Bible – Pastorale – Didactique/Bible – Pastoral – Didactics (Dieux, Hommes et Religions / Gods, Humans and Religions) (French Edition) 9782807609358, 9782807609365, 9782807609372, 9782807609389, 280760935X

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Bible – Pastorale – Didactique/Bible – Pastoral – Didactics (Dieux, Hommes et Religions / Gods, Humans and Religions) (French Edition)
 9782807609358, 9782807609365, 9782807609372, 9782807609389, 280760935X

Table of contents :
Couverture
Table des matières
Introduction : Un concept émergent qui interroge les pratiques pastorales et qui interpelle théologiens et formateurs (Daniel Laliberté / Georg Rubel)
Introduction : An emerging concept that questions pastoral practices and challenges theological trainers (Daniel Laliberté / Georg Rubel)
Première partie / First part « Poser la question » : entre regard académique et expériences en contexte / “Raising the question”: between academic views and contextualized experiences
Chapitre premier / First Chapter Regard académique / Academic views
L’Écriture Sainte, âme de la théologie et de toute action pastorale (Maurice Gilbert)
L’acte de lire les Écritures comme art d’être à l’écoute de la Parole (Joël Molinario)
Animatio biblica totius actionis pastoralis: Eine didaktische Perspektive (Judith Könemann)
Chapitre deuxième / Second Chapter Un « monde » de réceptions variées / A “world” of various receptions
Central Europe : “Snow in Greenland, snow in Zimbabwe” – or How to awaken the hunger for the Scripture in civilizations that where built on the Bible legacy but who became stranger to it? (Jan J. Stefanów)
Asia : “The word of God grew” – or How the oriental way of “contemplating the whole” can make Asia a “land of a bountiful harvest”? (Ko Ha Fong Maria)
Amérique latine et Caraïbes : « Lue et interprétée dans et à partir de la communauté ecclésiale » – ou Comment a pu naître et croître une animation biblique en Amérique latine et dans les Caraïbes ? (Guillermo Acero Alvarín)
Afrique : « Une Parole lourde » – ou Comment rendre audible l’Évangile qui redonne vie en libérant de la peur ? (Gilbert Munana)
Relecture théologique des interventions géo-culturelles : Une Parole « qui réjouit le cœur de l’homme » et pourtant « tranchante comme un glaive » – ou Comment, par l’Écriture, donner accès au « Dieu qui a pris corps » (Daniel Laliberté)
Deuxième partie / Second part « Comprendre la question » : jeux et enjeux de résonance et de transmission / “Understanding the question”: issues and challenges of transmission and impact
Chapitre troisième / Third Chapter Origines et voies d’accès / Origins and pathways
Biblica animatio totius actionis pastoralis : une nouvelle perspective pour sortir de l’impasse ? (Thomas P. Osborne)
Apprendre à lire la Bible au service de la compétence chrétienne : la Bible comme modèle herméneutique de la vie ecclésiale (François-Xavier Amherdt)
Lecture de la Bible en petites communautés et théologie (Jean Ehret)
L’animation biblique : éléments de définition, enjeux herméneutiques (Nicolas Cochand)
Bible et catéchèse : des options qui engagent les attitudes et la qualité des relations (Christiane Kremer-Hoffmann)
Chapitre quatrième / Fourth Chapter Comment former pour que s’implante l’animation biblique de toute la pastorale ? / How to train, in order to implement the Biblical animation of the whole pastoral life?
Former à l’animation biblique de toute la pastorale : un travail d’expert en démaîtrise (Yves Guérette)
Conclusion et regard prospectif – Une définition, des conséquences (Daniel Laliberté / Georg Rubel)
Conclusion and prospective insight – One definition, a series of consequences (Daniel Laliberté / Georg Rubel)
Résumés / Abstracts
Présentation des auteurs / Presentation of the authors

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Daniel Laliberté, Georg Rubel (dir.)

Animatio biblica totius actionis pastoralis

Bible – Pastorale – Didactique « La Parole de Dieu est à l’œuvre en vous, les croyants » (1Th 2,13)

“Dieux, Hommes et Religions” Vol. 26

C’est dans une salle de classe du Grand séminaire de Luxembourg qu’a été forgée en 1993, par un groupe de travail de la Fédération biblique catholique, l’expression animation biblique de toute la pastorale. Or cette expression a pris une portée majeure depuis qu’elle a fait son chemin jusque dans un texte officiel de l’Église, Verbum Domini, où elle apparaît comme source de la « rencontre personnelle avec le Christ qui se communique à nous dans sa Parole » (VD 73). En hommage à cet héritage, la Luxembourg School of Religion & Society organisait en ses murs un colloque articulé autour de deux questions : peut-on donner une définition consensuelle de l’animation biblique de toute la pastorale ? Et comment faudraitil transformer les programmes de formation théologique afin qu’ils habilitent les agents pastoraux à implanter dans leur milieu cette animation biblique de toute la pastorale ? The expression Biblica animatio totius actionis pastoralis, which is now part of the Magisterium of the Catholic Church since its appearance in Verbum Domini, was first created in Luxembourg in 1993, during a meeting of the Catholic biblical federation. The Luxembourg School of Religion & Society organized, as a tribute to this legacy, a Conference articulated around two questions: is it possible to come to a consensual definition of biblical animation of the whole pastoral life? And how should theological training programs be transformed, so that they empower the pastoral agents to implement this pastoral vision in their Christian communities?

Daniel Laliberté (Canada) est Docteur en Théologie de l’Université Laval et de l’Institut catholique de Paris et détenteur d’une Maîtrise en Exégèse. Il est actuellement Professeur de théologie sacramentaire, de liturgie et de catéchétique à la Luxembourg School of Religion & Society. Georg Rubel (Germany) holds a Doctorate in Exegesis of the New Testament awarded by (the) Theologische Fakultät der Katholischen Universität EichstättIngolstadt (2008), Habilitation in 2014. He served as Lecturer and Academic advisor in Eichstätt. He is currently Professor of Biblical Theology and Exegesis of the New Testament at the Luxembourg School of Religion & Society.

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Peter Lang Brussels

Animatio biblica totius actionis pastoralis

Bible – Pastorale – Didactique est àà l’oeuvre l’œuvre en vous, les croyants » (1Th (1Th,2,13) 2,13) « La Parole de Dieu est

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Bible – Pastoral – Didactics Believe.”(1 (1Th, 2,13) “God’s Word is at Work in You Who Believe” Thess. 2,13)

Bruxelles · Berlin · Bern · New York · Oxford

Dieux, Hommes et Religions Vol. 26 Tandis que les principales religions traditionnelles du monde semblent confrontées à une crise identitaire et culturelle fondamentale, on voit partout se manifester une renaissance des besoins de spiritualité et de nouvelles pratiques religieuses. Quelles sont les motivations des hommes et des femmes qui soutiennent ces nouvelles tendances ? Assistons-nous à la naissance d’une nouvelle religiosité humaine ? Cette collection a pour but de rassembler les travaux de témoins, penseurs, croyants et incroyants, historiens, spécialistes des religions, théologiens, psychologues, sociologues, philosophes et écrivains, tous issus de différentes cultures et différentes langues, pour offrir une perspective plus large sur l’un des problèmes clés de la civilisation universelle que nous sommes en train de construire. Collection fondée par : Gabriel Fragnière, Ancien recteur du Collège d’Europe (Bruges)

Daniel Laliberté – Georg Rubel (dir.)

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Bible – Pastorale – Didactique est àà l’oeuvre l’œuvre en vous, les croyants » (1Th (1Th,2,13) 2,13) « La Parole de Dieu est

Animatio biblica totius actionis pastoralis

Bible – Pastoral – Didactics “God’s Word is at Work in You Who Believe” Believe.”(1 (1Th, 2,13) Thess. 2,13)

Dieux, hommes et religions Vol. 26

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Information bibliographique publiée par « Die Deutsche Bibliothek » « Die Deutsche Bibliothek » répertorie cette publication dans la « Deutsche Nationalbibliografie » ; les données bibliographiques détaillées sont disponibles sur le site .

„Aufbruch”, Mirjam Gwosdek Illustration de couverture : „Aufbruch”, (Kronach,Deutschland). allemagne). Photo: (Kronach, Photo:©©Lucie LucieBrousseau, Brousseau,Luxembourg Luxembourg ISSN 1377-8323 1377-8323•• ISBN 978-2-8076-0935-8 (Print) ISSN E-ISBN 978-2-8076-0936-5 (E-PDF) • E-ISBN 978-2-8076-0937-2 (EPUB) E-ISBN 978-2-8076-0938-9 (MOBI) • DOI 10.3726/b15631 D2019/5678/18 D2019/5678/XX

© P.I.E. Peter Lang S.A. Éditions scientifiques internationales Bruxelles, 2019 Tous droits réservés. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’éditeur ou de ses ayants droit, est illicite.

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Table des matières Introduction : Un concept émergent qui interroge les pratiques pastorales et qui interpelle théologiens et formateurs   ........................................................................................  7 Daniel Laliberté et Georg Rubel Introduction : An emerging concept that questions pastoral practices and challenges theological trainers  ...................................  17 Daniel Laliberté and Georg Rubel

Première partie / First part « Poser la question » : entre regard académique et expériences en contexte / “Raising the question”: between academic views and contextualized experiences

Chapitre premier / First Chapter Regard académique / Academic views L’Écriture Sainte, âme de la théologie et de toute action pastorale ................................................................  31 Maurice Gilbert L’acte de lire les Écritures comme art d’être à l’écoute de la Parole ...........................................................................................  45 Joël Molinario Animatio biblica totius actionis pastoralis: Eine didaktische Perspektive  .............................................................  61 Judith Könemann

Chapitre deuxième / Second Chapter Un « monde » de réceptions variées / A “world” of various receptions Central Europe : “Snow in Greenland, snow in Zimbabwe” – or How to awaken the hunger for the Scripture in civilizations that where built on the Bible legacy but who became stranger to it? ........................................................................................................... 79 Jan J. Stefanów Asia : “The word of God grew” – or How the oriental way of “contemplating the whole” can make Asia a “land of a bountiful harvest”? ................................  85 Ko Ha Fong Maria Amérique latine et Caraïbes : « Lue et interprétée dans et à partir de la communauté ecclésiale » – ou Comment a pu naître et croître une animation biblique en Amérique latine et dans les Caraïbes ? .........................................  93 Guillermo Acero Alvarín Afrique : « Une Parole lourde » – ou Comment rendre audible l’Évangile qui redonne vie en libérant de la peur ? ................................................................  109 Gilbert Munana Relecture théologique des interventions géo-­culturelles : Une Parole « qui réjouit le cœur de l’homme » et pourtant « tranchante comme un glaive » – ou Comment, par l’Écriture, donner accès au « Dieu qui a pris corps » ...................................................................  119 Daniel Laliberté

Deuxième partie / Second part « Comprendre la question » : jeux et enjeux de résonance et de transmission / “Understanding the question”: issues and challenges of transmission and impact

Chapitre troisième / Third Chapter Origines et voies d’accès / Origins and pathways Biblica animatio totius actionis pastoralis : une nouvelle perspective pour sortir de l’impasse ? .......................  141 Thomas P. Osborne Apprendre à lire la Bible au service de la compétence chrétienne : la Bible comme modèle herméneutique de la vie ecclésiale ..............................................................................  161 François-­Xavier Amherdt Lecture de la Bible en petites communautés et théologie .............  171 Jean Ehret L’animation biblique : éléments de définition, enjeux herméneutiques .....................................................................  191 Nicolas Cochand Bible et catéchèse : des options qui engagent les attitudes et la qualité des relations ..................................................................  197 Christiane Kremer-­Hoffmann

Chapitre quatrième / Fourth Chapter Comment former pour que s’implante l’animation biblique de toute la pastorale ? / How to train, in order to implement the Biblical animation of the whole pastoral life? Former à l’animation biblique de toute la pastorale : un travail d’expert en démaîtrise .....................................................  207 Yves Guérette Conclusion et regard prospectif – Une définition, des conséquences ...............................................................................  221 Daniel Laliberté et Georg Rubel Conclusion and prospective insight – One definition, a series of consequences ....................................................................  233 Daniel Laliberté and Georg Rubel Résumés / Abstracts ..........................................................................  245 Présentation des auteurs / Presentation of the authors .................  265

Membres du Comité scientifique (par ordre alphabétique) / Members of the Scientific committee (by alphabetic order) Pr Guillermo Acero Alvarín CJM, CELAM, CEBITEPAL Pr Dr Nuria Calduch-­Benages, Pontificia Università Gregoriana, Rome Pr Dr Dr Jean Ehret, Luxembourg School of Religion  & Society, Luxembourg Pr Dr Yves Guérette, Université Laval, Québec Pr Dr Judith Könemann, Katholisch-­Theologische Fakultät, Münster Pr Dr Daniel Laliberté, Luxembourg School of Religion  & Society, Luxembourg Dr Katharina Lentz, collaboratrice scientifique, Luxembourg School of Religion & Society, Luxembourg Pr Dr Joël Molinario, Institut catholique de Paris Pr Dr em. Thomas P. Osborne, Catholic Biblical Federation Pr Dr Georg Rubel, Luxembourg School of Religion  & Society, Luxembourg Les organisateurs du colloque veulent remercier les membres du Comité scientifique pour leurs réflexions et commentaires au fil de la préparation, ainsi que leur participation engagée pendant le colloque lui-­même. The organizers of the Conference wish to thank gratefully the members of the Scientific committee for their reflections and comments throughout the preparation, and for their committed participation during the Conference itself. Le colloque dont ce volume porte les Actes s’est déroulé en français, anglais et allemand. Nous avons laissé les présentations dans leur langue d’origine, tout en fournissant des résumés en français et en anglais à la fin du volume. L’introduction et la conclusion sont en français et en anglais. The Conference whose Acts are presented in this book took place in French, English and German. We left the texts in their original language, providing French and English abstracts at the end of the book. The introduction and the conclusion are both in French and English.

Introduction Un concept émergent qui interroge les pratiques pastorales et qui interpelle théologiens et formateurs 

Daniel Laliberté

Directeur du département Religion, communication, éducation (LSRS)

Georg Rubel

Responsable de la section Pratique des textes fondateurs (LSRS) Responsables du colloque, directeurs de la publication

1. Mise en contexte L’expression Biblica animatio totius actionis pastoralis1 a trouvé une place officielle dans la documentation magistérielle dans la foulée de l’Assemblée synodale de 2008 sur La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église. Elle apparaît plus précisément, d’abord incluse dans la proposition 30 de la fin de l’Assemblée, avant d’être reprise – et même deux fois – par Benoît XVI au numéro 73 de l’exhortation apostolique post-­synodale Verbum Domini en 2010. Son émergence dans la documentation magistérielle se situe au carrefour de deux parcours historiques : d’une part, avant même que l’expression se fixe, ce thème théologique et pastoral s’est progressivement fait jour dans quelques textes officiels de l’Église au fil du xxe siècle ; d’autre part, nous devons sa forme terminologique aux réflexions et travaux de la Fédération biblique catholique, qui la forgea, d’abord dans sa forme française – Animation biblique de toute la pastorale – à l’occasion de la rencontre d’une sous-­région qui se tenait précisément au Centre Jean XXIII de Luxembourg, là-­même où s’est tenu le colloque dont le présent volume présente les réflexions et questionnements. Les détails 1



Que certains auteurs dans le présent volume abrègent en « BATAP ».

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Daniel Laliberté et Georg Rubel

de ce double parcours historique font d’ailleurs l’objet de quelques présentations dans ce volume.2 La Luxembourg School of Religion & Society3 souhaite perpétuer cet héritage de réflexion autour de l’animation biblique de la pastorale.

2. La Luxembourg School of Religion & Society et l’animation biblique de toute la pastorale Laissons le directeur de la LSRS, M. le professeur Jean Ehret,4 situer ce colloque dans les orientations de cette institution. La LSRS est une très jeune institution, que [l’Archevêque de Luxembourg] a voulu créer, de sorte que l’Église catholique développe sa recherche et son enseignement en fidélité avec le 2e Concile du Vatican : profondément enraciné dans la Parole de Dieu et dans la tradition vivante, en dialogue avec les autres religions et avec le monde contemporain auquel elle appartient.5 […] Ce colloque s’insère dans le projet de recherche et d’enseignement de la LSRS sur l’animatio biblica totius actionis pastoralis, un concept qui est d’un immense secours dans le désir de laisser le Verbe éternel de Dieu transformer les peuples, les Églises, le monde. Ce projet a été initié par le Professeur émérite Thomas Osborne, que j’aimerais remercier et honorer pour l’engagement de toute une vie au service de la Bible, marqué par de nombreuses responsabilités, au Centre Jean XXIII, dans l’Archidiocèse et en de nombreuses instances internationales. J’aimerais lui dédier ce colloque international, comme un signe de notre gratitude et notre respect pour son travail et son engagement. Un premier jalon de ce projet fut le colloque de

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La première trajectoire, au fil des textes magistériels, est développée par M. Gilbert ; la seconde, celle de l’expression elle-­même, est exposée par l’un de ses créateurs, Thomas P. Osborne, professeur émérite du Centre Jean XXIII et engagé de longue date dans la Fédération biblique catholique. 3 La Luxembourg School of Religion & Society (LSRS) est une structure de recherche et d’enseignement érigée en 2014 par l’Archevêque de Luxembourg dans les murs du Centre Jean XIII. 4 Extraits de son mot de bienvenue et d’ouverture du colloque de mars 2017. 5 Le projet de la LSRS a trouvé de solides appuis dans la Constitution apostolique « Veritatis gaudium » du Pape François sur les Universités et Facultés ecclésiastiques, no 4, où le pape expose quatre critères pour le développement des études ecclésiastiques :1) la contemplation du cœur du kérygme et une introduction à celui-­ci ; 2) le dialogue ; 3) l’inter- et la transdisciplinarité ; 4) le réseautage entre les institutions. La LSRS a précisément été érigée en fonction de ces quatre aspects.

Introduction

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l’an passé sur la Sacramentalité de la Parole ; les actes de ce colloque seront bientôt publiés.6 […] Nous avons développé la conviction que, si nous voulons favoriser une façon nouvelle de travailler avec la Bible, nous devons apprendre à enseigner de façon différente. D’où le présent colloque, avec son sous-­titre : Bible, Pastorale, Didactique.

Le présent volume porte donc les « Actes » du second colloque scientifique international organisé par la LSRS. Qu’entend-­on par « colloque scientifique international » ? « International » désigne évidemment les origines variées des participants, ce qui se reflète dans l’identité et la provenance des auteurs ayant contribué au présent ouvrage ; « scientifique » ensuite, désigne le regroupement d’un nombre restreint de participants, lesquels sont tous considérés comme experts, aptes à intervenir, à partir de leur spécialité propre, au cœur des débats que peuvent susciter les prises de parole de leurs collègues et ce, au fil d’un déroulement qui, plutôt que de s’articuler uniquement autour de longs exposés, suppose de laisser du temps pour entendre le plus grand nombre, qu’il s’agisse de réactions directes, de panels, de tables rondes, d’ateliers. La LSRS a aussi commencé à élaborer un programme de Master in biblical pastoral ministry, qu’elle souhaitait articuler entièrement à partir du concept d’animation biblique de toute la pastorale. Or si l’idée d’un programme en pastorale biblique n’est pas en soi originale, l’idée de le fonder tout entier sur cette expression récemment intégrée dans un texte officiel de l’Église, elle, se présentait comme une façon nouvelle de penser les choses. Pourtant, qui peut prétendre savoir comment former des Ministres de la pastorale biblique dans cet esprit, alors même que personne – ou du moins personne à la LSRS – n’a lui-­même reçu une telle formation dans son parcours théologique ? Quelques intuitions habitaient bien sûr les porteurs du projet, qui permettaient déjà d’envisager que cette expression, si on en comprenait la portée, avait un « petit potentiel révolutionnaire », et ce à plusieurs niveaux. Ces intuitions nécessitaient d’être validées. D’où le désir de réunir un groupe de personnes d’horizons théologiques et géoculturels diversifiés.

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Jean Ehret (dir.), Pas d’Humanité sans Parole. La sacramentalité de la Parole entre parole humaine et parole divine. Actes du colloque international et interdisciplinaire du 28 au 30 janvier 2016 à la Luxembourg School of Religion & Society, « Dieux, Hommes et Religions », Bruxelles, Peter Lang (à paraître).

Daniel Laliberté et Georg Rubel

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3. Problématique du colloque 3.1 Deux questions de front Comment enseigne-­t-on, comment forme-­t-on, pour que s’implante l’animation biblique de toute la pastorale ? Ou, pour lui donner une forme plus élaborée : s’il est vrai que « le travail des Écritures est comme l’âme de toute la théologie », comment former quelqu’un, comment l’habiliter à implanter dans son milieu cette animation biblique de toute la pastorale ? Autrement dit, quelles en sont les conséquences pédagogiques, et notamment pour les facultés et instituts de théologie ? Telle est donc la dernière question sur laquelle devaient se pencher les participants au colloque. Or cette question en présuppose une autre, antérieure et qu’il fallait donc d’abord traiter : est-­ce possible d’arriver à donner une définition consensuelle, au sein d’un groupe de théologiens de diverses disciplines, de l’animation biblique de toute la pastorale ? Aborder de front ces deux questions était certes ambitieux. Il a pourtant semblé aux organisateurs que, dans l’état actuel de la réflexion ainsi que dans l’optique d’un service à rendre à une Église qui veut retrouver les racines bibliques de sa vie pastorale, elles devaient toutes deux être prises en compte, avec l’espoir d’arriver à les articuler l’une à l’autre. Voilà ce qu’exprime le titre du colloque : « “La Parole de Dieu est à l’œuvre en vous, les croyants” (cf. 1Th 2,13) / Bible – Pastorale – Didactique ».

3.2 « Toute la théologie »… « toute la pastorale »… C’est en 2008, à l’occasion de l’assemblée synodale sur la Parole de Dieu au cœur de la mission de l’Église, plus précisément comme proposition no 30 des Pères synodaux, que l’expression fit surface : Dei Verbum (24) exhorte à faire de la Parole de Dieu non seulement l’âme de la théologie mais aussi l’âme de toute la pastorale, de la vie et de la mission de l’Église. […] Le synode recommande d’intensifier la « pastorale biblique » non pas en la juxtaposant à d’autres formes de la pastorale mais comme animation biblique de toute la pastorale.

Benoît XVI développa l’idée au no 73 de l’exhortation apostolique qu’il rédigea dans la foulée du synode et intitulée Verbum Domini : Le Synode a invité à un engagement pastoral particulier pour faire ressortir la place centrale de la Parole de Dieu dans la vie ecclésiale, recommandant

Introduction

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« d’intensifier “la pastorale biblique” non en la juxtaposant à d’autres formes de la pastorale, mais comme animation biblique de toute la pastorale ». Il ne s’agit donc pas d’ajouter quelques rencontres dans la paroisse ou dans le diocèse, mais de vérifier que, dans les activités habituelles des communautés chrétiennes, dans les paroisses, dans les associations et dans les mouvements, on a vraiment à cœur la rencontre personnelle avec le Christ qui se communique à nous dans sa Parole. Ainsi, si « l’ignorance de la Sainte Écriture est ignorance du Christ », l’animation biblique de toute la pastorale ordinaire et extraordinaire conduira à une plus grande connaissance de la personne du Christ, Révélateur du Père et plénitude de la Révélation divine.

Ce dernier passage a été cité abondamment par les différents intervenants du colloque. Permettez-­nous simplement, dans cette introduction qui veut jeter les bases de la réflexion, de déjà faire ressortir comment le contenu des deux extraits ci-­dessus permet de commencer à comprendre ce que signifie cette expression. Notons tout d’abord que l’expression est en quelque sorte d’abord définie « en creux », autrement dit par ce qu’elle n’est pas : « Non pas en la juxtaposant… » (Prop. 30 et VD 73) ; « Il ne s’agit donc pas d’ajouter… » (VD 73). C’est la pastorale biblique qui est ainsi qualifiée négativement. Il en ressort donc clairement que celle-­ci ne doit pas être comprise comme un champ pastoral parallèle aux autres. Puis, sans en donner une explication large, VD 73 ouvre tout de même les volets sur ce qu’elle pourrait, et même ce qu’elle devrait être : elle doit se trouver « au cœur des activités habituelles… », donc en quelque sorte partout ! C’est précisément le sens de l’apparition de l’expression dans la Proposition 30 : « non pas en la juxtaposant à d’autres formes de la pastorale mais comme animation biblique de toute la pastorale ». En observant de façon un peu plus serrée, on voit que, dans VD 73, animation biblique de toute la pastorale apparaît à deux reprises. Et, en inclusion entre ces deux utilisations, en apparaît le but : « que, dans les activités habituelles des communautés chrétiennes, dans les paroisses, dans les associations et dans les mouvements, on ait vraiment à cœur la rencontre personnelle avec le Christ qui se communique à nous dans sa Parole ». Ainsi considérée, la pastorale biblique se voit sérieusement recadrée, tant dans ses moyens que dans son objectif essentiel : favoriser chez les fidèles la rencontre personnelle avec le Christ-­Verbe. Pour continuer à tenter de cerner la portée de l’expression animation biblique de toute la pastorale, il faut aussi la placer en perspective avec deux textes qui l’ont précédée. Le premier d’assez loin, puisqu’il nous vient de Léon XIII, dans Providentissimus Deus de 1893, où il souhaitait que « la

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Daniel Laliberté et Georg Rubel

pratique de la divine Écriture se répande à travers toute la théologie et en devienne pour ainsi dire l’âme ». Ici, ce qui est en cause, ce n’est pas la vie pastorale en général, mais le travail qui se déroule dans les instituts de théologie. Si le pape exhortait en ce sens, c’est assurément qu’il pressentait qu’il y avait lacune, problème. De toute évidence, il déplorait une théologie qui ne trouvait pas son souffle au bon endroit, qui devait s’efforcer de trouver celui-­ci dans « la pratique des Écritures ». L’appel du pape fut-­il entendu ? Une bonne partie de la réponse se trouve probablement dans la Constitution dogmatique Dei Verbum de Vatican II. Pour ne pas empiéter sur les contributions de ce volume qui s’emploient à mettre en évidence les éléments de ce document qui sont pertinents pour le présent débat, rappelons ici simplement que l’invitation de Léon XIII s’y retrouve presque à l’identique, au numéro 24 : « Que l’étude de la Sainte Écriture soit donc pour la théologie sacrée comme son âme » – la note de DV 24 renvoie d’ailleurs à Providentissimus Deus. À lire ce qui entoure cette phrase dans Dei Verbum, on perçoit une certaine insistance, qui donne à penser que, entre 1893 et 1965 et malgré les appels de Léon XIII, il n’y a pas eu de changement fondamental dans la façon de faire de la théologie. Bien sûr, ces deux références du Magistère auxquelles nous venons de référer ne parlent pas de l’animation biblique de toute la pastorale. Elles ne nous situent pas dans la sphère pastorale, mais dans celle de l’enseignement de la théologie. Or comment ne pas voir à quel point ces deux perspectives sont étroitement interreliées, ce qui peut même donner à penser que l’émergence de la version « pastorale » au tournant du xxie siècle fait reporter sur la vie des communautés chrétiennes un mandat que les instituts de formation théologique n’arrivent pas à assumer. Or nous l’avons dit, c’est précisément le défi qui était lancé aux participants à ce colloque : envisager une définition consensuelle de l’animation biblique de toute la pastorale pour ensuite se demander quels changements cette compréhension devrait induire dans la formation théologique des responsables pastoraux. Il ne suffit donc pas de dire que les Écritures doivent trouver une position nouvelle dans l’enseignement de la théologie d’une part, et dans la vie pastorale d’autre part, comme deux éléments juxtaposés ou parallèles. Il est clair que l’un va de pair avec l’autre. Citons encore ici Dei Verbum, aux numéros 23 et 25 : Il faut que les exégètes catholiques et tous ceux qui s’adonnent à la théologie sacrée, unissant activement leurs forces, s’appliquent […] à si bien scruter et à si bien présenter les divines Lettres, que le plus grand nombre possible de serviteurs de la parole divine soient à même de fournir utilement au peuple

Introduction

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de Dieu l’aliment scripturaire, qui éclaire les esprits, affermit les volontés et embrase d’amour de Dieu le cœur des hommes. C’est pourquoi tous les clercs, en premier lieu les prêtres du Christ, et tous ceux qui s’adonnent légitimement, comme diacres ou catéchistes, au ministère de la parole, doivent, par une lecture sacrée assidue et par une étude approfondie, s’attacher aux Écritures, (car ils doivent) faire part aux fidèles […] des richesses sans mesure de la parole divine. De même le saint Concile exhorte de façon insistante et spéciale tous les fidèles du Christ […] à acquérir, par la lecture fréquente des divines Écritures, « la science éminente de Jésus Christ » (Ph 3,8). « En effet, l’ignorance des Écritures, c’est l’ignorance du Christ ».

Ce qui est mis en évidence ici, c’est d’abord cette invitation faite non seulement aux exégètes mais à tous les théologiens à « si bien scruter les divines Lettres », tout en précisant, ce qui pourrait déranger certaines sensibilités pédagogiques, jalouses de l’autonomie absolue de chaque enseignant : « unissant activement leurs forces ». Peut-­on y lire une invitation à décloisonner les disciplines théologiques, à développer davantage la « fibre interdisciplinaire » ? Il ressort aussi de cette citation que l’objectif d’une telle remise en question, c’est d’arriver à faire en sorte que les pasteurs ainsi formés puissent à leur tour proposer aux fidèles « les richesses sans mesure de la parole divine ». Formation théologique et responsabilité pastorale fondées sur les Écritures sont donc ici clairement mises en rapport étroit : une réelle animation biblique de toute la pastorale requiert une formation théologique des pasteurs qui soit solidement fondée sur les Écritures, soulevant alors la question : qu’est-­ce qu’une formation théologique solidement fondée sur les Écritures ? Plusieurs enjeux se croisent ici, qu’on peut regrouper selon les trois volets suivants.7

3.3 Des enjeux en trois volets A) Bible – la place des Écritures dans la théologie À quoi peut correspondre aujourd’hui ce que Léon XIII appelait il y a plus d’un siècle « la pratique de la divine Écriture », et comment cette « pratique » peut-­elle être « l’âme de toute la théologie » ? Peut-­on parler, par analogie, d’une animation biblique de toute la formation théologique ? Surtout : quels liens y a-­t-il entre l’Écriture comme âme de toute la théo7



Ces volets ne correspondent pas à la structure du colloque ni à celle du livre. Il s’agit de questions transversales que la réflexion globale cherche à tenir ensemble du début à la fin pour en manifester les interrelations.

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logie, la formation des intervenants pastoraux et la possibilité de mise en œuvre d’une animation biblique de toute la pastorale ?

B) Pastorale Le concept d’animation biblique de toute la pastorale, bien qu’il ait une composante biblique évidente, est d’abord un concept pastoral. Ce qui est visé par l’expression, c’est la qualité de la vie des communautés chrétiennes, dont on souhaite qu’elle se construise sur une fondation biblique. C’est donc bien « toute la pastorale » qui est l’objet réel de cet enjeu. Il faut donc se demander quelles sont les conditions requises pour que cette vie pastorale trouve son « âme » dans les Écritures. Ainsi formulée, la question est trop vague et trop vaste. Affinons donc un peu. Quelles seraient les conséquences d’une vie pastorale qui trouve réellement son anima dans les Écritures, en ce qui concerne – entre autres – la façon d’organiser le fonctionnement ecclésial (diocésain, paroissial, communautaire), l’engagement au service de la transformation du monde, l’évangélisation et la catéchèse, la communion fraternelle, la liturgie, etc. ? De même, quelles pourraient en être les conséquences pour l’organisation des ministères, la formation ainsi que la vie spirituelle des agents pastoraux ? C’est en cherchant à répondre à ces questions complexes que peut se dégager progressivement une compréhension de plus en plus consensuelle de l’animation biblique de toute la pastorale.

C) Didactique Si l’objectif ultime se situe clairement au plan de la vie des communautés chrétiennes, il semble pourtant évident que la possibilité d’une transformation de la vie de ces communautés dépend fortement de la façon dont sont formés les pasteurs – prêtres, diacres et laïcs – qui assument la responsabilité de ces communautés. Il faut alors se demander : comment forme-­t-on quelqu’un afin qu’il sache conduire une communauté d’une façon que toute sa vie trouve son souffle dans les Écritures ? Si l’on accepte la critique déjà présente chez Léon XIII, toujours d’actualité à Vatican II et probablement encore aujourd’hui, alors quelles transformations devraient être envisagées dans la façon d’enseigner la théologie dans nos institutions, afin de permettre que ceux et celles qui y sont formés épousent cette disposition qui leur permettra d’organiser la vie pastorale des communautés chrétiennes d’une façon telle que ces communautés soient portées par une animation biblique de toute la pastorale ? La longueur même de la question reflète la cascade

Introduction

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de causes et d’effets qui partent de « la pratique de la divine Écriture » dans la théologie jusqu’à une vie pastorale « transversalement animée » par la Bible. Dans cet « effet cascade » apparaît aussi la formation des fidèles, dont la responsabilité incombe aux agents pastoraux. Quelle formation proposer à ces fidèles qui constituent nos communautés chrétiennes, afin qu’ils se familiarisent personnellement avec les Écritures, sans quoi on pourra difficilement envisager l’implantation d’une animation biblique de toute la pastorale ? S’il est vrai que « l’on forme comme on est formé », cela interpelle directement la façon dont les agents pastoraux ont eux-­mêmes appris cette transversalité des Écritures. Une telle série de questions engage bien plus qu’un colloque de trois jours. Celui dont le volume porte les réflexions avait des visées plus modestes : recourir aux compétences complémentaires des participants pour chercher à cerner au mieux la signification et la portée de l’expression encore mal définie animation biblique de toute la pastorale, puis commencer à en envisager les conséquences autant pour la formation des responsables pastoraux, d’une part, et la formation et la catéchèse des fidèles des communautés chrétiennes d’autre part.

4. Organisation du présent volume Le présent volume colle d’assez près au déroulement du colloque de mars 2017. Une première partie, intitulée « Poser la question : du regard académique à l’expérience en contexte », donne d’abord la parole à trois théologiens d’horizons différents, afin d’aborder trois points de vue académiques quant à la façon dont se pose la question de l’animation biblique de la pastorale : le point de vue de l’exégèse (M. Gilbert), celui de la théologie pratique (J. Molinario), et celui de la didactique (J. Könemann). Suivent quatre contributions d’intervenants provenant d’horizons géoculturels très différents. Chacun cherche à exposer, selon sa façon et son style propres, la réception du concept d’animation biblique de toute la pastorale dans l’aire géographique et culturelle qui le concerne : l’Europe de l’est (J.J. Stefanów), l’Asie et plus particulièrement la Chine (Ko Ha Fong M.), l’Amérique latine (G. Acero Alvarín) et l’Afrique (G. Munana).8 Dans le 8



On remarquera dans ces quatre interventions une grande variété autant dans les styles que dans les angles d’approche et le recours aux références documentaires. Cette variété, on aura l’occasion de l’exposer plus en détail, apparaît déjà comme un « lieu théologique », puisqu’elle reflète des situations de rapport à la Bible très différents, en

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présent ouvrage, nous avons fait suivre ces quatre contributions d’une relecture théologique qui, partant de la situation diversifiée de l’animation biblique de toute la pastorale à l’échelle planétaire, cherche à en tirer quelques conclusions et pistes de recherche (D. Laliberté). La deuxième partie, intitulée « Jeux et enjeux de résonance et de transmission », poursuit le travail de construction du consensus autour de la signification de l’expression-­phare du colloque. Elle est introduite par une présentation de l’histoire de l’expression elle-­même (T. Osborne). Quatre théologiens, tous également praticiens, en répercutent l’écho, sous les angles successifs de la théologie biblique (F.-X. Amherdt), de la théologie dogmatique (J. Ehret), de la théologie pratique protestante (N. Cochand) et de la catéchèse (C. Kremer-­Hoffmann). Enfin, une dernière contribution s’intéresse aux conséquences de toutes ces réflexions sur la formation des intervenants pastoraux dans les institutions d’enseignement de la théologie, en ciblant la « posture de rapport à la Bible » des théologiens-­enseignants eux-­mêmes (Y. Guérette). La conclusion du volume (Laliberté, Rubel) proposera quelques perspectives, incluant une définition de l’animation biblique de toute la pastorale, posant ainsi les jalons pour poursuivre une réflexion qui, bien qu’elle ait déjà de profondes racines, cherche encore comment permettre que, de plus en plus, « la Parole de Dieu soit à l’œuvre en vous, croyants », autant grâce à l’enseignement de la théologie que par des pratiques neuves au sein des communautés chrétiennes.

fonction d’histoires propres, parfois même tragiques, qu’il faut analyser si l’on veut comprendre les possibilités d’implantation de l’animation biblique de toute la pastorale à l’échelle de toute l’Église.

Introduction An emerging concept that questions pastoral practices and challenges theological trainers

Daniel Laliberté

Director of the Department Religion, Communication, Education (LSRS)

Georg Rubel

Responsible for the section Practice of the Founding Texts (LSRS) Promoters of the Conference, directors of publication

1. Context setting The expression Biblica animatio totius actionis pastoralis1 found an official place in magisterial texts following the 2008 Synodal Assembly on The Word of God in the Life and Mission of the Church. It first appears in Proposition 30 at the end of the Assembly, then appears – even twice – in no 73 of the post-­synodal apostolic exhortation Verbum Domini (Pope Benedict XVI, 2010). Its emergence in magisterial texts is at the crossroads of two historical paths: on the one hand, long before the birth of the expression, this theological and pastoral theme gradually emerged in some official texts of the Church at the end of the xixth and throughout the xxth century; on the other hand, its terminological form itself is rooted in reflections and works of the Catholic biblical federation, that forged it, initially as a French formula – Animation biblique de toute la pastorale – during a meeting of a subregion that took place at the Centre Jean XXIII in Luxembourg City, the venue of the Conference the proceedings of which, are subject of the present book. The details of this twofold historical path are presented in

1



Which some of the authors in this book shorten in « BATAP ».

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some of the chapters included in this book.2 The Luxembourg School of Religion & Society aims at perpetuating this legacy of reflection around Biblical inspiration of pastoral life.3

2. The Luxembourg School of Religion & Society and Biblica animatio totius actionis pastoralis According to the Director of the LSRS, Professor Jean Ehret,4 the Conference in question is an illustration of the orientations of this institution. The LSRS is a very young institution, which [the Archbishop of Luxembourg] wanted to be created, so that the Catholic Church developed its research and teaching in conformity with the IInd Vatican Council: deeply rooted in the Word of God and in the living tradition, in dialogue with other religions and with the contemporary world it is part of.5 […] This Conference is part of the research and teaching project of the LSRS focusing on the animatio biblica totius actionis pastoralis, a concept that is of great help in the wish to let God’s eternal Word transform people, Churches, and the world. This project has been initiated by Professor emeritus Thomas Osborne, whom I would like to thank and honour for his lifelong dedication to the Bible and his numerous responsibilities, at the Centre Jean XXIII, in the archdiocese, and in many international entities. I would like to dedicate this International Conference to him, as a sign of our gratitude and respect for his work and commitment. A first step stone in the project was last year’s

2

The first path, throughout magisterial texts, is developed by M. Gilbert; the second one, the history of the expression itself, is unfolded by one of its creators, Thomas P. Osborne, emeritus professor at the Centre Jean XXIII and longtime involved in the Catholic biblical federation. 3 T. Osborne addresses the translation problem brought up by the expression animatio biblica totius actionis pastoralis, and especially the word “animatio” in non-­latin languages. Cf. infra: T. Osborne, “« Biblica animatio totius actionis pastoralis » : une nouvelle perspective pour sortir de l’impasse ?, Remarques préliminaires”, and the footnote. 4 Abstracts of his March 2017 Conference opening and welcoming address. 5 The project of the LSRS has found great support in Pope Francis, Apostolic Constitution “Veritatis gaudium” on Ecclesiastical Universities and Faculties, nr 4, where the pope outlines four criteria for the development of ecclesiastical studies: 1) contemplation of the heart of the kerygma and introduction to it; 2) dialogue; 3) inter- and transdisciplinarity; 4) networking between institutions. The LSRS has precisely been built according to these four aspects.

Introduction

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conference on the Sacramentality of the Word; the proceedings of this conference shall be published soon.6 […] We came to the conviction that if we want to foster a new way of working with the Bible, we need to teach in a different way. Hence this year’s conference, subtitled: Bible, Pastoral, Didactics.

The present volume therefore includes the “Proceedings” of the second international scientific symposium organized by LSRS. The following question is raised: what do the terms “international scientific” really mean in this context? “International” obviously means the varied origins of the participants, which is reflected in the identity and origins of the authors who contributed to this book; “scientific” refers to the grouping of a small number of participants, all of whom are considered experts, able to intervene, from within their own specialty, in the debates that may be triggered by the speeches of their colleagues, in a process which, aside the lectures given, also allows time for exchange of views, through direct reactions, panels, round tables and workshops. The LSRS has also taken steps to devise a Master’s program in biblical pastoral ministry. The objective is to elaborate this program, by focusing on the expression Biblica animatio totius actionis pastoralis. Although the idea of such a program in Biblical pastoral care is not new, novelty consists in the idea of conceptualizing the entire Master’s program based on this expression, which was recently integrated into an official text of the Church. But it is difficult to claim a know-­how of forming ministers for biblical pastoral care in this spirit, while no theologian – at least at the LSRS – has received such training in his theological journey. Yet, the persons who conceived the project, were guided by the intuition that this expression, considered in a holistic way, was “slightly revolutionary”, on several levels. However, such an intuition still needed to be validated. Hence the idea emerged of bringing together a group of people from diverse theological and geocultural backgrounds.

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Jean Ehret (dir.), Pas d’Humanité sans Parole. La sacramentalité de la Parole entre parole humaine et parole divine. Actes du colloque international et interdisciplinaire du 28 au 30 janvier 2016 à la Luxembourg school of religion & society, « Dieux, Hommes et Religions », Bruxelles, Peter Lang (à paraître).

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3. Problematics of the Conference 3.1 Two interconnected questions In what ways to teach, or train, so that Biblica animatio totius actionis pastoralis can be fully implemented? Or, otherwise put: if it is true that “the use of the Scriptures is the soul of the whole theology”, how should people be formed and trained, so that they are able to implement this biblica animatio within their community? What are the pedagogical consequences for Theology faculties and institutes? This was in fact the last question that the participants to the Conference had to deal with. But this question presupposes another one: is it possible to achieve consensus for a common definition of Biblica animatio totius actionis pastoralis, among a group of theologians from different disciplines? Addressing these two questions was indeed ambitious. However, it seemed quite obvious to the organizers that, in the current state of the question, and also in order to help the Church, which strives to find its way back to the biblical roots of its pastoral life, both questions had to be considered and connected. This is the meaning of the title of the conference: “ ‘God’s Word is at Work in You, Who Believe’ (cf. 1 Thess. 2,13) / Bible – Pastoral – Didactics”.

3.2 “The whole Theology”… “all pastoral life”… It is in 2008, at the end of the Synodal assembly on “the Word of God in the life and mission of the Church”, as proposition no 30 of the Synodal fathers, that the expression first appeared: Dei Verbum exhorts making the Word of God not just the soul of theology, but also the soul of all pastoral efforts – of the life and the mission of the church. (DV 24) […] The synod recommends increasing pastoral work with the Bible not in juxtaposition with other forms of pastoral work, but as the Biblical animation of all pastoral efforts.

Benedict XVI developed the idea in no 73 of the apostolic exhortation that he wrote, following the Synod, and entitled Verbum Domini: The Synod called for a particular pastoral commitment to emphasizing the centrality of the word of God in the Church’s life, and recommended a greater “biblical apostolate”, not alongside other forms of pastoral work, but as a means of letting the Bible inspire all pastoral work”. This does not mean

Introduction

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adding a meeting here or there in parishes or dioceses, but rather of examining the ordinary activities of Christian communities, in parishes, associations and movements, to see if they are truly concerned with fostering a personal encounter with Christ, who gives himself to us in his word. Since “ignorance of the Scriptures is ignorance of Christ”, making the Bible the inspiration of every ordinary and extraordinary pastoral outreach will lead to a greater awareness of the person of Christ, who reveals the Father and is the fullness of divine revelation.

This passage has been extensively quoted by the participants in the Conference. In this introduction, which aims at laying the foundations of the reflection, we would like to emphasize the importance that these two paragraphs bear, in order to grasp the meaning of this expression. First of all, one may notice that the expression is first defined “in hollow”, in other words by what it is not: “not in juxtaposition with…” (Prop. 30 & VD 73); “This does not mean adding…” (VD 73). It is bi­blical apostolate which is negatively defined here. It thus clearly emerges that this must not be understood as a pastoral field parallel to the others. Then, without giving a broad explanation, VD 73 still opens the shutters on what it could, and even what it should be: it must be “at the heart of the usual activities…”, that is, somehow, all over! This is precisely the meaning of the appearance of the expression in Proposition 30: “not by juxtaposing it with other forms of pastoral care but as biblical animation of all pastoral care.” Looking a little closer, we may see that in VD 73, biblical animation of all the pastoral (life) appears twice. And, as an inclusion between these two occurrences, appears the goal: that, in “the ordinary activities of the Christian communities, in parishes, associations and movements, [to be] truly concerned with fostering a personal encounter with Christ, who gives himself to us in his word.” Considered this way, the biblical apostolate is seriously reframed, both in its means and in its essential objective: to foster in the faithful the personal encounter with Christ the Word. To go further in attempting to determine the scope of the expression Biblical animation of all pastoral care, the latter must also be placed in perspective with two texts that preceded it. The first text goes back to the times of Leo XIII, in Providentissimus Deus of 1893, where he wished that “the practice of divine Scripture spreads throughout the whole Theology and becomes, so to speak, its soul”. What is at stake here is not pastoral life in general, but the work that takes place in Theology institutes. If the Pope exhorted in this sense, it is quite certain that he considered that there was a gap, a problem. Clearly, he deplored a Theology that did not find

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its breath in the right place, which should henceforth strive to find it in “the practice of the Scriptures”. Was the pope’s call heard? A good part of the answer is probably to be found in the dogmatic Constitution Dei Verbum of Vatican II. In order not to overlap the many contributions of this volume which seek to highlight the elements of Dei Verbum that are relevant to this debate, let us simply recall that the invitation of Leo XIII is almost identical to what we find in number 24: “The study of the sacred page is, as it were, the soul of sacred theology” – the footnote of DV 24 refers to Providentissimus Deus. The text that surrounds this sentence in Dei Verbum reflects an insistence, which suggests that, between 1893 and 1965 and despite the calls of Leo XIII, there was no fundamental change in the way of doing theology. Of course, these two references of the Magisterium, to which we have just referred, do not speak of biblical animation of the whole pastoral (life). It does not stand in the pastoral sphere, but in the one of the teaching of Theology. But how can we not see how closely these two perspectives are interrelated, even suggesting that the emergence of the “pastoral” version at the turn of the xxist century transfers on the life of the communities a task that the theological institutes fail to assume. As we have said, this is precisely the challenge that the participants of this Conference had to deal with: to (try to) come to a consensual definition of biblical animation of all the pastoral life, and then to foresee what changes this understanding should induce in the theological formation of the pastoral leaders. It is therefore not sufficient to say that the Scriptures must find a new position in the teaching of Theology on the one hand, and in pastoral life on the other, as two juxtaposed or parallel elements. It is clear that the one goes hand in hand with the other. Let’s quote here again Dei Verbum, at numbers 23 and 25: Catholic exegetes then and other students of sacred theology, working diligently together and using appropriate means, should devote their energies […] to an exploration and exposition of the divine writings. This should be so done that as many ministers of the divine word as possible will be able effectively to provide the nourishment of the Scriptures for the people of God, to enlighten their minds, strengthen their wills, and set men’s hearts on fire with the love of God. Therefore, all the clergy must hold fast to the Sacred Scriptures through diligent sacred reading and careful study, especially the priests of Christ and others, such as deacons and catechists who are legitimately active in the ministry of the word […] since they must share the abundant wealth of the divine word with the faithful committed to them, especially in the sacred liturgy.

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The sacred synod also earnestly and especially urges all the Christian faithful […] to learn by frequent reading of the divine Scriptures the “excellent knowledge of Jesus Christ” (Phil. 3:8). “For ignorance of the Scriptures is ignorance of Christ.”

What is highlighted here is, first of all, this invitation made not only to the exegetes but to all theologians to “scrutinize the divine Letters”, while specifying, which could disturb certain pedagogical sensibilities, jealous of the absolute autonomy of each teacher: “working diligently together”. Can we see this as an invitation to decompartmentalize theological disciplines, to further develop the “interdisciplinary fiber”? It also appears from this quote that the purpose of such a challenge is to ensure that the pastors thus trained can, in return, offer to the faithful “the abundant wealth of the divine word”. Theological formation and pastoral responsibility based on the Scriptures are here clearly and closely related: true biblical animation of all pastoral care requires a theological training of pastors that is firmly grounded in the Scriptures, thus raising the question: what is a theological formation firmly based on the Scriptures? Several issues intersect here, which can be grouped in three parts as follows.7

3.3 Three issues A) Bible – the place of Scriptures in theology What can today correspond to what Leo XIII called, more than a century ago, “the practice of divine Scripture”, and how can this “practice” be “the soul of all theology”? Can one speak, by analogy, of a biblical animation of the whole theological formation? Above all: what are the links between Scripture as the soul of all theology, the formation of pastoral workers and the possibility of implementing a biblical animation of all the pastoral life?

B) Pastoral life and care The concept of biblical animation of all pastoral life, although it has an obvious biblical component, is primarily a pastoral concept. What is targeted by the expression is the quality of life of Christian communities, which we hope will be built on a biblical foundation. It is “the whole 7



Those three groups of questions correspond neither to the structure of the Conference, nor of the book. These are transversal issues, that the whole of the reflection tries to hold together from beginning until end, demonstrating their interrelationship.

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pastoral life” that is the real topic of this issue. We must therefore ask ourselves what are the conditions required for this pastoral life to find its “soul” in the Scriptures. Formulated in such a way, the question is too vague and vast. Let’s refine a little bit. What would be the consequences of a pastoral life that really finds its anima in the Scriptures, with regard to – among other things – structuration of ecclesial functioning (diocese, parish, community), commitment to serve the transformation of the world, evangelization and catechesis, fraternal communion, liturgy, etc.? In the same way, what could be the consequences for the organization of the ministries, the formation as well as the spiritual life of the pastoral agents? It is by seeking to answer these complex questions that a more and more consensual understanding of the biblical animation of all pastoral life can gradually emerge.

C) Didactics While the ultimate goal is clearly in terms of the life of Christian communities, it seems obvious that the possibility of a transformation of the lives of these communities is highly dependent on the way pastors – priests, deacons and lay people – who take responsibility for these communities, are trained. Then must we ask: how do you train someone so that he can lead a community in a way that its whole life finds his breath in the Scriptures? If we accept the criticism already present in Leo XIII, still relevant in Vatican II and probably still today, then what transformations should be envisaged in the way of teaching theology in our institutions, in order to allow those who are trained there to embrace this personal disposition, which will allow them to organize the pastoral life of the Christian communities in such a way that these communities are carried by a biblical animation of the whole pastoral life? The very length of the question reflects in itself the cascade of causes and effects that range from “the practice of divine scripture” in theology to a pastoral care “transversally animated” by the Bible. This “cascade effect” also includes the formation of the faithful, whose responsibility lies with the pastoral agents. What formation to propose to these faithful who compose our Christian communities, so that they become personally familiar with the Scriptures, without which it would be difficult to expect implantation of a biblical animation of the whole pastoral life? If it is true that “one forms as one is formed”, it directly chal-

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lenges the way in which the pastoral agents have themselves learned this transversality of the Scriptures. Such a series of questions involves much more than a three-­day conference. The speakers whose reflections are expressed in this book, had more modest aims, namely, to use the complementary skills of the participants to seek a more and more appropriate definition of the meaning and the scope of the – still – poorly defined expression biblical animation of the whole pastoral life; to consider the consequences for both the formation of pastoral leaders, on the one hand, and the formation and catechesis of the faithful among Christian communities, on the other hand.

4. Structure of this book This volume sticks quite closely to the March 2017 Conference. The first part, entitled “Raising the question: between academic views and contextualized experiences”, gives the floor to three theologians from different backgrounds, in order to address three academic points of view regarding the question of the biblical animation of pastoral life: the point of view of exegesis (M. Gilbert), the one of practical theology (J. Molinario), and the one of didactics (J. Könemann). Four contributions from speakers from very different geocultural backgrounds follow. Each speaker attempts to contextualize, with his/her own way and style, the reception of the concept of biblical animation of all the pastoral life within the geographical and cultural area of concern: Eastern Europe (J.J. Stefanów), Asia, and more particularly China (Ko Ha Fong M.), Latin America (G. Acero Alvarín) and Africa (G. Munana). In this book, these four contributions are followed by some theological reflections which, starting from the very hete­ ro­geneous situation of biblica animatio totius actionis pastoralis on a global scale, intends to draw some conclusions and research tracks (D. Laliberté). The second part, entitled “Issues and challenges of transmission and impact”, continues the work of building a consensus around the meaning of the Conference’s flagship expression. It is introduced by a presentation of the history of the expression itself (T. Osborne). Four theologians, all of them having also practical experience, echo to Osborne’s reflections, from the successive angles of biblical theology (F.-X. Amherdt), dogmatic theology (J. Ehret), Protestant practical theology (N. Cochand) and catechesis (C. Kremer-­Hoffmann). Finally, one last contribution deals with the consequences of all these reflections on the formation of the pastoral workers in the Theology institutions, targeting specifically the “posture

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of relationship with the Bible” of the theologians-­teachers themselves (Y. Guérette). The conclusion of the volume (Laliberté, Rubel) offers some perspectives, including a definition of biblical animation of all pastoral life, thus laying the groundwork to help pursuing a reflection which, although deeply rooted, still seeks its way, so that, progressively, “the Word of God may be at work in you, who believe”, through the teaching of Theology, as well as through new practices within the Christian communities.

Première partie / First part « Poser la question » : entre regard académique et expériences en contexte / “Raising the question”: between academic views and contextualized experiences

Chapitre premier / First Chapter Regard académique / Academic views La première session de ce colloque s’intitulait « Poser la question ». Une première partie donnait la parole à trois théologiens d’horizons divers, afin qu’ils exposent, à partir de leur point de vue spécifique, la façon dont la question de l’animation biblique de toute la pastorale les mettait au défi. L’exégète Maurice Gilbert, le professeur de théologie pratique Joël Molinario et la spécialiste de la pédagogie religieuse Judith Könemann avaient donc pour mission d’aborder d’entrée de jeu les trois dimensions annoncées dans le titre même du colloque : « Bible, pastorale et didactique ». Si leurs propos ont pris quelques largesses par rapport à la demande qui leur a été formulée, cela a eu pour effet de considérer la problématique dans un plan plus large, grâce à une « exégèse » de la constitution conciliaire Dei Verbum, à une réflexion sur « le livre comme miroir ouvrant à l’acte d’écoute du Verbe » et à la mise en évidence des conditions de rencontre entre le texte biblique et son lecteur ou sa lectrice. The first session of the Conference was entitled “Raising the question”. A first part was dedicated to three theologians from different backgrounds, who explained how, from their point of view, they were challenged by the question of Biblical animation of the whole pastoral life. Thus, the exegete Maurice Gilbert, the professor of practical theology Joël Molinario and the specialist for religion pedagogy Judith Könemann had the task of addressing right from the beginning the three dimensions announced in the title of the Conference: “Bible, pastoral, didactics”. The aforementioned speakers dealt with the topic in question in a much broader way than expected, which, as a result, led to a fruitful and more complex exploration of the problematic, through an “exegesis” of the conciliar constitution Dei Verbum, a reflection on “the book as mirror opening to the act of listening to the Word” and the highlighting of the conditions of encounter between the biblical text and its readers.

L’Écriture Sainte, âme de la théologie et de toute action pastorale Maurice Gilbert École biblique et archéologique française de Jérusalem.

1. L’étude de l’Écriture, ou l’Écriture, âme de la théologie1 1. a) Un peu d’histoire Dans les textes définitifs du concile Vatican II, cette formule apparaît deux fois. Une première fois, dans le décret Optatam totius sur la formation sacerdotale, texte promulgué par Paul VI le 28 octobre 1965. Ce texte intervient dans le chapitre V intitulé « La révision des études théologiques », au no 16, traitant des disciplines théologiques. Voici ce que dit ce décret : « Les séminaristes doivent être formés avec un soin particulier à l’étude de l’Écriture sainte, qui [en latin : quae] doit être comme l’âme de la théologie tout entière ».2 Le texte latin permet de comprendre sans aucune hésitation que c’est l’Écriture qui est l’âme de la théologie. En réalité, durant les quatre sessions du concile Vatican II, la formule apparaît déjà dans le troisième schéma de la constitution De divina Revelatione, daté du 3 juillet 1964. La formule vient au chapitre VI intitulé De Sacra Scriptura in vita Ecclesiae, au no 24 qui a pour titre : De momento Sacrae Scripturae pro Theologia et dont voici le passage : « Les saintes Écritures contiennent la parole de Dieu et, puisqu’elles sont ins1

Bibliographie succincte : Carlo Maria Martini, “La Sacra Scrittura nella vita della Chiesa”, in La Parola di Dio alle origini della Chiesa (AnBib, no 93), Rome, Biblical Institute Press, 1980, p. 3-33, spécialement p. 23-25 (“Lo studio della Scrittura, anima della Teologia”) ; René Lafontaine (dir.), L’Écriture, âme de la théologie, (Collection IET, no 9), Bruxelles, Institut d’études théologiques, 1990, 222 p. ; Michelangelo Tábet (dir.), La Sacra Scrittura anima della teologia. Atti del IV Simposio internazionale della Facoltà di Teologia [Univ. Pont. di Santa Croce] (Collezione teologica), Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 1999, 280 p. (non consulté). 2 “Sacrae Scripturae studio, quae universae theologiae veluti anima esse debet, peculiari diligentia alumni instituantur.”

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pirées, elles sont vraiment cette parole ; que l’étude de la sainte Écriture soit donc pour la Théologie Sacrée comme son âme ».3 Ce sera le texte définitif, promulgué le 18 novembre 1965 par Paul VI. Toutefois, dans le premier schéma, daté du 13 juillet 1962, donc antérieur au concile, au chapitre  V intitulé De Sacra Scriptura in Ecclesia, le no  29 [De habitudine theologiae ad Sacram Scripturam] commençait ainsi : « Puisque la Sainte Écriture avec la Tradition est comme l’âme de toutes les doctrines théologiques […] ».4 Mais le 20 novembre 1962, Jean XXIII retirait d’autorité ce schéma préparé par la Curie romaine et refusé par une majorité de Pères conciliaires. Quoi qu’il en soit, ce schéma, rédigé entre autres ou peut-­être principalement par le jésuite hollandais Sebastian Tromp, de la Grégorienne, avait déjà inscrit l’expression velut anima.5 Dans le nouveau schéma, le deuxième, daté du 22 avril 1963, toujours sous Jean XXIII, la formule du premier a totalement disparu du no 24 de son chapitre V.6 En 1964, la formule du premier schéma a été partiellement reprise, mais les mots una cum Traditione ont disparu.7 À cette date, le maître d’œuvre était Mgr André-­Marie Charue, évêque de Namur et docteur en théologie de Louvain.8 Or, ce schéma de 1964 précise bien qu’il s’agit du Sacrae Paginae studium, ce qu’on comprend généralement et avec raison comme l’étude de l’Écriture. Et ce n’est que le 22 septembre 1965 qu’une note fut ajoutée à la demande de quelques Pères conciliaires : cette note renvoyait à Léon  XIII, Providentissimus (Enchiridion Biblicum, 114) et Benoît XV, Spiritus Paraclitus (Enchiridion Biblicum, 483).9 Benoît XV avait repris littéralement l’expression de Léon XIII. Celui-­ci l’avait utilisée dans son encyclique de 1893 sur les études de l’Écriture Sainte vers la fin de sa première partie consacrée à « prouver, exposer, élucider la doctrine catholique par une légitime et soigneuse interprétation de la 3

“Sacrae autem Scripturae verbum Dei continent et, quia inspiratae, vere verbum Dei sunt ; ideoque Sacrae Paginae studium sit veluti anima Sacrae Theologiae.” 4 “Cum universae theologicae doctrinae Sacra Scriptura una cum Traditione velut anima sit […].” 5 Je me sers des Documenta Concilii Vaticani II De divina Revelatione ad usum privatum, Rome, 1967, 187 p. Ils fournissent toute la documentation concernant l’iter de ce texte dans l’aula conciliaire depuis le début. Ici, p. 9. 6 Cf. Documenta, op. cit., p. 73. 7 Le rapporteur, Jan van Dodewaard, évêque de Harlem, aux Pays-­Bas, s’en explique le 25 septembre 1964 : cf. Documenta, op. cit., p. 95 et 97. 8 Ibid., p. 87. 9 Ibid., p. 181-182.

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sainte Bible ».10 Il écrit donc : « Il est surtout extrêmement désirable et nécessaire que l’usage de la divine Écriture influe sur toute la science théologique et en soit pour ainsi dire l’âme : telle a été, en effet, dans tous les temps, la leçon et la pratique des Pères et des plus éminents théologiens ».11 Or, on sait que le rédacteur principal de cette encyclique avait été le jésuite allemand Rudolph Cornely, de la Grégorienne. L’expression « âme de la théologie » venait-­elle de lui ? Il semble bien que non. En effet, en 1984, José Maria Lera, jésuite de l’Université Deusto à Bilbao, montra que Cornely l’avait empruntée à la XIIIe Congrégation générale de la Compagnie de Jésus, réunie à Rome en 1687.12 Celle-­ci stipule de fait dans son décret XV : « Que la science scripturaire, qui a toujours été tenue en particulière considération dans la Compagnie, conserve auprès de tous la place qui lui revient comme à l’âme même de la véritable théologie et à ce qui est extrêmement nécessaire dans les ministères propres de la Compagnie ».13 Ici encore, c’est la science scripturaire qui est comme l’âme 10

J’utilise le texte latin et la version française parus dans les Études religieuses de 1894, p. 8 et 10. 11 “Illud autem maxime optabile est et necessarium ut ejusdem divinae Scripturae usus in universam théologiae influat disciplinam ejusque prope sit anima : ita nimirum omni aetate Patres atque praeclarissimi quique theologi professi sunt et re praestiterunt.” 12 “Sacrae paginae studium sit velut anima Sacrae Theologiae (Notas sobre el origen y procedencia de este frase)”, in Antonio Vargas Machuca, Gregorio Ruiz (dir.), Palabra y vida. Homenaje a José Alonso Diaz, Madrid, UPCM, 1984, p. 409-422. Cette Congrégation avait élu comme 13e Préposé général de la Compagnie l’Espagnol Thyrso González (1624-1705), théologien et promoteur du fameux « probabiliorisme ». 13 “Praeposito Generali enixe commendandum […] ut […] curetque in primis […] in Sacris Litteris […] ut eruditio sacra, quae Societati semper summo in pretio fuit, eo apud omnes esse pergat, quem meretur, ut anima ipsa verae Theologiae, summeque necessaria ad ministeria propria Societatis.”, in Institutum Societatis Iesu, Florence, Typographie SS. Conception, 1893, vol. 2, p. 408. Ce texte est resté traditionnel dans la Compagnie de Jésus ; on le trouvait encore dans la troisième édition de l’Epitome Instituti Societatis Iesu de 1943, no 305, et dans la cinquième et dernière édition de 1962, no 307,1 : “Sacrae Scripturae studium eum teneat locum, quem meretur, utpote quae sit anima ipsa verae theologiae, summeque necessaria ad ministeria propria Societatis.”, avec un renvoi à la XIIIe Congrégation générale. Depuis, l’affirmation que l’Écriture est âme de la théologie n’apparaît plus que de façon sporadique dans les documents de la Compagnie. Un exemple, et peut-­être le seul : dans les documents de la XXXIe Congrégation générale, à propos des études de théologie, on trouve au no 163 ce passage, sans aucune référence : “Studio Sacrae Scripturae sedulo incumbant ita ut Verbum Dei, ope exegeseos accuratae et convenientis synthesis doctrinalis, omnes disciplinas veluti anima inspiret.” (« Qu’on s’applique avec zèle à l’étude de l’Écriture Sainte, pour que la Parole de Dieu, grâce à une exégèse rigoureuse et une synthèse doctrinale appropriée, anime et inspire [littéralement : inspire comme l’âme] toutes les disciplines [de

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de la théologie. Qui aura suggéré l’expression « comme à l’âme même de la véritable théologie » ? On ne saura sans doute jamais, car les archives romaines de la Compagnie n’ont pas conservé le nom des rédacteurs de ce décret. J.-M. Lera pense au P. Gil Estrix.14 Reste qu’en 1687, le « siècle d’or » de l’exégèse catholique commencée au lendemain du concile de Trente s’achève et la victoire en 1678 de Jacques Bénigne Bossuet sur l’oratorien Richard Simon conduisit l’exégèse catholique à deux siècles de stagnation.15 De fait, pour ce « siècle d’or », Hugo Hurter, bibliophile jésuite, dans son Nomenclator literarius, tome 1, compte quelque 80 jésuites sur les 300 exégètes qu’il mentionne. Parmi ces jésuites, qui ne connaît au moins ces trois noms ? L’Espagnol Juan Maldonado, le « prince des exégètes », célèbre pour son commentaire littéral des Évangiles, l’Italien Roberto Bellarmino, qui donna du Psautier un commentaire spirituel, et, plus encore, le Flamand Cornelius a Lapide, dont les commentaires sur presque tous les livres de la Bible ont encore été republiés au xixe siècle ; ce dernier proposait divers sens des textes, ouvrant même à la morale et à la pastorale. Mais, en 1687, la Compagnie n’avait plus aucun bibliste de renom.

1. b) L’Écriture, ou l’étude de l’Écriture ? On l’a vu, les deux formules existent. Sont-­elles radicalement différentes ? Pour le décret Optatam totius, c’est manifestement l’Écriture qui doit être comme l’âme de la théologie. Par contre, pour la constitution Dei Verbum, c’est l’étude de l’Écriture qui doit l’être. Or, le texte de Dei Verbum se réfère explicitement à Léon XIII et celui­ci demandait que l’usage (usus) de l’Écriture influe sur toute la science théologique (in universam theologiae […] disciplinam). En outre, ce passage s’inspire, comme on peut le penser, du décret de la XIIIe Congrégation générale de la Compagnie de Jésus daté de 1687, lequel parle, lui, de la science (eruditio) de l’Écriture, tout en précisant littéralement « vu qu’elle – la science sacrée – est l’âme de la théologie (utpote quae sit anima […] theologiae) ». la théologie]) ; ce texte date du 13 juillet 1965, soit bien avant la promulgation des deux textes conciliaires. 14 “Sacrae Paginae”, p. 417, no 32. Sur ce jésuite flamand, cf. Albert Sohier, « Gilles Estrix (1624-1694). Un important controversiste oublié », Gregorianum, no 28 (1947), p. 236-292. 15 Sur ce conflit, cf., entre autres, Pierre Gibert, L’invention critique de la Bible. xve-­xviie siècle, « Bibliothèque des Histoires », Paris, NRF Gallimard, 2010, p. 176-219.

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On peut en conclure que, pour le décret Optatam totius, comme pour le premier schéma sur la Révélation, c’est l’Écriture qui est comme l’âme de la théologie, tandis que pour Léon XIII, c’est l’usage, le recours, à l’Écriture et son étude (studium) qui doit influer sur toute la science théologique, tandis que le décret des jésuites de 1687 parlait d’eruditio sacra. Il n’y a pas là de contradiction ni de diversité de significations. En effet, le mot « théologie » signifie discours sur Dieu et, de soi, c’est une science, « une discipline », écrivait Léon XIII. L’Écriture, elle, est la Parole de Dieu, comme l’écrit Dei Verbum. C’est donc celle-­ci qui est comme l’âme de tout langage sur Dieu : la Parole de Dieu est donc comme l’âme de toute parole humaine sur Dieu. On verra que Thomas d’Aquin ne parle pas autrement.

1. c) Comment entendre les termes « comme l’âme » ? Les deux textes conciliaires utilisent l’adverbe latin velut ou veluti anima, dont le sens est généralement rendu en français par l’adverbe « comme », mais il signifie aussi « pour ainsi dire ». Léon XIII avait une expression un peu plus forte : ejusque propre sit anima, que je traduis en insérant le contexte « et [il est nécessaire] que l’Écriture soit [pour la théologie] presque / à peu près l’âme » : il s’agit alors d’analogie. Le décret jésuite de 1687 était encore plus fort puisqu’il emploie un ut, « en tant qu’âme », ce qui sera encore accentué dans l’article no 305 de l’Epitome des jésuites : utpote quae, « vu que, parce qu’âme ».16 Bref, il me semble que ce « comme » des textes conciliaires n’exprime pas seulement une simple comparaison, mais plutôt une métaphore, avec toute la richesse que celle-­ci véhicule. J’en donnerai quelques exemples plus avant. Dans le corps humain, l’âme est principe de vie. L’Écriture alors vivifie, donne vie à la théologie et évidemment cette vie vient de Dieu, dont l’Écriture est la Parole inspirée. Dieu donne la vie à tous les humains (Ac 17,25.28) et même à toutes choses (1Tm 6,13). « Vivante, en effet, est la Parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit » (Hb 4,12). Trois exemples permettent de mieux comprendre la dimension métaphorique de l’expression « âme de la théologie ». Le premier vient de la constitution Lumen gentium de Vatican II, au no 7 : « Pour que nous 16

Cf. supra, note 13.

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puissions nous renouveler incessamment (cf. Ep 4,23), il [le Christ] nous fait part de son Esprit qui, présent identique à lui-­même dans le chef et dans les membres, vivifie le corps entier, l’unifie et le meut, si bien que son action a pu être comparée par les saints Pères à la fonction que remplit dans le corps humain l’âme, principe de vie ». Le deuxième texte se lit en Jn 6,51 : « Et le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde ». Le troisième vient de la philosophie grecque ; elle parlait de « l’âme du monde », ce principe divin qui lui donne vie ; certes, il y avait chez ces philosophes un « panenthéisme » cosmique, mais on lit dans la Sagesse de Salomon un texte qui attribue à la Sagesse divine, identifiée en Sg 9,17 à l’Esprit saint, une fonction identique : « Elle s’étend avec force d’un bout du monde à l’autre et elle gouverne l’univers avec bonté ».17 Mystérieuse Présence au monde et aux hommes – la Shekînâh de la tradition juive – qui fait des âmes saintes des amis de Dieu et des prophètes (cf. Sg 7,27) et qui, Sagesse habitée par l’Esprit du Seigneur, « tient toutes choses unies » (Sg 1,7). Saint Paul dit la même chose du Christ : « tout subsiste en lui » (Col 1,17).

1. d) Le vaste champ de la théologie : la théologie en général Précisant sa pensée, Léon XIII poursuivait en écrivant : « Et personne ne s’en étonnera, en se rappelant qu’une place si éminente est due, entre les diverses sources de la révélation, aux Livres divins que, sans leur étude et leur usage habituel, on ne peut convenablement et dignement traiter la théologie ».18 On aura remarqué que ce passage de Léon XIII mentionne les deux mots « étude » et « usage », le premier apparaissant dans les textes de Vatican II. Pour confirmer son assertion, Léon XIII cite alors Thomas d’Aquin : « La théologie ne tire pas ses principes des autres sciences, mais de Dieu immédiatement par révélation. Et ainsi, elle ne reçoit rien des autres sciences comme lui étant supérieures, mais elle se sert d’elles comme de subalternes et de servantes ».19

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Sur « l’âme du monde » et la Sagesse, cf. Chrysostome Larcher, Études sur le Livre de la Sagesse, « Études Bibliques », Paris, Gabalda, 1969, p. 404-410. 18 “Neque it cuiquam fuerit mirum qui reputet, tam insignem locum inter revelationis fontes divinis Libris deberi, ut nisi eorum studio usuque assiduo, nequeat theologia rite et pro dignitate tractari.”, in Études religieuses, op. cit., p. 8. 19 “Non enim accipit (theologia) sua principia ab aliis scientiis, sed immediate a Deo per revelationem. Et ideo non accipit ab aliis scientiis, tamquam a superioribus, sed utitur eis tamquam inferioribus et ancellis.” (Summa theologica, p. I, q. 1, 5, ad 2), in Études religieuses, op. cit., p. 8-9.

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Reprenant plus récemment une distinction classique, que le concile Vatican II n’a pas voulu faire sienne, la laissant à la libre discussion,20 Pierre Grelot écrit : L’enseignement de l’Église – c’est-­à-dire pratiquement du Magistère en tant qu’organe de la Tradition vivante – est bien la « règle prochaine de la foi », mais non pas sa règle ultime. En termes scolastiques, on dirait que c’est sa norma normata (sa règle « régulée » elle-­même par une règle plus haute). Sa norma normans (sa règle « régulante ») reste la Tradition apostolique à laquelle l’Écriture, lue en Église, donne un accès direct. N’est-­ce pas assez pour qu’on doive y recourir autant qu’on le peut, en toutes circonstances ?21

C’est bien ce que dit le début du no 24 de la constitution Dei Verbum : « La théologie s’appuie sur la parole de Dieu écrite, en même temps que sur la sainte Tradition, comme sur un fondement permanent ».22

1. e) Les différents secteurs de la théologie Déjà le premier schéma préparatoire de juillet 1962 sur les deux sources de la Révélation avait un chapitre VI sur « l’Écriture sainte dans l’Église ». Au no 24, on y mentionnait, entre autres, « pour le salut des âmes » la prédication et la liturgie.23 Le deuxième schéma, d’avril 1963, après le rejet du premier, avait aussi un chapitre V sur « l’Écriture Sainte dans la vie de l’Église », mais, à son no 24, il n’ajoutait rien sur les branches de la théologie. Le troisième schéma, de juillet 1964, mentionnait au no 24 du nouveau chapitre VI « la catéchèse et toute instruction chrétienne ».24 Le quatrième, de septembre 1964, en restera là25 et tel est le texte de ce no 24 qui sera finalement voté et promulgué par Paul VI le 18 novembre 1965. Pour en savoir davantage sur les diverses disciplines de la théologie, il faut orienter autrement l’enquête. Cf. Documenta, op. cit., p. 83, à propos des nos 9 et 10 de la Constitution sur la Révélation. 21 Pierre Grelot, Problèmes de morale fondamentale. Un éclairage biblique, « Recherches morales », no 6, Paris, Cerf, 1982, p. 182. 22 “Sacra Theologia in verbo Dei scripto, una cum Sacra Traditione, tamquam in perenni fundamento innititur.” 23 Cf. Documenta, op. cit., p. 7 : “ad salutem animarum in sacra praesertim praedicatione sollicite adhibuit atque in sua liturgia quotidie omnibus proponere non desiit.” 24 Sur le texte du deuxième et du troisième schéma, cf. Documenta, op. cit., p. 73. 25 Hormis un dernier bout de phrase peu clair : cf. Documenta, op. cit., p. 135. 20

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Voici tout d’abord quelques textes du concile Vatican II concernant quelques branches de la théologie et, pour commencer, la théologie morale. « On apportera un soin particulier à parfaire la théologie morale. L’exposé scientifique de cette matière devra être davantage nourri de la doctrine de la Sainte Écriture » (Optatam totius 16, § 2). Le concile a d’ailleurs donné l’exemple dans sa constitution Gaudium et spes, où il aborde les problèmes moraux de l’humanité actuelle. Le primat de la charité, affirmé clairement au no 24, en fournit la preuve : « L’amour de Dieu et l’amour du prochain est le premier et le plus grand commandement. L’Écriture, pour sa part, enseigne que l’amour de Dieu est inséparable de l’amour du prochain [citation de Rm 13,9-10 et renvoi à 1Jn 4,20]. Il est bien évident que cela est d’une extrême importance pour les hommes de plus en plus dépendants les uns des autres et dans un monde sans cesse plus unifié » (no 24, § 2). Cette prise de position résulta d’une discussion serrée à la Commission centrale, où d’aucuns fondaient la morale sur la loi naturelle et les obligations.26 Dès lors le concile peut encore affirmer que « l’Église, gardienne du dépôt de la Parole divine, où elle puise les principes de l’ordre religieux et moral, […] désire […] joindre la lumière de la Révélation à l’expérience de tous, pour éclairer le chemin où l’humanité vient de s’engager » (no 33, § 2). Et encore : « Il revient à tout le peuple de Dieu, notamment aux pasteurs et aux théologiens, avec l’aide de l’Esprit Saint, de scruter, de discerner et d’interpréter les multiples langages de notre temps et de les juger à la lumière de la Parole divine, pour que la vérité révélée puisse être sans cesse mieux perçue, mieux comprise et présentée sous une forme plus adaptée » (no 44, § 2). Sur cette base, Paul VI adressa le 29 septembre 1972 ses recommandations aux exégètes italiens : « L’exégète veillera à mettre en lumière la nouveauté, l’excellence, l’énergie supérieure et la portée universelle de la Parole de Dieu et de ses indications morales ». Parlant ensuite du théologien moraliste, il disait : Une fois atteint ce seuil, l’exégète pourra confier le suc authentique de la Parole de Dieu au spécialiste de théologie morale, lequel, sur base de sa compétence spécifique dans les matières qui regardent l’homme, sa conscience et sa liberté […], veillera à appliquer le timbre authentique de la Parole de Dieu, « écrite » ou « non écrite » [dans la création et la droite raison] à la vie et aux situations 26

À l’époque, deux ouvrages ouvraient la voie : Gérard Gilleman, Le primat de la charité en théologie morale, « Museum Lessianum », no 50, Bruxelles/Bruges/Paris, Desclée de Brouwer, 1954, 373 p., et Bernhard Häring, Das Gezetz Christi, Fribourg-­en-­Brisgau, Erich Wewel Verlag, 1958, 1446 p.

