusoires, aussi tous les savoirs qui prétendent comprendre, interpréter et soigner les maladies, et le mal tout court. Ce qui s’affirme dans ces œuvres qui envisagent désormais l’impossibilité pour les hommes de comprendre la complexité des plans divins pour le monde et pour l’homme, est le besoin d’une relation personnelle avec le dieu, au delà de toute situation ritualisée et de tout calcul économique.

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Cf. Seux 1976, 13-27. Cf., par exemple, Seux 1976, 175, ll.65-69. 181, ll. 185 (prière à Marduk). Foster 1997-2002 ; Bottéro 1977. Cf. Annus et Lenzi 2010 ; Spiekermann 1998.

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Justice divine, dieux guérisseurs, exorcismes et médecine Si les rituels « religieux » et magiques continuent à accompagner les thérapies et l’évolution des savoirs médicaux jusqu’à la crise finale de la culture cunéiforme, c’est à ce point que se manifeste une nouvelle forme de religion ou de religiosité. Les dieux ne sont plus des guérisseurs, des médecins, mais ils développent jusqu’à l’extrême leur nature de sauveurs miséricordieux. Ils deviennent ceux qui font vivre, qui donnent la vie et la conservent pour chaque homme. Désormais l’obstacle à surmonter n’est plus la maladie – et là, il se prépare sans doute un espace intellectuel pour la médecine comme pratique scientifique. La limite est désormais la mort elle-même. Cette idée avait déjà été développée par le poème de Gilgamesh31, mais la recherche de la victoire sur la mort, d’ailleurs réservée au roi, à son élite, s’était conclue par un échec. L’idée nouvelle qui s’affirme est celle d’un possible « retour à la vie », après une mort décrétée et subie, en réponse à un appel divin, suivant une dynamique qui est celle de l’amour, résultat d’une relation directe, face à face, avec des dieux qui, enfin, aiment l’homme. Les Babyloniens n’ont plus besoin d’une religion rituelle, ni des rites religieux pour guérir : Hérodote avait donc peut-être raison en ne mentionnant pas les dieux guérisseurs de Babylone. Références bibliographiques Amar, A. et Lenzi, A. 2010 Ludlul Bēl Nēmeqi. The Standard Babylonian Poem of the Righteous Sufferer, State Archives of Assyria Cuneiform Texts, Helsinki. Barguet, A. 1985 Hérodote, l’Enquête, Livres I à IV, Paris (1964) [1985]. Biggs, R.D. 1990 « Medizin. A. In Mesopotamien », dans D.O. Edzard (éd.), Reallexicon des Assyriologie und Vorderasiatische Archäologie, Vol. 7, Berlin New York, p. 623-629. Battini, L et Villard, P. (éds.) 2006 Médecine et médecins au Proche-Orient ancien, Actes du Colloque International de Lyon, 8-9 novembre 2002, BAR S 1528, Oxford. Black, J. et Green, A. 1992 Gods, Demons and Symbols of Ancient Mesopotamia. An Illustrated Dictionary, London. Bottéro, J. 1977 «Le problème du mal en Mésopotamie ancienne. Prologue à une étude du «juste souffrant» », Recherches et documents du Centre Thomas More 15, p. 1-43. 1985 « Le Manuel de l’Exorciste et son calendrier », Mythes et rites de Babylone, Paris, p. 65-112. 1985b « Les exorcismes complémentaires des oracles », Mythes et rites de Babylone, Paris, p. 29-64.

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Labat 1970, 145-226 ; Tournay et Shaffer 1994.

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« QU’EST-CE QU’UN DIEU GUÉRISSEUR ? RÉFLEXIONS À PROPOS DU DIEU ANATOLIEN MÈN »1. Emilie Piguet Besançon (UFC) - ISTA (EA 4011)

Dans différents travaux publiés récemment, C. Nissen défend l’idée que le dieu anatolien Mèn est visité par les fidèles en qualité de divinité guérisseuse dans plusieurs de ses sanctuaires. Dans un article intitulé « Un sanctuaire thérapeutique de Mèn à Antioche de Pisidie », publié en 2004 au 39e Congrès International de la Médecine, elle fait ressortir un aspect du culte de Mèn à Antioche de Pisidie, qui n’avait pas été encore relevé. Même si, dans sa conclusion, elle nuance, par l’emploi du conditionnel et du verbe « sembler », un propos jusque-là affirmé, il n’en reste pas moins qu’elle défend fermement, tout au long de sa démonstration, la vocation thérapeutique du sanctuaire d’Antioche. Son argumentation repose sur des inscriptions retrouvées in situ et également sur la découverte, en Lydie et en Phrygie, de monuments votifs, appelés en dernier lieu « stèles d’exaltation », et d’ex-voto anatomiques, qui sont généralement regardés comme étant des témoignages en faveur du rôle guérisseur du dieu. Il sera justement question ici de reconsidérer ce postulat, à l’aune de la définition du concept de « dieu guérisseur ». Dans un ouvrage paru en 2009, titré Entre Asclépios et Hippocrate. Etude des cultes guérisseurs et des médecins en Carie, issu de sa thèse de doctorat légèrement modifiée, elle met à nouveau en lumière, des pages 175 à 215, la fonction guérisseuse de Mèn Caroura dans son sanctuaire carien, situé à proximité du centre médical hérophiléen de Laodicée du Lykos, fondé au Ier s. a.C. D’après l’auteur, il s’agit d’un exemple significatif  des interactions qui ont

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Je tiens à remercier M. René Lebrun (Pr. émérite – UCL, Louvain la Neuve) pour son invitation à participer à ce colloque. Je remercie également mon directeur de thèse, M. Guy Labarre (Pr. d’histoire grecque – UFC, Besançon), pour ses précieux conseils et pour m’avoir confié le soin de réaliser cette étude.

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Emilie Piguet existé entre les cultes guérisseurs, nombreux dans la région, et les médecins. Pour convaincre de la fonction thérapeutique du sanctuaire, son développement se fonde sur trois arguments, sur lesquels nous reviendrons : sur un passage de Strabon, sur le témoignage d’Athénée qui signale la présence d’une source nitreuse près du lieu de culte ménique et sur les représentations de Mèn et d’Asclépios sur les mêmes monnaies, le rapprochement avec Asclépios s’expliquant alors, toujours selon l’auteur, par leur fonction guérisseuse commune. Or, C. Nissen apparait comme le promoteur de cette théorie  : ellemême titre une de ses sous-parties : « Mèn, un dieu guérisseur méconnu ». Nous réexaminerons, pour chaque cas, l’ensemble des témoignages, afin de montrer en quoi les conclusions de C. Nissen sont discutables. Dans un premier temps, il sera nécessaire de définir la notion de « dieu guérisseur ». Dans un second temps, cela permettra de déterminer, d’une part si Mèn peut être rangé parmi les divinités guérisseuses à partir des stèles votives de l’Est de la Lydie et de Phrygie, d’autre part si ses sanctuaires d’Antioche de Pisidie et de Carie fonctionnent comme des centres médicaux. 1. Définition du concept de « dieu guérisseur ». Qu’est-ce qu’un « dieu guérisseur » ? Les Anciens opéraient-ils ce genre de classification ? Dans son ouvrage portant sur l’étude des cultes guérisseurs et des médecins en Carie, C. Nissen discute l’expression conventionnelle « médecine religieuse », en mettant en évidence que les Grecs ne distinguent pas le religieux des autres domaines. L’auteur lui préfère celle de « médecine divine », qu’elle définit ainsi : « la médecine dite religieuse attribue l’origine des maladies aux dieux en colère et invite en conséquence les malades à implorer des dieux la guérison par des prières, souvent lors d’une visite dans un sanctuaire guérisseur »2. Plus loin, elle réaffirme cette définition : « le qualificatif «divin» nous semble le plus adéquat pour désigner cette part de l’art de guérir qui considère les dieux comme les responsables à la fois de la maladie et de la guérison »3. Or, sa définition correspond davantage à la conception primitive de l’origine divine des maladies, qu’à la réalité de l’activité des divinités guérisseuses. La divinité courroucée envoie un mal individuel ou collectif (loimos) comme châtiment et ne guérit l’individu ou le groupe, qu’à condition qu’il(s) implore(nt) le dieu en réparant la faute ou en l’expiant par la prière. Pour les

2 3

Nissen 2009, 47. Idem, p. 58.

264

Qu’est-ce qu’un dieu guérisseur? Anciens, c’est Zeus qui est à l’origine du « mal sacré » ou épilepsie et qui seul peut le guérir. Cette vision archaïque est particulièrement bien illustrée par la figure d’Apollon dans l’Iliade. L’aède le dépeint sous les traits d’un dieu terrible, « archer redoutable » à « l’arc d’argent » (Argyrotoxos), qui décoche ses flèches contre les Achéens et leurs animaux. L’épopée débute par la colère d’Apollon. La pandémie de « peste » qui ravage l’armée achéenne est infligée par le dieu suite à une faute. On peut comparer ce châtiment aux pestes médiévales envoyées aux hommes par un Dieu vengeur. Le courroux d’Apollon n’est ensuite apaisé que par des cérémonies expiatoires et par le sacrifice d’une hécatombe, accompagnés de la restitution de Chryséis à son père, ainsi que par le chant du «  beau péan  » (kalόn paièona), qui est un chant de prière d’action de grâce. Le dieu apparait, dans l’épopée, comme une divinité terrifiante qui donne la mort. Homère révèle ainsi l’ambivalence de sa personnalité, puisqu’Apollon donne le moyen de guérir les maladies s’il est apaisé et loué par la prière4. Ce caractère primitif disparaît ensuite des sources : il passe de l’image du dieu redoutable à l’image du dieu secourable, sauveur des hommes, qui détourne le mal (Alexikakos)5. Pindare, en premier, le considère comme le dieu médecin civilisateur, bienfaiteur des hommes, pour répondre autant à ses ambitions poétiques qu’à la haute conception qu’il se fait du dieu6. Paièon, qui qualifie le médecin des dieux de l’Iliade, devient une de ses épiclèses ; il est invoqué sous cette dénomination ou sous des formes équivalentes et plus tardives, Paiôn et Paian7. Il est appelé familièrement Iatros8 « médecin » ou Akèsos « guérisseur »9, car il veille sur la santé des êtres. Il apparait également parmi les dieux propylaioi, qui assurent une protection magique et prophylactique des entrées : pour combattre une peste ou une épidémie, des oracles conseillent de dresser une effigie d’Apollon Archer devant les portes d’une cité10. Apollon est à la fois un dieu guérisseur et purificateur

4

Cf. successivement Iliade, I, v. 43 sqq. (Chrysès demande à Apollon de le venger du rapt de sa fille) ; I, v. 446 sqq. et 473 sqq., XVI, v. 523 sqq. et XXII, v. 391 (cérémonies d’apaisement d’Apollon) ; XXIV, v. 758 sq. (Apollon, dieu qui donne la mort). 5 Sur la question, cf. Desautels, 569-76  et Lévèque, Séchan, 207-8 6 Pyth. IV, v. 270-1 : « Tu es le médecin que réclament les circonstances, toi que Péan comble d’honneur. Il faut que, d’une main bénigne, tu soignes la plaie que le coup a faite ». Pyth. V, v. 63-4 : «  (…) qui octroie aux hommes comme aux femmes les remèdes qui guérissent leurs maladies cruelles ». 7 Sophocle, Œdipe roi, v. 154 ; Euripide, Héraklès, v. 820 ; Pausanias, I, 34, 3. 8 Aristophane, Les oiseaux, v. 584. 9 Pausanias, 6, 24, 6 : temple à Elis. 10 Là-dessus, cf. Labarre 2007, 290.

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Emilie Piguet (Katharsios)11. Etant le dieu solaire, ses rayons purificateurs réchauffent la nature et permettent ainsi à la vie sous toutes ses formes – humaine, animale et végétale – de croître et de se développer. Les plantes qui poussent grâce au soleil possèdent des vertus nutritionnelles et thérapeutiques qui sont nécessaires pour se nourrir mais aussi pour traiter les maladies. En définitive, Apollon appartient bien au cercle des « divinités guérisseuses » : il est le purificateur, qui repousse le mal et assainit les souillures, ainsi que l’oracle qui connaît la cause des maladies et leurs remèdes. Apollon est enfin le père d’Asclépios, dieu de la médecine des Grecs dès l’époque classique, éduqué à l’art de soigner par le centaure Chiron, qui a lui-même appris son savoir d’Apollon12. Prenons un autre exemple, celui d’Artémis. A l’instar de son frère Apollon, elle peut se révéler cruelle et violente et possède dès lors le pouvoir de faire naître les épidémies et ensuite de les guérir. Elle envoie, par l’intermédiaire de ses flèches, des maladies, qui touchent particulièrement les femmes, et en même temps, elle les assiste lors des accouchements13. Un de ses sanctuaires les plus célèbres se situe à Brauron près d’Athènes : P. Brûlé le décrit comme étant un « grand gynécée de l’Attique spécialement concerné par l’obstétrique »14. On retrouve ainsi cette même ambivalence chez la déesse. Le même genre de conception ancienne de la maladie, qui en Grèce disparaît dès l’époque classique du milieu urbain, se retrouve à une époque plus récente dans certains territoires moins hellénisés, notamment au Centre-Ouest de l’Asie Mineure, dans les régions de Lydie orientale et de Phrygie15. L’épigraphie livre toute une série d’inscriptions d’époque romaine dédiées entre autre à Mèn et que N. Belayche a désignée sous le nom de « stèles d’exaltation »16. On rencontre notamment dans ces inscriptions laudatives, écrites à la gloire du dieu, des individus punis de maladie par la divinité, pour avoir commis une infraction et qui ne sont guéris qu’après l’avoir réparée. Mais comme nous le verrons, la punition a surtout valeur d’exemple et la maladie apparait avant

11

Eschyle, Euménides, v. 63 Dès l’époque archaïque (Pindare, Pyth. III) et dans toute la tradition mythique qui suit, Asclépios est considéré comme le fils d’Apollon. Néanmoins, l’ambivalence du père ne se retrouve pas chez le fils. L’antinomie de leur attribut guérisseur pourrait en partie expliquer pourquoi Asclépios supplante Apollon en tant que dieu de la médecine dès le début de l’époque classique, au sein même de sanctuaires où un culte d’Apollon est préexistant (Epidaure, Cos etc.). 13 Sur la fonction guérisseuse d’Artémis, cf. Verbanck-Piérard 1998, 150-1. 14 Cf. Brûlé, 236. 15 Chaniotis, 325-6. 16 Belayche 2006, 66-81. L’auteur justifie la dénomination de « stèles d’exaltation » en mettant en évidence le caractère laudatif de ces inscriptions écrites à la gloire du dieu. 12

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Qu’est-ce qu’un dieu guérisseur? tout comme un moyen permettant au dieu de faire prendre conscience au coupable de sa faute et plus particulièrement de son impiété. La définition de la notion de « divinité guérisseuse » proposée par C. Nissen dans son ouvrage est donc discutable. Précisons d’emblée que ce concept est proprement moderne.  On considère ordinairement une figure – héros, dieu ou déesse – comme étant guérisseuse quand elle exerce une fonction médicale et partage ses connaissances thérapeutiques et thaumaturgiques avec les hommes, en les guérissant ou en les instruisant du remède adapté, sans forcément faire valoir la question de sanction. A cet égard, Asclépios est le parangon de la divinité guérisseuse : il apparait débonnaire et philanthrope et, accompagné des divinités de son cercle, Hygie surtout dont le nom signifie « Santé », exerce son activité à plein temps, au sein de sanctuaires à vocation strictement curative, à la différence d’Apollon et de Sarapis par exemple, qui ne sont pas l’objet d’un culte exclusivement thérapeutique. Le polythéisme autorise en effet une spécialisation fonctionnelle et une intervention des dieux dans la majorité des champs d’actions et, en conséquence, dans ceux en rapport avec la vie quotidienne des Grecs. Les Anciens en effet ne conceptualisent pas la notion de « dieu guérisseur » et ne limitent donc pas leurs dieux à des attributions fixes et invariables. Chaque divinité possède son propre mode d’intervention, lui donnant la possibilité de remplir un rôle médical localement ou ponctuellement ou encore dans des circonstances précises. Cette spécialisation peut s’exercer pendant un laps de temps limité. Elle peut également être locale et ne signifie pas qu’on puisse la retrouver obligatoirement ailleurs. Aussi, à côté du culte rendu aux « divinités guérisseuses », se multiplient des cultes héroïques locaux à caractère thérapeutique (par exemple en Attique : Amphiaraos à Oropos, Iatros et Amphilochos17 etc.). C’est donc toutes les divinités grecques qui peuvent agir à un moment donné dans le domaine de la guérison, en fonction d’un contexte particulier ou des besoins de certaines catégories de la population, tels les femmes et les enfants. L’attention qu’elles portent aux malades se comprend donc par rapport aux autres fonctions qu’elles exercent – l’étude des épiclèses est intéressante à cet égard (par exemple Athéna Hygieia « qui assure la santé ») –, le secours qu’elles apportent devant être replacé dans le temps et dans l’espace. On comprend dès lors que la religion grecque ne soit pas cloisonnée et qu’il n’y ait pas un dieu unique de la médecine chez les Grecs, Asclépios, et d’autres

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Là-dessus, cf. Verbanck-Piérard 2000, 281-332.

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Emilie Piguet qui ne le sont pas, mais au contraire une pluralité de divinités bienveillantes pouvant l’être en certains lieux ou en certaines occasions. 2. Réflexions quant à la réalité de la fonction guérisseuse de Mèn en Anatolie.  Partant de cette définition, faut-il voir en Mèn un dieu guérisseur ? 2.1. En Lydie et en Phrygie : un dieu guérisseur ? La documentation épigraphique de Lydie orientale et de Phrygie met-elle en évidence la fonction guérisseuse de Mèn ? 2.1.1. Les stèles votives. Tout d’abord, une série d’inscriptions votives d’époque impériale, qui sont inscrites sur des stèles de pierre, apparaissent originales et moins succinctes que les dédicaces traditionnelles. Mèn est souvent accompagné d’un cercle de divinités, qui se limite à Zeus, Apollon, la Mère et (Artémis) Anaïtis. Une image accompagne dans certains cas le texte. Les documents racontent de courtes histoires vécues par les fidèles, qui sont en relation directe avec Mèn, selon un schéma narratif récurrent, en quatre étapes : 1) L’énoncé de la « confession » (ὁμολογέω). 2) L’exposé de la punition (κολαζόμενος). 3) La propitiation du dieu accompagné ou non d’autres divinités (ἱλάσκομαι). 4) La rédaction de la stèle consacrée en témoignage d’adoration et en tant qu’hommage pérenne à la puissance du dieu (στηλ(λ)ογραφέω presque toujours lié avec une εὐλογία). Mais cette structure complète n’apparait pas dans tous les textes18. La deuxième phase nous intéresse plus particulièrement : le dévot expose le châtiment infligé par la divinité offensée, qui prend ordinairement la forme d’une maladie physique ou psychique, qui touche le dédicant ou un de ses proches. On est en présence du rapport punition → maladie/expiation → guérison. La maladie n’apparait ici que comme un moyen utilisé par le dieu pour sanctionner le comportement d’un fidèle. La guérison intervient au terme de ce

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Chaniotis, 324 ; Belayche 2008, 181.

