Culture et société médiévales n°17 Messages de pierre. 9782503531236, 2503531237

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Culture et société médiévales n°17 Messages de pierre.
 9782503531236, 2503531237

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Messages de pierre

La lecture des inscriptions dans la communication médiévale (XIIIe-XIVe siècle)

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Culture et société médiévales Collection dirigée par Edina Bozoky

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Vincent DEBIAIS

Messages de pierre

La lecture des inscriptions dans la communication médiévale (xiiie-xive siècle)

Préface de Martin Aurell

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Couverture : Rouen (76), Musée des Antiquités. Dalle tumulaire de Felipe (mil. XIIIe siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

© 2009, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2009/0095/29 ISBN 978-2-503-53123-6 Printed in the E.U. on acid-free paper

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À Blanca, pour avoir donné du sens à tout cela. À Pía, à Inés.

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Remerciements Ce livre est le remaniement d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Poitiers en décembre 2004, thèse pour laquelle j’ai bénéficié d’une allocation de recherche ministérielle entre 2001 et 2004. J’exprime toute ma gratitude à Claude Andrault-Schmitt, responsable de la formation au CESCM, et à l’Université de Poitiers pour avoir rendu mes années de thèse aussi faciles. Martin Aurell, professeur d’histoire médiévale à l’Université de Poitiers, avait accepté, à l’époque, de diriger mes travaux. Je pense qu’il ne savait alors pas plus que moi où me mèneraient mes recherches. C’est pourtant avec une grande confiance qu’il a encadré ce travail et je tiens à lui adresser aujourd’hui mes remerciements. Il faudrait plusieurs pages pour lister les noms de tous ceux qui ont, d’une manière ou d’une autre, contribué à la parution de cet ouvrage. J’en oublie sans doute beaucoup, je m’en excuse auprès d’eux et j’espère qu’ils auront l’amitié de me le pardonner. Je remercie d’abord Robert Favreau, directeur honoraire du CESCM, pour ses conseils et sa disponibilité à mon égard, ainsi que Claude Arrignon, assistante-ingénieur au CNRS, pour son amitié indéfectible. Merci également à E. Bozoky, pour avoir accepté ce livre dans sa collection, I. Marchesin, F. Dolbeau, J.-Cl. Schmitt, Ph. Sénac, E. Vance, Ph. Depreux, S. Mouktafi, M.E. Martín Lopez, S. Lambot, P. Monnet, J.-P. Brouard, J.A. Millán Alba, le personnel de la section latine de l’IRHT, le personnel des DRAC de l’ouest de la France et l’ensemble du personnel des bibliothèques poitevines. Ce travail est fortement lié au CESCM de Poitiers, à ses ressources scientifiques tout autant qu’à sa dimension humaine, deux aspects dont j’ai la chance de bénéficier encore aujourd’hui. Je remercie les directeurs successifs qui m’y ont accueilli, avec une pensée particulière pour Éric Palazzo et Claudio Galderisi pour leur confiance. Ce travail est également lié à un certain nombre de voyages à l’étranger : l’Allemagne, tout d’abord, puis l’Espagne et plusieurs séjours dans les universités de Castille et León. Je tiens à exprimer ma gratitude et mon amitié fidèle à Vicente García Lobo pour son accueil, sa générosité et pour les conseils scientifiques qu’il m’a prodigués au cours de nos sessions de travail.



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remerciements

La présence rassurante de quelques compagnons de route (et de doute) a été un atout capital pour terminer ce travail et le livre. Merci à Pascale, Nicolas, Éric, Aude, Géraldine, Xavier et Odile pour avoir partagé ces années et le reste avec autant de générosité. Je crois que je n’aurais jamais entrepris cette thèse sans la présence inébranlable de mes parents et de ma famille. Qu’ils reçoivent ici le témoignage de ma reconnaissance. Je ne peux manquer de réserver des remerciements particuliers à Cécile Treffort, professeure d’histoire médiévale et directrice adjointe du CESCM, mais surtout maître et amie, pour ses conseils et ses orientations constantes au cours de ces 8 dernières années. Ce travail lui est adressé en gage de reconnaissance.



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SOMMAIRE Préface

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Avant-scène

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Introduction générale

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Première partie Signes et matières : voir les inscriptions médiévales

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L’objet perçu : vers une redéfinition de l’inscription médiévale Texte et matière : les composantes de l’inscription L’intention épigraphique Épigraphie et sémiotique

31 32 45 59

Perception de l’espace et perceptions du texte La théorie médiévale de l’espace Performances et expériences médiévales : l’espace vécu Le contexte épigraphique

65 66 73 76

Lettres et signes : mise en scène des inscriptions médiévales Texte et image du texte Épigraphie et esthétique L’inscription comme élément de décor

93 93 118 152

Deuxième partie Lire les inscriptions médiévales : définition du public épigraphique

163

La lecture dans la communication médiévale La lecture face aux réalités culturelles Théories, formes et pratiques de la lecture au Moyen Âge La dimension personnelle des lectures à la fin du Moyen Âge

173 174 185 200

Les conditions matérielles de la lecture épigraphique Situation et lisibilté des textes Paléographie, esthétique et sémantique

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sommaire

Forme du texte et forme de la lecture La dimension iconique de l’écriture épigraphique

230 234

Le public des inscriptions médiévales : un essai de définition Universalité du message et sélection du public Lecteurs et modalités de la lecture à travers les inscriptions Spectateurs, acteurs, témoins : public actif et public passif

247 248 263 276

Troisième partie Mémoire, monument, ordre : interpréter les inscriptions médiévales

293

Épigraphie et memoria  Les inscriptions médiévales et le temps L’individu dans la communication épigraphique Les modalités de la commémoration épigraphique

299 299 311 321

Épigraphie et monumentum 327 Document et monument : les relations entre le texte et son contexte 328 Matière et monument : utilisations de l’écriture monumentale 343 Écritures publiques : information, propagande, édification 353 Épigraphie et ordo Ordo épigraphique et compréhension des espaces : études de cas Les influences de la documentation épigraphique sur son contexte

361

Conclusion

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Bibliographie de référence

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Liste des illustrations

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Préface Depuis une cinquantaine d’années, l’épigraphie médiévale s’impose comme un savoir historiographique à part entière. Elle ne rentre plus dans l’appellation mal taillée de « science auxiliaire », dont on l’a affublée trop souvent. Elle affirme, d’une part, sans complexes sa spécificité à l’égard de l’histoire romaine, proposant des éditions de sources qui, sans être aussi anciennes que le Corpus inscriptionum latinarum, lancé en 1847, n’en demeurent pas moins exhaustives, nombreuses et solides. Elle engage, d’autre part, une réflexion profonde sur le document épigraphique du Moyen Âge, mettant en avant ses caractéristiques propres en comparaison de l’Antiquité et des autres textes médiévaux. L’équipe « Épigraphie, culture écrite, mémoire et communication  » du Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale de l’Université de Poitiers est pour beaucoup dans ce renouveau. Parmi les activités de ce groupe de recherches, dirigé par Robert Favreau et plus récemment par Cécile Treffort, on retiendra le Corpus des inscriptions de la France médiévale, dont le but est, à long terme, de publier les sources épigraphiques médiévales du pays  : depuis 1974, vingt-trois volumes sont déjà parus. Vincent Debiais, l’un des épigraphistes les plus solides de la jeune génération, est un membre actif de cette équipe au service de laquelle il met toutes ses compétences. C’est auprès de ses membres, parmi lesquels force est de mentionner François Dolbeau et le regretté Jean Michaud, qu’il a acquis sa formation, mais aussi dans les centres de recherches sur l’épigraphie médiévale des universités de Munich et de León. Son ouverture internationale se concrétise actuellement dans l’élaboration du volume des inscriptions médiévales du royaume de Navarre pour le Corpus Inscriptionum Hispaniæ Mediævalium. Vincent Debiais est, en effet, un excellent éditeur de sources épigraphiques. Sa thèse de doctorat le prouve par la qualité de ses annexes, contenant 666 inscriptions inédites à ce jour, mais aussi quelque 250 figures, clichés, plans, cartes et dessins qu’il a lui-même adroitement produits et intégrés dans son texte. Il maîtrise aussi de façon classique le latin médiéval et sa poétique, mais aussi la paléographie épigraphique qu’il conçoit dans la continuité de la paléographie diplomatique des chartes ou des codices. Il aime, en outre, le terrain, car il considère à juste titre que toute inscription dépend étroitement du contexte spatial et architectural où elle a été placée. Même l’éclai

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rage qu’elle reçoit à telle ou telle heure du jour peut modifier, sinon son sens, la perception que le public peut en avoir. L’épigraphiste ne peut donc que travailler de visu et in situ. C’est pourquoi Vincent Debiais s’approprie la notion de « proxémie », chère aux linguistes, aux spécialistes de l’analyse du discours et aux psychologues de la cognition, pour lesquels l’espace où se trouve le signe détermine largement sa compréhension. Il a parfait même sa formation par l’apprentissage des gestes du lapicide et du tailleur de pierres, en travaillant de ses mains avec ces artisans. Unie à la volonté de vérifier et constater sur place, cette maîtrise technique apporte des fondations solides et originales à son ouvrage. L’analyse minutieuse n’est toutefois pas incompatible avec la synthèse ambitieuse. Au contraire, l’érudition débouche ici spontanément sur la réflexion, menée souvent à un degré élevé d’abstraction théorique. L’auteur a beaucoup lu ses devanciers. Il admire sincèrement leurs œuvres. Cet enthousiasme contraste avec l’esprit critique à outrance, qui se diffuse de nos jours dans notre profession et qui encombre les périodiques scientifiques de comptes rendus grincheux. L’admiration pour le travail d’autrui permet, en revanche, à Vincent Debiais d’incorporer des pistes de recherche variées. Avec hauteur de vue, il part des définitions programmatiques de ses maîtres. Pour Joaquín María de Navascués l’épigraphie est aussi bien texte (outil de communication) qu’objet (instrument de conservation). D’après Robert Favreau, elle transmet des informations à un vaste public pour une longue durée. Vicente García Lobo la présente, enfin, comme « écriture publicitaire ». Ces trois définitions insistent par conséquent sur l’idée d’un public susceptible d’évoluer au cours des âges en raison de la pérennité du support matériel de l’inscription, qui ne s’adresse nullement à un destinataire déterminé ni à un groupe donné, mais potentiellement à une multitude de lecteurs. Elles mettent en avant l’acte de communication, que Vincent Debiais se propose d’analyser aux termes de la sémiotique, science de la transmission de messages d’un émetteur à un destinataire à travers un medium. Dans les pages qui suivent, la méthode mise en œuvre et la thématique développée découlent de ces prémisses. Même frappé au coin de la méthode linguistique, dont le postulat est la synchronie, l’ouvrage ne s’en inscrit pas moins dans une perspective chronologique. Il met donc en avant les acquis de l’historiographie récente de la culture médiévale, insistant sur la césure des années 1180 où, pour reprendre le titre du livre célèbre de Michael Clanchy, l’Occident passe «  de la mémoire au document écrit  ».

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Depuis la parution, en 1979, de cet ouvrage, la Literacy a conditionné de nombreuses recherches, comme celles de Joyce Coleman et de Brian Stock, se penchant sur la perméabilité réciproque de l’écriture et de l’oralité qui, loin d’être des compartiments étanches, fonctionnent en osmose. Au xiiie siècle, le savoir livresque passe donc du cloître monastique aux écoles cathédrales et aux universités urbaines. Il se transmet de plus en plus par la langue vernaculaire au détriment du latin. Il élargit son domaine d’action au-delà de la philosophie, la théologie ou l’exégèse, envahissant le champ des connaissances plus pragmatiques ou techniques. Il permet à la mémoire collective, mais aussi à la vie quotidienne, de gagner en exactitude, clarté et rigueur. En définitive, l’usage de l’écriture n’est plus restreint à un groupe fermé de professionnels, mais il se vulgarise largement. En épigraphie, cette évolution transparaît dans l’augmentation considérable du nombre d’inscriptions, dans la précision des dates et des données qu’elles contiennent et dans leur utilisation accrue des langues parlées. Du point de vue paléographique, elle coïncide avec le passage d’une écriture romane à une écriture gothique et de la majuscule à la minuscule, et avec l’apparition de règles de ponctuation plus strictes. À la fin du Moyen Âge, les progrès de la Literacy ne sont pas synonymes du recul massif de l’analphabétisme. La lecture revêt encore un élitisme certain. Elle requiert des capacités techniques et même parfois un statut professionnel particulier. En conséquence, elle est perçue à l’époque d’une façon bien différente à la nôtre, comme il ressort de l’étude, menée par l’auteur, du Didascalicon d’Hugues de Saint-Victor, du Metalogicon de Jean de Salisbury et des autres traités théoriques de la période. On considère, par exemple, qu’elle est rendue possible par un rayon issu de l’œil. Plus intéressant pour l’acte de communication, elle est davantage décrite comme un moyen d’enrichissement personnel et d’augmentation de sa science que comme un média transmettant des informations. Elle conserve donc plus un savoir traditionnel qu’elle ne diffuse des données empiriques, des ordres politiques ou des renseignements administratifs. L’existence d’endotaphes, gravées à l’intérieur de tombes scellées à jamais, d’inscriptions campanaires inaccessibles ou de mots accompagnant les scènes de vitraux trop hautement placés pour être lus montre que, même quand la parole est à l’abri du regard, le message passe encore. Le souvenir d’une endotaphe enfermée dans un sarcophage ou la perception lointaine des lettres d’une cloche ou d’un vitrail rappelle la fonction eschatologique du texte biblique ou la valeur de la prière, même si elles ne sont pas directement et concrètement perceptibles.

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Il n’empêche que, à ces exceptions près, la fonction publicitaire est inhérente au genre épigraphique. L’inscription peut être lue par un individu seul, à une époque où la lecture silencieuse gagne des pans entiers de la population. Plus souvent, la lecture épigraphique continue d’être performative, accomplie à haute voix devant un auditoire. On aimerait en savoir davantage sur les modalités de cette théâtralité, mais les textes font terriblement défaut pour saisir ces intermédiaires culturels qui pouvaient comprendre et expliquer à leurs accompagnateurs le contenu d’une inscription. Tout au plus Chrétien de Troyes met-il en scène Lancelot en train de lire une plaque funéraire et de deviser sur elle avec l’ermite qui l’accompagne, superbe exemple par lequel Vincent Debiais choisit d’introduire son livre. Il remarque également que la lecture d’une inscription implique la station débout, alors que déambulatoires, chœurs et cloîtres sont habituellement des lieux de marche et de passage. Marquer un arrêt devant la plaque implique pour le spectateur passif de devenir un témoin actif, prenant connaissance de l’inscription, puis lecteur-acteur qui, en lisant la totalité du texte, prononce par la force des choses une prière pour le salut du défunt. À l’époque, la prépondérance des inscriptions funéraires, représentant la presque totalité de l’épigraphie lapidaire, entraîne la constitution d’un arsenal de formules stéréotypées, faciles à retenir et à comprendre par le tout venant. Il en va de même avec les nomina sacra, souvent des attributs divins, fortement abrégés et ornés d’après des codes spécifiques, qui exigent, tout au plus, une lecture de type iconique, par laquelle le mot est immédiatement capté. Ces formules routinières, particulièrement itératives en épigraphie funéraire, peuvent être aisément classées en trois catégories : appels ou apostrophes au lecteur, demandes de prières et exhortations morales. Leur vocabulaire se limite à une centaine de mots, dont la forme était décodée parfois par des analphabètes. La dimension publicitaire de l’épigraphie en est d’autant plus accrue. Les plates-tombes occupent une position primordiale dans le corpus de cette étude. Ces dalles signalent l’emplacement d’une sépulture. Placées sur des lieux de passage, elles sont piétinées par le tout venant. Plus ou moins conscient, le thème de l’humilité chrétienne et de l’égalité foncière des mortels se devine derrière ces pratiques. La comparaison entre les plate-tombes respectives du prélat et du chevalier est des plus significatives du point de vue social et ecclésiologique. Le premier est représenté tonsuré et revêtant la chasuble : l’inscription qui encadre cette image est latine et difficile dans sa grammaire et son vocabulaire. Le second, portant l’épée, habillé du

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haubert et paré de ses armoiries, est désigné par des expressions françaises d’une grande simplicité. Apparaît ainsi de façon manifeste la dialectique milites-clerici, docti-simplices et litterati-illitterati. Vincent Debiais apporte cependant des nuances à ce schéma. Ainsi, l’épitaphe de Juhel II de Mayenne (†1220) vante en vers et en latin ses vertus militaires. De même, l’analyse exemplaire des inscriptions du prieuré Saint-Maurice de Montbron (Charente), situées principalement dans le cloître, permet d’approfondir les relations qu’entretenaient les familles de la noblesse locale avec cette communauté canoniale. Après avoir présenté l’acte de communication épigraphique, Vincent Debiais découvre, avec pertinence, une triple fonction aux inscriptions : commémorative (memoria), monumentale (monumentum) et structurante (ordo). En premier lieu, en raison de la dureté de son support, qui résiste au passage du temps, l’épigraphie est un vecteur franchissant le temps et une garantie contre l’oubli. « Si seulement on écrivait mes paroles, si on les gravait en une inscription ! Avec un burin de fer et du plomb, si pour toujours dans le roc elles restaient incisées ! », s’écrie le juste Job dans un passage de la Vulgate, familier aux médiévaux. Cette dimension commémorative convient surtout au souvenir des défunts, mais aussi d’une bataille, d’une fondation pieuse ou d’une aumône. Sa durée entraîne la dialectique instant-éternité, car elle réactive pour un bref laps de temps le souvenir du défunt chez chaque individu qui la lit, devenu pour l’occasion acteur privilégié de la commémoration. En deuxième lieu, l’inscription matérialise une idée dans un objet et elle place le texte dans un espace. Elle est donc monument aussi bien par l’écriture commémorative qu’elle contient (moneo garde le sens de « faire songer à », « évoquer le souvenir de »), que par sa mise en forme aux lettres capitales joliment ornementées. Elle est, de plus, en relation avec des sculptures ou bâtiments, souvent des tombes, voire des mausolées. En troisième lieu, l’épigraphie détient le pouvoir d’organiser l’espace où elle se trouve, car elle met en relation différents objets. Force est de réfléchir aux grands programmes iconographiques, qui, comme dans le portail sud ou dans les vitraux de la cathédrale de Bourges, trouvent leur cohérence et leur sens par les inscriptions qui en désignent les différents éléments. La création de la sacralité, séparée par une frontière du profane, passe très souvent par l’épigraphie. La consécration des églises donne parfois lieu à une plaque commémorative. Au cours de cette préface, qui prétend tant bien que mal mettre en valeur les principaux acquis de cet ouvrage, la lecture est souvent revenue sur le tapis. Ce thème est, en effet, au cœur du livre qu’on

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conseille vivement ici de lire. Par une sorte de mise en abîme, nous devenons ainsi lecteurs d’une réflexion sur la lecture épigraphique médiévale. Commence ainsi une aventure intellectuelle au bout de laquelle chacun aura compris la place prépondérante des inscriptions dans la culture du Moyen Âge. Il revient à Vincent Debiais le mérite d’avoir montré, à la suite de ses maîtres, cette vérité trop souvent oubliée. À la façon des textes épigraphiques, son ouvrage est mémorial, monumental et structurant. Martin Aurell Professeur d’histoire médiévale à l’Université de Poitiers Membre de l’Institut universitaire de France



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Avant-scène :

quelques pas au cimetière… « Le moine alors conduit le chevalier dans le cimetière entre des tombeaux pareils en beauté aux plus somptueux que l’on pourrait trouver d’ici jusqu’à la Dombes et de là  jusqu’à Pampelune. Sur chacun, des lettres gravées désignaient le nom du mortel qui un jour y serait couché. Le visiteur se mit à lire, sans le secours du religieux, les épitaphes les unes après les autres1. »

La visite du cimetière où reposeront les chevaliers de la Table Ronde constitue l’une des rares mentions médiévales de la lecture des textes épigraphiques. De façon plus générale, ce passage du Chevalier à la charrette de Chrétien de Troyes est l’une des principales références littéraires qui relatent une expérience concrète de lecture dans le cadre de la transmission d’une information. En suivant les pas du chevalier à travers le cimetière, le lecteur trouve, quelques lignes plus bas, une définition médiévale de la fonction de l’inscription : « Il trouva une tombe en marbre : elle paraissait bien l’emporter en splendeur par le travail et l’art. Le chevalier appelle à lui le moine : À quoi sont destinées, demanda-t-il, les tombes que voici ? Vous avez regardé les inscriptions ; si vous avez compris leur sens, déjà elles vous ont instruit et vous savez ce que signifient ces tombeaux2. »

Ces quelques mots, énoncés de façon simple comme définition du contenu et de la forme de l’inscription funéraire, évoquent les principaux enjeux de l’épigraphie médiévale, à savoir le caractère publicitaire du texte et son rôle dans la communication, deux notions qui seront reprises et développées dans la définition de la discipline épigraphique telle qu’elle a pu être énoncée par Robert Favreau à la fin des années soixante3. Pour le moine du roman de Chrétien, il ne s’agit Chrétien de Troyes, Le chevalier à la charrette, éd. et trad. J. Frappier, Paris, 1971 (1ère éd. : 1961), p. 69. 2   Ibid. 3   Favreau, R., « L’épigraphie médiévale », Cahiers de civilisation médiévale, t. XII, 1969, p. 396 : « On pourrait donc proposer comme nouvelle définition de l’épigraphie : science de ce qui est écrit, en général sur une matière résistante, en vue d’une publicité universelle et durable ». Définition reformulée par le même auteur dans son Épigraphie médiévale, Tur1 



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avant-scène: quelques pas au cimetière…

aucunement de systématiser le rôle du texte épigraphique dans la culture médiévale, comme ce livre essaiera de le faire dans les pages suivantes. Il propose au contraire un éclairage circonstanciel, en lien avec les événements narratifs à venir, et, en particulier, avec la découverte et la lecture de l’inscription prophétique annonçant la venue d’un chevalier libérateur4. On trouve pareilles mentions d’inscriptions dans les œuvres de fiction jusqu’au xve siècle. C’est toutefois dans le Livre du Cuer d’Amours Espris de René d’Anjou, roman allégorique écrit vers 1457, qu’elles sont sans doute les plus nombreuses, plusieurs textes épigraphiques y devenant de véritables acteurs de la narration5. L’importance des inscriptions dans cette œuvre est renforcée par de nombreuses illustrations, présentes dans la plupart des témoins manuscrits, qui mettent en images les textes et des scènes de lecture6. Exemples exceptionnels de l’utilisation du texte épigraphique dans la documentation médiévale, les extraits de Chrétien de Troyes et de René d’Anjou sont des témoins d’une valeur inestimable, traces d’une réalité discrète dans les sources narratives ou diplomatiques du Moyen Âge. Le caractère littéraire, voire fantastique, de ces œuvres nuancent sans doute les conclusions que l’on pourrait en tirer dans le cadre d’une étude des modalités de la communication épigraphique médiévale. Même si l’analyse du rôle des inscriptions passe par la confrontation nécessaire de fragments textuels, issus de sources diverses, elle doit pourtant avant tout considérer l’inscription elle-même comme point de départ de la réflexion, d’où la nécessité d’envisager une nouvelle fois la définition de l’objet épigraphique.

nhout, 1997 (L’atelier du médiéviste, 5), p. 5 : « L’épigraphie est la science de ce qui est écrit – c’est son étymologie – en vue de communiquer quelque élément d’information au public le plus large, et pour la plus large durée. » 4   Chrétien de Troyes, Le chevalier…, p. 70 : « On lit sur elle une inscription qui prophétise ainsi : « Celui qui levera cette pierre a lui seul sera liberateur des humains prisonniers dans la terre d’exil d’où ne sort aucun d’eux, ni serf, ni gentilhomme […] ». 5   René d’Anjou, Le livre du Cuer d’Amours Espris, éd. J. Whartor, Paris, 1980 (10/18 Bibliothèque médiévale). 6   L’importance et le rôle des inscriptions dans cette œuvre ont été étudiés par Bressan Verdier, S., Les inscriptions dans le Livre du Cuer d’Amours Espris de René d’Anjou, mémoire de maîtrise sous la direction de C. Treffort et P.-M. Joris, Université de Poitiers/CESCM, 2001. De nombreuses reproductions donnent un aperçu de la documentation iconographique du roman.



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Introduction générale Points de départ : historiographie et postulats Dans une communication prononcée devant la Real Academia de la Historia de Madrid1 il y a plus d’un demi-siècle, le paléographe espagnol J.M. de Navascués mettait en valeur la nécessité de considérer le document épigraphique, qu’il appartienne à l’Antiquité ou au Moyen Âge, comme une entité complexe et multiforme, composée de caractères externes et internes2. À la fois texte et objet, l’inscription ne peut être réduite à l’une ou l’autre de ces composantes. Elle est un outil de communication et un instrument de conservation, les données textuelles et matérielles se complétant pour assurer la transmission du message. Aussi l’épigraphie doit-elle prendre en compte conjointement ce qui relève du texte (paléographie, préparation du support, ornementation) et de son contenu (données historiques, linguistiques et culturelles). Depuis, les études épigraphiques ont tenté de mettre en place une méthode globale qui puisse répondre à la complexité de l’inscription. Les expériences de recherche ou de publication n’ont cependant pas permis l’établissement d’une réflexion commune. C’est d’autant plus vrai pour l’épigraphie du Moyen Âge qui, à l’inverse de l’épigraphie antique, a connu, depuis le milieu du siècle dernier, un éclatement des projets de publication à l’échelle nationale, chacune des opérations se distinguant par un attachement particulier à l’une ou l’autre des caractéristiques du document épigraphique. Le corpus allemand des inscriptions médiévales, Die deutschen Inschriften, se caractérise par son attention extrême à la paléographie3. Chaque volume accorde ainsi une part importante à l’étude des caractères externes, insistant particulièrement sur les abréviations et sur l’évolution de l’écriture. 1   Navascués, J.M., El concepto de la epigrafía. Consideraciones sobre la necesidad de su ampliación, Madrid, 1953. 2   Ibid., p. 67 : « On peut répartir les éléments d’une inscription en deux groupes. Les premiers sont les éléments externes qui constituent la forme physique, l’écriture, la matière, lesquels formant un tout, produit réel de la culture. Les autres sont les éléments internes, contenus dans le texte de l’écriture, le langage et la pensée, sans plus de réalité que les éléments externes qui leur servent de mode d’expression. » [trad. V. Debiais] 3   La collection Die deutschen Inschriften [désormais DI] regroupe les inscriptions allemandes et autrichiennes, du Moyen Âge à 1650. Le dernier volume Die deutschen Inschriften. Die Inschriften der Stadt Trier, vol. 1, a été publié en 2006.



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L’entreprise récente de publication concernant l’Espagne a également choisi une orientation paléographique, en lien avec l’étude des manuscrits (connaissance des systèmes de conjonctions et d’enclavements des lettres, des abréviations, des conditions techniques et matérielles de l’écriture, identification des mains et des ateliers épigraphiques…)4. Cette orientation, qui traduit un attachement particulier à ce que J.M. de Navascués désignait comme les « caractères externes  » de l’inscription5, se place souvent dans la suite des réflexions de Jean Mallon, publiées à Madrid à la même époque6. Une démarche similaire est adoptée par la toute récente entreprise de publication des inscriptions médiévales italiennes7. Le corpus allemand se distingue toutefois des exemples italiens et espagnols par le développement des renseignements d’ordre bio-bibliographique  ; pour chacune des inscriptions, le chercheur trouvera une identification précise du contenu historique et une bibliographie exhaustive. Le Corpus inscriptionum Medii Aevi Helvetiae, qui regroupe les inscriptions de la Suisse médiévale, se rapproche à ce titre de son homologue allemand8. La démarche française insiste quant à elle sur la dimension textuelle de l’inscription9 ; sans pour autant négliger les données paléographiques ou historiques, les notices du Corpus des inscriptions de la France médiévale identifient avec précision formules et sources du texte et proposent une analyse littéraire du document. Ce rapide tour d’horizon européen des différentes démarches de publication montre la diversité des approches du document épigraphique médiéval ; il permet de constater que l’intuition de J.M. de Navascués, aussi novatrice soit-elle, n’a pas bénéficié d’une véritable postérité, y compris au sein des études espagnoles. La principale limite de sa proposition est qu’elle définit la discipline épigraphique par son domaine d’application, et non par une méthode, et l’inscription 4   La collection espagnole a pour titre Corpus inscriptionum Hispaniae Mediaevalium. Elle est dirigée par le professeur Vicente García Lobo. Le tome I, Zamora. Colección epigráfica, textes édités par M. Gutierrez Alvarez, Turnhout et León, 1997 a été publié dans la prestigieuse collection Monumenta paleographica Medii Aevi. Series hispanica. 5   Navascués, J.M., El concepto…, p. 62. 6   Mallon, J., Paléographie romaine, Madrid, 1952 (Scripturae. Monumenta et Studia, 3). 7   Inscriptiones Medii Aevi Italiae (vie-xiiie siècles). Tome I : Lazio, Viterbo, éd. L. Cimarra et al., Spolète, 2002. Les notices présentent en effet l’ensemble des formes paléographiques remarquables grâce au texte, au dessin et à la photographie. 8   Corpus inscriptionum Medii Aevi Helvetiae. Die frühchristlichen und mittelalterlichen Inschriften der Schweig, éd. C. Pfaff (dir.), Fribourg, 1977-1997, 5 vol. (Scrinium Friburgense). Chaque tome se compose d’un volume de textes et de planches hors-texte d’une grande qualité. 9   Corpus des inscriptions de la France médiévale, éd. par R. Favreau et J. Michaud (dir.), Paris, 23 vol., 1969-2008 [désormais CIFM].



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exclusivement par la nature du support, et non par sa fonction10. Il y avait là un problème méthodologique que les études de R. Favreau et l’introduction de la fonction publicitaire du document comme définition de l’inscription ont en partie résolu11. « L’épigraphie est la science de ce qui est écrit […] en vue de communiquer quelque élément d’information au public le plus large, et pour la plus large durée »12. Dans cette définition simple, R. Favreau évacuait la notion de support dur et durable qui avait permis de définir jusqu’alors le champ d’application de la discipline épigraphique. En effet, en tant que critères relatifs, la dureté ou la durabilité du support du texte ne se trouvent justifiées que par la fonction du message épigraphique  : faire connaître à tous et pour la plus longue durée ; c’est ce double objectif qui préside au choix de la forme de l’inscription et à l’emploi d’un matériau dur et durable. Les études d’épigraphie médiévale se sont jusqu’à présent principalement intéressées à la première partie de la définition, c’est-à-dire à l’analyse du contenu du texte, à l’examen du message de l’inscription, aux éléments d’information présent dans le document épigraphique13. Le début de la même définition (« la science de ce qui est écrit ») a quant à lui été abordé dans les études plus générales sur la pratique de l’écriture au Moyen Âge et sur les similitudes paléographiques potentielles entre inscription et manuscrit14. Ainsi conjointes, ces études ont

10   Navascués, J.M., El concepto…, p. 82 : « Il faut donc considérer l’épigraphie comme une méthode scientifique qui a pour finalité l’étude intégrale des inscriptions. Par inscription, on entend une écriture tracée sur certaines matières de nature non-organique, ou organique parfois, caractérisée par une dureté physique qui requièrent des procédés d’écriture adéquats, différents des usages de l’écriture tracée sur des matériaux courants ». 11   Favreau, R., Épigraphie médiévale…, p. 5. 12   Ibid. 13   La consultation du dernier volume du répertoire rassemblé sous la direction du professeur W. Koch, à l’Université de Munich, montre l’état de la bibliographie épigraphique actuelle : Literaturbericht zur mittekterlichen und neuzeitlichen Epigraphik (1998-2002), éd. W. Koch et F.A. Bornschlegel, Munich, 2005 (MGH Hilfsmittel, 22). 14   Les articles sur ce sujet sont relativement nombreux. On se reportera pour le détail au volume cité ci-dessus, ou encore à la bibliographie proposée par Favreau, R., Épigraphie médiévale…, p. 57-58. Nous citerons toutefois quelques ouvrages de références : Deschamps, P., « Étude sur la paléographie des inscriptions lapidaires à la fin de l’époque mérovingienne aux dernières années du xiie siècle », Bulletin monumental, t. 88, 1929, p. 5-81 ; Favreau, R. et al., « Epigrafia e paleografia. Inchiesta sui rapporti fra de due discipline », Scrittura e civilta, V, 1981, p. 265-312 ; Le Blant, éd., « Paléographie des inscriptions latines du iiie siècle à la fin du viie siècle », Revue archéologique, 3ème série, 29, 1896, p. 177-197 et 345-355 ; 30, 1897, p. 30-40 et 171-184 ; 31, 1897, p. 172-184.



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analysé le contenant et le contenu du document épigraphique, la forme et le fond de l’inscription, l’aspect et la nature de l’information qu’elle transmet.

Public et destinataire La partie centrale de la définition de R. Favreau (« au public le plus large ») reste quant à elle vierge de toute enquête épigraphique. L’universalité du message recherchée par l’inscription pourrait expliquer ce silence historiographique, qui dépasse d’ailleurs largement le champ de l’épigraphie, même si les réflexions d’Éric Auerbach publiées en 1958 font figure d’exception quant à la connaissance du public et restent une référence bibliographique fondamentale15. Dans le domaine des inscriptions, seules quelques études ont évoqué la question du public concerné par la transmission du message. Elles envisagent surtout l’Antiquité, grecque et romaine16, où la familiarité du public avec le phénomène épigraphique génère des observations assez différentes de ce que l’on trouverait pour le Moyen Âge. Il s’agit dans la plupart des cas d’études ponctuelles sur un état particulier de la documentation qui ne proposent pas de synthèse générale sur cette question complexe17. Cette absence de travaux peut également s’expliquer par le fait que la connaissance du public des textes médiévaux repose essentiellement sur une reconstruction intellectuelle et sur une interprétation théorisée des sources. Il s’agit de procéder à la recherche d’un groupe changeant, à partir d’objets documentaires très discrets sur leur(s) destinataire(s). Le public, inconnue majeure de la pratique épigraphique, constitue pourtant l’élément fondamental pour appréhender la place des 15   Auerbach, E., Literary Language and its Public in Late Latin Antiquity and in the Middle Ages, Princeton, 1993 (1ère éd.: 1958). 16   Nous citerons ici pour exemple le livre fondamental de Valette-Cagnac, E., La lecture à Rome, Paris, 1997 (L’Antiquité au présent) ; voir aussi Svenbro, J., Phrasikleia. Anthropologie de la lecture en Grèce ancienne, Paris, 1988 (Textes à l’appui) ; Achard, G., La communication à Rome, Paris, 1994 (1ère éd. : 1991). 17   Les études consacrées à la prédication médiévale se sont fait l’écho des questions concernant le public des sermons et des textes pastoraux. Voir en particulier l’excellent article de Berlioz, J., « L’auditoire des prédicateurs dans la littérature des exempla (xiiie-xive siècles) », dans Dal pulpito alla navata. La predicazione medievale nella sua reazione da parte degli ascoltatori (xiiie-xve siècles). Convegno internazionale in memorio di Zelina Zeforana, Firenze, 5-7 gingno 1986. Medioevo e Renascimento. Annuario del Dipartimento di studi nel Medioevo e il Renascimiento dell’Universita di Firenze, 3, 1989, p. 125-158.



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inscriptions dans la communication médiévale. Il détermine en grande partie les conditions de production et d’émission du message, ainsi que le statut de l’inscription dans la culture écrite. Pour saisir le public, on doit notamment envisager la composition du groupe, son attitude face au texte, le statut qu’il accorde aux documents, mais il faut pour cela poser au sujet de cette notion un postulat fort : le public des inscriptions médiévales doit être abordé comme une potentialité, c’està-dire qu’il se définit par la capacité des récepteurs à percevoir le message des inscriptions, à une échelle variable en fonction des individus, de leur formation et de leur familiarité avec le phénomène écrit, en sachant que cette capacité doit être activée par une série de phénomènes propres au document perçu (visibilité, lisibilité, codes esthétiques, fonctionnels ou formels). L’inscription étant définie par A. Petrucci comme une « écriture exposée18 » à la vue du plus grand nombre, il faut distinguer le public du destinataire du message. Ces deux notions recouvrent parfois une même réalité quand l’inscription mentionne explicitement les personnes pour lesquelles a été préparé le texte et lorsque les conditions de son exposition rendent cette adresse effective et forcément exclusive. La notion de public renvoie donc à un groupe beaucoup plus large que le destinataire (individuel ou collectif). L’inscription placée en 1256 sur une Vierge de vermeil du Trésor de la cathédrale NotreDame de Chartres, rendait compte du décalage entre les deux termes. On trouvait, au pied de la statue, le texte suivant : anno ab incarnatione Domini m°cc°l° sexto Alaydis abbatissa monasteriolo me fecit fieri ; au-dessous, on pouvait lire : quicumque haberit et viderit oret pro ea et pour celuy qui la fit19. La mention des 18   Petrucci, A., Jeux de lettres. Formes et usages de l’inscription en Italie (xie-xxe siècles), Paris, 1993, p. 10 : « Par écriture exposée, on entend n’importe quel type d’écriture conçu pour être utilisé dans des espaces ouverts, voire dans des espaces fermés, de façon à permettre la lecture à plusieurs (de groupe ou de masse) et à distance d’un texte écrit sur une surface exposée ; la condition nécessaire pour qu’il puisse être saisi est que l’écriture exposée soit de taille suffisante et qu’elle présente d’une manière suffisamment évidente et claire le message (des mots et/ou des images) dont elle est porteuse ». 19   Chartres (28), cathédrale Notre-Dame, inscription disparue (autrefois  : trésor). 1256. On ignore aujourd’hui le sort de cet objet qui n’apparaît plus dans l’inventaire du trésor de la cathédrale. Cette statue de vermeil doré représentait la Vierge tenant son fils appuyé sur son bras gauche et reposant sur un pied à huit pans contenant les reliques. Trad. : L’an de l’Incarnation du Seigneur 1256, Alode, abbesse de Montreuil me fit faire. Que quiconque lisant ou voyant [ce texte] prie pour elle et pour celui qui l’a fait. Sur cet objet, voir Merlet, L., Catalogue des reliques et des joyaux de l’église Notre-Dame de Chartres, Chartres, 1885, p. 18-19 [texte]. Pour le rapport des textes épigraphiques, les petites capitales figurent la transcription littérale, avec éventuellement les signes diacritiques pour les développements et restitutions des lacunes ; l’italique a été réservé à l’édition critique et développée des textes.



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Fig. 1.  Poitiers (86), musée Sainte-Croix (prov. : église Saint-Hilaire-le-Grand). Inscription funéraire de Rotbertus (seconde moitié du xie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

verbes habere et videre distingue le destinataire du texte (quicumque haberit, ici le détenteur de l’objet) de l’ensemble des percepteurs de l’inscription (quicumque viderit), qui, par la vision et éventuellement la lecture, deviennent potentiellement public. Un texte du xie siècle, conservé au musée Sainte-Croix de Poitiers (fig. 1), témoigne d’une même ambigüité : o vos fratres et sorores qui scitis litteras si Deum habeatis adiutorem orate pro anima eius20. L’épitaphe du moine Rodbertus propose d’introduire la connaissance des lettres (scitis litteras) dans la définition du destinataire du texte et distingue celui qui peut lire l’inscription de celui qui n’en fait que l’expérience des sens. L’ambiguïté de la formule scitis litteras laisse la place à de nombreuses interprétations (de la simple reconnaissance de la graphie à la capacité d’une lecture intelligente) et introduit la lecture comme élément déterminant dans la définition du public épigraphique. L’inscription de Rodbertus date sans doute du dernier quart du xie siècle, mais elle se place dans une tradition beaucoup plus ancienne, perceptible dans la composition et dans le vocabulaire de l’inscription. La description du défunt, les énoncés topiques de ses qualités et la forme des appels à la prière renvoient à un modèle d’inscription   Poitiers (86), musée Sainte-Croix (prov. : Saint-Hilaire-le-Grand). 2ème moitié du xie siècle. Épitaphe de Rodbertus. CIFM 1, 86, p. 106-108. Trad. : O vous, frères et sœurs qui savez les lettres, si vous mettez votre appui en Dieu, priez pour son âme.

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funéraire influencé par les traditions épigraphiques romaines et par les auteurs des viie-ixe siècles dans la diffusion de stéréotypes littéraires. L’expression vos qui scitis litteras traduit le même ancrage dans une culture qui considère la lecture comme une capacité technique limitée, réservée à quelques savants initiés à cet ars dans le silence érudit des scriptoria monastiques ou dans le confort des cours princières21. Cette inscription témoigne toutefois des premiers signes d’une réflexion sur la lecture et révèle les prémices d’une interrogation sur la nature et le statut du texte dans une société qui s’apprête à connaître des bouleversements culturels importants. Il faut laisser s’écouler un siècle et demi pour que la redécouverte des auteurs et des sources classiques, au xiie siècle, accélère cette réflexion sur la nature et le statut du texte. Plusieurs traités sont alors rédigés sur l’enseignement et sur la fonction des textes et de leur lecture dans la formation intellectuelle. L’école de Saint-Victor de Paris est la plus productive sur ce sujet au xiie siècle, avec les travaux d’Hugues et de Richard concernant les études scripturaires22. C’est surtout avec le développement de la scolastique que les débats connaîtront les réflexions les plus poussées, la base de chaque cours (disputatio) reposant sur le texte lui-même, sur son explication et sur son interprétation. Les transformations intellectuelles ne se limitent pas au monde de l’enseignement tel qu’il peut être dispensé dans les écoles cathédrales et plus tard dans les universités. L’ensemble de la culture médiévale se trouve bouleversée, à la même époque, dans ses modalités d’expression et dans ses productions. Même si elles ne deviennent pas exclusivement scolastiques, les créations écrites ou artistiques se calquent sur la pensée qui s’exprime dans le milieu universitaire, lui empruntant principes et modèles23. On assiste alors à un renouvellement de la production culturelle, avec un transfert de la suprématie monastique du Moyen Âge central vers la cathédrale et le monde canonial, vers la chaire et le monde universitaire. La princi21   Riché, P., Écoles et enseignement dans le Haut Moyen Âge (fin ve-milieu xie siècle), Paris, 1999 (1ère éd. : 1979), p. 49-64, en particulier p. 60-61. 22   Voir Hugues de Saint-Victor, Didascalicon, éd.-trad. M. Lemoine, Paris, 1991 (Sagesses chrétiennes), livre II, chap. 28 ; Richard de Saint-Victor, Liber exceptionum, éd. J. Châtillon, Paris, 1958 (Textes philosophiques du Moyen Âge, 5), livre I, chap. 2. Sur ce sujet, voir Sicard, P., Hugues de Saint-Victor et son école, Turnhout, 1991 (Témoins de notre histoire), p. 91 ; Lemoine, M., « Les notions de philosophe et de philosophie dans l’école de SaintVictor », dans Langage, sciences, philosophie au xiie siècle. Actes de la table-ronde du 25-26 mars 1998, études réunies par J. Biard, Paris, 1999 (Sic et non), p. 11-22. 23   Paul, J., Histoire intellectuelle de l’Occident médiéval, Paris, 1998.



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pale conséquence réside dans l’apparition d’une culture majoritairement urbaine, au service d’une pensée qui reflète, dans son organisation et ses manifestations, une nouvelle répartition topographique du pouvoir et de la population24.

Une nouvelle culture écrite (xiiie- xive siècle) Les mutations des xiie-xiiie siècles reposent sur quatre évolutions majeures. La première concerne la nature de la culture médiévale et la diversification de son contenu. Les textes se font plus complexes et accordent une place à des sujets de plus en plus nombreux qui, jusqu’au xiie siècle inclus, étaient absents des témoignages écrits. La culture médiévale s’élargit considérablement, créant de nouvelles catégories et de nouvelles oppositions. Les polarités entre culture cléricale et culture laïque, culture religieuse et culture profane se renforcent dans la plupart des cas. Paradoxalement, l’abondance thématique entraîne aussi des rapprochements dans certaines catégories dont les frontières s’estompent. Les idées s’échangent, se mêlent et s’influencent dans la création d’un contenu souvent original, parfois ambivalent. La traduction, la compilation et la diffusion des œuvres classiques transforment le savoir médiéval. La diversification permet l’introduction simultanée de nouveaux éléments textuels créés aux xiie- xiiie siècles, au premier rang desquels figurent les œuvres de fiction. À partir du xiiie siècle, les vecteurs de la production culturelle se transforment. Après lui avoir servi de définition depuis l’Antiquité tardive, l’opposition traditionnelle entre vecteur oral et vecteur écrit implose dans les dernières années du xiie siècle. Comme l’a démontré Brian Stock, le système dualiste opposant écriture et oralité se fait de plus en plus relatif25 ; une grande perméabilité apparaît entre les deux médias, aussi bien dans la performance orale du texte écrit que dans la mise par écrit du texte prononcé à l’oral26. De même, Joyce Coleman a montré que cette opposition traditionnelle est invalide pour la   Chedeville, A., Le Goff, J., Rossiaud, J., La ville en France au Moyen Âge, Paris, 1988 (1ère éd. : 1980). 25   Stock, B., The Implications of Literacy. Written Language and Models of Interpretation in the Eleventh and Twelfth Centuries, Princeton, 1983. 26   Coleman, J., Public Reading and the Reading Public in Late Medieval England and France, Cambridge, 1996 (Cambridge Studies in Medieval Literature, 26), p. 12 : « Le texte médiéval n’atteint pas son autonomie par la mise par écrit ; il est toujours fortement dépendant d’un milieu et d’une performance » [trad. V. Debiais]. 24



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communication des xiie-xive siècles, en proposant l’existence de l’aurality, notion intermédiaire entre l’oral et l’écrit27. La transmission des données culturelles est ainsi, à compter de la fin du xiie siècle, assurée par une médiation associant écriture et oralité dans des relations complexes de domination, d’influence et de partage28. Plusieurs types de sources se font l’écho de telles transformations. Les œuvres de fiction évoquent ainsi, dans leur prologue, l’expérience orale du récit. On pourrait citer quelques vers de Chrétien de Troyes, dans le Roman de Perceval, où le poète implore l’indulgence de celui qui va entendre son récit29, ou dans Erec et Enide, où il invite l’auditeur à prêter attention à ce qu’il va prononcer par la voix30. De même trouvet-on au début du Roman d’Alexandre une recommandation à celui qui écoutera le récit31. Nombreuses sont les œuvres des xiie-xiiie siècles qui font ainsi appel au topos de l’auteur s’adressant à son auditoire plutôt qu’à ses lecteurs. Si elle ne permet pas de décrire de façon empirique les conditions de la performance orale des textes de fiction, cette tournure introductive fortement stéréotypée témoigne en revanche de l’influence de l’oralité dans la mise par écrit des œuvres littéraires, présente depuis longtemps dans les textes relatifs à la prédication. Les sermons, dans leur forme écrite, portent les marques de la prononciation du prédicateur, par des adresses, des apostrophes et des interpellations, ou par des remarques face à l’attitude de l’auditoire32. De nombreux textes de Bernard de Clairvaux en témoignent,

27   Joyce Coleman donne le nom d’aurality à cet état intermédiaire, en insistant sur la part d’oralité qui subsiste dans chaque texte écrit. Ibid., p. 19 : « Oralité et écriture ne s’expliquent pas dans une relation exclusive mais dans un esprit de domination  » [trad. V. Debiais]. 28   Voir à ce sujet le beau livre de Zumthor, P., La lettre et la voix : de la « littérature médiévale », Paris, 1987 (Poétique). 29   Chrétien de Troyes, Le roman de Perceval ou le conte du Graal, éd. K. Busby, Tübingen, 1993, v. 62-68. 30   Id., Erec et Enide, éd. M. Roques, Paris, 1955 (Classiques français du Moyen Âge, 89), v. 9-13. 31   Le Roman d’Alexandre, v. 1-3, cités ici dans la version dite de la « branche 1 », publiée dans The Medieval French Roman d’Alexandre. Volume III : Version of Alexandre de Paris. Variants and notes to Branch I, éd. A. Foulet, New York, 1965 (1ère éd. : Princeton, 1949), p. 101. 32   Berlioz, J., « L’auditoire… », p. 135. Sur cette question, voir également Amos, Th., « Early Medieval Sermons and their Audience », dans De l’homélie au sermon. Histoire de la prédication médiévale. Actes du colloque international de Louvain-la-Neuve (9-11 juillet 1992), éd. J. Hamesse et X. Hermand, Louvain, 1993, p. 1-15 ; voir également la communication de Kienzle, B.M., « Medieval Sermons and their Performance Theory and Record », dans Preacher, Sermon and Audience in the Middle Ages, éd. C. Muessig, Boston, 2002, p. 89-124, p. 104.



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avec l’emploi du mode direct33, d’apostrophes (fratres34, dilectissimi35), et, en règle générale d’un style vivant et interactif36. Cette caractéristique marque le genre littéraire du sermon jusqu’à la fin du Moyen Âge, en latin comme en langue vernaculaire ; l’exemplum constitue pour le prédicateur l’occasion de jouer avec les réactions de son public et la lecture des introductions aux exempla compilés par Jacques de Vitry ou Thomas de Cantimpré permet d’en mesurer la vitalité littéraire37. L’importance du caractère oral du sermon et la nécessité de cette dynamique apparaissent sur le plan théorique dans la plupart des artes praedicandi. Au début du xiie siècle, Alain de Lille insiste ainsi sur la nécessité de capter l’attention de l’auditoire par la prononciation du sermon38; Thomas de Chobham écrit vers 1227-1228 que le prédicateur doit adapter le ton de sa voix à la teneur de son propos pour l’efficacité de son discours39. Les documents épigraphiques témoignent quant à eux depuis l’Antiquité et le haut Moyen Âge de l’importance de l’oralité. Les apostrophes au lecteur seront l’occasion d’appréhender, jusqu’au xve siècle, les relations entre écriture du texte et nécessité orale de la communication. Ainsi trouvait-on dans une épitaphe datant du début du xive siècle, conservée autrefois dans l’abbaye de Septs-Fonds, 33   Voir par exemple le sermon II pour la Résurrection du Christ, PL 183, col. 284 : Nunquid ut suscitarent ? Et nos scimus, fratres, quia suscitare nostrum non est, sed ungere nobis uncumbit. Cur hoc ? Un autre exemple de cette vitalité du sermon se trouve chez Isaac de l’Étoile, Sermons, éd. A. Hoste, Paris, 1967, 3 vol. (Sources chrétiennes, 130), vol. I, sermon 8, 1 : Eia, fratres, iam fatigati ex labore paululam respiremus, utque reparatiores ad laborem resurgamus, modium, hesterni obsonii, quod reservavimus gustemus. 34   Voir le sermon pour la fête du pape Clément, PL 183, col. 500 : Vestrum autem certamen quale est, fratres mei ? 35   Voir par exemple le sermon 1 pour la fête de la Conversion de saint Paul, PL 183, col. 359 : Merito quidem, dilectissimi, conversio Doctoris gentium ab universitate gentium festivis gaudiis hodie celebratur. 36   Pour les questions relatives à saint Bernard, voir Holdsworth, Ch., « Were the Sermons of St Bernard on the Song of Songs ever Preached », Medieval Monastic Preaching, éd. C. Muessig, Boston, 1998, p. 295-318. 37   Bremond, Cl., Le Goff, J. et Schmitt, J.-Cl., L’exemplum, Turnhout, 1982 (TSMAO, 40) [contient une étude sur les exempla de Jacques de Vitry] ; sur Thomas de Cantimpré, voir Thomas de Cantimpré, Les exemples du Bonum universale apibus, texte présenté, traduit et commenté H. Platelle, Turnhout, 1997. 38   Alain de Lille, Summa de arte praedicatoria, PL 210, col. 111-198. col. 113, chapitre I : Consequenter, praedicator debet captare benevolentiam auditorum a propria persona per humilitatem, et a rei quam proponit utilitate, dicendo, se iis proponere verbum Dei, ut fructum faciat in mentibus eorum, non ad terrenum emolumentum, sed ad provectum et profectum eorum. 39   Thomas de Chobham, Summa de arte praedicandi, éd. F. Morenzoni, Turnhout, 1988 (Corpus Christianorum Continuatio Mediaevalis [désormais CM], 82). Livre VII, 2-5 : Debet etiam predicator conformare vocem suam materie de quia loquitur. Ut si utitur comminationibus Dei vel detestatione rerum turpium, debet habere vocem graviorem.



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l’apostrophe exprimée au style direct  : fratres anima ipsorum requiescat in pace amen40. De même l’épitaphe de Marie Guérande, autrefois conservée à l’abbaye de Bonport, donnait-elle le texte suivant : vos tous qui passez p(ar) chi priez Diex que ait de moy merchi41. Enfin, un vers de l’épitaphe du cardinal de la Chapelle Taillefer, mort en 1312 et inhumé dans la cathédrale Saint-Étienne de Limoges, interpellait tout aussi directement les lecteurs de l’inscription : aspice qui memor es fuge labentes subito res42. Toutefois, en dehors des quelques exemples de ce type, et contrairement à la littérature pastorale ou aux romans de fiction, les inscriptions permettent rarement de repérer la trace de leur performance orale. Les autres sources se montrent par ailleurs discrètes quant à la lecture publique des inscriptions43. Le troisième bouleversement culturel des xiie- xive siècles concerne l’introduction des langues romanes, qui restent toutefois réservées à un certain nombre de textes spécifiques. Face à ce développement, la langue latine ne disparaît pas ; elle est au contraire d’un usage indispensable pour la plupart des documents (chartes, textes juridiques, écrits religieux ou savants). Bien plus, on assiste, à la fin du xiiie siècle, à un retour au latin pour des textes rédigés auparavant en langue vernaculaire. Les inscriptions funéraires offrent un exemple concret de ce phénomène avec la réapparition, au xive siècle, d’épitaphes latines versifiées, présentant volontairement des structures et un voca40   Diou (03), abbaye de Sept-fonds. Épitaphe pour Hugues de Varigny, mort le 12 septembre 1309. Voir le dessin de la collection Gaignières de la plate-tombe reproduit dans De Vaivre, J.-B., « Dessins inédits de tombes médiévales bourguignonnes de la collection Gaignières », Gazette des Beaux-Arts, 1986, t. II, p. 121, n° 60. 41   Pont-de-l’Arche (27), abbaye de Bonport. Épitaphe pour Marie Guérande (1317). Une partie de cette pierre se trouve aujourd’hui au musée d’Évreux. Voir Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la collection Gaignières. Dessins d’archéologie du xviie siècle », Gazette des Beaux-Arts, t. I, 1974, p. 113, n° 614. 42   Limoges (87), cathédrale. Épitaphe du cardinal de la Chapelle-Taillefer (1312). Trad. : Contemple, toi qui es mémoire, et cherche donc à éviter les choses qui vacillent et s’écroulent subitement. Texte donné par Texier, J., « Recueil des inscriptions du Limousin », Mémoires de la Société des antiquaires de l’Ouest, 1850, p. 214-220. 43   On trouve parfois dans la bibliographie des mentions de lecture publique d’inscriptions au haut Moyen Âge mais celles-ci ne sont que rarement fondées sur des récits contemporains et constituent un a priori assez courant. Sur ce sujet, voir Palazzo, É., « Les pratiques liturgiques et dévotionnelles et le décor monumental dans les églises du Moyen Âge », dans L’emplacement et la fonction des images dans la peinture murale du Moyen Âge. Actes du 5ème séminaire international d’art mural, Saint-Savin, 1992 (Cahiers, 2), p. 50 : « Les tituli, peut-être expliqués et commentés par le clergé lors de célébrations particulières, fournissaient l’exégèse des peintures, nécessaire à une pastorale efficace, insistant sur la conversion au christianisme et contribuant ainsi à la lutte contre l’hérésie ».



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bulaire anciens. Dans l’épitaphe du cardinal de la Chapelle Taillefer précédemment citée, on trouve, au vers 13, l’hexamètre léonin praeses Agennensis post haec antistes et ensis, dont certains éléments peuvent être attestés dès le ixe siècle44. À partir de 1200, la promotion des langues vernaculaires en parallèle au maintien du latin produit un phénomène de bilinguisme variable selon les cas. La cohabitation des deux langues peut être constatée notamment dans certaines inscriptions qui donnent, au cœur d’un texte en langue vulgaire, l’incipit latin des prières : p(r)i(e)z / pour lui + pour to(u)s / autres pater noster45. Cet exemple mayennais du xive siècle témoigne de la persistance du latin pour les formules liturgiques, les éléments de datation, certaines tournures introductives ou notificatives, etc. Des textes latins peuvent également être adaptés directement en langue vulgaire, notamment dans des inscriptions, la syntaxe conservant l’empreinte latine du texte original, surtout quand il s’agit d’un modèle métrique. L’évolution linguistique permet une mise en adéquation entre le contenu et la forme du texte. Comme le prédicateur adapte le ton de sa voix au message qu’il transmet à son auditoire, l’écrit adapte sa langue aux données qu’il véhicule46, s’éloignant du caractère symbolique qu’elle a pu recouvrir dans les premiers siècles du Moyen Âge, et faisant du texte un vecteur de communication, et non plus seulement un moyen de conservation du savoir. Les bouleversements dans la nature, le contenu, les méthodes de transmission et l’expression linguistique de la culture entraînent un changement important dans le statut du texte. À partir de la fin du xiie siècle, le volume documentaire augmente considérablement en raison de la multiplication, voire de la systématisation, du recours à l’écrit47. Quelle que soit la nature de son support, le texte devient un objet d’utilisation courante, pour des usages traditionnels (études, 44   Le mot antistes se retrouve déjà en 882 à la basilique Saint-Ambroise de Milan, de même que le terme ensis placé en fin de vers chez plusieurs poètes carolingiens, dont Micon de Saint-Riquier. 45   Voutré (53), église paroissiale. Épitaphe de Guillaume de Courbehier (1388). Angot, A., Épigraphie de la Mayenne, Paris, 1907, t. II, p. 420-421. 46   Coletti, V., L’éloquence de la chaire. Victoires et défaites du latin entre Moyen Âge et Renaissance, Paris, 1987 (1ère éd. : 1983) ; Lusignan, S., « Le français et le latin aux xiiie-xive siècles : pratique des langues et pensée linguistique », Annales E.S.C., Paris, 42, 1987, p. 956 : « Entre le xiie et la fin du xive siècle, le français élargit le domaine de ses compétences d’une langue de communication orale à celle d’une langue qui exploite finalement la plupart des registres de l’écriture ». 47   Clanchy, M.T., From Memory to Written Word. England (1066-1307), Londres, 1979, p. 87 : « En règle général, l’extension de la pratique de l’écrit ne s’accompagne pas de la création



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liturgie, commémoration) mais également pour des circonstances nouvelles (enseignement, économie, justice). L’écrit n’est plus systématiquement un « monument en soi »48 ; il ne se résume plus à la consignation du Verbum Dei, qui lui donnait sa sacralité et son efficacité49. Le terme textus ne renvoie plus, comme il l’a fait jusqu’au xie siècle, aux péricopes bibliques, aux passages liturgiques ou patristiques, mais en vient à désigner tout objet écrit, au-delà du contenu ou de la forme. L’ensemble de ces modifications dans les données culturelles des xiiie-xive siècles contribuent à faire passer la civilisation médiévale à un véritable état de culture écrite qui consigne, conserve et transmet ses productions par l’intermédiaire du texte.

L’inscription face aux changements culturels de la fin du Moyen Âge Dans cette période de transition, la documentation épigraphique, écriture publique par excellence, va connaître des changements du même ordre. On constate, à partir des années 1180, une augmentation importante du nombre des inscriptions sur l’ensemble du territoire français. Plus de la moitié des documents épigraphiques du Moyen Âge appartient ainsi aux xiiie-xve siècles, soit plus de 15 000 textes. Cette augmentation est exponentielle, de la fin du xiie siècle aux années 1460-1470. Un certain ralentissement est perceptible dans le dernier quart du xve siècle. Cette «  révolution documentaire  » reflète ce que l’on constate généralement pour les témoignages manuscrits traditionnels. L’augmentation des documents épigraphiques affecte tous les types d’inscriptions, quelle que soit leur forme ou leur fonction ; elle est toutefois beaucoup plus sensible pour les textes à vocation commémorative ou funéraire (épitaphes, fondations d’anniversaires, etc.) en raison de mutations profondes dans les mentalités et les pratiques mémorielles médiévales. La diversification des thèmes abordés dans le texte médiéval se retrouve dans la documentation épigraphique. La domination de l’usage funéraire des inscriptions n’empêche pas l’apparition de textes abordant des thèmes de nouveaux genres littéraires, au moins pas de façon significative. Ce qui augmente, c’est le nombre de documents et les modes de communication ». [trad. V. Debiais] 48   Palazzo, É., « Tituli et enluminures dans le haut Moyen Âge (ixe-xie siècles) : fonctions liturgiques et spirituelles », dans Épigraphie et iconographie. Actes du Colloque de Poitiers. 5-8 octobre 1995, sous la direction de R. Favreau, Poitiers, 1996 (Civilisation médiévale, II), p. 174. 49   Coletti, V., L’éloquence…, p. 14 : « Les origines bibliques du christianisme expliquent son attachement au langage écrit qui assure l’immuabilité de la révélation et sa répétition perpétuelle ».



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originaux, témoignant de l’usage de plus en plus diversifié des inscriptions. Elles deviennent, à partir du xiiie siècle, un moyen d’expression du pouvoir public et urbain, un instrument de communication dans les échanges commerciaux, une manifestation de la présence des nouvelles organisations civiques. Le document épigraphique n’a plus une vocation religieuse, codifiée et exclusive, mais se répand au contraire dans toute la société qui s’en approprie et en développe l’utilisation. On constate également une diversification des acteurs de la communication épigraphique à partir des années 1190-1210. Les autorités ecclésiastiques conservent leur rôle prédominant dans l’émission des inscriptions, mais le partagent désormais avec des institutions civiles et avec des particuliers (clercs ou laïcs). L’émetteur du texte, individuel ou collectif, n’appartient plus exclusivement à l’autorité détentrice depuis le haut Moyen Âge des moyens de la communication écrite. Ce changement en amont, qui transforme parfois l’écriture d’une inscription en un acte informel, individuel et spontané, se répercute dans la forme des textes. Les inscriptions à caractère monumental diminuent en effet dans les années 1380-1400, laissant la place à des textes à vocation publique restreinte (exposés à la vue de tous, mais de taille et de mise en espace plus modestes). Une telle diversification se note également avec l’apparition de nouveaux types épigraphiques dans la deuxième moitié du Moyen Âge : naissance de la plate-tombe, développement des textes dans les programmes vitrés, omniprésence des inscriptions accompagnant les motifs héraldiques (armes et devises), multiplication des textes relatifs à la propriété, etc. D’un point de vue technique, les inscriptions des xiiie-xive siècles connaissent un changement dans les conditions matérielles de leur production. Même s’il est anachronique de parler de fabrication en série, l’apparition par exemple de la plate-tombe a permis de produire un grand nombre de pièces à partir d’un modèle prédéterminé par la nature et la fonction de l’objet, certaines études ayant mis en lumière l’existence d’ateliers ou d’artisans spécialisés50. Du point de vue linguistique, il faut attendre les années 1310 pour trouver autant d’inscriptions en langue vernaculaire que de textes épigraphiques en

50   On verra à ce sujet deux articles de Nys, L., « La commande en art funéraire à la fin du Moyen Âge : le cas des lames gravées à Tournai et dans les régions limitrophes », dans L’artiste et le commanditaire aux derniers siècles du Moyen Âge, xiiie-xvie siècles, Paris-Sorbonne, 2001, p. 150-165 ; « Un ensemble d’art funéraire tournaisien : les lames gravées découvertes sur le site de l’ancienne abbaye de Fontenelle », Valentiana, 1990, n° 5, p. 46-63.



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latin51. On notera d’importantes disparités géographiques dans ce développement, les régions du nord ouest de la France ayant subi l’influence des langues vernaculaires de façon plus précoce et plus prononcée52. La documentation épigraphique participe donc des bouleversements culturels de la fin du Moyen Âge français, en se faisant à la fois acteur et témoin des modifications de la culture écrite au cours des xiiie-xive siècles. En tant que vecteur privilégié de la diffusion des messages écrits au sein de la société médiévale, l’inscription constitue un moyen original d’appréhender ces différents changements. L’inscription constitue un système de signes ; la documentation atteste en effet qu’il s’agit toujours d’une donnée complexe, composée d’éléments de nature différente dont les relations conditionnent la perception, la lecture et l’interprétation du message  ; en bref les modalités de la communication épigraphique. On peut donc faire appel à une analyse sémiotique de l’inscription permettant de considérer chaque document comme une unité complexe composée d’aspects de nature diverse. Une démarche de sémiotique générale, qui doit être considérée comme un outil, un auxiliaire d’analyse, et non pas comme une fin en soi, permet de mettre en évidence les relations existant entre les différents types de langage qui se combinent dans les modes complexes de communication53. Même si elle est utilisée avec profit depuis une trentaine d’années dans les recherches historiques, notamment dans un certain nombre d’études d’histoire de l’art54, les historiens du texte lui ont longtemps préféré la linguistique, qui permet pourtant uniquement d’étudier la dimension textuelle, et qui entraîne, dans le cas de l’inscritpion, l’élision de plusieurs aspects essentiels. La définition de la sémiotique ne se reconnaissant aucun objet d’étude propre et se posant comme grille de lecture et de com51   On compte uniquement trois inscriptions en langue vernaculaire pour le xiie siècle sur l’ensemble du territoire français, dont le titulus du baptistère Saint-Jean de Poitiers. Voir CIFM 1, 11. 52   Les exemples normands sont une bonne illustration de ce phénomène linguistique appliqué à l’épigraphie. Voir à ce titre l’introduction de R. Favreau dans CIFM 22, p.7-8. 53   Klinkenberg, J.M., Précis de sémiotique générale, Bruxelles, 1996 (Culture et Communication), p. 23. 54   Pour une réflexion théorique sur ce point, voir l’article de Damish, H., « Sémiologie et iconographie », La sociologie de l’art et sa création interdisciplinaire, Paris, 1976, p. 29-39. Le livre de J.-Cl. Bonne sur le tympan de Sainte-Foy de Conques constitue un exemple de l’efficacité de cette discipline dans l’analyse des formes plastiques. Bonne, J.-Cl., L’art roman de face et de profil. Le tympan de Conques, Paris, 1984.



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préhension des systèmes de signes55, il n’existe d’un point de vue épistémologique aucune objection à son emploi dans l’analyse de la communication épigraphique médiévale. Il permettra au contraire d’envisager tous les aspects de l’inscription (des données formelles au contenu textuel), de rassembler les conclusions issues de disciplines très diverses (histoire des textes, linguistique, paléographie, diplomatique, héraldique, histoire de l’art et de l’architecture, iconographie,…) et de faire apparaître un objet intellectuel unique, tel qu’avait pu le définir J. M. de Navascués56. Sa perception, sa lecture et l’interprétation de son message sont les trois aspects qui retiendront ce livre, en essayant d’inclure les inscriptions dans une étude plus générale de la communication publicitaire à la fin du Moyen Âge.

  Klinkenberg, J.M., Précis..., p. 19 : « La sémiotique n’a pas d’objet propre mais constitue une grille d’analyse particulière de certains phénomènes ». 56   Navascués, J.M., El concepto…, p. 82. 55



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Première partie Signes et matières : voir les inscriptions médiévales

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Définition liminaire : de la perception Étudier la perception du support d’un message écrit permet d’isoler le premier temps de la démarche de communication, en la distinguant de l’appréhension du texte et de son interprétation. La conception sémiotique de la perception repose sur deux définitions complémentaires  : d’une part sur les réflexions des philosophes contemporains, comme Merleau-Ponty ou Alain, qui considèrent la perception comme l’appréhension du monde par l’homme, et qui désignent sous un même terme l’action de percevoir et le produit de cette action1 ; d’autre part sur la conception physiologique de la perception qui la définit comme la réaction d’un sujet face à une stimulation extérieure, réaction qui met en jeu les organes des sens et le système nerveux central pour l’identification de l’objet perçu et sa différenciation des autres objets. Dans le cadre de l’étude des publics d’un phénomène culturel donné, l’analyse de la perception permet de mesurer le rôle exact du percepteur du message, sa part d’activité et de décision dans l’expérience de communication, son intention, sa volonté, sa participation active à l’échange d’informations étant conditionnées par sa capacité à entrer en contact par les sens avec le message écrit. Dans la communication épigraphique, la perception doit prendre en compte la nature même de l’inscription, à la fois texte et matière. Au texte traditionnel s’ajoute une troisième dimension, celle de la profondeur et du volume du support, de la densité de la matière et de l’étendue de l’objet, l’ensemble lui donnant sa réalité matérielle. La perception de cet objet se fait dans un espace donné, le contexte du document, dans lequel on mesure la portée du texte et le statut de l’écriture. L’importance de l’espace de langage a été particulièrement soulignée par Roy Harris qui affirme qu’il s’agit de l’un des éléments

1   Voir l’article « Perception » dans Encyclopédie philosophique universelle. T. II-2 : les notions philosophiques, Paris, 2002 (1ère éd. : 1990), p. 1897-1903. Voir aussi Merleau-Ponty, M., Phénoménologie de la perception, Paris, 1992 (1ère éd. : 1945), p. 240 : « La perception ne se donne pas d’abord comme un événement dans le monde auquel on puisse appliquer, par exemple, la catégorie de causalité, mais comme une recréation ou une re-construction du monde à chaque moment ».



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qui fondent le sens du texte, au-delà de son contenu2. L’un entretient des rapports avec l’autre, et les relations entre l’objet perçu et son contexte déterminent les formes de la perception.

2   Harris, R., La sémiologie de l’écriture, Paris, 1993, p. 140 : « Le contexte permet de conférer à une forme graphique un certain statut grammatical et sémantique de façon tout à fait indépendante de sa prononciation ».



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L’objet perçu : vers une redéfinition de l’inscription médiévale L’étymologie du mot « inscription » renvoie aux racines latines in- (sur) et scrib- (écrire), et désigne ainsi un ensemble de caractères inscrits sur une surface quelconque. Le sens contemporain du mot « inscription » (à savoir un ensemble de caractères écrits ou gravés sur une surface dure pour transmettre une information) apparaît très tôt dans l’Antiquité latine. On le rencontre déjà chez Cicéron, dans le sens d’inscrire un texte sur un monument1 ou sur une statue2, mais aussi chez Plaute, dans le sens d’affiche3. Le Moyen Âge latin conserve ces différentes acceptions jusqu’au xve siècle, même si l’usage du mot inscriptio est plus faible que l’emploi du terme titulus, lui aussi hérité d’un usage antique. Le mot français « inscription » fait son apparition à la fin du Moyen Âge, notamment dans le roman allégorique de René d’Anjou. Si les définitions des dictionnaires contemporains énoncent deux, voire trois sens distincts en reprenant les mentions latines et médiévales, les indications se cristallisent toutefois autour de deux points fondamentaux : la volonté de transmettre la mémoire d’une personne ou d’un événement, et le caractère matériel du texte. Le concept d’inscription renvoie alors à un grand nombre de produits de l’écriture : caractères gravés sur un monument, une médaille, une monnaie ; textes inscrits pour commémorer le souvenir ; indication de la datation d’un édifice ; écritures placées dans un lieu apparent pour donner un avis ou un renseignement ; phrases prononcées à l’oral et destinées à immortaliser un acte ou une personne… Cette diversité sémantique explique en partie les difficultés épistémologiques évoquées plus haut : comment définir une discipline sans avoir au préalable défini son objet d’étude ? L’ensemble des publications de référence en épigraphie aborde ces questions de définition dans leur introduction, proposant, à partir de l’étymologie des termes « inscription » et « épigraphie », plusieurs synthèses plus ou moins

1   Cicéron, De haruspicum responsis, éd. et trad. P. Wuilleumier, Paris, 1966, p. 74, 58 : Vestris monumentis suum nomen inscripsit. 2   Cicéron, Contre Verres, éd. et trad. H. de la Ville de Mirmont, Paris, 1960, p. 143, 2, 167 : Statuae illae equestres, quas tu paulo ante quam ad urbem venires poni inscribique jussisti, ut omnium inimicorum tuorum animos accusatorumque tardares. 3   Plaute, Trinummus, éd. dans Comédies, t. VII par A. Ernout, Paris, 1940, p. 26, v. 168.



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satisfaisantes4. Elles insistent sur la forme et la fonction du texte épigraphique sans poser toutefois la définition de l’inscription en termes objectifs, mais en cherchant plutôt à l’adapter aux circonstances historiques, sociales ou idéologiques qui lui donnent naissance. Si la diversité des formes et des fonctions de l’inscription à la fin du Moyen Âge témoigne de la complexité de son utilisation dans la communication, elle impose également un nouvel essai de définition de l’objet épigraphique.

Texte et matière : les composantes de l’inscription Les normes d’édition critique de la documentation épigraphique doivent faire apparaître le texte et la matière sur un support papier ne permettant pas véritablement de rendre tangible la matérialité de l’inscripiton. Les problèmes concernent principalement la figuration des données matérielles du document (lacune, casse du support, altération de la surface, etc.), l’épigraphie médiévale empruntant dans ce cas les règles de l’archéologie ou de l’épigraphie antique. Tout en faisant apparaître ces informations capitales, l’édition doit également reproduire le contenu textuel de l’inscription de façon lisible et critique. Il s’agit donc pour l’éditeur de proposer une transcription qui reflète toutes les caractéristiques de l’inscription et qui permette au lecteur de mesurer toutes les composantes de l’objet épigraphique. Quelques éléments de définition à travers l’historiographie Objet d’un enjeu politique important, symbole de l’exercice du pouvoir public, condition d’efficacité de certaines décisions juridiques et principal vecteur de la communication, l’inscription dans le monde romain fait partie du paysage urbain et des habitudes citadines5. Elle 4   Nous renverrons bien sûr au manuel de Robert Favreau, cité en introduction (et en particulier à sa page 5) mais aussi à Corbier, P., L’épigraphie latine, Paris, 1998 (Campus), p. 10 : « L’épigraphie est stricto sensu la science des inscriptions ; elle consiste à l’apprentissage de la lecture de ce que les romains appelaient un titulus ou inscription en français » ; Cagnat, R., Cours d’épigraphie latine, Paris, 1914 (1ère éd. : 1886), introduction : « On nomme épigraphie la science des inscriptions. Par science nous entendons non seulement le savoir pratique nécessaire pour déchiffrer les monuments, mais aussi celui qui est indispensable pour interpréter les documents qu’on a lus et en tirer les renseignements qu’ils contiennent ». 5   Achard, G., La communication à Rome…, p. 62. Sur l’importance des inscriptions à Rome, voir Petrucci, A., Jeux de lettres..., notamment son introduction.



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témoigne de la diffusion du rôle et du pouvoir de l’écriture dans une société romaine pourtant encore profondément orale. Le contexte monumental romain explique en partie le soin accordé aux aspects matériels de l’inscription dans les premières transcriptions, notamment dans les recueils de textes et de dessins composés entre le ixe et le xive siècle par les voyageurs occidentaux de passage en Italie. On y trouve des descriptions de monuments, des croquis sommaires d’éléments de la statuaire classique, des dessins plus ou moins fidèles de ruines romaines, mais aussi la transcription d’inscriptions monumentales (dédicaces des arcs de triomphe, invocations, épitaphes impériales,…), rapportées au même titre que les autres objets archéologiques. On trouve, dans le même temps, de semblables rapports pour quelques inscriptions chrétiennes et médiévales conservées dans des sites prestigieux (principalement Saint-Pierre de Rome). Ces premiers travaux (dont la liste la plus complète a été établie par Henri Leclercq6) ne constituent pas une entreprise de corpus, mais il s’agit plutôt de documents isolés au sein de notes personnelles. Le recensement n’est en aucun cas systématique et la transcription des textes n’obéit à aucune règle. On ne conserve que des fragments de ces différents recueils, dispersés dans toute l’Europe, même si l’origine de la plupart est italienne7. Le xvie siècle voit se multiplier les publications érudites sur l’histoire de Rome, en Italie comme dans le reste de l’Europe. Ces premiers travaux historiques se basent sur les textes des historiens latins dont la production a traversé le Moyen Âge, même si les aléas de la conservation de la documentation antique ne mettent à la disposition de l’érudit moderne que des témoignages écrits fortement lacunaires, ainsi que sur les vestiges monumentaux. Pour compléter ces sources plus ou moins nombreuses, les premiers historiens de l’Antiquité décident de se tourner vers la documentation épigraphique illimitée que leur offrent les murs de l’ancienne Rome et des autres cités de l’empire, cherchant à trouver dans les inscriptions les documents écrits qui leur font défaut. On voit alors apparaître les recensements d’ins6   Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie [désormais DACL], t. VII-1, 1926, col. 8601089 et t. XV-1, 1950, col. 18-99. 7   Parmi les recueils les plus anciens, on citera pour exemple les manuscrits suivants : Vatican, palat., ms. 591, f° 137-139, qui rapporte les textes de la basilique Saint-Pierre ; Verdun, B.M., ms. 45, f° 212-214 (xe siècle) : contient une sylloge romaine ; Paris, BnF, ms. lat. 8071 (xe siècle) : contient les textes d’un calice et d’une patène et des inscriptions de Rome ; Paris, BnF, ms. lat. 2832, f° 69-70 et 112-122 (ixe siècle) : sylloge des inscriptions lyonnaises.



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criptions désormais reconnues comme source par les historiens « à égalité avec l’archéologie »8. C’est la naissance des premiers corpus partiels, concernant une ville ou une région. On imprime en 1505 à Augsbourg le premier recueil d’inscriptions et, en 1615, Hanz Gruter publie à Heidelberg un recueil de 12 000 textes. L’époque moderne connaît la rédaction d’ouvrages de ce type en Italie d’abord, puis en Allemagne, en France, en Espagne… En dehors de ces collections, on trouve assez peu d’études ponctuelles ou synthétiques avant le xixe siècle sur l’épigraphie (qui ne s’est pas encore constituée en discipline). Les épigraphistes modernes s’attachent surtout à la lecture, au déchiffrement et à la compréhension des textes, avec le souci d’y trouver un renseignement ou une datation susceptibles de participer à l’histoire générale de l’Antiquité. Malgré le volume considérable de la production épigraphique romaine, celle-ci se caractérise par une relative pauvreté dans la diversité des formes, des formules et des types de textes. L’utilisation du document épigraphique dans la vie de la cité impose en effet le recours à des codes de rédaction formalisant la publication et faisant de l’inscription un document officiel. Cette caractéristique de l’épigraphie romaine a servi de définition à l’inscription classique dès le xixe siècle. R. Cagnat l’évoquait déjà dans l’introduction de son Cours d’épigraphie latine, publié en 18869 ; plus d’un siècle après, le manuel d’épigraphie latine de P. Corbier, paru en 1998, reprend cette idée en la développant encore10. De cette orientation découle un attachement exclusif au texte de l’inscription, à son contenu, à sa dimension documentaire : développement des abréviations, restitution des lacunes, lecture des datations. Cette première définition de l’inscription classique est précédée dès le xviie siècle par le caractère dur et durable du support, d’où la focalisation exclusive sur les textes lapidaires ou métalliques (jusqu’à la découverte des graffiti peints des ruines de Pompéi). Les années 1815-1870 voient la mise en place de grands projets épigraphiques, pour la période antique comme pour la période dite

  Corbier, P., Épigraphie…, p. 12.   Cagnat, R., Cours…, introduction : « Le style épigraphique est une écriture officielle, simple où tout est arrêté, soumis à des règles constantes ». 10   Corbier, P., Épigraphie…, p. 10 : « Le style que les auteurs utilisent est spécifique aux inscriptions : c’est une écriture quasi officielle, simple, qui se sert d’un vocabulaire restreint, sommaire, qui s’oppose à celui des œuvres littéraires ». 8 9



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chrétienne11. À la même époque, les travaux du grand érudit italien Borghesi (1781-1860) font de l’épigraphie une discipline à part entière12, et posent les bases méthodologiques de l’épigraphie antique. Dès 1815, l’Académie de Berlin travaille à la publication d’un corpus unique regroupant l’ensemble des inscriptions grecques et romaines de l’Antiquité. Cette gigantesque entreprise, placée sous la direction de B.G. Niebuhr, ne connaît pas l’aboutissement escompté, et seul un premier recueil des inscriptions grecques paraît à la fin des années 1820. Cette entreprise se développe parallèlement à l’attribution définitive du statut de source écrite à la documentation épigraphique antique, le directeur du Corpus inscriptionum Graecarum affirmant, en 1816, que les inscriptions peuvent être assimilées aux documents d’archives qui servent de source à l’histoire moderne13. La même réflexion préside quelques années plus tard au lancement Corpus inscriptionum latinarum, dirigé par Th. Mommsen. Le plan et le mode de réalisation de chaque ouvrage montrent que l’épigraphie est entrée, au milieu du xixe siècle, dans le monde des études historiques. La constitution d’indices (anthroponymie, topographie, divisions sociales, remarques littéraires, etc.) transforme le simple répertoire de textes en un outil de travail à la disposition de l’historien de l’Antiquité. Ce grand programme de publication s’accompagne de l’édition de plusieurs ouvrages de synthèse sur l’épigraphie antique, qui donnent un cadre méthodologique à la discipline. L’épigraphie chrétienne connaît un développement simultané. Même si on n’assiste pas à la mise en place d’une entreprise générale de recensement comme dans le cadre du C.I.L., plusieurs érudits proposent, au milieu du xixe siècle, des corpus régionaux regroupant les textes rédigés entre le iie et le viiie siècle. La proportion de textes conservés à Rome (près de 25 000 documents) explique que l’épigraphie chrétienne trouve d’abord naissance en Italie, avec la publication de J.B. de Rossi éditée à Rome entre 1857-1861 et 188814. Au même moment, Edmond Le Blant réunit en France Les inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieure au viiie siècle15, et Emile Hübner les Inscriptiones 11   On renverra à la bibliographie du Guide de l’épigraphiste : bibliographie choisie des épigraphies antiques et médiévales, Paris, 1989 (1ère éd. : 1986). Voir aussi Favreau, R., Épigraphie…, p. 7. 12   DACL, t. VII-1, col. 954. 13   Corbier, P., Épigraphie…, p. 12. 14   Inscriptiones christianae urbis Romae septimo saeculo antiquiores, éd. J.B. de Rossi, Rome, 1857-1861 et 1888. 15   Le Blant, Ed., Les inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures au viiie siècle, Paris, 1856 et 1865, 2 vol ; id., Nouveau recueil des inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieure au viiie siècle, Paris, 1892 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France).



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Hispaniae christianae en Espagne16. Même si on ne trouve pas d’ouvrages de synthèse pour l’épigraphie chrétienne, on peut tout de même citer les réflexions proposées par Edmond le Blant dans la préface du tome II de son recueil et reprises, sous forme de bilan, dans un ouvrage publié en 189017. À la fin du xixe siècle, les inscriptions ont définitivement acquis le statut de source écrite comme en témoigne le nombre de pièces de l’Antiquité tardive employée dans les notices du Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie. En effet, le recours aux inscriptions chrétiennes se développe en France au début du xxe siècle avec les travaux sur l’histoire de l’Église ; on cherche dans ces textes les traces de l’installation des églises primitives en Gaule, afin de démontrer la primauté de tel ou tel siège. Les historiens analysent alors au même titre qu’un témoignage diplomatique le contenu du document épigraphique qui devient un instrumentum de la recherche et permet de confirmer des thèses historiques. L’accent est mis sur sa dimension textuelle et sur les informations qu’il contient, sans étudier ses caractères externes et sa dimension matérielle, sans critique interne du document, sans les examens indispensables permettant de le dater et de l’utiliser en tant qu’objet historique à part entière. À la fin du xixe siècle, les inscriptions ne connaissent donc pas la rigueur d’étude que connaissent les documents diplomatiques depuis déjà un siècle et demi. D’un point de vue culturel, l’épigraphie chrétienne pose des problèmes originaux. La pratique épigraphique des iiie-viie siècles est en effet très différente de ce que l’on pouvait rencontrer à Rome sous l’Empire. Cependant, l’attention exclusive portée à la collecte des textes et à l’étude de leur contenu n’a pas permis de mettre en place une réflexion pour comprendre la place de l’inscription dans le système culturel de l’Antiquité tardive. L’évolution de l’utilisation de l’inscription dans les travaux historiques est donc tout à fait relative au début du xxe siècle. Si la constitution du C.I.L. et les recensements des textes chrétiens ont permis de faire entrer l’inscription dans la famille des sources écrites, le document épigraphique n’est pas encore considéré comme une entité complexe, formée par le texte, la dimen16   Hübner, E., Inscriptiones Hispaniae christianae, Berlin, 1871 ; id., Inscriptionum Hispaniae christianarum supplementum, Berlin, 1900. 17   Le Blant, Ed., L’épigraphie chrétienne en Gaule et dans l’Afrique romaine, Paris, 1890. Il faudra attendre le début du xxe siècle pour trouver une véritable somme de textes visant à mettre en place l’épigraphie chrétienne. Voir Aigrain, R., Manuel d’épigraphie chrétienne. T. I : inscriptions latines, Paris, 1912.



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sion matérielle et le contexte ; c’est pourtant cette orientation qui permet de voir dans l’inscription le produit culturel d’une société donnée, reflétant dans son contenu et dans sa forme, les structures intellectuelles de l’époque historique de sa réalisation. Les principaux bouleversements dans l’étude des inscriptions naissent de la conjonction de deux phénomènes distincts. Tout d’abord, l’intérêt grandissant des paléographes pour l’écriture épigraphique dans la première moitié du xxe siècle permet d’affiner les datations et d’assurer une véritable critique interne18. La référence fondamentale dans ce domaine reste l’œuvre de Jean Mallon dont les études comparées entre écriture des manuscrits et paléographie des inscriptions ont permis des avancées considérables en épigraphie. Autour des années 1950, il publie une série d’articles qui appliquent aux inscriptions romaines les méthodes des diplomatistes : datation par la graphie, critique des faux, reconnaissance des mains, question des ornements19. L’inscription bénéficie désormais d’une critique textuelle comme n’importe quel document historique. C’est dans un ouvrage co-écrit par J. Mallon et l’un de ses disciples espagnols, Tomás Marín, qu’une première méthodologie critique appliquée aux inscriptions romaines et chrétiennes voit le jour20. Dans ce volume, on assiste à la reprise de textes publiés une cinquantaine d’années plus tôt, accompagnés d’un apparat critique très développé et évaluant l’ensemble des critères de datation et de lecture. Discutable sur certaines interprétations, cet ouvrage n’en reste pas moins aujourd’hui encore l’un des points de repères dans la construction de la méthode épigraphique et sa reconnaissance en tant que science historique. En dehors de ces études proprement paléographiques, certains écrits proposent une première réflexion autour de la définition de l’inscription. On a déjà évoqué la publication fondamentale de J. M.   On ne citera que quelques travaux parmi les plus significatifs et les plus novateurs : Deschamps, P., « Étude sur la paléographie des inscriptions lapidaires… » ; Gray, N., « The Paleography of Latin Inscriptions in the Eight, Ninth and Tenth Centuries », Papers of the British School at Rome, 16, 1948, p. 38-171 ; Rauch, R., Paläographie der mainfränkischen Monumentalinschriften, Munich, 1935. 19   Mallon, J., « Scriptoria épigraphiques », Scriptorium, t. XI, 1957, p. 177-194 ; Id., « l’ordination des inscriptions », Comptes-rendus de l’Académie des inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1955, p. 126-137 ; voir également la synthèse Mallon, J., Paléographie romaine… L’essentiel des questions qui nous intéressent ici sont reprises dans un recueil d’articles, comptant de multiples reproductions d’une grande qualité : Id., De l’écriture. Recueil d’études publiées de 1937 à 1981, Paris, 1986. 20   Mallon, J., Marín, T., Las inscripciones publicadas por el Marqués de Monsalud (1897-1908). Estúdio crítico, Madrid, 1951 (Scripturae. Monumenta et sudia, 2). 18



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de Navascués qui insiste sur le fait que l’inscription se compose de caractères internes et de données externes21, mais on citera également l’un des premiers travaux épigraphiques de R. Favreau qui, en 1972, propose quelques réflexions générales sur la nature de l’inscription, avant de donner une nouvelle définition à la fin des années 197022. Les premières synthèses concernent l’épigraphie chrétienne et médiévale, et non pas l’épigraphie classique ; cela s’explique en partie par le fait que les recherches historiques disposaient de sources plus abondantes et plus diverses pour ces périodes. Grâce à cet héritage volumineux, on a pu confronter des témoignages de nature différente et préciser ainsi les spécificités de chaque document. En contrepartie, l’abondance des sources écrites au Moyen Âge a longtemps constitué un frein au développement de l’épigraphie médiévale. En effet, le recours aux inscriptions est apparu comme superflu aux yeux du médiéviste, qui trouvait dans les sources diplomatiques ou narratives l’essentiel des données historiques dont il avait besoin ; l’utilisation d’inscriptions médiévales dans les travaux reste donc extrêmement rare avant la deuxième moitié du xxe siècle. La naissance tardive de l’épigraphie médiévale lui a toutefois permis de bénéficier des expériences de recensement des inscriptions classiques et chrétiennes23. Ces acquis ont offert la possibilité de confronter le document épigraphique aux autres sources écrites médiévales, et de prêter attention aux caractères externes du texte, et non plus seulement à son contenu, en opérant la synthèse entre les différentes composantes mises au jour par J. M. de Navascués. Le support et la fonction de l’inscription Grâce à ce siècle et demi d’études, de recensements et d’entreprises diverses, la discipline épigraphique a acquis un crédit scientifique indéniable. Même si elle a longtemps été considérée comme une science auxiliaire de l’Histoire, s’attachant à une frange anecdotique de la documentation, les recherches contemporaines lui accordent l’attention qu’elle mérite, aussi bien pour l’Antiquité que pour le   Navascués, J.M., El concepto…, p. 67.   Favreau, R., « Inscriptions médiévales de la région Poitou-Charentes : enquête et perspectives », Actes du 97ème congrès des sociétés savantes, Nantes, 1972, Paris, 1978, p. 241-255 ; id., Les inscriptions médiévales, Turnhout, 1979 (Typologie des sources du Moyen Âge occidental, 35). 23   Id., « L’épigraphie médiévale : naissance… », p. 333. 21 22



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Moyen Âge. La lente évolution de l’épigraphie et son étude au sein de périodes historiques très différentes permettent a posteriori de dresser un premier bilan de l’ensemble des réflexions formulées depuis le début du xixe siècle. Les manuels les plus récents d’épigraphie – latine ou médiévale – proposent généralement une rétrospective bibliographique de cette évolution24, mais pas de synthèse véritable autour de la notion d’inscription, définie dans chacun de ces ouvrages par quelques lignes générales qui, au-delà de leur importance méthodologique, ne témoignent pas de la nature complexe du document épigraphique25. Seule la confrontation du matériel bibliographique, enrichi d’études ponctuelles de plus en plus nombreuses, permet de poser les bases conceptuelles de la définition de l’inscription26. La relativisation du critère de dureté et de durabilité du texte épigraphique est un des grands apports de l’épigraphie médiévale à l’ensemble de la discipline épigraphique qui, jusqu’aux études de Robert Favreau, faisait de la pierre et du métal les principaux supports de l’inscription27. Même si elles représentent sans doute plus de 60 % du total des pièces connues, les inscriptions lapidaires ou métalliques ne recouvrent qu’une partie de la réalité et de la diversité de la production épigraphique. On trouve également des textes gravés sur des pièces de bois qui, malgré sa dureté, ne traverse pas le temps avec facilité. Les inscriptions sur verre sont très nombreuses au Moyen Âge, en particulier sur les vitraux des cathédrales ; s’il est effectivement dur, le verre est un support fragile et donc peu durable. En réalité, la focalisation sur les matériaux durs a entraîné, dans l’historiographie, une concentration exclusive sur les inscriptions ayant bénéficié d’une incision dans la masse du support, quel qu’il soit. L’image du lapicide occupé à entailler la matière à l’aide d’outils 24   Nous citerons ici uniquement le manuel de Corbier, P., L’épigraphie latine…, p. 10-15, qui insiste sur la « longue tradition » de l’épigraphie antique (p. 11) ; voir évidemment Favreau, R., Épigraphie médiévale…, p. 5-26 qui pose, en introduction, la question suivante : « Où en est l’épigraphie médiévale ? » (p. 5). 25   J.M. de Navascués insistait d’ailleurs sur le fait que « les définitions les plus nombreuses de la discipline épigraphique insistent sur une partie seulement de l’inscription et de l’intérêt de cette même partie pour traitement partial de l’histoire  ». Navascués, J.M., El concepto…, p. 25. 26   Le même savant espagnol parlait déjà en 1953 de la nécessité de poser des « principes pour que l’épigraphie puisse être reçue comme une science par l’histoire ». Ibid., p. 35. 27   L’examen d’un manuel d’épigraphie antique récent, comme celui de Paul Corbier, montre que les nuances dans la nature du support ont parfois connu une réception relative, puisqu’on trouve seulement des exemples lapidaires. Ils sont certes les mieux connus et les mieux conservés, mais il est rarement fait mention des autres types d’inscriptions.



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Fig. 2.  Cizay-la-Madeleine (49), ancienne abbaye d’Asnières, extérieur, porte du transept. Fragment d’inscription funéraire (1299). Cliché V. Debiais.

à percussion est d’ailleurs passée dans l’imaginaire collectif pour décrire la réalisation d’une inscription. Or, l’écriture en creux, qui constitue la majorité des inscriptions lapidaires ou métalliques, n’est pas forcément la conséquence de la taille de la matière, qui requiert un savoir-faire et un outillage particuliers. Elle peut être obtenue grâce au passage répété d’un simple objet pointu à la surface de la pierre. Cette technique est extrêmement répandue pour toutes les inscriptions cursives ou informelles, et même pour des textes d’une plus grande solennité. L’exemple provenant de l’abbaye d’Asnières, sur la commune de Cizay-la-Madeleine (49) et présenté dans la figure 2, témoigne d’un résultat moins soigné que pour une inscription réellement entaillée à l’aide d’un outil à percussion28. Placée près de la porte donnant aujourd’hui accès à l’édifice en ruine, elle présente le texte partiel d’une inscription obituaire de l’extrême fin du xiiie siècle : anno D(omi)ni m° cc° iiii xx° ix fuit de[---. Les lettres ont sans doute été obtenues à l’aide d’une pointe sur la pierre tendre, ce qui explique la faible profondeur du sillon et la qualité médiocre de la conservation de la pierre. On peut cependant obtenir une inscription correcte grâce à cette technique, si la nature du support permet la manipulation satisfaisante de l’outil29. La différence entre ces deux

28   Cette inscription inédite a été repérée au cours de missions de terrain effectuées à l’automne 2001. Elle sera publiée dans le volume 24 du CIFM. 29   L’ensemble des réflexions techniques qui suivent a été établi grâce à la collaboration de M. Thierry Grégor, professeur d’histoire et animateur de l’Atelier du Patrimoine à Saintes.



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techniques se note principalement dans le profil du signe obtenu : avec la technique de la taille, on a un profil en V caractéristique ; au fond du signe, une ligne droite et fine correspond à l’impact de l’outil tranchant (fig. 3). Celui-ci est généralement absent dans le cas d’un signe entamé dans la matière à l’aide d’un outil pointu, qui a un profil plus arrondi et plus grossièrement défini (pouvant rappeler un U imparfait). L’écriture par la taille est plus précise et plus soignée. Les différents traits qui constituent le signe se détachent Fig. 3 .  Poitiers (86), musée Saintenettement les uns des autres, Croix. Inscription funéraire du Hautdonnant à l’ensemble de la com- Empire romain ; détail d’une taille en position clarté et précision. La V. Cliché V. Debiais. lisibilité du texte est alors renforcée : le signe, de profil symétrique ou assymétrique, subit l’influence de la lumière et un jeu d’ombre portée se met en place, soulignant la forme et le contour de la gravure30. L’étude des graffiti (et des inscriptions cursives en général) ne concerne aujourd’hui qu’un nombre réduit de chercheurs, malgré leur intérêt dans la connaissance de la culture écrite31. Une lecture souvent difficile, une datation toujours approximative et l’absence de Qu’il reçoive ici l’expression de ma reconnaissance pour son accueil et ses conseils au cours des hivers 2000-2002. 30   De telles réflexions ont été particulièrement développées dans le cadre des études espagnoles, notamment dans les travaux de Vicente García Lobo et de María Encarnación Martín López, à l’Université de León. Voir les réflexions de ces deux auteurs dans Epigrafía medieval. Introducción y album, León, 1995. 31   Nous citerons ici seulement trois articles fondamentaux (mais d’un accès difficile), sur la méthodologie de l’étude des graffiti. J’adresse mes remerciements les plus sincères à Philippe Sénac pour avoir porté ces articles à ma connaissance. Ferran i Gomez, D., Roig i Deulofeu, A., « El grafit medieval. Metode arqueologie. La seva apertacio a la historia », Actas del primer congreso de arqueología medieval española. 17-19 avril 1985, Huesca, 1986, t. I, p. 223-237 ; dans le même ouvrage, voir Carbonell, E., Casanovas, A., LLaras, C., « Problemática de la interpretación de los graffiti medievales catalanes », p. 257-271 ; Bernat i Roca, M., Serra i Barcelo, J., « Metodología para el estudio de los graffiti medievales y



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recensements systématiques expliquent la rareté des interrogations autour de ce type d’inscription32. Ils témoignent pourtant d’une appropriation individuelle et spontanée de l’écriture épigraphique, même si ses motivations sont plus obscures, prise de possession, vocation prophylactique, mémorielle ou magique, fonction religieuse ou liturgique par exemple33. Les réflexions sur les méthodes et les conséquences de la sculpture de l’inscription ont longtemps écarté les épigraphistes de l’Antiquité des textes qui n’avaient pas fait l’objet d’une incision, mais qui étaient simplement tracés à la surface du matériau, avec la volonté de mettre une information à la disposition du public. Cette catégorie concerne les inscriptions peintes sur pierre, sur bois ou sur céramique, ainsi que les textes portés par des pièces de tissus par broderie ou tissage (vêtements, étoffes,…). Si ces textes étaient nombreux pour l’Antiquité, ils le sont encore davantage pour le Moyen Âge qui a réservé une grande place à la peinture murale et à ses compléments épigraphiques. La forme de ces inscriptions est difficilement comparable avec les textes lapidaires ou métalliques, mais leur rédaction procède toutefois d’une même volonté de communication. La focalisation sur la gravure profonde, telle qu’on la rencontre dans les inscriptions antiques les plus remarquables, a très vite attribué au texte épigraphique un caractère exclusivement monumental. Les inscriptions des arcs de triomphe du forum, les dédicaces des temples et les textes inscrits sur la statuaire se distinguent par la taille et la profondeur des caractères et l’inscription contribue à la beauté du monument34. Cette caractéristique de l’épigraphie romaine la plus remarquable a servi de base à la définition paléographique des signes employés dans la rédaction des grandes inscriptions, l’écriture étant désormais qualifiée de « monumentale »35. Cette graphie se rencontre postmedievales : el caso de Mallorca », Actas del segundo congreso de arqueología medieval española. Madrid, 29-24 janvier 1987, Madrid, 1987, t. II, p. 25-35. 32   Article «  graffite  », DACL, t. VI-2, col. 1453-1542 (fournit un premier corpus et une bibliographie, assez ancienne certes mais indispensable). 33   Sur la fonction des graffiti, voir Treffort, C., « Saint-Guilhem-le-Désert, le contexte de la fondation l’autel médiéval de Saint-Guilhem », dans Saint-Guilhem-le-Désert, la fondation de l’abbaye de Gellone, l’autel médiéval. Actes de la table ronde d’août 2002, Montpellier, 2004, p. 137-146. 34   Petrucci, A., Jeux de lettres…, p. 15. 35   Corbier, P., L’épigraphie latine…, p. 10 : « L’écriture appelée monumentale se caractérise par des lettres dites quadratae, dessinées avec soin sur le support, gravées ensuite avec minutie ».



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Fig. 4.  Langrune-sur-Mer (14), église Saint-Martin, chœur. Inscription de donation (1298). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

pourtant à Rome dans pratiquement tous les textes épigraphiques, qu’ils soient de grande taille ou non. Le caractère solennel des belles inscriptions impériales, le prestige des personnages qu’elles citent et la splendeur des monuments qu’elles accompagnent, ont fait ombrage à l’essentiel de la documentation, composée principalement d’épitaphes de taille et d’ornementation réduites. Au haut Moyen Âge, la disparition quasi totale des grandes inscriptions solennelles, placées dans des lieux publics, a obligé l’épigraphie chrétienne et médiévale à nuancer les principes de l’épigraphie latine36. On trouve certes encore au Moyen Âge de grandes inscriptions, à la façade des cathédrales, sur les murs des églises ou sur certains édifices publics, comme le texte de donation, datant de la fin du xiiie siècle, conservée dans l’église Saint-Martin de Langrune-sur-Mer (14), dont la première ligne atteint deux mètres de long (fig. 4)37. Ce phénomène reste cependant limité et la réalité épigraphique médiévale se compose très majoritairement d’inscriptions de petite taille, avec des signes excédant rare36   Petrucci, A., Jeux de lettres…, p. 16 : « La ville du haut Moyen Âge est un lieu dépourvu de transmission écrite. L’Église avait concentré dans les bâtiments de culte l’essentiel du document idéologique plutôt figuré qu’écrit. La fonction de l’inscription pour le haut Moyen Âge est essentiellement symbolique et de célébration (plus que transmission). » 37   Langrune-sur-Mer (14), église Saint-Martin, chœur, sous la baie placée à droite de la fenêtre d’axe. Inscription de donation (1298). CIFM 22, 29.



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ment une hauteur de 5 centimètres. De telles différences formelles sont la conséquence d’un changement dans le statut et la fonction de l’inscription entre la période antique et le haut Moyen Âge. La taille et la forme des lettres, source de la lisibilité du texte classique, s’expliquaient par l’exigence de transmettre un message clair et intelligible à une part importante de la population, capable de le comprendre et de l’intégrer38 ; elle s’expliquait aussi par la place des inscriptions dans les pratiques d’évergétisme et de propagande, en particulier à l’époque impériale. En raison d’un accès restreint à la lecture et de la réduction du nombre des inscriptions, le document épigraphique médiéval, dont la dimension symbolique augmente et dont on cherche à renforcer l’impact visuel au moment de la perception39, existe quant à lui pour rendre public le texte, entendu comme objet, au-delà de toute forme de lecture. Le fait de placer la fonction comme élément principal de la définition de la production épigraphique du Moyen Âge permet à l’épigraphie d’étudier toutes les inscriptions, des plus simples au plus complexes, des plus modestes aux plus prestigieuses, des plus discrètes aux plus visibles. Elle permet également de décliner l’ensemble des nuances de la publicité, de la mise à disposition de l’information à la propagande, de la fonction pédagogique au simple commentaire, de la plus grande ostentation à l’hermétisme le plus volontaire. Avec cette définition fonctionnelle, l’inscription médiévale pouvait être reconnue comme un véritable vecteur de l’information, un medium à part entière, un « instrument d’expression et de communication » selon l’intuition d’Armando Petrucci40 ; en tant que produit d’une culture donnée, en tant que « produit de l’art humain » selon l’expression de J.M. de Navascués41, elle reflète désormais les caractéristiques de la société qui l’a créée. Profitant des enseignements, des expériences et des travaux sur les inscriptions antiques depuis le début du xixe siècle et adaptant leurs conclusions aux spécificités du Moyen Âge, l’épigraphie médiévale a   Valette-Cagnac, E., La lecture à Rome…, p. 77.   Petrucci, A., Jeux de lettres…, p. 18 « Dans un espace public du xiie siècle, la présence de l’écrit est fortement liée à la symbolique du pouvoir ». 40   Petrucci, A., Jeux de lettres…, p. 26. 41   Navascués, J.M., El concepto…, p. 35 ; voir aussi p. 63 : « Les inscriptions résultent comme produits non pas d’un art figé et immobile, mais d’un art vivant et animé d’une évolution riche et variée de la culture générale ». 38 39



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reposé la définition du concept d’inscription en examinant son rôle et son statut dans la culture médiévale. Les orientations actuelles de la médiévistique éclaireront sans doute certaines zones d’ombre laissées par l’étude des inscriptions, comme la question de l’oralité, le problème des auteurs, etc.42 D’autre part, la systématisation des travaux de recensement et l’utilisation de l’outil informatique permettront bientôt la mise en commun, à l’échelle européenne, des bases de données de chaque équipe et la réalisation de synthèses exhaustives, avec en particulier l’étude de la paléographie et des formulaires, indispensable à l’examen des phénomènes d’influence, de transmission et d’évolution de l’objet épigraphique. Les acquis de la discipline montrent d’ores et déjà qu’au-delà de sa diversité formelle, l’inscription peut se définir par son caractère publicitaire et la volonté de transmettre une information, et qu’elle revêt des formes très diverses en fonction de l’objectif recherché par l’acte de communication qui a conduit à la rédaction du texte.

