Des criminelles au village: femmes infanticides en Bretagne, 1825-1865 2868475957

En droit français, le terme infanticide désigne le meurtre commis sur un enfant dans les trois jours suivant sa naissanc

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Des criminelles au village: femmes infanticides en Bretagne, 1825-1865
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Table of contents :
Chapitre I. Les procès d'infanticide.
Chapitre II. Les femmes prévenues d'infanticide face à la justice : la phase de l'instruction.
Chapitre III. Le procès.
Chapitre IV. Le châtiment.
Chapitre V. La vie quotidienne des femmes infanticides.
Chapitre VI. Les amours illégitimes.
Chapitre VII. Le village et la paroisse : les instances du contrôle social.
Chapitre VIII. Le déni de grossesse.
Chapitre IX. Les alternatives au crime.
Chapitre X. Les crimes : méthodes et complicités.

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Des criminelles au village Femmes infanticides en Bretagne (1825-1865) ▼ Préface d’Alain Corbin

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PUR Presses Universitaires R e n n e s

DES CRIMINELLES AU VILLAGE

Collection « Histoire » dirigée par Hervé Martin et Jacqueline Sainclivier Voir liste des titres parus en fin de volume

Annick TILLIER

DES CRIMINELLES AU VILLAGE Femmes infanticides en Bretagne 1825-1865

Préface d’Alain CORBIN

Presses Universitaires de Rennes 2001

© PRESSES UNIVERSITAIRES DE RENNES UHB Rennes 2 – Campus La Harpe 2, rue du Doyen-Denis-Leroy 35044 RENNES Cedex www.uhb.fr/pur Mise en page : Sylvain LEPAROUX pour le compte des PUR Dépôt légal : septembre 2001 ISBN : 2-86847-595-7 ISSN : 1255-2364

Abréviations utilisées AD C-A : AD F : AD I-V : AD L-A : AD M :

Archives départementales des Côtes d’Armor Archives départementales du Finistère Archives départementales d’Ille-et-Vilaine Archives départementales de Loire-Atlantique Archives départementales du Morbihan

AN/BB/20 C-N : AN/BB/20 F : AN/BB/20 I-V : AN/BB/20 L-I : AN/BB/20 M :

Archives nationales, série BB/20, Côtes-du-Nord Archives nationales, série BB/20, Finistère Archives nationales, série BB/20, Ille-et-Vilaine Archives nationales, série BB/20, Loire-Inférieure Archives nationales, série BB/20, Morbihan

C. civ. : C. instr. crim. : C. pén. :

Code civil Code d’instruction criminelle Code pénal

Préface Alain CORBIN Université de Paris I-IV Centre de recherches en Histoire du XIXe siècle

Pourquoi ne pas l’avouer ? Nous ressentons tous, désormais, une certaine lassitude à la lecture des travaux dont les auteurs se contentent de ressasser les statistiques judiciaires, tant il est devenu évident que celles-ci ne disent pas le vrai. Le recours aux archives, notamment aux dossiers d’instruction, est plus satisfaisant. Mais ces documents ne dévoilent qu’un moment, paroxystique, de la vie des individus concernés ; et les effets de sources sont, ici, redoutables. Le contexte d’énonciation, les conflits internes à la communauté, l’influence de la position au village, la crainte de représailles et de toute atteinte à la réputation, les procédures de négociation antérieures à la comparution devant le jury pèsent sur les discours, imposent des tactiques qui glacent la parole des accusés et des témoins. En matière d’infanticide, la peur de heurter la pudeur s’ajoute à celle de mal dire. À l’issue de la procédure, la mise en récit des événements par des magistrats qui possèdent une autre culture, un autre système de normes, un autre imaginaire, une autre sensibilité que les accusées et les témoins et qui sont animés par d’autres motifs d’anxiété, fait aussi peser un risque : celui qui consiste à plaquer sur l’affaire des enjeux décrétés et à rester aveugle aux enjeux véritables, difficilement détectables par ces magistrats. Tout cela, Annick Tillier le sait. Elle n’a cessé d’en tenir compte. L’objet qu’elle a traqué, tout au long de son enquête minutieuse, invitait au dolorisme, à la déploration. Or, en historienne avant tout désireuse d’adopter une optique compréhensive, elle évite l’indignation, l’exclamation. Son livre reflète un regard apaisé jeté sur les campagnes bretonnes du XIXe siècle. Empruntant une voie d’accès privilégiée, Annick Tillier effectue une plongée qui révèle des modes de fonctionnement difficiles à mettre en évidence d’une autre manière. Ne nous y trompons pas, l’ouvrage déborde de beaucoup le seul infanticide. C’est tout un pan de l’histoire des sensibilités et des rapports sociaux qui nous est présenté. En ce livre magnifique, les objets s’entrecroisent. Annick Tillier entendait analyser, tout à la fois, les logiques économiques, sociales, psycholoI

PRÉFACE

giques qui avaient poussé les femmes au crime et retracer les itinéraires de ces malheureuses. Elle entendait, par une étude attentive des procédures, repérer leurs ruses, leurs tactiques, discerner les réactions de la famille, celles du voisinage, celles des autorités ; sans oublier le déroulement de l’instruction, la scène du jugement, l’imposition de la sanction. En tout cela, la réussite est totale ; ce qui confère à l’ouvrage une exceptionnelle portée. L’un de ses plus grands attraits résulte, en outre, de la force des effets de réel, de la manière dont Annick Tillier sait, par la multiplication des études de cas, rendre concrètes les situations et les péripéties. De ce fait, à la lire, on ne s’ennuie jamais. La dramaturgie qui ordonne l’ouvrage comporte trois séquences. La grossesse polarise la première. La femme « prise », « fameuse », « puissante », c’est-à-dire enceinte, quand elle demeure célibataire, est dissonance dans l’ordre communautaire ; d’où la gamme étendue des stratagèmes utilisés pour cacher son état. Les malheureuses s’enferment, évitent les voisins, s’éloignent de la lumière à la veillée, se cambrent, se serrent dans des corsets, se compriment au moyen de sangles ou de planchettes, portent un tablier roulé, travaillent jusqu’au dernier moment. Certaines défient le voisinage. Elles communient ostensiblement, proclament la rétention de leur sang, qu’elles attribuent à la maladie. Les autres femmes les surveillent au four, au lavoir, à l’église surtout. Avides de « voir remuer le tablier », les voisines scrutent et tâtent le ventre. S’ensuivent les mises en garde, les remontrances, les admonestations, les offres de parrainage, voire la dénonciation au desservant, au vicaire, au maire ; parfois, rare et tardif, le recours à la justice. Durant de longs mois, certaines de ces femmes enceintes luttent avec vigueur. Annick Tillier enregistre leurs dénégations, leurs menaces et donne à saisir la peur de toute atteinte à la réputation de soi, de sa famille, de son village. Les grandes scènes du drame demeurent, bien entendu, celles de l’accouchement et de l’infanticide. Ici, le livre bascule dans l’horreur. Annick Tillier est une grande historienne car elle ne craint pas la confrontation avec le paroxysme. Elle sait conférer une grande intensité aux pages consacrées à ces situations excessives, qui surprennent le lecteur et lui imposent une connaissance profonde et vraie des souffrances du passé. Pour la femme qui a « fauté », la délivrance est double : son corps se trouve débarrassé du poids et de la menace qui l’accablaient dans sa solitude et l’espoir enfin se dessine de voir « les babils du monde » s’interrompre. La femme accouche accroupie, debout, ou baissée à quatre pattes, sans crier. Certaines s’accrochent aux barreaux d’un lit ou d’une échelle, d’autres aux branches d’un arbre. Cela se déroule souvent dans les champs, dans l’étable, dans le grenier, voire directement sur le fumier. C’est qu’il importe de s’isoler, de se cacher. La délivrance, parfois, s’effectue en quelques instants, puis il faut retourner au travail sous l’œil des membres de la communauté, qui guettent. Alors commence pour les voisins soupII

PRÉFACE

çonneux la quête des traces, celles du sang sur le plancher, celles qui suintent du grenier, celles qui tachent le linge, surtout. L’infanticide a été commis à la hâte. Annick Tillier sait fort bien rendre compte de ce tempo ; le drame de la solitude est révélé au grand jour. La cruauté des mères résulte de la crainte de voir le nouveau-né revenir à la vie. Les accusées assurent n’avoir pas eu le temps de s’attendrir. L’essentiel est d’effacer au plus vite les débris et les traces du forfait. Cette logique explique les procédures de la dissimulation : dépôt provisoire dans le fond du lit ou dans un tas de pommes de terre, enfouissement dans le fumier ou les latrines – c’est là que l’on jette tout –, enfermement dans l’armoire ou la huche en attendant d’évacuer le cadavre dans un linge puis de l’enterrer précipitamment au flanc d’un talus, de l’engloutir dans un puits, une mare, un ruisseau, un « douet » ou de l’abandonner au creux d’un arbre. Les manières de tuer décrites par Annick Tillier répondent, on le verra, aux mêmes logiques et aux savoir-faire de femmes habituées à donner la mort à l’animal. Mais ne l’oublions pas : les actes ici relatés ne sont pas ordinaires ; ils concernent de pauvres filles ou, plus rarement, de pauvres veuves poussées à bout. Le retour au ventre plat marque un grand soulagement. La femme annonce avec éclat la venue de ses règles ; ce qui la disculpe quand elle n’a pas été prise sur le fait. Mais elle se trouve soumise à de nouvelles surveillances : l’excès de sang sur les jupes, sur les sabots, la pâleur, le changement trop brutal de la silhouette, le volume excessif des seins peuvent la trahir. La découverte du cadavre, quand elle survient, provoque l’attroupement, la garde de la misérable jusqu’à l’arrivée des gendarmes. Quand les tentatives d’arrangement effectuées par le maire ou par le curé ont échoué – il faut avouer qu’elles demeurent obscures – et lorsque la dénonciation a été décidée s’ouvre la scène judiciaire, dernière séquence du drame. Annick Tillier consacre de nombreuses pages à cette confrontation des communautés rurales et des autorités de l’État. Alors s’opposent le système de normes de jurés sensibles à l’âge, à la réputation, au charme, à la position sociale de l’accusée et celui qui guide les magistrats, l’œil rivé sur le Code pénal. Mais ces derniers sont alors absents de la salle des délibérations et ils ne peuvent que déplorer nombre d’acquittements qu’ils jugent scandaleux. Les peines, quant à elles, sont graduées et la condamnation à mort est rarement appliquée. Annick Tillier, en un très grand livre à l’écriture fluide et maîtrisée, a su imposer sa rigueur et sa patience à la démesure du paroxysme. Son ouvrage, qui éclaire le fonctionnement de la justice au XIXe siècle, apporte beaucoup à l’histoire du corps et de la solitude, à celle de la communauté villageoise et plus encore, peut-être, à celle de la rumeur, du commérage et du régime de sensibilité à l’égard du nouveau-né.

III

Introduction

Près de 600 meurtres de nouveau-nés, crimes que l’article 300 du Code pénal de 1810 définit comme des infanticides, ont été jugés en Bretagne entre 1825 et 1865, plaçant cette province, au regard des statistiques, dans une position légèrement supérieure à la moyenne nationale 1. L’ampleur de cette criminalité peut surprendre dans une région où la force des structures religieuses et l’emprise de l’Église sur les esprits ont été maintes fois mises en évidence 2. Elle peut même paraître paradoxale si l’on tient compte du fait que la Bretagne a constitué pour les ethnologues du XIXe siècle un terrain privilégié d’observation des rites et des coutumes 3, fournissant nombre d’archétypes de la vie traditionnelle 4. Comme les premières victimes des infanticides sont des enfants naturels, la masse des crimes signalés semble dénoter un sensible accroissement des relations sexuelles illégitimes au sein de la population rurale qui a été à l’origine de la plupart des affaires, ce qui porte à s’interroger sur un possible affaiblissement des instances traditionnellement investies du contrôle des conduites privées. Les limites chronologiques assignées à cette étude sont liées à l’évolution de la législation applicable à l’infanticide. L’article 302 du Code pénal punissait de mort les auteurs de meurtres de nouveau-nés. Mais la répugnance des jurés et de l’opinion publique à envoyer à l’échafaud les mères criminelles, qui ont représenté la très grande majorité des accusés, était telle que cette législation a été remaniée à trois reprises entre 1824 et 1863. 1. 9,5 % des accusations pour 7,9 % de la population. Les éléments statistiques relatifs aux infanticides jugés en Bretagne sont donnés en annexe. 2. En particulier A. Croix, M. Lagrée, C. Langlois, M. Launay, G. Minois… 3. Au point parfois d’apparaître, selon l’expression de Michel Lagrée, comme un « véritable conservatoire de traditions ethnographiques », in : Religion et culture en Bretagne (1850-1950), Paris, 1992, p. 14. 4. Bertho C., « L’Invention de la Bretagne : genèse sociale d’un stéréotype », Actes de la recherche en sciences sociales, 35, 1980, p. 45-62 ; La Naissance des stéréotypes en Bretagne (thèse, EHESS, 1979).

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DES CRIMINELLES AU VILLAGE

L’année 1825 correspond aussi au début de la collection des comptes rendus adressés trimestriellement par les présidents des cours d’assises aux gardes des sceaux [série BB/20 des Archives nationales], qui constitue une source de première importance pour l’histoire de la justice criminelle. Les indications biographiques (antécédents, réputation) et d’état civil (âge, situation matrimoniale, domicile, profession) données par les magistrats permettent de brosser à grands traits le portrait des femmes infanticides. Le Compte général de l’administration de la justice criminelle, édité par le ministère de la Justice, dressant l’état annuel des crimes et délits et de leur traitement judiciaire, s’ouvre également en 1825 5. Il permet de réinscrire, à la recherche d’une éventuelle spécificité, les affaires bretonnes dans le contexte national, apportant de précieux renseignements sur le profil sociologique des femmes mises en accusation et sur la manière dont les faits ont été sanctionnés. Les données relatives aux mères infanticides, à leur entourage, aux circonstances des crimes ont été complétées par les dossiers de procédure criminelle [séries U des archives départementales]. Ces dossiers ont malheureusement été fort inégalement conservés dans les départements 6. Les plus complets portent la moindre trace du cheminement de la procédure, depuis la mise en alerte de la justice jusqu’à l’arrêt de la cour d’assises 7. Les descriptions du cadre de vie contenues dans les procès-verbaux de transport des magistrats, les auditions des témoins, révélatrices des tensions ou des solidarités communautaires, les interrogatoires des inculpées, qui paraissent parfois livrer sans détours aux enquêteurs des pans de leur vie privée, permettent de reconstituer le cours de la vie quotidienne, de détecter les événements qui viennent rythmer la vie collective, et produisent, de temps à autre, la captivante illusion de pénétrer dans l’univers des accusées. Ils constituent d’inestimables ouvertures sur la Bretagne rurale. De ce point de vue, la presse ne s’est pas avérée d’un grand secours. Le dépouillement de la Gazette des tribunaux, – également créée en 1825 – a été très décevant. L’attention de ses rédacteurs, en dignes héritiers des canards 5. Sur cette publication, voir Perrot M., « Délinquance et système pénitentiaire en France au XIXe siècle », Annales ESC, 1975, p. 67-91 ; « Premières mesures des faits sociaux : les débuts de la statistique criminelle en France, 1780-1830 », Pour une histoire de la statistique, Paris, 1977, p. 125-137 ; Compte général de l’administration de la justice criminelle en France pendant l’année 1880 et rapport relatif aux années 1826 à 1880, commenté par M. Perrot et Ph. Robert, Genève, 1979. 6. En Loire-Atlantique, le tri a été drastique. Dans les Côtes-d’Armor, les dossiers ont été expurgés, à partir de 1851, des interrogatoires et auditions de témoins, et ne contiennent plus que l’acte d’accusation et l’arrêt de condamnation. Dans le Finistère, certains dossiers ont été égarés. Les collections les plus complètes, sans toutefois être exhaustives, sont celles du Morbihan et d’Ille-et-Vilaine. 7. On y trouve généralement les lettres des maires, juges de paix et gendarmes informant de la découverte d’un crime, procès-verbaux de transport des magistrats, interrogatoires des prévenus, auditions des témoins, rapports d’expertise médico-légale, renseignements fournis par les maires, ainsi que mandats et réquisitoires. Sur cette question, voir Farcy J.-C., « Archives judiciaires et histoire contemporaine », Les Archives du délit : empreintes de société, Toulouse, 1990, p. 47-59 ; « Les Archives judiciaires et pénitentiaires au XIXe siècle », Histoire et criminalité de l’Antiquité au XXe siècle, Dijon, 1991, p. 97-103 ; Guide des archives judiciaires et pénitentiaires, Paris, 1992.

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INTRODUCTION

de l’Ancien Régime, s’est presque exclusivement concentrée sur les affaires les plus sensationnelles, et l’infanticide, crime banal dans sa répétition, a très rapidement cessé d’intéresser ses correspondants, qui au fil du temps n’y ont plus consacré que de rares et brèves rubriques. La presse locale, encore balbutiante dans les années 1820, a été pratiquement inutilisable. Ce travail porte par conséquent une forte empreinte judiciaire. L’essentiel de ce que nous connaissons des femmes infanticides, des crimes et du déroulement des procès est vu à travers le filtre – sans doute déformant – de la soixantaine de conseillers de la cour de Rennes qui a été amenée au cours de ces quarante années à présider les cours d’assises. Issus de la bourgeoise ou de la petite aristocratie bretonnes, les magistrats de ce premier XIXe siècle se caractérisent par un puissant esprit de corps, marqué par une forte soumission au pouvoir et un profond attachement aux signes de distinction que sont décorations, honneurs protocolaires, éclat du train de vie, et paraissent hantés par les bouleversements sociaux. Du fait de leur bonne connaissance des affaires locales, leurs écrits présentent un grand intérêt, fourmillant d’informations sur les habitudes des populations bretonnes, éclairant aussi le fonctionnement et les dysfonctionnements de la justice criminelle. Mais ils sont empreints de multiples notations dépréciatives à l’égard des différents acteurs qui entrent en jeu dans les procès : maires, juges de paix, médecins et avocats. De plus, le regard qu’ils portent sur les ruraux est celui d’une élite urbaine qui considère avec perplexité l’apparente absence de sensibilité des femmes rurales impliquées dans les procédures et la relative tolérance des jurés à l’égard des crimes contre les personnes. Au-delà de cet écart anthropologique, la nature des sources induit d’autres écueils qui dérivent de la réserve dans laquelle se tiennent les femmes criminelles, que ce soit pour ménager les nécessités de leur défense, ou en raison du caractère inavouable de la sexualité extraconjugale. Il est donc particulièrement difficile d’accéder aux émotions et aux sentiments, d’aborder une vie intime dont n’émergent, çà et là, que quelques bribes. Des paroles prononcées par les accusés et les témoins dans le cours de l’instruction, il ne reste en général que ce qu’a cru bon de transcrire le greffier. Et, aux effets de censure que peuvent produire chez celui-ci le sens de la bienséance et la force de l’habitude se superposent, dans les zones bretonnantes, des problèmes de traduction qui tendent, davantage encore, à dépouiller les propos de leur authenticité. Par comparaison, les dossiers des départements où la langue habituelle des habitants est le français sont emplis d’expressions populaires et – particulièrement en Ille-et-Vilaine – de termes empruntés au patois qui donnent une tout autre épaisseur aux locuteurs et qui, à l’image des amours clandestines dont il va être question dans cet ouvrage, procurent un plaisir furtif au lecteur. Si les discours tenus par les mères criminelles aux enquêteurs doivent être abordés avec prudence, les archives judiciaires n’en jettent pas moins une certaine lumière sur leur personnalité. Il faut pour cela dépasser l’im11

DES CRIMINELLES AU VILLAGE

pression d’uniformité qui se dégage de leur cadre de vie et de leurs conditions sociales. Le théâtre du crime est rural, les actrices sont modestes : des journalières, des domestiques, de petites ouvrières du textile…, vouées à la précarité matérielle et aux amours impossibles. Le décor est rudimentaire : il s’agit d’humbles chaumières ou, pire, d’étables, de granges, et de greniers. Pourtant, par le miracle du langage, émergent parfois de véritables fragments de vie et transparaissent quelques individualités hors du commun. Au-delà des histoires personnelles, les archives révèlent aussi toute la richesse et les difficultés de la vie collective. Dans une Bretagne où le village et la paroisse possèdent encore une très forte personnalité, elles mettent en évidence l’emprise du groupe sur l’individu, la complexité des hiérarchies sociales, et la pesanteur du contrôle social qui s’exerce sur les femmes seules, depuis la surveillance des corps, jusqu’à la dénonciation, du reste souvent indirecte, des crimes. L’infanticide se trouve donc à la croisée de multiples territoires. Il concerne à la fois l’histoire de la justice et de l’acculturation judiciaire des paysans, l’histoire des femmes, particulièrement des femmes seules, l’histoire des sensibilités, considérée sous l’angle du sentiment amoureux et du rapport à l’enfant et – enfin – l’anthropologie. Ce qui constitue en effet la principale caractéristique de ce crime est son arrimage à la problématique de l’honneur et de son envers, la honte. La non-dénonciation de certains infanticides, les complicités dont peuvent bénéficier les coupables semblent indiquer que les ruraux, au nom de la sauvegarde de l’honneur et de l’intérêt des familles, préfèrent parfois garder le silence sur les meurtres d’enfants illégitimes. Ce silence ne signifie cependant nullement approbation, et cette tolérance, dont il importe de détecter les seuils, n’est pas sans limite. En effet, les archives sont émaillées d’indices qui tendent à établir l’existence d’une justice parallèle, de nature communautaire et informelle, légitimée par une tradition qui semble habiliter le groupe à exercer un droit de regard sur les comportements individuels. Toute la question est de savoir à partir de quel moment cette justice parallèle se dessaisit de ses prérogatives au profit de la justice officielle et si cette surveillance s’exerce de manière indifférenciée sur tous les individus. La femme seule, particulièrement celle qui s’autorise des relations sexuelles hors mariage, paraît être au centre des préoccupations villageoises. Facteur de désordre, source de scandale, elle focalise l’attention du groupe. Son séducteur reste bien souvent dans l’ombre, échappant, du même coup aux procédures d’exclusion qui sanctionnent les déviances féminines. La richesse des sources permet d’explorer plusieurs registres de lecture, éclairant aussi bien la relation des ruraux à l’institution judiciaire que le fonctionnement des communautés villageoises. Les magistrats donnent à voir, depuis la découverte des crimes jusqu’aux procès, l’attitude des femmes accusées face à la justice, leurs tactiques d’évitement de la sanction et la position des divers protagonistes – jurés, témoins et avocats – à 12

INTRODUCTION

l’égard des infanticides. Les dépositions des témoins et les interrogatoires des prévenus nous introduisent, d’autre part, dans le quotidien des femmes bretonnes ouvrant quelques brèches sur leurs amours, sur leurs relations sociales, et sur les stratégies qu’elles mettent en place pour échapper à l’infamie. Ils permettent aussi de restituer leur lent et inéluctable cheminement vers le crime.

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Chapitre I

Les procès d’infanticide Les comptes rendus des présidents d’assises présentent l’intérêt d’éclairer le fonctionnement de la justice criminelle dans la première moitié du XIXe siècle. Les difficultés rencontrées par les magistrats lors des jugements d’infanticide hantent la plupart de leurs écrits. Le caractère délicat du traitement de cette catégorie de meurtre tient, selon eux, au flou laissé par le législateur dans la définition de la victime, aux dysfonctionnements observés dans l’instruction des affaires, et aux insuffisances de la médecine légale qui, dans les années 1820, n’en est encore qu’à ses balbutiements.

Le cadre juridique et procédural La procédure est régie par le Code d’instruction criminelle de 1808. Elle ne subit, jusqu’en 1865, que peu de modifications. Elle comprend deux phases : l’instruction préparatoire, qui est écrite, secrète et non contradictoire, et le jugement en audience publique, devant un jury. Au cours du jugement, la liberté des débats et l’assistance de l’accusé par un conseil viennent contrebalancer le caractère secret de l’instruction préparatoire. Certains auteurs ont vu dans le contraste entre les deux phases de la procédure criminelle un compromis entre procédure inquisitoire et procédure accusatoire, entre les traditions héritées de l’ordonnance criminelle de 1670 et les principes révolutionnaires proclamés par l’Assemblée constituante 1. Pour Adhémar Esmein, en particulier, le Code d’instruction criminelle est « une œuvre composite et de transaction, qui emprunte aux lois de la Révolution presque toutes les règles des débats et des jugements, à l’ordonnance de 1670 presque toutes celles de l’instruction préparatoire 2 ». 1. Laingui A., Lebigre A., Histoire du droit pénal. Paris, [1979], t. 2, p. 11-12. 2. Esmein A., Histoire de la procédure criminelle en France…, Paris, 1882, p. 559.

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DES CRIMINELLES AU VILLAGE

Les sources utilisées pour cette étude reflètent bien la césure entre ces deux étapes, fort distinctes, de la procédure criminelle. Cette césure se traduit jusque dans l’éloignement géographique des locaux d’archives dans lesquels elles sont conservées. Les dossiers d’instruction, correspondant à l’instruction préparatoire, sont conservés dans les départements, tandis que les comptes rendus des sessions des cours d’assises, qui intéressent la politique pénale de l’État, sont localisés dans la capitale. L’instruction préparatoire L’instruction préparatoire peut-être considérée comme la phase déterminante du procès criminel. C’est elle qui conduit à la connaissance des faits et sert de base à l’accusation. Selon la définition qu’en donne Mangin, conseiller à la chambre criminelle de la Cour de cassation sous la Restauration : « L’instruction écrite comprend tous les actes de la procédure criminelle tendant à constater les crimes et les délits, à en rassembler les preuves et à mettre les chambres du conseil des tribunaux de première instance, ainsi que les chambres d’accusation des cours royales, en état de statuer sur la mise en prévention ou la mise en accusation du prévenu et de désigner la juridiction compétente pour la juger 3. » Elle consigne tous les éléments de l’accusation recueillis au cours des interrogatoires des prévenus, de l’audition des témoins, des perquisitions et visites domiciliaires, ainsi que les rapports d’expertises. Elle est secrète dans la mesure où prévenus et témoins sont entendus séparément, en présence du juge d’instruction seul et de son greffier. Les prévenus ne peuvent assister à l’audition des témoins. Ils demeurent, pendant toute la durée de l’instruction, dans l’ignorance de son déroulement et sont placés en détention préventive. Ce n’est que quand l’arrêt de renvoi devant la cour d’assises a été rendu et l’acte d’accusation établi qu’ils peuvent prendre connaissance de ces pièces et organiser leur défense. Jusqu’à la promulgation de la loi Constans en 1897, les inculpés ne peuvent bénéficier de l’assistance d’un avocat au cours de l’instruction. Procureurs et juges d’instruction La répartition des compétences entre les procureurs – chargés de la poursuite des crimes et des délits – et les juges – chargés de l’instruction – est en principe clairement définie. C’est le procureur du roi 4 qui exerce l’action publique. Lorsqu’il a connaissance d’un crime, il saisit le juge d’instruction afin qu’il se transporte sur les lieux. Il peut lui adresser d’autres réquisitions à tout moment de la procédure écrite, notamment pour lui 3. Mangin J., De l’instruction écrite et du règlement de la compétence en matière criminelle, Paris, 1847, t. 1, p. 1. 4. de la République, impérial…

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LES PROCÈS D’INFANTICIDE

désigner des témoins à entendre. C’est lui qui rédige les réquisitoires qui servent à l’établissement de l’acte d’accusation. Le juge d’instruction, lui, est chargé de constater par des procès-verbaux les faits qui ont donné lieu à l’action publique. Il rédige tous les actes qui précèdent la mise en accusation. Il interroge les inculpés, procède aux visites domiciliaires, entend les témoins, délivre les mandats d’amener et d’arrestation. Les juges d’instruction du XIXe siècle n’ont pas la célébrité qu’ils ont su conquérir de nos jours à travers la presse. Ils demeurent des personnages énigmatiques. On ne les connaît que par les questions qu’ils posent aux inculpés. Et de ces questions, il ne reste que ce qu’a cru bon de transcrire le greffier. Sauf exception, leur position à l’égard des femmes criminelles paraît empreinte de neutralité. À aucun moment n’apparaît dans les archives, de la part d’un juge d’instruction, un commentaire quelconque sur les faits qu’il instruit. C’est pourquoi il ne nous a pas paru utile de chercher à les connaître davantage. Cependant, deux d’entre eux ont laissé des écrits fort importants pour la connaissance des populations bretonnes : Jean-Marie Limon et FrançoisMarie-Guillaume Habasque. Limon a d’abord été juge au tribunal de Quimper, puis juge d’instruction à Brest. Il est connu pour son ouvrage intitulé Usages et règlements locaux en vigueur dans le Finistère. Ce livre, publié à Quimper en 1852, est une mine de renseignements sur la condition matérielle des agriculteurs et des domestiques. Les informations qu’il rassemble proviennent d’un réseau de correspondants (experts, juges de paix, notaires…) couvrant l’ensemble du département. Habasque a d’abord été juge puis, à partir de 1834, président du tribunal de SaintBrieuc. Il a été l’un des fondateurs de l’Annuaire des Côtes-du-Nord en 1836 et a écrit plusieurs ouvrages sur ce département, notamment Notions historiques, géographiques, statistiques et agronomiques sur le littoral du département des Côtes-du-Nord 5. Parmi les juges ou les substituts qui ont eu à traiter des affaires d’infanticide quelques-uns deviendront conseillers à la cour de Rennes avant 1865. Le flagrant délit Toutes les affaires d’infanticide n’entrent pas dans le schéma procédural classique. Dans plus de la moitié des cas, les magistrats procèdent dans un contexte de flagrant délit. Le flagrant délit ne se limite nullement aux crimes et délits qui sont en train de se commettre ou viennent de se commettre. Sa définition est plus large : « Seront aussi réputés flagrant délit, le cas où le prévenu est poursuivi par la clameur publique, et celui où le prévenu est trouvé saisi d’effets, armes, instrumens [sic] ou papiers faisant pré5. Saint-Brieuc, Vve Guyon, 1832-1836. Il y décrit notamment le cadre de vie d’une accusée d’infanticide, dans une affaire qu’il avait été chargé d’instruire. (Voir le chapitre V).

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sumer qu’il est auteur ou complice, pourvu que ce soit dans un temps voisin du délit 6. » Il n’est pas facile de donner un contenu juridique à cette « clameur publique ». Pour Faustin Hélie, cette notion recouvre non seulement les cas où le prévenu, qui s’enfuit après avoir commis son crime, est poursuivi par les cris du peuple qui le désignent comme le coupable, mais aussi à ceux où : « Sans être matériellement poursuivi dans sa fuite, [il] est hautement accusé par le cri public d’être l’auteur d’un crime qui vient d’être commis. C’est cette accusation populaire, quelles que soient les circonstances où elle se produit, qui constitue la clameur publique, dans le sens de la loi, lorsqu’elle suit la découverte du crime. Toutefois, il ne faut pas confondre cette clameur, qui consiste dans une sorte d’acclamation à la fois précise et énergique, soit avec la rumeur publique, qui n’est qu’un bruit sourd qui se répand vaguement et sans preuves, soit avec la notoriété publique, qui vient donner à la rumeur une certaine consistance, mais seulement quelque temps après la consommation du crime 7. »

Dans les cas de flagrant délit, il revient au procureur du roi de se transporter sur les lieux et de procéder par lui-même aux premiers actes de l’instruction. Toutes les attributions qui lui sont ainsi exceptionnellement conférées, appartiennent en outre à une multitude d’agents : les juges d’instruction, bien entendu, mais aussi les officiers de police judiciaire auxiliaires des procureurs, c’est-à-dire les juges de paix, les officiers de gendarmerie, les commissaires de police et les maires 8. Cette large définition du flagrant délit, qui répond à la nécessité de constater rapidement les faits avant que les preuves ne soient effacées ou détruites, est très ancienne. Elle figurait déjà dans les codes de la période révolutionnaire 9 et dans l’Ordonnance criminelle de 1670, héritière d’une pratique plus que séculaire 10. Interrogatoires des suspects et auditions des témoins Maires, juges de paix, brigadiers de gendarmerie, commissaires et procureurs, dans les cas de flagrant délit ; juges d’instruction, dans les cas ordinaires, recueillent les premières déclarations des suspects. Dans la suite de la procédure, les interrogatoires relèvent des juges d’instruction ou des juges de paix, qu’ils délèguent à cet effet par des commissions rogatoires. Les magistrats instructeurs peuvent entendre les inculpés autant de fois qu’il leur paraît nécessaire, notamment quand des informations nouvelles sont apportées par les témoins. 6. C. instr. crim., art 41. 7. Hélie F., Traité de l’instruction criminelle…, Paris, 1845-1860, t. 4, p. 680-681. 8. C. instr. crim., art. 49, 50, 59. 9. Loi des 16-29 septembre 1791, titre 4 et Code du 3 brumaire an IV, art. 62 et 63. 10. Dès le XVIe siècle, le coupable surpris en flagrant délit pouvait être arrêté sans mandat du juge par tous les témoins du crime, d’après F. Hélie, op. cit., t. 4, p. 670.

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Parmi les éléments qui rendent délicate la résolution des infanticides, le problème de la langue n’est pas un moindre obstacle. Dans une grande partie du Finistère, du Morbihan et des Côtes-du-Nord, nombre d’accusés et de témoins font un usage exclusif de la langue bretonne ou plutôt de ses différents idiomes 11. Encore qu’elle soit loin d’être systématique, la pratique de cette langue est plus fréquente chez les juges de paix des cantons ruraux que chez les juges d’instruction. C’est sans doute pourquoi ces derniers paraissent répugner à se déplacer dans les campagnes bretonnantes, préférant déléguer leurs fonctions aux juges de paix. La présence d’un interprète est nécessaire dans une grande partie des procédures. Lorsque les juges d’instruction et les procureurs viennent constater euxmêmes sur les lieux le « corps du délit » ou entendre les témoins et les prévenus, c’est souvent à un fonctionnaire local qu’échoit le rôle d’interprète. Quand la commune est dotée d’une école, les déclarations des témoins et des suspects qui ne s’expriment qu’en breton sont traduites par l’instituteur. Dans les autres cas, c’est à un gendarme, au maire, à son adjoint, ou à un simple villageois que les magistrats ont recours. Ce n’est que quand les interrogatoires ont lieu au siège d’un tribunal qu’ils peuvent être assistés d’un interprète assermenté. La mise en accusation L’inculpé est mis en prévention dès lors qu’il existe contre lui des indices suffisants qu’il est l’auteur d’un fait puni par la loi. Lorsque le juge d’instruction a épuisé toutes ses recherches, il fait un rapport à la chambre du conseil, qui statue sur la mise en prévention de l’inculpé 12 et indique la juridiction devant laquelle il doit être traduit. S’il s’agit d’un crime de la compétence de la cour d’assises, la chambre du conseil décerne une ordonnance de prise de corps contre le prévenu et ordonne que les pièces de la procédure soient transmises au procureur général qui saisit la chambre des mises en accusation. L’instruction devant la chambre d’accusation est, elle aussi, secrète. Elle est même, à nos yeux de contemporains, la partie la plus obscure de la procédure puisque dans les dossiers d’archives, il n’en subsiste que des pièces, dites de forme, qui sont toutes construites selon le même modèle. Le procureur général ou son représentant expose l’affaire, puis le greffier donne lecture aux juges de tous les actes du procès. La chambre des mises en accusation peut alors procéder au règlement de la compétence et ordonner le 11. La langue bretonne se divise en quatre dialectes principaux, correspondant aux anciens évêchés de Saint-Pol-de-Léon, Tréguier, Quimper et Vannes. « Ces dialectes, écrit Y. Le Gallo, se fragmentent eux-mêmes en sous-dialectes, à leur tour éclatés en modes de parler de pays, voire de paroisses », Clergé, religion et société en Basse-Bretagne : de la fin de L’Ancien Régime à 1840, Paris, 1991, t. 1, p. 16. 12. La loi du 17 juillet 1856 supprime la chambre du conseil et transfère ses attributions au juge d’instruction.

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renvoi du prévenu devant la cour d’assises. Elle peut aussi, si l’instruction ne lui paraît pas complète, ordonner un supplément d’information. Il s’écoule généralement un à deux mois entre le moment où un arrêt de renvoi en cour d’assises est décerné contre un prévenu et l’ouverture de l’audience au cours de laquelle il sera jugé. Dès que la chambre des mises en accusation a rendu son arrêt, le procureur général rédige l’acte d’accusation, qui est notifié à l’accusé. Celui-ci est transféré de la maison d’arrêt à la maison de justice du lieu où se tiendra la cour d’assises. Il doit être interrogé par le président de la cour d’assises qui, s’il n’a pas choisi de conseil, lui en désigne un d’office. Ce n’est qu’après cet interrogatoire que l’accusé peut communiquer librement avec son avocat et prendre connaissance de l’information. La cour d’assises La cour d’assises est issue des profonds bouleversements introduits dans l’organisation judiciaire sous le Consulat et l’Empire. La loi du 27 ventôse an VIII avait créé les tribunaux de première instance et les cours d’appel. Elle avait aussi introduit l’inamovibilité des juges, désormais nommés par le pouvoir central. L’institution des cours d’assises, comprise dans la loi organique du 20 avril 1810, parachève cet édifice. Les cours d’appel sont remplacées par des cours impériales, qui voient leurs compétences s’étendre au criminel. Les affaires criminelles sont désormais dévolues aux cours d’assises, qui ne sont qu’une émanation temporaire des cours impériales. Contrairement au tribunal criminel et à la cour de justice criminelle auxquels elle a succédé, la cour d’assises n’a pas vocation à siéger de manière permanente et ne possède aucune autonomie. Elle ne constitue pas un corps judiciaire distinct, mais se compose « de magistrats empruntés à la compagnie dont elle fait partie, et qu’investit, à cet effet une délégation temporaire 13 ». La loi prévoit que les assises se tiendront tous les trois mois dans chaque département. L’organisation des débats À l’ouverture de l’audience, le président après avoir constaté l’identité de l’accusé, reçoit le serment des jurés, fait lire l’arrêt de renvoi et l’acte d’accusation. Le procureur général expose l’accusation et présente la liste des témoins qui seront entendus soit à sa requête, soit à celle de la partie civile, soit à celle de l’accusé. Dès que la liste de leurs noms à été lue, les témoins se retirent de l’audience. Les débats peuvent commencer. C’est le décret de l’Assemblée nationale du 9 octobre 1789 qui a rendu les audiences publiques. Les modifications apportées par la suite à l’instruction crimi13. Nouguier C., La Cour d’assises…, Paris, 1860, t. 2, p. 361.

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nelle ne reviendront jamais sur ce point, qui est un des principaux acquis révolutionnaires en matière judiciaire. Les principales étapes du déroulement des débats sont l’interrogatoire du ou des accusés, l’audition des témoins, la présentation de l’accusation par le représentant du ministère public et la plaidoirie de la défense. Puis le président résume les débats, et soumet au jury, qui se retire pour délibérer, la question résultant de l’acte d’accusation : l’accusé est-il coupable d’avoir commis tel crime ? Les assesseurs, les jurés, le procureur général 14 peuvent questionner l’accusé après avoir demandé la parole au président. À condition qu’ils aient été régulièrement notifiés, l’accusé, le ministère public et la partie civile ont toute liberté pour faire citer à l’audience les témoins qu’ils souhaitent faire entendre, même ceux qui n’ont pas figuré dans l’instruction écrite. Les parents et alliés des accusés ne peuvent témoigner. Si l’accusé ou les témoins ne parlent pas la langue française, le président nomme d’office un interprète. La seule condition requise pour pouvoir assumer cette fonction est d’être âgé de 21 ans au moins. Le président de la cour d’assises est investi d’un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de faire citer, sans notification préalable, de nouveaux témoins qui lui paraissent susceptibles d’éclairer les faits. Mais les témoins ainsi appelés ne prêtent pas serment et leurs déclarations ne sont considérées que comme de simples renseignements. Le procès d’assises est entrecoupé de prestations de serments : celui des jurés d’abord, celui des témoins, des interprètes et des experts ensuite. Seuls les dépositaires du secret professionnel : prêtres, avocats, avoués, notaires, médecins et ceux qui leur sont assimilés (chirurgiens, officiers de santé 15, pharmaciens, sages-femmes) ne sont pas tenus de faire la révélation de ce qu’ils savent, si les faits leur ont été confiés sous le sceau du secret. Les enfants de moins de quinze ans ne sont pas habilités à prêter serment ; ils peuvent être entendus aux débats, mais sous la forme d’une simple déclaration. Le serment, écrit Charles Nouguier, « est un acte de foi, de morale universelle, de justice positive. Il engage la conscience devant Dieu, l’honneur devant les hommes, la responsabilité devant la loi pénale, qui punit, sous le nom de faux témoignage, le parjure. À ces divers titres, il éprouve, épure et fortifie la preuve testimoniale 16 ». Acte solennel, il contribue pleinement à la théâtralité de la justice. Robert Jacob voit dans ces serments « des rites et des formes de la procédure qui concourent, avec d’autres 14. C’est généralement le procureur impérial qui exerce le ministère public dans les départements autres que celui du ressort de la cour. 15. La loi des 19-29 ventôse an XI (10 mars 1800) faisait cohabiter à côté de médecins et de chirurgiens formés dans les écoles de médecine, des officiers de santé dont la formation consistait en un stage pratique de six ans auprès d’un médecin ou de cinq années de résidence dans des hôpitaux civils ou militaires. Léonard J., Les Médecins de l’Ouest au XIXe siècle, Paris, 1978, t. 1, p. 10-14. 16. Nouguier C., op. cit., t. 3, p. 469.

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formes, à la marche du procès vers son terme » et qui investissent les différents acteurs du procès dans leurs personnages 17. L’influence du président L’oralité et la publicité des débats, comme le caractère théâtral de l’enceinte judiciaire, favorisent les effets de mise en scène. Le talent du magistrat qui préside les assises procède tout entier de sa capacité à tirer le meilleur parti des moments les plus pathétiques. Charles Nouguier a décrit le rôle considérable que joue de ce point de vue l’interrogatoire des accusés : « Lorsqu’un grand crime a éclaté – qu’il a jeté une famille dans le désespoir et le pays dans une émotion profonde – que chacun des pas de la poursuite a été l’objet des préoccupations générales, des révélations de la presse et des commentaires du public, – qu’une sorte d’intérêt romanesque s’est attaché au prévenu, à raison soit de son rang dans le monde, soit de la pureté notoire de sa vie ou de ses dégradations passées, soit de l’horreur inspirée par les détails du crime poursuivi – que la mise en accusation, cette préface obligée des débats a annoncé que la justice aurait son cours et que son heure approche – que, cette heure venue, toutes les classes de la société se sont confondues et pressées dans le prétoire, sous la domination des mêmes impatiences […] il y a quelque chose de solennel, dans ces anxiétés et ce silence, qui sont comme les avant-coureurs de l’interrogatoire, et dans ce frémissement électrique qui se produit, du même coup, dans toutes les âmes, lorsque tombent, de la bouche du président, ces paroles : “Accusé, levez-vous ! ” […] tout le monde pressent que de cette épreuve doivent jaillir les premières lueurs de la lumière qui doit finir par illuminer le débat 18. »

Jusqu’en 1881 le président devait résumer à l’intention des jurés l’affaire sur laquelle ils allaient se prononcer, en leur présentant un tableau fidèle des arguments de l’accusation et de la défense 19. Suivant son habileté, il pouvait exercer une certaine emprise sur le jury. L’une des motivations de la suppression du résumé que le président devait prononcer après avoir clos les débats était que, par un inconscient esprit de corps, il devenait trop souvent l’auxiliaire de l’avocat général : « Peut-être entre l’accusation et la défense la partie n’était plus vraiment égale, quand au moment où dans l’esprit des jurés se produisent ces oscillations qui précèdent les décisions difficiles, le président jetait dans la balance le poids de sa haute autorité 20. » Les procureurs généraux sont chargés par diverses circulaires de rendre compte de l’habileté du président à diriger les débats et de l’influence qu’il parvient à exercer sur le jury. Sous le Second Empire, le contrôle des présidents d’assises par les magistrats du parquet prend un relief tout parti17. Jacob R., « Anthropologie et histoire du serment judiciaire », Le Serment, éd. par R. Verdier, Paris, 1991, t. 1, p. 241. 18. Nouguier C., op. cit., t. 3, p. 137-138. 19. C. instr. crim., art. 336. 20. Esmein A., op. cit., p. 566.

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culier 21. Les magistrats du parquet exercent bien volontiers cette surveillance et attribuent souvent les résultats « moraux » des sessions, c’està-dire l’efficacité de la répression, à la seule influence exercée par le président sur le jury 22. La personne même du président est entourée de l’apparat qui sied à la majesté de la fonction judiciaire. À son arrivée dans la ville où siège la cour d’assises, différents honneurs doivent lui être rendus, en application du décret du 27 février 1811 23. Pour ce qui concerne les préséances au cours des cérémonies publiques, les présidents des assises ont un rang très élevé. L’avis du Conseil d’État du 1 er juin 1811 les assimile aux anciens présidents des cours criminelles. Ils prennent rang, par conséquent, après le préfet mais avant les maréchaux de camp, commandant les départements 24. En raison de la dignité attachée à la fonction du président et de son rôle stratégique dans la direction des débats, le choix des conseillers qui sont amenés à présider les assises ne peut être laissé au hasard. En théorie, c’est au garde des Sceaux ou, à défaut, au premier président de la cour concernée qu’est attribué le pouvoir de les nommer. Si la chancellerie paraît avoir laissé le champ libre aux premiers présidents, elle n’en surveille pas moins de très près les nominations. Différentes circulaires, témoignent de son souci d’exercer un droit de regard sur leur désignation 25.

Qualification des crimes et problèmes de droit posés par les débats Les magistrats sont rarement satisfaits du déroulement des procès. Dans la pratique, la définition légale de l’infanticide se révèle d’une interprétation fort délicate. De plus, s’agissant de victimes dont l’existence sociale n’a pas encore été reconnue, les coupables peuvent assez facilement échapper à la sanction. Il suffit que le corps de l’enfant ait disparu pour que la preuve qu’il est né vivant ne puisse être établie. La fragilité physiologique des victimes laisse souvent une marge d’incertitude dans l’élucidation des causes réelles de leur mort. La première difficulté des procès tient donc à la qualification des faits. Définition de l’infanticide La définition du crime est donnée par l’article 300 du Code pénal de 1810 : « Est qualifié infanticide le meurtre d’un enfant nouveau-né. » 21. Voir notamment la circulaire du 19 décembre 1853. 22. AN/BB/20/245/2, F, 3e trim. 1862, le procureur de Quimper au procureur général, 24 juillet 1862. 23. Décret impérial sur le logement et les honneurs dus aux présidents des cours d’assises. 24. Décret sur les préséances, 24 messidor an XII. 25. Notamment celles du 14 août 1827 et du 30 mai 1850.

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L’article 302, qui l’assimile à l’assassinat, au parricide et à l’empoisonnement applique, en vertu d’une présomption de préméditation, la peine de mort à l’infanticide 26. Comme l’écrivaient Chauveau et Hélie, il résulte de l’article 300 que « ce crime n’existe que par le concours de trois conditions : la volonté de tuer, car le meurtre est l’homicide volontaire, c’est-à-dire l’homicide consommé avec l’intention de tuer ; que l’enfant ait vécu, car il n’y a point d’homicide si l’être auquel il [le coupable] a voulu ôter la vie était déjà mort ; enfin, que l’enfant soit nouveau-né, car s’il a perdu cette qualité, le crime n’est plus un infanticide, mais un simple meurtre 27 ». La première condition constitutive du crime est donc la volonté de donner la mort. L’appréciation de cette volonté n’est pas toujours aisée car elle ne découle pas nécessairement de la dissimulation de la grossesse, de l’accouchement, ou du cadavre de l’enfant. Dans les accouchements isolés et clandestins qui constituent le cadre de la plupart des infanticides, il n’est pas aisé de déterminer si la mort de l’enfant à été naturelle, si elle provient d’un accident ou d’une absence de précautions, ou bien si elle résulte d’une intention criminelle. Si la mort du nouveau-né est la conséquence de l’ignorance, de l’imprudence, ou de la faiblesse de la mère qui n’a pas été en état de lui apporter les soins nécessaires à sa survie, le fait ne constitue pas un infanticide mais un simple délit d’homicide par imprudence 28. La deuxième condition est que l’enfant soit né vivant. Pour établir l’homicide, l’accusation doit prouver que celui-ci a vécu. En l’absence de témoins qui puissent attester de la vie du nouveau-né, il revient à l’expertise médico-légale de démontrer que l’enfant a respiré, seule véritable preuve de la vie. La troisième condition est que la victime soit un nouveau-né. La loi n’a pas défini cet état de « nouveau-né » et les médecins du XIXe siècle n’étaient pas unanimes sur cette question. Certains en estimaient le terme à un mois. Pour d’autres, l’état de nouveau-né cessait après la chute du cordon ombilical (soit dans les huit jours suivant la naissance). En 1835, un arrêt de la Cour de cassation précisait le sens de l’article 300 du Code pénal : « La loi, en qualifiant d’infanticide et en punissant d’une peine plus forte le meurtre d’un enfant nouveau-né, n’a eu en vue que l’homicide volontaire commis sur un enfant au moment où il vient de naître, ou dans un temps très rapproché de celui de sa naissance ; […] ses dispositions ne peuvent être étendues au meurtre d’un enfant qui a déjà atteint l’âge de trenteun jours et dont, par conséquent, la naissance, si elle n’a été légalement constatée, n’a pu du moins le plus souvent rester entièrement inconnue ; […] cette extension répugne et à la lettre de l’article 300 du Code pénal, et à l’esprit de la législation sur l’infanticide, qui n’a voulu protéger par un 26. Voir le chapitre IV. 27. Chauveau A., Hélie F., Théorie du Code pénal, Paris, 1839, t. 5, p. 191-192. 28. C. pén., art. 319.

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châtiment plus sévère la vie de l’enfant, que lorsqu’elle n’est pas encore entourée des garanties communes, et que le crime peut effacer jusqu’aux traces de sa naissance 29. »

Il y a donc infanticide « tant que la vie de l’enfant n’est pas encore entourée des garanties communes, et que le crime peut effacer les traces de sa naissance ». Il ne s’agit pas d’une pure question de droit mais d’appréciation des faits, laissée à l’évaluation du jury. Dans la pratique des tribunaux, c’est le délai de déclaration de naissance d’un enfant à l’officier de l’état civil qui a généralement servi à qualifier le nouveau-né. La jurisprudence a considéré que passé le délai de déclaration de naissance qui, selon l’article 55 du Code civil est de trois jours, il n’y avait plus infanticide mais simple meurtre. On trouve cependant, parmi les affaires jugées dans le ressort de Rennes, des accusations d’infanticide commis sur des enfants âgés de plus de 3 jours. Une tentative d’infanticide sur un enfant âgé de 7 jours est jugée en Illeet-Vilaine en 1837, à l’encontre de Marie-Perrine Bougault. Cette domestique de Miniac-Morvan, est accueillie après son accouchement chez la femme Lefeuvre, qui a accepté d’être la marraine du nouveau-né. Au bout de quelques jours, l’attention de cette femme est mise en éveil par l’insistance de Marie-Perrine Bougault à prédire la mort de son enfant : « Vers midi, rapporte le conseiller Delamarre, la femme Lefeuvre retournée auprès de la fille Bougault, lui demanda comment était son enfant. Elle lui répondit “qu’il était bientôt mort” [sic]. La femme Lefeuvre ayant demandé à voir l’enfant qui était dans le même lit que sa mère, celle-ci le lui refusa en lui disant : “Non, je veux le voir mourir dans mes bras”, ce qu’elle répéta par deux fois. La femme Lefeuvre ne se payant pas de ce refus, prit l’enfant et l’emporta chez elle pour le réchauffer. Il rendait de l’écume par la bouche et par le nez, et avait la figure plombée. Comme la femme Lefeuvre chauffait et tournait l’enfant, celui-ci fit un effort et rendit par la bouche un tampon de linge blanc très dur et reployé sur lui-même de la grosseur d’un doigt, et qu’il avait dans la gorge. »

Marie-Perrine Bougault fait porter cet enfant au « tour 30 » de l’hôpital de Saint-Malo, où il décède. L’accusation de tentative d’infanticide est rejetée par le jury en raison de l’âge de l’enfant et de son inscription à l’état civil : « Les jurés ont donc reconnu l’accusée coupable ; mais ils ont déclaré en même temps que l’enfant n’était pas nouveau-né, se fondant, j’ai lieu de le croire, sur ce que l’enfant avait sept jours d’existence, qu’il avait été enregistré à la mairie, et était ainsi entré dans la vie civile. D’après ce verdict le fait dégénérait donc en crime de meurtre, et comme les jurés avaient admis les circonstances atténuantes, la Cour a condamné Marie-Perrine Bougault à cinq ans de travaux forcés et à l’exposition publique 31. » 29. Cour de cassation, arrêt du 24 décembre 1835 (Marie Demange). 30. Sorte de boîte ou d’armoire cylindrique, tournant sur pivot, enchâssée dans un des murs extérieurs des hospices d’enfants trouvés, où les parents pouvaient abandonner anonymement leurs enfants. 31. AN/BB/20/93, I-V, 3e trim. 1837, Delamarre, 9 septembre 1837.

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En 1834, la cour d’assises des Côtes-du-Nord juge Jeanne-Marie Hervé et sa mère Marguerite, domiciliées à Plumieux, pour un infanticide commis sur un enfant âgé de 57 jours qui portait des traces de strangulation. Le jury ne semble pas s’étonner de cette étrange accusation – s’agissant d’un enfant dont la naissance est connue de tous puisque sa mère et sa grandmère avaient la réputation de le détester – mais il rend un verdict lui-même assez surprenant. Aucune des deux femmes n’est considérée comme auteur du meurtre. La mère du nouveau-né est acquittée, la grand-mère est déclarée coupable, mais seulement de complicité de sorte que, comme l’écrit Sébire de Bellenoë, « il faudrait supposer qu’une troisième personne serait l’auteur du meurtre, supposition à laquelle aucune circonstance du procès ne permettait de penser 32 ». Infanticide et crimes connexes contre les enfants En l’absence d’aveux de la part des accusées ou de témoignages formels de l’entourage, c’est à la médecine légale qu’il revient de constater la vie de l’enfant et de déterminer les causes de sa mort. Le fondement de l’accusation et la détermination de l’intention criminelle, première condition de l’infanticide, reposent alors sur les expertises médico-légales. Quand il n’existe aucune trace de violence, l’intention criminelle est particulièrement difficile à établir. D’autant que les femmes qui ont prémédité de tuer leur enfant, tirant les enseignements des procès, emploient, au fil du temps, des moyens de moins en moins violents : « Jadis les filles-mères, qui voulaient cacher leur honte, brisaient la tête de leurs enfants ou les jettaient [sic] à l’eau après leur avoir attaché une pierre au col… il existait presque toujours des traces extérieures de violences, qui rendaient plus facile le devoir du médecin, du magistrat, du juré… Actuellement au contraire, instruites par la publicité des débats judiciaires et par l’expérience, pour échapper à la peine qui les menace, elles prennent de plus grandes précautions : en général, elles coupent le cordon ombilical, mais omettent à dessein d’opérer la ligature ; elles étouffent les cris de l’enfant aussitôt sa naissance, soit avec un linge mouillé, soit en lui bouchant avec la main la bouche et les narines et au bout de quelques minutes, l’enfant meurt asphyxié ou exsanguin [sic], sans qu’il ne reste aucune trace extérieure de cet assassinat 33. »

La recherche des preuves est rendue pratiquement impossible quand, comme cela arrive couramment, le cadavre de l’enfant a disparu ou bien s’il est retrouvé putréfié, éviscéré, mutilé. Il en résulte que de nombreuses accusations d’infanticide échouent en cour d’assises, car les circonstances ou les causes de la mort sont demeurées obscures ou incertaines. 32. AN/BB/20/76, C-N, 4e trim. 1834, Sébire de Bellenoë, 15 novembre 1834. 33. AN/BB/20/128, L-I, 3e trim. 1844, Le Meur, s. d.

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D’un autre point de vue, les archives judiciaires démontrent aussi qu’il n’est pas toujours facile de distinguer l’infanticide de l’exposition d’enfant dans un lieu solitaire. Lorsqu’elle est suivie de la mort de l’enfant, l’exposition dans un lieu solitaire peut en effet apparaître comme une des modalités non violentes de l’infanticide. Plus curieusement encore, en raison de l’absence de définition légale du nouveau-né, les magistrats semblent parfois hésiter dans la qualification de certains crimes, entre infanticide et avortement. Avortement Dans les cas – très rares – où le meurtre se produit au cours d’un accouchement prématuré provoqué par un avortement, les accusés peuvent être traduits devant la cour d’assises sur la double accusation d’infanticide et d’avortement. Celle-ci a été soutenue à deux reprises en Ille-et-Vilaine, en 1858 et en 1860. La première affaire concerne Marie-Jeanne Menguy, une prostituée de Saint-Lunaire. Après avoir accouché, par suite des manœuvres d’une avorteuse, d’un enfant prématuré né, selon l’accusation, « vivant et viable, bien qu’il n’eût pas respiré », elle est poursuivie sur les deux faits d’avortement et d’infanticide. La cour lui inflige la peine minimale de cinq années de travaux forcés, en raison de son jeune âge et parce que la responsabilité de la mort de l’enfant pouvait être attribuée à l’avorteuse, une femme d’âge mûr qui se livrait aussi au proxénétisme. La condamnation de Marie-Jeanne Menguy sur le chef d’infanticide peut paraître surprenante, dès lors que l’enfant n’avait pas respiré, puisque la médecine légale n’admet qu’une seule preuve de vie, la respiration. Mais au cours des débats Marie-Jeanne Menguy avait reconnu avoir produit sur son enfant, en lui projetant la tête contre un mur, les blessures qui, dans un premier temps, avaient été attribuées aux instruments dont s’était servie l’avorteuse. La cour en avait conclu que l’accusée avait tué son enfant avant qu’il ait eu le temps de respirer 34. La seconde accusation est dirigée contre Hippolyte Vassal, officier de santé à Saint-Symphorien, auteur de l’avortement d’une domestique de ferme, et contre René Sarciaux, le maître de cette fille. Les instruments qui ont servi à l’avortement ont bien été retrouvés chez Vassal, mais le cadavre de l’enfant a disparu. Les deux hommes sont absous de l’infanticide en raison de cette disparition, qui dépouillait l’accusation de toute preuve matérielle, et parce que la cour a présumé que l’enfant n’était pas né viable : « L’enfant, qui n’était pas à terme, était né d’ailleurs dans des conditions qui rendaient très probable la supposition de la mort survenant, sans un nouveau crime, aussitôt après la naissance 35. » 34. AN/BB/20/226/2, I-V, 3e trim. 1860, Dupuy, 29 août 1860. 35. AN/BB/20/210/1, I-V, 2e trim. 1858, Bernhard, 25 juin 1858.

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L’accusation d’infanticide était certes fort délicate à soutenir dans ces conditions, mais il convient de remarquer que la loi ne soumet pas cette incrimination à la condition de viabilité de l’enfant. Faire de la viabilité du nouveau-né une condition nécessaire à la qualification du crime serait même, selon Chauveau et Hélie, contraire à l’esprit de la loi : « Distinguer, pour punir l’infanticide, entre l’enfant qui est né viable et celui dont la vitalité serait douteuse, ne serait-ce pas vouer à la mort une foule d’êtres faibles ? Ne serait-ce pas surtout couvrir d’une excuse perpétuelle tous les crimes commis sur les enfants 36 ? » Exposition dans un lieu solitaire L’incrimination d’exposition dans un lieu solitaire ne vise pas spécialement la protection des nouveau-nés. Elle concerne tous les enfants de moins de sept ans et est sanctionnée de deux manières par le Code pénal suivant le sort de l’enfant. Si l’enfant a survécu à ce délaissement, l’article 349 prévoit une peine d’emprisonnement de six mois à deux ans, et une amende de 16 à 200 F. En revanche, si le délaissement a entraîné la mort de l’enfant, l’article 351 assimile le fait à un meurtre. Lors des débats qui ont précédé l’adoption du Code pénal, Monseignat, rapporteur du projet devant le Corps législatif, rapprochait du reste nettement les deux crimes : « L’abandon dans un lieu isolé ou solitaire fait présumer l’intention de détruire jusqu’à l’existence de l’être infortuné destiné à perdre la vie par un crime, après l’avoir le plus souvent reçue par une faute 37. » Cette incrimination est assez rare dans le ressort de la cour de Rennes alors que, selon Delamarre, quand l’homicide n’est pas clairement démontré mais que l’intention criminelle est incontestable, elle pourrait aboutir plus facilement à une condamnation qu’une accusation d’infanticide. Il regrette ainsi que Jeanne Le Roch, domestique à Moréac, qui était allée accoucher dans un champ et avait abandonné son enfant dans un chêne creux, n’ait pas été poursuivie sur ce chef d’inculpation : « Dans cette affaire, comme dans une grande partie de celles de cette nature, tout consistait à savoir si l’enfant était mort naturellement, ou victime d’un homicide. Aucun témoin ne pouvait éclaircir ce fait, et l’homme de l’art osait d’autant moins prendre sur lui de résoudre la question, que la ligature du cordon ombilical n’est pas toujours indispensablement nécessaire pour la conservation de la vie de l’enfant nouveau-né. Dans cette incertitude, les jurés ont répondu négativement, et l’acquittement de Jeanne Le Roch a été prononcé. Le fait ne serait probablement pas demeuré impuni si, au lieu d’être accusée d’infanticide, Jeanne Le Roch l’eut été d’avoir exposé son enfant dans un lieu solitaire, et il semble que c’est ainsi que le fait aurait dû être qualifié 38. » 36. Chauveau A., Hélie F., op. cit, t. 5, p. 195. 37. Rapport au Corps législatif, 17 février 1810, Archives parlementaires de 1787 à 1860…, 2e série, t. X, Paris, 1867, p. 605. 38. AN/BB/20/76, M, 3e trim. 1834, Delamarre, 22 octobre 1834.

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La « correctionnalisation » des crimes Pour éviter l’échec des procès d’assises, il arrive que les infanticides soient déqualifiés par les chambres des mises en accusation et que les accusés soient déférés, pour simple homicide par imprudence, aux tribunaux correctionnels, siégeant sans jury. Le choix entre infanticide et homicide par imprudence opéré par le parquet et la chambre des mises en accusation est plus fondé sur une stratégie répressive que sur la qualification de faits concrets et ses résultats sont imprévisibles. Ainsi Anne-Marie Berthe, blanchisseuse à Rochefort-enTerre, est-elle d’abord condamnée, en 1844, par le tribunal correctionnel de Vannes à deux ans de prison pour homicide involontaire sur son enfant. Le procureur du roi avait considéré que le rapport d’autopsie n’était pas suffisamment affirmatif pour l’inculper d’infanticide, mais le procureur général, qui ne partageait pas cette opinion, avait fait appel. L’accusée a été renvoyée devant la cour d’assises du Morbihan où elle a finalement été acquittée 39. La pratique de « correctionnalisation » est courante. Elle concerne en premier lieu les vols de peu d’importance qui encombrent les sessions et qui ne sont soumis aux cours d’assises que parce qu’ils ont été commis avec des circonstances aggravantes (de nuit, en réunion, avec escalade ou effraction…). Mais elle s’applique aussi à certains infanticides. Elle est souhaitée par de nombreux magistrats qui considèrent que les acquittements « scandaleux » portent atteinte à la solennité de la justice. Gaudiche écrivait, en 1830, à propos d’une accusée dont l’intention homicide n’avait pas été démontrée : « L’enfant né viable est mort parce qu’il a manqué de l’air nécessaire au développement de la vie mais peut-on dire que la fille Le Ray ait réellement sçu [sic] que cet enfant ne pouvait rester un certain temps dans cette position sans mourir ? Et au lieu d’homicide volontaire, ne pourrait-on pas voir dans cette circonstance un homicide par imprudence ? […] De telles accusations ne devraient-elles pas toujours être renvoyées devant la police correctionnelle ? On préviendrait de cette manière des débats scandaleux et une impunité plus scandaleuse encore 40. »

En 1861, le procureur général de Rennes aimerait intensifier le mouvement de requalification de certains crimes, afin de faciliter leur répression. Mais il se heurte aux réticences de la chambre des mises en accusation : « Les magistrats de cette chambre, par un respect de la loi qu’il ne m’est pas possible d’appeler trop absolu, ont, depuis le commencement de l’année, constamment refusé toute transaction et dans aucune circonstance, je n’ai pu obtenir d’eux que même dans l’intérêt de la vindicte publique, 39. AN/BB/20/128, M, 4e trim. 1844, Poulizac, 7 janvier 1845. 40. AN/BB/20/53, L-I, 1er trim. 1830, Gaudiche, s. d.

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ils se déterminassent à réformer une qualification légalement donnée à un crime par les premiers juges 41. » Homicide par imprudence En vertu de son pouvoir discrétionnaire, le président de la cour d’assises peut se déterminer, quand il estime qu’une accusation d’infanticide va échouer, à déqualifier lui-même l’accusation en posant comme résultant des débats une question subsidiaire d’homicide par imprudence. Dans la formulation des questions qu’il soumet au jury, il n’est en effet pas tenu de se limiter au fait principal figurant dans l’acte d’accusation. Il peut, en considérant que les débats ont fait apparaître des circonstances nouvelles, de nature à modifier l’appréciation des faits, poser la question subsidiaire d’homicide par imprudence 42. Cette question peut aussi être posée à la demande du ministère public. Excepté les cas où l’intention criminelle des accusées n’est pas manifeste, les magistrats posent cette question dans l’espoir d’obtenir une condamnation, aussi atténuée soit-elle. La peine maximale encourue pour un homicide par imprudence est en effet de deux années d’emprisonnement, et s’accompagne d’une amende qui, en théorie, varie de 50 à 600 F. Dans la pratique, c’est au minimum de l’amende que les accusés sont généralement condamnés. Quand la question subsidiaire d’homicide par imprudence n’a pas été posée au jury et que l’accusation d’infanticide échoue, les procureurs généraux ordonnent de plus en plus fréquemment à partir des années 1850, que les accusés fassent l’objet de poursuites ultérieures devant les tribunaux correctionnels. Suppression d’enfant Certains magistrats, préfigurant les modifications introduites par la loi de 1863 43 et profitant des revirements de jurisprudence de la Cour de cassation, ont considéré qu’ils pouvaient également poser, comme résultant des débats, la question de suppression d’enfant. Ce crime est défini par l’article 345 du Code pénal, qui punit de la réclusion les « coupables d’enlèvement, de recelé ou de suppression d’un enfant, de substitution d’un enfant à un autre, ou de supposition d’un enfant à une femme qui ne sera pas accouchée ». La Cour de cassation avait indiqué à diverses reprises que cet article ne visait que la protection de l’état civil de l’enfant et avait pour objet de lui conserver « sa famille, son état, les droits que lui donne sa naissance 44 ». En 1825, en particulier, considérant que les crimes étaient de nature abso41. AN/BB/20/235/2, F, le procureur général au garde des sceaux, 6 juillet 1861. 42. C. pén., art. 319. 43. Voir infra. 44. Chauveau A., Hélie F., op. cit, t. 4, p. 444.

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lument distincte, elle avait jugé qu’il n’était pas possible de poser dans une accusation d’infanticide la question subsidiaire de suppression d’enfant : « Le crime de suppression d’enfant ne peut être considéré comme une modification du crime d’infanticide ; […] celui-ci est un attentat contre la vie de l’enfant, tandis que l’autre, placé dans une section différente du Code pénal, est surtout un attentat contre son état civil 45. » Malgré cette prise de position, la question de suppression d’enfant a été posée plusieurs fois, entre 1835 et 1839, dans le ressort de Rennes, notamment par Chellet, qui s’en est expliqué au garde des Sceaux : « La Cour de cassation s’est prononcée contre la position subsidiaire de la question de suppression d’enfant dans une accusation d’infanticide. Sans doute le jury ne peut être interrogé que sur le fait de l’accusation, ou que sur ceux qui le modifient, ou lui sont intimement connexes ; mais la suppression d’enfant ne peut-elle pas avoir avec l’infanticide le rapport du moins au plus, ainsi qu’on le décide pour l’homicide par imprudence ? […] Quand un enfant a vécu et qu’on cache à la fois sa naissance, sa personne et son décès, n’y a-t-il pas dans le sens propre du mot suppression de l’enfant 46 ? »

En 1838, Brager pose cette même question dans l’affaire Eulalie Pellerin, une tailleuse de Pornic qui refusait d’avouer ce qu’elle avait fait de son enfant. Trois cadavres de nouveau-nés avaient été découverts non loin de son domicile, dans le mois qui avait suivi la date supposée de son accouchement, mais l’expertise médicale n’avait pas permis d’identifier son nouveau-né : « Qu’était devenu l’enfant ? Qu’en avait-elle fait ? L’acte d’accusation lui en demandait compte, sans toutefois l’incriminer positivement sur le fait de suppression d’enfant. L’arrêt de renvoi ne le faisait pas davantage. Dans ces circonstances, je me suis déterminé à poser, comme résultant de l’acte d’accusation et des débats, la question subsidiaire de suppression de la personne de son enfant, et j’en ai averti le ministère public et l’accusée. Je sais que, notamment en 1825, la Cour de cassation avait décidé que, dans une accusation d’infanticide, une pareille question ne pouvait être posée, comme résultant des débats. Mais il est à remarquer qu’en 1837, elle a changé de jurisprudence et rejetté [sic] un pourvoi dans une affaire où cette même question avait été posée, et avait amené une condamnation. Comme je le prévoyais, le jury a répondu négativement à la question d’infanticide ; mais il a résolu affirmativement celle de suppression de la personne de l’enfant, sans même admettre de circonstances atténuantes 47. »

Inhumation clandestine L’accusation d’inhumation sans autorisation 48 peut être connexe au crime d’infanticide ou n’être introduite, comme les questions d’homicide 45. Cour de cassation, arrêt du 20 août 1825 (Jeanne Périchon). 46. AN/BB/20/93, L-I, 3e trim. 1837, Chellet, 8 octobre 1837. 47. AN/BB/20/98, L-I, 1er trim. 1838, Brager, 8 avril 1838. 48. C. pén., art. 358.

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par imprudence et de suppression d’enfant, que comme question subsidiaire. Il arrive que l’acte d’accusation comporte plusieurs chefs d’inculpation. Ainsi Félicité Jeuffrat est-elle jugée en 1849 pour infanticide, inhumation sans autorisation et vol domestique de deux mouchoirs, commis au préjudice de ses anciens maîtres. En raison des insuffisances du dossier, elle ne sera condamnée que sur le deuxième chef, pour inhumation sans autorisation 49. Mais comme l’infanticide emporte soit la peine de mort, soit celle des travaux forcés à perpétuité, il est rare que les charges retenues contre les accusées comprennent d’emblée le délit d’inhumation clandestine, qui n’est passible que d’une peine de deux mois de prison et de 16 F d’amende. D’autant que le Code d’instruction criminelle interdit le cumul des peines et inflige, lorsque l’accusé est déclaré coupable de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus forte. Les questions d’inhumation clandestine ne sont donc habituellement proposées aux jurys que subsidiairement, pour combler le déficit de preuves auxquels se heurtent les magistrats dans certaines affaires d’infanticide. Le cas de Marie Simon apporte un nouvel éclairage sur la difficulté de qualifier les actions homicides contre les nouveau-nés, en raison non seulement du choix des charges retenues par l’accusation, mais aussi des lacunes de la procédure écrite. Marie Simon, blanchisseuse à Janzé, avait abandonné son nouveau-né dans le jardin où elle était allée accoucher clandestinement. Elle l’avait asphyxié en le recouvrant de terre. La chambre d’accusation n’avait retenu à son encontre qu’une incrimination d’exposition dans un lieu solitaire, et avait omis de mentionner la mort de l’enfant. Cette accusation a été donc repoussée par le jury, et Marie Simon n’a été condamnée qu’à une peine correctionnelle : « La chambre d’accusation ayant omis de mentionner dans son arrêt la circonstance que la mort de l’enfant avait été la suite de l’exposition, bien qu’elle ait invoqué l’art. 351 du Code pénal, la cour d’assises […] a décidé que la question relative à ce décès ne serait pas posée, et que néanmoins l’arrêt de renvoi n’ayant pas été attaqué dans les cinq jours, elle retenait la connaissance de cette affaire, bien qu’elle ne soit plus que correctionnelle. Le jury n’a pas voulu dans l’espèce considérer un jardin attenant à une maison comme un lieu solitaire, et a résolu négativement la question relative à l’exposition. Mais déclarée coupable d’inhumation sans autorisation, Marie Simon a été condamnée à deux mois d’emprisonnement, maximum de la peine et à 16 F d’amende 50. »

Comme l’homicide par imprudence, l’inhumation clandestine fait couramment l’objet, à la demande du procureur général, de poursuites ultérieures devant les tribunaux correctionnels quand les accusés ont été acquittés sur le fait d’infanticide. Ces poursuites visent particulièrement 49. AN/BB/20/147/2, I-V, 4e trim. 1849, Androuïn, conseiller, 2 février 1850. 50. AN/BB/20/69, I-V, 3e trim. 1833, Cavan, 20 août 1833.

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les pères des nouveau-nés qui ne figurent souvent dans les affaires que comme complices.

Regard critique sur la phase de l’instruction Aux difficultés propres à l’application de la législation sur l’infanticide viennent s’ajouter celles qui tiennent à l’instruction. Au regard du fonctionnement actuel de la justice, on ne peut qu’être frappé par la célérité du traitement des affaires judiciaires au XIXe siècle. Mais ce n’est pas sur cette question que portent les principales critiques des présidents des cours d’assises. À leurs yeux, les actes les plus importants de l’instruction que sont les interrogatoires des prévenus et les auditions des témoins sont trop souvent délégués à des juges de paix incompétents. Ils se plaignent également de l’imperfection et des insuffisances des expertises médicales. Une justice expéditive ? La procédure écrite se réduit quelquefois à deux ou trois interrogatoires, quelques auditions de témoins et au procès-verbal d’autopsie établi par les médecins. Quand l’inculpée est la mère du nouveau-né, s’y ajoute le procès-verbal de visite qui doit constater qu’il y a eu accouchement récent. Les dossiers contiennent parfois aussi des renseignements sur les antécédents des inculpés. Il n’est pas rare que les accusées d’infanticide soient déférées aux assises très peu de temps après leur arrestation. La célérité de la justice est même parfois exceptionnelle : dans deux affaires au moins l’instruction ne dure qu’une dizaine de jours. Jeanne Auffray, journalière à Plémet, comparaît en 1862 devant la cour d’assises des Côtes-du-Nord, dix-sept jours seulement après le meurtre de son enfant. « Le crime avait été commis le 2 octobre, il a été déféré au jury le 19 du même mois, au cours d’une session qui s’ouvrait le 13. L’instruction de cette affaire a donc été faite avec une célérité exceptionnelle. Elle était cependant complète 51 », écrit Dupuy qui, sans doute parce que cette inculpée à été sévèrement condamnée, ne trouve rien à redire à une procédure aussi rondement menée. « La procédure a été aussi complète que rapide, elle n’a duré que onze jours 52 » relève également, en 1857, le président de la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine, à propos de Renée-Marie Bongard, une domestique de Domagné, qui a été condamnée à 12 ans de travaux forcés. Le délai entre la perpétration du crime et la mise en jugement n’excède qu’exceptionnellement six mois. Le dépouillement du Compte général de l’administration de la justice criminelle montre que dans le ressort 51. AB/BB/20/245/2, C-N, 2e trim. 1862, Dupuy, 12 novembre 1862. 52. AN/BB/20/200/1, I-V, 1er trim. 1857, Lambert, 12 février 1857.

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de la cour de Rennes, 90 % des ordonnances des chambres du conseil sont rendues dans les trois mois qui suivent le crime 53, et qu’un tiers des accusations est jugé dans le même délai. Cet état de fait n’est pas propre à la Bretagne qui, pour la rapidité des procédures, se situe dans la moyenne nationale. La rapidité avec laquelle sont rendues les décisions de justice correspond de la part de la chancellerie à une volonté politique, qui est périodiquement rappelée dans les circulaires adressées aux procureurs généraux. La Direction des affaires criminelles et des grâces se montre fort soucieuse de se démarquer des pratiques arbitraires de l’Ancien Régime. Les inculpés étant placés en détention préventive, il importe à ses yeux ne pas abuser du caractère préventif de cette détention. Elle s’efforce également de ne pas trop alourdir les frais de justice, en particulier les taxes accordées aux témoins, aux interprètes et aux experts, ainsi que les indemnités de déplacement des juges d’instruction, des juges de paix et de leurs greffiers. D’autant que, dans les affaires criminelles mettant en scène de pauvres gens – c’est-à-dire dans la plupart des cas – ces frais demeurent à la charge de l’État. Enfin, il convient que la sanction suive de près le crime, afin qu’elle puisse avoir valeur d’exemplarité. Observations des magistrats de la cour de Rennes Ce n’est que quand les accusations échouent que les présidents d’assises se montrent critiques à l’égard de l’instruction écrite. Ils n’hésitent pas alors à souligner les insuffisances des dossiers qui leur ont été soumis. Mais les juges d’instruction sont relativement épargnés. C’est généralement l’incompétence des juges de paix et l’impéritie des hommes de l’art qui sont rendues responsables des vices de l’instruction. Loin d’être attribués au caractère hâtif des procédures, les dysfonctionnements sont plus volontiers mis au compte des officiers de santé auxquels les juges de paix confient imprudemment les autopsies. Remarques sur les juges d’instruction Il arrive que les juges d’instruction rendent leurs ordonnances sans même avoir entendu un seul témoin. Dans l’affaire Julie Pouvreau, une tailleuse de Viellevigne, âgée de 28 ans, accusée d’avoir tué son troisième enfant naturel, le substitut constate mais sans trop s’en étonner : « Il n’a été entendu aucun témoin par le juge d’instruction, mais le juge de paix en a entendu trois en procédant spontanément à la recherche du crime imputé à la fille Pouvreau 54. » 53. La moyenne passe de 87 % en 1826 à 96 % en 1865. 54. AD L-A 5U/129, fiche de renseignements par le procureur de Nantes, 5 août 1844.

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C’est plutôt l’excès contraire, celui de multiplier les auditions ou les interrogatoires, qui est considéré comme un obstacle à la manifestation de la vérité. Baudouin reproche ainsi au juge chargé en 1856 de l’instruction de l’infanticide dont est soupçonnée la Vve Chauvet, une domestique de Bourgneuf, d’avoir, en accumulant les interrogatoires, apporté plus de confusion que de lumière. « J’ai été frappé, note-t-il, de la prolixité et de la multiplicité des interrogatoires subis par l’accusée dans cette affaire très simple, jusqu’au nombre de six ! Les détails utiles se trouvent noyés dans un amas d’inutilités ; en sorte que cette partie de l’instruction, qui si souvent trouve sa place dans le débat oral et y joue même un rôle important, en a été nécessairement éconduite par son vice même 55. » Les seules véritables critiques faites aux juges d’instruction portent sur la facilité avec laquelle ils mettent en détention préventive de supposés complices, parents ou amants des femmes inculpées, dont la participation au crime n’est pas toujours avérée. Ces arrestations hâtives, attentatoires aux libertés individuelles sont mal perçues par les conseillers. Ils sont particulièrement choqués quand les personnes injustement incarcérées ont un certain âge. « L’instruction avait été suivie avec beaucoup de zèle », écrit le président de la cour d’assises devant laquelle comparaissait Anne-Marie Berrée, une domestique venue accoucher clandestinement chez sa mère à Iffendic, « mais on avait été bien prompt à décerner un mandat d’arrêt contre MarieFrançoise Roullé, Vve Berrée, mère de l’accusée. […] Cette vieille femme, ajoute-t-il, a été détenue pendant plus de deux mois, et je n’ai pu découvrir dans la procédure un indice de culpabilité contre elle 56 ». La Vve Berrée, qui est qualifiée de vieille femme, n’est âgée selon la procédure que de 47 ans. Sa participation au crime avait été suggérée au magistrat instructeur par sa belle-fille, sans doute jalouse de l’affection que la Vve Berrée portait à sa fille Anne-Marie. De même, Le Beschu de Champsavin déplore-t-il l’incarcération du père de Marie-Perrine Touraine, une marchande de beurre de MiniacMorvan, lui aussi hâtivement soupçonné de complicité : « Les magistrats de Saint-Malo ont fait preuve de zèle et d’activité, mais puisque je dois la vérité tout entière, et tout en respectant leurs convictions, je trouve qu’ils ont été prompts à faire arrêter Touraine et lents à le rendre à la liberté. À aucune époque de l’instruction, je n’ai trouvé de charge assez sérieuse pour le priver de sa liberté. Il existait bien quelqu’équivoque qui sortait de la différence des réponses du père et de la fille […] et encore les faits en contradiction étaient sans conséquence avec l’aide ou l’assistance dans l’exécution de l’infanticide. Ce vieillard était désespéré de l’ignominie qui couvrait sa fille, et il a été détenu du 2 au 15 février 57. » 55. AN/BB/20/190/2, L-I, 4e trim. 1856, Baudouin, 26 décembre 1856. 56. AN/BB/20/174/2, I-V, 4e trim. 1854, Le Beschu de Champsavin, 27 décembre 1854. 57. AN/BB/20/218/2, I-V, 2e trim. 1859, Le Beschu de Champsavin, 5 juillet 1859.

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Évaluation des juges de paix Les juges de paix ont un statut si particulier qu’ils ne sont pas perçus par le corps des conseillers comme appartenant véritablement à la magistrature. Aussi n’est-il pas étonnant que les insuffisances des dossiers leur soient habituellement imputées. Les justices de paix ont été établies par la loi des 16-24 août 1790. Dans son œuvre de réformation du système judiciaire, la Constituante avait eu le dessein d’instituer, pour les affaires de peu d’importance et particulièrement pour régler les différends des habitants des campagnes, une justice proche des citoyens, rapide et peu coûteuse. Les législateurs de 1790 gardaient sans doute à l’esprit les critiques émises à l’égard des justices seigneuriales, auxquelles les hommes du XVIIIe siècle reprochaient la longueur abusive des procédures, l’énormité des frais, l’éloignement et la multiplicité des acteurs et des instances 58. Les juges de paix ont d’abord été élus pour deux ans à la majorité des citoyens de leur ressort réunis en assemblées primaires. À partir de la Restauration, ils ont été nommés par le gouvernement, sans toutefois bénéficier de l’inamovibilité. Aucune compétence juridique particulière n’était exigée pour accéder aux fonctions de juge de paix. Les seules conditions requises étaient des conditions d’âge (30 ans minimum) et de cens. Mais la condition de cens fut supprimée en l’an IV. Aux juges de paix était confiée la double mission de concilier et, à défaut, de juger. En raison de cette vocation première de médiation et de conciliation, il n’était pas essentiel que les juges de paix fussent des hommes de loi. Les qualités recherchées étaient celles qui pouvaient être utiles aux fonctions d’arbitrage : autorité, dignité, reconnaissance sociale. En instaurant ces juridictions, les Constituants entendaient procurer aux campagnes, comme le souhaitait Thouret, principal artisan de la loi, « une justice très simple, très expéditive, exempte de frais et dont l’équité naturelle dirige la marche plutôt que les règlements pointilleux de l’art de juger 59 ». Du fait de cette volonté de rendre une justice « très simple, très expéditive, exempte de frais », les compétences des juges de paix sont très vastes. La loi les charge de nombreuses attributions tant en matière civile qu’en matière administrative, policière, et même extrajudiciaire (présidence des conseils de famille, apposition et levée de scellés…). Le décret des 16-29 septembre 1791 leur confère en outre des compétences en matière criminelle, comme auxiliaires du ministère public ou délégués du juge d’instruction. Les juges de paix ont fait l’objet de nombreuses critiques. Souvent recrutés, selon leurs détracteurs, parmi les gros propriétaires censitaires du pays, ils sont accusés d’être devenus, à partir de la monarchie de Juillet, de véritables agents politiques du gouvernement et, sous le Second Empire, de 58. Notamment dans les cahiers de doléances. Loyseau avait déjà émis la plupart de ces critiques dans son Discours de l’abus des justices de village (1603). 59. Archives parlementaires…, t. XII, séance du 24 mars 1790, p. 346.

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paraître « occupés avant tout à assurer le succès des candidats officiels 60 ». Mais les magistrats leur reprochent essentiellement d’ignorer la loi. Dans le ressort de la cour de Rennes, innombrables sont les critiques faites aux juges de paix, sur lesquels les juges d’instruction semblent se décharger trop facilement de l’instruction écrite : « L’instruction judiciaire se fait en général avec zèle et activité dans le département du Morbihan, remarque Le Meur en 1863, cependant, j’ai remarqué que Messieurs les juges d’instruction déléguaient trop souvent leurs pouvoirs à Messieurs les juges de paix pour faire entendre les témoins dans des affaires délicates 61. » En 1826 déjà, à la suite des critiques formulées par le président de la cour d’assises du Morbihan à propos du traitement de l’affaire Agnès Droual, accusée d’infanticide, le directeur des affaires criminelles et des grâces avait cru bon de rappeler au procureur général que les juges d’instruction, même quand ils déléguaient une partie de leurs attributions aux juges de paix demeuraient responsables de l’instruction écrite : « M. le conseiller Le Painteur de Normény […] me fait observer qu’il résulte de graves inconvénients de l’usage introduit depuis quelque temps dans le ressort de la cour de charger, par des commissions rogatoires, les juges de paix dont plusieurs ne paraissent pas avoir la capacité qu’exigent leurs fonctions, de l’instruction de presque toutes les affaires criminelles, même les plus importantes et les plus délicates. Quand j’ai recommandé aux juges d’instruction, par ma circulaire du 9 avril 1825, d’user le plus souvent qu’il serait possible, de la faculté de déléguer, je n’ai pas entendu qu’ils dûssent le faire indistinctement dans toutes les affaires […] lors même qu’ils ont adressé des commissions rogatoires, [les juges d’instruction] n’en restent pas moins directement responsables de la procédure 62. »

Il est fréquemment reproché aux juges de paix de commettre des irrégularités dans la rédaction de leurs actes ou d’omettre des éléments importants dans leurs procès-verbaux. Leur proximité à l’égard des justiciables, utile dans leurs rapports avec les populations des régions bretonnantes, dont ils connaissent généralement l’idiome, peut être un obstacle à l’élucidation des affaires criminelles. Il leur est en effet moins aisé qu’aux magistrats des tribunaux d’arrondissement d’échapper aux pressions des familles influentes de leur canton. C’est, note Chellet, « malgré la crainte de faire un affront public à une famille considérée » du pays que le juge de paix de Saint-Gildas-des-Bois s’est présenté, pour recueillir des informations, chez le père de Marie Tillard, un « honorable cultivateur ». Cette femme, qui vient tout juste de se marier, n’habite pas encore chez son époux. Les villageois la soupçonnent d’avoir accouché et d’avoir fait disparaître l’enfant, qui n’est pas de son mari 63. 60. Pronier D., Le Juge d’instance dans la société française, Paris, 1993, p. 45. 61. AN/BB/20/256/2, M, 2e trim. 1863, Le Meur, 20 juillet 1863. 62. AN/BB/20/29, M, 3e trim. 1826, le garde des sceaux au procureur général de Rennes, 19 décembre 1826. 63. AN/BB/20/93, L-I, 3e trim. 1837, Chellet, 8 octobre 1837.

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S’exprimant à propos d’une affaire de coups et blessures, Poulizac témoigne des réticences que certains magistrats de Rennes, éloignés par leur position géographique et sociale des affaires locales, éprouvent à l’égard des instructions menées par les juges de paix : « Qu’il me soit permis, avec cette vieille expérience que j’ai des affaires criminelles, écrit-il en 1842 au garde des Sceaux, de vous faire observer qu’il serait prudent, peut-être, de ne pas adresser toujours des commissions rogatoires aux juges de paix, surtout lorsqu’il s’agit d’attentats contre les personnes ; plusieurs sont incapables de bien diriger une instruction ; d’autres peuvent se laisser effrayer, involontairement, par les menaces ou le caractère violent des affidés du coupable ou du coupable lui-même; d’autres peuvent être, sans s’en douter, circonvenus par l’intérêt général qui peut s’attacher au malfaiteur et il conviendrait, je le pense du moins, de le rappeler aux juges d’instruction 64. »

Dans les affaires d’infanticide, le principal grief formulé à l’égard des juges de paix est leur incapacité à s’entourer d’hommes de l’art aptes à pratiquer des autopsies. Lors de son transport chez Françoise Coquelin, une journalière de Trans, âgée de 19 ans, le juge de paix de Pleine-Fougères se fait ainsi accompagner d’un officier de santé qui, à l’audience de la cour d’assises, ne cachera pas son incompétence en médecine légale. « Le juge de paix du canton, écrit Collin de la Contrie, descendit sur les lieux, accompagné d’un officier de santé et de l’adjoint de la commune, on retira le cadavre de la douve et on le porta dans la maison où l’homme de l’art procéda à l’autopsie. Il reconnut à l’inspection du cadavre, que l’enfant était né viable, à terme, fortement constitué et qu’il avait vécu. Malheureusement, son opération fut bornée à cette inspection et il ne procéda ni à la docimasie pulmonaire 65, ni aux autres épreuves commandées en pareil cas ; à l’audience, cet officier de santé a même avoué son incapacité à cet égard et prétendit ne l’avoir pas cachée au juge de paix, lors de l’autopsie. […] Il est à regretter, ajoute-t-il, qu’en matière d’infanticide, les juges d’instruction se contentent souvent de confier l’instruction à des juges de paix trop peu instruits pour pouvoir les suppléer. Il résulte presque toujours de ces informations manquées, un acquittement scandaleux 66. »

Legeard de la Diriays formule les mêmes critiques dans l’affaire Thérèse Kérisit, domestique à Goulien : « Un médecin et un officier de santé, aussi ignorants l’un que l’autre, procédèrent à l’autopsie de ce cadavre. […]. Pour s’assurer si l’enfant avait eu vie, les officiers de santé se bornèrent à jeter les poumons dans un vase 64. AN/BB/20/120, I-V, 1er trim. 1842, Poulizac, 19 mars 1842. 65. Expérience qui consiste à plonger dans l’eau les poumons d’un enfant nouveau-né pour reconnaître s’il a respiré. Si les poumons surnagent, c’est qu’ils ont été pénétrés par l’air. S’ils se précipitent au fond du liquide, c’est qu’ils ont conservé leur densité première et que l’enfant n’a pas respiré. Ce procédé, indiqué par Galien, est utilisé en médecine légale depuis le XVIIe siècle. 66. AN/BB/20/120, I-V, 3e trim. 1842, Collin de la Contrie, s.d.

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plein d’eau, ils surnagèrent et ils décidèrent sur ce seul indice que l’enfant avait vécu, sans remplir aucune autre formalité et sans se livrer à aucun autre examen. Ils ajoutèrent qu’ils supposaient que l’enfant avait pu périr parce qu’on avait omis de lier le cordon ombilical et il poursuit, témoignant de son peu d’estime pour les juges de paix : Cette opération était évidemment incomplète et cela prouve combien il est dangereux de laisser les juges de paix procéder seuls dans des cas aussi graves. Il serait à désirer que dans des cas semblables, les juges de paix se bornassent à donner avis des faits aux procureurs du Roi ou juges d’instruction, qui sont plus capables de surveiller les opérations et plus à lieu de s’environner des lumières d’hommes instruits 67. »

Insuffisances des expertises médico-légales Dans les cas de mort violente, l’article 44 du Code d’instruction criminelle prescrit au procureur du roi, procédant en flagrant délit, de se transporter sur les lieux accompagné d’un ou deux officiers de santé, « qui feront leur rapport sur les causes de la mort et sur l’état du cadavre ». Mais les médecins perçoivent les expertises médico-légales comme une corvée peu rémunératrice et beaucoup tentent de s’y soustraire. Si bien que, par exemple, le juge de paix de Rougé ne sait à qui confier l’autopsie du cadavre du nouveau-né qui a été trouvé, en novembre 1839, dans le fossé d’un château voisin : « On soupçonne beaucoup, écrit-il au procureur du roi, une fille d’un village voisin de La Mahonnière qui était entrée au service de Mlle Le Moine à la Saint-Jean dernière, mais que cette demoiselle a mis dehors il y a quelque temps. J’ignore pourquoi. Cela me donne l’occasion de vous renouveller [sic] ma prière de me donner des instructions pour les cas où il s’agit de constater l’état d’un cadavre lorsqu’on soupçonne une mort violente. L’officier de santé du bourg refuserait son ministère et il n’y aurait pas trop à le regretter ; il manque des outils nécessaires et d’ailleurs il dirait avec raison qu’il n’a pas été payé lorsqu’il s’est transporté sur les lieux. Faudrait-il en requérir un de Châteaubriant ? Les anciens n’aiment pas ces corvées, trouvant le salaire insuffisant 68. »

Les honoraires des médecins, chirurgiens, officiers de santé et sagesfemmes sont assujettis au décret du 18 juin 1811 qui fixe le tarif des frais en matière criminelle. Les rapports et visites faits sur réquisition des officiers de justice et de police judiciaire font partie des frais de l’instruction et sont recouvrables sur le patrimoine du condamné 69. Sans doute est-ce là, en partie, la cause de leur modicité, d’autant qu’en cas d’acquittement ils restent à la charge de l’État. Louis Delacroix, auteur d’un petit opuscule intitulé : Caractère et attributions du médecin dans l’instruction criminelle et 67. AN/BB/20/76, F, 4e trim. 1834, Legeard de la Diriays, 8 novembre 1834. 68. AD L-A 5U 110/1, le juge de paix de Rougé au procureur de Châteaubriant, 8 décembre 1839. 69. Loi du 18 germinal an VII et C. instr. crim., art. 168.

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devant la cour d’assises, donne une autre explication à cette modicité : « Au moment où la loi a statué (en 1803 et en 1811) sur les attributions des médecins en matière criminelle, la science était peu avancée, et surtout combien peu on pouvait compter sur la capacité du corps médical en général. Aussi ne faut-il pas s’étonner du peu d’importance que les tribunaux attachaient alors aux expertises médico-légales 70. » La médecine légale ne se constituera véritablement en France comme discipline scientifique qu’avec les travaux d’Orfila, Devergie, Marc, Fodéré, Chaussier, Ollivier d’Angers, Bayard, Tardieu… c’est-à-dire guère avant les années 1820. Les Annales d’hygiène publique et de médecine légale témoignent de ce long cheminement. Il faudra attendre le décret du 21 novembre 1893, qui institue le médecin-expert, pour que les vacations accordées aux praticiens soient réévaluées. Pourtant, les thèses de médecine légale se multiplient et les médecins qui la pratiquent ou l’enseignent commencent à acquérir un véritable prestige. D’après l’article 17 du décret du 18 juin 1811, les droits dus aux médecins pour la visite et le rapport qu’ils font à la réquisition des autorités judiciaires s’élèvent à 6 F à Paris, à 5 F dans les villes de 40 000 habitants et au-dessus, et à 3 F dans les autres communes. Le même article prévoit une vacation supplémentaire pour les « ouvertures de cadavre ou autres opérations plus difficiles que la simple visite », qui s’élève à 9 F à Paris, 7 F dans les villes de 40 000 habitants et au-dessus, et à 5 F dans les autres communes. Selon les calculs de Louis Delacroix, les frais de transport et les vacations accordés aux médecins couvrent à peine la location et la nourriture du cheval et le repas du praticien. Une autopsie pour laquelle, dans les villes de moins de 40 000 habitants, c’est-à-dire dans les cas les plus fréquents, un médecin perçoit 5 F, dure en moyenne trois à quatre heures, auxquelles il faut ajouter le temps consacré à la rédaction du rapport 71. La faiblesse de cette rémunération est une source pratiquement constante de récriminations. Jacques Léonard trouvait trace de revendications formulées à ce sujet par des médecins assemblés à Rennes en 1839, et à Pontivy en 1843. C’est donc sans enthousiasme que les hommes de l’art se livrent aux visites et aux autopsies. Si bien que leurs rapports sont parfois empreints d’une imprécision ou d’une prudence telles qu’ils peuvent difficilement servir à éclairer les débats. Le médecin, dont le choix embarrassait fort le juge de paix de Rougé, et à qui sera finalement confiée l’autopsie de l’enfant trouvé dans le fossé d’un château, refuse de se prononcer sur l’accouchement de Louise Brochard, sa mère présumée, et se réfugie dans un doute qu’il qualifie, peut-être ironiquement, de « philosophique » : « On a vu des filles avoir du lait sans que pour cela on pût les soupçonner d’avoir enfanté ; […] d’ailleurs le liquide qui suintait à la 70. Delacroix L., Caractère et attributions du médecin dans l’instruction criminelle et devant la cour d’assises, Châlons-sur-Marne, 1852, p. 23-24. 71. Ibidem, p. 25-26.

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mamelle gauche en la pressant entre les doigts, pouvait n’être pas du lait, mais bien plutôt dépendre d’une sécrétion anormale et maladive. » Et il conclut : « Me résumant et restant dans un doute philosophique, je ne puis affirmer que Louise Brochard soit récemment accouchée 72. » Quel que soit leur statut – médecins, officiers de santé ou chirurgiens –, la science des hommes de l’art est bien souvent mise en défaut. L’exemple le plus frappant de cette défaillance concerne sans nul doute la fille Dagorn. Cette mendiante de 35 ans, de Glomel, avait été accusée d’infanticide et deux médecins avaient constaté sur sa personne les signes d’un accouchement récent. « Mais, écrit le président de la cour d’assises, à peine sa mise en accusation était-elle prononcée, que la fille Dagorn mit au monde un enfant mortné dans la maison d’arrêt de Guingamp, le 1er mars. Nouvelle visite des médecins qui prétendirent que ce second accouchement ne détruisait pas la créance que l’on devait avoir de l’existence du premier, et présentait un cas, rare sans doute, de superfétation. Aux débats, cette conclusion a été par ses auteurs mêmes réduite à une simple probabilité qui a été vivement combattue par un médecin ayant de la réputation et nommé expert dans cette affaire 73. »

Il est vrai que la pratique médico-légale en matière d’infanticide est fort complexe. Comme l’écrivait Tardieu : « Il n’est pas de questions plus ardues, plus complexes, que celles qui se rattachent à la démonstration scientifique du crime d’infanticide […]. Il faut que le médecin, l’officier de santé comme le docteur, soit prêt en tout lieu à constater les faits qui se montrent partout, dans les campagnes, plus peut-être qu’aucun autre genre de crime, et que la justice trouve en lui un auxiliaire éclairé […], et sur les jugements de qui elle puisse guider son action 74. »

Ce qui rend les expertises médico-légales particulièrement difficiles, c’est que : « Dans l’immense majorité des infanticides, la grossesse a été dissimulée avec soin et l’accouchement s’est opéré clandestinement, aussi toutes les circonstances qui s’y rapportent restent enveloppées de mystère, et l’expert chargé de les apprécier n’a, pour s’éclairer, que des allégations trop intéressées pour n’être bien souvent arrangées suivant les nécessités de la défense ou même absolument fausses. Il faut dans ces cas, que le médecin légiste s’attende aux inventions les plus grossières, aux théories les plus chimériques, dont il semble qu’il pourrait laisser le ridicule faire justice, mais qu’il doit cependant discuter et réfuter sérieusement même lorsqu’elles sont les moins sérieuses. Que de fois il lui arrivera d’entendre soutenir que la femme a ignoré sa grossesse, qu’elle ne se savait pas enceinte, qu’elle est accouchée sans le savoir 75. » 72. AD L-A 5U110/1, rapport de Provoté [?], médecin à Châteaubriant, 11 décembre 1839. 73. AN/BB/20/114/5, C-N, 2e trim. 1841, Cavan, 3 juin 1841. 74. Tardieu A., Étude médico-légale sur l’infanticide, Paris, 1868, p. V. 75. Ibidem p. 218.

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Le crime n’étant constitué que si l’enfant est né vivant, s’il a vécu et s’il a péri de mort violente, l’homme de l’art doit d’abord établir les circonstances de l’accouchement et répondre aux questions qui conditionnent l’accusation : l’enfant n’était-il pas mort avant de sortir de l’utérus ? N’est-il pas mort en naissant ? Combien de temps a-t-il vécu ? Quelle est la cause de sa mort ? Il s’agit d’exclure du champ de l’accusation tous les cas où la mort peut résulter des complications de l’accouchement, de malformations graves de l’enfant, ou de circonstances involontaires. Quand la mère est soupçonnée du meurtre, l’homme de l’art doit également la visiter, reconnaître en elle les traces d’un accouchement récent et déterminer si elle était en état de donner les soins nécessaires à la survie de son enfant. Les praticiens disposent rarement d’une formation et d’une pratique suffisantes pour résoudre les diverses questions médico-légales qui se présentent dans les affaires d’infanticide. Ils omettent même parfois de pratiquer la docimasie pulmonaire, opération qui permet d’établir la preuve que l’enfant a respiré et, par conséquent, vécu. Non seulement une grande partie des médecins et des officiers de santé n’est appelée à pratiquer des autopsies qu’à de très rares occasions, mais les difficultés cliniques que présentent les infanticides sont réelles. Orfila et la plupart de ses contemporains admettent qu’au bout d’une dizaine de jours, il est difficile de trouver les traces d’un accouchement et encore plus de le dater 76. Bayard estime que l’asphyxie par submersion est très difficile à reconnaître 77. Et, d’une manière générale, les spécialistes de la question, comme Tardieu et plus tard Brouardel ne cessent de répéter que la médecine légale, particulièrement lorsqu’il s’agit d’infanticide, est la discipline la plus difficile qui soit. On comprend, dès lors, que les magistrats appellent de leurs vœux l’institution de médecins légistes. Poulizac et Le Meur interpellent de nombreuses fois le garde des Sceaux à ce sujet. En 1832, rapportant le jugement de Guillemette Amicel, domestique à Damgan, Poulizac déplore l’incompétence du praticien rural qui a été chargé de l’autopsie et se prononce en faveur de l’institution de médecins jurés : « Il serait à désirer que des médecins jurés, à appointements fixes et modérés, fussent exclusivement chargés, par arrondissement, de toutes les autopsies ; que de fois en effet, la justice et la société ont eu et auront encore à gémir sur l’ignorance de beaucoup de rédacteurs de procès verbaux 78 ! » Pour Le Meur, lui aussi ardent partisan de l’institution de médecins légistes, la justice trouverait un véritable avantage à recourir à des praticiens qui ne seraient pas contraints à la prudence par la nécessité de préserver leur clientèle : 76. Orfila M., Traité de médecine légale…, 3e éd., Paris, 1836, t. 1, p. 324. 77. Bayard H., op. cit., p. 117-119. 78. AN/BB/20/63, M, 4e trim. 1832, Poulizac, 21 décembre 1832.

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« Cette affaire, écrit-il, en commentant l’acquittement de Françoise Renaud, cultivatrice à Plouhinec, qu’il attribue à l’impéritie de l’officier de santé chargé de l’autopsie, justifie encore la nécessité de la mesure que j’ai bien souvent demandée dans mes rapports précédents ; la nomination d’un médecin légiste, qui seul, dans le département du ressort de chaque cour d’assises, serait appelé à faire les autopsies et les procès-verbaux en matière criminelle. C’est alors seulement que l’on pourra espérer de réprimer le crime d’infanticide qui se multiplie d’une manière effrayante, grâce à l’impunité que lui assurent presque toujours des médecins de campagne, ou ignorants, ou qui craignent de compromettre leur clientèle, en disant la vérité, contre des gens dont ils dépendent plus ou moins 79. »

79. AN/BB/20/137, M, 3e trim. 1846, Le Meur, s.d.

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Chapitre II

Les femmes prévenues d’infanticide face à la justice : la phase de l’instruction De la révélation du crime au renvoi en cour d’assises, le cheminement des affaires d’infanticide est parcouru d’obstacles qui sont symptomatiques du rapport quelque peu distant qu’entretiennent les populations rurales – qui fournissent la presque totalité des inculpées – avec la justice officielle et avec ses représentants. Les premiers actes de l’instruction : le transport des magistrats sur les lieux, les interrogatoires des prévenues et les auditions de témoins, permettent d’entrevoir la confrontation de deux univers. À l’univers de la loi, de la culture écrite et policée, s’oppose celui de la culture rurale, souvent fait de ruses, de défis, de tentatives de contourner la loi, voire de défiance pour ce qui relève de l’urbain. Au lendemain de la découverte d’un crime, les prévenues peuvent se laisser impressionner par le cortège des gens de justice qui se transporte en grand appareil sur les lieux, mais elles ne s’avouent pas pour autant vaincues. Leur confrontation avec le corps judiciaire est une épreuve pour les deux parties en présence. Les enquêteurs doivent parvenir à lever les résistances des témoins qui, par réaction de crainte ou de solidarité ou par souci de ne pas être mêlés à la justice, hésitent à faire des révélations. Ils doivent imposer la prééminence de l’État dans la régulation de la violence, contre les tentations qui se manifestent çà et là de régler les problèmes entre soi, dans le cadre d’une justice informelle de village, qui s’arroge quelquefois le droit d’absoudre les coupables ou, au contraire, de les exclure du groupe. Nombre de femmes ont pris, avant de commettre leur crime, des dispositions visant à anticiper les poursuites et à échapper à la sanction. Toutes les stratégies déployées par elles dans le cours de l’instruction, depuis les tentatives de subornation des témoins jusqu’au récit plus ou moins fantaisiste de la mort de leur enfant, sont mises à l’épreuve du raisonnement par lequel s’élabore la « vérité » judiciaire. 45

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La mise en alerte de la justice Les magistrats ouvrent une information à la suite de la découverte d’un cadavre, de rumeurs annonçant qu’un crime vient d’être commis ou de dénonciations. Dans les campagnes, c’est généralement le bruit d’un accouchement clandestin parvenant à la connaissance du maire, du juge de paix ou des gendarmes, lors des tournées qu’ils font périodiquement dans les villages, qui ouvre le premier temps de la procédure. La découverte des cadavres Quand elle est le fruit du hasard, la découverte des cadavres se produit ordinairement à l’occasion de travaux agraires ou domestiques, dans les lieux les plus divers (fossés, champs, buissons, mares, « douets 1 ») ou les plus familiers. Mais la révélation des crimes est rarement fortuite. Elle est souvent le fait de l’entourage de femmes enceintes dont l’attention a été mise en éveil par des signes faisant présager un accouchement. En mars 1850, peu après avoir engagé Marie-Louise Cornec, la meunière d’Arzano avait cru s’apercevoir que cette domestique était enceinte. Elle l’avait interrogée, mais ses réponses assurées et son comportement paisible avaient apaisé ses inquiétudes : « Comme cette fille se portait bien et travaillait comme une personne ordinaire, je finis par croire ce qu’elle me disait. » Le 23 juillet, lorsque Marie-Louise Cornec rentre d’une tournée dans les villages voisins à la recherche de blé à moudre, sa maîtresse la trouve beaucoup moins « épaisse » qu’à l’ordinaire. Elle ne lui pose aucune question, mais le jour suivant, elle réalise que celle-ci vient d’accoucher : « Pendant son absence j’allais faire son lit et m’aperçus que les draps étaient tâchés de sang, ce fut pour moi un trait de lumière, quand elle fut de retour à la maison, je lui dis : “Malheureuse qu’avez-vous fait de votre enfant?” Elle me répondit du plus grand sang-froid : “Je n’étais pas enceinte, je ne suis pas accouchée, les tâches de sang que vous avez remarquées sur mes draps proviennent des menstrues qui ont enfin reparu 2.” »

La meunière ne pousse pas plus loin ses investigations et n’alerte pas la justice. Ce n’est que trois jours plus tard que le juge de paix, alerté par l’opinion publique, se transporte sur les lieux. Découvertes provoquées Les proches d’une femme qui niait obstinément sa grossesse entreprennent parfois, lorsqu’ils supposent un accouchement clandestin, de véritables investigations pour retrouver le nouveau-né. L’enfant auquel la 1. Lavoirs. 2. AD F 4U2/119, Marie-Françoise Martelot, 54 ans, meunière, 3 août 1850.

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LES FEMMES PRÉVENUES D’INFANTICIDE FACE À LA JUSTICE…

Vve Mérour, cultivatrice à Argol, âgée de 42 ans, est soupçonnée d’avoir donné naissance est ainsi activement recherché : « Depuis le mois de mars dernier, indique une voisine, on savait dans tout le village que la Vve Mérour était enceinte, quoiqu’elle niât sa grossesse. Le 31 mai dernier l’inculpée se présenta chez moi vers cinq heures du matin et je remarquai que les signes de sa grossesse avaient disparu […]. Le mardi 3 juin Marie-Anne Bourveau et moi nous vîmes la Vve Mérour circuler dans un courtil voisin, fixant spécialement ses regards sur un point. Dès qu’elle se fut éloignée nous entrâmes dans le courtil et presque aussitôt nous vîmes la terre nouvellement remuée à l’un des angles du courtil et nous découvrîmes le cadavre d’un enfant nouveau-né 3. [Tout le village paraît s’être mobilisé] : nous étions depuis plusieurs jours, ainsi que tous les voisins à la recherche, ayant la certitude qu’elle devait être accouchée 4. »

L’objectif avoué de ces recherches est de sauver la vie du nouveau-né. Dans une vingtaine de cas, les enfants sont retrouvés vivants. Les villageois s’emploient alors à leur donner des soins, les vêtir, les réchauffer et les baptiser. Mais l’entourage n’attend pas toujours passivement que l’accouchement ait eu lieu pour se préoccuper du sort du nouveau-né. Parce qu’elles sont persuadées qu’elle est enceinte, bien qu’elle le nie farouchement, les voisines de Marie-Françoise Nédélec, de Commana, sont allées, de leur propre chef, déclarer sa grossesse à la mairie. Lorsqu’elles constatent qu’elle est sur le point d’accoucher, craignant que la vie de l’enfant ne soit en péril, ces mêmes femmes vont, contre sa volonté, chercher une sage-femme. Ne l’ayant pas trouvée, elles tentent de retourner chez Marie-Françoise Nédélec, qui s’est barricadée chez elle. « Deux [des voisines] se portent à la fenêtre du midi et une troisième à celle du nord. Elles apperçoivent [sic] confusément l’accusée courbée près le foyer. Bientôt les cris d’un enfant nouveau-né se font entendre très distinctement… Aussitôt ces femmes s’écrient qu’elles ont entendu un enfant et demandent en grâce qu’on lui laisse la vie. Pendant une demie heure [sic] la fille Nédélec résiste aux prières de ces femmes qui réclament instamment l’entrée de la maison 5. »

Quand elle se décide à les laisser entrer, l’enfant est mort, victime de diverses violences. Confrontation aux cadavres des nouveau-nés À la campagne, la nouvelle de la découverte d’un cadavre se répand rapidement et provoque l’attroupement des curieux 6. Le meurtre d’un nouveau-né affecte la communauté villageoise dans son entier. Les témoins qui 3. AD F 4U2/173, Hélène Mérour, 48 ans, 11 juin 1862. 4. Idem, p.-v. de transport des gendarmes de Crozon, 5 juin 1862. 5. AN/BB/20/29, F, 3e trim. 1826, de Kerautem, 28 juillet 1826. 6. Didier Riet observe le même comportement dans la Bretagne du XVIIIe siècle, L’Infanticide en Bretagne au XVIIIe siècle, Th., Doct. 3e cycle, Hist., Rennes, 1983.

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trouvent dans une mare de Plouvara l’enfant de Marie-Jeanne Le Tirant, une tricoteuse de 29 ans, sont bouleversés. Certains ne peuvent retenir leurs larmes : « Il y a huit jours passés d’hier, rapporte l’un d’eux, passant près de la mare de Goué-Gernio, je vis plusieurs personnes réunies. Parmi elles était le nommé Pierre Hidrio qui pleurait. Je lui demandai ce qu’il avait et il me répondit qu’il s’était passé un triste événement; qu’on venait de découvrir dans la mare, tout à côté, un enfant qui était noyé 7. » Le cadavre d’un nouveau-né, particulièrement lorsqu’il porte des marques de violence, provoque toujours une très vive émotion. Marie Sauvage, ménagère à Plessala, dit n’avoir pu regarder longtemps l’enfant d’Olive Belnard, tant cette vision lui parut effrayante. Il était tellement couvert de sang qu’elle ne put voir « si cet enfant avait des cheveux, si les ongles étaient formés, s’il présentait quelques traces de violences. […] Je fus du reste tellement effrayée, ajoute-t-elle, que je ne fus pas longtemps à l’examiner : je l’enveloppai de nouveau comme il était auparavant et je sortis pour prendre l’air 8 ». La vue d’un tel spectacle est également insupportable à Françoise Bodrot, cultivatrice à Sizun, qui a trouvé dans un ruisseau l’enfant de Marguerite Moal, une domestique de 22 ans : « Il était recouvert de pierres mais je ne fixai pas mon attention à cause de la répugnance que ce spectacle m’inspirait 9. » Crimes pressentis Cette frayeur peut devenir paralysante dans le cas des morts « annoncées », c’est-à-dire quand le meurtre, avant même d’être accompli, est pressenti par les proches. Jean-Baptiste Le Bihan, laboureur à Saint-Martindes-Prés, a accepté de prendre comme domestique Marie-Françoise Olivier, une filandière de 20 ans qui avait servi chez son père quelques années auparavant. Mais comme il la croit enceinte et qu’elle nie sa grossesse, il ne l’engage que pour un mois. Dix jours après son arrivée, elle se plaint de coliques et décide d’aller dormir dans l’écurie où couche un autre domestique. Ce dernier l’entend pendant la nuit sortir de la maison, aller dans l’aire 10, et rentrer. Il décrit l’effroi que fait naître en lui la prémonition du meurtre : « Sans que mon maître ni moi lui eussions parlé, elle dit que la colique lui avait parlé. Tout cela me fit éprouver des sentiments de peur et de frayeur. Je ne pouvais dormir et je me mis à dire mes prières. Une heure après la rentrée de cette fille, j’entendis les cris d’un enfant ; je fus si effrayé que je me décidai à attendre qu’il fût jour pour sortir. Pendant le reste de la nuit, j’entendis les mêmes cris par intervalle et à plusieurs reprises 11. » 7. AD C-A 2U/639, Jean Laîné, 20 ans, marin, 26 février 1842. 8. AD C-A 2U/640, Marie Robert, 42 ans, ménagère, 16 janvier 1842. 9. AD F 4U2/109, Françoise Bodrot, 45 ans, cultivatrice, 2 septembre 1848. 10. Aire à battre le blé. 11. AD C-A 2U/407, François Tanguy, 24 ans, domestique, 19 avril 1825.

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LES FEMMES PRÉVENUES D’INFANTICIDE FACE À LA JUSTICE…

Le 11 janvier 1837, Marie-Joseph Perrigault, une mendiante de Loudéac, soupçonnée depuis plusieurs mois d’être enceinte sort, au petit matin, de l’étable où elle a l’habitude de dormir. Elle se rend dans le jardin et y met au monde un enfant qu’elle abandonne aux rigueurs de l’hiver. La domestique de la maison, qui l’entend rentrer, supposant que Marie-Jeanne Perrigault vient d’accoucher, sort à son tour pour s’en assurer : « Là je prêtai l’oreille et j’entendis les cris d’un enfant nouveau-né […]. Je rentrai et dis à Pierre Pinçon, mon maître : “Bourgeois, levez-vous, on entend dans le courtil les cris d’un enfant. – Vous rêvez, me dit-il, ce sont les chats qui crient.” Je sortis une seconde fois et j’entendis encore, bien distinctement, les cris d’un enfant nouveau-né dans le lieu que je vous ai indiqué ; mais alors la peur me prit et je rentrai pour ne plus sortir. Sans doute prise de remords, elle ajoute : J’aurais peut-être dû, le jour venu, aller voir dans le courtil si je ne découvrirais point l’enfant en question, mais je fus occupée tout le jour à ma besogne et je ne m’arrêtai pas à cette idée. […] Dans mon opinion, l’enfant sera mort de froid, faute de soins 12. »

L’enfant, qui meurt effectivement de froid, ne sera retrouvé qu’une semaine plus tard, lorsqu’un chien entreprendra de le dévorer. Dans ces deux affaires, il est probable que la vie des enfants aurait pu être épargnée si les témoins avaient su vaincre leur frayeur. Mais la terreur qu’ils invoquent pour justifier leur inaction dissimule peut-être une certaine indifférence pour ces femmes qui sont contraintes à l’errance et à la mendicité et dont la progéniture peut représenter une charge supplémentaire pour la collectivité. Réactions des témoins L’affolement qui s’empare des témoins à la découverte d’un cadavre les pousse à aller chercher d’autres personnes pour partager l’événement, comme si le face à face avec la mort d’un nouveau-né était particulièrement insoutenable 13. Cette démarche n’est pas seulement une manière de partager avec d’autres la peur éprouvée. Elle répond aussi à l’obligation d’informer les autorités judiciaires de l’événement. Marie-Hélène Barao, tailleuse à Cléder, vient retrouver à Brest en avril 1855 son mari, un matelot-canonier en permission. Les époux s’installent pour quelques jours chez une logeuse. Marie-Hélène Barao y donne clandestinement le jour à un enfant adultérin qu’elle dissimule dans un panier. Le cadavre est découvert par la fille Sergent, la domestique de la maison qui, terrorisée, s’empresse d’aller prévenir sa maîtresse. D’après le 12. AD C-A 2U/565, Marie-Anne Rosinier, 40 ans, domestique, 8 février 1837. 13. Le nouveau-né inspire de la frayeur, on craint pour sa vie. Décrivant le rôle de la femme « qui aide » les gens de Minot (Bourgogne) à naître et à mourir, Y. Verdier écrivait : « saisir le nouveau-né ou ensevelir le mort suscitent le même effroi. Devant le nouveau-né, comme devant le mort, la même panique saisit, le même affolement, on ne sait que faire et on a peur », Façons de dire, façons de faire : la laveuse, la couturière, la cuisinière, Paris, 1979, p. 103.

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médecin appelé sur les lieux, la réaction de cette dernière est avant tout celle d’une personne qui craint d’être impliquée dans une procédure judiciaire : « Lorsque j’arrivai chez cette femme, je la trouvai dans un état d’exaltation extraordinaire. Quand je lui demandai ce qu’elle avait, elle me répondit qu’elle allait être conduite au château parce qu’une femme qui était venue chez elle y était accouchée clandestinement et avait caché son enfant dans un panier 14. » De nombreux témoins paraissent contrariés à l’idée de devoir informer la justice. La Vve Gahinet, cultivatrice à Merlevenez, qui a trouvé l’enfant que sa domestique, Françoise Ézanno, a laissé sans soins après un accouchement clandestin, prend la précaution d’aller chercher une voisine. Cette veuve exprime sa crainte de se retrouver, face à la justice, le seul témoin d’un drame qu’elle ne fait alors que pressentir puisque l’enfant n’est pas encore mort : « Vers six heures du soir, j’entrai dans l’écurie pour attacher des bestiaux qui venaient du pâturage ; j’entendis un enfant crier, je regardai dans une cuve à lessive d’où les cris paraissaient provenir et j’y trouvai l’enfant ; j’allai chercher la femme Moizan, ma voisine, tant pour m’aider à le relever que pour servir de témoin 15. » Dans une dizaine d’affaires au moins, il s’écoule plusieurs semaines avant que la justice ne soit informée du crime 16. Faut-il y lire un signe supplémentaire de la réticence des témoins à être mêlés à une enquête judiciaire, un indice de complicité, ou une manière d’absoudre le crime ? L’exemple le plus significatif à cet égard est peut-être celui de Marguerite Le Gallic, domestique à Querrien. Le jour de son accouchement, ses maîtres, parfaitement conscients de la nature de ses douleurs, sont allés chercher des voisines pour lui venir en aide. Mais elle est parvenue à tromper leur vigilance et à accoucher à leur insu. Le cadavre de son enfant sera retrouvé sous ses couvertures. Quatre personnes sont présentes à ce moment-là : les maîtres de Marguerite Le Gallic et les deux voisines. Cet enfant, dont la mort peut paraître suspecte, est inhumé dès le lendemain et la justice ne sera alertée que deux semaines plus tard. Il est difficile de savoir, dans cette affaire, si le délai de mise en alerte de la justice signifie complicité de la part des maîtres, qui auraient eu intérêt à se débarrasser de cet enfant, ou souci de ne pas voir la renommée de leur maison entamée par une grossesse illégitime, fût-elle celle d’une domestique 17. Dans la plupart des cas, les témoins semblent avoir un avis très précis sur l’identité du meurtrier. La femme qui a vu le chien dévorer l’enfant de Marie-Joseph Perrigault – la mendiante de Couellineuc qui avait accouché dans un jardin – identifie immédiatement ce nouveau-né : « Oh mon Dieu ! 14. AD F 4U2/147, Jean-Aimé-Paul Testard, 53 ans, médecin, 8 mai 1855. 15. AD M U/2139, Vve Gahinet, 70 ans, cultivatrice, 4 octobre 1844. 16. Voir aussi Soman A., « Le Témoignage maquillé : encore un aspect de l’infra-justice à l’époque moderne », Archives du délit : empreintes de société, Toulouse, 1990, p. 99-109. 17. AN/BB/20/29, F, 3e trim. 1826, De Kerautem, 28 juillet 1826.

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C’est un enfant et c’est sans doute l’enfant de la Perrigault […]. Je m’exprimais ainsi parce que depuis longtemps le bruit courait dans le village que cette fille était grosse et le dimanche précédent, je m’étais aperçue que les signes de sa grossesse avaient disparu 18. » Lorsqu’un crime est révélé les mères coupables se voient fréquemment adresser toute une série de remontrances ou d’admonestations. MarieFrançoise Olivier est accablée de reproches par le tisserand qui a trouvé dans le jardin l’enfant couvert de blessures : « En rentrant dans la maison avec l’enfant, je fis à la mère des observations sur son inhumanité et l’atrocité de son crime. Elle me répondit d’un ton irrité : “Comment, est-ce qu’il n’est pas encore mort ? Il y a quatre mois qu’il devrait l’être.” Je lui dis alors : “Quoi, coquine, est-ce que tu lui aurais fait des outrages avant qu’il eut été sur la terre ?” Ce à quoi elle ne répondit rien 19. » Ces remontrances relèvent d’une justice informelle qui semble accorder à chacun le droit de marquer sa réprobation. Elles émanent ordinairement des femmes, qui se sentent particulièrement concernées par la sauvegarde des enfants. Ces admonestations sont, pour les veuves et femmes mariées qui les énoncent, un moyen de se démarquer de celles qui ne sont pas aptes à remplir leur rôle maternel. Elles sont une invite faite à la mère à rendre compte de la vie de son nouveau-né et suivent une formule pratiquement immuable : « Malheureuse, qu’as-tu fait de ton enfant ? » Quand elles se situent dans le cadre de relations conflictuelles, ces remontrances peuvent prendre une forme relativement violente et dégénérer en insultes. Les relations entre Marie Burel, une lingère de Mauron, et sa mère sont très tendues. Cette dernière semble lasse de se trouver, par la conduite de ses filles, au centre des indignations du village. Marie Burel a en effet une très mauvaise réputation. Elle est déjà mère d’un enfant naturel, âgé de 4 ans, on lui reproche de se livrer au premier venu et on l’accuse d’avoir déjà fait disparaître un nouveau-né en 1843. En février 1845, elle donne le jour à un nouvel enfant qui sera retrouvé dans le puits où elle l’a jeté vivant. Sa sœur passe également pour être « d’une conduite peu régulière ». Au moment de l’arrestation de sa fille, la mère de Marie Burel laisse échapper son ressentiment. « Ce jour-là, rapporte le brigadier de gendarmerie, j’étais resté à l’attendre dans la maison de sa mère au village des Fumards, j’entendis sa mère lui dire, en rentrant à la maison : “C’est donc toi salope, qui a fait ce coup-là 20 !” » Marie-Anne Barrier, une mendiante de Gouesnou, âgée de 19 ans, se fait également insulter par ses voisines lorsqu’elles s’aperçoivent qu’elle a étranglé son enfant à l’aide du cordon ombilical. La violence verbale de ces femmes paraît assez inhabituelle, du moins n’en trouve-t-on que de rares traces dans les archives. Elles la traitent de « garce » et de « bougresse » : 18. AD C-A 2U/565, Catherine Le Normand, 36 ans, filandière, 8 février 1837. 19. AD C-A 2U/407, François Lepêcheur, 35 ans, tisserand, 8 avril 1825. 20. AD M U 2143, Jacques Boutin, 43 ans, brigadier de gendarmerie, 12. mars 1845.

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« À deux heures ou deux heures trente du soir le jour de l’accouchement de la fille Barrier, raconte l’une d’elles, la femme Monot me fit entrer dans l’appartement où était couchée Marie-Anne Barrier. Nous approchâmes du lit de l’inculpée, dont la femme Monot écarta les battants, et je vis, dans le lit, l’enfant dont Marie-Anne Barrier était accouchée. Je dis à cette fille : “Ah ! B… ! Qu’as-tu fait ?” Elle me répondit seulement : “J’ai dit à ma tante que j’étais accouchée avant qu’elle allât à la messe.” […] Il y avait là aussi une vieille femme qui traita la fille Barrier de garce 21. »

L’apitoiement sur le sort de l’enfant n’est pas le seul motif de ces interpellations. Une autre préoccupation, d’ordre religieux, transparaît en effet dans quelques dossiers. Ce qui aggrave aux yeux du garde-champêtre de Saint-Caradec le crime de la Vve Thominet, qui a tué l’enfant né de sa liaison avec son beau-frère, c’est le fait que ce nouveau-né n’ait pas été baptisé : « Malheureuse, lui dis-je, tu as tué ton enfant, tu as perdu une âme ! “Non, reprit-elle, je l’ai baptisé 22.” » Cette inquiétude est également exprimée par une femme qui, s’adressant à la colocataire de la Vve Thominet, lui dit au lendemain du meurtre : « Mon Dieu ! Si vous aviez eu le bonheur de ne pas vous absenter hier, vous auriez pu sauver une âme 23. » La rumeur En matière d’infanticide, il est assez rare que les suspects soient dénoncés directement aux instances judiciaires. Les témoins d’un crime, sauf s’ils y ont un intérêt particulier, ne montrent aucun empressement à en informer la justice. Par contraste, les « bruits », « rumeurs », « clameurs », qui forment la trame de la majorité des affaires, semblent constituer la principale source d’information des magistrats. Le commérage Les grossesses illégitimes semblent hautement préoccuper les communautés villageoises, et les caractéristiques de la vie sociale des campagnes – où l’on s’accueille entre voisins pour la veillée et où l’on se rend de maisonnée en maisonnée pour « jaser » – favorisent la circulation de toutes sortes de bruits. La Vve Tricot, logeuse d’Anne-Marie Guilloux, couturière et brodeuse à Matignon, était sans doute déjà consciente de la grossesse de sa locataire lorsque ses voisines entreprirent de lui en parler, puisque cette conversation se déroulait six semaines environ avant son accouchement. Cependant, c’est à la suite de ces bavardages qu’elle menace de la mettre à la porte : 21. AD F 4U2/158, Marie-Jeanne Léon, 44 ans, journalière, 1er mars 1858. 22. AD C-A 2U/752, Julien Galorne, 43 ans, garde champêtre, 17 décembre 1849. 23. Idem, Vve Henrio, 51 ans, filandière, 18 décembre 1849.

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« Six semaines ou deux mois avant les dernières couches de la fille Annette, raconte-t-elle, ma voisine, la mère Frostin, cabaretière à Matignon, vint jaser chez moi et peu de jours après, Madame Pitet vint également me parler dans mon jardin. L’une et l’autre me parlèrent du bruit qui courait que la Annette était de nouveau enceinte. C’est d’après ces deux conversations que je jugeai à propos de m’expliquer avec ma locataire. Je lui disais que je ne pouvais la garder si on continuait ainsi à jaser sur elle et s’il était vrai qu’elle fût à nouveau enceinte 24. »

Mais, à la décharge de la Vve Tricot, il convient de préciser que le premier enfant d’Anne-Marie Guilloux n’avait vécu que peu de temps et était mort d’une manière assez inexplicable. Les veuves ou les célibataires qui tiennent à garder leur grossesse secrète sont au centre des conversations et des inquiétudes de la communauté villageoise. Michelle Dano, servante dans un village dépendant de Vannes, qui dissimule autant qu’elle le peut sa grossesse, mobilise l’attention de ses voisines, particulièrement depuis qu’elles l’ont vue prendre des « drogues » pour faire revenir ses règles : « Depuis environ quatre à cinq mois, je soupçonnais, comme les autres femmes du village, que Michelle Dano, servante depuis à peu près deux ans chez François Allioux, était enceinte. Je ne lui en ai jamais parlé, cependant, et surtout dans les derniers temps, j’allais souvent chez son maître, prendre du feu et dans l’intention de l’observer, craignant, je ne sais pour quel motif, qu’elle n’eût fait mal à l’enfant dont je croyais qu’elle était enceinte 25. »

Les effets d’amplification Quand la réputation des femmes enceintes est déjà ternie par une ou plusieurs maternités illégitimes, ou lorsque la liberté de leurs mœurs est jugée excessive, la rumeur peut prendre une ampleur considérable et se répandre en dehors du cadre strict du « village ». D’après certains témoignages, on parle de la grossesse de Michelle Dano dans les villages avoisinants : « J’ai plusieurs fois entendu dire dans mon quartier, ces temps derniers, que Michelle Dano était enceinte, déclare l’une de ses voisines, on en parlait beaucoup dans les villages voisins, pour moi, je ne m’en suis pas aperçue 26. » Quant à Jeanne Mahé, filandière à Trédaniel, elle est soupçonnée d’avoir déjà eu deux enfants dont l’un aurait été déposé à l’hospice et l’autre aurait disparu : « J’entendis dire, il y a plusieurs années, qu’elle avait été faire un enfant à Lamballe et tout le monde le disait. J’ai ouï dire aussi qu’elle avait encore été enceinte, il y a cinq ou six ans. Tout le monde le supposait, mais 24. AD C-A 2U/743, Françoise Philippe, Vve Tricot, 59 ans, marchande, 2 mars 1849. 25. AD M U1997, Barbe Leroux, 56 ans, journalière, 13 juin 1827. 26. AD M U1997, Vve Le Roy, 52 ans, cultivatrice, 21 juin 1827.

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on n’en sait pas davantage 27. » La procédure confirmera la naissance d’un premier enfant vers 1816 chez une riche propriétaire de Plénée qui s’était chargée de le faire déposer à l’hospice. Certains témoins croient savoir où a été enterré le second enfant, dont la naissance, en revanche, n’a pas été confirmée par l’instruction : « Tout le monde disait, l’été auparavant, que Jeanne Mahé était grosse et je m’en aperçus de la même manière que je l’avais remarqué lorsqu’elle le devint, il y a neuf ou dix ans. […] Plus de cinquante personnes s’entretinrent de la grossesse et de l’accouchement d’alors de la Mahé. Les uns répétaient que l’enfant avait été mis dans le courtil. L’on n’était pas d’accord sur l’endroit où il avait dû être enterré, dans ce courtil […]. Bien du monde parlèrent [sic] de cette grossesse et de cet accouchement 28. »

La rumeur peut prendre des allures de charivari. C’est ainsi qu’Annette Le Dot, domestique dans un restaurant de Brest, enceinte des œuvres du fils de ses précédents maîtres, Jean-François Herlent, fait l’objet de la risée des ouvriers boulangers qui se présentent masqués sous ses fenêtres au moment du Mardi gras. L’un des témoins dépose en effet : « Pendant la nuit du Mardi gras ou du mercredi des Cendres, des masques s’arrêtèrent vers dix heures du soir au milieu de la rue en face du restaurant de Mr Marin, et je les entendis dire en chantant, comme le font ordinairement les masques : “J’ai été porter du pain chez Mme Herlent, Madame Herlent m’a dit qu’Annette était grosse d’un marin”, ils répétèrent cela deux ou trois fois. Ces chants me donnèrent des soupçons sur l’état de la fille Annette 29. »

En s’amplifiant, les bruits deviennent vite irrationnels. S’il est vrai que l’on n’a pu retrouver le nouveau-né de la Vve Lépinay une cultivatrice de Bourg-des-Comptes, âgée de 39 ans – dont elle a sans doute brûlé le cadavre – , les magistrats estiment toutefois peu vraisemblable la version colportée par les villageois, selon laquelle cette veuve aurait ébouillanté son enfant. Cette rumeur, rapportée par l’une de ses voisines semble avoir fait le tour du village : « [Le témoin] a entendu dire à Marquerote Labbé que Jeanne-Marie Fallais avait dit à Jean Garçon et Renaud Garçon, fils de Jean Garçon de la Oie de l’Aillé, qu’elle avait vu par le trou de la serrure [la V ve] Lépinay mettre son enfant dans le chaudron d’eau bouillante, qu’elle l’y avait plongé trois fois, que l’enfant avait poussé trois forts cris et que la Vve Lépinay avait dit : “Mon Dieu !” plusieurs fois et : “Il faut que tu y passes 30 !” »

La clameur qui s’élève au lendemain d’un infanticide peut faire porter la suspicion sur des personnes étrangères aux crimes. Lorsqu’un enfant, 27. AD C-A 2U/431, Marie Pellan, 34 ans, filandière, 5 décembre 1826. 28. Idem, François Thomas, 35 ans, laboureur, 21 décembre 1826. 29. AD F 4U2/85, Perrine Kermeur, 36 ans, femme de confiance, 9 mars 1844. 30. AD I-V 2U4/636, Louise Perrochon, 46 ans, « laboureur », 11 juillet 1828.

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mort depuis un certain temps déjà, est trouvé en septembre 1842 dans un talus de la commune de Plouaret, c’est une femme dont la conduite paraît scandaleuse mais qui est parfaitement étrangère aux faits qui est désignée à l’attention de la justice : « La clameur publique et des renseignements transmis sur les lieux portant à penser que la nommée Marie-Yvonne Le Bonnec, veuve de Louis Le Goff, demeurant à peu de distance de Kerlavrec, soupçonnée de vivre en état de concubinage avec l’un de ses beaux-frères et d’avoir accouché tout récemment pouvait être l’auteur de l’infanticide commis […]. Nous avons engagé le docteur Turquet à visiter la femme soupçonnée d’avoir accouché et le résultat de cet homme de l’art a été qu’il n’existait sur cette femme aucune trace d’accouchement 31. »

On voit dans le même dossier à quel point les « filles » et les veuves représentent des coupables idéales : « Hier matin de bonne heure, raconte une journalière du voisinage, conduisant mes vaches au champ, j’apperçus [sic] un cadavre d’enfant qui était placé dans l’endroit où vous l’avez trouvé aujourd’hui puisqu’on ne l’a pas dérangé […]. Je ne sais d’où pourrait provenir cet enfant, ne connaissant aucune fille ni veuve nouvellement accouchée dans nos parages 32. » La « langue du monde » C’est pourquoi les couples illégitimes, qui ont bien conscience d’être au centre des commérages, semblent craindre plus que tout les méfaits de la rumeur. « Vous êtes bien heureuse d’être grosse ; car sans cela, nous aurions le cou coupé, à cause de la langue du monde » déclare en 1824, dans les premiers mois d’une grossesse qui commence à occuper l’attention du voisinage, le sieur Duronceray, chirurgien à Mellé, à Anne Doudard, la domestique qu’il a séduite 33. Les femmes qui vivent ces grossesses illégitimes se sentent impuissantes face aux commérages qui rendent vains les efforts qu’elles déploient pour dissimuler leur état. « Elle ne pouvait arrêter les langues », observe la sœur de Marie-Louise Merrien, journalière au Faouët, évoquant la réprobation que sa grossesse avait suscitée 34. « Elle m’a dit qu’elle ne pouvait empêcher les mauvaises langues de parler contre elle », rapporte l’adjoint au maire de la commune de Noyal-Pontivy qui, alerté par l’opinion publique accusant Anne Glais, une journalière de 34 ans, d’avoir tué son enfant, se transporte à son domicile 35. Au lendemain d’un accouchement qui n’est demeuré clandestin que parce qu’on n’en a pas retrouvé le fruit, mais dont tout le monde parle, la 31. AD C-A 2U/650, p.-v. de descente du juge d’instruction, 8 septembre 1842. 32. Idem, Mathurine Le Dret, journalière [même jour]. 33. AD I-V 2U4/614, le juge de paix de Louvigné-du-Désert au procureur de Fougères, 28 novembre 1824. 34. AD M U 2076, Anne Le Trolle, 39 ans, journalière, 10 décembre 1836. 35. AD M U 2101, l’adjoint au maire de Noyal-Pontivy au procureur de Pontivy, 2 janvier 1840.

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Vve Le Trou, ménagère à Loudéac, âgée de 42 ans, semble soulagée que son accouchement vienne enfin mettre un terme aux bavardages : « Le 26 février dernier, en venant de Loudéac, se souvient une de ses voisines, je rencontrai la Vve Le Trou. Elle se mit à m’entretenir des bruits qui couraient sur son compte. “ Voilà pourtant qui est parti, dit-elle, les langues vont se reposer : il y en a qui paieront l’écot, mais qui ne le mangeront pas : je vais avoir affaire à eux 36.” » Mais toutes n’éprouvent pas le même soulagement car la disparition de l’embonpoint ne suffit pas à elle seule à mettre fin au commérage. Encore faut-il pouvoir rendre compte de l’enfant. C’est pourquoi Louise Lotrus, lingère au Folgoët, se rend chez sa voisine peu après avoir accouché, pour donner sa propre explication à son changement d’apparence et, peut-être aussi, tester la crédibilité de ses arguments : « Elle avait les traits altérés ; elle me demanda même : “Est-ce que vous ne me trouvez pas changée?” Je lui répondis : “Effectivement, je vous trouve bien changée” ; en effet son ventre très proéminent depuis plusieurs mois et qui annonçait, comme je l’ai dit, toutes les apparences d’une fille enceinte était totalement applati [sic]. La fille Louise, m’interpellant, ajouta : “On a jasé sur mon compte et cela parce que j’avais le ventre d’une volumineuse apparence, maintenant que cette apparence, qui pouvait tromper tout le monde a disparu, on en jasera davantage ; et cependant la raison en est bien simple, j’avais éprouvé un retard dans mes menstrues, le cours régulier s’est rétabli dans la journée de samedi 1er mars 37.” »

Les dénonciations Les dénonciations écrites sont très rares. Sur l’ensemble des affaires jugées en Bretagne un nombre infime parvient à la connaissance des magistrats par le biais de lettres anonymes 38. Encore faut-il préciser que ces lettres sont tardives, la première n’apparaissant dans les dossiers consultés qu’en 1849. On doit sans nul doute attribuer le caractère subsidiaire de cet usage à l’illettrisme dans lequel sont maintenues fort tardivement les populations bretonnes. Mais les dénonciations verbales sont rares également et n’apparaissent comme un acte délibéré que lorsque le comportement des femmes infanticides est devenu intolérable à la communauté villageoise. C’est surtout quand les crimes ont été commis dans des conditions excessivement violentes ou quand le sort réservé aux cadavres heurte particulièrement la sensibilité des témoins qu’ils sont clairement dénoncés. Il arrive alors que les villageois s’organisent pour remettre les coupables entre les mains de la justice. 36. AD C-A 2U/641, Jeanne Allenic, 29 ans, domestique, 9 mars 1842. 37. AD F 4U2/120, Anne Pont, 60 ans, propriétaire, 9 mars 1851. 38. On ne trouve que 6 lettres anonymes dans l’ensemble des dossiers consultés.

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Les crimes intolérables Quand des atteintes ont été portées à l’intégrité du cadavre, comme dans le cas de la fille Perrigault dont l’enfant a été découvert au moment où il était déjà à moitié dévoré par un chien, les témoins paraissent attachés à ce qu’une sanction judiciaire intervienne : « Le 18 janvier dernier, vers deux heures et demie de l’après-midi, ma sœur Catherine Le Normand apporta à la maison la moitié du cadavre d’un enfant nouveau-né, rapporte la boulangère de Couellineuc. Elle nous dit qu’elle venait de le trouver dans la gueule d’un chien dans le courtil de Chef d’hôtel. Je sortis à l’instant pour aller chercher le reste du cadavre : je découvris seulement la tête, laquelle était encore à moitié rongée. […] je me dirigeai de suite chez Pierre Pinçon dans le foyer duquel je trouvai la fille Perrigault : elle était à genoux, le dos tourné vers moi : “Eh ! bien, lui disje, Malheureuse, voilà ton enfant que les chiens ont dévoré !” à quoi elle ne répondit rien. La femme de Pinçon en voyant cette tête poussa un cri d’horreur ; accabla la fille Perrigault de reproches, voulut la jetter [sic] à la porte, à quoi je m’opposai en lui disant qu’elle devait au contraire en faire bonne garde afin que justice fût faite 39. »

Le crime de la Vve Lépinay, suspectée d’avoir ébouillanté son enfant est, quant à lui, doublement intolérable. Elle est veuve depuis un peu plus d’un an lorsqu’elle accouche, en mai 1828, d’un enfant dont on retrouvera les ossements calcinés dans son foyer. La Vve Lépinay a donc pratiquement réussi à effacer les preuves d’un crime dont elle sera d’ailleurs acquittée. Les villageois, qui sont scandalisés par sa conduite, sont également choqués par la destruction du cadavre qui constitue à leurs yeux un « tour de justice ». « Le jour de la visite de M. le Maire », se souvient une voisine, « ce dernier dit à Garçon [beau-frère de l’inculpée] : “Voilà un vilain malheur qui vient d’arriver” ; que Garçon lui répondit qu’oui, mais qu’on ne trouverait rien ; qu’alors elle lui dit : “Ne l’aurait-elle pas jetté [sic] dans le fourneau que j’ai vu la veille de son accouchement allumé chez elle ?” qu’il répondit : “C’est un tour de justice et peut-être en ira-t-il de la guillotine 40.” » Ils réclament en quelque sorte que vengeance soit faite sur sa vie et sur ses deniers : « Depuis l’accouchement et auparavant la visite de M. le maire à Bourg-des-Comptes, Jean Garçon, beau-frère de la Vve Lépinay, lui a dit en présence de plusieurs personnes en leur parlant de l’accouchement : “C’est une affaire qui coûtera plus de 2 000 F, elle sera bien heureuse si elle ne perd pas la tête”, qu’il lui avait dit à elle-même qu’elle aurait meilleur temps de représenter l’enfant, mais qu’elle ne le pourrait jamais ; qu’il savait ce qu’il en était 41. » Jean Garçon est la seule personne du village qui soit allée poser des questions à la Vve Lépinay sur le sort de son nouveau-né. Ayant épousé 39. AD C-A 2U/565, Mathurine Le Bigot, 31 ans, boulangère, 8 février 1837. 40. AD I-V 2U4/636, Anne Riet, 62 ans, propriétaire, 12 juin 1828. 41. Idem, François Richard, 32 ans, laboureur, [même jour].

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en premières noces la sœur de Julien Lépinay – le défunt mari – il agit du fait de cette parenté comme substitut symbolique d’un époux trop vite oublié, au nom de qui il en appelle à la justice : « Garçon, avait encore dit chez lui que la chose était faite, que c’était un grand malheur, qu’il fallait que la justice en passe 42. » Tout se déroule comme si Garçon avait été délégué par la communauté villageoise pour intervenir auprès de la Vve Lépinay, car les paroles qu’il a échangées avec elle semblent être colportées de maison en maison et sont rapportées par plusieurs témoins au magistrat instructeur. Veille et séquestration des coupables Quand les suspectes avaient déjà avant le crime une mauvaise réputation, les villageois s’organisent parfois, non seulement pour rechercher le cadavre de leur enfant, mais aussi pour assurer leur garde jusqu’à l’arrivée des gendarmes. Marie-Toussainte Berhaud, journalière à Paimpont, avait cru, par un artifice bien dérisoire, pouvoir dissimuler la naissance de son enfant. Lorsqu’elle s’était aperçue que des recherches s’organisaient pour le retrouver, elle avait suspendu le petit cadavre sous ses jupes au moyen d’un bout de laine qu’elle lui avait passé autour du cou. Mais les hommes de son village, en fouillant son jardin, avaient découvert le placenta. Ils s’étaient alors empressés de prévenir l’adjoint au maire et s’étaient attroupés devant chez elle pour l’empêcher de s’enfuir. Les gendarmes décrivent ainsi leur arrivée au village de Cannée : « Là étant arrivés, nous avons aperçu environ une vingtaine de personnes, tant hommes que femmes, auprès de la maison de la prévenue et particulièrement à sa porte, qui semblaient la garder à vue 43. » Des villageois s’organisent de la même façon en 1843 pour assurer la garde de Marie Lambert, une journalière de 35 ans, mère d’un enfant naturel de 13 ans, demeurant depuis deux ans à Saint-Aubin-des-Châteaux. Ils sont particulièrement suspicieux à son égard parce qu’ils savent qu’elle a déjà été poursuivie en 1839 pour infanticide : « En 1842, on s’aperçut qu’elle était encore enceinte, et vers le milieu de mars 1843, on vit qu’elle n’était plus dans cet état. Elle n’avait déclaré ni sa grossesse ni son accouchement. Plusieurs de ses voisins, soupçonnant un crime, firent ensemble des recherches dans son jardin nouvellement labouré par elle, et ils y découvrirent les cadavres de deux jumeaux enfouis et enveloppés ensemble. Ils mirent des gardes et avertirent la justice, qui descendit sur les lieux 44. »

Une scène identique se produit la même année dans le Morbihan. Les voisins de Marie Thébaut, cultivatrice à Molac, s’organisent pour veiller 42. Id., Julien Vaillant, 40 ans, laboureur, [même jour]. 43. AD I-V 2U4/633, p.-v. de transport des gendarmes, 24 février 1828. 44. AN/BB/20/124, L-I, 2e trim. 1843, Sérel-Desforges, 11 juillet 1843.

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devant sa porte quand ils pensent qu’elle a accouché. Comme l’explique un villageois, leur objectif est de l’empêcher d’aller enfouir hors de sa maison le cadavre de son enfant : « Ces jours derniers, le ventre de cette fille était très gros et cette ampleur a disparu du mardi dernier vers soleil couchant au mercredi vers une heure du soir. Pendant tout ce temps, cette fille a été invisible. Sa porte et ses fenêtres étaient bien fermées. Je ne sais pas si elle s’est absentée ou retirée chez elle. Lorsqu’elle reparut le mercredi, on s’est apperçu […] qu’elle avait accouché. […] Nous avons, moi et Audran, veillé mercredi soir et jeudi dernier et nous n’avons rien vu sortir de la maison. Nous veillions ainsi parce que nous pensions que l’enfant était dans la maison et qu’elle chercherait à le cacher 45. »

Dans cette affaire comme dans celle de Marie Lambert, ce sont les hommes qui ont pris l’initiative de cette action, les femmes ayant reculé devant un moyen de pression qui, au dernier moment, a paru les effrayer : « Nous avions dit, déclare l’une d’elles, que nous irions chez elle pour veiller ; ce propos lui fut rapporté, elle dit qu’elle nous attendait de bon pied, nous eûmes peur et nous n’osâmes pas y aller. Cette fille a accouché, nous en sommes sûrs. Audran et Rivalain, mon mari, ont veillé les deux nuits dernières ; mais ils n’ont rien vu sortir de la maison 46. » Ce qui motive les mesures prises contre Marie Thébaut, c’est la rumeur qui la suit, depuis le village de Carranné où elle vivait autrefois, et qui lui attribue sept à huit infanticides. Sa conduite paraît d’autant plus scandaleuse que l’auteur de ces grossesses successives est présumé être l’un de ses beaux-frères. Les soupçons de récidive énoncés à son propos ne semblent pas totalement sans fondement. En effet, le juge de paix de Questembert écrit au sujet de cette affaire au procureur du roi : « Cette seconde instruction confirme et établit les présomptions que la fille Thébaut a commis plusieurs infanticides et que la continuité de ses méfaits a en quelque sorte forcé le public à dénoncer ces crimes répétés 47. » La répartition des rôles entre hommes et femmes est décrite avec plus de précision au cours d’une veille de même nature organisée dans la maison de Marie-Jeanne Pélion, journalière à Plémet, âgée de 21 ans. Lors d’une perquisition faite en son absence, trois voisines découvrent dans son lit le cadavre de son enfant, en partie dévoré par des chats : « Nous sortîmes toutes les trois pour rentrer chez nous, bien déterminées cependant à donner connaissance de ce que nous avions vu à l’autorité. Vers huit heures mon mari arriva de son travail : nous lui fîmes part de notre découverte, il prit de suite le parti d’aller veiller chez la fille Pélion pendant que d’autres iraient prévenir la brigade de Plémet. Moi, Perrine Treussart, femme Pierre Treussart, Marie-Jeanne Rault, Jeanne Baud, femme Étienne 45. AD M U 2127, Pierre Rivalain, cultivateur, 26 mai 1843. 46. Idem, Jeanne-Marie Rivalain, 30 ans, cultivatrice, [même jour]. 47. Id., le juge de paix de Questembert au procureur de Vannes, 10 juin 1843.

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Treussart, nous nous sommes jointes à lui : nous avons passé la nuit entière chez Malard 48. Sa petite-fille, qui était rentrée chez elle au moment où mon mari s’y était présenté, paraissait un peu surprise de nous voir tant de monde chez elle. Plusieurs fois elle nous dit de nous en retourner, mais nous ne faisions pas semblant de l’écouter, nous disions que nous étions chez elle pour chercher des animaux égarés. Nous avons suivi toute la nuit ses mouvements, soit lorsqu’elle se portait à son lit, soit lorsqu’elle voulait sortir : au reste, nous lui avons laissé ignorer jusqu’à l’arrivée des gendarmes le véritable but de notre présence chez elle. Alors toutes les femmes se sont retirées : mon mari seul est resté avec les gendarmes jusqu’à midi 49. »

Le rôle assigné aux hommes dans ces séquestrations paraît être d’assumer provisoirement le rôle de la gendarmerie pour empêcher la fuite des coupables. Dans le cas de Marie-Jeanne Pélion, il importait aux villageois que cette femme, présumée récidiviste, soit remise entre les mains de la force publique : « La fille Pélion avait une conduite scandaleuse : déjà, disait-on, elle avait eu un autre enfant qui avait disparu sans qu’on sût ce qu’il était devenu. Cette fois-ci, il fallait de toute nécessité que la justice prît connaissance de sa conduite 50. »

Les stratégies d’évitement de la justice Un petit nombre de femmes sont persuadées qu’elles ont réussi à tromper leur entourage et que leur maternité est demeurée inaperçue. Convaincues que leur crime demeurera impuni, elles veulent croire qu’une nouvelle vie peut s’ouvrir à elles : « Je croyais être heureuse ensuite, et cacher ce qui m’est arrivé 51 » répond Hélène Le Saux, domestique à Baud, au magistrat qui lui demande ce qui l’a poussée à commettre son crime. « Je niai mon accouchement et même ma grossesse aux femmes qui entrèrent après lui chez moi, parce que mon enfant était alors enterré. Je crus que tout était passé et que j’étais sauvée 52 » avoue également Yvonne Le Garnec, lingère à Ambon. Cet espoir d’impunité est partagé par une dizaine d’autres inculpées qui n’ont pas remarqué l’intérêt que leur grossesse suscitait dans leur entourage. Stratégies préventives des femmes enceintes Dans les affaires où il apparaît clairement que l’infanticide a été prémédité, on voit se mettre en place dès la grossesse toutes sortes de stratégies pour éviter les conséquences judiciaires des crimes. Il s’agit tout d’abord d’empêcher que la nouvelle de la future maternité ne se répande. Les plus 48. Grand-père de Marie-Jeanne Pélion. 49. AD C-A 2U/647, Marie Richard, 44 ans, ménagère, 9 août 1842. 50. Idem, Marguerite Treussart, 24 ans, ménagère, 17 août 1842. 51. AD M U 2055, interrogatoire, 29 août 1834. 52. AD M U 1980, interrogatoire, 9 février 1825.

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hardies tentent d’utiliser à cette fin tous les moyens légaux, quitte à les détourner, en s’adressant à l’appareil judiciaire ou au corps médical. Les autres s’en remettent à la ruse. Menaces de citation en justice pour diffamation Assez paradoxalement, c’est souvent à la justice que songent ces femmes pour rétablir une réputation qu’elles considèrent calomniée par ceux qui ont l’audace de leur parler de leur grossesse. Cette tactique vise à mettre fin aux effets dévastateurs du commérage. La bonne réputation constitue en effet la seule richesse des femmes dont le statut social est précaire. Faire taire les « langues » est pour des domestiques ou des journalières qui ne sont engagées que sur leur renommée, une nécessité économique. Elles n’hésitent donc pas, quand leur situation est en péril, à menacer de porter plainte contre leurs maîtres. Marie Trécan, domestique à Saint-Méloir-des-Ondes, âgée de 28 ans, est poursuivie pour infanticide en 1828. Elle avait déjà eu, en 1822, un premier enfant qui n’avait vécu que deux mois et dont elle avait également tenté de dissimuler la naissance. À cette époque, lorsque sa maîtresse lui avait déclaré qu’elle la croyait enceinte, Marie Trécan l’avait menacée de lui faire payer en justice le prix de ses allégations, lui disant « qu’elle était une mauvaise langue, qu’elle était aussi ou plus honnête qu’elle [sa maîtresse], et que s’il y avait là d’autres témoins que ses ouvriers, elle la prendrait à la langue 53 ». Cette instrumentalisation de l’appareil judiciaire s’inscrit dans un contexte fort chicanier. Quand il s’agit de sauvegarder sa réputation, de défendre son honneur ou celui de sa famille, la personne qui s’estime diffamée n’hésite pas à recourir au juge de paix. La crainte d’une condamnation pécuniaire a pour certains maîtres qui sont tentés d’interroger leurs domestiques une fonction dissuasive. Le sieur Cheval, lieutenant des douanes à Damgan, est ainsi persuadé que l’ancienne maîtresse de Guillemette Amicel, sa domestique, a été contrainte de lui verser une somme considérable pour avoir osé évoquer sa grossesse : « Elle […] avait eu querelle avec sa maîtresse par suite de laquelle celle-ci lui ayant dit qu’elle devait être enceinte, la fille Amicel avait pris des témoins, l’avait citée devant M. le juge de paix de Muzillac et fait condamner à des dommages et intérêts assez considérables 54. » En réalité, Guillemette Amicel n’avait pas porté plainte contre cette femme mais contre une voisine, et cette plainte n’avait pas même abouti : « Non, ce n’est pas elle que j’ai fait signaler, c’est sa voisine que l’on nomme Jacquette Fity. Elle disait à tout le monde que j’étais enceinte et je voulais 53. AD I-V 2U4/635, François Marie, 28 ans, cultivateur, 10 juin 1828. 54. AD M U 2042, François Cheval, 37 ans, lieutenant des douanes, 8 novembre 1832.