268

Qu’est-ce qu’un dieu guérisseur? processus ritualisé et entérine l’expiation de la faute et l’apaisement du courroux divin. Plusieurs inscriptions sont concernées par le modèle que nous venons de décrire. Nous y avons relevé trois types d’afflictions envoyées par le dieu : α) Concernant d’abord les maladies physiques : - Première possibilité : la stèle est épigraphe et ne comporte aucune image, mais la punition par la maladie est précisée. Dans une inscription fragmentaire de Sardes publiée par E. N. Lane, un individu, dont le nom est perdu, dit être tombé malade suite à une faute, qu’il confesse à Mèn Axiottènos. Le motif de la guérison est ici implicite et il n’est pas précisé non plus de quelle pathologie il s’agit19. Ailleurs, deux parents – un esclave intendant et sa femme – implorent Mèn Axiottènos, afin qu’il sauve leur fils Neikètos « tombé malade par le fait du dieu » « διὰ τὸ σθῆναι αὐτὸν ὑπὸ τοῦ θεοῦ ἀσθενοῦντα » (l. 9-13)20. - Deuxième possibilité : fréquemment, le récit est supporté par une représentation figurée. Deux stèles découvertes dans le voisinage du village moderne de Kula en Lydie orientale correspondent à ce modèle. La première présente deux pieds en relief ; le texte en dessous signale qu’un individu a sollicité Mèn Tiamos et Artémis Anaïtis pour retrouver l’intégrité de ses pieds « [ὑ] πὲρ τῆς ὁλοκληρίας [τῶν] ποδῶν » (l. 3-4)21. Le terme ὁλοκληρια signifie « intégrité », « état sain ». L’état impur des pieds a assurément été induit par une faute. Il n’a dès lors pas été demandé au dieu de « guérir » des pieds « malades », mais de leur rendre, après expiation, leur état « sain », « pur ». La deuxième figure un pied et une jambe : ainsi, une mère loue Mèn Axiottènos pour son fils, qui souffre précisément du pied22. Dans les deux cas, la punition n’est pas citée. Or, les deux stèles semblent correspondre au modèle que l’on retrouve traditionnellement dans les autres documents de ce type.

19

CMRDM, I, n° 77 [avec fac-similé ; inscription non datée] : « [....ω]ν Ἀριστ[ονείκου ἐλεη] θεὶς καὶ ἁμ[αρτήσας κα]ταπίπτω εἰς ἀ[σθένειαν] καὶ ὁμολογῶ τ[ὸ ἁμάτρημ]α Μηνὶ Ἀξιω[ττηνῷ καὶ στη]λˀογˀρˀ[αφῶ] ». 20 CMRDM, I, n° 72 (TAM, V, 1, n° 442) [inscription non datée]  : «  Εὔτυχος Ἰουλίας Ταβίλλης δοῦλος πραγματευτὴς σὺν καὶ τῇ γυναικὶ Ἐπιγόνῃ εὐχὴν ὑπὲρ υἱοῦ Νεική[τ]ου Μηνὶ Ἀξιεττηνῷ διὰ τὸ σθῆναι αὐτὸν ὑπὸ τοῦ θεοῦ ἀσθενοῦντα ». 21 CMRDM, I, n° 59 (TAM, V, 1, n° 323) [inscription non datée] : « Ἀρτέμιδι Ἀναεῖτι καὶ Μηνὶ Τιαμου Μελτίνη [ὑ]πὲρ τῆς ὁλοκληρίας [τῶν] ποδῶν εὐχὴν [ἀνέσ]τησεν ». 22 CMRDM, I, n° 65 (TAM, V, 1, n° 252) [269/70 p.C.] : « Μηνὶ Ἀξιττηνῷ Ὀνησίμη ἡ μήτηρ ὑπὲρ τοῦ ὑοῦ Τυράννου, ἐπειδὴ τὸν πόδα πονήσας εὐλογοῦσα ἀνέθηκα. ἔτους τνˀδˀʹ, μη(νὸς) ϛʹ Ξανδικοῦ θιʹ »

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Emilie Piguet Dès lors, les reliefs sont-ils l’illustration de la punition dont le dieu accable le fidèle dans les inscriptions  ? Les récits étant multi-séquentiels, les reliefs opèrent des choix et n’évoquent parfois qu’un élément du texte, d’autant que toutes les étapes ne sont pas systématiquement verbalisées23. Quand il s’agit de reliefs anatomiques, ils doivent sans nul doute se rapporter à la deuxième phase, qui est l’énoncé du châtiment. Dans un autre document votif, Théodôros est rendu aveugle car il a commis plusieurs fautes  : «  ἐκολασόμην τὰ ὄματα τὸν Θεόδωρον κατὰ τὰς ἁμαρτίας, ἃς ἐπύησεν » (l. 5-7) ; après les deux premières lignes du texte, est notamment représentée une paire d’yeux24. Une croyance populaire répandue estime que la cécité est une forme courante de punition divine25. Or, cette explication n’apparait pas satisfaisante à A. Chaniotis, qui signale à juste titre qu’il s’agit d’une maladie fréquente dans l’Antiquité, face à laquelle la médecine dite rationnelle est impuissante ; les individus se tournent alors naturellement vers les divinités guérisseuses26. Ainsi, parmi les affections oculaires guéries par Asclépios, les cas de cécité sont les plus nombreux. Le dieu de la Richesse Ploutos, dans la comédie éponyme d’Aristophane, est frappé de cécité par Zeus, pour l’empêcher de devenir le bienfaiteur des hommes. Aussi, un citoyen athénien, Chrémyle, son ami Blepsidème et son esclave Carion se rendent à l’Asclepieion, afin que Ploutos fasse l’incubation. Carion conclut le récit qu’il fait à sa maitresse à propos de la guérison de Ploutos et de la punition du démagogue Néoclidès ainsi : « Moi, je louais le dieu tant et plus d’avoir redonné la vue (βλέπειν ἐπόησε) à notre Ploutos si promptement, et, pour ce qui est de Néoclidès, de l’avoir rendu plus aveugle (ἐπόησεν τυφλόν) » (v. 745-7). Rappelons en outre que, pour ne pas avoir respecté le règlement du sanctuaire, Carion est lui-même puni d’une cécité temporaire par Asclépios (v. 822-3)27. Le fait que, chez Aristophane, le dieu sanctionne des individus qui ont commis une faute en les rendant aveugle, n’est pas un cas isolé. Deux autres documents, deux iamata d’Epidaure, concernent aussi une punition par cécité. Le premier récit raconte comment

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Belayche 2008, 182-3. Malay, 151-2 n° 5 [235/6 p.C. ; avec traduction]. 25 Cf. notamment Petzl 1988, 156-7. 26 Chaniotis, 327-8 : « Blindness seriously affected the life of a person in antiquity and presented a grave social problem. In contrast with other diseases which could be treated by physicians, or at least led to a quick death and thus relieved the patient from his sufferings and the relatives from a burdensome care, in the case of blindness only a god could help. If the god refused to do so, one had to conclude that this was a punishment for a sin; and if the patient was actually cured - in whatever way - , it could not be explained by scientific medicine and had to be attributed to divine intervention ». 27 Aristophane, Ploutos (trad. H. van Daele, Paris, Les Belles Lettres, 1963). 24

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Qu’est-ce qu’un dieu guérisseur? Asclépios a puni le trop curieux Eschine, en le faisant tomber de l’arbre sur lequel il était monté pour regarder à l’intérieur de l’abaton ; dans sa chute, celui-ci empale son œil sur une haie et ne recouvre la vue qu’après avoir supplié le dieu et avoir fait l’incubation. Dans le second, Hermon de Thasos, qui avait été guéri de sa cécité, mais qui n’avait pas apporté l’offrande d’action de grâce, redevient aveugle jusqu’à sa prochaine incubation28. Il apparait que le dieu châtie physiquement des individus en leur ôtant la vue, afin de leur signifier leur aveuglement moral et leur non respect des lois du sanctuaire, en un mot leur asebeia. Ce genre de récits a surtout une visée didactique et par suite paradigmatique. Le lecteur des stèles saisit ainsi l’importance du respect des règles cultuelles, en même temps que le risque encouru par celui qui vient à les transgresser ou à douter de la puissance du dieu. Le même motif se retrouve assurément dans l’inscription de Théodôros. Au final, concernant les cas de cécité, le même genre de conception populaire existe dans le culte de Mèn et dans celui d’Asclépios  ; comme nous le verrons, c’est uniquement la vision qu’ont les Anciens des deux dieux qui diffère29. Dans ces trois exemples, nous ne sommes pas en présence du même genre d’ex-voto anatomiques que ceux rencontrés ailleurs et notamment les membres et organes retrouvés dans les sanctuaires d’Asclépios. Pour exemple, des exvoto anatomiques représentant un ou deux yeux ont été découverts dans l’Asclepieion de Corinthe et sont fréquemment cités dans les inventaires athéniens. Les Asclepieia de Cos et de Pergame ont livré chacun une paire d’yeux30. Mais à l’instar d’autres organes, leur signification est multiple : ils servent à désigner une affection oculaire comme la vision de rêve de l’incubant, mais peuvent également avoir une fonction apotropaïque. Le rôle des répliques de parties de corps humain dans le culte de Mèn n’est assurément ni de les placer sous la protection d’un dieu, ni encore d’implorer ce dernier pour une guérison dont il ne serait aucunement responsable, mais d’augmenter la portée apologétique de la stèle.

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IG, IV2, 1, n° 121 (récit n° 11), n° 122 (récit n° 22).

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A Epidaure, où les références sont les plus nombreuses, six cas d’ophtalmies ont été recensés : cf. IG, IV2, 1, n° 121-3 (récits n° 4, 9, 18, 20, 32, 65). De même, deux cas sont signalés dans les iamata de Rome : IGUR, I, n°148 (récits n° 1 et 4). A Lébèna, une seule inscription votive évoque, par un langage poétique, la guérison d’une cécité : IC, I, XVII, n° 24 [distique élégiaque composé par Diodore au IIe ou au IIIe s. p.C.]. Aucun de ces documents ne fait état qu’il y ait eu au préalable de délit quelconque  30 Corinthe : Roebuck, 120-1 n° 13-5 (trois plaques portant un œil). Athènes : Aleshire, inventaire V [vers 250 a.C.], qui mentionne à lui seul 127 ex-voto anatomiques de ce type sur les 141 recensés au total ; van Straten, 106 n° 1.3 (relief avec un œil). Cos : idem, 131 n° 30.6. Pergame : Habicht, n° 111 b et van Straten, 134 n°35.1.

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Emilie Piguet On découvre un autre degré de combinaison du texte à l’image sur une stèle datée de 236/7 p.C., dont le lieu de découverte exact demeure inconnu. L’inscription est couronnée de plusieurs représentations anatomiques  : (de gauche à droite) une poitrine et une jambe droite en relief et une paire d’yeux juste incisée dans la pierre. Le texte permet d’expliquer la multiplication des organes : plusieurs individus se sont associés dans une prière conjointe à Mèn Tiamos et à la déesse Anaïtis pour leurs enfants et pour leur bétail31. Si l’inscription, qui reproduit le standard habituel des «  stèles d’exaltation  », ne mentionne pas de pathologies ou de punitions, les reproductions de parties de corps humain renseignent néanmoins les organes touchés. L’image complète ici l’écrit, en figurant une étape de l’expérience qui n’est pas formulée dans l’inscription. Une inscription datée de 118 p.C., gravée sur une base de statue, raconte comment Amyntas, après avoir commis un acte sacrilège, tombe malade et n’est guéri par Mèn Tiamos et Anaïtis, qu’après avoir expié sa faute32. Le cas d’une dédicante, Prépousa, est moins évident. Dans un document phrygien, découvert à Uşak, elle sollicite Mèn Axiottènos pour la guérison de son fils, afin de lui éviter de consulter les médecins et de payer leurs honoraires élevés. Elle ne consacre néanmoins pas la stèle promise en échange de l’intervention du dieu et est punie33. Il est toutefois difficile d’établir si la maladie de son fils n’est pas également la conséquence d’une première sanction du dieu à l’encontre de ce dernier. La punition de la mère, quant à elle, relève des impératifs induits par le « commerce » avec la divinité et notamment le paiement réclamé suite au bienfait divin. Le même problème se pose dans le cas d’Eutychis, affaiblie, qui a fait le vœu de graver une stèle à Mèn Axiottènos et à sa Mère pour l’amélioration de son état de santé34. Rien n’interdit pour autant, que, là encore, l’étape de la punition ne soit pas verbalisée.

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CMRDM, I, n° 35 (TAM, V, 1, n° 322) [236/7 p.C.] : « Θεᾷ Ἀναεῖτι καὶ Μηνὶ Τιαμου Τύχη καὶ Σωκράτης καὶ Ἀμμιανὸς καὶ Τρόφιμος οἱ Ἀμμίου καὶ Φιλήτη καὶ Σωκρατία αἱ Ἀμμιάδος ποήσαντες τὸ ἱεροπόημα εἱλασάμενυ Μητέραν Ἀναεῖτιν ὑπὲρ τέκνων καὶ θρεμμάτων ἔνγραφον ἔστησαν. ἔτους τκαʹ, μη(νὸς) Ξανδικοῦ ». 32 Mangarano, 199-203  [118/9 p.C.] : «  Ἔτους. σ γʹ . μ(ηνὸς) Ἀπελλαίου λʹ. Ἀμύνταν πεποσχότα ζεύξαντα ὑπὸ Μηνὸς Τιάμου καὶ τῆς Ἀναείτις κεχαρισμένον εἶναι Μηνὶ Ἀξιττηνῷ κάθισε ἀφί (vac.) δρυς (vac.) μα ». 33 Varinlioğlu, p. 42-3 n° 2 [avec photo taf. 6.2] ; Petzl 1994, p. 79-80, n° 62 [avec traduction et photo] : « Μηνὶ Ἀξιοττηνῷ καὶ τῇ δυνάμι αὐτοῦ · ἐπὶ Πρέπουσα ἀπελευθέρα τῆς εἱερείας εὔξετο ὑπὲρ υἱοῦ Φιλήμονος, εἰ ἔσται ὁλόκληρος καὶ ἰατροῖς μὴ ποσδαπανήσι, στηλλογραφῆσαι, καὶ γενομένης τῆς εὐχῆς οὐκ ἀπέδωκεν, νῦν ὁ θεὸς ἀπῄτησε τὴν εὐχὴν καὶ ἐκόλασε τὸν πατέρα Φιλήμονα · καὶ ἀποδίδι τὴν εὐχὴν ὑπὲρ τοῦ υἱοῦ καὶ ἀπὸ νῦν εὐλογῖ ». 34 Varinlioğlu, 40-1 n° 1 [175/6 p.C.] : « Μηνὶ Ἀξιοττηνῷ καὶ Μηνὸς τεκούση· Εὐτυχὶς Γ(αίου) Ἰ(ουλίου) Ἀνικήτου Περγαμηνοῦ θρεπτὴ εὐξαμένη τῷ θεῷ ἀσθενοῦσα, εἰ μεταβολὴν σχῶ,

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Qu’est-ce qu’un dieu guérisseur? β) Concernant ensuite les maladies mentales : Mèn frappe des individus de folie. Par exemple, Trophimè subit la vengeance (némésis) de Mèn d’Artemidôros Axiottènos, de la Mère Tarsénè et d’Apollon Tarsios et est rendue folle « μανῆναι ἐποίησεν » (l. 6-7), car elle ne voulait pas s’acquitter rapidement d’une tâche commandée par le dieu35. La folie est une forme fréquemment attestée dans ce type d’inscriptions36. Comme le précise A. Chaniotis : « These mental disorders were probably attributed to divine punishment for reasons analogous to those stated above in relation to blindness »37. γ) En dernière extrémité, le dieu peut infliger la mort : Mèn cause la perte d’individus, quand la faute n’est pas expiée ou est jugée trop grave. Cela peut concerner le ou les coupables eux-mêmes38 ou un tiers39.

στηλλογραφῆσαι, ἀκοῦσαντος τοῦ θεοῦ ἀπέδωκα τὴν εὐχήν, καὶ εὐχαριστῶ τῇ δυνάμι αὐτοῦ. Ἔτους σξʹ, μη(νὸς) Ὑπερβερταίου βʹ ». 35 CMRDM, I, n° 47 (TAM, V, 1, n° 460) [118/9 p.C.] : « ἔτους σγʹ, μη(νὸς) Ἀρτεμεισίου ϛʹ. ἐπὶ Τροφίμη Ἀρτεμιδώρου Κικιννᾶδος κληθεῖσα ὑπὸ τοῦ θεοῦ ἰς ὑπηρεσίας χάριν μὴ βουληθοῦσα ταχέος προσελθεῖν ἐκολάσετο αὐτὴν καὶ μανῆναι ἐποίησεν· ἠρώτησε οὖν Μητέρα Ταρσηνὴν καὶ Ἀπόλλωνα Τάρσιον καὶ Μῆνα Ἀρτεμιδώρου Ἀξιοττηνὸν Κορεσα κατέχοντα, καὶ ἐκέλευσεν στηλλογραφθῆναι νέμεσιν καὶ καταγράψαι ἐμαυτὴν ἰς ὑπερεσίαν τοῖς θεοῖς ». 36 Robert 1964, 25 n. 3. 37 Chaniotis, 328. 38 CMRDM, I, n° 62 (TAM, V, 1, n° 231) [210/1 p.C.] : « ἔτους σ εʹ, μη(νὸς) Περειτίου ηʹ. Μηνὶ Πετραείτῃ καὶ Μηνὶ Λαβάνῃ. Μητροφάνης καὶ Φλαβιανὸς οἱ Φιλιππικοῦ καταλειφθέντες ὑπὸ τῶν γονέων ἐν ὀρφανείᾳ καὶ ἐνίων ἀνθρώπων ἐπιβουλευσάντων αὐτοῖς ἐκ τῆ[ς] κώμης καὶ ἀρόντων ἔνγραφα καὶ ἕτερα εἴδη ἐκ τῆς οἰκίας αὐτῶν λαθραίως καὶ περισυρομένων αὐτῶν ὑπὸ δανιστῶν ἡ Ταζηνῶν κατοικία ἀδοξήσασα ἐπέστησε τὸ σκῆπτρον τοῖς κακῶς εἰς αὐτοὺς τ[ολ] μήσασιν καὶ ὁ θεὸς ἐξεζήτησεν [καὶ] ἐκολάσετο καὶ διέφθειρε τοὺς [ἐπι βουλεύσαντας αὐτοῖς· ὁ θεὸς [οὖν ἐπεζήτ]̣ˀσ̡ˀ στηλλογραφῆσα[ι εὐλογοῦντας τὰ]ς δυνάμις, ὅτι [- - -]ΤΗΣ[- -] ». Mèn, sous les épiclèses de Petraitès et de Labanès, cause la perte de deux bailleurs de fonds qui ont volé deux orphelins. Les gens du village avaient en conséquence placés le sceptre sur l’autel du dieu contre eux. Concernant le rôle du sceptre dans la justice divine, cf. notamment Robert 1987, 35967. 39 CMRDM, I, n° 44 (TAM, V, 1, n° 318) [156/7 p.C.] : « ἔτους σμαʹ, μη(νὸς) Πανήμου βʹ. Μεγάλη Ἄρτεμις Ἀναεῖτις καὶ Μεὶς Τιαμου. ἐπὶ Ἰουκοῦνδος ἐγένετο ἐν διαθέσι μανικῇ καὶ ὑπὸ πάντων διεφημίσθη ὡς ὑπὸ Τατιας τῆς πενθερᾶς αὐτοῦ φάρμακον αὐτῷ δεδόσθαι, ἡ δὲ Τατιας ἐπέστησεν σκῆπτρον καὶ ἀρὰς ἔθηκεν ἐν τῷ ναῷ ὡς ἱκανοποιοῦσα περὶ τοῦ πεφημίσθαι αὐτὴν ἐν συνειδήσι τοιαύτῃ, οἱ θεοὶ αὐτὴν ἐποίησαν ἐν κολάσει ἣν οὐ διέφυγεν· ὁμοίως καὶ Σωκράτης ὁ υἱὸς αὐτῆς παράγων τὴν ἴσοδον τὴν ἰς τὸ ἄλσος ἀπάγουσαν δρέπανον κρατῶν ἀμπελοτόμον, ἐκ τῆς χειρὸς ἔπεσεν αὐτῷ ἐπὶ τὸν πόδαν καὶ οὕτως μονημέρῳ κολάσει ἀπηλλάγη. μεγάλοι οὖν οἱ θεοὶ οἱ ἐν Ἀζίττοις ἐπεζήτησαν λυθῆναι τὸ σκῆπτρον καὶ τὰς ἀρὰς τὰς γενομένας ἐν τῷ ναῷ, ἃ ἔλυσαν τὰ Ἰουκούνδου καὶ Μοσχίου, ἔγγονοι δὲ τῆς Τατιας, Σωκράτεια καὶ Μοσχᾶς καὶ Ἰουκοῦνδος καὶ