L’intention épigraphique Le document épigraphique est à la fois un texte et un objet. Il mérite une étude de type paléographique et littéraire, et une étude archéologique. En 1980, J. Durliat proposait l’expression « écritures épigraphiques » dans un article traitant des inscriptions chrétiennes d’Afrique du Nord. Il établissait ainsi la distinction paléographique entre réalisations manuscrites et réalisations épigraphiques, en examinant la forme des signes, les modalités d’abréviations, etc.43, et posait la question suivante  : peut-on parler d’écriture(s) épigraphique(s) ? Pour notre propos, la question de J. Durliat peut être reformulée ainsi : l’écriture des inscriptions se distingue-t-elle de l’écriture des manuscrits (documents ou codices) des spécificités ou des caractéristiques propres ?

42   On renverra pour information à la synthèse bibliographique New Approches to Medieval Communication, éd. M. Mostert, Turnhout, 1999 ; pour un examen historiographique complet des orientations actuelles de la médiévistique, voir Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, éd. J.-Cl. Schmitt et O. G. Oexle, Paris, 2002. 43   Durliat, J., « Écritures écrites et écritures épigraphiques. Le dossier des inscriptions byzantines d’Afrique », Studi Medievali, 3ème série, t. 21, 1980, p. 19-47.



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Les caractères externes de l’inscription La focalisation exclusive sur l’incision des lettres dans le matériau dur a eu pour conséquence l’élision de toutes les phases préparatoires à la réalisation d’une inscription. Les travaux des paléographes du milieu du siècle dernier ont joué un rôle important dans la prise en compte de ces opérations, en insistant sur la similarité des graphies, et en attestant surtout d’une même logique dans la composition et dans la préparation du texte à graver : agencement de la « page lapidaire », réglures et cadres, abréviations44. Vicente García Lobo a ainsi pu montrer que plusieurs inscriptions du monastère de San Miguel de Escalada, près de León (Espagne), bénéficient d’une ordinatio rappelant la mise en page de certains manuscrits contemporains produits dans la même région45 (fig. 5). Aussi séduisantes et stimulantes soientelles, les expériences de cette nature se trouvent confrontées à de nombreux obstacles méthodologiques. Le texte manuscrit et l’inscription appartiennent certes à une même culture écrite et ils sont l’un et l’autre le produit d’un système culturel qui fixe les règles d’émission du document écrit et qui lui fournit sens et statut. Cependant, les contraintes techniques de la réalisation d’une inscription et son intention de communiquer une information empêchent une assimilation totale entre écriture manuscrite et écriture épigraphique. La rédaction d’une inscription doit d’abord tenir compte de supports particuliers qui influencent les procédés techniques d’écriture et leurs résultats. La forme du signe dépend ainsi en partie de l’outil utilisé pour son tracé, des caractéristiques physiques du matériau (épaisseur, solidité, grain, etc.) et des conditions de réalisation (lettre incisée sur une surface plane, courbe, bombée, placée en hauteur, etc.). Un signe n’aura pas la même forme s’il a été tracé dans une plaque de bois à l’aide d’une pointe de métal ou dans une plaque de marbre à l’aide d’un ciseau. Gravé dans un matériau identique avec un même outil, le signe aura une forme légèrement différente s’il a été tracé à plat dans des conditions idoines, ou sur une pièce d’architecture déjà en place dans un endroit difficile d’accès. Dans le cas des tituli de peintures murales, la réalisation d’une inscription sur un enduit à l’aide d’une brosse (sur des surfaces parfois étroites ou élevées) entraîne 44   En dehors de l’article de J. Durliat, nous renverrons ici au travail fondamental de Mallon, J., « L’ordination des inscriptions… ». 45   García Lobo, V., Las inscripciones de San Miguel de Escalada. Estudio crítico, Barcelone, 1982, pl. VIII-2.



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des distorsions du même ordre dans la forme des signes. Des constats identiques peuvent se faire pour d’autres techniques comme les vitraux, la mosaïque, l’orfèvrerie… La réalisation d’une inscription médiévale suppose dans la plupart des cas l’intervention Fig. 5.  San Miguel de Escalada (León, d’une pluralité d’acteurs et Espagne), église, extérieur de la galeconstitue un enchaînement de rie sud. Inscription incomplète monnombreuses tâches intellectueltrant les traits préparatoires (ixe sièles et artisanales, depuis la créacle). Cliché V. Debiais. tion du texte jusqu’à sa matérialisation sur le support46. La pluralité des acteurs implique la multiplication des copies du texte : une minute manuscrite, un brouillon de composition, des essais de versification pour un texte métrique, une tentative d’ordinatio, etc.47 La réalisation d’une inscription peut connaître une phase « manuscrite lapidaire ». On a en effet retrouvé plusieurs fragments (brique, ardoise ou pierre) comportant une esquisse de texte, transcrite en caractères cursifs selon une ordinatio sommaire48. Quelques inscriptions, conservées aujourd’hui dans leur forme définitive, portent la trace légère de signes préparatoires, en cursives ou en capitales. L’épitaphe carolingienne d’Autbertus, gravée sur une plaque d’ardoise conservée à Saint-Martin d’Angers, laisse ainsi apparaître des lettres dites « d’attente », d’un module inférieur et d’un trait plus fin, recouvertes en partie par l’incision du texte définitif49 (fig. 6). Les signes de la couche de préparation sont très 46   Sur la question des auteurs du texte épigraphique, voir Favreau, R., Épigraphie médiévale…, p. 113-140. 47   García Lobo, V., Martín López, M.E., Epigrafía medieval…, p. 29. 48   Jean Mallon a sans doute été le premier à remarquer ces « brouillons » et à attirer l’attention des épigraphistes sur la phase primaire de conception de l’inscription. Voir Mallon, J., « L’ordinatio… », p. 126-137. Voir aussi id., « Une inscription incomplètement gravée », Libyca, III, 1955, p. 155-161. 49   Conservée à Saint-Martin d’Angers (49), cette inscription sera publiée dans le hors-série du CIFM consacré aux inscriptions funéraires carolingiennes de l’Ouest. Dans l’attente de cette publication, on verra Treffort, C., Mémoires carolingiennes. L’épitaphe entre célébration mémorielle, genre littéraire et manifeste politique (milieu viiie-début xie siècle), Rennes, 2007, p. 145 [dessin].



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Fig. 6.  Angers (49), église Saint-Martin. Inscription funéraire pour Autbertus (784). Cliché J.-P. Brouard CESCM/ CIFM.

différents de ceux de la couche de rédaction. Les premiers peuvent s’apparenter, malgré les particularités physiques et techniques de l’ardoise, à des formes manuscrites  ; en revanche, la couche supérieure présente une écriture d’apparat, avec un ductus et un module particulier50. L’épitaphe d’Autbertus est un exemple exceptionnel et constitue, pour la documentation épigraphique de la France médiévale, l’une des rares occasions d’assister à la phase de transliteratio, c’est-à-dire le passage d’un même texte d’une graphie à une autre 51. Reconnaître l’étape intermédiaire de la transliteratio, c’est reconnaître les transformations paléographiques que subit l’inscription entre sa préparation et sa rédaction définitive ; c’est également nuancer les réflexions écriture épigraphique et écriture

tissant des liens trop étroits entre manuscrite. Les conditions matérielles de la gravure influencent la forme des signes, mais celle-ci se trouve également modifiée par la fonction du document. La mise à disposition d’une information implique, comme principe de départ, que son support soit lisible ou, du moins, perceptible par le plus grand nombre. On peut objecter à cela que de nombreuses inscriptions sont difficilement visibles aujourd’hui, en raison d’un éloignement excessif, d’une situation isolée, d’une faible luminosité, de l’emploi de signes trop petits, etc.52 Ainsi, à la vue du vitrail   Pour ces questions paléographiques et sur les liens entre inscriptions et manuscrits, nous renverrons à l’excellent travail, parfaitement documenté de Bertin, A., La réforme de l’écriture dans le nord de la Francie occidentale : épigraphie et paléographie, mémoire de maîtrise, Université de Poitiers, 2002, 2 vol. dact. 51   García Lobo, V., Martín López, M.E., Epigrafía medieval…, p. 30. 52   Certaines de ces données ne peuvent être abordées aujourd’hui en raison des transformations internes des bâtiments (modifications architectoniques, éclairage…) et en raison 50



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de la vie de saint Laurent dans la cathédrale Saint-Étienne de Bourges, on ne distingue qu’une partie des inscriptions identifiant les personnages53. Sur une baie couvrant plus de 7 m², les lettres ne mesurent jamais plus de 3 cm de haut et l’ensemble des inscriptions couvre seulement 1% de la surface de la verrière. Les dates portées par des éléments d’architecture et mentionnant des constructions ou des réparations (voûtes, sablières, éléments de charpente, etc.) souffrent d’une même limitation dans la publicité, en raison de leur situation en hauteur54. Certaines pièces se trouvent même dans des endroits inaccessibles et sont invisibles pour le public, comme les inscriptions placées à l’intérieur des reliquaires ou des sépultures (endotaphes), identifiant la relique ou le défunt dans l’éventualité d’une ouverture, volontaire ou fortuite55. En dehors de ces cas particuliers, bien que nombreux, la majorité de la documentation possède une véritable vocation publique et l’écriture épigraphique constitue de fait l’écriture exposée par excellence. Malgré l’influence du support et des techniques de gravure, les lapicides ont ainsi la plupart du temps recours à des signes de grand module, offrant clarté et lisibilité et permettant un repérage et une lecture aisée. Lors de l’accroissement de la taille d’un signe, la relation modulaire (c’est-à-dire le rapport entre la largeur et la hauteur d’un signe) évolue : il devient plus élancé et plus fin. Ce changement a pour conséquence de clarifier l’enchaînement graphique, d’isoler chaque lettre et d’en faciliter le déchiffrement. Pour accroître encore l’aspect publicitaire, l’inscription peut recevoir différents compléments : traitements polychromiques, ajouts d’éléments décoratifs, mises en scène particulières, etc.

du déplacement de nombreuses inscriptions. Sur l’importance des modifications d’éclairage, voir Pastoureau, M., Bleu. Histoire d’une couleur, Paris, 2000, introduction. 53   Bourges (18), cathédrale Saint-Étienne, déambulatoire, chapelle côté sud, baie côté nord, vitrail de la vie de saint Laurent (baie 8 du Corpus Vitrearum [désormais CV], 1210-1215). 54   Voir par exemple : Concordet (56), église Saint-Laurent, sur un des piliers du chœur. Date de la construction de l’édifice (1406). Inscription disparue, citée par Rosenzweig, M., Répertoire archéologique du département du Morbihan, Paris, 1863, col. 146. Voir aussi : Ile d’Arz (56), église Notre-Dame, sur la corniche de la voûte. Signature du charpentier (1412). Texte : Johan : piers : charpentier : fist : ceste : yglese : clostir : l’an m cccc xii. Mentionnée également par Rosenzweig, M., Répertoire…, col. 233 ; le texte est rapporté par Montalembert, M. de, « Inscription de l’église d’Ars, en Bretagne », Bulletin archéologique, vol. 2 (1842 et 1843), p. 186. 55   On pense en particulier ici aux plaques de plomb placées les sépultures, en Normandie, dans les Vosges ou dans le Périgord, ou encore aux endotaphes peints de San Angelo in Formis, dans le Nord de l’Italie. Voir à ce sujet CIFM 22, p. 190-192 et 323-332.



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Fig. 7.  Veules-les-Roses (76), église Saint-Martin, mur nord. Fondation d’une chapellenie (1272). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

En revanche, la vocation publicitaire se manifeste rarement dans le contenu du texte. Même si de nombreuses formules témoignent de la volonté de l’émetteur de transmettre une information, l’efficacité de la communication reste dépendante du milieu qui reçoit le texte. Aussi la dimension publicitaire de l’inscription médiévale réside-t-elle avant tout dans son contexte, dans un espace de langage particulier qui suppose pour le texte une mise en situation signifiante. L’église Saint-Martin de Veules-les-Roses (76) conserve une inscription versifiée en langue vernaculaire rappelant la fondation d’un anniversaire pour le salut d’un défunt56 (fig. 7). Le contenu du texte évoque la fondation elle-même, les bénéficiaires des célébrations et la date du décès ; seul l’appel au lecteur final peut témoigner du caractère public de la fondation : a eus soit paradis et nostre qui en dira la patenostre. En revanche, les données matérielles correspondent effectivement à la fonction publicitaire de l’inscription, grâce à l’emploi d’une dalle de grande dimension (155, 5 x 27 cm) et d’une graphie parfaitement lisible grâce à une ordinatio de grande qualité (réglure et justification). De nombreux compléments décoratifs (motifs floraux ou décors géométriques) parachèvent les lignes 2, 4 et 5 afin de fournir l’image d’un texte harmonieux et de capter ainsi l’attention du lecteur. La mise en espace de l’inscription a été, elle aussi, particulièrement soignée : elle est située à proximité de la sacristie dont dépend le célébrant astreint à l’exécution des volontés du défunt. Celui-ci est alors assuré de la diffusion de ses recommandations auprès des personnes les plus directement concernées.

  Veules-les-Roses (76), église Saint-Martin, mur nord, près de la sacristie. Fondation d’une chapelle (1272). CIFM 22, 283, p. 359. Voir Debiais, V., « Inscriptions funéraires et édifices religieux : formes et fonctions des épitaphes des abbés et des abbesses (nord ouest de la France, xe-xive s.) », dans Inhumations et édifices religieux au Moyen Âge entre Loire et Seine, Caen, 2004 (Tables rondes du CRAHM, 1), p. 23-46. 56



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Les relations forme/fonction confèrent au document épigraphique un style de rédaction particulier qui le distingue des autres produits de l’écriture. René Cagnat posait déjà comme postulat, dans son Cours d’épigraphie latine, que le style épigraphique est soumis à des règles constantes57 ; chaque partie de la phrase se présente dans une forme fixe et réduite, notamment grâce à l’emploi codifié de sigles et d’abréviations. Ces « inscriptions-codes » peuvent dès lors résulter difficiles à comprendre si le percepteur du texte ignore les clefs de déchiffrement. Certains types d’inscriptions médiévales connaîssent eux aussi la contrainte de règles de composition, mais elles se distinguent des inscriptions antiques par la diversité et la malléabilité de leurs codes et par le développement général de l’aspect textuel, une très grande partie de la documentation épigraphique médiévale se composant de textes complexes à la syntaxe plus ou moins riche. L’aspect littéraire reste certes très souvent sommaire et les textes ornant la plupart des plates-tombes, les inscriptions funéraires à caractère obituaire ou les tituli d’identification ne bénéficient pas d’une véritable composition, et encore moins d’une recherche littéraire : l’inscription se limite à l’énoncé cumulatif des différentes informations, sans autre souci de cohérence que l’accomplissement de la fonction publicitaire. La diversité des formes de composition empêche pourtant de reprendre, pour la seconde moitié du Moyen Âge, le postulat de René Cagnat et il est difficile de mettre en évidence, dans le résultat, un « style épigraphique » médiéval. Au-delà de la forme : l’enseignement des manuscrits Pour définir l’inscription médiévale, il faut essayer de comprendre comment le Moyen Âge a envisagé l’écriture épigraphique. Sur ce point, les sources narratives sont très peu explicites et seule la forme de la transcription traduit la conception médiévale de l’inscription. Dans les manuscrits, elles apparaissent principalement sous trois formes. On trouve tout d’abord une sylloge complète concernant un site (édifice, ville), formant l’intégralité ou une partie d’un codex. Le nombre d’inscriptions rapportées est très variable, d’une dizaine de textes pour la sylloge romaine de Verdun58 à plusieurs centaines pour la

  Cagnat, R., Cours d’épigraphie latine…, introduction.   Verdun, B.M., ms. 45, f° 212-214 (xe s.).

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sylloge de Lorsch59. Ces documents sont pour la plupart bien connus et ont été étudiés et utilisés dans l’édition des corpus épigraphiques 60. Au xve siècle, ces recueils deviennent très nombreux et concernent un nombre de plus en plus important de textes. On peut ensuite mentionner la citation isolée d’une inscription dans un recueil de pièces diverses, en marge ou en fin d’ouvrage, sur un feuillet unique, etc. Cette forme de rapport manuscrit se rencontre principalement pour les inscriptions versifiées parce qu’elles constituent un texte poétique en même temps qu’un document épigraphique. On trouve ainsi certaines épitaphes composées par Alcuin dans un recueil de sa correspondance datant du ixe siècle61, des tituli de Fortunat dans une anthologie poétique du xiie siècle62, des textes inscrits super sepulchrum dans un florilège de poèmes de l’époque carolingienne63, etc. Ce dernier manuscrit, conservé à la Bibliothèque nationale de France, illustre la difficulté de repérer et d’inventorier les textes rapportés dans de tels manuscrits puisqu’on y trouve plus de 250 pièces de vers, dont une centaine d’inscriptions, réparties sur 200 folios64. On peut enfin trouver la citation d’une ou plusieurs inscriptions au sein d’un ouvrage dont la première ambition n’est pas la compilation de textes épigraphiques : récits de voyages, descriptions d’édifices, œuvres historiques sur un personnage, un groupe, une région. Les textes sont dispersés au cœur des manuscrits et leur repérage implique la lecture complète des œuvres. C’est par exemple le cas de l’Histoire ecclésiastique d’Orderic Vital. Œuvre historique du xiie siècle, elle rapporte un grand nombre d’épitaphes destinées à de grands personnages contemporains de l’auteur. Elle constitue l’une des œuvres les plus précoces à consacrer une part aussi importante à la

59   Cette sylloge est conservée dans plusieurs manuscrits du Moyen Âge central, dont le plus important est sans aucun doute le ms. 833 de la bibliothèque palatine du Vatican (ixe s.), f° 27-82. Voir Leclercq, H., « Histoire des recueils… », col. 873. 60   Les principales éditions de ces différentes sylloges sont à mettre au compte de J.B. de Rossi. Voir notamment le tome I de son recueil des inscriptions chrétiennes de la ville de Rome. Une bibliographie sur chacune de ces éditions est disponible dans le DACL, t. VII-1, col. 863-902. 61   Saint-Gall, ms. 271 (ixe s.). 62   Paris, BnF, ms. lat. 14 144 (xiie s.). 63   Paris, BnF, ms. lat. 2 832 (ixe s.). 64   Pour le détail de ces pièces et le renvoi à leur édition, voir l’excellente description du manuscrit dans le Catalogue général des manuscrits latins, Paris, BnF, 1952, vol. 3.



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documentation épigraphique qui en vient, chez Orderic Vital, à structurer la narration. Son exemple sera suivi jusqu’au xve siècle, principalement en Italie65. Cette documentation permet de constater que les transcriptions médiévales s’attachent exclusivement à la dimension textuelle de l’inscription, la plupart du temps rapportée pour son contenu et pour les informations qu’elle transmet, et non pas pour sa forme ou pour ses caractères externes. L’inscription sur une médaille impériale dans l’Historia Langobardorum est citée par Paul Diacre parce qu’elle mentionne le nom de trois empereurs romains et parce qu’elle appuie les démonstrations de l’auteur. La pièce n’est d’ailleurs pas décrite et aucun manuscrit médiéval ne donne un quelconque aperçu matériel de l’objet. Ainsi un manuscrit du xiie siècle contenant partiellement l’Historia Langobardorum et conservé à la BnF présente-t-il le texte de la médaille sur deux lignes avec des lettres d’un ductus et d’un module comparables à ceux de la graphie employée dans le reste de l’œuvre, assimilant totalement l’inscription à la narration en cours66. Le manuscrit Vatican Reg. Lat. 597 du même texte donne certes un petit complément graphique (une sorte de bandeau autour de l’inscription transcrite en majuscules67) mais, de façon générale, l’inscription ne se distingue que rarement par la paléographie du reste de la page, les transcriptions par des lettres majuscules ou d’un module différent restant exceptionnelles. L’absence de distinction paléographique est encore plus évidente pour les inscriptions rapportées au cœur des œuvres narratives ou poétiques, comme dans les manuscrits autographes d’Orderic Vital dans lesquels les inscriptions rédigées par le moine et les textes rapportés par ses soins ne bénéficient d’aucune particularité paléographique ; leur disposition au milieu de la page permet seule de les distinguer du déroulement narratif68. De la même façon, dans le cas d’inscriptions isolées ou de sylloges, les inscriptions sont pour la plupart intégrées au reste du manuscrit : pour le xiie siècle, certaines épitaphes composées par Hildebert de Lavardin sont rapportées sans   Mouktafi, S., Textes épigraphiques et manuscrits : la place des inscriptions dans l’Histoire ecclésiastique d’Orderic Vital (1114-1141). Mémoire et biographie, Mémoire de D.E.A., Université de Poitiers, 2004, 156 p. 66   Paris, BnF, ms. lat. 5873, f° 14, l. 12-13. 67   Au f° 31, Paul Diacre, Historia Langobardorum III, 12. 68   Paris, BnF, ms. lat. 5124, vol. I et II. Voir par exemple l’épitaphe du comte Guillaume au f° 275 du BnF, ms. lat. 5123 ou celle de Rollon au f° 303 du même manuscrit. 65



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aucune distinction paléographique dans un manuscrit de la BnF69 ; dans le témoin de la sylloge de Lorsch conservé à la bibliothèque palatine du Vatican, les textes sont transcrits en lettres minuscules, avec un retour à la ligne arbitraire pour la majorité des inscriptions. Une même inscription peut se répartir sur deux pages consécutives en fonction des contraintes codicologiques70. Les compilateurs de cet exemplaire du ixe siècle ne s’attachent donc pas à isoler l’inscription en tant qu’unité de sens, et ne la considèrent en rien comme un objet à part71. D’un document matériel, avec ses spécificités et ses codes, l’inscription dans le manuscrit a ainsi tendance à devenir un texte, avec les mêmes caractéristiques que l’ensemble codicologique qui l’accueille. De telles simplifications ne déterminent en rien un appauvrissement de la diversité épigraphique, mais témoignent d’un traitement partiel et volontaire de la documentation. Il faut attendre la Renaissance, puis les travaux des érudits des xvie-xviie siècles, pour voir apparaître la transcription des textes en majuscules, avec le respect de la disposition et de la forme générale de l’inscription. Le recueil du chanoine Pêche, compilé pour la ville de Narbonne au xviie siècle, offre ainsi une présentation quasi archéologique du texte, avec le dessin du cadre de certaines épitaphes romaines et la figuration de détails graphiques72. Le recueil de Sirmond, composé à la même date pour la ville de Rome, présente des caractéristiques semblables, en respectant encore davantage la disposition du texte et en ajoutant de précieuses indications sur les données externes de la pièce73. Les manuscrits médiévaux ne considèrent pourtant pas toujours l’inscription comme un simple texte, assimilé au contenu général du codex, mais lui attribuent souvent un statut de composition littéraire. La plupart des transcriptions manuscrites concernent en effet des textes ayant bénéficié d’une recherche particulière ou, du moins, d’un effort de composition dans le lexique et dans la syntaxe. Dans ces textes, la dimension proprement épigraphique laisse la place aux aspects littéraires et l’écriture d’une pièce à vocation publicitaire (épi  Paris, BnF, ms. lat. 5129, f° 101-102.   Vatican, Palat., ms. 833, f° 32v-33 et f° 38-38v. 71   On pourrait faire des remarques du même ordre à propos d’une sylloge fragmentaire copiée au xve siècle et conservée aujourd’hui à Londres, B.L., Harley 3685, f° 3v-5v (xve s.). 72   Paris, BnF, ms. lat. 9997. Voir en particulier les inscriptions portant les numéros 8 et sq., et 46-48. 73   Paris, BnF, ms. lat. 10807-10809 et 10907 ; Paris, BnF, ms. suppl. lat. 1416-1420. 69 70



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taphe, titulus, consécration d’autel,…) devient un exercice de style pour les lettrés et les poètes médiévaux, avec ses codes de composition. Les créations d’Alcuin74 ou de Micon de Saint-Riquier75 pour l’époque carolingienne, les tituli de Raban Maur76 pour le ixe siècle, les épitaphes composées par Foulcoie de Beauvais77 au xiie siècle et certaines compositions anonymes de la fin du Moyen Âge constituent autant de témoins de ce type de production dans la documentation épigraphique médiévale, même si les réalisations carolingiennes s’inscrivent dans un contexte culturel particulier, au sein duquel la sensibilité épigraphique très développée des auteurs de l’entourage impérial a d’autres objectifs et s’expriment sous d’autres formes78. À partir du xie siècle, ces textes sont de qualité inégale, du véritable poème, chargé de métaphores et d’images évocatrices, à l’assemblage plus ou moins élégant d’un arsenal de formules et d’adjectifs stéréotypés. Indépendamment de leur qualité littéraire, ces inscriptions ont bénéficié d’un même traitement manuscrit. Pour les compilateurs médiévaux, la cohérence de cette documentation ne se situe donc pas dans la valeur de l’inscription ou dans la dimension épigraphique du texte, mais dans le fait qu’elle a effectivement bénéficié d’une mise en forme littéraire. Cela explique sans doute pourquoi on a transcrit, dans une proportion écrasante, des inscriptions métriques. Dès l’Antiquité tardive, on a recours aux vers pour composer les inscriptions les plus prestigieuses (épitaphes de grands prélats, tituli accompagnant les programmes iconographiques, etc.). Une telle utilisation reste systématique au moins jusqu’à la fin du xiiie siècle et jusqu’à la multiplication des textes en langue vernaculaire. L’orfèvrerie du Moyen Âge central utilisera les inscriptions métriques de façon exclusive ou presque, la beauté de la composition épigraphique participant à la qualité globale

74   Monumenta Germaniae Historica [désormais MGH], Poetae latini aevi Carolini, t. I, éd. E. Dümmler, Berlin, 1964 (1ère éd. : 1881), p. 305-350. Les localisations indéterminées des carmina d’Alcuin sont en grande partie résolues par le superbe travail effectué par MarieHélène Jullien et Françoise Perelman de l’IRHT dans la Clavis des auteurs latins du Moyen Âge. Territoire français 735-987, t. II (Alcuin), Turnhout, 1999. 75   MGH, Poetae latini aevi Carolini, t. III-2, éd. L. Traube, Berlin, 1964 (1ère éd.  : 1897), p. 297-333. 76   PL 112, col. 1622-1650. 77   Omont, H., « Épitaphes métriques en l'honneur de différents personnages du xie siècle composées par Foulcoie de Beauvais, archidiacre de Meaux », Mélanges Julien Havet, Paris, 1895, p. 211-236. 78   Treffort, C., Mémoires carolingiennes…, p. 229-233.



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de l’ouvrage79. Dans les recueils manuscrits, un grand nombre d’inscriptions médiévales prend place au sein d’un corpus plus large de pièces métriques. Le manuscrit latin 4841 de la BnF est particulièrement révélateur de cet attachement des compilateurs médiévaux à la dimension littéraire de l’inscription. Composé au xiiie siècle, ce codex contient plusieurs opuscules grammaticaux, dont les traités d’orthographe de Bède et d’Alcuin, les Extraits alphabétiques de Probus, un lexique et un traité de métrique. Au cœur de cet ouvrage, plusieurs épitaphes en vers (précédées de la mention latine epitaphium) sont citées à titre d’exemple ou de démonstration80. Les inscriptions sont transcrites en lettres minuscules, sans aucune indication de type archéologique. Les textes sont disposés sur une seule colonne avec un retour à la ligne à la fin de chaque vers. Dans ce manuscrit, les inscriptions sont avant tout considérées comme des poèmes observant les règles énoncés dans les différents opuscules. Si on fait abstraction du petit traité de géographie qui ouvre le manuscrit81, ce codex exceptionnel doit donc être considéré comme un art poétique qui s’appuie sur des exemples épigraphiques pour accomplir sa vocation pédagogique82. Les inscriptions présentes dans ce manuscrit n’ont cependant sans doute jamais fait l’objet d’une gravure ou d’une quelconque réalisation matérielle. D’autres manuscrits présentent en revanche des ensembles du même ordre avec des inscriptions réellement gravées. C’est en particulier le cas pour certains textes rapportés par Orderic Vital dans l’Historia ecclesiastica qui présente à la fois des inscriptions que l’auteur a pu voir au cours de ses voyages, des pièces qu’il a composées et qui ont fait l’objet d’une manifestation épigraphique, et enfin des poèmes qu’il a écrits mais dont on ne connaît aucune trace matérielle. Au-delà de leurs différences, toutes les compositions bénéficient d’une même mise en forme manuscrite. Les textes sont rapportés avec la même graphie que le corps de l’œuvre et respectent le découpage ligne/ vers. Dans la marge, à gauche, on trouve chaque fois la même men  Favreau, R., « Des inscriptions pour donner sens. Épigraphie de l’art mosan », dans L’art mosan. Liège et son pays à l’époque romane du xie au xiiie siècle, dir. Benoît Ven den Bosche et Jacques Barlet, Liège, 2007, p. 237-243. 80   Paris, BnF, ms. lat. 4841, f° 32v-38. 81   Paris, BnF, ms. lat. 4841, f° 1-27. Voir Gautier Dalché, P., « Situs orbis terre vel regionum. Un traité de géographie inédit du Haut Moyen Âge », Revue d’histoire des textes, 1982-1983, p. 149-179. 82   Voir l’étude du contenu de ce manuscrit dans l’introduction de Bède, Bedae venerabilis opera. Pars prima : opera didascalica, éd. C.D. Kendall, Turnhout, 1975 (CCSL, CXXIII A). 79



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tion : epitaphium. Rien dans la disposition du texte ou dans les mentions marginales ne permet de repérer la véritable nature de la composition et il faut se reporter aux quelques lignes qui précèdent les vers pour distinguer l’inscription réelle du poème non gravé. Pour l’épitaphe de Gauthier II Giffard, on trouve par exemple : In introitu vero basilicae Virginis Mariae apud Longvillam sepultus est. Super quem hujus modi epitaphium in maceria, picturis decorata, scriptum est83. Le texte qui suit a sans doute fait l’objet d’une gravure puisqu’Orderic Vital donne les conditions techniques de sa réalisation (scriptum est in maceria). D’autres citations sont plus explicites encore au sujet de la nature de l’inscription. Pour l’épitaphe de l’abbé Durand de Troarn (14), on trouve ainsi : Venerabiles discipuli glebam religiosi doctoris in capitulo suo reverenter sepelierunt et in candido lapide, qui superpositus est, epitaphium hoc addiderunt84. Des précisions matérielles du même ordre se retrouvent dans un florilège poétique contenant des œuvres de Martial, d’Eugène de Tolède, de Juvénal, etc.85 Le manuscrit a la forme d’un recueil de pièces versifiées précédées de leur titre rubriqué  ; on y trouve plusieurs épitaphes, dont celle d’Eugène de Tolède composé par ses soins86, ainsi que des textes destinés à orner un calice et une patène, et d’autres objets d’orfèvrerie. Malgré les détails quant à la localisation et la forme des pièces, les inscriptions sont présentées comme les autres poèmes, sans aucune distinction paléographique ou codicologique. L’aspect textuel du document épigraphique l’emporte donc dans ce recueil comme dans le manuscrit latin 4841 de la BnF ; autre point commun entre les deux manuscrits : ce codex insiste sur les règles de composition poétique, un fragment du De ortographia de Bède le Vénérable se trouvant en tête du recueil87. Ce manuscrit contient les œuvres d’auteurs qui connaîtront une grande fortune au Moyen Âge, y compris dans la réalisation d’inscriptions88. Parmi eux, on trouve avec une fréquence tout à fait remarquable Venance Fortunat dont les œuvres sont reprises dans les inscriptions

83   Orderic Vital, Historia ecclesiastica, éd. M. Chibnall, Oxford, 1969-1980, t. VI, p. 36 ; cité dans CIFM 22, p. 264. 84   Ibid., t. IV, p. 164 ; CIFM 22, p. 103. 85   Paris, BnF, ms. lat. 8071. 86   Paris, BnF, ms. lat. 8071, f° 23. 87   On connaît d’autres exemples d’utilisation de pièces épigraphiques comme modèle de versification ; voir Treffort, C., Mémoires carolingiennes…, p. 215-225. 88   C’est en particulier le cas pour Eugène de Tolède. Voir Favreau, R., Épigraphie médiévale…, p. 150-152.



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entre le viiie et le xiiie siècle89, Fortunat ayant lui-même composé un grand nombre d’épitaphes et de tituli dont nous ignorons aujourd’hui la réalité matérielle90. Un manuscrit du xve siècle particulièrement homogène, contenant l’œuvre poétique de Fortunat, présente toutes les pièces selon la même disposition, qu’il s’agisse d’épitaphes, de tituli, de vies de saints versifiées ou de poèmes de louange91. L’ensemble est transcrit en minuscules, y compris le texte des rubriques donnant le titre de chaque pièce ; il est très difficile d’individualiser les poèmes et l’ensemble donne l’impression visuelle d’un texte unique. À la fin du volume, une table contemporaine de la compilation liste les compositions du manuscrit sans faire la moindre distinction entre les différents types de poèmes. Pour le xve siècle, l’œuvre de Venance Fortunat a donc une cohérence qui ne réside en rien dans la fonction de chacun des textes ; il en va certainement de même pour beaucoup d’auteurs médiévaux et, de façon générale, pour l’ensemble de la production poétique, encore relativement indépendante de l’identité du poète. L’intention publicitaire La richesse de la documentation manuscrite à vocation épigraphique montre que, pour les médiévaux, l’inscription existe au-delà de sa réalisation matérielle. Quand Orderic Vital compose, au sein de son œuvre narrative, une épitaphe pour un évêque ou un abbé normand, quand il la copie de sa main dans les petits codices que l’on possède encore aujourd’hui, l’auteur crée un document épigraphique ; les textes qui introduisent ces compositions dans l’Histoire ecclésiastique permettent de témoigner d’une intention publicitaire et de la volonté de porter le texte à la connaissance du plus grand nombre92. La fonction publicitaire de l’inscription n’est donc pas à envisager sur le plan de la réalisation effective, mais bien sur le plan de l’intention 89   Favreau, R., « Fortunat et l’épigraphie », dans Venanzio Fortunato tra Italia e Francia. Atti del Convegnio internezionale di studi. Valdobbiadene 17 mai 1990, Trévise 18-19 mai 1990, Trévise, 1993, p.  161-173  ; repris dans id., Études d’épigraphie médiévale, Limoges, 1995, p. 531-546. 90   La plupart des textes épigraphiques composés par Venance Fortunat ont été publiés dans PL 88, col. 59-362 ; voir aussi l’édition partielle de ces textes dans la remarquable publication : Venance Fortunat, Opera. T. I : carmina, éd. S. di Brazzano, Rome, 2001. 91   Paris, BnF, ms. lat. 11325. 92   C’est pourquoi ils ont été repris dans l’édition des inscriptions normandes par le Corpus des inscriptions de la France médiévale. Voir par exemple CIFM 22, p. 103.



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de l’émetteur d’exposer l’écriture, avec l’objectif de transmettre une information, que ce soit dans un espace public réel ou bien dans un espace littéraire pouvant devenir un espace d’exposition quand l’auteur utilise l’instrument épigraphique dans une rhétorique de l’information. L’inscription est définie par le fait qu’elle contient, dans le fond et dans la forme, des données qui peuvent devenir des informations publiques. Pour ce faire, elle doit bénéficier de l’activation de cette capacité par le passage du texte à la réalité épigraphique (matérielle ou littéraire), et à l’insertion de cette réalité dans un espace d’exposition. On doit de ce fait intégrer dans la documentation épigraphique un nombre important de textes qui, bien que concrétisés sous forme d’inscriptions, ne bénéficient pas d’un caractère public : endotaphes, textes sur des objets personnels de parure et d’ornement, écrits illisibles ou cachés… Cela permet également de distinguer des nuances dans le caractère public des inscriptions : de la publicité absolue des textes de grandes dimensions, placés dans des endroits stratégiques, à la publicité restreinte de petites inscriptions situées dans des endroits difficiles d’accès. La diversité des manifestations de l’écriture épigraphique médiévale ne permet donc pas de mettre en évidence un style épigraphique aussi clairement que l’avait fait René Cagnat pour les inscriptions antiques. L’inscription du Moyen Âge se définit avant tout par une intention publicitaire qui se note dans sa composition, dans sa rédaction et, le cas échéant, dans la réalisation matérielle d’un objet épigraphique. Cette nouvelle orientation dans la définition de l’inscription médiévale invite de facto l’épigraphiste à envisager des méthodes d’analyse sensiblement différentes permettant d’appréhender la dimension publicitaire comme une possibilité et non plus comme un fait.

Épigraphie et sémiotique Étudier les systèmes de communication est l’objet de la linguistique (et des sciences du langage en général) et c’est également aujourd’hui l’objet d’un certain nombre d’approches économiques (marketing, publicité…). Au sein des sciences humaines, l’étude des formes de communication relève le plus souvent de la philosophie du langage ou de l’ethnologie, assez rarement des démarches proprement historiques, qui ne connaissent pas en ce sens de méthode globale pour appréhender la communication en tant que système. L’inscription médiévale doit pourtant être soumise à une étude pre

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nant en compte la structure complexe d’un document composé d’éléments divers dont les relations conditionnent la perception et l’interprétation du message. Le document épigraphique constitue en ce sens un système sémiotique ; il permet l’émission d’informations par la combinaison de différentes modalités d’expression (contenu sémantique, paléographie, forme plastique, etc.). Chaque élément constitutif de l’inscription peut être considéré comme un signe, c’està-dire comme la transposition dans l’acte de communication des informations à émettre. Pour que la communication soit effective, les différentes modalités d’expression doivent être mises en relation en fonction de la forme, de la fonction et du contexte de l’inscription93. Dans la réalité de la communication et dans la pratique des échanges d’informations, la nature sémiotique de l’inscription se traduit plus concrètement cette fois par l’intervention d’un émetteur et d’un recepteur autour d’un message transmis par l’intermédiaire d’un média et influencé par le contexte de l’échange. Ces données universelles – parce que théoriques – s’appliquent sans difficulté à la réalité de la communication épigraphique médiévale. L’identification des acteurs (émetteurs et récepteurs) y est en revanche plus souvent problématique94. Contrairement à ce que l’on trouve dans le préambule des chartes (ou des documents diplomatiques en général), l’inscription médiévale ne mentionne que rarement l’émetteur du message. Les signatures d’artistes et d’artisans, les mentions de commanditaires et de donateurs constituent les principales exceptions à cette constante, dans la mesure où ces derniers sont souvent également à l’origine de sa commande et/ou de sa réalisation. Grâce aux inscriptions, on apprend par exemple que Guillaume Anger, évêque de Saint-Brieuc, a ordonné la réalisation d’un des vitraux du chœur de sa cathédrale en 139995. De même apprend-on grâce à une inscription de 1390 que le duc Jean de Bourbon a commandé la réalisation d’un reliquaire pour la Sainte Épine96. La donation de plusieurs vitraux du chœur de   Klinkenberg, J.M., Précis..., p. 16.   García Lobo, V., Martín López, M.E., Epigrafía medieval…, p. 23-29 ; Favreau, R., Épigraphie médiévale…, p. 113. 95   Saint-Brieuc (22), cathédrale, chœur. Vitrail de Guillaume Anger. 1399 (inscription disparue). Texte publié dans Couffon, R., « Cathédrale de Saint-Brieuc », Congrès archéologique de France. Saint-Brieuc 1949, Paris/Caen, 1950, p. 13 : « En l’an de grâce 1399, Guillaume Anger, évêque de Saint-Brieuc fit faire cette vitre ». 96   Bourbon-l’Archambault (03), château, Sainte-Chapelle. Reliquaire de la Sainte Épine. 1390 (inscription disparue). Voir l’édition de ce texte dans Gelis-Didot, P., Le château de 93 94



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la cathédrale d’Évreux est rappelée par des textes épigraphiques du xive siècle dans lesquels on apprend par exemple que la baie représentant saint Augustin et saint Taurin a été donnée en 1308 par le cardinal Nicolas de l’Aide97 ; un texte placé sous la représentation de la donation (le prélat offrant la verrière) mentionne son nom : Nicolas cardinal. De même dans le trésor de la cathédrale Notre-Dame de Chartres trouvait-on une grande agate ovale montée sur une structure d’orfèvrerie portant le texte : Charles roy de France fils du roy Jean donna ce joyau en 1367 le quart an de son regne98. Ces inscriptions identifient l’instigateur de la producteur de l’objet qui porte le texte, et non pas l’émetteur du message épigraphique, même si, dans ces signatures de commanditaires, il y a certainement confusion entre l’un et l’autre. De façon générale, l’émetteur du texte est identifié implicitement par la forme et le contenu de l’inscription. Si les épitaphes citent rarement leur émetteur, on sait grâce aux mécanismes du salut médiéval que la rédaction d’un texte commémoratif émane soit de la volonté du défunt lui-même, soit de l’attention de sa famille – charnelle ou spirituelle –, soit d’une volonté extérieure et particulière (donc généralement précisée). Pour le reste de la documentation, l’identification est circonstancielle. Dans le cas d’une dédicace ou d’une consécration, sans doute le document épigraphique est-il réalisé à la demande de la communauté ou des prélats consécrateurs. La consécration de l’autel de la Vierge de la cathédrale de Quimper (56) mentionne ainsi deux fois le nom d’Alain, évêque consécrateur. Alanus episcopus Corisopitensis me consecravit in honorem beate Marie die assupcionis ejusdem anno Domini millesimo ducentesimo nonagesimo quinto orate pro me Alano Riveleni […] episcopo Corisopitensi[s]

Bourbon l’Archambault, Moulins, 1934, p. 79. On donnera ici une version en français moderne du texte du reliquaire : « Jean de Bourbon, deuxième duc du nom, a fait garnir de pierres précieuses l’or massif ». 97   Évreux (27), cathédrale, abside. Verrière de Nicolas de l’Aide (1308). Représentation de saint Taurin et de saint Augustin, identifiés par une inscription. Représentation des donateurs tenant une maquette du vitrail avec l’inscription : Nicolavs cardinal. 98   Chartres (28), cathédrale, trésor. Agate ovale. 1367 (inscription disparue) : Charles roy de France fils du roy Jean donna ce joyau en 1367 le quart an de son regne. Texte publié dans Merlet, L., Catalogue…, p. 68, note 1.



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On peut penser qu’il est à l’origine de la commande du texte, même si c’est la communauté cathédrale dans son ensemble (évêque, chanoines, fidèles) qui bénéficie de cette nouvelle consécration99. Les difficultés de définition sont encore plus importantes en ce qui concerne le destinataire. La fonction publicitaire de l’inscription implique, nous l’avons évoqué, un public large, le message s’adressant en principe à toutes les personnes qui voient l’objet qui la porte. De fait, les mentions de destinataires sont extrêmement rares dans les inscriptions, et la majorité des exemples que nous connaissons se situent dans les épitaphes, au cœur de formules appelant à la prière. Elles sont souvent très générales, adressant le texte à « ceux qui passent » ou à « ceux Fig. 8.  Pont-de-Ruan (37), prieuré de qui lisent ». L’épitaphe d’Agathe Relay, église, extérieur du chevet. Insde Saché, religieuse du prieuré cription funéraire pour Agathe de de Relay (37), s’adresse par exem- Saché (1298). Cliché J. Michaud ple aux membres de la commu- CESCM/CIFM. nauté avec le mot socia au pluriel (fig. 8)100 : Hic jacet soror Agatha de Sache. Obiit sexto idus aprilis 1298. Orate socie pro anima ejus. Le destinataire peut être isolé, comme dans le cas de l’épitaphe du chevalier Gérald Constantin, conservée autrefois à Orgedeuil (16), qui renvoie

99   Quimper (29), cathédrale, chapelle Notre-Dame-de-la-Victoire. Consécration d’autel. 1295 (inscription disparue). CIFM 23, 22. 100   Pont-de-Ruan (37), prieuré de Relay, église, extérieur du chevet. Épitaphe d’Agathe de Saché (1298). Texte publié dans Maurice, J., Ouvrage consacré aux communes d’Artannes, Pont-de-Rhuan, Saché, Thilouze, Tours, 1973, p. 36.



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à celui (le singulier est important) qui lira le texte101 : quero pater noster dic versus legis noster. Le destinataire n’est cependant pas individualisé ; il est identifié par sa capacité à devenir lecteur du texte et donc à comprendre la composition épigraphique. Le public ne se limite pourtant pas aux seuls lecteurs du texte éventuellement mentionnés dans l’inscription ; elle a au contraire un sens par sa seule présence et s’adresse donc à tous ceux qui peuvent en faire l’expérience, sans qu’il y ait intention de perception ou de lecture. En tant que figuration du mot, l’inscription est porteuse d’un message dans le simple fait d’exister dans l’espace médiéval. Ce premier niveau de relation entre l’inscription et son destinataire constitue le degré le plus limité dans la communication épigraphique, mais sans doute également le plus fréquent puisqu’il ne suppose aucune capacité intellectuelle ou pratique pour devenir effectif, et qu’il n’implique pas la reconnaissance du mot en tant que tel. En se concentrant sur l’expérience du texte par delà l’acte de lecture, on peut envisager le rôle de l’inscription auprès d’un public médiéval majoritairement illiteratus. Dans le même temps, la relativisation de l’utilisation exclusivement textuelle de l’inscription dans la transmission des informations entraîne l’augmentation de la portée du document épigraphique au sein du système culturel médiéval et on s’explique alors davantage l’omniprésence des inscriptions.

101   Orgedeuil (16), presbytère, montant de la porte d’entrée. Épitaphe du chevalier Gérald Constantin (déb. xiiie s.). Inscription disparue ; CIFM I-3, Ch 64, v. 3.



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Perception de l’espace et perceptions du texte Le fait d’envisager une expérience du texte indépendante de toute forme de lecture invite à prendre en compte l’ensemble des éléments signifiants dans la mise en place épigraphique, au premier rang desquels se trouve le contexte du document. Dans le cas de l’inscription, on entend d’abord par « contexte » l’espace qui l’accueille ; il s’agit du contexte matériel immédiat, l’objet ou le monument support du texte et son environnement topographique (situation dans le plan d’un édifice ou d’un site, localisation architecturale ou position dans un espace ouvert). Par « contexte » on entend aussi la situation culturelle de l’inscription : contexte profane/contexte religieux, espaces publics/espaces privés, monde des litterati/monde des rustici, etc. Le contexte épigraphique définit ainsi en partie le public et sa perception du texte, en affecte la lisibilité et conditionne l’efficacité de la transmission de l’information. La prise en compte de la première acception de la notion de « contexte » – à savoir la dimension spatiale et matérielle du phénomène épigraphique – n’est pas spécifique à l’étude des inscriptions, même s’il constitue un aspect relativement récent dans les études de sémiotique. L’analyse de l’espace et des relations spatiales des faits culturels (proxémie ou proxémique) a été particulièrement développée dans les études de l’anthropologue américain Edward T. Hall à la fin des années 19601 qui affirmait que « tout ce que l’homme est et fait est lié à l’expérience de l’espace2 ». Par la suite, les travaux de sémiotique ont cherché à déterminer son importance dans la construction et l’interprétation des systèmes de communication et, de façon plus générale, à « déterminer la signification des signes dans l’espace3 ». L’une des principales difficultés à l’heure de mettre en place une démarche proxémique vient du fait qu’il est difficile de proposer – nous l’avons vu pour les inscriptions – une définition restreinte de ce que l’on entend par « espace » (ou « contexte ») du phénomène étu1   Voir son ouvrage majeur sur ce point : Hall, E.T., La dimension cachée, Paris, 1971 (pour la trad. ; 1ère éd. : New York, 1966) ; voir en particulier p. 13 : « Le terme de proxémie est un néologisme que j’ai créé pour désigner l’ensemble des observations et théories concernant l’usage que l’homme fait de l’espace en tant que produit culturel spécifique ». 2   Ibid., p. 221. 3   Klinkenberg, J.M., Précis..., p. 69.



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dié. De plus, comme la plupart des données culturelles importantes (telles que le temps, la nature, l’homme, la science, etc.), l’espace a une multitude d’implications dans tous les aspects de la connaissance et de l’expérience. Notion philosophique, l’espace a également des implications mathématiques et astronomiques ; concept universel, il possède des liens avec la métaphysique et la théologie, avec les domaines artistiques et littéraires4. L’espace est aussi fonction de la nature des relations humaines, de l’activité, de l’affect5. Aujourd’hui, l’espace relève à la fois du domaine des sciences physiques, dans lesquelles les progrès et les performances impliquent une description par des critères souvent inaccessibles à la perception sensible, et de l’anthropologie, avec l’étude des représentations de l’espace à travers les différences culturelles (qu’elles soient historiques, géographiques ou sociales6). L’espace et le contexte n’existent en réalité qu’en fonction de l’approche qu’ils génèrent. Ainsi reçoivent-ils une définition mathématique quand ils sont étudiés par un géomètre, une dimension métaphysique quand ils le sont par un théologien ; le géographe leur donne une valeur topographique quand le physicien leur accorde des propriétés empiriques ; le sémioticien les fait porteur de sens et l’artiste les transforme en objets esthétiques.

La théorie médiévale de l’espace Ajoutons encore à cette diversité que le Moyen Âge qui accueille les inscriptions possède sa propre définition de l’espace7. Dans le vocabulaire médiolatin, les mots locus et situs sont les plus fréquents et 4   Pour un panorama complet et rapide de l’ensemble des implications de l’espace dans la pensée occidentale, voir l’article «  Espace  » dans Encyclopédie philosophique universelle, t. II/2…, p. 836-845. 5   Hall, E.T., La dimension cachée…, p. 222. 6   La bibliographie sur l’espace au Moyen Âge est très importante et témoigne de l’omniprésence de cette thématique dans la médiévistique actuelle. On citera ici quelques titres récents dans lesquels le lecteur trouvera l’ensemble des références bibliographiques à ce sujet : Gautier-Dalché, P., Géographie et culture : la représentation de l’espace du vie au xiie siècle, Aldershot, 1997 ; Medieval Practices of Space, éd. B. Hanawalt, Londres, 2000 ; L'espace rural au Moyen âge : Portugal, Espagne, France : xiie- xvie siècle : Mélanges en l'honneur de Robert Durand, éd. M. Bourin et S. Boissellier, Rennes, 2002 ; À la recherche de légitimités chrétiennes : représentations de l'espace et du temps dans l'Espagne médiévale, ixe- xiiie siècle : actes du colloque tenu à la Casa de Velázquez, Madrid, 26-27 avril 2001, éd. P. Henriet, Lyon, 2003. 7   Nous nous contentons de renvoyer ici aux intuitions et au style très stimulant de Zumthor, P., La mesure du monde. Représentation de l’espace au Moyen Âge, Paris, 1993 (Poétique).



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renvoient à une dimension quantitative de l’espace, à une certaine idée d’étendue ; quant au terme spatium, attesté dès le haut Moyen Âge dans les textes, il désigne davantage un « espace de temps », une durée, et ce jusqu’au xvie siècle. L’espace des inscriptions médiévales se trouve sans aucun doute à la frontière de ces acceptions ; s’il désigne une certaine étendue dans laquelle s’exerce l’influence du texte et sa perception par le public, il est avant tout un hic et nunc, lieu et instant de la lecture, nous le verrons. C’est un espace pratique et humain, une donnée perceptible qui conditionne la vie des hommes et des femmes dans leur organisation concrète comme dans leurs systèmes de représentation. Il correspond au monde qui les entoure dans leurs actions et dans leurs pensées, et dans lequel ils mettent en place la vie politique, sociale, culturelle, religieuse et artistique. C’est le contexte de production et de diffusion des produits de la civilisation et de la communication médiévales. C’est le produit plus ou moins direct de très nombreuses réflexions depuis les premiers témoins de la philosophie occidentale. L’héritage de l’Antiquité : l’espace quantifié La conception de l’espace par les savants antiques relève de l’approche mathématique et géométrique d’une abstraction 8. Il s’agit d’un espace cosmographique absolu, condition à la réalisation des actes et des idées9. Il repose chez les philosophes grecs sur l’opposition entre le plein et le vide, opposition qui définit à son tour un antagonisme entre être et non-être, comme Platon l’a exprimé dans le Timée en faisant de l’espace un réceptacle, le lieu de production et de manifestations des idées10, perçu comme une donnée continue, n’acceptant pas la présence du vide. Ces idées seront reprises en partie dans les Catégories d’Aristote qui s’attache surtout à démontrer que l’espace est la somme des lieux occupés par les corps. Cette réflexion fondamentale se détache de la conception platonicienne, dans la mesure où elle ne propose en soi aucune théorie de l’espace, mais plutôt une théorie du lieu, ce qui représente une évolution majeure dans la   Jammer, M., Concepts of Space : the History of Theories of Space in Physic, New York, 1993 (1ère éd. : 1960), p. 7 : « Pour la première fois, il [l’espace] devient une abstraction. » 9   Voir à ce sujet l’importance accordée à l’espace dans la plus ancienne littérature grecque. Voir notamment la description qu’en fait Hésiode dans sa Théogonie. Hésiode, Théogonie, éd. et trad. P. Mazon, Paris, 1964. Voir Jammer, M., Concepts of Space…, p. 6. 10   Platon, Timée, éd. et trad. A. Rivaud, Paris, 1970, 31b. 8



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mesure où elle implique un univers fini, où toute chose se définit par le lieu qu’elle occupe11. Elle suppose également un traitement géométrique, toute chose occupant un point dans l’espace (un lieu fini et quantifiable) qui peut être repéré de façon absolue grâce à un système de coordonnées, ou de façon relative par rapport à un autre objet. Les réflexions mises en place par les philosophes et mathématiciens grecs jouissent d’une grande fortune, d’abord à Rome, puis au Moyen Âge (à partir du xiie siècle), en Occident comme en Orient12. Les conceptions de l’espace comme abstraction se retrouvent en partie dans les œuvres des naturalistes latins qui reprennent les réflexions sur l’idée de lieu, de place, de finitude pour décrire le monde réel et y inscrire chaque entité, en particulier chez Pline et chez Solin13. La première évolution majeure de la conception grecque de l’espace intervient dès le premier siècle de notre ère, au sein de la culture juive alexandrine14. Philon d’Alexandrie replace en effet l’omnipotence de Dieu au centre de l’univers, de sa création, de sa cohésion et de son ordonnancement15. Il s’agit de la première critique véritable à la conception platonicienne exprimée dans le Timée. Dans le même temps, c’est la première rencontre entre l’étude de l’espace et la théologie. En revanche, la théorie aristotélicienne du topos n’est pas remise en cause (et ne le sera pas véritablement avant les xiie-xiiie siècles en Occident). À la fin de l’Antiquité, on a ainsi une conception de l’espace qui découle toujours des grandes innovations de la philosophie et des mathématiques grecques, mais qui subit également l’influence de son application aux sciences naturelles romaines et des critiques et amendements de la philosophie juive. Les bouleversements de la philosophie chrétienne : l’espace symbolique En introduisant l’omnipotence divine au centre de la description de l’espace et de la nature, Philon d’Alexandrie ouvrait la voie aux penseurs chrétiens. C’est dans l’œuvre d’Augustin qu’apparaissent les commentaires les plus importants concernant la place de Dieu dans   Aristote, Catégories, éd. et trad. R. Bodeüs, Paris, 2001, chap. 14.   Jammer, M., Concepts of Space…, p. 35. 13   Grégory, T., «  Nature  », dans Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval [désormais DROM], Paris, 1999, p. 806-820, p. 812. 14   Duhem, P., Le système du monde. Histoire des doctrines cosmologiques de Platon à Copernic. T. III : L’astronomie latine au Moyen Âge, Paris, 1958, p. 127. 15   Voir en particulier Philon d’Alexandrie, De opificio mundi, éd. et trad. R. Arnaldez, Paris, 1961. 11 12



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l’espace. Pour l’évêque d’Hippone, l’espace et la nature sont l’expression même de la volonté divine16. Le monde est donc perçu comme le langage figuré de Dieu qui rappelle les hommes à des vérités d’ordre éthique et religieux17. Les commentaires d’Augustin sur les Psaumes sont, à ce titre, particulièrement instructifs puisqu’ils offrent une lecture symbolique systématique18. Plus que centrale, la figure de Dieu est, dans la pensée augustinienne, omniprésente et irréductible ; elle est contenue dans chaque parcelle de l’espace, dans chaque lieu19. Il reprend de fait les théories d’Aristote, comme plus tard le fera Isidore de Séville, pour décrire l’ensemble des données sensibles20. La vision d’un monde théocentrique apparaît quelques décennies plus tard chez Grégoire le Grand qui fait de l’espace une donnée symbolique21. L’importance de l’interprétation symbolique de l’espace médiéval se retrouve bien au-delà du haut Moyen Âge. Elle constitue l’une des constantes de la philosophie médiévale, aussi bien à l’époque carolingienne, avec Jean Scot Eurigène22, que dans l’école de Saint-Victor de Paris23.

  Augustin, De Civitate Dei, éd. B. Dombard et A. Kalb, Paris, 1960 (4ème éd.), p. 412-413 : XXI, 8, 2 : Quo modo est enim contra naturam, quod Dei fit voluntate, cum voluntas tanti utique conditoris conditae rei cujusque natura sit ? Trad. : « Comment, en effet, peut être contraire à l’ordre naturel ce qui se produit par la volonté de Dieu, quand c’est la volonté même d’un si grand créateur qui fait la nature de toute chose créée ? » 17   Grégory, T., « Nature », p. 807. 18   Voir par exemple Augustin, Enarrationes in Psalmos, XLV, 7,. PL 36, col. 518-519. 19   Augustin, De Civitate Dei…, VIII, 11 ; X, 31 ; XXI, 8. 20   Isidore de Séville, De rerum natura, éd. et trad. J. Fontaine, Bordeaux, 1960, prologue, 2 : Neque enim earum rerum naturam noscere superstitiosae scientiae est, si tantem sana sobriaque doctrina considerentur. Quin imo, si ab investigatione veri modis omnibus procul abessent, nequaquam rex ille sapiens diceret : ipsae mihi dedit horum quae sunt scientiam veram. Trad. : « En effet, toute connaissance de la nature ne relève pas d’une science superstitieuse, pour autant qu’on la considère comme un savoir sain et sobre. Bien plus, si elle était absolument sans rapport avec la recherche de la vérité, ce grand et sage roi n’aurait nullement dit : c’est lui qui m’a donné la science véritable de ce qui est (Sag VII, 17) ». 21   Martin, H., Mentalités médiévales…, p. 129. 22   Jean Scot Eurigène, Homelia in prologo Evangelii secundum Johanem, éd. par E. Jeauneau, Paris, 1969 (Sources chrétiennes, 151), p. 200-201, chap. II : Cui enim theologarum donatum est quod tibi est donatum, adbita videlicet summi boni penetrare misteria et ea quae tibi revelata et declarata sunt humanis mentibus ac sensibus intimare. Trad. : Car à quel théologien a-t-il accordé ce qui t’a été accordé, à savoir de pénétrer les systèmes codés du souverain Bien et de mettre à la portée de l’intelligence et de la sensibilité humaines les vérités qui t’ont été révélées et manifestées. 23   Richard de Saint-Victor, Benjamin major, V, 7, PL 196, col. 175-176 : Vides, obsecro, quomodo natura interrogata, vel Scriptura consulta, unum eundemque sensum pari loquntur concordia. 16



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En reprenant certaines conclusions du Timée, la philosophie d’Augustin insistait elle aussi sur l’idée d’ordre et de hiérarchie dans la description de l’espace24. En tant que création et émanation unilatérale de la volonté et de l’omnipotence de Dieu, l’espace et l’organisation du monde respectent un ordonnancement déterminé par le plan divin. Cet ordo, imposé par Dieu à sa Création, structure l’espace théorique des médiévaux jusqu’au xiiie siècle25, même si l’idée de lex (d’organisation du monde et de la nature) complète l’idée augustinienne d’ordre dès le xiie siècle 26. Le mundus du Moyen Âge est donc un espace fondamentalement chrétien et son interprétation réside dans une référence constante au sacré qui détermine un système théorique de valeurs, d’exceptions et de relations : au sein de la Création, les espaces sacrés (loci) rendent manifeste la présence de Dieu dans le monde27. Les différents espaces figurent ainsi une image réduite du monde tel qu’il a été voulu par le plan divin, et doivent représenter un modèle microcosmique de l’espace. L’opposition microcosme/ macrocosme trouve son expression la plus systématique chez Honorius Augustudoniensis28. Quelques années plus tard, Hildegarde de Bingen formalisera cette théorie dans ses exercices mystiques, pour en faire un moyen de comprendre le monde29. Les idées exprimées par Aristote dans les Catégories restent d’actualité au cours du Moyen Âge, l’insistance sur l’espace sacré et sur la relation entre le monde et sa projection matérielle témoignant d’un attachement important au lieu, aux relations entre les lieux et les objets, et non pas à l’étendue. Comme l’a montré J. Le Goff, le Moyen Âge a organisé l’espace autour de lieux et de zones, et non pas à l’in  Augustin, De ordine, éd. et trad. Jolivet, R., Œuvres de saint Augustin, 1ère série, IV : Dialogues philosophiques, Paris, 1948, p. 386. Livre II, (IV) 14 : Jam in musica, in geometria, in astrorum motibus, in numerorum necessitatibus ordo ita dominatur ut si quis quasi ejus fontem atque ipsum penetrale videre desideret, aut in his inveniat aut per haec eo sine illo errore ducatur. Trad. : Dans la musique, dans la géométrie, dans le mouvement des astres, dans les lois des nombres, l’ordre règne si bien que si l’on veut en connaître pour ainsi dire la source et le sanctuaire lui-même, c’est là qu’on les trouvera ou par là que l’on sera sans erreur conduit jusqu’à lui. 25   Le Goff, J., « Centre/périphérie », DROM, p. 149-165, p. 150-151. 26   Adelard de Bath, Quaestiones naturales, 6, 64. Ce texte reste difficile d’accès. Nous renverrons donc à l’édition ancienne par M. Müller, Munich, 1934. 27   Gilbert de la Porrée, Liber de sex principiis, éd. A. Heysse et D. von der Eynde, Munich, 1953. 28   Honorius Augustudoniensis, Elucidarum, éd. dans Lefèvre, Y., L’Elucidarum et les Lucidaires. Contribution à l’histoire des croyances religieuses en France au Moyen Âge, Paris, 1955, appendice. 29   Hildegarde de Bingen, Le livre des œuvres divines, éd. et trad. B. Gorceix, Paris, 1982 (Spiritualités vivantes), sixième vision, p. 142-144. 24



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térieur de territoires définis par leur étendue30. À partir de cette idée, on peut déterminer une série d’oppositions structurantes : centre/ périphérie ; espace urbain/espace rural ; espace ouvert/espace fermé ; haut/bas... L’interprétation de l’espace par la pensée chrétienne médiévale a donc permis d’inscrire l’abstraction de la philosophie grecque dans le monde sensible. Les réflexions des Pères de l’Église et des auteurs postérieurs restent toutefois très théoriques ; elles ne renvoient que rarement à des données empiriques et ne décrivent jamais l’espace tel qu’il peut être appréhendé par leurs contemporains. Comme le fait remarquer H. Martin, « l’espace et le temps ne constituent pas des catégories mentales autonomes »31. Comme l’espace, le temps médiéval est le temps de Dieu, le temps eschatologique et liturgique. Espace et temps participent de la même façon à la manifestation de la toute-puissance divine ; ils sont les cadres de l’accomplissement de sa volonté. L’espace n’existe donc que dans le temps chrétien. Il est le lieu où le fidèle médiéval accomplit ses actions dans l’attente d’un autre espace et d’un autre temps, ceux du Royaume de Dieu. Fondamentalement symbolique, profondément théocentrique, l’espace médiéval est encore un espace absolu et théorique. Les ruptures du xiiie siècle : l’apparition de l’espace réel La « renaissance » du xiie siècle se caractérise par un renouvellement intellectuel, basé sur des circonstances internes et sur la qualité des penseurs, mais aussi sur l’influence des idées récemment importées dans la pensée de l’Occident médiéval. L’une des principales caractéristiques d’un tel renouveau est l’apparition d’un corpus de textes originaux, issus de la philosophie grecque classique et des sciences arabes médiévales. Les grandes entreprises de traduction des xiiexiiie siècles permettent une nouvelle interprétation de la pensée antique tandis que le développement des sciences de la nature fait lentement sortir l’espace de la sphère symbolique et sacrée pour lui accorder dès le milieu du xiie siècle des qualités empiriques. Ces traités s’appuient sur l’arrivée en Occident de la Physique d’Aristote et de la tradition astronomique de Ptolémée, avec la traduction de l’Almageste ; Thierry de Chartres, dans son Opusculum de opera sex dierum32, semble être le premier à se faire l’écho des nouvelles données de la   Le Goff, J., « Centre/périphérie…», p. 159.   Martin, H., Mentalités médiévales…, p. 123. 32   Duhem, P., Le système du monde…, p. 158. 30 31



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physique grecque. L’une des principales modifications concerne l’introduction de la dimension anthropologique de l’espace ; l’homme est inséré dans un système où la nature ne se définit plus exclusivement par ses références symboliques, comme langage de Dieu. Le modèle aristotélicien d’un espace absolu disparaît en réalité peu à peu pour laisser la place à un espace défini par les relations établies entre les êtres et les objets. Gilbert de la Porrée systématise cette réflexion dans le De sex principiis, établi à partir de la critique des Catégories d’Aristote. Autre conséquence importante, l’anthropocentrisme détermine une vision sphérique de l’univers : l’être humain est inscrit dans un système de sphères concentriques, qui implique plusieurs niveaux de proximité33. L’homme devient peu à peu la mesure de l’espace, désormais appréhendé de façon pratique au cours de déplacements plus nombreux et plus lointains permettant une meilleure connaissance des distances et des étendues, et un renouvellement de la conception du locus. Cette coexistence entre données empiriques et réflexions métaphysiques définit la conception de l’espace pour les xiie- xiiie siècles. Une sphère sacrée et symbolique se superpose ainsi à la sphère physique pour donner au monde réel sa cohérence et son unité34. L’importance nouvelle de la cathédrale gothique dans les milieux urbains manifeste en quelque sorte ce dualisme. Espace sacré et symbolique, image de la Jérusalem céleste, elle est une nouvelle incarnation de la divinité dans le monde sensible35. La cathédrale est simultanément, de façon empirique, un lieu de réunion, le lieu des « principaux centres et nœuds d’organisation de l’espace urbain »36. Elle est l’image même de la mesure du monde tel qu’il apparaît à la fin du Moyen Âge. D’un point de vue génétique et formel, elle est le reflet de la réalité scolastique en associant ordre et toute-puissane37. Dieu n’est plus dès lors pensé comme le centre de l’espace ; il est l’espace et se   Grégory, T., « Nature… », p. 817. Cette conception astronomique, qui perdurera jusqu’à la Renaissance, entraîne un nouveau développement des sciences mathématiques, avec des penseurs comme Robert Grosseteste ou Roger Bacon. 34   Zumthor, P., La mesure du monde…, p. 35 : « Le Moyen Âge se distingue par une incessante interpénétration de l’abstrait et du concret. L’espace médiéval n’est ni abstrait, ni homogène. Il est personnalisé : concret, individuel, hétérogène, mais intime. Il n’est pas neutre : c’est une force qui régit la vie, la détermine et la fascine. » 35   Ibid., p. 100 : « L’espace de l’église est un espace interne, féminisé en quelque façon car il contient Dieu comme le fit le sein de la Vierge. » 36   Le Goff, J., « Centre/périphérie…», p. 155. 37   On renverra en particulier aux ouvrages de Bonaventure qui voit dans le monde et dans son ordonnancement une trace de la volonté divine. Voir Bonaventure, Collatius in hexameron, cité par Grégory, T., « Nature », p. 815. 33



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reflète dans chaque parcelle du monde sensible. Le centre de l’espace se déplace par conséquent de l’image de Dieu à la réalité anthropomorphique, l’homme médiéval devenant le principal protagoniste du monde réel. Dès lors et comme l’a montré Paul Zumthor, l’espace devient très personnel à la fin du Moyen Âge ; il est de plus en plus vécu comme une expérience individuelle38. Au cours du Moyen Âge, on passe d’un espace pensé et théorisé, centré sur les bases du savoir antique et sur les principes de la philosophie chrétienne, à un espace réel, décrit de façon empirique à travers le prisme des sciences naturelles et de la philosophie anthropocentriste39. Les réflexions médiévales sur l’espace ont toutefois jusqu’au xve siècle un aspect éminemment théorique et, si on a bien affaire à un espace réel dès le xiiie siècle, on n’assiste pas encore à la description d’un espace physique (au sens actuel du terme). De plus, l’espace de la fin du Moyen Âge possède toujours un contenu symbolique important qui détermine les modalités de sa représentation mais qui influence également sa performance réelle. Ces caractéristiques, présentes à partir de la seconde moitié du xiie siècle, perdureront en Occident jusqu’au xviie siècle.

Performances et expériences médiévales : l’espace vécu Les réflexions évoquées à grands traits ci-dessus pourraient paraître en décalage avec le « contexte » épigraphique étudié ici, dans la mesure où leur production et leur diffusion ne concernent qu’une part infime de la population médiévale. Si leur importance en tant que facteur de civilisation n’est pas à remettre en cause, il ne faut pas non plus pourtant négliger les implications concrètes de ces développements sur la vie quotidienne des hommes et des femmes du Moyen Âge. Pour eux, l’espace absolu n’existe certes pas en tant que tel40et il est avant tout envisagé tel qu’il est vécu et parcouru41. C’est l’espace appréhendé par les sens et complété par une série de représentations mentales qui déterminent pour partie la nature des relations homme/ espace et impliquent nécessairement un monde à dimension micro  Zumthor, P., La mesure du monde…, p. 51.   Grégory, T., « Nature… », p. 820. 40   Zumthor, P., La mesure du monde…, p. 345 : « L’espace n’existe pas en soi ». 41   Martin, H., Mentalités médiévales…, p. 123. 38 39



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cosmique. De fait, l’homme de la fin du Moyen Âge a une faible conscience des espaces géographiques à grande échelle mais raisonne davantage sur la distance et sur la proximité que sur l’étendue. Cela n’implique cependant en aucune manière que l’homme médiéval ait négligé l’importance concrète de l’espace. Bien au contraire, l’étude des phénomènes sociaux et notamment des faits de communication témoigne de la nécessité d’inscrire (au moins en ce qui concerne l’intention et l’émission) les actes, les personnes et les objets dans un lieu déterminé, partie constitutive du macrocosme illimité, œuvre de Dieu ; en bref, dans l’espace tel qu’il est défini par la pensée scolastique. Dans la réalité de la vie quotidienne et dans la réception des faits culturels, l’espace a effectivement une dimension humaine et n’existe que par l’expérience que chacun fait de son environnement. Il régit une série d’oppositions issues des abstractions philosophiques et de leur application au monde sensible. Paul Zumthor a pu isoler quatre oppositions majeures : le dehors et le dedans ; le plein et le vide ; le près et le lointain ; l’ici et l’ailleurs42. Il faut ajouter à cela l’ensemble des positions relatives : droite/gauche, devant/derrière, sur/sous, etc. Pour J. Le Goff, la plus importante d’entre elles est l’antagonisme entre le haut et le bas qui structure l’espace médiéval en faisant de l’élévation le mouvement le plus profitable43. Ces oppositions permettent de caractériser l’espace occupé par un être ou un objet dans son contexte. L’importance du locus se traduit quant à elle par l’attention accordée à certains espaces concrets : la porte, l’enceinte, le seuil, le sol, le toit, l’extrémité, la borne, la route, le chemin… Chacune des caractéristiques de l’espace pensé a donc son pendant dans la vie quotidienne et la réalité du lieu médiéval résoud souvent les contradictions apparentes. Le chœur de l’église par exemple est un espace symbolique et reçoit à ce titre des définitions complexes au niveau théologique et liturgique ; il est le lieu du sacrifice eucharistique, de la commémoration des défunts, de la célébration de la Parole de Dieu. Le chœur est aussi plus simplement une réalité architecturale, faite de matériaux que l’on peut saisir par l’expérience des sens (la pierre de l’autel, le bois du mobilier, le tissu des tentures et des ornements, le métal et la cire des luminaires). Il est le lieu de rassemblement des clercs et un espace de circulation, avec ses voies,

  Zumthor, P., La mesure du monde…, p. 20.   Le Goff, J., « Centre/périphérie », p. 152.

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ses limites, ses dénivelés. C’est un espace de mouvement et de station, de parole et de silence, d’activité et de calme. En tant qu’espace concret, il permet la situation relative d’un certain nombre de lieux : la position de l’autel par rapport à l’entrée du sanctuaire ; la position d’une pierre tombale par rapport à l’autel ou à un élément de l’architecture. L’espace claustral dans un monastère, le portail d’une église paroissiale, le cimetière d’une communauté présentent une même dualité dans leur définition, et il en est de même pour la plupart des espaces profanes. Les bâtiments de l’architecture civile (tour, palais, élément de fortification) sont les images symboliques d’une autorité et d’une certaine conception du pouvoir, mais ils constituent dans le même temps des espaces réels, autour desquels se déroule une part importante de la vie sociale. Il n’y a donc pas lieu, sous couvert du manque de diffusion des œuvres philosohiques dans la société médiévale, d’envisager une séparation entre les données théoriques et les réalités sensibles quand l’espace tel qu’il est vécu présente en réalité une synthèse fort équilibrée des deux aspects. Il n’en pas en revanche réductible à une entité simple et le « contexte » épigraphique que nous essayons de définir se présentera au contraire sous la forme d’un système complexe dans lequel interviennent des objets et des actions concrètes, mais également des idées, des concepts, des symboles, des images, des représentations. Ce système détermine des relations de proximité entre les êtres ou les objets et le monde tel qu’il est perçu. On distingue cinq niveaux : −− la relation à l’espace pensé comme concept universel et comme abstraction ; c’est l’espace théorique et philosophique ; −− la relation à l’espace perçu comme donnée sensible, tel qu’il peut potentiellement être appréhendé par l’ensemble des médiévaux ; c’est le cadre général de l’existence humaine, espace à la fois naturel et social ; −− la relation à l’espace parcouru, c’est-à-dire l’ensemble des espaces appréhendés de manière effective au cours d’une existence : les espaces géographiques (village d’origine, ville de résidence, le terroir cultivé,…), les espaces naturels (paysage quotidien, milieux sauvages,…), les espaces fréquentés (routes, chemins, places, marchés, églises, lieux publics) et les espaces habités (lieux de résidences, lieux familiers, lieux privés et intimes) ; −− la relation à l’espace occupé par un objet, dans lequel on localise, on situe : être à l’extérieur d’un bâtiment, être devant une porte,



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se tenir à gauche d’un meuble, se placer sous une fenêtre, passer sur un pont… ; −− la relation à l’objet lui-même. Ces différents niveaux peuvent être divisés en deux grandes catégories qui structurent la pensée de la fin du Moyen Âge. Les niveaux 1 et 2 appartiennent à une conception macrocosmique de l’univers tandis que les niveaux 3 à 5 définissent un espace à la mesure de l’homme (conception microcosmique). La plupart des hommes et des femmes placent leur existence et leurs actes dans des relations de proximité, dans les niveaux 3 à 5, c’est-à-dire dans un contexte matériel. L’espace en tant que réalité pratique simplifie les abstractions et transforme les données de la pensée en données de l’expérience. L’espace vécu n’est donc pas différent de l’espace pensé ou de l’espace réel. Il est plus simple et plus pratique, adapté aux circonstances et aux impératifs de la vie quotidienne. L’espace vécu est celui qui accueille les objets et qui leur offre un contexte matériel porteur de sens ; c’est l’espace du contexte épigraphique.

Le contexte épigraphique Le fonctionnement d’une inscription dans son milieu est déterminé par les différentes proximités qu’implique l’espace médiéval tel qu’il a été appréhendé par les hommes et les femmes des xiiie-xive siècles. Ces relations de l’objet à son environnement définissent à leur tour le contexte épigraphique qui concerne d’abord le texte proprement dit, puis l’objet épigraphique pour finalement englober l’espace occupé par l’inscription. L’espace du texte La présence même de l’écriture dans un espace déterminé, son existence en tant que production graphique matérialisée et localisée permet de donner sens à l’inscription au-delà toute opération de lecture lors de sa perception par le récepteur du message épigraphique. L’attention apportée au contexte permet en effet le plus souvent au spectateur de comprendre la fonction de l’inscription. Dans l’église d’Aunay-sous-Auneau (28), une pierre tombale du xiiie siècle avec la représentation et l’épitaphe d’un clerc, relevée aujourd’hui au revers de la façade occidentale, près de la porte nord (fig. 9), permet de faire



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Fig. 9.  Aunay-sous-Auneau (28), église, revers de façade. Plate-tombe d’un clerc (xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

Fig. 10.  Aunay-sous-Auneau (28), église, revers de façade. Fondation de chapellenie tracée sur la tranche d’une platetombe (fin du xive siècle). Cliché V. Debiais.

état de l’importance de l’espace du texte dans la détermination de la fonction de l’écriture. Sur la tranche, dans l’épaisseur de la pierre, un texte plus tardif, sans doute de la fin du xive siècle, rapporte la fondation d’une chapellenie (fig. 10). La situation de ce texte sur la tranche de la pierre est difficilement compréhensible si on fait abstraction de l’utilisation postérieure de la dalle comme pierre d’autel au cours du xive siècle, comme l’attestent les cinq croix gravées à sa surface. La fonction commémorative de l’inscription funéraire du xiiie siècle, aujourd’hui partiellement lisible, dépend en fait étroitement de sa gravure sur la plate-tombe couvrant la sépulture du clerc, donc de son contexte d’utilisation. La fondation de chapellenie ne devient quant à elle signifiante que dans l’association avec l’autel, lieu de la commémoration liturgique de la mémoire des défunts44. 44   Étant donné le décalage chronologique indéniable entre la gravure des deux textes et l’absence de relations entre les personnages mentionnés dans les deux inscriptions, on doit



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Fig. 11.  Rouen (76), musée des Antiquités (prov. : cathédrale). Signature sur une clef de voûte (première moitié du xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/ CIFM.

L’importance du contexte se retrouve, en règle générale, dans l’ensemble des inscriptions renvoyant à un référent précis : commentaires de scènes iconographiques, description de pièces d’orfèvrerie… C’est également le cas pour la plupart des signatures d’artistes. Le Musée des Antiquités de Rouen (76) conserve une clef de voûte datant de la première moitié du xiiie siècle et provenant de la cathédrale de la ville45. Elle porte le nom de l’artiste, suivi de la mention me fecit (fig. 11)46. L’utilisation de la première personne du singulier s’explique par la situation du texte au contact de l’œuvre et témoigne d’une étroite dépendance de sens entre l’inscription et son référent. L’espace du texte offre ainsi l’explication de la syntaxe de l’inscription mais permet aussi une première signification du message lors de sa exclure la volonté de réunir dans un même objet célébration liturgique de la mémoire et souvenir funéraire sur la tombe, comme il aurait été tentant de le faire. On a bien deux utilisations différentes de la pierre à deux époques avec deux compléments épigraphiques qui fonctionnent indépendamment. 45   CIFM 22, 257. 46   Sur les inscriptions de commanditaires et les formules employées dans ces textes, voir Favreau, R., « Les commanditaires dans les inscriptions du haut Moyen Âge occidental », dans Committenti e produzione artistico-letteraria nell’alto medioevo occidentale. Spolète. 4-10 avril 1991, Spolète, 1992, p. 681-727 (Semaines d’Études du Centre italien d’études sur le Haut Moyen Âge, 39).



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Fig. 12.  Saint-Christophe-du-Jambet (72), église, voûte de la première travée. Mention de construction (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

perception. Dans l’église de Saint-Christophe-du-Jambet (72), une belle inscription peinte datant du xiiie siècle atteste de la construction de l’église ou de sa réparation47. Elle est située sur la voûte de la première travée de la nef, à plus de 10 mètres du sol, mais la lecture du texte est facilitée par l’emploi de lettres de gros module (fig. 12). Une telle localisation, qui pourrait limiter l’efficacité de la communication, s’explique, comme à Rouen, par la volonté de rendre manifeste l’association entre le texte et l’espace du texte ; l’éventuelle entrave à la diffusion du message est compensée par une localisation signifiante, comme c’est le cas dans de nombreux exemples d’inscriptions difficiles d’accès car placées sur des voûtes, des pièces de charpente ou des éléments de couverture, pour rappeler la date de leur construction ou de leur rénovation48. Les associations entre l’espace du texte et le contenu de l’inscription peuvent être plus ou moins immédiates. Dans la cathédrale du Mans, une inscription rappelle la donation d’un bréviaire par un cha-

  Saint-Christophe-du-Jambet (72), église, nef, voûte de la première travée, voûtain est. Mention de construction (xiiie s.). Texte publié de façon fautive dans Deyres, M., Maine roman, La Pierre-qui-Vire, 1985, p. 52. Lecture à partir de l’original : An(n)o ab i(n)carnat(i) one D(omi)ni 1231 tempore Jacobi Franci p(er)sone h(ujus) ec(c)l(es)ie. 48   On citera évidemment l’inscription du Mont-Saint-Michel (50), mentionnant la reconstruction du cloître en 1228 (CIFM 22, 122). Le département du Morbihan compte plusieurs textes du xive siècle inscrits sur des sablières ou des éléments de charpente : Josselin, Pluvigier,… 47



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noine49. Ce texte, découvert en 1836 sous une couche de badigeon, est situé immédiatement sous le pupitre devant recevoir le livre au moment de la célébration liturgique. Il mentionne le nom du donateur, la nature du don et sa motivation : magister Guill(elmu)s Thebardi hui(us) ecc(lesi)e / canonicus dedit istud brevariv(m) p(ro) usu in/digenciu(m) orate deum p(ro) eo. Les relations texte/contexte sont immédiates et l’inscription assure au donateur l’association directe de son nom à l’utilisation du bréviaire, ce qui lui permet dans le même temps d’espérer les suffrages des célébrants en reconnaissance de son acte. L’inscription de fondation de Veules-lesRoses présente quant à elle une relation plus distante entre l’espace du texte et son contenu50. Encastrée dans le mur intérieur de l’église, au plus près de la sacristie, elle rappelle la création d’une chapellenie, en mentionnant de façon très complète la nature des dons et le contenu des cérémonies. Dans le cadre d’une association directe (comme au Mans), le support du texte aurait pu prendre place directement au contact de l’autel Notre-Dame, lieu de la célébration de l’anniversaire mais on a préféré associer ici le texte et le célébrant occupant la sacristie afin d’assurer l’exécution des services. L’association reste donc tout à fait signifiante, même si les relations entre le texte et son contexte sont plus lâches. Elles le sont encore davantage dans d’autres inscriptions, comme celle de l’église de Lieusaint (50) par exemple, qui présente, dans la nef, une clef de voûte rappelant la reconstruction d’un autel en 1312 : la an mcccxii fut cest autel faict tout neuf 51. Par sa situation en hauteur, ce texte est difficilement repérable, beaucoup plus en tout cas que ne pourrait l’être une inscription placée à hauteur des yeux dans le parement d’un mur. La situation de ce texte au niveau des voûtes se rapproche de ce que l’on a pu rencontrer dans l’église de Saint-Christophe-du-Jambet mais l’inscription est toutefois coupée de toute relation proxémique avec son référent. Il n’y a aucun contact physique entre le texte et l’autel auquel il se rapporte. L’espace concerné par l’inscription est alors séparé du message épigraphique ; sans association texte/contexte, la compréhension du sens et de la fonction de l’inscription devient plus difficile, 49   Le Mans (72), cathédrale, chœur, dernier pilier sud. Inscription de donation d’un bréviaire (déb. xive s.). Texte publié par Guilhermy, B. de, « Les bréviaires en cage », Année archéologique, XXI, 1861, p. 362. 50   CIFM 22, 283. 51   Lieusaint (50), église, nef, clef de voûte. Datation de la reconstruction d’un autel (1312). Texte donné dans Porter, A.K., Medieval Architecture. Its Origins and Development, New Haven, 1912, t. II, p. 351.



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et l’efficacité de la communication diminue. Elle ne disparaît pas complètement pour autant dans la mesure où l’on doit envisager, dans un espace médiéval considéré comme un tout, des relations symboliques : la clef de voûte placée à l’aplomb de l’autel se situe au-dessus du sacrifice eucharistique ; c’est vers cet objet que le prêtre élève les espèces après la consécration et c’est vers lui que monte les fumées de l’encens. Le texte n’est donc complètement isolé de son référent que dans la dimension communicative de l’inscription, et non dans la réalité symbolique de son existence et de sa localisation. Si les conditions de réalisation de l’inscription ne sont pas adpatées aux besoins de la transmission du message, l’association texte/ contexte n’est pas suffisante pour garantir l’efficacité de la communication au moment de la perception. Aux confins de l’Eure-et-Loir et des Yvelines se trouve le village de Garancières-en-Beauce (28) et son église au clocher imposant qui s’élève à plus de 25 mètres du sol. Quelques mètres au-dessous du faîtage, une pierre inscrite donne la date de la construction du clocher. Bien qu’aujourd’hui en partie détruite, on peut y lire quelques signes donnant une date partielle pour le début du xive siècle. La recherche de sens dans l’association texte/contexte a été respectée et se rapproche des datations d’éléments d’architecture mentionnées ci-dessus. L’efficacité de la communication se trouve toutefois entravée par la situation du texte à plus de 20 mètres du parvis de l’église et par l’emploi de signes de petite taille rendant le repérage du texte impossible à l’œil nu, contrairement à ce que l’on trouvait à Saint-Christophe-du-Jambet où l’on lisait le texte, ou à Rouen où l’on repérait sans difficultés la présence de la signature. Nul besoin d’envisager des proportions aussi considérables pour constater les difficultés sémantiques lors de la perception du message. Le chapiteau de saint Philibert, conservé dans l’église Notre-Dame de Chênehutte-Trèves-Cunault (49), représente une scène de la vie du saint, identifié par un texte peint au-dessus de sa tête (fig. 13)52. L’association entre l’inscription et son référent paraît efficace puisque le peintre a pris soin de placer le titulus juste au-dessus de saint Philibert, sans entrer dans l’espace situé au-dessus des autres personnages. Cependant, le texte est placé dans un endroit difficilement percepti  Ce texte sera publié dans le volume 24 du CIFM consacré au Maine-et-Loire, à la Mayenne et à la Sarthe (à paraître en 2010). D’ici là on verra Barbier De Montaut, X., Épigraphie du département de Maine-et-Loire, Angers, 1869, p. 18

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Fig. 13.  Chênehutte-Trèves-Cunault (49), église Notre-Dame, chapiteau. Identification de saint Philibert (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

ble : le chapiteau se situe à près de 3 mètres du sol et l’inscription est en partie cachée par le personnage de saint Philibert, sculpté en haut relief. La qualité graphique du texte pallie certes en partie cette situation complexe, en adoptant des lettres de gros module et un ductus très net qui se détache particulièrement sur le support, mais ces adaptations suffisent à peine à compenser la perception difficile du texte. De telles limites de perception peuvent s’appliquer à l’ensemble des inscriptions de petite taille qui prennent place sur la vitrerie des cathédrales. Malgré leur situation à plus de 20 mètres du sol, la perception et la compréhension immédiates de la fonction des identifications placées au pied des personnages des baies hautes de la cathédrale de Bourges (18) ne posent pas de difficultés parce que l’association entre le texte et son référent est évidente, et parce que les peintres ont choisi des lettres de gros module qui compensent en partie la hauteur des vitraux. La perception des petits tituli dans les baies narratives du déambulatoire est en revanche assez différente. Malgré leur situation comprise entre 1,25 m et 4,50 m, les textes sont difficilement repérables au sein de la composition et la lecture est limitée par le module et la graphie. Le vitrail de l’histoire de saint Thomas, situé au côté sud du déambulatoire, contient de nombreux

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textes qui identifient le saint et les autres personnages de sa vita, dans la partie inférieure de la composition, à proximité immédiate du percepteur. Au registre médian par exemple, lors de la comparution de Thomas devant le roi des Indes, le saint est identifié par un titulus de petite taille, noyé dans la masse iconographique et presque indéchiffrable53. La localisation de l’inscription Fig. 14.  Bourges (18), cathédrale Saintpar rapport à son référent est Étienne, façade occidentale, portail Saintparfaitement signifiante mais Ursin, côté droit. Signature d’artiste (xiiie l’espace du texte ne permet siècle). Cliché V. Debiais. que difficilement de repérer ou lire le titulus. L’efficacité de la communication s’efface ainsi devant les caractéristiques matérielles de la mise en espace, et ce malgré le soin apporté à la composition générale des images. Un grand nombre d’inscriptions médiévales présentent un tel paradoxe. L’emplacement du texte peut ainsi faciliter la perception de l’inscription au détriment de la compréhension du message ; à l’inverse, un texte peut bénéficier d’une association limpide avec son référent, mais cette localisation limite dans le même temps la perception de l’inscription. Retournons à Bourges, plaçons-nous un instant devant la façade occidentale, et centrons notre attention sur les nombreuses sculptures du soubassement, étudiées et brillamment interprétées par L. Brugger54. Au niveau du portail Saint-Ursin, le côté droit présente Noé et sa famille dans une scène de vendange. Au-dessous de la sculpture, on lit la signature de l’artiste qui a réalisé l’œuvre ou le programme dans son ensemble (fig. 14)55. Comme dans la plu53   Bourges (18), cathédrale Saint-Étienne, déambulatoire, côté sud. Vitrail de l’histoire de Thomas (baie 16 du CV ; 1210-1215). Registre médian : Thomas devant le roi des Indes : rex gandofa[- - -] 54   Brugger, L., La façade de Saint-Étienne à Bourges. Le Midrash comme fondement du message chrétien, Poitiers, 2000 (Civilisation Médiévale, 9). 55   Bourges (18), cathédrale Saint-Étienne, façade occidentale, portail Saint-Ursin, côté droit, scène centrale. Signature d’artiste (xiiie s.). Texte : aguilon de droves.



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part des mentions d’artistes, l’emplacement de la signature place le nom au plus près de l’œuvre ; l’association sémantique entre texte et contexte est efficace. En revanche, la mise en forme de l’inscription ne facilite en rien sa perception ; elle est en effet très discrète en raison de l’emploi d’une paléographie très fine, de petit module et de sa situation en marge de la narration. Son repérage demande une véritable recherche du texte au sein du discours iconographique, l’inscription passant tout à fait inaperçue au cours d’un examen sommaire de la sculpture du soubassement. La localisation (l’espace du texte) permet de saisir le contenu du message, mais la mise en forme de l’inscription limite fortement sa perception et la diffusion du contenu. Si l’espace du texte a donc une importance fondamentale dans la mise à disposition des informations épigraphiques et la compréhension immédiate de la fonction du texte, celles-ci sont également soumises à la mise en œuvre de conditions de réalisations adéquates : paléographie, couleurs, mise en valeur des signes, etc. À Bourges comme dans les autres exemples évoqués, la perception de l’inscription dépend à la fois de l’espace et de la mise en espace. Texte et contexte Le contexte épigraphique ne concerne pas seulement l’espace du texte proprement dit mais englobe aussi l’environnement plus ou moins immédiat de l’inscription. Si la dimension quantitative de l’espace médiéval se renforce peu à peu au cours des xiiie-xive siècles, sa dimension symbolique reste toutefois fortement présente dans les mentalités bien au-delà du xvie siècle56. Au premier rang des loci à forte connotation symbolique, on trouve l’ensemble des espaces religieux. La répartition des documents épigraphiques suit la géographie médiévale du sacré et une part importante de la documentation se rencontre dans le chœur architectural et liturgique des églises57. Cette proportion s’explique par l’importance des inhumations dans cet espace et leur accompagnement fréquent par un texte funéraire, par le nombre d’inscriptions placées sur le mobilier et les objets cultuels, et par l’importance générale de l’écrit dans le chœur. L’inscription dans le sanctuaire est dotée d’une certaine sacralité ou, du moins, d’un statut privilégié qui peut modifier les conditions   Martin, H., Mentalités médiévales…, p. 114.   Plus de 40 % des textes épigraphiques connus en contexte religieux prennent place dans le chœur pour les xiiie-xve siècles. 56

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de sa perception. L’épitaphe de l’évêque Foulques de Mathefelon, mort en 1355 et inhumé dans le chœur de la cathédrale d’Angers (49), bénéficiait sans doute d’un respect particulier et d’une mise en espace tout à fait privilégiée, la tombe ayant été placée du côté de l’Épître, au contact du grand autel58. Le texte (composé de plus de 70 mots) décrivait de façon classique la vie et les qualités de l’évêque dont la sépulture a intentionnellement été placée au milieu de l’espace qu’il avait fréquenté durant l’exercice de sa charge. Le contexte est d’autant plus influent ici qu’il s’agit d’un édifice de grandes dimensions, avec un chœur étendu, mais son importance semble être la même en contexte plus modeste. La petite église de Nottonville (28) contient par exemple une grande dalle du xive siècle aujourd’hui totalement illisible, placée juste devant l’autel59. Il s’agit d’une platetombe double de grandes dimensions, présentant les effigies et l’épitaphe d’un couple (la dalle couvre plus de 6 m² au sol). Dans un espace aussi réduit que le chœur de l’église de Nottonville et avec de semblables proportions, l’inscription occupe la part la plus importante du sanctuaire et sa perception par le récepteur du message épigraphique est forcément associée à la dimension symbolique du chœur. Les inscriptions qui accompagnent les programmes iconographiques de chœur, placées au contact de l’espace qui voit la commémoration rituelle du sacrifice du Christ, bénéficient de la même influence de leur contexte. Les peintures de l’église Notre-Dame de Montmorillon (86) présentent l’Agneau, principale figure allégorique de l’Eucharistie, et sont situées à la verticale de l’autel (fig. 15)60. Le texte qui accompagne cette scène bénéficie d’un statut particulier, par son association topographique à la figure de l’Agneau, et par sa situation au-dessus l’autel. Dans le chœur se crée un système symbolique complexe autour de l’Eucharistie, entre la figure de l’Agneau, son identification par le texte, et la situation de la peinture. Offrant de nombreux points communs architecturaux et liturgiques avec le chœur, les chapelles accueillent un certain nombre d’ins  Angers (49), cathédrale, près du grand autel. Épitaphe de Foulques de Mathefelon (1355). Inscription disparue citée en particulier par Farcy, L. de, « Monographie de la cathédrale d’Angers », Mémoire de la Société nationale d’agriculture, sciences et arts, Angers, 1899, p. 312-313. 59   Nottonville (28), église, chœur, devant l’autel. Plate-tombe double d’un couple (xive s.). Inscription inédite. 60   Montmorillon (86), église Notre-Dame, église basse, voûte de la partie de la nef contiguë à l’abside. Peintures de l’Agneau de Dieu (déb. xiiie s.). Texte : agnus dei [… CIFM I-2, 36. 58



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Fig. 15.  Montmorillon (86), église Notre-Dame, église basse. Identification dans les peintures murales de l’Agnus Dei (début xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

criptions, la plupart du temps funéraires. Elles accompagnent les sépultures associées à la célébration des anniversaires au sein de la chapelle, comme dans l’abbatiale Saint-Étienne de Caen (14), où l’on peut voir les restes d’une plate-tombe à inscription, dans l’une des chapelles sud, juste devant l’autel qui accueillait les messes pour la mémoire du défunt61. On sait que Guillaume des Écossais, mort au xive siècle, fut enterré à Notre-Dame d’Évron (53) dans la chapelle Saint-Crépin où l’on célébrait sa mémoire62. Dans l’ancien prieuré de Beaulieu (76), aujourd’hui entièrement détruit, on avait regroupé les inscriptions funéraires des fondateurs et des bienfaiteurs de la communauté dans une chapelle, à droite du chœur afin d’y assurer la commémoration liturgique de l’anniversaire de leur décès63. 61   Grâce à un certain nombre de dépouillement bibliographique et à l’aide aimable de plusieurs chercheurs locaux, on a pu identifier ce défunt comme étant Simon de Trévières, 18ème abbé de Saint-Étienne de Caen, mort en 1344. Voir Bouet, M., « Analyse architecturale de l’abbaye Saint-Étienne de Caen », Bulletin monumental, t. 31, 1865, p. 641. 62   Évron (53), basilique Notre-Dame, chapelle Saint-Crépin, contre le mur, à droite de l’autel. Dalle funéraire de Guillaume des Ecossais (xive s.). Texte et figure dans Angot, A., Épigraphie de la Mayenne…, n° 515, p. 321-313. 63   Dessins reproduits dans Adhémar, J., Dordor, G., «  Les tombeaux de la collection ­Gaignières », t. 1, n° 541 et 572.



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Les nefs des églises ont également reçu de nombreuses inscriptions, funéraires ou non. La cathédrale de Rouen (76) abrite par exemple la dalle funéraire d’un chanoine mort à la fin du xiiie siècle, Étienne de Sens. Elle est aujourd’hui conservée dans la chapelle SaintÉtienne, mais était à l’origine placée dans la nef, au niveau de la chaire64. À Saint-Benoît-sur-Loire (45), on trouvait, encastrée dans le mur sud de la nef, l’épitaphe versifiée de l’abbé Hélie, mort en 128565 : resta ne fugas lege lector quis sit Helias nobilis et patriae clarus et ecclesiae ergo precum dignus similis vice conditionis ut mercede dei subveniatur ei. La nef constitue, dans la très grande majorité des édifices de culte, l’espace public principal de l’église. Il bénéficie de l’affluence la plus importante et la plus diverse, et constitue par là même le lieu dans lequel la communication « au public le plus large » est potentiellement la plus effective. C’est sans doute pourquoi on y trouve de grands programmes iconographiques, très souvent complétés par des inscriptions. Les peintures murales de Saint-Pierre-du-Lorouër (72) prennent ainsi place sur le mur sud de la nef, près de l’entrée de l’église tandis qu’à Notre-Dame du VieuxPouzauges (85), les peintures de l’histoire de la Vierge se développent tout au long du mur nord de la nef et au revers de façade occidentale66. On connaît assez mal la place des inscriptions dans les lieux d’inhumation situés à l’extérieur des bâtiments, notamment en raison de problèmes de conservation des pièces épigraphiques. Il semble cependant que le cimetière ait contenu peu d’inscriptions, et ce malgré son importance symbolique et la quantité de fidèles qu’il reçoit. Cette relative faiblesse peut s’expliquer par le fait que la majorité des inscriptions accompagnent les manifestations monumentales de la sépulture (dalle, plate-tombe, mausolée, stèle…) et que ces constructions étaient le plus souvent situées à l’intérieur des édifices, dans des espaces particuliers, et plus rarement semble-t-il au milieu de l’espace

  CIFM 22, 197.   Saint-Benoît-sur-Loire (45), ancienne abbaye de Fleury, église, nef, mur sud, à 2, 40 m. du sol. Épitaphe de l’abbé Hélie (1285). Inscription disparue. Trad. : Reste, lecteur, ne fuie pas, lis qu’ici se trouve Hélie, noble et utile dans la patrie et dans l’église, et donc digne de prières, semblable au rôle qu’exige sa condition, pour que lui soit donné la récompense de Dieu. Voir l’édition de ce texte dans Gallia christiana [désormais GC], t. VIII, col. 1563. 66   Pour les peintures de Saint-Pierre-du-Lorouër et du Vieux-Pouzauges, voir Davy, Ch., La peinture murale romane dans les Pays de la Loire. L’indicible et le ruban plissé, Laval, 1999, p. 351. 64 65



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Fig. 16.  Quimper (29), cimetière, chapelle. Inscription funéraire pour Marc (fin xiiie ou début xive siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

ouvert du cimetière67. On note toutefois quelques exceptions, comme à Quimper (29) avec l’épitaphe de Marc (fig. 16)68 : Marc fut du siecle comme vous : pries : pour lui : penses de vos :. Le texte insiste sur la dimension publique de la diffusion du message, en employant une formule directe d’appel au lecteur. Cependant, si cette inscription se situe bien dans le cimetière, elle est dans le même temps encastrée dans le mur extérieur d’une chapelle. Elle se situe donc dans une position privilégiée, à la jonction de deux espaces sacrés. D’autres espaces religieux ne permettent pas des conditions aussi bonnes pour la mise à disposition de l’information ; par leur caractère restrictif, ils accordent au message épigraphique un statut différent et une publicité restreinte. C’est le cas de la sacristie, de la crypte ou de certaines dépendances de l’église, mais c’est également le cas pour l’ensemble des espaces à vocation monastique, réservés de fait à l’usage de la communauté, et chargés d’une forte dimension symbolique. On trouve de nombreux textes inscrits dans la salle du chapitre. Pour les xiiie-xive siècles, on conservait par exemple cinq inscriptions dans le chapitre de l’abbaye de l’Épau (72), douze à l’abbaye d’Ardenne (14) et treize à Noirlac (18)69. On trouve dans les cloîtres de grands ensembles d’inscriptions : six textes dans le cloître de l’abbaye du Bec, neuf à Saint-Ouen de Rouen (76) et dix aux Jacobins de   Dans la bibliographie retraçant l’histoire du cimetière médiéval, on ne trouve pas de réflexions concernant la place et le rôle des inscriptions ; voir Lauwers, M., Naissance du cimetière : lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, 2005. 68   CIFM 23, 23. 69   Les inscriptions des ces trois sites ont disparu ; elles sont connues par les dessins de la collection Gaignières. 67



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Limoges (87)70 ; beaucoup plus dans des cloîtres méridionaux comme celui de Saint-Betrand-de-Comminges (31) ou celui de Saint-Andréle-Bas à Vienne (38)71. Le cloître est l’un des espaces de commémoration des morts et les inscriptions qui s’y trouvent ont souvent une fonction funéraire. Le cloître est également le centre topographique du monastère, l’un des lieux de réunion des moines ; c’est vers l’espace claustral que convergent les axes de communication de la communauté. Or, si l’espace médiéval est constitué de loci à forte valeur symbolique, il accorde également une importance particulière à leurs relations, aux points de jonction et aux lieux de circulation. Ces derniers jouent un rôle capital dans le contexte de l’inscription qui se définit en partie par sa situation absolue, c’est-à-dire dans un espace déterminé, mais également par sa situation relative, c’est-à-dire par rapport aux éléments qui l’entourent72. On trouve ainsi un grand nombre d’inscriptions inscrites sur des lieux de passage, à la conjonction de deux espaces distincts : portes, seuils, etc.73 On trouvait cette idée de franchissement autrefois à la façade de la cathédrale de Bourges qui demandait un changement d’attitude de la part des fidèles qui pénétraient dans l’édifice74 : has intrando fores vestros componite mores hic intrans ora semper tua crimina plora. Ce texte était situé au-dessus du portail central du massif occidental, à l’entrée du bâtiment, pour garantir la publicité du document épigraphique. Tel était également le cas dans l’épitaphe de Jacques Nègre, datant du xiiie siècle, autrefois placée dans le mur de clôture de Saint-Martial de Limoges (87), près de la porte menant au cimetière75. Le contenu 70   Pour Saint-Ouen de Rouen, voir Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la collection Gaignières », t. 1, n° 167, 283, 310, 335, 405, 458, 478, 486. Pour les Jacobins de Limoges, voir CIFM II, HV 21-32, p. 116-130 et Texier, J., « Inscriptions du Limousin…», p. 213, 214, 226 et 232. 71   Pour Saint-Bertrand-de-Comminges, CIFM 8, n° 17-37, p. 54-76 ; Pour Saint-André-le-Bas à Vienne, CIFM 15, n° 52-124, p. 56-121. 72   Le Goff, J., « Centre/périphéries », p. 158. 73   Debiais, V., « Le corpus épigraphique de Saint-Martial de Limoges (xie-xiiie siècles) : les inscriptions dans l’organisation architecturale », dans Saint-Martial de Limoges : ambition politique et production culturelle, xe-xiiie siècles : actes du colloque tenu à Poitiers et Limoges du 26 au 28 mai 2005, Limoges, 2006, p. 373-390. Voir aussi Favreau, R., « Le thème épigraphique de la porte », Cahiers de civilisation médiévale, 34, 1991, p. 267-279 ; Kendall, C., The Allegory of Church : Romanesque Portals and their Verse Inscriptions, Toronto, 1998. 74   Bourges (18), cathédrale Saint-Étienne, façade occidentale, au-dessus du portail central. Formule d’entrée (xiiie s.). Inscription disparue. Trad. : En passant ces portes, amendez vos mœurs. Toi qui entre ici, prie et pleure sans fin tes péchés. Raynal, L., Histoire du Berry depuis les temps les plus anciens jusqu’en 1789, Bourges, 1845, t. II, p. 409. 75   Limoges (87), Saint-Martial, muraille, près de la porte menant au cimetière. Épitaphe de Jacques Nègre (xiiie s.). Inscription disparue. CIFM II, HV 47.



