Bosch 9781780421674, 1780421672

Jérôme Bosch (1450-1516) est issu d'une famille modeste venue s'installer aux Pays-Bas deux siècles plus to

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Bosch
 9781780421674, 1780421672

Table of contents :
Content: Avant-Propos
Biographie
Liste des illustrations.

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Bosch

Page 4 : Anonyme, Portrait de Hieronymus Bosch, vers 1550. Craie rouge et noire, 41 x 28 cm. Bibliothèque municipale, Arras.

Auteur : Virginia Pitts Rembert Traduction : Karin Py avec la participation de Yassana Croizat

© Parkstone Press International, New York, USA © Confidential Concepts, worldwide, USA

Mise en page : Baseline Co Ltd. 33 Ter - 33 Bis Mac Dinh Chi St., Star Building ; 6e étage District 1, Hô Chi Minh-Ville Vietnam Tous droits d’adaptation et de reproduction réservés pour tous pays. Sauf mention contraire, le copyright des œuvres reproduites se trouve chez les photographes qui en sont les auteurs. En dépit de nos recherches, il nous a été impossible d’établir les droits d’auteur dans certains cas. En cas de réclamation, nous vous prions de bien vouloir vous adresser à la maison d’édition. ISBN : 978-1-78042-167-4

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Avant-Propos « La différence entre les œuvres de ce peintre et celles des autres : ils cherchent à peindre les hommes tels qu’ils apparaissent vus du dehors, lui cherche à les peindre tels qu’ils sont dedans, à l’intérieur...» — Juan de Siguenza

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Biographie 1453 :

Naissance de Hieronymous Van Aken à Bois-le-Duc, où sa famille, d’origine modeste, probablement originaire d’Aix-la-Chapelle (Van Aken signifie : d’Aix-la-Chapelle), est établie depuis au moins deux générations. Des documents attestent la présence à Bois-le-Duc d’ancêtres du peintre dès la fin du XIVe siècle. Son père Anthonis Van Aken et son grand père Jan exercent le métier de peintre. On sait avec certitude que Jérôme Bosch est né dans une famille de peintres et d’artistes mais on ne connaît rien de sa formation. On peut supposer qu’il fit son apprentissage dans le cadre de la famille. Le surnom de Bosch viendrait du nom flamand de la ville de Bois-le-Duc : Hertogen Bosch, en particulier du nom abrégé : den Bosch. Bois-le-Duc se situe dans le Brabant hollandais et est la quatrième ville du duché, au XVe siècle. Il n’y avait pas à Bois-le-Duc de résidence princière comme à Bruxelles, Lille ou Louvain, ni de grandes familles nobles comparables aux Nassau de Breda ou d’autres mécènes des Pays-Bas. Les grands commanditaires manquaient donc en dehors de ceux de la ville elle même qui, malgré son activité, ne pouvait rivaliser avec les grandes autres cités du Duché.

1474 :

Date de la première mention dans les archives de « Jeronimus ». Elle concerne une transaction effectuée avec sa sœur. Il est mentionné peintre pour la première fois en 1480.

1481 :

Il épouse Aleyt Van den Mervenne, une riche aristocrate. On ne sait si le couple eut des enfants. Aleyt survécut à son époux et mourut en 1522-23, à un âge fort avancé car on sait qu’elle était l’aînée de près de vingt ans du peintre. La situation financière de la famille et en particulier celle du ménage de Jérôme Bosch devait être confortable si on en croit les archives qui nous sont parvenues. De ces éléments d’archives, on peut affirmer que Bosch possédait des biens, les uns sans doute hérités de 5

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sa famille, d’autres reçus en héritage par sa femme. Les revenus de son travail devaient être appréciables si on en juge les taxes élevées qu’il payait par rapport à la moyenne des habitants. Bosch se situait donc parmi les plus riches habitants de Bois-le-Duc. 1486 :

À partir de cette date, il est cité comme membre de la confrérie Notre-Dame. L’adhésion à cette confrérie était déjà une longue tradition familliale puisque certains membres de la famille Van Aken sont inscrits dès la fin du XIVe siècle. Les confréries en l’honneur de la Vierge se multiplient au cours des XIIIe et XIVe siècles. La plupart des villes des Pays-Bas disposent bientôt de leur propre institution. Du temps de Bosch, le nombre d’hommes et de femmes inscrits à la confrérie de Bois-le-Duc devait être considérable. Le but de la confrérie était essentiellement la dévotion à Marie et parfois la distribution de secours aux pauvres. Cette association pieuse joua semble-til un rôle important dans la ville, tant au point de vue religieux qu’au point de vue artistique ou social. Elle effectua en effet de nombreuses commandes auprès d’artistes locaux et extérieurs pour la décoration de ses chapelles. Deux volets peints d’un retable sculpté par Van Wessel vers 1475-1476 sont attribués à Bosch. Il exécuta des travaux à la demande de la confrérie de Notre-Dame. Il ne s’agit pas de peinture de chevalet mais de travaux modestes comme en réalisèrent la plupart des peintres au XVe siècle.

1493-1494 :

Il dessine des cartons de vitraux et collabore à l’exécution d’un panneau portant les noms des membres de la confrérie.

1504 :

Philippe le Beau, souverain des Pays-Bas et roi de Castille commande le Jugement dernier.

1508-1509 :

Il aurait effectué la dorure et la polychromie d’un retable d’une chapelle de Notre-Dame. On lui doit aussi le modèle d’une croix (1511-1512).

1516 :

Mort du peintre à Bois-le-Duc. 7

E

n 1951, l’ouvrage de Wilhem Fränger Le Royaume millénaire de Jérôme Bosch : fondements d’une interprétation fut traduit

en anglais. Le livre fit sensation, à la fois auprès du public et auprès des spécialistes. Un article sur le livre accompagné d’illustrations en couleurs dans Life Magazine fit beaucoup pour la popularité de Bosch, car on n’avait rien publié de comparable sur lui jusque-là.

L’Homme-Arbre Vers 1470 Plume et bistre, 27,7 x 21,1 cm Albertina, Vienne

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L’interprétation de Fränger selon laquelle Bosch n’avait pas réalisé ses retables dans un but religieux orthodoxe mais afin d’être utilisés par des cultes pseudo-religieux, fut présentée comme un tournant décisif dans l’appréhension de cet artiste énigmatique. Bien que la plupart des historiens de l’art qui se sont intéressés à Bosch dans les années suivant la mort de Fränger en 1964 aient abandonné ses idées,

L’Adoration des Mages Vers 1470-1475 Huile et or sur bois, 71,1 x 56,5 cm The Metropolitan Museum of Art, New York

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il en reste quelques-uns qui continuent à partager l’idée que le grand maître d’un culte d’Adamites avait dicté à Bosch une imagerie secrète, révélée plus tard dans son grand tableau du Musée du Prado, Le Jardin des délices, et dans plusieurs œuvres mineures. Les commentateurs qui ont écrit à son propos pendant les cinq siècles suivant sa mort lui ont forgé une telle réputation de « faizeur de diables »

L’Adoration des Mages (détail) Vers 1470-1475 Huile et or sur bois The Metropolitan Museum of Art, New York

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(Gossart), que jusqu’à l’époque moderne on le considéra à peine comme un artiste. C’était surtout ses descriptions hallucinantes de scènes de l’enfer qui suscitèrent une telle attention. Quand il représentait les créatures et les décors de ces « enfers » avec un naturalisme infiniment détaillé, ils étaient si convaincants qu’ils semblaient une pure évocation.

L’Adoration des Mages (détail) Vers 1470-1475 Huile et or sur bois The Metropolitan Museum of Art, New York

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Pour un esprit médiéval, l’homme qui pouvait révéler si directement ses angoisses les plus intenses devait être un sorcier ou un fou, peut être l’instrument du Diable lui-même. Les commentateurs plus tardifs ont, soit repris ce point de vue, soit, conséquence rationaliste de la Renaissance et de la Réforme, fait passer Bosch pour ce que le Moyen-Âge pouvait offrir de pire. Quand il était mentionné, c’était plus comme un phénomène étrange que comme un artiste.

L’Adoration des Mages (détail) Vers 1470-1475 Huile et or sur bois The Metropolitan Museum of Art, New York

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Finalement Bosch tomba dans l’oubli. Il se passa au moins deux siècles avant qu’on assiste à un regain d’intérêt à son égard à la fin du XIX e siècle. Plus que toute autre époque auparavant, le XXe siècle porta un réel intérêt à cet homme en tant qu’artiste et cet intérêt, presque passionnel et continu, perdure au XXIe siècle.