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Emilie Piguet Les motifs de punition par la maladie sont également variés, puisque le dieu intervient dans différents domaines de la vie quotidienne des hommes : Mèn est le dieu qui rend la justice et qui répare les torts. Il règle des affaires d’empoisonnement, de vol ou de parjure, des différends entre deux parties, il punit les offenses qui sont portées contre lui etc., mais ses interventions concernent toujours la sanction d’une offense et non une prière pour une guérison40. Dès lors, la théorie de G. Björck, qui défend l’idée que les « stèles d’exaltation » ont une fonction comparable aux iamata épidauriens est nettement contestable41. 2.1.2. Les ex-voto anatomiques. D’autres stèles lydiennes consacrées à Mèn présentent cette fois des textes plus conformes aux dédicaces traditionnelles, qui sont également accompagnés d’une représentation figurée d’organes – une jambe, des yeux, deux pieds et une poitrine – montrant que le dieu a exaucé la prière42. Mises au jour dans les environs du village turc de Kula, à l’Est de la Lydie, ces stèles portent de courtes dédicaces, dans lesquelles sont mentionnés le nom du dieu au datif, celui du dédicant au nominatif, l’objet de la requête, généralement exprimé au génitif après ὑπὲρ, dépendant de l’expression finale « εὐχὴν ἀνέστησεν ». La structure générale de ces prières de santé s’inscrit dans une démarche votive. La dédicace à Mèn Axiottènos, accompagnée d’un relief figurant une jambe,

Μενεκράτης κατὰ πάντα ἐξειλασάμενοι τοὺς θεοὺς καὶ ἀπὸ νοῖν εὐλογοῦμεν στηλλογραφήσαντες τὰς δυνάμις τῶν θεῶν ». Le fils de Tatias, l’empoisonneuse, se laisse tomber une faucille sur le pied et meurt le jour même. 40 Dernièrement, cf. Labarre 2010, 47-50 (« Ses fonctions ») 41 Björck, 125. Il est vrai, dans certains iamata d’Epidaure, Asclépios sanctionne des incrédules, des « cancres en piété » (selon la formule de Veyne, p. 44) : IG, IV2, 1, n° 121 : cf. les récits n° 3, 4, 9, 10, allant par paire cohérente, ainsi que le récit n° 36. Les auteurs des stèles, très vraisemblablement des membres du personnel du sanctuaire, misent avant tout sur une identification des lecteurs incrédules aux protagonistes des récits qu’ils ont composés. Ces récits de punition ne mettent pas en lumière le côté vengeur du dieu et ont donc avant tout une valeur paradigmatique : la menace qui pèse sur un sceptique dans un des récits pesant alors sur tous les lecteurs potentiellement sceptiques. Mais si le dieu confond les incrédules, il n’exige comme « expiation » qu’une simple supplication. La banalité de la punition, présentée en outre sur un ton presque cocasse, fait se superposer à l’image du dieu qui punit, celle du dieu avant tout débonnaire. 42 CMRDM, I, (successivement) n° 31-2, 59 et 74 (respectivement  : TAM, V, 1, n° 344  : «  Μηνὶ Ἀξιεττηνῷ ἐξ Ἐπικράτου Ἑρμογένης Ἐπιχάριτος εὐχήν  », n° 349  : «  Μηνὶ Οὐρανίῳ, Μηνὶ Ἀξιοττηνῷ [Κλα]υˀδία Ποπλίου », n° 323 : « Ἀρτέμιδι Ἀναεῖτι καὶ Μηνὶ Τιαμου Μελτίνη [ὑ] πὲρ τῆς ὁλοκληρίας [τῶν] ποδῶν εὐχὴν [ἀνέσ]τησεν » et n° 324 : « Ἀρτέμιδι Ἀναε[ῖτι] καὶ Μηνὶ Τιαμου Ἀ[λε]ξάνδρα ὑπὲρ τῶνˀ μˀαστῶν εὐχὴν ἀνέστησν »). 

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Qu’est-ce qu’un dieu guérisseur? est faite en signe de reconnaissance «  Ἐπιχάριτος εὐχήν  » (l. 2-3)43. Enfin, dans une inscription provenant d’un site antique situé au bord de la plaine de Görnevit, une certaine Karpimè fille d’un Corbulo a élevé un monument pour remercier Artémis Anaïtis et Mèn Tiamou « εὐχὴν ἀνέθηκε » : en haut du corps de la stèle se trouve une jambe en relief avec son pied44. La cohabitation entre texte et image est habituelle, également sur les types traditionnels des dédicaces votives consacrées à l’Ouest de l’Asie Mineure. Mèn serait-il invoqué pour guérir une maladie, dont il n’est pas responsable ? Cela ne parait pas invraisemblable, dans la mesure où le dieu intervient dans des domaines variés de la vie des hommes. Toutefois, en l’état des connaissances, les seules séries connues attestent de la fonction punitive, aucune d’une fonction guérisseuse. Il est donc logique d’attribuer cette série à la première forme plutôt qu’à la seconde. 2.1.3. Les vœux de Sôteria. Dans son ouvrage, C. Nissen considère les inscriptions de l’Est de la Lydie et de Phrygie, mentionnant des vœux de Sôteria (« ὑπὲρ σωτηρίας ») pour le salut d’individus (un père et son fils) ou d’un membre de sa famille (ses enfants, ses proches), comme une preuve supplémentaire du caractère guérisseur de Mèn45. Elle écarte à juste titre les demandes de salut pour la communauté, car celles-ci n’impliquent en effet aucunement une prière concernant la santé, mais une protection étendue à l’ensemble de la collectivité46. Il est en revanche nécessaire de rester prudent concernant les prières de Sôteria pour des particuliers. Dans l’Antiquité grecque, la notion de Sôteria n’a rien à voir avec le salut chrétien. Les formes du salut peuvent être concrètes et n’ont pas nécessairement à voir avec une guérison. Il ressort donc que Mèn apparait aussi bien comme un dieu qui guérit des individus repentants, parce qu’ils avaient commis un acte sacrilège et avaient été punis de maladie, que comme un dieu terrible et vengeur. Il donne la mort aux impies, qui ne réparent pas leurs torts à temps. Ces deux types de situations renvoient de fait à la vision encore archaïque de la maladie, comparable

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CMRDM, I, n° 31 (TAM, V, 1, n° 344) : pour le texte grec, cf. n. 33. Naour, 108-9 n° 1  [197/8 p.C.] : « Ἀρτέμιδι Ἀναεῖτι καὶ Μηνὶ Τιαμου Καρπίμη Κορβούλωνος ὑπὲρ ἑαυτῆς εὐχὴν ἀνέθηκε · ἔτους ·σ · π · βʹ · Περειτίου · ηʹ · ». 45 CMRDM, I, n° 91-2 [avec fac-similé] (Doryleion, Phrygie, sans date) et n° 107 (Selmea, Phrygie, sans date). Une autre inscription de ce genre provient de Comana, en Cappadoce : CMRDM, II, n° A6 : Sôteria demandée pour un prêtre par un néocore. On retrouve le postulat de Nissen 2009, 186-8. 46 CMRDM, I, n° 88, 93, 97-8, 105 et 108. 44

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Emilie Piguet à celle d’Apollon dans l’Iliade, impliquant que celle-ci est une démonstration de la justice divine. Dans ces documents, la maladie, qui est la manifestation physique de la souillure morale, symbolise une exclusion de la société et la guérison est à interpréter comme une réintégration sociale de l’individu dans la communauté. Au final, les textes mettent en lumière le caractère ambivalent de Mèn, à la fois origine et seul recours aux souffrances. Dans ce type d’inscriptions, le dieu annule simplement les maux dont il est la cause, pour tout fidèle qui s’est racheté. Le classer parmi les divinités guérisseuses peut dès lors apparaitre discutable. C. Nissen se fonde enfin sur un autre argument pour ranger Mèn parmi les «  dieux guérisseurs  »  : les croyances populaires touchant à l’influence de la lune, un des attributs de Mèn, sur la santé des gens au sens large47. Or, l’amalgame entre un éventuel caractère guérisseur de Mèn et celui de la Lune parait également peu fondé. 2.2. Antioche de Pisidie et Attouda/Laodicée du Lykos : des sanctuaires à vocation thérapeutique ? C. Nissen considère en outre les sanctuaires de Mèn à Antioche de Pisidie et de Mèn Caroura en Carie comme étant des centres thérapeutiques. Sur quels témoignages reposent cette interprétation et doit-elle être agréée ? 2.2.1. Antioche de Pisidie. Dans un article de 2004, C. Nissen défend l’idée que Mèn est honoré en tant que dieu guérisseur dans son sanctuaire d’Antioche de Pisidie48. Quels sont ses arguments ? L’auteur se fonde sur quatre inscriptions retrouvées in situ. Le principal témoignage utilisé est la dédicace du médecin (iatros) Hygeinos49. C. Nissen suit les allégations de W. M. Ramsay, qui a en premier copié et décrit le document. Selon lui, la taille des lettres, plus grandes que dans les autres inscriptions, devait attirer le regard des fidèles. Il la place en outre sur le côté droit

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Concernant la croyance, dès l’époque classique, en une influence de la lune sur les hommes et entre autre sur leur santé, cf. notamment Préaux, 88-103 ; Lunais, 74-8. 48 Nissen 2004, 63-8. 49 CMRDM, IV, n° 39. Il ne faut au demeurant pas tenir compte de la traduction donnée par Samama, n° 330, qui postule qu’Hygeinos a prêté serment de loyauté à l’empereur, c’est-à-dire contre le Christianisme. Cf. aussi Labarre 2010, 166-7 n° 7 [avec traduction] et photo 138 fig. 25 : « Ὑγεινὸς ἱατρὸς τεκμορεύσας μετὰ γυναικὸς καὶ τέκνων Μηνὶ Ἀσκαηνῴ εὐχήν ».

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Qu’est-ce qu’un dieu guérisseur? d’un contrefort du mur Sud-Ouest du téménos : elle était de la sorte visible par ceux qui revenaient du sanctuaire et non pas par ceux qui s’y rendaient depuis la cité. Voici le commentaire qu’il en fait : « This dedication stands out conspicuous by the size of the letters so that the eye of every one who passes is attracted to it. The very situation in which it is placed suggests that the aim of the dedicator was be conspicuous at the proper moment. It is on the right side of one of the projecting buttresses, which support the south-west wall, and help to withstand the downward thrust on the slope, so that it faces worshippers as they are returning from the sanctuary. They have made their prayer to the god, and as they are returning home the advertisement of Hygeinos strikes them, as it were, in the face ; but they cannot see it as they go from the city towards the sanctuary gate »50. C. Nissen ajoute à ces propos, qu’Hygeinos, en plaçant sa dédicace dans un endroit bien en vue, s’assurait ainsi une « publicité gratuite » et des « clients potentiels »51. Aucun de ces arguments n’est recevable. Dans un ouvrage récent consacré à Mèn et à son sanctuaire d’Antioche de Pisidie, G. Labarre a réfuté les affirmations de C. Nissen, qui postulent la vocation médicale de ce centre : il a notamment remis en cause cette question de « publicité gratuite » et a montré que l’inscription d’Hygeinos ne se distingue en rien des autres dédicaces votives qui couvrent le contrefort sur lequel elle se trouve52. Le fait de préciser sa profession n’est en outre pas un cas exceptionnel et n’atteste aucune relation entre le praticien et le dieu. Il en va de même concernant un autre dédicant portant le nom de T(itus) Iatros, nom qui signalerait son activité de médecin. Mais là encore, l’inscription n’est ni plus ni moins que le témoignage votif d’un particulier, associé à sa femme et à ses enfants53. Une autre dédicace lacunaire retrouvée dans le sanctuaire, faite non pas à Mèn, mais à Asclépios Sôter (Sauveur), épiclèse courante du dieu, retient éga-

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Ramsay 1918, 128 : « Cette dédicace se distingue par la taille remarquable des lettres, ce qui attire le regard des passants. Le choix de l’emplacement suggère que le but du dédicant était qu’elle soit visible au bon moment. Elle se trouve sur le côté droit d’un des contreforts qui soutiennent le mur (du téménos) au Sud-Ouest et qui aident à résister à la poussée de la pente, afin de faire face aux fidèles qui reviennent du sanctuaire. Ces derniers ont prié le dieu et, comme ils rentrent chez eux, l’inscription affichée par Hygeinos les frappe en plein visage ; mais ils ne peuvent pas la voir s’ils viennent de la ville vers l’entrée du sanctuaire ». Il évoque en outre rapidement l’intervention de Mèn dans le domaine de la santé à la page 127 : « Men was the guardian and patron and helper of all his people alike in sickness and in health, and every in vicissitude of the family ». 51 Nissen 2004, 67. 52 Labarre, 2010, 136-9. 53 CMRDM, IV, n° 27 ; Samama, 83 n. 1 ; Labarre 2010, 138 et n. 477 : « Τ. Ἰατρὸς μετὰ γυναικὸˀ[ς] καὶ τέκνων ».

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Emilie Piguet lement l’attention de C. Nissen. Selon elle, le fait qu’Asclépios soit honoré ici confirmerait à la fois le caractère thérapeutique du centre cultuel et du propriétaire des lieux54. Cette inscription reste au demeurant un cas isolé et ne prouve aucunement la fonction guérisseuse de Mèn. Enfin, la dédicace consacrée en reconnaissance à Mèn conformément « à un rêve  » (κατὰ ὄναρ) n’apporte pas non plus la preuve d’une pratique de l’incubation dans le sanctuaire55, forme que prend traditionnellement le rituel de guérison dans les cultes guérisseurs. Pouvons-nous accepter cette hypothèse, à l’aune des vestiges archéologiques mis au jour ?  Outre des structures communes aux autres lieux de culte grecs, les sanctuaires à vocation médicale, et notamment les Asclepieia ou encore l’Amphiaraion d’Oropos, comportent des installations plus spécifiques. D’une part un local affecté à la pratique de l’incubation est couramment attesté (abaton, adyton et enkoimeterion), d’autre part les structures hydrauliques, si elles ne sont pas obligatoires, prennent aussi une importance particulière  : un réseau de canalisations qui alimente les différentes parties du sanctuaire en eau, des fontaines et des bassins se généralisent56. Or, rien de tel n’a été retrouvé à Antioche : ni portique d’incubation ni équipements hydrauliques monumentaux57. L’archéologie n’a donc laissé aucune trace d’une pratique de l’incubation dans le sanctuaire de Mèn à Antioche de Pisidie. Malgré les nuances introduites dans son propos, les affirmations de C. Nissen ne peuvent être retenues et il est préférable de s’en tenir aux conclusions de G. Labarre : « Mèn n’était donc pas adoré à Antioche comme un dieu guérisseur et le sanctuaire n’était pas fréquenté seulement dans l’espoir d’obtenir une guérison »58.

54

CMRDM, IV, n° 74 ; Nissen 2004, 68 ; Labarre 2010, 139 et n. 479 : « [Ἀ]σκληπι[οῦ σ]ωτῆρος [....]ΙΟΝ[..] ». 55 CMRDM, IV, n° 137 ; Labarre 2010, 139 et n. 478 : « [- - -] Μηνὶ εὐχαριστήριον [κα]τὰ ὄναρ ». 56 Pour une présentation synthétique des installations que l’on trouve en général dans les Asclepieia, cf. Armpis, 168-73. 57 Concernant la description des vestiges archéologiques du sanctuaire de Mèn à Antioche de Pisidie, cf. dernièrement Labarre 2010, 71-105. 58 Idem, 139.

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Qu’est-ce qu’un dieu guérisseur? 2.2.2. Le sanctuaire de Mèn Caroura. Concernant maintenant le sanctuaire carien de Mèn Caroura. Considérons les témoignages de Strabon et d’Athénée, sur lesquels repose principalement l’argumentation de C. Nissen. Strabon raconte qu’« Entre Laodicée et Caroura se trouve un temple dit de Mèn Caroura, objet d’une grande vénération. De notre temps, une grande école de médecins hérophiléens y fut installée par Zeuxis (…) »59. Il s’agit de l’unique référence explicite du sanctuaire de Mèn Caroura, situé au Nord-Est de la Carie, entre la cité de Laodicée du Lykos et Caroura. L’emplacement exact du site qu’occupait le sanctuaire pose problème et n’a, à ce jour, pas encore été découvert. D’après C. Nissen, le témoignage de Strabon indique que « l’école hérophiléenne se serait développée en liaison avec le sanctuaire voisin de Mèn Caroura ; ce dernier apparait en quelque sorte, comme le foyer de l’établissement médical », puis de conclure en ces termes : « L’association d’une école médicale avec le sanctuaire de Mèn Caroura confirme, en tout cas, la fonction de guérisseur que devait remplir le dieu lunaire »60. Après comparaison avec les rapports existant entre l’école médicale de Cos et l’Asclepieion attenant, l’auteur défend l’idée que le voisinage avec le sanctuaire assurait aux médecins de l’école hérophiléenne une clientèle nombreuse et régulière ; du reste, les médecins vouaient un culte en commun à Mèn Caroura, sous la protection duquel ils avaient placés leur activité. Elle en fait ainsi un véritable complexe médico-religieux particulièrement actif dans l’Antiquité, qui offrait un recours complémentaire aux fidèles face à la maladie. Or, là encore, l’auteur surintérprète les propos du Géographe, qui ne fait aucunement référence au caractère thérapeutique du sanctuaire de Mèn Caroura. Il s’agit d’une simple descriptions des lieux. Un court extrait d’Athénée, au IIIe s. p.C., au moment où il énumère les propriétés de diverses sources, conforte l’interprétation de C. Nissen : « Les eaux de Caroura sont sèches et chaudes. Celles qui se trouvent aux environs du bourg de Mèn, en Phrygie, sont plutôt âpres et nitreuses »61. La Mènos kômè désignée par Athénée désigne certainement la petite localité proche du même sanctuaire de Mèn Caroura que celui mentionné par Strabon. Cette eau est

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Strabon, XII, 8, 20 (traduction F. Lasserre, 1981)  : «  Μεταξὺ δὲ τῆς Λαοδικείας καὶ τῶν Καρούρων ἱερὸν ἔστι Μηνὸς Κάρου καλούμενον τιμώμενον ἀξιολόγως. Συνέστη δὲ καθ’ ἡμᾶς διδασκαλεῖον Ἡροφιλείων ἰατρῶν μέγα ὑπὸ Ζεύξιδος (…) ». Ailleurs, en XII, 3, 31, Strabon mentionne un sanctuaire de Mèn en Phrygie, lorsqu’il énumère les différents temples de Mèn, dont il connait l’existence : « (…) καθάπερ (…) τὰ ἐν Φρυγίᾳ, τό τε τοῦ Μηνὸς ἐν τῷ ὁμωνύμῳ τόπῳ (…) ». 60 Nissen 2009, 191-2. 61 Athénée, II, 17.