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du texte renforce l’aspect public de sa situation avec, après la mention de l’obit, un appel aux lecteurs qui voient l’inscription : omnes qui viderunt has litteras dicant pro ipsis pater noster vel de profundis pro fidelibus. L’épitaphe d’Aimeri de Brosse, conservée autrefois aux Augustins de Limoges, présentait des caractères semblables dans sa localisation comme dans son contenu. Elle se situait au pied d’un pilier du passage de l’église au cloître et s’achevait sur un appel au lecteur très courant (o homo quid me aspicis quod sum eris quod es fui ora pro me)76. Enfin, dans le cloître de Solignac (87) se trouvait autrefois l’épitaphe de l’abbé Pierre Ier, située près de la porte assurant la communication avec l’église. Comme les deux exemples précédents, elle contenait un appel à destination du percepteur du texte 77 : quod vos sensitis hoc sensimus ivimus itis pro me quaeso piam nunc exorate Mariam. Le rôle fondamental joué par les espaces de circulation se retrouve également en dehors du contexte religieux puisqu’on rencontre des inscriptions sur certains bâtiments publics et sur quelques constructions civiles (ponts, portes de ville, marchés). C’était par exemple le cas, au xiie siècle, à Reims (51), où la porte Saint-Denis à l’entrée de la ville, en face de la cathédrale, portait une inscription rappelant que les habitants des villages alentours doivent travailler à l’entretien de la porte78. Le texte commençait par l’expression sciant quam presentes tam posteri, tirée d’un document diplomatique conservé par ailleurs, affichant clairement la volonté publicitaire du texte. Une inscription rappelait sur un pont de Saumur les taxes à payer pour les péages, avec le détail des marchandises et les dates des paiements. De grande dimension, le texte était sans doute parfaitement lisible à l’entrée de l’ouvrage qui marquait le paysage urbain79. Vers 1102, le comte de Blois fit placer sur deux portes de la ville le décret qui exemptait d’impôt sur le vin les habitants qui avaient participé à la reconstruction de l’enceinte urbaine80. Le pont et la porte sont des éléments structurants du paysage urbain (en franchissant ces points, on se sou76   Limoges (87), Saint-Augustin, église, passage vers le cloître, au pied d’un pilier. Épitaphe d’Aimeri de Brosse (xiiie s.). Inscription disparue. CIFM II, HV 43. 77   Solignac (87), ancienne abbaye, cloître, près de la porte assurant la jonction avec l’église. Épitaphe de Pierre Ier (1262). Inscription disparue. CIFM II, HV 117. 78   L’inscription, aujourd’hui disparue, est rapportée par Jadart, H., « Enceinte du Moyen Âge », Congrès archéologique de France. Reims, 1911, Paris/Caen, 1912, t. I, p. 17-18. 79   Ce texte sera publié dans le volume 24 du CIFM ; on verra cependant Mallet, J., « Le prieuré Saint-Macé en Anjou », Mélanges René Crozet, Poitiers, 1966, t. I, p. 668. 80   L’inscription de Blois a été publiée et étudiée par Favreau, R., « La notification d’actes publics ou privés par des inscriptions », Cinquante années d’études médiévales. À la confluence



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met à une législation particulière à Reims, on paie le péage à Saumur, on bénéficie d’exemption à Blois) ; ils sont en même temps des lieux de passages, des traits d’union entre des loci de statut différent. Ils sont les lieux d’une grande publicité qui garantissent aux informations contenues dans le texte une diffusion importante. Le nombre d’inscriptions placées sur les monuments civils augmente considérablement au cours du xiiie siècle et témoigne, dans le paysage urbain, des nouvelles organisations au sein de la société. Les exemples sont très nombreux en particulier dans le sud de la France et en Italie du Nord.

de nos disciplines. Actes du colloque organisé à l’occasion du Cinquantenaire du CESCM (Poitiers, 1er-4 septembre 2003), Turnhout, 2006, p. 648.



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Lettres et signes : mise en scène des inscriptions médiévales

Les caractéristiques matérielles de l’inscription interviennent dans le premier temps de la perception et permettent de repérer l’objet épigraphique dans son environnement : la taille et la nature de son support, le rapport entre la taille de l’objet et la quantité de texte inscrit, les relations entre l’inscription et d’éventuels objets adjacents, etc. Dans l’émission et la réalisation du message épigraphique, l’écriture devient quelque chose de palpable et de sensible ; on peut le parcourir, le toucher, en appréhender physiquement l’extension dans l’espace. D’autre part, les compétences techniques exigées pour la réalisation d’une inscription font souvent de celle-ci un opus, un objet doté d’une valeur matérielle intrinsèque, voire de qualités esthétiques  ; elle s’intègre alors au décor des édifices et participe à leur embellissement. Le repérage visuel de l’inscription est déjà en soi une forme d’interprétation. S’il ne suppose pas la capacité de lecture, il suppose en revanche la possibilité pour le percepteur médiéval de distinguer différentes formes de signes et de repérer les lettres. Plus que le mot, la lettre est en effet l’unité graphique primordiale dans l’inscription ; de fait, envisager le mot comme unité de base du message impliquerait qu’on envisage une lecture syllabique et phonétique du texte quand l’importance accordée à la lettre permet d’affecter une valeur signifiante à des associations graphiques dépourvues d’équivalence sémantique  (sigles, abréviations, initiales), et octroie du sens à la dimension visuelle de l’inscription.

Texte et image du texte Si l’inscription a été étudiée d’abord pour le contenu du texte, et plus récemment pour ses caractéristiques paléographiques, l’image de l’inscription n’a en revanche pas retenu les travaux épigraphiques, que ce soit pour le Moyen Âge ou pour l’Antiquité. Pourtant, si l’on pose comme principe que le document épigraphique est porteur de sens en soi et au-delà de tout processus de lecture, on peut examiner

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Fig. 17.  Cizay-la-Madeleine (49), ancienne abbaye d’Asnières, église, bras nord du transept, mur ouest. Inscription funéraire pour Robert (xiiie siècle). Cliché V. Debiais.

ce que représente matériellement l’inscription, en prenant en compte la forme adoptée par le texte dans sa mise en page et dans son extension physique, et en analysant l’organisation des lettres dans cet espace particulier. Isoler un espace par le texte L’inscription constitue souvent un incident au sein du contexte qu’elle occupe ; elle implique une rupture dans la cohérence sémiotique de son contexte, par l’introduction d’une forme différente de communication1. Mettre en place une inscription consiste, la plupart du temps, à introduire des signes graphiques dans un contexte qui en est dépourvu. C’est le cas pour les textes gravés ou peints sur les parements lisses et aniconiques des édifices religieux. De nombreux textes funéraires obéissent à cette règle, même si elle s’applique surtout aux inscriptions funéraires à caractère obituaire, l’absence de liens matériels avec la sépulture permettant au texte de reprendre une mise en forme semblable à celle de la documentation manuscrite. L’ancienne abbaye d’Asnières, sur la commune de Cizay-la-Madeleine (49), compte plusieurs inscriptions de ce type. Gravées directement sur le mur ouest du transept nord de l’ancienne église abbatiale, les épitaphes de Guy et de Robert (datant du xiiie siècle) constituent les seules interruptions graphiques dans le parement lapidaire (fig. 17)2. Une consécration d’autel est gravée sur le mur de l’abside d’une chapelle secondaire, dans le bras sud du transept, dans une position pour   Klinkenberg, J.M., Précis…, p. 38.   Pour l’inscription de Gui, voir Barbier de Montault, X., Épigraphie..., Angers, 1869, p. 23, n° 19 [texte partiel et fautif] ; la seconde est inédite. 1 2



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Fig. 18.  Cizay-la-Madeleine (49), ancienne abbaye d’Asnières, église, chapelle sud. Consécration d’autel (xiiie siècle). Cliché V. Debiais.

le moins originale3. Le texte, très simple, est transcrit en lettres de gros module, sans aucun aménagement graphique. L’abside est dépourvue par ailleurs de tout décor et de toute autre inscription (fig. 18). Les lettres formant ces trois inscriptions sont les seuls signes graphiques au sein de cet espace et elles se repèrent sans aucune difficulté dans le contexte de l’église abbatiale, malgré l’absence de mise en valeur par des compléments graphiques de quelque nature que ce soit. Les inscriptions qui accompagnent certains objets mobiles obéissent à la même règle de simplicité dans la mise en page et sont, dans la plupart des cas, les seuls éléments graphiques inscrits à la surface de l’objet. C’est le cas pour les marques de propriété sur des éléments de vaisselle ou sur des bijoux, pour les inscriptions sur des pièces d’orfèvrerie aniconiques (formules prophylactiques, devises ou identifications du propriétaire) et pour les textes inscrits sur certains éléments de mobilier. En 1372, le duc Jean de Berry fait don à la cathédrale de Bourges (18) d’une cloche de grande taille, aujourd’hui placée sur la plate-forme de la tour nord du massif occidental. Au bas de la cloche, une inscription de donation constitue le seul ornement de la pièce4 : metropoli datum Biturie sit me poli prefecit cursibus dux Johannes comes pictavie qui horarii preco sim civibus lan mil ccc lxxii. La plupart des inscriptions campanaires obéissent d’ailleurs à ce schéma et on pourrait renvoyer aux cloches autrefois

3   Cette inscription est inédite. Transcription  : consecratum . est h[oc … i]n honore [… / pro[t]homart[iris …] o […]ar[… 4   Raynal, L., Histoire du Berry…, t. II, p. 403. Trad. : Le duc Jean, comte de Poitou, m’a donnée à sa métropole du Berry, afin que, préposée au cours du temps, je fasse connaître les heures aux citoyens. L’an 1372.



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conservées dans les églises de Berry-Bouy5 ou de la Celle6, dans le département du Cher, à celle de Chéniers (23), datant du xive siècle et dédiée à saint Martin7, ou encore à celle de Thouars (79), portant un alphabet datant de la fin du xiiie siècle8. L’isolement sémiotique est parfois plus important encore et certaines inscriptions apparaissent comme déracinées, isolées dans l’espace et coupées de toute relation avec d’autres éléments signifiants présents dans leur environnement ; on pense notamment aux dates inscrites sur des éléments d’architecture, aux noms seuls gravés sur certains objets ou aux marques lapidaires alphabétiques pour lesquels seule la fonction du texte permet de comprendre le sens de l’inscription et les relations qu’elle entretient avec son contexte. Un tel isolement sémiotique doit pourtant être nuancé dans la mesure où le support de l’inscription peut devenir le référent du texte, dans une relation métonymique notamment pour les documents épigraphiques en lien direct avec une construction architecturale dans son ensemble. Ainsi la date tracée sur un pilier de la cathédrale du Mans (72) sans autre mise en valeur renvoie-t-elle à un contexte épigraphique large9, celui de l’espace construit, dans une relation particulière au support : l’écrit pénètre dans le matériau qui devient le référent direct du texte. La réalisation d’une inscription peut également supposer l’introduction de signes graphiques dans un contexte qui en contient déjà. Ce type de mise en espace concerne la plupart des textes qui prennent place dans les compositions iconographiques, qu’elles soient peintes, sculptées dans la pierre ou incisées dans le métal. L’adjonction d’une inscription apporte un élément supplémentaire dans le discours en images, partie intégrante du contexte épigraphique et définissant, dans la plupart des tituli, le référent de l’inscription. La différence de nature entre les signes composant le système épigraphique (les let  Gauchery, P., « Cloches du département du Cher », Mémoires de la Société historique, littéraire et scientifique du Cher, 4ème série, 43ème vol., 1937-1938, p. 83. Inscription disparue. Texte : + sit nob(is) + s(anctus) pantaleon. 6   Ibid., p. 77-78. Inscription disparue. Texte : + s(anctus) : Nicholaus + vos : vocat +. 7   Lacrocq, A., « L’église de Chéniers », Mémoires de la Société scientifique nationale et archéologique de la Creuse, t. XXV, 1934, p. 617. Texte : + s(ancte) Martine + . deo patri(a)e liberacionem. 8   CIFM I-3, DS 37. 9   Le Mans (72), cathédrale, croisée du transept, pilier sud-est, face sud à 2 m du sol. ­Mention d’une date (1145). Deschamps, P., « Étude sur la paléographie des inscriptions lapidaires de la fin de l’époque mérovingienne aux dernières années du xiie siècle», Bulletin monumental, t. LXXXVIII, 1929, p. 42 [texte et dessin]. 5



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Fig. 19.  Néau (53), église, revers de façade. Identification dans les peintures murales de la légende de saint Vigor (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/ CIFM.

tres) et les signes qui forment le système iconographique entraîne la distinction visuelle de l’inscription dans l’espace. Dans la scène du banquet d’Hérode, représentée à l’abside de l’église de Varize (28), les lettres du mot Herodes prennent place dans le champ même de la scène, au-dessus de la tête des protagonistes, mais ne se confondent en rien avec les différents éléments du décor, et encore moins avec les personnages. Dans l’église de Néau (53), on trouve, au revers de la façade occidentale, des scènes de la vie de saint Vigor10 ; des tituli identifiant les personnages et les scènes sont placés au cœur de l’image, au plus près de leur référent. La composition parfaitement homogène présente la cohabitation harmonieuse de signes de nature différente ; le repérage visuel de l’inscription dans son contexte ne présente pas de difficultés majeures (fig. 19). Le Musée des Antiquités de Rouen (76) conserve la châsse reliquaire dite « de saint Sever », datant du premier quart du xiiie siècle11. On y trouve un grand nombre de textes commentant l’iconographie générale de l’objet à l’aide 10   Davy, Ch., « La vie de saint Vigor ; nouvelles lectures des peintures murales de Néau », La Mayenne. Archéologie. Histoire, n° 16 (1993), p. 153-163. 11   CIFM 22, 271.



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Fig. 20.  Évreux (27), abbaye Saint-Taurin, salle au côté nord de l’église. Châsse de saint Taurin : signature de commanditaire et extraits d’une vita (1240-1255). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

de citations bibliques et de renvois à la liturgie de la dédicace de l’église12. Malgré la taille réduite des lettres, les inscriptions se distinguent du reste de l’iconographie (fig. 20, 20bis et 20ter). Dans cet exemple comme dans bien d’autres pièces d’orfèvrerie, il n’y a pas compétition entre la mise en place de l’inscription et le discours iconographique ; les deux systèmes de communication se partagent au contraire un même espace pour créer un message complexe, sans que le repérage de l’un ou l’autre ne s’en trouve affecté. Les plates-tombes présentent la même conjonction d’un texte et d’une image. L’inscription se détache de la composition iconographique par la nature des signes qui la composent, mais également par la disposition du texte. En encadrant la représentation du défunt, l’ins12   Sur le listel, on lit une partie de Ps XXVI, 8-9 : Domine dilexi decorem domus tue ne perdas com inpiis, Deus, animam meum. Le verset 8 est une antienne chantée lors de la dédicace de l’église, pendant que le prélat consécrateur asperge le sol d’eau bénite. CIFM 22, 271.



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Fig. 20bis.  Évreux (27), abbaye Saint-Taurin, salle au côté nord de l’église. Châsse de saint Taurin : signature de commanditaire et extraits d’une vita (1240-1255). Détail petit côté droit. Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

Fig. 20ter.  Évreux (27), abbaye Saint-Taurin, salle au côté nord de l’église. Châsse de saint Taurin : signature de commanditaire et extraits d’une vita (1240-1255). Détail grand côté avant. Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

cription funéraire se place dans une autre dynamique visuelle, et entre dans un mécanisme de perception différent. Dans la petite église de Soulaires (28), on trouve une belle plate-tombe du xiiie siècle, représentant l’effigie de la défunte Agnès (fig. 21). De façon traditionnelle, le texte de l’épitaphe se développe tout autour de la dalle en encadrant la représentation. L’iconographie bénéficie d’une perception immédiate grâce à la taille et à la simplicité de l’image. L’appréhension visuelle de l’inscription dans son ensemble peut se faire selon le même principe, en embrassant d’un seul coup d’œil le texte qui sert de cadre à l’image. En revanche, la perception complète du message demande une étape pour chaque section horizontale et verticale du texte, et implique également une rotation autour de la dalle. La différence de disposition entre des signes de nature distincte participe à la prise en compte de deux messages différents, réunis dans l’objet unique de la dalle.



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Les formes d’introduction du texte épigraphique dans l’espace peuvent plus ou moins faciliter le repérage visuel de l’inscription. Celle-ci peut en effet être plus difficile à distinguer au sein d’une riche composition graphique, dans laquelle la présence d’autres signes affecte l’unité visuelle du message épigraphique. Pour pallier cette difficulté, la mise en place d’une inscription peut recourir à des artifices qui isolent matériellement l’espace du texte. Ils peuvent prendre forme dans le support avec l’aménagement d’un cadre entaillé et évidé, comme dans une inscription funéraire de Mehun-sur-Yèvre13 (fig. 22) ou comme dans l’épitaphe de la famille Letouzé, conservée dans l’église de Vimarcé (53) et datant de la fin du xive siècle14 (fig. 23). Le champ épigraphique bénéficie toutefois rarement d’un traitement technique aussi poussé. Dans le cas des platestombes, les lignes incisées de part et d’autre de l’inscription délimitent l’espace du texte au sein de la composition (fig. 24). Cette forme de mise en place se retrouve pour les tituli de peintures murales, très souvent encadrés d’un simple cartouche dessiné au trait, comme dans la

Fig. 21.  Soulaires (28), église. Platetombe d’Agnès de Soulaires (1232). Dessin publié dans Dalles tumulaires et pierres tombales du département de l’Eureet-Loir, 11ème livraison, Chartres, s. d., pl. XLIV.

  Buhot de Kersers, A. , Statistique monumentale…, t. V, p. 297.   Angot, A., Épigraphie de la Mayenne…, t. II, p. 398-399.

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Fig. 22.  Mehun-sur-Yèvre (18), église, extérieur, mur nord. Cadre de l’inscription funéraire pour Pierre Gilain (xive siècle). Dessin V. Debiais.

Fig. 23.  Vimarcé (53), église Saint-Jean-Baptiste. Monument funéraire de la famille Letouzé (fin du xive siècle). Cliché publié par Angot, A., Épigraphie de la Mayenne, Paris/Laval, 1907, t. II, p. 398.



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Fig. 24.  Fresnay-le-Gilmert (28), église. Détail des lignes délimitant le champ épigraphique sur une plate-tombe (xiiie siècle). Cliché V. Debiais.

scène de l’Adoration des Mages de l’ancienne église de Sainte-Marieaux-Anglais (fig. 25 et 25bis)15. Le cadre peut prendre une réelle dimension esthétique quand il reçoit un traitement particulier qui favorise également la perception du texte en attirant l’attention du récepteur, comme les inscriptions placées sur des phylactères tenus par les personnages auxquels se rapporte le texte16. Dans la crypte de la cathédrale de Chartres, on trouve un ensemble de peintures murales datant de l’extrême fin du xiie, ou plus probablement du premier quart du xiiie siècle. Saint Gilles, représenté à gauche de la composition, tient dans ses mains l’un de ces phylactères portant un texte qui se détache nettement du reste de la composition grâce à l’espace réservé et au contraste des couleurs entre le champ épigraphique et le fond de la scène (fig. 26).   CIFM 22, 55.   Sur l’importance des phylactères, on verra avec grand intérêt les réflexions particulièrement stimulantes de Schapiro, M., Words, Script and Pictures : The Semiotics of Visual Language, New York, 1996, p. 101-131. 15 16



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Fig. 25.  Sainte-Marie-aux-Anglais (14), église, première travée du chœur, voûtain oriental. Identifications dans les peintures murales de l’adoration des Mages (premier quart du xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

Fig. 25bis.  Sainte-Marie-aux-Anglais (14), église, première travée du chœur, voûtain oriental. Identifications dans les peintures murales de l’adoration des Mages (premier quart du xiiie siècle). Détail des cartouches. Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.



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Fig. 26.  Chartres (28), cathédrale, chapelle basse. Inscription sur un phylactère dans les peintures murales de la vie de saint Gilles (fin du xiie ou début du xiiie siècle). Cliché V. Debiais.

Dans la crypte de la collégiale de Saint-Aignan (41), l’apôtre Jacques tient un phylactère sur lequel est inscrit un texte tiré de son Épître (V, 16)17 ; la présentation est la même que celle de Fig. 27.  Saint-Aignan (41), collégiale, Chartres et la perception du texte crypte, chœur. Inscription sur un phyest grandement facilitée par la lactère dans les peintures murales de banderole (fig. 27). On pourrait saint Jacques (1200). Cliché J. Michaud tirer les mêmes conclusions de CESCM/CIFM. l’examen de la scène parousiaque ornant la voûte de l’abside de l’église de Frétigny (28). Le Christ, entouré des Quatre Vivants, présente devant lui le livre ouvert qui porte l’inscription suivante : bene/dicat / vos pater et fili(us) / sp(iritu)s / s(an)c(tu)s. Le livre met en valeur le message épigraphique, en lui réservant une place privilégiée, isolée par le contraste chromatique (fig. 28)18. Au bas de la même abside, les peintures présentant des scènes de la vie de saint André sont accompagnées de tituli identifiant le saint, Pierre 17   Texte  de l’inscription : [confetimini al]teru.trum.peca[ta]. Texte de la source  : Confetimini ergo alterutrum peccata, vestra et orate pro invicem, ut salvemni ; multum enim valet deprecatio justi assidua. Trad. : Confessez-vous donc vos péchés les uns aux autres et priez les uns pour les autres, afin d’être sauvés. La requête d’un juste agit avec beaucoup de force. 18   Deschamps, P., Thibout, M., La peinture murale en France au début de l’époque gothique, Paris, 1963, p. 101 et pl. 46, fig. 1-3.



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et le Christ, ou commentant les différents épisodes de son martyre19. Ici, les inscriptions sont données sans aucun aménagement graphique pouvant isoler l’inscription du reste de la composition. Leur repérage est plus difficile (fig. 29)  ; peints sur le fond de la scène, les noms des protagonistes sont placés au milieu d’autres éléments de décor (étoiles, points ornemenFig. 28.  Frétigny (28), église, abside, taux). Sur une vue générale de voûte. Inscription sur le livre tenu par l’abside, la différence de perceple Christ (début du xiiie siècle). Cliché tion entre ces inscriptions et le V. Debiais. texte du livre tenu par le Christ, à la voûte, est frappante. Le traitement de l’espace du texte constitue ainsi un élément particulièrement important dans la perception du document épigraphique et donc dans la diffusion du message contenu dans le texte. C’est sans doute pourquoi les maîtres verriers ont pris soin de ménager, chaque fois que cela leur était permis, un champ épigraphique faci-

Fig. 29 .  Frétigny (28), église, abside, mur nord. Inscriptions d’identification dans les peintures murales de la vie de saint André (début du xiiie siècle). Cliché V. Debiais.

  Ibid.

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Fig. 30.  Bourges (18), cathédrale, déambulatoire. Baie 14 : verrière de l’Apocalypse. Détail du Christ à l’épée (1210-1215). Cliché V. Debiais.

lement repérable dans les vitraux. Celui-ci correspond souvent à un élément du discours iconographique : attribut d’un personnage, élément de décor, pièce d’architecture, etc. Ainsi, dans le vitrail de l’Apocalypse, dans le déambulatoire de la cathédrale de Bourges, les lettres alpha et oméga sont inscrites sur l’épée tenue par le Christ. La hauteur des signes ne dépasse pas 15 mm. Sans le contraste chromatique entre la teinte du fond et le trait des lettres, le repérage de ces deux signes serait impossible (fig. 30)20. De même, dans le vitrail de la Nouvelle Alliance, le signe du Tau (de taille identique) est inscrit sur le linteau clair d’une porte (fig. 31)21. Tout en restant fidèle au passage 20   Les signes A et ω renvoient à une citation du livre représenté dans la composition vitrée. Apoc I, 8 : Ego sum alpha et omega, principium et finis, dixit Dominus Deus, qui est et qui erat et qui venturus est, Omnipotens. Trad. : Je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le seigneur Dieu, celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant. Voir aussi Apoc XXI, 6 et XXII, 13. 21   Ez IX, 4 : Et dixit dominus at eum : transi per mediam civitatem in medio Jerusalem et signa thau super frontes virorum gementum et dolentum super cunctis abominationibus quae fiunt in medio ejus. Trad. : Le Seigneur lui dit : « Passe au milieu de la ville, au milieu de Jérusalem ; fais une marque sur le front des hommes qui gémissent et se plaignent à cause de toutes les abominations qui se commettent au milieu d’elle ». Voir aussi Apoc VII, 2-4 et IX, 4.



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biblique et malgré la composition complexe de la baie, la mise en espace du texte épigraphique facilite le repérage de l’inscription et la compréhension de la scène dans son ensemble. À côté de ces mises en espace privilégiées, on trouve, toujours à Bourges, un grand nombre de textes isolés au cœur de vitraux complexes, comme dans les baies hagiographiques au côté nord du déambulatoire. L’identification Fig. 31.  Bourges (18), cathédrale, de certains personnages y est par- déambulatoire. Baie 3 : verrière de la ticulièrement difficile en l’ab- Nouvelle Alliance (1210-1215). Détail : le signe du Tau. Cliché V. Debiais. sence d’aménagement graphique satisfaisant. La baie 7 présente la vie de saint Martin, et au registre inférieur, un médaillon reproduit le rêve du saint, dans lequel le Christ apparaît pour lui révéler la vérité sur l’épisode du manteau. Le saint est identifié par un titulus placé sous la scène, dans un recoin du médaillon. Le peintre verrier a dû l’adapter à la construction iconographique, l’obligeant à une mise en

Fig. 32.  Bourges (18), cathédrale, déambulatoire, chapelle nord, baie est. Verrière de l’histoire de saint Martin (1210-1215). Cliché V. Debiais.



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forme très perturbée. De plus, les lettres se détachent difficilement du fond en raison du choix des couleurs et la lecture devient très difficile, le titulus se trouvant noyé au sein du discours iconographique (fig. 32). La page épigraphique Pour faciliter encore le repérage du texte et assurer sa mise en valeur, de nombreux artisans ont cherché la ressemblance avec l’écriture manuscrite traditionnelle en créant de véritables « pages épigraphiques ». L’aménagement d’un cadre (gravé ou peint) autour de l’inscription permet d’isoler un espace restreint dans un contexte plus large, de marquer l’espace du texte, avec ses limites et ses marges. Cette phase de conception du texte épigraphique (ordinatio) entretient de nombreuses relations avec l’écriture manuscrite et n’est possible que dans le cas où le support laisse au texte la place qu’il requiert, sa forme n’étant alors déterminée ni par la nature, ni par la structure du support, mais par l’intention du réalisateur. Dans la réalité matérielle de l’écriture épigraphique, celui doit assez fréquemment composer avec le contexte et se trouve rarement à même d’aménager, pour des raisons techniques et/ou esthétiques, cette page épigraphique, comme le montre par exemple certains tituli des peintures de la crypte de la cathédrale de Chartres. Dans l’angle inférieur gauche de la composition, Charlemagne est identifié par un titulus peint au-dessus de sa tête. L’inscription très courte (Karo/ lus) prend place sur deux lignes en raison d’un espace insuffisant entre les différents sujets de la Fig. 33.  Chartres (28), cathédrale, chascène de la vie de saint Gilles. Le pelle basse. Identification de Charlemodule et le ductus des lettres magne dans les peintures murales de ont subi certaines adaptations la vie de saint Gilles (fin du xiie ou face au contexte iconographique début du xiiie siècle). Cliché V. (fig. 33)22. En raison d’une telle Debiais. 22   Voir par exemple le module réduit de la lettre O ou le ductus légèrement aplati de la lettre R.



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Fig. 34.  Angoulême (16), musée de la Ville. Citation liturgique sur un bâton épiscopal (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

disposition, la perception du mot en tant qu’unité sémantique se trouve fortement limitée et les correspondances éventuelles avec l’écriture manuscrite sont entravées par les aspects techniques de la mise en page épigraphique. Une inscription n’aura pas la même forme si elle est inscrite sur un chapiteau ou sur une dalle rectangulaire, sur le pied d’un calice ou dans le médaillon d’un reliquaire. Le musée de la ville d’Angoulême conserve un bâton épiscopal du xiiie siècle, qui porte un texte inspiré de la Salutation à la Vierge, dans sa version liturgique (fig. 34)23. La forme circulaire du support détermine la disposition de l’inscription : le texte se répartit sur une ligne courbe de chaque côté du bâton, ce qui affecte fortement son repérage en tant que texte, et donc sa lecture. La petite église d’Orgedeuil (16) offre un exemple de disposition tout à fait différente. Il s’agit de l’inscription funéraire d’un archiprêtre, mort en 1216, et gravée sur une pièce qui sert aujourd’hui de linteau à la porte du presbytère24. Le texte se répartit 23   CIFM I-3, Ch 18 : + ave Maria de gracia plena Dominvs tescvm benedictatvs / + v milieribvs et bendictvs fvrvctvs ventri tvi amen. 24   CIFM I-3, Ch 63.



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Fig. 35.  Orgedeuil (16), église, linteau de la porte du presbytère. Inscription funéraire pour un archiprêtre (1216). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

sur cinq lignes, les quatre premières correspondant chacune à un hexamètre léonin (fig. 35). dicite prebiteri rogo vos et concio cleri archiprebiteri dignare Devs misereri sum fex et limvs dedit has dotes homo primvs vnde suprimvs cvm res tam sordida simus ob[iit- - -]x° v°

La disposition quadrangulaire de l’épitaphe reproduit visuellement l’image traditionnelle d’un texte. Même si le rapport de proportion longueur/hauteur n’est pas tout à fait respecté, le linteau constitue, au niveau de la perception, une page d’écriture et introduit véritablement un texte dans l’espace ecclésial. Il va plus loin et donne même l’image d’un poème en respectant le découpage ligne/vers. En apportant matériellement le texte dans l’espace vécu quotidiennement par les hommes et des femmes du Moyen Âge, la communication épigraphique augmente potentiellement leur familiarité avec l’écriture audelà de toute forme de lecture. C’est un aspect qui a été jusqu’ici négligé dans les études concernant la literacy dans l’Occident médiéval25. En revanche, il est constamment mis en valeur dans les études sur l’Antiquité romaine, qui montrent l’importance des inscriptions dans la familiarité avec le texte et la connaissance de l’écriture26. Même en l’absence de cadre, l’inscription adopte souvent une forme quadrangulaire. On trouve dans la cour du musée des BeauxArts de Chartres (28), l’inscription funéraire d’Étienne Charon ; de   Treffort, C., Mémoires carolingiennes…, p. 310-311.   Nous citerons une nouvelle fois le travail remarquable de Valette-Cagnac, E., La lecture à Rome… L’auteur a su accorder une place importante à l’impact de l’inscription sur la familiarité romaine avec les pratiques de lecture et d’écriture. Nous aurons l’occasion d’approfondir cette notion de familiarité en étudiant les modalités de lecture des inscriptions. 25 26



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très belle facture, celle-ci est disposée au-dessous de la représentation du défunt, dans une forme caractéristique de la fin du Moyen Âge (fig. 36). Le texte se compose de quatorze lignes réparties à l’intérieur d’un champ épigraphique dont les proportions rappellent tout à fait celle d’une page de codex. La paléographie contribue à assimiler l’inscription lapidaire à un texte manuscrit, avec l’emploi d’une minuscule gothique de petit module qui n’a que peu de rapport avec la forme épigraphique du document. De même, au musée Baron Gérard de Bayeux, on trouve le petit monument funéraire concernant Thomas et Guillemette du QuéFig. 36.  Chartres (28), musée des min, réalisé au début du xve sièBeaux-Arts, extérieur. Inscription funécle. Il se compose d’une sculpture raire d’Étienne Charron (1380). Clien bas-relief (représentant  la ché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Crucifixion et la famille du défunt en prière) et d’une inscription rappelant le souvenir du couple27. Celle-ci ne possède pas véritablement de cadre, mais elle respecte une forme quadrangulaire qui lui donne l’image d’un texte traditionnel. De façon générale, l’écriture lapidaire de la fin du Moyen Âge tend à se rapprocher du monde manuscrit, grâce l’emploi de formes et de graphies qui assimilent peu à peu l’inscription à un texte ordinaire. Contrairement aux peintures de Chartres, les inscriptions du mur sud de la nef de Saint-Pierre-du-Lorouër (72) essaient de respecter cette mise en page quadrangulaire, au moins pour ce qui concerne les deux inscriptions renvoyant à l’ensemble de l’image (fig. 37)28. Le 27   Lambert, M., « Objets déposés au musée de Bayeux », Bulletin monumental, t. 28, 1862, p.  192-193  ; Létienne, A., «  Catalogue de la section lapidaire du Musée de la Reine Mathilde », Bulletin de la Société des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Bayeux, t. XVIII, 1932, p. 58-59, n° 40. 28   Davy, Ch., La peinture murale romane…, p. 351.



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Fig. 37.  Saint-Pierre-du-Lourouër (72), église, nef, mur sud. Peintures funéraires (déb. xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

Fig. 38.  Mazerier (03), église. Peintures murales de l’adoration des Mages (1383). Cliché publié dans Courtillé, A., «  Les peintures murales de style gothique en Auvergne », Revue d’Auvergne, t. 39, 1975, p. 259. Fig. 39.  Saint-Junien (87), collégiale, transept. Peinture monumentale de saint Christophe (début du xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/ CIFM.



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vocabulaire et les formules employées leur confèrent un statut de composition littéraire que renforce la forme quadrangulaire de la mise en page. Il s’agit véritablement d’un texte, au sens de composition (textus), et non pas d’un simple mot identifiant une scène ou un personnage, comme c’est le cas pour les autres tituli, plus courts et plus simples, qui occupent l’espace qui subsiste auprès de leur référent. Ils n’ont pas la forme d’une page épigraphique et leur contenu ne possède aucun caractère littéraire. L’image de l’inscription à SaintPierre-du-Lorouër contribue ainsi à déterminer, pour le public, la nature et la fonction du texte et à distinguer deux types épigraphiques. On rencontre également, pour de nombreux textes accompagnant les peintures murales, des compositions mixtes. Dans la peinture de donation de Mazerier (fig. 38), le début de l’inscription est disposé comme un texte traditionnel tandis que les dernières lignes (de même contenu puisqu’il s’agit de la fin du texte) s’adaptent aux contraintes du discours iconographique29. Les inscriptions qui accompagnent la représentation de saint Christophe, dans le transept de la collégiale de Saint-Junien (87), adoptent la même disposition30. Le nom du saint occupe une position en césure de part et d’autre de la tête, et le titulus de droite s’adapte à l’espace disponible entre le nimbe de saint Christophe et la marge du tableau (fig. 39). Le texte tracé sur le phylactère reprend quant à lui la forme d’une page épigraphique, avec un aspect quadrangulaire nettement marqué qui accentue encore l’aspect livresque de l’inscription tirée des Écritures. De nombreuses inscriptions ont reçu des aménagements graphiques particuliers destinés à pousser plus loin encore la ressemblance du texte avec le monde manuscrit. Le cadre a pu recevoir un traitement très élaboré et l’inscription se manifeste alors réellement en tant qu’objet. Ce cadre décoré, qu’il soit géométrique, ornemental ou végétal, invite le percepteur à focaliser son attention à l’intérieur des marges. Il remplit ainsi une triple fonction : il délimite un espace restreint au sein du contexte épigraphique, augmente l’impact visuel de l’inscription et lui accorde enfin le statut de page épigraphique. La forme la plus simple du cadre rejoint ce que l’on a pu voir dans les peintures de Sainte-Marie-aux-Anglais : l’aspect quadrangulaire est   Courtillé, A., « Les peintures murales de style gothique en Auvergne », Revue d’Auvergne, t. 39, 1975, p. 259. Peinture murale de l’Adoration des Mages (1383). 30   CIFM II, HV 84. 29



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Fig. 40.  Limoges (87), cathédrale. Épitaphe d’un sous-chantre (1330). Dessin publié par Texier, J., « Recueil des inscriptions du Limousin », Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 1850, pl. 22.

souligné par la figuration d’un simple trait (inscrit ou gravé) autour de l’inscription. Cette pratique du cartouche est extrêmement courante dans les peintures murales et se décline selon toute une gamme de lignes et de traits, de la mise en page la plus simple à la plus complexe. La figure 40 reproduit une inscription funéraire limousine aujourd’hui disparue, concernant un sous-chantre de la cathédrale de Limoges31 (fig. 40). Son cadre fleuri n’est pas sans rappeler certains ornements que l’on rencontre en marge des manuscrits32. Grâce à l’emploi d’une paléographie très soignée, l’inscription a l’aspect d’une véritable page d’écriture, avec l’ensemble de ses caractéristiques techniques : mise en page (marges, justification), mise en texte (qualité de la paléographie et de la répartition de l’inscription) et décor (ornements marginaux, aspect calligraphique). On peut tirer   Texier, A., « Recueil des inscriptions du Limousin… », p. 224-225.   Camille, M., Images dans les marges : aux limites de l’art médiéval, Paris, 1997 (Le temps des images). 31 32



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les mêmes conclusions d’un autre dessin, publié cette fois par l’abbé Angot pour la Mayenne (fig. 41)33. Il reproduit l’épitaphe de frère Macé des Granges (mort en 1401), conservée dans l’église du prieuré Saint-Martin de Laval. La première partie du texte constitue l’épitaphe proprement dite et mentionne le nom et l’origine du défunt ainsi que la date de son décès. La seconde partie est un acte de fondation de chapellenie pour la célébration de messes en mémoire du religieux, et comprend la liste des obligations auxquelles sont tenus les desservants du prieuré. La forme de l’inscripFig. 41.  Laval (53), prieuré Sainttion correspond au contenu de la Martin, abside. Épitaphe de Macé des deuxième partie du texte, en Granges (1401 n. st.). Dessin publié donnant l’impression visuelle par Angot, A., Épigraphie de la d’un document manuscrit plus Mayenne…, t. I, p. 453, n° 800 que d’une inscription tumulaire. Par ailleurs, les clauses de la donation insistent sur l’importance de la documentation juridique dans la commémoration34 ; on peut alors supposer que les auteurs du texte ont tenu à donner une forme diplomatique au document épigraphique, afin d’assurer l’efficacité de la commémoration, conformément aux dispositions prises par le défunt. Une telle mise en espace peut aller encore plus loin et associer la rédaction du texte épigraphique à des éléments iconographiques rappelant les espaces traditionnelles de l’écriture : livres, pages isolées, rouleaux ou phylactères, tablettes, etc., comme le livre du Christ de Frétigny. On connaît de nombreux exemples d’une telle disposition, en peintures murales comme dans le monde lapidaire. Le livre tenu par le prêtre dans les peintures de Saint-Pierre-du-Lorouër porte par exemple le texte liturgique prononcé au cours des funérailles repré  Angot, A., Épigraphie de la Mayenne…, t. I, p. 453, n° 800.   Le texte mentionne en effet, à la ligne 8, les chartes de fondation de l’abbaye de Marmoutier. 33 34



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sentées dans l’iconographie (fig. 42) : page de gauche : a(n)i(m)a / ejus/ req ; page de droite : vi / es / ca/ t. Le contenu funéraire de la peinture dépasse l’iconographie pour se placer également dans le contenu du texte, le répons concluant la messe de sépulture. Dans cet exemple, il y a correspondance entre la situation du texte, son contenu et le contexte iconogra- Fig. 42.  Saint-Pierre-du-Lorouër (72), église, mur nord. Peintures funéraires phique. Cette adéquation n’est (déb. xiiie siècle). Détail : le desserpourtant pas toujours respectée vant. Cliché J. Michaud CESCM/ et le support du livre accueille CIFM. fréquemment des textes non livresques, comme dans le cas de l’ancien prieuré Sainte-Pétronille d’Aubeterre (03), dans lequel on trouvait autrefois une scène représentant sainte Catherine. Elle était identifiée par une inscription placée sur le livre ouvert qu’elle tient devant elle, dans la main droite35. S’il constitue un attribut bien connu de sainte Catherine, on n’attend pas forcément son nom sur le livre qui symbolise sa discussion avec les philosophes36. À la mort du chevalier Enguerrand de Marigny en 1315, on a placé, dans le chœur de l’église collégiale d’Écouis (27), un tombeau monumental orné d’un gisant. Le dessin de cette tombe (aujourd’hui détruite) montre qu’on avait gravé, sur le mur adjacent, une inscription funéraire rappelant la date du décès et les donations du défunt37. Cette inscription se présentait sous la forme d’un livre ouvert, les lettres couvrant les deux folios (fig. 43). Le sens de lecture du texte respectait la mise en page : on lisait d’abord les six vers du folio de gauche, puis les six vers du folio de droite. Ces formes épigraphiques se multiplient, à la fin du Moyen Âge, dans le cas d’inscriptions funéraires qui se détachent de plus en plus souvent de la sépulture et qui, en perdant leur caractère tumulaire, occupent le parement des murs,   CIFM 18, 6.   Réau, L., Iconographie de l’art chrétien, Paris, 1955-1959, t. III-1, p. 269-270. 37   Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la collection Gaignières… », t. I, p. 110 (n° 596). 35 36



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Fig. 43.  Écouis (27), église, chœur. Épitaphe d’Enguerrand de Marigny (1315). Dessin de la collection Gaignières publié par Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières. Dessins d’archéologie du xviie siècle », Gazette des Beaux-Arts, 1974, t. I p. 110 (n° 596).

où elles peuvent recevoir un traitement iconographique indépendant de la forme de la tombe. Le texte perd alors peu à peu son aspect lapidaire, l’image du texte adoptant ce que l’on peut rencontrer dans le monde manuscrit. On assiste ainsi à la constitution, dans les édifices religieux, de véritables bibliothèques de pierre qui conservent le souvenir des défunts. Le texte épigraphique cherche à matérialiser, par l’image qu’il adopte, ses liens avec les formes traditionnelles de l’écriture, et l’importance accordée à l’image du texte démontre son pouvoir visuel fondamental dans la société médiévale. Dans la scène des funérailles de saint André dans l’abside de Frétigny, on voit un prêtre, tenant un livre ouvert dans ses mains et officiant près du tombeau du saint. Contrairement à ce que l’on trouve à Saint-Pierre-du-Lorouër, on ne lit pas de texte sur le livre, mais on distingue de petits signes qui suggèrent la présence d’une inscription (fig. 44). L’auteur du programme ne cherchait pas à transmettre le contenu du texte utilisé par le prêtre au moment de la célébration des funérailles, mais à montrer que, dans le cas d’une messe de sépulture, on a recours à des textes liturgiques. Plus que le contenu, c’est l’image du texte qui compte dans le cas de

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cette représentation38. Par sa réalisation épigraphique, le texte acquiert une dimension matérielle nouvelle et une existence autonome ; il devient un objet à part entière. Son extension concrète dans l’espace lui attribue une image sensible qui détermine la visibilité de l’inscription et, par là Fig. 44.  Frétigny (28), église, abside, mur même, la réalité de la trans- sud, scène du bas. Peintures murales de la mission du message. L’image vie de saint André (xiiie siècle). Détail : les de l’inscription place le funérailles du saint. Cliché V. Debiais. recours à la lecture traditionnelle au second plan dans l’appréhension de l’information, permettant ainsi d’augmenter le public potentiel de l’écriture épigraphique39.

Épigraphie et esthétique Si l’inscription peut être considérée comme un objet, comme une donnée sensible, elle répond également à des critères esthétiques, et peut être appréhendée d’un point de vue ornemental ; s’il est sans doute excessif de considérer de façon systématique l’inscription comme un élément de décor, on doit admettre en revanche qu’il existe souvent une véritable recherche esthétique fondée sur l’ornementation du signe et de l’objet épigraphique dans son ensemble. De façon réciproque, l’embellissement de l’inscription affecte l’esthétique générale de son contexte. L’inscription et l’ornementation du contexte Introduire un élément épigraphique dans un contexte donné revient très souvent à introduire un objet supplémentaire. C’est principalement le cas dans le domaine funéraire. Ainsi, à la mort de l’abbé Jean de Chartres en 1297, on a placé dans le chœur de l’église de 38   Il faudrait dédier une étude de fond à la pseudo-écriture épigraphique dans les peintures murales et sur les autres supports des inscriptions. 39   Sur ces questions, voir de nouveau Schapiro, M., Words and Pictures…, p. 109.



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Fig. 45.  Thiron-Gardais (28), ancienne abbaye, église, nef. Pierre tombale de Jean de Chartres (1297). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

Fig. 46.  Cizay-la-Madeleine (49), ancienne abbaye d’Asnières, église, chœur, côté sud. Plate-tombe d’abbé (xiiie siècle). Cliché V. Debiais.

l’ancienne abbaye de Thiron-Gardais (28) une belle pierre tombale (fig. 45)40 sur laquelle on peut lire une épitaphe qui fait état des constructions de l’abbé. En décidant la réalisation d’un texte funéraire sous la forme d’une plate-tombe, le commanditaire a nécessairement entraîné une modification dans l’organisation du sanctuaire. La dalle mesure en effet plus de 2 m² et porte la représentation du défunt. Cette pièce est aujourd’hui relevée contre le mur sud, au bas de la nef. Sa nouvelle localisation ne permet donc pas de constater in situ l’ampleur des bouleversements visuels causés par l’introduction de l’objet et de l’inscription. En revanche, si l’on retourne dans l’église   Sainte-Beuve, R. de, « Jean II de Chartres », Dalles tumulaires et pierres tombales du département d’Eure-et-Loir, 5ème livraison, Chartres, s.d., n° 20.

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de l’ancienne abbaye d’Asnières et qu’on pénètre, par le côté sud, dans le chœur quadrangulaire, on trouvera une plate-tombe d’abbé, relevée contre la face est du pilier (fig. 46). À ses pieds, une grande dalle d’ardoise, mise en place lors des fouilles entamées au début du siècle dernier, matérialise l’emplacement original de la plate-tombe et permet de mesurer les différentes implications de la mise en place de cette dalle au début xiiie siècle. Elle était située entre le chœur et le passage conduisant aux bâtiments situés au chevet de l’église ; elle constituait une sorte de seuil à l’entrée du sanctuaire et participait, du point de vue architectonique, à sa clôture. L’introduction de cet objet et de l’inscription complète les données visuelles du chœur et participe à son décor en apportant l’une des rares représentations figurées de l’église d’Asnières. En dehors du domaine funéraire, on a pu introduire des objets épigraphiques autonomes pour commémorer consécrations et dédicaces, fondations et donations, événements publics et décisions collectives. À la façade de l’ancienne église de l’abbaye de Charroux (86), on a placé, au xiiie siècle, ou plus certainement dans la seconde moitié du xiie, deux inscriptions commémoratives. La première rappelle la fondation du monastère par Charlemagne et la seconde son développement par le comte Roger (fig. 47 et 47bis)41. À ces deux documents on a ensuite ajouté les statues des personnages mentionnés dans les textes et complété la riche décoration de la façade et des portails. Comme dans le cas d’Asnières, les inscriptions modifiaient l’unité visuelle de la construction et contribuaient à l’ornementation de la façade de l’abbatiale. La mise en place d’un document épigraphique, quand elle nécessite l’introduction d’un objet particulier, entraîne une modification des données visuelles du contexte. Partant de cette constatation, les émetteurs du message cherchent à lui donner une forme esthétiquement satisfaisante, l’inscription pouvant devenir un élément à part entière dans le décor. Examinons un instant le mur sud de l’église du prieuré de Montbron (16). Sa cohérence est aujourd’hui occultée par l’adjonction (au xixe siècle) d’une sacristie à l’angle du mur goutte41   CIFM I-2, 15-16. Une nouvelle datation et une interprétation particulièrement convaincante ont été proposées dans Treffort, C., « Légendes de fondation, histoire architecturale et création épigraphique », Revue historique du Centre-Ouest, t. 6, 2ème semestre 2007, p. 277296.



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Fig. 47 et 47bis.  Charroux (86), ancienne abbaye, cloître. Inscriptions commémoratives pour Charlemagne et le comte Roger (xiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

reau et du bras sud du transept. À l’intérieur de la sacristie, on trouve deux inscriptions funéraires concernant la famille Borreau et Jeanne de Montbron, placées sous un enfeu qui donnait autrefois dans le cloître des chanoines (fig. 48). Elles datent de la première moitié du xiiie siècle et sont, d’un point de vue formel et paléographique, tout à fait semblables à l’épitaphe de la famille Caille de la Mothe, placée plus à l’ouest sur le mur sud (fig. 49)42. Il faut ajouter à ces trois textes l’épitaphe disparue de Robert de Montbron, mort en 1209. Elle accompagnait autrefois un gisant, lui aussi placé sous un enfeu au mur sud de l’église. Aujourd’hui fortement endommagé, le monument ne présente plus aucune trace d’inscription (fig. 50)43. L’ensemble épigraphique composé par ces quatre textes est extrêmement cohérent, du point de vue formel comme du point de vue fonctionnel. Ils bénéficient d’un traitement paléographique et ornemental particulièrement soigné qui leur accorde une véritable valeur esthétique. Par leur situation et leur mise en espace, les quatre inscriptions funéraires de Montbron participent au décor claustral. Elles constituent une forme 42   Montbron (16), ancien prieuré Saint-Maurice, cloître (auj. : sacristie). Épitaphe de la famille Bourreau (1240). CIFM I-3, Ch 59. Épitaphe de Jeanne de Montbron (1240). CIFM I-3, Ch 58. 43   CIFM I-3, Ch 56.



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Fig. 48.  Montbron (16), ancien prieuré Saint-Maurice, sacristie. Inscriptions funéraires de la famille Bourreau (en bas) et de Jeanne de Montbron (en haut). Cliché V. Debiais.

Fig. 49.  Montbron (16), ancien prieuré Saint-Maurice, église, mur sud. Épitaphe de la famille Caille de la Mothe (1240) : détail. Cliché V. Debiais.

Fig. 50.  Montbron (16), ancien prieuré, église, mur sud. Gisant de Robert de Montbron. Cliché V. Debiais.



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Fig. 51.  Coulombs (28), église, revers de façade occidentale. Pierre tombale de Philippe de Sénante (1272). Détail : texte sur l’arc. Cliché J.-P. Brouard CESCM/ CIFM.

de motif dans l’enchaînement architectonique, créant de fait une ornementation graphique dans le déroulement lapidaire. La présence de l’inscription nuance ainsi l’austérité du parement du cloître du prieuré44. Pour les inscriptions qui prennent place sur des éléments préexistants, la question de l’ornementation se pose en termes différents et concerne les textes qui apparaissent en complément d’un autre système de signes, que ce soit une image ou un autre texte. Au-delà des implications fonctionnelles, l’épitaphe inscrite sur une plate-tombe participe à l’ornementation de la dalle, en complément de la représentation figurée du défunt. Le texte peut prendre des formes particulières ayant un rôle purement ornemental. Dans la petite église de Coulombs (28), on trouve la très belle dalle de Philippe de Sénante, datant de 127245. De façon traditionnelle, le défunt est représenté sous une arcature trilobée, ornée d’anges thuriféraires. L’arc porte la fin de l’épitaphe, transcrite en caractères de petite taille, très soignés (fig. 51). Placé à   La décoration sculptée à l’extérieur de l’église est par ailleurs très limitée. Seuls les modillons ont reçu une iconographie intéressante. De l’ensemble se dégage en fait une impression de dépouillement. Voir la description de l’architecture dans Beaumont, Ch. de, « L’église de Montbron », Congrès archéologique de France. 1912 : Angoulême, Paris, 1913, t. II, p. 278. 45   Merlet, L., « Philippe, curé de Senantes », Dalles tumulaires et pierres tombales du département d’Eure-et-Loir, 2ème livraison, Chartres, s.d., n° 8. 44



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quelque distance de la dalle, le percepteur du texte verra dans ces signes des éléments de décor, dont la finesse du trait et l’abondance des courbes pourront rappeler certains entrelacs végétaux ; le texte gravé sur l’arc se lisant plus difficilement que l’inscription placée autour de la dalle, il pourra même être rapproché visuellement des chaînes maintenant les encensoirs tenus par les anges. La qualité graphique de l’inscription et l’équilibre de la composition participent à l’ornementation de la représentation du défunt, et le texte, par sa paléographie et sa mise en page, joue un rôle dans la qualité esthétique de la dalle. Les exemples de ce type sont nombreux et les formes adoptées par le texte sont extrêmement diverses. Les inscriptions qui accompagnent les pièces d’orfèvrerie apportent de la même manière leur concours à l’ornementation des œuvres d’art. Elles participent à la beauté de l’objet, tout en remplissant leur Fig. 51bis.  Poitiers (86), fonction de communication. Le musée musée Sainte-Croix. Émail le Cananéen Sainte-Croix de Poitiers (86) conserve, de Simon (xiii e siècle). Cliché J. parmi ses collections, une belle pièce Michaud CESCM/CIFM. émaillée du xiiie siècle, représentant Simon le Cananéen, identifié par une courte in­scription. Les caractères de ce titulus, par leur forme et leur couleur, complètent la composition de façon très soignée (fig. 51bis). Ils reprennent en effet le module des ornements du fond de l’émail (composé de spirales, de cercles et d’étoiles) et enrichissent la diversité chromatique. La cohérence des formes et le mariage des couleurs sont les critères qui président généralement aux modalités d’introduction des inscriptions dans un grand nombre de textes accompagnant des croix émaillées du xiiie ou du xive siècle et citant le monogramme du Christ ou le titulus de la Passion selon Jn XIX, 1946 : la croix provenant du Vieux-Pouzauges (85) et conservée 46   Jn XIX, 19 : Scripsit autem et titulum Pilatus et posuit super crucem. Erat autem scriptum : IESUS NAZARENUS REX IUDAEORUM. Trad. : Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placé sur la croix ; il portait cette inscription : Jésus le Nazaréen, roi des Juifs.



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Fig. 52.  Nantes (44), musée Dobrée (prov. : Vieux-Pouzauges). Croix avec titulus de la Crucifixion (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

au Musée Dobrée de Nantes (44 ; fig. 52)47, les croix du Musée des Antiquités de Rouen (76 ; fig. 53)48, la série des émaux du musée de Limoges (87 ; fig. 54 et 54bis)49, etc. On ajoutera à cette liste les inscriptions gravées sur des objets métalliques de petites dimensions (bijoux, ornements de vêtement, insignes ecclésiastiques, instruments liturgiques,…). Dans les objets d’orfèvrerie plus complexes et portant une iconographie plus riche, comme les châsses de saint Sever ou de saint Taurin déjà évoquées ici, les inscriptions font véritablement partie de la composition générale de l’œuvre d’art, l’introduction de l’écriture dans la matière précieuse ajoutant à la richesse de l’objet.   CIFM 23, 76.   CIFM 22, 269. 49   CIFM II, HV 63-73 et 75-76. 47 48



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Fig. 53.  Rouen (76), musée des Antiquités. Croix émaillée (première moitié du xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

Les textes sont pour cela la plupart du temps réalisés avec finesse et élégance, comme l’inscription accompagnant le reliquaire conservé aujourd’hui au presbytère de Châteauponsac (87) et mentionnant un long inventaire de reliques (fig. 55)50. Les tituli qui ornent les peintures murales participent également à l’embellissement de leur contexte, renforcé en cela par le caractère monumental des représentations qui donne au texte épigraphique un impact visuel particulier. Dans l’ancienne chapelle des Hospitaliers de Saint-Domet (23), on trouve des fragments de la représentation du collège apostolique, avec des restes de peinture pour Jacques le Majeur et Jacques le Mineur au mur nord, Jean et Pierre au mur est, Judas et Mathias au mur sud. Sur le faux doubleau séparant la voûte de la nef sont représentés les Vieillards de l’Apocalypse. On conserve   CIFM II, HV 7.

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Fig. 54.  Limoges (87), Musée de la Ville. Monogramme sur une croix émaillée (numéro d’inventaire : 305 ; 1210-1230). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

Fig. 54bis.  Limoges (87), Musée de la Ville. Monogramme sur une croix émaillée (numéro d’inventaire  : 335  ; début xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

Fig. 55.  Châteauponsac (87), presbytère. Inventaire de reliques (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.



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seulement 3 inscriptions d’identification, placées au-dessus de la tête des personnages, mais chacun des apôtres devait avoir reçu une identification de ce type. La mise en place des tituli complète parfaitement les représentations figurées, la disposition et le module des lettres contribuant véritablement à proposer un tableau individuel de chaque apôtre au regard du spectateur51. La paléographie participe également à l’embellissement de l’image, avec ses nombreuses ornementations (redoublement des traits, alternance des traits fins et des traits gras) qui ajouFig. 56.  Saint-Domet (23), chapelle de la Croix-au-Bost, mur nord. Peinture tent encore à l’aspect soigné de murale de saint Jacques, fils de Zébél’inscription (fig. 56) ; il y a alors dée (mil. xiiie siècle). Cliché publié une cohérence visuelle qui témoipar Piel, C., « Actualité. Creuse. Saintgne de l’harmonie de la compoDomet, chapelle de la Croix-au-Bost. sition et qui contribue à la Découverte de peintures murales  », richesse de la représentation. Bulletin monumental, t. 143, 1985, Dans la scène qui suit la naissance p. 59. de Jean Baptiste représentée à l’abside du baptistère de Poitiers (86), l’identification du père du saint par le titulus Zacharias obéit à la même recherche esthétique (fig. 57)52. Par sa position centrale dans la scène, l’inscription donne une cohérence et une unité à l’iconographie. Elle tisse un lien visuel entre les différents personnages et comble l’espace laissé vide au centre de la scène53. Elle est une source d’équilibre dans l’enchaînement des images.

51   Piel, C., « Actualité. Creuse. Saint-Domet, chapelle de la Croix au Bost. Découverte de peintures murales », Bulletin monumental, t. 143, 1985, p. 59-60. 52   CIFM I-1, 13-17. 53   Lc I, 63 : « Et postulans pugillarum scripsit dicens : Ioannes est nomen ejus ». Trad. : Il demanda une tablette et écrivit ses mots : « Son nom est Jean ».



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Nuançons cependant. L’intention esthétique est une donnée relative dans la mise en place des tituli des peintures murales et elle ne doit pas être considérée comme systématique. Au Fig. 57.  Poitiers (86), baptistère Saint-Jean, contraire, elle dépend du abside, côté nord. Histoire de Jean Baptiste contexte de chaque inscrip- (1ère moitié du xiiie siècle). Détail : identifition et se doit de prendre cation de Zacharie. Cliché J.-P. Brouard en compte les impératifs CESCM/CIFM. techniques et fonctionnels de chaque composition. L’église Notre-Dame-de-l’Assomption du Vieux-Pouzauges (85) contient d’importantes peintures murales de la première moitié du xiiie siècle. Plusieurs cycles se développent dans les registres inférieurs et supérieurs de la nef, entrecoupés de motifs ornementaux. Un des cycles les plus complets, consacré à l’histoire de la Vierge, se trouve au mur nord et se compose de scènes relatant l’apparition de l’ange à Joachim, la rencontre de Joachim et Anne à la Porte Dorée, la présentation de la Vierge au temple et la seconde Annonciation. Dans chacune d’elles, les personnages reçoivent une inscription d’identification, comme, par exemple dans la scène de l’Annonciation (fig. 58)54. La Vierge y est identifiée par un titulus placé en césure de part et d’autre du nimbe. Dans cette séquence iconographique, le titulus se place au plus près du personnage qu’il désigne, sans prendre en compte la dimension globale de la composition : de fait, il a tendance à en rompre l’équilibre par l’introduction de signes supplémentaires. Dans ce cas, la volonté du peintre de faire de l’inscription un moyen d’identification efficace a présidé à la mise en forme du texte et les contraintes techniques n’ont pas laissé place aux considérations esthétiques, comme c’était le cas au baptistère Saint-Jean de Poitiers. Dans l’ancienne basilique Saint-Martin de Tours (37), on trouvait, dans l’une des chapelles de l’abside, une fresque représentant un des miracles du saint, tel qu’il est rapporté dans la vita composée par Sulpice Sévère55. Cette peinture, aujourd’hui perdue, est connue par un des54   L’intégralité de l’étude de ces peintures a été publiée par Davy, Ch., La peinture murale romane dans les pays de la Loire, thèse de doctorat, Poitiers, 1995, vol. II, p. 973-979 et 983, et vol. III, p. 307-311. 55   Sulpice Sévère, Dialogues II, V. Cf. Manceaux, P., Saint Martin. Récits de Sulpice Sévère, Paris, 1922, p. 232-233.



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Fig. 58.  Pouzauges (85), Vieux-Pouzauges, église Notre-Dame-de-l’Assomption, nef, mur nord. Peintures murales de l’histoire de la Vierge (xiiie siècle). Détail : seconde Annonciation. Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

Fig. 59.  Tours (37), ancienne basilique Saint-Martin, abside. Peintures du miracle du feu (xive siècle). Dessin de la collection Gaignières publié par VieillardTroiekouroff, M., « Une fresque de Saint-Martin de Tours d’après un dessin de Gaignières : le miracle du feu », Revue de l’Art, 1975, n° 27, p. 46.



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sin de la collection Gaignières (fig. 59) ; dans la première scène, les personnages étaient identifiés par deux inscriptions placées dans un cartouche. Les deux scènes suivantes étaient expliquées par une légende au-dessous de l’image56. Les différents tituli ne respectent en rien le style général de la composition. Au contraire, ils se détachent nettement des données iconographiques. Le nom des personnages, dans la scène de gauche, brise l’harmo- Fig. 60.  Chartres (28), cathédrale Peintures murales nie et les proportions de la mise Notre-Dame, crypte. (début du xiiie siècle). Détail  : saint en page, la forme quadrangulaire Nicolas. Cliché V. Debiais. des cartouches s’opposant fortement aux courbes de l’arcature trilobée qui domine les deux personnages. La légende de droite n’apporte quant à elle aucun complément esthétique au contexte iconographique. C’est la différence avec l’ensemble pictural de la crypte de la cathédrale de Chartres par exemple, dans lequel la situation générale des inscriptions respecte la structure de l’image et la dynamique iconographique. Bien plus, en associant harmonieusement signes épigraphiques et signes picturaux, l’ensemble accorde aux inscriptions une fonction ornementale. Comme le montre la figure 60, l’inscription permet également de focaliser l’attention du percepteur sur chaque personnage, sur les traits caractéristiques de son visage et sur ses attributs (fig. 60). L’exemple de saint Nicolas est particulièrement évocateur : le titulus conduit directement le regard vers la crosse d’évêque et vers la mitre, symbole de la fonction épiscopale du saint. Dans son association avec l’image, le titulus se fait attribut de la représentation et revêt en ce sens une fonction didactique en même temps qu’il contribue à l’ornementation générale du mur nord de la chapelle souterraine.

56   Vieillard-Troiekouroff, M., « Une fresque de Saint-Martin de Tours d’après un dessin de Gaignières : le miracle du feu », Revue de l’art, n° 27, 1975, p. 46 ; Lelong, Ch., La basilique Saint-Martin de Tours, Chambray-lès-Tours, 1986, p. 111.



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Fig. 61.  Saint-Junien (87), collégiale, nef, voûte. Peintures murales des Vieillards de l’Apocalypse (xiiie siècle). Cliché É. Sparhubert.

La volonté de respecter la structure iconographique et de servir l’esthétique générale de la composition peut toutefois être la source de difficultés dans la perception des signes graphiques. Nous avons déjà eu l’occasion de le constater pour le titulus Karolus dans les mêmes peintures murales de Chartres, et nous aurons le loisir de revenir sur des exemples similaires dans l’étude de la paléographie des inscriptions. Ornementation du texte : enjeux et méthodes La structure de base de l’inscription, constituée par le texte et son support, se trouve fréquemment augmentée d’un certain nombre de compléments qui donne au document épigraphique une dimension ornementale. Ils concernent la mise en page de l’inscription, l’adjonction de signes graphiques supplémentaires ou la décoration des lettres. La forme la plus courante de mise en valeur du texte épigraphique est le recours au cadre. Grâce à lui, l’inscription peut acquérir la dimension d’un tableau. Dans la collégiale de Saint-Junien, on trouve, sur la voûte de la partie basse de la nef, la représentation des Vieillards de l’Apocalypse. Découvertes au cours de la dernière campagne de restauration, ces peintures sont complétées, au bas de la scène, par une inscription générale (fig. 61). Elle a reçu un traite

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ment esthétique très développé. Le cadre complexe mélange la décoration géométrique (avec la figuration de bandes horizontales de différentes teintes) et des motifs végétaux ; il bénéficie également d’une véritable richesse chromatique. S’il isole parfaitement l’inscription du reste de la composition iconographique, l’aménagement du cadre permet surtout de lui attribuer une autonomie esthétique. Le texte devient alors un élément supplémentaire dans le décor pictural de la voûte. La multiplication des sépultures dans les édifices de culte et l’augmentation du nombre des textes funéraires à caractère obituaire à la fin du Moyen Âge entraînent peu à peu l’abandon des inscriptions reprenant en surface la forme de la sépulture, au profit de la rédaction de plus en plus systématique d’inscriptions désolidarisées de la tombe, capables d’adopter une forme libre ; apparaissent ainsi, à partir du xive siècle, de nombreux textes présentés sous la forme d’une page épigraphique, insérés le mur des bâtiments religieux57. La structure générale de l’inscription permet alors le recours au cadre, et plus généralement à de nombreux compléments ornementaux. En 1351, on a réalisé, dans l’église d’Écouis (27), une inscription funéraire commémorant la disparition de Jean III de Marigny, archevêque de Rouen (1347-1351)58. Il s’agit d’un texte long de quinze lignes, réparties sur deux colonnes, en minuscules avec un grand nombre d’abréviations traduisant les usages de l’écriture manuscrite (fig. 62). Cette pièce présente un cadre de forme élémentaire composé d’un simple trait entourant l’inscription et séparant les deux colonnes du texte. Il lui attribue toutefois la forme soignée d’un objet autonome, d’un tableau complétant le gisant. Foulques de Mathefelon, 57ème évêque d’Angers, a été inhumé en 1355 dans un tombeau autrefois placé dans le chœur de sa cathédrale, tout près du grand autel59. À la tête du gisant, on trouvait une plaque de cuivre sur laquelle était transcrite l’inscription funéraire, un texte assez long présentant un éloge funèbre, avec la mention des titres universitaires du défunt et de toutes les qualités traditionnellement attribuées aux prélats (zèle, générosité, attention à son peuple, justice, mesure et sagesse). Le texte se termine par la datation par l’année du Seigneur et par une demande de prière très simple mise en valeur par un changement dans le ductus des   Favreau, R., Épigraphie médiévale…, p. 291-310.   Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux… », t. I, p. 140. 59   Farcy, L. de, « Monographie de la cathédrale d’Angers… », p. 312-313. 57 58



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Fig. 62.  Écouis (27), collégiale. Épitaphe de Jean de Marigny (1351). Dessin de la collection Gaignières publié par Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières…», t. I, p. 140.

lettres. On voit, sur la figure 63, les aménagements qu’a reçus le cadre de l’épitaphe ; celui-ci isole très nettement le texte du parement mural (représenté au second plan sur le dessin), mais il contribue surtout à orner l’inscription et à faire de l’objet épigraphique un élément du décor dans le chœur de la cathédrale. Dans l’église des Cordeliers de la même ville, on trouvait le monument funéraire d’Isabeau d’Avaugour, décédée en 130060. Il était placé dans le chœur, à côté du grand autel, en face de la sortie de la chapelle Saint-Bernardin. Cette sépulture est décrite par les auteurs du xviiie siècle comme

Fig. 63.  Angers (49), cathédrale, chœur, près du grand autel. Épitaphe de Foulques de Mathefelon (1351). Dessin de la collection Gaignières publié par Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières…», t. I, p. 144 (n° 795).

60   Bruneau de Tartifume, J., Angers, contenant ce qui est remarquable en tout ce qui estoit anciennement dict de la ville d’Angers, Angers, 1632 (rééd. Bruxelles, 1977), p. 229-233.



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Fig. 64.  Le Mans (72), Séminaire, église, nef. Épitaphe de la famille d’Outreleau (c. 1370). Dessin de la collection Gaignières publié par Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières…», t. I, p. 113 (n° 614).

un monument d’une grande beauté et d’une architecture complexe. L’inscription qui orne le monument se compose de deux parties. Tout autour du gisant de marbre blanc court un texte simple présentant des renseignements généalogiques. Sur le mur du chœur, au-dessus du tombeau, un texte long de seize vers français et orné d’un cadre soigné, fait l’éloge funèbre de la défunte et invite les fidèles à prier pour son salut. Le cadre correspond ici à la qualité esthétique recherchée par la composition littéraire en vers, et accorde au monument épigraphique (et au tombeau dans son ensemble) un complément ornemental particulièrement visible dans l’espace de l’église. L’épitaphe collective de la famille d’Outreleau, autrefois conservée contre le mur nord de la nef de l’église du séminaire du Mans (72), se caractérisait par une même recherche esthétique. L’inscription, réalisée autour de 1370, était transcrite sur une plaque fixée contre le mur, au-dessus du tombeau et donnait la date de décès de plusieurs personnages (fig. 64)61. Au-delà de la simplicité de son contenu, le document épigraphique a pourtant reçu un cadre à degrés dans la partie   Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux… », t. I, p. 113.

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supérieure qui constitue une sorte de fronton au-dessus de l’inscription et qui confère élégance et solennité à la pièce. Ces épitaphes sont de véritables petits tableaux, dans lesquels le texte remplace l’image. Ils enrichissent l’aménagement intérieur des édifices accueillant les sépultures. L’autonomie des inscriptions par rapport à la tombe permet à l’émetteur du message de recourir à toute une panoplie d’aménagements. Les tombeaux de la fin du Moyen Âge, de plus en plus complexes, offrent autant de possibilités dans la situation et dans la disposition de l’inscription. Le recours à la « page épigraphique » a toutefois tendance à séparer le monument funéraire de l’inscription. On a pu constater dans les exemples précédents l’élection quasi-systématique des murs pour la localisation des textes. Si cette situation a pu attribuer de fait au texte épigraphique une existence matérielle autonome, elle a également conduit à la disparition d’un grand nombre d’inscriptions, les modifications dans l’organisation des espaces religieux ayant plutôt respecté les sépultures monumentales, mais souvent sacrifié les documents épigraphiques isolés. Si le cadre a un rôle ornemental, il n’en reste pas moins une donnée technique de l’inscription. Il permet de délimiter un espace, de ménager un champ épigraphique et de faciliter l’ordinatio du texte. Il participe, au même titre que les réglures, les lignes ou les marges, à la mise en page de l’inscription et à son organisation spatiale62. Ces aménagements techniques peuvent eux aussi participer à l’ornementation du texte. L’inscription de fondation de Veules-les-Roses (76) en donne un aperçu (fig. 7)63 : le texte se développe sur six lignes d’égale longueur, séparées par une double réglure fortement incisée à la surface de la pierre ; les marges de la page sont soulignées par le même procédé ; les lettres sont profondément gravées ; les traits verticaux sont renforcés par le jeu des ombres portées. La complémentarité entre les lignes horizontales (réglures) et les lignes verticales (hastes profondes des lettres) donne à l’inscription l’image d’un quadrillage régulier, inscrit dans un cadre fortement marqué. Visuellement, la composition épigraphique revêt une dimension ornementale, qui favorise sans doute dans le même temps son repérage dans l’espace. Des conclusions semblables peuvent être tirées de l’ordinatio de l’inscription peinte à la voûte de l’église de Saint-Christophe-du-Jambet

  García Lobo, V., Martín López, M.E., Epigrafía medieval…, p. 29.   CIFM 22, 283, p. 359.

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Fig. 65.  Saint-Christophe-du-Jambet (72), église. Inscription de construction (1231) : les structures de l’ordinatio. Dessin V. Debiais.

(72). Malgré l’irrégularité générale de l’écriture et de la mise en page, les réglures jouent un rôle important dans l’ornementation de cette inscription, par ailleurs très simple. Les lignes 1-2 et 3-4 sont séparées par une double réglure ornée de motifs géométriques (lignes et points). Ce décor alterne avec une simple ligne de trait fin, séparant les lignes 2 et 3. La fonction ornementale des réglures et du cadre (simplement constitué d’un trait) est confirmée par le fait que le texte ne respecte que de façon aléatoire les contraintes imposées par cette mise en page. On constate, à la ligne 2, que le mot tempore sort très nettement du cadre. Cette même ligne ne suit pas l’ordre imposé par la réglure inférieure. La ligne 3 est, quant à elle, tracée de manière rectiligne alors que les réglures sont absolument divergentes et déterminent un champ épigraphique tout à fait différent. Si on fait disparaître le texte de cette inscription pour ne conserver que les éléments de son ordinatio, la trame qui subsiste révèle parfaitement la dimension ornementale de ces données techniques (fig. 65). L’introduction de signes de ponctuation à l’intérieur du texte peut, de la même manière, remplir un rôle esthétique dans la composition de l’inscription. À partir du début du xiiie siècle, la ponctuation épigraphique adopte peu à peu les règles de la ponctuation manuscrite, et se développe dans pratiquement tous les types d’inscription64. Son utilisation est alors soumise à une codification de plus 64   Debiais, V., Favreau, R., Treffort, C., «  L’évolution de l’écriture épigraphique en France au Moyen Âge et ses enjeux historiques », Bibliothèque de l’École des chartes, t. 165, 1er semestre 2007, p. 132-133.



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Fig. 66.  Bonneval (28), ancienne abbaye Saint-Florentin. Épitaphe de Nicolas de Frécot (xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

Fig. 67.  Bonneval (28), ancienne abbaye Saint-Florentin. Épitaphe de Nicolas de Frécot (xiiie siècle). Détail : hiérarchie de la ponctuation. Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.



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en plus stricte. Les inscriptions offrant dans la plupart des cas une syntaxe simple, composée de propositions courtes et autonomes, elles ne nécessitent qu’un nombre limité de signes. Le point est la ponctuation épigraphique la plus courante ; il sépare les mots ou les groupes de mots et est fréquemment groupé en ensemble de deux, trois, voire quatre points. Cette relative diversité permet une hiérarchie dans l’utilisation de tel ou tel signe, en fonction de la force de la ponctuation à appliquer au texte. Dans l’ancienne abbaye Saint-Florentin de Bonneval (28), on trouve la pierre tombale d’un abbé du monastère, mort au xiiie siècle (fig. 66). L’épitaphe gravée élégamment autour de la dalle est métrique et se compose de six hexamètres léonins riches : Nicolas de Frescoto jacet quem prospera Clotho Magnificavit ita Dunensis ut archilevita Laude foret merita vir florens celibe vita […] probus ac titus valide sua iura secutus Cum Christo comite duo fratres archilevite Hii prope iungantur prope iuncti qui tumulantur Tous les mots du texte sont séparés par un point placé dans une position médiane. En revanche, à la fin de chaque vers, l’artisan a placé deux points verticaux afin de marquer la distinction prosodique (fig. 67). Au-delà de la précision grammaticale, la régularité de la ponctuation participe à l’esthétique générale de la plate-tombe, en complétant la finesse et l’élégance de la paléographie, et en scandant visuellement l’écriture à intervalle plus ou moins régulier. Au même titre que le décor sculpté, les compléments graphiques embellissent l’inscription et lui accordent un équilibre visuel particulièrement séduisant. Ils contribuent à faire de la dalle un élément du décor de l’espace qui l’accueille65. L’inscription peut recevoir, au-delà des données techniques de la mise en page et de la rédaction du texte, des ornements qui lui sont propres et qui n’ont d’autre but que de contribuer à l’esthétique générale de la pièce. On a placé en 1311, dans la nef de la collégiale Saint-Étienne de Dreux, la plate-tombe du bourgeois Nicolas le Verrier. Le texte de son épitaphe commence au milieu du petit côté supé65   Bonneval (28), ancienne abbaye Saint-Florentin (auj. : hôpital spécialisé H. Ey, grosse tour, 1er étage, contre le mur ouest). La situation actuelle de cette pièce ne nous permet pas de la replacer dans son contexte d’origine et de mesurer les implications ornementales de sa localisation. Haye, A., « Nicolas de Frécot », Dalles tumulaires et pierres tombales du département d’Eure-et-Loir, 3ème livraison, Chartres, s.d., n° 9.



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rieur et se termine dans l’angle supérieur gauche (fig. 68)66. L’espace resté libre dans la moitié gauche du petit côté supérieur est orné d’entrelacs végétaux simples qui viennent compléter le déroulement graphique du texte. Ils accordent une cohérence visuelle à l’inscription et lui donne une image ininterrompue. Un tel complément a pu être motivé par une approximation dans l’ordinatio générale du texte. Quoiqu’il en soit, il donne une dimension esthétique réelle à l’épitaphe. La plate-tombe d’un écuyer, inhumé en 1358 dans le chœur de l’abbaye de Champagné, sur la commune de Rouez (72), donne une disposition semblable67, de même que les dalles exécutées pour Charles d’Artois (1368) et Jean d’Artois (1387), conservées autrefois dans l’église abbatiale d’Eu (76)68, ou la platetombe d’Alice le Carpentier (1309) à Saint-Ouen de Rouen (76)69. De façon générale, les motifs ornementaux de ce type sont toutefois assez rares à la fin du Moyen Âge.

Fig. 68.  Dreux (28), collégiale SaintÉtienne, nef. Épitaphe de Nicolas le Verrier (1311). Adhémar, J., Dordor, G., «  Les tombeaux de la Collection Gaignières…», t. I, p. 107 (n° 575).

  Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux… », t. I, p. 107.   Ibid., n° 801 ; Chappée, J., « Les sépultures de l’abbaye de Champagné et les fouilles de 1895-1896 », Revue historique et archéologique du Maine, t. 41, p. 360. 68   Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux… », t. II, n° 1211, t. I, n° 590. 69   Ibid., t. I, p. 105. 66 67



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L’ornementation de la lettre L’ornementation de la lettre est relativement bien étudiée en épigraphie médiévale, l’attachement exclusif des premières études aux données paléographiques de l’inscription ayant permis de mettre en place diverses typologies de lettres et d’étudier les traitements graphiques accordés à chacune des formes d’écriture. Les travaux pionniers de P. Deschamps puis de N. Gray restent fondamentaux et proposent des bases solides dans l’examen de la paléographie des inscriptions. Ils attachent une importance particulière au repérage des lettres de forme caractéristique, envisagées comme un critère de datation. Même si cette méthode est aujourd’hui largement nuancée et s’il semble difficile d’attribuer une date à un texte à partir d’un seul signe, ces différents travaux ont permis de caractériser l’écriture de chaque époque. Ils ont également permis d’attirer l’attention sur les ornements que peuvent recevoir les graphies manuscrites et épigraphiques70. L’ornementation de la lettre n’est pas une donnée constante à travers la documentation épigraphique du Moyen Âge. Certaines périodes ont en effet accordé une importance tout à fait exceptionnelle à l’esthétique du signe et à la recherche ornementale. Les xiexiie siècles ont particulièrement utilisé les lettres fleuries, ornées, redoublées ou perlées. De façon générale, l’épigraphie du Moyen Âge roman se distingue par la qualité de la paléographie et par le soin accordé au traitement graphique, voire calligraphique, de la lettre. Les inscriptions d’identification placées sous les scènes du portail nord de la cathédrale de Chartres (28) sont tout à fait significatives à ce sujet. Les Y et les I perlés, les A redoublés et les T stylisés sont les témoins du soin apporté au traitement graphique qui, associé à la finesse de la gravure et à l’adjonction d’ornements simples, vient parfaire l’iconographie du décor sculptée dans la colonne. De même, dans le mur nord de l’ancienne collégiale de Lesterps (16), l’épitaphe d’un abbé mort vers 1140 gravée dans un granit d’un très beau grain a reçu une paléographie très fine et particulièrement recherchée, ainsi qu’une mise en page très soignée71. Le mot abbas, à ligne 2, constitue un exemple de l’ornementation paléographique pour le xiie siècle, à tel point que l’inscription avait d’ailleurs été dessinée et citée 70   Debiais, V., Favreau, R., Treffort, C., « L’évolution de l’écriture épigraphique… », p. 122. 71   CIFM I-3, Ch. 28, p. 46-47. 



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Fig. 69.  Lesterps (16), collégiale, nef, mur nord. Épitaphe de l’abbé Ramnulfe (avant 1143). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

en exemple dans l’ouvrage de Paul Deschamps au début du siècle dernier (fig. 69). Les inscriptions lapidaires ne sont pas les seules à avoir reçu des ornements particuliers. On trouve de semblables aménagements dans les tituli des peintures murales ou dans les inscriptions gravées ou incisées sur des objets d’orfèvrerie. La diversité des supports et la constance de l’ornementation paléographique montre que le souci de produire du beau est, à l’époque romane, un facteur essentiel dans la production épigraphique. Pour cela, les lapicides ont recours à des lettres aux formes particulières, dont les embellissements graphiques participent à la beauté générale du texte et de l’objet qui le porte. L’utilisation de ce type de lettres diminue à compter du xiiie siècle et les lettres ornées (fleuries ou perlées) deviennent extrêmement rares dès le milieu du xive siècle, les formes plus simples d’ornementation (hastes redoublées, ductus originaux,…) étant elles aussi tout à fait exceptionnelles. La multiplication de la documentation épigraphique explique sans doute en partie une telle simplification. À compter du xiiie siècle, les inscriptions sont de plus en plus présentes, et les changements dans leur production les transforment en un objet presque courant, élaboré à partir de modèles communs, ce qui entraîne une simplification de l’aspect visuel de l’inscription. Les plates-tombes à effigie constituent, pour le nord de la France, les exemples les plus frappants de cette nouvelle forme de production des documents épigraphiques. On emploie, pour réaliser une plate-tombe

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Fig. 70.  Néau (53), église Saint-Vigor. Scène de la prédication à Bayeux (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

donnée, un modèle iconographique et épigraphique, des formes assez courantes (au niveau géographique et temporel) et un schéma opératoire éprouvé. Une telle forme de production n’entraîne pas une uniformisation générale des inscriptions ni la disparition de la créativité des artisans ; elle est en revanche à l’origine d’un rapprochement formel entre les différentes inscriptions, l’esthétique paléographique de la fin du Moyen Âge ne se situant plus au niveau des innovations dans le ductus de la lettre ou dans l’ajout de signes complémentaires. On assiste au contraire à un dépouillement formel, sauf dans le cas isolé de quelques tituli peints dans des compositions complexes, comme celle de Néau (53). Les peintures de la vie de saint Vigor sont accompagnées d’inscriptions aux lettres élégantes, parfois complétées par différents signes graphiques. Ainsi, dans la scène de la prédication à Bayeux, les A présentent une barre transversale redoublée et la barre oblique de gauche ornée d’un trait plus fin (fig. 70). Dans la scène supérieure, les A ont une barre oblique ornée et les E sont fermés par un trait fin (fig. 71). Cependant, de tels exemples font figure d’exception si l’on prend en compte l’ensemble du corpus des

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Fig. 71.  Néau (53), église Saint-Vigor. Scène de résurrection (xiiie s.). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

Fig. 72.  Bourges (18), cathédrale, déambulatoire, côté nord, chapelle, baie ouest. Verrière de l’histoire de saint Denis (1210-1215). Cliché V. Debiais.



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tituli peints entre le xiiie et le xve siècle. La paléographie des inscriptions de cette période se caractérise plutôt par l’harmonisation et l’uniformisation progressive de la forme des caractères, les inscriptions apparaissant comme des compositions de plus en plus homogènes d’un point de vue paléographique72. Fig. 73.  Bourges (18), cathédrale, déambulatoire. Verrière de l’histoire de Jean Baptiste (1210-1215). Cliché V. Debiais.

Le xiii siècle est pourtant encore marqué par la coexistence de plusieurs types paléographiques distincts au sein des mêmes inscriptions. Les capitales romaines y côtoient les majuscules gothiques, réparties dans des proportions variables suivant les régions et la chronologie73. Les tituli qui accompagnent les vitraux de la cathédrale Saint-Étienne de Bourges se composent ainsi d’une alternance de lettres capitales et de lettres gothiques plus ou moins évoluées. La baie 11, au côté nord, présente la vie de saint Denis dans une belle composition où de courts textes identifient le saint à six reprises. Les lettres sont majoritairement capitales, mais on constate parfois une forme de mélange, comme dans la première scène en bas, à droite, représentée dans la figure 72. Si les lettres n, i et v sont capitales, le d, le o et les s sont affectés d’une certaine évolution onciale. À compter de la deuxième moitié du xiiie siècle, les lettres onciales s’imposent peu à peu dans la documentation épigraphique. Le titulus identifiant Jean Baptiste dans la baie 20 de la même cathédrale de Bourges présente des lettres de ce type, le h, le a et le n possédant les lignes courbes caractéristiques de l’écriture onciale (fig. 73). L’évolution paléographique n’est pas synchronique sur l’ensemble de la France, même si l’abandon progressif de la capitale au profit e

72   Debiais, V., Favreau, R., Treffort, C., « L’évolution de l’écriture épigraphique… », p. 130. 73   Ainsi, dans la petite église de Préaux (76), on trouve la plate-tombe de Raoul de la Capelle et de sa femme, réalisée vers 1330. Le texte, aujourd’hui bien conservé, permet de constater l’alternance de lettres onciales et de lettres capitales, malgré la date déjà avancée dans le xive siècle. Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux… », t. I, p. 101 ; Greenhill, F.P., Incised Effigial Slabs. A Study of Engraved Stone Memorials in Latin Christendom (1100-1700), Londres, 1976, vol. 2, p. 127.



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de l’onciale, puis l’apparition de la graphie dite gothique prennent place à des dates tout à fait similaires dans un grand quart nord ouest du territoire français. Les capitales ne disparaissent certes pas et on les rencontre encore parfois. Toutefois, on ne trouve pratiquement plus de partage entre capitales et onciales dans un même texte à partir de la fin du xiiie siècle74. Les types paléographiques sont ainsi beaucoup plus unifiés. L’arrivée de l’écriture gothique, majuscule puis minuscule, ne constitue en rien une rupture dans ce processus d’harmonisation mais apparaît plutôt comme le résultat d’une évolution lente et complexe qui conduira à l’emploi d’une graphie à vocation universelle. Les inscriptions du xive siècle atteignent ainsi une sorte de perfection esthétique. La paléographie employée n’a aucun rapport avec les qualités calligraphiques exceptionnelles de certaines inscriptions carolingiennes, ou avec la recherche créative de certaines inscriptions du xiie siècle, comme celle que l’on trouve par exemple dans la petite église de Plaimpied-Givaudins (18). Cette inscription funéraire pour un prêtre, datant du xiie siècle, encastrée dans le mur est du bras sud du transept, représente Abraham portant l’âme du défunt (figurée de façon traditionnelle sous la forme d’un petit enfant) ; au pied de cette scène, on lit l’épitaphe proprement dite, transcrite dans de magnifiques caractères (fig. 74) : …] iiii nonas ivlii obiit Sulpicius sacerdos et canonicvs sancti M(artini). En comparant la finesse des traits, l’élégance des courbes et l’originalité des formes de cette inscription, les lettres des épitaphes courant autour des plates-tombes paraissent bien fades, voire décevantes d’un point de vue formel. Elles correspondent pourtant à ce que la période qui les accueille considère comme esthétiquement satisfaisant. L’évolution de l’écriture épigraphique, et notamment l’introduction de la graphie gothique, correspond aux changements de la paléographie en général à la fin du Moyen Âge. Elle est en accord avec les formes graphiques que l’on rencontre dans l’architecture ou dans les images, telles qu’avait pu les mettre en valeur E. Panofsky : affinement des modules, privilège de   Cette évolution paléographique a été parfaitement présentée par Favreau, R., Épigraphie médiévale…, p. 85-89. L’école allemande a toutefois poussé ces réflexions beaucoup plus loin que l’équipe française. On se reportera donc avec profit à l’exposé de Kloos, R., Einführung in die Epigraphik des Mittelalters und frühen Neuzeit, Darmstadt, 1980, p. 59 et sq. L’étude de l’évolution de la paléographie des inscriptions médiévales ne peut se couper des études concernant la paléographie traditionnelle. On renverra donc à l’excellent ouvrage de Gray, N., History of Lettering. Creative Experiment and Letter Identity, Oxford, 1986. On consultera avec profit les travaux de l’école espagnole ; voir en particulier Martín López, E.M., « La escritura publicitaria… ».

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Fig. 74.  Plaimpied-Givaudins (18), église, transept, mur est. Épitaphe d’un prêtre (xiie siècle). Cliché V. Debiais.

la ligne verticale, travail sur l’épaisseur, alternance des pleins et des déliés, opposition du plein et du vide75. L’évolution de l’écriture épigraphique est donc en accord avec les canons artistiques de l’époque donnée et on peut ajouter un nouveau paramètre à l’équation d’E. Panofsky : formes architecturales, formes paléographiques, formes épigraphiques. Le choix d’une forme paléographique donnée permet d’adapter l’aspect visuel de l’inscription aux contraintes de son contexte et de répondre de façon cohérente aux éventuelles exigences esthétiques. Ainsi, dans une plate-tombe, le choix de la paléographie permet de respecter la forme plastique générale du décor incisé dans la pierre, comme on peut le déceler dans plusieurs dalles tumulaires provenant de l’ancienne église des Jacobins de Rouen, aujourd’hui conservées au Musée des Antiquités. Parmi cette collection, la dalle dite de « Felipe » porte l’épitaphe d’une jeune fille, réalisée probablement 75   Ces réflexions ont été développées dans Panofsky, E., Architecture gothique et pensée scolastique, Paris, 1967 (1ère éd. : 1951).



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au milieu du xiiie siècle76. Le texte très simple court autour de la pierre : + ici gist / Felipe la fille Jo / han le borg / ois priez que Dex m[er]chi li fache. L’écriture, régulière et dépouillée, associe pleins et déliés. Les lettres sont composées de lignes fortement incisées dans la pierre, jouant sur l’épaisseur du trait (fig. 75). La paléographie correspond à l’élégance et à la sobriété du décor sculpté et à la représentation de la jeune fille. Les lignes fortes s’accordent avec les données architecturales et les lignes fines avec les courbes et les plissés de la représentation de la défunte. Un fragment de pierre tombale, situé tout près de la dalle de Felipe, appelle les mêmes Fig. 75.  Rouen (76), musée des Anticommentaires77. De provenance quités. Dalle tumulaire de Felipe (mil. inconnue, la dalle montre xiii e siècle). Cliché J.-P. Brouard aujourd’hui le buste d’un clerc CESCM/CIFM. placé sous une arcade trilobée, ornée d’anges thuriféraire, et ce qu’il reste de son épitaphe, formée de lettres élégantes et bien gravées. La finesse du trait et les courbes des déliés correspondent cette fois-ci à l’élancement des lignes composant les motifs architecturaux et aux détails de la coiffe du défunt (fig. 76). L’adéquation forme des lettres/forme du décor est encore plus évidente dans le cas des inscriptions en lien direct avec les images (vitraux, peintures murales, orfèvrerie…). La baie 16 de la cathédrale de Bourges représente l’histoire de Joseph. Au registre inférieur, un médaillon illustre la scène du sommeil de Joseph, identifiée par un titulus de gros module (fig. 77) : Ioseph : sominiat. Le module très carré des lettres et leur taille sont en adéquation avec le reste de la scène (lit, architecture, cartouche de l’inscription). Le texte est très   CIFM 22, 258.   CIFM 22, 262.

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Fig. 76.  Rouen (76), musée des Antiquités. Fragment de dalle tumulaire (seconde moitié xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

Fig. 77.  Bourges (18), cathédrale, déambulatoire, côté sud. Vitrail de l’histoire de Joseph (1210-1215). Détail : le sommeil de Joseph. Cliché V. Debiais.



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simple et n’a reçu aucun aménagement graphique, et la qualité esthétique provient uniquement de la cohérence entre la paléographie et l’iconographie du contexte. Dans une baie plus tardive de l’église du monastère Saint-Ouen de Rouen, réalisée à la fin du xive siècle, une verrière présente l’Annonciation avec Marie et l’ange, figurés dans deux registres séparés. Sur une banderole tenue par Gabriel, on lit le début de la salutation, dans sa forme biblique. Le phylactère est couvert d’une écriture gothique très fine reprenant, dans sa graphie, les formes élancées du décor architectural qui isole chacun des personnages. La composition est parfaitement cohérente et la présence de la banderole ne coupe pas l’unité de la scène mais accorde au contraire à l’ensemble texte/image une parfaite continuité. Comme dans l’exemple de Bourges, l’inscription de Rouen n’a bénéficié d’aucun ornement particulier (fleur, perle, trait redoublé, etc.). Le choix de la paléographie appropriée suffit à accorder à l’inscription une valeur ornementale, contribuant à embellir l’ensemble du décor vitré. Les peintures murales offrent des exemples tout à fait similaires. Retournons à l’intérieur de la collégiale de Saint-Junien (87) et examinons la représentation de Thomas Becket sur un pilier, au côté sud de la nef. La figuration du saint a été complétée, de part et d’autre, par l’adjonction d’un titulus d’identification (fig. 78)78. La paléographie tourmentée est caractéristique de l’écriture de transition évoquée plus haut, certaines lettres étant affectées de déformations originales, comme le T ou le A. Par ailleurs, l’inscription ne présente que peu d’embellissements notables, sauf quelques hastes redoublées. Les données formelles sont, en revanche, en accord avec la représentation du saint : les formes arrondies des lettres respectent parfaitement la structure de l’image  (plissé des vêtements, courbes de l’architecture), tandis que les droites des lettres comme le H et le T correspondent à la position hiératique du saint et à la rectitude de certaines lignes (forme de l’étole, piliers de l’arcade). L’inscription, dont la recherche esthétique est évidente, devient un véritable complément iconographique de la peinture. Le texte introduit des éléments de décor supplémentaires au centre de la composition peinte. L’inscription est ainsi fréquemment un objet doté de qualités esthétiques, possédant une fonction dans l’ornementation de son contexte. Grâce à ces artifices, l’inscription attire l’attention de son   CIFM II, HV 85.

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Fig. 78.  Saint-Junien (87), collégiale, pilier. Peinture murale de Thomas Becket. (2ème quart du xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.



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percepteur et augmente la diffusion potentielle de son message. L’inscription peut alors être considérée comme une image placée au cœur du système sémiotique de la communication visuelle79. Les réalisateurs de l’inscription ont le souci de transformer la res en un opus ; d’où l’attachement constant accordé à l’embellissement de l’inscription ; certains textes franchissent d’ailleurs le cap de cette distinction sémiotique et sont considérés comme de véritables éléments de décor.

L’inscription comme élément de décor Dans le mécanisme de la perception, rien ne distingue la lettre d’un autre signe graphique. Les deux types de signes peuvent entrer dans la composition d’un système destiné à transmettre une information, qu’elle soit épigraphique, iconographique, héraldique, etc. Quand ils n’ont pas pour objectif la communication, ils peuvent répondre l’un et l’autre à une fonction ornementale simple. Communication et ornementation La cohabitation de signes de nature différente au sein d’un ensemble graphique permet de garantir la circulation optimale de l’information, comme le montre la pratique des tituli dans les peintures murales. En complétant, identifiant ou commentant la figuration d’une scène ou d’un personnage, l’inscription facilite la communication iconographique. Dans l’église paroissiale de Roussines (36), on trouvait autrefois de belles peintures murales, aujourd’hui disparues et connues par un relevé du xixe siècle. Placées à la voûte du chœur, en avant d’une figuration du Christ en Gloire entouré du Tétramorphe, elles représentaient sept cavaliers chevauchant des animaux figurant les sept péchés capitaux80. Chaque cavalier tenait une banderole 79   Voir à ce sujet Lund, H., « From Epigraph to Iconic Epigram : The Interaction Between Buildings and Their Inscriptions in the Urban Space », dans The Pictured Word. Word and Image Interactions 2, éd. par M. Heusser et alii, Amsterdam-Atlanta, 1998, p. 335. 80   Description donnée par Hubert, E., Dictionnaire historique, géographique et statistique de l’Indre, Paris, Picard, 1889, p. 165 : « Curieuses peintures murales du xive siècle : au-dessus du sanctuaire, le Père éternel, la tête entourée d’un nimbe crucifère portant d’une main le globe dominé par la croix, de l’autre bénissant. À côté de lui, dans les compartiments de la voûte, les quatre évangélistes et quatre anges jouant de la harpe, de la trompette et de la vielle. En avant, un moine et sept cavaliers montés sur des animaux emblématiques figurant les sept péchés capitaux. Des inscriptions gothiques apparaissent sur des banderoles sortant de la bouche des cavaliers ».



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sur laquelle on pouvait lire, en langue vernaculaire, le nom de l’un des péchés. Les inscriptions donnaient l’explication à l’ensemble des scènes de la voûte, en faisant de l’association des figures une représentation globale du Jugement, et non plus seulement une vision du Christ en Gloire. Même si l’association entre les Cavaliers de l’Apocalypse et les pêchés capitaux est assez fréquente chez les auteurs médiévaux (en particulier chez Rupert de Deutz), elle n’en reste pas moins complexe et sans aucun doute peu répandue chez les fidèles qui contemplaient la scène peinte dans l’abside de Roussines81. Les tituli jouent alors un rôle prépondérant dans l’interprétation globale de l’iconographie. L’inscription n’a pas toujours une fonction de communication aussi effective. Elle est parfois redondante, voire superflue. Dans d’autres exemples, la présence d’une inscription est surprenante parce que l’on ne peut pas lire le texte ou parce que celui-ci n’a pas de fonction intelligible dans son contexte. Dès lors, l’inscription ne joue pas de rôle dans la transmission du message. Cependant, en raison de l’éventuelle dimension esthétique de la graphie et de l’objet lui-même, l’inscription peut proposer une forme d’ornementation et complèter le décor. L’effet de redondance est très clair dans certaines peintures murales, dans lesquelles les tituli identifient des personnages ou des scènes parfaitement reconnaissables. Dans le bas-côté sud de l’église de Saulcet (03), on a peint, au cours du xive siècle, un Christ en Majesté entouré du Tétramorphe. Chaque évangéliste, figuré par son symbole animal, est identifié par l’inscription de son nom sur un phylactère82. La représentation symbolique des quatre Vivants pourrait expliquer le recours à l’outil épigraphique, car, si l’attribution des animaux à chacun des évangélistes est une donnée acquise pour la plupart des clercs médiévaux, cette identification est sans doute moins évidente pour un grand nombre de fidèles qui fréquentent l’église83 ; l’inscription devient alors un moyen didactique à 81   Voir en particulier Rupert de Deutz, Commentarium Apocalypsim, l. V, chap. IX, PL 169, col. 1000. 82   Aujourd’hui, on ne lit plus que les inscriptions relatives à Marc et à Matthieu. De bonnes reproductions de ces textes ont été publiées dans Courtillé, A., Histoire de la peinture murale du Moyen Âge en Auvergne, Brioude, 1983, p. 52 [mention] et p. 156-157. 83   L’attribution canonique des animaux à chacun des évangélistes date de Grégoire le Grand et repose sur les premières phrases de chaque texte pour les Synoptiques, et sur un jugement de valeur théologique pour Jean. Sur ce sujet, voir Favreau, R., « Épigraphie et miniatures. Les vers de Sedulius et les Évangélistes », Journal des Savants, janv.-juin 1993, p. 63-87.



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l’attention du public. Cependant, une telle fonction didactique suppose que ce même public possède la capacité de lire le texte et d’y trouver une information concrète  ; la paléographie et la mise en forme des textes à Saulcet ne constituent pas en ce sens des facteurs qui augmentent la lisibilité du texte, l’emploi d’une minuscule gothique de petit module, très élancée, rendant le déchiffrement de l’inscription difficile depuis le bas de l’abside. En revanche, les caractéristiques matérielles des inscriptions contribuent à la cohérence esthétique générale de la composition et les inscriptions revêtent une fonction plus ornementale que didactique : elles complètent la composition iconographique et deviennent un attribut des personnages représentés, en se faisant constitutive de la définition d’un type iconographique particulier. On tirera d’ailleurs la même conclusion pour de nombreux personnages accompagnés de supports de l’écriture (sainte Catherine devant les philosophes d’Alexandrie, le Christ en Majesté tenant le livre…). Un même programme iconographique peut d’ailleurs comporter des inscriptions ornementales et des textes proprement didactiques ; c’est le cas des peintures murales de la vie de saint André, sur les murs de l’abside de l’église de Frétigny. Au côté nord, la première scène représente la vocation du saint, en présence du Christ et de Pierre, conformément au texte de l’Évangile84. Les personnages sont identifiés par une courte inscription nominale (fig. 79). La distinction entre Pierre et André par l’inscription de leur nom relève d’une nécessité, leurs attributs respectifs n’étant pas clairement mis en valeur et une confusion peut surgir d’une vision rapide de la peinture, et ce malgré la composition particulièrement dynamique de l’image. En revanche, le repérage du Christ ne pose pas de problèmes. La taille et l’élégance du nimbe crucifère qui couvre sa tête ne laisse place à aucune hésitation ; le personnage du Christ est, par ses attributs, parfaitement identifiable. Sa figuration n’entraîne aucune ambiguïté  ; pourtant, les peintres ont pris soin de placer, à gauche, le nom du Christ, sous la forme du monogramme IHS. Le titulus d’identification joue davantage le rôle d’un attribut supplémentaire dans la définition du type iconographique du Christ qu’il ne donne réellement une information 84   La scène de la vocation d’André est la seule qui trouve sa source dans les Évangiles canoniques (Mt IV, 18 ; Mc XVI, 19 ; Jn I, 50). Les autres scènes de sa vie sont retranscrites dans les Actes apocryphes et dans les Actes gnostiques, en particulier pour les scènes de sa crucifixion et de ses funérailles. Les représentations de ces deux motifs sont courantes en Italie, où le culte d’André a été très important. Voir Réau, L., Iconographie…, t. III-1, p. 76-84.



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Fig. 79.  Frétigny (28), église, abside. Vie de saint André (début du xiiie siècle). Détail : mur nord, vocation d’André. Cliché V. Debiais.

d’ordre didactique. Au sein de ce même ensemble iconographique, l’inscription possède donc tout à la fois une fonction de communication réelle en transmettant une information au public (le nom des protagonistes de la peinture) et une dimension ornementale, voire iconique, en jouant le rôle d’une image dans le décor. Les deux fonctions ne sont pas contradictoires. Lettre et image de la lettre Rudolph Kloos signalait d’ailleurs déjà en 1980 que certaines inscriptions ont une fonction proprement ornementale85. Il incluait dans cette catégorie certains textes très courts, composés seulement de quelques signes, comme la citation de l’alpha et de l’oméga, les différents monogrammes du Christ, le titulus de la croix, etc. Ces inscriptions ont une existence autonome ; elles possèdent un sens au-delà de leur brièveté et fonctionnent comme des images puisque l’association des signes avec leur contenu sémantique n’est pas indispensable. En effet, pour l’alpha et l’oméga, la perception de l’inscription ne renvoie pas nécessairement à la citation de l’Apocalypse selon saint Jean. Elle suppose simplement l’assimilation des signes à un attribut supplémentaire du Christ en Gloire. C’est à ce titre qu’ils apparaissent sur le globe tenu par le Christ dans le vitrail de Bréchamps (28). Tou  Kloos, R., Einführung..., p. 49.

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Fig. 80.  Frétigny (28), église, abside, voûte. Peintures murales du Christ en Gloire (déb. xiiie siècle). Détail  : l’alpha et l’oméga. Cliché J.-P. Brouard CESCM/ CIFM.

jours à Frétigny, de part et d’autre du Christ en Majesté représenté à la voûte de l’abside, on trouve l’alpha et l’oméga (fig. 80). Au même titre que le livre, les deux lettres grecques sont des attributs du type iconographique du Christ en Gloire. Leur figuration ajoute à la beauté de la scène et à l’image de puissance qui se dégage de la représentation, sans pour autant renvoyer textuellement aux différentes péricopes de l’Apocalypse. La perception et l’interprétation d’une inscription de ce type ne requièrent en rien une lecture active de la part du spectateur (au sens contemporain du terme « lecture »), mais elles se rapprochent plutôt de la perception d’une image ou d’une partie de celle-ci. Il en est de même de la perception et de l’interprétation de certaines formes d’abréviations. Composée de quelques signes, la plupart des abréviations nécessite d’être développées pour que le texte puisse être compris dans son ensemble. Cette restitution des abréviations plaiderait en faveur d’une lecture intelligente de l’inscription médiévale. Cependant, l’abréviation affecte un nombre relativement réduit de termes, pour les textes épigraphiques comme pour les textes manuscrits, comme le notait d’ailleurs J. Durliat en 198086. De plus,   Durliat, J., « Écritures écrites et écritures épigraphiques… », p. 35.