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avoir réparation de ses propos mais son nom ayant été mal mis dans l’assignation je laissai là cette affaire 55. » Quand la diffamation est reconnue par le juge de paix – à qui la loi défère les actions pour injures verbales 56 – les amendes auxquelles peuvent être condamnés les auteurs de propos injurieux, si ceux-ci ne renferment aucune imputation précise et n’ont été proférés ni en public, ni en réunion peuvent varier de 1 à 5 F 57. En 1859, la voisine de Marie-Joseph Hamon, une cultivatrice de Langast, âgée de 31 ans, a ainsi été condamnée à une amende assez importante : « Marie-Joseph Hamon avait caché sa grossesse avec le plus grand soin. Une voisine ayant dit qu’elle la croyait enceinte, Marie Hamon eut l’effronterie de la citer en diffamation devant le juge de paix de Mauron qui la fit transiger, moyennant 3 francs que Marie Hamon possédait encore 58. » Sachant qu’à la même époque les gages des domestiques varient de 30 à 60 F par an 59, il n’est guère étonnant que la crainte des poursuites paraisse assez répandue. Les femmes qui ont échafaudé un projet criminel savent tirer parti de cette crainte. Ainsi la Vve Le Trou proférait-elle toutes sortes de menaces pour mettre fin aux commérages : « Quelquesuns lui avaient parlé de son état, mais elle le niait et ajoutait même une sorte de menace en disant : “Il y en a qui paieront le fricot 60, mais qui n’en mangeront pas”, ce qui dans sa pensée signifiait qu’elle leur ferait des frais 61. » Il s’agit probablement ici de l’ensemble des frais de justice et des éventuelles amendes. Autres stratagèmes Les exemples qui précèdent pourraient presque être multipliés à l’infini. Mais ils ne constituent pas les seules stratégies employées par les femmes qui s’apprêtent à commettre un infanticide. Certaines préfèrent user d’une fausse identité, comme Marie Audié, une mendiante et journalière de Saint-Martin-sur-Oust, qui prend le nom Vve Ramet pour, dit-elle, couvrir sa honte d’avoir eu divers enfants hors mariage 62. L’usage d’une fausse identité peut être purement occasionnel, et ne durer que le temps de l’accouchement : Damienne Le Métayer, journalière à Naizin, va faire ses couches dans une commune où elle est inconnue et y fait inscrire son enfant sous un faux nom.

55. Idem, interrogatoire, 14 novembre 1832. 56. Loi des 16-24 août 1790, titre III, article 10. 57. C. pén., art. 471. Voir Henrion de Pansey P., De la compétence des juges de paix, Paris, 1816. 58. AN/BB/20/218/2, M, 4e trim. 1859, Le Beschu de Champsavin, 20 décembre 1859. 59. Voir le chapitre V. 60. Repas. 61. AD C-A 2U/641, Marie-Louise Le Vacon, 38 ans, ménagère, 9 mars 1842. 62. AN/BB/20/47, M, 2e trim. 1829, Carron, s. d.

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Pour faire taire les bruits et s’assurer d’une relative liberté de manœuvre, les femmes essaient aussi de tromper leur entourage sur la date de leur accouchement. C’est le stratagème auquel recourt Marie-Hélène Barao. Celle-ci avait tenté de détourner les soupçons qui auraient pu venir à l’esprit de son mari – un matelot absent depuis plusieurs mois – s’il avait appris son état. « Lorsqu’en novembre 1854 il revint à Brest d’un voyage en mer, cette femme se trouva enceinte d’environ trois mois, par suite d’une faute, d’un enfant adultérin dont elle essaya par avance de cacher la naissance à son mari et pour lui donner le change sur les bruits d’une grossesse qui pouvaient arriver jusqu’à lui, elle lui fit écrire à la fin de décembre qu’elle venait d’accoucher 63. » Cette stratégie semble avoir réussi à convaincre un mari qu’elle ne rencontre que très rarement. Il ne paraît pas lui avoir rendu visite pendant les quatre mois qui ont suivi son retour à Brest. C’est elle qui se déplace pour le voir, en avril suivant, croyant le terme de sa grossesse encore éloigné. Elle y accouche clandestinement deux jours après son arrivée, sans que son mari ni sa belle-sœur ne paraissent avoir remarqué qu’elle était enceinte : « À l’arrivée de la femme Barao, je remarquai qu’elle était dans un état de grossesse très avancé, rapporte sa logeuse, et lorsque j’en parlai le lendemain à son mari, il me répondit que cela ne pouvait pas être, parce qu’il avait reçu, il y avait quatre mois seulement une lettre de sa femme qui lui annonçait qu’elle venait d’accoucher 64. » Certaines femmes, même illettrées, entreprennent des démarches auprès de médecins pour tenter d’obtenir des certificats attestant qu’elles ne sont pas enceintes. Elles prouvent ainsi l’importance particulière qu’elles attachent à l’écrit qui, à leurs yeux et même si elles n’en font pas usage, a valeur de preuve absolue. Elles obtiennent parfois satisfaction. Désirée Noton, journalière à La Guerche, obtient d’un médecin, en 1844, trois mois avant son accouchement, une attestation de non-grossesse 65. Jeanne Boixel, fileuse à Caulnes, parvient en 1862 à convaincre un officier de santé qu’elle est atteinte d’hydropisie 66. Ce stratagème est particulièrement audacieux, mais il n’est pas dépourvu de risque car il peut servir, si le crime est découvert, à établir la préméditation. Tactiques postérieures aux crimes Au lendemain de leur accouchement, de nombreuses mères coupables vont également consulter un médecin ou une sage-femme, dans l’espoir d’obtenir un certificat de non-grossesse. Mais, en général, les tactiques postérieures aux crimes visent plutôt à échapper aux sanctions pénales en pesant sur les témoins ou en effaçant les preuves matérielles des crimes. 63. AN/BB/20/182/1, F, 3e trim. 1855, Lambert, 21 juillet 1855. 64. AD F 4U2/147, Perrine Le Corre, 44 ans, 8 mai 1855. 65. AN/BB/20/128, I-V, 3e trim. 1844, Robinot Saint-Cyr, 3 septembre 1844. 66. AN/BB/20/245/2, C-N, 3e trim. 1862, Lambert, 17 juillet 1862.

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Pressions sur les médecins et destruction des preuves Depuis les tentatives d’apitoiement jusqu’aux entreprises de corruption, toutes sortes de pressions peuvent être exercées sur les médecins pour les convaincre de garder le secret sur un accouchement. Rose Paris, Vve Bouillaux, fileuse et domestique, âgée de 37 ans, demeurant à Janzé, est visitée à la demande de la justice par deux hommes de l’art. L’un d’eux est l’officier de santé de sa commune. Elle était allée le consulter le jour de son accouchement et avait cherché à lui faire croire qu’elle venait d’avoir une hémorragie. Au cours de la visite ordonnée par le juge d’instruction, profitant de sa relative familiarité avec cet homme, elle lui demande de ne rien dévoiler à la justice et s’efforce de l’attendrir en évoquant le sort de ses deux enfants légitimes : « Je vous en prie, lui dit-elle, ne me faîtes point de la peine, mes enfants, que deviendront-ils 67 ? » Thérèse Riou, fileuse de laine à Saint-Pol-de-Léon, mise en état d’arrestation après la découverte du cadavre de son enfant dans une lande, refuse tout d’abord de se laisser examiner par le médecin, puis tente de le persuader qu’elle est enceinte. Quand, enfin, il est parvenu à la visiter et a acquis la certitude de son accouchement, elle essaie d’acheter son silence : « Il fallut bien enfin qu’elle se résignât à la visite : le médecin lui déclara qu’elle était accouchée il y a quinze ou vingt jours, alors elle le saisit par le bras, le supplia de ne pas la perdre, et lui offrit 60 F s’il voulait la sauver 68. » Cette tentative n’est pas isolée. En 1854, Euphrasie Frouget, cultivatrice à Plumaugat, va jusqu’à offrir 200 F au médecin qui l’a examinée. Cette offre est renouvelée quelques jours plus tard par son père, dont plusieurs témoins pensent qu’il a assisté à l’accouchement et qu’il peut avoir participé au crime 69. Les médecins commis par les magistrats sont chargés de la visite de la mère puis de l’autopsie du cadavre. Un grand nombre de mères coupables s’ingénient donc à rendre vaines les recherches du corps de l’enfant, en le faisant disparaître et en effaçant toute trace de son existence. Ce faisant, elles privent la justice de la possibilité de constater qu’il a vécu. « Je pensais que si l’on ne trouvait plus le corps de mon enfant, on ne pourrait me rien faire » reconnaît ainsi, non sans ingénuité, Anne Blain, domestique à Couffé, âgée de 22 ans et soupçonnée de récidive 70. Un autre moyen d’échapper aux poursuites – mais il est relativement marginal parce qu’il exige des dispositions d’esprit particulières – consiste à mettre les médecins chargés des autopsies dans l’impossibilité de tirer des conclusions de leurs expériences. Les corps sont alors éviscérés, dépecés ou brûlés. Julie Méheust, une domestique-cultivatrice de 25 ans, qui n’ignore 67. AD I-V, 2U4/715, Louis-Marie Divet, 26 ans, officier de santé, 19 novembre 1839. 68. AN/BB/20/108, F, 3e trim. 1840, Chellet, 10 août 1840. 69. AN/BB/20/174/2, C-N, 4e trim. 1854, Hüe, s. d. 70. AN/BB/20/145, L-I, 3e trim. 1848, Robinot Saint-Cyr, 8 octobre 1848.

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pas que la docimasie pulmonaire constitue une phase essentielle de l’autopsie, dépèce son enfant et lui enlève les poumons 71. Guillemette Amicel, domestique à Damgan, également âgée de 25 ans, découpe en morceaux le cadavre de son enfant pour en hâter la putréfaction : « Aussitôt sa mort elle l’a transporté et caché d’où elle vient de l’extraire et […] ce n’est qu’hyer [sic] qu’elle l’a coupé en morceaux afin que les petites bêtes l’eussent mangé plus vite et qu’il eût pu disparaître plus facilement et plus vite 72. » Tentatives de subornation des témoins Au cours de l’instruction, les magistrats s’attachent à recueillir des témoignages sur l’état de grossesse de la mère et la naissance de l’enfant. Les femmes qui cherchent à échapper aux poursuites tentent de peser sur les témoins susceptibles d’être entendus par la justice. L’inquiétude qui naît, chez les mères criminelles, de l’audition des témoins est sensible dans nombre de dossiers. Elle figure en particulier dans celui de Catherine Héry, domestique à Goudelin, dont le crime est demeuré relativement obscur. Après la découverte du cadavre de son enfant, elle demande à une de ses voisines, cultivatrice : « Si elle n’avait pas ouï dire qu’on recherchait les auteurs de la mort de l’enfant qui avait été trouvé noyé dans la rivière dans le mois de mars dernier. » Quelques jours plus tard, elle s’inquiète de nouveau, auprès de la même personne, de savoir « si elle avait graissé ses souliers pour aller à Plouagat [siège de la justice de paix] 73 ». Elle essaie aussi de faire pression sur d’autres témoins. Un cultivateur de la même commune déclare « que quelques jours après l’audition des premiers témoins, Catherine Héry le trouva et lui dit : “Vous avez été aussi signifié, j’en suis bien aise. Je vous prie de dire devant M. le juge de paix que Françoise Hélary, veuve Le Cocq [qui l’a dénoncée], est une mauvaise langue et je vous donnerai l’argent de tabac quand nous nous rencontrerons 74” ». Le maire de Goudelin écrit au sujet de cette affaire au procureur du roi : « J’ai l’honneur aussi de vous faire observer qu’on [sic] a fait des menaces pour engager au silence, que dans toute la commune et dans celles des environs on parle de cette affaire et tous dans le même sens et qu’on est très persuadé qu’aussitôt que ces deux individus [Catherine Héry et Jean Trébouta, père présumé de l’enfant] seront arrêtés, on découvrira d’autres circonstances sur les faits 75. » Certaines prévenues essaient de soudoyer les témoins. Les propositions d’argent dont sont assorties ces pressions peuvent être relativement importantes. Marie-Yvonne Le Moën, une domestique de 23 ans, originaire du Finistère, mais ayant perpétré son crime dans le Morbihan, n’hésite pas à 71. AN/BB/20/200/1, C-N, 4e trim. 1857, Bernhard, 28 novembre 1857. 72. AD M U 2042, p.-v. de transport du juge de Muzillac, 6 novembre 1832. 73. AD C-A 2U/443, Louise Le Floch, cultivatrice, 26 juin 1827. 74. Idem, Jacques Le Bihan, 46 ans, cultivateur, 10 juillet 1827. 75. Id., Le maire de Botmiliau au procureur de Guingamp, 5 juin, 1827.

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proposer 60 F pour prix de son silence à une jeune fille qui a assisté au crime. Mais on peut douter qu’elle ait possédé une telle somme puisque, congédiée six mois auparavant, elle était revenue vivre chez ses parents dans une simple « loge » de la lande de Scaër 76. Quand elles ne parviennent ni à les intimider ni à les soudoyer, certaines femmes s’efforcent de convaincre les témoins de donner de la mort de l’enfant une version qui les absolve de toute intention criminelle. Ainsi, la Vve Bongré, ménagère à Trémorel, âgée de 47 ans, réputée avoir fait disparaître plusieurs enfants depuis son veuvage, tente-t-elle d’orienter la déposition de sa voisine. Elle demande à cette femme, à qui elle vient de raconter son accouchement, de ne pas la trahir : « Si vous êtes appelée comme témoin […] vous déclarerez du moins que je ne vous ai pas dit que mon enfant fût né vivant 77. » La famille des coupables s’associe parfois à ces démarches. Les parents de Marie Rubion, domestique à Cornillé, incitent leurs voisins à déclarer que leur fille a accouché dans un lieu isolé, loin de tout secours : « Dans sa famille, on tenta de suborner des témoins dans l’espoir de faire constater qu’elle avait accouché, isolément, dans un champ à un kilomètre de leur habitation, tandis que tout démontre que c’est dans le refuge à porc de la maison de son père qu’elle est devenue mère 78. » Affolée par l’arrivée des gendarmes, la mère de Marie-Anne Bourbé – tailleuse à Goulien – demande à la meunière chez qui sa fille a travaillé quelques jours, de faire un faux témoignage : « Vous direz qu’elle est à travailler chez vous depuis quinze jours et vous la cacherez 79. » À ces tentatives d’influence exercées par les criminelles et par leur famille s’ajoute la propre réticence des témoins à avoir affaire à la « justice » qui, dans leur esprit ne se limite pas au personnel des tribunaux. Eugen Weber a souligné la méfiance traditionnelle des paysans à l’égard des représentants de l’État 80. On remarque dans plusieurs affaires la propension des personnes interrogées à orienter les enquêteurs vers d’autres témoins, comme pour se décharger d’une source de tracas. Lorsqu’en décembre 1841 les gendarmes de Pont-Gamp se rendent à Plessala pour enquêter sur le crime imputé à Olive Belnard, ils éprouvent les plus grandes difficultés à délier les langues des villageois présents : « Étant arrivés au bourg de Plessala chez la nommée Marie-Jeanne Prisé, laquelle avait été désignée comme ayant eu connaissance du crime. […] elle n’a rien voulu nous dire d’abord, et après plusieurs interpellations, elle 76. AD F 4U2/116, p.-v. de transport de la gendarmerie de Scaër, 21 avril 1850. 77. AD C-A 2U/766, acte d’accusation, 30 avril 1855. 78. AN/BB/20/156/2, I-V, 2e trim. 1851, Robinot Saint-Cyr, 31 mai 1851. 79. AD F 4U2/121, Christine Sergent, 38 ans, meunière, 19 février 1851. 80. « Une des causes les plus fondamentales de la méfiance continuelle que le paysan nourrissait envers les inconnus résidait dans les intrusions dévastatrices de la loi et de ses représentants [gendarmes, huissiers, percepteurs] dans son univers. Tout ce qui avait quelque chose à voir avec la “justice” constituait un motif de crainte », Weber E., La Fin des terroirs, Paris, 1983, p. 84.

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nous a déclaré que c’était Rose Poillevert du moulin d’Avelard en Plessala qui lui avait conté le fait. François Lamandé […] n’a rien voulu nous déclarer. Après plusieurs interpellations, il nous a déclaré qu’il avait entendu parler de ce fait par Marie-Jeanne Prisé, cabaretière à Plessala 81. »

Une ménagère du même village déclare que trois ans auparavant elle avait déjà remarqué qu’Olive Belnard se trouvait enceinte mais qu’elle n’en avait pas parlé de crainte de s’attirer des ennuis : « Il y aura trois ans à la fin du Carême, me trouvant à confesse dans l’église de Plessala, je remarquai dans l’église Olive Belnard : je la trouvai toute changée : ses traits étaient altérés : ses reins me parurent très développés. Je dois dire que je ne pouvais pas toutefois bien l’examiner parce qu’elle portait en guise de manteau un tablier sur les épaules, lequel descendait assez bas. Au reste, c’était la figure qui me paraissait très significative : je dois le dire, je soupçonnais qu’elle était enceinte. Je fis part de mes observations à mon mari quand je fus rentrée : il me dit qu’il fallait bien me garder de parler à qui que ce soit de ce que je supposais, de crainte de m’attirer de mauvaises affaires. Je suivis le conseil de mon mari : je gardai mes soupçons 82. »

Dans un procès-verbal d’enquête relative au crime de la Vve Thominet, les gendarmes de Loudéac offrent une autre illustration de la prudence des témoins. Après leur avoir fait des révélations, une fileuse de 60 ans tient en effet à prévenir les gendarmes que « si elle était appelée en témoignage il serait fort possible qu’elle ne puisse se rappeler de sa déclaration, attendu qu’elle n’avait pas beaucoup de mémoire et qu’elle était beaucoup craintive, [et elle ajoute] qu’elle désirerait que nous fussions présents lorsqu’elle serait appelée 83 ». Consultations juridiques et tentatives de tromper la justice Il arrive que les coupables aillent consulter préventivement des hommes de loi pour préparer leur stratégie de défense. C’est ainsi que le 12 décembre 1841, alors que la justice commence ses investigations, Olive Belnard, à la veille d’être entendue par le magistrat instructeur, brûle le cadavre de son enfant dans le foyer de la maison de son maître et va prendre conseil auprès d’un avocat de Loudéac. En 1859, c’est, comble d’audace, au juge de paix lui-même que JeanMarie Delalande, auteur du meurtre du nouveau-né de sa domestique demande, d’une manière détournée, des conseils. Cet homme, propriétairecultivateur à Férel, âgé de 22 ans, craint, depuis que les investigations de la justice ont commencé, d’être convaincu du crime. Il tente d’abord de faire pression sur la mère de l’enfant : « Il lui recommanda de soutenir sûr 81. AD C-A 2U/640, p.-v. de transport de la gendarmerie de Pont-Gamp, 10 décembre 1841. 82. Idem, Anne-Françoise Bernard, 42 ans, ménagère, 24 février 1842. 83. AD C-A 2U/752, Suzanne Marchand, 60 ans, fileuse, 26 janvier 1850.

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[sic] que son enfant était mort lorsqu’il était venu au monde. “Si tu soutiens bien, il n’en sera rien ; si tu dis l’affaire, nous aurons le cou coupé.” » Il se rend ensuite chez le maire, lui avoue l’accouchement de sa domestique et tente de reporter sur elle la responsabilité du crime. Quand l’étau de la justice se resserre, il prend la fuite : « Deux jours après, Delalande revenait de lui-même et se constituait prisonnier. Dans l’intervalle il s’était rendu à une certaine distance de Férel, à Guérande et avait, en quelque sorte, demandé une consultation au juge de paix de ce canton, accusant la fille Fablait [sa domestique] et Gergaud [autre amant de cette dernière] d’avoir commis un crime dans lequel ils voulaient l’impliquer malgré son innocence et s’enquérant des moyens de se défendre 84. »

Les femmes infanticides usent aussi de bien d’autres tactiques. Plusieurs vont après leur accouchement faire une déclaration de grossesse, afin de faire accroire qu’étant enceintes de quelques mois, elles ne peuvent être coupables du crime que la rumeur leur impute. Six jours après son crime, Marie Hello, cultivatrice à Guer, « sachant que l’on parlait de son accouchement clandestin, se présenta devant le juge de paix du canton de Guer, et lui déclara qu’elle était enceinte depuis cinq mois 85 ». Mais cette démarche paraît si étrange au juge de paix qu’il la fait visiter sur le champ par un chirurgien. Perrine Hurault, cultivatrice à La Bouëxière, emploie le même stratagème : « Le lendemain [de son accouchement] les habitants du village apprirent qu’elle était malade et alitée ; personne ne douta de la cause de sa maladie; on pensa qu’elle était accouchée, qu’elle avait fait disparaître son enfant, en un mot qu’elle s’était rendue coupable d’un crime ; ces bruits parvinrent à la connaissance du maire qui manda devant lui l’accusée ; mais elle nia sa grossesse et son accouchement. Cet officier lui prescrivit d’aller se faire visiter par un homme de l’art qu’il lui désigna ; ce que la fille Hurault se garda bien de faire ; mais par une ruse nouvelle, elle se rendit au chef-lieu de l’arrondissement et vint déclarer aux magistrats qu’elle était accouchée d’un enfant mort ; leur sollicitude s’éveille ; aussitôt ils vont vérifier s’il y a crime ou simple accident 86. »

La fuite Quand la rumeur d’un infanticide est parvenue aux oreilles des magistrats et qu’une descente de justice a lieu, il est assez fréquent que les suspects cèdent à la panique et tentent d’échapper aux gendarmes. Ces entreprises sont généralement sans avenir.

84. AN/BB/20/218/2, M, 3e trim. 1859, Baudouin, 26 septembre 1859. 85. AD M U 2055, p.-v. du juge de paix de Guer, 9 septembre 1834. 86. AN/BB/20/83, I-V, 2e trim. 1835, Le Minihy, 30 mai 1835.

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Marie-Anne Bourbé se cache dans un fossé, lorsque la justice se transporte dans son village, mais elle est rapidement retrouvée. Rosalie Hogrel, originaire de Louvigné-de-Bais, fileuse depuis quelques mois à Vitré, parvient à quitter cette ville lorsque le cadavre de son enfant est découvert. Mais sa fuite est de courte durée. Elle est arrêtée le jour suivant à Bourgneuf où elle a réussi à se faire engager comme domestique. Marie-Françoise Olivier, qui accouche en mars 1825 dans une grange à Saint-Martin-des-Prés, s’enfuit quelques jours avant que la justice se transporte sur les lieux. Mais elle est arrêtée le mois suivant par les gendarmes de Quintin : « Étant instruits par la brigade de Corlay qu’ils étaient nantis d’un mandat d’amener contre une femme qui s’était réfugiée dans notre arrondissement, en conséquence des renseignements que nous avons pris à ce sujet, nous nous sommes transportés dans la commune de Lanfains. Rendus au lieu dit Garatoué, nous avons aperçu une femme portant un paquet de vêtements qui nous a paru étrangère, nous l’avons aussitôt accostée et lui avons demandé l’exhibition de son passeport. Elle nous a répondu n’en point avoir 87. »

Elle déclarera aux magistrats avoir servi dans deux maisons de Quintin depuis sa fuite. Quelques femmes seulement parviennent à échapper durablement à la justice. Julienne Godard, fileuse et mendiante à Montours, inculpée en février 1822, parvient à disparaître pendant plus de trois ans. Elle est arrêtée en septembre 1825 à Louvigné-du-Désert, où elle vivait sous un faux nom, après avoir mené une vie relativement itinérante dont elle fait le récit au moment de son arrestation : « Après avoir quitté Montours, elle a été demeurer chez le nommé Mahé, demeurant au village de Mont-Miré, commune de Louvigné-du-Désert et ensuite chez le nommé Étienne Poirier, demeurant au village de Gardinaire, commune de Saint-Brice-de-Landelles (Manche), ensuite elle est revenue chez le nommé Fémeril en Louvigné-du-Désert, où elle a été arrêtée et conduite à Fougères sous le nom de Perrine Beaufils 88. »

Mais la solution qui consiste à se couper de sa famille et de son « pays » n’est pas toujours satisfaisante, particulièrement lorsqu’on y possède des biens. François Baucher, un riche cultivateur de Guern, a été condamné par contumace en 1822 pour le meurtre de l’enfant de sa domestique, de complicité avec cette dernière. Cinq ans plus tard, il a alors 35 ans, il se présente spontanément devant la justice pour purger sa contumace car il est impatient de reprendre en mains ses propriétés. Jugé à nouveau, contradictoirement cette fois, il sera acquitté 89. 87. AD C-A 2U/407, p.-v. d’arrestation, 4 mai 1825. 88. AD I-V 2U4/614, p.-v. de transport de la gendarmerie de Fougères, 28 février 1825. 89. AN/BB/20/34, M, 1er trim. 1827, Carron, 24 mars 1827.

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Si fuir est la première pensée qui vient à l’esprit des coupables, la réussite de ce projet nécessite, pour être autre chose qu’un premier pas vers l’errance et la mendicité, des moyens qui ne sont pas toujours à leur portée. Rose Lambert, journalière à Rieux, âgée de 31 ans, parvient à s’enfuir quand les bruits qui lui attribuent un crime s’amplifient, mais elle se retrouve rapidement dans le plus grand dénuement et doit se résoudre à affronter la justice : « Le bruit se répandit bientôt dans son village que le juge de paix allait s’y transporter pour la faire arrêter. Elle prit aussitôt la fuite, le juge de paix vint en effet et ne put que recevoir les déclarations des témoins et saisir au domicile de Rose Lambert quelques linges ensanglantés qui semblaient avoir servi à une femme en couches. Après vingt jours d’absence Rose Lambert reparut au village, déclara qu’elle ne pouvait plus supporter l’état de misère où elle était réduite, et avoua devant plusieurs personnes et quelques instants après devant les gendarmes, qu’elle était en effet accouchée 90. » [Mais elle refuse d’avouer son crime et prétend être accouchée d’un enfant mort.]

René Plantard, cultivateur à Guéméné, auteur présumé du meurtre de l’enfant de sa domestique, Mélanie Roussel, parvient à s’évader lors de son transfert à la maison d’arrêt, non sans avoir pris la précaution de se munir d’une somme d’argent assez importante. Mais il erre pendant deux mois, n’osant s’éloigner de sa famille et de ses terres. Il finit par se constituer prisonnier : « J’ai fui parce que je voulais aller prévenir mes parents de mon arrestation et m’entendre avec eux pour la gestion de mon bien et la garde de mes enfants. Je comptais me constituer prisonnier le lendemain, mais je n’ai pas pu parler à mes parents parce que j’avais peur d’être pris par les gendarmes, c’est ce qui fait que je suis resté si longtemps à vagabonder dans le bois où je m’étais réfugié dans les champs environnants, et du côté de Fougerais. Dimanche dernier, je me suis rendu chez Monsieur de Beaulieu, adjoint de Guéméné, avec deux témoins, et je lui ai déclaré que je venais me constituer prisonnier. M. de Beaulieu m’a donné une lettre pour me rendre ici 91. »

C’est par la crainte du déshonneur que l’adjoint au maire, qui l’a rencontré au cours de sa fuite et ne l’a pas dénoncé, explique l’évasion de Plantard : « [Il] me dit que l’idée de prendre la fuite ne lui était venue qu’en chemin et que c’était la honte d’être conduit par des gendarmes aux su et vu de toute sa famille, dans son pays, qui l’y avait décidé 92. » Cette crainte n’est pas dépourvue de fondement car Mélanie Roussel, sa coïnculpée, avait fait l’objet lors de son transport à la caserne de la gendarmerie de la curiosité insistante et réprobatrice des villageoises des environs : « Nous l’avons fait monter dans notre voiture », écrivait le juge 90. AN/BB/20/137, M, 1er trim. 1846, Ernoul de la Chénelière, 21 mars 1846. 91. AD L-A 5U 160/3, interrogatoire, 24 juillet 1851. 92. Idem, Édouard Hervé de Beaulieu, 46 ans, propriétaire, adjoint au maire de Guéméné, 30 juillet 1851.

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d’instruction, « et nous l’avons reconduite jusqu’à Guéméné où elle a passé sous les regards d’un grand nombre de femmes de l’endroit qui l’ont accompagnée jusqu’à la caserne de la gendarmerie où nous l’avons déposée. En arrivant à la caserne, cette fille s’est mise à pleurer et à fondre en larmes 93 ».

Les mères infanticides dans les premiers actes de l’instruction Passé le mouvement de saisissement que provoque l’irruption soudaine de l’appareil judiciaire à leur domicile, les prévenues sont soumises aux questions des enquêteurs, gendarmes ou magistrats, puis à la visite des médecins. Les interrogatoires constituent une mise à l’épreuve, un affrontement psychologique. Ils sont aussi une occasion de développer de nouvelles stratégies. Depuis le défi lancé aux enquêteurs de prouver le crime, jusqu’aux ressources d’imagination employées à justifier la mort de l’enfant, bien peu se laissent totalement désarmer par les questions qui leur sont posées. Les aveux, en effet, sont rares. La descente des magistrats sur les lieux Quand une instruction s’ouvre et qu’une descente sur les lieux se produit, les coupables se retrouvent brutalement face à l’impressionnant appareil de la justice. Maires, gardes-champêtres, médecins, gendarmes, magistrats et greffiers – ces derniers, costumés – constituent en effet un impressionnant cortège. L’appareil de la justice Les « descentes » de justice produisent d’ordinaire un effet terrifiant sur les coupables. Le médecin qui est chargé de la visite de Marie-Anne Bourbé, pourtant particulièrement impertinente avant son arrestation, dit l’avoir trouvée « dans un état de stupeur et de frayeur qui nous fait craindre qu’elle ne perde la raison 94 ». Lorsque le maire, son adjoint, le brigadier de gendarmerie, le gardechampêtre et deux médecins se transportent en novembre 1839 chez la Vve Bouillaux, celle-ci se sent totalement effrayée par cette massive irruption de la force publique. Désemparée, elle ne parvient pas à répondre aux questions que lui pose le brigadier de gendarmerie. Ce dernier juge alors bon de faire sortir toutes les personnes présentes, à l’exception du maire : « En pensant que la multiplicité des personnes présentes entrait pour beaucoup dans le silence qu’elle gardait, nous avons cru devoir faire sortir pour 93. Id., p.-v. de transport du juge d’instruction de Savenay, 5 juin 1851. 94. AD F 4U2/121, rapport de Blanchard, médecin à Pont-Croix, 19 février 1851.

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l’instant les personnes présentes, à l’exception de Mr Chapon, maire, écrit ce brigadier 95. » La Vve Bouillaux décrira au juge d’instruction la peur éprouvée ce jour-là : « Vous m’avez déclaré dans votre interrogatoire du 4 du présent mois que lorsque M. le maire de Janzé s’était transporté chez vous, pour faire constater votre accouchement, vous aviez soutenu à celui-ci que vous n’étiez pas accouchée et que vous ne lui aviez jamais fait l’aveu de votre grossesse, quels étaient les motifs de ces mensonges ? Après un long silence, l’accusée nous répond : “C’est que j’avais grand peur ! – Peur de quoi ? – C’est que j’avais grand peur. – Mais encore, quel était donc le sujet de cette peur ? – C’est qu’il y avait trop de monde là. […] C’est que j’aurais été plus hardie si M. Chapon [le maire de Janzé] eût été tout seul.” »

Les gendarmes laissent de temps à autre percer vis-à-vis des ruraux un indéniable sentiment de supériorité. Craignant qu’elle ne comprenne pas même le sens de ses questions, le gendarme qui interroge la Vve Bouillaux, se croit tenu de lui préciser la signification des mots les plus simples : « Qui vous a fait cet enfant, ou si vous comprenez mieux, quel en est le père ? Que fîtes-vous du lit de l’enfant ou pour mieux vous expliquer, de son enveloppe ? » Il n’hésite pas non plus à lui donner une leçon de morale : « Ne saviez-vous pas qu’en vous livrant à votre beau-frère, vous commettiez un premier crime, qui est l’inceste 96 ? » Se sentant valorisés par la frayeur que provoque leur arrivée sur les lieux du crime, il n’est pas rare que les gendarmes mettent à profit cette émotion pour tenter d’obtenir des aveux. Le brigadier du Faou rapporte ainsi l’interrogatoire qu’il a fait subir à Marguerite Guédès, une journalière qui nie d’abord farouchement son crime : « Elle a commencé par nier le fait avec une hardiesse et une force étonnantes et soutenait avec une vigueur des plus fortes qu’elle n’avait pas accouché ni n’avait été enceinte depuis des années et qu’elle trouvait étonnant [sic] les questions que nous lui posions. Nous brigadier, la [faisons] poursuivre sans relâche par le gendarme Cariou, qui parle parfaitement l’idiome breton, et [est] très intelligent […]. Se voyant poursuivie avec autant d’activité et ne lui donnant aucun temps pour réfléchir, elle a commencé par balbutier quelques mots et s’est mise à pleurer et nous a dit que si elle nous avoue la vérité, on l’accuserait d’avoir détruit volontairement son enfant, pendant qu’il était mort peu de temps après sa naissance 97. »

Les magistrats se tiennent dans une position plus neutre. Ils essaient de provoquer des révélations par la persuasion et le raisonnement plutôt que par l’intimidation. La distance sociale et intellectuelle qui les sépare des ruraux leur assure généralement un net avantage dans le face à face que 95. AD I-V2U4 715, p.-v. de transport de la gendarmerie, 3 novembre 1839. 96. Idem. 97. AD F 2U/84, p.-v. d’arrestation, 24 janvier 1844.

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constituent les interrogatoires. La lecture de certains procès-verbaux montre combien certains d’entre eux peuvent être étonnés de constater dans quelles conditions vivent les paysans pauvres, et donne la mesure du fossé qui les sépare des mères criminelles. Et il ne s’agit pas seulement ici des juges lointains des arrondissements que sont les juges d’instruction, mais également des juges de paix. Celui de Lesneven est ébahi par le cadre de vie de Louise Lotrus, lingère au Folgoët : « Après une inspection rapide du triste logement habité par elle et son père, guidé par les renseignements que nous avions recueillis le matin, nous avons en sa présence et celle de son père, découvert le grabat sur lequel elle couchait tous les jours, lequel était placé près de la porte d’entrée non pas de la maison, elle ne mérite pas ce nom, mais d’un bouge occupé par elle et son père. Ayant soulevé une mauvaise couverture, ou selon l’expression du pays un mauvais balin et quelques vieilles hardes nous avons remarqué avec étonnement qu’il n’y avait point de draps sur le lit […]. L’appartement occupé par Louise et son père, ou plutôt, nous le répétons, le bouge, était tellement petit, que le brigadier Pellerin et nous, juge de paix, pouvions seuls en présence de Louise et de son père, nous trouver réunis. Notre greffier, Monsieur le Maire et le gendarme déjà qualifiés, étaient obligés de se tenir sur la voie publique. »

Cette confrontation à la misère peut être source de mépris. C’est sans surprise, et comme s’il s’agissait d’une conséquence logique, que le juge de paix de Lesneven constate l’impassibilité de Louise Lotrus face au cadavre de son enfant : « Nous devons constater et déclarer que la mère assistant à l’autopsie a montré la plus grande indifférence et qu’elle était plus occupée à compter et ramasser ses nippes, que nous lui avions permis d’emporter, que de jeter sur le cadavre de son enfant, sinon une démonstration de regret, au moins de la pitié 98. » C’est pourquoi les femmes rurales, lorsqu’elles veulent se confier, se sentent plus à l’aise avec les gendarmes qu’avec les magistrats. Trop impressionnée par le juge d’instruction et le procureur du roi qui se sont transportés à son domicile pour constater le crime, c’est au brigadier de gendarmerie que Marie Ménard, journalière à Saint-Broladre, âgée de 29 ans, fait le récit du meurtre de son enfant : « Ce matin, en causant avec Marie Ménard dans la cour de la veuve Rouxel, témoigne le maréchal de gendarmerie de Pleine-Fougères, je l’ai engagée à dire toute la vérité à la justice en lui observant que le médecin reconnaîtrait par l’autopsie si son enfant avait vécu ou non. Alors elle a commencé à maudire l’homme qui l’a trompée et elle m’a dit que cet individu lui avait dit aussi, en faisant allusion aux enfants naturels : “On les fait mourir. C’est cet homme qui est la cause que j’ai fait mourir le mien en le prenant à la gorge […]. Elle a ajouté : J’étais trop honteuse pour faire cet aveu au magistrat qui m’a déjà interrogée. Je suis bien aise que vous 98. AD F 4U2/120, p.-v. de transport du juge de paix de Lesneven, 9 mars 1851.

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soyez venu auprès de moi.” Elle me parut être soulagée de cet aveu et se mit à verser des larmes abondantes. Sa douleur et ses regrets m’ont semblé être bien sincères 99. »

Réactions des prévenues Les visites domiciliaires provoquent une vive émotion chez les personnes qui n’ont encore jamais eu affaire à la justice, jusqu’à susciter cris, larmes et tremblements. Ce n’est pas seulement la crainte de l’appareil judiciaire et de ses foudres qui fait ainsi réagir les personnes qui sont l’objet d’un transport de justice, mais également celle du déshonneur. Catherine Paugam, domestique à Pleyber-Christ, dont la sœur est soupçonnée d’infanticide, déclare au juge d’instruction : « Quand le juge de paix est venu hier soir, j’ai pleuré parce qu’une accusation comme celle dont ma sœur est l’objet déshonore une famille 100. » Mais tous les prévenus ne se laissent pas impressionner. Certains se placent même dans une position de défi. Les laboureurs ou propriétaires aisés tiennent à conserver, même dans leurs rapports avec les magistrats, la position dominante que leur situation sociale leur confère ordinairement et peuvent se montrer particulièrement arrogants. Maurice-Louis Le Coquen, laboureur à Saint-Fiacre, âgé de 27 ans, qui a dissimulé le cadavre de l’enfant de sa domestique de crainte que ses voisins n’apprennent qu’il en est le père, persiste tout au long de l’instruction dans la dénégation et sa forfanterie choque les magistrats qui se sont transportés chez lui : « La gendarmerie ayant amené devant nous, dans le Parc-Isellan, le nommé Maurice Louis Le Coquen, il prit un air d’assurance affectée et de jactance outrée, riant et parlant très haut et beaucoup 101. » Les femmes qui ont usé d’une grande violence et qui, ce faisant, semblent avoir définitivement rompu avec les normes sociales, adoptent la même attitude provocante. Marie-Anne Bourbé qui, pour rendre la viabilité de son enfant impossible à prouver, a découpé le cadavre de son enfant en six morceaux et donné ses viscères à manger au cochon, refuse de quitter ses occupations pour répondre aux questions des gendarmes venus l’interroger : « Les gendarmes étant venus à Kermoal, raconte sa mère, et m’ayant demandé où était ma fille, je leur répondis que je ne le savais pas ; mais ayant demandé aux enfants qui étaient dans la montagne, j’appris d’eux qu’elle était au moulin de Penheill et j’y fus la trouver, je lui dis que les gendarmes la demandaient et de venir à la maison. Ma fille me répondit qu’elle ne voulait pas perdre sa journée et que si les gendarmes avaient affaire à elle de venir à Penheill où ils la trouveraient 102. » 99. AD I-V 2U4/878, François-Jullien Pellerin, 41 ans, maréchal de gendarmerie, 4 septembre 1858. 100. AD F 4U2/92, Catherine Paugam, 21 ans, domestique, 16 mars 1846. 101. AD C-A 2U/736, p.-v. de transport du juge d’instruction de Guingamp, 16 mai 1848. 102. AD F 4U2/121, Marie-Joseph Bourbé, 54 ans, cultivatrice, 19 février 1851.

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Marie-Jeanne Labat, cultivatrice à Plouarzel, âgée de 26 ans, qui a brisé la tête de son enfant à coups de poings, refuse de se plier à la visite médicale à laquelle le juge d’instruction veut la soumettre. Elle lui rétorque, avec une certaine insolence : « Suis-je forcée ? Je ne m’en soucie pas 103. » Quant à la mère de Marie-Anne Robin, une agricultrice de Moëlan, elle met le juge d’instruction qui ordonne une perquisition au défi de retrouver le cadavre de l’enfant : « Cherchez si vous trouvez, lui lance-t-elle. » Elle dira plus tard qu’en voyant arriver les magistrats et leur escorte elle était devenue « colère comme un chien 104 ». Mais c’est Marie-Jeanne Pélion, séquestrée en 1842 par ses voisins, qui se montre la plus désinvolte. Sa voisine rapporte en effet : « Un jour, je lui disais de prendre garde, ajoutant que s’il arrivait accident à son enfant, elle pourrait encourir une peine. “Ah ! me répondit-elle, La justice n’est pas forte aujourd’hui : voilà la fille Belnard qui avait fait un enfant et l’avait brûlé qui n’a eu qu’un peu de prison : elle n’a pas manqué de pain 105 !” » Les interrogatoires des mères infanticides Les aveux spontanés sont rares. Compte tenu de la difficulté de prouver des crimes, les mères peuvent user, au cours de leurs interrogatoires, de multiples tactiques pour expliquer la mort de leur nouveau-né. Les magistrats se trouvent souvent confrontés à un répertoire d’arguments plus ou moins naïfs, à des récits qui n’ont qu’un rapport lointain avec la réalité. La recherche de la vérité suit donc un chemin tortueux, qui peut obliger les magistrats à multiplier les interrogatoires. L’élucidation des crimes dépend à la fois de leur habileté, de la force des preuves qu’ils ont pu rassembler et de la plus ou moins grande fragilité psychologique des coupables. Enseignements tirés des procès Même quand ils sont issus des villages les plus reculés, les criminels ne sont pas toujours vierges de toute relation avec la justice. Certains possèdent même une véritable connaissance des procédures en matière d’infanticide. Les foires et cabarets constituent un élément essentiel dans le système d’information des populations rurales. C’est là que se forme l’essentiel des notions que les villageois ont des procès. Mais ils ne constituent pas leur seule source d’information. Les déplacements occasionnés par toutes sortes d’activités professionnelles, par la livraison des produits de l’agriculture, la venue au village d’un travailleur itinérant, d’un voyageur ou d’un mendiant sont autant d’occasions d’obtenir des nouvelles des personnes poursuivies par la justice et de connaître le sort qui leur a été réservé. 103. AD F 4U2/168, p.-v. de transport du juge d’instruction de Brest, 1er décembre 1860. 104. AD F 4U2/158, Jeanne-Marie Robin, 62 ans, cultivatrice, 2 mars 1858. 105. AD C-A 2U/647, Anne Gicquel, 35 ans, ménagère, 17 août 1842.

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De même qu’il est un des lieux de prédilection des relations amoureuses illégitimes, le cabaret tient une place de première importance dans la connaissance des infractions de tous ordres et des diverses manières de contourner la loi ou d’échapper à la sanction. En témoigne la Vve Biraud, marchande de denrées et cabaretière à Sautron, âgée de 34 ans. Méditant de tuer l’enfant illégitime dont elle est enceinte, elle profite du passage dans son cabaret, au retour de la cour d’assises, des témoins d’une affaire d’infanticide pour s’informer du déroulement du procès : « Quand les témoins de la fille Julienne-Marie Nicolas, âgée de 25 ans, née à Pont-Château, qui a passé à la cour d’assises au mois de juillet 1839 pour inculpation aussi du crime d’infanticide [sic], trois de ces témoins ont couché en allant à Nantes et en en revenant, chez la Vve Biraud comme étante [sic] cabaretière et logeuse, elle les a bien questionnés comment que sa [sic] s’était passé, La Bioret, Vve Durand, la Chateau, femme Garnier, et la femme Julien Michaud demeurantes [sic] toutes trois au village de La Minguet près de Savenay, lui ont répondu que Julienne-Marie Nicolas avait été mise en liberté, sans doute quelle prémédité [sic] de faire le même crime d’infanticide dont il lui est inculpé [sic] ; depuis le commencement de sa grossesse jusqu’à la fin elle a toujours nié qu’elle était enceinte, cela prouverait encore la préméditation continuelle 106. »

Les femmes qui ne veulent pas reconnaître leur culpabilité emploient pour justifier la mort de leur enfant des arguments qui relèvent d’une transmission orale et qui finissent par constituer une sorte de tradition narrative. Cette tradition représente une synthèse des observations recueillies à l’occasion des procès sur les limites de la médecine légale, et sur les arguments qui ont été employés victorieusement par la défense. Elle offre aux inculpées un répertoire de récits adaptables aux circonstances des crimes. La perte de connaissance

Quand les cadavres ne portent pas de traces de violence, l’évanouissement consécutif aux douleurs de l’accouchement permet aux mères infanticides de justifier la mort de leur nouveau-né par l’incapacité dans laquelle elles se sont trouvées de lui donner des soins. Cet argument s’accorde bien avec le caractère solitaire et improvisé de leur accouchement, puisque de nombreuses femmes disent avoir ignoré le terme de leur grossesse. MarieAnne Yvenal, une domestique de 29 ans, explique à sa maîtresse qui a découvert le cadavre de son nouveau-né dans son lit « qu’elle ne savait pas être au terme de sa grossesse, qu’elle ne croyait accoucher que dans le mois de mars ; qu’elle avait été surprise par des douleurs si vives qu’elle s’était évanouie, et qu’en revenant à elle, elle avait trouvé son enfant mort entre ses jambes sans qu’il eût crié ou respiré 107 ». 106. AD L-A 5U108, Perrine Thomeret, 42 ans, journalière, 7 novembre 1839. 107. AN/BB/20/218/1, F 2e trim. 1859, Lambert, 22 avril 1859.

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L’évanouissement est un argument d’autant plus souvent utilisé qu’il présente l’avantage d’écourter les interrogatoires. Les mères criminelles peuvent prétendre, ayant perdu connaissance, n’avoir aucun souvenir de leur accouchement et ne pas être en mesure d’éclaircir les circonstances de la mort de leur enfant. L’évanouissement permet aussi de justifier de nombreuses asphyxies, le nouveau-né bloqué sous le corps de sa mère n’ayant pu respirer. Certaines ecchymoses peuvent également être expliquées par le fait qu’en perdant connaissance, les mères sont tombées sur leur enfant, l’étouffant involontairement et produisant les blessures constatées. La privation de secours

Pour apitoyer enquêteurs et témoins, certaines femmes insistent sur les conditions dramatiques et précaires de leur accouchement. Ainsi, Jeanne Le Roch, domestique à Moréac, « soutenait pour sa défense, qu’en allant chez son père, elle avait été inopinément surprise dans un champ, par les douleurs de l’enfantement, au commencement de la nuit ; qu’elle avait en vain et à grands cris appelé au secours ; que personne n’étant arrivé à son aide, ses douleurs devinrent si atroces, qu’elle se crut au moment de sa mort, et tomba évanouie, et resta sans connaissance pendant une heure au moins ; qu’ayant repris ses sens, elle avait trouvé son enfant auprès d’elle et que le cordon ombilical s’était rompu de lui-même ; et que, s’étant assurée de la mort de cet enfant, elle s’était décidée, pour cacher sa honte, à le placer dans le creux de l’arbre dont il a été parlé 108. »

C’est également à la privation de tout secours que Perrine Érard, une journalière de 29 ans qui avait caché le cadavre de son enfant dans la paillasse de son lit, attribue la mort de son nouveau-né : « Seule et sans secours lors de sa délivrance, faible et souffrante, elle n’avait pu donner les premiers soins à son enfant, et […] elle n’avait d’ailleurs remarqué en lui aucun signe de vie 109. » L’accouchement debout

Quand les cadavres portent des marques de violence, les prévenues recourent plus volontiers à un autre moyen de défense, celui d’avoir accouché debout. C’est de cette manière que Justine Porcher, une cuisinière de Gorges, tente de justifier les contusions constatées sur le cadavre de son enfant : « Elle prétendit d’abord qu’elle était accouchée d’un enfant mort ; mais il résulta de l’examen fait par l’homme de l’art que l’enfant était né à terme, viable, bien conformé et avait entièrement respiré, qu’il avait vécu et que sa mort devait être attribuée à une commotion cérébrale, accompagnée d’épanchement sanguin à l’intérieur du crâne. Cet enfant portait sur l’un 108. AN/BB/20/76, M, 3e trim. 1834, Delamarre, 22 octobre 1834. 109. AN/BB/20/108, L-I, 1er trim. 1840, Sérel-Desforges, 4 avril 1840.

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des côtés de la tête une large contusion. Justine Porcher prétendit d’abord être accouchée sur le pied de son lit, après avoir éprouvé une défaillance qui avait duré dix minutes environ et à la suite de laquelle elle avait aperçu son enfant, sans vie, sur le plancher. Elle déclara ensuite qu’elle était accouchée debout, appuyée sur le pied de son lit, et que la contusion que portait, à la tête, son enfant, était le résultat de sa chute sur le parquet où elle l’avait trouvé sans vie au bout de quelques minutes 110. »

La lecture des dossiers montre que les cas où les parturientes accouchent réellement en position debout sont loin d’être majoritaires. Même dans ces accouchements improvisés et clandestins, où il importe de se dissimuler pour préserver le secret de l’événement, nombreuses sont celles qui prennent soin de s’étendre au moment des douleurs sur leur lit, sur l’herbe du champ ou du jardin voisin, ou encore sur la paille ou le fumier d’une étable. L’accouchement en position accroupie, la parturiente se cramponnant au pied du lit ou aux barreaux d’une échelle, semble également assez répandu. Les latrines

Dans un certain nombre de récits, ce sont les latrines qui constituent le cadre de la mort de l’enfant. Dans l’esprit des coupables, le choix de ce lieu démontre parfaitement le caractère impromptu de leur accouchement. Françoise Nicolas, une tailleuse de 25 ans, récemment arrivée à Nantes où elle s’est installée dans un garni pour « servantes sans place », accouche de manière parfaitement inattendue dans les lieux d’aisance : « Elle déclara alors que le matin, s’étant sentie prise de coliques, elle était descendue aux latrines, s’était placée accroupie sur le siège et y était accouchée, sans s’en être aperçue qu’au moment même, d’un enfant qui était tombé dans la fosse d’aisance 111. » En réalité, les récits de chute dans les latrines viennent ordinairement justifier la singulière sépulture que les mères choisissent pour leur nouveauné quand elles ne savent comment se débarrasser de son cadavre. Les latrines peuvent aussi servir d’instrument du meurtre, certaines mères, comme Françoise Nicolas, y précipitant leur enfant vivant. La perte de la raison

La dramatisation des circonstances de l’accouchement peut aller jusqu’à attribuer à une perte momentanée de la raison, voire à une intervention diabolique, le passage à l’acte criminel. Jeanne-Marie Roussel, domestique à Bourg-des-Comptes, admet qu’elle a enveloppé son enfant dans une jupe et que c’est probablement cela qui l’a étouffé, mais elle ajoute que « que si elle l’a tué, c’est qu’apparemment le démon la poussait trop dur; […] qu’elle avait perdu la tête et qu’elle ne savait ce qu’elle faisait 112 ». 110. AN/BB/20/145, L-I, 1er trim. 1848, Robinot Saint-Cyr, 21 mars 1848. 111. AN/BB/20/174/2, L-I, 3e trim. 1854, Taslé, 26 septembre 1854. 112. AN/BB/20/156/2, I-V, 3e trim. 1851, Fénigan, s.d.

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Nombreuses sont les prévenues qui, pour ne pas avoir à commenter les circonstances et les moyens de leur crime, affirment qu’elles « n’avaient plus leur tête à elles ». Hormis celles qui, reconnaissant avoir commis un infanticide, le justifient par l’état de désespoir et d’égarement dans lequel les a plongées la naissance d’un enfant illégitime, le recours à la folie passagère vise à démontrer que le crime n’était pas prémédité, et à atténuer leur responsabilité : « je ne suis pas aussi coupable qu’on pourrait le croire car j’avais la tête perdue et je n’avais pas conscience de ce que je faisais » déclare, par exemple, Jeanne-Marie Le Masson, journalière à Trédaniel, au juge de paix venu l’interroger 113. L’enfant prématuré, monstrueux, mort-né

Une grande partie des mères disent que leur enfant était mort à la naissance et que, ne l’ayant pas examiné puisqu’il était sans vie, elles ne peuvent dire s’il s’agissait d’un garçon ou d’une fille. Pour mieux démontrer que cet enfant était mort-né, elles le décrivent fréquemment comme n’étant pas arrivé à terme. Plusieurs disent qu’il n’était « pas plus grand que la main 114 ». Agnès Droual, âgée de 29 ans, demeurant chez son père à Bangor (Belle-Île-en-Mer), ajoute même que son enfant était tout noir. Elle explique cette circonstance par le fait « qu’elle avait à diverses fois fait bouillir de mauvaises herbes [que des vieilles femmes lui avaient indiquées comme remède abortif ] et qu’elle en avait bu le jus qui était presque noir » et que cet enfant « se dépessait [sic] 115 ». L’irrationnel n’est donc pas absent des représentations que certaines mères, dont la pensée semble tout imprégnée de la théorie des « signatures », donnent de leur enfant. Anne Réminiac, une journalière de Guer, dépeint curieusement son enfant au juge de paix qui s’est transporté sur les lieux : « N’êtes-vous pas récemment accouchée ? – Depuis mercredi du soir vers sept heures. – Où est votre enfant ? – C’était peut-être un animal de la grosseur du poing que j’ai jeté à la porte. – Comment avez-vous pu croire que c’était un animal ? – Ayant regardé un animal avec trop d’attention, j’ai pu en faire un semblable. »

Il faut sans doute lire dans la stratégie de défense d’Anne Réminiac la survivance des théories « imaginatives », très en vogue jusqu’au XVIIIe siècle, voire au-delà 116. 113. AD C-A 2U/97, p.-v. de transport du juge de paix de Moncontour, 9 février 1846. 114. Cette expression revient dans une quinzaine de dossiers. 115. AD M U1991, interrogatoire, 28 juin 1826. 116. « Jusqu’au XIXe siècle, écrit J. Gélis, les esprits éclairés eux-mêmes accordent crédit à ces croyances […]. Personne n’échappe à l’inquiétude que suscite les mystères de la gestation. En 1810, au cours d’un voyage aux Pays-Bas, Napoléon accompagné de Marie-Louise voit s’avancer une troupe de figures grotesques, les géants de Wetteren : épouvanté pour l’impératrice alors enceinte, il s’écrit : “Pas de monstres ! Pas de monstres !” et il lance ses hussards sur les ventres d’osier », L’Arbre et le fruit : la naissance dans l’Occident moderne, 16e-19e s., Paris, 1984, p. 119-120.

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Selon ces théories, les émotions, les peurs qui avaient bouleversé la mère au cours de sa grossesse étaient lisibles sur le corps de son enfant, notamment à travers des marques ou des « envies », stigmates de désirs inassouvis : « Une très ancienne tradition avait reconnu à la mère la capacité de transmettre ses propres émotions à l’enfant dans l’utérus ; de lui communiquer ses propres sentiments, au point d’en imprimer les traces sur son aspect physique, et d’en déterminer les caractéristiques somatiques. À son imagination étaient rapportés les défauts de conformation du nouveau-né, qui pouvait être marqué à jamais par ses peurs ou ses désirs 117. »

Fables et dénégations De nombreuses inculpées considérant que le meilleur moyen de défense est le déni se refusent formellement à reconnaître leurs crimes. Comme l’exprime Anne Le Chat, femme Doudard, à l’une de ses compagnes de prison, elle-même condamnée pour exposition d’enfant : « Quand on aurait la queue du renard dans la bouche on doit renier 118. » Les déclarations recueillies au cours des interrogatoires sont donc fréquemment un amalgame de semi-vérités, de fables et de mensonges, sans véritable souci de cohérence ni de vraisemblance. Ainsi la Vve Le Trou, déclare-t-elle au juge d’instruction qu’elle a noué le cordon ombilical de son enfant immédiatement après sa naissance, puis elle affirme qu’il n’a pas vécu. Désarmée par le juge qui s’étonne de la précaution qu’elle a prise de nouer le cordon d’un enfant mort, elle ne trouve que de bien pauvres arguments : « J’ai noué le cordon ombilical parce que je pensais que mon enfant pouvait revenir 119. » S’ils attachent une importance particulière à l’élucidation d’un crime, les juges d’instruction sont parfois obligés de multiplier les interrogatoires dans l’espoir que les prévenues finiront par se trahir. Le mensonge suppose une vivacité d’esprit et une habileté que les femmes infanticides ne possèdent pas toutes. Jeanne Le Minor se fait prendre assez rapidement au piège des questions du juge. Elle prétend tout d’abord avoir accouché dans la porcherie, d’un enfant qui n’a pas donné signe de vie et que le porc a dévoré. Au fil de l’interrogatoire elle est obligée de reconnaître son intention criminelle : « Oui, j’avais l’intention de le soustraire aux yeux des personnes de la maison du Morvan [son maître] et aux yeux du public et c’est ce motif qui m’a déterminée à lui donner la mort. – Comment lui avez-vous donné la mort ? – Mais le porc l’a dévoré. – Il était donc vivant ? – Non. – Quelle est donc votre réponse définitive ? – Je ne le croyais pas vivant, mais je n’en 117. Filippini N. M., « Il Cittadino non nato et il corpo della madre », Storia della maternità, Roma, 1997, p. 111-137 [trad. pers.]. Voir aussi : Darmon P., Le Mythe de la procréation à l’âge baroque, Paris, 1981, p. 103-106 : L’origine des monstres. 118. AD I-V 2U4/614, Françoise Jouanne, 22 ans, fileuse de laine, 23 janvier 1825. 119. AD C-A 2U/641, interrogatoire, 12 mars 1842.

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étais pas sûre et j’ajoute que j’ai laissé le porc le dévorer afin que personne ne l’aperçût, je ne le touchai pas, de sorte que je ne sais s’il était vivant, car il ne bougea pas ni ne jeta un cri 120. »

Il arrive que les inculpées donnent plusieurs versions de la mort de leur enfant sans qu’aucune ne paraisse vraisemblable. Les magistrats recourent alors parfois aux concierges des prisons pour obtenir leurs aveux. Après avoir été confrontées à l’appareil de la justice, elles se sentent paradoxalement mises en confiance par l’ambiance particulière de la prison. La familiarité des relations entre détenues et la communauté de langage qu’elles ont avec des interlocuteurs, codétenues et concierges, qui appartiennent au même milieu qu’elles, facilitent les confidences. Ces intermédiaires obtiennent plus facilement des révélations s’ils peuvent faire valoir que celles-ci seront accueillies avec bienveillance par la justice. C’est par ce moyen que le portier de la maison d’arrêt de Rennes parvient à recueillir les confidences de Jeanne Ruffault, une fileuse de Cesson : « Il y a aujourd’hui un mois, je reçus l’ordre du commissaire de police, par l’intermédiaire de Guichard, garde de ville, de questionner l’accusée, afin de faire connaître ce qu’elle avait fait de son enfant. Je m’acquittai de cette commission. Je l’engageai à me dire toute la vérité, en lui disant que plusieurs autres femmes, accusées du crime d’infanticide, n’avaient subi d’autre peine que celle de deux années d’emprisonnement et que la sincérité de ses déclarations pouvait intéresser en sa faveur. Elle me déclara alors qu’elle était partie le samedi pour venir à Rennes faire ses couches chez une sage-femme, qu’elle fut surprise près le faubourg de Paris des douleurs de l’enfantement (c’était le matin), qu’elle entra dans un champ où elle accoucha d’un beau gros garçon (le témoin omit de lui demander s’il était vivant). Elle ajouta qu’elle enveloppa son enfant dans son tablier et le prit pour l’emporter, qu’en passant près de la rivière, il lui vint une mauvaise idée et qu’elle le jeta dans l’eau avec le tablier qui l’enveloppait 121. »

Dans le cas présent, ces aveux n’ont été considérés qu’avec une faible indulgence puisque Jeanne Ruffault a été condamnée aux travaux forcés à perpétuité et à la flétrissure. Mais il n’est pas rare que la cour et le jury fassent preuve de mansuétude à l’égard des mères qui reconnaissent leur crime. Les « conseils des prisons » Tant qu’ils ne sont renfermés qu’à la maison d’arrêt, les détenus semblent vivre dans une grande promiscuité et jouir d’une certaine liberté pour recevoir des visites, des victuailles et des boissons. Anne Doudard pense même, en profitant des facilités accordées aux visites, pouvoir s’évader. Mais elle est trahie par une de ses codétenues : 120. AD C-A 2U/711, interrogatoire, 24 décembre 1846. 121. AD I-V 2U4/621, Julien Riellan, 52 ans, portier à la maison d’arrêt de Rennes, 26 avril 1826.

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« Il y a une douzaine de jours, la femme Doudard me dit qu’elle tâcherait de s’évader par le moyen de la fille Meslin qui allait bientôt sortir de prison, qu’après sa sortie, celle-ci viendrait la demander, sous prétexte de boire une bouteille de cidre avec elle, et qu’étant descendue, elle espérait pouvoir se sauver par la gallerie [sic] qui a un escalier donnant sur les jardins au pied de la prison. J’avais en effet entendu auparavant la fille Meslin et la femme Doudard parler de ce projet et depuis sa sortie la première est venue pour l’effectuer, mais j’avais fait avertir le concierge par la femme Sagné, et elle fut éconduite 122. »

La convivialité particulière de la prison n’est pas seulement une invitation à l’aveu ou à la confidence. Elle peut aussi être l’occasion, au cours d’échanges d’informations avec les autres prisonniers, d’élaborer une nouvelle stratégie de défense. Cette stratégie est difficile à parer parce qu’elle se fonde sur les arguments qui sont reconnus, par les observateurs intéressés des procès que sont les auteurs des crimes, ouvrir le plus vaste champ à l’incertitude et, par conséquent, à l’acquittement. Il n’est pas rare qu’après avoir passé un certain temps en prison, les coupables reviennent sur leurs aveux ou les modifient de manière à s’offrir une position plus avantageuse. C’est ce travail de réélaboration des faits que les magistrats désignent sous l’expression « conseils des prisons ». Le Meur l’emploie notamment à propos d’Anne Le Feuvre, une jeune fille de 22 ans, de Brécé, accusée d’avoir étranglé son enfant, puis de lui avoir brisé le crâne avec une houe : « Cependant, devant la cour d’assises, sans doute par suite de conseils de prison, elle a prétendu qu’elle était accouchée, il est vrai, mais d’un enfant qui n’était point à terme et qui était mort naturellement, immédiatement après sa naissance ; que si l’on avait remarqué lors de l’autopsie, que le crâne de cet enfant avait été traversé et brisé en plusieurs parcelles par un instrument piquant et contondant à la fois, cette fracture n’avait eu lieu que longtemps après la mort et au moment où, craignant les investigations de la justice, elle avait exhumé le cadavre, à l’aide d’une houe en fer, pour le transporter dans un champ plus éloigné de sa maison d’habitation 123. »

Cette stratégie peut être contagieuse. Dupuy est troublé par le nombre impressionnant des accusés qui, à la cour d’assises du Morbihan du 3e trimestre 1863, simulent la folie ou se rétractent : « Cette session, dont la durée n’a pas dépassé sept jours, a présenté cette double particularité que trois accusés sur quinze ont simulé la folie et que cinq accusés qui, au cours de l’instruction avaient fait des aveux, les ont rétractés devant la cour d’assises. On serait tenté d’admettre qu’une funeste influence s’exerce sur les accusés, soit dans les maisons d’arrêt du département, soit dans la maison de justice 124. » 122. AD I-V, 2U4/614, Marie Touzé, 38 ans, charbonnière, 23 janvier 1825. 123. AN/BB/20/137, I-V, 1er trim. 1846, Le Meur, [mars 1846]. 124. AN/BB/20/256/2, M, 3e trim. 1863, Dupuy, 30 octobre 1863.

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Les aveux Le transport des magistrats ou des gendarmes sur les lieux de leur crime suffit à décider les prévenues les plus vulnérables à reconnaître les faits. Certaines évidences sont en effet difficiles à combattre. Quand le cadavre de l’enfant est retrouvé à leur domicile, les mères coupables finissent habituellement, après quelques faibles dénégations, par se résoudre à l’aveu. La confrontation au cadavre, surtout lorsqu’il porte des traces de blessures, est du reste fréquemment utilisée par le magistrat instructeur comme moyen de pression. C’est la tactique que choisit en 1827 le juge de paix de Mauron pour tenter de faire avouer son crime à Marie Groseille, domestique à Mauron : « Ayant envoyé chercher Marie Groseil […], nous l’avons d’abord interrogée dans une maison attenante à celle où était l’enfant. Là elle nous a déclaré qu’elle était accouchée hier au soir à huit heures d’un enfant sans vie qu’elle avait aussitôt fourré sous sa paillasse et c’était [sic] couchée dessus. Nous lui avons dit alors de nous suivre dans la maison où était son enfant. Là, l’ayant interrogée plus vivement, elle a avoué que son enfant était venu au monde vivant, qu’il avait jeté deux cris, qu’alors craignant que les voisins ne l’eussent entendu, elle la fourré [sic] sous sa paillasse, qu’elle s’est couchée dessus et qu’elle n’a plus rien entendu 125. »

C’est sans doute également afin d’impressionner les mères infanticides que les magistrats, surtout dans les premières décennies du XIXe siècle, leur demandent parfois si elles veulent assister à l’autopsie du cadavre de leur enfant. Les résultats des expertises pratiquées au domicile des prévenues, quand l’événement est encore récent et qu’elles n’ont pas eu le temps d’affûter leurs arguments de défense, revêtent souvent un caractère d’évidence scientifique qu’il leur est impossible de contester. De plus, les médecins ont un statut social qui leur confère une certaine autorité sur les femmes qu’ils sont chargés d’examiner. Quelques-uns en usent pour tenter d’obtenir des révélations. Pour les âmes religieuses, qui craignent la justice divine, l’aveu apparaît comme un moyen de racheter leur faute et pour celles qui réalisent la portée de leur acte, un moyen de décharger leur conscience d’un pesant fardeau. Jeanne-Marie Huguet, couturière à Maure, semble, malgré sa mauvaise réputation, éprouver un trouble profond après avoir commis son crime : « Le juge de paix de Maure ayant appris que Jeanne-Marie Huguet était accouchée le 18 janvier 1855 interrogea cette fille le 22 et la pressa de dire la vérité. Elle nia qu’elle eût été jamais enceinte et elle consentit à se transporter dans une autre commune, accompagnée d’un gendarme, pour être visitée par un médecin. Mais soudain elle fut prise d’attaques de nerfs et de syncopes qui la mirent dans l’impossibilité de faire le voyage. Elle a été privée de sentiment et de la parole pendant plusieurs jours. » 125. AD M U 2002, p.-v. de descente du juge de paix de Mauron, 28 décembre 1827.

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Quelques jours plus tard, elle fait appeler le juge de paix pour lui faire le récit du meurtre, disant que « cela la soulagerait ». Ce magistrat termine ainsi la lettre où il rapporte les aveux de Jeanne-Marie Huguet : « Ces aveux ont été faits avec un grand air de sincérité et de bonne foi : “Je vous dis la vérité, a-t-elle fini, comme si je l’arrachais, à poignées, de mon cœur.” Elle a versé des larmes abondantes et a protesté de son repentir et de ses remords. » Cette fille, désespérée par la portée de son acte, semble même avoir songé au suicide : « La fille Huguet m’a dit un jour qu’il était heureux pour elle qu’on eût trouvé son enfant, car s’il n’en eût pas été ainsi, elle n’aurait jamais eu le courage d’avouer son crime en confession, et se regardant comme damnée irrémédiablement, elle eût pris le parti d’en finir et de se noyer 126. » L’aveu peut aussi viser à épargner un membre de la famille (père, mère, frère ou sœur), que les magistrats soupçonnent de complicité et s’apprêtent à inculper. Ce n’est que lorsque le juge d’instruction décide de mettre son père en état d’arrestation qu’Anne-Françoise Corre, une journalière de Landunvez, âgée de 17 ans, dont l’enfant a été retrouvé « horriblement mutilé », se résout à confesser son crime : « l’inculpée voyant que son père s’en allait avec nous, nous a prié de revenir et nous a dit : “Mon père n’a rien fait à l’enfant. C’est moi seule qui l’ai blessé avec mon couteau… Je ne sais combien de coups j’ai portés à mon enfant et dans quelles parties du corps je l’ai blessé. J’avoue aussi qu’il a crié avant que je l’eusse frappé. J’ignore s’il a crié pendant que je l’ai frappé, car je ne savais plus ce que je faisais. Je l’ai frappé presque aussitôt sa naissance.” […] L’inculpée, ajoute le juge d’instruction, est dans un état d’exaltation intense, bien qu’elle ne verse pas de larmes. Elle dit par mots entrecoupés : “Mon Dieu ! Je serai punie, mon pauvre père restera seul, je n’irai plus à Landunvez 127 !” »

126. AN/BB/20/182/1, I-V, 2e trim. 1855, Bernhard, s. d. 127. AN/BB/20/245/2, F, 3e trim. 1832, Bernard, 21 août 1862.

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Chapitre III

Le procès L’instruction écrite n’est qu’une première étape dans l’élaboration d’une vérité qui demeure mouvante jusqu’à la sanction finale que représente la condamnation ou l’acquittement. Le sort des accusés ne réside pas tout entier dans la qualification des faits reconstitués par l’instruction. L’issue du procès se joue véritablement dans l’épreuve que constituent les débats judiciaires. Dans la difficile élucidation des événements ayant précédé ou accompagné le crime entrent aussi en ligne de compte la bonne volonté des témoins à contribuer à l’accusation et l’habileté des avocats. Mais l’art du défenseur ne fait parfois que parachever un processus qui a vu, au cours de l’audience, l’intérêt des magistrats, des jurés et du public se déplacer de la gravité des faits jugés vers la personnalité des criminels.

Les magistrats face aux accusées Les crimes s’accompagnent parfois d’actes inutiles de brutalité mais leur sanction n’est pas nécessairement proportionnelle à cette violence. Le comportement des accusées à l’audience, leur position sociale, leurs antécédents, leur réputation viennent modifier l’appréciation que la cour peut avoir de leurs actes. Les magistrats seront d’autant plus enclins à la clémence qu’ils se trouveront face à des femmes qui reconnaîtront leurs crimes, en éprouveront du remords et adopteront une attitude digne, témoignant de leur acceptation du procès et de leur respect pour les instances du jugement. Comportement des accusées durant les débats Lorsque arrive le jour du procès, le temps qui s’est écoulé depuis les faits enlève à ceux-ci une partie de leur intensité dramatique. Les traces du crime sont effacées, le souvenir des victimes s’estompe. Dans les affaires d’infan85

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ticide, ce processus est d’autant plus manifeste que les enfants n’ont eu qu’une éphémère existence physique et pratiquement aucune existence sociale, ils demeurent des êtres virtuels. En revanche, les mères coupables ne sont plus seulement des criminelles dont les méfaits sont détaillés dans l’acte d’accusation mais des femmes dont la vie s’inscrit dans une lignée familiale, dans une communauté de quartier ou de village. Conscientes des enjeux du procès, elles s’efforcent de se montrer sous leur meilleur jour. Ce ne sont plus les personnages désincarnés de la procédure écrite, mais des êtres de chair, singuliers, parfois dignes d’intérêt et souvent victimes de l’inconséquence ou de la légèreté des hommes. Brouardel, professeur de médecine légale à la faculté de Paris, insistait sur le retournement de point de vue qui s’opère, dans la manière d’envisager les femmes infanticides, entre la découverte du crime et le jugement : « On trouve le cadavre d’un nouveau-né. Il a été étranglé, frappé d’un ou plusieurs coups de couteau. Le sentiment public est révolté, et si en ce moment on trouvait la femme coupable d’un crime odieux, commis sur un innocent sans défense, alors que cet enfant est le sien, la femme ellemême serait en péril. Le cadavre est là, le juge, les témoins, l’expert ne voient que lui. Trois mois plus tard, aux assises, les jurés, les juges, le public ne voient plus ce cadavre. Ils ont devant eux une pauvre fille séduite, ayant bonne réputation, abandonnée par un individu auquel la justice ne demande aucun compte ; tout le monde a pitié d’elle, on la plaint plus qu’on ne l’accuse 1. »

Il recommandait en conséquence aux futurs médecins légistes la plus grande neutralité dans la rédaction de leurs rapports. Des êtres de chair La beauté des accusées, l’agrément de leur physionomie, la dignité de leur maintien contribuent à faire oublier la cruauté de leur acte. C’est aux qualités physiques et à la facilité d’expression de Jeanne-Marie Cavalan, lingère à Quintin, âgée de 20 ans, que Chellet attribue la clémence dont elle a bénéficié devant la cour d’assises. Bien qu’elle soit accusée d’avoir brisé le crâne de son enfant puis de l’avoir jeté dans les latrines, elle parvient à émouvoir le jury et à obtenir son absolution : « La jeunesse de Jeanne-Marie, la douceur et l’agrément de son maintien et de son langage, qui sans la rendre moins coupable, semblaient la mettre dans une classe à part de la plupart des malheureuses qui se rendent coupables d’un pareil crime, la condition honnête et la douleur de ses parents, auprès de certains esprits, étaient de nature à produire une impression favorable. Des jurés qui, à la vérité, ont eux-mêmes provoqué leur récusation, ne dissimulaient pas l’intérêt qu’ils lui portaient 2. » 1. Brouardel P., L’Infanticide, Paris, 1897, p. VI-VII. 2. AN/BB/20/120, C-N, 3e trim. 1842, Chellet, 27 août 1842.

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LE PROCÈS

Les magistrats, qui reprochent souvent aux jurés leur « funeste indulgence », ne se montrent eux-mêmes pas indifférents à la physionomie des accusées, particulièrement lorsqu’ils croient reconnaître en elles des vertus « féminines 3 ». Ainsi, bien qu’elle ait enfermé son enfant nouveau-né dans un sac et qu’elle l’ait précipité dans les latrines, Marie-Jeanne Pothier, domestique à Redon, âgée de 20 ans, a « intéressé » la cour « par son air d’ingénuité aux débats 4 ». Le conseiller Fénigan ne se montre pas insensible à l’apparence de Pompée Gouriou, journalière à Langoat, âgée de 32 ans, déjà mère d’un enfant naturel, qui a étranglé son nouveau-né à l’aide du cordon ombilical. Il lui reconnaît de la douceur et une certaine fragilité : « Cette femme est d’une santé délicate, son intelligence est à bien dire nulle ; il est facile de voir à sa physionomie qu’elle a un caractère facile et même doux, ce qui est attesté par le maire de sa commune. » Elle confirmera à l’issue des débats ces qualités toutes féminines en témoignant de son amour pour son premier enfant : « La cour ne l’a condamnée qu’à six années de travaux forcés. Quand je lui ai demandé si elle avait quelque chose à dire sur l’application de la peine, elle s’est mise à pleurer et a demandé qu’on la renvoyât le plus tôt possible auprès de son enfant qui avait besoin d’elle, sa mère étant âgée et ne pouvant lui donner des soins 5. » La laideur, la faiblesse physique ou le défaut d’intelligence peuvent également être considérés, sinon comme une excuse, du moins comme une atténuation de responsabilité et inciter jurés et magistrats à la clémence. Marie-Louise Mourrain, « fille de mauvaise vie », couturière, tenant un café à Douarnenez, âgée de 34 ans, doit de n’avoir été condamnée qu’à huit années de travaux forcés à son état de santé : « La modération de cette peine, explique le conseiller Taslé, est due à l’état maladif de l’accusée, très infirme et pouvant à peine marcher. C’est, en effet, une femme faible, d’une frêle organisation et boiteuse depuis sa naissance 6. » Quant à Euphrasie Frouget, cultivatrice à Plumaugat, c’est son inintelligence qui lui vaut la mansuétude de la cour. Elle est condamnée à douze ans de travaux forcés, mais Hüe ne s’oppose pas à ce que cette peine soit réduite : « Dans l’application de la peine, la Cour a pris en considération le degré d’intelligence de cette accusée, qui est extrêmement bornée. Cette circonstance serait peut-être aussi de nature à attirer ultérieurement sur la condamnée la clémence de Sa Majesté 7. » Il peut arriver que le manque de discernement des accusées pose le problème de leur responsabilité pénale. Cette question est notamment soule3. Voir Shapiro A.-L., « L’Amour aux assises : la femme criminelle et le discours judiciaire à la fin du XIXe siècle », Romantisme, 19, 1990, 68, p. 61-74. 4. AN/BB/20/124, I-V, 2e trim. 1843, Ernoul de la Chénelière, 29 mai 1843. 5. AN/BB/20/156/2, C-N, 2e trim. 1851, Fénigan, s. d. 6. AN/BB/20/268, F, 4e trim. 1864, Taslé, 9 novembre 1864. 7. AN/BB/20/174/2, C-N, 4e trim. 1854, Hüe, s. d.

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vée à propos d’Anne-Françoise Corre, de Landunvez, dont l’enfant a été retrouvé « horriblement mutilé ». Comme le juge d’instruction qui avait recueilli ses aveux l’avait trouvée « dans un état d’exaltation très intense », le président de la cour d’assises avait cru devoir la faire examiner par un médecin : « Cette fille étant signalée comme ayant une intelligence très faible, un médecin a été chargé de l’examiner. Je dois transcrire son rapport : “La lucidité des réponses d’Anne-Françoise Corre, les légers mensonges qu’elle a essayé de nous faire, sa conversation avec les autres détenues, la précaution de changer de linge pour cacher son action à son père nous empêchaient d’admettre qu’elle n’avait point sa raison lors de son accouchement et du crime qui en a été la suite. Une seule chose nous frappe lorsqu’on interroge et qu’on examine cette malheureuse, c’est le peu d’émotion qu’on peut lui causer, l’espèce d’insensibilité et d’apathie qui semble dominer toute sa personne et quelquefois une espèce de sourire qui arrive lorsqu’elle répond 8.” »

Bien qu’elle ne soit pas considérée comme réellement irresponsable de ses actes, elle bénéficie d’une sentence plutôt clémente – sept ans de travaux forcés – en raison des hésitations du médecin sur son état mental et aussi, vraisemblablement, de son jeune âge. Lorsqu’ils ont affaire à de très jeunes filles, magistrats et jurés ont tendance à penser qu’elles ont pu être la proie d’hommes plus expérimentés, ayant abusé d’un rapport de force inégal. Marie-Françoise Barré, âgée de 17 ans, domestique chez un drapier de Ploërmel, a une apparence frêle et puérile qui incite Le Meur, de crainte que le jury ne se laisse émouvoir, à poser comme résultant des débats la question d’homicide par imprudence : « Cette accusée, âgée seulement de 17 ans, était si frêle, si petite, si délicate, au point de vue physique, qu’elle paraissait à peine âgée de 12 ans, et semblait une enfant n’ayant pas encore atteint l’âge de la puberté ; dans de pareilles circonstances, à moins de violences extraordinaires sur le cadavre de la victime, jamais les jurés ne se seraient déterminés à rendre une décision juste et rigoureuse 9. » Les « bons antécédents » des accusées contribuent également à atténuer la sévérité du regard porté sur leurs crimes. Même pour les témoins, la personnalité des femmes infanticides ne saurait se réduire à l’horreur de leur acte. Jeanne-Luce Lévêque, âgée de 33 ans, cabaretière à Mésanger, s’est livrée après le meurtre à des manœuvres fort cruelles sur le cadavre de son enfant : elle l’a fait bouillir dans la lessive, dépecé et déchiqueté de ses mains, et en a fait macérer les morceaux dans un baril de vinaigre. Pourtant, elle reçoit, à l’audience, des marques d’estime dont Baudouin s’efforce de combattre les effets sur les jurés :

8. AN/BB/20/245/2, F, 3e trim. 1862, Bernhard, 21 août 1862. 9. AN/BB/20/256/2, M, 2e trim. 1863, Le Meur, 20 juillet 1863.

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« La fille Lévêque était, avant son crime, fort estimée dans la localité qu’elle habitait ; elle a même reçu devant la cour d’assises des témoignages d’intérêt et de sympathie si vifs et si recommandables qu’il a été nécessaire d’en combattre sérieusement l’effet sur le jury ; les mœurs de cette fille avaient été jusque là à l’abri de reproches sérieux ; elle avait cédé aux poursuites du frère de son beau-frère, espérant le mariage, et c’est à la suite de cette promesse trompée et peut-être aussi pour lui rendre cette possibilité, que cette fille semble s’être décidée au crime 10. »

Si la violence avec laquelle elle s’est acharnée sur la dépouille de son enfant ne lui enlève pas l’affection de ses proches c’est que, trompée par des promesses de mariage, elle est davantage perçue comme une victime que comme une criminelle. Femmes victimes et femmes impudiques Les jeunes filles dépourvues de protection familiale attirent aussi la commisération de la cour et du jury. En raison de sa jeunesse, de ses aveux, et de sa solitude, Sainte Fauvel, âgée de 19 ans, se voit accorder de larges circonstances atténuantes. Elle avait reconnu avoir étouffé son enfant dans un tablier et l’avoir étranglé à l’aide d’une cravate. Mais le jury et la cour prennent en considération les difficultés de son existence et ne lui infligent qu’une peine de cinq années de travaux forcés. Orpheline, elle était livrée à elle-même dans la forêt de Villecartier, proche de Bazouges-la-Pérouse, où elle exerçait la profession de sabotière. « L’indulgence du jury et de la cour s’expliquent par l’âge de l’accusée, ses aveux spontanés au juge de paix d’Antrain, lors de sa descente sur les lieux, son repentir, ses larmes pendant les débats, son défaut de ressources pour élever son enfant, et enfin cette circonstance, bien apprise aux débats, qu’orpheline à l’âge de 12 ans, sans appui, habitant seule une loge de sabotier, au milieu de la forêt de Villecartier, elle était plus exposée que toute autre à la tentation à laquelle elle a fini par succomber 11. »

Mais la mansuétude de la cour ne paraît devoir s’appliquer qu’à des femmes qui n’ont cédé à leur séducteur que dans un instant d’égarement ou à celles qui ont su conserver la pudeur propre à leur sexe en évitant de se livrer ouvertement à la débauche. Pour les magistrats, souvent animés de sentiments religieux, il est également important que les accusées aient pris conscience de leur faute et en éprouvent du repentir. Appartenant à une « famille honnête », séduite par des promesses de mariage, puis délaissée, ayant témoigné au cours de l’instruction comme aux débats, « d’un grand repentir » et d’une « véritable douleur », MarieJulienne Dubot, dont le passé est irréprochable, se présente, d’après Baudouin, « dans les meilleures conditions pour obtenir toute l’indulgence 10. AN/BB/20/281/1, L-I, 4e trim. 1865, Baudouin, 29 décembre 1865. 11. AN/BB/20/168/2, I-V, 4e trim. 1853, Le Meur, 9 janvier 1854.

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de la justice ». Cette ouvrière-cordière de 21 ans, demeurant à Péaule, avait reconnu avoir étouffé son enfant en l’enfouissant sous un tas de paille. Elle n’avait pas dissimulé sa grossesse et son crime ne paraît pas avoir été prémédité. C’était le diable disait-elle, qui lui avait inspiré la pensée de donner la mort à son enfant. Elle paraît en réalité avoir agi par crainte de son oncle, chez qui elle demeurait. Elle a été condamnée à cinq années de travaux forcés : « La Cour lui a appliqué le minimum de la peine et nous croyons cependant qu’elle pourra encore plus tard mériter une nouvelle faveur. Cette fille a été trompée, elle a cédé aux espérances d’un mariage, et dans le moment même où elle a donné la mort à son enfant, elle semble avoir cédé en même temps à une mauvaise inspiration, à un sentiment d’une autre nature et qui témoignait même d’une véritable honnêteté : cette fille, suivant ses déclarations reconnues vraies, avait fui la chambre où elle couchait, au moment de sa délivrance, parce que, en même temps que sa compagne, quatre jeunes garçons étaient couchés dans la même pièce. […] Peut-être ces considérations paraîtront-elles de nature à mériter plus tard à la fille Dubot le bénéfice d’une mesure de clémence 12. »

Tout autant que les jurés, certains magistrats sont conscients que seules les femmes sont appelées à rendre compte de leurs actes, alors que leurs séducteurs, même s’ils n’ont pas directement participé aux crimes, en portent souvent la responsabilité. Dans certaines affaires, ils se montrent très critiques à l’égard des agissements des hommes. Androuïn, par exemple, juge « odieuse » la conduite de Le Bourhis, agriculteur à Moëlan, qui a poussé sa domestique à tuer l’enfant dont il était le père 13. Son opinion est partagée par le procureur impérial de Quimperlé : « Il paraît certain que cet homme, s’il n’est pas complice du crime, est complice de la faute qui a précédé le crime. Sa domestique l’accuse de lui avoir donné d’odieux conseils, de lui avoir adressé d’horribles menaces, pour la faire consentir à prendre des breuvages de nature à procurer l’avortement 14. » D’abord inculpé de complicité Le Bourhis a bénéficié d’une ordonnance de non-lieu. Lambert, lui-même auteur d’un roman inspiré par l’histoire d’une jeune fille lâchement séduite par un ecclésiastique 15, se montre également caustique à l’égard des comportements masculins. En 1865, il brosse un portrait très incisif de Vincent, intendant d’un château à Maure, auteur de la grossesse de Marie Mordant, une domestique de 26 ans qui est seule à comparaître devant la cour d’assises : « Il résulte d’une enquête faite avec le plus grand soin par le juge de paix et la gendarmerie, qu’en regard de cette pauvre fille de campagne, si hon12. AN/BB/20/182/1, M, 2e trim. 1855, Baudouin, 16 juin 1855. 13. AN/BB/20/235/2, F, 3e trim. 1861, Androuïn, 9 juillet 1861. 14. Idem, le procureur impérial de Quimper au procureur général, 4 juillet 1861. 15. Une femme sacrifiée, histoire véritable, Paris, 1836.

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nête et si chaste, Joseph Vincent, qui a reçu de l’éducation, était non seulement brutal et inhumain, mais un débauché de la pire espèce, c’est-à-dire couvrant ses vices sous les dehors hypocrites de la dévotion. Marie Mordant le redoutait tellement qu’elle n’avait même pas osé lui avouer sa grossesse dont seul pourtant il pouvait être l’auteur. Des témoins sont venus déclarer avec elle, que plusieurs fois elle avait essayé d’échapper à cette situation, en lui demandant ce qu’il lui devait pour ses gages, pour s’en retourner chez sa mère ; mais qu’il l’avait toujours refusée [sic], en disant qu’il n’avait pas d’argent. Il a été obligé, aux débats, de confirmer lui-même ce fait 16. »

Pourtant, même s’il adopte une attitude compréhensive à l’égard de Marie Mordant, Lambert demeure en deçà de la position du jury, qui est enclin à l’absoudre totalement. Il doit sermonner les jurés pour obtenir une condamnation : « Vous n’avez pas à juger un procès entre une servante et son maître. Vincent n’est justiciable que de l’opinion publique qui sera sévère, elle, de la cour d’assises qui pourra avoir un degré d’indulgence. […]. Quoi ! Parce qu’un maître a corrompu sa servante, vous diriez au public qu’il lui a donné par-là le droit d’étrangler son enfant ! Messieurs, des agents très ardents d’une fausse philanthropie discutent et contestent à la société le droit d’infliger la peine de mort à celui qui a assassiné un voyageur pour lui voler son argent, à l’épouse adultère qui a empoisonné son mari pour épouser son amant, et vous donneriez ce droit terrible à une mère coupable contre un enfant innocent 17 ! »

Sensible à ces arguments, le chef du jury revient donc de la délibération avec un verdict de culpabilité, et la cour condamne Marie Mordant à cinq années de travaux forcés. Mais cette solution, conforme à l’esprit de la loi, ne satisfait nullement le jury qui s’empresse de déposer un recours en grâce en faveur de la condamnée : « M. le chef du jury est venu nous dire à notre siège, après la condamnation : “Pour l’honneur des principes nous venons d’accomplir un devoir qui nous a été pénible, mais nous avons l’intention de formuler une demande en grâce et nous vous prions, Monsieur le Président, de vouloir bien l’appuyer.” » Lambert finira par s’y résoudre. Les magistrats s’apitoient aussi sur la détresse de la famille des coupables, lorsqu’il s’agit de jeunes domestiques confiées à des maîtres indélicats. Marie Denigot, une servante de 18 ans, s’est laissée séduire par Louis Guerchet, laboureur à Malville, âgé de 66 ans, marié et père d’un enfant. Lorsqu’elle avait pris conscience de sa grossesse, elle avait tenté de se réfugier chez sa mère pour y faire ses couches, mais Guerchet s’y était opposé par des menaces. Le jour de son accouchement, il lui avait conseillé « de se cacher dans l’étable et d’étouffer son enfant dès qu’il serait né ». Marie Denigot, jugée comme auteur principal du crime, est condamnée à huit ans de travaux forcés tandis que Louis Guerchet – qui n’est accusé que de compli16. AN/BB/20/281/1, I-V, 1er trim. 1865, Lambert, 14 février 1865. 17. Idem.

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cité – se voit infliger la réclusion criminelle à perpétuité. Sa responsabilité dans le crime, bien que purement morale, est en effet incontestable : « Je crois les peines justes, écrit Taslé, Louis Guerchet surtout ne mérite aucune indulgence. La mère de Marie Denigot la lui avait confiée pure : il l’a indignement séduite, poussée au crime et lâchement abandonnée ensuite, en essayant de rejeter sur elle l’odieux d’un infanticide qu’elle n’avait commis qu’à son instigation 18. » À l’opposé, les accusées qui, au cours des débats, se montrent « effrontées », c’est-à-dire s’obstinent à nier les faits les plus évidents, ne trouvent aucune grâce devant les magistrats. Car cette stratégie de défense prive les débats publics, moment capital du procès d’assises, de toute dimension pédagogique. En outre, les accusées qui refusent de se plier au repentir et aux aveux, qui ne se tiennent pas à la place qui est la leur, celle de criminelles mises en accusation, font un véritable affront au corps judiciaire. Audelà de la personne du magistrat, qui se trouve dépossédé de son rôle d’accusateur ou d’arbitre, c’est aussi le rôle de l’appareil judiciaire dans la régulation de la violence qui est ainsi mise en cause. C’est pourquoi la stratégie de Marguerite Le Gallic, domestique à Querrien, qui tente de faire porter la responsabilité de la mort de son enfant sur les voisines que ses maîtres avaient appelées à l’aide au moment de ses couches, et dont elle avait refusé l’assistance, est fort mal perçue : « Aux débats, elle a soutenu avec la dernière effronterie qu’elle n’était pas sortie et qu’elle était accouchée dans la maison, environnée des femmes qui avaient refusé de lui administrer toute espèce de secours 19. » Le jury n’apprécie pas plus l’acharnement de certaines accusées à dénier les crimes. Perrine Jollivel, agricultrice à Bains, avait donné au cours de l’instruction de multiples versions de la mort de son enfant. Sa réputation était mauvaise : elle était soupçonnée de récidive et avait déjà été condamnée pour vol. Par son attitude à l’audience, présentée comme « indécente », elle s’attire les foudres du jury qui, malgré l’insuffisance de preuves, rend un verdict de culpabilité : « Le verdict a étonné la cour. Il était démontré sans doute que l’accusée après avoir celé sa grossesse était accouchée clandestinement d’un enfant venu à terme et l’avait fait disparaître. Mais les causes de la mort de cet enfant étaient tout à fait problématiques, l’état des ossements retrouvés ne pouvant servir de base d’aucune conjecture à cet égard. Les détestables antécédents de la fille Jollivel, sa tenue indécente à l’audience l’ont perdue. Les jurés ne l’ont sans doute jugée que sur sa déplorable moralité. »

Mais la réprobation que peut attirer le comportement « impudique » d’une accusée aux débats ne va pas jusqu’à lui ôter le bénéfice du doute quand les circonstances de la mort de l’enfant ne sont pas bien établies. 18. AN/BB/20/200/1, L-I, 2e trim. 1857, Taslé, 24 juin 1857. 19. AN/BB/20/29, F, 3e trim. 1826, De Kerautem, 28 juillet 1826.

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Aussi le président de la cour d’assises propose-t-il d’octroyer à Perrine Jollivel une remise de peine 20. Même un homme aux idées ultra-conservatrices comme Le Beschu de Champsavin ne peut se résoudre – peut-être parce qu’il est fort dévôt – à faire condamner sans preuves une femme dont la conduite paraît pourtant particulièrement choquante au procureur impérial qui est chargé de soutenir l’accusation. Cette accusée, Jeanne-Marie Guillo, âgée de 25 ans, demeurant à Buléon, avait épousé en mars 1859 un cultivateur qui ignorait qu’elle était enceinte. Elle avait accusé de la mort de son enfant l’homme qui en était le père et qui avait refusé de l’épouser. Mais la culpabilité de cet homme avait été écartée. Elle était parvenue à cacher son accouchement à son mari, lui faisant croire à une fausse couche. L’enfant ne portait aucune trace de violence, si bien qu’aux débats, la seule charge retenue contre cette accusée était de ne pas avoir noué le cordon ombilical de son nouveau-né. Or le défaut de ligature du cordon ne suffit pas toujours à provoquer la mort : « Dans ma longue pratique des infanticides, observait d’ailleurs Le Beschu de Champsavin, je ne me souviens pas d’une seule ligature du cordon. » Pour lui, l’accusation était fragile : « L’opinion du médecin, bien que déduite avec talent, laissait des doutes. En effet, il avait été constaté aux débats que vers minuit, la femme était en proie à des douleurs violentes ; elle avait envoyé son mari chercher une voisine qui a l’habitude de soigner les malades, elle arriva au bout de vingt minutes. La femme Guillo était accouchée et lui dit qu’elle était guérie ; qu’elle venait d’avoir une fausse couche de trois à quatre mois […] c’est pendant cet intervalle que la femme a accouché et que l’enfant est mort. Or, le médecin affirmait que l’hémorragie avait dû durer plusieurs heures. Il y avait quelque chose d’inexpliqué 21. »

Morale, nature et amour maternel Les magistrats des années 1820 et 1830 – en majorité légitimistes – se montrent très pointilleux sur l’observation des règles de la bienséance et de la morale sexuelle. Ils n’hésitent pas à administrer des leçons aux accusés qui sortent « triomphants des débats 22 ». Ils ne sortent pas pour autant de leurs attributions puisque l’article 371 du Code d’instruction criminelle, leur en offre la possibilité : « Après avoir prononcé l’arrêt, le président pourra, selon les circonstances, exhorter l’accusé à la fermeté, à la résignation ou à réformer sa conduite. » Le Painteur de Normény se plaît à croire que Marie-Magdeleine Le Quinio, meurtrière d’un enfant selon toute vraisemblance adultérin, n’oubliera pas de sitôt la leçon qu’il lui a infligée : 20. AN/BB/20/218/2, I-V, 4e trim. 1859, Laigneau-Duronceray, 12 décembre 1859. 21. AN/BB/20/218/2, M, 4e trim. 1859, Le Beschu de Champsavin, 20 décembre 1859. 22. AN/BB/20/24, L-I, 1er trim. 1825. Expression employée par Féval, à propos de Gilette Chauveau, une lingère de Pornic, acquittée par la cour d’assises.

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« En prononçant l’acquittement de la femme Le Quinio, je lui ai représenté avec toute l’énergie dont je puis être capable, l’énormité de son crime (dont heureusement pour elle, le jury n’avait pas trouvé les preuves suffisantes) en lui rappelant en même temps l’indignité de sa conduite précédente. J’aime à me flatter, qu’elle n’oubliera de sa vie, la leçon sévère que je lui ai adressée en ce moment 23. »

Cette maternité adultérine n’était pas le premier manquement à la morale conjugale de cette habitante de Sarzeau, âgée de 32 ans. « Je suis convaincu, poursuit Le Painteur de Normény, que l’enfant était réellement le fruit de l’adultère et que le mari n’a fait une déclaration contraire, que parce que quelqu’un lui aura dit que c’était là le seul moyen d’éviter l’échafaud à sa femme, et je n’en veux d’autres preuves, que la scène avouée en partie par l’accusée, qui a eu lieu il y a trois ou quatre ans. Le Quinio avait surpris sa femme dans un champ, en flagrant délit : sur la plainte qu’il en avait portée à son maire, celui-ci manda à la municipalité de Sarzeau la femme adultère : le curé de Sarzeau s’y trouvait alors. On dit à l’épouse infidèle de se mettre à genoux et de demander pardon à son mari : mais quel fut l’étonnement des spectateurs, quand on vit le mari au contraire, (qui avait mal compris à qui s’adressait l’ordre donné à sa femme) se mettre à genoux et demander pardon à cette dernière 24 ! »

On peut donc supposer que la leçon de morale infligée à la femme Le Quinio, au-delà de la réprobation de son infidélité conjugale, visait également, par une forme de solidarité masculine, à panser la blessure d’amourpropre infligée quelques années auparavant au mari trompé. Le Painteur de Normény est coutumier des remontrances. Deux années plus tard, il en administre une autre à la Vve Lépinay, elle aussi relaxée par la cour d’assises : « Avant de rendre la veuve Lépinay à la liberté, je lui ai représenté, avec toute l’énergie dont je puis être capable, l’énormité du crime dont la justice humaine ne trouvait pas les preuves suffisamment établies. Je l’ai donc renvoyée à sa conscience, en lui rappelant que si elle était effectivement coupable, il existait une autre justice, bien supérieure à celle des hommes, qu’on ne pouvait pas tromper, et aux regards de laquelle elle ne parviendrait jamais à se soustraire 25. »

En 1832, c’est à un domestique d’une trentaine d’années, qui avait eu « l’inhumanité d’abuser de l’inexpérience » de Marie Riaud, une jeune fille de 15 ans 1/2, demeurant chez son oncle, un « paysan grossier et presque imbécille [sic] », qu’un autre conseiller, Delamarre, adresse une sévère admonestation : « Le séducteur, le vrai coupable, comparaissait comme témoin. J’ai cru devoir lui adresser les plus vifs reproches et lui représenter qu’il était de sa conscience et de son devoir de réparer l’honneur de cette jeune per23. AN/BB/20/29, M, 3e trim. 1826, Le Painteur de Normény, 22 septembre 1826. 24. Idem. 25. AN/BB/20/41, I-V, 4e trim. 1828, Le Painteur de Normény, 30 décembre 1828.

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sonne. » La leçon porte ses fruits : « Le lendemain, quand j’arrivai à l’audience, un des témoins me dit que tout s’arrangeait, que le mariage était arrêté et qu’il se ferait incessamment 26. » Les magistrats sont imprégnés d’une philosophie morale qui est fort éloignée de la culture des accusées. Ils ne comprennent pas que chez les femmes qui sont tentées de commettre un crime, l’amour maternel ne l’emporte pas toujours sur les préoccupations d’honneur ou de réputation. Carron s’exprime à plusieurs reprises sur ce sujet, en particulier à propos de Marie-Yvonne Le Penglan. Cette domestique de Saint-Fiacre avait refusé les secours que lui proposaient ses maîtres et était allée accoucher dans une étable où elle avait enfoui son enfant sous une épaisse couche de fumier. Les divergences entre les médecins avaient incité Carron à poser la question subsidiaire d’homicide par imprudence. Les jurés ne la déclarent coupable que sur ce chef d’inculpation et elle est condamnée à deux ans de prison et 50 francs d’amende, peine qu’il estime disproportionnée au crime. Dans un style quelque peu emphatique, il s’étonne « de l’étrange pardon qui semble jeter un voile d’indulgence sur cet inconcevable attentat ». Et il s’interroge sur les raisons de la tolérance des jurés à l’égard de l’infanticide : « La plupart s’en vont répétant que nos mœurs, dominées par un préjugé barbare, sont déraisonnables, qu’elles frappent aveuglément d’opprobre une faute souvent digne de pitié, et qu’elles seules entraînent irrésistiblement au meurtre ces malheureuses qui ne se possèdent plus, qui ne veulent qu’étouffer leur honte en étouffant les fruits de leurs faiblesses. Mais, que ce soient des passions cruelles et dépravées, ou la crainte du déshonneur, ou l’effroi de la misère qui rendent homicide, inexorable un sexe tendre et timide, cette fureur sanguinaire en sera-t-elle moins odieuse ? La nature aurait-elle donc perdu sa puissance ineffable, ou la morale changé ses immuables lois 27 ? »

Les magistrats s’étonnent de l’absence de sensibilité que paraît traduire l’indifférence dont font preuve certaines accusées à l’égard du cadavre de leur enfant. Adrienne Fichoux, blanchisseuse à Pont-Croix, saisie des douleurs de l’accouchement au milieu de la nuit, étouffe son nouveau-né en l’enveloppant dans une vieille jupe, et le dissimule dans le lit qu’elle partage avec sa mère. Elle est suffisamment impassible pour dormir à côté de ce cadavre. Cette indifférence à l’enfant, perçue comme symptôme d’une certaine inhumanité, constitue le principal argument du réquisitoire soutenu par l’avocat général devant la cour d’assises. Pour lui, comme pour nombre de ses collègues, l’amour maternel est un sentiment inné. Même les animaux les plus féroces sont portés par instinct à protéger leurs petits. Les femmes qui ne respectent pas les lois de la nature sont d’autant plus blâmables qu’à la différence des animaux, elles ont reçu de Dieu la faculté 26. AN/BB/20/63, I-V, 3e trim. 1832, Delamarre, s. d. 27. AN/BB/20/41, C-N, 2e trim. 1828, Carron, 26 mai 1828.

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de discerner le bien du mal : « Combien donc sont coupables les créatures qui méconnaissant les plus puissantes affections et les plus saintes, portent une main meurtrière sur l’enfant qui leur doit la vie et qui profitant de sa faiblesse qui le met à leur discrétion au lieu de lui donner les soins et la protection qui lui sont dus, lui donnent la mort 28 ! » À cette femme froide, dépourvue de sentiment, qui bouleverse les lois de la nature en méconnaissant les « affections les plus saintes », s’oppose parfois l’image d’une femme esclave de ses sens et dévorée par la passion. Adélaïde Hivers, journalière-cultivatrice à Mohon, est présentée comme seule responsable du désordre et du scandale qu’ont provoqué les « relations illicites » qu’elle entretenait avec son maître, François Mayo, un agriculteur dont l’âge n’est pas précisé. Il avait fallu, d’après Hüe, que le maire intervienne pour que François Mayo se décide à la congédier et mette ainsi fin au trouble qu’elle avait jeté dans son ménage. Condamnée à quinze ans de travaux forcés, Adélaïde Hivers ne lui paraît cependant pas être irrémédiablement perdue pour la société. Plus qu’une redoutable criminelle, il voit en elle un être dominé par une nature irrationnelle et passionnée : « Cette peine paraît proportionnée à la gravité de son crime. Mais Adélaïde Hivers, que des passions brûlantes ont entraînée à la débauche, n’est pas tellement pervertie que tout bon sentiment soit éteint en elle. Plus tard, elle pourra être jugée digne de recourir à la clémence de Sa Majesté l’Empereur 29. » Reprenant les mêmes arguments, Robinot Saint-Cyr ne s’oppose pas à ce que Françoise Le Saux, couturière-repasseuse à Plougrescant, âgée de 40 ans, condamnée à vingt ans de travaux forcés, puisse obtenir une remise de peine quand la vieillesse sera venue. Il relève « qu’aux mœurs près, sa conduite n’a pas été blâmée » et suggère une remise de peine de cinq ans car : « Il est certain que dans une quinzaine d’années, elle ne deviendra plus mère et que, chez elle, les passions seront sans doute amorties [sic] 30. » Malheur, misère et position sociale Bien entendu, tous les magistrats ne portent pas le même intérêt à la vie des femmes qu’ils sont appelés à juger. Tous ne sont pas également portés à la compassion envers le malheur biologique ou la détresse sociale. En 1825, Carron ne semble pas prendre en considération les conséquences liées, chez les femmes qui louent leurs services, à la perte de leur réputation. Ce n’est qu’à regret qu’il se résout à reconnaître à Marie Audié, mendiante et journalière, mère d’une petite fille qu’elle élevait de son mieux, des circonstances atténuantes : 28. AD F 4U2/113. 29. AN/BB/20/182/1, M, 4e trim. 1855, Hüe, s. d. 30. AN/BB/20/190/2, C-N, 4e trim. 1856, Robinot-Saint-Cyr, 12 juin 1856.

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« Le ministère public a requis l’application de la loi du 25 juin 1824, et la Cour adoptant ces conclusions a condamné l’accusée aux travaux forcés à perpétuité, sans apercevoir d’autres circonstances atténuantes que l’effet de la crainte de l’opinion qui flétrit les filles-mères, l’extrême misère de la coupable, la perspective qui l’effrayait, si le secret de sa nouvelle maternité se divulguait, de ne plus trouver de moyens de subsistance ni dans son travail, ni dans la charité publique, enfin, ce reste de sentiment qui semblait lui avoir été ôté la force d’achever l’homicide de ses propres mains 31. »

Quand elle ne répond pas à une impérieuse nécessité, la mendicité est, à tout le moins, mal perçue par les conseillers de Rennes qui n’y voient qu’un refus de se soumettre aux obligations du travail, comme ils ont tendance à ne voir dans l’infanticide qu’une manière de se soustraire aux charges de la maternité. Yvonne Le Bihan, mendiante à Prat, affectée d’une de ces déformations qui valent généralement aux accusées une atténuation de peine, est présentée comme un monstre de laideur et de paresse : « Yvonne Le Bihan s’explique clairement et ne manque pas d’intelligence ; son visage n’a rien de très extraordinaire mais le torse et les parties inférieures ne peuvent être décrits ; Yvonne Le Bihan tient du monstre : elle est née ainsi, ou plus-tôt sa mère, en la mettant au monde, lui causa une luxation aux reins. Elle appartient à une famille qui est en état de la nourrir, et qui a essayé de la retenir à la maison ; mais elle aime la vie errante, et elle profite de l’espèce de droit que lui donne sa difformité pour aller mendier : elle pourrait travailler assise mais elle déteste le travail 32. »

Les médecins estiment que cette accusée a tué son enfant en l’enveloppant dans un linge. Mais aucune preuve ne peut en être apportée. Le jury applique donc sa politique habituelle d’indulgence en faveur des personnes atteintes de difformités, et l’accusée est relaxée. Toutefois l’austérité morale n’exclut pas, chez certains, une certaine commisération à l’égard de la position malheureuse ou du dénuement matériel des accusées : « Cette misérable inspirait de la pitié », écrivait, en 1834, Sébire de Bellenoë à propos d’Anne Basset, une mendiante de 19 ans, de Saint-Glen, qui avait tué son enfant en lui brisant le crâne 33. Vingt ans plus tard, déplorant l’importance de la mendicité dans le Morbihan, Baudouin attribuait à la misère quatre des cinq infanticides jugés au cours de la session qu’il avait présidée : « La multiplicité des infanticides dans ce pays doit être attribuée sans doute à des causes diverses, mais il est évident que la misère a été la cause principale. Sur les cinq accusées dans les quatre affaires, quatre étaient mendiantes et déjà filles-mères. Les débats ont aussi révélé une autre cause qui a pu encourager ce genre de crime, l’espoir de l’impunité, ou l’infliction d’une peine insignifiante 34. » 31. AN/BB/20/47, M, 2e trim. 1829, Carron, s. d. 32. AN/BB/20/168/2, C-N, 3e trim. 1853, Le Beschu de Champsavin, 8 août 1853. 33. AN/BB/20/76, C-N, 4e trim. 1834, Sébire de Bellenoë, 15 novembre 1834. 34. AN/BB/20/182/1, M, 2e trim. 1855, Baudouin, 17 juin 1855.

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Parmi les accusées de cette session, Anne Leboucher, âgée de 29 ans, et sa mère, la Vve Lehoisec, âgée de 53 ans, de Beignon, paraissent les plus pitoyables : « Cette misérable famille, écrivait-il, composée déjà de cinq personnes, ne trouvait ses ressources bien insuffisantes, que dans la mendicité. La crainte de les voir réduire encore par la venue d’un nouveau-né a inspiré la pensée criminelle. » Anne Leboucher accouche en présence de sa mère le 17 février 1855. La rumeur de l’événement se répand et, quand l’adjoint au maire se transporte à leur domicile, quelques jours plus tard, il trouve le cadavre « encore gisant sur la terre et nu » à côté du lit d’Anne Leboucher. L’autopsie révèle que le nouveau-né a reçu des coups sur la tête. Cette fille avait, au cours de sa grossesse, annoncé sa résolution de donner la mort à son futur enfant. Les deux accusées ont été condamnées à des peines lourdes : vingt ans de travaux forcés pour la fille et quinze ans pour la mère, la cour n’ayant pu déterminer la part de chacune d’elles dans le crime. Mais la sévérité de cette peine a, avant tout, une visée dissuasive et Baudouin ne s’oppose pas à ce que les deux condamnées puissent bénéficier plus tard d’une mesure d’indulgence : « La Cour a appliqué une peine qui peut-être est sévère, mais qui était commandée par la multiplicité considérable des infanticides dans le Morbihan. Peut-être la clémence du chef de l’État interviendrait utilement plus tard pour adoucir les effets d’une rigueur aujourd’hui nécessaire 35. » Sous le Second Empire, les préoccupations sociales sont plus présentes dans l’esprit des magistrats qui, s’ils continuent, en observant les statistiques, à être effrayés par le « dérèglement des mœurs », sont plus nombreux à porter un regard compréhensif sur les destinées individuelles. S’ils demeurent peu enclins à absoudre les femmes chez qui la maternité a résulté d’un état de libertinage, de « débauche », ou qui révèlent une nature dure, implacable, « pervertie », ils ne sont pas insensibles à la misère qui frappe durement les populations rurales et qui est souvent la première explication des crimes. Quand les accusées élèvent seules, avec de maigres ressources, des enfants naturels, et qu’elles ont une bonne réputation, ils prennent en considération les sentiments maternels qu’elles leur portent. C’est parce qu’elle a été une bonne mère pour son premier enfant, que Marie Lelièvre, journalière à Illifaut, pourra plus tard se voir accorder une remise de peine. Cette journalière avait baptisé son nouveau-né, puis l’avait étouffé en lui pressant la main sur la bouche. Pour l’empêcher, dira-t-elle, de « revenir à la vie », elle lui avait également serré un lien autour du cou. Dupuy attribue ce crime aux « inspirations de la misère » : « Le crime commis par Marie Le Lièvre est d’autant plus difficile à expliquer que déjà mère d’un enfant naturel, elle a élevé cet enfant en l’entourant des soins les plus vigilants, de la tendresse la plus vive. À l’audience de la cour d’assises, elle a dit que l’affection excessive qu’elle lui avait vouée 35. Idem.

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avait été la cause déterminante de son crime. Ne pouvant nourrir deux enfants à l’aide du produit de son travail, elle prit la résolution de se défaire du nouveau-né, pour être certaine de subvenir aux besoins du premier. Cette accusée a donné des marques de repentir sincère 36. »

Le regard porté sur les mères infanticides change peu à peu. Le geste d’une femme qui, déjà mère d’un enfant naturel, tuait son nouveau-né était considéré au début du siècle comme totalement injustifiable parce qu’elle n’avait plus de réputation à sauver. Sous le Second Empire, le même geste est replacé dans son contexte économique et les femmes qui élèvent seules leurs enfants sont perçues plus fréquemment comme des malheureuses que comme des criminelles. Les magistrats sont plus volontiers portés à se montrer miséricordieux, surtout quand, à l’indigence, vient s’ajouter la souffrance physique. Inversement, c’est non la pauvreté mais l’appartenance à une maison honorablement connue qui peut valoir aux accusées d’être traitées avec bienveillance. Marie-Louise Orain, âgée de 19 ans, demeurant chez ses parents à Talensac, déclarée coupable du meurtre de l’enfant né d’une relation avec un des domestiques de son père, n’est condamnée qu’à sept années de travaux forcés. C’est la position sociale de ses parents, de riches agriculteurs, qui a favorablement impressionné la cour : « Elle appartient à une famille très honnête et aisée qui la recueillera plus tard. Fallait-il expatrier à tout jamais cette jeune fille, et la condamner à passer les longues années qui lui restent au milieu des prostituées et des voleuses dont on délivre la France 37 ? » L’honorabilité des maîtres rejaillit aussi parfois, par ricochet, sur les domestiques. Ainsi, Reine-Françoise Hubert, femme de chambre dans une maison bourgeoise de Rennes, doit-elle en partie le fait de n’avoir été condamnée, pour homicide par imprudence, qu’à deux ans d’emprisonnement, à ses états de service dans des maisons respectables d’Ille-etVilaine : « L’indulgence du jury, ordinaire en pareil cas, a été motivée ici par la bonne réputation dont l’accusée avait joui jusque-là, par sa bonne tenue à l’audience, son physique agréable, et son service antérieur dans des maisons honorables du pays 38. » Mais les femmes qui appartiennent à cette catégorie privilégiée d’accusées qui doivent à leur position sociale une relative indulgence pénale ne se satisfont pas toujours de l’attitude bienveillante de la cour. Perrine Le Blavec, cultivatrice à Ploëren, âgée de 31 ans, ne se contente pas de la peine minimale qui lui a été infligée pour le meurtre de son enfant. Veuve d’un premier mari, elle se trouvait dans un état de grossesse déjà fort avancé lorsqu’elle avait épousé en secondes noces Étienne Le Marouellec, qui paraît avoir ignoré sa position. « Cet homme d’une simplicité extrême en fut pré36. AN/BB/20/235/2, C-N, 3e trim. 1861, Dupuy, 26 juillet 1861. 37. AN/BB/20/174/2, I-V, 4e trim. 1854, Le Beschu de Champsavin, 27 décembre 1854. 38. AN/BB/20/218/2, I-V, 4e trim. 1859, Laigneau-Duronceray, 12 décembre 1859.

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venu, mais sa femme parvint à lui faire illusion. » Lorsque son crime est découvert, elle tente de détourner les soupçons sur une jeune fille de sa commune. Mais comme son mari révèle le lieu où l’enfant a été enterré, elle se résout à passer aux aveux. Insatisfaite du verdict de la cour d’assises, elle dépose au lendemain de son jugement un recours en grâce qui embarrasse fort Couëtoux. S’il ne s’oppose pas vraiment à une remise de peine, parce qu’il comprend qu’elle veuille défendre ses intérêts économiques, il insiste néanmoins sur la nécessaire exemplarité de la sanction qui lui a été infligée : « La femme Le Marouellec […] a été condamnée à cinq ans de travaux forcés seulement ; c’est le minimum de la peine et j’avoue que je craignais un peu que nous n’eussions fait une trop large part à l’indulgence : cependant si je ne considérais que la femme Le Marouellec, je serais disposé à appuyer le recours en grâce qu’elle a déjà adressé à sa Majesté : cette femme a une ferme à exploiter, et elle doit être en quelque sorte nécessaire à son exploitation ; d’un autre côté, le mari qu’elle a trompé est un homme simple et bon, qui lui a pardonné, et qui nous témoignait le désir de la reprendre ; dans ces circonstances, si elle recouvrait la liberté, elle pourrait devenir une bonne mère de famille ; mais je me demande s’il n’y aurait pas des inconvénients pour l’intérêt social à lui faire remise de la peine qui a été prononcée contre elle : à mes yeux les peines doivent être exemplaires, en ce sens, qu’elles doivent servir d’avertissement et de frein, et il me semble que la peine prononcée contre la femme Le Marouellec atteindrait difficilement ce but, si elle obtenait promptement la grâce qu’elle sollicite 39. »

La fragilité des témoins Au lendemain des crimes, les prévenues qui cherchent à échapper à la sanction tentent d’influencer les témoins. Les familles entreprennent parfois également des démarches dans le même but auprès de leurs proches, alliés ou obligés. À ces exhortations au silence s’ajoute la crainte qu’ont les témoins eux-mêmes de s’attirer des désagréments en livrant des informations aux enquêteurs. Parmi les personnes qui, dans l’agitation qui accompagne la découverte d’un crime, ont laissé échapper des révélations, nombreuses sont celles qui paraissent en éprouver de l’inquiétude et ne s’expriment qu’à regret devant la cour d’assises. Le caractère public de l’audience est une autre incitation à la prudence. Dans le cours de l’instruction les témoins sont entendus dans le secret du cabinet du juge. À la cour d’assises, les dépositions se font devant un auditoire nombreux. Elles sont, par conséquent, susceptibles d’être jugées, commentées par le public venu nombreux, voire rapportées dans le village. Pour les ruraux, qui constituent la grande majorité des témoins dans ce type d’affaires, il est devant la cour d’assises d’autres facteurs d’intimida39. AN/BB/20/235/2, M, 3e trim. 1861, Couëtoux, 2 avril 1862.

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tion. Le caractère imposant du théâtre judiciaire, l’importance de la mise en scène dans le déroulement du procès, la présence de hauts conseillers venus spécialement de Rennes, du jury, des avocats et du public donnent une grande solennité à leur déposition. Et les personnes qui ne s’expriment qu’en breton y rencontrent une difficulté supplémentaire : celle de devoir déposer par l’intermédiaire d’un interprète. Pas plus que les ruraux, les médecins qui ont pratiqué les autopsies – et qui ne sont appelés aux débats que comme simples témoins – ne manifestent d’enthousiasme à l’idée de déposer devant la cour. Crainte de s’aliéner la clientèle rurale, de perdre son temps dans des audiences interminables, réticence à l’égard de la peine de mort, médiocre rémunération des interventions pratiquées au cours de l’instruction se conjuguent pour faire des médecins, aux dires des magistrats, de bien piètres informateurs. Parenté et voisinage Les femmes qui ont conservé des liens avec leurs proches ne sont pas totalement abandonnées aux mains de la justice, particulièrement si elles appartiennent à une famille connue dont la notoriété pourrait être entachée par une action judiciaire. Toutes sortes de pressions sont exercées sur les membres de la domesticité ou du voisinage qui peuvent être appelés à témoigner. Les témoins eux-mêmes, avant de se résoudre à faire des révélations, se laissent parfois apitoyer par les parents des coupables parce que la honte qui s’attache aux grossesses illégitimes et aux crimes qui en sont les conséquences, loin de se limiter à la personne des inculpées, rejaillit sur l’ensemble de leur maisonnée. Comme de nombreuses mères infanticides sont soupçonnées de récidive, on peut supposer que les pressions exercées sur le voisinage ont été efficaces ou que les témoins ont été convaincus que la faute commise par l’auteur d’un infanticide ne valait pas que son déshonneur atteigne toute sa parenté. Pressions des familles sur les témoins On voit quelquefois les parents des meurtrières, sans participer directement aux crimes, en effacer les traces en dissimulant les cadavres et en demandant aux témoins de ne pas les compromettre. La mère de Louise Brochard, domestique dans un château à Soulvache, parvient dans un premier temps à convaincre le domestique qui a trouvé le cadavre d’un nouveau-né dans les douves du château, de garder le silence sur sa découverte : « La Vve Brochard m’engagea beaucoup, et à plusieurs reprises à enlever ce cadavre, je m’y refusai constamment et elle partit, mais le lendemain matin elle me pria de nouveau de l’enlever, je m’y refusai plusieurs fois mais cédant enfin à ses sollicitations, je me rendis avec elle au bord de la douve, je le retirai avec une fourche et le mis dans le panier qu’elle avait apporté, elle le couvrit d’un peu d’herbe et me dit : “Qui donc peut avoir fait une pareille 101

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chose ?” Je lui dis que je l’ignorais mais que cependant je pensais qu’on ne pouvait guère soupçonner que sa fille, elle parut témoigner quelque étonnement et me pria de ne point parler de ce que j’avais vu, je lui dis que mon intention était d’en parler à la demoiselle Lemoine, mais elle me dit qu’il y avait assez de scandale et me décida à garder le silence. Cependant, huit jours après je me décidai à en informer la demoiselle Lemoine 40. »

On ne sait ni ce qui l’a porté à se taire ni ce qui l’a décidé, finalement, à faire l’aveu de sa découverte. Peut-être n’a-t-il pas osé, en raison de son jeune âge – il a 22 ans – s’opposer aux volontés de la Vve Brochard. Les pressions exercées par les parents des coupables ne sont pas les seuls motifs qui incitent les témoins à garder le silence. Certains hésitent à faire des déclarations par crainte d’être mêlés à un scandale ou, quand les accusées appartiennent à des familles qui ont un certain pouvoir économique, par crainte des représailles. Les domestiques qui sont obligés de témoigner contre leurs maîtres, s’ils ont au cours de l’instruction donné des informations susceptibles d’être retenues à la charge de ceux-ci, reviennent fréquemment à l’audience sur leurs dépositions. La femme Dolot, domestique de Louis Le Plunemec, fermier à Plœuc, après avoir affirmé que son maître, contrairement à ce qu’il avait déclaré au juge de paix, n’était pas chez lui au moment du crime se tient, le jour de l’audience, dans une grande réserve : « À l’audience de la cour d’assises, le témoin Dolo avait été moins affirmative que dans l’instruction à l’endroit de la situation physique de son maître dans la matinée du 10, ce témoin paraissait révoquer en doute la culpabilité de ce dernier. Mais le juge de paix qui avait reçu sa première déposition lui a attribué un propos, qui [dans sa concision] a fait une vive impression sur le jury, propos qu’il avait omis de mentionner dans le procès-verbal d’information dressé par lui. La femme Dolo dont la surdité est extrême et que par cela seul on ne pouvait interroger qu’avec une grande difficulté dut dire au juge de paix lorsqu’il se présenta chez Le Plunemec : “Je suis la servante de celui qui a fait le coup 41.” »

Les témoins hésitent tout autant à faire des révélations quand les inculpées bénéficient de la protection de personnages influents. Célestine Andrieux, aide-cultivatrice à Morieux, paraît dans un premier temps pouvoir échapper à la justice grâce à l’influence exercée par le maire de sa commune sur le médecin chargé de la visite : « Au début de l’instruction de cette affaire, rapporte Dupuy, une grave irrégularité a été commise. M. le juge de paix de Lamballe, qui avait commis M. Bédel, homme très âgé, pour procéder à l’autopsie du cadavre de l’enfant nouveau-né, ne lui confia pas le soin de visiter Célestine Andrieux. Cette visite fut faite néanmoins, mais à la demande du maire de Morieux, qui portait le plus vif intérêt à Célestine Andrieux, sa fermière, et qui l’avait 40. AD L-A 5U110/1, Julien Poullain, 22 ans, domestique, 24 janvier 1840. 41. AN/BB/20/245/2, C-N, 4e trim. 1862, Dupuy, 3 novembre 1862.

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provoquée pour mettre un terme aux bruits qui signalaient cette fille comme étant enceinte. Le but que paraissait s’être proposé le maire fut atteint. Le docteur Bédel, après avoir procédé à une visite, qu’il a dit plus tard avoir été très incomplète, très superficielle et qu’on serait autorisé de prendre pour un acte de pure complaisance déclara que la fille Andrieux non seulement n’était pas accouchée, mais qu’elle avait encore sa virginité 42. »

Le juge d’instruction fait examiner Célestine Andrieux par trois autres hommes de l’art qui affirment qu’elle vient d’accoucher. Mais, forte de l’avis du premier médecin, elle s’obstine à nier sa grossesse et son accouchement. Comme sa parentèle est « nombreuse et redoutée », les voisins ne se montrent guère empressés à livrer des informations aux enquêteurs. Mieux encore, des témoins sont produits pour affirmer qu’une mendiante sur le point d’accoucher a été vue dans la commune au moment du crime. Le maire de Morieux, membre d’une famille « honorable et influente », engage toute son autorité dans la défense de l’accusée et combat les rapports des trois médecins qui affirmaient qu’elle venait d’accoucher. L’influence exercée sur le cours des débats par ce magistrat municipal – que le président de la cour d’assises dénoncera au préfet – est suffisamment déterminante pour que le jury rende un verdict de non-culpabilité. Les maires paraissent exercer une véritable influence sur les populations qu’ils administrent. À tel point que le procureur impérial de Quimper s’étonne, en 1862, de la condamnation dans des affaires d’infanticide, de deux femmes appartenant à des familles influentes, l’une d’elles étant apparentée à un maire : « La Veuve Le Dû et la Veuve Mérour appartiennent à des familles dont l’influence pouvait se faire craindre jusque dans l’enceinte de la justice. Le père de la Veuve Le Du est membre du conseil municipal de la commune d’Edern; sa mère est la nièce du maire de la commune d’Argol. Le jury a su écarter toutes ces considérations pour s’élever à la hauteur de sa mission 43. » Interventions des notables Quand le coupable appartient au petit monde des notables, les liens de solidarité qui entrent en action pour le soustraire à la justice ne se limitent pas à l’horizon familial mais recouvrent toute l’aire de rayonnement de sa famille. Cette solidarité se traduit par des pétitions adressées en faveur des suspects aux instances judiciaires ou de certificats de moralité que leur décernent soit les maires des localités, soit les recteurs des paroisses. En 1827, quand François Baucher se présente à la justice pour purger sa contumace, le maire de Guern ne craint pas d’écrire au procureur du roi qu’après avoir pris la fuite pendant quelque temps, cet homme était revenu dans son village où il vaquait à ses occupations habituelles et où personne ne l’avait inquiété : 42. AN/BB/20/235/2, C-N, 3e trim. 1861, Dupuy, 23 juillet 1861. 43. AN/BB/20/245/2, F, 3e trim. 1862, le procureur impérial au procureur général, 24 juillet 1862.

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« Tout le monde est persuadé de son innocence et d’après sa conduite il semble en être lui-même convaincu, car aussitôt après les premières poursuites, j’ai appris qu’il vaquait de nouveau à ses travaux d’agriculture, qu’il se rendait à nos assemblées religieuses, aux foires et marchés des villes circonvoisines et a demandé lui-même à être jugé. Ce qui prouve […] que si ce jeune homme avait eu seulement un ennemi dans la commune, il y a longtemps qu’il aurait été pris par les gendarmes 44. »

À l’audience, le président, qui paraît pourtant persuadé de la culpabilité de François Baucher, se laisse suffisamment impressionner par les dépositions que font en sa faveur différentes personnalités de sa commune, pour poser la question subsidiaire d’homicide par imprudence. François Baucher est acquitté. On voit, à travers les certificats de moralité qu’a obtenus Maurice Le Coquen, un agriculteur aisé de Saint-Fiacre, accusé d’avoir enterré vivant l’enfant qu’il avait eu avec Marie-Joseph Rebillard, quelle peut être la zone d’influence de cette famille. Le certificat qu’il obtient le 28 juin 1842, émane de personnalités de plusieurs communes environnantes et comprend les signatures de maires, de conseillers municipaux, d’instituteurs, du suppléant du juge de paix, du percepteur, de membres de la fabrique 45, d’un notaire, et de plusieurs laboureurs et meuniers, qui affirment le considérer « comme un honnête homme, sage, laborieux et rangé, de bonne vie et mœurs et qu’il n’a jamais été non plus que sa famille, l’objet d’aucun soupçon de la part de personne 46 ». Quelques jours plus tard, dans un deuxième certificat, il obtient les signatures du maire, de l’adjoint, du recteur, des conseillers municipaux et des « autres citoyens notables » de la commune de Saint-Fiacre 47. La différence de fortune entre Maurice Le Coquen et Marie-Joseph Rebillard – une pauvre fille logeant dans une grange, déjà mère d’un enfant naturel, réputée être de « mauvaises mœurs 48 » – justifie peut-être que cet homme se soit débarrassé de la sorte de son bâtard. Aux pressions exercées en sa faveur venait s’ajouter la difficulté d’obtenir le témoignage des habitants du village de Bois-Léhart, où s’était déroulé le crime, en raison de leurs liens de parenté avec sa famille : « Tous les habitants du village de Bois Léhart, à l’exception de la femme que vous avez entendue, étant les proches parents de Le Coquen, il serait inutile de les entendre, car ils ne vous diront rien 49 » déclarait au juge d’instruction, le maire de Saint-Fiacre – l’un des signataires des certificats de moralité décernés en faveur de Maurice Le Coquen – entendu comme témoin. 44. AD M U 1953, le maire de Guern au substitut du procureur de Vannes, 1er mars 1827. 45. Ensemble des clercs et des laïcs chargés de l’administration des biens d’une église. 46. AD C-A 2U/736, certificat de moralité, 28 juin 1848. 47. Idem, certificat de moralité, 2 juillet 1848. 48. Id., Joseph Lucas, 55 ans, laboureur, 24 mai 1848. 49. Id., Pierre Perro, cultivateur et maire, 16 mai 1848.

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Il ne faudrait pas croire pour autant que seuls les hommes ou les inculpées appartenant à une certaine élite sociale sont susceptibles d’intéresser à leur sort les notabilités locales. Sur les 7 certificats de moralité retrouvés dans les dossiers, 4 concernent des femmes, simples agricultrices ou journalières. Mais ils ont une autre signification. Il ne s’agit plus d’un témoignage de solidarité qui s’enracine dans l’appartenance à une même classe sociale, mais de l’expression d’un sentiment d’injustice face à l’inculpation de femmes qui ont été de bonnes domestiques ou de bonnes mères. Plusieurs certificats peuvent même donner à penser que leurs auteurs considèrent que le crime d’infanticide peut être excusable. La Vve Bouillaux, fileuse et domestique à Janzé, trouve ainsi une trentaine de personnes pour affirmer que le meurtre de son enfant est plus une faiblesse qu’un crime : « Nous […] attestons avec la plus exacte vérité, parfaitement connaître la nommée Rose-Marie, Vve Bouyaux, de cette commune, ayant deux enfants en bas âge, auxquels elle a toujours prodigué les plus grands soins ; l’avoir constamment vue tenir une conduite régulière ; que pendant quatorze ans elle a été servante chez trois de nous et pendant un grand nombre d’années employée journalière chez plusieurs de nous sans mériter aucun reproche ; qu’elle est générallement [sic] aimée de tous les honnêtes gens qui la connaissent, qu’en un mot, nous n’avons que des louanges à donner de sa bonne conduite et regrettons cette femme ; que le fait lui attribué [sic] récemment nous a beaucoup surpris et est à nos yeux une faiblesse plutôt qu’un crime 50. »

De même, le maire, l’adjoint, les conseillers municipaux et diverses personnalités de Trédaniel, considérant que Jeanne-Marie Le Masson, journalière, a été poussée au crime par l’obstination de son père à refuser son mariage, « appréciant mille circonstances qui ne peuvent être connues que d’eux seuls », la considèrent encore plus malheureuse que coupable : « Jusqu’au moment du malheur qui lui est arrivé, affirment-ils, cette fille avait toujours eu une conduite des plus régulières, et à l’abri de toute espèce de reproches. Sans vouloir excuser un crime que la justice n’a pas même encore reconnu, les soussignés expriment ici leur profonde conviction que l’accusée est bien plus malheureuse encore que coupable ; et que le défaut de toute éducation morale, résultat des dissensions de famille qui ont amené la [séparation] d’entre sa mère et son père, et surtout l’obstination et les emportements aveugles de ce dernier sont la principale cause de la faute déplorable imputée à sa fille 51. »

Voisins et domestiques : des témoins réticents Face aux pressions exercées par des personnalités influentes ou par les familles des prévenus, il n’est pas surprenant que les petites gens craignent 50. AD I-V 2U4/715, certificat, 31 janvier 1840. 51. AD C-A 2U/697, certificat, 15 mars 1846.

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de s’attirer des ennuis par leurs dépositions et se montrent réticents à informer la justice. Comme l’écrivait, en son style coloré, le brigadier de gendarmerie de La Rouxière, au cours de l’enquête dirigée contre Marie Phélipeau, une ancienne domestique revenue vivre, pour cacher sa grossesse, chez ses parents, les témoins évitent, autant qu’ils le peuvent, de répondre aux questions des enquêteurs, et préfèrent louvoyer : « Votre susdite lettre m’a encore engagé à faire des recherches plus strictes que jamais, mais enfin tous les renseignements que je puis prendre, moi et les gendarmes [sic] ne sont que vague [sic], tant tous ces gens se jette [sic] le chat aux jambes l’un et l’autre 52. » Dans certains cas, c’est à l’état d’esprit particulier d’un village que les enquêteurs attribuent la réserve des témoins. Le juge de paix de Lézardrieux, qui se transporte à Pleudaniel pour enquêter sur le crime que la rumeur publique attribue à Marguerite Lorgeré, une tricoteuse de 28 ans, dont le mari, militaire, est absent depuis cinq ou six ans, avertit le procureur du roi de Lannion des difficultés auxquelles il risque de se heurter pour recueillir des témoignages : « Il est inconcevable que les personnes qui habitent la maison n’aient pas entendu les cris et les douleurs de l’accouchement. Je crois avoir annoncé à M. votre substitut, par la connaissance que j’ai de l’esprit de Pleudaniel, qu’il serait très difficile, sinon impossible d’obtenir des renseignements à cet égard 53. » L’auteur présumé de la grossesse de la femme Lorgeré est le garde champêtre de la commune. Quelques jours après le crime il est informé du transport des magistrats sur les lieux et en avertit sa maîtresse, à qui il conseille d’aller cacher le cadavre de l’enfant. Cela n’empêche pas seize notables de la commune de lui décerner un certificat de moralité, et le maire de Pleudaniel, quelque temps après, d’en délivrer un autre à Marguerite Lorgeré 54. Il arrive que les témoins, quand ils se sont engagés dans des déclarations très compromettantes pour les accusées, produisent des certificats médicaux pour ne pas se présenter devant la cour d’assises. Dans l’affaire Rose Tirel, Vve Lépinay, deux de ses voisines, qui la soupçonnent d’avoir brûlé le cadavre de son enfant, se font établir le même jour et par le même officier de santé un certificat qui leur attribue un nombre assez impressionnant de symptômes, pour excuser leur défection à l’audience 55. Il n’est pas rare non plus que les témoins reviennent devant la cour d’assises sur les déclarations qu’ils ont faites au cours de l’instruction. C’est à ces revirements, ainsi qu’aux insuffisances de l’instruction que Le Beschu de Champsavin attribue l’acquittement de Geneviève Boutier, journalière 52. AD L-A 5U66/2, le brigadier de gendarmerie de La Rouxière au procureur d’Ancenis, 6 avril 1828. 53. AD C-A 2U/735, le juge de paix de Lézardrieux au procureur de Lannion, 5 février 1848. 54. Idem. Certificat en faveur de Joseph Chauvel, 20 février 1848 ; en faveur de Marguerite Hervé, femme Lorgeré, 30 mars 1848. 55. AD I-V 2U4/636, certificats décernés par Alexandre Delaporte, officier de santé à Bourg-desComptes, à Françoise Vaillant et à Marie Gérard, le 14 novembre 1828.

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à Miniac-Morvan : « Les vices de l’instruction […] n’avaient pu être qu’incomplètement réparés […]. Les témoins mêmes qui avaient énoncé leur opinion de la manière la moins équivoque sur l’état de grossesse de l’accusée, dans leurs dépositions écrites, exprimaient à cet égard des doutes dont il était permis de suspecter la sincérité 56. » Il arrive aussi qu’ils atténuent les effets de leurs précédentes dépositions en insinuant que l’accusé ne jouit peut-être pas de toutes ses facultés ou – dans les zones bretonnantes – en arguant d’erreurs commises par les interprètes dans la traduction des dépositions. Dans l’affaire Marie-Anne Salaün, une journalière de 27 ans qui habite à Loqueffret avec sa mère, le principal témoin à charge, après avoir dit qu’il avait entendu la mère de l’accusée, poursuivie pour complicité, lui dire : « Sois tranquille, jamais on n’entendra parler de ton enfant, je le tuerai », se rétracte. Devant la cour d’assises, il déclare : « J’ai réellement entendu la mère dire : on n’entendra jamais parler de cet enfant. J’ai compris qu’elle voulait dire qu’elle le tuerait. Par une erreur soit du juge d’instruction de Châteaulin, soit de l’interprète qui lui transmettait ma déposition, on a mis dans la bouche de Jeanne Salaün ce qui n’était réellement que l’expression de mon opinion 57. » Cette rétractation permet à Jeanne Salaün d’être acquittée. Les médecins Les médecins qui ont pratiqué les expertises médico-légales peuvent être appelés à témoigner pour apporter des éclaircissements sur les conclusions de leurs rapports. Lorsque le président de la cour d’assises juge que les causes de la mort sont demeurées trop imprécises, il peut aussi, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, faire citer à l’audience d’autres hommes de l’art. Ces auditions peuvent également être demandées par la défense ou le ministère public. De l’avis des magistrats, les rapports médicaux laissent trop souvent le champ à toutes sortes de conjectures dont la défense peut s’emparer pour provoquer un acquittement. En réalité, ce sont souvent les conditions mêmes dans lesquelles sont pratiquées les expertises qui interdisent aux médecins d’en tirer des conclusions formelles. Dans la plupart des cas, les autopsies se font à la hâte, au domicile même des inculpées, avec des moyens de fortune. Il est tout à fait exceptionnel que les cadavres des nouveau-nés soient transportés à l’hôpital où les praticiens peuvent opérer dans de meilleures conditions et disposer d’un matériel adapté. En 1829, pour pratiquer l’autopsie du nouveau-né de Vincente Le Gall, domestique à Naizin, le chirurgien ne parvient même pas, à défaut de balance, à réaliser l’épreuve de la docimasie pulmonaire : « Le chirurgien qui avait procédé à 56. AN/BB/20/53, I-V, 3e trim. 1830, Le Beschu de Champsavin, s.d. 57. AN/BB/20/174/2, F, 3e trim. 1854, Lambert, 3 août 1854.

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la visite du cadavre s’excusait de n’avoir pas fait l’épreuve de la pondération, sur ce qu’il n’avait pu se procurer de balance dans un lieu éloigné de plus de trois lieues de toute ville ou bourgade 58. » Quand l’information est faite par un juge de paix, c’est en général le chirurgien ou l’officier de santé de la localité la plus proche qui est appelé. Mais les médecins de campagne n’ont guère l’occasion de pratiquer qu’une ou deux autopsies au cours de leur carrière, leur expérience est donc plus que limitée. C’est pourquoi, quand ce sont les juges d’instruction qui se transportent sur les lieux pour constater les crimes, ils préfèrent se faire accompagner d’un ou deux médecins du chef-lieu d’arrondissement qui, au fil du temps, finissent par posséder une certaine pratique de la médecine légale. Si les rapports médicaux sont incomplets ou s’ils comportent trop d’incertitudes, le président de la cour d’assises cherche à recueillir l’avis des médecins les plus réputés du département. Mais il n’arrive qu’exceptionnellement que ceux-ci aient une véritable spécialisation. Le professeur d’obstétrique de l’école de Rennes ne semble avoir été invité qu’une seule fois à donner son avis à la cour d’assises. Le recours à des médecins experts n’est pas toujours favorable à l’accusation parce que nombre d’entre eux répugnent à prendre position à partir des seuls éléments du dossier, sans avoir pu examiner le cadavre. Les magistrats hésitent donc souvent, par crainte de prolonger inutilement les débats, à faire appel à eux. Attitude à l’audience Les magistrats n’accordent qu’une confiance limitée au corps médical parce qu’ils voient souvent les hommes de l’art revenir à l’audience sur les conclusions de leurs rapports écrits, attitude qu’ils mettent sur le compte de leur incompétence ou d’un parti pris en faveur des accusés. C’est par le souci de sauver Marie-Jeanne Guillermic, une domestique de 27 ans, que le procureur explique le revirement de position des médecins à l’audience de la cour d’assises : « [L’affaire] a été perdue à l’audience par les hésitations et les tergiversations des médecins. Après avoir paru concluants dans leur rapport écrit, sur les causes de la mort de l’enfant, dans le sens de l’accusation, ils sont venus en quelque sorte se donner aux débats un démenti à eux-mêmes. Ils se sont montrés si incertains, si vacillants qu’on aurait presque pu croire de leur part à une arrière-pensée de préserver l’accusée au détriment de la vérité et de la justice […]. Ce n’est pas la première fois, du reste, je dois le dire, que le ministère public près de cette cour d’assises a lieu de se plaindre du peu de fermeté des médecins employés par la justice dans l’arrondissement de Lorient. Ces irrésolutions, ce manque de sûreté de décision dans les questions médico-légales sont toujours un embarras grave et souvent une cause d’insuccès pour les accusations les mieux fondées 59. » 58. AN/BB/20/47, M, 2e trim. 1829, Carron, 19 juillet 1829. 59. AN/BB/20/245/2, M, 4e trim. 1862, le procureur de Vannes au procureur général, 20 décembre 1862.

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Certains magistrats vont jusqu’à penser que les médecins se font un jeu d’affaiblir l’accusation. Dans l’affaire Marie-Anne Robin, une journalière de Moëlan âgée de 34 ans, déjà mère de deux enfants naturels dont l’un avait péri quelques mois seulement après sa naissance, et qui est accusée d’infanticide sur son troisième enfant, les médecins consultés pendant l’instruction avaient conclu très nettement à une asphyxie par strangulation. Aux débats, pour des raisons qui demeurent inexpliquées, ils reviennent totalement sur les conclusions de leur rapport : « Les hommes de l’art sont venus au secours du système de la défense qui consistait à soutenir que l’enfant étant venu la tête la première et la face contre terre, il était très vraisemblable ou du moins fort possible que MarieAnne Robin sentant cet enfant au passage, l’ait pris par le col, pour aider la délivrance et lui ai fait involontairement ces ecchymoses de la nuque et du côté droit du col, et ait arrêté une respiration commencée et demeurée encore imparfaite. Les médecins ont eu la faiblesse d’admettre cette hypothèse, en ajoutant que l’enfant avait dû respirer bien peu de temps, le poumon gauche ayant peu de développement. Le défenseur a habilement profité de cette défaillance de la science, et […] le jury s’est laissé entraîner à un verdict que nous étions bien loin de prévoir 60. »

C’est donc souvent plus à l’attitude hésitante des médecins aux débats qu’à la complexité des questions médicales soulevées par les affaires d’infanticide que les magistrats attribuent nombre d’acquittements. « La médecine légale dans certaines localités n’est pas à la hauteur de sa mission, écrit ainsi Lambert, mais la fermeté d’opinion lui fait bien plus défaut encore que la science 61 ». Divergences et rivalités entre médecins Des dissensions se font parfois jour entre les divers médecins appelés aux débats. Elles agacent les magistrats parce qu’elles portent les jurés, toujours prompts à absoudre les accusées, à s’interroger sur la fiabilité des expertises médico-légales. Androuïn attribue ainsi l’acquittement de Rose Naulet, domestique à Bourgneuf, aux désaccords des médecins, tant sur la nature des lésions remarquées au crâne de l’enfant que sur la cause de sa mort : « Les jurés, toujours indulgents en matière d’infanticide, se sont empressés de voir dans cette divergence d’opinion des hommes de l’art, un motif de doute 62. » Il arrive aussi qu’apparaissent des rivalités entre les divers médecins appelés comme témoins et ceux qui figurent parmi les membres du jury. Les audiences de la cour peuvent alors devenir le terrain de véritables règlements de comptes. 60. AN/BB/20/210/1, F, 2e trim. 1858, Lambert, 30 avril 1858. 61. Idem. 62. AN/BB/20/174/2, L-I, 4e trim. 1854, Androuïn, 27 décembre 1854.

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Le caractère peu rémunérateur des interventions médico-légales explique peut-être l’attitude d’excessive réserve ou de défi qu’affichent parfois les médecins aux débats. Leur participation aux audiences est considérée comme un témoignage, rémunéré par une simple taxe. Certains magistrats sont conscients des inconvénients de ce système et comprennent que les médecins ne s’y soumettent que de mauvaise grâce. Le vice-président du tribunal civil de Quimper estime ainsi que : « Les docteurs qui ont de l’expérience et une nombreuse clientèle trouvent toujours des moyens de se soustraire à cette corvée, parce que le besoin de leur concours se fait toujours sentir instantanément. Cet embarras est encore moins grave dans les chefs-lieux de département que dans les arrondissements. Les docteurs des arrondissements sont obligés d’abandonner, pendant plusieurs jours, leurs affaires, d’introduire souvent dans leur clientèle des médecins étrangers, et leur indemnité comme témoin, ne compense pas souvent leurs frais de voyage. Cependant la plupart d’entre eux figurent aussi sur la liste des jurés, ils ont donc deux services gratuits. »

La défense Les accusés choisissent généralement eux-mêmes leurs défenseurs. À la veille du procès, s’ils sont encore dépourvus d’avocat, le président de la cour d’assises leur en commet un d’office. Les avocats criminalistes qui plaident les causes d’infanticide sont pratiquement toujours les mêmes : dans les Côtes-du-Nord entre 1845 et 1865, la plupart des auteurs d’infanticide sont défendus par Viet-Dubourg. Quelques noms célèbres figurent parmi les avocats de la Loire-Inférieure : Waldeck-Rousseau, père du futur président du Conseil, et Brillaud-Laujardière, auteur d’un ouvrage qui fera référence sur la question : De l’infanticide : étude médico-légale 63. L’expérience de ces quelques avocats, qui possèdent de réelles notions de médecine légale, explique les nombreux succès qu’ils remportent à l’audience. Cette spécialisation est rendue nécessaire par le peu de temps qu’ils peuvent accorder à chaque dossier : les règles de la procédure interdisent en effet toute communication entre l’accusé et son conseil avant la rédaction de l’ordonnance de renvoi devant la cour d’assises et de l’acte d’accusation. Le défenseur peut à ce moment seulement recevoir une copie des pièces de la procédure. Dans le meilleur des cas, il ne dispose donc que d’un ou deux mois pour prendre connaissance du dossier, rechercher des témoins favorables à l’accusé et préparer sa plaidoirie 64. Compte tenu des obstacles ainsi apportés à la défense il n’est guère étonnant de constater que d’une affaire à l’autre, les avocats usent et abusent des mêmes arguments, qui leur permettent, dans bien des cas, de battre en brèche l’accusation. 63. Paris, 1865. 64. Esmein a souligné combien le Code d’instruction criminelle de 1808 était, par rapport aux codes de la période révolutionnaire, défavorable à la défense, op. cit., p. 535.

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Tactiques des avocats Le premier souci des avocats, à l’ouverture de la session d’assises, est d’éliminer, au moyen des récusations par lesquelles s’opère la constitution du jury, les personnes qui pourraient se montrer peu tolérantes à l’égard des crimes contre les personnes ou des transgressions de la morale sexuelle. Pendant toute la période du jury censitaire, les listes départementales du jury étaient composées d’un cercle assez restreint de personnes 65. Il n’était donc pas impossible de connaître celles qui avaient une réputation d’austérité. Mais les avocats ne se contentaient pas de récuser sur des réputations, réelles ou supposées. Ils allaient jusqu’à prendre des renseignements sur le comportement qu’avaient eu au cours des délibérations, qui en théorie demeuraient secrètes, les jurés de la précédente affaire. Cette pratique est évoquée en 1855 dans l’affaire de la Vve Oger : « Peu d’affaires d’infanticide se présentaient avec des preuves plus accablantes ; mais déjà la défense avait pénétré les secrets des délibérations du jury. Des récusations nombreuses et systématiques commençaient à se produire, écartant les éléments les plus intelligents que les décisions précédentes avaient fait connaître 66. » Le secret des délibérations est tout relatif puisque les magistrats parviennent eux aussi à trouver des informateurs parmi les membres des jurys et sont en général parfaitement renseignés sur déroulement des votes 67. Sans doute parce qu’une part importante de leur stratégie de défense est consacrée à travailler les sentiments des jurés, les avocats paraissent davantage tirer parti des récusations que le ministère public. Dans l’affaire Marie-Théotiste Thuaud, Vve Barbin, et de son beau-fils, Jean-Marie, l’acquittement des accusés semble avoir été favorisé par les nombreuses récusations pratiquées par la défense : « L’acquittement des deux accusés, qui me paraissaient bien coupables, quoiqu’à des degrés différents, me semble devoir être attribué à trois causes : 1° à l’absence d’un témoin important, qu’on a omis d’appeler, 2° à l’ignorance ou la pusillanimité des hommes de l’art, qui n’ont présenté que des doutes, des hésitations, là où il y devait y avoir certitude, pour quiconque s’est occupé de médecine légale et ne fait pas entièrement abstraction des autres faits extérieurs de la cause à juger, 3° enfin à ce que le ministère public n’a fait aucune récusation, lorsque les avocats en avaient fait neuf 68. »

Les avocats savent exploiter toutes les insuffisances de l’instruction, surtout quand la médecine n’a pas réussi à apporter la preuve que la mort était le résultat d’un crime. Selon l’état d’esprit du jury à l’égard des accusés, ils demandent ou s’opposent à ce que le président pose la question subsidiaire d’homicide par imprudence comme résultant des débats. À défaut de 65. Voir le chapitre IV. 66. AN/BB/20/182/1, I-V, 3e trim. 1855, Delfaut, 3 septembre 1855. 67. Soulas C., Le Recrutement du jury, Lyon, 1933, p. 46. 68. AN/BB/20/128, L-I, 3e trim. 1844, Le Meur, s.d.

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preuves ou en l’absence du corps du délit, ils tentent de faire écarter des circonstances aggravantes ou d’obtenir la déqualification de l’accusation d’infanticide en celle de suppression d’enfant ou d’exposition dans un lieu solitaire. Mais leur principale tactique vise à émouvoir le jury – seul maître du verdict – et à faire naître des incertitudes sur l’intention criminelle des accusés ou l’identité des coupables. Quand les preuves sont insuffisantes, les avocats aiment agiter le spectre de l’erreur judiciaire et se plaisent à détourner la responsabilité du crime sur des personnes suspectées par l’opinion publique d’avoir assisté à l’accouchement ou participé à l’inhumation, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, les grands-parents ou le père de l’enfant. C’est parce que l’avocat de Marie Samson, une journalière-cultivatrice de 27 ans, est parvenu à faire porter les soupçons sur son père, chez qui elle était revenue accoucher que cette accusée obtient un acquittement : « La défense […] a insinué, sans le dire explicitement, que le père de l’accusée pouvait être l’auteur de la mort de l’enfant. Cet homme est brutal, souvent yvre [sic], il frappait sa fille. C’est chez lui qu’elle était allée accoucher, il ne pouvait ignorer son état. Elle l’avait prié d’aller chercher une sage-femme ; il n’y était pas allé. Quant aux objets nécessaires à l’enfant, ils se trouvaient dans la maison 69. » L’impunité des séducteurs est également habilement utilisée par la défense. Dans l’affaire Anne Le Goff, domestique à Languidic, âgée de 24 ans, jugée devant la cour d’assises des Côtes-du-Nord en 1834, la comparution comme simple témoin du père de l’enfant, semble être un des principaux motifs de l’acquittement. Joseph Le Moing, agriculteur, âgé de 31 ans, est soupçonné d’avoir déjà séduit deux autres domestiques et a essayé par tous les moyens de procurer un avortement à Anne Le Goff. Le caractère peu sympathique du personnage fait pleinement le jeu de la défense : « L’individu indiqué par Anne Le Goff comme père de son enfant, avait d’abord été compromis et compris dans la prévention, on avait instruit contre lui, et recherché des preuves qui ne s’étaient pas trouvées concluantes; il n’y avait guère contre lui que la déclaration de la mère et la présence de la bouteille contenant les drogues dont j’ai parlé plus haut, de sorte qu’il n’a pas été mis en accusation, mais ces diverses circonstances ont jetté quelqu’incertitude dans l’esprit des jurés, il leur a paru qu’il n’était peut-être pas impossible qu’il eût concouru au crime, que même il l’eut commis seul dans un moment où la mère était sans connaissance par suite des douleurs de l’enfantement, la défense a profité avec avantage de ces circonstances, elle a rejetté [sic] tout l’odieux sur ce personnage qui était témoin dans l’affaire, et Anne Le Goff a été acquittée, peut-être avec quelque justice 70. »

69. AN/BB/20/137, M, 2e trim. 1846, Tiengou de Tréfériou, 17 juillet 1846. 70. AN/BB/20/76, M, 2e trim. 1834, Hardy fils, 28 juin 1834.