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existentielles du chrétien, pour que celui-­ci sache comment « cheminer et plaire à Dieu » (cf. 1Th 4,1). Dans la perspective de cette coopération, se réaliseront les prémisses de voir la Parole de Dieu devenir le véritable fondement de la conduite de l’homme, la lumière et le réconfort des chrétiens dans les incertitudes du monde.27

En 1993, la Commission Biblique Pontificale, dans son fameux document sur L’interprétation de la Bible dans l’Église (III, D, 3, § 3), revenait à son tour sur la collaboration entre l’exégète et le moraliste. Elle relevait entre autres ceci : « Les moralistes sont donc fondés à poser aux exégètes beaucoup de questions importantes, qui stimuleront leurs recherches. En plus d’un cas, la réponse pourra être qu’aucun texte biblique ne traite explicitement le problème envisagé. Mais même alors, le témoignage de la Bible, comprise dans son vigoureux dynamisme d’ensemble, ne peut manquer d’aider à définir une orientation féconde ». Concrètement, plusieurs exégètes se sont attelés à présenter l’enseignement de la morale de l’Écriture à l’intention des moralistes. J’en signale deux, déjà anciens : l’un est intitulé Morale et Ancien Testament, où trois exégètes présentent en 1976 les lignes maîtresses de trois grands axes de l’Ancien Testament et l’autre, en 1982, est de Pierre Grelot, Problèmes de morale fondamentale. Un éclairage biblique.28 D’autres volumes sont le fruit d’une collaboration entre exégètes et moralistes, comme, par exemple, celui qui analyse en 1986 Universalité et permanence des Lois morales, dans lequel une place de choix est réservée au « Sermon sur la Montagne » de Mt 5-7.29 Enfin, en 1992, un moraliste de renom, Bernhard Häring, propose une synthèse fondée sur l’Écriture.30 Quant à la théologie dogmatique ou systématique, un seul texte du concile Vatican II en parle explicitement : « Dans l’enseignement de la théologie dogmatique, on suivra l’ordre suivant : d’abord, on proposera les thèmes bibliques eux-­mêmes […] » (Optatam totius 16, § 3). C’est ce qu’on trouve souvent dans le Dictionnaire critique de théologie, édité en 27

Je traduis de l’italien le texte publié par Luca Mazzinghi, Papa Paolo VI e l’Associazione biblica italiana, Cité du Vatican, Libreria editrice vaticana, 2014, p. 67-68. 28 Maurice Gilbert, Jean L’Hour, Joseph Scharbert, Morale et Ancien Testament (Introduction de Mgr Philippe Delhaye), « Lex Spiritus Vitae », no 1, Louvain-­la-­Neuve, Centre Cerfaux-­Lefort, 1976, 184 p. Celui de Pierre Grelot (cf. note 20), 289 p., concerne autant l’Ancien Testament que le Nouveau. 29 Servais (Th.) Pinkaers, Carlos Josaphat Pinto de Oliveira (dir.), Universalité et permanence des Lois morales, « Études d’éthique chrétienne » no 16, Fribourg, Suisse, Éditions Universitaires, Paris, Cerf, 1986, 454 p. 30 Bernhard Häring, La théologie morale. Idées maîtresses, Paris, Cerf, 1992, 184 p.

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1998.31 Toutefois, des dogmaticiens considèrent que les rapports entre Bible et exposé dogmatique ne sont pas aisés. Christophe Theobald s’en explique.32 Cependant, en 1993, le document de la Commission Biblique Pontificale, L’interprétation de la Bible dans l’Église (III, D, 2), donnait quelques orientations, entre autres celle-­ci : Tout dans la Bible vient à la fois de Dieu et de l’auteur inspiré. Il ne s’ensuit pas, toutefois, que Dieu ait donné une valeur absolue au conditionnement historique de son message. Celui-­ci est susceptible d’être interprété et actualisé, c’est-­à-dire détaché, au moins partiellement, de son conditionnement historique passé pour être transplanté dans le conditionnement historique présent. L’exégète établit les bases de cette opération, que le dogmaticien continue, en prenant en considération les autres loci theologici qui contribuent au développement du dogme.

Reste le domaine œcuménique, sur lequel le concile Vatican II a donné au moins une indication claire. Tout en reconnaissant que les Protestants ont pour l’Écriture amour et vénération, voire culte, ils ont une autre opinion du rapport entre l’Écriture et l’Église. « Cependant, les paroles divines sont, dans le dialogue lui-­même, des instruments insignes entre les mains puissantes de Dieu pour obtenir cette unité que le Sauveur offre à tous les hommes » (Unitatis redintegratio, no 21, § 4). Deux expériences œcuméniques ont prouvé que ce texte conciliaire n’était pas un vain mot. La première est celle qui a abouti en 1997 à la Déclaration commune sur la justification entre la Fédération luthérienne mondiale et l’Église catholique.33 La seconde, moins connue, est le document Marie, grâce et espérance dans le Christ. Ce Rapport de la commission internationale anglicane-­catholique romaine, de 2004, n’a toutefois pas encore obtenu des deux mandataires une reconnaissance autorisée. Cependant, sur l’Immaculée conception et sur l’Assomption de la Vierge, les auteurs ont résumé ainsi leur procédure : « Nous sommes convaincus que toute tentative de parvenir à une compréhension réconciliée de ces questions doit commencer par une écoute de la Parole de Dieu dans les Écritures. Pour cette raison, notre rapport commun commence par une exploration soigneuse du riche témoignage du Nouveau Testament sur Marie, à la lumière des thèmes et paradigmes de l’ensemble 31

Sous la direction de Jean-­Yves Lacoste, Paris, Presses universitaires de France, xxxii1298 p. 32 « De la Bible en théologie », in Françoise Mies (dir.), Bible et théologie. L’intelligence de la foi, « Le livre et le rouleau », no 26, Bruxelles, Lessius, 2006, p. 57-79. 33 Le texte a paru dans la Documentation catholique, no 2168, 1997, p. 875-885.

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de l’Écriture prise comme un tout (no 77 ; je souligne). Quant aux Avancées dans l’accord, j’en retiens deux, à savoir : que l’enseignement selon lequel Dieu a pris la bienheureuse Vierge Marie dans la plénitude de sa personne dans la gloire est en consonance avec l’Écriture et doit être compris uniquement à la lumière de l’Écriture (paragraphe 58) ; qu’en considération de sa vocation à être la mère de celui qui est le Saint, l’œuvre rédemptrice du Christ a atteint par avance Marie dans les profondeurs de son être et à ses tout premiers débuts (paragraphe 59) » (no 78). Le no 77 concluait en citant Rm 8,30 : « prédestinés… appelés… justifiés… glorifiés.34

2. L’animation biblique de toute activité pastorale 2. a) Un témoin exceptionnel : le cardinal Martini Le concile Vatican II affirmait : « Il faut […] que toute la prédication ecclésiastique, comme la religion chrétienne elle-­même, soit nourrie et régie par la sainte Écriture » (Dei Verbum, no 21). Le jésuite italien Carlo Maria Martini (1927-2012) avait commenté ce texte ainsi que tout le chapitre VI de cette constitution conciliaire.35 Devenu archevêque de Milan en 1979, toute son activité pastorale a été la mise en pratique consciente et continue de cette exigence. Dans son dernier livre, il écrivait : « Il me semble […] qu’il faut […] avant tout présenter la figure épiscopale comme celle d’un serviteur de la Parole de Dieu ». Il ajoutait, parlant de l’Évangile qui est placé sur la tête de l’évêque lors de sa consécration : « Il lui est soumis en tout sens : sa parole doit faire résonner l’Évangile et tout geste émanant de lui doit être une réalisation de l’Évangile ».36 Toute ses interventions publiques à Milan et tous les Exercices spirituels qu’il a donnés en abondance, dès avant même son épiscopat, n’ont eu d’autre fondement que l’Écriture et l’on sait le retentissement que sa prédication a connu dans le monde entier. Il était aussi passé maître dans la lectio divina qu’il offrait à des milliers de jeunes au Dôme de Milan. Le texte complet du Rapport a paru dans la Documentation catholique, no 2341, 2005, p. 752-775. J’ai cité la p. 774. 35 Cf. note 1, en ajoutant son article “La Sacra Scrittura nutrimento e regola della predicazione e della religione”, p. 35-43. 36 Carlo Maria Martini, L’évêque. Au jour le jour, « La part-­Dieu », no 20, Bruxelles, Lessius, 2012, p.  32  ; original italien  : Il vescovo, “Dubbio  & speranza”, Turin, Rosenberg & Sellier, 2011, p. 38. 34

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2. b) Quelques réalisations concrètes Parler de l’activité pastorale fondée sur l’Écriture, c’est s’engager dans un domaine riche et varié. Pour un exégète de métier, l’activité pastorale est une nécessité, s’il veut vérifier la valeur de ses recherches et la résonance qu’elles peuvent recevoir de la part du peuple de Dieu. Je ne retiens que quelques réalisations et m’appuierai sur mon expérience. Comme beaucoup de diocèses, celui de Luxembourg possède un service de Pastorale biblique. Pour éclairer les fidèles et leurs pasteurs, il a publié quelques documents largement distribués dans les paroisses.37 Pour la liturgie, en particulier pour la liturgie de la Parole, « la Messe qui prend son temps », une initiative des jésuites de Paris, se répand peu à peu.38 Sur l’homélie, le pape François a donné en 2013 quelques conseils importants dans son exhortation apostolique La joie de l’Évangile. Evangelii gaudium, nos 135-159. Quelques revues actuelles fournissent des commentaires utiles pour la préparation de l’homélie dominicale : Der Prediger und Katechet, éditée par Schwabenverlag ; Signes d’aujourd’hui et Cahiers Prions en Église, toutes deux publiées chez Bayard. Par le passé, les soixante-­huit fascicules de la collection Assemblées du Seigneur, dont la seconde série suit le nouveau missel, a fourni de 1968 à 1975 un commentaire exégétique abordable des textes lus à la liturgie du dimanche et des fêtes : cette collection garde toute sa valeur. Autre initiative, mais inachevée, celle de la collection Écouter la Bible, publiée chez Desclée de Brouwer entre 1974 et 1984 : quinze volumes, suivant l’ordre du Canon de Écritures, ont paru ; ces commentaires, œuvres de biblistes et de prêtres de paroisses, ont une visée pastorale et spirituelle ; les quatre Évangiles complets en font partie et j’ai publié à part le commentaire des Psaumes du dimanche et des fêtes, préparé en fait par le même groupe dont je faisais partie depuis 1974.39 Pour la liturgie encore, un effort considérable a été réalisé pour donner des traductions des textes bibliques qui soient adaptées à la proclama37

Par exemple, La Parole de Dieu en dialogue avec Vatican II – Das Wort Gottes im Dialog mit dem II. Vaticanum, Luxembourg, 2012, 34 p. en chaque langue. Cf. aussi Luis Martinez (dir.), Lecture en communauté de l’Évangile de Matthieu ; Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps, « Sens & Foi », no 8, Bruxelles, Lumen vitae, 2010, 124 p. ; Les Actes des Apôtres en dialogue avec Vatican II, « Sens & Foi », no 9, 2012, 91 p. ; L’actualité de la Parole prophétique. Gaudium et spes à la lumière des prophètes, « Sens & Foi », no 10, 2014, 121 p. 38 Cf. Jean-­Marc Furnon, « La messe qui prend son temps », in Christus, no 219, 2008, p. 342-349. 39 Maurice Gilbert, Les louanges du Seigneur. Commentaire pastoral et spirituel des Psaumes du Dimanche & des Fêtes, Paris, Desclée, 1991, 542 p.

L’Écriture Sainte, âme de la théologie et de toute action pastorale

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tion. Déjà en 1976, parut La Bible. Traduction officielle de la liturgie, mais elle ne comportait que le choix de textes retenus dans la réforme voulue après le concile. L’année suivante, parut le Psautier. Version œcuménique. Texte liturgique. Et en 2013, arriva enfin l’édition complète de La Bible. Traduction officielle liturgique. Une édition annotée en vue de la pastorale est en préparation. Toujours en vue de la liturgie, la préparation de fiancés au mariage peut se faire sur la base du message de l’Écriture, en y lisant les textes fondateurs. C’est en tout cas ma façon de procéder avec eux et je crois que cela les ouvre profondément au sens de l’acte qu’ils vont poser. Je pars de Mt 19,1-9 pour relire Gn 1-3 ; Os 1-3 ; Ep 5,21-33 ; etc. Des cercles bibliques informels, où un petit groupe de fidèles lit et médite des textes bibliques, sont une réalité souvent peu connue. Je ne crois pas qu’il y en ait beaucoup dans le diocèse de Luxembourg – j’en connais au moins deux, mais, dans certains diocèses, ils sont nombreux. C’est un véritable partage de la Parole très enrichissant. Il existe aussi des cycles de conférences sur des textes bibliques. Ainsi, chaque année depuis 2012, je donne à Luxembourg durant le carême une série de conférences sur un livre ou un thème à une cinquantaine d’auditeurs. Je sais aussi qu’en Italie, près d’Arezzo, une centaine de personnes se réunit chaque mois depuis des années pour étudier un livre. Enfin, à la suite du cardinal Martini, des Exercices spirituels se donnent essentiellement – mais pas toujours – sur la base de textes bibliques, tirés aussi bien du Nouveau Testament que de l’Ancien. Ainsi, récemment, le cardinal Godfried Danneels a donné une retraite au clergé du diocèse de Luxembourg sur l’Évangile de Jean, sur lequel il avait publié son commentaire.40 L’an dernier, pour leur récollection de deux jours, une vingtaine de jeunes prêtres de cinq diocèses de France m’ont invité à leur parler du livre du Siracide et j’ai été étonné de l’écho que ce vieux sage recevait de leur part. L’Église s’est donc maintenue fidèlement sur les voies tracées par le concile Vatican II. Tout cet effort a-­t-il été mis en œuvre concrètement un peu partout dans l’ensemble du peuple de Dieu et en particulier par les prêtres ? L’activité pastorale est-­elle réellement animée par l’Écriture ? Pour ma part, malgré tous les efforts déployés, j’avoue ne pas en être sûr. Je me demande souvent si vraiment nous avons été suivis. J’ose espérer que oui et je reste convaincu qu’il faut persévérer pour obtenir de bons fruits à notre tâche, celle que nous indique le concile Vatican II. 40

Card. Godfried Danneels, Si tu connaissais le don de Dieu. Commentaire pastoral de saint Jean, Namur, Fidélité, 2007, 272 p.

L’acte de lire les Écritures comme art d’être à l’écoute de la Parole Joël Molinario Institut supérieur de pastorale catéchétique, Institut catholique de Paris

La problématique de notre colloque s’est inscrite dans le no 73 de Verbum Domini, je cite : Le Synode a invité à un engagement pastoral particulier pour faire ressortir la place centrale de la Parole de Dieu dans la vie ecclésiale, recommandant « d’intensifier “la pastorale biblique” non en la juxtaposant à d’autres formes de la pastorale, mais comme animation biblique de toute la pastorale ». Il ne s’agit donc pas d’ajouter quelques rencontres dans la paroisse ou dans le diocèse, mais de vérifier que, dans les activités habituelles des communautés chrétiennes, dans les paroisses, dans les associations et dans les mouvements, on a vraiment à cœur la rencontre personnelle avec le Christ qui se communique à nous dans sa Parole.

Dans Verbum Domini, cette phrase se situe au tout début du paragraphe qui traite de l’animation biblique de la pastorale, lui-­même suivi du paragraphe sur la catéchèse. Dans les deux cas, le terme « biblique » est un adjectif, dans les deux cas l’Exhortation apostolique insiste pour que la Bible ne soit pas appréhendée comme une activité ou une discipline en plus mais comme une référence permanente de l’action ecclésiale qui renvoie à chaque fois à la personne du Christ. Mais alors, quel est le problème, puisque tout semble résolu dans l’exigence pontificale ? Le problème tient au fait que l’Exhortation ait besoin de désigner un risque, souligné par le Synode, d’une lecture des Écritures qui soit une activité séparée des autres, une chose parmi d’autres de la vie pastorale des communautés, bref que l’Écriture soit ajoutée à la vie de l’Église, supposant par-­là que les communautés pourraient s’en passer s’il le fallait, si une urgence quelconque demandait à faire des choix ou encore si un spécialiste manquant faisait qu’on en viendrait à esquiver la lecture biblique. En termes théologiques, ceci correspond à un risque d’extrinsécisme, cette

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maladie catholique de la théologie dont parlait naguère Yves Congar.1 Si la Bible peut être un ajout, cela signifie qu’elle n’est pas vitale pour l’Église. Si elle peut être un ajout, cela signifie qu’elle ne désigne pas la Parole de Dieu. C’est donc à travers le prisme de l’acte ecclésial de lire comme art de l’écoute de la Parole de Dieu que je voudrais traiter ce risque désigné d’un extrinsécisme biblique dans la vie pastorale de l’Église, car si la Bible est extrinsèque à la vie de l’Église, donc si elle peut s’ajouter ou se retirer, alors il y a tout à parier qu’il en sera de même pour la Parole de Dieu. Pour penser cela, je commencerai par expliciter l’héritage médiéval et moderne de la lecture de la Bible. Je le ferai en trois points. D’abord, je reviendrai sur la double tradition médiévale de la lecture, ensuite je montrerai comment l’autonomie de la critique scientifique a introduit une nouvelle forme de la distanciation herméneutique, enfin je m’attarderai sur la manière dont Dei Verbum a tenté de répondre à la problématique sans tout à fait y parvenir, faute d’une théologie de la lecture. Dans une seconde partie, je traiterai de l’acte de lire. Je le ferai à partir de Paul Ricœur et Marcel Proust, avec qui je développerai l’acte de lire comme déploiement et rencontre d’un désir à travers le livre et le miroir. Étienne Grieu nous aidera, quant à lui, à penser l’acte de lire à travers les métaphores du tissage et de la vibration comme enchevêtrement de l’expérience croyante et des textes bibliques. Enfin, nous laisserons ouverte la question de savoir dans quelle mesure un acte pastoral de lecture de la Bible peut être une réponse au déchirement moderne et à l’extrinsécisme toujours rampant.

1. Des traditions de lecture, médiévales et modernes 1. a) Des lectures bibliques médiévales Le Moyen Âge a vu émerger deux grandes traditions de lecture. La plus ancienne, dite des « quatre sens de l’Écriture », trouve sa généalogie chez saint Paul, a été théorisée et pensée théologiquement par Origène et 1

Yves Congar, « Le moment économique et le moment ontologique dans la sacra doctrina (Révélation, Théologie, somme théologique) », in Mélanges offerts à M.-D. Chenu, « Bibliothèque thomiste » XXXVII, Paris, Vrin, 1967, p. 175. Cette citation d’Yves Congar est reprise par François Moog, dans un article important sur l’extrinsécisme, « Aux sources de la Nouvelle évangélisation, actes du VIe colloque international de l’ISPC (Paris, du 5 au 8 mars 2013) », in François Moog et Joël Molinario (dir.), La Catéchèse au service de la Nouvelle évangélisation, « Théologie à l’université », no 28, Paris, DDB, p. 13-32. Une synthèse convaincante sur l’extrinsécisme se lit dans le petit tardif de H. de Lubac, Petite catéchèse sur nature et grâce, « Communio », Paris, Fayard, 1980.

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a imprégné la culture européenne jusqu’au xve siècle. L’autre tradition de lecture, la lectio divina, vient de l’univers monastique, a été transmise par Guigues II le Chartreux au xiie siècle et un mouvement de fond tend à vouloir lui redonner sa place dans l’Église. L’exhortation Verbum Domini (§ 86) n’y est pas pour rien.2 Si l’on veut comprendre les Pères de l’Église, les théologiens du Moyen Âge et leur exégèse, il faut admettre que cette dernière est fondée explicitement chez saint Paul dans la distinction de la lettre et de l’esprit : « C’est lui qui nous a rendu capable d’être ministre d’une alliance nouvelle, non de la lettre, mais de l’Esprit ; car la lettre tue mais l’Esprit donne la vie » (2Co 3,3-6, traduction TOB). La grande force et la nouveauté d’Origène (185-253) a été d’introduire dans le développement herméneutique de 2Co 3 plusieurs sens spirituels : le sens allégorique ou christologique, le sens moral ou tropologique et le sens anagogique, qui désigne le mystère de Dieu et de la fin des temps.3 Ce qui veut dire qu’elle n’est pas un artifice rhétorique pour échapper au réel et à l’histoire. Dans l’exégèse spirituelle des Pères de l’Église, le sens historique n’est pas nié, mais il est transfiguré par la figure du Christ. L’allégorie ou la typologie, est à la fois ancienne et figurée, à la fois concrète et spirituelle : « Allegoria est, cum aliud geritur, aliud figuratur », dit saint Ambroise.4 Un même passage est à la fois juxta historiam et juxta allegoriam. Il ne s’agit pas d’une évacuation, mais d’une transformation de l’histoire et du sens littéral. Toute l’exégèse repose sur la distinction du sens littéral ou historique ou corporel des Écritures, fécondé par l’Esprit qui crée la vie en passant par la lettre pour devenir sens spirituel. L’Esprit est à l’œuvre dans l’Église qui se met à l’écoute des Écritures. C’est l’Esprit qui transfigure (2Co 3,18) le sens littéral en sens spirituels. Les quatre sens sont à comprendre comme une théologie trinitaire des Écritures : le Christ est l’alpha et l’oméga de l’histoire.5 « L’intelligence spirituelle des Écritures 2



Le cardinal Martini fut le grand inspirateur du renouveau de la Lectio divina. Cardinal C.M. Martini, Je te cherche dès l’aube, une école de prière, Paris, Centurion, 1982. Le fondateur de la communauté de Bose, Enzo Bianchi, a aussi joué un rôle important ; voir « Prier la Parole, une introduction à la lectio divina », Vie monastique, no 15, Abbaye de Bellefontaine, 1983. 3 Henri de Lubac, Histoire et Esprit, l’intelligence de l’Écriture d’après Origène, « Théologie » 16, Paris, Aubier édition Montaigne, 1950 ; Origène, Traité des principes III, livre III-IV, « Sources chrétiennes », no 268, Paris, Cerf, 1980. 4 De Abraham, livre 2, I, 4, 28. 5 Verbum Domini y fait référence au no 37 : « Ignorant, bien sûr, les ressources d’ordre philologique et historique qui sont à la disposition de l’exégèse moderne, la tradition patristique et médiévale savait reconnaître les divers sens de l’Écriture en commençant

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n’existerait pas sans le Christ et ne serait pas perçue sans la conversion au Christ », disait Henri de Lubac.6 Toujours présent au monde, cette présence du Christ change notre rapport à autrui (tropologique), et nous mène (anagogie) vers l’eschatologie, le Dieu qui vient pour achever l’histoire, et c’est l’Esprit Saint qui nous révèle le Christ présent dans l’histoire et le Dieu qui vient ; autrement dit, l’Esprit comme « épiclèse de l’Écriture ». La théologie des quatre sens de l’Écriture est une théologie de la proximité de la Parole de Dieu à l’homme et à l’histoire. Par l’Esprit Saint, la Parole est proche, habite et façonne la vie d’une communauté. L’auditus fidei n’est pas au bout d’une méthode, elle est la capacité ecclésiale d’accueil de la Parole dans l’Esprit (DV §1). L’autre tradition de lecture fut transmise par les Chartreux, à partir d’un texte de Guigues II, la Scala claustralium.7 La vie cloîtrée, contemplative et communautaire est le début du monde à venir, explique le chartreux : c’est la vie des anges, le pain impérissable pour lequel il faut travailler. Guigues II prend l’analogie de l’échelle pour signifier la montée de l’homme vers Dieu, image de haute antiquité. Deux origines principales : le récit de l’échelle de Jacob (Gn 28) et le chapitre premier de l’évangile de Jean après la rencontre avec Nathanaël : « … et vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-­dessus du Fils de l’homme ». (Jn 1,51). Origène reprit l’analogie de l’échelle, qui pour lui avait trois degrés8 : les degrés de Guigues sont un redéploiement d’Origène mais avec une beaucoup plus grande précision, ce qui l’apparente à une méthode spirituelle. Pour Guigues II, le but de l’âme est la douceur d’une vie bénie, mais pour y parvenir, la lecture cherche, la méditation perçoit, la prière par le sens littéral, celui qui est “signifié par les paroles de l’Écriture et découvert par l’exégèse qui suit les règles de la juste interprétation”. Par exemple, saint Thomas d’Aquin affirme : “Tous les sens de la Sainte Écriture se basent sur le sens littéral”. Il est nécessaire, cependant, de rappeler qu’au temps patristique et médiéval, toute forme d’exégèse, y compris littérale, était conduite sur la base de la foi et ne faisait pas nécessairement la distinction entre sens littéral et sens spirituel. Rappelons ici la distinction classique qui établit la relation entre les divers sens de l’Écriture : “Littera gesta docet, quid credas allegoria, Moralis quid agas, quo tendas anagogia. Le sens littéral enseigne les événements, l’allégorie ce qu’il faut croire, le sens moral ce qu’il faut faire, l’anagogie vers quoi il faut tendre”. Notons ici l’unité et l’articulation entre sens littéral et sens spirituel, lequel se subdivise en trois sens, avec lesquels sont décrits les contenus de la foi, de la morale et de la tension eschatologique ». 6 Henri de Lubac, L’Écriture dans la Tradition, Paris, Aubier, 1966, p. 48. 7 Guigues II le Chartreux, Lettre sur la vie contemplative, « Sources chrétiennes », no 163, Paris, Cerf. 8 Le premier pour les commençants, le second pour les « progressants » – c’est l’illumination, le troisième, qui est l’étape de la prière unitive.

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demande, la contemplation goûte. La lettre de Guigues II est en fait le résultat d’une méditation et d’un rêve où la vie contemplative lui apparut sous la forme d’une échelle formée des quatre degrés suivants. La lectio est une action fondée sur une attitude première et radicale d’écoute de Dieu qui vient à travers sa Parole. L’Écriture est un texte à respecter, à défricher, à déchiffrer et à étudier. Elle en appelle toujours à une meilleure intelligence du mystère. La meditatio ouverte par la lectio s’intériorise, résonne à l’intime de l’être. Le texte, maintes fois repris, est ruminé, mâché ou pétri comme une pâte. Ainsi, il nous remue, il change notre regard, nous façonne de l’intérieur. La méditation achemine le lecteur vers la prière. L’oratio, ici la parole étudiée et méditée, retourne, à travers le prisme de nos existences, à Celui qui nous l’a donnée. Dieu est écouté dans la lecture, le dialogue se réalise et le désir est exprimé dans la prière. La prière chrétienne puise à la Bible ses paroles et ses silences. À cette étape, l’orant découvre que l’Écriture lui donne à la fois les mots de Dieu et les siens. La contemplatio est l’ultime degré. Au-­delà de l’intelligence, de la méditation intérieure, et du dialogue avec Dieu, la lectio divina s’accomplit dans un regard nouveau sur Dieu et la création, dans la jouissance de la douceur divine. Un regard au-­delà des mots, une expérience qui illumine et transforme l’existence, mais n’empêche nullement de recommencer la lecture au premier degré de l’échelle. Le passage d’un degré à l’autre n’est pas assuré ni formel. Il y a une dynamique interne de la lectio divina. Le lecteur mu par l’Esprit est co-­ auteur du cheminement. En effet, il faut chercher dans la lecture pour trouver la méditation, il faut frapper dans la prière pour entrer dans la contemplation. Pourtant, si le désir de la rencontre divine ordonne tout l’itinéraire de la lectio divina, jamais le but n’est atteint, car « plus l’âme s’élève, plus Dieu est distant », « l’époux si longtemps désiré se retire ».9 Le but n’est jamais possédé, Dieu se dérobe toujours et invite à redescendre l’échelle afin de recommencer l’itinéraire. Plus je connais Dieu, plus je désire le connaître, mais plus il se révèle comme mystère. Guigues II le Chartreux nous invite à une écoute de Dieu à travers un art de lire toujours recommencé. Ces deux traditions de lecture, s’enracinant dans 2Co 3 et les développements d’Origène, se rejoignent sur trois points fondamentaux. Tout d’abord, la lecture est une expérience de Dieu, en ce sens qu’elle vient de 9



Guigues II, op. cit., p. 95-101.

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Dieu qui se révèle et qu’elle tend vers lui pour le rejoindre. Ensuite, la lecture est balisée, rigoureuse, c’est une ascèse qui permet la rencontre et qui ouvre à la conversion.10 Enfin, cet acte de lecture a besoin d’un milieu pour éclore, la communauté, la vie ecclésiale ou l’université. Elles se distinguent cependant sur leurs insistances. Les quatre sens de l’Écriture se présentent comme une approche théologique systémique et trinitaire, quand la lectio divina se déroule dans le temps pour un cheminement spirituel à vivre. Nous avions bel et bien affaire avec ces deux traditions à une théologie de la lecture qui a engendré la culture médiévale, forgée par la culture monastique comme l’a montré le pape Benoît XVI dans son discours au collège des Bernardins : Le désir de Dieu comprend l’amour des lettres, l’amour de la parole, son exploration dans toutes ses dimensions. Puisque dans la parole biblique Dieu est en chemin vers nous et nous vers Lui, ils devaient apprendre à pénétrer le secret de la langue, à la comprendre dans sa structure et dans ses usages. Ainsi, en raison même de la recherche de Dieu, les sciences profanes, qui nous indiquent les chemins vers la langue, devenaient importantes. La bibliothèque faisait, à ce titre, partie intégrante du monastère tout comme l’école. Ces deux lieux ouvraient concrètement un chemin vers la parole. Saint Benoît appelle le monastère une dominici servitii schola, une école du service du Seigneur. L’école et la bibliothèque assuraient la formation de la raison et l’eruditio, sur la base de laquelle l’homme apprend à percevoir au milieu des paroles, la Parole.11

1. b) La nouveauté moderne de la lecture Quelques noms pourraient symboliser le façonnement moderne de la lecture de la Bible : Luther, Descartes, Richard Simon, Spinoza, Kant et Renan. En effet, la période moderne se caractérise par une volonté de plus en plus forte de rendre accessible la Bible (Luther) en première main – par la traduction et par le livre imprimé, de développer de nouvelles méthodes d’études (Descartes / Richard Simon), dans une autonomie épistémologique par rapport aux dogmes des Églises (Spinoza), d’appliquer à la Bible une raison critique (Kant) et enfin d’en avoir une interprétation personnelle en dehors des cadres de pensée ecclésiaux (Renan). Tous ces faits sont bien connus par de nombreux travaux scientifiques historiques et exégétiques, qui convergent tous vers la crise moderniste du début du 10

Nous pourrions ajouter qu’elles ont toutes deux Origène pour origine. Pape Benoît XVI, « Discours au monde de la culture », Collège des Bernardins, vendredi 12 septembre 2008.

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xxe siècle. Cette Crise des origines12 opéra une déchirure ecclésiale où les nouvelles méthodes scientifiques de lecture n’ont pu être intégrées dans une perspective dogmatique cohérente. Cette déchirure était le résultat d’une injonction : il fallait choisir entre les méthodes scientifiques et la foi, choisir entre le dogme et l’histoire. Contrairement au Moyen Âge, le renouveau des méthodes de lecture dans la période moderne s’est fait sur fond d’une disjonction entre ecclésialité et méthode. Il n’est pas question ici d’adopter une posture nostalgique consistant à regretter le Moyen Âge comme période exemplaire, mais de comprendre le noyau de cette déchirure moderne. Michel de Certeau, ce philosophe et historien, spécialiste du xviie siècle, pourrait nous apporter des éléments de diagnostic. Le xviie est en effet une période charnière, celle de Spinoza, Descartes, Richard Simon mais aussi de Pascal et Port-­Royal. Il se réalisa un changement culturel important en ce sens que les grammairiens de Port-­Royal développèrent le concept d’univocité du sens tandis que l’on tenait désormais comme dépassée et non fiable la théorie des quatre sens de l’Écriture. L’invention du concept d’univocité du sens au xviie siècle marqua donc un tournant pour la culture européenne et créa une rupture épistémologique dans la lecture de la Bible. Michel de Certeau évoque la tension qu’elle provoqua : « Entre beauté et vérité, un fossé se creuse qui mue la distinction du figuré et du propre en opposition entre poésie (fable) et histoire (érudition). Ainsi, la traduction [de la Bible], qui doit allégeance aux deux, devient-­ elle le champ d’une guerre des muses ».13 De Certeau nous indique une rupture bien plus profonde que celle qui s’est focalisée durant la crise moderniste entre les exégètes et les dogmaticiens, entre les historiens et le Magistère romain. En effet, selon lui, la déchirure est en amont du rapport au Magistère, elle est intérieure à l’homme moderne qui ne sait plus composer le littéral avec le symbolique, l’historique avec le poétique, et cela ouvrit une disjonction interne à l’Église entre dogme et Évangile.14 Il faudra tout l’art de pasteur (Pie XII), d’exégète (Lagrange), de dogmaticiens (Geseilmann, de Lubac, Rahner), de théologiens de la catéchèse (Jungmann, Colomb ou Arnold) pour tenter de surmonter cette dichotomie spirituelle provoquée par cette incapacité à conjuguer lecture ecclésiale et lecture scientifique. Le renouveau des pratiques catéchétiques fut un 12

François Laplanche, La crise des origines, la science catholique des évangiles et l’histoire au xxe siècle, Paris, Albin Michel, 2006, 718 p. 13 Michel de Certeau, « L’idée de traduction de la Bible au xviie siècle : Sacy et Simon », Recherches de science religieuse 66/1, 1978, p. 83. 14 Selon le petit ouvrage remarquable de Walter Kasper, Dogme et Évangile, traduit de l’allemand par Franz van Groenendael, Paris, Cerf, 1re édition 1967, dernière édition 2010.

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premier lieu d’intégration d’une lecture permanente des Écritures, et ceci se fit parce que les acteurs du renouveau kérygmatique de la catéchèse comprirent qu’à travers l’Écriture Dieu parle.15 Le Renouveau catéchétique opéra un déplacement d’un contenu à apprendre à une parole à écouter. Ceci fut aussi l’enjeu des débats qui agitèrent le concile Vatican II à l’occasion du schéma 1 de Dei Verbum : le De Fontibus revelationis.16 Il fallait à la fois sortir du schéma des deux sources de la Révélation et donner un contenu concret à cette notion de Révélation.17 Ceci ne se fit pas sans douleurs mais enfanta un des textes majeurs du Concile. En affirmant que Jésus Christ est la plénitude de la Révélation, Dei Verbum sortait la théologie de quelques ornières intellectualistes et situait l’enjeu de lire la Bible comme une attitude d’écoute du Verbe. La nouveauté de Dei Verbum réside donc avant tout dans ses premiers paragraphes où, ontologiquement, l’Église est présentée comme étant sous la Parole, (Dei verbum religiose audiens et fidenter proclamans, DV 1), c’est-­à-dire qu’elle vit de cette écoute du Verbe, ce qui exige d’elle qu’elle lise les Écritures avec la vénération avec laquelle elle partage le pain eucharistique (DV 21). La Constitution peut en effet être séparée en deux grandes parties bien distinctes. Une partie dogmatique sur la Révélation (préambule, chapitres I et II) et une partie sur l’Écriture Sainte, sa lecture et sa place dans l’Église. 15

À Anvers en 1956, s’est tenu un grand congrès international de catéchèse, intitulé : « La catéchèse en notre temps », qui établit les grands axes d’un renouveau kérygmatique de la catéchèse. La conférence d’ouverture du professeur Arnold, professeur de dogmatique à Tübingen et spécialiste international reconnu en théologie de la catéchèse, fut particulièrement remarquée : F.-X. Arnold, « Le but de la formation religieuse : la foi comme assentiment de l’intelligence et engagement de l’homme tout entier », in Lumen Vitae, vol. XI no 4, 1956 (voir aussi : Cahiers internationaux de théologie pratique, www.pastoralis.org. Ugo Lorenzi synthétise cette posture nouvelle du Renouveau catéchétique, à propos de Jungmann. Au niveau de la communication, Jungmann introduit une nouvelle conception des « contenus » de la foi : « À ses yeux, ils ne sont pas de la doctrine, mais un message : l’acte d’annonce et de témoignage du catéchiste libère la capacité du message chrétien de susciter la foi car, par son intermédiaire, c’est Dieu même qui appelle. Cette attention au langage est confirmée par la transcription et l’analyse, par le courant kérygmatique d’après la Seconde Guerre mondiale, de séquence d’échanges au sein des séances catéchétiques »., in Henri-­Jérôme Gagey (dir.), L’héritage du renouveau catéchétique et le caractère performatif de la parole en catéchèse, volume I, Introduction et chapitres 1-5, Volume II, chapitres 5b‑8, Conclusion générale et bibliographie, thèse pour l’obtention du doctorat en théologie, Janvier 2007, p. 354. 16 Voir la précieuse contribution de B.-D. Dupuy, « Historique de la constitution », in La Révélation divine, la Constitution dogmatique Dei Verbum, tome 1, « Unam Sanctam » 70a, Paris, Cerf, 1968, p. 61-117. 17 Henri Bouillard, « Le concept de révélation de Vatican I à Vatican II », in Révélation de Dieu et langage des hommes, « Cogitatio Fidei », no 63, Cerf, Paris, 1972, p. 35-49.

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Cette distinction est thématique et elle correspond aussi à un mode de travail de la commission mixte qui accompagna les réécritures successives. L’écriture du troisième schéma de Dei Verbum donna lieu à une séparation des tâches. À partir du 7 mars 1964, il est décidé que la commission théologique travaillerait en deux groupes séparés : un groupe travaillerait sur Révélation-­ Tradition et l’autre sur l’Écriture Sainte.18 Cette décision, qui témoigne de la difficulté de la tâche d’intégrer dans un nouveau schéma des centaines de remarques et des textes parfois tout à fait contradictoires, n’est pourtant pas sans conséquences pour la lecture de la constitution. Les chapitres III à VI ne sont pas les plus novateurs de la constitution. Ces quatre chapitres – qui sont ceux qui ont le moins varié par rapport au schéma 1 – reprennent avec l’autorité d’un concile des avancées déjà perceptibles dans les deux grandes encycliques sur la question biblique : Providentissimus Deus de Léon XIII (1893) et Divino afflante spiritu de Pie XII (1943). Résumons avec Olivier Artus : « Dei Verbum marque la fin d’un cycle dans l’Église catholique, le cycle du questionnement concernant la pertinence et la légitimité de la critique historique du texte biblique. La conséquence immédiate de Dei Verbum est de donner droit de cité à une approche critique du texte biblique dans la tradition catholique ».19 Les catholiques ont retenu que la constitution encourageait la lecture des Écritures et son étude. Mais à dire vrai, ces chapitres III à VI n’apportaient pas d’élément décisif par rapport à Divino afflante spiritu ; simplement la caution d’un concile. On ne peut plus dire désormais que la critique biblique est illégitime et que la méthode historique attaque le dogme de l’inerrance biblique. Cependant, Dei Verbum n’aborde pas toutes les nouvelles questions liées à l’herméneutique biblique, aux théories du lecteur, aux lectures synchroniques, sans parler des lectures contextuelles… La partie biblique de Dei Verbum doit donc être considérée plus comme le couronnement d’un mouvement biblique que comme l’exploration de voies nouvelles. Ce n’est pas le cas de la partie Révélation-­Tradition. Ici, le concile opère un vrai changement de paradigme par rapport à la théologie majoritairement enseignée dans les séminaires et les universités.20 Dei Verbum effectue une double tâche : non seulement il définit ce qui ne l’était pas, 18

B.-D. Dupuy, « Historique de la constitution », in La Révélation divine, la Constitution dogmatique Dei Verbum, op. cit., p. 93, note 50. 19 Olivier Artus, « La transmission de la Révelation divine », in Philippe Bordeyne, Laurent Villemin, Vatican II et la théologie, perspective pour le xxie siècle, « Cogitatio fidei », no 254, Paris, Cerf, 2006. 20 Voir le commentaire magistral de Henri de Lubac, « Commentaire du préambule et du chapitre 1 », in La Révélation divine, la Constitution dogmatique Dei Verbum, op. cit.

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mais il dément les définitions supposées par la théologie néo-­scolastique du xixe et du début du xxe siècle. La Révélation ne peut plus être assimilée à une somme de vérités à croire : elle est un événement de Dieu vers l’homme, un surgissement de Dieu comme Parole. Elle est épiphanie et offrande de Dieu lui-­même pour les hommes. Le chapitre va encore plus loin dans le changement de paradigme théologique. Car cette venue de Dieu vers l’homme se réalise pleinement par l’entrée en conversation de Dieu et des hommes et la participation des hommes à la nature divine (DV 2). La Révélation ne peut plus être purement et simplement comprise comme un enseignement qui s’impose et qui s’ajoute à l’humanité par une autorité ex abrupto. La constitution assume le paradoxe de la foi : un Dieu tout autre qui s’offre pour les hommes mais qui réalise pleinement ce Don d’épiphanie dans le dialogue qui se noue comme avec des amis (DV 2). Ainsi la tâche de la réception de Dei Verbum dans la pastorale doit se situer à la jonction de ses deux parties. Si la Révélation est comprise comme la venue de Dieu qui entre en conversation avec les hommes ses amis, alors la partie biblique doit être comprise comme le mode de cette conversation, l’acte de lire doit être entendu comme la rencontre avec quelqu’un dont on attend quelque chose : la Vie. Ce serait ainsi réordonner l’une à l’autre les deux parties de Dei Verbum.

2. L’action de lire comme l’art de l’écoute du Verbe Si la Bible a trouvé une meilleure place dans l’action pastorale de l’Église catholique depuis le concile Vatican II, pourtant tout ne fut pas résolu. En France, les années 1980 furent témoins d’une vive polémique sur l’utilisation de la Bible dans le document catéchétique des évêques de France, intitulé Pierres Vivantes. Ma collègue Isabelle Morel21 a montré que l’une des questions qui faisait polémique était de savoir si la présentation catéchétique de la Bible devait se conformer aux résultats des recherches historiques, ou plus exactement de savoir si les résultats des recherches scientifiques devaient ordonner l’approche catéchétique de la Bible. Ce débat était symptomatique de la disjonction dans la réception de Dei Verbum. D’un côté, il y avait le risque d’ignorer les recherches scientifiques, d’un autre, il y avait la tentation d’identifier recherches historiques et théologie biblique. L’articulation théologique des deux parties de Dei Verbum n’était pas établie. 21

Isabelle Morel, Les années Pierres Vivantes – Retour sur un débat interrompu, « Théologie à l’université », no 33, Paris, DDB, 2015.

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Je voudrais donc montrer dans cette seconde partie de mon intervention qu’un acte pastoral de lire doit être ordonné à une écoute du Verbe. Que l’art de lire est un art d’écoute qui peut s’apparenter à une entrée en conversation et ainsi réunir les deux parties de Dei Verbum.

2. a) Le livre et le miroir La puissance de la démonstration de Paul Ricœur, depuis La métaphore vive22 jusqu’à Temps et récits,23 montrant comment l’acte de lecture est l’achèvement du travail de l’écriture de l’auteur, rencontre comme en écho les pages lumineuses de Marcel Proust introduisant et traduisant de l’anglais l’écrivain et historien de l’art John Ruskin dans La Bible d’Amiens24 et Sésame et les lys. En quelques dizaines de pages, l’auteur d’À la recherche du temps perdu parle de la lecture comme d’une expérience spirituelle qui naît du désir ouvert par la clôture du texte écrit. « Les grands et merveilleux caractères des beaux livres, dit Proust, pour l’auteur ils pourraient s’appeler « conclusions » et pour le lecteur incitations […] Nous voudrions que l’auteur nous donnât des réponses, quand tout ce qu’il peut faire est de nous donner des désirs ! »25 Et ces désirs, poursuit Proust, il ne peut les éveiller en nous qu’en nous faisant contempler la beauté suprême à laquelle le dernier effort de son art lui a permis d’atteindre. Mais par une loi singulière, […] ce qui est le terme de leur sagesse ne nous apparaît que comme le commencement de la nôtre, de sorte que c’est au moment où ils nous ont dit tout ce qu’ils pouvaient nous dire qu’ils font naître en nous le sentiment qu’ils ne nous ont encore rien dit ».26 Parmi ces œuvres qui nous offrent des désirs, des éveils spirituels, il y a la Bible et notamment cette « Bible d’Amiens », c’est-­à-dire la cathédrale d’Amiens qui, avec Chartres, est pour Ruskin et Proust un miroir du monde. Entrer dans la cathédrale, c’est comme entrer dans la Bible avec ses pieds et ses yeux pour en éprouver la beauté. En étant miroir du monde, la Bible de pierre devient miroir de soi-­même. Car la lecture s’applique aussi à une œuvre d’art ; la peinture, la sculpture offrent la même expérience d’éveil spirituel du désir.27 22

Paul Ricœur, La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975. Paul Ricœur, Temps et récits (3 tomes), «  L’ordre philosophique  », Paris, Seuil, 1983-1985. 24 John Ruskin, La Bible d’Amiens, (traduction, préface et notes de Marcel Proust), Rivages poches/petite bibliothèque, 2011 (1re édition chez Mercure de France en 1906). 25 Marcel Proust, Sur la lecture, Paris, Actes sud, 1988, p. 32. 26 Ibid. 27 Ibid., p. 33-34. 23

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Ici, Proust et Ricœur se rejoignent. En effet, commentant une phrase de saint Bernard disant que l’Écriture est liber et speculum (livre et miroir), Paul Ricœur écrit : « Comment le soi se comprend-il en se contemplant dans le miroir que lui tend le livre ? Car un miroir n’est jamais là par hasard : il est tendu par quelque main invisible ; de son côté, un livre reste une écriture morte tant que ses lecteurs ne sont pas devenus grâce à lui, selon le mot de Proust dans Le temps retrouvé, les lecteurs d’eux-­ mêmes ».28 Ainsi, selon Proust et Ricœur, la lecture ouverte par le désir veille à l’accomplissement des sujets lecteurs et à l’achèvement du livre. Il y a un geste de tendre la Bible comme miroir, mais il s’agit d’un geste invisible. Pourtant il faut bien qu’il soit effectué, ce geste, mais le service et le don de la Parole n’ont pas vocation à se montrer mais à s’effacer devant ce qu’ils rendent possible. La Bible comme miroir offre un monde où le soi peut se construire. Il s’agit bien d’une proposition, d’une offre de vie. L’offre se réalise parce que la Parole s’est faite livre et s’est faite pierre sans pour autant s’y réduire. En rencontrant l’altérité du texte, l’écoutant ou le lecteur découvre une surabondance d’être. Ricœur précise toutefois que, si le sujet perd quelque chose à ne pas rencontrer le livre, le livre quant à lui court un risque énorme de n’avoir pas de lecteur ! La Bible deviendrait alors lettre morte. La Bible se réalise comme Parole quand, grâce à elle, le lecteur lit sa vie et peut se lire dans le miroir tendu ; il devient par le livre le lecteur de lui-­même. Le parallèle livre – cathédrale nous ouvre une perspective : il n’y a aucune finalité dans l’objet – livre inventé par Gutenberg. Puisque le livre est un monde, un jardin, une cathédrale, un tableau, une Jérusalem dans laquelle on se promène, la Bible est destinée à être habitée et à ce moment-­là elle nous habite. Ce qui me semble essentiel dans le duo Proust-­Ricœur, c’est que la Bible a besoin de la culture et des sujets lecteurs pour être pleinement elle-­même ! « Elle grandit avec celui qui la lit », disait Grégoire le Grand.29 La Bible a construit des cathédrales, des œuvres littéraires, des institutions, et surtout des sujets. En se disséminant dans la culture par l’acte de lecture, elle se réalise pleinement. Mais si le livre peut devenir miroir et construire des personnes, c’est qu’il possède une source, inaltérable, car il est l’écrin d’une Parole. Si le livre ne vient pas de la Parole, le miroir ne donnera qu’un reflet narcissique de soi. Le miroir est tendu par le livre. Alors bien lire la Bible, ce serait désirer quelque chose de cette Parole qui nous saisit sans que nous la saisissions. Paul Beauchamp allait 28

Paul Ricœur, Amour et justice, Paris, Point essais, 2008. « Les paroles divines grandissent avec celui qui les lit »., Grégoire le Grand, Homiliae in Ezechielem, I, VII, 8 : CCL 142, 87 (PL 76, 843 D).

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dans ce sens quand il disait que « bien lire l’Écriture, c’est désirer quelque chose de Dieu ».30 La méthode n’épuise pas le livre, la lecture éveille à la rencontre mais ne la remplace pas, elle est une ouverture du désir mais pas sa fin. Proust nous met en garde dans la préface de Sésame et les lys : Tant que la lecture est pour nous l’initiatrice dont les clefs magiques nous ouvrent au fond de nous-­mêmes la porte des demeures où nous n’aurions pas su pénétrer, son rôle dans notre vie est salutaire. Il devient dangereux au contraire quand, au lieu de nous éveiller à la vie personnelle de l’esprit, la lecture tend à se substituer à elle, quand la vérité ne nous apparaît plus comme un idéal que nous ne pouvons réaliser que par le progrès intime de notre pensée et par l’effort de notre cœur, mais comme une chose matérielle, déposée entre les feuillets des livres comme un miel tout préparé par les autres et que nous n’avons qu’à prendre la peine d’atteindre sur les rayons des bibliothèques et de déguster passivement dans un parfait repos de corps et l’esprit.31

Le livre au seuil du désir ouvre un monde intérieur par un travail d’enfantement. Autrement dit, la méthode de lecture ne peut saturer le désir et le monde du texte.

2. b) La trame de nos vies Après Proust et Ricœur, c’est le théologien jésuite Étienne Grieu que nous suivrons, car il veut poser concrètement la question du rapport à la Bible en théologie pratique.32 Le recours au texte biblique ne donne pas toujours un label de bonne théologie, explique Grieu. D’ailleurs, il existe des textes théologiques pertinents qui ne citent que très peu des textes bibliques y compris dans de remarquables systèmes théologiques.33 Cette question touche l’enjeu majeur auquel a fait face et continue de faire face la théologie contemporaine : l’extrinsécisme. Pour y remédier, de grands théologiens du xxe siècle ont élaboré des systèmes théoriques parfaitement construits. Pourtant, ces systèmes de pensée, aussi justes soient-­ils, ne 30

Paul Beauchamp, Parler d’Écritures saintes, Paris, Seuil, 1987, p. 40. Marcel Proust, Sur la lecture, op. cit., p. 38. 32 Étienne Grieu développa sa pensée dans sa thèse : Étienne Grieu, Nés de Dieu, Itinéraires de chrétiens engagés, essai de lecture théologique, « Cogitatio Fidei », Paris, Cerf, 2003, 518 p. 33 Étienne Grieu, « Quelle place pour la Bible dans l’élaboration du discours en théologie pratique ? », in Luca Bressan et Gilles Routhier (dir.), Le travail de la parole, « Pédagogie pastorale », no 8, Bruxelles, Lumen vitae, 2011, p. 103-122. 31

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prennent pas en compte la résonance concrète du Don de la Parole de Dieu dans « l’empêtrement de la vie quotidienne ».34 É. Grieu cherche en quoi la Bible peut être agissante dans la théologie pratique pour permettre de percevoir comment le don de Dieu – sa promesse, ses appels, la provocation de sa Parole – travaille l’humanité dans toute son épaisseur. Il aboutit à une position originale qui mérite notre attention : Le travail du théologien pratique consistera à faciliter l’entrée des textes du temps présent dans le jeu qui a été ouvert par le texte biblique, de sorte que l’expérience de ses contemporains puisse à son tour participer à ce jeu des figures et devenir elle-­même, d’une manière nouvelle, figure de ce qui nous a été promis.35

Grieu rompt ici avec une manière de faire qui a souvent été de partir de récits de vie pour corréler avec des textes bibliques en tentant de faire que la Bible s’ajuste. Ici, c’est la Bible qui a ouvert le jeu (sic) des figures et qui offre la trame de sens dans laquelle l’expérience existentielle s’incruste. D’où la dernière étape de son argumentation, la métaphore du « tissage », car le discours auquel on aboutit est un enchevêtrement de différents types d’écriture.36 Quand un fil – ou un groupe de fils d’une certaine couleur – n’apparaît plus, c’est qu’il est caché derrière ceux d’une autre couleur qui ont pris la première place mais il est présent par derrière. Dans le croisement de commentaires, il se produit quelque chose de semblable : ce que l’on a recueilli d’un type de texte continue de travailler, alors que l’on porte attention à d’autres récits.37

Ainsi, dans ce travail de l’Écriture, le lecteur devient co-­acteur de ce qui est révélé, à condition que ce travail s’effectue dans le milieu vital où le Don de Dieu est à l’œuvre et laisse des traces de son passage. L’expérience humaine est prise dans toute son épaisseur car l’expérience humaine est composite : impossible d’isoler une trame de Dieu d’un fil de l’homme. D’une certaine manière, la trace de Dieu offre sa trame. Dans une conférence donnée pour le groupe de Santiago en avril 2016 à l’Institut catholique de Paris, et non encore publiée, Étienne Grieu déploie une autre métaphore, cette fois-­ci empruntée à l’acoustique et à la physique : 34

36 37 35

Ibid., p. 104. Ibid., p. 122. Ibid., p. 115. Ibid.

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Cette manière de travailler consiste à écouter des résonances entre d’une part, des propos de personnes d’aujourd’hui, et d’autre part, le texte biblique, cela, par la médiation d’une même question posée à ces deux sources. Le présupposé qui sous-­tend et autorise cette façon de faire est l’idée, maintenant classique, que la Révélation, n’advenant jamais en dehors d’un jeu relationnel, se donne toujours à nouveau à entendre en fonction des auditeurs de la Parole et de l’expérience qui est la leur. Elle prend donc des accents et des tournures spécifiques selon ce contexte, auquel elle réagit et qui la fait réagir.38

La métaphore acoustique désigne « ce qui se passe lorsque des vibrations rencontrent des objets et leurs transmettent leur mouvement, phénomène qui peut atteindre de très grandes amplitudes lorsque leurs fréquences s’accordent ».39 Ces vibrations sont de l’ordre d’un combat spirituel parce que notre rapport au monde est aussi notre rapport à Dieu. Le théologien repère ces vibrations parce qu’elles entrent en résonance avec sa propre manière d’être au monde et, à travers celles-­ci, son rapport à Dieu est sollicité. Il est pour cela guidé par le travail des textes bibliques, « qui eux-­mêmes ont enregistré quelque chose d’un rapport au monde et d’une participation à l’histoire qui soit pétrie de la présence de Dieu ».40

Épilogue Ce bref parcours nous a aidés à désigner plus précisément le mode de conversation qui s’engage quand Dieu se révèle aux hommes. L’enjeu était de conjuguer la théologie de la Révélation de Dei Verbum à la nécessité de la lecture fréquente et des études scientifiques développées dans les chapitres III à VI de Dei Verbum, montrant par là-­même comment surmonter un extrinsécisme biblique. Ceci est d’autant plus crucial que la période moderne, en développant comme jamais l’étude scientifique de la Bible, a provoqué une déchirure spirituelle. La modernité a remplacé une théologie de la lecture – les deux traditions médiévales des quatre sens et de la lectio divina – par des méthodes, mais en laissant vacante une théologie de la lecture. Nous avons alors émis l’hypothèse que l’acte de lire les Écritures en Église devait être compris comme la manière de comprendre

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Étienne Grieu, « Le recours à la Bible en théologie pratique », Séminaire international de recherche en théologie des pratiques, dit Groupe de Santiago, meeting de Paris, avril 2016. Ad manuscriptum, p. 2. 39 Ibid., p. 3. 40 Ibid.

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cette conversation que Dieu a entrepris de mener avec l’homme et ainsi de surmonter cette déchirure spirituelle moderne. Si, avec Proust et Ricœur, l’acte de lire est l’accueil d’un désir qui ouvre des commencements d’éclosion d’un sujet qui advient à lui-­même, avec Étienne Grieu c’est l’empêtrement des textes bibliques dans l’expérience humaine qui démultiplie la résonance de la Révélation dans l’épaisseur de notre histoire. Ceci est possible parce que la Bible est déjà ainsi faite de vibrations et de combats spirituels. Ainsi compris, l’acte de lire la Bible n’est pas un ajout extrinséciste à une vie chrétienne qui pourrait s’en passer, mais la réalisation culturelle, ecclésiale et spirituelle de l’offre d’amitié et du partage de la vie divine venue du Père par le Fils grâce à l’Esprit. Dans cette perspective, l’ecclésialité de la lecture n’entre pas en concurrence avec sa scientificité, ni le dogme avec l’Évangile. En prenant le parti de la lecture comme conversation entre Dieu et l’homme, le lecteur reçoit l’Esprit avec lequel elle a été écrite, (DV 12) celui d’un empêtrement, interne à la Bible, du divin et de l’humain. Rien n’est moins biblique que d’avoir à opérer un tri, car Dieu agit déjà dans le cœur du croyant. Et voilà pourquoi nous aussi, nous rendons grâce à Dieu sans relâche de ce qu’ayant reçu la Parole de Dieu que nous vous faisons entendre, vous l’avez accueillie, non comme une parole d’hommes, mais selon ce qu’elle est vraiment, comme une parole de Dieu qui agit en vous, les croyants. (1Th 2,13 ; traduction Osty)

Animatio biblica totius actionis pastoralis: Eine didaktische Perspektive

Judith Könemann Institut für Katholische Theologie und ihre Didaktik, Katholisch-­Theologische Fakultät der WWU (Münster)

Erstmalig äußerte sich ein katholisches Kirchenoberhaupt, Papst Leo XIII., im Jahr 1893 in seiner Enzyklika Providentissimus Deus zur Bedeutung der Heiligen Schrift und der wissenschaftlichen Auseinandersetzung mit dieser in der katholischen Kirche. Und auch wenn dieser Enzyklika weitere Kirchendokumente zur Rolle und Bedeutung der Bibel bis zum Zweiten Vatikanischen Konzil folgen sollten, so verdeutlicht allein die Art und Weise der Auseinandersetzung die Bedeutung, die die biblischen Texte in der Pastoral, Seelsorge und Katechese hatten: Zum einen kamen biblische Texte in Pastoral, Seelsorge und Katechese bis zum Zweiten Vatikanischen Konzil nur in durch den Amtsträger, also den Priester, vermittelter Form in der Liturgie (Predigt) oder Katechese vor. Zum anderen stellte gerade die Neuscholastik in ihrer Hochzeit des 19. bis Mitte des 20. Jh. die biblischen Texte ganz in den Horizont der Systematischen Theologie, insbesondere der Dogmatik. Das Volk, der gläubige Mensch, der gläubige Laie, wie wir heute sagen, begegnete biblischen Texten so ausschließlich in der Vermittlung durch den Priester, und er begegnete ihnen nur sehr, sehr ausschnitthaft, in ausgewählten, oft aus dem Gesamtzusammenhang herausgerissenen Perikopen und Erzählungen meistens in der Liturgie oder zur Bestätigung einer dogmatischen Aussage in den verschiedenen Katechismen. Eine eigenständige Lektüre des biblischen Textes als biblischem Text ohne eine sofortige dogmatische Weiterführung wurde dem katholischen Gläubigen bis zum Zweiten Vatikanischen Konzil nicht zugetraut. Dem Gläubigen wurden die Autorität und die Fähigkeit zur Wahrnehmung der biblischen Texte als Quelle von Spiritualität und als Stärkung des eigenen Glaubens abgesprochen. Die Bibelbewegung in der ersten Hälfte des 20. Jh. war ein erster Versuch auf katholischer

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Seite, die biblischen Texte als Ganze auch für die Gläubigen zugänglich zu machen. Zwar hat sich das zu der Zeit nicht durchsetzen können, hat aber sicher die Veränderung, die durch das Konzil dann vorgenommen wurde, mit vorbereitet. Erst das Zweite Vatikanische Konzil hat dann die biblischen Texte in ihrer genuinen Eigenständigkeit und ihrer eigenständigen Dignität betont. Dass es dazu der Anerkennung der Fortschritte in den exegetischen Wissenschaften bedurfte, insbesondere der historisch-­kritischen Methode, versteht sich von selbst. So konnte dann das Konzil in Dei Verbum formulieren: Die heilige Theologie ruht auf dem geschriebenen Wort Gottes, zusammen mit der Heiligen Überlieferung, wie auf einem bleibenden Fundament. In ihm gewinnt sie sichere Kraft und verjüngt sich ständig, wenn sie alle im Geheimnis Christi beschlossene Wahrheit im Lichte des Glaubens durchforscht. Die Heiligen Schriften enthalten das Wort Gottes und, weil inspiriert, sind sie wahrhaft Wort Gottes: Deshalb sei das Studium des heiligen Buches gleichsam die Seele der heiligen Theologie. Auch der Dienst des Wortes, nämlich die seelsorgliche Verkündigung, die Katechese und alle christliche Unterweisung – in welcher die liturgische Homilie einen hervorragenden Platz haben muß – holt aus dem Wort der Schrift gesunde Nahrung und heilige Kraft. (DV 24)

Erst durch das Konzil erhielten die biblischen Schriften ein ganz eigenes Gewicht in der Pastoral und Seelsorge – und nicht zuletzt auch in der Bildung – und erlangten damit ihre Eigenständigkeit neben der Tradition. Für die eigenständige Lektüre der Bibel durch die Gläubigen war jedoch noch eine zweite wesentliche Neuerung des Konzils notwendig. Vorbereitet durch die so genannte Anthropologische Wende in der Theologie, verbunden mit den Namen Karl Rahner, Henri de Lubac und Edwaard Schillebeeckx, stellte das Konzil nun das Subjekt des Glaubens, den Gläubigen in den Mittelpunkt. Der Glaubende war so nicht mehr Objekt der seelsorgerlichen Bemühung, Empfänger des depositum fidei, wie dies in den Pastoraltheologien der vorvatikanischen Zeit formuliert wurde1, sondern der Gläubige wurde wesentlich Subjekt und Mitgestalter seines ihm geschenkten Glaubens. Diese Veränderung fand ihren Niederschlag in der Rede und der Betonung des gemeinsamen Priestertums aller Gläubigen und in der dem Glaubenden durch die Taufe gegebenen ganz eigenen Würde und Autorität. Dies steht auch 1



Vgl. Michael Pflieger, Pastoraltheologie, Wien-­Basel, Freiburg-­Herder, 1962, 424 S.

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in engem Zusammenhang mit der Rede und Anerkennung des Volkes Gottes als eigenständiger Größe. Erst diese Entwicklungen führten im Nachgang des Zweiten Vatikanischen Konzils dazu, dass die Bibel als Ganze und unmittelbar, das heißt ohne die Vermittlung durch eine Autorität – in der Regel die des Priesters – als Möglichkeit eigenständiger Lektüre und in diesem Sinne als unmittelbare Quelle der Spiritualität und Stärkung des Glaubenslebens für den Gläubigen in den Horizont rückte. Diese historische Entwicklung erklärt auch, warum sich Gläubige in der katholischen Kirche bis heute nicht leicht damit tun, sich selbst die Autorität zuzusprechen, die Bibel eigenständig und ohne Vermittlung durch eine Rollenautorität lesen zu können. Trotz des hier beschriebenen nicht immer leichten Hinweges hat gegenwärtig in der katholischen Kirche die Bibel als Quelle des eigenen Glaubenslebens immer mehr an Bedeutung gewonnen. Dazu tragen die lehramtlichen Äußerungen der letzten Jahrzehnte bei, vor allem aber auch die Entwicklungen im Christentum des Südens, Lateinamerikas, Asiens und Afrikas, die bspw. im Konzept der Basisgemeinden in Lateinamerika oder in den Konzepten der Small Christian Communities der Lektüre der Bibel durch die Glaubenden einen hohen Stellenwert einräumen. Im westeuropäischen Kontext hat die Gemeindekonzeption, die sich im Nachgang des Konzils durchsetzte und sehr stark auf Beteiligung setzte, sehr die Etablierung von Bibelkreisen und Bibelgruppen und damit die Lektüre der biblischen Texte als ganzer Texte sehr befördert. Insgesamt wird die Animatio biblica totius actionis pastoralis deutlich von begleitenden Institutionen wie den Bibelwerken in den verschiedenen deutschsprachigen Ländern in Deutschland, der Schweiz und Österreich unterstützt, die darauf aufbauend das Projekt der Lectio Divina ins Leben gerufen haben und vielfältige Materialien für die Arbeit mit der Bibel und in Gruppen, die mit der Bibel arbeiten möchten, zur Verfügung stellen. Im Folgenden werden, nach einer grundlegenden Vorbemerkung, unter Rückgriff auf dieses Projekt sowie auf Grundlage der ausgefeilten biblischen Didaktik, wie sie für den schulischen Religionsunterricht als ordentlichem Lehrfach in der öffentlichen Schule in den deutschsprachigen Ländern entwickelt worden ist, einige didaktische Leitlinien zur Arbeit mit biblischen Texten, insbesondere im Kontext von Gruppen, vorgestellt. Diese didaktischen Grundlinien sind dabei eng verbunden mit den Entwicklungen in den exegetischen Wissenschaften der vergangenen Jahre und Jahrzehnte.

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1. Religionspädagogischer Ausgangspunkt: Bibellektüre ist immer Bildung Bibellektüre ist immer ein Bildungsprozess. Auch wenn sich Pastoral (Seelsorge) und Bildung, sei es Katechese, vor allem aber schulische Bildung in ihren Aufgaben, Zielgruppen und Herangehensweisen unterscheiden, so kann doch festgehalten werden, dass die Lektüre biblischer Texte immer auch ein Bildungsprozess ist, der je nach Ort, Pastoral, Katechese oder Schule in unterschiedlicher Weise im Vordergrund steht. Zwar wird in der Pastoral, so wird man vielleicht einwenden, die existentielle Dimension, die unmittelbare Begegnung mit dem Text sowie der Austausch über diese Dimension in der Gruppe im Vordergrund stehen, und in der Katechese und noch mehr in der Schule stärker die Vermittlung eines Glaubenswissens. Dennoch handelt es sich um einen Bildungsprozess und letztlich zielen auch schulische – mindestens in einem bekenntnisorientierten Religionsunterricht – oder katechetische Bildungsprozesse auf die Ermöglichung einer existentiellen Begegnung mit den biblischen Texten als Glaubensdokument. Dieses Verständnis als Bildungsprozess umfasst alle Dimensionen von Bildung: die existentielle Bildung, die Bildung der Person und der je eigenen Identität und – eng damit zusammenhängend – die Bildung in der affektiven Dimension, in dem wir uns von dem Gegenstand der Bildung, vom biblischen Text berühren lassen und uns in der Begegnung mit dem Text verändern lassen. Es ist aber auch ein kognitiver Bildungsprozess, in dem ich etwas über die Menschen und ihre Erfahrungen, über die Situationen und Kontexte, in denen die biblische Erzählung situiert ist, erfahre, und diese Zusammenhänge zu verstehen lerne. Wenn es – wie die moderne Exegese es formuliert – in der Lektüre der biblischen Texte um eine Begegnung zwischen dem Text und den Lesenden geht, so ist diese Begegnung in all ihren Dimensionen immer auch ein Lernprozess für die Lesenden und zwar unabhängig von dem Ort, an dem die Lektüre biblischer Texte stattfindet, also unabhängig davon, ob in der Gemeindepastoral oder im schulischen Religionsunterricht. Dieser hier angesprochene Lern- oder auch Bildungsprozess liegt nun wie eben angedeutet auf verschiedenen Ebenen und er kann unterschiedliche Bildungsformen beinhalten. In der Religionspädagogik unterscheiden wir zwischen der so genannten informellen Bildung, also der nicht-­ intentionalen, nicht geplanten Bildung, wie sie sich allerorten und jederzeit individuell vollzieht, der non-­formalen Bildung, der Bildung in Formaten und an Orten außerhalb der institutionalisierten Bildungsorte wie Schule oder Universität und der formalen Bildung an eben diesen Orten von

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Schule und Universität. In diesem Sinne kann der Bildungsprozess der biblischen Lektüre eher informell, nicht-­intentional sein, wie dies bei der individuellen, persönlichen Bibellektüre der Fall ist, er kann im Feld der non-­formalen Bildung wie in der Pastoral, einer Bibelgruppe oder Katechese, oder auch in stark formalisierten Bildungsprozessen wie im Religionsunterricht in der Schule angesiedelt sein. Unabhängig davon handelt es sich immer um einen Bildungsprozess. Die folgenden Überlegungen nehmen vor allem die non-­formalen Bildungsorte in Pastoral und Katechese in den Blick.

2. Bibellektüre als die Begegnung zwischen Lesenden und Text Unabhängig davon, welchen gegenwärtigen bibeldidaktischen Ansätzen – im Unterschied zu früheren pädagogischen wie auch exegetischen Ansätzen – man folgt, rücken sowohl die biblischen Texte, das heißt die Welt des Textes, eingebettet in das Netz der anderen Texte oder auch des Kanons auf der einen Seite und den Lesenden auf der anderen Seite in den Mittelpunkt der Betrachtung und der Analyse.2 Verbunden sind beide über die spezifische Beziehung zwischen dem Text und seinen Lesenden. Letztlich geht es jeder bibeltheologischen Didaktik darum, die Welt des Textes und die Welt des lesenden Subjekts zum Sprechen zu bringen und in eine Beziehung zueinander zu bringen. Um die gegenwärtige Entwicklung zu verstehen, lohnt ein kurzer Blick auf die Entwicklung der biblischen Didaktik.

2. a) Von der Materialkerygmatik zur Rezeptionsästhetik Der wohl wesentlichste Fortschritt aus einer didaktischen Perspektive liegt in den Entwicklungen der letzten fünfzig bis sechzig Jahre. Sowohl in der Exegese als auch in der Pädagogik und Didaktik setzte sich immer mehr die Erkenntnis durch, dass Inhalte nicht ohne die Menschen, die sich mit ihnen beschäftigen, zu denken sind. Oder anders gesagt, kein Text hat eine Bedeutung, wenn er nicht von Menschen gelesen wird. Texte ohne Menschen, die sie lesen, sind bedeutungslos. In der jüngeren Exegese hat dies seinen Niederschlag in der Berücksichtigung der Rezeptionsästhetik 2

Vgl. Mirjam Schambeck, Bibeltheologische Didaktik, Göttingen, Vandenhoeck  & Ruprecht, 2009, S. 65 f.

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gefunden sowie in der stärkeren Wahrnehmung des Textes in seiner Endgestalt. Damit rückt die synchrone Perspektive in den Vordergrund, wie sie auch für die Ansätze des so genannten canonical approaches charakteristisch ist. In didaktischer Hinsicht verdanken wir der hermeneutischen Bibeldidaktik der 1960er Jahre viel, gelang es dieser doch erstmals, die biblischen Texte aus ihrer dogmatischen Zuordnung als alleinigem Maßstab zu befreien, wie dies in der Materialkerygmatik noch der Fall war, und ihnen als Texte und Erzählungen, die in einem Gesamtzusammenhang stehen, ein eigenes Gewicht zu geben. Auch wenn in der Tradition der historisch-­ kritischen Methode in der hermeneutischen Bibeldidaktik vor allem der Text im Mittelpunkt stand und das Subjekt vor allem als dasjenige in den Blick rückte, dem es oblag, die eigentliche Aussageabsicht des biblischen Autors zu verstehen, so rückt dennoch allmählich das Subjekt, der konkrete Mensch mit seinen Verstehensbedingungen und Verstehensmöglichkeiten in den Mittelpunkt. So bildete sich allmählich ein Bewusstsein heraus, dass das Subjekt mit seinen Bedingungen, den Kontexten, in denen es lebt, etc., den Verstehensprozess des Textes mitbeeinflusst. Zudem wurde mit der hermeneutischen Bibeldidaktik bewusst, dass es nicht den einen Sinn oder die eine Botschaft eines Textes gibt und geben kann, sondern die Vielschichtigkeit des Textes als auch die Verschiedenheit der Lesenden eine Vielschichtigkeit von Sinn produzieren. Was ein Text meint, kann nicht einfach in einem Satz festgehalten werden.3 Nach und nach gewannen so die Lesenden des Bibeltextes und deren Wahrnehmungen, eben deren Rezeption des Textes, an Bedeutung und bestimmen die Exegese sowie das Nachdenken über eine angemessene biblische Didaktik bis heute. Deshalb lohnt es sich, dieses Verhältnis zwischen dem Text, seiner Eingebundenheit in andere biblische Texte und das den Text lesende Subjekt genauer in den Blick zu nehmen.