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les formes résultant de la phase de contraction ou de suspension sont très constantes et ne subissent que peu de distorsions géographiques ou chronologiques. Cette conclusion a été mise en évidence au niveau manuscrit dès le début du siècle dernier par Ludwig Traube, dans un ouvrage désormais célèbre87. En se basant sur ce travail, on peut montrer que l’utilisation des abréviations en épigraphie répond à une même fixité des formes et traduit dans les faits la forte dimension iconique de la lettre médiévale88. Dans les inscriptions comme dans les manuscrits, les nomina sacra concernent en effet principale- Fig. 81.  Rouen (76), musée des Antiment l’abréviation d’un mot ren- quités. Plaque centrale d’une croix e voyant à la notion de sacré : Deus, émaillée (xiii siècle). Cliché J.-P. Dominus, Jesus, Christus, sanctus, Brouard CESCM/CIFM. puis de façon plus réduite pour presbyter, Maria, episcopus,… En raison du respect accordé à la forme de l’abréviation de ces termes, on peut penser qu’une partie de la valeur symbolique du signifié passe dans le signifiant. Par conséquent, l’essentiel ne se situe plus dans la valeur sémantique de l’abréviation (c’est-à-dire dans le mot qu’elle remplace), mais dans la dimension iconique de la forme (c’est-à-dire dans sa capacité à représenter graphiquement une identité sacrée). L’inscription n’a plus alors la forme d’un texte, mais elle adopte, dans la perception, celle d’une image. Le Musée des Antiquités de Rouen (76) conserve la plaque centrale d’une croix émaillée réalisée dans les premières années du xiiie siècle et accompagnant la représentation d’une Crucifixion (fig. 81)89. Sur cette plaque, une petite inscription donne le monogramme latin 87   Traube L., Nomina Sacra. Versuch einen Geschichte der christlichen Kürzung, Munich, 1907, 287 p. 88   Debiais, V., Nomina sacra dans les inscriptions chrétiennes médiévales (750-1000), Poitiers, Université, 2000, mémoire de maîtrise dact., 2 vols. 89   CIFM 22, 269.



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du Christ IHS, forme la plus aboutie de la réduction du titulus de la Passion, donné dans la plupart des croix médiévales dans la version transmise par l’Évangile de Jean : Jesus Nazarenus Rex Iudeorum. Cette pièce, de fort belle qualité, a été publiée à la fin des années 1970 par Françoise Hospital90. L’auteur fait très justement remarquer dans son article que la réduction de la forme du titulus montre que l’inscription a un rôle ornemental et qu’il ne faut pas chercher dans sa gravure la volonté de transmettre un message quelconque91. Il en va de même pour l’ensemble des inscriptions de cette forme gravées sur des pièces d’orfèvrerie ou sur des objets liturgiques. Parmi eux, on citera les inscriptions sur les moules à hosties des xiiie-xive siècles, citant pour la plupart les monogrammes IHS et XPS92. L’inscription agit comme un élément supplémentaire dans l’ornementation de l’œuvre, chargé d’ailleurs d’une forte dimension symbolique en raison de son contexte et des thèmes iconographiques représentés93. De plus, dans le cas des moules à hosties comme dans le cas de pièces liturgiques, la fonction didactique, et plus généralement la valeur communicative du texte, est fortement entravée par la taille ou la localisation des inscriptions. La valeur ornementale de l’inscription et la dimension symbolique du texte conduisent parfois à limiter le rôle de l’inscription dans la transmission du message. Dans l’ancien évêché de la ville d’Angers, on trouve une tapisserie de belle facture confectionnée au xive siècle représentant des scènes de l’Apocalypse94. Le fond de la composition est semé de lettres entrelacées dans un but emblématique et symbolique certes, mais répondant également à un objectif ornemental. La lettre remplit alors le rôle de n’importe quel autre signe graphique, comme le monogramme IHS (fig. 82) semé au fond des scènes peintes sur les murs de l’église de Saint-Clémentin (79)95. Des motifs ornementaux du même ordre se rencontrent, entre autre, sur d’anciens carreaux de pavement, comme ceux retrouvés lors des fouillles de   Hospital, F., « Les inscriptions sur les croix dans l’œuvre de Limoges », Actes du 102ème Congrès National des Sociétés Savantes. Limoges, 1977, Paris, 1979, p. 21-37. 91   Ibid., p. 29. Nous nous séparons toutefois des opinions de l’auteur à propos de l’ignorance des artisans chargés de graver les inscriptions sur les croix. 92   Cf. CIFM I-2. 93   Debiais, V., Nomina sacra…, p 156. 94   Planchenault, R., « Les Y de l’Apocalypse d’Angers », Mémoire de la Société des Antiquaires de France, 9ème série, t. II, 1951, p. 241-256. 95   Ces peintures ont été découvertes au cours de l’année 2006 ; les inscriptions qui les accompagnent sont à ce jour inédites. 90



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Saint-Aubin d’Angers96 (49) ; en plus des carreaux formant partie du texte d’une inscription, il semble qu’il y ait eu également des carreaux alphabétiques avec une valeur ornementale (fig. 83 et 83bis). De telles inscriptions se trouvent également sur de nombreux objets liturgiques ou domestiques portant des entrelacs de lettres comme motif décoratif. Les inscriptions ornementales peuvent être parfois plus longues. On les rencontre principalement au sein de compositions iconographiques plus large. Les inscriptions pourraient y remplir une fonction particulière (identification, commentaire, Fig. 82.  Saint-Clémentin (79), église explication du programme) et paroissiale. Fragment de peintures s’apparenter alors aux inscrip- murales (xv e siècle). Cliché J.-P. tions regroupées sous l’appella- Brouard CESCM/CIFM. tion générique de titulus, si l’efficacité de la communication n’était pas limitée par les conditions de perception et de lisibilité de l’inscription. Dans de nombreux cas, le public distingue seulement des signes différents au sein de l’image, mais ne peut pas déterminer la nature et, de fait, la fonction de l’inscription. La cathédrale NotreDame d’Évreux compte un grand nombre de vitraux anciens, datant pour la plupart de la reconstruction de l’édifice au début du xive siècle97. Dans la deuxième chapelle, au côté nord du déambulatoire (baie 15 d’après la numérotation du Corpus vitrearum), on trouve une verrière ornementale composite réalisée autour de 1360. Le tympan de ce vitrail représente les armes du roi Charles VI et la figuration héraldique est complétée par une inscription donnant la devise du roi. L’inscription est peinte au bas du tympan et sa lecture est impos  CIFM 24 (à paraître) ; siganlons qu’il manque une étude de fond sur la question des carreaux de pavement. 97   Ces vitraux ont été récemment publiés dans l’excellent ouvrage de Callias Bey, M. et alii, Les vitraux de Haute-Normandie, Paris, 2001, 495 p. (CV France, Recensement, 6). 96



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Fig. 83 et 83bis.  Angers (49), Service départemental de l’archéologie (prov. : Saint-Aubin). Carreaux de pavement vernissés (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

sible depuis n’importe quel point de la chapelle ou du déambulatoire : du point de vue de la communication, son efficacité est donc fortement compromise. En revanche, les lettres de la devise forment, avec la distance, un entrelacs de couleur sombre qui complète la mise en image des armes du roi. On constate le même phénomène pour l’église de l’ancien monastère de Saint-Ouen de Rouen (76). La vitrerie date majoritairement de la première moitié du xive siècle, mais les démontages et les recompositions successives rendent très complexe la constitution du corpus définitif98. On remarque toutefois deux types de textes bien distincts pour ce site, avec deux fonctions différentes : d’une part, les inscriptions dont la fonction de communication (identification, commentaire, commémoration d’une donation,…) est parfaitement opérationnelle ; d’autre part les inscriptions servant le décor avant de servir la communication (devises, initiales   Voir Lafond, J., Les vitraux de l’église Saint-Ouen de Rouen, Paris, 1970, introduction.

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semées sur le fond d’une baie,…). D’une façon générale, cette différence affecte tous les ensembles de vitraux. L’exemple de Bourges est particulièrement instructif en raison de la cohérence chronologique et stylistique de la vitrerie99. L’examen de l’ensemble des vitraux du chœur et du déambulatoire permet ainsi d’établir une distinction entre les inscriptions tout à fait visibles et déchiffrables et les textes illisibles, voire non repérables sans le secours de jumelles ou d’un téléobjectif. Les premières inscriptions ont, dans leur contenu, une intention didactique réelle, avec la transmission d’un message déterminé, et participent à la compréhension du programme vitré. Pour la seconde catégorie d’inscriptions, la fonction de communication auprès du public disparaît au profit de l’ornementation.  La dimension esthétique du texte épigraphique est une donnée capitale pour connaître les modalités de perception et de compréhension de l’inscription. L’ornement des caractères ou du support fait d’elle un objet plastique, souvent doté de qualités esthétiques facilitant le repérage de l’inscription dans l’espace : elle attire l’œil de son percepteur afin qu’il prenne connaissance du message contenu dans le texte100. Parallèlement, l’inscription, par sa valeur ornementale, participe à l’embellissement de son contexte. Chaque forme de langage se complète donc pour assurer la transmission d’un message parfois complexe. Insister sur la valeur ornementale attribue à l’inscription un pouvoir communicatif au-delà du processus traditionnel de lecture. On élargit par là même le public potentiel de l’épigraphie médiévale et on s’approche sans doute ainsi de la connaissance du véritable statut de l’inscription dans la civilisation du Moyen Âge occidental.

99   Brugger, L., Christe, Y., Bourges : la cathédrale, La Pierre-qui-Vire, 2000 (Le ciel et la pierre, 4), p. 342-371. 100   Valdez Del Alamo, E., « The Saint’s Capital, Talisman in the Cloister », dans Decorations for the Holy Dead. Visual Embellishments on Tombs and Shrines of Saints, éd. S. Lamia et E. Valdez del Alamo, Turhnout, 2002, p. 111-129, p. 114 et 118.



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Deuxième partie Lire les inscriptions médiévales : définition du public épigraphique

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Description et recensement des lecteurs L’apparition de la lecture est concomitante de celle de l’écriture. Comme l’a signalé M. Vernus, « dès qu’un scribe s’est ingénié à tracer des signes dans la glaise, il a créé un lecteur, lui-même ou un autre1 ». L’auteur précise néanmoins, quelques lignes plus loin, que la lecture a de fait été réservée à une minorité de la population au moins jusqu’en 11502. La synthèse de M. Vernus, aussi satisfaisante soit-elle pour les époques modernes et contemporaines, pourrait souffrir d’un attachement excessif à l’aspect quantitatif de la lecture, et s’inscrit en ce sens dans l’historiographie générale de ce concept, telle qu’elle a été menée au cours de la seconde moitié du xxe siècle. Il suffit pour le constater de se reporter aux grandes thèses régionales sur l’époque moderne en France, dans lesquelles les historiens ont tenté de quantifier la part de lecteurs et de scripteurs à partir des signatures dans les documents d’archives. On retrouve le même phénomène pour les études médiévales qui ont démontré, jusqu’aux travaux de P. Riché, que l’Église du Moyen Âge est la seule détentrice des instruments de la culture et, de fait, de la capacité de lecture. Différentes estimations de la proportion de la population médiévale capable de lire ont ainsi été proposées, M. Vernus estimant par exemple qu’à la fin du Moyen Âge, 10% de la population urbaine connaît la lecture3. Des travaux novateurs relativisent aujourd’hui la pertinence d’une approche quantitative de la lecture. Ces nouvelles orientations ne sont pas nées des études sur le Moyen Âge ou sur l’époque moderne, mais proviennent, pour la plupart, du travail des historiens de l’Antiquité grecque ou romaine. La critique la plus éclairée de la méthode quantitative est sans aucun doute le travail fondamental d’E. Valette-Cagnac sur la lecture à Rome4 ; dans ce très beau livre, l’auteur a su donner une dimension anthropologique à l’étude des pratiques et des conditions de la lecture. En cela, les travaux d’E. Valette-Cagnac reposent sur les études plus anciennes de quelques précurseurs qui avaient su se déta1   Vernus, M., Histoire d’une pratique ordinaire. La lecture en France, Saint-Cyr-sur-Loire, 2002 (Histoire et archéologie), p. 9. 2   Ibid., p. 12 : « De 800 à 1150, les cloîtres et les églises ont donc été les seuls lieux où existaient des lecteurs dans l’Occident médiéval chrétien ». 3   Ibid., p. 18. 4   Nous avons déjà eu l’occasion, au cours des pages précédentes, de citer le livre d’E. ValetteCagnac. Nous renverrons cette fois aux pages 18-19 : « On ne peut pas faire une histoire de la lecture en ne se basant que sur les aspects quantitatifs […] Une histoire de la lecture se doit de sortir des oppositions traditionnelles grâce à l’apport de la linguistique et de l’anthropologie. ».



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deuxième partie : lire les inscriptions médiévales

cher des chiffres pour retourner au lecteur lui-même, comme J. Svenbro dans son livre sur la lecture en Grèce ancienne5. D’un point de vue historique, l’étude de la lecture cherche à faire le point sur la diffusion, les conditions et les enjeux de la lecture à une époque donnée. Toutes les périodes historiques sont concernées par de telles recherches : les lectures publiques dans l’Antiquité, l’alphabétisation du clergé médiéval, l’enseignement de la lecture aux enfants sous l’Ancien Régime, les manuels de lecture du xixe siècle sont quelques-uns des thèmes abordés. Si la plupart des études se caractérisent encore par un attachement prépondérant aux données quantitatives, elles s’intéressent également à une multitude de thématiques d’ordre social, économique, etc.6 Elles centrent également les problématiques sur la personnalité du lecteur, sur sa définition en tant qu’individu, en tant que groupe, et tant que corps social7. La médiévistique connaît les mêmes orientations historiographiques ; les études fondamentales de P. Riché8 sont aujourd’hui complétées par plusieurs synthèses remarquables, au premier rang desquelles il faut signaler l’article d’Armando Petrucci, « Lire au Moyen Âge »9, article que l’on peut compléter par les réflexions techniques proposées par les travaux de P. Saenger publiés à la fin des années 1980 et traitant des conditions et des méthodes de la lecture médiévale10.

5   Svenbro, J., Phrasikleia…. On ne peut ignorer le volume de synthèse publié en 1995 qui dresse un bilan des recherches sur la lecture et où l’on mesure les implications intellectuelles, économiques et sociales de son développement : Histoire de la lecture dans le monde occidental, dir. G. Cavallo et R. Chartier, Paris, 1997 (1ère éd. : 1995). 6   Pour un aperçu des orientations dans l’historiographie de la lecture, voir Chartier, R., « De l’histoire du livre à l’histoire de la lecture : les trajectoires françaises », Histoires du livre : nouvelles orientations. Actes du colloque des 6-7 sept. 1990 à Göttingen, dir. H.E. Bödeker, Paris, 1995 (In Octavo), p. 23-46. Une vingtaine d’années auparavant, H.-J. Martin avait publié un bel article donnant les principales thématiques des recherches à venir. Voir Martin, H.-J., « Pour une histoire de la lecture », Revue française d’histoire du livre, 1977, n° 46. 7   Chartier, R., « De l’histoire du livre… », p. 41 : « L’enjeu de l’histoire de la lecture est donc le tracé de la frontière mouvante, instable, entre le privé et le public, et aussi la définition même de différentes formes du privé, emboîtées ou concurrentes : la solitude individuelle, l’intimité familiale, la sociabilité conviviale. » 8   Riché, P., Éducation et culture dans l’Occident barbare (vie-viiie s.), Paris, 1995 (1ère éd. : 1962), p. 371-384. Voir aussi id., Écoles et enseignement dans le haut Moyen Âge, Paris, 1989 (1ère éd. : Aubier, 1979), p. 187-237. 9   Petrucci, A., « Lire au Moyen Âge », Mélanges de l’École Française de Rome. Moyen Âge/Temps Modernes, Rome, t. 96, 1984, n° 2, p. 603-616. 10   On renverra en particulier à Saenger, P. « Manières de lire médiévales », Histoire de l’édition française, éd. sous la dir. de R. Chartier et H.-J. Martin. T. I : le livre conquérant. Du Moyen Âge au milieu du xviie siècle, Paris, 1989 (1ère éd. en 1982), p. 147-161. Voir aussi Saen-



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L’objectif de notre recherche n’est pas de proposer une nouvelle analyse de la lecture médiévale dans l’absolu. Les études d’A. Petrucci ou de P. Saenger, complétées par les réflexions particulièrement pertinentes de M. Carruthers, permettent aujourd’hui d’avoir une idée assez précise des méthodes et de la diffusion de la lecture au Moyen Âge11. En se basant sur les conclusions de ces auteurs et en s’appuyant sur les études non historiques (sciences du langage, psychologie de la cognition, etc.), on peut toutefois essayer de proposer une réflexion sur la lecture appliquée à l’épigraphie médiévale dans laquelle elle sera abordée dans le cadre d’une étude plus large de la communication et considérée comme l’un des moyens d’accéder à la connaissance des informations transmises par les inscriptions.

Savoir-faire et capacité intellectuelle : quelques éléments dans l’histoire de la lecture Les plus anciens témoignages textuels concernent une écriture de conservation ; la lecture de ces documents n’est donc pas à mettre en rapport avec la communication immédiate d’une information. Qu’ils soient comptables, administratifs ou religieux, les textes des tablettes mésopotamiennes ou des rouleaux égyptiens n’attendent pas nécessairement l’action du lecteur pour justifier leur réalisation. La fonction de conservation de l’information implique un nombre limité de lecteurs, dotés d’une capacité technique, liée la plupart du temps à un statut professionnel particulier. Ils détiennent simultanément la possibilité de créer le document et d’en assurer la diffusion. La lecture dépend étroitement de la forme du texte, influencée par la structure matérielle du support, et de la technique de réalisation des caractères ; on ignore la teneur pratique d’une telle lecture : s’agit-il d’une lecture silencieuse, orale et publique, individuelle et vocalisée ? Les données changent sensiblement dans l’Antiquité classique, aussi bien en Grèce qu’à Rome. La mise par écrit des textes est plus importante, dans les formes manuscrites comme dans les documents épigraphiques, et on assiste à une diversification de leur contenu. La codification par écrit des textes de lois, le développement de la littérature de composition et la naissance du genre historique multiplient ger, P., « Physiologie de la lecture et séparation des mots », Annales ESC, Paris, n°4, t. 44, 1989, p. 939-952. 11   Carruthers, M., Le livre de la mémoire. La mémoire dans la culture médiévale, Paris, 2002 (1ère éd. : Cambridge, 1990).



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les occasions de lecture et augmentent le nombre des lecteurs potentiels. L’écriture ne concerne plus exclusivement la conservation et on assiste à une publication des informations : la lecture devient véritablement un moyen de communication. De fait, dans l’Antiquité classique, la lecture est très souvent synonyme de performance vocale12. Récitations lyriques de pièces dramatiques, discours et plaidoyers juridiques, représentations théâtrales sont autant d’occasions d’assister à la vocalisation de textes écrits au préalable. Le texte acquiert une autonomie par la lecture à haute voix, celle-ci devenant un moyen de promouvoir une information ou, du moins, de la rendre publique13. Parallèlement aux développements des formes traditionnelles de l’écriture, on assiste à l’explosion épigraphique dont témoignent aujourd’hui les volumes du Corpus inscriptionum latinarum. Grâce aux inscriptions, le texte envahit les espaces publics et les habitants des villes deviennent les lecteurs potentiels de la forme d’écriture la plus répandue dans les cités antiques, la lecture des textes épigraphiques constituant alors la forme la plus courante de lecture personnelle. Certaines inscriptions étaient sans doute lues à voix haute, dans une performance publique du texte épigraphique, mais l’absence de témoignages narratifs rapportant ce phénomène empêche de l’assurer. Si on peut l’imaginer pour les grandes inscriptions monumentales des édifices publics, il est toutefois plus difficile de l’attester pour les petites épitaphes qui constituent la plus grande partie de la documentation grecque et romaine14. En analysant le contenu des épitaphes et la forme de leurs appels au lecteur, E. Valette-Cagnac et J. Svenbro ont toutefois montré que la lecture de beaucoup de ces inscriptions antiques était en fait une lecture à voix haute, dans un but très souvent performatif15.   Valette-Cagnac, E., La lecture à Rome…, p. 307 : « Le fait le plus marquant de la lecture romaine et ce qui fait son originalité, c’est cet usage de la lecture à haute voix pour produire du texte. Cette possibilité de parler de « texte oral » ou « d’écriture parlée » rappelle que la textualité comporte un certain nombre de traits indépendants du médium à travers lequel ils se manifestent ». 13   Svenbro, J., Phrasikleia…, p. 55 : « La voix du lecteur devient la voix du texte écrit ». 14   Valette-Cagnac, E., La lecture à Rome…, p. 77 : « À l’opposé des lettres monumentales qui s’imposent au regard du passant et que l’on peut déchiffrer sans interrompre sa marche, l’épitaphe, écrite en petits caractères sur un espace relativement restreint, nécessite un arrêt volontaire ». 15   Svenbro, J., Phrasikleia…, p. 55 : « Le lecteur doit céder sa propre voix à l’écrit (en dernier lieu : au scripteur) pour que le texte se réalise pleinement. Au moment de la lecture, la voix lectrice n’appartient pas au lecteur, bien que ce soit celui-ci qui emploie son appareil vocal pour que la lecture ait lieu. S’il prête sa voix aux signes muets, le texte se l’approprie : sa voix devient la voix du texte écrit ». Valette-Cagnac, E., La lecture à Rome…, p. 97 : 12



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L’un des grands mérites des historiens de l’Antiquité est d’avoir posé comme principe que la lecture n’est pas uniformément répandue dans la société et qu’elle comporte un certain nombre de variations en fonction du texte lu et des circonstances de lecture. E. Valette-Cagnac a ainsi pu déterminer qu’il existe une forme primaire de connaissances des textes, basée sur la mémorisation des caractères et des formules, particulièrement fréquente pour les textes épigraphiques16. Une forme de lecture silencieuse, très proche de ce que l’on rencontrera au Moyen Âge, peut également parfois être utilisée  ; celle-ci reste toutefois limitée, non pas en raison d’une méconnaissance de la technique, mais à cause d’un accès personnel aux documents fort restreint. Cette situation complexe se retrouve durant toute l’Antiquité tardive. La réduction réelle de la quantité de documents disponibles explique, parmi d’autres raisons culturelles, l’effondrement du nombre des lecteurs au haut Moyen Âge. Devant l’appauvrissement de la documentation, les textes se regroupent dans quelques foyers restreints, capables de produire et de lire le document écrit, promoteurs et dépositaires uniques de toute forme de production intellectuelle. Aussi les lecteurs potentiels doivent-ils affronter une pénurie de documents face auxquels ils pourraient apprendre et exercer la lecture, y compris dans le domaine épigraphique qui constituait pourtant le réservoir de textes les plus faciles d’accès. Si les productions écrites sont encore nombreuses et de qualité, avec de nouvelles créations et l’essor d’une culture originale, marquée par son héritage romain et les nouvelles influences importées lors des déplacements de population17, la diffusion et la communication des produits de cette culture restent toutefois très limitées. La lecture continue d’être enseignée dans quelques centres monastiques ou au sein des grandes maisons aristocratiques. L’apprentissage ne concerne qu’une faible partie de la population et, même si la législation de Charlemagne prévoit l’apprentissage systématique de la lecture pour tous les enfants, serfs ou libres, cette décision reste très théorique et on peut difficilement imaginer qu’avant les premières

« L’oralisation apparaît comme une médiation pour faire participer les morts au monde des vivants ». 16   Valette-Cagnac, E., La lecture à Rome…, p. 18. 17   Banniard, M., Genèse culturelle de l’Europe, Paris, 1989, p. 221.



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années du xiie siècle, « l’école de Charlemagne » ait eu une quelconque réalité18. Pour un enfant du Moyen Âge central, apprendre à lire, c’est dans un premier temps apprendre l’alphabet. Il en recopie chacune des lettres sur sa tablette, en apprend le nom et le son19. Reprenant la technique antique, l’enfant apprend ensuite les syllabes, puis les mots que l’on transcrit afin d’y reconnaître chacune des lettres20. L’enfant se trouve alors dans un statut intermédiaire : il sait écrire (ou plus exactement tracer des signes), mais ne sait pas lire le contenu de son texte. Quand l’élève sait reconnaître les lettres et former les mots, il doit lire le Psautier dans son intégralité. Comme dans l’Antiquité, l’apprentissage repose donc sur la mémorisation. Il constitue la première étape de la formation scolaire de l’enfant et la condition préalable à l’enseignement des autres disciplines. Grâce à cette formation, le nombre des lecteurs augmente fortement entre le xe et le xiie siècle. Jusqu’à cette date, le religieux est le lecteur médiéval par excellence21. Il a l’expérience la plus complète de la lecture puisqu’elle est à la fois une nécessité liturgique, une source de méditation, la condition de la connaissance et une forme de travail personnel. La multiplication des supports de l’écriture permet d’autre part le développement de la lecture personnelle, silencieuse, servant à l’étude, au divertissement ou à la spiritualité. La lecture vocalisée ne disparaît pas pour autant ; la liturgie l’impose et la diffusion aléatoire de la lecture l’exige sans aucun doute. De plus, on aime à entendre les textes des grands auteurs lus à haute voix, dans les cercles princiers notamment. La naissance du système scolastique d’enseignement fait de la lecture un exercice scolaire et universitaire, régi par des lois. On écoute la lecture faite par le maître tout en suivant des yeux le texte sur son propre exemplaire. Puis, pour parfaire l’étude, on lit le même 18   Admonitio generalis, c. 72, MGH, Legum, Capitularia regum francorum, éd. A. Boretius, Hanovre, 1883, t. 1, p. 60. Trad. [Riché, P., Écoles et enseignement…, p. 353] : « Que les prêtres attirent vers eux non seulement les enfants de condition servile, mais aussi les fils d’hommes libres. Nous voulons que des écoles soient créées pour apprendre à lire aux enfants ». 19   Cette scène a connu de nombreuses manifestations iconographiques dans les manuscrits médiévaux. On la retrouve également dans un des vitraux de la cathédrale de Bourges. Au registre inférieur de la baie présentant la vie de saint Nicolas, on voit le saint enfant tenir dans ses mains une petite tablette double. Sur celle-ci sont transcrites en petits caractères noirs les premières lettres de l’alphabet latin, en belles majuscules onciales. 20   Riché, P., Éducation et culture…, p. 373. 21   P. Riché a pu établir, d’après les règles monastiques, que les moines lisent seuls, à la bibliothèque ou dans leur cellule, en moyenne vingt heures par semaine. Il faut ajouter à cela les lectures lors des Offices ou au réfectoire. Riché, P., Éducation et culture..., p. 101.



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texte ou des passages d’autres livres. Les aménagements graphiques du texte (séparations des mots, séparation des phrases et des paragraphes, uniformisation de la paléographie, systématisation de la ponctuation, etc.) favorisent une lecture rapide et silencieuse, tournée vers l’étude et la consultation du texte22. Dans le domaine scolastique, la lecture n’est plus une fin en soi ; elle est un moyen pour accéder à la connaissance et une forme de communication. La diversification des formes de lecture repose également sur la mise à disposition plus importante des livres, reproduits et diffusés en grande quantité à partir du xiie siècle. La documentation écrite se répand peu à peu dans un grand nombre de domaines de la vie courante (économie, commerce, divertissement, administration, etc.), augmentant dans le même temps les occasions de lecture23. La familiarité des lecteurs potentiels avec le texte ne fait qu’augmenter, même si la capacité de lire véritablement le document reste sans doute plus aléatoire. La connaissance des inscriptions s’insère dans un tel schéma grâce à la croissance du nombre des textes à partir de la fin du xiie siècle. Certes la situation et la forme de l’inscription ne permettentelles pas toujours de supposer une lecture effective, mais elle reste l’occasion pour le lecteur médiéval d’exercer sa familiarité avec l’écriture pour reconnaître et/ou déchiffrer le message épigraphique. La fin du Moyen Âge connaît ainsi une véritable diversité des formes et des conditions de la lecture qui dépendent étroitement du public, de sa formation, mais surtout de son expérience directe des productions écrites. La connaissance du public épigraphique est encore compliquée par la nature particulière de l’inscription.

22   Saenger, P. « Manières de lire médiévales… », p. 150 : « La composition des ouvrages change et s’adapte aux lectures silencieuses en milieu universitaire ». 23   Pragmatic Literacy. East and West. 1200-1330, éd. R. Britnell, Woodbridge, 1997.



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La lecture dans la communication médiévale Pour Armando Petrucci, l’étude de la lecture est « l’étude des techniques et des comportements, individuels ou collectifs, face à l’acte de lire envisagé tout à la fois sous son aspect psycho-physique, culturel et social1 ». Grâce à cette méthode, on peut avoir une vision globale du phénomène de la lecture et l’intégrer au système culturel dans lequel il se met en place. La lecture n’est alors plus une pratique intellectuelle autonome, mais devient révélatrice des données culturelles de son époque et traduit, dans son fonctionnement, la place sociale de l’écrit. L’étude de la lecture au Moyen Âge se base quant à elle sur trois éléments. Elle s’appuie tout d’abord sur les données concernant son enseignement à travers les méthodes d’apprentissage (manuels scolaires et programmes des cours) ou les expériences d’enseignement (textes narratifs, iconographie)2. Elle s’appuie ensuite sur les sources présentant des expériences concrètes de lecture (individuelle ou collective) dans des textes narratifs (chroniques, mais surtout les textes hagiographiques) et de nombreux documents iconographiques, notamment pour la fin du Moyen Âge. Ces récits sont cependant d’interprétation difficile pour une description empirique, leur contenu subissant les distorsions induites par la narration. L’étude de la lecture au Moyen Âge peut enfin avoir recours à l’examen de la documentation à la disposition des lecteurs, principalement grâce à l’analyse des catalogues des bibliothèques ou des documents de la pratique qui listent les biens d’un particulier (testaments, inventaires, etc.). Cette démarche présente également de grandes difficultés méthodologiques puisqu’elle implique la reconstruction de ces ensembles textuels pour déterminer, à partir de ses lectures, le profil d’un lecteur unique. Les sources utilisées dans ces différentes démarches concernent principalement la lecture des livres. S’il est sans doute le support le   Petrucci, A., « Lire au Moyen Âge », p. 603.   Voir l’exposition « L’école au Moyen Âge » dirigée par Danièle Alexandre-Bidon à Paris (Tour Jean sans Peur, 2008). 1 2



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plus courant de l’écrit, il ne forme qu’une partie de la documentation textuelle. Face à la diversité des produits de l’écriture au Moyen Âge, les études évoquées jusqu’ici présentent donc une histoire de la lecture des livres, et non pas de la lecture en général. Les sources n’évoquent qu’à de très rares exceptions la lecture des textes inscrits sur les supports épigraphiques, sur les sceaux ou sur les monnaies, le passage extrait du roman de Chrétien de Troyes cité dans l’introduction faisant figure d’apax. De même les sources ne rapportent-elles que peu d’expériences concrètes de lecture des documents de la pratique, malgré le nombre de textes conservés et en dépit de l’importance de leur utilisation quotidienne. Par conséquent, l’image de la lecture telle que la transmettent les sources médiévales est partielle et concerne principalement le cadre de la connaissance et du savoir, la plupart du temps dans les bibliothèques des universités, des écoles monastiques, des cabinets privés ou des scriptoria. Les sources médiévales font rarement état de la lecture comme d’un moyen de communication, visant la promotion d’une information par sa transmission écrite et publicitaire. Même si des ouvrages plus généraux sur l’histoire médiévale évoquent les textes épigraphiques et leur rôle dans la promotion d’une information, ils ne posent en rien la question de la lecture des inscriptions et ce qu’elle implique d’un point de vue culturel. Dans son essai fondamental sur le Moyen Âge et la mort, Ph. Ariès proposait en 1977 une analyse tout à fait convaincante de l’utilisation de l’épitaphe dans la constitution des monuments funéraires3 mais l’auteur ne pose aucun principe concernant les modalités réelles de la lecture des inscriptions. L’argumentation se trouve dès lors amputée de toute une partie de sa pertinence. Seul A. Petrucci évoque, sans doute en raison de son intérêt pour l’épigraphie, le rôle des inscriptions médiévales dans la familiarité du public avec les produits de l’écriture4.

La lecture face aux réalités culturelles Au cours des dernières années, la psychologie de la cognition a pu mettre en évidence les différentes données techniques de la lecture5.   Aries, Ph., L’homme devant la mort, Paris, 1977, p. 201-204, 213-227 et 287-290.   Petrucci, A., Jeux de lettres…, p. 15 ; voir aussi id., « Lire au Moyen Âge », p. 607-608. 5   La bibliographie sur le sujet est considérable. Le développement de l’enseignement de la psychologie à l’Université (et notamment de la psychologie de l’enfant) a entraîné une très forte augmentation du nombre des ouvrages publiés sur l’apprentissage, les mécanismes 3 4



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Exprimées en termes scientifiques contemporains, les conclusions des psychologues semblent difficilement transposables dans un autre domaine, et encore moins dans une autre époque historique. Or, en décrivant la réalité intellectuelle d’un point de vue clinique, ces derniers ont exprimé des concepts universels, inhérents au fonctionnement de l’esprit humain, quelle que soit sa culture ou son environnement historique. La nature du document lu détermine en revanche certains mécanismes : on ne lit pas de la même façon une enseigne publicitaire, la page d’un livre de poche, les signes gravés à la façade d’un bâtiment civil et les gros titres d’un journal ; on ne lit pas non plus de la même façon une charte, un livre d’Heures miniature, un livre de chant, une épitaphe de petite taille et une inscription monumentale transcrite à la façade d’une église. En revanche, au Moyen Âge comme de nos jours, le mécanisme intellectuel est bien le même : l’œil commence par percevoir un ensemble de caractères, qu’il parcourt ensuite pour reconnaître chacun des signes et reconstituer mentalement une information interprétée par le cerveau6. Cognition, transmission et mémoire sont les trois grands concepts qui définissent, de façon théorique, le contenu du processus de lecture. Dans la pratique, ses modalités sont déterminées par la forme du texte, par les conditions de l’apprentissage et le niveau de maîtrise de la lecture, par le statut de l’écrit, bref par les spécificités culturelles de l’époque dans laquelle s’inscrit le lecteur. Avant d’envisager les conditions réelles de la lecture au Moyen Âge, il faut analyser rapidement les constantes du phénomène et leurs implications dans la confrontation à la documentation médiévale. Lecture et cognition La première condition à l’efficacité de la lecture est la perception des signes inscrits. C’est le temps de la prise de possession du texte par le lecteur, qui intègre, par les sens, une donnée empirique (la page d’un codex, un feuillet de parchemin, une surface lapidaire, etc.) ainsi que les signes graphiques qui l’accompagnent. La prise de poset les troubles de la lecture. À titre d’orientation, nous renverrons à quelques ouvrages fondamentaux pour leur vocation synthétique. En premier lieu, voir sans doute la référence principale : Rayner, K., Pollatsek, A., The Psychology of Reading, Prentice, 1989. Voir aussi Fayol, M., Psychologie cognitive de la lecture, Paris, 1992, ainsi que Ecalle, J., Magnan, A., L’apprentissage de la lecture. Fonctionnement et développements cognitifs, Paris, 2002, en particulier p. 11-25 et 57-85. 6   Baccino, T., Colé, P., La lecture experte, Paris, 1995, p. 3.



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session du texte ne distingue pas, dans un premier temps, l’écriture de son support ; la première phase de la lecture ne perçoit pas un texte, mais un objet textuel, c’est-à-dire l’association du support et des éléments graphiques qui composent le texte proprement dit. Prendre possession du texte, c’est d’abord voir le texte. L’activité de la vue durant la lecture est extrêmement complexe. En modélisant les déplacements et les pauses de l’œil, en identifiant les zones les plus réceptives de la rétine et en analysant les cadences de lecture et les distorsions éventuelles7, les analyses récentes placent les sens en amont de toute interprétation intellectuelle et font de la première phase de la lecture une donnée de l’expérience sensorielle. Partant, on doit admettre que toute personne douée des facultés sensorielles de la vue devient potentiellement un lecteur, ou - du moins - un percepteur du texte. La capacité de prendre possession du texte est une donnée universelle, liée à l’équipement sensitif de chaque individu, que celuici vive à la fin du Moyen Âge ou au début du xxie siècle. L’époque médiévale avait conscience de l’activité des yeux dans la lecture8. Si saint Augustin s’étonne de voir lire Ambroise sans bouger les lèvres, il ne s’étonne en rien de voir ses yeux parcourir la page du livre9. Bien plus, le Moyen Âge a fait de la lecture une activité de tout le corps. Les yeux parcourent le texte, les mains prennent conscience de l’étendue et de la nature de son support ; les lèvres articulent à voix basse les mots et les phrases pendant que le doigt suit la ligne sur la page. L’opposition traditionnelle entre lecture silencieuse et lecture articulée ne doit pas limiter l’activité de la vue et des autres sens dans la première phase de la lecture. Au contraire, on sait qu’avec le développement de la lecture silencieuse à la fin du Moyen Âge, les pages des manuscrits seront conçus comme de véritables compositions destinées à être vues autant que lues10.

  Baccino, T., Colé, P., La lecture experte …, p. 17-22.   Saenger, P., « Manières de lire… », p. 150 : « La lecture médiévale se caractérise par une grande mobilité de l’œil par rapport aux autres organes qui composent les différents aspects de la lecture classique à voix haute ». 9   Augustin, Confessions, éd. Skutella, M. et trad. Tremorel, E. et Bouissou, E., Paris, 1962, 2 vol. (Bibliothèque augustinienne, 13), VI, III, 3, p. 523 : Sed cum legebat, occuli ducebantur per paginas et cor simabatur, vox autem et lingua quiescabant. Trad. : Mais quand il lisait, les yeux parcouraient les pages et le cœur comprenait le sens, tandis que la voix et la langue restaient en repos. 10   Saenger, P., « Manières de lire… », p. 151. 7 8



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La perception du contexte repose elle aussi sur l’activité sensorielle, principalement sur la vue et le toucher. Le percepteur d’un texte voit les éléments qui l’entourent, en mesure les implications spatiales11. Ainsi le percepteur d’une page de manuscrit fait-il connaissance par la vue avec la situation précise du signe dans l’espace, avec l’éventuelle iconographie qui accompagne le texte, avec le codex dans son intégralité. Il ressent, par le toucher, la qualité du parchemin, juge la fabrication et mesure l’ensemble du savoir-faire mis en œuvre dans la constitution du livre. De la même manière, le percepteur d’une inscription en appréhende par la vue le contexte : il prend connaissance de l’espace qui l’accueille, mesure l’étendue et la qualité du support. Par le toucher, il saisit la finesse des tracés et l’élégance des lignes dans le cas d’un support lapidaire, ou la qualité du poli dans le cas des métaux. Grâce aux données de l’expérience, le lecteur connaît le contexte de l’objet de sa lecture et en alimente la signification. Les études contemporaines sur l’acquisition du langage prennent soin de distinguer le concept de cognition de l’idée de connaissance. La connaissance, donnée culturelle, est le résultat, tandis que la cognition, donnée technique et pratique, est le moyen d’y parvenir. Le cas de la lecture met parfaitement en jeu ces deux notions en deux moments distincts. Le contact sensible avec le texte relève de la cognition, alors que la lecture effective relève de la prise de connaissance du contenu et de son interprétation. La cognition du texte suppose la reconnaissance visuelle des signes inscrits sur le support matériel. Cette étape, la «  phase de codage », consiste à extraire les propriétés graphiques de chacun des signes perçus sur la page de parchemin ou sur la dalle de pierre, et à les distinguer des autres éléments signifiants du contexte : données iconographiques (illustration marginale, miniature, initiales historiées dans le cas des manuscrits ; représentation plastique, référent peint, décor du support dans le cas des inscriptions), données ornementales (entrelacs, filigranes, motifs végétaux, compléments paléographiques) et données techniques (réglures, justification des marges, ponctuation) 12. Le procédé de cognition est une action pratique qui fait d’un objet composé de multiples éléments d’infor11   Les études de Roy Harris sont sans aucun doute celles qui ont exprimé cette idée avec la plus grande clarté et la plus grande pertinence. Voir Harris, R., La sémiologie de l’écriture…, p. 139 : « L’élément le plus important dans l’intégration contextuelle du signe écrit est sans doute son emplacement visuel ». 12   Baccino, T., Colé, P., La lecture experte…, p. 5.



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mation (les signes), une donnée simple (un système) qui pourra être appréhendée en tant que texte et soumise à une lecture effective. La cognition d’un texte présuppose un certain nombre d’acquis. Il faut en effet que le percepteur du texte soit en mesure de re-connaître certains signes et de les identifier comme des éléments constitutifs du texte, qu’il soit manuscrit ou épigraphique. Il doit posséder une relative familiarité avec les lettres de l’alphabet. Si l’on emploie à dessein le terme familiarité pour distinguer la reconnaissance visuelle de signes graphiques de la connaissance du nom et du son des lettres, c’est qu’il s’agit là de deux niveaux distincts dans la maîtrise de l’écriture et de la lecture d’une langue donnée. Aujourd’hui, chacun trace, connaît et sait reconnaître l’alphabet latin de vingt-six lettres. Certains ont la même maîtrise de l’alphabet grec, de l’alphabet cyrillique ou des alphabets chinois et japonais. En dehors de ces exemples toutefois assez rares, beaucoup sont capables de reconnaître les signes, tracés dans un alphabet différent, dont ils ne connaissent pourtant ni le nom ni la prononciation. Dans un monde qui annulent les distances matérielles entre les cultures et qui met à la disposition de l’homme occidental les richesses intellectuelles d’autres peuples, la confrontation avec des systèmes de communication est, au-delà de l’enrichissement qu’elle procure, inévitable. Si elle s’expose en d’autres termes, la réalité médiévale n’est pas complètement différente sur le principe de fonctionnement. D’ailleurs, pour la population du Moyen Âge, la situation est plus simple. La très grande majorité de la documentation est transcrite grâce aux signes de l’alphabet latin et la diffusion des autres alphabets (principalement, l’alphabet grec) est extrêmement limitée ; les lecteurs ayant été confrontés à des codes différents sont très rares avant l’extrême fin du Moyen Âge13. Aussi s’agit-il pour le percepteur d’un texte de reconnaître la lettre au sein des autres signes graphiques. Pour cela, il doit en avoir fait l’expérience sensible, c’est-à-dire avoir vu les lettres. Il ne s’agit pas de pouvoir les nommer ou même les vocaliser ; il suffit de pouvoir repérer la forme particulière d’un signe dans un contexte déterminé. Une telle familiarité s’acquiert théori13   Nous faisons ici exception de certains milieux culturels particuliers où la coexistence de plusieurs codes graphiques est attestée  : les bibliothèques monastiques possédant des manuscrits grecs ou hébreux, les territoires connaissant plusieurs cultures distinctes (sud de l’Espagne, extrême nord de l’Europe, etc.).



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quement dans la première phase de l’apprentissage de la lecture, pendant laquelle l’enfant trace lui-même l’alphabet en le recopiant à partir de modèles, sans doute affichés ou présentés par le maître14. Il s’agit d’un procédé graphique et en aucun cas d’une quelconque activité de lecture. P. Riché, en rapportant les propos de Grégoire de Tours, cite d’ailleurs l’exemple d’un individu qui, ne sachant pourtant pas lire, recopie les textes qu’il voit bien plus qu’il ne les lit sur des tableaux ou dans des livres15. Si la diffusion de l’apprentissage de la lecture au Moyen Âge était une réalité universelle et surtout uniforme au sein de la société, le passage dans les mains du maître suffirait à accorder à chaque individu une familiarité suffisante, voire une connaissance exhaustive, des lettres de l’alphabet. Or, au moins jusqu’au xve siècle, l’accès à l’enseignement primaire est aléatoire et dépend du niveau social, du lieu de résidence et de la disponibilité des maîtres. Si A. Petrucci a écarté la démarche quantitative de ses études, il pose toutefois comme principe qu’au haut Moyen Âge, une part extrêmement réduite de la population médiévale reçoit effectivement une initiation à la lecture16. Beaucoup de médiévaux restent encore en dehors de ce processus aux xive- xve siècles. Pour eux, la familiarité avec les signes ne provient pas d’un quelconque enseignement, mais ils la reçoivent directement de leur expérience concrète des produits de l’écriture, produits qui augmentent considérablement à partir du xiie siècle, moment où les documents écrits commencent à envahir tous les domaines de la société médiévale17. Les occasions de percevoir les textes sont de plus en plus nombreuses : contrat commercial, testament, inventaire, titre de propriété, affichage temporaire des décisions, etc. Le nombre des inscriptions, forme écrite la plus visible, augmente dans les mêmes proportions (multiplication des épitaphes, des documents établissant les modalités de la commémoration, des inscriptions énonçant les décisions des nouveaux pouvoirs civils, etc.). L’espace se couvre alors de signes que le percepteur des inscriptions peut reconnaître ; s’il a une formation minimale, il peut retrouver dans les textes les signes qu’on lui a enseignés. S’il n’a reçu aucune forme d’apprentissage, la   Riché, P., Éducation et culture…, p. 373.   Grégoire de Tours, Vitae Patrum, XII, MGH, Scriptores rerum merovingicarum, t. I, 2, éd. B. Krusch, Hanovre, 1885, p. 713. Cité par Riché, P., Éducation et culture…, p. 373. 16   Petrucci, A., « Lire au Moyen Âge », p. 607. 17   Voir en particulier Stock, B., The Implications of Literacy..., p. 124. Voir aussi Clanchy, M.T., From Memory to Written Word..., p. 87. 14 15



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vision répétée des inscriptions et/ou de l’écriture manuscrite lui permet d’acquérir la mémoire visuelle des différents signes et d’exercer de fait sa familiarité avec l’alphabet latin. Cette forme de familiarité est le niveau le plus bas de la literacy18 ; en revanche, c’est la forme la plus répandue et la plus pragmatique de la cognition des signes. Il est sans doute préférable d’employer le terme signe plutôt que celui de lettre, cette forme de literacy ne considérant sans doute pas le signe perçu comme une lettre, c’est-à-dire comme l’entité servant à former les mots. Le niveau intermédiaire de la cognition conduit en fait à isoler chaque signe constitutif, quelle que soit sa nature (lettre, chiffre, etc.). Le modèle médiéval de la cognition fait ainsi de l’action de voir le texte une phase essentielle dans la mise en place de la lecture19. Lecture et connaissance La phase qui suit la reconnaissance des signes dépend effectivement du fait que le percepteur du texte sache lire ou non, au sens contemporain du terme car il s’agit pour lui de mettre en forme les signes qu’il a extraits de l’objet en un code signifiant. Le sujet assemble alors les lettres en mots dont il cherche la signification dans un « lexique mental » préétabli20. Le lecteur confronte les données issues de son expérience sensible à des données intellectuelles, dont l’étendue repose à la fois sur une forme d’apprentissage (apprendre les mots importants, augmenter son lexique) mais également sur l’expérience même de la lecture. Plus le sujet lit de mots, plus il est capable d’en reconnaître lors de la lecture d’un texte inconnu. La reconnaissance du mot déclenche chez le lecteur un processus d’association entre sa forme physique et des données orthographiques (identification de la forme du mot), phonologiques (identification du son du mot par sa vocalisation, effective ou mentale) et sémantiques (prise de connaissance de la signification du terme)21. Après avoir pris possession du texte, le lecteur accède au sens des mots, mais pas encore aux sens des phrases. Pour cela, il doit mettre en place une autre ronde de fonctions cérébrales qui fait appel à une maîtrise supé  Valette-Cagnac, E., La lecture à Rome…, p. 18.   Manguel, A., Une histoire de la lecture…, p. 54 : « Je regarde les mots, je vois les mots et ce que je vois s’organise en fonction d’un code ou d’un système ». 20   Baccino, T., Colé, P., La lecture experte…, p. 5. 21   Ibid., p. 31-32 ; voir aussi Ecalle, J., Magnan, A., L’apprentissage de la lecture…, p. 22-23. 18 19



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rieure de l’acte de lecture. Du niveau lexical, on doit passer au niveau syntaxique, c’est-à-dire à la possibilité de relier les unités lexicales en un ensemble cohérent et significatif22. Le lecteur doit être capable de construire des enchaînements simples d’unités lexicales pour accéder au sens du texte et dépasser le sens des mots. Si la faculté de reconnaître et d’individualiser les signes qui composent un texte pouvait se passer d’apprentissage, identifier le rôle de chacun des mots dans une construction syntaxique dénote cette fois une maîtrise de la lecture. La phase qui consiste à former les unités lexicales ne doit pas être considérée comme une lecture intelligente ; elle repose en effet sur l’activité de reconnaissance. Même si elle suppose une première forme d’interprétation, elle n’en reste pas moins basée principalement sur l’expérience de la vue, la perception sensible reposant sur la mémoire et non pas sur l’interprétation. Le sujet qui perçoit un ensemble de signes fait appel dans un premier temps au contenu de sa mémoire pour retrouver la forme lexicale et l’associer par la suite à une signification. Le lecteur habile, qui maîtrise véritablement l’exercice, n’a pas conscience de la nature des premiers instants de sa lecture ; son habitude à parcourir les textes, la qualité de sa formation et, de fait, l’étendue de sa mémoire visuelle de l’image des mots, lui permettent d’associer immédiatement la forme lexicale du terme à son contenu sémantique. En revanche, on constate, chez les enfants par exemple, qu’un sujet qui connaît les lettres, qui peut les identifier et les nommer, s’arrête fréquemment au cours de sa lecture parce qu’il ne connaît pas le mot, c’est-à-dire qu’il n’en a jamais fait l’expérience sensible et qu’il est donc absent de sa mémoire visuelle23. Sans doute le Moyen Âge connaît-il une situation identique. Supposer l’acquisition de la connaissance des mots à partir de la seule familiarité avec les textes implique un lexique relativement réduit chez les lecteurs du Moyen Âge. Un bon lecteur possède aujourd’hui en mémoire environ 20 000 formes lexicales24. En prenant en compte la quantité de textes à disposition des hommes et des femmes du Moyen Âge et la nature de leur formation, on peut estimer qu’un lecteur moyen, c’est-à-dire un lecteur qui ne fait pas de la consultation des textes une activité principale (à la différence des moines, des 22   Baccino, T., Colé, P., La lecture experte…, p. 71 : « Les phrases constituent de façon évidente des unités importantes de la lecture qui correspondent à ce que l’on pourrait appeler des unités d’idée ». 23   Ecalle, J., Magnan, A., L’apprentissage de la lecture…, p. 35. 24   Baccino, T., Colé, P., La lecture experte…, p. 31.



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notaires, des copistes,…) possède moins de 5 000 formes en mémoire. Un tel chiffre est sans doute suffisant pour un recours pratique à la lecture, dans le cadre de la communication quotidienne et de l’usage pragmatique de l’écriture25. De fait, la documentation témoigne d’un lexique peu étendu. La codification formelle des documents diplomatiques ou commerciaux, la construction formulaire des inscriptions funéraires ou le vocabulaire technique des textes de loi limitent forcément la diversité lexicale. Les épitaphes qui courent autour des plates-tombes de la fin du Moyen Âge comptent généralement entre 40 et 60 mots, en comptant les données indépendantes du formulaire. Une expérience menée sur les textes des plates-tombes produites entre 1200 et 1400 pour le Centre de la France (Eure-et-Loir, Cher, Loiret, Loir-et-Cher), soit près de 120 textes, montrent un bilan total de 325 formes différentes. Si on fait abstraction du nom et des données personnelles des défunts, le chiffre tombe à moins de cent mots. Avec une centaine de formes en mémoire, les lecteurs étaient donc en mesure d’avoir accès à la quasi-totalité de la documentation épigraphique funéraire. La phase de reconnaissance lexicale des mots repose sur une expérience sensible et sur la mémorisation des données, et constitue un va-et-vient constant entre les réalités empiriques et les traces qu’elles ont laissées dans la mémoire. Le schéma primaire de la lecture est donc un procédé cognitif simple qui attribue une signification (sens du mot) à un objet matériel (forme du mot). En termes sémiotiques, la lecture est donc d’abord l’association mentale du signifiant (forme du mot) et du signifié (sens du mot). Pour la plupart des hommes et des femmes du Moyen Âge, cette phase primaire est sans doute la forme la plus courante de lecture. Un niveau de connaissance plus poussé du texte consiste à assembler les unités lexicales reconnues et assimilées par le lecteur en un système syntaxique complexe. C’est la phase de construction du texte, reposant sur l’attribution à chacun des mots d’une fonction particulière. Dans la première phase, chaque mot avait une autonomie propre. Sa valeur sémantique suffisait à le faire exister en tant qu’élément signifiant. Dans la construction d’une phrase, chaque mot revêt un statut particulier qui dépend de sa fonction au sein de l’assemblage

  Pragmatic Literacy..., p. 52-75.

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syntaxique26. Il s’agit d’une phase d’interprétation, l’attribution de telle ou telle fonction dépendant d’un code déterminé par la nature même du langage. Ce code varie en fonction de la langue du texte : l’utilisation de la déclinaison, en latin ou en allemand par exemple, affecte la forme lexicale en fonction de son rôle dans la phrase. Dans d’autres cas, c’est la position des mots qui aide à l’attribution de telle ou telle fonction : le verbe à la fin de la phrase en latin classique et dans certaines propositions en allemand, l’enchaînement traditionnel sujet-verbe-complément en français, etc. L’acquisition de ce code passe par l’apprentissage des règles de la construction syntaxique, et suppose donc une formation, l’habitude de lire les textes et la familiarité avec les documents ne pouvant en aucun cas suffire. De nos jours, les méthodes globales d’apprentissage de la lecture permettent de synchroniser l’acquisition des différentes composantes. En revanche, on a longtemps désolidarisé les différentes étapes, y compris au Moyen Âge. Les élèves passaient par un état intermédiaire durant lequel ils ne connaissaient d’une langue que les lettres de son alphabet et les mots de son lexique. Si cela n’empêchait pas d’avoir recours à la lecture, il est probable que la compréhension des textes lus ait été relativement réduite. On constate encore ce phénomène de nos jours chez les enfants souffrant de difficultés pour lire des textes simples. Si la lecture est relativement fluide, c’est-à-dire si la reconnaissance des mots et leur vocalisation sont correctes, la compréhension même du texte est plus difficile : certains élèves ne comprennent rien de ce qu’ils lisent, ou, du moins, une grande partie du contenu échappe à leur esprit27. Du domaine de la cognition, on passe au champ de la connaissance. L’étape d’analyse de chacun des éléments permet en effet d’acquérir le sens réel de la phrase. C’est l’interprétation sémantique globale du message documentaire, et donc la phase de lecture intelligente, telle qu’on l’entend aujourd’hui. L’étape de reconnaissance des mots permettait de prendre conscience des thèmes du texte ; la lecture effective les met en relation pour établir un message cohérent. Le lecteur reconstitue les différents éléments de la phrase, en déter-

  Baccino, T., Colé, P., La lecture experte…, p. 71 : « Le sens d’une phrase est fonction d’une interaction complexe entre le sens des mots et les relations syntaxiques entretenues par ceux-ci ». 27   Approche cognitive des troubles de la lecture et de l’écriture chez l’enfant et l’adulte, dir. S. Carbonnel et alii, Marseille, 1996, p. 214-219. 26



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mine le sujet et interprète la teneur de la séquence (description, ordre, demande, etc.). L’efficacité dans l’interprétation ne repose pas forcément sur une lecture complète et fluide. Les yeux ne repèrent pas tous les mots d’un texte mais concentrent leur activité sur quelques points précis et en déchiffrent les signes ; le lecteur reconstruit alors les mots de cette zone et interprète à partir de là le message du texte, d’où la possibilité de commettre des erreurs d’interprétation lors d’une lecture précipitée28. On peut donc accéder à la substance d’un message textuel grâce à la lecture effective d’une partie seulement des mots qui le composent, ce qui réduit encore le nombre de termes indispensables à l’efficacité de la lecture. Une telle conclusion met l’accent sur l’existence de mots forts, d’expressions clefs qui fournissent la quasi-totalité des données d’un texte. En concentrant son attention sur ces quelques mots et en les interprétant correctement, un lecteur moyen peut comprendre un texte simple. Sans doute une partie de la richesse lexicale ou des tours rhétoriques lui échappe-t-elle, mais, dans un procédé de communication, l’efficacité de la lecture repose avant tout sur l’acquisition de la teneur du message et non pas sur ses compléments formels. Cela ne concerne cependant pas les textes dont la caractéristique principale est justement la recherche dans la construction et dans lesquels le message peut disparaître complètement derrière les effets rhétoriques. Pour saisir toute la substance d’un texte poétique par exemple, il faut en effet être un lecteur habile et pouvoir repérer les nuances de lexique et la richesse de la construction syntaxique, et ainsi profiter pleinement du message et de la beauté de la composition. La forme codifiée et pragmatique de la plupart des documents médiévaux renforce l’importance des expressions clefs. Grâce à ces quelques termes, l’essentiel du contenu du texte apparaît au lecteur qui, même avec une formation extrêmement simple, peut saisir le message. La plupart des occasions de lecture à la fin du Moyen Âge ne sont pas des actions complexes de syntaxe et de grammaire, mais plutôt des actes simples de communication. La capacité de lecture est ainsi relative ; elle dépend certes des facultés du lecteur, de sa formation et de sa familiarité avec les textes, mais surtout de la forme du document et de sa fonction. Si le texte est véritablement un outil de 28   Baccino, T., Colé, P., La lecture experte…, p. 9 : « Lire une page de texte ne suppose pas la capacité de distinguer précisément tous les mots d’une page ».



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communication, s’il transmet une information simple, le lecteur repère les mots essentiels et interprète le message en cherchant au cœur du document les données pratiques qu’il doit retirer de sa consultation.

Théories, formes et pratiques de la lecture au Moyen Âge Les réflexions d’ordre physiologique et la neuroscience se placent dans un contexte contemporain, où la lecture et l’écriture sont des phénomènes très majoritairement acquis par la plupart des sujets. À ce titre, les différentes études n’envisagent jamais un état intermédiaire de lecture mais décrivent au contraire la phase de découverte et d’apprentissage, dans le cadre de la famille d’abord, à l’école ensuite, puis la maîtrise complète de la lecture, considérée comme une norme. Elles étudient les défauts de lecture, en mesure les insuffisances chez les jeunes enfants en phase d’apprentissage. Les recherches ne conçoivent, chez la majorité de leurs contemporains, qu’une seule forme de lecture qu’ils se doivent de posséder pleinement pour accéder à la documentation foisonnante du début du xxie siècle, quelle que soit sa forme. La lecture à travers les textes Le Moyen Âge a-t-il développé des réflexions (théoriques ou pratiques) autour du concept de lecture ? C’est la question que l’on doit se poser avant toute tentative de reconstruction de la lecture médiévale, car le fait que les intellectuels se soient livrés ou non à une entreprise de systématisation de la lecture est en partie révélateur de son statut réel. Si l’on fait exception du Didascalicon29, traité écrit par Hugues de Saint-Victor autour de  1120, il n’existe pas d’ouvrages médiévaux traitant spécifiquement de la lecture, de ses méthodes et de ses fonctions. En dépit de son titre, le texte d’Hugues de SaintVictor n’est d’ailleurs pas une réflexion sur la lecture elle-même, mais plutôt un manuel pour étudier correctement le texte de l’Écriture. Hugues précise « qu’il existe principalement deux moyens pour se

  La dernière édition de ce texte est l’excellente version publiée aux éditions du Cerf. Hugues de Saint-Victor, Didascalicon, texte introduit, traduit et annoté par M. Lemoine, Paris, 1991 (Sagesses chrétiennes).

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former à la science : la lecture et la méditation. La lecture occupe la première place dans les études »30. De façon générale les textes du Moyen Âge ne proposent pas de définition simple de ce qu’on entend par l’acte de lire et, chez les encyclopédistes, la lecture est toujours décrite en relation avec des pratiques particulières. Isidore de Séville place ainsi toutes les réflexions lexicales autour de la racine legere dans le champ de la liturgie, affirmant par exemple que « la lecture s’appelle ainsi parce qu’elle ne se chante pas – ça peut être un psaume ou une hymne – mais se lit simplement »31. De fait, chez Isidore comme chez ses successeurs, les considérations les plus intéressantes sur la lecture se trouvent dans la dérivation de la racine littera : « Les lettres ont tellement de pouvoir que, sans l’aide de la voix, elles nous transmettent les paroles de personnes absentes »32. Au xiie siècle, Jean de Salisbury énoncera des conclusions du même ordre dans le Metalogicus : « Les lettres sont d’abord les indices des sons, puis les indices des choses qui apparaissent à l’esprit par les fenêtres des yeux »33. La lecture des lettres permet ainsi de prendre connaissance d’une information en l’absence de la personne qui émet le message. Si Isidore insiste sur le terme dicta, c’est qu’il envisage la lecture comme une performance orale du texte, et ce, qu’elle ait lieu en contexte liturgique ou dans le cadre d’une pratique personnelle. Chez Isidore, la lettre et le mot (et par extension la lecture) appartiennent au domaine de l’oralité34. Lire, c’est donc avant tout lire un texte à un auditoire. Isidore de Séville définit ainsi le lecteur comme celui qui communique au peu-

30   Ibid., p. 62 : Duae praecipilae res sunt, quibus quisque ad scientiam instruitur : videlicet lectio et meditatio, quibus lectio priorem in doctrina obtinet locum. 31   Isidore de Séville, Etymologiarium, éd. par M.W. Lindsay, Oxford, 1957 (1ère éd. : 1911), 2 vol., livre VI, chap. 19, § 9 : Lectio dicitur quia non cantatur ut psalmus vel hymnus, sed legitur tantum. 32   Ibid., livre I, chap. 3, § 1 : Litterae autem sunt indices rerum, signa verborum, quibus tanta vis est, ut nobis dicta absentium sine voce loquantur. 33   Jean de Salisbury, Metalogicon, éd. J.B. Hall, Turnhout, 1991 (Corpus christianorum, CM 98), livre I, chap. 13 : Litterae autem, id est figurae primo vocum indices sunt, deinde rerum, quas animae per oculorum fenestras opponunt. 34   Ibid., livre IX, chap. 1, § 2 : Linguae autem dictae in hoc loco pro verbis quae per linguam fiunt, genere locutionis illo quo is qui efficit per id quod efficitur nominatur ; sicut os dici solet pro verbis, sicut manus pro litteris. Trad. : Dans ce contexte, nous employons le terme langue dans le sens de mot qui s’exprime à travers un langage, selon la forme orale dans laquelle une chose s’exprime ou se réalise ; en ce sens on a l’habitude de dire bouche à la place de mots, ou main à la place d’écriture.



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ple le contenu de la doctrine de l’Église35. Le terme latin lector ne renvoie pas directement à notre lecteur contemporain, mais à un ordre dans la hiérarchie ecclésiastique. Isidore décrit sa fonction, mais surtout ses aptitudes à susciter dans l’auditoire des émotions et des réactions36. Raban Maur, en reprenant en partie les textes d’Isidore, fait du lecteur le diffuseur de la parole de Dieu37 ; il est un relais entre le peuple et le texte sacré, palliant la diffusion limitée de la lecture chez les plus humbles38. La fonction du lecteur est d’autant plus importante en raison de la nature du texte sacré, qui contient matériellement, dans la lettre même, la grandeur de Dieu et participe de sa toute-puissance ; « Dieu est présent non seulement dans les mots simples, mais également dans la conjonction des mots des prières », disait Alcuin à ce sujet39. Dans le monde monastique, la lecture à voix haute est omniprésente. En dehors de l’activité liturgique, les moines sont accompagnés tout au long de la journée par les paroles prononcées par un de leur frère, occupé à faire la lecture, comme le précisait la Regula magistri : « Donc, pendant ces trois heures, on se fera la lecture et on s’écoutera mutuellement, et l’on enseignera les lettres et les psaumes aux ignorants à tour de rôle. […] Et toutes les fois qu’un groupe de frères se trouvera au même travail – en tout temps, dans les deux saisons de l’année, on doit procurer cela à ceux qui travaillent – un lettré lira chaque jour une lecture tirée de n’importe quel livre40 ». La lecture des textes sacrés constitue la condition pour que l’esprit de l’auditeur 35   Ibid., livre VII, chap. 12, § 24 : Lectores a legendo, psalmistae a psalmis canendis vocati. Illi enim praedicant populis quid sequantur. Trad. : En lisant, ils reçoivent le nom de lecteur, comme les psalmistes sont ceux qui chantent les psaumes. Les premiers lisent au peuple la doctrine qu’il doit suivre. 36   Ibid. : Licet et quidam lectores ita miseranter pronuntiant, ut quosdam ad luctum lamentationemque conpellant. Trad. : Même si certains lecteurs qui récitent avec un tel pathétisme peuvent susciter l’émoi chez certains. 37   Raban Maur, De clericorum institutione, PL CVII, col. 305, livre I, chap. 11 : Sunt ergo lectores qui verbum Dei praedicant. Trad. : Les lecteurs sont donc ceux qui proclament le verbe de Dieu. L’auteur appuie son exposé sur la citation d’Is LVIII, 1 : Clama, ne cesses, quasi tuba exalta vocem tuam. Trad. : Crie à pleine gorge, ne te retiens pas. / Fais sonner ta voix comme une trompette. 38   Raban Maur emploie d’ailleurs dans le même texte l’expression coram plebe tradit eis codicem apicum divinorum ad Dei verbum annuntiandum. PL CVII, col. 305. 39   Alcuin, Dialogue sur la rhétorique et les vertus, éd. PL CI, col. 940. Chap. « De elocutione » : nam in singulis verbis, et in conjunctione verborum Deus orationis constat. 40   Regula Magistri, éd. et trad. De Vogüé, A., Paris, 1964, 3 vol. (Sources chrétiennes, 105107), chap. 50, § 15 et 28 : Ergo in his tribus horis inuicem et legant et audiant, vicibus litteras et psalmos ignorantibus ostendant. […] Et in quo opere semper maior fratrum laborantium numerus fuerit, quod semper in utroque tempore debet laborantibus exhiberi, cujusvis codicis lectio cottidie ab uno litterato legatur.



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ne s’égare pas dans de vaines pensées : « Si nous avons ordonné de faire chaque jour la lecture à ceux qui travaillent, c’est pour que, fermant la bouche aux paroles mauvaises, écoutant et disant les paroles bonnes, nous ne péchions jamais41. » La Règle de saint Benoît place, quant à elle, la lecture sur le même plan que le travail manuel et loue son aptitude à combattre l’oisiveté et à favoriser la méditation42. Cette lecture monastique est avant out une lectio divina ; elle constitue, au moins jusqu’au xiie siècle, la très grande majorité des mentions de lecture à voix haute. Par la suite, les changements dans les méthodes d’enseignement, notamment dans le cadre universitaire, conduisent à la mention de la lecture des textes philosophiques, scientifiques ou techniques qui sont commentés par le maître. Le développement de la prédication conduit lui aussi à la lecture à haute voix de textes d’édification devant un auditoire de fidèles plus ou moins familiarisés avec la culture écrite. Si des textes de nature non scripturaires et non patristiques apparaissent au haut Moyen Âge, il s’agit de mettre en garde contre le danger de certaines lectures. Ainsi saint Jérôme expose-t-il, dans une lettre au pape Damase, le risque qu’il existe à se tourner vers les écrits des philosophes et des poètes païens43. Au xiie siècle, Hugues de Saint-Victor fait d’une telle restriction la priorité du Didascalicon. Son traité doit en effet enseigner à ceux qui désirent augmenter leurs connaissances la méthode de lecture mais surtout les œuvres vers lesquelles se tourner44. La plupart des règles monastiques soumet à ce titre le choix des lectures des moines à l’approbation de 41   Ibid., chap. 50, § 29 : Ideo enim ordinavimus cottidie laborantibus legi, ut cum a malis tacemus, de bonis audimus et loquimur, numquam peccemus. 42   La Règle de saint Benoît, trad. De Vogüé, A., Paris, 1972, t. II (Sources chrétiennes, 182), chap. 48, § 1 : Otiositas inimical est animae, et ideo certis temporibus occupari debent fraters in labore manuum, certis iterum horis in lectione divina. Trad. : L’oisiveté est ennemie de l’âme. Aussi les frères doivent-ils être occupés en des temps déterminés au travail manuel et à des heures déterminés aussi à la lecture divine. 43   Jérôme, Lettres, éd. Labourt, S., Paris, 1949, vol. I, p. 94, lettre XXI à Damase : Ne legas philosophos, oratores, poetas, ne in eorum lectione requiescas ? Nec nobis blandiamur, si his quae sunt scriptta non credimus, cum aliorum conscientia vulneretur, et putemur probare quae dum legimus non reprobamus. Trad. : Ne lis pas les philosophes, les orateurs, les poètes, ne cherche pas ton délassement dans leur lecture. Ne nous flattons pas, sous prétexte que nous ne croyons pas ce qui est écrit, car la conscience d’autrui sera blessée. Nous aurons l’air d’approuver ces textes, puisque nous ne les réprouvons pas. 44   Hugues de Saint-Victor, Didascalicon…, p. 62 : Tria autem sunt praecepta magis lectioni necessaria. Primum ut sciat quisque quid legere debeat. Secundum, quo ordine legere debeat, id est, quid prius, quid posterius. Tertum : quomodo legere debeat. Trad. : Il y a trois règles nécessaires pour la lecture : d’abord savoir ce qu’on doit lire ; ensuite, dans quel ordre on doit le lire, c’est-à-dire par quoi commencer, par quoi poursuivre ; et enfin, comment on doit lire.



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l’abbé. Ainsi, la Règle de saint Benoît précise-t-elle que « personne [ne doit se permettre] de rien donner ou recevoir sans permission de l’abbé, ni d’avoir rien en propre, absolument aucun objet, ni livre, ni tablette, ni stylet, mais absolument rien45. » Face au danger potentiel que représente le texte, les auteurs médiévaux ont toujours préféré poser comme recommandation de ne pas disperser la pensée dans les idées issues de la lecture46. Les restrictions faites dans l’accès à certains ouvrages témoignent du fait qu’il existe une pratique individuelle de la lecture dans laquelle le lecteur prend directement possession du texte et de son contenu sans l’aide d’un intermédiaire qui, grâce à la performance orale de l’œuvre, assurerait la diffusion du message. Dans les textes médiévaux, les mentions de pratique individuelle de la lecture concernent une nouvelle fois, durant le haut Moyen Âge, le milieu monastique. En plus des lectures liturgiques des Offices ou du réfectoire, les moines se consacrent également à une activité personnelle de lecture. Dans le cadre des obligations des moines lettrés, celle-ci prend place au scriptorium, où elle est associée à la copie du texte ou à une prise de notes47. S’ils ont reçu l’autorisation de l’abbé de garder un livre pendant quelque temps, les moines peuvent également lire dans l’intimité de leur cellule. La Règle de saint Benoît précise les conditions et les normes qui régissent cette pratique : « Après sexte, en sortant de table, ils se reposeront sur leur lit, dans un silence complet, ou si quelqu’un veut lire pour son compte, il lira de façon à ne déranger personne48 ». La lecture doit être silencieuse, afin de ne pas gêner le recueillement des autres moines. Jean Cassien, dans les Institutions cénobitiques, avait posé lui aussi le principe selon lequel la lecture dans la cellule est une activité de silence, devant favoriser la méditation et la prière49. En dehors du contexte monastique, Isidore de Séville insiste sur les bien45   La Règle de saint Benoît…, chap. 33 : Ne quis praesumat aliquid dare aut accipere sine cussione abbatis, neque aliquid habere proprium, nullam omnino rem, neque codicem, neque tabulas, neque grafum. 46   Isidore de Séville, Livre des Sentences, éd. PL 83, col. 688. Livre III, chap. 14, § 1 : Melius est enim conferre quam legere. 47   Voir par exemple La Règle de saint Benoît…, chap. XLVIII, § 15. 48   Ibid., chap. XLVIII, § 5 : Post sextam autem surgentes a mensa pausent in lecta sua cum omni silentio, aut forte qui volerit legere sibi sic legat ut alium non inquietet. 49   Jean Cassien, Institutions cénobitiques, éd. J.-Cl. Guy, Paris, 1965, (Sources chrétiennes, 109), Livre IV, chap. 12 : Itaque considentes intra cubilia sua et operi ac meditationi studium pariter inpendentes, cum sanitum pulsantis ostium ac diversorum cellulas percutientis audierint ad orationem scilicet eos seu ad opus aliquod invitantis, certatim e suis cubilibus unusquisque prorumpit, ita ut is, qui opus scriptoris exercet, quam repertus fuerit inchoarse litteram finire non audeat, […]



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faits d’une lecture personnelle et silencieuse ; réduire les activités du corps doit, selon lui, augmenter les possibilités de l’esprit et accroître les connaissances (amplius intellectus instruitur)50. De façon générale jusqu’au xiie siècle, la pratique de la lecture personnelle est surtout, dans les textes, un exercice de méditation et il faut attendre les débuts de la scolastique pour que l’on considère la lecture personnelle comme une source de connaissance pour l’étude. Jean de Salisbury se fait l’écho de l’utilité de lire personnellement les ouvrages pour qui veut s’initier à la philosophie et aux sciences51, mais, chez cet auteur, comme chez la plupart de ses contemporains, le mot scientia désigne la science des choses de Dieu. La lecture n’est pas encore coupée de son contenu religieux, mais constitue au contraire un moyen supplémentaire pour accéder à la connaissance de Dieu. Si le mot scientia se retrouve sous la plume d’Hugues de SaintVictor au moment d’exposer les objectfs de la lecture52, il désigne cette fois, dans le Didascalicon, le monde de l’enseignement et non plus à celui de la méditation : « Il y a trois sortes de lecture : celle de l’enseignant, celle de l’étudiant et celle du lecteur individuel53 ». Pour que la lecture soit la plus efficace possible dans le cadre des études universitaires, Hugues de Saint-Victor analyse dans le détail le procédé cognitif de la reconnaissance des lettres et de leur interprétation. Dépassant très largement les écrits de ses prédécesseurs, il propose une réflexion très moderne autour des concepts de signe, d’interprétation et de sens, comme par exemple au chapitre 8 du livre III, où il donne une description très détaillée du procédé de lecture : « La lettre est l’arrangement correct des propos, ce que nous appelons aussi construction. Le sens est une signification facile et claire que la lettre présente d’emblée. La sentence est la compréhension plus profonde, qui ne se découvre que si on l’expose et on l’interprète. Dans

Quam non solum operi manuum seu lectioni vel silentio et quieti cellae, verum etiam cunctis virtutibus ita praeferent. 50   Isidore de Séville, Livre…, éd. PL 83, col. 689, livre III, chap. 14, § 9 : Acceptabilior est sensibus lectio tacita quam aperta ; amplius enim intellectus instruitur, quando vox legentis quiescit et sub silentio lingua movetur. Trad. : La lecture silencieuse est plus acceptable pour les sens que la lecture ouverte. L’esprit est en effet plus instruit quand la voix de celui qui lit se tait et quand sa langue bouge en silence. 51   Jean de Salisbury, Metalogicon, livre I, chap. 23 : At lectio doctrina et meditatio scientiam pariunt. 52   Hugues de Saint-Victor, Didascalicon…, p. 62. 53   Ibid., livre III, chap. 7 : Trimodum est lectionis genus docentis, discentis, vel per se inspicientis.



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ce domaine, l’ordre consiste à chercher d’abord la lettre, ensuite le sens, enfin la pensée »54. Hugues de Saint-Victor synthétise ainsi, dans un ouvrage relativement court, les principales réflexions médiévales autour de la pratique de la lecture. Il intègre d’une part les réflexions étymologiques, reprenant les travaux d’Isidore de Séville ou d’Alcuin sur la grammaire. Il applique d’autre part ces données théoriques aux différentes circonstances qui requièrent l’usage de la lecture. Hugues de Saint-Victor insiste bien évidemment sur les contingences spirituelles et religieuses, mais il fait de l’augmentation concrète des connaissances son but principal : « Aussi, je te le demande, lecteur, ne te réjouis pas trop d’avoir beaucoup lu, mais plutôt d’avoir beaucoup compris et, plus encore, d’avoir pu retenir plutôt que d’avoir compris55. » Si le Didascalicon est un ouvrage fondamental dans l’histoire de la pensée médiévale, c’est parce qu’il propose véritablement, comme l’indique la traduction du titre, un art de lire, c’est-à-dire des solutions concrètes, applicables à des circonstances précises. L’ouvrage d’Hugues de Saint-Victor ne propose pas une théorie médiévale de la lecture ; le Didascalicon se contente de décrire une pratique intellectuelle. De fait, le Moyen Âge ne semble pas connaître de lecture théorique, et celle-ci apparaît bien plus comme une praxis. En analysant le traité d’Hugues de Saint-Victor, on note d’ailleurs qu’il n’existe pas une forme de lecture, mais plutôt des méthodes pratiques, évoluant en fonction de la nature du document, du lecteur et du rôle de la lecture56. Il n’y a donc pas une seule lecture médiévale. En tant que capacité technique et intellectuelle pour accéder au contenu d’un texte, les lectures médiévales sont multiples dans leur forme comme dans leur fonction.

54   Ibid., p. 140, livre III, chap. 8 : Littera et congrua ordinatio dictionum, quam etiam constructionem vocamus. Sensus est facilis quaedam et aperta significatio, quam litte prima fronte praefert. Sententia est profundior intelligentia, quae nisi expositione vel interpretatione non invenitur. In his ordo est, ut primum littera, deinde sensus, deinde sententia inquiratur ; quo facto, perfecta est expositio. 55   Ibid., p. 144, livre III, chap. 11 : Unde rogo te, o lector, ne nimium laeteris, si multa legeris, sed si multa intellexeris nec tantum intellexeris sed etiam retinere potueris. 56   Sicard, P., Hugues de Saint-Victor et son école, Turnhout, 1991, p. 199 : « Car si la lecture suppose toujours un livre et un regard porté sur lui, il est autant d’espèces de lectures qu’il en est de livres ou de regards. »



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Les circonstances de la lecture médiévale Au milieu du xve siècle, le peintre napolitain Antonello de Messine (1430-1479) réalise un tableau représentant saint Jérôme occupé à lire un ouvrage dans son cabinet de travail (fig. 84)57. Le livre est placé sur une table inclinée vers les yeux du lecteur et plusieurs volumes de toutes dimensions encombrent les rayonnages d’une petite bibliothèque. Le saint est Fig. 84.  Antonello de Messine, Saint absorbé par la lecture de Jérôme dans son cabinet d’étude (mil. xve l’ouvrage et il se dégage de la siècle). Détail. Cliché National Gallery, scène une impression de quié- Londres. tude studieuse. D’après les détails, les circonstances de la lecture ne semblent pas très différentes de ce que l’on peut envisager de nos jours. Le mobilier a certes changé et les livres adoptent volontiers une taille plus réduite, mais la composition dans son ensemble donne les grandes lignes d’une scène de travail intellectuel comme on en trouve aujourd’hui. Cependant, la vue du cabinet de saint Jérôme n’est pas à proprement parler un reflet de la réalité historique médiévale. Si de telles circonstances de lecture existent au Moyen Âge, elles constituent une forme privilégiée, sans doute assez peu répandue. En règle générale, le Moyen Âge entretient un rapport différent avec le texte, et la liturgie est l’occasion la plus fréquente pour les hommes et les femmes d’avoir accès indirectement à la lecture. Le déroulement des cérémonies prévoit plusieurs temps de lecture à voix haute, aussi bien dans la messe que dans la liturgie des Heures, auxquels s’ajoutent la lecture de l’Évangile et la prononciation des paroles du Canon, conservées dans un livre posé sur l’autel, à proximité de l’officiant. Le rite et la place centrale du livre (souvent de grande dimension) dans la célébration renvoient visuellement au public les scènes de lecture, même s’il ne fait pas physiquement l’expérience du   Ce tableau a été reproduit dans Arrignon, J.-P., Curveiller, S., L’Occident chrétien (xiieéducation et cultures, Paris, 1999, p. 145.

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texte. Ainsi, pour la grande majorité des médiévaux, la lecture est passive et indirecte. Elle concerne, en contexte liturgique, l’audition d’un texte lu par un lecteur actif intervenant directement sur la structure du document écrit. Le public liturgique entend lire mais ne lit pas lui-même. En dehors des célébrations, les ecclésiastiques ont sans cesse recours à une lecture active, silencieuse ou orale, pour la préparation des différentes actions envers les fidèles. Le prédicateur, pour préparer ses sermons, s’appuie sur la consultation de plusieurs ouvrages : recueils d’exempla, textes hagiographiques, traités de patristique, etc. Humbert de Romans, maître général de l’Ordre franciscain entre 1254 et 1263, insiste d’ailleurs sur le fait que les prédicateurs doivent se préparer en lisant et en méditant « de jour, de nuit, en chemin, au couvent » les textes qu’ils utiliseront par la suite58. Le prêtre célébrant la messe se sert des mêmes ouvrages pour préparer la cérémonie et l’homélie. C’est, dans ce cas, une lecture de consultation, ayant un but pratique et immédiat. La plupart des clercs a, dans le même temps, recours à une lecture contemplative, associée à la pratique de la prière et de la méditation. Saint Augustin affirmait, dans les Confessions, l’utilité d’un tel exercice spirituel, affirmant que « lire pendant une journée vaut mieux que d’écrire pendant plusieurs59.  » L’utilité de la lecture pour la prière est sans cesse rappelée au cours du Moyen Âge et elle pénètre le monde des laïcs, avec la multiplication des livres de dévotion particulière à partir de la fin du xiiie siècle. La lecture personnelle des textes sacrés est un exercice spirituel de premier plan mais, nécessitant la maîtrise totale de la lecture, elle a d’abord été réservée aux ecclésiastiques, et principalement aux moines, les contraintes de clôture et de silence leur imposant de plus une lecture intériorisée, favorisant le recueillement et l’intégration des paroles sacrées60. Le monde de l’enseignement et de l’étude fait lui aussi sans cesse cohabiter les formes orales et les formes silencieuses de la lecture. Dans l’apprentissage élémentaire ou dans les études universitaires, les élèves sont toujours soumis à la lecture à voix haute des dispensateurs 58   Humbert de Romans, Liber consuetudinis, cité d’après Saint Dominique et ses fils, Paris, 1956, p. 200-201 (Textes pour l’Histoire sacrée). 59   Augustin, Confessions, livre VI, chap. 4, § 6  : Melior est unius diei lectio, quam plurium scriptio. 60   Valette-Cagnac, E., La lecture à Rome…, p. 13 : « L’apparition de la lecture silencieuse est liée à l’extension du monachisme et à des raisons théoriques ».



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de l’enseignement. Pour apprendre à lire, les enfants lisent à leur tour les lettres, puis les manuels à voix haute afin d’apprendre le contenu phonétique de la langue. Dans la suite de leurs études, les élèves, puis les étudiants ont plutôt recours à une forme silencieuse de la lecture : ils suivent sur leur propre livre le contenu des leçons. Dans le cadre de l’enseignement scolastique, les étudiants et les maîtres, les savants, les érudits et les intellectuels, en bref les professionnels de la connaissance, font de la consultation individuelle des ouvrages une de leur principale occupation qui demande l’expérience directe du texte par une lecture silencieuse et personnelle. Elle peut se dérouler dans le cadre des bibliothèques des universités, mais prend plutôt place dans un espace privé (tel que le cabinet de saint Jérôme). Le lecteur se trouve alors isolé du monde, mais en contact direct et individuel avec le livre ; il est seul au milieu des textes qu’il rencontre directement grâce à la lecture. Le traitement iconographique de telles scènes à la fin du Moyen Âge a transmis une impression de calme et de recueillement que l’on a associée, à tort ou à raison, avec la lecture silencieuse. D’après les études menées principalement par P. Saenger, il semble qu’à partir du xive siècle, les lecteurs individuels aient concentré leur effort physique sur le mouvement des yeux plus que sur le mouvement des lèvres. La lecture silencieuse est une lecture muette, au cours de laquelle le texte passe directement de la page du livre à l’intellect du lecteur, sans aucune forme de vocalisation61. La lecture à voix haute ne concerne pas seulement l’enseignement ou la liturgie. Elle se rencontre également dans des circonstances civiles ou juridiques, lors d’assemblées particulières au cours desquelles le public assiste à la transmission orale d’une information pratique. Lors des réunions d’un chapitre canonial ou monastique, lors d’un synode ou d’un concile, les représentants prennent des décisions qui concernent l’administration temporelle des biens de l’Église, et qui ne relèvent donc pas à proprement parler du domaine spirituel. Au cours de ces assemblées, on utilise des documents administratifs, des livres de compte, des listes de propriété, dont on transmet le contenu au public qui assiste à la réunion et qui se doit de connaître les informations afin de trancher et prendre une décision. On connaît le même phénomène dans les assemblées civiles ou dans les tribunaux. Dans ces cas spécifiques, la lecture à haute voix peut servir à entériner 61   Saenger, P., « Manières de lire médiévales », p. 150 : « La lecture médiévale se caractérise par une grande mobilité de l’œil par rapport aux autres organes qui composent les différents aspects de la lecture classique à voix haute ».



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une décision. Dans la pratique du commerce, dans la gestion des recouvrements fiscaux, dans les transactions de propriétés, les textes connaissent une grande diversité formelle, du document diplomatique conservé dans les archives personnelles à l’affichage temporaire ou durable des décisions sur les murs d’une ville, et subissent une lecture de consultation, synonyme de recherche d’une information précise et ponctuelle à l’intérieur du texte. De telles circonstances de lecture sont beaucoup moins bien documentées par les récits et l’iconographie. La double pratique lecture orale/lecture personnelle se retrouve enfin dans le cadre des textes de divertissement qui connaissent à la fois une mise par écrit et une performance orale. Fonctions de la lecture médiévale La fonction de la lecture dépend du texte lui-même, du lecteur et surtout du contexte d’utilisation, un même document pouvant être lu avec des intentions et des objectifs différents. Au cours de la messe, le célébrant procède à plusieurs lectures bibliques dans le but de transmettre le message du texte sacré aux fidèles et pour satisfaire aux exigences du rite. Dans le calme et l’intimité de sa cellule, le moine lit le même texte, avec cette fois la volonté de s’adonner à la méditation. Dans le cadre de la préparation du sermon, le prédicateur consulte les écrits des Pères de l’Église. Le maître de théologie, soucieux de former ses étudiants à la Tradition, utilise les mêmes textes fondateurs avec un objectif didactique cette fois. Si le document ne change pas, la fonction de sa lecture, la définition du public et la portée du texte évoluent fortement d’une circonstance à l’autre62. De façon schématique, on peut distinguer cinq grandes fonctions de la lecture au Moyen Âge. Les inévitables évolutions chronologiques ou documentaires entraînent la domination d’une fonction sur l’autre, mais elles n’ont jamais entraîné, semble-t-il la disparition complète de l’une d’entre elles. La lecture a une fonction didactique que l’on rencontre aussi bien dans le cadre de l’enseignement que de l’étude personnelle. La forme la plus évidente de lecture didactique est la lecture des manuels, qu’ils soient scolaires ou universitaires, et concernent la transmission de connaissances ou de méthodes pour les acquérir. Du manuel de grammaire que manie le jeune enfant au cours de sa scolarité aux ouvrages   Manguel, A., Une histoire de la lecture…, p. 107.

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de compilation destinés aux étudiants des universités, la lecture est studieuse. Elle peut être silencieuse et individuelle, si le lecteur prend lui-même possession du texte ; elle peut être orale et collective, dans le cas où un intermédiaire, détenteur de la connaissance et des moyens de la transmettre, lit le texte à voix haute. La fonction didactique concerne également la lecture de textes particuliers, comme les inscriptions venant identifier, expliquer ou commenter certains programmes iconographiques complexes  ; elles peuvent également transmettre au lecteur un enseignement particulier, traitant des domaines religieux (sacrements, théologie, etc.) ou des événements historiques63. Ces inscriptions sont généralement assez simples, surtout quand elles se contentent d’identifier une scène ou un personnage, comme dans de nombreux vitraux du xiiie siècle où le titulus n’a pas d’autre objectif que de transmettre au public le contenu général du vitrail, de façon souvent très concise mais particulièrement efficace, l’inscription cherchant alors à contribuer à l’enseignement proposé par le programme vitré64. La lecture a aussi pour objectif la prise de connaissance d’une information ponctuelle. Elle a alors une fonction pragmatique qui se distingue de la fonction didactique dans le sens où le recours à la lecture se justifie en lui-même. La fonction didactique avait pour but l’augmentation des connaissances du lecteur ; la lecture pragmatique prend quant à elle la forme d’une consultation, et non plus celle d’une lecture extensive des textes. Elle concerne principalement les documents de la pratique et s’applique aux activités professionnelles et, de façon générale, aux actes de la vie quotidienne. De nombreux textes épigraphiques sont concernés par la fonction pragmatique de la lecture, le rôle de l’inscription étant de rendre publique une information et de mettre à disposition des éléments qui peuvent être consultés en cas de nécessité : tarifs routiers ou péages, inventaires de propriété, rappel de construction ou de travaux… La lecture de consultation d’une épitaphe permet de recueillir, de façon pratique 63   Favreau, R., Épigraphie médiévale…, p. 275-290. Ce chapitre s’intitule d’ailleurs « L’inscription enseigne ». 64   La baie 5 de la cathédrale de Bourges représente la parabole du fils prodigue. Placée au nord de la chapelle d’axe, dans la partie basse du déambulatoire, la verrière ne donne que deux textes épigraphiques, situés sur les phylactères tenus par deux petits personnages, au bas du vitrail. La banderole de gauche donne le thème de la baie en identifiant le sujet de la parabole. L’inscription, fort simple, se compose seulement de trois mots : de prodigo filio. La lecture de ce texte permet de connaître la thématique générale de la baie.



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et immédiate, des informations concrètes sur le défunt et sur sa sépulture. Elle prend le plus souvent la forme d’une lecture rapide, silencieuse et individuelle. Il s’agit pour le lecteur d’acquérir personnellement les renseignements contenus dans le texte. Certaines occasions peuvent toutefois appeler une lecture orale à destination d’un auditoire. La lecture d’une inscription ou d’un texte manuscrit peut également revêtir une fonction performative. Elle repose sur une conception particulière de l’écriture au Moyen Âge, qui veut que le texte renferme une part potentiellement efficace. Celle-ci doit être activée par la copie d’un texte, par sa conservation dans des lieux et des circonstances particulières, mais également par sa lecture65. Le contenu du texte est alors présent dans l’instant et dans l’espace de la lecture, permettant la réactivation de l’écrit66. Ainsi une grande partie des lectures à voix haute en contexte liturgique sont-elles associées à la fonction performative. La lecture des paroles du Christ lors de la Cène (consécration) recrée les circonstances du repas dont le souvenir est commémoré rituellement dans chaque célébration eucharistique. De même la lecture des livres nécrologiques est-elle indispensable pour l’efficacité de la commémoration liturgique. La fonction performative de la lecture est à mettre en relation avec un usage rituel du texte, et avec une lecture vocalisée qui associe à la symbolique de l’écrit l’efficacité de la parole prononcée67. Comme l’ont montré E. ValletteCagnac et J. Svenbro pour le monde antique, la lecture performative dans le domaine épigraphique est liée à la lecture des inscriptions funéraires ; à l’égal du livre nécrologique, la lecture d’une épitaphe participe à la commémoration du défunt68 et contribue à le faire apparaître de nouveau dans le monde des vivants, notamment par la lecture de son nom69. Cela explique le formulaire parfois réduit à l’extrême de certaines inscriptions qui se contentent exclusivement 65   Voir Mostert, M., « La magie de l’écrit dans le haut Moyen Âge », dans Haut Moyen Âge : culture, éducation, société, Paris, 1990, p. 273-282 ; Poulin, J.-Cl., « Entre magie et religion. Recherches sur les utilisations marginales de l’écrit dans la culture populaire du haut Moyen Âge », dans La culture populaire au haut Moyen Âge. Actes du colloque de l’Université de Montréal, 1977, éd. P. Boglioni, Montréal, 1979, p. 121-144. 66   Svenbro, J., Phrasikleia…, p. 190. 67   Henriet, P., La parole et la prière au Moyen Âge. Le verbe efficace dans l’hagiographie monastique des xie et xiie siècles, Bruxelles, 2000. 68   Valette-Cagnac, E., La lecture à Rome…, p. 95 : « L’idée que la seule mention du nom puisse assurer au défunt une forme d’immortalité suppose que l’on reconnaisse à l’écriture funéraire une valeur pragmatique et, par conséquent, qu’on accorde à la lecture de l’épitaphe une fonction performative ». 69   Svenbro, J., Phrasikleia…, p. 53-54.



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de nommer le défunt. En limitant les éléments signifiants, l’inscription augmente l’efficacité d’une lecture performative. La lecture de certains textes revêt sans aucun doute une fonction édificatrice qui ne vise pas à transmettre une information précise, mais plutôt à influencer les idées et les actes. Les textes concernés sont fort divers dans leur forme comme dans leur contenu. Il s’agit en premier lieu des écrits religieux à vocation pastorale (homélies, sermons, commentaires moraux, etc.) qui peuvent faire l’objet d’une lecture individuelle dans la formation spirituelle. Ils peuvent également bénéficier d’une lecture orale et publique, dans le contexte de la liturgie et de la prédication. À la fin du Moyen Âge, des textes non religieux sont soumis à une même lecture édificatrice avec pour objectif la formation morale. C’est le cas des très nombreux romans allégoriques qui font leur apparition dès le xiiie siècle. La fonction édificatrice de la lecture peut également s’appliquer à des textes dont la première fonction n’est pas la formation morale ; certains ont ainsi vu, dans les romans de chevalerie, l’occasion de se former à des codes et des préceptes moraux70. Si l’épitaphe peut quant à elle être appréhendée d’un point de vue pragmatique et performatif, elle peut également être lue avec une fonction édificatrice. Elle enseigne en effet au lecteur la fragilité de la vie et l’incite à changer les priorités de son existence71. L’édification morale fait à ce titre partie intégrante du formulaire funéraire, surtout à l’époque carolingienne72. On la rencontre encore toutefois à la fin du Moyen Âge, comme dans la platetombe de Marie Guérande, (décédée le 18 avril 1317) conservée autrefois dans le cloître de l’abbaye de Bonport, sur la commune de Pont-de-l’Arche (27)73. La défunte est représentée sous une arcade trilobée, de façon tout à fait traditionnelle. Sur l’arc, on lit le texte suivant : vos tous qui passez p(ar) chi priez diex que ait de moy merchi car si com(m)e estes fu vos seres com(m)e ie suis. Le contenu de cette inscription est la traduction littérale en langue vernaculaire d’une formule latine très répandue dans les épitaphes des xie-xiiie siècles. Sa forme latine, quod sum eris, quod es fui, apparaît pour 70   On verra sur ces questions le beau livre de Girbea, C., La couronne ou l'auréole : royauté terrestre et chevalerie celestielle dans la légende arthurienne (xiie-xiiie siècles), Turnhout, 2007. 71   Favreau, R., « L’épitaphe d’Henri II et la vaine gloire du monde », Fécamp et les sépultures des ducs de Normandie. Actes du colloque tenu à Fécamp (9-10 novembre 2007), Rouen, à paraître (2009). 72   Id., Épigraphie médiévale…, p. 295. 73   Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux… », t. I, p. 113.



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la première fois en 1184 à Narbonne74 ; on la rencontre surtout dans le sud de la France (Languedoc-Roussillon et Limousin, avec plus de dix exemples)75. La traduction de cette formule en langue vernaculaire est plus rare et se rencontre dans l’Aisne en 1255, et en HauteMarne en 1277. L’épitaphe du cardinal de la Chapelle-Taillefer, réalisée en 1312 et conservée autrefois à Limoges, commençait par une réflexion du même ordre76 : fama genus mores quid opes prosint et honores aspice qui memor es fuge labentes subito res. En dehors du domaine funéraire, où l’édification est souvent implicite, la lecture de certaines inscriptions peut avoir une fonction principalement édificatrice. C’est le cas des nombreux textes placés à l’entrée des édifices religieux invitant le fidèle à un changement de ses mœurs77. C’est ainsi que l’on trouvait à Bourges, au-dessus du portail central, le texte du xiiie siècle incitant le fidèle à « pleurer sans fin ses péchés ». Les textes épigraphiques appelant une lecture édificatrice sont toutefois beaucoup moins nombreux à la fin du Moyen Âge, dans les inscriptions funéraires comme dans la documentation en général. On assiste enfin au développement de la lecture de divertissement, avec l’apparition des œuvres de fiction, en langue vernaculaire comme en latin. S’ils peuvent contenir simultanément des enseignements moraux ou des informations historiques, ces textes cherchent surtout à proposer une lecture qui n’a pas d’autre fonction que de divertir le lecteur, de satisfaire sa curiosité ou de nourrir son imagination. Une telle forme de lecture n’est régie par aucune consigne qui fait d’elle un exercice imposé ou (du moins) codifié, comme pouvait l’être la lecture didactique ou édificatrice. Elle prend la plupart du temps la forme d’une lecture silencieuse et individuelle durant laquelle le lecteur a un rapport privilégié avec le texte lui permettant « d’inventer   CIFM 12, A 47. Narbonne, musée de Lamourguier. Épitaphe de Pons (1184, 26 mai).   Cette formule a été particulièrement bien étudiée dans le mémoire de master de ProustFonteneau, L., Le locuteur dans les inscriptions funéraires médiévales de l’ouest et du sud-ouest de la France (viiie-xiiie s.). Quelques réflexions sur l’expression du « je » et la parole, Poitiers, CESCM, 2007, 250 p. dact., p. 111-116. 76   Texier, M., « Recueil des inscriptions du Limousin », p. 214-220. Trad. : À quoi la réputation, la naissance, les mœurs, les richesses et les honneurs sont-ils utiles ? Contemple, toi qui est mémoire, et cherche donc à éviter les choses qui vacillent et s’écroulent subitement. 77   Pour une liste de ces textes, voir Favreau, R., « Le thème épigraphique de la porte », Cahiers de civilisation médiévale, 1991, 34, p. 267-279 ; voir aussi Id., Épigraphie médiévale…, p. 285-290. 74 75



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ses lectures78 ». La fonction de divertissement concerne toutefois, au Moyen Âge, une catégorie tout à fait spécifique de textes et de lecteurs.

La dimension personnelle des lectures à la fin du Moyen Âge Au haut Moyen Âge, et encore aux xie-xiie siècles, la familiarité avec le texte définissant la literacy s’obtenait sans aucune volonté de la part du lecteur et s’appuyait en fait sur une réception passive de l’écriture, dans des circonstances qui ne nécessitaient que rarement la participation active du public (entendre la lecture à voix haute, apercevoir les livres et leur contenu, etc.). A partir du xiiie siècle, le public exerce une véritable activité, avec des lecteurs potentiels qui investissent le document de leur intention et d’une lecture effective. La literacy devient une familiarité recherchée avec le phénomène écrit, qui met en jeu les sens, mais aussi de fait les connaissances et les capacités techniques des lecteurs, et qui augmente leur rôle dans la communication médiévale. Les changements dans la literacy à la fin du Moyen Âge dénotent une appropriation personnelle de la lecture par le public qui repose sur trois évolutions culturelles majeures donnant une importance toute particulière aux xiiie-xive siècles dans l’histoire de la lecture. La production écrite augmente considérablement à partir de la fin du xiie siècle, comme l’a démontré M. Clanchy dans son étude fondamentale sur la mise par écrit de la mémoire, parue en 1979 ; il affirme qu’à compter de cette date, l’écrit et les documents pénètrent la structure du village et se rencontrent désormais dans tous les milieux sociaux et économiques79. Cette augmentation s’accompagne d’une diversification dans les fonctions de l’écriture, mais la présence documentaire, l’accès aux textes, ne devient pas pour autant uniforme dans l’ensemble de la société. Si les universités connaissent de plus en plus d’ouvrages de philosophie classique, ce n’est évidemment pas le cas pour le monde rural dépourvu de structures d’enseignement. De même, si les offices de notaire, les chancelleries et les administrations civiles ont accès à une documentation diplomatique de plus en plus abondante, l’ensemble des individus ne peut pas posséder des archives   Manguel, A., Une histoire de la lecture…, p. 341.   Clanchy, M.T., From Memory..., p. 31.

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personnelles aussi fournies. Le Moyen Âge est donc toujours confronté à un état intermédiaire de culture écrite80. L’accès au contenu des documents est pourtant favorisé par le développement de la mise par écrit des langues vernaculaires. À partir de la fin du xiie siècle pour la documentation manuscrite et du xiiie siècle pour la documentation épigraphique, le latin n’est plus la langue exclusive de la transmission écrite. Les langues vernaculaires élargissent leurs compétences et se diffusent dans la plupart des formes écrites de la communication81. Le latin ne disparaît pas pour autant. Au contraire, il reste indispensable pour la rédaction de certains textes qui trouvent, dans la langue de leur rédaction, l’efficacité du message qu’ils transmettent. La cohabitation de langues différentes au sein d’un même système culturel ne constitue en rien une entrave à la diffusion du texte mais permet au contraire d’élargir le public potentiel de la documentation écrite82. L’augmentation des écrits en langue vulgaire associée à la diffusion des textes permet d’envisager un développement de la literacy qui ne repose plus exclusivement sur l’augmentation de la connaissance de la lecture83. En multipliant les textes disponibles, les xiiie-xive siècles ont également multiplié le nombre des lecteurs potentiels. La familiarité croissante des médiévaux avec une documentation abondante et variée permettait de pallier en partie les faiblesses dans la diffusion de l’enseignement de la lecture. La fin du Moyen Âge a également augmenté les occasions de recourir à la lecture, la pratique de l’écriture devenant elle aussi plus systématique dans tous les domaines de la vie quotidienne et professionnelle. Même si une grande partie des nouvelles formes de la documentation est avant tout destinée à la conservation des informations, elles impliquent une diffusion plus   Coleman, J., Public Reading..., p. 101-106.   Lusignan, S., « Le français et le latin aux xiiie-xive siècles : pratique des langues et pensée linguistiques », Annales ESC., 42, 1987, p. 956 : « Entre le xiie et la fin du xive, le français élargit le domaine de ses compétences d’une langue de communication orale à celle d’une langue qui exploite finalement la plupart des registres de l’écriture. Toute langue naturelle constitue un système symbolique de communication entre ses locuteurs ». 82   Coletti, V., L’éloquence de la chaire. Victoires et défaites du latin entre Moyen Âge et Renaissance, Paris, 1987 (1ère éd. : 1983), p. 19 : « La langue liturgique est une langue dont le référent est toujours un acte linguistique : c’est un discours dont les mots renvoient moins à leur signification grammaticale et historique qu’à d’autres mots tout à fait identiques, à d’autres actes linguistiques semblables, à la signification effective de ces mêmes mots et au souvenir qu’ils évoquent à travers la mémoire des temps et des origines ». 83   Clanchy, M.T., From Memory..., p. 87 : « Ce qui augmente, c’est le nombre de documents et les modes de communication (latin, langues vernaculaires,…). Ce qui a changé, c’est la façon de transformer des mots en symboles appropriés ». 80 81



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large de la connaissance de la lecture, dans des niveaux de maîtrise différents84. L’économie est sans doute l’un des domaines qui connaît la plus forte évolution. En se développant et en se rationalisant, les activités commerciales ont créé une documentation complexe (comptables, juridiques ou administratifs) qui impliquent une part importante de la population capable de recourir à une forme – même partielle – de lecture85. On y devine ce que Brian Stock avait très justement nommé la pragmatic literacy : un recours ponctuel et pratique à la lecture et à l’écriture, dans le cadre d’une activité qui nécessite désormais la réalisation et l’utilisation d’une documentation particulière. Nuançons toutefois : l’accès à la documentation ne devient général que très progressivement et il ne faut pas considérer le xive siècle comme celui du triomphe de la pratique de la lecture et de l’écriture. La nouvelle literacy représente toujours un stade intermédiaire de culture écrite ; la documentation, aussi variée et abondante soit-elle, reste limitée dans sa diffusion, et ce malgré l’augmentation réelle du nombre des textes accessibles. L’introduction de la documentation dans tous les domaines de la vie quotidienne entraîne un phénomène d’appropriation de la part des percepteurs des textes. L’écriture, en tant que pratique, mais surtout en tant que production, n’est plus réduite à un groupe de professionnels, spécialistes de l’émission et de l’interprétation de la documentation (scribes, copistes, etc.). La diversification des textes, avec des écrits au contenu plus concret et plus pratique, en contact avec la réalité de la vie quotidienne médiévale, et le recours à la langue vulgaire assurent la pénétration des documents dans le monde tel qu’il est perçu et vécu par la plupart des médiévaux. La documentation écrite devient partie intégrante de l’univers familier des hommes et des femmes de la fin du Moyen Âge, indépendamment de leur capacité réelle à en saisir le contenu par la lecture. Le percepteur fait désormais l’expérience concrète et individuelle du document. Il acquiert par les sens la dimension physique du texte. Il peut toucher le parchemin d’un document diplomatique, froisser le papier de son livre de compte ou mesurer la taille d’une dalle de 84   Stock, B., The implications of literacy..., p. 80-112 ; Clanchy, M.T., From memory..., p. 48 : « Le xiie siècle est la période de réalisation des documents et le xiiie siècle la période de leur conservation ». 85   Sur ce sujet, voir en particulier Bec, Ch., Les marchands écrivains : affaires et humanisme à Florence (1375-1434), Paris, 1967.