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L’argumentation Comme la question médicale est généralement la pièce la plus fragile de l’accusation, les avocats s’engouffrent dans toutes les incertitudes des rapports d’autopsie et ne craignent pas d’apporter la contradiction aux médecins. Ils utilisent pour ce faire tout un répertoire de citations de médecine légale, qu’ils adaptent avec plus ou moins d’habileté aux affaires en jugement : « Devant le jury, la femme Nogues [qui avait déclaré d’abord que son enfant était mort au passage] changea de système : elle avait eu, à la suite de son accouchement une longue défaillance et lorsqu’elle parvint à recouvrer ses sens, son enfant était sous elle. À cette explication, son défenseur a créé des faits, puis des hypothèses, puis il a lu des passages d’auteurs qui n’avaient nullement trait à la cause, et il a obtenu un acquittement malgré tout ce que j’ai fait et dit pour ramener le jury et lui faire comprendre qu’on l’induisait en erreur et que la mort de l’enfant était due à une forte compression de la tête sur un corps très dur, tel qu’une pierre, par exemple 71. »

Le recours à la médecine légale permet aux avocats de plaider les thèses de l’accident, de l’imprudence, de l’égarement post-partum, voire de l’aliénation, afin d’écarter toute intention criminelle. À la différence des médecins, qui demeurent très réservés sur la question de la folie consécutive aux accouchements, les avocats n’hésitent pas à se risquer sur ce terrain. Cette hypothèse semble avoir été vaguement évoquée par des hommes de l’art, et uniquement au cours des débats, dans l’affaire de Marie-Jeanne Pélion qui, après avoir étouffé son enfant, l’avait « abandonné en pâture à ses chats ». Poulizac, qui présidait la cour d’assises, ne croyait pas à la démence de cette femme : « Dans ces sortes d’affaires, Monsieur le Ministre, les Docteurs qui voyent généralement de la folie partout, sont particulièrement convaincus que le délire accompagne toujours les accouchements clandestins des filles et ils montrent une circonspection très louable sans doute dans toutes les hypothèses, mais qui, dans certains cas, dégénère en faiblesse à laquelle vient s’ajouter encore la crainte que leur inspire le défenseur auquel il est facile de les embarrasser, en compromettant leur amour-propre, car, malheureusement, ces procès-verbaux sont souvent rédigés par des hommes incapables 72. »

On ne trouve qu’une seule femme qui ait véritablement sombré dans la folie au lendemain du meurtre qui, selon toute vraisemblance, a été perpétré par le père de l’enfant. Il s’agit de Jeanne Tiger, domestique-cultivatrice à Saint-Just, âgée de 26 ans. Après de multiples tergiversations visant à protéger son maître, Julien Ducloyer, âgé de 41 ans, cultivateur, marié et père de cinq enfants, elle avait fini par révéler au juge d’instruction les circonstances du crime : « Après bien des hésitations […], elle dit : “Après 71. AN/BB/20/200/1, I-V, 2e trim. 1857, Robinot Saint-Cyr, 8 juin 1857. 72. AN/BB/20/120, C-N, 4e trim. 1842, Poulizac, s.d.

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mon accouchement Ducloyer est venu ; il a vu l’enfant ; il a mis une grosse pierre sur sa tête, il est monté sur cette pierre et il a écrasé la tête de l’enfant. Voilà la vérité”, elle ajoute qu’elle a vu son maître aller chercher la pierre, mais qu’elle n’a plus voulu regarder ce qu’il a fait, qu’elle n’a point consenti à la mort de son enfant, que c’est lui qui l’a tué. » Inculpée de complicité, elle sombre assez vite dans un état de démence qui l’empêche de comparaître aux débats : « Cette affaire aurait pu venir aux assises d’août […] mais on donnait des soins à Jeanne Tiger et on espérait qu’elle recouvrerait la raison, son état ne faisait au contraire qu’empirer. […] La démence de Jeanne Tiger avait commencé par être violente : cette fille voyait toujours les exécuteurs de la justice qui venaient la chercher pour la conduire au supplice… elle est ensuite tombée dans un idiotisme immobile; elle était devenue statue, si on lui levait le bras, elle restait dans cette attitude jusqu’à ce qu’on vint lui en donner une autre… L’arrêt de la chambre d’accusation avait une exécution inévitable et Jeanne Tiger devait être conduite à la maison de justice ; dès qu’elle y est arrivée, je me suis transporté auprès d’elle, assisté d’un greffier. J’ai fait de vains efforts pour fixer son attention ; je n’ai pu en obtenir un seul mot ; elle n’a jamais voulu nous dire son nom ; et je me suis promptement convaincu qu’elle était tombée au dernier degré de l’idiotisme. »

Le Beschu de Champsavin attribue en partie l’état de Jeanne Tiger à la brutalité du juge qui a procédé à l’instruction : « L’instruction avait été suivie avec activité et pénétration : mais l’interrogatoire et la confrontation du 20 mai ont été dirigés sans ménagement et sans réserve. L’allocution finale de M. le Juge d’instruction à Jeanne Tiger était insolite. On lui a attribué de terribles effets ; car on a pensé qu’elle pouvait être à l’origine de la démence dont cette accusée ne reviendra probablement jamais 73. » Il n’arrive qu’exceptionnellement que les présidents s’interrogent sur l’état mental des accusés et abordent sous l’angle psychiatrique la question de leur responsabilité pénale. Mis à part le cas de Jeanne Tiger, on ne trouve qu’une seule autre expertise psychiatrique, si l’on peut désigner ainsi la contribution apportée à l’examen de la femme Clermont par le médecinchef de l’hôpital des aliénés de Saint-Malo. Olivette Clermont, âgée de 27 ans, domestique à Châteauneuf, n’était mariée que depuis quatre mois lorsqu’elle accoucha d’un enfant qui n’était pas de son mari et qui mourut asphyxié. Comme elle avait simulé la folie au cours de l’instruction, les témoins furent consultés sur son état mental : « Les maîtres chez lesquels elle servait depuis trois ans, ont dit, l’un : “Elle est méchante et très originale, l’autre : Elle est d’un caractère brutal, et tient des discours grossiers, mais elle ne déraisonne pas.” Tous les autres témoins lui ont attribué un caractère méchant, mais on n’a jamais supposé qu’elle fût aliénée. » Un premier médecin considère que sa maladie est entièrement simulée et qu’Olivette Clermont n’était pas en état de démence au moment des 73. AN/BB/20/174/2, I-V, 4e trim. 1854, Le Beschu de Champsavin, 27 décembre 1854.

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faits. Mais, au cours des débats, de nouvelles consultations médicales sont présentées par la défense, qui viennent au secours de l’accusée et provoquent son acquittement : « Le chef du service des aliénés à Saint-Malo avait été chargé d’examiner l’état mental de la femme Clermont. Il m’a paru que cette étude avait été faite brièvement ; le médecin s’était borné à questionner le gardien de la maison d’arrêt, et il s’était ensuite approprié son opinion. Répondant à mes questions, il a cessé d’être affirmatif, et a fini par dire qu’il était possible qu’il n’y eût pas simulation dans l’exaltation que cette femme avait manifestée, qu’elle pouvait en effet être en état de démence sinon constante, au moins temporaire et fréquente. La défense a produit l’attestation du docteur Beurrin qui avait soigné, il y a six ans, l’accusée pour une aliénation caractérisée. Le maire a dit que s’il avait résisté à la célébration du mariage, c’est qu’il considérait la future comme folle. D’autres témoins ont parlé d’actes qui n’étaient pas conformes à un esprit sain. Devant le jury, l’accusée n’a certainement pas simulé la démence ; mais il y avait dans sa tenue et dans ses réponses quelqu’étrangeté 74. »

Cette affaire est jugée en 1859. Seize années auparavant, dans l’affaire Marie Ollivier, une mendiante de 33 ans, sans domicile fixe, née à Plouzelambre, lorsque des doutes avaient été émis par un médecin sur son état mental, le président de la cour d’assises s’était contenté d’interroger à ce sujet le gardien et la sœur de charité de la prison : « L’accusée avait avoué avoir étouffé son fruit et l’avoir entendu pleurer et crier. Un juré, docteur médecin, fut appuyé dans les questions tendant à établir la démence, par un officier de santé témoin, et l’accusée y aida de son mieux. Je fus obligé d’appeler, d’abord, le gardien de la maison de justice et la sœur de charité y attachée, et ensuite, l’officier de santé, la vérité étant d’autant plus difficile à remettre à son jour qu’il n’avait pas été instruit jusqu’alors sur l’état mental de cette fille réellement d’un esprit borné 75. »

Les avocats vont plaider la folie dans deux autres affaires, celles de Marie Prigent et de Gilette Cadro, mais dans une perspective purement tactique puisque ces moyens de défense ne paraissent reposer sur aucun argument médical. Marie Prigent, couturière à la journée au Cloître, âgée de 22 ans, avait reconnu avoir commis sur son enfant des actes d’une grande violence, avouant « qu’aussitôt la naissance de l’enfant, elle avait mis dans sa bouche trois de ses doigts pour l’empêcher de crier ; qu’elle lui avait tordu le cou ; puis qu’elle lui avait coupé la gorge avec le couteau, qu’ensuite elle avait élargi la blessure en la déchirant avec les doigts. Elle reconnut que son enfant avait crié, qu’il avait bougé pendant un quart d’heure, qu’il bougeait encore lorsqu’elle lui avait porté le coup de couteau. » Son défenseur, se fondant sur le caractère inutile des souffrances infligées, essaie de faire accréditer la thèse de la démence au moment des faits : 74. AN/BB/20/218/2, I-V, 2e trim. 1859, Le Beschu de Champsavin, 5 juillet 1859. 75. AN/BB/20/124, C-N, 1er trim. 1843, Piou, 10 mars 1843.

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« La défense a soutenu que l’accusée avait été surprise à l’improviste par les douleurs de l’enfantement, qu’envisageant alors l’horreur de sa position, elle était tombée dans le désespoir, que le désespoir avait produit l’égarement de la raison, et que c’est dans cet accès de démence qu’elle avait donné la mort à son enfant ; que la multiplicité des actes de barbarie décelait leur inutilité, et que cette inutilité s’expliquait par la démence de l’accusée 76. » Mais sa plaidoirie ne convainc pas le jury et Marie Prigent est condamnée aux travaux forcés à perpétuité. Dans l’affaire Gilette Cadro, jugée en 1854 devant la cour d’assises des Côtes-du-Nord, Viet-Dubourg, coutumier des causes d’infanticide, introduit la thèse de la monomanie homicide, mais sans plus de succès puisque sa cliente est condamnée à la peine de mort. Cette domestique, âgée de 30 ans, avait été congédiée par ses maîtres en raison de sa grossesse, et était revenue vivre chez ses parents, au village de La Prénessaye. Au moment où elle avait ressenti les douleurs de l’accouchement, elle s’était rendue dans un champ pour accomplir son crime : « Mais sa sœur, Anne Cadro, qui avait soupçonné son coupable projet, chargea une de ses voisines, la femme Lebionne, de se mettre à sa recherche et de la ramener à la maison. Ce ne fut qu’après une course de plusieurs heures dans la forêt que la femme Lebionne parvint à découvrir l’accusée dans sa retraite. Longtemps celle-ci résista à ses sollicitations et refusa de la suivre. Longtemps elle voulut éloigner la femme Lebionne et la tromper sur sa position : mais cette femme s’obstina à rester près d’elle, et l’adjura au nom de tous les saints du Paradis de renoncer à l’idée de commettre un grand crime. Gilette Cadro finit par céder à ces instances, et rentra dans la maison de sa mère, où, à trois heures après midi, elle mit au monde un enfant du sexe masculin. »

Le lendemain, la femme Lebionne insiste pour faire baptiser le nouveau-né et va le déclarer à l’officier de l’état civil. L’enfant, en théorie, est donc entouré de « toutes les garanties communes », sa naissance ayant été déclarée, et son meurtre devrait donc échapper à l’incrimination d’infanticide, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, bien établie à l’époque. C’est pourtant sous ce chef d’inculpation que Gilette Cadro, qui a « tordu le cou » à son enfant le lendemain du baptême, est jugée, sans doute parce qu’elle a reconnu elle-même avoir prémédité de longue date son crime : « Dans ses interrogatoires, comme à l’audience de la cour d’assises, l’accusée a confessé que depuis le moment où elle s’était aperçue de sa grossesse elle avait pris la résolution de se débarasser [sic] de son enfant, et que cette pensée ne l’avait pas quittée un seul instant. Le ministère public a insisté pour que le jury se montrât sévère : il a démontré sans peine combien les faits de cette affaire dénotaient de perversité et de barbarie et a fortement combattu la déclaration de circonstances atténuantes. La défense 76. AN/BB/20/108, F, 3e trim. 1840, Chellet, 10 août 1840.

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LE PROCÈS

s’est hasardée à plaider la monomanie. Mais ses efforts devaient être impuissants. Le jury a rapporté un verdict de culpabilité, sans admettre les circonstances atténuantes, et la peine capitale a dû être prononcée 77. »

La sévérité du châtiment encouru constitue un épouvantail souvent brandi par les avocats, particulièrement dans les années 1820. En 1825, au lendemain de la promulgation de la loi autorisant les cours d’assises à accorder des circonstances atténuantes en faveur des mères accusées 78, les jurés n’étaient pas encore familiarisés avec cet adoucissement possible de la pénalité et les avocats pouvaient jouer du caractère effrayant de la peine de mort. De Kerautem, rendant compte de l’acquittement de Marie-Françoise Nédélec qui, raffinement de cruauté, avait « déchiré » de ses mains la mâchoire de son enfant, l’expliquait par l’habileté avec laquelle son défenseur avait agité le spectre de l’échafaud : « Quelque bien disposés que m’eussent paru quelques jurés, j’étais loin de m’attendre à ce résultat, et l’accusation me paraissait si solidement établie que je n’ai pas voulu l’ébranler par la question subsidiaire d’homicide par imprudence. J’ai été particulièrement déterminé à ce parti par la circonstance suivante : le défenseur pour effrayer les jurés, ayant lancé dans sa plaidoirie le mot échafaud, j’ai saisi cette occasion pour dire aux jurés qu’une loi nouvelle autorisait les tribunaux à réduire la peine quand ils le jugeaient convenable. Tel a été, Monseigneur, le résultat de cette affaire qui a laissé dans mon âme la triste conviction qu’il existe des hommes aux yeux de qui l’infanticide n’est point un crime 79. »

L’issue des débats Sauf quand le crime a été commis avec une violence exceptionnelle, l’issue des procès d’infanticide est relativement imprévisible. La sanction ou l’absolution résulte d’une subtile alchimie, propre à chaque audience, entre l’interprétation des faits et de la loi. Les faits discutés au cours des débats se limitent rarement à l’acte criminel mis en exergue par l’accusation. Le magistrat aime parfois à se faire historien et à dénouer l’écheveau des événements ayant abouti au crime. Le défenseur, pour sa part, s’emploie à rechercher dans la situation particulière des accusées, dans les traits de leur personnalité, dans le comportement de leurs proches, dans leurs conditions de vie, des causalités propres à atténuer leur responsabilité ou, mieux encore, à les absoudre. En amont du crime surgissent donc des événements – séduction, tromperie, abandon –, des données psychologiques ou matérielles – solitude, fragilité, misère –, qui sont susceptibles de modifier l’appréhension initiale des faits. 77. AN/BB/20/174/2, C-N, 4e trim. 1854, Hüe, s. d. 78. Voir le chapitre IV. 79. AN/BB/20/29, F, 3e trim. 1826, de Kerautem, 28 juillet 1826.

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DES CRIMINELLES AU VILLAGE

L’élaboration de la « vérité » est rendue plus complexe encore par la diversité des protagonistes en présence. Accusées, témoins, magistrats, hommes de l’art, avocats et jurés forment une mosaïque d’hommes – et de femmes – de conditions sociales différentes, ayant chacun son propre mode d’appréhension de la réalité. Tous peuvent s’entendre sur les critères de distinction du bien et du mal, mais le rapport à la mort, les sentiments portés à l’enfant, la manière de percevoir le nouveau-né, varient selon qu’ils appartiennent à la bourgeoisie policée des élites urbaines, à la paysannerie aisée des gros bourgs ou au menu peuple des campagnes. La personnalité du président et l’habileté du défenseur entrent pour beaucoup dans la lumière portée sur les faits et dans l’orientation donnée à l’audience, mais ils ne sont pas maîtres de son dénouement. Dans les affaires d’infanticide, la fragilité des preuves est une constante. Le secret de la vie intime couvre de son voile une bonne partie des faits : amours illégitimes, accouchements clandestins, incertitudes sur les circonstances de la mort, sur l’identité des coupables, sur la présence de complices, apportent leur contribution à la défense. Le grand art de l’avocat consiste à opposer à ces zones d’ombre le caractère implacable et terrifiant de la loi ; à brandir, face à l’accusation, le spectre de l’arbitraire ; à révéler, sous les oripeaux du crime, la silhouette de l’innocence trompée. Car le défenseur n’ignore pas que la loi ne s’embarrasse pas de nuances. Elle impose aux jurés, ultimes arbitres des débats, de répondre à une simple et unique question : L’accusée est-elle coupable ?

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Chapitre IV

Le châtiment Pour les magistrats, sanctionner l’infanticide peut paraître relever du défi. Plusieurs facteurs concourent en effet à porter les jurés à l’indulgence. La peine de mort, peine légale de l’infanticide, leur apparaît d’une excessive sévérité. En outre, le jury, composé majoritairement de propriétaires, est plus porté à la sévérité dans la répression des atteintes aux biens que dans la sanction des attentats contre des personnes. Et les accusées, en tant que femmes, suscitent traditionnellement plus facilement que les hommes la mansuétude des jurés. Magistrats et jurés ne portent pas tout à fait le même regard sur les crimes, et peut-être moins encore sur les accusées. Le jury se sent plus arbitre de la société que de la loi. Il juge plus les individus que les crimes. La sanction est donc le résultat d’un compromis entre la peine, applicable à une période donnée, la volonté répressive des magistrats et l’appréciation des faits par les représentants de la société civile que sont les jurés.

Les peines La sévérité de la loi est le premier obstacle auquel se heurtent les magistrats qui déplorent très souvent l’impunité accordée aux coupables. L’infanticide, régi par l’article 302 du Code pénal de 1810, emporte en effet la peine de mort 1. La rigueur toute napoléonienne de cette peine effraie les jurés qui ne se résolvent que rarement à prononcer la culpabilité. Aussi les législateurs s’efforcent-ils de conformer la pénalité de l’infanticide au sentiment public qui répugne à envoyer à l’échafaud les mères qui se sont rendues coupables du meurtre de leur nouveau-né. 1. C. pén., art. 302 : « Tout coupable d’assassinat, de parricide, d’infanticide et d’empoisonnement, sera puni de mort, sans préjudice de la disposition particulière contenue en l’article 13, relativement au parricide ». L’art. 13 prévoit que le parricide aura le poing droit coupé.

119

DES CRIMINELLES AU VILLAGE

Le dispositif législatif Alors que le Code pénal de 1791 ne contenait aucune disposition particulière pour l’infanticide, qui était sanctionné comme les autres meurtres, les débats parlementaires précédant l’adoption du Code pénal de 1810 ont abouti à le classer dans la catégorie des meurtres avec préméditation, passibles de la peine de mort. Il rejoignait ainsi l’assassinat, l’empoisonnement et le parricide, érigé lui aussi en crime sui generis, et considéré comme le plus horrible des attentats. Pourtant, lors des débats en Conseil d’État, l’application de la peine de mort à l’infanticide n’avait pas fait l’unanimité. Ses partisans la justifiaient par de nombreux arguments. L’accroissement des crimes contre les nouveau-nés constaté par les cours criminelles était perçu comme un symptôme du dérèglement des mœurs. Seul un châtiment exemplaire pourrait mettre un frein à ces crimes auxquels, affirmaient-ils, une « fausse philanthropie 2 » assurait l’impunité. Le second argument portait sur la protection que la société devait aux êtres sans défense et particulièrement aux nouveau-nés. Enfin, il était impensable que l’infanticide – crime contraire aux sentiments de la nature – ne fût pas prémédité : « Il est impossible qu’il soit l’effet subit de la colère ou de la haine, puisqu’un enfant, loin d’exciter de tels sentiments, ne peut inspirer que celui de pitié 3. » Cette présomption de préméditation et la nature particulière du crime justifiaient son assimilation à l’assassinat et appelaient une sanction sévère : « L’infanticide est […] sous tous les rapports, un acte de barbarie atroce ; et, quand il serait quelquefois le fruit du dérèglement des mœurs, une telle cause ne peut trouver d’indulgence dans une législation protectrice des mœurs 4. » Dans le camp des opposants à la peine de mort, quelques-uns, tel Berlier, sensibles à la crainte du déshonneur qui poussait nombre de mères illégitimes au crime, préconisaient plutôt la déportation. D’autres voyaient dans la rigueur du châtiment une source d’impunité. Treilhard estimait ainsi qu’une telle sanction serait rarement prononcée car, disait-il : « Il répugne aux jurés d’envoyer à l’échafaud une mère que la crainte du déshonneur a égarée 5. » Les premières années d’application du Code pénal démontrèrent effectivement que les jurés ne prononçaient qu’avec réticence la culpabilité des mères infanticides. Le gouvernement tira les enseignements de cette distorsion entre la rigueur de la loi et le sentiment commun des jurés. Peyronnet, garde des sceaux, déposait le 5 avril 1824 à la Chambre des pairs un projet portant modification de plusieurs articles du Code pénal. Ce pro2. « Rapport au Corps législatif par Monseignat, 17 février 1810 », La Législation civile, commerciale et criminelle de la France…, Paris, 1832, t. 30, p. 504-505. 3. Exposé des motifs par le chevalier Faure, séance du Corps législatif, 7 février 1810, ibidem, p. 471. 4. Ibid. 5. P.-v. du Conseil d’État, séance du 8 novembre 1808, ibid., p. 382.

120

LE CHÂTIMENT

jet prévoyait notamment d’offrir aux cours la possibilité d’accorder des circonstances atténuantes aux mères infanticides. Le gouvernement entendait ainsi lutter contre l’absolution dont elles bénéficiaient si souvent : « S’il était permis à ceux qui donnent les lois de ne prendre pour guides que les sentiments naturels, on se résoudrait difficilement à considérer comme susceptible de réduction la peine prononcée contre la mère, qui, faisant taire le cri du sang et de la nature, tue l’enfant qu’elle a porté dans son sein, et détruit la vie qu’elle a elle-même donnée. Mais la question prend un aspect différent aux yeux des hommes qui fréquentent nos tribunaux criminels. Ils savent que dans les affaires de cette nature les jurés et même les magistrats, résistent rarement à l’intérêt que leur inspire une jeune femme qu’on leur représente comme une victime de la séduction, égarée par l’horreur de son sort qu’elle n’avait pas mérité et devenue coupable, dans le trouble de ses sens et de sa raison, par l’excès même de son attachement pour l’honneur qu’on lui a ravi. De là des absolutions scandaleuses, ou tout au plus des condamnations dérisoires à de faibles peines correctionnelles, lorsqu’on a consenti à proposer au jury la question subsidiaire d’homicide par imprudence, sorte de transaction que la justice repousse, mais que la pitié fait presque toujours accueillir 6. »

La loi fut votée le 25 juin 1824 après d’âpres débats au cours desquels s’illustra particulièrement Duplessis de Grenédan, conseiller à la cour de Rennes et député du Morbihan, farouchement hostile à l’institution du jury. En son article 5, cette loi autorisait la cour d’assises à accorder aux mères infanticides – et à elles seules – des circonstances atténuantes. Cellesci avaient pour effet d’abaisser la peine d’un degré, c’est-à-dire de la réduire aux travaux forcés à perpétuité. Elle comportait d’autres dispositions atténuant la rigueur du Code pénal. La possibilité d’accorder des circonstances atténuantes était étendue à certains vols qualifiés. En adoucissant la pénalité, cette loi inaugurait le mouvement de « correctionnalisation » des crimes qui se poursuivra tout au long du XIXe siècle. Le Code pénal, en effet, ne tarda pas à être de nouveau modifié. La loi des 28 avril-1er mai 1832 transférait aux jurys la déclaration des circonstances atténuantes. Quand celles-ci avaient été reconnues, les cours avaient désormais la possibilité pour les crimes qui, comme l’infanticide, emportaient la peine de mort, d’abaisser la pénalité de deux degrés. Elles avaient donc la faculté de ne prononcer que les travaux forcés à perpétuité ou les travaux forcés à temps. Enfin, la loi des 13 mai-1er juin 1863 correctionnalisait certaines incriminations de suppression d’enfant quand il n’était pas établi que celui-ci avait vécu. Elle permettait de soustraire à la cour d’assises de nombreux infanticides dont les conditions de leur perpétration assuraient l’impunité à leurs auteurs. Aux yeux du législateur, en effet, il importait de n’user 6. Peyronnet, « Présentation du projet de loi à la chambre des pairs, 5 avril 1824 », Archives parlementaires de 1787 à 1860…, 2e série, t. 39, Paris, 1878, p. 653.

121

DES CRIMINELLES AU VILLAGE

qu’avec une sage mesure de la cour d’assises car le fréquent échec des accusations d’infanticide était susceptible de porter atteinte à cette institution qui « emprunte une partie de son autorité et de son prestige à sa solennité, à sa rareté, à la gravité exceptionnelle des faits qui lui sont déférés 7 ». La loi visait particulièrement les crimes pour lesquels la preuve de la vie de l’enfant n’avait pu être établie : « La femme récemment accouchée qui ne représente pas son enfant et qui n’en rend aucun compte, n’encourt aucune peine ; la garantie sociale manque à l’enfant qui vient de naître. […] Nous ne savons pas de tentation plus forte à commettre l’infanticide. La mère qu’un sentiment de honte ou tout autre mobile sollicite à ce crime, peut s’assurer l’impunité par une suppression complète, car elle met la justice dans l’impossibilité de vérifier si l’enfant a vécu 8. » Cette loi permettait de porter directement devant les tribunaux correctionnels ces faits qui, sous la qualification de suppression d’enfant, étaient désormais passibles – quand la preuve de la vie de l’enfant n’avait pas été apportée – d’une peine d’emprisonnement d’un mois à cinq ans. Les peines prononcées par la cour d’assises de Rennes Pour la période qui nous occupe, les archives permettent de connaître les résultats de 581 procès d’infanticide sur les 592 recensés, pour la Bretagne, dans le Compte général de l’administration de la justice criminelle. Parmi ces 581 procès, 55 mettaient en scène plusieurs complices. Au total 636 accusés ont comparu pour infanticide devant les cours d’assises des départements bretons. Leur sort se répartit ainsi : Répartition Peine de mort : Travaux forcés à perpétuité : Travaux forcés à temps : Réclusion : Prison : Acquittements :

12 45 246 9 83 241 636

1,89 % 7,08 % 38,75 % 1,42 % 13,07 % 37,79 %

Les peines infligées ont naturellement varié dans le temps en fonction des modifications apportées au Code pénal. De 1824 à 1832, le sort des accusées ne pouvait être réglé que de trois manières : par la peine de mort, les travaux forcés à perpétuité ou l’acquittement. À partir de 1832 les cours d’assises disposent d’une autre possibilité de sanction : les travaux forcés à temps. Les condamnations à la prison ou à la réclusion n’appartiennent pas 7. Debeylemme, « Rapport de la commission du Corps législatif, 6 mars 1863 », Collection complète des lois…, par J.-B. Duvergier, t. 63, Paris, 1863, p. 422. 8. Loi des 13 mai-1er juin 1863, exposé des motifs, idem, p. 462.

122

LE CHÂTIMENT

à la pénalité de l’infanticide. Elles résultent soit de l’âge des accusés, soit de condamnations sur d’autres faits. Le taux d’acquittement est particulièrement important : il concerne plus du tiers des accusés. Peine de mort et travaux forcés

L’infliction de la peine de mort est très rare : elle ne concerne que 12 accusées sur 636. Ces condamnations sont inégalement réparties selon les départements (6 en Ille-et-Vilaine ; 4 dans les Côtes-du-Nord ; 1 en LoireInférieure). Elles sont sans rapport direct avec le nombre des accusations. Ainsi, le Morbihan est le département qui a fourni le plus d’accusés (158). La logique voudrait qu’il soit aussi celui qui a fourni le plus grand nombre de peines capitales, or il n’y en a eu aucune. L’une des condamnations n’a été prononcée que par contumace (MarieJeanne Guilleraye, Côtes-du-Nord, 1825). Cette accusée avait enterré son enfant vivant. Les onze autres viennent aussi sanctionner des crimes particulièrement violents ou des états de récidive. La Vve Goënard, âgée de 42 ans, est soupçonnée de trois autres infanticides ou avortements (Ille-etVilaine, 1847). Trois hommes figurent parmi les condamnés à mort : Deluen, père incestueux (Loire-Inférieure, 1845), et deux maîtres qui ont tué l’enfant de leur domestique : Josse (Ille-et-Vilaine, 1843) et Fleury (Côtes-du-Nord, 1848). Les archives sont très lacunaires pour ce qui concerne l’exécution des peines. Il semble cependant que la plupart des condamnations à mort aient été commuées. L’arrêt condamnant Fleury à mort a été cassé. Renvoyé devant une autre cour d’assises, il a finalement été condamné aux travaux forcés à perpétuité. On trouve trace, pour trois accusés, de lettres de commutation. Le jury ou les magistrats demandent, pour deux autres, des mesures de clémence, or la chancellerie suit généralement l’avis des magistrats. Le sort des quatre derniers condamnés demeure inconnu. Si la mort leur a été réellement infligée, le taux d’exécution équivaudrait au tiers des condamnations. Autres peines

Les condamnations aux travaux forcés à perpétuité sont relativement rares également (7,8 % des accusés). En revanche, les travaux forcés à temps deviennent, à partir de 1832, la peine la plus fréquente (38,75 %). Les peines de réclusion font partie des peines afflictives et infamantes. Elles correspondent à des condamnations sur la question subsidiaire de suppression d’enfant (4 cas), à l’application des articles 70 et 71 du Code pénal qui prohibent les condamnations aux travaux forcés à perpétuité des personnes âgées de plus de 70, puis de 60 ans (3 cas) ; ou encore à des manifestations de l’indulgence de la cour (2 cas).

123

DES CRIMINELLES AU VILLAGE

Les peines de prison, qui sont des peines correctionnelles, correspondent dans leur grande majorité à des condamnations sur les questions subsidiaires d’homicide par imprudence ou d’inhumation clandestine. Évolution chronologique L’évolution chronologique du résultat des accusations permet de mesurer les effets des modifications législatives. Pour la commodité du tableau l’année 1865 a été retranchée. En conséquence, le nombre total d’accusés passe de 636 à 620. Acquittements Accusés Nombre

Morts

Travaux forcés à perpétuité

Travaux forcés Prison et réclusion à temps

%

Nombre

%

Nombre

%

Nombre

%

Nombre

%

18251829

46

22

47,83 %

1

2,17 %

8

17,39 %

0

0,00 %

15

32,61 %

18301834

40

25

62,50 %

0

0,00 %

2

5,00 %

4

10,00 %

9

22,50 %

18351839

53

26

49,06 %

1

1,89 %

1

1,89 %

7

13,21 %

18

33,96 %

18401844

80

41

51,25 %

1

1,25 %

7

8,75 %

21

26,25 %

10

12,50 %

18451849

87

35

40,23 %

2

2,30 %

4

4,60 %

37

42,53 %

9

10,34 %

18501854

112

40

35,71 %

3

2,68 %

9

8,04 %

51

45,54 %

9

8,04 %

18551859

100

27

27,00 %

2

2,00 %

9

9,00 %

50

50,00 %

12

12,00 %

18601864

102

25

24,51 %

2

1,96 %

5

4,90 %

60

58,82 %

10

9,80 %

620

241

12

45

230

92

Résultat des accusations d’infanticide, Bretagne (1825-1864) – (Source : BB/20).

Entre 1825 et 1864, l’accroissement de la répression est très net. Le taux d’acquittement chute de 47,83 % à 24,51 %. Si les condamnations à mort ou aux travaux forcés à perpétuité ne connaissent pas de hausse spectaculaire, on note – et particulièrement à partir de 1845-1849 – la forte augmentation des travaux forcés à temps. Ils atteignent près de 59 % dans les années 1860-1864 et tendent à se substituer aux peines de prison qui prévalaient jusqu’alors. La politique pénale répressive du Second Empire, marquée notamment par l’abaissement de la majorité du nombre des voix nécessaires, au sein du jury, pour la condamnation 9, se traduit de manière forte dans les statistiques. Sur les 12 condamnations à mort, 7 ont été prononcées entre 1852 et 1864. La hausse parallèle du nombre moyen des accusations, qui fait plus que doubler entre 1825-1829 et 1860-1864, pourrait également être interprétée dans le sens d’une accentuation de la répression. Mais peut-être 9. Loi du 9 juin 1853, voir infra.

124

LE CHÂTIMENT

tient-elle également à une surveillance accrue des populations, consécutive à l’augmentation des effectifs de gendarmerie. 60

Acquittements Mort Travaux forcés à perpétuité Travaux forcés à temps Prison et réclusion

50

40

30

20

10

0 18251829

18301834

18351839

18401844

18451849

18501854

18551859

18601864

Graphique de l’évolution des verdicts prononcés – (Source : BB/20).

La Bretagne présente-t-elle des particularités du point de vue du traitement pénal de l’infanticide ? Il convient tout d’abord de rappeler que la courbe des accusations jugées ne se distingue pas du reste du territoire. Une croissance identique peut-être observée au niveau national, en dépouillant les données figurant dans le Compte général de l’administration de la justice criminelle de l’année 1880. L’année 1825 a été retranchée pour suivre la périodicité quinquennale retenue par cet annuaire statistique. France entière 1826-1830 : 1831-1835 : 1836-1840 : 1841-1845 : 1846-1850 : 1851-1855 : 1856-1860 : 1861-1865 : Total

Bretagne 1826-1830 : 1831 à 1835 : 1836 à 1840 : 1841 à 1845 : 1846 à 1850 : 1851 à 1855 : 1856 à 1860 : 1861 à 1865 : Total

510 471 676 715 761 915 1 069 1 028 6 145

(Source : Compte général de l’administration de la justice criminelle).

125

36 43 55 76 80 105 90 98 583

DES CRIMINELLES AU VILLAGE

Les affaires jugées en Bretagne représentent 9,49 % du total des accusations. Or le rapport de la population bretonne à l’ensemble de la population française est légèrement inférieur. Il passe en effet de 7,92 % en 1826 à 7,87 % en 1867 10. L’infanticide serait donc légèrement plus fréquent dans les départements bretons que dans l’ensemble du territoire. Acquittements Accusés Nombre

Morts

Travaux forcés à perpétuité

Travaux forcés Prison et réclusion à temps

%

Nombre

%

Nombre

%

Nombre

%

Nombre

%

18251829

596

276

46,31 %

19

3,19 %

90

15,10 %

0

0,00 %

211

35,40 %

18301834

486

248

51,03 %

4

0,82 %

39

8,02 %

56

11,52 %

139

28,60 %

18351839

759

286

37,68 %

14

1,84 %

24

3,16 %

156

20,55 %

279

36,76 %

18401844

832

311

37,38 %

7

0,84 %

53

6,37 %

233

28,00 %

228

27,40 %

18451849

832

340

40,87 %

5

0,60 %

47

5,65 %

285

34,25 %

155

18,63 %

18501854

1049

363

34,60 %

15

1,43 %

56

5,34 %

478

45,57 %

137

13,06 %

18551859

1194

374

31,32 %

8

0,67 %

72

6,03 %

589

49,33 %

151

12,65 %

18601864

1200

372

31,00 %

7

0,58 %

27

2,25 %

664

55,33 %

130

10,83 %

6948

2570

79

408

2461

1430

Résultat des accusations d’infanticide en France (1825-1864) – (Source : compte général de l’administration de la justice criminelle).

Au niveau national, le taux d’acquittement est très important. Il est, par exemple, de 37,4 % entre 1841 et 1845 11. Mais les cours bretonnes paraissent plus indulgentes que la moyenne, puisque pour la même période 51,25 % des accusés d’infanticide sont acquittés. Ces accusés cumulent deux caractéristiques qui ont toujours porté les jurés à l’indulgence : ce sont en majorité des femmes, elles ont porté atteinte aux personnes et non aux propriétés 12. Le taux d’acquittement breton ne rejoindra la moyenne nationale qu’à partir de 1850 et deviendra même nettement inférieur (24,51 % en 18601865 contre 31 %). D’une manière générale, la répression des autres crimes est très inégale d’un département à l’autre. Le rédacteur du rapport introductif au Compte général de 1850 souligne « l’extrême faiblesse » du jury 10. D’après les tableaux de population publiés dans le Bulletin des lois, n° 154, 1827, p. 297-299 et n° 1464, 1867, p. 105-107. 11. Compte général de l’administration de la justice criminelle en France, année 1850, Paris, 1852, p. XXXVIII. 12. D’après le Compte général…, année 1880. Pour les années 1834 à 1840, le taux d’acquittement est de 44 % dans les crimes contre les personnes (contre 32 % dans les crimes contre les propriétés), de 40 % pour les femmes (contre 35 % pour les hommes).

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LE CHÂTIMENT

dans le Morbihan 13. C’est en effet dans ce département qu’il a été prononcé entre 1826 et 1865, tous types de crimes confondus, le moins de condamnations à mort. Les effets de la loi de 1832 sont identiques sur l’ensemble du territoire. Le nombre des condamnations aux travaux forcés à perpétuité diminue, le taux des condamnations aux travaux forcés à temps s’accroît parallèlement. Leur durée s’allonge 14. En Bretagne, les condamnations aux travaux forcés à perpétuité passent de 17,39 % entre 1826 et 1830 à 4,9 % entre 1860 et 1865. Mais, ici encore, à partir de 1850, les cours bretonnes se singularisent en infligeant plus fréquemment cette sanction que les autres cours françaises. Le taux des condamnations à mort y est également plus important (2,70 % entre 1850 et 1854, contre 1,43 % dans les autres régions). Ainsi, le traitement judiciaire des affaires d’infanticide en Bretagne se caractérise par une indulgence supérieure à la moyenne nationale jusqu’en 1844 puis, particulièrement sous le Second Empire, par une plus grande sévérité.

Le jury et la difficulté de punir Les rapports des conseillers bretons sont emplis de notations défavorables aux jurés, souvent taxés d’ignorance et d’un parti pris systématiquement hostile à la répression, source de multiples acquittements « scandaleux ». Pourtant aucun d’eux ne va jusqu’à remettre en question l’institution même du jury. Lors de la consultation organisée auprès des cours et tribunaux à l’occasion de la préparation du Code d’instruction criminelle qui sera promulgué en 1808, la cour de Rennes a même été l’une des rares à se prononcer pour le maintien de cette institution dans la procédure criminelle 15. La composition du jury et ses règles de fonctionnement Le nombre de jurés appelés à siéger aux côtés des magistrats est fixé à 12. Il ne sera pas modifié pendant la période sur laquelle porte cette étude, mais les règles de son fonctionnement vont subir plusieurs modifications entre 1827 et 1853. À cette époque, l’institution du jury est vivement critiquée par les présidents des cours d’assises qui se trouvent confrontés à la multiplicité des acquittements « scandaleux 16 ». Les gouvernements successifs vont s’employer à contrer l’indulgence des jurés soit en modifiant la 13. Ibidem, année 1850, p. XXXVIII-XL. 14. Ibid., p. XXXVII. 15. 12 cours d’appel prirent position contre la procédure par jurés, 5 seulement demandèrent son maintien, les autres cours ne se prononçant pas sur la question, d’après : Esmein A., op. cit., p. 487. 16. Voir Claverie E., « De la difficulté de faire un citoyen : les « acquittements scandaleux » du jury dans la France provinciale du début du XIXe siècle », Études rurales, juillet-décembre 1984, p. 9596, p. 143-166 et Pourcher Y., « Des assises de grâce ? Le jury de la cour d’assises de la Lozère au XIXe siècle », ibidem, p. 167-180.

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composition des listes sur lesquelles ils sont choisis, soit en faisant varier le nombre des voix nécessaires à la condamnation. Pour éviter que ne se reproduisent les dysfonctionnements constatés pendant la période révolutionnaire, les rédacteurs du Code d’instruction criminelle avaient pris soin de réduire de manière draconienne le recrutement du jury. À des conditions d’âge (30 ans accomplis) 17, ils avaient associé des critères de distinction sociale 18. La fonction de juré devait désormais être réservée aux personnes « offrant la plus grande garantie par leurs fonctions, leur état, leurs lumières et leur fortune 19 », c’est-à-dire aux membres des collèges électoraux, aux 300 plus imposés des départements, à certains fonctionnaires, aux diplômés des facultés et aux membres des professions libérales 20. La loi électorale du 5 février 1817 avait fixé le cens à 300 francs 21. Le préfet était chargé d’établir, tous les trois mois, une liste de 60 noms que le président de la cour d’assises réduisait à 36. Par la loi du 12 mai 1827, le soin de confectionner cette liste, qui devient annuelle, est confié au seul préfet. Les 36 jurés sont désormais tirés au sort, et non plus choisis, par le premier président de la cour, sur une liste de 300 noms. Les circulaires d’application de cette loi recommandent aux préfets de prendre des renseignements sur les personnes susceptibles de figurer sur les listes 22 et chargent les procureurs généraux et les juges de paix de les éclairer sur la capacité morale et la position sociale des citoyens qui peuvent être appelés à siéger au jury 23. Mais le plus grand bouleversement est introduit par le décret du 7 août 1848 qui signe la fin du jury censitaire. Ce décret, qui s’appuie sur le principe du suffrage universel, adopte le tableau électoral comme base de formation de la liste générale du jury. Mais, alors que le droit de vote est acquis à 21 ans, la condition d’âge minimum est maintenue à 30 ans 24. En outre, les serviteurs à gage, les personnes ne sachant lire et écrire en français, les condamnés à plus de six mois de prison en sont exclus 25. Les effets de cet élargissement sont contrebalancés par le renforcement du contrôle des citoyens susceptibles d’y figurer. L’établissement des listes est confié à des commissions cantonales plus à même de surveiller les populations que les préfets. Elles sont composées de conseillers municipaux et présidées par les conseillers généraux, assistés des juges de paix. 17. C. instr. crim., art. 381. 18. C. instr. crim., art. 382. 19. Projet de C. instr. crim., exposé des motifs par Faure, Conseil d’État, 29 novembre 1808, La Législation civile…, op. cit., t. 25, 1831, p. 580. 20. Les fameuses « capacités ». 21. Le cens sera abaissé à 200 francs par la loi électorale du 19 avril 1831. 22. Circulaire du 30 juin 1827. 23. Circulaire du 18 juillet 1827. 24. Schnapper B. « De l’origine sociale des jurés », Les Destinées du jury criminel, Hellemmes, 1990. p. 115-138. 25. Ibidem.

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LE CHÂTIMENT

Ce système, auquel il est reproché de faire une part trop belle aux élus et de favoriser le clientélisme, est une nouvelle fois modifié sous le Second Empire. La loi du 4 juin 1853 réduit les listes cantonales à un juré pour 600 habitants (au lieu de 200) et en confie l’établissement aux maires et aux juges de paix. L’opinion des conseillers bretons Quelles que soient les dispositions en vigueur, la distorsion entre l’appréciation des crimes par les jurés et les magistrats est constante. Les conseillers bretons ont tendance à attribuer à la mauvaise composition du jury le taux d’acquittement, trop élevé à leurs yeux, des infanticides. Pendant toute la période où l’établissement des listes du jury a été confié aux préfets, les magistrats ont porté le caractère insatisfaisant des décisions des jurés au compte de la négligence avec laquelle cette autorité rivale accomplit son choix. Pour les magistrats, le meilleur jury est celui qui renferme le plus grand nombre de propriétaires. En 1827, par exemple, Féval attribue la faiblesse de la répression dans le Morbihan au nombre insuffisant des seuls jurés fermes et éclairés que sont à ses yeux les propriétaires et les fonctionnaires publics : « Je n’ai pas cru devoir me dispenser de faire remarquer à M. le Préfet du Morbihan qu’il pouvait paraître étonnant que sur la liste de 60 citoyens sur laquelle j’avais opéré la réduction et le choix dont j’étais chargé par la loi, il ne se soit trouvé pour ainsi dire, aucun de ces fonctionnaires administratifs et de ces anciens propriétaires dont le caractère public ou la longue succession de leur supériorité sociale offrent le plus ordinairement aux accusés comme à la société, cette garantie de principes et de ferme et loyale volonté d’où résultent la sagacité et l’impartialité des décisions 26. »

Les magistrats se méfient à peu près tous de la présence parmi les jurés des médecins, qui n’abandonnent qu’avec regret leur clientèle, et des notaires, que des liens de parenté poussent à la solidarité avec les avocats. Or médecins et notaires paraissent souvent sur-représentés 27. Ainsi, en 1859, Baudouin déplore-t-il la composition du jury de la cour d’assises du Morbihan, qui ne compte pas moins de huit notaires : « Les relations étroites, familières, entre ces jurés et les deux ou trois avocats du barreau de Vannes qui tiennent à peu près seuls la plaidoirie au civil et au criminel, ont eu peut-être plus d’une fois quelque influence sur certaines décisions du jury ; et il a fallu, sur la fin de la session y pourvoir au moyen de nombreuses récusations qui ont assuré le sort de plusieurs affaires délicates 28. » 26. AN/BB/20/34, M, 2e trim. 1827, Féval, juin 1827. 27. Voir les articles de B. Schnapper et M.-R. Santucci dans Les Destinées du jury criminel, op. cit. 28. AN/BB/20/218/2, M, 3e trim. 1859, Baudouin, 26 septembre 1859.

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Le Beschu de Champsavin est également hostile aux médecins et aux notaires, qu’il juge trop versés dans la philanthropie : « Les jurés à proscrire sont : les avocats, avoués, médecins, notaires, universitaires et tous autres érudits qui sont imbus de certains principes de philanthropie, notamment sur la peine de mort, la monomanie. Ils sont redoutables dans le jury, non pas seulement par leur vote, mais surtout par leurs discours et par l’influence qu’ils exercent sur les jurés d’un esprit faible ; ils sont toujours désireux d’étaler leurs systèmes dans la chambre du conseil. […] C’est, ajoute-t-il même, une édition nouvelle et augmentée de la défense 29. »

Au lendemain de la révolution de 1848, le jury s’ouvre à des catégories sociales nouvelles. En Bretagne, c’est surtout la question de la participation des paysans aux jurys qui paraît focaliser l’attention des magistrats. Leur avis sur cette question varie évidemment en fonction de leur sensibilité politique. Le parti des conservateurs se divise en deux camps : celui qui voit dans la paysannerie traditionnelle le dernier rempart contre les utopies et celui qui, la considérant avec mépris, ne la trouve pas digne de participer à l’administration de la justice. Respectueux des hiérarchies sociales, déférents à l’égard de la magistrature, les paysans représentent pour certains magistrats une sentinelle de l’ordre moral. Les esprits libéraux acceptent sans arrière-pensée les paysans qui, à leurs yeux, ne sont dépourvus ni d’intelligence, ni de fermeté. Bernhard, ancien professeur de collège, trouve même dans leur participation au jury des vertus pédagogiques : « Pour un paysan, c’est un honneur d’être appelé au jury ; il en est fier et il sent toute l’importance de son vote dans un jugement. Les affaires criminelles inspirent d’ailleurs des réflexions salutaires, on en fait des sujets d’instruction pour ses enfants et après avoir jugé les autres on doit s’efforcer de devenir soi-même meilleur 30. » Hüe, de même, ne voit que des avantages à l’élargissement du jury à la classe paysanne, considérée comme gardienne de la tradition : « Dans les départements composant la Province de Bretagne et formant aujourd’hui la circonscription du ressort de la cour impériale de Rennes, les circonstances […] sont, plus que partout ailleurs peut-être, restées favorables à ce que les populations rurales conservent la pureté de leurs mœurs, la simplicité de leurs habitudes, la rectitude de leur bon sens naturel, et soient préservées de l’invasion des utopies et des innovations subversives. Cela est vrai surtout pour les départements des Côtes-du-Nord, du Finistère et du Morbihan où la langue bretonne a continué d’être d’un usage habituel dans les campagnes, et où la fidélité aux principes religieux n’a encore pu être ébranlée. Sans doute, la culture des intelligences y laisse beaucoup à désirer : mais il faut cependant reconnaître que la diffusion de l’instruction primaire y a fait depuis trente ans des progrès sinon très rapides, au moins très notables, et que la génération actuelle des cultivateurs, soit propriétaires, soit fermiers, 29. AN/BB/20/210/1, C-N, 2e trim. 1858, Le Beschu de Champsavin, 11 mai 1858. 30. AN/BB/20/226/2, M, 2e trim. 1860, Bernhard, 26 juillet 1860.

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qui jouissent d’une certaine aisance, n’y est généralement dépourvue ni de lumières, ni de droiture de jugement, ni même d’une certaine sagacité 31. »

Parmi les conservateurs, au contraire, quelques-uns se montrent farouchement hostiles aux ruraux : « La loi nouvelle a singulièrement abaissé le niveau de l’intelligence du jury : pendant la première semaine, toutes les fois que l’accusé niait, et que son défenseur combattait l’accusation avec quelque chaleur, il y avait acquittement, quelle que fût l’évidence. C’était un devoir rigoureux de faire des observations sur le personnel du jury : on a facilement reconnu qu’il se composait de quelques hommes très distingués par leurs lumières et par leur caractère, mais, en plus grand nombre, de cultivateurs, gens fort honnêtes, mais d’une insuffisance complète et qui disaient les premiers qu’on avait grand tort de les appeler à une fonction dont ils se sentiraient incapables 32. »

L’évaluation des crimes par les jurés À ce débat politique, suscité par l’accession des classes populaires au jury, s’ajoute une fracture, d’ordre moral celle-ci, qui tient à la manière dont magistrats et jurés envisagent la gravité des crimes. Sans doute parce la politique suivie pour leur sélection a toujours visé à faire prévaloir la catégorie des propriétaires, les magistrats reconnaissent aux jurés une grande fermeté dans la répression des crimes contre les propriétés. Mais l’énergie qu’ils emploient à défendre les biens fait place, quand il s’agit de sanctionner les crimes contre les personnes, à une indulgence qu’ils ne peuvent accepter. Ils sont choqués de l’insouciance – voire de la tolérance – avec laquelle les jurés considèrent parfois les attentats aux mœurs. Rendant compte de l’acquittement en 1864 devant la cour d’assises du Finistère de deux hommes accusés, l’un d’attentat à la pudeur et le second de viol, Taslé, rapportait avec indignation les commentaires de certains jurés : « L’un des jurés de jugement de la première affaire, laboureur et maire de sa commune cependant, disait hautement après la séance : “Qui de nous n’en a pas fait autant ?” Un autre, riche propriétaire de Brest, se plaignait à l’un des substituts de M. le procureur impérial des poursuites que l’on exerçait sur les faits d’attentat à la pudeur commis dans les campagnes et lui disait : “Tant que l’on n’aura pas établi, dans chaque commune rurale, une maison de tolérance, le plus sage sera de fermer les yeux sur ces pécadilles-là 33.” »

L’idée que cette tolérance est une source de démoralisation des populations rurales est exprimée par plusieurs magistrats. Elle vient renforcer l’inquiétude des adversaires du décloisonnement des campagnes, pour qui, par 31. AN/BB/20/256/2, C-N, 1er trim. 1863, Hüe, 9 février 1863. 32. AN/BB/20/151/1, C-N, 2e trim. 1850, Le Beschu de Champsavin, 12 juin 1850. 33. AN/BB/20/268, F, 4e trim. 1864, Taslé, 9 novembre 1864.

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exemple, l’introduction du chemin de fer constitue un véritable danger, et qui se plaisent, au nom de la conservation de l’ordre établi, à idéaliser la pureté des mœurs rurales. L’accroissement des accusations d’infanticides est perçu comme une conséquence de la dégradation des mœurs : « Il est à remarquer que la progression toujours croissante du crime d’infanticide se trouve en rapport avec celle des attentats contre les mœurs » note, en 1859, le procureur impérial du Morbihan, inquiet du nombre des infanticides constatés dans le ressort de Vannes. « Ce sont là, ajoute-t-il, des faits procédant des mêmes causes, et leur multiplicité est un triste symptôme de démoralisation 34. » À la même époque sont découvertes dans la région de Saint-Malo des organisations criminelles mêlant prostitution et avortement, dont l’éclosion a sans doute été favorisée par l’importance du casernement militaire dans cette cité. L’enquête qui a abouti à la double accusation d’infanticide et d’avortement de Marie-Jeanne Menguy avait jeté une certaine lumière sur cette criminalité. Elle avait notamment permis de découvrir un réseau de prostitution de mineurs : « L’instruction de cette affaire […] a présenté sous un jour bien fâcheux l’état des mœurs dans les campagnes environnant Saint-Malo et permis de découvrir qu’outre la femme Martin [proxénèteavorteuse], deux autres femmes qui ont été poursuivies et jugées correctionnellement y excitaient et favorisaient la débauche des mineurs de l’un et l’autre sexe 35. » Les statistiques nationales confirment, il est vrai, la croissance parallèle de ces accusations. Anne-Marie Sohn a mis en évidence la montée, dans la décennie 1850, des inculpations d’attentats à la pudeur et particulièrement de ceux dont les enfants ont été victimes. Cette période se caractériserait même par une « explosion sans précédent » des attentats à la pudeur contre les petites filles. Il ne s’agit là, bien entendu, que des crimes signalés à la justice, ce qui laisse sans réponse la question de savoir si cette inflation tient à une « dénonciation nouvelle de pratiques longtemps tolérées ou [à] l’affaiblissement des interdits sociaux qui permettrait le passage à l’acte 36 ». S’agissant de la gravité des crimes, le seul point sur lequel les jurés s’accordent avec les magistrats concerne les vols de peu d’importance qui, selon eux, ne devraient pas relever de la cour d’assises. C’est pourquoi ils s’attachent parfois, en signe de protestation, à rendre systématiquement des verdicts de non-culpabilité. En 1838, les jurés des Côtes-du-Nord vont jusqu’à publier une lettre de protestation contre le jugement en cour d’assises de petits larcins, dont ils estiment que leurs auteurs ont déjà purgé la peine en détention préventive : 34. AN/BB/20/218/2, M, 3e trim. 1859, le procureur de Vannes au garde des sceaux, 16 septembre 1859. 35. AN/BB/20/226/2, I-V, 3e trim. 1860, Dupuy, 29 août 1860. 36. Sohn A.-M., « Les attentats à la pudeur sur les fillettes et la sexualité quotidienne en France (18701939) », Mentalités, 3, 1989, p. 71-72.

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« Les jurés appelés à composer la session extraordinaire pour le second trimestre de l’année 1838, […] n’ont pu voir sans étonnement et sans regret, au banc des accusés, des malheureux susceptibles, pour les trois quarts, de figurer à la police correctionnelle. Là, une peine légère peut-être, mais proportionnée au délit, eût fait peser sur eux une tache et par conséquent un avertissement pour l’avenir. Des vols d’une serpillière, estimée 20 à 30 centimes, de quelques livres de chanvre, d’un sac de pommes-de-terre, d’un ciseau à froid, avec quelques pommes de garde, étaient-ils donc de nature à paraître à une cour d’assises, quoique accompagnés de circonstances plus ou moins aggravantes ? Ces prétendus crimes sont-ils donc autre chose que de simples délits ? […] Le Trésor fait de grands frais pour de pareilles misères. On détourne de leurs travaux et de leurs occupations des citoyens qui comprennent sans doute le beau mandat qu’ils ont à remplir, mais qui seraient appelés moins souvent, si la législation actuelle était refondue et modifiée, en écartant des assises une foule d’affaires aussi minimes et peu en harmonie avec sa dignité 37. »

Les magistrats ont souvent l’impression que le jury est animé d’un parti pris favorable aux accusées d’infanticide. C’est à cette indulgence systématique que Le Gall de Kerlinou croit pouvoir attribuer en 1847, l’acquittement de Jeanne Barry, une domestique de Saint-Malon. Les médecins avaient découvert sur le corps de son enfant une plaie au cou et un épanchement de sang au cerveau. La mère expliquait ces blessures par une chute qu’elle aurait faite en essayant de transporter son nouveau-né. Contre toute attente, ses explications furent acceptées par le jury. « Malheureusement », déplorait Le Gall de Kerlinou, « les jurés, en matière d’infanticide, sont très disposés à faire accueil aux moyens de défense qui ne sont pas tout à fait absurdes ; ils semblent ne demander qu’un prétexte pour déclarer la nonculpabilité. La version faite dans cette cause a été acceptée malgré son invraisemblance : Jeanne Barry a été acquittée 38 ». Marguerite Guyot, journalière à La Trinité-sur-Mer, rencontre la même indulgence. Bien qu’elle ait reconnu avoir tué son enfant en lui serrant la gorge pendant un quart d’heure, le jury prononce un verdict de non-culpabilité après qu’elle ait, à l’audience, rétracté ses aveux : « Ces nouvelles explications parfaitement démenties par tous les faits appris ont servi de base à un système de défense qui, si invraisemblable qu’il fût, n’en a pas moins été favorablement accueilli par quelques jurés. D’après ce système appuyé d’une discussion de médecine légale qui ne pouvait être prise au sérieux, l’enfant mis au monde par l’accusée avait été étouffé en sortant du sein de sa mère. C’est sur un semblable système que paraît avoir été basé le verdict d’acquittement. À moins d’expliquer ce verdict, – ce qui serait peut-être plus conforme à la vérité – en admettant un parti pris chez un assez grand nombre de jurés, dans ce département où cependant les crimes d’infanticide se multiplient dans une proportion effrayante, d’in37. Le Publicateur, 2 juin 1838. 38. AN/BB/20/141, I-V, 3e trim. 1847, Le Gall de Kerlinou, 20 novembre 1847.

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nocenter un tel crime, parce que, à leurs yeux, il prend sa source dans la crainte du déshonneur 39. »

La « fausse philanthropie » du jury En théorie, le jury est supposé se prononcer sur la culpabilité et non sur la pénalité. Mais la loi du 25 juin 1824 qui introduisait la possibilité de déclarer des circonstances atténuantes reconnaissait implicitement l’impossible séparation entre le fait et le droit voulue par le Code d’instruction criminelle. Les peines attachées aux crimes sont bien la première préoccupation des jurés qui considèrent que la loi est trop sévère. La peine de mort est porteuse d’effroi et les travaux forcés à perpétuité sont également jugés excessifs. Très souvent, quand ils ne sont pas certains que la peine sera réduite aux travaux forcés à temps, les jurés préfèrent provoquer des acquittements. Ceux qui absolvent Joséphine Rousseau, servante de ferme à SaintMichel, affirment clairement leur intention : « Malgré les charges accablantes qui existaient contre elle, le jury a déclaré Joséphine Rousseau non coupable. Cette regrettable décision a été sciemment rendue par le jury. L’un des jurés, M. Jamont, négociant à Nantes, a dit à l’un de mes collègues, que le jury était unanimement convaincu de la culpabilité de l’accusée et l’aurait déclaré, s’il avait été certain que la cour n’eut prononcé contre elle que quinze ans de travaux forcés ; mais que craignant une condamnation plus sévère, il avait pris le parti de l’acquitter 40. »

Ce sont ces cas où les jurés rendent, parfois en dépit des aveux des accusées, des verdicts de non-culpabilité qui font déplorer aux magistrats « l’omnipotence » du jury. Dans leur esprit, « omnipotence » signifie transgression des principes de l’équité du châtiment et « usurpation » du droit de grâce 41. Elle est attribuée tantôt au caractère partisan des jurés, jugés trop imprégnés de philanthropie, et tantôt à leur manque de fermeté, ce qui est pour le moins paradoxal. De nombreux magistrats se montrent hostiles au courant philanthropique. De Kerautem, par exemple, déplorait son influence sur les décisions rendues en 1826 par la cour d’assises du Finistère : « Je croyais être parvenu à former un bon jury. L’expérience a démontré que je m’étais trompé à cet égard, et plusieurs de ses décisions m’ont semblé porter le caractère d’une indulgence systématique. Il existe, en effet, des hommes imbus d’idées que l’on peut appeler philantro-libérales [philanthropo-libérales] et qui ont en horreur les peines afflictives et infamantes. Selon eux, condamner un jeune homme aux travaux forcés ou à la réclusion, c’est l’envoyer perfectionner son éducation à l’école du crime. Il s’est 39. AN/BB/20/190/2, M, 4e trim. 1856, le procureur de Vannes au procureur général, 19 décembre 1856. 40. AN/BB/20/168/2, L-I, 4e trim. 1854, Taslé, s. d. 41. L’expression est de Le Beschu de Champsavin, AN/BB/182/1, L-I, 1er trim. 1855.

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trouvé malheureusement dans les trente-six jurés, quelques hommes professant ces principes et dont l’influence a entraîné plusieurs acquittements. Vainement leur ai-je rappelé avec force et leurs devoirs et surtout la défense expresse que la loi leur fait de s’occuper de la peine, je me suis convaincu que des idées fausses ne s’extirpent pas facilement 42. »

C’est donc à cette « fausse philanthropie 43 » que les magistrats, qui ont souvent l’impression que les jurés sont venus siéger avec la résolution d’absoudre les coupables, attribuent une partie des acquittements. Sébire de Bellenoë croit détecter cette volonté en 1839 chez les jurés de la cour d’assises de la Loire-Inférieure, lors du jugement de Julienne Mercier, une domestique de La Rouxière qui a jeté son enfant vivant dans une fosse d’aisance : « Ce crime atroce a néanmoins trouvé grâce devant les jurés, et l’accusée a été acquittée. Toutefois il m’a été dit qu’il y avait cinq voix pour la culpabilité. Mais les rapports de mes prédécesseurs nous auront appris que les jurés de ce département ne condamnent jamais les infanticides. Cela semble un parti pris 44. » Delabigne-Villeneuve, faisait déjà la même observation en 1828 : « Il est, et surtout à Nantes, des jurés qui viennent avec la résolution de ne jamais rendre de déclaration de culpabilité dans les accusations d’infanticide 45. » La réputation d’indulgence des jurés à l’égard de l’infanticide est la même dans les autres départements. Le jury, juge « d’impression » L’indulgence des jurés tient à la difficulté d’établir la culpabilité quand les cadavres ne portent pas de traces de violence, mais également à ce que le jury se montre, selon l’expression de Lambert, « un peu trop juge d’impression 46 ». Il se laisse en effet facilement émouvoir par la personnalité ou par le malheur des accusées. Il peut même se montrer sentimental : les jurés d’Ille-et-Vilaine organisent ainsi, en 1846, au lendemain de son acquittement, une collecte à l’intention de Françoise Morvan, âgée de 17 ans, fileuse à Saint-Aubin-d’Aubigné, séduite par un meunier qui lui avait promis le mariage 47. Il rend ses décisions en fonction de considérations qui sont parfois sans lien direct avec les faits jugés et peuvent même paraître étrangères à la loi. La sauvegarde de l’honneur peut ainsi apparaître comme un critère d’excusabilité du crime d’infanticide 48. 42. AN/BB/20/29, F, 3e trim. 1826, De Kerautem, 23 juillet 1826. 43. Expression employée par Le Minihy dans l’affaire Jourdren, F, 1er trim. 1838, AN/BB/20/98. 44. AN/BB/20/103, L-I, 3e trim. 1839, Sébire de Bellenoë, 30 septembre 1839. 45. AN/BB/20/41, L-I, 3e trim. 1828, Delabigne-Villeneuve, 18 septembre 1828. 46. Expression employée dans l’affaire Piriot et Cahélo, AN/BB/20/168/2, I-V, 3e trim. 1853 par Lambert. 47. AN/BB/20/137, I-V, 3e trim. 1846, Robinot Saint-Cyr, 5 septembre 1846. 48. Le Code pénal ne reconnaît d’excusabilité que pour un crime : celui du mari qui surprend sa femme en flagrant délit d’adultère.

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Mais l’appréciation des crimes par les jurés ne repose pas seulement sur des « impressions ». Elle se fonde également sur l’évaluation de problèmes sociaux auxquels ils paraissent plus sensibles que les magistrats. Ils hésitent à envoyer en prison des femmes qui élèvent de jeunes enfants, privant ceuxci de leur seul soutien. Ils refusent de condamner les journalières et domestiques dont la grossesse paraît résulter d’un abus de pouvoir parce que la loi qui, en interdisant la recherche de la paternité, livre les seules femmes aux tribunaux, leur paraît injuste. Parce que, dit-il, il a souvent entendu le même discours, Poulizac n’est guère surpris du motif que lui donnent, en 1836, les jurés de la LoireInférieure pour justifier l’acquittement de Jeanne-Marie Le Roux, domestique à La Chapelle-Launay : « Tout en pressentant le motif qui avait dirigé les jurés, j’ai voulu m’en assurer et plusieurs m’ont dit que croyant le maître de cette fille le père de l’enfant et [l’estimant] plus coupable qu’elle puisqu’il l’avait trouvée dans son écurie, en travail d’accouchement, ils n’ont pas voulu la condamner, pendant que lui était témoin et libre ; j’avais pressenti ce motif parce qu’il m’a été présenté souvent par des jurés ; aussi, dans mon résumé, je les avais prémunis contre ce motif qui ne doit jamais tourner au bénéfice d’une accusée qui, au surplus, présente toujours sans preuve ce moyen banal d’excuse qui n’en est pas une ; ma voix à mon grand regret n’a pas été écoutée 49. »

Les jurés se montrent hostiles à la suppression des « tours d’exposition », établis dans les hospices en application du décret du 19 janvier 1811 relatif aux enfants trouvés ou abandonnés et aux orphelins, qui permettaient aux mères illégitimes d’abandonner anonymement leurs enfants 50. Le mouvement de suppression des tours est entamé dans les années 1830 et s’achève vers 1865. Les magistrats ne cessent de faire état des multiples réclamations des jurés contre cette suppression et contre l’absence de « salles de gésine » : « Quelques jurés, notait Le Gall de Kerlinou en 1834, ont semblé s’excuser de leur trop grande indulgence en matière d’infanticide en disant que l’administration civile négligeait depuis longtemps un moyen simple de sauver la vie à beaucoup d’enfants naturels. Ce moyen serait l’établissement, dans quelques hôpitaux, d’un tour pour recevoir ces enfants 51. » Le Meur trouve l’écho de cette protestation aussi bien à Rennes qu’à Nantes : « le peu d’expérience que j’ai acquis pendant dix ans comme avocat à la cour royale de Rennes, pendant neuf autres années comme membre du parquet de la cour, m’a prouvé qu’à moins de circonstances atroces, ou au moins de violences extérieures bien caractérisées, les jurés du ressort acquittaient presque toujours en matière d’infanticide. Le motif que je leur ai entendu donner presque constamment est l’absence dans chaque chef-lieu 49. AN/BB/20/88, L-I, 1er trim. 1836, Poulizac, s. d. 50. Voir le chapitre IX. 51. AN/BB/20/76, I-V, 2e trim. 1834, Le Gall de Kerlinou, 12 juin 1834.

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d’arrondissement soit d’un tour, soit d’une salle de gésine où les filles mères pourraient aller faire soit le dépôt de leurs enfants, soit leurs couches avec la certitude du secret 52. »

Certains jurés estiment que non seulement l’État n’assume pas son rôle dans la protection des enfants naturels, mais encore que la fermeture des tours, ou leur absence, produit des effets pervers sur la multiplication des infanticides. Cette opinion est partagée par le procureur général de Rennes qui, déplorant en 1860 l’accroissement important des accusations d’infanticides dans le Morbihan, en attribue l’origine, plus qu’à la « démoralisation des populations », à la fermeture du dernier tour subsistant dans le département 53.

Les magistrats face à la montée des crimes Les magistrats s’inquiètent de la montée des infanticides. Bien qu’il soit impossible de savoir si cette croissance tient à une augmentation de la criminalité ou à une plus grande efficacité de la répression, les statistiques démontrent qu’elle n’est pas une simple vue de l’esprit. Pour endiguer le flot des infanticides, ils comptent avant tout sur l’exemplarité de la peine. Mais ils se préoccupent aussi des moyens de prévenir les crimes. L’exemplarité des peines Les conseillers de la cour de Rennes ne sont pas de farouches partisans de la peine capitale. Du moins s’opposent-ils rarement aux demandes de commutation formulées par les accusées ou par les jurés. Plus qu’à l’exécution de la sanction, c’est à son exemplarité et à l’effet moral qu’elle peut produire sur les populations qu’ils sont attachés. Couëtoux écrit ainsi, au sujet de la condamnation à mort de Marie-Rose Lehoux, domestique à Caulnes, âgée de 22 ans, accusée d’avoir enterré son enfant vivant : « Cette condamnation à mort a causé une impression profonde, et je m’imagine qu’elle a été telle qu’elle doit avoir pour résultat de diminuer le nombre des infanticides 54. » Mais il ne refuse pas pour autant de s’associer au recours en grâce déposé par le jury. Le procureur impérial semble lui aussi considérer que la peine infligée à Marie-Rose Lehoux est trop sévère : « Ce crime, accompagné de circonstances exceptionnelles, devait évidemment être réprimé avec la plus grande sévérité mais le verdict intervenu est allé au-delà, soit que les jurés n’en aient pas bien compris la conséquence, soit qu’ils aient été sous l’empire des détails odieux de cet attentat. Aussitôt après le prononcé de l’arrêt, un recours en grâce a été signé par 52. AN/BB/20/108, L-I, 2e trim. 1840, Le Meur, 28 juillet 1840. 53. AN/BB/20/226/2, M, 2e trim. 1860, le procureur général au garde des sceaux, 3 juillet 1860. 54. AN/BB/20/268, C-N, 3e trim. 1864, Couëtoux, 23 juillet 1864.

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tous les jurés de l’affaire, et le président des assises a promis de l’appuyer de toute son autorité. »

Mais cette condamnation lui paraît pouvoir exercer un effet bénéfique sur les habitants de l’arrondissement : « L’effet moral produit par cette condamnation a été excellent, et il est appelé à exercer une influence très heureuse dans l’arrondissement de Saint-Brieuc où le crime d’infanticide se multiplie d’une manière déplorable 55. » Les magistrats ont le sentiment que, de même qu’on ne doit, pour conserver à la justice criminelle toute sa solennité, user qu’avec mesure de la cour d’assises, il convient de ne prononcer qu’exceptionnellement la peine de mort. Un excès de sévérité pourrait indisposer les populations. C’est cette considération qui paraît avoir guidé Hüe, en 1854, pour se prononcer en faveur de la commutation de la peine prononcée à l’encontre de Gilette Cadro : « Cette condamnation a produit sur l’accusée une impression extraordinaire : elle s’attendait à la peine des travaux forcés et l’eût acceptée avec calme ; mais la peine de mort l’a frappée de terreur : elle a poussé des cris et s’est tordue dans des mouvements convulsifs. Nouvel exemple, s’il en était besoin, de la nécessité de maintenir cette peine comme le seul frein pour les natures endurcies ! Cet arrêt, quelque sévère qu’il soit, est juste et a été accueilli avec respect et approbation. Il importait beaucoup de maintenir le principe, et de rappeler aux populations que la peine de mort n’est pas plus abolie en fait qu’elle ne l’est en droit pour le crime d’infanticide. L’exécution de cet arrêt produirait peut être sous ce rapport un résultat salutaire. »

Mais les jurés s’émeuvent du sort de la condamnée et déposent un recours en grâce. Hüe s’y associe parce qu’il craint que la multiplication des condamnations à mort soit mal perçue par l’opinion publique : « Je n’hésiterais pas, Monsieur le Garde des Sceaux, à vous proposer de laisser à la Justice son libre cours, si je ne prévoyais que dans une grave affaire d’assassinat actuellement soumise au jury, la cour d’assises de cette session aura probablement à prononcer une ou deux condamnations capitales dont j’aurai à vous demander la rigoureuse exécution. Or il importe que les exécutions capitales ne se suivent pas à des intervalles trop rapprochés 56. » Les magistrats sont également très attachés à l’exposition publique, peine accessoire des condamnations aux travaux forcés ou à la réclusion. Cette peine infamante, portée à l’article 22 du Code pénal, prévoyait d’exposer les condamnés au « regard du peuple » pendant une heure, sur une place publique, avec un écriteau portant leur identité et la nature de leur crime 57. 55. AN/BB/20/268, C-N, 3e trim. 1864, le procureur de Saint-Brieuc au garde des sceaux, 10 août 1864. 56. AN/BB/20/174/2, C-N, 4e trim. 1854, Hüe, s. d. 57. En 1832, la flétrissure, marque infamante apposée au fer rouge sur l’épaule des condamnés aux travaux forcés et le carcan, qui consistait à attacher le condamné aux travaux forcés au pilori sur une place publique ont été supprimés. L’exposition publique a remplacé la peine du carcan.

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À partir de 1832, les cours ont eu la possibilité d’en dispenser les condamnés, s’ils n’étaient pas en état de récidive. Entre 1833 et 1848, – date de sa suppression 58 – son infliction dépend de la manière dont les magistrats apprécient la gravité des crimes et de la publicité qu’ils souhaitent donner aux condamnations. Les expositions publiques se déroulent en effet soit aux chefs-lieux des départements, soit dans les villes où résident les accusés. Les magistrats considèrent que l’exposition publique, au même titre que la peine de mort, peut contribuer à mettre un frein à cette sorte de criminalité. Mais la publicité ainsi donnée aux condamnations n’atteint pas toujours l’objectif recherché. Au lieu d’exciter l’indignation du public envers les condamnés, elles le poussent parfois à la commisération, surtout quand les crimes qui ont motivé ces peines sont de peu d’importance. Il revient donc au magistrat de mesurer les effets prévisibles de l’exposition publique sur l’opinion et d’en faire bon usage : « Puisque l’exposition est au nombre de nos peines, écrivait Le Beschu de Champsavin en 1841, il faut qu’elle produise quelque effet : or, je suis convaincu qu’elle n’en produit aucun lorsqu’elle est subie au chef-lieu de la cour d’assises : 1° quant au condamné, il sait que personne ne le connaît et que son village ignorera la flétrissure qu’on lui imprime ; il est donc fort indifférent à cet acte de sévérité, peut-être y voit-il une occasion d’arracher quelqu’aumône à la charité publique… 2° les habitants des chefslieux éprouvent une impression inverse de celle que le législateur a voulu produire. […]. On a vu le poteau trop souvent, tout le monde en détourne les yeux ; si cependant quelque passant vient à lire l’écriteau, il émet presque toujours des réflexions railleuses et souvent inconvenantes telles que celle-ci : “En voici un qui est là pour avoir volé un boisseau de grain !… s’il avait volé un million il se promènerait en voiture et personne ne lui dirait rien !”… puis, ce passant va jeter dans le chapeau qui est aux pieds du condamné une pièce de monnaie qu’il vient souvent de refuser à un vieillard infirme. »

Selon lui, l’exposition publique n’atteint son but qu’auprès des populations rurales, où elle conserve une dimension pédagogique. Encore fautil que le condamné soit déjà frappé de la réprobation publique et qu’il ait commis un crime dont la gravité ait marqué les esprits : « Au contraire, l’exposition dans le pays du condamné est vraiment efficace […]. Cet exemple est très rare dans chaque localité et y laisse par conséquent de longs souvenirs. Nos cultivateurs apprennent ainsi par leurs yeux et non plus seulement par leurs oreilles que le crime est atteint ; et le père qui réprimande son fils peut lui répéter : “Si tu ne te corriges pas, tu finiras comme N… ! Te souviens-tu de l’avoir vu aux mains du bourreau ?” Je n’imagine pas d’exhortation plus puissante que celle-là 59. » 58. Décret du 12 avril 1848. 59. AN/BB/20/114/5, C-N, 3e trim. 1841, Le Beschu de Champsavin, 16 septembre 1841.

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En 1837, il soulignait déjà l’utilité de cette mesure pour l’édification des paysans : « Cette mesure entraîne des frais, et expose peut-être à des évasions, mais il faut prendre en considération la surface de ce département et les habitudes des paysans Bas-Bretons. Ils sont essentiellement sédentaires et ont fort peu de communications avec leurs voisins ; pour eux, le monde est circonscrit dans quelques lieues carrées. Quand un crime a été commis et que l’auteur en est désigné, on sait bien que la gendarmerie est venue l’arrêter, mais une fois qu’il est éloigné, on n’en entend plus parler ; plus tard, des bruits d’absolution ou de condamnation sont répandus suivant les affections ou les intérêts des familles ; enfin, la répression ne pouvait être efficace pour rassurer les bons et effrayer les méchants qu’en faisant exposer un jour de marché les malfaiteurs dans les cantons où ils avaient commis leurs crimes. J’ai pu me convaincre encore que cette mesure produisait beaucoup d’effet sur l’âme des coupables, car toutes les fois que je demandais aux accusés quelles observations ils avaient à présenter sur l’application de la peine, ils se bornaient à supplier qu’on n’ordonnât pas qu’ils fussent exposés dans leur pays 60. »

Les mesures préventives Les magistrats envisagent aussi un autre moyen de réfréner l’infanticide : le retour à l’obligation des déclarations de grossesse qui avaient été prescrites en 1556 par Henri II dans un édit daté portant que : « Toute femme qui se trouvera convaincue d’avoir celé, couvert et occulté, tant sa grossesse que son enfantement, sans avoir déclaré l’un ou l’autre, et pris de l’une ou de l’autre témoignage suffisant, même de la vie ou mort de son enfant, lors de l’issue de son ventre, et qu’après, l’enfant se trouve avoir été privé du baptême et de sépulture, telle femme sera réputée avoir homicidé son enfant ; et pour réparation punie de mort, et de telle rigueur que la qualité particulière du cas méritera 61. »

Cet édit, remis en vigueur en 1585 par Henri III, qui ordonnait sa publication par les curés au prône des messes paroissiales, et par la déclaration royale du 26 février 1708, était tombé en désuétude au lendemain de la Révolution. Cependant, lors de la consultation des conseils généraux organisée par le gouvernement en 1824 à l’occasion des projets de révision du Code pénal, vingt-cinq départements se prononcent pour le rétablissement des déclarations de grossesse 62. Plusieurs conseillers bretons préconisent également ce rétablissement, bien que son usage en Bretagne n’ait pas totalement disparu. Le Sire voit dans leur rétablissement un moyen de lutter 60. AN/BB/20/93, F, 2e trim. 1837, Le Beschu de Champsavin, 12 juin 1837. 61. D’après : Merlin, Répertoire universel, pratique et raisonné de jurisprudence, 3e éd., Paris, 1808, vol. 5, V° Grossesse. 62. D’après Séguret, député de l’Aveyron, intervention à la chambre des députés, 14 juin 1824, in : Archives parlementaires…, op. cit., t. 41, 1878, p. 415.

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contre la multiplication des crimes et recommande même l’instauration de peines correctionnelles afin de dissuader les filles et les veuves enceintes de se dérober à cette obligation : « Les infanticides se multiplient d’une manière effrayante dans ce département. Un des moyens les plus propres pour les prévenir, serait d’assujettir les filles [et les] veuves à faire la déclaration de leur grossesse dans le septième mois, et à défaut elles encourraient une peine correctionnelle qui pourrait être élevée à cinq ans 63. » Considérant la prévention des crimes d’un autre point de vue, celui du statut social misérable de nombre des accusées d’infanticide, certains comme Cavan ou Le Meur, qui multiplient les remarques sur ce sujet au garde des sceaux, s’associent pleinement aux réclamations des jurés pour la réouverture des tours d’exposition. Le Meur milite même pour l’établissement de salles de gésine et pour l’attribution de secours aux filles-mères : « Je pense, Monsieur le ministre, que l’établissement de salles de gésine serait un moyen efficace pour diminuer les crimes d’infanticide qui se reproduisent chaque jour. Beaucoup de filles-mères s’y rendraient pour faire leurs couches et l’on pourrait facilement en moralisant ces femmes, et à l’aide de légers secours, les déterminer à conserver leurs enfants et à les élever ellesmêmes. Alors plus d’infanticides à craindre, car l’expérience prouve que c’est toujours immédiatement après l’accouchement que ce crime se commet. »

Et, confiant dans la nature humaine, il ajoute : « Dès qu’une femme a donné ses soins à son enfant, ne fût-ce que quelques jours, ce sentiment d’amour maternel, inné même dans le cœur des plus perverties, se développe chez elle, elle s’attache à son enfant et ne veut plus s’en séparer 64. »

Les mères criminelles face à la sanction Rares sont les éléments qui permettent de cerner la manière dont les mères meurtrières appréhendent l’acte qu’elles ont commis. Il n’est pas interdit de se demander parfois si elles sont bien convaincues d’avoir attenté à la vie d’un petit être. Mais nombreuses aussi sont celles qui manifestent une certaine terreur devant le châtiment que leur réserve la justice des hommes, quand elles n’éprouvent pas des remords d’avoir commis un crime aussi grave. Les réactions des accusées au moment du prononcé du verdict sont totalement imprévisibles. Leur sentiment de culpabilité est parfois tel qu’elles paraissent considérer que la sanction qui leur a été infligée est trop légère. À la variété des réactions des condamnées s’ajoutent parfois en écho celles du public qui tient à exprimer son opinion sur la sanction.

63. AN/BB/20/29, I-V, 1er trim. 1826, Le Sire, 1er mars 1826. 64. AN/BB/20/108, L-I, 2e trim. 1840, Le Meur, 28 juillet 1840.

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Les accusées ont-elles conscience d’avoir commis un crime ? Toutes les accusées avaient-elles vraiment conscience d’avoir commis un crime en tuant leur nouveau-né? On peut parfois en douter. Si quelquesunes paraissent éprouver du regret ou de la compassion à son égard, le langage employé par d’autres – à moins qu’il ne soit qu’une manière de dénier les faits – laisse une grande incertitude sur la manière dont elles ont appréhendé leur enfant. Le nouveau-né est-il une personne ? Les psychiatres contemporains notent, chez les femmes qui comparaissent de nos jours en cour d’assises pour infanticide, que dans l’imaginaire de ces accusées, l’enfant n’a été investi à aucun moment de la grossesse d’une identité propre 65. Il n’est bien entendu pas facile d’imaginer quelles ont pu être les représentations mentales du fœtus, puis de l’enfant, chez les criminelles du XIXe siècle, d’autant que face à la justice leur intérêt était de démontrer que ce qu’elles avaient mis au monde n’était pas un enfant, mais tout juste une masse informe de chair, une boule de sang, un être inachevé 66. De nombreuses accusées paraissent manifester une réelle indifférence envers leur nouveau-né. Ainsi, la Vve Bouillaux emploie-t-elle, pour parler de son enfant, des termes qui évoquent plus un objet qu’un être humain : « Quand ces douleurs commencèrent, interroge le juge, vous ne vous

fîtes sans doute pas d’illusion sur leur cause ? – Je savais bien ce que c’était, et ça vînt tout de suite. – Qu’est-ce qui vînt ainsi, tout de suite ? – La garçaille. – Dans quelle position étiez-vous au moment de votre accouchement ? – J’étais debout, tournée et appuyée vers mon lit dans lequel se trouvaient mon fils et ma fille ; j’étais à les couvrir de la couverture quand cela tomba. – Aviez-vous mis quelque chose au-dessous de vous pour recevoir l’enfant ? – Nenni, Dame ! – […] Que fîtes-vous immédiatement après l’accouchement ? – Je fourrai cela dans un vieux cotillon, sous mon lit. – Vous étiez-vous assurée auparavant si votre enfant vivait? – Je n’y regardai point. »

Et lorsque le juge lui demande si ses enfants n’ont pas entendu crier le nouveau-né, elle répond en des termes qui pourraient donner à penser qu’elle parle d’un animal : « Il ne braissait 67 point et je ne huis point grouler 68. » 65. Voir notamment Cherki-Nicklès, C. et Dubec M., Crimes et sentiments, Paris, 1992. 66. Voir le chapitre VIII. 67. Au XIXe siècle, selon le Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle de F. Godefroy, Paris, 1881-1992, « braire », qui en ancien français signifie crier, n’est déjà plus utilisé que pour parler du cri de l’âne. 68. Bouger. « Grouller », selon le même dictionnaire, signifie « greuler », trembler de froid. AD I-V 42U/715, 4 novembre 1839.

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Cette femme avait la réputation d’être une excellente mère pour les deux enfants nés de son mariage, si bien que divers notables et habitants de sa commune s’étaient empressés, au lendemain de son inculpation, de lui décerner un certificat de moralité. L’usage du verbe « braire », hérité du vieux français, paraît assez courant. Plusieurs accusées l’emploient pour évoquer les cris de leur nouveau-né. Le terme de « garçaille » est également utilisé en 1828, par un témoin entendu dans l’affaire de la Vve Lépinay. Selon Adolphe Orain, « braire » (pleurer) et « garçaille » (petit enfant de l’un ou l’autre sexe) appartiennent au patois d’Ille-et-Vilaine 69. En revanche, les expressions « ça » ou « cela », employées par la Vve Bouillaux pour désigner son enfant, semblent trahir la plus grande insensibilité. Les notations quelque peu dépréciatives à l’égard de la personne du nouveau-né ne sont pas non plus exceptionnelles dans la bouche des témoins. Jean-Marie Jourden, un agriculteur aisé d’un village du Conquet, emploie une expression tout aussi dénuée d’humanité : « Voici donc l’affaire ! » se serait-il exclamé en découvrant l’enfant de sa domestique 70. Mais cet enfant n’était pas le bienvenu et son fils, qui en est le père, est soupçonné du crime. Remords et crainte du châtiment En revanche, on relève chez plusieurs accusées, au moment même où l’acte se commet, une claire conscience de son caractère criminel. Après avoir étranglé son enfant à l’aide du cordon ombilical, Marie-Jeanne Masset, domestique à Plédéliac, s’inquiète de son propre sort. Elle dit à son maître, Laurent Cochin, père du nouveau-né, qui a assisté au crime « Quel triste coup nous faisons ! Malheureuse que je suis ! Ce sera la cause de ma mort ! – Oh ! Non !, lui répond Cochin, Personne ne nous a vus et n’a eu connaissance de rien. » Mais cet homme brutal, qui a essayé par tous les moyens de provoquer l’avortement de Marie-Jeanne Masset et a déjà été condamné à trois mois de prison pour coups volontaires, partage la même inquiétude : « À dix heures du matin, Cochin ordonna à sa servante de se lever et, comme elle hésitait à le faire à cause de sa faiblesse, il lui dit : “Malheureuse ! lève-toi : tu veux donc me faire couper le cou 71 ?” » D’autres accusées ne paraissent prendre conscience d’avoir commis un crime que tardivement, lors de la découverte du cadavre ou lorsque les gendarmes viennent les arrêter. En 1851, au moment de l’arrestation de Rose Delugeard, journalière à Mauron, sa voisine l’entend murmurer : « Je suis bien coupable, aussi le ciel a permis que je sois punie ; si j’avais quelques années de prison, cela ne serait pas de trop 72. » Il est cependant permis de 69. Orain A., Glossaire patois d’Ille-et-Vilaine, Paris, 1886. 70. AD F 4U2/164, interrogatoire, 6 août 1855. 71. AN/BB/20/281/1, C-N, 4e trim. 1865, Grolleau-Villegueury, 30 octobre 1865. 72. AD M U 2111, note de Tiengou de Tréfériou, [vers mai-juin 1841].

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s’interroger sur la sincérité de cette réflexion, qui pourrait apparaître comme l’expression d’un remords car, acquittée pour ce premier crime, elle sera condamnée en 1846 à deux ans de prison et 50 francs d’amende pour homicide par imprudence sur un autre nouveau-né. Ce n’est que lorsqu’elle a été confrontée au cadavre de son enfant, qu’elle avait jeté dans des latrines, qu’une autre accusée, Jacquette Lherminier, cuisinière à Brest, âgée de 25 ans, avait, elle aussi, paru prendre conscience de son crime. Elle s’était écriée en pleurant : « Ce n’est pas un malheur que j’ai fait, c’est un crime 73 ! » Mais cette prise de conscience sera de courte durée et elle reviendra, aux débats, sur cette forme d’aveu en soutenant que son enfant était mort-né. Quelques femmes semblent ne commettre leur crime qu’à regret ou en éprouver du remords. Ainsi Marie Piriot, une domestique de Fougeray 74 présentée comme un esprit très faible, se serait exclamée, avant d’abandonner son nouveau-né dans la nuit glaciale : « Mon Dieu ! Que faire ? Mon pauvre petit, ça me fait bien de la peine de te laisser là 75 ! » L’une des rares femmes qui semble, non seulement se préoccuper de son propre avenir mais aussi évoquer avec tristesse le souvenir de son enfant dont elle a brûlé le cadavre dans le foyer de sa maison, est Françoise Morin, journalière à Plaintel, âgée de 40 ans. Elle déclarait quelques jours plus tard à une voisine : « Mon Dieu ! Mon Dieu ! Si j’avais là mon enfant à chauffer sur mes genoux, je vous donnerais une pièce de cent sous pour le porter à SaintBrieuc ! Le Bon Dieu ne me pardonnera pas 76 ! » Si l’on en juge par les réactions des inculpées lors de leur arrestation, l’effet moral produit par les exécutions capitales est réel. Nombre d’entre elles sont persuadées que la mort va leur être infligée. « Tuez-moi tout de suite ! » dit, par exemple, la femme Hervoch, une journalière de Crach, au juge d’instruction, après avoir reconnu avoir tué dès leur naissance ses filles jumelles 77. Et, ajoute ce dernier : « L’accusée se met à pleurer et à jeter des cris. » Interrogée quelques jours plus tôt par le juge de paix d’Auray, la femme Hervoch aurait déclaré, cherchant à disculper son amant : « Ce n’est pas lui [l’auteur du crime], il n’est pas du tout coupable. C’est moi seule qui le suis. Je mérite que l’on me coupe le cou 78. » D’autres mères expriment la crainte d’avoir le « cou coupé ». En 1825, Anne Doudard livre à l’une de ses codétenues sa crainte d’être décapitée. Celle-ci dépose : « Quelques heures après la levée du secret de la femme Doudard, me trouvant aux latrines avec elle, et la voyant pleurer, je lui demandai ce qu’elle avait, elle me répondit qu’elle était inquiète de ne pas savoir des nouvelles 73. AN/BB/20/210/1, F, 3e trim. 1858, Hüe, 3 août 1858. 74. Actuellement Grand-Fougeray. 75. AN/BB 20/168/2, I-V, 3e trim. 1853, Lambert, 19 août 1853. 76. AN/BB/20/226/2, C-N, 2e trim. 1860, Hüe, 18 mai 1860. 77. AD M U2127, interrogatoire, 5 juin 1843. 78. Idem, interrogatoire, 2 juin 1843.

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[sic] de son affaire et qu’elle craignait bien l’issue de son jugement. Je lui dis qu’il fallait espérer qu’il se terminerait heureusement pour elle, et qu’elle n’avait rien à craindre si elle était innocente, elle me répondit : “Non malheureusement, je ne le suis pas, j’ai fait un enfant et je crains bien d’éprouver le sort de la femme Hergault (cette femme a été guillotinée pour empoisonnement). Si on le trouve, je suis une femme perdue, mais je ne crois pas qu’on puisse le découvrir, car j’ai dit à la justice qu’elle pouvait chercher dans la terre, sous les racines des arbres et qu’elle ne trouverait rien, et en effet, j’ai caché mon enfant dans le haut d’un chêne creux, je l’avais enveloppé dans un tablier gris, je le plaçai, ainsi enveloppé, derrière mon dos et je montai dans l’arbre 79.” »

La double justice La justice des hommes effraie parfois moins que la justice divine, qui paraît plus implacable. Si certaines accusées ont l’impression qu’il est facile de tromper la vigilance des hommes, Dieu est réputé tout savoir et son châtiment peut être terrible. Le meurtre de l’enfant peut être ressenti comme un péché d’autant plus effroyable qu’il est de nature à provoquer la colère divine et la damnation éternelle. Faiblesse de la justice terrestre Il n’est pas exclu que la clémence des jurés ait pu être prise en considération par les mères infanticides au moment du passage à l’acte et que la gravité du crime qu’elles s’apprêtaient à commettre ait été mesurée à l’aune de la peine réellement infligée aux meurtrières dont elles avaient entendu parler. Rappelons le raisonnement de Marie-Jeanne Pélion qui, méditant un infanticide, considérait comme fort enviable le sort réservé à Olive Belnard, qui avait comparu quelques mois auparavant devant la cour d’assises et qui, pensait-elle, n’avait été condamnée qu’à quelques mois de prison : « Ah ! La justice n’est pas forte aujourd’hui : voilà la fille Belnard qui avait fait un enfant et l’avait brûlé qui n’a eu qu’un peu de prison : elle n’a pas manqué de pain 80. » Que n’aurait-elle dit si elle avait su qu’en réalité Olive Belnard avait été acquittée ? De la même façon, Anne Glais, semble prendre en compte la faible peine infligée à une femme du voisinage pour se déterminer à tuer l’enfant adultérin dont elle est enceinte. Déjà mère de deux enfants légitimes et décrite par ses voisines comme étant « très peu intelligente », elle ne leur cache nullement ses intentions criminelles. Une filandière du même village déclare : « J’allais souvent chez Bonnefoi, mon fils de mon premier mariage. J’y voyais souvent la femme Glais, je suis bien sûre qu’elle était enceinte 79. AD I-V 2U4/614, Marie Touzé, 38 ans, charbonnière, 23 janvier 1825. 80. AD C-A 2U/647, Anne Gicquel, 35 ans, ménagère, 17 août 1842.

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dans le courant de l’année dernière. Je le lui ai dit plusieurs fois, elle me répondait : “Qu’est-ce que cela vous fait ? Je ne lui donnerai toujours pas de pain. Il y a par ici une femme qui l’a fait [tué son enfant] et qui n’a subi que trois mois de prison. J’aime mieux subir trois mois de prison que de nourrir mon enfant 81.” » Mais, en fait, Anne Glais semble avoir commis cet infanticide plus par crainte de son mari, parti travailler depuis deux ans en Normandie, que par refus de nourrir un nouvel enfant. Et avant de se résoudre au meurtre, elle avait songé à se suicider. La crainte de la mort, qui interdit à la femme Doudard de reconnaître sa culpabilité, ne l’empêche pas de prendre quelque plaisir à braver la justice. Entendue par le juge d’instruction, elle ne se laisse nullement démonter, et le met au défi d’apporter la preuve de son crime : « – La terreur du châtiment que vous avez mérité, ne vous a pas permis de tenir la vérité cachée. Vous avez avoué votre crime à deux prisonnières, et vous ne pouvez plus maintenant le nier ? – Je n’ai pas plus avoué à ces prisonnières qu’à vous ; on ne peut pas me faire avouer une chose que je n’ai pas faite, elles m’en veulent et je ne sais pas pourquoi ; car j’ai fait beaucoup de bien à l’une d’elles […]. Je nierai toujours, tâchez de trouver des preuves si vous pouvez 82. »

Parmi les accusées qui refusent de reconnaître leur crime, quelques-unes affirment aux magistrats que même si on les coupait en morceaux ou si on les brûlait, elles n’avoueraient pas un crime qu’elles n’ont pas commis. Les tortures appliquées par l’ancienne procédure criminelle, de même que les violences de la période révolutionnaire, hantent sans doute encore les esprits et la guillotine est, pour beaucoup, un objet de terreur. La justice divine Nombre d’accusées partagent l’idée qu’il existe une double justice, celle de Dieu et celle des hommes : « Je demande pardon de mon crime à Dieu et grâce aux hommes », implore ainsi Jeanne Bertel, journalière à la Selleen-Luitré, peu après s’être résolue à passer aux aveux 83. La plupart sont imprégnées d’une culture religieuse qui les incline à dissocier leur corps de leur esprit : « Anne, déclarait la mère d’une accusée qui avait toujours affirmé son intention de donner la mort à son enfant, a un corps et une âme, pour en répondre dans ce monde ou dans l’autre 84. » Les mères infanticides sont souvent fort inquiètes du châtiment qui les attend dans l’autre monde. Elles s’affolent à l’idée que leur âme puisse être éternellement damnée : « Ah ! Mon Dieu ! Que je suis malheureuse ! Ce ne sera pas dans ce monde que ce sera le pire, mais dans l’éternité où je n’au81. AD M U2101, Olive Tominet, 63 ans, filandière, 8 janvier 1840. 82. Idem, interrogatoire, [même jour]. 83. AD I-V 2U4/816, interrogatoire, 9 octobre 1852. 84. Anne Leboucher et Marie Silliaud, Vve Lehoisec, AN/BB/20/182/1, M, 2e trim. 1855, Baudouin, 16 juin 1855.

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rai pas de fin à mes peines 85 ! », se lamente Marie-Jeanne Guillou, une domestique de Trégunc, âgée de 27 ans, déjà poursuivie pour infanticide. On retrouve cette même crainte du châtiment divin chez les hommes : « Je suis un homme perdu ! Je suis un homme mort ! Je n’ai plus qu’à me convertir. Dans huit jours je serai mort », déclare au juge de paix Jean-Marie Delalande, qui a tué l’enfant de sa domestique. La crainte de la sanction céleste n’est jamais, on le voit, exclusive de l’apitoiement sur son propre sort. Cette crainte est d’autant plus grande que si les accusées ont parfois l’impression qu’il est possible d’abuser les magistrats, rien ne leur paraît pouvoir échapper au regard de Dieu. « Comment, malheureuse ! Vous niez une chose aussi réelle ? […] Dieu vous a vue86 ! », déclare à Euphrosine Porcher, une domestique de Mauron qui vient de tuer son enfant, la religieuse soignante appelée par ses maîtres à son chevet. C’est pourquoi, étant persuadées qu’il est impossible de se dérober au regard si pénétrant du Toutpuissant, certaines se résolvent à faire des révélations : « Oui, autant vautil l’avouer, car Dieu connaît tout 87 » finit par admettre, après de multiples tergiversations, Marie-Jeanne Le Stum, âgée de 20 ans, agricultrice à Plozévet, devant le juge d’instruction de Quimper qui lui communique les résultats de la visite médicale à laquelle il l’a fait soumettre. Elles s’y résolvent d’autant plus facilement que l’aveu leur apparaît appeler en contrepartie, de la part de Dieu, un geste de pardon : « J’éprouve tant de chagrin de ce que j’ai fait presque malgré moi dans ce moment où j’avais la tête entièrement perdue, s’exclame Jeanne-Marie Le Masson, que j’éprouve le besoin d’en faire l’aveu sincère, espérant que si cet aveu me perd aux yeux des hommes il sera du moins un commencement d’expiation aux yeux de Dieu 88. » L’appréciation du verdict S’il est facile de saisir l’opinion des magistrats, tant sur le crime que sur la peine appliquée à l’infanticide, il est bien plus délicat de pénétrer les réactions des mères coupables au moment du prononcé du verdict, et plus encore, celle du public. Les seules traces que nous en possédons ne nous parviennent en effet qu’à travers le filtre des magistrats. Réactions des accusées À considérer toutes les manœuvres déployées par les mères infanticides pour échapper à la sanction et l’obstination de la plupart d’entre elles à dénier leur crime, la réaction des femmes qui, lorsque la cour leur signifie 85. AN/BB/20/120, F, 2e trim. 1842, Le Meur, mai 1842. 86. AD M U2115, Marie-Anne Padiou, sœur de Saint-Benoît de l’instruction chrétienne, âgée de 29 ans, 27 octobre 1841. 87. AD F 4U2/116, interrogatoire, 7 juin 1850. 88. AD C-A 2U/697, interrogatoire, 9 février 1846.

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leur condamnation, acceptent la peine qui leur a été infligée comme un juste châtiment, peut paraître surprenante. À moins de penser que la détention préventive leur a apporté le temps et la distance qui leur manquaient pour prendre conscience du caractère criminel de leurs actes. Comme de nombreuses accusées s’attendent à un châtiment terrible, quelques-unes, telle Françoise-Marie Nicolas, une tailleuse qui a précipité son enfant vivant dans les latrines, ne peuvent dissimuler leur surprise lorsqu’elles bénéficient d’un verdict d’absolution. Cette accusée, malgré l’évidence des charges qui pesaient sur elle, est acquittée en 1854. La version qu’elle avait donnée de la mort de son enfant avait été totalement contredite à l’audience par les médecins. Ceux-ci avaient en effet constaté que le cordon ombilical avait été coupé avec un couteau alors qu’elle prétendait être accouchée par surprise dans les latrines, le cordon s’étant rompu de luimême et ayant provoqué la chute de l’enfant dans la fosse d’aisance. « Malgré cette preuve de sa culpabilité à laquelle il semblait impossible de résister, écrit Taslé, Marie Nicolas a été déclarée non coupable par le jury et acquittée, à son profond étonnement, à elle-même. Elle n’en pouvait pas croire ses oreilles, en entendant lire la déclaration par le greffier de la cour 89. » La femme Guilloux, une journalière de 32 ans, demeurant à Plougonven, condamnée aux travaux forcés à perpétuité en 1857 pour avoir égorgé un enfant adultérin, semblait s’attendre à la peine de mort. Elle paraît accepter avec soulagement la sanction qui lui a été infligée : « Je ne vois, écrit Androuïn, aucun motif d’atténuer cette peine que la condamnée a acceptée avec une satisfaction annonçant qu’elle ne la trouvait pas trop sévère 90. » Elle bénéficiera cependant quelques années plus tard d’une mesure de grâce en raison de son comportement soumis et résigné en prison. Jeanne Lelay, âgée de 30 ans, accusée d’avoir, à la veille de son mariage, tué un enfant dont elle voulait cacher la naissance à son fiancé, exprime pleinement sa satisfaction de n’avoir été condamnée qu’à deux ans de prison et 50 francs d’amende. Craignant un acquittement, Le Beschu de Champsavin avait posé, comme résultant des débats, la question subsidiaire d’homicide involontaire par négligence. Il paraît très surpris de la réaction de cette accusée : « Au moment où j’avertissais Jeanne Lelay qu’elle avait trois jours pour formaliser son pourvoi, cette fille, dont l’extérieur n’est pas mauvais, s’est levée et a dit, avec décence : “Non, je suis satisfaite de mon jugement, je vous en remercie.” C’est, pour la première fois, dans ma longue carrière, s’étonne-t-il, que je vois un condamné exprimer sa satisfaction de la condamnation qu’il vient d’entendre. Mais ici, la fille Lelay n’aurait-elle pas fait l’aveu indirect de l’infanticide ? Dans tous les cas, nous ne pouvions éprouver de regrets, et les débats n’en avaient point fourni la preuve 91. » 89. AN/BB/20/174/2, L-I, 3e trim. 1854, Taslé, 26 septembre 1854. 90. AN/BB/20/200/1, F, 4e trim. 1857, Androuin, 4 novembre 1857. 91. AN/BB/20/210/1, C-N, 2e trim. 1858, Le Beschu de Champsavin, 30 avril 1858.

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LE CHÂTIMENT

Mais la réaction la plus surprenante est encore celle de Marie Meubry, une domestique de Langoat, âgée de 21 ans. Elle avait reconnu avoir tué son enfant en le jetant vivant dans une rivière, après lui avoir introduit de l’herbe dans la gorge et l’avoir attaché à une pierre. La bienveillance de la cour, qui ne la condamne qu’à dix années de travaux forcés, lui paraît excessive : « Elle a tué son enfant, a-t-elle dit, parce qu’elle ne voulait pas être déshonorée et il lui importait peu désormais d’être acquittée ou condamnée. Les jurés ont admis en sa faveur des circonstances atténuantes ; la Cour a cru devoir user d’indulgence et n’a condamné Marie Meubry qu’à 10 années de travaux forcés. En entendant la condamnation, elle s’est écriée en pleurant : “Il valait mieux me condamner à vingt ans 92 !” » Réactions du public Les audiences criminelles, même, et peut-être particulièrement, les plus scabreuses, attirent un vaste public. L’assistance des femmes et des adolescents aux audiences consacrées aux viols et attentats à la pudeur heurte quelque peu les autorités judiciaires. À partir de 1821, le président de la cour d’assises et le procureur général peuvent leur faire interdire l’accès au prétoire 93. Les personnes qui possèdent un rang social élevé cherchent, comme au théâtre, à s’installer aux meilleures places pour assister au procès et parviennent parfois à occuper les bancs réservés au jury et au barreau. Une circulaire datée du 7 juillet 1849 ordonne aux chefs de cour de mettre fin à ces abus : « Il est d’usage d’admettre exceptionnellement dans l’enceinte des salles où siègent les cours d’assises, spécialement destinée aux magistrats, aux jurés et aux membres du barreau, les personnes auxquelles les fonctions qu’elles exercent et leur position doivent assurer une place à part. Dans quelques ressorts, cette exception a été trop étendue : des personnes étrangères aux habitudes judiciaires et cherchant, avant tout, à satisfaire leur curiosité, ont été admises près de la cour. C’est là un véritable abus, non moins contraire à l’intérêt qu’à la dignité de la justice, et le procureur général doit se concerter avec les présidents des assises pour le faire cesser. »

Les affaires d’infanticide attirent spécialement l’attention du public quand les circonstances des crimes ont été particulièrement violentes, ou en raison de la personnalité de leurs auteurs. Les femmes soupçonnées de récidive, les affaires dans lesquelles des personnalités influentes sont impliquées, comme celle de Célestine Andrieux, dans laquelle le maire de Morieux avait pesé de toute son autorité pour obtenir un acquittement, attisent la curiosité. C’est une foule immense, écrit Ernoul de la Chénelière, qui se presse au procès de la Vve Morion, une aubergiste de Fougères, âgée de 33 ans, 92. AN/BB/20/163/1, C-N, 4e trim. 1852, Fénigan, 9 décembre 1852. 93. Direction des affaires criminelles et des grâces, circulaire du 9 novembre 1821.

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dont l’enfant a été retrouvé « rôti sur les charbons ardents : […] les faits de cette cause horriblement dramatique ont donné lieu aux débats les plus intéressants, à de magnifiques plaidoiries, ils ont été suivis par une foule immense ; l’accusée, quoique aubergiste, appartenait à une famille un peu au-dessus du commun, tous les membres de la cour, malgré quelque chose d’un peu vague dans l’accusation, étaient bien convaincus de la culpabilité. Cette affaire s’est prolongée fort avant dans la nuit 94. » L’assistance n’hésite pas à manifester son opinion au prononcé du verdict et des murmures de protestation s’élèvent à l’occasion de certains acquittements. Le public, qui parfois connaît les accusés ou qui s’en est fait une opinion par la rumeur, est moins dégagé des inimitiés locales et des querelles de personnes que le jury et se montre beaucoup plus sévère dans la défense de la morale sexuelle. S’il n’ose pas manifester ouvertement sa désapprobation dans l’enceinte judiciaire, il se rassemble, dès qu’il reprend possession de la rue, et s’organise si nécessaire pour exercer sa propre vindicte à l’encontre des accusés qui ont échappé à la sanction. C’est ainsi que Marie-Magdelaine Le Quinio qui, par ses infidélités, avait ridiculisé un mari que le président qualifie d’imbécile est « huée par la populace, à la sortie de l’audience 95 ». Jeanne-Marie Cavalan – une jolie fille choyée par ses parents, dont la personnalité a séduit la cour et le jury –, est poursuivie par la foule à sa sortie du tribunal : « Pour sortir du palais après son acquittement, Jeanne-Marie Cavalan a été obligée de dénaturer son costume, et leur rassemblement se tint longtemps auprès de la prison où elle s’était réfugiée 96. » La « vindicte » populaire s’exerce également contre les séducteurs qui, tel Vincent – le régisseur qui a séduit la domestique Marie Mordant, décrit comme un « homme immoral, qui cachait sous des dehors religieux des habitudes dépravées » – ne figurent à l’audience que comme témoins. Après la condamnation de Marie Mordant à cinq années de travaux forcés, et malgré la protection de la police, Vincent ne peut échapper aux manifestations d’hostilité de la foule : « Sa conduite avait si vivement soulevé contre lui l’opinion publique, qu’au sortir de l’audience de la Cour d’assises, tous les efforts de la police n’ont pu empêcher la foule de le poursuivre de ses huées dans les rues de la ville 97. » Le public possède donc lui aussi son propre système de valeur. Il aime voir les innocents absous et les méchants châtiés. Mais il n’est pas inaccessible à la pitié et il sait parfois s’associer au jury pour pardonner des manquements. De sorte que certaines affaires, comme celle de la femme Riou, une femme de ménage de Quemper-Guézennec, âgée de 33 ans, mère de trois enfants légitimes, ont un dénouement fort heureux. Cette femme 94. AN/BB/20/124, I-V, 2e trim. 1843, Ernoul de la Chénelière, s. d. 95. AN/BB/20/29, M, 3e trim. 1826, Le Painteur de Normény, 22 septembre 1826. 96. AN/BB/20/120, C-N, 3e trim. 1842, Chellet, s. d. 97. AN/BB/20/281/1, I-V, 1er trim. 1865, le procureur général au garde des sceaux, 21 février 1865.

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avait, selon ses voisines, un caractère bon et tranquille et était même « un peu simple d’esprit ». Elle avait étouffé son nouveau-né par crainte de son mari, un marin absent depuis plusieurs années et réputé très violent. À l’audience, elle sait s’attirer la sympathie de la cour et du jury. Le président de la cour d’assises écrit à son sujet « Cette femme a le don d’inspirer beaucoup d’intérêt, je ne pouvais m’en défendre, et cette bienveillance a dû être bien plus vive chez les jurés qui savent le bas-breton. » Mais elle ne paraissait pas s’attendre à une totale absolution : « La traduction de l’ordonnance d’acquittement a surpris l’accusée ; elle était loin de s’y attendre. Elle a adressé aux jurés quelques mots en Breton ; je ne les ai pas fait traduire mais son attitude avait de la modestie… Au même moment, un cri partait du banc des accusées : les quatre voisines se précipitaient par un élan spontané vers la femme Hervé Riou, l’enlaçaient dans leurs bras et l’inondaient de larmes ; à la même minute, elles l’enlevaient pour ainsi dire, de son banc et l’emportaient hors l’audience. Ces quatre femmes sont parfaitement honnêtes, elles avaient averti tout d’abord le juge de paix à l’audience, il était évident qu’elles déposaient avec chagrin contre l’accusée, mais elles ont répondu à toutes les questions qui leur ont été adressées ; et certainement, elles n’ont pas ménagé l’accusée, car elles sont incapables de mentir à la justice. Ce spectacle si subtil et si imprévu a profondément ému la foule, et les jurés ont quitté leurs sièges les larmes aux yeux et fort satisfaits de la décision qu’ils venaient de rendre 98. »

Le jury et la cour n’ont sans doute pas souhaité, en la condamnant, briser une fin heureuse. Le mari, en effet, de retour à son foyer avait pardonné à sa femme. Il souhaitait vivement qu’elle puisse être libérée afin d’élever leurs enfants.

98. AN/BB/20/168/2, C-N, 3e trim. 1853, Le Beschu de Champsavin, 19 juillet 1853.

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Chapitre V

La vie quotidienne des femmes infanticides Sur les 581 infanticides recensés dans la série BB/20 des Archives nationales, 572 impliquaient les mères des nouveau-nés. Il n’y a pas lieu de s’étonner de cette écrasante prédominance féminine. Les législations anciennes qui, comme l’édit de Henri II, visaient à éradiquer ce crime, ont toujours particulièrement concerné les mères des nouveau-nés. Et la loi de 1824, qui autorisait l’attribution de circonstances atténuantes aux seules mères, en fournit un nouvel exemple au XIXe siècle. En France, l’infanticide peut d’autant plus être considéré comme un crime spécifiquement féminin que les hommes sont déchargés, par la loi qui jusqu’en 1912 interdit la recherche de paternité, de toute responsabilité à l’égard de leurs enfants naturels. Ils n’ont aucun intérêt particulier à les éliminer et peuvent se contenter d’ignorer leur existence.

Les travaux et les jours La grande majorité des femmes mises en accusation sont des rurales : moins d’une trentaine est issue des cités les plus importantes (Nantes, Rennes, Brest, Vannes, Quimper). Quelques villes de dimension plus modeste ou gros bourgs, tels Vitré, Pornic, Saint-Malo, Redon, Loudéac, La Guerche, Mauron, Rochefort-en-Terre, Carentoir sont assez bien représentés, avec trois à quatre affaires chacun. Mais au total, une centaine seulement de femmes infanticides est domiciliée dans des villes, quelle qu’en soit la taille, soit moins d’une sur cinq. Les présidents des cours d’assises s’appesantissent rarement sur les occupations professionnelles des accusées. Les données sont relativement lacunaires sur ce point mais peuvent être complétées, dans certains, cas par les dossiers de procédure. Les sources ne permettent guère que de faire émerger quelques traits généraux, d’autant que dans les zones rurales les métiers 153

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féminins ont des contours assez mouvants. De plus, la force des usages locaux est encore telle au XIXe siècle que les statuts professionnels varient sensiblement d’un département à l’autre, voire d’un canton à l’autre. Professions des mères accusées Affaires recensées Mères accusées Profession non indiquées Sans profession Ménagères Mendiantes Agriculture Cultivatrices, fermières, laboureur Domestiques rurales Domestiques cultivatrices, aides-cultivatrices, filles de labour, fille de ferme, servantes de ferme Journalières Journalières cultivatrices

Total Artisanat

581 572 26 5 16 13 71 134

60 72 18

355

Ouvrières Sabotières

3 2

Total Commerce

5

Aubergistes Cabaretières Marchandes

3 6 36

Total

12

Domestiques non agricoles Cuisinières Domestiques attachées à la personne Domestiques du commerce et de l’artisanat

8 16

Total Textiles

31

Blanchisseuses, repasseuses Couturières Filandières Fileuses Lavandières, laveuses Lingères Tailleuses Tisserande Tricoteuses

3 18 12 23 3 19 23 1 5

Total Divers

7

107

Faisait des commissions en ville Prostituée

1 1

Total

2

Le tiers des accusées (194 sur 572) appartient au monde de la domesticité rurale : 134 sont domiciliées dans des petites communes et travaillent chez des agriculteurs ; 60 sont expressément signalées comme ayant des occupations agricoles (domestiques-cultivatrices, aides-cultivatrices, filles de labour…). Si l’on ajoute à ce contingent les journalières domiciliées à la campagne (72) ou clairement définies comme attachées aux travaux de l’agriculture (18), on obtient un groupe de 315 femmes aux caractéristiques relativement homogènes, à l’origine de plus de la moitié des affaires jugées. Après l’agriculture viennent les métiers liés à la fabrication ou à l’entretien du linge, qui fournissent plus d’une centaine d’accusées. Ces activités sont elles-mêmes essentiellement rurales et ne relèvent qu’exceptionnellement du salariat. On observe, enfin, qu’une partie des domestiques 154

LA VIE QUOTIDIENNE DES FEMMES INFANTICIDES

gagées à la ville, et des couturières, tailleuses, et lingères qui y sont installées, est d’origine rurale. Domestiques agricoles Les observateurs sociaux du XIXe siècle ont laissé des descriptions des « foires aux domestiques », qui se tiennent dans les chefs-lieux des départements. Jean-François Brousmiche, qui est employé à la recette des contributions de Brest et parcourt le Finistère dans les années 1830 pour évaluer les biens et leur base d’imposition, décrit celle de Quimper, qui a lieu à la Saint-Corentin (12 décembre) : « Ce jour-là, vous voyez les nombreux troupeaux mâle et femelle se destinant à la domesticité se ranger sur la place-même : là, les hommes, la pipe à la bouche, appuyés sur leurs Penn-bas 1, les femmes, les mains jointes et relevées sur leur giron, attendent avec un air de gravité tout particulier les propositions qui peuvent leur être adressées. […]. Si tous les renseignements sont satisfaisants, on débat ensuite les conditions du marché, le prix en argent, la nourriture qui sera donnée, le nombre de jours qui seront accordés par le maître futur au domestique pour assister aux fêtes, aux pardons, aux foires renommées ; on débat encore souvent pour l’argent du tabac, objet de première nécessité pour un Breton. À chaque fois que l’on tombe d’accord, les mains fortement frappées indiquent une conclusion, mais pour qu’elle devienne définitive, des arrhes sont données, puis au cabaret voisin l’accord se sanctionne, sans qu’il soit question d’écrit, et toujours sans cette formalité, il ressort son plein et entier effet 2. »

D’après Limon, cette pratique est encore courante dans le Finistère, dans les années 1850 3. Sébillot signale en 1886 la survivance des foires de Rennes et de Lamballe 4. Ce mode de recrutement n’est cependant clairement attesté que pour l’une des accusées, Anne-Marie Gauciron, âgée de 20 ans, qui a été engagée par ses maîtres en juin 1852 à la foire de Hédé 5. Selon les folkloristes, le renouvellement des gages se fait à la Saint-Jean 6. Les dossiers judiciaires confirment cet usage. Mais une partie des serviteurs, tant masculins que féminins, ne sont embauchés que pour la moisson : ce sont les « gages d’été ». Les femmes mariées recourent fréquemment à ce moyen d’accroître temporairement les revenus de leur ménage. Anne Le Bourhis, de Trégunc, âgée de 26 ans, a épousé un garçon meunier qui est employé dans un autre village. Elle a pris l’habitude, dans les quatre années 1. Bâtons. 2. Brousmiche J.-F., Voyage dans le Finistère en 1829, 1830 et 1831, Quimper, 1977, t. 2, p. 273. Sur cet auteur, voir : Le Gallo Y., « Brousmiche père et fils », Brest et sa bourgeoisie sous la monarchie de Juillet, Paris, 1968, t. 1, p. 5-24. 3. Limon J.-M., Usages et règlements locaux en vigueur dans le Finistère, Quimper, 1852, p. 197. 4. Sébillot P., Coutumes populaires de la Haute-Bretagne, Paris, 1886, p. 77-78. 5. AN/BB 20/163/1, I-V, 3e trim. 1852, Androuïn, 28 août 1852. 6. Pour Sébillot, op. cit., et pour Limon, op. cit. (p. 200-201), dans certains cantons les engagements des domestiques se font à toute période de l’année.

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DES CRIMINELLES AU VILLAGE

qui ont suivi son mariage, de louer ses services pour le temps de la moisson. C’est au cours de ces travaux d’été qu’elle a fait connaissance du père de son enfant. Les unions entre domestiques travaillant dans des villages différents paraissent laisser peu de place à l’intimité conjugale : « Depuis quatre ans, explique Isidore Le Bourhis, j’étais marié à Anne Furic, cependant, j’ai continué à servir comme aide-cultivateur, tant sur la commune de Trégunc, que sur celle de Lanriec. Il y a trois ans que ma femme eut un premier enfant, dont je ne conteste point la paternité ; ma femme avait sa résidence principale au Huellou et se gageait sur la campagne en été, pour faire les récoltes. Je lui portais de temps à autre les fruits de mes économies pour l’aider à élever notre enfant. Il y avait quatorze mois que je n’avais eu de relations intimes avec ma femme lorsqu’elle est accouchée du dernier enfant dont je désavoue la paternité. J’avais bien parlé à ma femme de temps à autre que le bruit courait qu’elle était enceinte, l’ayant rencontrée à la foire de Rosporden, je l’interrogeai à cet égard. Elle nia positivement le fait en me disant qu’il ne fallait pas croire ce que disait le monde 7. »

Les servantes de ferme partagent totalement la vie de leurs maîtres. Elles sont les premières à se lever le matin, vers quatre ou cinq heures, pour préparer un repas qui se réduit habituellement à de la soupe ou bien à de la bouillie d’avoine ou de blé noir. Elles s’occupent des travaux ménagers, du soin des enfants, de l’entretien des écuries, de l’alimentation et de la garde des animaux, de la traite des vaches. Elles participent, comme les autres femmes de la maisonnée, aux travaux agraires, y compris les plus durs. Jean-Marie Limon décrit les obligations réciproques des maîtres et de leurs serviteurs : « Le maître s’oblige, de par l’usage, à loger, à nourrir son domestique, à lui fournir le blanchissage, à nourrir et à payer les tailleurs employés au raccommodage des hardes du domestique, à nourrir seulement ceux qui confectionnent du neuf […]. Le maître doit ses gages à leur échéance, c’està-dire à la fin de l’année pour les domestiques ruraux […]. Dans la pratique, les maîtres donnent des à-comptes à leurs domestiques au fur et à mesure de leurs besoins 8. »

Les serviteurs reçoivent, en plus de leurs gages, des vêtements, quelques mètres de toile, des coiffes, mouchoirs et sabots, au gré de la générosité de leurs maîtres. Les domestiques semblent fréquenter assez librement les foires et pardons : « Il est pour ainsi dire universellement admis que tout domestique peut y aller s’il n’est pas de première messe, c’est-à-dire gardien de la maison 9. » 7. AD F 4U2/113, Isidore Le Bourhis, 29 ans, aide-cultivateur, 27 juin 1849. 8. Limon J.-M., op. cit., p. 215. 9. Ibidem, p. 221.

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LA VIE QUOTIDIENNE DES FEMMES INFANTICIDES

Journalières En théorie, la condition des journalières diffère de celle des domestiques dans la mesure où elles ne sont pas logées et ne sont recrutées que pour des périodes courtes. En réalité, il est parfois difficile de distinguer les statuts. Plusieurs accusées se disent « domestiques-journalières » et certaines journalières sont recrutées pour des périodes plus longues que les domestiques qui se gagent pour l’été. Le seul véritable critère de distinction est apparemment celui du logement. Mais on trouve une journalière qui travaille depuis quatre mois chez un laboureur de Moustoir-Rémungol où elle est logée 10. Comme les domestiques, mais peut-être encore davantage, les journalières participent aux travaux les plus difficiles : à l’ensemencement des terres, à la récolte, au battage du blé. À la morte saison, elles sont employées au filage de la laine, du chanvre ou du lin, qu’elles travaillent au rouet et à la quenouille. Le statut de journalière est très répandu dans les campagnes, y compris chez les femmes qui ne figurent dans les archives qu’en qualité de témoins. À la différence de la domesticité, cet état permet aux femmes mariées de se consacrer en dehors de leurs journées de travail au soin de leur propre ménage et à l’éducation de leurs enfants. Certaines ne travaillent hors de leur foyer qu’une partie de l’année, souvent chez les mêmes employeurs. Quelques-unes sont spécialisées dans les « buées », qui ne se font que trois ou quatre fois par an 11. Artisanat du textile Les activités liées au textile correspondent à une grande variété de professions, sans grand rapport entre elles, qui vont de la fabrication du tissu à l’entretien du linge. Ces métiers, typiquement féminins, fournissent 18 % des accusées. Filandières et fileuses

Dans les affaires d’infanticide, on rencontre des fileuses jusqu’en 1847 en Ille-et-Vilaine (14 sur 23) et à partir de 1854 (5 sur 23) dans les Côtesdu-Nord. Elles sont très rares dans les autres départements. Les filandières sont presque toutes localisées dans les Côtes-du-Nord et sont présentes tout au long de la période étudiée. Les dossiers ne permettent pas d’établir de véritable distinction entre filandières et fileuses et sont particulièrement muets sur leurs conditions de travail. Il n’est pas fait mention de métier à filer. Une seule fileuse, Jeanne Tanguy, est présentée comme étant employée chez un tisserand (Morbihan, 1843). 10. AD M U 2058, Marie Le Gallo, Vve Maho, 1835. 11. Grandes lessives aux cours desquelles on fait bouillir le linge dans un cuvier. Voir Thuillier G., Pour une histoire du quotidien au XIXe siècle en Nivernais, Paris, 1977 et Hélias P.-J., Le Cheval d’orgueil, Paris, 1975, p. 14-15.

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Fileuses et filandières vivent dans le dénuement : Julienne Godard se dit « fileuse et mendiante » (Ille-et-Vilaine, 1825), Jeanne Ruffault (Ille-etVilaine, 1826) est indigente et dort dans une étable. Au moment de son crime, elle est journalière chez un cabaretier qui l’utilise à transporter des fagots. Il lui arrive aussi d’être employée par une agricultrice « tant à travailler la terre qu’à laver du laissive [sic] ». Marie-Françoise Le Coq (Côtesdu-Nord, 1853), également présentée comme une voleuse et une prostituée, habite dans une cabane avec son père, mendiant. Marie-Anne Garandel (Côtes-du-Nord, 1854) a été renvoyée de chez ses maîtres en raison de la cherté du pain. Le textile occupe une part importante de la main-d’œuvre des Côtesdu-Nord. L’Annuaire des Côtes-du-Nord pour 1836 indiquait que 100 000 personnes travaillaient à la fabrication des toiles de Quintin 12. Fileuses et filandières ont des salaires beaucoup moins élevés que leurs homologues masculins. Elles sont, surtout si elles vivent seules, les premières victimes de la crise textile qui frappe la Bretagne au XIXe siècle par suite de la mécanisation du filage du lin et du remplacement progressif du chanvre et du lin par le coton. L’artisanat textile décline fortement en Ille-et-Vilaine dès la seconde moitié du siècle. Il se maintient plus tardivement dans les Côtesdu-Nord. Mais les bastions de Quintin et de Loudéac seront, peu après l’arrivée du chemin de fer, parmi les premiers fournisseurs de ces « Bécassines » bretonnes, employées de l’agriculture et du textile pour l’essentiel, contraintes d’émigrer et de se placer comme domestiques ou nourrices à Paris et dans d’autres grandes villes 13. Le filage du chanvre ou du lin n’est pas uniquement une occupation professionnelle. En Cornouaille, de nombreux agriculteurs ne cultivent le chanvre que pour leurs besoins domestiques. Les femmes de la ferme filent leur production, puis la portent chez un tisserand qui, pour une somme modique, la transforme en toile 14. Il en va de même pour le lin dans de nombreux cantons des Côtes-du-Nord. Les jeunes filles apprennent à filer en gardant les troupeaux 15. À la morte saison, les veillées sont consacrées par la population féminine au filage. Tricoteuses

Le tricot fait également partie des activités en déclin, victimes de la mécanisation. En 1850, le préfet d’Ille-et-Vilaine estimait qu’une bonne ouvrière gagnait à peine 25 centimes par jour 16, alors que les produits de son travail (bas, chaussettes, robes d’enfants), diffusés par des intermédiaires 12. Annuaire des Côtes-du-Nord, 1836, p. 47. 13. Minois G., Nouvelle histoire de la Bretagne, Paris 1992, p. 656-659. Voir aussi Vallaux C., La BasseBretagne : étude de géographie humaine, Genève, 1980, p. 267. (1re éd. 1906). 14. Bouët A., op. cit., p. 159. 15. Sébillot Paul, Coutumes populaires…, op. cit. 16. Soit trois fois moins qu’une journalière rurale (voir infra).

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dans les grandes villes, parvenaient à y atteindre un prix élevé 17. Les cinq tricoteuses dénombrées sont loin de vivre dans l’opulence. Anne-Marie Chevé (Morbihan, 1834), âgée de 32 ans, demeurant à Mohon, « bossue et contrefaite », est logée « par charité » depuis deux ans chez des boulangers qui lui ont cédé une partie de leur étable. Même en étant logée gratuitement, il n’est pas sûr qu’elle ait pu vivre de son métier de tricoteuse, puisque son dossier apprend qu’elle allait « en journée ». Une seconde accusée se dit « tricoteuse et journalière ». Couturières et tailleuses

Les départements d’Ille-et-Vilaine (5 couturières, 10 tailleuses) et du Finistère (9 couturières, 5 tailleuses) fournissent les plus gros effectifs. La Loire-Inférieure vient en troisième position (1 couturière, 7 tailleuses), devant les Côtes-du-Nord (2 couturières) et le Morbihan (1 couturière, 1 tailleuse). Cette forme d’artisanat peut être le signe, dans les départements où elles sont les plus nombreuses, de la relative aisance des populations des gros bourgs ou des chefs-lieux de canton où la majorité d’entre elles exercent leur activité. Quelques-unes demeurent dans des villes de quelque importance : 2 à Nantes, 3 à Saint-Malo, 1 à Douarnenez. Il n’est pas facile de distinguer les couturières des tailleuses. Les magistrats les classent dans la catégorie des ouvrières, mais la plupart sont employées à la journée chez des particuliers. Elles sont peu nombreuses à être installées à leur compte. Une seule accusée, Eulalie Pellerin (LoireInférieure, 1838) est signalée comme employée chez un maître tailleur. Mais elle est rémunérée à la journée et vit dans une impécuniosité qui la contraint à chercher d’autres ressources quand le labeur vient à manquer. Le terme de tailleuse est souvent employé pour désigner les couturières qui fabriquent des vêtements d’hommes. Plusieurs couturières sont également brodeuses. Parmi les célibataires, une quinzaine a déjà eu des enfants illégitimes. Il s’agit de femmes qui, ayant quitté leur village, ont échappé au contrôle familial et acquis, dans les villes ou gros bourgs où elles sont allées vivre, une liberté de mœurs qu’elles n’auraient peut-être pas eue à la campagne. Ou bien encore de filles qui ont été chassées du toit paternel en raison d’une première grossesse. Lingères

Le métier de lingère est lui aussi mal défini. Les lingères rurales sont proches de la misère. L’une d’elles, Yvonne Teffo (Côtes-du-Nord, 1839), âgée de 20 ans, demeurant à Bringolo a déjà été condamnée à trois mois de prison pour vol par le tribunal de Guingamp en 1835. Pratiquement toutes sont, de fait, des journalières, qui exercent leur métier chez des par17. L’Ille-et-Vilaine des origines à nos jours, sous la dir. de F. Lebrun, Saint-Jean-d’Angély, 1984, p. 337.

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ticuliers. Les lingères urbaines ont peut-être une position plus avantageuse. Marie-Rose Chartier, qui vit à Nantes, dit « travailler pour son compte » et habite chez ses parents, qui sont bouchers (1843). Gilette Chauveau, de Pornic, a une apprentie, mais travaille à la journée chez des particuliers (1825). Sur les 19 lingères, 5 ont déjà eu un ou plusieurs enfants naturels, et 2 sont soupçonnées de récidive. Couturières, tailleuses et lingères impliquées dans des affaires d’infanticide sont donc notablement plus nombreuses que les représentantes des autres professions à mener une vie relativement libre ou à avoir « fauté ». Cette remarque est à mettre en relation avec la réputation de petite vertu qu’ont souvent les ouvrières du linge 18. Blanchisseuses, repasseuses, laveuses et lavandières

Une très petite proportion des accusées (6) vit de l’entretien du linge. Ce sont les blanchisseuses, repasseuses, laveuses et lavandières. Les laveuses sont chargées des lessives courantes, qui se font au battoir, dans le « doué ». Les trois blanchisseuses sont installées dans des villes. Plutôt qu’aux lavages courants, elles sont occupées aux grandes lessives. Anne-Marie Berthe, installée à Rochefort-en-Terre, possède une buanderie et emploie, de temps à autre, une journalière. La déposition de celle-ci illustre le caractère rudimentaire et artisanal de cette activité, qui exige de multiples va-et-vient entre la buanderie et le lavoir : « Le jeudi 2 de ce mois, vers les quatre heures du matin environ, la fille Anne-Marie Berthe, qu’elle [le témoin] était dans l’habitude d’aider dans ses fortes lessives, alla la prier d’aller laver pour elle ; aussitôt le témoin se leva et alla avec elle à la buanderie et de là au doué du Pont-au-Roux. La fille Berthe lui dit qu’elle était malade. Après avoir été plusieurs fois du Pont-au-Roux à sa buanderie et revenue avec des ardes [sic], elle s’assit près du témoin et de sa mère, disant toujours qu’elle était malade 19. »

On ne rencontre qu’une seule lavandière bien que, dans le légendaire breton les « lavandières de nuit », revenantes condamnées à châtier indéfiniment leur crime par d’épuisantes lessives nocturnes, soient les figures emblématiques des femmes infanticides 20 : « En Ille-et-Vilaine, écrit Sébillot, on prétend que les lavandières de nuit sont des mères qui ont tué leurs enfants, ou bien des femmes qui ont lavé le dimanche 21. » Habasque cite également cette légende comme appartenant au folklore des Côtes-duNord 22. 18. Corbin A., « Le Grand siècle du linge », Le Temps, le désir et l’horreur, Paris, 1991, p. 37. 19. AD M U 2138, Jeanne-Marie Meignet, 55 ans, journalière, 17 mai 1844. 20. Souvestre E., Le Foyer breton, Paris, 1845 ; Le Braz A., Magies de la Bretagne, Paris, 1994 (textes publiés entre 1893 et 1925). Les lavandières de nuit appartiennent aussi au folklore berrichon, voir Sand G., Légendes rustiques, Paris, 1858. 21. Sébillot P., Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne, Paris, 1882, t. 1, p. 248. 22. Op. cit., t. 1, p. 285.

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La seule lavandière recensée ainsi que les deux laveuses sont installées à Nantes. Toutes trois sont originaires d’autres départements. La profession de laveuse, comme celle de domestique, fait probablement partie des métiers qui, dépourvus d’attrait pour les populations urbaines, sont facilement accessibles aux rurales qui viennent chercher un emploi dans les grandes villes. Autres professions Les autres catégories professionnelles sont relativement marginales. Parmi les trois ouvrières figurent une cordière, une ouvrière en chaussures et une jeune fille qui, au moment du crime, était occupée à filer du lin à la quenouille. La faiblesse numérique des ouvrières reflète à la fois le caractère rural du crime et la quasi-absence d’emploi féminin dans l’industrie. Hormis les poteries et les conserveries, mais celles-ci s’implantent assez tardivement, les industries traditionnelles de la Bretagne : tanneries, forges, mines, moulins à papier, n’emploient pratiquement que des hommes. Cordières

Corderie et saboterie appartiennent à l’artisanat traditionnel. La profession de cordier est très dévalorisée parce qu’elle semble avoir été exercée principalement par des « cacoux » ou « caquins », mis au ban de la société parce que réputés descendre de lépreux 23. Julienne Dubot, la seule ouvrière cordière signalée, n’appartient pas à cette catégorie d’exclus. Elle est, d’après le président de la cour d’assises, issue « d’une famille honnête » et a été « indignement trompée » par des promesses de mariage. Elle vit chez son oncle, qui possède une relative aisance puisqu’il emploie une servante. Sabotières

Les deux sabotières travaillent dans l’arrondissement de Fougères où cet artisanat, très important jusqu’aux premières décennies du XIXe siècle, commence à décliner notablement 24. Il s’agit de Pélagie Chesnel, âgée de 25 ans, qui demeure avec ses parents à Landéan, et de Sainte Fauvel, une orpheline de 19 ans qui vit seule dans la forêt de Villecartier. Dans son étude sur la Basse-Bretagne, Vallaux classe les sabotiers et charbonniers qu’il recense dans le Vannetais, le bassin de Châteaulin et la région de Guingamp, parmi les métiers nomades. Selon lui, les sabotiers de Basse-Bretagne vont vendre leur fabrication dans toute « l’Armorique », particulièrement dans les régions où les forêts ont déjà été ravagées par ces formes particulièrement destructrices d’artisanat 25. 23. Voir Cambry J., Voyage dans le Finistère, Brest, 1836, p. 52. La question des cacoux a fait l’objet de très nombreuses publications. 24. L’Ille-et-Vilaine des origines à nos jours, op. cit., p. 337. 25. Vallaux C., op. cit., p. 271.

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Ce caractère itinérant ne semble pas s’appliquer à la Haute-Bretagne, où les métiers forestiers ont peut-être déjà été sédentarisés. Tout indique que Sainte Fauvel, orpheline depuis sept ans, a continué à vivre dans la « hutte » de ses parents 26. Commerçantes

Dans cette catégorie, outre les aubergistes et cabaretières, figurent une marchande de chiffons, une marchande de beurre, et une marchande pâtissière. Il s’agit de très petits commerces, qui n’impliquent pas nécessairement la possession d’une boutique. La pâtissière est domiciliée à Concarneau, ville qui commence à prendre de l’importance. Elle est employée chez son frère. Les cabaretières se caractérisent par leur statut matrimonial : quatre sont veuves (la plus âgée a 38 ans) et la cinquième est mariée à un soldat. Domestiques non agricoles

Les domestiques non agricoles sont femmes de chambre, femmes de journée, femmes de ménage ou cuisinières, à la ville, ou bien chez des propriétaires ruraux, des artisans ou des commerçants des gros bourgs. Elles passent indifféremment d’une profession à l’autre. Olive Gandin, domestique chez un médecin à Rennes, a précédemment servi dans deux auberges de Pontivy 27. La majorité des « domestiques attachées à la personne » sont originaires de la campagne et paraissent en conserver les habitudes. La restauratrice de Brest qui emploie Annette Le Dot souligne le manque d’élégance de sa domestique, fraîchement arrivée à la ville : « Pendant son séjour à la maison, je crus m’apercevoir qu’elle avait le ventre un peu proéminent, je fis peu attention à cette circonstance, sachant combien ces filles de la campagne arrangent mal leurs vêtements 28. » Ménagères

À l’exception de deux jeunes filles qui s’occupent du ménage de leur père, il s’agit de veuves ou de femmes mariées. Le qualificatif de ménagère ne fait que caractériser l’activité principale de ces femmes, qui est de s’occuper de leur foyer. Il n’exclut pas le recours temporaire à des travaux rémunérés. Pour accroître leurs revenus, plusieurs ménagères s’emploient de temps à autre comme journalières. La Vve Le Trou se loue à la journée chez des propriétaires des environs et file à son domicile. Deux de ses enfants sont en âge de travailler : son fils aîné est employé comme domestique et l’une de ses filles, âgée de 16 ans, comme filandière (Côtes-duNord, 1842). Véronique Poncel, de Trélivan, est parfois obligée de se livrer 26. À propos des loges de sabotiers voir Corbin, A., Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot : sur les traces d’un inconnu, 1798-1876, Paris, 1998, p. 111-114. 27. AD I-V 2U4/619, 1826. 28. AD F 4U2/85, Marie-Suzanne Marein, 40 ans, restauratrice, 9 mars 1844.

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à la mendicité pour nourrir sa famille. La fiche de renseignements jointe à son dossier décrit ainsi ses occupations : « Elle préparait à manger à sa mère et à son enfant quand elle avait de quoi le faire. Elle gardait sa vache dans les champs et mendiait quelquefois, quand il n’y avait plus de pain chez elle 29. » Mobilité professionnelle et précarité des situations Excepté les métiers (couturière, tailleuse, lingère, sabotière…) qui demandent un véritable savoir-faire, ce sont leur mobilité et leur absence de spécialisation qui caractérisent les professions des femmes infanticides. Certaines déclarent d’ailleurs exercer deux métiers, parfois fort différents l’un de l’autre : couturière et cabaretière, tailleuse et bonne d’enfant, cuisinière et fileuse, fileuse et blanchisseuse. Mobilité professionnelle et géographique La pluralité des métiers pourrait s’appliquer à une grande partie de ces femmes. Anne Doudard se dit fileuse et domestique. En dehors des périodes où elle parvient à se gager, elle va vendre pour son propre compte son fil sur les marchés. Elle travaille également à la journée, aussi bien à coudre qu’à battre le blé 30. Rosalie Hogrel, fileuse, âgée de 19 ans, est installée à Vitré depuis plusieurs mois. Elle alterne également les périodes où elle travaille comme domestique, le filage et les travaux des champs. Elle participe dans son village d’origine à l’ensemencement des chanvres, et y retourne pour les « glennes 31 ». À cette polyvalence professionnelle s’ajoutent les fréquents changements d’employeurs et la mobilité géographique qu’explique soit la difficulté à trouver un emploi permanent, soit le licenciement pour cause de grossesse extraconjugale. Jeanne Leroux, originaire de l’arrondissement de Savenay, a servi dans quatre maisons différentes en trois ans. « [Elle a] été successivement employée […] dans la commune de Prinquiau, chez MM. Duguiny, Criaud, propriétaires et fermiers en la commune du Temple, chez le S. Marand, aubergiste, puis, depuis la fin de décembre 1834, chez le S. Gérard, propriétaire à La Chapelle-Launay, jusqu’au jour de son arrestation. Dans ces diverses maisons, elle était occupée soit au labourage ou autres travaux d’agriculteurs, soit à la garde des bestiaux 32. »

29. AD C-A 2U/772, fiche de renseignements, s. d. [1861]. 30. AD I-V 2U4/614 [1825]. 31. AD I-V 2U4/616 [1825]. Selon A. Orain, op. cit., les « glennes » sont des fagots de genêt ou de bois destinés aux boulangers. 32. AD L-A 5U91/1, fiche de renseignement par le procureur de Savenay, 9 janvier 1836.

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Il est difficile de préjuger de la généralisation de cette pratique d’engagement des domestiques pour de courtes durées 33. Dans le cas particulier des accusées, c’est souvent l’état de grossesse qui est à l’origine de leur mobilité. Même si elles servent chez les mêmes maîtres depuis plusieurs années, ceux-ci n’hésitent pas à les renvoyer dès qu’ils s’aperçoivent de leur grossesse. Certaines domestiques préfèrent partir d’elles-mêmes, avant que leur état ne devienne apparent, afin de sauvegarder leur réputation. La mendicité L’importance de la mendicité est signalée dans tous les départements bretons. L’Annuaire des Côtes-du-Nord recense en 1836, 37 000 mendiants et 43 000 indigents, pour une population estimée à 598 872 habitants 34. Dans ses Recherches statistiques sur le Finistère, Armand Duchatellier évalue pour l’année 1830, d’après des sources préfectorales, le nombre de mendiants à 32 041, sur une population totale de 503 256 habitants (soit 6,36 %) 35. En Ille-et-Vilaine, 30 000 mendiants auraient été recensés en 1847, année de troubles frumentaires 36. Pour Bouët, qui traite surtout du Finistère, les mendiants sont « la lèpre du pays 37 ». Brousmiche voit dans les hordes qui assaillent les voyageurs se hasardant sur les routes de ce département, le signe de la paresse et de l’incurie d’une partie de la classe paysanne : « C’est par troupe que l’on rencontre les pauvres sur les grandes routes. Ils harcèlent les voyageurs, ils les fatiguent par leurs cris, par leur importunité, ils chantent et gambadent autour des voitures publiques et souvent on éprouve la crainte de les voir écrasés sous les roues de ces colossales diligences qui sillonnent aujourd’hui nos grands chemins. On conçoit difficilement l’existence d’un aussi grand nombre de pauvres dans un pays aussi riche, et l’on ne peut qu’attribuer à l’incurie, à la paresse, l’état des gens qui pour ne pas travailler se livrent à ce honteux moyen de s’assurer l’existence 38. »

Parmi les 13 mendiantes recensées, 6 sont localisées dans les Côtes-duNord, 4 dans le Morbihan, 2 dans le Finistère, et 1 en Ille-et-Vilaine. Trois d’entre elles sont sans domicile fixe et mènent une vie totalement errante. Marie Ollivier, de Plouzelambre, décrite comme « boëteuse », est déjà mère d’un enfant naturel que son père et sa belle-mère élèvent. Elle a été chassée de leur demeure en raison d’une nouvelle grossesse et dort dans les étables où on veut bien lui accorder l’hospitalité 39. 33. M. Segalen notait qu’il était rare que les domestiques conservent la même place plus de cinq années, Quinze générations de Bas-Bretons…, Paris, 1985, p. 259. Pour A. Burguière, la mobilité caractérise plutôt les hommes, Bretons de Plozévet, Paris, 1977, p. 109. 34. Annuaire des Côtes-du-Nord, 1836, op. cit., p. 8. 35. Du Chatellier A., Recherches statistiques sur le département du Finistère, Nantes, 1836-1837, p. 78. 36. L’Ille-et-Vilaine des origines à nos jours, op. cit., p. 313. 37. Bouët A., Breiz-Izel…, op. cit., p. 103. 38. Brousmiche J.-F., op. cit., t. 1, p. 118. 39. AD C-A 2U/650 [1843].

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Quant à Jeanne-Marie Rolland, qui est originaire des Côtes-du-Nord mais vit de la charité dans le Morbihan, elle réussit, selon le président de la cour d’assises, à trouver asile dans les meilleures maisons : « Par fainéantise, et dans le but de se procurer une existence agréable, elle se livrait à la mendicité. Elle ne s’adressait qu’aux bonnes maisons, et y apportait toujours des nouvelles des parents dont on était séparé ; ces nouvelles, en tout cas, avaient toujours l’apparence d’un intérêt réel, elle a une mémoire prodigieuse, et raconte fort bien. Avec tout cela, elle feignait une espèce d’imbécillité, ce qui ne manquait pas de lui profiter 40. »

L’hospitalité Les observateurs sociaux et les folkloristes ont relevé, en l’exagérant peutêtre, l’hospitalité accordée aux mendiants par les populations bretonnes. Brousmiche décrivait, vers 1830, la générosité de l’habitant du Finistère, profondément catholique : « Il est rare qu’un mendiant ne soit pas secouru par lui. Il a sa place près du foyer commun, il couche ou dans l’étable ou dans le tas de paille qui couvre, après la moisson, l’aire où se bat le blé. L’hospitalité est offerte ou accordée à tout voyageur, il partage le repas de la famille, qui lui est proposé sans condition de paiement 41. »

De la part de celui qui est accueilli, cette hospitalité semble avoir comme seule contrepartie de contribuer à l’information de ses hôtes en rapportant les nouvelles recueillies au cours de ses pérégrinations : « Il dîne mêlé aux gens de la maison, avec lesquels il fume ensuite et dont il se fait écouter avec intérêt, parce qu’il redit dans une ferme ce qu’il a appris dans une autre, et qu’il a presque toujours soin de recueillir dans sa course vagabonde quelque nouvelle politique dont le cultivateur est devenu singulièrement avide. Qu’y a-t-il de nouveau ? Telle est la première question que l’on vous adresse à votre entrée dans une ferme […]. Cette curiosité s’explique quand on sait que nos fermes sont éparpillées dans la campagne et non groupées en village, d’où il suit que le cultivateur vit sans communication avec ses semblables, six jours au moins sur sept. Il n’a en effet de rapport avec les autres hommes que le dimanche, lorsqu’il se rend au bourg pour la grand’messe et les vêpres 42. »

Le mendiant joue donc un rôle social particulièrement important, comme colporteur de nouvelles, mais aussi de contes et chansons traditionnels 43.

40. AN/BB/20/163/1, M, 2e trim. 1852, Robinot Saint-Cyr, s.d. 41. Brousmiche J-F., op. cit., t. 2, p. 302. 42. Habasque F., op. cit., t. 1, p. 289-290. Voir aussi Déguignet J.-M., Mémoires d’un paysan bas-breton, Ergué-Gabéric, 1998, p. 45. 43. Voir Haudebourg G., Mendiants et vagabonds en Bretagne, Rennes, 1998, p. 53-60.

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Des familles entières paraissent tirer l’essentiel de leurs ressources de la charité. Julie Le Mailloux, journalière à Ambon, âgée de 34 ans, vit avec son père et son enfant naturel. Elle recourt à la mendicité quand elle ne parvient pas à vivre du produit de son travail. C’est d’ailleurs aux inspirations de la misère qu’elle attribue son crime : « Le diable me poussait et […] dans l’état misérable où je suis, obligée de mendier mon pain, je ne savais pas comment nourrir cet enfant 44. » Au moment du drame, son père et son petit garçon, âgé de cinq ans, parcourent les environs pour « mendier leur pain ». Plusieurs autres accusées vont mendier en famille, comme Jeanne Nicolle, âgée de 33 ans et sa mère Françoise, âgée de 80 ans, qui habitent une chaumière de la lande de Boulaigné 45 ou encore Anne Leboucher, âgée de 29 ans et sa mère, une veuve de 53 ans 46. L’analphabétisme Avant les années 1835-1840, les magistrats prennent rarement le soin d’indiquer le degré d’alphabétisation des individus qui passent en jugement, bien que cette question préoccupe la chancellerie depuis 1828 47. À partir de 1840, les indications sont plus fréquentes, sans pour autant devenir systématiques. Les données recueillies dans la série BB/20 des Archives nationales, bien que relativement incomplètes, permettent de faire ressortir l’importance de l’illettrisme parmi les mères infanticides. Éléments statistiques Ne savent pas lire 120

Savent lire

103

100 80

72

60 40 20

38

33

42 33

11

8

8

3

0

Côtes-du-Nord

Finistère

Ille-et-Vilaine

Loire-Inférieure

Morbihan

Degré d’alphabétisation des accusées. Répartition par département – (Source BB/20). 44. AD M U 2120, interrogatoire, 9 mars 1842. 45. AD M U 2088 [1838]. 46. AN/BB/20/182/1, M, 2e trim. 1855, Baudouin, 16 juin 1855. 47. Direction des affaires criminelles et des grâces, circulaire, 3 mars 1828.

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L’indication du degré d’alphabétisation est disponible pour 352 accusées sur 572. L’immense majorité (82,10 %) est totalement analphabète. Seules, 63 d’entre elles savent plus ou moins lire et écrire (soit 17,90 %). Parmi celles-ci, 26 savent écrire (soit 7,38 %) mais plus ou moins parfaitement 48. On ne dispose que de deux indications relatives au mode d’apprentissage de la lecture. Toutes deux relèvent de l’entraide. L’une concerne La Vve Lépinay, cultivatrice à Bourg-des-Comptes. Elle lit un peu, mais ne sait ni écrire, ni signer. Elle dit avoir appris à lire « avec une femme qui était ma voisine, mais qui ne tenait pas d’école publique 49 ». La seconde concerne Françoise Morvan, une fileuse de 17 ans, orpheline, qui « avait inspiré de l’intérêt à quelques personnes qui lui montrèrent à coudre et lui apprirent à lire 50 ». L’alphabétisation ne semble pas avoir de rapport direct avec le statut social : la Vve Le Dû, une propriétaire-cultivatrice relativement aisée d’Edern, « sait à peine lire 51 », alors que Marie-Rose Chartier, une lingère de 21 ans, née et demeurant à Nantes, « sait lire et écrire avec facilité 52 ». Celles qui savent lire et écrire « avec facilité » sont généralement nées dans des villes : Anne-Marie Guilloux, couturière-brodeuse, élevée à l’Hospice de Vannes, demeurant à Matignon ; Séverine Lebez, tailleuse, née à Servon ; Reine Hubert, femme de chambre, née à Rennes ; Amélie Dubourg, couturière, née et demeurant à Saint-Malo ; Jeanne Evrard, tailleuse, née à Lorient, demeurant à Indret. La dernière, Dominique Tosio, marchande pâtissière à Concarneau, est née en Suisse. Les couturières et tailleuses constituent la catégorie la plus lettrée : 11 sur 41 savent lire plus ou moins parfaitement. Le taux d’alphabétisation varie de manière considérable selon le département d’origine : plus de la moitié de celles qui savent lire (33 sur 63) est originaire d’Ille-et-Vilaine. Le département des Côtes-du-Nord se place en seconde position (11 sur 63), puis viennent la Loire-Inférieure et le Morbihan (8 sur 63) et enfin le Finistère (2 sur 63). En 1850, le rapport accompagnant le Compte général de l’administration de la justice criminelle pour la période 1825-1850, soulignait la forte proportion des illettrés parmi les accusés d’infanticide. Alors que la moyenne des analphabètes parmi les personnes traduites devant les cours d’assises était évaluée à 61,2 % entre 1826 et 1830 et à 50,9 % entre 1846 à 1850, elle s’élevait chez les accusés d’infanticide, à 87 % puis à 78,8 %. Les progrès sensibles de l’alphabétisation constatés entre 1830 et 1850 ont 48. L’apprentissage de la lecture est distinct de celui de l’écriture pendant la première partie du XIXe siècle : « Avant 1850, [on] enseignait aux filles les prières, le catéchisme, la lecture, la couture, rarement autre chose », Gildea R., « L’Enseignement en Bretagne au XIXe siècle : l’Ille-et-Vilaine (18001914) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 84, 3, 1977, p. 457-479. 49. AD I-V 2U4/636, interrogatoire, 9 juin 1828. 50. AN/BB/20/137, I-V, 3e trim. 1846, Robinot Saint-Cyr, 5 septembre 1846. 51. AN/BB/20/245/2, F, 3e trim. 1862, Bernhard, conseiller, 21 août 1862. 52. AD L-A 5U 119/2, fiche de renseignement par le procureur de Nantes, 22 mai 1842.

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concerné davantage les hommes que les femmes, ce qui explique la différence importante subsistant en 1850 entre les accusés d’infanticides (78,8 % d’illettrés) et les autres (50,9 %, tous crimes confondus). Ce même rapport faisait également état des fortes variations selon l’origine géographique des personnes mises en accusation. Alors que certains départements de l’Est de la France connaissaient des taux très bas d’accusés ne sachant ni lire ni écrire (12 % dans le Doubs), trois des départements bretons se caractérisaient au contraire par un très fort pourcentage d’illettrés : 86 % dans les Côtes-du-Nord, 83 % dans le Finistère, 78 % dans le Morbihan 53. La situation n’évoluera guère dans les décennies suivantes. L’instruction en Bretagne Les auteurs du XIXe siècle décrivent la situation affligeante de l’enseignement en Bretagne. En 1832, Habasque, tout en soulignant les progrès accomplis depuis la Révolution, déplorait l’absence de « lumières » des habitants des Côtes-du-Nord : « Les campagnes sont plongées dans des ténèbres épaisses, mais aussi, sous la République, il n’existait que 15 écoles élémentaires dans les Côtes-du-Nord, où il y a près de 600 000 habitants et aujourd’hui l’on y compte à peine un instituteur primaire par trois communes, c’est-à-dire, 125 en tout 54. » Brousmiche brossait un tableau tout aussi sombre du Finistère des années 1830. Il déplorait le peu d’enthousiasme des conseils municipaux à appliquer la loi Guizot 55 et l’absence de qualification du corps enseignant 56. En 1832, 952 communes bretonnes sur 1475 (soit près de 65 %), sont encore privées d’écoles, ce qui place l’académie de Rennes à l’avant-dernier rang du royaume 57. La situation varie notablement d’un département à l’autre, voire d’un arrondissement à l’autre. Gilbert Nicolas établit une nette distinction entre les zones côtières et l’intérieur de la Bretagne, sous-alphabétisé 58. Gabriel Désert, pour sa part, oppose les départements occidentaux (Morbihan, Finistère, Côtes-du-Nord), formant un « bloc homogène d’analphabétisme », aux départements orientaux où l’analphabétisme est moins important 59. L’Ille-et-Vilaine occupe une position relativement privilégiée dans la mesure où elle est le seul département à posséder, à partir de 1831, une école normale d’instituteurs. Celle-ci, implantée à Rennes, 53. Compte général…, année 1850, op. cit., p. XXV-XXVI. 54. Habasque F., op. cit., t. 1, p. 189. 55. Loi du 28 juin 1833. Elle imposait la création d’une école de garçons par commune. L’accès à l’école était gratuit pour les enfants des familles indigentes. 56. Brousmiche J.-F., op. cit., t. 2, p. 219. 57. Nicolas G., L’École normale primaire de Rennes et la première génération de normaliens en Bretagne, Thèse d’Histoire, Paris IV, 1992, p. 13-14. 58. Ibidem, p. 52. 59. Désert G., « Alphabétisation et scolarisation dans le Grand Ouest au XIXe siècle », The Making of Frenchmen : current directions in the history of education in France, 1679-1979, Waterlo, 1980, p. 145-146.