Ecce Homo 1475-1480 Tempera et huile sur chêne, 71 x 61 cm Städel Museum, Francfort-sur-le-Main

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On s’attendrait à ce que les écrivains italiens de la Haute Renaissance soulignent l’étrangeté du peintre, ses conceptions étant tellement opposées à celles du Sud de l’Europe. L’historien florentin Guicciardini, dans sa Description de tous les Pays-Bas (1567) fait référence à « Jérôme Bosch de Bois-le-Duc, inventeur très noble et admirable de choses bizarres et fantastiques… ».

Le Magicien 1475-1480 Huile sur panneau, 53 x 75 cm Musée municipal, Saint-Germain-en-Laye

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En 1568, l’historien italien des artistes, Vasari, qualifia l’invention boschienne de « fantastiche e capricciose ». Lomazzo, l’auteur du Traité sur l’Art de la Peinture, la Sculpture et l’Architecture, publié la première fois en 1584, parla du « Flamand Girolamo Bosch, qui en représentant des apparences étranges, et des rêves effrayants et horribles, était unique et réellement divin ».

Enfant au trotteur (revers du Christ portant la Croix) Vers 1480-1490 Huile sur panneau, diamètre : 28 cm Kunsthistorisches Museum, Vienne

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À la même époque en Europe du Nord, on émettait des opinions semblables à propos de l’œuvre du peintre, seuls ses démons et ses enfers étant mentionnés à l’exclusion de toute autre chose. L’historien néerlandais, Marc Van Vaernewijck (1567), appela Bosch « le créateur de diables, car il n’avait pas de rival dans l’art de représenter des démons » (1:137).

Le Christ portant la Croix Vers 1480-1490 Huile sur bois, 57 x 32 cm Kunsthistorisches Museum, Vienne

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Carel Van Mander, le Vasari du Nord, considérant l’ensemble des œuvres de Bosch, se contenta d’observer qu’il s’agissait de « peintures macabres de spectres et de fantômes horribles venus de l’enfer ». De nombreux commentaires de la même veine commencèrent à apparaître en espagnol, dus à l’arrivée en Espagne de nombreux tableaux de Bosch au milieu du XVIe siècle. Le roi Philippe II lui-même était principalement responsable de la popularité du peintre en Espagne.

La Mort et l’avare Vers 1485-1490 Huile sur panneau, 93 x 31 cm National Gallery of Art, Washington, D.C.

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En 1581, quand le roi se rendit à Lisbonne, il exprima dans une lettre à ses deux filles le regret qu’elles n’aient pas été avec lui pour assister à la procession du Corpus Christi « … bien que, ajoutaitil, votre petit frère s’il avait été présent aurait peut-être été effrayé par certains diables qui ressemblaient à ceux des tableaux de Hieronymous Bosch ». Philippe possédait trente-six de ces tableaux,

La Mort et l’avare (détail) Vers 1485-1490 Huile sur panneau National Gallery of Art, Washington, D.C.

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fait étonnant quand on estime que la production totale de Bosch fut d’à peine quarante œuvres. Une aussi grande collection constituée aussi rapidement après la mort du peintre témoigne de la fascination du roi, un état d’esprit qui suscita certains des premiers écrits pénétrants sur l’œuvre de Bosch. Ceci parce que le moine Joseph de Siguença, qui procéda à l’inventaire de la collection du roi peu de temps après la mort de Philippe en 1598,

L’Extraction de la pierre de folie Vers 1490 Huile sur panneau, 47,5 x 34,5 cm Musée du Prado, Madrid

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se sentit obligé d’excuser l’intérêt obsessionnel de celui-ci pour Bosch. Peut-être Frère Joseph craignait-il les conséquences d’une attention destructrice de la part de l’Inquisition, car il écrivit une défense élaborée de l’orthodoxie du peintre et de sa fidélité à la nature : « Parmi les tableaux allemands et flamands qui, comme je l’ai dit, sont nombreux, beaucoup de tableaux de Jérôme Bosch sont disséminés à travers le palais (El Escorial) ;

L’Extraction de la pierre de folie (détail) Vers 1490 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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pour différentes raisons, je voudrais parler un peu plus longuement de ce peintre, car son grand génie le mérite, bien que des gens qualifient ses œuvres en général d’absurdités, gens qui ne regardent pas très attentivement ce qu’ils contemplent, et je pense que c’est pour cette raison qu’il est injustement accusé d’être hérétique. Pour commencer j’ai de la piété et du zèle du roi, notre fondateur,

Calvaire avec donateur Vers 1490 Huile sur panneau, 74,7 x 61 cm Musées royaux des Beaux-Arts, Bruxelles

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une opinion telle que (je pense que) s’il (Bosch) avait été un hérétique, il (le roi) n’aurait pas admis ces tableaux dans son palais, dans ses couvents, dans sa chambre à coucher, dans le Chapitre de ses ordres, dans sa sacristie alors qu’au contraire tous ces lieux en sont décorés. À part cette raison, qui me semble très importante, il en est une autre que je déduis de ses tableaux car on peut y voir presque tous les

La Tentation de saint Antoine Vers 1490 Huile sur panneau, 73 cm x 52,5 cm Musée du Prado, Madrid

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sacrements, titres et degrés de l’Église, du pape jusqu’au plus humble, deux points sur lesquels tous les hérétiques sont défaillants, et il les a peints

avec

zèle

et

un

sens

aigu

de

l’observation, ce qu’il n’aurait pas fait en tant qu’hérétique, et avec les mystères de notre Salut, il a accompli les mêmes choses. Je voudrais

démontrer

maintenant

que

ses

tableaux ne sont pas du tout (des absurdités),

Saint Christophe Vers 1490 Huile sur panneau, 113 x 72 cm Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

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mais sont au contraire comme des livres de grande sagesse et de grand art, et si on y trouve des actions ridicules, ce sont les nôtres, pas les siennes, et disons-le, il s’agit d’une satire peinte des péchés et de l’inconstance des hommes. » Une réaction intéressante et opposée à celle du moine fut celle de Francesco Pacheco, le maître et le beau-père de Velázquez, écrite plus tard en 1649 :

Ecce Homo Vers 1490 Huile et or sur panneau, 52,1 x 54 cm Philadelphia Museum of Art, Philadelphie

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« Il y a assez de documents qui parlent de choses supérieures et plus difficiles, les personnages, si on trouve du temps pour de tels plaisirs, qui sont toujours méprisés par les grands maîtres. Néanmoins certains recherchent ces plaisirs. C’est le cas des idées ingénieuses de Jérôme Bosch telles que la diversité de formes qu’il donna à ses démons, invention qui plut tellement à notre roi Philippe II, ce qui est prouvé par le grand nombre de tableaux qu’il accumula.

Le Couronnement d’épines Vers 1490-1500 Huile sur panneau, 73,8 x 59 cm The National Gallery, Londres

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Mais le frère de Siguenza les admire d’une manière excessive, faisant de ces fantaisies des mystères que nous ne recommanderions pas à nos peintres. Et nous passons à des sujets de tableaux plus agréables. » [Pacheco était un peintre espagnol et un théoricien de l’art de la période entre le maniérisme et le baroque. Il avait rejeté la délectation du maniérisme pour la forme seule et tournait son intérêt vers l’illusionnisme naturaliste.

Le Vagabond 1490-1505 Huile sur panneau, 71 x 70,6 cm Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

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De ces deux points de vue, il ne pouvait trouver acceptable l’œuvre de Bosch. Bien que Pacheco se soit intéressé à Bosch en tant qu’artiste, il l’avait fait passer pour un excentrique bizarre, et cette réputation devait coller au peintre pour les deux siècles et demi qui suivirent. Durant cette période, les spécialistes s’intéressèrent peu à l’art du Nord de l’Europe ; et quand on en parlait, Bosch restait dans l’ombre des grands peintres néerlandais, de Van Eyck à Brueghel.

La Nef des fous Après 1491 Huile sur panneau, 58 x 33 cm Musée du Louvre, Paris

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Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’une recherche académique digne de ce nom commença à se pencher sur l’œuvre du peintre. Peut-être était-ce la conséquence de l’impulsion réaliste qui s’empara de la peinture du milieu du siècle. Les historiens recherchèrent alors les précurseurs de ce réalisme dans le passé. Ils s’intéressèrent de nouveau à l’art flamand et en remettant Brueghel en valeur, ils « découvrirent » Bosch.

L’Allégorie de la Débauche et du Plaisir Vers 1495-1500 Huile sur panneau, 35,9 x 31,4 cm Yale University Art Gallery, New Haven

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Des historiens comme Ebelling et Mosman compulsèrent les anciens registres de sa ville natale de Bois-le-Duc, une cité hollandaise près de la frontière allemande, mais les résultats furent décevants. La date du décès de Bosch, 1516, fut découverte dans un registre de noms et d’armoiries. On ne trouva pas sa date de naissance, mais parce que son portrait, retrouvé

Nid de chouettes Plume et bistre, 14 x 19,6 cm Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

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dans le Codex d’Arras, représentait un homme d’environ soixante ans, on estima qu’il avait dû naître aux environs de 1450. Entre ces dates, il est fait quelques références à Bosch dans les archives de la Confrérie de Notre Dame de Bois-le-Duc. Plusieurs articles mentionnent des sommes qu’il reçut en paiement de travaux qui lui avaient été commandés.