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pierre inscrite d’une épitaphe. Le texte n’est plus déraciné, prenant seulement forme dans la vocalisation effectuée par un tiers, mais pénètre au contraire les espaces privés. À mesure qu’il étend son influence dans les milieux ruraux, l’écrit assure sa pénétration à l’intérieur même des maisons. Son usage n’est plus limité à des espaces précis, confiné, réservé à ce type d’activités86. L’augmentation du nombre des copies participe à la même évolution, en faisant peu à peu du livre un objet courant. Même s’il restera jusqu’à la fin du Moyen Âge un produit rare et cher, il commence à s’insinuer dans l’univers quotidien des médiévaux, qui développent à son égard un sentiment de propriété. Il suffit, pour s’en rendre compte, de se reporter aux inventaires de biens établis au xive siècle par exemple. Les livres y occupent une place importante et le soin avec lequel on en fait le détail est révélateur de leur statut dans l’univers matériel87. On les utilise pour différentes fonctions : pour travailler, pour se distraire, pour étudier ou pour prier. Le lecteur devient acteur et intervient directement sur le texte dont il ressent physiquement la réalité matérielle88. La familiarité avec les textes, l’appropriation personnelle de la documentation, la multiplication des occasions de lecture et, surtout, la part active du percepteur conduit à l’apparition du lecteur, au sens contemporain du terme. Si le terme lector désigne encore principalement une fonction liturgique, la lecture n’est plus confinée à un groupe étroit d’individus et de circonstances. Le « sujet lisant » est désormais défini par l’exercice d’une pratique diversifiée dans ses formes comme dans ses fonctions. Comme l’a montré A. Manguel, à la suite du développement scolastique, la lecture pénètre le cadre de « l’univers intime » des médiévaux89. De récepteur passif, familiarisé au-delà de toute intention avec les produits de l’écriture, le sujet lisant devient véritablement acteur de sa lecture ; il intervient physiquement dans la prise de possession du texte et en influence le sens par son interprétation. Il devient ainsi son propre intermédiaire entre la production écrite et l’utilisation qu’il fera du message90.   Coleman, J., Public Reading..., p. 88-89 : « La distinction principale dans toutes les analyses de la lecture repose sur l’opposition public/privé […] La lecture pragmatique a tendance à développer les pratiques privées de la lecture ». 87   Voir Chartier, R., L’ordre des livres…, p. 30. 88   Manguel, A., Une histoire de la lecture…, p. 105 : « La lecture passe peu à peu sous la responsabilité de chaque lecteur individuel ». 89   Ibid., p. 107. 90   Ibid. : « Grâce à l’expérience intime, le sujet lisant affirme devant chaque texte [son] autorité de lecteur individuel ». 86



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Dans la figure 85, on voit sainte Barbe occupée à lire un ouvrage à l’intérieur de sa maison. Les éléments du décor et du mobilier donnent l’image d’un espace privé, où la lecture est une activité intime. Il n’y a plus d’autre médiation entre le texte et le lecteur que son intention et son activité. Le livre n’est pas posé près de la sainte, mais il est, au contraire tenu dans ses mains. La lectrice possède physiquement le livre dont elle peut sentir l’étendue, la forme, le poids. La précision dans le traitement du contexte donne à cette scène de Fig. 85.  Sainte Barbe, lectrice. Tableau lecture une impression tout à fait de Robert Campin (Pays-Bas, 1438). moderne. Cependant, le tableau Détail. de sainte Barbe ne représente pas une description des lecteurs au Moyen Âge. Il propose au contraire l’image de la lecture, idéalisée et dépouillée de la plupart de ses implications historiques. À partir de cet archétype, la réalité se décline dans toute une gamme de nuances ou d’oppositions. L’enseignement des neurosciences a permis de montrer que la lecture n’est pas un processus unitaire. Il se décompose au contraire en plusieurs actions distinctes, isolant, dans le texte, des éléments indépendants. Les différentes formes de lecture qu’implique la literacy médiévale révèlent en fait la focalisation du sujet lisant sur l’un ou l’autre de ces éléments. Chacune de ses actions partielles est créatrice de sens pour le récepteur de l’information. Une telle constatation invite à dépasser les oppositions traditionnelles entre illitterati et litterati, clercs et laïcs, ou encore latin et langue vernaculaire. La lecture au Moyen Âge relève en fait d’une familiarité avec les produits de l’écriture qui crée, chez l’ensemble des médiévaux, une certaine capacité à reconnaître le contenu d’un texte à partir des signes inscrits. Cette capacité dépend de la formation du sujet lisant, de son habitude à voir et/ou parcourir les textes et de l’expérience culturelle dont il a bénéficié. La société de la fin du Moyen Âge est ainsi composée d’une foule de lecteurs potentiels, très différents les uns des autres.



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Les conditions MATÉRIELLES de la lecture épigraphique La lecture relève à la fois de fonctions cérébrales complexes (perception visuelle des signes, association signifiant/signifié, reconnaissance sémantique, etc.) et d’une capacité acquise grâce à une formation, quelle qu’en soit l’ampleur, ou grâce à l’expérience concrète de l’habitude. Elle dépend par ailleurs de nombreux critères empiriques liés à la forme choisie pour diffuser le texte. L’émission d’un message par l’intermédiaire d’une inscription passe en effet la plupart du temps par la réalisation d’un objet sensible, à partir d’une donnée intellectuelle immatérielle qui n’a d’autre existence que dans l’esprit de l’émetteur1. Les inscriptions ajoutent à cela des contraintes matérielles qui impliquent un certain nombre de différences entre lecture épigraphique et lecture médiévale traditionnelle.

Situation et lisibilité des textes En déterminant les conditions de visibilité, le contexte définit simultanément la lisibilité de l’inscription. Si elle dépend de critères internes, tels que la paléographie ou la mise en texte du message (taille et couleur des signes, qualité du support, etc.), la lisibilité est surtout fonction de la situation concrète du texte dans l’espace. La combinaison de ces différents facteurs de lisibilité détermine plusieurs catégories de textes, affectés par des formes diverses de lecture. Lire l’invisible La localisation et la forme de certaines inscriptions rendent toute tentative de lecture impossible dans un contexte normal de communication. Ainsi le Moyen Âge connaît-il quantité de textes illisibles parce qu’invisibles, la fonction publicitaire des inscriptions étant alors 1   Chartier, R., L’ordre des livres…, p. 21-22 : « Les auteurs n’écrivent pas des livres : non, ils écrivent des textes qui deviennent des objets écrits, manuscrits, gravés, imprimés (et aujourd’hui informatisés). […] Les variations des modalités les plus formelles de présentation des textes peuvent donc en modifier et le registre de référence et le mode d’interprétation ».



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limitée, voire inexistante. La pratique épigraphique la plus révélatrice de la mise en place de textes illisibles concerne le monde funéraire, avec la réalisation d’inscriptions placées à l’intérieur des tombeaux2. La forme et l’utilisation des endotaphes sont fort diverses : actes prophylactiques, pratiques mémorielles ou nécessités sacramentelles, souvent à mettre en relation avec l’importance de la nomination médiévale et l’intérêt induit de la conservation du nom3. Les endotaphes sont également à rapprocher de la protection de la sépulture de toute ouverture ou modification. L’utilisation funéraire des inscriptions invisibles concerne principalement la première moitié du Moyen Âge. Elles sont notamment très nombreuses pour le xiie siècle dans le nord de la France et prennent le plus souvent la forme de petites croix de plomb, comme celles conservées au Musée des Antiquités de Rouen par exemple, ou de petites plaques du même métal4. À compter de la fin du xiie siècle, ce type d’inscriptions diminue fortement. L’endotaphe s’apparente parfois aux inscriptions placées à l’intérieur d’un objet, quelle que soit sa nature, et ayant pour fonction l’identification du contenu. L’orfèvrerie médiévale a fait grand usage de ce type d’inscriptions, notamment dans la pratique des reliquaires. Sur de tels objets, l’inscription peut être placée à l’extérieur et être parfaitement visible, comme dans le cas des grandes châsses de l’œuvre de Limoges accompagnées de la représentation des saints dont on conservait les restes, eux-mêmes identifiés par un titulus plus ou moins développé, inscrit dans le métal ou dans l’émail5. Dans d’autres cas, les inscriptions se trouvent à l’intérieur des reliquaires, sur les parois internes de l’objet, comme dans le reliquaire conservé à Châteauponsac6, ou sur un objet plus petit placé à l’intérieur de la châsse. Cette pratique, comme celle des endotaphes, concerne surtout la première partie du Moyen Âge, moment où la pratique limitée de la literacy accorde à l’écriture un pouvoir symbolique et performatif plus important, au-delà de toute entreprise de lecture. La publicité de l’inscription n’est pas considérée, dans ce cas, comme une nécessité, le texte ayant une valeur médiatique dans sa rédaction et dans sa matérialisa2   L’article le plus complet sur la pratique des endotaphes est celui de Treffort, C., « Une identité préservée. Plaques et objets inscrits déposés dans les tombes médiévales », dans Objets et Identité. Actes de la journée d’étude du GRHIS. Rouen, 12 mai 2001 (à paraître). 3   Ibid., p. 12 : « Plus significatives encore, certaines plaques déposées dans la sépulture ont pour vocation exclusive d’identifier le mort ». 4   Les textes de ces différents objets ont été publiés dans le CIFM 22. Voir en particulier les numéros 242-243 et 246-255. 5   CIFM 22, 271. 6   CIFM II, HV 8.



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Fig. 86.  Bayeux (14), musée (prov. : Fontenailles, église). Cloche (1202). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

tion bien plus que dans sa lecture. Les textes cachés ne sont donc pas à confondre avec les textes absents, avec les textes qui n’ont jamais été inscrits ; avec les textes invisibles, la communication épigraphique, même si elle n’est ni évidente, ni systématique, peut en effet être activée lors de circonstances particulières. Ainsi une endotaphe peutil être vue et lue dans le cadre d’une ouverture volontaire ou fortuite de la sépulture ; de même une inscription placée à l’intérieur d’un reliquaire permet-elle de connaître la nature des reliques en cas de destruction ou d’ouverture de la châsse. La lecture de ces textes est de l’ordre du possible, du circonstanciel ; la fonction publicitaire des inscriptions est quant à elle relative. Les inscriptions campanaires illustrent les difficultés médiologiques posées par les textes cachés. En termes de communication, les textes placés sur les cloches sont pratiquement inefficaces, rares étant les occasions pour le public médiéval de prendre connaissance de ces courtes inscriptions au formulaire récurrent. Quand la cloche occupe sa situation originale au sommet du clocher, accéder à l’objet et au texte qui l’accompagne devient pratiquement impossible. La figure 86 reproduit la plus ancienne cloche à inscription conservée pour la France médiévale (fig. 86). Elle provient de la petite église normande

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de Fontenailles et fait partie aujourd’hui des collections du musée de Bayeux7. Les lettres (coulées en relief) n’excèdent en aucun cas cinq centimètres de hauteur, ce qui impose une relation de proximité entre l’objet et son percepteur pour la prise de connaissance du message. Le contenu liturgique du message inscrit sur la cloche (il s’agit de l’incipit des laudes gallicanes) attribue per se à l’inscription une fonction prophylactique ; elle possède dès lors une valeur communicative tout à fait restreinte puisque le texte n’attend pas nécessairement de lecture pour devenir efficace. Il possède cependant un sens fort dans une utilisation performative de l’écriture : c’est la cloche qui, en sonnant, propage le message de l’inscription et chante la louange au Christ : Christus vincit, Christus regnat, Chritus imperat. La mention de la date, à la suite du texte liturgique, invite toutefois à envisager l’intention de communiquer un message pratique par l’inscription, message dont la diffusion reste pourtant réduite et ne peut constituer l’objectif essentiel de la réalisation du texte. On peut tirer des conclusions du même ordre de l’ensemble de la documentation campanaire médiévale. La nature des messages prophylactiques ne détermine pas de public particulier pour ces textes, mais laisse au contraire envisager la possibilité d’une transcendance dans la communication : le principal destinataire serait alors Dieu, le Christ, un saint, etc. Cela expliquerait les formulations parfois obscures, que l’on retrouve sur un grand nombre de cloches, comme sur celle de l’église de Sidiailles, dans le Cher : anno Domini m° cc° xxx° ix a ω mentem sanctam spontaneam honorem Deo et patrie liberationem8. La formule qui termine le texte est très répandue dans l’épigraphie campanaire de la fin du Moyen Âge et provient de la vita de sainte Agathe9. Son contenu prophylactique ne permet pas d’identifier un destinataire concret et s’accomplit dans la seule réalisation matérielle de l’inscription. Certaines cloches portent pourtant des textes dont le contenu suppose véritablement une publicité. Au musée de Berry de Bourges, on conserve une cloche datant de 1350 portant une courte inscription   CIFM 22, 9.   Cette cloche passe pour être une des plus anciennes d’Europe et une des cinq cloches authentiques du xiiie siècle. Elle a été répertoriée à ce titre dans un grand nombre d’ouvrages. Voir en particulier Deshoulières, F., Les églises de France. Cher, Paris, 1932, p. 249. 9   Cette formule a été étudiée par Favreau, R., « Mentem sanctam, spontaneam, honorem Deo et patriae liberationem. Épigraphie et mentalités », dans Clio et son regard. Mélanges J. Stiennon, Liège, 1982, p. 235-244. 7 8



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qui identifie le commanditaire dans des termes que l’on peut rencontrer dans les inscriptions de signature placées à la vue d’un public large10 : m ccc l ma fist faire Jacques on mois de juillet. Dans le système médiéval de la commande des productions artistiques ou artisanales, la diffusion du nom du commanditaire est tout à fait nécessaire et, malgré sa situation complexe, un tel texte caché attend une lecture potentielle, lors d’une circonstance particulière (réparation de la cloche, remplacement, inventaire des biens de l’église…). L’église de Venniers, sur la commune de Loudun (86), possédait quant à elle une cloche au contenu mixte11 : Ih(esu)s : in : vos : d(omi)ni : lan : mil : ccc : xxxv : me : fist : Jaquemin : Menestrel. La seconde partie de l’inscription se rapproche de la cloche de Bourges et présente la signature de l’artisan qui a fondu la cloche. La première partie est, quant à elle, à mettre en rapport avec les formules prophylactiques puisqu’elle pourrait constituer une variante de la sentence Vox Domini sonet et quae tempestatem fugat, utilisée pour la cérémonie liturgique du baptême des cloches12. La localisation particulière de certaines inscriptions n’annule donc pas complètement l’intention publicitaire de la communication épigraphique, mais la lecture ne doit pas être considérée comme systématique ; elle requiert plutôt des circonstances particulières, rendant la communication efficace. Les inscriptions gravées sur des objets liturgiques sont également des textes cachés. Leur utilisation est réservée aux desservants dans des circonstances ponctuelles ; en dehors de ces occasions, les pièces sont gardées dans des lieux où les inscriptions n’effectuent plus aucun acte publicitaire. Comme pour les cloches, la lecture doit alors être activée par une série de facteurs qui font passer le texte épigraphique dans le domaine de la perception publique. Dans le trésor de la cathédrale de Chartres, un ciboire de vermeil réalisé dans le courant du xiiie siècle portait une courte inscription identifiant l’artisan qui réalisa l’objet : Johan Merevin me fecit13. Au cours de la célébration eucharistique, l’utilisation du ciboire est réservée à la conservation des hosties et, contrairement à la patène ou au calice, il n’intervient   Favreau, R., « Les commanditaires dans les inscriptions… », p. 681-727.   Le texte a été publié par Berthelé, J., « Essai sur l’art campanaire en Poitou », Bulletin du Comité des travaux historiques et archéologiques, 1889, p. 304. L’auteur complète lui-même le texte par la fin de la formule : (Vox Domini) sonet quae tempestatem fugat. 12   Favreau, R., Épigraphie médiévale…, p. 163. 13   Merlet, L., Catalogue des reliques ..., p. 166. 10 11



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directement ni lors de la consécration, ni lors de la communion. Seul le célébrant ou ses assistants entrent en contact avec l’objet et deviennent potentiellement lecteurs du texte. En dehors de l’utilisation liturgique, le ciboire est rituellement conservé dans le tabernacle, à l’abri des regards. La publicité du texte incisé à la surface de l’objet est donc extrêmement restreinte. Pour autant, elle n’empêche pas l’efficacité de la communication. En effet, la réalisation de la signature de l’artisan sur un instrument liturgique dénote de sa part la volonté d’associer matériellement son nom aux différentes célébrations. Dans le même temps, celui-ci doit être connu en priorité des desservants officiant aux cérémonies et susceptibles d’associer l’artisan aux suffrages de la communauté. La situation spatiale d’un texte épigraphique n’influence donc que de façon relative l’efficacité de la communication, la nature performative de l’écriture accordant au texte une certaine autonomie fonctionnelle. Les inscriptions cachées ne sont pas des inscriptions absentes. En tant que produit écrit, elles existent pour elles-mêmes ; leur réalisation est à elle seule un acte signifiant. La lecture est un moyen d’assurer la publicité du texte et non plus sa condition d’existence. Sans aucune préoccupation historique, I. Calvino et A. Manguel ont très justement souligné que le monde est rempli de textes que le lecteur ne lira jamais14, mais qui ont pourtant fait l’objet d’une rédaction et qui définissent la culture écrite de la société qui les a produits. Même si elles sont difficilement accessibles au public, les inscriptions cachées n’en restent donc pas moins les témoins de la pratique et de la diffusion de l’écriture épigraphique au Moyen Âge. Voir l’illisible Les inscriptions coupées de toute perception visuelle forment un groupe restreint. Si elle reste signifiante, la situation du texte à l’abri de tout regard reste exceptionnelle. En revanche, beaucoup d’inscriptions soumises à la vue des spectateurs restent difficilement lisibles. S’il ne suppose pas un processus traditionnel de lecture, ce type de textes n’a pas le même statut que l’inscription cachée que nous envisagions précédemment, puisqu’il apparait de façon matérielle dans l’espace et puisqu’il existe de fait concrètement dans le monde tel 14   Manguel, A., Une histoire de la lecture…, p. 341 ; Calvino, I., Si par une nuit d’hiver un voyageur, Paris, Seuil, 1995, p. 26.



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Fig. 87.  Rouen (76), musée des Antiquités (prov. : cathédrale). Clef de voûte (déb. xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

qu’il est perçu par les médiévaux. L’inscription vue n’est donc pas à confondre avec le texte caché ou le texte absent. La lecture des inscriptions seulement perçues est, dans la plupart des cas, limitée par des caractéristiques techniques empiriques qui empêchent le déchiffrement du message épigraphique. La première contrainte réside souvent dans l’éloignement du texte, certaines inscriptions étant placées dans des espaces que l’œil n’atteint qu’avec difficulté. La distance entre le percepteur et le texte n’empêche pas de voir qu’il existe un ensemble de signes graphiques mais interdit en revanche leur déchiffrement et la compréhension du message. Cela concerne en particulier les inscriptions gravées sur différents éléments d’architecture placés en hauteur (clef de voûte, voûte, élément de charpente,…), comme la clef de voûte du Musée des Antiquités de Rouen datant du début du xiiie siècle15. Elle représente un agneau au nimbe crucifère portant une croix ; l’inscription est gravée sur le bord de la clef, au niveau des pattes de l’animal (fig. 87). Les lettres qui composent cette courte inscription ont en moyenne cinq centimètres de hauteur. La clef de voûte a, quant à elle, un diamètre de 72 centimètres. Dans sa position initiale, à la dernière travée de la nef de la cathédrale de Rouen, la lecture de l’inscription devait être très difficile et, si on pouvait sans doute apercevoir les signes qui forment le   CIFM 22, 257.

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texte, on ne pouvait pas en déchiffrer le message. Le sculpteur aurait pu compenser cette situation par l’emploi de caractères d’un module supérieur ; la lecture de sa signature aurait dès lors été possible, mais était-ce là l’intention principale de la gravure de ce texte sur la clef de voûte ? Le nombre de textes gravés ou peints sur des pièces de ce type (dont la fonction publicitaire est limitée par la situation et/ou par l’emploi de caractères externes inaptes à transmettre le message du texte) montre en effet que la lecture intelligente de l’inscription ne constitue pas l’unique objectif de l’écriture épigraphique. Il s’agit bien plus de procéder à la matérialisation du texte afin de garantir sa présence dans l’espace, sans assurer forcément la transmission d’un message. Au cœur de la literacy médiévale, apercevoir une inscription gravée à la voûte d’un bâtiment cultuel est en soi un acte signifiant. Le déchiffrement du message par la lecture ne vient que dans un deuxième temps. Il suppose que le percepteur de l’inscription soit en mesure de mettre en place un tel processus et que l’inscription offre des caractères externes de lisibilité satisfaisants. La vitrerie des grandes cathédrales gothiques, en se développant sur plusieurs étages, propose différents niveaux de proximité entre le percepteur, l’iconographie et les inscriptions qui l’accompagnent. À l’intérieur d’une même baie, un titulus peut aussi bien se situer à la hauteur des yeux du percepteur qu’à plus de quatre mètres du sol. Le déambulatoire de la cathédrale Saint-Étienne de Bourges présente un ensemble particulièrement instructif à ce propos. Il se compose de vingt-deux verrières originales, réparties entre les chapelles rayonnantes et le déambulatoire16 ; toutes ces baies comportent des inscriptions qui présentent des traitements graphiques très différents, identifiant ou commentant l’iconographie. Certains textes ont bénéficié d’un aménagement particulier qui facilite leur perception au sein de la baie  ; d’autres ont reçu un traitement paléographique facilitant non seulement leur repérage mais aussi leur lecture et, de fait, le déchiffrement de leur message, comme dans le registre inférieur de la verrière présentant la vie de saint Laurent (fig. 88)17. Même si elles n’excèdent pas six centimètres de hauteur, les lettres sont d’un module suffisant pour permettre la 16   On fera abstraction des baies de la chapelle d’axe, datant du xve siècle et dépourvues de textes. 17   Bourges (18), cathédrale Saint-Étienne, déambulatoire, côté sud, première chapelle, baie est. Verrière de saint Laurent (1210-1215).



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lecture car leur situation au bas de la baie les place pratiquement à la hauteur des yeux du public. Cependant, de telles inscriptions ne constituent pas la moitié des tituli des vitraux du déambulatoire ; la plupart des textes ne peuvent qu’être vus en raison d’une paléographie inadaptée à leur situation et rendant les inscriptions pratiquement illisibles. Même si l’on Fig. 88.  Bourges (18), cathédrale, déamburepère les lettres (perçues latoire. Verrière de saint Laurent (détail du comme des signes), on ne registre inférieur). Cliché V. Debiais. peut pas procéder à une lecture efficace, comme, par exemple, dans la verrière narrative de la vie de Marie Madeleine, dans la deuxième chapelle, au côté nord du déambulatoire18. Le nom de la sainte est répétée plus de dix fois, jusqu’au dixième registre de l’iconographie, soit à près de quatre mètres de hauteur. Dans chacun des tituli, le peintre verrier a employé des lettres très ornées, de petit module qui sont difficilement identifiables. Au plus haut de la baie, des inscriptions de commentaires sont chargées de donner le sens des images ; on rencontre ainsi, au dixième registre, le titulus hic moritur Lazarus. Il est transcrit à l’aide de lettres onciales très ornées, de couleur jaune sur fond noir. Malgré la qualité paléographique de l’inscription, il n’est pas possible de lire le texte, mais seulement de repérer certaines lettres sans saisir le sens du message ; le percepteur ne peut donc pas utiliser le texte pour identifier l’image. D’autres tituli, pourtant placés dans les registres inférieurs des baies, sont également de lecture difficile en raison de l’emploi d’une paléographie de petit module. Le percepteur doit alors se contenter de voir le texte et l’identification du personnage grâce à l’inscription est inopérante. Certains vitraux du déambulatoire de la cathédrale de Bourges présentent la particularité de posséder des inscriptions que l’on peut 18   Bourges (18), cathédrale Saint-Étienne, déambulatoire, côté nord, deuxième chapelle, baie est. Verrière de la vie de Marie Madeleine (1210-1215).



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Fig. 89.  Bourges (18), cathédrale, déambulatoire. Verrière typologique de la Nouvelle Alliance (détail : registre inférieur). Cliché V. Debiais.

lire et d’autres que l’on ne peut que voir sans les déchiffrer. Le vitrail de la Nouvelle Alliance est sans doute le plus caractéristique de cette mixité des formes épigraphiques. L’iconographie présente une lecture typologique de la Passion, en donnant les correspondances vétérotestamentaires de la Crucifixion et de la Résurrection (fig. 89) : deux épiFig. 90.  Bourges (18), cathédrale. Verrière sodes du sacrifice d’Isaac, la typologique de la Nouvelle Alliance (détail : péricope de la veuve de la veuve de Sarepta). Cliché V. Debiais. Sarepta et, dans l’angle supérieur droit, les portes d’Israël marquées du tau. Transcrites avec des caractères simples et de gros modules, la lecture des identifications d’Abraham, d’Isaac et



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le titulus de la scène du tau ne pose aucune difficulté depuis le déambulatoire. En revanche, les textes qui accompagnent le portement de croix et les deux textes de la scène de la veuve de Sarepta se laissent simplement deviner (fig. 90). Les lettres sont en effet deux fois plus petites et leur mise en espace ne facilite en rien la lecture ; le texte inscrit sur le phylactère tenu par le prophète est quant à lui à peine perceptible. Depuis le déambulatoire, on ne peut que constater la présence des signes alphabétiques au cœur de l’iconographie. Dans les cathédrales gothiques, les vitraux des étages supérieurs portent également de nombreuses inscriptions d’identification. Leur situation à une hauteur parfois importante entraîne un recours systématique à des lettres de gros module qui ne facilite pourtant que rarement la lecture des textes. Le spectateur des vitraux doit la plupart du temps se contenter de voir les lettres sans véritablement pouvoir les lire. À Bourges, la vitrerie intermédiaire reste encore relativement lisible depuis le côté opposé du déambulatoire. En revanche, pour les baies hautes, représentant les prophètes et les apôtres, on ne peut que voir les tituli, pourtant peints avec des caractères dépassant vingt centimètres de hauteur. On ne perçoit que quelques signes et on distingue surtout leur mise en forme (lignes, cadres, alternance des couleurs…). Toutefois, comme la disposition des tituli est conventionnelle et que l’on repère assez facilement la teneur de l’iconographie, la simple présence de l’inscription a sans doute un sens pour le percepteur du texte qui associe sans la lire l’inscription au personnage, et qui comprend de fait la fonction d’identification. On peut rapprocher les exemples de Bourges de l’ensemble de la vitrerie haute de la cathédrale de Chartres qui obéit à la même disposition et à la même construction formelle. Au mur nord par exemple, on trouve la grande rose dite de la « Glorification de la Vierge ». Elle présente deux séries de douze personnages identifiés par une courte inscription placée dans un cartouche aux pieds ou à côté de la figuration. Depuis la croisée du transept, ces textes sont illisibles, même si l’on aperçoit concrètement la mise en forme des tituli. On peut imaginer le même procédé d’association que celui envisagé pour la vitrerie haute de Bourges. L’inscription est donc significative à partir du moment où elle est perçue en tant qu’ensemble de signes alphabétiques par le public médiéval. Les inscriptions de Chartres et de Bourges montrent que la lisibilité du texte dépend étroitement de sa localistion topographique et

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de ses caractères externes ; cependant, dans le cas d’une lisibilité limitée, la compréhension de l’inscription est également à mettre en relation avec sa mise en forme, revélatrice dans la plupart des cas de sa fonction. Dans les identifications des personnages de Chartres comme dans les textes tracés sur les clefs de voûte, la fonction principale de l’inscription illisible en condition normale de perception est de matérialiser le texte, de le rendre présent dans un espace déterminé. La plupart des inscriptions médiévales doivent être placées dans la catégorie de l’écriture épigraphique perçue car malgré la fonction publicitaire, peu de textes possèdent une mise en forme monumentale à la fin du Moyen Âge susceptible d’annuler l’effet de distance entre le percepteur et l’objet. Or, une lecture effective ne peut passer que par une relation totale au texte qui ne peut avoir lieu que dans des circonstances particulières transformant l’inscription perçue en inscription lue. Lire les inscriptions L’efficacité de la communication épigraphique repose sur l’adéquation entre la fonction publicitaire de l’inscription et les caractères externes mis en œuvre pour sa réalisation. L’habileté du lapicide ou du peintre réside dans son aptitude à utiliser les techniques et les matières idoines dans la création d’un objet s’adressant effectivement au plus grand nombre. Si les conditions techniques appropriées sont réunies, le message de l’inscription est potentiellement reçu par l’ensemble du public médiéval. En d’autres termes, la mise en place de l’inscription doit réunir les conditions d’une lecture effective, qui passe par la visibilité de l’objet, par l’emploi d’une paléographie assurant la lisibilité de l’inscription et par l’adéquation entre la nature du message et celle de l’objet qui le porte. Grâce à la réalisation de toutes ces conditions, le spectateur ne se contente plus de distinguer les signes alphabétiques au milieu des autres objets mais pénètre le texte. L’inscription lue fait partie de l’entourage immédiat du public ; elle marque son espace familier et ne nécessite pas d’effort particulier pour la percevoir grâce à l’emploi d’une graphie de module suffisant tenant compte de la distance qui sépare l’objet du public, du contraste chromatique, des conditions lumineuses, etc. Prenons un exemple. Dans l’église collégiale de Saint-Junien (87), un important programme peint se développe dans la chapelle de la



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Vierge. Située au côté sud de la nef, à l’entrée du chœur, elle a reçu, sur son mur ouest, plusieurs peintures illustrant la parabole de Lazare et du mauvais riche. Les personnages sont représentés dans des scènes qui suivent fidèlement le récit biblique et sont identifiés par des inscriptions, aujourd’hui fragmentaires (fig. 91 et 92)19. Quand le percepteur est à l’intérieur de la chapelle et qu’il tourne son regard vers les peintures, son attention est immédiatement attirée par les textes, transcrits dans une graphie de gros module qui contraste avec la finesse du trait de l’iconographie. De la même manière, la couleur sombre utilisée pour les inscriptions se détache du fond clair des scènes. L’emploi de lettres onciales simples facilite le repérage de chacun des signes et, de fait, la compréhension du texte. L’ensemble des caractères externes accorde ainsi une grande publicité qui ne se limite pas à la perception des signes. L’association évidente entre le texte et son contexte (ici, le référent iconographique) permet au percepteur d’interpréter le message, puisqu’elle rend manifeste la relation de sens entre le nom et la représentation, et donc la fonction d’identification de l’inscription. La connaissance du texte est favorisée à Saint-Junien par l’emploi de modalités techniques adaptées qui compensent parfaitement l’éloignement relatif des inscriptions, non seulement visibles, mais également parfaitement lisibles. En contexte lapidaire, de pareilles adaptations sont également fréquentes. L’inscription monumentale de donation, réalisée en 1298 dans l’église de Langrune-sur-Mer (14), est composée de lettres de sept centimètres de hauteur20, la taille des caractères s’expliquant par sa situation sous les fenêtres du chœur. La nécessité publicitaire a obligé ses réalisateurs à compenser son éloignement par un module graphique agrandi ; il s’agissait de mettre à disposition des fidèles un texte gravé dans un espace auquel ils n’avaient pas accès, la paléographie devant annuler la distance verticale (gravure dans le mur) et la distance horizontale (gravure dans le chœur). Le contenu commémoratif du texte appelle d’ailleurs des conditions optimales de publicité. À la fin du Moyen Âge, les inscriptions lapidaires se situent principalement au sol ou à hauteur du regard en raison de la proportion écrasante des textes funéraires, et notamment des plates-tombes encastrées dans le pavement des églises et des textes commémoratifs venant compléter les tombeaux et placés à portée immédiate dans les murs. Ces inscriptions sont plus facilement perçues par le public. Le   CIFM II, HV 86.   CIFM 22, 29.

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Fig. 91.  Saint-Junien (87), collégiale, chapelle de la Vierge. Identification de Lazare (deuxième quart xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

Fig. 92.  Saint-Junien (87), collégiale, chapelle de la Vierge. Identification du riche (deuxième quart xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.



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texte entre dans l’espace immédiat de son lecteur potentiel qui en prend possession physiquement, comme il détiendrait un texte traditionnel. Le lecteur de l’inscription devient alors un lecteur ordinaire, capable, grâce aux aménagements techniques, de mettre en place une lecture traditionnelle. La taille des lettres inscrites sur une plate-tombe est généralement comprise entre quatre et six centimètres de hauteur. La relation modulaire de la paléographie lapidaire des xiiie-xive siècles permet de calculer que chaque caractère inscrit sur une plate-tombe traditionnelle couvre, en moyenne, un peu plus de dix centimètres carrés21. Cela implique que les signes de la plupart des documents de la fin du Moyen Âge se déchiffrent assez facilement pour quiconque se trouve en contact avec eux. On connaît même un certain nombre d’exemples dans lesquels la taille de la paléographie a connu une forte augmentation, comme c’est le cas par exemple pour l’écriture de la collection épigraphique de l’ancienne abbatiale de Saint-Gildasde-Rhuys (56). Exclusivement funéraire, elle se compose d’inscriptions tumulaires et obituaires, datant de la fin du xiie et du début du xiiie siècle. Les textes se composent de lettres simples, très arrondies, et d’un module important par rapport à la taille réduite des platestombes. L’état de conservation de la plupart des témoins est médiocre mais on peut tout de même remarquer la lisibilité des textes. Par exemple, sur la dalle relative à Nicolas, fils du duc de Bretagne mort en 1251, on note parfaitement l’élargissement des modules, notamment sur le grand côté droit de la pierre (fig. 93)22. Grâce à l’augmentation de la taille des lettres, le texte sur l’arc devient lui aussi lisible, contrairement à ce que l’on rencontre dans d’autres documents du xiiie siècle possédant la même particularité de mise en page. Même si parallèlement on assiste à la multiplication des textes en écriture gothique, de module extrêmement réduit, le manque de lisibilité qui pourrait résulter de l’emploi d’une telle paléographie est dans la plupart des cas compensé par la proximité spatiale du texte, l’emploi d’une graphie de petite taille ne constituant dans ce cas en rien un handicap.

21   Chiffres établis d’après les mesures effectuées sur un ensemble de 156 plates-tombes à effigie classiques réparties sur l’ensemble du territoire nord-ouest de la France entre 1200 et 1400. 22   CIFM 23, 48.



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La lisibilité réelle des inscriptions n’est cependant pas synonyme de lecture intelligente de la part de l’ensemble du public entrant en contact avec la documentation, mais elle reste la condition préalable à toute forme de lecture. Dans le cadre des inscriptions vues, et encore plus dans le cadre des inscriptions cachées, le repérage des signes était insuffisant pour permettre le déclenchement du processus de lecture alors que l’inscription réellement appréhendée est celle qui réunit toutes les conditions techniques et matérielles pour que son percepteur puisse mettre en place une lecture efficace du texte. La répartition des inscriptions en différentes catégories en fonction de leur visibilité et de leur lisibilité ne constitue en rien un classement absolu. Une inscription perçue peut en effet devenir une inscription lue, si les conditions de sa prise de possession sont réunies au cours de circonstances particulières. Un texte gravé sur une patène reste ainsi une inscription cachée tant que l’objet n’est pas utilisé par un célébrant. Lors de son usage, il peut être vu par un public collectif et lu par le desservant effectuant les gestes rituels de la consécration. Si les inscriptions médiévales doivent être envisagées dans leur contexte spatial

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Fig. 93.  Saint-Gildas-de-Rhuys (56), abbatiale, mur sud. Plate-tombe de Nicolas (1251). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

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pour être comprises, elles doivent également être pensées dans les circonstances de leur utilisation, qui déterminent en partie le public et les conditions réelles de la lecture.

Paléographie, esthétique et sémantique Pour assurer une communication effective, la forme de la lettre doit : 1) faciliter son repérage dans l’espace ; 2) individualiser sa présence parmi les autres signes graphiques ; 3) proposer une graphie conventionnelle associable à une identité signifiante. Lorsque ces trois conditions sont réunies, le percepteur de l’inscription peut mettre en place une forme efficace de lecture, telle que nous l’entendons aujourd’hui, les lettres devenant, comme le proposait Isidore de Séville, « les indices des choses et les images des mots »23. Structure de la lettre et identité du signe Indépendamment de leur taille, la perception et la reconnaissance des lettres impliquent que le signe alphabétique soit repéré et isolé. L’emploi de formes simples et claires permet généralement d’assurer cet isolement sémiotique. L’écriture épigraphique possède des caractéristiques paléographiques originales qui découlent en partie des contraintes techniques liées à la matérialisation d’une inscription (nature du support, méthode de rédaction, etc.), impliquant parfois des adaptations dans le ductus et dans le module des lettres. Pour décrire la forme des lettres ainsi obtenues, la terminologie et les méthodes de la paléographie manuscrite traditionnelle ne reflètent que partiellement la réalité épigraphique24. Au-delà des données techniques, toujours soumises à la créatvité et au style de l’artisan, l’écriture épigraphique tire surtout ses spécificités de la fonction de l’inscription. Assurer la transmission efficace d’un message implique en effet l’emploi d’une écriture particulièrement lisible. La lisibilité a longtemps été satisfaite par le recours à une écriture majuscule de type capitale, conformément à ce qu’avait institué le monde romain   Isidore de Séville, Etymologiarium…, livre I, chap. 3, § 1 : Litterae autem sunt indices rerum, signa verborum. 24   Il devient d’ailleurs urgent pour les équipes chargées de la publication des inscriptions médiévales d’engager une réflexion de fond à ce sujet afin de fixer une terminologie adaptée à la réalité épigraphique. 23



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pour la production de ses inscriptions. Même si elle connaîtra de multiples évolutions aux cours des premiers siècles du Moyen Âge, la capitale se rencontre sans solution de continuité jusqu’à la l’époque moderne, et de façon presque exclusive jusqu’au xiie siècle. À partir de cette date, les capitales se voient peu à peu supplantées par les majuscules onciales, plus rondes que les traits majoritairement droits qui composaient jusqu’alors le ductus des lettres épigraphiques. Puis, aux xive-xve siècles, le monde des inscriptions fait connaissance avec les différentes graphies dites gothiques. Contrairement à une idée reçue, les transformations que connaissent les majuscules employées dans les inscriptions ne sont pas synonymes de changements dans la fonction de l’écriture épigraphique. Elles appartiennent toujours en effet au monde de l’écriture publicitaire, que l’on rencontre aussi bien dans les inscriptions que dans les tituli ou les rubriques des manuscrits. De fait, l’emploi de tel ou tel type de majuscules n’affecte pas en profondeur la visibilité et/ou la lisibilité du texte. En isolant nettement chaque trait qui la compose, la majuscule permet d’identifier le signe sans ambiguïté, y compris quand il s’agit de majuscules gothiques très évoluées, si difficiles à déchiffrer pour le lecteur d’aujourd’hui. Indépendamment du style employé pour l’écriture (capitales, onciales, gothiques), les compléments graphiques, visant à augmenter son élégance ou sa solennité, sont parfois la source de difficultés dans le repérage de la structure du signe. Le redoublement de certaines lignes ou l’adjonction de traits ornementaux constituent autant de phénomènes pouvant perturber le ductus original des lettres et entraîner des difficultés de lecture, comme c’est le cas par exemple pour les inscriptions de la verrière de la parabole du Samaritain de la cathédrale de Bourges ; on ne distingue aujourd’hui qu’un seul texte très mutilé, composé de lettres fortement décorées, peintes avec soin et finesse25. La richesse des ornements implique cependant de réelles difficultés dans le déchiffrement de l’inscription déjà très endommagée (fig. 94) : 8 lignes ont été nécessaires pour tracer le A, autant pour le B. Dans la verrière de Lazare et le mauvais riche, les lettres C et E de l’inscription identifiant le riche ont reçu des compléments entraînant des complications du même ordre. De façon générale, les inscriptions des vitraux de Bourges sont composées de lettres très ornées ; elles présentent des ductus parfois extrêmement complexes et la let25   Bourges (18), cathédrale Saint-Étienne, déambulatoire, côté nord. Verrière de la parabole du Bon Samaritain (1210-1215).



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Fig. 94.  Bourges (18), cathédrale Saint-Etienne, déambulatoire, baie n° 13. Inscription partielle du Bon Samaritain. Dessin V. Debiais.

tre disparaît alors totalement au profit de sa dimension esthétique, comme dans la baie présentant l’histoire de Marie Madeleine26. Les A finement tracés sont toutefois très chargés et il est difficile de les identifier. Ainsi, au cinquième niveau, sainte Marthe est nommée dans une courte inscription composée de lettres onciales et abrégée par un tilde à renflement médian ; le dernier A se compose de six traits différents, dissimulant le ductus simple (de trois traits) dans une forme ronde qui s’éloigne fortement de l’aspect conventionnel de la majuscule. On rencontre, tout au long du Moyen Âge, des inscriptions dont le message est relégué au second plan, très loin derrière les considérations esthétiques. Un des exemples les plus frappants est aujourd’hui conservé au Musée des Augustins de Toulouse. Le texte funéraire de Bernard, datant du viiie siècle, a utilisé des lettres de forme complexe qu’il a placées de façon à créer plusieurs groupes graphiques de taille identique27 (fig. 95). Au-delà de la beauté de la pièce, l’enchevêtrement des lettres complique considérablement le repérage des signes et leur identification, et l’hypothèse d’une lecture effective est difficile à envisager. Cette particularité graphique peut en revanche susciter la curiosité et constituer une forme d’appel au lecteur. L’inscription placée autour des peintures murales de la voûte de la première travée de la nef de la collégiale de Saint-Junien (87) pose une question du même ordre. Au côté nord, les lettres qui composent le titulus sont transcrites à l’envers et le texte se lit de droite à gauche (d’est en ouest, à l’intérieur de l’édifice). Le repérage de chacune des lettres est très complexe puisqu’il suppose un effort de reconstruction mentale pour retrouver la forme conventionnelle de chaque signe. De 26   Bourges (18), cathédrale Saint-Étienne, déambulatoire, côté nord. Verrière légendaire de Marie Madeleine (1210-1215). 27   CIFM 7, 40.



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plus, plusieurs lettres ont reçu des aménagements esthétiques qui déforment un peu plus le ductus original. La lecture de l’inscription est encore compliquée par la localisation de l’inscription. Placée à la voûte de la nef, elle est relativement éloignée du regard de son percepteur, ce qui ne facilite pas la reconstruction de la forme de la lettre, même si le module important des majuscules onciales employées dans la rédaction de ce titulus garantit une lisibilité relative.

Fig. 95.  Toulouse (31), musée des Augustins. Épitaphe de Bernard (viiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/ CIFM.

L’emploi des lettres majuscules diminue considérablement à la fin du Moyen Âge. Au moment où apparaissent les formes gothiques de l’écriture épigraphique, on assiste, dans le monde lapidaire, au développement tout à fait conséquent des textes rédigés à l’aide de lettres minuscules. Il ne s’agit pas d’une écriture cursive et son caractère solennel et officiel implique de façon presque systématique l’emploi d’une paléographie soignée et d’apparat (dans son intention si ce n’est dans son résultat). Les premiers témoins de l’écriture minuscule apparaissent à la fin du xiiie siècle, dans certaines plates-tombes du nord de la France. Même si l’on connaît déjà quelques lettres minuscules isolées au cœur d’une paléographie majuscule dès le début du Moyen Âge. Ce phénomène reste toutefois anecdotique jusqu’au milieu du xive siècle28. Le ductus de la minuscule gothique se compose de plusieurs traits verticaux tout à fait similaires. Isolée, la lettre a une image évidente : le m se compose de trois barres, le n de deux, le l d’un seul, inclinés dans la partie haute. Placée en association, il est beaucoup plus difficile d’individualiser chaque lettre et de repérer les traits qui en composent le ductus. L’apparition de la minuscule dans le monde   Dans l’ancienne abbaye du Val de Saint-Omer (14), la plate-tombe d’Adam de l’Isle, mort en 1328, constitue un des exemples les plus précoces d’écriture minuscule. Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux », t. I, p. 122 (n° 665).

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épigraphique témoigne des profondes modifications dans la lecture des inscriptions. Contrairement aux possibilités offertes par les capitales, l’inscription transcrite en minuscules ne peut plus se contenter d’être vue rapidement pour transmettre efficacement son message ; elle doit être examinée en profondeur par le lecteur. La lecture complète et effective des inscriptions constituées de lettres minuscules nécessite la réunion de plusieurs circonstances. Le percepteur du texte doit premièrement connaître la nature de ces minuscules nouvellement apparues dans les inscriptions qui constituent les textes accessibles au plus grand nombre. Leur utilisation dans les inscriptions constitue en effet une vraie nouveauté graphique et la plupart des textes publicitaires restent encore transcrits en majuscules, y compris dans les manuscrits. Si l’utilisation de l’écriture augmente dans le domaine personnel à partir du xiiie siècle, il s’agit principalement d’une écriture pratique et cursive. La connaissance des formes épigraphiques de la minuscule gothique ne constitue donc en rien une évidence pour la plupart des spectateurs médiévaux. L’inscription en minuscules gothiques doit d’autre part pouvoir être appréhendée lentement ; elle exclut de fait les lectures rapides, les survols en passant. Quand ces conditions (reconnaissance des signes, prise de possession du texte, lecture en profondeur) sont réunies, le lecteur peut saisir le message de l’inscription et la communication est pleinement effective ; dans les cas contraires, sans doute les plus nombreux, le percepteur du texte aura conscience de la présence d’un texte publicitaire et reconnaîtra peut-être certains mots par leur forme globale, l’identité de la lettre ayant cédé avec la minuscule gothique devant la perception globale du mot. Le recours à la minuscule gothique traduit d’importants changements dans le rôle des inscriptions dans la diffusion des messages à la fin du Moyen Âge. En utilisant sciemment une paléographie qui réduit la portée des informations, les inscriptions en minuscules ont de fait un caractère publicitaire restreint que l’on doit mettre en rapport avec une utilisation plus circonstancielle et pratique de l’écriture épigraphique. Le rapport entre le lecteur et l’inscription est alors plus intime. Conformément à la documentation écrite traditionnelle, le percepteur du texte intervient désormais directement sur le texte et lui applique une forme plus aboutie de lecture ; il devient véritablement un acteur de la communication épigraphique. Ainsi la structure de la lettre détermine-t-elle en partie les conditions de lecture des inscriptions et les relations entre le texte et son percepteur.



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Fig. 96.  Thiron-Gardais (28), église abbatiale. Plate-tombe de Jean II de Chartres (1297). Détail : grand côté droit. Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

Reconnaître le mot La reconnaissance du signe et son identification en tant que lettre permettent d’engager le processus de cognition du texte. Le lecteur assemble ensuite les différentes lettres en unités sémantiques signifiantes, c’est-à-dire en mots. À la fin du Moyen Âge, le développement de la ponctuation a permis de séparer les mots les uns des autres dans les textes épigraphiques. Si elle apparaît sous forme embryonnaire dès le xe siècle, la ponctuation ne deviendra systématique qu’à la fin du xiie siècle29. Le développement et la normalisation des signes renforcent la valeur grammaticale réelle de la ponctuation au dépend de l’aspect ornemental qui justifiait souvent, au moins jusqu’au xie siècle, son utilisation dans les inscriptions. Elle y sépare désormais les lettres en unités lexicales distinctes, dans la plupart des cas grâce à la figuration d’un ou plusieurs points entre les mots et/ou les groupes de mots. Grâce à l’influence conjointe de la systématisation de la ponctuation et celle de l’espace vide entre les mots, le texte n’est plus seulement une suite continue de signes, comme on pouvait le rencontrer dans certaines inscriptions du haut Moyen Âge. La ponctuation met désormais visuellement en forme le texte. La plate-tombe de l’abbé Jean II de Chartres conservée dans l’église abbatiale de ThironGardais (28) et reproduite en partie dans la figure 96 montre le caractère systématique et l’efficacité de la séparation des mots. Des groupes de deux ou trois points isolent chacun des mots de l’épitaphe, et 29   Debiais, V., Favreau, R., Treffort, C., « L’évolution de l’écriture épigraphique… », p. 115-116. On citera les principaux travaux concernant la ponctuation au Moyen Âge  : Saenger, P., Space between words : the origins of silent reading, Stanford, 1997 (Figurae) ; id., « Coupure et séparation des mots sur le continent au Moyen Âge », Mise en page et mise en texte du livre manuscrit, dir. Martin, H.-J., Vezin, J., Paris, 1990, p. 451-455 ; Moreau-Maréchal, J., « Recherches sur la ponctuation », Scriptorium, 22, 1968, p. 56-66 ; Vezin, J., « La ponctuation du viiie au xiie siècle », Mise en page et mise en texte…, p. 439-442 ; Parkes, M.B., Pause and Effect : an Introduction to the History of Punctuation in the West, Aldershot, 1992.



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même si on ne repère aucune hiérarchie dans l’emploi de ce système (séparation des mots, des propositions, des différentes parties du message épigraphique, etc.), on remarque toutefois l’efficacité visuelle des différents signes qui accorde une grande lisibilité à cette belle plate-tombe. Le support ou la forme de l’inscription empêchent souvent le lapicide de respecter l’unité du mot qui se trouve fréquemment coupé, séparé en deux groupes de lettres, entre deux lignes ou deux ensembles de texte. Dans les inscriptions qui prennent véritablement la forme d’une « page gravée », les mots séparés entre deux lignes sont toutefois assez rares pour la fin du Moyen Âge. Une telle absence dénote des progrès considérables de la part des artisans dans la préparation de la gravure et dans la phase d’ordinatio du texte qui devient systématique dans la majeure partie de la documentation. Dans de telles inscriptions, les mots coupés sont rarement signalés sur la pierre, contrairement à ce que l’on peut rencontrer à la même époque dans les manuscrits. Dans les textes ne reprenant pas la forme de la « page gravée », les lapicides n’ont pas hésité en revanche à couper les mots, notamment dans le cas des plates-tombes. L’épitaphe se répartissant sur les quatre côtés de la dalle de pierre, il est fréquent que les mots situés dans les angles se trouvent partagés sur deux côtés consécutifs. On trouvait par exemple autrefois, dans l’ancienne abbaye SaintPierre de Souvigny (03), la plate-tombe d’un écuyer mort le 22 juin 135830. Dans la partie inférieure de la pierre, l’épitaphe est disposée de la façon suivante : grand côté droit :

…] esquier qui trespassa : en l an : de grace mil troys : cens : cinqu petit côté inférieur : ante et : huit : le vingt :

Pour le mot « cinquante », l’unité sémantique disparaît en raison des contraintes techniques de la gravure et de la limitation du champ épigraphique. La reconnaissance du mot suppose un exercice intellectuel, lors de la perception, pour reconstruire l’unité lexicale. Il faut ajouter à cela les difficultés liées à la divergence de la position des lettres d’un côté à l’autre de la dalle. Les signes de la deuxième partie du mot subissent, en règle générale, une rotation de 90 degrés vers la droite. La reconstruction du mot passe par le rétablissement du sens   Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux... », t. I, p. 145.

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de lecture qui peut prendre la forme d’un déplacement physique, le lecteur effectuant peut-être la même rotation s’il se trouve sur l’effigie du défunt, ou d’un exercice intellectuel qui regroupe les deux groupes de lettres en une unité lexicale. Les éditions contemporaines d’inscriptions rétablissent l’ensemble de ces déformations. Quand l’épigraphiste a l’occasion d’appréhender une plate-tombe dans sa position originale, il mesure toutefois combien la lecture se trouve compliquée31. Les textes identifiant les personnages représentés en pied sous de petites arcades dans les peintures murales de la crypte de la cathédrale Notre-Dame de Chartres adoptent une position traditionnelle en césure : le nom des saints est réparti en deux groupes de lettres de part et d’autre de leur tête, à hauteur des épaules. Une telle disposition concerne de fait la plupart des identifications des représentations de personnages dans la peinture ou l’orfèvrerie. Si elle permet d’associer visuellement la présence du texte au nom du personnage, une telle disposition complique en revanche la lecture effective de l’inscription. De la même façon que les quatre côtés de la plate-tombe pouvaient entraîner la séparation des signes, l’iconographie vient rompre l’unité lexicale. Le lecteur doit de nouveau engager un processus de reconstruction pour lire le mot dans son ensemble. La disposition en césure se retrouve dans les vitraux, surtout dans le cas des baies représentant de grandes figures en pied. Le texte se sépare alors en deux au niveau des jambes (comme dans les baies du transept de la cathédrale de Chartres) ou au niveau des épaules (dans certaines verrières de la cathédrale de Bourges ou du Mans). On rencontre aussi la disposition en césure dans des vitraux narratifs. Dans la baie présentant l’histoire de l’évangéliste Jean, dans le déambulatoire de la cathédrale de Bourges, plusieurs médaillons sont complétés par le nom des personnages placés dans un bandeau entrecoupé par la figuration des sujets32. On trouve par exemple, au quatrième niveau, dans la scène de gauche, le bandeau suivant : 1. ze 2. s:

iconographie iconographie

bed ann

iconographie iconographie

[.] a

  Voir à ce sujet les réflexions de Treffort, C., « Les inscriptions funéraires des xiie-xiiie siècles en France », dans Las inscripciones góticas. Actas del segundo coloquio internacional de epigrafía, León, 2009 (à paraître). 32   Bourges (18), cathédrale, déambulatoire, côté sud. Verrière de l’histoire de Jean l’Évangéliste (1210-1215). 31



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Le nom de Zébédée et Anne, représentés dans le vitrail, est séparé en trois segments, placés là où le peintre disposait d’un champ libre suffisant, ce qui complique fortement l’association entre signes et unité lexicale. Si elles n’entraînent pas toujours la rupture de l’unité du mot par la séparation des lettres en plusieurs ensembles, de telles adaptations conduisent en revanche fréquemment à en bouleverser la structure interne, principalement dans le cadre des tituli qui accompagnent les programmes peints. Pour accomplir visuellement sa fonction, l’écriture épigraphique crée, par une Fig. 97.  Poitiers (86), baptistère. association spatiale, des liens Décollation de Jean Baptiste (début du entre l’inscription et son référent xiii e siècle). Cliché J. Michaud (qu’il s’agisse d’un personnage, CESCM/CIFM. d’une scène ou d’un programme complet) ; l’identification ou le commentaire occupe alors l’espace libre à proximité immédiate de son objet. On trouve un exemple de ce type d’adaptation dans les peintures murales de la vie de Jean Baptiste, conservées sur le mur est de la salle centrale du baptistère Saint-Jean de Poitiers33. Au côté sud, une petite scène représente la tête du saint posé sur un plateau tenu par une jeune fille. Celle-ci est identifiée par le mot puella placé auprès de la représentation du personnage. Au-dessus de sa tête, un autre texte, placé cette fois à la verticale, donne le mot capud (fig. 97). Contrairement à la plate-tombe de l’écuyer de Souvigny, les lettres sont placées dans le même plan ; le texte se lit de haut en bas et les lettres se repèrent et s’identifient sans difficulté. Le titulus ne présente pas pour autant l’image d’un mot. Le spectateur du texte ne voit pas immédiatement dans la suite des signes une unité lexicale traditionnelle définie par l’agencement successif de lettres. Or, pour supposer une forme simple de lecture des inscriptions médiévales de la part du   CIFM I, 15.

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public, les lettres doivent reprendre cette organisation et être aménagées en un ensemble qui offre visuellement l’image d’un mot, même si celui-ci ne constitue pas nécessairement une unité lexicale réelle, un « mot » au sens contemporain du terme. Avant de former une association significative entre réalité graphique et réalité sémantique, la reconnaissance du mot dans une inscription est d’abord la reconnaissance d’une forme visuelle. Le mot, au cœur d’un texte épigraphique, possède donc une dimension idéographique ; il est avant tout le symbole d’une idée pouvant devenir une unité lexicale en fonction de la lisibilité du texte, de la formation du percepteur et du procédé de lecture qu’on lui applique.

Forme du texte et forme de la lecture En cherchant à adopter une forme quadrangulaire offrant l’image d’un texte traditionnel, l’inscription a recours à différents aménagements pour adapter l’image de la page épigraphique aux conditions techniques et matérielles. Dans de très nombreux cas, ces adaptations permettent un meilleur repérage de l’inscription et associent immédiatement la présence des signes graphiques à l’idée de texte. Elle est alors signifiante dès la perception et ne nécessite pas obligatoirement le recours à une forme quelconque de lecture, cette volonté de donner à l’inscription l’image d’un texte pouvant d’ailleurs limiter les possibilités de lecture effective. La volonté de respecter un agencement quadrangulaire implique l’emploi des techniques traditionnelles de l’écriture manuscrite (marges, justification, mise en colonnes, etc.) dans un environnement soumis à de nomFig. 98.  Frétigny (28), abside, voûte. e breuses contraintes matérielles, Christ en Majesté (début du xiii sièau détriment parfois de la struccle). Cliché V. Debiais.

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ture lexicale du message. À l’abside de l’église de Frétigny (28), l’inscription peinte sur le livre tenu par le Christ en Majesté possède véritablement l’image d’un texte, ce qui facilite son repérage au sein de la composition (fig. 98). Si la forme quadrangulaire de la page épigraphique est respectée, le peintre a toutefois dû faire face aux difficultés de la composition iconographique ; le livre est posé Fig. 99.  Frétigny (28), église, abside. sur le genou du Christ et le texte, Livre tenu par le Christ (début du xiiie qui reste parfaitement repérable, siècle). Cliché V. Debiais. subit les contraintes de la représentation anthropomorphique. La lecture effective est en revanche beaucoup plus difficile à mettre en place (fig. 99). Le peintre a en effet placé l’inscription en répartissant le texte sur deux colonnes, correspondant chacune à l’une des pages du livre ouvert. La taille des caractères a conduit à séparer le premier mot en deux ensembles de signes, brisant l’unité lexicale comme dans le cas des tituli d’identification. De plus, la séparation iconographique entre les deux pages n’apparaît pas nettement dans la scène. À l’aplomb de la voûte, il est difficile de voir qu’on a deux pages distinctes et grande est la tentation de lire le texte, non pas sous forme de colonnes, mais sous forme de lignes continues. Le lecteur obtiendra alors un texte totalement différent. Texte lu en colonnes

Texte lu en lignes

Bene / dicat / vos / pater // (et) fili(us)/ sp(iritu)s / s(an)c(tu)s

Bene (et) fili(us) / dicat sp(iritu)s / vos s(an)c(tu)s / pater

Si l’enchaînement n’a pas de sens dans le cas du texte lu en lignes, l’inscription lue en colonnes respecte la structure lexicale des mots et la formule liturgique. Les peintures murales de Saint-Pierre-du-Louroüer séparent de façon plus nette les pages du livre tenu par le prêtre dans la scène des funérailles. La volonté d’accorder la forme de l’inscription avec la structure de la page épigraphique a pourtant conduit le peintre à séparer le mot requiescat en cinq ensembles de signes. L’unité lexicale

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disparaît ainsi derrière les nécessités techniques. Le livre est représenté de façon géométrique, sans les déformations présentes à Frétigny, mais le texte est tout de même formé par une succession de lignes que le lecteur peut appréhender de gauche à droite, sans discontinuité. Comme à Frétigny, le message n’a alors aucun sens (fig. 100). Dans les deux cas, la volonté de suggérer le texte est primordiale, Fig. 100.  Saint-Pierre-du-Loroüer (72), ce qui conduit sans doute à en église, nef. Scène de funérailles. Détail : réduire la lisibilité  ; de plus, il livre tenu par le prêtre (xiiie siècle). s’agit de formules courantes dans Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. l’écriture médiévale – épigraphique ou livresque – et le repérage de certains mots est suffisant pour garantir une reconnaissance du contenu du texte. Les inscriptions lapidaires transcrites à la manière d’une page épigraphique subissent elles aussi l’influence des contingences matérielles dans la mesure où le fait de circonscrire l’inscription dans une forme prédéterminée conditionne le choix des signes employés. Le lapicide doit par exemple adapter le module et la disposition des lettres afin de donner à l’ensemble de sa composition une image uniforme. Le recours à des caractères de petite taille, l’emploi d’un module allongé, la multiplication des abréviations sont autant de techniques d’écriture qui, dans les inscriptions comme dans les manuscrits, donnent une cohérence à la composition. Dans le même temps, la structure des mots connaît des modifications importantes, comme c’est une nouvelle fois le cas du texte peint sur le livre tenu par le Christ de Frétigny. Celui-ci contient plusieurs abréviations destinées à ne pas briser l’image harmonieuse de la composition. Si les mots sanctus et spiritus reçoivent, en tant que nomina sacra, des formes immuables de transcription, l’abréviation du mot et, à la première ligne de la page de droite, a quant à elle une forme peu fréquente dans les inscriptions, surtout dans la seconde moitié du Moyen Âge. On doit y voir l’adaptation nécessaire entre la structure du mot et l’espace disponible sur l’attribut du Christ. Plutôt que de changer la

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forme générale de l’inscription, le peintre a préféré recourir à une abréviation rare, et sacrifié sans doute une partie de la lisibiFig. 101.  Écouis (27), église, chœur. lité du message, d’autant que la Épitaphe d’Enguerrand de Marigny sentence de Frétigny, peu pré- (1315). Détail. Dessin de la collection sente en épigraphie, accompagne Gaignières publié par Adhémar, J., rarement l’image du Christ en Dordor, G., « Les tombeaux de la ColMajesté ; mais la connaissance de lection Gaignières…  », t. I, p.  110 la formule et sa répétition dans la (n° 596). liturgie compensaient peut-être ces difficultés de lecture. Les faits apparaissent avec encore plus de netteté à la fin du Moyen Âge dans les inscriptions reprenant les formes et la disposition de l’écriture manuscrite, avec le recours à la graphie minuscule et à la multiplication des abréviations. En limitant leur caractère publicitaire et monumental, ces inscriptions appellent une lecture traditionnelle et complète ; or, la situation spatiale des inscriptions et les données matérielles de leur mise en place ne permettent pas toujours au lecteur potentiel de recourir à un tel processus. L’épitaphe d’Étienne Charron, très proche dans sa forme d’un texte manuscrit, permet cette lecture complète ; elle contient peu d’abréviations et la graphie, bien que minuscule, permet un repérage simple des mots. D’autre part, la forme générale de la pièce invite à penser qu’elle se trouvait à portée immédiate du percepteur. L’inscription funéraire d’Enguerrand de Marigny, mort en 1315, propose en revanche une forme assez différente. Le support lapidaire de l’inscription représente un livre ouvert et le texte court sur les deux folios. L’inscription est composée de lettres minuscules de petit module. Les abréviations y sont nombreuses et rappellent tout à fait les usages manuscrits (fig. 101). L’inscription était placée dans le mur (donc à la verticale), au-dessus du tombeau, sans doute à plus de deux mètres du lecteur éventuel. La lecture effective devenait donc très difficile, malgré l’image textuelle idéale de l’inscription. Les conditions matérielles de l’écriture épigraphique peuvent parfois empêcher le lecteur d’accéder à l’ensemble des données graphiques de l’inscription, qu’il s’agisse de la lettre, du mot ou du texte. La place de l’inscription dans la communication médiévale repose ainsi sur plusieurs types de lecture épigraphique qui dépendent non plus de la formation du lecteur mais bien des conditions techniques et

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matérielles de la mise en place des textes. Ajoutons à cela que l’écriture épigraphique se distingue des formes traditionnelles de l’écriture par l’emploi de graphies particulières, dérivant certes de ce que l’on peut rencontrer dans les documents manuscrits, mais possédant des spécificités dues à la technique de gravure et à une esthétique propre aux inscriptions. Ces caractéristiques paléographiques invitent de la même manière à envisager des formes particulières de lecture.

La dimension iconique de l’écriture épigraphique La lecture complète identifie dans un premier temps les signes graphiques qui composent le texte (encodage des lettres), isole ensuite les unités sémantiques (construction du mot) et associe enfin leur contenu au répertoire mental du lecteur (création du sens). Lors d’une lecture courante, l’œil ne s’attache pas à repérer tous les signes transcrits dans le texte, mais effectue au contraire un balayage rapide en saisissant des groupes de signes à intervalle régulier. Grâce à l’habitude et aux connaissances du lecteur expert (issues d’un apprentissage mais surtout d’une pratique régulière et soutenue), cet encodage est suffisant pour recréer les unités lexicales qui forment le message34. Un tel lecteur possède une bibliothèque lexicale riche, dans laquelle il peut aisément repérer les mots que l’encodage a mis à sa disposition. Pour le Moyen Âge, ce type de lecture ne concerne qu’une part infime des lecteurs. Si une forme simple de connaissance des textes peut être étendue à une partie importante de la société médiévale, elle n’implique pas une pratique experte de la lecture, trop complexe pour être appliquée à une culture qui bénéficie d’une diffusion limitée des textes et de l’enseignement de la lecture. Pourtant, le nombre des textes mis à la disposition des médiévaux sans distinction de niveau de formation laisse supposer que les écrits à vocation publicitaire proposent une forme plus simple de lecture, rendant leur contenu accessible à tout type de lecteur. Les mots-images Au cœur de la documentation épigraphique, de nombreux groupes de signes ne renvoient pas directement à une unité lexicale (à un   Baccino, T., Cole, P., La lecture experte…, p. 25.

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« mot » au sens propre du terme), mais plutôt à une unité sémiotique dont la cognition se rapproche de la pratique idéographique. L’encodage du texte ne passe pas par l’individualisation de chaque signe, mais par son appréhension globale, en tant qu’unité visuelle. Les formes graphiques des abréviations constituent les exemples les plus révélateurs d’une telle pratique. Si elles peuvent parfois être considérées comme un élément de décor sur une croix, un moule à hosties ou un reliquaire, les abréviations possèdent surtout une dimension iconique. Par leur régularité, les formes employées dans les abréviations sont considérées par le lecteur comme une unité sémiotique en soi, au-delà de toute association lexicale. Il n’y a pas développement de l’abréviation, c’est-à-dire pas de restitution des lettres manquantes. Le groupement de signes est encodé tel quel et directement associé à une idée présente dans le répertoire mental du lecteur. Le principe de lecture est donc beaucoup plus simple que dans le cas d’une lecture experte. L’étape qui associait le repérage des signes à une unité lexicale disparaît au profit de la dimension iconique de l’abréviation, considérée comme une unité sémiotique signifiante. Le fait que les abréviations concernent peu de formes, associées dans leur grande majorité à des notions particulières (les nomina sacra), confortent l’hypothèse d’une valeur iconique35. Ainsi, sur le livre tenu par le Christ à la voûte de Frétigny (28), les mots spiritus et sanctus sont-ils abrégés de façon traditionnelle dans des formes qui ne nécessitent pas, pour être comprises, la restitution des lettres manquantes36. Au même titre que les formes, les usages de certains nomina sacra sont limités dans leur variété. Ainsi l’abréviation s’ ou s; pour sanctus est-elle fréquemment placée devant le nom des saints dans les textes d’identification, comme dans le chœur de l’église Saint-Jean d’Abbetot de La Cerlangue (76) où l’on trouve la représentation du collège apostolique. Les douze personnages, répartis entre les murs nord et sud et le fond de l’abside, sont identifiés par de belles inscriptions ; le nom de l’apôtre est précédé d’un s. ou d’un s: (fig. 102). Dans un grand nombre de vitraux de la cathédrale de Bourges, l’abréviation de sanctus est figurée par un S élégamment barré d’une ligne ondulée. On la rencontre aussi bien dans les baies du déambulatoire, dans de petites inscriptions très fines, que dans les grandes identifications des personnages de la vitrerie haute. La baie présentant la légende de   Traube, L., Versuch…, p. 215.   C’est d’autant plus perceptible dans le mot spiritus pour lequel la contraction a fait disparaître des phonèmes importants pour la reconnaissance effective du terme. 35

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l’invention des reliques de saint Étienne offre ainsi plusieurs exemples de ce signe, notamment dans la partie basse du vitrail (fig. 103)37. À La Cerlangue comme à Bourges, la perception du signe S au plus près de la figuration du personnage nimbé suffit à ce que le lecteur comprenne qu’il s’agit de la qualité du saint  ; nul besoin pour lui de développer l’abréviation et encore moins de recourir à un processus complexe de lecture. L’habitude et la signification du contexte suffisent pour que la communication épigraphique atteigne son objectif.

Fig. 102.  La Cerlangue (76), église, chœur, mur sud. Peintures du collège apostolique (seconde moitié xiiie siècle). Clichés J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

Dans les peintures murales de la vie de saint André à Frétigny, la première scène présente trois personnages : André, Pierre et le Christ. Ils sont identifiés par une inscription de couleur rouge placée à proximité immédiate de leur tête. Pierre et André ont reçu leur nom dans une forme développée, à la différence du Christ qui est identifié par l’abréviation traditionnelle ihs. Comme pour le mot sanctus, la lecture de cet ensemble de signes ne passe pas par la restitution des lettres manquantes. Le trigramme est au contraire considéré, dans la perception comme dans la lecture, comme un tout signifiant ; il ne renvoie pas à l’unité lexicale Ihesus, mais directement au répertoire mental du lecteur. L’efficacité iconique de ce titulus est facilitée par l’association spatiale entre l’inscription et le personnage qu’elle désigne. Dans cette scène, le Christ étant parfaitement identifiable grâce au nimbe crucifère et à son attitude conforme au texte évangélique, ce titulus ne doit pas être perçu pour son contenu sémantique mais 37   Bourges (18), cathédrale Saint-Étienne, déambulatoire, côté nord. Verrière de l’invention des reliques de saint Étienne (1210-1215).



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Fig. 103.  Bourges (18), cathédrale, déambulatoire, côté nord. Verrière de l’invention des reliques de saint Étienne (1210-1215). Détail : registre inférieur droit. Cliché V. Debiais.

plutôt dans sa dimension iconique, en tant qu’image d’un mot, d’un concept ; le trigramme devient ainsi un attribut du personnage représenté, au même titre que le nimbe crucifère. Aussi le contexte de l’inscription est-il indispensable à la compréhension de la dimension iconique de l’écriure pour un récepteur qui ne maîtriserait qu’une forme intermédiaire de lecture. Cela ne s’applique d’ailleurs pas qu’aux seules abréviations. Dans le cadre d’une pratique limitée de la lecture, la valeur iconique du mot est une donnée générale : l’unité signifiante n’est pas le groupe lexical composé de plusieurs lettres, susceptible d’être assemblée et démontée, mais plutôt le mot lui-même, transcrit dans une forme fixe et possédant une image particulière. Par le contexte de l’inscription, le lecteur associe directement la forme des mots à une réalité intellectuelle. Le titulus identifiant un personnage dans une composition iconographique est associé à son objet par la situation matérielle du texte. Sans avoir à recourir à la lecture effective et sans passer par l’étape de la reconnaissance lexicale, le récepteur du message associe le mot à l’idée même d’identification. Quand il s’agit de reconnaître



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Fig. 104.  Bourges (18), cathédrale, déambulatoire, côté nord. Verrière de l’histoire de saint Denis (1210-1215). Registre inférieur. Cliché V. Debiais.

le titulus qui identifie saint Denis dans la baie 11 de la cathédrale de Bourges, la lecture la plus courante pour le Moyen Âge ne passe pas par la reconnaissance et l’isolement de chaque lettre, mais bien par l’association de la forme du mot et de sa situation à la fonction d’identification du saint (fig. 104). Une telle forme de lecture doit évidemment être considérée comme un état primaire dans la cognition de l’écriture par le public médiéval. La localisation signifiante de l’inscription dans son contexte matériel, architectural et iconographique permet toutefois de garantir l’efficacité de la communication auprès d’un grand nombre de récepteurs. La reconnaissance iconique du mot peut s’appliquer à tous les types de documents épigraphiques, en particulier dans le cadre des inscriptions funéraires. Celles-ci utilisent en effet un nombre réduit de mots qui se répètent dans la plupart des pièces ; le lecteur médiéval a alors la possibilité de se constituer un répertoire simple et limité avec l’image des mots qu’il rencontre le plus fréquemment dans les inscriptions.



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Les inscriptions-signes La dimension iconique de l’écriture épigraphique affecte, de façon plus large, l’inscription dans son ensemble. L’image du texte peut se soumettre à une lecture iconique, c’est-à-dire à une lecture non lexicale basée sur la reconnaissance de la forme du texte plutôt que sur celle des mots qui le composent. Le récepteur confronte l’image de l’inscription à un répertoire formel acquis au cours de son expérience directe des textes publicitaires. Cette pratique concerne principalement les inscriptions funéraires qui constituent le type épigraphique le plus courant et le plus régulier d’un point de vue formel. À la fin du Moyen Âge, trois grandes familles de textes épigraphiques à vocation funéraire peuvent être isolées : 1) les plates-tombes (simple ou double) à effigie, qui constituent près de 80 % de la documentation, réparties principalement dans un grand tiers nord, centre, ouest de la France ; 2) les textes placés en complément des sépultures, sous forme de plaques ou de tableaux et mêlant les fonctions obituaires et tumulaires ; 3) les inscriptions obituaires, faisant mention de la date du décès d’un défunt, sans lien avec la sépulture ou avec le monument qui l’accompagne38. Les plates-tombes sont les pièces qui adoptent les formes les plus constantes, malgré les distorsions chronologiques et les habitudes locales. La représentation du défunt, la position de l’inscription et les ornements divers sont généralement disposés selon de véritables codes de composition. La fonction funéraire des inscriptions peut alors être rattachée à une image déterminée, celle du système sémiotique de la plate-tombe. Au-delà de toute lecture, la présence d’une dalle de ce type est déjà en soi significative : elle matérialise l’existence d’une sépulture et implique de fait respect et commémoration de la part du public qui pénètre l’environnement de l’objet. Quand il entre aujourd’hui dans une église qui conserve des dalles incisées et/ou inscrites du Moyen Âge, le spectateur de l’objet comprend qu’il s’agit de la marque d’une sépulture, et ce même s’il est incapable de déchiffrer le texte de l’épitaphe. Aux confins des départements des Yvelines et de l’Eure-et-Loir, la petite église d’Oulins (28) abrite aujourd’hui encore un grand nombre de sépultures de la fin du Moyen Âge39. Deux d’entre elles sont couvertes par des plates-tom38   Pour une description de tous les types d’inscriptions funéraires, voir la nomenclature espagnole établie dans García Lobo, V., Martín López, E., Epigrafía medieval…, p. 29-33. 39   Ce texte est à ce jour inédit.



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Fig. 105.  Oulins (28), église, entrée du chœur. Plate-tombe d’une femme (xive siècle ?). Cliché V. Debiais.

bes datant sans doute des dernières années du xive siècle ou du début du xve. La plus ancienne est placée à l’entrée du chœur où le passage répété des fidèles et des desservants ainsi que l’humidité ont pratiquement effacé toute trace d’incision à la surface de la dalle. Les quelques fragments de texte que l’on distingue sur la figure 105 ne permettent pas de reconstituer l’épitaphe, ni d’identifier le défunt. La forme de la dalle associe en revanche sa présence à la localisation d’une sépulture et les quelques traces d’inscription supposent l’existence d’un texte funéraire. Fort de son expérience et de sa familiarité avec les documents de cette nature, le percepteur du texte se contente de saisir l’image de l’objet pour comprendre sa nature et sa fonction. Le visiteur qui regarde aujourd’hui la dalle d’Oulins se trouve en quelque sorte dans la même situation que le percepteur médiéval incapable de lire le texte d’une inscription. Il se focalise sur les données matérielles du document et sur son contexte pour bénéficier d’une partie du message épigraphique. L’inscription agit alors véritablement comme un signal, comme la concrétisation spatiale du message, dans le but d’assurer sa transmission auprès d’un public qui ne maîtrise que partiellement la lecture. L’exemple d’Oulins est toutefois un cas limite. Le texte y est à peine perceptible et la surface de la pierre est trop altérée pour qu’on y lise quoi que ce soit. Pourtant, à en juger

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Fig. 106.  Aunay-sous-Auneau (28), église, revers de façade. Plate-tombe d’un clerc (xiiie siècle). Détail : angle inférieur droit. Cliché V. Debiais.

par la qualité de ce qui subsiste, la pierre devait avoir été réalisée avec le plus grand soin. Le texte y était parfaitement visible et mis en valeur par un champ épigraphique profond. Le texte de fondation de messe de l’église d’Aunay-sous-Auneau (déjà évoqué ici) est gravé sur la tranche d’une plate-tombe à effigie datant du xiiie siècle. Elle a été relevée au revers de la façade occidentale et grossièrement badigeonnée, il y a une cinquantaine d’années, de peinture noire. Le côté droit a été retaillé, sans doute au moment du remploi de la dalle comme pierre d’autel. L’inscription a entièrement disparu dans la partie supérieure. À partir de la moitié de la plate-tombe, le texte réapparaît, mais la partie supérieure des lettres est absente. Grâce aux éléments qui subsistent, on peut toutefois deviner que l’inscription est métrique, composée d’une accumulation d’épithètes laudatives, et qu’elle se termine en prose avec la formule anima ejus requiescat in pace. Pour parfaire la composition et pour respecter la fonction de la plate-tombe, le rédacteur avait ajouté dans le texte une formule tumulaire, dans l’angle inférieur droit, aujourd’hui très dégradé. Elle est difficilement lisible, mais on peut en partie la rétablir grâce à la forme et à l’image des mots. On se trouve ainsi dans une attitude très proche de celle du percepteur médiéval, disposant pour déchiffrer le texte de son répertoire visuel limité. On repère, dans la partie supérieure de la figure 106, les restes de la formule tumulaire contenant les mots tumulo et jacet. L’identification de cette formule ne passe pas par l’isolement de chacune des lettres ni par la reconstruction lexicale des mots jacet ou tumulo, les signes étant trop altérés pour qu’on puisse les identifier avec précision. La peinture a transformé le ductus de certaines lettres, entraînant une confusion dans les graphies. Ainsi lit-on le mot iaoct au lieu de iacet ; le trait qui ferme la lettre onciale C est trop prononcé tandis qu’il manque un trait horizontal à la lettre E. La lecture de la formule passe donc par la reconnaissance de la forme générale du mot. Son identité ne se trouve plus dans la construction lexicale, dans l’agencement de chacune des lettres, mais plutôt dans les caractéristiques visuelles et formelles de l’unité graphique.



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Les inscriptions funéraires sont celles qui se prêtent le plus volontiers à ce type de lecture, en raison de leur constance formelle et de leur simplicité lexicale ; mais, de façon générale, l’inscription, en tant que moyen de communication, tend vers une telle efficacité pratique qui répond aux exigences de la transmission du message. Le type de lecture envisagée ici peut donc s’étendre à l’ensemble de la documentation épigraphique. Le lecteur cherche à repérer, au cœur du texte, les mots essentiels, constitutifs du message. Il concentre son attention sur les verbes notificatifs : obiit, jacet, requiescit, quiescit dans le domaine funéraire, mais aussi consecravit, dedicavit, fundavit, fecit, fecit fieri, etc.40 Il complète l’idée maîtresse par le repérage d’autres éléments structurants, tels que le nom des protagonistes de l’inscription, la datation des événements qu’elle rapporte ou d’autres détails plus circonstanciels. Aidé par le contexte du document, le lecteur accède ainsi à une forme aboutie de compréhension du message de l’inscription. Il dépasse le stade de la perception et entre au cœur du texte. Dans l’église Saint-Aubin de Fontenay-le-Pesnel (14), une inscription rappelle la fondation d’une chapelle en 1346. Le texte est très simple et reprend les éléments indispensables pour la commémoration de la fondation : Jehen Nicole patron de chete uglise a fondee chete chapelle en le honour de Dieu et de saint Denis lan de grace mil ccc quarante et six41. Le verbe notificatif et son complément (a fondee chete chapelle) sont évidemment les données essentielles, celles qui donnent lieu à la rédaction de l’inscription et celles que l’on souhaite soumettre à la publicité. Le nom du fondateur et la date sont, à un moindre degré, des éléments importants de l’inscription : ils permettent de mettre en contexte (temporel et humain) l’idée exprimée par le verbe notificatif. Les autres éléments sont accessoires ; ils offrent certes des compléments importants, mais supposent dans le même temps la lecture complète de l’inscription. La dimension iconique de l’écriture et de la lecture des inscriptions médiévales s’applique plus facilement à des textes simples, comme celui de Fontenay-le-Pesnel, dans lesquels le repérage des éléments structurants reste possible. Plus le texte est étendu, plus l’image de chacun des mots se dilue dans la masse graphique. Dans les longs éloges funèbres versifiés, composés pour de grands personnages, il   García Lobo, V., Martín López, E., Epigrafía medieval…, p. 15.   Caumont, A. de, Statistique monumentale du Calvados, Mayenne, 1987 (1ère éd. : Caen 1874), t. I, p. 230-231 [texte]. 40

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devient difficile d’extraire les informations indispensables à l’efficacité du message. On conserve aujourd’hui encore dans l’église SaintPère de Chartres (28), la plate-tombe du chanoine Simon de Bérou, mort autour de 122042. L’épitaphe qui court tout autour de la dalle de belle facture est composée de six hexamètres collaterales. Conformément à ce que l’on rencontre dans ce type de composition, la description de Simon de Bérou est enrichie de stéréotypes et d’images conventionnelles. La construction métrique n’a pas permis l’emploi d’un verbe notificatif traditionnel. L’épitaphe n’a aucun caractère tumulaire, malgré sa rédaction sur le lieu même de la sépulture. La seule donnée fondamentale qui transparaît dans le texte est le nom du défunt, mentionné au vers 3 : Simon de Bero solitus bona publica cleri. Pour le reste, un lecteur moyen, ne peut associer la forme des mots qui composent ce texte au contenu de son répertoire mental43. Une telle limite est sans doute palliée par le contexte et la forme de la plate-tombe qui éclairent les intentions funéraires de la communication épigraphique. La limitation dans l’étendue du texte de nombreuses inscriptions médiévales ne doit donc pas être envisagée comme le signe de l’indigence textuelle de la pratique épigraphique, mais bien plus comme la garantie de la transmission du message puisqu’elles offrent ainsi à un public très hétérogène la possibilité d’accéder à une partie au moins du contenu du texte, et ce quelle que soit sa connaissance de la lecture. Envisager une forme épigraphique de la lecture médiévale ? Le type de lecture envisagé ici est très éloigné de la lecture experte. Il suppose un procédé cognitif différent, basé sur l’impact visuel du mot et de l’inscription en général. En faisant abstraction de la reconnaissance lexicale, la lecture des inscriptions par un public doté d’une maîtrise limitée de la literacy repose sur un mode cognitif réduit, plus simple dans sa mise en place et plus efficace dans la communication du message. À partir des exemples évoqués dans les pages précédentes, on peut définir une forme épigraphique de la lecture, basée sur des principes simples issus de la nature même des inscriptions. 1) L’acquisition de la lecture épigraphique passe par les données de   « Simon de Bérou », Dalles tumulaires et pierres tombales du département d’Eure-et-Loir, Chartres, s.d., 5ème livraison, n° 18. 43   On trouve, au vers 4, le mot vigore, peu fréquent dans le vocabulaire médiéval, qu’il soit funéraire ou courant. 42



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l’expérience et de l’habitude. Les inscriptions font partie de l’environnement quotidien des médiévaux, au moins en milieu urbain, et cette omniprésence crée une familiarité de fait qui ne suppose ni formation ni apprentissage. 2) La lecture épigraphique naît d’un accès limité aux textes, en particulier dans leur forme manuscrite traditionnelle. Elle se contente pour son acquisition de l’écriture publicitaire que constituent les inscriptions. 3) L’inscription constitue une forme d’apparition réelle de l’écriture dans l’espace. En tant qu’objet, l’écriture épigraphique implique une dimension iconique du mot. 4) Comme toute les formes de communication, la lecture épigraphique est conditionnée par le contexte qui accueille l’inscription. Les dimensions spatiales sont fondamentalement signifiantes et pallient les lacunes qui peuvent résulter d’un état intermédiaire de literacy. 5) La lecture épigraphique repose sur un procédé cognitif analysant les signes (lettre, mot, complément graphique) comme des unités visuelles. La restitution de la réalité empirique se fait donc sous forme d’images. 6) Ce sont ces mêmes images qui constituent le répertoire mental servant de base à la lecture épigraphique. Le contenu du répertoire est numériquement faible, puisque basé sur les seules données de l’expérience. En raison de la nature iconique de l’écriture, le répertoire repose essentiellement sur la valeur symbolique du mot. Forme intermédiaire de la literacy

Lecture experte

Acquisition

Accès aux textes

Enseignement scolaire et/ou formation personnelle. Lecture personnelle, créatrice d’habitude.

Enseignement scolaire limité. Familiarité relative avec les textes les plus courants.

Formation inexistante ou rudimentaire. Familiarité avec les formes publiques de l’écriture.

Accès à des textes nombreux, de formes et de supports divers.

Accès limité et réservé principalement aux textes de la pratique transcrits sur différents supports.

Accès très faible et limité uniquement aux formes publicitaires de l’écriture.

Dimension lexicale. L’écriture est considérée comme un média, avec une fonction pratique, et non pas comme une fin en soi.

Dimension iconique. Le produit écrit est avant tout considérée comme manifestation matérielle de l’écriture dans l’espace.

Dimension lexicale. Le produit écrit est considéré comme Statut de l’écriture un texte parmi d’autres. L’écriture est envisagée pour elle-même.



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les conditions matérielles de la lecture épigraphique Le document luimême. Le texte lu est Nature du contexte considéré comme une partie du document écrit en général.

Les circonstances qui imposent le recours à la lecture.

L’espace qui accueille le texte publicitaire en tant qu’objet.

Procédé cognitif

Analyse globale du texte. Reconnaissance des mots et association des formes aux réalités sémantiques.

Analyse des lettres. Reconstruction des mots comme unités lexicales.

Analyse des signes (lettre, mots, compléments graphiques). Reconstruction des éléments comme unités visuelles.

Nature du répertoire mental

Riche, nourri des lectures et des connaissances du lecteur. Basé sur la valeur sémantique et littéraire des mots.

Moyen, adapté aux nécessités de la pratique. Basé sur la valeur efficace des mots.

Faible, nourri de l’expérience. Basé sur la valeur symbolique des mots.

Réponse insérée à l’ensemble des pratiques intellectuelles du lecteur.

Réponse pratique et circonstancielle à une nécessité de l’expérience.

Signal dans l’espace. Réponse contextuelle liée à la nature du document publicitaire.

Utilisation du message

Figure 107 : Tableau récapitulatif simplifié des formes de lecture envisagées pour la fin du Moyen Âge

En proposant un panorama schématique des différentes formes de lecture à la fin du Moyen Âge, la figure 107 montre les variations notables qui existent entre les documents traditionnels et les inscriptions. Ces différences affectent principalement le procédé cognitif, c’est-à-dire l’appréhension même des textes. C’est dans la première phase de la lecture, dans l’intervention du lecteur sur le mot, que se notent les divergences les plus significatives. En considérant l’inscription comme un système sémiotique différent, les modalités de reconnaissance des signes (encodage) subissent certaines modifications. La lecture d’une inscription n’est pas une forme altérée de la lecture traditionnelle ; elle est beaucoup plus certainement une adaptation à la forme simplifiée de la communication épigraphique. Les conditions techniques de la lecture épigraphique montrent la diversité des formes à envisager pour appréhender un procédé aussi complexe, dépendant à la fois de la nature des signes qui constituent le message, mais également de la forme et du contexte de l’objet qui

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le véhicule. Les données techniques permettent également d’apporter quelques nuances à l’image traditionnelle de la lecture au Moyen Âge, et plus particulièrement dans le cas des inscriptions. On constate premièrement que le caractère public d’un texte épigraphique n’est pas une donnée absolue mais il doit au contraire être rendu effectif par le recours à différents artifices techniques autorisant la prise de connaissance du message par un grand nombre de lecteurs. La diversité formelle des lectures médiévales montre que la prise de connaissance de l’information écrite est possible pour un public relativement large. Ainsi, au-delà de toute formation et de tout enseignement, la capacité à percevoir et à comprendre l’inscription est un fait largement répandu. La lecture épigraphique se caractérise donc par une attitude originale dans l’appréhension de l’inscription ; à cette attitude correspond un public hétérogène dont la définition révèle de nombreux problèmes méthodologiques.



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Le public des inscriptions médiévales : un essai de définition La définition du public des inscriptions médiévales est de toute évidence un élément crucial dans la connaissance du fonctionnement et de l’efficacité de la communication épigraphique. En posant la publicité comme fonction principale de l’inscription, les réflexions méthodologiques ont en partie réglé la question. Si on reprend les travaux fondamentaux de R. Favreau, on remarquera que le public des inscriptions se caractérise de fait par une non définition. Il n’est pas limité par une quelconque sélection puisque le texte épigraphique a pour principale vocation de « faire connaître au public le plus large1 ». Partant de ce présupposé, repenser la question du public épigraphique pourrait s’apparenter à une véritable incongruité méthodologique. En effet, y a-t-il un sens à vouloir définir et caractériser une donnée qui se veut universelle ? Les réflexions techniques autour de la lecture des textes épigraphiques invitent cependant à reconsidérer la capacité des spectateurs des inscriptions à entrer en relation avec le message, et à comprendre l’objectif même du document. La mise à disposition de l’information et de l’objet qui la véhicule est loin d’être évidente pour de nombreuses inscriptions, nous l’avons vu. Certains textes d’autre part ne s’adressent pas au public le plus large possible, en raison de la nature, de la localisation ou du contenu du document. La diversité des formes et des contenus épigraphiques montre enfin que les inscriptions s’adaptent au public auquel elles sont destinées. La réception de l’inscription est donc, sur certains aspects, prédéterminée par sa forme et par les conditions de lecture qu’elle impose ; chaque inscription porte en soi la définition du public auquel elle s’adresse. On ne peut plus dès lors envisager un seul public épigraphique et il est plus correct de considérer l’existence d’une diversité des publics des inscriptions médiévales, définis par la sélection opérée par les textes eux-mêmes dans l’adresse du message, dans les thèmes évoqués ou dans la forme de réponse envisagée.

  Favreau, R., Épigraphie médiévale…, p. 5.

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Universalité du message et sélection du public La réalité documentaire montre qu’un grand nombre d’inscriptions ne sont pas perceptibles ; d’autres textes souffrent quant à eux d’une visibilité réduite et d’une lisibilité limitée ; le message qu’ils tentent de transmettre ne peut pas être connu de la majorité des spectateurs qui réussissent à voir l’objet. L’universalité de la publicité épigraphique est donc réduite par les conditions matérielles de la mise en place des inscriptions. Dans certains cas, elle est consciemment entravée pour entraîner une sélection du public : l’inscription perd alors son caractère publicitaire universel. Elle ne s’adresse plus au public le plus large mais bien à un échantillon de ce même groupe. De fait, l’inscription s’adresse toujours à un public donné, qu’il soit individuel ou collectif, et il s’agit de déterminer ce qui, d’un point de vue culturel et non plus technique, peut entraver, limiter ou annuler la dimension universelle de son message. La sélection thématique du public Par leur contenu, certains textes s’adressent à des récepteurs particuliers2. L’adéquation entre public et message pourrait apparaître comme une limite au caractère universel de la communication si elle ne constituait pas simultanément un gage d’efficacité ; en s’adressant à un public spécifique, l’inscription est plus à même de trouver chez ses récepteurs la réponse idoine, la communication devenant effective quand elle entraîne une modification du comportement et/ou des pensées chez le récepteur ; bref, quand elle organise de façon originale son système de signification3. L’idée de sélection, synonyme de choix, donc de limitation du possible par l’application de critères exclusifs, implique une réduction quantitative du public et une diminution du caractère universel de la publicité. En revanche, l’efficacité

2   Comme dans tout système sémiotique de communication, la teneur signifiée du message épigraphique détermine la réalité réceptrice. Klinkenberg, J.-M., Précis de sémiotique…, p. 38. Voir également les réflexions fondamentales de Pesot, J., Silence, on parle ! Introduction à la sémiotique, Montréal, 1979 (Langue et société), p. 36-38. 3   Klinkenberg, J.-M., Précis de sémiotique…, p. 38 : « Pour considérer la communication comme quelque chose d’utile, il faut admettre qu’elle sert à partager avec quelqu’un une connaissance qu’il n’avait pas, des sentiments qu’il n’éprouvait pas, à lui insuffler de nouvelles manières d’agir,… La communication sert à modifier l’ensemble des données dont le partenaire dispose, et donc l’organisation des signes dans son code ».



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de la transmission de l’information peut devenir d’autant plus grande qu’elle s’adresse à un public théoriquement plus concerné. Les épitaphes sont un appel à la commémoration des défunts et s’adressent à l’ensemble de la communauté des vivants en sollicitant leurs suffrages. L’entretien de la memoria par les vivants, en tant que composante fondamentale des célébrations liturgiques, relève d’une obligation rituelle ; elle est également omniprésente dans les formes moins ordonnée de la pratique religieuse. Dans les inscriptions, cette invitation à la commémoration s’appuie sur des compositions textuelles qui contribuent à donner au défunt une image respectable et digne de louange4, en utilisant pour cela un arsenal de formules qui répondent de fait à ce que le Moyen Âge considère louable. Ainsi conservait-on autrefois, au musée de Morlaix (29), l’épitaphe de Julienne, rédigée en 1238 et placée dans la façade de l’église du couvent des Jacobins. Composée de deux distiques élégiaques, elle présentait un éloge de la défunte, insistant sur les qualités chrétienne de Julienne grâce à un vocabulaire traditionnel. Le premier distique transmet les informations principales, telles que le nom de la défunte, son rôle dans la fondation du couvent ainsi que la formule tumulaire, alors que le second distique est le vecteur des qualités topiques de Julienne de Morlaix : Hujus erat virtus qua pollet femina raro ; mens sincera manus larga pudica caro5. Il pourrait de fait s’appliquer à n’importe quelle défunte méritante pour le Moyen Âge et transmet l’image idéalisée, acceptable par la plupart des lecteurs, de l’épitaphe du personnage féminin, celle de la femme adoptant les qualités masculines6. La mort est omniprésente au Moyen Âge et ne suppose l’exclusion de personne ; elle fait de l’épitaphe l’inscription universelle par excellence7. Certains textes funéraires s’adressent cependant à un public spécifique en fonction des éléments qu’ils véhiculent. Les épitaphes à 4   Voir sur ce sujet l’article de Mora, B., « Le portrait du défunt dans les épitaphes (7501300). Formulaires et stéréotypes », Le Moyen Âge, n° 97, 1991, p. 339-353. Voir également Braekman, M., L’épigraphie tumulaire de la France médiévale (xie-xiiie s.), thèse de doctorat, Université de Poitiers, 1981, p. 125-135. 5   Voir Roumejoux, M. de, « Notes archéologiques », Congrès archéologique de France. Brest, 1896, Paris, 1897, p. 280 ; CIFM 23, 15. 6   Le concept d’idéalisation du statut dans la mort a été très bien traité par Mouktafi, S., Famille, pouvoir, mémoire : épigraphie et aristocratie. La noblesse française dans les inscriptions médiévales (xie-xiiie s.). Compléments et nuances de la définition d’un groupe, mémoire de maîtrise, Université de Poitiers, 2003, p. 39-46. 7   Ariès, Ph., L’homme devant…, p. 215.



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caractère obituaire s’adresseront ainsi plus clairement aux desservants chargés de la célébration liturgique de la mémoire ; ils y trouvent le nom du défunt et la date de son décès, éléments indispensables pour assurer la commémoration. Les informations biographiques sont en revanche très souvent absentes de ce type de textes et les lecteurs ne peuvent assister à un portrait du défunt, comme par exemple dans la pierre tumulaire conservée au musée de Berry de Bourges (18) et portant l’épitaphe de Jeanne du Verdier morte à la fin du xiiie siècle. La dalle, de facture fort simple, porte le texte suivant : anno Domini 1294 obiit Johanna du Verdier domicella8. L’absence de formule tumulaire ne permet pas de localiser une quelconque sépulture, ni de connaître la réalité du monument funéraire. On ignore tout de la personnalité de la défunte et on ne trouve pas d’informations obituaires précises permettant de placer sa mort dans le calendrier liturgique. Si elles s’inscrivent dans la durée et si elles se définissent dans leur capacité à repousser les limites du temps et de la mémoire, les inscriptions sont toujours produites dans un contexte spatial et chronologique particuliers. Documents circonstanciels, leur rédaction suppose un choix dans le contenu et dans la forme du texte. Implicitement, la sélection du thème et du vocabulaire de l’inscription entraîne une sélection du public susceptible de recourir à la lecture du document. Au-delà de la fonction publicitaire, une consécration d’autel n’aura pas le même contenu qu’une inscription funéraire présentant le portrait d’un défunt, ou qu’un texte identifiant le personnage principal d’un programme iconographique. Une formule d’entrée, invitant le fidèle à amender ses mœurs, présentera des idées et un vocabulaire particuliers qui conduira forcément le texte vers le public qui pénètre dans les édifices et qui entre en contact avec l’inscription. Ainsi la sentence morale placée dans la nef de l’église de Cleder ne s’adresset-elle pas à l’ensemble des lecteurs potentiels ; sans exclure les desservants chargés de célébrer les messes, son contenu vise plus directement les fidèles qui viennent à l’église pour accomplir leur devoir de chrétien et qui bénéficient, grâce à la lecture, d’une catéchèse très simple : ouir messe ne tardit home, done aumone ne povrit home, bien autrui ne richit home9.   Gauchery, P., Deshoulieres, E., « L’abbaye de Massay (Cher) », Bulletin monumental, t. 81, 1922, p. 350. 9   CIFM 23, 10, p. 22-23. Cette formule semble d’ailleurs avoir connu une certaine diffusion puisqu’on connaît plusieurs exemples dans le reste de la France. On la rencontre d’autre part sous une forme légèrement différente dans le Maine-et-Loire, à la fin du xive siècle : 8



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La sélection thématique s’opère également pour les inscriptions qui ont une même fonction. Si l’on compare les épitaphes tumulaires de la fin du Moyen Âge, on constate, par-delà la domination écrasante des plates-tombes, l’existence de grandes différences entre les textes. L’ancienne abbaye d’Ardenne, à Saint-Germain-la-Blanche-Herbe (14) conservait autrefois un grand nombre d’épitaphes des xiiie-xve siècles, connues aujourd’hui par les dessins de la collection Gaignières. Elles concernaient des laïcs, familiers de l’abbaye, mais également des abbés et des religieux10. La comparaison de deux pierres tombales d’abbés du xiiie siècle met en évidence la différence de contenu entre deux textes pourtant dotés de la même fonction et de la même forme. L’inscription de l’abbé Pierre est constituée d’une liste d’adjectifs laudatifs assez courants et de formules originales qui dénotent une relative recherche littéraire11. La plate-tombe de l’un de ses successeurs, Pierre II, mort en 1261, est beaucoup plus simple dans sa composition. Il s’agit d’une inscription tumulaire classique, présentant le nom du défunt, sa fonction et la date de son décès12. Par les similitudes qu’elle présente avec la majorité des plates-tombes contemporaines, cette inscription peut être comprise (et peut-être lue de façon plus ou moins correcte) par une part importante du public médiéval. En revanche, la première dalle est suffisamment originale pour réduire la proportion du public susceptible de lire et de comprendre le texte. Pour ce faire, il doit posséder en mémoire des mots aussi rares que meritissimus. Une telle limitation est toutefois toujours relative, la fonction publicitaire ne disparaissant jamais complètement au profit d’un hermétisme délibéré. La sélection topographique du public La mise en espace des inscriptions dans un édifice donné, leur position à l’intérieur d’un bâtiment ou d’un espace ouvert sont autant de facteurs qui conditionnent la perception, la lecture et le sens du document épigraphique. Le Moyen Âge connaît plusieurs types d’esLe Thoureil, ancienne abbaye de Glanfeuil, chapelle Saint-Martin. Fragment de sentence morale (fin xive s.) ; voir Barbier de Montault, X., Épigraphie du département de Maine-etLoire…, p. 35. 10   Plusieurs de ces épitaphes ont été publiées dans le CIFM 22, 39-42. 11   CIFM 22, 39. Trad. : Pierre, abbé d’un très grand mérite, pieux et chaste…Il mérita Dieu, il a laissé derrière lui ses amis. 12   CIFM 22, 42. Trad. : Ci-gît Pierre, abbé de cette église, qui mourut l’an du Seigneur 1261, le 1er du mois d’août. Qu’il repose en paix. Amen.



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paces, possédant des caractéristiques propres et déterminant de fait un statut, une activité et un public. On peut séparer trois groupes importants qui, sans s’opposer les uns aux autres, connaissent parfois des conflits d’intérêt et des rivalités de définition : −− l’espace domestique : c’est le lieu d’exercice de la vie quotidienne et de la culture matérielle, le foyer. Il est avant tout constitué de la maison d’habitation, de la plus modeste à la plus fastueuse. Il englobe également les ateliers et les autres lieux de travail. C’est l’espace où s’exerce la propriété effective des objets. C’est le lieu de l’intimité13. −− l’espace du pouvoir : c’est le lieu d’exercice de l’autorité politique, militaire ou intellectuelle, qu’elle soit laïque ou ecclésiastique. Ces espaces sont marqués du sceau des décisions officielles qui en émanent et qui leur accordent un statut particulier. Des salles de tribunaux aux bâtiments de l’administration civile, des salles de réception des grandes demeures individuelles aux places de marché en milieu urbain, l’espace du pouvoir se caractérise par sa publicité. −− l’espace sacré : il ne se définit plus par les activités qu’il accueille mais plutôt par le statut particulier des lieux qui le composent. La dimension sacrée des bâtiments ou des espaces ouverts les place dans une relation différente au temps et au monde, séparée par les cérémonies liturgiques qui accompagnent la dédicace ou la consécration. C’est le lieu d’exercice de la spiritualité, marqué par une dimension symbolique très importante14. La dimension symbolique est toutefois présente dans tous les types d’espaces évoqués ci-dessus car, comme l’a montré Th. Grégory, l’es13   L’espace privé de la maison a été étudié dans tous les travaux qui traitent de l’individualisme au Moyen Âge. On sait qu’une partie de ces études sont à utiliser avec précaution. On renverra toutefois à Morris, C., The Discovery of the Individual (1050-1200), Londres, 1972, p. 5-13 et 43-52 ; Gourevitch, A.J., La naissance de l’individu dans l’Europe médiévale, Paris, 1997, p. 135-178. Dernièrement voir L’individu au Moyen Âge, B.-M. Bedos-Rezak et D. IognaPrat (dir.), Paris, 2005. 14   La définition des espaces sacrés dépend étroitement du sens que l’on attribue au mot «  sacré  ». D’importants débats historiographiques ont permis d’éclairer la conception médiévale de la sacralité. Nous nous placerons ici dans la lignée des réflexions proposées par Schmitt, J.-Cl., « La notion de sacré et son application à l’histoire du christianisme médiéval », Cahiers du Centre de recherches historiques, n° 9, avril 1992, p. 19-29. Voir aussi l’article très stimulant de Lauwers, M., « Le cimetière dans le Moyen Âge : lieu sacré, saint et religieux », Annales ESC, n° 5, sept.-oct. 1999, p. 1047-1072. On verra également la somme fondamentale de Iogna-Prat, D., La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’église au Moyen Âge, Paris, 2006, et le livre tout récent de Palazzo, É., L’espace rituel et le sacré dans le christianisme, Turnhout, 2008.