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chef-lieu de l’académie, a une vocation régionale et accueille, jusqu’en 1852 les normaliens des cinq départements bretons. Un millier de normaliens primaires y ont été formés entre 1831 et 1852 60. Mais les progrès de la scolarisation demeurent très lents. Armand du Châtellier écrivait encore en 1863 : « Sur cent éleveurs de nos campagnes, il n’y en a certainement pas dix qui sachent lire, peut-être pas cinq 61. » Pour des raisons financières, fiscales ou culturelles, les municipalités sont en majorité hostiles à la législation sur l’instruction publique. La création d’une école implique des charges dont les conseillers municipaux ne voient pas toujours l’utilité. Dans le Finistère, les paysans aisés ont pris l’habitude d’envoyer leurs enfants dans les villes et ne sont guère disposés à payer pour la scolarisation des indigents 62. Aux difficultés de la mise en place de l’institution scolaire, partagées par de nombreux départements français s’ajoute, dans les régions bretonnantes, l’hostilité du clergé qui, par crainte de perdre son hégémonie sur les populations rurales de Basse-Bretagne, s’oppose à l’enseignement du français. En outre, la dispersion de l’habitat et le mauvais état des chemins rendent problématique la fréquentation de l’école en période hivernale. À la belle saison, les enfants aident leurs parents aux travaux des champs, ce qui raccourcit d’autant l’année scolaire. L’utilité de l’instruction des enfants pauvres est encore moins évidente quand il s’agit des filles. En 1881, l’inspecteur de l’académie de Rennes témoignait encore des résistances locales à la création d’écoles publiques de filles : « On n’hésite pas à déclarer que l’instruction n’est pas nécessaire à des femmes destinées à cultiver les champs 63. » L’éducation des filles n’est réglementée qu’à partir de 1850 par la loi Falloux qui impose à toutes les communes de plus de 800 habitants la création d’une école particulière. Mais, même lorsqu’elle est organisée, cette instruction est bien souvent livrée à des congréganistes, nommées par simple autorisation de l’évêque et rarement pourvues du brevet de capacité rendu obligatoire en 1816 64.

La vie matérielle Le cadre de vie des accusées est en harmonie avec la fragilité de leur position sociale. Hormis quelques veuves dont la vie n’est pas entravée par les problèmes matériels, c’est bien la précarité qui domine la condition sociale des femmes infanticides. Mais cette situation est commune à bien des habitants des campagnes. Faiblesse des revenus, médiocrité des habitations, de l’hygiène et de l’alimentation sont largement partagées. Les 60. Nicolas G., op. cit, p. 8-9. 61. Du Chatellier A., L’Agriculture et les classes agricoles de la Bretagne, Paris, 1863, p. 207. 62. Ogès L., L’Instruction primaire dans le Finistère sous le régime de la loi Guizot, 1833-1850, Quimper, 1935, p. 17. 63. Désert G., op. cit., p. 151. 64. Ibidem, p. 154.

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archives sont emplies de notations qui attestent la pauvreté générale : maintes familles logent dans de simples huttes 65, des « loges » misérables, voire de « méchantes cabanes 66 ». Maints vieillards sont aveugles, infirmes, grabataires. Bien que la misère soit générale, toutes les accusées ne sont pas assujetties de la même manière aux contraintes qui pèsent plus particulièrement sur les femmes. Les domestiques et les femmes qui demeurent avec leur famille sont constamment placées sous le regard des autres, mais celui-ci est autant protecteur qu’inquisiteur. Celles qui vivent dans la plus parfaite solitude et, par conséquent aussi, dans le plus grand dénuement, disposent paradoxalement d’une plus grande liberté individuelle. Elles échappent plus facilement que les autres, ne serait-ce que par le vagabondage, au lourd fardeau du contrôle que les divers groupes sociaux tentent d’exercer sur leur vie privée. L’habitat La plupart des habitants des campagnes vivent dans des « écarts », ou « épars 67 », petits hameaux de quelques foyers, où les événements sont rares et où l’on conçoit qu’un fait dramatique comme le meurtre d’un enfant vienne bouleverser le cours ordinaire des existences. Habasque nous livre, avec son regard d’urbain passionné d’anthropologie, la description du cadre de vie d’une inculpée qui, pour exotique qu’il puisse paraître, n’est nullement exceptionnel : « Étant allé en 1823 dans la commune de Boqueho 68, pour y constater un infanticide, j’entrai pour dresser mon procès-verbal et faire procéder à l’autopsie, dans une chaumière où le greffier eut beaucoup de peine à trouver une escarbelle, qui ne valait pas mieux que celle de Baucis : une vache, des poules, deux ou trois moutons partageaient ce logis avec le propriétaire : la litière était à quatre pas du foyer, et des belettes montaient et descendaient sans cesse, le long d’un mur crevassé. On nous dit qu’elles mangeaient les œufs des poules et buvaient le lait des vaches. L’un des gendarmes qui m’accompagnaient voulut essayer d’en prendre une, mais la maîtresse de la maison s’y opposa fortement, et le gendarme feignant de persister dans son projet, elle implora mon autorité pour faire cesser ses poursuites : ses belettes portaient bonheur à sa maison, c’étaient ses Dieux lares. À l’extérieur de cette chaumière, où nous étions dévorés par des myriades d’insectes, quatre-vingt ou cent femmes attendaient la fin de notre opération. Comme cela tardait, elles m’envoyèrent demander quand je prêcherais. Elles s’imaginaient sérieusement que j’allais monter sur une barrique à la porte et exposer aux jeunes filles le danger qu’il y avait à s’abandonner à ses passions ; et ce bon adjoint ! La commune, disait-il, était déshonorée, depuis 65. C’est le cas des deux sabotières et des témoins qui exercent des métiers liés à la forêt. 66. Marie-Françoise Garrec, mendiante à Rumengol, AN/BB/20/268, F, 4e trim. 1864. 67. Voir Vallaux C., op. cit., p. 128-133. 68. Arrondissement de Saint-Brieuc.

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cent ans il n’en était pas arrivé autant. Il faisait sans s’en douter un bel éloge de la moralité de son pays 69. »

Les maisons rurales dans lesquelles habitent les accusées répondent aux caractéristiques des chaumières décrites par les voyageurs des XVIIIe et XIXe siècles : petites maisons basses, au sol de terre battue, sans étage, si ce n’est parfois un grenier, à peine éclairées par d’étroites fenêtres, où étable et habitation humaine ne forment souvent qu’un seul corps de logis. Le cadre de vie des femmes infanticides n’est cependant pas totalement uniforme : il dépend non seulement de leur position sociale, mais aussi des rapports qu’elles entretiennent avec leur parentèle. Les conditions de vie des accusées varient en effet notablement suivant leur degré d’inclusion dans le système de la vie familiale (comme enfant de la famille ou comme domestique) ou, au contraire, leur degré d’autonomie. Elles ne sont évidemment pas non plus sans rapport avec leur statut matrimonial, mais ne coïncident pas totalement avec celui-ci, particulièrement pour les femmes mariées dont beaucoup, parmi les accusées, sont séparées de fait de leur époux 70. Les données concernant le mode d’habitation sont disponibles pour 402 femmes : 138 vivent chez leurs maîtres ; 136 vivent avec leurs ascendants ou collatéraux ; 16 vivent avec leur mari et éventuellement un ou plusieurs enfants; 111 vivent seules ou avec un ou plusieurs enfants. La vie de famille Compte tenu de la petite taille des habitations, les habitants des campagnes vivent dans une grande promiscuité. À moins que leur niveau de vie soit légèrement plus élevé que la moyenne des familles impliquées dans ces affaires, rares, parmi les femmes recensées, sont celles qui disposent d’une chambre particulière. La majorité des accusées sont obligées de partager leur lit soit avec leur mère, soit avec d’autres enfants de la famille. Promiscuité

Eulalie Pellerin, tailleuse à Pornic, âgée de 28 ans, dort avec sa mère, une journalière de 48 ans et avec sa fille naturelle, âgée de 6 ans. Leur logement se compose « d’une seule petite chambre au rez-de-chaussée donnant sur une petite cour, et sans aucune latrine attenant à cette habitation 71 ». Nous en possédons une description assez précise : « Cette chambre a dix pieds de longueur sur huit de largeur. Un lit se trouve placé dans le sens de la longueur de cette chambre, il a six pieds de 69. Habasque F., op. cit., t. 1, p. 304-305. 70. La situation matrimoniale des accusées sera examinée au chapitre suivant. 71. AD L-A 5 U 100/1, p.-v. de transport du juge d’instruction de Paimbœuf, 22 octobre 1837.

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longueur sur quatre de largeur, au pied du lit est placée une petite armoire. La porte de cette chambre étant fermée, elle ne reçoit le jour que par deux carreaux de vitre placés dans le haut de la porte et qui sont chacun environ d’un pied carré 72. »

La famille est trop pauvre pour entretenir un feu dans le foyer, en septembre du moins, époque du crime. Lorsqu’elle veut allumer sa chandelle, Eulalie Pellerin est contrainte d’aller demander du feu à sa plus proche voisine. Il n’est pas rare que les lits, qui à cette époque sont encore souvent des lits-clos, soient occupés par deux ou trois personnes. Dans la période qui précède son accouchement, Adrienne Fichoux, blanchisseuse à Pont-Croix couche, selon son habitude, avec sa mère naturelle, une journalière de 59 ans et avec sa cousine. Mais la présence de celle-ci n’est peut-être qu’occasionnelle 73. Mêmes si les accusées disposent de leur propre lit, le mode de vie familial comme l’architecture des maisons, souvent composées d’un unique rezde-chaussée, réduisent singulièrement l’espace privé. Marguerite Guédès, journalière à Lopérec, âgée de 33 ans, déjà mère d’une fille naturelle de 7 ans, jouit en apparence d’une relative indépendance puisque son habitation est distincte de celle de son père et de sa « marâtre ». Cependant son intimité est toute relative car, comme le déclare son père : « J’entends très bien ce qui se dit chez ma fille car il n’y a qu’une faible muraille à séparer nos deux habitations 74. » La promiscuité est plus grande encore quand il y a cohabitation entre plusieurs familles. La famille Lozach, de Saint-Conan, composée du père, un « vieillard atteint de surdité » et de sa fille Claudine, une filandière de 39 ans, partage une petite maison avec celle de Joseph Raoult, mendiant. Les deux appartements ne sont séparés que par une cloison à mi-hauteur : « La maison où elle [Claudine Lozach] demeure est divisée en deux compartiments, celui à gauche et au levant, habité par la famille Jean Lozach, celui à droite par Joseph Raoult ; ces deux compartiments sont séparés par un muret composé de terre et de pierres d’une hauteur d’un mètre à un mètre cinquante centimètres. […] Il règne dans les deux compartiments de la maison, et surtout dans celui occupé par la famille Lozach, une grande obscurité. Au surplus le mur qui les sépare est à une hauteur qui permet de tout entendre d’un compartiment dans l’autre et lorsqu’ils seraient éclairés, de tout voir et observer de l’un à l’autre, attendu que dans certaines parties notamment sur la partie gauche de ce muret, il n’existe point une hauteur d’un mètre. »

La surface dont dispose chaque famille est remarquablement réduite : « La maison habitée par les familles Lozach et Raoult a une longueur de 72. Idem, 24 octobre 1837. 73. AD F 4U2/113, Marguerite Fichoux, mère naturelle de la prévenue, 21 juillet 1849. 74. AD F 2U/84, Jacques Guédès, journalier, 24 janvier 1844.

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8 mètres sur une largeur de 6 et […] le compartiment occupé par la famille Lozach a depuis la porte du muret de séparation jusqu’au pignon une longueur de 3,6 m 75. » En outre, cette maison n’ayant qu’une entrée, les Raoult doivent laisser aux Lozach un passage pour accéder à leur « compartiment ». Quand les habitations disposent d’un grenier, celui-ci sert souvent de chambre à l’un des enfants de la maisonnée ou bien encore à un domestique. Mais il ne comporte généralement pas de plancher, et seuls des perches ou des fagots servent d’assiette. Il n’est donc pas vraiment séparé de « l’embas 76 » où se tient le reste de la famille. Marie-Anne Jeannet, renvoyée successivement de trois maisons en raison de son état de grossesse est venue se réfugier chez sa sœur à Trégunc. Elle accouche de manière impromptue, dans le grenier de la maison, sous le regard stupéfait de son beau-frère : « Le 10 février, vers sept heures du soir, elle se plaignait d’avoir la fièvre et alla se coucher au grenier où son lit était déposé sur des branchages, qui tenaient lieu de plancher au-dessus du rez-de-chaussée de l’habitation. Le lendemain, 11 février, pendant la grand’messe, François Quittic vit tomber du grenier du sang en assez grande abondance : il exprima à sa bellesœur, qui n’était pas descendue du grenier depuis la veille, l’opinion qu’elle venait d’accoucher, mais elle [le] nia 77. » Tensions

Pour cacher leur grossesse, de nombreuses domestiques essaient de se refugier chez leurs parents. Mais l’accueil qui leur est réservé n’est pas toujours chaleureux, surtout si le couple parental a été défait par la mort d’un des époux et que l’époux survivant s’est remarié. Marie-Jeanne Le Tirant, une tricoteuse de 23 ans, retourne au domicile de son père à Plouvara, d’où elle avait été chassée par sa belle-mère qui, dit-elle « ne voulait pas que je vécusse avec elle ». Mais elle n’est accueillie qu’à contrecœur par son père, dont elle craint les coups, et mène chez lui une vie de recluse : « Je vivais seule et retirée dans un appartement situé au-dessus de celui où habitaient mon père et tous ses gens. Je ne mangeais même pas avec lui. J’étais quelquefois plusieurs jours sans le voir 78. » La cohabitation entre parents et enfants est parfois source de vives tensions, qu’aggrave la promiscuité. Les relations entre Eulalie Pellerin et sa mère sont très violentes. L’une de leurs plus proches voisines est témoin de la querelle qui a éclaté entre Eulalie et sa mère le lendemain du crime et des insultes adressées par celle-ci à sa fille : « Il y a quinze jours d’hier c’est-à-dire le dimanche huit de ce mois, montant l’escalier de ma chambre à celle de la veuve Prioux, qui occupe le pre75. AD C-A 2U/686, p.-v. de transport du juge d’instruction de Guingamp, 12 février 1845. 76. Rez-de-chaussée. 77. AD F 4U2/84, acte d’accusation, 22 mai 1844. 78. AD C-A 2U/639, interrogatoire, 23 février 1842.

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mier étage de notre maison, j’entendis la veuve Pellerin dire à sa fille : “Sacrée vene [sic], sacrée putin averrée [sic], tu n’as point de honte de dire des choses de même ?” J’appellai la Prioux pour qu’elle vînt entendre avec moi cette conversation, mais avant qu’elle fût descendue, la veuve Pellerin ne disait plus rien ou du moins je n’entendis plus 79. »

La principale victime de ces violences familiales aiguisées par le manque d’argent est la mère d’Eulalie. La Vve Arnaud, propriétaire de la chambre qu’elles occupent, présente celle-ci sous un jour peu amène : « Eulalie Pellerin injuriait souvent sa mère de la manière la plus grossière, se servant à son égard des termes les plus sales. Il y a environ six semaines ou deux mois, mes voisins entendirent pendant la nuit la veuve Pellerin crier à la force : “Madame Arnaud, j’ai un bras cassé.” »

Elle décide alors d’interroger la Vve Pellerin qui lui confie ses misères : « Elle se mit à pleurer et elle me dit que sa fille l’avait battue, que bien des fois elle lui en avait fait voir de rudes, qu’elle lui avait donné bien des coups de bâton et que souvent elle l’avait mise à la porte et forcée de coucher dehors. Le lendemain je voulus adresser quelque représentation à Eulalie Pellerin sur l’indignité de sa conduite envers sa mère, et qu’elle s’exposait, en continuant [ainsi], à être blâmée de tout le monde, elle me répondit qu’elle se foutait de ceux qui en parleraient, qu’elle en avait foutre [sic] et qu’elle en fouterait encore à cette vieille charogne qui depuis deux mois ne lui avait pas donné un liard, ou qu’elle changerait 80. »

Les relations entre mari et femme peuvent également devenir très tendues quand le partage des biens des parents a fait l’objet de difficultés 81. Ces tensions apparaissent incidemment dans l’affaire de la femme Le Bihan. Le médecin qu’elle est allée consulter pour obtenir des remèdes abortifs la confond avec une autre patiente qui avait entrepris la même démarche auprès de lui. C’est l’entrevue avec cette dernière qu’il relate au juge de paix : « Sur mes questions, elle me dit qu’effectivement elle était enceinte. Alors que voulez-vous, lui dis-je ? “Mon mari, me répondit-elle, est très fâché de me voir grosse parce que je ne pourrai travailler pendant la récolte.” Elle ajouta qu’elle était venue pour me prier de la débarrasser de son fardeau. “Vous êtes folle, lui dis-je, puisque vous êtes mariée, vous n’avez aucun motif de détruire votre enfant, allez vous-en, et conservez-le.” Je crois qu’elle me dit encore que son mari ne la rendait pas très heureuse, parce que, dans un partage intervenu entre elle et son frère, elle n’avait pas eu tout ce qui lui avait été promis 82. »

Lorsqu’il y a cohabitation entre collatéraux, le mariage d’un des membres de la fratrie peut provoquer des dissensions, et la situation peut 79. AD L-A 5U100/1, Vve Chabot, 50 ans, journalière, 23 octobre 1837. 80. Idem, Marie Bodineau, Vve Arnaud, 76 ans, rentière, 24 octobre 1837. 81. D’après tous les observateurs du XIXe siècle, le mariage en Bretagne serait surtout affaire d’intérêt. 82. AD F 4U2/164, François-Marie Taburet, 53 ans, médecin à Saint-Renan, 20 août 1858.

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devenir insupportable pour l’intrus si toute la maisonnée a de bonnes raisons de penser que le mariage qui a été conclu n’est pas très avantageux pour la famille. Marie-Jeanne Le Perron a épousé, alors qu’elle était enceinte des œuvres d’un autre homme, Jean-Marie Le Bonzec, cultivateur à Gestel. Elle devient assez rapidement un objet de haine pour sa belle-mère et ses belles-sœurs qui lui font savoir que l’enfant qu’elle va mettre au monde ne sera pas le bienvenu. Elles ne lui épargnent pas les insultes : « Très fréquemment ma belle-sœur Rosalie Le Bonzec m’a dit que je n’étais qu’une charogne ; qu’il y avait assez d’enfants dans la maison et que j’en serais chassée ainsi que mon fruit, si j’étais enceinte comme elle en était sûre 83. »

Lorsque, prise de désespoir après la découverte de son crime, elle tente de se suicider en se jetant dans un puits, son autre belle-sœur, Jacquette, ne se montre guère plus charitable. Elle refuse de la veiller quand les voisins, l’ayant retirée du puits, la confient à sa garde et essaie de se décharger de cette corvée sur sa sœur : « Jacquette Le Bonzec, témoigne une journalière, dit alors à Rosalie : “La voilà maintenant, gardez-la si vous voulez. Moi ! s’écria Rosalie, Garder cette gone-là ! Qu’elle crève si elle veut car elle ne vaut pas la peine que je perde ma nuitée de sommeil 84 !” »

La vie de domestique La vie des domestiques semble souvent se confondre totalement avec celle de leurs maîtres. Si bien que l’on pourrait penser, si l’on ne savait qu’on n’hésite pas à les chasser lorsqu’elles sont enceintes, qu’elles sont membres à part entière de la communauté familiale. « Le domestique de Verdier 85 », écrivait par exemple Vincent dans son compte rendu du jugement de Marie Trécan, servante chez un boulanger-fournier de Saint-Méloir-des-Ondes, « se composait de lui, de sa femme, de deux enfants en bas âge, de sa bellesœur, femme Goglin, et de Marie Trécan 86 ». Les domestiques partagent l’intimité de leurs maîtres. Marie-Anne Yvenal, domestique chez des laboureurs de Lothey, est une des rares domestiques rurales à disposer d’une chambre personnelle. Son dossier indique qu’elle « couchait seule dans une chambre séparée par un corridor spacieux de celle de ses maîtres 87 ». Cet élément de confort est moins rare pour les domestiques urbaines, encore que beaucoup dorment dans la cuisine ou 83. AD M U 1998, interrogatoire, 23 juin 1827. 84. Idem, Vve Kerdelhué, 51 ans, journalière, 6 juillet 1827. 85. Dans la société d’Ancien Régime, le concept de famille était souvent associé à la notion de co-résidence. Voir Flandrin J.-L., Familles, parenté, maison, sexualité dans l’ancienne société, Paris, 1984, p. 12. M. Segalen inclut les serviteurs dans les structures familiales, Quinze générations, op. cit., p. 70. 86. AN/BB/20/41, I-V, 3e trim. 1828, Vincent, 25 août 1828. 87. AN/BB/20/218/1, F, 2e trim. 1859, Lambert, 22 avril 1859.

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avec d’autres domestiques, ou encore avec les jeunes enfants dont elles assument la surveillance. Curieusement, l’absence d’intimité ne semble pas gêner outre mesure l’autre élément du couple maître-domestique impliqué dans cette promiscuité : le « bourgeois » ou la « bourgeoise », comme les désignent habituellement leurs serviteurs 88. Quels que soient leur degré de fortune ou de notabilité, les maîtres ne paraissent pas répugner à installer leurs domestiques dans leur propre chambre. La demoiselle Lemoine, propriétaire du château de la Mahonnière, près de Soulvache, partage pendant plusieurs mois sa chambre avec sa domestique, Louise Brochard. Elle n’est pas sans remarquer la grossesse de cette fille : « Mademoiselle Lemoine a ajouté que depuis son entrée à son service à la Saint-Jean 1839, Louise Brochard avait constamment couché chez elle d’abord dans la propre chambre d’elle, demoiselle Lemoine [sic], depuis la Saint-Jean à août 1839 […] ; ensuite dans la cuisine et dans le lit de son autre domestique, Anne Mallier. Aussi longtemps que Louise Brochard a couché dans la chambre de la demoiselle Lemoine, celle-ci s’était aperçue que cette fille avait le ventre extraordinairement gros, et les seins si fortement gonflés qu’elle l’invitait à se serrer étroitement pour ne pas scandaliser les autres domestiques 89. »

Mais la promiscuité maîtres-domestiques caractérise surtout la vie paysanne. Dans les familles de petits agriculteurs où les générations cohabitent, maîtres et serviteurs dorment souvent dans l’unique pièce du logis, qui sert aussi de cuisine. Les Colombel, habitant à Saint-Maden, qui sont pourtant qualifiés de laboureurs, ont des conditions de vie bien modestes. Parents « au 8e degré » de leur domestique, Marie Lécriou, ils dorment dans la même pièce que celle-ci, qui partage le lit de leur enfant. Seule l’aïeule possède une chambre à part : « Cette fille, dit-elle, couchait chez nous dans l’embas où nous mangeons et où on fait la cuisine, dans un lit en face de celui où couchent mon fils et sa femme. Ces deux lits sont de chaque côté du foyer et moi je couche dans un appartement qui est derrière le foyer et derrière la tête des deux lits 90. »

Le jour de son accouchement, ses maîtres, qui disent avoir ignoré la nature de son mal, la soignent comme ils l’auraient fait pour l’un des leurs : « Le lundi 3 janvier dernier, Marie Lécriou, qui couchait avec ma petite fille âgée d’environ 26 mois dans un lit en face de celui où je couche avec mon mari se leva vers quatre heures et demi [sic] du matin et alla porter à manger à nos vaches. En rentrant bientôt après, elle se plaignit d’être malade et elle se recoucha. Elle avait mal au cœur, sans pouvoir vomir, ma bellemère qui était levée lui fit chauffer de l’eau avec du sucre et elle en but. Vers 88. Selon Sébillot, le « bourgeois », la « bourgeoise » sont aussi les termes qu’emploient en HauteBretagne les paysans pour désigner leur époux ou épouse, Coutumes populaires…, op. cit., p. 141. 89. AD L-A 5U110/1, Louise Lemoine, 48 ans, 10 décembre 1839. 90. AD C-A 2U/641, Vve Colombel, 15 mars 1842.

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sept heures […] je lui donnai encore de l’eau sucrée et dans ce moment elle me donna un de ses cotillons pour le lui chauffer, [et] pour lui envelopper les pieds parce qu’elle se plaignait d’y avoir froid 91. »

La pudeur n’est pas exclue de cette vie de proximité. Comme le remarque le juge de paix de Matignon, les lits-clos permettent aux jeunes filles de préserver leur intimité : « Grâce à la fermeture des lits dans les campagnes, les filles ont l’habitude d’achever de se déshabiller après s’être enfermées 92. » Mais l’absence d’intimité interdit toute pudibonderie. Dans la maison de Victor Lemercier, où elle est appelée à travailler de son état de couturière-brodeuse pour préparer le mariage de la fille aînée de la maisonnée, Anne-Marie Guilloux, venue de Matignon, est logée dans la chambre commune. Elle partage avec ses hôtes le « pot de nuit » qui est placé devant le lit des maîtres : « Dans la nuit du 24 au 25, elle occupait un des quatre lits qui se trouvent dans la pièce d’habitation de la dite ferme et où couchaient les époux Lemercier dans un même lit, deux grandes filles dans le second et dans le troisième, le fils d’environ 22 ans. Dans la nuit, Annette se leva vers deux heures et urina dans le pot qui était au pied du lit des mariés, elle se releva environ 4 heures 1/2. Chacun l’entendit, elle sortit, après avoir fait deux ou trois pas elle fut obligée de s’arrêter et elle accoucha à la porte de l’écurie 93. »

La promiscuité règne non seulement entre maîtres et domestiques, mais également entre hommes et animaux. Marie-Anne Guédès, aide-cultivatrice à Brasparts, tente assez vainement, lorsqu’elle ressent les douleurs de l’accouchement de se retirer dans la « crèche 94 » qui, malheureusement pour elle, n’est pas vraiment séparée de l’habitation de ses maîtres. Elle ne parvient pas à échapper à leur insistante sollicitude : « La malade était sur le foyer, après avoir bu l’eau-de-vie, elle dit que sa colique durait toujours et qu’elle voulait faire ses besoins ; elle passa dans la crèche qui, suivant l’usage de la Basse-Bretagne, n’est séparée de la partie habitée que par un rang de meubles placés les uns contre les autres. Comme cette fille y restait assez longtemps, on lui disait du foyer qu’elle allait gagner froid et qu’elle ferait mieux de se mettre au lit : toutes les fois qu’on lui adressait la parole, elle répondait, et sa voix n’annonçait aucune altération 95. »

La vie solitaire Si l’on excepte les domestiques, le mode de logement le plus fréquent des accusées qui ont cessé d’entretenir toute relation avec leur famille, que 91. Idem, Françoise Colombel, ménagère [même jour]. 92. AD C-A 2U/743, fiche de renseignements, 28 janvier 1849. 93. Idem. 94. « Très petits bâtiments où on loge les animaux de petite taille et surtout les porcs », Vallaux C., op. cit., p. 135. 95. AN/BB/20/93, F, 2e trim. 1837, Le Beschu de Champsavin, 12 juin 1837.

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ce soit par suite de dissensions familiales, de la mort du dernier parent survivant ou du départ au bourg ou à la ville à la recherche d’un emploi, consiste à louer une chambre chez des particuliers. Les principales pourvoyeuses de ces chambres sont des veuves pour qui le montant du loyer, aussi minime soit-il, représente un complément de revenus. Au moment où Rosalie Hogrel commet son crime, elle est hébergée à Vitré depuis sept mois chez la Vve David, également fileuse, âgée de 70 ans. Elle partage le lit de sa logeuse pour 30 sous par mois. Dans la même chambre dort un troisième personnage, Jean Baron, décédé peu après. Rosalie Hogrel accouche « huit jours avant Carnaval » dans cette chambre commune, et dans un lit, précise-t-on, dépourvu de rideau, en présence des autres occupants de la chambre, mais, d’après la Vve David, à leur insu : « J’accouchai de cet enfant, raconte Rosalie Hogrel, à huit heures du soir, chez la dite veuve David, où je demeurais lors, et cet accouchement, je pense, eut lieu un mercredi, du mois de février dernier. Lors de mon accouchement, après avoir ressenti les douleurs de l’enfantement, je me levai de mon lit sur mes genoux, où j’accouchai de cet enfant, pendant que la veuve David et Jean Baron étaient ensemble à se chauffer au foyer 96. »

Marguerite Hervé, qui a épousé un militaire, Lorgeré, absent depuis cinq ou six ans, vit avec son fils dans une chambre qui n’est séparée de celle de ses voisins que par une porte dont la partie supérieure a été enlevée. Elle est, par conséquent, placée sous le contrôle permanent de sa voisine, qui démontre sa parfaite connaissance de l’emploi du temps de Marguerite Lorgeré le soir du crime : « Lorsque l’inculpée s’est couchée, en l’entendant se mettre au lit, je lui ai parlé et elle m’a répondu que n’ayant pas de bois pour faire du feu, elle se mettait au lit. En rentrant de six à sept heures [sic], mon mari ne voyant pas, comme d’habitude, de lumière chez l’inculpée dit : “Marguerite Hervé est donc couchée !” “Oui, lui répondis-je, parce qu’elle n’a pas de bois.” Là-dessus, Marguerite Hervé s’adressant à mon mari, lui demanda des nouvelles de sa nièce qu’il venait de visiter. Vers neuf heures, l’inculpée m’a demandé si je n’allais pas me coucher, je lui répondis que j’étais près d’un bon feu, elle ajouta qu’elle avait tant froid aux pieds qu’elle ne pouvait dormir 97. »

Il arrive assez fréquemment que des femmes seules se regroupent pour louer une chambre, un appartement ou une chaumière. Julie Mandin, âgée de 31 ans, originaire d’Ancenis et domiciliée à Nantes depuis vingt ans, « domestique sans place travaillant comme journalière », se livrant à « toutes sortes de travaux de ménage », partage une chambre en « consortage » avec une veuve 98.

96. AD I-V 2U4/616, interrogatoire, 12 mai 1825. 97. AD C-A 2U/735, Marie-Yvonne Kergall, aubergiste, 24 février 1848. 98. AD L-A 5U87, interrogatoire, 6 février 1835.

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La Vve Thominet, une journalière récemment installée au village de La Teïlo, à Saint-Caradec, partage une chaumière avec une autre veuve et, pendant plusieurs mois, avec une troisième femme. Ce n’est que quand celleci quitte la maison que la Vve Thominet peut installer ses meubles : « Vers les deux heures de l’après-midi, je me trouvais chez Jeanne Gorvel, veuve Thominet : celle-ci était occupée à coudre une couette de balle pour son lit. Louis Thominet, son beau-frère, était là, fumant la pipe dans le coin du foyer. Il était venu monter le lit de sa belle-sœur. Celle-ci n’était à La Teïlo que depuis la Saint-Michel dernière, et elle n’avait pas encore arrangé son mobilier dans sa nouvelle habitation : je suppose que c’était parce que l’espace manquait. Une femme, que je ne puis vous désigner que sous le nom de Suzanne, occupait avec la veuve Perrigault et la veuve Thominet la petite chaumière que celle-ci était venue habiter à la SaintMichel : elle l’y avait précédée, et ce n’est qu’à son départ que la veuve Thominet a pu mettre ses meubles 99. »

Solitude et précarité résultent parfois de la liberté qu’ont cherché à s’octroyer certaines femmes en rompant les liens qui les assujettissaient à leurs aînés. La vie d’Anne-Marie Julien, une tailleuse de 28 ans de Montreuil-surIlle, travaillant pour son compte, se transforme totalement lorsque, à la fin de 1859, elle décide de quitter ses parents et de louer une chambre indépendante : « La conduite de la fille Julien, alors âgée de 26 ans, avait été jusque là irréprochable ; mais elle changea presqu’immédiatement. On la vit fréquenter les cabarets en compagnie d’ouvriers du chemin de fer et s’enivrer plusieurs fois 100. » Cette soif de liberté la conduit à se laisser séduire par un contremaître. Elle le reçoit dans la chambre qu’elle partage avec sa jeune apprentie, âgée de 12 ans. Mais l’idylle tourne assez rapidement court et cet homme l’abandonne, sans que le dossier permette de savoir s’il avait eu connaissance de sa grossesse. Les femmes les plus démunies sont hébergées gratuitement par des voisins ou des parents charitables. Julienne Godard, âgée de 30 ans, une fileuse et mendiante de Montours, « couchait habituellement par charité » dans un fenil appartenant à Julien Rochel. Ce cultivateur l’employait de temps à autre à cultiver, cueillir ou filer le chanvre. Elle dormait sur un lit « qui ne consist[ait] que dans un mauvais drap et de la paille 101 ». Après la découverte de son crime, elle parvient à s’enfuir, abandonnant « à la commune de Montours un autre enfant bâtard, âgé de 5 ans 102 ». Elle dit avoir été encouragée à prendre la fuite par son amant, à qui elle aurait porté l’enfant : 99. AD C-A 2U/752, Marguerite Glais, filandière, 19 décembre 1849. 100. AN/BB/20/245/2, I-V, 1er trim. 1862, Baudouin, 22 février 1862. 101. AD I-V 2U4/614, p.-v. de transport du juge de paix de Saint-Brice-en-Coglès, 24 septembre 1822. 102. Idem, le juge de paix de Saint-Brice-en-Coglès au procureur de Fougères, 25 septembre 1822.

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« Je lui demandai ce qu’il voulait en faire, il me répondit : “Fais-en ce que tu voudras, pour moi je n’y toucherai point, si la justice s’en mêlait, comme tu diras toujours que c’est moi qui te l’ai fait, je pourrais être accusé de lui avoir donné la mort, mais toi tu peux le jetter dans un coin, et quitter le pays, tu n’es pas comme un homme, tu peux voyager sans passeport et tu seras moins exposée à être recherchée 103.” »

Modestie des revenus et du patrimoine Plus que le lit qu’elles doivent souvent partager avec d’autres, l’armoire ou la malle constituent, pour les domestiques, le refuge de l’intimité. Elles en conservent parfois jalousement la clé sur elles. C’est assez fréquemment dans leur armoire que, prises de panique après le crime, les mères coupables dissimulent le cadavre de leur enfant. C’est là seulement qu’elles peuvent tenir à l’abri du regard des autres leurs petits objets personnels, modestes souvenirs de leur passé, et y renfermer leur seule richesse qui se limite souvent à quelques « hardes ». Bien peu, en effet, possèdent une véritable garde-robe. Eulalie Pellerin – mais son intérêt était d’apitoyer le magistrat instructeur – disait ne posséder que deux chemises : « Nous avons encore remarqué quelques taches de sang sur une fort mauvaise chemise que Eulalie Pellerin nous a dit être la seule qu’elle possède en outre de celle qu’elle a sur elle. Eulalie Pellerin nous a dit que ce sang provenait de ses règles et qu’il y a fort longtemps que cette chemise n’a été portée, qu’il y a si longtemps qu’elle ne pourrait nous dire s’il y a un an ou plus qu’elle l’a portée ; que quand la chemise qu’elle a sur elle était salle [sic], elle se passait de chemise lorsqu’elle la lavait 104. » La garde-robe de Rosalie Hogrel se limite aux vêtements et objets qu’elle a laissés chez sa logeuse : « J’ai laissé chez la Vve David deux chemises de toile, deux mouchoirs de coton, l’un brun et l’autre rouge, un jupon de coton et une brassière de laine brodée, un tablier brun 105. » Les sources de revenus sont souvent dérisoires. Au lendemain de son accouchement, Marie-Anne Jeannet n’hésite pas à faire une dizaine de kilomètres, aller et retour, depuis Trégunc jusqu’à Concarneau, pour y vendre de menus produits de la ferme : du fil, du chanvre et du beurre. Rares sont celles qui possèdent des biens. La plus aisée est la Vve Le Dû, d’Edern, âgée de 30 ans, qui déclare posséder, comme ses frères et sœurs, un avoir d’environ 6 000 F 106. L’acte d’accusation indique qu’elle « dirige, avec son père une exploitation agricole, dont elle est en partie propriétaire 107 », ce qui laisse supposer que son père a partagé ses biens entre ses 103. Id., interrogatoire, 4 mars 1825. 104. AD L-A 5U100/1, p.-v. de transport du juge d’instruction de Paimbœuf, 22 octobre 1837. 105. AD I-V 2U 4/616, interrogatoire, 12 mai 1825. 106. AD F 4U2/173, interrogatoire, 1er avril 1862. 107. Idem, acte d’accusation, 1er mai 1862.

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quatre enfants, tout en continuant à diriger l’exploitation 108. Le rôle de la Vve Le Dû dans la gestion de la ferme est difficile à saisir, l’un des témoignages peut donner à penser que son activité est uniquement concentrée sur les soins du ménage : « Je l’ai toujours vue, dit une cultivatrice, jusqu’au jour de son accouchement, vaquer à ses travaux ordinaires qui consistaient seulement à filer et à préparer les repas de la famille 109. » Plus surprenant peut paraître le niveau de fortune de Marie-Françoise Ribillard, cuisinière à Redon. Déjà mère de deux enfants et réputée être de « mauvaises mœurs », elle a déjà « été renvoyée pour son inconduite de plusieurs maisons de Redon ». En 1863, elle se résout à tuer un nouveau-né dont elle a accouché clandestinement, parce qu’elle est sur le point d’épouser un ouvrier menuisier qui n’en est pas le père. Son crime sera sévèrement sanctionné – vingt ans de travaux forcés – parce qu’« elle ne pouvait, pour excuser son crime, invoquer ni la misère, puisqu’elle possédait 4 ou 5 000 francs en argent, ni la crainte de la honte, puisque déjà elle avait eu deux enfants et que sa réputation était perdue 110 ». Les dossiers sont d’ordinaire silencieux sur le montant des fermages et sur les systèmes de propriété. Ils nous apprennent cependant que MarieJeanne Labat, une cultivatrice demeurant à Plouarzel avec sa sœur et son beau-frère, « ne figure pas personnellement sur le bail de la ferme que nous [déclare ce dernier] tenons en commun moyennant 500 F. Mais elle possède sa part, c’est-à-dire un cinquième du mobilier d’agriculture 111 ». Les biens de la famille (le matériel d’agriculture et peut-être les édifices) ont vraisemblablement été partagés entre les divers héritiers qui exploitent la ferme dans le cadre d’une communauté de type familial. Le montant du fermage, 500 F en 1861, année du crime, est supérieur à la moyenne que Brousmiche indiquait vers 1830 pour les « pays de petite culture » (300 à 400 F) 112. Nous ne possédons qu’une seule indication sur le montant des gages des domestiques. Elle concerne Guillemette Amicel, domestique récemment arrivée à Damgan pour tenir le ménage de François Cheval, lieutenant des douanes, et s’occuper de son enfant. Les termes de l’engagement sont donnés par François Cheval au juge d’instruction : « Il y avait environ sept à huit semaines que Guillemette Amicel était entrée chez moi comme domestique à gages. J’étais convenu de lui donner quatre francs par mois 113. » Les domestiques étant payés à l’année, les gages de Guillemette Amicel s’élèvent à 48 F par an. Ils correspondent à peu près aux indications données en 1852 par Limon, qui précisait que les salaires des domestiques pouvaient varier, selon 108. Le système de transmission des biens est généralement égalitaire. 109. AD F 4U2/173, Louise Rognant, cultivatrice, 29 mars 1862. 110. AN/BB/20/268, I-V, 3e trim. 1864, Le Meur, 25 août 1864. 111. AD F 4U2/168, Jean Tassin, cultivateur, 1er décembre 1860. 112. Brousmiche J.-F., op. cit., t. 2, p. 292. 113. AD M U 2042, François Cheval, 37 ans, lieutenant des douanes, 8 novembre 1832.

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les cantons, du simple au double. Il estimait les gages des domestiques féminines de l’agriculture à 42 F dans l’arrondissement de Brest, 63 F dans celui de Morlaix et 30 ou 33 F dans celui de Châteaulin (salaires inférieurs, d’un tiers à la moitié, à celui des hommes). La condition des domestiques attachées à la personne était beaucoup plus avantageuse, les gages des cuisinières et des bonnes pouvant atteindre jusqu’à 150 F par an 114. Pour les journalières rurales, la situation était beaucoup moins favorable. Limon indiquait un salaire de « 75 centimes et la nourriture en sus en été » et de « 80 centimes y compris la nourriture » en hiver par jour. La journée de travail était évaluée à quatorze heures en été et à onze heures en hiver. En été, la charge de travail étant plus importante, la nourriture était fournie aux journalières en plus de leur salaire 115. L’Annuaire des Côtes-du-Nord pour 1836 donnait des estimations de salaire beaucoup plus basses encore pour les fileuses qui travaillaient aux toiles de lin de Quintin, dites aussi toiles de Bretagne : « Quant à la fileuse, elle gagne de 30 à 35 centimes par jour lorsque le lin est à 40 centimes le kilogramme : ce qui n’est pas ordinaire. Une fileuse de fil de trois aunes à la livre, en grande laize ou 3/4 ne gagne que 20 centimes par jour, celle qui file des toiles de quatre aunes : 40 centimes, et celle qui file des toiles de cinq aunes : 50 centimes ; si le lin est mélangé ou de mauvaise qualité, ces malheureuses femmes y perdent 116. »

Hygiène et santé Tous les observateurs du XIXe siècle s’accordent sur le manque d’hygiène des campagnes bretonnes et sur la malpropreté de leurs habitants. Lits-clos, bêtes et gens dormant sous le même toit, tas de fumier à proximité des maisons, non seulement ne favorisaient guère l’hygiène, mais constituaient des facteurs de propagation des épidémies. Dysenterie, typhus, variole et diphtérie frappaient régulièrement les ruraux 117. La gale, selon Cambry et Brousmiche, régnait à l’état endémique. Il conviendrait, bien entendu de nuancer quelque peu cette vision misérabiliste. Brousmiche, Habasque, et leurs continuateurs distinguaient en effet les villages de la Bretagne intérieure de ceux du littoral. Ils relevaient sur les côtes, surtout dans les villages de pêcheurs, un meilleur confort, une plus grande propreté des habitations et une plus grande élégance des habitants, particulièrement des femmes.

114. Limon J.-M., op. cit., p. 200-202. 115. 72 F dans l’arrondissement de Brest, 90 F dans celui de Morlaix, 69 F dans celui de Châteaulin, d’après Limon, op. cit., p. 205-206. 116. Toiles fabriquées dans les cantons de Loudéac, Moncontour, Uzel et Quintin, Annuaire des Côtesdu-Nord, 1836, op. cit., p. 48. 117. Voir : Léonard J., Les Médecins de l’Ouest au XIXe siècle, Paris, 1978, t. 2, p. 586-587.

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Problèmes alimentaires La pauvreté de l’alimentation est particulièrement frappante. Quel que soit le repas : matin, midi ou soir, il n’est question que de pain, de soupe (trempée de pain), de bouillie, de lard ou de galettes. Maîtres et serviteurs partageant les mêmes repas sont soumis au même régime. Jean-Marie Jourden, propriétaire-cultivateur au Conquet, père de l’enfant de sa domestique Françoise Le Bihan, mange de la soupe en revenant au petit matin de la « basse-messe » du dimanche, avant de reprendre ses travaux ordinaires : « Je me levai à quatre heures du matin pour travailler. Je fus à la première messe au bourg ainsi que mon domestique Colloch. Je revins aussitôt après la messe, je mangeai une souppe [sic] et montai me changer. Je redescendis immédiatement pour reprendre mes occupations d’intérieur 118. »

La consommation de viande est assez rare. La Vve Lépinay, cultivatrice, a l’occasion d’expliquer au magistrat, puisque des ossements, qu’elle prétend provenir d’animaux, ont été retrouvés dans son foyer, quelle est sa consommation de viande : « Je tue un cochon chaque année, nous le mangeons dans le ménage, nous mangeons aussi parfois du veau et du mouton que j’achète avec les Bouchard 119. » Elle fait donc tuer, pour la consommation de son ménage qui comprend son fils, âgé de 11 ans, sa nièce et domestique, âgée d’environ 15 ans et au moins un valet de ferme, un seul cochon par an. Elle n’est cependant pas dans la misère car elle déclare disposer, avec son fils, d’une rente annuelle de 200 F. Il n’est pratiquement pas fait allusion à la consommation de poisson. Certaines accusées sont parfaitement conscientes d’avoir une alimentation déficiente et tentent, non sans rouerie, de mettre la mort de leur enfant, prétendu mort-né, sur le compte de leur déséquilibre alimentaire. Ainsi, Anne-Marie Berrée, une domestique-cultivatrice de 36 ans, déclare-t-elle au magistrat instructeur : « J’avais cessé de sentir l’enfant bouger deux mois avant d’accoucher ; mes parents sont pauvres, je n’avais pas d’ouvrage, et j’étais mal nourrie. Je pense que c’est à cela qu’il faut attribuer la mort de l’enfant dans mon sein 120. » La mère d’Angélique Frémont 121, une fileuse de Gennes, âgée de 17 ans, déjà condamnée pour vol, tente de persuader ses voisines que l’épaississement de la taille de sa fille provient d’une excessive consommation de féculents, argument qui dénote une connaissance, ne serait-ce qu’empirique, des règles de la diététique. Une voisine rapporte que la mère d’Angélique lui dit un jour « qu’on répandait dans le public que sa fille Angélique était enceinte et qu’il n’y avait rien de si faux ; que seullement [sic] elle avait engraissé parce qu’elle mangeait beaucoup de châtaignes et de pommes de 118. AD F 4U2/164, interrogatoire, 3 août 1859. 119. AD I-V 2U4/636, interrogatoire, 31 juillet 1828. 120. I-V, 4e trim. 1854, Le Beschu de Champsavin, 27 décembre 1854. 121 Ou Fromont.

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terre ; à quoi la déposante n’ausa [sic] rien répondre, quoique tout le public fût persuadé du contraire 122 ». Plusieurs mendiantes disent ne pas avoir mangé depuis plusieurs jours, mais elles ont sans doute intérêt à exagérer la dureté de leurs conditions d’existence, tant pour légitimer leur recours à la charité que pour excuser leur crime. C’est précisément à l’inanition que quelques accusées, cherchant à mystifier leurs proches, attribuent les maux qu’elles ressentent au moment d’accoucher. Julienne Godard dit à une de ses voisines, au lendemain de son crime, pour justifier le dérangement de sa santé « qu’il y avait trois jours qu’elle n’avait point mangé 123 ». Cette tactique n’est pas isolée. Marie Ollivier l’emploie également. Elle explique à la domestique de la maison où elle avait demandé l’hospitalité et où elle avait accouché secrètement, pendant la nuit, « [qu’]ayant été longtemps sans manger, elle se trouvait malade parce qu’elle venait de prendre de la nourriture 124 ». On ne peut cependant mettre en doute que ces tactiques reposent sur une expérience réelle de la faim. La petite fille de Jeanne Brunet, âgée de 10 ans, qui est présente lors de l’accouchement de sa mère et qui s’effraie de voir que cette dernière s’apprête à étouffer son nouveau-né avec une « coeffe de coton », essaie par toutes sortes d’arguments de s’opposer au crime. Selon la domestique de la maison voisine à qui cette petite fille s’est confiée : « Elle priait sa mère de ne pas tuer sa petite sœur, [lui disant] qu’elle irait plutôt chercher du pain à genoux 125. » Le maître de la maison, présent lors des confidences de la petite Brunet, rapporte également que celle-ci avait proposé à sa mère « d’aller dans les villages chercher de la farine pour lui faire de la bouillie et du pain 126 ». Pratiques thérapeutiques Il est assez rare que les accusées fassent spontanément appel aux médecins, sauf lorsqu’elles souhaitent obtenir des certificats attestant qu’elles ne sont ni enceintes, ni récemment accouchées. C’est surtout à l’instigation de leurs maîtres qu’elles entreprennent ces démarches. Mais elles ne s’y soumettent qu’avec réticence. Anne-Marie Le Breton, âgée de 24 ans, qui se déclare fileuse est, au moment de son crime, domestique chez des bouchers de Retiers. À la demande de sa maîtresse, qui s’inquiète des bruits de grossesse qui courent sur son compte, elle va consulter le chirurgien Legeard de la Diriays. Mais au cours de la consultation, elle se garde bien d’aborder la question de sa grossesse. Elle lui déclare simplement « qu’elle dési122. AD I-V 2U4/619, Vve Pannier, 63 ans, fileuse, 20 janvier 1826. 123. AD I-V 2U4/614, Marie Dauguet, 26 ans, tisserand, 30 septembre 1822. 124. AD C-A 2U/650, Vve Le Jan, propriétaire, 9 septembre 1842. 125. AD M U 1994, Guillemette Denis, 20 ans, domestique, 2 mars 1827. 126. Idem, Joseph Laurent, 23 ans, laboureur, [même jour].

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rait être purgée pour enlever la rouille sur la figure, sans quoi elle l’aurait tout l’été 127 ». Marie-Agathe Jamet, domestique chez un capitaine de navire à Nantes, que ses maîtres, qui se sont aperçus de sa grossesse, engagent à aller consulter un médecin, s’y refuse, disant « qu’elle préfère aller chez les sœurs grises, qui lui donnent de quoi faire de la tisane, qu’elle boit pendant quelques jours 128 ». Automédication

Le faible taux de médicalisation de la Bretagne – plusieurs cantons sont particulièrement dépourvus de personnel médical – n’encourage pas le recours à la médecine officielle 129. Mais le fait de s’adresser à des médecins n’appartient pas non plus à la culture des ruraux. Ceux-ci préfèrent généralement se soigner à l’aide de remèdes traditionnels, dont les vertus sont connues de tous, ou consulter des thérapeutes qui appartiennent à leur propre milieu social : matrones et guérisseurs 130. Les habitants des campagnes gratifient les malades d’un régime spécial : pain blanc, soupe de pain blanc, soupe de lait, soupe « rousse », lait aigre. Les remèdes des maux quotidiens sont à portée de main. En premier lieu vient la soupe, qui semble constituer une panacée universelle, puis les boissons chaudes (vin, cidre, tilleul, lait, thé, café), utilisées aussi bien pour lutter contre les fièvres que contre les douleurs de tous ordres. Cambry notait, en 1794, l’usage généralisé du vin chaud comme remède contre la fièvre : « Ici l’habitant des campagnes ne connaît guère que les fièvres chaudes : une transpiration supprimée les occasionne : le seul remède qu’il emploie est le vin chaud : il y mêle un peu de sucre et dans les cas désespérés, du poivre et de l’eau-de-vie 131. » Le vin chaud est également employé pour soulager les femmes en couches. De nombreuses femmes en réclament à leurs proches, après un accouchement qu’elles ne désespèrent cependant pas de tenir secret. Son usage, pour aider au travail de l’enfantement, est attesté comme remède traditionnel par Le Beschu de Champsavin à propos de Léonie Blanchard, enceinte des œuvres de son beau-père, Jacques Chevalier : « Les débats ont appris [que] la femme Chevalier [mère de Léonie] avait dit à plusieurs voisins qui lui demandaient des nouvelles de sa fille : “Elle souffre beaucoup. Ce qui me fait grand plaisir, c’est que Chevalier ne la quitte pas, et lui donne tous les soins […]. Il m’a fait faire du vin chaud pour Léonie, et il est venu le chercher.” Dans ces campagnes, ajoute Le 127. AD I-V 2U4/616, Jean-Baptiste Legeard de la Diriays, 53 ans, chirurgien, 24 juin 1825. 128. AN/BB/20/83, L-I, 1er trim. 1835, Delamarre, 19 avril 1835. 129. Voir à ce sujet, J. Léonard, op. cit. 130. On ne trouve nulle trace du recours aux saints guérisseurs sur lesquels existe une abondante littérature. 131. Cambry J., op. cit., p. 28.

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Beschu, on donne du vin chaud aux femmes en couches pour hâter leur délivrance 132. »

L’eau de vie est parfois utilisée dans cette visée, mais plus rarement. Et, comme les accusées nient systématiquement leur grossesse, lorsqu’elles réclament de l’eau de vie, c’est, disent-elles, pour soigner des coliques ou de la dysenterie. Emplâtres et cataplasmes (de mie de pain, farine de lin, poix de Bourgogne) sont également parfois appliqués aux femmes enceintes ou en couches, mais sous le prétexte de calmer diverses douleurs : maux de tête, de ventre, de jambes… Les bains de pied font aussi partie des soins administrés aux femmes en couches. Lors de la naissance de son premier enfant, c’est par ce moyen que la maîtresse de Marie Trécan, alors domestique chez Raoul Ménard, à Rozsur-Couesnon, essaie d’aider au travail de l’accouchement. Un témoin rapporte que : « Angélique Jacob, alors femme de Raoul Ménard, décédée, crut appercevoir que sa domestique était dans la peine de l’enfantement, qu’elle lui fît même mettre les pieds à l’eau et lui fit faire d’autres traitements analogues, en lui disant qu’elle la croyait malade d’accoucher [sic], que la Trécan répondit à sa maîtresse qu’elle était une bien méchante femme de ternir ainsi sa réputation ; que néanmoins Angélique Jacob, somma la Trécan d’aller se coucher dans la chambre où elle la fit garder par feue Perrine Touquel, couturière, travaillant alors au service de ladite Jacob 133. »

De même, c’est par des bains de pieds que la Vve Lépinay essaie de soulager les douleurs qu’elle éprouve au moment de son accouchement. Sa nièce et domestique témoigne que « quand elle est rentrée sa tante était au lit, qu’elle souffrait beaucoup, qu’elle lui dit de mettre de l’eau à chauffer, qu’elle lui mit les pieds dans l’eau, qu’après elle souffrait tellement qu’elle se roulait sur les tables et sur les bancs, qu’elle leur disait qu’elle allait mourir, qu’elle se mit un moment après dans le lit, lui dit qu’elle n’avait plus besoin d’elle et l’envoya se coucher 134 ». Il est aussi de tradition que les femmes nouvellement accouchées se serrent le ventre. Cette pratique n’est pas particulière à la Bretagne. Elle a pour visée de prévenir une « descente de la matrice » et répond aussi, du moins dans les milieux aisés des villes, à un souci esthétique ; les accouchées s’efforçant ainsi de retrouver rapidement une taille de jeune fille 135. C’est notamment parce qu’elle portait, au lendemain de ses couches, une ceinture de laine, que le président de la cour d’assises suppose que MarieLouise David, cultivatrice, âgée de 24 ans, n’était pas seule au moment des faits : 132. AN/BB/20/141, I-V, 4e trim. 1847, Le Beschu de Champsavin, 2 décembre 1847. 133. AD I-V 2U4/635, Louis Denault, 41 ans, meunier, 10 juin 1828. 134. AD I-V 2U4/636, Jeanne-Marie Fallais, 18 juin 1828. 135. Gélis J., L’Arbre et le fruit : la naissance dans l’Occident moderne, XVIe-XIXe siècles, Paris, 1984, p. 255.

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« Les questions adressées à la fille David sur les circonstances de son accouchement donnèrent la preuve évidente qu’elle n’était pas accouchée seule ; elle ignorait absolument certains détails qu’elle eût nécessairement connus et n’eût pu oublier si elle n’eût été assistée. Une ceinture de laine appliquée sur son ventre suivant l’usage pratiqué dans le pays à l’égard des femmes récemment accouchées dénonçait aussi une intervention étrangère 136. »

C’est également parce qu’elles constatent qu’elle se serre le ventre à l’aide d’un mouchoir que les voisines de Marie-Françoise Thébaut, cultivatrice à Molac, qui la surveillent attentivement, se persuadent qu’elle a accouché : « J’allais avec d’autres sarcler de l’avoine ; nous l’appelâmes et nous l’invitâmes de venir avec nous tirer de l’herbe pour ses bestiaux. […] En marchant, j’examinai son jupon. Pendant que j’y songeais, je vis pendre entre les jambes de la fille Thébaut un mouchoir bleu qui la gênait à marcher [sic]. Cette fille dit : “Mon jartiau tombe.” Elle portait la main à ses jambes après avoir déposé son paquet d’herbe. Ce n’était pas une jarretière, comme elle le disait, mais bien un mouchoir qui suivant moi la serrait. En la regardant je dis : “C’est fini : elle a accouché.” J’en parlai à ma voisine qui me le dit aussi 137. »

La découverte du mouchoir avec lequel Marie-Françoise Thébaut se serre le ventre motive la veille organisée au cours des deux nuits suivantes devant sa maison. Tous pensent que le cadavre de son enfant est encore chez elle et espèrent la prendre sur le fait lorsqu’elle le transportera hors de sa maison. Dans de nombreux cas et particulièrement dans le Morbihan, les femmes qui sont souffrantes portent le « costume de malade », c’est-à-dire un tablier ou un mouchoir sur la tête ou, plus souvent, sur le dos, sans doute en guise de manteau. Pourtant, le port de ce costume est risqué pour les femmes qui dissimulent leur grossesse car il peut indiquer qu’elles sont sur le point ou qu’elles viennent d’accoucher. Marie Burel, qui a l’air souffrante et n’est pas allée travailler la veille, est vue dans son village le 1er février 1845 « portant le costume d’une femme malade 138 ». Ses voisins y voient tout naturellement le signe de son accouchement. C’est en tout cas le pressentiment de la cabaretière de Mauron chez qui Marie Burel vient boire de l’eau de vie avec son amant Boulaire, et qui se souvient que : « Marie Burel, qui avait sur sa coëffe un entendement 139 et un tablier sur le dos, paraiss[ait] avoir froid et avait mauvaise mine 140. »

136. AN/BB/20/268, F, 3e trim. 1864, Baudouin, 20 juillet 1864. 137. AD M U2127, Jeanne-Marie Audran, 27 ans, cultivatrice, 26 mai 1843. 138. AN/BB/20/133, M, 2e trim. 1845, Robinot Saint-Cyr, 6 juillet 1845. 139. Nom donné dans la région de Bécherel, à une coiffe que les femmes laissent pendre en signe de deuil, Sébillot P., Coutumes populaires…, op. cit., p. 165. 140. AD M U2143, Jeanne-Marie Danet, 27 ans, cabaretière, 1er mars 1845.

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Empirisme et médecine officielle

La médecine officielle n’est parfois pas très éloignée de la médecine empirique. Lorsque la Vve Lezoc, une tailleuse de Landunvez, domestique au moment de son crime, va consulter le docteur Le Gall, elle se plaint de divers maux et notamment « d’enfler ». Le médecin lui prescrit une médication qui ne diffère guère des remèdes traditionnels : « Il m’avait ordonné une tisane de tilleul coupée de vinaigre, des emplâtres de mouches aux jambes. Il m’avait en outre recommandé de me laver tous les jours les jambes et les cuisses avec de l’eau de mer 141. » Pour Jacques Léonard, ce type de médication correspond au souci des praticiens ruraux de donner à leurs patients des traitements qui soient en harmonie avec leurs habitudes ou du moins qui ne les rebutent pas trop 142. Mais, dans les affaires d’infanticide, il arrivait aussi que les médecins, pour ne pas refuser de manière trop abrupte les remèdes abortifs demandés par leurs patientes, leur prescrivent des potions inoffensives. Dans le cas de la Vve Lezoc, les emplâtres de mouches ordonnées par le médecin n’avaient pas même cette visée puisque les énergiques démentis de sa patiente l’avaient persuadé qu’elle n’était pas enceinte. En 1862, l’officier de santé d’Iffendic, qui ne s’est pas, lui non plus, aperçu de la grossesse de Marie-Jeanne Boixel et qui la soigne pour une hydropisie anasarque, lui délivre une ordonnance prescrivant : « Huile de ricin : un franc, à prendre trois cuillerées par jour. L’on prendra une pilule par jour de digitale nitre, psl 143, un franc de pilules. Tisane de tilleul et pariétaire, ajoutez sucre. Sirop de guimauve, trois cuillerées par jour. Sirop de viande, trois jours. Psl à prendre trois heures en trois heures [sic] dans la mesure d’un verre de tisane avec d’anis [?] 144. »

Survivance ou effritement de la tradition ? La vie des ruraux est rythmée par les travaux agraires, les fêtes religieuses, les foires et les pardons. La survivance de la vie traditionnelle se marque par l’observance des rituels religieux, par l’attachement aux rites initiatiques, particulièrement au sacrement de baptême, et par un système d’entraide que rendent nécessaire l’isolement géographique des hameaux et la rareté du numéraire. Mais toutes les femmes ne se sentent pas tenues à l’observance des règles communes et certaines marquent une distance très nette 141. AD F 4U2/95, interrogatoire, 9 juillet 1846. 142. Léonard J., op. cit, t. 2, p. 869. 143. Posologie. 144. AD C-A 2U/773.

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avec un univers qui ne laisse guère de place à la singularité et dont l’immuabilité peut paraître pesante. Temps et rythmes agraires Le langage traduit un univers régi avant tout par le cycle de la nature. Les événements personnels et collectifs, surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer des événements lointains, sont mémorisés en fonction du calendrier agraire. « L’hivernage », le temps des « batteries », de « la récolte des blés noirs » ou « des chanvres de l’année dernière » constituent des repères collectifs du temps. Les heures de la journée elles-mêmes sont volontiers exprimées par rapport au rythme de travail. L’heure à laquelle un fait s’est produit est en général parfaitement connue des accusées et des témoins, mais son expression n’est sans doute pas à leurs yeux suffisamment explicite car ils y ajoutent souvent la position du soleil : à la pointe du jour, au brun de la nuit. L’avenir lui-même paraît inscrit dans le cycle de la nature : « Le monde dit que je suis enceinte, mais quand les pommes cesseront, je ne le serai plus 145 » annonce ainsi, pour tenter « d’arrêter les langues 146 », Marie-Louise Merrien, fileuse au Faouët, à ses voisines qui soupçonnent sa grossesse. Ce langage relève d’une pensée concrète : l’évaluation des distances est souvent exprimée en termes de « portée de fusil ». Mais il relève aussi d’un univers religieux qui encadre le cours de la vie. Les témoins se souviennent du jour de la semaine au cours duquel un événement s’est produit, non seulement parce que la semaine correspond à un cycle court, mais surtout parce que ce cycle est ponctué par la grand-messe du dimanche. Certaines fêtes religieuses ont des implications concrètes dans la vie des ruraux : la Saint-Jean ou la Saint-Georges marquent le terme des engagements des domestiques, la Saint-Michel (parfois également la SaintGeorges) celui des baux ruraux et des baux d’habitation, même lorsqu’il s’agit de louer une simple chambre. L’univers religieux Les principales fêtes religieuses : Pâques, la Pentecôte, la Toussaint, la Fête-Dieu, Noël, ainsi que les grands cycles religieux comme le Carême, la Passion, l’Avent, servent également de repères temporels. Mais ils sont d’ordinaire utilisés en référence à des faits moins lointains ou plus précis que ceux auxquels renvoient les travaux agraires. « Le lundi de Pâques », « le dimanche de Quasimodo » correspondent à des événements qui peuvent être très précisément datés. Cette expression du temps dénote une forte 145. AD M, Marie-Louise Le Berre, journalière, 10 décembre 1836. 146. Idem, Anne Le Trolle, 39 ans, journalière, [même jour].

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pratique religieuse qui, chez les accusées, se traduit surtout par la fréquentation régulière des offices. La pratique Même les femmes qui cherchent à dissimuler leur grossesse se croient tenues de fréquenter l’église, où leur silhouette est pourtant placée en point de mire, car elles craignent que leur absence ne les fasse encore plus remarquer. La participation aux offices n’est pourtant pas sans risque, car l’église est un des lieux privilégiés d’observation des femmes enceintes. C’est à la sortie de la messe, que la femme Blandin, l’une des voisines de la Vve Lépinay parvient, en la retenant pour mieux l’examiner, à obtenir la confirmation de son état. Elle déclare que : « Le dimanche avant la Pentecôte, elle arrêta la Vve Lépinay à la sortie

de la grande messe sous le porche de l’église de Bourg-des-Comptes, qu’elle causa longtemps avec elle ayant l’intention de s’assurer si cette veuve était grosse comme on le disait ; qu’elles étaient debout l’une vis à vis l’autre, qu’elle a vu bien distinctement le mouvement de l’enfant d’abord au côté droit du haut du ventre, ensuite du côté gauche et ce par trois fois. […] L’enfant, déduit-elle de cet examen, étant porté au haut du ventre, annonçait la fin de la grossesse 147. »

De même, c’est pendant la messe que l’on remarque l’état de souffrance de Marguerite Jehanno, une domestique de Moréac qui est sur le point d’accoucher. Une de ses voisines, qui prétend ne rien savoir de l’enfant – qui a été découvert dans un puits – et ne pas même avoir remarqué la grossesse de Marguerite Jehanno, semble pourtant l’avoir très attentivement observée pendant la messe : « J’ai vu que Marguerite Jehanno avait quelquefois l’air souffrant, et notamment il y a trois semaines ou un mois à la messe, je remarquai qu’elle fut continuellement assise et ne se leva même pas pendant l’élévation, ce qui me parut très extraordinaire et me fit penser qu’elle était malade 148. » Certaines femmes qui veulent à tout prix cacher leur grossesse poussent le désir de se plier aux normes sociales jusqu’à communier à la messe, ce qui ne manque pas de choquer les personnes pieuses : « Louise Lamour, déjà mère d’une fille naturelle âgée de sept à huit ans, présentait les symptômes d’une nouvelle grossesse quand, vers la fin du mois d’avril dernier, la femme Guillemet chez laquelle elle demeurait, la voyant disposée à approcher de la sainte table, l’interrogea sur son état, et malgré les dénégations qu’elle en reçut l’engagea, si elle était enceinte, à ne pas ajouter un sacrilège à sa faute. Louise Lamour renouvela ses dénégations et prononça ces paroles : “On n’en verra pas le résultat 149.” » 147. AD I-V 2U4/636, Françoise Blandin, 40 ans, 11 juillet 1828. 148. AD M U 2112, Jeanne Le Moigne, 46 ans, sans profession, 7 mai 1841. 149. AN/BB/20/174/2, M, 3e trim. 1854, Delfaut, 24 septembre 1854.

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À l’inverse, ne pas aller à la messe peut presque constituer, pour une femme chez laquelle on soupçonne une grossesse illégitime, une preuve d’accouchement. La première question que pose le magistrat instructeur à la femme Doudard se réfère précisément à la discontinuité observée par son voisinage dans sa pratique religieuse, à l’époque présumée de son crime : « Pour quel motif avez-vous manqué d’aller deux dimanches à la messe ? » lui demande le juge d’instruction. Comme la femme Doudard ne veut pas avouer avoir manqué la messe, car ce manquement viendrait conforter les présomptions du magistrat, elle se croit obligée de répondre : « Je ne me suis point passée de messe le dimanche, quand je n’y suis pas été à Mellé, j’y suis allée à Saint-Georges 150. » Le sentiment religieux De nombreuses notations font allusion à une pratique plus personnelle de la religion que la simple fréquentation de l’église, notamment aux prières du soir et à la confession. Rosalie Hogrel a même l’expérience des « retraites 151 ». C’est par sa participation à une retraite organisée à Vitré, qu’elle explique au juge d’instruction le départ de son village d’origine, Louvigné-de-Bais : « Je n’ai quitté mon pays de Louvigné qu’après l’ensemencement des chanvres il y a un peu plus d’un an, je me rendis de suite à la Retraite, rue de Nantes de cette ville [Vitré] où je passai huit jours et après cette retraite terminée, j’entrai à l’hospice de Saint-Nicolas de cette ville, pour me faire guérir d’une de mes jambes 152. » Mais il n’est pas interdit de s’interroger sur la force du sentiment religieux chez les mères criminelles. On constate qu’elles ont souvent tendance à utiliser la religion pour dissimuler le caractère délictueux des faits qu’elles ont commis ou s’apprêtent à commettre. Olive Cougan, domestique à Séné, âgée de 23 ans, qui a abandonné son nouveau-né dans un champ, pousse d’ailleurs la duplicité jusqu’à déclarer au juge d’instruction qu’elle l’y a laissé « à la grâce de Dieu 153 », alors qu’avant ce délaissement, elle lui a « écrasé de ses propres mains les pariétaux 154 ». Plusieurs femmes dissimulent leur libertinage sous les apparences de la dévotion. Marie Hervé, domestique chez des cultivateurs de Bieuzy, « associée à une congrégation religieuse, affectant les dehors et les pratiques d’une dévotion exceptionnelle », se laisse séduire par son maître, un homme marié, père de cinq enfants 155. Rose 150. AD I-V 2U4/614, interrogatoire, 4 décembre 1824. 151. Ces retraites, au cours desquelles alternaient instruction, méditation, office et prière personnelle duraient une semaine. En raison de la modicité du prix des pensions, elles étaient massivement fréquentées par les femmes rurales. La maison de Vitré, fondée au XVIIIe siècle, rétablie en 1819, accueillait sous la Restauration jusqu’à 800 personnes, Lagrée M., Mentalités, religion et histoire en Haute-Bretagne au XIXe siècle, 1815-1848, Paris, 1977, p. 312-321. 152. AD I-V 2U4/616, interrogatoire, 12 mai 1825. 153. AD M U 2029, interrogatoire, 27 juillet 1831. 154. AN/BB/20/58, M, 3e trim. 1831, Delamarre, 4 octobre 1831. 155. AN/BB/20/226/2, M, 1er trim. 1860, Delfaut, 3 avril 1860.

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Fournel, domestique à Bruz, qui reconnaîtra trois infanticides, « entretenait depuis longtemps avec Pégeault », son complice, domestique dans la même maison, « des relations intimes, bien qu’elle prît soin d’affecter par ses pratiques extérieures des sentiments de piété 156 ». La Vve Lezoc, tailleuse à Landunvez, a une telle réputation de piété qu’elle parvient à persuader le médecin qui l’examine au cours de sa grossesse qu’elle n’est pas enceinte 157. D’autres utilisent la pratique religieuse pour justifier une absence et disposer du temps nécessaire pour détruire les preuves de leur crime. Ainsi, Marguerite Jehanno prend-elle prétexte d’aller prier dans le jardin pour se débarrasser dans un puits du cadavre de son enfant : « Marguerite Jehanno avait avec soin caché sa grossesse : entrée depuis un mois au service des époux Marc Le Roux, à Moréac, elle sortit le soir du 27 avril, sous prétexte d’aller dire ses prières dans le jardin : une demiheure après, ses maîtres entendirent quelque chose de lourd tomber dans le puits qui est auprès de la maison. Ils demandèrent à leur servante, qui parut sur le seuil de la porte, ce que c’était ? Elle répondit que c’était apparemment une pierre qui s’était détachée du puits 158. »

Mélanie Mandelert, âgée de 26 ans, domestique à Saint-Gildas-deRhuys, enceinte des œuvres de son maître, utilise la confession pour justifier une absence qui lui permet de dissimuler son nouveau-né. C’est un dimanche, deux heures avant « la messe matine », il n’est alors que quatre heures mais plusieurs femmes du village se hâtent déjà « d’aller à confesse 159 ». L’une d’elles, qui n’est pas prête quand son amie vient la chercher, lui confie même ses gants et son chapelet pour que celle-ci lui garde sa « place au confessionnal ». Dans ce village très religieux, tous les témoins s’étonnent que Mélanie Mandelert, qui n’est pas une bonne pratiquante, veuille partir de si bon matin : « Je lui observai, rapporte une journalière à qui Mélanie propose de l’accompagner, que je n’allais pas seulement à la messe, car il n’était que quatre heures et la messe ne se dit qu’à six, mais que j’allais à confesse et que si elle n’allait qu’à la messe il était trop matin pour qu’elle partît. Mélanie Mandelert me répondit : “J’aurais besoin assez de parler aussi 160.” » On note cependant que plusieurs femmes demandent à se confesser après leur crime, notamment Jeanne Le Minor, une domestique de Plouaret qui a donné son enfant à dévorer au cochon et qui, peu après son incarcération, réclame la présence d’un prêtre 161. 156. AN/BB/20/226/2, I-V, 3e trim. 1860, Dupuy, 31 août 1860. 157. AN/BB/20/137, F, 4e trim. 1846, Piou, 9 mars 1847. 158. AN/BB/20/114/5, M, 2e trim. 1841, Tiengou de Tréfériou, 1er août 1841. 159. La dispersion de l’habitat et le caractère étendu des paroisses expliquent sans doute cette heure fort matinale, Lagrée M., op. cit., p. 31. 160. AD M U2047, Anne Lorcey, 48 ans, journalière, 19 juin 1833. 161. AD C-A 2U/711, Marie-Louise Duval, 24 ans, sans profession, détenue à la prison de Lannion, 12 avril 1847.

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Un Dieu vengeur C’est l’image d’un Dieu vengeur, propagée par les missions qui ont sillonné la Bretagne du XVIIe au XIXe siècle, appuyant leur enseignement sur une « pastorale de la crainte 162 » et sur des méditations sur la mort, qui semble dominer l’horizon religieux des ruraux. Il est difficile, bien entendu, de pénétrer leur conscience, mais il n’est pas interdit de s’interroger sur l’instruction religieuse qui leur a été donnée. L’enseignement du catéchisme est d’ailleurs, dans certaines petites communes, abandonné à des laïcs. C’est à un cultivateur, maire-adjoint de Saint-Conan, entendu comme témoin, qu’était confiée l’éducation religieuse de Claudine Lozach : « J’ai connu cette fille dans sa jeunesse, elle venait chez moi au catéchisme et je n’ai jamais pu le lui apprendre, quoiqu’elle l’ait suivi pendant cinq ou six ans 163. » Quelques femmes avouent leur crime par crainte de la damnation éternelle ou parce qu’elles éprouvent un désir d’expiation. Jeanne-Marie Le Masson, une journalière de 29 ans, qui vit avec son père à Trédaniel, demande peu après la découverte du cadavre de son enfant, à faire des révélations au juge de paix. Celles-ci traduisent de fortes préoccupations religieuses : « Je vais vous dire toute la vérité, déclare-t-elle au magistrat, comme si j’allais comparaître devant le bon Dieu 164. » Mais d’autres accusées, femmes endurcies ou marginalisées, semblent imperméables à tout sentiment religieux. La femme Corfmat, témoin de l’acte, mi-infanticide, mi-avortement, commis par une blanchisseuse de Vannes, la Vve Guimard, sur un fœtus de cinq à six mois, tente en vain, au lendemain du crime, d’éveiller la conscience religieuse de cette femme en évoquant la justice divine : « Je fis des reproches à la veuve Guimard et à sa fille de l’affreuse action qu’elles avaient commise et je les menaçai de la Colère Céleste, mais elles répondirent, en se moquant, que l’enfant était bien petit. Je leur répliquai qu’il avait cependant une âme, elles me répondirent : “C’est bien quelque chose que cela 165.” » Le diable L’univers mental des accusées est également tout empreint de la présence d’un démon tentateur. De nombreuses femmes, particulièrement dans le Morbihan, disent avoir été poussées au crime par le « diable », le « démon », le « mauvais esprit », « l’esprit malin » ou encore « l’esprit tentateur ». Plusieurs, en narrant leur crime, s’expriment même de telle manière que l’on pourrait croire le diable physiquement présent au moment des 162. Delumeau J., Le Péché et la peur : la démoralisation en Occident, Paris, 1983, p. 364-528 ; Croix A. et Roudaut F., Les Bretons, la mort et Dieu, de 1600 à nos jours, Paris, 1984, p. 91. 163. AD C-A 2U/686, François Serandour, 62 ans, cultivateur et adjoint de Saint-Conan, 1er mars 1845. 164. AD C-A 2U/697, p.-v. de transport du juge de paix de Moncontour, 9 février 1846. 165. AD M U2097, Jeanne Corfmat, 32 ans, ménagère, 24 avril 1839.

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faits. Lorsque le juge d’instruction demande à Anne Glais depuis combien de temps son enfant était né avant qu’elle ne l’étouffe, elle répond : « À peine une demi-heure, à trois fois je fus au moment d’appeler des voisines que je vis passer, mais le diable me poussa et je commis le crime 166. » Louise Lotrus pense même avoir entendu le diable crier : « En voyant mon enfant sur le parquet, j’ai remarqué qu’il était vivant, j’ai même entendu un vagissement, poussé sans doute par le diable. Le ramassant de terre, le saisissant avec la main droite, je lui ai pressé le cou, et il a cessé d’exister 167. » Dans plusieurs dossiers sont évoquées des superstitions liées à des figures démoniaques. Mais l’évocation du diable vise surtout ici à détourner l’attention de personnes qui pourraient devenir témoins des crimes. Le diable et la crainte des oiseaux de nuit, porteurs de mauvais présages, sont utilisés à cette fin en 1855, par la Vve Lehoisec, et par sa fille Anne Leboucher, mendiantes à Beignon. Le crime, selon toute vraisemblance, a été commis de complicité entre les deux femmes : « Les deux enfants de la Vve Lehoisec qui s’étaient couchés dans la chambre même où leur sœur était accouchée, déclarèrent qu’un jour, qui évidemment était celui de l’accouchement, ils avaient entendu crier un enfant derrière la maison et que leur mère d’abord avait détourné leur attention en leur faisant peur du diable, puis que leur sœur avait attribué les cris à un oiseau de nuit, les menaçant de les frapper s’ils se levaient. La Vve Lehoisec les aurait même, d’après eux, menacés de les tuer, depuis l’arrestation d’Anne Leboucher, s’ils avaient le malheur de parler 168. »

En 1864, c’est le « mauvais esprit » qu’invoque, dans une scène du même genre, la Vve David, une cultivatrice de Scaër, pour expliquer à ses autres enfants la disparition de sa fille Henriette, qui est allée accoucher secrètement dans l’étable : « Le 6 mars dernier, dans la soirée, la famille étant réunie pour le souper, la fille David ne s’assit point à la table commune, elle ne cessa de se promener dans la chambre, donnant des signes des plus vives souffrances, marchant courbée en deux et se soutenant aux meubles avec effort. Vers six heures et demie ses deux frères quittèrent la maison avec le domestique, annonçant qu’ils allaient passer la soirée dans un village distant d’un kilomètre environ. Marie-Louise David resta ainsi seule à la maison avec sa mère; sa petite sœur, âgée de six ans, se coucha et s’endormit ; quant au père, il était allé se coucher dans le grenier, suivant son habitude. Lorsque vers dix heures et demie, les fils David et le domestique rentrèrent, un violent orage qui avait éclaté dans la soirée n’était pas encore calmé ; la femme David leur cria : “Louise n’est pas ici ! Le mauvais esprit l’aura enlevée ! Je crains qu’elle ne soit morte, qu’elle soit allée se tuer ! Cherchez-la sur l’aire 169 !” Les jeunes gens appelèrent leur sœur, dont on entendit les pas précipités sur des feuilles 166. AD M U2101, 8 janvier 1840. 167. AD F 4U2/120, interrogatoire, 9 mars 1851. 168. AN/BB/20/182/1, M, 2e trim. 1855, Baudouin, 16 juin 1855. 169. Aire à battre le blé.

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étendues sur l’aire, mais elle ne rentra que lorsque la lumière eut été éteinte 170.

En revanche la peur du démon évoquée par René Plantard lorsqu’il accomplit son forfait semble bien réelle. Cet homme, maître et séducteur de Mélanie Roussel, une domestique de 28 ans, pourrait pourtant apparaître comme un esprit fort. Il n’a pas craint, dans l’espoir de lui procurer un avortement, de faire subir de véritables tortures à sa domestique et s’est empressé de tuer le nouveau-né en l’étouffant dans une barrique de cendres. Mais, le lendemain du crime, lorsqu’il est allé jeter l’enfant dans la rivière, il paraît avoir éprouvé une véritable angoisse. Peut-être a-t-il pris alors conscience du caractère criminel, diabolique, de son acte. Mélanie Roussel lui rappelle cet épisode au cours d’une confrontation organisée par le juge d’instruction : « En rentrant, [après avoir jeté l’enfant dans la rivière] tu m’as dit que tu avais eu peur du Démon et que tu ne l’avais pas jeté assez loin 171. » Le sacrement de baptême L’attachement des ruraux au sacrement du baptême est très fort. Quand la naissance d’un enfant illégitime est découverte, le premier soin des témoins est habituellement de porter le nouveau-né au bourg pour le faire baptiser, afin d’assurer son entrée dans le monde des vivants et de préserver son avenir dans l’au-delà quitte, parfois, à mettre sa vie en danger. L’enfant de Perrine Le Pipec, une domestique de Bubry, sauvé, grâce à la vigilance des voisines, d’une mort que sa mère s’apprêtait à lui donner, meurt le lendemain de sa naissance. Selon l’expert appelé à l’audience de la cour d’assises, cette mort est la conséquence d’une gastro-entérite provoquée par la conjugaison de trois facteurs : le transport du nouveau-né au bourg, son séjour à l’église et le baptême dans l’eau froide. L’absurdité de cette mort fait écrire à Poulizac : « Cette cause, Monsieur le Ministre, me conduit à former un vœu devant vous ; il serait à désirer que les prêtres consentissent à venir dans les maisons administrer le baptême avec de l’eau tiède ; cette réforme ferait honneur à celui qui l’entreprendrait et sauverait la vie à beaucoup d’enfants ; j’aime aussi à être convaincu que, dans le 19e siècle, le clergé français ne se refuserait pas à cette innovation dictée par l’humanité 172. » Baptiser leur enfant avant de lui donner la mort est aussi une préoccupation pour certaines mères infanticides. Jeanne Brunet, journalière à SaintGravé, déjà mère d’une petite fille de 10 ans, prétend même l’avoir baptisé deux fois : « Lorsque mon enfant fut né, je le baptisai en faisant le signe de la croix et en lui versant de l’eau sur le front, je le baptisai encore une seconde fois le lendemain matin 173. » Mais en déclarant avoir baptisé leur 170. AN/BB/20/268, F, 3e trim. 1864, Baudouin, 20 juillet 1864. 171. AD L-A 5U160/3, confrontation, 24 juillet 1851. 172. AN/BB/20/103, M, 4e trim. 1839, Poulizac, l 7 janvier 1840. 173. AD M U 1994, interrogatoire, 26 février 1827.

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enfant, les accusées reconnaissent qu’il était vivant et avouent implicitement leur crime. C’est pourquoi beaucoup entourent cette déclaration de précautions oratoires : « Je fis le signe de croix sur lui, je versai de l’eau sur sa tête en disant ces paroles en breton : au nom du père, du fils et du Saint Esprit. […] Je me servis d’eau bénite froide, telle qu’elle était dans une petite bouteille au haut de mon lit. […] J’ai pris cette précaution de le baptiser dans le doute où j’étais s’il était mort ou vivant, mais il n’a point donné de signe de vie 174. » Plusieurs femmes prennent la précaution, avant d’aller accoucher dans un endroit secret, d’emporter une bouteille d’eau bénite, comme Marianne Bourbé, à propos de laquelle Le Meur écrivait : « Elle était allée accoucher clandestinement dans une étable, avant d’entrer dans ce lieu, elle avait pris un verre d’eau pour baptiser l’enfant, dans l’intention évidente de lui préparer la vie éternelle avant de lui donner la mort physique 175. » Mais le soin pris par les accusées de baptiser leur enfant, pour autant que l’on puisse se fier à leurs déclarations, ne relève pas uniquement de préoccupations religieuses. Il correspond aussi à un souci plus personnel, celui d’atténuer l’horreur de leur crime. C’est pour amoindrir la responsabilité de leur fille que les parents de Marie-Joseph Noyalet, cultivatrice à Montreuil-sur-Ille, âgée de 28 ans, soupçonnés de complicité, cherchent dans un premier temps à faire croire que le nouveau-né a été baptisé. Ils finissent par y renoncer, parce que leur fille, prise de remords en les voyant inculpés, avoue toutes les circonstances de la mort de son enfant : « Ma mère n’a pas touché à l’enfant et ne l’a même pas vu, pas plus que personne de la maison. Personne n’a pu entendre crier l’enfant et il est faux malheureusement qu’il ait été baptisé […]. C’est moi qui ai fait tout le jeu. Puisque c’est moi qui mérite le fardeau, je ne veux pas que mon père et ma mère le portent sur leur tête. C’est moi qui dois porter la croix, je la porterai 176. » Son frère, également présent au moment de l’accouchement, finit par avouer pourquoi il avait cru bon de soutenir que l’enfant avait été baptisé : « J’ai pensé en faisant ce mensonge que ma sœur serait trouvée moins coupable d’avoir détruit son enfant après qu’il avait reçu le baptême 177. » La place des traditions Les sources judiciaires ne s’attardent pas à l’observation de la vie collective. Cependant quelques allusions sont faites à des traditions qui ont été décrites par les folkloristes. On note, en premier lieu, la persistance des occasions de rassemblement et d’amusement que constituent les foires, les 174. AD M U1980, Yvonne Le Garnec, interrogatoire, 28 février 1825. 175. AN/BB/20/156/2, F, 2e trim. 1851, Le Meur, Rennes, 2 juin 1851. 176. AN/BB/20/210/1, I-V, 2e trim. 1858, Bernhard, 25 juin 1858. 177. Idem.

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assemblées et fêtes religieuses – particulièrement les pardons – et les veillées, qui rassemblent voisins ou amis. Les veillées des morts sont également évoquées dans deux affaires, celles de Julienne Godard et de Marie Trécan. Elles ne sont pas décrites précisément, mais elles paraissent relever presque exclusivement de la communauté des femmes. C’est en prenant prétexte d’aller veiller, avec les autres femmes du village, l’enfant « qui a été trouvé mort dans le ruisseau 178 » que Julienne Godard parvient à s’enfuir de son village. Quant à Marie Trécan, elle profite de l’absence de ses maîtres pour se débarrasser de son enfant : les femmes de la maison sont allées veiller un voisin qui venait de mourir, tandis que Verdier, son maître, passait la soirée chez un ami. Il est aussi fait allusion à des fêtes destinées à remercier des services rendus dans le cadre de l’entraide villageoise. C’est au cours d’une fête de clôture de travaux d’écobuage 179 que la Vve Le Dû se laisse aller à des divertissements qui aboutiront à une grossesse illégitime : « Il y a environ quatre mois ma fille me déclara qu’elle était enceinte et que sa grossesse devait remonter au mois d’août 1861, époque à laquelle elle avait eu des rapports avec un homme à la suite d’un repas qui avait eu lieu à l’occasion d’une grande journée d’écobuage. Ma fille m’a déclaré spontanément sa grossesse, car je ne m’étais aperçu de rien jusqu’au jour où elle m’avait fait connaître son état; elle paraissait confuse et pleurait souvent 180. »

Sont également mentionnés, dans les Côtes-du-Nord en 1827 et le Finistère en 1851, des « festins de boudins », repas offerts à leur famille ou à leurs amis par les agriculteurs relativement aisés qui, en général une fois par an, tuent un cochon. Le viatique de l’enfant illégitime Plusieurs femmes évoquent une tradition ancienne qui consiste à aller porter l’enfant illégitime sur le lit de son père quand ce dernier ne manifeste pas son intention de contribuer à son éducation 181. Julienne Godard et Anne Doudard, toutes deux originaires d’Ille-etVilaine, expriment publiquement leur intention de suivre cette coutume, mais dans un état d’esprit différent. Pour Anne Doudard, dont le mari est en prison et qui n’attend aucune réparation de son honneur, cette annonce est destinée à soutirer de l’argent au père de son enfant, tandis que pour Julienne Godard, cette menace vise surtout à empêcher le mariage que son amant s’apprête à contracter avec une autre femme. Elle considère que cet homme, Pierre Gilbert, déjà père de son premier enfant, qui est âgé de cinq 178. Son nouveau-né, en fait. 179. Travaux de défrichement réalisés en commun. Bouët A., op. cit, p. 184. Voir aussi Hélias P.-J., op. cit., p. 25-26. 180. AD F 4U2/173, Allain Le Grand, 56 ans, cultivateur, 29 mars 1862. 181. Selon Y. Knibielher et C. Fouquet, un arrêt du parlement de Bretagne aurait interdit cette pratique en 1726, Histoire des mères, Paris, 1977, p. 126.

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ans « devait se contenter d’elle, sans en chercher d’autres 182 ». Son objectif est de créer un scandale afin de faire porter la honte de cette grossesse illégitime sur Gilbert, qui aurait « un chapeau sur la tête qui l’empêcherait de se marier d’ici six ans 183 » et sur l’ensemble de sa maisonnée. C’est surtout par vengeance que Louise Fournard, une domestique de La Chapelle, âgée de 29 ans, envisage la même démarche auprès de ses anciens maîtres, qui l’ont chassée après qu’elle ait été séduite par leur fils. Elle annonce à des femmes de son village « que les Duval étaient bien fiers, mais que leur fierté serait abîmée quand elle leur porterait l’enfant dont elle était enceinte des œuvres de Joseph Duval184 ». La participation des pères illégitimes à l’éducation de leur enfant, au moyen de secours financiers versés aux mères, courante au temps où ces questions relevaient des tribunaux religieux, notamment des officialités 185, semble être tombée en désuétude. Les statistiques relatives à l’infanticide en Bretagne tendent du moins à le prouver. Rares sont les cas où les pères naturels acceptent de contribuer à l’éducation de leurs enfants. Trois cas d’indemnisation seulement sont signalés : deux concernent des domestiques ayant dû dédommager leurs maîtres pour avoir engrossé une de leurs filles et le dernier, un oncle qui avait abusé de sa nièce. Il s’agit donc d’hommes sur lesquels la famille de la femme séduite a été en mesure d’exercer des pressions. On apprend que les domestiques masculins de la famille de Jeanne Mahé évitent d’entretenir des rapports trop intimes avec elle parce que l’un des leurs, Jean Monvoisin, est réputé avoir dû lui verser des dommages pour une grossesse dont le fruit avait été déposé à l’hospice des enfants-trouvés. C’est du moins une rumeur qui circule parmi la gent masculine : « J’ai été pendant trois ans domestique chez les père et mère de Jeanne Mahé, rapporte l’un des anciens domestiques, voici la troisième année que j’en suis sorti. Je fus averti par le frère cadet de cette dernière qu’elle avait eu, trois ou quatre ans auparavant, un enfant qui avait été déposé aux enfants perdus et pour lequel on disait que Jean Monvoisin avait payé, qu’ainsi il me fallait me défier d’elle. Je profitai de cet avis et je me tins sur mes gardes, tellement que je fus toujours en mauvais ménage avec elle 186. »

Jeanne-Marie Guillo, une cultivatrice de Buléon, âgée de 25 ans, récemment mariée avec un homme étranger à sa grossesse, dit avoir reçu de son séducteur, lors de sa première grossesse, la somme relativement importante de 300 F. Ne reconnaissant pas le crime d’infanticide dont elle est accusée en 1859, elle prétend avoir remis 200 F à l’auteur de sa seconde grossesse 182. AD I-V 2U4/614, Louis Macé, 46 ans, cultivateur, 3 octobre 1822. 183. Idem, Thérèse Bazin, 27 ans, cultivatrice, [même jour]. 184. AD M U2103, Jean Duval, 31 ans, laboureur, 30 mars 1840. 185. Voir Demars-Sion V., Femmes séduites et abandonnées au XVIIIe siècle…, Hellemmes, 1991. 186. AD C-A 2U/431, Jean Lucienne, 29 ans, domestique laboureur, 21 décembre 1826.

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pour qu’il dépose l’enfant à l’hospice : « C’était le reste des 300 F que j’avais reçus, il y a huit ans, d’un domestique de chez mon père qui m’avait rendue mère. Ce premier enfant est encore vivant et a été élevé par moi et par ma mère 187. » Les relevailles, les interdits traditionnels La cérémonie des relevailles, rite de « purification » de la femme nouvellement accouchée, qui se déroule à l’église, en présence de la sage-femme et de la marraine, est encore observée dans le Morbihan dans les années 1840 188. C’est le prétexte dont se saisissent les voisines de Mathurine Gicquel, journalière à Larré, pour lui faire remarquer qu’elles ne sont pas dupes de ses dénégations et qu’elles sont persuadées qu’elle vient d’accoucher. Les reproches qui lui sont adressés à ce propos sont d’abord rapportés au magistrat instructeur par le père d’un des témoins de la scène : « Elle [sa fille Annette] raconta que pendant qu’elle lavait la lessive près le moulin vint à passer la fille Mathurine Gicquel portant un fagot de navets ; que les femmes lui crièrent : “Qu’as-tu fait de ton gros ventre ?” Elles commencèrent à lui dire : “Comment ! Tu vas travailler avant d’aller à la messe ? Les commères y vont [à la cérémonie des relevailles] avant de retourner à leur travail 189.” » La scène, rapportée plus tard par Annette elle-même, a été particulièrement virulente, mais rien ne permet de comprendre l’origine de cette violence verbale : « Quand les femmes la virent passer, elles lui dirent : “Tu te lèves bien matin, turon. Tu devrais avoir honte, tu devrais aller à la messe auparavant, vilaine salope 190.” » Les interdits traditionnels, prohibant certaines pratiques, en particulier les relations sexuelles, pendant les principaux cycles (Carême, Avent) ou fêtes religieuses semblent également avoir conservé toute leur vigueur. La conduite de Marie Burel qui se livre, pratiquement en public, à des ébats sexuels le jour de la Fête-Dieu est jugée particulièrement scandaleuse. La scène, surprise par un témoin, est répandue par la rumeur dans tout le village : « Le 9 juin dernier, vers onze heures du matin, je passai près la porte de la maison habitée par Marie Burel et sa mère, je vis Joseph Gallou, du village du Fumard qui tenait Marie Burel entre ses bras et se livrait avec elle à l’action du coït. Je passai mon chemin promptement voyant avec horreur ce qu’ils faisaient un jour de fête aussi solennelle ; car c’était le dimanche de la Fête-Dieu 191. »

187. AN/BB/20/218/2, M, 4e trim. 1859, Le Beschu de Champsavin, 20 décembre 1859. 188. P.-J. Hélias relate celle de sa mère, Le Cheval d’orgueil, p. 51-52. Voir aussi Thuillier G., L’Imaginaire au quotidien au XIXe siècle, Paris, 1985, p. 61-67 et 145-150. 189. AD M U2134, Jacques Nicolas, 65 ans, laboureur, 26 mars 1844. 190. Idem, Anne-Marie Nicolas, 23 ans, fille de labour, [même jour]. 191. AD M U 2143, Isaac Coudé, 44 ans, laboureur, 1er mars 1845.

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La crémation du placenta Il est, selon Le Gall de Kerlinou, « d’usage dans le pays de brûler l’arrière-faix 192 ». Mais cette coutume relative au placenta 193 semble être bien peu observée par les femmes infanticides : elles se contentent de l’abandonner là où elles ont accouché, l’enterrent, afin qu’il ne soit pas dévoré par les animaux, ou le jettent à l’eau ou sur un tas de fumier. Il est possible que cette inobservance tienne à la précipitation dans laquelle se déroulent les accouchements clandestins qui sont suivis d’infanticide. Il se peut aussi que cette enveloppe protectrice de l’enfant soit vouée au même sort que lui. Il existe en effet un lien très fort entre l’enfant et le placenta qui, écrit Jacques Gélis, « n’est jamais totalement séparé de l’enfant au plan symbolique 194 ». Cependant, la discussion qui se tient entre les femmes qui sont présentes quand Claudine Lozach accouche de jumeaux tend à prouver que certaines coutumes sont ignorées ou tombées en désuétude en 1845, année des faits. Le 7 février 1845, Claudine Lozach donne naissance à un enfant qu’elle s’empresse de jeter par la fenêtre de sa chaumière. Le voisin qui le découvre alerte les femmes du voisinage. Quatre d’entre elles accourent alors, « soit par curiosité, soit pour lui offrir quelque secours, écrit Le Gall de Kerlinou » et assistent, sans trop en être conscientes en raison de l’obscurité qui règne dans la chaumière, à la naissance du second enfant. L’usage qui consiste à brûler le placenta n’est connu que de la plus âgée des femmes présentes. Il s’agit d’une veuve de 55 ans qui, dit-elle, en a entendu parler par des personnes « anciennes » : « C’est moi qui ai dit à Claudine Lozach de prendre garde que le cochon ne mangeât ce qu’elle venait de rendre et qui lui dis que j’avais entendu dire à des personnes anciennes qu’on mettait l’arrière-faix derrière le feu et je l’engageai à l’y mettre 195. » Cette affaire porte à s’interroger sur la place qu’occupe encore la tradition dans la société rurale puisqu’elle tend à démontrer qu’à l’époque précise où les coutumes sont recueillies par les folkloristes et acquièrent, dans le monde lettré, un attrait tout particulier, une partie des usages relatifs à la naissance recueillis par les ethnologues sont ignorés des populations rurales. Mais ici le contexte est relativement particulier dans la mesure où une partie des proches de Claudine Lozach (son voisin, la veuve qui lui rappelle les usages) appartient au monde relativement marginal de la mendicité.

192. AN/BB/20/133, C-N, 2e trim. 1845, Le Gall de Kerlinou, 21 juin 1845. 193. Également désigné dans les dossiers, sous les termes suivants : lit, suite, délivre, délivrance, chrysalide, arrière-faix, taie, dépêches. 194. Gélis, op. cit., p. 285. Le placenta était généralement enterré. La crémation serait une pratique assez marginale, parce que jeter le placenta au feu passe pour exposer la mère à l’inflammation. 195. AD C-A 2U/686, Vve Le Lay, 55 ans, mendiante, 1er mars 1845.

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Chapitre VI

Les amours illégitimes Les procès pour infanticide mettent essentiellement en scène des femmes seules ou des couples illégitimes. Il est très rare, parmi les affaires qui sont parvenues à la connaissance de la justice et qui ont abouti à un procès, que soient impliqués des couples légitimes stables, au sein desquels l’époux n’a aucune raison de contester la paternité d’un nouveau-né. Les crimes d’infanticide sont motivés par le caractère illégitime des enfants qui en ont été les victimes. Les accusées sont dans leur grande majorité des célibataires (86,37 %). Ensuite viennent les femmes mariées adultères (6,99 %) puis les veuves (6,64 %).

Les femmes infanticides La répartition, suivant leur statut matrimonial, des 572 mères mises en accusation aboutit au résultat suivant : – Célibataires – Femmes mariées – Veuves – Total

494 40 38 572

Malgré l’écrasante majorité des célibataires, l’âge moyen des accusées est relativement élevé (28,04 ans). Il est sensiblement supérieur à l’âge des filles au mariage, évalué par Daniel Collet, pour les populations rurales du Finistère sous le Second Empire, à 24-25 ans dans les communes de moins de 2 000 habitants 1. On peut en déduire que l’infanticide est le fait de 1. Collet D., « La Population rurale du Finistère au XIXe siècle (1821-1908) », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 59, 1982, p. 83-118. M. Segalen, op. cit., p. 65, indique un âge au premier mariage beaucoup plus bas, estimé, pour les années 1820 à 18-22 ans pour les femmes.

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femmes qui, en raison de la mauvaise conjoncture économique, ont été exclues du mariage. La pauvreté et la pression démographique – particulièrement forte en Bretagne – font obstacle à l’établissement de nouveaux ménages et pousse les hommes à émigrer vers des régions de meilleur emploi. L’âge des accusées est connu dans 539 cas. Il varie suivant leur statut matrimonial : en toute logique, les femmes mariées (29,6 ans) et les veuves (35,55 ans) ont une moyenne d’âge relativement plus élevée que les célibataires (27,05 ans). 180 160

145

140

155 122

120 100 80

62

60 40

37

26

20

2

0 15-19 ans 20-24 ans 25-29 ans 30-34 ans 35-39 ans 40-44 ans 45-49 ans

Âge des mères accusées – (Source : BB/20).

L’effectif des femmes infanticides est remarquablement homogène : les 3/4 (422 sur 572) ont entre 20 et 34 ans. Les jeunes filles et les femmes d’âge « mûr » sont relativement marginales : 37 accusées seulement sont âgées de 15 à 19 ans ; on n’en compte que 28 parmi les plus de 40 ans. Une vingtaine d’accusées a des antécédents judiciaires : 17 ont déjà été condamnées à des peines de prison, principalement pour vol. Il s’agit de larcins portant sur des objets – aliments ou vêtements – de peu d’importance, mais qui ont été sévèrement réprimés. Marie Ménard, journalière à Saint-Broladre, mère de deux enfants naturels, s’est vue infliger en 1853 un an de prison pour le vol d’une andouille. Pendant la durée de sa peine, ses enfants ont été confiés à l’hospice de Rennes. Quelques condamnations relevaient de la violence ou de l’escroquerie : Véronique Poncel, ménagère à Trélivan, jugée pour infanticide en 1861, a été condamnée en 1855 à un mois de prison pour vol et de nouveau, en 1857, à la même peine, pour coups volontaires 2. En 1865, quelques mois avant d’être inculpée d’infanticide, Marie-Françoise Durand, domestique de ferme à Rouans, a été poursuivie pour abus de confiance et escroquerie. 2. AN/BB/20/235/2, C-N, 4e trim. 1861, Le Meur, 9 novembre 1861 et AD C-A 2U/772, fiche de renseignements.

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LES AMOURS ILLÉGITIMES

Sur ces 17 accusées déjà condamnées pour différents délits, 5 sont des récidivistes : Angélique Frémont, qui n’a que 17 ans, a été condamnée à deux reprises pour vol, de même que Marie Grabot, dont le mari a également subi deux condamnations. Rose-Marie Mongaret, une couturière de 38 ans, a été emprisonnée deux fois pour vol et une fois pour dénonciation calomnieuse. Certaines accusées ont été suspectées par la rumeur publique d’avoir commis plusieurs infanticides. Ces soupçons sont sans doute relativement fondés puisque les magistrats prennent le soin d’en informer le garde des sceaux. Cinq d’entre elles ont déjà été poursuivies sur ce chef d’inculpation ou sur celui d’exposition d’enfant dans un lieu solitaire. D’autres enfin, ont avoué, au cours des débats de précédents crimes. Les « filles » Les célibataires, quel que soit leur âge, n’accèdent jamais à la dignité de femme et sont toujours qualifiées de « filles ». Ce qualificatif, à tout le moins paternaliste, ne s’applique pas seulement à la cohorte des criminelles. Même les femmes âgées d’une soixantaine d’années ou plus qui sont entendues comme simples témoins sont désignées comme des « filles » si elles n’ont jamais été mariées 3. L’échantillon des célibataires recouvre une grande variété de situations, depuis la jeune Marie Riaud, âgée de 15 ans 1/2, séduite par un domestique de son oncle, jusqu’à la femme vieillissante de 48 ans, Yvonne Le Mouelle, une marchande de chiffons relativement marginale de Kergrist 4. L’âge moyen des accusées célibataires (27,05 ans) pourrait dénoter un accès tardif aux pratiques sexuelles. Il convient de nuancer fortement cette hypothèse en considérant la multiplicité des manœuvres abortives auxquelles se sont livrées ces femmes. Les méthodes employées sont peu efficaces 5, mais des avortements antérieurs aux crimes d’infanticide ne peuvent être totalement exclus. En outre, 130 d’entre elles (soit plus de 26 %) avaient eu un ou plusieurs enfants illégitimes, qu’elles avaient élevés ou déposés à l’hospice des enfants-trouvés. Les célibataires se répartissent assez inégalement entre femmes de « bonne » et de « mauvaise » réputation. Une trentaine de domestiques seulement conserve jusqu’au procès l’estime de leurs employeurs qui continuent à les considérer comme des servantes « honnêtes » et « laborieuses ». Certaines semblent avoir réussi à dissimuler leur grossesse à ces maîtres, à moins que ceux-ci, soucieux de ne pas être mêlés à un scandale et de pré3. « Dans la société traditionnelle, la femme n’a pas de statut en dehors du mariage », M. Segalen dans Mari et femme dans la société paysanne, Paris, 1980, p. 137. Voir aussi Perrot M., « En marge : célibataires et solitaires », Histoire de la vie privée, t. 4, Paris, 1987, p. 287-304. 4. Elle étrangle, précisément, son enfant à l’aide d’un chiffon (Morbihan, 1844). 5. Voir le chapitre IX.

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server la notoriété de leur famille, aient délibérément choisi de ne pas voir que leur servante était enceinte. Mais, en majorité, elles sont présentées comme des filles de « mauvaises mœurs » ou de « mauvaise réputation », en particulier si elles ont déjà des enfants naturels. La grossesse extra-conjugale, plutôt qu’accidentelle, serait donc chez certaines, la conséquence d’une grande liberté de mœurs. Quelques-unes semblent d’ailleurs engagées dans une recherche compulsive de plaisirs de tous ordres. Olive Belnard, domestique à Plessala, s’enivre fréquemment dans les cabarets avec son maître, Mathurin Olivro, laboureur, âgé de 47 ans. Elle profite aussi, selon lui, des périodes où l’ivresse le fait sombrer dans l’inconscience pour vider quelques bouteilles de cidre avec son amant, Guillaume Lamandé, également domestique : « Je confesse, reconnaissait Mathurin Olivro, avoir la malheureuse habitude de m’enivrer : bien des choses se sont passées chez moi dont je ne me suis aperçu qu’à la fin : une grande intimité régnait entre Guillaume Lamandé, mon domestique, et la fille Belnard. Tout était à leur disposition chez moi, mon cidre et mon lard : aussi ne l’ont-ils pas épargné. J’ai découvert dans le vêtement de la fille Belnard, depuis qu’elle est sortie, une clef qui ouvre mon armoire. Je suis porté à croire qu’elle s’en est servie et qu’elle m’a volé de l’argent : toutefois sans pouvoir l’affirmer 6. »

Olive Belnard entretient des relations fort ambiguës avec Olivro, qui a pour elle de l’inclination, mais elle lui préfère Guillaume Lamandé. Le pâtre de la ferme, âgé de 15 ans, témoigne avec une fausse naïveté des ruses déployées par Olive Belnard pour s’isoler avec son amant : « Je suis jeune et j’avoue que je n’avais point l’idée d’observer ni de suivre la fille Belnard : seulement j’avais remarqué qu’elle aimait à se trouver seule avec Guillaume Lamandé. Elle nous congédiait mon maître et moi quand elle le pouvait : c’est-à-dire, elle cherchait toutes les occasions de nous faire sortir 7. » D’autres domestiques sont accusées par leurs maîtres de recevoir des hommes en leur absence et de festoyer avec les produits du cellier. Mais ces accusations ne sont pas toujours avérées. Elles ne visent souvent qu’à noircir le portrait d’une domestique engrossée par le fils de la maison et renvoyée sous un faux prétexte de vol, d’ivrognerie ou de dévergondage. Les femmes mariées Les quarante accusées qui possèdent le statut de femmes mariées, vivent des situations assez diverses : – 15 ne sont mariées que depuis quelques mois et avaient dissimulé leur grossesse à leur futur époux ; 6. AD C-A 2U/640, Mathurin Olivro, 47 ans, laboureur, 29 décembre 1841. 7. Idem, Joseph Veillé, 15 ans, pâtre chez Mathurin Olivro, [même jour].

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– 3 sont des femmes adultères qui cohabitent avec leur mari ; – 12 sont épouses de soldats ou de marins, civils ou militaires, temporairement séparées de leur mari ; – 6 sont définitivement séparées de leur époux ; – 3 sont femmes de détenus ; – 1 cas demeure inexpliqué. Nouvelles mariées Une partie non négligeable des accusées appartient à la catégorie des nouvelles mariées. Sauf rares exceptions, leurs maris ne sont pas les auteurs de leur grossesse. Plusieurs paraissent même n’avoir remarqué que tardivement, voire ignoré, que leur femme était enceinte. Il est difficile de pénétrer l’état d’esprit de ces hommes naïfs et de déterminer quelles sont leurs intentions lorsqu’ils contractent ces mariages qui sont parfois de pure complaisance. L’un d’eux, René Berthelot, cultivateur à Cogles, a déjà une grande expérience de la vie : il est âgé de 55 ans et a déjà été marié trois fois. Le 11 mai 1847, il épouse Anne George, âgée de 33 ans, qui est alors enceinte de six mois. Sa grossesse est visible aux yeux de tous, mais il semble n’avoir accordé aucun crédit aux personnes bien intentionnées qui l’avaient prévenu avant son mariage qu’il épousait « une femme sur le point d’accoucher ». Sa nouvelle épouse est suffisamment habile pour le tromper sur son état et l’éloigner de la maison sous un faux prétexte, lorsque l’accouchement s’annonce : « Dans la nuit du 14 au 15 août, elle fut avertie par les douleurs que le moment était venu ; elle sçut [sic] se contenir, et au point du jour, elle persuada à son mari de partir pour Saint-Brice, distant de 6 kilomètres et d’y faire plusieurs commissions qui devaient absorber sa journée. Le 15 août est d’ailleurs une grande fête. Restée seule, elle accoucha vers six heures, et accomplit son infernal projet avant huit heures : vers neuf heures, des voisins, qui se rendaient à la grand-messe, la trouvèrent qui vaquait aux soins ordinaires de sa maison. Le soir, le mari rentra, et elle lui apprit qu’elle avait essuyé une fausse couche. Il y crut 8. »

Lorsque la rumeur de son accouchement se répand dans le voisinage, elle se rend avec son mari chez le juge de paix, auquel elle déclare avoir fait une fausse couche. Mais le juge de paix parvient à découvrir le cadavre du nouveau-né. L’instruction apprendra qu’Anne George avait déjà donné le jour à deux enfants naturels. Le premier avait été confié par son père à une sage-femme qui l’avait déposé à l’hospice d’Avranches. Quant au second, qu’elle s’apprêtait à tuer, et qui avait été sauvé in extremis par une voisine, il était mort quelque temps plus tard « à la nourrice ». Malgré son crime et son passé douteux, Le Beschu de Champsavin relevait qu’Anne George n’était pas 8. AN/BB/20/141, I-V, 4e trim. 1847, Le Beschu de Champsavin, 21 décembre 1847.

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dépourvue de vertus : « Le maire de la commune a fait connaître que quelques années auparavant, elle avait eu des soins admirables pour son père et sa mère, pauvres et infirmes. Elle passait la nuit à les soigner, et le jour elle se livrait aux plus rudes travaux pour leur acheter du pain. Ses maîtres disaient qu’elle avait toujours été laborieuse et fidèle 9. » Le dossier d’Anne Bonnezec, domestique à Gouézec, âgée de 26 ans, présente de grandes similitudes avec celui d’Anne George. Lorsqu’elle épouse, en 1847, Jacques Cornec, « qui était le seul, écrit Robinot SaintCyr, qui ignorât le nouvel état de grossesse de sa femme », elle avait déjà fait l’objet, trois ans auparavant, d’une poursuite judiciaire pour infanticide sur des jumeaux. Cependant, malgré ses fâcheux antécédents, sa « conduite irréprochable » en prison attire en 1859 – elle est alors détenue depuis treize ans – l’attention de l’administration pénitentiaire qui la propose pour une remise de peine. Jacques Cornec est mort dans l’indigence, laissant deux filles, dont l’une est infirme, et qui sont réduites à la mendicité. Il n’est pas invraisemblable que les fonctionnaires aient envisagé, au vu de sa bonne conduite, de précipiter sa libération pour qu’elle joue, auprès de ses belles-filles, le rôle maternel qu’elle n’avait pu ou su assumer auprès de ses propres enfants 10. Certains mariages ne sont conclus que pour légitimer une grossesse. Marie Rousseau, cultivatrice à Guenrouet, âgée de 29 ans, appartenant à « une famille honorable », était recherchée en mariage par plusieurs prétendants. Le 31 janvier 1837, sans doute pour se plier à un arrangement négocié par ses parents, elle épouse un agriculteur du voisinage, Jacques Tillard. Elle est alors enceinte de trois mois. Cette union, qui paraît destinée avant tout à sauvegarder son honneur, n’a pas été consommée. Lorsqu’elle accouche, près de six mois plus tard, elle demeure toujours chez ses parents 11. Jacques Le Bihan, forgeron au port de Brest, âgé de 36 ans, est l’archétype du mari complaisant. Domestique pendant douze ans chez les Jourden, propriétaires-cultivateurs au Conquet, il s’est marié par deux fois pour leur venir en aide, on ne sait à quel prix. En 1848, lorsqu’il épouse sa première femme, celle-ci est enceinte de trois mois des œuvres de Jourden père qui, « sous le rapport des mœurs jouit d’une relation détestable 12 ». Trois enfants sont nés des relations « coupables » entre Jourden père et la première épouse de Le Bihan. Tous trois ont été inscrits à l’état civil par les soins de celui-ci. Les deux premiers ont été déclarés mort-nés. Seul le troisième semble avoir eu la chance de conserver quelque temps la vie. En 1859, devenu veuf, Jacques Le Bihan se remarie avec Françoise Kermaïdic, âgée de 30 ans, également domestique chez Jourden. Elle est alors enceinte de quatre mois. 9. Idem. 10. AN/BB/20/141, F, 4e trim. 1847, Robinot Saint-Cyr, 27 octobre 1847. 11. AN/BB/20/93, L-I, 3e trim. 1837, Chellet, 8 octobre 1837. 12. AD F 4U2/164, le juge de paix de Saint-Renan au procureur de Brest, 2 août 1859.

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œuvres du fils de la maison, Jean-Marie, âgé de 23 ans. L’enfant sera tué dès sa naissance par Jean-Marie Jourden et cet infanticide seul sera poursuivi. Le Bihan avouera au cours de l’instruction n’avoir jamais eu de rapports sexuels avec son épouse. Femmes adultères Les cas d’adultère sont assez rares lorsque le mari est présent au foyer. Ils résultent surtout de mariages mal assortis. Le meilleur exemple est peutêtre celui des époux Hervoch, du village de Guéric en Crach. Ils sont mariés depuis treize ans lorsque la femme, Marie-Julienne Nerhuen, accouche de jumelles adultérines qu’elle étrangle. Le mari, Joseph Hervoch, un journalier âgé de 61 ans, a 25 ans de plus que son épouse. Il ne vit pas dans une grande intimité avec elle : « Je ne savais pas que ma femme eût accouché. Je ne savais pas non plus qu’elle fût enceinte. Comme journalier, je suis toujours hors de chez moi ; j’y rentre pour coucher ; je ne couche plus avec ma femme. Cependant il y a six mois que j’ai couché avec elle et j’ai rempli le devoir conjugal 13. » Marie-Julienne Nerhuen a une très mauvaise réputation. Elle évoque avec détachement sa première grossesse qui semble pourtant résulter d’un viol : « je n’avais que quinze ans alors », indique-t-elle au magistrat. « Mon oncle, ancien militaire, me fit un enfant ; il paya pour mon accouchement à Auray et l’enfant a dû être envoyé à l’hôpital de Vannes 14. » De même, elle avoue son double crime sans manifester beaucoup d’émotion : « Je levai un peu la tête du premier enfant ; je lui coupai le cordon ombilical avec des ciseaux et environ une demi-heure après avoir accouché de ce premier enfant, je le pris par le cou avec les deux mains et je l’étranglai ; je souffrais beaucoup. Je pris encore le second par le cou ou par la tête, je ne sais trop par où, car je ne savais pas ce que je faisais ; je l’ai serré et il est mort ainsi entre mes mains 15. » Elle est mal perçue par son voisinage, qui lui attribue un autre infanticide, non seulement parce qu’elle reçoit son amant au vu et au su de tout le village, mais aussi parce qu’elle ne remplit pas correctement son devoir d’épouse nourricière. Les questions que lui adresse à ce sujet le juge de paix du canton montrent combien il partage la réprobation générale : « Qui trempa la soupe de votre mari le dimanche 21 mai dernier ? – Ce fut Rosalie Le Garrec. – Qui en coupa le pain, ainsi que le mardi suivant ? – Rosalie Le Garrec. – Ainsi, c’est une étrangère à votre maison, Rosalie Garrec [sic], qui avait soin de votre mari ; car vous ne l’entouriez plus, vous, des soins que vous lui deviez. Avant cette époque, étiez-vous dans l’habitude de lui couper le pain de sa soupe et de la tremper, de la tenir toute 13. AD M U2127, Joseph Hervoch, 61 ans, journalier, 25 mai 1843. 14. Idem, interrogatoire, 26 mai 1843. 15. Id.

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prête pour le moment de son arrivée du travail ? – Oui, cela m’est arrivé plusieurs fois. – On dit aussi que depuis longtemps vous n’avez plus de conversation avec votre mari, que vous ne lui parliez plus et cependant vous ne viviez qu’à l’appui des journées gagnées par ce mari aujourd’hui âgé de 61 ans. – Mais si, je lui parlais 16. »

Le cas de Marie-Joseph Nerhuen est cependant relativement isolé. La majorité des adultères qui ont été à l’origine de crimes sont provoqués par l’éloignement des maris. Les femmes de soldats et de marins vivent séparées de leur époux pendant des périodes plus ou moins longues, qui peuvent aller jusqu’à cinq ou six ans. Comme la plupart ne savent ni lire ni écrire, elles demeurent pratiquement sans nouvelle de lui. Seule la femme Lorgeré semble recevoir de temps à autre des lettres de son mari, qui est soldat. Mais il est absent depuis six ans et elle vit pratiquement en concubinage avec le garde champêtre de la commune. Ses voisins la soupçonnent de récidive 17. Marie-Françoise Rivoallan, âgée de 30 ans, couturière à Lanloup, est mariée à François Rolland, « marin au service de l’État », absent depuis trois ans. L’auteur du crime paraît être son amant, François-Marie Le Bris, dont l’épouse est détenue pour vol. Au cours des trois années d’absence de son mari, Marie-Françoise Rivoallan a mis au monde un autre enfant qui a été déposé à l’hospice 18. La majorité des femmes de marins ou de soldats poursuivies pour infanticide ont un enfant naturel dans les deux années qui suivent le départ de leur époux. Il ne faudrait pas en conclure pour autant que ces femmes soient particulièrement infidèles, car elles ne représentent qu’une faible minorité des accusées (2,1 %). Les veuves Les veuves sont généralement plus aisées que les autres catégories d’accusées. Plusieurs appartiennent à la classe des propriétaires-cultivatrices. Elles sont généralement déjà mères de plusieurs enfants légitimes, qui parfois sont adultes. C’est souvent le souci de préserver la tranquillité de ces enfants qui poussent les veuves au crime. Marie-Urbane La Parc, une cultivatrice aisée de Plozévet, âgée de 42 ans, est veuve depuis dix ans lorsqu’elle met au monde un enfant naturel. Sa conduite avait été jusque là « exempte de reproches ». C’est selon toute vraisemblance pour cacher la naissance d’un bâtard à son fils aîné, qui est marié, et éviter que son propre déshonneur rejaillisse sur lui, qu’elle se résout à tuer son nouveau-né 19. 16. Id., interrogatoire, 2 juin 1843. 17. AD C-A 2U/735. 18. AD C-A 2U/754, 1850. 19. AN/BB/20/182/1, F, 4e trim. 1855, Le Beschu de Champsavin, s. d.

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Elles sont nombreuses à avoir l’expérience de la mort précoce d’un ou de plusieurs enfants. La Vve Guimard, journalière à Roc Saint-André, âgée de 30 ans, a perdu cinq de ses six enfants légitimes. La Vve Le Trou, mère de douze enfants n’a pu en conserver que sept. Quatre des huit enfants de la Vve Bongré sont décédés. La mortalité infantile est telle que ces veuves peuvent être portées à envisager la mort d’un nouveau-né avec fatalisme. À ce fatalisme s’ajoute la difficulté à renoncer, alors qu’elles sont encore jeunes, à toute vie amoureuse. Daniel Collet 20 relevait en effet que le remariage des femmes était beaucoup moins fréquent, à la campagne, que celui des hommes. Les veuves rurales devaient donc se résoudre à vivre dans la solitude et l’abstinence. C’est sans doute parce qu’elle éprouve quelque difficulté à supporter la solitude que la Vve Lépinay séduit l’un de ses domestiques. Renversant les rôles, c’est elle qui use, pour le conquérir, de promesses de mariage : « Parmi les 22 témoins que nous avons entendus, il s’en est trouvé 2 qui ont jetté [sic] le plus grand jour sur cette affaire : le premier, en déclarant qu’il avait été l’année dernière domestique de l’accusée qui, vers le mois d’août, lui avait proposé de l’épouser : que dans l’espoir d’un mariage aussi avantageux pour lui (qui n’avait aucune fortune, tandis qu’elle jouit entr’elle et son enfant d’un revenu de plus de 200 francs), il s’était prêté au commerce criminel qu’elle sollicitait avec instances ; qu’enfin, elle lui avait avoué depuis, être enceinte de ses œuvres, sans vouloir toutefois réaliser la promesse précédemment faite 21. »

Tout comme le célibat, le veuvage rend les femmes vulnérables aux entreprises de séduction de leur entourage. Outre Jeanne Thominet, au moins trois autres veuves ont succombé aux charmes de leurs beaux-frères. Rose Bouillaux, fileuse à Janzé, dit avoir résisté « avec courage, pendant longtemps », aux avances de son beau-frère, « mais obsédée par sa recherche, par ses transports violents, j’ai dû me résigner à mon sort, quoique ce soit contre ma volonté et n’osant pas crier de crainte de scandale ». Comme Jeanne Thominet, elle prétendra ne lui avoir cédé qu’une seule fois 22. Marie Kerdal, Vve Dagorn, âgée de 42 ans, mère de cinq enfants, qui dirige une petite exploitation rurale, vit depuis six ans en concubinage avec son beaufrère, Jean Dagorn, âgé de 36 ans, qui est domestique-laboureur chez elle. Deux enfants, naîtront de cette union et seront tués de complicité par les deux amants. Guillemette Robino, une des rares accusées qui n’appartienne pas à la classe rurale, mère de trois enfants, vit avec son beau-frère, Jean Robino, lieutenant des douanes. Ce couple paraît être également récidiviste. Leur crime est en effet dénoncé par une lettre anonyme ainsi libellée : « M. Robino, lieutenant des douanes à Saint-Armel, avait avec lui sa belle20. Collet D., op. cit. 21. AN/BB/20/41, I-V, 4e trim. 1828, Le Painteur de Normény, 30 décembre 1828. 22. AD I-V 42U/715, p.-v. de gendarmerie, 3 novembre 1839.

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sœur qui était enceinte et tout a disparu du 9 au 10. Il n’y a plus rien ; faites faire des visites ou des recherches pour savoir où ça a passé [sic]. Ce n’est pas leur premier essai 23. » Convoqué au parquet, Robino reconnaît sa paternité mais tente de persuader le magistrat que faute de moyens suffisants pour élever ce nouveau-né, lui et sa belle-sœur ont dû se résoudre à le déposer à l’hospice. La Vve Robino décrit, avec force détails, la manière dont cet enfant était habillé lorsqu’il a été déposé au tour. Mais tous deux, avant de se rendre au palais de justice, étaient allés demander à l’hospice si aucun enfant n’avait été abandonné dans les jours environnant le crime : « Trois témoins, la Supérieure des Dames de charité, la tourière et l’employé de la préfecture au bureau des enfants-trouvés déclarèrent que trois heures avant leur comparution au Parquet le 29 novembre, Robino d’abord, puis Robino et sa belle-sœur, étaient allés, par trois démarches différentes, s’informer si un enfant n’aurait pas été déposé au tour à une époque correspondant à l’accouchement, quels étaient le jour et l’heure de ce dépôt, le sexe de l’enfant et les vêtements dont il était couvert. »

Ce stratagème aurait pu réussir si Robino n’avait eu l’imprudence de se vanter à l’un de ses collègues d’être parvenu à berner le magistrat. Guillemette Robino finira par reconnaître le meurtre 24. Si les relations entre beau-frère et belle-sœur sont unanimement réprouvées, celles qui, comme dans le cas de la Vve Barbin, unissent une bellemère et son beau-fils, paraissent proprement scandaleuses. Le Meur, évoquant cette affaire, parle même de « honteux accouplement ». Cette relation est d’autant plus inacceptable qu’elle est à l’origine du suicide de Barbin, mari et père des accusés : « Le Sieur Barbin père, veuf d’une première femme qui l’avait rendu fort heureux, père de plusieurs enfants et notamment de Jean-Marie Barbin, alors âgé de 16 ou 17 ans, épousa en secondes noces Marie-Théotiste Thuaud, jeune fille d’un tempérament ardent et de mœurs déplorables. Cette femme ne tarda pas à séduire le fils de son mari et à vivre en concubinage avec lui, à la connaissance de toute la commune, scandalisée par cette conduite infâme. Vers 1843, le malheureux Barbin père finit par découvrir ces relations incestueuses, qui n’étaient un secret que pour lui et de désespoir se donna la mort en se pendant à l’aide du licol de l’un de ses chevaux ; si l’on en croit même le bruit public, il aurait été assassiné par sa femme et son fils, surpris par lui en flagrant délit ; mais l’absence d’un témoin fort important à ce sujet, n’a pas permis d’apurer aux débats de la cour d’assises ce genre de mort, qui a été évidemment un suicide occasionné par le désespoir, sinon un assassinat. »

Après la mort de son père, Jean-Marie Barbin demande au procureur du roi l’autorisation d’épouser sa belle-mère. Le refus du magistrat semble l’avoir déterminé à se débarrasser de l’enfant : « Marie Thuaud cacha sa 23. AN/BB/20/174/2, M, 1er trim. 1854, Lambert, 21 mars 1854. 24. Idem.

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grossesse, ne fit aucun préparatif [sic] pour recevoir son enfant et, à l’époque de son terme, éloigna de la maison ses domestiques et ses enfants du premier lit ; elle accoucha dans une étable, en présence de Jean-Marie Barbin, baptisa l’enfant nouveau-né, le remit à son complice, après l’avoir enveloppé dans un mouchoir, en lui disant : “Fais-en ce que tu voudras, moi je vais me coucher dans mon lit 25.” » Faibles et fortes personnalités Les domestiques, particulièrement si elles totalement dépourvues de protection familiale, sont souvent victimes de maîtres abusifs. Ainsi, Mélanie Suliac, domestique-cultivatrice, âgée de 22 ans, enfant naturel, entrée jeune au service de Pierre-Victor Samson, se laisse-t-elle suborner par celui-ci. Samson, âgé de 43 ans, cultivateur à Taden est célibataire, il avait déjà rendue mère sa précédente servante. Tous deux sont accusés de l’infanticide. Mélanie Suliac sera acquittée et Pierre-Victor Samson condamné à une peine légère, pour complicité 26. Alors que le crime semble avoir été commis de concert, le jury s’est laissé émouvoir par la situation de Mélanie Suliac : « C’était un enfant naturel. Elle était entrée à l’âge de 16 ans au service de Pierre Samson qui, abusant de son expérience et de l’autorité que lui donnait son titre de maître, l’avait séduite et en avait fait sa concubine : cette fille loin d’avoir intérêt à détruire son enfant, qui avait ou pouvait être le lien le plus propre à déterminer Pierre Samson à l’épouser, devait désirer au contraire qu’il vécût. Ce n’est donc pas elle qui a pu concevoir la pensée du crime. Si elle n’a pas été un témoin purement passif de ce crime, si on peut lui imputer le tort d’y avoir donné son assentiment ou de n’avoir rien tenté pour s’y opposer, elle a été dominée par l’ascendant de son maître, elle a subi le joug d’une influence qui la rend excusable ou du moins irresponsable 27. »

Quelques accusées paraissent surtout victimes de leur défaut d’intelligence. Marie Piriot, domestique à Grand-Fougeray, est d’une extrême naïveté : « Marie Piriot, âgée de 34 ans, était depuis dix ans domestique chez les époux Filoux, laboureurs à Fougeray. Sans être idiote ni imbécile, elle était cependant regardée comme ayant un esprit très borné, et surtout des plus crédules. Aussi, comme elle désirait vivement se marier, un homme des plus mauvaises mœurs, quoique marié et père de famille, nommé Hyacinthe Cahélo, dit Cajolet, n’eut-il pas de peine à lui persuader qu’il était un enchanteur et que si elle voulait s’abandonner à lui, il ferait venir à elle le mari qu’elle désirait. Elle céda par bêtise et devint enceinte en juillet ou août 1852 28. » 25. AN/BB/20/128, L-I, 3e trim. 1844, Le Meur, s.d. 26. Comme cela arrive parfois, il n’y a pas, d’après ce verdict, d’auteur principal du crime. 27. AN/BB/20/235/2, C-N, 3e trim. 1861, Dupuy, 24 juillet 1861. 28. AN/BB 20/168/2, I-V, 3e trim. 1853, Lambert, 19 août 1853.

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À l’opposé, apparaissent de fortes personnalités, aptes à se défendre, et parfois capables de retourner les rapports de force en leur faveur. Quelquesunes affichent une liberté de langage et de mœurs qui fascine autant qu’elle inquiète les hommes de leur entourage : « Thomas a une fameuse gaillarde qui n’a pas l’air d’être poltronne 29 » déclare à sa femme l’adjoint de la commune de Rouans à propos de Rose Gobin, une domestique de 27 ans travaillant depuis quelques mois chez un commissionnaire nommé Jean Thomas. Cette femme a un « air étrange » et une liberté de ton qui le surprend. L’instituteur du village, qui achète ses poulets chez Thomas, est également étonné par « l’impertinence et la grossièreté de la fille Gobin envers son maître » qui, manifestement, n’est pour rien dans sa grossesse 30. Vincente Le Gall, domestique à Naizin, se fait renvoyer en mars 1829 de chez ses maîtres en raison de la liberté, jugée excessive, de ses mœurs : « Vincente Le Gall est entrée à mon service en qualité de gardienne de bestiaux, le 9 mai 1828, elle en est définitivement sortie le 3 mars dernier. Pendant qu’elle a demeuré chez moi, j’ai eu fréquemment à me plaindre de sa conduite. Elle était extrêmement amoureuse et courait après les hommes. Il lui est arrivé plusieurs fois de sortir de chez moi et d’aller faire des débauches avec des hommes dans les cabarets voisins. Comme j’avais entendu dire qu’elle était grosse et que j’étais persuadé que la vie qu’elle menait devait infailliblement amener un pareil résultat, je me décidai à lui en parler, un mois environ avant sa sortie de chez moi. »

Elle aime s’amuser et dissipe dans des beuveries l’argent qu’elle vole à ses maîtres : « Vers Noël dernier, Vincente Le Gall s’absenta pendant quatre jours de ma maison, qu’elle passa en débauche et pendant lesquels elle mangea deux pièces de six livres qu’elle m’avait prises. Je ne voulais plus qu’elle rentrât chez moi, mes filles me décidèrent à la reprendre, afin que par son travail, elle regagnât les deux pièces de six livres dont elle nous avait fait tort 31. » Mais il n’est pas impossible que certains maîtres, pour marquer leur réprobation du meurtre, noircissent quelque peu les accusées qui partageaient leur vie quotidienne et dont ils étaient autrefois si proches. Après avoir été chassée de chez ses maîtres, Vincente Le Gall retrouve rapidement une place chez d’autres cultivateurs qui ne soupçonnent même pas son état et qui ne voient rien de répréhensible à sa conduite : « J’ignore pourquoi les soupçons se sont portés sur elle », déclare sa nouvelle maîtresse au juge d’instruction. « Elle n’a pas cessé de se bien conduire pendant le temps qu’elle a passé à mon service 32. » Mais Vincente Le Gall n’a vécu qu’un mois, qui correspondait au terme de sa grossesse, chez ces agriculteurs. 29. AD L-A 5U174/1, Luc Chagnas, marchand, adjoint de la commune de Rouans, 27 mars 1865. 30. Idem, Bertho, instituteur à Rouans, 30 mars 1865. 31. AD M U2013, Mélaine Le Dévédec, 50 ans, cultivateur, 18 mai 1829. 32. Idem, Marguerite Pasco, 47 ans, cultivatrice, [même jour].

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Marie-Louise Duval est dotée, elle aussi une forte individualité. Elle réussit l’exploit de devenir enceinte alors qu’elle est détenue à Lannion. Condamnée en septembre 1846 à un an de prison pour vol, elle recueille, en avril 1847, les confidences d’une de ses codétenues, Jeanne Le Minor, qui lui avoue avoir donné son nouveau-né à dévorer à un cochon 33. MarieLouise Duval bénéficie de la protection du concierge de la prison et de son épouse. C’est elle qui est chargée de soigner les détenues. Elle dispose de suffisamment liberté pour faire des rencontres qui aboutiront à sa grossesse. À sa libération, en septembre 1847, le concierge la garde comme domestique. Elle accouche donc à la prison, en janvier 1848, d’un enfant qu’elle précipite immédiatement dans les latrines 34. Elle n’est manifestement pas la seule accusée à avoir eu des relations sexuelles en prison. Carron, dans son compte rendu relatif à Jeanne Mahé, filandière à Trédaniel, écrivait en effet : « La corruption de ses mœurs était poussée à un tel point d’abjection que, dans la prison même, elle était parvenue à nouer avec des soldats d’ignobles relations 35. » Deux femmes, parmi celles qui exercent de multiples activités et qui sont domestiques à certaines époques de leur vie, parviennent à se substituer dans la gestion de la maisonnée, à leurs maîtresses. Il s’agit de la femme Doudard, dont le mari est détenu pour vol de chevaux et qui est employée comme domestique pendant près d’un an chez Jean-Baptiste ValletDuronceray, officier de santé à Mellé. Les relations entre Anne Doudard et Duronceray deviennent assez rapidement insupportables à l’épouse de ce dernier. Elle s’enfuit de la maison pour se réfugier chez sa fille aînée, qui déclare : « Ce que je sais, c’est que la conduite du sieur Duronceray avec la femme Doudard devint tellement scandaleuse que ma mère, après avoir longtemps souffert, crut enfin devoir, pour elle-même et surtout pour ma jeune sœur, âgée de douze ans, qui avait les exemples les plus dangereux sous les yeux, quitter la maison conjugale, et vint se réfugier chez nous 36. » La femme Duronceray, également entendue au cours de l’instruction, décrit la position humiliante dans laquelle elle s’est trouvée par rapport à cette domestique, beaucoup plus jeune qu’elle (Anne Doudard est âgée de 33. AD C-A 2U/711, Marie-Louise Duval, 12 avril 1847 : « Le 24 décembre […] vers les six heures et demie du soir, Jeanne Le Minor fut amenée à la prison sous l’inculpation d’infanticide ; elle se trouvait en état de maladie. Lorsqu’elle se fut chauffée à la geôle, je fus chargée par le gardien-chef de la porter à l’infirmerie et de lui donner les soins que sa position nécessitait. Vers les huit heures du soir, elle me déclara qu’elle était accouchée dans la cour, près de la crèche à porc dépendant de l’habitation de ses maîtres, qu’ayant ensuite ouvert la porte de cette crèche elle avait saisi son enfant et l’y avait jeté ; qu’en l’entendant pousser des cris au moment où le porc commençait à le dévorer, elle avait éprouvé un sentiment de regret, mais n’avait point osé essayer de le retirer, dans la crainte d’être mordue elle-même. Le lendemain, autant que je le crois, la fille Le Minor demanda un prêtre pour se confesser à lui et c’est alors que m’entretenant encore de son accouchement, elle me dit : J’ai tué mon enfant, Eh bien ! je sais ce qui me revient pour cela, c’est la mort. » 34. AN/BB/20/145, C-N, 2e trim. 1848, Tiengou de Tréfériou, 3 juin 1848. 35. AN/BB/20/34, C-N, 2e trim. 1827, Carron, 10 juin 1827. 36. AD I-V 2U4/614, Mélanie Leblanc, 29 ans, fille de Gilette Vallet-Duronceray, 27 décembre 1824.

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26 ans, alors que Gillette Duronceray a 51 ans), qui tentait d’inverser les rapports d’autorité : « Je ne sais pas comment elle s’est conduite depuis le mois de janvier dernier, que j’ai quitté la maison conjugale pour plaider ma séparation contre mon mari, mais auparavant j’avais remarqué entre eux des familiarités déplacées, et la Doudard prenait avec moi un ton de maîtresse propre à faire faire de tristes réflexions : elle s’oubliait jusqu’à porter mes chemises sans ma permission, ou plutôt contre ma volonté 37. » Julienne Godard, qui s’est enfuie de Montours au lendemain de son crime finit, après une période d’errance, par se faire engager sous un nom d’emprunt comme domestique. Au moment de son arrestation elle habite depuis environ cinq semaines chez François Fémeril, laboureur à Louvignédu-Désert. Elle paraît avoir, en un mois de présence dans cette maison, détrôné son épouse : « Comme elle s’est trouvée n’avoir aucun papier, écrit le juge de paix au procureur du roi, j’ai cru devoir la faire conduire, attendu d’ailleurs les violents soupçons de concubinage qui pèsent sur elle et que n’ont pu détruire dans mon esprit les dires de la femme Fémeril que je crois tout à fait réduite à la malheureuse nécessité de taire les infamies qui souillent sa maison. » Elle est « signalée par le bruit public comme vivant en état de concubinage avec ledit François Fémeril ». Le juge de paix n’accorde aucun crédit aux démentis de celui-ci et de son épouse, car il estime que cette dernière est terrorisée par son mari : « Fémeril et sa femme ont dit aussi que tout cela n’était qu’une calomnie et la femme Fémeril en son particulier, a dit que c’était elle-même qui avait donné ses services à la Beaufils [pseudonyme utilisé par Julienne Godard], pour tout le temps qu’elle aurait voulu leur rester. Néanmoins en considérant les dires de la femme Fémeril comme l’effet de la crainte des mauvais traitements de son mari, nous avons ordonné et ordonnons que Perrine Beaufils, prévenue du délit de vagabondage, sera incessamment conduite devant M. le Procureur du Roi de Fougères 38. »

Les séducteurs Les hommes sont généralement remarquablement absents des dossiers. La loi en interdisant la recherche de paternité les dispense en effet de toute responsabilité à l’égard de leurs enfants naturels 39. Ce n’est que lorsqu’ils sont soupçonnés de complicité qu’ils sortent de leur anonymat. Parfois, également, certaines femmes indiquent, de manière plus ou moins vague, l’identité de leur séducteur. Les indications données par les accusées permettent de cerner l’identité de 118 d’entre eux (soit 20,63 %) : 37. Idem, Gillette Vallet-Duronceray, 51 ans environ, [même jour]. 38. AD I-V 2U4/614, le juge de paix de Louvigné-du-Désert au procureur de Fougères, 25 février 1825. 39. C. civ., art. 340.

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– Maîtres – Hommes du voisinage – Membres de la famille – Militaires de passage – Domestiques travaillant avec elles – Domestiques de leur famille – Ouvriers de passage – Fiancé – Total

43 41 13 7 6 4 3 1 118

Les arguments de la séduction relèvent essentiellement, pour les domestiques, de l’abus de pouvoir, et pour les relations de voisinage, de promesses de mariage. On doit, bien entendu, supposer que l’inclination joue un rôle important dans ces amours clandestines, quelle que soit la catégorie à laquelle on tente de les rattacher. Mais les aspects romanesques ou sentimentaux des rapports amoureux ayant abouti à des infanticides sont très difficiles à déceler dans des documents judiciaires dont la fonction est purement normative. Il est donc possible qu’ils soient, de par la nature des sources utilisées, largement sous-évalués, bien que les magistrats ne soient pas totalement imperméables aux aspects humains des problèmes qu’ils ont à traiter. Maîtres abusifs Dans la galerie de portraits des maîtres émergent plusieurs types : les cultivateurs ayant épousé des femmes plus âgées qu’eux, les veufs, les célibataires endurcis se réservant pour un « beau » mariage et les fils de la maisonnée. On note généralement une grande différence d’âge entre la domestique victime de la séduction et son maître : les séducteurs de domestiques se partagent en effet très inégalement entre les maîtres (33 sur 43) et leurs fils (10 sur 43). Les domestiques deviennent facilement la proie d’hommes qui, en raison de l’ancienneté de leur mariage, de l’âge ou des infirmités de leur épouse, n’éprouvent guère d’autre satisfaction de leur situation conjugale que celles qui relèvent des avantages économiques qu’ils ont pu en tirer. L’un des exemples les plus frappants de ces maris vénaux est celui de Jacques Le Barbier, laboureur à Saint-Gildas-de-Rhuys, auteur de la grossesse de Mélanie Mandelert, une domestique-cultivatrice âgée de 28 ans. Les raisons qui l’ont amené à délaisser son épouse et à séduire Mélanie Mandelert ressortent très clairement de l’interrogatoire que lui fait subir le juge d’instruction : « Votre femme est plus âgée que vous ? – Oui elle a environ soixante-six ans, ce qui lui fait près de seize ans de plus que moi. – N’avez-vous pas obtenu une donation de votre femme ? – Oui, il y a longtemps, nous nous fîmes alors une donation réciproque. – N’est-ce pas dans la crainte de perdre 215

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la bienveillance de votre femme et par suite la donation qu’elle vous a faite que vous auriez fait disparaître l’enfant de Mélanie Mandelert ? – Non. »

Louis Guerchet, laboureur à Malville, âgé de 66 ans, a lui aussi épousé une femme beaucoup plus âgée que lui, qui est infirme. Il jette son dévolu sur sa domestique, Marie Denigot, qui n’est âgée que de 17 ans. Au moment de ses couches il l’empêche de retourner chez sa mère et la contraint à tuer son nouveau-né. Il se montre d’une parfaite mauvaise foi devant la cour d’assises : « Forcé d’avouer ses relations intimes avec elle, il a prétendu qu’elle l’avait forcé d’assouvir ses désirs, en allant la nuit le trouver dans son lit et le menaçant de ses ciseaux, s’il ne consentait pas à jouir d’elle. Après cet aveu de leurs rapports intimes si ridiculement expliqués, il niait tout et soutenait n’avoir pas même soupçonné la grossesse de Marie Denigot 40. » Il n’est pas le seul maître à se déclarer victime des pulsions d’une domestique qui, pourtant, est placée dans une position de subordination économique très forte. Jean-Pierre Jouino, un laboureur de 20 ans, de MoustoirRémungol, reporte lui aussi toute la responsabilité des amours ancillaires qu’il a vécues avec la Vve Maho, une domestique de sa mère, sur la nature passionnée de cette femme. Cette argumentation est assez perverse car elle repose sur des arguments réels. Il est vrai que la Vve Maho est légèrement plus âgée que lui (elle a 28 ans) et qu’elle est censée, puisqu’elle a été mariée, être plus expérimentée : « La veuve Maho est venue souvent dans mon lit à m’exciter. J’étais très innocent, j’ignorais les résultats possibles de ces opérations 41. » Certains agriculteurs, se réservant pour un mariage avantageux, se font une spécialité, en attendant de réaliser leur objectif, de séduire leurs domestiques. Mathurin André, laboureur à Lanouée, célibataire, âgé de 36 ans, est « réputé vivre en concubinage avec ses servantes 42 ». Pirault, cultivateur à Bourgneuf-en-Retz, également célibataire, « a une réputation détestable dans le pays au point de vue de ses domestiques ». Aucune ne paraît avoir échappé à ses assiduités. Il a déjà été soupçonné, antérieurement à l’affaire qui a conduit l’une d’elles – la Vve Chauvet – devant la cour d’assises en 1856, d’avoir commis ou participé à un autre infanticide : « Il paraît notoire dans le pays que toutes les femmes qui ont servi dans sa maison ont été l’objet de ses attaques et que trois au moins sont devenues enceintes chez lui. Il y a six ou sept ans, une de ces femmes accoucha chez lui d’un enfant qui mourut peu de jours après sa naissance. À cette époque, l’attention de la justice fut éveillée, le juge de paix fit une descente chez Pirault, l’autopsie du corps de l’enfant eut lieu ; mais à la suite de cette recherche, l’affaire demeura sans suites [sic]. » 40. AN/BB/20/200/1, L-I, 2e trim. 1857, Taslé, 24 juin 1857. 41. AD M U2058, Jean-Pierre Jouino, 20 ans, laboureur, 5 février 1835. 42. AN/BB/20/145, M, 3e trim. 1848, Piou, 20 juin 1849.

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D’abord mis en prévention dans l’affaire de la Vve Chauvet il a, une fois de plus, bénéficié d’un non-lieu qui, d’après Baudouin, peut expliquer l’acquittement de cette dernière : « Non seulement je ne fais aucun doute que la mise hors de prévention prononcée en faveur de Pirault a été la cause déterminante de l’acquittement de la femme Veuve Chauvet, mais plusieurs des jurés qui se sont prononcés pour cet acquittement, prononcé par six voix contre six, me l’ont déclaré expressément après l’audience 43. » Selon la rumeur, Job [Joseph] Le Moing, fils aîné d’un cultivateur de Languidic, a engrossé les trois dernières servantes de son père. Outre Anne Le Goff, il semble, d’après l’interrogatoire que fait subir à celle-ci le juge d’instruction, avoir également rendues mères les deux domestiques qui l’ont précédée : « – Pouvez-vous désigner les servantes auxquelles Le Moing passe pour avoir fait des enfants ? – Ce sont, dit-on, les deux dernières dont je viens de vous parler, celle qui m’a précédée immédiatement et qui était avec son mari [Marie Le Gall] et [une autre servante, Anne, âgée de 37 ans]. J’ai entendu dire qu’elles avaient des enfants et qu’on ne savait pas ce qu’ils étaient devenus. J’ai entendu dire aussi qu’on les avait vues enceintes mais je ne pourrais vous désigner la personne qui m’a dit cela 44. »

Joseph Quélavoine, cultivateur à Saint-Pern, âgé de 41 ans, n’hésite pas à enterrer vivant l’enfant né de ses amours avec sa domestique, Céleste Thé, âgée de 21 ans. Il agit avec sang-froid bien qu’il prétende, après coup, en avoir éprouvé du regret : « Il lui dit [à Céleste Thé] que c’était un bel enfant, qu’il regrettait de ne pas l’avoir conservé, qu’il jettait de fameux cris, qu’il n’avait pas pu l’étouffer et qu’il pleurait encore quand il l’avait mis dans la terre. » Le plus troublant cependant, se rapporte à la mort de ses enfants légitimes, décédés tous trois peu de temps après l’arrivée de Céleste Thé dans sa maison : « En 1841, Céleste Thé entra au service de Quélavoine dont la femme était enfermée dans une maison d’aliénés où elle est décédée. Dans la même année, et dans le cours espace de quatre mois, trois enfants légitimes qu’il avait moururent 45. » Aucune charge n’a été retenue, ni contre Joseph Quélavoine, ni contre Céleste Thé, relativement à l’étrange mort de ces trois enfants, mais l’enquête judiciaire s’est déroulée en 1844, soit trois ans après les faits. Mathurin Fleury, laboureur à Plumaugat, veuf, âgé de 56 ans, auteur du meurtre de l’enfant de sa domestique, Françoise Yon, est également réputé très violent. La rumeur publique l’accuse d’avoir maltraité sa mère et d’avoir fait périr ses deux épouses successives : « Cet homme avait été marié deux fois et si l’on en croit la rumeur publique ses deux femmes 43. AN/BB/20/190/2, L-I, 4e trim. 1856, Baudouin, 26 décembre 1856. 44. AD M U2052, interrogatoire, 25 mars 1834. 45. AN/BB/20/128, I-V, 4e trim. 1844, Cavan, 27 novembre 1844.

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auraient succombé à ses mauvais traitements. Un témoin est venu dire qu’on lui avait déclaré que Fleury, il y a longtemps, avait eu une discussion avec sa mère, il l’avait précipitée du haut d’un escalier et que cette malheureuse femme s’était cassé un bras dans sa chute 46. » Hommes du voisinage Les relations des accusées avec des hommes qui vivent dans leur voisinage, et qui contrairement à leurs maîtres, appartiennent au même milieu social qu’elles, pourraient être considérées comme le simple aboutissement d’une attirance réciproque. C’est effectivement le cas pour un certain nombre d’accusées, mais on relève le poids très important, dans les stratégies de séduction, de la promesse de mariage. Une dizaine de femmes prétendent en effet n’avoir cédé à leur séducteur, souvent présenté comme « un jeune homme du voisinage », que parce qu’elles espéraient l’épouser. D’après les seuls éléments de son dossier il est difficile de comprendre l’attrait qu’a pu exercer François Ropers, journalier-laboureur à Plouha, âgé de 71 ans, sur Hélène Guillou, une domestique de 20 ans. Elle n’a vraisemblablement cédé à ses avances que parce que son désir de se marier était très vif : « Depuis dix mois environ, elle avait des relations intimes avec François Ropers, qui, pour la décider à se livrer à lui, lui avait promis le mariage. Aussitôt qu’elle soupçonna sa grossesse, elle le pria d’accomplir sa promesse ; mais Ropers lui disait de se taire, ou qu’il lui serait arrivé malheur 47. » En fait, Ropers, qui est veuf et père d’un enfant légitime ne tient pas à se remarier et craint peut-être de devenir, en épousant une femme de cinquante ans moins âgée que lui, un objet de risée ou d’indignation. Les relations entre femmes pauvres et laboureurs n’ont aucune chance d’aboutir à un mariage. Les accusées qui ont vécu ce type de relations paraissent avoir surtout servi de divertissement à des hommes qui avaient échafaudé, avec d’autres, des projets de mariage. Au moment où Julienne Godard commet son crime, Pierre Gilbert, laboureur, père présumé de ses deux enfants, est sur le point de se marier avec une domestique dont la réputation n’est sans doute pas entachée par une grossesse illégitime. C’est parce qu’il lui aurait refusé les secours promis que Julienne Godard se serait résolue à l’infanticide. Marie Audié, mendiante et journalière à Saint-Martin-sur-Oust, âgée de 38 ans, se trouve exactement dans la même situation. Elle accouche le 24 février 1829, soit trois jours avant le mariage de celui qu’elle désigne comme son amant, Jean Diguet, un laboureur de 27 ans. C’est parce que Jean Diguet craignait que la naissance d’un enfant naturel ne fasse obstacle 46. AN/BB/20/145, I-V, 4e trim. 1848, Fénigan, 24 janvier 1849. 47. AD C-A 2U/762, acte d’accusation, 28 avril 1851.

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à son mariage qu’elle se détermine à suivre ses conseils et à tuer son nouveau-né : « Quand je m’apperçus de ma grossesse, j’en fis part à Diguet. Depuis, il me disait de m’éloigner de quatre à cinq lieues du pays, de revenir après avoir détruit mon enfant et que personne ne le saurait. Je lui observai que je ne m’en irai pas. Alors il me dit que j’étais bien bête 48. » Parmi les séducteurs appartenant au voisinage des accusées figurent quelques hommes mariés. Il s’agit habituellement de très proches voisins : Jean-Marie Hamon, âgé de 53 ans, cultivateur-propriétaire à Plumaugat, marié et père de cinq enfants légitimes, entretient une liaison avec sa voisine Euphrasie Frouget, une cultivatrice de 30 ans demeurant chez ses parents. Ces relations adultérines sont parfois durables : celle qui unit François Tanguy, cultivateur à Ploudaniel, marié et père de trois enfants, à sa voisine et locataire Marie Castel, journalière, dure au moins depuis huit années avant leur mise en accusation pour infanticide en 1843. La rumeur publique leur attribue un autre crime commis en 1841. Dans les campagnes, la complexité des hiérarchies sociales est telle qu’elle peut faire obstacle au mariage de deux individus qui sont attirés l’un par l’autre et qu’aucune différence de fortune ne paraît, a priori, distinguer. Isabelle Jaouen, couturière à Plourin, âgée de 28 ans, « vivait en secret » avec Yves Jégou, garçon-meunier à Ploudalmézeau, depuis suffisamment longtemps pour avoir donné le jour à deux enfants. Tous deux avaient fait de multiples démarches pour se marier mais n’étaient jamais parvenus à surmonter l’opposition des parents d’Yves Jégou. La raison de leur hostilité à ce mariage n’est pas indiquée. Elle peut tenir soit à la réputation d’Isabelle Jaouen, ternie par une première grossesse, soit à la différence, même dérisoire à nos yeux, de fortune entre les deux familles 49. Les jeunes gens ne prennent généralement pas le risque, même quand ils sont adultes et que l’autorisation de leurs parents ne leur est plus nécessaire, de se marier sans leur assentiment. Jeanne-Marie Le Masson justifie son crime par l’opposition inflexible de son père à son projet de mariage, en dépit des pressions exercées sur lui par le maire et par différentes personnes de la commune : « C’est mon père qui est la cause de mon malheur. S’il avait voulu me laisser épouser le père de mon enfant, qui me demandait en mariage, il y a encore un mois, tout cela ne fût pas arrivé. Jamais mon père n’a voulu consentir à notre union, malgré mes instances et celles de mes parents et amis. Le maire de Trédaniel lui-même a fait tout ce qu’il a pu pour décider mon père, qui est resté inflexible 50. » Dans ces affaires, l’opposition des parents au mariage est absolue bien que la naissance d’un enfant soit annoncée. Rien ne semble pouvoir triompher de cette vanité qui les pousse à refuser toute alliance avec des familles 48. AD M U2012, interrogatoire, 10 mars 1829. 49. AN/BB/20/83, F, 3e trim. 1835, Vincent, 14 août 1835. 50. AD C-A 2U/697, interrogatoire, 11 février 1846.