Chanteurs dans un œuf Huile sur panneau, 108,5 x 126,5 cm Musée des Beaux-Arts, Lille

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Tout cela ne nous apprend rien sur les détails essentiels de la vie de Bosch, sauf que, puisqu’on l’a qualifié une fois de « peintre illustre », il est évident que ses compagnons avaient une haute opinion de son talent d’artiste. Il n’y a aucune raison de penser, du moins si l’on s’en tient à ces mentions, que ses amis le considéraient comme un magicien ou comme un fou. Quant à son ascendance, comme le nom de Bosch était

Triptyque de Job Vers 1500 Huile sur panneau, 98,3 x 132,8 cm Groeninge Museum, Bruges

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souvent accompagné du suffixe Van Aken, on a pensé que ses aïeux provenaient d’Aix la Chapelle, sur la frontière entre l’Allemagne et la Hollande. Il était fait mention de cinq Van Aken dans les archives de la ville avant l’époque de Hieronymous. L’un d’eux, un maître du nom de Jan Van Aken, est nommé dans les archives de la Cathédrale St Jean de Bois-le-Duc, les références couvrant plusieurs années (1423-1434).

Triptyque de Job (extérieur) Vers 1500 Huile sur panneau Groeninge Museum, Bruges

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Les historiens crurent qu’il s’agissait du grandpère de Hieronymous et probablement de l’artiste auteur de la fresque de la cathédrale, considéré comme ayant eu une influence primordiale sur son petit-fils. En 1464, il est fait référence à Laurent Van Aken, peut-être le père de Hieronymous, citoyen de Bois-le-Duc. Voilà l’étendue des données factuelles précises concernant l’artiste.

Triptyque du Jugement dernier Huile sur panneau, 99,5 x 60,3 cm (panneau central), 99,5 x 29 cm (chaque volet) Groeninge Museum, Bruges

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Les historiens furent obligés de rechercher des indices dans les tableaux eux-mêmes, mais aucun d’eux n’était daté et aucun n’était mentionné dans les écrits contemporains. Ce n’est qu’avec l’ouvrage définitif de Charles de Tolnay, écrit en 1937, que fut établie une chronologie satisfaisante, et que furent distinguées les œuvres de la propre main de Bosch de celles exécutées par ses élèves ou ses copistes. Tolnay s'appuya directement sur les preuves techniques fournies par les tableaux.

Christ portant la Croix Après 1500 Huile sur panneau, 74 x 81 cm Museum voor Schone Kunsten, Gand

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Il nota que le débutant se trahit par un certain archaïsme, personnages raides, aux torses trop longs et aux gestes maladroits, n’ayant pas de véritable existence dans l’espace ni de relations entre eux ou avec l’arrière-plan, portant des vêtements aux plis peu nombreux et arbitraires. En

observant

ces

caractéristiques

dans

certaines œuvres de Bosch, il fut capable d’identifier une évolution convaincante, des œuvres à l’évidence de jeunesse à celles qui sans aucun doute s’y opposaient par le style et la conception.

L’Ascension au paradis (panneau gauche du triptyque des Visions de l’au-delà) 1500-1504 Huile sur panneau, 86,5 x 39,5 cm Palazzo Ducale, Venise

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Tolnay

démontra

avec

succès

que

Bosch

progressa constamment jusqu’à devenir un grand paysagiste et un talentueux coloriste. Quoiqu’il n’ait jamais atteint le raffinement des maîtres italiens de la Haute Renaissance, il créa cependant dans ses dernières œuvres un effet de sfumato qui unissait les personnages et l’arrière-plan dans un tout harmonieux.

L’Ascension au paradis (panneau droit du triptyque des Visions de l’au-delà) 1500-1504 Huile sur panneau, 86,5 x 39,5 cm Palazzo Ducale, Venise

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Le travail de Tolnay dans ce sens était si convaincant que les auteurs ultérieurs considérèrent ses classifications comme presque incontournables. On assista aussi à des tentatives approfondies de clarifier le contenu. Selon Tolnay : « Les auteurs les plus anciens, Lampsonius et Carel Van Mander, se sont intéressés à l’aspect le plus évident, au contenu ; leur conception de Bosch,

La Chute des damnés (panneau gauche du triptyque des Visions de l’au-delà) 1500-1504 Huile sur panneau, 86,5 x 39,5 cm Palazzo Ducale, Venise

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inventeur de diableries fantastiques et de scènes infernales, qui prévaut encore aujourd’hui (1937) dans le grand public, prévalut chez les historiens jusqu’à la fin du XIXe siècle ». Ensuite, ceux des historiens qui voyaient dans le peintre un précurseur du réalisme prirent la direction opposée. Ils étudièrent ses œuvres en s’intéressant aux influences extérieures comme la littérature, la tradition artistique du Nord,

La Chute des damnés (panneau droit du triptyque des Visions de l’au-delà) 1500-1504 Huile sur panneau, 86,5 x 39,5 cm Palazzo Ducale, Venise

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les événements historiques et l’interprétation médiévale de la Bible. Aucune de ces sources ne produisit de résultat concluant sur la signification de l’imagerie cryptique de Bosch. Dans ce domaine, l’une des plus fines analyses fut de nouveau celle de Tolnay. Il alla loin dans l’établissement des courants qui influencèrent une grande partie de l’iconographie boschienne.

Jardin des délices Vers 1500-1505 Huile sur panneau, 220 x 389 cm Musée du Prado, Madrid

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Plus important, il introduisit une connaissance de la psychologie freudienne, révélant ainsi la remarquable prescience de Bosch pour cette discipline. Dans son ouvrage Jacques Combe suivit les pas de Tolnay, et reconnut continuellement sa dette envers son prédécesseur, mais son étude ne constituait pas une simple imitation. Il suggéra de nombreuses sources de symbolisme ignorées par Tolnay, comme l’alchimie et le tarot.

Jardin des délices (panneau gauche : Le Paradis) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Il présenta de très bons arguments visant à associer l’idéologie de Bosch et celle du mystique néerlandais du XIVe siècle, Jan Van Ruysbroek. Un disciple de Ruysbroek, Gérard Groote, avait répandu les préceptes de son mentor en fondant l’association des Frères de la Vie en commun, dont plusieurs ordres prospérèrent dans la Hollande du XVe siècle. Comme au cours du siècle,

Jardin des délices (détail du Paradis) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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deux écoles de cet ordre s’étaient installées à Bois-le-Duc, Combe pensait que Bosch pouvait bien avoir été influencé par leurs enseignements. Il défendit cette idée en citant de nombreux passages des écrits de Ruysbroek, qui semblent expliquer certaines images des tableaux. Objet d’une attention académique aussi respectable, Bosch était enfin, au milieu du XXe siècle, considéré comme un artiste significatif.

Jardin des délices (détail du Paradis) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Ses œuvres possédaient un très grand intérêt pour elles-mêmes et pas seulement parce qu’elles avaient influencé Brueghel. Elles constituaient un lien, détourné peut-être, mais pertinent avec la « tradition picturale flamande », avec son curieux mélange de naturalisme et de symbolisme. Les travaux de Tolnay, conjugués avec l’intérêt croissant pour le surréalisme, avaient suscité une grande curiosité pour Bosch, peintre de l’imaginaire.

Jardin des délices (détail du Paradis) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Plusieurs articles sur Bosch furent alors publiés dans les périodiques américains les plus populaires, ainsi que dans des revues d’art. Les articles de vulgarisation présentaient Bosch comme un fantaisiste du passé, intéressant, presque farfelu et un précurseur du surréalisme dans sa bizarrerie. Dans quelques livres écrits ou traduits en anglais, les auteurs les plus érudits poursuivaient leur recherche des origines exactes du symbolisme boschien dans des sources extérieures.

Jardin des délices (détail du Paradis) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Implicitement, ils croyaient que les symboles de Bosch, aussi énigmatiques fussent-ils, illustraient des images déjà formées en littérature ou dans la tradition, et qu’avec assez d’efforts, on arriverait à découvrir ces sources et son imagerie deviendrait compréhensible. En 1947, avec la publication en allemand et la traduction en anglais du livre de Wilhem Fränger,

Jardin des délices (panneau central) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Le Millénaire de Hyeronimus Bosch (publié par l’Université de Chicago en 1951), la recherche boschienne prit une nouvelle orientation. Fränger pensait lui aussi que la clef du mystère de l’artiste se trouvait en dehors du domaine de l’art, mais que les sources de son symbolisme n’étaient pas multiples, mais uniques. Il soutint qu’aucun des historiens n’avait conçu l’idée que Bosch pouvait avoir assombri son imagerie avec un but secret en tête,

Jardin des délices (détail du panneau central) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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celui de présenter le message d’une société à laquelle il appartenait. Si c’était vrai, la réponse à l’énigme de l’artiste se trouverait en un endroit, et non en plusieurs. En fait, Fränger remit en cause toutes les études précédentes de l’œuvre de Bosch. Insatisfait par leur tendance à accorder trop d’importance aux démons et aux enfers du peintre, il croyait que ni les scènes individuelles d’enfers, ni les tableaux dans leur ensemble n’avaient jamais été compris dans leur contexte correct.