2. b) Der Text und der Text in seinem Netz (Zwingenberger)4 Der Text steht wohl am längsten im Mittelpunkt der Aufmerksamkeit. Mindestens seit der historisch-­kritischen Methode wurde deutlich, dass „biblische Texte das Ergebnis eines vielschichtigen und oft jahrhundertelangen mündlichen und schriftlichen Entstehungsprozesses“5 sind. Sie 3



Vgl. auch Schambeck, Bibeltheologische Didaktik, op. cit., S. 122-128. Ich danke Uta Zwingenberger ausdrücklich, der ich wesentliche Einsichten für diesen Vortrag verdanke. 5 Uta Zwingenberger, „Begreifen, was uns ergreift. Bibel lesen zwischen Autoren, Texten und Lesern“, Bibel heute 41/2, Stuttgart, 2005, S. 18. 4

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transportieren die jeweiligen Welten, in denen sie geschrieben, verändert und überarbeitet wurden, sie reagieren auf die jeweiligen Kontexte und deren Bedingungen. Die Exegese hat gerade mit der historisch-­kritischen Methode in den vergangenen einhundert Jahren ein differenziertes Instrumentarium herausgebildet, mit dem die Texte in ihren jeweiligen Kontexten und Welten, in ihrer jeweiligen Entstehungsgeschichte analysiert werden können. Fragte die Exegese über lange Zeit nach der Intention des Autors oder der intentio auctoris, wie Umberto Eco dies formuliert, also nach der Aussageabsicht des Autors, so wuchs mit der Rezeption der Literaturwissenschaften innerhalb der Exegese, insbesondere dem linguistic turn und der Sprechakttheorie, die Erkenntnis, dass es letztlich nicht möglich ist, die Aussageabsicht des Autors aus dem Text herauszuarbeiten, da sich Autor und Text mit dem geschriebenen Text voneinander lösen und der Text eine ganz eigene Sprachhandlung darstellt. Texte sind Sprachhandlungen, die über die aktuelle Sprechsituation hinausreichen und denen gerade darin ein bestimmter Traditionsüberschuss zukommt.6 Umberto Eco bezeichnet dies mit dem Begriff der intentio operis, also der Intention des Werkes oder des Textes. Die intentio auctoris (Intention des Autors) und die intentio operis (die Intention des Textes) sind also zu unterscheiden, weil es sich dabei um Verschiedenes handelt. In dieser Hinsicht führt der Text gewissermaßen ein Eigenleben. Im besten Sinne kann in einem Text mehr Sinn bzw. mehr Bedeutung entdeckt werden, als seine Autorin bzw. sein Autor intendiert hat.7 Allerdings steht auch der Text nicht beziehungslos da, sondern ist immer schon eingewoben in ein Netz anderer Texte. Auf diese Weise wird nun der Text weniger in seiner Entstehungsgeschichte, sondern mehr in seiner Endgestalt betrachtet, also so wie er in den gegenwärtigen Bibelausgaben enthalten ist. Zwingenberger erläutert dazu: „Jeder Text ist eingebunden in ein dichtes Netz aus seinen Nachbartexten und Stichwortverbindungen, die sich durch die gesamte Bibel ziehen. In diesem Netz werfen Texte ein neues Licht aufeinander, bereichern und erklären sich gegenseitig.“8 So wie es etwas bedeutet, ob eine Bibelstelle den Anfang oder das Ende eines Buches bildet, so eröffnet sich mit jedem Text ein Gesamtpanorama von Texten und Bildern, in die der Text eingewoben ist. Zwingenberger ver6



7



8

Vgl. Konrad Ehlich, „Text und sprachliches Handeln. Die Entstehung von Texten aus dem Bedürfnis nach Überlieferung“, in Aleida Assmann, Jan Assmann u. a. (Hg.), Schrift und Gedächtnis: Beiträge zur Archäologie der literarischen Kommunikation, München, W. Fink, 1983, S. 24-43, 37. (Zitiert nach: Schambeck, Bibeltheologische Didaktik, op. cit., S. 97.) Zwingenberger, „Begreifen, was uns ergreift“, op. cit., S. 19. Ibid.

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gleicht dies mit einem Klassentreffen,9 bei dem z. B. jemand sagt: „Wisst Ihr noch, unser Mathelehrer?“ Und mit der Aufrufung des Mathematiklehrers erscheint nicht nur der Mathematiklehrer vor dem geistigen Auge, sondern auch der Mathematikunterricht, die Art und Weise, wie dieser Lehrer Mathematik unterrichtete, die Räume, die Schule, etc. Vielleicht erinnert man sich sogar an den Geruch der Klassenzimmer. Wenn in einem Evangelientext ein Psalmvers aufgerufen wird, tritt damit auch die gesamte Bildwelt des Psalms in den Vordergrund, und es werden Verbindungen zwischen dem Evangelientext und dem Psalm und dem dort gemeinten deutlich. Darüber hinaus enthält jeder Text viele weitere Hinweise für sein Verstehen: Welche Figur was sagt, wenn Worte und Passagen wiederholt werden, die Orte, die Zitate aus anderen Büchern oder gerade Psalmen mit ihren vielfältigen Gefühlswelten. Über die Analyse von Orten, Personen, ihrer Zuordnung zueinander, etc. können die Texte erschlossen werden und sie werden erschlossen wie andere Literatur. Den Text in seiner (End-)Gestalt und in seinem Gewobensein im Kontext der anderen Texte wahrzunehmen, zeugt, so Zwingenberger, vom „Respekt vor der Bibel“.10 Damit ist gemeint, im Gespräch zwischen Lesenden und Text den Text zu seinem Recht kommen zu lassen und über Irritationen, Unverständnisse, etc. nicht hinweg zu gehen oder unliebsame Texte auszuschließen. All dies würde dem Text als Text nicht gerecht, ebenso wie vorschnelle eigene Interpretationen, die in den Text hineingelesen werden. Man kann vielleicht zusammenfassend sagen: „Der Text ist mehr als die Intention des Autors, er ist [aber] auch mehr als die Rekonstruktion des Texts durch den Leser“.11

2. c) Die Lesenden des Textes Wie bereits oben erwähnt, erlangen die Lesenden oder religionsdidaktisch formuliert das Subjekt, die Schülerinnen und Schüler, erst recht spät Aufmerksamkeit. Religionsdidaktisch erfolgt dies seit den 1960er, spätestens 1970er Jahren mit der Wende zur so genannten Schülerorientierung. Im Kontext der Exegese rückt das lesende Subjekt mit der Hinwendung zur Rezeptionsästhetik in den Vordergrund. So wie deutlich wurde, dass es nicht den einen Sinn des Textes gibt, wird ebenso deutlich, dass sich die Bedeutung eines Textes immer wieder neu mit dem lesenden Subjekt –

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Vgl. ibid. Ibid., S. 20. 11 Schambeck, Bibeltheologische Didaktik, op. cit., S. 99. 10

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ihrer bzw. seiner Lebens- und Glaubensgeschichte und der jeweiligen konkreten Lebensumstände – erschließt. Zwingenberger äußert sich dazu: So illustriert auch jeder Mensch biblische Texte mit Bildern aus der eigenen Vorstellungswelt, bringt seine Erfahrungen ein und ist gezwungen, das, was der Text nicht ausdrücklich sagt, mit eigenen Vorstellungen zu füllen. Solche ‘Leerstellen‘, wo die Geschichte den erwarteten Verlauf verlässt oder entscheidende Handlungsschritte nicht erzählt und dadurch für die eigene Lebenswelt transparent wird, sind oft die anregendsten Momente im Gespräch mit dem Text.12

Das heißt, wir können einen Text gar nicht anders lesen als mit uns selbst, mit unserer eigenen Person, unseren Vorerfahrungen, unserer momentanen Lebenssituation, unseren jeweiligen Verstehenshorizonten, etc., die sich in der Lektüre und in den Bedeutungen, die wir einem Text geben, jeweils aktualisieren und die didaktisch fruchtbar gemacht werden können. So lesen Frauen und Männer biblische Texte anders, identifizieren sich mit unterschiedlichen Personen anders, lesen Menschen im westeuropäischen Kontext anders als Menschen in den Ländern des Südens, entfalten unterschiedliche Kontexte ihren Einfluss auf die Lektüre. Vermutlich haben viele gläubige Menschen schon einmal die Erfahrung gemacht, wie unterschiedlich es sein kann, was in einem biblischen Text für einen selbst von Bedeutung ist, je nachdem, in welcher Lebenssituation man ihn gelesen hat. Die Intention der Lesenden, die intentio lectoris, wie Eco dies formuliert hat, ist also bei der Lektüre des Textes nicht wegzudenken. Anders formuliert: „Wenn zwanzig Menschen einen Text lesen, wird dieser Text zum Knotenpunkt für zwanzig verschiedene Bedeutungen.“13 Für das Verhältnis von Text und Lesenden bedeutet das, in der Lektüre des Textes aktualisiert sich die ursprüngliche Sprechhandlung, jedoch im jeweils eigenen Kontext des Lesenden. So löst jeder verschriftete Text eine neue Sprechsituation aus, in der der Text als Text bestehen bleibt, sein literarischer Kontext wie auch seine Lesenden aber wechseln.14 Allerdings wird auch deutlich, wie es Umberto Eco formuliert hat: „Ein Text kann zwar unendlich viele Interpretationen anregen, erlaubt aber nicht jede beliebige Interpretation.“15 12

Zwingenberger, „Begreifen, was uns ergreift“, op. cit., S. 21. Ibid., S. 21. 14 Vgl. Schambeck, Bibeltheologische Didaktik, op. cit., S. 99. 15 Zwingenberger, „Begreifen, was uns ergreift“, op. cit., S. 21. 13

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3. Didaktische Anmerkungen Unabhängig davon, ob nun in pastoralen oder in religionspädagogischen Zusammenhängen biblische Texte gelesen werden, gilt es diese oben skizzierte Bewegung zwischen Text und Lesenden sehr ernst zu nehmen. Das bedeutet auch, zwei Sackgassen zu vermeiden, die in der Gefahr der Verabsolutierung des Textes oder der Lesenden und deren Interpretation liegen. Dem Text ein absolutes „Prä“ zu geben, entspräche sozusagen früheren Zeiten, in denen vor allem nach der Aussageabsicht des Textes gefragt wurde und es ausschließlich um das Verstehen der biblischen Aussage durch die Lesenden ging und das Subjekt mit seiner Lebenswelt und seinen Erfahrungen zu kurz kam. Die andere Gefahr, und das ist die vielleicht in heutiger Zeit größere, ist, dass die Lesenden mit ihrer Lebenswelt und vor allem ihrer Interpretation zu sehr in den Vordergrund rücken. Dies geschieht, wenn z.  B. in Bibelgruppen zu wenig auf den Text geschaut wird und auch zu wenig Sachkenntnis über den Text und seine Eingebundenheit in den Textkorpus und den Kanon hinzugenommen wird. Hier leistet z. B. das Lectio divina-­Projekt des Deutschen Bibelwerkes wichtige Hinweise, in dem es auf diese genuin eigene Perspektive des Textes immer wieder aufmerksam macht. Gerade in den vergangenen Jahren wurden viele und umfangreiche Materialien entwickelt, die Bibelgruppen die Möglichkeit zur Verfügung stellen, sich die notwendige Kenntnis über den Text anzueignen und so den Text zu erschließen. So existieren inzwischen zu einzelnen Büchern – analog zu einer Unterrichtsreihe gestaltete – in einzelne Einheiten aufgeteilte Materialen, die sowohl den Zusammenhang des gesamten Buches als dann auch einzelne Texte des Buches lesen und analysieren sowie das notwendige Hintergrundwissen zur Verfügung stellen.16 Gleichzeitig gilt es jedoch, und das ist ja die große Errungenschaft der (Religions-) Didaktik, dem Subjekt und seinen Verstehensbedingungen mehr Raum und Bedeutung zu geben. Bei Kindern und Jugendlichen sind hier die entwicklungspsychologischen Voraussetzungen mit zu bedenken. Also die Frage danach, was das Kind, der Jugendliche bereits verstehen kann oder präziser formuliert, wie das Kind in seinem Alter bestimmte Bilder oder Zusammenhänge versteht, zu wie viel Abstraktion das Kind bereits fähig ist, welche Informationen ihm zur Verfügung gestellt werden müssen, um sich Kontexte und Situierungen vorstellen zu können. Weiß ein Kind im westeuropäischen Kontext z. B., was Hunger oder gar eine 16

Vgl. für Deutschland die Materialen des Bibelwerkes zum Lectio Divina-­Projekt: https:// www.bibelwerk.de/Lectio+Divina.89122.html [zuletzt geprüft: 09.05.2017 20:33].

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Hungersnot ist? Kann es sich eine Wüste vorstellen? Ist es in der Lage, bestimmte Bilder zu entschlüsseln oder versteht es sie wörtlich? Solche Fragen sind insbesondere für katechetische Bildungsprozesse, die in der Regel Kinder und Jugendliche als Zielgruppe haben, von Relevanz, jedoch kann auch bei Erwachsenen nach den Verstehensbedingungen und nach den Verständnishorizonten gefragt werden. Insbesondere ist hier aber nach dem Lebenskontext und den biographischen Lebenserfahrungen zu fragen, auf die der jeweilige biblische Text trifft und die das Lesen eines Textes in hohem Maße beeinflussen. Gerade Bibelkreise haben hier die Möglichkeit, darauf ausführlicher einzugehen und dergestaltige Erfahrungen in der Gruppe auszutauschen. Karl Ernst Nipkow und Friedrich Schweitzer, beides evangelische Religionspädagogen, haben das sogenannte Modell der Elementarisierung für den Religionsunterricht entwickelt, in dem ebenfalls die Ebene der Subjekte und die Ebene der Inhalte in Verbindung gebracht werden.17 Ganz im Sinne Wolfgang Klafkis geht es hier um die wechselseitige Erschließung von Person und Sache, übertragen auf diesen Kontext um die Begegnung zwischen den Lesenden und dem Text. Bei den Zugängen, die die Schülerinnen und Schüler mitbringen, wird zwischen ihren entwicklungspsychologischen und ihren lebensweltlichen Voraussetzungen unterschieden. Bei ersteren wird die Frage nach dem kognitiven, sozialen, moralischen, religiösen Verstehenshorizont gestellt, mit dem die Schülerinnen und Schüler der Thematik, dem biblischen Text begegnen. Bei letzterem wird von den konkreten lebensweltlichen Voraussetzungen und Verstehenshorizonten sowie von den Lebensumständen der Schülerinnen und Schüler ausgegangen, ob sie z. B. in sozialen Brennpunkten oder in eher wohl situierten Gegenden aufwachsen oder welche religiösen Voraussetzungen sie mitbringen. Auf der Ebene der Inhalte rückt damit die Frage nach den elementaren Wahrheiten, die Frage nach der Bedeutsamkeit der Inhalte für den Lernenden in den Vordergrund, oder die didaktische Grundfrage nach der Bedeutung des zu Lernenden für den Lernenden, also welche Bedeutung der biblische Text für mich, für meinen Glauben und für mein Leben hat. Und nicht zuletzt wird nach den elementaren Strukturen gefragt, also nach dem fachwissenschaftlichen Gehalt eines Inhalts. Bezogen auf die biblische Lektüre ist hier die bereits oben 17

Siehe dazu u. a.: Karl-­Ernst Nipkow, „Elementarisierung“, in Gottfried Bitter, Rudolf Englert, Gabriele Miller (Hg.), Neues Handbuch religionspädagogischer Grundbegriffe, München, Kösel, 2002, S.  451-456; Friedrich Schweitzer, Elementarisierung im Religionsunterricht. Erfahrungen, Perspektiven, Beispiele, mit weiteren Beiträgen von Karl Ernst Nipkow u. a., „Neukirchener Theologie“, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 20113, 221 S.

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angesprochene fachliche Auseinandersetzung mit dem Text gemeint. So stellt das Modell der Elementarisierung nochmals auf einer didaktischen Ebene in einer Vier-­Felder-­Matrix dar, was in der Begegnung zwischen Text und Lesenden Bedeutung entfaltet. Dieses Modell ist gerade für die Vorbereitung eines Treffens in der Bibelgruppe ausgesprochen hilfreich, strukturiert es doch die notwendigen didaktischen Überlegungen. Seitdem das Bibellesen auch im katholischen Kontext nach dem Zweiten Vatikanischen Konzil stärkere Verbreitung fand, erleben viele Menschen das Lesen biblischer Texte als große Bereicherung ihres eigenen Glaubenslebens. Viele Menschen haben zudem das Bedürfnis, die biblischen Texte nicht nur individuell, sondern in Gemeinschaft mit anderen zu lesen. So entstanden und entstehen in vielen Gemeinden so genannte Bibelkreise. Die sicher am häufigsten vorfindliche Methode des Bibellesens in diesen Gruppen ist sicher die des Bibel-­Teilens. Eine Kernfrage, die Menschen in Gemeinden und in Bibelgruppen immer wieder stellen, ist die, ob sie denn als theologische Laien eigentlich autorisiert sind, sich auf eine solche eigenständige Weise mit biblischen Texten auseinanderzusetzen. Eingangs wurde bereits deutlich gemacht, wie sehr das Zweite Vatikanische Konzil die Autorität der Gläubigen durch die Rede vom gemeinsamen Priestertum und der durch die Taufe gegebenen Autorität gestärkt hat. Von daher kann man festhalten: Für das Lesen des biblischen Textes bedarf es keiner theologischen Ausbildung und, entgegen früherer katholischer Auffassung, bedarf es auch keiner Mittlerperson, die das Wort auslegt. Es bedarf aber mehr als nur des „gesunden Menschenverstands“ und es bedarf mehr als persönlicher Betroffenheit oder einem reinen „sich angesprochen fühlen“ durch den Text. Nimmt man die oben skizzierte Bezogenheit zwischen Text und Lesenden ernst, dann gehört zur Lektüre biblischer Texte auch die Bereitschaft, sich mit den Texten intensiver auseinanderzusetzen. Der Text selbst sendet eine Fülle von Signalen, die hier bereits hilfreich sind, sei es durch Personenkonstellationen, durch die Häufigkeit, mit der einzelne Worte verwendet werden, durch die Dynamik der Handlung, oder durch die Orte der Handlungen, etc. Gerade in Bibelkreisen bietet es sich aber geradezu an, dass eine Person den Text für das nächste Treffen vorbereitet und sich dabei intensiver mit dem Text und seinem Umfeld auseinandersetzt. Bei dieser Vorbereitung kann es auch hilfreich sein, dass diese Person den einen oder anderen exegetischen Kommentar hinzuzieht. In der schulischen Didaktik ist diese vorbereitende Aufgabe ausschließlich an die Lehrkraft delegiert, in der gemeindlichen Pastoral kann diese Aufgabe wechseln. Insofern ist auch

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Didaktik nicht etwas, das nur speziell ausgebildeten Personen vorbehalten ist. Dies entspricht auch pastoralen Ansätzen, wie sie in unseren Breiten im Moment ausgehend von der französischen Kirche und der expliziten Stärkung der Gläubigen diskutiert werden.18 Man kann die Bibel und ihre Texte als historische und kulturgeschichtliche Dokumente lesen. In einem ausschließlich religionskundlichen Religionsunterricht, wie er in vielen Ländern erteilt wird, wird die Bibel auch genauso wahrgenommen und im Unterricht behandelt. Eine solche Zugangsweise ist nicht falsch, insbesondere aufgrund der historischen und kulturgeschichtlichen Bedeutung der Bibel. In einem christlichen, vor allem gemeindlichen Kontext wird man jedoch über einen solchen Zugang hinausgehen und die biblischen Texte neben ihrer historischen und kulturgeschichtlichen Aussagekraft auch als Zeugnis eines Glaubens und als Zeugnis einer Glaubensgemeinschaft lesen. Damit stellt sich die Lektüre biblischer Texte in die Tradition des jüdisch-­christlichen Glaubens. Didaktisch macht dies dahingehend einen Unterschied, dass gerade in Bibelkreisen andere Gespräche, die diese Tradition miteinbeziehen und die auf dieses Zeugnis rekurrieren, möglich werden und angeleitet werden können. In den vergangenen Jahren sind gerade für die Ebene der Rezeption durch die Lesenden verschiedene Verfahren entwickelt worden, die insbesondere die existentielle Dimension der Begegnung zwischen dem Text und seinen Lesenden, die Ermöglichung einer Glaubenserfahrung deutlich aufnehmen und betonen. Diese steigern oftmals die Intensität des Erlebens und Erfahrens. Am ehesten selbsterfahrungsorientiert und erlebnisaktivierend ist das Bibliodrama, das ausgehend vom Psychodrama den biblischen Text auf die Bühne bringt.19 Spezifikum ist dabei, dass alles in der Erzählung, jede Person, jeder Gegenstand als Rolle besetzt und gewählt werden kann. Die existentielle Dimension wird verstärkt durch die Darstellung, durch das in „Szene setzen“, durch das „Spiel“ und vor allem durch die Reflexion in der Gruppe, die neben der Reflexion der Erfahrungen im und durch das Spiel auch die Wahl der Rolle, also die Wahl der jeweiligen Figur oder des Gegenstandes, reflektiert. So macht es einen deutlichen Unterschied, ob jemand die Rolle der Marta oder der Maria in der Erzählung des Besuchs Jesu bei Maria und Marta einnimmt oder ob jemand in der Passion die Figur des Petrus oder die des Hahnes spielt. 18

Siehe dazu: Reinhard Feiter, Hadwig Müller, (Hg.): Frei geben. Pastoraltheologische Impulse aus Frankreich, Ostfildern, Matthias Grünewald Verlag, 2012, 256 S. 19 Siehe dazu: Peter A. Pitzele, Scripture Windows. Toward a Practice of Bibliodrama, Los Angeles, Alef Design Group, 1998, 257 S.

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Eine andere Form des Zugangs zu biblischen Texten, der nicht ganz so stark erlebnis- und selbsterfahrungsorientiert ist wie das Bibliodrama, ist der Bibliolog.20 Dabei handelt es sich um einen Weg, in dem sich die Teilnehmenden in die biblischen Gestalten hineinversetzen, ohne aber die Szene direkt auf die Bühne zu bringen. In diesen Rollen füllen sie die „Zwischenräume“ der Texte mit ihren Erfahrungen und ihrer Phantasie, indem sie auf Fragen antworten, die in der Bibel offenbleiben. Sie gewinnen dadurch einen lebendigen Zugang zu den Texten und können die Bedeutung der Bibel für ihr Leben heute entdecken. Es gibt viele methodische Ansätze und Möglichkeiten, sich den biblischen Texten zu nähern, eher kognitiv-­affektiv orientierte, eher stärker erfahrungsorientierte, wie die hier am Schluss skizzierten. Unabhängig davon, welcher Ansatz gewählt wurde, gibt es inzwischen eine Fülle an methodischen Zugängen, denen gemeinsam ist, eine Balance zwischen dem Text und seinen Lesenden zu halten. Dazu hilft es, eine Person zu haben, die darauf achtet, dass diese Balance nicht aus dem Gleichgewicht gerät. Das muss nicht eine Theologin oder ein Theologe sein, wohl aber jemand mit dem Interesse, sich intensiver mit den Texten und der Gruppe, die den Text liest, auseinanderzusetzen.

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Siehe dazu: Uta Pohl-­Patalong, Bibliolog. Impulse für Gottesdienst, Gemeinde und Schule, Bd. 1: Grundformen, Stuttgart, Kohlhammer, 2009, 166 p.; Uta Pohl-­Patalong, Maria Elisabeth Aigner, Bibliolog. Impulse für Gottesdienst, Gemeinde und Schule, Bd. 2: Aufbauformen, Stuttgart, Kohlhammer, 2009, 118 S.

Chapitre deuxième / Second Chapter Un « monde » de réceptions variées / A “world” of various receptions Suite aux réflexions proposées par les trois théologiens en première partie de session, cette seconde partie voulait permettre que se poursuivent les échanges par une ouverture sur la façon dont les agents pastoraux et les fidèles de différentes aires géographiques et culturelles pouvaient recevoir et comprendre l’expression Animatio biblica totius actionis pastoralis afin de la mettre en œuvre. a) Jan J. Stefanów, originaire de Pologne tout en étant secrétaire général de la Fédération biblique catholique, présentait à la fois le point de vue de l’Europe de l’Est et de certains coins du monde qui ne seraient pas couverts par les trois intervenants suivants ; il a montré comment la Fédération biblique catholique était intimement liée à l’émergence de l’animation biblique de toute la pastorale, pour ensuite faire ressortir comment, particulièrement en Europe, une certaine compréhension de « la pastorale » mettait à mal l’organisation, la vie et la mission de l’Église. b) Ko Ha Fong M. parlait depuis son point de vue asiatique, s’arrêtant plus particulièrement sur la situation de l’Église chinoise ; elle faisait ressortir comment les chrétiens de ces contrées, habitués à l’importance des textes sacrés si présents dans les religions asiatiques, saisissent spontanément l’importance d’une vie pastorale animée par la Bible ; malgré les difficultés d’appropriation d’un arrière-­plan culturel si différent, les lecteurs de la Bible en reçoivent l’héritage avec reconnaissance ; une lecture toujours renouvelée de la Bible est aisément recevable par les Asiatiques, tout comme les idéogrammes chinois qui invitent à une contemplation « holistique » et tout comme le suggèrent les espaces vides qu’on trouve dans la peinture chinoise traditionnelle, entraînant le regard au-­delà de ce qui est tracé. c) Guillermo Acero Alvarín présentait l’histoire déjà longue de la réception et du développement de cette expression en Amérique latine, la diffusion et l’utilisation de la Bible faisant partie du devoir de formation et d’évangélisation des pasteurs et du laïcat depuis

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Première partie / First part

plusieurs décennies, tout comme la recommandation de la lecture de la Bible par tous les catholiques ; pastorale biblique et communautés ecclésiales de base y sont fortement liées, pavant la voie à une compréhension large et une réception en profondeur de l’animation biblique de toute la pastorale. d) Gilbert Munana s’adressait au groupe depuis son point de vue africain, et tout particulièrement rwandais ; il décrivait quelques contextes de souffrance en Afrique, où les théâtres de déshumanisation qui s’y jouent ont engendré des hommes et des femmes diminués et paralysés par la peur ; mais parce que l’attachement à la personne de Jésus Christ ne peut pas laisser les croyants enfermés dans cette peur, il y a urgence d’une animation biblique de toute la pastorale. Ainsi s’élargissait à l’échelle du globe la façon dont les participants devaient comprendre la question de l’animation biblique de toute la pastorale dans l’Église universelle. Un dernier article dans cette section n’appartient pas aux délibérations du colloque lui-­même. Il s’agit d’une relecture théologique a posteriori, qui propose quelques clés de compréhension, en prenant comme angle d’attaque les différences de « style » de ces quatre interventions, différences qui sont en elles-­mêmes révélatrices d’un rapport à la Bible fort diversifié d’un coin du monde à l’autre. Le texte de Laliberté va au-­delà des constats, il en propose des pistes de compréhension tout en faisant ressortir quelles questions théologiques et pastorales sont soulevées par chacune des situations exposées dans les interventions qu’il analyse. After the reflections proposed by the three theologians in the first part of this session, this second part was aimed at continuing the discussion through broad considerations on how the pastoral agents and the faithful of different geographical and cultural areas could receive and understand the expression Animatio biblica totius actionis pastoralis, in order to implement it. a) Jan J. Stefanów, born in Poland and serving as general secretary of the Catholic Biblical Federation, presented both the views of Eastern Europe and of some parts of the world that would not be covered by the following three speakers; he showed how the Catholic Biblical Federation was intimately linked to the emergence of Biblical animation of all pastoral life / care, then highlighting

Chapitre deuxième / Second Chapter

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how, particularly in Europe, a certain understanding of “pastoral care” undermined the organization, the life and the mission of the Church. b) Ko Ha Fong M. spoke from her Asian point of view, focusing on the situation of the Chinese Church; she showed how the Christians of these countries, accustomed to the importance of sacred texts so present in Asian religions, spontaneously grasp the importance of a pastoral life animated by the Bible; despite the difficulties of understanding such a different cultural background, Bible readers receive this legacy with gratitude; an ever-­renewed reading of the Bible is easily receivable by Asians, just as Chinese ideograms invite to “holistic” contemplation, and just as empty spaces found in traditional Chinese painting suggest to look beyond what is drawn. c) Guillermo Acero Alvarín presented the long history of the reception and development of this expression in Latin America, the spread and use of the Bible being part of the task of formation and evangelization of pastors and laity for many decades, just like the recommendation of the reading of the Bible by all Catholics; there, Biblical pastoral ministry and basic ecclesial communities are strongly linked, paving the way for a broad understanding and a deep reception of Biblical animation of all pastoral life. d) Gilbert Munana spoke to the group from his African point of view, speaking especially about Rwanda; he was describing some suffering contexts in Africa, where the scenes of dehumanization that still happen out there have generated diminished and fearfully paralyzed men and women; but because attachment to the person of Jesus Christ cannot leave believers locked in this fear, there is an urgent need for Biblical animation of all the pastoral life. Thus, was stretched at a worldwide scale the way participants had to understand the question of Biblical animation of the whole pastoral life. A last article in this section does not belong to the deliberations of the Conference itself. It is a theological re-­reading a posteriori, which proposes some keys of understanding, taking as an angle of attack the differences of “style” of these four interventions, differences which are in themselves indicative of a manifold relationship to the Bible from one area of the world to another. Laliberté’s text goes beyond observations, suggesting some ways of understanding them, while highlighting what theological and pastoral issues are raised by each of the situations exposed in the texts he analyzes.

Central Europe “Snow in Greenland, snow in Zimbabwe” – or How to awaken the hunger for the Scripture in civilizations that where built on the Bible legacy but who became stranger to it?

Jan J. Stefanów Catholic biblical federation

Some initial preambles I’m treading the minefield, since from the perspective that my situation in the Catholic biblical federation (CBF) allows me, I could speak about Latin America, Asia, Africa… But we have here other people who will also “react” precisely from those points of view. I was supposed to be the last speaker of this session, which would have allowed me to be aware of what was already said. But now that [NDLR: for technical reasons] I have been asked to speak first, I am running a certain risk of telling what other planned to say. So, I will be rather short, and will leave an open field to people coming after me! In addition, after lunch we will have the conference of Prof. Osborne, who is one of the “fathers” of the expression “BATAP” – at least in its printed version – which is one more reason to be short and let him share with us his experience and reflections… And finally, I have a personal internal dilemma: I have been asked to react from the perspective of Central Europe (Poland, Germany) and also from the wider perspective of the Catholic Biblical Federation. It is sort of speaking about the snow from the perspective of Zimbabwe as well as from the perspective of Greenland! Obviously, the temptation is to concentrate on the CBF and its different realities, which is much easier and more pleasant. But as we are in the time of Lent, it is better to avoid this temptation and to concentrate on the challenges, that our “old continent” is facing.

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Jan J. Stefanów

1. Pastoral We are reflecting on Animatio biblica totius actionis pastoralis. What is “pastoral”? César Mora Paz, in his book Biblia y pastoral. La Sagrada Escritura en la vida pastoral de la Iglesia, gives this definition: “(Pastoral is) the activity of the Church, organic and hierarchical, in favor of a concrete man.” And he also quotes the definition of Casiano Floristan, who describes the pastoral as “a patient effort, facing the world to be saved, to set in motion freely all the children of the Church, in all their institutions and resources, under the authority of the bishop, who has the mission of coordinating and directing them, and that he may thus fully exercise his pastoral office.”1 When considering “BATAP”, we are speaking about the reality described by the Pope Benedict in Verbum Domini 73.2

2. “Snow in Greenland” Continuing with this metaphor of speaking about the snow, let us see first the “snow in Greenland” in order to understand what the snow is. Let us have a look on the Catholic Biblical Federation in its commitment to the biblical animation of the Church.

2. a) The Catholic biblical federation (CBF) The Catholic biblical federation was born in April 1969 as one of the first fruits of Vatican II, although its history begins before the Council (Card. Bea). So, the CBF is a “daughter” of Vatican II. It has been established for permanent promotion of awareness of the centrality of the 1

Cesar Mora Paz, Biblia y pastoral. La Sagrada Escritura en la vida pastoral de la Iglesia, Santafé de Bogotá, CELAM, 1998, p. 18. 2 “The Synod called for a particular pastoral commitment to emphasizing the centrality of the word of God in the Church’s life, and recommended a greater “biblical apostolate”, not alongside other forms of pastoral work, but as the Biblical animation of all pastoral life. This does not mean adding a meeting here or there in parishes or dioceses, but rather of examining the ordinary activities of Christian communities, in parishes, associations and movements, to see if they are truly concerned with fostering a personal encounter with Christ, who gives himself to us in his word. Since “ignorance of the Scriptures is ignorance of Christ”, the Biblical animation of every ordinary and extraordinary pastoral outreach will lead to a greater awareness of the person of Christ, who reveals the Father and is the fullness of divine revelation.”

Central Europe

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Bible in the life of the Church. The CBF, more than an institution, is a coordinating platform for reflection and action, which is represented in 125 countries by 344 full and associate members. The CBF is a live network, linking together people from all regions, cultures and peoples of our Roman Catholic Church. Based on the diversity of organizations affiliated with the CBF and the wide range of activities undertaken by them, it can be said that for the past 50 years, we in the Roman Catholic Church have been living a new Pentecost: the biblical message takes many forms and is heard in different languages in different cultures of our world. This renewing dynamism of the Word of God is stronger in young churches of the “New World” than in the traditional churches of our “Old Europe”. The best and leading exponent of the dynamism of the Word is the Latin American Church. Fr. Guillermo Acero and Tom Osborne will talk about Latin America, so I prefer not to enter in details. I would only like to underline some fundamental factors that are at the origin of this constantly growing process of biblical renewal in Latin American Church. Carlos Mesters, Dutch-­Brazilian Carmelite who is one of the founders of this movement, underlines that at the beginning is his decision to read the Bible with the people, which means reading the Bible and listening to the people.3 In one of his books, Mesters tells the parable of the house, the village house:4 There was an old house where the people were gathering, dancing, celebra­ ting, praying. One day some wise people came, they discovered the antiquity of the house, they threw the people out of the house and began to study it. After a few months they left the house closed and forbidden to enter it. They left books describing every detail of the house. People were left without their house. One day a poor man moved a table along the house, made a hole, entered and discovered the beauty of the house The others followed him and the people took over the house again. 3

Carlos Mesters, Flor sin defensa. Una explicación de la Biblia a partir del pueblo, “Perspectivas-­CLAR”, no 16, Bogotá, Confederación Latinoamericana de Religiosos, 19872, 225 p. 4 Carlos Mesters, Por detrás de las palabras: estudio sobre la puerta de entrada al mundo de la Biblia, “Estudios biblicos”, Mexico, Palabra Ediciones, 1993, 296 p.

Jan J. Stefanów

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The house is the Bible. According to Mesters, reading the Bible with the people is helping them enter the house and enjoy it. Bible and life are united.

2. b) Biblical animation of pastoral life As we will hear from the presentations of Fr. Guillermo Acero and other reactions about the reality of Asia and Africa, the “BATAP” is the continuous and growing process of reading the Bible in the context of life – from life and for life. As Mesters says, the Bible is not the end, the goal in itself, the Bible is an instrument that helps us to discover and enter in dialog with God in everyday life. The Bible “is like the footnotes of the book of life”.5

3. European reading of the Bible In this context  I have really enjoyed the conference of Professor Könemann who was opening the Bible with the same keys – speaking about the dialog between two worlds: the world of the text (of the Bible) and the world of the reader, and who was inviting to “hermeneutischen Bibeldidaktik”. I have to admit that it was the first time that I found a genuinely European reflection that used the same keys as the Latin American or Asian Bible reflection. The first two conferences – about the centrality of the Word in the theological and pastoral reflection and about listening to the Word – were the previous stages of this last, advanced, but incipient process in Europe.

4. “Snow in Zimbabwe” – The situation in Central Europe Analyzing the conferences of Professor Könemann and Professor Molinario from my Central-­European context, I would say that they were very optimistic. I think that in Europe, and especially in Central Europe, where the development of theological reflection was slowed by the need for development of anticommunist apologetics, the immense majority of Catholics, many priests included, treats the Bible as the deposit of faith that should be known and transmitted. 5



Mesters, Por detrás de las palabras, op. cit.

Central Europe

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And the further east we go, the more complicated is the reality we find. For instance, the director of the Russian Bible Society told me that biblical animation in Russia is very complicated, because the Orthodox Church venerates the Bible but does not read it.

5. Challenges The biggest challenge in Europe – Eastern, Central and Western all included – is the Church and her pastoral vision, organization, life. Do we really understand the pastoral as (quoting once again Mora Paz): “a patient effort, facing the world to be saved, to set in motion freely all the children of the Church, in all their institutions and resources, under the authority of the bishop, who has the mission of coordinating and directing them, and that he may thus fully exercise his pastoral office”?6 The pastoral reality of our European church is reflected in the fact that no European Bishops’ Conference has established something like a Department of biblical animation. And, what is worse, they do not even see it as necessary! In Germany exists the Katholische Bibelwerk, but their activity is targeting at biblical formation of individuals who want to know the Bible. Their activity has not been yet incorporated in the organic planning of the general pastoral organization.

Conclusion As Dom Helder Camara said, “it is not enough to give bread, but one must create the hunger of bread”. We have to start with the formation of biblical animators for the Church, but at the same time we must awaken in the Church the hunger of the biblical animators themselves.

6



Cf. supra, note 1.

Asia “The word of God grew” – or How the oriental way of “contemplating the whole” can make Asia a “land of a bountiful harvest”?

Ko Ha Fong Maria Pontifical Faculty of Educational Sciences Auxilium, Rome

It is my privilege to share some reflections based on the three very fine papers I had the chance to read.1 First of all, I want to express my thanks to the authors. The insights, the academic and spiritual benefits I gained from reading the texts and now listening to the presentations are much more than what I am able to formulate in words. Without going into details, I would like to highlight some spontaneous resonances, which the text aroused in me, as a Christian who loves the Bible and reads it every day, but who comes from a non-­Christian cultural background and family tradition. I will mention four points in an evocative way.

1. A renewed sense of awe in front of this wonderful way of God to communicate with us and to reveal Himself to us through the Bible In the second part of his presentation: “The action of reading as the art of listening to the word”, Prof. Molinario has pointed out with illumina­ ting metaphors how powerful a written text can be and what life changing effect the reading of a book can produce. Asian Christians are particularly grateful for the gift of the Bible. Most Asian cultures have their classics or canonical texts and most 1



The author refers to the texts of M. Gilbert, J. Molinario and J. Könemann here above.

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Asian religions have their sacred texts. These texts have been stu­died, memorized and transmitted from generation to generation. They might not have built cathedrals, inspired art, music and literature in such a powerful way as the Bible has done in the western culture, yet they have moulded traditions, shaped thinking patterns, formed life styles, and are deeply rooted in the heart of Asian people. Based on this profound relationship with their own texts, Asian Christians can intuitively grasp the importance of what we are trying to deepen in this conference: that the Scripture be the soul of theology and of all pastoral activity of the Church. Even for the spread of a religion, sacred Scriptures play an important role. A witness to this is the penetration of Buddhism in China. In the vth and vith centuries, hundreds of Buddhist monks and pilgrims undertook dangerous journeys to reach India to find the original sacred texts. The translation, transmission and study of these texts contributed immensely to the rapid and wide spread of Buddhism in China. We know that the Christian presence in Asia represents a tiny minori­ty. Why is it so in a continent that is the cradle of mostly all religions of the world? Looking back at the history of evangelization, we have good reasons to assume that an insufficient relevance given to the Bible can be part of the explanation for this limited and slow development of Christianity in the Asian continent. The great epoch of expansion of Christianity in Asia, between the 1600s and the 1800s, coincides with the rigid period after the Council of Trent. The missionaries shared the then common mentality that the Bible must be read with special care by only a few. Access to the Bible by the faithful was not direct, but mediated by the clergy in ministry and in the liturgy. The most important book of the faith was not the Bible, but the catechism. One opened the Bible especially to justify doctrines, or for edifying material to enrich preaching. Prof. Könemann describes very well this situation with the keyword Materialkerymatik. For this reason, from its very beginnings in Asia, the Catholic Church was known more for its great missionary figures, for its magnificent organizational structures and efficiency, for its works of charity, for its splendid churches, for its European style of religious practices, but less for its spirituality and sacred books. However, thanks be to God, the picture has changed. Now we can say that, although the Christian presence is still a minority in comparison to the huge population, Asia is the continent where Christianity is growing the fastest. A factor of this growth can certainly be seen in the “growth of the Word of God” among the people of Asia.

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2. A deepened awareness of the “growth” of the Bible The Bible is open to the plurality of languages and cultures, and is a book that never ceases to grow. Luke loves to describe the development of the early Church with the simple yet meaningful expression: “The word of God grew” (Acts 6,7; 12,24; 13,49; 19,20). The Bible did not grow in content or amount, but in number of copies, editions and translations. Besides this visible growth, there is another one, more powerful, though hidden and immeasurable: growth in credibility, by means of those who live and testify to it; growth in depth of meaning, as exegetical and theological studies revealed its richness; growth in vitality, by means of liturgical celebrations and pastoral action; growth in universality, popularity and cultural relevance, as it penetrates various social-­cultural contexts. The well-­known affirmation of Gregory the Great: “Scriptura cum legente crescit” is true and real. Scripture grows by the very effort of reading it. This is a simultaneous growth of both the reader and the Word or, better yet, of the reader with the Word and the Word with the reader. Reading the texts of our three speakers, in particular the part of historical overview, I came to realize more deeply the value of tradition and the impressive Wirkungsgeschichte of the Bible. Without doubt, there is no other book in the world, which has had such a rich and long “history of the effects”, there has not been another book that has “grown” to this extent, becoming so very fruitful. The effects the text produced in one generation become part of the understanding handed on to the next. It is a dynamic, vital, continual growth. However, this development is not without conflicts and tensions. It is a dialectic process of interrelationship. Our speakers mention the difficulties of putting together an ecclesial reading of the Bible and a scientific exegesis, a dogmatic reflection and a spiritual meditation, a text-­centric or a reader-­centric interpretation, etc. Eastern Asia was mostly absent from this interesting process. Conscious of being “younger members” of this big Christian Family, Asian Bible rea­ ders, inserting themselves at a certain point of this process, acknowledge the value of this rich legacy, accept it with gratitude, and do their best to become part of the dynamism. For the Asian Christians, appropriating the Christian tradition, which is largely marked by a western background, is not easy; and though it is not a small effort to get into a history of interpretation of the Bible, embedded in unfamiliar background, full of alien categories and strange terms, yet they are convinced that the effort is necessary and rewarding. They know that the Gospel message cannot be purely and simply isolated from the culture in which it was first inserted,

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nor, without serious loss, from the cultures in which it has already been expressed down the centuries. Asians have a strong sense of union with their ancestry. The experiences and wisdom of one’s ancestors and teachers, of the wise men and guru, play an important role in the search for truth and in the interpretation of religious writings. They are happy to benefit from the richness of the Patristic exegesis, from the monastic tradition of lectio divina, from the biblical commentaries of contemporary scholars. The exceptional figure Prof. Gilbert represents, is well known and loved among Asian Christians. Many of his books have been translated in different Asian languages.

3. Gratitude for the new epiphany of the Word of God with Vatican II All our three speakers have emphasized the decisive contribution of the IInd Vatican Council in recognizing the central place of the Word of God in the life of the Church. In the younger Churches in Asia, Vatican II has brought about a new epiphany of the Word, a discovery of the Bible since, as we said before, Scripture did not play a prominent role at the beginning of evangelization in Asia. Now the Bible is handed over to the Asians in a new way. The encounter with the sacred texts has become more immediate and intense, more frequent and vital. In this new encounter, Christians in Asia discover the marvels of the Bible. They realize with surprise that it is closer to them than they thought. They feel at home with its narrative style, parables and symbols, concise oracles of the prophets, poetic prayers, and especially its wisdom reflections. These are the same means used in their ancient writings to communicate experiences and wisdom of life. The literary genres of the biblical books are comparable with those of the Asian classics. Even the family bonds, the love for nature, the attachment to the land, the master-­disciple relationships, the sense of community, the spirit of simplicity and compassion, the longing for peace and harmony and the spiritual experiences described in the Bible have an Eastern flavour. Asians find out with amazement that the Bible, transmitted to them from the West, is actually written with Asian mentality. Following Vatican II, various Assemblies of the Federation of Asian Bishops Conferences (from 1974 onwards) and particularly the Synod of Asian Bishops (1998) launched the challenge of a change of vision: Jesus is not foreign to Asia. He was born in Asian soil, the whole biblical drama (except some of Paul’s travels) was enacted in this continent and almost all biblical texts were formed and written in Asia.

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The post-­synodal document Ecclesia in Asia states firmly that the Church in Asia has to rediscover, with greater awareness, “the Asian roots of Christianity” (n. 4). Acknowledging that “the Word of God has an inherent power to touch the hearts of people”, the Synod Fathers stressed particularly “the importance of the biblical word in passing on the message of salvation to the people of Asia, where the transmitted word is so important in preserving and communicating religious experience” (n. 22). They are hopeful that Asia can become “the land of a bountiful harvest” (n. 4) for the Word of God. In this half century after Vatican II, Bible translations have multiplied, many produced in ecumenical collaboration. Enthusiasm for the biblical message has risen. Bible study groups have increased in number. A variety of biblical initiatives and activities have flourished. The Bible is becoming more and more the basis for catechesis, preaching, missionary proclamation and for all forms of spirituality.

4. Contributions of the Asian cultures to the “growth” of the Bible Let me put here a series of questions, which are provocative and challenging, and to which there are no prompt responses. Strengthened by the discovery of this nearness to the Bible, and aware of the richness inherited from the West, does Asia have something to offer the West in exchange for what it has received in abundance? How do we Asians read our ancient classic books? How do followers of Asian religions read their religious Scriptures? Could we learn from them for the benefit of our biblical hermeneutics? Keeping firm our specific Christian and Catholic understanding of divine inspiration, can we apply our Asian models and methods of internalizing texts to our approach to the Bible? How do we Asians communicate our religious experiences from generation to generation through the mediation of written texts? People in Asia are fond of story-­telling. What happens, then, when they read the Bible? How do story-­telling people like Asians interpret the biblical stories? Do they, perhaps, find themselves resonating with the richness of the biblical stories? Or are they alienated? How do their own stories impact on the biblical stories? Based on its own cultural characteristics, does Asia have its own special approach to the Bible? Concerning this last question, stimulated by our three speakers, especially by Prof. Molinario’s reflection on “the act of reading”

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and by Prof Könemann’s highlighting on Rezeptionsästhetik, I would like to point out briefly just one thing from my Chinese perspective. I introduce it through a verse of Psalm 62: “God has spoken once, twice I have heard” (Ps. 62,12). This verse has been often used to illustrate the overflowing meaning of Scripture. Each word in the Bible bears a load of meaning far beyond its capacity of signifying. Thus, biblical interpretation is potentially infinite. The Asian readers are especially sensitive to this dimension of the infinite. They are more open to intuit the unwritten, unspoken, due perhaps also to the eastern type of writing which predisposes to this dimension. We know that, in ancient times, Hebrews read the written Scriptures according to an alphabetic system made up of consonants. The vowels are unwritten, like the invisible life breath, which animates and gives meaning to the string of consonants, transforming them into a word. While the consonants are fixed, ordered in a certain manner, waiting for their meaning to be revealed, the vowels are flexible, variable, moveable, defined by the reader at each reading. Thus, reading becomes a dynamic process in which the interaction between the reader and the text is indispensable. In a different way but with the same effect is the Chinese ideogram, where the words are not made up of a string of letters, but are an overall, symbolic representation of reality. There is no alphabet in the Chinese language, the meaning of the words is not the result of the logical combination of single elements; rather, it reveals itself not so much in a rational analysis of the parts, but in the contemplation of the whole. Holistic approaches pay attention to the entire field, and make relatively little use of categories and formal logic. In the process of reading, the relationship between the reader and the text, between the medium and the message, is dynamic and symbolic, with abundant space for creative interaction. This characteristic of the Chinese culture makes it easier for the reader to see the reading of the Bible as something ever new. Revelation reproduces itself without interruption. The tendency to transcend the material aspect of the written word trains the vision to go beyond what is written; to cherish that blank space filled with potential and openness towards the infinite; to search out that silence which gives depth and consistency to the word. Asians value blank space and silence. Let us take the example of a Chinese painting. The silk cloth or paper is never completely covered with colors.2 2



NDLR: Sr. Maria presented some of those images during her presentation; for those who are less familiar with chinese traditional art, you may consult (for instance) this page: http://www.comuseum.com/painting/; or simply search “traditional chinese painting”.

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There is always a lot of blank space, in fact, there is often much more blank space than color. This blank space does not mean emptiness; it is openness towards the infinite, a field of freedom filled with potential, and an invitation to go beyond what is painted. It is part of the picture itself and, together with the few strokes of color, forms a harmonious unity. Asians generally do not like making long comments or giving long explanations for their religious writings or classical books, because the fruitfulness of the word is not found in multiplying words. Biblical books or episodes with an open ending attract Asian readers in a particular way; for instance, the story of Jonas, which concludes with a question mark, is extraordinarily appealing. The reader who approaches the text without excessive expectations of the outcome, is open, humble and grateful, quick to welcome surprises, to immerse himself in the infinite, in the silence of wonder. He knows that God’s wisdom is immense, as the wise man, Ben Sira, commented: “The first man ever created never knew Wisdom completely, and the last person on earth will be no more successful” (Si 24,28). I think Asian Bible readers would find Prof. Könemann’s didactic suggestions inspiring and helpful as I do. The systems of thought and the processes of reception are different, but there are common basic convictions, which Christians in Asia and in Europe can share with each other. In the Asian churches, intense effort is being made in the field of biblical pastoral ministry and catechesis. Creative initiatives and culturally meaningful styles of communications are increasing, yet I cannot point out any particularly representative and well-­consolidated didactic orientation. I just want to say something about the method of memorization (or learning by heart), which is highly valued in education and spiritual formation and constantly practiced in many Asian traditions. A “judicious memorization” of some biblical passages is encouraged also by Pope Benedict in Verbum Domini (no 74) and by Pope John Paul II (Catechesi tradendae 55). The Word of God “has an inherent power to touch the hearts of people” (Ecclesia in Asia 22) and it needs to be guarded in the heart, to be learnt by heart. Even though the revealed word is too far beyond one’s ability to understand, the wise reader bows to the text, puts it into his memory and into his heart, hoping that what is guarded in one’s heart will slowly unfold itself and reach its fullness of meaning in life’s experience. In many Asian religious traditions, Scripture is not so much read but chanted. This is a mechanism for “tasting the Word”, letting it sink deep into the heart and making it echo within and without. The teachers of Zen love entrusting their disciples with koan, wisdom sayings that are apparently enigmatic. The disciple must learn them by

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heart, repeat them again and again, meditate on them for days, until these very sayings reveal their meaning. The final effect is “enlightenment” by the wisdom sayings and “awakening” of the one who has been meditating on them. This can be compared to the attitude of Mary who, even though she did not immediately understand everything, “held all these things in her heart, meditating on them” (Luke 2,19.51). With this remark do I come to my conclusion. I, too, do not want to ruin too much that “blank space” with my words!

Amérique latine et Caraïbes « Lue et interprétée dans et à partir de la communauté ecclésiale » – ou Comment a pu naître et croître une animation biblique en Amérique latine et dans les Caraïbes ?

Guillermo Acero Alvarín Centre biblique, théologique et pastoral pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEBITEPAL / CELAM)

Au début de la nouvelle étape que l’Église missionnaire d’Amérique latine et des Caraïbes se prépare à organiser, à partir de cette Ve conférence générale d’Aparecida, la condition indispensable c’est la connaissance profonde de la parole de Dieu. Nous devons fonder notre engagement missionnaire, et toute notre vie, sur le roc de la parole de Dieu. Pour cela, j’encourage les pasteurs à tout faire pour la faire connaître.1

Les mots du Pape Benoît dans son discours inaugural de la conférence épiscopale d’Amérique latine et des Caraïbes à Aparecida (2007), laissaient entrevoir le long chemin biblique parcouru par le CELAM depuis sa fondation le 25 juillet 1955 et annonçaient la pointe d’un processus qui amenait la Parole de Dieu à être le fondement de la mission et de la vie de l’Église sur ce continent. Soixante années ont passé depuis la première conférence de l’épiscopat latino-­américain à Rio de Janeiro. Je me propose, avec cette contribution, de reconnaître avec gratitude l’apprentissage du CELAM en matière de réflexion sur la Parole de Dieu et sur son service. J’espère en outre que cet apport puisse être source de discernement et motif d’inspiration pour tous 1



Pape Benoît XVI, Discours Inaugural de la Ve Conférence Générale de l’Épiscopat Latino-­ américain et des Caraïbes, 13 mai 2005, disponible à : http://www.celam.org/aparecida/ Frances.pdf.

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ceux qui, comme nous, évangélisent, convaincus que la Parole de Dieu doit être la source de la vie et de la mission de l’Église.

1. L’héritage historique Le contexte de la Renaissance, celui des débuts de l’évangélisation du continent américain, fit que les premiers missionnaires franciscains considérèrent le texte de la Bible comme un élément essentiel. C’est pour cela que les traductions de morceaux de l’Évangile en langues autochtones ne se firent pas attendre.2 Les premières décennies du xvie siècle apportèrent de nouveaux défis à la manière de vivre la foi en Europe et à la relation du croyant avec l’Écriture Sainte. Les effets de la réforme luthérienne (1517) ont progressivement rejoint l’Amérique à travers les directives que l’Inquisition appliquait dans les colonies espagnoles et portugaises. Cependant, c’est principalement l’application du Concile de Trente (1545-1563) qui a laissé sa marque indélébile et permanente sur le continent américain et ce « laboratoire tridentin » a eu un grand succès. Les conséquences se sont fait sentir à divers niveaux : les traductions en langue vernaculaire cessèrent, l’interprétation du texte biblique était soumise à la gestion de l’autorité ecclésiastique, de même que les études, les œuvres inspirées du texte biblique, les citations bibliques et les publications.3 2



3



Pour en savoir plus sur la répercussion des décisions de Trente sur les traductions de la Bible dans les langues indigènes du continent américain, lire : Juan Luis León De Azcárate, “La Biblia y la evangelización del Nuevo Mundo durante el siglo xvi”, Veritas, no 32, Valparaíso, 2015, p. 195-227. Les décisions prises par le Concile de Trente (Session IV – 8 avril 1546) à propos du texte de l’Écriture Sainte sont essentiellement au nombre de quatre : 1) À propos de l’utilisation d’une seule version à usage ecclésiastique : on assume une seule traduction de la Bible, la Vulgate, qui « doit être tenue pour authentique dans les leçons publiques, les discussions, les prédications et les explications, et que personne n’ait l’audace ou la présomption de la rejeter sous quelque prétexte que ce soit » ; 2) À propos de l’interprétation du texte biblique : « Pour contenir les esprits indociles, il décrète que personne, dans les choses de la foi ou des mœurs concernant l’édifice de la foi chrétienne, ne doit, en s’appuyant sur un seul jugement, oser interpréter l’Écriture Sainte en détournant celle-­ci vers son sens personnel allant contre le sens qu’a tenu et que tient notre sainte Mère l’Église, elle à qui il revient de juger du sens et de l’interprétation véritables des saintes Écritures, ou allant encore contre le consentement unanime des Pères, même si des interprétations de ce genre ne devaient jamais être publiées ». 3) À propos des publications au sujet de la Bible : « Mais le saint Concile veut aussi, comme il est juste, imposer une règle en ce domaine aux imprimeurs, […] aussi décrète-­t-il et statue-­t-il que désormais la sainte Écriture, particulièrement cette

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Cependant, il faut éviter le simplisme de penser que la réforme luthérienne, et celles qui la suivirent, obligèrent l’Église catholique à un ostracisme biblique. L’Église catholique a maintenu vivant le texte biblique à travers la liturgie, la prédication, la catéchèse, la piété populaire et l’art, entre autres. Mais les décisions du Concile de Trente ont fortement pesé sur l’accès facile et constructif du croyant à l’ensemble de la Bible. Les efforts portés sur la traduction et la diffusion n’eurent qu’un léger impact sur le peuple simple, malgré l’ouverture progressive de l’académie catholique.4

2. Les commencements : La conférence de Río de Janeiro (1955) Le mouvement biblique catholique, encouragé par les papes Léon XIII (Providentissimus Deus – 1893), Pie X et Pie XII (Divino Afflante Spiritu – 1943), eut son impact en Amérique latine à travers quelques initiatives pour diffuser le texte biblique et le comprendre. La préoccupation biblique primordiale était toutefois de type apologétique, en raison de la présence croissante des communautés évangéliques pentecôtistes sur un continent qui, jusqu’à peu, se disait catholique à 100 %. édition ancienne de la Vulgate, soit imprimée le plus correctement possible ; qu’il ne soit permis à personne d’imprimer ou de faire imprimer tout livre traitant des choses sacrées sans nom d’auteur, ni de le vendre à l’avenir ou de le garder chez soi, si auparavant ces livres n’ont pas été examinés et approuvés par l’Ordinaire ». 4) À propos de l’utilisation de l’Écriture Sainte : « Pour réfréner enfin la témérité, qui pousse certains à interpréter en sens profane, ou à détourner de leur vrai sens des expressions et des phrases de la sainte Écriture, y prenant occasion de badinages, d’inventions, de vains propos, de flatteries, de blâmes, de superstitions, d’incantations impies et diaboliques, de divinations, de sorts, de pamphlets, le Concile, soucieux de réprimer ces irrévérences et mépris du texte sacré, et d’interdire à quiconque d’utiliser, de quelque manière que ce soit, les paroles de l’Écriture à des fins condamnables, prescrit et ordonne que tous ces violateurs et profanateurs de la parole de Dieu soient soumis par les évêques aux peines prévues par le droit et à celles qu’ils jugeront opportun de leur infliger ». 4 Le Pape Benoît prévient dans Verbum Domini (no 3) qu’il y a une continuité entre la réflexion synodale sur l’Eucharistie (2005) et celle plus récente sur la Parole de Dieu (2008). On y perçoit aussi une métaphore de la réconciliation historique entre l’emphase tridentine à exalter l’Eucharistie dans la doctrine magistérielle, et la prudence pastorale à protéger l’Écriture et contrôler son accès par le peuple de Dieu. En effet, on lit dans la Constitution Dei Verbum, no 21 : « L’Église a toujours vénéré les divines Écritures, comme elle le fait aussi pour le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie sur la table de la Parole de Dieu et sur celle du Corps du Christ, pour l’offrir aux fidèles ».

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Les documents liés à la conférence de Rio de Janeiro indiquent que le sujet délicat du moment était le manque de prêtres et la défense de la foi catholique.5 En outre, dans la lettre apostolique « Ad Ecclesiam Christi », le pape Pie XII ajoute quelques mentions courageuses sur la Parole de Dieu en ce qui concerne l’évangélisation par les moyens de communications : Nous sommes également convaincus […] d’une utilisation plus appropriée des moyens techniques modernes […] pour diffuser et imprimer plus efficacement dans les âmes la parole sacrée et les enseignements de l’Église, maîtresse de vérité.6

Les conclusions de Rio concernant le ministère des pasteurs de l’Église indiquent : La conférence enjoint instamment les prêtres, avec un vif intérêt, […] à être assidus à la méditation […] de l’Écriture Sainte, vraie source de vie surnaturelle.7 La conférence […] exprime son vif désir que les curés […] s’attachent à : […] la prédication méthodique, claire et appropriée de la Parole de Dieu, surtout lors de l’homélie à la Sainte Messe, et par des cours, missions, neuvaines, mois de Marie et du Sacré-­Cœur, etc., sachant que si l’on souhaite résoudre le grave problème de l’ignorance religieuse, la prédication doit être par excellence didactique, avec l’orientation ferme et décidée de donner clairement au peuple un corps de doctrine catholique, et une connaissance de la morale telle que les fidèles sachent bien ce qu’ils doivent croire et pratiquer.8

C’est cependant dans le cadre de « la défense de la foi » qu’apparaissent les recommandations bibliques les plus importantes : La conférence […], devant le grave problème que posent le protestantisme et les divers mouvements non-­catholiques qui se sont introduits dans les pays latino-­américains, en diminuant sa traditionnelle culture catholique, […] recommande instamment l’intensification du mouvement biblique, de sorte que les fidèles s’habituent à la lecture fréquente et même quotidienne des 5



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Cf. Pape Pie XII, Ad Ecclesiam Christi – Lettre Apostolique aux évêques latino-­américains, 29 juin 1955, disponible à : http://w2.vatican.va/content/pius-xii/la/apost_letters/ documents/hf_p-xii_apl_19550629_ad-ecclesiam-christi.html. Ibid. Consejo episcopal latinoamericano (CELAM), Las Cinco Conferencias Generales del Episcopado Latinoamericano, Bogotá, 2014, p. 22. (Conclusions de la Conférence de Río de Janeiro, no 23, literal c). Ibid., p. 35 (Conclusions de Rio de Janeiro, no 56, 2.a).

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Écritures Saintes, et surtout des Saints Évangiles, au moyen des : a) éditions populaires des Livres Sacrés dûment annotés, tâchant d’orienter les fidèles sur la manière de se servir d’eux pour leur édification spirituelle, et mettant en relief les textes les plus importants et fondamentaux, comme ceux en lien avec la primauté de Pierre, l’infaillibilité du magistère ecclésiastique, la valeur de la Tradition, etc. ; b) cours bibliques, donnés aussi par radio et par correspondance ; c) semaines bibliques populaires ; et finalement d) de la célébration du « jour national de la Bible », au dimanche le plus proche de la Fête de saint Jérôme.9

En résumé, la Bible est mise en valeur par sa diffusion et son utilisation de la part de l’Épiscopat latino-­américain. De fait, cette mise en valeur est considérée comme faisant partie du devoir de formation et d’évangélisation des pasteurs et du laïcat. La recommandation de la lecture de la Bible par tous les catholiques est claire et, pour cela, il y a un encouragement donné aux éditions populaires, à la formation et à la célébration des semaines bibliques ainsi que d’un jour national de la Bible. Pourtant, l’impulsion biblique ne provient pas encore d’une réflexion interne sur la fonction de l’Écriture Sainte dans la vie et la mission de l’Église. Le style apologétique de Trente se maintient et la promotion des sujets bibliques est accompagnée d’une attitude qui ne favorise pas le dialogue.

3. Une nouvelle perspective : les Conférences épiscopales latino-­américaines de Medellin (1968), Puebla (1979) et Santo Domingo (1992) La résonance conciliaire de Vatican  II se fit sentir avec force en Amérique latine. Le document des conclusions de la seconde Conférence épiscopale latino-­américaine réunie à Medellin (Colombie) du 26 août au 8 septembre 1968 en constitue le témoignage le plus consistant. Tel que souligné dans le document de Medellin, les constitutions Lumen Gentium et Gaudium et Spes furent les plus influentes sur le chemin ecclésial latino-­ américain. Cela ne veut pourtant pas dire que Dei Verbum et sa proposition biblique n’aient pas eu de répercussions.10 9



Ibid., p. 42 (Conclusions de Rio de Janeiro, no 72). Les mentions du document de Medellin à propos de la Bible sont : – dans l’Introduction (« L’Église a cherché à comprendre ce moment historique de l’homme latino-­américain à la lumière de la Parole, qui est le Christ, en qui se manifeste le mystère de l’homme » [no 1] / « pendant la conférence le mystère de Pentecôte a été renouvelé : en participant au pain de la Parole et en la méditant » [no 8]) ; – en lien avec la famille (« en obéissance à

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La nouvelle perspective biblique en Amérique latine à partir de la conférence de Medellin a été particulièrement perçue dans 5 domaines : – le dialogue œcuménique et les projets de traduction biblique qui ont surgi de cette perspective ; – le caractère central de la Parole de Dieu dans l’évangélisation et la catéchèse ; – les communautés ecclésiales de base comme lieu inspirateur des processus d’animation biblique ; – l’académie biblique au service de programmes de formation pastorale ; – l’ouverture et l’aide aux initiatives entreprises par la Fédération biblique catholique depuis sa fondation (1969).

3. a) Le dialogue œcuménique Le département d’œcuménisme est né au cours de la Xe assemblée générale du CELAM (9 au 16 octobre 1966). Il tint sa première rencontre du 19 au 23 janvier 1970. Parmi les considérations de cette rencontre, cinq se situaient « dans le domaine biblique » : – tenir une réunion continentale sur la Bible, où furent traités des aspects concernant la traduction, la diffusion et la pastorale, et où fut considérée la possibilité d’inviter les « Sociétés bibliques » en Amérique latine ; – établir des relations avec les Sociétés bibliques en Amérique latine ; – recommander que le département d’œcuménisme « offre aux conférences épiscopales d’Amérique latine un avis sur les versions protestantes et d’autres origines qui apparaissent la Parole de Dieu les pasteurs restent solidaires avec les couples qui souffrent » [no 11.e]) ; – en lien avec la jeunesse (constatant que les jeunes ne comprennent pas « la langue ordinaire de la transmission de la Parole » [no 5]) ; – dans la pastorale populaire (« La communauté est convoquée et rassemblée en premier lieu pour l’annonce de la Parole de Dieu vivant » [no 9] / « les communautés ecclésiales doivent se baser sur la Parole de Dieu » [no 13]) ; – en lien avec la liturgie (recommandations pour l’évêque : former une commission où il y ait des biblistes [no 8.d] / recommandations au CELAM : compter sur des biblistes pour la recherche et la formation dans l’institut de liturgie [no 11.b] / accompagner le sacrement de pénitence avec la célébration de la Parole [no 13] / en général, les célébrations de la Parole doivent se tenir en lien avec les sacrements et on conseille aussi de les réaliser sur un mode œcuménique [no 14]) ; – en lien avec la formation du clergé (orientations pastorales : cela requiert la capacité d’écouter fidèlement la Parole de Dieu [no 10.a] / pour interpréter la réalité à la lumière de la foi il faut un sensus fidei qui s’affine par « l’Écriture Sainte assimilée de manière vitale dans la prière personnelle, dans l’étude sérieuse du Message et dans une participation active, consciente et fructueuse à la liturgie ». [no 10.b]) ; – dans le champ de la catéchèse (moyens pour la rénovation de la catéchèse : dans la formation du ministère de la Parole des diacres [no 14] ; – dans la recherche d’un langage plus compréhensible de la part de l’Église, il faut faire du Message de salut contenu dans l’Écriture une parole de vie pour aujourd’hui, en fidélité à la Parole de Dieu révélée [no 15]) ; – dans la pauvreté de l’Église (« Dans notre mission pastorale nous ferons confiance avant tout à la Parole de Dieu » [no 14]) ; – dans la pastorale d’ensemble (la Parole de Dieu appelle les hommes à la filiation divine [no 6]).

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périodiquement sur le continent » ; – commencer des études qui amènent à l’élaboration d’une Bible commune, de base œcuménique, qui puisse être utilisée dans le culte ; créer une section spéciale afin de promouvoir la diffusion pastorale de la Bible au niveau continental, en lien avec la Fédération catholique mondiale pour l’apostolat biblique. En 1972, dans le cadre de sa XIVe assemblée générale, le CELAM transforma ce département en une section avec un évêque responsable et un secrétaire. Parmi les différentes activités réalisées, il y en a une qui présente un relief spécial : la première rencontre latino-­américaine des biblistes à Buenos Aires, du 25 au 30 août 1974, incluant notamment la présence du département de la catéchèse. Trente biblistes catholiques et évangéliques y participèrent. L’objectif de cette rencontre était double : – la mise en lien des spécialistes de la Bible en Amérique sur l’étude et la pastorale biblique, pour un meilleur service de l’Église ; – la promotion de ces spécialistes quant à leur devoir propre afin qu’ils prennent conscience de ce devoir et de l’urgence de leur coordination sur le continent. La rencontre se déroula donc avec une double dimension : l’une de type théorique, traitant de sujets concernant l’herméneutique, l’exégèse et l’annonce de la foi ; et l’autre de type pratique, abordant des questions relatives à la traduction de la Bible et à l’apostolat biblique. On prit aussi en compte le thème de l’évangélisation, en vue de la préparation de l’Assemblée synodale d’octobre 1974.11 Il convient de faire ressortir que l’une des commissions de travail a développé une proposition sur la création d’un institut biblique en Amérique latine, « qui diplôme de manière rapide, sérieuse et efficace des professeurs d’Écriture Sainte pour les séminaires et pour la formation des agents spécialisés en pastorale biblique ».12 Il y eut une seconde rencontre des biblistes de l’Amérique latine à Bogota, du 1er au 5 mars 1977. Les trois sujets abordés furent : – la formation biblique ; – les versions bibliques espagnoles qui ont le plus grand impact en Amérique latine ; – suites aux rencontres. Le document de Puebla nous permet de constater cette avancée : « surtout depuis Vatican II, l’intérêt pour l’œcuménisme a grandi entre nous. 11

Les sujets traités furent : le problème herméneutique (Carlos Bravo – Colombie) ; exégèse technique et annonce de la foi (Andrés Kirk – Argentine) ; exégèse et pastorale (Albert Descamps – PCB) ; évangélisation et Bible (Jorge Mejía – CELAM) ; traductions bibliques en Amérique latine et collaboration avec les Sociétés bibliques (Pedro Ortíz – Colombie) ; l’apostolat biblique organisé (John van der Valk – FEBIC). 12 Participèrent à cette commission : Mgr Correia Laurini (Brésil), Armando Levoratti (Argentine), César Herrera (Colombie), Horacio Bojorge (Uruguay).

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Nous en avons des preuves dans la promotion conjointe de la diffusion de l’Écriture Sainte, de sa connaissance et de l’intérêt pour elle ».13 Dans les conclusions de la conférence de Santo Domingo (1992), on perçoit le retour de l’accent apologétique en lien avec l’usage de la Bible, spécialement quand on met en garde contre le prosélytisme de la part de groupes qui font une lecture fondamentaliste de l’Écriture ;14 le constat positif de la soif de la Parole de Dieu au sein du laïcat reste cependant prépondérant.

3. b) Le caractère central de la Parole de Dieu dans l’évangélisation et la catéchèse La conférence de Puebla (1979) rassemble des expressions très importantes qui manifestent un tournant dans la compréhension de la Parole de Dieu sur notre continent. Le premier critère qui balise la mission d’évangélisation est formulé ainsi : L’Écriture doit être l’âme de l’évangélisation. Mais elle n’acquiert pas par elle-­même sa pleine clarté. Elle doit être lue et interprétée dans la foi vive de l’Église. Nos Symboles et Professions de foi résument l’Écriture et explicitent la substance de son Message, mettant en valeur la « hiérarchie des vérités ».15

À propos de l’un des sujets les plus critiques du contexte ecclésial du moment  – «  évangélisation, libération et promotion humaine », Puebla affirme : L’apport de l’Église à la libération et la promotion humaine devient plus concret dans un ensemble d’orientations doctrinales et de critères d’action que nous avons l’habitude d’appeler « doctrine sociale de l’Église ». Ils ont leur source dans l’Écriture Sainte, dans l’enseignement des Père et des grands théologiens de l’Église et dans le Magistère, spécialement celui des derniers Papes.16

On y constate aussi que, depuis Medellin, on perçoit dans la catéchèse « un amour plus marqué pour l’Écriture Sainte comme sa source principale ».17 D’où la recommandation suivante : CELAM, Las Cinco Conferencias, op. cit., p. 459-460 (Conclusions de Puebla no 1107). Ibid., p. 561 et 595 (Conclusions de Santo Domingo nos 38 et 140). 15 Ibid., p. 333 (Conclusions de Puebla no 372). 16 Ibid., p. 352-353 (Conclusions de Puebla no 472). 17 Ibid., p. 440 (Conclusions de Puebla no 981). 13

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La catéchèse, pour accomplir sa mission évangélisatrice en Amérique latine, devra… prendre comme source principale l’Écriture Sainte, lue dans le contexte de la vie, à la lumière de la Tradition et du Magistère de l’Église, transmettant, de plus, le Symbole de la foi ; par conséquent elle donnera de l’importance à l’apostolat biblique, en diffusant la Parole de Dieu, en formant des groupes bibliques, etc.18

Santo Domingo redit le caractère central de la Bible pour l’évangélisation : L’Église, communauté sainte convoquée par la Parole, a parmi ses offices principaux la prédication de l’Évangile.19 [… La catéchèse] doit se nourrir de la Parole de Dieu lue et interprétée dans l’Église et célébrée dans la communauté pour qu’en scrutant le mystère du Christ, cela aide à le présenter comme Bonne Nouvelle dans les situations historiques de nos peuples.20 La Nouvelle évangélisation doit accentuer une catéchèse kérygmatique et missionnaire. Pour la vitalité de la communauté ecclésiale, il faut plus de catéchistes et d’agents pastoraux, dotés d’une solide connaissance de la Bible qui les rende capables de la lire à la lumière de la Tradition et du Magistère de l’Église, et pour illuminer à partir de la Parole de Dieu sa propre réalité personnelle, communautaire et sociale.21 Un apport précieux du document est dans la suite de l’itinéraire d’Emmaüs pour expliquer la méthode d’évangélisation qui part de l’Écriture, selon le modèle de Jésus.22

3. c) Les Communautés ecclésiales de base (CEB) comme un espace inspirateur des processus d’animation biblique Les Communautés ecclésiales de base sont proposées par Medellin comme des espaces pour vivre de manière plus fraternelle l’expérience ecclésiale et renouveler la vitalité des structures de l’Église. Pour Medellin, ces petites communautés constituent

Ibid., p. 459 (Conclusions de Puebla no 1101). Concile Vatican II, Constitution dogmatique Lumen Gentium, no 25. 20 CELAM, Las Cinco Conferencias, op. cit., p. 558-559 (Conclusions de Santo Domingo no 33). 21 Ibid., p. 564 (Conclusions de Santo Domingo no 49). 22 Ibid., p. 550-553 (Conclusions de Santo Domingo no 18-23). 18 19

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le premier noyau ecclésial fondamental qui doit, à son propre niveau, prendre en charge la richesse et l’expansion de la foi, de même que le culte qui est son expression. Elle est aussi la première cellule de structuration ecclésiale, et point de mire de l’évangélisation, actuellement facteur primordial de la promotion humaine et du développement.23

Ces communautés se fondent sur la Parole de Dieu : Que l’on veille à la formation du plus grand nombre de communautés ecclésiales […], communautés qui doivent se fonder sur la Parole de Dieu et se construire, autant que possible, dans la célébration eucharistique, toujours en communion avec l’évêque et sous sa dépendance. La communauté se formera dans la mesure où ses membres auront un sentiment d’appartenance (d’un « nous »), qui les porte à être solidaires dans une mission commune, et où ils se réunissent pour participer activement, consciemment et avec fruit à la vie liturgique et au partage communautaire. Pour cela il convient de les faire vivre comme une communauté, en leur donnant un objectif commun : celui d’arriver au salut par une vie de foi et d’amour.24

La communauté apparaît ainsi comme un lieu privilégié pour unir l’étude de la Bible, le discernement spirituel de la réalité à la lumière du texte biblique et la transformation sociale de l’environnement à partir des valeurs évangéliques communiquées par la Parole de Dieu. Comme le constate le document conclusif de Puebla : Les Communautés ecclésiales de base qui en 1968 étaient à peine une expérience naissante, ont pris de la maturité et se sont multipliées, surtout dans certains pays, de sorte que maintenant elles constituent un motif de joie et d’espérance pour l’Église en communion avec l’évêque et, comme l’a demandé Medellin, elles sont devenues lieux d’évangélisation et moteurs de libération et de développement.25 Elles ont produit dans de nombreux secteurs du peuple de Dieu un plus grand rapprochement avec l’Évangile et une recherche du visage toujours nouveau du Christ qui remplit leur légitime aspiration à une libération intégrale.26

On vérifie que les petites communautés, surtout les Communautés ecclésiales de base, créent de plus grandes relations interpersonnelles, une acceptation de la Parole de Dieu, une révision de vie et une réflexion 23

25 26 24

Ibid., p. 198-199 (15. Pastorale d’ensemble, 10). Ibid., p. 136 (6. Pastorale populaire, 13). Ibid., p. 279 (Conclusions de Puebla, no 96). Ibid., p. 290 (Conclusions de Puebla, no 173).