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dont ils jugent la condition sociale inférieure. La Vve Legendre 51, journalière, âgée de 53 ans, mère de Perrine Suel, couturière à Blain, préfère tuer de ses propres mains l’enfant naturel auquel sa fille a donné le jour plutôt que de consentir à ce qu’elle épouse son amant : « Le débat a établi que la veuve Legendre, qui ne s’était point opposée aux désordres de sa fille, avait déclaré plusieurs fois que lors même que celle-ci serait enceinte, elle ne consentirait jamais à ce qu’elle épousât celui qui la fréquentait 52. » Domestiques Parmi les séducteurs on dénombre une dizaine de domestiques : 6 travaillent chez les mêmes maîtres que les accusées et 4 sont employés par les parents de celles-ci. Ces amours, qui naissent de la promiscuité de la vie quotidienne, sont presque toujours sans lendemain. Le mariage est en effet difficilement compatible avec la domesticité. La vie conjugale n’est guère possible que si les époux disposent des moyens nécessaires pour « sortir de condition » et construire leur propre foyer. Les relations entre domestiques d’une même maison ne résistent que rarement à l’épreuve du temps parce qu’elles ne sont pas tolérées par les maîtres qui finissent toujours par se débarrasser de l’un ou l’autre des protagonistes. L’employeur de Marguerite Paugam, domestique à PleyberChrist, juge ainsi que la relation qui s’est instaurée entre cette dernière et un garçon de ferme porte atteinte à l’image de sa maisonnée. Il finit par les congédier tous les deux : « Marguerite Paugam a été à mon service pendant trente mois. Elle en est sortie dans les premiers jours du mois de décembre dernier. Pendant les deux premières années, sa conduite m’a paru régulière; mais au bout de ce temps, je m’aperçus qu’il s’établissait entr’elle et un domestique nouvellement entré à mon service des relations beaucoup trop intimes. Je leur en fis l’observation à tous les deux. Mais leur conduite devenant un objet de scandale dans ma maison, je me décidai à congédier le garçon de ferme, dans le courant du mois d’octobre dernier. Cette mesure n’obtint pas le résultat que j’en attendais car ils s’obstinèrent tous les deux à braver la défense que je leur avais faite de se fréquenter. Je me décidai alors à congédier Marguerite Paugam. Elle était restée à mon service un mois et demi après le départ du jeune homme 53. »

Il arrive cependant que ces liaisons traduisent un attachement véritable. Ce n’est que la crainte de ne pouvoir s’établir tant qu’il n’est pas libéré des obligations militaires qui empêche Victor Clairai, un domestique de 19 ans, de réaliser immédiatement sa promesse d’épouser Marie-Louise Morinière, avec qui il a travaillé quelque temps. Sa sincérité ne paraît pas 51. Françoise Gourroussé, veuve en premières noces de Pierre Suel (père de Perrine), et en secondes noces de Jean Legendre. 52. AN/BB/20/218/2, L-I, 1er trim. 1859, Baudouin, 4 avril 1859. 53. AD F 4U2/92, Jacques Caroff, 53 ans, cultivateur, 21 mars 1846.

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devoir être mise en doute puisque à l’audience même de la cour d’assises, il manifeste, non sans candeur, son impatience de se marier : « Victor Clairai s’est exprimé avec la plus grande franchise et même avec ingénuité. Il était vrai que l’enfant était à lui ; Marie-Louise Morinière lui avait fait connaître son état, il lui avait répondu : “Je voudrais t’épouser dès demain, mais tu sais bien que je n’ai pas mon âge [sic]. Il faut que j’aie satisfait à la loi du recrutement.” Clairai est fils aîné de veuve, et il sait bien qu’il sera exempté, mais dans nos campagnes on croit qu’un jeune homme ne peut pas se marier avant d’avoir passé au conseil de révision, et d’en avoir reçu sa libération […]. Clairai ajoutait : “Tu te retireras chez ta mère, tu y élèveras notre enfant, et nous le reconnaîtrons en nous mariant.” Ce projet était adopté, aussi Clairai disait encore : “Je ne croirai jamais qu’elle ait tué notre enfant [sic] ; je suis toujours décidé à l’épouser, je voudrais que ce fût dès demain 54 !” »

Dans un registre beaucoup moins romantique, on note la longévité du couple criminel constitué par Rose-Marie Fournier, dite Fournel, âgée de 34 ans, domestique-cultivatrice à Bruz et René Pégeault. Rose Fournel, mère d’un enfant naturel né en 1850, entretient des relations suivies avec René Pégeault, âgé de 44 ans, qui travaille avec elle chez la Vve Grouget. Ils sont jugés par la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine en 1860 pour trois infanticides, commis de concert, en 1854, 1858 et 1860, et motivés par la crainte de voir l’héritage de la Vve Grouget leur échapper : « Les deux inculpés, qui avaient su capter la confiance de la Vve Grouget au point d’obtenir d’elle un testament qui leur partageait la totalité des biens, avaient à craindre la révocation de ces libéralités, le jour où cette femme, à laquelle ils avaient réussi à dissimuler leur inconduite, en aurait acquis la preuve 55. » Les relations entre filles de familles aisées et domestiques n’ont, bien entendu, aucun avenir. Elles résultent, lorsqu’il s’agit de très jeunes filles, de leur vulnérabilité face à des hommes plus âgés. Mais ces relations peuvent aussi relever du libertinage. C’est manifestement le cas de Reine Chaplais, une cultivatrice de Saint-Vincent-des-Landes, âgée de 23 ans : « Reine Chaplais était recherchée en mariage par un jeune homme de la commune d’Issé, riche, mais qu’elle n’aimait pas. Séduite par Julien Jubaud, valet de son père, elle avait dissimulé sa grossesse avec le plus grand soin. Elle voulait, en effet, épouser l’homme riche qu’elle n’aimait pas, et sa mère, qui connaissait sa position, le voulait comme elle. À aucun prix, ni la mère, ni la fille n’auraient consenti à un mariage avec le valet séducteur. Il paraît certain, d’ailleurs, que Reine Chaplais dont les mœurs étaient mauvaises, n’aimait pas le père de son enfant, et ne s’était livrée à lui que par pur libertinage. De son côté, Jubaud, le valet dont j’ai parlé, ne voulait pas épouser sa maîtresse qu’il méprisait. Entre ces trois volontés, l’accord se fit facilement, pour supprimer un enfant dont la naissance atten54. AN/BB/20/218/2, I-V, 2e trim. 1859, Le Beschu de Champsavin, 5 juillet 1859. 55. AN/BB/20/226/2, I-V, 3e trim. 1860, Dupuy, 31 août 1860.

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due pouvait, devait même nécessairement, contrarier tous les désirs, tous les projets 56. »

Cependant les trois accusés, Reine Chaplais, sa mère, et Julien Jubaud, ont été acquittés, car, bien que Reine Chaplais ait avoué son accouchement, le corps du délit n’a jamais été découvert. Amants de passage Les hommes de passage, qui ont souvent conservé leur anonymat, sont bien évidemment les plus insaisissables. Ce sont généralement des militaires ou des ouvriers. L’uniforme, manifestement, jouit d’un certain prestige auprès des jeunes filles. Il est sans doute évocateur de voyages et peutêtre aussi de vie facile. Les militaires invitent fréquemment les jeunes filles au cabaret où ils peuvent les éblouir par des largesses peu dispendieuses. C’est au Palais, ville de garnison, où elle sert comme domestique chez un officier « en non-activité », qu’Agnès Droual, âgée de 26 ans et originaire de Donnant, rencontre le militaire qui deviendra son amant et dont elle semble fortement éprise 57. D’après son amie Cécile Brière, elle va même, pour le rencontrer plus facilement, jusqu’à quitter sa position de domestique : « Agnès lui dit, lorsqu’elle sortit de chez Madame Montroult, qu’elle était enceinte d’un mois et qu’elle sortait de chez Madame Montroult parce qu’elle ne pouvait pas voir son amant comme elle le désirait et qu’elle allait prendre un logement en ville 58. » Le pouvoir de séduction exercé par les militaires sur les jeunes filles des environs inquiète quelque peu le président de la cour d’assises qui juge utile d’accompagner la condamnation aux travaux forcés à perpétuité infligée à Agnès Droual de la peine accessoire du carcan : « Elle a donc été condamnée aux travaux forcés à perpétuité, et à être exposée et flétrie à la petite ville du Palais, chef-lieu de Belle-Isle-en-Mer, théâtre du crime. Un pareil exemple nous a paru pouvoir être de quelque utilité dans un pays où réside toujours une assez nombreuse garnison 59. » L’illusion d’une vie plus attractive est encore plus forte quand l’amant est originaire d’une grande ville. Malgré l’opposition de sa mère, MarieJeanne Rozé quitte son village de Monterrein pour rejoindre un militaire à Paris. Mais l’idylle n’a qu’un temps et elle est contrainte de se réfugier, enceinte, chez sa mère. Ce retour précipité la fait soupçonner du meurtre du nouveau-né qui est découvert dans un pré à proximité de sa demeure : « Les soupçons s’arrêtèrent sur Marie-Jeanne Rozé qui, après être allée à Paris, malgré sa mère, rejoindre un militaire, était revenue malade chez elle 56. AN/BB/20/235/2, L-I, 1er trim. 1861, Taslé, 20 mars 1861. 57. Voir C. Portier, « Scènes de la vie bellîloise à travers un dossier criminel », Belle-Isle histoire, n° 20, 1997, p. 17-24. 58. AD M U1991, Cécile Brière, 36 ans, blanchisseuse, 29 juin 1826. 59. AN/BB/20/29, M, 3e trim. 1826, Le Painteur de Normény, 22 septembre 1826.

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au mois de juin dernier et qui depuis marchait toujours courbée et cherchait à éviter les regards en se cachant au fond de sa maison et ne faisait autre chose que garder, en filant, les bestiaux de la ferme, dans un pré assez voisin de la fontaine où l’enfant venait d’être trouvé immergé 60. » Nous ne possédons qu’un seul témoignage de militaire. Il s’agit de François-Joseph Privat, fusilier et tambour au 49e de ligne, âgé de 28 ans, qui s’exprime en toute franchise sur la relation qu’il entretient depuis deux ans avec Rose Mongaret, couturière à Saint-Malo : « Dès mon arrivée à Saint-Malo [en 1861], j’ai cherché une blanchisseuse. J’ai trouvé Rose Mongaret qui habitait alors, avec sa mère et sa sœur, la rue des Vieux-Remparts […]. J’allais fréquemment chez elle. Au bout de trois mois environ, nous avons eu des rapports intimes, tant dans son domicile, rue des Anciens remparts que rue de la Lancette [nouveau domicile de Rose Mongaret]. Il y a deux mois et demi environ que nos relations ont cessé parce que Rose disait qu’elle était enceinte de mes œuvres. D’autres militaires se faisaient blanchir par elle. Je ne saurais dire s’ils avaient des rapports intimes avec elle. J’ai aussi vu chez elle des marins. Je lui avais promis de me marier avec elle lorsque j’aurais mon congé, mais j’avoue que je n’avais pas l’intention de contracter mariage avec Rose. Je me suis engagé en avril 1861. Vers le mois de janvier 1862, j’ai reçu de mon père une somme de 300 francs. J’ai donné à Rose Mongaret deux pièces de 10 francs et deux pièces de cinq francs à diverses époques. Il y a plus de dix mois que je ne lui ai rien donné. Je ne parle pas de quelques petites sommes d’un franc que nous avons dépensées pour faire quelques repas chez elle. Rose m’avait dit qu’elle avait l’espérance d’avoir une grande fortune et qu’elle me ferait remplacer. C’est ce qui m’avait fait lui promettre le mariage 61. »

Si les militaires exercent une incontestable séduction sur les jeunes filles, il n’est pas impossible non plus qu’on impute à ces êtres fugitifs, à la renommée quelque peu sulfureuse, la responsabilité de grossesses que leurs véritables auteurs ne tiennent pas à voir élucider. L’imprécision et la multiplicité des amants qui sont attribués à Renée Milin, une aide-cultivatrice de Cléder, âgée de 19 ans, laissent planer un doute quant à la responsabilité de son ancien maître dans sa grossesse. C’est lui, en effet, qui s’emploie à ternir sa réputation et qui la fait congédier par sa femme parce qu’elle est enceinte : « La fille Milin servait dans des fermes, jusqu’au moment où elle s’est trouvée enceinte. Jusques-là sa conduite avait été irréprochable. Son avant-dernier maître l’avait surprise avec des remplaçants militaires, il en avait mal auguré, il en avait prévenu sa femme qui, s’apercevant que sa servante n’avait plus ses évacuations menstruelles, la renvoya 62. » Le travail en atelier qui n’est en général qu’une occupation temporaire pour les accusées d’infanticide, favorise le brassage des sexes et, par conséquent, les aventures. C’est en travaillant pendant quelques mois comme 60. AN/BB/20/190/2, M, 1er trim. 1856, Lambert, 9 mars 1856. 61. AD I-V 2U4/899, François-Joseph Privat, 28 ans, fusilier et tambour, 2 mai 1863. 62. AN/BB/20/114/5, F, 4e trim. 1841, Lozach, 22 novembre 1841.

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ouvrière à l’entretien des sacs et des cordages qui ont servi à la construction du môle de Morgat que Marie-Josèphe Kerdreux, cultivatrice à Crozon, rencontre l’ouvrier qui sera l’auteur de sa grossesse. Prise au dépourvu par cette future maternité qu’elle n’ose avouer à sa mère, elle songe d’abord à demander à son amant l’argent nécessaire à ses couches, qu’elle envisage de faire à Brest, où elle pense pouvoir déposer son nouveau-né mais, finalement, y renonce. On ne peut retenir d’autre charge contre Marie-Josèphe Kerdreux que celle d’avoir omis de lier le cordon ombilical de son enfant et d’avoir accouché dans la « crèche » de sa maison, sans demander aucun secours. Cette accusée appartient à une famille relativement aisée. D’après certains témoins, qui lui supposent une grossesse antérieure que l’enquête n’a pas confirmée, sa réputation est détestable et son penchant pour les « liqueurs fortes » est à l’origine de tous ses problèmes 63. Selon Le Meur, peut-être plus sensible à l’honorabilité de sa famille, sa réputation était au contraire excellente et c’est son travail en atelier, dans la proximité des hommes, qui est à l’origine de son dévergondage : « Au surplus, je dois dire que la famille de l’accusée est très honorable ; que l’accusée elle-même s’est parfaitement comportée jusqu’au moment où elle est allée travailler comme ouvrière manœuvre sur un atelier de construction, où elle a été séduite, paraît-il, par un des employés de l’atelier 64. » C’est également un ouvrier de passage, Thomas, employé à la construction du chemin de fer de Nantes à Châteaulin et logeant chez son père, qui séduit Perrine Ramet, une cultivatrice de Savenay, âgée de 21 ans. Elle n’ose avouer sa position à ses parents et ne se résout qu’au dernier moment à en parler à son amant : « Ce ne fut que le 1er mars dernier, que sentant approcher son terme, elle en fit la confidence à celui-ci, en le pressant de la demander en mariage à son père. Thomas qui était séparé d’elle depuis quelque temps déjà, lui répondit qu’il n’oserait jamais faire une pareille démarche, mais qu’il était prêt à reconnaître l’enfant qu’elle portait. À son tour, elle rejeta son offre et lui dit d’aller de son côté, qu’elle irait du sien 65. » C’est donc par dépit amoureux ou parce que sa grossesse lui paraît totalement inavouable qu’elle décide de cacher son infortune en tuant son enfant. Les amants de passage sont également le lot d’un certain nombre de domestiques qui servent dans les grandes villes. Marie-Agathe Jamet, âgée de 24 ans, fille naturelle élevée à l’hospice de Nantes, est domestique pendant dix-huit mois chez un maître de cabotage avant son arrestation. Elle est fort appréciée de ses employeurs qui jugent sa conduite, jusqu’au crime, irréprochable. Elle se laisse séduire par un jeune homme qui occupe une 63. « L’on disait qu’elle avait grande attention à faire à elle parce qu’elle aimait beaucoup les liqueurs fortes », Idem, Hervé Primot, 66 ans, cultivateur, 11 février 1860. 64. AN/BB/20/226/2, F, 2e trim. 1860, Marie-Josèphe Kerdreux, Le Meur, s. d. 65. AN/BB/20/200/1, L-I, 2e trim. 1857, Taslé, 24 juin 1857.

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chambre garnie dans la même maison et qui, lorsqu’elle s’aperçoit de sa grossesse, a quitté Nantes 66. Jeanne-Marie Vaillant, ou Levaillant, également domestique, âgée de 23 ans, est, elle aussi vouée aux amours provisoires. Elle a servi chez divers habitants de Rennes et de Nantes avant d’être engagée en 1864 comme cuisinière au château de Friguel, à Guéméné-Penfao. Son maître, intrigué par l’odeur qui se dégageait de son armoire puis de la malle dans laquelle elle les avait dissimulés, y découvre les cadavres de deux enfants. L’un de ceuxci est né au château, le second, qui est momifié, correspond à un accouchement qu’elle date de 1862. Elle sera acquittée du premier meurtre et condamnée, pour le second, à douze années de travaux forcés. Elle dévoile au magistrat instructeur, avec l’identité des pères de ses enfants, des fragments de sa vie amoureuse : « Pouvez-vous désigner le père de l’enfant dont vous êtes accouchée à Rennes au mois d’avril 1862 ? – Je ne le puis qu’imparfaitement car je ne l’ai connu que sous le prénom de Victor. Il était commis, autant que je puis le croire, chez un ingénieur dont je ne connais ni le nom ni la demeure, nos relations ne durèrent que quelques mois et même qu’un seul mois puisqu’il eut son changement. Pendant que nos relations ont duré, j’allais le voir dans une chambre garnie qu’il occupait au commencement de la rue Beaurepaire, du côté de la douve de la Visitation. – Pouvez-vous dire quel est le père de votre second enfant ? – C’est un domestique qui habite également Rennes, mais je ne veux dire ni son nom ni son adresse. – L’avezvous vu ou avez-vous correspondu avec lui depuis que vous avez quitté Rennes ? – Pendant le temps que j’ai passé à Nantes il m’a écrit quelques lettres, mais notre correspondance a cessé quand je suis allée à Guéméné. Je ne l’ai plus revu depuis que j’ai cessé d’habiter Rennes. – Avez-vous eu des rapports avec d’autres hommes ? – Non. – Ces deux individus ont-ils su que vous étiez enceinte ? – Le premier ne l’a pas su, mais le second a connu ma grossesse 67. »

Hommes incestueux Mis à part les relations entre beaux-frères et belles-sœurs, qui sont assez fréquentes, les affaires proprement incestueuses sont très rares dans les dossiers bretons. On peut en inférer soit que les couples incestueux sont demeurés clandestins, soit que les prohibitions relatives à la parenté ont été remarquablement observées en Bretagne, où l’emprise du clergé sur les conduites est forte. Ou bien encore, plus largement, que ces prohibitions sont particulièrement respectées par les populations rurales, qui fournissent le plus gros contingent des accusées d’infanticide. Dans son étude sur les attentats à la pudeur au XIXe siècle, Anne-Marie Sohn note en effet que dans les affaires d’incestes, les paysans sont moins nombreux que dans les 66. AD L-A 5U87, interrogatoire, 26 décembre 1834. 67. AD L-A 5U173/1, interrogatoire, 29 février 1864.

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attentats à la pudeur ordinaires et en conclut « que l’interdit de l’inceste serait plus fortement enraciné dans les traditions familiales rurales 68 ». Les affaires relevant de l’inceste concernent, outre la Vve Barbin et son beau-fils, des relations qui se sont formées entre pères et filles (au nombre de trois), entre oncle et nièce ou entre beau-père et belle-fille. On sait peu de choses du couple formé par Perrine Belleyme, une journalière de La Vieille-Touche, commune de Guichen, âgée de 43 ans et par son oncle, Jean Belleyme, laboureur, âgé de 57 ans. Ce dernier nous apprend que sa nièce vit chez lui depuis son enfance, mais dit tout ignorer de sa récente grossesse. Tous deux cependant reconnaissent que Perrine Belleyme a eu un premier enfant, une vingtaine d’années auparavant, et que celui-ci n’a vécu qu’une quinzaine de jours. Le 2 juin 1841, Perrine Belleyme accouche d’un nouvel enfant dont la mort est attribuée à une fracture du crâne. L’enquête judiciaire n’a porté que sur ce fait, mais la rumeur publique leur attribue deux autres crimes. Dans ce dossier, le juge d’instruction se montre fort peu curieux et l’accusation d’inceste, comme celle de récidive, ne reposent que sur les supputations du groupe des femmes du village voisin de La Pigeonnais, qui sont scandalisées par la relation amoureuse qu’elles imputent à Jean et à Perrine Belleyme. Pour savoir si cette dernière vient, comme elles le supposent, d’accoucher, et par crainte que « la coquine » ne fasse « encore, comme les autres années », disparaître son nouveau-né, elles envoient en reconnaissance une marchande de « chiffes ». Par son métier qui consiste à aller, de maison en maison, demander des chiffons, cette femme est toute désignée pour jouer les agents de renseignements. Elle trouve Perrine Belleyme malade et alitée : « Pendant qu’elle était occupée à me chercher des chiffes, elle eut un étourdissement et fut obligée de s’asseoir, ce qui me confirma qu’elle était accouchée. Je la quittai alors et vins rejoindre les femmes de La Pigeonnais auxquelles je fis part de ce que j’avais vu. Elles me déclarèrent qu’on disait dans le public que c’était son quatrième enfant ; qu’elle avait dû avoir le premier pendant qu’elle habitait la commune de Goven et qu’on ignorait ce qu’il était devenu ; qu’à sa seconde couche, qui avait eu lieu pendant qu’elle habitait le village de La Pigeonnais, on l’avait forcée à avouer sa grossesse et on était ainsi parvenu à lui faire conserver son enfant qui n’avait vécu que très peu de temps ; que depuis qu’elle demeure, avec son oncle, au village de La Vieille-Touche, on avait déjà cru reconnaître une autre fois qu’elle était enceinte ; qu’on avait bien remarqué la diminution qui s’était opérée dans le volume de son ventre, mais qu’on n’a jamais sçu ce qu’était devenu le produit de la conception. Toutes ces femmes s’accordaient à penser que Jean Belleyme était le père des enfants que sa nièce a dû avoir depuis qu’elle habite avec lui 69. » 68. Sohn, A.-M., op. cit. p. 71-111. 69. AD I-V, 2U4/727, Vve Gérard, 42 ans, marchande de chiffes, 2 juin, 1841.

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La mobilisation des villageoises s’explique non seulement par la réprobation morale que suscitent les relations, présumées incestueuses, entre oncle et nièce, et la multiplicité des crimes qui leur sont imputés, mais aussi par des inquiétudes d’ordre religieux puisque ces enfants, tués peu de temps après leur naissance, n’ont pas reçu le sacrement de baptême : « Le samedi qui suivit le jour de ses couches, elle [Perrine Belleyme] dit à Anne Mandron, femme de Jean Gérard, demeurant à La Pigeonnais : “Je suis damnée, je suis perdue à jamais. Cette femme lui répondit : Cela ne m’étonne pas, à faire des coups comme tu les fais. As-tu donné le baptême à tes enfants ? Non, répondit-elle, je les ai tenus environ un quart d’heure dans mon tablier, ils ne donnèrent pas signe de vie, je les ai mis dans du fumier 70.” » L’instruction n’apprend rien sur cet inceste, sinon que l’oncle, qui dit ne pas avoir été informé de l’accouchement, est allé au petit jour chercher du cidre pour réconforter sa nièce. Aucune poursuite ne sera dirigée contre cet oncle, pas même pour complicité, et Perrine Belleyme sera seule condamnée à quinze ans de travaux forcés. L’instruction négligera les autres crimes éventuellement commis antérieurement. La tactique employée par Perrine Belleyme au cours de ses interrogatoires est tout à fait caractéristique des quelques cas d’inceste rencontrés en Bretagne. Elle consiste à reporter la responsabilité du crime, et par conséquent aussi de la grossesse, sur un jeune homme du voisinage totalement étranger à l’affaire : « Elle soutint que Joseph Ménard, jeune garçon âgé de 21 ans, était le père de son enfant, qu’il avait passé devant sa demeure au moment où elle venait d’accoucher, qu’elle lui avait montré l’enfant, et lui avait déclaré que dans l’impossibilité où elle était de le nourrir, elle le porterait chez ses parents, qu’alors il avait saisi l’enfant par une jambe et lui avait brisé la tête […]. Or il a été appris que ce jour-là, Joseph Ménard, chargé d’une commission extraordinaire, n’avait pu, suivant son usage, passer devant la demeure de l’accusée 71. »

Joseph Ménard proteste vigoureusement contre cette attribution abusive de paternité, qu’il considère comme une « indigne calomnie ». Il ne voit qu’un motif aux allégations de Perrine Belleyme : la vengeance. C’est en effet la mère de ce jeune homme qui a « fait connaître à la justice qu’elle [Perrine Belleyme] était accouchée et qu’on ignorait ce qu’était devenu l’enfant 72 ». La même stratégie est employée en 1845 par Jeanne Deluen, âgée de 26 ans, cultivatrice au village de La Chasseloire, commune de SaintHerblain, qui vit une relation incestueuse avec son père, un laboureur de 64 ans. Dans un premier temps, elle tente de faire croire au maire de la commune qui, alerté par la rumeur publique, s’est transporté sur les lieux, 70. Idem, confrontation avec Joseph Ménard, 14 juin 1841. 71. AN/BB/20/114/5, I-V, 3e trim. 1841, Chellet, 23 septembre 1841. 72. AD I-V, 2U4/727, Joseph Ménard, 21 ans, carrieur, 21 juin 1841.

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qu’elle a chargé une mendiante, connue sous le nom de Gueule de Cochon, de porter à l’hospice de Nantes le nouveau-né dont elle reconnaît avoir accouché 73. Puis, comme personne n’a vu cette mendiante le jour désigné, elle tente de détourner les soupçons sur Louis Pineau, « l’idiot du village », qu’elle affirme être le père de son enfant. Personne dans le village, ne croît à cette hypothèse. Louis Pineau, âgé de 24 ans, que sa mère qualifie de « pauvre innocent », n’est lui-même pas dupe de cette manœuvre et proteste contre cette imputation de paternité. Il a même un avis parfaitement éclairé sur l’identité du véritable auteur de la grossesse de Jeanne Deluen : « Je connais bien Jeanne Deluen et j’ai bien été chez elle quand ma mère m’y envoyait, mais je proteste que je ne suis point l’auteur de sa grossesse et que c’est un faux bruit qu’elle a répandu. Tout le monde dit dans le village que c’est son père. Je me rappelle bien qu’étant allé de grand matin chez les Deluen, je vis bien qu’il n’y avait qu’un lit de défait et que l’autre lit indiquait que personne n’y avait couché 74. » En fait, dans le village de La Chasseloire, tous les habitants surveillent attentivement l’évolution de la grossesse de Jeanne Deluen, parce qu’ils la soupçonnent d’avoir déjà fait disparaître un autre enfant deux ans auparavant, seule ou de concert avec son père. De plus, d’après l’une de ses voisines, sa mère, qui s’était rendue compte de l’inceste qui se commettait sous son toit, en était morte de chagrin : « Je connais parfaitement les époux Deluen, je leur affermais un petit morceau de terrain. La femme vînt un jour m’apporter trois francs, prix du fermage. Elle était bien malade, elle se mit à pleurer. Je lui dis que nous devions tous mourir et qu’elle ne devait pas s’affecter de cette maladie dont elle guérirait peut-être. Elle me répondit que c’était moins la maladie qui l’affectait qu’une autre cause ; qu’elle avait malheureusement la certitude que son mari et sa fille vivaient ensemble, sans qu’elle pût l’empêcher, que le chagrin qu’elle éprouvait hâtait ses derniers moments. Je cherchai à la consoler. Je ne l’ai pas revue depuis, elle mourut bientôt. L’événement qui vient d’avoir lieu a confirmé la confidence qui m’avait été faite par la femme Deluen 75. »

Deluen est présenté par les témoins comme un homme très violent : « Le père avait été fort dur envers sa défunte femme, décédée il y a bientôt trois ans. Tout le monde sait qu’il ne lui épargnait pas les coups. Il avait été aussi fort dur envers ses enfants, mais depuis la mort de sa femme, il témoignait une grande affection à sa fille Jeanne. C’est ce qui a donné lieu de supposer qu’il était le père des enfants dont elle est accouchée 76. » Mais tous les voisins ont observé son changement d’attitude à l’égard de sa fille 73. AD L-A 5U133/1, p.-v. de transport du maire de Saint-Herblain, 2 mai 1845. 74. Idem, Louis Pineau, 24 ans, cultivateur, 26 mai 1845. 75. Id., Vve Terrien, 53 ans, cultivatrice, 23 mai 1845. 76. Id., Jeanne Pineau, 64 ans, cultivatrice, 20 mai 1845.

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depuis la mort de sa femme. Jeanne Deluen est forcée d’en convenir : « Je protesterai jusqu’à la mort que mon père et moi n’avons jamais vécu ensemble ; que ni moi ni lui n’avons eu une pareille pensée. Ma mère n’a pu dire ce qu’on lui prête aujourd’hui. Je l’ai soignée avec tendresse pendant six ans. Durant son existence, j’ai été maltraitée par mon père, ce n’est que depuis sa mort que mon père a changé à mon égard, parce qu’il avait besoin de moi pour le soigner dans ses vieux jours 77. » Elle proteste également de manière assez virulente contre l’implication de son père dans un crime dont elle tient, sans doute pour s’accrocher au déni d’inceste, à assumer l’entière responsabilité. Le cas de Léonie Blanchard, une jeune fille de 24 ans, de Saint-Pierrede-Plesguen, séduite par son beau-père présente de nombreux points communs. Cette accusée tente également de faire porter la responsabilité du crime sur une tierce personne, Ange Salmon, qui reconnaît toutefois avoir eu des relations sexuelles avec elle. Son beau-père, Jacques Chevalier, a lui aussi été très dur envers elle pendant son enfance et son comportement n’a changé que lorsqu’elle a consenti à devenir sa maîtresse. Le Beschu de Champsavin le présente sous un jour peu flatteur : « Il y a 21 ans, Jacques Blanchard, alors âgé de 23 ans, ouvrier sabotier, épousa la veuve Blanchard, âgée de 34 ans, et mère de Léonie qui n’avait que trois ans. Chevalier n’avait pour vivre que le travail de sa journée ; la femme Blanchard, veuve d’un gendarme, tenait une petite auberge qui lui donnait quelque aisance. En devenant le nouveau maître, Chevalier n’était plus astreint au travail corporel. Son mariage ne fut qu’une spéculation. Il épousait une femme qui avait onze ans de plus que lui. Pendant l’enfance de Léonie, son beau-père fut dur pour elle ; elle était devenue jeune fille, que ses traitements étaient les mêmes : un jour, dans un moment de colère contre lui, Léonie dit à une jeune femme, sa confidente ordinaire : “Il m’appelle P… Si je voulais bien être la sienne ! Il y a longtemps qu’il y cherche !” Depuis deux à trois ans, on remarquait que les manières de Chevalier envers sa belle-fille avaient entièrement changé ; il était devenu doux et attentif pour elle ; il la consultait sur tous les marchés ; c’était elle qui l’accompagnait aux foires. En un mot, elle avait revêtu dans la maison l’autorité qui devait appartenir à sa mère, femme d’un esprit très faible. »

La mère de Léonie est d’une fragile constitution et, tout comme la femme Deluen, elle se laisse dépérir lorsqu’elle prend conscience des relations incestueuses qui existent entre son mari et sa fille : « Cette femme […] était infirme et presque idiote, à la suite d’une fièvre typhoïde, elle a cru à l’innocence de Léonie jusqu’à la découverte du cadavre opérée sous ses yeux. Désabusée alors, elle est tombée dans un état difficile à décrire, a dit son médecin, elle est morte avant les débats aux assises, en maudissant sa fille et son mari qui étaient, disait-elle, aussi coupables l’un que l’autre 78. » 77. Id., interrogatoire, 23 mai 1845. 78. AN/BB/20/141, I-V, 4e trim. 1847, Le Beschu de Champsavin, 2 décembre 1847.

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Deux autres couples incestueux sont recensés. L’un est formé par Désirée Noton, une journalière de La Guerche, âgée de 31 ans et par son père, René, ancien boucher, âgé de 76 ans, marié deux fois et séparé de sa deuxième épouse (Ille-et-Vilaine, 1844). Le dossier d’instruction n’ayant pas été conservé, on ignore presque toutes les circonstances de cette affaire. Le second est constitué par Reine Fahlet, âgée de 22 ans, journalière à Limerzel et par son père, Pierre, un cultivateur-journalier de 49 ans qui a chassé son épouse du domicile conjugal pour vivre avec sa fille (Morbihan, 1862). On ne sait dans ces affaires, ni de quel degré de coercition, voire de violence, ni de quels arguments pouvaient user ces pères incestueux pour convaincre leurs filles de se livrer à eux. Dans le cas de Reine et Pierre Fahlet, l’abus d’autorité du père est d’autant plus manifeste que sa fille était encore jeune au moment des faits : « Pierre Fahlet est un misérable, d’une immoralité notoire, qui, après avoir commis un inceste avec sa propre fille, âgée seulement de 21 ans, a prémédité et exécuté la mort de l’enfant, produit par son honteux accouplement. Il n’a dû la vie qu’à l’extrême indulgence du jury. En ce qui concerne Reine Fahlet, les jurés et la Cour ont pris en considération son âge, sa bonne conduite antérieure, et les séductions mêlées probablement de violences, auxquelles elle a été en butte de la part de son propre père ; mais, dans mon opinion, elle n’a pas suffisamment résisté à son père ; elle a consenti à prendre des breuvages, dans l’intention de détruire son enfant, elle a constamment nié sa grossesse et consenti évidemment à l’infanticide, exécuté directement sans doute par Pierre Fahlet, mais avec son concours personnel 79. »

Face à la justice, l’attitude des femmes victimes d’inceste est toujours remarquablement ambiguë. Elles s’attachent avant tout à disculper leur séducteur. On ne donc peut savoir comment ces rapports incestueux ont été vécues par elles, et si elles en ont éprouvé de la culpabilité. Cependant, à voir la détermination que certaines emploient à dénier les faits, on imagine que c’est avec un grand malaise qu’elles devaient affronter la mise au jour de ces relations.

Le commerce amoureux Les affaires d’infanticide ne donnent qu’une image tronquée des sentiments amoureux, puisqu’elles correspondent à des relations qui ont échoué ou à des amours impossibles. De plus, ces relations souvent ancillaires et vécues dans la contrainte, ne sauraient représenter l’expression spontanée de l’émoi amoureux. Il convient cependant de souligner que le langage des populations rurales, tel qu’il transparaît dans les traces, infimes, qui ont été conservées dans les archives judiciaires, est empreint, lorsqu’il vise à traduire des émotions ou des sentiments, d’une certaine verdeur. 79. AN/BB/20/245/2, M, 2e trim. 1862, Le Meur, 31 juillet 1862.

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L’expression des sentiments Le langage employé par les accusés et témoins se révèle même parfois d’une très grande crudité et l’expression gestuelle vient, lorsque les tensions deviennent trop vives, souligner la vigueur du propos. Mélanie Mandelert, par exemple, une domestique-cultivatrice, signalée comme ayant une bonne réputation, a recours à une gestuelle de défi pour signifier qu’elle n’a que faire des conseils qu’une voisine tente de lui donner : « Vers Noël, je lui dis : “Mélanie, tu n’as qu’à chercher du secours car on assure que tu es enceinte”, alors elle frappa sur son derrière en me disant : “Je me moque de ceux et de celles qui le disent 80.” » L’évocation de la sexualité s’inscrit dans une pensée qui a besoin pour se formuler de recourir à des termes concrets ou à des images qui frappent l’esprit des interlocuteurs. Jeanne Le Ray, domestique et amie d’Anne Doudard, rapporte ainsi la conversation qu’elle a eue avec celle-ci à propos de ses amours avec le sieur Vallet-Duronceray, officier de santé : « Je dis alors à la prévenue : “Et vous, Nannon, ne dit-on pas que vous être grosse aussi ? Elle répondit : Si, il y a longtemps que le monde le dit, mais pour leur faire voir que je ne le suis pas, je ne quitterai point d’ici.” À l’instant je portai la main sur le ventre de la prévenue et je lui dis qu’elle l’avait bien tendu et que je pensais que Monsieur Duronceray lui avait fait reprendre de la soupe. À cela elle dit : “Eh bien ! Quand cela serait, il y a deux ans que nous jouons ensemble, n’est-il pas temps que cela paraisse ; mais il paraît que nous ne pouvons plus jouer, car le mâtin ne me vient plus.” Je lui répartis : “Il attend sans doute que la ruche soit essemée, car elle est actuellement trop abourée, mais quand elle aura essemé [essaimé], il y aura plus de place, et il reviendra 81.” »

Le recours systématique à l’image aboutit à un mode d’expression vigoureux qui, en choquant l’interlocuteur peut aussi viser, paradoxalement, à lui assigner une certaine retenue, à le cantonner dans des limites plus strictes, voire à clore le dialogue. Mathurine Gicquel – poursuivie, on ne sait pourquoi, au lendemain de son accouchement, par la hargne des femmes du voisinage et qui peut, à juste titre, se sentir persécutée – adresse une réponse cinglante et sans appel à l’un de ses voisins venu enquêter sur l’avancement de sa grossesse : « Je lui parlai qu’au bourg de Molac on m’avait dit qu’elle était enceinte. Je l’avais appris de Jean Bosan, beau-frère de la dite Gicquel, et je lui dis que son beau-frère me l’avait dit : elle répondit : “Qu’il vienne donc, lui, me dépleinir !” Je me doutai bien ce jour-là mercredi qu’elle était accouchée 82. » Les expressions populaires désignant la grossesse sont porteuses d’une indéniable puissance évocatrice. Elles traduisent parfois une vision étrange, 80. AD M U2047, Vve Le Bourhis, 43 ans, 20 juin 1833. 81. AD I-V 2U4/614, Jeanne Le Rai, domestique, 12 décembre 1824. 82. AD M U2134, Mathurin Gombaud, 50 ans, meunier, 26 mars 1844.

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effrayée peut-être, de la femme enceinte. Celle-ci est en effet souvent qualifiée de femme « puissante », « fameuse », « furieuse ». Ces termes, qui font allusion à l’imposante physionomie de la femme « grosse » évoquent, par extension, la grossesse elle-même. La Vve David, fileuse à Vitré, est inculpée de complicité avec Rosalie Hogrel parce que, partageant le même lit, elle n’a pu manquer de s’apercevoir de son état. Le juge d’instruction le lui fait remarquer à plusieurs reprises, notamment dans l’interrogatoire qu’elle subit le 9 juin 1825 : « N’avez-vous pas plusieurs fois, couchant avec ladite Hogrel, fait sentir à cette fille que vous ne doutiez pas de sa grossesse, lui répétant ces mots : “Oh ! Rosalie que vous êtes furieuse ! 83” » Rosalie Hogrel confirme indirectement l’identité des termes « furieuse » et « grosse » : « Bien des fois la dite Vve David ne cessait de lui répéter que tout le monde lui disait que j’étais bien furieuse et que sûrement j’étais grosse 84. » Les magistrats ne paraissent nullement s’interroger sur le sens de ces expressions de puissance et de fureur qui, manifestement, sont d’un emploi courant. Ils les adoptent même dans l’ordonnance de prise de corps décernée contre la Vve David : « […] considérant les tergiversations de cette veuve, ses contradictions dans ses réponses lors de ses interrogatoires lorsqu’elle a maintenu […] n’avoir jamais déclaré à cette fille Hogrel qu’elle s’appercevait bien qu’elle devenait puissante 85 ». Si nul ne se méprend sur l’équivalence entre puissance et grossesse, c’est que cette image renvoie à l’extraordinaire pouvoir des femmes de donner la vie. Mais, a contrario, la femme enceinte est également parfois une femme « prise » : Julienne Godard, fatiguée des incessantes questions qui lui sont posées sur son état, rétorque à l’un des témoins, trop curieux à son goût : « qu’elle connaissait bien midi à sa porte et qu’une femme cassée comme elle n’était point capable de faire des enfants ; que d’ailleurs elle ne disait jamais son dessein à personne, ni comment elle était et qu’elle se déprendrait bien sans personne 86 ». Cette accusée est une des rares à évoquer ouvertement le chagrin et l’humiliation engendrés par la défection de son amant. Elle a l’occasion de s’exprimer maintes fois car son voisinage n’hésite par à lui poser les questions les plus indiscrètes, sans doute parce qu’étant obligée de recourir de temps à autre à la mendicité, elle est à sa merci. Une cultivatrice témoigne ainsi : « Dans le courant de juillet dernier, Julienne Godard, demeurant à Mompson, fut chez elle demander l’aumône. L’entendant se plaindre beaucoup d’être lassée, elle soupçonna qu’elle était grosse ; pourquoi elle lui demanda si le père de sa petite fille n’avait point encore été parmi elle ? Que la Godard lui répondit qu’il n’y avait point été depuis la foire Saint-Brice 83. AD I-V 2U4/616, interrogatoire d’Etiennette Colombel, Vve David, 9 juin 1825. 84. Idem, interrogatoire de Rosalie Hogrel [même jour]. 85. Id., ordonnance de prise de corps, 29 juin 1825. 86. AD I-V 2U4/614, Thérèse Bazin, 27 ans, cultivatrice, 3 octobre 1822.

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et que, quand il y aurait été depuis, elle n’avait rien à craindre, parce qu’elle était trop défoncée et qu’elle ne pouvait plus faire d’enfant 87. »

Elle se décrit fréquemment comme une femme « cassée », « rompue ». Au lendemain de la découverte du cadavre de son nouveau-né, elle déclare « que si toutes les femmes étaient rompues comme elle, elles ne s’amuseraient pas à faire des enfants 88 » et encore « que la putain qui avait fait ce crime, ne l’avait pas fait seule, que si toutes les putains étaient aussi cassées qu’elle, elles n’en feraient point 89 ». Mais ces métaphores dépréciatives sont aussi une manière d’exprimer son désarroi face à l’abandon d’un homme qui, dit-elle, « avait promis de la survenir [subvenir à ses besoins], elle et son enfant, pendant sa vie et [qui] ne voulait plus tenir ses promesses 90 ». Le dépit amoureux peut aussi se traduire par des invectives proférées à l’encontre du séducteur. Ce n’est pas contre elle-même que Louise Fournard retourne l’amertume provoquée par le délaissement de son amant, mais contre celui-ci. À l’une de ses voisines, qui lui fait remarquer que « son bon ami », dont elle médite « d’abîmer la fierté », doit aller accomplir son service militaire et va l’abandonner, elle rétorque, avec violence : “Je me f… bien de lui. Que le Diable l’emporte ! Que le Diable le herse 91 !” » Il est d’autant plus délicat de tenter de pénétrer les sentiments des ruraux du XIXe siècle que la violence qui paraît ressortir des archives ne relève parfois que d’une simple familiarité de langage. Mathurin Olivro n’éprouve a priori aucune acrimonie à l’encontre de sa domestique Olive Belnard, avec laquelle il fréquente les cabarets. Le soir de son accouchement, alors qu’elle est fort souffrante, il lui adresse des propos qui, aussi violents qu’ils soient, ne traduisent pas forcément une véritable hostilité. Ils peuvent n’être que l’expression du désagrément qu’il subit parce que la maladie de sa domestique trouble son sommeil : « La nuit qu’elle est, diton, accouchée, j’étais complètement ivre. J’avouerai cependant que j’entendis la fille Belnard plaindre [sic], je ne sais à quelle heure de la nuit, toutefois je crois que c’était vers dix heures du soir du vendredi. Je lui demandai ce qu’elle avait. Elle me répondit qu’elle avait la colique. Je lui répondis brusquement : “Dommage que tu n’es pas crevée !” Je dormis le reste de la nuit 92. » De même, la Vve Le Trou adresse à sa fille, pour la déterminer à garder le silence au lendemain de son accouchement, des menaces vigoureuses qui reflètent peut-être plus l’âpreté de la vie quotidienne ou la difficulté de la cohabitation entre mère et fille, que de véritables sentiments de haine : « Le fils aîné de la veuve Le Trou a dit chez moi en ma présence qu’il avait 87. Idem, Jeanne Coudray, 56 ans, cultivatrice, [même jour]. 88. Id., François Fraudebœuf, 60 ans, 24 septembre 1822. 89. Id., Gabrielle Bourget, 52 ans, fileuse, 30 septembre. 90. Id., Louis Macé, 46 ans, cultivateur, 3 octobre 1822. 91. AD M U2103, Françoise Guillermo, cultivatrice, 4 avril 1840. 92. AD C-A 2U/640, Mathurin Olivro, 47 ans, laboureur, 29 décembre 1841.

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entendu sa mère, le 24 février au matin, dire à sa sœur aînée : “Ma bougresse, si tu desserres les dents, je te casserai la tête 93.” » La fréquentation amoureuse On sait peu de choses des modalités des rapports amoureux. Une seule accusée semble être courtisée d’une manière assez romantique pendant quelques mois avant de céder aux instances de son séducteur. Il s’agit de Séverine Lebez, une fille de cabaretiers de Servon : « En avril, mai et juin 1851, elle était l’objet de la recherche et des assiduités d’un nommé Chauvigné qui, alors, voulait fonder une pharmacie à Janzé. Le public remarquait quelques-uns de leurs rendez-vous soit à la promenade, dans la campagne, soit dans une maison tierce. Malgré quelques lettres de jalousie et de reproches auxquelles donnait lieu la coquette vie de Séverine [sic], Chauvigné paraît avoir songé sérieusement à l’épouser ; il en a même adressé la demande formelle au père Lebez qui a répondu par un refus. Leurs relations renouées par lettres sont devenues intimes à plusieurs reprises, à partir de juillet ou d’août jusqu’au mois d’octobre où elles paraissent avoir cessé 94. »

Une dizaine de ces lettres a été saisie dans la chambre de Séverine. Malgré l’apparente dysharmonie de leurs statuts sociaux Chauvigné l’a effectivement demandée en mariage. Mais ses parents se sont opposés à cette union pour des raisons qu’il n’est pas facile de saisir. « Je l’ai refusé parce qu’il n’avait rien dit son père 95 », tandis que sa mère déclare qu’elle « n’avait pas d’argent pour marier sa fille 96 ». Malgré ce refus, Chauvigné est resté attaché à Séverine. Au lendemain de l’infanticide dont elle a été inculpée, ne pouvant la croire coupable, il envoie une lettre anonyme pour dénoncer les époux Lebez – à tort d’après le supplément d’information auquel a donné lieu cette dénonciation – comme les véritables auteurs du crime. Mais son amour pour Séverine ne va pas jusqu’à l’abnégation. Il lui adresse à la prison une lettre d’une remarquable duplicité pour lui demander de déclarer qu’il n’est pas le père de son nouveau-né : « Le public répand le bruit que je suis le père de ton enfant, vu qu’on sait que nous nous parlions autrefois, et comme de pareils bruits seraient de nature à perdre entièrement ma clientèle et mon avenir s’ils se perpétuaient, je viens te demander un service que tu ne saurais me refuser, et qui me placera à lieu de faire taire les mauvaises langues, pour moi, je ne te demande point quel est le père de ton enfant, c’est ton secret et je le respecte, mais je t’avais prédit ce qui t’est arrivé, et ce n’est pas faute de t’avoir donné des conseils quand je quittai le pays. » 93. AD C-A 2U/641, Louis Mauguin, 53 ans, laboureur, 10 mars 1842. 94. AN/BB/20/163/1, I-V, 4e trim. 1852, Lambert, 30 novembre 1852. 95. AD I-V 2U4/816, François Lebez, 45 ans, aubergiste, 18 avril 1852. 96. Idem, Louis Tallon, 33 ans, boucher, 28 avril 1852.

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Et il termine cette lettre de trois pages par une ultime requête : « Voici le modèle de l’écrit que je te prie de m’envoyer, tu m’écriras une lettre en même temps si tu en as le loisir : “Je soussignée Séverine Lebez, détenue à la maison d’arrêt de Rennes, déclare que Monsieur Chauvigné, pharmacien à Janzé, n’est point et ne peut être le père de mon enfant 97.” » Correspondances, cadeaux et causeries Compte tenu de la fréquence de l’illettrisme, les allusions à une correspondance entre amants, outre celle de Chauvigné et de Séverine Lebez, sont très rares. Une femme, témoin dans une affaire assez obscure d’infanticide et d’avortement jugée à Vannes en 1839, indique que Thérèse Blancho, mère de l’enfant, et son amie Marie-Renée Guimard ont essayé de la convaincre de porter les messages qu’elles destinaient à leurs amants. L’instruction apprend aussi que Thérèse Blancho rencontrait furtivement son ou ses amants, et se laissait courtiser par ceux-ci, en l’absence de sa mère : « Dans un après-midi des premiers jours du mois de mars, […] j’étais à travailler avec ma sœur qui pressait avec des carreaux assez pesants des pantalons militaires que nous faisions ensemble. Tout à coup elle se plaignit d’éprouver des douleurs dans le côté. Elle me dit que, dans l’aprèsmidi, elle se trouvait seule avec un jeune homme dans sa chambre et assise sur ses genoux et qu’entendant venir notre mère elle s’était levée avec précipitation et un peu heurtée du côté gauche contre un des poteaux de la chaise 98. » Jeanne-Marie Vaillant, accusée de deux infanticides, échangeait des lettres et des cadeaux avec Jean Résillé, domestique comme elle dans une maison bourgeoise de Rennes. Elle en échangera aussi avec les amants qui lui succéderont. Jean Résillé, entendu au cours de l’instruction, reste assez discret sur les relations qu’il a entretenues avec elle. Il admet seulement que dans ses lettres, Jeanne-Marie Vaillant l’invitait à venir le rejoindre à Nantes, où elle s’était d’abord installée après avoir quitté Rennes : « Je nie avoir eu jamais de rapports sexuels avec elle. Je reconnais seulement qu’il y a eu des projets de mariage entre nous. Elle m’a souvent fait des cadeaux et je lui en ai fait moi-même […]. Depuis que Marie Levaillant est sortie de chez Mr Stuart, j’ai reçu trois lettres d’elle, qui étaient toujours pour savoir si on parlait d’elle à Rennes et ce que Mr et Mme Stuart en disaient. J’ai brûlé ces lettres ne sachant pas lire. Je lui ai fait écrire trois lettres en réponse à celles que je recevais. Je répondis aussi dans ces lettres à ce qu’elle m’engageait à aller à Nantes en lui faisant savoir que j’attendrai encore, car j’étais bien chez Mr Stuart 99. »

97. Id., lettre de Chauvigné à Séverine Lebez, 25 avril 1852. 98. AD M U2097, Pauline Blancho, 18 ans, brodeuse de souliers, 25 avril 1839. 99. AD L-A 5U173/1, Jean Résillé, 36 ans, domestique, 4 mars 1864.

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L’échange de cadeaux est rare et les présents sont relativement modestes. Jean Diguet, avant son mariage, fait de temps à autre de petites libéralités à Marie Audié : « Samedi dernier, il lui avait encore donné douze sous et lui promît de lui remettre quinze jours après ses noces qui se trouvent aujourd’hui, deux pièces de six livres, qu’auparavant il lui avait donné quatorze sous et une autre fois trois livres, pour acheter le mouchoir noir à barres blanches qu’elle porte au cou 100. » Les hommes nient généralement avoir entretenu des relations amoureuses avec les accusées. Quant à ceux qui se livrent à des confidences, ils se montrent peu loquaces. S’ils reconnaissent les avoir fréquentées, ce n’est que pour atténuer la portée de ces rencontres. C’est en catimini qu’ils vont retrouver leur maîtresse, quelquefois sous le prétexte dérisoire d’aller chercher du feu, afin de justifier aux yeux de voisins toujours attentifs à surveiller les allées et venues qui se font au domicile des femmes seules, leur commerce avec les accusées. Le jeune homme que Marie Huguet, couturière à Maure, âgée de 20 ans, désigne comme son amant, ne peut nier avoir recherché sa compagnie, mais il banalise leur relation. Il admet « qu’il était allé quelques fois chez Marie Huguet pour causer, boire et fumer mais qu’il n’avait eu de rapports intimes avec elle que pendant le mois de juillet dernier ». « Causer, boire et fumer », simples occasions de convivialité sont les motifs de rencontre les plus fréquemment invoqués par les séducteurs face aux magistrats qui cherchent à démêler le fil des événements qui ont conduit au crime. Alcool et cabarets Les spécialistes de la Bretagne s’accordent sur l’importance de la consommation populaire de l’alcool, en constante augmentation au cours du XIXe siècle 101. Les dossiers d’infanticide attestent l’ivrognerie de nombreux accusées et témoins. Plusieurs maîtres séducteurs, présents au moment des crimes, se retranchent derrière un état d’ivresse pour se disculper d’y avoir participé et ces fréquentes ébriétés, avancées comme alibi, sont en général confirmées par leur entourage. Les magistrats estiment pour une vingtaine d’accusées, parfois jeunes encore, que l’alcoolisme est à l’origine de leur « déchéance » morale. L’itinéraire de Perrine Hurel, âgée de 35 ans, rentière à Cherrueix, décrite comme s’adonnant à l’ivrognerie et au libertinage est un modèle du genre : « Cette accusée appartenait à une famille de cultivateurs honnêtes et dans l’aisance. Elle n’avait reçu au sein de cette famille que de bons exemples : 100. AD M U2012, interrogatoire, 26 février 1829. 101. Voir à ce sujet Fillaut T., Alcool, alcoolisation et alcoolisme en Bretagne, 1852-1980. Th., Histoire, Rennes 2, 1989. La consommation d’alcool pur par habitant passe dans le Finistère de 4 litres en 1824 à 9,5 litres en 1902. Mais cette consommation serait surtout occasionnelle : en dehors des dimanches et des occasions de beuveries que constituent les foires, marchés et pardons, les ruraux seraient particulièrement sobres.

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mais elle avait contracté, jeune encore, des habitudes d’ivrognerie qui devaient la perdre. Son inconduite, ses désordres, lui avaient fait fermer la maison paternelle. Elle s’en était d’ailleurs éloignée sans regret, heureuse même de se soustraire à l’importunité des reproches incessants de son père et de son frère 102. » Le portrait ainsi brossé noircit quelque peu le personnage. S’il est vrai qu’elle a quitté la maison paternelle parce son père lui fermait sa porte lorsqu’elle rentrait ivre, Perrine Hurel n’est pas présentée sous un jour aussi sombre par les témoins. Son père lui-même ne paraît pas lui tenir rigueur d’avoir eu, onze ans avant le crime, un premier enfant naturel. Les habitants de sa commune insistent sur sa générosité. Vivant dans une relative aisance (elle dispose d’une rente de 200 F), elle sait se montrer généreuse. Son entourage est unanime sur ce point : « Elle était bien charitable pour les pauvres », reconnaît une de ses voisines 103 ; « elle buvait trop, mais elle était bonne pour les pauvres » déclare aussi le cantonnier 104. Son « inconduite » n’est pas manifeste : sa jeune domestique de 17 ans, reconnaît l’avoir déjà vue cinq ou six fois « en ribote 105 », mais affirme qu’elle n’a jamais rencontré aucun homme chez elle pendant la nuit. Cependant c’est bien à l’alcool qu’elle attribue ses problèmes : « Je m’enivre quelquefois, reconnaîtelle, et c’est là la cause de mon malheur. Si je n’avais pas été ivre, je ne me serais point livrée à un homme 106. » L’inconduite de Renée-Marie Bongard, une domestique de Domagné, âgée de 30 ans est également attribuée à la fréquentation des cabarets : « Quoique d’une intelligence assez bornée, [c’]était une excellente domestique de campagne pour le travail et la fidélité ; mais sa mère s’était remariée avec un homme dur, exigeant et avide, qui lui a rendu l’existence tellement pénible qu’elle a quitté sa famille dès son jeune âge pour aller servir dans un assez grand nombre de maisons. Ainsi privée de surveillance et de l’affection de ses parents, elle a été entraînée à fréquenter le cabaret avec les jeunes gens du voisinage. Cette inconduite a déterminé sa perte 107. »

Dans l’esprit des magistrats comme aux yeux des témoins l’alcool est intimement lié à l’intempérance sexuelle et à la débauche. Plusieurs accusées disent n’avoir cédé qu’une seule fois à leur séducteur, et seulement parce qu’elles étaient sous l’emprise de l’alcool, comme s’il s’agissait d’un aboutissement inéluctable. C’est parce qu’elle était ivre, déclare Louise Fournard, qu’elle a cédé aux instances du fils de ses maîtres : « Vers le mois d’octobre dernier, peu de temps après la récolte des blés noirs, je me trouvais dans notre grange avec la fille Fournard. Celle-ci me demanda si je m’étais aper102. AN/BB/20/226/2, I-V, 3e trim. 1860, Dupuy, 31 août 1860. 103. AD I-V 2U4/882, Vve Lucas, 53 ans, ménagère, 31 mais 1860. 104. Idem, Pierre Delépine, 44 ans, cantonnier, [même jour]. 105. Ivre. 106. AD I-V 2U4/882, Interrogatoire, 1er juin 1860. 107. AN/BB/20/200/1, I-V, 1er trim. 1857, Lambert, 12 février 1857.

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çue qu’elle fût enceinte ; ce à quoi je répondis négativement : elle me déclara alors que cependant elle était grosse de quatre mois. Je lui reprochais sa conduite, elle me répliqua que quand elle avait fait cela elle était soûle 108. » C’est aussi par l’effet de trop abondantes libations que Louis Thominet, amant de sa belle-sœur, explique l’aventure, fort brève selon lui, qu’il a eue avec elle : « Il avoue ses relations incestueuses avec la veuve de son frère, mais il affirme qu’elles n’ont eu lieu qu’une seule nuit, et que ce fut sa bellesœur qui le provoqua. C’était au retour d’une assemblée voisine, on avait bu 109. » On peut même s’interroger sur la nature de leurs sentiments. Thominet, qui assiste à l’accouchement de sa belle-sœur, laisse éclater son dégoût au moment où celle-ci commence à perdre les eaux. Un témoin rapporte la scène : « Le dit Thominet lui demanda d’où provenait cette eau, si elle sortait de dessous la pierre du foyer, la dite Thominet lui dit quelque chose que je ne pus comprendre ; j’entendis Louis Thominet dire : “Va-t-elle faire comme la truie ? Elle va se coucher dans son fumier !” Comme je savais que la dite Gorvel [la Vve Thominet] était enceinte, je savais bien que l’eau ne sortait pas de dessous la pierre du foyer. Comme je suis fille [ajoute malicieusement le témoin] je ne dis rien, mais je n’en pensais pas moins 110. »

Jeanne Thominet ne paraît pas non plus éprouver une vive affection pour son beau-frère. Elle le révèle, à mots couverts, à l’une de ses voisines qui vient lui rendre visite juste après son accouchement : « Je trouvais la veuve Thominet debout dans le bas de sa maison, je la trouvais toute drôle. “Je viens de faire un malheur, ajouta-t-elle, c’est mon beau-frère qui en est la cause.” Je remarquai du sang sur le foyer, je me retirai aussitôt sans demander d’explication à la veuve Thominet sur ce que je venais de voir et d’entendre. Le lendemain, vers 7 heures 1/2, la veuve Thominet se présenta chez moi. Je lui demandai ce qu’elle avait eu la veille, si elle n’avait pas fait un enfant ; elle me répondit que c’était vrai. “Qu’en as-tu fait ? repris-je.” “Je l’ai porté chez le sacristain auquel j’ai payé quatre chopines de cidre pour l’enterrer, répondit-elle”, puis elle ajouta : “Je me suis laissée embêter par mon beau-frère 111.” »

Les veuves semblent assez fréquemment noyer leur chagrin dans l’alcool et les magistrats les décrivent souvent comme empruntant la pente dangereuse qui mène du cabaret à la débauche. Les cabarets et les auberges, lieux de convivialité, constituent logiquement un des lieux de prédilection de la fréquentation amoureuse. C’est là qu’une partie des amants illégitimes passent leurs dimanches. Boulaire, un laboureur de 46 ans qui est, semblet-il, le principal amant de Marie Burel, décrit l’un de ces dimanches de beuverie qu’il a passés avec elle, peu après un crime qu’il dit ignorer : 108. AD M U2103, Françoise Guillermo, cultivatrice, 4 avril 1840. 109. AN/BB/20/151/1, C-N, 2e trim. 1850, Le Beschu de Champsavin, 12 juin 1850. 110. AD C-A 2U/752, Marguerite Glais, filandière, 18 décembre 1849. 111. Idem, Suzanne Bréha, 60 ans, fileuse, 2 février 1850.

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« Le dimanche 2 février, je bus avec Marie Burel deux ou trois litres après la grand-messe, chez le nommé Foulon, cabaretier au bourg de Mauron, Marie Burel avait un entendement sur sa coëffe et un tablier sur le dos et avait le visage très pâle et blanc, comme à son ordinaire. En sortant de chez Foulon, nous fûmes chez la veuve Danet chez laquelle nous bûmes 1/8e d’eau de vie. Je la conduisis chez elle où nous arrivâmes vers six heures. La mère Burel me donna une écuellée de cidre que je bus. Je demandai à la mère Burel si elle voulait me donner sa fille en mariage, à quoi elle répondit : “Mon cher Boulaire, nous verrons cela plus tard.” J’entendais faire une plaisanterie 112. »

C’est généralement l’homme qui paie la dépense. Marie-Julienne Hervoch, femme adultère, retrouve fréquemment au cabaret son amant, Bertrand Le Falher, un domestique de 28 ans. Celui-ci déclare au magistrat ne la fréquenter que « que pour boire avec elle et lui faire faire des bas pour moi et arranger mes hardes 113 ». Deux jours avant l’accouchement, ils se rencontrent dans un cabaret d’Auray, où ils consomment de l’eau-devie : « Le dimanche matin 21 mai dernier, il n’y avait chez moi à boire la goutte que la femme Hervoch et Bertrand [Le Falher] ; celui-ci paya la dépense, il demanda même une demi-chopine d’eau de vie de plus, pour emporter avec eux, ce qui leur fut donné et payé par Bertrand ; ils causèrent beaucoup ensemble et sortirent seuls de chez moi 114. » Mais Bertrand Le Falher vient aussi courtiser sa maîtresse chez elle, pratiquement au nez et à la barbe de son mari. Un villageois les aurait surpris en flagrant délit d’adultère dans cette maison : « Je connais beaucoup Louis Le Garrec qui vient souvent à la maison, il m’a dit plusieurs fois qu’il avait trouvé et vu Bertrand Le Falher, son domestique, coucher dans le lit de la femme Hervoch avec elle, puis dans le grenier et ailleurs, que Louis Le Garrec avait même dit à sa femme de ne pas garder ce domestique […] que la femme Le Garrec m’a même avoué que son confesseur l’avait grondée parce qu’elle gardait ce domestique 115. » Des rencontres furtives Les relations qui ont abouti à des infanticides sont des relations clandestines, que les hommes semblent vivre comme des relations honteuses. Du moins tiennent-ils à les conserver secrètes. Seul le sieur ValletDuronceray, officier de santé, assume au grand jour ses amours adultères. Lorsqu’il fait l’objet de plaisanteries en raison de la grossesse de sa domestique, il réagit en homme flatté de sa bonne fortune : « J’ai entendu dire, mais sans me rappeler par qui, que, sur la fin de la grossesse de la femme Doudard, le sieur Duronceray ne s’en cachait nullement, et qu’un jour 112. AD M U2143, Guillaume Boulaire, 46 ans, laboureur, 5 mars 1845. 113. AD M U 2127, interrogatoire, 11 juin 1843. 114. Idem, Thuriau Gouzerh, aubergiste, 10 juin 1843. 115. Id.

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ayant été plaisanté à ce sujet dans un café, il répondit : “Eh ! bien, la femme Doudard n’est-elle pas belle femme ? Je prierai la dame Hussonnais [fille de son épouse] d’être la marraine 116.” » Les autres hommes s’attachent à dissimuler les relations illégitimes qu’ils entretiennent avec des femmes qu’ils ne souhaitent ou ne peuvent épouser. C’est donc la nuit qu’ils vont les rejoindre quand, pensent-ils, personne ne peut les voir. Jean Gourhaud, laboureur à Tresbœuf, âgé de 49 ans, ne fréquente Françoise Diot, Vve Robert, une journalière de 35 ans, qu’à la nuit tombée. Il niera devant le juge d’instruction toute relation avec cette femme avec laquelle il a déjà eu trois ans auparavant un enfant naturel qu’elle élève 117. De même, il ressort de la confrontation entre Julien Boudet, un charpentier de Saint-Aubin-des-Châteaux, âgé de 46 ans, et Marie Lambert, accusée du meurtre de ses jumeaux, que celui-ci ne venait chez elle qu’au crépuscule : « Marie Lambert a persisté à dire que Boudet depuis les fêtes de Pâques de l’année dernière venait habituellement la nuit chez elle ou le soir fort tard, souvent plusieurs fois dans la semaine 118. » Le fils de Marie Lambert, présent à la confrontation, confirme que Julien Boudet ne venait « que le soir et la nuit » chez sa mère. Laurent Cochin, cultivateur à Plédéliac, âgé de 37 ans, se fait parfois surprendre dans son lit par ses ouvriers avec sa domestique, Jeanne Masset. Mais il dispose d’une grande liberté puisqu’il a, à force de mauvais traitements, contraint sa femme à quitter le domicile conjugal et à se réfugier, avec ses deux enfants, chez ses parents 119. Habituellement, c’est plutôt dans la nature qu’ont lieu les ébats entre maîtres et domestiques comme les amours clandestines des époux ou épouses adultères. C’est dans un champ que Le Quinio surprend sa femme en flagrant délit d’adultère. C’est aussi dans les champs que Marie-Jeanne Labat se livre à son beau-frère, Jean Tassin. Deux enfants semblent nés de cette relation, bien qu’elle ne reconnaisse n’avoir eu avec cet homme que de rares rapports sexuels : « C’est lui seul qui a eu des relations avec moi, et cela trois fois seulement, une fois dans la maison (un dimanche) et deux autres fois dans un champ où nous étions seuls à travailler. Jamais de ma vie, je n’ai eu de rapports charnels avec un autre homme. » Mais cette euphémisation de ses relations avec son beau-frère tient peut-être à sa mauvaise conscience : « Lorsqu’il m’approchait, je lui disais qu’il avait une femme et des enfants ; mais j’avais beau me défendre, il me disait toujours qu’il ne me ferait rien, c’est-à-dire qu’il ne me ferait pas devenir enceinte 120. » Quand des relations illégitimes sont dévoilées, elles sont toujours imputées à l’initiative des femmes. Les hommes, tel Louis Thominet qui pré116. AD I-V 2U4/614, Mélanie Lebouc-Hussonnais, 29 ans, 27 décembre 1824. 117. AN/BB/20/156/2, I-V, 3e trim. 1851, Fénigan, s.d. 118. AD LA 5U123, p.-v. de descente du juge d’instruction de Châteaubriant, 23 avril 1843. 119. AN/BB/20/281/1, C-N, 4e trim. 1865, Grolleau-Villegueury, 30 octobre 1865. 120. AD F 4U2/168, interrogatoire, 1er décembre 1860.

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tendait avoir été séduit par sa belle-sœur un soir de beuverie, n’hésitent pas à se présenter comme des victimes. C’est Marie-Joseph Rebillard, fille de mauvaises mœurs, qui est réputée avoir séduit Maurice Le Coquen et non l’inverse. Un des témoins de l’affaire affirme en effet : « J’ai ouï dire que la fille Rebillard et Maurice Louis Le Coquen se fréquentaient. D’après ce qu’on disait, c’était la fille, qui est de mauvaises mœurs, qui allait chercher Le Coquen dans sa maison du village du Bois Léhart. Cette fille demeurait dans le village de Kerdanielou, où je demeure aussi. Je n’ai jamais vu, non plus, Coquen venir l’y chercher, mais j’ignore quand elle couchait hors du village 121. » Mais il faut se souvenir que le maire de Saint-Fiacre, commune où s’est déroulé le crime, expliquait que tous les habitants étaient, à un degré plus ou moins éloigné, parents de Maurice Le Coquen et donc enclins à le protéger. De son côté Marie-Joseph Rebillard présente Le Coquen dans un rôle qui n’est nullement passif : « Elle a répondu que depuis cinq ans elle avait des relations avec Maurice Coquen, qui couchait souvent avec elle, que depuis deux ans jusqu’à la Saint-Michel dernière, il ne se passait pas de jour qu’il ne jouît d’elle, qu’il le faisait même souvent plusieurs fois par jour 122. » Le dérèglement des mœurs Le profil psychologique de nombreuses accusées cadre mal avec la vision qui est habituellement donnée de la civilisation paysanne. Aux yeux des magistrats, les ruraux ont su préserver la pureté de leurs mœurs, les folkloristes ont tendance à les décrire comme des êtres farouchement accrochés à des croyances ou superstitions ancestrales. Mais, dans les affaires d’infanticide, certaines femmes paraissent au contraire surtout préoccupées de jouissance matérielle et se montrent peu soucieuses de se cantonner dans les rôles qui leur sont traditionnellement impartis dans la gestion de la vie quotidienne. Les fêtes religieuses sont pour quelques-unes une occasion d’agapes, de festins et de plaisirs. Même la Toussaint, qui est présentée par les ethnologues comme la fête bretonne par excellence, du fait de la prégnance dans l’imaginaire breton des figures de la mort, peut être prétexte à amusement. Plusieurs accusées datent en effet de la Toussaint ou de Noël le début de leur grossesse. L’initiation sexuelle des jeunes filles paraît dans certains cas fort précoce et reflète une liberté de relations entre garçons et filles qui contraste avec les rituels, en apparence très stricts, des fiançailles et du mariage décrits par les folkloristes. Mais le jeune âge des enfants en question, qui n’ont pas encore atteint l’âge de la puberté, peut expliquer cette relative 121. AD C-A 2U736, Joseph Lucas, 55 ans, laboureur, 24 mai 1848. 122. Idem, confrontation de Maurice Le Coquen avec Marie-Joseph Rebillard, 16 mai 1848.

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licence. Marie Phélipeau, domestique, fait allusion aux jeux sexuels auxquels elle se livrait avec les enfants du voisinage lorsque, petite fille, elle était chargée de garder les vaches. Alors que le juge lui demande si elle a déjà eu commerce avec un homme, elle répond, avec une fausse naïveté, et pour mieux démontrer son « innocence » présente : « Lorsque j’avais neuf ou dix ans, j’ai eu commerce avec quelques enfants qui gardaient les vaches, mais depuis cette époque-là jusqu’à ce moment, je n’ai jamais connu d’homme 123. » Plusieurs accusées paraissent s’être affranchies de toute sujétion aux règles de bienséance auxquelles les femmes sont d’ordinaire soumises. Plusieurs sont décrites comme s’adonnant à la débauche. Perrine Truet, domestique à Montreuil-sur-Ille, âgée de 30 ans, accusée d’infanticide et d’un vol de divers effets commis chez ses maîtres, est présentée comme une accusée particulièrement scandaleuse : « La fille Truet se livrait à l’inconduite déjà depuis longtemps lorsqu’elle est devenue enceinte. Avant de venir comme domestique à Rennes, elle avait déjà cessé d’être honnête et pendant les deux années qu’elle y a passées, elle y a mené une vie scandaleuse, recevant des hommes chez les maîtres qu’elle servait, fréquentant des filles de mauvaise vie, admise à l’hôpital pour une maladie honteuse, ayant réussi à dissimuler sa grossesse, déjà avancée cependant, et sollicitant des soins pour une menstruation accidentellement arrêtée, disait-elle, dans l’espérance, sans aucun doute de provoquer une fausse couche 124. »

Elle n’est pas la seule accusée à recevoir des hommes chez ses maîtres. Jeanne-Marie Vaillant a la même réputation. Son ancien maître, un riche propriétaire anglais témoigne, d’ailleurs sans acrimonie excessive, de ses anciennes frasques : « dans le mois de juin [1862], j’ai fait avec ma famille un voyage à Paris laissant ma maison à la garde de mes domestiques, Marie Levaillant et Marie Baudu. Quelques semaines après ma rentrée à Rennes, j’appris que mes domestiques avaient fait la noce chez moi avec des hommes et des femmes, qu’on avait bu mon vin et fumé mes cigares. Je voulais renvoyer mes deux domestiques, mais ma femme pensant que la plus âgée était la plus coupable, je me décidai à ne chasser que Marie Baudu qui s’en alla sans rien dire 125. »

Jacquette Quélard, domestique à Marzan, âgée de 18 ans, et présentée comme totalement dépourvue d’intelligence, reconnaît au cours des débats avoir fréquenté de nombreux hommes « d’elle-même, et sans que la procédure ait vérifié ce fait de moralité, ce qui est à regretter, elle a déclaré que débauchée à l’âge de 15 ans, elle avait eu depuis de très fréquentes relations 123. AD L-A 5U66/2, interrogatoire, 5 avril 1828. Cette liberté de mœurs, tant chez les enfants que chez les adultes ressort également des souvenirs de J.-M. Déguignet, op. cit., p. 33-35 et 87-88. 124. AN/BB/20/245/2, I-V, 1er trim. 1862, Baudouin, 22 février 1862. 125. AD L-A 5U173/1, Edouard Stuart, 48 ans, propriétaire, 4 mars 1864.

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avec un assez grand nombre d’individus 126 ». Marie-Louise David, cultivatrice à Scaër, est signalée comme étant de très mauvaises mœurs et a la réputation d’avoir partagé un amant avec sa mère : « Elle passait pour s’adonner à l’intempérance et on disait qu’elle se livrait à plusieurs garçons du pays. Sa mère elle-même avait eu, disait-on, l’un d’eux, Danielou, pour amant. » Quant à Marie-Jeanne Cavalan, une jeune fille de Quintin, « remarquable par ses agréments personnels », c’est sa coquetterie, son « désir extrême d’avoir une mise disproportionnée avec ses ressources pécuniaires » qui expliquent sa conduite d’abord légère puis licencieuse. Chellet sous-entend même que son extrême coquetterie la portait à monnayer ses charmes : « Elle était l’objet de quelques assiduités particulières, mais la facilité de ses mœurs était de notoriété dans la ville de Quintin 127. » Une dizaine d’autres accusées sont présentées comme se livrant, occasionnellement ou habituellement, à la prostitution tout en exerçant un autre métier. Mais il s’agit là de simples allusions, qui ne contiennent aucune précision sur les modalités de cette pratique vénale 128. Baudouin déplore, par exemple, que malgré ses 42 ans, Mathurine Lecair, une « journalière travaillant aux champs », demeurant à Naizin, déjà mère de deux enfants naturels, n’ait pas réussi à calmer ses ardeurs et continue à se livrer à la débauche : « Je ne crois pas, écrit-il, en commentant sa condamnation, que la peine doive être réduite. La fille Lecair est une prostituée, que l’âge même n’a pas corrigé de la débauche 129. » Les gendarmes de la brigade de Crozon se font l’écho, dans leur procèsverbal d’information sur le crime imputé à Geneviève Rividic, Vve Mérour, agricultrice à Argol, d’une rumeur qui l’accuse de se livrer à la pire luxure : « Les renseignements obtenus sur la moralité de Rividic, Jeanne-Geneviève sont, que depuis être restée veuve peu favorable [sic] elle a déjà eu un enfant illégitime, et a été souvent vue en compagnie de jeunes gens et même connue pour se livrer à la prostitution 130. » Mais le dossier d’instruction n’en donne pas de preuves tangibles. Les témoignages de moralité sont très contradictoires. Sa belle-sœur déclare que depuis qu’elle a perdu son mari, Geneviève Rividic est « d’une inconduite notoire », qu’elle « s’enivre fréquemment » et que « ses mœurs sont très déréglées 131 ». Son domestique, au contraire, la présente sous un jour beaucoup plus honorable : « Je ne suis, dit-il, en juin 1862, au service 126. AN/BB/20/174/2, M, 1er trim. 1854, Lambert, 21 mars 1854. 127. AN/BB/20/120, C-N, 3e trim. 1842, Chellet, s. d. 128. La prostitution rurale est mal connue. En 1876 le sous-préfet de Brest signale qu’en « l’absence de leurs époux, les femmes de marins du Finistère se rendent parfois, en période de fenaison ou de moisson, dans les campagnes environnantes pour ce livrer à ce commerce », in : Corbin A., Les Filles de noces : misère sexuelle et prostitution (XIXe siècle), Paris, 1982, p. 225. A. Corbin estime que « l’amour vénal est peu répandu dans les campagnes » (p. 226). 129. AN/BB/20/281/1, M, 3e trim. 1865, Baudouin, 20 septembre 1865. 130. AD F 4U2/173, p.-v. de transport de gendarmerie de Crozon, 5 juin 1862. 131. Idem, Hélène Mérour, 48 ans, 11 juin 1862.

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de la Vve Mérour que depuis le mois de janvier et je n’ai été témoin d’aucun scandale dans la maison. Ma maîtresse est très charitable et fait beaucoup d’aumônes dans le pays 132. » Quant à Bernhard, qui préside la cour d’assises, il porte lui aussi un jugement assez modéré sur sa conduite : « Cette femme est veuve depuis dix ans. Quatre ans après la mort de son mari, elle a eu un enfant naturel qu’elle a élevé. Sa fille aînée est âgée de dix-huit ans. La honte de cette nouvelle faute à l’âge de quarante ans l’a sans doute portée à ce crime, car elle est riche 133. » En fait, une seule accusée, parmi celles que les magistrats présentent comme se livrant habituellement à la prostitution, appartient véritablement à un réseau organisé. Il s’agit de Marie-Jeanne Menguy, une jeune fille de 17 ans, demeurant à Saint-Lunaire. Elle a, écrit Dupuy, sombré dans la prostitution après s’être laissée suborner « par les promesses décevantes et les détestables conseils de la femme Martin ». De son côté, le procureur général de Rennes décrit la femme Martin comme « l’agent de corruption le plus habile et le plus dangereux de l’arrondissement de Saint-Malo 134 ». Marie-Jeanne Menguy a abandonné son travail de journalière et quitté le domicile de ses parents pour se rapprocher de la femme Martin, qui lui faisait miroiter les attraits d’une vie facile. Elle est devenue enceinte au mois de juillet 1859. La femme Martin, qui passe pour posséder de l’habileté dans l’art de procurer des avortements, entreprend alors des manœuvres abortives sur sa protégée. Ces manœuvres n’ayant qu’à moitié réussi, conduiront Marie-Jeanne Menguy et la femme Martin à répondre devant la cour d’assises d’une double accusation d’infanticide et d’avortement. Au cours de l’enquête judiciaire, on découvre le motif du crime : « Une correspondance [établit] que la veuve Martin s’était déjà engagée à livrer comme maîtresse Marie-Jeanne Menguy à un officier d’artillerie moyennant une somme de cinquante francs ; ce qui ne pouvait avoir lieu qu’à la condition que celle-ci cesserait d’être enceinte 135. »

132. Id., Hervé Lagadec, 27 ans, aide-cultivateur, [même jour]. 133. AN/BB/20/245/2, F, 3e trim. 1862, Bernhard, 21 août 1862. 134. AN/BB/20/226/2, I-V, 3e trim. 1860, le procureur général au garde des Sceaux, 29 août 1860. 135. AN/BB/20/226/2, I-V, 3e trim. 1860, Dupuy, 29 août 1860.

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Chapitre VII

Le village et la paroisse : les instances du contrôle social À la différence des accusées urbaines qui vivent dans un relatif anonymat, l’inscription des accusées rurales dans la vie collective est très forte. Le « village », en effet, dans son acception bretonne – c’est-à-dire le hameau ou l’écart – s’il ne possède pas vraiment de rationalité géographique, est doté d’une forte personnalité morale 1. Il est non seulement le cadre de l’entraide qu’organisent les villageois pour les travaux agraires, mais aussi celui de la solidarité qui s’organise pour triompher des difficultés de la vie quotidienne. Mais les secours versés par les communes aux indigents, les services rendus par les plus généreux, la charité pratiquée par les plus aisés ont comme contrepartie un droit de regard sur les conduites individuelles. Comme la famille, le village possède donc la caractéristique d’être pour les accusées à la fois une source de solidarité et de tensions. Le village conserve en mémoire tous les événements marquants de la vie des familles. C’est en son sein que se font et se défont les réputations. L’ensemble des itinéraires familiaux construit l’histoire morale du village, qui se transmet au cours des veillées et dans tous les lieux de sociabilité. La somme des réputations familiales fonde à son tour la renommée du village. C’est peut-être pourquoi le contrôle social, garant de cette renommée, s’exerce de manière aussi impérative sur l’honneur des femmes.

1. « La loi générale est le manque de construction organique des hameaux. Leurs maisons sont souvent très écartées et le “village” n’est guère qu’un agrégat de fermes isolées. […] En tout cas, le hameau n’a pas de vraie vie villageoise. Seuls les très gros écarts ont des artisans et commerçants. […] C’est seulement dans l’ordre moral que le village breton parvient à acquérir parfois une manière de personnalité », Le Lannou M., Géographie de la Bretagne, Rennes, 1950, t. 1, p. 209-210.

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Le village, cadre du contrôle social Le contrôle des conduites privées, et tout particulièrement de la morale sexuelle, est opéré par les instances les plus diverses. Celles-ci sont d’ordre privé (voisins, employeurs, famille), médical (sages-femmes, médecins), public (maires) ou religieux (prêtres). Maires et prêtres n’interviennent ordinairement que quand les proches ne sont pas parvenus à mettre fin aux écarts. Le premier alerté – mais le choix de l’un ou de l’autre n’est sans doute pas indifférent – intervient alors pour rappeler les normes et sanctionner les infractions à la morale. Le regard porté sur les femmes déviantes varie sensiblement d’une affaire à l’autre, selon la mentalité des villageois et la personnalité des contrevenantes. Les écarts de conduites sont tolérés ou combattus suivant des critères qu’il n’est pas toujours facile de déchiffrer. Il convient de se remémorer à ce sujet l’ambiguïté des témoins qui, face à la justice, ne s’expriment pas toujours de la manière la plus franche, comme s’il leur importait avant tout, en taisant certains aspects de la vie collective, de ne pas ternir l’image de leur village. Tolérance ou exclusion des filles-mères Les sources judiciaires ne révèlent pas d’emblée la réaction des villageois face aux comportements déviants, comme le démontre le cas de MarieAnne Robin, journalière à Moëlan. Les dépositions des témoins donnent à penser qu’une solidarité s’est organisée en sa faveur lors de la naissance de son deuxième enfant, plusieurs villageoises lui ayant offert les linges et vêtements qui lui étaient nécessaires. Mais les magistrats la présentent comme totalement rejetée par le groupe social. Cette accusée, poursuivie pour infanticide en 1858, vit chez ses parents. Elle a déjà eu deux enfants naturels : une fille, âgée de sept ans, qu’elle élève, et un petit garçon, mort à l’âge de trois mois en 1856. La rumeur l’accuse d’avoir eu des intentions homicides lors de la naissance de ce petit garçon, dont elle était allée accoucher secrètement dans une étable. Il n’aurait été sauvé que par l’arrivée des voisins qui avaient entendu ses vagissements. La femme Drénou, principal témoin de cet épisode, ne fait aucune allusion dans sa déposition de 1858 à la tentative d’infanticide qui avait été imputée deux ans plus tôt à Marie-Anne Robin. Elle se contente de déclarer : « J’avais entendu dans la crèche les cris d’un enfant, je vins avertir mon mari qui vint avec moi dans la crèche. Nous prîmes l’enfant et le portâmes chez nous pour le soigner. » Elle marque néanmoins de l’incompréhension face à la mort subite de cet enfant : « Son fils était fort et bien portant, il est mort subitement et sans maladie 2. » 2. AD F 4U2/158, Marguerite Drénou, 32 ans, cultivatrice, 2 mars 1858.

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Les deux autres villageoises entendues par le juge d’instruction ne manifestent pas non plus d’hostilité apparente à son égard. Toutefois la première relève incidemment que Marie-Anne Robin n’avait rien préparé pour son nouveau-né : « C’est la femme Drénou et moi qui avons donné des soins à l’enfant, et qui avons fourni les linges et vêtements nécessaires, car la fille Robin n’avait rien préparé. » Mais elle ajoute, sans doute pour contrebalancer les effets négatifs de cette déclaration : « La fille Robin a eu soin de ses enfants, elle a même été bonne pour l’enfant de sa sœur 3. » Le 20 février 1858, Marie-Anne Robin donne naissance à un troisième enfant qu’elle étrangle immédiatement. Sa mère et sa sœur seront d’abord poursuivies comme complices avant d’être mises hors de prévention. Ce n’est que lorsque sa mère sera arrêtée que Marie-Anne Robin passera aux aveux. Si les dépositions des voisins frappent par leur modération, l’acte d’accusation, en revanche, évoque la grande animosité des villageois à son endroit : « Sa réputation est mauvaise. Elle donne depuis longtemps l’exemple de l’immoralité et passe, dans sa commune, pour avoir déjà donné la mort à un autre de ses enfants 4. » Absoute de l’accusation d’infanticide en avril 1858, elle est comparaît le mois suivant devant le tribunal correctionnel pour homicide par imprudence. Le procureur de Quimperlé évoque alors le scandale que son acquittement en cour d’assises avait provoqué dans sa commune : « Cette fille a été condamnée à deux années d’emprisonnement pour délit d’homicide involontaire, et ainsi se trouve en partie réparé le scandale que son acquittement déplorable avait produit dans le pays 5. » Une telle distorsion entre les déclarations consensuelles, lénifiantes ou simplement dépassionnées des témoins et l’âpreté de la rumeur n’est pas exceptionnelle. Dans le cas de Marie-Anne Robin, qui vit avec ses parents, il est possible que les témoins aient hésité à exprimer publiquement leur réprobation parce que le village, souvent composé de quelques foyers, constitue une sorte de famille élargie, dont les membres se doivent une certaine solidarité. Entraide et solidarité Toutes les mères illégitimes ne font pas l’objet d’animosité. Du moins convient-il de remarquer que la désapprobation de l’entourage ne s’exprime pas ouvertement quand elles sont placées sous la protection de leur famille. Les voisins de Joséphine Le Breton, une tailleuse de Liffré, âgée de 35 ans, paraissent fermer les yeux sur la disparition subite de son embonpoint. Mais cet aveuglement peut s’expliquer par les menaces proférées par sa famille à l’encontre des personnes qui ont fait allusion à son état : 3. Idem, Marie-Noële Lyver, 29 ans, cultivatrice, [même jour]. 4. Id., acte d’accusation, 18 mars 1858. 5. Id., le procureur de Quimperlé au procureur de Quimper, 15 mai 1858.

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« Vers la fin de l’année 1853, les voisins de Joséphine Le Breton, soupçonnent, au développement de sa taille, qu’elle était enceinte : quelques propos circulent à ce sujet : mais sa mère ayant annoncé qu’elle ferait un procès à quiconque répéterait ces propos, on garde le silence. La réputation de Joséphine était bonne, elle était laborieuse, on continua à la traiter avec bienveillance, et lorsqu’à la fin du mois de février on s’aperçut que sa taille avait repris ses proportions ordinaires, on fut sobre de commentaires, et les soupçons qu’on avait conçus furent promptement oubliés 6. »

Ce n’est que quand des lambeaux de son enfant seront retrouvés dans la gueule d’un chien qu’une enquête judiciaire sera ouverte. Le silence des villageois pourrait presque être interprété comme une absolution, car Joséphine Le Breton a été abusée par des promesses de mariage. Le président de la cour d’assises lui-même écrit : « La condamnée, jusque là irréprochable, lâchement trahie par un misérable, poussée par le désespoir à la fatale résolution qui l’a perdue, a manifesté un repentir sincère et est digne d’un véritable intérêt 7. » La Vve Le Dû est également épargnée par son entourage. Son père témoigne de la remarquable discrétion du voisinage : « Moi je la consolais en lui disant que, bien que par sa faute elle eût porté atteinte à l’honneur de la famille, néanmoins, s’il plaisait à Dieu que son enfant vînt au monde en vie, elle avait de quoi le nourrir et qu’il serait élevé comme les autres. Son état de grossesse n’était pas très apparent. Elle n’en a parlé à personne d’autre que moi. Je ne crois pas d’ailleurs qu’aucun de nos voisins lui ait jamais demandé aucune explication à ce sujet, dans la crainte de lui faire honte ; de façon qu’elle n’a été mise en demeure, ni de reconnaître, ni de nier sa grossesse 8. »

Mais la tolérance du père, qui paraît accepter la venue d’un bâtard, comme celle du voisinage sont peut-être illusoires, puisque Marie-Jeanne Le Dû prendra la résolution de se défaire de son nouveau-né. Si leur comportement privé ne constitue pas une source de scandale, les mères illégitimes qui élèvent des enfants dans des conditions difficiles peuvent aussi bénéficier de la tolérance du groupe. Marie-Françoise Lavenant, journalière à Larré, âgée de 27 ans, déjà mère de trois enfants naturels, semble très appréciée. Mais elle a l’habileté de ne rien laisser transparaître de sa vie sexuelle : « Le maire a dit qu’elle était d’un caractère doux, laborieux, et probe. Elle se faisait aimer dans les maisons où elle était admise à travailler. Ses enfants naturels constataient l’irrégularité de ses mœurs ; mais jamais elle n’avait laissé paraître une vie scandaleuse 9. »

6. AN/BB/20/174/2, I-V, 2e trim. 1854, Hüe, s. d. 7. Idem. 8. AD F 4U2/173, Allain Le Grand, 56 ans, cultivateur, 29 mars 1862. 9. AN/BB/20/218/2, M, 4e trim. 1859, Le Beschu de Champsavin, 20 décembre 1859.

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Le Beschu de Champsavin souligne même l’intérêt que pouvait inspirer cette accusée, qui manifestait un vif repentir et demandait à être punie : « Le jury a déclaré l’accusée coupable, mais avec circonstances atténuantes, l’intérêt et la pitié que cette femme avait inspirés aux jurés ont été partagés par la cour : elle n’a prononcé que cinq années de travaux forcés 10. »

Même après plusieurs maternités illégitimes, les femmes ne sont donc pas systématiquement privées de secours. Les voisines de Marie Audié, journalière et mendiante, déjà mère d’une petite fille, vont peu après la tentative d’infanticide à laquelle elle s’est livrée sur son nouveau-né lui porter de la soupe. Pourtant, elle n’est pas originaire de Saint-Martin, elle n’y est installée que depuis deux ans, logeant dans une pauvre « masure ». Son nouveau-né n’a échappé à sa volonté homicide que par l’intervention de témoins qui ont entendu les cris qu’il a poussés en naissant. Aucun des témoignages ne lui est franchement défavorable. L’homme qui a sauvé son enfant lui reconnaît même des qualités : « Je connais Marie Audié depuis qu’elle demeure au village de Boisneuf ; elle est dans la misère, mais je n’en avais point entendu dire de mal et elle s’est toujours montrée bonne mère envers sa fille 11. » Elle n’est donc pas rejetée par la collectivité villageoise malgré ses diverses maternités. Mais il n’est pas interdit de s’interroger sur la portée de cette mansuétude, car le motif qu’elle invoque pour expliquer sa tentative de meurtre est la crainte « de ne plus trouver de moyens d’existence, ni dans son travail, ni dans la charité publique 12 ». On relève de nombreux témoignages d’aide apportée aux femmes en couches, du moins à celles qui les acceptent. Car ici réside toute l’ambiguïté de cette solidarité. Même si elles sont motivées par le souci de préserver la vie de l’enfant à naître, les offres de secours sont une manière de contraindre les femmes suspectées de grossesse à reconnaître leur état. C’est pourquoi celles qui sont fermement déterminées à commettre un crime ferment leur porte à la charité. « Les bons conseils, écrit Hüe à propos de Marie-Louise Rondel, journalière-lingère à Andel, ne lui avaient pas manqué : des amies, parentes, qui prévoyaient son mauvais dessein, avaient essayé de l’en détourner et lui avaient offert des ressources et des facilités pour soigner et élever son enfant : elle n’avait accueilli ces propositions bienveillantes que par d’énergiques dénégations 13. » Marie-Françoise Leverger, tisserand à Trévé, âgée de 31 ans, nie, elle aussi, obstinément sa grossesse. Elle a déjà eu un nouveau-né dont le sort a longtemps fait l’objet de conjectures et ses voisines craignent qu’elle n’ait de mauvais desseins à l’égard de son futur enfant. En 1855, peu avant son 10. Idem. 11. Id. Pierre Rollo, 57 ans, laboureur, 14 mars 1829. 12. AN/BB/20/47, M, 2e trim. 1829, Carron, s. d. 13. AN/BB/20/256/2, C-N, 1er trim. 1863, Hüe, 9 février 1863.

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second accouchement, l’une d’elles lui propose des langes. Elle les refuse vivement parce que, dit-elle, on se méprend sur son état. Une autre villageoise, qui la surprend dans les douleurs de l’enfantement, lui propose vainement d’appeler une sage-femme. Alors, pour la dissuader de commettre un crime, elle « l’engagea à lui avouer qu’elle allait devenir mère, lui offrant de nommer son enfant, de l’emporter même chez elle où ses propres enfants le berceraient 14 ». Offres de parrainage L’ultime argument employé par les proches des femmes enceintes pour les persuader de reconnaître leur état est de leur proposer le parrainage de l’enfant à venir. « Marie, vous partez, vous feriez bien mieux de rester ici. Malheureuse, vous allez encore faire de celui-ci comme des autres ! Restez, je serai la marraine, mon mari sera le parrain, je vous donnerai deux boisseaux de farine et tout ce qu’il faudra pour les premiers besoins de l’enfant 15 ! » se serait écriée une des voisines de la Vve Vallée, une fileuse de 37 ans, de Louvigné-de-Bais. L’insistance de cette voisine est motivée par la rumeur qui attribue déjà deux infanticides à la Vve Vallée. Mais dédaignant les conseils de cette « honnête fermière dont la charité vraiement [sic] angélique a trop peu d’imitation dans les campagnes » écrit Gaudiche 16, elle quittera sa demeure au moment des douleurs et ira demander l’hospitalité dans une commune distante de quelques kilomètres. Elle accouchera secrètement dans une étable, puis enterrera son nouveau-né dans un jardin. L’attachement des populations rurales au sacrement de baptême, sensible dans de nombreux dossiers, s’explique bien entendu par des considérations religieuses, auxquelles les accusées ne sont pas toutes indifférentes, mais aussi par le fait que ce rite consacre la naissance sociale de l’enfant. Il crée entre lui et ses parrains une parenté spirituelle dont la « nomination » est le premier acte et qui entraîne des obligations réciproques de solidarité 17. On assiste, dans l’affaire d’Yves-Marie Jézéquel, un journalier-laboureur de 39 ans, de Pommerit-le-Vicomte, à la recherche quasi désespérée d’un parrain et d’une marraine pour un enfant appartenant à Marguerite Le Floch. Jézéquel, oncle et parrain de cette fille, est accusé d’infanticide sur ce nouveau-né qu’il a été chargé de déposer au tour de l’hôpital de SaintBrieuc, moyennant une somme de 6 francs que lui avait remise MarieJeanne Le Floch, grand-mère de l’enfant. Cette ménagère, âgée de 47 ans, a huit enfants, dont le dernier n’a que trois mois. Son mari émarge à l’atelier de charité. Elle a déjà comparu devant la cour d’assises des Côtes-du14. AN/BB/20/182, C-N, 2e trim. 1855, Robinot Saint-Cyr, 28 avril 1855. 15. AN/BB/20/47, I-V, 2e trim. 1829, Gaudiche, s. d. 16. Idem. 17. Fine A., « Le Parrain, son filleul et l’au-delà », Études rurales, janvier-juin 1987, n° 105-106, p. 123146 et Parrains, marraines, la parenté spirituelle en Europe, Paris, 1994.

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Nord pour vol de vêtements 18. Sa fille Marguerite passe pour « être de mauvaise vie » et « suivre les garnisons 19 ». Parce qu’elle craint de ternir davantage la renommée de sa maisonnée, ou parce que l’entretien de son petitfils représenterait une charge trop lourde, Marie-Jeanne Le Floch ne souhaite pas s’en embarrasser. Elle décide le faire déposer à l’hospice aussitôt après son baptême. Mais les antécédents de sa fille rendent particulièrement difficile la recherche de parents spirituels pour un enfant qu’on s’apprête de plus, et assez paradoxalement, à dépouiller de son identité en l’abandonnant à l’hospice. Même au sein de sa propre famille, les défections ne manquent pas. Sa belle-sœur décline l’honneur de devenir marraine. Quant au parrain initialement prévu, un de ses neveux, il demeure introuvable au moment de se présenter à l’église. Elle se rabattra finalement sur son fils et sur une domestique avec laquelle elle a travaillé autrefois. C’est la sage-femme qui porte le nouveau-né à l’église, et le rituel traditionnel est respecté puisque l’enfant porte les trois bonnets de baptême 20. En considérant les réticences des parents de Marie-Jeanne Le Floch à accepter les obligations particulières créées par le parrainage, on imagine quelle volonté de sauver des vies peut guider les propositions de « nomination » qui sont faites aux femmes enceintes, et combien leur refus peut être significatif d’une intention criminelle. Les enfants qui ont été baptisés deviennent pratiquement inaccessibles aux manœuvres criminelles de leur mère puisque leur existence sociale est reconnue et qu’ils sont placés sous la protection symbolique d’un parrain et d’une marraine. Ce n’est que parce que son ancienne maîtresse a fait « passer cet enfant au baptême », que le premier enfant de Marie Trécan, servante à Saint-Méloir-des-Ondes, a pu conserver la vie. Elle était allée accoucher clandestinement dans un champ, mais avait été surprise par des témoins au moment où elle appelait les cochons de la ferme pour leur donner son enfant à dévorer et effacer ainsi toute trace de sa naissance 21. Les limites de la tolérance Même quand les mères illégitimes ne font pas l’objet de franches procédures d’exclusion, il est, semble-t-il, aussi bien aux yeux du village que de la famille, un seuil de tolérance à ne pas dépasser. Quand la mère sait conserver la bienveillance de ses proches, la naissance d’un premier enfant naturel peut être considérée comme un simple écart, qu’une bonne conduite ultérieure peut faire oublier. 18. AD C-A 2U/720, le juge de paix de Lanvollon au juge d’instruction de Saint-Brieuc, 3 avril 1847. 19. Idem, Armand de Floyd, propriétaire et maire de Pommerit-le-Vicomte, 22 mars 1847. 20. Voir Belmont N., Mythes et croyances dans l’ancienne France, Paris, 1973, et Loux F., Le Jeune enfant et son corps dans la médecine traditionnelle, Paris, 1978. 21. AD I-V 2U4/635, le juge de paix de Pleine-Fougères au procureur de Saint-Malo, 28 mai 1828.

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Les maîtres de Marie Lécriou sont parfaitement informés de sa première grossesse, mais sa « faute » passée ne constitue pas un obstacle à son engagement : « Je la connaissais depuis longtemps, déclare sa maîtresse, et j’avais su par sa mère qu’elle avait eu un enfant naturel il y a environ une dixaine [sic] d’années, mais cela ne m’empêcha pas de la prendre, car cela pouvait n’être qu’une faute de jeunesse et je n’avais point entendu parler mal d’elle depuis. Je vis dès son arrivée chez nous qu’elle était très épaisse, mais cela ne me fit point soupçonner sa grossesse car c’est une fille forte de corps 22. » Une seconde naissance est rarement accueillie avec la même bienveillance. Elle devient un signe évident de libertinage. La réitération de la « faute » compromet la position de la mère naturelle au sein du groupe social et peut être ressentie comme une trahison. Quand Marie Burel se retrouve enceinte de son second enfant, la matrone qui l’avait assistée lors de ses premières couches – une cultivatrice des environs – lui reproche de ne pas avoir respecté la promesse qu’elle lui avait faite de ne plus s’exposer à une nouvelle grossesse : « Il y aura deux ans vers le mois de juin que je dis à Marie Burel : “Tu es enceinte, tu ne t’es pas contentée de ton premier enfant comme tu m’avais promis de le faire lorsque je t’accouchai de ce premier enfant”, à quoi elle me répondit qu’il y avait onze mois qu’elle était dans cet état-là et qu’elle était menacée d’hydropisie 23. » C’est par crainte de son père et de l’opinion publique que Marie-Jeanne Amisse, ménagère à Peillac, âgée de 29 ans, ne pouvant se résoudre à avouer une seconde faute, dissimule sa grossesse. Ce nouvel accroc à son image intervient alors que son apparente bonne conduite avait fini par faire oublier l’atteinte que la naissance d’un premier bâtard lui avait déjà portée : « Dans le mois de juin 1850, elle donna le jour à un enfant qui ne vécut que six à sept semaines : il était élevé au sein de la famille, et les voisins de la demeure de la fille Amisse se faisaient un devoir de l’aider à élever son enfant. Dans le courant de 1852, alors qu’on la considérait comme réhabilitée de sa faute, elle devint enceinte une seconde fois. Elle cacha sa grossesse, comme elle l’avait fait lors de sa première gestation et menaçait du juge de paix les personnes qui lui parlaient de l’état dans lequel elle se trouvait 24. »

Aussi le troisième enfant naturel est-il presque toujours un enfant de trop. Il témoigne d’une obstination dans le libertinage, voire d’un glissement vers la débauche. Sa mère le sacrifie presque toujours aux lambeaux d’honorabilité qu’elle entend sauvegarder. Les affaires d’infanticide démontrent que bien peu de femmes osent franchir le cap d’une troisième naissance illégitime. Parmi les 128 accusées célibataires pour lesquelles on possède des indications de maternités antérieures, on note en effet que 6 seulement ont eu trois enfants. 22. AD C-A 2U/641, Françoise Colombel, 36 ans, ménagère, 15 mars 1842. 23. AD M U2143, Marie Dunot, 62 ans, cultivatrice, 26 février 1845. 24. AN/BB/20/168/2, M, 2e trim. 1853, Robinot Saint-Cyr, 25 juin 1853.

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Le seuil du deuxième ou du troisième enfant naturel correspond aussi, pour des femmes qui sont proches de l’indigence, à une limite pécuniaire. Plusieurs accusées expliquent le meurtre de leur troisième enfant par des considérations économiques. Elles craignent notamment de voir supprimer les revenus qu’elles tirent de la charité ou de leur inscription au rôle des indigents. Anne-Marie Gautard, de Trélévern, âgée de 30 ans, présentée comme « journalière, mais le plus souvent mendiante », déclare « qu’elle avait toujours eu l’intention de se défaire de son enfant parce que le maire de la commune lui avait dit qu’il ne lui donnerait plus de pain si elle devenait mère pour la troisième fois 25 ». Julie Pouvreau, tailleuse à Viellevigne, invoque le même motif : « Cette fille, qui avait déjà eu deux enfants naturels, a avoué qu’étant devenue une troisième fois enceinte, elle avait craint que cette troisième faute ne la privât des ressources qu’elle retirait de la charité publique, qu’elle avait en conséquence caché sa grossesse à tout le monde 26. » Mais elle allègue aussi, devant le juge de paix, la crainte de ne pouvoir subvenir par son travail à l’existence de ce nouvel enfant : « Elle nous a répondu [qu’elle n’avait appelé aucun secours lors de son accouchement de] crainte que la faute qu’elle avait commise venant à être connue, cette connaissance ne la mît dans l’impossibilité de pouvoir par la suite trouver de l’occupation et gagner sa vie 27. » Les modes d’exclusion La tolérance à l’égard des filles-mères est loin d’être générale et de nombreuses accusées ont fait l’objet, de la part des habitants de leur village, de procédures plus ou moins violentes d’exclusion. Les femmes seules, qui ne sont installées que depuis peu dans une commune, sont considérées avec une grande méfiance. C’est parce qu’elle est « étrangère à la commune 28 », « qu’elle n’était pas de la paroisse 29 », et qu’on « ne connaît pas son nom », que Vincente Le Gall est immédiatement, et non sans fondement, suspectée du meurtre du nouveau-né qui a été trouvé dans une rivière voisine. C’est aussi parce qu’elle est « étrangère au village », d’un caractère « bizarre » et peu communicatif, que Marie-Jeanne Talarmin, une domestique-cultivatrice de 39 ans, qui demeure avec son père au village de Tréouré, commune de Plouguin, est mal tolérée par les autres habitants : « Marie-Jeanne Talarmin habite, avec son père, depuis environ cinq ans notre village de Tréouré. Nous avions très peu de rapports avec elle, car 25. AN/BB/20/256/2, C-N, 2e trim. 1863, Grolleau-Villegueury, s. d. 26. AN/BB/20/128, L-I, 3e trim. 1844, Le Meur, s.d. 27. AD L-A 5U/129, p.-v. de descente du juge de paix d’Aigrefeuille, 8 juillet 1844. 28. AD M U2013, p.-v. de transport du juge de paix de Locminé, 7 mai 1829. 29. Idem, Guillemette Dériou, [même jour].

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cette fille nous paraissait d’un caractère sournois, elle fréquentait peu l’église et n’inspirait pas de confiance et de sympathie aux habitants du village 30. » Même Jeanne Brunet, née à Malansac, et demeurant au village de Tréhouma, commune de Saint-Gravé, distant seulement de quelques kilomètres, ne parvient pas à être vraiment acceptée et vit dans un relatif isolement. Elle partage une modeste chambre avec sa fille naturelle, âgée de dix ans. Si la femme Labbé, qui l’emploie de temps à autre, accepte par charité qu’elle vienne se chauffer chez elle et lui rend quelques services, son nouvel état de grossesse paraît lui fermer bien des portes. Jean Nicolas, laboureur et trésorier de la fabrique, qui se chargera d’avertir le recteur des soupçons d’infanticide qui pèsent sur elle, déclare en effet « qu’elle jouit d’une mauvaise réputation sous le rapport des mœurs, que pour cette raison les personnes du village ne la fréquentaient pas et ne la recevaient pas chez elles 31 ». Les villageois sont cependant bienveillants pour sa petite fille et Jeanne Brunet n’est pas frappée « d’excommunication », comme pourra l’être, en 1842, Marie-Jeanne Pélion qui, elle, est soupçonnée de récidive. Poulizac soulignait en effet la vive réaction de rejet dont Marie-Jeanne Pélion avait fait l’objet de la part des habitants de Plémet : « Pour mieux apprécier le présent, il faut souvent interroger d’abord le passé et le passé, au début de la procédure, répondait ici que déjà, dans le mois de janvier 1841, la fille Pélion était accouchée d’un enfant qui avait disparu ; c’était le bruit public dans le pays et les femmes, surtout, se trompent rarement, dans ces circonstances ; aussi une espèce d’excommunication frappait alors l’accusée ; on lui interdisait l’entrée de certaines maisons dans la crainte d’une souillure; ce sont les propres expressions des témoins; expressions qui prouvaient bien énergiquement l’indignation qui les animait 32. »

La privation de logement ou de travail sont les moyens les plus courants dont usent les habitants pour exclure progressivement du groupe les éléments dissonants. C’est en expulsant Anne-Marie Guilloux de la chambre qu’elle occupe chez la Vve Tricot, une commerçante de Matignon, que l’on essaie de se débarrasser de sa présence, jugée déshonorante pour la commune. La manière dont Anne-Marie Guilloux est perçue par les habitants est assez complexe. Le juge de paix signale d’emblée qu’elle n’est pas « originaire de ce pays-ci », bien qu’elle y vive depuis dix-huit ans 33. Cette remarque reflète sans doute le sentiment commun des habitants de Matignon qui tiennent à se démarquer de sa conduite et de l’acte criminel qu’elle a commis. « Étrangère », Anne-Marie Guilloux l’est doublement, puisqu’il s’agit d’une fille naturelle ; elle ignore jusqu’à son lieu de naissance 30. AD F 4U2/112, Marie-Vincente Bégor, 46 ans, cultivatrice, 30 avril 1849. 31. AD M U1994, Jean Nicolas, 49 ans, laboureur, 2 mars 1827. 32. AN/BB/20/120, C-N, 4e trim. 1842, Poulizac, s.d. 33. AD C-A 2U/743, le juge de paix de Matignon au procureur de Dinan, 26 janvier 1849.

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et n’a pas connu sa mère, elle est sans attache et sans généalogie. Elle a été retirée de l’hospice de Vannes par une famille de Matignon qui l’a gardée quelques années. Puis elle a servi comme domestique dans d’autres maisons, d’où elle a été renvoyée pour son « inconduite ». Depuis 1842, elle est devenue couturière-brodeuse à la journée. Malgré son « immoralité » le travail ne lui a jamais manqué car elle est bonne ouvrière. Mais elle éprouve de réelles difficultés à se loger. Enceinte une première fois en 1842, elle se fait renvoyer par le cordonnier qui la logeait alors. Elle s’installe chez la Vve Tricot, où elle accouche d’un enfant qui ne vivra que quelques jours. En 1849, quand les bruits de sa nouvelle grossesse deviennent trop insistants, sa logeuse menace de la chasser : « La fille Annette me proposa de garder seulement ses effets, me disant qu’elle irait rejoindre à Cancale Madame Autems dont elle me montra une lettre par laquelle réellement elle la demandait. Ce voyage devait même s’effectuer le lundi qui précéda son accouchement, car j’avais parlé à Monsieur le maire et au juge du pays qui m’avaient encouragée à la traiter avec humanité. Eu égard à sa position, je cherchai plusieurs logements mais personne ne voulut la recevoir. »

Cette expulsion semble avoir été concertée avec le maire de Matignon et l’humanité dont il est question est toute relative : « Dans le cours de cette conversation, je lui dis que le bruit courait qu’elle avait étouffé son premier enfant ; elle répondit : “Ce n’est pas vous qui pourriez dire une chose pareille. Qui est-ce donc ?” Je ne voulus pas parler de la dame Pitet, qui avait été la première à m’entretenir de cette circonstance, non plus que de Monsieur le maire qui m’en avait parlé lorsque je fus peindre mon embarras dans ces dernières circonstances. C’est à cette époque qu’il me dit : “Lorsque vous lui aurez donné huit jours de délai, j’irai, s’il le faut, avec les gendarmes, pour vous en débarrasser.” Ce dernier propos, je le répétai à la fille Annette. C’est de cette menace que je conclus qu’est parvenu tout le mal qui est survenu depuis 34. »

Depuis que son état est devenu apparent Anne-Marie Guilloux fait, elle aussi, l’objet de procédures d’évitement. Les portes se ferment devant elle. Même une de ses anciennes amies, avec laquelle elle a servi longtemps comme domestique, finit par ne plus la recevoir : « Il y a bien quatre mois que nous ne la recevions plus, d’après les mauvais bruits qui couraient sur son compte et qui ont mécontenté mon mari 35. » Eulalie Pellerin et sa mère sont pareillement menacées d’expulsion quand leur logeuse apprend la nouvelle grossesse d’Eulalie : « À la sollicitation de Mademoiselle Derenne, demi-sœur de la veuve Pellerin, j’ai consenti à louer une petite chambre dans la cour de ma mai34. Idem, Vve Tricot, 59 ans, marchande, 2 mars 1849. 35. Id., Louise Minic, 37 ans, ménagère, 8 mars 1849.

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son à cette dernière et à sa fille Eulalie Pellerin. Je me suis aperçue vers le mois de juillet dernier que cette fille prenait un embonpoint extraordinaire, que son visage était coulé et taché et je ne doutai point qu’elle ne fût enceinte. Il y a environ deux mois, j’en parlai à sa mère à qui je reprochai la conduite de sa fille en lui témoignant le regret que j’avais de les avoir reçues chez moi, et en lui faisant sentir que le public ne manquerait pas de lui faire des reproches. Elle me répondit que déjà lorsqu’elle se présentait aux portes, plusieurs personnes lui avaient dit que sa fille était enceinte 36. »

Mais ces femmes peinent à vivre de leur état et la logeuse n’osera finalement les chasser. Peut-être craint-elle de nuire à l’enfant à naître, dont le sort paraît préoccuper la Vve Pellerin : « Enfin, il y a environ trois semaines ou un mois, la veuve Pellerin me parlant encore de la grossesse de sa fille me dit qu’elle ne trouverait pas pour celui-là (parlant de l’enfant qu’elle portait) ce qu’elle avait trouvé pour l’autre, que les personnes qui lui fournissaient pour celui-ci des platées de farine n’existaient plus. Ce matin même, la veuve Pellerin étant entrée chez moi pour prendre du feu, je lui reprochai tous les désagréments que me faisaient éprouver les poursuites dirigées contre sa fille. “Que voulez-vous, me répondit-elle, elle n’a pas le même bonheur que la Dupont. Je n’appelle point un bonheur, répartis-je, qu’on ne puisse découvrir le crime. Il vaudrait bien mieux qu’on pût le découvrir, il ne s’en commettrait pas tant 37 !” »

La privation de travail est plus désastreuse encore. C’est presque une tragédie que nous narre Le Beschu de Champsavin en rendant compte des tribulations de Marie-Marguerite Bosser. Cette accusée originaire de Plozévet, âgée de 27 ans, a été chassée de Pouldreuzic où elle servait comme domestique. Après son accouchement, elle erre jusqu’à la plage de Tréguennec où elle enfouit son nouveau-né, encore vivant, dans le sable : « Son état de grossesse connu, elle avait été chassée de partout ; nulle porte ne s’ouvrait pour elle ; elle était sans pain et sans asile : elle avait d’abord eu l’intention de conserver l’enfant, mais arrivée dans le palud le démon s’était emparé d’elle, et elle avait abandonné cette bonne idée 38. » L’enfant est sauvé par des passants et confié à des habitants du hameau le plus proche, les Goascos, qui recueillent aussi Marie-Marguerite Bosser. Au moment de sa tentative d’infanticide cette fille, qui n’avait pas mangé depuis plusieurs jours, était au désespoir : « Je comptais bien mourir auprès de lui, à la place où on m’a trouvée », a-t-elle déclaré. « Cette plage, précise Le Beschu, est si éloignée de toute habitation et de toute fréquentation, que sans l’intervention des pâtres [qui ont découvert le nouveau-né], on aurait été bien longtemps peut-être, sans soupçonner qu’il y avait à cet endroit un être vivant ou mort. C’est bien réellement la fin de la terre. » 36. AD L-A 5U100/1, Vve Arnaud, 76 ans, rentière, 24 octobre 1837. 37. Idem. 38. AN/BB/20/163/1, F, 3e trim. 1852, Le Beschu de Champsavin, 22 septembre 1852.

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Et il souligne la rigueur des habitants du canton de Pont-Labbé envers les filles-mères : « La sévérité des habitants de ce canton envers une fille enceinte prouve la pureté de leurs mœurs, de même que la conduite sublime des époux Le Goascos envers l’enfant et surtout envers la mère prouve leur humanité. Ils ne pouvaient concevoir que je leur donnasse des éloges, tant ils trouvaient naturels l’hospitalité et les soins qu’ils avaient donnés 39. »

Cette intransigeance n’est pas propre au Finistère. En 1834, commentant l’acquittement de Vincente Le Bourvellec, une domestique de Pluvigner, âgée de 22 ans, Cavan faisait à peu près la même remarque : « Cet acquittement, que l’on ne peut s’empêcher de regarder comme scandaleux, doit peut-être moins étonner dans le Morbihan que partout ailleurs : car il ne se passe guère de session qui ne présente quelque exemple de ce genre d’absence de justice répressive que l’on ne saurait expliquer autrement que par cette considération que, dans ce pays, une fille qui a manqué aux règles de pudeur imposées à son sexe ne peut, par quelque laps de temps que ce soit, reconquérir l’estime publique ni même réparer l’oubli d’une faute 40. »

Honneur et réputation : « les filles de la paroisse déhonteront notre pays » Quand on leur demande le motif de leur crime, les accusées allèguent plus souvent la honte que la misère. « Cacher sa honte », « sa faute » semble être leur première préoccupation. Cette crainte du déshonneur relève sans nul doute de considérations économiques. « J’avais honte, ma réputation était mon gagne-pain » dit ainsi, pour expliquer son crime, Marie Piriot, une domestique de Grand-Fougeray 41. Il est évident que pour des accusées qui exercent des métiers qui n’exigent pas un grand savoir-faire, la réputation revêt une importance toute particulière. Mais le souci de « cacher sa honte » est partagé par des séducteurs qui ne connaissent pas la même impécuniosité. Job Le Moing, cultivateur à Languidic, tente à diverses reprises de procurer un avortement à sa domestique Anne Le Goff, car il redoute plus que tout le jugement l’opinion publique : « Job Le Moing m’a plusieurs fois engagée à le laisser me presser le ventre parce qu’il fallait, disait-il, étouffer l’enfant d’une manière quelconque. Il me disait : “S’il vient à terme, comment pourrons-nous tous les deux paraître la tête levée 42 ?” »

39. Idem. 40. AN/BB/20/76, M, 1er trim. 1834, Cavan, 1er avril 1834. 41. AN/BB 20/168/2, I-V, 3e trim. 1853, Lambert, 19 août 1853. 42. AD M U2052, interrogatoire, 10 mars 1834.

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Cet homme était célibataire, il songeait sans doute à se marier et pouvait craindre que la naissance d’un enfant naturel ne nuisît à ses projets. C’est par ce motif, du moins, que Dupuy explique le crime commis par Jean-Marie Jourden, un autre célibataire qui, lui aussi, avait séduit sa domestique : « Jourden fils voulait conserver sa réputation intacte et savait bien que si ses relations avec sa domestique étaient divulguées, elles mettraient obstacle à ce qu’il pût contracter un bon mariage 43. » La naissance d’un enfant naturel est assez unanimement considérée comme un événement honteux : « Comment vais-je faire maintenant que la honte est sur la maison ? » se serait écrié Jean-Marie Delalande, propriétaire-cultivateur à Férel, lors de l’accouchement de sa domestique JeanneMarie Fablait 44. Même la conception d’un enfant avant le mariage peut être source de déshonneur puisque Jean-Marie Vaugru, cultivateur à SaintGilles, âgé de 25 ans, qui reconnaissait être le père de l’enfant dont sa femme avait accouché deux mois seulement après leur mariage, motivait le crime par le souci de se soustraire à la honte : « Je redoutais la honte qui pouvait en rejaillir sur ma famille et sur moi 45. » La peur de perdre sa réputation ne se réduit pas à la crainte de perdre ses moyens d’existence, car le déshonneur, loin d’être une question personnelle, rejaillit sur l’ensemble de la famille. La Vve Berger, journalière à SaintCaradec, âgée de 39 ans, mère de deux enfants légitimes, dit avoir tué son nouveau-né pour « éviter de faire honte à ses filles et à sa famille 46 ». Victorine Gauthier, âgée de 19 ans, domestique chez un pharmacien de Pornic, explique son geste par « l’abandon de celui qui avait eu des relations avec elle, le refus de tout secours, la crainte de perdre sa place et surtout la douleur de sa mère qui, peu de mois auparavant, avait vu l’aînée de ses filles, célibataire, devenir mère, et en avait éprouvé une profonde affliction 47 ». Plus largement, les affaires d’honneur peuvent aussi porter atteinte à la renommée du village car l’opinion publique tend à identifier l’individu au groupe social dans lequel s’inscrit son existence quotidienne. Henri Buffet a montré, à propos du Morbihan, combien le village ou plutôt la « paroisse » – qui reste longtemps l’espace de référence – pouvait, dans l’esprit de ses habitants, être dotée d’une personnalité propre 48. Les sobriquets collectifs, caractéristiques d’un « esprit de clan » né de la rivalité entre les paroisses, sont de ce point de vue très significatifs : « Les sobriquets les plus piquants ont été partout et toujours de mode. Il n’est guère de paroisses qui n’en aient eu un ou plusieurs. On s’attaquait aux défauts moraux : on se traitait de farauds, de vantards, de vaniteux, de 43. AN/BB/20/218/2, F, 4e trim. 1859, Dupuy, 17 novembre 1859. 44. AN/BB/20/218/2, M, 3e trim. 1859, Baudouin, 26 septembre 1859. 45. AN/BB/20/200/1, I-V, 4e trim. 1857, Jollivet, 21 novembre 1857. 46. AN/BB/20/182, C-N, 4e trim. 1855, Le Meur, 15 décembre 1855. 47. AN/BB/20/281/1, L-I, 4e trim. 1865, Baudouin, 29 décembre 1865. 48. Voir aussi Lagrée M., Religion et culture en Bretagne, op. cit., p. 29.

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fichaux, de canailles. Les gens de Baud et de Pluméliau étaient des ivrognes, ceux de Pluvigner, des voleurs ; et ceux de Saint-Avé, de grands voleurs. À Perret, il n’y avait que des garces ; à Saint-Jean-Brévelay on aimait la chicane […] 49. »

Martine Segalen relève dans le Finistère les mêmes types de représentations symboliques du territoire et de ses occupants : « Ici, comme dans de nombreuses régions, on peut recueillir des proverbes, des dictons ou des sobriquets populaires qui qualifient de façon généralement moqueuse ou méprisante l’autre et qui soulignent les oppositions entre communes 50. » Lorsqu’elles méditent un crime, certaines femmes sont bien conscientes des incidences que l’événement aura sur la renommée de leur village. On peut même se demander si créer l’événement ne répond pas quelquefois à une volonté de laisser ses propres traces dans l’histoire. Julienne Godard annonce bien à l’avance à l’une de ses voisines qu’il va se produire dans son village « quelque chose de nouveau qui n’était point encore arrivé 51 » ou bien encore, de manière plus explicite « qu’il y aurait un enfant de fait vers la fin de septembre, autour de la Saint-Michel, et qu’à cette époque il arriverait à Mompson un malheur qui n’y était point encore arrivé et qu’on n’avait point encore vu ». Et lorsque cette voisine, « ayant vu la mort et le feu passer » dans le village lui demande quel sera ce malheur, elle lui répète « que ce serait un malheur comme le témoin ni personne n’en avait point encore vu 52 ». Le crime – et particulièrement le meurtre d’un nouveau-né issu de relations illégitimes – vient rompre l’harmonie de la vie collective dont le maire et ses administrés, le curé et ses paroissiens aimeraient donner l’image. La conduite des « filles enceintes » est en premier lieu blâmée parce que leur grossesse extraconjugale introduit une dissonance dans l’ordre communautaire. Les voisines de Marguerite Jehanno, une domestique de Moréac, lui reprochent ouvertement de faire honte à leur commune : « Le 26 mars dernier, me trouvant chez Le Roux, je vis Marguerite Jehanno travailler à faire un lit, je remarquai qu’elle était gênée et tout me porta à croire qu’elle était enceinte. Je lui reprochai alors de n’être rentrée dans notre commune que pour nous faire honte, elle se fâcha alors et je me tus craignant qu’elle ne me fît une affaire. Mais ma persuasion fut la même 53. » Mais c’est peut-être à propos de Mathurine Gicquel, journalière à Larré, que le souci des villageois, et singulièrement des villageoises, de préserver la réputation collective, apparaît le plus clairement. Ses voisines ne cessent de l’accabler d’invectives en raison de la mauvaise image que sa grossesse donne 49. Buffet H.-F., En Bretagne morbihannaise : coutumes et traditions du Vannetais bretonnant au XIXe siècle, Marseille, 1980, p. 32, [1re éd., 1947]. 50. Segalen M., Quinze générations…, op. cit., p. 39. 51. AD I-V 2U4/614, Gabrielle Galles, 31 ans, cultivatrice, 24 septembre 1822. 52. Id., 30 septembre 1822. 53. AD M U 2112, François Audrun, 55 ans, laboureur, 7 mai 1841.

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de la paroisse : « La fille Gicquel était à travailler avec moi et les autres domestiques de Gombau. Je lui dis : “Les filles de notre paroisse déhonteront notre pays. On parle ici beaucoup.” Elle parla d’une fille de Quénahé qui était enceinte ; elle dit qu’elle était comme une charrette. Je croyais qu’elle eut dit de qui l’on parle ; je lui aurais dit qu’on parlait d’elle 54. »

Les instances officieuses du contrôle social L’honneur des femmes ayant des incidences sur la réputation des communautés villageoises, chacun se croit autorisé à veiller à leur vertu et à leur faire des recommandations. Les femmes qui ont l’intention de perpétrer un crime doivent réussir à échapper aux réseaux de surveillance, aux pièges qui sont mis en place pour contrecarrer leur projet et faire preuve d’une grande détermination. Le voisinage La principale instance du contrôle qui s’exerce officieusement sur les femmes enceintes est le voisinage et plus particulièrement la communauté féminine. Au sein de cette communauté informelle, faite de relations d’entraide, de travail en commun, de bavardage – voire de commérage – les veuves et les femmes mariées, investies d’une certaine autorité par leur statut matrimonial, jouent un rôle déterminant. Ce contrôle, dont le but avoué est de prévenir les crimes, est jalonné d’étapes. Il s’agit tout d’abord d’obtenir la confirmation des soupçons, c’està-dire de trouver le moyen d’observer attentivement la silhouette des femmes visées par la rumeur. Ensuite vient le temps des recommandations, des exhortations à ne pas « faire de malheur ». Quand le dénouement approche, la surveillance se fait plus ténue et plus systématique. Les allées et venues des suspectes sont épiées. Enfin, lorsque le drame paraît joué, vient le temps des perquisitions et des admonestations. Lieux d’observation L’église, le four, le lavoir, lieux traditionnels de la sociabilité féminine, sont autant de postes d’observation de l’état d’avancement des grossesses. C’est en examinant régulièrement le linge qu’elle vient laver au « doué », ce qui suppose de leur part une grande persévérance, que les voisines de Jeanne Hilliec, âgée de 30 ans, lingère à Vannes, obtiennent la confirmation de son état : « Depuis la Saint-Jean dernière, tous les voisins de Jeanne Hilliec la croyaient enceinte, et elle niait toujours l’être. Depuis la même époque, elle ne tachait plus son linge, ses voisines lui en avaient fait l’ob54. AD M U 2134, Marie-Jeanne Thomazo, 69 ans, domestique, 26 mars 1844.

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servation 55. » Sa logeuse se croit alors autorisée à l’interroger : « M’appercevant [sic] qu’il n’existait plus depuis quelque temps sur le linge que je lui voyais laver aucune trace de l’écoulement, je m’en étonnai et lui demandai quel était le motif de la suppression de ses règles : elle me répondit qu’elle était d’une santé délicate et qu’il lui arrivait fréquemment d’être deux ou trois mois sans voir ses règles 56. » C’est aussi au lavoir que les habitantes de Guipel s’aperçoivent que Perrine Châtellier, une fileuse de 39 ans, soupçonnée d’avoir déjà commis plusieurs infanticides, a accouché : « Le 18 avril au matin, la mère et la fille furent laver des draps et des vêtements de femme. Perrine Châtellier semblait grosse depuis plusieurs mois et elle refusait de faire connaître son état à tous ceux qui lui en parlaient. Lorsqu’elle revenait du lavoir, on s’apperçut [sic] que le volume de son ventre avait singulièrement diminué 57. » De même, en voyant la mère de Jeanne Le Goff, une « ménagère » de 25 ans, de Guern, déjà mère d’un enfant naturel qui n’a vécu que quelques mois, porter au lavoir des linges ensanglantés, les femmes de sa commune supposent immédiatement que sa fille vient d’accoucher 58. L’église constitue également un des lieux traditionnels de la surveillance des ventres. Didier Riet l’avait déjà noté pour le XVIIIe siècle, à travers les remarques que faisait à ce sujet, en 1740, le subdélégué de l’intendant d’Illeet-Vilaine : « Les personnes du sexe se mettent aux églises dans un lieu séparé des hommes. Aucune fille n’échappe aux regards curieux des connaisseuses 59. » Il n’est donc pas étonnant que ce soit lors de la messe dominicale que l’on ait remarqué l’épaississement de la taille de Mélanie Roussel, domestique de René Plantard : « Un des dimanches qui ont précédé Carnaval, sans que je puisse préciser, j’étais à la messe, la fille Mélanie Roussel y était, lorsqu’elle s’est mise à genou, j’ai trouvé que son ventre et ses seins avaient grassés [sic], je pensai en moi-même qu’elle était enceinte 60. » L’auberge et le cabaret, où les populations rurales aiment à se retrouver le dimanche pour échanger informations et rumeurs, peuvent aussi se transformer en postes d’observation. C’est à l’auberge que la femme Perrochon, laboureur et matrone occasionnelle, étudie la silhouette de la Vve Lépinay. Elle prend prétexte de lui offrir du tabac pour mieux l’examiner et s’assurer de son état : « Environ un mois auparavant l’accouchement, étant ainsi que la Vve Lépinay chez Guillaume Lépinais, aubergiste à Bourg-desComptes, dans la cour derrière la maison, la Vve Lépinay était assise sur un banc, elle, témoin, lui offrit une boîte de tabac et vit son tablier noir remuer bien distinctement. » Riche d’une longue expérience, elle conclut de cette 55. AN/BB/20/103, M, 2e trim. 1839, Tiengou de Tréfériou, 4 juillet 1839. 56. AD M U2096, Françoise Josselin, 32 ans, ménagère, 11 février 1839. 57. AN/BB/20/120, I-V, 2e trim. 1842, Tarot, 21 juin 1842. 58. AD M U2124, interrogatoire, 6 septembre 1842. 59. Cité par D. Riet, « Infanticide et société au XVIIIe siècle : bruits publics et rumeurs dans la collectivité », Ethnologie française, XVI, 1986, 4, p. 401-406. 60. AD L-A 5U 160/3, Perrine Percevault, 51 ans, journalière, 6 juin 1851.

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étude que « servant ordinairement d’accoucheuse, elle pouvait assurer d’après la manière dont s’est comportée la grosseur de la Vve Lépinay, qu’elle a dû accoucher d’un enfant vivant 61 ». Recommandations Aussitôt que les femmes – « dont l’œil est toujours pénétrant en pareil cas », écrivait Le Beschu de Champsavin 62 – se persuadent de la réalité d’une grossesse, elles se rendent chez la suspecte pour lui faire avouer sa position et la dissuader de commettre un crime. Habituellement, c’est la villageoise qui occupe la position sociale la plus prestigieuse ou celle qui, par le privilège de l’âge, a le plus d’autorité, qui se charge d’intervenir. C’est une cultivatrice qui, l’employant de temps à autre, dispose d’une certaine autorité sur Yvonne Le Garnec, lingère à Ambon, qui prend l’initiative de l’entretenir de sa grossesse : « Il y a quatre à cinq mois au moins, qu’ainsi que les autres femmes de notre village, j’avais soupçonné qu’Yvonne Le Garnec était enceinte ; nous voyions son corps prendre de l’ampleur, nous nous communiquions nos inquiétudes sur le sort de l’enfant et nous convînmes de lui en parler. Je profitai de la circonstance où, environ quinze jours avant son accouchement, elle travaillait chez moi comme lingère, je lui dis qu’elle était enceinte et que tout le monde s’en appercevait [sic], que je pensais qu’elle n’irait pas jusqu’au mois de mars. Elle ne répondit pas à mon observation, elle se mit à rire. J’ajoutai que si elle avait eu le tort de s’exposer à devenir enceinte, il ne fallait pas avoir celui de détruire son enfant car celui qui tue est tué. “Non, non, répliqua-t-elle, Il ne faut pas toujours tuer 63.” »

La récidive dont est soupçonnée la femme Hervoch justifie l’adoption de moyens plus radicaux. Plusieurs villageois se concertent pour lui adresser un avertissement : « On était tellement certain que la femme Hervoch détruisait ses enfants lorsqu’elle se trouvait enceinte, que le sieur Thuriau Gouzer, cabaretier et une bonne sœur d’Auray dont on n’a pu dire le nom, lui auraient recommandé dans sa dernière grossesse, qui occupe en ce moment, qu’elle ait à accoucher bravement et à ne pas faire de malheur, Thuriau Gouzer même, s’était offert à être parrain 64. » L’indiscrétion et la brutalité de certaines interventions peuvent provoquer de vives réactions chez les intéressées. Jeanne Poitral, Vve Cherhal, une journalière de 39 ans, demeurant à Grand-Fougeray, ne supporte pas l’ingérence de son voisin dans sa vie privée et le met carrément à la porte : « Lorsqu’on lui parlait de l’état dans lequel elle se trouvait, ce qui arrivait fréquemment, elle répondait qu’elle prendrait par leurs langues les personnes qui tenaient de pareils propos ; elle chassa de sa demeure un de ses 61. AD I-V 2U4/636, Louise Perrochon, 46 ans, laboureur, 11 juillet 1828. 62. Affaire Françoise Riou, AN/BB/20/168/2, C-N, 3e trim. 1853. 63. AD M U1980, Jeanne-Marie Seuillot, 16 février 1825. 64. AD M U2127, rapport du commandant de gendarmerie d’Auray, 1er juin 1843.

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voisins qui lui dit que puisqu’elle cachait sa grossesse, c’est qu’elle avait les plus mauvaises intentions envers son enfant 65. » Surveillance rapprochée Quand les exhortations demeurent sans effet et que les « filles » et les veuves enceintes s’obstinent à nier leur état, la communauté s’organise pour garder en permanence un œil sur elles. On pénètre à l’improviste à leur domicile, sous de faux prétextes, pour maîtriser le fil des événements : « Depuis environ quatre à cinq mois, je soupçonnais, comme les autres femmes du village, que Michelle Dano, servante depuis à peu près deux ans chez François Allioux, était enceinte. Je ne lui en ai jamais parlé, cependant, et surtout dans les derniers temps, j’allais souvent chez son maître prendre du feu et dans l’intention de l’observer, craignant, je ne sais pour quel motif, qu’elle n’eût fait mal à l’enfant dont je croyais qu’elle était enceinte. J’ai cependant cherché à pressentir Michelle Dano sur son état : je lui disais qu’il y avait des filles qui niaient leur grossesse, elle me répondait que celles-là n’étaient pas honnêtes 66. »

Cette surveillance, pour laquelle le voisinage se relaie, devient un moyen d’unir la communauté féminine, de la cimenter autour de la sauvegarde de la renommée du village. Les voisines de Jeanne-Marie Boixel, une fileuse de 41 ans, récemment installée dans un des villages de Caulnes, renforcent leur cohésion dans leur lutte contre la « mauvaise » étrangère : « L’inculpée habitait depuis trois ans environ le village de la Ville-esFérets en la commune de Caulnes, elle y avait une très mauvaise réputation qui l’avait suivie depuis bien des années dans tous les villages qu’elle avait habités. Il était notoire qu’elle se livrait à la prostitution. La rumeur publique l’accusait en outre d’avoir eu plusieurs grossesses qu’elle aurait fait disparaître sans que l’on eut pu savoir ce qu’en étaient devenus les fruits […]. Par suite de ces antécédents, lorsque, il y a quelques mois, on s’aperçut que l’inculpée paraissait de nouveau enceinte, on la surveilla avec une certaine attention et ses voisins essayèrent de lui faire avouer sa position. Elle s’y refusa constamment et elle prétendit qu’elle était devenue hydropique. […] À mesure que le terme de sa grossesse approchait, l’inculpée était de plus en plus surveillée par ses voisines et, chaque jour et à chaque heure, elles entraient dans sa maison sous un prétexte quelconque, mais en réalité dans l’intention de lui porter secours et de sauver l’enfant au sujet duquel elles pressentaient ses intentions coupables 67. »

Ces injonctions prennent parfois un caractère extrêmement impératif. Certaines femmes sont visitées de force par des matrones. Pélagie Lhermitte, « sage-femme non reconnue et dont on ne se sert que dans les cas très pres65. AN/BB/20/163/1, L-I, 3e trim. 1852, Robinot Saint-Cyr, 18 octobre 1852. 66. AD M U1997, Barbe Leroux, 56 ans, 13 juin 1827. 67. AD C-A 2U/773, réquisitoire définitif, 3 avril 1862.

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sés 68 », essaie d’examiner contre son gré Agnès Droual mais se voit opposer de la part de celle-ci une vive résistance : « Ayant été au village il y a environ trois mois voir une de ses amies, elle apprit que la dite Agnès Droual était enceinte. Ayant pratiqué depuis de longues années l’art d’accoucher, elle avait été chez la dite Agnès Droual qui était alors à filer et qu’elle lui avait dit que les personnes du village lui avaient dit qu’elle était enceinte, qu’Agnès lui répondit que cela était faux. Sur quoi elle lui répondit : “Puisque vous dîtes que cela est faux, laissezmoi vous visiter et je vous dirai ce qu’il en est”, mais qu’Agnès Droual s’y refusa en lui disant qu’elle n’avait pas besoin d’elle et que chacun devait se mêler de ses affaires 69. »

Les voisins de Jeanne Hilliec, qui sont persuadés qu’elle vient d’accoucher parce qu’un soir, rentrant plus tard que de coutume, elle avait échappé à leur attention, la somment d’aller consulter une sage-femme. Un cabaretier raconte : « On ferma la porte de l’allée pour s’assurer de l’heure à laquelle Jeanne Hilliec serait rentrée. À dix heures nous entendîmes frapper, c’était l’inculpée qui rentrait avec un faix de paille et qui dit qu’elle revenait du village du Prat. [Le lendemain] Jeanne Hilliec vint dans notre appartement où elle travaillait quelquefois ; ma femme lui dit qu’elle n’était pas sa dupe, qu’elle voyait bien qu’elle était accouchée dans la soirée précédente et qu’il fallait qu’elle fît connaître où elle avait placé son enfant. L’inculpée prétendit encore, et cela se passait devant plusieurs témoins, notamment Mme Bazin, marchande et M. Nordet, cabaretier, qu’elle n’était point accouchée et qu’elle n’avait jamais été enceinte et elle releva sa jupe de dessus pour faire voir, disait-elle, que si elle avait paru plus grosse qu’à l’ordinaire, on ne devait l’attribuer qu’à l’ampleur de ses vêtements 70. »

Ce témoin explique aussi comment hommes et femmes s’étaient répartis les rôles : « Quelques instants avant, Nordet et moi nous étions allés à l’hôpital général savoir si dans la soirée précédente on n’avait point déposé un enfant nouveau-né dans le tour. La sœur à laquelle nous nous adressâmes nous répondit que non. Alors ma femme lui dit qu’elle allait la dénoncer au commissaire de police si elle ne consentait pas à se faire visiter par une sage-femme, par exemple par Mlle Chamaillard. La femme Josselin et Jeanne Hilliec se rendirent alors chez Madame Maillet [une autre sagefemme], mais l’inculpée seule entra, nous a dit la femme Josselin. En revenant de cette visite, Jeanne Hilliec dit à ma femme, à moi et à Nordet, qui lui reprochions toujours d’être accouchée clandestinement, qu’elle trouverait notre marche, qu’elle ferait repentir ceux qui disaient du mal d’elle et qu’elle prouverait par l’attestation de Madame Maillet qu’elle n’était point accouchée et qu’elle n’avait jamais été enceinte, que si son accou68. AD M U1991, Marie Bamdé, 32 ans, 29 juin 1826. 69. Idem, Vve Lhermitte, 80 ans, [même jour]. 70. AD M U2096, Joseph Beauchet, 39 ans, cabaretier, 11 février 1839.

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chement avait été réel, elle eût été mise en prison et ne fût pas rentrée à son domicile 71. »

Investigations des voisins au domicile des femmes enceintes Plus l’accouchement est imminent et plus l’étau se resserre. Il suffit qu’une femme enceinte parvienne à tromper la vigilance de son voisinage pendant quelques heures pour qu’on en déduise que le meurtre a été consommé. La disparition d’Yvonne Le Garnec, qui réussit à s’éclipser pendant vingt-quatre heures, « sans qu’aucun voisin sût ce qu’elle était devenue » suffit à faire présumer qu’elle est accouchée 72. Plusieurs villageoises pénètrent dans sa demeure, en lui disant : « Il y a longtemps que l’on soupçonne que tu es enceinte, nous sommes venues pour le savoir ce soir [et procèdent à des perquisitions]. Elles visitèrent mon lit et y reconnurent les signes de cet accouchement, elles me demandèrent ce que j’avais fait de mon enfant. Je répondis que je l’avais enterré derrière la porte de ma maison. François Robert et mon frère Julien allèrent avertir le maire dans la même soirée ; les quatre femmes que j’ai nommées demeurèrent avec moi dans la maison jusqu’à ce que la justice y fût descendue le lendemain matin 73. »

Françoise Morin, journalière-cultivatrice à Plaintel, parvient à « se calfeutrer » chez elle pendant quelques heures pour mettre au monde son enfant. Il n’en faut pas plus pour attirer l’attention de ses voisins : « Le 18 et le 19 décembre, on remarqua que la porte de la petite maison que l’accusée habite seule était restée constamment fermée et calfeutrée avec de la fougère. Dans la matinée du 20 décembre, deux femmes ouvrirent la porte, entrèrent dans la maison, trouvèrent l’accusée couchée, et remarquèrent qu’un grand feu, plus grand qu’elles n’en avaient jamais vu, était allumé dans le foyer. En les voyant, l’accusée montra beaucoup de mécontentement et leur adressa des reproches : “Bougresses, leur dit-elle, Vous vouliez un petit gars, vous n’aurez que cela !” et, découvrant son lit, elle leur montrait sa chemise ensanglantée 74. »

L’irruption des voisins prend parfois des allures rocambolesques. C’est par le grenier que plusieurs habitants de Saint-Méloir pénètrent chez la femme Heurtru, âgée de 38 ans, mariée à un homme de 66 ans, et mère de deux enfants légitimes, qui refuse de leur ouvrir sa porte : « Des voisins surviennent ; frappent à sa porte ; la somment d’ouvrir, mais elle ne leur répond pas. Ils vont alors chercher de la lumière, se décident à monter au grénier [sic] par la gerbière. Ils entendent aussi les plaintes étouffées de l’en71. Idem. 72. AN/BB/20/24, M, 2e trim. 1825, Le Painteur de Normény, 29 juin 1825. 73. AD M U1980, interrogatoire, 9 février 1825. 74. AN/BB/20/226/2, C-N, 2e trim. 1860, Hüe, 18 mai 1860.

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fant, et après quelques recherches, ils déplacent les paquets de paille, qui le recouvraient, et le trouvent enfin 75. » La famille Plusieurs accusées sont soutenues dans leur projet criminel par leurs parents, qui désirent préserver à tout prix leur réputation. C’est souvent par la menace de poursuites judiciaires pour diffamation que les familles des femmes enceintes tentent de mettre fin à la curiosité publique et aux rumeurs. Mais elles emploient aussi la ruse. Les parents de Marie Phélipeau imaginent, au moment de son accouchement, une véritable mise en scène pour occuper l’attention du voisinage. Cette accusée, âgée de 24 ans, est revenue vivre dans son village de La Blanchetière, commune de Belligné après avoir servi pendant quelques mois comme domestique chez un boucher de La Cornuaille (Maine-etLoire). Séduite par le frère de ce boucher, qu’elle espérait épouser, elle ne parvient pas à dissimuler son état aux habitants de son village. Mais sa famille ne désespère pas de dérober son accouchement à l’attention des villageois et, peu après la naissance de l’enfant, joue à leur intention une véritable comédie, dont témoigne une voisine : « Le dimanche des Rameaux dernier, vers six heures du soir, j’entendis le père Phélipeau et sa fille Jeanne crier en dehors de leur maison que Marie Phélipeau, leur fille et sœur, était fort mal et qu’elle allait peut-être trépasser. Je courus aussitôt avec d’autres personnes chez cet homme où nous trouvâmes sa fille Marie à genoux, au pied de son coffre et se plaignant bien haut 76. » En fait, lorsque la famille de Marie Phélipeau ameute le voisinage, le meurtre a été accompli et le cadavre a disparu : « Lorsque je fus accouchée, avouera Marie Phélipeau, je poussai des cris afin de faire venir les voisins, pour que voyant que je ne faisais pas d’enfant, ils demeurassent convaincus par la quantité de sang que je perdais, que mon épaisseur avait pour unique cause, ainsi que je l’avais toujours maintenu, la suppression de mes règles qui venaient de reprendre leur cours 77. » Mais le stratagème ne trompe pas les femmes accourues dans la maison qui, avec une égale duplicité, proposent aux parents Phélipeau de faire venir une sage-femme : « J’étais du nombre de ceux qui, attirés par les cris de Jeanne Phélipeau, entrèrent chez Phélipeau dimanche trente mars dernier. Marie Phélipeau était agenouillée au pied d’un coffre criant miséricorde et se plaignant de l’estomac. Je lui demandai si elle n’avait mal que là, elle me répondit : “Quelque fois ça me baisse un peu dans le ventre, mais ça n’est pas grand chose.” […] La femme Menet, […] propriétaire de la maison qu’occupe 75. AN/BB/20/93, I-V, 1er trim. 1837, Brager, 20 mars 1837. 76. AD L-A 5U66/2, Marie Fouineteau, 21 ans, cultivatrice, 7 avril 1828. 77. AN/BB/20/41, L-I, 3e trim. 1828, Delabigne-Villeneuve, 18 septembre 1828.

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Pierre Phélipeau, se trouvait comme moi chez celui-ci lorsqu’il fut question d’envoyer chercher Monsieur le curé, la femme Menet dit à Marie Phélipeau : “Ah ! Ma pauvre fille, tu aurais bien plutôt besoin d’une sagefemme. Veux-tu que je t’en envoie une ?” Là-dessus le père Phélipeau dit qu’il ne voulait pas de sage-femme et que s’il en venait une, il la mettrait dehors à coups de pied 78. »

Toutes les familles ne sont pas solidaires des crimes. Ordinairement, lorsqu’ils prennent conscience de la position de leur fille, les parents s’emploient par tous les moyens à la lui faire avouer. Certains lui offrent même d’élever l’enfant. Si leur fille persiste dans ses dénégations, ils se résolvent quelquefois à aller déclarer sa grossesse au maire de la commune. Cette démarche a un double objectif. Elle est d’abord une manière de solliciter l’intervention du maire, jugé plus apte à obtenir des aveux et à contrecarrer un projet criminel. Mais c’est aussi un moyen, quand un meurtre est pressenti, de se décharger de toute responsabilité. C’est manifestement la volonté de ne pas s’attirer d’ennuis qui paraît guider la démarche de la tante de Marie-Anne Barrier, une mendiante de Gouesnou : « Marie-Anne Barrier, fille mendiante, demeurait avec sa tante, la femme Lebrun, au bourg de Gouesnou. Celle-ci crut s’apercevoir le 25 octobre 1857, à l’épaississement de sa taille, que sa nièce était enceinte, et lui en parla aussitôt. Marie-Anne Barrier non seulement nia sa grossesse mais s’emporta en injures contre sa tante qui néanmoins, pour couvrir sa responsabilité, crut devoir faire sa déclaration au maire de la commune 79. » Si les réactions des parents sont souvent embarrassées, d’autres membres de la famille : beaux-frères, belles-sœurs, demi-frères et demi-sœurs, rivaux dans l’héritage ou dans l’affection des parents, n’hésitent pas espionner les suspectes et à dénoncer les crimes. La sauvegarde de la renommée de la famille, prétexte à leur intervention, ne vient souvent que renforcer des antagonismes préexistants. Lorsque Anne Le Bourhis, enceinte des œuvres d’un domestique rencontré pendant ses gages d’été, s’enfuit dans un champ pour accoucher secrètement, son demi-frère, François Quittic, organise une véritable battue pour la retrouver : « Samedi dernier, 23 de ce mois, vers sept heures du matin, j’entrai dans le parc Huellou pour chercher de l’herbe à bestiaux et j’apperçus [sic] au haut du champ, ma sœur Anne Furic se tenant contre les branches d’un arbre, tête baissée dans une position qui me parut être celle d’une femme qui accouche. Je rentrai aussitôt chez moi et je dis à Marie-Anne Le Bourhis de se rendre aussitôt près d’elle, mais ne l’ayant plus trouvée dans le lieu où je l’avais vue, je fus avec elle faire des recherches dans le même champ où nous vîmes, sous l’arbre où j’avais d’abord aperçu Anne Furic, deux mares de sang. Ne la trouvant pas, je dis à Marie-Anne Le Bourhis d’aller prévenir les gens de Croisongard pour rechercher Anne Furic. François 78. AD L-A 5U66/2, Marguerite Foucher, 44 ans, métayer, 7 avril 1828. 79. AN/BB/20/210/1, F, 2e trim. 1858, Lambert, 30 avril 1858.

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Lemaout et Marguerite Duvail vinrent avec nous dans le champ Huellou et nous cherchâmes dans les sillons, mais inutilement 80. »

Les maîtres Les maîtres tiennent avant tout à préserver leur réputation. Ils cherchent donc à ne pas s’exposer à la réprobation publique en conservant une domestique dont la grossesse peut devenir un objet de scandale. Mais quelquesuns, pour ne pas avoir de comptes à rendre à la justice et éviter toute tracasserie, ou par un sentiment de commisération, ferment les yeux sur sa grossesse et son accouchement et, par conséquent aussi, sur le crime qui en est résulté. Le silence Les maîtres ne dénoncent pas toujours les crimes à la justice. Ils préfèrent parfois ignorer le caractère dramatique des événements qui se sont produits à leur domicile. Le premier infanticide commis par Jeanne-Marie Vaillant, alors domestique à Rennes, était resté impuni parce que sa maîtresse, Mme Stuart, avait gardé le silence sur son accouchement. Elle avait appelé, pour la soigner, un médecin auquel Jeanne-Marie Vaillant avait déclaré que son enfant n’était pas viable et qu’elle l’avait précipité dans les latrines. Sa maîtresse s’était contentée de ces déclarations et lui avait pardonné ce qu’elle estimait n’être qu’un regrettable écart de conduite. Au moment où l’enquête est ouverte, c’est le médecin qui rapporte les réflexions de Mme Stuart, qui est décédée : « Au bout de huit jours, Mme Stuart me demanda conseil sur ce qu’elle devait faire, ajoutant qu’elle n’avait pas à se plaindre du service de Mariette, qu’elle espérait que cette leçon lui servirait et qu’elle avait l’intention de la garder. Je n’allais point contre son projet ; j’engageai Mme Stuart à faire venir le confesseur de Mariette devant lequel cette dernière promettrait de mieux se conduire à l’avenir, ce qui fut fait 81. » Madame Stuart ne parlera même pas de cet événement à son mari, sans doute parce que ces affaires de fausse-couche relèvent de la sphère féminine. Jeanne Guy, domestique-cultivatrice à Janzé, poursuivie pour infanticide en 1837, avoue s’être procuré en 1835 un avortement sur lequel sa maîtresse avait consenti à garder le silence. Celle-ci avait été avertie par la blanchisseuse « de l’état suspect du linge de sa domestique et des nombreuses traces de sang qu’elle avait remarquées dans son appartement ». Pressentant un accouchement, elle avait alors interrogé Jeanne Guy, qui s’était jetée à son cou « en la suppliant de ne pas la perdre et de garder le 80. AD F 4U2/113, François Quittic, 41 ans, journalier, 27 juin 1849. 81. AD L-A 5U173/1, Ernest Dayot, 39 ans, docteur en médecine, 28 mars 1864.

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silence sur cet avortement qu’elle s’était procuré au moyen d’herbes dont une partie se trouvait encore dans son coffre ; cette dame séduite par ses larmes ou peut-être par les menaces qu’elle proféra contre sa maîtresse lorsque celle-ci hésitait à promettre de garder le secret, promit enfin de se taire et elle a tenu sa parole jusqu’au moment où son serment de dire toute la vérité est venue la délier de sa promesse 82 ». Corps des domestiques et réputation des maîtres Pour sauvegarder leur propre réputation et ne pas ternir la renommée de leur maisonnée, il est d’usage que les maîtres ou, plus précisément, les maîtresses, vérifient l’état du linge de leur domestique. Cet examen paraît tellement ancré dans la tradition que le magistrat qui enquête sur les deux infanticides imputés à Rose Gobin s’étonne que la disparition de ses règles ait pu passer inaperçue : « – Pendant que vous étiez chez les époux Louërac, lui demande-t-il, qui visitait votre linge ? – Personne ne visitait mon linge, attendu que c’était moi-même qui faisais la lessive 83. »

Peu convaincu par cette réponse, il renouvelle cette question à la femme Louërac, l’une des anciennes maîtresses de Rose Gobin : « – Qui visitait son linge pendant qu’elle était à votre service ? – C’était elle 84. »

Les maîtres peuvent avoir à s’expliquer sur la désinvolture avec laquelle ils ont contrôlé le linge de leur domestique. Aussi Jean Thomas, commissionnaire, dernier employeur de Rose Gobin, tient-il d’emblée à préciser lorsque la justice « descend » chez lui : « Je dois ajouter que je n’ai remarqué aucune trace de sang dans aucune sorte de linge, mais il est facile de comprendre que je ne vais pas regarder dans ses draps. D’un autre côté, c’est elle qui décrasse le linge chez moi et qui le coule ; comme je suis rarement à la maison, il lui fut encore facile de laver le linge sans que je pusse remarquer les traces de sang qui s’y seraient trouvées 85. » Certaines domestiques tentent par tous les moyens d’éviter cette violation d’intimité et parviennent, par leur astuce, à abuser leurs maîtres. La femme Houillot, de Retiers révèle au juge d’instruction le subterfuge auquel a recouru sa domestique, Anne-Marie Le Breton : « Je me rappellai également avoir différentes fois fait l’examen du linge de cette fille, et tout paraissait me prouver qu’elle était aussi bien réglée qu’une autre. Cependant d’après l’état de mon mari qui est boucher, je 82. AN/BB/20/98, I-V, 1er trim. 1838, Poulizac, 6 mars 1838. 83. AD L-A 5U174/1, interrogatoire, 25 avril 1865. 84. Idem, Marie-Louise Louërac, 31 ans, cultivatrice, 26 avril 1865. 85. Id., Jean Thomas, 62 ans, commissionnaire, 27 mars 1865.