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Emilie Piguet notamment qualifiée de « nitreuse » « νιτρώδης ». Le « nitre » « νίτρον » était utilisé dans la médecine antique pour ses nombreuses vertus – désinfectantes, cicatrisantes, émollientes, etc. – dans la composition d’onguents et de collyres, mais aussi sous forme de bains62. C. Nissen en déduit que la présence d’une source possédant des propriétés curatives à proximité immédiate du sanctuaire atteste de la vocation médicale de celui-ci, puisque l’eau est un élément important dans les cultes guérisseurs, spécialement dans le temps de la cure63. Or, les sources sont nombreuses sur le territoire micrasiatique et nombreuses sont celles à qui les Anciens ont reconnu des qualités thérapeutiques64. Pour autant, la présence d’une source à proximité d’un sanctuaire n’indique pas nécessairement sa vocation médicale, d’autant qu’aucun autre témoignage ne vient corroborer cette théorie. M. Grmek et D. Gourevitch précisent en ce sens que « d’une part, la présence d’une source dans un sanctuaire ne signifie pas obligatoirement que ce sanctuaire soit thérapeutique et, d’autre part, il y a des sanctuaires thérapeutiques sans trace de sources »65. Or, Athénée fait nécessairement référence à la Mènos kômè afin de fournir un repère géographique au lecteur. Cet argument apparait donc fragile ; C. Nissen reste d’abord prudente quant à ce postulat. Mais elle a une tendance à affirmer ensuite ce qu’elle présente préalablement, par l’usage du conditionnel, comme une hypothèse. Elle assure ainsi à la page suivante que le sanctuaire de Mèn Caroura « était donc le siège d’un culte guérisseur »66. On peut se laisser convaincre… ou exprimer des réserves. A notre avis, les preuves restent insuffisantes et ténues et ne donnent pas lieu, en l’état actuel des connaissances, à confirmer la vocation thérapeutique du sanctuaire de Mèn Caroura et encore moins à l’associer aussi étroitement à l’école médicale voisine. 2.2.3. La question des monnaies et l’association avec Asclépios. C. Nissen se fonde enfin sur un dernier argument pour appuyer son raisonnement  : la présence conjointe de Mèn et d’Asclépios sur des monnaies de

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Outre les nombreuses mentions du nitre dans le Corpus hippocratique (X, 703 L., s.v. nitre) ; Pline l’Ancien, HN, XXXI, 46, 115-23 ; Dioscoride, De materia medica, V, 113 (Wellmann, Berlin, 1906-14). 63 Le triple rôle de l’eau dans les sanctuaires guérisseurs a déjà été démontré par Ginouvès, p. 237-46 : outre les ablutions préliminaires, la relation entre l’eau et les cultes guérisseurs procède de la fonction de l’eau dans la sphère oraculaire et dans le processus de guérison. 64 Cf. notamment Debord, 28-33. 65 Grmek, Gourevitch, 22. 66 Nissen 2009, 194.

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Qu’est-ce qu’un dieu guérisseur? Laodicée du Lykos, émises sous le Haut-Empire. Le buste de Mèn portant le bonnet phrygien figure au droit ; Asclépios est représenté au revers selon un style statuaire traditionnel : debout, de face, le bras droit appuyé sur le bâton au serpent et portant une barbe et un himation67. Le monnayage impérial montre qu’un culte est rendu à Mèn et à Asclépios dans la cité. Concernant Asclépios, un unique témoignage épigraphique – une inscription agonistique de Delphes – fait mention à la ligne 28 des Asclepieia de Laodicée, où s’élevait très vraisemblablement un sanctuaire qui lui était consacré68. Une monnaie de la collection Waddington (n° 6311), émise sous Caracalla, donne le nom complet de cette fête : « Ἀντωνῖνα Ἀσκλήπεια Πύθια ». Ces concours, instaurés au début du IIIe s. p.C., étaient donc célébrés en l’honneur d’Asclépios et de Caracalla. D’après C. Nissen, cette fondation tardive trouverait une explication dans l’ombre qu’aurait fait Mèn au dieu de la médecine des Grecs : « l’ancrage préalable de Mèn dans la région explique sans doute, au moins partiellement, l’implantation tardive d’Asclépios ». Pourtant largement implanté à l’époque hellénistique dans les cités grecques proches du littoral anatolien, elle signale qu’aucun document antérieur au principat d’Auguste ne fait référence à un culte d’Asclépios à Laodicée. Or, une lacune documentaire n’est pas en soi un élément symptomatique de l’absence d’un culte du dieu dans la cité avant l’époque impériale. L’auteur indique ensuite que, malgré leur fonction guérisseuse commune, les deux divinités agissent selon un mode opératoire très différent : Mèn est le dieu qui punit par la maladie et qui annule la punition une fois la faute expiée, tandis qu’Asclépios, dieu philanthrope, soigne des maux dont il n’est pas la cause. Sans tenir compte de ce paradoxe, pourtant révélateur, elle conclut son développement ainsi : « Il (Asclépios) apparaissait donc comme un dieu profondément grec, qui dans la région de Laodicée, n’a connu qu’un succès tardif et limité, étant donné l’implantation ancienne d’un autre dieu guérisseur, un dieu local plus familier, en l’occurrence le dieu lunaire Mèn Carou ». Elle poursuit ensuite en montrant que, bien que Mèn et Asclépios n’ait jamais été assimilé l’un à l’autre, « des rapprochements se sont néanmoins produits vu leur caractère guérisseur commun ». Elle reprend la théorie défendue par W. M. Ramsay. Nous ne reviendrons pas plus longuement sur le postulat de W. M. Ramsay, qui pensait avoir mis en évidence une assimilation entre les deux divinités à Laodicée du Lykos : « Ce dieu (Asclépios) semble pourtant être simplement une forme grécisée de Mèn Caroura » et plus loin : « les Asclepieia étaient

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Burnett, Amandry, Ripolles, plate 125, n° 2893-5. Elle a été publié en 1929 dans les Fouilles de Delphes, III, 1, n° 550 : « Ἀσκλήπεια Πύθια ἐν Λαοδικείᾳ βʹ ».

68

281

Emilie Piguet probablement liées au moins en partie avec le temple de Mèn Caroura »69. L. Robert a largement critiqué ce point de vue. Il met en avant que, d’une part, Asclépios n’apparait pas fréquemment dans le monnayage de la cité de Laodicée du Lykos et d’autre part qu’« il n’y a pas le moindre indice, si léger soit-il, d’une assimilation ou même simplement d’un rapprochement entre Asclépios et Mèn ». A la page suivante, il précise en outre que « d’une manière générale d’ailleurs, on ne peut observer nulle part une assimilation entre Asclépios et Mèn »70. Chacun a ainsi conservé son iconographie propre et a fait l’objet d’une dévotion distincte. La représentation des deux divinités sur des monnaies de Laodicée du Lykos prouve surtout la présence et le succès de leur culte respectif dans la cité et ne témoigne aucunement d’une fonction commune. L’idée que C. Nissen développe, selon laquelle Mèn peut être considéré comme un « doublon d’Asclépios », est donc erronée71. Conclusion. La grande majorité de la documentation relative au dieu anatolien Mèn, essentiellement épigraphique et qui révèle de fortes disparités régionales, remonte au Haut-Empire romain. On sait peu de choses du culte rendu à Mèn à l’époque hellénistique. Les documents de Lydie orientale et de Phrygie montrent la persistance d’une conception primitive de la maladie dans la dévotion au dieu, au moins jusqu’à la fin du IIIe s. p.C., analogue à celle rencontrée dans l’Iliade chez Apollon ou encore chez Artémis et qui tend à disparaître ensuite des sources et au sein des cités grecques dès la fin de l’époque archaïque. Mèn est en effet le dieu qui provoque la maladie, autant que celui qui la guérit. A cet égard, il est contestable de le considérer comme une « divinité guérisseuse ». Son pouvoir est donc foncièrement différent de celui d’Asclépios, paradigme de la divinité guérisseuse, qui apparait comme un dieu bienveillant n’étant pas responsable des maux qu’il guérit. Bibliographie : Aleshire 1989 : Aleshire (S. B.), The Athenian Asclepieion : the people, their dedications, and the inventories, Amsterdam, J. C. Gieben. Armpis 1998 : Armpis (E. A.), « L’organisation des Asclépieia », dans A. Verbanck-Piérard (éd.), Aux temps d’Hippocrate. Médecine et société en Grèce antique, Exposition du Musée royal de Mariemont, Mariemont, p. 168-73.

69 70 71

Ramsay 1895, 52-3. Robert 1969, 291-4 (cf. p. 291 pour la citation). A propos des relations entre Mèn et Asclépios, cf. Nissen 2009, 195-7.

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UN ORACLE SARPÉDONIEN DANS LA VIE ET LES MIRACLES DE SAINTE THÈCLE par Éric Raimond Societas Anatolica

Au cours du Ve siècle de notre ère, un prêtre originaire d’Isaurie, rhéteur de profession et en relations avec quatre évêques de Séleucie entre 430 et 470 apr. J.-C., compose une Vie et Miracles de Sainte-Thècle, par la suite faussement attribué à Basile de Séleucie. Cette œuvre redonne une certaine vigueur aux Actes de Paul et de Thècle1 qui avaient nourri la légende hagiographique de la martyre d’Iconiôn, disciple de Paul, avant que Tertullien2 ne mette en doute l’authenticité de ces derniers et que le Decretum Gelasianum ne classe le texte comme apocryphe à la fin du Ve ou peut-être au VIe siècle3. Sans entrer dans le détail de la vie de la Sainte, qui n’est pas notre objet principal, il n’est pas sans intérêt de rappeler deux singularités liées aux prodiges entourant son hagiographie. Condamnée maintes fois pour avoir préféré suivre l’enseignement de Paul au mariage, Thècle devait périr victime de bêtes sauvages, en particulier d’une lionne qui l’épargna et la sauva même lors de sa seconde condamnation, en déchiquetant un ours puis en se battant à mort avec un lion. Après l’échec de ce supplice, la jeune fille devait être jetée dans un bassin rempli de serpents, à l’instar de la Belle aux Bois dormant de Charles Perrault vouée à pareilles gémonies de la part de sa belle-mère ogresse. Mais Thècle en fut sauvée par un globe de feu détruisant tous les reptiles4.

1

Cf. Ehrman 2007. Il faisait partie d’un ouvrage apocryphe rédigé en copte et intitulé les Actes de Paul avec la 3e épître aux Corinthiens et l’Épître des Corinthiens à Paul. 2 Tertullien, de bapt. 17, 13 prétend que le prêtre qui avait écrit les Actes l’avait fait « par amour de Paul » a été convaincu de faux et déchu de son rang mais Festugière 1968, 61, pense que Tertullien trouvait surtout exorbitant que les femmes se soient mêlées de catéchiser, ce qui expliquerait cette remise en cause de l’authenticité du manuscrit. 3 Selon que le Decretum soit ou non de Gélase (492-496). 4 Cf. Dagron 1978, et la recension de Darrouzes 1980.

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Éric Raimond C’est sans doute pour cette dernière raison que, dans la tradition populaire, la sainte fut évoquée pour prémunir des incendies. 1. Thècle habillage chrétien d’une divinité LAMMA locale ? Le culte local de la martyre présente ainsi deux aspects  : la maîtrise des bêtes sauvages qui l’apparente à une divinité naturiste, d’une part, la protection contre le feu, qui fait d’elle une divinité chthonienne. L’ancrage isaurien de la sainte se prête particulièrement à une lecture « païenne » de ses aspects cultuels. L’épisode célèbre de Lystres, placée en Lykaonie ou en Isaurie selon les auteurs, au cours duquel la foule acclame en « lykaonien » Paul et Barnabé qu’elle compare respectivement à Hermès et à Zeus5, illustre la permanence de la tradition païenne et la continuité de langue lykaonienne, certes non documentée, mais qui a toute chance d’avoir constitué un état résiduel du louvite. Si la Vie de Thècle se trouvait déjà dans les Actes de Paul et Thècle, le récit des miracles apparaît comme une œuvre plus originale et plus personnelle. L’auteur y transfigure ses propres combats contre la hiérarchie ecclésiale à partir d’un matériau «  mythographique  » résultant vraisemblablement d’une enquête de l’auteur sur les traditions locales. Parmi les nombreux combats menés par cette puissante sainte, on découvre celui qui l’opposa à un oracle guérisseur du démon Sarpédon(ios)6. Or les auteurs chrétiens ont mentionné différents oracles sarpédoniens. Ainsi, dans son traité Sur l’âme, Tertullien7 évoque-t-il un oracle oniromantique de Sarpédon en Troade, Photios, citant Diodore de Sicile8 et Zôsime9 un oracle de Sarpédon à Séleucie de Cilicie, que consultent les Palmyréniens sous le règne d’Aurélien. Ces témoignages peuvent traduire la permanence de cultes locaux ou refléter, surtout en raison de leur caractère relativement tardif, le phénomène de renaissance de traditions préhelléniques qu’illustrera notamment le monnayage de Gordien III. Cependant Strabon évoquait déjà un culte sarpédonien syncrétisé avec celui de la déesse Artémis10.

5

Actes des Apôtres XIV, 8-11. Vie de Sainte Thècle, 1er, 11e, 18e et 40e miracles = Dagron 1978, 278-279, 290-293, 312315, 338-341 (oracle guérisseur du démon Sarpédon(ios) au Ier s. p.C.). 7 Tertullien, Sur l’âme, c. 46 8 Diodore, frg. 32 apud Photios, 377 9 Zôsime, I, 57, 2 10 Strabon XIV, 5, 19. 6

286

Un oracle sarpédonien L’affrontement de Thècle et du « démon » Sarpédon suggère, au delà de l’éventuelle expression métaphorique des règlements de compte de l’auteur avec sa hiérarchie, la résistance d’un foyer cultuel païen à l’évangélisation. La double nature mantique et thaumaturgique de ce foyer a pu conforter la popularité d’un tel culte. Les efforts de la disciple de Paul pour supplanter la divinité locale peuvent aussi induire que ce Sarpédon possédait les mêmes attributs que la sainte elle-même. On pourrait avancer à titre d’hypothèse que ce « démon » local ait de semblables caractères naturistes et chthoniens, commande aux animaux et au feu. 2. Du démon Sarpédon au héros homérique L’association de Sarpédon à des fonctions mantiques ou thérapeutiques ne s’explique guère par la tradition mythologique grecque. Deux célèbres héros que les mythographes ont ensuite apparentés, portent en effet ce nom. Le plus ancien témoignage figure dans le « cycle des princes lyciens » de l’Iliade. Sarpédon, secondé par son cousin Glaukos, y commande les guerriers venus du « Gras pays de la vaste Lycie près du Xanthe tourbillonnant ». Qualifié de « rempart d’Ilion », il est aussi le chef du contingent allié de Troie. Il est ainsi avec Hector, Enée et Pandaros, l’un des quatre chefs militaires évoqués par le Poète. La rencontre de Glaukos et de Diomède au chant VI (v. 119-236) relie Sarpédon au héros corinthien Bellérophon qui obtint la main de la princesse de Lycie et la moitié du royaume, après avoir terrassé les guerriers solymes, les mâles Amazones, la fière Chimère et l’élite des guerriers du Roi. Comme l’indique le résumé homérique de la geste de Bellérophon, la dynastie de ces princes est donc d’origine gréco-lycienne. Le héros d’Éphyre (Corinthe) a épousé la fille d’Iobatès, le roi de Lycie, qui lui donna deux fils, Isandre et Hippolochos, une fille Laodamie. Cette dernière s’unit à Zeus, dont elle conçut un fils auquel elle donna le nom de Sarpédon. Glaukos est le fils d’Hippolochos. Les deux cousins sont ses petit-fils. Sarpédon, qui a reçu la primauté, est à l’instar de son aïeul d’ascendance divine également. Bellérophon est fils de Poséidon cependant que Sarpédon est fils de Laodamie et de Zeus. La primauté de Sarpédon sur Glaukos, dans l’Iliade, a interpellé les scholiastes. Eustathe11 explique que, lors d’un conflit concernant les affaires du royaume, Isandre et Hippolochos devaient, pour se départager, tirer une flèche au travers d’un anneau (dactylios) placé sur le coeur d’un enfant étendu sur le dos. Laodamie donna son enfant, Sarpédon, à ses frères pour cet exploit.

11

Eustathe, Ad Iliadem, XII, 101 

287

Éric Raimond La scholie Townley précise qu’Isandre et Hippolochos étaient empêchés par leurs femmes de prendre leurs propres fils pour cette épreuve et fournit une autre explication à la primauté de Sarpédon  : les descendants mâles d’une femme, aux moeurs dissolues, ne sont pas illégitimes. M. Delcourt12 a rapproché cette légende du régime matrilinéaire lycien13  : les enfants sont sous la garde de leurs oncles maternels, donc les fils d’Isandre et d’Hippolochos ne peuvent être mis en danger qu’avec l’accord des frères de leurs femmes ; Sarpédon, en revanche, peut l’être en accord avec ses oncles, c’est-à-dire Isandre et Hippolochos. Cette tradition reste sans parallèles probants dans la littérature grecque. On peut penser que Sarpédon ait hérité de la royauté en vertu d’un régime successoral matrilinéaire proprement lycien, mais qu’à l’époque des scholiastes d’Homère ce droit n’était plus compris ; l’épreuve de l’arc serait alors un motif ajouté, destiné à renforcer la légitimité de Sarpédon. A titre d’hypothèse, nous envisagerions plutôt que la paternité de Sarpédon, qu’Homère attribue à Zeus, ait une autre signification que les moeurs de Laodamie, évoquées par la scholie Townley. Laodamie a pu prétendre que son fils était celui du dieu de l’Orage pour légitimer son pouvoir. On peut toujours avancer qu’à l’instar d’Alexandre le Grand, dont la mère Olympias fit le fils de Zeus, peut-être par inimitié envers Philippe ou pour renforcer l’aura du conquérant, l’ascendance divine des deux souverains homériques, Bellérophon puis Sarpédon, est de nature à consolider leur pouvoir ou à justifier leur droit à régner, singulièrement dans le cas de Sarpédon qui prit le pas sur son cousin. On peut aussi donner une lecture matérialiste moderne de ces épisodes et songer que Laodamie n’avait pas alors d’époux légitime. Nous ferions alors comme les Grecs laissant la Chimère et les dieux au merveilleux et considérant comme véridique l’histoire du héros. Mais il n’est pas aisé de vouloir ainsi extraire un éventuel noyau historique de l’épopée. L’ascendance divine de Sarpédon, tout comme celle de Bellérophon, suggère peut-être tout simplement que l’épisode relate l’histoire d’une divinité, reprenant d’une manière plus ou moins fidèle un mythe primitif. 3. Du Sarpédon termile à un dieu LAMMA louvite ? Un second mythe, relaté par Hérodote, mentionne un autre Sarpédon, qui aurait été un ancêtre du premier14, frère de Minos de Crète. A la suite d’un conflit avec ce dernier, Sarpédon et ses compagnons, les Termiles, auraient fui

12 13 14

Delcourt 1962, 33-51, spéc. 44. Cf. (entre autres) Hérodote I, 173 ; Nicolas de Damas = FHG, 90F.103k. Diodore de Sicile V, 79, 3 et Apollodore III.1.2.

288

Un oracle sarpédonien la Crète pour l’Asie Mineure, traversant la Carie puis s’établissant en Lycie. Ils en auraient chassé les premiers habitants, les Solymes, qui, à l’époque homérique, semblent encore causer du tort au roi Iobatès et que combat Bellérophon, pour s’y installer donnant leur nom à la région, selon Hérodote, Hékatée et les inscriptions épichoriques. Ce mythe étiologique suggère qu’une vague de colonisation louvite de la Lycie, que la chancellerie hittite intègre aux pays « Lukka », aurait eu lieu en ce temps-là, c’est-à-dire au moins six générations avant la guerre de Troie, soit éventuellement au cours du XIIIe siècle av. J.-C. Une telle homonymie peut en effet s’expliquer par une tradition familiale, ce qu’ont semblé accroire les mythographes. On peut aussi songer à un titre royal propre à une ethnie, appartenant vraisemblablement au groupe louvite. Or l’étymologie de Sarpédon admet deux hypothèses : giš

sarpa-, qui désigne un arbre (cyprès) ou un instrument aratoire + suffixe ; sar(i)-pedan « plaine, lieu supérieur(e) »15

Ces étymons renvoient au lexique de la nature dans les deux cas. Par ailleurs, on connaît également un oronyme Sarpa, avec lequel l’héronyme Sarpédon peut être rapproché et que l’on peut reconnaître dans la séquence DEUS.MONS.THRONUS de la pierre carrée d’Emirgazi16 On pourrait ainsi envisager que Sarpédon ait été primitivement une divinité de la montagne17. Fils de Zeus dans l’Iliade, il serait ainsi un fils du dieu de l’Orage, dont de nombreuses hypostases siègent sur des éminences, un dieu de la montagne et sans doute aussi une divinité protectrice de la nature sauvage (dLAMMA), à en juger par le lexique auquel appartiennent ses étymons.