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sur la réalité à la lumière de l’Évangile ; l’engagement envers la famille, le travail, le quartier et la communauté locale s’accentue. Nous relevons avec joie la multiplication de ces petites communautés comme un important fait ecclésial et comme une « espérance de l’Église ».27 Cette expression ecclésiale se remarque plus dans la banlieue que dans les grandes villes et les campagnes. Ce sont des environnements propices au surgissement de nouveaux services laïcs. La catéchèse familiale s’y est beaucoup diffusée ainsi que l’éducation de la foi des adultes, de manière mieux adaptée au peuple simple.28 Pour cela, on s’engage à aider ces communautés, à les promouvoir et à les reconnaître comme don de Dieu pour l’Église.29

3. d) L’académie biblique au service de programmes de formation pastorale La réforme conciliaire a représenté pour l’Église latino-­américaine un énorme défi de formation de ses agents pastoraux. En plus de cours, séminaires, symposiums, rencontres et réunions promus par les différents départements du CELAM, les divers instituts créés lors de la décennie 1960 (l’Institut catéchétique latino-­américain – ICLA, l’Institut pastoral pour l’Amérique latine – IPLA et l’Institut pastoral de liturgie – ILP) mettaient en évidence la nécessité d’offrir des programmes de formation en syntonie avec la dynamique conciliaire. En 1974 fut décidée la fusion des instituts en un seul centre de formation. C’est l’origine de l’Institut théologique et pastoral pour l’Amérique latine – ITEPAL, d’abord installé à Medellín, puis à Bogotá.30 Les programmes académiques en lien avec la Bible endossaient trois perspectives : – l’ancrage biblique des divers programmes de formation pastorale (par exemple, la pastorale des jeunes, vocationnelle, sociale, etc.) ; – les cours d’actualisation exégétique ; – les cours de pastorale biblique. La Bible est donc devenue au CELAM un sujet très apprécié, bien accueilli et incontournable. L’accord du CELAM et de la Conférence des évêques des États-­Unis (USCCB) à propos de la traduction de la Bible pour les communautés Pape Paul VI, Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, no 58. CELAM, Las Cinco Conferencias, op. cit., p. 383-384 (Conclusions de Puebla, no 629). 29 Ibid., p. 387 et 496 (Conclusions de Puebla, no 648 et no 1309). 30 Cf. Consejo Episcopal Latinoamericano  – CELAM, Documento identitario del CEBITEPAL, 2014, disponible à : http://www.celam.org/cebitepal/historia.php. 27 28

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hispaniques, à partir d’une réunion à Bogotá en 2002, inaugure une étape biblique particulièrement féconde. Compte tenu des chemins empruntés dans les 50 années précédentes, l’Écriture avait trouvé sa place dans la tâche évangélisatrice de l’Église et se présentait dès lors dans un contexte de plus grande maturité ecclésiale. De 2002 à 2005, un projet plein d’espérance se dessine, projet qui relie la traduction de la Bible de l’Église en Amérique (BIA) avec la création d’un centre où puissent converger toutes les initiatives évangélisatrices en lien avec la Bible : le Centre biblique-­pastoral pour l’Amérique latine et les Caraïbes – CEBIPAL.31

3. e) L’ouverture et le soutien à des initiatives lancées par la Fédération biblique catholique – FBC – depuis sa fondation (1969) La naissance de la Fédération biblique catholique a été accueillie avec enthousiasme par le CELAM et c’est le directeur du département de l’œcuménisme, le père Jorge Mejía, qui a été son représentant dans l’équipe exécutive. Depuis cette période fondatrice, le CELAM a accompagné le processus de discernement et les apports audacieux de la Fédération au cheminement biblique dans le monde. Il a été témoin du fécond échange entre les expériences latino-­américaines de lecture et de vécu de la Parole d’une part, et les grandes préoccupations et conclusions de caractère universel que la FBC a proposées dans ses Assemblées plénières d’autre part. Pendant une longue période, le CELAM a été représenté à la FBC par son Département de catéchèse, jusqu’à ce que le CEBIPAL prenne la relève. Il faut voir que le CEBIPAL a accueilli depuis le premier instant la proposition d’animation biblique de la pastorale émanant de la FBC et en a fait son propre objectif principal. La collaboration entre la région latino-­américaine et caribéenne de la FBC (FEBIC LAC) et le CEBIPAL a permis l’organisation de rencontres continentales (2009 et 2016), chacune avec sa feuille de route propre, et a donné naissance au document des Orientations d’animation biblique de la pastorale pour l’Amérique latine et les Caraïbes.

Sa création a été approuvée par la XXIXe Assemblée ordinaire du CELAM, célébrée à Tuparendá (Paraguay) du 13 au 16 mai 2003. Le CEBIPAL a commencé à fonctionner le 4 octobre 2005.

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4. La route de l’Animation biblique de la pastorale comme l’a vécue le CELAM 4. a) Les racines d’Aparecida (2004-2007) Le début des activités du CEBIPAL a coïncidé avec la préparation de la conférence d’Aparecida. Cette préparation a aussi contribué à constituer l’identité du Centre et ses priorités. On peut en effet identifier dans le document de conclusion au moins trois grands traits « bibliques » : – le langage utilisé par Aparecida est « génétiquement » biblique : « Disciples et missionnaires de Jésus-­Christ » ; – le fort enracinement biblique qu’expriment les citations prend source dans la théologie johannique et les itinéraires des disciples ; il ne s’agit pas de listes de textes bibliques qui appuient des postulats doctrinaux, mais d’authentiques méthodes de discernement qui partent de la Parole lue, méditée, priée et contemplée ; le document de conclusion est inspiré, imprégné par la pratique quotidienne de Lectio divina avec l’évangile de chaque jour du temps pascal ; – la proposition de la Bible comme espace de rencontre avec Jésus Christ et le défi de l’animation biblique de la pastorale comme nouveau paradigme de la pastorale biblique, marquent un tournant durable dans le temps et un travail de longue haleine. L’objectif du CEBIPAL exprime les convictions assumées à cette époque : promouvoir, de manière co-­responsable et subsidiaire, les études bibliques et l’animation biblique de la pastorale en Amérique latine et dans les Caraïbes, pour que la Parole de Dieu suscite des disciples de Jésus qui génèrent des communautés ecclésiales vivantes au service de la vie en plénitude et de la communion missionnaire, dons propres de Dieu et de son Règne.

4. b) L’élan de Verbum Domini (2008-2013) La seconde période fut très intense et féconde, marquée par trois conjonctures ecclésiales de grandes répercussion bibliques : l’année dédiée à l’apôtre Paul (2008-2009), l’Assemblée synodale sur la Parole de Dieu (octobre 2008) et l’exhortation apostolique Verbum Domini du pape Benoît XVI (2010). Le message de la fin du Synode propose un itinéraire qui servira de préparation pour recevoir l’exhortation post-­synodale. On y trouve un certain nombre d’images, qui furent ensuite reprises par Benoît XVI dans son exhortation et qui permettent un point de rencontre entre la théologie

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et l’évangélisation. Chacune de ces images peut avoir un impact sur la vie quotidienne, ouvrant la voie à une réflexion profonde et à une proposition spirituelle et apostolique. La Voix, le Visage, la Maison, et les Chemins de la Parole nous lancent le défi de convertir notre langage exégétique en une vraie catéchèse pour le cheminement quotidien où Dieu se révèle, Christ s’approche, l’Église nous ouvre ses portes et nous envoie vivre et annoncer ce qui a été écouté, contemplé et partagé. Verbum Domini, à son tour, a donné une plus grande profondeur aux aspects didactiques que de nombreux départements d’animation biblique de la pastorale avaient déjà révélés et est devenu pour tous la meilleure synthèse et le document de référence pour comprendre le chemin biblique des 50 dernières années et le rôle fondamental de la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église.

4. c) L’animation biblique du CELAM et le temps du Pape François (2014-2019) La troisième période a été marquée par une transition évolutive ayant requis beaucoup d’énergie. On a maintenu toutes les lignes de force du CEBIPAL, mais il a été nécessaire de les « réinterpréter » et de leur redonner tout leur potentiel à la lumière de la création du nouveau centre unifié de formation du CELAM : le Centre biblique-­théologique-­pastoral pour l’Amérique latine – CEBITEPAL. L’interaction entre les trois écoles qui forment le CEBITEPAL, l’École biblique, l’École théologique et l’École sociale, suppose aussi une relation inspirée par l’animation biblique de la pastorale : Centrées sur la Parole de Dieu, pratiquant une exégèse étroitement liée avec l’herméneutique, elles facilitent la rencontre avec la Parole de Dieu écoutée, interprétée et témoignée. La rencontre avec Jésus Christ Parole de Dieu, source de la vie et de la mission de l’Église est privilégiée dans toutes les activités de la communauté formative.32

Le nouvel objectif de l’École biblique du CEBITEPAL est en syntonie avec le centre de formation du CELAM et avec l’objectif général du nouveau mandat de 4 ans du CELAM. Elle recueille les fruits des 10 ans d’expérience du CEBIPAL pour les concentrer dans la force englobante et paradigmatique de l’animation biblique de la pastorale : 32

Cf. CELAM, Documento Identitario, disponible à : http://www.celam.org/cebitepal/ quehacer.php et : http ://www.celam.org/cebitepal/nuestros_servicios.php.

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Promouvoir, de manière co-­responsable et subsidiaire, la connaissance et l’amour de la Parole de Dieu en Amérique latine et dans les Caraïbes à travers l’Animation biblique de la pastorale pour que soient suscités des disciples missionnaires de Jésus qui participent en communautés ecclésiales vivantes et en dialogue avec le monde, annoncent avec joie Jésus Christ, vie pleine pour tous les peuples.33

L’École biblique du CEBITEPAL offre aujourd’hui son service d’animation depuis les trois dimensions de l’animation biblique de la pastorale : – L’herméneutique : traduction de la Bible de l’Église en Amérique (BIA) ; formation en clefs exégétiques, pastorales et spirituelles ; actualisation biblique pour tous les agents évangélisateurs (évêques, prêtres, religieux et laïcs) ; congrès bibliques d’exégètes ; maîtrise en théologie biblique avec une spécialisation en animation biblique de la pastorale ; – la communion : Lectio divina quotidienne par internet ; programmes de Lectio divina avec des accents particuliers pour les jeunes (lectionautes) et les enfants (petits disciples) ; retraites spirituelles de conférences épiscopales, clercs, congrégations religieuses selon une perspective biblique ; une vraie touche biblico-­spirituelle pour débuter toutes les rencontres du CELAM (intronisation de la Parole et Lectio divina amplifiée) ; animation biblique des départements et du centre de formation du CELAM ; – l’évangélisation : cours annuels présentiels (15 jours) pour les agents multiplicateurs d’animation biblique de la pastorale (représentants de conférences épiscopales et de diocèses) ; élaboration et diffusion de matériaux d’animation biblique de la pastorale ; rencontres latino-­américaines avec une feuille de route (2009-2016 et 2016-2019) ; rencontres régionales de coordination avec des responsables des conférences épiscopales ; participation aux rencontres nationales et diocésaines pour présenter l’animation biblique de la pastorale, notamment les Orientations latino-­américaines et caribéennes d’animation biblique de la pastorale.

5. Perspectives Au CELAM, la Bible a occupé sa juste place petit à petit pendant 60 ans de service à la communion des conférences épiscopales d’Amérique latine et des Caraïbes. L’École biblique du CEBITEPAL s’est vue confier la tâche d’être un lieu propice pour l’animation, la coordination et la représentation du CELAM dans le contexte biblique, mais elle ne peut 33

Cf. http://www.celam.org/cebitepal/escuela_biblica.php.

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être la seule qui développe et promeuve l’animation biblique de la pastorale. Chaque département, chaque école, chaque instance de service doit être un lieu pour vivre la Parole de Dieu comme source de vie et de mission. D’autre part, l’animation biblique de la pastorale comme projet latino-­ américain et caribéen rencontre des défis auxquels l’École biblique du CEBITEPAL doit aussi répondre : il s’agit de son devoir à court, moyen et long terme. L’animation biblique de la pastorale doit même se définir encore plus par rapport à la pastorale biblique : sommes-­nous dans un processus de dépassement d’un modèle par rapport à l’autre ? Est-­il possible et faut-­il que subsistent les deux niveaux de service de la Parole : l’un plus transversal/paradigmatique, l’autre plus spécifique ou spécialisé ? L’animation biblique de la pastorale devrait « émerger en attitude missionnaire » de la pastorale biblique et du monde des spécialistes de la Bible, pour développer davantage le caractère fondamental de la Parole dans la vie et la mission de l’Église. Ce n’est pas un paradigme propre à la pastorale biblique, mais un cadre de référence pour toute l’Église. Dans l’horizon de la pastorale latino-­américaine et caribéenne, les environnements bibliques de l’académie et de l’évangélisation/pastorale ont été profondément intégrés, ce qui constitue leur apport le plus riche à l’Église universelle. Comment poursuivre, encourager et même systématiser ce processus ? On peut se demander si l’heure n’est pas venue de « construire » une institution biblique latino-­américaine et caribéenne où soient reconnus tous ceux qui systématisent les apports du continent en matière biblique, une institution qui soit elle-­même reconnue comme l’interlocutrice des plus prestigieuses institutions du monde. Quel serait alors son « modèle pédagogique » ?

Afrique « Une Parole lourde » – ou Comment rendre audible l’Évangile qui redonne vie en libérant de la peur ?

Gilbert Munana Université catholique de Louvain

L’engouement actuel de placer la Bible au centre de tout le ministère pastoral de l’Église remonte aux célébrations des 40 ans, puis des 50 ans de Dei Verbum. Il s’enracine davantage dans les diverses relectures du dernier synode des évêques sur la Parole de Dieu (Rome, 5-26 octobre 2008).1 De Dei Verbum à Verbum Domini, la Parole de Dieu restait encore le parent pauvre de certains angles de la vie ecclésiale. Cette situation (de négligence ou de résistance ?) fut évoquée par le Cardinal Godfried Danneels, deux ans avant la tenue du synode susmentionné : « Même si l’estime pour la Bible a grandi partout, on ne peut cependant pas encore dire que l’Église catholique, à la base, chez les croyants, soit devenue une Église biblique. Depuis des années déjà, on demande que la Bible soit prise comme thème d’un synode épiscopal, mais cela ne s’est toujours pas produit ».2 Cette attitude ecclésiale s’éloignant de la vision des Pères fondateurs selon laquelle « l’ignorance des Écritures est l’ignorance du Christ »3 devait donc être revisitée. Le vent de l’animation biblique de toute la pastorale qui nous préoccupe aujourd’hui a-­t-il soufflé sur le continent africain ? Un peu. Les Églises 1

Le point de départ de cet engouement est concrètement la demande du pape Benoît XVI, en 2010, d’« intensifier la pastorale biblique non en la juxtaposant à d’autres formes de la pastorale, mais comme animation biblique de toute la pastorale » (Exhortation apostolique post-­synodale Verbum Domini sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église, no 73). 2 Godfried Danneels, « À quarante ans de Vatican II », Vies consacrées, no 78, 2006, p. 148-149. 3 Saint Jérôme, Commentaire sur Isaïe, Prologue, PL 24, 17.

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du continent semblent se trouver dans la transition entre la pastorale biblique classique et ce renouveau insufflé par Verbum Domini. Toutefois, nombre d’Églises locales semblent s’enliser dans des formations sans fin au détriment d’un travail de lecture de la Parole de Dieu à la lumière de la situation concrète de chacune de ces communautés.4 « Comprendre un texte c’est toujours se l’appliquer à soi-­même », écrivait Gadamer.5 Il faut donc prendre au sérieux les facteurs locaux (les opportunités, les obstacles, l’histoire, la culture, les habitudes ecclésiales, etc.) de recevabilité de la Parole de Dieu. Monseigneur Cornelius Esua, évêque de Kumbo (Cameroun) disait même : « La Bible devrait être retirée des mains des experts et rendue au peuple de Dieu, à qui elle avait été donnée comme Parole de vie ».6 Dans cette présentation, je décrirai quelques contextes de souffrance en Afrique et leurs visages anti-­bibliques, pour ensuite montrer le rôle irremplaçable des pasteurs africains dans la transmission de la Parole de Dieu.7 4

L’appel aux spécialistes est très nécessaire, mais il ne doit pas remplacer le travail de relecture-­sur-­terrain. 5 Hans-­Georg Gadamer, Vérité et méthode. Édition intégrale, Paris, Seuil, 1996, p. 420. 6 Cité par André Kabasele Mukenge, La parole se fait chair et sang, « Bible et pastorale », no 2, Kinshasa, Médiaspaul, 2003, p. 43. 7 N.D.L.R. : L’auteur (G. Munana) a tenu à nous transmettre, en plus de son texte, le modeste résultat d’une enquête qu’il avait souhaité mener en vue de l’aider à préparer sa communication et cherchant à cerner l’état actuel de l’animation biblique de toute la pastorale dans l’Afrique sub-­saharienne. Il demandait alors à ses interlocuteurs quelle était la réception africaine de ce qu’il appelle lui-­même le « courant théologique de l’animation biblique de toute la pastorale » (ABTP), et en particulier dans le ministère des évêques. Il n’a en fait reçu qu’une seule réponse jugée pertinente, qu’il nous a transmise pour parution et que nous résumons ainsi : 1) il y a en plusieurs endroits un souhait clair que la Parole de Dieu soit au cœur de la pastorale et plus précisément au cœur de toute activité, de toute décision et de toute orientation pastorale ; 2) la mise en route institutionnelle a passé par la mise sur pied du Centre biblique catholique pour l’Afrique et Madagascar (CEBAM), dont le mandat comporte le devoir de fournir les fondements bibliques aux activités, décisions, orientations pastorales des diocèses, des conférences épiscopales nationales et régionales et du Symposium des conférences épiscopales ; à cet égard, la personne répondante s’exprime ainsi : « Même si, apparemment l’idéal n’a pas fonctionné au niveau institutionnel, il faut reconnaître aux évêques africains le mérite de placer la Bible, non seulement comme source de la théologie, mais aussi comme inspiratrice de la pastorale ». ; 3) quant à la mise en œuvre du mandat du CEBAM, elle s’est déployée essentiellement par la mise sur pied de séminaires de formation à l’apostolat biblique, destinés aux agents pastoraux ; la personne répondante mentionne : « Il était évident pour le directeur du CEBAM et ses collaborateurs aux niveaux national, régional, diocésain et paroissial, que l’animation biblique de toute la pastorale passe d’abord par des “pasteurs”, en leurs différents degrés et capacités, qui deviennent des acteurs de la pastorale biblique. L’ambition était en fait

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1. Des contextes lourds pour accueillir une Parole lourde ! Quand je visite les cathédrales européennes, je suis impressionné par la Bible en image qui les décore à travers les œuvres d’art. Même dans un contexte de sécularisation où beaucoup d’églises servent de musées, ces belles œuvres continuent de porter leur message. Quand j’entre dans certaines églises de mon pays, le Rwanda, ce n’est plus de l’art qui s’offre en message, mais du sang. J’évoque cette page d’histoire du génocide commis contre les Tutsis du Rwanda et contre ceux qui s’y opposaient (avril à juillet 1994) non pas pour susciter un simple émoi, mais pour dire qu’il n’est pas facile d’être chrétien et Église de la Parole dans un tel contexte. Un dicton rwandais dit qu’Ujya kuvuga aba atarabona (= Celui qui bavarde, c’est parce qu’il n’a pas encore vu – l’horreur). En effet, le poids des événements peut imposer le silence, voire conduire à une forme d’enfermement dans un mutisme. Comment donc rendre lisible et audible l’Évangile de la vie dans un contexte où la mort a imposé « la prudence face à toute parole » ? Les fruits composites du Rwanda‑94 ne sont qu’un épitomé des souffrances que des milliers d’Africains ont subies pendant plusieurs siècles de maltraitance sans nom.8 L’une des charges psychologiques engendrée par cette situation et qui continue de paralyser même les chrétiens est la peur : la peur de l’autre, la peur d’être tué, la peur de l’engagement, la peur d’exprimer son idée, la peur de parler, etc. Les théâtres sans fin de déshumanisation qui se jouent sur le continent africain sont enracinés dans cette dramatique histoire non exorcisée, qui a créé des hommes et des femmes diminués, des personnes doutant d’elles-­mêmes parce que paralysées par la peur.9 De tels sentiments annihilent aussi les instances de prise de parole, publique, politique, voire évangélique. L’un des modi operandi des acteurs impliqués dans différentes histoires de souffrance, en Afrique ou ailleurs, est l’effacement des instances narde faire de tous ces pasteurs à divers titres des agents d’apostolat biblique dans toutes leurs activités pastorales propres. Ainsi devrait apparaître clairement que l’apostolat biblique n’est pas l’apanage de quelques-­uns, mais bien le devoir de tous ». 8 Je fais ici allusion à ce drame qu’on a formellement nommé « Traite négrière » qui, pendant des siècles, a réussi à programmer un certain nombre de comportements complexes dans la population noire. Pour comprendre le lien entre cette horreur et le génocide des Tutsis, on pourra lire G. Munana, « Discours africains sur la souffrance du continent noir : les enjeux bibliques », Éthique et Société, no 9 (2013), p. 31-57. 9 Cf. Clément Yapi Doffou, Afrique, triste mémoire d’un continent, Agboville, éd. Biessodji, 2006, p. 10.

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ratives des survivants et des témoins. Ce processus va au-­delà des diverses humiliations qui précèdent l’horreur, parmi lesquelles l’emprisonnement de la parole qui clame, réclame et dénonce. Toutes les étapes d’un génocide (préparation, perpétration, négation, etc.) sont malheureusement accompagnées de ce triste principe : aucun témoin ne doit survivre.10 Dans une société post-­génocide, ce principe se répercute sur la qualité de la relation à la parole et à l’engagement dans des situations de souffrance sociale. Pour le croyant, chrétien ou autre, il permet néanmoins d’évaluer le degré de ressemblance de sa communauté de foi au « Témoin fidèle ».11 Je souligne ce défi pour relever l’urgence de l’animation biblique de toute la pastorale, dans le contexte de la souffrance et de sa mémoire. L’attachement à la personne de Jésus Christ ne peut pas laisser les croyants enfermés dans la peur. En même temps, l’histoire de certains tourments ne peut pas être occultée.12 Comment alors concilier ces deux affirmations sans tomber dans l’endoctrinement qui n’a rien à voir avec la Parole de Dieu et l’expérience humaine concrète ? En d’autres termes, comment interpréter et accompagner de telles souffrances avec la liberté d’expression de Dieu, c’est-­à-dire avec l’éclairage de sa Parole qui libère et qui engage ? Les réponses à ces questions devraient constituer l’armature du projet de vie des communautés chrétiennes concernées. Il existe malheureusement deux obstacles importants à surmonter : le découragement devant les difficultés, ainsi que la résignation. La souffrance qui découle du péché socio-­structurel – à l’instar des ravages de la servitude ou du génocide – crée souvent des êtres habitués à leur mal, instituant une sorte de confusion qui ne permet plus de distinguer l’asservissement de la vraie liberté. Le cas paradigmatique est celui des Israélites qui, dans le désert, en marche vers la terre pro10

Cf. Human Rights Watch (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme), Alison Des Forges, Aucun témoin ne doit survivre  : le génocide au Rwanda, Paris, Karthala, 1999. 11 Dans le livre de l’Apocalypse, Jean proclame aux Églises les paroles prophétiques « de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle, le premier-­né d’entre les morts et le prince des rois de la terre » (Ap 1,5 ; cf. 3,14). Toutes ces communautés croyantes empêtrées dans des situations de souffrance sont invitées à clarifier leur identité, leur appartenance, c’est-­à-dire leur vraie position face à cette parole révélée ; à sortir donc des ambiguïtés de « ni chaud ni froid » caractérisant certaines d’entre elles (Ap 3,15-16). Le bonheur est promis à « celui qui lit et ceux qui entendent […] et gardent les choses qui y sont écrites » (Ap 1,3). 12 « On n’écarte pas d’un revers de la main, comme pour un moustique, le bourdonnement d’un génocide », scandait, au Stade Amahoro de Kigali, le Cardinal Etchegaray (Roger Etchegaray, J’ai senti battre le cœur du monde. Conversations avec Bernard Lecomte, Paris, Fayard, 2007, p. 247).

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mise, avaient cette tentation de retourner en Égypte, chaque fois qu’ils étaient assaillis par les épreuves. Leur manque de confiance en ce Dieu qui les accompagnait et les instruisait de sa parole empêcha toute une génération – y compris le grand leader Moïse – d’entrer dans la Terre promise. En effet, la responsabilité exercée dans la période des épreuves, est tellement grande qu’elle peut s’avérer lourde à porter. Les premiers chrétiens ont dû surmonter les mêmes obstacles. L’Évangile était une parole exigeante – il l’est toujours, voire contraignante. Il ne faut donc pas s’étonner si bon nombre de croyants, y compris les porte-­flambeaux, démissionnent ou font un demi-­tour devant certains tournants difficiles de l’histoire. En ce qui me concerne, j’aimerais évoquer la difficile transmission de l’Évangile dans certaines parties du continent africain aux prises avec le terrorisme islamiste ou encore là où la liberté d’expression est empêchée. Ces situations engendrent l’autocensure de la part des agents pastoraux et des chrétiens en général. Dans certaines églises éprouvées ou surveillées, il n’est pas rare d’entendre des homélies dominicales sciemment vagues pour ne pas heurter. D’autres ne sont que des porte-­voix complaisants d’un discours officiel religieux ou politique. Il n’est donc pas facile d’être un chrétien engagé là où les espoirs vitaux sont refoulés. Malgré tout, un certain optimisme est possible. N’oublions pas que nous sommes les disciples d’un Christ ressuscité d’entre les morts et que sa Parole est le moteur de notre vie individuelle et communautaire. L’animation biblique de toute la pastorale devrait nous inciter à aller au cœur même des différentes crises de notre société et de l’Église qui sont souvent la conséquence d’une relativisation de la Parole de Dieu perçue comme non pertinente face à une situation conflictuelle bien concrète.13 Mes questions à nos « Églises en détresse » et à tous les croyants en général sont nombreuses là-­dessus : sommes-­nous en train d’assister à la fin de toute médiation biblique entre Dieu et les siens ? L’emprisonnement de la Parole, interne et externe à nos communautés, serait-­il un phénomène réel ? Pour combien de temps peut-­on relativiser, voire suspendre « ce que Dieu veut dire » aux humains dans des situations concrètes ? Fort heureu13

La bémolisation du message biblique a été décrite par Godfried Danneels, « Dix peurs de notre siècle et dix “médecins” », La voix de Catherine de Sienne 116, 2000, p. 4 : « Nous admirons la Bible à distance. “C’est beau, mais ce n’est pas praticable. Jésus a sûrement exagéré pour qu’on fasse au moins quelque chose.” Dans la pratique, nous mettons partout des bémols, nous baissons le ton. Nous soumettons toute parole de Dieu à l’épreuve de plausibilité ». Selon le cardinal belge, cette attitude est liée à la peur de croire en la Parole de Dieu.

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sement, l’auteur des Épîtres pastorales nous rassure : « on n’enchaîne pas la Parole de Dieu » (2Tm 2,9).

2. Le munus docendi : une chance pour nos peuples ? « L’Église a le devoir et le droit inné, indépendant de tout pouvoir humain, de prêcher l’Évangile à toutes les nations ». (CIC 747 § 1) Au vu des observations précédentes, ce devoir et ce droit prennent tout leur sens. Ils sont le fondement du munus docendi, la fonction d’enseignement de l’Église, charge confiée à chaque évêque dans son église particulière et à laquelle se joignent les prêtres et les diacres, tous les membres des instituts de vie consacrée et les laïcs qui, par la parole et l’exemple de leur vie chrétienne, sont des témoins du message évangélique. D’où l’importance, me semble-­t-il, d’une solide formation à l’animation biblique de toute la pastorale. Une telle formation remettrait à l’honneur le rôle que la Parole de Dieu doit jouer dans toute la vie de l’Église. Elle renouvellerait les approches locales de l’enseignement social de l’Église. Elle contribuerait à une articulation plus équilibrée entre Parole et souffrance. Elle rendrait plus percutante la proclamation du message miséricordieux de Dieu parce que plus près du cœur de ceux et celles qui sont encore aujourd’hui le Christ souffrant. Dans les années 1980, les jeunes des Mouvements d’action catholique du Cameroun écrivirent à leurs évêques respectifs une lettre qui illustre bien la souffrance ressentie devant le silence complice : Nous vous demandons d’être la voix des sans-­voix, de ceux-­là qui, comme nous, ne peuvent pas parler des injustices dont ils sont victimes de peur d’être taxés de subversifs, de ceux qui sont exploités parce qu’ils ignorent leurs droits et ne savent pas parler de peur d’être jetés en prison, de ceux qui sont jetés en prison sans avoir jamais été jugés, de ceux qui, parce qu’ils n’ont pas d’argent ou « quelqu’un devant » ne peuvent plus réussir à un concours, obtenir une bourse dans notre université, avoir une place dans nos lycées ou même bénéficier facilement d’un service dans l’administration et les hôpitaux, de ceux qui ne peuvent plus faire établir une pièce officielle si ce n’est sur présentation d’une carte du parti, de ceux qui, à cause de leur ignorance, subissent les augmentations capricieuses des impôts dans certaines de nos régions.14

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Jean-­Marc Ela, René Luneau, Voici les temps des héritiers. Église d’Afrique et voies nouvelles, Paris, Karthala, 1981, p. 204.

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Au lendemain du génocide, dans les années 1995-2005, l’Église du Rwanda a essayé de redynamiser sa mission d’aide et de défense des sans-­ voix (orphelins, veuves, prisonniers, pauvres, etc.).15 Les prêtres catholiques se dirent désormais « déterminés à avoir la vigilance évangélique » et à se montrer « attentifs à toutes les formes de souffrances humaines ».16 De telles initiatives est née l’École Tumenye Bibiliya (« Apprenons la Bible », 1995), très populaire à travers le pays, qui offre une initiation à la Bible en faisant des parallèles entre des situations bibliques bien concrètes et le contexte rwandais. D’autres projets ont été initiés ici et là, comme des Camps bibliques qui visent à faire aimer la Bible aux enfants et aux jeunes. On ne peut que saluer l’intérêt que les diocèses du Rwanda et leurs pasteurs ont manifesté à l’égard de tous ces projets, mais il faut en même temps souligner un certain essoufflement, tout particulièrement pour l’École Tumenye Bibiliya. Le ministère de l’enseignement de l’Église sera une chance pour les peuples en souffrance, chaque fois que le message biblique aura sa place au sein de toute l’activité et de toutes les décisions pastorales, y compris les plus pénibles. C’est le premier rôle des évêques, modérateurs de tout le ministère de la parole, de veiller à ce que la Parole de Dieu soit l’âme de la théologie, de la spiritualité, de la pastorale, de la vie tout court de l’Église. Comme l’a signalé le professeur M. Gilbert, on ne peut qu’être reconnaissant envers le cardinal Carlo Maria Martini qui, en référence au livre des évangiles placé sur la tête de l’évêque lors de sa consécration, écrit ceci : « Il me semble […] qu’il faut […] avant tout présenter la figure épiscopale comme celle d’un serviteur de la Parole de Dieu […] Il lui est soumis en tout sens : sa parole doit faire résonner l’Évangile et tout geste émanant de lui doit être une réalisation de l’Évangile ».17 Dans la préface du fameux livre Les évêques d’Afrique parlent,18 Monseigneur Évariste Ngoyagoye, 15

Cf. Conférence épiscopale du Rwanda – Commission épiscopale « Justice et Paix », L’Église et la Société rwandaise face au génocide et aux massacres. Dix ans après, Kigali, mars 2004, p. 10. 16 Association des Prêtres Rwandais (APRERWA), Actes de la deuxième session, Kigali, Centre Christus, du 6 au 9 novembre 1995, document inédit. On pourrait néanmoins le consulter librement sur  : https://repositories.lib.utexas.edu/bitstream/ handle/2152/5083/2395.pdf?sequence=1 (consulté le 2 avril 2017). 17 Carlo Maria Martini, L’évêque. Au jour le jour, « La part-­Dieu », no 20, Bruxelles, Lessius, 2011, p. 32 ; C.-M. Martini, « La parole de Dieu dans la vie de l’Église ou l’animation biblique de toute la pastorale », Bulletin Information Biblique, no 79, 2012, p. 8. 18 Maurice Cheza et René Luneau, Les évêques d’Afrique parlent. 1969-1992. Documents pour le synode africain, Paris, Centurion, 1992.

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alors archevêque de Bujumbura (Burundi), rappelait qu’au sein et au-­delà de leurs nombreux écrits, les évêques n’ont de mission principale que celle « d’être au service de la Parole de Dieu, d’insister à temps et à contretemps (2Tm 4,2), pour que la vérité soit connue par tous les hommes ».19 Il clôturait son propos en rappelant l’importance d’une autre parole de Jésus, pour l’Afrique : « Vous serez mes témoins » (Ac 1,8). Au sein des malheurs du continent africain, le service du peuple doit s’enraciner dans une vie de témoignage, fondée elle-­même sur l’approfondissement et le service de la Parole de Dieu. Dans ce même livre, Efoe Julien Penoukou, qui en rédigea l’introduction, rappelle que le rôle prophétique de l’Église en Afrique doit se situer du point de vue de la Bible. Elle a à être « conscience et annonce de la puissance radicale de l’Évangile, espérance qui fonde toutes les attentes ».20 Un très grand nombre de lettres pastorales et messages des évêques d’Afrique ne font que mentionner au passage quelques versets tirés de la Bible. Le discours sur les situations (sociales) de précarité prend le dessus. Il n’est pas rare que le titre de ces documents soit un verset biblique, mais dans les développements, la Parole de Dieu n’y occupe qu’une place minime, alors qu’elle devrait en être le fondement. Dans le contexte éprouvant du début du génocide, les évêques du Rwanda ont voulu éclairer la conscience chrétienne et la population rwandaise en général, dans un communiqué intitulé Tu ne tueras pas (9 avril 1994). Aucune référence explicite n’est faite à Ex 20,13 d’où est tiré le titre de ce message et aucune autre mention de la Parole de Dieu n’est faite à l’intérieur du texte. Or, il me semble que les évêques auraient dû saisir ce moment « fort » pour donner à leur message une autorité fondée sur les Écritures et ainsi faire jurisprudence en la matière. Il est vrai que l’urgence du moment et l’intensité de ce qui était vécu par tout le peuple, et les chrétiens en particulier, ne laissait pas le temps à la « théologisation » du message, mais la Parole de Dieu devrait toujours émerger spontanément de tout message des responsables ecclésiaux.21 Sans cet ancrage biblique, le message des évêques ne pouvait que se limiter à un rappel partiel de la doctrine sociale de l’Église ou à une sorte d’anthropologie religieuse. La souffrance vécue 19

Ibid., p. 12. Ibid., p. 30. 21 Cf. Oseni Ogunu, The African Enchiridion. Documents and Texts of the Catholic Church in the African World, Volume IV : 1994-2003, Roma, Editrice Missionaria Italiana, 2008, p. 2598. 20

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et surtout celle subie injustement n’est jamais facile à traduire en mots, y compris dans une relecture biblique. Les prophètes en ont été les témoins les plus éloquents, souvent au prix de leur vie. Comme le dit Paulin Poucouta, toute « exégèse inculturée ou contextualisée est engageante, voire insécurisante. Elle s’écrit avec sa vie, parfois en lettres de sang ».22 Le disciple-­prophète de Jésus Christ n’a pas à trébucher dans ce qu’il a à faire et à dire, sinon la société va périr de l’ignorance de la volonté de Dieu, rappelle le prophète Osée (cf. Os 4,1-6) : « Pour lui, le péché généralisé qui gangrène la société samaritaine de l’époque est dû au non-­respect de la Parole de Dieu. Cette irresponsabilité coupable est, pour lui, imputable à la négligence du prêtre et du prophète qui n’annoncent plus la Parole ou qui la bradent ».23

Conclusion L’animation biblique de toute la pastorale en Afrique sub-­saharienne, bien souvent marquée au fer rouge des conflits et des guerres qui ont fait et qui font toujours souffrir tant d’Africains, ne peut se faire que sous mode prophétique. Seuls les responsables des communautés chrétiennes et les fidèles qui ont reçu cette vocation d’être des porte-­voix de Dieu et de l’humanité entière peuvent marquer ce rendez-­vous. Au vu de la détérioration continuelle de la situation des pauvres de notre continent, la plupart des théologiens africains affirment que le rôle de l’Église est une urgence : « Dans la tradition biblique, les prophètes surgissent dès que les pauvres sont opprimés, que l’injustice s’étend et que le plaisir de l’argent et le pouvoir deviennent des idoles ».24 Pour cette raison, renchérit L. Santedi, l’Église « n’a droit d’être ni absente, ni muette, ni hésitante là où il n’y a personne pour défendre les intérêts des pauvres, des faibles ».25 C’est grâce au cœur du Logos de Dieu que notre chère communauté peut trouver des forces neuves. Alphonse Quénum affirmait que « les peuples africains, tels qu’ils apparaissent dans l’histoire, marqués par les blessures du passé et en quête de nouvelles raisons de reconquérir leur dignité, sont disposés à l’écoute de toute parole qui n’asservit pas… C’est 22

Paulin Poucouta, Quand la Parole de Dieu visite l’Afrique. Lecture plurielle de la Parole de Dieu, Paris, Karthala, 2011, p. 39. 23 Ibid., p. 135. 24 Léonard Santedi Kinkupu, Les défis de l’évangélisation dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2005, p. 100. 25 Ibid., p. 61.

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le Verbe de Dieu qui nous montre la proximité de Dieu et sa bonté pour l’humanité… Voici que la Parole de Dieu se présente comme l’unique médiateur crédible. Telle est la Bonne Nouvelle ».26

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Alphonse Quénum, « Jésus Christ, Bonne Nouvelle pour l’Afrique », in Joseph Ndi-­ Okalla et Antoine Ntalou (dir.), D’un synode à l’autre. Réception synodale et perspectives d’avenir : Église et société en Afrique, Paris, Karthala, 2007, p. 40.

Relecture théologique des interventions géo-­culturelles Une Parole « qui réjouit le cœur de l’homme » et pourtant « tranchante comme un glaive » – ou Comment, par l’Écriture, donner accès au « Dieu qui a pris corps »

Daniel Laliberté Luxembourg School of Religion & Society

Un premier constat s’est imposé à mon esprit à la lecture de ces quatre contributions provenant d’horizons totalement différent : il y a, pour chacune des régions prises en considération, un lien évident entre la façon dont la Bible anime la vie des communautés chrétiennes et le style utilisé pour l’exposer publiquement devant un forum international.1 À mon sens, ce constat mérite d’être pris en considération, puisqu’il semble constituer en lui-­même un locus theologicus, un élément d’analyse permettant une réflexion théologique sur les conditions de réception et d’implantation d’une animation pastorale fondée tout entière sur la Bible.2 Dans le présent article, nous ferons d’abord quelques constats, que nous prolongerons par quelques éléments d’analyse.

1



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Un constat qui était encore plus frappant dans la version orale de ces communications, alors que le ton utilisé reflétait de façon plus ou moins marquée l’enthousiasme, la sérénité, la gravité, etc. des situations à mettre en évidence. C’est pour cette raison que, en tant que responsables de l’édition du présent volume, mon collègue et moi n’avons pas jugé pertinent de chercher à uniformiser ces présentations, ni dans leur forme, ni dans leur longueur, convaincus que cette variété de style est en elle-­même révélatrice de l’état de la situation dans les divers coins du monde, ce que précisément je chercherai à mettre en évidence ici.

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1. Constats et premières analyses Comparons dans un premier temps les émotions très contrastées qui émanent des textes de G. Munana et de Ko Ha Fong M. Alors que la réflexion de cette religieuse chinoise reflète la joie et l’enthousiasme, celle du P. Munana est imprégnée de part en part d’une gravité capable de remuer les entrailles de ses auditeurs / lecteurs. Sœur Maria n’a pas documenté sa présentation par des citations explicites, elle a très simplement et très spontanément fait part d’un état d’esprit, d’une perception générale qui, sans exclure les difficultés que pose la réception du texte biblique, manifeste une joyeuse bienveillance globale par rapport à l’accueil de la Bible. Notre invité africain, pour sa part, appuie ses réflexions sur plusieurs auteurs récents, signe que la réception des Écritures en terre africaine a déjà suscité plusieurs réflexions approfondies ; signe, surtout, que les drames de l’Afrique, dont le génocide rwandais apparaît comme un cas typique, soulèvent de façon tragique la question de la possibilité d’une transformation en profondeur de la vie africaine par la pénétration de l’Évangile. Cette question de l’efficacité du processus d’évangélisation se pose en fait partout, comme le reflète la présentation de J. Stefanów sur la situation en Europe,3 où des sociétés entières évangélisées de longue date ont désormais cessé de fonctionner en référence explicite à la tradition chrétienne.4 Au moyen d’une formule humoristique, Stefanów fait d’abord un constat : à plusieurs égards, la foi chrétienne, et plus particulièrement la Bible, est devenue aussi étrangère à bien des Européens que l’est la neige aux 3



Il parle de l’Europe centrale parce que c’est ce qu’on lui avait demandé, mais sa présentation vaudrait assurément pour plusieurs coins de ce qu’on appelle « l’Occident », Amérique du nord comprise. 4 On pourrait citer ici de nombreuses études sur la sécularisation. Je mentionne simplement l’ample réflexion de Ch. Taylor, L’Âge séculier, Montréal / Paris, Boréal / Seuil, 2011, 1339 p. (trad. de P. Savidan de l’édition originale anglaise A Secular Age, Harvard University Press, 2007) ; l’auteur y développe sa pensée sur trois niveaux de sécularisation : 1- un fonctionnement social qui cesse de fonctionner en référence à une instance supérieure ou une institution religieuse ; 2- un déclin progressif de la croyance et de la pratique religieuse ; 3- la possibilité même de la croyance ou de la non-­croyance comme de simples options qui cohabitent. Notons que le passage à ce 3e degré de sécularisé correspond bien à un nouvel « âge », l’âge proprement séculier, qualtitativement différent des formes premières de sécularisation : désormais, non seulement le croyant doit apprendre à évoluer dans un monde où ses concitoyens ont pu choisir l’autre option, mais l’idée même que sa foi est en quelque sorte optionnelle configure son propre rapport à tout ce qui l’entoure, Dieu y compris (si l’on peut s’exprimer ainsi). Se pose alors la question de la façon dont chaque groupe de croyants (mouvement, paroisse, etc.) gère les processus de transmission de la foi et plus particulièrement le passage de l’héritage biblique.

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Zimbabwéens. Et, pour les croyants qui y réfèrent encore, elle ne semble pas avoir le potentiel dynamisant que Stefanów a pu constater lors de ses passages en Asie – ce que reflète l’intervention de Ko Ha Fong M. – et, surtout, en Amérique latine – comme le manifeste longuement l’intervention de G. Acero et comme l’a lui-­même expérimenté Stefanów pendant son séjour missionnaire en Colombie ; dans l’Europe à laquelle il réfère, la Bible constitue une sorte de dépôt de la foi – et l’on perçoit le caractère figé de ce dépôt dans la façon dont il en parle – qu’il s’agit de connaître et de transmettre, sous-­entendu « à l’identique ». D’un point de vue ecclésial, le constat de Stefanów est dur : la Bible, et l’animation biblique de la pastorale, ne semblent même pas apparaître sur l’écran-­radar des évêques, constat auquel la LSRS a aussi été confrontée : dans une démarche auprès des membres européens de la Fédération biblique catholique afin de sonder la possibilité de recruter une éventuelle clientèle pour un programme de maîtrise (Master) en animation biblique de la pastorale, il nous a été dit clairement que, malgré l’invitation forte lancée par Benoît XVI dans Verbum Domini, il ne fallait pas s’attendre à ce que les évêques européens ponctionnent dans leur personnel pastoral pour envoyer quelqu’un se former dans cette discipline. Nous chercherons plus loin à comprendre cette situation européenne. Pour le moment, elle nous a déjà permis de mettre en évidence que la question posée par G. Munana ne concernait pas que l’Afrique. Comme O. Legendre le fait dire au personnage principal de son roman Confessions d’un cardinal : Le Rwanda constituait, pensions-­nous, un exemple de la réussite de l’évangélisation en Afrique. Des fidèles actifs, des religieuses du pays en grand nombre, un clergé local formé, de nombreuses institutions charitables, des écoles… Un modèle réussi de greffe de la foi chrétienne dans un pays récemment évangélisé. Survint le génocide. Nous découvrîmes que l’horreur peut coexister avec une pratique religieuse enviable. Nous nous aperçûmes que les valeurs évangéliques étaient mises de côté avec une rapidité effrayante pour laisser la place à la barbarie.5

On pourrait prétexter qu’il s’agit ici d’un roman, de paroles fictives mises dans la bouche d’un cardinal fictif. Il s’agit tout de même d’une lecture théologique d’une situation, d’une question posée à l’opération d’évangélisation et de christianisation d’une société. Legendre élargit d’ailleurs le spectre de la problématique. À ceux – bien réels – qui argumentèrent dans le sens d’un « vernis chrétien » qui aurait craqué sous un quelconque atavisme de sauvagerie africaine, il fait répondre au cardinal : 5

Olivier Legendre, Confessions d’un cardinal, Paris, JC Lattès, 2007, p. 192.

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Cette soi-­disant explication déshonore ceux qui l’ont avancée, redonnant vie aux fantasmes occidentaux raciaux. Un peu comme on aurait dit que le vernis chrétien allemand avait craqué sous la pression de la barbarie germanique ancestrale. Ce que l’on n’a pas dit, bien entendu. […] Non, l’explication ne tient pas dans le cas du Rwanda comme elle ne tient pas dans les exemples que je viens de rappeler. […] La grande leçon du Rwanda est celle-­ci : la foi chrétienne, notre foi chrétienne, n’a pas empêché que surviennent ces atrocités en grand nombre. D’où la question qui frappe tout responsable d’Église : de telles atrocités dans des pays chrétiens – le Rwanda des années 90, l’Allemagne de l’avant-­guerre – ne sont-­elles pas le signe d’un échec chrétien ? De l’échec chrétien ?6

Il est vrai que l’analyse de l’évangélisation comme réussite ou échec dépend des critères qu’on utilise. Legendre fait justement dire à son fictif et anonyme cardinal : Nos critères de réussite relèvent d’une arithmétique secondaire dérisoire. Le taux de pratique dominicale, le nombre d’entrées chaque année dans les séminaires, la quantité de personnes présentes aux dernières JMJ comparée à celle des années précédentes, le nombre de sacrements de mariage célébrés, et celui des baptêmes, la connaissance de la foi des enfants en fin de catéchèse, la quantité de membres revendiquée par tel ou tel mouvement… […] Bien sûr, tout cela est bon et nécessaire, mais à ces mesures concrètes et visibles échappe la réalité profonde de notre foi qui, elle, est invisible.7

Paul VI, dans Evangelii nuntiandi, nous suggère d’autres pistes d’analyse de cette réussite : Évangéliser, pour l’Église, c’est porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve l’humanité elle-­même : « Voici que je fais l’univers nouveau ! ». Mais il n’y a pas d’humanité nouvelle s’il n’y a pas d’abord d’hommes nouveaux, de la nouveauté du baptême et de la vie selon l’Évangile. Le but de l’évangélisation est donc bien ce changement intérieur et, s’il fallait le traduire d’un mot, le plus juste serait de dire que l’Église évangélise lorsque, par la seule puissance divine du Message qu’elle proclame, elle cherche à convertir en même temps la conscience personnelle et collective des hommes, l’activité dans laquelle ils s’engagent, la vie et le milieu concrets qui sont les leurs. […] Atteindre et bouleverser par la force de l’Évangile les critères de jugement, les valeurs déterminantes, les points d’intérêt, les lignes de 6



7

Ibid., p. 193-194. Ibid., p. 203-204.

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pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie de l’humanité, qui sont en contraste avec la Parole de Dieu et le dessein du salut. Nous pourrions exprimer tout cela en disant : il importe d’évangéliser – non pas de façon décorative, comme par un vernis superficiel, mais de façon vitale, en profondeur et jusque dans leurs racines – la culture et les cultures de l’homme. (EN 18-20)

Sur la base de ces critères, il est alors difficile de ne pas considérer l’évaporation progressive de la référence à l’Évangile en Occident, tout comme l’incapacité de cet Évangile de contrer les pulsions de mort au Rwanda et probablement ailleurs, comme des échecs d’une évangélisation « jusque dans les racines ». A. Peelman, s’appuyant sur Gaudium et spes,8 rappelle comment chaque culture recèle en elle à la fois des pierres d’attente et des pierres d’achoppement dans sa capacité à accueillir l’Évangile. Comme organisme vivant, chaque culture possède inévitablement une face lumineuse et une face ténébreuse. Les cultures sont souvent marquées par des contradictions internes qui, au lieu de produire la vie, deviennent des signes de la mort. Face à chaque culture, l’Église doit être particulièrement attentive aux éléments qui sont anti-­évangéliques et déshumanisants. Mais elle ne peut laisser obscurcir son regard par ces aspects négatifs des cultures. Au contraire, elle doit accueillir à l’intérieur de chaque culture tout ce qui est attente et sensibilité spirituelle.9

Bien que le concept reste encore à définir avec précision,10 « évangélisation des cultures » et « animation biblique de toute la pastorale » sont assurément grandement inter-­reliées quand il s’agit de placer la Bible, et tout particulièrement l’Évangile, au cœur de la vie des communautés chrétiennes pour les transformer en profondeur, ouvrant la porte à de tout autres « critères de réussite » de l’évangélisation. Ce n’est pas pour rien que Munana parle d’une « parole lourde ». Comme nous le déve8



« La Bonne Nouvelle du Christ rénove constamment la vie et la culture de l’homme déchu ; elle combat et écarte les erreurs et les maux qui proviennent de la séduction permanente du péché. Elle ne cesse de purifier et d’élever la moralité des peuples. Par les richesses d’en haut, elle féconde comme de l’intérieur les qualités spirituelles et les dons propres à chaque peuple et à chaque âge, elle les fortifie, les parfait et les restaure dans le Christ ». (GS 58,4). 9 Achiel Peelman, L’inculturation – L’Église et les cultures, « L’horizon du croyant », Paris / Ottawa, Desclée / Novalis, 1989, p. 78. 10 Avec mon collègue G. Rubel, nous avons cherché à tenir compte de l’ensemble des contributions du présent volume pour en proposer une définition dans le chapitre de conclusion, intitulé Conclusion et regard prospectif – Une définition, des conséquences.

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lopperons un peu plus loin, remettre la Bible dans les mains des fidèles, permettant ainsi la rencontre avec le Dieu de Jésus Christ dont parle Benoît XVI dans Verbum Domini 73, recèle un subversif potentiel de réévaluation de nos images de Dieu et de refondation de nos relations humaines, fraternelles. À revers des propos de Stefanów et Munana, l’enthousiasme de sœur Ko tient probablement au fait qu’en Chine, on en est encore aux balbutiements de cette rencontre entre l’Évangile et la culture, la Bible étant reçue comme un cadeau pour lequel on rend grâce. Ceci n’en soulève pas moins – et Ko Maria le mentionne explicitement – la problématique de la rencontre plus ou moins simple entre l’Évangile et une culture propre. Elle fait ressortir une double trajectoire du rapport entre les Écritures et le terreau extrême-­oriental. D’une part, elle met en évidence l’important décalage entre la culture d’origine de ces textes – pourtant eux-­mêmes également asiatiques, signe que le découpage continental ne correspond que très partiellement à l’histoire humaine – et sa propre culture invitée à accueillir cette Bonne nouvelle. Ce décalage – qui n’est pas propre à l’Asie même si, dans ce cas, le fossé semble particulièrement large – constitue en lui-­même un défi important à la possibilité pour l’Évangile d’imprégner cette culture. Pourtant, d’autre part, en écho aux propos de Peelman sur ce qui, à l’intérieur de chaque culture, constitue une attente et une sensibilité spirituelle, Sœur Maria montre aussi comment « l’acte de lire » propre aux orientaux peut favoriser de façon tout à fait originale la réception des Écritures. Elle met en évidence d’abord le mode de lecture par idéogrammes, ouvrant à une lecture holistique, non découpée et, partant, moins marquée par la logique formelle ; elle relève ensuite l’art pictural chinois avec ses espaces blancs qui suggèrent que tout ne doit pas être dit explicitement ; et elle en déduit que la culture chinoise, par ailleurs friande de narration, constitue un terreau potentiellement riche pour la réception de la Parole. Il est vrai, que, au moment de l’histoire où nous nous trouvons, il semble bien s’agir pour elle d’une conviction, d’un espoir, qu’elle ne peut pas encore documenter largement, tant les Églises dont elle a accepté de refléter la situation ont encore un rapport bien neuf avec la Bible, reflétant une « croissance de la Bible » qui n’a réellement pris son essor que depuis Vatican II. On peut comprendre alors qu’elle se fasse porteuse d’une interrogation qui doit être accueillie et entendue, ce qui ne fut pas toujours le cas au fil de l’histoire : la culture asiatique peut-­elle s’autoriser une façon différente, propre à elle, d’approcher la Bible ? Plus encore – et l’on sent ici toute la tradition de reconnaissance si chère aux populations asiatiques : est-­ce que l’Asie peut, en retour de ce don précieux de la Parole, apporter

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à l’Occident quelque chose de sa propre réception / compréhension de la Bonne nouvelle ? La lecture des réflexions de Guillermo Acero Alvarín nous entraîne dans une tout autre direction. Ici, la prise de parole est largement documentée et fait état de tout un parcours historique d’implantation de l’animation biblique de toute la pastorale. On comprend d’ailleurs, même si cela deviendra encore plus clair avec la présentation de T. Osborne, que les rencontres successives du CELAM et la mise en œuvre de leurs orientations ont constitué le terreau dans lequel a pu germer ce concept. Il nous a semblé que cette riche histoire, nourrie de chacune des notes qui font état des avancées de chaque rencontre, méritait d’être présentée intégralement. Il ne s’agit pas ici de faire une relecture serrée de chacun de ces pas, mais plutôt de regarder globalement ce parcours. Que peut-­on alors constater de significatif, et tout particulièrement en comparaison des autres « terrains » qui nous ont été présentés ? Tout d’abord une cohésion, une concertation pastorale sur un immense territoire : depuis plusieurs décennies, et déjà avant le Concile, les épiscopats de toute l’Amérique latine et des Caraïbes ont convergé vers un souci commun de placer la Bible au centre de la vie pastorale. Acero met certes quelques bémols en ce qui concerne les motivations profondes qui animent les options de Rio en 1955. Toutefois, même si « la préoccupation biblique primordiale était de type apologétique, en raison de la présence croissante des communautés évangéliques pentecôtistes sur un continent qui, jusqu’à peu, se disait catholique à 100 % », même si « c’est dans le cadre de la “défense de la foi” qu’apparaissent les recommandations bibliques les plus importantes », même si « l’impulsion biblique ne provient pas encore d’une réflexion interne sur la fonction de l’Écriture Sainte dans la vie et la mission de l’Église », et même si « le style apologétique de Trente se maintient et [que] la promotion des sujets bibliques est accompagnée d’une attitude qui ne favorise pas le dialogue », il faut tout de même mettre en évidence cette option forte, qui d’une certaine façon est à l’opposé de la réaction tridentine de jadis, laquelle avait plutôt restreint le plus possible l’accès des fidèles aux Écritures. Au contraire, à Rio, « on recommande instamment l’intensification du mouvement biblique, de sorte que les fidèles s’habituent à la lecture fréquente et même quotidienne des Écritures Saintes, et surtout des Saints Évangiles », et ce par plusieurs moyens, considérant cette mise en valeur « comme faisant partie du devoir de formation et d’évangélisation des pasteurs et du laïcat.

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La recommandation de la lecture de la Bible par tous les catholiques est claire… ». La lecture des réflexions d’Acero permet de voir que cette impulsion ne s’est jamais démentie. Surtout, après Vatican II, la tendance apologétique fait place à une nouvelle sensibilité quant au rôle de la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église, avec des expressions comme celle de Puebla : « L’Écriture doit être l’âme de l’évangélisation ». Le défi que pose à l’institution le développement de la théologie de la libération est aussi pris en compte dans les textes officiels, bien que de façon assez timide. On perçoit tout de même le désir d’affirmer que l’Écriture doit être source de changements sociaux et de promotion de la dignité humaine. Depuis Medellin, l’organisation de la vie pastorale en Amérique latine a mis de l’avant une forme particulière : les communautés ecclésiales de base. Selon Acero, ces communautés qui « se fondent sur la Parole de Dieu » constituent « des espaces pour vivre de manière plus fraternelle l’expérience ecclésiale et renouveler la vitalité des structures de l’Église ». C’est assurément la source de ce qu’on retrouve en 2010 dans Verbum Domini 73 : Il est bon que dans l’activité pastorale soit favorisé aussi le développement de petites communautés, « composées de familles, enracinées dans les paroisses ou liées aux divers mouvements ecclésiaux ou nouvelles communautés », dans lesquelles seront encouragées la formation, la prière et la connaissance de la Bible selon la foi de l’Église.

On pourrait prolonger ces constats relatifs à l’implantation progressive d’une animation biblique de toute la pastorale en Amérique latine. Une analyse serrée de l’histoire des dernières décennies permettrait probablement de montrer aussi les contradictions inhérentes à un tel mouvement, l’épiscopat latino-­américain ne présentant clairement pas la même unanimité au plan des pratiques concrètes que celle qu’il affiche dans ses textes officiels. Ce que cela ferait ressortir, c’est la difficulté pour une institution aussi imposante que l’Église catholique d’assumer en profondeur les options qu’elle affirme au nom de l’Évangile. Et c’est bien le « problème », avec un texte fondateur d’une telle teneur : le propre des Écritures – qu’on pense aux Prophètes de l’Ancien Testament comme aux prises de position de Jésus par rapport aux institutions judaïques – est de constamment remettre en question de l’intérieur toute prétention à s’installer dans le pouvoir, toute prétention à définir la « vérité ».

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2. Approfondissements 2.1 « La Bible tuera l’Église » J’aime bien – on excusera ma propension à référer à la littérature romanesque – ce qu’affirme V. Hugo dans Notre-­Dame-­de-­Paris11 : au terme d’un éloge de l’architecture comme « livre », Claude Frollo, l’archidiacre de la cathédrale, considéra quelque temps en silence le gigantesque édifice, puis étendant avec un soupir sa main droite vers le livre imprimé qui était ouvert sur sa table et sa main gauche vers Notre-­Dame, et promenant un triste regard du livre à l’église : « Hélas ! dit-­il, ceci tuera cela ».12

Hugo mentionne ensuite le double sens de la phrase de l’archidiacre : d’abord « la littérature tuera l’architecture » mais, surtout, « la presse tuera l’église ». L’église ou l’Église ? L’édifice ou l’institution ? Hugo élabore : cette phrase qu’il met dans la bouche de l’archidiacre exprime l’épouvante et l’éblouissement de l’homme du sanctuaire devant la presse lumineuse de Gutenberg. C’était la chaire et le manuscrit, la parole parlée et la parole écrite, s’alarmant de la parole imprimée (…). C’était le cri du prophète qui entend déjà bruire et fourmiller l’humanité émancipée, qui voit dans l’avenir l’intelligence saper la foi, l’opinion détrôner la croyance, le monde secouer Rome. Pronostic du philosophe qui voit la pensée humaine, volatilisée par la presse, s’évaporer du récipient théocratique.13

Dans sa propre interprétation des propos d’Hugo, Luc Plamondon, dans sa comédie musicale du même titre, prend plus explicitement position : Un dénommé Gutenberg a changé la face du monde Sur les presses de Nuremberg on imprime à chaque seconde Des poèmes sur du papier, des discours et des pamphlets De nouvelles idées qui vont tout balayer 11

J’ai proposé une réflexion plus élaborée à partir de ce point de vue tiré de l’œuvre de Victor Hugo dans un numéro de la revue Lumen vitae intitulé Animation biblique de la pastorale et de la catéchèse : Daniel Laliberté, « Origine, perspectives et défis de la formule “l’animation biblique de la pastorale” », Lumen vitae 72/4, 2017, p. 383-394. 12 Victor Hugo, Notre-­Dame de Paris, Livre cinquième, chapitre 2. 13 Hugo, ibid.

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Les petites choses toujours viennent à bout des grandes Et la littérature tuera l’architecture Les livres des écoles tueront les cathédrales La Bible tuera l’Église et l’homme tuera Dieu14

« La Bible tuera l’Église »… Les évêques latino-­américains prônent depuis Rio – et avec eux le reste de l’Église depuis Vatican II – une large diffusion du texte biblique via traductions et publications, autrement dit en utilisant ce moyen introduit par Gutenberg. Comment alors ne pas se demander – si le point de vue d’Hugo a quelque chose de prophétique que les décisions romaines ont tenté de repousser pendant quatre siècles – si l’accès direct des fidèles au texte biblique recèle un potentiel capable de faire s’écrouler les murs de l’édifice patiemment construit par l’institution ? Tel est le paradoxe du rapport du fidèle aux Écritures : source vitale et pourtant périlleuse, peut-­être pour le lecteur lui-­même et, assurément, pour l’institution qui pourtant a donné naissance à ce texte ! Or c’est bien cette menace que, « à ses risques et périls » pourrait-­on dire, l’institution ose affronter, proclamant désormais la nécessité d’une « animation biblique de toute la pastorale » qui suppose cet accès large du fidèle aux Écritures. On peut se demander jusqu’à quel point elle acceptera d’assumer les effets que la pénétration de cet « esprit subversif » de l’Évangile aura sur elle. Les résistances manifestées face aux changements souhaités par le pape sud-­ américain actuel en fournissent probablement déjà des indices. Pour notre propos, une question me semble encore plus importante, et à laquelle il est peut-­être encore plus difficile de répondre : pourquoi le sol d’Amérique du Sud et des Caraïbes apparaît-­il comme un terreau particulièrement fertile pour l’implantation d’une animation biblique de toute la pastorale ? Y a-­t-il quelque chose de particulier à ces Églises qui les rende apparemment davantage réceptives aux Écritures et à leur mise en pratique communautaire, là où l’Occident et même l’Afrique ne semblent pas permettre un tel essor (pour l’Extrême-­Orient il semble encore trop tôt pour le dire) ? Je ne prétendrai pas avoir une expertise qui me permette d’élaborer une longue réponse à cette question, pour laquelle les théologiens latino-­américains sont bien sûr mieux outillés. Il me semble pourtant percevoir qu’il y a une histoire commune à toutes ces terres marquées par la colonisation – essentiellement la colonisation ibérique. On peut imaginer qu’une trame socio-­politico-­religieuse commune à ces contrées, c’est-­à-dire un rapport entre l’Empire colonial, l’institution ecclésiale plus ou moins 14

Luc Plamondon, Florence, in « Notre-­Dame-­de-­Paris », comédie musicale (création 1998).

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compromise dans les processus de colonisation, les régimes politiques progressivement mis en place, la population autochtone, etc., qui a généré une situation particulièrement propice, une soif partout ressentie de libération. Ceci contribuerait probablement à expliquer le succès des communautés ecclésiales de base et la solidarité fraternelle dont elles sont le reflet. C’est à ce propos que je laisserai mes collègues latino-­américains prolonger la réflexion. Toutefois, si l’on admet que l’histoire de l’Amérique du sud explique qu’elle soit un terreau fertile de mouvements sociaux inspirés des Écritures, une question reste à élucider : comment rendre compte, alors que la Contre-­réforme a tant restreint l’accès au texte biblique et que, selon G. Acero, Trente constitue toujours l’horizon théologique et pastoral au milieu du xxe siècle, de l’option explicite de l’épiscopat latino-­américain et caribéen pour un large accès des fidèles à la Bible, alors même que cet accès recèle un potentiel d’ébranler non seulement les structures politiques, mais également les structures ecclésiales dont ces évêques sont en quelque sorte les défenseurs ?

2.2 Ordinaire comme la neige au Groenland ! Nous venons de mettre en évidence une question qui se fait jour en observant l’histoire de l’animation biblique en Amérique latine : pourquoi ce terreau apparaît-­il si propice à l’implantation d’une vie pastorale animée par la Bible ? Et nous avons identifié deux volets à cette question : d’abord, qu’y a-­t-il de particulier à cet environnement qui en face une terre d’accueil si favorable à l’animation biblique ? Et pourquoi, dans un contexte qui ne semblait pourtant pas s’y prêter, l’épiscopat a-­t-il décidé d’ouvrir aussi largement l’accès aux Écritures ? Ce que nous avons voulu faire ressortir par ce questionnement, c’est le fait que les textes bibliques, par leur teneur même, ont un immense potentiel de déstabilisation des structures institutionnelles, y compris celles de l’institution qui leur ont donné naissance. L’histoire récente de l’Église sud-­américaine, émaillée par les tensions entre le pouvoir institutionnel et les tenants de la théologie de la libération, semble bien donner crédit à la thèse selon laquelle la Bible, même si elle ne « tue pas l’Église », constitue toujours en quelque sorte le « cheval de Troie » de l’institution ecclésiale. J’ai référé plus haut aux prises de position des prophètes ou de Jésus pour évoquer le potentiel subversif des Écritures. Or, bien plus que les paroles de Jésus, ce sont l’Incarnation et le Mystère pascal qui constituent la pierre d’achoppement inamissible de toute institutionnalisation de l’Évangile. Donner un accès large aux

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Écritures, c’est permettre à chaque fidèle d’entrer en communion avec ce Christ qui fracasse toute conception de la toute-­puissance divine et, partant, c’est autoriser le peuple de Dieu, à l’image de Qohélet – littéralement « celui qui parle depuis l’assemblée » – refusant les belles idées reçues, à remettre en question l’autoritarisme, le cléricalisme et toute autre forme de prétention à la vérité. Et surtout, découvrir par l’ouverture des Écritures la nature profonde du Dieu qui s’y dit à travers le Verbe. Or ce Dieu, qui « est venu chez les siens mais qu’on n’a pas reçu » (cf. Jn 1,11), c’est celui dont la croix scandalise ou fait passer pour fou celui qui y croit (cf.1Co 1,23). On connaît bien sûr ce passage de Paul. Or que se passe-­t-il présentement en Occident ? Le scandale de la croix scandalise-­t-il encore ? La folie d’un tel don suscite-­t-elle toujours l’étonnement ? Il me semble qu’on assiste, à travers les processus de sécularisation de l’Europe et de l’Amérique du nord,15 à une double tendance par rapport à cette croix : d’une part, il y a ceux et celles pour qui, à l’instar des croix de chemin, chapelles de procession et niches de dévotion qui jalonnent nos routes, la croix a toujours fait partie du paysage, au point où l’on a tout simplement cessé de la voir. C’est en quelque sorte ce que Stefanów appelait « la neige au Groenland » : tellement naturel, tellement ordinaire qu’on n’y porte plus attention. D’autre part, une prise en compte plus réfléchie du donné chrétien en conduit bien un certain nombre à reconnaître la folie de la croix, mais c’est alors pour la considérer comme quelque chose d’absolument déraisonnable, de non-­ croyable, comme les Aréopagites qui, rejetant toute idée de résurrection des morts, firent du passage de Paul à Athènes un magnifique exemple de tentative téméraire mais ratée d’inculturation de l’Évangile ! Dans les deux cas, le résultat est le même : que ce soit par indifférence ou en raison d’une option raisonnée, on assiste à une mise à distance massive de la référence au cœur de l’Évangile comme source de sens et repère pour une vie bonne. Cela est un constat déjà fait, sur lequel il n’est pas nécessaire d’élaborer davantage. Ce constat a cependant de quoi interroger et ce, d’au moins deux façons : en premier lieu, ce sont les causes et, du coup, ses origines, qu’il faudrait arriver à cerner ; vouloir répondre à cette question nous entraînerait loin des considérations engendrées par notre colloque ; en conséquence, en plus des abondantes réflexions de Ch. Taylor déjà évoquées, je me limiterai à référer à la désormais bien connue thèse de M. Gauchet sur le christianisme comme « religion de la sortie de 15

Nous nommons ces deux grandes aires géographiques, là où la sécularisation est le plus manifeste, tout en sachant que ces transformations socio-­religieuses ne se limitent pas à ces deux continents.

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la religion », par laquelle il montre bien comment le christianisme porte en lui-­même une dynamique telle que, partout où il s’érige en système social, il finit, à plus ou moins long terme, par faire de cette société une société laïque.16 Cela dit, quelles que soient les sources de ce processus, les propos de Stefanów sur la situation biblique en Europe conduisent à cette deuxième question : pourquoi l’Église catholique, en ces pays sécularisés, manifestet-elle une telle résistance envers une pastorale plus clairement, plus fortement inspirée par la Bible ? Cela est d’autant plus frappant que l’épiscopat de ces contrées aurait de quoi s’inspirer de celui d’Amérique latine. Chercher à comprendre cette résistance requiert sans doute d’explorer plusieurs pistes à la fois. J’en identifie deux, que j’explore à peine avant de laisser d’autres s’y aventurer plus avant. La première ne dépend pas de l’épiscopat lui-­même, mais plutôt de l’état des communautés chrétiennes dans ces pays dits « de vieille chrétienté ». Tout en précisant que mon observation couvre essentiellement les pays francophones – France, Belgique, Suisse, Québec – et le Luxembourg, il me semble que la dynamique communautaire de ces pays est fractionnée entre, d’une part, des paroisses traditionnelles vieillissantes et n’ayant que très peu d’intérêt pour un renouvellement en profondeur des pratiques pastorales et, d’autre part, des communautés dites nouvelles, dont les membres manifestent une identité chrétienne plus explicite mais à tendance plutôt conservatrice, c’est-­ à-dire nourrie davantage de liturgie et de piété que d’engagement pour la promotion de la justice et de la dignité. D’ailleurs, cet enjeu n’apparaît pas en Occident au premier plan des préoccupations pastorales comme c’est le cas en Amérique latine. Ainsi, qu’il s’agisse des vieilles communautés paroissiales ou des communautés nouvelles, la dynamique qui les anime, sans être contre l’animation biblique, ne semble y voir qu’une dimension accessoire, une source de contenu de foi certes, mais beaucoup moins un moteur de fraternité et d’engagement. Une deuxième piste peut probablement être identifiée du côté de la formation des agents pastoraux, qu’ils soient laïcs, prêtres ou encore évêques. Cet enjeu a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses réflexions au fil de notre colloque. Si je l’évoque ici, c’est simplement pour soulever la possibilité que l’absence – au moins apparente – de cette préoccupation sur le « radar » de bon nombre d’évêques ne soit en fait que le reflet de leur façon de comprendre l’organisation pastorale, une compréhension héritée de leur 16

Cf. Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, une histoire politique des religions, « Bibliothèque des sciences humaines », Paris, Gallimard, 1985, 336 p.

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propre formation théologique, où l’exégèse était une discipline parmi tant d’autres, à côté des autres. Ne touche-­t-on pas ici du doigt comment, tant que la pratique des Écritures ne sera pas considérée comme « l’âme de toute la théologie », il sera difficile d’amorcer un virage majeur vers l’animation biblique de toute la pastorale ? Acero a mis en évidence comment ce virage de la formation a été pris en Amérique latine. Reste à se demander comment réunir les conditions gagnantes pour qu’il puisse s’amorcer en Occident.

2.3 Rendre lisible et audible l’Évangile de la vie Je voudrais, pour terminer cette analyse de la situation de l’animation biblique de toute la pastorale à partir des interventions dites « géo-­ culturelles », revenir sur la situation africaine telle qu’elle nous fut présentée par G. Munana. Au terme de sa présentation, Munana s’interroge, nous interroge : « Comment donc rendre lisible et audible l’Évangile de la vie dans un contexte où la mort a imposé la prudence face à toute parole ? » « Prudence » apparaît ici comme un euphémisme pour parler de ce qu’il qualifie lui-­même ailleurs de « paralysie », d’une dramatique histoire non exorcisée, qui a créé des hommes et des femmes diminués, des personnes doutant d’elles-­mêmes parce que paralysées par la peur. De tels sentiments annihilent aussi les instances de prise de parole, publique, politique, voire évangélique.

Si Munana affirme avec conviction que, émergeant doucement de ce drame, Dieu arrivera à se faire entendre car « on n’enchaîne pas la Parole de Dieu » (2Tm 2,9), il montre tout de même à quel point ce processus demandera de dénouer des situations parfois gravement figées, et pas qu’au Rwanda, car « ce processus va au-­delà des diverses humiliations qui précèdent l’horreur, parmi lesquelles l’emprisonnement de la parole qui clame, réclame et dénonce », conduisant à un emprisonnement de toute parole, y compris celle de Dieu. Pourtant, « pour combien de temps peut­on relativiser, voire suspendre ce que Dieu veut dire aux humains dans des situations concrètes ? » Or ce que Dieu veut dire aux humains, cela n’a-­t-il pas justement à voir avec ce qui s’est déroulé et continue de se passer en Afrique ? Comment ne pas percevoir la parenté entre le drame de l’Afrique évoqué par Munana et le drame évangélique ? Mais affirmer cela suppose d’abord un renversement de pensée radical. Bien sûr, on a entendu, dans le cas du Rwanda comme dans tant d’autres ailleurs, l’argument des athées et autres agnostiques clamant qu’un Dieu d’amour ne peut exister s’il laisse faire cela ; et

Relecture théologique des interventions géo-­culturelles

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on a aussi entendu – qui de nous ne l’a pas lui-­même servie – la réponse chrétienne affirmant la nécessaire liberté laissée à l’humain, au nom de laquelle Dieu s’interdit lui-­même d’intervenir. Pourtant, probablement faut-­il franchir un « saut qualitatif » encore plus grand pour vraiment prendre conscience de ce que ces drames nous disent de Dieu. La question la plus radicale qui se pose, en théologie biblique, n’est-­elle pas précisément celle d’une « révolution copernicienne » de notre façon de dire Dieu ? « De quel Dieu parlons-­nous pour que nous puissions dire qu’il s’est révélé intégralement en Jésus ? Qui donc est Dieu pour que nous puissions dire en vérité qu’il s’est fait homme en Jésus ? »17 C’est à l’occasion d’une réflexion sur la difficulté de la théologie scolastique à assumer pleinement le donné biblique de l’Incarnation comme affirmation radicale de l’être divin, que Chauvet pose cette question. Or précisément, toute sa réflexion vise à mettre en évidence comment la métaphysique a longtemps achoppé sur cette question : Comment est-­il possible que Dieu ait pu se faire homme ? Cette question suppose que l’on sache au préalable ce qu’il en est de Dieu. Et effectivement, c’est parce qu’on le sait […] que l’on achoppe sur Jésus : puisque, selon les attributs de super-­excellence qui lui sont reconnus dès le départ, Dieu est simple, parfait, infini, immuable, éternel…, comment est-­il possible qu’il ait assumé la nature de l’homme qui est composé, inachevé, fini, soumis à la génération, au devenir et à la corruption… ? On projette ainsi a priori sur Jésus, par le biais de sa nature divine, les représentations onto-­théologiques que l’on a de Dieu.18

Chauvet enjoint donc de ne pas partir de ce que l’on sait déjà de Dieu pour y faire cadrer le Fils incarné, mais d’inverser la perspective : croire réellement que le Christ est le Verbe, et donc inférer ce qu’il y a à dire de Dieu à partir de l’Incarnation et du Mystère pascal. Cela suppose d’accepter que « le Dieu révélé en Jésus est un Dieu humain dans sa divinité », et même qu’il « n’est nulle part plus divin que dans l’humanité, la sous-­humanité du Crucifié ».19 Certes, Chauvet n’est pas le premier à le dire, mais les thèses qu’il met ici de l’avant ont de quoi bouleverser notre confort théologique. Non, Dieu n’est pas silencieux face aux holocaustes, aux génocides. Car, sans aller jusqu’à poser la thèse absurde de la nécessité du péché 17

Louis-­Marie Chauvet, Symbole et sacrement, une relecture sacramentelle de l’existence chrétienne, « Cogitatio fidei » 144, Paris, Cerf, 1987, p. 484. 18 Ibid. 19 Ibid., p. 504-505.