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considère maintenant qu’elle pouvait facilement m’en imposer, vu la facilité qu’elle avait de pouvoir, quand il lui aurait plu, tacher de sang son linge. Je me rappelle que soit le dimanche ou le lundy [sic] de la Pentecôte dernière, ladite Le Breton vint me dire : “Voyez donc combien le maire se trompe en disant que je suis grosse, je suis encore présentement dans mes règles. Je vis effectivement sa juppe [sic] toute tachée de sang.” “Eh bien ! lui dis-je, Savez-vous bien ce que l’on peut dire maintenant dans le monde, que vous aurez eu une fausse couche ou véritablement un accouchement.” “Oh ! répliqua-t-elle, J’en suis bien innocente, tout autant qu’un enfant à naître.” D’après cela tous mes soupçons se dissipèrent 86. »

Celles qui sont moins habiles à dissimuler leur état doivent parfois se plier à des visites corporelles. Marie-Anne Guédès, aide-cultivatrice à Brasparts, subit de la part de sa maîtresse, au lendemain de son accouchement, une véritable inspection : « Vers le mois de janvier dernier, il circula sourdement dans la commune de Brasparts que Marie-Anne Guédès était enceinte, ensuite qu’elle était accouchée. Ces bruits parvinrent aux oreilles de la fermière chez laquelle elle servait ; celle-ci questionna la fille Guédès qui protesta d’abord de son innocence, et s’emporta en menaces contre les calomniateurs : mais la fermière trouva le moyen de lui porter la main aux seins et en fit jaillir du lait ; elle alla ensuite au lit de cette fille et lui montra que ses draps portaient de larges tâches de sang. Alors la fille Guédès sortit en silence, la fermière la suivit et la vit entrer dans une grange et en retirer d’un tas de pommes de terre le cadavre d’un enfant nouveau-né 87. »

Marie Morvézen, âgée de 25 ans, domestique à Trégunc, est, elle aussi, obligée de dévoiler son anatomie : « Elle avait caché sa grossesse à tout le monde et elle voulait faire croire que son embonpoint extraordinaire était l’effet d’une suppression de ses menstrues. Elle nia à sa maîtresse son accouchement et refusa de montrer son linge. Plusieurs jours après, elle consentit à lui laisser voir ses seins. Sa maîtresse ne douta plus de la vérité que Marie Morvézen voulait en vain lui taire 88. » Les maîtres peuvent être assistés dans la surveillance de leurs servantes par les parents des inculpées et les voisins. Il arrive aussi que leur vigilance soit mise en éveil par leurs autres serviteurs. Partageant habituellement le même lit ou la même chambre, les domestiques vivent dans une intimité qui favorise l’espionnage réciproque. Lorsqu’elle travaillait à Quéménéven, la femme Cornec, dormant avec une autre servante, n’était pas parvenue à dissimuler sa position à cette dernière : « Marie-Anne Prigent avec laquelle elle couchait pendant qu’elle était chez Yves Hascouët a dit qu’elle avait acquis la certitude qu’elle était enceinte parce qu’elle avait senti son enfant remuer dans son sein 89. » 86. AD I-V 2U4/616, Anne Houillot, sans profession, 31 mai 1825. 87. AN/BB/20/93, F, 2e trim. 1837, Le Beschu de Champsavin, 12 juin 1837. 88. AN/BB/20/133, F 1er trim. 1845, Tarot, 12 février 1845. 89. AD F 4U2/102, arrêt de renvoi devant la cour d’assises, 17 juin 1847.

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Le zèle mis par les domestiques dans la surveillance de leurs camarades peut les porter à la plus grande indiscrétion. Les compagnons d’Angélique Homnée, âgée de 29 ans, domestique à Saint-Malo, vont jusqu’à interroger son médecin : « Les autres domestiques qui étaient avec elle ayant remarqué le volume de son ventre, conçurent des soupçons et s’adressèrent à son médecin pour connaître son état 90. » Celui-ci convoque alors Angélique Homnée et lui propose de la faire recevoir dans une maison d’accouchement et de l’aider à se procurer les fonds nécessaires au paiement de la sagefemme, mais en vain. Le corps médical à la rescousse Les médecins ruraux, particulièrement les chirurgiens et officiers de santé installés dans de petites communes, ainsi que les sages-femmes, sont également invités à participer au contrôle des femmes enceintes. Cette participation les met en contradiction avec l’obligation de discrétion à laquelle ils sont normalement tenus par l’article 378 du Code pénal qui leur interdit formellement de révéler les secrets qui leur sont confiés dans le cadre de leurs activités professionnelles. Les médecins ruraux Les médecins ruraux sont souvent sollicités par la famille ou les maîtres d’une fille enceinte, ou encore par les maires, pour confirmer la rumeur d’une grossesse. Certains refusent de trahir le secret professionnel. Les meuniers de La Trinité-sur-Mer qui emploient Marie Guillemain, l’envoient consulter le chirurgien Lagrée dès que le bruit de sa grossesse commence à circuler : « Je l’engageai, déclare sa maîtresse, à aller se faire saigner, espérant que le sieur Lagrée connaîtrait son état et m’en ferait part ; mais elle se laissa saigner au bras sans faire aucun aveu 91. » On ne sait si Lagrée garde le silence par respect du secret professionnel ou parce que ses lumières sont prises en défaut. Sa position apparaît relativement ambiguë. Il accepte à plusieurs reprises de saigner Marie Guillemain à un stade avancé de grossesse, alors qu’à cette époque la saignée est parée de vertus abortives et qu’il ne pouvait prétendre ignorer son état : « Dans le courant du mois d’octobre dernier, je fus appelé près de Marie Guillemain, domestique chez Duvalet au moulin de Saint-Gicquel. Cette fille me dit qu’elle éprouvait comme une espèce de faiblesse et que depuis quelque temps elle avait cessé d’être réglée ; enfin d’après son exposé, je crus qu’elle avait éprouvé une attaque d’épilepsie ; je la quittai jusqu’au lendemain. Ne se trouvant pas mieux alors, je la saignai au pied. Cinq à six mois après, cette fille vint me trouver chez moi et me dit que le sang était tou90. AN/BB/20/108, I-V, 4e trim. 1840, Lagrée, 21 novembre 1841. 91. AD M U1997, Rosalie Duvalet, 19 juin 1827.

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jours arrêté. Je la questionnai sur son état et lui demandai catégoriquement si elle était enceinte : elle répondit que non. J’allai même jusqu’à lui proposer de la toucher, ce à quoi elle se refusa, protestant toujours de son innocence : elle me convainquit et je la saignai au bras : ensuite de quoi je lui donnai un léger purgatif. »

Mais l’ampleur que prend la rumeur le fait changer d’opinion : « Quinze jours après le bruit se répandit qu’elle était enceinte ; je me rendis à Saint-Gicquel pour tacher de m’en assurer : sur mes questions, elle dit qu’elle allait mieux. Cependant je m’aperçus que son ventre n’avait point diminué ; vu la présence des habitants de la maison, je ne voulus point la questionner sur les bruits qui couraient. Peu après, François Michel, propriétaire du moulin de Saint-Gicquel me fit part des soupçons qu’il concevait relativement à l’état de cette fille. Je me proposai à la visiter, si elle voulait bien y consentir, à son invitation, mais cette fille ne parut point chez moi 92. »

Lagrée semble se placer dans une position conforme à son statut de soignant. Mais, bien qu’il ait fait preuve d’une remarquable discrétion vis-àvis de ses maîtres, Marie Guillemain le perçoit comme un individu acharné à lui extorquer des aveux. Quand le juge de paix lui demande si le bruit de sa grossesse ne circulait pas depuis longtemps, elle répond « que pendant tout l’hiver ce bruit a effectivement couru, que même plusieurs personnes l’ont interrogée là-dessus afin de lui arracher des aveux, notamment MM. Perrin, vicaire, et Lagrée, officier de santé 93 ». D’autres médecins trahissent plus volontiers le secret médical. Lorsque Anne-Marie Le Breton, de Retiers, va consulter le chirurgien Legeard de la Diriays, celui-ci se hâte d’informer ses maîtres de son accouchement et leur conseille même de la chasser au plus vite de leur maison : « Jeudi après midi, ledit chirurgien m’envoya un domestique pour me dire d’aller lui parler. Je m’y rendis et il me dit que je devais de suite congédier cette fille parce qu’il était bien certain qu’elle avait accouché depuis peu et qu’il me fallait visiter son linge et m’en emparer, ce que je fis, ainsi que de trois chemises m’appartenant et dont elle s’était emparée pour s’en servir, quoi qu’elles fussent déjà au salle [sic], et je trouvai tout ce linge abîmé de sang et d’après cet examen je congédiai cette fille qui persista à soutenir qu’elle était innocente 94. »

Les sages-femmes Les sages-femmes paraissent intervenir plus volontiers encore que les médecins dans le contrôle des femmes enceintes. Il s’agit peut-être, pour celles qui ne sont impliquées ni dans les réseaux d’avortement, ni dans le 92. Idem, Pierre-Jean-Baptiste Lagrée, 53 ans, chirurgien [même jour]. 93. Id., interrogatoire, 17 juin 1827. 94. Id., Anne Houillot, sans profession, [même jour].

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trafic d’enfants abandonnés, de relever l’image d’une profession qui, entre médecins et matrones, peine à trouver sa place. Les dossiers judiciaires montrent combien ces praticiennes, dont la profession est pourtant réglementée depuis plus d’un siècle 95, sont encore concurrencées par les accoucheuses clandestines de village, qui viennent secourir les parturientes dans le cadre de l’entraide villageoise ou contre une faible rémunération. Certaines sages-femmes n’hésitent pas à sortir de leur rôle et à examiner, à la demande de tiers (employeurs, famille, voisins), les filles soupçonnées de grossesse. Ainsi, Catherine Le Fur, âgée de 32 ans, journalièrecultivatrice à Caurel, est-elle visitée de force par une sage-femme, à la demande de sa sœur et de son beau-frère chez qui est elle venue habiter depuis six mois : « Dès cette époque on la soupçonnait d’être enceinte mais elle le niait avec assurance. Le 13 mai dernier elle se plaignit le soir d’être malade, son beau-frère lui ayant demandé si ce n’était point les douleurs de l’enfantement, elle répondit négativement, cependant elle se mit au lit et, le lendemain matin, Fraval ne la voyant plus dans la chambre, fut la trouver dans un autre appartement où elle ne lui fit pas connaître la cause de son mal, mais sa sœur persuadée qu’elle avait besoin des secours d’une sage-femme fut en chercher une qui, après quelque résistance de la part de Catherine Le Fur, reconnut sur elle les traces incontestables d’un accouchement récent, elle exigea la représentation de l’enfant mort ou vivant 96. »

Marie-Françoise Olivier est traînée de force par son employeur, un fabricant de toiles de Saint-Hervé, chez une sage-femme qui l’examine également contre son gré. Il la congédie ensuite au cours d’une scène particulièrement humiliante, rapportée par le juge de paix d’Uzel : « Il m’a dit que […] cette fille a servi chez lui l’espace de dix mois en qualité de domestique ; que s’étant aperçu, il y a environ six semaines, qu’elle était grosse, il l’avait questionnée à cet égard, que cette fille ayant nié le fait, il l’avait menée chez la sage-femme d’Uzel qui, après l’avoir visitée, avait déclaré qu’elle était enceinte ; qu’en sortant de chez la sage-femme il la conduisit chez M. le maire de Saint-Hervé pour y faire la déclaration de sa grossesse, et que de retour de chez ce magistrat, il l’avait congédiée en présence de tous ses autres domestiques 97. »

Marie-Françoise Olivier éprouvera de réelles difficultés à se procurer un nouvel emploi et devra errer, de village en village, à la recherche d’un nouvel état. La pratique qui consiste à faire examiner de force les femmes enceintes par des sages-femmes ou des médecins est très ancienne mais elle a été très 95. 1730, voir Gélis J., La Sage-femme ou le médecin : une nouvelle conception de la vie, Paris, 1988, p. 44. 96. AN/BB/20/103, C-N, 3e trim. 1839, Hardy fils, 25 juillet 1839. 97. AD C-A 2U407, le juge de paix d’Uzel au procureur de Loudéac, 19 avril 1825.

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contestée. Au XVIIIe siècle, elle a été condamnée par divers parlements et Merlin de Douai la considérait comme une « inquisition révoltante 98 ». Cependant, Jacques Gélis a démontré que la participation des sages-femmes au contrôle « sans cesse plus étroit et subtil » des populations avait été une des conditions de leur émergence en tant que corps professionnel 99. Les sages-femmes « pensionnées » par les municipalités ont été invitées au XVIIIe siècle à participer activement à la surveillance des ventres : elles étaient non seulement chargées du soin des filles et des veuves qui s’étaient conformées à l’obligation de déclaration de grossesse mais étaient aussi tenues – la législation de l’Ancien Régime autorisant les actions en réparation contre les séducteurs qui avaient usé de promesses de mariage – de faire avouer aux femmes en couches le nom du père de leur enfant 100. Le souci des municipalités était, certes, de sauver des vies, mais aussi de mettre un frein au mouvement des filles des campagnes qui venaient accoucher secrètement en ville où elles abandonnaient leurs enfants. Didier Riet a relevé, pour la Bretagne du XVIIIe siècle, les injonctions adressées par les officiers de police aux sages-femmes afin qu’elles dénoncent les accouchements clandestins 101. Cette pratique perdure au XIXe siècle. En 1826, Anne-Marie Le Floch, exerçant au Palais, se hâte de dénoncer l’accouchement d’Agnès Droual venue lui demander un certificat de nongrossesse, afin de mettre un terme à la rumeur qui se commençait à se répandre dans son village : « Devant nous, rapporte le juge de paix, s’est présentée demoiselle AnneMarie Lefloch, sage-femme, demeurant en cette ville du Palais, rue de l’Hospital, laquelle nous a déclaré qu’une fille nommée Agnès Droual demeurant au village de Donnant, commune de Bangor, venait de venir chez elle où elle était encore et lui avait dit qu’elle était malade, que l’ayant visitée, elle avait reconnu qu’elle était accouchée depuis peu et que ne sachant pas ce qu’elle avait fait de son enfant, elle venait nous faire cette déclaration pour en agir ainsi que de droit 102. »

De même, Perrine Josse, sage-femme à Locminé, consultée par une domestique venue requérir, sur les instances d’un prêtre, le même certificat, s’empresse-t-elle d’alerter le juge de paix : « Madame Josse, sage-femme en cette ville, vient de m’informer que ce matin, environ les sept heures, la nommée Jeanne Le Roch, âgée de 25 à 26 ans, domestique […] s’est présentée chez elle pour lui demander de la part du vicaire de Saint-Allouestre un certificat qui constatât qu’elle n’a pas fait d’enfant, afin d’empêcher la clameur publique de l’accuser de l’infanticide qui a été découvert depuis peu dans cette commune. La sage98. Merlin P.-A., Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, 3e éd., Paris, 1808, t. 5, p. 600. 99. Gélis J., op. cit., p. 21. 100. Cet aveu leur était arraché dans les plus grandes douleurs de l’enfantement. Voir Demars-Sion V., op. cit., p. 124-135. 101. Riet D, L’Infanticide en Bretagne…, op. cit., p. 29. 102. AD M U1991, Anne-Marie Le Floch, sage-femme, 28 juin 1826.

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femme ayant visité cette fille, elle lui a trouvé les indices d’un accouchement récent 103. »

L’accouchement de Jeanne Hilliec, contrainte par ses voisins à aller consulter une sage-femme de Vannes, Marianne Chamaillard, est également porté à la connaissance de la police par celle-ci 104.

Les maires Les maires ont de nombreuses raisons d’intervenir dans les affaires d’infanticide : ils peuvent agir en tant que responsables de la police municipale et des registres de l’état civil ou, dans les cas de flagrant délit, en tant qu’officiers de police judiciaire 105. Bien que la loi ne le leur prescrive pas explicitement, ils sont aussi tenus, comme « chef de la famille communale et premier magistrat » de la cité, de veiller au respect des bonnes mœurs : « Il est de leur devoir de réprimer les atteintes aux mœurs, de quelque façon que ce soit ; d’interdire tout ce qui tendrait à les altérer, de surveiller d’une manière particulière les personnes suspectées de favoriser la débauche et de corrompre les jeunes des deux sexes 106. » Mais les magistrats municipaux peuvent se trouver écartelés entre leurs missions répressives et leur rôle de « chef de la famille communale », gardien de la concorde publique. Les magistrats municipaux face aux administrés Certains édiles, peu enclins à entrer en conflit ouvert avec leurs administrés ou trop perméables aux influences, n’exercent qu’avec réticence les pouvoirs de répression qui leur sont conférés par la loi. Il arrive même qu’ils ferment les yeux sur des crimes ou qu’ils aident les coupables à se soustraire à l’action de la justice. L’aveuglement volontaire Ce n’est parfois que parce que les maires répugnent à dénoncer des infractions que les coupables peuvent échapper à la sanction. C’est pourquoi les magistrats de la cour de Rennes se montrent souvent critiques à leur égard. Huon de Kermadec écrit ainsi, à propos du maire de Plounéour, qu’il a été « assez ignorant » pour faire inhumer, sans ouvrir d’enquête, ni procéder à une quelconque autopsie, le nouveau-né, retrouvé dans un étang, de 103. AD M U2054, le juge de paix de Locminé au procureur de Ploërmel, 17 mai 1834. 104. AD M U2096, Maurice Roschild, agent de police à Vannes, 9 février 1839. 105. C. instr. crim., art. 9, 1114, 15, 50 53. 106. Répertoire méthodique et alphabétique de législation, par M. D. Dalloz aîné, Paris, 1848, t. 9, V° Commune.

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Marguerite Stéphane, une tailleuse de 21 ans. Il faudra que le procureur de Quimper ait écho de cet événement pour qu’une information judiciaire soit ouverte 107. Et Le Beschu de Champsavin, se félicitant, en 1859, des progrès de la répression, ne pouvait s’empêcher d’ajouter : « Je ne peux attribuer ces progrès aux maires ruraux ; il ne faut pas compter sur eux plus que par le passé. Quand ils interviennent dans une affaire, ce n’est, trop souvent, que pour se faire conciliants et arrêter les poursuites. Il est vrai que leur position est embarrassante vis-à-vis des familles des prévenus ; ils craignent les uns ; ils portent de l’intérêt aux autres. Tout ce qu’on peut leur demander, c’est qu’ils donnent des avis secrets à la gendarmerie qui joint la discrétion à ses autres qualités 108. »

En réalité, les maires ruraux, peu coutumiers des arcanes de la procédure criminelle, ne savent pas toujours comment procéder quand il leur revient, dans les cas de flagrant délit, de procéder aux premiers actes de l’instruction. Après la découverte du crime de Jeanne Bertel, une journalière-cultivatrice de 33 ans, le maire de La Selle-en-Luitré met un « louable empressement » à alerter les autorités judiciaires, mais néglige les plus élémentaires précautions. « Attendu, écrit le procureur du roi, que personne n’a reçu mission de surveiller Jeanne Bertel et son père qui habitent le même logement […], il est à craindre que cette fille et son père ne fassent disparaître et le cadavre du nouveau-né et les preuves matérielles de l’accouchement 109. » Et, dans l’affaire Marguerite Guédès, le maire de Lopérec avoue au procureur du roi son embarras sur la manière d’agir : « Plusieurs personnes du bourg de cette commune m’ont dit aujourd’hui que la nommée Marguerite Guédès, journalière, âgée d’environ 29 ans, demeurant au Meingleüz en cette commune, à une distance de 300 m. du bourg à peu près, paraissait être enceinte depuis quelques mois, et que maintenant elle ne le paraît plus. On présume que son accouchement a eu lieu le douze du courant du mois de janvier. Je vous prie de vouloir bien me dire ce que j’ai à faire relativement en cette affaire 110. »

Plutôt que de procéder par eux-mêmes aux premiers actes de l’instruction, les maires préfèrent laisser le règlement des affaires criminelles aux magistrats. Cette attitude prudente leur évite de devenir l’instrument du déshonneur des familles de leur commune. Ils ne parviennent pas toujours, en effet, à s’abstraire suffisamment des relations qu’ils entretiennent quotidiennement avec leurs administrés pour exercer à leur encontre un véritable pouvoir de police. Le maire de Sautron n’intervient que timidement auprès de la Vve Biraud pour lui faire avouer sa grossesse. Tous deux sont aubergistes et l’on conçoit qu’il hésite à compromettre la réputation d’une concurrente. Il demeure tout aussi prudent après la découverte du crime : 107. AN/BB/20/29, F 2e trim. 1826, Huon de Kermadec, 14 mai 1826. 108. AN/BB/20/218, I-V, 2e trim. 1859, Le Beschu de Champsavin, 5 juillet 1859. 109. AD I-V, 2U4/816, réquisitoire introductif, 28 septembre 1852. 110. AD F 2U/84, le maire de Lopérec au procureur de Châteaulin, 22 janvier 1844.

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« Interrogé sur la conduite morale de la veuve Biraud depuis qu’il la connaît, le témoin a répondu qu’il la connaît depuis l’âge de quinze ans et qu’il n’a pas connaissance qu’elle se soit mal comportée ; que l’on a dit que pendant son mariage elle avait des liaisons criminelles avec un homme de Couëron, mais qu’il n’en a rien su personnellement 111. » Les maires tentent parfois d’influencer les magistrats en faveur les inculpés, surtout quand il s’agit de propriétaires, même relativement modestes. Alors que la procédure vient tout juste de s’ouvrir, le maire de Saint-Caradec s’empresse de demander au juge d’instruction l’élargissement de Louis Thominet, soupçonné de complicité dans l’infanticide dont sa belle-sœur est inculpée : « Le garde-champêtre, dans l’enquête qu’il a faite au sujet de Louis Thominet, n’a rien appris qui puisse le compromettre sur la complicité de l’infanticide dont il a été présumé coupable, personne ne dit qu’il était présent au moment de l’accouchement. Ainsi, si vous ne voyez dans ce jeune homme des indices de culpabilité à cet égard il serait à désirer qu’il fût élargi au plutôt [sic], attendu qu’il est le seul soutien de sa vieille mère et de toute sa famille et en même temps à la tête d’une ferme assez importante 112. »

De même, le maire de Guern prend prétexte d’une demande de renseignements que lui a adressée le procureur de Vannes sur François Baucher, accusé du meurtre de l’enfant naturel de sa domestique, pour faire son éloge. Il convient aussi de rappeler la facilité avec laquelle les maires décernent parfois des certificats de moralité aux coupables. Certains se risquent même parfois en cour d’assises à tenter de sauver les accusés. Le maire de Plouarzel tente de venir en aide à Marie-Jeanne Labat en déclarant qu’elle ne jouissait pas de la plénitude de sa raison au moment du crime. La même tactique est adoptée par le maire de Caurel en faveur de Catherine Le Fur, qui n’est pourtant domiciliée dans sa commune que depuis six mois. C’est sans doute pour épargner la réputation de sa sœur, chez qui elle est venue se réfugier, qu’il vient déclarer à l’audience que Catherine Le Fur « était presqu’imbécile et ne savait pas ce qu’elle faisait ». Son intervention est payante puisqu’elle contribuera à l’acquittement de cette fille qui avait fracturé le crâne de son enfant 113. Pressions et tentatives d’arrangement Mais, inversement, les édiles font parfois l’objet de la part des inculpés, de pressions visant à les inciter au silence. Marie Lannuel, âgée de 29 ans, n’hésite pas à menacer de poursuites judiciaires le maire de Langonnet qu’elle tient pour responsable de son congédiement : 111 AD L-A 5U108, Jean Moreau, 42 ans, aubergiste et maire de Sautron, 23 octobre 1839. 112. AD C-A 2U752, le maire de Saint-Caradec au juge d’instruction, 16 janvier 1850. 113. AN/BB/20/103, C-N, 3e trim. 1839, Hardy fils, 25 juillet 1839.

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« Au mois de juillet 1859, elle fut congédiée parce qu’on reconnut qu’elle était dans un état de grossesse avancée. Elle erra pendant deux mois sans qu’on ait pu suivre ses traces. Elle se montra alors dans la commune de Langonnet, et ayant rencontré le maire elle l’accabla de reproches, pour avoir répandu le bruit de sa grossesse, et le menaça d’une poursuite en diffamation. Le maire n’en fut point ému, et voyant que son embonpoint avait disparu, il lui demanda si elle n’était pas accouchée récemment 114. »

La Vve Dagorn réussit à obtenir du maire de Bignan le secret sur son premier infanticide ou, du moins, sur la naissance du nouveau-né qui en a été victime. L’étrange silence de cet homme est révélé par le fils Dagorn aux gendarmes venus enquêter sur le second crime commis par sa mère : « Ce matin à huit heures, j’ai été chez M. le maire de Bignan et lui ai demandé s’il avait eu connaissance de l’enfant que ma mère avait eu il y a quatre ans environ. Il m’a répondu que ma mère lui avait dit que l’enfant n’était pas venu à terme, enfin qu’elle l’avait enterré derrière une armoire de sa maison. M. le maire m’a dit que ne voulant pas faire de tort à ma mère ainsi qu’à moi et à la famille, il crut ne pas devoir la déclarer [sic] à la justice ; alors moi Pierre Dagorn, j’ai adressé de vifs reproches au maire. Je lui ai dit que voulant nous faire du bien il nous avait fait beaucoup de mal, attendu que s’il avait déclaré ma mère à la justice dès sa première faute, elle n’en eût pas commis une deuxième, et par conséquent elle n’eût pas été aussi sévèrement punie ; ma mère m’a dit qu’elle avait donné un peu d’argent à M. le maire de Bignan pour se faire pardonner sa première faute, alors moi, Pierre Dagorn, j’ai dit à M. Conan : “Puisque vous ne vouliez pas dénoncer ma mère à la justice, cette première fois, vous auriez dû m’avertir de ce qu’il se passait dans notre maison ; j’aurais mis mon oncle Jean Dagorn dehors de chez nous ; j’aurais pris un autre domestique pour le remplacer et le mal aurait été arrêté dès sa source.” À cela, M. le maire de la dite commune m’a dit que ma mère lui avait bien promis que cela ne lui arriverait plus et que ce n’était qu’à cette condition qu’il lui avait pardonné sa première faute en la passant sous silence 115. »

Le maire dit aussi s’être tu pour épargner les jeunes enfants de la Vve Dagorn. Il reconnaît avoir accepté de celle-ci, en échange de sa discrétion, une petite somme qu’il a partagée entre les pauvres de la commune : « Marie Kerdal, veuve Dagorn du village de Kermoisan en Bignan vint me trouver il y aura quatre ans à la Saint-Michel prochaine et me déclara qu’il y avait environ un mois qu’elle était accouchée d’un enfant mort au terme de quatre mois et demi ou cinq mois. Je lui fis de vifs reproches, et elle me promit qu’elle ne retomberait plus dans la même faute. Je me laissai toucher et me rendis à ses désirs pour ne pas déshonorer la famille et par considération pour ses enfants, presque tous en bas âge je consentis à laisser tomber cette affaire. Cependant, je voulus la punir et je fis compter par elle 15 F qu’elle voulait absolument donner aux pauvres. Je refusais 114. AN/BB/20/218/2, M, 4e trim. 1859, Le Beschu de Champsavin, 20 décembre 1859. 115. AD M U 2122, p.-v. de constat par la gendarmerie de Saint-Jean-Brévelay, 15 mai 1842.

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longtemps de m’en charger et ce ne fut qu’à sa prière que je finis par les prendre huit jours après. Je les distribuai aux pauvres 116. »

Le gardien de l’ordre du village Tous les maires ne refusent pas de surveiller les femmes enceintes, mais leurs possibilités d’action sont extrêmement limitées. Leur rôle, dans la prévention des infanticides, se réduit bien souvent à faire pression sur les femmes qui hésitent à reconnaître leur état de grossesse ou, plus rarement, à leur offrir des secours. Les déclarations de grossesse Les déclarations de grossesse ont une origine très lointaine. Pour certains historiens, en effet, l’édit de Henri II n’aurait fait qu’officialiser et rendre obligatoire une pratique fort ancienne 117. Elles paraissent s’être progressivement généralisées à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle 118. L’édit de Henri II n’indiquait pas quelles étaient les autorités habilitées à recevoir ces déclarations. Les intéressées pouvaient donc accomplir cette formalité aux greffes des juridictions – si elles avaient le projet d’intenter une action en réparation contre leur séducteur ou d’obtenir des provisions pour élever leur enfant – ou devant les autorités municipales. Ces déclarations étaient généralement fort tardives. En Bretagne, au XVIIIe siècle, elles ne se faisaient guère avant le 6e, 7e, voire 8e mois de grossesse 119. Bien que le Code pénal de 1791 les ait implicitement abrogées, les déclarations de grossesse n’ont nullement disparu au XIXe siècle. On en relève la trace dans une vingtaine de dossiers. Cet usage est notamment attesté par le juge de paix du canton du Faou. Dans le premier interrogatoire qu’il fait subir à Marguerite Guédès, il lui demande pourquoi « elle est restée sans prévenir M. le juge de paix [de sa grossesse], sachant pourtant que tel était l’usage car, étant enceinte de son premier enfant, elle avait été avec une de ses parentes lui faire sa déclaration de grossesse 120 ». Bernhard y fait encore allusion en 1854 : « Les curés ne publient plus au prône des messes paroissiales l’édit de Henri II du mois de février 1556 ; mais, en Bretagne, les filles enceintes qui ont l’intention de conserver leur fruit vont déclarer leur grossesse au maire de leur commune 121. » 116. Idem, Yves-Marie Conan, 68 ans, maire de Bignan, 23 mai 1842. 117. Phan M.-C., « Les Déclarations de grossesse en France (XVIe-XVIIIe siècles) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier-mars 1975, p. 61-88. 118. Depauw J., « Amour illégitime et société à Nantes au XVIIIe siècle », Annales ESC, juillet-octobre 1972, p. 1155-1179 ; Flandrin J.-L., Le Sexe et l’Occident, évolution des attitudes et des comportements, Paris, 1981, p 170. 119. Riet D., « Les Déclarations de grossesse dans la région de Dinan à la fin de l’Ancien Régime », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 88, 1981, 2, p. 181-187. 120. AD F 2U/84, p.-v. de levée du cadavre, 24 janvier 1844. 121. AN/BB/20/174/2, C-N, 2e trim. 1854, Bernhard, s. d.

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Ces déclarations émanent soit des femmes enceintes elles-mêmes, soit de leurs proches. Les maîtres de Marie Gravot, une domestique de Sucé, âgée de 24 ans, déjà mère d’un enfant naturel, prennent l’initiative de prévenir le maire de leur commune de la grossesse de leur servante 122. Ils usent ainsi d’un ultime artifice pour tenter de la dissuader de commettre un crime, car Marie Gravot s’obstine à nier son état, bien qu’ils lui promettent de la reprendre à leur service après son accouchement. Plutôt que de recourir à un moyen aussi radical, l’entourage des femmes enceintes tente ordinairement de les persuader d’accomplir elles-mêmes cette démarche. Parents, frères et sœurs, beaux-frères ou belles sœurs interviennent fréquemment à cet effet auprès des filles enceintes, préférant rendre public leur déshonneur plutôt que d’accepter l’idée d’un crime. Faire connaître officiellement sa grossesse démontre à tous l’absence d’intention criminelle à l’égard de l’enfant à naître. Les pressions viennent aussi bien de la famille que des maîtres ou du voisinage. Deux potières de la commune de Rieux, proposent à Rose Lambert, une journalière de 31 ans, de l’aider à accomplir cette formalité. L’une d’elles lui dit : « Si tu as honte d’aller seule faire ta déclaration à l’adjoint, je t’accompagnerai. Cette déclaration te mettra à l’abri des tracasseries de la justice dans le cas où ton enfant aurait le malheur de mourir naturellement avant ou après sa naissance. Crois-moi, renonce à tes dissimulations, qui ne servent qu’à te prêter des intentions coupables. Avoue franchement que tu es enceinte. Cet aveu ne doit pas plus te coûter qu’à bien d’autres qui comme toi ont eu cette faiblesse 123. »

Mais bien peu de femmes acceptent de faire connaître publiquement leur infortune. Les rares déclarations recensées sont bien tardives. Ainsi, la Vve Biraud ne révèle-t-elle sa grossesse au maire de sa commune que trois jours avant son accouchement et uniquement parce que celui-ci s’est déplacé une nouvelle fois à son domicile pour l’interroger. Interventions auprès des filles enceintes L’absence de déclaration est le motif dont les maires se saisissent, dans une vingtaine d’affaires, pour intervenir auprès des filles enceintes. Mais leur action ne peut guère aller au-delà de l’exhortation ou de l’intimidation. Pour donner plus de poids à son intervention auprès de Marie-Jeanne Dubois, une fileuse de laine de 27 ans, le maire de Caurel, se fait d’accompagner de la mère de cette fille, mais sans succès : « Depuis plusieurs mois, la rumeur publique accusait la fille MarieJeanne Dubois d’être enceinte : à toutes les questions qu’on lui adressait à cet égard, elle répondait que le bruit que l’on faisait courir sur son compte était mal fondé et qu’il fallait laisser parler le monde. Monsieur le Maire 122. AN/BB/20/156/2, L-I, 1er trim. 1851, Androuïn, le 17 mai 1851. 123. AD M U2146, Rose Dréan, 40 ans, potière, 8 novembre 1846.

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de Caurel, partageant l’opinion générale, crut même devoir lui adresser des observations à ce sujet, et le 21 mai ; il se rendit chez elle, accompagné de sa mère, et lui conseilla d’avouer sa position qu’il était inutile de vouloir cacher puisqu’elle était notoire dans la commune. La fille Dubois persista dans ses dénégations 124. »

Face au déni de grossesse, le seul argument dont les maires peuvent user est la menace de poursuites en cas de non-déclaration de la naissance de l’enfant. Ils invitent parfois aussi les gardes-champêtres, les voisins ou la famille des femmes enceintes à la vigilance. Quelques-uns accompagnent leurs recommandations de propositions de secours. Le maire de Janzé, après avoir réussi à faire avouer sa grossesse à la Vve Bouillaux, lui propose de la faire admettre gratuitement chez une sage-femme ou à l’hôpital pour faire ses couches : « Rose Pâris, veuve depuis plus d’un an, présentait dès la fin du mois de juin dernier tous les signes extérieurs d’un état de grossesse. Ses voisins en avaient averti le maire de la commune, et ce dernier s’était transporté chez elle le 17 octobre dernier, pour savoir d’elle-même la vérité, elle avait obstinément nié qu’elle fût enceinte, et même elle avait consenti, sur la proposition du maire, à se laisser visiter le lendemain par un officier de santé ; mais au moment fixé pour cette visite, elle avait avoué sa grossesse et refusé d’aller faire ses couches à Rennes sans qu’il lui en coutât rien, disant qu’elle préférait élever son enfant avec ceux qu’elle avait eus de son mari ; seulement, elle avait demandé à être portée au rôle des indigents de la commune pour obtenir les secours que sa position allait lui rendre nécessaires 125. »

Inversement, certains maires sont parfois sollicités pour faire expulser une fille enceinte. Le maire d’Ambon évoque les multiples plaintes qu’il a reçues à propos de la conduite d’Yvonne Le Garnec, une lingère installée depuis dix-huit ans dans sa commune : « Je connais depuis bien des années Yvonne Le Garnec. Je l’ai remarquée particulièrement depuis deux ou trois ans, par les rapports qui m’étaient faits sur sa conduite, qu’on présentait comme celle d’une fille de mauvaises mœurs, sans cependant que j’aie pu vérifier, ni même entendre citer contre elle aucun fait positif et circonstancié. Je lui donnai même et par cette raison, un certificat, il y a quelques années, lorsqu’il fut question de son mariage avec un préposé des douanes, mais que l’administration des douanes ne voulut pas autoriser. Depuis, il y a environ sept à huit mois, la femme de Pierre Le Bert, du village de Bavalan, laquelle est estimée dans sa commune, comme une personne honnête et une bonne mère de famille, vint me trouver. Elle me dit, en pleurant, qu’elle avait à se plaindre de la fréquentation que son mari faisait avec Yvonne Le Garnec, elle ne me donna pas de détails sur la nature de cette fréquentation. Je ne crus pas devoir les lui demander, mais elle ajouta que cette fréquentation occasionnait du trouble dans son ménage, elle m’invita à renvoyer Yvonne Le Garnec de la 124. AD C-A 2U/772, réquisitoire définitif, 1er juin 1861. 125. AN/BB/20/108, I-V, 1er trim. 1840, Potier, 21 février 1840.

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commune d’Ambon où elle n’est pas née. Je ne crus pas devoir accéder à cette demande et je me bornai à répondre à la femme Le Bert qu’il fallait s’en rapporter à la justice, qui punirait Yvonne Le Garnec s’il y avait lieu. Monsieur le curé d’Ambon me parla aussi dans le même temps de la conduite scandaleuse de la fille Le Garnec, je lui présentai les mêmes observations que j’avais faites à la femme Le Bert 126. »

Certains magistrats municipaux cèdent plus volontiers à ces demandes de bannissement, ils prennent même parfois l’initiative des mesures d’exclusion. Mais de telles mesures ne sont guère possibles que lorsque les intéressées ont un statut social précaire et, à l’instar des domestiques, sont facilement congédiables. C’est la mésaventure qui arrive à Françoise Jourdren, une domestique de 20 ans, qui est renvoyée du moulin de Plougourvest où elle servait, parce que le maire avait fait dire à son maître « qu’il avait chez lui une personne de trop qui ne devait pas s’y trouver 127 ». Cependant peu de maires vont jusqu’à une telle extrémité. Ils se contentent habituellement d’interroger les maîtres sur la réalité des bruits qui circulent à propos de leur domestique et de leur recommander de les faire examiner par un médecin. Ce n’est que quand l’accouchement s’est produit et qu’il y a présomption de crime, que les maires peuvent véritablement intervenir et exercer la plénitude de leurs pouvoirs. Ils le font plus ou moins volontiers, selon la nature des rapports qu’ils entretiennent avec les inculpés. Cette intervention leur est plus aisée quand les suspectes sont étrangères à la commune. Lorsqu’il soupçonne l’accouchement de Jeanne Ruffault, âgée de 27 ans, indigente, originaire de Liffré, le maire de Cesson se livre, pour connaître le sort de l’enfant, à des investigations qui sont tout à fait exceptionnelles : « Je fus informé hier que la fille Ruffault connue publiquement pour être enceinte et sur le point d’accoucher avait disparu samedi dernier, qu’on l’avait vue revenir le lendemain dimanche, vers quatre heures, délivrée de son enfant, disant qu’elle était allée accoucher à Rennes, chez la Guillard, sage-femme, rue de Toussaint, qu’elle avait eu un garçon qui avait été porté à l’hôpital. Son prompt retour et l’état d’indigence de cette malheureuse m’inquiéta. Je fis de suite demander chez la Guillard si elle avait accouché la dite Ruffault. Sa réponse fut négative. J’ai fait demander à l’hôpital si on y avait reçu un enfant du sexe masculin du 25 au 26, la réponse a encore été négative. L’enfant n’a point non plus été baptisé à la paroisse Toussaint, toutes choses qui m’ont rendu indispensable d’envoyer sur les lieux le gardechampêtre pour y rapporter le procès-verbal ci-joint 128. »

Les seuls autres exemples que l’on rencontre d’un tel zèle à rassembler des preuves d’un infanticide concernent des femmes qui, en raison de leur mauvaise réputation ou de leur vie dissolue, sont déjà mises au ban de la communauté villageoise. 126. AD M U1980, Cyr Juhel, 55 ans, propriétaire et maire d’Ambon, 26 février 1825. 127. AN/BB/20/98, F, 1er trim. 1838, Le Minihy, s. d. 128. AD I-V 2U4/621, le maire de Cesson au procureur du roi à Rennes, 29 mars 1826.

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Le clergé Le clergé occupe lui aussi une place importante dans le contrôle des conduites privées. Il semble avoir conservé au XIXe siècle le rôle prépondérant qui était le sien sous l’Ancien Régime. Jean Quéniart a souligné l’autorité morale attachée à la personne du prêtre et sa position centrale dans la société rurale du XVIIIe siècle. Ces traits, communs à toutes les provinces, seraient renforcés en Bretagne du fait de l’origine locale et souvent rurale du clergé 129. Le recteur exerce à l’égard de ses paroissiens, une sorte de « police des mœurs » : non seulement il joue un rôle de conciliation dans les conflits qui opposent un membre de la communauté villageoise à une personne étrangère à la paroisse, mais il apparaît aussi comme un « régulateur entre les formes internes de règlement des conflits et les procédures officielles de la justice ou de l’administration 130 ». Au XIXe siècle certains prêtres exercent, directement ou par des émissaires, un contrôle actif sur les femmes soupçonnées de grossesse extraconjugale. Ces émissaires sont essentiellement recrutés parmi la communauté informelle des villageoises. La femme Dagorn, entendue comme témoin dans l’affaire Michelle Dano, avait été chargée par le prêtre de sa paroisse d’intervenir auprès de la mère de cette inculpée pour qu’elle empêche sa fille de commettre un crime : « Dans la semaine de la Pentecôte, c’est-à-dire, vers le quatre ou cinq de ce mois, je priai Marie Le Roy, par suite des conseils qui m’avaient été donnés par mon directeur, de dire à la mère de Michelle Dano, que celle-ci était enceinte, qu’il fallait la surveiller. Le samedi neuf de ce mois, vers le soir, Marie Le Roy me dit que la mère de Michelle Dano lui avait déclaré que sa fille était accouchée la veille ou dans la nuit ; qu’on ne savait pas où était l’enfant, qu’elle, mère de Michelle Dano, avait été renvoyée de la maison où elle travaillait comme journalière. »

En fait, la surveillance de Michelle Dano semble avoir été plus particulièrement prise en mains par deux ou trois voisines. Comme souvent, c’est à l’occasion de la messe dominicale qu’elles ont pu observer l’évolution de sa physionomie : « Le lendemain dimanche dix du courant, rapporte Julienne Dagorn, j’étais vers six heures du matin à la messe à Vannes, presque à côté de Michelle Dano, je remarquai que l’ampleur de sa taille avait disparu […]. Lorsque celle-ci rentra au village, nous fîmes, ainsi que quelques autres femmes, la remarque qu’on n’appercevait [sic] plus de signes de grossesse : nous disions avec inquiétude, entre nous : “Il n’y a plus rien 131.” » 129. Quéniart J., « Recteurs et régulation sociale en Bretagne au XVIIIe siècle », L’infrajudiciaire du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Dijon, 1996, p. 231-239. 130. Idem. 131. AD M U1997, Julienne Dagorn, 38 ans, journalière, 21 juin 1827.

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Certains prêtres n’hésitent pas à convoquer au presbytère les femmes suspectées de grossesse ou à se rendre chez elles pour leur prodiguer de « sages conseils ». Mais nous n’en possédons que de rares témoignages car ils refusent généralement de révéler les secrets de leurs paroissiens à la justice. Cette réticence est évoquée par le juge de paix de Sarzeau, qui instruit contre Mélanie Mandelert. En désignant au procureur du roi le recteur d’Arzon et son vicaire comme des témoins susceptibles d’éclairer la justice, il ajoute : « Je ne puis faire notifier en temps utile la citation à MM. Torby [recteur] et Thomin [vicaire] d’Arzon, parce que mon huissier est à Vannes. Je viens d’écrire à M. Torby pour l’informer que son vicaire et lui devaient être cités à se trouver à Vannes mardi prochain, si mon huissier avait été ici. Je les invite à se rendre devant M. le juge d’instruction pour le jour et l’heure indiqués, mais il est probable qu’ils attendront la notification en forme. Il serait bon de les dispenser de la comparution, s’il est possible de faire autrement. Dans d’autres affaires, eux et leurs confrères ne donneraient que difficilement des renseignements dans la crainte de figurer comme témoins. Tâchez au moins d’exempter la corvée à M. Torby qui est vieux et lourd 132. »

Le vicaire de Pluvigner est un des rares à se montrer relativement loquace face au magistrat instructeur. Il décrit son intervention auprès de Vincente Le Bourvellec : « Vers la fin du mois d’août dernier (je ne puis pas désigner le jour mais je me rappelle que c’était un dimanche), je vis Vincente Le Bourvellec passer dans le village de Trélécan. Je crus m’appercevoir [sic] qu’elle était enceinte. J’allai donc chez sa mère pour lui donner quelques avis qui étaient de mon devoir comme prêtre de cette section. Elle nia formellement sa grossesse devant sa mère et l’aînée de ses sœurs. Ces deux femmes nièrent également et affirmèrent que Vincente était l’objet d’une affreuse calomnie. »

La venue du vicaire à leur domicile est perçue par ces deux femmes comme un incident grave, susceptible de ternir leur réputation. Elle les inquiète vivement : « Ce même jour, la prévenue s’est rendue chez moi accompagnée de sa mère. Elles demandèrent avec instance de qui je tenais les renseignements qui m’avaient conduit chez elles. Je leur répondis que je n’avais à cet égard aucun compte à leur rendre et je les priai de sortir. Je dois ajouter que Vincente Le Bourvellec paraissait fort mécontente quand elle me vit entrer chez elle, elle me dit que cette démarche de ma part ferait accroire dans le village qu’elle était enceinte. Je lui recommandai cependant d’avoir soin de ne commettre aucun excès si toutefois elle était enceinte, que du reste sous peu on connaîtrait la vérité. Sur quoi, elle se mit à rire et je lui observais que peut-être plus tard elle pleurerait 133. » 132. AD M U2047, le juge de paix de Sarzeau au procureur de Vannes, 19 mai 1833. 133. AD M U2050, Joseph-Marie Couëdic, 35 ans, vicaire, 9 octobre 1833.

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Les prêtres interviennent également auprès des femmes enceintes pour les mettre en demeure de faire cesser les bruits qui annoncent leur grossesse ou leur accouchement. C’est alors qu’elles entreprennent des démarches auprès des médecins ou des sages-femmes, pour obtenir la délivrance de certificats médicaux. Mais les ecclésiastiques se montrent parfois plus impératifs. Lorsqu’il apprend par la rumeur publique la grossesse d’Anne Le Goff, le recteur de Languidic somme ses maîtres de la congédier au plus vite : « Vers la fin de février, j’appris par la voix publique que la domestique de Le Moing, qui demeure Kerdroïdic, était enceinte. Désirant éviter un scandale dans ma paroisse, je fis venir la femme Le Moing chez moi et je lui fis part des bruits qui couraient sur le compte de sa domestique. Je l’engageai même à la renvoyer chez sa mère pour faire cesser les bruits. La femme Le Moing me dit qu’elle ne croyait pas que sa domestique fût enceinte, et qu’au surplus elle l’examinerait. » Comme ses recommandations demeurent sans effet, il demande au maire de faire examiner Anne Le Goff par un médecin : « Voyant au mois de mars, époque à laquelle on loue les domestiques, que la femme le Moing n’avait tenu aucun compte de mes observations, et que cependant les bruits qui couraient sur sa domestique ne cessaient point, j’écrivis à M. le Maire, pour le prier de faire examiner s’il ne serait pas possible de faire visiter cette fille. M. le maire me dit qu’il ne croyait pas qu’on en eût le droit ; son attention, éveillée par ma lettre, le détermina à se transporter lui-même au lieu de Kerdroïdic ; il obtint que la fille fût visitée par un médecin et ce n’est que par le résultat de cette visite que nous avons su qu’elle était accouchée. »

Ce prêtre, qui tient la grossesse illégitime d’Anne Le Goff pour une source de scandale, n’ignore cependant pas qu’elle n’est pas la première domestique à être engrossée par l’un des fils de cette maison. Lorsque le juge d’instruction de Lorient lui demande « s’il n’a pas circulé des bruits sur d’autres domestiques » de cette famille, il admet y être déjà intervenu pour une affaire similaire : « Il y a deux ans, on a dit qu’une domestique de Le Moing était devenue enceinte. On ne sut pas ce que l’enfant était devenu. Je crus devoir me transporter à cette époque chez Le Moing, mais on me nia la grossesse. Il n’y avait aucune preuve. C’était sur le bruit public que j’avais fait cette démarche. Je ne me rappelle pas le nom de la femme sur laquelle les bruits ont circulé. Je sais qu’elle est mariée à un nommé Thomas, qui demeure dans la commune, au village de Coran. »

Confesseurs et pénitents : le directeur de conscience Quand ils supposent qu’il vient de se commettre un infanticide, de nombreux témoins préfèrent s’adresser au prêtre de leur paroisse plutôt qu’au maire ou aux agents de la justice. Ils se conforment alors assez stric285

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tement à l’avis de leur pasteur. Ce n’est donc que si ce dernier leur conseille de révéler les faits ou s’il juge bon de les révéler lui-même que la justice en est avertie. Mais la crainte de faire éclater un scandale incite parfois les ecclésiastiques à leur demander de garder le secret sur leurs découvertes. L’emprise des prêtres sur les consciences est, bien entendu, difficile à discerner. Elle apparaît cependant nettement dans une vingtaine de dossiers, qui révèlent le rôle important joué par les pasteurs dans la gestion de la conduite privée de leurs paroissiens. Il est remarquable de constater que la presque totalité des affaires dans lesquelles le prêtre apparaît comme la figure tutélaire de la communauté villageoise (18 sur 24) a comme cadre le Morbihan. Les femmes paraissent plus nombreuses que les hommes, lorsqu’elles hésitent sur l’attitude à adopter face à un événement particulier, à recourir aux conseils de leur « directeur » ou de leur « confesseur ». Mais cette démarche ne leur est pas exclusive. C’est par la confession et la direction de conscience que les ecclésiastiques paraissent établir une influence morale déterminante sur leurs paroissiens134. C’est peut-être pourquoi ils se réservent parfois le droit de choisir leurs pénitents. Certains prêtres, peu désireux de pénétrer dans l’univers intime de femmes à la réputation douteuse, refusent de les prendre en confession, et même d’avoir affaire à elles. Le vicaire de La Trinité hésite à confesser Marie Guillemain, domestique au moulin de Saint-Gicquel, parce qu’elle scandalise l’opinion publique : « Quinze jours environ après Pasques [sic] dernier, Marie Guillemain se présenta à la sacristie de l’église de La Trinité, demandant à être confessée par moi, je lui objectai qu’elle n’était point une pénitente ordinaire et que même je ne la connaissais pas. Elle me dit qu’elle était domestique chez Duvalet au moulin de Saint-Gicquel et me déclina son nom. Comme il circulait dans le public que cette fille devait être enceinte je lui en fis l’observation : elle nia fortement l’existence de sa grossesse et d’après tout ce qu’elle me dit je crus que c’était une calomnie qui circulait sur son compte ; ce qui me détermina à déférer à son invitation 135. »

La même année, et dans le Morbihan également, un autre prêtre refuse de se rendre au chevet de Marie-Jeanne Le Bonzec, qui a tenté de mettre fin à ses jours en se jetant dans un puits. C’est, du moins, ce que rapporte son mari : « Il pouvait être environ neuf heures du soir. J’étais auprès du feu fumant ma pipe lorsqu’entendant grand bruit dans le puits j’y accourus et voyant l’eau très agitée et n’appercevant [sic] pas ma femme je ne doutai plus qu’elle ne s’y fût précipitée. Je la vouai à Sainte-Hélène et m’étant fait apporter 134. Voir Lagrée M., « La Confession dans les visites pastorales et les statuts synodaux bretons aux XIXe et XXe siècles », Pratiques de la confession au XIXe siècle : quinze études d’histoire, Paris, 1983, p. 239253 et Boutry Ph., « Réflexions sur la confession au XIXe siècle : autour d’une lettre de sœur MarieZoë au curé d’Ars (1858) », Ibidem, p. 225-238. 135. AD M U1997, Jean Perrin, 62 ans, prêtre, vicaire de la commune de La Trinité, 19 juin 1827.

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une chandelle, je la vis revenir sur l’eau, lui ayant jetté [sic] une corde elle ne voulut pas d’abord s’en saisir ; mais enfin cédant à mon instance elle s’y accrocha et aidé de Pierre Le Doussal, mon beau-frère, […] et d’une autre personne que je n’ai pas pu remarquer tant j’étais troublé, nous la hissâmes hors du puits en présence de tous les habitants du village. Nous la plaçâmes sur une pierre près du puits, la tête en bas pour rendre l’eau qu’elle avait pu boire. Peu de moments après, les voisines la portèrent sur son lit, et je me rendis de suite chez Monsieur le curé, pour le prier de venir l’assister ; ce à quoi il se refusa, alléguant qu’elle n’était pas sa pénitente 136. »

Marie-Jeanne Perron n’avait épousé Jean-Marie Le Bonzec, qui n’était pas le père de son enfant, que depuis quelques mois. La fausse position dans laquelle elle s’est trouvée face à ce dernier, comme sa tentative de suicide expliquent le désaveu exprimé par le prêtre en lui refusant son secours moral. L’emprise du clergé sur les esprits et l’embarras des témoins à l’idée d’avoir affaire à la justice font parfois du prêtre un véritable oracle. Lorsqu’ils ont l’intuition que la femme Le Quinio a commis un infanticide, plusieurs habitants de son village se hâtent de venir consulter le prêtre. Les deux hommes qui ont trouvé le placenta dans un champ viennent tout d’abord lui demander quelle conduite ils doivent tenir : « Nous avons continué nos recherches pour savoir si nous ne découvririons pas un enfant caché. Nous avons cherché vainement. Nous venons vers vous pour vous prier de nous dire ce que nous avons à faire. » Ils en reçoivent des conseils de prudence : « Vous n’avez vu personne, vous n’avez point trouvé d’enfant ; attendez et prenez des renseignements. » Puis la tante de l’inculpée vient lui faire part des soupçons de récidive qui pèsent sur sa nièce : « Ma nièce Madeleine Le Ridant est accouchée et l’on ne sait pas ce qu’elle a fait de son enfant ; elle a fait ce qu’elle a déjà fait ; on la soupçonne d’avoir déjà détruit deux enfants 137. » Le prêtre se déterminera, deux jours plus tard, à alerter le juge de paix du canton. De la crainte du scandale au silence monnayé Les prêtres sont souvent les premiers informés de la découverte d’un infanticide. C’est le vicaire que songent tout d’abord à prévenir Marie Le Roux, tailleur à Moréac et son épouse Pauline Le Priol, cabaretière, lorsqu’ils découvrent le nouveau-né que leur domestique, Marguerite Jehanno, a jeté dans le puits de leur maison : « Hier, raconte le vicaire, vers deux heures de l’après-midi, on vint me prier d’aller voir un corps que l’on appercevait dans le puits du cheval blanc, que je reconnus immédiatement pour être celui d’un enfant, je donnai le conseil d’aller chercher M. le maire. Je ne me suis jamais aperçu que Marguerite Jehanno était enceinte. Mais j’ai 136. AD M U1998, Jean-Marie Le Bonzec, 23 juin 1827. 137. AD M U1991, Pierre Le Velsé, prêtre à Sarzeau, 21 juillet 1826.

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vu qu’elle avait une grande maigreur par suite ou de chagrin, de misère ou de honte de ne pas avoir trouvé à se placer 138. » Lorsque François Cheval, lieutenant des douanes à Damgan, suppose que sa domestique vient d’accoucher secrètement, son premier mouvement est également d’aller en entretenir le recteur. Celui-ci lui conseille d’en instruire l’autorité municipale, mais « de faire au préalable visiter la fille Amicel par une sage-femme, afin de ne pas faire de scandale pour quelque chose qui ne serait rien ». François Cheval demande donc à la sage-femme du bourg de venir discrètement chez lui, « au brun de la nuit », visiter sa domestique : « Elle fut mal accueillie par la fille Amicel, mais étant survenu et ayant dit que c’était par mon ordre que la dame Houdin se présentait, elle consentit à se faire visiter extérieurement par cette femme. Celle-ci, se contentant de cet examen incomplet, n’en maintint pas moins à la fille Amicel qu’elle était récemment accouchée 139. » François Cheval se détermine alors à écrire au maire. Dans la majorité des cas, les prêtres engagent les témoins à dénoncer les infanticides ou en informent eux-mêmes le maire ou le juge de paix. Ils s’inscrivent alors dans une certaine tradition canonique puisque les monitoires de l’Ancien Régime faisaient des prêtres, pour la résolution de certaines affaires criminelles, les auxiliaires des magistrats. Ces monitoires, mandements des juges ecclésiastiques enjoignant à toutes personnes, sous peine d’excommunication, de révéler ce qu’elles savaient sur un crime, étaient publiés au prône de la messe paroissiale trois dimanches de suite. Ils présentaient l’inconvénient de provoquer un afflux de dépositions de la part de personnes qui, effrayées par les peines encourues, n’avaient pas de véritables informations à apporter sur les faits 140. Certains prêtres du XIXe siècle demeurent fidèles à cette pratique. « J’ai consulté un prêtre, explique en 1861, le cultivateur qui vient dénoncer le crime de la femme Lepage au commissaire de police de Montfort, pour savoir si je devais donner à la justice connaissance de ce qui précède et l’honorable ecclésiastique m’a répondu affirmativement en me disant que j’accomplirai en cela, c’est-à-dire en dénonçant le fait, un devoir d’honnête homme 141. » Le crime commis par cette femme, âgée de 67 ans, agricultrice à Bedée, était particulièrement affreux. Très hostile à sa belle-fille, Marie Nouyoux, âgée de 37 ans, que son fils n’avait épousée que pour la dépouiller de sa dot, elle s’était acharnée sur son petit-fils, qu’elle avait tué en lui ouvrant le crâne à l’aide d’un couteau. Mais d’autres ecclésiastiques ne dénoncent les crimes qu’avec réticence. Dans l’affaire Catherine Héry et Jacques Trébouta, le prêtre que va consulter la Vve Lecocq, principal témoin du crime, lui recommande la plus grande 138. AD M U2112, Jean Picot, 38 ans, vicaire à Moréac, 7 mai 1841. 139. AD M U2042, François Cheval, 37 ans, lieutenant des douanes à Damgan, 8 novembre 1832. 140. Riet D., thèse citée, p. 91-92. 141. AD I-V, 2U4/889, Joseph Saget, 42 ans, cultivateur, 24 juin 1861.

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discrétion. Cette filandière de Goudelin, âgée de 53 ans, accuse Catherine Héry, une domestique de 28 ans, et Jacques Trébouta un garçon meunier de 22 ans, d’avoir commis deux infanticides. Elle dit avoir gardé le silence sur le premier crime, commis en 1825, parce que Catherine Héry lui aurait promis « d’expier sa faute par une pénitence, et le don de six francs par an, pendant douze années, à la chapelle de Notre Dame de l’Île ». En 1827, au moment où elle découvrait le second infanticide, Jacques Trébouta l’aurait menacée de mort si elle révélait les faits à la justice. Il est, bien entendu, étrange que la Vve Lecocq se soit trouvée par hasard et à deux reprises à proximité de la rivière dans laquelle ces enfants ont été précipités par leurs parents, mais le cadavre d’un nouveau-né a bien été trouvé en 1827 à l’endroit indiqué par la Vve Lecocq. Le desservant de sa paroisse, à qui elle confie son embarras, lui conseille de garder le secret sur les événements : « Ce sage pasteur la consola, et l’engagea à continuer à se taire, jusqu’à ce qu’il lui eût communiqué la réponse de ses supérieurs ecclésiastiques, auxquels il allait écrire, pour les consulter 142. » Dans ce cas précis, il est possible que la prudence du prêtre ait résulté d’une certaine incrédulité face à l’étrange coïncidence qui avait fait de la Vve Lecocq le seul témoin des deux infanticides. Mais dans d’autres affaires, c’est bien la crainte de déclencher un scandale qui motive les recommandations de discrétion adressées aux témoins par les ecclésiastiques. Quand Mathurine Picquet, domestique chez la Vve Quiban, aubergiste à Rochefort, vient informer le vicaire qu’elle suspecte sa maîtresse d’avoir commis un infanticide, celui-ci lui recommande de ne pas ébruiter ses soupçons. Mathurine Picquet affirme au cours de sa première audition que le vicaire, François Nail, lui a conseillé de se taire : « Si vous n’avez que des doutes ou des présomptions, soyez modérée, silencieuse et attendez que la justice vous interroge 143. » Dans sa seconde déposition, elle ajoute même : « Il me dit qu’il ne fallait pas le dire à tout le monde, éviter le scandale, que la publicité ne ramènerait pas l’enfant : “Attendez que la justice vous interroge, et alors dîtes toute la vérité”, m’engageant à quitter le plus tôt possible la maison de la veuve Quiban 144. » Les prêtres acceptent parfois de monnayer leur discrétion. C’est sous l’influence du recteur et de ses vicaires que le maire de Bignan a accepté de garder le silence sur le premier infanticide de la Vve Dagorn. Ce silence est le résultat d’un arrangement financier dont les dispositions ont été débattues en présence d’un notaire. La somme dont avait dû s’acquitter, en contrepartie, la Vve Dagorn, paraît avoir été bien supérieure aux 15 F que le maire disait avoir distribués aux pauvres de sa commune. La Vve Dagorn elle-même finit par dévoiler une partie des faits : 142. AN/BB/20/34, C-N, 4e trim. 1827, Le Painteur de Normény, 30 novembre 1827. 143. AD M U2043, Mathurine Picquet, domestique, 26 octobre 1832. 144. Idem, audition du 6 novembre 1832.

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« Environ trois semaines après mon accouchement, je rencontrai le maire dans le bourg de Bignan. Je me rendis avec lui au presbytère où je lui fis ma déclaration en présence du recteur […]. Je dis au maire que trois semaines auparavant j’étais accouchée pendant la nuit, que je ne savais pas si l’enfant était mort ou vivant en venant au monde, mais que je l’avais trouvé mort le lendemain matin. Je lui déclarai que je croyais que l’enfant n’avait que sept mois et que je l’avais enterré dans ma maison derrière une armoire et jeté de l’eau bénite dessus 145. »

Elle reconnaît avoir donné 15 F à deux reprises au maire, mais conserve une remarquable discrétion sur l’accord négocié avec les ecclésiastiques. C’est le juge de paix, informé des faits par le notaire, qui fera la lumière sur la transaction. « Je viens d’apprendre à l’instant, écrit-il au procureur du roi, par Bourdillot, mon huissier, que, causant hier à Bignan avec M. de Brossard, notaire à cette résidence, ce Monsieur lui confia que l’affaire relative à l’argent qui a dû avoir été compté par Marie Kerdal, veuve Dagorn, avait été discutée et arrêtée dans son salon, en sa présence, par le Maire, le recteur et ses deux vicaires. La majeure partie de la somme paraît être restée entre les mains du recteur. Le Maire n’aurait touché que 30 francs. Ce ne serait qu’aux sollicitations du recteur et de ses vicaires que le Maire aurait gardé le silence et n’aurait pas dénoncé à la justice son premier infanticide. Elle doit avoir compté cet argent en expiation de ce crime. Comme Bourdillot ne peut m’avoir dit que ce qu’il tenait de M. de Brossard, je pense qu’il sera bon que vous entendiez ce Monsieur et les deux vicaires. Je dois vous observer que l’un d’eux vient d’être nommé recteur à Belle-Isle et qu’il est parti avant-hier pour sa destination 146. »

Les 60 F remis au recteur avaient été donnés à la Vve Dagorn par son beau-frère, auteur de sa grossesse. Après son second accouchement, ne doutant pas de parvenir à un résultat aussi favorable, elle lui demandera la même somme, disant qu’elle comptait « les donner au maire, afin qu’elle se tirât plus facilement du pas où elle s’était mise en faisant un enfant 147 ». On ne saura jamais ce qui a motivé, chez les ecclésiastiques, le traitement de faveur accordé à la Vve Dagorn. Le recteur, prétextant « un gros rhume accompagné de fièvre » refusera tout d’abord de se rendre à la convocation du juge d’instruction. Il finira par témoigner, mais se gardera bien d’aborder cette question : « Il y a environ trois ans, Marie Kerdal, veuve Dagorn vint chez moi accompagnée du maire de Bignan. Elle dit en ma présence qu’elle avait eu un enfant. Je lui donnai les avis d’un pasteur. Je lui observai combien elle avait manqué à ses devoirs de chrétienne et le tort qu’elle s’était fait à elle et à ses enfants. Je ne me rappelle point si elle a dit que son enfant fût venu 145. AD M U2122, interrogatoire, 19 mai 1842. 146. Idem, le juge de paix de Saint-Jean-Brévelay au procureur de Ploërmel, 24 mai 1842. 147. Id., Jean Dagorn, 2 juin 1842.

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à terme ou non, s’il était mort ou vivant en sortant du sein de sa mère. Je n’ai aucunes autres connaissances [sic] relatives aux infanticides imputés à la veuve Dagorn et à son beau-frère 148. »

Assez curieusement, comme s’il jugeait les ecclésiastiques fondés à sanctionner à leur manière les écarts de conduite de cette veuve, le juge d’instruction se montrera peu soucieux de faire la lumière sur cette transaction.

148. Id., Yves-Marie Coëffic, 52 ans, curé de Bignan, [même jour].

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Chapitre VIII

Le déni de grossesse Hormis la fuite, déni de grossesse et déni d’accouchement constituent pratiquement les seules réponses des femmes suspectées d’une grossesse illégitime aux entreprises inquisitrices de leur entourage. Par leur caractère récurrent, aussi bien dans leurs discours que dans leurs stratégies, ils peuvent même être considérés comme symptomatiques d’une intention criminelle, par ailleurs si difficile à démontrer dans les affaires d’infanticide. Selon la personnalité des femmes incriminées, la négation de la grossesse se traduit par des tactiques d’évitement ou d’affrontement du groupe social environnant. Ruses, menaces et injures ou, à l’inverse, dissimulation du corps et retrait de l’espace public sont autant de tentatives d’échapper au contrôle social. Mais le déni s’exprime aussi par une rhétorique dont les arguments s’articulent autour de quelques maladies liées aux aléas de l’écoulement menstruel. Elle s’appuie sur des représentations du corps humain héritées de la médecine ancienne, qui relèvent d’un savoir populaire largement partagé. L’apparente acceptation de ce discours par les autorités administratives ou médicales tendrait à prouver que ces représentations sont loin d’avoir perdu tout crédit dans la Bretagne rurale du premier XIXe siècle.

Modalités du déni On ne peut exclure d’emblée que certaines accusées n’aient pris conscience que tardivement de leur position. Jacques Gélis souligne combien, en l’état des connaissances médicales, les signes de la grossesse pouvaient être difficiles à déceler dans les trois premiers mois de la gestation : « Les signes de la grossesse sont parfois tellement ambigus ou mal interprétés que l’on juge enceinte une femme qui ne l’est pas ; on ne découvre que tardivement une grossesse en cours. La méprise n’est pas seulement le 293

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propre des femmes et des matrones ; les praticiens jusqu’au XVIIIe siècle ne sont guère plus savants 1. » D’un autre point de vue, les travaux des psychiatres contemporains démontrent que chez les femmes qui, à travers l’infanticide ou l’abandon, rejettent leurs nouveau-nés, cet aveuglement est courant. Pour Catherine Bonnet, la prise de conscience tardive de la grossesse est le signe d’impulsions infanticides : « La prise de conscience d’une grossesse au-delà du premier trimestre doit en effet faire suspecter un déni de grossesse. Il se manifeste par la négation de l’interaction entre la femme et le fœtus : les informations visuelles, tactiles, kinesthésiques ne sont pas reconnues comme les signes d’une grossesse. […] Si certaines femmes avaient remarqué des transformations dans leur corps, elles les ont reliées à des explications diverses qui ont formé un cortège de rationalisation 2. »

Il s’agit là d’une forme extrême d’aveuglement, puisque ni les transformations du corps, ni les mouvements du fœtus ne semblent être parvenus à la conscience de ces femmes chez qui la maternité est, pour des raisons psychologiques ou sociales, inacceptable. Nous ne sommes pas renseignés sur la manière intime dont les accusées bretonnes vivaient leur grossesse et moins encore sur le travail de l’inconscient à l’œuvre dans l’élaboration du déni. Les expertises psychiatriques étaient rarissimes dans les affaires d’infanticide mais, auraient-elles été plus fréquentes, elles ne nous auraient guère renseignés sur cette question, qui relève d’une problématique post-freudienne. Rien, dans les dossiers d’instruction, ne permet de savoir si certaines accusées se sont réellement méprises sur leur position. Le doute est permis à propos de quelques-unes. Ainsi Françoise Ezanno, une domestique de 18 ans de Merlevenez, dont l’intention homicide n’a pas été démontrée, affirmait-elle avoir complètement ignoré son état : « Je l’ai senti quelquefois sauter, reconnaissait-elle, parlant de son enfant, mais je croyais que c’était une pelote que j’avais sur le côté 3. » La diversité des modalités d’expression du déni, depuis la violence verbale jusqu’aux artifices de contention utilisés pour masquer la silhouette, est une preuve parmi d’autres de la grande inventivité de ces femmes, chez qui l’impossibilité d’avouer une grossesse extra-conjugale semble mobiliser par contrecoup des ressources quasi inépuisables d’imagination. Car le déni n’est pas une simple tactique utilisée dans un projet criminel, il est tout autant une tentative d’échapper à la réprobation sociale et au déshonneur.

1. Gélis J., L’Arbre et le fruit, op. cit., p. 109. 2. Bonnet C., Geste d’amour : l’accouchement sous X, Paris, 1990, p. 140 et suiv. 3. AD M U2139, interrogatoire, 4 octobre 1844.

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Colère, injures et menaces La gravité des enjeux attachés à l’honneur explique la réaction virulente des femmes qui ne veulent pas reconnaître leur future maternité. Colère, injures et menaces sont une première réponse aux questions de l’entourage. L’emportement exprime souvent la ruine d’une illusion : nombreuses sont les femmes qui entretenaient l’espoir que leur état demeure inaperçu ou qui se sont efforcées de ne pas songer au lendemain. L’impréparation de certains accouchements tend à prouver combien le déni peut être parfois intériorisé. Chez les femmes qui subissent les assauts de la curiosité de leurs proches, la colère exprime impuissance et désarroi. Elle est aussi un rempart contre l’indiscrétion, une protestation contre la violation des secrets les plus intimes. Face à la brutale mise en lumière de sa situation et au dévoilement de l’identité de son séducteur, Agnès Droual réagit avec véhémence. Son beau-frère rapporte ainsi « que lorsque on disait à Agnès Droual, sa bellesœur, l’état dans lequel elle se trouvait, elle répondait toujours que cela était faux, qu’elle s’emportait, disait aux personnes qui lui en parlaient des invectives et [allait] même jusqu’à les menacer de les étrangler » et qu’elle se mit « fort en colère sur ce qu’on lui disait qu’un militaire qui venait était son amant 4 ». C’est aussi par la colère que la Vve Barbedette répond aux offres de secours de son entourage. Cette journalière de 39 ans, de Louvigné-de-Bais, est mère de trois enfants légitimes. Inculpée d’infanticide en 1844, elle avait déjà donné le jour en 1838 à un enfant naturel, décédé à l’âge de quatre ans. Sa conduite, « sous le rapport des mœurs », était réputée « fort équivoque ». En lui proposant de l’assister au moment de ses couches, ses voisins tentaient sans doute de lui faire reconnaître un état qu’elle s’obstinait à celer : « Elle avait caché sa grossesse, elle n’avait fait aucune disposition pour recevoir son enfant, et au moment où elle ressentait les douleurs de l’enfantement, elle avait repoussé avec colère l’offre qui lui était faite de lui venir en aide, si elle devait accoucher et de donner à son enfant tous les soins dont il aurait besoin 5. » Cette manifestation d’humeur traduit peutêtre aussi son irritation face à des propositions qui contrarient son projet criminel. Le plus souvent, les femmes se montrent fort embarrassées par l’immixtion de leur entourage dans leur intimité. Vincente Alanic, domestique à Plumelin, âgée de 27 ans, balance entre le détachement et la fureur. Résolue à donner la mort à son enfant, elle s’était efforcée de cacher « autant qu’il dépendait d’elle, son état de grossesse, qui cependant était assez apparent pour que plusieurs personnes lui aient adressé des questions directes sur son 4. AD M U1991, Jean-Marie Bamdé, 27 ans, 20 juillet 1826. 5. AN/BB/20/128, I-V, 3e trim. 1844, Robinot Saint-Cyr, 3 septembre 1844.

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état, questions auxquelles elle répondait d’une manière négative, tantôt en plaisantant, tantôt en s’emportant jusqu’à la colère et les menaces 6. » À l’indiscrétion, à la violation de l’intimité répondent aussi des insultes et des injures sur la nature desquelles les dossiers sont malheureusement fort laconiques. Le comportement des femmes visées par ces interventions s’inscrit dans un univers de violence physique et verbale, où les protagonistes ne reculent ni devant les invectives, ni devant les coups 7. L’agressivité imprègne bien des conflits familiaux. L’âpreté marque aussi les relations de voisinage. Dans l’affaire Marie-Renée Guimard, la femme Corfmat, entendue comme témoin, déclare avoir été injuriée et frappée par cette accusée et par une de ses amies pour avoir refusé de porter du courrier à leurs galants. Or, cette femme était enceinte au moment des faits. Habitant le même immeuble que Marie-Renée Guimard et sa mère, elle est victime presque quotidiennement de leur animosité. Les tensions se sont exacerbées depuis qu’elle a dénoncé à la justice une affaire d’avortement et d’infanticide dont la Vve Guimard est la principale inculpée. « À chaque instant, déplore-t-elle, la veuve Guimard et sa fille me disent des injures et me font des menaces 8. » La Vve Guimard n’hésite pas, pour l’inciter à garder le silence sur les faits dont elle a été le témoin, à lui dire que « si elle avait le malheur d’en parler, elle aurait eu affaire à elle et qu’elle n’aurait pas eu besoin de s’occuper de son pain, voulant dire qu’on la tuerait 9 ». Une autre locataire de l’immeuble confirme la difficulté de la cohabitation avec la Vve Guimard et sa fille qui, dit-elle, « sont redoutées dans la maison pour leur méchanceté 10 ». Les querelles, même féminines, peuvent se terminer en empoignades. Lorsque Marie-Louise Lamandé, inquiète des bruits d’infanticide qui courent sur Olive Belnard et Guillaume Lamandé, son beau-frère, tous deux domestiques chez le même agriculteur, tente d’éloigner ce dernier de la ferme, elle se heurte à la virulente réaction d’Olive Belnard. « Des bruits extrêmement fâcheux s’étant accrédités sur le compte de cette fille, j’ai voulu faire sortir mon beau-frère de la maison d’Olivro et Olive Belnard, qui l’a su, m’a injuriée et même frappée. Je me suis alors déterminée à venir vous donner avis des soupçons dont elle est l’objet 11. » C’est donc la violence d’une querelle dont elle cherche à obtenir vengeance qui semble pousser la femme Lamandé à dénoncer à la justice l’accouchement d’Olive Belnard. Mais, ce faisant, elle tente aussi de détourner de son beau-frère la présomption de complicité qui pèse sur lui et porte atteinte à l’honorabilité de la famille de son mari. Lorsque Marie-Louise 6. AN/BB/20/210/1, M, 2e trim. 1858, Le Meur, 22 juillet 1858. 7. Voir Quéniart J., Le Grand Chapelletout : violence, normes et comportements en Bretagne rurale au XVIIIe siècle, Rennes, 1993. 8. AD M U2097, Jeanne Corfmat, 32 ans, ménagère, 24 avril 1839. 9. Idem, p.-v. de descente du commissaire de police de Vannes, 21 avril 1839. 10. Id., Mathurine Le Gal, 45 ans, ménagère, 25 avril 1839. 11. AD C-A 2U/640, Marie-Louise Lamandé, ménagère, 10 décembre 1840.

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Lamandé alerte la justice, l’accouchement d’Olive Belnard remonte à plus d’un mois. Le crime n’a pas encore été découvert, mais une rumeur accusatrice commence à se répandre. La difficulté des relations de proximité incite certains témoins à renoncer à l’exercice d’un contrôle social qui paraît pourtant fortement légitimé par la tradition. Par crainte de la vivacité de son caractère, aucun des voisins de la Vve Berger, une journalière de Loudéac, âgée de 38 ans, mère de deux enfants légitimes, n’ose lui parler de son état. Nul ne se risque à détériorer les relations de voisinage : « De nombreux témoins avaient acquis la conviction qu’elle était enceinte, mais peu lui en avaient fait l’observation par crainte de s’attirer un sentiment d’animosité de sa part, peut-être même des injures. Ils voulaient rester bons voisins 12. » La Vve Berger, qui n’est pas sans avoir remarqué l’attention qu’on lui portait, use donc d’une forme particulière de déni : elle affecte de se montrer en public pour dissiper les soupçons de grossesse qu’elle sent penser sur elle. Certaines menaces trouvent un terrain d’exercice privilégié dans le cadre familial. C’est en exerçant un chantage affectif sur sa mère, chez qui elle est venue se réfugier depuis six mois, que Marie-Yvonne Le Moën, domestique à Lanvénégen, tente de mettre un terme à ses questions : « Quand sa mère crut s’en apercevoir [de son état] et lui en parla, elle nia, s’emporta et menaça de se suicider 13. » Mais le procédé le plus courant pour susciter la pitié consiste à se présenter comme victime de la « langue du monde », c’est-à-dire de la calomnie. Il ne s’agit plus là d’une simple réponse à une intervention ressentie comme une agression, mais d’une forme élaborée de contre-offensive. Car à la prétendue calomnie, les femmes enceintes trouvent une parade que peu se hasardent à défier : la citation en justice. Un simple avertissement suffit dans bien des cas à apaiser la curiosité. Une vingtaine d’inculpées au moins l’utilise avec succès pour faire taire les commérages. Quand la menace ne suffit pas, les femmes qui se prétendent calomniées n’hésitent pas à passer à l’acte et à porter plainte auprès du juge de paix. En 1859, Marie-Joseph Hamon est parvenue à faire condamner une de ses voisines à lui verser trois francs, pour prix de ce qu’elle estimait être une diffamation. Par le même moyen, Jeanne Bertel, cultivatrice à La Selles-enCogles, parvient à intimider ses voisins : « Jeanne Bertel, écrit Lambert, dont la réputation était déjà très équivoque passait pour être enceinte, mais personne n’osait en parler, parce que son père avait déjà fait un procès à son plus proche voisin, Guillemant, pour avoir parlé dans ce sens 14. » L’année précédant le crime, déjà, les époux Guillemant avaient fait courir le bruit que Jeanne Bertel était enceinte. « Il y a un an, ils dirent aussi que j’étais embarrassée. Papa les mena à Fougères et leur en fît compter 12. AN/BB/20/182, C-N, 4e trim. 1855, Le Meur, 15 décembre 1855. 13. AN/BB/20/151/1, F, 3e trim. 1850, Sérel-Desforges, 7 août 1850. 14. AN/BB/20/163/1, I-V, 4e trim. 1852, Lambert, 30 novembre 1852.

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cent sous 15. » Les propos de Guillemant avaient été mal acceptés par les Bertel, non seulement parce qu’ils laissaient présager une grossesse illégitime, mais aussi parce que celle-ci était attribuée à un chiffonnier : « Je ne crois pas que Jeannette Bertel ait été d’autres fois enceinte, déclare Guillemant, cependant, vers la Toussaint dernière, son père me fit condamner à lui payer cinq francs, parce que j’avais dit qu’elle s’était fait chérir par un chiffonnier 16. » Nous sommes mal renseignés sur les autres formes d’intimidation, auxquelles les sources judiciaires ne font que de simples allusions et qui relèvent souvent de la pure violence verbale. Lorsque la famille des inculpés s’associe à ces manœuvres, la crainte du recours à la force physique peut jouer à l’égard des curieux un rôle véritablement dissuasif. Dans l’affaire Deluen, c’est le père – incestueux – qui se charge de faire taire la rumeur en proférant des invectives. Il entend ainsi non seulement sauvegarder la réputation de sa fille mais également sa propre tranquillité. Cette tactique lui réussit puisque le premier infanticide, commis de complicité avec sa fille, restera ignoré de la justice. Ce n’est qu’au lendemain du second crime que les langues se délieront. Ernoul de la Chénelière attribue au succès des menaces de représailles proclamées par Deluen le silence gardé par les villageois sur le premier crime : « Jean Deluen, écrit-il, soutenait contre l’évidence qu’il n’avait jamais eu connaissance de la grossesse, qu’il ne l’avait même jamais soupçonnée. Il demeurait seul avec sa fille et il a été appris que depuis longtemps il avait avec elle des relations incestueuses, que tout portait à penser qu’un premier enfant né de ces relations avait disparu deux ans auparavant, et qu’il avait employé les mêmes menaces et les mêmes dénégations pour faire taire les personnes qui en parlaient. […] Ses menaces et ses dénégations postérieures, ajoutait-il, n’avaient eu qu’un but, celui qu’il a obtenu lors des premières couches de sa fille, d’empêcher le public de parler de ce second accouchement et d’ensevelir le crime dans le silence 17. »

Défi, retrait du groupe, dissimulation du ventre La curiosité publique se heurte parfois à des formes plus élaborées de déni qui s’apparentent à de véritables stratégies. Ces formes non-violentes de dénégation reposent sur une illusion car elles procèdent d’une évidente sous-estimation de l’adversaire. En recourant à la ruse plutôt qu’à l’injure ou à l’intimidation, certaines femmes entretiennent l’espoir, quelque peu chimérique, de parvenir à tromper l’attention pourtant fort aiguisée de leurs proches, et d’échapper à la vigilance de leur regard. 15. AD I-V 2U4/816, interrogatoire, 28 septembre 1852. 16. Idem, Louis Guillemant, 62 ans, fermier, 6 octobre 1852. 17. AN/BB/20/133, L-I, 2e trim. 1845, Ernoul de la Chénelière, 22 juin 1845.

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Défis et bravades Les femmes enceintes répondent assez couramment aux offensives inquisitrices de leur entourage par l’esquive. Un premier type de réponse consiste à mettre les interlocuteurs au défi de prouver leurs assertions. Ainsi, Jeanne Le Bourg, une cultivatrice de Hanvec, âgée de 22 ans, essaie-t-elle de dissiper l’inquiétude de sa famille en inversant la charge de la preuve : « Jeanne Le Bourg était enceinte, elle n’avait fait part à personne de sa grossesse quoique son embonpoint évident le révélât à tous les yeux. C’était le bruit du village. Elle avait répondu à sa mère à qui les propos du public étaient revenus : “Ce n’est pas vrai, ma mère, soyez tranquille.” Avec sa belle-sœur qui, plusieurs fois, lui avait adressé des questions sur son état, tantôt elle détournait la conversation, tantôt elle disait : “Ceux qui disent que je suis grosse seraient bien embarrassés de le prouver 18.” »

Certaines inculpées, au lendemain de leur accouchement, vont jusqu’à prétendre tirer vengeance des atteintes portées à leur honorabilité. MarieJeanne Dubois, fileuse à Caurel, pousse l’audace jusqu’à annoncer des représailles : « Depuis plusieurs mois, la rumeur publique accusait la fille MarieJeanne Dubois d’être enceinte : à toutes les questions qu’on lui adressait à cet égard, elle répondait que le bruit que l’on faisait courir sur son compte était mal fondé et qu’il fallait laisser parler le monde […]. Le 25 mai, MariePhilomène Le Bricon, ayant remarqué que pendant toute la journée la maison de Marie-Jeanne Dubois avait été fermée, se rendit, vers les huit heures du soir, à sa fenêtre, pour lui demander de ses nouvelles. La fille Dubois lui répondit qu’elle était bien, que ses règles étaient revenues, et qu’elle confondrait maintenant ceux qui avaient tenu de mauvais propos sur son compte 19. »

Mais cette réponse, tout empreinte d’esprit de revanche, ne fait que renforcer chez ses proches la conviction qu’elle vient d’accoucher. Ils préviennent alors le maire de la commune. Relève aussi du défi l’attitude qui consiste à poursuivre ses occupations habituelles et à continuer à paraître en public. C’est ainsi qu’Anne Doudard entend faire taire les bruits qui courent sur sa grossesse. Une domestique des environs, venue l’engager à travailler quelques jours chez son maître, rapporte en effet : « Peu de temps avant la Toussaint, étant allée chercher la femme Doudart pour venir travailler à la maison, je la trouvai prête à prendre une jupe de flanelle. Elle me dit : “Soupesez donc cette jupe, comme elle est lourde ! Quand je l’ai, tout le monde me dit que je suis grosse, mais on verra bien qu’il n’en est rien. Je comptais aller comme fileuse en Saint-Georges, mais je resterai exprès pour faire voir que cela n’est pas vrai.” Je lui ai dit en por18. AD F 4U2/116, acte d’accusation, 18 mai 1850. 19. AD C-A 2U772, réquisitoire définitif, 1er juin 1861.

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tant la main sur le ventre : “Vous avez pourtant le ventre bien gros” ; mais, sans me permettre de la toucher plus longtemps, elle se retira précipitamment en arrière, en me disant : “Vieille mazette 20.” »

Plusieurs autres accusées usent du même procédé. Jeanne Bily, domestique à Pontchâteau, âgée de 21 ans, refuse malgré l’intervention de son père d’abandonner, le temps de ses couches, son emploi de domestique : « Elle s’y refusa parce que, lui dit-elle, on l’avait mise dans un grand scandale et qu’elle voulait prouver que tout ce qu’on avait dit d’elle était faux 21. » Anne-Marie Guilloux annonce, elle aussi, son intention de ne pas quitter la ville de Matignon où elle exerce son métier de couturière-brodeuse : « J’avais servi avec Annette, explique une de ses amies, dans la maison de La Moussaye ce qui fait que je m’étais attachée à elle, quoique j’en eus peur, attendu qu’elle est parfois méchante. À deux reprises différentes je lui parlai de sa première grossesse […]. La première fois elle me dit que pour prouver que cela était faux, elle ne quitterait pas Matignon ; la seconde fois elle dit que seulement mieux nourrie, elle épaississait 22. » Cette stratégie n’est pas totalement dépourvue d’efficacité. En poursuivant leurs occupations habituelles jusqu’à l’accouchement, et en se livrant même aux travaux les plus durs, plusieurs domestiques parviennent à tromper leurs maîtres. La femme Verdier, boulangère à Saint-Méloir-des-Ondes, assure n’avoir à aucun moment supposé que sa domestique, Marie Trécan, était enceinte. Elle affirme « qu’elle avait complètement ignoré la grossesse de sa domestique, qu’on en parlait bien dans le public, mais comme cette fille avait jusques au dernier jour continué ses occupations ordinaires, elle n’avait point ajouté foi aux bruits qui circulaient 23 ». L’obstination mise par les inculpées à démentir les présomptions de leur entourage par une présence obstinée et des activités régulières n’est pas sans influer sur les conditions de leur accouchement. Celui-ci se déroule souvent dans la précipitation. Anne Even, filandière à Pludual, âgée de 30 ans, a épousé un marin qui est en mer depuis de longs mois. En l’absence de son mari, elle vit chez ses parents. Afin de ne pas éveiller leur attention, elle s’éclipse pour mettre au monde un enfant adultérin, auquel elle donnera immédiatement la mort. Il ne se passe que fort peu de temps entre le moment où elle ressent les douleurs annonciatrices de l’accouchement et celui où elle revient se livrer à ses travaux habituels : « Le 10 septembre dernier, vers six heures du matin, l’accusée quitta, sous un prétexte mensonger, le domicile de ses parents, se rendit à la maison isolée qu’elle habitait avec son mari, quand ce dernier était à terre, et y accoucha d’un enfant du sexe masculin. Après une heure d’absence, elle revint chez ses parents et se 20. AD I-V 2U4/614, Vve Poulain, 39 ans, domestique, 8 décembre 1824. 21. AN/BB/20/120, L-I, 1er trim. 1842, Fénigan, 29 avril 1842. 22. AD C-A 2U/743, Louise Minic, 37 ans, ménagère, 8 mars 1849. 23. A-V 2U4/635, p.-v. de transport du procureur de Saint-Malo, 25 mars 1828.

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livra à ses occupations accoutumées pour détourner les soupçons que la grosseur inusitée de sa taille avait fait naître 24. » Défi et bravade ne parviennent pas toujours à déjouer la vigilance des proches. Paradoxalement même, ils n’ont parfois d’autre effet que de conforter la propre crédulité de celles qui les expriment, contribuant à les couper de la réalité. L’enfermement dans la dénégation peut les rendre aveugles au jugement de leur entourage, moins dupe de leurs stratagèmes qu’elles ne peuvent se l’imaginer. Il reste que certaines femmes, se laissant prendre à leur propre piège, finissent sans doute par se persuader elles-mêmes qu’elles ne sont pas enceintes. Retrait du groupe D’autres tactiques, contrairement à celle qui consiste à assurer une présence ostentatoire dans l’espace public, visent à se soustraire aux regards par le retrait de toute activité sociale ou la dissimulation du corps. Se soustraire aux regards, c’est d’abord éviter les lieux habituels de la sociabilité féminine que sont l’église, le four et le lavoir. Les femmes qui cherchent à échapper à la curiosité publique évitent donc, autant que faire se peut, de se montrer dans leur village. Michelle Dano parvient pratiquement à se cloîtrer chez son maître dans les derniers temps de sa grossesse. Plusieurs de ses voisins sont restés très longtemps sans la rencontrer : « Cette fille dès l’hiver dernier était malade ; on disait qu’elle avait la fièvre, elle ne sortait pas de la maison de son maître, c’est du moins ce qui se disait dans le village et il y avait bien trois mois que je ne l’avais vue lorsque le mardi ou mercredi de la semaine dernière […], je la rencontrai dans un champ près du village 25. » Une telle solution n’est évidemment pas à la portée de toutes les domestiques. Michelle Dano dispose chez son maître, qui est sans doute son amant, d’une position suffisamment privilégiée pour se dérober aux diverses corvées (lessive, cuisson du pain, vente des œufs ou du lait…) qui amènent généralement les domestiques à se déplacer dans le village. Pour expliquer son retrait du monde, elle prétexte une fièvre qui la tient alitée plusieurs mois. Or, non seulement son maître la conserve auprès de lui, mais il refuse formellement de la renvoyer lorsque le « subrogé tuteur » de ses enfants, la voyant sur le point d’accoucher, intervient, par crainte du scandale, pour la faire chasser de la maison. On ne peut s’abstraire totalement de la vie publique sans un bon prétexte. C’est la maladie qui vient, dans la plupart des cas, légitimer la claustration des femmes qui cherchent à éviter, quand leur état devient trop apparent, d’être vues. Pompée Gouriou, après être allée servir comme domestique, est revenue vivre chez sa mère à Langoat, pour élever un premier enfant 24. AN/BB/20/235/2, C-N, 4e trim. 1861, Le Meur, 9 novembre 1861. 25. AD M U1997, Jean Lagadec, 64 ans, laboureur, 13 juin 1827.

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naturel. Lors de sa deuxième maternité, elle prend prétexte du dérangement de sa santé pour s’enfermer dans la maison maternelle. Mais sa maladie ne trompe personne et lorsque le cadavre d’un enfant nouveau-né est découvert dans la commune, elle est immédiatement suspectée du crime : « On la soupçonna parce qu’on supposait qu’elle avait été enceinte et que la maladie qui la retenait depuis longtemps à la maison, où elle ne se laissait jamais voir, était simulée afin de cacher à tous les yeux sa grossesse 26. » Marie-Joseph Kerdreux, cultivatrice à Crozon, employée à la construction du môle de Morgat, ne peut utiliser la même tactique. Elle est obligée de recourir à diverses ruses, comme de ne rentrer chez elle qu’à la nuit tombée ou de se placer, lorsqu’elle participe aux veillées, à l’endroit le moins éclairé, pour se mettre à l’abri des regards. Il s’agit pour elle d’un combat de tous les instants : « Comme je n’ai jamais été bien réglée, je ne me suis pas aperçue des premiers temps de ma grossesse. Ce n’est qu’à la fin d’août que j’ai senti les premiers mouvements de mon enfant. Depuis ce moment j’ai tout fait pour cacher ma position. J’évitais de me tenir debout devant les personnes, enfin quand ma famille me questionnait, je lui répondais durement. J’avais honte de paraître en public et le dimanche je m’habillais comme pour aller au bourg, mais au lieu de m’y rendre, je me cachais dans la crèche et quand je m’apercevais que quelques personnes étaient de retour au village, je quittais la cachette et me présentais devant ma famille 27. »

Cette accumulation de précautions est sans effet sur le voisinage. Chacun s’attache à l’observer et nul n’est dupe de ses divers stratagèmes : « Presque tous les jours alors on ne parlait que de sa grossesse, chacun faisait sa remarque. Celui-ci disait que quand elle allait veiller chez Bothorel elle se plaçait de manière à tourner le dos à la lumière. Celui-là, que quand elle allait garder ses vaches, elle s’éloignait beaucoup du village et était toujours seule ; enfin tout le monde avait remarqué qu’elle ne paraissait plus le jour, qu’elle partait de bon matin pour se rendre à Morgat et n’en revenait que très tard. » Au lendemain de son accouchement, elle affecte, à l’inverse, de se montrer en public. Mais elle ne parvient pas pour autant à détruire la suspicion des habitants de Crozon : « Au contraire après la foire des Rois, c’est-à-dire après le 7 janvier dernier elle affecta de se montrer à tout le monde. Elle allait au four du village faire cuire des petits pains préparés pour elle. Mais la pâleur de sa figure faisait dire à tout le monde qu’il n’y avait plus de doute sur son accouchement. Cependant personne du village, les voisins, son frère même, n’avait rien vu ni entendu 28. »

26. AN/BB/20/156/2, C-N, 2e trim. 1851, Fénigan, s. d. 27. AD F 4U2/166, interrogatoire, 10 février 1860. 28. Idem, Hervé Primot, 66 ans, cultivateur, 11 février 1860.

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Dissimulation du ventre : les stratagèmes D’ordinaire les inculpées peuvent difficilement échapper aux contraintes de la vie sociale. Il est rare que les domestiques puissent bénéficier d’une liberté suffisante pour limiter les occasions de fréquenter les lieux publics. Dans ce cas, et à l’image de Marie-Joseph Kerdreux, elles emploient toutes sortes de ruses pour travestir leur apparence. Ces stratagèmes les contraignent parfois à des postures pour le moins inhabituelles qui, loin de détourner l’attention des autres, la mettent en éveil. L’une des cultivatrices du village où demeure Julienne Godard, fileuse et mendiante, rapporte ainsi que chaque fois qu’elle « rencontrait la Godard, celle-ci avait soin de tenir sa jupe dans une poignée et de se plier le corps en avant, sans doute pour empêcher qu’on ne s’apperçût qu’elle fut grosse 29 ». Jeanne-Marie Leroux, domestique à La Chapelle-Launay, sur le point d’accoucher et cherchant désespérément à masquer le volume de son ventre, use du même expédient : « Lundi dernier, raconte une voisine, j’étais avec six autres journalières […] à broyer du lin chez François Gérard à Beleba. Sa domestique, Jeanne Leroux, était occupée à la maison et vint fort peu avec nous […]. Dans ce peu de temps, elle se plaignit beaucoup, disant qu’elle souffrait, nous remarquâmes qu’elle avait le ventre extrêmement gros. En marchant, elle se penchait en avant comme pour le dissimuler 30. » On apprend aussi que Marie-Jeanne Rozé qui, après avoir suivi à Paris son amant, était revenue se réfugier chez sa mère « marchait toujours courbée et cherchait à éviter les regards en se cachant au fond de sa maison 31 ». D’autres femmes tentent de transformer leur apparence. Afin d’enrober d’un flou trompeur la rotondité de leur ventre, elles superposent, telle la femme Hervoch, plusieurs jupes ou omettent de lacer leurs vêtements : « – Que faisiez-vous pour dissimuler votre état ? – Je relevais mon tablier très haut et je laissais ma jupe desserrée sans me lacer 32.

Cet artifice fait parfois illusion. L’ancien maître de Vincente Le Gall, domestique à Naizin, avoue ses incertitudes quant à l’origine de l’embonpoint qu’il avait cru constater chez sa domestique. Après avoir d’abord pensé qu’elle était enceinte, il dit s’être laissé convaincre par ses dénégations : « Je lui dis donc qu’on prétendait qu’elle était grosse, et que recherchant les hommes comme elle le faisait, cela pouvait fort bien être, que je l’engageai à se rendre avec une de mes filles qui l’accompagnerait chez la sagefemme de Locminé, pour que l’on sût positivement à quoi s’en tenir sur son état, je m’engageai à payer ce qu’il en coûterait pour cette visite. Mais 29. AD I-V 2U4/614, Thérèse Bazin, 27 ans, cultivatrice, 3 octobre 1822. 30. AD L-A 5U91/1, Jeanne David, 24 ans, journalière-cultivatrice, 6 décembre 1835. 31. AN/BB/20/190/2, M, 1er trim. 1856, Lambert, 9 mars 1856. 32. AD M U2127, interrogatoire, 5 juin 1843.

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Vincente Le Gall s’y refusa formellement, en protestant qu’elle n’était pas grosse. Je n’avais pas non plus la certitude qu’elle le fût, car elle portait toujours plusieurs jupes et l’hiver dernier étant rigoureux, je ne savais si je devais attribuer l’épaisseur de sa taille au volume de ses vêtements ou à quelqu’autre cause 33. »

La superposition de vêtements sert également à masquer l’amaigrissement consécutif à l’accouchement. Marianne Bourbé, tailleuse à Goulien, parvient par ce moyen à abuser la meunière qui l’emploie comme couturière à la journée. Celle-ci affirme n’avoir remarqué aucune modification dans l’apparence de Marianne Bourbé : « Lundi dernier 17 de ce mois, elle arriva chez moi, vers huit heures et demie du soir, pour travailler parce que je lui avais dit de venir avant les gras, elle m’a paru plus pâle qu’à l’ordinaire, je n’ai pas remarqué qu’elle fut plus mince mais il est vrai qu’elle avait trois jupes 34. » Mais le témoignage de cette meunière est sujet à caution. Bien qu’elle connaisse parfaitement Marianne Bourbé et qu’elle la rencontre régulièrement, elle affirme n’avoir pas remarqué son état. Leur parenté – elles sont cousines à un degré très éloigné – explique peut-être sa réserve. Le subterfuge le plus couramment employé pour masquer la silhouette consiste à porter le tablier roulé et relevé sur le ventre. C’est celui dont use Olive Belnard, qui prend également soin de sortir le moins possible : « Cette fille prenait toutes sortes de précautions pour déguiser son état : elle avait toujours le tablier relevé et roulé sur le ventre ; ajoutez à cela qu’elle ne sortait que quand elle en avait absolument besoin et qu’elle ne fréquentait pas les femmes du village 35. » Elle ne peut cependant se dérober à la corvée du four banal, pas plus qu’elle n’ose se passer de la messe paroissiale. Elle ne peut donc échapper à la vigilance des autres femmes : « Je dois dire, dépose l’une d’elles, que je ne voyais pas souvent la fille Belnard : ce n’était que lorsque j’allais au bourg à la messe, ou au four banal de son village que j’avais l’occasion de la rencontrer. Outre les observations dont je vous ai fait part, je remarquai que cette fille portait alors son tablier relevé et roulé sur le ventre, comme pour en déguiser la saillie 36. » Seule parmi la vingtaine de femmes qui utilise l’artifice du tablier roulé, Marie Audié parviendra à mener sa grossesse jusqu’à son terme sans attirer l’attention de ses proches : « Personne ne s’est aperçu qu’elle fut enceinte ; elle prenait la précaution de relever toujours son tablier dans lequel elle plaçait des poteries, de la filasse ou autre chose. » Mais cet aveuglement est favorisé par la marginalité de Marie Audié, qui vit dans une chaumière isolée, et par son statut de semi-mendiante, qui lui procure une relative liberté de mouvement. De plus, elle n’abandonne aucune de ses activités habituelles, y compris les plus harassantes : « La veille même de son accouche33. AD M U2013, Mélaine Le Dévédec, 50 ans, cultivateur, 18 mai 1829. 34. AD F 4U2/121, Marie-Anne Sergent, 28 ans, meunière, 19 février 1851. 35. AD C-A 2U/640, Marie Hüe, 54 ans, ménagère, 30 décembre 1841. 36. Idem, Marie Presse, 41 ans, ménagère, 29 décembre 1841.

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ment […] elle était à faire la buée chez Elisabeth Eno, veuve de Jean Collin, demeurant à Villeneuve-Saint-Martin 37. » Un dernier moyen consiste à se serrer le ventre. Il s’agit là, sans doute, du détournement d’une pratique traditionnelle destinée à rendre le fardeau de la grossesse moins pénible 38. Si l’on en croit l’expérience d’une veuve de Crach entendue comme témoin dans une affaire d’avortement, cet artifice est couramment employé par les « filles » enceintes qui cherchent à garder le secret sur leur position : « Les filles comme cela ne sont pas comme les femmes mariées ; celles-ci ne se serrent pas : on voit bien leur grossesse ; les autres au contraire se serrent en dessous pour qu’on ne voie rien 39. » Il figurait aussi parmi les nombreux subterfuges employés par Marie-Joseph Kerdreux. Elle en fera l’aveu à plusieurs reprises : « Je me suis serrée du jour où je m’aperçus que j’étais enceinte et je l’ai fait le plus que j’ai pu 40. » L’usage du corset est attesté à cette fin chez plusieurs inculpées, notamment chez Louise Auffret, filandière à Hémonstoir, âgée de 35 ans, jugée en 1843, et chez Perrine Orière, une cultivatrice de Torcé, âgée de 20 ans, jugée en 1847. Toutefois, dans ce dernier cas, le président de la cour d’assises paraît étonné de constater une telle pratique chez une accusée appartenant à un village reculé. « Elle avait par tous les moyens possibles et même, ce que je n’avais jamais vu dans le fond de la campagne, par le moyen d’un corset fait exprès pour comprimer le ventre, cherché à cacher sa grossesse, et elle avait nié son accouchement, après comme avant la visite de l’homme de l’art 41. » Une troisième inculpée, urbaine cette fois, Séverine Lebez, utilise un « corsage à baleines » qui ne doit guère être différent. Comme elle exerce la profession de tailleuse, il s’agit sans doute d’une pièce sortie de son industrie et adaptée à ses besoins particuliers. Mais elle ne parvient à tromper que ses parents. Les autres témoins, plus fins observateurs, accumulent les notations sur l’évolution de sa silhouette : « Le temps marchait, Séverine changeait à vue d’œil, des rousseurs ou tâches de rouille lui étaient venues au visage ; elle attribuait cela à un coup de soleil, on avait remarqué à la fin de l’hiver quelque vomissement, – on remarquait aussi à sa taille un peu d’épaississement, malgré toute son habileté à la comprimer par un corsage à baleines. Enfin, tout le monde supposait une grossesse qu’elle dissimulait avec le plus grand soin ; c’est ainsi que la veille de son accouchement clandestin, elle parlait de faire son jubilé de suite et ses Pâques deux jours après ; on disait ses parents bien aveugles 42. »

37. AD M U 2012, Pierre Rollo, 57 ans, laboureur, 14 mars 1829. 38. Gélis J., L’Arbre et le fruit, op. cit, p. 149-150 : « Une telle ceinture demeure le privilège des personnes aisées. Les femmes du peuple restent fidèles aux bandes jusqu’au XIXe siècle. » 39. AD U2130 [afffaire Puren et Bellégo], Vve Guillemot, 7 juillet 1843. 40. AD F 4U2/166, interrogatoire, 14 février 1860. 41. AN/BB/20/141, I-V, 1er trim. 1847, Ernoul de la Chénelière, 21 février 1847. 42. AN/BB/20/163/1, I-V, 4e trim. 1852, Lambert, 30 novembre 1852.

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Les femmes usent également de ceintures ou de sangles, plus traditionnelles chez les femmes du peuple. Marie Rubion, domestique à Cornillé, dissimulait son état « à l’aide de ceintures qui lui servaient à se comprimer les seins et le ventre 43 ». Gillette Cadro, domestique chez de riches propriétaires de Gaël, est congédiée par sa maîtresse qui la surprend à se serrer le ventre à l’aide de sangles : « Le 13 août, la femme Dibart, prévenue que sa domestique était enceinte […] résolut de [la] surveiller. Pendant que celle-ci s’habillait pour aller à la grand-messe, la femme Dibart placée dans un appartement supérieur dont les planches étaient trouées la vît se serrer la taille et le ventre avec une sangle. Elle la congédia quelques heures après 44. » D’autres, plus inventives ou plus déterminées, ont recours à des moyens de contention plus perfectionnés. C’est le cas d’Olivette Helbert, femme Clermont, domestique à Châteauneuf, âgée de 27 ans qui, nouvellement mariée, tient absolument à laisser son époux ignorer sa position. Pourtant, celui-ci ne semble l’avoir épousée que par intérêt. Ce mariage, auquel il n’a consenti qu’après avoir exprimé une franche résistance, paraît être le résultat d’un arrangement destiné à sauver la réputation d’Olivette Helbert : « Le 15 septembre 1858 était le jour fixé pour le mariage de la fille Helbert avec Alexandre Clermont, fainéant et vagabond. Il paraît que le futur avait eu connaissance des bruits fâcheux qui circulaient sur le compte de sa future ; il alla se cacher dans un grenier pour ne pas avoir à comparaître devant le maire ; mais la fille Helbert l’y découvrit. Elle alla l’y chercher et l’amena devant le maire qui fut loin d’encourager cette union ; mais les deux contractants déclarèrent qu’ils réclamaient le mariage et il fut célébré. Clermont affirma qu’avant et depuis les noces, il n’a jamais eu de rapports intimes avec Olivette Helbert, il le lui a soutenu à la confrontation. Cette femme a toujours nié sa grossesse avec énergie. Alléguant une prétendue hernie, elle comprimait le développement de sa taille à l’aide d’une planchette qu’elle avait fait faire par un menuisier, lui disant que c’était pour suspendre une lampe 45. »

Le déni d’accouchement Un certain nombre de femmes ne se font aucune illusion sur la connaissance que leur entourage peut avoir de leur position. Elles s’efforcent malgré tout, dans un effort quelque peu désespéré, de donner le change en abandonnant le moins longtemps possible l’espace public ou en tentant d’apporter, au lendemain de leur accouchement, la preuve matérielle qu’elles n’ont jamais été enceintes.

43. AN/BB/20/156/2, I-V, 2e trim. 1851, Robinot Saint-Cyr, 31 mai 1851. 44. AD C-A 2U/765, acte d’accusation, 5 octobre 1854. 45. AN/BB/20/218/2, I-V, 2e trim. 1859, Le Beschu de Champsavin, 5 juillet 1859.

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Un impératif : être vue Comme Anne Even, qui ne s’absente qu’une heure pour mettre au monde et tuer son enfant, quelques femmes s’efforcent d’assurer une présence physique qui ne laisse supposer aucune rupture dans l’emploi de leur temps. Se sachant surveillées, elles veulent éviter, en disparaissant de façon brutale ou prolongée du théâtre de la vie collective, de donner à croire qu’elles ont eu le temps d’accoucher. Il s’agit pour elles de se faire voir et d’être vues. Marie-Jeanne Joly, âgée de 22 ans, couturière à Plouescat, accomplit de vains efforts pour tenter d’effacer le doute qui, depuis de longs mois, s’est introduit dans l’esprit des habitants de sa commune sur son état. Accouchée le 11 juin 1850, elle s’efforce de reparaître en public le plus rapidement possible. Mais ce procédé produit sur son entourage l’effet inverse à celui escompté et ses voisines constatent immédiatement les changements survenus dans sa silhouette : « Le soir du 12, Marie-Jeanne Joly se leva et affecta de se faire voir à ses voisins qui remarquèrent le changement survenu dans sa taille. » Leur attention avait été éveillée par les manœuvres de la mère de Marie-Jeanne Joly qui, en pleine nuit, était allée nettoyer des draps et des chemises au lavoir : « Une voisine la vît et fut à la fois surprise et de l’heure à laquelle elle se livrait à cette besogne et de la manière insolite dont elle s’y prenait. Elle ne se servait pas, en effet, du battoir qui est toujours employé en pareil cas, dans le pays, mais qui fait beaucoup de bruit et se bornait à frotter avec précaution le linge entre ses mains. » Cette démarche était d’autant plus désespérée, que la réputation de Marie-Jeanne Joly était perdue : « Le dérangement de ses mœurs, ses relations intimes avec un jeune remplaçant militaire qui n’étaient un secret pour personne, l’altération de ses traits, les tâches jaunâtres de son front et surtout le développement croissant de sa taille avaient rendu sa grossesse un fait de notoriété publique à Plouescat qu’elle habitait et dans les environs. Plusieurs fois on lui en avait parlé : on avait même averti sa mère et ses sœurs des bruits qui couraient sur son compte et on les avait engagées à y prendre garde 46. » Tout aussi vaine avait été la tentative de Renée Milin, aide-cultivatrice à Cléder, âgée de 19 ans, de cacher son accouchement. Elle s’était ostensiblement installée à l’entrée de sa maison quelques heures après sa délivrance, de manière à être vue de tous les passants. Elle cherchait ainsi à dissiper l’étrange impression qu’elle avait pu produire ce jour-là sur ses voisines, qui l’avaient vue errer dans les champs et voulait éviter que la nouvelle de son accouchement se répande : « Le 26 juin dernier, la fille Milin travaillait dans une parcelle qu’elle avait ensemencée de pommes de terre : c’était avant midi, une voisine l’apperçut, elle paraissait fort agitée, elle s’introduisit dans une pièce de fro46. AN/BB/20/151/1, F, 4e trim. 1850, Taslé, 3 novembre 1850.

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ment, qui bordait la parcelle de pommes de terre, elle regardait cette voisine avec anxiété, elle rentra chez elle vers midi, sans que la voisine cherchât à s’expliquer d’où provenait cette agitation. Une autre voisine entra le même jour, vers trois heures de l’après-midi chez la fille Milin qui était au lit. La mère parut fort contrariée de la présence inopinée de cette femme et s’empressa de dérober sa fille à ses regards, en fermant précipitamment le lit ; deux heures après, Renée Milin s’était levée, elle filait debout à la porte d’entrée de sa maison, ayant eu soin de tenir fermé le battant inférieur de la porte, ce qui empêchait de reconnaître s’il y avait quelque changement dans son état 47. »

L’exhibition de fausses preuves Un autre type de déni, postérieur à l’accouchement, auxquelles les accusées paraissent avoir encore plus fréquemment recours, consiste à tenter d’établir la fausseté des allégations qui les avaient visées. Le sens de cette démarche est de démontrer, par la présentation d’un linge ou d’une chemise tachés, que les règles, qui avaient été malencontreusement suspendues, ont repris leur cours normal. Renée Noton, journalière à La Guerche, enceinte des œuvres de son père, et peut-être particulièrement soucieuse d’en finir avec la rumeur, utilise tour à tour ces deux stratagèmes : « Le 17 avril, elle dut accoucher vers onze heures du matin. Afin de prouver qu’elle n’était pas enceinte, elle se découvrit devant une de ses voisines et lui fit remarquer qu’elle était dans ses mois. Là ne se bornèrent pas ses précautions, elle se promena dans la ville depuis une heure et demie jusqu’au soir 48. » De même, Jeanne Le Goff, « ménagère » à Guern, s’empresse-t-elle de parcourir les rues de son village pour annoncer la nouvelle du retour de ses règles. Mais elle le fait dans un esprit de revanche et avec une hardiesse qui sont perçus comme une « effronterie » : « Dans la nuit du 31 août au 1er septembre dernier, elle donna le jour à un enfant du sexe féminin et, dès le point du jour, elle s’empressa de parcourir son village, de tenir des propos menaçants aux personnes qui lui avaient précédemment parlé de sa grossesse, et pour leur prouver combien étaient injustes les calomnies qu’on avait répandues sur son compte, elle fît voir qu’elle avait ses menstrues. » Son attitude belliqueuse n’intimide guère ses voisines : « Elle rencontra des femmes qui avaient de l’expérience, qui reconnurent la nature du sang qu’elle perdait, et qui instruisirent le maire de l’accouchement de Jeanne Le Goff : ainsi les précautions qu’elle avait prises tournèrent à son détriment 49. » C’est aussi comme une effronterie qu’est perçue l’attitude de MarieFrançoise Nédélec, de Commana. Pour tenter de convaincre les femmes des environs qui, persuadées qu’elle a accouché, font irruption chez elle à 47. AN/BB/20/114/5, F, 4e trim. 1841, Lozach, 22 novembre 1841. 48. AN/BB/20/128, I-V, 3e trim. 1844, Robinot Saint-Cyr, 3 septembre 1844. 49. AN/BB/20/120, M, 4e trim. 1842, Robinot Saint-Cyr, 18 décembre 1842.

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la recherche de l’enfant, elle leur dévoile sa poitrine dans un geste de défi : « Qu’est devenu votre enfant ? disent ces femmes, tout émues, nous l’avons entendu crier… “Il n’est pas question d’enfant, répond froidement l’accusée, Je ne suis pas ce que vous pensez. [Puis présentant effrontément sa poitrine] Voyez, dit-elle, si c’est là le sein d’une femme qui vient d’accoucher. En tout cas, faites les perquisitions que vous désirez, je ne crains rien 50.” » Ces deux accusées, qui se sentent libérées par leur accouchement des pressions psychologiques de leur entourage, ont une attitude provocante à l’égard des auteurs de leurs tourments. Leur absence de diplomatie, peu respectueuse des prérogatives dont la communauté des habitants se sent investie dans la surveillance des conduites privées, n’est pas sans rapport avec la cruauté dont elles ont usé pour accomplir leur crime. L’autopsie du cadavre de l’enfant de Jeanne Le Goff révèle de multiples blessures : plaie au cou, mâchoire brisée, fracture de plusieurs côtes, lésions au crâne. Celui de Marie-Françoise Nédélec a la mâchoire inférieure « déchirée » jusque derrière l’oreille. Au maire qui lui demande : « Vous vous êtes donc servie d’un couteau, ou de quelque autre instrument pour déchirer ainsi votre enfant ? » elle répond : « Non, Je ne me suis servie que de mes mains ; c’est en le serrant et en le frottant contre le coin du banc que je l’ai mis dans cet état 51. » Cette cruauté reflète non seulement la haine ressentie à l’égard d’enfants qui ne sont que les fruits non désirés d’amours illégitimes, mais aussi le caractère insupportable de la surveillance dont elles ont fait l’objet. Les violences exercées sur l’enfant seraient, en quelque sorte, proportionnelles à la réprobation publique qu’elles ont sentie peser sur elles. Pour de nombreuses accusées, le terme de la grossesse apparaît comme la fin d’une épreuve. Marie-Jeanne Le Chat, journalière à Saint-Méloirdes-Ondes, exprime combien la « délivrance » que représente l’accouchement n’est pas tant physique que morale. Après s’être enfermée dans une étable au moment de ses couches et avoir refusé les secours que lui offraient ses voisines, elle s’empresse d’exhiber la preuve prétendue du retour de ses règles et laisse échapper son soulagement : « Lorsqu’elle fut délivrée, elle sortit et faisant remarquer du sang sur sa jupe et ses sabots elle dit : “Les babils du monde vont enfin finir !” Elle prétendait que ses menstrues qui avaient été supprimées venaient de reparaître naturellement 52. » Marguerite Bernard, domestique de ferme à Lanmeur, âgée de 24 ans, exprime le même sentiment d’apaisement au lendemain de ses couches et s’efforçant de rassurer sa mère, lui dit : « Vous ne serez plus inquiète, car mes menstrues sont revenues 53. » Le geste de présenter à la curiosité publique des traces de sang n’a pas la même signification pour toutes les femmes infanticides. Pour des domes50. AN/BB/20/29, F, 3e trim. 1826, de Kerautem, 28 juillet 1826. 51. Idem. 52. AN/BB/20/190/2, I-V, 3e trim. 1856, Bernhard, 5 novembre 1856. 53. AN/BB/20/210/1, F, 4e trim. 1858, Le Meur, 27 décembre 1858.

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tiques ou des journalières dont l’avenir économique est suspendu à la préservation de leur réputation, il s’agit d’un geste d’espoir. « J’avais bien raison de soutenir que je n’étais pas enceinte, voilà mes règles revenues. Je vais bien me porter, maintenant 54 ! » s’écrie Perrine Dubois, âgée de 40 ans, à l’adresse de ses maîtres, agriculteurs à Bourg-des-Comptes, qui, ayant entendu les vagissements d’un enfant et entrepris des recherches, découvrent des traces de sang dans leur étable. Mais les maîtres ne se laissent qu’exceptionnellement prendre à ce piège. Seule, parmi les domestiques qui recourent à cet expédient, Jeanne Yviquel parvient à convaincre sa maîtresse qu’elle n’a jamais été enceinte : « Jeanne Yviquel était depuis deux ans au service du Sr Denions, cordonnier à Guérande : elle était douce et diligente, sa conduite était réservée. Aussi, ses maîtres l’avaient prise en affection. Cependant un propos tenu par une autre domestique donna à penser à la femme Denions ; elle observa le linge de Jeanne Yviquel et reconnut que la circulation du sang était suspendue depuis plus de deux mois : elle manifesta ses soupçons à sa domestique qui se défendit avec force. Néanmoins elle la congédia : au bout de huit jours, Jeanne Yviquel revint et montra sa chemise ensanglantée. La femme Denions accepta cette justification et comme elle était satisfaite de son service, elle consentit à la reprendre 55. »

Le déni incite les femmes qui se préparent à commettre un infanticide à ne pas interrompre leurs activités professionnelles. Il leur arrive donc assez fréquemment d’être saisies des douleurs de l’accouchement alors qu’elles participent à un travail collectif. L’argument du retour impromptu des règles est utilisé par elles pour expliquer les traces de sang que leurs compagnons de travail ne peuvent manquer d’observer sur leurs vêtements. Le 30 août 1853, Marie Nicolas, femme Grabot, une journalière de Trigavou, âgée de 35 ans, est à moissonner avec d’autres ouvriers agricoles. Elle se sait proche du terme de sa grossesse. Mais comme elle a nié énergiquement son état et qualifié les personnes qui lui en parlaient de « mauvaises langues », elle s’efforce, par un surcroît d’activité, de donner le change à ses compagnons de travail. Elle se montre donc « plus gaie, plus alerte, plus agissante qu’aucun d’eux. Elle faisait de l’ouvrage comme six, ont dit les ouvriers qui partageaient son labeur 56 ». Lorsqu’elle ressent les premières douleurs, elle s’empresse de s’isoler. Mais son absence à l’heure du repas n’est pas sans intriguer ses compagnons : « Après le repas et lorsqu’elle retourna au travail, tous les ouvriers chuchotèrent et se dirent qu’elle venait sans aucun doute d’accoucher. Elle sentit la nécessité de se justifier et elle déclara alors que, pendant le repas, elle avait eu mal au cœur, qu’elle avait vomi trois fois et que les efforts qu’elle avait faits avaient fait reparaître son sang abondamment. “Voyez, ajouta-t-elle, mon tablier, comme il est 54. AN/BB/20/133, I-V, 2e trim. 1845, Fénigan, 5 juillet 1845. 55. AN/BB/320/182/1, L-I, 1er trim. 1855, Le Beschu de Champsavin, s. d. 56. AN/BB/20/168/2, C-N, 4e trim. 1853, Robinot Saint-Cyr, 13 décembre 1853.

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sanglant ! J’ai été obligée d’en demander un à la femme Lesage [propriétaire de la ferme] pour couvrir le mien. Comme le monde est méchant ! On disait partout que j’étais enceinte 57 !” » Et elle donne de son malaise une explication qui ne manque pas d’étrangeté, affirmant « qu’elle venait d’éprouver une crise heureuse, que depuis une année ses règles lui manquaient par suite de maux violents à l’estomac, qu’elle avait eu des vomissements abondants, qu’elle avait rejeté une grande quantité de vers, que, dans les efforts qu’elle avait faits, le sang avait reparu, et qu’elle ne s’était jamais mieux portée 58 ».

La physiologie au secours du déni Déni de grossesse et déni d’accouchement s’inscrivent dans une véritable rhétorique du fonctionnement du corps féminin. Quelques femmes, comme Marie Grabot, prennent prétexte d’étranges maladies pour expliquer leur apparence de grossesse. Mais c’est plus généralement au cours capricieux du flux sanguin et, conséquemment, à l’accumulation de liquides – sanguin ou aqueux – dans le corps féminin, que sont attribués la plupart des troubles qui l’affectent, et qu’il faut se garder de confondre, disent les inculpées, avec l’état de grossesse. Ce discours paraît si répandu qu’il ne trouve guère de contradicteurs, même parmi le public éclairé des médecins. L’explication par la maladie La maladie occupe une place non négligeable dans l’argumentaire des femmes qui se croient tenues d’expliquer l’épaississement de leur silhouette ou de justifier les douleurs dont elles sont saisies lorsqu’arrive le temps de l’accouchement. Elles invoquent alors, pour expliquer leur souffrance, des maux de tête, de dents ou de ventre. Peut-être s’agit-il là des maux les plus rebelles à la pharmacopée traditionnelle à laquelle ont habituellement recours les habitants des campagnes. Les maux de ventre, « d’entrailles », sont particulièrement adaptés à l’explication des douleurs de l’accouchement. Ils sont en outre en parfaite conformité avec la conjoncture sanitaire, puisque l’on sait que la dysenterie sévit de manière endémique en Bretagne au XIXe siècle. Hélène Le Saux prend prétexte de l’une de ces épidémies pour justifier un pressant besoin de s’échapper, au moment de ses couches, de la maison de ses maîtres : « Dans la nuit du 22 au 23 août dernier, Hélène Le Saux, domestique des époux Alano, cultivateurs au village de Saint-Illy en Baud, paraissait beaucoup souffrir. Se disant atteinte d’une maladie alors très commune dans les campagnes, la dysenterie, elle se leva, se plaça près du feu, 57. AD C-A 2U/76, acte d’accusation, 29 septembre 1853. 58. AN/BB/20/168/2, C-N, 4e trim. 1853, Robinot Saint-Cyr, 13 décembre 1853.

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sortit, rentra, se remit au lit, puis sortit de nouveau. La femme Alano se leva, fut la trouver et l’engagea à rentrer ; mais Hélène Le Saux dit qu’elle se trouvait mieux hors de la maison 59. » Le procédé est commun. JeanneMarie Frémont, domestique à Chavagne, âgée de 23 ans, cherche par le même moyen à se soustraire à la surveillance de ses maîtres : « En juin 1857, Jeanne-Marie Frémont entra au service des époux Renac. Dès lors, le développement de sa taille éveilla quelques soupçons et bientôt les signes de sa grossesse devinrent évidents pour tous. Dans la nuit du 18 au 19 septembre elle se plaignit de coliques, dysentériques suivant elle, et sortit une première fois entre onze heures et minuit. Vers deux heures, elle sortit de nouveau et Renac, qui s’était levé pour la surveiller, l’entendit pousser des cris de douleur au fond du jardin, où, le lendemain, il trouva des caillots de sang 60. »

Les parturientes disposent d’un véritable arsenal de maux susceptibles de légitimer le dérangement de leur santé. Parmi celles qui utilisent à cette fin le répertoire médical, la Vve Lépinay est une des rares à se cantonner dans la prudence pour décrire sa supposée maladie. Lorsque, informé de la rumeur qui annonce son accouchement, le maire de sa commune vient la trouver pour lui demander des éclaircissements, elle lui dit « qu’elle n’avait point été enceinte et qu’une maladie, dont elle ignorait le nom et la cause, avait seule occasionné les apparences de grossesse remarquées par les voisins 61. » Les femmes qui opposent aux investigations de la communauté les particularités de leur physiologie tirent fréquemment prétexte des aléas du flux menstruel. La logique de ce discours est très forte. Il met mal à l’aise les agents communautaires ou étatiques – maires, gendarmes, magistrats, prêtres – chargés du contrôle social ou de la répression des crimes, qui appartiennent tous au sexe masculin. Il s’appuie en outre sur un ensemble de représentations fortement ancrées dans l’imaginaire collectif qui fait de la femme un être perpétuellement malade, asservi aux contraintes de sa physiologie. Jean-Pierre Peter a mis en évidence la prédominance de cette conception dans la pensée médicale du XVIIIe siècle : « Tout en elle renvoie à son sexe et s’identifie à lui. La femme, au physique, est utérus. […] De là dérive que tout ce qui touche aux maladies des femmes s’entend comme l’expression même de leur nature de femmes. En tant qu’elles sont femmes, elles sont malades 62. » 59. AN/BB/20/76, M, 4e trim. 1834, Le Gall de Kerlinou, 24 janvier 1835. 60. AN/BB/20/200/1, I-V, 4e trim. 1857, Jollivet, s. d. 61. AN/BB/20/41, I-V, 4e trim. 1828, Le Painteur de Normény, 30 décembre 1828. 62. Peter, J.-P., « Les Médecins et les femmes », in : Misérable et glorieuse, la femme du XIXe siècle, Paris, 1984, p. 81 ; « Entre femmes et médecins : violence et singularités dans les discours du corps et sur le corps d’après les manuscrits médicaux de la fin du XVIIIe siècle », Ethnologie française, 1976, VI, 3-4, p. 341-348, et : Knibielher Y., Fouquet C., La Femme et les médecins : analyse historique, Paris, 1983.

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Les « affaires » des femmes : les règles Les diverses expressions employées pour désigner les règles sont particulièrement significatives de l’assujettissement de la femme à sa physiologie. La menstruation y apparaît comme la composante essentielle de sa nature. Ainsi, dans la déposition d’une fileuse entendue dans l’affaire Michelle Dano, les règles sont-elles présentées comme « les marques » mêmes de la féminité. S’exprimant sur l’origine supposée de leur suppression chez l’inculpée, elle déclare : « Elle m’a dit que lors de la récolte des chanvres de l’année dernière, elle en avait porté une grande quantité à rouir; qu’elle était en sueur ; que dans cet état, elle était entrée dans l’eau ; que depuis ce temps elle ne voyait plus les marques de son sexe ; que déjà pareilles suppressions lui étaient arrivées précédemment ; qu’elle avait eu la fièvre 63. » Il y a donc une visibilité du bon fonctionnement du corps féminin, comme de ses dérèglements, qui justifie et facilite l’exercice du contrôle social. « Voir » est même synonyme d’avoir ses règles. « Je n’ai encore rien vu », écrit, par exemple Séverine Lebez à son amant Chauvigné, pharmacien, lorsqu’elle prend conscience de sa grossesse, dans l’espoir sans doute qu’il lui procure des remèdes propres à faire revenir ses menstrues 64. Même clandestine, la vie sexuelle des femmes présente la particularité d’être lisible sur leur corps. C’est bien l’absence de traces tangibles de la régularité de l’écoulement menstruel chez sa fille, une blanchisseuse de 25 ans, qui inquiète la mère d’Adrienne Fichoux : « Il y a quatre à cinq mois, j’avais des inquiétudes sur le compte de ma fille qui ne voyait plus ses règles, attendu surtout que je n’en avais pas remarqué la suppression avant cette époque 65. » Les règles sont aussi la grande affaire des femmes, elles sont au centre de bien des conversations. C’est précisément sous le terme d’« affaires » qu’elles sont quelquefois désignées dans le langage courant. Marie-Jeanne Le Bonzec, cherchant, peu après un accouchement clandestin, à convaincre sa belle-sœur du rétablissement de sa santé, lui dit, en lui montrant des traces de sang : « Voyez maintenant que mes affaires coulent, si je ne deviendrai pas bientôt comme vous-autres 66. » Cette expression n’est pas propre aux classes populaires. La femme d’un capitaine de navire de Nantes l’utilise également pour informer son mari de l’état de santé de leur servante, Marie-Agathe Jamet. N’ayant pas remarqué que cette dernière venait d’accoucher et prenant les multiples traces de sang qu’elles avaient observées dans son lit et sur ses vêtements pour un violent retour de règles, consécutif à une longue suspension, elle annonce à son mari « que ses affaires [les 63. AD M U1997, Louise Lorgeoux, 34 ans, fileuse, 13 juin 1827. 64. AN/BB/20/163/1, I-V, 4e trim. 1852, Lambert, 30 novembre 1852. 65. AD F 4U2/113, Marguerite Fichoux, 59 ans, mère naturelle de la prévenue, 21 juillet 1849. 66. AD M U/1998, Pierre Kerhouant, 34 ans, maire de Gestel, 6 juillet 1827.

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règles de Marie-Agathe Jamet] étaient enfin venues, mais qu’elle était baignée dans le sang, ce qui n’était pas extraordinaire par le temps qu’elles lui manquaient 67 ». Cette image d’un violent retour du sang, proportionnel à la durée de l’aménorrhée, n’est pas exceptionnelle. Elle paraît même posséder, dans la langue bretonne, une désignation particulière. On en trouve mention dans la déposition d’une couturière entendue comme témoin dans l’affaire Marie-Jeanne Labat : « À sept heures du matin, je demandai à la femme Tassin ce que sa sœur [Marie-Jeanne Labat] avait, et elle me répondit c’est un retour de menstrues (dirolladen), c’est-à-dire un coup de sang par suite de ce retour 68. » On rencontre la même formulation dans l’affaire des époux Deschamps, agriculteurs à Cesson. Interpellé, au lendemain de l’accouchement de sa femme par l’un de ses ouvriers agricoles, qui lui demandait « ce qu’il avait fait de son petit gars », le mari rétorquait : « Tu es mal avisé, ma femme n’a eu qu’un éboulement de sang 69. » Cet homme n’était pas le père du nouveau-né et n’en voulait à aucun prix. Ayant participé à l’infanticide, il avait tout intérêt à faire passer l’accouchement de sa femme pour un simple « éboulement » de sang. Le terme « déboulement » est également employé, avec le même sens, dans un autre dossier d’Ille-et-Vilaine. Gilonne Orain, cultivatrice à Talensac, soupçonnée de complicité dans le crime imputé à sa fille Louise, soutient que celle-ci n’a jamais accouché. Elle aurait souffert d’un simple malaise, lié au retour du flux menstruel : « Le 9 mai, entre quatre et cinq heures du matin, ma fille se plaignant toujours d’une violente colique alla dans le jardin, je ne la suivis pas. Au bout d’un quart d’heure, j’entrai moi-même dans le jardin… Je lui demandai si elle allait bientôt rentrer, elle me répondit : Oui ! et je retournai à mon ouvrage, dans la maison. Une demi-heure après, voyant qu’elle ne rentrait pas, je me rendis pour la seconde fois au jardin, et j’aperçus du sang dans le sentier ; en ce moment, ma fille revenait du bas du verger, elle rentra à la maison et je la suivis, sans lui demander ce qu’elle avait eu, pensant qu’il ne s’agissait que d’un déboulement de sang, comme j’en avais eu moimême il y a quatorze ans 70. »

Par sa soumission au cycle menstruel, la femme s’inscrit, à sa manière, dans le cycle général de la nature, avec ses mois et ses saisons. Les « mois » sont, du reste, une autre manière de désigner les règles. Dans sa stratégie de déni, Désirée Noton se découvrait, peu après sa délivrance, devant une de ses voisines et lui faisait remarquer qu’elle était « dans ses mois ». L’idée que les cycles féminins s’inscrivent dans le cycle général de la nature est exprimée avec une apparente conviction par Rosalie Hogrel, qui n’hésite pas à calquer le rythme de ses menstrues sur celui des saisons. À sa 67. AD L-A 5U87, p.-v. du commissaire de police du 5e arrondissement de Nantes, 2 décembre 1834. 68. AD F 4U2/168, Françoise Jandel [Saudel ?], 49 ans, couturière à Plouarzel, 1er décembre 1860. 69. AN/BB/20/137, I-V, 4e trim. 1846, Tarot, 30 décembre 1846. 70. AN/BB/20/174/2, I-V, 4e trim. 1854, Le Beschu de Champsavin, 27 décembre 1854.

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logeuse, inquiète de ne pas voir de traces de sang sur son linge, elle aurait répondu : « Je ne suis guère dans mes règles en hiver, mais j’y suis beaucoup en été 71. » Dans son esprit, le rythme saisonnier du flux menstruel repose sur l’alternance du temps froid, qui fait obstacle à l’écoulement du sang, et du temps chaud qui, au contraire, le favorise. L’opposition du froid et du chaud vient, à ses yeux, pleinement légitimer la disparition de ses règles, constatée au cours de l’hiver par sa logeuse : « Quand cette fille entra chez moi je vis qu’elle était réglée, mais très peu, et cet hiver dernier, ne la voyant point du tout réglée, je lui en demandai la cause et elle me répondit, que dans l’hiver cela n’allait pas, mais que cela allait abondamment dans le haut temps 72. » Une seconde accusée, Anne-Marie Renault, âgée de 25 ans, domestique à Loscouët, tient à peu près le même discours : « Aux questions réitérées de sa maîtresse, elle avait toujours répondu par des dénégations ajoutant que, chaque année, pendant l’hiver, elle engraissait par suite d’une suppression de ses règles et qu’incessamment elle maigrirait 73. » Ce système d’interprétation est proprement inspiré d’Hippocrate qui écrivait, à propos des villes exposées au vent froid : « Chez les femmes, la dureté, la crudité et le froid de l’eau y rendent généralement le corps rigide ; l’écoulement menstruel n’y a ni la régularité, ni les qualités convenables, il est peu abondant et de mauvaise nature 74. » Yvonne Verdier, dans une enquête ethnologique réalisée auprès des femmes de Minot (Bourgogne) dans les années 1970, constatait la persistance de ces représentations qui ajustent la périodicité féminine sur les cycles de la nature. Mais les femmes de Minot mettaient surtout l’accent sur la correspondance, frappante, il est vrai, entre le rythme physiologique de la femme et le rythme cosmique de la lune : « Ces grands rythmes physiologiques qui ont leur siège dans l’organisme féminin ne sont pas une donnée première : tout le monde reconnaît à Minot qu’ils répondent au rythme cosmique d’un astre, la lune. Le cycle menstruel est calqué sur le cycle lunaire, la grossesse dure un nombre fixe de lunaisons, l’accouchement prend place au moment du changement de lune 75. » Dans le langage commun, la femme apparaît aussi comme un être qui a besoin d’être régulièrement purgé d’un trop-plein d’humeur. Les « évacuations » sanguines ou « purgations », sont perçues comme une des composantes de son système biologique. Michelle Dano, peu après la découverte de son crime, pour convaincre le juge d’instruction venu l’interroger qu’elle n’avait jamais été enceinte affirmait : « Je répète que rien n’est sorti de mon corps, si ce n’est le sang de mes évacuations menstruelles 76. » Et 71. AD I-V 2U4/616, Marguerite Abraham, 22 ans, débitante de boissons, 14 mai 1825. 72. Idem, Vve David, 70 ans, fileuse, 16 mai 1825. 73. AD C-A 2U/770, acte d’accusation, 1er juillet 1859. 74. Hippocrate de Cos, De l’Art médical, présenté par D. Gourevitch, Paris, 1994, p. 101. 75. Verdier Y., op. cit., p. 61. 76. AD M U1997, interrogatoire, 10 juin 1827.

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c’est aussi par l’absence de ses « purgations mensuelles » que Marguerite Collin, âgée de 31 ans, domestique à Plouhinec, justifiait l’origine de son embonpoint. L’absence de purgations est source de déséquilibre pour le corps féminin, elle peut le faire enfler démesurément. Le terme même de règles – appartenant selon Jacques Gélis à la médecine savante et passé dans le langage courant à la fin du XVIIIe siècle – implique l’idée de régularité et d’équilibre : « L’équilibre des règles conditionne l’équilibre du corps. » Les règles sont, au prix d’une « perturbation qui affecte l’économie générale de la femme […], la condition de son équilibre intérieur : son corps se purge d’un trop plein de superfluités 77. » Cette vision de la femme pléthorique qui doit être purgée de ses superfluités sanguines appartient à la tradition antique mais semble avoir conservé toute sa vigueur au XIXe siècle. Le célèbre accoucheur François Mauriceau, s’interrogeant, à la fin du XVIIe siècle, sur la cause de l’évacuation périodique du sang féminin, exposait les différents points de vue en présence dans le corps médical. Tous se référaient aux écrits des Anciens : « Les uns, avec Aristote l’attribuent à la lune, qui a grande domination sur tous les corps humides comme est celui de la femme, que l’on dit en raillant être lunatique à cause de cela. C’est ce qui a fait donner du crédit à ce vers : Luna vetus vetulas, juvenes nova Luna repurgat. D’autres, qui sont du sentiment de Galien, au 2e livre de La Semence, et au 14e de L’Usage des parties rapportent cela au tempérament froid et à la vie sédentaire de la femme, laquelle ne pouvant consumer pour sa nourriture tout le sang qu’elle engendre, il arrive qu’étant en trop grande abondance, la nature s’en décharge de temps en temps sur les parties génitales de la femme, qui sont les parties les plus faibles de son corps : et d’autres (avec assez de raison, ce me semble) veulent que la principale cause de cette évacuation soit une certaine fermentation qui se fait dans toute la masse du sang, laquelle jointe à son abondance, le fait sortir par les voyes les plus disposées à le laisser écouler, comme sont celles de la matrice, ainsi que nous voyons que le vin nouveau, qui dans le temps de la fermentation, vient à se faire passage et à sortir par les plus faibles endroits du tonneau qui le contient 78. »

La conception d’une pléthore de la matrice est également très présente dans la théorie de Jean-Louis Baudelocque. L’évacuation de cette superfluité lui paraît indispensable à la préservation de la santé féminine, aussi écrit-il : « La matrice, avant l’âge de la puberté ne reçoit que le sang nécessaire à sa nutrition et à son accroissement ; mais depuis cette époque jusqu’à l’âge de quarante-cinq à cinquante ans, elle éprouve périodiquement une pléthore sanguine qui est suivie d’un dégorgement plus ou moins abondant, qu’on désigne communément sous le nom de règles. Presque toutes les 77. Gélis J., op. cit., p. 31-32. 78. Mauriceau F., Traité des maladies des femmes grosses et de celles qui sont accouchées… Paris, 1694, p. 48-49.

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femmes sont sujettes à cette évacuation dont le dérangement ou la suppression hors le temps de la grossesse et de l’allaitement, ne manque guère d’altérer leur santé. S’il s’en rencontre quelques-unes qui ne soient pas réglées, il en est peu qui n’éprouvent périodiquement une évacuation quelconque, qui tienne en quelque sorte lieu de la première. Chez les unes, il se fait un écoulement de sang par le nez ; chez les autres par les points lacrymaux, par les oreilles, par les mamelles 79… »

Si elle a pour fonction de rétablir l’équilibre interne de la femme, la période des règles ne lui est pas pour autant particulièrement favorable. C’est une période trouble, semée de dangers qui viennent justifier un grand nombre d’interdits. Sous la plume des hommes, elle est très nettement associée à un état pathologique. Le sang menstruel est depuis l’Antiquité, et particulièrement dans les écrits de Pline, doté de pouvoirs corrupteurs 80. Au Moyen Âge, écrit Marie-Christine Pouchelle, « il est particulièrement redouté, chargé à la fois de toutes les noirceurs de la mélancolie et de tous les pouvoirs de la féminité. Sa composition mélancolique 81 en fait une inépuisable source de maladie dès qu’il est accidentellement emprisonné à l’intérieur du corps 82 ». Les hommes du XIXe siècle ne s’éloignent guère de cette vision horrifiée des mystères physiologiques de la femme, centrée sur l’image d’une « blessure interne 83 ». Il ne faut donc pas s’étonner si, au cours d’une perquisition dans le fenil où logeait Julienne Godard, le juge de paix de Saint-Briceen-Coglès, associe la menstruation à une maladie. « Nous avons remarqué écrit-il que [son] drap était teint de sang dans plusieurs endroits ; mais les marques de sang ne nous ont pas paru assez fortes pour pouvoir assurer si elles étaient l’effet de l’accouchement, ou des maladies naturelles à son sexe 84. » Hüe reprend, trente ans plus tard, la même image dans le compte rendu de l’affaire Marie Hamel, une domestique de Mohon, âgée de 32 ans : « Quoique la grossesse de Marie Hamel ne fût un mystère pour personne dans la commune de Mohon, elle n’avait jamais voulu l’avouer. Elle [attribuait] le développement de sa taille à ce qu’ayant séjourné dans l’eau froide pendant ses maladies mensuelles, ses règles avaient cessé de paraître 85. » 79. Baudelocque J.-L., L’Art des accouchements, 4e éd., Paris, 1807, t. 1, p. 173. 80. Pline l’Ancien, Histoire naturelle, Livre VII, chap. XIII-XIV et livre XXVIII, chap. XXIII : « Son seul regard ternit l’éclat des miroirs, émousse le tranchant du fer, efface le brillant de l’ivoire… à son contact, le lin qu’on fait bouillir noircit… le cuivre prend une odeur fétide et se rouille », cité par Y. Verdier, op. cit., p. 21. 81. La mélancolie est, avec le sang, le phlegme, et la bile, l’une des quatre humeurs des théories galénique et hippocratique. 82. Pouchelle M.-C., « Le Sang et ses pouvoirs au Moyen Âge », Mentalités, 1, 1988, p. 33. 83. Voir Moreau T., « Sang sur : Michelet et le sang féminin », Romantisme, 31, 1981, p. 151-165. 84. AD I-V 2U4/614, le juge de paix de Saint-Brice-en-Coglès au juge d’instruction de Fougères, 25 septembre 1822. 85. AN/BB/20/168/2, M, 4e trim. 1853, Hüe, s. d.

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Il n’est cependant pas possible d’affirmer que cette vision pathologique des règles est particulière aux hommes. On la rencontre également dans le discours de Marie Phélipeau, domestique. Au magistrat qui lui demande si ses anciens maîtres ne l’ont pas renvoyée parce qu’elle était enceinte, elle rétorque : « J’avais dit plusieurs fois à la bourgeoise que depuis longtemps je n’avais pas mes maladies, ce qui lui fît me demander un jour si je n’étais pas enceinte. » Et non sans ruse, elle ajoute : « Si je suis sortie de condition, c’est uniquement parce que le médecin m’avait dit qu’il était nuisible à ma santé d’aller laver 86. » Représentations du corps féminin dans les discours de déni Dans les discours de déni, la femme apparaît comme un être de nature, soumis – à l’exemple des végétaux – aux variations climatiques et au cycle des saisons. Son organisation physiologique est entièrement dépendante de l’harmonie des divers éléments corporels et plus précisément de ces deux fluides vitaux que sont l’eau et le sang. L’eau et le sang L’eau froide est considérée comme néfaste aux femmes en période de règles. Elle est susceptible de figer le cours de leur sang. Bien des inculpées expliquent ainsi leur aménorrhée. Ce raisonnement, comme celui qui rend l’alternance des saisons responsable des variations du cycle féminin, se fonde sur l’opposition du froid et du chaud. Mais dans l’esprit des femmes qui nient leur état, le froid n’est pas le seul élément susceptible d’expliquer le dérangement de leur flux sanguin. La chaleur peut produire les mêmes effets. C’est, par exemple, à la chaleur excessive du four où elle a fait sécher son avoine que Noëlle Le Bouëtté, une servante de ferme de Goudelin, âgée de 19 ans, attribue la suspension de ses règles. Lorsqu’elle était allée, dans le cours de sa grossesse, consulter une sage-femme pour lui demander des remèdes propres à les faire revenir, elle avait cherché, « à surprendre la bonne foi de la matrone en attribuant la suppression à une grande chaleur qu’elle aurait éprouvée en tirant de l’avoine d’un four ; elle demandait instamment un remède fort et bien amer 87 ». L’excès de chaleur peut être tout aussi néfaste que l’exposition brutale au froid, car une tradition héritée de l’Antiquité fait de la femme, par opposition à l’homme, un être froid 88. Or, dans le savoir populaire sur le corps, tout repose sur la notion d’équilibre. Comme le notent Françoise Loux et Philippe Richard, si le sang est trop chaud, « cela signifie qu’il circule mal 86. AD L-A 5U66/2, interrogatoire, 5 avril 1828. 87. AD C-A 2U/612, réquisitoire définitif, 18 avril 1840. 88. Depuis Aristote jusqu’à Hippocrate. Voir aussi Héritier F., Masculin/féminin : la pensée de la différence, Paris, 1996, p. 219.

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ou qu’il est soumis à une trop grosse chaleur extérieure qui risque de l’épaissir […]. Par contre, trop froid, il circule également mal, le froid extérieur, la peur aussi peuvent provoquer un effet de “sang glacé 89”. » C’est pourquoi, le remède proposé à Olive Cougan, domestique à Séné, qui attribue le dérangement de sa santé à l’eau froide, est un bain de pieds chaud, destiné à réguler la fluidité de son sang. « Elle se plaignait toujours, rapporte la domestique qui partage sa chambre, de coliques violentes et d’une soif excessive. Je venais, en ce moment de tirer les vaches, et je lui offris du lait, elle ne voulut pas en boire et me dit que ses coliques étaient occasionnées par une suppression de ses règles qu’elle devait à ce qu’elle avait été dans l’eau. Je fis chauffer de l’eau que je mis dans un seau, et je lui conseillai de prendre un bain de pieds. Elle n’en voulut rien faire, sortit de nouveau de la maison et fut dans la loge à charrette 90. »

Le rétablissement des règles, allégué par les inculpées après leur accouchement, relève du même système de pensée. C’est par la transition brutale du chaud au froid que Marie-Josèphe Perrigault, une mendiante de Loudéac, soupçonnée de récidive, justifie la disparition de son embonpoint. Une ménagère du même village dépose en effet : « Il y a dix-sept à dix-huit mois, la fille Perrigault présentait encore tous les signes extérieurs de grossesse, elle soutenait également cette fois-là que ses règles s’étaient arrêtées et quand son embonpoint eut disparu, je lui demandai comment elle avait été débarrassée : elle me répondit que pendant qu’elle était au douai [doué], le sang avait repris son cours et qu’elle s’était trouvée ainsi guérie 91. » Louise Brochard, domestique à Soulvache, adopte le même système pour expliquer le retour de ses menstrues : « Dans ses interrogatoires, elle est tombée dans les contradictions les plus choquantes, après avoir nié être accouchée le 1er novembre, avoir affirmé qu’elle était allée à l’office, avoir soutenu qu’elle n’avait jamais cessé d’être réglée périodiquement, elle a subitement changé de système de défense et maintenu que privée de ses règles depuis un an, par suite d’une transition subite du chaud au froid, elle avait eu le 1er novembre une perte considérable, qui avait pu faire croire à un accouchement qui n’avait jamais existé 92. »

Le système de représentations qui sous-tend cette rhétorique n’est sans doute pas très éloigné de celui que Françoise Héritier a observé chez les Samo du Burkina-Faso : en l’absence d’« évacuations » la femme emmagasine le sang dans son propre corps et, comme le sang a la propriété d’appartenir au domaine du chaud, elle devient elle-même un être chaud 93. Il 89. Loux F., Richard P., « Le Sang dans les recettes de médecine populaire », Mentalités, 1, 1988, p. 126. 90. AD M U2029, Françoise Hennery, 35 ans, domestique, 30 juillet 1831. 91. AD C-A 2U/565, Marie Pinçon, 73 ans, ménagère, 8 février 1837. 92. AN/BB/20/108, L-I, 2e trim. 1840, Le Meur, 28 juillet 1840. 93. Héritier F., op. cit., p. 70.

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y a donc danger, pour une femme dont les règles sont suspendues depuis longtemps, qui par conséquent est devenue un être chaud, à s’exposer brutalement à l’eau froide. Mais la suspension des règles ne repose pas seulement sur l’opposition du chaud et du froid. Dans le discours des nombreuses accusées qui fondent toute leur stratégie de déni sur les effets de l’eau avec laquelle elles ont été en contact à l’occasion d’une lessive, un autre antagonisme se fait jour, celui de l’eau et du sang. La lessive est par conséquent doublement dangereuse. C’est sans doute pourquoi elle fait traditionnellement partie des interdits dont sont frappées les femmes au moment des règles 94. Il y a, dans le cas de la lessive, superposition de deux systèmes binaires (froid/chaud, eau/sang), susceptibles d’expliquer les dysfonctionnements des cycles féminins. Françoise Héritier remarque à ce sujet que : « Le langage en catégories dualistes est un des constituants élémentaires de tout système de représentations, de toute idéologie envisagée comme la traduction de rapports de forces 95. » Parmi ces systèmes de représentations, l’opposition chaud/froid est à ses yeux la « catégorie conceptuelle centrale » : « Elle joue, écrit-elle, comme mécanisme explicatif des institutions et des événements […]. Tous les éléments naturels relèvent de l’un ou de l’autre de ces deux pôles. Au froid est associé l’humide ; au chaud est associé le sec. L’équilibre du monde tient dans la balance harmonieuse entre ces éléments. » L’antagonisme de l’eau, associée au froid, et du sang, qui appartient au chaud, ressortit sans doute au même mode d’interprétation. Hydropisie et moles Plusieurs femmes expriment non sans subtilité l’idée qu’en l’absence de règles, leur corps retient une quantité importante d’eau, ce qui peut donner à des observateurs étrangers l’impression qu’elles sont enceintes. Ainsi Julienne Godard, affirme-t-elle que son corps est empli d’eau. L’un des témoins entendus lors de l’instruction déclare : « Le samedi d’auparavant [le crime], dans l’après-midi, il entendit la même Godard dire à des personnes qui étaient dans sa cour qu’elle avait rendu plus de quatre pots d’eau, qu’elle en avait encore plus de dix dans le corps 96. » Cette image est également utilisée par Jeanne Dauphin, une cultivatrice de Combourg, âgée de 35 ans : « Elle était enceinte depuis huit à neuf mois », écrit Androuïn, « et avait constamment dissimulé sa grossesse. Le dimanche 16 octobre, se sentant prise de douleurs, elle s’enferme chez elle, après avoir dit aux voisins qu’elle a mal aux dents, mais que néanmoins elle va se rendre à la grand-messe. Le 94. Au moment de ses règles, la femme est supposée être dotée de pouvoirs maléfiques, putréfiants, sur les conserves et boissons fermentées et, d’une manière générale, sur toutes les « préparations où l’agent de transformation n’est pas le feu », Verdier Y., op. cit., p. 20. 95. Héritier F., op. cit., p. 72-75. 96. AD I-V 2U4/614, François Fraudebœuf, 59 ans, cultivateur, 30 septembre 1822.

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lundi matin, elle dit à Jeanne Trotoux, sa voisine : “Ce qu’on disait n’est pas vrai. Hier je suis allée à Tinteniac chez M. Aubert, médecin, il m’a donné une liqueur qui m’a endormie, puis il m’a retiré du corps beaucoup d’eau et de sang 97.” »

Jeanne Dauphin n’est pas la seule à appuyer sur l’autorité médicale sa stratégie de dénégation. Anne Doudard soutient également que son amant, l’officier de santé Duronceray, a diagnostiqué chez elle un syndrome de rétention d’eau. Sa mère, la Vve Le Chat, tente par ce moyen, mais sans trop y croire, de convaincre une de ses voisines : « Il y a environ 15 jours, la Vve Lechat étant venue à la maison pour

acheter du savon […] nous dit que sa fille commençait à mieux se porter, qu’elle avait été deux dimanches sans aller à la messe, mais que le dimanche suivant, elle y paraîtra bien verte, que l’eau avait coulé sous elle et qu’elle avait rendu bien de la misère, qu’elle avait demandé au sieur Duronceray ce qu’elle avait et qu’il lui avait répondu qu’elle avait le corps plein d’eau ; qu’elle, Vve Le Chat, était comme les autres, qu’elle ne savait pas ce que cela voulait dire et avait des soupçons et que même sa fille et elles avaient été en mauvais ménage pour cela 98. »

Anne Doudard reprend cette argumentation dans une conversation avec son amie Jeanne Le Ray, qui croit reconnaître chez elle les signes annonciateurs de l’accouchement. Lorsque le juge de paix de Louvigné-du-Désert se transporte au bourg de Mellé pour enquêter sur le crime, Jeanne Le Ray croit devoir lui faire des révélations. « Comme elle sortait, lui explique-t-elle, j’apperçus des tâches au derrière de son juppon [sic] et je lui dis : Il paraît, Nannon, que vous avez vos règles ; à cela elle répondit : “Non, mais c’est l’eau qui marche sur moi depuis quelque temps à cause d’une toux que j’ai depuis quinze jours 99.” La mère de la prévenue me dit que sa fille était réellement grosse, et que lorsqu’elle avait vu l’écoulement des eaux, elle avait pensé que sa fille était près d’accoucher. Lorsque la prévenue fut rentrée, je lui dis que j’avais ouï dire que lorsque l’eau marchait ainsi sur les femmes, c’était un signe qu’elles étaient sur le point de mettre leur enfant au monde, qu’elle n’allât pas nous faire un pareil présent, que je ne savais ce que c’était que ça et que j’en serais fort embarassée [sic] 100. »

On note, dans l’imaginaire des femmes du peuple, la personnification des éléments qui gouvernent leur physiologie, aussi bien que des événements qui peuvent influer sur leur destin. Ainsi, l’eau marche sur elles, comme la colique est susceptible de leur parler 101. « Bourgeoise, voilà le 97. I-V, 1er trim. 1854, Androuïn, 8 mars 1854. 98. AD I-V 2U4/614, Françoise Chauvel, 33 ans, tisserand, 8 décembre 1824. 99. Idem, Jeanne Le Ray, domestique : « J’étais enrhumée et quand je toussais l’eau sortait sous moi », dira-t-elle aussi, interrogatoire, 14 décembre 1824. 100. Id., 12 décembre 1824. 101. Voir le chapitre II : Marie-Françoise Olivier « dit que la colique lui avait parlé », AD C-A 2U/407 [1825].

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sang qui coule sur moi et je vais abîmer votre lit » dit aussi à sa maîtresse, Marie Guillemain, domestique dans un moulin de La Trinité-sur-Mer, totalement désarmée par une hémorragie qui vient trahir son accouchement 102. Cette vision ne fait que renforcer l’impression d’un fort déterminisme régissant le fonctionnement de leur corps et leur fatalisme face à des états qui, comme la grossesse extraconjugale sont, évidemment, bien plus subis que désirés. Les divers éléments du corps paraissent ainsi posséder leur propre indépendance et mener une existence autonome. Cette autonomie ressort de l’interrogatoire de Marie-Anne Robin, journalière à Moëlan, qui ne sait comment expliquer les traces de lait constatées par les médecins sur sa poitrine : « Comment, lui demande le juge, expliquez-vous le lait qu’on trouve dans vos seins ? – J’ai été quatre ans nourrice, dans l’intervalle j’ai eu un enfant et depuis le lait ne m’a pas quittée. – Votre fille va avoir huit ans ce mois-ci, vous l’avez nourrie ainsi qu’un enfant de votre sœur pendant trois ans ; votre lait a dû vous passer immédiatement et vous n’en aviez plus quand vous êtes devenue grosse de votre fils. Vous avez nourri votre fils pendant trois mois et voilà quinze mois qu’il est mort, le lait vous a encore passé et il n’est revenu qu’après votre accouchement récent ? – [Elle ne répond pas, se bornant à dire] qu’elle a du lait et qu’elle en aura encore. – […] Votre fils n’est-il pas mort subitement sans avoir été malade ? – Il a été deux jours sans téter, il n’avait plus de lait, je lui ai donné du lait de vache. – Comment alors avez vous du lait aujourd’hui ? – Il vient et il s’en va. »

L’accumulation d’eau et de sang dans le corps, qui vient légitimer l’apparence de grossesse, repose sur un savoir populaire qui se réfère à de multiples affections que la médecine des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles rassemblait sous le nom d’hydropisie. Antoine Portal (1742-1832), premier médecin des rois Louis XVIII et Charles X, définissait l’hydropisie comme une « accumulation de fluides séreux plus ou moins chargés d’autres substances, dans le tissu cellulaire des diverses parties du corps ainsi que dans ses cavités, dans ses vaisseaux, dans ses organes 103 ». Elle était susceptible d’affecter à peu près tous les organes : la tête, la colonne vertébrale, l’épine dorsale, les yeux, le bas-ventre, la matrice. Les hydropisies rencontrées dans le déni de grossesse appartiennent à deux catégories. Les premières relèvent de l’épanchement d’eau, et justifient l’enflure du corps. Les secondes, décrites par les accusées comme des boules de sang ou de chair, se rattachent aux moles ou hydatiques 104 et appartiennent à la catégorie des hydropisies enkystées. 102. AD M U1997, Rosalie Duvalet, 28 ans, meunière, 17 juin 1828. 103. Portal A., Observations sur la nature et le traitement de l’hydropisie, Paris, 1824, t. 1, p. X-XI. 104. Également appelés hydatides. Mauriceau définissait la mole comme « une masse charnue, sans os, sans articulation et sans distinction des membres, qui n’a aucune véritable forme ni figure régulière déterminée, engendrée contre nature dans la matrice ensuite du coït, des semences corrompues de l’homme et de la femme », op. cit., p. 109.