15

Cf. Lebrun 1998, 155. — voir aussi les occurrences du nésite sarpa- (= louv. zarpa/i-, cf. Laroche 1959, 114) « majordome », « notable », « trésorier » ou « maire », selon les textes, dans les tablettes cappadociennes Sa-ar-pá, Ti-si-sar-pa- dLAMMA et sur une inscription hiéroglyphique de Karkémish, en liaison avec la déesse Kubaba : Kubaba-sa + r-r-pa-s(a) (Carch. A 4 c.) ; cf. Laroche 1951, 35, n°628 ; 1966, 159, n°1128 ; Casabonne 1999, 73, qui suggère un rapprochement intéressant avec l’anthr. Zarpiya, que porte un auteur de rituel kizzuwatnien (sur lequel cf. Götze 1940, 8 ; Laroche 1951, 42, n° 833). — Tourraix 2000, 44 a remis en vigueur l’hypothèse d’une origine mycénienne de Sarpédon. Il avance que l’anthroponyme aurait été forgé sur le toponyme sa-ra-pe-da. Mais le lien entre l’anthr. et le toponyme n’est guère prouvé (cf. Lejeune 1973, 61-76). En outre, Sarpédon peut être mis en relation avec une ville hittite, mentionnée au IIe millénaire av. J.-C. : uruSar-pa-en-ta, dont on connaît le dieu de l’Orage (KBo II 1 III 20 ; cf. Laroche 1947, 76, s.v. Sarpa) que Casabonne 1999, 73-74 propose d’identifier à la polis Sarpèdôn de Skylax, Périple, 102. 16 17

Forlanini 1987, 76 contra Masson 1979, 19-27. Raimond 2002, 210.

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Éric Raimond A l’époque « gréco-asianique » (j’entends par là la période d’hellénisation commençant dès avant l’époque achéménide et se poursuivant sous l’Empire romain, au cours de laquelle le grec devient peu à peu lingua franca cependant que la tradition épichorique se perpétue notamment à travers l’onomastique), la figure sarpédonienne a fait l’objet de plusieurs cultes en Lycie. Certes on peut y voir la commémoration du souvenir de l’épopée homérique. S’agit-il pour autant d’une création d’origine pour ainsi dire littéraire ? Le Poète ne se fait-il pas lui-même l’écho de traditions ancestrales plus anciennes ? Quoi qu’il en soit, un culte héroïque était consacré à Sarpédon dans la ville de Xanthos18. Il est vrai qu’Hypnos et Thanatos emmenèrent le cadavre du fils de Zeus dans la « vaste Lycie » près du « Xanthe tourbillonnant » (Il. XVI, 671-675). Et l’hérôon19 consacré au prince homérique pourrait être l’édifice G de l’acropole de Xanthos20. Peut-être le prince lycien est-il même mentionné, en lycien B Zrppedu dans la chronique des Kuprllides21. Dans la même ville, ainsi qu’à Tlôs, un dème portait le nom du héros. A l’époque romaine, des jeux organisés en son honneur témoignent de la continuité de son culte22. En l’occurrence s’agissait-il du héros homérique ou même de ce frère de Minos chef des Termiles dont parle Hérodote  ? N’y eut-il pas assimilation d’un culte chthonien préexistant à un culte héroïque ultérieur. Au reste les rites grecs, qu’adoptèrent peut-être en partie les Lyciens, du moins une élite

18 Appien, Guerres civiles, IV, 78-79 (lors du siège de Xanthos, les soldats de Brutus font, à un moment, retraite vers le Sarpédoneiôn). — Cf. Köhler 1859, 471 ; Keen 1996. 19 Metzger & Coupel 1963, 60-61 envisagent que l’édifice G pourrait être un temple ou un hérôon. Keen 1996, l’identifie comme l’hérôon de Sarpédon. 20 Pour l’édifice G de Xanthos : cf. Metzger & Coupel 1963, spec. les croquis de Baccache fig. 2, 16 et 28. Le bâtiment se compose d’ un haut podium décoré qui préfigure le soubassement du Monument des Néréides (Bernard 1965, 263 et 266) et une chambre lycienne inspirée de l’architecture traditionnelle de bois (Bernard ibid., 268) ; « Les pierres composant l’élévation de cette chambre étaient taillées et assemblées de manière à créer l’illusion d’une cage de bois dont la membrure saillante délimiterait, entre ses poteaux et sablières, un certain nombre de panneaux et registres. » (ibid.). L’édifice daterait de 460 av. J.-C. environ (Metzger & Coupel 1963, 60-61), mais un hérôon plus ancien a pu être détruit dans l’incendie de 470 Av. J.-C. (sur lequel : cf. Metzger & Coupel ibid., 22-23, 32-33, 68-69 et 81), d’après l’hypothèse de Keen 1996, 234, qui se fonde sur la découverte de céramique antérieure à cette époque (Metzger & Coupel 1963, 60 et 75) et aussi (Keen 1996, 235 et n. 39) les parallèles architecturaux avec un monument cultuel d’Apollonia, édifié à la même époque (sur lequel : Kjeldsen & Zahle 1976, 32 et 40-43). 21 TL 44d 6 cf. ŠevoroŠkin 1968, 483 ; Melchert 2004 , 111; Neumann & Tischler 2007, 439. 22 Dème Sarpédônios à Xanthos : TAM, II 264 et 265 = IGR, III 607A et B = OGIS 552 et 553 (Ier s. Av. J.-C.) ; à Tlôs : TAM II, 552 (IIe/Ier s. Av. J.-C.) et 597a (Ier s. Av. J.-C.).

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Un oracle sarpédonien philhellène à l’instar d’Arbinas, le promoteur du culte thessalien de Lètô ou Périklès de Limyra qui érigea un autel à Zeus, les rites grecs sacrifiaient sur un eschara aux héros comme aux divinités chthoniennes réservant les bômoi aux divinités ouraniennes. Il y a ainsi une certaine similitude rituelle entre le culte de morts prestigieux, rois ou héros, et celui des divinités « infernales » ou plus largement chthoniennes. Dans ces conditions, la figure sarpédonienne n’était-elle pas primitivement un dieu LAMMA des montagnes ? 4. Évangélisation contre paganisme ou concurrence de deux divinités locales ? Le caractère chthonien et naturiste d’un éventuel dieu louvite précurseur du Sarpédon des anciens mythes gréco-anatoliens peut être ainsi rapproché des mêmes attributs conférés au culte de Sainte Thècle. On pourra objecter que le caractère de maîtresse des animaux de la Sainte n’est pas aussi marqué chez Sarpédon. Observons tout de même que Thècle est épargnée lors de son premier supplice puis protégée lors du second par une lionne. Or la Chimère que terrassa Bellérophon mais que nourrit, dans l’Iliade, Amissodaros (peutêtre Iobatès) le père des compagnons (hétairoi) de Sarpédon, est représentée fréquemment comme une chimère-lionne23. En outre, on connaît grâce à Strabon au moins un syncrétisme entre Artémis, déesse par excellence maîtresse des animaux, et Sarpédon à travers la mention d’un oracle d’Artémis Sarpédonia. La Chimère suggère une autre association entre le héros lycien et Sainte Thècle. Le globe de feu anéantissant tous les reptiles et sauvant la Sainte souligne le caractère igné de son culte, cependant que la Chimère cracheuse de feu est liée au Yanar, source naturelle de gaz et produisant un feu tellurique aujourd’hui presque éteint mais révéré comme un prodige naturel dans l’Antiquité24. Les pouvoirs thaumaturgiques de Thècle sont également soulignés dans la Vie et Miracles de même que son assimilation à Artémis. En effet, des médecins païens décidés à la perdre prétendent qu’elle «  sert Artémis en étant vierge et de là vient qu’elle a pouvoir pour les guérisons »25. A la fin de la Vie et Miracles,Thècle s’établit sur une montagne près de Séleucie comme un « rempart comme le démon Sarpédon », apparaissant de fait comme une autre divinité de la montagne concurrente du culte préexis-

23 24 25

Par exemple sur le sarcophage de Merehi (cf. déjà Malten 1925, 127) Lalagüe-Dulac 2002. Manuscrit ABC 44 cité par Festugière 1968, 56.

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Éric Raimond tant. « Elle ne mourut nullement mais s’enfonça vivante et pénétra dans la terre  » poursuit le texte, apparaissant encore davantage comme une force chthonienne et renforçant ainsi le parallèle avec Sarpédon26. En conclusion, le combat de Sainte Thècle contre le démon Sarpédon présente tous les aspects d’un mythe étiologique narrant la manière dont un culte chrétien a supplanté un mythe pré-existant. Il témoigne de la vivacité d’une tradition religieuse asianique dans le paganisme isaurien. En d’autres temps, Thècle put être assimilée à une Artémis Sarpédonia. Elle n’en possède pas moins tous les attributs d’Artémis, la virginité et la domination sur les bêtes, et le caractère chthonien et thaumaturgique de Sarpédon.

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Cf. Festugière 1968, 58-59.

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Un oracle sarpédonien ANNEXE Glaukos, le fils d’Hippolochos, porte un nom vraisemblablement grec, analogue à celui de son arrière grand-père paternel. Face à Sarpédon, héritier de la royauté lycienne par sa mère, il incarne la lignée grecque. Après la mort de son cousin, il prend le commandement des guerriers lyciens. La fortune de Glaukos fut moins grande que celle de Sarpédon, dont la mort est l’objet d’un long passage dans l’Iliade et est devenu un motif de l’iconographie grecque27. Les louanges de Glaukos ont cependant été chantées par Pindare28. Le héros a même laissé son empreinte dans l’hydronymie anatolienne29. Son tombeau aurait été érigé près du mont Télandros. Il n’est pas impossible non plus qu’un hérôon secondaire lui ait été consacré à Xanthos près de celui de Sarpédon30. Tout comme Sarpédon, Glaukos a ses domaines dans le « gras pays de la vaste Lycie » près du Xanthe. Les spécialistes modernes ont souvent eu tendance à réduire la Lycie homérique à la vallée du Xanthe.31 Mais la référence au fleuve ne constitue pas un argument indubitable. Il nous paraît vraisemblable que les deux cousins aient eu des apanages distincts32, dépassant sans doute la vallée du Xanthe compte tenu de l’étendue du pays Lukka. Si la tradition est exacte, l’hérôon de Glaukos aurait été situé aux confins nord-occidentaux de cette vallée, à Télandros que l’on identifie, avec vraisemblance, au toponyme lukkien de Kuwalatarna33. En outre les héritiers de Glaukos semblent être à la tête des cités lukkiennes de Carie. Au moment de la migration ionienne, Milet (lukk. Millawanda) semble connaître une querelle dynastique  : certains Milésiens choisissent des rois mycéniens, d’autres des

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Représentations de la mort de Sarpédon sur les Nekyia de Polygnote de Thasos (460 av. J.-C.) et le kalyxcratère attique du Metropolitan Museum à New-York. — Cf. Borchhardt 1990, sv. Sarpedon. 28 Pindare, Olympiques, XIII, Antistrophe 3. 29 Fleuve « Glaukos » (Strabon XIV, 651) = l’Axon (Pline l’Ancien, HN, V, 103) ; cf. Tischler 1977, sv. « Glaukos ». 30 Metzger in Meztger & Coupel 1963, 75) avance que des offrandes ont pu être consacrées à l’édifice F de Xanthos. Keen 1996, 236) a pensé que les édifices F et H pouvaient être des hérôa des compagnons de Sarpédon, lieux d’adoration secondaires pour ces personnages dont les foyers cultuels principaux étaient ailleurs. Il suggère les noms de Glaukos, Bellérophon, Pandaros et Chlémos (sur lequel : cf. Quintus de Smyrne, VIII, 101-105). L’hypothèse d’un hérôon de Glaukos à Xanthos peut être étayée par la dédicace que le navarque Aïchmôn consacre à Sarpédon et à Glaukos au Ier s. av. J.-.C. (TAM, II, 265). 31 Cf. entre autres Wace & Stubbings 1962, 306. 32 La pratique des apanages en Lycie est attestée dès la fin du Ve siècle av J.-C. par l’épigramme grecque du Pilier Inscrit de Xanthos (cf. Bousquet 1992). 33 Cf. Lettre du Millawanda (CTH 182) et Inscription de Yalburt, bloc 6.

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Éric Raimond descendants de Glaukos34. Outre un descendant de Bellérophon, Leukippos fils de Xanthos, qui aurait été l’oikiste de Magnésie du Méandre35, on connaît surtout Chrysaôr, fils de Glaukos grâce au décret de Xanthos relatif à l’ambassade kyténienne et à Étienne de Byzance36. Le Glaukide était, selon toutes vraisemblances, l’éponyme de la chrysaorie37. Celle-ci regroupait des cités, dont la plupart est identifée à des toponymes lukkiens : Alabanda (= lukk. Waliwanda), Alinda (= lukk. Iyalanda), Labraunda, Kéramos, Mylasa (= lukk. Mutamutassa)38, Idrias-Stratonicée (= lukk. Atriya) et Théra. La fondation de la chrysaorie résulte peut-être d’une colonisation lycienne de la Carie, que suggère le texte des Kyténiens39. Mais, l’identification des cités « chrysaoriennes » à des villes lukkiennes impliquerait que l’ensemble faisait déjà partie du Lukka et donc, sans doute, de la Lycie homérique. En outre, les Glaukides paraissent incarner davantage la lignée grecque de Lycie, issue du héros Bellérophon, que Sarpédon, dont le nom louvite perpétue les traditions indigènes de la fille d’Iobatès. Outre le nom grec et l’ascendance de Glaukos, on peut observer, à cet égard, que le fils de Chrysaôr, Aor est à l’éponyme de la tribu des Aoreis à Corinthe40, l’Éphyre de son aïeul Bellérophon. Par conséquent, la colonisation conduite par Chrysaôr nous semble devoir être interprétée plutôt comme un prolongement de la « colonisation » grecque de Lycie41. La tradition homérique et post-homérique permet de reconstituer la généalogie des princes de la « vaste Lycie », qui devait être l’un des éléments essentiels de la mythologie lycienne.

34

Hérodote I, 147  Kern 1900, n° 17 et 20 ; Hadziz 1997, 5 et n. 6. 36 Étienne de Byzance, sv. Mylasa, qui donne une généalogie tronquée : Sisyphe > Glaukos > Chrysaôr, au lieu de Sisyphe > Glaukos (I) > Bellérophon > Glaukos (II) > Chrysaôr — Cf. Robert 1973, 459 ; Bousquet 1988, 36, 38 ; Hadziz 1997, 3 et n. 1. 37 Sur la chrysaorie : cf. Strabon, XIV, 660 ; Bousquet 1988, 36-37, avec réf. des inscr. relatives à la chrysaorie. 38 Le sanctuaire de Sinuri près de Mylasa continuerait peut-être même le culte du dieu hittite Siuri (cf. Lebrun 1995a, 254-255). 39 Hadziz 1997, spec. 5-6. 40 La tribu des Aoreis est attestée dans un décret de proxénie trouvé à Délos (Musée de Délos, n° D 552 ; cf. Hadziz 1997, 6-7 et n. 8-15 (bibliographie critique et commentée) et sur les tablettes de plomb de Corcyre (fin VIe s. av. J.-C. sur critères paléographiques), colonie de Corinthe, qui, sur des reconnaissances de dettes, portent la mention des Aoreis (cf. Hadziz 1997, 8 et n. 16, avec réf.). 41 Sur la « colonisation » des Termiles, cf. Raimond 2009. 35

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Un oracle sarpédonien Généalogie des princes homériques de la « vaste Lycie »42 Helen

Aiolos

Doros

Sisyphe+ Méropé Glaukos I + Eurynomé + Poséidon Iobatès/Amisodaros Bellérophon + Philonoe Isandre Hippolochos

Laodamie + Zeus

Glaukos II Sarpédon Chrysaôr Mylasos

Aor

Idrieus

fille + Alétè

42

D’après Hadziz 1997, 5-6 (avec modifications) et Delcourt 1962. Mylasos est évoqué par Étienne de Byzance (sv. Mylasa), de même qu’Idrieus (sv. Chrysaoris). La tradition de l’ascendance divine de Bellérophon se trouve chez Hésiode, Catalogues de femmes et d’Eoiai, 7.

295

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297

LE CROCUS ET LA DÉESSE DANS LE MONDE CYCLADO-MINOEN* Jacques Vanschoonwinkel (Université de Nice-Sophia Antipolis)

Tout le monde connaît l’admiration que les Minoens et les Cycladiques vouaient à la nature, au point qu’elle s’imposa comme modèle d’inspiration dans leurs arts. Tant les motifs végétaux que les motifs animaux sont récurrents dans les différents domaines artistiques, en particulier dans la céramique et les peintures murales, de l’époque des nouveaux palais, mais ils apparaissent dès la période protopalatiale, au début du IIe millénaire. Parmi les motifs floraux les plus populaires, on trouve le crocus, motif qui a fait l’objet récemment d’une étude iconographique par J. Day1, laquelle nous servira de guide dans notre aperçu des témoignages archéologiques. Il faut évidemment attendre que l’art minoen s’ouvre à la représentation figurée, c’est-à-dire le début du IIe millénaire, pour trouver la plus ancienne image du crocus. La première attestation est livrée par la céramique : le crocus semble en effet apparaître dans la céramique du Minoen Moyen IA, mais, en l’absence de rendu naturaliste à l’époque, la fleur est encore très schématique. Le motif est présent dans le style de Kamarès, contemporain des premiers palais crétois, mais il ne constitue pas un des motifs les plus fréquents. On épinglera dans cette catégorie une « coupe à fruits » sur piédestal de Phaistos décorée de trois femmes dansantes qui tiennent dans leurs mains des fleurs qui pourraient être des crocus2. Tout comme sur un bol représentant une scène

J’adresse ici mes sincères remerciements aux professeurs M. G. Masetti-Rouault (École Pratique des Hautes Études, Paris) et R. Lebrun (Université Catholique de Louvain, Louvainla-Neuve) pour les informations qu’ils m’ont fournies respectivement sur le monde éblaïte et sur le monde hittite. 1 Day 2011b. 2 Il est vrai que, en raison du dessin assez sommaire, la fleur a été identifiée au crocus (par exemple, Day 2011, 351) ou à l’iris (Marinatos 1993, 149).

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Jacques Vanschoonwinkel

Fig. 1. Rhyton d’Akrotiri de Théra (photo de l’auteur).

Fig. 2. Cruche de Phylakopi de Mélos (photo de l’auteur).

similaire, des crocus apparaissent sur le pourtour intérieur du vase et en outre les bords de la « coupe à fruits » sont décorés de femmes penchées, ce qui a amené certains archéologues à y voir une scène de cueillette de crocus, qui est bien attestée plus tard dans la peinture murale3. Le crocus devient assez courant pendant la période des nouveaux palais, aux Minoen Moyen III et Minoen Récent I, lors de l’apogée de la civilisation minoenne. Le motif devient très naturaliste au Minoen Récent IA. C’est aussi l’époque où le motif décore abondamment la céramique cycladique d’Akrotiri de Théra (fig. 1) et de Phylakopi de Mélos (fig. 2). À Akrotitiri, la fleur émerge souvent d’une touffe de feuilles. On trouve le crocus comme principal motif sur les vases, où le rendu de la plante va de la technique de la silhouette plus ou moins naturaliste jusqu’à celle du contour très stylisé. Il est à noter que, sur certains vases de Mélos, quand le peintre a recours à la bichromie, les longs stigmates, mais aussi les étamines du crocus sont peints en rouge. La fleur est aussi intégrée comme motifs secondaires dans des compositions figurées. Au Minoen Récent IB, le crocus se présente sous la forme de fleur à tige et feuilles ondulées, de fleur isolée ou de guirlande dans laquelle fleurs de crocus pendantes et festons alternent. À partir du Minoen Récent II, dans le style palatial dans lequel l’influence mycénienne se fait ressentir, le crocus est toujours présent, mais il devient ornemental et moins facile à identifier. Par la suite, le crocus disparaît du répertoire iconographique mycénien.

