Un livre sacré de l'Antiquité tardive: Les Oracles Chaldaïques 9782503565187, 2503565182

La définition devenue classique des Oracles chaldaïques comme " une sorte de bible des derniers néo-platoniciens &q

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Un livre sacré de l'Antiquité tardive: Les Oracles Chaldaïques
 9782503565187, 2503565182

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LES ORACLES CHALDAÏQUES

BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES

SCIENCES RELIGIEUSES

VOLUME

170

Illustration de couverture : Hécate. Gemme du iie/iiie siècle ap. J.-C., Museum August Kestner, Hannover, Inv.-Nr. K 450 (recto). © Museum August Kestner, Hannover.

UN LIVRE SACRÉ DE L’ANTIQUITÉ TARDIVE :

LES ORACLES CHALDAÏQUES

Helmut Seng

H

F

La Bibliothèque de l’École des hautes études, sciences religieuses La collection Bibliothèque de l’École des hautes études, sciences religieuses, fondée en 1889 et riche de plus de cent cinquante volumes, reflète la diversité des enseignements et des recherches menés au sein de la Section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études (Paris, Sorbonne). Dans l’esprit de la section qui met en œuvre une étude scientifique, laïque et pluraliste des faits religieux, on retrouve dans cette collection tant la diversité des religions et aires culturelles étudiées que la pluralité des disciplines pratiquées : philologie, archéologie, histoire, philosophie, anthropologie, sociologie, droit. Avec le haut niveau de spécialisation et d’érudition qui caractérise les études menées à l’EPHE, la collection Bibliothèque de l’École des Hautes Études, Sciences religieuses aborde aussi bien les religions anciennes disparues que les religions contemporaines, s’intéresse aussi bien à l’originalité historique, philosophique et théologique des trois grands monothéismes – judaïsme, christianisme, islam – qu’à la diversité religieuse en Inde, au Tibet, en Chine, au Japon, en Afrique et en Amérique, dans la Mésopotamie et l’Égypte anciennes, dans la Grèce et la Rome antiques. Cette collection n’oublie pas non plus l’étude des marges religieuses et des formes de dissidences, l’analyse des modalités mêmes de sortie de la religion. Les ouvrages sont signés par les meilleurs spécialistes français et étrangers dans le domaine des sciences religieuses (chercheurs enseignants à l’EPHE, anciens élèves de l’École, chercheurs invités…). Directeur de la collection : Arnaud Sérandour Secrétaires d'édition : Cécile guivarch, Anna Waide Comité de rédaction : Denise aigle, Mohammad Ali amir-moezzi, Jean-Robert armogathe, Marie-Odile BoulnoiS, Gilbert dahan, JeanDaniel duBoiS, Michael houSeman, Christian JamBet, Alain le Boulluec, Marie-Joseph Pierre, Jean-Noël roBert. © 2016, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2016/0095/100 ISBN 978-2-503-56518-7 Printed on acid-free paper.

à la mémoire de Markus Schmitz 1963-2009 Χρή σε σπεύδειν πρὸς τὸ φάος καὶ πρὸς Πατρὸς αὐγάς, ἔνθεν ἐπέμφθη σοι ψυχὴ πολὺν ἑσσαμένη νοῦν.

AVANT-PROPOS Ce petit livre réunit quatre conférences données en mars 2010 à l’École Pratique des Hautes Études. Le texte a été légèrement revu et complété pour publication, mais le caractère général des conférences a été dans une large mesure conservé. Je remercie chaleureusement Philippe Hoffmann et Jean-Daniel Dubois, qui m’ont invité à donner cette série d’exposés sur les Oracles Chaldaïques et m’ont encouragé à en faire ce livre, dont ils ont également écrit la préface. Mes remerciements vont pareillement à Gilbert Dahan, qui a bien voulu l’accueillir dans la série « Bibliothèque de l’École des Hautes Études – Sciences religieuses ». Un grand merci aussi à A.-Laure Vignaux, qui s’est chargée de la traduction française, et à Max Geiss, Sandra Dobritz, Sara Hernández Chiquillo et Cécile Guivarch pour leur collaboration dans le domaine rédactionnel ; en ce qui concerne le soutien financier, je suis redevable aux universités de Constance et de Cologne. Ilinca Tanaseanu-Döbler m’a permis d’avoir accès aux épreuves de son ouvrage Theurgy in Late Antiquity lorsque j’en étais moi-même au stade de la rédaction finale. Je la remercie également de tout cœur. Ce livre est dédié à mon ami Markus Schmitz, décédé prématurément. Francfort-sur-le-Main, 10 octobre 2013 Helmut Seng

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PRÉFACE Les Oracles Chaldaïques, livre sacré rédigé au iie siècle de notre ère, sous le règne de Marc-Aurèle, et rassemblant sous une forme poétique – en hexamètres dactyliques – des révélations censées provenir de la bouche des dieux eux-mêmes 1, ont pu être qualifiés de « bible » des derniers néoplatoniciens 2, en raison de l’autorité qui leur fut conférée à la fin de l’Antiquité – longtemps après leur rédaction, à partir principalement de Porphyre et de Jamblique, dont les successeurs aux ve et vie siècles, Proclus et Damascius, nous ont conservé de très nombreux fragments 3. Leur succès et l’usage qui en fut établi dans l’école néoplatonicienne, leur articulation à la théurgie 4, représentent ce que l’on peut décrire comme la pénétration d’éléments « extrarationnels » dans la philosophie grecque de l’Antiquité tardive 5. Et leur étude

1.

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4. 5.

Sur l’origine « révélée » des OC, voir infra, l’introduction de H. Seng, p. 20-25. – Sur le phénomène des oracles théologiques dans l’Antiquité, lire l’article classique de A. D. nock, « Oracles théologiques », Revue des études anciennes 30 (1928), p. 280-290 [= Essays on Religion and The Ancient World, Oxford 1972, p. 160-168]. Pour un aperçu sur les récents développements de la recherche, lire aussi par exemple le livre de A. BuSine, Paroles d’Apollon. Pratiques et traditions oraculaires dans l’Antiquité tardive (IIe-VIe siècles), Leyde – Boston 2005. Sur cette expression de Franz Cumont, voir infra, l’introduction de H. Seng, p. 19-20. Les progrès de l’édition critique des œuvres de Proclus et de Damascius, dans les dernières décennies, offrent à présent les meilleures conditions pour une étude des OC dans les divers contextes – saturés de spéculations néoplatoniciennes – dans lesquels nous ont été transmis les fragments : Proclus. Théologie Platonicienne, éd. H. D. Saffrey, L. G. WeSterink, I-VI, Paris 1968-1997 ; Damascius. Traité des Premiers principes, éd. L. G. WeSterink, J. ComBèS, I-III, Paris 1986-1991, et Damascius. Commentaire du Parménide de Platon, éd. L. G. WeSterink, J. ComBèS (puis A.-Ph. SegondS, C. Luna), I-IV, Paris 1997-2003. Sur la théurgie, lire l’ouvrage récent de i. tanaSeanu-döBler, Theurgy in Late Antiquity. The Invention of a Ritual Tradition, Göttingen – Bristol (Connecticut) 2013. Lire par exemple les études fondamentales de H. D. Saffrey, « Les Néoplatoniciens et les Oracles Chaldaïques », Revue d’études augustiniennes 27 (1981), p. 209-225 [= Recherches sur le néoplatonisme après Plotin, Paris 1990, p. 63-79], et « La théurgie comme phénomène culturel chez les néoplatoniciens (ive-ve siècles) », ΚΟΙΝΩΝΙΑ 8 (1984), p. 161-171 [= Recherches sur le néoplatonisme après Plotin, p. 51-61]. – L’expression « extra-rationnel » est en particulier utilisée par H. D. Saffrey à propos de la théurgie, dans son article « La théurgie comme pénétration d’éléments extra-rationnels dans la philosophie grecque tardive », dans Wissenschaftliche und außerwissenschaftliche Rationalität. Referate und Texte des 4. Internationalen Humanistischen Symposiums 1978, Athènes 1981, p. 153-169 [= Recherches sur le néoplatonisme après Plotin, p. 33-49].

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Les Oracles Chaldaïques conduit à s’interroger, du côté « païen », sur les rapports de la Révélation et de la Philosophie, et sur l’autorité d’un Livre, dans un univers de pensée où le religieux et le rationnel ne cessent de s’entrelacer, et où le rapport aux textes autoritatifs est, à travers la pratique quotidienne de l’exégèse, le fondement même de la dogmatique 6. Aussi est-il bien difficile, souvent, de distinguer, dans nos sources, entre ce qui relève de la « gangue » du vecteur de transmission – le plus souvent les subtiles spéculations philosophiques et théologiques néoplatoniciennes – et ce que pouvait être la pensée originelle des mystérieux auteurs qui, au iie siècle de notre ère – bien avant, donc, le moment plotinien –, ont composé ces formules obscures, dont l’opacité même illustre la valeur de l’ἀσάφεια dans l’esthétique littéraire et le mode d’expression de la pensée philosophique et religieuse de la fin de l’Antiquité. Les Oracles appartiennent pleinement, on le sait, au courant platonicien de l’époque impériale, et l’on a repéré des éléments doctrinaux qui les rattachent aux doctrines dites « médio-platoniciennes », caractérisées par le primat accordé au Timée de Platon 7, antérieurement à la rupture qui conduisit à partir de Plotin à privilégier l’étude du Parménide, appelé désormais à devenir le dialogue théologique par excellence. Ces Oracles qui devaient fournir à la démarche philosophique l’appui d’une autorité révélée, extrinsèque, transcendante 8, n’étaient à bien des égards, en leur origine, que des manifestations du courant platonicien multiforme, très dynamique sous l’Empire romain. Mais quel était le fonds originel de la doctrine des Oracles, si l’on tente de les isoler (comme on « isole » un élément chimique) de leurs contextes de citation dans les textes qui nous les ont transmis ? Peut-on reconstituer quelque chose comme un système de la pensée « chaldaïque », dont la fonction probable était d’appuyer les rituels théurgiques ? C’est à cette question que tente de répondre, à notre demande, et à la suite d’une tradition de recherche vieille de plusieurs décennies, le présent livre dans lequel, à l’occasion d’une invitation à l’École Pratique des Hautes Études en 2010, le Professeur Helmut Seng,

6. 7.

8.

10

Lire P. hadot, « Théologie, exégèse, révélation, Écriture dans la philosophie grecque », dans M. tardieu (éd.), Les règles de l’interprétation, Paris 1987, p.13-34 [= Études de Philosophie Ancienne, Paris 1998, p. 27-58]. Sur l’évolution ultérieure de la place du Timée dans l’école néoplatonicienne, cf. par exemple Ph. hoffmann, « La place du Timée dans l’enseignement philosophique néoplatonicien : ordre de lecture et harmonisation avec le De caelo d’Aristote. Étude de quelques problèmes exégétiques », dans F. celia, A. ulacco (éd.), Il Timeo. Esegesi greche, arabe, latine, Pise 2012, p. 133-180, avec aux p. 173-180 une riche bibliographie rassemblée par Angela Ulacco. Le primat des OC semble avoir été établi comme principe dans un ouvrage perdu de Syrianus, Συμφωνία Ὀρφέως, Πυθαγόρου, Πλάτωνος πρὸς τὰ Λόγια, βιβλία δέκα (« Harmonie d’Orphée, Pythagore, Platon, avec les Oracles [Chaldaïques] en dix livres »), dont l’importance a été soulignée par H. D. Saffrey, « Accorder entre elles les traditions théologiques : une caractéristique du néoplatonisme athénien », dans E. P. Bos, P. A. meiJer (éd.), On Proclus and his Influence in Medieval Philosophy, Leyde – New York – Cologne 1992, p. 35-50 [= Le néoplatonisme après Plotin, Paris 2000, p. 143-158].

Préface spécialiste des OC, a accepté de proposer une interprétation globale du système chaldaïque, sur la base d’un status quaestionis mais aussi de ses propres recherches les plus récentes – dans le cadre d’un renouveau général, très dynamique, des études consacrées à cette littérature oraculaire. Quelques rappels s’imposent pour situer cette entreprise. Après les exposés synthétiques ou les collections réalisés au Moyen Âge et à la Renaissance par divers auteurs, principalement Michel Psellos (xie siècle), Georges Gémiste Pléthon (ca. 1355-1452) ou encore Francesco Patrizi (1529-1597), qui donna en 1591, dans son Zoroaster et eius cccxx oracula chaldaica, la première collection systématique d’Oracles, il fallut attendre le xixe siècle pour que l’étude historique et critique des OC entre dans le champ de la science philologique, avec les travaux de Carl Thilo (Halle 1839-1840) et de Albert Jahn (Halle 1891) 9, mais surtout avec l’ouvrage véritablement fondateur de Wilhelm Kroll – le célèbre éditeur du commentaire de sur le Parménide (1892) et du commentaire de Proclus sur la République (1899-1901) –, qui publia en 1894 à Breslau une thèse d’habilitation intitulée De oraculis Chaldaicis, laquelle est aujourd’hui encore l’ouvrage de référence pour quiconque étudie les OC 10. La recherche de la première moitié du xxe siècle est marquée par l’étude de Willy Theiler, Die chaldäischen Orakel und die Hymnen des Synesios (Halle 1942) 11, et surtout par la rédaction du livre monumental de Hans Lewy, décédé en 1945 : cet ouvrage fondamental avait été rédigé en allemand, et ne fut publié qu’à titre posthume, en 1956, au Caire (IFAO) – et, conformément aux volontés de l’auteur, en anglais. Il demeure la référence obligée de tous les travaux sur les OC. Une deuxième édition, due aux soins de Michel Tardieu, publiée en 1978 aux Études augustiniennes 12, a rendu ce livre plus accessible et l’a considérablement enrichi (alors qu’il était déjà très épais : 512 pages !) d’une précieuse série d’Annexes (216 pages) qui donnent accès aux principales critiques, aux principaux développements de la recherche intervenus depuis l’époque de la rédaction 13. Enfin une troisième édition, en 2011, a permis à Michel Tardieu de proposer un bilan bibliographique complet, qui fait de cette édition un indispensable instrument de travail, puisqu’on y trouve pour chacun des OC toute la bibliographie utile 14.

9. Voir infra, l’introduction de H. Seng, p. 29-36. 10. G. kroll, De oraculis Chaldaicis, Breslau 1894 (réimpr. Hildesheim 1962). 11.W. theiler, Die chaldäischen Orakel und die Hymnen des Synesios, Halle 1942 [= Forschungen zum Neuplatonismus, Berlin 1966, p. 252-301]. 12. H. leWy, Chaldaean Oracles and Theurgy. Mysticism Magic and Platonism in the Later Roman Empire. Nouvelle édition par M. tardieu, Paris 1978. 13. Citons notamment, parmi les Annexes : E. R. doddS, « New Light on the “Chaldaean Oracles” », The Harvard Theological Review 54 (1961), p. 263-273, reproduit aux p. 693701 ; et P. hadot, « Bilan et perspectives sur les Oracles Chaldaïques », aux p. 703-720. 14. H. leWy, Chaldaean Oracles and Theurgy. Mysticism Magic and Platonism in the Later Roman Empire. Troisième édition par M. tardieu avec un supplément « Les Oracles chaldaïques 1891-2011 », Paris 2011 (Le Caire 19561, Paris 19782), p. 731-766.

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Les Oracles Chaldaïques L’ouvrage de W. Kroll ne se présentait pas comme une véritable édition des OC, et son principe de composition était systématique. Mais il fut bien vite utilisé et cité comme une édition (à preuve, l’habitude établie de citer les OC à l’aide de la page de Kroll). À l’absence d’une véritable édition tenta de répondre le volume publié en 1971 par le Père Édouard des Places dans la Collection des Universités de France 15, qui proposa une numérotation des fragments, entrée dans l’usage à côté de la référence à la pagination de Kroll 16. Cette édition de des Places est à la base de l’ouvrage en anglais, extrêmement utile et synthétique – très redevable aussi au livre de H. Lewy –, publié en 1989 par Ruth Majercik 17, qui a donné une introduction générale et des commentaires très détaillés sur la collection des OC. Le colloque international organisé en 2006 à Constance par Helmut Seng (Université de Constance) et Michel Tardieu (chaire d’« Histoire des Syncrétismes de la fin de l’Antiquité » au Collège de France) à l’occasion du cinquantenaire de la première publication du livre de Hans Lewy 18, a été l’occasion, parallèlement aux nombreux travaux propres de Helmut Seng 19, d’une inflexion significative dans l’étude des OC : l’ouvrage publié à l’issue de ce colloque, dans la collection « Bibliotheca Chaldaica » à Heidelberg 20, offre un panorama de diverses enquêtes sur la longue durée – depuis la littérature antique jusqu’à la poésie moderne –, et tente sur quelques dossiers d’engager des recherches neuves sur les liens possibles entre les OC et la gnose, en suivant des suggestions stimulantes formulées par Michel Tardieu lui-même en 1980, dans un article intitulé « La Gnose Valentinienne et les Oracles Chaldaïques » 21.

15. Oracles chaldaïques, avec un choix de commentaires anciens, éd. É. deS PlaceS, Paris 1971 (on trouve notamment en annexe, dans ce volume, les principaux textes de Psellos). Une 3e édition, en 1996, a été révisée et corrigée par A.-Ph. SegondS. 16. Le volume de des Places offre une table de concordance entre les pages de Kroll et la nouvelle numérotation des fragments (p. 251-252). 17. R. maJercik, The Chaldean Oracles. Text, Translation, and Commentary, Leyde – New York – Copenhague – Cologne 1989. 18. Le colloque s’est tenu à l’Université de Constance les 15-18 novembre 2006. Parmi les intervenants à ce colloque, mentionnons le nom de Polymnia Athanassiadi, qui avait précédemment donné un précieux panorama général sur les OC : « The Chaldaean Oracles : Theology and Theurgy », dans P. athanaSSiadi, M. frede (éd.), Pagan Monotheism in Late Antiquity, Oxford 1999, p. 149-183. 19. Citons notamment : H. Seng, ΚΟΣΜΑΓΟΙ, ΑΖΩΝΟΙ, ΖΩΝΑΙΟΙ. Drei Begriffe chaldaeischer Kosmologie und ihr Fortleben, Heidelberg 2009 ; et divers titres rassemblés en fin de volume, Bibliographie, infra, p. 140-141. 20. H. Seng, M. tardieu (éd.), Die Chaldaeischen Orakel : Kontext – Interpretation – Rezeption, Heidelberg 2010. 21. M. tardieu, « La Gnose Valentinienne et les Oracles Chaldaïques », dans B. layton (éd.), The Rediscovery of Gnosticism, I, Leyde 1980, p. 194-237.

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Préface Cet article de Michel Tardieu est resté longtemps sans susciter d’échos particuliers parmi les spécialistes de la gnose. Pourtant, John D. Turner s’était intéressé, il y a un certain temps, à la figure d’Hécate 22 dans ses travaux sur la gnose séthienne ; il a aussi profité des travaux de Luc Brisson pour sa monographie sur la gnose séthienne 23. Einar Thomassen, quant à lui, a rapproché certaines spéculations valentiniennes sur le monde du plérôme de quelques passages des OC 24. Mais le chercheur qui a le plus exploité les OC pour sa recherche sur les textes gnostiques coptes de Nag Hammadi est Michel Roberge, à propos de la Paraphrase de Sem (NH VII, 1). Dès le colloque de Québec en 1978, il suggère de se tourner vers les OC pour comprendre le rôle de l’Intellect dans ce traité 25. Depuis lors, M. Roberge n’a pas cessé de revenir aux OC pour le commentaire qu’il prépare sur la Paraphrase de Sem 26. Récemment enfin, en 2009-2010, ont été organisées à l’École Pratique des Hautes Études, par deux brillants jeunes chercheurs rattachés au Laboratoire d’études sur les monothéismes, Adrien Lecerf et Lucia Saudelli, deux journées d’études 27 qui ont abouti à la publication récente d’un ouvrage rassemblant dix contributions sur les OC 28 . Les conférences données par Helmut Seng, à l’invitation de l’EPHE, au mois de mars 2010 29, s’insèrent donc dans un mouvement très intense de la recherche, qui est redevable aux travaux de Michel Tardieu, et qui s’est

22. J. D. turner, « The Figure of Hecate and Dynamic Emanationism in The Chaldean Oracles, Sethian Gnosticism, and Neoplatonism », The Second Century Journal 7 (1991), p. 221-232. 23. J. D. turner, Sethian Gnosticism and the Platonic Tradition, Québec 2001, p. 389-396 et 470-471. 24. E. thomaSSen, The Spiritual Seed. The Church of the “Valentinians”, Leyde – Boston 2006, p. 295-298. 25. « Le rôle du Noûs dans la Paraphrase de Sem », dans B. Barc (éd.), Colloque international sur les textes de Nag Hammadi (Québec, 22-25 août 1978), Québec 1981, p. 328-339, particulièrement p. 335. 26. La Paraphrase de Sem, Québec 2000 ; « L’analogie sexuelle et embryologique dans la Paraphrase de Sem (NH VII,1) », dans L. Painchaud, P.-H. Poirier (éd.), Coptica – Gnostica – Manichaica, Mélanges offerts à W.-P. Funk, Québec 2006, p. 847-871 ; « La dynamis dans les Oracles Chaldaïques et la Paraphrase de Sem (NH VII, 1) », dans L. Painchaud, P.-H. Poirier (éd.), Colloque international « L’Évangile selon Thomas et les textes de Nag Hammadi », Québec 2007, p. 473-514 ; « Paraphrase de Sem (NH VII, 1) » dans J.-P. mahé, P.-H. Poirier (éd.), Écrits gnostiques, Paris 2007, p. 1029-1103 ; et The Paraphrase of Shem (NH VII, 1). Introduction, Translation and Commentary, Leyde – Boston 2010. 27. Journées d’études « Oracles chaldaïques. Fragments et philosophie », organisées par Adrien Lecerf et Lucia Saudelli, tenues le 27 juin 2009 et le 2 octobre 2010 à Paris (EPHE). 28. A. lecerf, L. Saudelli, H. Seng (éd.), Oracles Chaldaïques : fragments et philosophie, Heidelberg 2014. 29. Résumé publié dans l’Annuaire de l’École Pratique des Hautes Études. Section des sciences religieuses. Résumés des conférences et travaux, 118 (2009-2010), 2011, p. 117-124, sous le titre « Un livre sacré de l’Antiquité tardive : les Oracles chaldaïques ».

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Les Oracles Chaldaïques inscrit dans les programmes du Laboratoire d’études sur les monothéismes de l’EPHE, lequel a aussi soutenu la publication de la troisième édition, déjà citée, de l’ouvrage de Hans Lewy, aux Études Augustiniennes, en 2011. Dans le livre que l’on va lire à présent, H. Seng fait tout d’abord le point sur les conditions de rédaction des OC, paroles des dieux recueillies par les théurges, puis sur l’histoire de leur transmission et de leur usage, et enfin sur le développement de l’étude historique et critique des OC qui aboutit aux travaux érudits de l’époque moderne et contemporaine (p. 19-40). Le cœur du livre est un essai de présentation et d’interprétation globale du « système » théologique et cosmologique que l’on peut déceler dans les OC, depuis le premier principe et les triades intelligibles qui lui font suite (la triade du Père, de la Puissance et de l’Intellect, et la triade du ἅπαξ ἐπέκεινα, d’Hécate et du δὶς ἐπέκεινα), jusqu’aux divers niveaux cosmiques (les mondes igné, éthéré, hylique) et aux degrés ultimes, et les plus bas, de la réalité – la matière. Deux séquences, consacrées respectivement à la théologie et à la métaphysique (p. 41-61), puis à la cosmologie (p. 63-93), sont suivies (p. 95-129) d’une étude des dimensions psychologique (au sens du destin de l’âme humaine), sotériologique et théurgique de la doctrine chaldaïque : descente et remontée de l’âme humaine – en liaison notamment avec son « véhicule » (ὄχημα) 30 –, et rôle de la théurgie et des théurges. Helmut Seng n’accorde ici aux textes néoplatoniciens que l’attention strictement nécessaire à la compréhension des textes chaldaïques eux-mêmes, qui sont l’objet propre de son enquête 31. Il met en lumière l’architecture d’ensemble de ce qui semble bien être un système – rappelons encore la liaison essentielle qui existe entre les OC et l’interprétation « médio-platonicienne » du Timée, ainsi que la proximité, par exemple, entre la doctrine des deux intellects chez Numénius et la distinction chaldaïque entre le Père (ou premier intellect) et un Intellect à fonction démiurgique. Mais sur de nombreux points aussi Helmut Seng souligne les difficultés d’interprétation, dues à l’obscurité de l’expression, au caractère morcelé des textes – dont la forme d’origine nous échappe souvent – et à l’action déformante des contextes citateurs des néoplatoniciens, qui n’hésitaient pas à mobiliser une même formule, un même fragment chaldaïque, à l’appui d’affirmations doctrinales fort différentes. Pour étudier un même fragment, il faut d’ailleurs comparer minutieusement les contextes doctrinaux et exégétiques des diverses citations qui le transmettent !

30. Doctrine appelée à de riches développements dans le néoplatonisme post-plotinien et porté à son achèvement par Proclus. 31. En contrepoint, rappelons qu’un panorama complet du système chaldaïque tel qu’il est compris par Proclus a été donné par L. BriSSon, « La place des Oracles Chaldaïques dans la Théologie Platonicienne », dans A.-Ph. SegondS, C. Steel (éd.), Proclus et la Théologie Platonicienne, Louvain – Paris 2000, p. 109-162 ; on lira avec profit aussi, du même auteur : « Le recueil des Oracles chaldaïques et sa réception », dans E. norelli (éd.), Recueils normatifs et canons dans l’Antiquité, Lausanne 2004, p. 11-24.

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Préface Cet essai d’interprétation offre un panorama complet et clair des OC et constituera, par les apories que parfois il met en avant, un point de départ pour de nouvelles recherches, rendues possibles par le rassemblement concis des références et des dossiers de textes. Il sera un instrument de travail qui accompagnera désormais, et de façon critique, toute lecture de l’ouvrage, toujours fondamental, de Hans Lewy. Il offre en français une synthèse complète du système philosophique et religieux des Oracles Chaldaïques, la « bible » des néoplatoniciens, dont une collection réduite devait bien plus tard inspirer à Pléthon un essai de restauration du paganisme philosophique, dans le vain espoir de refonder et de sauver l’Empire grec. Jean-Daniel Dubois Philippe Hoffmann Laboratoire d’études sur les monothéismes

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AVERTISSEMENT Le texte suivant contient de nombreuses citations des Oracles Chaldaïques (dorénavant : OC) et d’autres œuvres de la littérature antique. Les fragments des OC sont en général cités d’après l’édition standard d’Édouard des Places, mais comme son traitement du texte pose problème à de nombreux endroits, je m’en suis à maintes reprises écarté. Cela sera indiqué au cas par cas ; de même lorsque je citerai, d’après les sources primaires, le plus souvent la compilation commentée de Psellos (Ἐξήγησις τῶν Χαλδαϊκῶν ῥητῶν = Philosophica minora II 38) 1 ou les commentaires de Proclus aux Dialogues de Platon. Les traductions sont empruntées aux éditions bilingues ou aux versions françaises citées dans la bibliographie, avec certaines modifications toutefois. Des traductions entièrement personnelles ont été substituées pour OC 163, Hiéroclès, In Cratylum de Proclus, Jean le Lydien, la Souda et Psellos, Philosophica minora I 19. L’appareil de notes contient avant tout des références internes destinées à faciliter l’utilisation de l’ouvrage et est, pour le reste, réduit au minimum ; cette forme de modération a été un peu plus naturelle là où j’ai pu renvoyer à mes propres travaux antérieurs. D’une manière générale, je me réfère avant tout aux commentaires d’Édouard des Places et de Ruth Majercik, aux interprétations de Hans Lewy et aux données bibliographiques de Michel Tardieu dans « Les Oracles chaldaïques 1891-2011 ».

1.

Psellos, Philosophica minora II, Opuscula psychologica, theologica, daemonologica, éd. D. J. o’meara, Leipzig 1989.

