De Stefan Zweig à Martin Bodmer: La collection [in]visible

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De Stefan Zweig à Martin Bodmer: La collection [in]visible

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MARTIN BODMER

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FONDATION JAN MICHALSKI 1147 MONTRICHER

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1932-

1942, op. cit., [édition électronique non paginée]. 13

C'est de cette période que date le

texte le plus célèbre de Zweig sur la

thématique des manuscrits autographes: Stefan ZWEIG, S/nn und Schônheit der

Autographen [Signification et beauté des manuscrits autographes, inédit en fran¬

çais], élaboré à Londres à l’occasion d'une

exposition et prononcé le 15 novembre 1934, puis publié au mois d’avril suivant

sous forme de supplément à la revue

Philobiblon, n° 8/4 (avril 1935). Le texte

a paru simultanément en édition séparée: Stefan ZWEIG, Sinn und Schônheit der Autographen, Reichner Verlag, VienneLeipzig-Zurich, 1935. 14 Stefan ZWEIG à Hans BODMER,

lettre du 27 septembre 1932, citée dans Martin BIRCHER, Musik und Dichtung. Handschriften aus den Sammlungen

Stefan Zweig und Martin Bodmer,

Cologny-Genève, Fondation Martin

Bodmer et K. G. Saur Verlag, Cologny-

Munich, 2002, pp. 14-15.

le médecin Hans Conrad Bodmer (1891-1956), lors de sa visite à Zurich du 15 mars 193315. Profita-t-il de son retour sur place au cours de l’été 1935 pour tenter à nouveau d’accéder à Martin Bodmer? S’il ne fait désormais aucun doute qu’il connaissait déjà au moins de réputa¬ tion ce bibliophile discret, fondateur du prix littéraire Gottfried-Keller

en 1922 et de la revue Corona en 1930, participant assidu au Lesezirkel

Hottingen où Zweig fut invité comme conférencier à deux reprises

(en 1917 et 1933)16, il ne subsiste malheureusement à ce jour aucun

témoignage d’une rencontre effective entre les deux hommes.

Au terme d’un été en Suisse (interrompu par un séjour à Marienbad en Tchécoslovaquie et quelques incursions à Vienne), où il put rendre visite à son confident Romain Rolland, alors installé à Montreux, et

évoquer avec lui sa nouvelle vie d’auteur en exil, mais aussi l'avenir de sa maison, de sa collection et de son mariage, Zweig retrouva Londres et les abords brumeux du 11, Portland Place, non loin de

la bibliothèque nationale (alors British Muséum), où il avait désormais ses habitudes. C’est là, à la fin de l’automne 1935 et sans en toucher mot à Friderike, avec qui il était encore officiellement marié malgré les kilomètres qui les sépareraient dès lors, que Zweig entama fina¬ lement les démarches pour mettre en vente sa collection de manus¬ crits, demeurée à Salzbourg avec ses livres et tous les autres reliquats d'un passé dont il ne cessera jamais de chérir le souvenir, mais que l’actualité brûlante des avancées nazies et ses prémonitions de la catastrophe à venir lui rendaient de plus en plus difficiles à supporter. C'est donc dans un esprit de renouveau, certes teinté de mélancolie, mais également en veillant à ne jamais perdre le contrôle sur l’ensem¬ ble de la procédure, que Zweig établit depuis Londres les conditions de vente de la première partie de sa collection (correspondant aux manuscrits allemands, les manuscrits «étrangers» devant faire l'objet d'une seconde campagne), puis formula ses premières instructions pour la réalisation du catalogue afférent. Ne souhaitant pas traiter 15 Cf. Stefan ZWEIG à Max UNGER,

16 Cf. Archives de la ville de Zurich,

Michael LADENBURGER, Das «kollek-

Teilbestand, «Gastebücher des Lesezirkels

lettre du 28 février 1933, éditée dans

tive Sammler-Empfinden » : Stefan Zweig als Sammler und Vermittler von

Beethoveniana, Beethoven-Haus Verlag,

Bonn, 2015, p. 26.

cote VII, 198, Verkehrsverein Zürich,

Hottingen» [«Liste des invités du Lesezirkel Hottingen»].

directement avec les parties

intéressées, ni que son nom soit publiquement lié à l’affaire, Zweig choisit comme intermédiaire

le marchand-libraire viennois

Heinrich Hinterberger (18921970), qu'il connaissait déjà depuis plusieurs années. Celui-ci se voyait chargé, dès le début de l’année 1936, de l’établissement du catalogue et de sa promotion

auprès de clients potentiels17.