3

Schiering 1999, 749.

300

Le crocus et la déesse dans le monde cyclado-minoen

Fig. 3. Robes en faïence des Temple Repositories de Knossos (d’après Evans 1921, fig. 341).

Il est à noter que le crocus apparaît dans le décor de nombreux types de vases, à l’exception de la poterie grossière; il ne semble donc pas dédié à un type de vase particulier. De même il n’est pas possible à ce stade de savoir si le contenu de certains vases décorés de crocus avait un lien quelconque avec la fleur ou ce qu’on en retirait. Le safran apparaît sur d’autres supports. Certes il n’y a aucune attestation assurée sur les vases en pierre à décor en relief4, mais plusieurs objets en faïence sont décorés de crocus ou prennent la forme de la fleur. C’est notamment le cas de ceux des Temple Repositories du palais de Knossos, tous datés du Minoen Moyen IIIB. Deux modèles devaient servir d’ornements incrustés, tandis que des crocus décoraient deux robes votives miniatures en faïence et probablement le fragment d’une troisième, sous forme de frise au bas de la robe ou d’une abondante touffe de crocus, assez similaire à celles des peintures murales, sur le devant5 (fig. 3). Une large ceinture est aussi ornée de crocus isolé6. A. Evans considérait ces modèles comme des objets votifs7. Ces exemples montrent que le crocus était un ornement vestimentaire assez fréquent, comme l’illustrent plusieurs peintures murales, surtout à Akrotiri. Cinq exemples ont été relevés, tous dans les peintures murales intitulées la Cueillette de crocus de Xestè 3. Sur le mur nord de l’adyton, la femme tenant un collier porte une blouse confectionnée dans un tissu transparent parsemé de fleurs de crocus, actuellement peu visibles à l’exception des stigmates, tandis que la jeune fille couverte d’un voile transparent à pois de couleur safran

4 5 6 7

Day 2011b, 357-358. Rehak 2004, 94-96, 98 nos 6-8, fig. 5.9, 5.10. Rehak 2004, 96, 98 no 9, fig. 5.9. Evans 1921, 506-507.

301

Jacques Vanschoonwinkel est vêtue d’un corsage orné d’au moins trois crocus8. En revanche, contrairement à ce que pense P. Rehak, la ceinture de la femme assise n’est pas ornée de crocus à l’intérieur des ovales9. On en retrouve aussi sur le mur nord du premier étage : des fleurs de safran décorent le tissu du corsage de la déesse trônante et le galon qui le garnit10. Une autre femme de cet étage a également son corsage décoré de stigmates encore visibles11. Il convient de noter que la Crète n’a pas livré de témoignages d’étoffes décorées de crocus, à l’exception éventuelle d’un fragment de Palaikastro dans lequel certains voient un décor vestimentaire12. La robe de la porteuse de lis de Mycènes est le seul exemple, et tardif, continental13 L’orfèvrerie s’est aussi inspirée du crocus. Certes, on a découvert assez peu de bijoux réels évoquant le crocus  : mentionnons une épingle en forme de crosse en argent qui porte sur une de ses faces des fleurs de crocus en relief et le moule en stéatite destiné à fabriquer notamment une perle en forme de crocus pendant, qui provient de la tombe à tholos de Képhala14. Aucune perle, ni en métal précieux ni en pâte de verre, de cette forme ne nous est pourtant parvenue15, mais les peintures murales attestent de leur existence. En Crète, elles apparaissent dans les colliers des Ladies in Blue16. Dans l’état actuel de nos connaissances, le crocus ne semble représenté ni sur les bagues, ni sur les sceaux, ni sur la vaisselle métallique, ni sur les autres formes d’art. Cela tient évidemment au fait que les éléments végétaux présents sur ces supports ne sont, en raison de leur dimension minuscule, guère détaillés et par conséquent peu reconnaissables. Tout au plus peut-on l’identifier dans l’un ou l’autre cas: par exemple, sur une des faces d’un sceau prismatique en jaspe, daté du Minoen Moyen II, qui montre une fleur à trois pétales d’où émergent deux stigmates17 ou sur la poignée recouverte de feuilles d’or d’une épée de Mavro Spelio, près de Knossos, où, dans une scène de chasse d’un

8

Doumas 1992, fig. 101-102, 108 ; Rehak 2004, 87-90, 97 nos 1, 3. Rehak 2004, 89. Les photographies Doumas 1992, fig. 105-106 le montrent sans équivoque. 10 Doumas 1992, fig. 125-126 ; Rehak 2004, 91, 97 no 5. 11 Doumas 1992, 131-132 ; Rehak 2004, 90, 97 no 4. 12 Rehak 2004, 96, fig. 5.11 98 no 10 ; Day 2011b, 347. Bosanquet et Dawkins 1923, 148 fig. 130, n’envisagent pas cette interprétation dans la publication du fragment. 13 Kritseli-Providi 1982, 41-42, pl. 6. 14 Forsdyke 1926/1927, 267 IX B 2, 285 fig. 38, 289 ; Hutchinson 1956, 80 no 19, pl. 12e. 15 Ni Sargnon 1987 ni Effinger 1996 n’en mentionnent dans leur monographie. 16 Effinger 1996, 64-65. 17 Evans 1909, 156 no P. 31 c. 9

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Le crocus et la déesse dans le monde cyclado-minoen agrimi par un lion, la plante à fleurs à trois pétales qui se dresse sur le rocher sous le lion, pourrait être un crocus18. Ce sont les peintures murales qui nous fournissent les témoignages les plus significatifs sur les crocus, lesquels sont contemporains des nouveaux palais minoens. Nous avons déjà signalé les exemples picturaux de crocus dans l’ornementation vestimentaire et dans les bijoux. Les crocus apparaissent en touffes dans plusieurs paysages, souvent rocailleux. La frise aux singes et aux oiseaux bleus, en fait un paysage nilotique, de la « Maison des Fresques » de Knossos, a un décor végétal varié qui comprend des touffes de crocus19. Un panneau indépendant de la même maison est subdivisé horizontalement en deux parties : la partie supérieure est remplie de touffes de crocus tandis que la partie inférieure conserve un olivier; une restauration antérieure y plaçait deux agrimi en position héraldique de part et d’autre de l’olivier20. Une autre composition renfermant des crocus provient d’une pièce de la villa d’Hagia Triada : des oiseaux, des chats et des agrimi sont dispersés dans un vaste paysage rocailleux recouvert de plantes diverses, y compris des crocus. Deux autres murs de cette pièce sont ornés d’une part d’une femme portant une robe d’apparat et se tenant devant une sorte d’estrade et d’autre part d’une femme agenouillée peut-être devant un bétyle21. Même si une touffe de crocus est visible sous les genoux de cette femme, celle-ci ne cueille pas de crocus contrairement à ce que certains archéologues prétendent22. À Akrotiri sur l’île de Théra, on trouve des crocus dans les peintures murales de la pièce 6 de la « Maison Bèta ». Deux jeunes bovins flanquent, en lui tournant le dos, une épaisse touffe de crocus poussant dans les rochers23. A. Sarpaki voit dans la position des animaux une attitude de respect et de défense de la fleur24. On ignore le lien de ce panneau avec la bande de singes s’ébattant dans les rochers, qui décore deux autres murs de la pièce25. L’association des

18

Evans 1906, 57-58, fig.  59. L’identification a été proposée par Rehak et Younger 2001, 449. 19 Cameron 1968. 20 Chapin et Shaw 2006, 57–88. La reconstitution avec agrimi fut proposée par Cameron 1968. 21 Voir les dernières reconstitutions proposées par Miltello et La Rosa, 991-995, fig. 2-4 et Jones 2007, 151-158, pl. 18.1-5. 22 Immerwahr 1990, 180 ; Marinatos 1993, 149. 23 Doumas 1992, fig. 91. 24 Sarpaki 2000, 660. 25 Doumas 1992, fig. 85-100.

303

Jacques Vanschoonwinkel

Fig. 4. « Cueillette de crocus » de Knossos, dessin de P. de Jong (d’après Immerwahr 1990, pl. 11).

crocus et des singes est en revanche assurée dans la frise des singes jouant de la lyre et maniant l’épée de la pièce 4 de l’édifice Xestè 326. Mentionnons quelques fragments isolés, comme ceux de la frise de guirlandes de la « Maison Nord » de Knossos, dont l’une est formée de crocus aux pétales bleu clair et aux stigmates bruns27 ou celui ayant conservé une touffe de crocus, lequel appartient peut-être à une vaste composition intégrant des femmes à l’instar de la fresque d’Hagia Triada28. Un fragment provenant de la pièce 4 du bâtiment Xestè 3 d’Akrotiri conserve une partie de crocus et d’hirondelle29. D’autres encore proviennent d’Archanès et de Tylissos30. Cependant les fresques les plus significatives sont celles représentant une cueillette de crocus. L’une d’elles provient de Knossos et, datée du Minoen Moyen IIIB-Minoen Récent IA, constitue probablement un des plus anciens exemples de peintures murales figurées. Elle montre, dans l’état actuel de conservation, deux singes cueillant des crocus peints en blanc, poussant dans des pots, dans un paysage rocailleux où poussent d’autres crocus31 (fig. 4). L’autre, qui est connue sous le nom de « La Cueillette de Safran », est la vaste composition picturale, répartie sur deux étages, de la pièce 3 de Xestè 3 d’Akrotiri32 (fig. 5). Le rez-de-chaussée possède un adyton ou bassin lustral,

26

Doumas 1992, fig. 96. Warren 2005, 142, pl. 16b. 28 Warren 2000, 365-371 ; 2005, 131-148, pl. 17-18. 29 Marinatos 1976, pl. 39b. Pour d’autres fragments et la localisation, voir Doumas 1992, 128, fig. 97-99. 30 Day 2011b, 348. 31 Platon 1947. 32 Doumas 1992, fig. 100-134, en particulier 100-108, 116-130. Pour une présentation architecturale de l’édifice, voir Palyvou 2005, 54-62. 27

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Le crocus et la déesse dans le monde cyclado-minoen

Fig. 5 Reconstitution de la pièce 3a de Xestè 3, Théra (d’après Immerwahr 1990, fig. 20).

c’est-à-dire un dispositif architectural formé d’une petite pièce en contrebas à laquelle on accède par un escalier coudé. Ce type de pièce est une caractéristique architecturale des palais et des villas minoens, et se prêtait à quelque rituel33. Celui d’Akrotiri est le seul spécimen attesté en dehors de la Crète minoenne. Il faut savoir que l’édifice Xestè 3, qui dispose de plusieurs polythyra, est l’un des plus grands d’Akrotiri (après Xestè 4); il a deux façades dressées en pierres de taille et est entouré de places sur trois côtés. On considère en général que Xestè 3 devait remplir des fonctions publiques, hypothèse que renforce l’absence de vases et d’ustensiles domestiques34. C’est la partie orientale du bâtiment qui a fait l’objet, sur deux niveaux, d’un vaste programme pictural. Les pièces du rez-de-chaussée à proximité de l’entrée, le vestibule 5 et la pièce 2, ont reçu des peintures dédiées à des activités masculines ou des paysages35. La pièce la plus reculée de la partie orientale est la pièce 3, dotée d’un adyton. Sa partie occidentale (3b), qui est partiellement subdivisée par des murets d’argile, a reçu des représentations de jeunes garçons nus et d’un homme adulte assis, vêtu d’un pagne et inclinant un vase fermé36. Deux murs adjacents de la partie orientale (3a) du rez-de-chaussée, au-dessus de l’adyton, ont reçu un décor peint. Le mur est montre une façade en appareil isodome, pourvue d’un portail couronné d’une double corne au centre

33

Palyvou 2005, 182-183 ; McEnroe 2010, 94-103, 100, 177. Doumas 1983, 49 ; 1992, 127-128 ; Forsyth 1997, 54-55. Pour le mobilier, voir Vlachopoulos 2010, 188-189. 35 Vlachopoulos 2008, 491-492, fig. 41.3-9. 36 Doumas 1992 130, fig. 100-115 ; Vlachopoulos 2008, fig. 41.51. 34

305

Jacques Vanschoonwinkel de laquelle pousse un arbre au feuillage retombant; on interprète cette structure comme un enclos sacré. Des traits rouges sur les cornes et les deux vantaux pourraient indiquer du sang qui coule37, mais G. Gesell préfère y voir des torsades de stigmates38. Sur le mur nord sont représentées trois figures féminines aux coiffures recherchées, revêtues de robe d’apparat et parées de bijoux, que C. Doumas a qualifiées conventionnellement d’«  adoratrices  »39. Celle de droite, qui semble la plus jeune, est enveloppée d’un voile moucheté. Sa tête est rasée à l’exception de quelques longues boucles, attribut constant des garçons et des filles dans les peintures murales de Théra40. Au centre, une femme plus âgée est assise sur une élévation rocheuse plantée de crocus. Elle porte une main à son front et l’autre à son pied blessé, sous lequel se trouve une fleur de crocus. La troisième dame s’avance vers la droite en tenant un collier de la main gauche. La fleur de crocus sous le pied du personnage central et les touffes de crocus sur le rocher ainsi que les ornements vestimentaires en forme de fleur de crocus sur le corsage des deux personnages latéraux sont les seules attestations de la plante à cet étage. En revanche, au premier étage, les crocus sont beaucoup plus présents et seules des femmes sont représentées. Il est vrai que le thème développé ici est la cueillette de crocus à proprement parler. Le mur oriental est décoré d’une scène de récolte de crocus par deux jeunes femmes dans un paysage rocheux parsemés de touffes de crocus jusqu’à la bande supérieure de la composition41. Le mur nord42 montre une figure féminine qui trône majestueusement sur une estrade à trois degrés et flanquée de deux animaux, un griffon à ailes déployées, mais retenu par une laisse, derrière le trône et un singe devant la femme trônante. Une jeune femme déverse des fleurs de crocus dans une corbeille placée à l’avant de l’estrade, tandis que le singe, un pied posé sur le deuxième degré, tend des stigmates de safran à la femme trônante. Une seconde corbeille contenant des stigmates est posée à ses pieds. Derrière l’estrade s’approche une autre femme qui apporte sur son épaule un panier rempli de fleurs de safran. La

37

Vlachopoulos 2008, 451 fig. 41.10. Gesell 2000, 954. 39 Doumas 1992, 129-130 fig. 100-108 ; Vlachopoulos 2010, fig. 10 en couleurs. Notons que la plus jeune figure féminine n’a pas les pieds nettement plus dressés que d’autres femmes (voir par exemple Doumas 1992, fig. 120 ou 123), ce qui n’en fait pas nécessairement une danseuse, et qu’il est vain de dire qu’elle n’a pas de seins, car ses bras tendus vers l’avant cachent sa poitrine. 40 Davis 1986 ; Doumas 1987. 41 Doumas 1992, 116-121 ; Vlachoppoulos 2008, 493. 42 Doumas 1992, 122-130 ; Vlachoppoulos 2008, 493, fig. 4.19-21. 38

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Le crocus et la déesse dans le monde cyclado-minoen

Fig. 6. Déesse trônante de la «  Cueillette de crocus  » d’Akrotiri de Théra (d’après Porter 2000, fig. 11).

partie occidentale de la pièce (3b) est ornée de scènes de la nature et le petit couloir sud, de plusieurs représentations de femmes d’âge mur en procession43. Le personnage principal de la composition picturale de 3a est incontestablement la figure féminine trônante (fig. 6), qui est richement vêtue et parée de nombreux bijoux, dont des colliers à perle en forme de canard et en forme de libellule. Un serpent serait, selon certains44, accroché dans sa longue chevelure et une fleur de crocus, dont seuls deux stigmates sont encore visibles, est soit tatouée sur sa joue, soit glissée à l’oreille. Cette personne est la destinataire de la cueillette de crocus. La présence à ses côtés du singe et du griffon, lequel montre que nous sommes assurément dans un monde surnaturel, incite à l’identifier à une déesse, qui a été appelée Potnia thérôn45, Potnia46, Déesse de la Nature47, Grande Déesse48 ou Grande Déesse de la Nature49. Notons que les jeunes femmes cueillent les fleurs complètes de crocus, mais la corolle est le plus souvent effacée. C’est d’ailleurs des fleurs que l’on trouve dans la corbeille que remplit la jeune fille sur l’estrade. En revanche, ce sont des stigmates que le singe donne à la déesse. Il convient d’ajouter que l’on trouve aussi dans les peintures murales des représentations de crocus, non plus comme plantes naturelles, mais comme éléments ornementaux, généralement plus stylisés dans ce cas. Ainsi des fleurs

43

Doumas 1992, 131-134 ; Vlachopoulos 2008, p. 493-494, fig. 41.9, 33-37. Marinatos 1976, p. 33 ; Doumas 1992, 131. Cela dit, il est tout à fait possible d’y voir une tresse de cheveux enroulée dans une sorte de résille à perles rouges et jaunes, identiques à celles qui apparaissent dans la chevelure à hauteur de la nuque et à son sommet (voir Doumas 1992, fig. 126). 45 Marinatos 1976, 33 ; Doumas 1992, 131. 46 Vlachopoulos 2008, 493 ; 2010, 182. 47 Marinatos 1987; Doumas 1992, 131; Vlachopoulos, 2008, 493 ; 2010, 183. 48 Forsyth 1997, 59. 49 Boulotis 1999, 8. 44

307

Jacques Vanschoonwinkel de crocus apparaissent comme éléments décoratifs dans les festons qui pendent du mât du navire amiral de la procession navale de la fresque miniature de la pièce 5 de la « Maison occidentale » d’Akrotiri de Théra et sur deux ikria (cabines) qui décoraient la pièce 4 de la même maison50. Rappelons que le crocus servait aussi d’ornements vestimentaires et de modèle en orfèvrerie. On constate en définitive que le crocus occupe une place considérable dans la culture minoenne et cycladique : il est un thème omniprésent dans la céramique et la peinture murale; il décore les vêtements et inspire les objets de parure; enfin il constitue un motif ornemental. Si les témoignages artistiques mycéniens relatifs au crocus sont très rares, il n’en va pas de même avec les témoignages épigraphiques. Le crocus est présent dans les tablettes en linéaire B, mais exclusivement sous forme d’idéogramme et celui-ci est seulement attesté sur les tablettes de Knossos. Il apparaît sur 59 d’entre elles, qui forment la série Np. Elles ont été rédigées par deux scribes différents (le scribe 124e et le scribe 134). Un premier dépôt provient de la « Pièce des tablettes au char », lequel est souvent considéré comme le plus ancien lot d’archives du site (Minoen Récent II), tandis que l’autre vient du « Passage de l’entrée Nord » et daterait du Minoen Récent III B151. Elles consignent les quantités de stigmates de crocus récoltées et les localités où soit les crocus étaient cultivés, soit les récoltes étaient rassemblées. La quantité totale de stigmates mentionnée dans les deux lots de tablettes s’élève, dans leur état actuel de conservation, respectivement à 3,086 kg et à 3,611 kg52. Notons que le safran n’est jamais associé à la religion dans les tablettes en linéaire B. En ce qui concerne les écritures minoennes antérieures, il faut savoir que, si le crocus est attesté dans le hiéroglyphique crétois, il ne l’est pas assurément dans le linéaire A53. Il ressort de l’ensemble de la documentation précédente que la plante et la fleur représentées se caractérisent en général d’une part par des touffes de longues feuilles étroites et d’autre part par une corolle trifoliée d’où émergent deux ou trois longs stigmates dressés ou tombants, souvent rouges ou bruns dans la peinture murale. Cette apparence correspond au crocus, mais les spécialistes ne peuvent s’accorder sur la variété : Crocus sativus ou Crocus cartwri-

50

Doumas 1992, fig. 37, 49, 50. Palaima 2010, 361-362. 52 Les informations concernant le linéaire B sont tirées de Day 2011a, 369-391. Voir aussi Driessen 2000, 131-132. Les quantités mentionnées ici (reprises à Day 2011a, 379) diffèrent de celle de Sarpaki 2001, 225-226 table 16 : 3,726 kg, poids qui notamment correspond à la quantité globale, sans distinction des lots d’archives. 53 Day 2011a, 381-385. 51