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INTRODUCTION UN LIVRE SACRÉ DE L’ANTIQUITÉ TARDIVE À l’origine du titre donné à ce livre, il y a une formule devenue au fil des années un lieu commun : les Oracles Chaldaïques (= OC), « Bible des néoplatoniciens ». Cette expression est attribuée à Franz Cumont, historien des religions belge, qui, en 1905, donna au Collège de France une série de conférences intitulée « Les religions orientales dans le paganisme romain ». En général, la mention exacte de la source fait d’ailleurs défaut, si bien que trouver la première attestation n’est pas ce qu’il y a de plus simple. Les conférences de Cumont ont été publiées en 1906 chez Leroux à Paris 1, mais la formule en question n’y apparaît pas. On la trouve pour la première fois dans les traductions allemande et anglaise parues à partir de 1909 2. Ces éditions contiennent des notes qui font défaut dans les trois premières éditions de la version française et ne sont reprises qu’à partir de la quatrième, parue en 1929 chez Geuthner à Paris 3. L’une de ces notes renferme la fameuse formule : « […] en quelque sorte la bible des derniers néoplatoniciens » (p. 294, n. 87). Nous trouvons la toute première attestation dans la version allemande publiée par Georg Gehrich. Cette version a paru à Leipzig en 1910 ; ou, plus exactement, la version définitive a paru en 1910 4. Car il existe une autre version, ou devrais-je dire, un exemplaire datant de 1909, aujourd’hui conservé à la

1. 2.

3. 4.

F. Cumont, Les religions orientales dans le paganisme romain. Conférences faites au Collège de France en 1905, Paris 1906. R. maJercik dans The Chaldean Oracles, p. 2 n. 8, renvoie à la version anglaise, F. cumont, The Oriental Religions in Roman Paganism. With an Introductory Essay by G. Showerman, Chicago 1911 (réimpr. New York 1956), p. 279 n. 66 : « … the Lógia Chaldaïká, which in a measure became the Bible of the last neo-Platonists. » Il est vrai que chez A. Bouchéleclercq, L’astrologie grecque, Paris 1899 (réimpr. Aalen 1979), p. 599, se lit déjà cette formulation : « Ce livre devint le bréviaire des néo-platoniciens en quête d’une Bible à opposer à celle des Juifs et des chrétiens » ; cf. Jamblique, Réponse à Porphyre (De mysteriis), éd. H. D. Saffrey, A.-Ph. SegondS, avec la collaboration de A. lecerf, Paris 2013, p. lxvi, n. 3. F. cumont, Les religions orientales dans le paganisme romain. Conférences faites au Collège de France en 1905. Quatrième édition revue, illustrée et annotée, publiée sous les auspices du Musée Guimet, Paris 1929. F. cumont, Die orientalischen Religionen im römischen Heidentum. Autorisierte deutsche Ausgabe von G. Gehrich, Leipzig – Berlin 1910.

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Les Oracles Chaldaïques bibliothèque universitaire d’Erfurt 5. Il s’agit d’une impression défectueuse, peut-être d’une épreuve non destinée à la publication ; en effet, les renvois internes sont manquants et signalés soit par un blanc, soit par des tirets noirs imprimés. C’est donc ici que se situe l’origine du concept de « Bible des néoplatoniciens » (p. 321-322, note 66 : « […] in gewissem Sinne die Bibel der letzten Neuplatoniker »). Deux éléments justifient cette comparaison avec la Bible : d’une part, il y a la grande estime portée aux OC par les néoplatoniciens eux-mêmes, et, comme Cumont le précise avec raison, en particulier par les derniers d’entre eux, essentiellement Proclus et Damascius ; d’autre part, il y a l’usage intensif que ceux-ci font des OC. Cette réception particulière a fortement déterminé la recherche contemporaine sur le sujet ; l’état fragmentaire des textes intervient évidemment aussi. Il semble logique de tenter, comme je le ferai dans un instant, de développer, sur la base de l’histoire de la réception et de la recherche, des prolégomènes méthodologiques. Mais, auparavant, une série de remarques sur l’essence et l’origine des Oracles Chaldaïques s’impose. Disons tout d’abord que les OC ne sont pas un témoignage de la « sagesse orientale ». Le titre Χαλδαϊκὰ λόγια apparaît chez Proclus, In Parmenidem, p. 800, 19 [V. Cousin], où il introduit la citation du fragment 37 6. Il est pour le reste très inhabituel dans l’Antiquité. On trouve plus fréquemment des formules comme τὸ λόγιον ou τὰ λόγια ainsi que la référence au(x) Chaldéen(s) (souvent aussi aux Assyriens ou βάρβαροι). Mais le plus souvent, ce sont des formulations comme οὕτω δὲ καὶ οἱ θεοὶ λέγουσιν, λέγεται ὑπὸ τῶν θεῶν ou οἱ θεοί φασιν 7 que l’on trouve à la place. Elles sont complétées par des références au(x) théologien(s) ou au(x) « théurge(s) » – un concept qui sera éclairé plus tard ; nous nous contenterons de préciser ici que l’expression de théurgie désigne le rapprochement rituel avec les dieux 8. Ces formulations ont également donné lieu à quelques variantes. Nous constatons donc l’existence d’une double attribution. D’un côté, les OC sont associés aux dieux eux-mêmes, de l’autre, aux Chaldéens ou aux théurges. Les sources disent à plusieurs reprises que les dieux s’adressent aux théurges, qui apparaissent ainsi comme les premiers récepteurs et médiateurs de la révélation 9. Cette double paternité situe les OC dans la catégorie des

5. 6.

7. 8. 9.

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F. cumont, Die orientalischen Religionen im römischen Heidentum. Autorisierte deutsche Ausgabe von G. Gehrich, Leipzig – Berlin 1909. Proclus, Commentaire sur le Parménide de Platon III/2, livre III, éd. C. luna, A.-Ph. SegondS, Paris 2011. Ce titre apparaît aussi, sans citation cette fois, dans la Souda Η 60, II 550, 7 [A. adler] et est attribué à la Philosophos historia [= Vie d’Isidore] de Damascius, fr. 145 (Damascius, The philosophical history, éd. P. athanaSSidi, Athènes 1999). Cf. H. leWy, Chaldaean Oracles…, p. 443-447. Voir infra, p. 110-124. Cf. aussi la documentation chez H. Seng, « Langage des dieux et langage des hommes dans les Oracles Chaldaïques », dans L. SoareS, Ph. hoffmann (éd.), Langage des dieux, langage des

Un livre sacré de l’Antiquité tardive écrits inspirés ou, pour le dire selon la formule chrétienne, de la « parole de Dieu » : une autre caractéristique qui les rapproche de la Bible. À plusieurs endroits, les déclarations des théurges sont également distinguées des oracles eux-mêmes 10. Ce sont pour une part des œuvres autonomes qui sont nommées, mais les exemples de la Philosophia ex oraculis haurienda de Porphyre, ou de la Théosophie de Tübingen laissent également penser que dans le texte des OC, des explications en prose étaient intercalées entre les oracles eux-mêmes 11. La question du titre nous amène tout naturellement à celle des auteurs. Car, manifestement, la désignation d’« Oracles Chaldaïques » ou « Chaldéens » est liée à l’attribution à un ou plusieurs Chaldéens. La Souda nous éclaire à ce sujet : Ἰουλιανός, Χαλδαῖος, φιλόσοφος, πατὴρ τοῦ κληθέντος θεουργοῦ Ἰουλιανοῦ etc. Julien, le Chaldéen, philosophe, père de Julien dit le théurge etc. (Souda Ι 433, II 641, 32-33 [A. Adler]) 12. Ἰουλιανός, ὁ τοῦ προλεχθέντος υἱός, γεγονὼς ἐπὶ Μάρκου Ἀντωνίνου τοῦ βασιλέως. ἔγραψε καὶ αὐτὸς Θεουργικά, Τελεστικά, Λόγια δι’ ἐπῶν· καὶ ἄλλα ὅσα τῆς τοιαύτης ἐπιστήμης κρύφια τυγχάνουσιν. ὅτι τοῦτόν φασι δίψει ποτὲ καμνόντων τῶν Ῥωμαίων, ἐξαίφνης ποιῆσαι νέφη τε ἀγερθῆναι ζοφώδη καὶ ὄμβρον ἀφεῖναι λάβρον ἅμα βρονταῖς τε καὶ σέλασιν ἐπαλλήλοις· καὶ τοῦτο σοφίᾳ τινὶ ἐργάσασθαι Ἰουλιανόν. οἱ δέ φασιν Ἄρνουφιν, τὸν Αἰγύπτιον φιλόσοφον, τοῦτο πεποιηκέναι τὸ θαυμάσιον. Julien, fils de celui que l’on vient de nommer, vivait à l’époque de l’empereur Marc-Aurèle. Il écrivit également des ouvrages sur la théurgie et sur les rituels de consécration et des oracles en hexamètres, ainsi que toutes les doctrines secrètes qui touchent à cette science. C’est lui, rapporte-t-on, qui, un jour où l’armée romaine était menacée de mourir de soif, fit en sorte, en un tour de main, que des nuages sombres s’amoncellent et déversent une pluie violente, accompagnée de coups de tonnerre et d’éclairs incessants ; et que cela Julien l’accomplit grâce à une certaine science. D’autres disent que c’est le philosophe égyptien Arnouphis qui est l’auteur de ce miracle (Souda Ι 434, II 642, 1-7 [A. Adler]).

démons, langage des hommes dans l’Antiquité (à paraître dans la collection « Recherches sur les rhétoriques religieuses », chez Brepols), n. 54-66. 10. Voir infra, p. 89 (introduction de OC 58). 11. H. leWy, Chaldaean Oracles…, p. 32-33 renvoie à un texte intermédiaire dans la citation d’OC 217 chez Proclus, In Platonis Rem Publicam commentarii, éd. G. kroll, I-II, Leipzig 1899-1901 (réimpr. Amsterdam 1965), II 126, 14-26, qui pourrait remonter à un tel modèle dans l’original (à propos de l’authenticité, voir infra, p. 112, n. 42). Cf. en outre D. Potter, « The Chaldean Oracles. Text, translation and commentary by Ruth Majercik », The Journal of Roman Studies 81 (1991), p. 225-227 : p. 226. On pourrait aussi imaginer qu’il y a inclusion de vers non hexamétriques (OC 211-212). 12. Suidae Lexicon [Souda], éd. A. adler, I-V, Leipzig 1928-1938.

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Les Oracles Chaldaïques Ce témoignage ne date il est vrai que du xe siècle, ce qui a parfois amené à le considérer comme non fiable. On ne peut pourtant qu’être frappé par sa concordance avec les attestations plus anciennes, en particulier dans l’association des termes de Χαλδαῖος, θεουργός et λόγια. Proclus mentionne les θεουργοί, qu’il date en accord avec la Souda du règne de Marc-Aurèle, en deux endroits (In Rem publicam II 123, 12 [G. Kroll] et In Cratylum p. 72, 10-11 [G. Pasquali]) 13 et cela, dans le contexte des pratiques théurgiques, même s’il ne s’agit pas, dans ces passages, d’introduire des citations tirées des oracles. Toutefois, ce détail peut difficilement être invoqué comme argument pour contredire une attribution à Julien ou aux Julien. Celle-ci apparaît explicitement dans un texte attribué à Procope de Gaza, auteur chrétien des ve et vie siècles (vers 465 - vers 528). La qualité d’auteur de Julien est également suggérée par un texte de l’érudit byzantin Michel Psellos (vers 1018 - vers 1081), qui après un bref résumé des doctrines chaldaïques (Theologica I, 23, 35-45), complète par la remarque suivante (Theologica I, 23, 46-52) 14 : Τῶν δὲ τοιούτων ὀνομάτων τε καὶ δοξῶν ὁ ἐπὶ Μάρκου Ἰουλιανὸς καθηγήσατο, ἐν ἔπεσιν αὐτὰ συγγραψάμενος, ἃ δὴ καὶ ὡς λόγια ἐφυμνεῖται παρὰ τῶν μετὰ ταῦτα. τούτοις δὲ ἐντυχόντες καὶ οἱ καθ’ ἡμᾶς Ἕλληνες οὕτω δὴ ἐσεβάσθησαν καὶ ἠγάπησαν, ὡς ἀφεμένους εὐθὺς τῶν Ἑλληνικῶν πρὸς ταῦτα δραμεῖν, καὶ μάλιστα Ἰάμβλιχος καὶ ὁ θεῖος τῷ ὄντι Πρόκλος ἀνήρ· ὁμοῦ τε γὰρ τούτοις συνεγένοντο, καὶ καταιγίδας τὰς Ἑλληνικὰς μεθόδους περὶ τὸν συλλογισμὸν ὠνομάκασι. L’auteur de ces paroles et de ces vues fut Julien, qui vécut à l’époque de MarcAurèle ; il les présenta sous forme d’hexamètres, que ses successeurs célèbrent comme des oracles. Lorsqu’ils découvrirent ces vers, les païens de notre époque les vénérèrent et les chérirent tellement qu’ils abandonnèrent tout de suite la tradition hellène et qu’ils se précipitèrent sur ces choses, en particulier Jamblique et Proclus, cet homme véritablement divin. Car dès qu’ils prirent connaissance de ces écrits, ils traitèrent de « tourbillons tempétueux » la méthode d’argumentation logique de la tradition hellène.

13. Proclus, In Platonis Rem publicam commentarii, éd. G. kroll, I-II, Leipzig 1899-1901 (réimpr. Amsterdam 1965); In Platonis Cratylum commentaria, éd. G. PaSquali, Leipzig 1908 (réimpr. Stuttgart – Leipzig 1994). 14. Psellos, Theologica I, éd. P. gautier, Leipzig 1989. Traduction des textes de Psellos relatifs aux « Oracles chaldaïques » dans Oracles Chaldaïques avec un choix de commentaires anciens, éd. É. deS PlaceS, Paris 1971 (19892 ; 19963 rev. A.-Ph. SegondS), Appendice, p. 153-224.

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Un livre sacré de l’Antiquité tardive Cela concorde largement avec ce que l’on lit dans les Orationes forenses et acta 1, 287-295, où la métaphore des tourbillons est attribuée à Procope de Gaza 15. Le renvoi à cet auteur fait certes défaut dans Theologica I, 23, 46-52, mais on a relié de manière convaincante la référence aux « païens de notre époque » à Procope, un contemporain de Damascius (vers 462 - après 532). Quant aux Julien eux-mêmes, il existe plusieurs anecdotes qui les présentent comme des thaumaturges 16. Nous avons déjà vu qu’on leur attribuait les pluies miraculeuses de 173 (selon Eusèbe) ou de 171 (selon Jérôme), qui sauvèrent la vie à une armée romaine encerclée sans accès à l’eau ; l’épisode est représenté sur la colonne de Marc-Aurèle à Rome 17. Concrètement, la première association entre les pluies miraculeuses et les Chaldéens apparaît en 404 chez le poète Claudien dans le panégyrique composé à l’occasion du sixième consulat de l’empereur Honorius (v. 348) ; il est vrai que l’expression Chaldaea carmina, qu’il utilise à cet endroit, évite précisément de nommer une personne surnommée « le Chaldéen » 18. Dans la formulation générale, « chaldéens » est traditionnellement employé dans le sens de « mages » ; souvent, le mot désigne en particulier les astronomes et, surtout, les astrologues 19. L’attribution des pluies miraculeuses à Arnouphis (déjà mentionnée) ou aux soldats chrétiens de l’armée romaine est plus ancienne ; à l’origine, c’est l’action de l’empereur lui-même qui était invoquée. La plus ancienne attestation d’une démonstration thaumaturgique de Julien le Chaldéen apparaît dans l’Historia ecclesiastica de Sozomène (1, 18, 7), qui date des années 439-450. On y rapporte que Julien fendit une pierre de ses mains, par la force de la parole. Dans ce passage, l’épithète « chaldéen » est utilisée comme surnom qui identifie la personne ; il s’agit de la plus ancienne attestation de cette forme du nom.

15. Psellos, Orationes forenses et acta, éd. G. T. denniS, Stuttgart – Leipzig 1994. Cf. L. G. WeSterink, « Proclus, Procopius, Psellus », Mnemosyne 10 (1942), p. 275-280 [= Texts and studies in neoplatonism and Byzantine literature. Collected papers, Amsterdam 1980, p. 1-6], notamment p. 278 [= p. 4] ; à cet endroit, Psellos parle par erreur de l’empereur Trajan. 16. Cf. H. Seng, ΚΟΣΜΑΓΟΙ…, p. 142-150, et P. athanaSSiadi, « Julian the Theurgist : Man or Myth ? », dans H. Seng, M. tardieu (éd.), Die Chaldaeischen Orakel…, p. 193-208. 17. Cf. E. PeterSen, A. v. domaSzeWSki, G. calderini, Die Marcussäule auf der Piazza Colonna in Rom, Munich 1896, no XI (« éclairs miraculeux ») et XVI (« pluies miraculeuses ») ; cf. aussi J. Scheid, V. huet (éd.), Autour de la colonne Aurélienne. Geste et image sur la colonne de Marc Aurèle à Rome, Turnhout 2000, fig. 27-28 (p. 326-327) et 34-35 (p. 330-331), et F. coarelli, La Colonna di Marco Aurelio. The Column of Marcus Aurelius, Rome 2008, p. 131-133 et p. 140-142. 18. Claudien, Carmina, éd. J. B. hall, Leipzig 1985. 19. Cf. I. tanaSeanu-döBler, « Weise oder Scharlatane ? Chaldaeerbilder der griechischrömischen Kaiserzeit und die Chaldaeischen Orakel », dans H. Seng, M. tardieu (éd.), Die Chaldaeischen Orakel …, p. 19-42.

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Les Oracles Chaldaïques On ignore si ce surnom désignait à l’origine celui qui le portait comme un mage astrologue, selon l’usage de l’époque, ou s’il le caractérisait plus précisément comme un membre ou un descendant de la vieille caste des prêtres babyloniens, considérée comme la représentante de la sagesse philosophique et supérieure à la philosophie 20. En revanche, il est clair que cette épithète de « chaldéen » confère à son détenteur, ou à ses doctrines, une autorité dépassant celle du simple philosophe, et qu’en l’utilisant, on éveille la curiosité du public. Cette prétention ésotérique cachée dans le nom correspond à la formulation mystérieuse des oracles, dont le mode d’expression imagé et le vocabulaire parfois bizarre ne cessent de poser problème à notre entendement. On trouve chez Michel Psellos (Philosophica minora I, 46, 43-51) – au xie siècle, donc – un passage particulièrement intéressant sur la coopération du père et du fils dans l’interrogation des dieux : […] οἱ ἐπὶ τοῦ Μάρκου Ἰουλιανοί· ὁ μὲν γάρ τις αὐτῶν πρεσβύτερος ἦν, ὁ δὲ νεώτερος. περὶ δὲ τοῦ νεωτέρου, ἵνα τι μικρὸν ἐκκόψω τὸν λόγον, καὶ τοιοῦτον ἐπιθρυλλεῖται φλυάρημα, ὡς ὁ πατήρ, ἐπεὶ γεννῆσαι τοῦτον ἔμελλεν, ἀρχαγγελικὴν ᾔτησε ψυχὴν τὸν συνοχέα τοῦ παντὸς πρὸς τὴν τούτου ὑπόστασιν, καὶ ὅτι γεννηθέντα τοῖς θεοῖς πᾶσι συνέστησε καὶ τῇ Πλάτωνος ψυχῇ Ἀπόλλωνι συνδιαγούσῃ καὶ τῷ Ἑρμῇ, καὶ ὅτι ταύτην ἐποπτεύων ἔκ τινος τέχνης ἱερατικῆς ἐπυνθάνετο περὶ ὧν ἐβούλετο. […] les Julien sous Marc-Aurèle. L’un était plus âgé que l’autre. Au sujet du plus jeune, si je peux me permettre un excursus, il circule une anecdote, à savoir que son père, au moment où il était sur le point de l’engendrer, demanda au Mainteneur de l’Univers une âme archangélique pour constituer la substance de son fils et qu’après la naissance de celui-ci, il le mit en contact avec tous les dieux et avec l’âme de Platon, qui se trouvait en compagnie d’Apollon et d’Hermès et, par le moyen de l’art hiératique, il s’éleva jusqu’à l’époptie de cette âme de Platon pour pouvoir l’interroger sur ce qu’il voulait 21.

Le rôle du jeune Julien dans ces interrogations des dieux a été interprété comme celui d’un médium spirituel 22. On remarque aussi la position centrale attribuée à l’âme de Platon divinisé – un détail qui ne semble pas concorder exactement avec l’attribution des OC aux dieux telle qu’on la trouve chez

20. Cf. P. athanaSSiadi, « The Chaldaean Oracles… », p. 152-155 ; P. athanaSSiadi, La lutte pour l’orthodoxie dans le platonisme tardif. De Numénius à Damascius, Paris 2006, p. 43-48 et p. 58-64 ; cf. aussi P. athanaSSiadi, « Julian … ». 21. Psellos, Philosophica minora I, Opuscula logica, physica, allegorica, alia, éd. J. M. duffy, Stuttgart – Leipzig 1992 ; traduction modifiée et complétée d’après H. D. Saffrey, « Les Néoplatoniciens… », p. 218 [= p. 72]. 22. Cf. H. D. Saffrey, « Les Néoplatoniciens… », p. 218-220 [= p. 72-74], qui reprend une suggestion d’Eric Robertson Dodds. Proclus décrit la procédure selon laquelle l’âme est tirée de son corps au moyen d’une baguette magique et interrogée après son retour, In Rem publicam II 122, 22 - 123, 8 [G. kroll]) et l’attribue également aux Julien (In Rem publicam II 123, 8-16 [G. kroll]).

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Un livre sacré de l’Antiquité tardive Proclus et Damascius 23. Mais elle est conforme à l’empreinte platonicienne des OC, sur laquelle nous reviendrons. Voilà donc, très brièvement, pour ce qui est du titre, des auteurs, de la datation et de l’origine possible des OC. Ce qui nous amène à l’histoire de leur réception, que nous ne pourrons évidemment pas traiter de façon exhaustive ici 24. Certains indices laissent penser que Plotin (205-270) connaissait déjà les OC ; cette question reste toutefois contestée. Le fait est que l’on ne trouve chez cet auteur ni mention explicite ni citation. Le premier à accorder une attention particulière aux OC est Porphyre (ca 234-305/310). Nous avons pour le prouver trois attestations. D’abord, on trouve chez Énée de Gaza (ve siècle) une référence à un écrit rédigé ou cité par Porphyre, intitulé Τῶν Χαλδαίων τὰ λόγια ; elle n’a malheureusement pas encore été expliquée dans le détail. Le texte dit 25 : Οὐ γὰρ ἀγέννητος οὐδὲ ἄναρχος ἡ ὕλη· τοῦτό σε καὶ Χαλδαῖοι διδάσκουσι καὶ ὁ Πορφύριος. ἐπιγράφει δὲ καθόλου τὸ βιβλίον, ὃ εἰς μέσον προάγει, « τῶν Χαλδαίων τὰ λόγια », ἐν οἷς γεγονέναι τὴν ὕλην ἰσχυρίζεται. La matière n’est en effet ni inengendrée ni sans principe. Cela, les Chaldéens et Porphyre te l’enseignent également ; dans l’ensemble, il intitule le livre qu’il offre au public « Les oracles des Chaldéens ». Dans cet ouvrage, il confirme que la matière est le résultat d’un processus de devenir.

Même la question de savoir s’il s’agit d’un titre original reste incertaine : s’il s’agit d’une œuvre à laquelle Porphyre ne fait que se référer, ce titre pourrait être d’Énée lui-même. Ensuite, le De regressu animae, auquel Augustin (354-430) renvoie abondamment, renferme des notions et des représentations caractéristiques non seulement des OC, mais aussi de leur exégèse spécifique par Porphyre ; par endroits, on a même l’impression d’avoir affaire à un commentaire partiel des oracles. Enfin, on trouve des mentions des OC dans un commentaire anonyme du Parménide de Platon, figurant dans le palimpseste de Turin, attribué à Porphyre par Pierre Hadot 26. Cette attribution a beau être très contestée, ses

23. Cf. P. hadot, « Théologie, exégèse, révélation, Écriture… », p. 27-29 [= p. 44-46], et la discussion chez H. Seng, « Langage… », n. 50-53. 24. Cf. pour ce qui suit : Oracles Chaldaïques, éd. É. deS PlaceS, p. 18-46, et H. Seng, ΚΟΣΜΑΓΟΙ…, p. 15-31 avec inventaire des sources et de la littérature. 25. Theophrastus, p. 45, 4-7 (Énée de Gaza, Teofrasto, éd. M. E. colonna, Naples 1958) = Porphyre 368F 1-4 (Porphyre, philosophi fragmenta, éd. A. Smith, Fragmenta Arabica D. WaSSerStein interpretante, Stuttgart – Leipzig 1993). 26. Première attribution à Porphyre chez P. hadot, « Fragments d’un commentaire de Porphyre sur le Parménide », Revue des études grecques 74 (1961), p. 410-438 ; en dialogue avec M. Tardieu, l’attribution est à nouveau confirmée dans P. hadot, « “Porphyre et Victorinus”. Questions et hypothèses », dans M. tardieu, Recherches sur la formation de l’Apocalypse de

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Les Oracles Chaldaïques nombreux détracteurs ne sont pas parvenus, malgré leurs efforts répétés, à réfuter les arguments de Hadot. Cet écrit offre un remarquable témoignage de l’approche herméneutique des OC chez les premiers néoplatoniciens, , In Parmenidem IX 8-12 27 : Ταῦτα δέ πως μὲν λέγεται ὀρθῶς τε καὶ ἀληθῶς, εἴ γε θεοὶ ὥς φασιν οἱ παραδεδωκότες ταῦτα ἐξήγγειλαν, φθάνει δὲ πᾶσαν τὴν ἀνθρωπίνην κατάληψιν […] D’une certaine manière, ces choses sont dites avec exactitude et vérité, s’il est vrai – à ce que disent ceux qui rapportent cette tradition – que ce sont des dieux qui les ont révélées. Mais elles dépassent toute compréhension humaine […].

La référence aux OC en tant que texte faisant autorité et la remise en question non seulement de cette autorité, mais aussi de leur pertinence dans l’argumentation philosophique, sont directement liées. Jamblique (probablement 240-325) se réfère de manière intensive aux oracles, en particulier dans le De mysteriis, dans le cadre de sa discussion avec Porphyre sur la valeur de la théurgie 28 ; non seulement la réserve qui caractérise Porphyre, énergiquement critiqué par Jamblique, en est absente, mais on ne trouve pas non plus de véritables citations. Seule la paraphrase libre de parties de OC 147 (De mysteriis II 4, p. 75, 10-14 [G. Parthey] = p. 56, 23-27 [H. D. Saffrey, A.-Ph. Segonds]) peut finalement être considérée comme un témoignage assez détaillé 29. Certains fragments, témoignages et explications nous sont également fournis par l’empereur Julien (331/332-363) et Hiéroclès (ve siècle). L’écrit en dix volumes de Syrianus (mort avant 437) sur la concordance entre les doctrines d’Orphée, de Pythagore et de Platon avec les OC a été perdu ; cette approche a été adoptée par son disciple Proclus (412-485) 30, qui

27. 28.

29. 30.

26

Zostrien et les sources de Marius Victorinus. P. hadot, « Porphyre et Victorinus ». Questions et hypothèses, Bures-sur-Yvette 1996, p. 115-125 ; il n’est pas possible d’acquérir de certitude absolue. Sur la discussion relative à l’attribution, cf. M. chaSe, « Porphyre de Tyr. Commentaires à Platon et à Aristote », dans R. goulet (éd.), Dictionnaire des philosophes antiques Vb, Paris 2012, p. 1349-1376 : p. 1358-1371 et la littérature citée à cet endroit ; pour de nouvelles réflexions sur la base de l’intégration du problème dans la question plus large des influences réciproques entre médioplatonisme, gnose et néoplatonisme, cf. par exemple J. D. turner, « The Platonizing Sethian Treatises, Marius Victorinus’s Philosophical Sources, and Pre-Plotinian Parmenides Commentaries », dans J. D. turner, K. corrigan (éd.), Plato’s Parmenides and its heritage, I, Atlanta 2010, p. 131-172. P. hadot, Porphyre et Victorinus, I-II, Paris 1968 : II, p. 59-113. Cf. I. tanaSeanu-döBler, « “Nur der Weise ist Priester” : Rituale und Ritualkritik bei Porphyrios », dans U. Berner, I. tanaSeanu-döBler (éd.), Religion und Kritik in der Antike, Münster 2009, p. 109-155 : p. 119-143, et I. tanaSeanu-döBler, Theurgy in Late Antiquity, p. 45-135. Voir infra, p. 99, n. 14, et p. 118, n. 53. Cf. H. D. Saffrey, « Accorder entre elles les traditions théologiques… ».