Jardin des délices (détail du panneau central) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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L’étude de Fränger représentait un tournant radical par rapport à toutes les interprétations précédentes. Wilhem Fränger commença son étude de Hieronymous Bosch en déplorant le « commun malentendu » dont le maître avait été victime et qui consistait à faire passer son œuvre pour un simple enfantillage. Fränger insistait sur le fait que chez Bosch, les symboles « impliquent une parfaite simultanéité de vision et de pensée » et doivent être traités de cette façon.

Jardin des délices (détail du panneau central) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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L’auteur considérait toute autre approche comme « fragmentaire » et il présentait donc son étude comme une vue totale. Pour comprendre pourquoi le peintre aurait créé un symbolisme muet, l’historien de l’art passa en revue l’ensemble des tableaux, séparant ceux qui étaient énigmatiques dans leur contenu de ceux qui ne l’étaient pas ou peu.

Jardin des délices (détail du panneau central) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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C’est seulement si les « mystères bizarres » sur lesquels était basée la réputation de Bosch se retrouvaient dans tous ses tableaux qu’on pourrait les qualifier de « fantasmagories irresponsables d’un extatique ». Fränger constata que le contenu déviant n’existait que dans un groupe clairement défini de retables, les trois grands triptyques du Jardin des délices, la Tentation de saint Antoine de Lisbonne et le Chariot de foin.

Jardin des délices (détail du panneau central : le portrait de Bosch au sein d’un groupe de personnages) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid 92

En revanche, on ne retrouvait que peu de ce symbolisme dans des tableaux comme l’Adoration des Mages du Prado ou le Triptyque de la crucifixion de sainte Julie de Venise. Il était absent ou pratiquement dans les tableaux restants, comme ceux sur les thèmes de la Passion ou de l’Adoration des Mages. Il en conclut donc qu’on pouvait faire une distinction

Jardin des délices (panneau droit : L’Enfer) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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arbitraire entre deux groupes principaux : les œuvres globalement traditionnelles, manifestement créées pour l’Église d’une part, et les nontraditionnelles, disparates d’autre part. Fränger se concentra sur le second groupe, suggérant que les œuvres qui le composaient ne pouvaient avoir été réalisées pour une congrégation ecclésiastique parce qu’elles contenaient des attaques anticléricales, descriptions de moines et de nonnes dans des attitudes scandaleuses.

Jardin des délices (détail de L’Enfer) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Ces retables ne pouvaient pas non plus avoir été faits pour célébrer un culte païen, car ils attaquaient également les « prêtres » païens et les excès de leurs rites. Cependant les retables suggéraient une forme de pieux mécénat. Les principales cibles de leurs attaques laissaient penser qu’il s’agissait d’un groupe situé en-dehors de l’Église,

Jardin des délices (détail de L’Enfer) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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condamnant d’un côté les fautes des ecclésiastiques et combattant en même temps les nombreux cultes mystérieux de l’époque. Le seul type de société pouvant correspondre à cette définition, selon Fränger, devait être une secte hérétique militante. Poursuivant un idéal contraire à l’enseignement de l’Église, une telle secte serait amenée à lutter contre la toute puissante tradition, mais de l’autre côté considérerait les abominations païennes comme tout aussi odieuses.

Jardin des délices (détail de L’Enfer) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Si Bosch peignait un retable pour un groupe de ce genre, il reflèterait « ce combat sur les deux fronts, dans toute sa tension » et ses « excentricités » s’expliqueraient. Selon Fränger, toutes les interprétations précédentes qui n’approchaient pas le symbolisme de Bosch en utilisant ce système de référence faisaient fausse route. Ne comprenant pas Bosch, la plupart des commentateurs pensaient qu’il n’avait pas eu

Jardin des délices (détail de L’Enfer) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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l’intention de communiquer, et que les créatures habitant ces tableaux étaient simplement des « fantômes de l’enfer ». Cette approche donnait une importance particulière aux scènes infernales, ce que Bosch n’avait peut être pas recherché. Certes, ce sont des scènes qui prennent place dans les plus horribles des enfers, mais elles sont toujours contrebalancées sur l’autre panneau du retable par « un impeccable anachorète, ou par le Mont Ararat ou par le Jardin d’Eden ».

Jardin des délices (détail de L’Enfer) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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En d’autres termes, si Bosch donnait une importance égale aux « scènes idéales », ne pouvons-nous pas en conclure qu’il voulait les mettre en valeur en les opposant ainsi à l’Enfer ? Cela renforçait la théorie de Fränger sur la secte hérétique, parce qu’ainsi les scènes plus positives de Bosch reflèteraient l’idéalisme d’un tel groupe. Fränger répondit à sa propre question sur la nature spécifique du culte commanditaire du retable en concluant qu’il devait s’agir d’un culte adamite.

Jardin des délices (détail de L’Enfer) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Pour preuve irréfutable de sa théorie, Fränger citait le procès-verbal d’un jugement de 1411 à la cour épiscopale de Cambrai, au cours duquel un moine carmélite, Willem Van Hildernissen fut accusé d’hérésie. Cet homme était l’un des dirigeants des Homines Intelligentiae de Bruxelles, une branche radicale d’un mouvement religieux actif sur un territoire qui s’étendait de la Rhénanie aux Pays-Bas.

Jardin des délices (détail de L’Enfer) Vers 1500-1505 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Se basant sur les conclusions qu’il tira de certaines dépositions contenues dans le procèsverbal, Fränger se convainquit lui-même qu’il s’agissait du groupe pour lequel Bosch avait exécuté son retable. Ses membres se nommaient eux-mêmes « les Frères et Sœurs du Libre Esprit » persuadés d’être l’incarnation du Saint Esprit. Grâce au pouvoir de ce dernier, ils atteignaient une spiritualité les immunisant contre le péché,

Jardin des délices (panneaux extérieurs : La Création du monde) Vers 1500-1505 Huile sur panneau, 220 x 97 cm (chaque volet) Musée du Prado, Madrid

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même celui de la chair et de sa sujétion aux désirs sexuels, ce qui leur permettait de vivre sur terre dans un état d’innocence paradisiaque. Voilà bien assez d’arguments de la part de Fränger

pour

illustrer

la

nature

de

son

interprétation et son mode de pensée si caractéristique, analyse profondément rationnelle en effet et d’une logique brillante, extrêmement convaincante en surface.

Le Chariot de foin (panneau gauche : Le Paradis, panneau central : Le Chariot de foin, panneau droit : L’Enfer) Huile sur panneau, 140 x 200 cm Monasterio de El Escorial, San Lorenzo de El Escorial

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Cependant, lorsqu’on y regarde de plus près, c’est la logique du chercheur et non celle de Bosch qu’il révélait. Ce que Fränger faisait ici de façon cohérente consistait à suivre un système de raisonnement qui posait une hypothèse comme point de départ arbitraire et ensuite, par le biais de déductions fallacieuses, arrivait à d’autres hypothèses engendrant les conclusions qui en découlaient,

Saint Jean à Patmos 1504-1505 Huile sur panneau de chêne, 63 x 43,3 cm Staatliche Museen zu Berlin, Berlin

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et ainsi ad infinitum. Ainsi s’élaborait une construction de l’esprit dont aucun élément ne pouvait être retiré sans nuire au tout ou expliqué sans référence à ce tout. Mais la structure entière reposait sur l’hypothèse d’origine, une base certes bien vacillante. L’hypothèse de Fränger était la suivante : les peintures contenant une grande part du symbolisme énigmatique de Bosch et réalisées sous forme de retables devaient avoir eu un dessein pieux.

Saint Jean à Patmos (détail) 1504-1505 Huile sur panneau de chêne Staatliche Museen zu Berlin, Berlin

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Elles recèlent des invectives contre le clergé et contre le paganisme qui ne peuvent avoir été conçues ni pour l’Église, ni pour un groupe païen. Puisque ce n’était pas dans les habitudes d’un peintre du Haut Moyen-Âge de peindre pour son propre plaisir, et qu’il est inimaginable que des commanditaires privés puissent avoir désiré des retables aussi étranges pour leurs propres chapelles,

Saint Jean à Patmos (extérieur) 1504-1505 Huile sur panneau de chêne Staatliche Museen zu Berlin, Berlin

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il doit donc y avoir eu un groupe en dehors de l’Église, agissant entre sa discipline sévère et l’anarchie païenne, mais les combattant toutes deux. Par conséquent, ces œuvres doivent avoir été réalisées pour une secte hérétique, forcée de cacher ses idées derrières des symboles secrets dont l’explication pourrait éclairer les figures énigmatiques de Bosch. Pour Fränger, il s’agissait sans aucun doute du culte adamite.