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Le crocus et la déesse dans le monde cyclado-minoen ghtianus54. À vrai dire, le premier est la forme domestiquée du second qui pousse à l’état sauvage. Seuls le nombre, la longueur et le port des stigmates les différencient quelque peu, mais tous les deux fournissent le fameux safran55. Le crocus cartwrightianus pousse naturellement dans un sol rocailleux en plusieurs régions de Grèce continentale (Attique, Eubée, etc.) et dans les îles, où il fleurit en automne, de la fin octobre au début décembre, alors que le crocus sativus est cultivé dans la région de Kozani en Macédoine, notamment dans le village bien nommé de Krokos56. La cueillette de crocus d’Akrotiri se déroule dans un paysage clairement rocailleux, mais il est vrai que, dans celle de Knossos, les singes cueillent les crocus dans des pots, ce qui pourrait indiquer une certaine domestication de la plante. On trouve encore aujourd’hui le crocus cartwrightianus dans les environs du village d’Akrotiri à Théra57. Certains spécialistes pensent d’ailleurs que la domestication du safran s’est opérée en Crète, voire à Santorin58. On notera à ce propos que les fouilles de Chrysokamino en Crète, sur lesquelles nous reviendrons plus loin, ont livré une utilisation du safran dès la fin du IIIe millénaire59. Cela dit, le safran de Théra était particulièrement réputé dans l’Antiquité. Pline l’Ancien en vante les qualités dans ses Histoires Naturelles (XXI, 17) : Prima nobilitas Cilicio et ibi in Coryco monte, dein Lycio e monte Olympio, mox Centuripino Siciliae. Aliqui Theraeo secundum locum dedere. « Le [safran] de première renommée provient de Cilicie et, dans cette région, celui du mont Korykos; puis vient celui du mont Olympe en Lycie; et après, celui de

54

Pour les uns, la récolte illustrée dans Xestè 3 se déroule dans la nature (par exemple, Amigues 1988, 228 ; Warren 2000, 371 ; Sarpaki 2000, 661) et, pour d’autres, dans un jardin (par exemple, Douskos 1980, 141 ; Rackham 1978, 257, qui voit mal les femmes avec leur tenue d’apparat parcourir la garrigue; Day 2005, 51-52, selon qui les quantités enregistrées dans les tablettes reflètent une culture intensive et sont donc incompatibles avec une promenade-cueillette). M. Möbius 1933, 9 avait très tôt envisagé la présence des deux espèces de crocus dans les représentations crétoises. 55 Mathew 1982, 55-57 ; Amigues 1988, 230 ; Sarpaki 2001, 203-204. 56 Mathew 1982, 55-57, pl. 29 ; 1999, 18-19 ; Goliaris 1999 ; Porter 2000, 614-616 ; Day 2005. 57 Douskos 1980, 142 ; Sarpaki 2000, 671 fig. 9 ; Ralli et Dordas 2012. 58 Negbi et Negbi 2002. 59 Certes la légende de Sargon d’Akkad le fait naître à Azupiranu, toponyme couramment interprété comme la « ville du safran », sur les bords de l’Euphrate, une localité non identifiée. Cependant, d’une part, il s’agit d’une version très tardive, néo-assyrienne (Goodnick Westenholz 1997, 36-49, en particulier 38-39) et, d’autre part, le mot azupirānu, dérivé de azupīru, signifie « plante comme l’azupīru », l’une et l’autre sont des épices et des plantes médicinales, mais l’identification des deux plantes avec le safran n’est pas du tout assurée. Le sumérogramme U.ͪUR.SAG SAR nous précise toutefois qu’il s’agit d’une plante de montagne (Oppenheim 1968, s.v. azupirānu et azupīru).

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Jacques Vanschoonwinkel Centuripe en Sicile. Quelques-uns ont donné la seconde place au safran théréen. »

Cela dit, dès l’Antiquité, le safran fut apprécié comme épice, comme parfum, comme produit tinctorial et même pour ses vertus thérapeutiques. Nous ne nous attarderons guère sur les deux premières propriétés60, lesquelles demeurent d’actualité, et qui, à elles seules, justifient déjà amplement l’intérêt porté à cette fleur. Mentionnons simplement à titre d’exemple que Théophraste (Recherches sur les plantes, IV, 3, 1; VI, 6, 5; IX, 7, 3; Causes des plantes, VI, 18, 3) considérait au ive siècle av. J.-C. le safran, en particulier celui de Cyrénaïque, comme un aromate des plus précieux. Les Anciens appréciaient aussi beaucoup le safran pour son odeur. Et si Aristophane (Nuées, 51) évoque une femme fleurant bon le safran, celui-ci n’était pas un parfum réservé aux seules femmes. En effet, quand Zeus tomba amoureux d’Europe, il se transforma en un taureau soufflant le safran par la bouche (Hésiode, F 140 Merkelbach-West = Bacchylide, F 10 Snell-Maehler). Les Anciens en faisaient un baume pour oindre la peau (Anthologie Palatine, XI, 34, 6; Théophraste, Des odeurs, 27); ils le mêlaient aux fleurs des couronnes lors des banquets, ce qui entraînait le buveur doucement au sommeil d’après Plutarque (Symposiaques, III, 1, 3); ils l’infusaient dans le vin (Plutarque, Symposiaques, VI, 7, 2; Lucien, Nigrinus, 31); enfin ils en tiraient une essence qu’ils allongeaient à l’occasion avec de l’eau (liquidum crocum), et ils en vaporisaient les scènes de théâtre (Ovide, Art d’aimer, I, 104; Lucrèce, II, 416). On ignore évidemment si les insulaires égéens du IIe millénaire avaient les mêmes usages du safran. Cela dit, les tablettes en linéaire B de Knossos, qui mentionnent le safran, témoignent d’un intérêt certain pour nombre d’épices et de plantes aromatiques61. On sait en outre que la culture du safran donnait lieu à des cueillettes réalisées par les femmes et que, en Crète, la cueillette était placée sous le contrôle du palais de Knossos qui agit comme centre d’enregistrement. Cela indique que la récolte du safran occupait une place non négligeable dans l’économie palatiale crétoise, et le palais centralisait la production du safran, qui, d’après les chiffres incomplets conservés, devait être considérable. La récolte enregistrée par le lot d’archive du «  Passage de l’entrée Nord », soit 3,611 kg, correspond, dans le cas de stigmates séchés, au minimum à 2 000 m2 intensivement cultivés, mieux à un demi-hectare, ou à un nombre de fleurs qui varie entre un peu moins de 400 000 et 640 000 selon les

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Basker et Negbi 1983, 230-231. Sarpaki 2001 ; Rougemont 2010. Voir aussi pour le palais de Pylos seul : Shelmerdine 1985.

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Le crocus et la déesse dans le monde cyclado-minoen spécialistes62. Cette récolte, tout comme encore de nos jours, est une activité purement manuelle, exercée par les femmes, ce qui accentue davantage la valeur du safran. Une telle quantité de safran était destinée soit à l’exportation soit à un autre domaine de l’activité économique palatiale. On peut penser que, comme par la suite, le safran fut utilisé aussi comme plante tinctoriale dans la fabrication de textile de couleur jaune orangé63. Or les tablettes en linéaire B de Knossos indiquent qu’un des secteurs économiques les plus importants du palais de Knossos est incontestablement l’industrie textile. Leur témoignage justifie que l’on puisse parler d’une véritable industrie, en particulier lainière. Le palais de Knossos contrôlait tant la production que la transformation de la laine64. Pour fabriquer les tissus, outre la laine, on utilisait aussi le lin. Ces fibres ou les tissus obtenus avec elles étaient teintés (ko-ro-to, cfr χρῴζω « teindre, colorer, tacher ») ou laissés en couleur naturelle  : les tablettes mentionnent avec certitude des vêtements blancs, pourpres, de couleur pa-ra-ku-ja, non encore déterminée65. Malgré quelques tentatives, le mot désignant la couleur jaune n’a pas encore été lu assurément dans les textes mycéniens66. Toutefois, des robes teintées en jaune orange sont attestées dans les peintures murales cycladiques et minoennes67. À Knossos, la «  Danseuse  » du « Mégaron de la reine » est parée d’une robe jaune orange68 et le « porteur de rhyton » du propylée sud du palais est vêtu d’un pagne en partie de couleur jaune orangé69. À Akrotiri, la jeune fille du groupe des adoratrices du mur nord de l’adyton est enveloppée d’un voile de couleur jaune orangé moucheté de rouge. Une des peintures murales de la « Maison occidentale » montre une jeune femme portant un brasero. Elle est enveloppée d’un large manteau jaune à bandes bleues dans lequel on voit une espèce d’étole de culte. Et ceux qui en sont revêtus sont identifiés à des prêtres et des prêtresses70. Seule la

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Les chiffres varient beaucoup d’un spécialiste à l’autre : par exemple, Sarpaki 2001, 204, 205 fournit souvent des chiffres bas tandis que Day 2011a, 381-382, avance des chiffres plus élevés. Un petit ouvrage grand public, comme Manreza 2003, 35, indique qu’il faut 150 000 fleurs pour un kilo de safran. 63 Basker et Negbi 1983, 230. 64 Killen 1964 ; Tzachili 2001 ; Burke 2010. 65 Bernabe-Luján 2008, 218-219. 66 Douskos 1980, 143 ; Bernabe-Luján 2008, 219. 67 Barber 1992, 233. 68 Evans 1930, 70-71, fig. 40, pl. XXV bas. 69 Evans 1928, pl. XII. 70 Marinatos 1993, 127-130, fig. 88.

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Jacques Vanschoonwinkel « Jeune Prêtresse » de Théra permet cependant d’affirmer que ce manteau était jaune. Le safran, de par ses multiples emplois, dut occuper une place importante dans l’économie tant de Théra que de la Crète, comme le supposait déjà A. Evans pour Knossos71 et l’avancent aujourd’hui de nombreux archéologues pour Théra72. Ce produit de luxe participa à la richesse des deux contrées, qui en exploitèrent vraisemblablement le commerce et/ou celui des produits manufacturés, tels les étoffes et les vêtements, comme le laissent deviner les tablettes knossiennes ou l’existence d’importants ateliers de tissage dans plusieurs maisons d’Akrotiri73. C. Doumas a même évoqué que le propriétaire de l’édifice Xestè 3 pouvait être un marchand impliqué dans la récolte et/ou la distribution de safran et qui afficherait la provenance de sa richesse sur ses murs74. Comme le souligne A Sarpaki, les peintures murales de Xestè 3 illustrent au demeurant l’organisation et les principales étapes de la récolte du safran dans la protohistoire égéenne : la cueillette dans des paysages escarpés par les femmes les plus jeunes sous la surveillance de femmes un peu plus âgées, le transport des fleurs dans des paniers, le rassemblement de la récolte dans de larges corbeilles dans un point de collecte, travail exténuant exécuté uniquement par des femmes, probablement d’un certain rang social à la lumière de leurs vêtements de qualité et vraisemblablement pour des raisons commerciales75. Seule l’étape ultime, la séparation des stigmates, évoquée par le singe dans l’offrande des stigmates, n’est pas représentée. On peut aisément imaginer que les Théréens, reconnaissant de la richesse que leur apportait le safran, la partie la plus précieuse de la fleur, aient offert les prémices de la récolte à la déesse qui personnifiait la nature. Ils le firent d’autant plus volontiers que le crocus dut aussi présenter un symbolisme religieux. A. Evans a très tôt avancé que « le safran était un attribut particulier de la Grande Déesse minoenne76 ». En effet, le crocus fleurit en automne après un été souvent très sec dans les Cyclades et, comme l’écrit A. Vlachopoulos, « semble être devenu un symbole de fertilité rattaché au cycle de la vie et au culte de la déesse de la Nature77 ». Les crocus dans les paysages peints parti-

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Evans 1935, 718. Par exemple, Marinatos 1987, 130-131 ; Morgan 1988, 30-31, 32 ; Doumas 1983, 120 ; Forsyth 1997, 59 ; Vlachopoulos 2010, 183. 73 Voir pour Akrotiri Tzachili 1989, 380-389 ; 2005, 115-117. 74 Doumas 1983, 76-77 ; Doumas 1992, 131, voit toujours dans la cueillette de crocus au départ une activité économique. 75 Sarpaki 2000, 661-662. 76 Evans 1921, 265, 506. 77 Vlachopoulos 2010, 183. 72

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Le crocus et la déesse dans le monde cyclado-minoen cipent à la puissance créative de la nature qu’incarne la déesse. Cela est tout à fait explicite dans la composition d’Hagia Triada qui intègre une représentation de la divinité. L’association de celle-ci avec les singes, en particulier dans les deux scènes de cueillette de Knossos et d’Akrotiri, est également significative, car il a été montré que le singe est considéré par les Cycladiques et les Minoens comme des intermédiaires entre les humains et les divinités78. La cérémonie dépeinte à Akrotiri faisait peut-être partie d’une fête à l’occasion de laquelle les Thérens ou les Minoens célébraient le renouveau de la nature en automne, symbolisé par l’éclosion des crocus, tout comme le faisaient les Hittites, mais au printemps, pendant l’AN.TAͪ.ŠUM, qui est la « Fête du crocus »79. Cette fête est célébrée pour la déesse-soleil d’Arinna et les dieux du pays de Hatti. D’une durée de quelque trente-huit jours, le roi, souvent accompagné de la reine, exécute un circuit cultuel pour accomplir des rites à Hattusha et dans d’autres importants centres religieux du pays. Don de la nature, le safran possède en outre plusieurs vertus thérapeutiques et intervenait en conséquence dans de nombreuses préparations médicamenteuses80. S. Amiges ainsi que S. Ferrence et C. Gordon énumèrent commodément les préparations dans lesquelles il est présent81. D’après les témoignages d’Hippocrate, de Dioscoride et de Galien, le safran était considéré comme eupeptique (Dioscoride, I, 26; Galien, XII, p. 48, 57 Kühn), à la fois émollient et astringent (Dioscoride, I, 26; Galien, XIII, p. 155 Kühn), diurétique et aphrodisiaque (Dioscoride, I, 26), bon pour guérir le larmoiement (Hippocrate, Du régime dans les maladies aiguës, 2, p. 520, 33 Littré; Dioscoride, I, 26), hémostatique (Galien, X, p. 329-330 Kühn), propre à mondifier les plaies (Hippocrate, Des plaies, 6, p. 414, 1; 4; 5 Littré), emménagogue, c’est-à-dire qu’il facilite ou régularise le cycle menstruel (Hippocrate, De la nature de la femme, 7, p. 426, 10 Littré; Des maladies des femmes, I, 8, p. 156, 8, Littré), voire abortif (Hippocrate, Des maladies des femmes, I, 8, p. 184, 10; p. 186, 8; p. 188, 8 Littré) et d’autre part propre à faciliter la conception (Hippocrate, De la nature de la femme, 7, p. 426, 10; Des femmes stériles, 8, p. 428, 11; p. 440, 8 Littré). Il faut savoir que plusieurs de ces propriétés se sont vues confirmées par la recherche pharmacologique moderne82. Les tablettes

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Marinatos 1987, 124-130 ; Vanschoonwinkel 2009. Güterbock 1960 ; Houwink ten Cate 1986 ; Haas 1994, 772-826. Pour les textes, voir Alp 1988, 137-147 no 34 (= CTH 604), 161 nos 43 (= CTH 613), 44 (= CTH 614) et 45 (= CTH 616). 80 Voir en général Basker et Negbi 1983, 229-230 ; Abdullaev et Frenkel 1999. 81 Amiges 1988, 236 ; Ferrence et Bendersky 2004, 2007-213. 82 Par exemple, Abdullaev et Frenkel, 1999 ; Abdullaev et Espinosa-Aguirre 2004 ; Agha-Hosseini et alii 2008; Mayall 2011. 79

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Jacques Vanschoonwinkel médicales assyriennes témoignent également de l’usage thérapeutique du safran83. Et sans vouloir extrapoler de façon trop hardie, si les Grecs et les Assyriens connaissaient les propriétés médicinales du safran, il serait très peu vraisemblable que les Cycladiques et les Crétois, tellement familiers avec cette fleur, les eussent ignorées84. Une découverte récente semble d’ailleurs confirmer l’usage médicinal précoce du safran en Crète. À Chrysokamino, sur le golfe de Mirabello, à proximité de Kavousi, a été découvert un atelier métallurgique disposant de fourneaux pour la fusion du cuivre afin d’obtenir un alliage de cuivre et d’arsenic. Le site a été daté du Minoen Ancien III-Minoen Moyen IA, soit la fin du IIIe millénaire et tout au début du IIe85. Douze tessons provenant d’une structure, qualifiée de hutte, ont été soumis à une analyse des résidus organiques. De l’isophorone, un des principaux composés volatils du safran, a été identifié dans quatre échantillons. Cette présence et celles de nombreux autres composés dans les échantillons incitent les archéologues à considérer que les vases furent utilisés pour la préparation et le stockage de concoctions phytothérapiques destinées à soulager les symptômes de l’empoisonnement à l’arsenic86. Cela dit, à côté de ses fonctions curatives, le safran peut inversement présenter des effets toxiques à partir d’une dose de 5 g, et l’ingestion d’une dose supérieure à 10 g peut entraîner la mort. C’est le sort qu’auraient subi les femmes de Théra si, comme le suppose P. Rehak, elles s’étaient réservé la récolte et toute la consommation du safran, tout en le refusant aux hommes, qui, dès lors, par carence en vitamine A, présenteraient des yeux rouges sur les peintures murales87. On a aussi avancé que des cataplasmes de safran étaient appliqués sur les yeux des Théréens pour les apaiser des irritations provoquées par les poussières charriées par le vent, comme le laisserait supposer la paupière prétendument jaune de la « Jeune prêtresse »88. Parmi les propriétés curatives que les Anciens attribuaient au safran, on l’a vu, plusieurs ont trait plus particulièrement à la physiologie féminine, comme le traitement des douleurs menstruelles et de l’enfantement89. Par ailleurs, la

83 Oppenheim et alii 1968, 530-531 s. v. azupīru b). Il y est toutefois indiqué que ni l’identification au safran ni son étymologie ne sont assurées. 84 Forsyth 2000 ; Ferrence et Bendersky 2004 ; Scarborough 2005 ; Mayall 2001. 85 Betancourt 2006. 86 Betancourt 2006, 66 ; Beeston, Palatinus, Beck et Stout 2006, 420, 421, 426, 427. 87 Rehak 2002, en particulier 48-50 ; 2004,  92. Voir la critique de Waterhouse 2003. 88 Forsyth 2000, 159. 89 Ferrence et Bendersky 2004, 214-217 ; Mayall 2011.

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Le crocus et la déesse dans le monde cyclado-minoen cueillette à Akrotiri est exécutée exclusivement par des femmes. La récolte du safran a de tout temps été une activité principalement féminine, comme naguère dans le Gâtinais en France90 ou aujourd’hui à Kozani en Grèce ou encore à Santorin91. Le safran, symbole du renouveau de la nature, a pu devenir aussi le symbole de la fertilité féminine, de la fertilité en général, du cycle de la vie. La fresque de Théra pourrait même promouvoir que c’est la divinité qui a conféré son pouvoir curatif au safran et l’offre aux humains92. La composition de l’adyton au rez-de-chaussée de Xestè 3, avec les trois « adoratrices » et l’enclos sacré, pourrait illustrer cet aspect. Certes, elle est du point de vue spatial tout à fait indépendante de la cueillette de crocus qui s’étend à l’étage, mais un lien les associe : les rochers escarpés avec les touffes de crocus et la fleur de crocus elle-même. En outre, le rez-de-chaussée de Xestè 3, qui est un édifice assez exceptionnel, probablement public, est dédié, d’après ses peintures murales, au monde masculin dans sa partie sud, près de l’entrée, et sa pièce 3b, tandis qu’il l’est au monde féminin au nord, autour de l’adyton. Cela a conduit plusieurs archéologues à interpréter la scène du rez-dechaussée autour de l’adyton comme la représentation d’un rite d’initiation marquant le passage d’âge de jeune fille à celui de femme93. Cela serait renforcé par la présence sur le mur oriental de l’enclos sacré, couronné d’une double corne cultuelle, et sur lequel coule du sang94, et sur le mur nord d’une femme assise, blessée au pied. Le sang renverrait à la fertilité végétale célébrée dans la cueillette de crocus, association d’idées favorisée par la similitude chromatique du safran et du sang. Au demeurant, les stigmates offerts à la déesse sont précisément les organes femelles de la fleur. Certes, cela a parfois donné lieu à des interprétations quelque peu extravagantes, que S. Amigez a toutefois démontées point par point95. Malheureusement son analyse est souvent restée lettre morte. Dans la scène des « adoratrices », la plus jeune d’entre elles, facilement reconnaissable par sa tête rasée à l’exception de quelques nattes, est enveloppée dans un voile transparent jaune orange, probablement teinté au safran.