Un livre sacré de l’Antiquité tardive est probablement le principal néoplatonicien de l’Antiquité tardive avec Plotin et qui cite les OC plusieurs centaines de fois. On connaît la phrase que cite son biographe Marinus (fin du ve siècle) : Εἰώθει δὲ πολλάκις καὶ τοῦτο λέγειν, ὅτι « κύριος εἰ ἦν, μόνα ἂν τῶν ἀρχαίων ἁπάντων βιβλίων ἐποίουν φέρεσθαι τὰ λόγια καὶ τὸν Τίμαιον, τὰ δὲ ἄλλα ἠφάνιζον ἐκ τῶν νῦν ἀνθρώπων, διὰ τὸ καὶ βλάπτεσθαι ἐνίους τῶν εἰκῆ καὶ ἀβασανίστως ἐντυγχανόντων αὐτοῖς ». Il avait accoutumé aussi de dire souvent : « Si j’étais maître, de tous les livres des Anciens, je ne laisserais en circulation que les Oracles et le Timée, et je priverais les hommes de ce temps de tous les autres, car parmi ceux qui les lisent au hasard et sans les examiner à fond, il en est qui en éprouvent du dommage. » (Vita Procli 38, 15-20) 31.

Ce témoignage frappe non seulement par la haute estime en laquelle Proclus tient les OC, mais aussi par le fait qu’il les associe au Timée de Platon. Des éléments de parenté interne entre les deux écrits apparaîtront à plusieurs reprises dans les explications qui suivent. On peut même mentionner une formulation des OC qui semble être une véritable paraphrase d’un passage du Timée 32 . Nous possédons aussi un témoignage herméneutique des plus remarquables de Proclus. Le langage imagé et mystérieux des OC a toujours posé de gros problèmes à ses interprètes. Cependant, Proclus affirme dans la Theologia Platonica I 4 que, si le mythe du type “Orphée”, la symbolique des nombres façon “Pythagore” et le mode d’expression philosophique de Platon sont, chacun à sa façon, métaphoriques, les dieux, en revanche, c’est-à-dire les OC, ont annoncé la vérité non déguisée 33. C’est précisément le contraire du jugement exprimé par le commentaire turinois du Parménide. L’importance de Proclus pour la recherche sur les oracles est évidente, que ce soit comme source de nombreux fragments ou comme attestation de l’exégèse oraculaire 300 ans environ après les oracles eux-mêmes. Son principe de systématisation pose néanmoins un problème fondamental à notre compréhension des OC : il comporte en effet le risque d’une réinterprétation presque totale. Les OC sont souvent intégrés à la façon de dicta probantia ; et il y a là, à nouveau, une analogie évidente avec la Bible. L’admiration et l’exégèse, qui est en fait un commentaire non pas développé à partir du texte mais raccroché à ce texte a posteriori, vont de pair. Ce procédé ressemble à l’emploi que les

31. Marinus, Proclus ou sur le bonheur [= Vita Procli], éd. H. D. Saffrey, A.-Ph. SegondS, C. luna, Paris 2001, p. 44. 32. Voir infra, p. 96. Cf. en outre L. BriSSon, « Plato’s Timaeus and the Chaldaean Oracles », dans G. J. reydamS-SchilS (éd.), Plato’s « Timaeus » as Cultural Icon, Notre Dame (Ind.) 2003, p. 111-132. 33. Cf. Proclus, Théologie Platonicienne, éd. H. D. Saffrey, L. G. WeSterink, I-VI, Paris 19681997, I 4, p. 19, 23 - 20, 25 ; et P. hadot, « Théologie, exégèse, révélation, Écriture… ».

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Les Oracles Chaldaïques Pères de l’Église font bien souvent de la Bible. Pour poursuivre dans cette comparaison, nous pouvons affirmer, de manière lapidaire, que la situation de transmission des OC est d’une certaine manière semblable à ce que serait celle de la Bible si nous n’avions pas conservé le texte même de celle-ci mais seulement quelques citations éparses chez une poignée de Pères de l’Église. Il est pratiquement impossible d’en retirer un texte cohérent – entre ce qui est fragment authentique, teneur originale, paraphrase ou ce qui a peut-être été attribué erronément, il n’est pas toujours facile de distinguer avec certitude. Quant aux interprétations des fragments séparés, elles ne correspondent pas obligatoirement ni les unes aux autres, ni au sens original du texte. On s’aperçoit donc que la formule de Cumont a une portée proprement herméneutique. La situation est similaire chez Damascius, qui offre après Proclus le plus grand nombre d’attestations – dont certaines sont absentes chez Proclus – et qui interprète parfois les mêmes passages d’une façon différente. Le principe systématique et l’herméneutique qui lui est liée sont comparables. Parmi les autres auteurs, on compte par exemple Hermias (ve siècle), Simplicius (ca 490-560), Olympiodore (495/505 - après 565) et Jean le Lydien (ca 490-560). Mais ils sont moins significatifs et ne seront pas envisagés plus en détail ici. En revanche, Synésios de Cyrène (vers 370 - vers 413) vaut la peine que l’on s’y attarde. Il fait figure d’exception – et mérite de ce fait une mention spéciale – dans la mesure où ses écrits sont imprégnés d’une vision philosophique et théologique néoplatonicienne qui n’est pas fondamentalement (sinon dans quelques détails) opposée au christianisme, mais qui contribue au contraire à sa compréhension. Il acceptera la fonction de métropolite de Ptolémaïs, en Lybie, malgré quelques scrupules théologiques. Synésios connaît aussi bien les OC eux-mêmes que plusieurs formes de leur exégèse 34. Dans son écrit intitulé Περὶ ἐνυπνίων (Sur les songes – De insomniis), il cite les oracles à plusieurs reprises dans le cadre d’une question d’ordre psychologique qui prolonge la pensée de Porphyre ; OC 218 n’est connu que par cette source. On remarque en particulier l’interprétation de OC 158, qui reprend différents points de l’exégèse oraculaire et tente de les concilier 35. Dans ses hymnes, Synésios puise copieusement dans les OC 36, dont il reprend tels quels ou sous forme de variantes de nombreux mots et tournures ; les hymnes I, II, IV, V et IX sont fortement influencés par le mode d’expression qui caractérise les écrits chaldaïques. Leur emploi correspond dans de nombreux cas aux OC mêmes (pour autant pour que l’on puisse

34. Cf. P. hadot, Porphyre et Victorinus, I, p. 461-474 ; S. vollenWeider, Neuplatonische und christliche Theologie bei Synesios von Kyrene, Göttingen 1985, p. 106-113 et p. 127-129. 35. Cf. H. Seng, « Der Körper des Theurgen », dans inStitutum PatriSticum auguStinianum (éd.), Pagani e cristiani alla ricerca della salvezza (secoli I-III), Rome 2006, p. 849-860 ; voir aussi infra, p. 126-129. 36. Cf. W. theiler, Die chaldäischen Orakel…, et aussi H. Seng, Untersuchungen zum Vokabular und zur Metrik in den Hymnen des Synesios, Francfort-sur-le-Main 1996, p. 119-170.

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Un livre sacré de l’Antiquité tardive les dépister ; en fait, Synésios constitue lui-même une source importante pour la doctrine des OC) et, dans d’autres cas, il correspond à l’exégèse néoplatonicienne ; à cela s’ajoute la transposition du mode d’expression à un contenu différent et neuf. Ce phénomène se vérifie en particulier en ce qui concerne la théorie de La Trinité, que Synésios identifie, par l’emploi des noms divins de Père / Fils / Esprit, clairement comme chrétienne ; dans le domaine de la cosmologie, par contre, Synésios suit de plus près la ligne établie dans les OC ; enfin, il représente une source majeure pour la psychologie chaldaïque. La position de Marius Victorinus est proche de celle de Synésios, mais la valeur de son témoignage est bien plus réduite – ce à quoi contribue certainement le fait qu’il écrit en latin. En majorité, les références chrétiennes antiques aux OC sont sinon polémiques, du moins négatives, et apportent peu en ce qui concerne le texte ou le contenu des OC en eux-mêmes. Il faut cependant retirer du lot les commentaires d’Arnobe et d’Augustin, qui ont connu les OC par l’intermédiaire de Porphyre 37. C’est aussi très probablement le cas pour la réception des oracles en langue latine chez des auteurs de tendance néoplatonicienne comme Martianus Capella et Macrobe 38. Le principal témoin du Moyen Âge est sans aucun doute Michel Psellos. Ses études de philosophie ont notamment consisté à repérer des commentaires donnant accès aux représentants classiques de la métaphysique, à Platon et à Aristote. Ces textes provenaient largement des néoplatoniciens et adoptaient le point de vue correspondant ; parmi les philosophes néoplatoniciens qu’il a étudiés, Psellos nomme explicitement Plotin, Porphyre, Jamblique et Proclus. On notera qu’il fait précéder ces indications d’un aveu d’orthodoxie chrétienne, ce qui indique sans doute que celle-ci a été mise en doute, mais ne doit pas être nécessairement considéré comme une profession de foi authentique. Cet intérêt nouveau pour la philosophie païenne correspondait en tout cas aussi peu à la pratique chrétienne de son temps que la tentative de concilier philosophie et théologie chrétienne et d’employer l’une pour parvenir à une meilleure compréhension de l’autre. Psellos se vante d’être le seul de son temps à posséder une connaissance relativement exacte des OC 39. Dans les contextes les plus divers, il propose une multitude de comptes rendus, de textes et d’allusions. La tradition chaldaïque est pour lui un objet d’intérêt scientifique ainsi qu’un moyen de

37. Cf. H. Seng, ΚΟΣΜΑΓΟΙ…, p. 151-167 avec d’autres références. 38. Cf. H. Seng, « Seele und Kosmos bei Macrobius », dans B. feichtinger, S. lake, H. Seng (éd.), Körper und Seele. Aspekte spätantiker Anthropologie, Munich – Leipzig 2006, p. 115-141. 39. Theologica, I, 23, 53-55. Concernant Psellos, cf. É. deS PlaceS, « Le renouveau platonicien du xie siècle : Michel Psellus et les Oracles chaldaïques », Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, comptes rendus des séances de l’année 1966, Paris 1966, p. 313-324 ; J. duffy, « Hellenic Philosophy in Byzantium and the Lonely Mission of Michael Psellos », dans K. ierodiakonou (éd.), Byzantine Philosophy and its Ancient Sources, Oxford 2002, p. 139156 ; Oracoli caldaici con appendici su Proclo e Michele Italo, trad. it. S. lanzi, Milan 2001.

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Les Oracles Chaldaïques démontrer son érudition ; en tant que sources de la sagesse païenne, les OC sont cités et commentés aussi bien pour être contredits qu’approuvés, Psellos recourant occasionnellement, par précaution, à des précisions apologétiques, tandis que quelquefois il prête à ses adversaires des tendances chaldaïsantes à des fins polémiques 40. Au total, Psellos a laissé du système chaldaïco-néoplatonicien quatre synthèses qui, toutefois, diffèrent dans une série de détails 41. Il a également laissé un recueil de textes oraculaires avec commentaire intitulé Ἐξήγησις τῶν χαλδαϊκῶν ῥητῶν (Commentaire des Oracles Chaldaïques = Philosophica minora II 38). Ces fragments sont accompagnés de témoignages de leur exégèse néoplatonicienne ; les explications individuelles du sens des oracles proposées par Psellos reposent non seulement sur ces bases mais adoptent aussi un point de vue chrétien. L’assentiment – par exemple en ce qui concerne la conception spirituelle du paradis, l’exhortation à une vie spirituelle et à la crainte de Dieu – y côtoie des prises de position négatives concernant la sotériologie, la théurgie et la théologie trinitaire ainsi que la distinction entre bons et mauvais démons 42. Dans les travaux cités, Psellos introduit deux nouvelles formes de transmission de la tradition chaldaïque que l’on doit considérer comme novatrices. D’une part, l’Ἐξήγησις constitue le premier recueil de fragments qui soit en outre accompagné d’un commentaire. On sait qu’il existait aussi des commentaires des OC dans l’Antiquité, mais on n’en a rien conservé. Il est donc presque impossible de savoir à quel point Psellos s’y réfère précisément ; cette question a fait pour la première fois l’objet de recherches approfondies chez Dominic O’Meara, qui pense, pour l’Ἐξήγησις, à un extrait du commentaire de Proclus aux OC apparenté aux Excerpta Chaldaica 43. Cependant, la référence habituelle à Proclus en dehors de cette analyse détaillée ne peut être que très partiellement valable. D’autre part, on n’a conservé de l’Antiquité aucun résumé du type de ceux que Psellos présente sous différentes variantes. Autrement dit : alors que les témoignages antiques reprennent les fragments des OC ou des données concernant leur enseignement dans des contextes

40. Cf. H. Seng, « Chaldaeerrhetorik bei Michael Psellos », dans U. criScuolo (éd.), La retorica greca fra tardo antico ed età bizantina : idee e forme, Naples 2012, p. 355-369. 41. Ἔκθεσις κεφαλαιώδης καὶ σύντομος τῶν παρὰ Χαλδαίοις δογμάτων (= Philosophica minora II 39) qui dit presque mot pour mot la même chose que Theologica I, 23 A ; Ὑποτύπωσις κεφαλαιώδης τῶν παρὰ Χαλδαίοις δογμάτων (= Philosophica minora II 40) ; Ἔκθεσις κεφαλαιώδης καὶ σύντομος τῶν παρὰ Ἀσσυρίοις δογμάτων (= Philosophica minora II 41). 42. Psellos, Philosophica minora II 38 [D. J. o’meara]. Paradis : p. 130, 26 - 131, 11 ; vie spirituelle : p. 137, 12-17 ; p. 139, 19-26 ; crainte de Dieu : p. 141, 4-11 (nuancé) ; sotériologie : p. 127, 19-23 ; p. 128, 12-17 ; p. 131, 24 ; p. 132, 14 ; théurgie : p. 133, 4-6 ; p. 134, 2 ; théologie trinitaire : p. 139, 13-17 ; p. 141, 19-22 ; démons : p. 145, 8-10. 43. Cf. D. J. o’meara, « Psellos’ Commentary on the Chaldaean Oracles and Proclus’ lost Commentary », dans H. Seng (éd.), Platonismus und Esoterik in byzantinischem Mittelalter und italienischer Renaissance, Heidelberg 2013, p. 45-58.

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Un livre sacré de l’Antiquité tardive autonomes et dans le cadre de leurs propres questionnements, ce sont ici les OC eux-mêmes et en tant que tels qui font l’objet d’une présentation. Cela nous permet de dire que Psellos est à l’origine d’une approche des OC qui caractérisera la recherche moderne et contemporaine. La réception postérieure des oracles à Byzance est presque entièrement tributaire de Psellos. Elle comprend un aperçu du système chaldaïco-néoplatonicien par Michel Italikos (mort avant 1157), des références dans le commentaire de Nicéphore Grégoras (1290/1294-1358/1361) au De insomniis de Synésios et leur exploitation polémique dans les écrits de controverse théologique de Grégoire Palamas (ca 1296-1359). Le passage du Moyen Âge aux temps modernes est marqué par la figure de Georges Gémiste ou, comme il se nommait lui-même, Pléthon (vers 1355-1452) 44. Si Pléthon connaît les OC par le recueil de Psellos, il les interprète à la lumière des sources néoplatoniciennes d’une façon différente et novatrice. Concrètement, il prête aux OC la dignité du très grand âge en les attribuant à Zoroastre, qui selon Plutarque, De Iside et Osiride 369 d10, aurait vécu 5 000 ans avant la guerre de Troie. L’intérêt de Pléthon pour Zoroastre, rapporte son adversaire Georgios Scholarios, alias Gennade II, patriarche de Constantinople (vers 1405-vers 1473), remonte à l’enseignement qu’il a reçu étant jeune du juif Elissaios à Andrinople, alors capitale de l’Empire ottoman, où il a aussi étudié l’islam de manière intensive. Peut-être tout cela (ou la plupart de ces informations) a-t-il été inventé dans une perspective polémique. Le titre donné à la compilation de Pléthon, Μαγικὰ λόγια τῶν ἀπὸ Ζωροάστρου μάγων = « Oracles magiques des mages disciples de Zoroastre », renvoie peut-être à une formulation analogue chez Lucien, Ménippe 6 45, où le mage, en particulier, est défini comme chaldéen. Pour transposer cela aux OC, il suffit d’un certain don pour les associations audacieuses – ce qui n’implique pas que Pléthon ait appliqué à l’auteur des OC la définition du mage comme charlatan, comme dans le cas de Lucien. Une chose est sûre, Pléthon connaît manifestement les OC par l’Ἐξήγησις de Psellos ; dans son propre recueil avec commentaires 46, il ne cite en effet que des fragments compilés par Psellos – et cela, même s’il les sélectionne et s’il retravaille la forme du texte, pour des considérations en partie philologiques, en partie de fond. Son intervention concerne aussi le regroupement selon des angles de vue thématiques ; cette particularité influencera les futurs recueils de fragments. Les OC servent à Pléthon comme attestation autoritative d’une

44. Le livre de B. tamBrun, Pléthon. Le retour de Platon, Paris 2006, p. 53-104, est fondamental à ce sujet. 45. Cf. B. tamBrun, Pléthon. Le retour de Platon, p. 63, où des témoignages manuscrits sur les lectures de Lucien par Pléthon sont également signalés. 46. Pléthon, Magica Oracula, Μαγικὰ λόγια τῶν ἀπὸ Ζωροάστρου μάγων. Γεωργίου Γεμιστοῦ Πλήθωνος Ἐξήγησις εἰς τὰ αὐτὰ λόγια = Oracles chaldaïques. Recension de Georges Gémiste Pléthon, éd. B. tamBrun-kraSker, suivie de La recension arabe des Μαγικὰ λόγια, par M. tardieu, Athènes – Paris – Bruxelles 1995.

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Les Oracles Chaldaïques philosophie essentiellement marquée par le platonisme et le néoplatonisme qui, avec son orientation fondamentalement moniste sous une apparence polythéiste, est dirigée contre le christianisme. Dans ce contexte, les textes oraculaires concernant la théurgie lui paraissent toutefois choquants, si bien qu’il les néglige ou les transforme lorsqu’il est incapable de leur donner une interprétation spiritualiste. Un court résumé du système chaldéo-néoplatonicien vu par Pléthon a selon toute vraisemblance été composé par ses soins : Βραχεῖά τις διασάφησις τῶν ἐν τοῖς λογίοις τούτοις ἀσαφεστέρως λεγομένων (Brève explication de ce qui est dit de plus obscur dans ces Oracles). Pour Pléthon, les OC sont le fondement d’une philosophie et d’une religion universelles par lesquelles toutes les autres religions, c’est-à-dire le judaïsme, le christianisme et l’islam, vont être remplacées. Ce projet est clairement lié au contexte historique. Les Turcs menacent en tant que puissance islamique l’État chrétien orthodoxe de Byzance, dans lequel des courants différents se querellent – en particulier sur la question d’une union avec l’Église catholique, engagée du côté de l’Empereur, pour obtenir un soutien contre les Turcs. En 1438-1439, Pléthon prend part avec la légation impériale au concile de Ferrare et de Florence. Cela fait de lui un précurseur important du néoplatonisme tel qu’il prendra son élan au xve siècle, avec Marsile Ficin (1433-1499) en particulier – alors qu’à Constantinople, le patriarche Gennade fit brûler la compilation de Pléthon ; une traduction arabe des fragments d’oracles avait pu être réalisée auparavant 47. Avant même la première édition du recueil de Pléthon, publiée en 1538 à Paris par Ioannes Lodoicus Tiletanus (Jean Loys) 48, deux traductions latines sont produites sur la base d’un manuscrit 49 ; la première impression sera suivie de neuf (ou peut-être dix) autres traductions avant la fin du siècle 50,

47. Éditée par M. tardieu dans Pléthon, Magica Oracula…, p. 157-171. 48. Pour les manuscrits, les traductions et les éditions, cf. B. tamBrun-kraSker dans Pléthon, Magica Oracula…, p. xii.xxxi-lxxii ; K. H. dannenfeldt, « Oracula Chaldaica », Catalogus translationum et commentariorum I (1960), p. 157-164 ; I. klutStein, « Oracula Chaldaica. Addenda et corrigenda », Catalogus translationum et commentariorum VII (1992), p. 326329 ; H. Seng, « Übersetzungen der Chaldaeischen Orakel in der Frühen Neuzeit », dans W. kofler, F. Schaffenrath, K. töchterle (éd.), Pontes V : Übersetzung als Vermittlerin antiker Literatur, Innsbruck 2009, p. 82-98. 49. « Anonymus A » = Ianus Lascaris ou Iucundus Veronensis ; « Anonymus B » = Bonifacio Bembo : cf. H. Seng, « Eine Horapollon-Übersetzung in Codex Magl. XXX 3 der Biblioteca Nazionale zu Florenz », dans P. ScarPi, M. zago (éd.), Ermetismo ed Esoterismi, Limena 2013, p. 91-108. 50. Marthanus (1539), Brixius (1550), Opsopoeus (1589), Morellus (1597), Parent (1597), Patrizi dans Codex Barberinianus Graecus 179, « Anonymus C » (= Johannes Nοetius ?) ; on trouve une version interlinéaire presque complète dans un livre censé avoir appartenu à Pierre de la Ramée (Ἡσιόδου τοῦ Ἀσκραίου ἔργα καὶ ἡμέραι, Paris 1541, Bibliothèque de la Sorbonne, RXVI 1423) ; certaines parties ont été traduites dans un livre qui a été associé à Isaac Casaubon (Ἡσιόδου τοῦ Ἀσκραίου ἔργα καὶ ἡμέραι, Parisiis apud Ioannem Lodoicum

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Un livre sacré de l’Antiquité tardive sans oublier les traductions en français par François Habert (1558) et Anne Parent (1597). En 1589, Ioannes Opsopoeus sera le premier à publier, à Paris, le recueil de Psellos avec sa traduction latine 51. Au-delà des éditions imprimées et des traductions, les OC alimentent aussi des débats de fond. Ficin cite comme paroles de Zoroastre les oracles du recueil de Pléthon ; mais il utilise aussi Psellos et la citation que Proclus attribue aux Χαλδαϊκὰ λόγια. Le plus important reste que Ficin détermine les principes herméneutiques de l’approche des OC pour la postérité, y compris l’estime particulière qu’il voue à la forme poétique comme médium inspiré de sagesse. Ficin exploite les OC principalement dans sa Theologia Platonica. Au centre de celle-ci, il place l’essence de l’âme et sa position à l’intérieur de l’ordre cosmique, ainsi que la conception de son ascension et de sa descente 52. Pic de la Mirandole (1463-1494) cite à l’occasion les OC, mais son enthousiasme des débuts se transforme plus tard en une prise de distance 53. Celle-ci s’explique à la fois par un rejet général du néoplatonisme de Ficin et par des considérations méthodologiques : les OC ne satisfont pas ses prétentions de rationalité argumentative. Augustin Steuchus (1496/1497-1548), évêque de Kissamos à partir de 1538 et bibliothécaire du pape 54, tente dans sa Philosophia perennis d’élaborer un nouveau système global du cosmos ; sur la base de l’hypothèse d’une révélation originelle adamique restée bien présente dans les traditions religieuses et philosophiques de tous les peuples, il cherche à prouver son équivalence dogmatique avec le christianisme. Le mot-clé, dans ce cadre, est prisca philosophia ou prisca theologia. Steuchus a en particulier recours aux OC à propos des thèmes de l’angélologie et de la démonologie,

51.

52. 53.

54.

Tiletanum 1542, Sächsische Landesbibliothek – Staats- und Universitätsbibliothek Dresden, Lit. Graec. A 255). Steuchus semble utiliser à un endroit une traduction hexamétrique, cf. H. Seng, « Übersetzungen… », p. 96. La traduction latine du Codex Vaticanus Latinus 3122 (ff. 44r-57r) est à dater du xve siècle ; cf. à ce sujet E. V. malteSe, « L’esordio degli Oracula Chaldaica in ambiente umanistico », dans C. leonardi (éd.), Gli umanesimi medievali, Florence 1998, p. 355-373 (avec editio princeps, p. 361-373) ; et H. Seng, « Der Kommentar des Psellos zu den Chaldaeischen Orakeln in lateinischer Übersetzung (Vat. lat. 3122 f. 44r-57r) », dans H. Seng (éd.), Platonismus und Esoterik in byzantinischem Mittelalter und italienischer Renaissance, Heidelberg 2013, p. 59-74. Cf. M. StauSBerg, Faszination Zarathushtra. Zoroaster und die Europäische Religionsgeschichte der Frühen Neuzeit, I-II, Berlin – New York 1998, p. 93-228. Cf. surtout ses Conclusiones [Pic de la Mirandole, Conclusiones sive theses DCCCC Romae anno 1486 publice disputandae, sed non admissae. Texte établi d’après le ms. d’Erlangen (E) et l’editio princeps (P), collationné avec les manuscrits de Vienne (V et W) et de Munich (M), éd. B. kieSzkoWSki, Genève 1973], p. 49 et p. 77-78 ; cf. aussi M. StauSBerg, Faszination…, p. 229-256. Sur la légende des oracles de langue chaldaïque dans la bibliothèque de Pic de la Mirandole, cf. C. WirSzuBSki, Pico della Mirandola’s Encounter with Jewish Mysticism, Cambridge (Mass.) – Londres 1989, p. 241-244. Cf. M. StauSBerg, Faszination…, p. 262-290 ; et C. moreSchini, « Gli Oracula Chaldaica nel Rinascimento italiano : alcune osservazioni », ΚΟΙΝΩΝΙΑ 33 (2009), p. 143-169.