Saint Jean à Patmos (détail de l’extérieur) 1504-1505 Huile sur panneau de chêne Staatliche Museen zu Berlin, Berlin

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Les

arguments

de

l’hypothèse

sont-ils

défendables ? Le fait que nous ayons affaire à une forme traditionnelle de retable implique pour l’historien un dessein pieux, et c’est pourquoi il lui fallait rechercher le type de groupe susceptible d’utiliser les retables de Bosch dans ce sens. Il n’est pas absolument nécessaire, cependant, de penser à ces peintures en des termes de piété.

Saint Jean à Patmos (détail de l’extérieur) 1504-1505 Huile sur panneau de chêne Staatliche Museen zu Berlin, Berlin

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Ce n’était pas une époque où l’on adhérait strictement à la tradition. L’Europe du Nord connut à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle une grande période de transition. Déjà, l’influence de la Renaissance en provenance du Sud s’était fait ressentir, entraînant l’évincement de nombreuses vieilles formes et habitudes. La sécularisation allait grandissant, étendant le mécénat des artistes bien au-delà du domaine de l’Église.

Les Sept Péchés capitaux Fin du XVe siècle Huile sur panneau, 120 x 150 cm Musée du Prado, Madrid

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Il est probable que la forme du retable aura été utilisée pour une peinture non religieuse à la demande d’un mécène privé, simplement parce que cette forme ouvrait les portes d’une complexité mystérieuse. Le succès populaire de l’artiste est révélé par le fait que son style et son traitement du sujet furent très rapidement adoptés par des artistes tels que Huys et Brueghel.

Les Sept Péchés capitaux (détail : La Colère) Fin du XVe siècle Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Il se peut que Bosch peignît pour un public ravi, par trop désireux de l’assujettir par ses commandes. Nous savons grâce aux archives citées ci-dessus qu’il était tenu en haute estime par ses concitoyens. Nous savons également, que l’empereur Charles Quint et l’un de ses courtisans, Felipe de Guevara, avaient fait l’acquisition de plusieurs tableaux de Bosch dans un laps de temps très court suivant la mort du peintre.

Les Sept Péchés capitaux (détail : L’Envie) Fin du XVe siècle Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Le fait que Philippe, fils de Charles Quint, ait confisqué un retable à un bourgeois flamand en rébellion, rend très vraisemblable l’appartenance de certaines peintures à des collections privées plutôt qu’au patrimoine sacré des églises. Mais cela suggère bien moins que les peintures relevaient de la propriété secrète et cachée de sectes hérétiques. Si tel était le cas, il est bien peu probable qu’elles aient été en libre circulation aussi peu de temps après la mort de l’artiste.

Les Sept Péchés capitaux (détail) Fin du XVe siècle Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Le système de raisonnement de Fränger est construit de façon tellement hermétique, et offre si peu de possibilités d’erreur, qu’il semble présumer que tout un chacun finirait inévitablement par tirer les mêmes conclusions. Un exemple suffira à démontrer à quels fantastiques excès une telle pensée peut mener et mène effectivement dans cette interprétation.

Le Jugement dernier Vers 1504-1508 Huile sur panneau de bois, 163 x 127,5 cm (panneau central) Die Gemäldegalerie der Akademie der bildenden Künste, Vienne

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Fränger avait auparavant démontré dans son analyse du panneau central du Jardin des délices qu’il croyait que ce fabuleux déploiement d’activité érotique se faisait à l’occasion de la célébration d’un vrai mariage. Par conséquent, il présumait que cette occasion devenait également celle d’une révélation picturale des mystères de la « société », incluant tous les niveaux de connaissance qu’un membre pouvait atteindre

Le Jugement dernier (extérieur) Vers 1504-1508 Huile sur panneau de bois, 163 x 127,5 cm Die Gemäldegalerie der Akademie der bildenden Künste, Vienne

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par le biais de l’instruction et à travers lesquels celui-ci pouvait finalement mériter l’adhésion pleine au groupe. Puisque nous voilà devant une « création picturale [tellement] unique, où tout l’univers a été réuni pour chanter des louanges comme aucun roi et reine n’en ont jamais entendues le jour de leurs noces », il doit bien s’agir du mariage d’un « couple divin »,

Triptyque des ermites Vers 1505 Huile sur panneau, 86,5 x 120 cm Palazzo Ducale, Venise

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et Fränger continuait en proclamant qu’il les avait trouvés dans le coin inférieur droit du panneau, à demi cachés dans une grotte. L’homme est le seul personnage vêtu au milieu du foisonnement des corps nus, disait-il tout en proposant d’autres niveaux de différenciations encore. Un homme se glorifiant par une conscience de soi telle que celui-ci en affiche, et qui se voit de plus magnifié par une telle cérémonie de mariage,

Triptyque des ermites (panneau gauche) Vers 1505 Huile sur panneau Palazzo Ducale, Venise

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ne peut être que l’une parmi deux personnes seulement selon Fränger, soit le peintre Bosch, soit l’homme qui inspira le triptyque. Puisque ce n’est pas un portrait de Bosch, ce doit être, selon l’auteur : « le visage de l’homme qui commanda une œuvre d’art aussi extraordinaire

et

inspira

sa

conception

intellectuelle, [et] nous pouvons même aller plus loin et conjecturer que ce portrait du fiancé est aussi celui du Grand Maître de l’Esprit Libre,

Triptyque de la Tentation de saint Antoine 1505-1506 Huile sur panneau, 131,5 x 119 cm (panneau central), 131,5 x 53 cm (chaque volet) Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

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qui nous accueille avec un regard perçant et scrutateur au seuil de son univers paradisiaque. » S’étant si profondément convaincu lui-même de ses affirmations, Fränger introduisit l’insaisissable « Grand Maître » dans les « premières heures de l’histoire sociale et artistique hollandaise [sous les traits] d’une personnalité spirituelle puissante, jusqu’ici inconnue, mais digne de compter parmi les trois grands hommes du même pays et du même siècle : Erasme de Rotterdam, Johannes Secundus et Johannes Baptist de Helmont ».

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (panneau extérieur gauche : L’Arrestation du Christ) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

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Ainsi, Fränger ne se contentait pas de doter son invention d’un aspect physique, d’une personnalité, d’une fiancée et de philosophie, mais il lui accordait aussi la grandeur. En procédant de la sorte, il détruisait en Bosch non seulement la personnalité mais également l’artiste. Il ne fallut pas longtemps pour que le Grand Maître cesse d’être insaisissable, car dans son article consacré au Saint Jean de Patmos de Bosch et paru en 1949-1950, Fränger affirmait avoir découvert l’identité de l’homme.

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (panneau extérieur droit : Le Christ portant la Croix) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

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Il avait appris qu’un résident juif de Bois-le-Duc, nommé Jacob Van Almaengien, avait été baptisé solennellement en présence de Philippe, Duc de Brabant. Rien à part des preuves indirectes issues des registres officiels ne reliait cet homme à l’artiste, mais il était répertorié comme membre de la Confrérie de Notre Dame pour les années 1496-1497, sous le nom de Philip Van Sint Jan. Bien sûr, Bosch avait été membre de l’ordre dès 1486.

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (panneau central) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

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Cela n’était pas une preuve suffisante pour convaincre la plupart des historiens s’intéressant à Bosch, en particulier les Hollandais tels que Dirk Bax, pourtant le témoignage était si irrésistiblement argumenté par Fränger qu’il sembla extrêmement suggestif à Patrik Reuterswärd entre autres.

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (détail du panneau central : saint Antoine, le Christ et les pécheurs recevant le Saint-Crème) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne 148

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Tout le monde s’accorde à dire que les écrits de Fränger sont de la bonne littérature, mais la plupart des historiens refusent d’accepter que cette hypothèse soit plus qu’une élucubration de son imagination. Des historiens très réputés plus nombreux encore s’attaquèrent à l’énigme de Hieronymous Bosch, avant comme après la mort de Fränger en 1964.