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Daniel Laliberté

pour que la grâce surabonde (cf. Rm 6,1), ces événements qui mettent en exergue le drame profond de l’existence humaine sont aussi ceux où le Dieu crucifié – qui pour nous n’est Dieu que parce que crucifié – manifeste le plus clairement sa paradoxale doxa (gloire) : c’est cloué sur une croix qu’il a « été élevé de terre » afin « d’attirer à lui tous les hommes », et c’est en le voyant ainsi élevé qu’on a pu voir, comme le centurion, qu’il était Dieu – JE SUIS.20 Ainsi, quand on entend G. Munana affirmer l’urgence de l’animation biblique de toute la pastorale en Afrique, comment ne pas y percevoir quelque chose de tellement plus grand, de tellement plus profond qu’une « technique d’animation pastorale » à l’aide de la Bible ! Car si Ko Maria se réjouit que la culture chinoise, si éprise de narrativité, puisse se reconnaître dans la Bible, le cri du cœur de Munana est ancré dans une toute autre expérience du « se reconnaître » dans les récits évangéliques. Le rapport à l’Écriture qu’appelle le jeune frère dominicain, c’est celui par lequel pourra se dénouer la parole parce que les sœurs et les frères africains non seulement se reconnaîtront dans les récits bibliques, mais y découvriront le Verbe lui-­même, lui qui n’est Dieu que parce qu’il est, comme eux, humain jusque dans l’anéantissement (cf. Ph 2,6-8). Or ce Dieu est aussi celui qui dit aux paralysés d’hier comme d’aujourd’hui de se lever et de marcher, rappelant ce que saint Irénée a frappé dans cette magnifique formule : « La gloire de Dieu, c’est l’homme debout ». Si Munana l’affirme prioritairement pour les peuples africains, « marqués par les blessures du passé et en quête de nouvelles raisons de reconquérir leur dignité », on peut sans doute étendre son cri d’espoir à l’échelle du globe : « Voici que la Parole de Dieu se présente comme l’unique médiateur crédible. Telle est la Bonne Nouvelle », qui permet de penser que l’animation biblique de la pastorale constitue une dynamique de vie communautaire qui peut renverser nos idées préconçues sur Dieu et aller jusqu’au cœur du mystère de l’Incarnation pour y communier intimement à ce Dieu qui « lui-­même se détermine à ne pas être Dieu sans l’homme ».21

20

Cf. Jn 8,28 ; 12,32 ; Mc 15,39. E. Jüngel, Dieu, Mystère du Monde. Fondement de la théologie du crucifié dans le débat entre théisme et athéisme, 3e édition revue, « Cogitatio Fidei » 116, tome 1, Paris, Cerf, 1983, p. 55.

21

Deuxième partie / Second part « Comprendre la question » : jeux et enjeux de résonance et de transmission / “Understanding the question”: issues and challenges of transmission and impact

Chapitre troisième / Third Chapter Origines et voies d’accès / Origins and pathways Après avoir considéré, dans la première partie, comment se présente actuellement la question de l’animation biblique de toute la pastorale, à la fois à partir de diverses disciplines théologiques et à partir de sa réception dans différentes aires géographiques et culturelles, il s’agit maintenant de voir dans quelle mesure il est possible de dégager un consensus dans la façon de comprendre la signification de l’expression animatio biblica totius actionis pastoralis. Les réflexions qui suivent veulent donc serrer d’encore plus près cette expression, pour commencer à en indiquer si possible les conséquences autant pour la pastorale que pour la formation de ses différents agents. L’ouverture de ce chapitre revient, en tout honneur, au professeur Thomas P. Osborne, longuement engagé au sein de la Fédération biblique catholique et directement impliqué dans la formulation même de cette expression. Il en retrace les origines et la progression, depuis sa naissance jusqu’à son apparition dans Verbum Domini. T. Osborne poursuit en exposant quelques caractéristiques et défis pédagogiques posés par l’animation biblique de toute la pastorale, avant de conclure en proposant une série d’options en vue de l’animation biblique de la vie et de la mission de l’Église. La présentation de Thomas P. Osborne est suivie de quatre réactions qui, s’appuyant sur les mots du professeur émérite, en proposent des prolongements théologiques, pastoraux et pédagogiques. a) François-­Xavier Amherdt, prêtre, bibliste et théologien de la pastorale, développe quelques échos possibles en vue de conférer un «  style  » évangélique à l’inculturation des Écritures dans notre contexte postmoderne, visant à permettre aux baptisés d’apprendre à « lire la Bible pour en vivre », individuellement ou en communauté, à susciter chez les étudiants en théologie le plaisir d’une lecture biblique savoureuse et à faire de la lectio divina une règle pastorale universelle. b) Jean Ehret, prêtre et théologien dogmatique, considère l’animation biblique de toute la pastorale comme une spiritualité biblique dans

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Chapitre troisième / Third Chapter

laquelle les petites communautés ecclésiales sont un espace privilégié d’actualisation de la Parole de Dieu, ce qui doit interpeller toutes les disciplines théologiques. Il propose de s’inspirer de Münch afin de permettre au texte biblique de produire chez le lecteur un « effet de vie ». Il conclut en appelant à l’intégration de l’expérience de lecture biblique en petites communautés dans la formation théologique, dans la fidélité à l’enseignement des apôtres. c) Nicolas Cochand, pasteur protestant et professeur de théologie pratique, met en évidence comment l’animation biblique, comprise comme expérience structurée de lecture communautaire de l’Écriture, permet de mettre en relation le souci pastoral et ecclésial, l’exigence exégétique et la réflexion herméneutique, afin de rendre les participants acteurs d’une écoute commune de la Parole, appelant chacun à devenir témoin de la quête et de la rencontre du Christ vivant. d) Christiane Kremer-­Hoffmann, théologienne et agente de pastorale, met en relation les réflexions de T. Osborne et la catéchèse intergénérationnelle, un modèle qui permet de développer la lecture des textes bibliques dans une certaine durée et dans le contexte d’une communauté de frères et sœurs qui s’approprient les textes en les faisant dialoguer avec leur vie. Elle se reconnaît dans les propos d’Osborne sur les attitudes requises pour qu’adviennent les effets attendus de cette catéchèse – attitudes qu’on apprend justement en fréquentant régulièrement la Bible, souhaitant que se développe une vision de la catéchèse et du travail biblique inspirée de la manière dont le Christ lui-­même entrait en relation avec les personnes. After having taken into consideration, in the first part, how the question of Biblical animation of the whole pastoral life appears, from various theological disciplines as well as from its reception in different geographical and cultural areas, arises the issue of how far a consensus can be reached in understanding the meaning of the expression animatio biblica totius actionis pastoralis. The following reflections, therefore, wish to tighten this expression even more closely, thus beginning to indicate, if possible, the consequences for pastoral care as well as for the training of its different agents. The opening of this chapter belongs, in all honor, to Professor Thomas P. Osborne, long engaged in the Catholic Biblical Federation and directly involved in the very formulation of this expression. He traces its origins and progression from its birth up to its appearance in Verbum Domini. T. Osborne continues by outlining some of the pedagogical characteristics

Chapitre troisième / Third Chapter

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and challenges posed by the biblical animation of all pastoral life, before concluding with a series of options for biblical animation of the life and mission of the Church. The lecture by Thomas P. Osborne is followed by four reactions, which, based on the words of the professor emeritus, propose theological, pastoral and pedagogical extensions. a) François-­Xavier Amherdt, priest, biblist and pastoral theologian, develops some echoes in order to confer an evangelical “style” to the process of inculturation of the Scriptures in our postmodern context, aiming to allow the baptized to learn to “read the Bible to live from it”, individually or in community, to arouse in theology students the pleasure of a tasty biblical reading, and to make lectio divina a universal pastoral rule. b) Jean Ehret, priest and dogmatic theologian, considers Biblical animation of all pastoral life as a Biblical spirituality in which the small ecclesial communities are a privileged space of actualization of the Word of God, which must challenge all theological disciplines. He proposes to find inspiration in Münch in order to allow the biblical text to produce in the reader an “effect of life”. He concludes by calling for the integration of the biblical reading experience in small communities into theological training, in fidelity to the apostles’ teaching. c) Nicolas Cochand, Protestant Pastor and Professor of Practical Theology, highlights how Biblical animation, understood as a structured experience of community reading of the Scripture, allows to connect pastoral and ecclesial concerns, exegetical requirement, and hermeneutic reflection, in order to render the participants actors of a common listening of the Word, calling everyone to bear witness of the quest and of the meeting of the living Christ. d) Christiane Kremer-­Hoffmann, theologian and pastoral worker, establishes some links between T. Osborne’s reflections and intergenerational catechesis, a model that allows the reading of Biblical texts to be developed over a period of time and in the context of a community of brothers and sisters who appropriate the texts through dialogue between the texts and their own life. She recognizes herself in Osborne’s statements about the attitudes required to achieve the expected effects of this catechesis – attitudes that one learns by being regularly in touch with the Bible, hoping that this impulse could unfold a vision of catechesis and of biblical work inspired by the way Christ himself entered into relationship with people.

Biblica animatio totius actionis pastoralis : une nouvelle perspective pour sortir de l’impasse ? Thomas P. Osborne Luxembourg School of Religion & Society / Fédération biblique catholique

Remarques préliminaires Ce colloque nous invite à approfondir l’expression Biblica animatio totius actionis pastoralis que le pape Benoît XVI a reprise dans l’exhortation apostolique Verbum Domini, sur La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église, au numéro 73. L’expression se laisse traduire facilement dans les langues latines (« animation biblique de toute la pastorale », “animación bíblica de toda la pastoral”), mais plus difficilement en anglais (“Letting the Bible inspire all pastoral work”) ou en allemand („Die Bibel als Seele der ganzen Pastoral“). Le mot « animation » en anglais s’emploie dans le contexte des dessins animés ; en allemand, dans le cadre de l’animation de groupes, on parlera plutôt de Gruppenarbeit, Gruppendynamik ou de Gruppenführung. Il semble qu’il n’existe aucun équivalent allemand pour « animation ».1 Comme toujours, on risque de perdre quelque chose, même d’essentiel, dans les traductions… Verbum Domini invite à intensifier l’apostolat biblique ou la pastorale biblique, non pas comme un secteur de la pastorale parmi d’autres, mais comme l’animation biblique de toute la pastorale. Le pape Benoît XVI exprimait dès le début de ce document sa préoccupation « pour une redécouverte de la Parole de Dieu dans la vie de l’Église, source de renouvellement constant, souhaitant en même temps qu’elle devienne toujours plus 1

Le vol. 5 « Pratique » de L’initiation à la pratique de la théologie, dirigée par Bernard Lauret et François Refoulé (Paris, Cerf, 1982-1983) comportait un chapitre sur « L’animation » et « L’animation dans la vie ecclésiale ». L’édition et adaptation en allemand de cet ouvrage (Peter Eicher, éd., Neue Summe Theologie, Freiburg, Herder, 1988-1989, et son vol. 3 : Der Dienst der Gemeinde) n’a pas repris ces considérations.

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Thomas P. Osborne

le cœur de toute activité ecclésiale » (ut ipsum magis magisque cor fiat omnis ecclesialis operae) (VD 1). À cet égard, on parle de la rencontre personnelle avec le Christ qui se communique dans sa Parole ; on parle de la nécessité d’une formation à la connaissance de la Bible selon la foi de l’Église dans le creuset de la tradition vivante et de la nécessaire préparation du clergé et des laïcs à cette fin, surtout devant l’influence grandissante des sectes. On propose également de favoriser le développement des petites communautés, « dans lesquelles seront encouragées la formation, la prière et la connaissance de la Bible selon la foi de l’Église ». On ressent dans ce document un désir de répondre à un manque à gagner, même 45 ans après la promulgation de la Constitution dogmatique sur la Révélation divine Dei Verbum du Concile Vatican II en 1965. Dans ce document, et surtout au chapitre 6 sur « La Sainte Écriture dans la Vie de l’Église », on avait élaboré une vision d’une présence renouvelée de la Bible comme nourriture pour la vie des fidèles. Déjà dans le document de synthèse du Synode des évêques destiné à « célébrer, vérifier et promouvoir le Concile Vatican II » en 1985, le Cardinal Danneels exprime ce manque à gagner d’une manière un peu curieuse, lorsqu’il écrit que Dei Verbum « peut-­être, a été trop négligée », même si Paul VI est revenu à la charge avec Evangelii nuntiandi. Le Cardinal Danneels insiste : En particulier, l’exégèse du sens original de la Sainte Écriture, si recommandée par le Concile (cf. Dei Verbum 12), ne peut être séparée de la vivante Tradition de l’Église (cf. Dei Verbum 9) ni de l’authentique interprétation du magistère de l’Église (cf. Dei Verbum 10). Il faut éviter et dépasser cette fausse opposition entre le doctrinal et le pastoral. En effet, le vrai but de la pastorale est l’actualisation et la concrétisation de la vérité du salut, qui est en soi valide pour tous les temps. Les évêques, en vrais pasteurs, doivent indiquer la bonne voie du troupeau, fortifier la foi du troupeau, écarter de lui les dangers.2

Voilà, succinctement, l’impasse mais aussi le défi et le manque à gagner, auxquels l’animatio biblica totius actionis pastoralis voudrait peut-­ être répondre : comment promouvoir dans l’Église une lecture biblique qui nourrisse et anime la vie et l’engagement responsable des chrétiens (la responsabilité pastorale) devant la multiplicité des approches du texte biblique et de ses sens multiples – la recherche du sens original du texte biblique (la responsabilité de l’exégèse scientifique), l’histoire de la réception du texte et du message biblique (la responsabilité de l’histoire de la 2



« Documents : Synode : Le texte intégral », La Croix l’événement, vendredi 13 décembre 1985, p. 21.

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spiritualité), l’interprétation biblique et la doctrine de l’Église (la responsabilité du Magistère) ? Dans ma contribution, je voudrais d’abord essayer de voir clair sur les origines, le développement et la diffusion de cette expression clé de Verbum Domini, avant de proposer une formulation des options principales qui peuvent découler de cette vision de la pastorale biblique, ainsi que des réflexions sur une pédagogie appropriée.

1. Les origines, le développement et la diffusion de l’expression La source directe de l’expression traduite en latin « Biblica animatio totius actionis pastoralis » (VD 73) est la proposition 30, élaborée pendant le Synode des évêques sur « la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église » (2008), faisant suite à l’intervention de Monseigneur Raymundo Damaceno Assis, archevêque d’Aparecida et président du CELAM à l’époque : Proposition 30 Pastorale biblique Dei Verbum exhorte à faire de la Parole de Dieu non seulement l’âme de la théologie mais aussi l’âme de toute la pastorale, de la vie et de la mission de l’Église (cf. DV 24). Les évêques doivent être les premiers promoteurs de cette dynamique dans leurs diocèses. Pour annoncer la Parole, pour l’annoncer de manière crédible, l’évêque doit se nourrir, lui le premier, de la Parole de Dieu, pour soutenir et rendre toujours plus fécond son ministère épiscopal. Le synode recommande d’intensifier la « pastorale biblique » non pas en la juxtaposant à d’autres formes de la pastorale mais comme animation biblique de toute la pastorale. Tous les baptisés participent à la mission de l’Église sous la conduite des pasteurs. Les Pères synodaux souhaitent exprimer leur plus vive estime, leur reconnaissance et leurs encouragements pour le service à l’évangélisation que tant de laïcs, en particulier des femmes, offrent avec générosité et esprit d’engagement, dans les communautés dispersées à travers le monde, à l’exemple de Marie Madeleine, premier témoin de la joie pascale.

Cette proposition reflétait l’option du document final de la Cinquième conférence générale du CELAM, tenue en 2007 à Aparecida, et synthétisant en quelque sorte l’expérience de l’Église latino-­américaine depuis des décennies :

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247. Nous rencontrons Jésus dans la Sainte Écriture, lue dans l’Église. La Sainte Écriture, « Parole de Dieu, écrite sous l’inspiration de l’Esprit Saint », est, avec la Tradition, source de vie pour l’Église et âme de son action évangélisatrice. Ignorer l’Écriture c’est ignorer Jésus Christ et renoncer à l’annoncer. De là, l’invitation de Benoît XVI : Au commencement de la nouvelle étape que l’Église missionnaire d’Amérique latine et des Caraïbes se propose d’entreprendre, à partir de cette Ve Conférence générale d’Aparecida, la connaissance profonde et expérimentée de la Parole de Dieu est la condition indispensable. Pour cela, il faut éduquer le peuple dans la lecture et la méditation de la Parole : qu’elle devienne son aliment pour que, par sa propre expérience, il voie que les paroles de Jésus sont esprit et vie (cf. Jn 6,63). Dans le cas contraire, comment annoncer un message dont le contenu et l’esprit ne serait pas connu vraiment ? Nous devons fonder notre engagement missionnaire et toute notre vie sur le roc de la Parole de Dieu. 248. Il est donc nécessaire de proposer aux fidèles la Parole de Dieu comme don du Père pour la rencontre avec Jésus Christ vivant, chemin de « conversion authentique, de communion renouvelée et de solidarité ». Cette proposition sera un moyen de rencontre avec le Seigneur si on présente la Parole révélée, contenue dans l’Écriture, comme source d’évangélisation. Les disciples de Jésus aspirent à se nourrir du Pain de la Parole : ils cherchent à accéder à l’interprétation juste des textes bibliques, à les utiliser comme moyen de dialogue avec Jésus Christ, à en faire l’âme de leur propre évangélisation et de l’annonce de Jésus à tous. De là, l’importance d’une « pastorale biblique » entendue comme animation biblique de la pastorale, qui soit une école d’interprétation ou de connaissance de la Parole, de communion avec Jésus ou de prière avec la Parole, et d’évangélisation « acculturée » ou de proclamation de la Parole. Cela exige, de la part des évêques, des prêtres, des diacres et des ministres laïcs de la Parole, une approche de la Sainte Écriture qui ne soit pas seulement intellectuelle et documentaire, mais bien qui vienne d’un cœur « affamé d’entendre la Parole du Seigneur ». (Am 8,11)3

Il est intéressant de noter comment cet engagement à Aparecida a conduit à une nouvelle manière de désigner les centres ou départements de « pastorale biblique (pastoral bíblica) » dans les diocèses et conférences épiscopales. On parlera de plus en plus de departament ou de comisión de animación bíblica de la pastoral.4 Une première utilisation de cette 3



4



Document final de la Ve  Conférence générale de l’Épiscopat latino-­américain et des Caraïbes, Aparecida, 13-31 mai 2007. Cf. La Comisión nacional de la Animación bíblica de la pastoral de la Conferencia episcopal de Chile ; Comisión de Animación bíblica de la pastoral de la Diócesis San José Diocesis de Mayo (Uruguay) ; Canarias, Plan diocesano de pastoral : “Nuestra parroquia acoge y anuncia la Palabra” : La animación bíblica de la pastoral…

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appellation dans le contexte d’institutions figure dans le titre d’un article publié en 1995 sous les noms de Rosanna Pulga et Marcelino Ramos : “Animación bíblica de la pastoral en Brasil  : ‘Servicio de Animación bíblica-­SAB’ y ‘Centro Ecuménico de Estudios bíblicos-­CEBI’.”5 Le Serviço Animação Bíblica (SAB) remonte à 1987, si mes informations sont correctes. Cette institution pastorale s’était donné comme mission de « promouvoir une lecture populaire, dynamique et libératrice de la Bible » (“promover une lectura popular, dinámica y libertadora de la Biblia”), dans la ligne des options méthodologiques et herméneutiques de l’institution « mère », le CEBI, fondé par le père Carlos Mesters en 1978. Cet article est un résumé de présentations séparées, rédigées par les auteurs nommés ci-­dessus. C’est le père Fausto Franco, prêtre du diocèse de Zaragosa et missionnaire au Brésil, qui a préparé le résumé et qui a sans doute dans son titre éditorial fait l’association entre un service d’animation biblique et l’animation biblique de la pastorale. Mais quelle est l’origine de cette expression ? L’expression biblica animatio totius actionis pastoralis trouve sans doute son origine dans un document, rédigé d’abord en français, en vue d’un symposium d’évêques « responsables de la Bible » dans leurs conférences épiscopales que le Conseil des conférences épiscopales européennes (Consilium Conferentiarum Episcoporum Europae) organisa avec la Fédération biblique catholique (FBC) à Freising près de Munich du 16 au 19 février 1994. Le document de réflexion, intitulé « Les orientations de la pastorale biblique à la fin du xxe siècle », fut élaboré au sein de la sous-­région « Europe latine » de la FBC en vue de ce symposium. C’est à Milan en 1991 que des représentants de la sous-­région eurent l’occasion de prendre connaissance de la « Scuola de la Parola » du Cardinal Martini, un des initiateurs de ce symposium. Sur la base de discussions de la sous-­région, notamment dans sa rencontre de Malte en 1992, un premier projet du document fut élaboré, puis soumis aux membres pour remarques et retravaillé lors d’une réunion tenue à Luxembourg du 7 au 10 février 1993. C’est lors de cette réunion, à laquelle ont participé le père Ludger Feldkämper, svd, secrétaire général de la FBC, le père Santiago Guijarro Oporto, coordinateur de la sous-­région et moi-­même, responsable du Service biblique diocésain à Luxembourg et chargé de la rédaction du document, que l’expression « animation biblique de toute la pastorale » fut insérée dans le texte. Le document final, dont j’ai achevé la rédaction mi-­avril 1993, fut traduit en allemand, anglais et espagnol et publié dans les différentes éditions linguistiques du Bulletin Dei Verbum, no 28,3 (1993), p. 4-8.13-17. Voici 5



Revista Misiones extranjeras, no 145, 1995, p. 34-48.

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l’extrait du paragraphe 1.2, intitulé « “Pastorale biblique” ou “animation biblique de la pastorale de l’Église” ? » : § 1.2 « Pastorale biblique » ou « animation biblique de la pastorale de l’Église » ? C’est dans ce contexte global qu’il faut situer « l’apostolat biblique » ou « la pastorale biblique ». D’abord, l’activité pastorale ou missionnaire consistait à mieux faire connaître l’Écriture sainte et son message par la distribution de Bibles ou par l’organisation de cours ou de conférences sur des thèmes bibliques. Dans ce sens, on pouvait parler de la pastorale biblique comme concernant un aspect particulier de la vie de l’Église, à savoir ses textes fondateurs. Pourtant, la pastorale biblique n’est pas à considérer comme couvrant uniquement un secteur particulier de l’Église, puisque la référence au texte biblique et à sa Bonne Nouvelle devrait sous-­tendre l’ensemble de la pastorale et de la mission de l’Église. Plus encore, en tant que témoin de la présence de Dieu dans la vie des communautés de la première et de la seconde alliance, la Bible est, avec la Tradition vivante de l’Église, une des références principales de la vie chrétienne, non seulement comme « parole » du passé, mais aussi et surtout comme parole qui nous est adressée dans notre temps. Elle peut encore aujourd’hui nous aider à guérir, à nous libérer des servitudes qui nous accablent, à lire les « signes du temps » et à trouver notre voie dans ce monde. À cet égard, il vaudrait peut-­être mieux parler de « l’animation biblique » de l’ensemble de la pastorale et de la mission de l’Église. Il s’agit de veiller à ce que le message biblique dans toute sa profondeur soit une des références fondamentales dans la recherche de la Parole de Dieu pour la communauté chrétienne et pour le monde contemporain ou, en d’autres termes, à ce qu’il anime ou inspire notre engagement de chrétiens dans tout ce que nous essayons de vivre. L’animation biblique ne peut donc se contenter de répéter l’histoire ou des histoires bibliques ou de propager un langage biblique ; elle doit permettre à cette parole venue de Dieu d’entrer en contact avec les hommes et les femmes de notre temps, avec leurs joies et leurs peines, leur espoir et leur tristesse. Dans cette vision de la pastorale biblique, il est évident que les communautés chrétiennes ne peuvent pas être de simples « consommateurs » de la Parole qui leur serait servie par quelques experts ; au contraire, ce sont ces communautés qui, en communion avec l’Église universelle, portent en premier lieu la responsabilité de l’écoute de la Parole et de sa mise en contact avec la vie concrète d’aujourd’hui, dans toute sa complexité. Ce n’est que dans cette confrontation entre la Parole biblique et la vie réelle que peut surgir la Parole de Dieu pour notre monde.

Cette option fondamentale, traduite en anglais comme « ‘Biblical animation’ of the entire pastoral and missionary activity of the Church », fut

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accueillie dans le message final du Symposium des évêques à Freising, dont l’original fut rédigé en allemand. Voici l’adresse de ce document : „An alle Bischofskonferenzen und Bischöfe, an alle, die in der biblischen Animation der Pastoral Verantwortung tragen“ (« À toutes les conférences épiscopales et tous les évêques, à tous ceux qui portent la responsabilité de l’animation biblique de la pastorale »). Le paragraphe 4.1 reprend l’option fondamentale, sans reprendre l’expression, difficile en allemand : Uns ist neu bewußt geworden, „daß jede kirchliche Verkündigung und die christliche Religion selbst sich von der heiligen Schrift nähren und an ihr orientieren“ muß (DV 21). […] 4.2 Die „Bibelpastoral” soll aber nicht ein Spezialgebiet neben anderen sein, sondern dazu führen, daß die gesamte pastorale Planung und Praxis in der biblischen Botschaft verwurzelt ist. Dazu muß auf allen Ebenen, angefangen von den Laien in den Ortskirchen bis hin zu den Kirchenleitungen, immer wieder geprüft werden, ob unsere pastoralen Aktivitäten sich am Evangelium orientieren.6

C’est à partir de ce moment que l’expression et l’option dont elle témoigne commencent à circuler dans le réseau de la Fédération biblique catholique. En 1994, c’est par un bref article paru dans la revue catholique espagnole Vida nueva, publié par la Propaganda Popular Católica (PPC) (Madrid), que Santiago Guijarro, informa le monde hispanophone du symposium des évêques de Freising et en particulier des options « animación bíblica de toda la pastoral » et « Lectio divina », qui furent discutées lors de cette rencontre et adoptées dans le message final.7 Cet article fut cité dans le livre de Cesar Mora Paz Biblia y pastoral (1998), qui représente la première réflexion en profondeur sur cette option ainsi qu’un effort pour approfondir le concept dans le cadre d’une « pastoral de conjunto », et ceci dans un document officiel du CELAM.8 Le Bulletin Dei Verbum, no 32/3 (1994) est consacré au Symposium des évêques de Freising. Le message final, signé par Monseigneur Henryk Muszynski et Monseigneur Wilhelm Egger, se trouve aux p. 7-8 dans les différentes éditions linguistiques. 7 Santiago Guijarro Oporto, “La Biblia en la vida de la Iglesia”, Vida nueva 1940, 16 de abril 1994, p. 23-29. 8 Cesar Mora Paz, Biblia y pastoral : La Sagrada Escritura en la vida pastoral de la Iglesia, presentación de Jorge E. Jiménez Carvajal, Secretario general CELAM, Santafé de Bogotá, D.C., Colombia, Consejo episcopal Latinoamericano, 1998. Voir le titre du premier point de l’introduction : “Necesidad de reflexión sobre el ser y quehacer de la animación bíblica de la pastoral” et du second point : “La animación bíblica de la pastoral”, qui cite une première fois l’article de la revue Vida nueva de Santiago 6

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Ce concept fut partagé officiellement avec les délégués de l’Assemblée plénière de la Fédération biblique catholique tenu à Hongkong du 2 au 12 juillet 1996 dans le rapport des activités et des réflexions de la sous-­région Europe latine présenté par écrit par le coordinateur sortant, Santiago Guijarro, qui n’était pas présent à l’assemblée.9 L’expression n’a pas été reprise dans le document final, rédigé par Ko Ha Fong Maria. Il fallut attendre le document final de l’Assemblée plénière suivante, tenue au Liban en 2002. Le comité de rédaction, que j’ai eu l’honneur de présider, a formulé certaines options pour la lecture de l’Écriture qu’il reconnaissait comme essentielles pour le travail de la FBC. Dans ce document, dont la rédaction fut confiée au Père Ludger Feldkämper, ancien secrétaire général de la FBC, la Fédération s’engageait, dans la ligne de la constitution dogmatique de Vatican II Dei Verbum (1965) et du document de la Commission biblique pontificale « L’interprétation de la Bible dans l’Église » (1993), – à lire le texte biblique d’une manière attentive et respectueuse ; – à reconnaître la Bible comme un phénomène pluraliste qui peut et doit être lu avec l’aide d’une pluralité de méthodes et d’approches ; – à lire la Bible et à célébrer la Parole en communauté ; – à lire la Bible dans le contexte de la vie humaine concrète ; – à proposer une lecture inculturée des Écritures ; – à lire la Bible dans la perspective des pauvres et avec une option pour les pauvres ; – à cultiver la lecture priante de l’Écriture. La conclusion de cette section du document final du Liban fut formulée ainsi :

9



Guijarro (no 11). Mora Paz aborde plus longuement les réflexions de Santiago toujours dans le même article (p. 31-33) et il finit par adopter lui-­même l’expression animación bíblica de la pastoral, de préférence aux multiples expressions possibles (movimiento bíblico, pastoral bíblica, apostolado de la Biblia, apostolado bíblico, dimensión bíblica de la pastoral) : “Nosotros, en la presente obra, preferimos llamarle, con Santiago Guijarro, ‘animación bíblica de la pastoral’, concibiendo ésta como un proceso de la Iglesia local, en torno al Obispo, de acuerdo a un plan. En esa animación estamos empeñados todos, para animar toda la vida eclesial y no deberá confundirse con la tarea de equipo promotor” (p. 33). Parole de Dieu – Source de Vie : Cinquième assemblée plénière, Fédération biblique catholique, Hong Kong, 2-12 juillet 1996, version française par R.-F. Poswick, T. Osborne, J. Stricher, Bulletin Dei Verbum, Édition spéciale, p. 110-112.

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Le mandat de la FBC est l’apostolat biblique, le ministère de la pastorale biblique, « l’animation » biblique de la pastorale de l’Église qui nourrit la vie spirituelle de l’Église et touche son être véritable. Son objectif et son mandat sont « que la Parole de Dieu devienne de plus en plus la nourriture spirituelle du peuple de Dieu, la source de la vie de foi, d’espérance et de charité pour tous et, de fait, la lumière pour toute l’humanité » (IBE, Introduction, B). Son objectif est « de faire connaître la Bible comme Parole de Dieu et source de vie » (IBE IV.C.3).10

À la suite de l’Assemblée plénière du Liban, de nombreuses publications ont poursuivi la réflexion sur l’« animation biblique de la vie pastorale de l’Église ».11 Une étape majeure de ce développement fut certes la conférence du Cardinal Martini lors du Congrès international sur la Sainte Écriture dans la vie de l’Église que la FBC organisa à l’occasion du 40e anniversaire de Dei Verbum à Rome du 14 au 18 septembre 2005. Le titre de cette conférence était en italien : Il ruolo centrale della Parola di Dio nella vita della Chiesa : L’Animazione biblica dell’esercizio pastorale.12 C’est pendant l’audience à Castelgandolfo que le Pape Benoît XVI annonça 10

“The Word of God : A Blessing for all Nations : Final Statement of the Sixth Plenary Assembly” [Lebanon, September 3-12, 2002], Bulletin Dei Verbum [Édition française] no 64/65 (2002, 3-4), p. 9-16. Voici le texte anglais original : “The mandate of the Catholic Biblical Federation is the biblical apostolate, the biblical pastoral ministry, the biblical ‘animation’ of the pastoral life of the Church, providing the Church with spiritual nourishment, indeed with its very soul (anima). Its objective and mandate is ‘that the Word of God may become more and more the spiritual nourishment of the People of God, the source for them of a life of faith, of hope and love – and indeed a light for all humanity’ (IBC, Introduction B). Its objective is ‘to make known the Bible as the Word of God and source of life’ (IBC, IV.C.3).” 11 Cf., par exemple, Pedro Ossandón B., “La Pastoral Orgánica y la Animación Bíblica de la Pastoral : Un diálogo creciente”, VI Encuentro FEBIC LAC Conosur, 29 de Septiembre al 3 de Octubre 2003 – (Santiago) Chile, paru également dans La Palabra hoy, vol. 29, no 111, 2004, p. 25-30 ; le périodique de FEBIC-­LAC La Palabra hoy témoigne de la réflexion sur l’animation biblique de la pastorale à partir de 2003 : vol. 28, no 110, 2003 ; Jesús Antonio Weisensee, “Replanteamiento de la Pastoral bíblica”, p. 11-21 ; Santiago Silva Retamales, “Animación Bíblica de la pastoral : Identidad y misión”, p. 23-32 ; Angel Mario Caputo, “Animación Bíblica de la pastoral : La Palabra de Dios, escuela de evangelización”, p. 33-36, 69-90. 12 La conférence du Cardinal Martini fut publiée dans les différentes éditions linguistiques du Bulletin Dei Verbum, nos 76-77 (2005), p. 33-38, sous les titres suivants : « La place centrale de la Parole de Dieu dans la vie de l’Église : l’animation biblique de toute la pastorale », “La Palabra de Dios en la Vida de la Iglesia : L’animación bíblica de toda la pastoral”, “The Central Role of the Word of God in the Life of the Church : Biblical Inspiration of the Entire Pastoral Ministry”, „Die Heilige Schrift im Leben der Kirche : Treibkraft der Pastoral“.

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aux participants du congrès que le prochain synode des évêques serait consacré à la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église. Ainsi rejoint-on les étapes majeures de ce cheminement, soulevées au début de cette conférence : la Conférence du CELAM tenue à Aparecida en 2007, le Synode des évêques en 2008 et l’Exhortation apostolique post-­synodale Verbum Domini en 2010. Dans l’envolée de ces événements ecclésiaux majeurs, la série de publications s’est poursuivie, et ce non seulement en Amérique latine.13 Dans cette ligne, la FBC a fait parvenir un message au Synode des évêques sur la Nouvelle Évangélisation et la transmission de la foi chrétienne en 2012.14 Les soucis reflétés dans ce message furent repris d’une manière ou d’une autre dans l’exhortation apostolique Evangelii gaudium du Pape François.15 Plusieurs rencontres continentales de la grande famille de la FBC furent consacrées à ce thème.16 Tout récemment, le département de vocations et ministères du CELAM a publié une sorte de directoire sur la pastorale biblique sous le titre : Orientaciones de Animación Bíblica de la Pastoral para América Latina y El Caribe.17

2. Caractéristiques et défis pédagogiques de l’animation biblique de toute la pastorale Cet aperçu de l’origine et de la diffusion de l’expression animation biblique de toute la pastorale ou sa forme abrégée animation biblique de la pastorale nous met à pied d’œuvre pour entrer dans le vif du sujet. Je procéderai en deux étapes. 13

On trouvera une bibliographie chronologique préparée par l’auteur de cet article à l’adresse suivante  : https://c-b-f.org/en/Materials/Biblical-Pastoral-Resources/ BATAP–Bibliography. 14 “Message of the Catholic Biblical Federation to the Synod of Bishops on ‘The New Evangelization for the Transmission of the Christian Faith’ ”, [rédaction par Thomas P. Osborne], BDV digital (English edition) 2012/4, p. 7-17, publié également en français, allemand et espagnol. 15 Evangelii gaudium 174-175 ; voir également les réflexions sur la préparation de l’homélie, nos 145-155. 16 The VIII BICAM Plenary Assembly, Kachebere, Malawi, 17-23 September 2013 ; I Encuentro Latinoamericano de Animación Bíblica de la Pastoral : “La Palabra de vida, fuente de discipulado y misión” (Bogotá, 2009) ; II Encuentro Latinoamericano y Caribeño de responsables Animación Bíblica de la Pastoral (Quito, 2016). 17 Orientaciones de Animación Bíblica de la Pastoral para América Latina y El Caribe, Bogotá, D.C., Colombia, Consejo Episcopal Latinoamericano, Departamento de Vocaciones y Ministerios, 2016.

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2. a) Le travail biblique à la recherche de son identité Nous avons constaté dans notre parcours historique une certaine fluctuation dans la manière de désigner cette activité ecclésiale en rapport avec la lecture de la Bible par les fidèles. On a parlé de « mouvements bibliques » (movimiento bíblico, katholische Bibelbewegung, puis Bibelwerk en Allemagne et en Suisse18), de l’apostolat biblique (Biblical apostolate, apostolado bíblico), de pastorale biblique (pastoral bíblica, Bibelpastoral, Biblical pastoral ministry), de l’animation biblique (Bible sharing, Bibelarbeit)… Il s’agit là de désignations qui couvrent globalement une même activité biblique (faire connaître aux catholiques la Bible et les aider à lire la Bible), mais avec quelques nuances notoires. Devant les réticences de l’Église pour mettre la Bible directement dans les mains des Catholiques suite à la Réforme, mais face à la montée de mouvements bibliques charismatiques sectaires, le pape Léon XIII, dans Providentissimus Deus, a encouragé à la fois l’étude scientifique de la Bible et une meilleure connaissance de la Bible par les fidèles, en vue de défendre ces mêmes Écritures contre ceux qui mettent en question la révélation divine qu’elles conservent. Dans ce sens, l’apostolat biblique est une activité de catéchèse missionnaire destinée à assurer une diffusion et « utilisation » (usus) de la Bible, conçue comme l’âme de la théologie,19 à des fins apologétiques, faut-­il le dire. Une meilleure connaissance de la Bible par les fidèles permettrait de mieux connaître et de vivre sa foi catholique. La pastorale biblique, plus tardive comme désignation, désigne plutôt un secteur de la pastorale qui cherche à se définir à côté d’autres secteurs de la pastorale (liturgie, catéchèse, diaconie, etc.), même si, dans la plupart des cas, la Bible reste sous la tutelle de la Congrégation pour la doctrine de la foi ou encore du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité chrétienne (au niveau de l’Église universelle) ou de la catéchèse ou de la spiritualité, par exemple, au niveau des Églises locales. Affirmer la place importante de la lecture biblique en tant que telle dans les communautés chrétiennes exige, selon la demande répétée de la Fédération biblique catholique, mais aussi 18

Gottfried Maron, Die römisch-­katholische Kirche von 1870 bis 1970 (Die Kirche in ihrer Geschichte, Bd 4,2), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1972, p. 295-299 („Die liturgische Bewegung und die katholische Bibelbewegung“) ; Franz Annen, „Der biblische Aufbruch in der katholischen Kirche und das Konzil“, in Manfred Belok, Ulrich Kropac (éd.), Volk Gottes im Aufbruch : 40 Jahre II. Vatikanisches Konzil („Forum Pastoral“ 2), Zürich, Edition NZN bei TVZ, 2005, p. 14-42. 19 “Illud autem maxime optabile est et necessarium, ut eiusdem divinae Scripturae usus in universam theologiae influat disciplinam ei usque prope sit anima.” (Providentissimus Deus, par. 16).

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de la réunion de Freising et de diverses conférences épiscopales, qu’on lui accorde une reconnaissance spécifique et un statut d’activité pastorale et de recherche académique au niveau des Églises locales et dans l’Église universelle. On ira même plus loin en parlant notamment en anglais de “Biblical pastoral ministry”, en soulevant par la tangente la question des ministres ou des serviteurs de la Parole. En tout ceci, il s’instaure une relation à trois ou quatre, pas toujours amicale, entre la pastorale biblique, l’exégèse scientifique, la théologie et le magistère. Qui a l’autorité pour se prononcer sur le sens du texte biblique, sur la manière de lire, de comprendre et de vivre la Bible et son message ? « Qu’est-­ce qui est écrit ? Et comment lis-­tu ? », c’est la double question que pose Jésus à l’expert de la Loi en Lc 10,26 : à la fois la question de la littéralité du texte, dans sa forme écrite précise, et la question herméneutique de l’interprétation et des procédés d’interprétation que l’on y applique pour en découvrir le sens. La pastorale biblique, avec son effort de faire connaître et lire la Bible par les fidèles, met en œuvre une démarche de lecture qui peut certes bénéficier de la recherche exégétique, même si celle­ci se perd parfois dans sa technicité et dans la construction d’hypothèses érigées trop vite en certitudes ; la pastorale biblique peut se laisser guider par la théologie et le magistère, sous sa forme universelle comme sous la forme de la recherche théologique. Mais parfois, la lecture biblique dans la communauté suivra son propre cheminement en fonction de l’animateur, de la méthode ou de l’approche de lecture, ou encore des vicissitudes et des défis que nous lance la vie concrète. Je pense que l’on peut utilement situer le développement de la terminologie animation biblique de toute la pastorale dans un mouvement qui passe d’animateurs de petites communautés chrétiennes de base vers l’animation de ces communautés, notamment dans le partage de la parole (avec p minuscule ou P majuscule), d’animateurs de groupes bibliques vers l’animation biblique de groupes, que ce soit des communautés de vie ou non, vers l’animation biblique de l’ensemble de la pastorale et de la mission de l’Église. Nous sommes dans une situation dans laquelle l’intelligence et la responsabilité des groupes et de leurs animateurs, le plus souvent laïques, sont interpellées. C’est dans cette expérience ecclésiale que l’on découvre que la lecture de la Bible anime, inspire, vivifie, donne une âme à la communauté et que l’on souhaite que cette lecture du texte sacré puisse vivifier et dynamiser l’ensemble de la vie de l’Église. Critique implicite, il faut le reconnaître, puisque l’on entend, entre les lignes, que ce n’est pas nécessairement le cas, sinon on n’aurait pas besoin d’y insister. Mais là, on est en bonne compagnie puisque déjà Léon XIII, le Concile Vatican II, la Commission biblique pontificale, Benoît XVI et

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François l’ont souligné à maintes reprises, chacun à sa manière. Et Benoît XVI a reconnu le défi, que les organisateurs de ce colloque ont désigné sous le terme « d’impasse », en appelant dans le numéro 45 de Verbum Domini au nécessaire renforcement du lien assidu entre pasteurs, exégètes et théologiens : L’herméneutique authentique de la foi (authentica fidei hermeneutica) entraîne avec elle certaines conséquences importantes dans le domaine de l’activité pastorale de l’Église. Précisément à ce propos, les Pères synodaux ont recommandé, par exemple, un lien plus étroit (magis assiduam necessitudinem) entre Pasteurs, exégètes et théologiens. Il est bon que les Conférences épiscopales favorisent ce type de rencontre (conventus) « en vue de promouvoir une plus grande communion au service de la Parole de Dieu » (Proposition 28). Une telle coopération (cooperatio) aidera chacun à mieux remplir sa tâche propre au bénéfice de toute l’Église. En effet, s’inscrire sur l’horizon du travail pastoral signifie, également pour les chercheurs, se trouver face au texte sacré en tant que communication que le Seigneur fait aux hommes pour leur salut. C’est pourquoi, comme l’a déclaré la Constitution dogmatique Dei Verbum, il est recommandé que « les exégètes catholiques et ceux qui s’adonnent à la théologie sacrée, unissant avec zèle leurs forces, s’appliquent, sous la vigilance du Magistère sacré, et par le recours aux moyens appropriés, à scruter les divines lettres et à les présenter si bien que le plus grand nombre possible des serviteurs de la Parole divine puissent fournir au Peuple de Dieu, de façon fructueuse, l’aliment des Écritures, qui éclaire les esprits, affermit les volontés, enflamme le cœur des hommes pour l’amour de Dieu » (Dei Verbum 23).

« Pasteurs, exégètes et théologiens » : il ne manque que le peuple chrétien pour participer activement en apportant l’expérience de la vie des communautés et de son animation par l’écoute de la Parole…20

2. b) Cinq options en vue de l’animation biblique de toute la pastorale, de la vie et de la mission de l’Église Permettez-­moi, en dernière partie de mon exposé, de proposer cinq options de lecture de la Bible dans le cadre de cette optique de l’animation biblique de toute la pastorale qui, me semble-­t-il, peuvent nous aider à trouver une sortie à cette « impasse ». Dès le point de départ, je voudrais affirmer que l’animation biblique de toute la pastorale n’est pas en premier 20

Voir Thomas P. Osborne, « Le dialogue entre pasteurs, théologiens et exégètes », in Animatio biblica totius actionis pastoralis (Verbum Domini, no  73)  : Actes de la VIIIe Assemblée plénière, Kachebere, Malawi, 17-23 septembre 2013, Biblical Centre for Africa and Madagascar (BICAM), Accra, BICAM Publications, 2014, p. 100-105.

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lieu une animation biblique d’institutions, de décisions ou de procédures ou dispositifs pastoraux ; non, c’est l’animation biblique en profondeur de personnes et de communautés de personnes qui est le fondement nécessaire à l’animation biblique de toute la vie de l’Église. Autrement dit : l’animation biblique de toute activité pastorale (animatio biblica totius actionis pastoralis) n’est qu’une étape en vue de l’animation biblique de l’ensemble de la vie de la communauté chrétienne. À cet égard, le Pape François a souligné avec force dans Evangelii gaudium la nécessité de l’évangélisation personnelle et en profondeur de ceux et celles qui annoncent l’Évangile.

Option 1 : Favoriser la lecture du texte Le premier objectif de l’animation biblique, ce n’est pas de communiquer la bonne compréhension du texte biblique, mais de lire le texte biblique, de manière active, de manière intelligente et responsable, de manière passionnée et engagée. Éveiller la passion de la lecture, qui se laisse étonner, interroger, mettre en question, encourager et réconforter par le texte. On lit le texte biblique parce qu’on l’aime. Il devient progressivement un vieil ami que l’on aime fréquenter puisqu’il interpelle et apporte quelque chose pour sa vie. Le Service biblique Évangile et Vie en France parlait d’une lecture « familière » du texte biblique. Mon ami Joseph Stricher, qui nous a quittés bien trop tôt, parlait souvent – à la suite de Marc Sevin – d’une lecture « savoureuse » de la Bible. À partir de cet amour du texte et du récit biblique, on peut être pris par le désir de mieux comprendre le texte, comment il fonctionne, en lui-­même et dans le contexte de l’œuvre entière dont il fait partie. On peut se demander comment le langage symbolique d’un récit biblique se déploie à travers l’ensemble de l’œuvre. On peut découvrir le récit d’un évangile en entier comme un parcours catéchétique spécifique, parmi d’autres… Mais ceci suppose une première gratuité dans la lecture, où le texte biblique n’est pas fragmenté en fonction d’une instrumentalisation en vue d’un devoir pastoral ou d’une argumentation théologique avec textes bibliques à l’appui. Du point de vue pédagogique, il faut s’interroger sur la meilleure manière d’éveiller le goût d’une lecture savoureuse, non seulement de morceaux choisis, délimités et très maniables, souvent objets de manipulation, mais d’œuvres complètes, une lecture du début jusqu’à la fin (la lectio continua !), qui permet de se laisser emporter et porter par la dynamique interne du récit ou du texte. Examinons de manière critique notre pratique pastorale, liturgique et même académique qui propose des introductions au texte biblique, des exégèses de l’exégèse, avant de s’aventurer à la lecture du texte lui-­même.

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Notre pratique académique scientifique communique les résultats de nos recherches techniques, détaillées sur un texte particulier et sa préhistoire jusqu’aux événements historiques, avec toutes les hypothèses d’usage. Mais est-­ce qu’elle invite à la lecture des grandes œuvres et grands ensembles de la Bible, en permettant de sentir le souffle de ce texte, avant d’embarquer dans l’analyse et la compréhension des détails ? Est-­ce que nos efforts de « bonne » vulgarisation de recherches exégétiques, où l’on présente des hypothèses historiques et littéraires qui seront amendées, voir abandonnées et remplacées très rapidement,21 peuvent porter des fruits de nourriture spirituelle ?

Option 2 : Lire la Bible en communauté, en dialogue avec la vie humaine concrète L’animation biblique de toute la pastorale passe prioritairement, non pas par la lecture individuelle, ni par l’assistance à des cours de formation biblique, mais par la lecture en communauté, ouverte aux défis de la vie humaine. Pour que la lecture biblique puisse devenir « animatrice », le groupe doit progressivement devenir un espace d’écoute et de partage de la parole – parole humaine et parole biblique, espace ouvert à la parole divine qui s’adresse à la communauté concrète. Le défi pédagogique est de taille : – Comment apprendre en groupe à s’écouter mutuellement dans le respect et l’humilité devant les balbutiements et partialités d’énoncés humains, devant une réalité complexe que l’on ne maîtrise pas ? – Comment encourager et soutenir les personnes qui par leur prise de parole apprennent à s’exprimer de manière responsable et qui se dévoilent progressivement dans une confiance à rechercher à l’égard de l’autre ? – Comment apprendre en groupe à se mettre à l’écoute du texte biblique, avec respect et sérieux, tout en admettant avec humilité la diversité de résonances qu’engendre la parole biblique dans les personnes concrètes ? Comment à cet égard apprendre aux « experts de la Bible » à résister à la tentation d’occuper le terrain par des discours homilétiques ou exégétiques pour laisser la place et le temps nécessaires à celles et ceux qui tentent de frayer leur chemin dans la lecture du texte biblique ? 21

Voir, par exemple, le sort de la théorie des quatre sources documentaires du Pentateuque, qui même si elle est fondamentalement remise en question, voire abandonnée depuis des dizaines d’années, refait surface régulièrement dans de nombreuses éditions « populaires » de la Bible.

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– Comment discerner la parole que Dieu nous adresse dans le dialogue entre parole biblique et parole qui témoigne des vicissitudes de la vie d’un chacun et de la communauté ? Comment découvrir le récit biblique, non simplement comme un document du passé, mais comme un « miroir » de et une « boussole » pour la vie concrète ?22 Ce dialogue entre la parole biblique et la vie (Palabra y vida) est une des grandes options de la lecture biblique en Amérique latine, en particulier dans la ligne du CEBI et du père Carlos Mesters, même s’il a conduit parfois à des raccourcis et des difficultés entre le magistère et les instances qui proposaient un travail biblique avec les communautés de base.23 – Comment la communauté de lecture peut-­elle assumer sa propre responsabilité dans l’écoute de la parole biblique et dans un engagement concret dans la vie, qui ne soit pas simplement l’application ou l’actualisation directe d’une parole biblique mais qui implique l’engagement de la personne et de la communauté en tant que medium responsable qui fait un discernement sérieux, en se laissant toucher par la parole biblique et les paroles humaines, dans l’humilité et le respect ? La différence fondamentale entre le prêtre et le lévite, d’un côté, et le samaritain, de l’autre, se trouve dans la sensibilité du regard : le samaritain fut pris aux entrailles par la misère de l’homme en détresse. « Comment lis-­tu ? » Le samaritain entend l’appel de la Torah : « aime ton prochain comme toi-­même », non avec le calcul de savoir « qui est le prochain », mais avec un cœur qui s’émeut devant la détresse humaine. N’est-­ce pas ainsi que l’on devient le prochain de l’autre ? – Comment apprendre en communauté non pas à vouloir définir le sens de la parole biblique mais à s’ouvrir à la recherche du sens dans et pour la vie et l’engagement de la communauté ? Paul VI a insisté sur cette double fidélité, fidélité à la parole de Dieu et fidélité aux destinataires de cette parole et à leur culture (Evangelii nuntiandi 4).

22

Voir, par exemple, “Message of the Catholic Biblical Federation to the Synod of Bishops on ‘The New Evangelization for the Transmission of the Christian Faith’ ”, BDV digital, op. cit., no 5, qui s’inspire de la terminologie du Pape Benoît XVI. 23 Le projet Palabra y vida de la CLAR a eu droit à des mises en garde du Vatican, puisque l’on a cru y trouver une interprétation des textes bibliques trop directement politique dans le cadre de la théologie de la libération. Cf. l’article d’Alberto Parra, “La hermenéutica palabra-­vida, hermenéutica de los pobres”, Revista latinoamericana de teología 6 (1989), p. 365-377, disponible à : http://www.redicces.org.sv/jspui/ bitstream/10972/1130/1/RLT-1989-018-E.pdf.

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– Comment apprendre, en vue de l’animation biblique de toute la pastorale et la vie des communautés humaines, cette humilité et ce respect devant l’autre, devant ses engagements, ses cheminements et ses croyances, tout en s’engageant dans la voie d’une communauté sensible, responsable et solidaire avec les humains de notre monde ? – Quelles sont les qualités requises pour les animateurs de ces communautés en devenir ? On connaît trop bien les dérives vers la manipulation et l’exploitation d’animateurs de communautés, très souvent marqués par une religiosité extrême. Quelle formation faut-­il proposer en vue d’authentiques serviteurs de la parole et du développement humain, plutôt que de manipulateurs et de profiteurs de toutes sortes ? Comment apprendre la critique de soi et de ses méthodes, même et surtout dans une responsabilité pastorale ? Quel type d’animation est propice à cette dynamique ? – Comment assurer le lien entre les communautés locales, d’une part, et entre les communautés locales et la communauté ecclésiale universelle, d’autre part ? Comment éviter que la communauté ne se ferme sur elle-­même ?

Option 3 : La fréquentation de la Bible nous forme et nous transforme Les « lectures » (prises au sens large) que nous fréquentons nous livrent un vocabulaire, une syntaxe, un langage, une manière de penser et de nous exprimer. Repetitio est mater studiorum ou encore Repetitio est mater memoriae, diraient les latinisants24 : la répétition est la mère des études, de l’apprentissage, de la mémoire, du conditionnement, diraient certains. Qu’est-­ce que j’apprends en lisant, en récitant, en chantant, surtout à la mode grégorienne, en priant, régulièrement, fréquemment les psaumes, par exemple ? – J’apprends les lettres, les mots et les phrases qui composent ces 150 textes fort variés ; – au-­delà des mots et des phrases, j’apprends un langage capable d’exprimer la détresse humaine devant la maladie, la mort et la violence, mais aussi la joie d’être ensemble, dans un mouvement 24

Cf. Cassiodor, De institutione divinarum et saecularum litterarum, Praefatio  7 (PL 70, 1108) : “Mater est intelligentiae frequens et intenta meditatio” = „Die Mutter des Verständnisses ist das häufige und angespannte Nachdenken“ (Hubertus Kudla, ed., Lexikon der lateinischen Zitate, München, C.H. Beck, 2007).

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de pèlerinage, de communauté ou de récit de l’histoire commune, source d’identité d’un peuple ; j’apprends un langage qui relie les défis de la vie à l’attente de secours venant de Dieu ; j’apprends une approche de la « réalité » qui n’a pas la prétention de se prononcer une fois pour toutes sur les choses de la vie, comme si j’arrivais à définir la réalité dans l’expression de ce que moi je pense être la réalité ; non, j’apprends que les réalités humaine et divine se disent en approches successives et progressives devant une réalité qui dépassera toujours ce que moi je pense pouvoir dire de cette réalité – c’est le fameux procédé du parallelismus membrorum qui nous y initie ; du coup, j’apprends l’humilité devant la réalité et devant l’autre, j’apprends les limites de mes propres jugements et énoncés, même si je deviens libre pour exprimer mes propres sentiments et émotions de manière forte, tout en reconnaissant leur caractère momentané et provisoire ; j’apprends l’attente intense (Sehnsucht, en allemand) et la patience, avec les autres, avec moi-­même et avec Dieu, la confiance et la sérénité. Je suis toujours impressionné par la pause de respiration que nous accorde la psalmodie grégorienne, au milieu du verset, si on la pratique correctement ; elle nous offre un moment de répit, de méditation et d’abandon au milieu de notre discours ; j’apprends à attendre, au milieu de la prière, une « parole de Dieu » qui surgit, selon la pratique monastique, sans introduction et sans proclamation de conclusion, devenues inutiles puisque l’on connaît le texte biblique memoriter, par cœur, selon la règle de saint Benoît.

Lire, réciter, chanter, prier les psaumes, ensemble, dans une communauté, contribuent à la création et la consolidation de cette communauté. La prière des psaumes est une véritable école d’humanité, de spiritualité et de foi qui forme et transforme cette communauté et ses membres. La prière répétée des psaumes, comme la lecture répétée d’autres récits ou textes de la Bible, nous permet d’intérioriser non seulement des paroles et des phrases, mais l’esprit, la manière de penser, et d’ainsi s’ouvrir à une réalité qui nous dépasse. Intérioriser les textes bibliques et le récit biblique, avec sa dynamique interne, nous aide à constituer en notre mémoire et en notre cœur un « imaginaire » de référence qui nous accompagne, nous interpelle et nous guide en fidèle compagnon lorsque nous tentons, tant bien que mal, de négocier les méandres de la vie.

Une nouvelle perspective pour sortir de l’impasse ?

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Connaître de l’intérieur le récit d’Abraham, de Sara et d’Agar, avec leurs espoirs et déceptions, les moments de soutien imprévus comme le courage de se mettre en route vers des terres inconnues mais pleines de promesse, peut nous aider à survivre et à revivre dans les moments de crise. Suivre le parcours catéchétique d’un évangéliste Marc, par exemple, en découvrant progressivement qui est cet homme de Nazareth qui parle et agit avec une autorité autre que celle des scribes, qui est reconnu par les démons qui emprisonnent les humains, qui invite les gens à le suivre dans le partage des ressources nécessaires pour la vie, qui les invite aussi à le suivre comme Fils de l’homme qui renonce aux jeux de pouvoir pour se mettre au service des humains, qui accepte de passer par le rejet, la souffrance et la mort sur une croix, avant d’être reconnu par un païen, le centurion romain, comme le véritable Fils de Dieu, dépassant de loin la confession de foi de Pierre – suivre cette catéchèse véritable permet d’entrer progressivement dans la relation de foi balbutiante : « Seigneur, je crois ! Viens en aide à mon manque de foi ! » (Mc 9,23-24).

Option 4 : La lecture de la Bible conduit à la rencontre du Ressuscité, Parole de Dieu et visage du Dieu vivant Selon le récit des disciples d’Emmaüs, le cœur des disciples se chauffe progressivement, alors qu’ils partagent leurs espoirs et déceptions, d’abord entre eux et puis avec cet inconnu qui les rejoint en chemin, ensuite lorsqu’il les écoute et les éclaire à partir de l’Écriture. Le dialogue et le cheminement en commun se transforment soudain en prière : « Reste avec nous, car il se fait tard » (Lc 24,29). Ce n’est que lorsque cet élan aboutit en geste de partage, simple et authentique, engageant les disciples dans cet élan de solidarité qu’est la fraction et le partage du pain, que brièvement ces disciples aperçoivent que cet interlocuteur, compagnon de chemin, est le Christ ressuscité. Le chemin de préparation est long, la rencontre illuminée brève, mais le cœur est touché, enflammé. Forts de cette rencontre, les disciples doivent, de leur intérieur, partager cette expérience avec leur communauté d’amis et avec le monde entier… Ce récit de Lc 24 a accompagné la Fédération biblique catholique, au moins depuis l’Assemblée plénière de Bogotá en 1990, sur le chemin de la pastorale biblique. De manière significative, le récit des disciples d’Emmaüs, devenu le récit par excellence de l’animation biblique de toute la pastorale, revient en guide dans le document Orientaciones de l’animación bíblica de la pastoral que le CELAM vient de publier au milieu de 2016.

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Thomas P. Osborne

Option 5 : La lecture biblique et la rencontre avec le Christ ressuscité ne laissent pas indifférent On reconnaîtra peut-­être dans le parcours que je viens d’esquisser les quatre étapes de ce que l’on appelle « Lectio divina » : lectio, meditatio, oratio, contemplatio, même s’il est illusoire de vouloir les systématiser et structurer rigoureusement. Le Pape Benoît XVI, dans son exhortation apostolique Verbum Domini, ajouta un cinquième moment : actio. Dans l’optique de la « animatio biblica totius actionis pastoralis », l’animation biblique de toute la pastorale, de toute la vie et la mission de l’Église, l’engagement des personnes et des communautés, touchées par la parole biblique, par la condition humaine et par la Parole de Dieu qui surgit au milieu de ce dialogue, ne peut que déborder dans la solidarité et dans la recherche de justice, à l’image de la venue du Règne de Dieu que proclame et réalise Jésus, comme en témoignent les Écritures de la Bible chrétienne. Comment connaître ce Jésus sans connaître les Écritures, sans être formé par elles ? Saint Jérôme répondrait : Impossible ! « Ignorantia Scripturae, ignorantia Christi ». La dernière étape de la formation des disciples avant leur envoi en mission, c’était, selon l’évangile de Luc, l’ouverture de leur esprit à l’intelligence des Écritures (cf. Lc 24,45). Cette intelligence de la parole biblique qui n’est plus seulement à trouver dans les supports de pierre, de papyrus ou de papier ou sous forme numérique, mais dans le cœur, nourrira et déterminera la forme de l’engagement concret dans les différentes dimensions de la pastorale de l’Église, que ce soit au niveau de l’annonce de la foi (kerygma), de l’engagement au service des frères et sœurs de la communauté chrétienne et au-­delà (diakonia), de la constitution et du renforcement de la communauté (koinônia) ou de la célébration liturgique (leitourgia).

Apprendre à lire la Bible au service de la compétence chrétienne : la Bible comme modèle herméneutique de la vie ecclésiale1 François-­Xavier Amherdt Centre d’études pastorales comparées de l’Université de Fribourg

Introduction : l’impulsion des deux derniers papes, à la suite de nos frères et sœurs réformés Toute l’évangélisation est fondée sur elle, écoutée, méditée, vécue, célébrée et témoignée. La Sainte Écriture est source de l’évangélisation. Par conséquent, il faut se former continuellement à l’écoute de la Parole. L’Église n’évangélise pas si elle ne se laisse pas continuellement évangéliser. Il est indispensable que la Parole de Dieu « devienne toujours plus le cœur de toute activité ecclésiale ».

Ces mots sont du pape François, dans Evangelii gaudium (EG), no 174, citant Verbum Domini (VD), no 1. Comment les traduire dans les faits, stimulés par nos frères et sœurs réformés et évangéliques ? Comment compenser enfin le déficit de mise en œuvre du chapitre 6 de la constitution de Vatican II Dei Verbum (1965), selon les vœux de Verbum Domini de Benoît XVI (2010) ?

1



Cf. François-­Xavier Amherdt, L’animation biblique de la pastorale – 120 propositions pratiques, « Pédagogie pastorale », no 12, Bruxelles, Lumen Vitae, 2017, 183 p. ; Luca Bressan et Gilles Routhier (dir.), Le travail de la Parole, « Pédagogie pastorale », no 8, Bruxelles, Lumen Vitae, 2011.

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François-­Xavier Amherdt

1. La valeur « performative » et « énergétique » de la Parole2 : la Bible comme modèle herméneutique de la vie ecclésiale Si nous croyons vraiment à la valeur « performative » de la Parole qui féconde la terre comme la pluie et la neige (Is 55,10-11), qui s’avère plus acérée qu’une épée à deux tranchants (He 4,12) et qui travaille le cœur des croyants (1Th 2,13), pour les former et transformer, il ne s’agit donc pas seulement d’ajouter aux autres activités ecclésiales un soupçon de « pastorale biblique », ainsi que le précise l’exhortation de Benoît XVI (VD 73), mais de faire de l’Écriture le principe herméneutique et énergétique de la « réforme théologique et pastorale » de l’Église catholique, 500 ans après la Réforme de Luther, et de mettre en œuvre la Biblica animatio totius actionis pastoralis (« BATAP ») afin que les agents pastoraux, l’Église et la paroisse soient effectivement ce pour quoi elles existent, selon EG (cf. no 15) : un peuple de disciples missionnaires, à la suite du Ressuscité.

2. À chaque époque, sa réponse, son modèle herméneutique biblique À différentes époques, la Bible a été prise comme modèle herméneutique, source de la formation, de la pédagogie, de la théologie, de la pastorale et de la vie ecclésiale ; et ceci, chaque fois en fonction d’un contexte et de précompréhensions donnés.

2. a) La « rupture instauratrice »3 des communautés ecclésiales de base face à la sécularisation (années 1970) : rupture par rapport à l’Église de l’époque, suite à Vatican II En présence du paradigme culturel de la « sécularisation », on prônait dans les années 1970 un retour aux premières communautés chrétiennes du Nouveau Testament comme instrument critique des institutions ecclé-

2



Cf. François-­Xavier Amherdt et Jadwiga Loulier-­Pajor, Catéchèse : la Parole au centre, « Perspectives pastorales », no 2, St-­Maurice, Saint-­Augustin, 2008, 194 p. 3 Michel de Certeau, La faiblesse de croire, Paris, Seuil, 1987, 352 p.

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siales sclérosées (cf. Mission de France, École de Francfort, communautés ecclésiales de base en Amérique latine). On a ainsi plaidé pour une Église participative, en rupture avec les formes de « chrétienté » du passé, tissée de petites communautés vivantes, pauvres, fortement impliquées dans les processus d’émancipation sociale et politique de l’humanité ; selon les images du « levain dans la pâte » (Mt 13,33) ou du « sel de la terre » (Mt 5,13). Avec, évidemment, un certain risque d’instrumentalisation idéologique de la Parole.

2. b) À la recherche prophétique d’une nouvelle visibilité identitaire (années 1980), en rupture avec la société du temps Dans les années 1980 par contre, c’est une conception de l’Église comme «  communauté sociale antagoniste alternative  » (Kontrastgemeinschaft, Gerhard et Norbert Lohfink, 1980) qui fut mise de l’avant. Au sein de la (post-)modernité «  liquide  » (cf. Zygmunt Bauman),4 on était à la recherche d’un modèle identitaire d’une religion forte face à l’insécurité ; avec le retour aux épisodes-­clés de l’histoire du peuple hébreu et des communautés de l’Église primitive, fournissant des points de repère solides. Cela comportait à la fois une dénonciation prophétique des injustices de la société (partie de déconstruction) et une affirmation du rêve de communautés justes et fraternelles (partie de construction) ; selon, cette fois, les images de la « ville sur la montagne » ou de la « lumière sur le lampadaire » (Mt 5,14-16) : les Écritures étaient ainsi assumées comme critère herméneutique fondamental d’une Église vue comme « société nouvelle », basée sur des relations fortes et durables en contraste avec le contexte « extérieur » (Katholische integrierte Gemeinde de Munich, des groupes comme Comunione e liberazione, Focolari, Sant’ Egidio, certaines communautés charismatiques). Un tel modèle se retrouve d’ailleurs à nouveau aujourd’hui, entre autres dans des communautés du Renouveau.

4

Zygmunt Bauman, Le présent liquide. Peurs sociales et obsessions sécuritaires, Paris, Seuil, 2007, 144 p. [Trad. Par Laurent Bury de Liquid Modernity, Cambridge, Polity Press, 2000] ; La vie liquide, Rodez, Éd. Le Rouergue/Chambon, 2006, 202 p. [Trad. Par Christophe Rosson de Liquid Life, Cambridge, Polity Press, 2005].

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3. Un « style évangélique » 3. a) Pour une nouvelle inculturation dans chaque contexte spatio-­temporel Il n’y a pas de modèle « prêt à porter » issu de l’Écriture : chaque époque ecclésiale est appelée à travailler pour confronter son fonctionnement et ses institutions avec les récits fondateurs de l’expérience chrétienne. Je pense en effet que l’Écriture peut servir de « clé herméneutique » d’évangélisation, pour favoriser l’inculturation de la Parole dans chaque contexte spatio-­temporel et fournir aux formations et aux expériences ecclésiales les stratégies, modalités et procédures nécessaires. L’objectif consiste chaque fois à « exécuter » (comme on « exécute » une partition musicale) le processus d’incarnation de la Parole au sein du monde et de l’histoire, apprendre à vivre selon l’Évangile et entrer en conversation avec Dieu qui se révèle à nous.5

3. b) À la suite du cardinal Martini, proposition du modèle de l’Église des Actes comme horizon de sens : en passant de Jonas à David C’est avant tout une question de « style » (d’après le vocabulaire de C.  Theobald)6 et d’«  allure évangélique  »  – selon la perspective de la pastorale d’engendrement, à l’image des rencontres et de la pédagogie du Christ initiateur7 : en essayant de « reproduire » au xxie siècle, en post-­ 5



Cf. Paul VI, Encyclique Ecclesiam suam, Rome, 1964 ; François-­Xavier Amherdt, Prêcher l’Ancien Testament aujourd’hui : un défi herméneutique, « Théologie pratique en dialogue », no 29, Fribourg, Academic Press, 2006, 709 p. (ma thèse d’habilitation), qui présente l’homélie comme une succession de « conversations » entre le monde des textes, celui du prédicateur, celui de l’assemblée, celui du contexte contemporain, etc. 6 Christoph Theobald, Le christianisme comme style. Une manière de faire de la théologie en postmodernité, « Cogitatio fidei », nos 260-261 (2 tomes), Paris, Cerf, 2007. 7 Voir les deux ouvrages dirigés par Philippe Bacq et Christophe Theobald, Une nouvelle chance pour l’Évangile. Vers une pastorale d’engendrement et Passeurs d’Évangile. Autour d’une pastorale d’engendrement, coll. « Théologies pratiques », Bruxelles / Montréal / Paris, Lumen Vitae / Novalis / L’Atelier, 2004 et 2008 ; François-­Xavier Amherdt et Marie-­Agnès de Matteo, S’ouvrir à la fécondité de l’Esprit. Fondements d’une pastorale d’engendrement, « Perspectives pastorales », no 4, St-­Maurice, Saint-­Augustin, 2009, 219 p. ; François-­Xavier Amherdt et Pierre Vianin, À l’école du Christ pédagogue. Comment enseigner à la suite du maître ?, « Perspectives pastorales », no 5, St-­Maurice, Saint-­Augustin, 2011, 293 p.

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christianisme, de manière efficace, l’action évangélisatrice du Christ et des apôtres ; selon le principe d’« homologie des rapports ». Pour que les agents pastoraux, les paroisses et communautés chrétiennes soient véritablement missionnaires (cf. EG 28), dit le cardinal Martini, nous sommes appelés à redécouvrir, à revivre et à actualiser la manière de voir, de juger et d’agir des apôtres, des premiers évangélisateurs et des premiers disciples : leurs attitudes et leurs choix, leur amour pour le Seigneur Jésus, leur obéissance au Père, leur docilité à l’Esprit saint, leur constante attention à la Parole, leur régénération intérieure, leur charité créative envers les frères, leur élan missionnaire.8

Ce « style » biblique, prophétique et missionnaire, serait, par exemple, ajoute l’ancien archevêque de Milan, de passer de la peur de Jonas qui fuit devant la grande cité de Ninive, au courage de David qui ose affronter le géant Goliath.

4. Apprendre à lire la Bible au service de la compétence chrétienne Comment procéder pour mettre en œuvre la « BATAP » et susciter le style prophétique et missionnaire ?

4. a) Au niveau individuel et communautaire des disciples missionnaires : apprendre à lire pour vivre9 Il ne s’agit donc pas seulement de donner des informations exégétiques sur les textes, mais pour tous, d’apprendre à « lire » et à « pratiquer » l’Écriture, au service de la « compétence » (art de vivre) chrétienne, à l’heure des changements anthropologiques actuels ; selon l’adage : « mieux vaut apprendre à l’autre à se servir d’une canne à pêche que de lui donner dix poissons ». Cela peut se vivre notamment en petits groupes et communautés ecclésiales, à l’exemple des expériences de lectures suivies de livres 8



9



Cf. Amherdt, L’animation biblique de la pastorale, op. cit., citant Carlo Maria Martini, Lettera di presentazione alla Diocesi. Milano Sinodo 47o, Milano, Centro Ambrosiano, 1995, p. 27. Cf. André Fossion, Dieu désirable. Proposition de la foi et initiation, « Pédagogie catéchétique », no 25, Bruxelles / Paris, Lumen Vitae / Novalis, 2010, 294 p. ; André Fossion et Jean-­Paul Laurent, Lire pour vivre. 70 lectures de textes évangéliques, Namur / Angers, Lumen Vitae / CRER, 2016, 250 p.

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bibliques comme « L’Évangile à la maison », vécues dans de nombreux diocèses,10 en une approche «  familière  », populaire et savoureuse de l’Écriture. Quelle méthodologie est-­elle à mettre en œuvre ? Il convient de mobiliser le monde du texte biblique dans le monde des lecteurs, c’est-­à-dire lire pour vivre et mieux vivre. Cela peut s’opérer par «  transfert  » ou « greffe » du message de l’Écriture dans le contexte actuel, « par tissage, ou par vibration ou résonance en sympathie »,11 afin de produire des effets de sens inédits, de montrer la pertinence de la Parole (relevance en anglais, Bedeutung en allemand) au service de la liberté spirituelle, de la vitalité des communautés chrétiennes, de l’humanisation de l’histoire et de l’évangélisation de l’humanité.

4. b) Au niveau de l’enseignement universitaire académique et des étudiants en théologie Des règles herméneutiques sont requises pour l’enseignement académique en Faculté  : il est indispensable de mettre en place des pratiques, des règles herméneutiques de lecture de l’Écriture en Église (cf. Dei Verbum 12), adoptées autant par les exégètes et les théologiens que par le Magistère, au service du peuple de Dieu : 1) respecter le texte avec rigueur ; 2) pratiquer l’intertextualité au sein du canon, puisque la Bible est symphonique, à voix multiples ; 3) lire à la lumière du mystère de la foi en son organicité (selon le principe de l’analogia fidei) ; 4) apprendre aussi à l’Université, dans les Instituts et les Séminaires, à lire en groupe et en communauté ecclésiale ; susciter le désir et le plaisir de la lecture, également chez les étudiants et biblistes ! Il s’agit donc de proposer des méthodes scientifiques appropriées, une théologie de l’interprétation, selon les trois mimèsis de Paul Ricœur, par conversations successives entre le texte et le lecteur, au service de la lecture : 1) un temps de lecture et de réactions spontanées (étape de la préfiguration, mimèsis I) ; 2) un temps d’analyse de l’amont du texte (derrière / avant le texte) : méthodes historico- et socio-­critiques ; 3) un temps d’analyse du texte en lui-­même, dans son état actuel : méthodes 10

Comme en Suisse romande, dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. Voir pour le canton de Vaud : http://www.cath-vd.ch/cvd_training/levangile-a-la-maison/. 11 Cf. Étienne Grieu, Une manière d’envisager la théologie pratique – intervention auprès du Groupe de Santiago, Paris, avril 2016 (Actes à paraître  ; disponible en format PDF à l’adresse https://www.academia.edu/25476908/Une_maniere_denvisager_la_ theologie_pratique).