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Les Oracles Chaldaïques ainsi que de la création de l’homme et de l’immortalité de l’âme. Francesco Patrizi (1529-1597) interprète les OC comme un poème d’inspiration divine, susceptible d’effleurer au moins la vérité. Dans sa Nova de universis philosophia, il développe un système métaphysique, cosmologique et gnoséologique de la lumière, qui s’appuie sur la richesse métaphorique du feu et de la lumière, ainsi que sur la présentation de l’Empyrée et du cosmos éthéré dans les OC ; les spéculations liées à La Trinité représentent un deuxième point important de son utilisation des OC 55. Steuchus et, surtout, Patrizi exploitent au-delà des recueils de Psellos et de Pléthon des textes chaldaïques qu’ils trouvent essentiellement dans les œuvres de Proclus et de Damascius. Patrizi relie cela avec un nouveau principe méthodologique. Son Zoroaster et eius cccxx oracula chaldaica, paru en 1591, constitue, en tant que première compilation des fragments chaldaïques de Proclus, de Damascius, de Simplicius, d’Olympiodore et de Synésios, une réalisation pionnière en matière de philologie. L’agencement selon des angles de vues systématiques, qui dépasse largement Pléthon, est lui aussi précurseur des études futures. Les rubriques de Patrizi sont les suivantes : ΜΟΝΑΣ, ΔΥΑΣ, ΚΑΙ ΤΡΙΑΣ ΠΑΤΗΡ ΚΑΙ ΝΟΥΣ ΝΟΥΣ, ΝΟΗΤΑ, ΚΑΙ ΝΟΕΡΑ ΙΥΓΓΕΣ, ΙΔΕΑΙ, ΑΡΧΑΙ ἙΚΑΤΗ, ΣΥΝΟΧΕΙΣ, ΤΕΛΕΤΑΡΧΑΙ ΨΥΧΗ, ΦΥΣΙΣ ΚΟΣΜΟΣ ΟΥΡΑΝΟΣ ΧΡΟΝΟΣ ΨΥΧΗ, ΣΩΜΑ, ΑΝΘΡΩΠΟΣ ΔΑΙΜΟΝΕΣ, ΤΕΛΕΤΑΙ

Monade, dyade, et triade Père et intellect Intellect, intelligibles, et intellectifs Iynges, idées, principes Hécate, mainteneurs, télétarques Âme, nature Monde Ciel Temps Âme, corps, homme Démons, rites

Même si cette terminologie réclame encore quelques explications, il est clair que nous sommes face à un classement hiérarchique qui va de la monade en tant que principe suprême et premier, et de son rapport avec la dyade et la triade, jusqu’aux entités spirituelles (νοῦς, νοητά, νοερά et ἰδέαι), puis de l’âme du monde et du cosmos jusqu’à l’âme individuelle et à l’homme pour finalement en arriver aux démons, qui sont reliés thématiquement aux actes cultuels. L’œuvre de Patrizi sera interdite par l’Inquisition en raison de son opposition à l’aristotélisme dominant ; cela n’empêcha en rien sa diffusion intensive, dont fait partie une traduction alternative en latin par Otto Heurnius

55. Cf. M. StauSBerg, Faszination…, p. 291-298.311-324.336-393 ; C. moreSchini, « Gli Oracula », p. 155-168.

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Un livre sacré de l’Antiquité tardive (dans Barbaricae philosophiae antiquitatum libri duo, Leyde 1600) 56. On trouve encore des réminiscences chez un penseur résolument platonicien comme Ralph Cudworth ; mais après qu’au xviie siècle la datation des OC au iie siècle ap. J.-C. se sera imposée, une conclusion notamment développée du côté protestant comme argument contre la prisca philosophia et ses défenseurs catholiques 57, cet intérêt se réduira progressivement à son aspect historico-encyclopédique. Parmi les défenseurs de l’authenticité, on compte d’ailleurs aussi Thomas Stanley, qui publia en 1662 à Londres The history of the Chaldaick philosophy (comportant une traduction anglaise des OC) et Jean Leclerc (1657-1736), qui voit dans les OC des traces d’un monothéisme originel toutefois déjà transmis dans une version contaminée par l’idolâtrie et le polythéisme ; ces tendances auraient déjà influé sur l’Ancien Testament et, finalement, sur la théologie trinitaire de Nicée 58. La compilation avec traduction anglaise de Thomas Taylor (dans The Classical Journal 16-17, 1817-1818) relève d’un intérêt romantique pouvant passer pour la préfiguration de la réception des OC par l’occultisme autour de 1900 : c’est sur cet auteur que repose l’édition bilingue incluse par Isaac Preston Cory, un antiquaire, dans la deuxième édition de ses Ancient fragments of the Phœnician, Chaldæan, Egyptian, Tyrian, Carthaginian, Indian, Persian and other writers (Londres, 1832), traduction elle-même reprise par Willam Wynn Westcott moyennant quelques légères modifications (Collectanea Hermetica, VI, Londres 1895 – la préface est signée du pseudonyme « Sapere aude », l’introduction « L. O. » = Percy Bullock). G. R. S. Mead a édité une traduction propre des OC avec commentaires (Echoes from the Gnosis, VIII-IX, Londres – Benares 1908), largement inspirée de Kroll, sur lequel nous reviendrons très bientôt. Des réimpressions de Westcott et de Mead paraissent dans des éditions et des séries d’orientation ésotérique. Des poètes comme William Butler Yeats (1865-1939) et Ezra Pound (1885-1972) sont également à nommer dans ce contexte 59.

56. À propos d’Otto Heurnius, cf. I. tolomio, « Il genere “historia filosofica” tra Cinquecento e Seicento », dans G. Santinello (éd.), Storia delle storie generali della filosofia, I, Brescia 1981, p. 63-163 : p. 104-111. 57. Cf. M. StauSBerg, « Von den Chaldäischen Orakeln zu den Hundert Pforten und darüber hinaus : Das 17. Jahrhundert als rezeptionsgeschichtliche Epochenschwelle », Archiv für Religionsgeschichte 3 (2001), p. 257-272. 58. Sur Stanley, cf. L. maluSa, « Le prime storie generali della filosofia in Inghilterra e nei Paesi Bassi », dans G. Santinello (éd.), Storia delle storie generali, I, Brescia 1981, p. 165402 : p. 176-215 ; sur Leclerc, cf. en particulier B. tamBrun-kraSker, « Jean Le Clerc lecteur des Oracles de Zoroastre : enjeux philosophiques et théologiques », dans H. Seng (éd.), Platonismus und Esoterik in byzantinischem Mittelalter und italienischer Renaissance, Heidelberg 2013, p. 303-338. 59. Cf. D. SuSanetti, « Due poeti tra misteri antichi e tradizioni esoteriche : W. B. Yeats e E. Pound », dans H. Seng, M. tardieu (éd.), Die Chaldaeischen Orakel…, p. 347-361.

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Les Oracles Chaldaïques L’étude historico-critique des OC débute avec la Commentatio de coelo empyreo, que Carl Thilo publie sous la forme de trois brèves études éditées à Halle dans les années 1839-1840. Il s’agit d’une monographie consacrée au concept d’empyreum, issu de la tradition chaldaïque. Thilo y exploite abondamment les sources néoplatoniciennes, mais ne fait toutefois pas encore la distinction entre l’exégèse néoplatonicienne et la possible doctrine originale des OC ; inversement, l’édition commentée (et richement documentée) des Excerpta Chaldaica de Proclus par Albert Jahn (Halle 1891) ne vise pas une interprétation des OC comme telle 60. Ce pas important sera franchi en 1894 par Wilhelm Kroll avec une thèse d’habilitation présentée à Breslau et intitulée De oraculis Chaldaicis. Comme Kroll l’écrit dans son introduction, il a d’abord envisagé un nouveau recueil avec commentaires des OC, avant de renoncer à ce projet en raison de la conservation lacunaire des sources, et de fournir à la place une étude systématique. Mais comme il cite systématiquement les fragments des oracles dans le cadre de ses explications, ce travail est – malgré l’avertissement très clair de son auteur – souvent considéré comme une édition. Dans la mesure où Kroll tente une reconstruction du système chaldaïque, il présente les fragments dans l’ordre correspondant. Il suit ainsi le principe de Patrizi, qui ne commente toutefois pas son propre recueil et ne le prend pas comme base d’une reconstruction du système. L’interprétation de Kroll formera la base de la recherche future, cela jusqu’à nos jours. Parmi les principales études de détail, nous mentionnerons, en 1942, l’étude de Willy Theiler : Die chaldäischen Orakel und die Hymnen des Synesios. Alors que dans le commentaire de l’édition des hymnes de Synésios publiée par Nicola Terzaghi en 1939 61, la gnose est considérée comme une source essentielle, Theiler signale que les formules en question sont en fait issues des OC. En cela, il fournit un apport très appréciable à la compréhension à la fois de Synésios et des OC. C’est à Hans Lewy que nous devons le travail le plus ambitieux concernant les OC. En 1945, il décède d’une crise cardiaque et son manuscrit, rédigé en allemand, est publié à titre posthume et, conformément à ses dernières volontés, en traduction anglaise. Il paraît en 1956 au Caire ; une nouvelle édition largement augmentée sera publiée par Michel Tardieu en 1978, une troisième, augmentée d’un précieux supplément intitulé « Les Oracles chaldaïques 1891-2011 », paraîtra en 2011. Les éléments caractéristiques de l’œuvre de Lewy sont sa stupéfiante connaissance des sources et son approche systématique ; néanmoins, ces deux forces semblent être paradoxalement à l’origine de la double faiblesse du livre. Car au-delà des sources généralement

60. Proclus, Eclogae e Proclo de philosophia Chaldaica sive de doctrina oraculorum Chaldaicorum [= Excerpta Chaldaica], éd. A. iahniuS, Halle 1891. Cf. à ce sujet M. tardieu, « Les Oracles chaldaïques 1891-2011 », p. 731-737. 61. Synésios de Cyrène, Hymni, éd. N. terzaghi, Rome 1939 (19492).

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Un livre sacré de l’Antiquité tardive considérées comme chaldaïques, Lewy veut aussi assigner la même origine à d’autres documents, en particulier à quelques textes transmis par la Théosophie de Tübingen. Et cet intérêt systématique l’égare dans quelques spéculations, qui, au regard des textes, ne convainquent pas. L’un des mérites de la réédition est que, dans une annexe de 222 pages, elle documente entre autres les principales critiques exprimées après la parution de l’ouvrage et facilite largement l’usage de l’œuvre, à l’origine composée de 512 pages, grâce à un index détaillé. Le supplément de la troisième édition, un compendium historiographique et bibliographique, constitue un inestimable instrument de travail. La situation actuelle de la recherche a été marquée en particulier par l’édition des OC par Édouard des Places, qui a paru pour la première fois en 1971 à Paris. L’agencement des fragments suit pour l’essentiel l’organisation systématique de Patrizi et de Kroll, même si des catégories comme dubia et spuria sont placées à la fin. En complément, on trouve les écrits chaldaïques, et d’autres extraits de style chaldaïque tirés de Psellos, ainsi que d’autres sources encore. Bien que des Places se réfère dans une large mesure à Kroll, il décide dans plusieurs cas ne pas reprendre tel ou tel texte. En général, les raisons qui le motivent restent inconnues. Souvent aussi, les témoignages de Psellos ne lui semblent pas des attestations probantes. S’il subsistait encore des incertitudes dans les détails, la rubrique dubia aurait pourtant pu constituer l’endroit adéquat pour mentionner ces cas douteux. Cette édition doit donc être considérée comme incomplète. De futurs compléments pourront profiter des progrès enregistrés depuis 1971 dans l’édition des principales sources – en particulier l’édition de la Theologia Platonica de Proclus par Saffrey et Westerink, et celles de Damascius par Westerink, Combès, Segonds et Luna. À cette non-exhaustivité viennent s’ajouter deux problèmes méthodologiques. D’une part, des Places présente les fragments sans leur contexte. Comme celui-ci offre au minimum un premier point d’accroche à la compréhension, sa mention serait hautement souhaitable. Ruth Majercik a complété dans ce sens son édition anglaise de l’édition de des Places, parue en 1989 avec une introduction et des commentaires propres. Il est vrai que le problème du choix du contexte à mentionner reste entier quand on sait que les fragments sont souvent cités plusieurs fois. Une editio maior devrait, pour bien faire, donner toutes les citations et témoignages avec leurs contextes respectifs. Encore faut-il vérifier qu’un tel travail est réalisable en pratique. Par ailleurs, et ceci est sans doute plus grave, le texte proposé par des Places est souvent non fiable puisque l’auteur va jusqu’à recréer librement des oracles à partir de fragments de textes. Une telle affirmation demande

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Les Oracles Chaldaïques bien entendu à être prouvée. Je me limiterai à un exemple édifiant, déjà mis en avant par Michel Tardieu 62. La source utilisée est Proclus, In Timaeum III 325, 31 - 326, 2 63 : […] καὶ τὸ λάβρον τῆς ὕλης καὶ ὁ μισοφαὴς κόσμος, ὡς οἱ θεοὶ λέγουσι, καὶ τὰ σκολιὰ ῥεῖθρα, ὑφ’ ὧν οἱ πολλοὶ κατασύρονται, ὡς τὰ λόγιά φησιν. […] et la fureur de la matière et le monde qui hait la lumière, comme disent les dieux, et les courants tortueux, par lesquels beaucoup sont entraînés, comme disent les oracles.

À partir de là, des Places crée trois fragments : OC 172 : (ὕλης,) ἧς κατασύρονται πολλοὶ σκολιοῖσι ῥεέθροις. (la matière), dont les courants tortueux en entraînent beaucoup. OC 180 : τῆς ὕλης τὸ λάβρον… La fureur de la matière. OC 181 : … ὁ μισοφαὴς κόσμος… Le monde qui hait la lumière.

Il est difficile de voir dans 180 et 181 autre chose que des témoignages de OC 134, 1 : Μηδ’ ἐπὶ μισοφαῆ κόσμον σπεύδειν λάβρον ὕλης, Ne pas se hâter non plus vers le monde hostile à la lumière, ce torrent de matière.

Cet exemple montre que la pratique de citation néoplatonicienne est très libre : l’ordre de succession des termes est inversé, ils sont adaptés du point de vue de la syntaxe (un nominatif à la place d’un accusatif) et adaptés au style en prose du commentaire par insertion d’un article. Ces observations autorisent deux remarques en vue de la reconstruction éventuelle d’un autre fragment. D’une part, il paraît évident de transposer la tournure nominative τὰ σκολιὰ ῥεῖθρα dans la construction syntaxique que le contexte requiert, c’est-à-dire σκολιῶν ὑπὸ ῥείθρων – voilà une finale d’hexamètre, à laquelle οἱ πολλοὶ κατασύρονται est accolé sans transition comme première partie. D’autre part, il va de soi que cette proposition ne peut être qu’expérimentale, d’autant que l’article οἱ reste douteux et que l’expression banale de οἱ πολλοὶ pourrait écarter une formulation poétique. Lewy (p. 303, note 170)

62. Dans H. leWy, Chaldaean Oracles…, p. 680. Voir aussi infra, p. 99, n. 14. 63. Proclus, In Platonis Timaeum commentaria, éd. E. diehl, I-III, Leipzig 1903-1906 (réimpr. Amsterdam 1965) ; Proclus, Commentaire sur le Timée, trad. fr. A.-J. feStugière, I-V, Paris 1966-1968 (20062).

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Un livre sacré de l’Antiquité tardive a fait une proposition dont le texte est repris par des Places dans le fragment 172. Majercik a à juste titre classé comme dubia les trois fragments de des Places, suivant en cela Tardieu. J’arrêterai là ce bref aperçu, l’état de la recherche étant, je pense, suffisamment illustré ; il est évident que, comme j’y ai déjà fait allusion, d’importantes études particulières ont dû être passées sous silence. Je me contenterai de mentionner en dernier lieu les journées d’études consacrées aux Oracles Chaldaïques qui ont eu lieu en 2006 à Constance et en 2009 et 2010 à Paris 64, et de renvoyer une fois encore avec insistance à la compilation bibliographique de Tardieu. Les explications qui suivent seront l’occasion de nous référer plus en détail à ces travaux. Quelques mots pour résumer cette présentation. Les OC sont attribués à Julien le Chaldéen et Julien le Théurge, qui vivaient à l’époque de l’empereur Marc Aurèle. Dans l’Antiquité, ils sont intensivement commentés par les néoplatoniciens, en particulier par Proclus et Damascius. Leur tentative d’harmonisation du système des OC avec celui des orphiques d’une part, avec la philosophie de Platon de l’autre, accorde aux OC un rang extrêmement élevé. C’est précisément ce principe de systématisation qui pose un problème fondamental à la compréhension des OC : il comporte en effet le risque d’une réinterprétation presque totale. Le principal témoin du Moyen Âge est l’érudit byzantin Michel Psellos. Le passage aux temps modernes est marqué par la figure de Georges Gémiste Pléthon qui interprète les OC comme le fondement d’une philosophie et d’une religion universelles destinées à remplacer toutes les autres religions. C’est avant tout par son intermédiaire que les OC seront connus en Occident, où les protagonistes de sa réception seront Marsile Ficin, Augustin Steuchus et Francesco Patrizi. Son Zoroaster et eius cccxx oracula chaldaica, paru en 1591, constitue une réalisation pionnière en matière de philologie. L’étude historico-critique des OC débute en 1839/1840 avec Carl Thilo, suivi par Albert Jahn (1891) et Wilhelm Kroll (1894) ; mais c’est à Hans Lewy que nous devons le travail le plus ambitieux à ce sujet (1956 ; 19782 et 20113 par Michel Tardieu). Toutefois, son intérêt systématique l’égare dans quelques spéculations, qui, au regard des textes, ne convainquent pas. La situation actuelle de la recherche a en particulier été marquée par l’édition des OC par Édouard des Places (19711, 19963) ; celle-ci peut, hélas, également être

64. Dans l’intervalle, deux volumes collectifs ont paru : H. Seng, M. tardieu (éd.), Die Chaldaeischen Orakel : Kontext – Interpretation – Rezeption, Heidelberg 2010 (actes du colloque de Constance 2006) ; A. lecerf, L. Saudelli, H. Seng (éd.), Oracles chaldaïques : fragments et philosophie, Heidelberg 2014 (actes des journées d’études de Paris 2009-2010).

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Les Oracles Chaldaïques considérée comme incomplète et le rendu des textes y est par endroits problématique. Une editio maior devrait, pour bien faire, donner toutes les citations et témoignages avec leurs contextes respectifs.

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CHAPITRE I THÉOLOGIE ET MÉTAPHYSIQUE Après les prolégomènes, il est temps d’aborder la théologie et la métaphysique des OC. Pour cela, je voudrais procéder en quatre étapes. 1. Monisme 2. Πατήρ, δύναμις et νοῦς 3. Ἅπαξ ἐπέκεινα, Ἑκάτη, δὶς ἐπέκεινα 4. Triadologie 1. Monisme L’une des préoccupations systématiques des OC est le monisme. En vertu de ce dernier, il n’existe qu’un principe fondamental, dont toutes les autres entités sont dérivées. C’est en lui que tout est à l’origine contenu de manière intelligible, OC 21 : … πάντ’ ἐστὶ γάρ, ἀλλὰ νοητῶς. (Le Père) est toutes choses, mais intelligiblement.

OC 10 (Psellos, Philosophica minora II 38, p. 142, 20 [D. J. O’Meara]) complète : Εἰσὶν πάντα ἑνὸς πυρὸς ἐκγεγαῶτα. Toutes choses sont nées d’un seul feu.

« Feu » est utilisé dans les OC pour décrire le divin ; peut-être faut-il y voir l’influence du stoïcisme. La Lumière et les Éclairs sont envisagés de manière analogue 1. L’origine dérivée vaut – pour autant que l’on puisse conclure – également pour la matière 2, qui représente dans le platonisme classique une entité ayant son propre rang, qui est simplement là et ne dérive pas de Dieu ou du créateur suprême. Dans les OC, la matière, bien que représentant également une entité totalement ambivalente, trouve elle aussi son origine dans

1. 2.

Attestations dans les indices des éditions : Oracles Chaldaïques, éd. É. deS PlaceS, et The Chaldean Oracles, éd. R. maJercik, sous πῦρ et ses dérivés, sous φῶς (φάος) et πρηστήρ. Voir infra, p. 91-93.

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Les Oracles Chaldaïques un principe supérieur 3. En cela, elle n’est, au contraire de ce qui se passe dans la gnose 4, pas représentée comme le produit résiduel ou le résultat d’un accident cosmique. 2. Πατήρ, δύναμις et νοῦς La théologie et la métaphysique des OC sont essentiellement déterminées par le désir fondamental de n’attribuer au créateur du monde, présenté comme un Intellect, que la deuxième place dans une hiérarchie métaphysique et de supposer l’existence d’un premier Intellect, qui se distingue de lui par un niveau plus élevé de transcendance, OC 7 : Πάντα γὰρ ἐξετέλεσσε πατὴρ καὶ νῷ παρέδωκε δευτέρῳ, ὃν πρῶτον κληΐζετε πᾶν γένος ἀνδρῶν. Car le Père a créé en perfection toutes choses et les a livrées au deuxième Intellect, que vous appelez le premier, tous tant que vous êtes, race humaine.

Cette idée de distinction est également présente chez Numénius (milieu du iie siècle) et Alkinoos (iie siècle), de même qu’elle préfigure la distinction opérée par Plotin entre l’ « Un » / ἕν comme première entité et l’intellect / νοῦς comme entité secondaire. Le Père est soit assimilé, soit relié de la façon la plus intime à l’idée platonicienne du Bien, OC 11 : Τἀγαθὸν αὐτὸ νοοῦσα ὅπου πατρικὴ μονάς ἐστι. Concevant le Bien même, où se trouve la monade paternelle.

Mais cette première entité du système métaphysique n’est pas réellement accessible à la pensée humaine ; elle ne doit pas être présentée comme une « chose » ; l’intellect humain qui essaie de la concevoir doit abandonner toute activité, devenir vide et réceptif. C’est ce que formule OC 1 : Ἔστιν γάρ τι νοητόν, ὃ χρή σε νοεῖν νόου ἄνθει· ἢν γὰρ ἐπεγκλίνῃς σὸν νοῦν κἀκεῖνο νοήσῃς ὥς τι νοῶν, οὐ κεῖνο νοήσεις· ἔστι γὰρ ἀλκῆς ἀμφιφαοῦς δύναμις νοεραῖς στράπτουσα τομαῖσιν. Οὐ δὴ χρὴ σφοδρότητι νοεῖν τὸ νοητὸν ἐκεῖνο ἀλλὰ νόου ταναοῦ ταναῇ φλογὶ πάντα μετρούσῃ

3. 4.

42

Cf. aussi H. Seng, « Πατρογενὴς ὕλη. Au sujet du dualisme dans les Oracles Chaldaïques », dans F. Jourdan (éd.), Le dualisme dans l’histoire de la pensée de l’antiquité à nos jours (à paraître). Cf. E. thomaSSen, « The Derivation of Matter in Monistic Gnosticism », dans J. D. turner, R. maJercik (éd.), Gnosticism and Later Platonism. Themes, Figures, and Texts, Atlanta 2000, p. 1-17, et J.-D. duBoiS, « La forme de la matière selon la démiurgie valentinienne et les Oracles Chaldaïques », dans H. Seng, M. tardieu (éd.), Die Chaldaeischen Orakel …, p. 179-192.

Théologie et métaphysique πλὴν τὸ νοητὸν ἐκεῖνο· χρεὼ δὴ τοῦτο νοῆσαι οὐκ ἀτενῶς, ἀλλ’ ἁγνὸν ἀπόστροφον ὄμμα φέροντα σῆς ψυχῆς τεῖναι κενεὸν νόον εἰς τὸ νοητόν, ὄφρα μάθῃς τὸ νοητόν, ἐπεὶ νόου ἔξω ὑπάρχει. Il existe un certain Intelligible, qu’il te faut concevoir par la fleur de l’intellect ; car si tu inclines vers lui ton intellect et cherches à le concevoir comme si tu concevais un objet déterminé, tu ne le concevras pas ; car il est la force d’un glaive lumineux qui brille de tranchants intellectifs. Il ne faut donc pas concevoir cet Intelligible avec véhémence, mais par la flamme subtile d’un subtil intellect, qui mesure toutes choses sauf cet Intelligible ; et il ne faut pas le concevoir avec intensité, mais en y portant le pur regard de ton âme détourné (du sensible), tendre vers l’Intelligible un intellect vide (de pensée), afin d’apprendre (à connaître) l’Intelligible, parce qu’il subsiste hors (des prises) de l’intellect.

Une autre entité se distingue du Père, OC 3 : … ὁ πατὴρ ἥρπασσεν ἑαυτόν, οὐδ’ ἐν ἑῇ δυνάμει νοερᾷ κλείσας ἴδιον πῦρ. … Le père s’est soustrait lui-même, sans même inclure dans sa Puissance intellective le feu qui lui est propre.

L’image du vol décrit le concept de transcendance : ici, c’est l’essence divine du Père qui est désignée par « feu » et, par là même, clairement distinguée de la Dynamis, c’est-à-dire de la force ou de la puissance. Dans OC 4, le Père, la Dynamis et l’Intellect sont nommés ensemble : Ἡ μὲν γὰρ δύναμις σὺν ἐκείνῳ, νοῦς δ’ ἀπ’ ἐκείνου. Car la Puissance est avec Lui (le Père), et l’Intellect procède de Lui.

La distinction de ces trois entités constitue une triade hiérarchisée composée d’un côté du Père et de l’autre de l’Intellect comme entités extrêmes, reliées par l’entité centrale de la Dynamis (cf. Proclus, In Alcibiadem, p. 84, 13-15 [F. Creuzer] et Theologia Platonica VI 8, p. 42, 4-16 [H. D. Saffrey – L. G. Westerink]). Toutefois, la question de la triadologie chaldaïque est complexe car, si la notion de triade apparaît à plusieurs endroits dans les fragments conservés, il ne nous est pas possible, ou du moins pas toujours, de savoir si elle se rapporte à cette triade en particulier. La question doit donc être provisoirement mise de côté. Dans l’immédiat, il s’agit plutôt d’appréhender le rapport qui lie le Père et l’Intellect sous un autre angle. Nous avons déjà vu la désignation de l’essence divine par le mot « feu » dans OC 3. Il est donc légitime d’admettre que OC 5 se réfère au Père : 43

Les Oracles Chaldaïques … οὐ γὰρ ἐς ὕλην πῦρ ἐπέκεινα τὸ πρῶτον ἑὴν δύναμιν κατακλίνει ἔργοις ἀλλὰ νόῳ· νοῦ γὰρ νόος ἐστὶν ὁ κόσμου τεχνίτης πυρίου. Car ce n’est pas par une action directe, mais par un Intellect, que le Feu Premier transcendantal dirige sa puissance vers le bas, dans la matière ; car il est Intellect de l’Intellect, l’artisan du monde igné.

Regardons d’abord la première phrase. Il s’agit à nouveau d’une définition du rapport qui lie le Père, ici πῦρ ἐπέκεινα τὸ πρῶτον, la Dynamis et l’Intellect. S’ajoute à cela une autre entité, la matière. Le Père dirige sa Dynamis vers la matière ; toutefois, cette transmission ne se fait pas de manière directe (ἔργοις), mais à travers une instance médiatrice, l’Intellect. L’action du divin sur la matière doit être expliquée comme création ou formation du monde ; la place qui revient ici à l’Intellect est celle d’un médiateur de création. Dans ce contexte, la Dynamis se présente en revanche comme l’énergie créatrice du Père, qui est transmise par l’Intellect à la matière. Parmi les contextes dans lesquels Proclus cite ce fragment, il y a In Cratylum p. 57, 11-20 [G. Pasquali] : Ὁ δὲ μέγιστος Κρόνος ἐν νοήσεσιν οὐσίωται χωρισταῖς καὶ τῶν ὅλων ὑπερεχούσαις· οὐ γὰρ ἐς ὕλην πῦρ ἐπέκεινα τὸ πρῶτον ἑὴν δύναμιν κατακλίνει, φησὶ τὸ λόγιον. τούτου δ’ ἐξήρτηται καὶ ἀπὸ τούτου πρόεισιν ὁ δημιουργός, νοῦς ὑπάρχων περὶ τὸν ἄυλον νοῦν καὶ περὶ αὐτὸν ὡς νοητὸν ἐνεργῶν καὶ τὸ κρύφιον αὐτοῦ προάγων εἰς τὸ ἐμφανές. νοῦ γὰρ νοῦς ἐστιν ὁ τοῦ κόσμου ποιητής. Mais l’essence de Cronos, le très grand dieu, réside dans des actes absolus de pensée (= séparés de la matière), à un niveau supérieur à l’univers : Car le Feu Premier transcendantal ne dirige pas sa puissance vers le bas, dans la matière, dit l’oracle. Mais c’est de lui que dépend, c’est de lui que provient le démiurge, intellect qui existe autour de l’intellect immatériel, et qui opère autour de celui-ci comme autour d’une entité intelligible, et qui transmet ce qui y est caché de celui-ci au domaine du visible. Car l’intellect issu de l’intellect est le créateur de l’univers.