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pace médiéval en général possède une forte charge symbolique, basée sur une conception chrétienne de l’univers15 ; celle-ci transmet ses spécificités aux objets contenus dans l’espace et invite à concevoir chaque lieu comme un tout cohérent16. L’accès du public à ces différents espaces est marqué par de constantes restrictions, aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif ; les objets qu’ils contiennent sont exclusivement destinés à la partie autorisée à pénétrer et à utiliser ces espaces. Parmi ces objets figure la documentation épigraphique, majoritairement conservée à l’intérieur ou à l’extérieur d’édifices construits en élévation. Même si une diversification apparaît à la fin du Moyen Âge dans la localisation épigraphique, force est de constater qu’une écrasante proportion d’inscriptions prend place dans les édifices religieux (séculiers ou monastiques). La fonction traditionnelle de « faire connaître à tous » appliquée à l’inscription est donc tout à fait relative, celle-ci transmettant une information à un public présélectionné par la nature même du bâtiment qui l’abrite. Si la sélection topographique affecte et limite sans aucun doute la diffusion du texte, elle permet en revanche de la même façon d’augmenter la réception de l’information, en proposant d’une part une adéquation forte entre la thématique épigraphique et le public de l’inscription, et en transférant d’autre part vers le texte une partie de la valeur symbolique de l’espace qui l’accueille. Les xiiie-xive siècles sont marqués par une prise de conscience du caractère privé des espaces domestiques et par l’expérience de l’intimité17. Dans le monde aristocratique, on rencontre, principalement au xive siècle, des inscriptions gravées à l’intérieur des demeures seigneuriales dont la publicité est fortement entravée par la localisation ; elles s’adressent uniquement aux habitants de la maison, autorisés par les liens familiaux, les mœurs ou les codes privés à fréquenter l’intimité des salles, chambres et autres chapelles. Le château de Montmoreau (16) abrite les restes d’une belle chapelle datant de la fin du xiiie siècle. Elle avait reçu un important décor peint au niveau de l’abside et du tympan, autrefois complété par des inscriptions identifiant les personnages représentés18. Dans l’abside orientale, un autre texte   Grégory, Th., « Nature… », p. 807.   Zumthor, P., La mesure du monde…, p. 35-41. 17   Benton, J.F., « Consciousness of Self and Perceptions of Individuality », dans Renaissance and Renewal in the Twelfth Century, éd. R.L. Benson et G. Constable, Oxford, 1982, p. 263-298. 18   CIFM I-3, Ch 62. 15 16



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peint rappelait le souvenir de la dédicace de la chapelle : locus iste dedicatus est in honorem praeclare Dei genitricis virginis Marie. Amen. Il s’agit d’une dédicace fort simple, présentant seulement le vocable de la chapelle et omettant la date et le nom des prélats consécrateurs. La thématique et la fonction commémorative de cette inscription ne sont pas spécifiques aux oratoires privés mais se rencontrent dans tous les types d’édifices religieux ayant pu faire l’objet d’une consécration. Dans le cas de Montmoreau, la diffusion du texte est limitée par la situation topographique de l’inscription. Elle s’adresse donc à un public présélectionné qui trouve dans la lecture du texte l’occasion d’une commémoration particulière, en lien avec le lieu qu’il occupe. Aussi, si la dédicace peinte de Montmoreau connaît un public limité, celui-ci est en revanche composé de lecteurs pleinement concernés par le message de l’inscription. En tant qu’espace sacré, la chapelle privée reçoit une double limitation dans son public puisqu’elle suppose en effet la fréquentation de la demeure et l’accès à ses espaces les plus intimes. D’autres espaces domestiques sont en revanche plus accessibles. Dans le château de la GrandeCourbe, à Brée (53), on avait ainsi peint plusieurs inscriptions identifiant le bestiaire représenté sur les murs de la grande salle19. Contrairement à la dédicace de la chapelle de Montmoreau (où il fallait entrer dans la résidence et avoir accès à ses parties les plus intimes), le fait de pénétrer dans la demeure, dans la salle servant à l’accueil du public, permet d’avoir accès aux différents textes épigraphiques d’identification, même si l’aspect public des différentes parties de la demeure aristocratique est encore à la fin du Moyen Âge très relatif. Une telle hiérarchie des contextes existe ainsi au sein d’espaces de même nature et implique une multiplication des circonstances de l’accès au texte. On repère parfaitement cette situation dans les édifices religieux, et en particulier dans les églises. L’espace ecclésial ne propose pas les mêmes conditions d’accès à toutes ses parties et l’expérience de certains lieux, comme le chœur ou la sacristie par exemple, est interdit au public des fidèles assistant aux célébrations liturgiques, qui doivent se contenter de la nef ou des parties occidentales de l’église. Certains espaces sont ainsi réservés aux seuls célébrants ou à certains fidèles dans des circonstances particulières. L’espace sacré obéit, à l’intérieur de l’église, à une hiérarchie complexe et à des règles strictes qui structurent le déroulement des céré  Voir Davy, Ch., La peinture…, t. I, p. 64, n° 9.

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Fig. 108.  Plan schématique de l’abbaye Saint-Ouen de Rouen. Situation de la dalle tumulaire de Nicole Le Bourgeois (1269).

monies et qui attribuent une place fixe aux différentes catégories d’usagers20. Certains lecteurs potentiels auront donc à leur disposition des textes plus ou moins nombreux et, de fait, une documentation différente en fonction de leur localisation dans l’espace. Une platetombe située dans la nef pourra ainsi être vue par les célébrants mais également par le public des fidèles. La plate-tombe de Nicole Le Bourgeois, réalisée dans la deuxième moitié du xiiie siècle et autrefois conservée dans l’église abbatiale de Saint-Ouen de Rouen (76), était placée dans une telle situation, dans la nef de l’église, près de la porte donnant accès au cloître 21 ; elle était vue par les fidèles qui assistaient aux messes, mais également par les religieux qui passaient près de la dalle pour circuler de l’église vers le cloître (fig. 108). Une consécration d’autel transcrite dans le chœur, près du monument auquel elle se rapporte, ne sera, en revanche, potentiellement déchiffrée que par le desservant autorisé à pénétrer dans le sanctuaire pour y accomplir son office. Si la communication épigraphique est effective dans les deux cas, sa portée est renforcée dans le cas de la plate-tombe, placée 20   Pour comprendre les implications de la géographie des espaces sacrés, nous renverrons au volume Le sacré et son inscription dans l’espace à Byzance et en Occident. Études comparées, sous la direction de M. Kaplan, Paris, 2001 (Byzantina Sorbonensia, 18), et en particulier à l’article de Zimmermann, M., « Les actes de consécration d’églises du diocèse d’Urgell (ixe-xiie siècles) : la mise en ordre d’un espace chrétien », p. 301-318. 21   CIFM 22, 222.



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à la vue du plus grand nombre ; la consécration d’autel bénéficie quant à elle de l’adéquation entre la situation du texte et les destinataires du message, et reçoit ainsi les actions commémoratives des prêtres. Le monde monastique propose de nombreux exemples d’une telle séparation des publics, principalement dans les cas où l’église abbatiale est également paroissiale et accueille de fait la communauté des fidèles. Les textes se trouvant dans la partie de l’église destinée aux laïcs bénéficient d’une publicité bien plus étendue que les textes situés dans les dépendances proprement monastiques (salle capitu- Fig. 109.  Plan schématique de l’ancien laire, cloître, réfectoire des prieuré Saint-Maurice de Montbron (16). moines, etc.). L’église de Situation des inscriptions. l’ancien prieuré Saint-Maurice de Montbron abritait au moins cinq témoignages épigraphiques, répartis entre l’intérieur de l’édifice (bras nord du transept) et le mur extérieur sud de la nef, vers le cloître des chanoines. La figure 109 témoigne clairement de l’opposition qui sépare les deux groupes d’inscriptions de part et d’autre de l’axe est-ouest de l’église (fig. 109). L’inscription tumulaire n° 1 est le seul texte qui s’adresse à l’ensemble de la communauté des fidèles ; les autres épitaphes sont quant à elles destinées à la communauté plus réduite des chanoines ; la publicité des quatre inscriptions funéraires est donc plus limitée. Aucune inscription n’est tournée vers le nord ou vers l’ouest, partie du bâtiment ouvert sur l’espace public de circulation. Par la localisation des inscriptions, les réalisateurs ont volontairement opéré une limitation sélective dans le public épigraphique, mais celle-ci ne remet pas en cause l’efficacité de la commu

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nication. Les inscriptions de l’ancien cloître de Montbron sont en effet des inscriptions obituaires rappelant le décès de grands familiers du prieuré et de certains personnages locaux particulièrement importants : les familles Caille de la Mothe et Borreau, G. et Jeanne de Montbron. En plaçant les textes dans le cloître, les réalisateurs des inscriptions assuraient aux défunts une commémoration soignée, garantie par la prière des chanoines, lecteurs presque exclusifs des inscriptions. Dans le cas de Montbron comme dans le cas de Saint-Ouen de Rouen, la restriction topographique n’entraîne pas nécessairement l’annulation de la fonction publicitaire de l’inscription, mais il existe des cas où les choix dans sa localisation compromettent toute entreprise de lecture. Quand on décide de placer un texte sur une clef de voûte, à plus de vingt mètres du sol, on prend la liberté de soustraire l’inscription à la perception du public et on annule sciemment le caractère publicitaire de l’écriture épigraphique. Celle-ci conserve uniquement sa valeur symbolique qui pourra être activée dans le cas d’une forme circonstancielle de lecture. En dehors de ces cas relativement rares à la fin du Moyen Âge, la sélection topographique du public conduit paradoxalement à une augmentation de l’efficacité de la communication épigraphique. En mettant le texte à la disposition d’une certaine catégorie de lecteurs, la mise en espace participe à l’adéquation entre le contenu de l’inscription et le public concerné par la nature du message et par les spécificités des informations qu’il véhicule. La sélection culturelle du public Le livre fondamental d’A. Gourevitch, publié en 1972, a très clairement mis en valeur la diversité de la culture médiévale22. Les différentes catégories qu’il a pu établir montrent la nécessité de distinguer les pratiques et les productions culturelles en fonction du producteur, du contenu et du public. À la suite de cet auteur, on a vu apparaître de nombreuses études sur la culture populaire du Moyen Âge qui se sont principalement attachés au contenu des faits culturels23, les met  Gourevitch, A.J., Les catégories de la culture médiévale, Paris, 1983 (1ère éd. : 1972).   Id., La culture populaire au Moyen Âge : Simplices et docti, Paris, 1996 (1ère éd. : 1981) ; voir aussi Delaruelle, É., La piété populaire au Moyen Âge, Turin, 1975, ou encore l’important colloque La culture populaire au Moyen Âge…

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tant souvent en opposition avec les formes plus élaborées de la culture des élites médiévales. Rares sont les études qui proposent un examen de la forme des productions culturelles et des modalités de leur transmission. Il s’agit pourtant là d’un aspect essentiel : pour devenir opératoire, la communication doit en effet s’adapter à la culture du public auquel elle s’adresse et l’inadéquation entre la forme du message et la nature du récepteur constitue l’une des sources principales de l’échec de la transmission d’une information24. Une telle correspondance est indispensable dans le cas de la communication publicitaire dont le premier objectif est justement de toucher un public large et correspondant à la nature du message. En termes contemporains, le document publicitaire doit trouver sa cible, c’est-à-dire rencontrer les récepteurs susceptibles de comprendre l’information, d’interpréter le message et de fournir la réponse adéquate. Les inscriptions cherchent ainsi à s’adapter à la culture du public auquel elle s’adresse afin d’optimiser les possibilités d’une transmission efficace. Une telle adaptation passe premièrement par la langue de rédaction de l’inscription. La lecture épigraphique ne reposant pas uniquement sur la dimension lexicale du texte, on pourrait certes penser que la valeur iconique des mots pallie les défauts de compréhension qui résultent de la lecture d’un texte transcrit dans une langue peu connue. La langue de rédaction de l’inscription importerait alors bien peu, les données phonétiques et lexicales n’intervenant pas pour la majorité du public. Cependant, pour être efficace, la lecture épigraphique, basée sur l’image du mot, suppose une forme fixe pour chaque élément du texte. La graphie d’une même réalité sémantique se trouve affectée de changements visuels en fonction de la langue dans laquelle le rédacteur la transcrit. Il est alors difficile de supposer qu’un lecteur médiéval courant puisse reconnaître le même texte rédigé en deux langues différentes uniquement à partir de l’image des mots. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’en comprend pas le message, au moins de façon superficielle. Il est aidé en cela par le contexte, la forme et la nature du document. L’inscription qui court par exemple autour d’une plate-tombe sera identifiée en tant qu’épitaphe par ce même lecteur, qu’elle soit rédigée en latin ou en langue vernaculaire. La figure 110 place côte à côte deux exemples de cet ordre. La forme visuelle de l’objet et la disposition du texte diffèrent légèrement en raison des évolutions stylistiques. L’exemple de gauche   Pesot, J., Silence…, p. 126.

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Fig. 110.  Comparaison formelle et linguistique de plates-tombes à inscription. À gauche : Dreux (28), Saint-Étienne, chœur. Plate-tombe de Robert V, comte de Dreux (1330) ; à droite : Chartres (28), Saint-Père, chœur. Plate-tombe de Simon de Bérou (c. 1220).

présente la plate-tombe d’un seigneur de Dreux, Robert, mort en 1330 (n. st.), avec son inscription en langue vernaculaire. L’exemple de droite montre quant à lui l’épitaphe latine d’un clerc de Chartres, Simon de Bérou, mort vers 1220. Malgré la différence linguistique, les images des deux inscriptions sont tout à fait comparables. La première fonction de l’inscription funéraire est de fait effective : le présence du texte témoigne de l’existence d’une épitaphe, au-delà de toute implication lexicale. En revanche, si l’on fait abstraction du contexte, les changements dans la graphie, conséquence de la différence des langues de rédaction, peuvent affecter la compréhension du message. La constitution du répertoire mental épigraphique repo

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sant sur la mémoire de la forme visuelle des unités lexicales, il est difficile d’associer deux graphies différentes à une même réalité sémantique. Des formules tout à fait identiques, simplement traduites d’une langue à l’autre, possèdent deux images complètement différentes et supposent la connaissance des deux formes pour comprendre le message dans une langue comme dans l’autre. Pour essayer de percevoir ces différences graphiques, nous transcrivons ci-dessous deux textes funéraires, très proches dans leur composition. Les deux inscriptions proviennent du département de l’Allier et sont pratiquement contemporaines. Elles concernent un chevalier pour l’épitaphe latine et un écuyer pour l’inscription en langue vernaculaire. Épitaphe de Regnault de Saint-Martin : hic jacet dominus Reg/inaldus de sancto Martino miles qui obiit anno / domini millesimo ccc / xx die festum epifanie orate pro eo25 Épitaphe de Guillot d’Yzeure : ci gist Guillot d’Ys/seure escuiers sages et nobles qui trespassa lan / m ccc et xii lou diemoi/ge apres quasimodo dex ait lame de li amen26

Si le passage d’une langue à une autre ne change ni la nature, ni le contenu du message, la forme visuelle des expressions qui en structure l’exposition est en revanche complètement bouleversée. Si l’exemple des plates-tombes montre que l’efficacité de la communication ne disparaît jamais totalement, la langue de rédaction du texte opère pourtant nécessairement une sélection du public susceptible d’accéder à l’intégralité des informations épigraphiques. Les différents niveaux de formation (et les connaissances culturelles et littéraires qu’ils impliquent) déterminent la compréhension plus ou moins aboutie d’un même texte. L’inscription, en choisissant un registre particulier d’expression, occulte délibérément une partie du message à une certaine catégorie de public, créant ainsi différents niveaux dans la prise de connaissance du texte. La réalisation d’une longue épitaphe versifiée (composée d’expressions métriques complexes, d’un vocabulaire recherché et de tournures rhétoriques soignées) ne sera effectivement accessible, en ce qui concerne la qualité littéraire, 25   De Vaivre, J.-B., « Dessins inédits…», t. II, p. 144. Trad. : Ci-gît le seigneur Regnault de Saint-Martin, chevalier, qui mourut l’an du Seigneur 1320, le jour de la fête de l’Épiphanie. Priez pour lui. 26   Ibid., p. 141.



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qu’à une partie réduite du public capable, par formation et par habitude, de mesurer la valeur de la composition. À la mort de l’évêque de Quimper Thomas d’Anast, on a placé sur son tombeau une longue inscription métrique rappelant la grandeur du défunt et le désarroi qu’entraîna sa disparition en 132227. L’inscription, véritable éloge funèbre, se compose de treize hexamètres léonins riches, corrects dans leur construction et élégants dans leur composition. Le vocabulaire employé et la volonté rhétorique qui animent le poème ne font aucun doute sur la destination de cette inscription : seul un public lettré, habitué à fréquenter la poésie, est en mesure de percevoir les subtilités et toute la teneur du message. Le défunt est décrit par exemple, au vers 7, comme « le glaive et pasteur du troupeau de Quimper »28 ; le décès est qualifié, au vers 8, d’aspera mors29. Les trois derniers vers de l’inscription donnent enfin la date du décès et une demande de prière, là encore dans une forme complexe : anno milleno bis quater octuageno Gervasii festo tumulatus funere moesto ad veniam praesto Deus illi te precor esto30. La recherche rhétorique dans la datation, née de la nécessité métrique, occulte un élément indispensable à la commémoration du défunt derrière un souci purement formel. L’usage de cette inscription funéraire dans la commémoration est donc à nuancer fortement, puisque tous les lecteurs ne sont pas en mesure d’entrer en contact avec la teneur pratique du message de l’inscription. C’est également ce que montre l’inscription funéraire de Juhel II de Mayenne, mort autour de 1220 et enterré dans l’abbaye de Fontaine-Daniel (53)31. L’épitaphe se compose de huit hexamètres léonins riches vantant les mérites militaires du défunt. Par son contenu, elle concerne dans l’absolu un public très large : on y trouve la mention des bienfaits de Juhel auprès de l’abbaye et de sa renommée   La localisation de ce tombeau et de l’inscription qui l’accompagne pose un certain nombre de difficultés. Cette pièce semble, en effet, avoir connu plusieurs déplacements entre le Finistère, l’Ille-et-Vilaine et le Maine-et-Loire. Nous localiserons pour des raisons pratiques ce texte dans la cathédrale d’Angers, première localisation attestée du tombeau. Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux… », p. 153 (n° 850). 28   Vers 7 : Corisopitensis fuit in grege pastor et ensis. 29   L’adjectif asperus est à ce titre fréquemment employé dans les compositions métriques, et ce depuis plusieurs poètes latins dont Ovide. 30   Vers 11-13. Trad. : Mille, quatre fois quatre vingt et deux années [1322]. Enterré le jour de la fête de Gervais, je m’attriste de la sépulture. Dieu, je t’en prie, pourvoie à sa récompense ! 31   Angot, A., Épigraphie…, t. 2, p. 262-264 ; voir aussi Copy, J.-Y., « L’aube de la revendication royale bretonne  », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, t. 83, 2005, p. 109-145, p. 134. 27



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acquise au combat. La nature du texte complique pourtant la connaissance de ces informations simples. Pour satisfaire à la composition des vers, le poète a utilisé un vocabulaire recherché et imagé qui participe à l’évocation du souvenir du fondateur. Décrit comme « triomphateur de Mars, dominateur et chef des plus grands »32, Juhel de Mayenne reçoit le qualificatif de « glaive » (ensis), comme Thomas d’Anast, mais également celui de « bouclier » (clipeus). L’ensemble du lexique laudatif de ce texte est assez fréquent dans la poésie funéraire du Moyen Âge, tout comme l’expression tumulaire quem tegit haec et l’appel au lecteur qui legis haec ora. L’association métrique entre clipeus et ensis est quant à elle connue depuis l’Antiquité romaine, mais ne se rencontre pas dans cette forme dans les épitaphes françaises antérieures au xiiie siècle. Le caractère topique du vocabulaire ne signifie pas pour autant que les mots se retrouvent fréquemment dans l’ensemble de la documentation épigraphique. Bien au contraire, la relative rareté du lexique implique la restriction des lecteurs capables de repérer la forme des mots dans l’inscription. Pour Thomas d’Anast comme pour Juhel II de Mayenne, le recours à une forme poétique élaborée et l’emploi d’un lexique original se justifient par la qualité des personnages. La noblesse de leur lignée ou de leur fonction leur permet de bénéficier d’une inscription funéraire soignée, à la mesure de leur grandeur. Cet accord systématique entre la qualité du défunt et celle de son épitaphe a une double conséquence. Elle suppose d’une part la destination de ces textes à une catégorie particulière de lecteurs, d’un niveau culturel suffisamment élevé pour lire et comprendre un texte métrique latin de composition savante. Elle crée d’autre part un schéma d’habitude chez le lecteur ne pouvant entrer dans toutes les subtilités du texte, qui associe sans doute peu à peu composition littéraire difficile d’accès et inscription funéraire destinée à un grand personnage. La mise en forme et en espace des inscriptions médiévales est à l’origine d’une répartition du public épigraphique. Qu’elle soit thématique, topographique ou culturelle, la sélection des lecteurs implique dans tous les cas une réduction de leur nombre, mais on a pu constater à plusieurs reprises que cette limitation ne suppose pas nécessairement une réduction qualitative de la transmission de l’information. L’inscription reste toujours significative pour tous les percepteurs dans le seul fait d’exister, et la sélection est souvent synonyme   Vers 5 : Marte triumphator procerum caput et dominator.

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de mise en adéquation de la documentation avec un public particulier. Grâce aux différentes sélections, les réalisateurs de l’inscription (rédacteur, scripteur et artiste) rencontrent leurs lecteurs et le message trouve sa cible. La communication épigraphique s’adresse certes au public « le plus large », comme le soulignait R. Favreau, mais elle n’a pas pour autant une vocation universelle. Ce public le plus large est en fait un public présélectionné par la forme même de l’inscription. Dans sa mise en place, la transmission de l’information est donc consciemment orientée vers une certaine catégorie de percepteurs. L’inscription porte en elle-même l’adresse à son lecteur privilégié.

Lecteurs et modalités de la lecture à travers les inscriptions Si l’on pénètre maintenant la structure de l’inscription, on remarque qu’elle comporte très souvent en elle-même les éléments qui déterminent la composition de son public, et, dans des occasions plus rares, les conditions de sa lecture. L’inscription obéit à des règles formelles et à des codes de composition qui structurent la forme du message afin de rendre efficace la transmission des informations. Ce code épigraphique, avec ses implications culturelles, techniques ou topographiques, permet l’adéquation entre la nature du message et le public auquel il est destiné. Il affecte le vocabulaire et la syntaxe du texte, mais également la forme même du document. En étudiant le code interne de chaque inscription, on peut, par déduction, approcher une définition de son public. Le code épigraphique Si la communication épigraphique confronte le lecteur à un texte traditionnel, elle le met également face à un objet doté de qualités empiriques. Pour que la communication s’opère pleinement entre émetteur et récepteur de l’inscription, le code de diffusion de l’information intervient au niveau de la forme de l’inscription (sur son support, sa taille, sa localisation, ses caractères externes), et sur le texte lui-même (sur le choix du vocabulaire, les formules, etc.). Il s’opère ainsi une continuelle adaptation entre la fonction et la nécessité de la communication d’une part, et la réalité matérielle et culturelle d’autre part.



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Dans la documentation épigraphique de la fin du Moyen Âge, les plates-tombes à effigie proposent les formes épigraphiques les plus courantes et les plus stables. Les épitaphes répondent en effet à une construction formelle relativement rigide, malgré quelques évolutions chronologiques et quelques habitudes locales, et semblent véritablement obéir à un code de composition strict visant à assurer, dans un premier temps, la localisation de la sépulture, la commémoration du défunt, la sauvegarde des éléments indispensables à cette activité, et, le cas échéant, la promotion de la memoria du personnage représenté sur la dalle. Pour ce faire, la plate-tombe associe dans un même système sémiotique l’iconographie et le texte ; cette combinaison de signes de nature différente participe à l’efficacité de la communication, dans la mesure où l’image et l’écrit se complètent et s’enrichissent mutuellement. Les plates-tombes se composent généralement de cinq éléments signifiants qui définissent la forme et la fonction de l’objet épigraphique, et permettent l’attribution d’un sens simple à sa présence : l’effigie ou la représentation ; l’inscription (caractères externes et caractères internes) ; l’architecture structurante (arcature, piliers, sculptures, etc.) ; le décor et l’ornementation (motifs végétaux, cadres) ; les motifs héraldiques et emblématiques (écus, blasons, étoffes, animaux symboliques). La lecture de l’inscription intervient éventuellement ensuite, mais la valeur significative de la plate-tombe ne réside pas uniquement dans le texte. Les épitaphes gravées sur les plates-tombes répondent plus ou moins à une même construction en latin comme en langue vernaculaire. Le texte commence généralement par une formule tumulaire, du type hic jacet ou hic requiescit (ci gist en ancien français), suivie du nom du défunt, complété par sa fonction, des données généalogiques ou des épithètes laudatives. Viennent ensuite les informations concernant le décès (date, parfois les circonstances). L’épitaphe se termine par une formule de recommandation à Dieu (du type anima ejus requiescat in pace). L’ensemble peut être complété par un appel au lecteur ou une demande de prière. Ce modèle simple connaît de grandes variations, avec le développement de telle ou telle partie, ou l’adjonction de données complémentaires. Les similitudes dans le code épigraphique ne se limitent pas aux évidentes ressemblances des formules, repérables à la simple lecture de l’épitaphe. Elles affectent également la disposition de l’inscription sur la dalle, c’est-à-dire la répartition du texte dans l’espace iconographique. Les inscriptions se développent de fait pratiquement toujours dans le même sens (celui des aiguilles d’une montre). On commence la plupart du temps la

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lecture par la partie supérieure de la dalle et on termine par le grand côté gauche. Les signes sont généralement gravés vers l’intérieur de la pièce et le lecteur doit se placer à l’opposé de la ligne qu’il regarde33. Il existe des exceptions, comme la platetombe de Geoffroy de Masviez, mort en 1231 et inhumé à SaintGermain-la-Blanche-Herbe (14), dont l’épitaphe se répartit sur quatre lignes (deux à droite, deux à gauche), placées au pied de la dalle34 (fig. 111). En dehors de ces exceptions – somme toute assez rares – et des variations dans le contenu du texte, les différents éléments constituant l’épitaphe occupent des positions similaires autour de la plate-tombe. La régularité dans le contenu des textes implique des épitaphes de longueur égale, inscrites sur des dalles de dimensions semblables. Si on ajoute à cela la constance du module des signes qui composent l’inscription, on aura en toute logique des épitaphes réparties de façon équivalente sur des plates-tombes pourtant différentes. Chaque section du champ épigraphique en vient ainsi à renfermer une partie du message et leur association systématique devient signifiante.

Fig. 111.  Saint-Germain-la-BlancheHerbe (14), abbaye d’Ardenne, chapitre. Dalle de Geoffroy de Masviez (1231). Dessin de la collection Gaignières publié par Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières… », t. I p. 34 (n° 140).

33   On lira le grand côté gauche depuis la partie droite de la plate-tombe, la partie haute depuis les pieds du défunt, le grand côté droit depuis la partie gauche et le bas de la dalle depuis le haut de la tombe. 34   CIFM 22, 41.



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Fig. 112.  Les Sorinières (44), abbaye de Villeneuve, sacristie. Plate-tombe de Macé Maillard (1271). Détail  : angle supérieur droit. Adhémar, J., Dordor, G., «  Les tombeaux de la Collection Gaignières… », t. I p. 64 (n° 319).

Fig. 113.  Yvré-l’Evêque (72), abbaye de l’Épau, sacristie. Plate-tombe de l’abbé Guillaume (xiiie-xive siècle). Inscription disparue. Détail : partie supérieure de la dalle. Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières… », t. I, p. 34 (no 141)

On retrouve pourtant cette adéquation entre le contenu et la localisation du texte pour des dalles sur lesquelles l’inscription commence dans une section différente du champ épigraphique. Dans l’ancienne abbaye de Villeneuve (44), on trouvait autrefois la plate-tombe de Macé Maillard, mort en 127135. L’épitaphe, tout à fait traditionnelle, commençait dans la partie droite du petit côté supérieur, comme le montre la figure 112. Le nom du défunt se trouve en conséquence placé dans l’angle supérieur droit, sur le grand côté de la dalle. C’est au même endroit que l’on trouve le nom de Jean Sevestre, mort au début du xive siècle, sur la plate-tombe double qu’il partageait avec un membre de sa famille et qui était également conservée autrefois dans l’abbaye de Villeneuve, mais dont l’épitaphe commençait cette fois à l’extrémité du petit côté supérieur 36. Dans l’ancienne abbaye de l’Épau (72), une belle plate-tombe à effigie présentait l’épitaphe de l’abbé Guillaume, mort dans le courant du xiiie siècle. L’épitaphe commençait au début du petit côté supérieur et était constituée de vers latins. Malgré ces différences substantielles, le nom du défunt se   CIFM 23, 106.   Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux… », t. I, p. 118.

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trouve dans une position identique aux deux exemples précédents, c’est-à-dire dans l’angle supérieur droit, comme le montre la figure 113. Une telle constance dans la répartition ne s’applique pas seulement au nom du défunt. Elle est valable pour l’ensemble des éléments constitutifs de l’épitaphe, aussi bien pour la date du décès que pour la demande de prière. Cette régularité dans la situation détermine certains espaces particuliers à la surface de la dalle, qui accueillent toujours le même type d’informations. Par familiarité, le percepteur de l’épitaphe associe ainsi l’unité d’espace (que représente le segment de champ épigraphique) à une unité de sens. La plupart des informations importantes dans le cadre de la commémoration des défunts se situent dans les angles de la plate-tombe. L’angle supérieur droit accueille en effet, dans plus de 85 % des cas, le nom et la fonction du défunt. Dans une moindre mesure, il constitue également le lieu de la formule tumulaire ou de l’une de ses adjonctions. L’angle inférieur du côté droit reçoit la datation. La formule qui introduit la date du décès (qui obiit en latin, qui trespassa en français) est d’ailleurs la section textuelle qui offre la plus grande régularité dans sa localisation ; elle occupe généralement le quart inférieur du grand côté droit, la datation elle-même complétant cette section et le petit côté inférieur. Les données indispensables à la commémoration (nom et date) sont ainsi rassemblées sur la moitié droite de la plate-tombe. L’angle supérieur gauche est quant à lui fréquemment occupé par les formules qui manifestent les relations entre le texte et son lecteur (demandes de prières, apostrophes aux passants, etc.). C’est également là où on trouve le mot amen qui termine régulièrement les épitaphes inscrites sur les plates-tombes. Un balancement assez net s’opère ainsi entre les deux côtés de la dalle  ; il correspond à deux fonctions importantes de l’épitaphe : transmettre les données de la commémoration et inviter les vivants à prier pour le défunt. La répartition du texte doit donc être considérée comme un moyen d’organiser l’espace épigraphique : à intervalles réguliers, on rencontre les unités de sens transmettant la substance du message. L’organisation visuelle et spatiale de la plate-tombe garantit une transmission efficace des informations : le texte occupe un emplacement qui porte en lui-même une partie de la nature du message. Dans un état intermédiaire de literacy, accorder ce pouvoir signifiant à l’espace du texte permet d’augmenter considérablement la part du public capable d’entrer en contact avec les informations véhiculées par le document épigraphique. Plus qu’une mise à disposition du message,

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le code des inscriptions propose une matière sémiotique organisée et pallie simultanément les difficultés éventuelles liées à la défaillance de la lecture. Le lecteur au cœur du texte épigraphique Essayer de saisir le rôle et la place des inscriptions dans la communication médiévale, c’est chercher dans les textes eux-mêmes les expressions qui traduisent l’échange d’un message entre émetteur et percepteur potentiel du texte épigraphique. Même si l’inscription est par essence un moyen et un produit de la communication, certaines parties du texte constituent plus particulièrement les manifestations de ces échanges. Il s’agit principalement des appels ou apostrophes au lecteur, des demandes de prières et des exhortations morales. Ces trois types d’expression se rencontrent dans des textes très nombreux et fort divers, et dans des formulations très différentes. Dans la bibliographie épigraphique, la question des appels au lecteur ou des relations entre le texte et son destinataire a été peu abordée ; quand elles ont fait l’objet d’une attention rapide de la part des chercheurs, les différentes formules n’ont jamais été envisagées pour elles-mêmes, pour leur fonction au sein du système sémiotique que représente l’inscription37, mais sont étudiées dans l’analyse d’un type particulier de textes et sont alors considérées comme une partie du formulaire dépendant de la fonction de l’inscription38. En dehors du domaine épigraphique, seules quelques études littéraires se sont attachées à la présence du tu dans les récits médiévaux, avec, en arrière-plan, les questions d’oralité et la performance orale du texte39. Parmi les trois types de formules recensées (appel au lecteur, exhortation morale et demande de prière), le dernier est le plus courant, en latin comme en langue vernaculaire. La proportion des demandes de prière s’explique par le fait que la très grande majorité des textes épigraphiques appartient au domaine funéraire et que le rôle de la prière dans l’économie du salut implique très souvent la 37   Le mémoire de master de Line Proust-Fonteneau fait figure d’exception à ce sujet ; voir Proust-Fonteneau, L., Le locuteur…, en particulier le deuxième chapitre. 38   Favreau, R., Épigraphie médiévale…, p. 156-161. 39   Nous renverrons ici au beau livre de Zumthor, P., La lettre et la voix : de la « littérature médiévale », Paris, 1987. Voir également l’article de Vollrath, H., « Oral Modes of Perception in Eleventh-Century Chronicles », dans Vox Intexta. Orality and Textuality in the Middle Ages, éd. A.N. Doane et C.B. Pasternack, Madison, 1991, p. 102-111.



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présence d’une demande de suffrage dans l’épitaphe. Il existe un fort déséquilibre numérique entre les formules latines et celles en langue vernaculaire. Seul un tiers des expressions recensées est exprimé en langue latine, ce qui ne reflète pas la répartition linguistique générale des inscriptions des xiiie-xive siècles, dans laquelle les proportions s’inversent, donnant deux tiers de textes latins pour un tiers de textes en ancien français. Plusieurs facteurs expliquent cette répartition. Tout d’abord, un grand nombre des formules recensées appartient au dernier quart du xiiie siècle ou au xive siècle, c’est-à-dire à une période où les langues vernaculaires se font de plus en plus présentes, dans le domaine épigraphique comme dans le reste de la documentation écrite. De plus, les formules se rencontrent dans des inscriptions qui ont très tôt délaissé le latin. Les demandes de prière se trouvent ainsi fréquemment dans les épitaphes gravées sur des platestombes à effigie, rédigées au tournant des xiiie-xive siècles dans un style propre, employant des formules en langue vulgaire. Il existe d’autre part une véritable diversité des formes rencontrées pour l’expression des relations entre le texte et son lecteur. Les constructions stéréotypées et l’emploi d’un lexique réduit auraient pu conduire à une homogénéisation du formulaire et on constate de fait que la plupart des formes répond effectivement à une construction fixe, c’est-à-dire à l’emploi répétitif et formalisé d’une tournure dans un contexte précis, déterminé par la fonction et la forme de l’inscription. Cependant, dans le même temps, ces expressions de valeur sémantique identique ne répondent pas à une construction formulaire absolue, avec un vocabulaire inchangé. Elles résultent au contraire d’une adaptation constante aux besoins circonstanciels du texte, sans jamais entrer dans une construction figée. La faible proportion des formules latines est compensée par une diversité formelle réelle qui s’explique en premier lieu par le fait que les textes latins des xiiie-xive siècles ont reçu, pour la plupart, un traitement littéraire soigné, souvent métrique. Le mètre, en épigraphie comme dans le reste de la littérature versifiée antique et médiévale, est créateur d’expressions formulaires, d’associations lexicales et de topoï grammaticaux. Le lexique employé doit répondre aux exigences de quantité du vers et fait l’objet d’un examen plus minutieux encore que dans le cas de la prose. Le vocabulaire doit non seulement avoir un sens général répondant à la fonction du texte, mais s’adapter aussi au contexte particulier de chaque inscription en répondant aux contingences métriques. Cette construction formelle donne sa spéci

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ficité au lexique épigraphique ; c’est elle aussi qui a souvent créé une hypertrophie de l’aspect stéréotypé des inscriptions, et peut-être ainsi caché l’intérêt littéraire des textes. Les contraintes prosodiques ne font pourtant que fixer des cadres au sein desquels une multitude d’expressions peuvent se développer. Aussi faut-il plutôt considérer l’aspect formel de la poésie métrique des inscriptions comme le mode le plus adapté à la rédaction des textes épigraphiques. En effet, l’usage de la métrique permet de calibrer le texte à graver. Les vers devant compter le même nombre de pieds et obéir à la même construction, ils ont, à quelques lettres près, la même taille : le calcul préalable des quantités permet ainsi de connaître le nombre de caractères que le lapicide devra graver sur la pierre. Les formules latines d’appels au lecteur, de demandes de prière et d’exhortations morales s’articulent principalement autour des verbes legere, dicere et orare (ou de leurs substantifs, en fonction des formulations envisagées et/ou des contraintes métriques). Orare est le plus représenté dans les inscriptions françaises avec les formulations impératives ora et orate, fréquemment complétées par les expressions pro me ou pro anima ejus. Dans la distribution numérique de l’une et l’autre forme, la construction métrique joue un rôle capital. En effet, la forme ora est beaucoup plus fréquente dans les vers que sa formulation plurielle orate40, alors qu’en prose, les proportions s’inversent et c’est la formulation impérative orate qui l’emporte très largement41. La récurrence des deux impératifs montre que la demande directe de prière se fait plus sensible à partir des années 1190 environ, même si l’apparition de certaines formules paraît fort ancienne42 ; au cours du xiiie et du xive siècle, son utilisation devient pratiquement inséparable du

40   Dans les concordances métriques établies par le CIFM, on rencontre les formes dérivées du verbe orare à plus de trente reprises. 18 occurrences concernent la forme ora, rejetée en fin de pied pour des raisons prosodiques. La majorité des occurrences appartient au xiiie siècle, dans des associations plus ou moins directes avec les verbes legere ou dicere. Seulement 3 cas concernent orate, beaucoup plus difficile à utiliser dans la construction d’un vers classique. 41   Dans les concordances en prose établies par le CIFM, on trouve près de 100 occurrences pour le verbe orare et ses dérivés. La forme la plus courante, à plus de 70 %, est orate, associée dans de très nombreux exemples à l’expression pro eo. 42   On rencontre certaines formules approchées dans des poèmes épigraphiques de l’antiquité tardive ou des premiers temps médiévaux. Voir par exemple Carmina Latina Epigraphica, éd. Fr. Bücheler, Amsterdam, 1964 (1ère éd. : Leipzig, 1895-1897), 2 vols [désormais CLE], n° 730, v. 7, et publié par J.B. de Rossi, I.C.R. II, p. XXX.



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formulaire de l’épitaphe43. Aux formules les plus courantes qui sont celles qui associent une forme impérative du verbe orare avec l’expression pro me, pro eo ou pro anima ejus, certains textes ajoutent le nom ou l’incipit de la prière à réciter ou à prononcer44, ou identifient encore l’intercesseur à qui adresser cette récitation45. Le développement des formules ne semble pas obéir à une évolution chronologique puisqu’on rencontre des textes très simples pour le xive siècle46 alors que le début du xiiie siècle a pu recevoir des formes beaucoup plus complexes47. Il dépend plutôt de la nature du texte qui les accueille, donc des circonstances dans lesquelles ont été composées les épitaphes. La persistance des demandes de prières exprimées par écrit au sein de textes publics et publicitaires tendrait aussi à renforcer l’importance des inscriptions dans les systèmes de l’économie du salut à la fin du Moyen Âge. En raison d’une relative uniformisation du formulaire funéraire, la fonction communicative de l’épitaphe change toutefois légèrement à partir du xiiie siècle. D’un éloge funèbre associé en propre au défunt et la célébration de la date de son décès, on passe à un marqueur spatial de la sépulture ayant pour vocation de déclencher une réaction de prière de la part du percepteur du texte, d’où l’emploi de l’impératif et de formules concises. Ce type d’épitaphe opère une synthèse entre inscription obituaire et inscription tumulaire. Les constructions de dicere répondent aux mêmes usages que les celles du verbe orare. Elles révèlent la même fonction dans les schémas médiévaux de l’économie du salut, insistant sur l’importance de la prière des vivants pour les défunts. Certains textes précisent les prières

43   La plupart des instruments de travail disponibles au sein du CIFM permettent de proposer des données statistiques du viiie siècle à 1300. Toutefois, les résultats des sondages plus ou moins profonds sur le reste de la documentation française permettent de confirmer le maintien des formes de demandes de prière contenant ora ou orate dans les épitaphes latines jusque dans les années 1410. 44   Limoges (87), Frères Prêcheurs. Épitaphe de Roger et de Barthélemy d’Autun. 1269 : orate pro eis pater noster (CIFM II, HV 25). 45   Poitiers (86), cathédrale, chapelle Saint-André. Épitaphe de Bernard de Maumont. 1385 : orate deum pro eo (Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux… », t. I, p. 163). 46   Dol-de-Bretagne (35), cathédrale. Épitaphe de Jean Dubois. xive siècle : orate pro eo (GC XIV, col. 1056). 47   Saint-Georges-Buttavent (53), abbaye de Fontaine-Daniel. Épitaphe de Juhel II de Mayenne. xiiie siècle : qui legis haec ora tenebrosis hora (Angot, A., Épigraphie…, t. II, p. 262-264).



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devant être prononcées48. On note toutefois beaucoup moins de diversité dans les formules. En effet, si le mode et la personne du verbe conjugué peuvent différer d’un texte à l’autre, la construction formulaire subit peu de fluctuation et le verbe dicere introduit ainsi le plus souvent un incipit de prière ou une citation liturgique. Les exemples les plus nombreux concernent les expressions Pater noster, Ave Maria ou Miserere mei. L’appel direct à la prononciation d’une parole rituelle est extrêmement répandu dans les épitaphes françaises, aussi bien dans les textes métriques que dans les textes en prose49. Les concordances du CIFM font ainsi apparaître, pour les viiie-xiiie siècles, plus de 130 occurrences pour le verbe dicere et ses dérivés, avec une fonction identique : appeler à la récitation d’une formule pour le défunt mentionné dans l’épitaphe, ou pour l’ensemble de la communauté des défunts. En raison de ces propriétés quantitatives, les formes dérivées de dicere sont particulièrement adaptées à la construction métrique. En effet, la forme de l’impératif singulier dic, en tant que monosyllabe, est idéale pour constituer la première syllabe d’un pied50. Quant à la forme impérative plurielle dicite et à l’infinitif dicere, ils constituent un dactyle51. Contrairement à ce que l’on avait pu constater pour le verbe orare (dont les usages se partageaient essentiellement entre les formes impératives ora et orate), les formes verbales de dicere sont beaucoup plus nombreuses. Les concordances du CIFM donnent par exemple, pour les textes en vers, au minimum 6 formes verbales significatives52, et 6 dans les textes en prose. Les raisons de cette diversification peuvent s’expliquer par les différences sémantiques entre dicere et orare – aussi floues soient-elles – qui semblent permettre une grande liberté d’utilisation du premier verbe au sein de propositions plus souples. Cette diversité ne doit pas masquer pour autant les aspects formulaires de l’emploi de dicere. On retrouve 48   Limoges (87), Saint-Martial, muraille, près de la porte menant au cimetière. Épitaphe de Jacques Nègre. xiiie siècle : omnes qui viderunt has litteras dicant pro ipsis pater noster vel de profundis pro fidelibus (CIFM II, HV 47). 49   Les concordances établies par le CIFM donnent par exemple 30 occurrences du mot dic dans les textes en prose du viiie au xiiie siècle. 27 de ces occurrences présentent l’incipit d’une prière. 50   On la rencontre, à ce titre, plus de 20 fois dans les vers épigraphiques français du viiie au xiiie siècle. 51   On rencontre par exemple 9 fois la forme infinitive dicere dans les vers épigraphiques français. Dans chacun des cas, ce mot occupe la place au dactyle cinquième. Voir par exemple, un fragment d’autel de Saint-Savin (86), datant du xie siècle et donnant le texte suivant (CIFM I-2, 50) : ecce pater noster ortamur dicere vester. 52   La forme la moins représentée, dicas, compte tout de même au minimum 6 occurrences entre le viiie et le xiiie siècle.



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une grande quantité d’expressions métriques réemployées par la suite au sein de textes en prose. Ainsi, la plupart des exemples concernant la forme dic dans les textes en prose renvoie à des constructions formulaires53 (du type quod es fui quod sum eris, memento mei, spernis tali namque domo clauditur omnis homo, anima requiescat in pace, qui legis haec, qui tumulum cernis,…). Il n’existe donc pas de frontière imperméable entre les inscriptions métriques et les textes en prose et, à partir du moment où les deux types d’épitaphe véhiculent des unités sémantiques du même ordre, ils échangent des constructions formulaires très proches. Ces phénomènes d’intertextualité sont la source d’un enrichissement constant du vocabulaire épigraphique, et non pas de son appauvrissement par une transposition mécanique des différentes formules. Les usages des formes dérivées du verbe dicere semblent remonter à l’Antiquité romaine ou à l’Antiquité tardive. On y retrouve en effet un certain nombre de constructions en distique qui pourraient indirectement se trouver à la source de certaines pratiques médiévales54. Ces différentes formules proposent directement le schéma des réponses à mettre en place par le percepteur du texte, même si le flou qui entoure la notion de dicere pose un certain nombre de difficultés quant à la teneur de cette réponse. Les formes appartenant au champ lexical du verbe legere sont les moins nombreuses mais elles donnent de façon concrète les modalités de la connaissance du texte, et ce même si les formes contenant legere ou l’un de ses dérivés obéissent à une construction du type qui legis imposée par la métrique. L’échange entre les inscriptions métriques et les textes en prose que nous venons d’évoquer se note souvent, dans le cas du verbe legere, par l’introduction dans un texte en prose d’une formule de type qui legis haec ou qui legis hoc issue d’un texte métrique55, et de façon plus évidente encore plus encore dans le cas de cette 53   La mise en parallèle de deux textes montrera les implications de ces reprises de formulaires. Comparons donc l’hexamètre suivant (Orgedeuil (16), presbytère, linteau de la porte d’entrée. Épitaphe d’un archiprêtre. 1216) : quero pater noster dic qui versus legis noster, et la demande de prière ci-dessous (Limoges (87), cathédrale. Épitaphe de G. de Beaulieu. 1289) : dicat legens pro ejus anima pater noster (CIFM II, HV 19). Les formulations sont différentes (en raison des contraintes métriques et également en raison de la personne de rédaction des demandes de prières) mais la construction formulaire reste identique. 54   Voir en particulier CLE n° 1103, v. 5-6 : dicite qui legitis solito de more sepulto pro meritis pycades sit tibi terra levis. 55   On donnera ici uniquement l’exemple des peintures murales de Saint-Pierre-du-Lorouër, présentant la formule proprement métrique qui legis hoc au sein du texte en prose suivant : qui legis hoc audi jacet hic corpus Raginaudi.



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inscription en prose de la fin du xiiie siècle qui contient le pentamètre léonin : qui titulum legitis sum cinis56. C’est la forme personnelle directe legis qui semble privilégiée ; elle n’est pas propre aux xiiie-xive siècles puisqu’on peut en repérer la trace dès l’Antiquité tardive, avec des expressions semblables pour les termes legis ou legitis57. Le verbe legere est le seul qui ait conduit à l’emploi d’un substantif désignant le protagoniste de l’action énoncée par le verbe. Le terme lector apparaît ainsi plus de 40 fois dans les vers épigraphiques français des viiie-xiiie siècles et autant de fois dans les textes en prose. Son utilisation semble concerner surtout les xie-xiie siècles. Il apparaît également dans les poèmes épigraphiques d’Alcuin ou de Micon de Saint-Riquier58. Le contenu sémantique du terme lector pose un problème méthodologique réel. Certains tituli invitent à penser que lector renvoie effectivement à la personne qui lit (au sens actuel du terme) le texte inscrit sur la pierre qui lui fait face. C’est le cas notamment des textes qui donnent à la fois le mot lector et un autre terme dérivé de legere59. D’autres textes en revanche associent le terme lector à un énoncé qui le désigne aussi comme percepteur de l’espace qui l’entoure et, par là même, de l’inscription qu’il parcourt des yeux60. Les occurrences de legere et de ses dérivés, même si elles semblent les plus concrètes, ne nous renseignent donc que partiellement sur les implications des phénomènes de perception du texte épigraphique. Des questions identiques se posent quand on rencontre dans une même inscription la combinaison des différents verbes relevés ci-dessus. Certaines inscriptions proposent en effet un schéma de communication complexe mettant en relation la perception du texte, la compréhension du message épigraphique par une forme de lecture et la réponse par la performance orale d’un texte proposé dans le contenu même de l’inscription. Elles témoignent dans le même temps

56   Champeaux (77), collégiale Saint-Martin, chœur, mur. 1299. Tallandier, A., « Note sur l’église de Champeaux », Mémoires de la Société des Antiquaires de France, 2ème série, t. V, 1840, p. 362. 57   CLE n° 420, v. 1 (CIL X, 7697, v. 1) fournit un exemple de ce que l’on peut rencontrer : qui legis hunc titulum mortalem te esse memento. 58   Voir par exemple : Micon, pour une tombe de Saint-Riquier (80), MGH, Poetae…, t. III, p. 319 : interea lector dominum pulsare studeto. 59   C’est le cas d’un autre titulus de Micon de Saint-Riquier (MGH, Poetae…, t. III, p. 317) qui donne le vers suivant : hoc relegens lector memor esto meique tuique. 60   Nous renverrons uniquement ici à un exemple extrait de l’œuvre épigraphique d’Alcuin (titulus pour le monastère de Nouaillé, MGH, Poetae…, t. I, p. 325) : haec loca quae cernis lector ecclesia quondam.



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au sein de la literacy médiévale des dépendances étroites entre l’écriture épigraphique, sa lecture et la performance orale d’un texte. curans hoc legere dicat deus huic miserere61 quero pater noster dic qui versus legis noster62 dicat legens pro ejus anima pater noster63

Même si les données statistiques montrent que les verbes orare, dicere et legere sont numériquement les plus importants, il existe des formulations contenant d’autres verbes ou obéissant à une autre construction. La présence du percepteur de l’inscription peut prendre des formes très diverses, de la simple apostrophe64 à la tournure versifiée65. S’ajoute également à cette liste l’ensemble des apostrophes du type tu ou vos, la plupart du temps utilisées dans une formule plus développée autour des verbes orare, dicere et legere66. La plus grande diversité concernant ces formules semble affecter le registre des exhortations morales, où un certain nombre de préceptes sont énoncés, non pas dans une forme générale, mais directement à l’attention du percepteur de l’inscription67. Toutefois, ces exemples sont limités et appartiennent pour la plupart d’entre eux à la première moitié du Moyen Âge. Les formules en langue vernaculaire, même si elles sont bien plus nombreuses que les formules latines, présentent une diversité formelle réduite. Elles s’organisent autour d’un verbe principal, prier, qui rassemblent plus de 95% des occurrences68. Il obéit, comme les verbes 61   Montbron (16), ancien prieuré Saint-Maurice, mur de la sacristie, arcade de gauche. Épitaphe de Jeanne de Montbron. c. 1240 (CIFM I-3, Ch 58). 62   Orgedeuil (16), presbytère, montant de la porte d’entrée. Épitaphe du chevalier Gérald Constantin. Déb. xiiie siècle (CIFM I-3, Ch 64). 63   Limoges (87), cathédrale. Épitaphe de G. de Beaulieu. 1289 (CIFM II, HV 19). 64   Diou (03), ancienne abbaye de Sept-fonds, église, devant le grand autel. Épitaphe de Girard de Varigny. 1309 : fratres anima ipsorum requiescat in pace. De Vaivre, J.-B., « Dessins inédits… », t. II, p. 121. 65   Bourges (18), cathédrale Saint-Étienne, portail, banderole. Formule d’entrée. c. 1388 : has intrando fores vestros componite mores. Raynal, L., Histoire du Berry…, p. 409. 66   Surtout dans le cas des appels au percepteur du texte, du type vos qui legitis ou tu qui speculum cernis… 67   Voir par exemple : Saint-Sylvestre (87), abbaye de Grandmont. Épitaphe disparue de Gérard de Cahors. c. 1199 (CIFM II, HV 104). La fin du texte est un long exposé moral à l’attention du lecteur qui se termine par ces mots : respice qui transis qui cras incertus es an sis / et quam sit tibi praesto mors ex me memor esto. 68   Pour des raisons pratiques, nous rassemblerons sous la graphie contemporaine « prier » l’ensemble des formes que nous avons pu rencontrer : priier, pryer, priyer, priez, pries, pryes…



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latins, à des mises en place sous la forme d’impératifs69 dans des constructions du type « priez pour l’âme », « priez pour lui », ou dans des mises en place plus complexes. Le verbe prier peut recevoir un traitement différent, notamment avec l’emploi à la première personne du pluriel (prions). Elle se rencontre dans des tournures complexes, uniquement au xive siècle, et principalement dans un contexte monastique. Par la suite, on trouve de façon occasionnelle des tournures comprenant l’impératif «  dites », suivi de l’incipit d’une prière ou d’une citation liturgique (exprimées en latin). Enfin, on peut rencontrer des expressions plus diverses et plus complexes se rapprochant à ce titre des formes latines évoquées plus haut. On en retrouve un exemple dans l’épitaphe transcrite sur la plate-tombe d’Olivier de Machecoul, mort en 1281 et enterré dans l’ancienne abbaye de Villeneuve (44)70. Sujette à caution quant à sa tradition textuelle, cette inscription présente neuf vers français rimés, constituant pour le lecteur une admonestation chargée de préceptes moraux et d’appels à l’humilité. Une telle recherche semble toutefois beaucoup moins courante dans les épitaphes en langue vernaculaire qu’en latin.

Spectateurs, acteurs, témoins : public actif et public passif Plus qu’une personnalité, le document épigraphique définit une attitude ponctuelle du lecteur. La diversité formelle des inscriptions, les modalités de la lecture et l’importance du contexte invitent à envisager une pluralité des publics. La définition de chacune des catégories dépend, c’est évident, des documents soumis à la démarche de cognition mais aussi des circonstances et de la fonction même du texte épigraphique ; le public n’est en effet pas seulement le lecteur d’un texte ordinaire mais bien plus la « cible » d’une opération de communication. N’y a-t-il pas dès lors une contradiction entre la notion de cible et le caractère universel de la communication épigraphique ? L’opposition méthodologique est en fait résolue si la publicité est considérée comme une intention et la lecture comme une éventualité. Une même inscription peut ainsi être appréhendée, au même moment et dans les mêmes circonstances, par un public très hétérogène. Cha69   Pour les mêmes raisons graphiques, il ne nous paraît pas possible de distinguer les formes impératives au pluriel et au singulier. La graphie de ces verbes reposant avant tout sur une convention phonétique et le [z] et le [s] ayant, dans ce cas, la même valeur, l’ensemble des formes sera ici présenté sous un en-tête unique. 70   CIFM 23, 109.



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que lecteur met en place le procédé cognitif qui lui correspond en fonction de ses compétences et de son utilisation de l’inscription. Elle est alors confrontée à des lecteurs développant des attitudes très différentes dans la cognition de l’objet épigraphique, différences reposant essentiellement sur la part d’activité du percepteur face au document. Le spectateur du texte Avant d’être porteuse d’un message et d’appeler une réponse éventuelle de la part du percepteur, l’inscription fait matériellement apparaître le texte dans un espace donné. En ce sens, la forme primaire de diffusion du message concerne l’existence même du document, indépendamment de sa forme, son contenu, sa fonction. Son public peut par conséquent ne développer aucune attitude particulière face à une inscription qui existe même sans son intervention. La relation qu’il entretient avec l’objet épigraphique est fondée sur la prise de conscience de son existence. Dans une forme primaire de communication, le public subit donc la présence du document écrit et ne fait preuve d’aucune initiative dans la réception du message. Cette catégorie de récepteurs regroupe en conséquence des spectateurs passifs de la manifestation épigraphique, n’intervenant en aucune façon sur la forme ou la fonction du texte. C’est l’inscription elle-même qui, par sa présence et sa localisation, se dirige vers son public. Le procédé cognitif est dès lors extrêmement limité, le spectateur passif de l’inscription n’est pas un sujet lisant mais avant tout un percepteur, utilisant l’appareil sensoriel pour appréhender le vecteur de la communication épigraphique. La démarche passive du spectateur de l’inscription ne dépend en rien de sa formation intellectuelle ou de sa connaissance des textes. Elle n’est pas non plus liée au volume de son répertoire mental contenant l’image visuelle des formes lexicales les plus courantes dans les inscriptions. De fait, elle ne dépend en rien du processus traditionnel de lecture. En faisant abstraction des données culturelles, l’attitude du spectateur permet de regrouper la plupart des percepteurs médiévaux de l’inscription dans cette catégorie du public épigraphique. Dans l’absolu, elle n’exclut personne puisqu’elle peut être mise en place par quiconque fait l’expérience sensible de la présence de l’inscription. Les seules limites à cette forme de perception ne se situent pas dans les capacités du public, mais plutôt dans les données de la



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Fig. 114.  Cizay-la-Madeleine (49), ancienne abbaye d’Asnières, église. Vue du bras sud du transept. Cliché V. Debiais.

mise en place du texte (aussi bien au niveau de la mise en forme que de la mise en espace). En effet, l’inscription doit simplement être perçue et reconnue en tant qu’objet épigraphique. Le spectateur doit pouvoir appréhender par les sens un texte visible et isolable en tant qu’unité sémiotique. La passivité du spectateur est compensée par l’activité propre de l’inscription, qui dispose de moyens pour attirer l’attention du public et le conduire à entrer en relation (aussi limitée soit-elle) avec le message épigraphique. En entrant dans un édifice, le spectateur passif se trouve confronté à l’image du texte et se contente de voir l’inscription qui se présente d’elle-même à ses yeux, sans qu’il ait à la chercher du regard ou à effectuer des déplacements. En entrant dans le transept de l’église de l’ancienne abbaye d’Asnières, à Cizay-laMadeleine (49), le spectateur du texte pouvait voir l’inscription funéraire située sur un des piliers du mur sud (fig. 114)71. Sa situation contribue à son repérage dans l’espace architectural, le texte étant situé à près de deux mètres de hauteur, orienté vers la croisée du transept, lieu de convergence des différentes circulations à l’intérieur 71   Cizay-la-Madeleine (49), ancienne abbaye d’Asnières, église, transept, mur sud. Inscription funéraire de Guillaume de Bate (début xiiie s.). À paraître dans le CIFM 24.



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de l’édifice. Depuis cette position, le spectateur de l’inscription ne peut pas mettre en place un procédé cognitif reposant sur une lecture intelligente du texte, les caractères étant d’un module insuffisant pour distinguer et identifier chaque signe. De plus, le document possède une mise en page complexe qui occulte en partie l’image traditionnelle du texte (fig. 115). Le Fig. 115.  Cizay-la-Madeleine (49), ancienpublic ne perçoit donc pas ne abbaye d’Asnières, église, transept. Insl’épitaphe de Guillaume de cription funéraire de Guillaume de Bate Bate mais il repère un ensem- (xiiie siècle). Cliché V. Debiais. ble de signes présentant plus ou moins l’image d’un texte. La dimension iconique (et non pas lexicale) de la première approche de l’inscription attribue au spectateur un statut particulier. Il n’est pas dans la position d’un lecteur qui fixerait son attention sur les mots et sur leur valeur sémantique. La nature iconique de l’écriture épigraphique place en fait le public dans la situation du spectateur d’une image. A Cizay-la-Madeleine par exemple, il reçoit un signal du même ordre qu’il s’agisse des inscriptions ou des quelques éléments de sculpture placés à la voûte du chœur. C’est ensuite dans l’interprétation du signal (et de la nature des signes le constituant) que s’opère la distinction entre communication épigraphique et décor. L’attitude passive du spectateur ne signifie pas pour autant qu’il fasse abstraction de la présence ou de la valeur du document épigraphique : une inscription vue n’est pas une inscription absente. Ainsi, quand le spectateur se tenait au milieu d’un édifice contenant des inscriptions, il associait leur existence à une signification particulière : une inscription placée sur un monument funéraire impliquait sans doute l’existence d’une épitaphe donnant le nom du défunt, la date du décès et éventuellement d’autres renseignements biographiques. À la perception d’un cycle de peintures murales, le spectateur interprétait la présence des tituli comme l’identification d’une scène ou d’un personnage, la passivité du public étant alors compensée par l’influence du contexte. Dans les peintures de l’histoire de la Vierge,

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Fig. 116.  Vieux-Pouzauges (85), église Notre-Dame de l’Assomption, nef, mur nord. Peintures murales de l’histoire de la Vierge (déb. xiiie siècle). Détail : identification d’Anne. Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

placées dans la nef de l’église du Vieux-Pouzauges (85), la position des tituli permet de renvoyer implicitement à la fonction d’identification. Dans la scène illustrant la rencontre de Joachim et Anne à la Porte Dorée, le titulus identifiant Joachim est ainsi placé de part et d’autre de sa tête, ne laissant aucune ambiguïté dans l’identification du référent, pas plus que dans l’attribution de la fonction d’identification à l’inscription72 (fig. 116). Le chœur de l’ancienne église Saint-Christophe de Mesnard-la-Barotière contient plusieurs scènes peintes. Les murs est et nord conservent des textes épigraphiques relatifs aux différentes scènes, notamment à la figuration d’un personnage en position d’orant devant la Vierge. Il est identifié par un titulus aujourd’hui illisible placé au-dessus de sa tête. En revanche, on lit le texte peint devant sa bouche pour signifier les paroles   CIFM 23, 134.

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Fig. 117.  Mesnard-la-Barotière (85), ancienne église Saint-Christpohe, chœur. Peintures murales de l’orant à la Vierge (xiiie-xive siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

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Fig. 118.  Grand-Madieu (16), église, paroi nord de la fenêtre axiale. Peintures murales (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

prononcées. Celles-ci sont adressées à la Vierge, le texte figurant ainsi la vocalisation des mots73 (fig. 117). La situation de l’inscription devant la bouche du personnage est suffisamment signifiante pour être associée, sans recours à la lecture, à la fonction du titulus, et le spectateur des peintures et des textes qui les accompagnent n’intervient en rien sur la structure du discours iconographique pour comprendre que les signes représentent les paroles du personnage. Dans les peintures murales du Grand-Madieu (16), représentant l’apparition à MarieMadeleine, la position du texte noli me tangere invite également à envisager une telle interprétation des paroles prononcées par le Christ74 (fig. 118). Cette forme primaire de communication épigraphique constitue, pour une part importante du public médiéval, l’unique forme d’appréhension du texte. En revanche, elle annule toute influence du 73   Cf. Lc I, 28 : Et ingressus angelus ad eam dixit: Ave, gratia plena, Dominus tecum, benedicta tu in mulieribus. La version liturgique de cette citation est : Ave Maria gratia plena, Dominus tecum ; benedicta tu in mulieribus Alleluia. Un grand nombre d’antiennes reprennent cette formule, en particulier lors des offices de Noël et de l’Assomption. 74   CIFM I-3, Ch 27.



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public sur la nature et le contenu du message, la passivité du public faisant de la communication une entreprise unilatéral. Si elle ne limite pas nécessairement l’efficacité du message, elle rend sa diffusion plus neutre. L’attitude passive du spectateur invite à reporter l’essentiel du contenu de l’inscription sur la forme et le contexte du document, et non plus sur les informations véhiculées par le texte. Le message est ainsi connu du spectateur dans une forme simplifiée, dépourvue des subtilités lexicales que peut fournir la rédaction d’un texte traditionnel. Le spectateur passif ne lit pas le texte de l’inscription ; il perçoit bien plus une intention épigraphique. Il n’est pas, au sens contemporain du terme, un lecteur. Il n’a recours à la lecture que si l’on pose comme principe que la reconnaissance des signes graphiques constituant un texte est une forme primitive de lecture, indépendante de toute formation scolaire et basée uniquement sur la familiarité du sujet avec les productions écrites. Le statut intermédiaire de literacy proposé par plusieurs auteurs invite de fait à considérer cette pratique comme une forme primitive de connaissance des textes de la part d’un public qu’on ne peut pas pour autant intégrer à la catégorie médiévale des litterati75. Le témoin du texte et la lecture efficace La communication épigraphique relève d’une volonté d’efficacité de la part de l’émetteur comme du percepteur du message. Si l’attitude des spectateurs passifs fournit une explication à l’importance numérique des inscriptions dans une société médiévale dotée d’une connaissance aléatoire de la lecture, ils ne constituent qu’une partie du public épigraphique. La mise en forme et la complexité textuelle de certaines inscriptions témoignent de la proximité réelle entre texte et lecteur. Le récepteur de l’information ne se contente plus dès lors d’apercevoir le document dans son contexte mais se concentre également sur la dimension textuelle de l’inscription. Cela suppose une intervention du percepteur sur le document lui-même. L’inscription n’agit plus selon ses propres moyens, mais elle subit l’activité cognitive du lecteur qui affecte le texte et les données lexicales, et non plus seulement les composantes matérielles du document. La communication épigraphique base dans ce cas son efficacité sur une forme de 75   L’essentiel de la bibliographie relative à ce concept a déjà été évoqué au cours des pages précédentes. Sur la question plus précise du litteratus, on renverra à Banniard, M., Viva voce…, introduction.



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lecture. Le récepteur de l’information devient un sujet lisant, pénétrant au cœur du message grâce à la reconnaissance des mots. De spectateur passif, il passe au statut de témoin actif, intervenant sur le texte de l’inscription et sur le contenu du message. Une telle attitude peut se contenter d’une connaissance limitée de la lecture. Le témoin actif n’est pas encore un lecteur expert, capable de rencontrer le texte dans sa plénitude et de percevoir l’ensemble des subtilités de la mise en forme du message. L’intervention du témoin sur l’inscription est avant tout efficace et basée sur la reconnaissance pratique des signes. Le témoin d’une inscription est actif dans la mesure où il cherche au cœur du texte une information concrète et répondant à une nécessité circonstancielle ; il met ainsi en place une forme de pragmatic literacy76. Plus qu’une connaissance exhaustive du texte, cette forme de réception de l’information est une connaissance des données brutes, dépouillées de leur appareillage rhétorique et stylistique. Pour le témoin actif, l’inscription est avant tout le vecteur d’une information et non une composition littéraire. Son attitude repose sur l’efficacité du code épigraphique dans lequel le texte et le récepteur se partagent désormais la responsabilité de la communication. L’attitude du témoin actif est basée sur l’interaction entre la forme et la nature de l’inscription. Pour devenir opératoire, cette interaction suppose l’adéquation (culturelle, topographique et thématique) entre inscription et lecteur. Le spectateur passif ne devient témoin actif que dans des circonstances déterminées qui permettent le passage de la reconnaissance de l’objet épigraphique à la compréhension du texte. Le spectateur passif percevait la forme d’une plate-tombe et comprenait qu’on avait placé là une inscription funéraire invitant sans doute à la commémoration. Dans la même situation, le témoin actif entre véritablement en relation avec le contenu du texte, et non plus seulement avec son image. Sur la plate-tombe, il peut ainsi repérer le nom du défunt et la date de son décès, en se basant sur sa familiarité avec ce type de documents et sur la constance du code épigraphique. Le service de la memoria du défunt obtient de fait un écho plus profond, le témoin actif étant en mesure de fournir une réponse appropriée au message transmis par l’inscription. Les textes accompagnant les programmes iconographiques complexes sont, à ce titre, particuliè  Voir Pragmatic Literacy..., p. 212-233.

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Fig. 119.  Saint-Pierre-du-Loroüer (72), église, mur nord. Peintures murales (xiiie siècle). Détail : registre supérieur. Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

rement significatifs puisqu’ils proposent ce double niveau d’utilisation par des publics différents. Dans les peintures de Mesnard-la-Barotière, le spectateur passif identifiait l’inscription placée devant la bouche de l’orant comme la transcription des paroles prononcées par le personnage. Le témoin actif utilise les mêmes données pour comprendre la fonction et la destination de l’inscription, mais il intervient également sur la composition en allant à la découverte du contenu du titulus, afin de comprendre le sens global de la composition iconographique. Son attitude dépend de la mise en forme de l’inscription (situation, graphie inversée et mise en texte), mais également de son activité cognitive sur le contenu du message. En accordant à la scène générale de prière un caractère de dévotion mariale, le contenu de l’inscription enrichit le sens de l’image et participe ainsi à l’efficacité de la communication77.   Sur l’enrichissement sémiotique des programmes iconographiques, voir Baschet, J., « Logique narrative, nœuds thématiques et localisation des peintures murales », dans L’emplacement et la fonction des images dans la peinture murale du Moyen Âge. Actes du 5ème séminaire international d’art mural, Saint-Savin, 1992 (Cahiers, 2), p. 103-115, en particulier p. 104105.

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Les peintures murales de Saint-Pierre-du-Loroüer (72), représentant une scène complexe de funérailles, reprennent cette partition sémiotique. La multiplication des personnages a conduit les auteurs du programme à identifier chacun d’entre eux par un titulus. Lors d’une simple perception, le spectateur passif voit les différents textes et comprend sans doute qu’il s’agit d’identifications, comme pour le personnage nommé Raginaudus représenté au registre supérieur (fig. 119). De même l’inscription peinte sur le livre tenu par le prêtre était-elle sans doute identifiée comme le contenu du codex. En revanche, d’autres tituli du même ensemble appellent l’intervention d’un témoin actif se livrant à une véritable expérience de lecture. La première partie du texte, dans le registre supérieur, comprend ainsi l’éloge funèbre de ce Réginald et le rappel du décès de sa mère. Utilisant un vocabulaire poétique que l’on retrouve surtout dans les épitaphes métriques carolingiennes, cette partie du texte commente et enrichie l’iconographie. Le témoin actif passe à un autre niveau de connaissance du texte et attribue les scènes de funérailles à un défunt particulier mentionné dans les inscriptions ; il peut repérer, grâce aux citations liturgiques, une forme spécifique de commémoration. Le témoin actif fixe son attention sur certaines parties du texte et non pas sur l’ensemble de la composition épigraphique. Dans un souci d’efficacité, l’attitude première du public consiste à chercher au sein du texte les éléments véhiculant la substance de l’information. La lecture développée par le témoin actif est une lecture sélective qui s’articule autour d’expressions clefs, mises en valeur par le code épigraphique. Dans les inscriptions de Saint-Pierre-du-Loroüer, il existe une séparation claire entre l’inscription funéraire proprement dite (proposant notamment le nom du défunt) et la partie laudative, véritable poème funéraire. La première partie participe à l’efficacité de la diffusion des informations, et donc de la fonction principale de l’inscription funéraire. Elle attend une attitude active de lecture, pouvant être développée dans le but pratique d’assurer la commémoration. La seconde en revanche est plus complexe et participe à l’embellissement littéraire du message. Sa présence n’affecte pas la fonction de l’inscription mais lui donne un autre statut. Par son vocabulaire et sa construction, elle attend une lecture plus aboutie, capable de saisir les procédés rhétoriques utilisés par le concepteur du texte. Le groupe des spectateurs passifs concerne potentiellement l’ensemble des hommes et des femmes du Moyen Âge pouvant faire l’ex

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périence sensible du texte épigraphique. Le groupe des témoins actifs implique en revanche la maîtrise, au moins partielle, d’une forme rudimentaire de lecture, afin de reconnaître les données essentielles du message épigraphique. Cette limitation d’ordre culturel empêche de considérer n’importe quel percepteur d’une inscription comme un témoin actif potentiel qui n’intègre ce groupe qu’en cas de recours à un acte circonstanciel de lecture épigraphique. Cette partie du public n’est pas caractérisée par une composition stricte, basée sur l’appartenance ou l’exclusion ; elle est plutôt définie par une attitude et une praxis réglant les modalités de la cognition épigraphique. On ne peut donc pas évaluer de façon quantitative la composition de ce groupe. L’importance numérique des inscriptions et la nécessité de la communication épigraphique invitent cependant à considérer que la catégorie des témoins actifs concerne une part importante du public médiéval. Se concentrant sur l’efficacité de la communication, l’attitude du témoin actif reste toutefois un degré très faible dans l’interprétation du message, contrairement à l’attitude développée par les lecteurs médiévaux les plus familiers. Agir sur l’inscription : le lecteur acteur Si la perception du texte, accompagnée d’une forme primaire de lecture, peut s’effectuer rapidement grâce à l’appréhension sensible de l’objet textuel, la prise en compte des tournures stylistiques et la soumission du document à une lecture experte supposent en revanche un examen minutieux des données lexicales. Pour cela, le récepteur de l’information ne peut se contenter de subir la présence de l’écrit, mais doit au contraire mettre en jeu une entreprise de cognition basée sur une série complexe d’actions sensorielles et intellectuelles. La ronde de fonctions mise en place se rapproche alors de notre concept contemporain de lecture et se fonde sur une appréhension et une reconnaissance des signes graphiques, suivie de leur décodage et de leur interprétation lexicale78. Le lecteur se dirige désormais vers le texte, en prend possession et en mesure les implications. Il n’est plus spectateur passif, ni témoin actif de la production écrite. Le lecteur devient véritablement acteur de la communication, en pénétrant dans la structure du texte et en influençant l’interprétation du docu-

  Baccino, T., Cole, P., La lecture experte…, p. 15.

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ment79. Il ne s’agit plus pour le percepteur de se contenter d’une interprétation contextuelle ou même de la lecture de quelques informations sélectionnées au cœur de l’inscription. Le texte épigraphique cesse d’être considéré exlusivement comme le vecteur d’une information ponctuelle et pratique, et revêt des aspects plus profonds, souvent en relation avec le caractère littéraire du document. Dans le cas d’un texte funéraire, le témoin actif effectuait le repérage des informations indispensables à l’accomplissement de la commémoration, en dégageant de la structure du texte le nom du défunt et la date de son décès, et en extrayant du contexte de l’inscription les données qui lui faisaient défaut. Avec le lecteur acteur, le texte funéraire n’est plus considéré comme un assemblage de renseignements pratiques ; il est au contraire pensé comme une unité, comme un texte au sens étymologique du terme : un tissage, une trame complexe. L’activité de ce lecteur conçoit l’inscription sous ses aspects matériels, topographiques et lexicaux, dans toute la complexité du système sémiotique. En considérant le document épigraphique comme un texte à part entière, le lecteur acteur rencontre dans le document l’ensemble des données rhétoriques et lexicales qu’il rencontrerait au cours de la lecture d’un texte traditionnel. Il organise les mots, les met en forme, les interprète grâce aux connaissances littéraires acquises au cours de la pratique de la lecture experte. Une telle pratique suppose une formation à la lecture et une habitude de consultation des textes, et n’est donc pas la forme épigraphique la plus répandue au sein de la société médiévale. Elle est le fait d’une part réduite du public qui seule peut entrer au cœur de l’inscription et en saisir l’ensemble des implications littéraires. Le lecteur acteur est un individu lettré, formé à la connaissance des textes savants (scientifiques ou littéraires) et habitué à la consultation assidue des ouvrages. Certaines inscriptions sont de fait composées comme de véritables pièces littéraires, utilisant pour cela de nombreuses tournures rhétoriques et un large échantillon lexical. Si elles sacrifient parfois la fonction première de la communication par un recours excessif à la création littéraire, elles ont dans tous les cas besoin d’un public capable d’interpréter et d’apprécier la qualité particulière de leur texte. L’écriture en beau style est une nécessité dans certaines occasions,

79   Manguel, A., Une histoire de la lecture…, p. 312 : « Le texte que nous lisons subit la projection de notre expérience, l’ombre de ce que nous sommes ».



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notamment pour la louange d’un fait ou d’un personnage80. Dans le cas d’un texte funéraire, la valeur littéraire de l’inscription est un ornement supplémentaire destiné à embellir la mémoire du défunt et à assurer sa glorification dans la commémoration. Les épitaphes de la famille d’Aux, conservées autrefois dans la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers et rédigées dans la première moitié du xive siècle, appartenaient à cette catégorie des opera epigraphica81. Pierre Raymond d’Aux, mort en 1336, reçoit une épitaphe de sept hexamètres léonins riches où sa mort est décrite comme une fuite à la limite du monde à travers la voie droite qui mène au Paradis82. Reprenant un vocabulaire tout à fait semblable, l’épitaphe de Fort d’Aux, mort en 1356, décrit le défunt non seulement comme un prélat, garant de la foi juste, mais également comme une étoile resplendissante83. Pour pénétrer l’esprit du texte et pour saisir les subtilités de la composition métrique, la communication épigraphique suppose dans ces exemples un public lettré prenant l’initiative d’organiser l’inscription. Le lecteur acteur ne peut cependant manifester son attitude particulière qu’en présence de textes spécifiques lui permettant d’exercer une interprétation personnelle du message. Dans le cadre d’une inscription très courte, composée d’un nombre réduit de mots simples, l’attitude est la même pour l’ensemble des lecteurs, indépendamment de leur niveau de formation ou de leur familiarité avec les textes littéraires. Ils se contentent de repérer les informations essentielles, les seules à avoir été gravées dans l’inscription. Ainsi, dans une inscription funéraire courante, comme celle de Jeanne de Saint-Chéron, inhumée en 1380 dans l’église du prieuré de Moncé (37), le formulaire ne permet pas de multiples interprétations  : cy gist madame Jehanne de S(aint) Cheron, dame d’Aillebaudieres et du Chastelet qui trespassa lan de grace notre Seigneur m. ccc. lxxx le premier jour de septembre. Priez pour lame de ly 84. Réduit aux données indispensables, à savoir le nom du défunt, son 80   Sur l’écriture considérée comme un opus, voir Leclercq, J., L’amour des lettres et le désir de Dieu. Initiation aux auteurs monastiques du Moyen Âge, Paris, 1957, p. 72-74. 81   Ces textes ont été publiés dans Auber, M., « Histoire de la cathédrale de Poitiers », Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, t. XVII, 1849, p. 84. 82   Vers n° 1 : Fugiens a limite mundi ; vers n° 4 : Sit tibi recta via paradisi. 83   Vers n° 2-3  : Praesul pictavis sanctae fideibona clavis / Et fulgens stella per quem fuit ista capella. 84   Limeray (37), ancien prieuré Notre-Dame de Moncé, église. Inscription funéraire de Jeanne de Saint-Chéron (1380, 1er septembre). Inscription disparue. Lecture donnée à partir de Martène, H., Durand, J., Voyage littéraire de deux religieux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, 2ème partie, Paris, 1717, p. 91 [texte].



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identification et la date du décès, le texte se clôt sur une demande indéterminée de prière pour le salut de la défunte, exprimée par une formule courante depuis la fin du xiiie siècle. La lecture du texte, quelle que soit sa forme et quelle que soit la nature du public, est forcément réduite à la connaissance des seules données pratiques de la commémoration funéraire, la composition de l’épitaphe et le choix du vocabulaire ne permettant pas de supposer une attention particulière à la qualité littéraire. Ce n’est pas le cas en revanche pour d’autres textes plus développés et plus élaborés dans leur composition. En 1301, à la mort de l’abbé Hugues, on a placé, dans le chapitre de l’abbaye Saint-Pierre de Bourgueil (37), une plate-tombe à effigie aujourd’hui disparue85. Le texte de l’épitaphe courait de façon traditionnelle autour de la représentation du défunt. Contrairement à la dalle de Jeanne de Saint-Chéron, l’inscription a bénéficié d’un traitement littéraire : Hic jacet Hugo bon(us) pastor n(oste)rq(ue) patron(n)us nam quod sentit onus q(u)i sciat est homo n[ullus] ex tot corde pro te pater Hugo precor De(um) ut sis in requie qualibet ora die obiit v k(a)l(endas) nove(m)br(is) anno D(omin)i m ccc uno. Le témoin actif, soucieux d’une lecture pratique et efficace de l’inscription, opère une sélection dans les informations énoncées. Il y recherche en priorité les éléments indispensables à la mise en place de la commémoration. Le cas échéant, il y ajoutera des informations supplémentaires sur le défunt et sur la nature spécifique de sa fonction ou de son décès. Une part importante de l’épitaphe échappe en revanche au témoin actif ; c’est elle qui reçoit l’activité du lecteur acteur ; c’est elle qu’il interprète de manière approfondie. La composition générale du texte et le vocabulaire peuvent en effet traduire un essai de versification, avec un découpage en vers établi comme suit86 : Hic jacet Hugo bonus pastor noster que patronus Nam quod sentit onus qui sciat est homo nullus Ex toto corde pro te pater hugo precor Deum Ut sis in requie qualibet ora die Le premier vers forme un hexamètre léonin correct. Les vers 2 et 3 présentent en revanche des erreurs de quantité (une syllabe de trop   Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux… », t. I, p. 95.   Le terme precor se rencontre par exemple 19 fois dans la métrique latine épigraphique, pour la France (750-1300), de 786 (épitaphe de Paul Diacre pour l’évêque Fortunat à SaintHilaire-le-Grand de Poitiers, v. 12 ; cf. CIFM I, 30) à 1280 (Brive, cathédrale, épitaphe de B. Rigaud ; cf. CIFM II, Co 20). Les données quantitatives du mot precor lui autorisent toutes les places dans les constructions métriques. 85 86



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dans le vers 2 et une longue pour une brève dans le vers 3). Le dernier vers forme, quant à lui, un pentamètre léonin correct. On pourrait donc émettre l’hypothèse d’un projet de construction en distiques élégiaques unisoni, la datation n’entrant pas dans la versification du texte. Le formulaire de cette inscription met en avant le milieu monastique de rédaction puisqu’on insiste beaucoup sur la fonction du défunt, sans toutefois employer le mot abbas. On utilise des périphrases telle que pastor bonus ou pater. L’influence biblique de la première de ces périphrases est évidente et renvoie à la parabole du Bon Pasteur, telle qu’on peut la lire en Jn X, 11 : Ego sum pastor bonus. Bonus pastor animam suam dat pro ovibus suis. L’image du Bon pasteur s’applique au Christ, mais également au clerc qui a la charge de guider les fidèles. Très fréquente au Moyen Âge, cette assimilation s’applique, dans les épitaphes, aussi bien aux évêques qu’aux abbés. Ces choix lexicaux et ces tournures métriques, qui appartiennent au domaine de la composition littéraire, affectent principalement l’interprétation du lecteur acteur. La perception de l’inscription funéraire de Guillaume de Bate, dans l’église de l’abbaye d’Asnières, supposait uniquement un passage du spectateur dans le transept de l’édifice87. Le code épigraphique de mise en place du texte assurait ensuite la transmission des informations les plus importantes. L’attitude du témoin actif dépendait des données paléographiques de l’inscription et supposait également une relation de proximité. L’attitude du lecteur acteur est quant à elle plus contraignante. Le public doit désormais appréhender à chaque occasion un texte unique, possédant des spécificités littéraires développées. Il ne peut plus se contenter des informations primaires transmises par le code épigraphique. Le lecteur acteur embrasse au contraire le texte et le soumet à l’expérience complète des sens et de l’intellect. Il ne peut pas se contenter d’une simple perception rapide et superficielle, comme dans le cas d’Asnières, mais nécessite une véritable station devant le texte, afin de pouvoir le lire et l’analyser dans sa globalité. L’épitaphe de Renaud de l’Isle, placée à sa mort en 1277 dans le chœur de la basilique Notre-Dame d’Évron (53), devait bénéficier d’une telle attitude pour pouvoir être comprise dans son intégralité et interprétée. Cette dalle, aujourd’hui disparue, nous est rapportée par un dessin de la collection Gaignières, qui présente une

  Voir supra, p. 353.

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plate-tombe déjà très mutilée88. On ne peut pas reconstituer l’inscription dans son ensemble, mais on peut penser que le texte se composait d’hexamètres léonins riches et d’un distique élégiaque : Bis sex centeno septeno septuageno Anno de coelis quo vox venit Gabrielis Novit haec claudi quae respicit ossa Renaudi Sub……………………………………… …………………… a regna pater amen Virgo Maria Dei praesentet eum facei Ut sic fiat ei dic miserere mei

Si le message de cette épitaphe est simple et traditionnel, sa formulation est en revanche plus complexe, jouant sur les subtilités du vocabulaire et sur les rimes dans la construction métrique. Sa compréhension ne repose pas sur le repérage de quelques formules répétitives placées dans des endroits familiers, suffisantes pour la compréhension du texte par le témoin actif. Le lecteur acteur doit au contraire stationner devant l’inscription pour lire l’intégralité du texte. Son attitude ne se comprend pas dans le mouvement, mais au contraire dans un examen attentif de la composition. La lecture à laquelle est soumise l’inscription se rapproche alors de ce que l’on pourrait rencontrer dans le monde de l’écriture traditionnelle. Le lecteur acteur d’un texte épigraphique n’est pas fondamentalement différent du lecteur de livres ou de documents manuscrits. Il développe un procédé cognitif du même ordre, supposant la même reconnaissance des signes et une forme semblable d’interprétation. La dimension épigraphique ne disparaît pas pour autant de son attitude puisque la matérialité des inscriptions et leur mise en contexte monumental dictent d’autres règles au procédé cognitif. Elles n’empêchent toutefois que rarement l’efficacité de la communication qui présente, dans l’attitude du lecteur-acteur, sa forme la plus aboutie.  Les trois catégories de public envisagées ici permettent de regrouper l’ensemble des percepteurs des inscriptions médiévales. Elles n’ont, en soi, aucun caractère exclusif. Le spectateur passif peut ainsi devenir témoin actif ou lecteur acteur, en fonction du texte, des circonstances de lecture et de ses connaissances. L’essai de définition du public épigraphique invite à considérer qu’une même inscription 88   Évron (53), basilique Notre-Dame, chœur. Épitaphe de Renaud de l’Isle (1277). Inscription disparue. Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux… », t. I, p. 70.



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peut être interprétée à plusieurs niveaux en fonction du public auquel elle est soumise. Elle peut à la fois signaler au spectateur passif, informer le témoin actif et enseigner le lecteur acteur. Cette multitude de définitions, toutes circonstancielles, ne nuit pas à l’efficacité de la communication épigraphique ; au contraire, en multipliant les niveaux d’interprétations, elle multiplie également les publics potentiels de l’inscription. Reste ensuite à l’émetteur du texte à assurer la transmission de l’information au public le plus adéquat en opérant les sélections thématiques, topographiques et culturelles qu’il convient.



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Troisième partie Mémoire, monument, ordre : interpréter les inscriptions médiévales

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Théorie et pratique de la réception du message épigraphique À la prise de connaissance succède l’interprétation du document. Le récepteur n’est plus seulement le destinataire de l’information mais il utilise les données qu’il a reçues de l’émetteur pour organiser la matière signifiante au sein de son propre système de communication, enrichir ses connaissances personnelles, accomplir une action pratique, ou plus souvent pour mettre en place un acte de communication. Le récepteur devient ainsi à son tour l’émetteur potentiel d’une nouvelle information. Le système premier de communication (émission + réception) s’enrichit de l’émission d’un nouveau message qui peut s’adresser à l’émetteur du premier message, dans le cas d’une réponse, mais également à de nouveaux récepteurs absents du premier échange, le récepteur de l’acte premier de communication se faisant alors relais dans la transmission. L’utilisation de l’information, quel qu’en soit la teneur, le média ou le public, suppose ainsi un changement dans la nature du message et une redéfinition du rôle des acteurs. Dans sa forme la plus simple et conformément aux définitions traditionnelles de l’épigraphie, l’émission d’une inscription a pour fonction principale la mise à disposition d’une information auprès du public le plus large. De fait, elle n’attend pas de façon systématique de réponse de la part du percepteur. Elle commande un acte pratique de transmission entre un émetteur et un récepteur, et l’utilisation de l’inscription par ce dernier se limite alors à l’interprétation du texte (cognition), au traitement des informations (connaissance) et à leur réorganisation (mémoire). Cette forme de communication n’est pas une expression minimale de l’utilisation de l’inscription, la transmission du message étant au contraire parfaitement assurée. La réponse peut prendre des formes diverses, en fonction de la nature du texte et de la composition du public récepteur. Il est toutefois exceptionnel que l’inscription source invite à émettre une réponse du même ordre, c’est-à-dire que le texte engage le récepteur à rédiger à son tour un document épigraphique. Les formules d’appel au lecteur montrent au contraire que la réponse se situe d’avantage du côté de la parole prononcée ou récitée. On peut distinguer deux formes d’utilisation de l’écriture épigraphique qui impliquent deux attitudes différentes de la part du public :



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troisième partie : mémoire, monument, ordre

−− la première utilisation épigraphique fait de l’inscription le vecteur d’une information. Elle sert à la mise à disposition du message et le récepteur du texte utilise la matière dans un but précis et pragmatique. Le lecteur ne met en place aucune forme de réponse appelant un nouvel acte de communication. −− la deuxième utilisation fait de l’inscription un moyen, un signal pour déclencher chez le percepteur la volonté ou la nécessité d’émettre à son tour un message. La communication épigraphique n’est plus une donnée unilatérale et ne se limite pas à l’émission d’un message unique d’un émetteur A vers un récepteur B. Ce premier acte constitue au contraire le point de départ pour l’émission d’autres messages. Ces deux formes ne sont pas exclusives ; une même inscription peut ainsi entraîner deux formes différentes d’utilisation en fonction du contexte et de la nature des récepteurs. Comme la perception et comme la lecture, l’utilisation d’une inscription est donc fortement contextuelle. Une inscription funéraire à caractère tumulaire ne déclenchera pas la même réponse du public si elle est placée dans le chœur d’une église, dans une salle capitulaire ou dans un cloître. En fonction du statut particulier des différents espaces et en fonction de la nature des publics qui les fréquentent, l’inscription matérialisera la localisation de la sépulture, invitera à la commémoration ou fera apparaître le souvenir du défunt dans le monde des vivants ; elle invitera le public à émettre des prières ou à engager une cérémonie liturgique pour la célébration rituelle de la mémoire. Le domaine funéraire offre la plus grande diversité de réponses induites, les épitaphes et les inscriptions commémoratives possèdant un haut degré d’interactivité entre le texte et son public. L’étude sérielle des textes permet de mettre en évidence trois utilisations principales de l’inscription dans la communication, utilisations qui regroupent la très grande majorité des documents et concernent l’ensemble des publics épigraphiques. Chacune des grandes familles d’usages peut être définie par un terme latin qui apparaît dans la pensée médiévale et qui y définit un concept important : −− memoria : la première utilisation concerne l’emploi des inscriptions dans les différentes formes de commémoration. Elle concerne le monde funéraire et l’ensemble des inscriptions rappelant le souvenir d’un défunt. Elle a aussi une acception plus large et concerne tous les textes qui font mémoire d’un événement particulier, sans qu’il soit pour autant funéraire. Il s’agit des inscriptions rappelant

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le souvenir d’une bataille, d’une fondation, d’une donation ou de tout autre acte de la pratique (publique ou privée). Cette forme d’utilisation épigraphique regroupe les attitudes et les textes qui visent à réactiver le souvenir d’une personne ou d’un fait, les spécificités de cet usage résidant dans la capacité de l’inscription à actualiser la mémoire. −− monumentum : le second groupe d’utilisation concerne la notion complexe de monumentum. L’inscription garantit l’apparition du texte dans l’espace ; elle fait du document écrit une réalité sensible. L’intérêt de cet usage épigraphique réside dans la capacité de l’inscription à assurer le passage du document au monument, à transformer une donnée intellectuelle en une donnée concrète, à passer de l’idée à l’objet. Étudier ce type d’utilisation, c’est mesurer les implications matérielles du texte épigraphique sur le public et sur la perception du document, mais c’est surtout l’occasion d’aborder la réalité de la publicité épigraphique. −− ordo  : la dernière utilisation concerne la notion augustinienne d’ordo. Avec elle, on voit comment l’inscription est utilisée au Moyen Âge pour définir un certain ordre dans la matière sensible, aussi bien au niveau de l’objet lui-même que de l’espace qui l’accueille ; elle contribue à définir une hiérarchie et une répartition des espaces médiévaux, tout en leur attribuant dans le même temps une fonction ou un statut particulier. Ces trois utilisations permettent d’aborder l’ensemble des aspects de la communication par l’inscription et conduisent à envisager une nouvelle image de l’inscription, plus vaste et plus diversifiée, en accord avec le développement des pratiques écrites à la fin du Moyen Âge.



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Épigraphie et memoria  Comme toutes les productions écrites, le document épigraphique assure la conservation d’une idée face aux attaques du temps et contre la disparition de l’émetteur du message. La réalisation matérielle du texte et l’emploi de techniques et de matérieux adaptés accordent à l’inscription un rôle prépondérant dans cette conservation, comme le signalait déjà la Bible pour la mémoire des textes prophétiques1. Ainsi lisait-on chez Job : « Ah ! Si seulement on écrivait mes paroles, si on les gravait en une inscription ! Avec un burin de fer et du plomb, si pour toujours dans le roc elles restaient incisées2 ! ». La réalisation d’une inscription est donc une garantie contre l’oubli, mais également contre la destruction éventuelle des autres supports de l’écriture. C’est dans cette capacité de résistance au temps que l’inscription participe à la memoria d’un évènement ou d’un personnage, et éventuellement à la promotion et à la glorification du fait à travers les multiples formes de la commémoration3.

Les inscriptions médiévales et le temps L’écriture entretient un rapport conflictuel avec le temps. Si un texte est rédigé dans l’instant, à l’occasion d’un événement ponctuel (décès, fondation, donation, bataille…), il se comprend avant tout dans la durée et dans son aptitude à transmettre un message au-delà des limites chronologiques. Les inscriptions médiévales, à la fois textes et objets, offrent en ce sens deux types de relation au temps : −− Le but essentiel d’une inscription est de marquer le déroulement du temps, c’est-à-dire de garder le souvenir d’événements passés par la réalisation matérielle d’un témoin. Elle sert alors de point de repère dans le cycle des années et des siècles.   On trouve en particulier de telles mentions en Is VIII, 1 (Sume tibi tabulam grandem et scribe in es stilo hominis) et en Hab II, 2 (Scribe visum et explana eum super tabulas). Voir également l’inscription prophétique lue par Daniel en Dn V, 5-28. 2   Job XIX, 23-24 : Quis mihi tribuat ut scribantur sermones mei ? Quis mihi dat exarentur in libro ? Stylo ferreo et plumbi lamina vel celte sculpantur in silice ? 3   Sur ce thème, voir l’imposant volume Memoria. Der geschichtliche Zeugniswort des liturgischen Gedenkens im Mittelalter, éd. par K. Schmid et J. Wollasch, Munich, 1984 (Societas et fraternitas), et en particulier les pages 580-618. 1



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troisième partie : mémoire, monument, ordre

−− L’inscription doit vaincre le temps, le défier afin que le message qu’elle porte résiste aux aléas de la mémoire et aux assauts de l’oubli. Elle doit repousser les limites du souvenir et les dépasser. En tant que notion centrale dans la pensée du Moyen Âge comme de toute société, le temps influence l’ensemble du monde médiéval. Sa définition repose sur la combinaison de deux conceptions complémentaires : une conception linéaire, fondée sur l’accomplissement du plan divin, de la Création vers le Salut ; c’est le temps biblique et eschatologique ; une conception cyclique, basée sur le rythme des saisons et sur la mise en section du temps, et essentiellement marquée par le découpage liturgique de l’année ; c’est le temps des heures monastiques, le temps de la fête des saints, le temps marqué par les cloches. Cette double nature détermine deux facettes du rapport du texte à la commémoration, fondée à la fois sur la persistance du message et sur l’immédiateté de la réponse. La durée et l’instant dans l’inscription Le langage est le système de signes qui permet à l’être humain d’exprimer et de communiquer sa pensée, d’en vocaliser ou d’en transcrire la substance. L’utilisation du langage implique le passage d’une réalité insaisissable, née de la pensée abstraite, à une donnée matérielle, appréhendable par les sens. Le langage suppose ainsi un changement dans la nature du message émis : il permet de faire entrer le contenu d’une pensée dans le système sémiotique d’un autre individu (ou d’un autre groupe), ce qui constitue la condition préalable à toute forme de communication, qu’elle soit publicitaire ou restreinte. D’autre part, l’utilisation du langage implique un changement dans le statut temporel du message. En effet, l’idée et la pensée sont des événements ponctuels et spontanés. Dans leur expression, elles sont soumises à une temporalité propre, liée aux conditions et aux circonstances de leur émission. Le passage à la matérialité inscrit le message dans une autre temporalité et permet d’exprimer l’idée en dehors de son contexte de création. Grâce au recours à l’écriture, la pensée est potentiellement sujette à la répétition, à l’actualisation, et par conséquent à la commémoration. L’écriture, en tant que moyen matériel d’expression du langage, permet de dépasser les données temporelles et de poursuivre la communication d’un message en dehors de la présence physique (et donc immédiate) de



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l’émetteur4. L’écriture constitue ainsi le moyen de concilier la spontanéité de l’émission d’une idée et sa persistance dans le temps ; elle résout la contradiction apparente entre l’instant et la durée, et favorise de fait la constitution de la mémoire5. Grâce au langage écrit, la pensée entre dans le champ d’une communication étendue, émancipée de la présence réelle de l’émetteur primordial. À la dimension concrète de la documentation écrite traditionnelle, l’inscription ajoute une caractéristique matérielle très prononcée. En insistant sur la nature dure et durable du support de l’inscription, les définitions anciennes de l’épigraphie ont fortement mis en évidence la capacité de l’inscription à dépasser l’instant pour s’inscrire dans la durée. Même si la nature du support n’entre plus aujourd’hui dans la définition de la discipline, le caractère durable de la communication a en revanche été conservé pour mieux cerner la fonction de l’inscription6. L’écriture épigraphique apparaît ainsi comme le moyen le plus satisfaisant pour résoudre la contradiction entre l’instantanéité de l’idée (un événement, un fait, une personne) et sa persistance (la commémoration écrite du souvenir). Le recours à l’inscription permet de dissocier le message de l’émetteur et de multiplier, dans le même temps, les occasions de la diffusion de l’information. La capacité de l’inscription à dépasser les limites traditionnelles de la communication ne supprime pas pour autant l’importance du contexte temporel de la réception du message, toujours lié à des circonstances particulières et ponctuelles. Elles peuvent être différentes des conditions qui avaient conduit à l’émission primordiale de l’information contenue dans l’inscription mais elles influencent la perception, la lecture et l’interprétation du message. Elles font du contexte temporel de la communication épigraphique un élément tout aussi important que le contexte spatial évoqué plus haut, donnée fixe, participant à la définition du document ; le contexte temporel est lui beaucoup plus changeant, indépendant de la nature de l’inscription et lié aux seules circonstances de la réception du message. Chaque utilisation de l’inscription est ainsi soumise à un contexte temporel unique. Une inscription rappelant la consécration d’un 4   Manguel, A., Une histoire…, p. 221 : « Tout écrit est lisible, même si l’instant de sa création est perdu à jamais ». 5   L’étymologie du verbe écrire conduit d’ailleurs naturellement à l’idée de laisser une trace, laisser un souvenir matériel d’un fait ou d’une idée. C’est le premier sens du verbe latin scribere. 6   García Lobo, V., Martín López, M.E., Epigrafía…, p. 12.



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autel sera ainsi interprétée différemment le jour anniversaire de la cérémonie, au cours duquel elle revêtira une importance toute particulière. Dans l’église de l’ancienne abbaye de Barzelle (36), on trouve une longue inscription rapportant les dates de la construction et des dédicaces successives de l’église7. La fin du texte est particulièrement riche, mentionnant plusieurs détails techniques de la construction : elle fut dediee lan m. ccc. xxi elle fut consacree cinq jours apres les roys voutee et blanchie lan m. ccc. xix. L’importance liturgique de la cérémonie de la dédicace invite à penser que la commémoration de l’anniversaire de cet événement accordait un statut particulier à la lecture de l’inscription, son interprétation étant soumise alors au contexte temporel de la célébration. Même si l’inscription fait état d’événements liés à un contexte temporel déterminé (celui des conditions de la construction), le recours à l’écriture épigraphique permet de dépasser ces implications circonstancielles et d’actualiser l’information à chaque utilisation. L’inscription de Bazelle n’est donc plus liée matériellement aux prélats consécrateurs qui ont commandé sa réalisation ou aux travaux mentionnés dans le texte, pour dépendre uniquement des circonstances de sa lecture. Toutes les inscriptions liées à une forme de célébration, liturgique ou non, acquièrent au moment de la cérémonie commémorative une importance symbolique qui influence sans doute l’interprétation du texte. Dans de telles circonstances, le document n’est plus seulement une trace écrite destinée à faire mémoire d’un acte mais devient un instrument de la commémoration, à la fois garant et promoteur du souvenir. Les inscriptions funéraires à caractère obituaire se contentent, dans la majorité des cas, de placer la date du décès dans le calendrier liturgique, en vue de la célébration de l’anniversaire, mais elles n’acquièrent une importance fondamentale dans la communication que si l’on considère la possibilité de leur utilisation à date fixe, pour la célébration de la mémoire des défunts. Dans le cas contraire, l’inscription perd sa fonction principale de communication pour devenir un moyen de conservation. Bien que tumulaire, l’ancienne épitaphe d’Amaury de Craon, conservée autrefois dans la nef de la cathédrale d’Angers, rappelait la nécessité pour la mémoire du défunt de prier à une date donnée8. Cette épitaphe, qui présente une description   GC 2, col. 204, note b.   Inscription perdue. On conserve un dessin de la collection Gaignières du tombeau d’Amaury de Craon mais on n’y voit aucune inscription (Adhémar, J., Dordor, G., « les

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originale du mort, avec une quantité d’épithètes laudatives insistant sur ses qualités philanthropiques, commence par la date du décès (ce qui est assez rare pour le xive siècle) et se termine par une double demande de prière conclue, à chaque fois, par amen. La seconde est très développée et demande aux «  bons chrétiens de prier tous les ans » pour le défunt représenté sur la dalle, afin que « Dieu par sa grâce ait pardon de ses péchés ». Le souvenir du défunt perdure grâce à l’inscription, bien après que le texte ait été réalisé par ses familiers ou conformément à sa volonté. Sa vocation commémorative prend place quant à elle dans l’instant de la célébration et de son utilisation par le lecteur ; l’information qu’elle transmet est réactualisée à chaque lecture du texte. Les implications temporelles de l’écriture épigraphique ne s’expriment pas seulement dans les textes impliquant une utilisation liturgique. La lecture d’une inscription est en soi un acte circonstanciel. L’individualité du lecteur implique des circonstances propres à chaque réception de l’information. La même inscription de l’abbaye de Barzelle rappelle, au cœur du texte, que l’église avait été détruite par les Anglais au cours des combats qui eurent lieu près de Tours dans les premières années du xive siècle : elle fut dediee lan m. cc. xix. ayant ete gastee par les Anglois lan m. ccc. xv. L’information de la dévastation de l’église au cours des combats perdure à travers les siècles et reste signifiante, quelle que soit l’époque à laquelle est utilisé le texte ; il ne fait en revanche aucun doute que l’utilisation était différente quelques années après la réalisation du document, au moment où le souvenir des combats et des dégâts engendrés est encore très présent dans la mémoire des lecteurs. Affectés par les événements, ils interprèteront le message épigraphique avec une plus grande sensibilité et donneront un sens très actuel à l’inscription. Il en va de même pour l’inscription tracée sur un pilier de la chapelle Saint-Martin de l’ancienne abbaye de Glanfeuil (49) : en lan m iii c lv fut ceans des angloys le logeis Crissovalle et Carvallay9. De nos jours, la lecture de cette inscription rappelle une période troublée de l’histoire du Royaume de France et tient lieu de document anecdotique. Il subit une utilisation historique et scientifique tombeaux… », t. I, 153) ; pour le texte, on verra Imbert, H., « Histoire de Thouars », Mémoires de la Société de statistiques, sciences et arts des Deux-Sèvres, 2ème série, t. X, 1870, p. 145. 9   Godart-Faultrier, V., « Découvertes récentes dans le département du Maine-et-Loire », Bulletin monumental, t. 32, 1866, p. 398.



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de la part des spécialistes, et est traité comme une curiosité par le reste du public capable de déchiffrer le texte. Or, quelques années après les événements, l’inscription devait avoir un tout autre sens pour les occupants de l’abbaye. Comme dans l’inscription de Barzelle, le souvenir était encore très présent et la lecture du texte renvoyait à des faits très actuels10. La véritable dimension temporelle de l’inscription est donc celle du lecteur qui participe à l’actualisation du message. La commémoration épigraphique est avant tout la commémoration du texte lui-même, la célébration d’un témoin écrit. Le temps de la rédaction La consultation des données épigraphiques place l’inscription dans l’instant car, pour son utilisateur, le texte est avant tout le moyen immédiat d’accéder à une information précise et pratique. Dans le cadre de la commémoration, la communication épigraphique dans l’instant constitue l’occasion, par la répétition du message primordial, de réactualiser de façon ponctuelle le souvenir transmis par l’inscription. La persistance du texte épigraphique dans la durée permet quant à elle de multiplier ces réactualisations et d’assurer l’entretien de la mémoire des faits ou des personnes mentionnés dans l’inscription. La lecture permet par conséquent de donner aux informations qu’elle contient une actualité et une présence dans l’instant, et fait passer le message épigraphique de son immobilité lapidaire à une réalité immédiate et efficace. L’inscription doit ainsi être considérée comme l’activateur de la commémoration et comme le signal qui déclenche éventuellement une réponse de la part du percepteur du texte. Le rôle de la lecture épigraphique dans l’activation de la mémoire et dans le fonctionnement de la commémoration est lié à la nature performative de l’écriture. Consulter le texte inscrit, c’est faire apparaître dans l’instant de la lecture le contenu du message ; le souvenir prend alors une dimension physique, passant de la donnée intellectuelle à l’objet concret. Si l’inscription existe bien dans la durée, sa lecture permet en revanche de lui donner une signification dans l’instant. L’inscription médiévale a certes du sens en elle-même et indé-

10   Comme l’a très justement montré A. Manguel, le « lecteur prend le texte en charge et lui fabrique une signification ». Manguel, A., Une histoire…, p. 56.