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littéraires, narratives, rhétoriques ; 4) un temps de réponse théologique et de lecture selon les vertus théologales (étape de la configuration, mimèsis II) ; 5) enfin, un temps de recontextualisation (étape de la re- ou trans-­ figuration, mimèsis III) et d’appropriation existentielle (par transfert ou greffe dans le monde du lecteur), pour aller au bout de « l’arc herméneutique » et vivre une rencontre personnelle avec le Christ. Comme dit Ricœur, le but est d’expliquer plus pour comprendre mieux12 (ou la critique et la conviction13).

5. La lectio divina comme règle pastorale au niveau communautaire Je pense qu’il convient également de considérer le niveau des institutions, procédures et décisions ecclésiales, si nous voulons que la « BATAP » se concrétise vraiment.

5. a) À l’écoute des signes de l’Esprit L’idée serait de faire de l’écoute de l’Écriture, sur le plan diocésain, à tous les niveaux (dans les instances diocésaines, régionales, paroissiales et locales) et dans tous les domaines de la vie ecclésiale – autant dans la catéchèse kérygmatique et mystagogique (cf. EG 160-162) que pour la prédication (nos 135-159), l’accompagnement personnel (nos 169-173), la diaconie et la justice sociale (nos 177-239) – une sorte de « gymnase » pour s’entraîner au discernement des signes de l’Esprit aujourd’hui [cf. Gaudium et spes (GS) 4]. C’est par exemple le cas dans le Jura pastoral (Suisse), avec la démarche « La Parole au centre » : chaque rencontre (catéchistes de la confirmation, équipe pastorale, groupe de prière des mères, groupes Caritas, etc.) commence par un long temps de lectio et de partage de la Parole, en général avec les textes de la liturgie dominicale à venir. Cela sert aussi de base

12

Selon la visée herméneutique de Paul Ricœur, cautionnée par le document de la Commission biblique pontificale, L’interprétation de la Bible dans l’Église, Paris, Cerf, 1994, et présentée dans ma thèse L’herméneutique philosophique de Paul Ricœur et son importance pour l’exégèse biblique. En débat avec la New Yale Theology School, « La nuit surveillée », Paris / St-­Maurice, Cerf / Saint-­Augustin, 2004, 871 p. 13 Selon le titre de l’ouvrage de Paul Ricœur, La critique et la conviction, Paris, Calmann-­ Lévy, 1995, 300 p.

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pour la prédication du prêtre, du diacre (ou de l’agent pastoral) présent au groupe. Cela implique un style contemplatif de disponibilité à la Parole et à la promesse de l’Alliance, d’après une coloration ignatienne de « contemplation de l’Écriture » en fonction de tous nos sens, afin de rendre les communautés chrétiennes témoins des Béatitudes et missionnaires par attraction, rayonnement et contagion.14

5. b) Ménager des étapes pour cette méthode de lectio communautaire et de corrélation Bible / pastorale (explicitées par le cardinal Martini) 1) Lectio : un moment fort d’écoute de la Parole et de mémoire ecclésiale pour reconnaître les traces de pas du Seigneur (ce que disent les textes) ; 2) Meditatio : un moment de réflexion et d’interprétation individuelle et communautaire – guidées par des exégètes et théologiens (ce que nous disent les textes) ; 3) Deliberatio et discretio : un temps de discernement et d’intuition lucide des actions à entreprendre, des objectifs vers lesquels tendre  – avec des théologiens de la pastorale (ce que les textes nous proposent de faire) ; 4) Oratio et contemplatio : un temps de concentration dans la prière et d’unification des ressources et énergies / cœur profond, intelligence et volonté (que dire au Seigneur à partir des textes ?) ; 5) Contemplatio et actio : un moment de contemplation, puis de mise en œuvre – accompagnée, évaluée, rectifiée – et de ré-­immersion dans la vie par l’annonce et le témoignage (que dire au peuple de Dieu et faire avec lui à partir des textes ?). Nous signalons également les méthodes anglo-­saxonnes, selon les termes mnémotechniques : – des trois H : Hearing (écouter) ; Happening (rencontrer le Christ) ; Hoping (s’ouvrir à l’espérance dans la prière) ; – ou des trois D : Discover (découverte du texte dans son étrangeté) ; Dream (ce qu’il donne à rêver, le monde qu’il déploie) ; Do (ce qu’il propose de faire ou de mettre en œuvre).

14

Carlo Maria Martini, “Alzati, va’ a Ninive, la grande città” : Lettera ai pastori e alle comunità della città sulla evangelizzazione, Milano, Centro Ambrosiano di documentazione e studi religiosi, 1991, cité par Luca Bressan, « Une pastorale à l’écoute de la Parole », in Routhier et Bressan, Le travail de la Parole, op. cit., p. 57-80, ici p. 78.

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5. c) Pour tous les synodes et autres démarches diocésaines15 Comment traduire dans ces démarches la place prépondérante de la Parole de Dieu ? 1) Comme au concile, installer rituellement le Livre de la Parole comme « président » des séances ; 2) Faire appel non seulement à des dogmaticiens, historiens, sociologues, psychologues et pastoralistes, mais aussi à des biblistes et des exégètes comme experts du synode ;16 3) Lire la Parole en dialogue avec des documents du Magistère (Gaudium et spes, Evangelii nuntiandi, Redemptoris missio, Evangelii gaudium, Lettre aux catholiques de France. Proposer la foi dans la société actuelle), comme le font les ouvrages du théologien chilien Luis Martinez ;17 4) Vivre cette « herméneutique pastorale » des Écritures comme un lieu éminent pour faire émerger les peurs et les rêves, grâce au texte « miroir de nos existences » (au sens de concentration de la lumière dans le Verbe) et « boussole de nos pratiques » (que faire avec le peuple de Dieu en pastorale) ; 5) Afin d’opérer un discernement théologique et « mystique » sur notre réalité (surtout) urbaine postmoderne, marquée par de profondes mutations anthropologiques18 (cf. EG 71-75) et de réfléchir aux conditions de possibilité d’une transformation de l’agir pastoral, à la fois en renonçant aux structures caduques (visée prophétique), et en posant des « actes instituants » nouveaux qui font croître l’Église19 (visée missionnaire) ; 6) Et pourquoi pas, comme le 15

Cf. Arnaud Join-­Lambert, Synodes et concile en France. Bilan et perspectives, « Documents Épiscopat », no 5, Paris, Secrétariat de la Conférence des évêques de France, 2016, 56 p. 16 J’ai à l’esprit les trois expériences de dialogue évêques – théologiens – exégètes que j’ai vécues en 2015 avant la 2e session du Synode sur la famille (à Rome, Allemagne – France – Suisse et à Berne avec la Conférence des évêques suisses), puis ce 9 mars 2017, après la parution d’Amoris laetitia (avec les responsables suisses de la pastorale de la famille). 17 Voir à ce propos les ouvrages dirigés par Luis Martinez avec l’équipe de pastorale biblique du Luxembourg, qui font dialoguer, selon la méthode de la lecture populaire de l’Écriture dans les communautés ecclésiales vivantes de base, un livre biblique avec un document du Magistère, pour dégager la force libératrice et dynamique de l’un comme de l’autre : Lecture en communauté de l’évangile de Matthieu ; Les Actes des apôtres en dialogue avec Vatican II ; Actualité de la Parole prophétique. Gaudium et spes à la lumière des prophètes et Un message d’espérance et de libération. L’évangile de Luc en dialogue avec Evangelii gaudium, parus dans la collection « Sens et Foi », Bruxelles, Lumen Vitae (le dernier sur Luc en 2015). 18 Voir le dernier colloque de l’ISPC à Paris, du 7 au 10 février 2017, « Être initié à l’heure des mutations anthropologiques ». 19 Cf. Gilles Routhier, « L’Église naît de la Parole », in Routhier et Bressan, Le travail de la Parole, op. cit., p. 123-138.

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propose VD, à titre symbolique, répandre beaucoup plus abondamment le ministère institué du « lectorat » – y compris pour les femmes, ainsi que l’avaient proposé les évêques au terme du synode sur la Parole – et l’attribuer aux personnes chargées de mettre en place la « BATAP » ! Que la Parole donne la parole à toutes et tous, une parole de dé-­ libération (libérée), de synodalité, bref d’Église.

Lecture de la Bible en petites communautés et théologie Jean Ehret Luxembourg School of Religion & Society

1. Une pratique de lecture qui défie la théologie académique Quand Tom Osborne parle de l’animation biblique de toute la pastorale, il ne présente pas quelque sujet abstrait ; sa contribution résume son engagement passionné, intellectuel et pastoral, tant au niveau national qu’international, pour que la Bible puisse nourrir la vie des fidèles et des communautés ecclésiales. Son texte est en même temps un témoignage, une réflexion et un programme. On me demande de réagir en tant que théologien systématique, voire en dogmaticien. Or le sujet qui nous est présenté dépasse la compétence d’une seule discipline car Osborne promeut en fait une spiritualité biblique dans laquelle les petites communautés ecclésiales sont un espace où la Parole de Dieu s’actualise dans l’Église et par conséquent l’oblige. La lecture des Écritures, tout comme le discernement auquel cette lecture conduit, impliquent toutes les disciplines théologiques ; de plus, la lecture est en elle-­même un exercice théologique complexe. Tom Osborne présente une démarche théologale structurée, avec une méthode réfléchie, dont les petites communautés ecclésiales sont le sujet théologisant1  : participant de la foi de l’Église qu’elles célèbrent avec leurs pasteurs, elles relisent, scrutent, méditent et partagent les Écritures 1



Cf. Pape François, « Message-­vidéo au Congrès international de théologie de l’Université pontificale catholique d’Argentine (Buenos Aires, 1-3 septembre 2015) », 2015 : « Ne l’oublions pas, l’Esprit Saint chez le peuple qui prie est le sujet de la théologie ». Cette formule préserve, d’une part, l’idée que Dieu est le sujet de la théologie (cf. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, I, 1, 7) en tant que Dieu se communiquant et, d’autre part, elle permet de parler des communautés comme « sujet » de la théologie au sens de l’acteur engagé et producteur du discours humain.

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et mettent individuellement et communautairement en pratique ce qui les interpelle. Ainsi cherchent-­elles à comprendre Dieu dans le concret de leur vie, et à comprendre le monde ainsi qu’à se comprendre elles-­ mêmes dans leur relation à Dieu, actualisant ainsi la démarche de la fides quaerens intellectum. Certes, telle parole, telle scène des Écritures peut devenir un appel bouleversant toute une vie ; mais l’auto-­actualisation de la Parole dans l’Église ne se fait pas par voie de « communiqué » céleste ou « tweet » de l’Esprit Saint. Elle s’effectue à travers un chemin de recherche, l’expérience des engagements pris, la confrontation de positions parfois contradictoires au sein d’une même communauté, entre plusieurs communautés ou dans l’Église universelle. Elle demande un vrai discernement ecclésiastique, dépassant le cadre de la vie des individus comme des petites communautés elles-­mêmes. Il s’agit d’un processus historique complexe, non linéaire, expérimental, qui ne se fait pas en un tour de main ni sans conflits, dans lequel le magistère et les théologiens ont leur place, conjointement avec ceux et celles qui témoignent de leurs expériences concrètes, des fruits et des dommages de leurs démarches inattendues. La démarche réflexive, l’intelligence critique y tiennent un rôle important, sans porter préjudice aux paradoxes et à cette folie qui font toujours partie de la sequela Christi. Les Écritures et l’histoire de l’Église témoignent de telles périodes de croissance spirituelle incluant, dans la continuité de la foi, essais, divergences, disputes voire des rappels à l’ordre et corrections et qui s’étendent normalement sur une période prolongée. À la considérer comme telle, la démarche qu’Osborne préconise dérange le théologien2 professionnel dans son laboratoire théologique universitaire compartimenté en disciplines. Elle donne à la théologie un nouveau Sitz im Leben. Elle ne prétend pas éliminer ou remplacer le théologiser scientifique car « la théologie, la foi en œuvre d’intelligence théologique, est vraiment et proprement un facteur de vie spirituelle  ».3 Mais elle demande de repenser le rapport entre la spiritualité ou la vie théologale, d’un côté, et la théologie, de l’autre côté, pour le resserrer. Ce que la démarche d’Osborne requiert, c’est « une théologie digne de ce nom, […] une spiritualité qui [ait] trouvé des instruments rationnels adéquats à son expérience religieuse ».4 Cette démarche réflexive, méthodique, consciente de ce qu’elle fait, de son histoire (incluant ses 2

Le texte donne couramment uniquement la forme masculine sans aucune intention de discrimination. 3 Marie-­Dominique Chenu, « Une école de théologie : le Saulchoir », in Id. et al., Une école de théologie : le Saulchoir, « Théologies », Paris, Cerf, 1985, p. 91-176, p. 145. 4 Ibid., p. 148-149.

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perversions) devient la prolongation, l’approfondissement, l’appropriation intellectuelle et l’expression critique (dans le sens kantien et dans le sens de jugement) d’une vie (terme plus global qu’expérience) spirituelle, c’est-­à-dire animée par la vie théologale (qui est toujours ecclésiale, ce qui est plus qu’institutionnelle), nourrie par l’ensemble du donné révélé qui ne se laisse pas réduire à la Bible. Elle est pratiquée par des érudits chez qui le corps ne disparaît pas au profit d’un pur esprit et qui sont restés les fils de leurs terres, époques et cultures. C’est une théologie vivante, le travail de théologiens qui regardent, écoutent, ressentent, apprécient la riche complexité de la réalité avec ses tensions existentielles, qui aiment Dieu, son peuple de fidèles pécheurs, mais aussi le monde et tous ses habitants ; ils se débattent pour dire une parole qui indique le chemin, contribue au discernement, à la Vérité. Aussi le pape François interroge-­ t-il les théologiens ainsi : « À qui pensons-­nous lorsque nous faisons de la théologie ? Quelles personnes avons-­nous en face ? Sans cette rencontre avec la famille, avec le Peuple de Dieu, la théologie court le grand risque de devenir une idéologie ».5 Saint Augustin a une histoire et il écrit pour des gens avec leur histoire ; il en est de même pour saint Thomas d’Aquin ou encore sainte Thérèse d’Avila, pour ne citer que ceux-­ci. Assumant le plus contingent de leur condition, ils contribuent au discernement de la Parole de Dieu qui les oblige et laissent à d’autres générations une œuvre capable de nourrir même ceux qui vivent dans des contextes très différents. De plus, ils font un effort de synthèse qui dépasse une seule discipline. En d’autres termes : la théologie comme science se fait réflexion critique et contribution au discernement d’une théologie vécue comme actualisation de la Parole dans l’écoute des Écritures. Une telle théologie scientifique est, évidemment, analogiquement christique. Ma réponse à Tom Osborne ne saurait développer tout ce programme ; il est impossible de le faire sans s’engager dans l’expérience des petites communautés elles-­mêmes. Mais j’aimerais y contribuer à travers une triple démarche. Dans un premier temps, je vais relire l’intervention de Tom Osborne et attirer l’attention sur quelques aspects critiques ; je présenterai ensuite quelques éléments d’une esthétique littéraire capable de nourrir une spiritualité biblique ; je terminerai en proposant quelques pistes d’intégration de l’expérience de lecture des petites communautés dans l’enseignement théologique. Partant d’une problématisation, nous passerons d’abord à une esthétique puis à une poétique théologiques, le tout n’étant que l’esquisse d’une démarche qui mérite d’être développée ultérieurement. 5



Pape François, « Message-­vidéo… », op. cit.

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2. Lire, écouter, discerner – dynamique (conflictuelle) de l’animation biblique de toute la pastorale La présentation de Tom Osborne est divisée en trois parties. Les remarques préliminaires présentent le cadre dans lequel se comprend le titre de son intervention : l’expression biblica animatio totius actionis pastoralis est située dans un contexte doctrinal qui remonte de l’exhortation apostolique post-­synodale Verbum Domini6 de 2010 au Concile Vatican II et à sa constitution dogmatique sur la Révélation Dei Verbum, promulguée en 1965. La question qui s’impose à l’auteur est de savoir comment la « Parole de Dieu » et la Bible peuvent être une source qui dynamise la vie des fidèles et de l’Église entière. Dans ce cadre, le « développement des petites communautés »7 retient toute son attention, non seulement grâce à l’expérience des pays en voie de développement mais aussi en vue des régions sécularisées devenues nouvelles terres de missions. Il cite le Cardinal Danneels affirmant que « le vrai but de la pastorale est l’actualisation et la concrétisation de la vérité du salut, qui est en soi valide pour tous les temps ». Tom Osborne mentionne à deux reprises « un manque à gagner » par rapport à la connaissance de la Bible selon la foi de l’Église. Par-­là, il n’entend donc pas insister sur une activité qui n’aurait pas été suffisamment développée, mais il déplore une déficience d’actualisation du salut par un manque de vie biblique. Le reproche est très fort ; il peut jusqu’à un certain point se référer aux documents du magistère plaidant pour une pratique accrue des Écritures ; il suscite nombre de questions. Quelles seraient les raisons d’un manque à rattraper ? S’agit-­il d’un refus de la part de certaines autorités, d’un manque de préparation de ceux qui sont chargés d’annoncer la Parole de Dieu, d’un manque d’intérêt de la part des fidèles, d’une fausse mentalité ? Ou bien existe-­t-il d’autres raisons qui font qu’il n’est pas facile de mettre en œuvre une « animation biblique » dans la Tradition vivante, de façon qu’elle ne soit ni fondamentaliste ni relativiste ? De qui l’auteur se fait-­il ici la voix ? Quelles sont les expériences positives qui ne sont peut-­être pas assez développées ? Osborne y revient, sans polémique, plus loin dans sa présentation, du moins en ce qui concerne, dans l’herméneutique biblique, la démarche de l’exégèse, la place du peuple de Dieu et la fonctionnalisation même de la Bible réduite à des extraits, voire à des citations choisis en vue de ce que l’on veut (lui 6



7



Benoît XVI, Verbum Domini. Exhortation apostolique post-­synodale aux évêques, au clergé, aux personnes consacrées et aux fidèles laïcs sur la Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Église, Éditions Fidélité, Namur, 2010. Ibid., nos 73 et 85.

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faire) dire. Je pense que la part imprévisible et incontrôlable d’une telle démarche joue aussi. En tout cas, on sent la volonté de l’auteur de ne pas s’arrêter à répéter comme un mantra l’expression animation biblique de la pastorale (tout comme « l’Écriture est l’âme de la théologie ») mais de faire en sorte que se réalise ce qui est affirmé et souhaité. Du point de vue du dogmaticien, il faudrait, avant de parler de cette « animation », clarifier la signification des expressions « la Révélation », la « Parole de Dieu », la parole du Christ (« le Christ qui se communique dans sa Parole », avec majuscule), la Sainte Écriture, la Bible, la Tradition et préciser leur relation.8 Il importe également de différencier l’emploi de ces expressions9 pour éviter la confusion et permettre le discernement nécessaire. Il devrait s’y ajouter une mise au point concernant les « lieux théologiques » et la pratique de relecture des événements historiques à la « lumière de l’évangile ».10 Tout ceci contribue à décrire, analyser comprendre, suivre, voire influencer le processus de discernement nécessaire avec l’ensemble de ceux qui y sont engagés et, enfin, de théologiser autrement pour y contribuer. Le besoin de clarifier les concepts, leur relation mutuelle et leur fonction en théologie se confirme, notamment en ce qui concerne une perspective trinitaire, dans la deuxième partie de l’exposé. Notre ancien collègue y relate « les origines, le développement et la diffusion de cette expression-­clé de Verbum Domini », l’animation biblique de toute la pastorale. On ressent à nouveau et de façon intense la volonté de l’auteur que la Parole de Dieu entre en contact avec la « vie concrète d’aujourd’hui, dans toute sa complexité. Ce n’est que dans cette confrontation entre la Parole biblique et la vie réelle que peut surgir la Parole de Dieu pour notre monde ». La Bible, et Tom Osborne ne cesse de le répéter, n’est pas une parole muséale ; elle peut devenir, à la réception, Parole de Dieu actuelle, concrète, interpellation forte, réorientation de la vie, perspective pour un monde meilleur et espérance de salut éternel. Dans cette partie, on comprend combien le 8

T. Osborne ne manque pas de souligner à plusieurs reprises le lien entre Bible et Tradition, mais la mise en œuvre concrète de ce rapport intrinsèque n’apparaît pas réellement dans son texte, si bien que cette formule-­ci revient plus sur le mode incantatoire qu’elle ne présente une réalité vécue. Il faut cependant admettre que la conférence de Tom Osborne est une synthèse qui ne peut tout développer, et souhaiter qu’un manuel d’animation biblique de la pastorale s’écrive à plusieurs mains travaillant non pas des chapitres juxtaposés mais un texte commun. 9 Cf. ibid., no 7. 10 Cf. par exemple Marie-­Thérèse Desouche, « L’histoire comme lieu théologique et fondement de la théologie pastorale », Nouvelle Revue Théologique 116 (1994/3), p. 396-417.

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désir d’une animation biblique de toute la pastorale s’inscrit dans l’histoire de l’Église latino-­américaine. On ressent un besoin de proposer une pratique intense de la Bible, lecture ancrée dans l’Église, accessible à un grand nombre de fidèles, notamment face à la montée massive des communautés pentecôtistes. Enfin, on saisit le rapport à la théologie de la libération, directement visible à travers la référence à Carlos Mesters. Ici, le théologien s’interroge – sans préjuger de l’intention de Tom Osborne – sur les buts d’une animation biblique de la pastorale. Parmi ceux qui sont nommés, la connaissance de Dieu en lui-­même11 n’apparaît pas. Il est donc permis de se demander jusqu’où la Bible pourrait être réduite à un « message » qui n’en retient qu’un aspect (p. ex. la consolation), voire un programme socio-­politique ou, plutôt dans nos régions, un programme de bien-­être (pseudo-)spirituel défini a priori. Le théologien relève dans la même perspective tout ce qui contribue à inscrire encore davantage la vie du peuple de Dieu dans l’herméneutique biblique. C’est ce que souligne le Pape François : « Les questions de notre peuple, ses peines, ses combats, ses rêves, ses luttes, ses préoccupations possèdent une valeur herméneutique que nous ne pouvons ignorer si nous voulons prendre au sérieux le principe de l’incarnation. Ses questions nous aident à nous interroger, ses interrogations nous interrogent. Tout cela nous aide à approfondir le mystère de la Parole de Dieu, Parole qui exige et demande à ce que l’on dialogue, que l’on entre en communion »,12 avec Dieu et les prochains. Dieu est libre et fidèle ; il conduit les croyants vers des horizons nouveaux dans la continuité de sa Révélation ; « il s’entretient [lui-­même] avec eux (cf. Ba 3,28) pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie ».13 Puisqu’il s’agit d’un dialogue, l’herméneutique biblique ne peut pas non plus se limiter ni au travail philologique ni à la théologie positive ni à une théologie spéculative livresque, séparée de la vie de foi de personnes et communautés concrètes, comme le souligne encore le pape François par rapport à la Tradition : « […] toute tentative, toute recherche pour réduire la communication, pour rompre le rapport entre la Tradition reçue et la réalité concrète, met en danger la foi du peuple de Dieu ».14 Et cette exigence de communication synthétise en fait le cœur de la démarche qui consiste à « prendre le chemin de la réflexion, du discernement, à prendre très au sérieux la tradition ecclésiale et très au sérieux la réalité, en les faisant 11

13 14 12

Benoît XVI, Verbum Domini, op. cit., nos 2, 30, 93, 100. Pape François, « Message-­vidéo », op. cit. Vatican II, Dei Verbum, no 2, cf. aussi no 21. Pape François, « Message-­vidéo », op. cit.

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dialoguer ».15 C’est dans le processus du discernement, qui est autre chose que, d’une part, la simple application d’une norme préexistante ou, d’autre part, la révolte, que convergent tous les aspects que nous avons évoqués jusqu’à présent. Comme nous l’avons déjà signalé plus haut, le discernement ne se fait pas de façon abstraite, mais il est toujours l’expression d’une relation concrète entre une communauté ecclésiale et ses fidèles, d’une part, et Dieu, d’autre part. Or Dieu se communique à travers les médiations qu’il a choisies parmi lesquelles la Bible tient une place très importante. Le discours du pape François que nous avons cité à plusieurs reprises s’adresse aux théologiens argentins. Il résume l’identité du théologien à travers trois traits : il doit être un enfant de son peuple, un croyant, un prophète. Nous pouvons aussi remonter l’histoire et nous arrêter à saint Ignace de Loyola ; les Exercices spirituels sont une école du discernement ; issue d’une recherche originale de Dieu, elle s’adresse à tous, tout en préservant des traits qui témoignent de la carrière militaire, des origines aristocratiques et du caractère de son auteur. On peut encore remonter dans le temps et jeter un regard sur le réveil évangélique des xiie et xiiie siècles16 : Thomas d’Aquin et Bonaventure sont deux théologiens ayant adopté le « style de vie » communautaire innovateur des ordres mendiants ; ils renouent avec l’idéal de l’Église primitive, répondant ainsi à la nouvelle donne socio-­politique ainsi qu’à des mouvements charismatiques et hérétiques ; ils se sont appropriés, de façon différente, et la Tradition et la philosophie la plus à la pointe de leur temps ; leurs œuvres sont marquées par l’appartenance religieuse de leur auteur, aussi irréductibles l’une à l’autre que les auteurs eux-­mêmes. L’Église reconnaît autant le radicalisme évangélique du Poverello d’Assise que l’évangélisme réfléchi du Maître d’Aquin : en effet, la Parole de Dieu crée des personnalités très fortes, très marquées, très différentes dans leur expression et en même temps profondément unies dans la foi. La troisième partie de la conférence de Tom Osborne ouvre le regard sur la pratique. Mais le premier point de cette partie consiste encore dans un exposé historique. Il montre l’évolution du travail biblique passant de « l’apostolat biblique » sous Léon XIII à la « pastorale biblique » pour arriver aujourd’hui à une animation biblique de toute la pastorale. Ou encore d’une meilleure connaissance de la Bible à une activité pastorale particulière et enfin à une démarche transversale qui « anime, inspire, 15 16

Ibid. Cf. Marie-­Dominique Chenu, La Théologie au douzième siècle, « Études de philosophie médiévale », no 45, Paris, Vrin, 1957, p. 252-273. Id., La théologie comme science au e o e xiii  siècle, « Bibliothèque thomiste », n  33, 3  éd., Paris, Vrin, 1957.

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vivifie » toute la vie de l’Église. C’est dans ce contexte que Tom Osborne se demande à qui revient l’autorité pour déterminer le sens d’un texte. Exégète, notre ancien collègue reconnaît l’apport et les limites de sa propre discipline quand il écrit que « celle-­ci se perd parfois dans la technicité et dans la construction d’hypothèses érigées trop vite en certitudes ». Il utilise une formule un peu ambiguë quand il affirme que « la pastorale biblique peut se laisser guider par le magistère » (c’est nous qui soulignons). Il en vient à parler de la communauté qui lira le texte et met en évidence le rôle de son animateur, mais aussi de l’horizon d’attente que l’expérience d’une situation sociale concrète peut créer. Le long extrait qu’il cite de Verbum Domini évoque les pasteurs, exégètes et théologiens. Osborne y ajoute le peuple chrétien comme acteur propre et le fait sujet (au sens moderne) de sa foi. Ces points convergent avec les éléments que nous avons développés jusqu’ici. Dans son deuxième point, il présente ensuite cinq options pour mettre en œuvre ce que l’on peut appeler une écoute de Dieu par le moyen d’une lecture communautaire des Écritures, capable de former des mentalités. On découvre à travers ces cinq points l’expérience d’un homme engagé avec passion depuis de nombreuses années sur le terrain dans un travail de formation qu’il a conçu d’une façon qui s’inspire de la pratique des Écritures telle qu’elle est présentée dans ces mêmes Écritures. On retient l’attention qu’il accorde à la densité, matérialité et intégralité des textes : ce sont autant d’éléments qui font partie de la théologie même des textes. La remarque concernant le parallelismus membrorum, introduite dans l’option 3, suffit comme exemple. On remarque encore l’intérêt accordé à tous les aspects physiques de cette pratique, notamment à la respiration, comme autant de moyens qui permettent au texte de déployer sa puissance de communication et de transformation. Le relationnel humain n’est pas non plus exclu : les membres des petites communautés doivent adopter certaines dispositions et attitudes les uns envers les autres pour que la lecture des Écritures aboutisse dans un échange et porte du fruit. Enfin, Osborne n’oublie pas que l’exercice devrait conduire à une conversion, ce qui suppose la foi et une disposition du cœur à se laisser interpeller par Dieu. Voilà donc tout un programme de théologie interdisciplinaire et profondément spirituelle, car la lecture biblique est l’expression d’une vie théologale et un moyen de la nourrir. Dès que l’on approche la situation de cette façon, on devient capable d’apprécier l’exercice complet, multiplié à travers de nombreuses communautés, comme une démarche de discernement et de conversion de l’Église dans son langage, ses formes de vie, ses institutions, pour répondre à sa vocation missionnaire. Celui qui connaît

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l’histoire de l’Église sait que le canon biblique lui-­même est issu d’un tel processus de discernement, tout comme les dogmes ou différentes formes de vie. Ces processus, nous l’avons dit, sont complexes et ne suivent pas de protocole fixe. Pasteurs, théologiens, figures charismatiques, clercs et laïcs y interviennent, s’écoutent, se disputent avec leur foi, leurs caractères et leurs cultures, se réclamant chacun de la Bible ou de la Tradition ou de la Vérité… Le magistère y intervient aussi, y tient son rôle et en apprend en même temps l’exercice comme un père apprend à être père en éduquant ses enfants. La durée d’un tel processus et son aboutissement ne sont pas prévisibles. On peut cependant se demander si un tel processus se laisse « organiser » à travers la lecture des Écritures dans les petites communautés. Un processus de recherche, un départ ne s’engage-­t-il pas quand l’Église entre dans de nouvelles constellations sociales, politiques et culturelles, quand elle est confrontée à des défis doctrinaux et moraux et que les expressions de la foi dont on dispose ne répondent plus aux questions d’un temps donné ? Alors on interroge Dieu plus intensément, si le désir de Dieu est encore assez fort ; alors on relit les Écritures avec un regard différent ; alors naissent, nourris des Écritures mais aussi de toutes les réalités chrétiennes17 et sociales des mouvements au sens large, des figures charismatiques, de nouvelles communautés et formes de vie qui doivent, certes, se purifier au fil du temps et qui sont cependant déjà, aussi, une parole de Dieu qui a pris chair. Mais il est vrai que c’est la rencontre avec l’Évangile et sa narrativité qui a souvent été, face à tout fixisme doctrinal, une source de liberté. En fait, la multiplication de petites communautés qui se laissent directement inspirer par les Écritures est déjà un « mouvement » de renouveau. En résumé, Tom Osborne inscrit l’animation biblique de toute la pastorale dans l’histoire doctrinale et pastorale. De cette manière il la qualifie en tant que projet ecclésiastique. Son texte témoigne de l’expérience 17

Yves Congar, « Bible et parole de Dieu », in Id., Les Voies du Dieu vivant : théologie et vie spirituelle, « Cogitatio fidei », no 3, Paris, Cerf, 1962, p. 42 : « […] en vérité, ce qui a été donné à l’Église pour en vivre, ce n’est pas tellement un texte que la réalité même des choses chrétiennes. Par exemple, s’agissant de l’eucharistie, pas tellement les quelques versets (guère plus de vingt à trente) qui en parlent dans les différents livres du Nouveau Testament que la réalité même de l’eucharistie et de sa célébration depuis le cénacle des apôtres jusqu’à notre messe ». Le catholicisme n’est pas une religion du livre (cf. Catéchisme de l’Église catholique, no 108) ; mais l’Écriture sainte est un point de référence obligé dont peut toujours naître un renouveau car « […] en elle, [l’Église] n’accueille pas seulement une parole humaine, mais ce qu’elle est réellement : la Parole de Dieu (cf. 1Th 2,13) » (ibid.). Celle-­ci n’est pas une norme légale extrinsèque mais une parole actuelle, intrinsèque, personnelle qui se manifeste dans un dialogue (cf. DV 21) engagé par la médiation des Écritures.

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de l’enseignant-­chercheur, animateur de groupes bibliques et musicien. L’ancien secrétaire général de la Fédération biblique catholique se fait le porte-­parole de théologiens, catéchètes et chrétiens des Églises d’Amérique latine ou d’Afrique, présents entre autres dans les documents qu’il cite et dans les ouvrages auxquels il renvoie en notes de bas de page. Il parle aussi en tant que chrétien confronté aux imprévus de la vie. Le retard à rattraper ou l’impasse dont il parle reflètent l’expérience d’Églises locales et de chrétiens parfois frustrés par les institutions ecclésiastiques. Il n’accuse pas ; il souligne l’urgence d’un renouveau d’inspiration biblique, il refuse de répéter des formules qui sonnent bien sur un mode incantatoire sans qu’elles ne soient mises en œuvre. Il met en place une démarche cherchant à stimuler une vie chrétienne, une spiritualité qui engage la liberté et demande un discernement individuel et communautaire. Les options qu’il propose sont concrètes ; la théologie peut y contribuer par l’apport de savoir et savoir-­faire, en discutant et déterminant aussi les aspects plus problématiques qui ont été évoqués. Et puisque cette lecture animée par les vertus théologales est une herméneutique vivante des Écritures, la théologie comme enseignement académique professionnalisant ne peut en ignorer l’apport. Il ne s’agit donc pas seulement d’accorder « un statut d’activité pastorale et de recherche académique » à la lecture biblique en tant que telle dans les communautés chrétiennes, mais bien d’intégrer l’apport de leur démarche et d’en valoriser la dimension spirituelle. Dans la troisième partie de ma réponse, je chercherai à voir comment intégrer l’expérience de lecture dans les petites communautés dans l’enseignement théologique ; je présenterai d’abord l’apport d’une esthétique littéraire à la démarche de lecture que Tom Osborne a indiquée.

3. Un texte qui produit un « effet de vie » – L’apport de l’esthétique littéraire à la spiritualité biblique Dans la dernière partie de son texte, Tom Osborne présente cinq options pour lire la Bible en petites communautés. Il insiste pour dire qu’il ne s’agit pas « de communiquer la bonne compréhension du texte biblique, mais de lire le texte biblique, de manière active, de manière intelligente et responsable, de manière passionnée et engagée ». Le court exposé d’esthétique littéraire que je me propose d’insérer ici désire contribuer à une telle lecture et à ce qu’elle devienne vraiment un lieu de rencontre, une occasion de se tenir en présence de Dieu. Marc-­Mathieu Münch a montré qu’une œuvre d’art et, partant, aussi une œuvre littéraire, se caractérise par le fait qu’elle réussit à faire surgir

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dans l’esprit de celui qui la reçoit non pas d’abord un sens, mais un « effet de vie » par le jeu cohérent des mots et des figures.18 Sans entrer dans la discussion de savoir si l’on peut définir l’art ou non, j’aimerais partir de ce qu’il donne comme définition et qui met en valeur toute la puissance fictionnelle de notre esprit en interaction avec un texte, ses mots, ses formes : le but du texte n’est pas de créer uniquement un ou plusieurs sens, mais une expérience intérieure, une vie fictionnelle que Münch désigne comme « effet de vie ». La puissance de cet effet de vie, de cette présence peut même être supérieure à celle des réalités environnantes et s’y superposer. Il est évident qu’une telle approche intéresse le théologien, puisque le texte écrit n’est pas la Parole de Dieu en elle-­même, mais son véhicule qui vise à faire connaître le Verbe fait chair, le Christ glorifié, de façon que le lecteur ne reste pas étranger à la vie divine, trinitaire, mais qu’il en soit saisi et y participe. Certes, ceci n’est pas le résultat de la seule interaction du texte avec son lecteur, mais c’est l’Esprit qui introduit dans la vérité. Or l’Esprit Saint ne se passe pas de toutes les médiations, et notamment des Écritures. Il est à l’œuvre quand les fidèles rencontrent le texte biblique, s’ouvrent à lui, dans une disposition qui lui permet de les toucher corps et âme, de déployer non seulement un sens (rationnel, doctrinal, moral), mais une vie intérieure. Cette disposition est aux yeux de Münch celle qui est d’abord une disponibilité à ce qui est offert, celle qui laisse toutes les facultés de l’âme participer à l’émergence de l’effet de vie, à savoir l’imagination, la sensibilité, l’émotion, l’affectivité, la mémoire, l’intelligence, la raison et la volonté. L’esprit humain génère cette vie intérieure en laissant le texte déployer toutes ses dimensions poétiques et en y apportant sa part. Il est donc important de tenir compte des éléments du texte qui contribuent à la naissance de l’effet de vie. Münch insiste beaucoup sur le mot, considéré comme le matériau concret de l’art verbal. Le mot n’a pas seulement une orthographe et une signification, un sens, mais encore un son, il est porté par un souffle, il véhicule un imaginaire et des émotions qui lui sont liés. Un texte n’est pas vraiment écrit pour être lu en silence, mais à voix haute ; l’ouïe participe pleinement à sa réception. Pour illustrer cet aspect, du côté littéraire, on peut rappeler les gueulades de Flaubert, ou bien la lecture intégrale de l’œuvre de 18

Marc-­Mathieu Münch, L’effet de vie ou le singulier de l’art littéraire, « Bibliothèque de littérature générale et comparée », no 46, Paris, Champion, 2004, p. 38. Pour une présentation sommaire et une discussion de l’esthétique de Münch, voir Jean Ehret, „Warum Kunst nicht nur Sinn macht. Zur Ästhetik von Marc-­Mathieu Münch und Hans Ulrich Gumbrecht“, in Damien Sagrillo (dir.), Musik, musikalische Bildung und musikalische Überlieferung – Music, Music Education and Musical Heritage. Festschrift zum 65. Geburtstag von Friedhelm Brusniak, Margraf und Morra, Weikersheim, 2017, p. 81-92.

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Proust disponible sur CD ; du côté biblique, on peut rappeler la nouvelle traduction de la Bible chez Bayard, associant écrivains et exégètes, ou bien la conférence que le P. Delhougne a donnée lors du colloque sur la sacramentalité de la Parole, conférence portant sur la nouvelle traduction liturgique, présentée comme « une Bible pour les lèvres et les oreilles ».19 Outre le mot, ce sont toutes les figures stylistiques qui entrent en jeu, stimulant l’imagination, ouvrant des associations, renvois et effets que les seuls mots ne livrent pas. C’est encore le rythme du texte, voire « le souffle » d’un texte qui comptent, comme le rappelle Osborne. Enfin, toute œuvre qui veut créer un tel effet, doit être cohérente. Il se peut que l’histoire racontée soit incohérente ; l’œuvre elle-­même doit être cohérente pour ne pas tomber des mains du lecteur. Les auteurs disposent de différentes techniques de cohérence parmi lesquelles figurent par exemple le mythe ou le choix du point de vue. Mais comment un lecteur peut-­il intégrer toutes ces données ? Cette question, c’est celle de savoir comment lire. Une telle lecture qui engendre la naissance d’un effet de vie ne se fait pas lorsqu’un lecteur aborde le texte la première fois : à ce moment, il avance pas à pas, il se familiarise avec ce monde textuel. Elle ne se fait pas non plus s’il n’est pas sensibilisé à la matérialité et à l’esthétique du texte ; la seule analyse des formes et figures ne l’engendre certainement pas. Toute l’analyse doit en fait rentrer dans ce que Münch appelle la « grande lecture » : c’est la lecture de celui qui connaît le texte, son contenu, ses composantes et caractéristiques, quelque chose éventuellement de son histoire, et qui en vient à ne plus identifier tel mot ou telle figure au fil de la lecture, de façon à interrompre la naissance de l’effet de vie, mais à les laisser déployer leur puissance, stimulant toutes les facultés de l’âme. La « grande lecture » est analogue au jeu du pianiste qui est habité par la pièce qu’il joue et dont on dit précisément qu’il est inspiré : son jeu donne plus que les notes, il communique aux auditeurs bien disposés précisément cette vie-­même qui l’anime. Cela vaut aussi pour l’acteur en qui un texte, un rôle prend vie et communique la vie. Une telle lecture se laisse répéter ; on peut y revenir, la renouveler, en rendre compte, s’interroger sur elle. Certes, elle ne sera jamais complètement identique, car l’effet de vie naît d’une co-­création de l’esprit avec le texte.20 Cette approche rejoint en 19

La conférence sera publiée dans : Jean Ehret (dir.), Pas d’Humanité sans Parole. La sacramentalité de la Parole entre parole humaine et parole divine. Actes du colloque international et interdisciplinaire du 28 au 30 janvier 2016 à la Luxembourg school of religion & society, « Dieux, Hommes et Religions », Bruxelles, Peter Lang, (à paraître). 20 On peut rappeler la vocation d’Ignace de Loyola comme exemple qui par ailleurs n’est pas lié au texte biblique et montre que la Parole de Dieu n’est pas uniquement

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beaucoup de points celle de Hans-­Ulrich Gumbrecht qui propose « […] d’envisager l’expérience esthétique comme une oscillation (et parfois une interférence) entre “effets de présence” et “effets de signification” ».21 Elle offre une approche qui peut donner lieu à une vraie rencontre avec la Parole à travers les paroles. Jusqu’ici le texte biblique a été valorisé dans ses composantes esthétiques. Nous restons ainsi fidèle à la théologie de l’incarnation et échappons à tout « docétisme scripturaire » : « [L]’incarnation de la parole de Dieu se fait jusqu’en la lettre des mots – “inspiration littérale” dit-­on – et la lettre même avec toute sa facture grammaticale, littéraire, historique, est proprement la voie d’accès à l’intelligence de la foi. La parole de Dieu est dans la parole humaine : la force de Dieu se révèle dans cette infirmité ».22 Mais une telle lecture ne se distingue pas encore de la lecture d’un roman ou de la lecture qu’un non-­croyant ferait des évangiles. Pour le croyant, la Bible a son contexte originel de réception dans l’Église. Elle constitue l’espace dans lequel le texte développe sa polysémie et engendre les processus de discernement. En effet, la Bible ne tombe pas du ciel : le canon scripturaire s’est constitué historiquement au sein d’un milieu ecclésial où allaient de pair la prédication, l’action pastorale, la célébration liturgique, la réflexion et le débat théologiques, ainsi que les différents ministères eux-­mêmes en développement sans oublier la vie professionnelle, familiale et politique. C’est dans l’Église que les symboles de la foi sont nés ; c’est encore en elle que les dogmes ont vu le jour et que des styles de vie se sont formés. Dès lors, la lecture croyante intègre dans la naissance de l’effet de vie du texte biblique certains choix d’interprétations correspondant aux orientations véhiculée par la Bible : Ignace fait l’expérience de deux « effets de vie » qui lui laissent des impressions différentes, où l’apport humain et l’action divine vont de pair. 21 Hans-­Ulrich Gumbrecht, Éloge de la présence. Ce qui échappe à la signification, Paris, Libella Maren Sell, 2010, p. 18. 22 Marie-­Dominique Chenu, « Une école de théologie : le Saulchoir », in Id. et al., Une école de théologie : le Saulchoir, op. cit., p. 138. Voir également Timothy Bellamah, « Qui primo per verba intenditur : Notes on Thomas’s Understanding of Authorial Intention and the Literal Sense », in Dominicans and the Challenge of Thomism, “Biblioteka Instytutu tomistycznego”, no 4, Instytut tomistyczny, Varsovie, 2012, p. 261-277, p. 263-264, qui souligne combien l’épistémologie et l’hylémorphisme aristotéliciens ont contribué à valoriser les sens et l’imagination en exégèse. Enfin, on doit renvoyer au rôle que joue « l’application des sens » dans les Exercices spirituels : cf. à ce sujet Joseph Maréchal, article « Application des sens (Méthode d’oraison) », in Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique : histoire et doctrine, t. 1, Beauchesne, Paris, 1937, p. 810-828 ; François Marty, Sentir et goûter : les sens dans les Exercices spirituels de saint Ignace, « Cogitatio fidei », no 241, Paris, Cerf, 2005.

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doctrinales, par exemple en ce qui constitue la Trinité ou les deux natures de la personne du Christ ; elle intègre de même quelque chose de l’héritage des représentations artistiques, musicales, voire architecturales ; elle est liée à une prédication, à des exemples, modèles et règles de vie ; elle participe à des formes de prière et se réfère à des autorités ; elle est ouverte à ce qu’apporte l’étude critique de la Bible pour laisser ces informations enrichir sa lecture, sans oublier tout ce qui provient de la vie quotidienne, de la culture ambiante, des problèmes d’une époque et d’une région données. Tout ceci rentre dans la genèse d’un effet de vie particulier. L’effet de vie que les croyants peuvent expérimenter s’enrichit de tout ceci, comme de ce que leur apportent les autres membres du groupe dans lequel ils lisent ensemble la Bible ; mais c’est aussi dans ce contexte que se manifestent les tensions et les besoins de chercher comment intégrer de nouveaux aspects, de nouvelles connaissances, de nouvelles expériences dans la vie de la foi. Aussi l’expérience de lecture doit-­elle se compléter par le partage de ce qui est vécu. Or les petites communautés ne sont pas formées de personnes nécessairement habituées à prendre la parole en public. L’échange n’apportera pas uniquement des expériences qui viendront confirmer le sens que telle parole biblique semblait avoir. Le texte de Tom Osborne a le grand mérite d’attirer l’attention sur le dynamisme du groupe et sur les dispositions à prendre pour « encourager et soutenir les personnes qui par leur prise de parole apprennent à s’exprimer de manière responsable et qui se dévoilent progressivement », pour « s’écouter mutuellement dans le respect et l’humilité devant les balbutiements et partialités d’énoncés humains ». Dans cet échange se révèle le visage d’une autre personne. Osborne demande comment « apprendre […] cette humilité et [ce] respect devant l’autre, devant ses engagements, ses cheminements et ses croyances, tout en s’engageant dans la voie d’une communauté sensible, responsable et solidaire avec les humains de notre monde ». Il souligne le besoin de respecter la vie de chaque personne, de prendre soin d’elle, sans cependant en rester à l’individualisme : le chrétien ne peut séparer son propre salut de celui du monde. Enfin, le corpus paulinien témoigne déjà des tensions qui naissent quant aux formes de vie des chrétiens, par rapport au besoin d’assurer une discipline communautaire et la nécessité de tenir compte de réalités nouvelles. La lecture communautaire de la Bible n’est pas un exercice qui ira sans tensions ; celles-­ci font partie du processus à travers lequel la Parole de Dieu manifeste sa vérité. Si la théologie académique désire contribuer à la recherche de cette vérité, si elle désire en outre préparer de futurs ministres de la Parole à leur mission, elle ne peut pas ignorer l’apport de l’expérience des petites communautés chrétiennes. Si elle est vraiment « […] une spiri-

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tualité qui a trouvé des instruments rationnels adéquats à son expérience religieuse », il va de soi que la spiritualité biblique des petites communautés devrait donner naissance à une forme de théologie particulière. C’est pourquoi j’aimerais terminer ma réponse en proposant quelques éléments d’une poétique théologique inspirée par cette expérience concrète de la Parole de Dieu à travers la lecture des Écritures.

4. L’Écriture, âme de la théologie – Éléments de poétique théologique Il n’est pas besoin de revenir ici sur l’histoire du principe selon lequel l’Écriture devrait être l’âme de la théologie. Il est par contre utile de se rappeler quelques conditions pour que l’Écriture puisse devenir l’âme de la théologie (et pas seulement une autorité, un document auquel on se réfère parce qu’on est obligé de le faire) : il faut d’abord que le théologien accueille la Bible comme faisant intégralement part du donné révélé – et pas seulement le sens qu’il en dégagerait par telle ou telle méthode ; il est impératif qu’il soit profondément imprégné des textes bibliques, qu’il les connaisse aussi par mémoire car « la fréquentation de la Bible nous forme et nous transforme », comme le résume Tom Osborne dans la troisième option de son programme ; de plus, il importe qu’il tienne compte de tous les aspects de la Bible, notamment des différents styles, époques et perspectives qu’elle abrite, etc., comme d’autant d’éléments proprement théologiques ; en outre, il ne doit pas se limiter à faire de l’histoire de la théologie, mais théologiser avec le Sitz im Leben qui lui est propre, en pensant à celles et ceux qui lui sont confiés, pour chercher Dieu en toutes choses et l’annoncer. Cette démarche lui demande de développer sa vie spirituelle, la vie théologale en lui-­même : parler de Dieu ne peut se faire que si on dialogue d’abord avec Dieu. Ces conditions correspondent au théologiser biblique lui-­même. La Bible est un livre composite ; elle a son unité, mais elle n’est pas un système ; elle est le témoignage vivant de la foi d’un peuple qui répond – parfois mieux, parfois moins bien – à l’appel de Dieu. Elle rassemble un ensemble de théologies irréductibles l’une à l’autre, rechignant à toute systématisation ; elle contient des écritures réflexives diverses, inspirées par d’autres sources bibliques et même extrabibliques qu’elles retravaillent. Tout ceci s’inscrit dans des siècles de vie d’une communauté de réception dont la foi ne se laisse pas fonder sur le seul texte biblique. À considérer la Bible ainsi, et à comprendre le théologiser actuel comme un exercice comparatif pareil (au sens où l’on explore les relations entre la Révélation

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et la vie), disposant de différents discours, l’apport des lectures de la Bible en petites communautés peut tout à fait trouver sa place en théologie. Certes, la théologie comme discipline académique enseigne des savoirs et savoir-­faire spécifiques ; elle fait découvrir le riche héritage de la Tradition et rend sensible aux perversions, mais elle ne peut être « […] une spiritualité qui a trouvé des instruments rationnels adéquats à son expérience religieuse » si elle ne tient pas compte de celle-­ci comme réalité historique actuelle qui peut exiger d’adapter les instruments. À son époque, me semble-­t-il, Thomas d’Aquin n’a rien fait d’autre en intégrant Aristote – ainsi qu’un très grand nombre de sources patristiques qu’il a redécouvertes – dans une théologie qui continuait de scruter les Écritures : magister in sacra pagina, il débutait sa journée par le cours sur la Bible tandis que la disputatio, la confrontation avec des interprétations et thèses divergentes était réservée à l’après-­midi. Lectio et disputatio se complétaient dans la recherche de la vérité à prêcher, démarche qui constituait la finalité de l’ordre, avec ses liturgies, son ascèse, sa vie fraternelle, que le jeune Thomas, rompant avec les projets féodaux de sa famille, avait rejoint dans son désir de suivre le Christ pauvre.23 Marquée certes par la pensée de son époque, sa théologie reste fondamentalement biblique, comme le montrent les études récentes qui redécouvrent, d’une part, ses commentaires scripturaires24 et, d’autre part, sa vocation de théologien.25 Son exemple offre encore certains points de repère pour celui qui cherche à tenir compte de l’apport des petites communautés à la théologie contemporaine. Si le théologien partage la vie des petites communautés tout comme Thomas est entré chez les frères prêcheurs, ses questions, problèmes et centres d’intérêt seront marqués par son expérience. L’exercice théologique est un exercice « engagé » qui n’aura pas sa finalité en lui-­même. Il a vocation à conduire celui qui le pratique et ceux qui participent de sa démarche à entrer davantage dans le mystère de Dieu tel qu’il s’est révélé. Il permet d’assumer la responsabilité intellectuelle et spirituelle pour annoncer la Parole à travers les paroles, apporter la Lumière grâce à des lumières, voire défendre la foi. 23

Cf. Ulrich Horst, „Mendikant und Theologe. Thomas von Aquin in den Armutsbewegungen seiner Zeit (zu Contra retrahentes 15)“, in Id., Thomas von Aquin : Predigerbruder und Professor, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2017, p. 61-80. 24 Je renvoie à la traduction des commentaires scripturaires du Maître d’Aquin aux Éditions du Cerf. Parmi les études récentes consacrées à la pratique thomasienne des Écritures, je retiens, parce que l’auteur aborde la question de l’actualité de la Parole de Dieu, la thèse de Stéphane Loiseau, De l’écoute à la parole : la lecture biblique dans la doctrine sacrée selon Thomas d’Aquin, Cerf, Paris, 2017. 25 Cf. Jean-­Pierre Torrell, Saint Thomas d’Aquin, maître spirituel, nouvelle éd., Paris, Cerf, 2017.

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Aussi importantes que soient les spécialisations, commenter la Bible ne peut rester le domaine des exégètes ; or le commentaire théologique suivi d’un livre biblique est un exercice que l’on ne rencontre guère dans les formations. Un de mes professeurs, lui-­même exégète et romancier, avait jadis attiré mon attention sur le fait que les dogmaticiens ne produisaient plus de commentaires bibliques, qu’ils avaient abandonné cette tâche aux biblistes : or le but ne serait pas de produire un commentaire dogmatique à côté d’un commentaire exégétique, mais d’écrire un commentaire proprement théologico-­littéraire, nourri d’une expérience de lecture de communautés réelles. Il tiendrait compte de l’apport de la critique historique, sensibiliserait à la poétique du texte, intégrerait l’histoire de la réception,26 offrirait une lecture cursive à partir d’une posture théologique affichée, présenterait des personnages et thèmes, et indiquerait les références où des questions théologiques sont développées. La responsabilité du théologien est aussi sollicitée pour répondre à des questions concrètes. Cette tâche lui demande de tenir compte et de la Bible, et de la Tradition, et des sciences humaines, et de la spécificité de la situation donnée, pour donner un avis juste, dire une parole vraie, capable de nourrir la foi de ceux vers qui il est envoyé – sans que cette parole se confonde elle-­même avec la Parole de Dieu. La formation des ministres de la Parole doit donc de tenir compte du besoin d’une telle pensée synthétique et développer des formes d’enseignement facilitant une pensée soucieuse des réalités du peuple de Dieu, riche de l’enseignement de la Bible et de la Tradition, capable de se dire dans un langage compréhensible, ouverte aux nouvelles questions et aux expériences critiques. Il s’agit d’un exercice qui ne doit pas seulement être capable de donner un avis sur telle ou telle situation standardisée, mais en fait de proposer une herméneutique théologique de la vie conçue tantôt comme un avis motivé, tantôt comme un processus dans lequel le théologien s’engage avec les personnes concernées. Un genre que la Bible met à la disposition du théologien est le récit.27 Il suffit de regarder les évangiles. Dans la Tradition, on pense, pour ne 26

Timothy Bellamah, « Qui primo per verba intenditur », op. cit. Une telle présentation pourrait tirer profit des commentaires médiévaux capables de juxtaposer plusieurs sens littéraux (cf. p. 269-270 ainsi que p. 270, no 21, où l’auteur relève la difficulté qu’éprouvent certains théologiens contemporains pour gérer le fait que Thomas d’Aquin pouvait admettre une pluralité du sens littéral). 27 Rappelons qu’à l’origine d’une réflexion sur une théologie narrative se trouve l’article de Harald Weinrich, « Théologie narrative », Concilium, no 85 (1973), p. 47-55. Il définit le christianisme comme « communauté narrative » (p. 49) et confronté cependant au fait que « […] le récit d’histoires, et même déjà l’audition

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citer que cet exemple, aux Confessions d’Augustin. Comment raconter aujourd’hui l’histoire d’une personne, voire d’un groupe ou d’une paroisse, d’un diocèse, d’un peuple en tant qu’histoire du salut – sans faire de ce récit un instrument de domination (politique), mais de façon à laisser apparaître l’action de Dieu en évitant d’assimiler son action à celle d’une cause seconde et en préservant sa radicale altérité ?28 Jean-­Pierre Jossua développe, certes dans une attitude de distance par rapport aux institutions ecclésiastiques, ce genre théologique de deux façons : d’un côté par une écriture autobiographique,29 de l’autre côté en relisant les œuvres littéraires et notamment la poésie contemporaine.30 Mario-­Vargas Llosa illustre l’importance de la fiction pour dire vrai : c’est grâce à un long roman, La Fête au bouc,31 qu’il cherche à éclairer et comprendre spécialement les derniers jours du régime de Trujillo, ce qui lui était impossible sans la fiction. Et William Goyen produit, sous le choc d’une rencontre avec Jésus grâce à la lecture des évangiles, Un livre de Jésus,32 récit inspiré de l’évangile selon Marc. Les théologiens critiqueront, pour certaines positions christologiques, des pages qui regorgent autrement de vie que nombre de leurs traités. Encore que certains ont développé une christologie narrative, d’histoires, sont tenus dans notre société pour une occupation non scientifique. Or cela place la théologie et quelques autres sciences […] dans une situation fatale » (p. 51). Et cette méfiance s’est transposée en théologie où règne « […] l’opinion unanime, et critiquement à peine approfondie, que les récits bibliques, quand il faut nécessairement en parler, peuvent subsister comme récits lorsqu’on peut démontrer, avec les méthodes reconnues de la science historique, qu’ils sont des histoires [historiquement] vraies » (p. 52-53). On sait qu’un bout de chemin a été fait entretemps par l’exégèse narrative. Retenons enfin ce que Weinrich dit sur le fait d’être concerné : « Le fait d’être concerné est une catégorie narrative et non spécifiquement historique, et ce même fait peut […] déclencher cette action et ce nouveau récit qui s’imposent à ceux qui veulent aller et faire de même. […] Cette histoire engendre dans l’auditeur le sentiment d’être concerné et le fait devenir “acteur de la Parole”, si bien qu’on peut raconter de nouveau ce qu’il a fait. Quand la théologie pastorale connaît de telles histoires, elle a chaque fois trouvé la meilleure part » (p. 55). 28 Cf. Marie-­Thérèse Desouche, « L’histoire comme lieu théologique et fondement de la théologie pastorale », op. cit., p. 402-404. 29 Voir p. ex. Jean-­Pierre Jossua, La chèvre du Ventoux : journal pour chercher la sagesse, Paris, Cerf, 2001 ; Id., Une vie, Paris, Desclée de Brouwer, 2001. 30 Voir p. ex. Jean-­Pierre Jossua, La passion de l’infini. Littérature et théologie. Nouvelles recherches, « Théologies », Paris, Cerf, 2011. 31 Mario Vargas Llosa, La fête au Bouc, trad. Albert Bensoussan, folio, Paris, Gallimard, 2010. 32 William Goyen, Un livre de Jésus, trad. Patrice Repusseau, « Du monde entier », Paris, Gallimard, 2008.

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renouant avec l’original biblique.33 Exercice engagé, théologiser cherche aussi à en engager d’autres : aussi la théologie ne peut-­elle pas faire abstraction de sa part littéraire. Dans cette même perspective, je pense que l’homélie et la catéchèse constituent des genres qu’il faut valoriser tant dans leur composante rhétorique que dans toute leur portée théologique34 pour entraîner les futurs ministres de la Parole à les pratiquer avec aisance et compétence. Les contraintes de ces deux genres théologiques sont multiples, mais ce sont des prises de parole où le théologien a un rapport direct avec les fidèles, par lesquelles il leur ouvre l’intelligence des Écritures, ou au contraire leur impose la sienne ou les éloigne de la Parole. Chaque ministre de la Parole doit pratiquer ces genres quotidiennement ; pour de très nombreux fidèles, ces genres constituent encore aujourd’hui le seul accès médiatisé à la Parole de Dieu. N’est-­il pas grand temps d’en faire un exercice transversal dans la formation ? Enfin, valoriser les genres de l’homélie et de la catéchèse comme genres proprement théologiques intégrant l’apport de l’expérience de lecture permet de rappeler deux dispositions requises pour toute réception authentique des Écritures, peut-­être trop facilement négligées quand on se fascine pour la puissance fictionnelle des textes bibliques. Premièrement, que les Écritures ne sont pas d’abord un texte à être lu en privé, fut-­ce par un groupe, mais une Parole à proclamer, un texte qui s’accompagne toujours d’une actualisation donnée par un ministre de la Parole en communion avec les successeurs des apôtres. Le principe scripturaire va de pair avec un principe personnel (la Tradition définie comme succession apostolique). Ceci n’exclut nullement la lecture dans les petites communautés ecclésiales, mais la cadre. Deuxièmement, que l’interprétation des Écritures ne revient pas aux seuls exégètes, ni à une philosophie, ni à un groupe, ni à une seule communauté ; la Parole de Dieu se dit dans l’histoire de la pratique de l’Église, dont les Écritures sont aussi le fruit, tout comme la célébration de l’eucharistie ou le développement organique des ministères.35 Aussi l’enseignement du magistère et notamment le dogme n’est-­il pas déforma33

Voir l’analyse d’Adolphe Gesché, « Pour une identité narrative de Jésus (à suivre) », Revue théologique de Louvain, no 30 (1999/2), p. 153-179. 34 Est-­il besoin de rappeler que les Sermons de saint Augustin ou de Maître Eckhart sont de véritables productions théologiques, expliquant les mystères de la foi à un public spécifique ? 35 Pour la théologie des ministères, cf. p. ex. Jean-­Pierre Torrell, Un peuple sacerdotal. Sacerdoce baptismal et ministère sacerdotal, « Épiphanie », Cerf, Paris, 2011. L’auteur tient compte de l’apport de l’exégèse historico-­critique ; il refuse le positivisme historique, tout « lettrisme » minimaliste tout comme il refuse de projeter sur les textes de

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tion des Écritures mais source de lumière qui permet de ne pas s’égarer sur la trajectoire de la foi, d’avancer dans la continuité, sans réinventer la roue, tout en intégrant l’ancien que l’histoire nous apprend, en corrigeant des interprétations unilatérales, en évitant des perversions, en s’ouvrant à l’apport des sciences et des existences. Ce processus de relecture, de dialogue et d’interprétation continue se fait à travers des processus de réception auxquels je n’ai plus besoin de revenir ici. Les références à l’évangélisme et à la figure de frère Thomas illustrent comment la Parole de Dieu est à l’œuvre et quelle contribution les théologiens peuvent y apporter.

Conclusion Le texte de Tom Osborne a le grand avantage d’exprimer un malaise, de soulever des questions, de ne pas se limiter à des critiques, mais de retracer aussi le chemin qui a déjà été fait, sans se satisfaire cependant de celui-­ci. J’apprécie qu’il refuse le mode incantatoire avec lequel on voit répéter dans les milieux ecclésiastiques l’expression animation biblique de la pastorale et qui réduit celle-­ci à sa seule fonction phatique. Osborne restitue à l’expression qu’il a contribué à créer et promouvoir sa fonction incitative et référentielle. Il présente une démarche concrète pour initier l’animation biblique de toute la pastorale qui devient une ouverture à la toujours vivante Parole de Dieu. Même si j’ai signalé quelques réticences quant à la possibilité de faire de l’animation biblique vraiment le moteur de toute la pastorale, j’apprécie le texte et l’engagement de Tom Osborne. La lecture de la Bible dans les petites communautés pour laquelle il a beaucoup œuvré est réellement un exercice de vie spirituelle qui peut, voire doit engendrer sa théologie. J’ai essayé de situer le théologiser par rapport à la spiritualité, de donner quelques indications pour que les Écritures développent leur vie intérieure à travers une lecture qui engage toutes les facultés de l’âme, puis de proposer quelques exercices théologiques adaptés. L’étape suivante doit être celle de lire un texte biblique avec un groupe et de commencer à travailler, par exemple, sur un commentaire qui tienne compte de cette expérience de lecture. Si d’autres se sentent aussi motivés pour s’engager dans des démarches similaires, la lectio engendrera certainement plus d’une disputatio : la théologie ne sera pas lettre morte, mais elle contribuera à mieux connaître, mieux aimer Dieu et à annoncer aux autres ce que nous aurons contemplé. l’Écriture des problématiques ultérieures. Accueillir les Écritures comme norme de la foi les inscrit dans la communauté de foi, dans l’Église et sa pratique.

L’animation biblique : éléments de définition, enjeux herméneutiques Nicolas Cochand Institut protestant de théologie, Faculté de Paris

Introduction Il nous a été demandé de réagir à l’exposé de Thomas Osborne à partir de notre lieu. Je me propose donc de le faire d’un double point de vue, celui de la théologie pratique, d’une part, celui du théologien protestant, d’autre part. La théologie pratique a vocation d’observer l’expérience concrète, en l’occurrence celle de l’animation biblique. Elle analyse la manière dont le pasteur, l’exégète et le théologien se mettent au service des personnes et de la communauté qui se constitue à l’écoute de la Parole.1 À ma connaissance, l’animation biblique a peu fait l’objet d’études approfondies et de publications. On trouve une littérature de notes exégétiques en vue de l’animation. Les enjeux herméneutiques de l’interprétation des textes bibliques sont largement discutés, comme le sont les enjeux théologiques et ecclésiologiques de la lecture de la Bible en Église. On peut se former aux techniques d’animation de groupe. En revanche, l’animation biblique reste à explorer comme un objet spécifique. La désignation et la délimitation de l’objet lui-­même sont à préciser. Le titre du colloque et l’analyse de la genèse de l’expression, bien documentée par T. Osborne, mettent l’accent sur la dimension globale de l’objet : la fréquentation des Écritures à la source et au cours de toute action et de toute l’action pastorale. Dans les « cinq options » qu’il présente, en revanche, il me semble que l’objet devient l’animation biblique proprement dite, 1



Je reprends ici les termes d’une remarque glissée en passant par le professeur Osborne en commentaire d’une citation de Dei Verbum : « “Pasteurs, exégètes et théologiens” : il ne manque que le peuple chrétien pour participer activement en apportant l’expérience de la vie des communautés et de son animation par l’écoute de la Parole… »

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comprise comme processus littéraire, herméneutique, existentiel, anagogique, engageant à l’action. Si le projet global est de placer la Bible au centre de la vie ecclésiale et de l’action pastorale, cela passe, concrètement, par des expériences de lecture communautaire du texte biblique, au sein des communautés locales comme entre responsables. C’est à cette expérience de lecture commune que se réfère le concept d’animation biblique dans les lignes qui suivent.

1. L’animation biblique : éléments de définition d’une pratique On peut définir l’animation biblique en la distinguant, de manière typologique, de deux autres modes de rapport au texte : le partage biblique, d’une part, l’étude biblique, d’autre part. Le partage biblique met le texte biblique au service de la parole personnelle au sein d’un groupe, qui constitue l’objectif central. Le partage biblique est une forme de groupe de parole. Dans l’animation biblique, en revanche, on cherche plutôt à se situer comme lecteur, et donc à donner la parole au texte, si je puis dire, par des outils et démarches appropriés, à se mettre à l’écoute du texte lu en groupe, pour y entendre une parole qui émerge au travers des découvertes faites par les uns et par les autres. Cette parole entendue, en retour, donne la parole, une parole renouvelée, à chaque participant. Dans l’étude biblique, un intervenant expose son analyse et propose une interprétation du texte biblique. L’étude biblique est un enseignement. Elle donne la parole aux participants pour des questions, auxquelles le lecteur principal donne ses réponses. Chacun est invité à exercer sa faculté de jugement en suivant le parcours proposé par l’intervenant. L’animation biblique, en revanche, cherche, par des moyens appropriés, à favoriser une écoute progressive, en posant des questions auxquelles les participants sont invités à répondre en lisant le texte, individuellement et en groupe. L’animation biblique est un parcours structuré de lecture collective du texte biblique. La démarche de l’animation biblique a été formalisée en trois temps, dès les années 1980 en Suisse romande, autour de l’Atelier biblique œcuménique romand (ABOR). On a distingué trois temps ou phases : la projection, l’analyse et l’appropriation. La première phase vise à porter au langage ce que le texte suscite chez le lecteur. La deuxième est consacrée à l’analyse du texte dans son altérité. La troisième invite le lecteur à reprendre et modifier son point de vue initial à la lumière du travail accompli sur le texte.

L’animation biblique : éléments de définition, enjeux herméneutiques

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2. Quelques enjeux herméneutiques de l’animation biblique On parle aujourd’hui également d’entrée en matière ou d’entrée dans le texte pour la première phase, de manière à la désigner par des termes plus neutres.2 En effet, la notion de projection qualifie d’emblée le mouvement de lecture comme une projection de ses propres idées sur le texte. À mon sens, cette manière de désigner la première lecture était sous-­tendue par une herméneutique d’inspiration bultmannienne, qui postule une précompréhension (Vorverständnis) que la lecture analytique guidée permettra de dépasser, pour parvenir à une compréhension du texte, puis de soi à la lumière du texte.3 Chez Bultmann, la compréhension rend possible et appelle à une décision de foi renouvelée. Plus récemment, Ricœur a proposé l’idée selon laquelle le parcours d’interprétation est une confrontation à l’altérité du texte, qui aboutit lorsque l’on passe de l’interprétation du texte par le lecteur à l’interprétation du lecteur par le texte.4 Il peut être utile de noter que plusieurs formes de rapport préalable au texte biblique peuvent coexister au sein d’un groupe de lecture. Je reprends ici une typologie proposée par U. Körtner5 : si Bultmann parlait de précompréhension, on a pu parler, avant lui, de malentendu (Misverständnis), qu’il s’agit de lever par une lecture critique. Aujourd’hui, selon Körtner, un rapport contradictoire s’est établi : si les uns partent d’un accord avec le texte (Einverständnis), les approches critiques font état d’un écart tel avec le monde du texte biblique que la tendance serait plutôt à l’incompréhension ou au désaccord (Unverständnis). Les choix méthodologiques et pédagogiques peuvent être le reflet d’un présupposé, il s’agit d’en prendre conscience et de le questionner. L’animation a ensuite pour but de dépasser ce premier temps. Elle prend l’option de le faire par un travail individuel et collectif guidé par des questions, accompagné de reformulations et prolongé par un travail de 2

La pratique de l’animation biblique est notamment développée au sein de la Fédération protestante de France. Voir le site www.animationbiblique.org (consulté le 24/05/2017). 3 Voir Rudolph Bultmann, « Le problème de l’herméneutique », in Foi et compréhension, tome 1, Paris, Seuil, 1970, p. 599-626 ; ainsi que Bultmann, « Une exégèse sans présupposition est-­elle possible ? », in Foi et compréhension, tome 2, Paris, Seuil, 1969, p. 167-175. 4 Voir notamment Paul Ricœur, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Paris, Seuil, 1986, p. 116 s. 5 Voir Ulrich Körtner, Der inspirierte Leser. Zentrale Aspekte biblischer Hermeneutik, Sammlung Vandenhoeck, Göttingen, Vandenhoeck / Ruprecht, 1994.

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Nicolas Cochand

relecture du processus. On parle ici d’analyse ou de visite guidée. Le travail de l’exégète se situe en amont : un travail approfondi du texte va permettre de formuler des questions de travail et un processus de découverte progressive. C’est ainsi par le travail personnel et par la parole échangée que des sens possibles émergent et se confrontent les uns aux autres. Le présupposé herméneutique est ici celui d’un sens non fixé, d’une pluralité de lectures et d’un sens qui émerge du débat, voire du conflit des interprétations. La démarche se termine par l’appropriation ou actualisation : un temps de reprise et de relecture visant à donner à chacun l’occasion d’exprimer en quoi la lecture a pu faire évoluer son regard.

3. L’autorité de l’Écriture dans l’animation biblique Pour aller plus loin puis conclure, je me permettrai de faire appel à un principe de la Réforme du xvie siècle, l’Écriture seule, Sola Scriptura, et de le mettre en relation, de manière paradoxale peut-­être, avec les notions de tradition et de magistère. Mon but ici n’est pas de raviver une polémique ancienne, mais au contraire de faire de l’affirmation une clé de lecture positive. Pour cela, il convient de préciser que le principe de la Sola Scriptura ne vise pas à mettre en place un littéralisme ou un fondamentalisme du texte. Au contraire, il pose une exigence herméneutique, dans la mesure où, dans une perspective luthérienne et réformée, le principe de l’Écriture seule renvoie à l’autorité de la Parole de Dieu, d’une part, et doit être mis en lien, d’autre part, avec les autres éléments de l’affirmation théologique centrale à laquelle il s’articule, celle de la justification.6 L’Écriture seule – Sola Scriptura – a autorité en tant qu’elle porte le témoignage premier et fondamental de la justification par la grâce – Sola gratia – par le moyen de la foi – Sola fide – en Jésus Christ – Solus Christus. Elle met en route chaque lecteur en vue du témoignage chrétien – sacerdoce universel ou sacerdoce commun de tous les baptisés, notion scripturaire à laquelle la Réforme est également attachée. On pourrait, si le temps nous le permettait, relire le parcours des « cinq options » de l’intervention de Thomas Osborne, et suggérer que chacune d’elles souligne un des soli. La centralité de l’Écriture n’a de sens que dans la mesure où elle ouvre à la présence du Christ, qui ne peut qu’être reçue, appelant toujours à nou6



Si l’origine de la formule Sola Scriptura est antérieure à la Réforme du xvie siècle, elle prend une configuration spécifique dans le dispositif théologique qui se met en place avec Luther.

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veau à la confiance. Cette confiance se manifeste concrètement à la fois dans l’accueil et l’écoute mutuelle, dans la parole accordée et reconnue. Elle se manifeste aussi dans la conduite de l’animation. Dans l’animation biblique, l’Écriture acquiert son autorité en autorisant la parole. Dans certaines formulations du principe, notamment réformées, on parle d’autorité souveraine de l’Écriture. Les formules consensuelles7 qui ont permis aux réformés et luthériens de se reconnaître mutuellement au xxe siècle soulignent plutôt la souveraineté de la Parole divine, qui ne saurait être fixée, ni dans la lettre, ni dans la structure ecclésiale. Dans le discours polémique à l’égard du Magistère romain, le protestantisme a tendance à considérer que celui-­ci a accaparé une autorité qui ne lui appartient pas. Pourtant, ce même protestantisme a souvent tendance à ne pas voir sa propre dérive, dans laquelle l’autorité de l’Écriture devient celle de l’interprète, et non celle de la Parole au service de laquelle il est appelé. L’animation biblique, dans cette perspective, met en œuvre un renoncement actif et conscient du désir d’occuper une position d’autorité exclusive. Elle vise, au contraire, à créer des espaces de parole, en régulant celle-­ci de manière à autoriser une expression personnelle, mais aussi en restituant l’altérité du texte, en lui donnant la parole. Il ne s’agit pas pour autant d’une parole « hors-­sol », si je puis dire. Elle s’inscrit dans une tradition de lecture, elle prend place dans un débat qui a précédé et rendu possible l’accès à cette parole. C’est ici, il me semble, que les notions de tradition et de magistère peuvent trouver leur place comme expression de la dimension ecclésiale dans laquelle s’inscrit l’expérience de lecture commune que constitue l’animation biblique.