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (détail du panneau central) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

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Dans des écrits de la fin des années 50 encore, peu de temps après la première salve de Fränger, plusieurs historiens commencèrent à souligner l’attrait plus sérieux, peut-être même conventionnel des peintures de Bosch : Max Friedländer sonda le point de vue généralement admis selon lequel les contemporains de l’artiste « les considéraient comme des sermons dotés d’une morale ». Charles Cuttler affirma que « les êtres contrenature et pourtant si naturels de Bosch,

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (détail du panneau central) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

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articulés avec une logique plus artistique que naturelle, constituaient un vecteur parfait pour ses idéaux

sérieux

et

empreints

d’exaltation

moralisatrice de chrétien de base… » En 1959, Ludwig von Baldass identifia plusieurs mécènes de l’artiste comme des personnes éminemment respectables : Philippe, Duc de Brabant et sa sœur, l’archiduchesse Margaret, Guillaume d’Orange et l’archiduc Ernest,

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (détail du panneau central) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

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ainsi que des citoyens plus communs (mais indubitablement influents) d’Amsterdam, Haarlem et Anvers, incluant Rubens au XVIIe siècle. Baldass mentionna également les influences exercées sur Bosch par ses grands prédécesseurs hollandais (en supposant qu’il ne connaissait pas ceux de Gand comme Van Eyck ou Goes) tels que Weyden, Bouts, Geertgen et Memling et plusieurs autres artistes de « style international »

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (panneau droit) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

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(grâce à un tondo d’Italie, peut-être ? ). Il pensait que l’artiste avait été le premier en Flandres

et

en

Hollande

à

comprendre

l’importance du dessin dans la planification et la clarification des détails. En outre, Baldass voyait Bosch comme un inventeur consommé, ne dessinant jamais uniquement ce qu’il voyait ou plagiant d’autres artistes.

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (détail du panneau droit) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

158

Parmi les plus récentes et frappantes études, se trouve celle de Laurinda Dixon. Elle a élaboré une théorie à partir de l’interprétation alchimique de l’œuvre de Bosch, mais a également cherché un moyen terme entre ce qu’elle considérait comme des approches quelque peu disparates. C’est dans le domaine on ne peut plus terre-àterre de la pharmacie qu’elle découvrit cela.

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (détail du panneau droit) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

160

Non seulement il y avait eu un pharmacien dans la famille de l’épouse de Bosch, mais Dixon croyait que son appartenance à la classe moyenne l’aurait plutôt orienté vers le métier pratique de la pharmacie, associé avec l’alchimie et la médecine, mais bien moins ésotérique que celles-ci.

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (détail du panneau droit) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

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Bernard

Vermet

ajouta

de

nouvelles

informations à la datation des peintures de l’artiste, essentiellement basées sur les tests « dendrochronologiques » (mesure des cercles concentriques des panneaux de bois sur lesquels elles

furent

peintes)

effectués

par

des

scientifiques contemporains.

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (panneau gauche) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

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Parmi les découvertes controversées auxquelles lui

et

Koldewey

contribuèrent

ou

qu’ils

rapportèrent, il y eut celle-ci : que Les Noces de Cana furent produites au moins un demi-siècle après la mort de l’artiste. Pour citer l’exemple d’un disciple talentueux, Vermet racontait que l’Espagnol Felipe de Guevara écrivit aux environs de 1560 au sujet d’un élève de Bosch hautement accompli que celui-ci pouvait surpasser son maître en

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (détail du panneau gauche) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

166

l’imitant et en signant des œuvres de son nom, et aussi que les fréquentes retouches des œuvres de Bosch après sa mort rendaient les comparaisons techniques problématiques. Cet historien fit une étude minutieuse des œuvres de Bosch restantes, examinant en détail les nouvelles propositions sur la datation ou l’authenticité des œuvres du maître.

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (détail du panneau gauche) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

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Paul Vandenbroeck montra comment Bosch utilisait le Christ et les anges pour contrebalancer la tendance négative dans ses œuvres. Le Christ semble désespéré lorsqu’il montre ses blessures à la foule pécheresse en contrebas, mais en faisant ainsi, « il attire l’attention sur sa souffrance, par laquelle il va sauver l’humanité qui a oublié son Dieu ».

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (détail du panneau gauche) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

170

L’auteur conclut que Bosch était profondément enraciné dans la culture bourgeoise urbaine qui l’entourait mais il devint assez riche grâce à son travail pour se détacher des « normes artistiques de son temps ». L’artiste avait résumé son indépendance en apposant une citation latine (peut-être de Boethius) à l’un de ses dessins : « C’est le propre des esprits les plus lamentables de recourir à des clichés plutôt qu’à leurs propres inventions ».

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (détail du panneau gauche) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

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Avant de ré-établir la position de Bosch en tant qu’artiste en discutant de son « mode de pensée visuelle », procédé par lequel il créait sa merveilleuse imagerie, nous considérerons les influences qui conditionnèrent certainement son recours à cette formule inusitée. Cela parce qu’aucun artiste, pas même un artiste unique, ne se développe de façon autonome.

Triptyque de la Tentation de saint Antoine (détail du panneau gauche) 1505-1506 Huile sur panneau Museu Nacional de Arte Antiga, Lisbonne

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Le développement d’un artiste comme Bosch est le résultat d’une combinaison de circonstances particulières.

Hieronymous

Bosch

n’était

certainement proche d’aucune école ou groupe d’artistes. Par conséquent, il ne suivit pas le schéma classique selon lequel l’artiste cherche à développer ses connaissances techniques dans son seul intérêt,

Le Jugement dernier (fragment) 1506-1508 Huile sur panneau, 60 x 114 cm Alte Pinakothek, Munich

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même dans le cadre d’un sujet religieux. Bien qu’il fût devenu un technicien de premier ordre, il est cependant évident que ses capacités techniques évoluèrent en fonction des exigences de la nécessité religieuse. Il était indubitablement, intensément religieux. Ses peintures exsudent une foi d’une nature extraordinaire.

L’Adoration des Mages Vers 1510 Huile sur panneau, 138 x 138 cm Musée du Prado, Madrid

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Le fait que son moteur ait été le désir d’élever l’expérience religieuse allait être un facteur essentiel dans sa liberté face aux restrictions artistiques

ordinaires.

Son

absence

de

préoccupation par rapport à la réalité l’a rendu incompréhensible aux yeux du profane comme de l’historien, mais ceci suivait le cours naturel de son désir de concrétiser des concepts imaginaires tels que le Paradis, l’Enfer ou les visions d’un saint.

L’Adoration des Mages (détail du panneau central) Vers 1510 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

180

Son aisance technique dans des passages aussi difficiles que le tunnel vers le Paradis en forme de nuage, ou le ciel nocturne embrasé de l’Enfer, était le résultat de son souhait d’intensifier l’impact de la révélation de ces concepts. Il y eut de nombreux autres facteurs qui entrèrent dans la formation du modus artistique de Bosch.

L’Adoration des Mages (détail du panneau central) Vers 1510 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

182

Tolnay remarque que la très grande originalité de l’artiste en matière de technique et d’idée pourrait résulter de son isolation physique par rapport aux principaux courants artistiques de son temps. Il n’est consigné nulle part qu’il ait jamais voyagé en dehors de sa ville natale. S’il n’avait jamais eu l’occasion de voir les peintures des grands maîtres flamands, ses plus immédiates influences seraient celles qu’il aurait pu trouver dans une ville de province.

L’Adoration des Mages (détail du panneau central) Vers 1510 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Le contenu de ses œuvres semble beaucoup plus proche de sources populaires, telles que les enluminures ou les incunables, plutôt que de celles des Flamands. Bien qu’il travaillât la peinture à l’huile comme eux, il n’utilisait pas leur méthode élaborée de glacis et, peut-être, ne la connaissait même pas. Sa technique était alla prima, une technique que certaines personnes croient être son application de la fresco à l’huile,

L’Adoration des Mages (détail du panneau central) Vers 1510 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

186

provenant probablement de son admiration pour les fresques de la cathédrale de Bois-le-Duc. Leur traitement des personnages dans le « style international » pourrait expliquer l’archaïsme des protagonistes de ses peintures de jeunesse. Un

artiste

n’est

néanmoins

jamais

complètement isolé de l’influence d’héritages artistiques plus vastes. Les idées sont « dans l’air » et destinées à exercer leur effet pénétrant.