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Une dizaine de femmes, telle Jeanne Deluen, enceinte des œuvres de son père, attribuent leur embonpoint à l’hydropisie. Interrogée par une sage-femme de sa commune, elle « prétendit avoir été consulter les médecins de l’hospice et que ceux-ci lui avaient dit qu’elle était hydropique 105 ». L’entourage est parfois dupe de ces assertions. L’adjoint au maire de Saint-Conan, interrogé sur Claudine Lozach, déclare au juge qui s’est transporté sur les lieux : « Cette fille n’avait pas mauvaise réputation. On la disait malade, quelques personnes la disaient hydropique mais j’ignorais qu’elle fut grosse 106. » De même, Marie Le Loirec, âgée de 35 ans, cultivatrice à Saint-Pierre, se fondant sur le caractère héréditaire de cette affection, parvient-elle facilement à convaincre ses proches : « Marie Le Loirec habitait avec sa sœur et son beau-frère, les époux Moisan : sa conduite avait toujours été régulière, aussi accepta-t-on d’abord facilement le bruit qu’elle répandait, pour expliquer son embonpoint, qu’elle était hydropique, maladie dont était morte sa mère. Bientôt cependant on ne douta plus de sa grossesse ; les époux Moisan, si on les croit, rassurés par ses affirmations, continuèrent à penser qu’elle était hydropique 107. » Quant à Jeanne Boixel, fileuse à Caulnes, elle est même parvenue en 1862 à convaincre un officier de santé de la réalité de son hydropisie 108. L’idée est parfois exprimée par certaines accusées qu’en l’absence de règles, une énorme quantité de sang peut s’accumuler dans leur corps. Marie Phélipeau essaie d’en persuader le juge : « Dimanche dernier, je fus saisie de violentes douleurs qui me forcèrent de me mettre au lit. Je souffrais tant que je croyais que j’allais mourir et j’envoyai chercher mon confesseur, Monsieur Massen, curé de la paroisse. Je ressentais comme une boule qui de mon estomac remontait à la gorge. Une crise se manifesta. J’eus une perte de sang considérable, ce qui diminua les douleurs que j’éprouvais. Cette perte de sang peut être attribuée à un amas de sang considérable, car depuis un an je n’avais pas eu mes règles […]. L’absence de mes règles a occasionné chez moi un amas de sang qui me faisait paraître très épaisse, précise-t-elle. Ce sang s’est dégagé à la suite de grandes douleurs 109. »

Mais le déni d’accouchement s’exprime fréquemment aussi par le récit de l’évacuation de faux germes ou de moles. On en trouve une dizaine d’exemples. Ainsi la Vve Lépinay prétend-elle avoir évacué de son corps, non un enfant mais une simple boule de sang. Elle raconte au maire qui s’est transporté chez elle, qu’elle « avait éprouvé, vers dix heures du soir, des coliques si violentes, qu’elle avait perdu connaissance ; que revenue de cet évanouissement, dans le cou105. AD L-A, 5U/133/1, Suzanne Minaud, 56 ans sage-femme, 20 mai 1845. 106. AD C-A 2U/686, François Serandour, 62 ans, cultivateur et adjoint de Saint-Conan, 1er mars 1845. 107. AN/BB/20/235/2, M, 2e trim. 1861, Tiengou de Tréfériou, 24 juin 1861. 108. AN/BB/20/245/2, C-N, 3e trim. 1862, Lambert, 17 juillet 1862. 109. AD L-A 5U66/2, interrogatoire, 5 avril 1828.

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rant de la nuit, elle s’était trouvée tellement faible, que ce n’était qu’avec peine qu’elle avait pu gagner son lit; et que le lendemain, à la pointe du jour, elle avait vu dans l’appartement, une grande quantité de sang qu’elle avait perdu au moment de sa faiblesse, et parmi lequel se trouvait une sorte de boule, de la grosseur du poing environ : qu’elle avait jetté de la cendre sur ce sang et sur cette boule, et avait ensuite balayé le tout dans le foyer 110. »

« Depuis treize mois , expliquera-t-elle, j’étais malade par suppression des règles, nécessairement le ventre se gonflait, ce qui a fait dire au public que j’étais enceinte, après m’être fait appliquer des sangsues et un écoulement sanguin considérable [sic], le ventre m’a diminué [sic] et de suite le public a dit que j’étais accouchée d’un enfant et cependant c’était faux 111. » Perrine Orière, après avoir dissimulé sa grossesse à l’aide d’un corset, finit par avouer son accouchement, « mais elle prétendit que c’était d’une masse de chair qui n’avait ni pieds, ni tête, qui ne pouvait pas avoir vie puisqu’elle n’était enceinte que de quatre mois, et qu’elle l’avait jetée au feu et réduite en cendres pour cacher sa honte ». Le père de Jeanne Deluen, quant à lui, n’hésite pas à dire que sa fille a évacué de son corps deux boules, l’une d’eau et l’autre de sang, ce qui peut donner à penser que la gestation embryonnaire résulte d’une subtile alchimie entre ces deux liquides 112. Le conseiller municipal de Saint-Herblain entendu comme témoin déclare en effet : « Je fus instruit par la femme Minaud [sage-femme] que le père Deluen était venu chez elle lui dire le deux mai, en achetant du tabac, qu’on avait bien eu tort de calomnier sa fille en disant qu’elle était enceinte et qu’il poursuivrait les calomniateurs ; qu’elle avait rendu comme il y a deux ans une boule d’eau et une boule de sang. Je conçus de suite des soupçons graves et j’écrivis à M. Maisonneur, maire, de venir me trouver pour prendre connaissance de faits graves 113. »

Réception des discours de déni Même s’ils sont accueillis avec une certaine réserve, les discours des inculpées tant sur l’origine de leur aménorrhée que sur les moles ou hydatiques sanguinolents qu’elles affirment avoir évacué de leur corps, ne paraissent pas totalement incohérents à ceux auxquels ils s’adressent. Cette rhétorique n’est nullement en contradiction avec les traités médicaux sur l’hydropisie. Et beaucoup, parmi leurs interlocuteurs, même lorsqu’il s’agit de médecins, peuvent partager leurs systèmes de représentations.

110. AN/BB/20/41, I-V, 4e trim. 1828, Le Painteur de Normény, 30 décembre 1828. 111. AD I-V 2U4/636, interrogatoire, 9 juin 1828. 112. Certaines images bibliques, telle la transmutation par Yavhé des eaux du Nil en sang (L’Exode, III. Les plaies d’Égypte) confirmeraient la parenté symbolique de l’eau et du sang. 113. AD L-A 5U133/1, Jean-Baptiste Guitton, 71 ans, conseiller municipal, 20 mai 1845.

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L’hydropisie vue par les médecins Les affections liées à l’amas d’eau ou de sang dans leur corps, qu’invoquent les femmes infanticides, correspondent précisément à certaines formes d’hydropisie de la matrice décrites par Antoine Portal : « L’hydrométrie de l’état de grossesse, écrivait-il notamment, peut être telle que l’eau est immédiatement contenue dans la cavité de la matrice, sans aucun corps intermédiaire, ou qu’elle est renfermée dans des kystes ou des hydatides. » Ces hydropisies de la matrice, précise-t-il même, existent « avec ou sans grossesse 114 ». Dans l’hydropisie enkystée, les liquides sont contenus dans des poches membraneuses. « Ces poches peuvent n’être que de très petites vésicules comme la tête d’une épingle, ou comme un pois, une noisette, une noix : on les appelle alors des hydatiques ; ou bien elles ont le volume d’un œuf de poule, celui d’une grosse poire, d’un melon ; enfin, elles peuvent être si considérables qu’elles contiennent plusieurs pintes d’un liquide plus ou moins limpide, trouble, visqueux, et qu’elles remplissent presque en entier quelque cavité du corps, en même temps qu’elles compriment et rétrécissent les organes que ces cavités renferment. On nomme ces sacs des kystes 115. »

Ainsi, les moles ou hydatides ne sont-ils, selon Portal, autre chose que des variétés de kystes. Divers auteurs cités par lui ont démontré, par l’ouverture des cadavres de femmes atteintes d’hydropisie, que les cavités abdominales affectées pouvaient, comme le soutiennent certaines inculpées, contenir d’importantes quantités d’eau. Portal rapporte, par exemple, les résultats d’une autopsie pratiquée par Baillou 116 : « Une femme éprouve une suppression des règles, par suite d’un chagrin ; son ventre se tuméfie, et l’on y reconnaît une ascite dont elle meurt. On vit par l’ouverture des corps qu’il y avait dans le bas-ventre douze livres d’eau et que le foie était dur, sec et diversement coloré 117. » Lieutaud 118 a fait les mêmes observations sur le cadavre d’une femme morte d’hydropisie : « Une femme dont les règles avaient été supprimées éprouva une intumescence du bas ventre, et elle mourut d’hydropisie. On découvrit qu’il y avait dans le bas-ventre une innombrable quantité d’hydatides tellement pleines d’eau, qu’on l’évalua à plus de soixante mesures. » Enfin, l’une des observations rapportées par Portal n’est pas sans rappeler la description que la femme Grabot donnait de son malaise : « Quelquefois ces hydatides contiennent des vers encore vivants, ainsi que l’ont dit plusieurs de nos célèbres confrères 119. » 114. Portal A., op. cit., t. 2, p. 240-241. 115. Idem, t. 1, p. 23. 116. Sans doute Guillaume de Baillou (1538-1616), professeur à la Faculté de médecine de Paris, auteur de De Virginum et mulierum morbis liber. 117. Portal A., op. cit., t. 1, p. 229-230. 118. Joseph Lieutaud (1703-1780), premier médecin de Louis XVI, est réputé avoir pratiqué plus de 400 dissections. Portal a édité et commenté en 1776-1777, son Anatomie historique et pratique. 119. Portal A., op. cit., t. 2, p. 242-243.

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En 1852, dans son Traité des hydropisies et des kystes, le docteur Abeille évoquait un cas de suppression de règles qui pourrait, s’il en était besoin, apporter des arguments supplémentaires aux inculpées qui fondent sur l’hydropisie leur système de dénégation : « Une jeune fille de 21 ans, de Wensimon (Belgique), près Givet, robuste, ayant toujours été bien réglée et bien portante, est surprise un jour d’automne (septembre 1847), par une neige abondante, pendant qu’elle travaillait aux champs. Durant une heure environ, elle dut supporter, sans être trop bien vêtue, la neige, qui tombait à flot. Pour comble de malheur, en retournant au village, comme il faisait très sombre, elle tomba dans un ruisseau qu’elle dut traverser ayant de l’eau jusqu’à la ceinture. Elle avait ses règles en ce moment. Le saisissement, l’effet du froid furent tels, que la menstruation fut supprimée à l’instant. Il survint de vives coliques avec retentissement dans la région des reins […]. Trois jours après, le ventre était enflé, la respiration courte, la face était bouffie, et les extrémités inférieures œdématiées 120. »

C’est par des saignées et des sangsues que Portal, comme Abeille, traitent, avec succès, semble-t-il, les hydropisies de la matrice. Les inculpées utilisent la même thérapeutique 121. L’accueil fait aux discours des inculpées Les femmes qui ne veulent pas reconnaître leur grossesse ou leur accouchement mobilisent toute leur énergie pour persuader leur entourage qu’elles sont malades. Pour donner du poids à leurs allégations, elles arguent parfois du caractère héréditaire du syndrome dont elles se prétendent affectées. La Vve Le Trou, par exemple, dit présenter les mêmes symptômes que sa mère : « Cela me fait bien de la peine, déclare-t-elle à l’une de ses voisines, qu’on s’entretienne ainsi de moi : mon état n’a rien d’extraordinaire, je suis comme ma mère, gênée par le sang. Ma mère a été longtemps dans l’état où je suis 122. » Elle affirme également, à une domestique d’un village voisin qui lui demande comment elle s’est débarrassée de son embonpoint : « Tout a parti de soi-même [sic]. Dans trois mois d’ici il y en aura encore autant : ma mère a été cinquante ans dans l’état où j’étais 123. » Olive Belnard utilise, elle aussi, l’hérédité pour justifier le cours tumultueux de son sang : « Il y a deux ans passés du printemps, raconte une ménagère de Plessala, je remarquai que la fille Olive Belnard prenait beaucoup d’embonpoint : Marie Maro, ma voisine, avait fait la même observation. Olive Belnard soit qu’on l’eût questionnée, soit qu’elle s’apperçût [sic] qu’on l’observait, je ne 120. Abeille Dr J., Traité des hydropisies et des kystes ou des collections séreuses et mixtes dans les cavités closes naturelles ou accidentelles, Paris, 1852, p. 110-111. 121. Voir le chapitre suivant. 122. AD C-A 2U/641, Vincente Launay, 33 ans, ménagère, 9 mars 1842. 123. Idem, Jeanne Allenic, 29 ans, domestique, 9 mars 1842.

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pourrais dire lequel [sic], lorsque son embonpoint disparut, nous disait qu’elle avait éprouvé une perte de sang. Elle était, disait-elle, sujette à de pareils accidents. Cinq ans auparavant, cela lui était encore arrivé […] elle nous disait que ses sœurs avaient éprouvé comme elle des pertes de sang et qu’elles en étaient mortes 124. »

Si leur force de conviction est grande, ces dénégations peuvent trouver un accueil favorable dans leur entourage. Ainsi, la femme Gueganno, cultivatrice à Languidic, reconnaît qu’après s’être posé quelques questions sur l’embonpoint de sa nouvelle domestique, Jeanne Tréhin, elle avait accepté assez facilement les explications que cette dernière lui avait données : « Huit jours avant le mercredi des Cendres, j’avais engagé Jeanne Tréhin pour entrer en qualité de domestique chez moi au 1er mars. Elle est arrivée chez moi jeudi dernier vers trois heures après midi. J’ai cru m’apercevoir qu’elle était grosse et je le lui ai dit ; elle m’a répondu que ce n’était pas vrai mais qu’elle avait été dans l’eau et que son sang s’était arrêté et je l’ai crue 125. » Plus surprenante peut paraître la réaction du maire de Saint-Gildas-deRhuys, qui accepte assez facilement l’idée que la grossesse de Mélanie Mandelert, enceinte des œuvres de son maître, Le Barbier, ait pu « tourner » en sang : « Voici ce que je veux vous dire sur la fille Mélanie Mandelert, écrit-il au juge de paix de Sarzeau, elle n’est plus enceinte ni grosse, soit qu’elle ait détruit son fruit ou que cela soit tournée [sic] en une perte de sang. D’après les interrogatoires du Barbier, sa femme et elle-même, ils me disent que c’est tourné en perte de sang 126. » Mais la femme Gueganno, comme le maire de Saint-Gildas, appartiennent au même univers culturel que les inculpées. En revanche, la crédulité de certains médecins peut véritablement étonner le lecteur du XXe siècle. Ainsi, en 1825, Théophile Hubert, chirurgienchef de l’hospice général Saint-Louis de Laval, appelé pour examiner Rosalie Hogrel et déterminer si elle a accouché, ne réfute-t-il pas d’emblée les propos nettement fantaisistes de cette inculpée : « Il est important de mentionner ici, note-t-il dans son rapport, que Rosalie Oggraix [Hogrel] nous a déclaré que sa chemise était tachée parce qu’elle éprouvait toujours un écoulement en blanc dans les huit jours qui précèdent les règles et que d’après cet indice elle serait réglée en rouge la semaine qui doit suivre. » « Ce fait, ajoute-t-il, sera fort utile à vérifier 127. » Emmanuel Perrin, médecin à Rennes, ne doute pas que les règles de sa domestique aient pu être suspendues après qu’elle se soit brûlée avec l’eau de la lessive : 124. AD C-A 2U/640, Vve Posnic, 49 ans, ménagère, 29 décembre 1841. 125. AD M U2025, Marie Guéganno, 60 ans, cultivatrice, 7 mars 1831. 126. AD M U2047, le maire de Saint-Gildas-de-Rhuys au juge de paix de Sarzeau, 8 mai 1833. 127. AD I-V 2U 4/616, rapport de Théophile Hubert, 9 mai 1825.

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« Quelques jours après la Saint-Jean, Olive Gandin, dont on m’avait fait les plus grands éloges, entra chez moi en qualité de domestique. Environ trois mois après, elle se brûla les deux pieds, dans la cour, avec du lessif [sic] bouillant. On m’appela aussitôt, je lui fis mettre les pieds dans de l’eau froide. Cet accident la forcée [sic] à garder le lit plus d’un mois. À l’époque de son rétablissement, mon épouse lui observa que son ventre lui paraissait bien gros. Elle lui répondit que l’accident qu’elle avait eu lui avait occasionné une suppression. Elle ajouta même qu’il fallait m’en parler. Je dis alors à ma femme qu’il fallait faire prendre à sa domestique des bains de jambes et lui faire faire de l’exercice. Je me rappelle qu’on lui fit frotter le parquet 128. »

En fait, il n’y a pas de véritable césure entre discours savant et discours populaire relativement aux mystères de la féminité. Des expressions telles que « purgations mensuelles », « affaire », « mois 129 », figurent encore, pour désigner les règles, dans la 7e édition du Dictionnaire de l’Académie française publié en 1878. En outre, la découverte tardive du processus de la fécondation 130, la lente élaboration de l’embryologie peuvent contribuer à expliquer l’accueil compréhensif fait par les médecins bretons aux discours des femmes infanticides.

128. AD I-V 2U4/619, Emmanuel Perrin, 39 ans, docteur médecin, 14 janvier 1826. 129. D’après A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, 1992, « mois » est dérivé du latin « mensis », dont le sens originel est « mois lunaire » et qui, employé au pluriel, prend le sens de menstrues. Le nom du mois se confondrait, à l’origine, dans les langues indo-européennes avec celui de la lune. 130. Voir notamment : Gélis J., L’Arbre et le fruit, op. cit. ; Knibielher Y., Histoire des mères ; La Femme et les médecins, op. cit. ; Héritier F., op. cit.

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Chapitre IX

Les alternatives au crime Bien peu de solutions s’offrent aux femmes qui refusent leur grossesse. Paradoxalement, dans cette terre de Bretagne réputée très religieuse, c’est à l’avortement que nombre d’entre elles songent tout d’abord. Il ne serait guère excessif de prétendre que pratiquement toutes les femmes qui ont été accusées d’infanticide ont cherché à « faire couler leur fruit 1 ». On recense quelques réseaux d’avortement associant professionnels de la santé et rabatteurs, mais les avortements opérés par des professionnels à l’aide de moyens mécaniques sont à la fois très chers et très dangereux, car ils font intervenir des instruments perforants. Aussi les rurales se tournent-elles plutôt vers le circuit parallèle des matrones de village et des « empiriques 2 ». Elles recourent également, de façon massive, aux remèdes traditionnels : plantes, saignées et sangsues. Sans préjuger de l’efficacité de ces thérapeutiques, il convient de rappeler qu’elles ont échoué pour la majorité des femmes qui ont été mises en accusation pour infanticide. Le projet d’abandonner son enfant à la naissance vient dans un second temps, quand les tentatives d’avortement sont demeurées vaines. L’abandon anonyme est rendu de plus en plus difficile, au cours du siècle, par la fermeture des tours d’exposition. Il faut alors s’adresser à une sage-femme qui a ses entrées à l’hospice et qui, moyennant finances, se charge d’y déposer l’enfant, solution qui n’est guère accessible aux servantes rurales. Quand la naissance d’un bâtard ne semble pas devoir être acceptée par la communauté villageoise, il ne reste aux filles et aux veuves enceintes que deux solutions : l’errance ou le crime. 1. Cette métaphore, employée par Bernhard dans l’affaire Huguet (Ille-et-Vilaine, 1855), semble surtout appartenir à l’élite masculine urbaine. Elle n’apparaît que très rarement dans la bouche des femmes rurales. 2. Guérisseurs ruraux.

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Les avortements dénoncés à la justice Sans rechercher l’exhaustivité, nous avons trouvé 18 accusations d’avortement concernant la Bretagne dans la série BB/20 des Archives nationales. C’est bien peu par rapport aux affaires d’infanticide, mais la tolérance à l’égard de l’avortement paraît assez générale en France dans les premières décennies du XIXe siècle. Ce n’est qu’à partir de 1850 qu’Agnès Fine, pour la Haute-Garonne, constate une nette augmentation des accusations. Elle y voit un « changement d’attitude de la justice à l’égard de l’avortement et peut-être dans la pratique de l’avortement elle-même 3 ». La criminalisation croissante de l’avortement serait liée à la généralisation de l’usage des instruments obstétricaux (sondes, ciseaux, seringues, canules à injection…), conséquence de l’implication d’un nombre croissant d’hommes de l’art et de sagesfemmes dans cette pratique ou encore à la diffusion des techniques obstétricales parmi les guérisseurs ruraux 4. Pour la Seine-Inférieure, Gemma Gagnon signale une égale tolérance. « Il n’y a guère, écrit-elle, que les avorteurs qui finissent par succomber à la vindicte, après de nombreuses années de pratique, lorsque leurs bavardages peuvent devenir gênants pour une partie de la commune. La répression judiciaire s’exerce d’une façon sélective, pour limiter la publicité des actes, empêcher leur prolifération au vu et au su de tous et, pour un nombre non négligeable, en sanctionner les dérapages. » L’avortement serait toléré par les élites, qui y verraient « les signes d’une bonne gestion, par les classes laborieuses “évoluées”, de leur comportement sexuel 5 ». En Bretagne, la majorité des procès (11 sur 18) ont impliqué des professionnels ou quasi-professionnels : hommes et femmes appartenant aux métiers de la santé ou ayant fait de l’avortement une profession. Les autres accusations mettaient en scène des gens du peuple ayant usé avec plus ou moins de bonheur de divers remèdes. De nombreux cas seraient sans doute à ajouter à cette seconde catégorie. Parmi les accusées d’infanticide plusieurs ont réussi un avortement 6 et innombrables sont les femmes qui se sont essayé, par des moyens plus ou moins violents, aux techniques abortives. Les réseaux de professionnels Les avorteurs qui pratiquent de manière régulière et organisée appartiennent en majorité au milieu médical. Parmi eux figurent un pharma3. Fine A., « Savoirs sur le corps et procédés abortifs au XIXe siècle », Communications, n° 44, 1986, p. 107. 4. « Il semblerait, écrit A. Fine, que la justice ne puisse définir réellement le crime d’avortement lorsque les femmes utilisent majoritairement les procédés traditionnels », Ibidem, p. 133. 5. Gagnon G., La Criminalité en France : le phénomène homicide dans la famille en Seine-Inférieure de 1811 à 1900…, Th., Histoire, EHESS, 1996, p. 235-236. 6. Marie-Jeanne Menguy, Thérèse Blancho, Jeanne Guy.

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cien, deux sages-femmes, trois officiers de santé. Il convient d’y ajouter un médecin relaxé, faute de preuves. Mais ces accusations ne représentent indubitablement que la partie émergée de l’iceberg. Au lendemain de l’acquittement de Joseph Le Crom, l’un des trois officiers de santé évoqués, Dupuy écrivait en effet : « Leur culpabilité [Joseph Le Crom était jugé conjointement avec un agriculteur] était certaine et prouvée jusqu’à l’évidence. Il y a donc eu là un acquittement scandaleux, d’autant plus déplorable que la croyance paraît très répandue dans les campagnes du Morbihan qu’il est facile de trouver des hommes de l’art qui, moyennant salaire, consentent à se livrer à la pratique des avortements 7. » Les praticiens mis en accusation sont souvent installés dans des villes relativement importantes (4 sur 7). Prosper Regnault, pharmacien, âgé de 46 ans, jugé en février et en mai 1853 par la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine, pour deux affaires différentes, possède une officine à Saint-Malo. Un médecin de Redon, dont le nom n’est pas indiqué, est soupçonné d’avoir procuré un avortement à une jeune fille à l’aide d’ergot de seigle et de rue. Bien qu’aucune charge n’ait pu être retenue à son encontre le procureur de Nantes considère qu’il demeure contre lui des « présomptions morales 8 ». Joseph Le Crom, âgé de 46 ans, est installé à Napoléonville 9. L’une des deux sages-femmes, Jeanne Fournier, âgée de 44 ans, exerce à Fougères. Les avortements effectués par des professionnels se caractérisent par des tarifs élevés. Prosper Regnault exigeait une rémunération variant, selon la fortune de ses clients, de 80 à 300 F. Pour l’avortement qui a été jugé en février 1853, il avait demandé à sa « patiente », une femme de chambre nommée Marie Boujet, une somme de 80 à 100 F. Il réclamait 300 F pour le second avortement, jugé en mai, et pratiqué sur une domestique de campagne, Marguerite Fresleau, engrossée par son maître, Gilles Jouenne, laboureur à Paramé. En raison du caractère particulier et clandestin de ces prestations, les tarifs paraissent négociables. Gilles Jouenne n’a accepté de payer que 150 F sur les 300 qui lui étaient demandés, mais il a donné en sus deux barriques de cidre. L’acte ayant échoué, il a exigé de récupérer sa mise, qui a servi à payer l’accoucheuse et les frais de gésine de Marguerite Fresleau 10. Prosper Regnault disposait d’une rabatteuse, la femme Roger, fileuse de laine à Saint-Malo, âgée de 61 ans. Il lui donnait 5 F par cliente et partageait avec elle quelques bouteilles. La femme Roger prospectait tant à Saint-Malo qu’à la campagne. Prosper Regnault était surveillé depuis longtemps : « Le parquet et la police de Saint-Malo avaient l’œil ouvert sur le pharmacien Regnault que la rumeur publique accusait de se livrer à la pratique des avortements. On savait qu’à plusieurs reprises il avait fait à un voya7. AN/BB/20/256/2, M, 3e trim. 1863, Dupuy, 30 octobre 1863. 8. Cette jeune fille a même prétendu que « pour se payer de sa condescendance, le médecin de Redon l’avait possédée dans son cabinet », AN/BB/20/218/2, L-I, 3e trim. 1859. 9. Pontivy. 10. AN/BB/20/168/2, I-V, 2e trim. 1853, Taslé, 23 mai 1853.

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geur d’une maison de droguerie de Paris, la demande d’un instrument à l’aide duquel on pût faire avorter les femmes enceintes. On savait que la Commission d’examen des pharmacies du département avait constaté l’existence dans la pharmacie de Regnault d’une quantité de substances abortives beaucoup plus considérable que celle dont sont ordinairement munies les pharmacies 11. »

Joseph Le Crom a procuré l’avortement – et la mort – à Marguerite Le Maistre, une domestique de Bieuzy, pour 100 F. Cette somme a été versée par son maître, Joseph Bellair, propriétaire-cultivateur, auteur de sa grossesse. Dupuy juge l’acquittement de Le Crom d’autant plus scandaleux qu’il n’en était manifestement pas à son premier avortement : « Pour que Bellair, qui habite Bieuzy, se soit adressé à lui, il faut qu’il ait appris qu’en matière d’avortement il n’en était pas à son coup d’essai. » Mais Le Crom est soutenu par les notables des environs et notamment par le maire de Pontivy, le Dr Carrel, qui, appelé au chevet de Marguerite Le Maistre agonisante, a gardé le silence sur cet avortement : « Son conseil était parvenu à obtenir de tous les maires de l’arrondissement de Napoléonville des certificats attestant sa bonne moralité. Le maire du chef-lieu de l’arrondissement, Mr Carrel, homme jouissant d’une grande considération, celui-là même que Le Crom avait appelé pour donner des soins à la fille Le Maistre, avait délivré un certificat très élogieux 12. » On ne connaît pas le prix des services de Jeanne Fournier, installée à Fougères, mais elle possède une vaste clientèle. Elle est jugée en 1849 avec sept de ses patientes et avec Julien Taillandier, contremaître dans une filature de laine, âgé de 53 ans, qui lui a servi d’entremetteur. La plupart de ses clientes sont ouvrières du textile ou domestiques, mais quelques ménagères et une veuve figurent aussi au banc des accusés. D’après Tarot, la méthode employée par cette sage-femme est des plus efficaces : « Les moyens qu’elle employait étaient si simples et si sûrs qu’en les pratiquant elle les a malheureusement enseignés et que, depuis, d’autres en ont fait un malheureux usage. Elle se servait d’un breuvage dont la base était le seigle ergoté et l’armoise. Elle piquait le fœtus dans le sein de la mère, avec une aiguille à tricoter ou tout autre instrument pointu. Rien ne l’arrêtait dans la perpétration d’un crime dont elle, plus que tout autre, devait connaître et connaissait la gravité 13. »

Les tarifs de Gabrielle Le Bert, sage-femme à Broons, âgée de 48 ans, sont de 60 F. Elle s’est acoquinée avec Jean-Marie Leroy, un menuisier de 46 ans qui pratique clandestinement la médecine à Dolo. Il lui adresse ses clientes quand il ne parvient pas lui-même à les faire avorter. En 1862, il lui envoie Jeanne Pellan, une lingère de Bréhand, âgée de 21 ans, à qui il a procuré des remèdes abortifs qui n’ont pas produit les résultats désirés : 11. AN/BB/20/165/2, I-V, 1er trim. 1853, Hüe, 15 mars 1853. 12. AN/BB/20/256/2, M, 3e trim. 1863, Dupuy, 30 octobre 1863. 13. AN/BB/20/147/2, I-V, 3e trim. 1849, Tarot, 9 septembre 1849.

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« Vers la fin de 1862, la fille Pellan étant enceinte, sa mère la conduisit chez le sieur Jean-Marie Le Roy, menuisier au bourg de Dolo, déjà quatre fois condamné pour exercice illégal de la médecine et qui est signalé dans le pays comme se livrant à la pratique des avortements. Il visita la fille Pellan, reconnut son état de grossesse et lui remit, moyennant une somme de cinquante centimes un breuvage qui, disait-il, devait, dans [les] vingtquatre heures, la débarrasser de son enfant. “Si cependant, ajoutait-il, ce breuvage ne produit pas son effet, venez me retrouver et je vous indiquerai une sage-femme qui vous délivrera.” Après avoir bu la potion qui lui avait été remise par Leroy, la fille Pellan éprouva de violentes coliques ; mais l’avortement ne s’étant pas produit, elle revint avec sa mère trouver Le Roy, qui la conduisit chez la femme Le Bert, sage-femme à Broons. Là, Leroy se livra sur la personne de la fille Pellan à des actes obscènes qui devaient, prétendait-il, avoir pour effet de faciliter l’avortement. »

Gabrielle Le Bert procède alors à des manipulations sur le corps de Jeanne Pellan, mais le président de la cour d’assises se montre relativement imprécis sur la technique utilisée : « La sage-femme, après avoir exigé 60 francs qui lui furent comptés par Jeanne Pellan, mère, introduisit le doigt dans les parties sexuelles de la fille Pellan, l’agita violemment et le retira tout ensanglanté. La fille Pellan ressentit une vive douleur et accoucha le lendemain d’un enfant mort-né, ainsi que le lui avait annoncé la femme Le Bert 14. » Ce type d’intervention manuelle n’est habituellement pas opéré par les professionnels. Il relève davantage des praticiens empiriques. D’ordinaire, les avortements pratiqués par les professionnels se font à l’aide d’instruments perforants. Le pharmacien Regnault utilise à la fois des moyens mécaniques et des drogues. La méthode pratiquée sur Marguerite Fresleau est décrite : « Il la conduisit dans son arrière-boutique où il lui fit un lit, sur lequel il lui dit de se coucher, après lui avoir expliqué ce qu’il allait lui faire. La jeune fille, effrayée de l’opération qu’il fallait subir, refusa longtemps de s’y prêter et ne céda que vaincue par les menaces de Regnault, qui lui fit voir que les portes étaient barricadées et l’assura que toutes les précautions étaient prises pour que ses cris, si elle appelait, ne pussent pas être entendus. Ayant ainsi triomphé de sa résistance, il lui introduisit dans les parties sexuelles, un instrument long, mince et pointu avec lequel il la piqua. La douleur lui fit jeter un cri et le sang coula aussitôt. Afin de rendre la perte de sang plus abondante, Regnault lui apprêta un bain de pieds et l’y fit rester 1/4 d’heure. Il lui fît boire ensuite un breuvage amer et lui dit de se coucher. Le lendemain matin il la congédia et lui dit : “Tout est fini désormais : s’il vient quelque chose, tu le couperas avec tes ciseaux, si rien ne vient, il faudra revenir me trouver 15.” »

Regnault avait pratiqué à peu près de la même manière pour l’avortement de Marie Boujet. Les officiers de santé Vassal et Le Crom procèdent 14. AN/BB/20/256/2, C-N, 2e trim. 1863, Grolleau-Villegueury, [s. d.]. 15. AN/BB/20/168/2, I-V, 2e trim. 1853, Taslé, 23 mai 1853.

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également par percement de la poche amniotique et administration de drogues. Curieusement, en dépit de tarifs prohibitifs, la clientèle des avorteurs professionnels – du moins celle qui a eu affaire à la justice – ne paraît guère se distinguer, d’un point de vue sociologique, des accusées d’infanticide, si ce n’est qu’il s’agit en majorité de femmes urbaines. Parmi les domestiques rurales, seules celles dont le séducteur accepte de verser les sommes importantes demandées par les hommes de l’art sont susceptibles d’avoir accès à l’avortement, mais au péril de leur vie, car l’utilisation d’instruments engendre d’importants risques d’infection. Les « faiseurs d’anges 16 » : les non professionnels voués à l’avortement À ces hommes de l’art et sages-femmes, il convient d’adjoindre plusieurs femmes qui ont fait de l’avortement un véritable métier 17. La première, déjà évoquée, Marie-Jeanne Martin, âgée de 44 ans, « sans profession avouable », est installée à Pleurtuit. Elle a déjà été condamnée deux fois pour vol en 1855. L’avortement est un prolongement en quelque sorte naturel de ses activités de proxénète. Le procureur général de Rennes écrit à son sujet, qu’elle « ne se bornait pas à livrer, sous les yeux de sa jeune enfant, des filles et des femmes mariées à des libertins de tout âge et de toute condition, elle passait pour procurer des avortements 18 ». Elle est effectivement signalée dans l’arrondissement de Saint-Malo comme procurant des remèdes abortifs aux filles enceintes. Elle est inculpée à l’occasion de la mort du nouveau-né de l’une de ses protégées, Marie-Jeanne Menguy, et l’instruction apprend qu’elle ne se contentait pas de fournir des breuvages. Après quelques tergiversations, Marie-Jeanne Menguy avait fini par décrire les manœuvres auxquelles Marie-Jeanne Martin s’était livrée sur elle. Elle déclarait que, le 2 février 1860 : « Marie Benoît, femme Martin, qui n’ignorait point qu’elle était enceinte, l’avait fait monter dans un grenier puis, après l’avoir à demi renversée sur un faix de paille, lui avait introduit dans le vagin une aiguille assez longue à l’aide de laquelle elle lui avait fait deux piqûres qui lui occasionnèrent de vives douleurs. Pendant que la femme Martin pratiquait d’une main cette opération, elle comprimait de l’autre, avec force, le ventre de Jeanne Menguy 19. » Celle-ci était alors au huitième mois de sa grossesse. Elle accouche une semaine plus tard d’un enfant qui n’a pas respiré et qui 16. Cette expression n’apparaît que dans les années 1880. 17. Voir à ce sujet Le Mée R., « Une affaire de “faiseuses d’anges” à la fin du XIXe siècle », Communications, 44, 986, p. 137-174. 18. AN/BB/20/226/2, I-V, 3e trim. 1860, le procureur général de Rennes au garde des Sceaux, 29 août 1860. 19. AN/BB/20/226/2, I-V, 3e trim. 1860, Dupuy, 29 août 1860.

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porte à la tête des blessures qui semblent provenir de l’aiguille dont s’est servie la femme Martin. La seconde accusée qui fait profession d’avorter sévit à Brest. Il s’agit de Marie-Françoise Brunet, femme Procope 20, âgée de 60 ans. La mort d’une de ses clientes, Annette Loyer, âgée de 23 ans, entraîne l’ouverture d’une enquête. On apprend que cette matrone qui se vantait d’avoir fait avorter tantôt plus de 3 000, tantôt plus de 10 000 femmes, recrutait sa clientèle dans les cafés de Brest et des environs. Une crêpière de Lambézellec 21 explique comment Annette Loyer a entendu parler pour la première fois de Marie-Françoise Procope : « Il y a sept ou huit mois, après avoir accouché la femme Le Bihan, la dame Procop me dit que si je connaissais des femmes enceintes, je pourrais les lui adresser. Le jour même où elle avait tenu ce langage, les demoiselles Elisa, Jeannie et Annette, qui, assez souvent, venaient manger des crêpes et boire du lait chez moi, étant entrées dans l’après-midi à la maison, je leur fis part, dans la conversation, de ce que j’avais appris de la dame Procop, mais j’ignorais absolument que l’une d’elles se trouvait enceinte. Deux ou trois mois peut-être après, Annette, servante au café de l’Europe, vint chez la dame Procop, et, un jeudi, autant que je puis croire, elle entra pour manger des crêpes avec son bourgeois. J’entendis celui-ci lui demander si elle allait mieux, et elle répondit que sa jambe était bientôt guérie. Sur quoi, elle la lui fit voir ainsi qu’à moi 22. »

Une commerçante de Brest dira aussi que « dans le mois de septembre 1847, la femme Procop entra chez elle et lui demanda avant de sortir si elle ne connaissait point de jeunes filles enceintes qui voudraient faire descendre leurs enfants, ajoutant qu’elle pourrait leur faire cela 23 ». Annette Loyer racontera peu avant de mourir que, désespérée par sa grossesse, elle s’était résolue à s’adresser à Marie-Françoise Procope, qui avait déjà fait avorter une de ses amies : « J’ai été chez cette vieille, la femme Procope, sur la route de la Vierge, j’y suis allée, il y a à peu près un mois, un jeudi, je me trouvais sans ressource, je me rendis chez elle parce que j’avais entendu dire indirectement par une femme nommée La Caillebotte, partie pour rejoindre son amant plus loin que Paris, qu’elle délivrait, en crevant avec son ongle, le sac de l’enfant 24. » Elle était enceinte de trois à quatre mois. L’avortement a été pratiqué à la main. Il est présenté comme une longue séance de torture : « Pendant plusieurs jours, à cinq ou six reprises chaque jour, et autant de fois chaque nuit, la femme Procop lui introduisit les doigts dans le corps et la grattait à l’intérieur : Annette Loyer souffrait cruellement et quoiqu’elle ait payé trente francs d’avance, elle lui dit qu’elle aimait mieux perdre son argent et s’en aller ; mais la femme 20. Ou Procop. 21. Cette commune a été rattachée à Brest. 22. AD F 4U2/104, Jeannie Kerboul, 32 ans, crêpière, 10 octobre 1847. 23. Idem, acte d’accusation, 23 mars 1848. 24. Id. interrogatoire, 10 octobre 1847.

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Procop la détermina à rester, et elle finit par la faire avorter et par retirer de son corps un enfant grand comme la main 25. » Annette Loyer précise que ces séances ont duré huit jours et que son avortement lui a coûté au total 40 F : « Ce n’est qu’après une huitaine de jours que l’avortement a eu lieu, et au moment qu’il s’est effectué cette femme m’a dit : “Le voilà enfin ! Vous êtes délivrée ! J’en ai fait rendre comme cela plus de trois mille !” J’ai donné à cette femme pour cette opération une somme de trente francs, plus dix francs pour le temps que je suis restée chez elle 26. » Elle meurt un mois plus tard, le 12 octobre 1848, d’une métro-péritonite. C’est de la même maladie qu’est décédée Marie Le Maistre, l’une des patientes de Le Crom. La dernière accusation relève du semi-professionnalisme. Elle concerne Guillemette Le Guen, Vve Leroux, présentée comme une « misérable empirique, qui passe pour procurer l’avortement aux filles enceintes » Cette femme, âgée de 60 ans, a déjà été condamnée six fois pour exercice illégal de la médecine. Elle poursuit cependant ses activités en toute tranquillité. Elle ne sera inquiétée qu’à la suite du décès de Jacquette Trétel, une jeune fille de Landivisiau, âgée de 19 ans, à qui elle a fait ingurgiter des produits à base de souffre. C’est la mère de Jacquette Trétel, une matrone de village, qui est allée lui demander à deux reprises un remède abortif pour sa fille. « L’effet de cette drogue, écrit Taslé, fut terrible : Jacquette Trétel fut aussitôt prise de vomissements convulsifs accompagnés d’affreuses douleurs d’entrailles. La mère effrayée, dit-elle, jeta la fiole et son contenu, de sorte qu’il n’a pas été possible de savoir quelle était la drogue qui y avait été renfermée. Depuis ce jour, la santé de Jacquette Trétel, excellente jusqu’alors, déclina : elle souffrait de douleurs intolérables, se plaignait de brûler intérieurement et se jetait sur l’eau et les boissons acides, comme avec rage, a dit sa mère 27. » Quelques jours plus tard, Jacquette Trétel accouche d’un fœtus mort. Elle décède peu après d’une « péritonite amenée par l’usage de drogues extrêmement irritantes ». Jugée en novembre 1864 par la cour d’assises du Finistère, la Vve Leroux est condamnée à cinq ans de prison. Mais le procureur de Quimper suggère au procureur général d’entreprendre des poursuites contre la mère de Jacquette Trétel. Les débats en cour d’assises ont démontré qu’elle était au moins aussi coupable que l’avorteuse. Elle avait laissé sa fille sans secours, refusant d’appeler un médecin et préférant la voir mourir plutôt que d’accepter la venue d’un enfant naturel : « La Vve Trétel exerce la profession de garde-malade ; elle a l’habitude

de soigner les femmes en couches ; elle avait remarqué que depuis quatre mois les règles de la fille avaient cessé de paraître ; elle a avoué à une de ses voisines que depuis un mois, elle n’avait pas parlé à sa fille, tant était grand

25. Id., acte d’accusation, 23 mars 1848. 26. Id., interrogatoire, 10 octobre 1847. 27. AN/BB/20/268, F, 4e trim. 1864, Taslé, 9 novembre 1864.

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son mécontentement. Cependant elle s’est adressée, au sujet de sa fille, à la veuve Leroux ; et elle a avoué qu’elle avait fait cette démarche, sachant que cette femme faisait revenir les menstrues […]. Les habitants de Landivisiau sont convaincus que la veuve Trétel est l’auteur principal de l’avortement et de la mort de sa fille. Cette femme, qui a toujours prétendu ne pas connaître la grossesse de sa fille, ou du moins n’en être pas certaine, avait à cet égard une conviction si bien établie, qu’elle aurait dit à un témoin (connu sous le nom de la Jardinière) : “J’aimerai mieux que ma fille crevât que de la voir mettre au monde un enfant 28 !” »

Sa fille à peine morte, elle s’empresse de dissimuler le fœtus et de demander au maire un permis d’inhumer, afin d’effacer au plus vite les traces de l’avortement. Elle sera également condamnée à cinq ans de prison. La plupart des avorteurs jugés aux assises ont été sévèrement condamnés, mais c’est à l’égard des femmes, et particulièrement des « empiriques », que la justice a eu la main la plus lourde. Marie-Françoise Procope, MarieJeanne Martin, ainsi que l’une des sages-femmes, Jeanne Fournier, ont été condamnées au maximum de la peine (les deux premières à dix ans de réclusion, la dernière à dix ans de travaux forcés) 29. Prosper Regnault a été frappé d’une peine de six ans de travaux forcés lors de son premier procès. À sa seconde mise en jugement, la cour s’est contentée de le condamner solidairement avec ses coïnculpés, Gilles Jouenne et Marguerite Roger, aux frais de la procédure. Marguerite Roger, simple rabatteuse, a été condamnée à six ans de réclusion et Gilles Jouenne à trois ans de prison. La seconde sage-femme, Gabrielle Le Bert, et l’officier de santé Vassal, se sont vus infliger cinq années de réclusion. Les deux autres officiers de santé ont été acquittés. Les sept dernières accusations d’avortement recensées mettent presque toutes en scène des ruraux qui exercent plus ou moins occasionnellement l’art d’avorter ou des femmes qui se sont fait avorter seules à l’aide de remèdes traditionnels. Ces faits ne se distinguent guère des tentatives opérées par les femmes infanticides auprès de matrones ou de guérisseurs de village pour se procurer des potions ou breuvages abortifs. La seule différence est que, pour la plupart, ces tentatives ont réussi.

Tentatives d’avortement opérées par les accusées d’infanticide Les méthodes les plus variées sont employées par les femmes qui souhaitent mettre un terme à leur grossesse. Elles reposent sur la médecine des simples, les saignées et les sangsues et ont pour visée de « faire revenir » les règles. Les femmes sont généralement aidées dans leurs entreprises par des guérisseurs, sages-femmes ou médecins. Parfois, à l’instigation de leur séducteur, sont essayés des moyens plus violents, destinés à « décrocher » le fruit. 28. AN/BB/20/268, F, 4e trim. 1864, le procureur de Quimper, 3 novembre 1864. 29. C. pén., art. 317.

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Il ne s’agit plus alors de le faire « couler », en obtenant le retour du sang menstruel, mais de le tuer dans le ventre de sa mère, à l’aide de coups, de secousses et de chutes. Les méthodes traditionnelles sont basées sur les plantes, les saignées et les sangsues. La phytothérapie traditionnelle n’est pas totalement dépourvue d’efficacité : parmi les avortements jugés dans le ressort de Rennes, trois ont été obtenus à l’aide d’herbes, mais ils concernaient des grossesses ne dépassant jamais trois ou quatre mois. La croyance en la propriété abortive de certaines plantes est grande, même au sein du corps médical. En revanche, il est plus difficile de connaître les résultats des sangsues et saignées qui n’apparaissent que rarement dans les accusations d’avortement, et jamais comme seules thérapeutiques. Elles sont pourtant largement utilisées par les rurales. « Boire sur les herbes » Le premier mouvement des femmes qui constatent la suppression de leurs menstrues est de recourir à l’automédication, et plus précisément à la phytothérapie traditionnelle. Certaines plantes étant dotées de vertus emménagogues, de nombreuses accusées se mettent à « boire sur les herbes ». Cette expression est employée dans le Morbihan, en 1827, par plusieurs témoins entendus dans l’affaire Michelle Dano. Son maître déclare : « depuis environ trois ou quatre mois, j’ai remarqué que sa taille présentait plus d’ampleur. Plusieurs fois je lui ai dit qu’il me semblait qu’elle était enceinte, elle a toujours contesté ce fait ; elle me disait que sa taille s’était grossie [sic] parce qu’elle buvait beaucoup d’eau ; elle en buvait en effet, mêlée d’une petite quantité de vin blanc. Je l’ai vue, plusieurs fois, même dès l’hiver dernier, et aussi depuis un mois boire sur des herbes. Je ne connais pas ces herbes, c’est elle qui les cherchait et les choisissait, il est toutefois à ma connaissance qu’elle buvait aussi sur l’herbe mère, c’est la plante connue sous le nom d’absinthe, en breton : er-vann lézeux 30. »

Mais « boire sur les herbes » n’est pas une locution propre au Morbihan. Elle est employée en 1834, sous une forme légèrement différente, par le juge d’instruction de Nantes, dans l’interrogatoire qu’il fait subir à MarieAgathe Jamet, domestique chez un capitaine de navire : « N’aviez-vous pas bu quelque temps auparavant sur des graines qui, selon vous, devaient ramener vos règles ? – Je n’ai pris qu’une tisane d’orge et de chiendent, sachant bien que cela ne pouvait produire aucun mauvais effet. – Qui vous avait ordonné cette tisane ? – C’est de moi-même que je l’avais prise, parce que je pensais que cela pourrait dissiper les douleurs que j’éprouvais dans le corps 31. » 30. AD M U1997, François Allioux, cultivateur et charretier, 10 juin 1827. 31. AD L-A 5U87, interrogatoire, 26 décembre 1834.

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Toujours en Loire-Inférieure, on apprend de la bouche d’une sagefemme, proche voisine de Marie-Rose Chartier, lingère à Nantes, que celleci avait « bu sur de la rue » : « J’avais reproché à la fille Chartier, en l’abordant, d’avoir tant tardé à réclamer du secours, elle me répondit qu’elle ne se croyait pas enceinte, la mère m’expliqua alors diverses circonstances relatives à cet événement. Elle me dit que sa fille s’était aperçue de la disparition de ses règles, qu’elle avait eu recours à divers moyens pour les faire revenir; qu’elle s’était fait des applications de sang-sues, qu’elle avait pris des bains de pieds, qu’elle avait bu sur de la rue et de la boule de Mars et qu’au troisième mois, elle avait revu ses règles ; qu’elle avait recommencé les mêmes remèdes parce que ses règles étaient disparues [sic] de nouveau, que quant à elle, elle ne soupçonnait pas du tout que sa fille fût enceinte 32. »

Les femmes utilisent les plantes les plus diverses. Marie Lambert, accusée en 1843 d’infanticide sur des jumeaux, reconnaît avoir absorbé de nombreuses infusions au cours de sa grossesse : « J’avais pris beaucoup de breuvages pour me procurer un avortement, ces breuvages étaient composés de savigné [sic] 33 et de poulliot [sic] 34 que je faisais bouillir dans du lait doux. » C’est, ajoute-t-elle, son amant, Julien Boudet, charpentier à Saint-Aubin, qui lui a indiqué ces breuvages : « Il m’a lui-même apporté, à deux fois différentes, le savigné, et le poulliot dont j’ai fait usage. Boudet était l’auteur de ma grossesse et m’avait dit qu’en faisant usage de ces plantes ma grossesse disparaîtrait 35. » L’usage de la phytothérapie à visée abortive est si courant que la recherche et la consommation de certaines plantes peuvent être considérées comme des démarches suspectes. Ainsi la Vve Le Trou, soupçonnée par les habitants de son village d’être enceinte ne fait, en demandant le prêt d’une simple casserole, que renforcer leurs soupçons. Le refus qu’elle se voit opposer par sa voisine est à l’origine d’une brouille. Cette voisine s’explique d’abord en termes vagues sur l’origine de cette soudaine mésentente : « depuis septembre dernier, je m’apercevais que la veuve Le Trou, ma voisine, était enceinte et cela à l’embonpoint qu’elle prenait et à l’état de sa physionomie. Jusque là j’avais été en assez bons termes avec cette femme, mais ayant été obligée de refuser de lui prêter un instrument aratoire dont elle disait avoir besoin, je vis cette femme s’éloigner de moi. Depuis nous ne nous sommes plus parlé, cependant je la voyais de temps en temps passer pour aller à l’eau, j’avais la certitude qu’elle était enceinte, je m’en entretenais de temps en temps avec mes voisins. »

Mais, dans la suite de l’interrogatoire, elle se fait plus explicite : « Il n’est peut-être pas inutile de vous dire que l’ustensile que j’avais refusé de prê32. AD L-A 5U119/2, Irma Chesneau, 28 ans, sage-femme, 27 [?] avril 1842. 33. Sabine. 34. Variété de menthe. 35. AD L-A 5U/123, interrogatoire, 23 avril 1843.

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ter à la veuve Le Trou n’était point un instrument aratoire mais tout simplement une casserole. J’avais ouï dire que la veuve le Trou avait demandé je ne sais quelles herbes, de l’herbe sainte 36, si je m’en souviens bien. Je craignais qu’elle ne voulût faire quelque breuvage pour se faire avorter aussi je lui refusai ma casserole 37. » C’est une fille des environs qui procurait l’herbe sainte à la Vve Le Trou. Mais cette herbe doit être connue de tous les villageoises car un autre témoin sait qu’on la trouve « à la lande aux eaux, audessus de Saint-Guillaume 38 ». D’après ce témoin, l’herbe sainte a la propriété de « faire descendre le sang ». Mais elle demeure inopérante sur la Vve Le Trou qui entreprend alors la consommation de vinaigre. Efficacité de la phytothérapie abortive : le point de vue médical Le corps médical reconnaît à certaines plantes – emménagogues ou « hystériques » – le pouvoir de faire « couler » les règles. Ces plantes favorisent la liquéfaction du sang et agissent sur les états de pléthore de la matrice : « L’impulsion du sang sur les vaisseaux de la matrice est la cause qui détermine l’écoulement des règles. Lorsque le sang devient trop épais et trop visqueux, il se fait une obstruction dans les vaisseaux de la matrice, ce qui occasionne la suppression de ces écoulements périodiques si nécessaires pour la santé des femmes, et par lesquels la nature se dégage de cet état de pléthore, occasionné chez elle par des sécrétions et par une transpiration moins abondante que dans l’homme, effet dépendant de la constitution de leur corps, qui est plus molle et plus lâche. Les emménagogues provoquent les règles en corrigeant l’épaississement et la viscosité du sang, en levant les obstructions et embarras de la matrice et en réveillant l’oscillation des fibres […]. Elles sont encore hystériques et soulagent beaucoup dans les accès de vapeurs 39. »

De très nombreuses plantes sont reconnues posséder de telles propriétés : armoise, tanaisie, matricaire, dictame blanc, dictame de Crète, mélisse, cataire, pouliot, romarin, rue, absinthe, aristoloche, safran, souci, sabine. La sabine est considérée comme très active et doit être employée avec précaution. Le célèbre Orfila décrit la sabine comme susceptible, à haute dose, de déterminer la mort des chiens les plus robustes en vingt-quatre heures 40. Cependant, s’il cite les emménagogues parmi les principaux moyens abortifs – au même titre que la saignée au pied, les pédiluves, les vomitifs et les purgatifs drastiques – il se refuse à en détailler les usages car, écrit-il, 36. Cette « herbe sainte » est également désignée par certains témoins herbe de Loriol. Il s’agit sans doute d’un type de daphné mâle appelé, dans certaines régions, lauréole. Elle est également connue sous les noms de sainbois, garou, malherbe ou bois gentil. Ses graines sont toxiques. 37. AD C-A 2U/641, Marie-Louise Le Vacon, ménagère, 38 ans, 9 mars 1842. 38. Idem, Jeanne Allenic, 29 ans, domestique, [même jour]. 39. Dictionnaire botanique et pharmaceutique […], Paris, an X-1802, V° Plantes emménagogues. 40. Orfila M., Traité de médecine légale, 3e éd., Paris, 1836, t. 3, p. 309.

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« la malveillance pourrait s’en emparer pour commettre de nouveaux crimes 41 ». Les avis des médecins bretons consultés sur l’efficacité des plantes utilisées par les inculpées sont assez partagés. La plupart sont loin de leur dénier toute vertu. Renée Le Mailloux, domestique à Ambon, accusée d’infanticide en 1839 42, reconnaît avoir pris divers breuvages à la demande de son séducteur : « Ne voulant pas que ma grossesse soit connue, j’ai pris des infusions ou décoctions d’absinthe, d’ail et de deux autres herbes que j’ai cueillies moi-même dans le jardin de mon père, et je pense que ce sont ces breuvages qui m’ont fait accoucher ». Interrogé par le juge d’instruction sur les effets que ces plantes peuvent produire sur une femme enceinte, le docteur Dentu, médecin à Vannes, est formel : « – S’il est vrai, comme me l’a déclaré la fille Le Mailloux, que son avortement ait eu lieu à la suite de breuvages composés de plantes purgatives, que d’après la description qu’elle en a fait, je crois être de la sabine, de la rue et de l’absinthe, l’accouchement n’a pas pu avoir lieu sans douleurs plus ou moins vives, et si, comme elle l’a déclaré, elle n’était grosse que de cinq mois, elle était à l’époque de la grossesse où les avortements sont les plus dangereux. – Enfin, Monsieur, croyez-vous qu’un avortement puisse être provoqué par les infusions d’herbes et d’ail indiquées par la fille Le Mailloux ? – Oui, on en a de fréquents exemples, malheureusement la composition de ces breuvages est très connue dans nos campagnes et ces herbes sont cultivées dans beaucoup de jardins 43. »

En revanche, le pharmacien consulté dans l’affaire Olive Belnard est plus que réservé sur les propriétés de la grande armoise que cette accusée faisait infuser dans du lait doux ou du cidre. Il la considère « tonique, excitante et emménagogue, mais incapable de provoquer l’avortement 44 ». Pourtant la croyance en la puissance des plantes est telle à Plessala que certains des voisins d’Olive Belnard sont persuadés qu’elle a pu se débarrasser par ce moyen de plusieurs grossesses. « Le bruit court », rapporte une ménagère, « que la fille Belnard a été enceinte plusieurs fois : on va jusqu’à dire que depuis cinq ans, elle fait un enfant chaque année 45 ». L’armoise est dotée par les pharmaciens de multiples propriétés : elle est détersive, vulnéraire, apéritive, fortifiante et « hystérique ». À ce titre, appliquée en cataplasme, elle peut soulager les « femmes qui se plaignent de suffocation de la matrice 46 ». Mais ce sont à la sabine et à la rue que sont reconnues, tant par les populations rurales que par le corps médical, les plus grandes vertus abortives. Elles sont aussi les plus utilisées. 41. Ibidem, t. 2, p ; 341. 42. Elle décède en prison avant son jugement. 43. AD M U2094, interrogatoire, 12 novembre 1839. 44. AD C-A 2U/640, mémoire de Pringué, pharmacien à Loudéac, 10 janvier 1842. 45. Idem, Marie Tertre, ménagère, 8 janvier 1842. 46. Dictionnaire botanique et pharmaceutique, op. cit.

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Ce sont la sabine, la rue et, accessoirement, le buis, que retient, parmi toutes celles qui lui ont été confiées, le pharmacien qui a été appelé à se prononcer en 1843 dans l’affaire Marie-Joseph Puren, une journalière de Crach, âgée de 27 ans, accusée d’avortement. Une multitude d’herbes a été saisie à son domicile. Parmi elles, le pharmacien a reconnu de la rue, de l’armoise 47, de l’absinthe, de la morelle, de la sabine, du mélilot, de la mauve, de la myrrhe, du buis et de la patience. Plusieurs de ces plantes, selon lui, sont susceptibles d’avoir une action néfaste : « La sabine, la rue, le buis, sont les seules plantes qui dans un cas d’avortement peuvent avoir de l’action. La sabine et la rue sont très dangereuses par leur action sur l’utérus. Le buis par ses propriétés purgatives et drastiques peut aussi être dangereux dans les cas d’avortement. Ces plantes se prennent soit en infusion, soit en décoction, soit en macération dans le vin blanc. » Il est a priori assez réservé sur leur efficacité : « Malgré l’action bien marquée de ces trois plantes, malgré le nombre de cas de réussite dans des intentions criminelles, il est arrivé encore peut-être plus souvent que leur application dans l’économie animale restât sans effet. » Mais il estime cependant que si la grossesse n’excède pas trois mois, leur ingestion est susceptible de déclencher un avortement. « D’après toutes les propriétés que j’ai analysées, je conclus qu’une femme enceinte de trois mois, et prenant de ce breuvage tous les jours par doses répétées se trouve dans les meilleures conditions pour avorter 48. » La sabine et la rue ont été fournies à Marie-Joseph Puren par son amant, Jean-Marie Bellégo, qui les cultive dans son jardin. Marie-Joseph Puren les a fait macérer suivant ses conseils dans du vin blanc. Elle a avorté au bout de quelques jours. Au moment où cette affaire s’instruit, les magistrats s’intéressent aux rapports que Jean-Marie Bellégo entretient avec Bertrand Le Falher, l’amant de la femme Hervoch, accusée d’un double infanticide sur des jumelles, qui habite également Crach. Tous les villageois témoignent de la relation d’amitié des deux hommes. Jean-Marie Bellégo est donc fortement suspecté d’avoir procuré de la sabine et de la rue à Bertrand Le Falher. Réseaux informels et méthodes empiriques En fait, Marie-Julienne Hervoch, que la rumeur publique accuse de plusieurs avortements et infanticides, disposait d’autres ressources pour tenter d’avorter. L’enquête apprend que quelques années avant les faits pour lesquels elle est poursuivie en 1843, elle cultivait elle-même de la sabine et de la rue dans son jardin et que celles-ci ont disparu à un moment où on la 47. L’armoise est désignée par l’inculpée « er-vann louzen », la « mère des plantes ». C’est à l’absinthe que Michelle Dano attribuait les mêmes qualificatifs. En breton, le terme louzaou désigne une plante médicinale. 48. AD M U2130, rapport de Le Beaupin, pharmacien à Lorient, 18 juillet 1843.

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soupçonnait d’être enceinte. Le cultivateur qui sous-louait une petite maison aux époux Hervoch, se souvient qu’il y avait dans le jardin « des plantes de rue et de saperue [sic] 49, et il y a trois ans passés des premiers jours de mars que, dans une seule nuit, ces plantes furent presque totalement dépouillées […]. À cette époque, le bruit circulait que la femme Hervoche était enceinte, c’était aussi mon opinion, et cependant je n’ai pas ouï dire qu’elle fût accouchée […]. Je fis connaître au curé de Crach que deux plants de rue qui étaient dans le jardin des époux Hervoche avaient été pillés dans la nuit et il me donna le conseil de les détruire, ce que je fis. C’est vers cette époque que Bertrand Falher commença à fréquenter la femme Hervoche 50. »

Le commandant de gendarmerie d’Auray signale aux magistrats d’autres personnes ayant pu aider Marie-Julienne Hervoch à se procurer un avortement. Le Falher se serait notamment rendu au cours de la grossesse de sa maîtresse chez un marchand de « vieille ferraille », nommé Jean-Marie Ezanno, dit Kercoquin, « duquel il aurait reçu de la mauvaise herbe servant à exciter les avortements et qu’il l’aurait emportée chez lui, sans doute pour que la femme Hervoch, sa maîtresse, en fît usage ». En outre, une « femme de mauvaise vie » d’Auray, Françoise Oliviero, dite Vve Tartare, est soupçonnée d’avoir participé « aux divers infanticides et avortements de l’inculpée ». Cette femme, signalée comme se livrant illégalement à la médecine, « aurait eu des ramifications avec la femme Hervoch de laquelle elle s’informe tous les jours depuis son arrestation 51 ». Les réseaux informels d’avortement paraissent nombreux en Bretagne et la médecine empirique ne semble rencontrer aucun obstacle 52. Ainsi voit-on, dans le Finistère, l’activité de Guillaume Raoul, cultivateur à Sainte-Sève, se poursuivre sans encombre, au moins entre 1838 et 1846. C’est à lui que Françoise Jourdren, domestique chez un meunier de Plougourvest, va demander des remèdes pour faire revenir ses règles 53. C’est à lui encore que s’adresse, huit ans plus tard, une autre accusée d’infanticide, Marguerite Paugam. Cette domestique, âgée de 28 ans, congédiée en raison de sa grossesse, est venue vivre depuis peu chez son oncle à PleyberChrist. Celui-ci révèle au juge d’instruction que le dimanche précédant le crime sa nièce est allée consulter « le dénommé Guillaume Raoul, cultivateur, demeurant au village de Coat-Conval, dans la partie dépendante de la commune de Sainte-Sève. Ce Raoul passe pour se mêler de faire la médecine. Je n’ai pas entendu dire qu’il procurât aux femmes des moyens de se faire avorter. […] Marguerite m’a dit que ses menstrues étant supprimées, Guillaume Raoul lui avait conseillé, pour les faire reparaître, de boire une tisane faite avec la racine 49. Sabine. 50. AD M U2127, Michel Le Guillaudre, 46 ans, cultivateur, 24 juin 1843. 51. Idem, rapport du commandant de gendarmerie d’Auray, 1er juin 1843. 52. Voir Léonard J., Médecins, malades et société dans la France du XIXe siècle, Paris, 1992. 53. AN/BB/20/98, F, 1er trim. 1838, Le Minihy, [s. d.]

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d’une plante nommée col-téol et celle d’une autre plante nommée tenc’h. Je pourrai, avant votre départ, vous montrer ces plantes 54. [D’après la sœur de l’inculpée, qui en a fait des tisanes, il s’agit de racines d’oseille et de chicorée sauvage 55.] »

Oseille et chicorée sauvage entrent également dans le traitement prescrit par la Vve Le Port que Vincente Le Bourvellec, servante à Pluvigner, est allée consulter au cours de sa grossesse. Cette guérisseuse, âgée de 43 ans, qui se déclare propriétaire-cultivatrice, demeure à Pluneret. Elle s’est formée à la médecine empirique en observant son beau-père et soigne toutes sortes de maux : « Mon beau-père était renommé pour remettre les membres démis, et guérir les blessures et contusions. L’habitude de le voir opérer et les leçons qu’il m’a données, m’ont permis, après sa mort, de soulager ceux qui dans les campagnes se blessaient ou étaient blessés. On vient souvent me consulter. Je donne des conseils. Je remets les membres démis, quand je juge pouvoir le faire. Je panse les blessures avec un onguent dont la composition m’a été donnée par mon beau-père et qui est composé d’oseille et d’oseille sauvage [sic], d’ortie, de chicorée sauvage, de quelques feuilles de petit laurier, d’une herbe appelée dans nos campagnes réveil-matin, d’une autre herbe appelée en breton drogar. Toutes ces herbes sont hachées ensemble. On y mêle une petite quantité de sel, souvent on applique cet onguent sur la tête, il fait suer et il soulage les malades. »

Bien qu’elle prétende tout d’abord ne pas se souvenir que Vincente Le Bourvellec soit venue lui demander des drogues pour faire revenir ses règles, elle finit par reconnaître lui avoir procuré cet onguent, dont les vertus sont manifestement très étendues. Elle lui a également prescrit de « boire du vinaigre, dans lequel elle mettrait de la cannelle, pour l’adoucir 56 ». Elle soutient aussi ne pas avoir remarqué la grossesse de Vincente Le Bourvellec, mais on peut d’autant plus en douter que celle-ci avait raconté sa visite à la guérisseuse à l’une de ses voisines : « Elle me déclara que l’écoulement de ses règles avait cessé depuis longtemps, qu’elle avait été à Kerabial [?] en Pluneret pour chercher des herbes propres à les faire revenir, elle ne me dit pas qu’on lui en eût donné, mais seulement qu’on lui répondit : “Vous pouvez vous en retourner, ma fille, vos règles reparaîtront pour la lune d’octobre 57.” » La médecine empirique à visée abortive ne se limite pas aux plantes. Bien d’autres médications sont également proposées par les guérisseurs, en particulier le vinaigre et l’élixir de Suède 58, qui est traditionnellement employé par les matrones pour hâter l’accouchement. C’est ce dernier remède qu’utilise la Vve Guimard pour faire avorter Thérèse Blancho, dans 54. AD F 4U2/92, Milliau Floch, 45 ans, cultivateur, 16 mars 1846. 55. Idem, Catherine Paugam, 21 ans, domestique, [même jour]. 56. AD M U2050, Vve Le Port, 43 ans, propriétaire-cultivatrice, 23 octobre 1833. 57. Idem, Françoise Cailloce, 33 ans, cultivatrice, 9 octobre 1833. 58. Également appelé élixir de longue vie. C’est un excitant, à base d’aloès et d’alcool thérique, Jourdan A.-J.-L., Pharmacopée universelle…, Paris, 1840, t. 1, p. 169.

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cette curieuse affaire d’infanticide et d’avortement jugée à Vannes en 1839 59. Jeanne Thébaut, journalière à Saint-Père-en-Retz, accusée d’infanticide en 1834, s’était, elle aussi, procuré de l’élixir de Suède car « les matrones du pays croyent que cette substance peut nuire à l’enfant qu’une femme porte dans son sein 60 ». Les femmes qui sont absolument résolues à se débarrasser de leur grossesse n’hésitent pas à absorber les produits les plus dangereux. Ainsi, la femme Broustal, de Pleyben, décède-t-elle en 1857 après avoir ingurgité un breuvage que lui avait fourni son frère et qui contenait de l’essence de térébenthine 61. Quant à Marie Samson, journalière à Mohon, après avoir demandé en vain à un médecin de lui procurer un avortement, elle essaie, sous un faux nom, d’obtenir du maire de sa commune un certificat l’autorisant à acheter de l’arsenic 62. Recours à la pharmacie officielle Lorsque la phytothérapie traditionnelle a échoué, les inculpées se tournent quelquefois vers la pharmacie officielle. Certaines officines débitent en effet des potions abortives. Plusieurs séducteurs parviennent à s’en faire délivrer à Pontivy. Le Bourhis, cultivateur à Moëlan, qui tient absolument à débarrasser sa servante, Marie-Antoinette Grévélec, d’une grossesse dont il est responsable, se fournit dans une pharmacie de Lorient : « – N’aviez-vous pas déclaré au gendarme Jouin, demande le juge d’instruction à Marie-Antoinette Grévélec, que pendant votre grossesse votre maître vous a fait prendre des remèdes pour vous faire avorter ? – Oui, mon maître s’adressait à son cousin Pierre Gouyec, journalier au bourg de Clohars. Celui-ci allait prendre les remèdes à Lorient et les remettait à mon maître, qui me forçait de les prendre en sa présence. J’en prenais un peu, mais quand il tournait le dos, je jettais [sic] le reste par terre, parce que c’était mauvais. Il y a eu quatre ou cinq sortes de remèdes, les uns étaient rouges comme du vin et les autres blancs comme de l’eau. […] Il y avait des pillules [sic] grosses comme un poix [sic] et de la poudre comme du son. […]. Je ne peux dire combien de bouteilles m’ont été remises, il m’en mettait une environ tous les quinze jours, depuis le mois de novembre jusqu’au mois de mars, quoique j’eusse prévenu que c’était inutile puisque je ne les prenais pas. […]. Quand je prenais ces remèdes je vomissais 63. »

Purgatifs et vomitifs occupent une place importante dans les potions achetées par les femmes enceintes ou par leurs séducteurs dans les phar59. AD M U2097, Pauline Blancho, 18 ans, brodeuse de souliers, 25 avril 1839. 60. AN/BB/20/76, L-I, 4e trim. 1834, Hardy fils, 24 décembre 1834. 61. AN/BB/20/200/1, F, 3e trim. 1857, Baudouin, 23 juillet 1857. 62. AN/BB/20/137, M, 2e trim. 1846, Tiengou de Tréfériou, 17 juillet 1846. L’arsenic est utilisé pour empoisonner les rats. 63. AD F 4U2/169, interrogatoire, 21 mai 1861.

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macies. Ainsi Michelle Dano, après avoir fait usage de diverses herbes, se fait-elle apporter par sa mère des vomitifs que lui fournit un pharmacien de Vannes. Il est relativement difficile de mesurer quelle a été la complaisance des pharmaciens à l’égard des femmes qui cherchaient à avorter, car les inculpées ont parfois été contraintes de recourir à la ruse pour se procurer des médicaments. La Vve Biraud, de Sautron, n’hésite pas à utiliser une fausse ordonnance pour parvenir à ses fins. Elle envoie un de ses voisins, muni de ce faux document, chez un pharmacien de Nantes : « Cette femme lui avait donné la commission le 26 avril 1839, jour de la foire de la Saint-Marc à Nantes, de lui rapporter deux remèdes que j’ai pris chez un pharmacien qui demeure sur la place de Bretagne à Nantes, à côté du café Nancy. L’un était en petites pierres comme de l’alun blanc, et l’autre comme du bois d’Inde menu et de couleur jaunâtre. Elle ne m’avait donné que quarante sous pour acheter ces deux remèdes, tandis que j’ai été obligé de les payer quatre francs et dix sous, elle m’avait donné un mot d’écrit sur un papier que j’ai cru que c’était un certificat d’un médecin [sic], que je crois bien qu’elle avait fait faire par une autre personne et que ces remèdes étaient pour la faire avorter, chose que j’ai pensée depuis qu’elle a fait le crime d’infanticide qui lui est inculpé [sic] 64. »

La Vve Biraud avait déjà tenté par bien d’autres moyens de se faire avorter. La journalière qui vient faire son ménage raconte en effet : « Cette femme Vve Biraud qui a cherché par tous les moyens dès le com-

mencement de la grossesse à détruire le fruit qu’elle portait, avait fait appeler primitivement Monsieur Navez, docteur-médecin à Sautron, lui disant que ses règles s’étaient arrêtées parce qu’elle s’était mise à laver. Il lui donna un remède qu’il lui ordonna de prendre en deux ou trois fois, elle prit tout d’un coup, ce qui donna des soupçons au médecin de sa grossesse [sic], elle voulait avoir un autre remède et avoir des sangsues aux cuisses et être saignée, le médecin Navez lui promit tout cela un peu plus tard 65. »

Les accusées et leurs séducteurs n’hésitent pas à détourner les produits qui sont en leur possession des indications pour lesquelles ils leur ont été prescrits. Ainsi, Jean-Marie Quéguiner, fabricant de toile à Guiclan, âgé de 45 ans, fait-il prendre à Marie-Jeanne Potay, sa domestique et maîtresse, l’huile de Copahu qui lui a été délivrée pour soigner une maladie vénérienne 66. Sans doute est-ce le goût très désagréable de ce médicament qui lui a fait penser qu’il était susceptible de déclencher un avortement. Mais le pharmacien interrogé à ce sujet dénie à l’huile de Copahu toute propriété abortive 67.

64. AD L-A 5U108, Alexandre Babin, 38 ans, laboureur, 7 novembre 1839. 65. Idem, Perrine Thomeret, 42 ans, journalière, [même jour]. 66. Huile extraite du Copaifera, arbre du Brésil. 67. AD F 4U2/122.

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La femme Doudard, après s’être successivement essayée à la tisane de sabine, de rue, de berle 68, au sel de nitre 69 et aux sangsues, se fait délivrer une ordonnance par son amant Duronceray, officier de santé, sous le nom d’une meunière de son village : « Il y a quatre ou cinq mois, raconte le pharmacien de Saint-Georgesde-Reintembault, la femme Doudard vint, avec une ordonnance du sieur Duronceray chercher des remèdes propres à procurer chez les femmes l’écoulement des règles, qu’elle me dit être pour la femme du meunier Guérin, et je crois même me rappeler que l’ordonnance portait que c’était pour cette femme. Je lui livrai ces remèdes qui consistaient en vingt pilules […], et de plus une potion emménagogue. Ces remèdes pourraient, autant que je puis le croire, produire un avortement chez une femme sujette à des fausses couches. J’ignore s’ils furent remis à la femme Guérin, que je ne connais pas 70. »

Face à ce nouvel échec, Anne Doudard tentera d’obtenir une saignée. Saignées et sangsues La pratique habituelle des femmes qui cherchent à tout prix à avorter est d’expérimenter successivement tous les moyens qui sont à leur disposition. Elles recourent donc également à la saignée qui est dotée de vertus emménagogues 71. La saignée au pied, qui est censée faire « descendre le sang est réputée dangereuse pour les femmes enceintes 72 ». Les bains de pieds chauds sont utilisés dans la même visée. L’accès à la saignée est relativement plus difficile que le recours aux plantes, c’est pourquoi nous n’en dénombrons qu’une dizaine de cas. En principe, elle doit être opérée par un homme de l’art, mais on constate que les guérisseurs la pratiquent plus ou moins librement. Léonie Blanchard, de Saint-Pierre-de-Plesguen, enceinte des œuvres de son beau-père se fait saigner par « une voisine qui fait la médecine en cachette 73 ». Anne Doudard s’adresse à une agricultrice d’un village de la Manche voisine, Adélaïde Barbedette, demeurant à Saint-Martin-de-Landelles. Mais cette femme, âgée de 21 ans, qui a appris cet art avec sa mère, refuse de la saigner au pied : 68. La berle ou ache d’eau est une sorte de cresson : « elle est très utile dans le scorbut, la rétention d’urine, la suppression des ordinaires, les obstructions du bas-ventre… », Dictionnaire botanique et pharmaceutique, op. cit. 69. Acide nitrique dans une solution de carbonate de potasse. 70. AD I-V 2U4/614, Jean-Marie Davy, 28 ans, pharmacien, 11 décembre 1824. 71. Cette conception est liée « à la théorie bienfaitrice des émissions sanguines pour purger le mauvais sang.», Fine A, « Savoirs sur le corps et procédés abortifs au XIXe siècle », op. cit., p. 129. 72. Les saignées étaient préconisées sur les femmes enceintes, mais « certains accoucheurs du XVIIIe siècle finirent par ne les prescrire que chez les femmes « pléthoriques » et somnolentes. La tradition française imposait alors la saignée au bras, tandis que la saignée au pied du 7e ou au 9e mois passait pour abortive », Léonard J., « À propos de l’histoire de la saignée (1600-1900) », Mentalités, n° 1, 1988, p. 73-94. 73. AN/BB/20/141, I-V, 4e trim. 1847, Le Beschu, de Champsavin, 2 décembre 1847.

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« Comme elle me parut enceinte, je lui demandai si c’était au bras qu’elle voulait une saignée. Elle me répondit que c’était au pied, alors je lui demandai si elle avait de jeunes enfants. Elle me répondit que son plus jeune avait trois ans. Craignant qu’elle ne prît pour une insulte un refus pur et simple de ma part et cependant ne voulant pas la saigner en raison des soupçons que j’avais, je fis chauffer de l’eau et lui mis les pieds dedans. Ensuite je lui dis qu’elle n’avait pas les veines assez grosses et que je ne pouvais pas la saigner. Elle dit que déjà, pourtant, elle s’était fait saigner au pied par un chirurgien, je lui fis l’observation qu’alors elle n’était pas enceinte ou qu’il ne le savait pas, attendu que lorsqu’une femme dans cet état se fait saigner au pied, elle ou son enfant s’en ressentent. Elle me répondit qu’elle était alors enceinte et prétendit l’avoir dit au chirurgien, mais elle ne convint pas l’être actuellement 74. »

Les hommes de l’art sont également persuadés de la dangerosité de la saignée pour les femmes enceintes. La première réaction du médecin de La Guerche que va consulter Marie Loison, une domestique de Moutiers, âgée de 31 ans, est de lui demander si elle est enceinte : « Il lui adressa quelques questions auxquelles elle répondit de manière à lui persuader qu’en effet elle ne l’était pas. Il lui fit une saignée. Quelque temps après il lui administra quelques drogues qui, n’étant données qu’à faible dose, n’eurent aucun effet. Comme elle le pressait de lui donner des remèdes plus actifs, il lui déclara que craignant toujours qu’elle ne fût enceinte, il ne lui en administrerait aucun sans s’être assuré qu’elle n’était pas grosse 75. » Certains praticiens éconduisent les femmes enceintes qui demandent à être saignées. Le docteur Piedvache, de Dinan, constatant que la grossesse de Mélanie Suliac, domestique à Taden, est presque à terme refuse de céder à sa requête 76. Mais d’autres ont une position beaucoup plus tolérante. Ainsi voit-on, en 1827, Lagrée accepter de saigner Marie Guillemain, qui lui affirme qu’elle a mal aux jambes et que le « sang s’est arrêté sur elle 77 ». Jeanne-Marie Leroux, domestique à La Chapelle-Launay, est également parvenue, à un stade avancé de sa grossesse, à se faire saigner au pied par un homme de l’art. Son maître, François Gérard, un laboureur de 36 ans, qui l’a séduite par des promesses de mariage, déclare : « Je me suis bien apperçu [sic] que sa taille épaississait et le public disait bien qu’elle était enceinte mais lorsque je lui rapportais ce qu’on disait d’elle, elle me répondait : “Je ne suis pas enceinte, mes règles sont supprimées ce qui arrive souvent chez moi et je suis obligée de me faire saigner.” Au mois de mai dernier, elle me parla de se faire saigner et je la menai moi-même chez le Docteur Pomier qui la saigna au pied 78. » 74. Idem, Adélaïde Barbedette, 21 ans, 6 décembre 1824. 75. AN/BB/20/47, I-V, 3e trim. 1829, Legeard de la Diriays, 27 août 1829. 76. AD C-A 2U/772, réquisitoire définitif, 16 juin 1861. 77. AD M U1997, Vve Duvalet, 72 ans, 19 juin 1827. 78. AD L-A 5U91/1, François Gérard, 33 ans, laboureur, 22 décembre 1835.

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S’il est vrai que certains hommes de l’art ont une position ambiguë, il convient de reconnaître qu’ils subissent de fortes pressions de la part des femmes enceintes. Taslé s’en fait notamment l’écho à propos de Marie Bodinier, journalière à Maumusson, âgée de 29 ans. Cette fille de « mauvaises mœurs », déjà mère de deux enfants naturels, a tenté par tous les moyens de convaincre un médecin de lui procurer un avortement : « Après avoir inutilement recouru à l’usage de plantes abortives, elle essaya de séduire un des médecins de Varades, le sieur Charles Le Biez, et fit près de lui de nombreuses démarches pour le décider à la traiter de façon à lui procurer l’avortement qu’elle désirait. Repoussée avec indignation par le médecin, à chacune de ses tentatives, et bien qu’il l’eût prévenue qu’il avait l’œil ouvert sur elle, et que le juge de paix du canton qu’il avait averti, la surveillait, elle n’en persista pas moins dans son détestable projet 79. »

La recherche du praticien complaisant tourne parfois à l’obsession. Françoise Le Bihan, domestique au Conquet, séduite par le fils de son maître, va dans la même journée consulter trois médecins de Saint-Renan. Elle est accompagnée dans sa quête par une vieille femme de sa commune. « Il est appris », écrit Dupuy, « qu’elle a visité, dans la ville indiquée par elle, le même jour, trois médecins auxquels elle n’a pas craint de demander, indirectement, des remèdes abortifs, qu’elle a acquis alors la certitude de sa grossesse, dont elle a donné connaissance aux Jourden [ses maîtres], et que depuis on lui a vu faire usage, en présence de ses maîtres, des breuvages obtenus à ses frais, pour se procurer un avortement 80 ». L’un des médecins reconnaît, sans même la visiter, sa grossesse et refuse de répondre à sa demande. Les deux autres, après l’avoir examinée, lui donnent des remèdes qu’elle décrit comme « quelque chose qui ressemble à du sel blanc 81 ». Il s’agit vraisemblablement du sel de tartre, car l’un des praticiens qu’elle a consultés ce jour-là, qui se souvient qu’à l’époque elle devait être enceinte de trois mois affirme : « Si j’ai donné quelque chose à cette femme, c’est probablement du sel de tartre, ou quelque autre remède tout à fait inoffensif et uniquement pour éconduire cette femme. J’ai dû lui recommander, suivant mon habitude, de ne point aller trouver d’autre personne et de s’en ternir au traitement que je lui prescrivais 82. » Il réagit donc en médecin fort coutumier de ce genre de sollicitation. Dans l’esprit des femmes rurales les sangsues sont supposées, au même titre que les saignées, faire reprendre au sang qui s’est « arrêté sur elles » son cours normal. Elles sont généralement appliquées à la jambe ou au siège. Perrine Hurault, cultivatrice à La Bouëxière, les place « aux parties de la génération », sans doute pour obtenir un résultat plus assuré 83. Comme 79. AN/BB/20/168/2, L-I, 4e trim. 1853, Taslé, [s. d.]. 80. AN/BB/20/218/2, F, 4e trim. 1859, Dupuy, 17 novembre 1859. 81. AD F 4U2/164, interrogatoire, 20 août 1858. 82. Idem, Jean-Jacques Hippolyte Guérin, 68 ans, médecin à Saint-Renan, 25 août 1858. 83. AN/BB/20/83, I-V, 2e trim. 1835, Le Minihy, 30 mai 1835.

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dans le cas des saignées, on constate qu’il n’existe pas de frontière étanche entre médecine officielle et médecine empirique. Les femmes qui sont à la recherche de sangsues se tournent assez indifféremment vers les hommes de l’art ou les guérisseurs. La Vve Mercier, une journalière de 49 ans, à qui s’adresse la Vve Lépinay après avoir en vain essayé les breuvages traditionnels, paraît collaborer régulièrement avec les praticiens des environs. Elle expose au juge de paix qu’elle a : « l’habitude de mettre des sangsues à des personnes des environs qui en ont besoin ; que la Vve Lépinais lui demanda de les lui mettre, qu’elle refusa d’abord en lui disant qu’elle ne les mettait que sur l’ordonnance d’un chirurgien, que la Vve Lépinais lui répondit que M. Barbotin, chirurgien à Bain, lui avait ordonné d’en mettre une douzaine, qu’alors elle fut de la part de la dite veuve en demander à M. Laporte, chirurgien à Bourg-desComptes, qui lui en avait promis, qu’elle les apporta et lui en mit sept au siège, qu’il n’y en eut que six qui prirent, dont trois tombèrent presque tout de suite, que quand elles eurent quitté, elle la mit [la Vve Lépinay] sur de l’eau tiède, que comme elle s’était aperçue qu’elle était enceinte, elle ne l’y laissa pas longtemps, qu’elle saigna très peu 84. »

Mais, comme toujours avec les femmes rurales, la ruse n’est jamais exclue. Aussi Louise Fournard, domestique à La Chapelle, détourne-t-elle à son profit les sangsues qu’un médecin de Malestroit a prescrites à son père, qui souffre d’une fluxion de poitrine. Ce médecin, questionné avec l’un de ses confrères par le juge d’instruction de Ploërmel, est persuadé de la vertu abortive des sangsues : « – 1° Des applications de sangsues, si surtout elles sont répétées pendant la grossesse peuvent-elles déterminer un avortement ? – Réponse : oui, dans un grand nombre de circonstances. – 2° Dans tous les cas est-ce une opinion populaire ? – Réponse : oui. – 3° A quelle époque de la grossesse, l’application des sangsues est-elle particulièrement nuisible ? – Réponse : dans les trois premiers mois de la grossesse et particulièrement au début 85. »

Remèdes prodigués par les séducteurs : coups, secousses et chutes Ce sont souvent les hommes qui, n’ayant nulle envie d’épouser les femmes qu’ils ont séduites, se mettent à la recherche de plantes ou de potions abortives. Mais lorsque celles-ci ne suffisent pas, ils s’emploient, par toutes sortes de moyens mécaniques, à empêcher la grossesse de s’accomplir jus84. AD I-V2U4/636, Vve Mercier, 49 ans, journalière, 18 juin 1828. 85. AD M U2103, mémoire de Pringué et Houeix, docteurs en médecine, 1er mars 1840.

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qu’à son terme. Les procédés sont plus ou moins violents selon le degré d’affolement de ces hommes devant la perspective du déshonneur. C’est le souci de ne pas compromettre son projet de mariage avec une autre femme qui pousse Jean Diguet, amant de Marie Audié à se livrer à des violences sur elle. Il lui étreignait le ventre « si parfaitement, dit-elle, que je souffrais beaucoup, et quand je m’en plaignais, il me disait qu’il eût été bien content de me voir débarrassée ». Elle attribue les manœuvres de Jean Diguet à la crainte de l’opinion de ses parents et de sa fiancée officielle : « Il me disait que si on connaissait mon état dans le pays, ses père et mère le renverraient de chez eux et qu’il ne pourrait pas épouser la personne à laquelle il s’est marié le surlendemain de mes couches 86. » Job Le Moing, fils aîné de la maison où sert Anne Le Goff, est réputé avoir déjà engrossé deux autres domestiques. Pas plus pour Anne Le Goff que pour les précédentes, il ne parviendra à obtenir un avortement. Il lui procure tout d’abord une « liqueur », qualifiée par le président de la cour d’assises de « puissant emménagogue », qu’il achète à Pontivy 87. Cette liqueur, retrouvée dans la paillasse d’Anne Le Goff, a été reconnue être « très probablement une infusion ou une décoction de sabine mal préparée et rendue opaline par la précipitation d’une partie de la gomme résine » mêlée à du carbonate de chaux 88. Mais le remède étant jugé insuffisant, cet agriculteur entreprend de fouler le ventre de sa maîtresse pour « crever » l’enfant : « Job Le Moing m’a plusieurs fois engagée à le laisser me presser le ventre parce qu’il fallait, disait-il, étouffer l’enfant d’une manière quelconque. Il me disait : “S’il vient à terme, comment pourrons-nous tous les deux paraître la tête levée ?” Je l’ai toujours refusé à l’exception d’une fois, trois semaines environ avant mon accouchement, il m’a conduit [sic] dans le parc à bœuf éloigné de la maison, au milieu de grands genêts. Je me suis couchée sur le dos, il est monté sur mon ventre et avec ses pieds il le foulait. Je lui dis que je ne recommencerai plus, j’en ai été souffrante plusieurs jours 89. »

Quelques hommes recommandent des moyens moins barbares, comme de se serrer le ventre avec une ceinture. C’est la solution préconisée par Jean-Marie Péron, cultivateur au Cloître, à Marie Herry, une domestique de 19 ans. Il avait tout d’abord envoyé cette jeune fille chez un médecin du Rélecq qui avait accepté de la saigner au bras, mais avait formellement refusé de lui délivrer les remèdes abortifs qu’elle lui avait demandés. Il lui avait proposé de l’accueillir chez lui à la fin de sa grossesse ou de la faire recevoir par une accoucheuse. Jean-Marie Péron avait refusé parce que : « cela coûterait trop cher, il lui conseilla au contraire de se serrer fortement 86. AD M U2012, interrogatoire, 10 mars, 1829. 87. AN/BB/20/76, M, 2e trim. 1834, Hardy fils, 28 juin 1834. 88. AD M U 2052, rapport de Desmarets, professeur de chimie et Le Beaupin, pharmacien à Lorient, 18 mars 1834. 89. Idem, interrogatoire, 10 mars 1834.

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le ventre ; que c’était un moyen de faire disparaître sa grossesse ; que si cela ne réussissait pas, il irait à Morlaix et se procurerait les remèdes nécessaires ». Mais cette tentative est infructueuse. Marie Herry se livre alors à des exercices nettement plus violents : « Elle se pressa fortement le ventre, elle perdit un peu de sang et il devint évident que bien qu’elle fût encore éloignée de son terme, elle ne tarderait pas à accoucher 90. » Jean-Marie Péron enferme l’enfant, sitôt né, dans un sac et le laisse mourir dans sa grange, après avoir pris la précaution de le baptiser. L’homme qui montre le plus d’obstination à tenter de faire avorter la femme qu’il a séduite est René Plantard. Ce cultivateur de Guéméné inflige un véritable supplice à Mélanie Roussel, sa domestique. Dès qu’il avait appris sa grossesse, il l’avait adressée à un médecin, qui avait accepté à plusieurs reprises de la saigner et de lui poser des sangsues. Mais ces soins n’avaient pas suffi à faire reparaître les menstrues. Plantard s’était alors acharné sur le corps de sa domestique : « Il me dit qu’il fallait détruire cet enfant-là, qu’il ne fallait pas avoir honte de le faire avant le mariage et lorsque j’en serais débarrassée, je me marierai avec lui. Il me proposa et il me fit exécuter divers moyens qu’on lui avait indiqués pour me débarrasser de l’enfant que je portais, il m’a fait souffrir très cruellement. Ainsi il profitait du moment où les deux autres ménages qui habitent près de nous étaient aux champs, il me faisait m’appuyer contre un mur et là il me donnait des coups de genoux violents dans le ventre, il me faisait mal, je criais, alors il me disait qu’il allait suspendre son opération pour la reprendre plus tard, d’autres fois quand j’étais dans mon lit, il étreignait mon ventre avec ses mains à me faire crier par les souffrances que j’endurais, mais il me défendait de crier bien haut. Il me donnait encore souvent des coups de genoux dans le ventre dans le même but. D’autres fois Plantard se servait d’une planche longue, il me faisait appuyer le ventre dessus, il secouait ensuite la planche de manière à me faire retomber lourdement et moi dessus [sic], de manière à me faire avorter. D’autres fois, il me faisait monter dans son grenier où il y avait une échelle, il me faisait suspendre par les bras à cette échelle, il venait ensuite par derrière, mais me prenant par le ventre, il m’étreignait fortement de manière à me faire crier ; plusieurs fois encore il m’apportait des pains brûlants de douze livres qui sortaient du four et il me faisait les mettre sur le ventre, quand je ne pouvais pas les supporter à nue [sic], il me les appliquait par-dessus ma chemise 91. »

Enfin, s’étant fait montrer des pieds de sabine par un de ses amis, il va en voler à la nuit tombée. Mélanie Roussel les absorbe inutilement. Les procédés employés par Plantard doivent cependant être exceptionnels car ils ont vivement impressionné cet habitué des cours d’assises qu’est l’avocat Brillaud-Laujardière. C’est sans nul doute à cet accusé qu’il fait allusion dans son ouvrage consacré à l’avortement : 90. AD F 4U2/152, acte d’accusation, 30 août 1837. 91. AD L-A 5U/160/3, interrogatoire, 11 juin 1851.

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« Il y a environ huit ans, nous entendions révéler, devant la cour d’assises de la Loire-Inférieure, les tristes expédients employés par un paysan qui avait séduit sa servante et qui voulait la faire avorter : cet homme, monté sur un vigoureux cheval, sur lequel il prenait sa domestique, partait au galop à travers champs, et lançait à terre cette malheureuse au plus fort de la course. Ce barbare moyen, auquel il eut recours à deux reprises, n’ayant pas produit d’effet, il imagina de lui appliquer sur l’abdomen des pains bouillants sortant du four. Cette seconde tentative fut aussi infructueuse que la première et la pauvre fille, ainsi martyrisée, accoucha à terme d’un enfant vivant et bien constitué 92. »

L’abandon Si l’on excepte la Loire-Inférieure qui est, avec l’Isère, le premier département à avoir accordé dès 1826 des secours aux filles-mères, l’assistance aux mères naturelles est pratiquement inexistante dans les premières décennies du siècle 93. Les bureaux de bienfaisance, institués par la loi du 7 frimaire an VII à l’échelon des communes, sont peu nombreux. D’après Gasparin, éphémère ministre de l’Intérieur, il n’en existe que 6 275 en 1837 pour toute la France 94. Seules les villes de quelque importance en sont dotées, car la circulaire qui les institue n’est nullement impérative : « Il doit être établi un bureau de bienfaisance dans chaque commune ou du moins dans toutes celles où l’autorité locale le jugerait nécessaire et utile 95. » Les secours attribués aux indigents, aux malades, aux femmes en couches ou aux infirmes sont généralement versés en nature. Dans les communes rurales, l’aide publique est laissée à la bonne volonté des conseils municipaux. Ce n’est guère avant 1840 que les départements acceptent de verser une obole aux filles-mères indigentes pour les inciter à conserver leurs enfants. Mais le nombre de femmes ainsi secourues ne progresse que fort lentement. Léon Lallemand note, par exemple, qu’en 1859 : « 14 614 enfants seulement étaient assistés de cette manière et dix départements [parmi lesquels les Côtes-du-Nord] n’avaient pas encore adopté ces secours 96. » Dans la pratique, la seule solution offerte aux femmes qui ne peuvent assurer l’entretien de leur nourrisson est donc l’abandon. Or, au cours du XIXe siècle, les mères qui, pour préserver leur réputation ou en raison de 92. Brillaud-Laujardière C.-C., De l’avortement provoqué considéré au point de vue médical, théologique et médico-légal, Paris, 1862, p. 281. 93. D’après Watteville du Grabe A., Statistique des établissements de bienfaisance : rapport à S. Exc. le Ministre de l’Intérieur sur les tours, les abandons, les infanticides et les mort-nés de 1826 à 1854, Paris, 1856. 94. Gasparin A. de, Rapport au Roi sur les hôpitaux, hospices et services de bienfaisance, Paris, 1837. 95. Circulaire du ministère de l’intérieur, 8 février 1823. 96. Lallemand L., Histoire des enfants abandonnés et délaissés…, Paris, 1885, p. 322.

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leur indigence, souhaitent confier leur enfant à la charité publique, rencontrent de plus en plus de difficultés. La politique officielle vise en effet à restreindre les conditions d’admission des enfants dans les hospices. La politique de l’État La Révolution avait pratiqué une politique très libérale à l’égard de l’abandon : la loi du 27 frimaire an V [17 décembre 1796] offrait aux parents la possibilité de déposer les nouveau-nés qu’ils ne souhaitaient pas élever dans l’hospice le plus proche de leur domicile. Cette politique avait eu pour résultat d’accroître considérablement le nombre des enfants abandonnés. En 1800, le ministre de l’Intérieur constatait que celui-ci avait plus que doublé en quelques années, jusqu’à atteindre 63 000. Par réaction, l’Empire avait institué un système plus restrictif, redéfinissant, par le décret du 19 janvier 1811, les catégories – enfants trouvés, abandonnés et orphelins pauvres – susceptibles de bénéficier des fonds publics 97. Sont qualifiés « enfants trouvés » ceux qui, « nés de pères et de mères inconnus, ont été trouvés exposés dans un lieu quelconque, ou portés dans les hospices destinés à les recevoir 98 ». Les enfants abandonnés sont ceux qui « nés de père et mère inconnus, et d’abord élevés par eux ou par d’autres personnes » en ont été délaissés « sans qu’on sache ce que les pères et mères sont devenus ou sans qu’on puisse recourir à eux 99 ». Ce même décret stipule qu’un seul hospice par arrondissement est désormais habilité à recevoir les enfants trouvés. Il est doté d’un tour où les nourrissons peuvent être recueillis anonymement. La loi de finances de 1817, comme celles qui lui ont succédé, ont mis les enfants assistés à la charge des départements 100. Cependant, pour épargner les finances départementales, la loi du 10 juillet 1837 relative à l’organisation municipale impose aux communes de participer à leur entretien. Malgré les dispositions restrictives du décret de 1811, le nombre des enfants placés sous la tutelle publique ne cesse d’augmenter, passant de 84 000 en 1815 à 105 000 en 1821 101. Le gouvernement réagit en réglementant strictement le service des enfants trouvés. Ceux-ci ne peuvent être désormais admis que : « 1° par leur exposition au tour, 2° au moyen de leur apport à l’hospice immédiatement après leur naissance par l’officier de santé ou la sage-femme qui a fait l’accouchement ; 3° sur l’abandon de l’enfant, de la part de la mère si, admise dans l’hospice pour y faire ses couches, elle est reconnue dans l’impossibilité de s’en charger ; 4° sur la remise du procès-verbal dressé par l’officier de l’état-civil, pour les enfants exposés dans 97. Circulaire de Chaptal, ministre de l’Intérieur, 23 ventôse an IX (14 mars 1800). 98. Décret du 19 janvier 1811, art. 2. 99. Décret du 19 janvier 1811, art. 5. 100. Lois des 25 mars 1817, 15 mai 1818, 17 juillet 1819, 10 mai 1838. 101. Lallemand L., op. cit., p. 276.

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tout autre lieu que dans l’hospice 102. » Curieusement, en préconisant le dépôt des enfants par les sages-femmes et officiers de santé, l’administration allait favoriser, comme on l’observe en Bretagne et dans tout le royaume, un commerce qui se révélera fort fructueux. Le ministère de l’Intérieur admet qu’il ne puisse exister qu’un seul hospice dépositaire d’enfants par département : « Si dans quelques départements, les préfets jugent qu’il y a plus d’avantages et qu’il est sans inconvénient d’avoir pour tout le département, un seul hospice chargé de recevoir les enfans trouvés ou abandonnés, ils peuvent proposer cette mesure au ministre 103. » En réalité, chaque conseil général avait eu sa propre politique. Certains départements n’avaient institué qu’un seul hospice dépositaire, d’autres n’avaient jamais ouvert de tour. Assez rapidement, quelques conseils généraux ont pris l’initiative d’en supprimer : 9 tours, sur les 301 qui, selon Léon Lallemand, ont fonctionné dans les conditions prévues par le décret de 1811, ont été fermés entre 1813 et 1823. Le mouvement s’accentue ensuite, particulièrement dans les années 1830 : 35 tours sont fermés entre 1823 et 1834 ; 35 en 1835 ; 32 en 1836. Cette politique répond à des préoccupations purement financières. Il s’agit de réduire les charges induites par l’entretien des enfants qui sont à la charge des départements (layette, vêture, salaire des nourrices chez lesquelles ils sont envoyés dès leur immatriculation à l’hospice…). Ce mouvement est soutenu par certains administrateurs, tel Remacle, inspecteur général des établissements de bienfaisance du royaume, pour qui l’existence du tour est une incitation à l’abandon. Il serait même à l’origine d’une véritable industrie : « À la faveur du mystère qui entourait les abandons et du laisser-aller qui en était partout la suite, il s’était formé, dans plusieurs des chefs-lieux de départements ou d’arrondissements où étaient situés des hospices dépositaires et des tours, une industrie organisée pour l’exposition des enfants. C’étaient, en général, des sages-femmes qui, moyennant une prime convenue, se chargeaient de l’abandon, soit que l’enfant ait reçu le jour dans leur maison, soit qu’il fallait aller le chercher au dehors, chaque entreprise s’étendait sur un assez vaste rayon, au moyen des correspondants établis dans les communes rurales et avec lesquels on se mettait en rapport dès que les convois se faisaient attendre […]. Les filles-mères étaient entourées, sollicitées pour qu’elles consentissent à l’abandon de leurs enfants. Les expositions étaient au rabais. Dans un des départements de l’Ouest, les malheureux enfants confiés à ces maisons étaient dépouillés du dernier haillon qui les couvrait, du seul signe de reconnaissance qui restait à leurs parents, à eux-mêmes, et déposés nus, absolument nus au tour, même en hiver 104. » 102. Circulaire du ministre de l’Intérieur, 8 février 1823. 103. Idem, t. 2, p. 159. 104. Remacle B., Rapport concernant les infanticides et les mort-nés dans leur relation avec la question des enfants trouvés, Paris, 1845, p. 15.

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Remacle, se fondant sur une enquête réalisée par le ministère de l’Intérieur auprès des préfets en 1841 sur les modalités de l’application par les conseils généraux du décret de 1811, estime que la croissance des infanticides a été plus forte dans les départements qui ont ouvert des tours et dans ceux qui les ont conservés que dans ceux qui les ont fermés 105. L’existence du tour encourage l’accouchement clandestin et la dissimulation des naissances qui, écrit-il, sont des « préludes » à l’infanticide. L’administration a tenté par d’autres moyens de limiter les expositions d’enfants. Quelques auteurs prétendaient que de nombreux parents légitimes, par souci d’économie, se déchargeaient de leurs enfants sur les services hospitaliers. D’autres affirmaient que des mères parvenaient, moyennant salaire, à se faire confier leur propre enfant en nourrice. L’opinion selon laquelle les portes des établissements de bienfaisance s’ouvraient trop libéralement à des parents que le relâchement des mœurs dépouillait de tout sentiment, était exprimée par de nombreux observateurs. « Tous les liens moraux ont paru se relâcher, et bientôt la société a vu se tourner contre elle le charitable système qu’avait inauguré le christianisme pour fermer l’une des plaies les plus affligeantes de l’humanité » écrivent ainsi, gravement, Terme et Monfalcon 106. On retrouve cette idée chez Remacle, de Gérando 107, de Gouroff 108, Villermé 109 qui considèrent, eux aussi, que nombre d’abandons sont loin d’être provoqués par une impérieuse nécessité. Afin de dissuader les parents de délaisser leurs enfants, le ministère de l’Intérieur préconisa, en 1827, puis à nouveau entre 1834 et 1837, le déplacement des enfants assistés d’un arrondissement ou d’un département à l’autre. Cette mesure, selon Villermé, visait à empêcher les mères de déposer leurs enfants au tour pour percevoir, en les élevant elles-mêmes, l’indemnité payée aux nourrices 110. Mais le gouvernement dut renoncer à cette politique vivement critiquée par l’opinion publique. D’autant qu’à la même époque des hommes éminents, tels Lamartine, s’émouvaient de la fermeture des tours 111. Au lendemain de la révolution de 1848, le soin de formuler des propositions pour améliorer le sort de ces enfants, qui commençait à préoc105. D’après J.-J. Rapet, au contraire, l’augmentation annuelle des infanticides est de 3/5e dans les départements qui ont supprimé des tours et de 2/5e dans les départements qui ont conservé leurs tours, De l’influence de la suppression des tours dans les hospices d’enfants trouvés sur le nombre des infanticides, Paris, 1845. 106. Terme J.-F., Monfalcon J.-B., Histoire statistique et morale des enfants trouvés, Paris/Lyon, 1837, préface. 107. Gérando J.-M. de, De la bienfaisance publique, Paris, 1839. 108. Gouroff, Recherches sur les enfants trouvés et les enfants illégitimes en Russie, dans le reste de l’Europe, en Asie et en Amérique…, Paris, 1839. 109. Villermé L.-R., « De la mortalité des enfants trouvés considérée dans ses rapports avec le mode d’allaitement et sur l’accroissement de leur nombre en France », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, XIX, 1838, p. 47-90. 110. Ibidem, p. 58. 111. Lamartine A. de, Discours sur les enfants trouvés prononcé le 30 avril 1838 à la Société de morale chrétienne, Paris, 1838.

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cuper sérieusement l’opinion, fut confié à une Commission des enfants trouvés 112. Les travaux de Terme et Monfalcon, comme ceux de l’abbé Gaillard 113, avaient mis en évidence l’effroyable mortalité des enfants confiés à la charité publique. Dans un article de 1838 demeuré célèbre, Villermé, s’appuyant notamment sur les travaux de Benoiston de Châteauneuf 114 qui démontrait qu’en 1824, 60 % des enfants trouvés étaient morts dans le cours de leur première année, écrivait : « Si les résultats fournis par les hospices d’enfans trouvés doivent toujours être aussi désastreux, il a eu raison celui qui a osé dire : “Ici on fait mourir les enfans aux frais du public”, et que Malthus a eu raison aussi quand il dit que pour arrêter la population un homme indifférent sur les moyens n’aurait rien de mieux à faire que de multiplier ces établissemens où les nouveau-nés seraient reçus sans distinction ni limite 115. » La Commission des enfants trouvés avait longuement débattu des moyens de limiter l’abandon d’enfant et l’infanticide. Elle préconisait une action dissuasive auprès des filles enceintes, dont la surveillance pourrait être confiée aux inspecteurs des enfants trouvés, et la réglementation des maisons privées d’accouchement, considérées comme des officines plus que douteuses. Elle se prononçait pour la suppression des tours et l’attribution de subsides aux filles-mères et prévoyait de confier l’admission des nouveau-nés dans les hospices à des bureaux locaux. Mais l’application de ces mesures fut jugée trop complexe. Les derniers tours furent fermés dans les années 1860 116. De nombreux projets de loi furent présentés entre 1849 et 1869 pour améliorer la situation des enfants assistés. La loi des 5-12 mai 1869, relative aux dépenses du service des enfants assistés, sans provoquer de véritable bouleversement, modifiait la répartition des charges entre les hospices, les départements et les communes. Les dépenses qui pesaient sur les hospices étaient allégées au détriment des départements et des communes, qui voyaient leur contribution sensiblement augmenter. Mais, élément nouveau, elle introduisait la participation de l’État aux dépenses intérieures des hospices dépositaires d’enfants (à hauteur d’1/5e), et mettait à sa charge l’inspection et de la surveillance des enfants assistés.

112. Instituée le 22 août 1849. 113. Gaillard Abbé A.-H., Recherches administratives, statistiques et morales sur les enfants trouvés, les enfants naturels et les orphelins, Paris, 1837. 114. Benoiston de Châteauneuf L.-F., Considérations sur les enfants trouvés dans les principaux États d’Europe, Paris, 1824. 115. Villermé L.-R., op. cit., p. 59. 116. En 1860, il ne restait plus que 25 tours sur l’ensemble du territoire. 13 d’entre eux étaient soumis à des conditions telles qu’ils pouvaient être considérés comme supprimés, Lallemand, L. op. cit., p. 277-278. Une circulaire ministérielle de 1860 supprime les derniers tours subsistants. Voir aussi Perrot M., « Sur la ségrégation de l’enfance au XIXe siècle », La Psychiatrie de l’enfant, XXVI, 1982, 1, p. 179-206.

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Les mères bretonnes face à l’abandon Suivant les travaux de Remacle, il existait en 1825, dans l’ensemble des départements bretons, 24 hospices d’enfants trouvés : – 7 dans les Côtes-du-Nord (2 disposaient d’un tour d’exposition) ; – 4 dans le Finistère (3 disposaient d’un tour) ; – 8 en Ille-et-Vilaine (1 seul tour) ; – 1 en Loire-Inférieure (disposant d’un tour) ; – 4 dans le Morbihan (2 disposaient d’un tour). Mais la Commission des enfants trouvés indiquait qu’il ne restait, au 1er janvier 1850, que dix hôpitaux dépositaires en Bretagne (Saint-Brieuc, Dinan, Brest, Quimper, Rennes, Nantes, Vannes, Lorient, Ploërmel et Pontivy). Trois d’entre eux accordaient des allocations temporaires aux fillesmères : ceux de Rennes, Nantes et Vannes. Il ne subsistait que six tours d’exposition : ceux de Saint-Brieuc, Dinan, Brest, Quimper, Nantes et Vannes 117. Entre 1825 et 1850, les possibilités offertes aux mères bretonnes se sont donc trouvées considérablement réduites. Dans les années 1850, les habitantes des Côtes-du-Nord et du Finistère, disposant de deux tours, étaient relativement avantagées, tandis qu’il n’y en avait plus aucun en Ille-etVilaine. D’après la circulaire du 8 février 1823, trois voies étaient théoriquement ouvertes aux femmes qui désiraient délaisser leur enfant : l’exposition au tour, le dépôt par l’intermédiaire d’une sage-femme ou d’un officier de santé et, pour celles qui avaient été admises à accoucher dans les hôpitaux, l’abandon. Mais elles devaient justifier de leur incapacité à assurer la subsistance de leur nouveau-né. À partir de 1840, cette dernière solution se restreint. Le ministère de l’Intérieur incite les hospices à se montrer de plus en plus sélectifs dans l’accueil des enfants des mères indigentes qui ont été admises à faire leurs couches dans les hospices 118. Les obstacles croissants apportés à l’abandon se lisent dans les dossiers puisque 26 au moins des accusées qui, lors de grossesses antérieures, avaient délaissé leur enfant dans un hospice finissent par se résoudre au crime. En Ille-et-Vilaine, la situation est particulièrement délicate et peut expliquer le nombre élevé des infanticides constatés dans ce département. La rareté des tours (un avant 1850, aucun ensuite) oblige les femmes qui ne veulent pas conserver leur nouveau-né à le transporter ou le faire transporter dans les départements voisins. Perrine Juin, une fileuse entendue comme témoin dans l’affaire Anne Doudard, reconnaît avoir déjà eu du frère de cette accusée deux enfants qui ont été placés à l’hôpital 117. France, Commission des enfants trouvés, Travaux…, Paris, 1850, t. 2, p. 651-660. 118. Circulaire du 31 janvier 1840.

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d’Avranches 119. La femme Berthelot, originaire de l’arrondissement de Fougères, jugée en 1847, a également pu faire admettre, quelques années avant son mariage, son premier enfant dans le même hospice 120. Plusieurs autres accusées d’Ille-et-Vilaine ont fait exposer un enfant dans les tours des Côtes-du-Nord (Saint-Brieuc et Dinan). Mais certaines s’adressent à des hospices bien plus lointains. Anne Doudard a fait déposer, en 1822, un enfant au tour d’Orléans 121. C’est à Angers que Julienne Desprès, une cultivatrice d’Ercé, âgée de 33 ans, a fait admettre son premier enfant 122. Généralement ce sont les pères des nouveau-nés ou les sages-femmes qui se chargent de porter les enfants au tour. Mais les tarifs de ces dernières ne sont pas à la portée de toutes les bourses. En 1856, Marie-Jeanne Le Chat, journalière à Saint-Méloir-des-Ondes, s’adresse à une sage-femme de Saint-Malo, lui demandant « si elle voulait porter au tour du département voisin, parce qu’il n’y en avait pas dans celui d’Ille-et-Vilaine, l’enfant dont elle était enceinte ». Mais le prix de ce transport est fixé à 60 F, somme que l’accusée ne possède pas 123. En 1859, Jean Le Bourhis avait confié le premier enfant de sa domestique, Marie-Antoinette Grévélec, à une sagefemme de Quimperlé qui l’avait fait admettre à l’hospice. En 1861, cette domestique est de nouveau enceinte. La même sage-femme demande 200 F pour l’accouchement et le dépôt de l’enfant. Le Bourhis est disposé à verser cette somme, mais Marie-Antoinette Grévélec refuse de se rendre chez l’accoucheuse car, dit-elle au juge d’instruction : « La première fois que j’ai fait mes couches chez la sage-femme, mon enfant a disparu et je ne le verrai plus jamais. C’est ce qui fait que j’aurais préféré mendier avec mon enfant, plutôt que de venir à Quimperlé 124. » Certaines sages-femmes, telle Mathurine Jionne, âgée 48 ans, exerçant à Saint-Malo, mise en accusation en 1839 dans une affaire de suppression d’enfant, et déjà condamnée deux fois pour exposition d’enfant 125, font de l’exposition des nouveau-nés un véritable commerce. Le recours à une sage-femme n’est pas toujours accepté et de nombreuses accusées repoussent les propositions que leur font leurs parents ou leurs maîtres de les faire recevoir chez une accoucheuse. C’est notamment le cas de Jeanne Cerclier, une domestique de 17 ans, séduite par son maître. « Celui-ci, écrit Cadieu, avait voulu la placer chez une sage-femme. Elle s’y était refusée. Le sentiment de sa honte, l’idée de son déshonneur la tourmentaient au point qu’elle avait parlé de se noyer 126. » Françoise Renaud, agricultrice à Plouhinec, décline également l’offre de sa mère, qui lui pro119. AD I-V 2U4/614, Perrine Juin, fileuse, 2 décembre 1824. 120. AN/BB/20/141, I-V, 4e trim. 1847, Le Beschu de Champsavin, 21 décembre 1847. 121. AD I-V 2U4/614, interrogatoire, 11 décembre 1824. 122. AN/BB/20/137, I-V, 2e trim. 1846, Claret aîné, mai 1846. 123. AN/BB/20/190/2, I-V, 3e trim. 1856, Bernhard, 5 novembre 1856. 124. AD F 4U2/169, interrogatoire, 29 mai 1861. 125. AN/BB/20/103, I-V, 3e trim. 1839, Tarot, 20 septembre 1839. 126. AN/BB/20/69, L-I, 3e trim. 1833, Cadieu, 20 septembre 1833.

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pose un placement chez une accoucheuse, en dépit des avertissements de cette femme, qui soupçonne chez Françoise Renaud une intention criminelle : « Prenez garde à vous, lui dit-elle, l’on vous surveillera et s’il arrive un malheur à votre enfant vous vous exposez à une peine terrible 127. » C’est également en vain que la maîtresse de Marie Gravot, de Sucé, âgée de 24 ans, déjà mère d’un enfant naturel, lui conseille d’aller faire ses couches chez une sage-femme, s’engageant à la reprendre ensuite à son service 128. Pour conserver l’anonymat, les futures mères préfèrent fuir loin de leur domicile et se faire héberger par des parents ou alliés. Ces accouchements clandestins laissent évidemment peu de traces. Sans doute sont-ils réservés aux femmes qui disposent des moyens de quitter un certain temps leur domicile et de délaisser leurs occupations. Jeanne Mahé, filandière à Trédaniel, fille d’agriculteurs relativement aisés, est accueillie lors de son premier accouchement par une propriétaire de Plénée qui fait déposer le nouveau-né à l’hospice de Lamballe : « Dans le courant de l’été, il y a environ neuf à dix ans, une de ses intimes amies lui confia une fille enceinte sous le nom de Marguerite pour sauver sa réputation, […] cette particulière resta longtemps visible à sa maison, mais lorsque cette grossesse devint apparente, elle la fit garder un appartement nommé la chambre du bout où elle, Jean Aubault et Marie Guyot, ses domestiques, lui portaient à manger […] quelque temps après elle accoucha d’un garçon […] la déclarante reçut elle-même l’enfant auquel on fit les choses nécessaires et en même temps on eut également soin de sa mère ; […] la même déclarante s’étant précédemment entendue avec la supérieure de l’hôpital de Lamballe, elle y fit porter cet enfant dans la même nuit, par le dit Aubault, son domestique et Jacques Cornillet, son fermier de la Porte, qui, de retour, lui assurèrent l’avoir mis à l’endroit indiqué et qu’ils avaient attendu que le portier l’eut reçu 129. »

L’enfant a été placé en nourrice chez des agriculteurs de Pléneuf. Il est exceptionnel que les maires des communes rurales consentent à s’entendre avec l’administration hospitalière pour y faire admettre des enfants naturels. Du moins n’en rencontre-t-on que de rares exemples. Jeanne Ruffault, indigente, a pu lors d’une précédente grossesse accoucher à l’hôpital de Rennes grâce à l’intervention de l’adjoint de Cesson : « [Il] m’y fit conduire par précaution, à raison de ma position, attendu que j’étais sans parents et sans asile, étant sortie de condition il y avait deux mois. » En 1826, au lendemain de son second accouchement, elle tente de convaincre la veuve qui l’héberge dans une grange qu’elle a pu faire admettre sans difficulté son nouveau-né à l’hospice. Mais celle-ci ne cache pas son incrédulité : 127. AN/BB/20/137, M, 3e trim. 1846, Le Meur, [s. d.]. 128. AN/BB/20/156/2, L-I, 1er trim. 1851, Androuïn, 17 mai 1851. 129. AD C-A 2U/431, Vve Durocher de Beauregard, 55 ans, propriétaire, 29 décembre 1826.

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« [Elle me dit] qu’elle s’était rendue chez la Guillard [sage-femme à Rennes], rue de Toussaint, que cette femme l’avait accouchée et débarrassée de son enfant ; elle ajouta même qu’elle avait eu un garçon ; qu’on l’avait baptisé à Sainte-Mélaine, et qu’on l’avait déposé de suite à l’hôpital. Le lundi 27, je questionnai derechef la prévenue ; je lui dis que j’étais étonnée qu’on eût reçu si promptement son enfant à l’hospice, elle me répondit que je ne devais pas être surprise, que cela n’était plus comme autrefois qu’on y recevait les enfants sans aucune difficulté 130. »

Les petites communes répugnent à participer à l’entretien des enfants confiés aux hospices. Cette réticence ressort de l’interrogatoire de Julie Pouvreau, tailleuse à Vieillevigne, âgée de 28 ans, qui a eu trois enfants naturels. Le premier, né en 1836, a été admis à l’hospice de Nantes. En 1840, elle a donné naissance à un second enfant qu’elle élève. De nouveau mère en 1844, elle sera accusée d’infanticide sur ce nouveau-né : « Je me serais, dit-elle, présentée volontiers à l’hospice de Nantes pour accoucher, si les filles de la commune de Vieillevigne y étaient admises, mais elles sont refusées depuis que la commune a refusé de payer à Saint-Jacques 131. » Bien que l’abandon soit une pratique courante, rien ne démontre que les mères se désintéressent définitivement de leur enfant. L’attitude de Jeanne Ruffault laisse place au doute. Après être restée trois semaines à l’hôpital, elle n’a jamais pu connaître le sort de son nouveau-né : « J’allai pour le voir il y a deux ans. L’économe, M. Veillard, me dit qu’il n’avait pas le temps de feuilleter ses registres, qu’il croyait bien qu’il était mort 132. » Marie Lécriou, domestique à Saint-Maden, paraît regretter de n’avoir pu savoir le nom de son premier enfant, déposé au tour de Dinan, qui n’a vécu qu’une quinzaine de jours. « J’eus, explique-t-elle au juge d’instruction, un enfant naturel il y a environ onze ans. C’était une petite fille. J’étais venue faire mes couches à Dinan chez Anne Bonnier, femme Dusseron, sur la place Saint-Sauveur. Mon enfant fut exposé à l’hospice par cette sage-femme. Je n’ai point su le nom de cet enfant qui a dû mourir quinze jours ou trois semaines après, ainsi que me l’a dit la même femme Dusseron 133. » L’enfant admis à l’hospice est immatriculé et placé sous la tutelle de l’administration. La mère est dépourvue de tout droit à son égard et ignore tout de son sort : « L’enfant immatriculé n’a plus de famille, la commission administrative possède à son égard les droits attribués aux pères et aux mères par le Code civil. Il en résulte que les commissions hospitalières ont les droits de garde et de correction, d’émancipation, de consentement au mariage et aux engagements militaires et d’administration des biens 134. » 130. Idem, Vve Chauvel, 63 ans, fileuse, 1er avril 1826. 131. AD L-A 5U 129, interrogatoire, 24 juillet 1840. 132. AD I-V 2U4/621, interrogatoire, 1er mai 1826. 133. AD C-A 2U/641, interrogatoire, 17 janvier 1842. 134. Lallemand L., op. cit, p. 300.

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Nombre d’enfants assistés sont voués à une mort rapide : les enfants placés en nourrice à la campagne meurent dans des proportions bien supérieures à la moyenne. La différence des taux de mortalité entre enfants légitimes et enfants illégitimes a été mise en évidence par Catherine Rollet. Entre 1857 et 1865, le taux de mortalité des enfants légitimes avant l’âge d’un an avoisine 17 %, tandis qu’il atteint 32 à 33 % pour les enfants illégitimes. L’enquête réalisée en 1860 à la demande du ministère de l’Intérieur démontre que la mortalité des enfants assistés est bien plus élevée encore (57 % en 1858). Il atteint même 90,50 % en Loire-Inférieure 135. Les conséquences de l’abandon sont drastiques : transfert de la puissance paternelle aux commissions administratives, mortalité impressionnante, absence d’information sur le sort de l’enfant. Il est difficile de savoir dans quelle mesure ces perspectives peu réjouissantes ont pu influer sur les desseins criminels des parturientes, particulièrement en cas de grossesse succédant à un premier abandon. Certes, elles ne disposaient au moment de leur prise de décision, ni d’une vue d’ensemble de la mortalité des nouveau-nés, ni d’instruments statistiques. Mais il ne faut guère s’étonner si une dizaine de femmes utilise le tour comme alibi, prétendant, pour justifier la disparition de leur enfant, l’y avoir déposé.

L’errance et la mendicité Il n’est souvent d’autre alternative au crime que l’errance et la mendicité. La grossesse fait toujours courir aux domestiques le risque d’une extrême précarité. D’autant que, s’ils ressentent une quelconque responsabilité dans l’avènement d’une grossesse, les maîtres n’hésitent ni les chasser, ni à ternir leur réputation. Ainsi, Annette Le Dot, séduite par le fils de ses maîtres, se fait-elle renvoyer sous un prétexte fallacieux. Son ancienne maîtresse, qui l’accuse de vol pour justifier son licenciement, déclare au juge d’instruction de Brest : « Elle entra à notre service le 11 ou le 12 février [1843]. Nous avions été très contents d’elle et ne nous étions aperçus d’aucune irrégularité dans sa conduite jusqu’au mois de décembre dernier, époque à laquelle je fus obligée de quitter ma maison pour me rendre à Plestin où j’avais perdu un de mes enfans ; je la laissai sous la garde d’Annette, avec laquelle continuèrent à demeurer mes deux garçons dont l’aîné est âgé de 17 ans. À mon retour, qui eut lieu le vendredi 26 janvier, je m’aperçus immédiatement qu’il existait du désordre dans ma maison, qu’il me manquait du vin, du sucre, du café, du beurre et beaucoup d’autres provisions. Je demandai compte de ces objets à ma domestique qui ne put me faire aucune réponse satisfaisante ; comme mes soupçons ne pouvaient se porter que sur elle, je lui déclarai que je ne la garderai pas à mon service, et 135. Rollet-Échalier C., La Politique à l’égard de la petite enfance sous la IIIe République, Paris, 1990, t. 1, p. 44-45

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qu’elle eût à chercher immédiatement une autre place. […] Après son départ, […] mon ancienne bonne me rapporta qu’elle avait entendu dire vaguement que pendant mon absence Annette avait fréquenté des hommes, qu’elle l’avait vue chez elle en compagnie d’un boulanger, qu’elle lui avait proposé du vin de ma cave, et lui avait dit qu’elle devait épouser un marin de son pays 136. »

Quant au séducteur, Jean-François Herlent, chirurgien de marine, âgé de 22 ans, son unique souci semble être de protéger la réputation de sa famille. Il conseille à Annette Le Dot de retourner dans son village et d’y accoucher à l’abri des regards : « [Elle] me confia qu’elle était enceinte de trois mois, autant que je puisse m’en souvenir, je lui dis qu’elle ne pouvait plus dès lors rester dans la maison de mes père et mère parce que sa présence pourrait en compromettre l’honneur, et par un sentiment de pitié pour elle, je lui promis de faire ce que je pourrais pour lui procurer les moyens de faire ses couches chez une sage-femme, je l’engageai en outre, pour ne pas éveiller les soupçons, à s’en aller dans son paÿs [sic], et à revenir quelque temps après à Brest, où elle pourrait se placer chez une sage-femme 137. »

Mais il l’éconduira lorsqu’elle viendra lui demander de l’argent. L’accusation de vol dont elle a fait l’objet n’est pas sans retentir sur sa réputation. Aussi Annette Le Dot est-elle une des rares accusées pour lesquelles nous ayons trouvé trace d’un charivari. Bien que la mobilité des domestiques soit une pratique courante, il est parfois difficile, dans les cantons où le renouvellement des gages se fait à la Saint-Jean, de se procurer une place en dehors de cette période coutumière. C’est par crainte d’être congédiée et de ne pas retrouver immédiatement une autre « position » qu’Anne-Marie Le Breton, a nié sa grossesse. Engagée en 1824 par des bouchers de Retiers, elle n’a jamais voulu leur avouer son état : « Si j’ai ainsi dénié les faits c’est que je voulais absolument finir mon année de service depuis la Saint-Jean 1824, jusqu’à la Saint-Jean 1825 […] je n’aurai su où me retirer 138. » Certaines domestiques, voulant préserver leur emploi, s’enfuient peu avant leur accouchement et errent jusqu’au moment de leur « délivrance ». Vincente Le Gall, de Naizin, s’échappe ainsi pendant une semaine de la maison de ses maîtres : « Le mardi de Pâques, 21 avril, elle demande à ses maîtres la permission de s’absenter pendant quelques jours, sous le prétexte d’aller chez sa sœur, elle ne prit pas même la direction de son domicile. Elle était saisie des douleurs de l’enfantement ; elle se rend dans un champ retiré et là, isolée de tout secours et de tout témoin, elle accouche. Elle ne reparut chez les époux Pasco [ses maîtres] que six jours après. Dans cet intervalle, elle 136. AD F 4U2/85, Françoise Herlent, 45 ans, ménagère, 20 mars 1844. 137. Idem, Jean-François Herlent, 22 ans, chirurgien de marine, 27 mars 1844. 138. AD I-V 2U4 616, interrogatoire, 31 mai 1825.

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DES CRIMINELLES AU VILLAGE

a vécu d’aumône et a reçu l’hospitalité dans divers villages, où elle était inconnue 139. »

Angélique Bertru, une tailleuse des environs de Liffré, âgée de 29 ans, déjà mère d’un enfant naturel, erre également pendant trois jours. Sans doute craint-elle qu’une nouvelle grossesse soit mal perçue par sa clientèle : « Depuis longtemps sa conduite n’avait donné lieu à aucun soupçon. Mais, vers le mois de mai dernier, tous ses voisins s’apperçurent qu’elle était grosse. Le 19 juillet elle annonça qu’elle allait faire une absence de huit jours. Le 21, elle confia son enfant à un habitant de la commune et, le 22, dès trois heures du matin, elle se dirigea sur Liffré, avec un petit paquet sous le bras. Le même jour, vers neuf heures, paraissant alors venir de la forêt de Rennes, elle entra dans une auberge, située à un kilomètre de cette forêt ; elle était changée et beaucoup plus mince que quelques jours auparavant. La femme de l’aubergiste crut alors qu’elle était accouchée. La fille Bertru rentra chez elle vers trois heures de l’après-midi. Pendant trois jours, elle ne se montra à personne et, à sa première sortie, le fait de son accouchement devenant évident, bientôt se propagea l’opinion qu’elle avait détruit son enfant 140. »

Chassée de chez ses parents en raison de sa grossesse, Marie Ollivier, originaire de Plouzelambre, réduite à la mendicité, est rapidement suspectée du meurtre de l’enfant qui a été retrouvé, en 1842 dans la commune de Plouaret : « Au moment de notre départ, écrit le magistrat qui s’est transporté sur les lieux, quelques avis nous étant donnés qu’une fille de la commune, boëteuse [sic], chassée par ses parents, s’était présentée sept ou huit jours auparavant dans diverses habitations des villages voisins pour y trouver asile et semblait en état de maladie assez apparent ; qu’elle avait même couché dans une étable de la veuve Lejean, dans un grand état d’épuisement, qu’elle courrait depuis cette époque ça et là et qu’aujourd’hui même elle avait paru dans cinq ou six lieux différents, qu’antérieurement elle avait eu un enfant naturel et que l’on soupçonnait chez elle un état de grossesse assez récent. […] Grâce au zèle de Monsieur le juge de paix de Plouaret cette fille, qui semblait fuir pas à pas devant la justice, a été enfin trouvée couchée dans un champ près du village de Troëstanc 141. »

La crainte de la mendicité motive nombre de crimes. La perspective de devoir « aller chercher son pain » est souvent évoquée comme une conséquence inéluctable de la grossesse illégitime, par les accusées comme par les témoins. Après son crime, Olive Cougan, domestique chez un laboureur de Séné, se fait vivement réprimander par une journalière qui, le matin même, avait remarqué l’altération de ses traits et qui lui dit : « Si ce matin tu avais voulu nous dire cela, le malheur ne serait point arrivé. Quand tu 139. AN/BB/20/47, M, 2e trim. 1829, Carron, 19 juillet 1829. 140. AN/BB/20/137, I-V, 4e trim. 1846, Tarot, 30 décembre 1846. 141. AD C-A 2U/650, p.-v. de descente du juge d’instruction de Lannion, 8 septembre 1842.

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LES ALTERNATIVES AU CRIME

aurais dû aller chercher ton pain avec ton enfant, cela vaudrait mieux que d’avoir fait ce que tu as fait 142. » Marie-Jeanne Le Bonzec, cultivatrice à Gestel, se voit adresser les mêmes remontrances. Une journalière qui est venue la veiller après sa tentative de suicide, raconte : « Comme elle fut longtemps sans me parler, je lui demandai si elle ne se sentait aucun poids sur le cœur ; elle me répondit que non. Je lui dis malheureuse, pourquoi avez-vous fait ce malheur ? à quoi elle me répondit que Rosalie était cause qu’elle avait fait çà. Je lui dis qu’elle aurait mieux fait de nourrir son enfant et d’aller chercher son pain avec lui que d’en agir ainsi 143. » Persuadées que leur maternité illégitime ne sera pas acceptée par la communauté environnante, certaines filles se voient réduites à la mendicité jusqu’à la fin de leurs jours. Cette vision désespérée de l’avenir est exprimée par Marie-Françoise Olivier qui, après avoir été chassée de l’atelier d’un tisserand, a fini par se faire gager temporairement comme domestique à SaintMartin-des-Prés. L’un des témoins rapporte qu’après la découverte de l’enfant, il a « entendu la fille Marie-Françoise Ollivier se désoler après qu’on lui eut apporté son enfant qu’on avait trouvé caché dans une meule de paille et dire en le chauffant : “Que sera-t-il fait de moi si mon enfant vient à mourir avant quarante jours ? Les gendarmes viendront me prendre, sans doute.” Je la consolai comme je pus et la rassurai. “D’un autre côté, ajoutat-elle, s’il vit, je serai réduite à aller au pain toute ma vie 144 !” » Deux autres accusées au moins ont partagé cette crainte de ne plus pouvoir trouver de moyens d’existence si leur maternité illégitime était connue. Vincente Le Bourvellec, domestique à Pluvigner, qui nie son crime et prétend que son enfant, qu’elle a jeté vivant dans une mare, n’a pas vécu, affirme : « [S’il avait vécu] j’aurais tâché de l’élever comme une bonne mère […] J’avais le projet aussitôt mon accouchement de quitter le pays avec mon enfant et d’aller de côté et d’autre 145. » Jeanne-Marie Le Masson, journalière à Trédaniel, poussée au désespoir par l’obstination de son père à refuser son mariage, tient à peu près le même discours : « Mon enfant ne bougeait pas du tout, je le croyais bien mort ; en le frappant, je ne savais ce que je faisais. Si je l’avais entendu braire bien certainement je ne l’aurais pas frappé quand ensuite pour le nourrir, j’aurais dû aller chercher mon pain 146. »

142. AD M U 2029, Françoise Hennery, 35 ans, domestique, 30 juillet 1831. 143. AD M U1998, Vve Le Bolay, 45 ans, journalière, 6 juillet 1827. 144. AD C-A 2U/407, Mathurin Pinsivy, 16 ans, domestique, 23 avril 1825. 145. AD M U2050, interrogatoire, 25 septembre 1833. 146. AD C-A 2U/697, interrogatoire, 11 février 1846.

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Chapitre X

Les crimes : méthodes et complicités L’analyse des méthodes employées par les mères criminelles et du sort qu’elles réservent à la dépouille de leur enfant démontre la grande hétérogénéité des femmes qui ont été poursuivies pour infanticide. Mais le caractère particulier du crime, né de la nécessité de conserver le secret sur des amours impossibles, l’entoure d’un halo de mystère qui rend parfois difficile l’identification des coupables. Dans un nombre important d’affaires, des témoins ont assisté à l’accouchement, quand ce n’est pas au crime luimême. Et l’on peut se demander si la nécessité de préserver la réputation des familles ne couvre pas certaines complicités d’un voile pudique. L’infanticide se caractérise aussi, compte tenu de la fragilité de la victime, par la facilité avec laquelle il peut être commis, ce qui explique que de nombreuses accusées aient été soupçonnées de récidive.

Diversité des méthodes et traitement réservé aux cadavres Aveux des coupables, dépositions des témoins et résultats des autopsies permettent de reconstituer une grande partie des crimes. Sur la totalité des accusés (581, hommes et femmes confondus), 171 se sont résolus à passer aux aveux. Mais la sincérité de leurs révélations doit être mesurée à l’aune des nécessités de leur défense. De plus, il semble qu’une vingtaine de femmes inculpées aient, dans le seul but de protéger le membre de leur famille ou le séducteur qui en était le véritable auteur, reconnu un crime qu’elles n’ont pas commis. La justice a pu recueillir (dans 16 procédures), les récits de très jeunes enfants ayant assisté à des infanticides et qui, à la différence des adultes, s’expriment sans aucun détour. En l’absence d’aveu ou de témoignages précis, les expertises médico-légales permettent, dans la majorité des cas, de connaître les procédés homicides utilisés.

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DES CRIMINELLES AU VILLAGE

Les procédés homicides Le tableau résultant des déclarations des coupables ou des expertises médicales, fait apparaître une grande violence. Si l’on respecte la distinction traditionnellement opérée par les médecins légistes entre méthodes passives (crime par omission) et actives (crime par commission) 1, la balance est fort inégale. Dans les 438 affaires pour lesquelles les procédés sont connus, les moyens passifs : défaut de soin, défaut de ligature du cordon ombilical, exposition au froid, sont très minoritaires. Ils ne représentent que 6,62 % des cas. Les méthodes violentes : asphyxies et coups et blessures dominent incontestablement (93,38 %). Cependant, dans 10 % des affaires, la cause de la mort n’a pu être élucidée. Le recours aux moyens passifs, qui ne laissent pas de traces et rendent les autopsies particulièrement délicates, pourrait donc être nettement supérieur aux 6,62 % résultant des informations disponibles, sans toutefois mettre en question la suprématie de la violence. Méthodes de mise à mort

Méthodes passives : 29 Défaut de soins Exposition au froid Hémorragie ombilicale

9 9 12

Méthodes violentes : 409 Asphyxie (sans précision) 61 Asphyxie par oblitération des voies aériennes (à l’aide des mains ou de linges) 69 Asphyxie par occlusion des cavités nasales et bucales (par tout autre moyen) 29 Asphyxie par enfouissement 12 Asphyxie par strangulation 58 Asphyxie par submersion 16 Asphyxie par suffocation 10 Brûlure 3 Blessures à la tête 113 Blessures au cou 15 Blessures multiples 23

Total

29

Total

Affaires

581

Affaires non prises en compte : 143 Sans indication 38 Cadavres non retrouvés 33 Enfant mort au passage 1 Enfant non viable 1 Enfants survivants 8 Incertitudes sur la cause de la mort 62

Total

143

409

Les femmes ne connaissant qu’approximativement la date de leur accouchement, les infanticides se commettent généralement dans l’improvisation. Si l’acte criminel n’a pas été prémédité de longue date, ce sont les cris du nouveau-né, venant trahir le secret de la naissance, qui sont à l’origine du drame. L’affolement des parturientes joue alors un rôle décisif dans le passage à l’acte. Chez celles qui s’étaient refusées à envisager l’avenir, les manifestations bruyantes de la venue au monde du nourrisson constituent même quelquefois le seul motif apparent du crime. Plusieurs accusées affirment avoir tué leur enfant à seule fin de le faire taire. 1. Voir notamment le Dictionnaire des sciences médicales, Paris, 1812-1822, 60 vol., V° Infanticide.

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LES CRIMES : MÉTHODES ET COMPLICITÉ

Agnès Droual, de Bangor, était effrayée à l’idée que son père, un vieillard irascible, ait pu entendre les vagissements de son nourrisson : « L’infortunée Agnès Droual avait toujours celé sa grossesse, même à ses parents, et à ses plus proches voisins. Elle déclarait qu’étant accouchée seule dans le grenier de la maison de son père, elle avait momentanément, mais entièrement perdu l’usage de la raison, lorsque son enfant s’était mis à crier immédiatement après sa naissance, elle avait reconnu la démarche de son père, dont elle redoutait la violence, et qui se trouvait dans un appartement voisin : que c’était là l’unique motif qui l’avait déterminée à prendre une des nombreuses tresses de jonc qui se rencontrèrent sous sa main (et dont il a été appris que ses parents faisaient habituellement un petit commerce) pour en étrangler son enfant, sans qu’elle sût précisément ce qu’elle faisait en cet instant 2. »

De même, c’est par la crainte que les pleurs de son enfant ne parviennent aux oreilles de ses maîtres que Marie Groseille, domestique à Mauron, justifie son acte : « Elle a avoué que son enfant était venu au monde vivant, qu’il avait jeté deux cris, qu’alors craignant que les voisins ne l’eussent entendu, elle l’a fourré [sic] sous sa paillasse, qu’elle s’est couchée dessus et qu’elle n’a plus rien entendu 3. » Il est difficile, dans ces circonstances, de discerner une véritable préméditation. Le caractère improvisé du meurtre se lit aussi dans les diverses affaires où les coiffes, jarretières, lacets, et autres éléments de la parure féminine ont servi d’instrument du crime. Violence ordinaire et cruauté La nécessité d’éliminer rapidement les signes annonciateurs de la naissance peut expliquer le moindre recours aux moyens passifs. Le total délaissement du nouveau-né suffit, certes, à provoquer sa mort, mais celle-ci est lente. C’est donc parce que les procédés par privation de soin, exposition au froid ou défaut de ligature du cordon ombilical ne produisent pas d’effet immédiat, qu’ils sont moins utilisés. L’asphyxie, qui présente l’avantage d’assourdir les cris de l’enfant et de les faire cesser, occupe une place prépondérante (255 cas sur 438) 4. Son exécution est aisée : il suffit de comprimer avec la main les voies nasales de l’enfant, de l’étouffer dans le lit avec les draps ou les couvertures, ou encore de l’immobiliser sous la paillasse. Les asphyxies par occlusion des voies aériennes et nasales – à l’aide de terre, d’herbe, de fumier, de cailloux… – ont également pour objectif de mettre fin aux vagissements. Nicole Caudal, journalière à Plumelin, âgée de 24 ans, commence par asphyxier son nouveau-né en lui emplissant la bouche de litière avant d’user de procédés plus 2. AN/BB/20/29, M, 3e trim. 1826, Le Painteur de Normény, 22 septembre 1826. 3. AD M U 2002, interrogatoire, 28 décembre 1827. 4. Ces 255 cas incluent 58 asphyxies par strangulation, qui pourraient aussi être rapprochées des catégories de mort délivrée par coups et blessures.

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DES CRIMINELLES AU VILLAGE

radicaux : « Pour étouffer ses cris, elle lui remplit la bouche de litière, puis elle le foula avec les genoux, l’étouffa et jetta [sic] son cadavre dans la fange d’un ruisseau où il se trouva recouvert 5. » La panique pousse parfois les parturientes à utiliser successivement plusieurs techniques. Il y a même, dans certains cas, un véritable acharnement sur le corps de l’enfant, un luxe de manœuvres meurtrières que justifie la crainte de le voir « revenir à la vie 6 ». Marie Prigent, couturière au Cloître, qui assure n’avoir tué son enfant que parce qu’elle n’avait pas de ressources suffisantes pour l’élever, emploie trois moyens différents pour parvenir à ses fins : « Elle déclara qu’aussitôt la naissance de l’enfant, elle avait mis dans sa bouche trois de ses doigts pour l’empêcher de crier ; qu’elle lui avait tordu le cou ; puis qu’elle lui avait coupé la gorge avec le couteau, qu’ensuite elle avait élargi la blessure en la déchirant avec les doigts. Elle reconnut que son enfant avait crié, qu’il avait bougé pendant un quart d’heure, qu’il bougeait encore lorsqu’elle lui avait porté le coup de couteau 7. » L’expérimentation de divers procédés n’est pas sans influer sur les résultats des expertises médico-légales et peut contribuer à expliquer le nombre important d’autopsies qui se sont conclues sur des incertitudes. Les brutalités exercées sur les petites victimes sont quelquefois totalement disproportionnées à leur fragile constitution. L’une des accusées, Anne Bézard, âgée de 21 ans, domestique à Saint-Maden, qui a tué son enfant en lui portant des coups de genoux, reconnaît elle-même qu’il « ne fallait pas un gros coup pour un pauvre petit comme celui-là 8 ! » Mais les morts par blessures multiples, et souvent inutiles, sont relativement marginales (23 sur 438). Elles ne représentent que 5,25 % des causes de mort connues. La violence exceptionnelle employée par quelques accusées demeure largement indéchiffrable. Ni la personnalité des coupables, ni leur situation personnelle ne répondent à un profil nettement définissable. L’enfant de Marie Keromnès, couturière à Lesneven, âgée de 34 ans, est retrouvé horriblement mutilé, sans qu’on puisse discerner le motif d’une telle cruauté : « La tête de ce petit cadavre était pour ainsi dire aplatie, comme si on lui avait porté violemment un coup de sabot sur la tête, le crâne était brisé, les mâchoires pour ainsi dire broyées et il portait au cou une trace évidente de strangulation 9. » Jeanne Hilliec, cette lingère de Vannes qui avait vu se resserrer, au fur et à mesure de l’avancement de sa grossesse, la surveillance que ses voisins exerçaient sur elle, emploie une égale violence : « La tête est aplatie latéralement ; une forte pression a été exercée sur tout le cadavre ; les chairs sont comme réduites en bouillie dans l’étendue de trois décimètres 5. AN/BB/20/137, M, 4e trim. 1846, Cavan, 22 octobre 1846. 6. Louise Orain qui assure que son enfant était mort-né, lui a empli la bouche de terre, « de peur qu’il ne revînt » (Ille-et-Vilaine, 1854). Marie Lelièvre, après avoir étouffé son enfant, lui serre un lien autour du cou pour l’empêcher de « revenir à la vie », (Côtes-du-Nord, 3e trim. 1861). 7. AN/BB/20/108, F, 3e trim. 1840, Chellet, 10 août 1840. 8. AD C-A 2U/774, acte d’accusation [s. d.]. 9. AN/BB/20/281/1, F, 4e trim. 1865, Le Meur, 29 novembre 1865.

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LES CRIMES : MÉTHODES ET COMPLICITÉ

de diamètre. À la région lombaire et aux fesses, la peau est presqu’entièrement enlevée. Toute la surface du corps paraît le siège de violences plus ou moins profondes, ce qui lui donne l’apparence d’une décomposition avancée qui n’existe cependant pas 10. » Marie Bodinier, journalière à Maumusson, après avoir en vain cherché à obtenir un avortement, semble également s’être véritablement acharnée sur son enfant. L’autopsie démontre qu’il est mort de multiples blessures : « Les os du crâne brisés, enlevés en partie et presque tout le cerveau avait disparu : la tête de l’enfant avait été certainement écrasée. La gorge avait, en outre, été coupée avec un instrument très tranchant, qui avait divisé tous les muscles, la trachée artère, les carotides et entaillé même les vertèbres du cou 11. » Rien ne permet d’expliquer la conduite de ces femmes, qui ont peu de points communs. La bonne réputation de Marie Keromnès était « proverbiale ». La fureur avec laquelle elle a commis son crime a sans doute été proportionnelle au désir de sauvegarder le capital d’honneur qui lui tenait lieu de gagne-pain. La brutalité dont a usé Jeanne Hilliec à l’égard de son nouveau-né peut être interprétée comme une réaction d’ordre compulsif au contrôle social qui a lourdement pesé sur ses moindres mouvements. En revanche rien, selon les magistrats, ne peut expliquer les mutilations produites par Marie Bodinier sur son nouveau-né. Sa réputation était perdue : elle était déjà mère d’un enfant naturel, âgé de 8 ans, et en avait eu un second, qui était mort peu après sa naissance. Ces trois accusées ont été condamnées à de lourdes peines – allant de quinze ans de travaux forcés aux travaux forcés à perpétuité – et les magistrats se sont opposés, ce qui est peu fréquent, à ce qu’elles puissent bénéficier d’une commutation : « J’ai rarement vu, écrit le président de la cour d’assises à propos de Marie Bodinier, d’infanticide plus longuement médité, plus froidement et plus cruellement exécuté et mon opinion est que l’arrêt porté contre Marie Bodinier et qui aurait dû être plus sévère, reçoive son entière exécution 12. » Peuvent aussi être rangés dans cette catégorie de crimes particulièrement brutaux les cas, isolés, d’enfants donnés à dévorer aux cochons (Jeanne Le Minor, Côtes-du-Nord, 1845) ou brûlés vifs (Marie Trécan, Ille-et-Vilaine, 1825). Ici, encore la violence apparaît largement inexplicable. On ne peut pas même considérer qu’elle soit le fait de personnalités particulièrement insensibles puisqu’après son arrestation Jeanne Le Minor a demandé à rencontrer un prêtre et à se confesser. Ces situations exceptionnelles ne résultent peut-être que de l’exacerbation de sentiments qui sont communs à un grand nombre de mères criminelles : dépit provoqué par l’abandon du séducteur, vengeance exercée sur lui à travers la personne substitutive de l’enfant, refus de l’inéluctable fragilisation des conditions d’existence qu’en10. AN/BB/20/103, M, 2e trim. 1839, Tiengou de Tréfériou, 4 juillet 1831. 11. AN/BB/20/168/2, L-I, 4e trim. 1853, Taslé, [s. d.]. 12. Idem.

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traîne la venue d’un bâtard ou encore, de nombreuses accusées justifiant leur crime par la honte, désir d’échapper à l’infamie. Récits des témoins Le crime d’infanticide est réputé être celui de la solitude. Mais les conditions de vie des accusées rendent leur isolement au moment des couches particulièrement difficile. Comme les femmes qui dissimulent leur grossesse poursuivent jusqu’à son terme extrême leurs activités habituelles, il n’est pas rare que, prises à l’improviste par les douleurs de l’enfantement, elles accouchent pratiquement en public. Dans ces affaires, dont on trouve une dizaine d’exemples, la rapidité des événements est telle que les personnes présentes sont à peine conscientes des faits. Ainsi Gilette Chauveau, lingère à Pornic, accouche-t-elle en pleine rue, sous le regard quelque peu ébahi de sa jeune apprentie : « Avant l’heure ordinairement marquée pour la fin de sa journée, elle prétendit avoir la migraine et se retira vers les six heures du soir, accompagnée d’une jeune fille son apprentie. À peine sortie de la maison, et vis-àvis de l’une de ses fenêtres, l’accusée s’accroupit sur le pavé de la rue et dit à son apprentie de cacher la lanterne qu’elle portait. Elle lui défendit d’appeler du secours et bientôt après l’apprentie entendit comme le bruit d’un pot d’eau qu’on jetterait par terre et deux cris qu’elle crut être des cris d’un enfant. Pour lui faire prendre le change, l’accusée dit à cette jeune fille : “Que ce mâtin de chat m’a fait peur !” L’accusée ensuite se releva, ayant les deux mains sous son tablier, et elle se rendit jusqu’à son domicile avec la jeune fille, qu’elle congédia à son arrivée à la porte de la maison 13. »

La célérité des événements est encore plus surprenante dans le cas de Renée-Marie Rival, également originaire de la Loire-Inférieure, jugée en 1826, dont on ignore à peu près tout, excepté les conditions de son accouchement : « Surprise par les douleurs de l’enfantement, dans les champs et en présence de plusieurs personnes, elle se dit atteinte de la fièvre et s’éloigne. Bientôt on l’apperçoit [sic] s’arrêter, se baisser, faire le mouvement d’une femme qui ramasserait quelque chose à terre, entre ses jambes et le placerait dans son tablier, et continuer sa marche, tenant son tablier ou sa jupe relevée, jusqu’à un étang où on la vit plonger aussitôt les mains, et d’où elle s’éloigna au même instant 14. » Au total, au moins 98 accusées ont accouché devant des témoins plus ou moins conscients ou complices des faits (soit 17,3 %). De toutes les déclarations, celles des enfants paraissent les moins sujettes à caution, car les adultes, qui appartiennent généralement à la sphère familiale, prétendent ordinairement n’avoir rien vu. 13. AN/BB/20/24, L-I, 1er trim. 1825, Féval, 21 mars 1825. 14. AN/BB/20/29, L-I, 4e trim. 1826, Papion, 29 décembre 1826.

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LES CRIMES : MÉTHODES ET COMPLICITÉ

Marie Audié avait réussi à éloigner les importuns au moment de son accouchement. C’est par sa petite fille que l’événement est porté à la connaissance de ses voisins : « Dans la nuit du 23 au 24 février, elle fut prise des douleurs de l’enfantement. Au point du jour, une voisine vint frapper à sa porte pour la demander en journée ; c’était un secours que la providence lui envoyait, elle le refusa, n’ouvrit point la porte et répondit de l’intérieur de sa maison qu’elle avait été malade toute la nuit. Vers huit heures, sa petite fille, âgée de quatre à cinq ans, alla chez Pierre Rollo [proche voisin] chercher du feu, et avec la naïveté de son âge lui dit que sa mère était à faire un beau petit chat, à ce qu’elle lui avait dit 15. »

Guillemette Amicel, surprise lors de ses couches par le jeune fils de son maître, parvient à le convaincre qu’elle est en train de tuer une poule ou un canard. Mais son maître, François Cheval, soupçonnant un crime, parvient à faire parler son fils : « J’ai questionné mon enfant, écrit-il au maire, qui est âgé de près de 4 ans et rempli d’intelligence. Je profitai du moment où ma domestique se trouvait à la fontaine pour y laver du linge pour le questionner. Il me déclara que le samedi trois du courant, dans la matinée de ce jour, étant avec sa bonne dans la maison de Marie David, sa voisine, il était à jouer dans la crèche et la domestique se trouvait dans l’écurie non loin de lui. Après avoir été quelque temps dans cet endroit il demanda ce qu’elle faisait là, à quoi elle répondit qu’elle était à tuer une poulle [sic] pour manger ce soir et [ayant] entendu quelques cris, [il] la vit prendre une fourche et y creuser un trou dans le fumier de la dite écurie 16. »

Ce petit garçon est entendu par le juge d’instruction de Vannes et son audition permet de reconstituer, dans ses grandes lignes, le déroulement du crime : « J’étais dans la crèche aux bœufs de la maison de Marion, ma bonne Guillemette était dans l’écurie où elle tuait un canard. Demandé au jeune enfant dont nous recevions la déposition et qui ne répond que par monosyllabes, si le canard que tuait Guillemette Amicel avait des plumes ? Il répond non. Si ce canard a crié ? Il répond oui. S’il a crié longtemps ? Il répond encore oui. Lui demandé si pendant que sa bonne était dans l’écurie elle a elle-même crié ? Il répond oui. Lui demandé ce que sa bonne a fait après avoir tué le canard ? Il répond qu’elle a fait un trou dans le fumier avec une fourche. Lui demandé s’il l’avait vu déposer quelque chose dans le fumier ? Il répond non 17. »

Eulalie Pellerin accouche en présence de sa petite fille de 6 ans, Marie, qui est parfaitement consciente du drame qui se déroule sous ses yeux. Elle en donne un récit beaucoup plus élaboré : 15. AN/BB/20/47, M, 2e trim. 1829, Carron, [s.d.]. 16. AD M U2042, le maire de Damgan au juge de paix, 5 novembre 1832. 17. Idem, Ferdinand Cheval, 4 ans, 8 novembre 1832.