Heinrich Hinterberger Vienne, vers 1922 Photographe inconnu

Collection particulière

Hinterberger devait en outre informer Zweig au plus tard le 5 de chaque mois des manuscrits vendus le mois précédent, ce qui laisse entendre que la dispersion complète de la collection put être un temps envisagée, bien que la solution d'une vente en bloc soit

ensuite rapidement privilégiée par l’auteur et son mandataire, ce dernier veillant à maintenir constant

chez Zweig le souci de conserver, autant que faire se peut, l'unité de l'ensemble.

Ainsi, le premier acheteur qu'Hinterberger souhaita approcher fut le comte autrichien Oswald von Seilern (1900-1967), quelqu’un

d’«extraordinairement riche»18, justement par ce qu'il était en mesure d’acquérir la totalité de la collection. Une vente en bloc à Seilern présentait de nombreux avantages aux yeux d’Hinterberger, qu’il essayait de faire valoir auprès de son employeur: non seulement la

collection serait «maintenue intacte»19, mais en Autriche qui plus est. 17 Stefan ZWEIG à Heinrich

18

HINTERBERGER, lettre du 15 décembre

ZWEIG, lettre du 4 janvier 1936, British Library Add MS 89376, non folioté.

1935, British Library Add MS 89376, non

folioté. Le catalogue est paru sous le titre suivant : [Heinrich HINTERBERGER (éd.)], Représentative Original-Handschriften : Eine berühmte Autographen-Sammlung, I. Teil, Katalog IX, Heinrich Hinterberger, Vienne, [1936].

10

Heinrich HINTERBERGER à Stefan

19

ibid

20

ibid

Cependant, puisque le comte était totalement novice en la matière, Hinterberger demanda à Zweig la permission de faire figurer son nom en tête du catalogue, ce qui aurait eu de quoi rassurer quant à la valeur réelle des pièces un homme par ailleurs «extrêmement méfiant»20. Autre indication décisive que le projet de vendre la collection, plutôt qu'une réponse immédiate à un éventuel besoin financier, allait de pair

avec un renoncement au «monde d'hier», Hinterberger fit également savoir à Zweig que Seilern pourrait très certainement se proposer

d'acquérir aussi la maison de Salzbourg, que Friderike refusait toujours de quitter.

Mais il apparut rapidement que Zweig ne céderait jamais son oeuvre

de collectionneur, ou même une simple partie de celle-ci, à quelqu'un qui ne serait pas en mesure d'en apprécier pleinement la portée intellectuelle et artistique: «En fin de compte, j'ai une relation par¬ ticulière à mes autographes et cela ne me réjouirait pas tellement qu'ils parviennent entre les mains de quelqu'un qui ne les achèterait

que parce qu'il a de l'argent et une envie soudaine de s’offrir quelque chose»21. Cette exigence se vit confirmée par le refus qu'il opposa à Hinterberger lorsque celui-ci, toujours guidé par la crainte d'une dispersion générale de cet ensemble unique, lui proposa de vendre

le tout à un «financier» qui l’avait abordé en quête d'un investissement

rentable22. À vrai dire, Zweig ne semble pas avoir sérieusement

envisagé la vente de sa collection autrement que comme sa trans¬ mission — dans le meilleur des cas de l’ensemble, sinon d'éléments distincts — d'un véritable connaisseur à un autre, qu'il lui restait encore 21 Stefan ZWEIG à Heinrich

première lecture croisée des deux

HINTERBERGER/ lettre du 7 janvier

approches, cf. Thomas BODMER,

folioté. Sur l'art de la collection, cf. Stefan

Menschen zu sich selbst>: Stefan Zweig

1936, British Library Add MS 89376, non

ZWEIG, «Die Autographensammlung als Kunstwerk», in Deutscher BibliophilenKalender: Jahrbuch für Bücherfreunde

und Büchersammler, Moritz Perles Verlag, Wien, 1914, pp. 44-50. Comparer avec

«< Weltliteratur, das ist der Weg des und Martin Bodmer als Sammler von

Handschriften», in Librarium: Zeitschrift

der Schweizerischen Bibliophilen, n° 49/3 (2006), pp. 206-209.