Conclusion L’animation biblique se présente comme une démarche et des méthodes visant à rendre les participants acteurs de l’interprétation du texte, par un questionnement approprié et une écoute mutuelle. Elle repose sur des présupposés et des choix herméneutiques qu’il convient de mettre au jour. Elle articule, d’une manière ou d’une autre, l’expérience concrète faite par des personnes dans le cadre d’un groupe, à la tradition d’interprétation ecclésiale du texte biblique. Elle invite chacun à se mettre à l’écoute de la Parole qui peut émerger des paroles échangées sur le texte. 7

Il convient ici de se référer à la Concorde de Leuenberg, accord entre luthériens et réformés (1973). Voir http://leuenberg.net/fr/concorde-de-leuenberg (consulté le 24/05/2017), en particulier le § 4.

Bible et catéchèse : des options qui engagent les attitudes et la qualité des relations Christiane Kremer-­Hoffmann Luxembourg School of Religion & Society

On m’a demandé de réagir au texte du Prof. Th. Osborne en ma qualité d’intervenante dans le domaine de la pastorale. C’est donc surtout par rapport à la dernière partie de son exposé que je vais m’exprimer, par rapport aux « cinq options en vue de l’animation biblique de toute la pastorale. » Je veux dire d’emblée que ce texte me touche et m’inspire, surtout par la sensibilité humaine et spirituelle qui le sous-­tend. Ma tâche, actuellement, au sein de la Luxembourg School of Religion & Society, consiste à accompagner – par des offres de formation adéquates – le projet d’implantation de la catéchèse dans les paroisses luxembourgeoises. L’Église catholique de Luxembourg est actuellement dans un processus de réorganisation importante à la suite de décisions politiques concernant la séparation de l’Église et de l’État. À partir de septembre 2017, il n’y aura plus de cours de religion dans les écoles, ce qui mettra la paroisse devant une responsabilité nouvelle, à savoir mettre sur pied une offre catéchétique beaucoup plus large que la préparation aux sacrements qu’on avait pratiquée jusqu’ici. Un dossier sur lequel je travaille actuellement est l’élaboration d’un outil de catéchèse pour les paroisses, qui s’inspire du modèle de la « catéchèse intergénérationnelle » (C.I.G.). Pour lancer ce travail, nous avons fait un appel à la collaboration, et c’est un groupe de travail d’une quinzaine de personnes (dont la plupart seront nommées « catéchètes titulaires » en paroisse à partir de septembre 2017) qui s’est mis à la tâche. Quelques personnes du groupe ont déjà mis sur pied des catéchèses intergénérationnelles, mais pour la plupart, c’est une dynamique nouvelle qu’on s’approprie ; le groupe constitue donc pour moi une sorte de laboratoire catéchétique.

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Pourquoi avoir choisi le modèle de la C.I.G., qui n’existe quasiment pas encore à Luxembourg, plutôt qu’un autre ? Je pense que ce modèle est « à la hauteur de la tâche » et particulièrement adapté à la réalité des personnes, au contexte culturel, sociologique et aux données anthropologiques de notre époque. Une « catéchèse pour tous » telle que nous la suggérons, dure en moyenne trois heures et inclut cinq moments constitutifs : 1) la dimension de l’accueil et de la communauté ; 2) le texte biblique / la Parole de Dieu ; 3) l’approfondissement personnel et l’actualisation du texte biblique dans des ateliers créatifs ; 4) la dimension liturgique / la célébration ; 5) la relecture / évaluation et la dimension prospective. La Bible est au cœur de cette structure. J’aimerais avancer quatre arguments qui me permettent de penser que ce modèle catéchétique est particulièrement ouvert et propice à une animation biblique de toute la pastorale : 1) On prend le temps ! Pour lire et entendre le texte, pour le comprendre dans son contexte, pour le laisser résonner (cf. Th. Osborne, option 1), il faut du temps. « La Bible a horreur de la simplification » disait André Wenin. Les textes sont presque toujours à lire sur plusieurs registres ; les récits sont souvent complexes – à la mesure de la complexité humaine elle-­même – et ne se livrent au lecteur qu’après un travail de lecture patient et d’appropriation attentive. 2) Le texte est reçu par la communauté après une phase d’accueil, où le groupe réuni a eu le temps de « s’échauffer », de faire connaissance, d’échanger quelques mots. L’atmosphère conviviale augmente les chances de la bonne écoute en groupe ! 3) « On donnera largement accès aux textes eux-­mêmes, sans en escamoter les difficultés, les saillies, les contradictions » ; je cite ici Daniel Laliberté1 qui est le responsable du dossier en question. On ose proposer le texte à tous, aux jeunes et aux moins jeunes. C’est la communauté tout entière qui reçoit le texte, sans l’intermédiaire d’un spécialiste qui en résume la teneur. 4) Dans les ateliers (troisième temps de la démarche catéchétique), on privilégiera une approche dialogale et d’appropriation personnelle, en facilitant les prises de parole et le va-­et-­vient entre l’expérience des personnes et le texte biblique. 1



Église catholique à Luxembourg, Ein Schatz im Acker / Un trésor dans un champ. Katechetische Lehrgänge für 6 bis 12 jährige / Parcours catéchétiques pour les 6 à 12 ans, Luxembourg, Service de la pastorale, 2017, p. 74.

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Notre projet de catéchèse est donc riche en promesses ! Cependant, je ne peux pas passer outre les difficultés, les résistances, les défis qui se présentent. Je ne comprends que trop bien que le Prof. Osborne parle d’impasses. Une difficulté que j’ai par exemple rencontrée dans l’élaboration des outils de catéchèse avec mon groupe de travail : la tentation est grande de choisir un thème et d’aller chercher des textes bibliques qui viennent « étoffer » ce thème, plutôt que de laisser les thèmes se développer à partir du texte biblique. Un défi particulier concerne la formation à offrir aux animateurs des communautés. Dans son option 2 : « Lire la Bible en communauté, en dialogue avec la vie humaine concrète », le Prof. Osborne formule toute une série de questions, notamment celle-­ci : « Quelle formation faut-­il proposer en vue d’authentiques serviteurs de la parole et du développement humain, plutôt que des manipulateurs ? » J’enchaîne avec une autre question : par quel bout commencer quand nous formons des multiplicateurs ? Développer surtout la compétence biblique et exégétique, la compétence théologique, la compétence spirituelle, voire la compétence communicationnelle ? Je suis frappée de constater que Thomas Osborne, un professeur d’exégèse parvenu à la fin de sa carrière professionnelle, parle autant d’attitudes à développer par les agents pastoraux et les spécialistes de la Bible : « l’humilité, le respect devant l’autre, […] la capacité à se remettre en question ». La compétence à « enseigner la Bible » serait donc tributaire d’une autre compétence, qui est à situer dans le domaine relationnel et communicationnel ? Quand je regarde le chemin que j’ai parcouru avec mon groupe de travail, je constate que j’ai investi pas mal d’énergie dans cette étape qui est préliminaire à toute question de contenu ou de méthode : mettre les gens en lien entre eux, modérer leurs échanges en partant de leurs expériences, valoriser leurs tentatives de développer une catéchèse résolument biblique et en lien avec la vie des personnes. Je pense que les futurs catéchistes devront agir de même dans leurs communautés respectives. Le « travail relationnel » est à mon avis indispensable et une partie constituante de la démarche de catéchèse. Je considère que les sciences humaines peuvent et doivent nous aider à développer des attitudes justes dans nos postures de formateurs et de formatrices. Personnellement, j’ai été grandement enrichie par une formation en médiation que j’ai suivie sur deux ans. Au gré de mes lectures ces derniers mois, je me suis sentie « confortée » par des théologiens qui travaillent dans le domaine de la catéchèse et de la pastorale. Permettez-­moi de pointer un certain vocabulaire en

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consonance avec ce que je trouve chez Thomas Osborne et que j’ai moi-­ même expérimenté : P. Philippe Bacq, jésuite et professeur à Lumen Vitae (Belgique), décédé récemment, dans la mouvance de ce qui s’appelle la « pastorale de l’engendrement », dit « qu’insister sur la qualité des relations est une manière renouvelée d’envisager la pastorale ». Ou encore : « suivre l’exemple du Christ, le bon pasteur, en se situant d’abord au niveau des attitudes, de la qualité relationnelle à vivre dans les engagements, les activités […] et soigner la manière d’être avant de se préoccuper des choses à faire ».2 Jens Ehebrecht-­Zumsande, un théologien allemand qui vient de publier un livre sur une nouvelle façon intergénérationnelle d’aborder le sacrement de l’eucharistie dans les paroisses, dit que les critères essentiels (Merkmale) d’une nouvelle vision de la catéchèse sont à chercher dans les « Grundhaltungen, die für ein geweitetes Katecheseverständnis und für die Entwicklungen neuer pastoraler Wege entscheidend sind ». Une catéchèse centrée sur le Christ, selon cet auteur – je traduis de l’allemand – « signifie – avant tout développement du contenu – des rencontres catéchétiques qui sont inspirées de l’évangile, c’est-­à-dire marquées par la manière dont Jésus rencontre les hommes ».3 Salvatore Curro (professeur de théologie, universités du Latran et de la Salésienne à Rome) emploie les expressions « capacité humanisante de la catéchèse » et « enjeux anthropologiques de la formation des catéchètes » ; il invite à « dépasser une vision instrumentale et unilatérale de la relation » et à considérer « qu’une relation (un langage) qui dépasse la fonction instrumentale doit être marquée par la réciprocité ».4 André Fossion note que la compétence spirituelle d’un catéchète ou animateur suppose « de se laisser évangéliser par ceux et celles qu’on s’efforce d’évangéliser », ce qui présuppose de véritables relations de réciprocité, et il recommande l’attitude de « la joyeuse démaîtrise » : nous sommes invités à « semer avec rigueur mais aussi à laisser pousser le grain – même la nuit ! »5

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Philippe Bacq, Olivier Ribadeau, « L’Évangile en pastorale », in Passeurs d’évangile : autour d’une pastorale d’engendrement, Bruxelles, Lumen vitae, 2008, p. 53. 3 Jens Ehebrecht-­Zumsande, Generationenverbindende Kommunionkatechese, Anregungen und Bausteine. Schwabenverlag, 2017, p. 20. 4 Salvatore Curro, « Les enjeux anthropologiques de la formation des catéchètes », Lumen Vitae, Vol LXXI no 4, 2016, p. 416-418. 5 André Fossion, « La compétence catéchétique. Perspectives pour la formation », in Henri Derroitte et Danielle Palmyre (dir.), Les nouveaux catéchistes. Leur formation,

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L’option 3 de Th. Osborne s’intitule : « La fréquentation de la Bible nous forme et nous transforme », et l’auteur y décrit l’action formatrice des psaumes par ces mots : « J’apprends l’humilité devant la réalité et devant l’autre, j’apprends les limites de mes propres énoncés et de mes jugements ». Cette posture d’humilité, est-­ce qu’elle peut s’apprendre ? Est-­ce qu’elle peut être encouragée au cours de la formation que nous donnons aux multiplicateurs ? Je pense que oui, dans la mesure où nous formons en développant simultanément les différents niveaux : et la compétence biblique et théologique, et la compétence pédagogique, et l’approche spirituelle. Or cette approche intégrale est à l’œuvre dans une dynamique comme la Lectio divina, que Thomas Osborne recommande vivement. Thomas Osborne pose aussi la question : « Comment laisser la place et le temps nécessaires à celles et ceux qui tentent de frayer leur chemin dans la lecture du texte ? » Jésus nous donne l’exemple (j’ai à l’esprit une enluminure du Codex aureus6 créé vers l’an 1030 au scriptorium de l’abbaye d’Echternach, présentant la résurrection de Lazare, tout entière structurée à partir du regard de Jésus, ouvrant la porte sur la façon dont Jésus instaure des relations par sa parole et ses gestes. Contempler de telles images ouvre une fenêtre dans le texte de l’évangile, nous invitant à prendre notre place dans le récit). Jésus est un maître dans l’art d’entrer en relation authentique avec les personnes. Inspirons-­nous de sa manière d’aborder les hommes et les femmes, de sa pédagogie. De nombreux récits évangéliques, en particulier les récits de guérison, nous présentent un Jésus en interaction, un Jésus qui ouvre un espace de parole à son vis-­à-vis. Jésus accueille ce vis-­à-vis, l’attend, le temps que sa langue se délie : condition pour que la personne puisse prendre sa place, exister comme être de désir. C’est alors seulement que le miracle peut s’opérer.

leurs compétences, leur mission, « Pédagogie catéchétique », no 21, Bruxelles, Lumen Vitae, 2008, p. 27-28. 6 NDLR : Lors de sa prise de parole, l’intervenante a présenté cette enluminure aux personnes participant au colloque. Malheureusement, aucune reproduction de cette image n’est disponible sur le web.

Chapitre quatrième / Fourth Chapter Comment former pour que s’implante l’animation biblique de toute la pastorale ? / How to train, in order to implement the Biblical animation of the whole pastoral life? Fière des « origines luxembourgeoises » de l’expression Animatio biblica totius actionis pastoralis, la Luxembourg School of Religion & Society souhaite développer une expertise dans l’enseignement de l’animation biblique de toute la pastorale. Son corps professoral ne prétend pourtant pas à une compétence supérieure dans ce domaine : ce concept est encore si neuf qu’aucun théologien ou agent de pastorale n’a été formé, dans quelque institution théologique que ce soit, dans cet esprit. Comme nous l’avons dit en introduction, c’est une des raisons d’être du colloque organisé au Centre Jean XXIII en mars 2017 : réunir des théologiens d’horizons variés afin de préciser la compréhension de cette expression, ce qui fut l’objet des deux premières sessions. Les dernières contributions du présent volume visent ainsi à identifier si possible un certain nombre de conséquences de ces réflexions sur la façon dont devraient être formés les agents pastoraux dans les facultés de théologie, afin qu’ils soient habilités à piloter l’implantation de l’animation biblique de toute la pastorale dans les communautés chrétiennes qui leur seront éventuellement confiées. Dans un premier temps, Y. Guérette propose de comprendre le rôle de la théologie comme servante de la lecture et de l’interprétation de deux livres : les Écritures et l’histoire de vie de ses lecteurs. Pour ce faire, il est nécessaire d’une part que l’exégèse se laisse imprégner par l’Esprit qui est à la source des Écritures et, d’autre part, que la théologie soit le lieu de rencontre entre les récits des humains d’aujourd’hui et les récits de ces autres humains qui furent recueillis dans les Écritures ; ainsi peut se dire pour aujourd’hui quelque chose de la Révélation divine. Guérette rappelle ensuite que le salut est d’abord une expérience de séduction et de retournement, qui ne s’enseigne pas. Irréductible à une technique, la formation à l’animation biblique de toute la pastorale

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convoque l’enseignant en théologie à témoigner de la manière dont il se laisse lui-­même traverser par le mystère afin de vivre au cœur du monde et de l’Église. N’est-­ce pas d’abord ainsi que « s’implante en nous » l’animation biblique de notre existence ? Dans le cadre du colloque, l’intervention de Guérette fut suivie d’un travail en ateliers et d’une conclusion en assemblée plénière, qui ne font pas ici l’objet d’une présentation propre, mais dont nous avons tenu compte dans le texte de conclusion de ce volume. Laliberté et Rubel cherchent ici à synthétiser les différentes utilisations de l’expression animation biblique de toute la pastorale au fil de ce parcours de réflexion, pour en proposer une définition fonctionnelle articulant les deux pôles de la formule : « toute la pastorale » et « animation biblique ». Ils s’appuient ensuite sur le « processus d’évangélisation », instauré par Jean-­Paul II dans Catechesi tradendae et qui porte une compréhension organique de « toute la pastorale », pour mettre en évidence le potentiel de transformation de la vie des communautés chrétiennes que constitue une réelle animation biblique. Ils s’intéressent enfin aux compétences requises de la part des responsables pastoraux et, en conséquence, à la formation théologique qui doit leur être proposée, tout en rappelant que rien de tout cela ne pourra naître sans qu’un profond désir de changement croisse dans le cœur de ces animateurs de la vie des communautés chrétiennes. Proud of the “Luxembourg origins” of the expression Animatio biblica totius actionis pastoralis, the Luxembourg School of Religion & Society wishes to develop an expertise in the teaching of the Biblical animation of all the pastoral life. Its group of teachers, however, does not claim superior competence in this field: this concept is still so new that no theologian or pastoral agent has been trained, in any theological institution, in this spirit. As we said in the introduction, this is one of the reasons for the Conference organized at the Centre Jean XXIII in March 2017: bringing together theologians from various backgrounds to clarify the understan­ ding of this expression. This has been the subject of the first two sessions. The last contributions of this book aim, thereby, at identifying, if possible, a certain number of consequences of these reflections on the way in which the pastoral agents should be trained in theology faculties, so that they may become able to lead the implementation of the Biblical animation of all pastoral life in the Christian communities, which they might be responsible for.

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At first, Y. Guérette proposes to understand the role of theology as servant of reading and interpreting two books: the Scriptures, and the « storybook » of its readers. To do this, it is necessary, on the one hand, that exegesis be permeated by the Spirit who is at the source of the Scriptures and, on the other hand, that theology be the meeting place between the narratives of today’s humans and those human narratives that are gathered in the Scriptures; then can something of Divine Revelation be said for today. Then, Guérette states that salvation is first and foremost an experience of seduction and reversal, something that cannot be taught. Irreducible to a technique, training for Biblical animation of all the pastoral life calls the theology teacher to testify of the way he allows himself to be traversed by the mystery, in order to live amidst the world and the Church. Is it not, first of all, the way through which biblical animation of our own life can be “implemented” in us? In the context of the Conference, Guérette’s intervention was followed by workshops and a conclusion in a plenary session, which are not presented in a specific presentation here, but which have been considered in the concluding text of this volume. Laliberté and Rubel seek here to synthesize the different uses of the expression Biblical animation of all the pastoral life throughout all those contributions, in order to propose a functional definition articulating the two poles of the formula: “the whole pastoral life” and “biblical animation”. They then refer to the concept of “process of evangelization”, initia­ ted by John Paul II in Catechesi tradendae and which carries an organic understanding of “all pastoral life”, to highlight the potential of a real biblical animation to transform the life of Christian communities. Finally, they aim at the skills that are required of pastoral leaders and, consequently, at the theological training to be offered to them, while recalling that none of this will be possible if no strong desire for change grows in the heart of these animators of the life of the Christian communities.

Former à l’animation biblique de toute la pastorale : un travail d’expert en démaîtrise Yves Guérette Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval

1. La théologie : au service de la lecture et de l’interprétation de deux livres La théologie se consacre au service ecclésial de l’écoute du Christ par la médiation de l’Écriture et ce, par la mobilisation de toutes les ressources de la rationalité. « L’écoute de la Parole de Dieu est le principe définitif de la théologie catholique ».1 Cette dernière trouve dans le Christ, le sommet et la plénitude de la Révélation divine accueillie dans la foi comme vérité du salut.2 Les Écritures constituent donc le premier « centre névralgique » de toute entreprise de construction du discours théologique, comme le rappelle le Concile. La théologie sacrée s’appuie sur la parole de Dieu écrite, inséparable de la sainte Tradition, comme sur un fondement permanent ; en elle aussi elle se fortifie, s’affermit et se rajeunit toujours, tandis qu’elle scrute, sous la lumière de la foi, toute la vérité cachée dans le mystère du Christ. Les Saintes Écritures contiennent la parole de Dieu et, puisqu’elles sont inspirées, elles sont vraiment cette parole ; que l’étude de la Sainte Écriture soit donc pour la sacrée théologie comme son âme.3

Or, il apparaît ici nécessaire de réfléchir à partir de la première partie de l’intitulé de cet exposé : défis et perspectives pédagogiques en vue de l’enseignement des Écritures et de la théologie, en dialogue avec les vicissitudes de la vie humaine. 1



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Commission théologique internationale, La théologie aujourd’hui : perspectives, principes et critères, 2012, no 4. Ibid., no 5. Vatican II, Constitution dogmatique Dei Verbum, no 24.

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Il serait évidemment difficile d’envisager qu’il y ait d’un côté l’enseignement de la théologie et de l’autre l’enseignement des Écritures comme deux disciplines qui évolueraient de manière autonome ou plus ou moins indépendante. C’est bien l’Écriture qui est à la source de toute la théologie, avons-­nous réaffirmé plus haut dans le sillage du Magistère. Or l’exégèse biblique risque de demeurer au seuil de la Révélation si elle ne se laisse pas imprégner par l’Esprit saint, inspiration de l’Écriture. C’est seulement à cette condition qu’elle pourra se laisser traverser par la Révélation4 et espérer en traduire quelque chose dans son discours. Insistant sur le lien entre l’inspiration des Écritures et l’exégèse biblique, Benoît XVI confirme que « lorsque s’affaiblit en nous la conscience de son inspiration, on risque de lire l’Écriture comme un objet de curiosité historique et non plus comme l’œuvre de l’Esprit Saint, par laquelle nous pouvons entendre la voix même du Seigneur et connaître sa présence dans l’histoire ».5 L’exégèse et l’enseignement de la Bible sont en cela des œuvres éminemment théologiques. L’enseignement de l’Écriture et de la théologie sont si intimement liés l’un à l’autre que l’un ne peut procéder sans l’autre puisqu’inspirés par le même Esprit qui seul peut donner accès à l’intelligence du mystère. Révélation, Écriture, inspiration de l’Esprit Saint sont donc au fondement de l’acte théologique. À l’Écriture et à la Tradition comme fondement de l’acte théologique, on doit ajouter celui de l’histoire qui doit être considérée comme le second « centre névralgique » du discours en quête de rationalité sur la Révélation. Bien que la Révélation soit close avec la mort du dernier apôtre, elle ne peut être interprétée et portée au langage sans un véritable travail de réception dans tous les « ici et maintenant » de la trame de l’histoire des vies humaines, dans leurs récits, leurs événements et leurs expériences. La théologie n’existe donc pas comme une science ou un discours sans rapport essentiel avec les cultures et les récits humains. Elle ne se penche pas sur la vie humaine pour l’éclairer comme un réservoir de réponses déjà fabriquées qu’elle n’aurait qu’à proposer selon les différentes questions et les défis que pose la vie du monde. Ce sont plutôt les expériences du monde et les récits des humains d’aujourd’hui qui, relus à la lumière des 4



5



« “Révélation” peut s’entendre à deux niveaux différents. D’une part, c’est la révélation de ce qui est indicible, l’inexprimable situé au-­delà de la connaissance notionnelle et qui constitue le fondement de l’expérience de foi – tant dans la praxis que dans la pensée. D’autre part, on appelle aussi révélation cet inexprimable “réfléchi” : la manifestation exprimée en concepts et ainsi en quelque sorte “comprise” du fondement de la foi, non directement saisissable par la pensée ». Edward Schillebeekx, L’histoire des hommes, récit de Dieu, Paris, Cerf, 1992, p. 62. Benoît XVI, Exhortation apostolique Verbum Domini, 2010, no 19.

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récits des humains recueillis dans les Écritures, permettent de dire pour aujourd’hui quelque chose de la Révélation divine. Pour le théologien, « l’histoire divine du salut apparaît toujours […] dans l’histoire humaine du salut, la Révélation dans la foi, et inversement ».6 Aucune théologie possible sans histoire puisque « le salut vient par l’histoire […]. L’histoire est par là-­même salvatrice, et assure à l’existence sa véritable essence (et non point son aliénation), parce que cette histoire est fondée divinement, et que c’est justement dans la réception du fait historique que ce qui est supra-­ historique et éternel est rendu présent ».7 D’ailleurs, comme le souligne Balthasar, « dans l’esprit de la Révélation, il n’y a pas de vérité authentique qui ne soit incarnée dans des actes, dans une “marche” ; cette incarnation devient même le critère de toute vérité authentique ».8 La théologie est un discours nécessairement situé dans le temps et dans un lieu. Il doit sans cesse être repris en raison des multiples récits des hommes et des femmes de chaque époque et de chaque culture, en fonction des questions toujours nouvelles et des situations inédites qui surviennent souvent de manière fortuite. S’il en est ainsi, c’est qu’à sa source la plus explicite, « la révélation se donne à connaître dans un événement humain observable, pour les chrétiens, dans la vie de Jésus. C’est là, dans notre histoire, qu’elle devient le fondement de la foi. Ainsi devient-­elle expression catégoriale, description au moyen de concepts, des registres insondables de l’expérience humaine. En définitive, ce sont les humains eux-­mêmes qui donnent la parole à la révélation divine : ils racontent ce qu’ils n’ont ni conçu ni projeté par eux-­mêmes ».9 En ce sens, le dialogue avec les « vicissitudes de la vie humaine », pour reprendre l’intitulé de notre conférence, constitue le second lieu essentiel de la construction du discours théologique. Schillebeeckx affirme à cet effet que l’interprétation vivante de la foi s’effectue, schématiquement, en deux phases qui constituent en fait un seul tout dialectique : En premier lieu : chaque prise de position croyante doit pouvoir se justifier par un recours à la tradition de foi chrétienne. […] En second lieu : chaque prise de position croyante doit en outre se justifier par un recours à la « situation actuelle » dûment analysée et interprétée. […] Nous ne pouvons en effet saisir la tradition chrétienne qu’à partir des questions que nous posent les situations actuelles ; comprendre 6

Karl Rahner, Traité fondamental de la foi, Introduction au concept du christianisme, Paris, Le Centurion, 1983, p. 167-168. 7 Cardinal Joseph Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, Esquisse et matériaux, « Croire et savoir », Paris, Tequi, 1985, p. 169. 8 Hans Urs von Balthasar, « Théologie et sainteté », Le Dieu vivant, no 12, 1948, p. 18. 9 Edward Schillebeeckx, L’histoire des hommes, récit de Dieu, Paris, Cerf, 1992, p. 63.

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notre passé implique à soi seul une interprétation du présent. À l’inverse : notre saisie chrétienne critique du présent est elle-­même sous l’influence historique de la tradition chrétienne.10

Sans histoire, la théologie est réduite à un processus de fabrication de concepts, tout au plus à de l’idéation possiblement en danger de recroquevillement sur elle-­même. Cette menace traverse une partie de l’histoire de la théologie. Balthasar l’évoque de la manière suivante : La profonde conception chrétienne que les efforts des Pères avaient réussi à élaborer en face des Grecs, de la gnose et de Philon, se perdit encore une fois ; la tragique scission de l’Idée et de l’Histoire se constitua de nouveau en faveur d’un monde des Idées où l’Histoire n’avait pas sa place. On cessa de voir dans la révélation historique l’événement qui s’impose à l’intelligence et à l’obéissance comme toujours actuelle ; mais l’événement supposé, on l’oublia pour s’attacher à ses effets qui seuls fournissaient la matière à la réflexion théologique.11

Au sein de toutes les disciplines de la théologie, ce sont les questions passées – pour comprendre l’histoire de la théologie – et les questions contemporaines – pour enseigner la théologie aujourd’hui – qu’il faut mettre au jour, explorer et apprécier dans toute leur gravité et leur densité. Ayant appris à les lire avec rigueur, il importe par la suite ou préférablement dans un même souffle, de les mettre en dialogue avec l’Écriture et la Tradition. Deux livres ouverts : Écriture et histoires qui comportent chacun leurs exigences et leurs manières fines et attentives de lire sans raccourcis et à distance de tout a priori les récits qui les composent.

2. Deux premières propositions pour l’enseignement de la théologie, en vue de former les personnes qui seront responsables de l’implantation de l’animation biblique de la pastorale Comment l’enseignement de la théologie peut-­ il contribuer ou conduire au renouvellement de toute la pastorale par « la rencontre personnelle avec le Christ qui se communique à nous dans sa Parole »12 ? Tout d’abord, me semble-­t-il, par l’apprentissage exigeant et rigoureux de 10

Ibid., p. 78. Hans Urs von Balthasar, « Théologie et sainteté », op. cit., p. 29. 12 Benoît XVI, Verbum Domini, op. cit., no 73. 11

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la lecture et de l’interprétation des récits humains et par celui tout aussi exigeant et rigoureux de l’Écriture accueillie d’abord comme des récits d’Alliance entre les humains et Dieu. On peut formuler ici une première conviction quant à la formation en vue de l’animation biblique de toute la pastorale, formulée sous forme d’un souhait possiblement étonnant : que les théologiens en formation soient d’abord initiés à la lecture et à l’interprétation de leur propre histoire et de leurs récits de vie. Cet apprentissage de la lecture et de l’herméneutique des récits humains que traversent les théologiennes et théologiens en formation pourra offrir un « corps » et une densité inouïe aux questions théologiques qui seront abordées par la suite. Elle pourra constituer pour chacun d’eux le terreau de l’élaboration du discours et de la réflexion théologique. Les questions existentielles émanant des expériences et de l’histoire de ces futurs agents pastoraux, comme celles que portent les professeures et professeurs de théologie, deviendront autant de pierres d’attente de l’intelligence de la Révélation à recevoir comme bonne nouvelle du salut. Je crois que ce ne peut être qu’«  à vif  » que l’on fait de la théologie. Comme Jacob, c’est à bras le corps que l’on se bat avec l’ange dans nos différentes nuits (Gn 32,23-32). En esquivant ce combat qui concerne les drames des professeurs de théologie et ceux des étudiants, on pourra enseigner la théologie comme une science autoportante qui répand sur l’existence humaine de son bon parfum, une conceptualisation risquant la stérilité du concept de Révélation. Dans ce cas, on le devine, les conséquences d’un enseignement de la théologie sans corps, sans transpiration, sans sueur, sans drame humain, contribuera plus difficilement à une animation de la pastorale pour laquelle les envoyés sauront pleurer avec ceux qui pleurent et se réjouir avec ceux qui sont dans la joie (Rm 12,15). Comment et pourquoi consentir à une telle exposition, à une telle vulnérabilité dans la compassion, si toute l’intelligence de la foi n’a pas contribué à découvrir que le Christ et son corps qu’est l’Église n’a de cesse d’épouser nos propres croix, de rouler nos pierres de tombeau et de nous faire entrer dans nos matins de Pâques ? Ce premier apprentissage m’apparaît essentiel afin d’habiliter les théologiennes et théologiens à lire et à interpréter, par la suite, l’histoire des hommes et des femmes d’ici et de maintenant avec prudence, avec respect et surtout dans un esprit d’accueil du mystère. Cet apprentissage théologique et spirituel pourra devenir une expérience fondatrice ou re-­ fondatrice pour les praticiens et les responsables de l’animation biblique de la pastorale.

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Ajoutons que, pour lire la densité et l’épaisseur de la vie du monde, la théologie pratique devrait mettre à profit tous les savoirs des sciences humaines et certains de ses outils, dont notamment les méthodes de recherche qualitative. Leur application rigoureuse constitue une véritable école d’écoute et de réception de l’expérience de nos contemporains. En ce sens, comment faire théologie aujourd’hui sans la nécessité de cette interdisciplinarité bienheureuse ? Notre deuxième conviction concerne la nécessité d’apprendre à lire la Bible en veillant à éviter les différents écueils de son instrumentalisation dans la pastorale. Entre l’exégèse biblique et le service de l’Écriture en Église, on constate souvent hélas trop peu d’affinités ou peut-­être de trop grandes affinités ! Un enseignement de l’exégèse biblique qui ne se limiterait qu’à une présentation scientifique des textes et à une approche technique risquerait de réduire la Bible à un objet d’étude qui n’apparaîtrait plus alors comme l’un des lieux privilégiés de la rencontre de la Parole, déstabilisante, que l’on ne peut posséder d’aucune manière et qu’on ne peut quémander qu’humblement. Il est possible qu’une exégèse qui, à certains moments de l’histoire, s’est distancée de ses racines théologiques ait pu conduire certains praticiens de la pastorale dans des rapports déficients avec l’Écriture. De fait, on rencontre encore aujourd’hui des responsables de la pastorale qui considèrent le texte biblique comme un réservoir d’informations sur Dieu, comme une somme de renseignements sur l’histoire passée et surtout comme un recueil d’appuis théoriques pour leurs explications à communiquer au sujet de Dieu. Il est possible que ce soit de la sorte que l’enseignement de la Bible leur ait été adressé ! D’autres y chercheront des exemples à suivre pour le vivre à la manière de l’Évangile et pour fonder les « valeurs chrétiennes ». Dans tous ces cas de figure, la Bible est réduite à un instrument, une banque de documents à consulter pour ancrer des propos et des enseignements dans une vérité considérée a priori comme incontestable. Dans tous ces cas, on aura oublié que l’Écriture présente d’abord des récits d’Alliance, de relations entre les humains et avec Dieu, qu’elle permet la rencontre avec Quelqu’un ; on aura oublié que la Parole, c’est le Christ et que l’Écriture en est l’une des plus importantes médiations. Une théologie fondée sur la Parole de Dieu par la fréquentation de l’Écriture devrait conduire à la contemplation du mystère de Dieu. L’enseignement de l’exégèse devrait conduire nécessairement au même endroit. En offrant des méthodes et des moyens pour lire simultanément les récits bibliques et les récits humains dans un mouvement de va-­et-­vient, la contribution de l’enseignement de la théologie pourra pointer certaines

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avenues possibles et des balises utiles à l’animation biblique de toute la pastorale. Toutefois, à strictement parler, j’ose avancer que l’animation biblique de toute la pastorale s’enseigne plutôt difficilement. Il serait même possiblement périlleux de s’investir dans une telle entreprise sans réduire l’animation de toute la pastorale par la Parole à quelques concepts et à quelques méthodes nécessairement très limitées et réductrices de la chose. Il est impératif de remettre en perspective que c’est l’Esprit saint, dans la communion avec le Père et le Fils, qui anime les vivants. Tout principe d’animation en Église trouve sa source en Dieu. C’est par l’œuvre de la Trinité que nous avons « la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17,28) comme l’affirmait Paul aux Athéniens. L’enseignement, tel que le plus souvent nous le mettons en œuvre de manière magistrale, pourrait aller à l’encontre de l’animation de toute la pastorale par la Parole, en laissant présager qu’on peut la mettre en œuvre en fonction de notre intelligence de son objet et de notre appropriation de son modus operandi. Il m’apparaît assez clairement que la théologie devra alors être enseignée et communiquée selon un esprit et une posture de service désintéressé. C’est dans la démaîtrise et dans le dépouillement de toute prétention que les disciples pourront revêtir le vêtement que le Maître a lui-­même revêtu : celui de serviteurs d’une œuvre qui n’est pas la leur et pour laquelle ils doivent se considérer comme « quelconques ». La posture de profonde modestie devant le mystère qui les dépasse et dans lequel ils se sentent enveloppés, heurte l’image du théologien et de la théologienne que l’on aime considérer comme des maîtres ou qui aiment se considérer de la sorte : « car vous n’avez qu’un Maître, et tous vous êtes des frères » (Mt 23,8) rappelle avec force le Christ. Cette perception du théologien à l’image d’un maître pourrait laisser présager que l’activité pastorale demande aussi des maîtres… Ce serait là une grave imposture pour l’animation biblique de toute la pastorale. Comment le théologien et la théologienne peuvent-­ils être considérés comme des « experts » à leurs propres yeux et aux yeux des autres ? Cette représentation du théologien et de la théologienne comme experts pourrait laisser présager que l’animation biblique de toute la pastorale exige aussi des experts… Ce serait là, selon moi, une autre grave imposture. S’ils sont appelés à être experts, c’est peut-­ être parce que leur manière d’être à eux-­mêmes et aux autres témoigne que leurs savoirs sont nécessairement partiels, limités et à reprendre sans cesse pour l’ici et le maintenant de la vie du monde. Experts en démaîtrise si cela est envisageable ; experts en humilité, en raison de leur propre humus qu’ils découvrent fécondé de manière toujours surprenante par le Tout-­Autre. Nourrissant l’économie des mots, en contact avec leur propre fragilité appelée à être transfigurée et témoignant qu’ils tentent simple-

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ment de demeurer en présence du mystère qui les habite, le théologien et la théologienne pourront témoigner, par leur manière d’enseigner, que l’animation de la pastorale doit impérativement demeurer l’initiative de Dieu lui-­même. Ils rendront compte que la Parole n’est ni un outil, ni un objet, ni un moyen pour mieux « faire » la pastorale, mais bien l’ultime médiation qui ouvre de manière toujours percutante et inédite au mystère de Dieu enfoui et en travail dans les récits des hommes et des femmes. À tel type de formation et à tels formateurs peut correspondre habituellement tel type de praticiens et de pratiques. À tel type de théologie correspond tel type de pastorale, pourrions-­nous oser avancer. Si cela peut avoir un fond de vérité, alors la fragilité de l’animation de toute la pastorale par la Parole devrait remettre en question l’enseignement de la théologie autant que l’Église toute entière.

3. Posture du théologien : se tenir dans la difficile fracture du sans mot afin d’entendre un murmure venu d’ailleurs Comme nous venons de le voir, le théologien et la théologienne travaillent à partir de deux livres qu’ils tentent d’ouvrir et de lire conjointement sinon simultanément : les récits de la vie humaine dans leur « ici et maintenant » et les récits cryptés dans les Écritures. Chacune de ces lectures comporte ses exigences propres et ne peut faire l’objet de raccourcis ou d’interprétations hâtives. Une lecture très fine de ces deux livres est nécessaire. C’est par la rencontre, par l’irrigation et par les interpellations mutuelles de ces récits que la Parole vivante peut jaillir et retentir de manière inédite pour aujourd’hui. Cependant, la théologie ne peut être réduite qu’à un exercice de lecture méthodique et scientifique des récits de nos contemporains et de ceux de la Bible. « La Parole divine introduit chacun de nous dans un dialogue avec le Seigneur. Le Dieu qui parle, nous apprend comment nous pouvons parler avec Lui ».13 C’est la Parole divine qui engendre la parole du théologien, de la théologienne. J’ose affirmer que si l’humain prétend interroger Dieu, la fréquentation des Écritures opère le plus souvent un renversement déroutant : c’est Dieu qui interroge l’humain, l’interpelle, l’éveille, le conduit et le fait passer sur l’autre rive. Il est donc envisageable que le théologien n’ait pas l’initiative Benoît XVI, Verbum Domini, op. cit., no 24.

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du discours, puisqu’il est plutôt appelé à traduire et à communiquer ce qu’il écoute et ce qu’il reçoit à partir de la Parole. Il demeure le transmetteur, à l’aide de toutes les ressources de la Tradition et des sciences de l’humain, d’une Parole qui demeure ultimement celle du Tout-­Autre. Sans cette attitude de réception et de communication d’une Parole offerte et donnée, la Parole pourrait être réduite à une parole humaine. Elle pourrait être contenue et réduite aux cadres, aux repères et aux schèmes de pensée de l’homme. « La théologie ne peut pas être une connaissance simplement “théorique”, qui ne serait pas existentiellement engagée. Elle doit être théologie méditative et kérygmatique, si elle veut correspondre à son objet et être ainsi scientifique ».14 Jésus lui-­même, la Parole divine faite chair, se situera essentiellement dans cette même posture de réception de la Parole d’un Autre dont il se fait l’humble témoin, dénué de toute prétention de possession de quelconque manière. Il est inscrit fondamentalement dans une dynamique de réception d’un don et de communication de ce don : « Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-­même : mais le Père demeurant en moi fait ses œuvres ». (Jn 14,10). Il dira de même : « Car ce n’est pas de moi-­même que j’ai parlé, mais le Père qui m’a envoyé m’a lui-­même commandé ce que j’avais à dire et à faire connaître ; et je sais que son commandement est vie éternelle. Ainsi donc ce que je dis, tel que le Père me l’a dit je le dis ». (Jn 12,49-50) La Parole est toute tournée vers le salut du genre humain. Elle est subversive parce qu’elle fait éclater toute réclusion, parce qu’elle libère de tout avilissement et qu’elle affranchit de toute forme de réduction de l’humain. Elle fait retentir l’appel à sortir des esclavages de toutes sortes, elle conduit à travers la purification du désert l’esprit encore sous la coupe de ses dominations et ouvre des Terres promises dont la beauté et la grandeur demeurent le plus souvent plus ou moins insoupçonnables. C’est que vos pensées ne sont pas mes pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins – oracle du Seigneur. C’est que les cieux sont hauts, par rapport à la terre : ainsi mes chemins sont hauts, par rapport à vos chemins, et mes pensées, par rapport à vos pensées. C’est que, comme descend la pluie ou la neige, du haut des cieux, et comme elle ne retourne pas là-­haut sans avoir saturé la terre, sans l’avoir fait enfanter et bourgeonner, sans avoir donné semence au semeur et nourriture à celui qui mange, ainsi se comporte ma parole du moment qu’elle sort de ma bouche : elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’avais envoyée. C’est en effet dans la jubilation que vous sortirez, et dans 14

Karl Rahner et Herbert Vorgrimler, Petit dictionnaire de théologie catholique, Paris, Seuil, 1961, p. 466.

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la paix que vous serez entraînés. Sur votre passage, montagnes et collines exploseront en acclamations, et tous les arbres de la campagne battront des mains. (Is 55,8-12)

La Parole est toute tournée vers le salut du genre humain. Elle fait éclater les rigidités, les fausses certitudes, les dominations, les élévations des humains, les prétentions au contrôle et au pouvoir, les orgueils de ceux et celles qui prétendent posséder des savoirs sur Dieu. Saint Paul le rappelle concrètement aux Corinthiens : Que personne ne s’y trompe : si quelqu’un parmi vous pense être un sage à la manière d’ici-­bas, qu’il devienne fou pour devenir sage. Car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. Il est écrit en effet : C’est lui qui prend les sages au piège de leur propre habileté. Il est écrit encore : Le Seigneur le sait : les raisonnements des sages n’ont aucune valeur ! (1Co 3,16-18)

La Parole est toute tournée vers le salut du genre humain. Elle engendre, féconde, conçoit, procrée et provoque. C’est elle qui a l’initiative en toutes choses. La vocation du théologien consiste à scruter les manifestations de ces bourgeonnements de printemps inespérés et sans cesse surgissant de la mort sous toutes ses manifestations dans les récits des humains par des allers-­retours avec les récits bibliques et la Tradition. Tout le travail du théologien et de la théologienne doit être à la solde de l’action de l’Esprit, inspirateur des Écritures. C’est lui qui ouvre à l’intelligence de la Parole et sans lui, le théologien et la théologienne pourraient demeurer en extériorité par rapport au mystère de Dieu et à la Révélation du salut. « Aussi, la théologie est-­elle une science qui suppose la foi (la grâce de la foi) et l’Église (Magistère, Écriture et Tradition) ».15 La théologie est appelée à se laisser pénétrer par le mystère de Dieu. Elle y est introduite et conduite sous la gouverne de Dieu qui est « essentiellement caché à l’homme (mystère), et se communiquant dans la grâce à travers et par son action de salut à l’égard de l’homme en Jésus-­Christ ».16 Sous l’action de l’Esprit saint, pour reprendre les mots de Balthasar, la théologie se fait priante. Sa forme [celle du deuxième postulat d’une dogmatique chrétienne] doit trahir l’attitude de prière du penseur docile à sa foi en présence de l’objet de sa réflexion. Cette atmosphère de prière, révélant que nous sommes dans le sanctuaire de Dieu quand nous faisons de la théologie, est celle dans laquelle ont vécu les Pères et les grands Docteurs. Pour savoir ce qu’est la théologie 15

Ibid. Ibid.

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priante, c’est-­à-dire authentique, observons saint Anselme de Cantorbéry. Nec quarere te possum, nisi tu doceas, nec invenire, nis te ostendas. C’est dans la prière qu’il approche du mystère ; dans la prière qu’il entreprend ses recherches les plus abstraites sur Dieu et ses attributs ; dans la prière qu’il tente d’oublier en pensée son acte de foi, pour faire apparaître la valeur démonstrative des « rationes necessariae ». C’est dans la prière que, s’ouvrant à la Révélation de Dieu dans le Christ il comprend qu’il y a aussi, dans la révélation naturelle de Dieu par la création et par la raison, une révélation unique – quelque chose qu’on ne peut pas recevoir d’un cœur moins humble que la Révélation historique. Pour lui, nature et surnature, science et foi ne s’opposent pas comme profane et sacré : sa foi lui apprend que même la raison a été créée pour la foi, la nature pour la grâce, et que toutes deux s’unissent pour révéler l’insaisissable amour de la Trinité. Ainsi donc, la prière est la seule attitude réelle devant le mystère, elle vide la théologie de tout présupposé à la pure soumission de la foi, car elle exprime la « tabula rasa » d’un amour qui attend et ne devance pas.17

Enfin, notre troisième conviction pour un enseignement de la théologie en vue de former les personnes qui seront responsables de l’implantation de l’animation biblique de la pastorale concerne l’apprentissage de l’interprétation des expériences de salut. Si l’on peut enseigner et communiquer l’histoire du salut, le salut lui-­même peut évidemment plus difficilement s’enseigner de manière magistrale. Le relèvement, le passage, l’affranchissement et la divinisation peuvent se communiquer par le biais de leur conceptualisation, mais ne peuvent se transmettre comme on transmet un objet, fût-­il conceptuel. Le salut dans l’histoire est d’abord une expérience. Il est interprétable dans toute expérience qui rend l’humain à l’humain. L’acte de foi et la quête d’intelligence de la foi du théologien et de la théologienne leur permettent d’interpréter les signes de l’action de Dieu qui n’a de cesse d’attirer l’humanité à lui, de la chercher, de s’en approcher et de la séduire de nouveau afin qu’elle se retourne et revienne à lui (Os 2,16). Or, on n’enseigne pas une telle expérience de séduction et de retournement. C’est seulement à bout de souffle, qu’on peut consentir à se laisser réanimer. C’est seulement lorsque brisé qu’on peut accepter de se laisser refaire et soigner. C’est seulement lorsque vaincu que l’on peut accepter d’être repris et relevé. C’est lorsque mort que l’on peut participer à la résurrection. « Tu m’as séduit, Yahvé, et je me suis laissé séduire ; tu m’as maîtrisé, tu as été le plus fort ». (Jr 20,7) Si la foi donne accès au consentement à être possédé, à être relevé et à la participation à la résurrection, la théologie ne peut être étrangère ni extérieure au même mouvement. Son enseignement non plus. Dans son 17

Hans Urs von Balthasar, « Théologie et sainteté », op. cit., p. 30.

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texte au sujet de la théologie, la Commission théologique internationale rappelle aujourd’hui aux théologiens et à toute l’Église qu’ alors même qu’elle poursuit une vraie sagesse dans son étude du mystère de Dieu, elle (la théologie) reconnaît la priorité absolue de Dieu ; elle ne cherche pas à posséder Dieu, mais à être possédée par lui. Elle doit donc être attentive à ce que l’Esprit dit aux Églises à travers « la science des saints ». La théologie suppose un effort vers la sainteté et une conscience chaque jour plus aiguë de la transcendance du mystère de Dieu.18

On pourra avancer qu’une autre des voies à considérer pour la formation des responsables de l’animation biblique de toute la pastorale sera l’art et la manière par laquelle les professeurs se présenteront devant les étudiants. Ne devront-­ils pas d’abord témoigner de la manière par laquelle ils se posent eux-­mêmes devant le mystère, qu’ils se laissent traverser par celui-­ci et comment le mystère reconfigure leur manière d’être au cœur du monde et de l’Église ? Un enseignement empreint d’une profonde douceur, véritable force du Tout-­Autre, pourra possiblement questionner sinon désarmer certaines rigidités et des certitudes trop souvent érigées en préceptes qui peuvent devenir autant de fardeaux liés et imposés sur le dos des gens (Mt 23,4) dans l’activité pastorale. Un enseignement présenté comme une recherche inachevée, une quête à nourrir et à approfondir ensemble, un don à recevoir de manière nouvelle jour après jour pourra indiquer la route d’une animation pastorale appelée au dépouillement de toute prétention et de toute finalité convenue à l’avance. Je ne crois pas que cela s’enseigne, mais il est possible, de manière désintéressée, de laisser l’Esprit rendre compte, à travers la personne de l’enseignante, de l’enseignant, de cette affirmation de saint Paul : « mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu. (1Co 3,21) De fait, un professeur qui donne son consentement à l’Esprit afin de se laisser prendre et posséder par lui, rendra compte et témoignera d’une science étonnante : celle de la soumission à la volonté, à l’intelligence et à la Parole du Tout-­Autre. C’est peut-­être comme cela qu’est d’abord « implantée » en nous l’animation biblique de notre existence, possiblement l’un des plus grands fruits du travail de la théologie. Cette conscience de plus en plus radicale et aigüe de la transcendance du mystère de Dieu dans l’épaisseur de l’histoire humaine ne peut conduire qu’à une attitude de profonde révérence en présence d’une Parole qui réalise et accomplit Commission théologique internationale, La théologie aujourd’hui…, op. cit., no 99.

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l’invraisemblable et parfois même l’inespérable. Cette révérence est nécessairement empreinte de retenue, de pudeur et de voilement du visage en présence de Celui qui révèle son Nom comme dans un buisson qui ne se consume pas. Devant le mystère, à son orée et parfois traversée par lui, la théologie doit faire l’exigeant travail de trouver les mots pour le sans mot. C’est à juste titre que la théologie se propose de parler en vérité du mystère de Dieu ; mais en même temps elle sait que cette connaissance, bien qu’elle soit vraie, est inadéquate par rapport à la réalité de Dieu, qu’elle ne peut jamais « comprendre ». Comme l’a dit saint Augustin : « Si tu comprends, ce n’est pas Dieu ».19

Conclusion Apophatique par nécessité et cataphatique ou affirmative par vocation, la théologie est consciente qu’elle ne peut ni épuiser, ni contenir, ni avoir plein accès au mystère. Elle connaît, assume et respecte ses limites et contribue à conduire au langage une parole qui ne peut émerger que de la Parole. Elle ne peut témoigner du mystère et de sa Révélation que si la Parole de Dieu s’incarne dans la chair des mots humains, que si elle les guérit et que si elle les traverse afin de leur donner un second souffle, un second sens, une nouvelle vie. Mots humains fécondés et nouvellement engendrés par l’Esprit vivificateur. La théologie sait alors qu’elle ne peut être qu’entraînée vers le débordement et qu’elle demeurera toujours insuffisante et limitée, sans mainmise ni prétention à la pleine compréhension qui demeurera vraie bien qu’« inadéquate par rapport à la réalité de Dieu ».20 Mystère impossible à circonscrire, élans impossibles à endiguer. Lorsque la théologie et la lecture de la Bible perdent le corps, c’est-­àdire la densité et l’épaisseur de l’expérience humaine, elles peuvent devenir alors idéation, propos moraux, idées à communiquer ou bonnes intentions à publier, savoirs savants et érudition qui se complaisent en eux-­mêmes… La théologie et la lecture de la Bible contribuent bien peu alors à la formation d’hommes et de femmes qui participeront à la mise en place de l’animation biblique de toute la pastorale. Mais lorsqu’elles sont rencontres de blessure à blessure, elles peuvent alors ouvrir sur la présence et l’agir bouleversant de Celui qui nous invite à mettre nos blessures, ensemble, dans les siennes. Lorsque des culs-­de-­sac et des impasses, des fragilités Ibid., no 97. Ibid.

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et des abîmes qui jusqu’alors ont paralysé, immobilisé, tiré vers le bas, s’ouvrent enfin sur une possible sortie à travers un désert à traverser, alors la profondeur d’abîme dans laquelle l’humain s’échoue parfois rencontre un abîme tout aussi profond de compassion qui vient le rejoindre pour le conduire à sa libération. C’est l’humain qui est sauvé. C’est un peuple, tissé par des relations irriguées par le « théologal » que Dieu sauve. C’est l’humain qui est animé. Il peut alors, ailleurs et pour d’autres, communiquer quelque chose de Celui qui l’anime. Là est peut-­être le premier mouvement de toute animation subséquente de la pastorale. C’est peut-­ être là l’ultime témoignage du professeur de théologie et l’essentiel de son enseignement. C’est alors qu’en Église peut surgir une exclamation partagée à la suite de Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». L’animation biblique de toute la pastorale ne peut surtout pas être réduite à une technique. C’est d’abord et avant tout une dépossession, elle est un « laisser la place » et, de plus en plus, toute la place à Celui qui est l’âme de toute vie, de toute l’Église et du monde. L’animation biblique de la pastorale engage un désengagement de l’espace prépondérant que des engagés peuvent occuper, pour faire place à Celui qui seul peut nous dire : « Voici que je fais une chose nouvelle, déjà elle pointe, ne la reconnaissez-­vous pas ? Oui, je vais mettre dans le désert un chemin, et dans la steppe, des fleuves ». (Is 43,19) Est-­ce que cela s’enseigne ? La question demeure ouverte pour moi. Cependant, lorsque l’enseignement de la théologie est mis en œuvre à partir de la vulnérabilité, de la pauvreté et de l’humilité de chacun des membres du corps professoral, cet enseignement peut d’autant plus se faire serviteur de la Parole du Toute-­Autre. Ce type de formation demande des maîtres en pauvreté évangélique, rien de moins : des hommes et des femmes qui se laissent animer et réanimer par le souffle de la Parole. Une telle formation suggère autant aux formateurs et formatrices qu’aux personnes en formation d’accepter d’être dépouillés de tout prestige, pour consentir à l’enfouissement dans les très-­bas et les creux de leurs manques et de leurs blessures. C’est seulement au prix de cette descente qu’ils pourront ensemble passer d’une parole dans le trop-­plein d’elle-­même à une Parole guérissante à recevoir et qui ne sera évidemment plus seulement la leur. C’est à ce prix que la théologie peut être « animée » par l’Esprit de Dieu et qu’elle peut balbutier quelque chose du salut en Jésus Christ dont on discerne le passage et l’action transformatrice. C’est peut-­être au prix de cette conversion, à demander journellement, que la théologie pourra d’autant plus servir à la formation d’hommes et de femmes consacrés à l’animation biblique de toute la pastorale.

Conclusion et regard prospectif – Une définition, des conséquences Daniel Laliberté et Georg Rubel Luxembourg School of Religion & Society

Tout au long du colloque « “La Parole de Dieu est à l’œuvre en vous, les croyants” (cf. 1Th 2,13) / Bible – Pastorale – Didactique », organisé par la LSRS, on a constamment répété l’expression animation biblique de toute la pastorale. De nombreux théologiens, d’Europe, d’Amérique du nord et du sud, d’Afrique et d’Asie ont abordé ce concept, non seulement à partir d’une perspective académique, mais chacun y apportant également ses expériences pastorales et son arrière-­plan géographique et culturel. Toutes les contributions de la conférence sont résumées dans la présente anthologie. Il n’est donc pas nécessaire d’en répéter les thèses et les options individuelles ou encore les résultats. Il importe pourtant de tirer des conclusions des considérations formulées, d’exprimer des desiderata et de formuler quelques questions ouvertes, d’une part pour toujours mieux définir le concept d’animatio biblica totius actionis pastoralis et, d’autre part, pour indiquer quelques chemins que pourrait emprunter la suite de la réflexion. Dans leurs contributions, les auteurs réfèrent régulièrement à l’arc qui va de Léon XIII à Benoît XVI en passant par Vatican II, et citent les passages les plus déterminants des documents ecclésiastiques. Il ne suffit cependant pas de citer les passages pertinents ou, au mieux, d’en retracer les origines. Il est nécessaire que ces déclarations relatives à la signification de la Bible pour l’Église, pour la théologie et pour la pratique pastorale soient également interprétées et intégrées dans leur contexte historique et théologique originel. Ainsi, qu’est-­ce que signifie la décision des Pères conciliaires de recourir, au no  24 de la Constitution dogmatique Dei Verbum, à la formule de Léon XIII, datant de 1893, pour exprimer que l’étude de l’Écriture sainte est comme l’âme de la théologie ? La même question peut être posée par rapport à la référence de Benoît XVI à Dei Verbum 24 dans le no 31 de Verbum Domini, dans le contexte large de la

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place de la Parole de Dieu dans la vie de l’Église, ce qui conduira à utiliser l’expression animatio biblica totius actionis pastoralis au no 73. Ce travail de remise en contexte a été partiellement accompli par l’un ou l’autre des intervenants du colloque. Le tableau complet reste cependant à compléter, ce qui serait une contribution majeure aux efforts pour saisir toute la portée théologique et pastorale de l’expression animation biblica totius actionis pastoralis. Les Actes d’un colloque ne sont pas le lieu pour exposer une telle recherche, qui reste donc à faire. Toutefois, en guise de conclusion, il nous semble important de proposer certaines avenues prospectives. Voilà pourquoi, dans les lignes qui suivent, nous chercherons à nous appuyer sur les résultats du colloque afin de mieux cerner la signification de chacune des composantes de l’expression animatio biblica totius actionis pastoralis et de pouvoir ainsi proposer des éléments d’une définition. Que signifie cette formule, après tout ? Est-­ce simplement une formule creuse, comme le postulent de nombreux critiques ? N’est-­ce pas plutôt, au contraire, un concept porteur pour la praxis pastorale, entraînant également des conséquences au plan de l’enseignement universitaire ? C’est ce que les quelques réflexions qui suivent voudront faire ressortir.

1. Proposition de définition de l’animation biblique de toute la pastorale 1. a) « Toute la pastorale » Reprenons donc certaines des conclusions les plus claires qui se dégagent des différents commentaires de Verbum Domini 73. Certes, cela ne conduira pas à une « définition » au sens propre, mais permettra tout de même de dégager des directions, des articulations. De la façon dont l’expression est formulée, il ressort de façon claire que ce concept est essentiellement d’ordre pastoral, et même en son sens le plus fort, puisque ce qui est visé, c’est précisément « toute la pastorale ». Cela renvoie donc explicitement à la façon dont se déploie la vie des communautés chrétiennes, dans toutes ses facettes ; Benoît XVI, en reprenant des éléments déjà présents dans les phases antérieures de l’histoire de l’expression, précise bien que la façon dont il faut s’y prendre pour « intensifier la pastorale biblique » – puisque c’est ce dont il s’agit en VD 73 – ne passe pas par le développement d’activités de nature biblique en parallèle aux autres activités de la communauté chrétienne, mais bien par une façon d’insuf-

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fler quelque chose à l’ensemble de ce que le pape appelle « les activités habituelles des communautés chrétiennes ». On peut déjà considérer que, d’un point de vue pastoral, le chemin ainsi ouvert oblige à sortir des cadres habituels du fonctionnement d’un grand nombre de communautés, habituées à juxtaposer les pratiques plutôt que de considérer les « articulations et ligaments » (cf. Col 2,19) qui confèrent cohésion au corps du Christ. Le pape précise ensuite le but de l’ensemble de ces activités habituelles. En effet, elles doivent toutes converger vers le même objectif : la rencontre personnelle avec le Christ. Il n’y a pas en effet d’autre raison d’être à « toute la pastorale ». Du coup, ce qui est dit de « l’animation biblique » doit être compris en relation étroite avec ce but. Le pape lui-­même nous met sur la piste : le Christ que nous sommes invités à rencontrer personnellement « se communique à nous dans sa Parole ». C’est pour cela que, alors que bien d’autres dimensions de la vie pastorale peuvent être envisagées comme des « secteurs », il ne peut en être ainsi avec la pastorale biblique. Parler de « la place centrale de la Parole de Dieu dans la vie ecclésiale » a pour conséquence directe – comment a-­t-on pu l’oublier – de devoir conférer à la Bible une fonction unique, irremplaçable, au cœur de la vie des communautés chrétiennes.

1. b) « Animation biblique » Le substantif principal de l’expression est « animation » ; si on avait sous les yeux une expression comme « animation pastorale » (courante en français), on pourrait penser à une fonction technique : savoir animer un groupe, par exemple. Or cela ne peut pas être compris en ce sens ici. Mettre le substantif « animation » en conjonction avec l’adjectif « biblique », cela renvoie forcément à l’étymologie première du mot : anima, âme, source de vie, etc. Ainsi, « animer bibliquement », cela ne peut pas être compris autrement que dans le sens de « donner de l’âme » à partir de la Bible, « trouver sa source, son souffle », dans les Écritures. C’est, selon VD 73, le chemin privilégié, sinon obligé, de la « rencontre personnelle avec le Christ », car il « se communique à nous dans sa Parole ». Il y a bien sûr ici en filigrane une théologie du Verbe, elle-­même fondée dans les Écritures et notamment dans les premiers versets de la lettre aux Hébreux, de la 1re lettre de Jean et, bien sûr, de l’évangile de Jean. Le début de la 1re lettre de Jean, notamment, situe explicitement la vie chrétienne en tant qu’expérience sensorielle de rencontre avec le Verbe de vie. On ignore si son auteur référait à sa propre expérience de rela-

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tion avec Jésus de Nazareth.1 Ce qui est clair pourtant, c’est que, pour les fidèles des communautés chrétiennes, cette expérience de relation au Verbe doit désormais passer par les médiations humaines, et notamment celles de l’ekklesia. Pour le dire autrement, la mise en relation avec le Verbe s’actualise au carrefour de la fréquentation des Écritures et de la communion fraternelle. « Bible » et « vie communautaire » : voilà qui dit bien comment, pour reprendre encore les mots de VD 73, « l’animation biblique de toute la pastorale ordinaire et extraordinaire conduira à une plus grande connaissance de la personne du Christ, Révélateur du Père et plénitude de la Révélation divine ».

1. c) Proposition de définition Tels sont donc, nous semble-­t-il, les paramètres principaux qu’il faut toujours tenir ensemble pour comprendre la portée de l’expression animation biblique de toute la pastorale telle qu’elle se présente au no 73 de Verbum Domini. Essayons de reformuler, pour ainsi s’approcher un peu plus d’une définition. L’animation biblique de toute la pastorale vise à faire en sorte que toute la vie pastorale, dans toutes ses dimensions, favorise la rencontre personnelle avec le Christ, qui se communique à nous en tant que Verbe, plénitude de ce que le Père a souhaité nous révéler de Lui. Elle requiert une disposition intérieure de la part de tous les membres d’une communauté chrétienne, et au premier chef ses responsables pastoraux, permettant que toute activité pastorale 1- trouve sa source dans la fréquentation individuelle et communautaire de l’Évangile ; 2- constitue par son déroulement une occasion pour les fidèles de vivre une expérience de communion intime avec le Christ-­Verbe ; 3- permette à chacun de relire cette expérience spirituelle à la lumière des Écritures. Il est important de définir « l’animation biblique » d’abord en tant que disposition intérieure, en tant qu’état d’esprit. On aura compris en effet qu’il ne s’agit pas d’abord d’un ensemble de pratiques, mais bien d’une « posture spirituelle » qui doit présider à l’organisation et à la réalisation des activités, de TOUTE activité. Pourtant, après avoir dit cela, on peut avoir l’impression qu’on n’a pas encore dit grand-­chose ! Deux pistes de réflexion majeures devraient 1



La lettre se présente comme de la main d’un membre du groupe originel des disciples, mais cette attribution est généralement considérée comme non authentique.

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selon nous être explorées. D’une part, il faudrait mettre en évidence les fruits attendus de cette option pour une pastorale tout entière animée par la Bible. Autrement dit, quelles transformations dans la vie des communautés chrétiennes et dans l’accomplissement de leur mission peuvent découler de cette empreinte biblique ? Nous suggérons ici quelques pistes, qui mériteraient plus ample développement. Nous les articulons autour du processus d’évangélisation.

2. Le processus d’évangélisation, paradigme structurant de « toute la pastorale » Le processus d’évangélisation constitue un paradigme structurant l’ensemble de la vie des communautés chrétiennes. Apparu sous la plume de Jean-­Paul II (cf. Catechesi tradendae 18), il trouve son élaboration et son explication dans le Directoire général pour la catéchèse (nos 47ss.). Il constitue à ce jour la meilleure proposition d’articulation et d’intégration de « toute la pastorale », autour de trois « temps » : la première annonce, l’initiation chrétienne et la vie pastorale. L’ordre ici nommé constitue la séquence du point de vue de l’individu. D’un point de vue pastoral pourtant, on le verra, il ne s’agit plus d’une séquence chronologique, mais d’une boucle, où la vie pastorale, dans ses « activités habituelles », est – ou devrait être – la source principale de la première annonce. L’explication des conséquences de l’animation biblique de toute la pastorale sur la vie de la communauté chrétienne peut donc commencer par n’importe quel des trois temps.

2. a) L’initiation chrétienne Une animation biblique de toute la pastorale devrait naturellement entraîner une refonte significative de l’initiation chrétienne et de la catéchèse, lui permettant de tendre toujours davantage vers ses objectifs fondamentaux, « mettre quelqu’un en communion, en intimité, avec Jésus Christ » (DGC 80) et « éduquer à la connaissance et à la vie de foi, de sorte que l’homme tout entier, dans ses expériences les plus profondes, se sente fécondé par la Parole de Dieu » (DGC 67). Il nous semble en effet que, pour l’implantation d’une solide « animation biblique », tout doit partir de l’instauration d’une habitude de fréquentation de la Parole dès le temps de l’initiation. Rappelons-­nous la question posée par Philippe à l’eunuque (Ac 8) : « Comprends-­tu ce que tu lis ? », et la réponse de l’eunuque : « Comment pourrais-­je comprendre si personne ne m’explique ? » Cette

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« marche guidée à travers les Écritures », dont le paradigme est le catéchuménat qui s’ouvre par la réception du livre de la Parole (cf. RICA 98) devrait permettre à tout catéchisé d’intégrer progressivement une compréhension globale, transversale, de l’histoire du salut, et d’en saisir les implications pour sa propre vie, pour la communauté chrétienne et pour ce monde où Dieu veut instaurer son Règne.

2. b) La vie des communautés chrétiennes Dans le processus d’évangélisation, les possibilités d’une catéchèse complète sont étroitement liées à la qualité de vie de la communauté chrétienne. La communauté est à la fois le lieu d’accueil des catéchisés, de sorte que la présence de ces nouveaux membres enrichit sans cesse le tissu communautaire : des néophytes formés dans une solide catéchèse biblique constitueront une ressource importante pour une vie communautaire qui soit réellement « animée bibliquement ». Inversement, l’ensemble d’un parcours d’initiation doit aussi pouvoir compter sur une vie communautaire déjà solidement ancrée dans la Parole. « L’apprentissage de toute la vie chrétienne », cette « initiation chrétienne intégrale » (cf. DGC 67) ne peut se limiter à des activités catéchétiques concentrées autour d’un petit groupe dans un local clos. Plusieurs facettes de cette foi – la fraternité, l’engagement pour la justice, la prière liturgique… – ne peuvent s’apprendre qu’au cœur même de la communauté chrétienne. Une certaine compréhension de l’animation biblique de toute la pastorale devrait donc conduire à considérer les Écritures à la fois comme la source, comme l’élément liant et comme la clé de relecture de toutes les activités pastorales de la communauté. Autrement dit, une communauté chrétienne « bibliquement animée » sera ardemment inspirée de ce célèbre passage : « Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres, à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2,42), ce qui la conduira à inclure dans ses « activités habituelles », en plus de la liturgie, des rencontres de vie fraternelle, des projets caritatifs et d’engagement pour la justice et des activités de prière, toutes mettant au cœur la Parole de Dieu. De la sorte, ces activités pastorales deviendront autant d’espaces d’initiation chrétienne et de catéchèse permanente.

2. c) La première annonce On aurait pu parler de la « première annonce » en premier puisque, pour l’individu, cette phase de premier contact précède nécessairement l’initiation ! Pourtant, cette première annonce, avant d’être une prise

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de parole explicite, ne doit-­elle pas d’abord trouver sa source dans un témoignage en acte des fidèles, individuellement mais surtout de façon communautaire ? « C’est à l’amour qu’ils auront les uns pour les autres qu’on saura qu’ils sont mes disciples ». (Jn 13,35). Autrement dit, pour que puisse exister une telle première annonce, il faut une communauté nourrie de la Parole, stimulée par son rapport régulier à l’Évangile et devenant ainsi, dans ses « activités habituelles » elles-­mêmes, témoignage pouvant donner le goût de découvrir Celui qui est à la source d’un tel amour. Alors – alors seulement, devrait-­on dire – pourra trouver place une parole plus explicite. Ainsi, si « l’Église existe pour évangéliser » (Evangelii nuntiandi 14), cette évangélisation requiert des communautés chrétiennes qu’elles deviennent – comme communauté – toujours plus engagées au service de la transformation du monde et de la dignité humaine, tout en permettant à chacun et chacune de ses membres d’être capables, s’il leur est demandé, de « savoir rendre compte de leur espérance » (cf. 1P 3,15). Cela requiert donc, ici encore, un discernement fondé dans l’Écriture qui conduise à la mise sur pied d’activités communautaires pertinentes pour le milieu, d’une constante relecture biblique de l’évolution de ces projets et, en même temps, une éducation permanente – biblique – de la foi habilitant les membres de la communauté à témoigner par la parole de la relation au Christ qui donne sens à leur engagement. Mais en tout cela, on n’invente pas des activités dites « évangélisatrices », on s’ancre au contraire dans la conviction que c’est essentiellement par un renouvellement de ce qui devrait constituer ses « activités habituelles » – mais dans une compréhension élargie de ce que devraient être ces « activités ordinaires » – que la communauté accomplit sa mission d’évangélisation. Cette première annonce – témoignage en actes et en paroles – suscitera peut-­être un désir chez quelqu’un de devenir à son tour disciple du Christ et d’entamer un parcours d’initiation, bouclant ainsi la boucle du processus d’évangélisation. À revers, on peut même affirmer qu’une communauté chrétienne qui jamais ne suscite ce genre de désir est une communauté qui faillit à sa mission et qui doit donc s’interroger sur sa vitalité. La source du renouveau alors requis ne se trouve-­t-elle pas précisément dans l’instauration d’une animation biblique de son activité pastorale ? Tout n’a pas été dit dans ces quelques paragraphes structurés autour du processus d’évangélisation. Nous souhaitions simplement indiquer quelques pistes d’un « changement d’ambiance global » que peut engendrer la décision ferme de faire en sorte que la communauté chrétienne trouve dans les Écritures l’âme de toute sa vie. Bien sûr, cela peut à son tour soulever toute une série de questions bien concrètes : par quelles

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pratiques sera-­t-il possible que la Bible « mette de l’âme » dans toutes les facettes de la vie de la communauté ? Comment, concrètement, ouvrir des chemins pour l’implantation de cet état d’esprit ? Ce n’est pas le lieu de développer ici toutes ces conséquences pratiques. Plusieurs pourront en témoigner dans d’autres forums. Nous souhaiterions cependant dire quelques mots, en guise de conclusion de l’ensemble de ce volume, sur ce qui est requis, nécessaire, pour que puisse exister ce souffle de vie reçu de la Bible.

3. Désir et compétences La possibilité de mettre en œuvre un ensemble de pratiques qui soient le reflet d’une animation biblique de toute la pastorale dépendra évidemment de la présence dans le milieu d’un certain nombre de facteurs, certains étant de l’ordre du désir que les Écritures occupent cette place centrale dans la vie de la communauté, d’autres étant davantage de l’ordre des compétences requises. On aura compris que le désir que nous venons d’évoquer devra être partagé entre les membres de l’équipe pastorale et un noyau significatif de fidèles de la communauté qui portent ensemble une vision intégrée de la mission de la communauté. Comment susciter ce désir ? N’est-­ce pas le témoignage d’une fréquentation personnelle de la Parole qui seul peut susciter chez les autres le désir de se relier ainsi au Christ-­Verbe ? Donner toute sa place à la Bible dans l’animation de la vie de la communauté requerra aussi certaines compétences. Des compétences exégétiques, bien sûr, mais surtout une capacité à travailler avec la Bible au sein de comités, équipes et mouvements pastoraux. Une part importante de cette aptitude incombera aux responsables pastoraux de la communauté chrétienne, ce qui renvoie, ultimement, à la façon dont ces agents pastoraux, clercs et laïques, sont formés dans les institutions d’enseignement de la théologie. Il s’agissait du dernier thème abordé lors du colloque de mars 2017 à Luxembourg, mais qu’on n’est pas arrivé à développer suffisamment : malgré quelques pistes ouvertes, pratiquement toute la question « comment forme-­t-on pour que s’implante l’animation biblique de toute la pastorale » reste à défricher. Nous vous proposons modestement, au terme de cette réflexion, quelques pistes destinées à relancer le questionnement.

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4. Conséquences sur l’enseignement de la théologie Bien que l’animatio biblica totius actionis pastoralis ne soit pas une construction théorique mais bien un concept pratique, le désir de la faire naître au plan pastoral a nécessairement un impact sur l’enseignement académique. Après tout, il est important, dès la formation académique, de jeter les bases de la perception de la Bible comme « âme de toute la pastorale », ce qui nécessite une orientation biblico-­pastorale de l’enseignement théologique. Par conséquent, au terme de toutes ces réflexions se pose très sérieusement la question : quelles sont les conséquences de l’animatio biblica totius actionis pastoralis pour les enseignants et pour les étudiants ? Enfin, au-­delà des postures individuelles, il faudrait également considérer quelles en seraient les conséquences sur les programmes et autres manifestations dans les centres de formation théologique. Quelques pistes ont déjà été suggérées dans l’une ou l’autre des contributions de ce livre. Pour notre part, nous ne traiterons cette question très vaste qu’au moyen d’un modeste exemple qui nous servira de dernier mot, espérant qu’il stimule la réflexion…

4. a) Conséquences pour les enseignants Pour stimuler chez les étudiants l’amour de la Bible et le désir de travailler avec elle dans la pratique pastorale, il est absolument indispensable que les enseignants aient une passion brûlante pour la théologie en général. Alors que les sciences physiques, comme d’ailleurs d’autres disciplines, ont une approche rationnelle de l’objet de la recherche, la théologie n’est pas seulement une question de tête, mais aussi de cœur. La théologie fonctionne de telle manière que le théologien doive aborder la question de Dieu non seulement de façon cognitive, mais comme le sang qui doit couler dans nos veines ! Cette passion pour la théologie en général s’applique ici tout particulièrement aux questions bibliques. Seuls les théologiens qui sont eux-­mêmes inspirés par la Bible peuvent inspirer les autres pour la Bible. Or un tel enthousiasme ne s’enseigne pas, c’est le témoignage personnel des enseignants qui est ici absolument déterminant. Il va de soi que, en plus de cette passion pour la théologie, les enseignants doivent avoir une qualification académique, incluant d’une part de solides compétences en exégèse et un parcours approfondi de théologie biblique et, d’autre part, une formation sérieuse en théologie pratique. Une compétence didactique doit compléter ces qualifications scientifiques. Car le contenu théologique doit être communiqué de telle manière que

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les étudiants se voient stimulés non seulement à étudier intensivement la Bible, mais à en reconnaître le potentiel pour la pratique pastorale. Enfin, chaque enseignant doit également être disposé à travailler en collaboration avec les représentants d’autres disciplines théologiques. Reconnaître que l’animatio biblica totius actionis pastoralis est un concept pastoral à fondement biblique implique, pour un bibliste concerné par la vie de l’Église, qu’il ne puisse limiter son travail à l’exégèse. De même serait-­il tout aussi inadéquat pour le théologien pastoral de ne s’intéresser qu’aux questions pratiques. L’animatio biblica totius actionis pastoralis requiert au contraire que les sujets individuels s’enrichissent mutuellement par un travail concerté. Seul un échange vivant entre la Bible et la théologie pastorale, au moyen d’un dialogue interdisciplinaire, peut permettre une transmission authentique et bien ciblée du concept d’animatio biblica totius actionis pastoralis.