Ces commentaires nous autorisent à formuler quelques autres éclaircissements. Proclus identifie πῦρ ἐπέκεινα τὸ πρῶτον à Cronos. Cela s’explique par la synthèse systématique des traditions chaldaïque et orphique propre à la méthode harmonisatrice d’un auteur néoplatonicien ; la triade chaldaïque « Père, Dynamis et Intellect » correspond à celle que forment Cronos, Rhéa et Zeus. C’est de Cronos même que provient l’intellect démiurgique, qui transmet à la matière l’aspect caché de celui-ci. Le rapport entre le Père (= Cronos), 44

Théologie et métaphysique l’Intellect, qui comme dans OC 4 provient du Père, et la Dynamis est donc défini de la façon déjà connue ; la Dynamis y est conçue comme l’aspect caché du Père, que l’Intellect transmet dans le monde visible. Cela correspond à l’interprétation de la Dynamis comme énergie créatrice, devenant active grâce à la médiation de l’Intellect. Proclus entend en revanche l’expression νοῦ νόος comme désignant le νοῦς démiurgique, considéré comme une entité dérivée, comme le νοῦς du νοῦς ; l’interprétation de la formule doit probablement être comprise par analogie avec les θεοὶ θεῶν, qui remplissent dans le Timée de Platon des fonctions démiurgiques secondaires 5. Néanmoins, cette interprétation de Proclus ne rejoint sans doute pas ici le sens original des OC. Le νοῦ νόος est désigné dans OC 5 comme le créateur du πύριος κόσμος. Ce n’est toutefois pas le monde matériel qui est visé, mais l’empyreum, royaume intelligible, tel qu’il est conçu en référence au modèle chaldaïque des trois mondes (ἐμ)πύριος, αἰθέριος, ὑλαῖος κόσμος ; nous reviendrons plus longuement sur ce point dans le cadre de la cosmologie 6. Ce n’est donc sans doute pas un hasard si Proclus, au lieu de poursuivre dans la citation, passe à la paraphrase et supprime ainsi le terme décisif de πυρίου. Dans OC 5, le νοῦ νόος est donc une entité placée plus haut et qui n’est pas dérivée d’une première, contrairement à ce que pense Proclus ; le νοῦ νόος est plutôt identique à ce premier νοῦς, le πῦρ ἐπέκεινα τὸ πρῶτον nommé dans le vers 2, et se trouve lui-même, en tant que tel, au-dessus du νοῦς démiurgique, qui est relié au monde matériel en tant que médiateur de création. Le νοῦ νόος est le πατήρ nommé dans OC 7. En tant que νοῦς, qui se trouve encore au-dessus du νοῦς, le νοῦ νόος doit être conçu comme un νοῦς intensifié par rapport au νοῦς simple. L’expression ne doit donc pas être comprise, à la suite de Proclus, comme un dérivatif, mais bien comme un génitif paronomastique d’intensité, comme πηγὴ (τῶν) πηγῶν (OC 30, 1) ou χρόνου χρόνος (OC 185). Cette compréhension de OC 5 permet à son tour de préciser celle de OC 7. Πάντα γὰρ ἐξετέλεσσε signifie la même chose que νοῦ γὰρ νόος ἐστὶν ὁ κόσμου τεχνίτης πυρίου : le Père engendre le monde intelligible 7. Et οὐ γὰρ ἐς ὕλην πῦρ ἐπέκεινα τὸ πρῶτον ἑὴν δύναμιν κατακλίνει ἔργοις ἀλλὰ νόῳ ne signifie rien d’autre que καὶ νῷ παρέδωκε δευτέρῳ : en tant qu’instance de deuxième rang, l’Intellect accueille l’énergie créatrice ou le monde intelligible du Père, auquel revient la première place ; l’action démiurgique, bien que subordonnée, mène cependant l’homme à le considérer comme la première instance divine, dans la mesure où le créateur du monde intelligible (ou le monde intelligible lui-même) lui est inconnu.

5. 6. 7.

Platon, Timée 41a7 [Platon, Opera, éd. I. Burnet, I-V, Oxford 1899-1907 (réimpr. 1967)]. Voir infra, p. 84-87. Pour l’identité de ἐμπύριος et νοερός, cf. aussi Simplicius, In Aristotelis Physica, Corollarium de loco, p. 617, 11 [Simplicius, In Aristotelis physicorum libros quattuor priores commentaria, éd. H. dielS, Berlin 1882]. Il convient de comprendre également OC 13 dans ce sens : οὐ γὰρ ἀπαὶ πατρικῆς ἀρχῆς ἀτελές τι τροχάζει = « car du principe paternel rien d’imparfait ne procède ».

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Les Oracles Chaldaïques Tandis que OC 5 prend « le premier feu de l’au-delà » comme point de départ, OC 68 nomme en complément (Proclus, In Timaeum II 50, 24-27 [E. Diehl]) l’action autonome d’une autre masse de feu : Καὶ ὁ ποιητὴς ὡς αὐτουργῶν τεκταίνεσθαι τὸν κόσμον· καὶ γάρ τις πυρὸς ὄγκος ἔην ἕτερος τάδε 8 πάντα αὐτουργῶν, ἵνα σῶμα τὸ κοσμικὸν ἐκτολυπευθῇ, κόσμος ἵν’ ἔκδηλος καὶ μὴ φαίνηθ’ ὑμενώδης. et le créateur est dit fabriquer le Monde en « l’ouvrant de ses propres mains » : « Il y avait en effet une autre masse de feu, ouvrant ce tout de ses propres mains, afin que le Corps du Monde fût pleinement achevé, pour que le Monde fût visible et ne parût pas membraneux ».

De même, Proclus affirme, In Parmenidem VII, p. 60, 7-8 [R. Klibansky – C. Labowski] (p. 326 C. Steel) 9 : Quod enim est ille ad intelligibilia, hoc est iste ad visibilia. En effet, ce que celui-là est par rapport aux intelligibles, celui-ci l’est par rapport aux visibles.

La position et la fonction de médiateur de l’Intellect apparaissent de façon particulièrement claire dans OC 8 (Proclus, In Cratylum, p. 51, 26 - 52, 3 [G. Pasquali]) : Ἡ μυστικωτάτη παράδοσις καὶ αἱ παρὰ τῶν θεῶν φῆμαι λέγει ὡς δυὰς παρὰ τῷδε κάθηται (sc. τῷ δημιουργῷ), καὶ φησίν· ἀμφότερον γὰρ ἔχει νῷ μὲν κατέχειν τὰ νοητά, αἴσθησιν δ’ ἐπάγειν κόσμοις. καὶ τί δεῖ λέγειν ; αὐτόθεν γὰρ αὐτὸν προσαγορεύει δὶς ἐπέκεινα καὶ δὶς ἐκεῖ, καὶ ὅλως αὐτὸν διὰ τῆς δυάδος εὐφημεῖ. La tradition profondément mystique ainsi que les sentences prononcées par les dieux disent, auprès de lui (sc. le démiurge) siège la Dyade, et ils déclarent :

8. 9.

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Texte : τάδε, Proclus, In Platonis Timaeum commentaria, éd. E. diehl ; τὰ δὲ codd., Oracles Chaldaïques, éd. É. deS PlaceS. Plato Latinus, vol. III, Parmenides, Proclus in Parmenidem, éd. R. kliBanSky – C. laBoWSki, Londres 1953. Texte et traduction d’après H. D. Saffrey, « Les Néoplatoniciens… », p. 223 [= p. 77]. Pour la critique du texte, voir p. 49, n. 16 ; pour l’interprétation du passage, cf. H. D. Saffrey, « Les Néoplatoniciens… », p. 221-224 [= p. 75-78] et, dans un autre sens, H. Seng, « Ἅπαξ ἐπέκεινα und δὶς ἐπέκεινα », dans A. lecerf, L. Saudelli, h. Seng (éd.), Oracles chaldaïques : fragments et philosophie, p. 31-46 : p. 38-41.

Théologie et métaphysique car il 10 détient ces deux fonctions, de contenir par l’intellect les intelligibles et d’introduire la sensation dans les mondes. Et qu’est-ce qu’il reste à dire ? Ils l’appellent « deux fois au-delà » et « deux fois là-bas » et ils le célèbrent par la dualité.

La réunion de OC 8, 1 et OC 8, 2-3 en un fragment cohérent doit être mise en doute. Les trois vers ou parties de vers ne sont jamais cités à la suite l’un de l’autre, mais toujours séparés par une remarque intermédiaire 11. Cela indique soit que ce qui n’était pas essentiel dans le contexte est abrégé, soit que les deux citations proviennent de contextes totalement différents. La question n’est cependant pas très importante ici. L’essentiel se trouve dans OC 8, 2-3. Selon ce texte, le démiurge se caractérise par une fonction et une orientation doubles ; il est tourné à la fois vers le monde des νοητά, qu’il contemple, et vers le monde de la perception sensible, auquel il donne forme en suivant le modèle du premier. Cela correspond aux fragments déjà vus, mais aussi à la remarque de Proclus, In Cratylum, p. 57, 11-20 [G. Pasquali], d’après laquelle l’Intellect est lié au premier feu intelligible, ainsi qu’à l’objet ou au contenu de la pensée 12. En tant que créateur, l’Intellect peut à son tour être désigné comme Père. En outre, les OC parlent des deux Pères au pluriel. Il va de soi que les doublets terminologiques posent problème à la compréhension des fragments détachés de leur contexte ; s’ajoutent à cela les analogies de structures et de processus aux différents degrés de l’être. La notion de πατρικὸς νοῦς, qui réunit fondamentalement les deux entités, est particulièrement discutée. Elle pourrait désigner soit le Père en tant qu’Intellect (en général ou en lien avec un aspect précis de son essence), soit l’Intellect, dont le rapport particulier avec le Père, ou son propre rôle en tant que père vis-à-vis des entités subordonnées, serait alors indiqué. Nous reviendrons sur cette question 13. Un complément important nous est fourni par la citation qui suit immédiatement, en l’occurrence la désignation du démiurge comme δὶς ἐπέκεινα. Nous en arrivons ainsi au point 3. 3. Ἅπαξ ἐπέκεινα, Ἑκάτη, δὶς ἐπέκεινα L’expression δὶς ἐπέκεινα est, tout comme la formulation complémentaire de ἅπαξ ἐπέκεινα, fréquente dans la tradition chaldaïque 14 ; la seconde est explicitement attribuée aux OC par Proclus dans In Cratylum, p. 59, 19-21 [G. Pasquali] :

10 11. 12. 13. 14.

.Le démiurge, auquel fait référence l'attribution de la double fonction; des Places traduit par « elle » (= la dyade). Cf. les attestations dans Oracles Chaldaïques, éd. É. deS PlaceS, p. 68. Derrière cela, il y a en fin de compte Platon, Timée 28a6-b1 ; 29a2-6. Voir infra, p. 66-67. Cf. aussi H. Seng, « Ἅπαξ ἐπέκεινα… ».

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Les Oracles Chaldaïques Αἱ δὲ θεοπαράδοτοι φῆμαι τὴν θεότητα ταύτην (sc. τòν Κρόνον) τῷ ἅπαξ χαρακτηρίζουσιν λέγουσαι ἅπαξ ἐπέκεινα· τὸ γὰρ ἅπαξ τῷ ἑνὶ συγγενές. Les sentences transmises par les dieux caractérisent ce dieu (c’est-à-dire Cronos) par l’expression « une fois » en l’appelant « une fois au-delà » ; en effet, le terme « une fois » a une parenté avec l’Un.

L’expression θεοπαράδοτοι φῆμαι compte parmi les possibilités dont disposent les néoplatoniciens pour nommer les OC. Nous devons donc, à la suite d’Édouard des Places, reconnaître dans le texte un fragment ou une expression issus des OC (OC 169). La formulation ne trouve son sens qu’une fois confrontée à l’expression complémentaire δὶς ἐπέκεινα, dont l’existence doit dès lors être supposée dans la même source. Le rapport entre ἅπαξ ἐπέκεινα et δὶς ἐπέκεινα est expliqué par Proclus, In Timaeum I 415, 27 - 416, 2 [E. Diehl] : Νοῦς γὰρ πρώτιστος οὐχ ὁ νοῶν καὶ δημιουργῶν, ἀλλ’ ὁ νοῶν μόνον καὶ διὰ τοῦτο καθαρὸς ὢν νοῦς, ὡς ἐν Κρατύλῳ μεμαθήκαμεν (396 b 3-7 ; cf. Proclus, In Cratylum, p. 59, 1-8 [G. Pasquali]). διὸ καὶ κατὰ Πλάτωνα ὃ μὲν ἅπαξ λέγοιτο ἄν, μίαν ἔχων ἐνέργειαν τὴν πρὸς ἑαυτόν, ὃ δὲ δίς, μετὰ ταύτης προσλαβὼν καὶ τὴν δημιουργικὴν τοῦ παντός. Car ce n’est pas celui qui intellige et qui crée qui est l’Intellect tout Premier, mais celui qui intellige seulement, et qui pour cette raison est Pur Intellect, comme nous l’avons appris dans le Cratyle. C’est pourquoi aussi, selon Platon, le premier Intellect pourrait s’appeler « une fois », puisqu’il n’a qu’une seule activité, celle qui est tournée vers lui-même, mais le second Intellect pourrait s’appeler « deux fois », puisque, outre cette activité, il a assumé l’activité par laquelle il crée l’Univers.

Dans ce cas, la correspondance avec OC 7 est claire. Il y a aussi correspondance avec ce qu’on lit chez Jean le Lydien, De mensibus II 4, p. 21, 15-18 [R. Wuensch] 15 : Νοῦς γάρ ἐστι, φησὶν ὁ μυστικὸς λόγος, οὐσιώδης ὁ ἅπαξ ἐπέκεινα μένων ἐν τῇ ἑαυτοῦ οὐσίᾳ καὶ πρὸς ἑαυτὸν συνεστραμμένος, ἑστώς τε καὶ μένων. Un Intellect essentiel est en effet, selon la doctrine mystique, « l’une fois audelà » ; car il reste dans sa propre essence, et tourné vers soi-même, en demeurant immobile et en repos.

Ἅπαξ ἐπέκεινα signifie par conséquent « simplement transcendant » et désigne un νοῦς simple dans son essence, autrement dit exclusivement tourné vers lui-même, dans une perspective transcendantale. À l’inverse, δὶς ἐπέκεινα désigne, en tant que « double transcendant », le νοῦς démiurgique de l’au-delà, dont l’essence réunit deux aspects qui la relient pour l’un à l’intelligible, pour

15. Jean le Lydien, Liber de mensibus, éd. R. WuenSch, Leipzig 1898 (réimpr. Stuttgart 1967).

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Théologie et métaphysique l’autre à la perception. Si cette interprétation est correcte, il faut en revanche admettre que les tournures ἅπαξ ἐπέκεινα et δὶς ἐπέκεινα sont difficilement compréhensibles. Du reste, le fait même que ces expressions demandent toujours une explication, et cela même si les commentaires devaient effectivement s’avérer incorrects, constitue un nouvel argument pour situer leur origine dans les OC et non pas dans les commentaires des théurges aux oracles, contrairement à ce que Kroll a prétendu ; Kroll ne considère pas le témoignage présenté dans Proclus, In Cratylum, p. 59, 19-21 [G. Pasquali] comme un fragment et choisit, en raison de son absence dans d’autres fragments, d’attribuer l’expression aux écrits en prose des Julien plutôt qu’aux OC eux-mêmes 16. Partant de là, H. D. Saffrey a développé la thèse selon laquelle il faudrait voir les expressions chaldaïques comme des interprétations des expressions syriaques ḥad et Hadad, qui nous viendraient des théurges. Il se réfère pour cela à un texte tiré du commentaire au Parménide de Proclus, conservé dans la traduction latine de Guillaume de Moerbeke, In Parmenidem VII, p. 58, 33 - 60, 9 [R. Klibansky – C. Labowski] 17 (p. 326 C. Steel) : Dii quidem igitur que sui ipsorum scientes et † ut † sui ipsorum uno ad illud unum sursum tendunt ; et theologice autem eedem eorum qui ut vere theologorum fame hanc nobis de Primo tradiderunt intentionem, illud quidem sui ipsorum voce vocantes Ad, quod significat unum secundum ipsos, ut qui illorum linguam sciunt interpretantur, intellectum autem conditivum mundi duplantes hoc appellantes et hunc dicentes esse valde hymnizabilem Adadon, neque hunc mox post unum esse dicentes, sed proportionaliter uni ponentes. Quod enim est ille ad intelligibilia, hoc est iste ad visibilia ; propter quod et hic quidem ipsis solum Ad vocatur, hic autem Adados, duplans le unum. Les dieux donc, qui savent très bien ce qui les concerne eux-mêmes, se tendent eux aussi vers l’Un de Là-Bas par l’un qui est en eux-mêmes ; quant aux révélations théologiques elles-mêmes des véritables théologiens, elles nous ont transmis au sujet du Premier cette même doctrine, puisqu’ils l’appellent dans leur façon de parler Ad, ce qui veut dire « un » pour eux, comme le traduisent ceux qui connaissent leur langue, et puisqu’ils appellent l’intellect créateur du monde en redoublant ce vocable et en disant qu’il est le très-célébré Adados, et ils ne disent pas qu’il vient immédiatement après l’Un, mais ils le posent comme correspondant à l’Un. En effet, ce que celui-là est par rapport aux

16. G. kroll, De oraculis Chaldaicis, p. 17, cité (et approuvé ?) par W. theiler, Die chaldäischen Orakel…, p. 5 [= p. 258]. 17. Le texte est ici donné d’après H. D. Saffrey, « Les Néoplatoniciens… », p. 223 [= p. 77] qui, p. 60, 2, lit eedem (eadem R. kliBanSky – C. laBoWSki), p. 60, 8, visibilia (invisibilia R. kliBanSky – C. laBoWSki). La traduction française de Saffrey a été retravaillée ; elle commence par : « Les dieux donc qui savent ce qu’ils doivent faire ». La rétroversion en grec de C. Steel, p. 327, a été prise en compte (Proclus, In Platonis Parmenidem Commentaria III, livres VI-VII, éd. L. van camPe, C. Steel, Oxford 2009).

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Les Oracles Chaldaïques intelligibles, celui-ci l’est par rapport aux visibles ; c’est pourquoi le premier est appelé par eux seulement Ad, le second Adados, en redoublant le mot « un ».

Il existe évidemment un rapport thématique entre ḥad et Hadad d’une part et ἅπαξ ἐπέκεινα et δὶς ἐπέκεινα d’autre part. Encore faut-il pouvoir en expliquer la nature. H. D. Saffrey suppose que les expressions ἅπαξ ἐπέκεινα et δὶς ἐπέκεινα sont employées pour expliquer les termes syriaques ḥad et Hadad, le premier voulant dire « un », l’autre étant utilisé comme abréviation du nom divin Ba‘al Hadad. Cette hypothèse est largement admise. Il est pourtant facile de voir que les expressions de ἅπαξ ἐπέκεινα et de δὶς ἐπέκεινα ne sont pas susceptibles d’expliquer ḥad et Hadad. Le mot-clé est en effet ḥad, ou ἕν. Une exégèse qui remplacerait ἕν par ἐπέκεινα, laisserait précisément tomber l’élément déterminant. De plus, on ne verrait pas la raison objective d’un tel remplacement. Enfin, cette hypothèse est également infirmée par un élément linguistique (et en même temps formel) : la formulation qui illorum linguam sciunt prouve qu’il ne s’agit pas d’explications données dans le texte même des oracles, qui est rédigé en grec et donc accessible à tous. En outre, une explication bilingue relative à ḥad et à Hadad dans le cadre du texte poétique est difficilement imaginable. En revanche, l’aspect caractéristique (et qui demande encore une explication) des expressions ἅπαξ ἐπέκεινα et δὶς ἐπέκεινα réside dans le fait que ces termes sont définis de façon réciproque à travers les multiplicativa. Le recours à ḥad et à Hadad peut alors être compris comme une tentative pour interpréter les expressions données dans les OC, même si cela n’est dit de façon explicite ni chez Proclus ni dans un témoignage comparable chez Macrobe. Proclus donne en tout cas cette interprétation dans le contexte de l’exégèse oraculaire ; quant à l’intellectus conditivus mundi de son commentaire au Parménide, il n’est guère dissociable de la caractérisation du δὶς ἐπέκεινα par sa double fonction démiurgique selon OC 8, 2-3, telle qu’exposée dans le commentaire au Cratyle 18. Cette interprétation suppose que ἅπαξ ἐπέκεινα soit une désignation du ἕν, et que δὶς ἐπέκεινα désigne une entité dont l’essence propre est liée au ἕν ou à l’ἅπαξ ἐπέκεινα, ou peut en être dérivée. Nous pouvons citer ici le témoignage de Jean le Lydien, De mensibus IV 53, p. 110, 18-22 [R. Wuensch] sur l’exégèse oraculaire de Porphyre (365F [A. Smith]), sans doute sous-jacente aux explications de Proclus : Ὁ μέντοι Πορφύριος ἐν τῷ ὑπομνήματι τῶν λογίων τὸν δὶς ἐπέκεινα τουτέστι τὸν τῶν ὅλων δημιουργὸν τὸν παρὰ Ἰουδαίων τιμώμενον εἶναι ἀξιοῖ, ὃν ὁ Χαλδαῖος δεύτερον ἀπὸ τοῦ ἅπαξ ἐπέκεινα, τουτέστι τοῦ ἀγαθοῦ, θεολογεῖ.

18. Cf. In Cratylum, p. 51, 26 - 52, 9 [G. Pasquali] ; en outre In Timaeum I 408, 14-15; 415, 27 - 416, 2 [e. Diehl] et In Rem Publicam I 98, 29 - 99, 2 [G. Kroll].

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Théologie et métaphysique En tout cas, Porphyre dans son commentaire des Oracles déclare que le « deux fois au-delà », c’est-à-dire le créateur de toutes les choses, est le dieu vénéré par les juifs, que le Chaldéen situe théologiquement au deuxième rang après le « une fois au-delà », c’est-à-dire après le Bien.

Ici, on utilise plutôt que ἕν le terme ἀγαθόν, ce qui n’est pas inhabituel dans le néoplatonisme 19. L’assimilation de δὶς ἐπέκεινα avec le Dieu vénéré des juifs correspond à OC 7, comme nous l’avons vu précédemment 20. La correspondance de contenu avec OC 5 et OC 8 a déjà été signalée ; on peut maintenant y ajouter la correspondance avec les explications présentes chez Proclus, In Parmenidem VII, p. 58, 33 - 60, 9 [R. Klibansky – C. Labowski] (p. 326 C. Steel). On y lit en effet qu’« Adados » est lié au monde visible de la même façon que « ad » l’est au monde intelligible. « Adados » étant décrit comme le créateur du monde, on peut en déduire que « ad » est celui qui engendre le monde intelligible 21. La question de la signification originale des expressions ἅπαξ ἐπέκεινα et δὶς ἐπέκεινα n’est pas encore pour autant réglée définitivement. L’interprétation du νοῦ νόος comme démiurge dans le passage cité de Proclus, In Cratylum, p. 51, 26 - 52, 3 [G. Pasquali] ouvre une possibilité jusqu’ici inexplorée. Car puisque l’expression δὶς ἐπέκεινα est également conçue comme une désignation du démiurge, νοῦ νόος et δὶς ἐπέκεινα seraient eux aussi identifiables l’un avec l’autre. Cela ne doit pas être nécessairement la conséquence de l’interprétation erronée de νοῦ νόος par Proclus, qui suppose l’interprétation courante de ἅπαξ ἐπέκεινα et δὶς ἐπέκεινα depuis Porphyre. Proclus pourrait aussi avoir repris cette identification à une tradition antérieure, qui ne doit quant à elle pas nécessairement coïncider avec son propre point de vue sur l’essence du νοῦ νόος et sur l’interprétation de cette expression. Il est également possible qu’une tradition ancienne de l’exégèse oraculaire, ainsi que les OC euxmêmes, identifient déjà δὶς ἐπέκεινα et νοῦ νόος (explicitement ou non), ce dernier devant toutefois être compris, comme cela a été démontré dans le cas des OC eux-mêmes, comme l’entité supérieure 22. Dans ce cas, δὶς ἐπέκεινα désigne un νοῦς, qui est encore au-dessus du simple νοῦς ; celui-ci est simplement transcendant et se trouve au-delà du monde matériel : ἐπέκεινα ou ἅπαξ ἐπέκεινα. Le νοῦ νόος, par contre, se trouve encore au-delà, est doublement transcendant, ἐπέκεινα τοῦ ἐπέκεινα ou δὶς ἐπέκεινα. En ce sens,

19. Voir supra, p. 42. 20. Voir supra, p. 42. 21. À ce sujet, on notera la correspondance avec Numénius : cf. M. BalteS, « Numenios von Apamea und der platonische Timaios », Vigiliae Christianae 29 (1975), p. 241270 [= M. BalteS, ΔΙΑΝΟΗΜΑΤΑ. Kleine Schriften zu Platon und zum Platonismus, éd. a. hüffmeier, M.-L. lakmann, M. vorWerk, Stuttgart – Leipzig 1999, p. 1-32], notamment p. 259-260 [= p. 20-22]. 22. Voir supra, p. 44-45.

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Les Oracles Chaldaïques l’expression δὶς ἐπέκεινα, mais aussi l’expression complémentaire de ἅπαξ ἐπέκεινα, deviennent immédiatement compréhensibles. L’interprétation du πῦρ ἐπέκεινα τὸ πρῶτον comme ἅπαξ ἐπέκεινα 23, en revanche, ne repose que sur une association superficielle du chiffre « un » dans les deux expressions, ce qui ne tient pas compte de la valence sémantique de l’expression ἐπέκεινα. Ces dernières explications doivent rester une hypothèse plus ou moins prudente, à l’encontre du consensus de la recherche. Il est clair que ἅπαξ ἐπέκεινα et δὶς ἐπέκεινα représentent des entités complémentaires et des équivalents du Père et de l’Intellect, c’est-à-dire de νοῦς et de νοῦ νόος – même si les identifications individuelles ne sont pas totalement assurées. Hécate apparaît comme la troisième entité et, de ce fait, comme l’équivalent de la Dynamis. Mais alors que ces dénominations associées en triade reviennent de façon dominante dans la tradition chaldaïque, la mention d’Hécate reste rare dans les fragments conservés. Comme attestation de sa position dans une possible triade, on peut citer OC 50 (Damascius, In Parmenidem III 60, 2-3 [L. G. Westerink – J. Combès – A.-Ph. Segonds]) : […] λέγεται ὑπὸ τῶν θεῶν μέσον τῶν πατέρων Ἑκάτης κέντρον πεφορῆσθαι. […] les dieux disent que « le centre d’Hécate se déporte au milieu des pères ».

L’insertion du deuxième σ dans μέσ(σ)ον produit un hexamètre correct, l’infinitif πεφορῆσθαι pouvant remplacer la forme personnelle πεφόρηται. Il faut noter le pluriel du mot « pères », qui peut désigner, dans la tradition chaldaïque, tant ἅπαξ ἐπέκεινα que δὶς ἐπέκεινα, ou encore la triade dans son ensemble y compris Hécate. On ne peut donc pas clairement savoir si la position centrale d’Hécate équivaut à celle d’une entité placée entre les deux Pères ou à celle du « Père » médian, c’est-à-dire de l’un des parents 24, entre les deux autres Pères. En vertu de cette position centrale, Hécate peut également être caractérisée comme ἀμφίστομος et ἀμφιπρόσωπος 25. Hécate, et cela vaut aussi pour la Dynamis, est souvent mise en relation, dans la tradition chaldaïque, avec la vie ou sa production. Le fragment OC 32 est significatif ; on lit chez Proclus, In Timaeum I 420, 11-16 [E. Diehl] :

23. Elle doit probablement être attribuée à Porphyre, comme le montre la combinaison de ḥad et de Hadad. 24. Cf. comme signification possible pour le pluriel H. G. liddell, R. Scott, H. S. JoneS, A Greek-English lexicon. Revised and augmented throughout by Sir H. S. JoneS. With the assistance of R. McKenzie. With a supplement, Oxford 19689, …πατήρ VII 2 : « parents ». 25. Cf. H. Seng, « Ἀμφιφαής. Facetten einer chaldaeischen Vokabel », dans H. Seng, M. tardieu (éd.), Die Chaldaeischen Orakel…, p. 235-254, et L. G. SoareS SantoPrete, « L’empl oi du terme “ἀμφίστομος” dans le grand traité antignostique de Plotin et dans les Oracles Chaldaïques », dans H. Seng, M. tardieu (éd.), Die Chaldaeischen Orakel…, p. 163-178.