L’Adoration des Mages (détail du panneau gauche) Vers 1510 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Il existait une certaine identité entre son œuvre et l’art hollandais de l’époque. Selon l’historien Otto Benesch : l’art hollandais de la fin du XVe siècle, en dépit de sa formidable maîtrise picturale, n’avait pas pour principal objectif la perfection de la technique ou l’observation naturaliste, mais l’expression. Le même esprit religieux subjectif à l’origine des mouvements mystiques des Frères de la Vie Commune [les disciples de Ruysbroek…]

L’Adoration des Mages (revers : La Messe de saint Grégoire) Vers 1510 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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remplit les œuvres des peintres flamands, qu’ils empruntent une voie réaliste comme Geertgen tot Sint Jans, ou une voie fantastique et visionnaire comme Bosch. Benesch appelait cette voie le « Gothique flamboyant flamand », mais c’était un aspect d’un mouvement de plus grande ampleur que ce nom ne le laisse entendre. Tolnay fit remarquer qu’un courant néo-gothique se répandit en Europe durant le dernier quart du XVe siècle,

L’Adoration des Mages (détail du revers : La Messe de saint Grégoire) Vers 1510 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

192

apparaissant « simultanément à Florence avec Botticelli et Filippino Lippi, à Venise avec Crivelli et Vivarini, en Allemagne avec Schongauer, en Flandres même avec Juste de Gand ». Néanmoins, l’implication de Bosch dans l’art gothique pourrait avoir été bien plus personnelle que le simple résultat d’une tendance généralisée. La cathédrale Saint Jean de Bois-le-Duc est reconnue comme l’un des plus beaux exemples d’architecture gothique française des Pays-Bas.

Le Chariot de foin 1515 Huile sur panneau, 147 x 212 cm Musée du Prado, Madrid

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Nous savons, ainsi que l’attestent les registres cités précédemment, que Bosch était étroitement lié à la cathédrale par les contributions artistiques qu’il apporta à sa décoration. La cathédrale avait subi un incendie au début du siècle et les réparations étaient toujours en cours durant la jeunesse du peintre. Il grandit certainement en observant le travail des sculpteurs de bois et de pierre dans l’enclos paroissial.

Le Chariot de foin (panneau gauche : Le Paradis) 1515 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Le fruit le plus évident d’une telle observation était son amour pour les chimères et les grotesques qui jouissent d’une vie indépendante dans ses tableaux. Une contribution plus importante de l’art gothique à l’œuvre de Bosch, cependant, réside dans son mode d’expression. Puisque les lois de l’art gothique sont déterminées par sa propre dynamique, et non par la nécessité d’obéir aux lois de la nature, cette influence permit à l’artiste de s’affranchir de la nature en premier lieu.

Le Chariot de foin (panneau gauche : Dieu, Adam et Ève au Paradis) 1515 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Certains historiens ont cru que Bosch n’était pas du tout influencé par les grandes réalisations du XVe siècle, mais qu’il accomplissait un retour complet vers le Gothique, ou le style international ou encore « l’archaïsme » pré-Eyckien. Il est impossible que Bosch ait ignoré les grandes réalisations de son propre siècle.

Le Chariot de foin (panneau gauche : Adam et Ève chassés du Paradis) 1515 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Il était un maître de l’illusion de profondeur de champs, appliquée plus souvent verticalement que perpendiculairement, mais plus réussie qu’aucun siècle auparavant. Il était capable de produire des effets éphémères tel qu’un ciel plein de fumée, avec une efficacité renversante. Bien qu’il n’ait pas été un naturaliste cherchant à insister sur les détails de surface, un plaisir de choix chez les Flamands, il pouvait différentier la substance des textures.

Le Chariot de foin (panneau gauche : Le Péché originel) 1515 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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On a souligné que, sous l’influence du Gothique, il n’aurait pas éprouvé la nécessité de rendre l’aspect logique et visuel du monde, pouvant ainsi évoluer librement dans le royaume de l’imaginaire. C’est justement le don de rendre certains effets naturels et qu’il mettait au service de son imagination qui produisit son identité si particulière.

Le Chariot de foin (panneau gauche : La Vision de Dieu) 1515 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Pour être plus exhaustif, c’est la combinaison de sa connaissance des réalisations du XVe siècle, de sa vision gothique, de ses origines sociales et provinciales ainsi que de ses qualités personnelles de religiosité et d’inventivité qui contribua à la formation de sa personnalité artistique absolument unique.

Le Chariot de foin (panneau central) 1515 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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L’élément irrationnel dans les peintures de Bosch, l’un des résultats de ses singulières motivations, n’est pas un phénomène unique dans l’art. Si l’on considère l’histoire de l’art dans son ensemble, on s’aperçoit que de nombreux artistes ont violé la logique dans le traitement de leur sujet, mais ils n’ont jamais existé en nombre suffisant à un moment précis pour former une école, jusqu’au siècle dernier.

Le Chariot de foin (détail du panneau central) 1515 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

208

La manière dont ils travaillaient est cohérente si l’on possède une véritable compréhension du processus artistique. Nous nous étonnons qu’il y ait eu si peu de ces artistes, mais lorsqu’on prend conscience du sort réservé à Bosch par l’opinion publique, la raison devient évidente. Le fait est que très peu de personnes sont assez objectives pour séparer l’image de la réalité.

Le Chariot de foin (détail du panneau central) 1515 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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211

Cette incapacité fait que l’observateur lambda attend de l’image qu’elle conserve l’aspect de sa contrepartie dans la vie, et qu’il suppose, si ce n’est pas le cas, que cette disparité est le reflet d’un esprit déséquilibré. Il serait présomptueux d’affirmer comprendre l’esprit de Hieronymous Bosch, et par conséquent la nature exacte de son « mode de pensée visuelle ». Cela serait impossible s’il travaillait selon des directives rationnelles ou irrationnelles.

Le Chariot de foin (détail du panneau central) 1515 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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Son imagerie est tellement complexe que plusieurs procédés ont dû être mis en œuvre pour sa réalisation. En partie, Bosch devait certainement illustrer d’une façon rationnelle des idées issues de la théologie et du folklore. Son hybridation est une élaboration flamboyante du même dispositif si souvent utilisé par les artistes médiévaux. Les étranges effets qu’il obtenait seraient en partie explicables par son désir raisonnable de présenter le revers de notre monde, son côté satanique,

Le Chariot de foin (détail du panneau central) 1515 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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en « détraquant » le monde normal. Il rendait ses

créatures,

leurs

activités

et

leurs

environnements aussi bizarres et étrangers à ce monde que possible, et pourtant il le ferait en parant ces choses de crédibilité, en les dépeignant avec toute la maîtrise technique qu’un artiste utiliserait ordinairement pour produire l’illusion du monde naturel.

Le Chariot de foin (panneau droit : L’Enfer) 1515 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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217

Il est certain que Bosch, tout en demeurant dans le cadre de ses intentions rationnelles, agissait également en fonction des directives de son subconscient. Ses peintures exercent un fort pouvoir d’attraction sur les spectateurs. Bien sûr, cette fascination de la part du spectateur est peut-être le résultat de la stimulation de son subconscient par l’imagerie de Bosch.

Le Chariot de foin (détail de L’Enfer) 1515 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

218

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Les explications que le spectateur tente de déchiffrer dans cette imagerie peuvent ne pas avoir existé du tout dans l’esprit de Bosch. Mais les psychologues croient que le subconscient est pratiquement le même chez tout le monde. Donc, ce que Bosch produisit en autorisant son esprit à jouer, pourrait déclencher une vive réaction de reconnaissance de quelque chose d’également familier pour le subconscient du spectateur.

Le Chariot de foin (extérieur) 1515 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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La différence chez Hieronymous Bosch est qu’il ne

s’en

est

pas

tenu

aux

références

traditionnelles. Il utilisa la méthode selon laquelle les symboles communs avaient été créés – évoluant

comme

innombrables

eux

origines,

à

partir formés

de

leurs

par

libre

association d’idées dans de nombreux esprits, acceptés dans l’usage commun s’ils trouvaient un impact universel. Le peintre faisait simplement ses

Le Chariot de foin (détail de l’extérieur) 1515 Huile sur panneau Musée du Prado, Madrid

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propres associations, mais les images qu’il créait ne doivent pas être considérées comme si elles possédaient une signification objective dissociable de la création visuelle. Quels que soient les moyens employés par l’artiste pour produire des effets et que ceux-ci soient pleinement intentionnels ou non, il est certain qu’il voulait véhiculer l’idée du mal.

Saint Jean-Baptiste dans la forêt Huile sur panneau, 49 x 40,5 cm Museo Lazáro Galdiano, Madrid

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En fait, on devrait toujours garder à l’esprit qu’il s’agissait là du thème principal du peintre. Le désir de témoigner de l’omniprésence du mal dans le monde et de tous ses aspects était une motivation religieuse tellement extraordinaire pour Bosch qu’elle lui montrait la direction quand il semblait ne pas y en avoir. Elle offre le contrôle quand il semble être perdu. C’est dans la pleine conscience de ce dessein que Bosch créa un agencement ordonné dans lequel les agents du mal fourmillent à profusion et en toute confusion.

Les Noces de Cana Huile sur panneau, 93 x 72 cm Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

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Gardant le contrôle de la conscience sur le tout, l’artiste se relâchait dans les parties. Ce n’est que lorsque l’on tente une analyse des parties que l’ordre de base est oublié et que le chaos semble régner. Le spectateur dérouté décide alors, soit que Bosch était le projectionniste fou de ses hallucinations, soit qu’il a enfoui toute sa rationalité dans un labyrinthe de symbolisme, et qu’un jour quelqu’un en trouvera le plan.