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« Le jour où j’ai été en vendange chez Pavageot, ma mère me dit de me lever du lit pour lui donner des ciseaux. Je me levai aussitôt, ma mère était au pied du lit; elle me tournait le dos et tenait dans une main quelque chose enveloppé dans une jupe de laine blanche. Je pensai que c’était un enfant qui était enfermé dans cette jupe, car je l’entendais crier. […] L’enfant qui était dans la jupe criait toujours et il ne cessa de crier que lorsque ma mère eut attaché par les deux bouts avec ses jarretières le paquet qui le renfermait, ou plutôt il cessa de crier quelques instants après que le paquet fut attaché par les deux bouts. Je le voyais remuer dans le paquet, et je l’ai vu remuer aussi lorsque ma mère le tenait dans sa main, enveloppé dans la jupe. En me levant et à la vue de ce que ma mère tenait dans sa main je lui dis : “Qu’est-ce que tu tiens-là, maman ? – Tu ne sauras pas”, me réponditelle. Il y avait beaucoup de sang sur la place, depuis le pied du lit jusqu’à la porte qui était fermée et maman me dit : “Prends garde de mettre les pieds dans le sang.” Maman paraissait malade et elle pleurait avant de me lever pour lui donner ces ciseaux 18. »

Bien que les enfants se montrent plus spontanés et plus bavards que les adultes, les magistrats hésitent à les faire témoigner, non seulement parce qu’ils ne peuvent les entendre sous serment, mais surtout parce que le fait d’inciter un enfant à dénoncer sa mère leur pose un problème de conscience. Ainsi, dans le procès de la Vve Lépinay, soupçonnée d’avoir brûlé le cadavre de son nouveau-né dans son foyer, Le Painteur de Normény renonce-t-il à faire citer le fils de cette accusée, qui était présent au moment des faits : « Parmi les témoins assignés à requête du ministère public, il en existait deux que l’on devait naturellement supposer être plus à même que personne de dissiper toutes nos incertitudes. Mais le premier de ces témoins était le fils-même de l’accusée, que sa mère s’était empressée d’envoyer à une école de la petite ville de Bains, peut-être pour éviter de sa part quelques indiscrétions qui auraient pu la compromettre. Le défenseur s’est formellement opposé à ce que cet enfant fût entendu, soit comme témoin, soit même, en vertu du pouvoir discrétionnaire que la loi confie au président. L’article 322 du Code d’instruction criminelle autorisait, en termes exprès, la première partie de cette opposition, quant à la seconde, je crois qu’en ne m’y arrêtant pas, je n’aurais violé aucune disposition de la loi. Mais j’avoue que j’ai reculé devant l’idée d’exposer un enfant, à conduire peut-être à l’échafaud, celle à qui il doit l’existence ! Ensuite que serait devenu un malheureux enfant d’onze ans si la veuve Lépinay avait, au contraire, été acquittée ; et que n’avait-on pas à craindre pour lui, des vengeances qu’il lui aurait été si facile d’exercer ! Ces considérations m’ont arrêté, et j’ai formellement refusé au ministère public d’user, dans cette circonstance, du pouvoir discrétionnaire dont il réclamait l’exercice 19. »

18. AD L-A 5 U100/1, Marie Pellerin, 6 ans, 24 octobre 1837. 19. AN/BB/20/41, I-V, 4e trim. 1828, Le Painteur de Normény, 30 décembre 1828.

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Récidives La facilité du crime rend sa réitération relativement commune. Un dixième des femmes jugées est soupçonné de récidive. Mais il ne s’agit le plus souvent que de simples rumeurs. L’opinion publique accuse ainsi, mais sans preuve, 29 femmes d’avoir déjà commis un autre infanticide. Deux autres inculpées sont supposées en avoir commis trois. Quant à Marie Thébault, la rumeur publique lui attribue tantôt quatre à cinq crimes, tantôt sept à huit. Ces soupçons ne seront généralement ni vérifiés, ni confirmés, mais les magistrats reconnaissent, pour quelques accusées, la vraisemblance de ces allégations. La Vve Bongré, ménagère à Trémorel, âgée de 43 ans, mère de quatre enfants légitimes, blâmée en raison de sa conduite « déréglée et scandaleuse », est soupçonnée d’avoir tué trois nouveau-nés depuis son veuvage. Jugée en 1855 devant la cour d’assises des Côtes-du-Nord, elle est condamnée à la lourde peine de quinze années de travaux forcés parce que la cour a considéré que les bruits qui couraient à son sujet n’étaient pas dépourvus de fondement : « En prononçant cette peine, écrit Hüe, la Cour a pris en considération les fortes raisons, révélées par les débats, de croire que l’accusée n’en était pas à son coup d’essai. Ces mêmes raisons s’opposeraient à ce qu’il fût possible de prévoir dès à présent si la condamnée pourra espérer quelque chose de la clémence impériale : dans tous les cas, ce ne serait que dans un avenir très éloigné que cette question serait en état d’être discutée 20. » Les soupçons de récidive concernant les 28 autres accusées s’appuient sur des indices plus concrets. Antérieurement aux faits pour lesquels elles ont été traduites devant la cour d’assises, 5 femmes avaient déjà tenté de tuer un premier enfant. Seule l’irruption inopinée de témoins – maîtres, voisins ou simples passants – les avaient empêchées d’exécuter leur projet. Deux autres femmes, dont le premier enfant n’avait vécu que quelques jours, étaient soupçonnées par l’opinion publique d’en avoir fait « mauvaise garde » et étaient, de ce fait, particulièrement surveillées. 12 accusées sont des récidivistes confirmées : 5 ont déjà été poursuivies sous le chef d’inculpation d’infanticide, d’exposition d’enfant dans un lieu solitaire ou d’homicide par imprudence ; et 7 reconnaîtront avoir commis d’autres crimes. On relève que ces femmes usent, pour commettre un second ou troisième crime, d’un procédé identique à celui qu’elles avaient déjà utilisé avec succès une première fois. Il s’agit généralement de diverses formes d’asphyxie. Parmi les mères déjà poursuivies, Jeanne Jégo, âgée de 41 ans, domestique à Saint-Samson au moment de son arrestation, avait déjà été condamnée à deux ans de prison pour délaissement d’un nouveau-né dans un lieu solitaire. À sa sortie de Fontevrault, elle était parvenue à se faire engager 20. AN/BB/20/182, C-N, 3e trim. 1855, Hüe, 2 août 1855.

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comme domestique dans un moulin. Elle y était restée quinze mois, au terme desquels sa maîtresse, ayant acquis la certitude de sa grossesse et ne cessant de l’interroger à ce sujet, elle avait demandé son compte. Après avoir quitté le moulin, Jeanne Jégo passe deux jours à s’enivrer dans une auberge. Puis, errant dans la campagne, elle accouche dans un pré d’un enfant sur lequel elle exerce diverses violences. L’attitude de sa maîtresse à la découverte de sa grossesse est sans doute à l’origine du drame : « À la Saint-Jean dernière, elle ne voulut pas la regager à cause des doutes où elle était à ce sujet, que le lui ayant manifesté, Jeanne Jégo aurait fait des serments pour affirmer qu’elle nie [sic] était pas, qu’elle aurait en conséquence continué à la garder. Mais lundi 9 de ce mois, lui en ayant encore parlé, elle aurait demandé son compte et serait sortie en niant encore qu’elle fût enceinte, et que depuis elle a dû rester au cabaret du Point du jour jusqu’avant-hier et qu’elle ignore ce qu’elle est devenue depuis 21. » Jeanne Jégo a eu quatre enfants naturels. Sa position de domestique lui interdisait peut-être d’en prendre soin. Toujours est-il qu’elle semble n’en avoir conservé aucun. Rose Delugeard, journalière à Mauron, a mis six enfants au monde. Seuls deux garçons, nés en 1833 et 1842, ont survécu. Elle paraît avoir également élevé une fille, qui serait décédée à l’âge de 3 ans. Entre 1841 et 1854, elle a été poursuivie à trois reprises devant la cour d’assises du Morbihan pour des meurtres d’enfants. Accusée une première fois d’infanticide en 1841 – elle est alors âgée de 30 ans – elle est acquittée grâce aux incertitudes résultant de l’expertise médico-légale. Le docteur Houeïx, de Ploërmel, qui avait pratiqué l’autopsie, avait estimé que son nouveauné n’avait pas complètement respiré. Il avait admis la version de l’inculpée, qui prétendait être accouchée debout et attribuait les blessures remarquées sur la tête de son enfant à une chute 22. En 1846, elle est condamnée à deux ans de prison et 50 francs d’amende pour homicide par imprudence sur un autre nourrisson. Huit ans plus tard, elle est dénoncée au brigadier de gendarmerie de Mauron par l’une de ses voisines, qui la soupçonne d’un nouveau crime. Traduite devant la cour d’assises en juin 1854, elle sera condamnée aux travaux forcés à perpétuité. Le docteur Houeïx, appelé de nouveau à pratiquer l’autopsie, se montrera cette fois beaucoup plus affirmatif sur le caractère criminel des blessures remarquées sur la tête de l’enfant et c’est à lui que Le Beschu de Champsavin attribue la condamnation de Rose Delugeard : « Toute l’instruction de cette affaire était dans l’opinion du médecin : c’est à lui qu’on doit la punition de cette grande coupable 23. » C’est également l’impossibilité d’établir les causes de la mort de leur enfant qui a été l’origine d’un premier acquittement pour les trois autres femmes qui ont été poursuivies à deux reprises pour infanticide. 21. AD M U 2049, Marie Alo, 41 ans, meunier, 13 septembre 1833. 22. AN/BB/20/114/5, M, 2e trim. 1841, Tiengou de Tréfériou, 1er août 1841. 23. AN/BB/20/174/2, M, 2e trim. 1854, Le Beschu de Champsavin, [s. d.].

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L’une d’elles, Marie Lambert, fileuse et journalière à Saint-Aubin-desChâteaux, a eu vers 1831 un premier enfant qu’elle a élevé. Elle est mise une première fois en accusation pour infanticide en 1839. Son nouveauné a été trouvé enfoui sous une épaisse couche de fumier, mais les médecins n’ont pu prouver qu’il avait respiré, et elle bénéficie d’un acquittement. En 1843, elle comparaît de nouveau devant la cour d’assises pour le meurtre de jumeaux, qu’elle a également étouffés : « Je plaçai ces enfants près la muraille, mais dans mon lit, qui touche à cette muraille. Je ne puis pas dire s’ils étaient morts ou vivants. Je les recouvrais avec mon drap. J’étais bien embarrassée d’eux et ne savais qu’en faire. » Elle les a gardés près de trois semaines dans son lit, avant de les enterrer dans son jardin. Cette macabre compagnie ne paraît pas l’avoir particulièrement incommodée : « Ce ne fut, dit-elle, que quelques jours avant de les enfouir dans le jardin que je sentis la mauvaise odeur qu’ils répandaient 24. » Elle est une nouvelle fois acquittée. La putréfaction des cadavres interdisait de pratiquer la docimasie pulmonaire et l’un des deux médecins appelés aux débats avait émis l’hypothèse que la mort des enfants avait pu être accidentelle. Mais l’état de misère de l’accusée a peut-être, plus que les insuffisances de l’expertise, déterminé une majorité de jurés à l’absoudre. « Le jury, écrit Sérel-Desforges, a déclaré Marie Lambert non coupable. J’ai su que la moitié des jurés avait opiné dans le sens opposé, et je le comprends d’après les antécédents immoraux de cette fille qui, disait-elle, ne pouvait, à cause de son état de misère, conserver ses enfants 25. » De même Marie-Anne Bonnezec, poursuivie en 1843 pour le meurtre de jumeaux trouvés noyés dans un lavoir proche de son domicile a-t-elle bénéficié d’une ordonnance de non-lieu, bien que les médecins eussent trouvé sur elle les traces d’un accouchement récent. En janvier 1847, de nouveau enceinte, elle épouse Jacques Cornec, qui ne paraît pas s’être aperçu de sa grossesse. Quatre mois plus tard, elle accouche d’un enfant qu’elle précipite vivant dans une rivière, crime pour lequel elle sera condamnée aux travaux forcés à perpétuité. Les débats ont mis en lumière un autre infanticide commis en 1841, soit par Marie-Anne Bonnezec elle-même, soit par sa mère : « Elle avoua que son enfant n’avait pas vécu, que sa mère en avait disposé, et qu’elle ne savait ce qu’il était devenu 26. » Il n’est pas exceptionnel que les accusées avouent des crimes antérieurs. Outre la Vve Dagorn (Morbihan, 1842), Rose-Marie Fournier, dite Fournel (Ille-et-Vilaine, 1860), Jeanne-Marie Vaillant (Loire-Inférieure, 1865) et Rose Gobin (Loire-Inférieure, 1865), trois autres cas de récidive seront dévoilés au hasard des enquêtes judiciaires. Françoise Jamois, âgée de 36 ans, tailleuse à Saint-Gilles, mère de cinq enfants légitimes, abandonnée par son mari, entretenait depuis deux ans 24. AD L-A 5U/123, interrogatoire, 3 mai 1843. 25. AN/BB/20/124, L-I, 2e trim. 1843, Sérel-Desforges, 11 juillet 1843. 26. AN/BB/20/141, F, 4e trim. 1847, Robinot Saint-Cyr, 27 octobre 1847.

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« des liaisons intimes avec un individu nommé Julien Kerfroy et recevait souvent d’autres hommes ». Le cadavre d’un nouveau-né, enveloppé dans un tablier, est trouvé le 19 août 1842 dans une carrière proche de sa demeure. L’autopsie révèle que cet enfant a succombé à une asphyxie. La déposition de l’une des voisines amène la découverte d’un autre infanticide commis l’année précédente. Françoise Jamois reconnaîtra avoir accouché en avril 1841, mais d’un enfant mort-né, qu’elle aurait remis à son amant afin qu’il l’enterre. Sur les indications de celui-ci, le cadavre est exhumé, mais son état de décomposition est tel qu’il rend impossible toute expertise médico-légale 27. Toujours en Ille-et-Vilaine, l’information ouverte en 1844 contre Joseph Quélavoine, cultivateur à Saint-Pern et sa domestique, Céleste Thé, amène la découverte du squelette d’un autre nourrisson, tué en avril 1842. Si l’on ajoute à ces deux nouveau-nés, les trois enfants légitimes de Quélavoine mystérieusement décédés en 1841, en l’espace de quatre mois, ce sont au total cinq enfants qui ont trouvé la mort dans cette demeure inhospitalière entre 1841 et 1844 28. Le dernier cas de récidive est découvert en Ille-et-Vilaine, en 1864. Il concerne Marie Pinceron, originaire des Côtes-du-Nord, âgée de 31 ans, sans profession ni domicile fixe, déjà condamnée à quinze jours de prison pour vol. Elle accouche en mai 1864 dans l’étable d’une ferme où on lui avait accordé l’hospitalité. L’enfant est retrouvé étranglé. Marie Pinceron avouera alors spontanément avoir commis un autre crime en 1860 29. Sort des cadavres et rapport à l’enfant La variété du destin des victimes illustre, tout autant et peut-être plus encore que les procédés homicides, la diversité des femmes qui ont recouru à l’infanticide. Au-delà de l’apparente uniformité de leurs statuts sociaux se révèle, dans le sort que les mères criminelles réservent à la dépouille de leur enfant, une gamme de sensibilités qui interdit toute systématisation. De la petite victime offerte en pâture aux animaux à l’inhumation clandestine en terre sacrée, se dessinent de profondes différences dans le rapport que ces femmes entretiennent à la personne de l’enfant. Lieux de sépulture Il serait souvent excessif de parler de sépulture. De nombreuses inculpées se contentent d’abandonner leur nouveau-né là où elles ont accouché, sans autre formalité, quand elles ne se livrent pas à des manipulations cruelles sur sa dépouille. Cependant certaines mères s’efforcent de préser27. AN/BB/20/120, I-V, 4e trim. 1842, Dumay, 18 novembre 1842. 28. AN/BB/20/128, I-V, 4e trim. 1844, Cavan, 27 novembre 1844. 29. AN/BB/20/268, I-V, 3e trim. 1864, Le Meur, 25 août 1864.

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ver l’intégrité du cadavre de leur enfant en l’enfouissant, de manière plus ou moins achevée, dans la terre. D’autres vont jusqu’à l’inhumer clandestinement dans le cimetière de leur paroisse. Les lieux de découverte des enfants sont connus dans 493 affaires. Ils confirment le caractère majoritairement improvisé du crime, voire l’absence de véritable préméditation. Environ la moitié des enfants (248 sur 493) sont retrouvés à proximité de la résidence des inculpées, si ce n’est dans leur demeure même. Dans l’affolement que provoque l’arrivée des gendarmes, deux femmes ne trouvent d’autre solution, pour cacher leur enfant, que de le suspendre sous leurs jupes. Affaires

581

Affaires non prises en compte : 88 Sans indication 48 Cadavres non retrouvés 32 Enfants survivants 8

Total

88

Lieux connus : 493 Maison, ferme, dépendances, jardin 248 Champs, forêts, talus, lande, chemin 139 Eau (mares, rivières, puits, lavoir, mer) 87 Cimetière, église, hospice 17 Enfants suspendus sous les jupes de leur mère 2

Total

493

La plupart des cadavres sont découverts dans les lieux familiers. Viennent en première position le jardin (49 cas), le lit (47), les latrines ou fosses d’aisance (25), le grenier (19), le sol de la maison (16), l’armoire (14), le coffre ou banc-coffre (12). Les autres caches sont des plus diverses, allant de la grange à l’étable et de la cave au toit. Hormis les cas où les enfants sont enterrés dans le jardin ou dans le sol de terre battue de la maison, les lieux familiers ne représentent que des sépultures provisoires. Le grenier, le lit, l’étable ou l’écurie ont généralement servi de cadre à l’accouchement. Les mères y abandonnent leur enfant quelques heures, quelques jours ou quelques semaines, en attendant le moment favorable pour aller l’enterrer à l’extérieur de la maison. Ce qui tend à prouver qu’elles n’ont pas eu le temps de réfléchir à une solution moins compromettante que celle qui consiste à laisser la victime sur les lieux mêmes du crime. Un nombre important de petits cadavres (139) est retrouvé dans la campagne. Les prés, champs et prairies (67 cas), bois et forêts (14), landes et marais correspondent généralement, eux aussi, aux lieux de l’accouchement. Lorsque les inculpées ont accompli seules le crime, elles se contentent de recouvrir hâtivement le cadavre de terre, de feuilles ou de branchages, afin qu’il ne soit pas découvert par les passants. Certaines reviennent quelque temps après l’enterrer plus profondément. Mais il n’y a généralement de véritable inhumation que lorsque la mère a bénéficié de complicité, les femmes seules ne disposant pas toujours de pelles et de pioches. Lorsque l’enfant est véritablement enterré, cela signifie ordinairement que son père ou les parents de l’inculpée sont venus pratiquer l’excavation. C’est 379

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sans doute pourquoi les talus et fossés (36 cas), faciles à creuser sans outils, servent si souvent de sépulture lorsque les accusées n’avaient pas de complice. Il arrive aussi que les petites victimes soient simplement abandonnées dans des carrières (8), des garennes, sur un chemin ou sur la lande. Huit enfants – ce qui révèle une certaine préméditation – sont dissimulés dans des chênes creux. Le milieu aquatique représente 87 cas. Par ordre de fréquence, après les ruisseaux et rivières (29), viennent les mares et étangs (27) et, subsidairement, les puits, lavoirs, fontaines… L’eau sert parfois à la fois d’instrument du meurtre – l’enfant y étant jeté vivant – et de sépulture. Dans cette dernière hypothèse, les nouveau-nés sont précipités avec une pierre autour du cou ou simplement abandonnés au gré des flots. Enfin, une infime minorité de petits cadavres (17) a été inhumée ou déposée subrepticement dans des cimetières ou des églises. Certaines mères tentent de négocier avec le fossoyeur, afin que la dépouille de leur enfant puisse reposer en « terre bénite ». Un nouveau-né a été porté grièvement blessé à l’hospice, sans doute dans le même dessein. Variété d’attitude des mères Le sort réservé aux nouveau-nés témoigne souvent d’une grande indifférence à la personne de l’enfant. Il convient, en effet, de s’interroger sur la signification du dépôt des cadavres dans les latrines et fosses d’aisance (25) ou encore dans le fumier. Ce dernier cas n’a rien d’exceptionnel : six enfants sont retrouvés, sans plus de précision, enfouis dans le fumier, et quinze autres sont découverts sous la litière des animaux, dans les étables, écuries, refuges à porcs, crèches. Trois d’entre eux, ont été, au moins partiellement, dévorés par des cochons. De plus, parmi ceux qui avaient été délaissés dans la nature après le crime ou hâtivement recouverts de terre ou de branchages, huit ont été rongés par des chiens. À ces affaires qui dénotent une grande insouciance à l’égard des petits cadavres, s’ajoutent les cas où les mères se sont livrées, seules ou avec des complices, à des opérations de dépeçage ou de crémation. Sept enfants ont été brûlés, après leur mort, dans le foyer de la maison. Outre les affaires Olive Belnard et Rose Lépinay, précédemment évoquées, il convient d’en signaler deux autres, de même nature, jugées devant la cour d’assises des Côtes-du-Nord du 2e trimestre 1860. Elles concernent deux journalièrescultivatrices : Françoise Morin et Marie-Céleste Jagorel. La première, âgée de 40 ans, demeure à Plaintel. La seconde, âgée de 37 ans, à La Chèze. Toutes deux seront condamnées à quinze ans de travaux forcés. L’impassibilité dont a fait preuve Marie-Céleste Jagorel est peu courante. Elle a utilisé le feu qui consumait le cadavre de son nouveau-né pour faire cuire son repas puis s’est installée dans le foyer pour déjeuner. Le lendemain, elle a mis à profit les cendres récupérées dans la cheminée pour faire sa lessive. Rendant compte du procès au garde des sceaux, Hüe écrivait : 380

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« L’accusée déclara qu’elle était accouchée le 18 mars, que s’étant enfermée dans sa chambre elle avait mis au monde un enfant ne donnant aucun signe de vie : qu’immédiatement après sa délivrance elle avait perdu connaissance, et que lorsqu’elle avait repris ses sens après un long évanouissement, elle avait trouvé près d’elle le corps inanimé et déjà froid de son enfant ; qu’elle l’avait mis près d’elle dans son lit pour le réchauffer, que le lendemain matin elle l’avait déposé dans son foyer et allumé un grand feu pour le consumer puis qu’elle était allée au lavoir, et que lorsqu’elle était rentrée vers midi tout était brûlé. Elle a ajouté qu’elle s’était mise à dîner dans l’un des coins de la cheminée, et que, le 22 mars, elle avait employé à faire la lessive toutes les cendres de son foyer parmi lesquelles se trouvaient les ossements incinérés de son enfant. […] L’impartialité, ajoutait-il, qu’elle a montré en prenant son repas dans le foyer où brûlait le cadavre de son enfant, et en plongeant ses vêtements dans la lessive provenant de ses cendres, a produit dans le jury une ineffaçable impression 30. »

Cette « impartialité » est d’autant plus surprenante que Marie-Céleste Jagorel était très aimée de ses voisines et avait eu un enfant naturel dont elle avait pris grand soin. C’est sans doute pourquoi Hüe ne la considère pas totalement indigne d’indulgence et ne s’oppose pas à ce qu’elle puisse bénéficier plus tard d’une réduction de peine. La crémation du cadavre, comme son dépeçage, qui n’ont d’autre but que de faire disparaître les traces du crime, reflètent une grande familiarité avec la mort et sont à mettre en relation avec l’expérience qu’ont les ruraux de la mise à mort des animaux. Dans une thèse consacrée à cette question, Augustin Saint-Vincent de Parois remarquait que les techniques de découpage des petites victimes humaines empruntaient beaucoup à celles de la cuisinière découpant un poulet 31. Les emprunts à l’art de la boucherie et de la cuisine sont sensibles dans les cinq affaires de dépeçage observées en Bretagne. Il convient de rappeler que l’une d’elles concerne une aubergiste de Mésanger, Jeanne-Luce Lévêque, qui a fait macérer son enfant – déchiqueté – dans un baril de vinaigre, après l’avoir fait bouillir. Mais le cas le plus frappant est celui de Séverine Lebez, fille de cabaretiers de Servon. Le jour même de son accouchement, un boucher était venu tuer un porc chez ses parents. Cet animal, qui devait être dépecé le lendemain, avait été déposé sur une échelle dans la chambre de Séverine. Dans la même nuit, celle-ci donne le jour à un enfant qui sera retrouvé dans la fosse d’aisance, découpé en quatorze morceaux : « La tête était séparée du tronc, le tronc lui-même, partagé en sections, et les quatre membres, coupés aux extrémités et aux articulations 32. » L’autopsie paraît démontrer que ces opérations ont été faites du vivant de l’enfant. Séverine Lebez en convient dans un premier interrogatoire : 30. AN/BB/20/226/2, C-N, 2e trim. 1860, Hüe, 18 mai 1860. 31. Saint-Vincent de Parois A., Du dépeçage criminel, Lyon, 1902. 32. AN/BB/20/163/1, I-V, 4e trim. 1852, Lambert, 30 novembre 1852.

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« – Puisque je suis pour mourir, j’ai aussi bon temps de dire tout ce que j’ai fait. J’avoue que j’ai coupé le corps de mon enfant par morceaux […] avec mon couteau que j’ai pris dans la poche de mon tablier qui était sous mon lit. – En combien de parties ? – Je ne sais pas au juste, mais j’ai toujours coupé la tête, les bras, et les jambes, autant que je crois, c’est la tête que j’ai coupée la première. – Ces violences auraient été complètement inutiles si vous n’aviez pas eu la conviction que votre enfant était vivant au moment où vous les exerciez. – Il n’a toujours pas fait de cris, mais j’avoue que je l’ai vu faire quelques mouvements, soit des bras, soit des jambes, je ne saurais dire lesquels 33. »

Elle se rétractera ensuite et affirmera avoir tué son enfant avant de le découper. Le doute a persisté jusqu’aux débats sur la participation de ses parents au crime : « L’opinion publique ayant trouvé étrange que tous ces faits eussent pu se passer sous les yeux du père et de la mère Lebez, sans qu’ils y eussent participé, ils furent d’abord incriminés ; mais on ne trouva pas d’autres preuves que celles d’une grande insouciance et d’un complet aveuglement, et une première ordonnance de non-lieu fut rendue en leur faveur 34. » Dans le registre de l’indifférence on note que plusieurs accusées n’hésitent pas à conserver leur enfant mort dans leur lit pendant plusieurs jours. Louise Lotrus, lingère au Folgoët, que Le Meur qualifie de « mère dénaturée », passe neuf nuits à côté du cadavre en putréfaction de son enfant. Elle déclarera, au cours d’un interrogatoire : « Jusqu’à ce jour, l’odeur ne m’avait point incommodée, j’étais toujours préoccupée de savoir comment me débarrasser de ce cadavre, sachant que l’on parlait beaucoup de moi ; je voulais attendre quelques jours, décidée alors à l’enterrer, dans un fossé garni de bois dépendant de la ferme de Quidelleur et d’attache à la prairie 35. » Mais il arrive, à l’inverse, que les coupables se préoccupent du sort du cadavre. Quelques mères, à l’image de Françoise Jourdren, domestique chassée par son maître et revenue vivre chez ses parents à Plouvorn, expriment la crainte qu’il ne soit dévoré par des animaux. Accouchée dans un champ, elle tente de protéger la dépouille de son nouveau-né : « L’enfant ne bougeait pas, je le crus mort ; alors je montai sur le fossé et l’y déposai parmi l’ajonc et la fougère. Je posai une pierre contre une de ses côtes et une autre pierre contre sa tête afin qu’il ne fût pas vu du chemin et qu’il ne fût pas emporté par des chiens 36. » Elle demandera même à une vieille femme qui, dans un premier temps, sera inculpée de complicité, d’aller rechercher l’enfant et de l’inhumer. 33. AD I-V 2U4/816, interrogatoire, 18 avril 1852. 34. AN/BB/20/163/1, I-V, 4e trim. 1852, Lambert, 30 novembre 1852. 35. AD F 4U2/120, interrogatoire, 9 mars 1851. 36. AN/BB/20/98, F, 1er trim. 1838, Le Minihy, [s. d.].

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Jean-Marie Péron, cultivateur au Cloître, père de l’enfant de Marie Herry, exprime le même souci. Il avait enfermé le nouveau-né dès sa naissance dans un sac, qu’il avait déposé derrière l’écurie puis, « craignant qu’il ne fût dévoré par les chiens, il retourna le prendre, lui administra le baptême et le transporta dans la grange dont il ferma bientôt la porte. Il a déclaré que l’enfant avait vécu environ un quart d’heure, il ne lui donna aucun soin 37. » Après s’être assuré de sa mort, il est allé l’enterrer dans un champ. Inhumations en « terre sainte » De même que certaines mères, pour atténuer la portée de leur crime, prétendent avoir baptisé leur enfant, quinze accusées affirment qu’elles avaient l’intention de le porter au cimetière. L’une d’elles a même prétendu, dans le cours de l’instruction, s’être entendue à cette fin avec le prêtre de sa paroisse. Il s’agit d’Anne-Marie Berrée, une domestique-cultivatrice de 36 ans, venue accoucher chez sa mère à Iffendic. Elle avait tout d’abord soutenu avoir transporté le cadavre de son enfant dans la sacristie, le prêtre lui ayant dit « qu’il se chargerait de le faire inhumer afin de lui éviter la honte, ainsi qu’à sa famille ». Mais elle sera contrainte de revenir sur ses premières déclarations : « Si j’ai dit d’abord, reconnaît-elle, que j’avais porté mon enfant au curé d’Iffendic, c’est que je croyais que je n’aurais pas été punie, s’il était inhumé en terre sainte 38. » En revanche, dans une vingtaine d’affaires, les accusées ou leur famille ont fait de véritables démarches pour faire enterrer le nouveau-né en « terre sainte ». On trouve trace de douze inhumations clandestines ou de dépôts hâtifs d’enfants dans les cimetières. Les accusées ou leurs complices n’ont pas toujours eu le temps ni la hardiesse de lui creuser une tombe. Ainsi, le nouveau-né de Marie-Louise Le Breton, âgée de 40 ans, qui « faisait des commissions en ville et vivait de ce genre d’industrie » est-il déposé sous des pierres, dans l’avant-cimetière de Guingamp, celui de la Vve Morion, aubergiste, a été placé dans un « vieux tombeau » du cimetière de Fougères. Dans l’affaire Marie-Joseph Kerdreux, c’est la mère de l’accusée qui, après avoir découvert l’enfant que sa fille cachait depuis trois jours dans son lit, décide d’aller l’enterrer nuitamment. Marie-Joseph Kerdreux raconte : « Le samedi au soir, 7 janvier, ma mère voyant ma figure défaite et présumant qu’il m’était arrivé quelque chose, profita de mon absence de la maison pour aller fouiller mon lit et y trouva l’enfant que j’y avais caché. À mon entrée je la trouvai en pleurs, elle me fit de sanglants reproches de ne pas lui avoir avoué la vérité, me disant qu’elle aurait sauvé l’enfant et élevé comme les siens. Elle fit l’aveu de mon malheur à toutes mes sœurs 37. AD F 4U2/152, acte d’accusation, 30 août 1837. 38. AN/BB/20/174/2, I-V, 4e trim. 1854, Le Beschu de Champsavin, 27 décembre 1854.

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qui se mirent aussi à pleurer. Ma mère songea alors à enterrer l’enfant et déclara qu’il ne fallait l’enterrer ailleurs que dans le cimetière, et ce soir-là même elle m’accompagna au bourg de Crozon où nous fûmes déposer l’enfant dans la partie sud du cimetière. Je l’avais enseveli dans un torchon et avant de le déposer en terre, j’enveloppai le tout de mon mouchoir. Ma mère trouva dans le cimetière les outils du fossoyeur et creusa elle-même la tombe 39. »

Comme ce type d’inhumation présente le risque de se faire surprendre, les accusées choisissent parfois des cimetières abandonnés. Vincente Le Minier et François Baucher vont de nuit enterrer leur enfant au cimetière abandonné de Loc Metro, près de Guern, et lui creusent une fosse à proximité de l’église 40. La Vve Lezoc, de Ploudalmézeau, réputée très pieuse, choisit d’aller inhumer son enfant, également de nuit, « dans le cimetière de la chapelle de Saint-Gouvel, lieu de sépulture des enfants mort-nés et des cadavres naufragés 41 ». Dans sept affaires, les accusées ou leurs complices tentent de soudoyer les fossoyeurs. Mais ceux-ci n’acceptent pas toujours de se montrer complaisants. C’est pourquoi, Marie-Jeanne Joly, couturière à Plouescat, craignant peut-être de se voir opposer un refus, dépose de nuit son enfant dans un champ appartenant au fossoyeur de sa commune. La signification de son geste n’échappe à personne. « L’opinion publique, écrit l’avocat général de Morlaix, ne se trompa point sur la cause qui avait pu faire transporter le cadavre du lieu où il avait été caché d’abord, à peu de distance sans doute, dans celui où il a été découvert par le fossoyeur : on voulait qu’il fût inhumé en terre sainte 42. » Jean Tassin, agriculteur à Plouarzel, beau-frère de Marie-Jeanne Labat et père de son enfant, après s’être vainement adressé au fossoyeur, décide de contourner la difficulté en allant déposer le petit cadavre à l’entrée de l’église. Le fossoyeur, qui est également bedeau, se résout alors à inhumer l’enfant : « Vers cinq heures et demie du matin, raconte-t-il, le 28 courant, allant sonner l’angélus, j’ai aperçu sur le banc de pierre, à droite en entrant sous le portique, un petit enfant nouveau-né : il était mort. Craignant que quelque chien ne vînt à passer et ne l’emportât, je me décidai à enterrer l’enfant. […] Je ne savais pas, s’empresse-t-il d’ajouter, qu’il était nécessaire de prévenir en pareil cas l’autorité. J’avais entendu dire que des créatures semblables s’enterraient sans formalité 43. » Jean Tassin, qui soutient que son voisin a trouvé cet enfant dans un champ, reprend à peu près les mêmes arguments : « Nous nous entendîmes alors tous deux [ce voisin et lui] pour aller, le soir, déposer l’enfant sur le 39. AD F 4U2/166, interrogatoire, 10 février 1860. 40. AN/BB/20/34, M, 1er trim. 1827, Carron, 24 mars 1827. 41. AN/BB/20/137, F, 4e trim. 1846, Piou, 9 mars 1847. 42. AD F 4U2/119, acte d’accusation, 20 septembre 1850. 43. AD F 4U2/168, François Moal, 37 ans, bedeau et fossoyeur, 30 novembre 1860.

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portique afin de le faire enterrer dans la terre bénite, par le bedeau. Ignorant complètement à qui pouvait appartenir cet enfant, nous ne jugeâmes pas à propos de faire aucune déclaration à l’autorité : je pensais que l’on pouvait seul enterrer de semblables petites créatures, attendu qu’elles n’ont pas eu de baptême 44. » Il arrive cependant que les fossoyeurs se montrent plus conciliants. Dans l’affaire Marie-Joseph Lucas, une domestique de Merdréac, âgée de 23 ans, qui accouche sept jours avant son mariage avec un soldat étranger à sa grossesse, le fossoyeur accepte sans difficulté d’inhumer le nouveau-né. Le père de Marie-Joseph Lucas, averti de l’accouchement par la maîtresse de sa fille, après avoir caché l’enfant, « alla trouver le fossoyeur, qui crut que c’était un enfant né du mariage de Lucas ; cependant celui-ci ne lui dit point à qui il appartenait. Le fossoyeur ajouta qu’il se passerait de l’autorisation du curé ; et il l’enterra à 10 h 1/2 du soir, dans la partie du cimetière réservée aux enfants morts avant d’avoir reçu le baptême 45. » Le fossoyeur auquel s’adresse Julien Ducloyer, agriculteur à Saint-Just, auteur du meurtre de l’enfant de Jeanne Tiger, sa domestique, n’oppose pas plus de résistance à l’inhumation clandestine de l’enfant qui lui est présenté. Ducloyer se présente de nuit chez lui, accompagné d’un voisin, et affirme que sa femme vient d’accoucher d’un enfant mort-né. La pratique d’inhumation nocturne des enfants mort-nés n’a, semble-t-il, rien d’extraordinaire dans cette commune. « Il existe dans la commune de Saint-Just, rapporte Le Beschu de Champsavin, un usage très abusif qui jusqu’ici était ignoré de l’autorité : on enterre la nuit les enfants mort-nés ; c’est le fossoyeur qui reçoit la déclaration et qui la reporte le lendemain au maire qui fait alors l’enregistrement 46. » Il suffit habituellement pour que le fossoyeur consente à ce type d’inhumation que deux témoins lui affirment que l’enfant est légitime. C’est pourquoi Ducloyer a pris la précaution de se faire accompagner d’un voisin. Mais le maire, qui a conçu des soupçons quant à l’origine de l’enfant, refuse d’établir l’acte de décès et entreprend une enquête. Le laxisme des autorités locales s’observe dans une autre affaire, qui s’est également déroulée en Ille-et-Vilaine, en 1861. L’ensevelissement nocturne des « mort-nés » se révèle aussi être de règle à Bédée. Après le meurtre commis par sa propre mère sur le fils né de son mariage avec Marie Nouyoux, Pierre Lepage va informer la secrétaire de mairie du décès de son enfant. La déposition de cette femme montre combien il est simple de faire enregistrer le décès d’un enfant prétendu mort-né : « Le 14 courant vers sept heures du soir, Pierre Lepage fils vint me déclarer que sa femme était accouchée environ une heure auparavant d’un enfant mort-né. L’acte de décès a été inscrit par moi à sa date sur la déclaration de M. Lepage. Il n’est pas 44. AD F 4U2/168, Jean Tassin, 32 ans, cultivateur, 30 novembre 1860. 45. AN/BB/20/218/2, I-V, 2e trim. 1859, Le Beschu de Champsavin, 5 juillet 1859. 46. AN/BB/20/174/2, I-V, 4e trim. 1854, Le Beschu de Champsavin, 27 décembre 1854.

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d’usage à Bédée de délivrer de permis d’inhumation proprement dit. On se borne à délivrer au déclarant un certificat par lequel on constate que l’acte de décès a été inscrit sur les registres 47. » L’inhumation de l’enfant sera tout autant dépourvue de formalités. À la nuit tombée, raconte le fossoyeur, Pierre Lepage « était venu le trouver le 14 courant à dix heures du soir pour le prier d’enterrer son enfant qui était mort-né. Ayant fait observer à ce dernier pourquoi il enterrait à cette heure, il nous a répondu que tous les enfants mort-nés, on les enterrait la nuit, que c’était l’usage dans le pays 48. » Interrogé le lendemain par le juge d’instruction, le fossoyeur se montrera encore plus affirmatif : « Il est d’usage à Bédée d’attendre la nuit pour inhumer les enfants mort-nés, et il n’est point à ma connaissance qu’on se munisse d’un permis d’inhumation quand il s’agit d’enfants mort-nés 49. » Ces affaires tendent à démontrer que dans certaines communes rurales, si l’enfant est supposé être légitime, il suffit au père d’affirmer qu’il s’agit d’un mort-né, pour être exempté des formalités prévues par le Code civil, tant pour la déclaration du décès que pour l’enterrement. Les articles 77 et 78 de ce code prévoient qu’aucune inhumation ne peut être faite sans l’autorisation de l’officier de l’état civil, qui doit se transporter auprès de la personne décédée pour constater le décès, et que les actes de décès ne peuvent être dressés par les officiers de l’état civil que sur la déclaration de deux témoins 50.

Aménité de la justice à l’égard des complices Dans leur grande majorité, les crimes paraissent être le fait de femmes seules, délaissées par leurs amants. Mais comme l’infanticide est intrinsèquement lié à la sauvegarde de l’honneur, la solitude de l’acte est dans bien des cas tempérée par un faisceau d’intérêts qui contribuent au cheminement de ces femmes seules vers le crime. De l’aveuglement volontaire des proches à la véritable coopération au meurtre, il existe tout un éventail de complicités dont la justice ne souhaite pas toujours s’encombrer. Il est remarquable de constater que les séducteurs et, peut-être plus encore, la famille des inculpées, même quand il existe de forts indices de leur participation aux faits, semblent avoir été relativement épargnés par les poursuites. Des soupçons de complicité sont formulés dans 106 affaires sur les 572 dans lesquelles figuraient les mères des nouveau-nés. Mais la moitié seulement des personnes soupçonnées d’avoir participé aux crimes ont été mises en accusation : 54 procès ont mis en scène plusieurs accusés (33 incluant les pères des enfants et 21 les grands-parents), tandis que 35 personnes 47. AD I-V 2U4/889, Sophie Aubry, 34 ans, secrétaire de la mairie de Bédée, 26 juin 1861. 48. Idem, Jean Pestel, fossoyeur, 25 juin 1861. 49. Id., 26 juin 1861. 50. Masculins.

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(24 femmes et 11 hommes) initialement impliquées dans les poursuites ont bénéficié d’une ordonnance de non-lieu. La justice n’a pas jugé bon d’informer contre certains parents ou séducteurs que la clameur publique accusait pourtant hautement de complicité. Dans les autres cas, les soupçons qui portaient sur la présence d’amants ou de membres de la famille au moment du crime, ou sur l’inhumation clandestine de l’enfant, n’ont pas été considérés comme suffisamment fondés. Les amants Au total 35 séducteurs ont été mis en accusation, soit seuls (2 affaires), soit de complicité (33 affaires). 7 autres, qui avaient d’abord été impliqués dans les poursuites, ont bénéficié d’une ordonnance de non-lieu. 18 des 35 affaires dans lesquelles les pères des nouveau-nés ont été mis en accusation concernent des maîtres ayant séduit leur domestique. 8 autres relèvent d’incestes ou de quasi-incestes (pères – filles ; beaux-pères – bellesfilles, belle-mère – beau-fils ; et beaux-frères – belles-sœurs). 7 correspondent à des liaisons relevant du voisinage ou de la co-domesticité. Les 2 dernières concernent des pères ayant « donné » la mort à leur enfant légitime. La forte représentation des maîtres séducteurs et des hommes incestueux dans les accusations laisse supposer que ceux-ci, ayant plus intérêt que les autres à la disparition de l’enfant, se sont davantage compromis dans les crimes. On ne trouve que deux affaires dans lesquelles les pères des enfants ont comparu seuls devant la cour d’assises. L’un d’eux, Mathurin Josse, laboureur à Iffendic, après avoir aidé sa servante, Perrine Poutet, à accoucher, l’avait éloignée au moment du crime. Elle ne pouvait donc être taxée de complicité. Il a été condamné à mort 51. Dans le second cas, celui de Joachim Le Donnant, aubergiste et boulanger à Plouharnel, le meurtre de l’enfant avait été commis sous les yeux de sa mère, une servante, qui s’y était très fermement opposée. Mais l’état de décomposition du cadavre ne permettait pas de déterminer la cause de la mort et, bien qu’il ait avoué avoir étouffé l’enfant avec un linge, Joachim Le Donnant n’a été condamné, pour un simple homicide par imprudence, qu’à quinze mois de prison 52. Il est arrivé aussi que les mères consentent pleinement au meurtre de leur enfant. Françoise Yon, domestique chez Mathurin Fleury, laboureur à Plumaugat, s’était prêtée sans rechigner aux manipulations auxquelles son maître s’était livré au cours de sa grossesse pour la faire avorter. Il lui avait imposé de se serrer fortement l’abdomen avec une ceinture et, à plusieurs reprises, s’était assis sur son ventre en disant : « Il faut que cela sorte ! Si cela sortait nous serions bien tranquilles ! » Il avait promis d’épouser Françoise 51. AN/BB/20/124, I-V, 2e trim. 1843, Ernoul de la Chénelière, 29 mai 1843. 52. AN/BB/20/47, M, 1er trim. 1829, Beschu, 12 avril 1829.

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Yon à condition qu’elle consente à se débarrasser de son fruit, elle lui avait donc livré l’enfant aussitôt après son accouchement et Fleury l’avait étouffé avec un linge. Tous deux ont été jugés, en 1848, devant la cour d’assises des Côtes-du-Nord. Françoise Yon s’est vue infliger la peine des travaux forcés à perpétuité et Mathurin Fleury, la peine de mort. Fleury s’étant pourvu en cassation, a été renvoyé devant la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine, qui l’a condamné aux travaux forcés à perpétuité : « Les jurés, explique Fénigan, ont reculé devant la peine de mort. Peut-être aussi ont-ils trouvé que cet homme, qui avait froidement et lâchement assassiné un pauvre enfant qui, peut-être, ne lui appartenait pas, n’était point plus coupable que la mère dénaturée qui livrait à la mort son enfant dans l’espérance d’épouser son bourreau! Ils n’auront pas voulu alors que Fleury fût atteint d’une peine plus cruelle que celle qui avait frappée son odieuse complice 53. » L’exemple le plus saisissant d’assentiment de la mère au crime est sans doute celui de Noëlle Denouard, épouse Vaugru. Cette femme, âgée de 26 ans, cultivatrice à Saint-Gilles, a été inculpée de complicité d’infanticide avec son mari. L’enfant était légitime, mais avait été conçu avant le mariage de ses parents et représentait à leurs yeux un sujet de honte. Non seulement cette mère a pleinement participé à l’infanticide, mais elle semble même avoir incité son mari à le commettre : « Le dimanche 16 août 1857, rapporte Jollivet, vers onze heures du matin, la femme Vaugru était accouchée d’un enfant du sexe féminin. Cet enfant remuait et poussait quelques cris. Vaugru dit alors à sa femme : “Qu’allons-nous faire de cet enfant ?” Elle répondit qu’il fallait le baptiser auparavant. Après l’avoir baptisé, Vaugru demanda de nouveau ce qu’il en fallait faire. “Il faut l’achever”, répondit sa femme. Alors Vaugru le prit et lui tordit le cou. Puis, comme il battait encore des jambes, pour l’empêcher de se détordre [sic], il lui pressa fortement le cou et la tête sous un morceau de bois à brûler. La mère tenait l’enfant à terre pendant que cette dernière opération s’accomplissait ; puis elle fut se coucher quand elle vit que l’enfant ne remuait presque plus 54. »

Les hommes n’ont parfois été que de simples exécutants. C’est à la demande de Mathurine Lesant, domestique à Belz, ou du moins avec son entière approbation, que Pierre Leroux, également domestique, père de l’enfant, paraît avoir accompli le meurtre. Mathurine Lesant avait d’abord soutenu que Leroux, qui avait assisté à son accouchement, avait profité de sa faiblesse pour emporter le nouveau-né à son insu. Mais Leroux avait déclaré, et Mathurine Lesant avait fini par en convenir, que « prévenu par elle qu’elle allait accoucher, il l’avait suivie dans le lieu qu’elle lui avait indiqué, qu’il avait assisté à l’accouchement, qui n’avait pas duré plus de un quart d’heure ; qu’elle ne perdit point connaissance ; qu’elle le vit emporter l’enfant ; qu’il lui indiqua le lieu même où il allait le déposer ; qu’elle 53. AN/BB/20/145, I-V, 4e trim. 1848, Fénigan, 24 janvier 1849. 54. AN/BB/20/200/1, I-V, 4e trim. 1857, Jollivet, [s. d.].

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consentit à ce projet, et que lorsqu’il la revit, après la consommation du crime, elle lui dit : “C’est bien ! 55.” » Il lui avait écrasé la tête sous une pierre et l’avait jeté à la mer, en espérant que le courant l’emporterait au loin. Dans 10 au moins des 33 procès dans lesquels les pères des enfants ont été inculpés de complicité, les mères paraissent avoir été étrangères aux faits. Mais les magistrats ont considéré qu’elles s’étaient montrées trop passives face à des projets criminels qu’elles ne pouvaient ignorer et elles ont été mises en jugement en vertu d’une complicité purement morale. La plupart ont été acquittées. Dans certaines affaires, le rôle respectif des deux accusés n’a pas toujours pu être mis en évidence. Mais le plus souvent, ce sont les mères des nouveau-nés elles-mêmes qui ont commis les crimes, à l’instigation des hommes. Ceux-ci se sont contentés de donner des injonctions ou de fournir les instruments du meurtre. Plusieurs, parmi eux, ont usé de promesses de mariage pour déterminer la mère à tuer son nouveau-né. Les familles La participation des familles aux infanticides est difficile à mesurer puisque les poursuites sont finalement peu nombreuses. Mais l’aveuglement volontaire, le silence établi autour de la grossesse semblent parfois pouvoir être interprétés comme des indices de consentement au meurtre. Les familles sont souvent suspectées par l’opinion publique d’avoir participé aux crimes, plus fréquemment encore que les séducteurs. Au total, 53 membres de l’entourage familial des mères infanticides ont été fortement soupçonnés de complicité, mais 21 seulement ont été inculpés. Les grands-mères des nouveau-nés apparaissent comme les principales intéressées à la disparition d’un enfant illégitime : 16 sont accusées de complicité par la clameur publique, et 18 autres seront déférées devant les cours d’assises, comme coauteurs des crimes. Une dizaine d’autres femmes est également suspectée d’avoir facilité le crime (4 sœurs, 1 tante, 1 logeuse, 1 matrone, 1 voisine et 1 domestique). Cette prédominance des femmes parmi les complices traduit sans doute une forme de solidarité face au caractère oppressif du contrôle social qui s’exerce sur elles dans la société dite traditionnelle. Les deux parents des mères infanticides sont inculpés dans trois affaires, et soupçonnés de culpabilité dans deux autres. Si quatre crimes sont imputés par la rumeur aux grands-pères des nouveau-nés, un seul est mis en jugement. Les pères des accusées – pourtant garants du nom et de la perpétuation de la lignée – paraissent donc, comparativement à leurs épouses, peu impliqués dans les infanticides. Joseph Noël, âgé de 58 ans, laboureur à Redon, auteur du meurtre du nouveau-né de sa fille, fait donc figure d’exception. Mais on ne sait si son geste a été guidé par le souci de préserver 55. AN/BB/20/174/2, M, 4e trim. 1854, Robinot Saint Cyr, 21 décembre 1854.

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l’honneur familial ou par celui d’éviter à sa fille les désagréments de la réprobation publique. Le crime n’est peut-être qu’un prolongement de la solidarité parentale qui s’est exercée dès le stade de la grossesse. « Tout le village, écrit Ernoul de la Chénelière, s’appercevait [sic] que Jeanne Noël, sa fille, était enceinte, mais la grossesse était niée par elle d’abord et par ses père et mère avec obstination. » La surveillance de la communauté s’exerce sur Jeanne Noël et la gendarmerie est avertie de son accouchement. Après avoir tenté de nier les faits, sa mère finira par reconnaître que son mari et elle étaient présents au moment de l’accouchement. Joseph Noël a emporté l’enfant, l’a étouffé et est allé l’enterrer dans un champ. Il sera condamné à dix ans de travaux forcés, la cour lui ayant tenu compte « d’une vie de près de 60 années de probité et d’une moralité sans reproche 56 ». La faible participation des grands-pères des nouveau-nés aux crimes reflète, d’un certain point de vue, la position assez effacée qu’ils semblent tenir dans la sphère privée. Ils sont remarquablement absents des dossiers et paraissent peu actifs dans ces affaires qui relèvent de la sauvegarde de l’honneur. Signe, peut-être, qu’ils n’occupent dans la gestion de la maisonnée, qu’un rôle relativement secondaire. Mais d’autres facteurs peuvent contribuer à expliquer la sous-représentation des grands-pères, relativement aux grands-mères, parmi les personnes accusées ou soupçonnées de complicité. Sur ces 34 grands-mères qui paraissent avoir été impliquées dans les infanticides, 12 sont sans époux : 4 sont des mères célibataires et 8 des veuves. L’un des motifs les plus fréquents de mise en accusation des grandsmères des nouveau-nés est que, dormant habituellement avec leur fille, elles n’ont pu ignorer leur grossesse. La promiscuité de vie entre mères et filles s’observe non seulement lorsque la grand-mère du nouveau-né est veuve ou « fille », mais aussi parfois lorsqu’elle est mariée. Dans certaines familles, le père dort au grenier, laissant l’unique lit de la maison à sa femme et à sa fille. Cette pratique s’observe en dehors de toute visée contraceptive puisqu’elle concerne aussi des époux relativement âgés 57. Ainsi dans la famille Le Map, de Plouénan, la mère, Marie, cultivatrice, âgée de 55 ans, est-elle mise en accusation pour complicité, parce qu’« il fut appris que la mère et la fille couchaient ensemble, que celle-ci avait dû évidemment, accoucher près de sa mère et que ces deux femmes n’avaient pu rester étrangères à la mort de l’enfant, en supposant que la mort fût le résultat d’un crime ». De plus, ajoute Tarot : « La mère alla jusqu’à soutenir, et cette femme a eu quatorze enfants, qu’elle avait toujours ignoré la grossesse et l’accouchement de sa fille 58. » La mère du nouveau-né, Anne Le Map, âgée de 23 ans, domestique chassée de chez ses maîtres en raison de sa grossesse, était revenue habiter chez ses parents. Sans doute est-ce 56. AN/BB/20/147/2, I-V, 2e trim. 1849, Ernoul de la Chénelière, [s. d.]. 57. Faire chambre à part, « mettre le coq sur le perchoir » représente pour de nombreux couples la seule pratique contraceptive légitime, selon M. Lagrée, Religion et culture en Bretagne, op. cit., p. 40. 58. AN/BB/20/133, F, 1er trim. 1845, Tarot, 12 février 1845.

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pour ne pas compromettre son avenir et préserver ses chances de trouver une nouvelle « condition » que sa mère s’est prêtée, sinon au crime, du moins à sa dissimulation. Toutes deux ont été acquittées. De même, la Vve Merret, mère de Catherine Merret, une fileuse de Commana, âgée de 33 ans, prétend avoir ignoré la grossesse de sa fille. Mais l’instruction apprend qu’elle a assisté à l’accouchement : « La veuve Merret a reconnu qu’elle avait soupçonné sa fille d’être enceinte, qu’elle lui en avait parlé, mais que sa fille lui avait nié constamment sa grossesse que, dans la nuit du 8 au 9 février dernier, sa fille s’était trouvée malade, l’avait priée de se lever pour lui faire de la soupe, que pendant qu’elle s’occupait de ce soin, sa fille l’avait appelée et lui avait dit de prendre et de jeter au feu un objet qui venait de sortir de son corps, mais dans lequel elle n’avait pas reconnu un arrière-faix, que dans ce momentlà même, sa fille avait protesté n’être point enceinte. »

L’enfant sera retrouvé dans le lit où Catherine Merret a fait ses couches, coincé entre la « balline 59 » et la paillasse. En dépit de sa probable complicité, la Vve Merret ne sera pas inquiétée par la justice, sa fille ayant pris sur elle toute la responsabilité du crime : « Il est peut-être difficile d’admettre qu’une femme ayant eu elle-même plusieurs enfants ait accepté les explications données par la fille Merret pour dissimuler sa grossesse et qu’elle ait pu être trompée sur le fait de l’accouchement, mais d’un autre côté on ne sût point de quelle nature avait été la coopération de la veuve Merret à un crime dont la perpétration ne suppose point le concours de plusieurs personnes 60. » La solidarité mère-fille se traduit surtout par la dissimulation des preuves de l’accouchement. Ce sont souvent les grands-mères qui se sont chargées d’aller inhumer le nouveau-né. Elles vivent parfois leur collaboration à une entreprise criminelle de façon dramatique. La mère de Marie-Jeanne Pélion, qui est soupçonnée d’avoir, deux ans avant les faits pour lesquels sa fille est poursuivie, enterré un premier enfant, ne semble pas s’être remise de l’épreuve. C’est du moins au chagrin qu’elle en a éprouvé que l’une de ses voisines attribue le décès prématuré de cette femme : « Il y a deux ans passés du printemps dernier, Marie-Jeanne Pélion, aujourd’hui poursuivie pour infanticide, présentait encore tous les signes extérieurs de grossesse. Au reste, tout le monde dans le pays la croyait enceinte. Tout à coup, son embonpoint disparut, sans toutefois qu’elle se fût alitée ; cependant environ quinze jours après, elle devint malade tellement qu’elle manqua de mourir. La fille Pélion avait alors sa mère, ainsi que son père, qui s’est remarié depuis, sa mère étant morte il y a environ deux ans. Nous ne savions trop ce qu’était devenu l’enfant de la fille Pélion, mais nous eûmes bientôt des renseignements positifs. Un jour sa petite sœur Mathurine, étant chez moi, se mit à m’entretenir de Marie-Jeanne Pélion : “Ma sœur a eu un petit garçon, dit-elle, mais ma mère a pris un marréau et est allée avec ma sœur 59. Couverture. 60. AD F 4U2/92, arrêt de renvoi devant la cour d’assises, 12 mars 1846.

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faire un trou dans la lande où elles ont mis l’enfant.” […] Sa mère en eut un tel chagrin qu’elle en mourut quelque temps après 61. »

La Vve Racineux, âgée de 64 ans, journalière à Saint-Fiacre, accusée avec sa fille Marie-Mathurine d’un infanticide commis en 1860, a été vue après l’accouchement de celle-ci tenter d’en dissimuler les traces. MarieMathurine Racineux, âgée de 22 ans, engrossée par son maître, était venue faire ses couches chez sa mère. Si la Vve Racineux a participé au crime, cette expérience semble l’avoir complètement bouleversée : « Dans la journée du samedi [lendemain du crime], une voisine s’est étonnée de voir la veuve Racineux, âgée de 64 ans, aller laver un assez gros paquet de linge sous une pluie battante au risque de se rendre malade, ce à quoi elle a répondu : “Cela m’est bien égal, j’ai tant de chagrin que je voudrais être morte !” Cette parole, qui indiquait au moins, contrairement à sa déclaration, qu’elle connaissait l’accouchement, sinon le crime de sa fille, s’explique aussi bien dans le sens du déshonneur que de la culpabilité 62. »

La souffrance morale de la Vve Racineux et l’impossibilité de départager le rôle de chacune des accusées, mère et fille, dans le crime ont porté le jury à les acquitter. Assez paradoxalement, les grands-mères des nouveau-nés sont donc amenées à participer aux crimes par un sentiment maternel qui les pousse à protéger leur propre enfant contre les conséquences, souvent désastreuses, de la venue au monde d’un bâtard. Cette attitude est particulièrement nette lorsque les mères des nouveau-nés sont très jeunes, comme dans le cas de Marie-Joseph Gargasson, et de Françoise Jagot, qui toutes deux ne sont âgées que de 17 ans. Marie-Joseph Gargasson, cultivatrice chez ses parents à Mohon, avait avoué avoir fracassé la tête de son enfant contre un seau, mais les témoignages de ses voisins semblaient indiquer qu’elle n’était pas seule au moment de ses couches et que ses parents avaient pu participer au crime : « Dans la nuit du 7 au 8 janvier, nuit pendant laquelle un voisin remarqua que, dans la maison Gargasson, il se fit un mouvement extraordinaire, compliqué, d’allées et de venues, qui annonçaient un événement anormal dans cette famille, qui habite le village de Mohon et qui n’est composée que du père, de la mère et de la jeune Gargasson. Les voisins, qui avaient remarqué la grossesse de cette jeune fille, s’apperçurent [sic], dès le lendemain 8 janvier, que cette dernière avait été malade et que l’ampleur de sa taille avait considérablement diminué ; on conclut de toutes ces circonstances que l’accusée était accouchée et qu’elle avait fait disparaître son enfant. »

Le corps de l’enfant n’a jamais été retrouvé. Marie-Joseph Gargasson a prétendu successivement l’avoir enterré dans le jardin, enfoui sous une 61. AD C-A 2U/647, Vve Lorant, 73 ans, ménagère, 17 août 1842. 62. AN/BB/20/226/2, L-I, 2e trim. 1860, Lambert, [s. d.].

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LES CRIMES : MÉTHODES ET COMPLICITÉ

armoire et, enfin, l’avoir brûlé dans le foyer. En dépit de ses aveux, elle a été absoute de l’accusation d’infanticide car « le jury et la cour ont pensé que la mère de cette jeune fille, âgée à peine de 17 ans, n’a pas été étrangère, sinon au crime, au moins à la disparition du cadavre 63 ». La participation de la mère de Françoise Jagot à l’infanticide est plus évidente, et paraît même incontestable. Cette femme, cultivatrice à Guenrouët, âgée de 57 ans, peut être considérée comme le véritable auteur du crime. L’instruction apprend en effet que : « Depuis plusieurs mois les amis et les voisins de Françoise Jagot s’étaient aperçus qu’elle était enceinte. Sa mère en avait été plusieurs fois avertie ; mais loin de faire aucun préparatif pour la prochaine naissance dont tout le monde autour d’elles attendait la venue, les deux femmes opposaient les plus énergiques protestations et les dénégations obstinées à toutes les questions comme à tous les conseils de leurs voisins. Dans la nuit du 20 au 21 janvier dernier, Françoise Jagot fut prise des douleurs de l’enfantement ; son père crut qu’elle allait mourir et alla chercher le curé de la paroisse ; mais après avoir vu la malade, l’ecclésiastique comprenant de quel mal elle souffrait se retira. La femme Jagot renvoya son mari, écarta son fils et resta seule pendant le reste de la nuit avec sa fille, la veuve Maillard, femme mal famée dans le pays, qu’elle avait retirée chez elle depuis quelque temps, au grand étonnement de tout le monde. »

Après avoir longtemps nié sa grossesse et son accouchement, Françoise Jagot finit par avouer « qu’après avoir longtemps espéré lui procurer un avortement, à l’aide de breuvages qu’elles lui avaient fait prendre, sa mère et la veuve Maillard l’avaient assistée dans son accouchement. La femme Maillard éclairait sa mère qui avait baptisé son enfant après sa naissance, le lui avait fait embrasser et lui avait dit que c’était un garçon. Elle l’avait ensuite enveloppé entièrement dans un linge blanc, de façon à l’empêcher de respirer et l’avait laissé pendant une heure sur une table, puis elle le lui avait donné à elle, qui l’avait enveloppé de nouveau dans un de ses jupons et l’avait gardé vingt-quatre heures dans son lit, au bout de quelque temps, elle s’était levée et était allée l’enfouir sous des pailles, près du hangar d’un voisin 64. »

Françoise Jagot sera acquittée en raison de sa « jolie figure » et de sa jeunesse, sa mère et la Vve Maillard étant condamnées, la première à dix années, la seconde à six années de travaux forcés. Les dossiers offrent bien d’autres exemples de meurtres de nouveau-nés par leurs grands-mères. L’un d’eux est éclairé par la déposition d’un adolescent de quinze ans, témoin direct du crime qui mènera, en 1859, Perrine Suel, couturière, et sa mère, la Vve Gourroussé, journalière, devant la cour d’assises de la Loire-Inférieure. Ce jeune garçon, neveu de la Vve Gourroussé, a raconté que le soir du crime : 63. AN/BB/20/281/1, M, 2e trim. 1865, Le Meur, 15 juillet 1865. 64. AN/BB/20/190/2, L-I, 1er trim. 1856, Taslé, 26 mars 1856.

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DES CRIMINELLES AU VILLAGE

« À dix heures, Perrine Suel avait quitté son lit, qu’elle s’était agenouillée, criant : “Ah ! Ma mère ! Qu’est-ce cela ? Je vais donc mourir !” Environ une heure et demie après, elle était accouchée et le petit enfant avait crié d’abord pendant dix minutes. La veuve Legendre, qui était auprès de sa fille, avait déposé l’enfant par terre, sans s’en occuper ; elle avait donné des soins à sa fille, qu’elle avait changée de linge, puis replacée dans son lit ; ensuite elle avait pris l’enfant, s’était dirigée vers un coffre où le témoin crut qu’elle l’avait enfermé, parce que, de ce moment, les cris avaient tourné en gémissements plus sourds et avaient bien duré encore un quart d’heure. Quant à Perrine Suel, elle était restée dans son lit. La veuve Legendre était venue trois fois auprès du lit du jeune témoin afin de vérifier s’il dormait 65. »

La Vve Gourroussé, qui a avoué les faits, dira avoir voulu à tout prix sauver la réputation de sa fille. Les grands-mères se montrent parfois fort cruelles dans le traitement de la dépouille du nouveau-né. La femme David, mère de quatre enfants, âgée de 47 ans, agricultrice à Scaër, qui était réputée avoir partagé un amant avec sa fille Marie-Louise, entreprend de dépecer et de brûler dans son foyer le cadavre du nouveau-né auquel sa fille semble avoir donné la mort 66. Une autre affaire de dépeçage est à mettre au compte d’une grand-mère. Il s’agit de Marguerite Riaux, célibataire, journalière-cultivatrice à Bazouges-laPérouse. Marguerite Riaux était soupçonnée par ses voisins d’avoir participé au meurtre de l’enfant de sa fille Jeanne, qui demeurait chez elle. Elle avait été vue laver au doué une chemise ensanglantée. Après l’arrestation de sa fille, soit trois semaines après les faits, pour éliminer toute preuve du crime, elle avait dépecé le petit cadavre et disséminé les morceaux en divers endroits de son jardin 67. Des cinq dépeçages observés dans les affaires d’infanticide bretonnes, deux au moins – le cas des parents Lebez étant demeuré douteux – sont donc le fait de grands-mères, ce qui représente une moyenne exceptionnellement élevée. La participation des autres membres de la parenté au crime se révèle être plus incertaine, même si les enquêtes prouvent que, parmi les sœurs des inculpées, une dizaine au moins a assisté à l’accouchement et a contribué à en effacer les traces. Plusieurs d’entre elles ont fait l’objet de poursuites, mais aucune n’a été mise en accusation. Il n’en demeure pas moins que, dans un grand nombre de cas, le rôle joué par la parentèle dans la genèse des crimes semble avoir été sous-estimé par la justice. Tout se passe, dans certaines affaires, comme si les magistrats se montraient avant tout soucieux de ne pas trop pénétrer dans le secret des familles. La femme qui a transgressé les normes sociales, qui a « fauté », constitue donc sans doute trop aisément une coupable toute désignée. 65. AN/BB/20/218/2, L-I, 1er trim. 1859, Baudouin, 4 avril 1859. 66. AN/BB/20/268, F, 3e trim. 1864, Baudouin, 20 juillet 1864. 67. AN/BB/20/210/1, I-V, trim. 1858, Baudouin, 28 août 1858.

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Conclusion

Les affaires d’infanticide offrent un exemple tout particulier de la complexité du traitement des crimes liés à la préservation de l’honneur. Les magistrats abordent ces affaires avec un souci d’efficacité. Il leur importe avant tout d’infliger aux coupables des peines dont l’exemplarité puisse avoir une vertu dissuasive. Ils entendent, en sanctionnant fermement les déviances, contribuer à l’édification morale des populations dans un contexte où certains observateurs croient discerner le dérèglement généralisé des mœurs. Mais, dans leur volonté de réprimer des meurtres de nouveau-nés dont la croissance, réelle ou supposée, les préoccupe, ils se heurtent à de multiples difficultés. La première est d’ordre purement juridique : l’infanticide est défini par la qualité de la victime, qui doit être un nouveau-né. Or, le législateur, se refusant à prendre position sur cette question qui divisait le corps médical, a préféré laisser aux cours d’assises le soin d’apprécier toutes les circonstances des crimes. De ce fait, les expertises médico-légales sont appelées à jouer un rôle de première importance dans les procès d’infanticide. Or, par volonté de préserver leur clientèle, manque de qualification ou encore pure philanthropie, les médecins appelés aux débats se montrent généralement peu enclins à collaborer à l’accusation. La justice se heurte également aux réticences des ruraux à dénoncer les crimes et à en désigner les auteurs. Au-delà de la crainte de déclencher un scandale, du souci de ménager les relations de voisinage et d’éviter les représailles, le mutisme de certains témoins semble refléter une réelle méfiance à l’égard des représentants de l’État. Une dernière difficulté tient à la position des jurés qui ne partagent pas toujours, loin s’en faut, l’opinion des magistrats sur la responsabilité des femmes mises en accusation et sur la gravité des actes qui leur sont reprochés. Cette fracture entre magistrats et jurés tient à des traits de culture. La distance qui sépare les conseillers appelés à présider les assises des ruraux 395

DES CRIMINELLES AU VILLAGE

n’est pas tant géographique que sociale. Leur regard sur la paysannerie est souvent condescendant et leur discours remarquablement ambigu. La collectivité rurale est valorisée en tant que dépositaire de la tradition, refuge des valeurs morales, barrière contre les désordres sociaux. Mais l’individu déviant est particulièrement stigmatisé. Dans les affaires d’infanticide, le dénuement des inculpées, leur promiscuité de vie avec les animaux, leur absence d’instruction, leur apparente insensibilité à la personne de l’enfant sont perçus comme des indices d’inhumanité. Par contraste, les jurés font preuve d’indulgence pour les coupables d’infanticide et se montrent relativement tolérants envers les manquements à la morale sexuelle. Le jury de cette époque, composé de propriétaires, de membres des professions libérales, de fonctionnaires, de commerçants, a souvent été critiqué pour sa sévérité dans la répression des infractions contre les biens et son laxisme à l’égard des crimes contre les personnes. Dans les affaires d’infanticide, l’opposition entre jurés et magistrats ne repose pas, comme dans le Gévaudan étudié par Élisabeth Claverie et Pierre Lamaison 1, sur l’attachement des premiers au système vindicatoire et sur leur refus d’acculturation judiciaire, mais sur une profonde différence dans l’estimation des faits incriminés. Le jury voit dans la mère criminelle une victime, poussée au meurtre par sa situation misérable et par l’injustice de la loi qui, ayant rompu avec la pratique judiciaire d’Ancien Régime fondée sur l’adage « Qui fait l’enfant doit le nourrir », exonère les hommes de toute responsabilité. La peine de mort lui paraît disproportionnée au crime. Magistrats et jurés ne portent donc le même regard ni sur la gravité des homicides dont sont victimes les enfants illégitimes, ni sur le quantum de la peine qui doit les sanctionner. La justice criminelle du XIXe siècle paraît relativement expéditive et l’on ne peut qu’être frappé par la célérité des procédures. Même lorsque cellesci sont hautement proclamées par le public, les enquêteurs ne s’attardent guère à rechercher des complicités. Tout se passe comme si la justice répugnait à pénétrer dans la sphère privée, à mettre en péril la réputation des familles – celles des séducteurs comme celles des inculpées –, et comme s’il lui importait avant tout de pouvoir désigner un coupable à la vindicte populaire. Le procès d’infanticide comporte un aspect expiatoire. Il a pour visée, au-delà de la personne des coupables, de sanctionner la sexualité vagabonde, de flétrir les relations hors mariage et de préserver la famille comme cellule ordonnant la société. À travers elle est en jeu la pérennité de l’institution du mariage et des règles de filiation. La famille est réaffirmée comme élément structurant l’organisation de la vie sociale au moment précis où les ethnologues s’attachent à recueillir les rites sociaux, à les fixer dans une gangue d’intemporalité, comme si se faisait jour une hantise de leur disparition ou de leur affaiblissement. 1. L’Impossible mariage : violence et parenté en Gévaudan : XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, Paris, 1982.

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CONCLUSION

À cette justice officielle, fondée sur la qualification de faits dont la définition est susceptible d’être acceptée par tous, se surajoute et parfois s’oppose un contrôle social qui trouve sa légitimité dans la tradition, une justice informelle de village, terrifiante et ambiguë, qui se fonde sur des rumeurs plus que sur des faits et se réserve le droit de blâmer ou d’absoudre selon des critères qui lui sont particuliers. Cette justice parallèle est amène pour les puissants et inexorable pour les faibles. Lorsqu’ils sont le fait de femmes qui bénéficient de la protection de leur famille, particulièrement si celle-ci est implantée depuis longtemps dans le village et est « honorablement connue », les infanticides sont davantage considérés comme des erreurs ou des faiblesses que comme des crimes. En revanche, la collectivité se montre sans pitié envers les femmes isolées, celles qui sont étrangères à la « paroisse », qui ne sont pas « d’ici ». Car ce que vise le groupe lorsqu’il s’érige en justicier, c’est la préservation de sa propre renommée dans un contexte de tensions et de rivalités avec les villages ou paroisses environnants. Assez paradoxalement – mais cette surveillance n’en est que plus implacable – c’est à la communauté des femmes qu’échoit le contrôle des déviances féminines. Censées être concernées au premier chef par la sauvegarde des nouveau-nés et posséder l’expérience de la grossesse, elles sont particulièrement désignées pour exercer ce contrôle, qui porte tant sur l’observation de l’évolution de la silhouette que sur la surveillance du linge. Dans le cadre de la domesticité, il est d’usage que les maîtresses se voient confier la surveillance du corps de leurs servantes. La chasse aux déviantes renforce la cohésion du groupe féminin, elle cimente toutes celles qui se sentent au-dessus de tout soupçon. Les hauts lieux de la sociabilité féminine dont le lavoir, le four et l’église constituent les archétypes, se transforment en postes de surveillance des ventres, se muent en quartiers généraux où s’élaborent les stratégies du contrôle. Au nom de la paix des ménages, de la tranquillité des familles, de la concorde des villages sont légitimées des pratiques qui constituent de véritables violations des droits de la personne : perquisitions domiciliaires, visites forcées par des matrones, pressions et humiliations de toutes sortes. Malgré le terrible arsenal dont dispose la justice officielle – depuis la peine de mort jusqu’aux sanctions infamantes que représentent la flétrissure et l’exposition sur la place publique – le contrôle communautaire des conduites paraît encore plus coercitif. La justice villageoise se réserve le droit de blâmer, d’humilier, d’excommunier, sans que les individus visés par ses procédures aient la possibilité de présenter leur défense. Elle s’emploie à briser l’image de la personne sur laquelle elle a jeté l’anathème en portant atteinte non seulement à sa réputation mais aussi à ses liens sociaux, en l’excluant moralement ou physiquement du groupe, en l’empêchant de « paraître la tête levée ». Vue par le biais de l’archive judiciaire, la société bretonne apparaît fortement hiérarchisée. La subtilité des différences sociales se révèle notamment dans le refus qu’opposent certains parents au mariage de leurs enfants 397

DES CRIMINELLES AU VILLAGE

avec des individus dont pourtant ni le statut, ni la position économique ne paraissent présenter une notable infériorité. À l’intérieur même de la société féminine se font jour de fortes inégalités. Les femmes mariées et les veuves doivent à leur position matrimoniale de vastes prérogatives, qui leur confèrent un droit de surveillance et de remontrance à l’égard des « filles ». La fréquence des mobiles d’honneur invoqués dans les affaires d’infanticide confirme le poids des réputations dans les éléments du prestige social. La position du coupable dans l’échelle des valeurs de la communauté fonde la réaction de celle-ci à l’égard des crimes. Elle explique la bienveillance dont bénéficient certaines femmes ou, du moins, le silence observé parfois par leur entourage. À l’inverse, les pratiques d’exclusion qui viennent sanctionner certaines déviances dévoilent des îlots de solitude à l’intérieur d’une collectivité qui paraît précisément surpasser, dans l’exercice du contrôle social, les tensions qui peuvent naître de la complexité de ses hiérarchies. Les écarts de conduite mettent en péril la renommée du village. Ils n’en ont pas moins une fonction cathartique, puisque c’est dans leur répression que le groupe retrouve son unité. C’est pourquoi la mise au ban de la femme qui a « fauté », symbole de tous les péchés de la collectivité, peut prendre des formes singulièrement draconiennes. Ce n’est parfois que lorsque la communauté villageoise s’est révélée impuissante à redresser les comportements, à corriger les manquements aux règles communes – particulièrement dans les cas de récidive –, que les représentants de l’État sont informés des infanticides. Le groupe se résout alors à remettre les délinquants aux mains du maire, des gendarmes ou du juge de paix. Entre la justice officielle et les coupables, s’enchevêtre une multitude d’instances qui contribuent à rendre opaque la criminalité réelle. Maires et prêtres constituent fréquemment un échelon intermédiaire entre villageois et magistrats, mais ils sont pris entre le désir de mettre fin à des écarts, l’obligation morale de dénoncer les crimes et la crainte du scandale. Le portrait des femmes bretonnes mises en accusation est très différent de celui qui aurait dû logiquement résulter du jugement que les magistrats portent sur leur conduite et de ce que nous apprennent les observateurs de l’époque de leurs conditions de vie. La misère, l’illettrisme, l’absence d’hygiène souvent évoqués à leur propos auraient dû aboutir au tableau peu réjouissant de femmes demeurées étrangères à toute modernité. La réalité est bien plus déroutante et toute tentative de systématisation se heurte à la diversité des personnalités impliquées dans les crimes. La pauvreté des coupables n’est pas générale, certaines sont même relativement aisées. Le dénuement, l’austérité des conditions de vie, n’empêchent nullement de goûter aux plaisirs de la vie, de participer pleinement aux fêtes, de prendre plaisir à la fréquentation des cabarets et, quelquefois, de mener une vie relativement libre et insouciante. On voit certaines domestiques, loin d’être asservies, prendre la place de la maîtresse de maison et la pire criminelle étonner 398

CONCLUSION

magistrats et jurés par le dévouement dont elle a fait preuve à l’égard de ses parents ou l’affection qu’elle a portée à ses enfants naturels. L’illettrisme n’est aucunement synonyme d’ignorance. Les tours de malice, les ruses, les ressources d’imagination déployées par les accusées pour dissimuler leur grossesse ou leur accouchement en témoignent largement. Il convient également de souligner l’efficacité d’un système oral d’information suffisamment sophistiqué pour permettre aux criminelles de ruser avec magistrats et médecins. Le cabaret, l’auberge, et les autres lieux de la sociabilité villageoise ne sont pas seulement des foyers de commérage. C’est là aussi que se diffusent les rudiments de la médecine légale et de la procédure criminelle, que s’acquiert un savoir qui autorise toutes les roueries le jour du procès. Certains acquittements ne s’expliquent que par l’habileté des inculpées qui non seulement ont tenu tête, au cours de l’instruction, à tous les enquêteurs mais qui, à l’audience, sont parvenues par l’astuce de leurs raisonnements à semer le doute dans l’esprit des jurés, ceci en l’absence de toute défense digne de ce nom. Rappelons aussi l’audace de celles qui n’ont pas hésité, avant que leur crime ne soit découvert, à recourir à des consultations juridiques pour mieux affûter leur défense. Les dénégations des accusées, les systèmes de représentations sous-tendus par les discours tenus à propos du sang, des règles et de l’usage des plantes, dénotent la persistance des savoirs traditionnels sur le corps. La multiplicité des réseaux d’avortement, comme le recours quasi systématique des ruraux à l’automédication démontrent, d’autre part, la place importante qu’occupe la médecine empirique en Bretagne dans la première moitié du XIXe siècle. L’implication dans les réseaux d’avortement de guérisseurs plusieurs fois condamnés pour exercice illégal de la médecine mais continuant à exercer au vu et au su de tous suggère que cette pratique est largement tolérée par les autorités. Et ce que l’on peut entrevoir de la médecine officielle n’est jamais très éloigné des thérapeutiques traditionnelles. Les sources judiciaires n’apportent qu’une faible lumière sur les relations amoureuses ayant abouti à des infanticides. Rares sont les fragments de discours qui laissent entrevoir l’expression de l’attachement ou du dépit amoureux. Il est toutefois frappant de constater que la liberté de mœurs qui paraît caractériser de nombreuses femmes infanticides est relativement contradictoire avec le caractère rigide des rites des fiançailles et du mariage décrits par les ethnologues de la Bretagne à la fin du XIXe siècle. Une fraction non négligeable des célibataires (1/4) a déjà eu, avant de commettre un infanticide, un ou plusieurs enfants naturels. Ces maternités multiples ne naissent pas d’un état de concubinage, mais s’inscrivent dans le cadre de rencontres furtives et clandestines. Les changements de partenaires sont fréquents et les amours souvent de courte durée. Parmi les accusées séparées temporairement de leur mari – femmes de marins, en majorité –, la plupart donnent naissance à un enfant adultérin dans les deux ou trois années qui suivent le départ du mari. La grande vulnérabilité des veuves 399

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aux entreprises de séduction de leur entourage contribue, de même, à désacraliser quelque peu l’image idyllique de la famille bretonne telle qu’elle ressort, par exemple, des souvenirs de Pierre-Jakez Hélias. Mais le libertinage des populations rurales est sans nul doute excessivement accentué par la nature même des sources puisqu’y sont mis en scène des individus qui se sont écartés des normes communes. L’infanticide en effet ne touche, du moins officiellement, qu’environ un nouveau-né sur dix mille. De même, la rareté des incestes signalés pourrait, à première vue, conforter les tenants de la pureté des mœurs bretonnes. Les portraits de séducteurs qui ressortent des dossiers criminels sont peu flatteurs, sans doute outrés, donnant du mariage l’image d’une institution essentiellement fondée sur des intérêts économiques, où la place de l’affection est difficile à discerner. Ceux qui sont engagés dans des unions conjugales semblent avoir été essentiellement guidés, dans le choix de leur épouse, par la recherche d’un parti avantageux. Quant aux célibataires, les relations qu’ils nouent avec les femmes qu’ils séduisent paraissent relever d’une sexualité d’attente. Même lorsqu’ils sont relativement avancés en âge, ils n’ont pas perdu tout espoir de contracter un « beau » mariage. La rudesse dont font preuve à l’égard de leurs domestiques les maîtres qui appartiennent à la fraction aisée de la paysannerie, l’arrogance qu’ils manifestent parfois dans leurs rapports avec les magistrats contrastent avec la position relativement effacée que les hommes de condition modeste semblent occuper dans la sphère privée. Dans les ménages pauvres, c’est la femme qui paraît jouer un rôle prépondérant dans la préservation de l’honneur familial. Ce sont en effet les mères des accusées qui sont le plus souvent soupçonnées de complicité. Même s’il existe une certaine convivialité dans les amours illégitimes, dont témoignent les petits cadeaux, les invitations au cabaret, les soirées clandestinement partagées, l’infanticide est avant tout le crime de femmes qui, pour des raisons démographiques ou économiques, ont été exclues du mariage et qui envisagent avec appréhension la venue d’un enfant naturel. Les conséquences de la grossesse illégitime, qui livre les femmes séduites aux seules inspirations de la misère et de la honte, constituent l’un des aspects les plus frappants de l’inégalité sexuelle. Les femmes paient chèrement les quelques moments de liberté qu’elles ont pu s’octroyer dans des amours souvent éphémères. Même pour les plus désinvoltes, la réprobation sociale, la crainte de perdre ses moyens d’existence, la fragilisation économique, constituent de fortes incitations au crime. À ces perspectives peu réjouissantes s’ajoutent la quasi-absence de secours aux filles-mères, les restrictions mises au cours du siècle à l’abandon des enfants dans les hospices et le rôle de la parentèle, souvent horrifiée par la venue d’un bâtard. L’origine rurale des criminelles, pour qui la mise à mort des animaux est un acte banal, la familiarité des hommes du XIXe siècle avec la mort, l’importance de la mortalité infantile atténuent sans doute à leurs yeux la portée de leur acte. D’autant que pour nombre d’entre elles le nouveau-né n’est pas encore une personne. 400

Éléments statistiques

Le dépouillement du Compte général de l’administration de la justice criminelle aboutit au dénombrement de 592 accusations, celui de la série BB/20, à 581. La différence entre ces deux résultats s’explique par les lacunes constatées dans les collections des Archives nationales et par de légères différences d’appréciation dans la qualification des crimes. Les infanticides jugés sont inégalement répartis dans le temps et dans l’espace. Leur volume suit une hausse importante au cours des quarante et une années considérées. Entre 1825 et 1829, les cours d’assises bretonnes jugent en moyenne 9 infanticides par an. Cette moyenne s’élève à 16 dans les années 1846-1850, pour atteindre 19 entre 1850 et 1854 avant de se stabiliser autour de 17-18 dans les années 1860. 35 30 25 20 15 10 5 0 1820

1830

1840

1850

1860

1870

Répartition chronologique des affaires jugées en Bretagne – (Source : Compte général de l’administration de la justice criminelle).

Cette progression est conforme à l’évolution qui ressort des statistiques nationales. Le dépouillement du Compte général de l’administration de la 401

DES CRIMINELLES AU VILLAGE

justice criminelle permet d’observer le doublement du nombre moyen des accusations entre les périodes 1830-1835 et 1856-1860, puis leur lente décroissance 1 qui s’explique au moins partiellement par la possibilité offerte aux cours, par la loi du 13 mai 1863, de déqualifier certaines accusations d’infanticide en délit de suppression d’enfant quand il n’est pas établi que le nouveau-né a vécu. Il convient donc de relativiser la criminalité des populations bretonnes. D’autant que, rapporté au nombre de naissances tel que le fournit, par exemple, la Commission des enfants trouvés instituée par le ministère de l’Intérieur en 1849, l’infanticide n’atteint guère, entre 1825 et 1845, qu’un nouveau-né breton sur 10 000. La croissance des crimes observée par la suite ne bouleverse pas de manière sensible la proportion des nouveau-nés qui en ont été victimes. Années 1825-1845

Enfants légitimes

Enfants naturels

Côtes-du-Nord Finistère Ille-et-Vilaine Loire-Inférieure Morbihan Totaux

445 256 457 651 464 162 377 611 329 655 2 074 335

12 668 16 001 16 220 19 879 10 130 74 898

Total des Nombre Infanticides/ naissances d’infanticides total des naissances 457 924 46 0,00010 473 652 37 0,00008 480 382 78 0,00016 397 490 45 0,00011 339 785 62 0,00018 2 149 233 268 0,00012

Tableau par années et par départements du nombre des naissances d’enfants légitimes et d’enfants naturels et du nombre total des enfants trouvés, abandonnés, etc. admis annuellement dans les établissements de bienfaisance de 1800 à 1849 – (Source : Travaux de la Commission des enfants trouvés institués le 22 août 1849…, Paris, 1850, t. 2, p. 615-635).

Répartition des accusations, 1825-1865 – (Source : Compte général de l’administration de la justice criminelle).

La répartition géographique des infanticides jugés est, elle aussi, fort inégale. En tête des départements vient le Morbihan avec 158 affaires, puis l’Ille-et-Vilaine (150), les Côtes-du-Nord (107), le Finistère (92), et enfin la LoireInférieure (85). Le nombre d’affaires jugées par département n’est nullement proportionnel au nombre d’habitants. Ainsi, en 1847, année médiane, le Morbihan qui ne représente que 16,9 % de la population bretonne est le cadre de 26,69 % des procès

1. Voir le Rapport relatif aux années 1826 à 1880 inclus dans le Compte général de l’administration criminelle de 1880, Paris, 1882.

402

ÉLÉMENTS STATISTIQUES

tandis qu’inversement, les Côtes-du-Nord, avec 22,5 % de la population, ne fournissent que 18,07 % des affaires.

Côtes-du-Nord Finistère Ille-et-Vilaine Loire-Inférieure

Affaires, 1825-1865 % 18,07 15,54 25,34 26,69

Population en 1847* Nb d’habitants % 628 526 22,5 612 151 21,9 517 265 18,5 472 773 16,9

*Source : « Tableaux de la population du royaume », Bulletin des lois, n° 1367, 1847.

Il faut rechercher d’autres éléments d’explication pour tenter de comprendre ces variations locales. L’infanticide étant un crime fortement rural, le faible taux d’urbanisation du Morbihan peut expliquer sa première place dans les accusations. Si l’on considère d’autre part le lien entre misère, analphabétisme et infanticide, que mettent en évidence les statistiques nationales, on peut formuler l’hypothèse que la médiocrité de la conjoncture économique, le marasme que connaissent l’agriculture et les industries traditionnelles bretonnes dans la première partie du XIXe siècle ont particulièrement pesé sur les habitants de ce département. Mais l’explication de la multiplicité des crimes par la misère ne se vérifie pas dans le Finistère. En effet, ce département, qui n’est guère plus prospère, ne fournit qu’une faible proportion des accusations. De plus, les infanticides visent indifféremment les nouveau-nés de l’un et l’autre sexe. Nous ne sommes plus dans la situation observée pour le Moyen Âge par E.-R. Coleman 2, où les filles, considérées comme improductives, constituaient les premières victimes. Restent donc les facteurs purement humains, qui sont particulièrement difficiles à mesurer. Les structures anthropologiques, l’attachement aux traditions, la force des sentiments religieux peuvent expliquer, chez les femmes qui sentent la réprobation publique peser sur leur grossesse extraconjugale, le refus des enfants naturels ou adultérins. Or, ceux-ci représentent plus de 99 % des victimes des infanticides 3. À cet égard, la relation entre le nombre de naissances illégitimes et le nombre d’infanticides par département est assez significative. Le taux d’illégitimité connaît de très fortes variations locales. Il est relativement important en Loire-Inférieure, sans doute en raison de l’importance démographique de la ville de Nantes, et faible dans le Morbihan. Or le taux des infanticides, rapporté au nombre d’enfants naturels, est bien moindre en Loire-Inférieure que dans le Morbihan, ce qui indique que ces enfants y sont mieux acceptés. Les Côtes-du-Nord se caractérisent par le plus faible taux d’illégitimité. C’est aussi le département où les enfants abandonnés 2. COLEMAN E.-R., « L’Infanticide dans le Haut Moyen âge », Annales ESC, 1974, 2, p. 315-335. 3. Seuls, parmi les victimes d’infanticide, 2 enfants étaient légitimes.

403

DES CRIMINELLES AU VILLAGE

sont les moins nombreux. À l’inverse, l’abandon est très répandu en Illeet-Vilaine, qui vient au 2e rang pour les accusations d’infanticide. Le nombre d’enfants abandonnés y correspond à la moitié des enfants naturels déclarés. Années Total des 1825-1845 naissances

Enfants naturels/ légitimes

Enfants trouvés

Enfants trouvés/ naissances déclarées

C.-du-N. 457 924 Finistère 473 652 I.-et-V. 480 382 Loire-Inf. 397 490 Morbihan 339 785 Totaux 2 149 233

2,85 % 3,50 % 3,49 % 5,26 % 3,07 % 3,61 %

3 770 8 866 10 613 10 514 5 524 39 287

0,82 % 1,87 % 2,21 % 2,65 % 1,63 % 1,83 %

Enfants Infanticides/ trouvés/ enfants enfants naturels naturels 29,76 55,41 65,43 52,89 54,53 52,45

0,36 % 0,23 % 0,48 % 0,23 % 0,61 % 0,36 %

Tableau par années et par départements du nombre des naissances d’enfants légitimes et d’enfants naturels et du nombre total des enfants trouvés, abandonnés, etc. admis annuellement dans les établissements de bienfaisance de 1800 à 1849 – (Source : Travaux de la Commission des enfants trouvés instituée le 22 août 1849…, Paris, 1850, t. 2, p. 615-635).

La politique sociale des départements et des communes peut également éclairer les disparités géographiques constatées puisque les facilités offertes à l’abandon, l’attribution de secours aux filles-mères sont laissées à l’appréciation des conseils généraux et des municipalités. Il convient enfin de souligner le caractère relatif des statistiques judiciaires. Tous les infanticides n’ont pas été portés à la connaissance de la justice. Certaines femmes sont soupçonnées d’avoir fait disparaître un ou plusieurs enfants avant d’être dénoncées. Le caractère même du crime dont les prémisses sont l’illégitimité, la clandestinité et le déni et dont l’objet est de faire disparaître toute trace de l’existence d’un enfant avant même qu’elle ne devienne publique rend toute opération de quantification particulièrement hasardeuse. De plus, nombre de poursuites ont été abandonnées par les parquets ou réglées par des ordonnances de non-lieu, soit par défaut de preuve, soit pour être déférées sous d’autres qualifications : homicide par négligence, imprudence ou défaut de soins… aux tribunaux correctionnels. D’après le Compte général de l’administration de la justice criminelle de 1880, si 8 568 accusations d’infanticide ont été jugées contradictoirement sur l’ensemble du territoire entre 1831 et 1880, 19 959 crimes contre les nouveau-nés signalés à la justice ont été laissés sans suite 4.

4. Compte général de l’administration de la justice criminelle en France pendant l’année 1880 et rapport relatif aux années 1826 à 1880…, Paris, 1882, p. CI.

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Index des accusés ALANIC, Vincente, domestique, 27 ans, Plumelin, arr. de Pontivy : 295-296 AMICEL, Guillemette, domestique, 25 ans, Damgan, arr. de Vannes : 42, 61-62, 65, 181, 188, 273 AMISSE, Marie-Jeanne, ménagère, 29 ans, Peillac, arr. de Vannes : 252 ANDRIEUX, Célestine, aide-cultivatrice, 22 ans, Morieux, arrt de Saint-Brieuc : 102-103, 149 A UDIÉ, Marie, mendiante et journalière, 38 ans, Saint-Martin-sur-Oust, arr. de Vannes : 62, 96-97, 218-219, 236, 249, 304-305, 351, 373 AUFFRAY, Jeanne, journalière, 34 ans, Plémet, arr. de Loudéac : 33 AUFFRET, Louise, filandière, 35 ans, Hémonstoir, arr. de Loudéac : 305 B ARAO, Marie-Hélène Chalme (épouse), tailleuse, 30 ans, Cléder, arr. de Quimper : 49, 63 BARBEDETTE, Jeanne Baron (Vve), journalière, 39 ans, Louvigné-de-Bais, arr. de Vitré : 295 BARBIN, Jean-Marie, cultivateur, 25 ans, arr. de Savenay : 111, 210-211, 226 BARBIN, Marie-Théotiste Thuaud (Vve), cultivatrice, 33 ans, arr. de Savenay : 210211, 226 BARRÉ, Marie-Françoise, domestique, 17 ans, Ploërmel : 88 BARRIER, Marie-Anne, mendiante, 19 ans, Gouesnou, arr. de Brest : 51, 267 BARRY, Jeanne, domestique, 30 ans, SaintMalon, arr. de Montfort : 133 BASSET, Anne, mendiante, 19 ans, SaintGlen, arr. de Saint-Brieuc : 97 B AUCHER , François, cultivateur, 30 ans, Guern, arr. de Vannes : 69, 103-104, 277, 384 BELLEYME, Perrine, journalière, 43 ans, Guichen, arr. de Redon : 226-227 BELNARD, Olive, domestique, 26 ans, Plessala, arr. de Loudéac : 48, 66-67, 75, 145, 204, 233, 296-297, 304, 326-327, 341, 380 BERGER (Vve), journalière, 39 ans, SaintCaradec, arr. de Loudéac : 258, 297 BERHAUD, Marie-Toussainte, journalière, 30 ans, Paimpont, arr. de Montfort : 58

BERNARD, Marguerite, domestique, 24 ans, Lanmeur, arr. de Morlaix : 309 BERRÉE, Anne-Marie, domestique, 36 ans, Iffendic, arr. de Montfort : 35, 183, 383 BERTEL, Jeanne, journalière, 33 ans, La Selleen-Luitré, arr. de Fougères : 146, 276, 297-298 BERTHE, Anne-Marie, blanchisseuse, 22 ans, Rochefort-en-Terre, arr. de Vannes : 29, 160 BERTHELOT, Anne George (épouse), 33 ans, Cogles, arr. de Fougères : 205-206, 359 BERTRU, Angélique, tailleuse, 29 ans, arr. de Rennes : 364 BÉZARD, Anne, domestique, 21 ans, SaintMaden, arr. de Dinan : 370 BILY, Jeanne, domestique, 21 ans, Pontchâteau, arr. de Savenay : 300 BIRAUD, Virginie Babin (Vve), marchande de denrées et cabaretière, 34 ans, Sautron, arr. de Nantes : 76, 276-277, 280, 376 BLAIN, Anne, domestique, 22 ans, Couffé, arr. d’Ancenis : 64 BLANCHARD, Léonie, sans profession, 24 ans, Saint-Pierre-de-Plesguen, arr. de SaintMalo : 185-186, 229, 347 BODINIER, Marie, journalière, 29 ans, Maumusson, arr. d’Ancenis : 349, 371 BOIXEL, Jeanne-Marie, fileuse, 41 ans, Caulnes, arr. de Dinan : 63, 188, 263, 323 BONGARD, Renée-Marie, domestique, 30 ans, Domagné, arr. de Rennes : 33, 237 BONGRÉ, Jeanne Caillibot (Vve), ménagère, 43 ans, Trémorel, arr. de Loudéac : 66, 209, 375 BOSSER, Marie-Marguerite, domestique, 27 ans, Pouldreuzic, arr. de Quimper : 256-257 BOUGAULT , Marie-Perrine, domestique, 31 ans, Miniac-Morvan, arr. de SaintMalo : 25 BOUILLAUX, Rose Paris (Vve), fileuse et domestique, 37 ans, Janzé, arr. de Rennes : 64, 71-72, 105, 142-143, 209, 281 BOURBÉ, Marie-Anne, tailleuse, 26 ans, Goulien, arr. de Quimper : 66, 69, 71, 74, 196, 304 BOUTIER, Geneviève, journalière, 29 ans, Miniac-Morvan, arr. de Saint-Malo : 106107

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INDEX DES ACCUSÉS

BROCHARD, Louise, domestique, 22 ans, Soulvache, arr. de Châteaubriant : 40, 101-102, 176, 319 BRUNET, Jeanne, journalière, 29 ans, SaintGravé, arr. de Brest : 184, 195, 254 BUREL, Marie, lingère, 30 ans, Mauron, arr. de Ploërmel : 51, 187, 199, 238-239, 252 CADRO, Gilette, domestique, 30 ans, La Prénessaye, arr. de Loudéac : 115-117, 138, 306 CASTEL, Marie, journalière, 25 ans, Ploudaniel, arr. de Brest : 219 CAUDAL, Nicole, journalière, 24 ans, Plumelin, arr. de Pontivy : 369-370 C AVALAN, Jeanne-Marie, lingère, 20 ans, Quintin, arr. de Saint-Brieuc : 86, 150, 243 CERCLIER, Jeanne, domestique, 17 ans : 359 CHAPLAIS, Reine, cultivatrice, 23 ans, SaintVincent-des-Landes, arr. de Châteaubriant : 221-222 C HARTIER , Marie-Rose, lingère, 21 ans, Nantes : 160, 167, 339 CHÂTELLIER, Perrine, fileuse, 39 ans, Guipel, arr. de Rennes : 261 CHAUVEAU, Gillette, lingère, 24 ans, Pornic, arr. de Paimbœuf : 160, 372 CHAUVET (Vve), domestique, 30 ans, Bourgneuf, arr. de Paimbœuf : 35, 216-217 CHERHAL, Jeanne Poitral (Vve), journalière, 39 ans, Grand-Fougeray, arr. de Redon : 232-263 CHESNEL, Pélagie, sabotière, 25 ans, Landéan, arr. de Fougères : 161 C HEVÉ , Anne-Marie, tricoteuse, 32 ans, Mohon, arr. de Ploërmel : 159 C LERMONT , Olivette Helbert (épouse), domestique, 27 ans, Châteauneuf, arr. de Saint-Malo : 114-115, 306 COLLIN, Marguerite, domestique, 31 ans, Plouhinec, arr. de Quimper : 316 COQUELIN, Françoise, journalière, 19 ans, Trans, arr. de Saint-Malo : 38 CORNEC, Anne Bonnezec (épouse), domestique, 26 ans, Gouézec, arr. de Châteaulin : 270, 377 CORNEC, Marie-Louise, domestique, 28 ans, Arzano, arr. de Quimperlé : 46, 206 CORRE, Anne-Françoise, journalière, 17 ans, Landunvez, arr. de Brest : 84, 88 COUGAN, Olive, domestique, 23 ans, Séné, arr. de Vannes : 191, 319, 364-365

DAGORN (fille), mendiante, 35 ans, Glomel, arr. de Guingamp : 41 DAGORN, Marie Kerdal (Vve), cultivatrice, 42 ans, Bignan, arr. de Ploërmel : 209, 278-179, 289-291, 377 DANO, Michelle, servante, 38 ans, Vannes : 53, 263, 283, 301, 313, 315, 338, 346 DAUPHIN, Jeanne, cultivatrice, 35 ans, Combourg, arr. de Saint-Malo : 320-321 DAVID, Henriette Calvari (épouse), cultivatrice, 47 ans, Scaër, arr. de Quimperlé : 194-195, 394 DAVID, Marie-Louise, cultivatrice, 24 ans, Scaër, arr. de Quimperlé : 186-187, 194195, 243, 394 DELALANDE, Jean-Marie, propriétaire-cultivateur, 22 ans, Férel, arr. de Vannes : 6768, 147, 258 DELUEN, Jean, laboureur, 64 ans, Saint-Herblain, arr. de Nantes : 123, 227-229, 298, 323, 324 DELUEN, Jeanne, cultivatrice, 26 ans, SaintHerblain, arr. de Nantes : 227-229 DELUGEARD, Rose, journalière, 30 ans, Mauron, arr. de Ploërmel : 143-144, 376 DENIGOT, Marie, servante, 18 ans, Malville, arr. de Savenay : 91-92, 216 DESCHAMPS, Henriette-Marie (épouse), 23 ans, cultivatrice, Cesson, arr. de Rennes : 314 DESCHAMPS, Pierre-Laurent, 36 ans, cultivateur, Cesson, arr. de Rennes : 113 DESPRÈS, Julienne, cultivatrice, 33 ans, Ercé, arr. de Vitré : 359 DOUDARD, Anne Le Chat (épouse), domestique, 26 ans, Mellé, arr. de Fougères : 55, 80, 81-82, 144-145, 146, 163, 191, 197, 213-214, 231, 239-240, 299-300, 321, 347, 348, 359 DROUAL, Agnès, domestique, 29 ans, Bangor, arr. de Lorient : 37, 79, 222, 264, 274, 295, 269 DUBOIS, Perrine, domestique, 40 ans, Bourgdes-Comptes, arr. de Redon : 310 DUBOIS, Marie-Jeanne, fileuse de laine, 27 ans, Caurel, arr. de Loudéac : 280-281, 299 DUBOT, Marie-Julienne, ouvrière-cordière, 21 ans, Péaule, arr. de Vannes : 89, 161 DUBOURG, Amélie, couturière, 20 ans, SaintMalo : 167 DUCLOYER, Julien, agriculteur, 41 ans, SaintJust, arr. de Redon : 113-114, 385 D URAND, Marie-Françoise, domestique, 33 ans, Rouans, arr. de Paimbœuf : 202

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INDEX DES ACCUSÉS

DUVAL, Marie-Louise, domestique, 25 ans, Lannion : 213 ÉRARD, Perrine, journalière, 29 ans : 77 ÉVEN, Anne Le Hénaff (épouse), filandière, 30 ans, Pludual, arr. de Saint-Brieuc : 300 ÉVRARD, Jeanne, tailleuse, 24 ans, Nantes : 167 ÉZANNO, Françoise, domestique, 18 ans, Merlevenez, arr. de Lorient : 50, 294 FABLAIT, Victoire-Jeanne, domestique, 19 ans, Férel, arr. de Vannes : 258 FAHLET, Pierre, journalier, 49 ans, Limerzel, arr. de Vannes : 230 FAHLET, Reine, journalière, 22 ans, Limerzel, arr. de Vannes : 230 FAUVEL, Sainte, sabotière, 19 ans, Bazougesla-Pérouse, arr. de Fougères : 89-90, 161162 FICHOUX, Adrienne, blanchisseuse, 25 ans, Pont-Croix, arr. de Quimper : 95, 172, 313 FLEURY, Mathurin, laboureur, 56 ans, Plumaugat, arr. de Dinan : 123, 217-218, 387-388 FOURNARD, Louise, domestique, 29 ans, La Chapelle, arr. de Ploërmel : 198, 233, 237238, 350 FOURNEL, Rose, domestique, 34 ans, Bruz, arr. de Rennes : 192, 221, 377 FRÉMONT, Angélique, fileuse, 17 ans, Gennes, arr. de Vitré : 183 FRÉMONT, Jeanne-Marie, domestique, 23 ans, Chavagne, arr. de Rennes : 203, 312 FROUGET, Euphrasie, cultivatrice, 31 ans, Plumaugat, arr. de Dinan : 64, 87, 219 GANDIN, Olive, domestique, 30 ans, Rennes : 162, 328 GARANDEL, Marie-Anne, fileuse et domestique, 30 ans, Hengoat, arr. de Lannion : 158 GARGASSON , Marie-Joseph, cultivatrice, 17 ans, Mohon, arr. de Ploërmel : 392-393 GAUCIRON, Anne-Marie, fileuse et domestique, 20 ans, Hengoat, arr. de Lannion : 155 GAUTARD, Anne-Marie, journalière, 30 ans, Trélévern, arr. de Lannion : 253 GAUTHIER, Victorine, domestique, 19 ans, Pornic, arr. de Paimbœuf : 258 GICQUEL, Mathurine, journalière, 28 ans, Larré, arr. de Vannes : 199, 231, 259-260 GLAIS, Anne Jouino (épouse), filandière, 34 ans, Noyal-Pontivy, arr. de Pontivy : 55, 145-146, 194 GOBIN, Rose, domestique, 27 ans, Rouans, arr. de Paimbœuf : 212, 269

GODARD, Julienne, fileuse et mendiante, 30 ans, Montours, arr. de Fougères : 69, 158, 179-180, 184, 197-198, 214, 218, 232-233, 303, 317, 320 GOËNARD, Anne-Marie Bonnier (Vve), journalière, 42 ans, Janzé, arr. de Rennes, 123 GOURIOU, Pompée, journalière, 32 ans, Langoat, arr. de Lannion : 87, 301-302 GOUROUSSÉ, Françoise, 53 ans, journalière, Blain, arr. de Savenay : 393-394 GRABOT, Marie Nicolas (épouse), journalière, 35 ans, Trigavou, arr. de Dinan : 203, 310-311, 325 GRAVOT, Marie, domestique, 24 ans, Sucé, arr. de Nantes : 280, 359 GRÉVÉLEC, Marie-Antoinette, 28 ans, domestique, Moëlan, arr. de Quimperlé : 345346, 359 GROSEILLE, Marie, domestique, 22 ans, Mauron, arr. de Ploërmel : 83, 369 GUÉDÈS, Marie-Anne, 24 ans, aide-cultivatrice, Brasparts, arr. de Châteaulin : 177, 270 GUÉDÈS, Marguerite, journalière, 33 ans, Lopérec, arr. de Châteaulin : 72, 172, 276, 279 GUERCHET, Louis, 66 ans, laboureur, Malville, arr. de Savenay : 91-92 GUILLEMAIN, Marie, domestique, 31 ans, La Trinité-sur-Mer, arr. de Ploërmel : 271272, 286, 322, 348 GUILLERAYE, Marie-Jeanne : 123 GUILLERMIC, Marie-Jeanne, domestique, 27 ans, Pont-Scorff, arr. de Lorient : 108 GUILLO, Jeanne-Marie Lelièvre (épouse), 25 ans, Buléon, arr. de Ploërmel : 93, 198 G UILLOU , Hélène, domestique, 20 ans, Plouha, arr. de Saint-Brieuc : 218 GUILLOU, Marie-Jeanne, domestique, 27 ans, Trégunc, arr. de Quimperlé : 147 GUILLOUX, Marie-Jacquette Livolan (épouse), journalière, 32 ans, Plougonven, arr. de Quimper : 148 GUILLOUX, Anne-Marie, couturière-brodeuse, 32 ans, Matignon, arr. de Dinan : 52-53, 167, 177, 254-255, 300 GUIMARD, Jeanne Guyot (Vve), blanchisseuse, 50 ans, Vannes, arr. de Vannes : 193, 344-345 GUIMARD, Marie Kergoustin (Vve), journalière, 30 ans, Roc Saint-André, arr. de Ploërmel : 209 GUIMARD, Marie-Renée, tailleuse, 19 ans, Vannes : 193, 235, 296

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INDEX DES ACCUSÉS

GUY, Jeanne, domestique, 22 ans, MarcilléRaoul, arr. de Fougères : 268-269 GUYOT, Marguerite, journalière, 24 ans, La Trinité-sur-Mer, arr. de Vannes : 133-134 HAMEL, Marie, domestique, 32 ans, Mohon, arr. de Ploërmel : 317 HAMON, Marie-Joseph, cultivatrice, 31 ans, Langast, arr. de Loudéac : 62 HELLO, Marie, cultivatrice, 27 ans, Guer, arr. de Ploërmel : 68 HERRY, Marie, domestique, 19 ans, Le Cloître, arr. de Morlaix : 351-352, 383 HERVÉ, Marie, domestique, 36 ans, Bieuzy, arr. de Pontivy : 191 HERVÉ, Jeanne-Marie, 28 ans, Plumieux, arr. de Loudéac : 26 HERVÉ, Marguerite Beauto (épouse), ménagère, 56 ans, Plumieux, arr. de Loudéac : 26 HERVOCH, Marie-Julienne Nerhuen (épouse), journalière, 36 ans, Crach, arr. de Lorient : 144, 207-208, 239, 262, 303, 342-343 HÉRY, Catherine, domestique, 28 ans, Goudelin, arr. de Guingamp : 65, 288-289 HEURTRU, Thomasse Le Meilleur (épouse), 38 ans, Saint-Méloir, arr. de Saint-Malo : 265-266 HILLIEC, Jeanne, lingère, 30 ans, Vannes : 260-261, 264-265, 275, 370-371 HIVERS, Adélaïde, journalière, 22 ans, Mohon, arr. de Ploërmel : 96 HOGREL, Rosalie, fileuse, 19 ans, Vitré : 69, 163, 178, 180, 191, 232, 314-315, 327 HOMNÉE, Angélique, domestique, 29 ans, Saint-Malo : 271 HUBERT, Reine-Françoise, femme de chambre, 24 ans, Rennes : 99, 167 HUGUET, Jeanne-Marie, couturière, 20 ans, Maure, arr. de Redon : 83-84, 236 HURAULT, Perrine, cultivatrice, 42 ans, La Bouëxière, arr. de Rennes : 68, 349 HUREL, Perrine, rentière, 35 ans, Cherrueix, arr. de Saint-Malo : 236-237 JAGOREL, Céleste, journalière, 37 ans, La Chèze, arr. de Loudéac : 380-381 JAGOT, Françoise, domestique, 17 ans, Guenrouët, arr. de Savenay : 392, 393 JAGOT, Gillette Lévesque (épouse), cultivatrice, 57 ans, Guenrouët, arr. de Savenay : 392-393 JAMET, Marie-Agathe, domestique, 24 ans, Nantes : 185, 224-225, 313-314, 338

JAMOIS, Françoise Levrel (épouse), tailleuse, 36 ans, Saint-Gilles, arr. de Rennes : 377378 JAOUEN, Isabelle, couturière, 28 ans, Plourin, arr. de Brest : 219 JEANNET, Marie-Anne, domestique, 27 ans, Trégunc, arr. de Quimper : 173, 180 JÉGO, Jeanne, domestique, 41 ans, SaintSamson, arr. de Ploërmel : 375-376 JEHANNO, Marguerite, domestique, 19 ans, Moréac, arr. de Pontivy : 190, 192, 259, 287-288 JEUFFRAT, Félicité, tailleuse et bonne d’enfant, 25 ans, La Guerche, arr. de Vitré : 32 JÉZÉQUEL, Yves-Marie, journalier, 39 ans, Pommerit-le-Vicomte, arr. de Saint-Brieuc : 250-251 JOLLIVEL, Perrine, agricultrice, 39 ans, Bains, arr. de Redon : 92-93 JOLY, Marie-Jeanne, couturière, 22 ans, Plouescat, arr. de Morlaix : 307, 381 JOSSE, Mathurin, laboureur, 35 ans, Iffendic, arr. de Montfort : 123, 387 JOURDEN, Jean-Marie, propriétaire-cultivateur, 23 ans, Le Conquet, arr. de Brest : 143, 183, 206-207, 258 JOURDREN, Françoise, domestique, 20 ans, Plougourvest, arr. de Morlaix : 282, 343, 382 JULIEN, Anne-Marie, tailleuse, 28 ans, Montreuil-sur-Ille, arr. de Rennes : 179 K ERDREUX , Marie-Josèphe, cultivatrice, 28 ans, Crozon, arr. de Châteaulin : 224, 302, 305, 383-384 KÉRISIT, Thérèse, domestique, 26 ans, Goulien, arr. de Quimper : 38 KEROMNÈS, Marie, couturière, 34 ans, Lesneven, arr. de Brest : 370, 371 LA PARC, Marie-Urbane Le, Guyader (Vve), cultivatrice, 42 ans, Plozévet, arr. de Quimper : 208 LABAT, Marie-Jeanne, cultivatrice, 26 ans, Plouarzel, arr. de Brest : 75, 181, 240, 277, 314, 384-385 LAMBERT, Marie, journalière, 35 ans, SaintAubin-des-Châteaux, arr. de Châteaubriant : 58, 240, 339, 377 LAMBERT, Rose, journalière, 31 ans, Rieux, arr. de Vannes : 70, 280 LAMOUR, Louise, cultivatrice, 28 ans, Naizin, arr. de Loudéac : 190 LANNUEL, Marie, domestique, 29 ans, Langonnet, arr. de Pontivy : 277-278

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LAVENANT, Marie-Françoise, journalière, 27 ans, Larré, arr. de Vannes : 248-249 LE BIHAN, Françoise Kermaïdic (épouse), domestique, 30 ans, Le Conquet, arr. de Brest : 174, 206-207, 349 LE BIHAN, Yvonne, mendiante, 28 ans, Prat, arr. de Lannion : 97 LE BONZEC, Marie-Jeanne Le Perron (épouse), cultivatrice, 30 ans, Gestel, arr. de Lorient : 175, 386-287, 365 LE BOUËTTÉ, Noëlle, domestique, 19 ans, Goudelin, arr. de Guingamp : 318 LE BOURG, Jeanne, cultivatrice, 22 ans, Hanvec, arr. de Brest : 299 LE BOURHIS, Anne Furic (épouse), domestique, 26 ans, Trégunc, arr. de Quimper : 155-156, 267-268 L E B OURVELLEC , Vincente, domestique, 22 ans, Pluvigner, arr. de Lorient : 257, 284, 344, 365 LE BRETON, Anne-Marie, domestique, 24 ans, Retiers, arr. de Vitré : 184-185, 269-270, 272, 363 LE BRETON, Joséphine, tailleuse, 35 ans, Liffré, arr. de Rennes : 247-248 LE BRETON, Marie-Louise, sans profession, 40 ans, Guingamp : 383 LE BRIS, François-Marie, tisserand et marin, 29 ans, Lanloup, arr. de Saint-Brieuc : 208 LE CHAT, Marie-Jeanne, journalière, 32 ans, Saint-Méloir-des-Ondes, arr. de SaintMalo : 309, 359 LE COQ, Marie-Françoise, fileuse, 32 ans, Le Bodéo, arr. de Saint-Brieuc : 158 L E C OQUEN , Maurice-Louis, laboureur, 27 ans, Saint-Fiacre, arr. de Guingamp : 74, 104, 241 LE DONNANT, Joachim, aubergiste et boulanger, 44 ans, Plouharnel, arr. de Lorient : 387 LE DOT, Annette, domestique, 24 ans, Brest : 54, 162, 362-363 LE DÛ, Marie-Jeanne Le Grand (Vve), cultivatrice, 29 ans, Edern, arr. de Châteaulin : 103, 167, 180-181, 197, 248 L E F EUVRE , Anne, 22 ans, Brécé, arr. de Rennes : 82 LE FUR, Catherine, journalière, 32 ans, Caurel, arr. de Loudéac : 273, 277 LE GALL, Vincente, domestique, 32 ans, Naizin, arr. de Pontivy : 107-108, 212, 253, 303-304, 363

LE GALLIC, Marguerite, domestique, Querrien, arr. de Quimperlé : 50, 92 LE GARNEC, Yvonne, lingère, 38 ans, Ambon, arr. de Vannes : 262, 265, 281-282 LE GOFF, Anne, domestique, 24 ans, Languidic, arr. de Lorient : 112, 217, 257, 285, 351 LE GOFF, Jeanne, ménagère, 25 ans, Guern, arr. de Pontivy : 261, 308-309 LE LOIREC, Marie, cultivatrice, 35 ans, SaintPierre, arr. de Lorient : 323 LE MAILLOUX, Julie, journalière, 34 ans, Ambon, arr. de Vannes : 166, 341 LE MAP, Anne, domestique, 23 ans, Plouénan, arr. de Morlaix : 390-391 LE MAP, Marie, cultivatrice, 55 ans, Plouénan, arr. de Morlaix : 390-391 LE MAROUELLEC, Perrine Le Blavec (épouse), cultivatrice, 31 ans, Ploëren, arr. de Vannes : 99-100 L E M ASSON , Jeanne-Marie, journalière, 29 ans, Trédaniel, arr. de Saint-Brieuc : 79, 105, 147, 193, 219, 365 LE MÉTAYER, Damienne, journalière, 23 ans, Naizin, arr. de Pontivy : 62 LE MINIER, Vincente, domestique, 30 ans, Guern, arr. de Vannes : 384 LE M INOR, Jeanne, domestique, 18 ans, Plouaret, arr. de Lannion : 80-81, 192, 213, 371 LE MOËN, Marie-Yvonne, domestique, 23 ans, Lanvénégen, arr. de Pontivy : 65-66, 297 LE MOUELLE, Yvonne, marchande de chiffons, 48 ans, Kergrist, arr. de Pontivy : 203 LE PENGLAN, Marie-Yvonne, domestique, 24 ans, Saint-Fiacre, arr. de Guingamp : 95 LE PIPEC, Perrine, domestique, 24 ans, Bubry, arr. de Lorient : 195 LE PLUNEMEC, Louis, fermier, 45 ans, Plœuc, arr. de Guingamp : 102 LE QUINIO, Marie-Magdeleine Le Ridant (épouse), 32 ans, Sarzeau, arr. de Vannes : 93-94, 150, 240, 287 L E ROCH , Jeanne, domestique, 28 ans, Moréac, arr. de Ploërmel : 28, 77, 274 LE ROUX, Jeanne-Marie, domestique, 24 ans, La Chapelle-Launay, arr. de Savenay : 136 LE SAUX, Hélène, domestique, 26 ans, Baud, arr. de Pontivy : 96, 311-312 LE SAUX, Françoise, couturière-repasseuse, 40 ans, Plougrescant, arr. de Lannion : 60 LE STUM, Marie-Jeanne, agricultrice, 20 ans, Plozévet, arr. de Quimper : 147

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LE TIRANT, Marie-Jeanne, tricoteuse, 29 ans, Plouvara, arr. de Saint-Brieuc : 48, 173 LE TROU, Marie-Anne Couëdic (Vve), ménagère, 42 ans, Loudéac : 56, 62, 80, 162, 209, 233, 326, 339-340 LEBEZ, Séverine, tailleuse, 20 ans, Servon, arr. de Rennes : 167, 234-235, 305, 313, 381-382 LEBOUCHER, Anne, mendiante, 29 ans, Beignon, arr. de Ploërmel : 98, 146, 166, 194 LECAIR, Mathurine, journalière, 42 ans, Naizin, arr. de Pontivy : 243 LÉCRIOU, Marie, domestique, 32 ans, SaintMaden, arr. de Dinan : 176-177, 252, 361 L EHOISEC (Vve), mendiante, 53 ans, Beignon, arr. de Ploërmel : 98, 146, 166, 194 LEHOUX, Marie-Rose, domestique, 22 ans, Caulnes, arr. de Dinan : 137-138 LELAY, Jeanne, filandière, 30 ans, Trémel, arr. de Lannion : 148 LELIÈVRE, Marie, journalière, 33 ans, Illifaut, arr. de Loudéac : 98-99 LEPAGE, Modeste Collé (épouse), agricultrice, 67 ans, Bedée, arr. de Montfort : 288 LÉPINAY, Rose Tirel (Vve), cultivatrice, 39 ans, Bourg-des-Comptes, arr. de Redon : 54, 57-58, 94, 106, 167, 183, 186, 190, 209, 261-262, 312, 323-324, 350, 374, 380 LEROUX, Jeanne-Marie, domestique, 24 ans, La Chapelle-Launay, arr. de Savenay : 163, 303, 348 LEROUX, Pierre-Marie, domestique, 21 ans, Belz, arr. de Lorient : 388-389 LESANT, Mathurine, domestique, 41 ans, Belz, arr. de Lorient : 388-389 LÉVÊQUE, Jeanne-Luce, cabaretière, 33 ans, Mésanger, arr. d’Ancenis : 88, 381 LEVERGER, Marie-Françoise, tisserand, 31 ans, Trévé, arr. de Loudéac : 249-250 LEZOC (Vve), domestique, 35 ans, Landunvez, arr. de Brest : 88, 381 LHERMINIER, Jacquette, cuisinière, 25 ans, Brest : 144 LOISON, Marie, domestique, 31 ans, Moutiers, arr. de Vitré : 348 LORGERÉ, Marguerite Hervé (épouse), tricoteuse, 28 ans, Pleudaniel, arr. de Lannion : 106, 178, 208 LOTRUS, Louise, lingère, 35 ans, Le Folgoët, arr. de Brest : 56, 73, 194, 382 LOZACH, Claudine, filandière, 39 ans, SaintConan, arr. de Guingamp : 172-173, 193, 200, 323

LUCAS, Marie-Joseph, domestique, 23 ans, Merdréac, arr. de Montfort : 385 MAHÉ, Jeanne, filandière, 31 ans, Trédaniel, arr. de Saint-Brieuc : 53-54, 198, 213, 360 MAHO, Marie Le Gallo (Vve), journalière, 28 ans, Moustoir-Rémungol, arr. de Pontivy : 157, 216 MAILLARD, Jeanne Guitton (Vve), journalière, 41 ans, Guenrouët, arr. de Savenay : 393 MANDELERT, Mélanie, domestique, 26 ans, Saint-Gildas-de-Rhuys, arr. de Vannes : 192, 215, 231, 284, 327 MANDIN, Julie, domestique, 31 ans, Nantes : 178 MARTIN, Marie-Jeanne Benoît (épouse), 44 ans, Pleurtuit, arr. de Saint-Malo : 132, 244, 334-335, 337 MASSET, Marie-Jeanne, domestique, 35 ans, Plédéliac, arr. de Dinan : 143, 240 MÉHEUST, Julie, domestique, 25 ans, Plédéliac, arr. de Dinan : 64-65 MÉNARD, Marie, journalière, 29 ans, SaintBroladre, arr. de Saint-Malo : 73-74, 202 MENGUY, Marie-Jeanne, prostituée, 17 ans, Saint-Lunaire, arr. de Saint-Malo : 27, 132, 244, 334-335 MERCIER, Julienne, domestique, 23 ans, La Rouxière, arr. d’Ancenis : 135 MÉROUR, Geneviève Rividic (Vve), cultivatrice, 42 ans, Argol, arr. de Châteaulin : 47, 103, 243-244 MERRET, Catherine, fileuse, 33 ans, Commana, arr. de Morlaix : 391 MERRIEN, Marie-Louise, journalière, 21 ans, Le Faouët, arr. de Pontivy : 55, 189 MEUBRY, Marie, domestique, 21 ans, Langoat, arr. de Lannion : 149 MILIN, Renée, aide-cultivatrice, 19 ans, Cléder, arr. de Morlaix : 223, 307-308 MOAL, Marguerite, domestique, 22 ans, Lampaul, arr. de Morlaix : 48 MONGARET, Rose-Marie, couturière, 38 ans, Saint-Malo : 203, 223 M ORDANT , Marie, domestique, 26 ans, Maure, arr. de Redon : 90-91, 150 MORIN, Françoise, journalière, 40 ans, Plaintel, arr. de Saint-Brieuc : 144, 265, 380 M ORINIÈRE , Marie-Louise, domestique, 22 ans, Cugen, arr. de Saint-Malo : 220 MORION, Marie Fontaine (Vve), aubergiste, 33 ans, Fougères : 149-150

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INDEX DES ACCUSÉS

MORVAN, Françoise, fileuse, 17 ans, SaintAubin-d’Aubigné, arr. de Rennes : 135, 167 MORVÉZEN, Marie, domestique, 25 ans, Trégunc, arr. de Quimper : 270 M OURRAIN , Louise, couturière, 34 ans, Douarnenez, arr. de Quimper : 87 NAULET, Rose, domestique, 23 ans, Bourgneuf, arr. de Paimbœuf : 109 NÉDÉLEC, Marie-Françoise, Commana, arr. de Morlaix : 47, 117, 308-309 NICOLAS, Françoise, tailleuse, 25 ans, Nantes : 76, 78, 148 NICOLLE, Françoise, mendiante, 80 ans, Plumelin, arr. de Pontivy : 166 NICOLLE, Jeanne, mendiante, 33 ans, Plumelin, arr. de Pontivy : 166 NOËL, Joseph, laboureur, 58 ans, Redon : 389-390 NOGUÈS, Perrine-Jeanne Lecomte (épouse), 35 ans, cultivatrice, Monterfil, arr. de Montfort : 113 NOTON, Désirée, journalière, 31 ans, La Guerche, arr. de Vitré : 63, 230, 308, 314 NOTON, René, ancien boucher, 76 ans, La Guerche, arr. de Vitré : 230 NOYALET, Marie-Joseph, cultivatrice, 28 ans, Montreuil-sur-Ille, arr. de Rennes : 196 OGER, Jeanne-Marie Mauger (Vve), tricoteuse et journalière, 39 ans, Vitré : 111 OLIVIER, Marie-Françoise, filandière et domestique, 20 ans, Quintin, arr. de Loudéac : 48, 51, 69, 273, 365 OLLIVIER, Marie, mendiante, 33 ans, Plouzelambre, arr. de Lannion : 115, 164, 184, 364 ORAIN, Marie-Louise, cultivatrice, 19 ans, Talensac, arr. de Montfort : 99, 314 ORIÈRE, Perrine, cultivatrice, 20 ans, Torcé, arr. de Vitré : 305, 324 PAUGAM, Marguerite, domestique, 28 ans, Pleyber-Christ, arr. de Morlaix : 74, 220, 343-344 PÉLION, Marie-Jeanne, journalière, 21 ans, Plémet, arr. de Loudéac : 59-60, 75, 113, 145, 254, 391-392 PELLERIN, Eulalie, tailleuse, 28 ans, Pornic, arr. de Paimbœuf : 31, 159, 171-172, 173174, 180, 255-256, 373-374 PÉRON, Jean-Marie, cultivateur, 28 ans, Le Cloître, arr. de Morlaix : 383 PERRIGAULT , Marie-Joseph, mendiante, 26 ans, Loudéac : 49-50, 57, 319

PHÉLIPEAU, Marie, domestique, 24 ans, La Rouxière, arr. d’Ancenis : 106, 242, 266267, 318, 323 PINCERON, Marie, sans profession, 31 ans, sans domicile fixe, arr. de Saint-Malo : 378 PIRIOT, Marie, domestique, 34 ans, GrandFougeray, arr. de Redon : 144, 211, 257 PLANTARD, René, cultivateur, 35 ans, Guéméné, arr. de Savenay : 70, 195, 352-353 PONCEL, Véronique, ménagère, 37 ans, Trélivan, arr. de Dinan : 162-163, 202 PORCHER, Euphrosine, domestique, 23 ans, Mauron, arr. de Ploërmel : 147 PORCHER, Justine, cuisinière, 27 ans, Gorges, arr. de Nantes : 77-78 POTAY, Marie-Jeanne, domestique, 45 ans, Guiclan, arr. de Morlaix : 346 POTHIER, Jeanne, domestique, 20 ans, Redon : 87 POUVREAU, Julie, tailleuse, 28 ans, Viellevigne, arr. de Nantes : 34, 253, 361 P RIGENT , Marie, couturière, 22 ans, Le Cloître, arr. de Morlaix : 115-116, 370 QUÉLARD, Jacquette, domestique, 18 ans, Marzan, arr. de Vannes : 242-243 QUÉLAVOINE, Joseph, cultivateur, 41 ans, Saint-Pern, arr. de Rennes : 217, 378 QUIBAN, Félicité Brocard (Vve), aubergiste, 28 ans, Rochefort-en-Terre, arr. de Vannes : 289 RACINEUX, Magdeleine Garnier (épouse), journalière, 64 ans, Saint-Fiacre, arr. de Nantes : 392 RACINEUX, Marie-Mathurine, domestique, 22 ans, Moisson, arr. de Nantes : 392 RAMET, Perrine, cultivatrice, 21 ans, Savenay : 224 REBILLARD, Marie Joseph, journalière, 28 ans, Saint-Fiacre, arr. de Guingamp : 104, 241 RÉMINIAC, Anne, journalière, 30 ans, Guer, arr. de Ploërmel : 79 RENAUD, Françoise, cultivatrice, 29 ans, Plouhinec, arr. de Lorient : 359-360 RENAULT, Anne-Marie, domestique, 25 ans, Loscouët, arr. de Loudéac : 315 RIAUD, Jeanne, tailleuse, 28 ans, Bazougesla-Pérouse, arr. de Fougères : 394 R IAUD, Marguerite, journalière, 61 ans, Bazouges-la-Pérouse, arr. de Fougères : 394 RIAUD, Marie, cultivatrice, 15 ans 1/2, Brain, arr. de Redon : 94-95, 203 R IBILLARD , Marie-Françoise, cuisinière, 36 ans, Redon : 181

439

INDEX DES ACCUSÉS

RIOU (femme), femme de ménage, 33 ans, Quemper-Guézennec, arr. de Guingamp : 150-151 RIOU, Thérèse, fileuse, Saint-Pol-de-Léon, arr. de Morlaix : 64 RIVAL, Renée-Marie : 372 ROBERT, Françoise Diot (Vve), journalière, 35 ans, Tresbœuf, arr. de Redon : 240 ROBIN, Marie-Anne, journalière, 34 ans, Moëlan, arr. de Quimperlé : 75, 109, 246247, 322 ROBINO, Guillemette Pierre (Vve), sans profession, 40 ans, Saint-Armel, arr. de Vannes : 209-210 ROLLAND, Jeanne-Marie, mendiante, 29 ans, sans domicile fixe, arr. de Loudéac : 165 ROLLAND , Marie-Françoise, Rivoallan (épouse), couturière, 30 ans, Lanloup, arr. de Saint-Brieuc : 208 RONDEL, Marie-Louise, journalière et lingère, 32 ans, Andel, arr. de Saint-Brieuc : 249 ROUSSEAU, Joséphine, servante, 34 ans, SaintMichel, arr. de Paimbœuf : 134 ROUSSEL, Jeanne-Marie, domestique, 40 ans, Bourg-des-Comptes, arr. de Redon : 78 ROUSSEL, Mélanie, domestique, 28 ans, Guéméné-Penfao, arr. de Savenay : 70-71, 195, 261, 352-353 ROZÉ, Marie-Jeanne, cultivatrice, Monterrein, arr. de Ploërmel : 222-223, 303 RUBION, Marie, domestique, 32 ans, Cornillé, arr. de Vitré : 66, 306 RUFFAULT, Jeanne, fileuse, 27 ans, Cesson, arr. de Rennes : 81, 158, 282, 360-361, 362 SALAÜN, Marie-Anne, journalière, 27 ans, Loqueffret, arr. de Châteaulin : 107 SAMSON, Marie, journalière, 27 ans, Mohon, arr. de Ploërmel : 112, 345 SAMSON, Pierre-Victor, cultivateur, 43 ans, Taden, arrondissement, de Dinan : 211 SIMON, Marie, blanchisseuse, 41 ans, Janzé, arr. de Rennes : 32 STÉPHANE, Marguerite, tailleuse, 21 ans, Plounéour, arr. de Quimper : 276 SUEL, Perrine, couturière, 23 ans, Blain, arr. de Savenay : 220, 393-394 SULIAC, Mélanie, domestique, 22 ans, Taden, arrondissement, de Dinan : 211, 348 TALARMIN, Marie-Jeanne, domestique, 39 ans, Plouguin, arr. de Brest : 253-254

TANGUY, Jeanne, fileuse, 20 ans, Guern, arr. de Pontivy : 157 TEFFO, Yvonne, lingère, 20 ans, Bringolo : 159 THÉ, Céleste, domestique, 21 ans, SaintPern, arr. de Rennes : 217, 378 THÉBAUT, Jeanne Le Roux (épouse), journalière, 22 ans, Saint-Père-en-Retz, arr. de Paimbœuf : 345 THÉBAUT, Marie-Françoise, cultivatrice, 35 ans, Molac, arr. de Vannes : 58-59, 187, 375 THOMINET, Jeanne-Marie Gorvel (Vve), journalière, 31 ans, Saint-Caradec, arr. de Loudéac : 52, 67, 179, 209, 238 THOMINET, Louis, cultivateur, 35 ans, SaintCaradec, arr. de Loudéac : 179, 238, 240241, 277 TIGER, Jeanne, domestique, 26 ans, SaintJust, arr. de Redon : 113, 385 TILLARD, Marie Rousseau (épouse), cultivatrice, 29 ans, Guenrouet, arr. de Savenay : 37, 206 TOSIO, Anna-Dominique, marchande et pâtissière, 22 ans, Concarneau : 167 TOURAINE, Marie-Perrine, marchande de beurre, 36 ans, Miniac-Morvan, arr. de Saint-Malo : 35 TRÉBOUTA, Jacques, garçon-meunier, 22 ans, Goudelin, arr. de Guingamp : 288-289 TRÉCAN, Marie, domestique, 28 ans, SaintMéloir-des-Ondes, arr. de Saint-Malo : 61, 175, 186, 197, 251, 300, 371 TRÉHIN, Jeanne, domestique, 30 ans, Languidic, arr. de Lorient : 327 TRUET, Perrine, domestique, 30 ans, Montreuil-sur-Ille, arr. de Rennes : 242 VAILLANT, Jeanne-Marie, domestique, 23 ans, Guéméné-Penfao, arr. de Savenay : 225, 235, 242, 268, 377 VALLÉE, Marie Lancelot (Vve), fileuse, 37 ans, Louvigné-de-Bais, arr. de Vitré : 250 VAUGRU, Jean-Marie, cultivateur, 25 ans, Saint-Gilles, arr. de Rennes : 258, 388 VAUGRU, Noëlle Denouard (épouse), cultivatrice, 26 ans, Saint-Gilles, arr. de Rennes : 388 YON, Françoise, domestique, Plumaugat, arr. de Dinan : 217, 387-388 YVENAL, Marie-Anne, domestique, 29 ans, Lothey, arr. de Châteaulin : 175 YVIQUEL, Jeanne, domestique, 23 ans, Guérande, arr. de Savenay : 76, 310

440

Table des matières Liste des abréviatons . ....................................................................................... 7 PRÉFACE .. . . . . . . . . . . . .............................................................................................. I INTRODUCTION .............................................................................................. 9

Chapitre I. LES PROCÈS D’INFANTICIDE

. ..... ........................................

15

Le cadre juridique et procédural ........................................................... 15 L’instruction préparatoire ...................................................................... 16 Procureurs et juges d’instruction ........................................................ 16 Le flagrant délit ................................................................................. 17 Interrogatoires des suspects et auditions des témoins ......................... 18 La mise en accusation ........................................................................ 19 La cour d’assises ..................................................................................... 20 L’organisation des débats ........................... ........................................ 20 L’influence du président ............................. ........................................ 22

Qualification des crimes et problèmes de droit posés par les débats

...........................................

Définition de l’infanticide .................................................................... Infanticide et crimes connexes contre les enfants .............................. Avortement ......................................................................................... Exposition dans un lieu solitaire ....................................................... La « correctionnalisation » des crimes ......... ........................................ Homicide par imprudence ......................... ........................................ Suppression d’enfant .................................. ........................................ Inhumation clandestine .....................................................................

Regard critique sur la phase de l’instruction

.....................................

Une justice expéditive ? .................................. ........................................ Observations des magistrats de la cour de Rennes ............................. Remarques sur les juges d’instruction ................................................ Évaluation des juges de paix .............................................................. Insuffisances des expertises médico-légales . ........................................

Chapitre II. LES FEMMES PRÉVENUES D’INFANTICIDE FACE À LA JUSTICE : LA PHASE DE L’INSTRUCTION La mise en alerte de la justice

23 23 26 27 28 29 30 30 31 33 33 34 34 36 39

.....

45

........................ ........................................

46 46 46

La découverte des cadavres ........................... ........................................ Découvertes provoquées ...................................................................... 441

TABLE DES MATIÈRES

Confrontation aux cadavres des nouveau-nés ................................... 47 Crimes pressentis ................................................................................ 48 Réactions des témoins ......................................................................... 49 La rumeur ............................................................................................... 52 Le commérage ..................................................................................... 52 Les effets d’amplification . .................................................................. 53 La « langue du monde » .................................................................... 55 Les dénonciations ................................................................................... 56 Les crimes intolérables ........................................................................ 57 Veille et séquestration des coupables .................................................. 58

Les stratégies d’évitement de la justice ................................................. 60 Stratégies préventives des femmes enceintes ....................................... 60 Menaces de citation en justice pour diffamation .............................. 61 Autres stratagèmes .............................................................................. 62 Tactiques postérieures aux crimes ........................................................ 63 Pressions sur les médecins et destruction des preuves ......................... 64 Tentatives de subornation de témoins ............................................... 65 Consultations juridiques et tentatives de tromper la justice ............. 67 La fuite ............................................................................................... 68

Les mères infanticides dans les premiers actes de l’instruction ................................................ 71 La descente des magistrats sur les lieux ............................................... 71 L’appareil de la justice ....................................................................... 71 Réactions des prévenues ...................................................................... 74 Les interrogatoires des mères infanticides ........................................... 75 Enseignements tirés des procès ............................................................ 75 Fables et dénégations .......................................................................... 80 Les « conseils des prisons » ..................... ............................................. 81 Les aveux ............................................................................................ 83

Chapitre III. LE PROCÈS

............................ .............................................

Les magistrats face aux accusées

85

85 Comportement des accusées durant les débats .................................. 85 Des êtres de chair ............................................................................... 86 Femmes victimes et femmes impudiques ........................................... 89 Morale, nature et amour maternel ....................................................... 93 Malheur, misère et position sociale ...................................................... 96 La fragilité des témoins ......................................................................... 100 Parenté et voisinage ................................... ........................................... 101 Pressions des familles sur les témoins ............................................... 101 ............................................................

442

TABLE DES MATIÈRES

Interventions des notables . ............................................................... 103 Voisins et domestiques : des témoins réticents ................................. 105 Les médecins ......................................................................................... 107 Attitude à l’audience ....................................................................... 108 Divergences et rivalités entre médecins ........................................... 109

La défense . . . . . . . . .................................................... ...................................... 110 Tactiques des avocats . .......................................................................... 111 L’argumentation ................................................................................... 113 L’issue des débats .................................................................................. 117

Chapitre IV. LE CHÂTIMENT ................................................................ 119 Les peines . . . . . . . . ........................................................................................... 119 Le dispositif législatif ..................................... ...................................... 120 Les peines prononcées par la cour d’assises de Rennes .................... 122 Répartition ................................................. ...................................... 122 Évolution chronologique .................................................................. 124

Le jury et la difficulté de punir ........................................................... 127 La composition du jury et ses règles de fonctionnement ................ 127 L’opinion des conseillers bretons .................. ...................................... 129 L’évaluation des crimes par les jurés .................................................. 131 La « fausse philanthropie » du jury ................................................ 134 Le jury, juge « d’impression » .......................................................... 135

Les magistrats face à la montée des crimes

.......................................

L’exemplarité des peines ...................................................................... Les mesures préventives .......................................................................

Les mères criminelles face à la sanction

............................................

137 137 140 141

Les accusées ont-elles conscience d’avoir commis un crime ? ............................ ...................................... 142 Le nouveau-né est-il une personne ? ................................................ 142 Remords et crainte du châtiment .................................................... 143 La double justice .................................................................................. 145 Faiblesse de la justice terrestre ......................................................... 145 La justice divine ............................................................................... 146 L’appréciation du verdict ..................................................................... 147 Réactions des accusées ....................................................................... 147 Réactions du public .......................................................................... 149

443

TABLE DES MATIÈRES

Chapitre V. LA VIE QUOTIDIENNE DES FEMMES INFANTICIDES

............................................

153

Les travaux et les jours ................................ ........................................... 153 Professions des mères accusées ........................................................... 154 Domestiques agricoles . ..................................................................... 155 Journalières ....................................................................................... 157 Artisanat du textile ............................... ........................................... 157 Autres professions ............................................................................. 161 Mobilité professionnelle et précarité des situations ......................... 163 Mobilité professionnelle et géographique ......................................... 163 La mendicité . ................................................................................... 164 L’hospitalité ...................................................................................... 165 L’analphabétisme .................................................................................. 166 Éléments statistiques ........................................................................ 166 L’instruction en Bretagne ................................................................. 168

La vie matérielle ........................................... ........................................... 169 L’habitat ................................................................................................. 170 La vie de famille .............................................................................. 171 La vie de domestique ....................................................................... 175 La vie solitaire .................................................................................. 177 Modestie des revenus et du patrimoine ............................................. 180 Hygiène et santé ................................................................................... 182 Problèmes alimentaires .................................................................... 183 Pratiques thérapeutiques .................................................................. 184

Survivance ou effritement de la tradition ? ...................................... 188 Temps et rythmes agraires ................................................................... 189 L’univers religieux ................................................................................ 189 La pratique ...................................................................................... 190 Le sentiment religieux ...................................................................... 191 Un Dieu vengeur ............................................................................. 193 Le diable ........................................................................................... 193 Le sacrement de baptême ................................................................. 195 La place des traditions ......................................................................... 196 Le viatique de l’enfant illégitime .................................................... 197 Les relevailles, les interdits traditionnels ......................................... 199 La crémation du placenta ............................................................... 200

Chapitre VI. LES AMOURS ILLÉGITIMES Les femmes infanticides Les « filles »

............................................

201

.........................................................................

201 203

...........................................................................................

444

TABLE DES MATIÈRES

Les femmes mariées ............................................................................. 204 Nouvelles mariées ............................................................................. 205 Femmes adultères ............................................................................. 207 Les veuves . . . . .................................................... ...................................... 208 Faibles et fortes personnalités ....................... ...................................... 211

Les séducteurs

. ..........................................................................................

Maîtres abusifs ...................................................................................... Hommes du voisinage ......................................................................... Domestiques ................................................... ...................................... Amants de passage . .............................................................................. Hommes incestueux ............................................................................

Le commerce amoureux

.........................................................................

L’expression des sentiments ................................................................ La fréquentation amoureuse ............................................................... Correspondances, cadeaux et causeries ............................................ Alcool et cabarets .............................................................................. Des rencontres furtives ..................................................................... Le dérèglement des mœurs ........................... ......................................

214 215 218 220 222 225 230 231 234 235 236 239 241

Chapitre VII. LE VILLAGE ET LA PAROISSE : LES INSTANCES DU CONTRÔLE SOCIAL

....................

245

Le village, cadre du contrôle social ..................................................... 246 Tolérance ou exclusion des filles-mères ............................................. 246 Entraide et solidarité ................................. ...................................... 247 Offres de parrainage ........................................................................ 250 Les limites de la tolérance ................................................................ 251 Les modes d’exclusion ................................. ...................................... 253 Honneur et réputation : « les filles de la paroisse déhonteront notre pays » ........................... 257

Les instances officieuses du contrôle social ........................................ 260 Le voisinage .......................................................................................... 260 Lieux d’observation .......................................................................... 260 Recommandations ...................................... ...................................... 262 Surveillance rapprochée ................................................................... 263 Investigations des voisins au domicile des femmes enceintes ........... 265 La famille . . . . .................................................... ...................................... 266 Les maîtres . . .................................................... ...................................... 268 Le silence .................................................... ...................................... 268 Corps des domestiques et réputation des maîtres ............................ 269 Le corps médical à la rescousse ........................................................... 271 445

TABLE DES MATIÈRES

Les médecins ruraux .................................................................................... 271 Les sages-femmes ............................................... ........................................... 272

Les maires . . ..................................................... ........................................... 275 Les magistrats municipaux face aux administrés .............................. 275 L’aveuglement volontaire ................................................................. 275 Pressions et tentatives d’arrangement .............................................. 277 Le gardien de l’ordre du village .......................................................... 279 Les déclarations de grossesse ............................................................. 279 Interventions auprès des filles enceintes ........................................... 280

Le clergé

. . . . . ..................................................... ...........................................

Confesseurs et pénitents : le directeur de conscience ...................... De la crainte du scandale au silence monnayé .................................

Chapitre VIII. LE DÉNI DE GROSSESSE Modalités du déni

283 285 287

..............................................

293

...................................................................................

293 295 298 299 301 303 306 307 308 311 311 313 318 318 320 324 325 326

Colère, injures et menaces .................................................................. Défi, retrait du groupe, dissimulation du ventre ............................. Défis et bravades .............................................................................. Retrait du groupe ............................................................................. Dissimulation du ventre : les stratagèmes ....................................... Le déni d’accouchement ..................................................................... Un impératif : être vue .................................................................... L’exhibition de fausses preuves .........................................................

La physiologie au secours du déni ....................................................... L’explication par la maladie ................................................................ Les « affaires » des femmes : les règles ............................................... Représentations du corps féminin dans les discours de déni .......... L’eau et le sang ................................................................................. Hydropisie et moles ..........................................................................

Réception des discours de déni

.............................................................

L’hydropisie vue par les médecins ...................................................... L’accueil fait aux discours des inculpées ............................................

Chapitre IX. LES ALTERNATIVES AU CRIME ....................................... 329 Les avortements dénoncés à la justice

................................................

330 330

Les réseaux de professionnels .............................................................. Les « faiseurs d’anges » : les non professionnels voués à l’avortement ..................................... 334 446

TABLE DES MATIÈRES

Tentatives d’avortement opérées par les accusées d’infanticide ................................................................ 337 « Boire sur les herbes » ......................................................................... 338 Efficacité de la phytothérapie abortive : le point de vue médical . ...................................................................... 340 Réseaux informels et méthodes empiriques ...................................... 342 Recours à la pharmacie officielle .................. ...................................... 345 Saignées et sangsues ............................................................................. 347 Remèdes prodigués par les séducteurs : coups, secousses et chutes ............................. ...................................... 350

L’abandon

.. . . . . ...........................................................................................

353

La politique de l’État ..................................... ...................................... 354 Les mères bretonnes face à l’abandon ................................................ 358

L’errance et la mendicité

................................. ......................................

Chapitre X. LES CRIMES : MÉTHODES ET COMPLICITÉS

...............

362

367

Diversité des méthodes et traitement réservé aux cadavres .......... 367 Les procédés homicides ................................. ...................................... 368 Violence ordinaire et cruauté .................... ...................................... 369 Récits des témoins ....................................... ...................................... 372 Récidives ..................................................... ...................................... 375 Sort des cadavres et rapport à l’enfant ............................................... 378 Lieux de sépulture ...................................... ...................................... 378 Variété d’attitude des mères ....................... ...................................... 380 Inhumations en « terre sainte » ................. ...................................... 383

Aménité de la justice à l’égard des complices

...................................

Les amants . . .................................................... ...................................... Les familles . . .................................................... ...................................... CONCLUSION

. . . . .................................................... ......................................

386 387 389 395

Éléments statistiques .................................................................................... 401 Sources . . . . . . . . . . . . . . ..................................................... ...................................... 405 Bibliographie . . . . ........................................................................................... 413 Index des accusés .......................................................................................... 433

447

Collection « Histoire » sous la direction de Hervé MARTIN et Jacqueline SAINCLIVIER Quynh DELAUNAY Histoire de la machine à laver. Un objet technique dans la société française, 1994, 390 p. Michel LAGRÉE et François LEBRUN (dir.) Pour l’histoire de la médecine. Autour de l’œuvre de Jacques Léonard, 1994, 121 p. François-Xavier MERRIEN La bataille des eaux. Hygiène à Rennes au XIXe siècle, 1994, 160 p. Roger DUPUY (dir.) Pouvoir Local et Révolution. La frontière intérieure, 1995, 570 p. Christian BOUGEARD René Pleven, un Français libre en politique, 1995, 473 p. Jean-Pierre SANCHEZ (dir.) Dans le sillage de Colomb. L’Europe du Ponant et la découverte du Nouveau Monde (14501650), 1995, 570 p. Michel LAGRÉE (dir.) Les parlers de la foi. Religion et langues régionales, 1995, 170 p. Martine COCAUD (dir.) Histoire et Informatique. Base de données, recherche documentaire multimédia, 1995, 263 p. Michel DENIS, Michel LAGRÉE et Jean-Yves VEILLARD (dir.) L’affaire Dreyfus et l’opinion publique en France et à l’étranger, 1995, 370 p. Jacqueline SAINCLIVIER et Christian BOUGEARD (dir.) La Résistance et les Français. Enjeux stratégiques et environnement social, 1995, 170 p. Jean-Pierre SANCHEZ Mythes et légendes de la conquête de l’Amérique, 1996, 2 volumes, 960 p. Jacqueline SAINCLIVIER L’Ille-et-Vilaine 1918-1958. Quarante ans de vie politique et sociale, 1996, 483 p. Michael JONES Recueil des actes de Charles de Blois et de Jeanne de Penthièvre, duc et duchesse de Bretagne, 1341-1364. Suivi des Actes de Jeanne de Penthièvre, 1364-1384, 1996, 295 p. Patrick GOURLAY Charles Daniélou 1878-1953. Itinéraire politique d’un Finistérien, 1996, 225 p. Louis ELÉGOËT Les Juloded. Grandeur et décadence d’une caste paysanne en Basse Bretagne, 1996, 296 p. Guy SAUPIN Nantes au XVIIe siècle, vie politique et société urbaine, 1996, 528 p. Christine MAZZOLI-GUINTARD Villes d’al-Andalus. L’Espagne et le Portugal à l’époque musulmane (VIIIe-XVe s.), 1996, 432 p. Jean-Clément MARTIN Révolution et Contre-révolution en France, 1789-1989. Les rouages de l’Histoire, 1996, 234 p. Philippe JARNOUX Les Bourgeois et la terre. Fortunes et stratégies foncières à Rennes au XVIIIe siècle, 1996, 380 p. Michel LAGRÉE et Jacqueline SAINCLIVIER L’Ouest et le politique. Mélanges offerts à Michel Denis, 1996, 278 p.

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Dominique ROBIN Pêcheurs bretons sous l’Ancien Régime. L’exploitation de la sardine sur la côte atlantique, 2000, 392 p. Guillemette BOLENS La logique du corps articulaire, 2000, 250 p. Pierre PERRIN Les idées pédagogiques de Jean-Marie de La Mennais, 2000, 220 p. Jean-Michel LE BOULANGER Douarnenez. L’identité d’une ville, 2000, 400 p. Luis P. MARTIN (dir.) Les francs-maçons dans la cité. Les cultures de la Franc-maçonnerie en Europe (XIXe-XXe siècle), 2000, 210 p. Gyula KRISTÓ Histoire de la Hongrie médiévale. Tome I : Le temps des Árpáds, 2000, 220 p. Ronan CALVEZ La radio en langue bretonne. Roparz Hémon et Pierre-Jacquez Hélias : deux rêves de la Bretagne, 2000, 400 p. Patrick PIERRE Les Bretons et la République. La construction de l’identité bretonne sous la IIIe République, 2001, 430 p. Michel BRAND’HONNEUR Manoirs et châteaux dans le comté de Rennes (XIIe-XIIIe siècles), 2001, 322 p. Sophie CASSAGNES D’art et d’argent. Les artistes et leurs clients dans l’Europe du Nord (XIVe-XVe siècles), 2001, 286 p. Philippe GRATEAU Les Cahiers de doléances. Une relecture culturelle, 2001, 391 p. Benoît GARNOT (dir.) Les victimes, des oubliés de l’histoire?, 2001, 540 p. Jean-Clément MARTIN (dir.) La Contre-Révolution en Europe, 2001, 314 p. Pierre LE GOÏC Brest en reconstruction. Antimémoires d’une ville, 2001, 352 p. Philippe-Jean HESSE et Jean-Pierre LE CROM (dir.) La protection sociale sous le régime de Vichy, 2001, 384 p. Amaury CHAUOU L’idéologie Plantagenêt, 2001, 330 p. Marie-Claude BLANC-CHALÉARD, Caroline DOUKI, Nicole DYONET et Vincent MILLIOT Police et migrants en France, 1667-1939, 2001, 430 p.

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Annick TILLIER

Des criminelles au village

Femmes infanticides en Bretagne (1825-1865) ▼ Préface d’Alain Corbin n droit français, le terme infanticide désigne le meurtre commis sur un enfant dans les trois jours suivant sa naissance, qui correspondent au délai légal de sa déclaration à l’état civil. C’est dire que ce crime est avant tout celui de l’illégitimité et qu’il frappe particulièrement les enfants dont la naissance doit demeurer clandestine. Entre 1824 et 1863, le législateur s’efforçant de l’adapter à l’état d’esprit des jurés qui répugnent à infliger la mort aux mères coupables, remanie par trois fois la pénalité de l’infanticide. Au cours de la même période, près de 600 affaires ont été portées devant les tribunaux bretons. La Bretagne, réputée pour sa ferveur religieuse et considérée par les ethnologues comme un véritable conservatoire des traditions, connaît un taux d’infanticide légèrement supérieur à la moyenne nationale. Doit-on y voir le signe de l’intolérance des populations rurales – qui fournissent l’essentiel des accusées – à l’égard des grossesses illégitimes ou bien, au contraire, un indice de l’affaiblissement des structures traditionnelles d’encadrement des conduites, autorisant une forme de vagabondage sexuel ? Les sources judiciaires permettent de reconstituer une grande partie des crimes. Elles éclairent la personnalité des femmes mises en accusation, leur vie quotidienne, leurs amours, le regard que portent sur elles les communautés villageoises. La pesanteur du contrôle exercé sur les femmes seules, la sévérité avec laquelle sont traitées les déviances, mettent en lumière la place qu’occupe la réputation dans le système de valeurs des ruraux et démontrent que l’infanticide est profondément arrimé à la problématique de l’honneur et de son envers, la honte.

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Annick Tillier, docteur en histoire de l’université Paris 1, est conservateur en chef à la Bibliothèque Nationale de France. En couverture : Hippolyte Lalaisse, Le four banal, détail, © Bibliothèque Nationale de France

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