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Manreza 2003, photos 43, 44, 57, 92, 108. Tzachili 1994 ; Day 2005, 50 ; Palyvou 2005, 21-22, fig. 21. 92 C’est ce que préconisent Ferrence et Bendersky 2004, 206-207. 93 Notamment Doumas 1987 155-158 ; 1992, 128-131 ; Forsyth 1997, 58-59 ; Marinatos 1984, 60-72 ; 1987, 130-132 ; 1993, 203-211 ; Gesell 2000 ; Alberti 2009 ; Kandeler et Ullrich 2009 (qui ne distinguent toutefois pas la scène de cueillettes et celle des « adoratrices ») ; Vlachopoulos 2010, 177-185. 94 Mais on y voit aussi des torsades de stigmates pendues sur la façade (voir note 38). 95 Par exemple l’écorchure rituelle que se serait infligée l’« adoratrice » centrale, avancée par Marinatos 1984, 78-80 ! Voir Amigues 1988, 232-242. 91

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Jacques Vanschoonwinkel Dans l’Antiquité classique, le vêtement teint en jaune orangé au moyen du safran est connu sous le nom de crocote (κροκωτός); il était réservé aux dieux et surtout aux femmes. Dans la vie civile, ce vêtement constituait une toilette féminine élégante et délicate comme plusieurs passages d’Aristophane le soulignent (Thesmophories, 138, 258; L’assemblée des femmes, 879; Lysistrata, 44); elle est aussi portée par les femmes mariées pour séduire leur mari, comme nous l’apprend encore Arsistophane (Lysistrata, 220-221) : κροκωτοφοροῦσα καὶ κεκαλλωπισμένη— ὅπως ἂν ἁνὴρ ἐπιτυφῇ μάλιστά μου· « Vêtue de la crocote et parée... Afin que mon époux soit enflammé des plus vifs désirs pour moi. »

Quant aux déesses, la robe jaune la plus célèbre est assurément le péplos tissé par les Ergastines et remis à Athéna lors de la fête des Panathénées à Athènes. Grâce au témoignage d’Euripide (Hécube, 465-468), nous savons que ce péplos était teint au safran : ἢ Παλλάδος ἐν πόλει τὰς καλλιδίφρους Ἀθαναίας ἐν κροκέῳ πέπλῳ ζεύξομαι ἆρα πώλους ἐν « Ou dans la cité de Pallas, d’Athéna au bel attelage, je broderai sur son péplos de safran des chevaux […] »

Pour les hommes, en revanche, porter une robe jaune orange revêt une connotation globalement négative. C’est le cas pour les chaussures safranées de Darius (Eschyle, Perses, 660) ou les vêtements jaune orange des citoyens dans l’Assemblée des femmes d’Aristophane (328-332). Ce sont les hommes efféminés qui sont en général ainsi affublés96. Parmi les dieux, c’est plus particulièrement Dionyssos qui porte la crocote (Aristophane, Grenouilles, 46), mais il est alors plus ou moins efféminé. Le voile nuptial qui recouvre la jeune femme est lui aussi de couleur jaune safran97. D’après le témoignage de Cratinos (F 38 Kassel), il arrive que le fiancé ou jeune marié porte aussi une crocote. Le voile était en ce sens un indicateur de maturité sexuelle. Par ailleurs, le lit nuptial était surmonté d’un voile de couleur safran (κροκόεις παστός) comme nous l’apprend Antipater de Sidon (Anthologie grecque, VII, 711)

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Liddell et Scott 1940, s. v. κροκωτός. Sebesta 2002, 135 ; Llewellyn-Jones 2003, 220, 244-225 ; Mason 2006, 29. Voir pour le voile de la femme en général Reeder 1995, 126-128 ; Llewellyn-Jones 2003, 215258.

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Le crocus et la déesse dans le monde cyclado-minoen La crocote apparaît donc comme un vêtement féminin nettement marqué, lié au rite du mariage, dont la couleur jaune safran non seulement révèle la maturité de la femme, mais est aussi la couleur de la séduction98. La couleur du safran, qui unit le rouge orange, symbole de la jeunesse, et le jaune, la couleur de la joie et de la gaieté, est, selon le poète latin Tibulle (Élégies, II, 2, 17-20), le symbole du lien d’amour qui unit les époux jusqu’à la vieillesse. …] utinam strepitantibus aduolet alis flauaque coniugio uincula portet Amor, uincula quae maneant semper dum tarda senectus inducat rugas inficiatque comas. « Puisse l’Amour, de ses ailes frémissantes, voler vers toi et apporter à ton union les liens jaunes, les liens qui durent toujours jusqu’à la lente vieillesse qui creuse les rides et défraîchit les cheveux ! »

Toutefois, selon E. Reeder, le voile était teint au safran vraisemblablement en raison de l’association au cycle menstruel, car le safran était utilisé pour soulager les douleurs menstruelles99. Les vers 239-240 de l’Agamemnon d’Eschyle entretiennent subtilement la confusion, lors du sacrifice de la jeune vierge Iphigénie, entre le sang et le voile safran : κρόκου βαφὰς δ᾽ ἐς πέδον χέουσα ἔβαλλ᾽ ἕκαστον θυτήρων ἀπ᾽ ὄμματος βέλει φιλοίκτῳ, … « Mais, alors qu’elle laisse glisser sa robe teintée au safran sur le sol, elle frappe chacun des sacrificateurs d’un trait du regard à faire pitié »100.

Le voile nuptial de couleur safran s’inscrit dans une longue tradition, puisqu’on la trouve attestée à Ébla déjà à l’époque protosyrienne. Les archives d’Ébla en Syrie nous ont livré en effet une riche information sur les cérémonies de noces royales. La maliktum pour marquer son changement de statut dans le cadre de la célébration du mariage dynastique, quitte ses vêtements de voyage et obtient, lors de l’arrivée au temple de dKU-ra, la divinité principale d’Ebla, l’autorisation de se parer de son costume cérémoniel. Celui-ci se compose d’un vêtement rouge, d’un autre probablement de couleur jaune orange (giš-ma-ir) et d’une étole bigarrée, tous en laine101. Il est à noter que ce sont ces mêmes vêtements qui étaient offerts aux dames de la cour décédées102. On y

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Brulé 1987, 241. Reeder 1995, 127. 100 Voir Armstrong et Ratchford 1985 ; Brulé 1987, 242. Il ne faut pas perdre de vue qu’Iphigénie avait été prétendument promise à Achille (Chants Cypriens, I). 101 Pasqualini 2005, 170-172, 177. 102 Pasqualini 2005, 173. 99

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Jacques Vanschoonwinkel apprend aussi qu’une autre pièce de vêtement est fondamentale dans le costume de l’épouse lors de tout mariage à Ébla : le voile de couleur safran (padtúg giš-ir-zú)103. Cette coutume, qui marque le statut d’épouse, est courante dans le Proche-Orient ancien104. Enfin, la crocote est encore connue comme le vêtement des ourses (sing. ἄρκτος), ces jeunes filles prépubères qui, recluses, servaient l’Artémis de Brauron (Aristophane, Lysistrata, 645). La robe teintée au safran se trouve ici associée à un rite initiatique de passage d’âge. Chaque jeune fille athénienne était, avant son mariage, consacrée à l’Artémis de Brauron ou de Mounichie105. En tenant compte de ce qui précède, comme l’affirme P. Brulé, « au plan du rituel c’est que, faire revêtir à une fille une crocote, dans les conditions de la célébration, c’est, sans aucun doute possible, une initiation à l’acte sexuel106 ». Certes, Artémis est la déesse toujours vierge, déesse de la nature, sauvage et apprivoisée, la déesse des confins; elle est aussi l’ancienne potnia, la seule à laquelle Homère attribue le titre de πότνια θηρῶν (Iliade, XXI, 470). Cependant, elle est aussi courotrophe, elle prend en charge tous les petits, tant des animaux que des humains, et joue ainsi un rôle considérable dans les étapes de la vie de la femme, en particulier celles liées à l’effusion de sang (ménarché, accouchement). Dans le rite prénuptial des ourses, Artémis conduit les fillettes de la sauvagerie et l’animalité de l’enfance au seuil de l’adolescence, de la pleine socialité, la jeune fille étant ainsi préparée au mariage et à la maternité107. Notons aussi que certaines ourses ont manifestement des cheveux micourts alors que d’autres ont les cheveux longs. Les cheveux ont-ils été coupés pour en faire offrande à la déesse ? L’offrande de mèches de cheveux est courante dans la Grèce ancienne, notamment par les futures mariées à la veille de leur mariage108 ou par les jeunes gens lors de la cérémonie de Koureotis qui se déroulait le troisième jour de la fête des Apatouries à Athènes109. On terminera en rappelant que, chez les Spartiates, on rasait la tête des jeunes mariées (Plutarque, Lycurgue, 15, 5), ce qui n’est pas sans rappeler les têtes rasées de certaines jeunes filles des peintures murales de Xestè 3, notamment l’« adora-

103

Pasqualini 2005, 174-176 ; Tonietti 205, 251-252. De Vaux 1935 ; van der Toorn 1995. 105 Voir Brulé 1987, 179-283 ; Kahil 1988 ; Sourvinou-Inwood 1990 ; Cosi 2001 ; Gentili et Perusino 2002. 106 Brulé 1987, 242. 107 Sur le rôle d’Artémis, voir Vernant 1998, 1475-1483. 108 Brulé 2001, 181-183 ; Bruit-Zaidman 2002, 473-474. 109 Jost 1992, 173. 104

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Le crocus et la déesse dans le monde cyclado-minoen trice » enveloppée dans un voile de couleur safran. Cela dit, cette coutume s’étend également aux adolescents et jeunes hommes à Théra110. Nous constatons que les traits précédents, à savoir la couleur jaune safran, les vêtements teintés au safran, le voile, les cheveux coupés ou rasés, etc., sont dans la Grèce historique associés non seulement à la femme, mais en particulier au rite de passage d’âge et au mariage. La présence de ces éléments dans la peinture des «  adoratrices  » d’Akrotiri conforte l’interprétation avancée d’une représentation de rite initiatique féminin. En conclusion, le crocus, que ce soit le crocus cartwrightianus ou le crocus sativus, est omniprésent dans l’art cycladique et minoen. Son importance résulte non seulement de la valeur inestimable de la ressource naturelle qu’il produit, le safran, dans le domaine économique — il a vraisemblablement contribué à la richesse de Théra, voire de la Crète —, mais aussi de ses vertus thérapeutiques, de façon générale et en particulier pour les femmes dans le soulagement des douleurs menstruelles ou de l’accouchement. De par ces propriétés, il n’est pas étonnant que le crocus ait été associé à la déesse qui, accompagnée du singe et du griffon, personnifie la Nature. La vaste composition picturale de Xestè 3 d’Akrotiri, répartie sur deux étages, illustre adéquatement ces deux aspects du crocus, mais met aussi les femmes en évidence. La cueillette de crocus effectuée par des dames et des jeunes filles met en scène l’activité économique. Il s’agit vraisemblablement d’une cueillette rituelle, car toutes les participantes sont revêtues de robes d’apparat, peu commodes pour ce travail pénible, et la récolte des fleurs de crocus culmine par la remise en prémices à une déesse trônante par l’intermédiaire d’un singe des stigmates, qui fournissent le fameux safran. La cueillette de crocus par des singes de Knossos en est une version condensée. La fertilité de la nature représentée au premier étage de Xestè 3 renvoie à la scène du rez-de-chaussée qui évoque à travers un rituel de passage d’âge des jeunes filles la fécondité des femmes, à laquelle le safran se trouve associé par sa couleur symbolique et ses vertus médicales particulièrement appropriées aux femmes. C’est pourquoi on peut penser que la déesse incarnant la Nature qui préside à la récolte du safran est, à une époque où règne la phytothérapie, aussi une déesse de la santé, qui, notamment par ce don qu’est le safran, peut autant réconforter la vie que l’ôter.

110

Voir note 40.

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INSTITUT RELIGIONS, SPIRITUALITÉS, CULTURES, SOCIÉTÉS, UCL (R.S.C.S.) UNIVERSITE CATHOLIQUE DE LOUVAIN (Louvain-la-Neuve) CENTRE D’HISTOIRE DES RELIGIONS

Cardinal Julien Ries

1. Historique Dès 1970, la création d’un Centre d’Histoire des religions au sein de l’UCL fut stimulée par les Recteurs Mgr Albert Descamps et ensuite par Mgr Edouard Massaux. Les premiers cours et activités en ce domaine furent confiés à l’abbé Julien Ries, lequel deviendra le maître d’œuvre de ce Centre en tant que Professeur à la Faculté de Théologie et à l’Institut Orientaliste dont il assura la présidence pendant plusieurs années. Les activités du Centre (colloques, séminaires, publications) se développent à partir de 1975. En 1978 paraît le premier volume de la collection Homo Religiosus. Depuis cette date, les volumes vont se succéder à une cadence régulière. Une collaboration étroite s’établit avec l’Université de Liège, avec l’Université libre de Bruxelles ainsi que l’Université du Sacré-Cœur à Milan. De nombreux colloques interuniversitaires sont organisés et la réputation du Centre est internationale. Avec l’accession à l’éméritat du Professeur J. Ries, le Centre est malheureusement supprimé au sein de l’UCL en 1989, tout comme plusieurs cours liés à l’Histoire des religions. Encouragé par un noyau dur de spécialistes convaincus belges et étrangers, le Professeur Ries décida de créer l’ASBL « Centre d’Histoire des religions » à Louvain-la-Neuve, laquelle voit le jour en 1989. Cette structure permet prioritairement de poursuivre les publications . Mais le désir de réintégrer l’UCL était tenace . En novembre 2011, après de nombreuses démarches et négociations menées par les Professeurs R. Lebrun, P. Marchetti et J.-Cl. Polet efficacement secondés par les conseils du Professeur V. Dujardin et l’accueil plein d’intérêt du Professeur Jean-Pierre Delville, le Centre est réintégré à l’UCL au sein de l’Institut R.S.C.S. présidé par le Professeur JeanPierre Delville. Le 17 décembre 2011, Mgr J. Ries quitte ses fonctions de Directeur du Centre et, après ratification par l’assemblée générale, il en confie la 327

Institut religions, spiritualités, cultures, sociétés, UCL (R.S.C.S.) présidence au Professeur René Lebrun, la vice-présidence revenant au Professeur Jean-Pierre Delville . La réintégration du Centre est solennisée par une séance académique organisée le 28 janvier 2012 et présidée par le Recteur, le Professeur Bruno Delvaux, le Vice-Recteur, le Professeur Claude Roosens, et honorée de la présence de son Excellence Mgr Berloco, Nonce Apostolique ; plusieurs représentants du monde scientifique belge, français et italien assistaient à cette belle manifestation. 2. Objectifs L’activité du Centre ainsi réintégré est centrée sur l’étude des religions de la Méditerranée antique et sur l’étude de l’histoire du christianisme, notamment des premiers siècles chrétiens. Une équipe de chercheurs qualifiés est composée actuellement de vingt-cinq personnes (prochainement trente). Les activités du Centre ainsi redynamisé sont essentiellement les suivantes : 1. Organisation de séminaires (8 par année académique)  ; les travaux en sont publiés dans la collection « Conférences et travaux ». 2. Organisation d’un colloque annuel (juin) ; les communications sont publiées dans la collection « Homo religiosus » (Brepols) 3. Publication commentée de rituels antiques (Brepols) 4. «  De apostolicis civitatibus  », étude et publication des documents concernant les cités à l’origine du christianisme , ceux-ci émanant des deuxième et premier millénaires av. J.-C. (Brepols).

La méthode de travail porte essentiellement sur la publication et l’ analyse des textes, ainsi que sur l’étude des documents archéologiques. Dans un deuxième temps, une approche anthropologique est envisagée. En d’autres termes, le Centre se situe dans la grande tradition d’éminents historiens des religions tels que Franz Cumont, Goblet d’Alviéla, ou encore Geoges Dumézil. Toute cette démarche , plus ciblée certes, répond aux attentes du fondateur du Centre. L’œuvre scientifique du Professeur Julien Ries vient de recevoir une insigne reconnaissance par la décision personnelle du Pape Benoît XVI d’élever Mgr Julien Ries à la pourpre cardinalice, ceci huit jours après avoir été sacré Archevêque de Belcastro , Une distinction qui , au-delà de la personne, rejaillit sur l’Université catholique de Louvain tout comme comme sur l’Université milanaise « San Cuore » dont le Cardinal Julien Ries qui y enseigna durant plusieurs années, fut promu , voici quelques années, « Docteur Honoris Causa ». 3. Membres : Membre d’honneur : Son Eminence le Cardinal Julien Ries † Prof. Sydney Aufrère (Aix-en-Provence, Montpellier) : Egyptologie

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Institut religions, spiritualités, cultures, sociétés, UCL (R.S.C.S.) Prof. Pierre Bordreuil (CNRS, Orient et Méditerranée, Mondes Sémitiques) ; Ougarit et Phénicie Prof. Christian Cannuyer (Univ. Cath. de Lille, Président SBEO) : Egypte et Orient chrétien Prof. Marco Cavalieri (UCL) : Etrurie, Rome Doctorante Agnès Degrève (UCL-collaboratrice scientifique : Anatolie, Egypte, Syrie) Prof. Jean-Pierre Delville (UCL), Vice-Président : Histoire de l’Eglise Dr Ch. Doyen (UCL-FNRS), Trésorier adjoint : Grèce, Crète Prof. Vincent Dujardin (UCL) : Histoire de l’Eglise Prof. Jean-Claude Haelewyck (UCL-FNRS) : Israël, monde sémitique Prof. Johannes den Heijer (UCL) : Monde arabe Prof. René Lebrun (UCL – ICP), Président : Anatolie, Syrie Dr Charlotte Lebrun-Delhaye (UCL-chercheur), Secrétaire  : Anatolie, Syrie Prof. Vincent Legrand (UCL) : Monde arabe Prof. Patrick Marchetti (UCL-Fac. N.-D. Paix-Namur), Trésorier : Grèce Prof. Jean-Claude Polet : (UCL) : Orthodoxie Prof. Jan Tavernier (UCL) : Mésopotamie, Elam Prof. Jacques Van Schoonwinkel (Nice) : Grèce, monde minoen, ProcheOrient Prof. Christophe Vielle (UCL-FNRS) : Inde, monde indo-européen Prof. André Wénin (UCL, Doyen TECO) : Monde biblique La liste est évidemment ouverte à tout(e) Collègue intéressé(e) Publications Depuis 1978, plus de 56 volumes ont été publiés par le soins du Centre. Plusieurs se trouvent sur le métier. Ces ouvrages se répartissent entre deux collections majeures : - Homo Religiosus I et II - Conférences et travaux. Contact Le bureau du Centre d’Histoire des Religions Cardinal Julien Ries se situe au sein de l’Institut d’Etudes européennes., Place des Doyens, 1 EUR a.232, B-1348 Louvain-la-Neuve. Provisoirement, les renseignements peuvent être obtenus auprès du Prof. R. Lebrun, nouveau Président du Centre ([email protected] ou [email protected] )

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