Martin BODMER, «Über den Begriff

22 Heinrich HINTERBERGER à Stefan

der Jahresversammlung der Vereinigung

Schweizerischer Bibliothekare, in Genf,

Library Add MS 89376, non folioté. Stefan ZWEIG à Heinrich HINTERBERGER, lettres

Vereinigung Schweizerische Bibliothekare,

British Library Add MS 89376, non folioté.

des Sammelns: Vortrag, gehalten an

am 6. Oktober 1957», in Nachrichten :

n° 33/5 (1957), pp. 149-162. Pour une

ZWEIG, lettre du 28 janvier 1936, British

du 30 janvier 1936 et du 3 février 1936,

hephAsentattve

OR1GINAL.HANDSCHRUTEN

bcrühmrc AutographciwSaxnnilung

à découvrir. En témoigne l’expression, fréquente dans sa correspondance, du souhait que ses manuscrits parviennent

«entre de bonnes mains»23, ou encore

cette remarque douce-amère adressée à Hinterberger: «Nous sommes d’accord que vous conduisiez pour le moment

certaines négociations en vue d’une vente en bloc, mais il ne m’est bien entendu pas

HEINRICH HINTERBERGER

tout à fait indifférent si, de son côté, celui qui se porte acquéreur d’une telle chose le fait par spéculation ou par ennui, ou

s’il s’agit d’un vrai collectionneur»24. Par

[Heinrich Hinterberger (éd.)] Représentative Original-

Handschriften : Eine berühmte

Autographen-Sammiung Hinterberger Verlag, Vienne, 1936

ailleurs, le contrat conclu avec Hinterberger

devait courir jusqu’au 31 décembre 1937, puis se verrait automatiquement renouvelé de trois mois en trois mois au-delà cette

échéance, ce qui donne une idée géné¬

rale du délai que Zweig pensait s’accorder

pour la vente de sa collection : deux années au moins — sans urgence, donc, et avec suffisamment de liberté pour y opposer son veto ou laisser le temps aux bonnes personnes de se faire connaître.25

À cet égard, le fait que le catalogue ait finalement été publié par

Hinterberger sans aucune mention du nom de Zweig a pu laisser

croire que ce dernier s'était contenté d'un simple droit de regard sur l’ouvrage et ne s'était intéressé à la vente que d'un point de vue marchand, pour se concentrer par ailleurs sur les livres qu’il était 23 Cf. Stefan ZWEIG à un destinataire

24

bâlois inconnu, lettre du 30 décembre

HINTERBERGER, lettre du 13 janvier 1936, British Library Add MS 89376, non folioté.

1935, traduite dans Stefan ZWEIG,

Correspondance>, 1932-1942, op. cit.,

[édition électronique non paginée]; Stefan ZWEIG à Heinrich HINTERBERGER, lettres du 4 avril 1936 et du 3 février 1936, British

25

ZWEIG à Gisella SELDEN-GOTH, lettre du 18 avril 1936, traduite dans Stefan ZWEIG,

à Heinrich HINTERBERGER, lettre du 29 janvier 1936, British Library Add MS

Library Add MS 89376, non folioté; Stefan

Correspondance, 1932-1942, op. cit.,

[édition électronique non paginée].

12

Stefan ZWEIG à Heinrich

Cf. Stefan ZWEIG à Heinrich

HINTERBERGER, lettre du 15 décembre 1935, British Library Add MS 89376, non folioté. Comparer avec Stefan ZWEIG

89376, non folioté: «J’ai le sentiment que

vous êtes un peu agité et que vous voulez forcer une vente rapide.»