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Théologie et métaphysique Ἡ τρίτη τοίνυν τριὰς ἡ νοητὴ τὸ αὐτοζῷον, περὶ ἧς καὶ τὰ λόγιά φησιν, ὅτι ἐργάτις, ὅτι ἐκδότις ἐστὶ πυρὸς ζωηφόρου, ὅτι καὶ τὸν ζῳογόνον πληροῖ τῆς Ἑκάτης κόλπον καὶ ἐπιρρεῖ τοῖς συνοχεῦσιν ἀλκὴν ζείδωρον πυρὸς μέγα δυναμένοιο. Ainsi donc, le Vivant-en-soi est la troisième triade intelligible, au sujet de laquelle les Oracles disent qu’elle est « Ouvrière », qu’elle est « Celle qui produit au jour le Feu porteur de la vie », qu’elle remplit « le sein vivifiant d’Hécate », qu’elle « fait couler dans les Mainteneurs la force productrice de vie du Feu très puissant. »

Des Places adapte ce texte de la façon suivante : Ἐργάτις, ἐκδότις ἐστὶ πυρὸς ζωηφόρου , καὶ τὸν ζῳογόνον πληροῦσ’ Ἑκάτης ͜ ͜ κόλπον ἐπιρρεῖ τοῖς συνοχεῦσιν ἀλκὴν ζειδώροιο πυρὸς μέγα δυναμένοιο. Ouvrière, distributrice du feu porteur de vie est (celle-ci), et remplissant le sein générateur d’Hécate, […] elle répand sur les assembleurs la force du feu vivifiant et puissant.

Pourtant, le triple ὅτι interdit sans doute d’agencer les expressions citées sous forme de texte oraculaire continu – il a précisément pour fonction d’énumérer des choses qui ne sont pas cohérentes ; un texte cohérent pourrait être cité comme tel. L’expression isolée de ἐργάτις constitue donc un fragment en soi, que l’on peut désigner comme OC 32a. Le morceau qui s’étend jusqu’au ὅτι suivant se laisse distinguer comme le 32b : ἐκδότις ἐστὶ πυρὸς ζωηφόρου. Certes, la copule ἐστὶ n’est pas au-dessus de tout soupçon 26, pas plus que l’article (τὸν) dans le morceau suivant, introduit par ὅτι lui aussi. Un rythme probablement hexamétrique permettant d’identifier un fragment ne se retrouve qu’à partir des termes ἐπιρρεῖ ou καὶ ἐπιρρεῖ, ainsi que Diehl le met en évidence dans la mise en page de son édition de Proclus ; la conjecture proposée par des Places, ζειδώροιο, qui corrige de façon stylistiquement plaisante l’erreur métrique du texte transmis, est convaincante. L’extrait ὅτι καὶ τὸν ζῳογόνον πληροῖ τῆς Ἑκάτης κόλπον 27 représente moins un fragment qu’un témoignage d’OC 35 (Damascius, In Parmenidem III 6, 4-12 [L. G. Westerink – J. Combès – A.-Ph. Segonds]) :

26. Il est vrai que les mots cités pourraient former un début d’hexamètre plausible du point de vue métrique, qui comporterait une césure penthémimère et une diérèse bucolique. 27. La transformation syntaxique du verbe à une forme personnelle (πληροῖ) en un participe (πληροῦσ’) ne permet pas de rétablir un hexamètre.

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Les Oracles Chaldaïques μήποτε τῷ μὲν Κρόνῳ προσήκει ἡ ἑβδομὰς μάλιστα καὶ πρώτως, ὡς δοκεῖ καὶ τοῖς Φοίνιξιν (ἤδη δὲ καὶ αὐτοῖς τοῖς Θεοῖς πρῶτος ὁ “ἅπαξ ἐπέκεινα” τὴν ἑβδομάδα προβάλλεται), τοῖς δὲ ἄλλοις ἀπὸ τούτου κατὰ μέθεξιν· τοῦδε γὰρ ἐκθρῴσκουσιν ἀμείλικτοί τε κεραυνοὶ καὶ πρηστηροδόχοι κόλποι παμφεγγέος αὐγῆς πατρογενοῦς Ἑκάτης καὶ ὑπεζωκὸς πυρὸς ἄνθος ἠδὲ κραταιὸν πνεῦμα πόλων πυρίων ἐπέκεινα. Peut-être l’hebdomade convient-elle à Cronos de façon absolue et première, comme le croient les Phéniciens (et, déjà d’après les dieux eux-mêmes, l’« une fois au-delà » projette, le premier, l’hebdomade), tandis qu’à partir de lui (Cronos) elle convient aux autres [intellectifs] par mode de participation : Car de lui jaillissent les foudres implacables et, accueillant aux orages, le sein de l’éclat resplendissant d’Hécate issue du Père, la fleur du feu qui ceint par en dessous et le souffle puissant au-delà des pôles ignés.

Les vocables déterminants sont Ἑκάτη et κόλπος, ou κόλποι. De la divinité dont jaillissent les foudres, on dit qu’elle remplit le « sein accueillant les foudres » d’Hécate 28. Il semble donc bien que nous avons affaire à un témoignage dans Proclus, In Timaeum I 420, 11-16 [E. Diehl]. Tant l’hebdomade que l’expression ζῳογόνος appartiennent au contexte de l’exégèse oraculaire. Si la première ne nous intéresse pas particulièrement dans ce cadre, la seconde est en revanche importante. Les exégètes des oracles relient en effet régulièrement cette expression, qui n’est pas présente dans les fragments mêmes, à Hécate 29 ou aux entités correspondantes comme Dynamis 30 ou Rhéa 31, décrites dans OC 56 de façon tout à fait analogue (Proclus, In Cratylum, p. 81, 2-8 [G. Pasquali]) : Περὶ δὲ τῆς ζωογόνου πηγῆς Ῥέας, ἐξ ἧς πᾶσα ζωὴ θεία τε καὶ νοερὰ καὶ ψυχικὴ καὶ ἐγκόσμιος ἀπογεννᾶται, οὕτως φασὶν τὰ λόγια· Ῥείη τοι νοερῶν μακάρων πηγή τε ῥοή τε· πάντων γὰρ πρώτη δυνάμει 32 κόλποισιν ἀφράστοις δεξαμένη, γενεὴν ἐπὶ πᾶν προχέει τροχάουσαν. Ainsi s’expriment les oracles au sujet de Rhéa, la source qui produit la vie, de laquelle toute vie divine, intellective, psychique et encosmique est née : Rhéa, en vérité, est la source et le courant des Bienheureux intellectifs ; car la première de tous, grâce à la puissance, elle a conçu en son sein ineffable leur naissance et elle la répand en un jaillissement sur le Tout.

28. En combinaison avec παμφεγγέος αὐγῆς, πατρογενοῦς Ἑκάτης apparaît comme un genitivus rei ; de ce fait, la première expression semble superflue et est absente dans certaines citations. 29. Cf. Psellos, Philosophica minora II 40, p. 149, 23 [D. J. O’Meara]. 30. Cf. Proclus, Theologia Platonica VI 11, p. 50, 23-27 [H. D. Saffrey – L. G. Westerink]. 31. In Timaeum III 193, 33 - 194, 2 [E. Diehl] (texte lacuneux), Theologia Platonica V 11, p. 36, 8-20 [H. D. Saffrey – L. G. Westerink]. 32. Texte des codices, adopté par des Places. Pasquali accepte la conjecture de Taylor : δυνάμεις.

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Théologie et métaphysique Le plus souvent, l’identification explicite à Hécate fait cependant défaut. Des expressions comme ζῳογόνος θεότης ou ζῳογόνος πηγή sont nettement plus courantes. OC 51 pourrait offrir un indice concernant cette relation à Hécate ; il décrit la naissance de l’âme, qui entretient avec la vie une relation particulière, comme le jaillissement du flanc droit d’une entité dépeinte de façon anthropomorphe, présentée par Proclus, qui transmet le fragment, comme la divinité qui établit la relation entre les deux Pères, conformément à la formulation de OC 50. Cela ne doit pas être plus que de l’exégèse ; mais comme OC 52 décrit la vertu comme sortie du flanc gauche d’Hécate, une telle identification est plausible et Psellos s’y livre explicitement 33. Ce fragment montre en même temps qu’Hécate elle-même ne doit pas être conçue comme l’âme du monde, contrairement à ce que l’on a souvent supposé dans la littérature 34. Le rapport de la Dynamis et d’Hécate ne doit pas être compris comme une simple identification. La Dynamis semble correspondre aux énergies créatrices émanant du Père, aux idées, au ζωηφόρον πῦρ ou aux νοεραὶ τομαί de OC 1 (liés là aussi à la métaphore de la foudre : νοεραῖς στράπτουσα τομαῖσιν = « qui brille de tranchants intellectifs ») ; Hécate et son sein semblent plutôt être une sorte de réservoir qui accueille la Dynamis et donne ainsi forme au monde intelligible. Cela correspondrait en tout cas à la description de Proclus, Theologia Platonica V 11, p. 36, 12-14.17-18 [H. D. Saffrey – L. G. Westerink] : Τὸ γὰρ μέσον κέντρον τῆς νοερᾶς τριάδος τῆς πατρικῆς καὶ ὁ ἐκδόχιος κόλπος τῆς ἐν τῷ Κρόνῳ γεννητικῆς δυνάμεως ἡ θεός ἐστιν αὕτη […] […] καὶ πληρουμένη μὲν ἀπὸ τοῦ πρὸ αὐτῆς πατρὸς τῆς νοητῆς καὶ γονίμου δυνάμεως […] En effet, cette déesse est le centre intermédiaire de la triade intellective paternelle et le sein réceptif de la puissance génératrice qui est en Cronos […] […] tout en étant remplie de puissance intelligible et féconde par le père qui lui est supérieur […]

Cette métaphore rappelle fortement la symbolique du paternel et du maternel auquel Platon a recours pour décrire la naissance du monde à partir des idées actives et de la matière passive-réceptrice 35, si ce n’est qu’elle est ici transposée à un niveau de transcendance plus élevé.

33. Philosophica minora II 40, p. 149, 19-22 [D. J. O’Meara]. 34. Pour les détails, voir infra, p. 81. 35. Platon, Timée 50d 2-4 : καὶ δὴ καὶ προσεικάσαι πρέπει τὸ μὲν δεχόμενον μητρί, τὸ δ’ ὅθεν πατρί, τὴν δὲ μεταξὺ τούτων φύσιν ἐκγόνῳ = « Et il convient de comparer le réceptacle à une mère, le modèle à un père, et la nature intermédiaire entre les deux à un enfant » (traduction : Platon, Œuvres complètes X, Timée – Critias, éd. A. rivaud, Paris 1925). Cf. aussi H. leWy, Chaldaean Oracles…, p. 297 n. 145.

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Les Oracles Chaldaïques Dans l’histoire de la recherche, la Dynamis, c’est-à-dire Hécate, n’est pas seulement mise en relation avec l’âme du monde, mais aussi, plus souvent, avec certaines entités désignées au féminin dans la gnose, rapprochement dans lequel le motif de la vie est particulièrement important 36. Comme nous l’avons vu, cela ne joue aucun rôle pour les oracles eux-mêmes ; d’après les témoignages, Hécate est seulement un sein qui accueille le feu vital du Père. Il est vrai qu’il en ressort une relation intime et que le motif de l’âme qui provient d’Hécate offre à tout le moins un point de repère. Pourtant, les points de comparaison, sur ce point, entre la gnose et les OC restent finalement peu nombreux. L’identification particulière de la vie et de la Dynamis devrait être réservée au domaine de l’exégèse, car elle n’est pas inscrite dans les OC euxmêmes ; sans doute peut-on l’envisager en lien avec l’identification de la série Être-Vie-Pensée avec les trois termes Père-Dynamis-Intellect conçus comme entités de la triade chaldaïque. Dans la mesure où il y a proximité avec la gnose, cette identification pourrait s’inscrire dans ce contexte – en tout cas si la série Être-Vie-Pensée est reprise par l’auteur du commentaire turinois au Parménide à partir de l’apocalypse gnostique de Zostrien, ainsi que l’état de la tradition semble l’indiquer 37. Les écrits gnostiques – et le cas de Zostrien est attesté de façon explicite – étaient connus dans le cercle de Plotin ; malgré son refus de la gnose, Porphyre, auteur présumé du commentaire au Parménide, pourrait avoir repris des thèmes gnostiques isolés. 4. Triadologie Dans l’exégèse platonicienne, le Père, la Dynamis et le Noûs forment une triade ; nous ignorons cependant si une telle triade apparaît dans les OC mêmes et, le cas échéant, comment il faut exactement se représenter la triade chaldaïque. Il semble y avoir dans les OC une référence à la controverse relative à la notion de démiurge dans le Timée de Platon. Les explications données dans ce dialogue ont été interprétées de différentes façons ; la conception selon laquelle l’idée du Bien, le monde des idées et le démiurge sont identiques était particulièrement répandue chez les médio-platoniciens 38. La notion de triade peut être considérée dans les OC comme une tentative pour formuler l’identité du principe divin et spirituel en différenciant simultanément ses aspects au moyen de désignations propres et de déterminations relationnelles. L’idée de la triade implique aussi de désigner la première entité, autrement dit

36. Cf. J. D. turner, « The Figure of Hecate and Dynamic Emanationism… ». 37. Cf. P. hadot, « “Porphyre et Victorinus”. Questions et hypothèses ». 38. Cf. J. halfWaSSen, « Der Demiurg : Seine Stellung in der Philosophie Platons und seine Deutung im antiken Platonismus », dans A. neSchke-hentSchke (éd.), Le Timée de Platon. Contributions à l’histoire de sa réception – Platons Timaios. Beiträge zu seiner Rezeptionsgeschichte, Louvain 2000, p. 39-62, en particulier p. 54-55.

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Théologie et métaphysique le Père, comme πατρικὴ μονάς – monade paternelle 39. En outre, l’expression πατρικὸς βυθός – abîme paternel – semble désigner à la fois le Père et sa capacité à un déploiement trinitaire 40. Les bases d’une triadologie chaldaïque nous sont offertes par deux fragments déjà examinés, OC 5, qui nomme πῦρ ἐπέκεινα τὸ πρῶτον, δύναμις et νοῦς (le Feu Premier transcendantal, Puissance et Intellect), et OC 50, qui évoque μέσ(σ)ον τῶν πατέρων Ἑκάτης κέντρον (le centre d’Hécate au milieu des Pères). La compréhension concrète de cette triade, avec la double terminologie, a déjà été discutée. Son lien avec OC 27, qui doit être cité ici avec son contexte, est sinon certain, du moins plausible (Damascius, De principiis II 2, 17-20 [L. G. Westerink – J. Combès]) : Εἴτε πατήρ ἐστι καὶ δύναμις καὶ νοῦς, εἴη ἂν τὸ πρὸ τούτων, ὁ εἷς πατὴρ ὁ πρὸ τῆς τριάδος· παντὶ γὰρ ἐν κόσμῳ λάμπει τριὰς ἧς μονὰς ἄρχει, φησὶ τὸ λόγιον. Soit que l’on pose le père, la puissance et l’intellect, il y aura ce qui est avant ces trois, à savoir le père unique qui est antérieur à la triade : « Car en tout monde resplendit une triade, qu’une monade commande », dit l’Oracle.

Si l’on observe seulement le texte de l’oracle lui-même, on constate que tant la désignation du Père comme monade que la domination qu’il exerce correspondent à la position du Père au sommet de la triade telle qu’elle ressort des fragments déjà vus des OC. Effectivement, Damascius relie ici le fragment à la triade du Père, de la Dynamis et de l’Intellect, même s’il ne le fait qu’en un sens analogique, comme l’indique la suite du contexte (De principiis II 2, 11 - 3, 2 [L. G. Westerink – J. Combès]). En revanche, en un autre endroit (In Parmenidem II 33, 11-18 [L. G. Westerink – J. Combès – A.-Ph. Segonds]) il le relie à sept triades distinctes attribuées à sept mondes distincts ; la référence à l’analogie du premier cas montre qu’il considère bel et bien cette deuxième interprétation comme le sens réel, cela conformément aussi au témoignage de Proclus, lequel ne fait toutefois qu’allusion au fragment, sans le citer littéralement (Theologia Platonica V 14, p. 45, 3-5 [H. D. Saffrey – L. G. Westerink]). Cet état de choses met trois problèmes en évidence. Premièrement, les auteurs néoplatoniciens peuvent relier les mêmes fragments à des problèmes différents. Deuxièmement, on voit que la triade est utilisée dans différents contextes, qui se réfèrent souvent aux OC. Cela complique d’autant plus la restitution des fragments des OC à leur contexte original. À ce sujet, Proclus se réclame même du fragment OC 23 (Theologia Platonica VI 15, p. 72, 14-17 [H. D. Saffrey – L. G. Westerink]) :

39. OC 11, voir supra, p. 42 ; cf. aussi OC 27 (voir infra dans cette page). 40. OC 18 ; cf. H. Seng, Untersuchungen…, p. 120-122 ; et ΚΟΣΜΑΓΟΙ…, p. 46-48.

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Les Oracles Chaldaïques […] τὸ παντελὲς τῆς τριάδος μέτρον, ἄνωθεν ἀπὸ τῶν πρωτίστων νοητῶν μέχρι καὶ τῶν ἐσχάτων προεληλυθὸς καὶ τὰ πάντα καταμετροῦν καὶ ἀφορίζον, ὡς τὰ λόγιά φησι. […] la mesure complète de la triade, qui depuis le haut, à partir des tout premiers dieux intelligibles, a procédé jusqu’aux tout derniers degrés, en mesurant et en définissant toutes choses, comme le disent les Oracles.

Pourtant, il semble évident de supposer que cette interprétation n’atteint pas le sens originel des OC, mais présuppose la tendance néoplatonicienne à transformer les entités en triades. Nous verrons dans un instant le fragment correspondant 41. Troisièmement, les interprétations présentées ici par Proclus et Damascius à propos de l’OC 27 sont en réalité plus que douteuses. En effet, elles placent avant la triade du Père, de la Dynamis et de l’Intellect, une monade ou un Père supplémentaires. C’est grammaticalement possible dans la mesure où la formulation du fragment n’est pas univoque. Mais l’interprétation de Proclus et de Damascius correspond à leurs propres prises de position métaphysiques fondamentales, et non pas à celle qui se dégage des fragments des OC. Le Père et l’Intellect, qui composent avec la Dynamis la triade, sont identiques au Père et à l’Intellect dans OC 7 – ou, du moins, rien n’indique qu’il s’agisse d’entités distinctes, et cette identité sera confirmée par d’autres déclarations qui seront analysées plus tard. Dans OC 7, la distinction entre le Père et l’Intellect repose justement sur la dichotomie entre l’Intellect en tant que seconde entité, subalterne, et le Père en tant que première entité supérieure. Il ne reste donc pas de place pour une autre entité venant avant la triade. Le commentaire de Proclus (In Parmenidem, p. 1070, 15-29 [V. Cousin]) mérite d’autant plus d’attention que des philosophes non nommés y attribuent effectivement la première place de la hiérarchie métaphysique au Père, qui constitue avec la Dynamis et l’Intellect une triade. Manifestement, les OC ont été expliqués en d’autres circonstances de la façon que nous venons de commenter. L’explication pourrait naturellement être erronée ; de plus, Proclus conteste cette identification. Mais, pour ce faire, il ne se rapporte justement pas aux OC, mais utilise des arguments de nature philosophique et systématique. Cela éveille ainsi le soupçon que les OC eux-mêmes peuvent très bien être compris dans le sens que Proclus réfute, alors que le point de vue inverse, celui qu’il défend, ne peut précisément pas être déduit des OC. Pierre Hadot a montré qu’à travers les philosophes cités de façon anonyme, Proclus visait Porphyre et en particulier le commentaire du Parménide, attribué à celui-ci, dans le palimpseste de Turin 42. Les témoignages du commentaire concernant les OC portent précisément sur la question d’une triade

41. OC 23 ; voir infra, p. 60. 42. Voir supra, p. 25-26.

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Théologie et métaphysique réunissant Père, Dynamis et Intellect, et son rapport à la transcendance absolue du Père. Dans quelle mesure il s’agit d’une interprétation pertinente des OC, l’état de la transmission ne permet pas de le décider. Dans le commentaire en question, on tente de comprendre la naissance de l’Intellect à partir du Père ou, pour le dire avec les mots de Plotin, à partir du ἕν dans le cadre de la triade. Cela se justifie dès lors que l’Intellect provient explicitement du Père (νοῦς δ’ ἀπ’ ἐκείνου) et que la Dynamis entretient avec celui-ci un lien plus étroit que la simple descendance (ἡ μὲν γὰρ δύναμις σὺν ἐκείνῳ). Pourtant, la question ne paraît pas abordée explicitement dans les OC – du moins pas dans des formulations univoques. Car ni Porphyre (ou bien l’auteur anonyme du commentaire au Parménide), dont les explications ne sont il est vrai conservées que de façon fragmentaire, ni Proclus ne se réfèrent pour prouver leurs points de vue respectifs à un tel texte. OC 31 pourrait toutefois appartenir à ce contexte : Ἐξ ἀμφοῖν δὴ τῶνδε ῥέει τριάδος δέμα πρώτης οὔσης οὐ πρώτης, ἀλλ’ οὗ τὰ νοητὰ μετρεῖται. De ces deux découle le lien de la Triade Première, qui, en vérité, n’est pas première, mais se trouve là où les intelligibles sont mesurés.

D’après ce fragment, un lien connectif naît de deux entités de la triade. Damascius, In Parmenidem I 101, 9-17 [L. G. Westerink – J. Combès – A.-Ph. Segonds] situe ce lien dans la troisième entité ; dans ce cadre, il suppose deux premières entités, la monade et la dyade, ainsi qu’une troisième, aspirant à une plénitude illimitée 43. Son explication décrit cependant un autre mouvement que le fragment : selon lui, la troisième entité coule de la première plutôt que de la deuxième, à travers laquelle elle atteint la plénitude illimitée. Cette description de la troisième entité ne convient elle aussi que très imparfaitement à sa description comme élément liant de la triade. Cette notion n’admet en fait que la possibilité d’une entité centrale, telle que la Dynamis la représente entre le Père et l’Intellect. Mais il est également difficile de faire dériver la Dynamis appartenant au Père, de celui-ci et de l’Intellect. Une piste possible serait que la Dynamis ne devienne le lien effectif qu’au moment même où le Père la transmet au Fils. En d’autres termes : la dualité du Père et de l’Intellect deviendrait une triade par le fait même que tous deux ont un rapport avec la Dynamis. Comme la relation spécifique naît de cette double relation émanant du Père et de l’Intellect, le lien pourrait être ramené, du point

43. Proclus, Theologia Platonica III 26, p. 91, 4-6 [H. D. Saffrey – L. G. Westerink] affirme pratiquement la même chose.

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Les Oracles Chaldaïques de vue de la notion, à cette relation aux deux entités, Père et Intellect – cette dérivation de la Dynamis pouvant alors être désignée comme un écoulement. Mais cette solution doit être considérée comme hautement hypothétique. Par ailleurs, il faut encore expliquer la déclaration selon laquelle la triade serait la première tout en n’étant pas la première ; le problème est d’autant plus épineux que le paradoxe est souligné par l’expression : « là où les intelligibles sont mesurés ». Il est courant de considérer qu’il n’existe pas encore de nombres au niveau ontologique de la triade en question, mais ceux-ci n’apparaissent qu’aux niveaux suivants dans la hiérarchie des êtres. C’est le cas à la fois chez Damascius (et chez Proclus, qui se réfère au fragment sans citation littérale) et dans la spéculation sur les triades du commentaire anonyme au Parménide, qui se réfère à la triade Père, Dynamis et Intellect. La formulation πρώτης οὔσης οὐ πρώτης se laisse donc interpréter comme la distinction du premier absolu, c’est-à-dire du Père, d’avec la première triade. La description de OC 1, 6-7 montre également que le Père n’est pas soumis à la mesure : […] ἀλλὰ νόου ταναοῦ ταναῇ φλογὶ πάντα μετρούσῃ πλὴν τὸ νοητὸν ἐκεῖνο. […] mais par la flamme subtile d’un subtil intellect, qui mesure toutes choses sauf cet Intelligible.

Ici, la mesure représente selon toute vraisemblance un mode de pensée spécifique, compris comme pensée discursive, opposé à une sorte de vision intellectuelle. Dans OC 31, donc, le premier absolu, c’est-à-dire le Père, qui n’est soumis ni à la mesure ni à la pensée, comme nous l’avons vu dans OC 1, est opposé à la première triade qui, comme toutes choses mais contrairement à lui, n’est pas au-dessus du domaine de la pensée. Un rapport étroit semble exister entre OC 31 et OC 23 : ὄφρα τὰ πάντα τριὰς συνέχῃ κατὰ πάντα μετροῦσα. Pour qu’une triade contienne toutes choses en les mesurant toutes.

« Tout » désigne ici tout ce qui est intelligible, κατὰ […] μετροῦσα avec tmèse a le même sens que μετροῦσα, l’inclusion des νοητά dans la triade correspond à la formulation avec le relatif locatif οὗ d’OC 31 et vise les κόλποι d’Hécate. Les formulations d’OC 28 et OC 30 doivent être comprises de la même façon : OC 28 : Τῆσδε γὰρ ἐν τριάδος κόλποις ἔσπαρται ἅπαντα. Car c’est dans le sein de cette triade que toutes choses ont été semées. OC 30 : πηγὴ τῶν πηγῶν, μήτρα συνέχουσα τὰ πάντα. Source des sources, matrice qui contient toutes choses.

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Théologie et métaphysique Enfin, par analogie avec la conception d’Hécate comme origine de l’âme, OC 29 : Τῆσδε γὰρ ἐκ τριάδος πᾶν πνεῦμα πατὴρ ἐκέρασσεν. Car c’est de cette triade que le Père a mêlé tout souffle vital.

Ces interprétations considèrent la mention des κόλποι de la triade comme des déclarations portant sur les κόλποι d’Hécate, dans la mesure où celle-ci représente l’élément central de la triade 44. Je terminerai par un court résumé. La métaphysique ou théologie chaldaïque est de caractère moniste. Elle distingue une entité conçue comme une sorte d’intellect, mais transcendant la pensée, désignée comme le Père, d’un deuxième Intellect, présenté comme le démiurge. La Dynamis du Père est son énergie créatrice, à savoir les idées, que le deuxième Intellect reçoit de lui et qu’il transmet dans le monde matériel. Πατήρ, δύναμις et νοῦς forment une triade également désignée par les expressions de ἅπαξ ἐπέκεινα, Ἑκάτη et δὶς ἐπέκεινα. Dans ce cadre, Hécate semble avant tout constituer une entité qui accueille la Dynamis et se constitue avec celle-ci en « monde igné » des idées. On ignore encore le sens exact de ἅπαξ ἐπέκεινα et de δὶς ἐπέκεινα. Alors que la tradition identifie le ἅπαξ ἐπέκεινα au Père et le δὶς ἐπέκεινα au deuxième Intellect, certains indices semblent montrer qu’à l’origine, l’ordre était exactement inverse. Le Père, Dynamis et Noûs forment une triade ; il pourrait s’agir d’une tentative pour formuler l’identité du principe divin et spirituel en différenciant simultanément ses aspects.

44. Voir aussi infra, p. 97, n. 9.

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CHAPITRE II COSMOLOGIE La métaphysique et la cosmologie des OC sont étroitement liées. Nous l’avons constaté en examinant les principes suprêmes. Non seulement la délimitation entre Père et (deuxième) Intellect est déterminée par la définition des rapports avec le monde matériel, mais la Dynamis est elle aussi caractérisée par un tel rapport. Le thème que nous traitons dans les lignes qui suivent se situe donc directement dans la continuité du précédent. Sa cohérence interne est si forte que des renvois s’imposent constamment. Le classement suivant peut malgré tout aider à la compréhension 1 : 1. Αἰών 2. L’expression νοῦς πατρικός 3. Ἰδέαι, πηγαί et ἀρχαί 4. ῾Υπεζωκὸς πυρὸς ἄνθος et ὑπεζωκώς τις ὑμὴν νοερός 5. ῎Ερως 6. Συνοχεῖς 7. L’âme du monde 8. La doctrine chaldaïque des trois mondes : ἐμπύριος, αἰθέριος, ὑλαῖος κόσμος 9. Structures et forces du ciel 10. La matière 1. Αἰών Dans le chapitre précédent, Hécate a été interprétée comme une entité pouvant être conçue comme le monde des idées. Cela permet de lui associer tout particulièrement deux caractéristiques : l’éternité et la vie 2. Dans l’exégèse néoplatonicienne des OC, Hécate, le monde des idées et Αἰών sont reliés

1. 2.