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pendamment de toute forme de lecture mais son statut réel lui est accordé par l’utilisation qu’en fait le lecteur. La consécration d’un autel à la Vierge dans l’église de l’abbaye de Jumièges le 22 mai 1278 a donné lieu à la rédaction d’une inscription lapidaire aujourd’hui disparue, dont le formulaire répond à un schéma tout à fait traditionnel pour ce genre de textes, en présentant à la fois les données temporelles indispensables à la commémoration et les données techniques propres à la cérémonie (patronage de l’autel, nom des prélats consécrateurs, circonstances de la construction de l’autel)11 : anno milleno ducentesimo septuagesimo octavo undecimo kalendas junii consecratum est hoc altare Dei genitricis arch[iepiscopi] Roth[omagensis] auctoritate a Guidone Dei gratia Lexoviensi episcopo amoto altari precedente propter […….] parvitatem. Ce texte contient les informations essentielles pour permettre le souvenir de l’acte liturgique. Une forme beaucoup plus immédiate et pragmatique d’utilisation existait sans doute cependant en permettant au récepteur de l’information de réactualiser la consécration elle-même et de faire réapparaître le souvenir des prélats dont le nom est rappelé dans le texte. Même si elle n’implique pas forcément une réponse précise de la part du lecteur, la simple performance (vocale ou silencieuse) de l’inscription constitue déjà une forme de commémoration, au sens le plus simple du terme : rappeler le souvenir d’une personne ou d’un fait. Elle prend place dans l’instant de la consultation du texte et dans l’immédiateté de la répétition. Une telle forme d’utilisation épigraphique n’est pas incompatible avec l’idée de commémoration dans la longue durée et justifie le recours à la rédaction d’un texte ostensiblement publicitaire pour multiplier les occasions de réactivation du souvenir. La commémoration dans l’instant est l’une des justifications de la réalisation aussi systématique des inscriptions funéraires. Si elles participent à la conservation des informations principales relatives au défunt et à son décès, elles sont surtout l’occasion d’en réactiver le souvenir pratique et immédiat grâce à une lecture performative du texte. Le nom du défunt est l’objet d’une réactualisation continuelle, à chaque fois que le texte de son épitaphe fait l’objet d’une perception et d’une lecture. Les formules d’appel au lecteur présentes dans les 11   CIFM 22, 173. La pierre qui portait ce texte avait été découverte en 1844 dans les ruines de l’abbaye ; elle a depuis disparu, non sans avoir été recopiée par l’abbé Cochet. Voir CIFM 22, p. 261 et Michaud, J., Les inscriptions…, p.71-75.



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textes funéraires invitent d’ailleurs à inscrire la commémoration dans l’instant plutôt que dans la durée, en mettant en évidence deux actions spontanées : apercevoir et passer à proximité du texte. Une inscription autrefois conservée à la Trinité de Vendôme (41) et réalisée dans le dernier quart du xive siècle, s’adressait ainsi simplement à celui qui voyait l’objet décrit dans le texte : qui speculum cernis cur non mortalia spernis12. Le verbe latin cernere se retrouve dans un grand nombre de formules métriques qui insistent sur la vue du texte, tout comme le verbe videre, présent par exemple dans l’épitaphe de Jacques Nègre, conservée autrefois à Saint-Martial de Limoges : omnes qui viderunt has litteras dicant pro ipsis pater noster vel de profundis pro fidelibus13. L’expression omnes qui viderunt has litteras fait de la commémoration du défunt un événement ponctuel dont le signal déclencheur n’est autre que la vue du texte. C’est la même impression qui se dégageait de l’épitaphe de Simon, abbé de SaintCyprien de Poitiers (86) mort en 1288 : dicatis pater noster vos qui visitatis pro vestro fratre Simone14. En dehors du nom du défunt, l’épitaphe de Simon ne conserve aucune donnée permettant d’identifier ou de décrire l’abbé et pouvant être réutilisée dans le cadre plus étendue de la promotion de la mémoire. Le contenu de l’inscription est au contraire clairement tumulaire : il signale l’emplacement de la sépulture par l’intermédiaire du démonstratif hic et s’adresse ensuite au passant dans une formule développée. Cette inscription était donc plus certainement utilisée dans le cadre d’un acte immédiat de commémoration, comme un signal déclenchant une réponse instantanée. Les inscriptions funéraires plus détaillées sont-elles dès lors destinées à la conservation du souvenir et s’inscrivent-elles par conséquent dans la durée plutôt que dans l’instant ? La réponse n’est sans doute pas aussi tranchée. Dans le chapitre de l’église des Cordeliers de Rouen, on a placé en 1390, la dalle funéraire de l’évêque François. Le texte de son épitaphe, tout à fait traditionnel pour la fin du xive siècle, fait état des différentes fonctions occupées par le défunt et insiste notamment sur le fait que François a vécu in episcopali dignitate pen-

  Inscription inspirée d’Hildebert de Lavardin, reproduite dans Saint-Venant, R. de, Dictionnaire topographique, historique, biographique, généalogique et héraldique du Vendômois et de l’arrondissement de Vendôme, t. II/4, Blois, 1913, p. 64. 13   CIFM II, HV47. 14   CIFM I-1, 29. 12



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dant plus d’un demi-siècle15. Le contenu biographique de ce texte l’inscrit dans la durée, avec l’objectif de conserver les informations les plus importantes de la vie du défunt, mais il n’empêche pourtant pas une forme simple et immédiate de commémoration, basée une nouvelle fois sur une lecture pratique du texte et sur une réponse instantanée ; la différence de temporalité de la réponse commémorative se note dans un changement de lexique et dans la localisation particulière des expressions au cœur du texte. Les formes complexes et n’appartenant pas au répertoire mental de la majorité des lecteurs de l’inscription, comme sydoniensis nacione, lotharingus, episcopali dignitate ou cursus temporis, répondent au caractère biographique de l’inscription et à la volonté d’assurer la conservation d’un nombre important d’informations. La commémoration dans l’instant passe quant à elle par le repérage de la forme et de la fonction de l’inscription puis, dans un deuxième temps, par la prise de connaissance du nom du défunt et de la date de son décès, localisés, conformément au code de composition des plates-tombes que nous évoquions plus haut, dans l’angle supérieur droit et dans l’angle opposé : hic jacet reverendus in christo pater et dominus Franciscus // qui obiit anno Domini mccc nonagesimo tercio die decembris. Afin de faciliter la commémoration, les rédacteurs du texte ont utilisé des formules courantes, « emblématiques » de la fonction funéraire de l’inscription : hic jacet, qui obiit. L’expression reverendus in Christo est quant à elle fréquemment utilisée dans les épitaphes d’ecclésiastiques16. La récurrence de telles formules et l’évidence de la fonction funéraire du support du texte permettent de fournir au lecteur les informations indispensables à un acte immédiat de commémoration  ; l’aspect détaillé de l’épitaphe de François n’empêche en rien la spontanéité de la réponse et assure pour sa part la conservation dans la longue durée des éléments biographiques. La commémoration est avant tout un acte, une cérémonie, un rituel ; elle s’inscrit dans un temps qui lui est propre et qui peut être répété. Si le souvenir se place dans la durée, l’action de réactiver la mémoire d’un événement ou d’une personne est à mettre en rapport avec l’instant présent et l’influence des circonstances du moment.   Dedieu, H., «  Les sépultures de quelques églises franciscaines du nord de la Loire d’après les dessins de la collection Gaignières. Répertoire géographico-chronologique », Archivum franciscanum historicum, t. LXXI, n° 1-2, 1978, p. 29, n. 1. 16   Voir par exemple Poitiers (86), cathédrale Saint-Pierre. Inscription funéraire pour Aymeric de Mons, évêque de Poitiers (1370). GC 2, col. 1190. 15



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L’étymologie du terme commémoration montre qu’il s’agit de mettre la mémoire en commun, de replacer le souvenir dans un milieu spatial et temporel actuel. L’utilisation de l’inscription dans le cadre de la commémoration ne se rapporte qu’en partie à sa capacité à dépasser les limites de la mémoire humaine et à résister aux attaques du temps. Elle utilise principalement la possibilité qu’offre l’inscription de placer le souvenir textuel d’un fait ou d’une personne au cœur du temps de la lecture épigraphique et de donner au texte une existence hic et nunc. Le temps de la lecture À la différence de la parole et de certaines formes écrites, le texte épigraphique ne disparaît pas après son émission, mais perdure au contraire dans l’espace et dans le temps. La permanence du texte permet implicitement la permanence du message. C’est en garantissant le stockage des renseignements que le texte épigraphique se rapproche des documents mais, grâce à sa fonction publicitaire, l’inscription dépasse le statut de simple conservation et permet, par son exposition, un affichage des données. L’émission du message informatif confère ainsi à l’inscription une double fonction de conservation et de diffusion. La belle épitaphe du cardinal de la ChapelleTaillefer se fait l’écho de cette particularité épigraphique. Composée de vingt-quatre vers, elle propose une biographie détaillée du défunt, présentant sa carrière ecclésiastique et les missions qui lui ont été confiées par le pape et les princes laïcs ; elle vise avant tout à la conservation des informations, et, par là même, à une utilisation dans la longue durée, indépendante de toute forme de communication. Le vers 6 propose pourtant de nuancer cette fonction en plaçant le lecteur au cœur de la communication : qui leges legit qui tot bona scripta peregit17. L’inscription ne se contente plus de garder l’information ; elle cherche au contraire à transmettre son contenu à un public capable d’assurer la commémoration du défunt. Dans la longue durée, le recours à l’écriture épigraphique permet à la commémoration de prendre une dimension pérenne et de se désolidariser de l’émission de l’information primordiale  ; elle se trouve désormais attachée uniquement au texte qui contient les infor  Texier, A., « Recueil… », p. 214-220, v. 6.

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mations indispensables à son efficacité. Dans le cas des inscriptions funéraires, les circonstances d’émission de l’objet épigraphique n’affectent que relativement le lecteur potentiel de l’inscription ou l’attitude de commémoration qu’il mettra en place. Aussi dans les épitaphes est-ce souvent le tombeau, c’est-à-dire le monument support du texte, qui se trouve mis en avant par l’inscription, et non pas le défunt ou un émetteur quelconque ; de là les formulations classiques mentionnant la pierre, la tombe, la fosse, la terre, comme celle que l’on lisait au vers 5 de la même inscription limousine : Petrum petra tegit heu sub petra modo degit. Le premier hémistiche, inspiré de Mt XVI, 18, rappelle les liens entre le défunt et la sépulture, et donne l’illusion, malgré la construction plus ou moins adroite du vers, que l’inscription émane directement du tombeau et non pas du rédacteur de l’épitaphe. E. Valette-Gagnac et J. Svenbro ont déjà insisté sur le fait que les inscriptions funéraires de l’Antiquité s’adressaient directement au lecteur, sans recourir à la présence, dans le texte, de l’émetteur. Aussi l’inscription, en tant qu’objet, supplante-t-elle les acteurs de la rédaction pour finalement revêtir une autonomie fonctionnelle dans l’élocution18. Dans les inscriptions funéraires, l’émetteur du message n’apparaît d’ailleurs qu’à de rares exceptions, et toujours dans des circonstances particulières. On conserve au Musée de la Société archéologique de Touraine la tombe de deux frères, morts aux tournants des xive et xve siècles19. Le formulaire funéraire de cette épitaphe est très simple et se répète à l’identique pour les deux défunts, soigneusement identifiés par leurs charges civiles et militaires. L’intérêt majeur du formulaire de cette épitaphe double réside dans la mention du commanditaire de la tombe (et sans doute du message) : Jehan Chauvel fils dudit Othoron leur a fait faire cette tombe. En dehors de quelques exceptions de cette nature, l’inscription se désolidarise complètement de l’émission primordiale du message. Par un procédé d’assimilation entre la tombe et le défunt, certaines constructions formulaires s’adressent à la première personne du singulier au récepteur du message, comme si l’objet de la commémoration prenait ellemême la parole. L’épitaphe de Richart (fig. 120), conservé dans l’église de Saint-Aubin-de-Scellon (27) présente ainsi dans l’angle supérieur gauche de la plate-tombe, le texte suivant : sta cum transieris   Valette-Cagnac, E., La lecture…, p. 65 ; Svenbro, J., Phrasikleia…, p. 190.   Cette inscription a été publiée au milieu du xixe siècle dans les Mémoires de la Société archéologique de Touraine, t. IV, 1855, p. 168.

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Fig. 120.  Saint-Aubin-de-Scellon (27), église, nef. Plate-tombe de Richert (1285). Détail : angle supérieur gauche. Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.



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et scriptum perlege ; versum ville cadaver sum, ville cadaver eris20. Cette apostrophe au lecteur, qui invite le passant à s’arrêter pour lire, est assez fréquente en épigraphie et met directement l’exhortation morale finale dans la bouche du défunt, tel qu’il est dans la mort (et tel qu’il est représenté sur la dalle) et non pas en tant qu’émetteur du texte (c’est-à-dire vivant). Grâce à cette mise en scène, la commémoration funéraire s’émancipe de l’émission de l’information. Elle est désormais exclusivement reliée à l’inscription qui relate les faits mémorables et qui propose, dans le même temps, les modalités de l’action commémorative. Grâce aux inscriptions, la commémoration a la garantie de trouver un écho concret au-delà de l’émission primordiale de l’information, le temps de la lecture du texte épigraphique permettant de dépasser les limites traditionnelles de la communication directe. La commémoration épigraphique dans la longue durée repose sur une véritable autonomie de l’inscription qui donne au langage une stabilité formelle et une existence propre. L’inscription revêt alors une existence indépendante qui n’est plus soumise au contexte d’émission de l’information mais bien à celui de sa réception. L’autonomie matérielle du texte épigraphique permet ainsi à la commémoration d’exister en dehors de toute forme traditionnelle de communication et l’inscription pallie l’absence de l’émetteur en devenant elle-même acteur matériel de la communication. Si l’épitaphe se soustrait bien à l’influence du rédacteur, elle entre désormais dans la dépendance interprétative du récepteur.

L’individu dans la communication épigraphique Les acteurs de la communication ne sont pas nécessairement des individus. Dans le cas d’une communication à grande échelle, le message s’adresse à un grand nombre de récepteurs, et cette pluralité constitue la raison d’être du document chargé de transmettre à tous les informations énoncées par l’émetteur, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une collectivité. Dans les circonstances optimales d’accès à l’inscription, le public des inscriptions est formé d’une multitude de récepteurs potentiels. Les textes funéraires s’adressent ainsi, dans l’ab20   CIFM 22, 104. Trad. : Arrête-toi, lorsque tu passeras et lis ce qui est écrit. Me voici devenu vil cadavre, vil cadavre tu seras.



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solu, à la communauté universelle des vivants chargée d’assurer la célébration de la memoria des défunts. Placée en contexte monastique, la même inscription s’adressera cette fois à la communauté des moines ; située dans la chapelle d’une demeure privée, l’inscription se dirigera à la communauté restreinte des familiers, directement concernée par les informations de l’épitaphe. Les inscriptions qui contiennent des informations juridiques ou diplomatiques ont vocation à être connues de l’ensemble de la communauté concernée par les décrets ou les avis contenus par le texte. L’existence de ces inscriptions est justifiée par le caractère collectif du destinataire, qui détermine le recours au document épigraphique en complément ou substitution des textes traditionnels21. Si le public épigraphique potentiel venait à perdre son aspect collectif et massif, la justification de l’inscription disparaîtrait pour inviter l’émetteur du message à s’adresser directement à l’individu concerné par un autre intermédiaire. Le contenu des inscriptions ne détermine pourtant pas toujours un public collectif et les expressions qui manifestent dans le texte les relations entre l’inscription et son récepteur invitent à considérer le destinataire comme un individu particulier, spécifiquement désigné par l’inscription elle-même. La communication épigraphique s’adresse ainsi « au plus grand nombre » d’individualités particulières représentées au sein du public et suppose un double niveau d’efficacité de la publicité : dans son objectif, l’inscription s’adresse à une collectivité qui se veut la plus étendue possible et la production épigraphique met en jeu l’ensemble des moyens formels pour assurer l’efficacité de la transmission du message auprès d’un public large ; cependant, dans la réalité de la réception, l’inscription s’adresse avant tout à une somme d’individualités, chacune d’entre elles devenant le destinataire particulier de l’inscription, le récepteur privilégié du message. L’utilisation des inscriptions médiévales dans le cadre de la commémoration constitue l’occasion de mesurer cette dimension individuelle de la communication épigraphique. Par la réponse qu’elle suppose, l’inscription qui conserve et promeut la memoria d’un personnage ou d’un événement s’adresse en effet avant tout à un individu susceptible de mettre en place une action idoine assurant le succès de la commémoration. La réponse peut certes prendre une forme col21   Sur la question des inscriptions à contenu diplomatique, voir l’étude de la charte lapidaire de Crest (CIFM 16, D 5), Favreau, R., Épigraphie…, p. 40-42 ; voir du même auteur « La notification d’actes… », p. 648.



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lective et organisée, notamment dans le cadre des célébrations liturgiques de la mémoire des défunts, mais n’exclut jamais pour autant la prise en compte des informations à titre individuel, et donc l’exercice d’un acte isolé de commémoration. L’individu dans la communication publicitaire Si le document publicitaire s’adresse à une collectivité, la perception d’une image ou la lecture d’un texte suppose toujours l’existence d’une individualité susceptible d’en faire l’expérience. Le récepteur de l’information, qu’il soit percepteur ou lecteur, est toujours seul dans sa relation au document publicitaire et analyse, par son propre jugement, les données du message. Malgré la nature publicitaire de la communication, la relation entre le destinataire et le document est donc individuelle et exclusive, ne supposant aucun intermédiaire. Le document prend pour cible chaque individu et considère le public comme une somme d’individualités réceptrices plutôt que comme un groupe unique. Il y a donc une différence importante entre l’acte de communication lui-même, collectif et publicitaire, et la réception de l’information, personnelle et individuelle. Le document émis appartient à l’ensemble de la communauté auquel s’adresse le message ; le document reçu n’appartient plus qu’au percepteur qui en fait l’expérience. Les formules latines construites autour du verbe legere à la deuxième personne du singulier invitent à considérer le public épigraphique comme une somme de lecteurs potentiels. L’épitaphe de Juhel II (déjà évoquée ici pour son vocabulaire complexe) présente au vers 7 un exemple de ce type d’appel au lecteur22 : qui legis haec ora tenebrosis temporis hora. Même si le pronom tu n’est pas présent dans ce vers, le qui du début de la formule désigne un individu unique, comme c’est également le cas dans le qui legis hoc audi des peintures murales de Saint-Pierre-du-Loroüer23, ou le qui legis haec ora de l’épitaphe d’Hervé, évêque de Quimper24. De façon générale, les formules s’adressant directement au public de l’inscription doivent être considérées comme des appels au lecteur, et non pas comme des appels aux 22   Voir l’édition de ce texte dans La figuration des morts dans la chrétienté médiévale jusqu’à la fin du premier quart du xive siècle, Fontevraud, 1988, fig. 2, p. 154/1. 23   Deschamps, P., Thibout, M., La peinture murale en France…, p. 61-62 [texte]. 24   CIFM 23, 21



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lecteurs ; elles désignent la plupart du temps un individu particulier dans sa relation au texte, qui se distingue du reste du public par une attitude ponctuelle de lecture le désignant expressément comme le tu qui legis. L’épitaphe de Jeanne de Montbron, conservée dans le mur sud de l’église de la même ville, décrit très clairement le destinataire du message  : curans hoc legere dicat Devs hvic miserere25. Contrairement aux exemples précédents, l’épitaphe de Jeanne n’est pas rédigée à la deuxième personne du singulier. La formule d’appel au lecteur n’est donc pas directe mais elle n’en démontre pas moins l’individualité du récepteur du message en décrivant l’action qu’il effectue. L’emploi du verbe curare est à ce titre particulièrement significatif puisqu’il possède, en latin classique comme dans la langue médiolatine, un sens fort : veiller à, s’appliquer à, prendre soin de. La lecture de l’inscription est donc considérée comme une action qui oblige le lecteur à se concentrer véritablement sur le texte et sur son contenu. On ne se situe plus dans une attitude passive et collective de perception de l’inscription, comme pouvait l’exprimer l’épitaphe de Jacques Nègre à Saint-Martial de Limoges : qui viderunt his litteras26. En perdant son caractère rapide et passif, la prise de connaissance de l’inscription revêt une dimension personnelle plus importante. Comme dans l’épitaphe de Jacques Nègre, de nombreuses formules d’appel au lecteur sont transcrites au pluriel, mais les actions décrites s’articulent autour de verbes également rencontrés dans des constructions au singulier et qui expriment de fait des activités personnelles. L’épitaphe du comte Hugues, conservée autrefois dans l’abbaye de Grandmont (87), contenait ainsi une formule au pluriel, très proche dans sa construction comme dans sa signification des expressions au singulier décrites précédemment27 : quicumque legetis dicite sint anime regna beata meae. L’emploi de la deuxième personne du pluriel du verbe legere n’affecte pas véritablement le caractère individuel de la lecture. De même l’épitaphe de Simon de Saint-Cyprien de Poitiers décrivait-elle dans sa formulation plurielle des actions individuelles. Le texte s’adressait certes à l’ensemble des fidèles (moines ou laïcs) visitant le tombeau du défunt (vos qui visitatis), mais la réponse commémorative, exprimée par le verbe dicere, prenait la forme de la récitation individuelle d’une prière : dicatis pater

  CIFM I-3, Ch 58. Trad. : Que celui qui s’applique à lire ceci dise : Dieu, aie pitié d’elle !   CIFM II, HV 47. 27   CIFM II, HV 105. 25 26



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noster28. Au-delà de l’aspect stéréotypé de certaines formulations et indépendamment des exigences métriques, l’emploi systématique du terme lector au singulier montre que l’inscription s’adresse à un lecteur particulier : le récepteur, occupé, dans un moment précis, à lire le texte. La communication épigraphique n’envisage pas le lecteur médiéval dans l’absolu, mais adresse au contraire les inscriptions à un individu en particulier. L’épitaphe d’Hélie (mort en 1285) présente à la fois l’attitude active du lecteur et les circonstances ponctuelles de sa lecture29 : resta ne fugias lege lector quis sit Helias. On retrouve une telle description des modalités de la communication dans de nombreuses inscriptions faisant usage du mot lector. Ainsi, au ixe siècle, Micon de Saint-Riquier avait rédigé un vers de teneur égale pour l’épitaphe de Leutgaudus : has quicumque legis lector miserere sepulti30. Pour une autre sépulture de Saint-Riquier, Micon composa un vers tout à fait semblable : hunc quicumque legis titulum dic lector habere31. Ces deux vers élégants associent le mot lector, le verbe legere et le pronom qui en une formule condensée décrivant à la fois les modalités de la prise de connaissance du texte et la destination précise du message. Le caractère individuel de l’adresse de l’inscription n’est pas en contradiction avec la fonction publicitaire de la communication épigraphique. La mise à disposition de l’information dans une forme publique permet en fait à l’inscription de répéter à l’infini la destination particulière du message. En multipliant les occasions de lecture et en facilitant sa mise en place, l’inscription multiplie dans le même temps le nombre des lecteurs particuliers auxquels elle s’adresse de façon individuelle au cours de chaque entreprise de cognition. Dans le cadre de la commémoration, l’individualisation de l’adresse permet également de favoriser une forme concrète et efficace de communication. Si elle multiplie les occasions de lecture, l’inscription multiplie dans le même temps les occasions de commémorer l’événement rapporté dans le texte. À l’image de la lecture, la commémoration devient individuelle et se répète dans chaque prise de connaissance du message par un lecteur particulier. Micon de Saint-Riquier a une nouvelle fois exprimé cette idée dans une autre inscription funéraire : hoc   CIFM I-1, 29.   GC 8, col. 1563. 30   Épitaphe de Leutgaudus, composée par Micon (ixe siècle) publiée dans MGH, Poetae…, t. III, p. 312. 31   Épitaphe de destination inconnue, composée par Micon (ixe siècle) ; ibid. 28 29



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relegens lector memor esto meique tuique32. Le premier hémistiche de ce vers résume à lui seul les modalités de la commémoration épigraphique. La relecture (relegens) d’une épitaphe (hoc) permet au récepteur du message (lector) de participer à la célébration répétée de la mémoire du défunt (memor). Ce schéma n’apparaît pas seulement dans les textes littéraires de l’époque carolingienne mais se retrouve tout au long du Moyen Âge, comme par exemple au xiiie siècle, dans l’épitaphe de G. de Beaulieu, conservée autrefois dans la cathédrale Saint-Étienne de Limoges (87) : dicat legens pro ejus anima pater noster33. C’est bien la lecture du texte qui donne lieu à la récitation des prières par le percepteur individuel de l’épitaphe, d’où le choix de la forme legens. En individualisant la prise de connaissance de l’inscription, la communication épigraphique fait de chaque percepteur un lecteur particulier et donc un acteur de la commémoration. Aussi l’adresse particulière du message ne doit-elle pas être considérée comme une limite dans l’efficacité de la transmission des informations auprès du plus grand nombre ; au contraire, en assurant la diffusion de l’inscription auprès d’une somme d’individualités réceptrices, la communication épigraphique gagne en efficacité. Le lecteur est personnellement concerné par le message qu’il reçoit et se trouve ainsi plus à même de fournir la réponse appropriée. Utilisation personnelle de l’écriture épigraphique La mise en exergue de la figure du lecteur comme récepteur individuel du texte épigraphique permet d’accorder une grande efficacité à la diffusion du message, chaque individu devenant la cible privilégiée de l’inscription. La notion contemporaine de cible combine les dimensions individuelle et collective de la communication en désignant à la fois la catégorie du public à envisager pour garantir le succès de la diffusion du message et, au sein de cet ensemble, la figure individuelle de chaque récepteur susceptible de répondre au contenu du texte. Le lecteur s’approprie l’inscription comme il le ferait avec n’importe quelle autre forme textuelle en faisant de son contenu une donnée personnelle, soumise au jugement de son propre intellect et à l’influence de son affect.

  Inscription funéraire à destination inconnue composée par Micon (ixe siècle) ; ibid., p. 317. 33   CIFM II, HV 19. 32



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La principale limite concerne la situation topographique des inscriptions. La plupart d’entre elles sont placées dans un contexte architectural public, qu’il soit religieux ou civil. Aussi la prise de possession du texte est-elle limitée dans son intimité par le fait que ces espaces peuvent être fréquentés simultanément par plusieurs lecteurs individuels. Quand un lecteur traditionnel prend en main un ouvrage et le parcourt des yeux, la relation entre le message et son récepteur est exclusive. La lecture suppose alors uniquement deux acteurs : le lecteur et le texte. Dans le cadre de la communication épigraphique, la situation des textes nuit à l’obtention d’un tel degré d’intimité. La relation exclusive, sans être intime, est pourtant maintenue et, malgré sa situation en contexte public, l’inscription peut bénéficier d’une réception individuelle et d’une utilisation personnelle. Certaines inscriptions permettent d’ailleurs de constater cette utilisation individuelle et exclusive ; c’est en particulier le cas pour les textes dont le caractère publicitaire est limité, comme les inscriptions prophylactiques tracées sur les bijoux ou sur les ornements du vêtement. L’accès à leur contenu est réservé à la personne qui fait usage de l’objet ; elle est le destinataire unique du message et entretient avec le texte un rapport d’intimité physique. Le lecteur potentiel de l’inscription est celui qui détient alors entre ses mains l’objet gravé ; l’inscription ne s’adresse plus qu’à son propriétaire et se coupe de la diffusion auprès d’un public, quelle que soit sa définition. Le détenteur de l’inscription doit sans doute faire un usage exclusif de l’objet afin de garantir son efficacité, le texte porté sur une boucle de ceinture n’ayant de vertu prophylactique que lors de son utilisation par un individu, et non pas dans le cadre d’une exposition publique du message. Le musée Dobrée de Nantes (44) possède à ce titre une imposante collection de petites pièces d’orfèvrerie destinées à accompagner les parures vestimentaires34. Datant de la seconde moitié du xiiie siècle ou du début du xive, ces agrafes portent des textes courts au contenu très simple. L’inscription peut ainsi se composer de l’incipit de la Salutation évangélique, dans sa version liturgique ou biblique, d’une courte devise, ou bien d’une autre formule prophylactique. C’est le cas de plusieurs pièces portant le texte : bien ait qui me porte35 (fig. 121), dont le message n’attend pas de diffusion particulière et s’adresse exclusivement à la personne faisant un usage privé de l’objet. De façon   Voir CIFM 23, 83 ; voir aussi Costa, D., Musées départementaux de Loire-Atlantique. T. I : du au xve siècle. Musée Dobrée, Nantes, 1971, p. 70 et sq. 35   CIFM 23, 86 (xiiie siècle).

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générale, l’utilisation individuelle du message épigraphique peut être appliquée à l’ensemble des inscriptions cachées qui réservent leur consultation à un groupe extrêmement réduit de lecteurs et qui se coupent de la dimension publicitaire de la majorité des textes épigraphiques. L’affirmation du lecteur

Fig. 121.  Nantes (44), musée Dobrée. Agrafe dorée à devise n° 882-1-540 (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/ CIFM.

La commémoration médiévale implique la connaissance d’un certain nombre d’informations pratiques qui nécessitent une entreprise concrète de lecture et l’existence d’un lecteur véritable. Dès lors, la figure du lecteur épigraphique ne peut plus être considérée comme une donnée relative, aléatoire, dépendant de la composition du public ; elle devient au contraire essentielle et conditionne l’efficacité et l’existence même de la communication épigraphique. L’inscription commémorative reste inefficace si elle doit se passer de son lecteur ; elle n’est certes pas insignifiante, mais elle se coupe de ses obligations fonctionnelles puisque les données indispensables à l’acte de commémoration ne peuvent parvenir en substance au récepteur du document. L’affirmation du rôle du lecteur dans la communication épigraphique se trouve parfaitement synthétisé dans une autre inscription limousine, conservée sous le porche de la cathédrale Saint-Étienne de Limoges (87)36 : Hic jacet bone me(morie) d(omi)n(u)s [Iohanne]s de ­Peyzaco loci de Vinulio canonic(us) Lemovi(censis) obiit die iiii an(n)o D(omi)ni m cccc a(n)i(m)a ei(us) req(ui)escat in pace ut De(us) parcet et dic lector mis(ere)re mei. Ce texte fait mention de la mort de Jean de Peyrac, chanoine de Limoges, décédé en 1400. Le défunt bénéficie d’une identification, géographique d’abord, fonctionnelle ensuite. Le texte se termine par une formule classique anima ejus requiescat in pace, tirée de la liturgie des défunts, complétée par une autre expression, plus rare, ut Deus parcat, que l’on retrouve dès le viiie siècle dans une épi36   Limoges (87), cathédrale Saint-Étienne, sous le porche, à droite en entrant (on ignore la première localisation de la dalle). Dalle tumulaire de Jean de Peyrac (1400, 29 mars). Texier, A., « Recueil… », p. 246.



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taphe conservée à Toulouse37. L’extrême fin du texte est un appel direct au lecteur contenant une citation biblique présente dans de nombreux psaumes38. L’épitaphe fournit ainsi l’ensemble des renseignements indispensables à la commémoration. La formule finale montre clairement que le texte s’adresse à un récepteur individuel (lector), et elle fournit également l’objectif de la commémoration : contribuer à la préservation du défunt grâce à la récitation d’une formule adaptée. Le personnage central, dans cette action de communication, n’est pas l’émetteur du texte ; c’est au contraire le récepteur de l’information qui joue le rôle le plus important en prenant pleinement possession du document et en lui accordant la possibilité de recevoir une réponse individuelle. Celle-ci peut prendre des formes différentes mais l’attitude du lecteur est généralement décrite par les verbes orare et dicere, qui traduisent la récitation (vocalisée ou non) d’une prière ou d’une pièce liturgique. À Saint-Martial de Limoges (87), l’épitaphe de Pierre Jourdain, mort en 1267, demandait de réciter le Pater Noster pour accorder au défunt l’amour de Dieu39. L’épitaphe de Pierre Grille, mort quelques années plus tôt et inhumé dans l’ancienne abbaye de Grandmont (87) demandait quant à elle la récitation du Pater Noster et de l’Ave Maria dans une formulation très proche40 : amore dei dicatis pater noster pro anima eius ave Maria. L’épitaphe de Jacques Nègre donnait quant à elle : omnes qui viderunt has litteras dicant pro ipsis pater noster vel de profundis pro fidelibus41. La mention de la dernière prière place clairement la réponse du lecteur du texte dans le domaine de la commémoration liturgique puisqu’elle constitue une pièce importante de la messe des défunts, attestée dans de nombreux textes funéraires42. L’épitaphe versifiée de Jeanne de Montbron, en associant le verbe dicere au mot miserere, lui aussi chargé d’une forte connotation funéraire, témoigne d’une même influence liturgique (fig. 122) : curans hoc legere dicat deus huic miserere43. En règle générale, le verbe orare est moins précis et les formules se contentent de présenter une forme impérative de ce verbe, sans la compléter par le nom ou le type de   Toulouse (31), musée des Augustins. Épitaphe de Bernard. CIFM 7, 40.   Par exemple : Ps IV, 2 ; VI, 3 ; IX, 14 ; XXIV, 16 ; XXV, 11 ; XXVI, 7 ; CXVIII, 29. 39   CIFM II, HV 44 : Quod eis requies tribuatur amore dei dicatis pater noster. 40   CIFM II, HV 80. 41   CIFM II, HV 47. 42   CIFM II, p. 148. 43   CIFM I-3, Ch 58. 37 38



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Fig. 122.  Montbron (16), ancien prieuré Saint-Maurice, mur de la sacristie. Épitaphe de Jeanne de Montbron (c. 1240). Cliché V. Debiais.

prière à réciter. Quelques textes font toutefois exception à la règle. À la mort de l’abbé Guillaume de Margeray44, dans le dernier quart du xiiie siècle, on a réalisé une dalle, composée de seize pavés de terre cuite autour de laquelle court un texte qui se termine par la phrase : ora pro eo ave maria. Il est toutefois difficile de déterminer si le nom de la prière et le verbe orare sont liés. On pourrait en effet penser que le Ave Maria final joue le même rôle que le mot Amen, présent à la même place dans de nombreuses épitaphes transcrites sur des platestombes. La formule ne renverrait donc pas directement à la récitation d’une prière. Le lecteur individuel de l’inscription commémorative est le garant de l’efficacité de la communication. Les formules insistent sur l’importance de son rôle, ainsi que sur les modalités concrètes de la commémoration. Il est, à ce titre, le seul acteur spécifiquement mentionné au cœur des inscriptions de la fin du Moyen Âge45, et apparaît ainsi comme l’élément indispensable dans la réception des informations et dans leur traitement. D’un point de vue pratique, la présence du lecteur individuel est une nécessité, la commémoration ne pouvant se passer d’une lecture, pour élémentaire qu’elle soit. L’épitaphe de G. de Beaulieu, conservée autrefois dans la cathédrale de Limoges, présentait clairement cette nécessité, en identifiant le récepteur du texte comme celui qui « prononce les prières tout en lisant l’inscription »46. Le participe présent employé dans ce texte montre que le lecteur épigraphique change de statut : de personnage indéterminé, défini simplement par son existence potentielle, il devient un élément   CIFM 22, 111.   Dans les inscriptions du haut Moyen Âge, il est très souvent fait mention des scripteurs et des réalisateurs matériels (ou intellectuels) du document épigraphique. Cette habitude se fait de plus en plus rare à mesure que l’on avance dans la période médiévale. À compter du xive siècle, seul le récepteur du texte est mentionné dans les inscriptions. Il devient l’acteur principal de la communication. Sur la présence du scripteur dans les textes, voir García Lobo, V., Martín López, M.E., Epigrafía…, p. 26-28. 46   CIFM II, HV 19. 44 45



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indispensable de la communication épigraphique, un acteur véritable de la commémoration défini par la lecture de l’inscription.

Les modalités de la commémoration épigraphique En donnant au texte une matérialité, l’inscription place un objet supplémentaire au cœur de l’espace. Le texte épigraphique n’en est pas pour autant figé, enfermé dans sa réalité matérielle. La lecture a au contraire le pouvoir de réactualiser les informations véhiculées par l’inscription et de les rendre nouvellement présentes. Matérialité du texte et matérialisation de la mémoire

En choisissant d’accorder une forme épigraphique à la commémoration d’un personnage ou d’un événement, les émetteurs du message prennent l’initiative de donner une consistance matérielle au souvenir ; la mémoire n’est plus seulement une idée, diffuse, immatérielle et inaccessible. Elle devient au contraire une unité sensible, une étendue de matière au service de la commémoration. Partant, la mémoire est soumise aux mêmes lois que les autres données sensibles : elle occupe un espace déterminé, un contexte significatif au sein duquel elle peut être appréhendée par les sens. L’inscription incarne désormais physiquement la mémoire, présente dans la pierre de la plate-tombe recouvrant une sépulture ou dans le métal de la plaque rappelant une fondation. L’assimilation entre la mémoire et l’objet épigraphique explique la fréquence de la mention dans les textes funéraires des monuments auxquels se rapportent les textes. L’épitaphe du cardinal de la Chapelle-Taillefer évoquait, par exemple, aux vers 3 et 5, le tombeau : ecce sub hac cella situs est Petrus plange capella (v. 3)  ; Petrum petra tegit heu ! sub petra modo degit (v. 5)47. C’est sur ce monument que le lecteur prend connaissance du texte afin d’assurer la commémoration du défunt. Le jeu de mots sur la pierre est très répandu dans l’épigraphie funéraire et nuance sans aucun 47   Id., vers 3 et 5. Trad. : Voici que sous cette stèle repose Pierre de la Chapelle. La pierre recouvre Pierre : hélas ! Il consume seulement le temps sous cette dalle.



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doute le caractère descriptif des vers 3 et 5 mais, au-delà de la dimension rhétorique, le texte emploie trois mots en deux vers pour mentionner le tombeau et démontre ainsi les relations très étroites entre le texte et son support. À la fin du xive siècle, on a placé dans l’église des Jacobins de Chartres (28) un vitrail portant une inscription qui faisait état des donations et des constructions effectuées par Étienne Rogier, chanoine de la ville ; le texte rappelle également son décès, mentionne le lieu de sa sépulture et présente les modalités de la commémoration du chanoine : monseigneur Estienne Rogier docteur en lays et en decrets chanoine de Chartres fit fere la charpenterie et la couverture de ceste nouvelle euvre de la dicte eglise de ceste verrierre tout a ses despans et fonda cet premier autel auquel le couvent est tenu de fere celebrer chascun jour une messe pour lame du dit monseigneur Estienne lequel gist a la destre partie du dit autel priez Dieu pour lui toutes les euvres des obiis dictes furent accompli et par lui en lan 137348. L’inscription est très complète et présente un schéma de commémoration très dense, en multipliant les raisons d’associer le chanoine aux prières des vivants. Le décès du bienfaiteur est associé à deux formes de commémoration : la célébration liturgique des messes d’anniversaires d’abord, dont le détail est donné dans l’inscription ; une forme plus personnelle de commémoration ensuite, celle de la récitation des prières près du tombeau, précisément localisé à cet effet dans le texte de l’inscription. Toutefois, au-delà de ces deux formes de commémoration, l’inscription du vitrail d’Étienne Rogier devient elle-même, par sa situation et par son contenu, la mémoire du personnage, de ses actes, de sa fonction et de ses décisions. L’inscription incarne physiquement la mémoire du chanoine et lui donne une signification dans un contexte qui lui est familier. On peut tirer les mêmes conclusions de l’épitaphe qui accompagnait autrefois la tombe d’Ysabeau d’Avaugour49, dans le chœur de l’église des Cordeliers d’Angers (49). L’épitaphe proprement dite court tout autour de la dalle et présente un descriptif généalogique traditionnel, la seule originalité venant du fait qu’on a 48   L’inscription, aujourd’hui disparue, est connue par un dessin ancien et par un relevé de Viollet-le-Duc. Viollet-le-Duc, E. « Communication de la liste des dessins de la Collection Gaignières à la bibliothèque bodléienne d’Oxford », Bulletin du Comité Historique « Arts et Monuments Archéologie et Beaux-Arts », t. III, 1852, p. 249. 49   Bruneau de Tartifume, J., Angers…, p. 229-233.



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répété à plusieurs reprises des informations identiques : on trouve ainsi deux fois l’ascendance de la défunte, son premier et son second mariage, la date de son décès. Au-dessus du tombeau, sur le mur du chœur, un poème en langue vernaculaire vient donner en seize octosyllabes les modalités de la commémoration. Il est l’occasion de faire l’éloge de la défunte tout en invitant à prier pour son salut. Les vers 1-2 constituent l’appel aux lecteurs de la communauté monastique : tous les freres de cest couvent qui cy davant passez souvent. La suite du texte est une fondation de messe pour la défunte avec la fréquence, le lieu et le contenu des célébrations. Le poème se termine par un rappel des libéralités accordées au couvent des Cordeliers par la défunte. Comme dans le cas du vitrail d’Étienne Rogier, on a un rapport très complet des données constitutives de la mémoire du personnage associé aux modalités concrètes de la commémoration, avec le détail des célébrations liturgiques à fournir50. La monumentalité du tombeau et l’impact visuel de sa beauté contribuent à l’association entre monument commémoratif et memoria. Le monument d’Ysabeau d’Avaugour promeut la commémoration de la défunte et incarne physiquement son souvenir au cœur de l’édifice qui avait autrefois reçu la manifestation de sa générosité ; la fin du texte associe à ce propos de façon directe les donations de la défunte à la nécessité de commémorer son décès : or y pensez et aus grands biens que la noble dam a faicts ciens (v. 15-16). La memoria n’est pas contenue exclusivement dans l’inscription ; elle peut s’émanciper de la présence du texte épigraphique et se reporter vers des objets textuels d’un autre ordre (rouleaux des morts, livres nécrologiques, etc.), ainsi que vers d’autres manifestations. Dans le domaine funéraire pourtant, l’épitaphe et la prise de connaissance du texte par le public permet de contextualiser la réactualisation de la mémoire du personnage. Si l’inscription ne remplace pas la memoria, elle l’incarne physiquement ; la réception et la lecture de l’inscription n’en sont que l’actualisation, et le texte devient partie intégrante du patrimoine mémoriel du défunt. 

50   Id., v. 6-8 : a pour tous temps ciens une messe / chacq’un jour d’an et de sepmaine / a l’autier de la Magdelaine.



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Matérialisation de la réponse commémorative Après avoir attiré l’attention du percepteur et après avoir fait apparaître dans un contexte signifiant le fait ou le personnage devant être commémoré, l’inscription assure pour terminer la mise en place de la réponse fournie par le lecteur. En règle générale, elle concerne la prononciation d’une parole rituelle (récitation, psalmodie ou simple vocalisation). De la même façon qu’elle incarnait la mémoire, l’inscription funéraire permet l’apparition concrète de la célébration commémorative dans l’espace épigraphique. À la mort de Guillaume de Courbehier en 1388, on a placé, dans la petite église de Voutré (53), un édicule funéraire représentant la Crucifixion51  ; la Vierge est accompagnée du défunt en prière devant le crucifix. Quant à l’inscription qui prend place sous la scène sculptée, elle est extrêmement réduite, du moins pour ce qui concerne la biographie du défunt : on apprend uniquement son nom et la date de son décès. Le texte commence par la formule cy dessous gist (assez courante dans les inscriptions en langue française de la fin du Moyen Âge ; on la rencontre plus souvent sur les plates-tombes que sur les pièces à vocation de stèle, où l’on attendrait plutôt la formule cy devant gist). La fin du texte est un long appel à la prière pour le défunt et la communauté des morts, dans lequel on cite l’incipit du pater noster  : Cy dessous gist Guille(me) seig(neur) de Courbehier […] qui trespassa le vii jour de juillet l’an m ccc iiiixx + viii p(r)i(e)z pour lui + pour to(u)s autres pater noster. Ce petit monument est plus que le marqueur spatial d’une sépulture ; il matérialise également le souvenir de Guillaume de Courbehier, en proposant une rapide description textuelle et une représentation iconographique élémentaire. La fin du texte donne quant à elle une consistance sensible à la réponse proposée par le lecteur de l’épitaphe. Les mots les plus importants de la prière apparaissent désormais dans l’espace épigraphique et ne sont plus exclusivement présent dans le temps et l’espace de la récitation. Au même titre que l’inscription, ils occupent un espace déterminé et persistent dans le temps, au-delà de l’événement ou du personnage devant être commémoré et au-delà de l’acte de commémoration lui-même. Le monument de Guillaume ne doit donc pas être considéré seulement comme la sépulture de ce grand laïc mais également comme un acte de commémoration du défunt. La réalisation épigraphique permet à la parole prononcée d’apparaître dans un espace déterminé et d’exister dans la durée.   Angot, A., Épigraphie de la Mayenne…, t. II, p. 400-401.

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La rédaction épigraphique de la prière commémorative est un gage supplémentaire dans l’efficacité de la communication, l’émetteur du message s’assurant de la prolongation et de l’autonomie de la parole. La prière peut dès lors se passer de la présence physique de l’orant. Elle trouve, dans l’inscription, une forme autonome d’existence qui lui permet de se détacher des acteurs de la communication. Dans le cas du monument de Guillaume de Courbehier comme dans la plupart des inscriptions funéraires, la mention de l’incipit des prières est plus qu’une incitation à la récitation ; elle constitue déjà la matérialisation de la prière toute entière. La faculté de l’inscription à la faire apparaître dans l’espace épigraphique repose sur le pouvoir performatif de l’écriture et de la lecture médiévales qui transforme l’inscription en une prière permanente. La lecture permet de réactualiser le texte transcrit dans l’inscription et résout ainsi la contradiction entre durée épigraphique et instantanéité nécessaire de la commémoration. Les verbes rencontrés dans les formules d’appel au lecteur décrivent des actions brèves et circonstancielles, qui ne correspondent plus à la durée épigraphique ; il s’agit au contraire de la dimension instantanée de la performance orale, comme le montre par exemple les vers 23-24 de l’épitaphe de Nicolas Langlois, inhumé dans l’église Saint-Pierre de Caen (14) : qui les mettra en sa priere dieu les mette en bonne sepmaine52. Par sa matérialité, l’inscription est le témoignage vivant de l’existence du fait ou du personnage qu’elle mentionne. Elle joue un rôle fondamental dans la réactualisation du souvenir dans l’instant et dans l’espace de la commémoration et dans l’efficacité de la commémoration. La lecture du texte commémoratif propose au percepteur du document les moyens de fournir une réponse adaptée. Moyen idoine pour répondre aux exigences de la célébration du souvenir, la fonction commémorative du texte est la plus développée à la fin du Moyen Âge parmi les types épigraphiques.

  Beaurepaire, E., « Promenade à Caen », Congrès archéologique de France. Caen. 1883, Paris, 1884, p. 295-298. L’inscription date de 1317.

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Épigraphie et monumentum L’utilisation des inscriptions dans la commémoration donne la première place à la dimension matérielle de l’objet épigraphique et à sa capacité à accorder une forme concrète au contenu du texte. Les conséquences de cette matérialité sont très nombreuses, dans la réalisation du texte comme dans sa réception par le public médiéval. Si le lecteur de la charte ou du livre prend en compte la forme, l’étendue et la nature du document, le récepteur de l’inscription tiendra compte également de son entourage et de sa localisation, et intégrera le texte au contexte de lecture, qu’il s’agisse d’un édifice ou d’un espace ouvert. Les inscriptions de la fin du Moyen Âge ont tendance à perdre peu à peu de leurs dimensions monumentales, à l’exception des grandes constructions funéraires de prestige où le texte, comme la sculpture, entre dans une surenchère presque baroque. La majorité des inscriptions deviennent des objets de dimensions réduites, rendant ainsi manifestes les changements évoqués plus haut dans la prise de possession du texte et dans les formes personnelles et totales de la lecture. De fait, les inscriptions monumentales (au sens quantitatif du terme : à la dimension du monument) sont pratiquement inexistantes au sein du corpus épigraphique du xive siècle et de la première moitié du xve, et la production de textes transcrits sur la pierre à l’aide de gros caractères et développant le champ épigraphique sur plusieurs mètres reste anecdotique avant 1480. Dans le monde lapidaire, l’inscription de donation de Langrune-sur-Mer déjà mentionnée reste une véritable exception pour le xiiie siècle1. Le monde des inscriptions peintes offre toutefois quelques textes de grandes dimensions, comme l’inscription transcrite sur plusieurs murs de la salle centrale du baptistère Saint-Jean de Poitiers (86) dont le champ épigraphique atteint près de 15 mètres de long2. Dans ce cas, comme dans celui de bien des tituli de grande taille, il s’agit d’une adaptation de la dimension du texte au contexte iconographique (une inscription cadre délimitant l’ensemble des peintures des parties hautes de la salle centrale à Poitiers) ; c’est une réponse esthétique aux contraintes de la mise en espace de   CIFM 22, 29.   CIFM I-1, 12, p. 13.

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l’image, bien souvent dans un souci de cohérence graphique. L’éventuelle dimension monumentale du texte est une conséquence pratique et non une intention liée à la fonction de l’inscription. En revanche, le concept de monument, au sens qualitatif cette fois, ne disparaît pas de la documentation épigraphique. L’aspect monumental d’un texte n’est pas nécessairement lié à la taille du support ou des caractères mais souvent à la fonction et à la nature de l’inscription. La monumentalité du texte épigraphique n’est donc pas une donnée descriptible grâce aux caractéristiques empiriques du texte, mais constitue au contraire une qualité relative de l’inscription, en lien avec l’utilisation que le public fait du texte. Par la lecture et par l’utilisation de l’information, le lecteur peut attribuer un caractère monumental à la plus petite des inscriptions et changer son statut dans la communication publicitaire en fonction des relations qu’elle entretient avec l’édifice qui l’accueille et avec les objets environnants. Pour comprendre ce phénomène, il faut d’abord proposer une définition du « monument » pour l’époque médiévale et déterminer ses relations avec le monde des inscriptions.

Document et monument : les relations entre le texte et son contexte Les notions de « monument » et de « document » définissent le phénomène écrit dans son ensemble. L’inscription médiévale se situe à la frontière entre les deux concepts, le texte, document par excellence pouvant devenir, comme le faisait remarquer É. Palazzo, « un monument en soi »3. En raison de leur perméabilité, la différence entre les deux notions ne repose ni sur la forme, ni sur la nature du texte, mais plutôt sur l’utilisation de l’inscription par son lecteur, le document ayant la possibilité de devenir un monument et inversement. Le monumentum et son application à l’épigraphie médiévale Le document se définit comme un renseignement écrit ou un objet servant de preuve, d’information ou de témoignage. Il peut éventuel3   Palazzo, É., « Tituli et enluminures dans le haut Moyen Âge (ixe-xie siècles) : fonctions liturgiques et spirituelles », Épigraphie et iconographie…, p. 174.



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lement renfermer une dimension textuelle, mais il se caractérise surtout par sa fonction démonstrative, avec l’objectif de transmettre une information (de rendre public, en ce sens). Les données sont passablement différentes dans le cas du monument qui se place quant à lui dans une dimension commémorative ; il doit perpétuer le souvenir d’un personnage ou d’un événement. La dimension textuelle est absente de sa définition puisqu’il renvoie principalement à un ouvrage d’architecture ou de sculpture. La description fonctionnelle et formelle de l’inscription la place à la frontière entre ces deux notions. Comme le document, l’inscription est destinée à publier largement une information ; elle s’attache à transmettre un renseignement au cours d’un acte de communication. Comme le monument, l’inscription a très souvent, on l’a vu, une fonction commémorative. La publication de l’information s’accompagne de la volonté de lui assurer une existence pérenne et de lui garantir une éventuelle réactualisation. En accordant une dimension sensible au document, la mise en place épigraphique crée un monument dans l’espace de la lecture. L’inscription possède donc une double nature et intervient de fait doublement auprès de son récepteur. Prenons un exemple dans l’ancienne abbaye Notre-Dame-du-Val, à Saint-Omer (14) qui comptait autrefois un grand nombre de pierres tombales à effigie, dédiées à la mémoire des moines ou des familiers du monastère4. On trouvait, parmi elles, la tombe de Pierre le Saunier, chevalier mort en 1338 et inhumé autrefois dans le chœur de l’église abbatiale5. La plate-tombe présentait le défunt armé, les mains jointes sur la poitrine, sous une arcature trilobée richement décorée de statuettes et d’anges ; son écu était orné de motifs héraldiques. L’épitaphe se développait tout autour de la dalle et donnait les éléments communs à l’ensemble des plates-tombes contemporaines : + ci gist monseigneur Pierre dit le Saunier de Montegni en Parisi iadis chevalier mestre de lostel madame la royne Climence sire Breuil en Vesquessin qui trespassa l an de grace mil ccc xxxviii le jour de la saint Nicolas diver pries pour lame de li. Cette inscription est un document : par l’intermédiaire du texte, elle cherche à transmettre des informations concrètes, telles que le nom du défunt, ses différentes fonctions (chevalier, maître de l’hôtel, seigneur) et des précisions concernant son décès ; la plate-tombe a été édifiée pour témoigner de l’emplacement de la sépulture et assurer   Plusieurs d’entre elles ont été publiées dans le CIFM 22, 43-49.   Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la collection Gaignières… », t. I, p. 130.

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l’identification du tombeau. Elle est, dans le même temps, un monument : il s’agit d’une construction alliant des savoir-faire techniques (taille de pierre, mise en place de la dalle) et des compétences artistiques (sculpture de l’effigie, incision du texte), avec pour principale fonction la commémoration. En assurant la synthèse entre les concepts de document et de monument, l’inscription peut connaître deux formes d’interprétation : le lecteur se concentre sur le document épigraphique et sur le contenu du texte, et fait de l’inscription le vecteur d’informations ponctuelles  ; le lecteur considère le document comme un signal monumental pour déclencher la commémoration, le contenu du texte se plaçant alors au second plan et l’inscription étant utilisée afin de mettre en place un nouvel acte de communication. Cependant, en raison de l’unité du système sémiotique que représente l’objet épigraphique, l’attitude du percepteur ne connaît pas deux appréhensions différentes de l’inscription. Celle-ci est à la fois texte et objet, idée et matière, l’un et l’autre aspect participant d’un même procédé qui assure simultanément la transmission d’une information concrète et le déclenchement d’un acte commémoratif. Le contenu de l’inscription ne peut donc pas se séparer de l’objet qui porte le texte  ; et inversement, l’objet épigraphique existe parce qu’il est support d’une information textuelle. En basant l’efficacité de la communication sur la double nature de l’inscription (à la fois document et monument), l’émetteur du message compte sur une réception complète du texte. Ainsi, dans la plate-tombe de Pierre le Saunier, il ne faut pas envisager deux types d’appréhension, l’une basée sur le contenu informatif de l’épitaphe et l’autre sur la valeur commémorative du monument épigraphique. La plate-tombe fonctionne au contraire comme un tout fondé sur l’association entre le texte et l’image, entre la forme (monument) et le contenu (document) de l’inscription. Pour définir l’inscription au Moyen Âge, il faut revenir à l’étymologie latine du terme « monument ». Il dérive du verbe monere dont le sens premier est « faire songer à quelque chose ou à quelqu’un », « faire souvenir » (on y retrouve le sens contemporain de monument). Le verbe monere a d’autre part le sens de « donner des instructions », « renseigner », et, par extension, « informer »6. L’origine latine de 6   Virgile emploie le verbe monere dans ce sens dans l’Énéide, pour parler des avertissements envoyer par les Dieux au héros. Voir par exemple Énéide III, 712 : Nec vates Helenus, cum



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« monument » synthétise ainsi la double conception de la fonction épigraphique : l’information et la commémoration. Le substantif monumentum désigne tout ce qui rappelle un fait ou un personnage ou qui en perpétue le souvenir, mais également l’ensemble des monuments funéraires 7. Monumentum renvoie par ailleurs aux produits de l’écriture, aux documents ainsi qu’aux marques et aux signaux. De nombreuses inscriptions permettent de constater cette correspondance entre inscription médiévale et monumentum latin. Le dessin de la Fig. 123.  Nantes (44), Cordeliers, collection Gaignières reproduit église, nef. Tombeau de Jean et Perrot ci-contre nous présente un grand l’Epervier (xiiie siècle). Dessin de la tombeau conservé autrefois dans collection Gaignières publié par Adhéla nef de l’église des Cordeliers mar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de Nantes8 (44  ; fig. 123). La de la Collection Gaignières…», t. I, construction funéraire se com- p. 90 (n° 472). pose d’une tombe à effigie, placée sous une grande arcature trilobée, ornée de quatre statues, d’un grand écu au sommet, et accompagné de deux inscriptions, la première autour de la tombe, la seconde sur le fond de l’arcature. Le formulaire se compose des mêmes éléments dans chacun des textes : nom et fonction du défunt, et date du décès. Le premier texte s’achève sur une demande de prière indéterminée, invitant le lecteur de l’épitaphe à engager une action commémorative pour le salut des défunts. La composition et la masse du tombeau le rapprochent de fait de notre conception contemporaine du monument, c’est-à-dire d’une structure bâtie, signifiante et ayant reçu un traitement esthétique. La fonction commulta horrenda moneret hos mihi praedixit luctus, non dira Elaeno. 7   Cicéron l’emploi en ce sens dans les Catilinaires III, 26 : Quibus pro tantis rebus, Quirites, nullum ego a vobis praemium virtutis, nullum insigna honoris, nullum monumentum laudis postulo, praeterquam hujus diei memoriam sempiternam. 8   Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la collection Gaignières… », t. I, p. 90 (n° 472).



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Fig. 124.  Le Mans (72), Séminaire, église. Inscription funéraire de Guillaume d’Outreleau (c. 1370). Dessin de la collection Gaignières publié par Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières…», t. I, p. 113 (n° 614).

mémorative des textes (qui ont pour vocation de rappeler le souvenir des défunts et d’inviter à la célébration de leur mémoire) conforte une telle qualification et la présence de l’inscription funéraire contribue à faire du tombeau des frères Épervier un monumentum. D’autres inscriptions, plus réduites en extension ont également une fonction monumentale par l’utilisation qui en est faite. Le texte funéraire relatif à Guillaume d’Outreleau placé autrefois dans l’église du Séminaire du Mans (72) en est un exemple9 (fig. 124). L’objet épigraphique est de petite dimension et n’a pas fait l’objet d’une construction proprement dite puisqu’il se limite à une petite plaque qui se rapproche, par sa taille, des supports traditionnels de l’écriture manuscrite. L’inscription sert pourtant à rappeler la mémoire du défunt et à déclencher un acte de commémoration. Elle contient pour cela un certain nombre de renseignements transmis aux lecteurs dans un but publicitaire. L’inscription est donc bien un monumentum, au sens latin du terme, et ce en dépit de sa mise en place discrète. La monumentalité de l’inscription s’acquiert dans la conjonction de la   Ibid., p. 113.

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forme et du contenu du texte. L’assimilation de l’inscription à un monument permet de repenser la signification de la localisation du texte. En effet, si l’inscription (quelle que soit sa taille) est déjà en soi un monument, ses relations avec l’édifice qui l’accueille vont changer de nature. Il n’y a plus un rapport de soumission (du texte au monument) mais plutôt un principe de complémentarité et de commune mise en valeur (de monument à monument). Relations texte / monument La matérialité des inscriptions place le document épigraphique dans un ensemble plus large de données sensibles – qu’il s’agisse d’un bâtiment, d’une construction architecturale ou graphique, d’un programme iconographique sculpté ou peint – qui influencent la forme et la réception du texte. Cette compénétration entre l’écriture épigraphique et la matière accorde bien souvent une dimension monumentale (au sens de participation à l’objet support) aux inscriptions médiévales, même quand il s’agit des plus courtes (des moins monumentales, au sens quantitatif du terme, cette fois). L’écriture est toujours en ce sens dans la dépendance de son support qui conditionne, au moins partiellement, la mise en page du texte. Dans l’église désaffectée de Sainte-Marie-aux-Anglais (14), on a dégagé au cours des restaurations de l’abside une représentation peinte de saint Pierre, identifié par un titulus très simple (fig. 125) : s(an)c(tu)s Petrus10. Le champ épigraphique est limité par un élément d’architecture à droite, et par un autre registre iconographique à gauche. Le peintre n’ayant pas d’autres d’alternatives pour mettre en place l’identification du saint, il a transcrit le nom de Pierre à droite de la tête du personnage, en adaptant le module des lettres à l’espace disponible. Les lettres t, v et s ont ainsi connu un affinement de leur module ; leur hauteur dépasse très nettement leur largeur, ce qui n’est pas le cas dans d’autres tituli contemporains du même programme11. L’adaptation des ductus affecte également les inscriptions peintes sur les vitraux. Dans la baie présentant la légende de Jacques le Majeur, dans le déambulatoire de la cathédrale de Bourges (18), plusieurs tituli se placent directement dans le champ iconographique ; soumis de fait à l’influence de l’image, au contexte monumental, ils doivent adapter leur   CIFM 22, 55.   Voir par exemple les lettres constituant les tituli qui identifient les Rois dans la scène de l’adoration des Mages. CIFM 22, 55, pl. 19-20. 10 11



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Fig. 125.  Sainte-Marie-aux-Anglais (14), église, à gauche de la fenêtre axiale. Peintures murales de saint Pierre (xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

Fig. 126.  Bourges (18), cathédrale, déambulatoire. Verrière de Jacques le Majeur (1210-1215). Détail : 1er niveau. Cliché V. Debiais.



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forme aux contraintes techniques. Au premier niveau, dans la scène de droite, deux personnages en conversation sont identifiés par un grand bandeau (fig. 126). Les lettres placées à gauche ont vu leur ductus s’étirer pour s’adapter à l’espace disponible. Le monde lapidaire connaît des phénomènes du même ordre, démontrant que la relation d’influence, voire de dépendance, entre l’inscription et le monument existe toujours, et ce quelle que soit l’étendue spatiale ou les conditions de la mise en place du texte. Dans le cas des constructions funéraires (tombeaux sculptés, tombes bâties en élévation, gisants…), cette dépendance monumentale est double dans la mesure où l’épitaphe et le tombeau constituent en eux-mêmes des monuments, indépendamment de la présence de l’une ou de l’autre. Si l’inscription complète le tombeau et lui donne parfois un sens différent dans la perspective de la commémoration, la construction matérielle, en tant que support, donne en contrepartie une consistance aux données textuelles et leur accorde une existence physique, c’est-à-dire une étendue dans l’espace. Dans l’église Saint-Étienne de Bassac (16), on trouve un grand monument funéraire dédié à la mémoire des fondateurs12. Le tombeau a sans doute été édifié lors de la reconstruction du monastère, au milieu du xiiie siècle et portait une inscription tumulaire, refaite à l’époque moderne mais copiant un texte plus ancien : hic iacent nobiles personnae Wardradus comes Iarnacensis et Rexendis eivs uxor qui circa anno domini mix hoc Bassacence monasterium erexerunt13. Le contenu épigraphique donne un sens à la construction sur laquelle elle prend place en nommant les défunts inhumés dans le caveau et en identifiant le lieu de leur sépulture, mais ne fournit en revanche aucune indication supplémentaire sur le décès ou ses circonstances. Elle s’attache plutôt à la dimension locale des personnages et à leur action en faveur du site qui accueille le tombeau. La dépendance monumentale de l’inscription concerne à la fois le tombeau comme construction (lieu d’inhumation) et le bâtiment comme référent (lieu de fondation). Le texte épigraphique est pourtant de petite taille et on aurait pu réaliser une inscription de fondation de grande dimension (monumentale en ce sens), placée à la façade de l’église, comme on le rencontre dans d’autres églises du nord de la France. À Bassac, les émetteurs du message épigraphique ont préféré associer le nom   CIFM I-3, Ch 19.   Trad. : Ci-gisent nobles personnes Wardrad, comte de Jarnac, et Rixende, sa femme, qui, vers l’an du Seigneur 1009, édifièrent ce monastère de Bassac. 12 13



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Fig. 127.  Varize (28), église, abside. Vue générale des peintures murales (xiiie siècle). Cliché V. Debiais.

des fondateurs à leur tombeau, avec la volonté de créer la dépendance monumentale que nous évoquions, par la production d’une construction invitant à la célébration de la mémoire. L’inscription a ainsi une dimension monumentale puisqu’il existe entre le texte et son contexte une relation de sens qui dépasse la simple relation d’appartenance entre l’écriture et son support. Cette relation d’appartenance détermine la dimension monumentale de bien des inscriptions en dehors du domaine funéraire pour lequel une construction intermédiaire, comme un tombeau ou un gisant, favorise les relations de sens entre le texte et son contexte. Certaines inscriptions acquièrent ainsi leur monumentalité uniquement en fonction de leurs caractères externes. Dans la petite église de Varize (28), le titulus herodes a en soi une dimension monumentale (fig. 127)14. Le programme peint sur le mur sud de l’abside, divisé en deux tableaux séparés par une colonne stylisée, occupe une surface de près de 20 m². Le titulus identifiant Hérode dans la scène du banquet couvre, à lui seul, près d’un mètre carré, soit plus de 10% du registre occidental. Dans l’absolu, cette inscription a bénéficié d’une mise en place monumentale, au sens quantitatif du terme ; à la mesure de l’abside de Varize, cette caractéristique est renforcée par le rapport entre l’étendue épigraphique et la peinture dans son ensemble. Le   Deschamps, P., Thibout, M., La peinture murale…, p. 101.

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programme iconographique se développe sur toute l’abside, de l’est vers le sud, et l’espace du chœur constitue dans son intégralité un espace iconographique ; c’est un lieu d’image qui participe du lieu architectural et dans lequel évolue le titulus. Dans le cas de Varize, la dimension monumentale est indépendante du contenu du texte et ce sont bien plus les caractères externes de l’inscription et les conditions de sa mise en place dans l’espace iconographique qui font de l’objet épigraphique un monument. D’autres inscriptions ne doivent leur dimension monumentale qu’aux conditions de la mise en espace, et non plus à leurs caractères externes (taille, paléographie, etc.). C’est le cas par exemple des inscriptions placées dans le parement des murs, englobés dans la structure architectonique. On se souviendra à ce titre des deux inscriptions funéraires placées dans le mur occidental du bras nord du transept de l’ancienne église abbatiale de Cizay-la-Madeleine (49). Les textes funéraires relatifs à Gui et à Robert, deux seigneurs locaux, ont été gravés directement sur le mur15. Leur mise en place les soumet de fait à la construction, l’absence de compléments graphiques ne pouvant distinguer l’objet inscrit du reste de l’espace architectural (fig.  128). Le déictique hic qui commence chacune des épitaphes pourrait dans ce cas renforcer le lien entre le texte et le bâtiment en signalant que les défunts reposent hic, c’est-à-dire dans l’église dont fait partie la pierre sur laquelle le mot a été gravé. L’émetteur du message funéraire n’a pas cherché à créer un objet distinct mais a voulu au contraire intégrer l’inscription dans la construction. La dimension monumentale de ces deux textes n’est donc pas liée aux caractères externes de l’inscription ou à une construction intermédaire, mais plutôt à leur insertion au cœur du bâtiment. On retrouve un tel phénomène dans certains programmes peints qui donnent aux tituli une monumentalité du même ordre. Dans la nef de la collégiale de Saint-Junien (87), les inscriptions peintes à l’envers sous la représentation des Vieillards de l’Apocalypse ne sont pas en soi d’une grande taille (on ne peut pas la comparer en tout cas avec les proportions abordées à Varize). En revanche, le texte devient monumental par la taille du contexte et par les modalités de la mise en espace. L’inscription est soumise à l’ensemble du programme peint, tout en participant à la cohérence visuelle et sémantique de la composition. L’étendue spatiale de l’iconographie accorde au titulus un statut de

  Barbier de Montault, X., Épigraphie…, p. 23, n° 19 [texte partiel et fautif].

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Fig 128.  Cizay-la-Madeleine (49), abbaye d’Asnières, église. Vue générale du mur ouest du transept nord. Cliché V. Debiais.

monument en relation avec l’intégralité de l’espace couvert par les peintures. Dans l’église de Neuvy-Saint-Sépulcre (36), on trouvait autrefois une petite inscription au centre de la rotonde16. Elle identifiait les reliques présentes dans le bâtiment : hic sunt reliquie de sepulcho Domini et de loco calvarie. Dans sa mise en place, le texte, soumis à l’élévation de la rotonde, n’a aucune dimension monumentale. En revanche, le contenu de l’inscription ainsi que sa situation concrète l’associe directement à l’ensemble de l’église, pensée comme un macro reliquaire. Le texte renvoie ainsi réellement au monument, et non plus seulement à la partie qui contient les reliques. Si on ajoute à cela son objectif proprement commémoratif, cette inscription très courte devient véritablement, dans son contexte, un monumentum qui acquiert par son appartenance au bâtiment et par sa localisation signifiante une dimension monumentale indépendamment des caractères externes de l’objet épigraphique. Aussi la monumentalité de l’inscription doit-elle être pensée en relation avec le contexte et l’objet qui accueillent le produit épigraphique et on doit alors reconnaître que 16   Hubert, J., « Le Saint-Sépulcre de Neuvy et les pèlerinages de Terre-Sainte au xie siècle », Bulletin monumental, XC, 1931, p. 98-99.



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la fin du Moyen Âge compte beaucoup plus d’exemples d’écriture monumentale que ce que l’on peut normalement constater en prenant en compte uniquement la taille des inscriptions. L’écriture monumentale et l’attribution fonctionnelle des espaces L’inscription est un élément supplémentaire dans l’environnement spatial et participe à la définition des espaces, au même titre que les structures architecturales, l’ensemble du décor ou la mise en place des circulations. La salle du chapitre de l’ancienne abbaye de la Trinité de Caen (14) se définit par son architecture, sa surface et son décor, mais elle se définissait surtout par sa fonction au sein de la communauté monastique. Les inscriptions placées sur les plates-tombes réalisées entre 1200 et 1400 (principalement pour les abbesses du monastère17) et insérées dans le dallage de la salle participaient elles aussi à la définition formelle et fonctionnelle de l’espace capitulaire. Elles permettaient d’accorder un statut particulier au chapitre dans la commémoration des défunts. Du point de vue de la perception, la présence des plates-tombes offrait une organisation différente de l’espace et changeait de façon radicale l’image de la salle capitulaire. On pouvait sans doute constater un tel bouleversement dans la petite chapelle de la Vierge de la collégiale Saint-Étienne de Dreux (28). De dimensions réduites, elle contenait autrefois deux grandes plates-tombes, l’une couvrant la sépulture de Marie de Bourbon (morte en 1274) et l’autre matérialisant le tombeau des entrailles de Robert IV, comte de Dreux mort en 1281. Situés respectivement au centre et dans la partie orientale de la chapelle, les deux monumenta épigraphiques accordaient un statut funéraire particulier à cet espace, en modifiant son organisation visuelle et fonctionnelle et en créant un lieu d’inhumation dynastique. Le cloître de l’ancienne abbaye de Septfonds (03) contenait autrefois un nombre important d’inscriptions funéraires, transcrites, pour la plupart, sur des plates-tombes à effigie concernant aussi bien des moines de l’abbaye que des laïcs familiers ou bienfaiteurs du monastère18. Le cloître de l’abbaye de Septfonds devient le   Les textes transcris sur les plates-tombes du xiiie siècle ont été publiés au CIFM 22, 19-22. Il faut y ajouter les dalles de Nicole de Tollevast (morte en 1335) et de Georgette de Molay (inhumée en 1376), dont les dessins ont été publiés dans Adhémar, J., Dordor, G., « Les dessins… », p. 128 et 156. 18   Plusieurs de ces inscriptions ont été publiées dans le volume 18 du CIFM. Les textes du xive siècle n’ont en revanche pas encore fait l’objet d’une édition critique. Seuls les dessins 17



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lieu de la célébration de la memoria des membres de la communauté monastique, réelle et étendue. Certes, le cloître, espace privilégié de la commémoration et lieu de manifestation du souvenir communautaire, n’a pas besoin d’inscriptions funéraires pour se constituer en espace de prière, mais le complément épigraphique apporté par les différentes épitaphes renforce encore davantage la définition fonctionnelle de l’espace claustral et fait du monument une prière permanente. Les influences spatiales sont réciproques et la conjonction qui s’opère entre le document épigraphique et l’espace environnant permet la construction d’un nouvel espace, défini par son étendue, sa fonction et par la présence de l’inscription. Les espaces claustraux constituent des cas particuliers, puisque la fonction commémorative est déjà inscrite dans la construction architecturale au-delà de la présence de l’inscription et, si les textes bouleversent l’image visuelle du cloître, celui-ci ne change pas radicalement de sens en raison de la manifestation épigraphique. On connaît en revanche certains cas dans lesquels on constate véritablement un changement statutaire en raison de la présence de l’inscription. Dans la petite église de Bueil-en-Touraine, on trouvait autrefois deux tombeaux placés dans le chœur de l’édifice. Le plus ancien était accompagné d’une épitaphe transcrite autour de la platetombe19. L’inscription la plus récente était quant à elle placée sur le mur de l’église, au-dessus du tombeau de Pierre et Marguerite de Bueil20. Les descriptions anciennes parlent d’une petite plaque de cuivre qui serait aujourd’hui conservée dans la crypte de l’édifice21. Le formulaire funéraire de cette inscription est réduit aux données indispensables, à savoir le nom du défunt, son identification (par sa fonction pour le mari, et par son mariage pour l’épouse) et la date du décès. Le texte se clôt sur une demande collective de prière pour le salut des défunts : cy gist Pierre de Bueil chevalier seigneur du Boys et de la moitie de Sonzay lequel trespassa le [- - -] lan cccc [- - -]cy gist dame marguerite [- - -] sa femme laquelle trespassa lan mil cccc [- - -] priez dieu pour lame deulx. Les deux tombes constituent les seules manifestations épigraphiques du chœur de l’église de Bueil-en-Touraine. Elles accordent une fonction funéde la collection Gaignières sont accessibles comme première information. Voir De Vaivre, J.-B., « Dessins inédits… », p. 144 et sq. 19   Adhémar, J., Dordor, G., « Les dessins… », p. 170. Cette inscription a la particularité de s’achever sans la fin du texte. 20   De Vaivre, J.-B., « Dessins inédits… », p. 8. 21   Malgré plusieurs demandes, il ne nous a pas été possible de consulter cette pièce.



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raire à un espace qui, par définition, ne possède pas cette dimension. Il est certes un lieu de commémoration, mais celle de la mort du Christ. La présence de l’autel et du sanctuaire, et l’aménagement liturgique en général sont autant d’éléments qui manifestent l’association entre le chœur et le sacrifice du Christ, et même s’il devient très fréquemment un espace privilégié pour la sépulture, le chœur reste avant tout l’espace sacré par excellence, lieu de la célébration eucharistique. La présence des monuments funéraires dans le chœur invite le percepteur de l’espace à attribuer à l’édifice une fonction différente qui, sans annuler la précédente, lui accorde une autre dimension. Dans le cas de l’épitaphe de Pierre et Marguerite de Bueil, l’inscription invite le lecteur du texte à associer les défunts à ses prières, afin de leur assurer le salut. Le chœur n’est plus alors simplement synonyme de dévotion envers le sacrifice eucharistique mais devient également une invitation à l’entretien et à la célébration de la mémoire d’un personnage important pour la communauté locale, en complément de la commémoration liturgique du memento22. L’épitaphe de Pierre et Marguerite est, d’après les descriptions anciennes, de dimensions réduites mais elle n’en reste pas moins un monumentum épigraphique qui transmet ses spécificités monumentales à l’ensemble du chœur architectural, qui devient en quelque sorte un monument servant la commémoration et la glorification des défunts mentionnés dans le texte. L’inscription possède ainsi la faculté de transformer le statut et la fonction de l’espace dans lequel elle exerce son rôle de communication. Il est toutefois difficile de le constater quand l’espace n’accueille qu’une seule inscription qui, noyée dans la masse architecturale de l’édifice, ne peut avoir, sauf cas exceptionnel, qu’une influence limitée. Le cas du chœur de l’église de Bueil-en-Touraine tient sa spécificité du fait que les deux inscriptions accompagnent des tombeaux de grande taille. Le changement de statut de l’espace se mesure donc plus facilement dans les conjonctions d’inscriptions. En augmentant la présence visuelle de l’écrit, la concentration des inscriptions multiplie l’efficacité de la transmission des spécificités de l’écriture épigraphique. L’église de l’ancienne abbaye de Villeneuve (44) présentait 22   Pierre de Bueil était le fils de Jean II de Bueil et d’Anne d’Avoir. Chambellan du duc d’Anjou, il a combattu sous ses ordres en Poitou, comme maréchal de son armée. Il fut, par la suite capitaine du duché de Guyenne. Son influence dans la région est notable par plusieurs donations et patronages. Voir Carré de Busserole, J.X., Dictionnaire géographique, historique et biographique d’Indre-et-Loire et de l’ancienne province de Touraine, Mayenne, 1977 (1 ère éd. : Tours, 1878), t. I, p. 459 [texte].



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autrefois un ensemble épigraphique constitué de treize inscriptions funéraires rédigées entre 1221 et la fin du xive siècle. Contrairement à ce que l’on peut remarquer dans de nombreux sites monastiques, les textes sont concentrés exclusivement dans l’espace ecclésial. Réparties entre la nef, le chœur et les chapelles latérales, les épitaphes sont destinées principalement à de grands laïcs familiers du monastère et insistent sur la localisation des biens de chacun des personnages, ainsi que sur leurs titres et fonctions. Les inscriptions complétaient exclusivement des plates-tombes à effigie de forme identique. Le formulaire funéraire subissait peu d’évolutions d’une dalle à l’autre et l’inscription destinée autrefois à Clémence de Parthenay, morte en 1289, constitue un exemple représentatif de la construction des épitaphes de Villeneuve : + ici . gist . madame . Clemance . dartenai . fille . monsour . Guillaume . larchevesque : qui . fut . feme . monsour Gaultier . de . Machecol . qui . trespassa . lan . m . cc . iiiixx . ix . priez . diex . pour same23. Avec la dalle tumulaire, la demande de prière finale constitue un signal destiné à déclencher chez le lecteur une réponse célébrant la mémoire des défunts. L’ensemble des textes de Villeneuve comportaient cette demande de prière et accordaient la même dimension commémorative à l’édifice. Bien plus, en raison de leur concentration dans le bâtiment, ils transforment l’organisation de l’espace. Les inscriptions funéraires changent ainsi l’église en une invitation monumentale à la commémoration des défunts représentés à la surface des plates-tombes et cités dans les épitaphes. Le bâtiment devient à son tour un monumentum épigraphique dédié à la glorification des familiers de l’abbaye. Les relations privilégiées entre les défunts et le lieu de leur inhumation renforcent encore la création d’un espace particulièrement signifiant pour la commémoration. Le cas de l’ancienne abbaye de Villeneuve est à ce titre tout à fait intéressant car les sépultures relatives à des laïcs inhumés dans l’église, dans ce qui constitue l’espace du monastère destiné aux formes publiques de célébration, sont les seules à avoir bénéficié d’un complément épigraphique. Les émetteurs du message commémoratif avaient manifestement l’intention de marquer visuellement l’espace accueillant la tombe et d’en bouleverser l’organisation visuelle et fonctionnelle. Cette spécificité n’affecte pas seulement le monde funéraire et la transmission de la dimension monumentale se retrouve dans toutes les utilisations de l’épigraphie médiévale.

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Matière et monument : utilisations de l’écriture monumentale En se désolidarisant de l’émetteur, l’inscription s’enracine profondément dans l’utilisation que peut en faire le lecteur, et soumet le texte à une interprétation contextualisée qui ne peut en aucun cas se couper de l’environnement monumental. Partant, l’inscription a tendance, à la fin du Moyen Âge, à être utilisée comme un objet à part entière, en faisant parfois abstraction de son rôle dans la communication. Elle est à ce titre fréquemment utilisée dans l’art et l’architecture gothique des xiiie-xive siècles dans lesquels elle occupe une place tout à fait particulière. Malgré la prédominance des textes funéraires, les inscriptions se placent également sur des éléments de la sculpture, sur des composantes de l’architecture monumentale, sur des objets de la vie quotidienne, sur des pièces d’orfèvrerie ou encore sur des constructions de petite taille. Qu’il s’agisse d’une inscription monumentale placée dans le parement d’un grand bâtiment ou d’une courte sentence gravée sur la vaisselle liturgique, la manifestation épigraphique reste toujours un objet en relation avec son environnement. En tant qu’objet, l’inscription est une donnée qui vient en remplacer une autre. Elle substitue quelque chose de visible (l’objet substitue alors un autre objet) ou quelque chose d’immatériel (l’objet substitue un acte ou une idée). L’épitaphe gravée sur une plate-tombe remplace, dans l’utilisation qui en est faite par le percepteur, la sépulture elle-même. Dans un second temps, l’inscription invite à la commémoration du défunt et peut alors remplacer la demande de prière ou la réponse commémorative. De même l’inscription qui rappelle une fondation ou une donation remplace-t-elle, dans la perception, l’acte qui a conduit à la réalisation du texte. Le titulus qui identifie un personnage ou une scène en substitue la présence au même titre que l’image. La représentation de Mathias peinte sur l’intrados de l’arc doubleau de la chapelle de la Vierge, dans la collégiale de Saint-Junien (87), est accompagnée d’un texte simple transcrit dans le champ de l’image et identifiant le personnage (fig. 129)24. La représentation iconographique et l’inscription permettent de remplacer le saint, absent de l’église, par sa représentation sensible et figée qui perdure dans le temps et dans l’espace. Dans le cas de Saint-Junien comme dans les autres cas de substitution, l’inscription occupe une place dans l’espace et une extension qui la soumette aux mêmes critères de per  CIFM II, HV 85.

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Fig. 129.  Saint-Junien (87), collégiale, chapelle de la Vierge. Peinture murale de saint Mathias (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.



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ception que le fait ou le personnage qu’elle remplace. En faisant apparaître dans l’espace ce qui ne s’y trouve pas, le document épigraphique devient pour son lecteur un moyen d’accéder à un monde sensible plus riche et plus complexe. Les inscriptions dans l’esthétique gothique À partir de la fin du xiie siècle, le nombre des inscriptions augmente de façon exponentielle, et ce jusqu’à la fin du Moyen Âge, pour finalement constituer la forme la plus courante et la plus accessible d’écriture publicitaire, s’imposant désormais à la vue et à l’interprétation d’un grand nombre de percepteurs. Parallèlement à l’augmentation de la documentation épigraphique, la diffusion de la lecture dans la société met le texte à la disposition d’un nombre de plus en plus important de lecteurs potentiels. La communication épigraphique devient une réalité dans le panorama culturel médiéval. La fin du Moyen Âge n’est plus un moment de literacy limitée (comme pouvait l’être le haut Moyen Âge, ou encore les xie-xiie siècles) mais un moment de literacy développée : l’accès aux textes augmente, leur diffusion et leur appréhension sensible se font plus réelles, la lecture est plus courante, etc. La multiplication des inscriptions n’affecte pas l’ensemble de la documentation épigraphique, ce qui a pour conséquence la réduction de la diversité des formes des textes. Au cours des xiiie-xive siècles, il n’y a plus en France la richesse et la variété que l’on pouvait rencontrer, notamment à l’époque romane. La fin du Moyen Âge marque le triomphe des modèles funéraires et commémoratifs avec les épitaphes proprement dites, mais aussi les textes de fondation de messes ou d’anniversaires, les donations pieuses, etc. Les autres destinations épigraphiques sont dès lors représentées de façon plus ponctuelle, voire anecdotique, même si les textes à vocation diplomatique émis par les pouvoirs civils (qui font désormais un usage plus significatif de la communication épigraphique) augmentent sensiblement. Parmi les formes épigraphiques les plus répandues à cette date, les textes en relation avec le tombeau, et notamment la plate-tombe, sont les plus nombreux. En dehors de la prédominance funéraire, l’architecture et l’esthétique gothique en général ont fait un usage assez limité de l’inscription et les édifices (civils ou religieux) ne sont que rarement complétés par des textes qui ne sont pas funéraires ; très peu d’ins-



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criptions identifient un bâtiment ou en décrivent la fonction, l’inscription commémorative de l’abbaye de Glanfeuil identifiant la chapelle Saint-Martin comme l’oratoire privilégié choisi par saint Maur constituant à ce titre une exception25. De fait, ce texte a une fonction primordiale de commémoration et, même si ses relations avec l’édifice sont fondamentales, elles ne sont qu’accessoirement descriptives. La brièveté de l’inscription et l’insistance sur le nom du saint ne permettent d’ailleurs pas d’aller plus avant dans l’association entre le texte et le bâtiment. On fera la même constatation pour l’ensemble des inscriptions qui renvoient, d’une façon ou d’une autre, à un élément d’architecture ou de décor. Les textes sont généralement très brefs, centrés exclusivement non plus sur l’édifice lui-même, mais sur l’auteur ou le commanditaire de l’ouvrage, comme on peut le constater dans l’inscription rappelant la fondation des Augustins de Barfleur par Philippe le Bel : Philippus pulcher franciae et navarrae rex fundavit26. La disparition de cette pièce ne nous permet plus aujourd’hui d’apprécier sa forme mais on notera tout de même que le texte insiste sur la personnalité du fondateur du couvent bien plus que sur les bâtiments de l’institution, comme c’était souvent le cas dans les grandes inscriptions de description des premiers siècles du Moyen Âge qui faisaient du texte un véritable portrait de l’édifice27. L’inscription qu’on lisait autrefois dans l’abbaye de la Trinité de Vendôme (41) peut se rapprocher des formes anciennes d’utilisation du texte pour un bâtiment. Placée à l’entrée de la chapelle de la Vierge, à gauche du chœur, l’inscription présentait une sentence morale en relation avec l’édifice : qui speculum cernis cur non mortalia spernis tali namque domo clauditur omnis homo mors dominos servis et sceptra ligonibus aequat dissimiles simili conditione trahens28. Ce texte constitue pourtant davantage une invitation morale aux changements de mœurs face à la futilité de la 25   Le Thoureil (49), abbaye de Glanfeuil, chapelle Saint-Martin. Inscription commémorative du lieu de prière de saint Maur (fin xive s.). Barbier de Montault, X., Épigraphie…, p. 35 : Hic est locus ubi orabat s(anctus) Maurus. 26   CIFM 22, 110. 27   On renverra pour exemple au texte rédigé par Alcuin et destiné à l’église du monastère de Nouaillé (86). Voir MGH, Poetae…, t. I, p. 325 ; CIFM I, 58, p. 58-59. Voir Iogna-Prat, D., La Maison-Dieu…, p. 33-45. 28   Trad. : Toi qui regardes ce miroir, pourquoi ne méprises-tu pas les choses mortelles. Car en vérité tout homme est enfoui en une telle demeure. La mort fait des seigneurs les égaux des serfs, et rend égaux sceptres et houes. Elle conduit à une semblable condition ceux qui sont dissemblables. 



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vie terrestre ; il insiste pour cela sur l’égalité face à la mort, thème récurrent de la pensée médiévale sur le trépas et fréquent dans les inscriptions du Moyen Âge central. L’inscription reprend un distique élégiaque très répandu, dans une variante toutefois originale avec le mot speculum, l’inscription renvoyant à une donnée architecturale ou au décor de la chapelle et non pas au tombeau, comme dans l’utilisation traditionnelle de ces vers29. La deuxième partie du texte est plus originale dans sa formulation mais exprime, en terme poétique, la même idée. L’inscription de Vendôme fait partie des textes prenant place à l’entrée d’un bâtiment et présentant une exhortation au changement, au sens moral (changement d’attitude, de sentiment, de mœurs) comme au sens propre (changement d’espace). Le texte de Vendôme est ainsi beaucoup plus typique des xiie-xiiie siècles que de la fin du Moyen Âge, et ne reflète pas réellement l’usage que l’on a fait de l’écriture monumentale à partir de la seconde moitié du xiiie siècle. L’art et l’architecture gothiques connaissent en fait à cette époque une nouvelle forme d’utilisation du texte et, en pénétrant dans une cathédrale gothique, on ne s’attend pas nécessairement à trouver un texte gravé ou peint en relation avec le monument. L’autonomie réelle du monument par rapport au texte montre ainsi que le recours à l’écriture épigraphique, à partir du xiiie siècle, relève d’un choix fonctionnel et l’utilisation de l’inscription prend d’autant plus de sens qu’elle n’est plus indispensable. L’image monumentale gothique, à la vue des données épigraphiques, se caractérise elle aussi par une certaine autonomie vis-à-vis du titulus sans que l’on puisse en déduire pour autant que l’image se simplifie. Bien au contraire, les schémas narratifs se compliquent et les relations de sens entre les scènes se diversifient30. La fonction des quelques tituli complexes se modifie et les inscriptions de ce type n’ont pratiquement plus rien en commun avec les textes métriques d’Alcuin, de Micon de Saint-Riquier, d’Angilbert, de Raban Maur ou plus tard de Suger de Saint-Denis et de   Pour le détail des occurrences de ce distique, voir CIFM 13, G 31, p. 40-41.   Voir, à ce sujet, les réflexions de Jérôme Baschet : « Les dispositions complexes se multiplient dans les derniers siècles du Moyen Âge, à la faveur du développement des chapelles. Il n’y a pas d’autonomisation de la narration par rapport à l’édifice dans lequel elle s’inscrit », p. 104 et « Il s’agit plutôt de la combinaison de plusieurs logiques, d’exigences multiples, qui peuvent s’avérer contradictoires entre elles. L’analyse se doit donc d’articuler le plus grand nombre possible de paramètres, en tenant compte à la fois des règles générales qui les caractérisent et des buts particuliers recherchés dans la décoration de chaque édifice », p. 115. Baschet, J., « Logique narrative, nœuds thématiques… », p. 103-115. 29 30



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Marbode de Rennes. C’est ce que l’on remarque par exemple dans le texte général accompagnant les peintures murales funéraires de SaintPierre-du-Lorouër (72), dans lesquelles une longue inscription, empruntant largement au vocabulaire métrique, commente, sur le ton de la plainte, le thème des images31. Les tituli les plus simples en revanche ne subissent pas de modifications substantielles et les principales formes se maintiennent, démontrant ainsi que les liens entre le texte et l’image sont toujours du même ordre. C’est davantage la relation du texte au percepteur qui change dans l’esthétique gothique, et il faut envisager pour les tituli comme pour les autres inscriptions une relation directe et personnelle entre le lecteur et l’inscription qui accompagne l’œuvre d’art, qu’il s’agisse de vitraux, de reliquaires, de statuaire, etc. On explique alors l’augmentation du volume textuel dans les tapisseries et les peintures murales, avec des inscriptions longues et de petite taille nécessitant, à la différence de certains tituli du Moyen Âge central, une lecture complète et experte. Le monumentum épigraphique de la fin du Moyen Âge : la plate-tombe L’augmentation de la production épigraphique à la fin du Moyen Âge et la prédominance simultanée de la vocation funéraire des inscriptions sont les données documentaires internes qui permettent de proposer les premières explications à l’apparition du concept de plate-tombe. L’expression « plate-tombe » désigne une dalle de grande dimension qui recouvre ou matérialise au sol la sépulture d’un défunt, la plupart du temps représenté en creux. Cette dalle est généralement constituée d’un seul bloc de pierre dont l’épaisseur varie entre cinq et une vingtaine de centimètres. D’autres matériaux, tels que le cuivre ou l’émail, interviennent occasionnellement dans sa réalisation. La forme générale de la dalle est celle d’un rectangle ou d’un trapèze, le rapport entre la largeur et la hauteur de la pièce variant assez largement entre ½ et ¼. La représentation du défunt n’est pas un élément indispensable dans la définition de la platetombe. C’est un fait extrêmement courant mais qui peut être remplacé par des figurations héraldiques, des motifs ornementaux ou par une absence totale de décor. En revanche, cette représentation potentielle doit apparaître en creux sur la dalle. Ce détail est ce qui permet31   Inscription à paraître dans le CIFM 24 ; à son sujet, on verra Deschamps, P., Thibout, M., La peinture…, p. 61-62.



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tra de distinguer la plate-tombe du gisant, généralement figuré grâce à une sculpture en bas ou haut-relief. La présence d’une inscription funéraire n’est pas non plus un élément indispensable à la définition de la plate-tombe. Il s’agit d’un complément potentiel qui donne une valeur particulière au monument. De même qu’on distingue la platetombe à effigie de la plate-tombe sans figuration du défunt, on distinguera les plates-tombes à inscription des plates-tombes anépigraphes. La fonction funéraire de la plate-tombe est en revanche un problème plus délicat à aborder en raison d’une diversité des usages de ce monument dans les pratiques médiévales. En règle générale, la platetombe sert à fermer une sépulture. Couvercle de tombeau visible à la surface du sol, elle marque également l’emplacement du lieu d’inhumation. Porteur potentiel d’une iconographie et/ou d’un texte propre, ce monument devient également personnification du défunt luimême. Le concept de plate-tombe ne naît pas ex-nihilo, à une date et dans un espace déterminés. Il résulte d’une évolution interne des inscriptions funéraires médiévales, dans leur forme comme dans leur fonction. On pourrait dater l’apparition des formes archaïques de la plate-tombe des années 1200-1210. Deux régions apparaissent comme novatrices dans ce domaine : la Bourgogne (en particulier autour de Dijon et des territoires plus au nord32) et l’ensemble Normandie/ Île-de-France. L’apparition de ce nouveau mode de communication épigraphique repose sur la conjonction de plusieurs facteurs particuliers de la culture médiévale au tournant des xiie-xiiie siècles. Le premier facteur concerne un changement dans le mode de production des inscriptions. Ce domaine est fort mal connu des historiens, en particulier en raison du silence des sources à propos de la réalisation matérielle du texte épigraphique. Quelques rares mentions dans les sources narratives du Moyen Âge central ne suffisent pas à déterminer concrètement les acteurs et les techniques de la production épigraphique. Même si on peut supposer des ateliers spécialisés dans la réalisation d’inscriptions, avec des artisans, des outils et des savoirsfaire propres, il est difficile d’attester une véritable production épigraphique en série avant le début du xiiie siècle, moment où quelques documents iconographiques attestent de la présence d’ateliers fabriquant des inscriptions aux données externes similaires à partir de modèles préétablis. Le texte épigraphique devient alors un objet que   Sur les plates-tombes bourguignonnes, voir la thèse en cours de Guillaume Grillon à l’Université de Dijon.

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l’on peut multiplier dans des formes semblables, même s’il reste toujours, par son contenu et par sa localisation, une pièce unique. Les données externes des plates-tombes permettent de supposer cette production sérielle, au-delà des contaminations locales ou des phénomènes de mode. On conserve ainsi plusieurs pièces où le texte de l’inscription, établi à partir d’un formulaire statique, ne mentionne ni le nom du défunt ni la date du décès, malgré la réalisation complète de tous les éléments constitutifs de la dalle, attendant seulement de connaître les données personnelles de son destinataire. De même conserve-t-on, dans une région donnée, plusieurs dalles présentant des détails stylistiques communs matérialisant l’appartenance des pièces à un même atelier (la courbure d’un arc trilobé, la forme des anges thuriféraires, les attitudes des animaux au pied du défunt,…). La forme de la plate-tombe et de l’inscription qui l’accompagne se prête particulièrement à cette production en privilégiant des textes obéissant à une construction plus ou moins figée. La plate-tombe se pose d’autre part, pour les xiiie- xive siècles, comme la solution synthétique la plus appropriée face aux mutations fonctionnelles de l’inscription funéraire. Au cours des premiers siècles du Moyen Âge (jusqu’au xie siècle environ), la frontière entre les conceptions obituaires et tumulaires de l’inscription funéraire est marquée de façon claire dans la forme et le formulaire du texte. À compter du xiie siècle, on assiste à la convergence de ces deux fonctions vers un modèle unique qui mixe les vocations obituaire et tumulaire. La plate-tombe opère la synthèse la plus aboutie entre les deux fonctions de l’épitaphe. Elle présente la date de décès du défunt, avec la mention pratiquement systématique du quantième (répondant ainsi aux exigences de la fonction obituaire), tout en associant de façon concrète le texte au lieu et aux conditions de l’inhumation, donnée indispensable pour accomplir une quelconque fonction tumulaire. Une autre cause de l’apparition de la plate-tombe est à rechercher dans les conditions d’inhumation de la fin du Moyen Âge, et en particulier dans la multiplication des sépultures dans les espaces liturgiques. La colonisation de cette partie des édifices par les tombes des hauts dignitaires, qu’ils soient ecclésiastiques ou laïcs, impose le repérage de la sépulture et l’identification du défunt. Comme l’encombrement de ces espaces doit être limité pour qu’ils restent fonctionnels, la place occupée par le monument funéraire se doit d’être relativement restreinte. La plate-tombe apparaît une nouvelle fois comme une solution simple pour répondre aux exigences de l’inhumation in choro, en marquant visuellement l’emplacement de la sépul

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ture, en représentant le défunt par le texte et par l’image, en sauvegardant les modalités de la commémoration et en limitant l’encombrement de l’espace funéraire. D’autre part, les changements dans la conception de la mort à la fin du Moyen Âge ont encouragé le recours à une forme personnelle de l’inscription funéraire. L’appropriation de la mort et la volonté de marquer la personnalité du défunt dans le trépas se retrouvent dans les spécificités fonctionnelles de la plate-tombe33 ; l’inscription funéraire devient ainsi un monument personnel qui porte l’identité du défunt au-delà de la mort. Le texte est lui aussi relativement fixe, présentant des caractères communs sur beaucoup de dalles. Il se compose invariablement de quatre éléments  ; il contient tout d’abord une formule tumulaire introductive, du type hic jacet ou ci gist (avec leurs nombreux dérivés). Cette formule rappelle que la plate-tombe est avant tout un élément de la sépulture. Vient ensuite le nom du défunt, très souvent complété par des éléments généalogiques ou des données plus personnelles (profession, charges publiques, grades universitaires…). On trouve par la suite une formule obituaire introduisant la date de décès, du type qui obiit ou qui tre(s)passa. Après la datation (en règle générale assez développée), on peut trouver une demande de prière ou un appel au lecteur. Au sein de ce schéma général, on peut déceler un certain nombre d’évolutions plus ou moins fortes au cours des xiiiexive siècles. Les plates-tombes ont tout d’abord une tendance générale à se compliquer à mesure que l’on avance dans le temps. Cette complexité se note aussi bien dans le texte lui-même que dans le décor de la dalle (architecture, motifs héraldiques…). Elles subissent les influences stylistiques générales que l’on peut observer en architecture ou dans l’art figuré, avec une surcharge dans le détail et un enrichissement croissant de l’ornementation. La structure formelle du texte n’évolue pas malgré l’adjonction d’éléments généalogiques ou biographiques concernant le défunt34. Titres universitaires, charges ou fonctions, grades militaires, rôle dans la vie publique deviennent extrêmement fréquents à partir de la fin du xiiie siècle, de même que les précisions manifestant une profonde conscience lignagère35 : sys33   Ariès, Ph., L’homme devant…, p. 235 : « La plate-tombe presque nue mais identifiée par une gravure ou une sculpture est donc bien une création du génie médiéval et de sa sensibilité ambiguë : signe d’un compromis entre l’abandon traditionnelle à la terre bénite et le besoin nouveau d’affirmer discrètement son identité. » 34   Ibid., p. 219-221. 35   En guise de synthèse sur le contenu des inscriptions funéraires de la fin du Moyen Âge, on lira avec intérêt Favreau, R., « L’apport de l’épigraphie à la biographie et à la prosopo-



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tème de filiation, marque de l’ascendance, signes héréditaires… La plate-tombe devient véritablement une biographie funéraire, un monumentum de la conscience privée ou familiale, un témoignage de la vie du défunt devant la mort36. Cette évolution trouvera son terme au xve siècle, quand l’inscription se détachera du tombeau pour abandonner ses fonctions obituaires et tumulaires et revêtir une vocation proprement biographique et commémorative. Plus qu’une inscription et bien plus qu’une représentation du défunt, la plate-tombe est la matérialisation d’une certaine conception de la mémoire et des modalités de sa célébration. Au-delà des variations sensibles dans la fonction de l’épitaphe durant les derniers siècles du Moyen Âge, la plate-tombe conserve une vocation essentiellement tumulaire. Elle est la représentation matérielle, plastique, du lieu d’inhumation. Présente dans tous les espaces religieux (cloître, chœur, nef, salle capitulaire, crypte, extérieurs…), la platetombe marque visuellement l’espace du sceau funéraire. Elle fait entrer la sépulture dans l’aménagement de l’espace liturgique et devient, par ses qualités esthétiques, un élément du décor de l’édifice. En faisant de la sépulture un objet, elle facilite son insertion dans l’espace réservé aux vivants, mêlant ainsi les domaines de la vie et de la mort, conformément à ce que l’on peut constater dans l’ensemble des pratiques funéraires. Le caractère obituaire ne disparaît pas pour autant de la documentation épigraphique de cette époque, y compris dans le cas des plates-tombes à effigie, mais il se trouve relégué au second plan, et ce en raison de la forme même du document. Présentant systématiquement le nom du défunt concerné par l’inhumation, l’inscription sur la plate-tombe devient l’une des lignes du liber vitae lapidaire que constitue l’épigraphie funéraire dans l’espace liturgique. L’association spatiale entre le nom du défunt et sa célébration liturgique à l’autel lors du memento de la messe est la garantie de la commémoration. L’utilisation de la plate-tombe répondrait alors à la tradition épigraphique remontant au moins à l’époque carolingienne et qui consiste à inscrire les noms des défunts dans l’espace liturgique dans un but commémoratif et performatif37.

graphie », dans Las inscripciones góticas. Actas del segundo congreso internacional de epigrafía medieval. León, septembre 2006, à paraître (2009). 36   Ariès, Ph., L’homme devant…, p. 235 : « L’apparition de la plate-tombe […] témoigne d’une attitude de plus froide acceptation et aussi de plus amicale cohabitation avec des hôtes souterrains qui ont cessé de faire peur ». 37   Treffort, C., « Inscrire son nom… », p. 149.



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Écritures publiques : information, propagande, édification De la prise de connaissance d’une information publique à la mise en scène du contenu, le caractère publicitaire de l’inscription se décline selon toute une gamme de nuances. L’influence du contexte de rédaction, de la forme du texte, de la localisation de l’inscription, de l’intention de l’émetteur permet d’envisager des utilisations très différentes de l’écriture publique. La mise en place d’un texte funéraire traduit la volonté de communiquer des renseignements sur un défunt ou sur une cérémonie commémorative. Les inscriptions au contenu diplomatique (donations, décisions publiques et juridiques) ont quant à elles pour vocation de transmettre un message au plus grand nombre afin d’assurer l’efficacité de l’application du contenu du texte. La publicité fait donc partie intégrante de la manifestation épigraphique et ne saurait être occultée par les éventuelles limitations techniques et pratiques de la mise en place matérielle. Le fait que tous les textes du Moyen Âge n’aient pas bénéficié d’une transcription épigraphique montre que le recours à l’inscription relève bien d’une intention particulière et qu’il constitue un moyen bien plus qu’une fin en soi. Promotion et diffusion orientée du message Dans la cathédrale de Coutances (50), on trouvait autrefois une inscription gravée sur l’un des murs, rappelant la dotation de la chapelle Saint-André par Jean d’Essey, évêque de la même ville : hanc capellam dotavit Joannes de Esseyo episcopus Constantiensis in honorem sancti Andreae apostoli38. Cette inscription a aujourd’hui été détruite et ne nous est parvenue que par une copie de la fin du xixe siècle. On ignore la localisation première de cette inscription à l’intérieur de la chapelle mais il semble qu’elle ait été transcrite sur l’un des murs de la construction, à la disposition du plus grand nombre. On y trouve les éléments traditionnels dans une inscription de fondation : description du bâtiment, nom et fonction du prélat fondateur, verbe notificatif et vocable de l’édifice. Il manque à cette liste la date de la fondation qui n’apparaît pas dans le texte de Coutances. Cette inscription, dans la mise à disposition de l’informa38   Coutances (50), cathédrale, chapelle Saint-André. Mention de fondation (av. 1275). Inscription disparue. CIFM 22, 113.



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tion, répond à la fonction première de l’écriture épigraphique. Cependant, par son contenu et par sa situation à l’intérieur de la chapelle, l’inscription a également pour objectif la mise en évidence du rôle de l’évêque dans l’ornementation de sa cathédrale (ce qui pourrait expliquer l’absence de datation à la fin du texte). L’information véhiculée par l’inscription n’est plus une somme neutre de renseignements bruts, exempts de toute interprétation. Elle devient au contraire un message portant en lui-même les modalités de son interprétation. On peut dès lors tout à fait envisager que le lecteur de l’inscription utilise l’objet épigraphique non plus seulement comme un moyen pour connaître des renseignements concernant la chapelle qu’il fréquente, mais bien plus comme un moyen pour célébrer la mémoire de Jean d’Essey39. Une part importante de la documentation épigraphique constitue de fait beaucoup plus qu’une mise à disposition de l’information. Il s’agit d’une pré-interprétation des renseignements destinés aux lecteurs. Une inscription funéraire insistant uniquement sur le nom du défunt et la date de son décès orientera l’interprétation du message épigraphique en faveur d’une utilisation commémorative. L’épitaphe de Marie de Luxembourg en revanche, qui rappelait ses relations familiales prestigieuses (la défunte était en effet à la fois fille de l’empereur germanique, sœur du roi de Bohème et femme du roi de France) célébrait beaucoup plus la mémoire de la défunte et de son lignage qu’elle ne donnait les modalités de la commémoration40. De même l’absence de tout élément de datation dans l’inscription de Coutances oriente-t-elle l’interprétation vers la personnalité du prélat consécrateur, bien plus que vers la commémoration annuelle de la fondation. Si elle ne remet pas en cause le caractère publicitaire de la réalisation d’un témoin épigraphique, l’utilisation particulière du message par le public montre que la mise à disposition de l’information ne constitue qu’une partie de la fonction de l’inscription. Comme le contenu, le contexte constitue lui aussi déjà une forme d’interprétation. C’est le cas pour l’ensemble des plates-tombes qui reçoivent de l’espace qu’elles occupent une signification particulière. À la mort de Geoffroy de Vendôme, autour de 1220-1230, on a placé 39   On peut renvoyer par exemple à la consécration d’autel rédigée en 1295 dans la chapelle Notre-Dame de la Victoire de la cathédrale de Quimper (CIFM 23, 22). L’inscription s’achevait par ces mots : orate pro me Alano Rivelini […] episcopo Corisopitensis. 40   Montargis (45), ancienne abbaye Saint-Dominique, église, devant l’autel Sainte-Marthe. Inscription funéraire de Marie de Luxembourg (1325, n. st.). Inscription disparue. GC 12, col. 257.