en train d'écrire26. Or les lettres échangées au début du mois de

janvier 1936 ne laissent aucun doute quant à une implication per¬ sonnelle très forte de l'écrivain, qui insista constamment sur le fait que le catalogue devrait «ne pas être de ceux que l'on jette, mais de ceux que l'on conserve pendant des décennies»27 et mobilisa par conséquent à cette occasion des ressources, littéraires et techniques (par la production de fac-similés de haute qualité), dont on n’a pas pris jusqu’ici la pleine mesure. Ainsi, malgré son

aspect publicitaire au premier abord, le texte rédigé spécialement pour la préface, qu’Hinterberger trouva «remarquable» et fit impri¬ mer «mot pour mot»28, s’inscrit sans conteste dans la série des essais écrits par Zweig sur sa pratique de la collection de manus¬

crits comme oeuvre d’art29. L'auteur s’y exprime à la troisième

personne, comme pour fixer, au moment de s’en séparer, l’esprit de sa collection et en définir de manière objective les principes fonda¬ teurs. Destiné au futur dépositaire de ces «choses dont [il] ne [s'était] jamais considéré comme le propriétaire, mais seulement comme leur conservateur dans le temps»30, son appel, dont on pourra lire ci-dessous les premières lignes, trouva un écho profond et durable

chez Martin Bodmer.

Transmission de la collection — premier acte

«La collection, dont on offre ici une présentation de la première partie — < Littérature allemande > et < Musique > —, est depuis longtemps

reconnue dans les cercles de connaisseurs comme l’une des plus complètes et des plus universelles. Sa particularité réside dans le fait que les grands esprits créateurs d’hier et d’aujourd’hui n'y sont pas 26

Notamment Stefan ZWEIG, Castellion

contre Calvin ou conscience contre vio¬

lence, traduction français d'AIzir Hella,

Grasset, Paris, 1946. Édition originale alle¬

28

Heinrich HINTERBERGER à Stefan

ZWEIG, lettre du 7 janvier 1936, British Library Add MS 89376, non folioté.

mande: Stefan ZWEIG, Castellio gegen

29

Cf. infra, Bibliographie sélective.

Gewalt, Herbert Reichner Verlag, WienLeipzig-Zürich, [1936].

30

Stefan ZWEIG, Le Monde d’hier,

Calvin oder Ein Gew/ssen gegen die

27

op. cit., p. 412.

Stefan ZWEIG à Heinrich

HINTERBERGER, lettre du 3 février 1936,

British Library Add MS 89376, non folioté.

13

représentés par de simples feuillets ou lettres pris au hasard, mais sous leur forme la plus essentielle: dans la poésie et la composition. Dès le départ, il a importé à l'initiateur de cette extraordinaire collection de pouvoir épier l'artiste dans son atelier et d’observer au mieux le véritable processus de création, tout en rendant à nouveau

visibles, dans l'état mystérieux de leur production et de leur devenir, des oeuvres appartenant depuis longtemps à la conscience du monde

sous leur forme achevée. En débutant à une époque où seuls quelques collectionneurs pouvaient reconnaître la valeur spécifique des manus¬ crits littéraires et musicaux, il a cultivé, en pensant à l'avenir, cette manière si singulière — peut-être la plus précieuse — de collectionner les autographes. Ainsi, par un savoir et un goût particuliers, il en est progressivement arrivé à une représentation artistique du monde touchant à l’Universel, telle qu'il ne pourra que difficilement s'en reproduire de semblable. Si son détenteur renonce aujourd'hui à cette collection unique en son genre — à l'exception de quelques pièces qui ont pour lui la valeur personnelle du souvenir —, le fait qu’à cause de son métier il n'ait plus le loisir de la cultiver avec autant de soin que jadis a été déterminant dans sa prise de décision. Au lieu de la laisser se figer, il préfère s’en séparer, en se souvenant de ces mots merveil¬ leux de Goethe: .,:

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Martin Bodmer

Carnet de recherche, volume n° 66, 1936

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Ainsi, aux yeux de Martin Bodmer, il était «incroyable» que la collection

de Zweig puisse être «complètement dispersée»38. Dès qu'il eut entre les mains le prospectus — contenant seulement le titre et la préface

du catalogue — qu’Hinterberger lui avait directement fait parvenir au début du mois de mars 1936 en guise d’avis préalable à la vente, Bodmer prit ses dispositions pour se placer rapidement en tête des parties intéressées, comme cela ressort des lettres du marchand-libraire à Zweig : «En réponse à l'envoi du prospectus, j'ai reçu ici au cours des

huit derniers jours par courrier et télégraphe tout un flot de demandes de renseignements. Trois clients très sérieux s'intéressent à l'ensemble de la collection, ou plutôt à sa première partie a été vendu d'une traite — et même, puisqu'à vous