4. b) Conséquences pour les étudiants La mise en œuvre du concept d’animatio biblica totius actionis pastoralis n’a pas seulement des implications pour les enseignants, mais aussi pour les apprenants. Eux aussi, bien sûr, doivent avoir la passion nécessaire pour la théologie en général et spécialement pour les sujets tant bibliques que pratiques. Comment ceux qui ne s’intéressent pas aux questions théologiques pourraient-­ils en inspirer d’autres plus tard ? Comment, sans passion pour la Bible, susciter chez d’autres le désir éventuel de s’y plonger ? Enfin, comment la passion pour la question de Dieu, le Christ, l’Évangile pourrait-­elle ne rester qu’académique, sans effets sur la vie concrète des fidèles et des communautés chrétiennes ? Pour de futurs agents pastoraux, cette conviction vitale doit évidemment être accompagnée d’un désir pour l’acquisition des compétences requises. En premier lieu, la compétence scientifique. Les étudiants ont besoin d’une éducation solide dans toutes les disciplines théologiques, et notamment dans les disciplines bibliques et pratiques. De cette manière seulement pourront-­ils rendre féconde, dans leur travail, l’animation biblique de toute la pastorale et guider ainsi les gens dans les paroisses à faire de la Bible leur référence constante. Sans formation théologique de base, l’utilisation de la Bible dans la pastorale est irresponsable ! Pour l’animation biblique de toute la pastorale, les compétences bibliques, exégétiques, ne sauraient suffire. La compétence scientifique doit donc être complétée par l’acquisition de compétences en théologie pastorale qui ne trouvera son sens que dans la mesure où les étudiants pourront y relire

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leurs propres expériences et réflexions pastorales et, sur cette base, développer un concept viable de « pastorale animée par la Bible ». Enfin, la formation des étudiants de théologie doit également pouvoir comporter une dimension d’accompagnement spirituel, permettant de maintenir toujours vivante la passion pour les Écritures. Cette dimension spirituelle de la formation constitue en quelque sorte la flamme qui permet que reste allumé le feu de l’animatio biblica totius actionis pastoralis.

4. c) Cours, parcours, programmes Afin de doter les étudiants de telles compétences, des cours et des programmes spécifiques doivent être intégrés au parcours d’études. Puisqu’il s’agit de concevoir à leur intention des cours, parcours et programmes, la question pourrait être formulée ainsi : quel rapport aux Écritures ces programmes doivent-­ils permettre de développer, afin que le travail avec la Bible en pastorale tombe dans un terreau fertile ? Ou pour le dire autrement : comment la théologie biblique et la théologie pratique peuvent-­ elles être mises en réseau, entrelacées pendant le parcours académique, de manière à servir la mise en œuvre du concept d’animatio biblica totius actionis pastoralis dans la pratique pastorale ? Plutôt qu’une réponse théorique, un exemple concret illustrera ici ce à quoi cela pourrait ressembler. En septembre 2017, un cours de pastorale biblique a été organisé à la Luxembourg School of Religion & Society (LSRS). Dispensé en anglais, ce cours intensif de deux semaines s’intitulait : « Course on Biblical Pastoral Ministry : Meeting the Son of God in Mark ». Chaque matin proposait une séance interdisciplinaire où un bibliste, un dogmaticien et un théologien pastoral partaient avec les étudiants à la rencontre du Fils de Dieu dans l’évangile de Marc. Partant soit du texte biblique, soit de la pratique pastorale ou encore d’une question dogmatique, étudiants et enseignants se demandaient, dans un échange animé enrichi d’expériences personnelles et d’évaluations, comment cette rencontre avec le Christ de l’Évangile transformait la vie du disciple et quelles pouvaient en être les conséquences pour la vie pastorale. Dans l’après-­midi, un programme culturel était organisé (visite de la ville, d’églises, de musées, etc.) pour rencontrer le Fils de Dieu dans la vie quotidienne et intégrer ces éléments pratiques à la partie théorique du cours. Puis, comme troisième élément constitutif du cours, une offre liturgique comprenant la célébration de l’Eucharistie et la liturgie des Heures. Ces trois éléments, la formation scientifique, le cadre culturel et la dimension spirituelle, n’étaient pas juxtaposés, mais quotidiennement imbriqués et

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coordonnés l’un à l’autre, faisant de ce cours de pastorale biblique une offre globale et organiquement structurée.2 Il faut insister sur la dimension « réellement interdisciplinaire » de ce cours – les trois professeurs étant présents à l’ensemble du parcours. Cela a clairement mis en évidence à quel point l’interaction constante entre la théologie biblique, la théologie pratique et la théologie dogmatique était importante et profitable, afin de fournir aux étudiants les fondements scientifiques nécessaires provenant de chacune de ces perspectives et, par-­ dessus tout, pour susciter la passion nécessaire pour la théologie en général et tout spécialement pour le travail avec la Bible. De tels cours interdisciplinaires ne constituent pas le seul moyen disponible pour tracer le chemin de l’animation biblique de toute la pastorale. Pourtant, il nous apparaît clairement qu’il devrait y avoir une offre nettement plus large de tels cours et parcours, dans toutes les institutions d’enseignement de la théologie. Nous pensons en effet que la façon même dont se déroule cet enseignement, à la fois dans la salle de classe et en-­dehors, met déjà en œuvre, au plan académique, les conditions nécessaires pour un déploiement fructueux de l’animatio biblica totius actionis pastoralis.

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Nous ne prétendons pas être les seuls à avoir eu l’idée d’une formation de ce type. On a d’ailleurs attiré notre attention sur des programmes qui prennent clairement la Bible comme point de départ de tout exercice théologique, notamment, dans le monde francophone, au Collège des Bernardins de Paris et à l’Institut d’études théologiques de Bruxelles, pour n’en nommer que deux ; l’IET de Bruxelles inclut également la collaboration interdisciplinaire du corps enseignant dans ses séminaires. Nous souhaitons simplement mettre en évidence l’intérêt majeur de la confrontation des idées entre théologiens de différentes disciplines et étudiants au sein d’une même salle de classe, ce qui correspond selon nous de façon très étroite au concept transversal qu’est l’animation biblique de toute la pastorale.

Conclusion and prospective insight – One definition, a series of consequences Daniel Laliberté and Georg Rubel Luxembourg School of Religion & Society

Throughout the conference “ ‘The Word of God is at work in you, who believe’ (cf. 1Thess. 2:13) / Bible – Pastoral – Didactics”, organized by the LSRS, the expression animation biblique de toute la pastorale / animatio biblica totius actionis pastoralis was recurrent. Numerous theologians, from Europe, North and South America, Africa and Asia approached this concept, not only from an academic perspective, but also from an expe­ riential perspective, each speaker bringing into the discussion his / her own pastoral experience and his / her geographical and cultural background. All the contributions to the conference are presented in this anthology. It is important to draw some conclusions from what was expressed, to formulate some expectations and to raise some open questions, in order to keep improving the definition of animatio biblica totius actionis pastoralis on the one hand and, on the other hand, to highlight directions for further reflection. In their contributions, the authors often refer to an arc that goes from Leo XIII to Benedict XVI through Vatican II, quoting the most striking excerpts of ecclesiastical documents. But it is not enough to quote relevant excerpts or to trace their origins. These declarations about the significance of the Bible for the Church, Theology and pastoral life must also be interpreted and integrated in their historical and theological original context. For instance, what does it mean when the Fathers of the Council decide to put, in no 24 of the dogmatic Constitution Dei Verbum, the 1893 formula from Leo XIII, in order to express that the study of the Scriptures is “as it were, the soul of sacred theology”? The same question may be raised about the reference made by Benedict XVI to Dei Verbum 24 in no 31 of Verbum Domini, in the global context of the place of the Word of God in the life of the Church, which will lead to the expression animatio biblica totius actionis pastoralis in no 73.

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Daniel Laliberté and Georg Rubel

This work of contextualization was partially accomplished by various speakers. However, the global picture still needs to be completed, which would be a major contribution to the efforts to grasp the full theological and pastoral meaning and consequences of the expression animation biblica totius actionis pastoralis. The proceedings of a conference are not the right place to outline such research, which still needs to be enhanced. However, as a conclusion, it seems important to us to suggest some prospective avenues. This is why, in the lines below, we will seek to draw on the results of the conference in order to better understand the meaning of each of the components of the expression animatio biblica totius actionis pastoralis, then being able to propose some elements of definition. Actually, what does this formula mean? Is this just a hollow formula, as postulated by many critics? Is it not rather a promising concept for pastoral praxis, which also bears consequences for university teaching? It is, precisely, this kind of problematic that we aim at highlighting, in this conclusive contribution.

1. Proposition of definition of Biblical inspiration of all pastoral life 1. a) “All pastoral life” (totius actionis pastoralis) Let us sum up some of the clearest conclusions that emerge from the different comments of Verbum Domini 73. Certainly, this will not lead to a “definition” in the proper sense, but it will make it possible to identify directions and articulations. From the way the expression is formulated, it is clear that this concept is essentially pastoral, and even in its strongest sense, since what is aimed at is precisely “the whole pastoral life”. It therefore refers explicitly to the way in which the life of Christian communities unfolds, in all its dimensions; Benedict XVI, in taking over elements that were already present in the earlier phases of the history of expression, makes it clear that to come to a “greater biblical apostolate” – since this is what VD 73 is about – does not involve the development of activities of a biblical nature in parallel with the other activities of the Christian community but, instead, calls for something to be infused into each and every one of what the Pope calls “the usual activities of Christian communities”. From a pastoral point of view, the path thus opened requires to abandon the usual frameworks of numerous communities, accustomed to juxtaposing practices rather than

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considering “joints and ligaments” (see Col 2,19), which confer cohesion to the body of Christ. The Pope then specifies the purpose of all these usual activities. Indeed, they must all converge towards the same goal: the personal encounter with Christ. There is no other “raison d’être” for “all pastoral life”. As a result, what is said about “biblical animation” must be understood in close connection with this goal. The Pope himself puts us on track: Christ, whom we are invited to meet personally, “gives himself to us in his Word.” For this reason, while many other dimensions of pastoral life can be considered as “sectors”, this cannot be the case with biblical pastoral ministry. Speaking of “the central place of the Word of God in ecclesiastical life” means, in practice – how could it have been forgotten – providing the Bible with a unique, irreplaceable function at the core of the life of Christian communities.

1. b) “Biblical inspiration” (Animatio biblica) The main word of the expression is “animatio”. In the expression “animatio biblica”, this can in no way refer to any technical skills, like being able to animate a group. When animatio is put along with biblica, this can only refer to the etymology of the word: soul, source of life, etc. Thus, to “animate biblically” has to be understood as “to give soul” from the Bible or “to find source, breath” in the Scriptures. According to VD 73, this is the privileged, if not mandatory, way for “personal encounter with Christ” because he “gives himself to us in his Word”. Here we can obviously see as a backdrop a theology of the Word, grounded in the Scriptures and especially in the first verses of the letter to the Hebrews, the first letter of John and, of course, the Gospel of John. The beginning of the 1st letter according to John, especially, presents clearly the Christian life as a sensory experience of encounter with the Word of Life. We do not know if the author was referring to his own experience of relationship with Jesus of Nazareth.1 What is clear, however, is the fact that for the faithful of the Christian communities, this expe­ rience of relationship with the Word can only exist, henceforth, through human mediations, and especially those of the ekklesia. In other terms, the relationship with the Word becomes reality at the intersection of regular frequenting of the Scriptures, and fraternal communion. “Bible” and “community life”: this is a good example of how, to quote again VD 73, 1



The letter appears as being from the hand of a member of the original group of disciples, but this attribution is generally considered as non-­authentic.

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“making the Bible the inspiration of every ordinary and extraordinary pastoral outreach will lead to a greater awareness of the person of Christ, who reveals the Father and is the fullness of divine revelation.”

1. c) Proposing a definition These are, in our view, the main parameters that must always be kept together in order to understand the deep meaning of the expression Biblical inspiration of all pastoral life as it appears in no 73 of Verbum Domini. Let us try to reword it, in order to get closer and closer to a definition. The animatio biblica totius actionis pastoralis aims at ensuring that all pastoral life, in all its dimensions, promotes the personal encounter with Christ, who gives himself to us as the Word, the fullness of what the Father wanted to reveal from Himself. It requires an inner disposition on the part of all members of a Christian community, and chiefly its pastoral leaders, so that every pastoral activity (1)- finds its source in the individual and communal frequentation of the Gospel; (2)- unfolds in such a way that it constitutes an opportunity for the faithful to live an experience of intimate communion with Christ the Word; (3)- allows everyone to re-­read this spiritual experience in the light of the Scriptures. It is particularly important to define “biblical inspiration” first and foremost as an inner disposition, as a state of mind. So, it is clear that it is not at first a full set of practices, but a “spiritual positioning”, which must guide the organization and realization of the various activities, of each and every activity. However, after this, one can feel like not much has been said yet. Two major lines of thought should be explored. On the one hand, we should highlight the results expected from this choice of a pastoral activity that is fully inspired by the Bible. In other words, what transformations in the life of Christian communities and in the fulfilment of their mission should be generated by this biblical influence? We suggest here some approaches, which should be further developed. We articulate them around the process of evangelization.

2. The process of evangelization, structuring paradigm of “all pastoral life” The process of evangelization constitutes a paradigm intended to structure the whole of the life of Christian communities. It appeared under the pen of John-­Paul II (cf. Catechesi tradendae 18), and is developed

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and explained in the General Directory for Catechesis (nos 47ss.). To date, it constitutes the best proposal for the articulation and integration of “all pastoral care”, around three “moments”: first proclamation, Christian initiation and pastoral life. This order refers to the point of view of the individual. From a pastoral point of view, as we will see, it is not a chronological sequence but a loop, where pastoral life, in its “ordinary activities”, is – or should be – the main source of initial contact / first proclamation. Explaining the consequences of animatio biblica totius actionis pastoralis on the life of a Christian community can thus start from any of the three “moments”.

2. a) Christian initiation A Biblical animation of the whole pastoral life should normally lead to a significant overhaul of Christian initiation and catechesis, allowing it to strive ever more towards its fundamental objectives, “to put people in communion and intimacy, with Jesus Christ” (GDC 80) and educate “in knowledge of the faith and in the life of faith, in such a manner that the entire person, at his deepest levels, feels enriched by the Word of God” (GDC 67). It seems to us that the establishment of a solid “biblical animation” must be founded on the implementation of a habit of being in touch with the Word from the time of initiation. Let us remember the question asked by Philip to the eunuch (Acts 8): “Do you understand what you are reading?”, and the eunuch’s answer: “How can I understand if nobody explains it to me?” This “guided walk through the Scriptures”, whose paradigm is the catechumenate that opens with the reception of the book of the Word (cf. RCIA 98), should allow every person who attends catechesis to slowly internalize a global, transversal understanding of the Story of salvation, and to grasp the implications for their own life, for the Christian community and for this world where God wants to establish His Kingdom.

2. b) The life of Christian communities In the process of evangelization, the possibilities of a complete catechesis are closely linked to the quality of life of the Christian community. The community is at the same time the place where those who have been catechized are received, so that the presence of these new members enriches the “community fabric”: neophytes trained in a strong Biblical catechesis will be an important resource for a community life that is truly

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“biblically animated”. Conversely, the whole of an initiation journey must also be able to rely on a community life already firmly anchored in the Word. The “apprenticeship of the entire Christian life”, the “complete Christian initiation” (cf. GDC 67) cannot be limited to catechetical activities concentrated around a small group in a closed room. Many aspects of this faith – such as fraternity, commitment to justice, liturgical prayer – can only be learned in the very heart of the Christian community. A certain understanding of Biblical inspiration of the whole pastoral life should therefore lead to considering the Scriptures as the source, as the binding element and as the key to re-­reading all the pastoral activities of the community. In other words, a Christian community that is “biblically inspired” will be deeply moved by this famous passage: “They were assiduous in the teaching of the apostles, the fellowship, the breaking of bread and the prayers” (Acts 2,42), which will lead to fraternal encounters, projects involving a commitment to justice and human dignity, and prayer activities being included in “ordinary activities”, in addition to the liturgy, and at the heart of all of them will stand the Word of God. In this way, these pastoral activities will become areas of Christian initiation and ongoing catechesis.

2. c) First proclamation (initial contact) We could have first talked about “first proclamation”, since for the individual, this moment of a first contact necessarily comes before initiation. Yet, should not this initial contact, before being an explicit proclamation, stem from an act of witness by the faithful, as individuals but also, mainly, as a community? “By this shall all men know that ye are my disciples, if ye have love one to another.” (John 13,35). In other words, in order for such a first proclamation to exist, the community must be nourished by the Word, stimulated by its regular relationship to the Gospel, thus becoming, through its “ordinary activities”, a vivid testimony that may stimulate desire for the One who is the source of such love. Then – only then – a more explicit speech could take place. Thus, if “Church exists to evangelize” (Evangelii nuntiandi 14), this evangelization requires from Christian communities that they become – as communities – ever more committed to serving the transformation of the world and human dignity, while allowing each and every one of their members to be able, if they are asked, to “give answer to every man that asketh [them] a reason concer­ ning the hope that is in [them]” (cf. 1 Pet. 3,15). Here again, it requires a discernment, grounded in the Scriptures, that leads to the establishment of community activities that are appropriate to the lived environment, a

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continuous biblical re-­reading of the development of these projects and, at the same time, an ongoing biblical education in the faith, empowering members of the community to testify orally to the relationship to Christ that gives meaning to their commitment. One may notice that, to do so, there is no need to invent “evangelization activities”; on the contrary, it is by being deeply anchored in what must be considered “regular activities” – but in an extended understanding of what those “ordinary activities” are – that the community achieves its evangelizing mission. This first proclamation – testimony in deeds and in words – may arouse someone’s desire to become a follower of Christ and to begin a journey of initiation, thus closing the loop of the process of evangelization. Conversely, one can even say that a Christian community that never arouses this kind of desire is a community that is actually failing in its mission and whose vitality must seriously be questioned. Should the source of renewal that is then required not be found precisely in a deep biblical inspiration for its pastoral activity? These few paragraphs on the process of evangelization have not fully covered the subject. We simply wanted to point out some aspects of the “global change of atmosphere” that could come out of a firm decision to ensure that the Christian community finds the soul of its entire life in the Scriptures. Of course, this can in turn raise a whole series of very concrete questions: by what practices will it be possible for the Bible to “give soul” to all the dimensions of the life of the community? How, concretely, could paths be opened for the implementation of this state of mind? This is not the place to develop all these practical consequences here. Many other forums will allow people to express their views. We would like, however, to say a few words, as a conclusion to this volume as a whole, about what is required, what appears absolutely necessary, for this “breath of life” received from the Bible to exist.

3. Desire and skills The possibility of implementing a set of practices that reflect a Biblical animation of all pastoral life will obviously depend on the presence in the environment of a number of factors, some of which concern the desire for the Scriptures to occupy this central place in the life of the community, while others concern some skills that are required. It is quite obvious that this desire we have just evoked will have to be shared between the members of the pastoral team and a significant core

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of the faithful in the community, all of whom have an integrated vision of the community’s mission. How to stimulate this desire? Is it not the witness of a personal familiarity with the Word that alone can arouse in others the desire to connect with Christ the Word? Giving the Bible its fullest place as the source of inspiration for the life of the community will also require some skills. Exegetical skills, of course, but above all an ability to work with the Bible in committees, teams and pastoral movements. An important part of this ability will be required from the pastoral leaders of the Christian community, which, in the end, questions the way in which these pastoral agents – either clergy or laity – are trained in theological teaching institutions. This was the last topic addressed at the March 2017 conference in Luxembourg, a topic that could not be sufficiently developed: despite some open avenues, the question of how to teach in order to implement biblical inspiration into the whole of pastoral life still needs to be explored. We suggest, at the end of this reflection, some new pathways to take this question forward.

4. Consequences for theology teaching Although animatio biblica totius actionis pastoralis is not a theoretical construct but a practical concept, the desire to see it come to life at the pastoral level obviously has an impact on academic teaching. After all, it is important that, at this stage of academic training, the foundation is laid for the perception of the Bible as the “soul of all pastoral care”, which implies a biblical-­pastoral orientation of theological education. Therefore, at the end of all these reflections, this very serious question has to be asked: what are the consequences of the animatio biblica totius actionis pastoralis for teachers and for students? And, beyond individual positioning, one should also consider what the consequences would be for programs and other events in theological training centers. This very wide-­open question will be treated here only by means of a modest example, which will then be our last word, hoping that it stimulates further reflection…

4. a) Consequences for the teachers To stimulate students’ love of the Bible and their desire to work with it in pastoral practice, it is absolutely essential that teachers have a burning passion for theology as a whole. While physical sciences as well as other

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disciplines have an essentially rational approach to the object of research, theology is not only a matter of reasoning, but also a matter of the heart. Theology works in such a way that the theologian must approach the question of God not only in a cognitive way, but as the blood that must flow in our veins! This passion for theology in general applies here in particular to Biblical questions. Only theologians who are themselves inspired by the Bible can inspire others for the Bible. But such enthusiasm cannot be taught, it is the personal testimony of the teachers that, here, is the absolutely determining factor. It goes without saying that, in addition to this passion for theology, teachers must have an academic qualification, including on the one hand strong exegesis skills and a thorough biblical theology and on the other hand, a serious training in practical theology. A didactic competence must complement these scientific qualifications. For theological content must be communicated in such a way that students are stimulated not only to intensively study the Bible, but to recognize its potential for pastoral practice. Finally, each teacher must also be willing to work collaboratively with representatives of other theological disciplines. Recognizing that animatio biblica totius actionis pastoralis is a pastoral concept with a biblical foundation implies, for a biblist who feels concerned with the life of the Church, that he cannot limit his work to exegesis. It would be equally inappropria­te for the pastoral theologian to be interested only in practical matters. On the contrary, animatio biblica totius actionis pastoralis requires that individuals enrich one another through concerted work. Only a living exchange between the Bible and pastoral theology, through an interdisciplinary dialogue, can allow an authentic and well-­targeted transmission of the concept of animatio biblica totius actionis pastoralis.

4. b) Consequences for the students The implementation of the concept of animatio biblica totius actionis pastoralis has implications not only for teachers but also for learners. They too, of course, must have the necessary passion for theology in general, and especially for both biblical and practical subjects. How will those who are not interested in theological questions be able to inspire others later? How, without passion for the Bible, to arouse others’ desire to plunge into it? Finally, how could the passion for such questions about God, Christ, the Gospel remain only academic, without effects on the concrete life of the faithful and Christian communities?

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For future pastoral workers, this vital conviction must of course be accompanied by a desire to acquire the required skills. In the first place, the scientific competence. Students need a solid education in all theological disciplines, including biblical and practical disciplines. Only in this way will they be able to make Biblical inspiration of all pastoral life fruitful and guide people in parishes to make the Bible their constant reference. Without basic theological training, the use of the Bible in pastoral care is simply irresponsible! For Biblical inspiration of all pastoral life, biblical and exegetical skills cannot be considered sufficient. Knowledge must therefore be complemented by the acquisition of skills in pastoral theology, which will only be meaningful if students are trained to re-­read their own pastoral experiences and reflections and, on this basis, develop a viable concept of “biblically inspired pastoral care.” Finally, the training of theology students should also include a dimension of spiritual guidance, so that their passion for the Scriptures remains alive. This spiritual dimension of training actually constitutes the flame that allows the fire of animatio biblica totius actionis pastoralis to remain lit.

4. c) Courses, paths, programs In order to provide the students with such skills, specific courses and programs must be integrated into the curriculum. Since it is a matter of designing courses, pathways and programs for them, the question could be formulated as follows: what kind of relationship to the Scriptures should these programs develop, to provide fertile soil for working with the Bible in pastoral fields? Or, to put it another way: how can biblical and practical theology be networked, intertwined during the academic journey so as to serve the implementation of the concept of animatio biblica totius actionis pastoralis in pastoral practice? Rather than a theoretical answer, a concrete example will illustrate what this might look like. In September 2017, a biblical pastoral ministry course was organized at the Luxembourg School of Religion & Society (LSRS). Delivered in English, this two-­week intensive course was entitled “Course on Biblical Pastoral Ministry: Meeting the Son of God in Mark”. Each morning an interdisciplinary session took place, where a biblical scholar, a dogmatician and a pastoral theologian went through a “journey” with the students to meet the Son of God in Mark’s gospel. Starting either from the biblical text, from pastoral practice or from a dogmatic issue, students and teachers wondered, in a lively exchange enriched by personal expe­

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riences and evaluations, how this encounter with the Christ of the Gospel transformed the life of the disciple, and what could be the consequences for pastoral life. In the afternoon, a cultural program was organized (visit of the city, churches, museums, etc.) to meet the Son of God in daily life and to integrate these practical elements into the theoretical part of the course. Then, as the third constituent element of the course, liturgical provision including the celebration of the Eucharist and the Liturgy of the Hours. These three elements, the scientific insight, the cultural framework and the spiritual dimension, were not juxtaposed, but daily imbricated and coordinated with one another, so that this course of biblical pastoral ministry was globally and organically structured.2 We must insist on the “really interdisciplinary” dimension of this course – the three professors being present throughout the course. This clearly demonstrated how important and beneficial was the ongoing interaction between biblical theology, practical theology and dogmatic theo­ logy, providing students with the necessary scientific foundations from each of these perspectives and, above all, arousing the necessary passion for theology in general and especially for work with the Bible. Such interdisciplinary courses are not the only way available to trace the path of Biblical inspiration of all pastoral life. Yet it is clear to us that there should be much wider provision of such courses and paths in all theological education institutions. We believe that the specific way in which this teaching takes place, both inside and outside the classroom, already fulfils, on an academic level, the necessary conditions for a fruitful deployment of the animatio biblica totius actionis pastoralis.

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We do not pretend that we are the only ones who had the idea of such a type of formation. Our attention has been drawn to programs who clearly take the Bible as the starting point of every theological exercise, especially in the French-­speaking area, at Collège des Bernardins (Paris) and Institut d’études théologiques (Brussels), to name only two; the IET also includes interdisciplinary collaboration of the teaching staff in its seminars. We simply wish here to highlight the major interest of the direct confrontation of ideas between theologians of various disciplines and students, within the same classroom, which, in our opinion, very closely corresponds to the « tranverse concept » of biblical animation of all pastoral life.

Résumés / Abstracts

Daniel Laliberté & Georg Rubel Introduction. Un concept émergent qui interroge les pratiques pastorales et qui interpelle théologiens et formateurs / An emerging concept that questions pastoral practices and challenges theological trainers Résumé Ce colloque s’articule autour du concept Animation biblique de toute la pastorale, considéré sous ses angles biblique, pastoral et didactique. Les deux premiers volets font partie de l’expression elle-­même, alors que le 3e concerne une question importante : « Comment enseigne-­t-on, comment forme-­t-on pour que s’implante cette « BATAP » ? Sans prétendre être la seule, la LSRS s’intéresse tout particulièrement à cette question, en vue du développement d’un programme d’étude en pastorale biblique tout entier fondé sur cette expression. Seulement voilà, l’expression est neuve, et l’on réalise vite que personne n’a encore été formé selon ses principes. De sorte que, avant même de se demander « comment enseigner pour qu’elle s’implante », il faut déjà chercher à comprendre la signification et la portée de cette animation biblique de toute la pastorale. De Léon XIII à Benoît XVI en passant par Dei Verbum, un fil rouge peut être tiré, qui montre la difficulté de placer la Bible tant au centre de l’enseignement théologique que de la vie des communautés chrétiennes. En ouverture de colloque, on ne cherchera pas à identifier déjà les motifs de ces difficultés. On peut par contre déjà mettre en évidence comment il ne s’agit pas de deux domaines parallèles : on peut faire l’hypothèse que la façon dont les Écritures sont à la source de toute la théologie a des conséquences directes sur la façon dont elles arrivent à être vraiment « l’âme » de toute la vie pastorale. La fin de l’article présente l’organisation générale de la démarche qui s’est déroulée au fil du colloque.

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Résumés / Abstracts

Abstract This conference is built around the concept Biblical animation of the whole pastoral life, considered under the biblical, pastoral and didactical aspects. The two first aspects are included in the expression itself, while the 3rd one addresses an important question: “How should we teach, how should we form, so that “BATAP” be implemented? Among others, the LSRS is particularly interested by this question, in view of the development of a program of biblical pastoral ministry entirely based on this expression. But… the expression is quite new, and it fast becomes obvious that nobody has yet been formed according to its principles. Consequently, before asking “how to teach in view of its implementation”, we must first try to understand the meaning and potential impacts of Biblical animation of the whole pastoral life. From Leo XIII to Benedict XVI, including Dei Verbum, a red thread can be seen, indicating the difficulties to place the Bible at the core of the theological teaching as well as in the center of the life of Christian communities. It is not time, at the beginning of this conference, to already try to identify the reasons behind those difficulties. We can however already show how we are not facing to independent domains: we can assume that the way the Scriptures are at the source of all theological work has direct consequences on the way by which they happen to be really the “soul” of the whole pastoral life. The last part of the article presents the global process that took place during the Conference.

Maurice Gilbert L’Écriture Sainte, âme de la théologie et de toute action pastorale Résumé L’exposé comporte deux parties, la première étant plus développée. I. L’étude de l’Écriture, ou l’Écriture, âme de la théologie ? a)  Un peu d’histoire  : l’origine des deux formules à Vatican  II et, auparavant, dans la tradition jésuite (1687) ; b) L’Écriture, ou l’étude de l’Écriture ? il n’y a pas diversité de sens ; c) « Comme l’âme » : « comme » avec un sens métaphorique fort : « en tant que » ; l’âme donne vie et elle est Présence divine ; d) La théologie en général : avis de Léon XIII (1893)

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et de Pierre Grelot (1982) ; e) Les différents secteurs de la théologie : la morale (Vatican II, Paul VI, la Commission Biblique Pontificale [1993]), la dogmatique (la Commission Biblique Pontificale, la Déclaration sur la justification [1997], le Rapport sur Marie [2004]). II. L’animation biblique de toute activité pastorale a) Le témoignage donné par le cardinal Martini ; b) Quelques réalisations concrètes : pour la liturgie, des cercles bibliques, des conférences, des Exercices spirituels, etc. Abstract Two parts to this paper, the first one being more developed. I. The study of the Scripture, or the Scripture, soul of theology? a) Historical sketch: origin of the two formulas at Vatican II and, earlier, in the Jesuit tradition (1687); b) The Scripture, or the study of the Scripture? No real difference in meaning; c) “Like the soul”: “like” with a strong metaphorical meaning “in so far as”; the “soul” gives life and is the divine Presence; d) Theology generally speaking: statements of Leo XIII (1893) and of Pierre Grelot (1982); e) The various branches of theology: moral theology (Vatican II, Paul VI, Pontifical Biblical Commission [1993]), dogmatic or systematic theology (Pontifical Biblical Commission, Statement of justification [1997], Report on Mary [2004]). II. Scripture at the heart of any pastoral activity a) Cardinal Martini as witness; b) Some concrete realizations: for the liturgy, Bible reading groups, lectures, Spiritual exercises, etc.

Joël Molinario L’acte de lire les Écritures comme art d’être à l’écoute de la Parole Résumé L’Exhortation Verbum Domini souligne le risque d’une lecture des Écritures qui soit une activité séparée des autres, une chose parmi d’autres dans la vie pastorale des communautés, bref que l’Écriture soit ajoutée à la vie de l’Église, supposant par-­là que les communautés pourraient s’en passer. En termes théologiques, ceci correspond à un risque d’extrinsécisme. Si la Bible peut être un ajout, cela signifie qu’elle n’est pas vitale pour l’Église et qu’elle ne désigne pas la Parole de Dieu.

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Cette conférence aborde la Bible à partir de l’acte de lecture qu’en a fait l’Église depuis le Moyen Âge jusqu’à aujourd’hui, en montrant les conditions d’un acte qui ne disjoint jamais les lectures ecclésiale et scientifique, l’histoire et le dogme ni l’humain et le divin. Avec Proust et Ricœur, l’acte de lire est compris comme l’accueil d’un désir qui ouvre des commencements d’éclosion d’un sujet qui advient à lui-­même  ; avec Étienne Grieu, c’est « l’empêtrement » des textes bibliques dans l’expérience humaine qui démultiplie la résonance de la Révélation dans l’épaisseur de notre histoire. Ceci est possible parce que la Bible est déjà ainsi faite de vibration et de combats spirituels. Sans retour nostalgique au Moyen Âge, il est possible de surmonter la déchirure spirituelle moderne dans un acte global de lecture qui soit une entrée en conversation réciproque de Dieu avec l’homme. Abstract The Exhortation Verbum Domini underlines the risk of reading the Scriptures as an activity beside the other ones, one thing among the others in the pastoral life of the communities, in short, considering Scriptures as kind of an addition to the life of the Church, thus suggesting that communities could do without them. In theological words, this is called “the risk of extrinsecism”. If the Bible can be a supplement, this means that it is not vital for the Church and that it is not the Word of God. This presentation considers the Bible from the angle of the act of reading made by the Church from the Middle age up to our days, by showing the conditions required for such an act so that it never puts apart ecclesial and scientific readings, history and dogma, human and divine. With Proust and Ricœur, the act of reading is understood as the reception of a desire, initiating the blooming of a person who “happens to him/herself ”; with Étienne Grieu it is the “entanglement” of biblical texts with human experience that reverberates the resonance of Revelation in the thickness of our history. This becomes possible because the Bible itself is made of such vibrations, of such spiritual fights. Without any nostalgic dreams of a return to the Middle age, it is possible to overcome the modern spiritual tear through a global act of reading seen as the entry into a reciprocal conversation between God and man.

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Judith Könemann Animatio biblica totius actionis pastoralis: Eine didaktische Perspektive Résumé La lecture biblique est un processus dans lequel la lectrice / le lecteur et le texte biblique se rencontrent. Sur l’arrière-­plan des développements tant exégétiques que didactiques au cours des dernières décennies, cette présentation formule des orientations didactiques fondamentales pour travailler avec les textes bibliques, mettant l’accent sur les soi-­disant lieux d’éducation « non formelle » dans la pastorale et la catéchèse. En partant du texte biblique comme «  texte dans son réseau  » (Zwingenberger), ainsi que de « l’esthétique de la réception », qui place la lectrice / le lecteur comme centre d’intérêt, nous traitons des conditions et des possibilités de cette rencontre entre le texte et le lecteur / la lectrice. Ces réflexions didactiques se situent à distance des pièges possibles d’une absolutisation du texte d’une part, et du lecteur d’autre part, indiquant un modèle de base didactique favorable pour le travail de groupe avec les textes bibliques. Nous mettons aussi en évidence des possibilités pour le travail biblique au moyen d’approches méthodologiques de type cognitif-­affectif ou encore basées sur l’expérience, favorisant l’équilibre entre le texte et son lecteur / sa lectrice. Abstract Reading the bible is a process of self-­education, in which an interaction between the reader and the text is always happening. On the background of the exegetical and didactical developments of the last decades, this presentation proposes some basic didactical orientations in order to work with the biblical texts, focusing on the so-­called « informal » education sites in pastoral and catechesis. Starting from the biblical text as « text in its network » (Zwingenberger), and from the « aesthetic of reception », which places the reader as center of interest, we discuss the conditions and possibilities of such an encounter between the text and the reader. Those didactical reflections stand away from the possible « pitfalls » of an absolutisation of the text on one hand, and of the reader on the other hand, indicating a basic didactical model supporting the group work with biblical texts.

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We also show possibilities for biblical work using cognitive-­affective methodological approaches, or experience-­oriented approaches, fostering a balance between the text and the reader

Jan J. Stefanów Central Europe: “Snow in Greenland, snow in Zimbabwe” – or How to awaken the hunger for the Scripture in civilizations that where built on the Bible legacy but who became stranger to it? Résumé Jan J. Stefanów, originaire de Pologne tout en étant secrétaire général de la Fédération biblique catholique, présente à la fois le point de vue de l’Europe de l’Est et de certains coins du monde qui ne sont pas couverts par les trois intervenants suivants ; partant d’une définition de « la pastorale », il montre comment la Fédération biblique catholique est depuis longtemps au cœur de la promotion d’une compréhension de la place de la Bible dans cette vie pastorale ; il fait ensuite ressortir comment, particulièrement en Europe, c’est précisément cette compréhension déficiente de ce qu’est la pastorale qui met à mal l’organisation, la vie et la mission de l’Église ; le problème est bien de savoir comment – pour citer Dom Helder Camara – non seulement donner du pain, mais donner faim de ce pain. Abstract Jan J. Stefanów, a native of Poland who is currently serving as general secretary of the Catholic Biblical Federation, presents both the views of Eastern Europe and parts of the world that are not covered by the three following speakers; starting from a definition of “pastoral life”, he shows how the Catholic Biblical Federation has long been deeply involved in promoting an understanding the place of the Bible in this pastoral life; he then goes on to show how, especially in Europe, it is precisely this defective understanding of pastoral life that undermines the organization, life and mission of the Church; the problem is – to quote Dom Helder Camara – about knowing not only to give bread, but to give hunger for that bread.

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Ko Ha Fong Maria Asia: “The word of God grew” – or How the oriental way of “contemplating the whole” can make Asia a “land of a bountiful harvest”? Résumé Depuis son point de vue asiatique, et plus particulièrement à partir de son origine chinoise, Ko Ha Fong Maria a laissé remonter en elle quelques échos surgis de la lecture des textes des trois premiers intervenants, en tant que chrétienne qui aime la Bible et la lit chaque jour, tout en venant d’un arrière-­plan culturel et d’une tradition familiale non-­chrétiens. Elle faisait ressortir comment les chrétiens de ces contrées sont habitués à l’importance des textes sacrés si présents dans les religions asiatiques – ces textes qui ont modelé les traditions, façonné les façons de penser, formé des styles de vie et sont profondément enracinés dans le cœur des peuples d’Asie. En conséquence, les chrétiens d’Asie saisissent spontanément l’importance d’une vie pastorale animée par la Bible. En Asie, la Bible « croît » : en nombre de copies bien sûr, mais surtout en vitalité, en pertinence et en profondeur de sens. Même si les Églises asiatiques sont jeunes, et malgré les difficultés d’appropriation d’un arrière-­ plan culturel si différent, les lecteurs de la Bible en reçoivent l’héritage avec reconnaissance. Friands de contes, que se passe-­t-il quand les Asiatiques lisent les histoires bibliques ? Résonnent-­elles en eux, ou le décalage culturel les fait-­il se sentir étrangers à ces histoires ? S.  Maria présente les choses ainsi  : tout comme les idéogrammes chinois ne fonctionnent pas comme l’alphabet, mais par une contemplation « holistique », entraînant à regarder au-­delà de ce qui est écrit, une lecture toujours renouvelée de la Bible est aisément recevable par les Asiatiques, tout comme le suggèrent les espaces vides qu’on trouve toujours dans la peinture chinoise traditionnelle. Ces espaces ne sont pas du vide, ils sont une ouverture vers l’infini, un espace de liberté pleine de potentiel. Abstract From her Asian point of view, and starting especially from her Chinese origins, Ko Ha Fong Maria let echo in herself some resonances produced by the reading of the texts of the first three lecturers. She answers as a Christian who loves Bible and reads it everyday, but who comes from a non-­Christian cultural background and family tradition. She showed how

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most Asian cultures have their classics or canonical texts and most Asian religions have their sacred texts. These texts have moulded traditions, shaped thinking patterns, formed life styles, and are deeply rooted in the heart of Asian people. Consequently, Asian Christians can intuitively grasp the importance of a pastoral life deeply inspired by the Bible. The Bible grows in Asia: in number of copies, editions and translations. Besides this visible growth, there is another one, more powerful, though hidden and immeasurable: growth in credibility, in depth of meaning and in vitality. Conscious of being “younger members” of this big Christian Family, and though it may be difficult for Asian Bible readers to get into a history of interpretation of the Bible, they receive gratefully the gift of the Bible. People in Asia are fond of storytelling. What happens, then, when they read the Bible? Do they, perhaps, find themselves resonating with the richness of the biblical stories? Or are they alienated? Sr. Maria presents it as follows: just as Chinese ideograms do not work in the same way as the alphabet, but as an “holistic contemplation” that pays attention to the entire field and trains the vision to go beyond what is written, so is it quite easy for the Chinese reader to see the reading of the Bible as something ever new: Asians value blank space and silence, as can be seen in Chinese traditional painting, this blank space that does not mean emptiness, but openness towards the infinite, a field of freedom filled with potential.

Guillermo Acero Alvarín Amérique latine et Caraïbes : « Lue et interprétée dans et à partir de la communauté ecclésiale »  – ou Comment a pu naître et croître une animation biblique en Amérique latine et dans les Caraïbes ? Résumé Guillermo Acero Alvarín présente l’histoire déjà longue de la réception et du développement de l’expression animation biblique de toute la pastorale en Amérique latine ; s’intéressant à l’historique des rencontres du CELAM depuis Rio en 1955, il montre la déjà forte mise en valeur de la Bible de la part de l’Épiscopat latino-­américain : sa diffusion et son utilisation sont considérées depuis des décennies comme faisant partie du devoir de formation et d’évangélisation des pasteurs et du laïcat, ce à

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quoi s’ajoute une claire recommandation de lecture de la Bible adressée à tous les catholiques ; après Rio, Medellin (1968), Puebla (1979) et Santo Domingo (1992) ne feront qu’intensifier le mouvement, liant fortement pastorale biblique et communautés ecclésiales de base ; tout cela a pavé la voie à une compréhension large et une réception en profondeur de l’animation biblique de toute la pastorale, dont le CELAM a tracé le chemin jusqu’au Synode de 2008, pour en poursuivre l’élan après Verbum Domini. Abstract Guillermo Acero Alvarín presents the already long history of the reception and development of the expression Biblical animation of all the pastoral life in Latin America; considering the history of CELAM meetings since Rio in 1955, he shows the already strong enhancement of the Bible on the part of the Latin-­American bishops: for decades, its diffusion and its use have been considered as part of the formation and evangelization duty of pastors as well as laity, in addition to a clear recommendation of reading the Bible addressed to all Catholics; after Rio, Medellin (1968), Puebla (1979) and Santo Domingo (1992) will only intensify the movement, linking strongly Biblical pastoral ministry and basic ecclesial communities; all this paved the way for a broad understanding and a deep reception of Biblical animation of all pastoral life, of which CELAM traced the path to the 2008 Synod, then continuing on this impulse from Verbum Domini on.

Gilbert Munana Afrique : « Une Parole lourde » – ou Comment rendre audible l’Évangile qui redonne vie en libérant de la peur ? Résumé Le présent article traite des défis de la réception de l’animation biblique de toute la pastorale en Afrique. Analysant deux lieux représentatifs de la souffrance du continent noir (la Traite Négrière et le génocide commis contre les Tutsi du Rwanda), l’auteur trouve qu’il n’est pas facile d’être Église de la Parole dans une entité dont les habitants ont été endommagés dans leurs instances narratives, c’est-­à-dire dans leur capacité d’exercer et d’accueillir la parole, de raconter et de témoigner de ce qui leur advient, etc. Comment annoncer l’Évangile de la vie avec toute la liberté d’expression de Dieu dans de tels contextes blessés et hantés par le retour des démons autrefois cachés dans certaines paroles « qui animent » ? Pour

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l’auteur, seuls les pasteurs et les chrétiens prêts à parler au nom et en faveur de Dieu et de ses humains bien-­aimés peuvent assumer convenablement la transmission de l’héritage biblique sans le brader. Abstract The current article tackles the challenges related to the reception of the Biblical animation of all pastoral work in Africa. Analyzing two representative instances of the suffering of the black continent (the slavery of the blacks and the genocide of the Tutsis of Rwanda), the author discovers that it is not easy to be a Church of the Word in an entity whose inhabitants have been damaged in their particular narratives, that is, in their capa­ city to live out and to receive the word, to narrate and to testify to what happens to them, etc. How does one preach the gospel of life with all the freedom of expression of God in such contexts wounded and haunted by the return of demons that were once hidden in particular words “that animate”? For the author, only pastors and Christians, who are ready to speak in the name of and in favor of God and of his beloved humans, can conveniently take up the transmission of the biblical heritage without selling it off cheaply.

Daniel Laliberté Relecture théologique des interventions géo-­culturelles : Une Parole « qui réjouit le cœur de l’homme » et pourtant « tranchante comme un glaive » – ou Comment, par l’Écriture, donner accès au « Dieu qui a pris corps » Résumé Laliberté prend appui sur le genre littéraire des quatre interventions dites « géo-­culturelles » pour mettre en évidence comment ce « style » constitue en lui-­même un reflet de la situation propre de chaque zone géographique quant à la réception et à l’implantation de l’animation biblique de toute la pastorale et, en conséquence, un locus theologicus. De la joie d’accueillir le don de l’Écriture en Asie jusqu’à l’étouffement de la Parole en Afrique, en passant par l’indifférence et la sécularisation en Europe et par la dynamique de libération en Amérique latine, chacune de ces interventions interroge le rapport à la Parole et soulève des questions quant à la possibilité pour l’Écriture de devenir, durablement, l’âme de toute la vie de l’Église. Au terme, peut-­être pouvons-­nous réaliser que l’animation

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biblique de toute la pastorale, loin d’être une simple « technique d’animation », recèle le potentiel de permettre aux communautés chrétiennes de comprendre la profondeur de l’affirmation : « Dieu a pris corps ». Abstract Laliberté draws on the literary genre of the four previous so called “geo-­ cultural” interventions, to highlight how this “style” in itself reflects the specific situation of each geographical area as regards the reception and implementation of the biblical animation of all pastoral life and, consequently, a locus theologicus. From the joy of receiving the gift of Scripture in Asia to the stifling of the Word in Africa, passing through indifference and secularization in Europe and through the dynamics of liberation in Latin America, each of these interventions questions the link with the Word and raises questions about the possibility for Scripture to become, sustainably, the soul of the whole life of the Church. In the end, perhaps might we rea­ lize that biblical animation of the whole pastoral life, far from being a simple “animation technique”, has the potential to allow the Christian communities to understand the depth of the affirmation: “God has taken flesh”.

Thomas P. Osborne Biblica animatio totius actionis pastoralis : une nouvelle perspective pour sortir de l’impasse ? Résumé La Biblica animatio totius actionis pastoralis, expression que Benoît XVI reprend dans Verbum Domini 73 (2010), reflète le souci du Pape et du Synode des Évêques sur la Parole de Dieu dans la Vie et la Mission de l’Église (2008) de redonner du souffle aux orientations proposées dans Dei Verbum, ch. 6, document conciliaire qui semble avoir été « un peu trop négligé » et en tout cas n’a pas porté les fruits espérés dans l’Église. Quel est le sens et la pertinence de cette expression qui vient dans la suite des « mouvements bibliques », de « l’apostolat biblique », de « la pastorale biblique », de « la dimension biblique de la pastorale », etc. ? Pour répondre à cette interrogation, cette contribution retracera d’abord l’histoire de la diffusion, voire la réception de cette expression qui, au-­delà de Verbum Domini et des discussions lors du Synode de 2008, remonte à un document de la sous-­région d’Europe latine de la Fédération biblique catholique (1993), préparé en vue d’un symposium d’évêques ayant à leur charge le souci de la Bible au sein des conférences épiscopales en Europe

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(CCEE) qui a eu lieu à Freising (1994). Ensuite, on formulera les options principales de cette vision de l’animation biblique de l’ensemble de la pastorale et la vie de l’Église, en évoquant des interrogations qu’elle suggère à l’égard de notre manière de lire, de comprendre et d’enseigner l’Écriture sainte dans notre Église et dans les instances de formation. Abstract The expression Biblica animatio totius actionis pastoralis, which Pope Benedict XVI uses in Verbum Domini 73, reflects the desire, both of the Pope and of the Bishops Synod on the Word of God in the Life and Mission of the Church (2008), to revitalize and specify the orientations proposed in the Vatican II document Dei Verbum, ch. 6, which seems to have been “a little too neglected” or in any event did not produce the fruits expected for the Church. What is the meaning and the pertinence of this expression in the follow-­up of terms such as “biblical movements”, “biblical apostolate”, “biblical pastoral ministry”, the “biblical dimension of pastoral ministry”, etc.? In response to this question, the present contribution shall first of all retrace the history of the diffusion, in fact the reception of this expression, which goes beyond Verbum Domini and the 2008 Bishops Synod back to a document elaborated by the Latin European Subregion of the Catholic Biblical Federation in 1993 in preparation of a symposium of “Bible bi­shops” of the European Bishops Conferences (CCEE), held in Freising in 1994. In a second step, this conference shall attempt to formulate the main options of the vision of the biblical inspiration of the entire pastoral ministry and indeed of the entire life of the Church, by pointing out certain issues related to the reading, understanding and teaching of Holy Scripture in our Church and in its institutions of theological and pastoral training.

François-­Xavier Amherdt Apprendre à lire la Bible au service de la compétence chrétienne : la Bible comme modèle herméneutique de la vie ecclésiale Résumé Cette brève contribution essaie d’expliciter quelques résonances possibles (cat-­echo) pour la compréhension et la mise en œuvre du concept de la « BATAP », du point de vue d’un prêtre catholique, bibliste et théologien de la pastorale. Il s’agit de conférer un « style » évangélique à l’inculturation

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des Écritures dans notre contexte postmoderne du xxie siècle, c’est-­à-dire un style prophétique et missionnaire, en passant de la peur de Jonas devant Ninive, au courage de David face à Goliath. Cela implique de donner l’occasion à tous les baptisés d’apprendre vraiment à « lire la Bible pour en vivre », individuellement ou en communauté de base, de susciter chez les étudiants en théologie le plaisir de la lecture biblique savoureuse, et de faire de la lectio divina la règle pastorale pour toutes les démarches de type synodal, diocésaines ou locales. Abstract This brief contribution wishes to explicit some possible resonances (cat-­echo) about the understanding and application of the concept of “BATAP”, as seen by a catholic priest, biblist and pastoral theologian. It is a matter of imparting an “evangelical style” to the inculturation of the Scriptures in our postmodern context of the xxist century, namely a prophetic and missionary style, by passing from the fear of Jonas in front of Nineveh, to the courage of David facing Goliath. This implies to give chance to every baptized to really learn to “read the Bible to live from it”, individually as well as in base communities; to arouse the pleasure of a “tasty reading of the Bible” in the heart of the students of theology; and to make lectio divina the pastoral rule for any synodal process, whether diocesan or local.

Jean Ehret Lecture de la Bible en petites communautés et théologie Résumé J. Ehret caractérise la présentation de l’animation biblique de toute la pastorale et l’exemple que T. Osborne en donne comme une spiritualité biblique dans laquelle les petites communautés ecclésiales sont un espace où la Parole de Dieu s’actualise dans l’Église et, par conséquent, l’oblige. La lecture des Écritures, tout comme le discernement auquel cette lecture conduit, impliquent toutes les disciplines théologiques. Dans la première partie de sa réponse, Ehret relit point par point l’intervention de Tom Osborne et attire l’attention sur quelques aspects critiques. Il aborde le reproche, formulé par Osborne, d’une déficience d’actualisation du salut en raison d’un manque de vie biblique, le besoin de clarifier le champ lexical de la « Parole » ou encore les processus de discernement nécessaires et complexes dont l’Église a cependant l’expérience. Dans la deuxième partie, J. Ehret présente quelques traits

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de l’esthétique littéraire de M.‑M. Münch, qui considère qu’un texte littéraire ne donne pas uniquement un sens, mais produit un « effet de vie » dans le lecteur. Cette approche permet au lecteur de découvrir la vie fictionnelle particulière du texte biblique reçu dans un contexte ecclésial, tout en valorisant sa valeur médiatrice. La troisième partie propose quelques suggestions afin d’intégrer l’expérience de lecture ou la spiritualité biblique des petites communautés dans l’enseignement théologique. Ehret y énumère quelques conditions pour que la Bible puisse devenir réellement l’âme de la théologie ; il relève aussi le rapport entre herméneutique biblique et herméneutique de la vie ; il propose de valoriser différents genres littéraires théologiques, notamment le récit et l’homélie. Abstract J. Ehret considers Tom Osborne’s presentation and exemplification of “BATAP” as a biblical spirituality: in fact, God’s Word makes itself present in the little ecclesial communities and, consequently, obliges the Church. Concerning the theological disciplines, all are concerned by the reading of the Scriptures as presented by T. Osborne and the necessary discernment that follows; all are involved in them. In his response, Ehret first offers remarks on each single part of Osborne’s text. He approaches Osborne’s criticism that because of a lack of biblical spiritual life, salvation cannot be fully unfolded; he considers the necessity of clarifying the lexical field of the “Word”, and the need for studying the complex and vital processes of discernment that the Church is used to. Secondly, Ehret introduces the main characteristics of M.‑M. Münch’s literary esthetics. Münch considers that a literary text does not only offer some meaning, but creates an “effect of life” in the reader. The reader shall experience the specific fictional life developed by a given biblical text read in an ecclesial context. This approach definitely enhances the value of the material mediation of the text. Thirdly, Ehret offers some suggestions about how to integrate the reading experience as well as the biblical spirituality of little ecclesial communities into the teaching of theology. He lists some conditions in order for the Holy Scripture to really become the soul of theology; he stresses the relationship between biblical and existential hermeneutics; he calls for the valorization of different theological literary genres, notably the narrative and the homily.

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Nicolas Cochand L’animation biblique : éléments de définition, enjeux herméneutiques Résumé L’animation biblique, en tant qu’expérience structurée de lecture communautaire de l’Écriture, est relativement peu étudiée en théologie pratique. Elle met en relation le souci pastoral et ecclésial, l’exigence exégétique et la réflexion herméneutique. Elle cherche à rendre les participants acteurs d’une écoute commune de la Parole, appelant chacun à devenir témoin de la quête et de la rencontre du Christ vivant, se référant par là à une tradition théologique et ecclésiale. Dans une perspective protestante (mais non polémique), le principe de l’Écriture seule – Sola Scriptura – offre une clé de lecture permettant de mettre en perspective les enjeux théologiques et ecclésiologiques émergeant de l’analyse d’une pratique d’animation biblique. Abstract Biblical animation, understood as a structured experience of community reading of the Scriptures, is relatively little studied in practical theology. It brings into relation pastoral concern, exegetical rigor and hermeneutical reflection. It tries to make the participants involved in the joint listening of the Word, calling everyone to become witness of the quest and encounter of the living Christ, thus referring to a theological and ecclesial tradition. Talking from a Protestant perspective, I will propose to start again with the Reformation principle of Sola Scriptura, reformula­ ting it not as a polemic tool but, instead, as a reading key helping to put into perspective the issues and problems that emerge from the analysis of a praxis of biblical animation.

Christiane Kremer-­Hoffmann Bible et catéchèse : des options qui engagent les attitudes et la qualité des relations Résumé Dans le modèle de la catéchèse intergénérationnelle que nous promouvons pour la catéchèse en paroisse dans le diocèse de Luxembourg, la place de la Bible est centrale. Ce modèle permet de développer la lecture des textes bibliques dans une certaine durée et dans le contexte d’une com-

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munauté de personnes qui s’approprient les textes en les faisant dialoguer avec leur vie. Or, pour que ce modèle fonctionne il faut que certaines conditions soient réunies, conditions qui se situent notamment au niveau de la dimension de la communion et des relations interpersonnelles ! Dans ses options « pour sortir de l’impasse », Thomas Osborne nomme plusieurs de ces conditions à l’adresse des animateurs pastoraux et des experts bibliques : l’attitude d’humilité et de respect devant les personnes, la capacité à la retenue et à l’autocritique, attitudes qu’on apprend justement en fréquentant régulièrement la Bible. Je rejoins profondément ces recommandations formulées sous forme de questions comme p. ex. « comment laisser la place et le temps nécessaires à celles et ceux qui tentent de frayer leur chemin dans la lecture du texte ? » Mon expérience pastorale et humaine me dit que nous devrons développer une vision de la catéchèse et du travail biblique où l’aspect de la rencontre et de la relation est pris en compte résolument. Les sciences humaines, l’anthropologie et les nouvelles études sur la communication peuvent nous aider. Mais il s’agit surtout d’une attitude et d’une compétence spirituelle à développer : nous inspirer du Christ et de sa manière d’entrer en relation avec les personnes. Abstract Thomas Osborne, in his options to “break the deadlock”, points out many conditions with which pastoral leaders and biblical scholars should be concerned: an attitude full of humility and respect for people, the capacity to act with self-­restrain and self-­criticism, attitudes that one learns by frequenting regularly the Bible. I fully subscribe to these recommendations in the form of questions such as, for example “How to leave sufficient place and time for those who try to find their way in the reading of the text?” The place of the Bible is central in the model of catechesis that we promote in our Formation service for parish catechesis. This model, which we call “catechesis for all”, makes it possible to develop the reading of biblical texts in an extended time and in the context of a community of people who take the texts for themselves by making them enter in dialogue with their real life. Yet, for this model to work, certain conditions must be met, conditions that are at the level of attitudes and of interpersonal relationships! My pastoral and human experience tells me that we will have to develop a vision of catechesis and biblical work where encounter and relationship are resolutely considered. Human sciences, anthropology and new com-

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munication studies can help. But it consists above all of a spiritual attitude and spiritual skill which need to be developed: let ourselves be inspired by Christ and by His way of entering into relation with the people He meets.

Yves Guérette Former à l’animation biblique de toute la pastorale : un travail d’expert en démaîtrise Résumé a) La théologie : au service de la lecture et de l’interprétation de deux livres « L’écoute de la Parole de Dieu est le principe définitif de la théologie catholique. » Il serait difficile d’envisager qu’il y ait d’un côté l’enseignement de la théologie et de l’autre l’enseignement des Écritures comme deux disciplines qui évolueraient de manière indépendante. L’exégèse doit se laisser imprégner par l’Esprit qui est à la source des Écritures afin d’espérer traduire quelque chose de la Révélation. Par ailleurs, la théologie n’est pas un réservoir de réponses déjà fabriquées à déverser selon les différentes questions et défis que pose la vie. Ce sont plutôt les expériences du monde et les récits des humains d’aujourd’hui qui, relus à la lumière des récits humains recueillis dans les Écritures, permettent de dire pour aujourd’hui quelque chose de la Révélation divine. Deux livres ouverts, Écriture et histoires, comportant chacun leurs exigences et leurs manières fines et attentives de lire à distance de tout a priori les récits qui les composent. Comment l’enseignement de la théologie peut-­il contribuer au renouvellement de toute la pastorale par « la rencontre personnelle avec le Christ qui se communique à nous dans sa Parole » ? 1re proposition : que les théo­ logiens en formation soient d’abord initiés à la lecture et à l’interprétation de leurs propres récits de vie. 2e proposition : apprendre à lire la Bible en évitant les écueils d’une instrumentalisation ne servant qu’à ancrer une vérité décrétée a priori. L’Écriture présente des récits d’Alliance, de relations. Une théologie fondée sur la Parole de Dieu devrait conduire à la contemplation du mystère. b) Se tenir dans la difficile fracture du sans mot afin d’entendre un murmure venu d’ailleurs Le salut – relèvement, passage, affranchissement, divinisation – est d’abord une expérience. Or, on n’enseigne pas une telle expérience de séduction et de

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retournement. C’est seulement à bout de souffle, qu’on peut consentir à se laisse réanimer. C’est lorsque mort que l’on peut participer à la résurrection. « Tu m’as séduit, Yahvé, et je me suis laissé séduire ; tu m’as maîtrisé, tu as été le plus fort. » La formation des responsables de l’animation biblique de toute la pastorale convoque l’art et la manière par laquelle l’enseignant se présentera devant les étudiants. Ne devrait-­il pas d’abord témoigner de la manière par laquelle il se pose lui-­même devant le mystère, se laissant traverser par celui-­ci pour être par le fait même au cœur du monde et de l’Église ? Un enseignement présenté comme une recherche inachevée, un don à recevoir jour après jour nouvellement, rendant compte de cette affirmation de Saint Paul : « Mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu. » C’est peut-­être comme cela qu’est d’abord «  implantée  » en nous l’animation biblique de notre existence. Devant le mystère, la théologie doit faire l’exigeant travail de trouver les mots pour le sans mot. Irréductible à une technique, l’animation biblique de toute la pastorale appelle à une dépossession, à un « laisser la place et de plus en plus toute la place » à Celui qui est l’âme de toute vie, de toute l’Église et du monde. Mais est-­ce que cela s’enseigne ? Abstract a) Theology: at the service of the reading and interpretation of two books “Listening to the Word of God is the definitive principle of Catholic theology.” It would be difficult to envisage that there should be on the one hand the teaching of theology and on the other the teaching of the Scriptures as two disciplines that would evolve independently. Exegesis must be impregnated by the Spirit who is at the source of the Scriptures in order to hope to translate something of the Revelation. Moreover, theology is not a reservoir of already made answers to be poured according to the different questions and challenges posed by life. Rather, it is the experien­ ces of the world and the narratives of today’s humans that, being re-­read in the light of the human narratives gathered in the Scriptures, make it possible to say for today something of the divine Revelation. Two open books, Scriptures and stories, each with their own demands and fine and attentive ways of reading, far from any a priori, the narratives that compose them. How can the teaching of the theology contribute to the renewal of all pastoral work through “the personal encounter with Christ who communicates with us in his Word”? 1st proposition: theologians in formation should first be initiated into the reading and interpretation of their own stories of life. 2nd proposition: to learn to read the Bible while avoiding the pitfalls

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of an instrumentalizing that serves only to anchor a truth decreed a priori. Scripture presents narratives of covenant, of relationships. A theology based on the Word of God should lead to the contemplation of the mystery. b) Standing in the difficult fracture of the wordless to hear a murmur from elsewhere Salvation – rising, passage, emancipation, divinization – is first and foremost an experience. Such an experience of seduction and reversal cannot be taught. It is only when breathless that one can consent to be raised again. It is when dead that one can take part in the resurrection. “You have seduced me, Yahweh, and I have let myself be seduced; You have mastered me, you have been the strongest.” The formation of the leaders of Biblical animation of all pastoral summons the art and the way in which the teacher will appear before the students. Should he not first bear witness to the way in which he poses himself before the mystery, allowing himself to be traversed by this mystery, thereby being at the heart of the world and of the Church? A teaching presented as an unfinished search, a gift to be received anew, day by day, reflecting this statement of St. Paul: “But you are to Christ, and Christ is to God.” It is perhaps in this way that the biblical animation of our existence is first “implanted” in us. In front of the mystery, theology must make the demanding work of finding the words for the wordless. Irreducible to a technique, the Biblical animation of all pastoral work calls for a dispossession, a “leave the place, and more and more all the place” to the One who is the soul of all life, of the whole Church and of the world. But is it teachable?

Daniel Laliberté & Georg Rubel Conclusion et regard prospectif – Une définition, des conséquences Conclusion and prospective insight – One definition, a series of consequences Résumé Les responsables du colloque sur le thème Animation biblique de toute la pastorale, Laliberté et Rubel, cherchent ici à synthétiser les différentes utilisations de cette expression au fil de ce parcours de réflexion, pour en proposer une définition fonctionnelle articulant les deux pôles de la formule : « toute la pastorale » et « animation biblique ». Ils s’appuient ensuite sur le « processus d’évangélisation » développé dans plusieurs textes officiels de l’Église à partir de Jean-­Paul II et qui constitue une proposition

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Résumés / Abstracts

forte d’articulation et d’intégration de « toute la pastorale », pour mettre en évidence le potentiel de transformation de la vie des communautés chrétiennes que constitue une réelle animation biblique. Ils s’intéressent enfin non seulement aux compétences requises de la part des responsables pastoraux – et en conséquence la formation théologique qui doit leur être proposée – mais également au désir de changement qui doit être cultivé dans le cœur de ces animateurs de la vie des communautés chrétiennes. Abstract The leaders of the Conference on the theme Biblical animation of the whole pastoral life, Laliberté and Rubel, seek here to synthesize the different uses of this expression along this path of reflection, to propose a functional definition articulating the two poles of the formula: “the whole pastoral life” and “biblical animation”. They then rely on the “process of evangelization”, developed in several official texts of the Church starting with John Paul II and which constitutes a strong proposal for the articulation and integration of “all pastoral life”, to highlight how a real “biblical animation” bears a strong potential for transforming the life of Christian communities. Finally, they are interested not only in the skills required of pastoral leaders – and therefore the theological training that should be offered to them – but also in the desire for change that must be cultivated in the hearts of these animators of the life of Christian communities.

Présentation des auteurs / Presentation of the authors (par ordre d’apparition dans le volume / according to the order of appearance in the book)

Daniel Laliberté (Canada) est docteur en théologie avec spécialisation en théologie pratique de l’Université Laval et de l’Institut catholique de Paris ; également détenteur d’une maîtrise en Écriture Sainte, il enseigne la théologie sacramentaire, la liturgie et la catéchétique à la Luxembourg School of Religion & Society, où il est directeur du département « Religion, communication, éducation », instance responsable du colloque sur l’Animation biblique de toute la pastorale. Georg Rubel (Germany) achieved a doctorate in Eichstätt-­Ingolstadt, in exegesis of the New Testament in 2008, with habilitation in 2014; after having been lecturer and academic advisor for the Chair of New Testament teaching in Eichstätt, he is now Professor of Biblical Theology and exegesis of the New Testament at the Luxembourg School of Religion & Society, where he belongs to the “Department of Religion, Communication, Education”, being responsible for the section Pratique des textes fondateurs. Maurice Gilbert SJ, (Belgique) est docteur en science biblique de l’Institut Biblique Pontifical, dont il fut directeur, à Rome puis à sa succursale de Jérusalem. Longtemps professeur d’exégèse des livres sapientiaux de l’Ancien Testament à l’Institut biblique de Rome, il est maintenant professeur invité à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. Joël Molinario (France), docteur en théologie de l’Institut catholique de Paris, est professeur au Theologicum de cet Institut et directeur de son Institut supérieur de pastorale catéchétique ; il est co-­responsable du Groupe de recherche en anthropologie chrétienne de l’ICP ; expert auprès

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Présentation des auteurs / Presentation of the authors

du Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation, il est membre de l’Équipe européenne de catéchèse. Judith Könemann (Deutschland) studierte römisch-­katholische Theologie, Soziologie und Erziehungswissenschaft an der Universität Tübingen und an der Universität Münster (Promotion 2002); sie war Direktorin des Schweizerischen Pastoralsoziologischen Instituts in St. Gallen/Schweiz; sie ist jetzt Professorin für Religionspädagogik und Bildungsforschung am Institut für Katholische Theologie und ihre Didaktik, Katholisch-­ Theologische Fakultät der WWU (Münster). Jan J. Stefanów SVD, (Poland) is licentiate in Biblical Theology (Rome, Gregorian U.); former director of the SVD biblical center in Quito and professor of Biblical Studies in the Quito section of the Pontifical University of Saint Thomas of Colombia, then professor of Biblical Studies and Missiology in the Seminary in Bydgoszcz and in Pieniężno (Poland), he has been active in the Catholic Biblical Federation since 2000, of which he is now the General Secretary. Ko Ha Fong Maria, (China) is a Salesian Sisters of Don Bosco; she holds a Doctorate in Theology (Münster) and is currently professor of New Testament Exegesis at the Pontifical Faculty of Educational Sciences Auxilium (Rome), at the Holy Spirit Seminary in Hong Kong and at several catholic seminaries in China; she is Consulter to the Pontifical council for promoting christian unity and member of the Pontifical Theological Academy. Guillermo Acero Alvarín (Colombie) est prêtre de la Congrégation de Jésus et Marie (Eudistes) ; il détient une maîtrise en Écriture Sainte de l’Institut biblique pontifical de Rome ; il est directeur de l’École biblique du Centre biblique, théologique et pastoral pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEBITEPAL), relevant du Conseil épiscopal latino-­américain (CELAM). Gilbert Munana OP, (Rwanda) a fait ses études en exégèse biblique à l’Université Catholique de Louvain (Louvain-­la-­Neuve, Belgique), où il a obtenu un doctorat, avec la thèse portant sur la Structure littéraire de Nb 1,1-10,10 ; il a aussi développé un intérêt pour l’herméneutique des théologies politiques, de l’enseignement social de l’Église et des discours sur la souffrance. Thomas P. Osborne, STD, (U.S.A. / Luxembourg) holds a doctorate in theology and a licentiate in biblical philology; he was professor of

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Biblical studies and director of the library at the Luxembourg Seminary, the “Institut de pédagogie religieuse” and the Luxembourg School of Religion & Society until his recent retirement; he also served as coordinator of the Southern and western european subregion of the Catholic biblical federation (CBF), secretary of the Eastern region of the Association catholique française pour l’étude de la Bible (ACFEB-­Est) and as interim general secretary of the CBF. François-­Xavier Amherdt (Suisse) est docteur en philosophie et en théologie (Fribourg) et habilité en théologie (Strasbourg) ; il est professeur de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique à la Faculté de théologie ainsi que vice-­directeur du Centre d’études pastorales comparées de l’Université de Fribourg ; directeur-­adjoint de la revue Lumen Vitae, il est membre du Conseil d’administration de la Société internationale de théologie pratique, de l’Équipe européenne de catéchèse et du groupe Santiago. Jean Ehret (Luxembourg) est docteur en langue et littérature françaises ainsi que docteur en théologie de l’Université Paul Verlaine de Metz ; adjunct Professor à la Sacred Heart University, il est professeur de théologie dogmatique et spiritualité et directeur de la Luxembourg School of Religion & Society. Nicolas Cochand (Suisse / France) est docteur en théologie du Nouveau Testament de la Faculté de théologie protestante de l’Université de Neuchâtel ; il a enseigné le Nouveau Testament et la théologie pratique, à Neuchâtel et à Montpellier. Depuis septembre 2016, il est titulaire du poste de Théologie pratique de l’Institut protestant de théologie, Faculté de Paris. Christiane Kremer-­Hoffmann (Luxembourg) détient une maîtrise en théologie catholique de l’Université des sciences humaines de Strasbourg, en plus d’une formation en médiation à l’Université catholique de Louvain ; elle travaille actuellement au sein de la Luxembourg School of Religion & society, dans le département « Religion, communication, éducation », où elle est particulièrement engagée dans l’élaboration d’outils de catéchèse pour les paroisses luxembourgeoises. Yves Guérette (Canada) a soutenu en 2008 à l’Université Laval un doctorat en théologie pratique sur le sujet de la catéchèse des adultes en milieu paroissial ; après avoir été associé à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval (Québec) à titre de chargé d’enseignement attaché à la formation pratique et aux stages, il est maintenant professeur

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adjoint en cette même faculté, titulaire de la Chaire de leadership en enseignement en éducation de la foi et directeur du programme de doctorat en théologie pratique ; il est également président de la Société internationale de Théologie pratique.

Dans la collection N° 25 – Daniel Laliberté & Georg Rubel (dir.), Bible – Pastorale – Didactique/ Bible – Pastoral – Didactics. “Animatio biblica totius actionis pastoralis”. « La Parole de Dieu est à l’œuvre en vous, les croyants » (1Th, 2,13)/“God’s Word is at Work in You Who Believe”, 2019, ISBN 978-2-8076-0935-8 N° 24 – Elisabeth-Alexandra Diamantopoulou, Louis-Léon Christians & Alberto Fabio Ambrosio (eds.), Orthodox Christianity and Human Rights in Europe. A Dialogue Between Theological Paradigms and Socio-Legal Pragmatics, 2018, ISBN 978-2-8076-0420-9 N° 23 – Jean-Pierre Van Halteren, Ces Chrétiens qui ne croyaient pas en Jésus-Christ. Un Christianisme appelé « Géométrie » au Moyen Âge, 2017, ISBN 978-2-80760225-0 N° 22 – Gürkan Çelik, Johan Leman & Karel Steenbrink (eds.), Gülen-Inspired Hizmet in Europe. The Western Journey of a Turkish Muslim Movement, 2015, ISBN 978-2-87574-275-9 No 21 – Dibudi Way-­Way, Mission en retour, réciproque et interculturelle. Étude sur la présence chrétienne africaine en Belgique, 2014, ISBN 978-2-87574-188-2 o N 20 – Alexis B. Tengan (ed.), Christianity and Cultural History in Northern Ghana. A Portrait of Cardinal Peter Poreku Dery (1918-2008), 2013, ISBN 978-2-87574-114-1 o N 19 – Rik Pinxten, The Creation of God, 2010, ISBN 978-90-5201-644-3 No 18 – Christiane Timmerman, Johan Leman, Hannelore Roos & Barbara Segaert (eds.), In-­Between Spaces. Christian and Muslim Minorities in Transition in Europe and the Middle East, 2009, ISBN 978-90-5201-565-1 No 17 – Hans Geybels, Sara Mels & Michel Walrave (eds.), Faith and Media. Analysis of Faith and Media: Representation and Communication, 2009, ISBN 978-90-5201-534-7 No 16 – André Gerrits, The Myth of Jewish Communism. A Historical Interpretation, 2009, ISBN 978-90-5201-465-4 o N  15 – Semih Vaner, Daniel Heradstveit & Ali Kazancigil (dir.), Sécularisation et démocratisation dans les sociétés musulmanes, 2008, ISBN 978-90-5201-451-7 o N 14 – Dinorah B. Méndez, Evangelicals in Mexico. Their Hymnody and Its Theology, 2008, ISBN 978-90-5201-433-3 No 13 – Édouard Flory Kabongo, Le rite zaïrois. Son impact sur l’inculturation du catholicisme en Afrique, 2008, ISBN 978-90-5201-385-5 No 12 – Astrid de Hontheim, Chasseurs de diable et collecteurs d’art. Tentatives de conversion des Asmat par les missionnaires pionniers protestants et catholiques, 2008, ISBN 978-90-5201-380-0

No 11 – Alice Dermience, La « Question féminine » et l’Église catholique. Approches biblique, historique et théologique, 2008, ISBN 978-90-5201-378-7 No 10 – Christiane Timmerman, Dirk Hutsebaut, Sara Mels, Walter Nonneman & Walter Van Herck (eds.), Faith-­based Radicalism. Christianity, Islam and Judaism between Constructive Activism and Destructive Fanaticism, 2007, ISBN 978-905201-050-2 No 9 – Pauline Côté & T. Jeremy Gunn (eds.), La nouvelle question religieuse. Régulation ou ingérence de l’État ? / The New Religious Question. State Regulation or State Interference?, 2006, ISBN 978-90-5201-034-2 No 8 – Wilhelm Dupré, Experience and Religion. Configurations and Perspectives, 2005, ISBN 978-90-5201-279-7 No 7 – Adam Possamai, Religion and Popular Culture. A Hyper-­Real Testament, 2005 (2nd printing 2007), ISBN 978-90-5201-272-8 N° 6 – Gabriel Fragnière, La religion et le pouvoir. La chrétienté, l’Occident et la démocratie, 2005 (2nd printing 2006), ISBN 978-90-5201-268-1 No 5 –  Christiane Timmerman  & Barbara Segaert (eds.), How to Conquer the Barriers to Intercultural Dialogue. Christianity, Islam and Judaism, 2005 (3rd printing 2007), ISBN 978-90-5201-373-2 N° 4 – Elizabeth Chalier-­Visuvalingam, Bhairava: terreur et protection. Mythes, rites et fêtes à Bénarès et à Katmandou, 2003, ISBN 978-90-5201-173-8 No 3 –  John Bosco Ekanem, Clashing Cultures. Annang Not(with)standing Christianity – An Ethnography, 2002, ISBN 978-90-5201-983-3 No 2 – Peter Chidi Okuma, Towards an African Theology. The Igbo Context in Nigeria, 2002, ISBN 978-90-5201-975-8 o N 1 –  Karel Dobbelaere, Secularization: An Analysis at Three Levels, 2002 (2nd printing 2004), ISBN 978-90-5201-985-7

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