L’état de la recherche est présenté et discuté plus en détail dans H. Seng, « Die Kosmologie in den Chaldaeischen Orakeln », dans R. hirSch-luiPold (éd.), Kosmologie – Kosmogonie – Schöpfung (à paraître). Cf. Platon, Timée 28a7 ; 29a3 ; 30c7 ; 31a5 ; 37a1 ; 37d1 ; 37d3 ; 38b8 ; 38c1-2 ; 39d8-e2 ; cf. aussi J. halfWaSSen, « Der Demiurg… », p. 55-56.

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Les Oracles Chaldaïques entre eux ; Proclus en fait la cause de l’unité et de la dynamique intérieures des idées désignées comme πηγαί et ἀρχαί, et il les relie dans ce cadre à OC 49 (In Timaeum III 14, 3-15 [E. Diehl]) 3 : Διὸ καὶ ὑπὸ τῶν λογίων πατρογενὲς φάος εἴρηται, διότι δὴ τὸ ἑνοποιὸν φῶς πᾶσιν ἐπιλάμπει· πολὺ γὰρ μόνος ἐκ πατρὸς ἀλκῆς δρεψάμενος νόου ἄνθος ἔχει τὸ νοεῖν πατρικὸν νοῦν ἐνδιδόναι πάσαις πηγαῖς τε καὶ ἀρχαῖς καὶ δινεῖν 4 αἰεί τε μένειν ἀόκνῳ στροφάλιγγι· πατρικῆς γὰρ θεότητος διακορὴς ὤν, ἣν καλεῖ νόου ἄνθος, νοῦν ἐπιλάμπει τοῖς πᾶσι καὶ τὸ ἀεὶ ὡσαύτως νοεῖν καὶ ἐρωτικῶς περὶ τὴν πάντων ἀρχὴν στρέφεσθαι καὶ ἐνεργεῖν. ἀλλὰ ταῦτα μὲν ἀβάτοις σηκοῖς τῆς διανοίας ἀνελίττω. C’est pourquoi elle (= l’Éternité) est dite par les Oracles « Lumière issue du Père », parce qu’elle fait luire sur tous la Lumière unifiante : Ayant seul tiré de la force du Père et cueilli en abondance la fleur de l’Intellect, il (l’Aiôn) a la faculté de comprendre l’Intellect Paternel et de répandre de l’intelligence dans toutes les Sources et Principes, et de les faire à la fois demeurer éternellement en repos et éternellement tourner dans un tourbillon sans fin. Comme l’Éternité est saturée d’essence divine  5, que l’Oracle appelle « fleur de l’Intellect », elle fait luire sur tous de l’intelligence et la faculté de prendre intellection de façon toujours uniforme et d’avoir son activité éternellement mue en cercle, par un amoureux désir, autour du Principe de toutes choses. Mais ce sont là choses que je développe seulement dans les plus secrètes retraites de ma pensée.

La question qui se pose ensuite est celle de la critique du texte. Le troisième vers du fragment est incomplet au début ; la proposition de complément vient de Schneider, la forme , plus agréable d’un point de vue métrique, est de Kroll. Lewy propose à la place καὶ φάος ; des Places observe : neutrum placet. Avec raison : dans la paraphrase de Proclus, l’ensemble du syntagme ἔχει τὸ νοεῖν πατρικὸν νοῦν […] ἐνδιδόναι πάσαις πηγαῖς τε καὶ ἀρχαῖς est rendu sous une forme abrégée par la formulation νοῦν ἐπιλάμπει τοῖς πᾶσι ; la paraphrase suivante du vers 4 ne contient pas non plus d’éléments susceptibles d’être transposés au début du vers 3. La question d’une conjecture pour

3. 4. 5.

64

La traduction divergente de des Places repose sur la paraphrase correspondante chez Proclus, qui est citée ici. G. kroll, De oraculis Chaldaicis, p. 27 et n. 1 d’après la citation telle qu’elle apparaît chez Proclus, In Parmenidem, p. 1161, 29 [V. Cousin] ; à l’endroit cité ici, on trouve τὸ νοεῖν au lieu de δινεῖν. Négligé par Festugière.

Cosmologie compléter le début du vers 3 reste donc pour l’instant en suspens. Malgré cela, nos réflexions débouchent sur un résultat pouvant aider à la compréhension de OC 49 : selon la paraphrase de Proclus, τὸ νοεῖν πατρικὸν νοῦν ne dépend pas directement de ἔχει, comme cela ressort de la traduction citée de Festugière (et de façon analogue chez des Places), mais bien de ἐνδιδόναι, que Proclus rend sous la forme de ἐπιλάμπει. De ce fait, l’entité à laquelle se rapporte ce fragment n’est pas la seule (μόνος) à concevoir le πατρικὸς νοῦς, mais la seule à détenir cette fonction particulière de médiation, que Proclus désigne comme ἑνοποιὸν φῶς. À la lumière de la paraphrase de Proclus, cette fonction (ἑνοποιὸν φῶς) consisterait à garantir la cognition et contemplation du principe suprême et l’alignement permanent sur celui-ci, d’une façon dynamique. Il faudra donc traduire le fragment de la manière suivante : Il (l’Aiôn) est seul, ayant cueilli en abondance de la force du Père la fleur de l’Intellect, à posséder la fonction de répandre l’intellection de l’Intellect Paternel … dans toutes les Sources et Principes, et de les faire à la fois tourner et demeurer éternellement en repos dans un tourbillon sans fin.

Proclus relie le fragment à Αἰών, c’est-à-dire à son rang dans la hiérarchie de l’être, qu’il identifie en outre à celui d’Hécate. C’est dans ce contexte que s’inscrit le lien étroit de l’Αἰών avec le cosmos intelligible. Cette connexion, telle que les néoplatoniciens la conçoivent habituellement, est particulièrement claire dans sa désignation en tant que ὁ ὄντως αἰών chez Plotin (5, 1 [10] 4, 18). L’expression πατρογενὴς φάος, qui ne semble pas faire partie de la citation d’OC 49, pourrait donc à l’origine viser Hécate, qui, comme nous l’avons vu, est désignée dans OC 35 comme πατρογενής ; la forme poétique φάος incite à situer son origine dans les OC mêmes. Dans ce cas, la question de savoir si Αἰών est finalement bien une entité des OC ne peut être tranchée ; il n’existe pas un seul fragment qui contienne cette expression. Même l’idée radicale selon laquelle Αἰών pourrait être hypostasié à partir de αἰεί dans le vers 4 est impossible à exclure avec une totale certitude. Le tourbillonnement continu est à interpréter comme la vie éternelle des idées, une pensée de soimême réfléchie et, par conséquent, un mouvement immobile 6. OC 49, 2 soulève une autre problématique :

6.

À propos du mouvement, cf. par ex. Proclus, In Parmenidem, p. 1161, 28 - 1162, 3 [V. Cousin] ; à propos de la vie éternelle, voir les commentaires à OC 56 (supra, p. 54), et l’exposé sur l’âme du monde, infra, p. 78-84.

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Les Oracles Chaldaïques 2. L’expression νοῦς πατρικός Comme annoncé, il nous faut revenir une fois encore à la question de l’Intellect, et, pour commencer, à l’expression νοῦς πατρικός. Dans OC 7, l’Intellect démiurgique et le Père sont distingués de manière programmatique l’un de l’autre ; en même temps, la désignation du démiurge comme δεύτερος νοῦς implique que le Père soit conçu comme πρῶτος νοῦς. L’expression νοῦς πατρικός réunit ces deux entités fondamentalement différentes ; c’est ce qui lui vaut de compter parmi les sujets de controverse de la recherche sur les OC. Soit c’est le Père, qui pourrait être désigné en tant qu’Intellect (de manière générale ou selon un aspect précis de son essence), soit c’est l’Intellect lui-même, dont le rapport particulier au Père serait ainsi mis en valeur – ou encore son propre rôle de Père vis-à-vis des entités subordonnées : dans le Timée de Platon aussi, le démiurge est appelé à plusieurs reprises le Père 7. La notion de Père désigne en effet un état relationnel, un lien de descendance ou des rapports de subordination sur différents plans. Et, comme nous l’avons vu, on trouve également la mention des Pères, au pluriel, dans OC 50, où et le Père et l’Intellect sont visés. Comme nous l’avons également vu, Proclus relie dans sa paraphrase de OC 49 l’expression πατρικὸς νοῦς à ἡ πάντων ἀρχή, la cause universelle. Par là, c’est manifestement le Père et non l’Intellect démiurgique soumis à celui-ci qu’il faut comprendre. OC 39, 1 semble également prouver qu’il s’agit du Père : Ἔργα νοήσας γὰρ πατρικὸς νόος αὐτογένεθλος […] Quand en effet il eut conçu ses œuvres, l’Intellect paternel né de lui-même […]

La désignation de « né de lui-même 8 » n’est pas aisée à relier à l’Intellect, qui, comme l’indique OC 4, est né du Père. Par contre, OC 108 se réfère bien au démiurge (Proclus, In Cratylum, p. 21, 1-2 [G. Pasquali]) 9 :

7. 8.

9.

66

28c4 ; 37c7 ; 42e7. Sur la diffusion de ce type d’expression, cf. J. Whittaker, « Self-generating principles in second-century Platonism », dans B. layton (éd.), The Rediscovery of Gnosticism, I, Leyde 1980, p. 176-189 [= Studies in Platonism and Patristic Thought, Londres 1984, XVII] ; il faut signaler en particulier les oracles « théologiques » de l’Antiquité tardive, cités p. 187. Il est vrai que, dans le néoplatonisme, l’Intellect est décrit de cette façon depuis Porphyre pour éviter l’attribution d’une activité de production à l’ἕν ; cf. Porphyre, Historia philosophiae XVIII, p. 15, 1-6 [A. Nauck] = 223F 7-12 [A. Smith] ; J. Whittaker, « Self-generating principles… », p. 187-188, soupçonne ici l’influence des OC (et considère le πατρικὸς νόος dans OC 39, 1 comme « in some measure at least, a secondary principle », p. 182) ; ceux-ci attribuent pourtant également au Père la production du πύριος κόσμος (OC 5) et des πάντα (OC 7). Texte selon des Places.

Cosmologie Σύμβολα γὰρ πατρικὸς νόος ἔσπειρεν κατὰ κόσμον, ὃς τὰ νοητὰ νοεῖ· καὶ κάλλη ἄφραστα καλεῖται. Car l’Intellect du Père a semé les symboles à travers le monde, lui qui pense les intelligibles, que l’on appelle indicibles beautés.

L’activité dirigée vers le cosmos ne peut être attribuée qu’à l’Intellect : la formulation de OC 108 correspond parfaitement à sa double orientation vers l’intelligible et vers le matériel, telle qu’elle est énoncée dans OC 8 10 ; il s’agit simplement d’une formulation alternative. Une autre attestation de l’expression κάλλη valide cette interprétation (Psellos, Philosophica minora II 38, p. 138, 2-3 [D. J. O’Meara], contexte de OC 165) : Παράδεισός ἐστι Χαλδαϊκὸς πᾶς ὁ περὶ τὸν πατέρα χορὸς τῶν θείων δυνάμεων καὶ τὰ ἐμπύρια κάλλη τῶν δημιουργικῶν πηγῶν. Le paradis chaldaïque, c’est l’entière ronde des puissances divines autour du Père, ce sont les beautés empyrées des sources démiurgiques.

Les Dynameis divines et la notion d’empyrée, qui correspond au πύριος κόσμος (ainsi qu’il faudra encore le montrer), désignent Dynamis-Hécate en tant qu’incarnation du monde intelligible, tandis que la notion de source démiurgique correspond à la transmission de celui-ci dans le cosmos. Les formulations au pluriel indiquent d’ailleurs que c’est moins le monde intelligible en tant que tout, que la profusion des idées qui est entendue ici ; les σύμβολα de OC 108 sont à interpréter comme des entités spirituelles possédant une fonction démiurgique 11. Cette explication de νοῦς πατρικός est confirmée par les formulations de OC 53, πατρικαὶ διάνοιαι, et de OC 38, ἔννοιαι πατρός, qui seront examinées dans le point concernant l’âme universelle. Ces tournures renvoyant à l’Intellect sont si proches de l’expression νοῦς πατρικός qu’elles pourraient à première vue être synonymes. La signification de νοῦς πατρικός, discutée par les chercheurs, est donc aussi peu claire que le mot même de πατήρ, que l’on ne peut identifier de façon exclusive avec le Père (premier terme de la triade) ou avec l’Intellect (démiurgique). 3. Ἰδέαι, πηγαί et ἀρχαί La question suivante est introduite par l’expression νοῦς πατρός dans OC 37 :

10. Voir supra, p. 46-47. 11. Voir infra (sur les idées particulières et sur les συνθήματα), p. 67-71 et p. 121, n. 61.

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Les Oracles Chaldaïques

Νοῦς πατρὸς ἐρροίζησε νοήσας ἀκμάδι βουλῇ παμμόρφους ἰδέας, πηγῆς δὲ μιᾶς ἄπο πᾶσαι ἐξέθορον· πατρόθεν γὰρ ἔην βουλή τε τέλος τε. Ἀλλ’ ἐμερίσθησαν νοερῷ πυρὶ μοιρηθεῖσαι εἰς ἄλλας νοεράς· κόσμῳ γὰρ ἄναξ πολυμόρφῳ προὔθηκεν νοερὸν τύπον ἄφθιτον, οὗ κατὰ κόσμον 12 ἴχνος ἐπειγόμενος μορφῆς μέτα κόσμος ἐφάνθη παντοίαις ἰδέαις κεχαραγμένος· ὧν μία πηγή, ἐξ ἧς ῥοιζοῦνται μεμερισμέναι ἄλλαι ἄπλατοι ῥηγνύμεναι κόσμου περὶ σώμασιν, αἳ περὶ κόλπους σμερδαλέους σμήνεσσιν ἐοικυῖαι φορέονται στράπτουσαι περί τ’ ἀμφὶ παρασχεδὸν ἄλλυδις ἄλλῃ, ἔννοιαι νοεραὶ πηγῆς πατρικῆς ἄπο, πουλὺ δρεπτόμεναι πυρὸς ἄνθος ἀκοιμήτου χρόνου ἀκμῇ. Ἀρχεγόνους ἰδέας πρώτη πατρὸς ἔβλυσε τάσδε αὐτοτελὴς πηγή.

5

10

15

L’Intellect du Père a vrombi, quand il a pensé, d’un propos vigoureux, les Idées de toutes formes, et d’une seule source toutes s’élancèrent ; car du Père venaient à la fois propos et achèvement. Mais, séparées par le Feu intelligent, les Idées se partagèrent en d’autres Idées intelligentes ; car le Souverain a fait préexister au monde multiforme 5 un modèle intelligent impérissable ; c’est selon l’ordre de celui-ci que le monde, suivant en hâte sa trace, est apparu dans sa forme, ciselé par des Idées de toute espèce ; la source en est unique, d’où d’autres Idées jaillissent en vrombissant, partagées, inabordables, en se brisant sur les corps cosmiques ; 10 semblables à des essaims, elles se portent autour d’un sein terrible, en resplendissant de tous côtés et tout près, de toutes les manières, pensées intelligentes qui butinent en abondance, à la source paternelle, la fleur du feu, au plus haut point du temps sans repos. Ces Idées primordiales, 15 c’est la source originelle du Père, parfaite en elle-même, qui les a fait jaillir.

Même si le mode d’expression reste obscur dans le détail, il semble clair que deux types d’idées – disons les générales et les particulières – sont distinguées ici. La paraphrase suivante se fonde sur cette distinction. En premier lieu (v. 1-3), c’est la naissance des idées – générales – à partir du Père, ici désigné comme νοῦς πατρός, qui est nommée. Ces idées, lit-on, sont déployées et partagées en d’autres idées par l’activité du feu intelligible,

12. Des Places suit l’hypothèse de G. kroll, De oraculis Chaldaicis, p. 23 et p. 24 n. 1 : κατ’ ἄκοσμον. Néanmoins, la construction du texte original semble aussi irréprochable (cf. H. G. liddell, R. Scott, H. S. JoneS, A Greek-English lexicon, … ἐπείγω III 2) que conforme à l’idée que le cosmos visible suit l’ordre de l’invisible.

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Cosmologie c’est-à-dire de l’Intellect (v. 4-5). Il s’agirait donc des idées particulières. Sur la trace du « modèle impérissable », naît le cosmos perceptible (v. 5-7), façonné par les idées, et, manifestement, par les idées générales (v. 8). Car c’est aussi de leur source unique que viennent les autres entités intelligibles (v. 8-9), qui se brisent en un état de division ou de différenciation contre les corps du cosmos (v. 9) et essaiment dans le sein de celui-ci comme des abeilles (v. 10-11) ; il n’y a que des idées particulières que l’on puisse parler en ces termes. Elles resplendissent, c’est-à-dire qu’elles agissent en tant qu’énergies intelligibles (v. 12). Elles procèdent de la source paternelle, dont elles ont reçu depuis le plus haut point du temps la fleur du feu (v. 13-14) ; les formulations sont si semblables à celles de OC 49 associé par Proclus à l’Αἰών qu’ici aussi, le lien de la formulation avec Αἰών s’impose (en substance, même si sa mention devait rester incertaine dans les OC). La source parfaite en elle-même du Père a été la première à produire les idées particulières, mais il est vrai en tant qu’idées originelles ; en d’autres termes, en tant qu’idées générales (v. 15-16). Autrement dit, les idées générales et particulières sont identiques. Leur origine première se trouve chez le Père et c’est l’Intellect qui transforme les idées générales en idées particulières. Il s’agit en quelque sorte d’une naissance en deux temps, au cours de laquelle le changement de plan est réalisé par l’Intellect et par son activité dissociatrice. Mais, comme le fragment souligne à la fois l’identité des idées générales et particulières et la dissemblance de leurs deux états, il est difficilement pénétrable. L’origine des idées du Père est mentionnée quatre fois en tout en tant que “source” : il est question d’une source unique dans les vers 2 et 8, de la source paternelle dans le vers 13 et de la source parfaite en elle-même du Père dans les vers 15-16, πατρὸς […] αὐτοτελὴς πηγή ; cette dernière expression rappelle le πατρικὸς νόος αὐτογένεθλος d’OC 39. Le fait que cette expression métaphorique ne soit pas d’une univocité absolue ressort d’OC 56, dans lequel Rhéa est, comme nous l’avons vu, désignée comme νοερῶν μακάρων πηγή τε ῥοή τε, autrement dit, comme une entité qui a auparavant accueilli en son sein la naissance des entités successives. Même la formulation πηγὴ τῶν πηγῶν de OC 30, qui se rapporte à la même déesse, doit être conçue comme une notion relationnelle et non absolue. Par conséquent, les πηγαί de OC 49 doivent, elles aussi, être simplement considérées comme des entités desquelles d’autres sortent – même si le néoplatonisme tardif fera de cette expression un terminus technicus et attribuera dans la hiérarchie des êtres un rang propre aux πηγαί, différent de celui des autres ἀρχαί, nommées dans OC 49 en même temps que les πηγαί 13. Pourtant, le même raisonnement s’applique à ἀρχή et à πηγή. La référence au Père, correspondant à OC 37, apparaît dans OC 13 :

13. A. lecerf, L. Saudelli, « “Sources” et “principes” : universalité et particularité dans les Oracles Chaldaïques », dans H. Seng, G. Sfameni gaSParro (éd.), Theologische Orakel in der Spätantike (à paraître), concluent également à l’absence de différenciation de sens.

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Les Oracles Chaldaïques Οὐ γὰρ ἀπαὶ πατρικῆς ἀρχῆς ἀτελές τι τροχάζει. Car du principe paternel rien d’imparfait ne procède.

Même la combinaison de la notion de « début » (ἀρχή) avec l’image de la source (πηγή et κρήνη) est présente, OC 74 (Damascius, In Parmenidem III 133, 1-3 [L. G. Westerink – J. Combès – A.-Ph. Segonds]) : Ἀρχικοί εἰσιν ὡς πρῶτοι ἄρξαντες τοῦ ἀπορρεῖν τῶν οἰκείων πηγῶν. Διὸ καὶ κρηνήϊος ἀρχὴ ὁ διάκοσμος ὑμνεῖται. Ils (les dieux qui sont au-dessous du démiurge) sont archiques en ce sens que, les premiers, ils ont commandé l’écoulement de leurs propres sources, c’est pourquoi ce diacosme est célébré aussi du nom de « principe fontanier ».

La différenciation la plus élaborée à cet égard se trouve chez Psellos, Philosophica minora II 40, p. 151, 12-13 [D. J. O’Meara] : Ἑκάστης δὲ σειρᾶς ἡ ἀκρότης πηγὴ ὀνομάζεται, τὰ δὲ προσεχῆ κρῆναι, τὰ δὲ μετὰ ταῦτα ὀχετοί, τὰ δὲ μετ’ ἐκεῖνα ῥεῖθρα. La sommité de chaque chaîne est nommée source ; les choses contiguës, fontaines ; celles qui viennent ensuite, canaux ; celles qui viennent après, ruisseaux.

Le concept de σειρά, chaîne ontologique dans laquelle les différents échelons de la hiérarchie des êtres sont reliés en une unité, est douteux ; il est certes utilisé par Damascius dans un contexte globalement chaldaïque, mais il est surtout courant dans le néoplatonisme 14. Les autres notions sont connues : nous avons vu κρήνη dans la forme adjectivale (κρηνήϊος) ; et les ῥεῖθρα devraient être identiques aux σκολιὰ ῥεῖθρα de OC 172. Cet exemple illustre la transformation du vocabulaire métaphorique en une doctrine systématique élaborée, caractéristique du néoplatonisme. Pour la notion d’idées ayant une action démiurgique, nous disposons d’une autre attestation, importante, qui utilise l’expression de ἀρχαί, dans OC 40 : ἀρχάς, αἳ πατρὸς ἔργα νοήσασαι τὰ νοητὰ αἰσθητοῖς ἔργοις καὶ σώμασιν ἀμφεκάλυψαν. … Les principes qui, en pensant les œuvres intelligibles du Père, les ont enveloppées d’œuvres sensibles et de corps.

Ici, les ἀρχαί sont décrites comme des entités démiurgiques actives, en parfaite correspondance avec la description des idées particulières donnée par OC 37. Leur activité est double ; elles conçoivent les œuvres intelligibles du

14. Cf. P. lévêque, Aurea Catena Homeri. Une étude sur l’allégorie grecque, Paris 1959, notamment p. 61-75.

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Cosmologie Père et les revêtent d’œuvres et de corps perceptibles par les sens. Cela correspond exactement à l’activité de l’Intellect démiurgique dans OC 8, si ce n’est que celui-ci exerce en quelque sorte sa fonction à distance (αἴσθησιν δ’ ἐπάγειν κόσμοις), alors que les ἀρχαί se rendent dans le cosmos et y agissent directement. L’Intellect devrait donc être considéré comme une entité supérieure à elles, mais aussi liée à elles de la façon la plus étroite – le fait qu’il soit considéré comme un tout avec ses pensées ressort déjà de OC 38 et OC 53. 4. Ὑπεζωκώς τις ὑμὴν νοερὸς et ὑπεζωκὸς πυρὸς ἄνθος Ce qui précède nous renvoie une nouvelle fois à une expression remarquable de OC 35 : ὑπεζωκὸς πυρὸς ἄνθος. Proclus et Damascius déduisent de OC 35 une hebdomade composée de Cronos ou ἅπαξ ἐπέκεινα (= τοῦδε), de Rhéa ou Hécate, de Zeus ou δὶς ἐπέκεινα (= πνεῦμα), de trois ἀμείλικτοι et finalement de ὑπεζωκώς (masculin) comme entité propre, au septième rang 15. Proclus écrit (In Rem publicam II 225, 2-5 [G. Kroll]), pour définir cette entité de façon plus précise : … τὴν νοερὰν πηγὴν τῆς τῶν ὄντων ἀπ’ ἀλλήλων διακρίσεως, ἣν ὑπεζωκότα καλεῖν ἐστιν ἔθος τοῖς ἐκ τῆς βαρβάρου θεοσοφίας, ἑτερότητα δὲ τοῖς Πλάτωνος φίλοις. … la source intellective de la séparation entre les êtres, que les disciples de la Théosophie Barbare nomment habituellement « celui qui ceint par en dessous », et les amis de Platon « altérité » 16.

Il déclare aussi dans Theologia Platonica V 39, p. 146, 17-20 [H. D. Saffrey – L. G. Westerink] : Λοιπὸν τοίνυν ἐστὶν ἡ τῶν νοερῶν τούτων μονάδων ἑβδόμη τεταγμένη, συνοῦσα μὲν ἁπάσαις αὐταῖς καὶ μετὰ πασῶν ἐνεργοῦσα, διαφερόντως δὲ ἐν τῇ δημιουργικῇ τάξει προφαίνουσα ἑαυτήν. Reste donc parmi ces monades intellectives celle qui est rangée au septième rang et qui, bien qu’elle soit conjointe à toutes ces monades et active avec elles toutes, pourtant se manifeste tout particulièrement dans la classe démiurgique.

Ce rapport particulier avec le démiurge pourrait indiquer une identité originelle de l’ὑπεζωκώς avec celui-ci ; la fonction de dissociation convient à l’Intellect en tant que séparateur des idées générales et particulières dans OC 37.

15. Cf. ici et en ce qui concerne les pages suivantes, Damascius, Commentaire du Parménide de Platon, éd. L. G. WeSterink, J. comBèS, A.-Ph. SegondS, III, p. 202-203 et p. 258-259. 16. Traduction : Proclus, Commentaire sur la République, trad. fr. A.-J. feStugière, I-III, Paris 1970 (qui traduit par « diaphragme », III, p. 178). Cf. aussi Damascius, In Parmenidem III 96, 15-16 [l. g. Westerink – J. Combès – a.-Ph. Segonds].

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Les Oracles Chaldaïques L’expression apparaît aussi dans OC 6, qui est relié par Damascius à la même entité. Damascius ne cite néanmoins que le vers 1 ; Simplicius, qui transmet aussi le deuxième vers, le sépare du premier en intercalant la formule de citation κατὰ τὸ λόγιον, si bien que la combinaison de vers n’étant pas directement liés n’est pas totalement à exclure (OC 6 = Simplicius, In Aristotelis De caelo II 1, p. 375, 19-21 [J. L. Heiberg]) 17 : Ὡς γὰρ ὑπεζωκώς τις ὑμὴν 18 νοερòς διακρίνει, κατὰ τὸ λόγιον, πῦρ πρῶτον καὶ πῦρ ἕτερον σπεύδοντα μιγῆναι· Comme une membrane intellective qui a pris une ceinture, comme dit l’Oracle, (Hécate) dissocie le premier et le second feux qui ont hâte de se mêler.

Comme le montre la traduction de des Places que nous venons de citer 19, il existe donc une autre compréhension courante. L’expression πῦρ πρῶτον est interprétée comme πῦρ ἐπέκεινα τὸ πρῶτον de OC 5, c’est-à-dire comme le Père. La logique inhérente de cette interprétation mène à comprendre πῦρ ἕτερον comme l’Intellect. Et comme Hécate évolue entre les deux, alors l’identification d’Hécate avec le ὑπεζωκώς τις ὑμὴν νοερός est presque inévitable 20. D’un autre côté, il est également clair que dans le cas d’une telle interprétation, la caractérisation des deux feux comme σπεύδοντα μιγῆναι n’est pas très compatible avec l’affirmation selon laquelle le Père se serait soustrait (OC 3). De plus, le terme de « feu » n’est en aucun cas limité au Père et à l’Intellect. Comme nous l’avons vu, les OC parlent également de ζωηφόρον et de ζείδωρον πῦρ (OC 32, 1.4) pour désigner l’énergie divine qui anime le cosmos ; à un autre endroit, l’âme est explicitement désignée par le terme de feu (OC 96). Une référence à d’autres dissociations appartient donc au domaine du possible : Simplicius utilise le fragment pour établir une comparaison avec Atlas, qui sépare la terre et le ciel et empêche que le haut et le bas ne se mêlent – haut et bas dont le lien est par la même occasion démontré 21.