je puis le dire en toute confiance, qu'elle l'a été à votre compatriote Martin Bodmer, qui est maintenant d’un seul coup en mesure d’illus¬

trer sa fabuleuse collection de littérature allemande par des manuscrits autographes. Cela me va très bien»43. Ainsi, la première partie de la collection entama sa migration vers la Suisse, sous la forme de colis

postaux à l'adresse zurichoise de Martin Bodmer44. Plus de deux cents manuscrits quittèrent de la sorte le coffre-fort où ils avaient été mis à l'abri depuis le raid de la police salzbourgeoise, les volumes reliés, plus imposants, clôturant la marche. Le 21 mars, Martin Bodmer accusait réception, dans une carte postale aujourd'hui perdue, de l’ensemble des pièces qui lui avaient été envoyées. Il se mit aussitôt au travail: à partir de deux exemplaires de tête [Vorzugsexemplare] du catalogue qu'Hinterberger lui avait fait parvenir, il procéda au découpage sys¬

tématique de chacune des notices rédigées par le marchand-libraire, puis à son collage sur une fiche cartonnée destinée à rejoindre les mil¬ liers d'autres que comptait déjà l'immense fichier de sa bibliothèque.

De même, sur les recommandations d'Hinterberger, il se fit envoyer

l’ensemble des pochettes de conservation des manuscrits, parfois abondamment annotées de la main de Zweig : «Si vous estimez que les pochettes, qui contiennent çà et là des indications intéressantes

sur la provenance ou le prix d’achat des pièces et peuvent également revêtir un certain caractère historique, ont de la valeur, je me ferais un plaisir de vous les envoyer par courrier. Dans tous les cas, je les

garderai à votre disposition jusqu'à nouvel ordre.»45 42

Stefan ZWEIG à Karl GEIGY-

HAGENBACH, lettre du 13 mars 1936, Universitatbibliothek Basel, Handschriften,

Heinrich HINTERBERGER à Martin

cote Autogr Geigy-Hagenbach 3163, n° 2.

BODMER, 14 mars 1936, Fondation Martin Bodmer, Archives Bodmer, non folioté.

43

45

Stefan ZWEIG à Karl GEIGY-

HAGENBACH, lettre du 19 mars 1936,

Universitatbibliothek Basel, Handschriften, cote Autogr Geigy-Hagenbach 3163, n° 224.

20

44

ibid

Les pochettes en question,

famé.

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d’apparence tout à fait anodine, gardaient en fait inscrites à l’encre violette diverses anno tations totalement inédites de

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néanmoins lui opposer plusieurs entrées équivalentes — et souvent même bien meilleur marché — dans les catalogues de vente des

librairies Maggs, que Zweig connaissait bien72. Il est tout à fait remar¬

quable qu'Hinterberger se rangea alors à son avis: «Pour ce qui est des manuscrits anglais, je ne parviens pas à croire qu’ils soient aussi significatifs que ce que vous en écrivez. Je trouve de nombreuses pièces représentatives de ces poètes dans les catalogues de Maggs et Sawyer, et à des prix bien inférieurs à ceux que vous proposez. [...] Je dois avouer que dans ce cas Monsieur Bodmer a vraiment raison»73. Les textes «étrangers» donnèrent plusieurs autres occa¬ sions à leur nouveau détenteur d’affirmer sa connaissance approfondie du corpus, comme lorsque Bodmer fut en mesure de prouver que

le volumineux manuscrit de l'écrivain russe en exil Dmitri Merejkowski (1866-1941), soixante-dix pages d’additions à son roman Le Mystère d'Alexandre Ier, ne présentait en fait que deux feuillets autographes,

le reste étant copié d’une autre main74. Zweig et Hinterberger durent convenir de leur erreur, arguant du fait qu’aucun des deux ne lisait

le russe et que le manuscrit avait été reçu de bonne foi par Zweig,

en cadeau de la part du traducteur allemand de Merejekowski, l'historien de la littérature Alexander Eliasberg, avec qui Zweig avait

collaboré pour l'anthologie russe de sa série Bibliotheca mundi.75

Ainsi, au début de l'année 1937, alors que Martin Bodmer avait réuni entre ses mains les deux principales parties de la collection — de

nombreux manuscrits musicaux, invendus du catalogue publié par Hinterberger, suivraient au cours des prochains mois —, il était difficile de ne pas constater qu'il avait su parfaitement se donner les moyens

de reprendre le flambeau tendu par Zweig. Ce dernier le reconnaîtrait d'ailleurs indirectement dans sa réponse à la veuve d'Arthur Schnitzler, qui, souhaitant vendre le manuscrit autographe de la pièce de théâtre