Triptyque de la crucifixion de sainte Julie Huile sur panneau, 104 x 119 cm Palazzo Ducale, Venise

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Il ne peut y avoir d’interprétations rationnelles de ces peintures. Cela ne veut pas dire non plus que Hieronymous Bosch était fou. Doté d’un esprit pleinement rationnel, cet artiste installa sa scène ; puis, (pour utiliser une expression anachronique) il mit son esprit « au neutre » et lui permit de se laisser propulser par l’imagination. En d’autres termes, il livrait sa conscience à son inconscient.

Triptyque de la Passion Vers 1515-1520 Huile sur panneau de bois, 150,5 x 82,2 cm (panneau gauche) 139,5 x 169,8 cm (panneau central) 150,1 x 82,5 cm (panneau droit) Museo de Bellas Artes, Valence 230

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Quelles que soient les contraintes qui faisaient fonctionner son esprit selon des schémas logiques et raisonnables, ils n’existaient plus. Les images de l’esprit humain, qui vont et viennent, ne sont pas classées ou ordonnées, ne donnent pas naissance à des idées, ne subissent aucune sélection, étaient autorisées à s’articuler selon leur bon vouloir.

Christ portant la Croix Huile sur panneau, 150 x 94 cm Palacio Real, Madrid

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À partir de connaissances implantées très tôt et très souvent, ces images étaient brassées des profondeurs les plus obscures vers l’esprit de l’artiste. De même, les images formées dans les nombreux systèmes imaginés pour expliquer le mal, arrivaient à l’esprit de l’artiste en une incroyable quantité de combinaisons, expliquant ainsi la variété des usages faits sur les panneaux.

Christ portant la Croix (détail) Huile sur panneau Palacio Real, Madrid

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En termes musicaux, le résultat serait une « musique » jouée par le vent sur une harpe éolienne. On peut arguer que ce bruit est chaotique, mais les cordes sont accordées à l’unisson. De la même façon, l’esprit de l’artiste était accordé à son sujet. Il savait pour quoi (le service du Seigneur) et contre quoi (les machinations du Diable) il autorisait son esprit à jouer.

Les Sept Péchés capitaux dans une pelure du globe terrestre Huile sur panneau, 86 x 56 cm Collection privée, Genève

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237

Il y a, en effet, de l’obscurité dans l’expression de cet homme, et nous ne débattrons pas de la nécessaire profondeur de l’obscurité. Pas plus que nous ne donnerons à entendre que l’esprit qui s’abandonne est autant capable de grandeur que l’esprit sous contrôle. Nous pourrions dire que le pouvoir de l’imagination est illimité ; non seulement capable de reproduire, de former des images de choses vues mais disparues,

Estropiés et mendiants Plume et bistre, 26,4 x 19,8 cm Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles

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elle est aussi capable d’inventer, de créer, de former des images de choses jamais vues, en réalité, inexistantes. La mode et les exigences de l’époque décident dans quelle mesure l’artiste agit en fonction du contrôle et des règles. Dans le cas de l’artiste confiné à la reproduction de choses vues, le contact entre l’esprit de l’artiste et celui du spectateur s’établit immédiatement. La satisfaction est mutuelle, pour le peintre parce qu’il ou elle se sent compris, pour le spectateur qui comprend.

Études de monstres Plume et bistre, 31,8 x 21 cm Ashmolean Museum, Oxford

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241

Le contact qu’établit l’artiste créatif est plus nébuleux. Le chemin d’un esprit à l’autre n’est pas un circuit fermé mais ouvert. Cet artiste ne se contente pas de révéler au spectateur les processus à l’œuvre dans l’esprit de l’artiste, mais génère ces processus dans celui du spectateur. Pour reprendre les paroles de A.C. Bradley : « … la spécificité de l’imagination [inventive] n’est pas de recouvrir des idées consciemment retenues sous une imagerie,

Études d’animaux Plume, 8,6 x 18,2 cm Staatliche Museen zu Berlin, Berlin

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mais de produire à moitié consciemment une matière, dont, lorsqu’elle est produite, le [spectateur] peut, s’il le désire, tirer des idées ». Avec une énergie inimaginable, Bosch produisit la matière ; il déclencha des merveilles dans l’esprit du spectateur. Le spectateur est libre de ne pas expliquer ce qu’il y a dans l’esprit du peintre, mais aussi d’observer la merveille engendrée dans son propre esprit et ainsi, d’être profondément intrigué.

Homme sans corps et un monstre Encre, 8,6 x 18,2 cm Staatliche Museen zu Berlin, Berlin

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Robert Marijnissen invita le lecteur de son livre sur Bosch à jouir des peintures en gardant toujours à l’esprit que l’artiste était un « peintre né ». Bosch met en évidence les peurs de son temps, dont beaucoup sont aussi les nôtres, mais il nous invite, tout en appréciant le message, à célébrer l’artiste et à ne pas perdre trop de temps et d’attention sur les « énigmes » de son œuvre.

Deux Sorcières Plume et bistre, 12,5 x 8,5 cm Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

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Liste des illustrations A 11

L’Adoration des Mages (vers 1470-1475)

13, 15, 17

détail

179

L’Adoration des Mages (vers 1510) détail du panneau central

181, 183, 185, 187

détail du panneau gauche

189

revers : La Messe de saint Grégoire

191

détail L’Allégorie de la Débauche et du Plaisir

193 49

L’Ascension au paradis panneau droit du triptyque des Visions de l’au-delà

65

panneau gauche du triptyque des Visions de l’au-delà

63

C Calvaire avec donateur

35

Chanteurs dans un œuf

53

248

Le Chariot de foin (panneau gauche : Le Paradis, panneau central : Le Chariot de foin, panneau droit : L’Enfer) Le Chariot de foin

113 195

détail de L'Enfer

219

extérieur

221

détail

23

panneau central détail

207 209, 211, 213, 215

panneau droit : L’Enfer

217

panneau gauche : Adam et Ève chassés du Paradis

201

panneau gauche : Dieu, Adam et Ève au Paradis

199

panneau gauche : Le Paradis

197

panneau gauche : Le Péché originel

203

panneau gauche : La Vision de Dieu

205

Christ portant la Croix détail Le Christ portant la Croix (vers 1480-1490)

233 235 25

249

Christ portant la Croix (après 1500)

61

La Chute des damnés panneau gauche du triptyque des Visions de l’au-delà

67

panneau droit du triptyque des Visions de l’au-delà

69

Le Couronnement d’épines

43

D

Deux Sorcières

247

E

Ecce Homo (1475-1480)

19

Ecce Homo (vers 1490)

41

Enfant au trotteur (revers du Christ portant la Croix)

23

Estropiés et mendiants

239

Études d’animaux

243

250

241

Études de monstres

31

L’Extraction de la pierre de folie

33

détail

H

9

L’Homme-Arbre

245

Homme sans corps et un monstre

J

71

Jardin des délices

83

panneau central

85, 87, 89, 91

détail du panneau central détail du panneau central : le portrait de Bosch au sein d'un groupe de personnages panneau droit : L'Enfer détail

93 95

97, 99, 101, 103, 105, 107, 109

251

panneau gauche : Le Paradis détail panneaux extérieurs : La Création du monde Le Jugement dernier (vers 1504-1508) extérieur Le Jugement dernier (fragment) (1506-1508)

73 75, 77, 79, 81 111 133 135 177

M

Le Magicien

21

La Mort et l’avare

27

détail

29

N

La Nef des fous

47

Nid de chouettes

51

Les Noces de Cana

252

227

P

Portrait de Hieronymus Bosch, anonyme

4

S

Saint Christophe

39

Saint Jean à Patmos

115

détail

117

extérieur

119

détail

121, 123

Saint Jean-Baptiste dans la forêt

225

Les Sept Péchés capitaux

125

détail

131

détail : L’Envie

129

détail : La Colère

127

Les Sept Péchés capitaux dans une pelure du globe terrestre

237

253

T

La Tentation de saint Antoine

37

Triptyque de Job

55

extérieur

57

Triptyque de la crucifixion de sainte Julie

229

Triptyque de la Passion

231

Triptyque de la Tentation de saint Antoine

141

panneau central détail du panneau central

147 151, 153, 155

détail du panneau central : saint Antoine, le Christ et les pécheurs recevant le Saint-Crème panneau droit détail du panneau droit

149 157 159, 161,163

panneau extérieur droit : Le Christ portant la Croix

254

145

panneau extérieur gauche : L'Arrestation du Christ panneau gauche détail du panneau gauche Triptyque des ermites

143 165 167, 169, 171, 173, 175 137

panneau gauche

139

Triptyque du Jugement dernier

59

V Le Vagabond

45

255