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sur son tombeau une grande plaque de cuivre41 qui ne présentait pas l’effigie du défunt, mais seulement quelques motifs végétaux. Le texte de l’épitaphe donne le nom, la fonction et la date du décès de Geoffroy, mais s’intéresse surtout à la personnalité de ses parents, Jean Ier de Vendôme et Richilde de Lavardin  : Gaufridus de Vindocino filius Iohannis comitis Vidocini et Richildis comitisse qui multum dilexit locum istum. Le défunt comme ses parents étaient les principaux bienfaiteurs de l’abbaye de Vendôme, de leur vivant comme au moment de leur mort, Geoffroy allant jusqu’à abandonner aux moines de ce monastère l’ensemble des biens qu’il possédait avec sa mère dans une seigneurie voisine. Dans la localisation de l’inscription au milieu du chœur de l’église abbatiale, on entrevoit la volonté d’accorder aux bienfaiteurs de la communauté la place la plus importante dans l’édifice, du point de vue symbolique comme du point de vue liturgique. On entrevoit également la volonté des émetteurs du message funéraire de déterminer une forme d’interprétation de la part des récepteurs ; la célébration des défunts obtient par là même la garantie d’une efficacité optimale. Dans le cas de Vendôme, l’association signifiante est renforcée par le contenu du texte qui insiste sur les liens entre le monastère et les défunts cités dans l’inscription. L’expression latine locum istum (qui fait directement référence à la situation spatiale du texte) est située dans l’angle supérieur gauche de la dalle, cette partie de la tombe concentrant, nous l’avons vu, les informations les plus importantes du message. L’inscription comme construction glorificatrice42 L’utilisation publique de l’écriture épigraphique peut aller encore plus loin que cette mise en contexte signifiante en transformant l’interprétation du message ou en changeant la fonction même de l’inscription. La volonté initiale d’assurer la publicité n’apparaît alors plus comme le motif principal de l’utilisation de l’inscription et la fonction publicitaire disparaît derrière d’autres aspects ponctuels, propres à chaque texte. Si la présence et l’efficacité de l’inscription ne sont pas 41   Vendôme (41), ancienne abbaye de la Trinité, église, devant le grand autel. Inscription funéraire de Geoffroy de Vendôme (c. 1226). Adhémar, J., Dordor, « Les tombeaux… », t. I, 1974, p. 28. 42   Sur ces aspects de propagande par l’inscription, voir notre article « Afficher pour convaincre : la construction et la promotion de la mémoire dans les inscriptions comme instrument de la propagande médiévale », dans Convaincre et persuader : communication et propagande aux xiie et xiiie siècles, dir. M. Aurell, Poitiers, 2007, p. 649-702.



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véritablement remises en cause, le public interprètera toutefois le message selon d’autres critères que la transmission d’une information. Pour répondre à une utilisation de la sorte, l’écriture épigraphique peut adopter une forme particulière dans la composition du texte. L’inscription n’est plus considérée comme une somme de renseignements destinés à une utilisation ponctuelle mais cherche au contraire à véhiculer, dans sa forme, un autre message, l’organisation du contenu déterminant ainsi l’utilisation qui en sera faite par le public médiéval. La prise en considération de la forme du texte, indispensable pour mesurer l’objectif véritable de la rédaction de l’inscription, suppose un lecteur expert. En effet, deux textes semblables dans leur contenu pourront bénéficier de deux utilisations différentes en fonction de la forme de la rédaction. Dans l’inscription funéraire de l’évêque Jean Dubois, inhumé en 1324 (n. st.) dans l’une des chapelles de la cathédrale de Dol-de-Bretagne (35), on a placé quelques éléments simples, tels que le nom du défunt, sa fonction, une partie de son cursus universitaire et la date de son décès : hic jacet Johannes de Bosco quondam episcopus Dolensis de Cenomania natus utruisque juris doctor excellens et fuit in parlamento regis advocatus qui obiit anno d(omi)ni m ccc xx iii die mercurii festo conversionis sancti Pauli orate pro eo43. Rédigée en prose et en termes simples, cette épitaphe a pour fonction d’assurer la commémoration du défunt et la sauvegarde des principales données biographiques, insistant, comme un grand nombre de textes du xive siècle, sur la carrière civile et le parcours universitaire. Dans son contenu, l’épitaphe de Jean Dubois ne diffère pas véritablement de ce que l’on peut rencontrer dans l’épitaphe d’un autre prélat, Hervé de Landelle, évêque de Quimper mort en 1260 et enterré dans le chœur de sa cathédrale : Hic jacet magister Hervaeus de Landeleu quondam episcopus Corisopitensis qui decessit in vigilia beati martyris anno 1260. Hervaeus cineri datus est laus normaque cleri, cum cura celeri solitus est sua jura tueri. Qui legis haec ora requiescat hic et tua pl{o}ra crimina commemora sic eris absque mora44. La première partie du texte présente le nom du défunt, sa fonction et la date du décès, dans une forme et dans un vocabulaire tout à fait traditionnels. La seconde partie poursuit la description de l’évêque dans une forme, cette fois plus originale, constituée de 4 vers 43   Dol-de-Bretagne (35), cathédrale, chapelle Saint-Samson. Inscription funéraire de Jean Dubois (1324, n. st.). Inscription disparue. GC 14, col. 1056. 44   CIFM 23, 21.



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(2 hexamètres unisoni et un distique élégiaque de même caractéristique). Le contenu du texte correspond en tout point à ce que l’on peut rencontrer dans les épitaphes latines de prélats pour le xiiie siècle ; si l’on fait abstraction de l’appel au lecteur, absent de l’épitaphe de Jean Dubois, on remarque que le contenu des deux textes diffère uniquement sur quelques détails qui n’empêchent en rien la compréhension de la fonction funéraire de l’inscription. La forme est toutefois radicalement différente. Le texte relatif à Jean Dubois est construit selon un schéma traditionnel qui insiste principalement sur la transmission brute des informations. On le retrouve dans la majorité des épitaphes accompagnant les plates-tombes et autres monuments funéraires à compter du xiiie siècle (en langue vernaculaire comme en latin). Le texte relatif à Hervé de Landelle associe quant à lui à la volonté de transmettre les renseignements funéraires un éloge du défunt. Celuici n’est plus seulement évoqué dans des termes descriptifs (comme pouvaient le faire des expressions comme juris doctor excellens ou in parlamento regis advocatus), mais on cherche au contraire à orienter le message funéraire en direction de la glorification du mort, et ce grâce à des formules plus évocatrices, telles que laus normaque cleri. La transmission des informations capitales pour la commémoration ne disparaît pas pour autant  ; elles sont mises en valeur dès le début de l’inscription qui pourra ainsi être utilisée de façon traditionnelle pour la commémoration du défunt et la célébration de son souvenir, mais qui pourra également être utilisée pour assurer la glorification d’Hervé et la promotion de son image. L’épitaphe d’Hélie, abbé de Fleury mort en 1285, subira la même interprétation de la part du public. Composée de deux distiques élégiaques léonins, l’inscription décrit le défunt comme « noble et utile à la patrie et dans l’Église, et donc digne de prières » (nobilis et patriae clarus et ecclesiae ergo precum dignus)45. En adoptant une forme métrique et en choisissant un lexique riche, l’inscription a beaucoup plus qu’une simple fonction informative. De fait, le lecteur n’apprendra dans le texte rien qui lui permette de connaître la fonction ou la date du décès de l’abbé Hélie. Le document épigraphique apparaît plutôt comme un moyen d’assurer la promotion d’une certaine image du défunt, centrée sur l’utilité de sa charge et sur son mérite à recevoir les suffrages des vivants. À la lecture du texte, on quitte la dimension

45   Saint-Benoît-sur-Loire (45), ancienne abbaye de Fleury, nef, mur sud. Inscription funéraire d’Hélie (1285). Inscription disparue. GC 8, col. 1563.



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proprement publicitaire pour pénétrer dans une dimension glorificatrice. À la mort de l’évêque d’Angers Foulques de Mathefelon, on a placé un tombeau monumental dans le chœur de sa cathédrale. Celui-ci était accompagné d’une épitaphe transcrite sur une plaque de cuivre placée contre le mur, au-dessus du tombeau46. Elle forme un texte assez long au cours duquel on assiste à un éloge funèbre, avec toutes les qualités traditionnellement attribuées aux prélats : zèle, générosité, attention envers son peuple, justice, mesure et sagesse. Elles apparaissent au cœur d’expressions complexes qui, au-delà de leur aspect conventionnel, sont chargées d’un fort pouvoir d’évocation : zelator justicie pugnis ecclesiae pour exprimer l’idée de justice, lingua facundus celle d’éloquence, statura decorus celle d’élégance. La multiplication des périphrases contribue à la poésie du discours plus qu’à la description empirique. Si l’inscription n’obéit pas aux règles de la métrique traditionnelle, elle joue sur les assonances et les rythmes, comme dans la formule citée précédemment (rime justicie/ecclesiae) ou dans la datation (rime nativitatem/ejusdem). Le texte dépasse ainsi l’objectif primordial de la transmission des informations pour devenir un élément participant à la glorification et à la célébration du défunt. En utilisant la dimension poétique (construction ou lexique), l’épitaphe cherche à célébrer son contenu et à susciter une utilisation particulière de la part du public. La volonté de faire du message une célébration ne se limite pas aux caractéristiques internes de l’inscription ; elle a souvent recours à sa dimension matérielle et monumentale. Dans le cas de l’épitaphe de Foulques de Mathefelon, la construction épigraphique dans son ensemble (tombeau et épitaphe) participe à la célébration de la mémoire du défunt. Moins spectaculaires, les plates-tombes constituent toutefois des constructions monumentales qui, en particulier grâce à la représentation figurée du défunt, contribuent à la mise en valeur du contenu du texte. Si cette dimension est particulièrement sensible dans le monde funéraire, elle ne s’y limite pas. Par le recours à l’écriture épigraphique, le message devient une donnée construite, mise en forme et en espace pour attribuer à son contenu une dimension inégalée dans les autres moyens de commu46   Angers (49), cathédrale, en face du grand autel. Inscription funéraire de Foulques de Mathefelon (1355). Inscription disparue. Adhémar, J., Dordor, « Les tombeaux… », t. I, 1974, p. 144.



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nication. L’inscription doit en ce sens être considérée comme une construction, comme l’élaboration d’une structure capable de transformer l’information brute énoncée par l’émetteur en un message orienté, interprété par le récepteur. La communication par l’inscription n’est donc pas une mise à disposition neutre des informations, mais plutôt une interprétation et une transformation du message original. Si elle ne perd jamais son caractère public, l’écriture épigraphique connaît en revanche plusieurs formes de publicité en fonction du contenu et de la forme du texte. L’ensemble de ces implications transforme le document en un monument et bouleverse son rôle dans la communication médiévale.



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Épigraphie et ordo Par son aptitude à organiser un milieu original et définir des relations de sens entre différents objets, l’inscription participe à la mise en ordre des espaces. Elle devient ainsi le centre vers lequel convergent les autres éléments, ordonnant la partie de l’espace qui lui est sujette. L’inscription change une nouvelle fois de statut : elle n’est plus seulement un élément supplémentaire dans un milieu donné, subissant passivement l’influence de son contexte ; elle est un facteur d’ordre et de cohérence dans l’organisation des donnés sensibles. Le concept d’ordo doit être entendu avec l’intégralité de ces acceptions car, s’il désigne l’organisation, la structuration des objets dans un cadre préétabli, il renvoie également à la finalité de cette mise en ordre, l’inscription structurant l’espace autour de l’image du texte afin de lui accorder une fonction spécifique.

Ordo épigraphique et compréhension des espaces : études de cas La documentation épigraphique affecte l’organisation matérielle des espaces et les relations qu’ils entretiennent avec des espaces connexes, permettant de différencier les espaces publics des espaces domestiques ou de créer des systèmes de relations et de circulations entre des milieux distincts. Par contamination, le document peut transmettre sa fonction à l’ensemble de son contexte, en modifier l’organisation fonctionnelle et en déterminer par là même une utilisation spécifique. L’ordo épigraphique influence également la nature symbolique de l’espace. En introduisant l’image du texte au cœur d’un milieu déterminé, l’émetteur du message bouleverse l’image de l’espace telle que la reçoit le récepteur ; il en fait un espace de lecture, un espace du texte, un espace inscrit. Les conséquences de l’introduction textuelle sont aujourd’hui difficilement mesurables, dans la mesure où le monde contemporain offre un paysage visuel saturé de manifestations écrites en tout genre, et dans la mesure où une très grande majorité de la société accède à leur signification. Pour la culture de la fin du Moyen Âge, les données sont drastiquement différentes mais, avant d’essayer d’en mesurer concrètement la portée,



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quelques ensembles épigraphiques simples mais complets permettront de voir comment l’inscription intervient dans la mise en ordre de l’espace médiéval, quel que soit son étendue et sa fonction. Espace public et espace sacré : le décor vitré de la cathédrale de Bourges Il existe, à Bourges, une rupture flagrante dans la répartition et la forme du décor vitré. Comme l’ont démontré Y. Christe et L. Brugger, cette rupture prend place à l’endroit d’une coupure architecturale forte dans le plan et la dynamique des ouvertures1. Cette rupture est la plupart du temps attribuée à un changement de parti architectural ou, plus simplement, à un remplacement de l’architecte. Le changement dans le décor des vitraux tend surtout à marquer une différence nette entre deux espaces de l’édifice. Les vitraux les plus riches, du point de vue iconographique comme du point de vue épigraphique, sont situés dans le chœur et dans l’abside de la cathédrale, aussi bien au niveau du déambulatoire que de la vitrerie intermédiaire ou de la claire-voie. Ce sont ces mêmes vitraux qui possèdent des inscriptions, soit avec une fonction simple d’identification (c’est le cas des baies de la claire-voie) ou bien avec une fonction plus complexe de commentaire et d’explication (comme dans le déambulatoire). La combinaison des critères iconographiques et épigraphiques permet de distinguer trois grands ensembles2 : −− les vitraux du déambulatoire (de la baie 23 au nord à la baie 24 au sud). Cette série comporte 22 vitraux, répartis tout autour du déambulatoire, à l’exception des trois baies de la chapelle d’axe (remontées à l’époque moderne). Ce sont des verrières légendaires, représentant des épisodes bibliques ou hagiographiques, sans cohésion globale ou bilatérale apparente. Ces scènes comportent toutes des inscriptions. −− les baies de la vitrerie intermédiaire (baies 101, 102, 103, 105 et 111). Ce niveau de la vitrerie devait représenter, à l’origine, la série des saints archevêques et de leurs successeurs identifiés par des inscriptions nominatives très simples. −− les baies de la claire-voie (de la baie 217 au nord à la baie 214 au sud). Cette série comporte 17 baies représentant 43 personnages bibliques (apôtres, évangélistes, prophètes de « l’Église universelle,   Brugger, L. et Christe, Y., Bourges…, p. 345.   La numérotation des vitraux reprend dans les pages suivantes le plan établi par le Corpus vitrearum. 1 2



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l’Église primitive et apostolique3  »). Là encore, des inscriptions d’identification simples ornent la base sur laquelle reposent les personnages (fig. 130). Le chœur liturgique et les premières travées de la nef sont ainsi dominés par les hauts dignitaires de Bourges et les plus importantes figures de la tradition chrétienne. Les vitraux de cette zone s’adressent en premier lieu aux chanoines regroupés dans le chœur de la cathédrale pour y célébrer les offices ; de là, la vue embrasse l’édifice dans toute son élévation et distingue aussi bien les baies du déambulatoire que celles du niveau intermédiaire et de la claire-voie. D’un point de vue pratique toutefois, ces dernières s’observent avec plus de Fig. 130.  Bourges (18), cathédrale. Plan de répartition des vitraux à insfacilité depuis le collatéral criptions établi à partir de Les vitraux opposé. Du chœur, les inscrip- de Centre et des Pays de la Loire, Paris, tions se déchiffrent avec beau- CNRS, 1981. coup de difficultés, alors que, du collatéral, le texte devient plus lisible ; il en va de même pour la vitrerie intermédiaire. Les conditions optimales de lisibilité se trouvent donc réunies dans une partie de l’édifice dont l’accès n’est plus uniquement réservé aux chanoines célébrant les offices, mais qui a plutôt un caractère semi-public4. C’est pourquoi il est difficile de considérer les vitraux les plus riches de Bourges à l’usage exclusif des clercs pouvant pénétrer dans le chœur. La lisibilité optimale des baies du niveau intermédiaire et de la claire-voie est obtenue depuis la galerie du collatéral opposé. Les lettres qui composent les inscriptions des vitraux de la claire-voie sont   Brugger, L. et Christe, Y., Bourges…, p. 345.   Id.

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d’un module important, supérieur à celui des lettres des baies du niveau intermédiaire. On peut émettre deux hypothèses pour expliquer cette différence : 1) L’importance de la lettre pourrait être un reflet de l’importance du personnage représenté. Une inscription de gros module correspondrait alors à l’identification d’un personnage de haut rang. Cette explication n’est toutefois pas convaincante, la sainteté ne pouvant s’envisager d’un point de vue relatif. De plus, un tel raisonnement quantitatif va à l’encontre de toutes les études d’iconographie médiévale, où la comparaison des tailles des sujets représentés ne s’avère que rarement satisfaisante. 2) L’importance de l’inscription pourrait avoir un rôle pratique et faciliter la lecture. On aurait compensé l’éloignement par un grossissement du module des lettres. Dans le cas des vitraux de Bourges, on peut penser à une combinaison des deux hypothèses, les lettres des inscriptions des vitraux de la claire-voie ayant été volontairement grossies pour faciliter la lecture. Toutefois, du collatéral opposé, elles apparaissent plus grosses (et non pas de même taille) que les lettres des inscriptions des vitraux du niveau intermédiaire. Elles auraient donc été grossies encore davantage pour marquer dans l’espace l’importance des personnages représentés. L’écriture épigraphique jouerait alors un rôle dans l’organisation de la matière iconographique au cœur de l’architecture. Les vitraux du déambulatoire sont beaucoup plus complexes, leur organisation moins évidente et les inscriptions qui les accompagnent plus nombreuses. Ces vingt-deux verrières ne semblent pas obéir à un quelconque « programme » iconographique qui suivrait une pensée historique, allégorique ou liturgique5. Chaque baie présente un discours narratif imbriqué et tellement fourni en détails iconographiques que la compréhension globale d’une seule verrière devient difficile pour quiconque ne connaît pas le sujet de la baie. Une telle abondance iconographique parlerait en faveur d’une destination des vitraux à un public savant et nourri de culture biblique ou hagiographique, donc aux chanoines de la cathédrale qui abordent chacun de ces thèmes dans l’une ou l’autre des pièces liturgiques, dans l’une ou l’autre de leur lecture. Malgré tout, l’étude du contenu épigraphique des vitraux en fonction de leur situation tend à relativiser ce point de vue, pourtant évident au niveau de l’iconographie. Parmi les vingt-deux verrières du déambulatoire, il faut distinguer

  Ibid., p. 350-352.

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deux grandes familles de vitraux en fonction de la forme et du rôle du texte épigraphique : −− les verrières de type I. Dans ces vitraux, l’inscription ne se confond absolument pas avec les éléments du décor des scènes. Elle se comprend comme un élément en soi, isolé du discours iconographique par sa mise en forme. Le champ épigraphique occupé par l’inscription ne peut être confondu avec un élément structurant du vitrail (bordure, séparation de scène,…). Les lettres sont généralement d’un module important permettant une lecture, mais surtout un repérage facile au sein de l’ensemble du vitrail. Les inscriptions ont donc une véritable fonction de communication, le texte épigraphique étant effectivement destiné à être lu. −− les verrières de type II. Dans ce type de vitrail, l’inscription relève bien plus du décor. Dans la plupart des cas, les textes sont pratiquement illisibles en raison de leur taille ou de leur situation au cœur de la composition. Les inscriptions se confondent alors avec les éléments structurant les scènes ou avec d’autres images. Ainsi voit-on des identifications s’inscrire sur les bordures extérieures du vitrail ou, ton sur ton, sur les pourtours des quadrilobes. Ces textes n’ont donc pas, à proprement parler, une fonction de communication mais plutôt d’ornementation. Deux verrières pourraient être qualifiées de « mixtes » puisqu’elles présentent à la fois des textes parfaitement lisibles, en dehors du discours iconographique, et des textes plus petits, appartenant à l’ornementation ou au décor. Il s’agit de la baie 23 (parabole de Lazare et du mauvais riche) et surtout de la baie 3 (vitrail typologique de la Nouvelle Alliance). Ce dernier constitue la baie la plus complexe et la plus riche au niveau épigraphique de l’ensemble de la vitrerie de la cathédrale de Bourges. Il présente une organisation spatiale compartimentée qui conditionne le sens de lecture et l’enchaînement des scènes. La lecture théologique interne du vitrail ne pose pas de problèmes particuliers. Chacun des motifs représentés renvoie, par une lecture typologique, à une figure centrale. En revanche, la lecture générale de la baie en tant qu’unité iconographique est plus difficile à établir. Contrairement à ce que l’on peut noter dans les plupart des baies légendaires de Bourges, la lecture ne peut s’effectuer de façon linéaire du bas vers le haut, même si la figuration centrale des thèmes christologiques (Passion, Crucifixion, Résurrection) obéit à une lecture ascendante (fig. 131). Dans le cas présent, le schéma narratif complexe s’articule autour de 3 mouvements complémentaires permettant de comprendre le message théologique dans son intégralité :

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Fig. 131.  Bourges (18), cathédrale, baie n° 3. Organisation du discours iconographique. Dessin V. Debiais.

Fig. 132.  Bourges (18), cathédrale, baie n° 3. Position des inscriptions. Dessin V. Debiais.

le premier mouvement répond à une lecture ascendante générale, du pied du vitrail à son sommet, dans l’ordre chronologique des thèmes christologiques ; le second mouvement, qui donne la clef de lecture de l’image, concerne la mise en parallèle des scènes contenues dans les petits médaillons (Crucifixion et le patriarche Joseph) avec l’ensemble des autres scènes de cette baie  ; le troisième mouvement concerne les deux grands médaillons proprement typologiques et propose une lecture plus complexe entre un thème central et plusieurs scènes rayonnantes, selon le principe des préfigures. La richesse épigraphique de cette baie provient non seulement de la quantité de textes conservés mais également de leur diversité fonctionnelle. Un grand nombre de tituli sont des identifications de scène

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ou de personnages, comme c’est le cas dans la plupart des inscriptions des grands ensembles de vitraux. Plusieurs inscriptions du vitrail de la Nouvelle Alliance présentent toutefois des commentaires ou des compléments d’informations sur un épisode donné, prenant la forme plus complexe d’une citation biblique ou liturgique. Les différents tituli ne contiennent rien en eux-mêmes qui permette de comprendre le message théologique général de la baie, et c’est au contraire l’association entre le texte et le schéma narratif qui permet, par l’identification des personnages ou le commentaire des scènes, de percevoir le sens global de la verrière. Cette nécessité de mettre en contexte l’inscription fait que la localisation d’un certain nombre de textes, qui répond pour une part aux contraintes du discours iconographique (avec la conciliation nécessaire d’un espace libre de tout décor et l’insertion de lettres, la cohabitation de motifs de nature différente, etc.), obéit également à une topographie porteuse de sens dans l’association entre différents éléments iconographiques et dans la création d’une dynamique générale de lecture. En raison de la construction compartimentée de la baie, les liens entre les différents éléments du discours iconographique sont parfois difficiles à percevoir et les inscriptions pallient en partie ces difficultés en matérialisant ces liens dans la structure du vitrail. La figure 132 localise chacune des inscriptions dans la baie 3 et permet de visualiser les différentes localisations des compléments épigraphiques. Les tituli formant le sol des scènes créent un certain nombre de ruptures horizontales qui scandent la progression des figures christologiques. Ces mêmes inscriptions créent un mouvement de convergence vers le centre de chacun des médaillons, matérialisant ainsi dans l’espace les relations typologiques entre les scènes antétypiques et les figures auxquelles elles se rapportent. Il s’opère, au sein de l’ensemble épigraphique de ce vitrail, une distinction formelle (dans la graphie ou la mise en espace des lettres) entre plusieurs formes d’inscriptions ; cette distinction constitue une forme de hiérarchisation du discours iconographique entre une préfigure (Isaac, Moïse, la lettre gravée sur le linteau de la porte, etc.), mise en valeur par une inscription horizontale rythmant la progression du vitrail, et un élément relatif à une préfigure (David en tant que rédacteur du psaume relatif au pélican, Élie pour son action envers la veuve de Sarepta, etc.), identifié par un texte annexe et plus discret au sein de la verrière. Ces derniers textes présentent des caractères externes qui ne permettent qu’une lisibilité réduite (phylactère complexe, lettres de petit module, etc.).



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Les grandes baies du déambulatoire situées à l’extérieur des chapelles (du nord au sud, baies n° 23, 15, 5, 3, 4, 6, 16 et 24) appartiennent au type I ou au type mixte. Les six vitraux des deux chapelles rayonnantes nord appartiennent au type II alors que les six vitraux des deux chapelles rayonnantes sud appartiennent au type I. Les grandes baies du déambulatoire proprement dit (donc extérieures aux chapelles) sont nettement plus visibles que les baies des chapelles elles-mêmes. Elles sont parfaitement mises en évidence par leur position entre les demi-colonnes du mur extérieur et rythment les volumes du déambulatoire. Les piliers de l’abside et des collatéraux ne viennent que rarement empêcher la vue des vitraux. La circulation dans le déambulatoire exclut forcément la vision de l’une ou l’autre baie des chapelles rayonnantes, que l’on circule du nord au sud ou inversement. Seule la fenêtre d’axe de chacune des chapelles est forcément visible au passage devant celle-ci. Au plus près du rond-point du chœur, on peut saisir l’ensemble des grandes baies du déambulatoire alors que certains vitraux des chapelles restent invisibles. La vue des vitraux ne signifie pas que l’on puisse déchiffrer toutes les scènes qui y sont représentées, notamment dans les parties les plus hautes6. Les inscriptions du type I se lisent, dans la plupart des cas, beaucoup mieux que les scènes elles-mêmes. C’est notamment vrai pour la baie 24 présentant l’histoire de Joseph et offrant des inscriptions parfaitement lisibles jusque dans la partie haute grâce à l’emploi de lettres de gros module et aux couleurs tranchant avec la teinte du champ épigraphique. Toutes les inscriptions des baies du déambulatoire peuvent être convenablement déchiffrées alors que les vitraux des chapelles rayonnantes sont plus difficiles à lire ; les textes des deux chapelles nord sont quant à eux pratiquement illisibles (lettres trop petites et inscriptions perdues au milieu de la masse iconographique). Au sud, la question des chapelles est légèrement différente. En effet, les baies 8, 10 12 et 18, 20, 22 appartiennent au type I et les inscriptions sont assez lisibles depuis l’extérieur de la chapelle. Elles ont une fonction d’identification et constituent dans la plupart des cas une répétition des noms des personnages représentés dans les scènes7. 6   Ibid., p. 361 : « Les scènes interstitielles sont à peine lisibles à l’œil nu […] À l’œil nu, on ne distingue à peu près rien, en dépit du grand soin avec lequel ces petits personnages sont traités […] La trop grande densité des figures, groupées en scènes compactes et nombreuses, rend la lecture du récit presque impossible, du moins pour ce qui touche aux petits compartiments des parties hautes. » 7   Voir, pour exemple, baie 18 (légende de saint Jacques le Majeur) avec la répétition des noms Jacobus et Philetus à 4 reprises.



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Les différences de lisibilité entre les verrières occupant une même place ne peuvent être attribuées aux différents ateliers de verriers ayant travaillé sur le site de Bourges, puisqu’il n’y a pas de cohérence entre la provenance des vitraux et le type d’inscriptions qu’ils portent8 ; elles ne proviennent pas non plus du sujet ou du contenu narratif des vitraux. Ces deux types de vitraux semblent plutôt déterminer deux types de lecture du message épigraphique. Une première attitude est à rapprocher des vitraux de type I et des inscriptions de gros module des vitraux mixtes, et permet de supposer une lecture effective du texte épigraphique. Celle-ci est facilitée par les caractères externes et par des éléments de leur localisation. Les textes s’adressent à l’ensemble des lecteurs potentiels circulant à l’intérieur du déambulatoire. Cette lecture est d’autant plus encouragée que le texte inscrit sur le vitrail de type I constitue souvent une interruption volontaire du discours iconographique. Cette première attitude de lecture peut donc être passive et déclenchée chez le lecteur par une action de l’inscription elle-même. La seconde attitude est à rapprocher des vitraux du type II et des inscriptions plus petites dans les vitraux mixtes. Cette seconde attitude est beaucoup plus active que la précédente. Dans ce cas, l’inscription se fond dans la masse du discours iconographique et peut parfaitement passer inaperçue pour qui regarderait le vitrail rapidement. C’est une fois face aux trois baies de la chapelle qu’on se trouve à même de repérer les textes et éventuellement de les lire. La lecture exige donc un arrêt dans la circulation pour devenir effective. C’est dans le cas d’un attachement particulier à la baie que le texte se manifeste et non plus dans le cas d’un passage. Les grandes baies du niveau intermédiaire et de la claire-voie répondent à la première attitude de lecture puisque les inscriptions apparaissent clairement à quiconque lève les yeux vers la voûte9. Le déambulatoire de Bourges et les conditions de lisibilité de ses vitraux permet d’introduire la notion de lecture en mouvement dans la définition du caractère publicitaire des inscriptions. En effet, les vitraux des chapelles ne correspondent pas, d’un point de vue dynamique, aux mêmes conditions de lecture que les grandes baies du déambulatoire car ils nécessitent un arrêt volontaire du lecteur devant le texte et non pas un simple passage. Cette nécessité dynamique de la lecture est confirmée avec les verrières hautes qui 8   Pour les renseignements sur les ateliers de fabrication et le détail des provenances, voir Brugger, L. et Christe, Y., Bourges…, p. 346-347. 9   Pour ce qui concerne les baies les plus hautes, la perception des textes est facilitée par la lumière mais également par la couleur avec laquelle on a mis en place les inscriptions. Le blanc et le jaune sont privilégiés, ce qui donne une grande lisibilité.



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Fig. 133.  Montbron (16), ancien prieuré Saint-Maurice. Vue du mur sud. Cliché V. Debiais.

restent lisibles uniquement dans le cas d’une circulation dans le déambulatoire. La capacité de l’inscription à mettre en forme l’espace est révélée à Bourges par ce que l’on apprend de la présence des tituli dans les vitraux à propos des phénomènes de circulation à l’intérieur de l’édifice. Les différentes inscriptions permettent de séparer ce qui relève d’un espace public de mouvement, ouvert au plus grand nombre et influencé par les données du texte, de ce qui appartient à l’espace sacré du chœur, restreint aux seuls célébrants dans une attitude contemplative et statique, cherchant dans la présence de l’inscription une organisation générale de l’image plutôt qu’une information ponctuelle. Le prieuré Saint-Maurice de Montbron : espace claustral et memoria familiale Le site de Montbron, au nord-est du département de la Charente, constitue, un autre exemple de la capacité de l’écriture épigraphique



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Fig. 134.  Montbron (16), église, mur sud. Vue générale de l’enfeu de Robert (xiiie siècle). Cliché V. Debiais.

à organiser l’espace médiéval. Le prieuré Saint-Maurice est fondé au xie siècle par un seigneur de la ville et soumis à l’autorité de Cluny. Il connaît une grande prospérité économique, surtout au xiiie siècle, grâce aux bienveillances des familles locales, qui décident très tôt d’en faire un lieu d’inhumation privilégiée, notamment dans le cloître (aujourd’hui entièrement détruit ; fig. 133). C’est à cet endroit qu’on rencontre la plupart des témoignages épigraphiques. Pour les comprendre, il faut considérer l’espace de Montbron dans sa réalité médiévale, c’est-à-dire en faisant abstraction de la présence de la sacristie au côté sud d’une part, et en restituant les interfaces de circulation entre la nef et le cloître d’autre part. Les quatre inscriptions connues pour le cloître de Montbron sont très soignées dans leur rédaction, complètes dans leur contenu et élaborées dans leur mise en page. Elles se répartissent le long du mur sud de l’église, contre le mur nord de ce qui était autrefois la galerie septentrionale du cloître. Malgré l’unité fonctionnelle des textes, les inscriptions funéraires de Montbron se distinguent assez nettement dans leur forme et dans le détail de leur intention. L’inscription la plus ancienne date du début



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du xiiie siècle et accompagnait autrefois la sépulture de Robert III, seigneur de Montbron, mort en 120910. Cette inscription a aujourd’hui disparu, mais on conserve, au mur sud de l’église, le monument funéraire de ce personnage, au-dessus duquel devait se trouver le texte (fig. 134). Le contenu et la formulation de l’épitaphe montre clairement son caractère obituaire  : X k(alendas) octobris obiit dominus R(obertus) de Montebrulfi anno ab incarnatione mccix. Le texte n’est associé à la sépulture que par sa localisation. Il ne mentionne en effet aucune formule tumulaire, du type hic jacet ou hic requiescit, et se contente de préciser la date du décès et l’identité du défunt. Cette inscription n’a donc pas pour but de localiser le lieu d’inhumation, clairement matérialisé dans l’espace par le gisant installé sous un enfeu très orné, mais plutôt d’insister sur les conditions de la célébration de la memoria, en donnant la date à laquelle on devra perpétuer le souvenir de Robert III. Cette épitaphe obituaire constitue une exception dans le corpus des textes épigraphiques de Montbron. En effet, la fonction obituaire tend, pour les autres inscriptions, à céder la place à la fonction tumulaire comme dans les deux grandes inscriptions collectives, placées au mur sud de la nef. Elles sont pratiquement contemporaines (autour des années 1240) et connaissent une mise en forme tout à fait similaire (fig. 135 et 136)11. L’ornementation des arcades est très soignée et confère à l’ensemble une qualité esthétique remarquable. Les formules initiales de chacune des épitaphes confirment leur caractère tumulaire : hic requiescunt pour la famille Borreau et hic requiescit pour la famille Caille de la Mothe ; celle-ci ne mentionne d’ailleurs pas la date du décès des trois personnages cités. Dans l’épitaphe de la famille Borreau, seul le décès de Jeanne reçoit une datation. Ces deux textes insistent plutôt sur le lignage en précisant les liens qui unissent les défunts : uxor sua, filii ejus. Contrairement à l’épitaphe obituaire de Robert III et malgré leur caractère tumulaire, ces inscriptions ne créent pas de lien direct entre le texte et un monument funéraire matériellement repérable, et ce, même si l’enfeu en lui-même peut être considéré comme une manifestation architecturale à vocation proprement funéraire. Par leur contenu et leur mise en valeur sous l’enfeu, ces épitaphes constituent de véritables monumenta, célébrant   CIFM I-3, Ch 56.   Voir CIFM I-3, Ch 59 et Ch 60. Les dessins ci-dessus sont inspirés de Beaumont, Ch. de, « L’église de Montbron (Charente) », Congrès archéologique de France. Angoulême, 1912, Paris, 1913, t. II, p. 282-283. 10 11



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Fig. 135.  Montbron (16), prieuré Saint-Maurice. Épitaphe collective de la famille Borreau (1240). Dessin V. Debiais.

Fig. 136.  Montbron (16), prieuré Saint-Maurice. Épitaphe collective de la famille Caille de la Mothe (c. 1240). Dessin V. Debiais.

Fig. 137.  Montbron (16), prieuré Saint-Maurice. Épitaphe de Jeanne de Montbron (c. 1240). Dessin V. Debiais.

la memoria des différentes familles qui ont fait du site de Montbron un lieu privilégié d’inhumation et donc de commémoration. La fonction monastique du prieuré est complétée, grâces aux inscriptions, par une fonction supplémentaire liée à la commémoration familiale, le mur gouttereau sud devenant réceptacle, mais également promoteur de cette mémoire épigraphique par une mise en scène du nom des défunts qui occupent physiquement l’espace architectural à travers les inscriptions les mentionnant. La dernière inscription de Montbron illustre de façon tout à fait claire la mise en scène du texte épigraphique. Il s’agit de l’épitaphe d’une certaine Jeanne, qui pourrait être la femme de Robert III, inhumé tout près du texte relatif de son hypothétique épouse12. La forme et le contenu de ce texte le distinguent des autres inscriptions du prieuré (fig. 137). En effet, on a là une   CIFM I-3, Ch. 58.

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inscription métrique, composée de deux hexamètres léonins riches, de facture tout à fait correcte, mais qui rend inopérante la distinction entre épitaphe tumulaire et obituaire. L’inscription constitue en fait une apostrophe double au lecteur potentiel du texte et au Seigneur. L’apostrophe au lecteur est complétée par un appel à la prière introduit par l’expression curans hoc legere. L’épitaphe de Jeanne invite ainsi les percepteurs du texte à mettre en place la réalisation effective du processus de commémoration qui passe par la prière pour le défunt. Cette inscription se place sous la partie Fig. 138.  Montbron (16), sacristie, ouest de l’enfeu qui abrite l’épi- enfeu. Situation des textes dans la partaphe collective de la famille Bor- tie ouest de l’enfeu. Cliché V. Debiais. reau, dans l’actuelle sacristie (fig. 138) et utilise l’arc pour sa propre mise en valeur. La topographie funéraire du site de Montbron invite à penser que l’ensemble du cloître constituait un monumentum, promoteur de la mémoire des grandes familles locales, donatrices et bienfaitrices du prieuré. Par leur situation topographique et leur mise en scène architecturale, les inscriptions funéraires avaient pour fonction d’activer et de donner les modalités de la commémoration au sein de cet espace claustral. Comme pour la cathédrale de Bourges, l’influence de l’inscription à Montbron se comprend au regard des phénomènes de circulation. La lecture dynamique s’explique ici par la disposition des inscriptions par rapport aux espaces de circulation que constituent les portes percées dans le mur gouttereau (fig. 139) et qui mettaient autrefois en relation le cloître, la nef et le transept de l’église. Les inscriptions occupent alors un emplacement stratégique pour leur perception par les membres de la communauté monastique, emplacement qui garantit l’efficacité de la commémoration des défunts. La multiplication des textes dans l’espace claustral permet à Montbron d’attribuer une fonction funéraire particulière à ce lieu. Un nouvel

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Fig. 139.  Montbron (16), église, mur sud. Circulations cloître/église. Dessin V. Debiais.

Fig. 140.  Frétigny (28), église paroissiale. Vue de l’extérieur de l’abside. Cliché V. Debiais.



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ordre épigraphique s’installe dès lors autour des espaces de circulation entre le cloître et l’église, obligeant à une prise en compte quotidienne de la commémoration des bienfaiteurs. Le programme peint de Frétigny : publicité et écriture monumentale13 Au cours de cette étude, nous avons eu l’occasion de citer à de nombreuses reprises les peintures murales de Frétigny (28). Leur richesse, leur diversité et leur grande qualité font de cet ensemble un témoignage particulièrement intéressant de l’art mural du xiiie siècle. Les peintures sont placées sur les murs, la voûte et les fenêtres d’une petite abside romane, coupée du reste de l’église par un très beau retable moderne (fig. 140). L’ensemble iconographique semble nettement postérieur à la construction du bâtiment, et est daté des premières années du xiiie siècle14. Le décor est accompagné d’un important programme épigraphique dans lequel on relève plus de quinze textes plus ou moins fragmentaires qui se répartissent dans trois groupes iconographiques très différents. Le premier groupe se développe au registre inférieur des murs de l’édifice et représente quatre scènes de la vie de saint André, de la vocation du saint à ses funérailles. La lisibilité de l’ensemble est tout à fait correcte grâce à d’importants travaux de restaurations et aux dégagements des couches picturales plus récentes. Le deuxième groupe se développe quant à lui à la voûte de l’abside. Évoqué à de nombreuses reprises ici, il représente une majestas Domini, accompagnée de la figuration des Quatre Vivants. Bien que datée du xiiie siècle et apparemment contemporaine des autres scènes de l’abside, cette partie de la voûte présente des caractéristiques stylistiques différentes, qui pourraient traduire une relative postériorité. Le dernier groupe iconographique concerne la représentation des vertus dans les ébrasements des fenêtres de l’abside. Trois d’entre elles sont identifiées par des inscriptions. Certaines fenêtres sont ornées de la figure d’un ecclésiastique que l’absence d’inscription ne permet malheureusement pas d’identifier (fig. 141). Les trois groupes iconographiques ont des contenus très différents. Le mur de l’abside, avec les peintures de la vie de saint André, a une

13   L’essentiel du dossier de Frétigny a été traité au cours d’une mission de terrain du Corpus des inscriptions de la France médiévale, en octobre 2002. Je tiens à exprimer ma gratitude à Cécile Treffort et à Jean-Pierre Brouard pour leur sollicitude et leur disponibilité. 14   Deschamp, P. Thibout, M., La peinture murale…, p. 101.



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Fig. 141.  Frétigny (28), abside. Répartition schématique des peintures murales et des inscriptions. Dessin V. Debiais.

Fig. 142.  Frétigny (28), abside, mur est. Peintures murales de la crucifixion de saint André (xiiie siècle). Cliché V. Debiais.



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vocation narrative. Il donne les étapes de la vie du personnage, telle qu’elle apparaît dans le texte du Nouveau Testament, mais surtout dans les Actes apocryphes et les Actes gnostiques15. Le schéma général d’organisation des peintures se présente comme un véritable récit, divisé en différentes scènes séparées les unes des autres par une fenêtre. Le discours en images a pour objectif de porter à la connaissance du public les données biographiques de saint André, afin de promouvoir la vénération du saint et l’édification morale des fidèles. Les inscriptions qui accompagnent les scènes de sa vie vont dans le même sens. Elles ont une fonction purement descriptive et transmettent sous forme de texte ce que transmet l’image. Le cas est particulièrement flagrant dans la troisième scène présentant la crucifixion d’André. L’image est parfaitement explicite et les détails ne manquent pas pour que le public puisse accéder à la signification de l’épisode (fig. 142). Le titulus n’apporte pas de commentaire à la scène et se contente simplement de décrire l’image : Andrea crucificit[… Dans la scène qui précède la crucifixion, plus difficile à comprendre si l’on ne connaît pas la vie du saint, des tituli identifient Egée et André. Ces inscriptions très simples sont majoritaires dans les peintures ; ce sont elles qui accompagnent la scène de la vocation du saint, au nord, et celle qui identifie la femme d’André, dans la scène des funérailles au sud. La mise en place des tituli cherche d’ailleurs à assurer une identification claire ; pour cela, elles se placent au plus près du référent qu’elles désignent et ne reçoivent aucun aménagement graphique qui pourrait perturber la relation entre signifiant et signifié. Dans le cas des peintures de la vie de saint André, les inscriptions n’ont donc qu’un objectif limité, mais qui est parfaitement en accord avec la fonction du programme qu’elle complète. La réalisation des inscriptions, qui ont ici un objectif véritablement publicitaire, contribue à faire des murs de l’abside un espace narratif dans lequel le percepteur peut trouver des informations concrètes. Les données sont sensiblement différentes à la voûte de l’abside. Les textes épigraphiques n’ont pas exactement cette fonction publicitaire et, comme l’image, leur principale destination n’est pas la mise à disposition d’une information. Elles ont au contraire, pour vocation essentielle, la création d’un objet de dévotion dans la figure du Christ et participent à la construction symbolique. On le voit d’abord dans la présence des lettres alpha et oméga, placées de part et d’autre de la tête du Christ, dont le contenu sémantique est sans aucun doute supplanté par la dimension iconique, comme c’est peut-être égale  Réau, L., Iconographie…, t. III-1, p. 76-84.

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Fig. 143.  Frétigny (28), abside, voûte. Christ en gloire (xiiie siècle). Cliché V. Debiais.

ment le cas pour l’inscription placée sur le livre. La bénédiction contient plusieurs nomina sacra, comme pater, filius, spiritus, sanctus. La construction graphique dans son intégralité pourrait être considérée comme un acte de bénédiction, renforcé par le geste fait par le Christ avec la main droite (fig. 143). Les évangélistes sont quant à eux identifiés par leur nom mais ces inscriptions ne remplissent pas la fonction didactique envisagée pour les peintures de la vie de saint André. Les tituli présentent en effet une forme contractée, difficilement assimilable depuis le bas de la voûte à la graphie du nom de l’évangéliste. Ces inscriptions ont de nouveau une dimension iconique (en tant qu’attribut iconographique de la représentation du Tétramorphe) et contribuent à la création globale d’une image sacrée à la voûte de l’abside. En choisissant de telles formes pour le nom des évangélistes comme pour le texte du livre, l’écriture épigraphique décide de faire participer les inscriptions du statut et de la fonction de l’image. De plus, l’aspect monumental de l’écriture et de sa mise en scène à la voûte confère au contenu sémantique des textes une existence physique et une présence réelle dans l’espace architectural. La vocation du texte n’est donc plus seulement publicitaire ; elle s’accompagne à présent d’un changement dans la nature même de l’inscription. Contrairement aux peintures des murs et de la voûte, le fait de pénétrer dans l’abside ne suffit pas à apercevoir la représentation des



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Fig. 144.  Frétigny (28), abside, fenêtre est, ébrasement gauche. Peinture murale de la Justice. Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

vertus et les textes qui les accompagnent, la fonction publicitaire de l’inscription étant entravée a priori par sa localisation. En revanche, quand on accède à l’image, on accède simultanément au titulus, placé au contact de la figuration de la vertu (fig. 144) ; on se rapproche alors de ce que l’on pouvait rencontrer pour les identifications dans les peintures murales de la vie de saint André. Toutefois, l’assimilation entre l’image et l’inscription est nettement moins évidente que dans la scène de la crucifixion du saint par exemple. L’inscription ne se contente pas de répéter l’image dans des signes différents. Elle donne au contraire une interprétation de ce que transmet l’iconographie. La fonction de l’inscription ne se limite plus à la publicité mais il s’agit au contraire d’orienter le message du texte pour qu’il s’accorde avec les intentions de la représentation graphique. Dans l’exemple de la Justice comme dans celui de la Charité ou de la Paix, la peinture représente une femme, et non une vertu. C’est l’association entre l’image et le titulus qui permettra au spectateur de comprendre l’intégralité du message. Il y a donc une complémentarité entre les discours épigraphique et iconographique. L’utilisation de l’inscription par le lecteur ne se contentera pas d’une prise de connaissance du texte, mais bien plus d’une interprétation du message dans son intégralité.



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À Frétigny, l’ordo épigraphique mis en place par la présence des nombreuses inscriptions peintes dans le chœur établit, comme à Bourges, une hiérarchie des espaces. Celle-ci concerne non pas tant la composition du public auquel s’adresse le message épigraphique mais bien plus la fonction même de la consultation des textes. L’intention épigraphique change en effet à mesure que l’on s’élève dans l’abside : d’abord descriptive et édifiante au niveau des peintures de la vie de saint André, elle se fait, avec les vertus, théologique et morale au niveau des baies pour finalement susciter la méditation et la contemplation à la voûte, avec la création d’une image sacrée et sacralisante. La fonction de l’inscription correspond à chaque niveau à la fonction de l’image qu’elle accompagne et ne met donc pas seule en ordre l’espace du chœur de Frétigny. La capacité ordonnatrice de l’inscription est cependant suffisamment déterminante pour que les concepteurs et les artistes lui ait réservé une place importante et signifiante dans des discours en images pourtant très différents.

Les influences de la documentation épigraphique sur son contexte Comme le montrent les études de cas rapidement esquissées cidessus, les inscriptions, à la fin du Moyen Âge comme aux siècles précédents, sont à mettre en relation, dans une proportion écrasante, avec des bâtiments à vocation religieuse. Églises, cloîtres, salles capitulaires, chapelles accueillent ainsi plus de huit inscriptions sur dix au xive ou au xve siècle. D’autres textes se trouvent certes dans des résidences domestiques, sur des constructions civiles ou dans des espaces ouverts, mais ils ne représentent qu’une faible proportion qui ne permet pas de distinguer les mêmes constantes que dans le cas des édifices religieux. D’autre part, la très grande majorité des inscriptions se rencontrent à l’intérieur des bâtiments, qu’elles soient insérées dans le parement des murs ou dans le sol, qu’elles ornent la voûte ou qu’elles se placent sur des éléments du mobilier ou du décor. Les quelques textes se trouvant à l’extérieur conservent souvent un lien avec un édifice en élévation et se placent la plupart du temps sur le parement externe d’un bâtiment. Rares sont les inscriptions qui se coupent de toute relation avec une construction, aussi réduite soitelle. Les documents placés dans des espaces ouverts (cimetière, place, etc.) sont ainsi généralement accompagnés d’une mise en forme matérielle de grande dimension qui associe le texte à une structure fixe et construite. C’est donc au sein de cet espace bâti ou en référence à celui-ci qu’intervient l’ordo épigraphique que l’on a envisagé



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à Bourges, à Montbron, à Frétigny, et que l’on peut maintenant essayer de systématiser. Être à l’intérieur d’un espace au Moyen Âge, c’est participer à cet espace et à sa définition, être soumis à son statut et à ses caractéristiques propres16. Cette considération n’affecte pas seulement le lieu lui-même, mais également tout ce qu’il contient. Les objets ou les activités sont définis par le fait d’appartenir à un espace déterminé ou, inversement, par le fait d’être à l’extérieur et de ne pas participer à la dynamique générale de cet espace. L’inscription, en tant qu’objet, est également régie par cette opposition forte entre l’intérieur et l’extérieur. Elle peut en effet appartenir à un milieu déterminé ou, au contraire, se situer à l’extérieur. Placée dans un édifice particulier, l’inscription trouve dans sa localisation une part de sa signification tout en participant à la définition de son milieu. Située en dehors de ce même édifice, le texte aura une autre signification, dans une relation d’opposition ou d’exclusion avec le bâtiment. Le message transmis par le document épigraphique peut contribuer à renforcer encore ces oppositions. Les textes marquent très souvent en ce sens leur attachement à un espace déterminé par l’emploi de formules qui ancrent le document dans un contexte particulier. La fondation de chapellenie de Paimpont (35) identifiait la construction par l’expression hic est oratorium ubi17. L’inscription commémorant le lieu de prière de saint Maur citait une formule tout à fait semblable : hic est locus ubi18. Le domaine funéraire contient quant à lui d’innombrables expressions qui s’attachent à localiser, parfois de façon très précise, le lieu de la sépulture, afin de placer la mémoire du défunt et les manifestations de la commémoration dans un contexte déterminé et signifiant. Dans l’église des Dominicains d’Évreux (27), on trouvait la pierre tombale d’un évêque de la ville, Philippe de Cahors, mort en 1281 ; elle donnait, dès le premier vers : + continet : hec : fossa : Philippi : presulis : ossa. La récurrence des adjectifs démonstratifs dans des expressions tumulaires du type hoc tumulo, hoc sarcophago, hac tumba, etc., est tout à fait révélatrice de la volonté d’associer la présence d’un texte épigraphi16   Paul Zumthor insiste d’ailleurs sur ce point en opposant le dehors et le dedans, plus que l’intérieur et l’extérieur (La mesure du monde…, p. 285). 17   Paimpont (35), église. Inscription commémorant la fondation d’une chapellenie (1375), ligne 1. Royer, E., L’abbaye Notre-Dame de Paimpont, La Seyne-sur-Mer, 1969, p. 17. 18   Le Thoureil (49), abbaye de Glanfeuil, chapelle Saint-Martin. Inscription commémorative du lieu de prière de saint Maur (fin xive s.). Barbier de Montault, X., Épigraphie…, p. 35.



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Fig. 145.  Poitiers (86), ferme de la Grande Vacherie. Inscription de séparation de propriété (1332). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

que à un espace déterminé. Elle ne se limite pas aux formules tumulaires, mais se retrouvent également dans le contenu des épitaphes qui cherchent à placer le contenu du message funéraire dans un contexte particulier. Dans le mur nord de l’église Saint-Martin d’AllasBocage (17), on trouve une double épitaphe relative à deux personnages portant le même prénom, mais gravée à deux époques différentes19. La première concerne un certain Ramnulfe, recteur de l’église (ecclesie rector). Le texte fait mention de peu d’éléments mais rappelle pourtant que le défunt était le constructeur du bâtiment : iacet hic Ram/nulfus et actor hvivs edificii. Le contenu de l’épitaphe inscrit directement l’objet épigraphique à l’intérieur de l’église d’Allas-Bocage et le défunt dans un espace clos, régi par des règles propres, notamment celle de la commémoration. Dans le cas des espaces ouverts, les inscriptions sont un point de référence dans l’organisation du contexte. En 1332, à l’occasion de la restauration d’un mur de clôture entre deux propriétés, on a placé une grande inscription dans la ferme de la Grande Vacherie, au nord de Poitiers (fig. 145)20. Rédigée en octosyllabes assonancés, cette ins19   Allas-Bocage (17), église Saint-Martin, nef, mur nord. Épitaphe de Ramnulfe et Ramnulfe Meynard (xiiie s. et 1263). CIFM I-3, p. 76-77. 20   Poitiers (86), ferme de la Grande Vacherie, mur de clôture, côté sud. Inscription de séparation d’une propriété (1332). Voir Redet, M., « Deux inscriptions lapidaires… »,



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cription rappelle l’événement et complète l’ensemble par une datation très développée (avec des références à un pape, un roi et un évêque). L’inscription est placée dans un espace ouvert, défini uniquement par les frontières de propriété de deux parcelles séparées par le mur. La rédaction du texte et sa mise en place ne transforment pas l’espace ouvert de la ferme en un espace clos, mais elles créent en revanche un point de repère fixe, garanti par la matérialité de l’inscription et la permanence du texte, qui organise l’espace autour d’un point central (au moins au sens symbolique, si ce n’est au sens géographique). L’inscription sépare les espaces, trace des limites entre des milieux auxquels elle accorde un statut différent, mais elle devient également souvent l’occasion de tisser des liens entre des données spatiales complexes. Dans de très nombreux cas, l’inscription est en effet un élément commun à différents espaces et constitue le moyen de passer de l’un à l’autre ; elle joue alors le rôle d’une frontière que l’on peut franchir pour accéder à une autre réalité topographique. On a, à ce propos, déjà eu l’occasion d’évoquer ici le nombre important d’inscriptions médiévales placées près des lieux de passage, à la frontière entre deux espaces : porte, portail, pont, entrée ou muraille. Le franchissement d’une limite matérielle est renforcé par la lecture du texte dont le contenu donne très souvent un sens au déplacement du lecteur. Ainsi, dans le distique gravé au portail de la cathédrale de Bourges, on trouve l’idée de changement, exprimé d’abord d’un point de vue réel (has intrando fores et hic intrans), puis sur un plan symbolique avec la modification du comportement (componite vestros mores et ora semper tua crimina plora). L’épitaphe de Simon, abbé de Saint-Cyprien de Poitiers, présentait une idée tout à fait semblable21. Elle était placée autrefois dans le cloître du monastère ; s’il ne constitue pas à proprement parler un lieu frontière, une limite, il est en revanche un lieu de passage important ; le texte insiste d’ailleurs sur les déplacements qui ne sont pas seulement synonymes d’un changement d’espace, mais également d’un changement dans l’attitude du moine passant dans le cloître, invité à commémorer la mort de son frère (vos qui visitatis dicatis pater noster […] pro vestro fratre Simone). La présence de l’inscription à la frontière entre plusieurs espaces est l’occasion d’associer différents milieux autour du contenu du p. 120. 21   CIFM I-1, 29.



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Fig. 146.  Mehun-sur-Yèvre (18), église. Vue générale du mur extérieur sud. Cliché V. Debiais.

texte. L’inscription funéraire placée aujourd’hui dans le mur nord de l’église de Mehun-sur-Yèvre (18) joue un rôle de cette nature (fig. 146)22. Encastrée dans le mur de la nef, l’inscription appartient matériellement à l’espace ecclésial. Orientée pour une lecture depuis le cimetière attenant à l’église, le contenu de l’inscription appartient à l’espace d’inhumation. Pour garantir l’efficacité de la commémoration, le texte a ainsi été placé en contact avec l’espace de la célébration du souvenir et avec le lieu de l’inhumation. L’inscription de Pierre et Gilberte Gilain ne sépare pas de façon nette les deux milieux dans une relation d’exclusion mais elle assure au contraire, en tant que zone de contact et d’échange, la jonction entre l’église et le cimetière. L’épitaphe commence par un énoncé de caractère tumulaire associant le texte au lieu d’inhumation23. La fin de l’inscription constitue 22   Mehun-sur-Yèvre (18), église, nef, extérieur du mur sud. Épitaphe de Pierre et Gilberte Gilain (1400-1410). Buhot de Kersers, A., Statistique monumentale…, t. V, p. 297. On peut penser que la localisation actuelle en hauteur n’est pas l’emplacement original du texte ; mais on sait en revanche qu’il était effectivement localisé à l’origine dans le mur gouttereau nord, vers le cimetière. 23   Cy gisent prudentes personnes Pierre Gilain et Gilberte chatelaine sa femme en leur vivant bourgeois de cette ville de Mehun qui trespasserent ceans ; le dit Pierre trespassa le v° jour d octobre lan mil iiiic, et sadite femme le xx° jour dudit mois aussi a.d. an. ; pour les ames dequeles et pour leur parents trespases discrete personne messire Jehan Charlemaigne chapelain de la saincte chapelle de Bourges frere la dite defunte a fonde perpetuellement une messe [---] ceste Église en la communauté [---] dire et celebrer chacun mercredi de lannee [---] due Dieu fera ; a l issue de la grant messe du jour en ceste dicte Église



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quant à elle une fondation de messes d’anniversaire, le texte stipulant, aux lignes 7 et 8, que les célébrations devront être effectuées dans l’église de Mehun-sur-Yèvre. La nature duale de cette inscription, à la fois tumulaire et obituaire, est mise en valeur par la situation du texte au contact des deux espaces de nature différente. L’inscription matérialise alors ces relations grâce à la mise en place d’un pont épigraphique entre l’église et le cimetière. Dans l’ancienne abbaye d’Asnières (49), on trouve deux inscriptions qui répondent à une localisation mixte. A l’intérieur de l’église, sur l’un des piliers du transept, on peut lire l’épitaphe de Guillaume de Bate, déjà mentionnée ici24, et, tout près, à l’extérieur du transept cette fois, on lit avec difficultés un fragment d’inscription cursive à caractère obituaire25. Le bras sud du transept est percé d’une porte qui assurait autrefois la circulation entre la salle capitulaire et l’église. Les inscriptions 3 et 6 constituent visuellement une charnière entre l’église et le chapitre, et sont le moyen de passer d’un espace à l’autre (fig. 147). Elles profitent de la signification de cet espace pour mettre en valeur leur contenu et lui assurer une publicité plus importante encore. Le contenu de l’épitaphe de Guillaume de Bate, gravée sur le pilier près de la porte, à l’intérieur du transept, se distingue par la mention d’une donation effectuée à l’abbaye. Par ce geste pieux, le défunt devient l’un des piliers matériels de la fondation monastique. L’inscription tumulaire insiste à la fois sur le souvenir individuel (valorisé dans la commémoration) et sur la dimension collective de la communauté dans le cadre de la vie temporelle du monastère, avec la mention des biens donnés à l’abbaye (fig. 148). Cette dualité pourrait expliquer la situation du texte, la salle capitulaire constituant le lieu de la commémoration des défunts (fondateurs, donateurs et membres de la communauté), lors de l’office du chapitre, et dans le même temps le lieu d’administration et de gestion de la vie matérielle du monastère26. La situation de l’inscription rend le texte parfaitement visible lors de l’entrée dans l’église ou lors de la sortie vers la salle capitulaire. La nature particulière de l’inscription exige une situation sera tenu le vicaire qui dira le dicte messe basse illec a la fin d icelle une absolution sur les dits defuncts. Priez dieu pour eulx. 24   Voir supra, fig. 184. Inscription n° 3 sur le plan. 25   Voir supra, fig. 6. Inscription n° 6 sur le plan. 26   Pour le rôle et l’importance de la salle capitulaire dans la commémoration des défunts et l’office du chapitre, voir la belle synthèse de Lemaître, J.-L., Mourir à Saint-Martial : la commémoration des morts et les obituaires de Saint-Martial de Limoges du xie au xiiie siècle, Paris, 1989, 704 p.



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mixte du texte, en contact avec les espaces spirituels et temporels du monastère. Elle renforce dans le même l’importance stratégique de l’interface église/salle capitulaire dans les circulations et dans la publicité des textes, comme le fait également l’inscription cursive à l’extérieur de l’église cette fois-ci. Il s’agit d’une inscription très simple, n’ayant bénéficié d’aucun traitement graphique élaboré, comme dans le cas de Guillaume de Bate, mais il est tout à fait remarquable qu’une pratique personnelle et spontanée de l’écriture épigraphique ait choisi précisemment ce lieu Fig. 147.  Cizay-la-Madeleine (49), d’échange dans le but d’assurer ancienne abbaye d’Asnières. Situation la persistance d’une forme simdes inscriptions. Dessin V. Debiais. ple de memoria (fig. 149). L’ordo épigraphique ne se contente pas de séparer l’espace médiéval en différents ensembles ; il structure, modèle et organise les diverses données spatiales en un système cohérent de relations centré autour de l’image de l’inscription et du contenu du message. Les conséquences de la présence d’une inscription ne se limitent pas à une structuration matérielle du contexte, comme on vient de le voir à Asnières et comme c’était déjà le cas à Bourges ; elle suppose également une affectation fonctionnelle des espaces. Le document épigraphique transmet une partie de ses qualités (forme, statut et fonction) à son environnement et suppose la réorganisation de l’espace concerné par l’inscription. L’influence de la présence d’une inscription est également sociale puisque la lecture du texte implique la constitution d’un groupe particulier, celui des lecteurs auxquels s’adresse le document épigraphique. Pendant la prise de connaissance du texte, les lecteurs sont liés entre eux par la similarité de leur attitude face à l’inscription. Cette communauté d’attitude se retrouve au cœur des appels au lecteur qui, par l’emploi fréquent d’une forme impersonnelle, désigne un comportement bien plus qu’une individualité. Dans le texte porté autre

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Fig. 148.  Cizay-la-Madeleine, abbaye d’Asnières, église, transept. Épitaphe de Guillaume de Bate (xiiie siècle). Cliché et dessin V. Debiais.

Fig. 149.  Cizay-la-Madeleine (49), abbaye d’Asnières, mur sud, près de la porte d’entrée. Inscription cursive (1299). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

fois par la Vierge de vermeil de la cathédrale de Chartres27 (quicumque haberit et viderit oret pro ea), le démonstratif ne renvoie à aucun lecteur en particulier mais mentionne plutôt l’ensemble du public pouvant entrer en relation avec le document, comme le précise les deux verbes qui regroupent l’intégralité des formes de cognition du texte au sein de la même action. L’ordo épigraphique permet ainsi de fédérer des groupes spécifiques d’individus autour de la lecture de l’inscription et autour d’actions commandées par la communication épigraphique. 27   Chartres (28), cathédrale Notre-Dame, trésor. Vierge de vermeil (1256). Inscription disparue. Merlet, L., Catalogue des reliques…, p. 18-19.



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L’inscription funéraire crée par exemple un groupe de lecteurs chargés de commémorer le souvenir d’un défunt en particulier ; les inscriptions à caractère diplomatique s’adressent à des communautés déjà constituées : concession de privilèges aux habitants d’une ville, donation à une communauté, etc. La charte lapidaire de Crest accordée aux habitants par le comte Adhémar de Poitiers en 1189 s’adressait ainsi aux hominibus meis de Crista qui nunc sunt et futuri sunt28 ; celle d’Étoile-sur-Rhône rédigée en 1245 était destinée aux ominbus hominibus castri de Stella29. Le comte de Blois Thibaut IV rédige lui aussi vers 1191 une charte lapidaire adressée aux hominibus istius patrie30. La charte de privilèges accordée par l’archevêque Adalbert Ier aux habitants de Mayence en 1135 et placée sur les portes de la cathédrale était quant à elle destinée à tous les habitantes infra ambitum muri praefatae civitatis31. En contexte monastique, de nombreuses inscriptions participent à la définition ou au renforcement de l’idée de communauté, notammant dans la lecture des textes funéraires relatifs à des religieux dans lesquels la mention de la fonction du défunt est régulièrement complétée par le lieu de son exercice. L’épitaphe de Jean II de Chartres précisait par exemple que le défunt avait été de son vivant le quinzième abbé de la fondation (huius  ecclesiae). Plusieurs épitaphes monastiques comportent des appels au lecteur montrant que la commémoration doit être effectuée en premier lieu par les membres de la communauté. Dans l’ancienne abbaye de Sept-Fonds (03), on trouvait autrefois le monument funéraire de deux frères, Hugues et Girard de Varigny, morts aux tournants des xiiie-xive siècles32 ; placée dans le transept de l’église, la plate-tombe présentait la figuration des deux défunts et était accompagnée d’une épitaphe très simple, terminée par un appel au lecteur explicite : fratres anima ipsorum requiescat in pace amen. Les deux chevaliers inhumés dans les murs de l’abbaye dont ils étaient les familiers font désormais partie de la communauté dont les membres doivent prier pour le repos de leur âme. Les religieux eux-mêmes en appellent souvent aux suffrages de leurs   CIFM 16, D 5, p. 108-109.   CIFM 16, D 30, p. 135-139. 30   Bernier, J., Histoire de Blois, Paris, 1682, p. 301-302. 31   Die deutschen Inschriften. T. II : Stadt Mainz, Stuttgart, 1968, n° 10, p. 10-16. Sur la question des chartes lapidaires, voir Favreau, R., « La notification d’actes publics… », p. 637-664. 32   Diou (03), ancienne abbaye de Sept-Fonds, église, transept. Plate-tombe d’Hugues et Girard de Varigny (1293 et 1309). Inscription disparue. De Vaivre, J.-B., « Dessins inédits… », p. 121. 28 29



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frères. L’épitaphe d’Agathe, religieuse du prieuré de Relay (37), débute ainsi, sans ambiguïté, par un appel aux lectrices de l’inscription funéraire : m° . cc° : iiX iiX xviii orate : soci(e) : p(ro) : a(n) i(m)a : ej(us)33. Dans ce cas, comme dans les inscriptions diplomatiques évoquées plus haut, l’inscription s’adresse à une communauté déjà constituée (les habitants d’une ville à Mayenne, les religieuses d’un monastère à Relay) et participe à la définition et à la cohésion du groupe, réuni désormais également autour de l’action de lecture épigraphique.  La réunion des principales fonctions de l’inscription autour des trois notions fortes de mémoire, de monument et d’ordre permet d’avoir une image assez précise de la diversité des textes et de leurs usages dans la communication publicitaire. Le recours au vecteur épigraphique a de nombreuses conséquences sur l’environnement topographique et culturel de l’inscription. L’importance de l’introduction d’un objet épigraphique n’est pas seulement à considérer du point de vue d’un groupe limité de lecteurs, mais doit au contraire être mesurée à l’échelle étendue du contexte de réception ; l’inscription n’est jamais un phénomène anecdotique, réduit à l’état de curiosité au sein d’une culture écrite limitée et avarde d’innovation ou de créativité. Elle joue au contraire souvent un rôle fondamental dans la célébration de la mémoire, si importante au Moyen Âge, dans la constitution de monuments, construits ou écrits, ou encore dans l’organisation formelle et fonctionnelle des espaces, influençant à chaque instant le percepteur du texte et modifiant son comportement.

33   Pont-de-Ruan (37), prieuré de Relay, église, extérieur, contrefort du chevet. Épitaphe d’Agathe de Saché (1298), bloc n° 1. Maurice, J., Ouvrage consacré aux communes d’Artannes…, p. 36. Inscription à paraître dans le CIFM 24.



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Conclusion Malgré l’ancienneté des interrogations épigraphiques, l’attachement exclusif à l’établissement de corpus et les études de cas n’ont pas permis l’établissement d’une réflexion conceptuelle sur la notion d’inscription dans le contexte de la culture médiévale, et l’attention portée au seul contenu des documents a occulté les considérations techniques, esthétiques et contextuelles qui définissent l’objet épigraphique dans sa plénitude. C’est pourtant sur la conjonction de ces caractéristiques que l’inscription fonde sa fantastique capacité à transmettre un message. Reconnaître la diversité des éléments constitutifs du texte épigraphique, c’est par ailleurs admettre que la compréhension de l’inscription ne repose plus exclusivement sur la lecture du texte. Une telle richesse dans sa structure détermine des attitudes différentes de la part du public médiéval, du simple repérage d’un objet à la lecture effective d’un texte. Là où les données textuelles réduisaient le public des inscriptions aux seuls litterati, capables de lire les lettres, la diversité des composantes de l’inscription suppose en fait non pas un mais des publics épigraphiques, définis par des formes diverses de cognition de l’écrit, fondées notamment sur une aptitude à reconnaître visuellement les signes et sur la dimension iconique de l’écriture médiévale. Celle-ci n’est pas seulement constituée de l’ensemble des lettres composant les mots et des différents signes permettant de les organiser (ponctuation, mise en page, etc.)  ; la communication écrite n’est dès lors pas exclusivement écrite. Pour comprendre ses implications réelles, il faut donc, comme nous avons tenté de le faire, dépasser l’écriture pour concevoir le média comme une réalité complexe, composée de signes de nature différente. Le fait de contester cette « tyrannie de l’alphabet34 » permet de laisser la place à de nouvelles données fondamentales dans la communication écrite ; c’est notamment le cas du lecteur qui ne se soumet plus au texte, mais qui, actif dans la réception et l’organisation des informations, conditionne le succès de la transmission du message. C’est également l’occasion de saisir les implications spatiales et temporelles de la lecture et d’envisager une communication évolutive, sujette à des incidents, et donc forcément aléatoire. C’est enfin l’occasion de percevoir la dimension esthétique des signes. La lettre n’est pas seule  L’expression est empruntée à Harris, R., Rethinking Writing, Londres, 2001.

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ment constitutive du mot ; elle fait aussi partie de l’espace de la lecture et y occupe véritablement la place d’un objet. La fonction de l’inscription avait jusqu’à présent été envisagée à partir du présupposé selon lequel le texte est véritablement lu par le public le plus large. La réception de l’information par-delà toute forme de lecture invite en réalité à envisager différentes utilisations de l’inscription et à mesurer en particulier l’impact de la seule présence visuelle du texte dans l’espace médiéval. L’introduction du document épigraphique permet la création d’un milieu particulier, marqué par la présence matérielle du texte ; la communication est désormais liée à la présence et à la mise en scène du signe, et non plus seulement à la lecture des mots. Cette vision complexe de l’objet épigraphique réhabilite en partie l’importance du texte au sein de la population médiévale, largement considérée comme analphabète, et elle donne du sens aux inscriptions illisibles ; elle permet aussi de mesurer la réalité et l’ampleur de la communication publique à grande échelle au Moyen Âge. Si l’on considère traditionnellement les échanges médiévaux comme des faits limités et lents, il ne faut pas pour autant envisager un monde cloisonné, au sein duquel l’information ne circule pas. L’inscription apparaît au contraire comme le moyen le plus efficace pour apporter une réponse aux intentions publicitaires. Elle témoigne de la volonté de créer une communauté supplémentaire, celle des lecteurs réunis dans l’espace et le temps de la lecture épigraphique, dans laquelle s’affirme également l’individualité du percepteur. L’inscription à la fin du Moyen Âge participe donc de façon très cohérente à la montée d’une sensibilité personnelle plus présente dans la culture comme dans la communication. Elle reflète les grandes tendances décelables au sein des autres sources écrites et s’affirme comme une composante essentielle des manifestations culturelles des xiiie-xive siècles. S’il souffre de nombreuses limites et s’il aurait mérité des développements plus conséquents, ce livre espère toutefois inviter l’épigraphiste – et l’historien en général – à dépasser encore davantage le contenu de la documentation pour porter un regard plus problématique sur l’utilisation médiévale de l’écriture, et à replacer le percepteur du message au cœur de son interrogation. Mesurer la portée des phénomènes culturels sans la prise en compte des mécanismes de réception constitue en effet pour l’historien des textes comme pour

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celui des formes un danger épistémologique de première importance dans le contexte universitaire actuel qui se montre particulièrement avide de constructions systématiques et de modèles théoriques. Repenser l’existence et le rôle de ces mêmes phénomènes à travers l’étude de la communication contient certainement aussi son lot de difficultés méthodologiques. Concept trop employé pour être véritablement significatif, rarement questionné, voire défini, la communication recouvre des notions très différentes au sein de la bibliographie. On ne peut cependant pas douter de sa réalité au Moyen Âge ni de la diversité de ses formes, deux faits dont témoignent de façon plus évidente aujourd’hui, nous l’espérons, les inscriptions médiévales.



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Bibliographie SOURCES ÉPIGRAPHIQUES Les inscriptions citées dans le texte comportent en note les références bibliographiques dans lesquelles le lecteur pourra retrouver la mention, la transcription ou la reproduction des documents. En plus du Corpus des inscriptions de la France médiévale, on signalera, pour la fréquence de leur utilisation, les ouvrages ou articles suivants présentant des collections particulièrement riches d’inscriptions (conservées et disparues) : Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la collection Gaignières. Dessins d’archéologie du xviie siècle », Gazette des Beaux-Arts, t. 84, 1974. Adhémar, J. et Dordor, G., « Les tombeaux de la collection Gaignières. Dessins d’archéologie du xviie siècle. Seconde partie : personnages morts entre 1430 et 1616  », Gazette des Beaux-Arts, t. 87, 1976. Angot, A., Épigraphie de la Mayenne, Paris, 1907, 2 vol. Barbier De Montaut, X., Épigraphie du département de Maine-et-Loire, Angers, 1869. Cochet, J.-B., « Épigraphie de la Seine-Maritime », Bulletin monumental, t.21, 1855, p. 281-337. De Vaivre, J.-B., « Les dessins de tombes médiévales de la collection Gaignières », La figuration des morts dans la chrétienté médiévale jusqu’à la fin du premier quart du xive siècle. 1er cahier de Fontevraud, 26-28 mai 1988, Fontevraud, 1988, p. 60-97. Texier, J., « Recueil des inscriptions du Limousin  », Mémoires de la Société des antiquaires de l’Ouest, 1850, p. 71-380. Sources Adelard de Bath, Quaestiones naturales, éd. par M. Müller, Munich, 1934. Alain de Lille, Summa de arte praedicatoria, PL 210, col. 111-198. Alcuin, Dialogue sur la rhétorique et les vertus, PL 101, col. 919-950. Aristote, Catégories, éd. et trad. par R. Bodeüs, Paris, 2001.



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bibliographie

Augustin, De Civitate Dei, éd. B. Dombard et A. Kalb, Paris, 1960 (4ème éd.). Augustin, De ordine, éd. et trad. par Jolivet, R., Œuvres de saint Augustin, 1ère série, IV : Dialogues philosophiques, Paris, 1948. Chrétien de Troyes, Le chevalier à la charrette, éd. et trad. J. Frappier, Paris, 1971 (1ère éd. : 1961). Chrétien de Troyes, Le roman de Perceval ou le conte du Graal, éd. K. Busby, Tübingen, 1993. Chrétien de Troyes, Érec et Énide, éd. M. Roques, Paris, 1955 (Classiques français du Moyen Âge, 89). Cicéron, De haruspicum responsis, éd. et trad. P. Wuilleumier, Paris, 1966. Cicéron, Contre Verres, éd. et trad. H. de la Ville de Mirmont, Paris, 1960. Gilbert de la Porrée, Liber de sex principiis, éd. par A. Heysse et D. von der Eynde, Munich, 1953. Hildegarde de Bingen, Le livre des œuvres divines, éd. et trad. par B. Gorceix, Paris, 1982 (Spiritualités vivantes). Honorius Augustudoniensis, Elucidarum, éd. dans Lefèvre, Y., L’Elucidarum et les Lucidaires. Contribution à l’histoire des croyances religieuses en France au Moyen Âge, Paris, 1955. Hugues de Saint-Victor, Didascalicon, éd. trad. M. Lemoine, Paris, 1991 (Sagesses chrétiennes). Isaac de l’Étoile, Sermons, éd. A. Hoste, Paris, 1967, 3 vol. (Sources chrétiennes, 130). Isidore de Séville, Livre des Sentences, PL 83, col. 537-738. Isidore de Séville, De rerum natura, éd. et trad. par J. Fontaine, Bordeaux, 1960. Isidore de Séville, Etymologiarium, éd. M.W. Lindsay, Oxford, 1957 (1ère éd. : 1911), 2 vol. Jean de Salisbury, Metalogicon, éd. J.B. Hall, Turnhout, 1991 (Corpus christianorum, CM 98). Jean Cassien, Institutions cénobitiques, éd. J.-Cl. Guy, Paris, 1965 (Sources chrétiennes, 109). Jean Scot Eurigène, Homelia in prologo Evangelii secundum Johannem, éd. E. Jeaneau, Paris, 1969 (Sources chrétiennes, 151). Orderic Vital, Historia ecclesiastica, éd. et trad. M. Chibnall, Oxford, 1969-1990, 5 vol. Philon d’Alexandrie, De opificio mundi, éd. et trad. R. Arnaldez, Paris, 1961. Platon, Timée, éd. et trad. A. Rivaud, Paris, 1970.

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mentaux quant aux pistes de recherche qu’ils proposent ou pour les intuitions qu’ils suggèrent ; ces études ont été consultées avec une grande attention au cours de cette recherche et en ont orienté la problématique générale. C’est pourquoi nous avons choisi de mettre en exergue ces quelques titres, en insistant sur leur caractère novateur ou pionnier, ainsi que sur leur intarissable source de questionnement. Le lecteur sera sans doute surpris par le caractère hétéroclite de cette liste qui puise aussi bien dans le domaine linguistique que dans la bibliographie de l’histoire de l’art, de la philosophie ou des sciences cognitives, mais qui répond pourtant à la diversité des interrogations que suscite l’histoire culturelle. Auerbach, E., Literary Language and its Public in Late Latin Antiquity and in the Middle Ages, Princeton, 1993 (1ère éd.: 1958), 405 p. (Bollingen series, 74). Bonne, J.-Cl., L’art roman de face et de profil. Le tympan de Conques, Paris, 1984, 362 p. (Féodalismes). Camille, M., « Seeing and Reading : Some Visual Implications of Medieval Literacy and Illiteracy  », Art History, 8, fasc. 1, 1985, p. 26-49. Camille, M., Images dans les marges : aux limites de l’art médiéval, Paris, 1997, 247 p. (Le temps des images). Corbier, M., « L’écriture dans l’espace public romain », dans L’Urbs : espace urbain et histoire (ier s. av. J.C. – iiie s. ap. J.C.), Actes du colloque international organisé par le CNRS et l’EFR (Rome, 8-12 mai 1985), Rome, 1987 (Collection de l’EFR, 98), p. 27-60. Damish, H., « Sémiologie et iconographie », La sociologie de l’art et sa création interdisciplinaire, Paris, 1976, p. 29-39. Eco, U., Sémiotique et philosophie du langage, Paris, 1988 (1ère éd. en italien : Turin, 1984), 285 p. (Formes sémiotiques). Goody, J., La logique de l’écriture. Aux origines des sociétés humaines, Paris, 1986, 198 p. Gregory, Th., « Nature », dans Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Paris, 1999, p. 806-820. Hall, E.T., La dimension cachée, Paris, 1971 (1ère éd. : New York, 1966), 256 p. (Points essais). Harris, R., La sémiologie de l’écriture, Paris, 1993, 378 p. (CNRS Langage). Harris, R., Rethinking Writing, Londres, 2001, 254 p. Ong, W. J., The Presence of the Word. Some Prolegomena for Cultural and Religious History, Minneapolis, 1981 (1ère éd. : 1967), 360 p.

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Liste des illustrations Fig. 1

Fig. 2 Fig. 3 Fig. 4 Fig. 5 Fig. 6 Fig. 7 Fig. 8 Fig. 9 Fig. 10 Fig. 11 Fig. 12



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Poitiers (86), musée Sainte-Croix (prov.  : église SaintHilaire-le-Grand). Inscription funéraire de Rotbertus (seconde moitié du xie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/ CIFM. Cizay-la-Madeleine (49), ancienne abbaye d’Asnières, extérieur, porte du transept. Fragment d’inscription funéraire (1299). Cliché V. Debiais. Poitiers (86), musée Sainte-Croix. Inscription funéraire du Haut-Empire romain ; détail d’une taille en V. Cliché V. Debiais. Langrune-sur-Mer (14), église Saint-Martin, chœur. Inscription de donation (1298). Cliché J. Michaud CESCM/ CIFM. San Miguel de Escalada (León, Espagne), église, extérieur de la galerie sud. Inscription incomplète montrant les traits préparatoires (ixe siècle). Cliché V. Debiais. Angers (49), église Saint-Martin. Inscription funéraire pour Autbertus (784). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Veules-les-Roses (76), église Saint-Martin, mur nord. Fondation d’une chapellenie (1272). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Pont-de-Ruan (37), prieuré de Relay, église, extérieur du chevet. Inscription funéraire pour Agathe de Saché (1298). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Aunay-sous-Auneau (28), église, revers de façade. Platetombe d’un clerc (xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Aunay-sous-Auneau (28), église, revers de façade. Fondation de chapellenie tracée sur la tranche d’une plate-tombe (fin du xive siècle). Cliché V. Debiais. Rouen (76), musée des Antiquités (prov.  : cathédrale). Signature sur une clef de voûte (première moitié du xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Saint-Christophe-du-Jambet (72), église, voûte de la première travée. Mention de construction (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

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Fig. 13

Chênehutte-Trèves-Cunault (49), église Notre-Dame, chapiteau. Identification de saint Philibert (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 14 Bourges (18), cathédrale Saint-Étienne, façade occidentale, portail Saint-Ursin, côté droit. Signature d’artiste (xiiie siècle). Cliché V. Debiais. Fig. 15 Montmorillon (86), église Notre-Dame, église basse. Identification dans les peintures murales de l’Agnus Dei (début xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 16 Quimper (29), cimetière, chapelle. Inscription funéraire pour Marc (fin xiiie ou début xive siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 17 Cizay-la-Madeleine (49), ancienne abbaye d'Asnières, église, bras nord du transept, mur ouest. Inscription funéraire pour Robert (xiiie siècle). Cliché V. Debiais. Fig. 18 Cizay-la-Madeleine (49), ancienne abbaye d'Asnières, église, chapelle sud. Consécration d’autel (xiiie siècle). Cliché V. Debiais. Fig. 19 Néau (53), église, revers de façade. Identification dans les peintures murales de la légende de saint Vigor (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 20 Évreux (27), abbaye Saint-Taurin, salle au côté nord de l’église. Châsse de saint Taurin : signature de commanditaire et extraits d’une vita (1240-1255). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Fig. 20bis Évreux (27), abbaye Saint-Taurin, salle au côté nord de l’église. Châsse de saint Taurin : signature de commanditaire et extraits d’une vita (1240-1255). Détail petit côté droit. Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Fig. 20ter Évreux (27), abbaye Saint-Taurin, salle au côté nord de l’église. Châsse de saint Taurin : signature de commanditaire et extraits d’une vita (1240-1255). Détail grand côté avant. Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Fig. 21 Soulaires (28), église. Plate-tombe d'Agnès de Soulaires (1232). Dessin publié dans Dalles tumulaires et pierres tombales du département de l’Eure-et-Loir, 11ème livraison, Chartres, s. d., n° XLIV, pl. XLIV. Fig. 22 Mehun-sur-Yèvre (18), église, extérieur, mur nord. Cadre de l’inscription funéraire pour Pierre Gilain (xive siècle). Dessin V. Debiais.



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Fig. 23

Vimarcé (53), église Saint-Jean-Baptiste. Monument funéraire de la famille Letouzé (fin du xive siècle). Cliché publié par Angot, A., Épigraphie de la Mayenne, Paris/Laval, 1907, t. II, p. 398. Fig. 24 Fresnay-le-Gilmert (28), église. Détail des lignes délimitant le champ épigraphique sur une plate-tombe (xiiie siècle). Cliché V. Debiais. Fig. 25 Sainte-Marie-aux-Anglais (14), église, première travée du chœur, voûtain oriental. Identifications dans les peintures murales de l’adoration des Mages (premier quart du xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Fig. 25bis Sainte-Marie-aux-Anglais (14), église, première travée du chœur, voûtain oriental. Identifications dans les peintures murales de l’adoration des Mages (premier quart du xiiie siècle). Détail des cartouches. Cliché J.-P. Brouard CESCM/ CIFM. Fig. 26 Chartres (28), cathédrale, chapelle basse. Inscription sur un phylactère dans les peintures murales de la vie de saint Gilles (fin du xiie ou début du xiiie siècle). Cliché V. Debiais. Fig. 27 Saint-Aignan (41), collégiale, crypte, chœur. Inscription sur un phylactère dans les peintures murales de saint Jacques (1200). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 28 Frétigny (28), église, abside, voûte. Inscription sur le livre tenu par le (début du xiiie siècle). Cliché V. Debiais. Fig. 29 Frétigny (28), église, abside, mur nord. Inscriptions d’identification dans les peintures murales de la vie de saint André (début du xiiie siècle). Cliché V. Debiais. Fig. 30 Bourges (18), cathédrale, déambulatoire. Baie 14 : verrière de l'Apocalypse. Détail du Christ à l'épée (1210-1215). Cliché V. Debiais. Fig. 31 Bourges (18), cathédrale, déambulatoire. Baie 3 : verrière de la Nouvelle Alliance (1210-1215). Détail : le signe du Tau. Cliché V. Debiais. Fig. 32 Bourges (18), cathédrale, déambulatoire, chapelle nord, baie est. Verrière de l'histoire de saint Martin (1210-1215). Cliché V. Debiais. Fig. 33 Chartres (28), cathédrale, chapelle basse. Identification de Charlemagne dans les peintures murales de la vie de saint Gilles (fin du xiie ou début du xiiie siècle). Cliché V. Debiais.



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Fig. 34 Fig. 35 Fig. 36 Fig. 37 Fig. 38

Fig. 39 Fig. 40

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Angoulême (16), musée de la Ville. Citation liturgique sur un bâton épiscopal (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Orgedeuil (16), église, linteau de la porte du presbytère. Inscription funéraire pour un archiprêtre (1216). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Chartres (28), musée des Beaux-Arts, extérieur. Inscription funéraire d'Étienne Charron (1380). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Saint-Pierre-du-Lourouër (72), église, nef, mur sud. Peintures funéraires (déb. xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Mazerier (03), église. Peintures murales de l'adoration des Mages (1383). Cliché publié dans Courtillé, A., « Les peintures murales de style gothique en Auvergne », Revue d’Auvergne, t. 39, 1975, p. 259. Saint-Junien (87), collégiale, transept. Peinture monumentale de saint Christophe (début du xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Limoges (87), cathédrale. Épitaphe d’un sous-chantre (1330). Dessin publié par Texier, J., « Recueil des inscriptions du Limousin », Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 1850, pl. 22. Laval (53), prieuré Saint-Martin, abside. Épitaphe de Macé des Granges (1401 n. st.). Dessin publié par Angot, A., Épigraphie de la Mayenne…, t. I, p. 453, n° 800 Saint-Pierre-du-Lorouër (72), église, mur nord. Peintures funéraires (déb. xiiie siècle). Détail : le desservant. Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Écouis (27), église collégiale, chœur. Épitaphe d’Enguerrand de Marigny (1315). Dessin de la collection Gaignières publié par Adhémar, J., Dordor, G., «  Les tombeaux de la Collection Gaignières. Dessins d’archéologie du xviie siècle », Gazette des Beaux-Arts, 1974, t. I p. 110 (n° 596). Frétigny (28), église, abside, mur sud, scène du bas. Peintures murales de la vie de saint André (xiiie siècle). Détail: les funérailles du saint. Cliché V. Debiais. Thiron-Gardais (28), ancienne abbaye, église, nef. Pierre tombale de Jean de Chartres (1297). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. 414

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Fig. 46

Cizay-la-Madeleine (49), ancienne abbaye d’Asnières, église, chœur, côté sud. Plate-tombe d’abbé (xiiie siècle). Cliché V. Debiais. Fig. 47 et Charroux (86), ancienne abbaye, cloître. Inscriptions com47bis mémoratives pour Charlemagne et le comte Roger (xiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 48 Montbron (16), ancien prieuré Saint-Maurice, sacristie. Inscriptions funéraires de la famille Bourreau (en bas) et de Jeanne de Montbron (en haut). Cliché V. Debiais. Fig. 49 Montbron (16), ancien prieuré Saint-Maurice, église, mur sud. Épitaphe de la famille Caille de la Mothe (1240) : détail. Cliché V. Debiais. Fig. 50 Montbron (16), ancien prieuré, église, mur sud. Gisant de Robert de Montbron. Cliché V. Debiais. Fig. 51 Coulombs (28), église, revers de façade occidentale. Pierre tombale de Philippe de Sénante (1272). Détail : texte sur l’arc. Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Fig. 51bis Poitiers (86), musée Sainte-Croix. Émail de Simon le Cananéen (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 52 Nantes (44), musée Dobrée (prov.  : Vieux-Pouzauges). Croix avec titulus de la Crucifixion (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 53 Rouen (76), musée des Antiquités. Croix émaillée (première moitié du xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/ CIFM. Fig. 54 Limoges (87), Musée de la Ville. Monogramme sur une croix émaillée (numéro d’inventaire : 305 ; 1210-1230). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 54bis Limoges (87), Musée de la Ville. Monogramme sur une croix émaillée (numéro d’inventaire : 335 ; début xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 55 Châteauponsac (87), presbytère. Inventaire de reliques (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 56 Saint-Domet (23), chapelle de la Croix-au-Bost, mur nord. Peinture murale de saint Jacques, fils de Zébédée (mil. xiiie siècle). Cliché publié par Piel, C., « Actualité. Creuse. Saint-Domet, chapelle de la Croix-au-Bost. Découverte de peintures murales  », Bulletin monumental, t. 143, 1985, p. 59. Fig. 57 Poitiers (86), baptistère Saint-Jean, abside, côté nord. Histoire de Jean Baptiste (1ère moitié du xiiie siècle). Détail :

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identification de Zacharie. Cliché J.-P. Brouard CESCM/ CIFM. Pouzauges (85), Vieux-Pouzauges, église Notre-Dame-del’Assomption, nef, mur nord. Peintures murales de l’histoire de la Vierge (xiii e siècle). Détail  :  seconde Annonciation. Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Tours (37), ancienne basilique Saint-Martin, abside. Peintures du miracle du feu (xive siècle). Dessin de la collection Gaignières publié par Vieillard-Troiekouroff, M., « Une fresque de Saint-Martin de Tours d’après un dessin de Gaignières : le miracle du feu », Revue de l’Art, 1975, n° 27, p. 46. Chartres (28), cathédrale Notre-Dame, crypte. Peintures murales (début du xiiie siècle). Détail : saint Nicolas. Cliché V. Debiais. Saint-Junien (87), collégiale, nef, voûte. Peintures murales des Vieillards de l’Apocalypse (xiiie siècle). Cliché É. Sparhubert. Écouis (27), collégiale. Épitaphe de Jean de Marigny (1351). Dessin de la collection Gaignières publié par Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières…», t. I p. 140. Angers (49), cathédrale, chœur, près du grand autel. Épitaphe de Foulques de Mathefelon (1351). Dessin de la collection Gaignières publié par Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières…», t. I, p. 144 (n° 795). Le Mans (72), Séminaire, église, nef. Épitaphe de la famille d’Outreleau (c. 1370). Dessin de la collection Gaignières publié par Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières…», t. I, p. 113 (n° 614). Saint-Christophe-du-Jambet (72), église. Inscription de construction (1231) : les structures de l’ordinatio. Dessin V. Debiais. Bonneval (28), ancienne abbaye Saint-Florentin. Épitaphe de Nicolas de Frécot (xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Bonneval (28), ancienne abbaye Saint-Florentin. Épitaphe de Nicolas de Frécot (xiiie siècle). Détail : hiérarchie de la ponctuation. Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.

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Fig. 69 Fig. 70 Fig. 71 Fig. 72 Fig. 73 Fig. 74 Fig. 75 Fig. 76 Fig. 77 Fig. 78 Fig. 79 Fig. 80 Fig. 81



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Dreux (28), collégiale Saint-Etienne, nef. Épitaphe de Nicolas le Verrier (1311). Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières…», t. I, p.  107 (n° 575). Lesterps (16), collégiale, nef, mur nord. Épitaphe de l'abbé Ramnulfe (avant 1143). Cliché J. Michaud CESCM/ CIFM. Néau (53), église Saint-Vigor. Scène de la prédication à Bayeux (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Néau (53), église Saint-Vigor. Scène de résurrection (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Bourges (18), cathédrale, déambulatoire, côté nord, chapelle, baie ouest. Verrière de l'histoire de saint Denis (1210-1215). Cliché V. Debiais. Bourges (18), cathédrale, déambulatoire. Verrière de l’histoire de Jean Baptiste (1210-1215). Cliché V. Debiais. Plaimpied-Givaudins (18), église, transept, mur est. Épitaphe d’un prêtre (xiie siècle). Cliché V. Debiais. Rouen (76), musée des Antiquités. Dalle tumulaire de Felipe (mil. xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/ CIFM. Rouen (76), musée des Antiquités. Fragment de dalle tumulaire (seconde moitié xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Bourges (18), cathédrale, déambulatoire, côté sud. Vitrail de l’histoire de Joseph (1210-1215). Détail : le sommeil de Joseph. Cliché V. Debiais. Saint-Junien (87), collégiale, pilier. Peinture murale de Thomas Becket. (2ème quart du xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Frétigny (28), église, abside. Vie de saint André (début du xiiie siècle). Détail : mur nord, vocation d’André. Cliché V. Debiais. Frétigny (28), église, abside, voûte. Peintures murales du Christ en Gloire (déb. xiiie siècle). Détail  : l’alpha et l’oméga. Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Rouen (76), musée des Antiquités. Plaque centrale d’une croix émaillée (xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/ CIFM.

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Fig. 82

Saint-Clémentin (79), église paroissiale. Fragment de peintures murales (xve siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/ CIFM. Fig. 83 et 83bis Angers (49), Service départemental de l’archéologie (prov.  : Saint-Aubin). Carreaux de pavement vernissés (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 84 Antonello de Messine, saint Jérôme dans son cabinet d'étude (mil. xve siècle). Détail. Cliché National Gallery, Londres. Fig. 85 Sainte Barbe, lectrice. Tableau de Robert Campin (PaysBas, 1438). Détail. Fig. 86 Bayeux (14), musée (prov. : Fontenailles, église). Cloche (1202). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Fig. 87 Rouen (76), musée des Antiquités (prov. : cathédrale). Clef de voûte (déb. xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/ CIFM. Fig. 88 Bourges (18), cathédrale, déambulatoire. Verrière de saint Laurent (détail du registre inférieur). Cliché V. Debiais. Fig. 89 Bourges (18), cathédrale, déambulatoire. Verrière typologique de la Nouvelle Alliance (détail : registre inférieur). Cliché V. Debiais. Fig. 90 Bourges (18), cathédrale. Verrière typologique de la Nouvelle Alliance (détail : la veuve de Sarepta). Cliché V. Debiais. Fig. 91 Saint-Junien (87), collégiale, chapelle de la Vierge. Identification de Lazare (deuxième quart xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 92 Saint-Junien (87), collégiale, chapelle de la Vierge. Identification du riche (deuxième quart xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 93 Saint-Gildas-de-Rhuys (56), abbatiale, mur sud. Platetombe de Nicolas (1251). Cliché J. Michaud CESCM/ CIFM. Fig. 94 Bourges (18), cathédrale Saint-Etienne, déambulatoire, baie n° 13. Inscription partielle du Bon Samaritain. Dessin V. Debiais. Fig. 95 Toulouse (31), musée des Augustins. Épitaphe de Bernard (viiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 96 Thiron-Gardais (28), église abbatiale. Plate-tombe de Jean II de Chartres (1297). Détail : grand côté droit. Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM.



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Fig. 97

Poitiers (86), baptistère. Décollation de Jean Baptiste (début du xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/ CIFM. Fig. 98 Frétigny (28), abside, voûte. Christ en Majesté (début du xiiie siècle). Cliché V. Debiais. Fig. 99 Frétigny (28), église, abside. Livre tenu par le Christ (début du xiiie siècle). Cliché V. Debiais. Fig. 100 Saint-Pierre-du-Loroüer (72), église, nef. Scène de funérailles. Détail : livre tenu par le prêtre (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Fig. 101 Écouis (27), église, chœur. Épitaphe d’Enguerrand de Marigny (1315). Détail. Dessin de la collection Gaignières publié par Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières… », t. I p. 110 (n° 596). Fig. 102 La Cerlangue (76), église, chœur, mur sud. Peintures du collège apostolique (seconde moitié xiiie siècle). Clichés J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Fig. 103 Bourges (18), cathédrale, déambulatoire, côté nord. Verrière de l’invention des reliques de saint Étienne (12101215). Détail : registre inférieur droit. Cliché V. Debiais. Fig. 104 Bourges (18), cathédrale, déambulatoire, côté nord. Verrière de l’histoire de saint Denis (1210-1215). Registre inférieur. Cliché V. Debiais. Fig. 105 Oulins (28), église, entrée du chœur. Plate-tombe d’une femme (xive siècle ?). Cliché V. Debiais. Fig. 106 Aunay-sous-Auneau (28), église, revers de façade. Platetombe d’un clerc (xiiie siècle). Détail  : angle inférieur droit. Cliché V. Debiais. Fig. 107 Tableau récapitulatif simplifié des formes de lecture envisagées pour la fin du Moyen Âge. Fig. 108 Plan schématique de l’abbaye Saint-Ouen de Rouen. Situation de la dalle tumulaire de Nicole Le Bourgeois (1269). Fig. 109 Plan schématique de l’ancien prieuré Saint-Maurice de Montbron (16). Situation des inscriptions. Fig. 110 Comparaison formelle et linguistique de plates-tombes à inscription. À gauche : Dreux (28), Saint-Étienne, chœur. Plate-tombe de Robert V, comte de Dreux (1330)  ; à droite : Chartres (28), Saint-Père, chœur. Plate-tombe de Simon de Bérou (c. 1220).



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Saint-Germain-la-Blanche-Herbe (14), abbaye d’Ardenne, chapitre. Dalle de Geoffroy de Masviez (1231). Dessin de la collection Gaignières publié par Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières… », t. I p. 34 (n° 140). Les Sorinières (44), abbaye de Villeneuve, sacristie. Platetombe de Macé Maillard (1271). Détail : angle supérieur droit. Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières… », t. I p. 64 (n° 319). Yvré-l’Evêque (72), abbaye de l’Épau, sacristie. Plate-tombe de l’abbé Guillaume (xiiie-xive siècle). Inscription disparue. Détail : partie supérieure de la dalle. Adhémar, J., Dordor, G., «  Les tombeaux de la Collection Gaignières… », t. I, p. 34 (no 141) Cizay-la-Madeleine (49), ancienne abbaye d’Asnières, église. Vue du bras sud du transept. Cliché V. Debiais. Cizay-la-Madeleine (49), ancienne abbaye d’Asnières, église, transept. Inscription funéraire de Guillaume de Bate (xiiie siècle). Cliché V. Debiais Vieux-Pouzauges (85), église Notre-Dame de l’Assomption, nef, mur nord. Peintures murales de l’histoire de la Vierge (déb. xiiie siècle). Détail : identification d’Anne. Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Mesnard-la-Barotière (85), ancienne église Saint-Christophe, chœur. Peintures murales de l’orant à la Vierge (xiiie-xive siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Grand-Madieu (16), église, paroi nord de la fenêtre axiale. Peintures murales (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/ CIFM. Saint-Pierre-du-Loroüer (72), église, mur nord. Peintures murales (xiiie siècle). Détail : registre supérieur. Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Saint-Aubin-de-Scellon (27), église, nef. Plate-tombe de Richert (1285). Détail: angle supérieur gauche. Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Nantes (44), musée Dobrée. Agrafe dorée à devise n° 8821-540 (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Montbron (16), ancien prieuré Saint-Maurice, mur de la sacristie. Épitaphe de Jeanne de Montbron (c. 1240). Cliché V. Debiais.

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Fig. 125 Fig. 126 Fig. 127 Fig 128 Fig. 129 Fig. 130 Fig. 131 Fig. 132 Fig. 133 Fig. 134 Fig. 135 Fig. 136 Fig. 137



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Nantes (44), Cordeliers, église, nef. Tombeau de Jean et Perrot l’Epervier (xiiie siècle). Dessin de la collection Gaignières publié par Adhémar, J., Dordor, G., « Les tombeaux de la Collection Gaignières…», t. I, p. 90 (n° 472). Le Mans (72), Séminaire, église. Inscription funéraire de Guillaume d’Outreleau (c. 1370). Dessin de la collection Gaignières publié par Adhémar, J., Dordor, G., «  Les tombeaux de la Collection Gaignières…», t. I, p. 113 (n° 614). Sainte-Marie-aux-Anglais (14), église, à gauche de la fenêtre axiale. Peintures murales de saint Pierre (xiiie siècle). Cliché J.-P. Brouard CESCM/CIFM. Bourges (18), cathédrale, déambulatoire. Verrière de Jacques le Majeur (1210-1215). Détail : 1er niveau. Cliché V. Debiais. Varize (28), église, abside. Vue générale des peintures murales (xiiie siècle). Cliché V. Debiais. Cizay-la-Madeleine (49), abbaye d’Asnières, église. Vue générale du mur ouest du transept nord. Cliché V. Debiais. Saint-Junien (87), collégiale, chapelle de la Vierge. Peinture murale de saint Mathias (xiiie siècle). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM. Bourges (18), cathédrale. Plan de répartition des vitraux à inscriptions établi à partir de Les vitraux de Centre et des Pays de la Loire, Paris, CNRS, 1981. Bourges (18), cathédrale, baie n° 3. Organisation du discours iconographique. Dessin V. Debiais. Bourges (18), cathédrale, baie n° 3. Position des inscriptions. Dessin V. Debiais. Montbron (16), ancien prieuré Saint-Maurice. Vue du mur sud. Cliché V. Debiais. Montbron (16), église, mur sud. Vue générale de l’enfeu de Robert (xiiie siècle). Cliché V. Debiais. Montbron (16), prieuré Saint-Maurice. Épitaphe collective de la famille Borreau (1240). Dessin V. Debiais. Montbron (16), prieuré Saint-Maurice. Épitaphe collective de la famille Caille de la Mothe (c. 1240). Dessin V. Debiais. Montbron (16), prieuré Saint-Maurice. Épitaphe de Jeanne de Montbron (c. 1240). Dessin V. Debiais. 421

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Fig. 138 Fig. 139 Fig. 140 Fig. 141 Fig. 142 Fig. 143 Fig. 144 Fig. 145 Fig. 146 Fig. 147 Fig. 148 Fig. 149



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Montbron (16), sacristie, enfeu. Situation des textes dans la partie ouest de l’enfeu. Cliché V. Debiais. Montbron (16), église, mur sud. Circulations cloître/ église. Dessin V. Debiais. Frétigny (28), église paroissiale. Vue de l’extérieur de l’abside. Cliché V. Debiais. Frétigny (28), abside. Répartition schématique des peintures murales et des inscriptions. Dessin V. Debiais. Frétigny (28), abside, mur est. Peintures murales de la crucifixion de saint André (xiiie siècle). Cliché V. Debiais. Frétigny (28), abside, voûte. Christ en gloire (xiiie siècle). Cliché V. Debiais. Frétigny (28), abside, fenêtre est, ébrasement gauche. Peinture murale de la Justice. Cliché J.-P. Brouard CESCM/ CIFM. Poitiers (86), ferme de la Grande Vacherie. Inscription de séparation de propriété (1332). Cliché J. Michaud CESCM/ CIFM. Mehun-sur-Yèvre (18), église. Vue générale du mur extérieur sud. Cliché V. Debiais. Cizay-la-Madeleine (49), ancienne abbaye d'Asnières. Situation des inscriptions. Dessin V. Debiais. Cizay-la-Madeleine, abbaye d’Asnières, église, transept. Épitaphe de Guillaume de Bate (xiiie siècle). Cliché et dessin V. Debiais. Cizay-la-Madeleine (49), abbaye d’Asnières, mur sud, près de la porte d’entrée. Inscription cursive (1299). Cliché J. Michaud CESCM/CIFM.

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