Liebelei (1896), lui avait demandé par l'intermédiaire de l'écrivain

Raoul Auernheimer vers qui il fallait se tourner à présent et pour les temps à venir: «Les Américains s’intéressent en premier lieu à leur propre littérature, ou à la rigueur à la littérature anglaise, en second lieu peut-être au manuscrit d'un livre qui a rencontré un très grand

succès aujourd’hui ou hier, mais jamais à des ouvrages qui remontent

à trente ou quarante ans. Le cercle des acheteurs allemands poten¬ tiels n'entre plus en ligne de compte, et les Autrichiens n'ont pas de pouvoir d'achat. J'ai donc bien peur que pour quelque chose qui pour nous a autant de prix que Liebelei, elle n'obtienne pas des sommes qui

reflètent la valeur intrinsèque de l’objet et correspondent à ce qu'elle

38

attend. [...] Le seul collectionneur d'envergure qui serait peut-être prêt à donner quelque chose de Liebelei serait Martin Bodmer à Zurich [...]. En tout cas, c'est le seul dont je sache qu'il pourrait être intéressé»76. Si Zweig et Hinterberger redirigent dès lors vers Bodmer les auteurs et collectionneurs qui auparavant s’adressaient à eux pour revendre leurs manuscrits, c'est non seulement qu’ils avaient reconnu en lui le «véritable collectionneur» que l'écrivain appelait de ses voeux, mais surtout que très tôt — à vrai dire, dès qu'il l’eut reprise en main —

celui-ci chercha à compléter la collection et à la développer selon ses premières lignes directrices.

Épilogue: d'une «galerie personnelle»

à une «bibliothèque de la littérature mondiale» Les dernières journées du mois d’août 1937, que Zweig passa au Grand Hôtel Habis Royal de Zurich, à quelques encablures de

la colline du Freudenberg où résidait Martin Bodmer, offrirent une

ultime occasion aux deux hommes de se rencontrer et d'échanger directement sur la collection, aux destinées de laquelle seul le Suisse allait présider désormais. Sur le chemin du retour de sa Vienne natale, libéré de son ancienne demeure familiale et de la collection qui l'avait autrefois peuplée de tant d’esprits admirés, Zweig avait pris

congé d'un pays et d'un passé pour lui à jamais perdus. Put-il alors

porter un dernier regard sur les feuillets «magiques» qu'il avait jadis rassemblés? Ou ses pensées étaient-elles déjà entièrement tournées

vers la possibilité d'un avenir en Angleterre et, au-delà, les territoires amazoniens d'un autre «Soleil couchant»?

72

Martin BODMER à Heinrich

75

Heinrich HINTERBERGER à Martin

HINTERBERGER, lettre du 16 janvier 1937, Fondation Martin Bodmer, Archives

BODMER, lettre du 11 mars 1937, Fondation Martin Bodmer, Archives

73

du 15 mars 1937, British Library Add

Bodmer, non folioté.

Heinrich HINTERBERGER à Stefan

Bodmer, non folioté; Heinrich

HINTERBERGER à Stefan ZWEIG, lettre

ZWEIG, deux lettres du 18 janvier 1937, Fondation Martin Bodmer, Archives

MS 89376, non folioté; Stefan ZWEIG à

74

76

Bodmer, non folioté.

Martin BODMER à Heinrich

HINTERBERGER, lettre du 10 mars 1937,

Fondation Martin Bodmer, Archives Bodmer, non folioté.

Heinrich HINTERBERGER, 17 mars 1937,

British Library Add MS 89376, non folioté. Stefan ZWEIG à Raoul AUERNHEIMER,

5 mars 1937, traduite dans Stefan ZWEIG,

Correspondance> 1932-1942, op. cit., [édition électronique non paginée].

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