17. Simplicius, In Aristotelis De caelo commentaria, éd. J. L. heiBerg, Berlin 1894. 18. A.-J. feStugière, « Un vers méconnu des Oracles Chaldaïques dans Simplicius In de Caelo II 1, 284 a 14 (p. 375. 9 ss. Heib.) », Symbolae Osloenses 26 (1948), p. 75-77, notamment p. 75 d’après la citation apparaissant dans Damascius, In Parmenidem III 4, 16 [l. g. Westerink – J. Combès – a.-Ph. Segonds] ; οὐ μὴν chez Simplicius (ms. A, contre ἡμῖν Fbc) édité par J. L. Heiberg. 19. OC 6, ici complété par la remarque intercalaire κατὰ τὸ λόγιον. 20. A.-J. feStugière, « Un vers méconnu… », est le premier à relier l’ὑπεζωκώς τις ὑμὴν νοερός à l’entité médiane, sans cependant la nommer Hécate. 21. Il semble que l’on puisse relier à ce contexte Proclus, In Rem publicam II 131, 18 - 132, 5 [G. Kroll], où l’éther est identifié comme lieu intermédiaire entre ciel et terre, et où il est dit au sujet de l’éther (131, 20) : ὑπέζωκεν τὸν οὐρανόν. De façon analogue, G. kroll, De oraculis Chaldaicis, p. 22, et H. leWy, Chaldaean Oracles…, p. 92, interprètent OC 6, 1 non pas

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Cosmologie Les interprétations de OC 35 et de OC 6 concordent parfaitement. Ὑπεζωκὸς πυρὸς ἄνθος et ὑπεζωκώς τις ὑμὴν νοερός sont des expressions qui désignent l’Intellect, en nommant son essence séparatrice ou dissociatrice, celle-là même qui apparaît dans OC 37. De ce fait, les différents feux pourraient se rapporter aux idées générales et particulières, qui sont à la base identiques, mais ont été séparées par l’activité dissociatrice de l’Intellect. 5. Ἔρως Nous en revenons une fois encore à OC 39 (Proclus, In Timaeum II 54, 5-19 [E. Diehl]) : Τοῦτον δὲ τὸν μέγιστον καὶ τελεώτατον δεσμόν, ὃν περιβάλλει τῷ κόσμῳ πανταχόθεν ὁ πατὴρ ὡς φιλίας ὄντα ποιητικὸν καὶ τῆς ἐναρμονίου κοινωνίας τῶν ἐν αὐτῷ, δεσμὸν πυριβριθῆ ἔρωτος τὰ λόγια προσείρηκεν· ἔργα νοήσας γὰρ πατρικὸς νόος αὐτογένεθλος πᾶσιν ἐνέσπειρεν δεσμὸν πυριβριθῆ ἔρωτος. καὶ τὴν αἰτίαν προσέθηκεν· ὄφρα τὰ πάντα μένῃ χρόνον ἐς ἀπέραντον ἐρῶντα, μηδὲ πέσῃ τὰ πατρὸς νοερῷ ὑφασμένα φέγγει. διὰ γὰρ τοῦτον τὸν ἔρωτα πάντα ἥρμοσται ἀλλήλοις· ᾧ σὺν ἔρωτι μένει κόσμου στοιχεῖα θέοντα. καὶ συνδέδεται ἄρα τὰ στοιχεῖα τὰ κοσμικὰ καὶ φιλίαν ἔχει καὶ ταύτην ἄλυτον εἰς τὸν ἄπειρον χρόνον διὰ τὴν βούλησιν τοῦ πατρός. Or ce très grand et très parfait lien, dont le Père enveloppe de toute part le Monde parce qu’il produit de l’amitié et une communion harmonieuse entre les êtres du Monde, les Oracles l’ont dénommé « lien chargé de feu de l’Amour » : « En effet, ayant conçu des ouvrages, l’Intellect Paternel né de lui-même Ensemença en toutes choses le lien chargé de feu de l’Amour », et ils en ont ajouté la cause : « pour que toutes choses demeurassent dans l’infinité du temps en état d’amour et que ne s’écroulât pas l’œuvre tissée par la Lumière intellective du Père ». Par cet Amour en effet toutes choses ont été accordées l’une à l’autre : « C’est grâce à cet Amour que continuent de courir les éléments de l’Univers ».

comme concernant des niveaux distincts des idées, comme cela est ici proposé, mais comme concernant la séparation entre deux mondes supérieur et inférieur. Par conséquent, l’« autre » feu, nommé dans OC 6, 2, vers inconnu de Kroll et Lewy, devrait constituer le niveau le plus élevé des éléments cosmiques, ce qui ne convient que de façon limitée au modèle du monde triple caractéristique des OC (voir infra, p. 84-87).

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Les Oracles Chaldaïques Ainsi donc, les éléments cosmiques ont été liés ensemble, ils ont l’un pour l’autre de l’amitié, et cette amitié indissoluble pour l’infinité du temps, à cause du vouloir du Père 22.

Dans l’édition de des Places, les vers seuls, sans les remarques intermédiaires, sont reproduits sous forme de texte continu ; or, ceux-ci laissent précisément penser qu’il s’agit non pas d’un ensemble cohérent susceptible d’être cité comme tel, mais bien de fragments isolés, combinés au gré du citateur. Proclus identifie ici le Père au démiurge, dont il a été question auparavant. On peut à ce sujet se réclamer d’une autre attestation, laquelle dit également du démiurge qu’il remplit tout d’Amour, Ἔρως (Proclus, In Timaeum II 256, 24-27 [E. Diehl]) 23 : Καὶ τὰ λόγια δὲ νοεραῖς μὲν στράπτειν τομαῖς τὸν δημιουργὸν λέγοντα τὴν ἑτεροποιὸν αὐτοῦ δηλοῖ δύναμιν, ἔρωτος δὲ ἐμπλῆσαι πάντα [διὰ] τὴν ταυτοποιόν. Les Oracles aussi, quand ils disent que le Démiurge « brille de l’éclat de tranchants intellectifs », indiquent sa puissance créatrice d’altérité, et quand ils disent qu’il remplit tout d’Amour, indiquent sa puissance créatrice d’identité.

OC 42, 1 (Proclus, In Parmenidem, p. 769, 7-11 [V. Cousin]) correspond également à cette interprétation : Ἀλλὰ καὶ διακέκριται ἅμα καὶ συγκέκριται (sc. τὰ εἴδη τὰ νοητά, cf. p. 769, 4 [V. Cousin]) δεσμῷ ἔρωτος ἀγητοῦ, κατὰ τὸ λόγιον, ὃς ἐκ νόου ἔκθορε πρῶτος 24. Mais les idées intelligibles sont à la fois distinguées et combinées par le lien de l’admirable Amour, comme le dit l’Oracle, qui jaillit en premier de l’intellect 25.

La mention du Père fait ici totalement défaut ; à la place, il est question de l’Intellect.

22. Proclus se réfère à Platon, Timée 41a7-b6 : la βούλησις du démiurge est cause de l’indissolubilité du monde. 23. La tournure νοεραῖς στράπτειν τομαῖς tirée de OC 1, 4 se trouve ici également reliée au démiurge, ce qui doit être rapporté à une interprétation triadique du fragment OC 1, initialement consacré au père. 24. Chez Hésiode, Théogonie 120, Érôs fait également partie des êtres primordiaux. 25. Proclus, Commentaire sur le Parménide de Platon II, livre II, éd. C. luna, A.-Ph. SegondS, Paris 2010.

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Cosmologie L’interprétation, dans le premier vers du triple fragment de OC 39, de l’expression πατρικὸς νόος comme Père au sens prégnant, a déjà été mentionnée comme plus vraisemblable ; ἔργα νοήσας fait alors référence au monde intelligible qui procède du Père et dont, selon le vers 2, la cohérence interne est garantie par l’Ἔρως. Cela concorde avec l’affirmation concernant Αἰών, que Proclus place comme nous l’avons vu sur le même plan qu’Hécate, et qui incarne le cosmos des Idées – Αἰών qui évolue, selon le même Proclus, en tournant « par un amoureux désir » autour de l’origine de toutes choses, c’està-dire autour du Père, dont l’Ἔρως agit sur lui. Les formulations du vers 2 sont également reprises par Proclus dans In Alcibiadem, p. 26, 1-5 [F. Creuzer] : Καὶ ὅλως ἐπειδὴ πᾶσα ἡ ἐρωτικὴ τάξις ἀπὸ τοῦ πατρὸς τοῦ νοητοῦ πρόεισι (πᾶσι γάρ, ὡς τὰ λόγιά φησιν, ἐνέσπειρεν ὁ πατὴρ δεσμὸν πυριβριθῆ ἔρωτος, ἵνα συνέχηται τὰ πάντα τοῖς ἀλύτοις τῆς φιλίας δεσμοῖς, ὥς φησι καὶ ὁ παρὰ τῷ Πλάτωνι Τίμαιος) etc. 26 Et en général, puisque toute la classe de l’Amour procède à partir du Père intelligible (en effet, en toutes choses, « le Père a semé le lien chargé de feu de l’Amour », comme disent les Oracles, de sorte que toutes choses soient maintenues par les liens indissolubles de l’amitié, comme le dit aussi Timée chez Platon) etc.

Selon cet extrait, la « classe de l’Amour », ou ἐρωτικὴ τάξις, procède du Père intelligible, qui représente dans le système de Proclus un équivalent du Père chaldaïque au sens prégnant du terme. La formulation πατρικὸς νόος dans le vers 1 d’OC 39 n’empêche pas Proclus d’établir ce lien. Dans sa paraphrase, il la remplace d’ailleurs par πατήρ. Le sens de τὰ πατρὸς ὑφασμένα φέγγει, dans le vers 4, n’est pas résolu. La formulation pourrait se rapporter au Père, qui produit l’ἐμπύριος κόσμος, ou à l’Intellect démiurgique. Par contre, le plus évident semble de relier le vers suivant (5) au cosmos matériel tel qu’il est défini par son rapport avec le démiurge chez Proclus, In Timaeum II 54, 5-16 et 256, 24-27 [E. Diehl]. Ἔρως se présente dans ce cadre comme une entité qui, procédant du Père et transmise par l’Intellect, gouverne à la fois le monde intelligible et le monde matériel. Il y a ici une stricte analogie avec les idées générales et particulières ; quant à la dissemblance et à la cohérence simultanées des idées intelligibles d’après Proclus, In Parmenidem, p. 769, 2-22 [V. Cousin], elle est précisément à rapporter à Ἔρως. Cette idée pourrait renvoyer à la doctrine chaldaïque originelle. Selon celle-ci, Ἔρως garantirait donc la cohérence interne entre idées générales et particulières et, par là même, entre les sphères du monde

26. Proclus, Sur le premier Alcibiade de Platon, éd. A.-Ph. SegondS, I-II, Paris 1985-1986.

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Les Oracles Chaldaïques intelligible et du monde matériel 27 ; l’expression caractéristique est dans ce cadre δεσμός. Cette fonction est stabilisatrice. Elle s’accompagne d’une deuxième fonction, également stabilisatrice. Ἔρως met en effet en mouvement à la fois le monde intelligible et le monde matériel, afin qu’ils ne s’immobilisent pas et ne se désagrègent pas. La référence de Proclus au Timée de Platon, dans In Alcibiadem 26, 4-5 [F. Creuzer], est particulièrement intéressante : ἵνα συνέχηται τὰ πάντα τοῖς ἀλύτοις τῆς φιλίας δεσμοῖς, ὥς φησι καὶ ὁ παρὰ τῷ Πλάτωνι Τίμαιος = « de sorte que toutes choses soient maintenues par les liens indissolubles de l’amitié, comme le dit aussi Timée chez Platon ». On cherchera en vain cette citation chez Platon 28. Proclus l’a reformulée en s’inspirant des oracles et a remplacé le δεσμὸς πυριβριθὴς ἔρωτος poétique par les φιλίας δεσμοί prosaïques. Le complément ἄλυτοι provient en fait de OC 39, 3 : ὄφρα τὰ πάντα μένῃ χρόνον εἰς ἀπέραντον ἐρῶντα = « pour que toutes choses demeurassent dans l’infinité du temps en état d’amour ». Enfin, συνέχηται fait référence à l’expression chaldaïque συνοχεῖς. 6. Συνοχεῖς La notion de συνοχεῖς (au pluriel) ou συνοχεύς (au singulier) désigne en quelque sorte l’action hypostasiée des expressions verbales et abstraites συνέχειν, συνέχεια et συνοχή habituelles dans le lexique philosophique 29 (une certaine analogie avec la gnose n’est pas à exclure ici). Dans ce cadre, il n’est pas toujours facile de savoir s’il s’agit de désignations de fonctions ou d’entités autonomes 30. D’abord, il faut confirmer que les formulations verbales sont liées aux différentes entités. Nous avons déjà vu que συνέχειν était utilisé à propos de la Dynamis / Hécate en tant que sein maternel (OC 30) ou à propos de la triade, dont Hécate représente le centre (OC 23), pour exprimer que tout, c’est-à-dire le monde intelligible, est contenu à l’intérieur d’Hécate, et donc de la triade. Proclus le formule d’une manière analogue à propos de l’âme (du monde) (Proclus, In Timaeum II 130, 27-28 [E. Diehl]) 31 :

27. Dans le même ordre d’idées, Proclus, In Alcibiadem, p. 63, 11 - 67, 17 [F. Creuzer] distingue les degrés d’Érôs. 28. Segonds renvoie dans ses notes à Timée 32 c2-4 et 43 a2, ainsi qu’à Protagoras 322 c3 δεσμοὶ φιλίας συναγωγοί, comme parallèles les plus proches en ce qui concerne la teneur. 29. OC 32, 3 ; 80 ; 82, 2 ; 177, 2 ; 207 ; cf. aussi OC 23.30.84 ; et Proclus, In Timaeum II 130, 27 [E. Diehl] ; In Alcibiadem, p. 26, 2-4 [F. Creuzer]. 30. Cf. H. leWy, Chaldaean Oracles…, p. 130. 31. Proclus renvoie peut-être ici à Hécate, car les OC ne livrent en eux-mêmes pas grand-chose sur l’âme, voir infra, p. 78-84.

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Cosmologie Συνέχουσα τὸ κέντρον τῆς προόδου τῶν ὄντων ἁπάντων ἐν ἑαυτῇ. Contenant en elle-même le « centre » de la procession de tous les êtres.

À cela s’ajoute OC 84 (Proclus, Theologia Platonica IV 21, p. 64, 11-12 [H. D. Saffrey – L. G. Westerink]) : Πάντας γὰρ συνέχων (sc. ὁ πρῶτος συνοχεύς) τῇ ἑαυτοῦ μιᾷ τῆς ὑπάρξεως ἀκρότητι, κατὰ τὸ λόγιον, αὐτὸς πᾶς ἔξω ὑπάρχει En effet, alors qu’il les rassemble tous par l’unique supériorité de son existence, comme le dit l’Oracle, il subsiste quant à lui tout entier au-dehors.

Cette représentation équivaut à son tour à celle des idées générales, supérieures, et des idées particulières, qui leur sont subordonnées, encore contenues dans les idées générales sous une forme indifférenciée. Le πρῶτος συνοχεύς serait ainsi le garant de la cohérence générale universelle, tandis que les συνοχεῖς distincts auraient au contraire des fonctions plus spécifiques. La question de savoir si la formulation πρῶτος συνοχεύς vient des OC mêmes ou de leur exégèse néoplatonicienne reste ouverte. Nous avons déjà vu que l’entité envisagée était désignée par le vocable d’Ἔρως. Les συνοχεῖς doivent dans ce cas être considérés comme des sortes d’Ἔρωτες particuliers. Ils étaient désignés dans OC 83 par le terme de ὁλοποιοί, une formulation qui se rapproche de celle de Proclus dans In Timaeum II 256, 24-27 [E. Diehl], selon laquelle le démiurge révélerait, en remplissant d’Amour (Ἔρως) le tout, l’aspect de son essence désigné par ταυτοποιὸς δύναμις. C’est dans le même cadre que l’on pourrait également envisager ἑνοποιὸν φῶς, qui se trouve dans le contexte de OC 49, et que Proclus relie comme nous l’avons vu à l’Αἰών, mais avec un commentaire qui fait référence à Ἔρως. Cela concorde avec le fait que, selon OC 32, il existe une entité liée à Hécate, qui agit sur les συνοχεῖς : […] ἐπιρρεῖ τοῖς συνοχεῦσιν ἀλκὴν ζειδώροιο πυρὸς μέγα δυναμένοιο. […] elle répand sur les assembleurs la force du feu vivifiant et puissant.

La formulation de OC 82, 2 (Damascius, In Parmenidem II 98, 4 [L. G. Westerink – J. Combès – A.-Ph. Segonds] ; pas de sujet nommé) est comparable : […] ἐγκεράσας ἀλκῆς ἴδιον μένος ἐν συνοχεῦσιν. […] en mêlant dans les assembleurs la vigueur propre de sa force.

OC 42, dont nous avons déjà vu le premier vers, est étroitement lié à ce contexte (Proclus, In Parmenidem, p. 769, 7-13 [V. Cousin]) :

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Les Oracles Chaldaïques Ἀλλὰ καὶ διακέκριται ἅμα καὶ συγκέκριται (sc. τὰ εἴδη τὰ νοητά, cf. p. 769, 4 [V. Cousin]) δεσμῷ ἔρωτος ἀγητοῦ, κατὰ τὸ λόγιον, ὃς ἐκ νόου ἔκθορε πρῶτος ἑσσάμενος πυρὶ πῦρ συνδέσμιον, ὄφρα κεράσσῃ πηγαίους κρατῆρας ἑοῦ πυρὸς ἄνθος ἐπισχών. Mais les idées intelligibles sont à la fois distinguées et combinées par le lien de l’admirable amour, comme le dit l’Oracle, qui jaillit en premier de l’Intellect, ayant revêtu de feu son feu connectif, pour mélanger les cratères fontaniers en y répandant la fleur de son feu.

Les actions consistant à mêler sa propre force, ou son propre feu, concordent largement. Au vu des explications déjà proposées pour Ἔρως et pour les συνοχεῖς, on pourrait déduire qu’Ἔρως est actif sur deux plans : celui de la Dynamis / Hécate, comme entité dont la force connective s’exprime dans l’image du mélange, au cours duquel elle fait participer sa propre essence ; celui du cosmos, comme force connective active dans les συνοχεῖς. On pourrait à nouveau voir là une certaine analogie avec les idées générales et particulières, et en même temps une certaine complémentarité : la fonction de séparation, en ce qu’elle correspond avec la pensée / νοεῖν, appartient aux idées d’abord générales, puis particulières, de la même façon que la cohésion de toutes les choses appartient à Ἔρως comme entité active de forme universelle, et aux συνοχεῖς comme entités actives particulières, de forme particulière 32. Dans le même ordre d’idée, on trouve dans OC 80 une spécification des συνοχεῖς : ἀλλὰ καὶ ὑλαίοις ὅσα δουλεύει συνοχεῦσιν. Mais aussi tout ce qui est asservi aux assembleurs matériels.

D’après ce passage, les συνοχεῖς qui se rapportent à la matière doivent être distingués d’autres types de συνοχεῖς ; les fragments conservés ne renferment hélas pas d’autres précisions de cette sorte. 7. L’âme du monde Nous commencerons par un fragment déjà examiné, OC 35 : (Damascius, In Parmenidem III 6, 4-12 [L. G. Westerink – J. Combès – A.-Ph. Segonds]) :

32. Voir aussi supra, p. 67-71.

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Cosmologie μήποτε τῷ μὲν Κρόνῳ προσήκει ἡ ἑβδομὰς μάλιστα καὶ πρώτως, ὡς δοκεῖ καὶ τοῖς Φοίνιξιν (ἤδη δὲ καὶ αὐτοῖς τοῖς Θεοῖς πρῶτος ὁ “ἅπαξ ἐπέκεινα” τὴν ἑβδομάδα προβάλλεται), τοῖς δὲ ἄλλοις ἀπὸ τούτου κατὰ μέθεξιν· τοῦδε γὰρ ἐκθρῴσκουσιν ἀμείλικτοί τε κεραυνοὶ καὶ πρηστηροδόχοι κόλποι παμφεγγέος αὐγῆς πατρογενοῦς Ἑκάτης καὶ ὑπεζωκὸς πυρὸς ἄνθος ἠδὲ κραταιὸν πνεῦμα πόλων πυρίων ἐπέκεινα. Peut-être l’hebdomade convient-elle à Cronos de façon absolue et première, comme le croient les Phéniciens (et, déjà d’après les dieux eux-mêmes, l’« une fois au-delà » projette, le premier, l’hebdomade), tandis qu’à partir de lui (Cronos) elle convient aux autres [intellectifs] par mode de participation : Car de lui jaillissent les foudres implacables et, accueillant aux orages, le sein de l’éclat resplendissant d’Hécate issue du Père, la fleur du feu qui ceint par en dessous et le souffle puissant au-delà des pôles ignés.

Selon Damascius (comme Proclus, In Cratylum, p. 58, 17 - 59, 1 [G. Pasquali]) ce fragment concerne Cronos, et Damascius ajoute une correspondance avec l’ἅπαξ ἐπέκεινα ; et l’on a chez lui l’usage des deux terminologies distinctes pour se référer à la première entité de la hiérarchie métaphysique, qui présuppose une interprétation traditionnelle des expressions ἅπαξ ἐπέκεινα et δὶς ἐπέκεινα. Les « foudres implacables » qui jaillissent de lui peuvent être comprises comme des énergies intelligibles, Hécate comme une entité qui accueille ces énergies et fait donc office de réservoir des idées. La « fleur du feu qui ceint par en dessous » correspond d’après cette lecture au « deux fois au-delà » ou au « deuxième Intellect », qui délimite vers le bas la sphère de l’intelligible 33. Le « souffle puissant », enfin, doit être interprété comme l’âme du monde, qui se trouve encore en dehors ou au-dessus des sphères des astres fixes et des planètes 34 ; l’usage de l’expression πνεῦμα pour désigner cette âme du monde (ou certains de ses aspects) se rencontre chez Synésios, qui, comme nous l’avons dit, se réfère fréquemment aux OC 35.

33. Cela convient à la fonction séparatrice non seulement de l’intellect dans OC 37 (voir supra, p. 68-69), mais aussi de l’ὑπεζωκώς chez Proclus (cf. à ce sujet Damascius, Commentaire du Parménide de Platon, éd. L. G. WeSterink, J. comBèS, A.-Ph. SegondS, III, p. 202-203). 34. Cette énumération clairement structurée des entités contredit l’hypothèse d’une deuxième Hécate entre le démiurge et l’âme du monde comme source immédiate de cette dernière, proposée par J. F. finamore, S. I. JohnSton, « The Chaldaean Oracles », dans L. P. gerSon (éd.), The Cambridge History of Philosophy in Late Antiquity, I, Cambridge 2010, p. 161-173 : p. 165-166. 35. Cf. Hymnes IV 21 ; IX 79 ; la variante πνοιά apparaît aussi dans Hymnes I 305.331.409 ; II 194 ; III 56 ; cf. aussi πνοά dans Hymne II 75. Dans Hymnes II 98 ; III 53.64 ; V 32, πνοιά désigne le Saint-Esprit.

79

Les Oracles Chaldaïques C’est de la même façon qu’il faut comprendre OC 53 (Proclus, In Timaeum I 408, 14-17 [E. Diehl]) : Λέγει γοῦν ἡ Ψυχὴ περὶ τοῦ Δὶς ἐπέκεινα τοῦ δημιουργήσαντος τὸ πᾶν· μετὰ δὴ πατρικὰς διανοίας Ψυχὴ ἐγὼ ναίω θέρμῃ ψυχοῦσα τὰ πάντα. Du moins l’Âme déclare-t-elle au sujet du « Deux fois au-delà » qui a créé l’Univers : C’est après les Pensées du Père que je prends place, moi, l’âme, qui de ma chaleur anime toutes choses.

Proclus relie sans ambages les πατρικαὶ διάνοιαι au démiurge lui-même. Cela correspond à l’idée que l’âme se place en dessous de l’Intellect démiurgique. Proclus comprend de la même façon OC 38 : Ἔννοιαι πατρὸς αἵδε, μεθ’ ἃς ἐμὸν εἰλυμένον πῦρ. Ce sont les pensées du Père, après lesquelles s’enroule mon feu.

Il y a clairement un rapport avec la description de l’âme du monde par analogie avec les trajets des corps célestes qui se meuvent en cercle autour de la terre, telle qu’on la lit chez Platon, Timée 36b5-d7 36. Dans un premier temps, on peut être déconcerté par le fait que l’Intellect soit désigné par les termes de διάνοιαι et de ἔννοιαι. Il est vrai que les deux expressions désignent au singulier la pensée et que, de ce fait, elles pourraient aussi désigner l’Intellect, dont l’essence se trouve dans la pensée. Au pluriel, par contre, ces expressions peuvent difficilement être comprises de la même façon ; elles ne peuvent en fait désigner que des actes de pensée individuels, des pensées donc. Dans cette mesure, elles peuvent d’une certaine façon être considérées comme des aspects de l’Intellect, qui ne sont pas conçus comme séparés de lui 37, de sorte que l’âme du monde peut prendre la place qui suit immédiatement celle de l’Intellect. La désignation de l’âme du monde comme feu renvoie à la notion de chaleur présente dans OC 53. Au ψυχοῦσα de ce fragment correspond ζωῆς δεσπότις dans OC 96 :

36. En revanche, H. leWy, Chaldaean Oracles…, p. 91-92, n. 98, relie le motif de l’enroulement à l’Hécate aux cheveux en serpents, qu’il identifie avec l’âme du monde. 37. Cf. par ex. Der Platonismus im 2. und 3. Jahrhundert nach Christus. Baustein 73-100 : Text, Übersetzung, Kommentar, éd. H. dörrie, M. BalteS, Stuttgart-Bad Cannstatt 1993, p. 74-79.291-296 et M. BalteS, « Idee (Ideenlehre) », RAC XVII (1996), col. 213246 : col. 230-232. Pour les OC et plus encore pour leur exégèse, il faut tenir compte de la différenciation des idées à différents niveaux. OC 20 dit : Οὐ γὰρ ἄνευ νόος ἐστὶ νοητοῦ, καὶ τὸ νοητὸν οὐ νοῦ χωρὶς ὑπάρχει = « Car l’intellect ne subsiste pas indépendamment de l’Intelligible, et l’intelligible ne subsiste pas à part de l’Intellect ». Proclus, In Timaeum III 102, 5-12 [E. Diehl] relie cela au démiurge, Damascius, In Parmenidem I 20, 16-19 [L. G. Westerink – J. Combès – A.-Ph. Segonds] au Père.

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Cosmologie Ὅττι ψυχή, πῦρ δυνάμει πατρὸς οὖσα φαεινόν, ἀθάνατός τε μένει καὶ ζωῆς δεσπότις ἐστὶν καὶ ἴσχει πολλῶν πληρώματα κόλπων. L’âme, existant comme un feu lumineux par la puissance du Père, demeure immortelle, elle est maîtresse de vie et comprend les plénitudes de beaucoup des replis .

Ici, la nature ignée de l’âme du monde est directement reliée à la Dynamis du Père ; cela correspond à la naissance de l’âme à partir d’Hécate dans OC 51 38 : Δεξιτερῆς μὲν γὰρ λαγόνος περὶ χήραμα χόνδρων πολλὴ ἅδην βλύζει ψυχῆς λιβὰς ἀρχιγενέθλου ἄρδην ἐμψυχοῦσα φάος πῦρ αἰθέρα κόσμους. Car de son flanc droit, là où les cartilages se creusent sous le sternum, jaillit à gros bouillons le flot abondant de l’âme primordiale, qui anime radicalement lumière, feu, éther, mondes.

C’est à cela aussi que se rapporte le passage sur l’âme du monde de Proclus, In Timaeum II 129, 24-29 [E. Diehl] : … μέσην αὐτῇ τινα χώραν δοτέον, καὶ τοῦτο εἰκότως, ἵνα μιμῆται καὶ τὰς πρωτίστας ἑαυτῆς αἰτίας· μέσην γὰρ καὶ ἐν τοῖς θεοῖς ἔχει χώραν ἡ τῆς ψυχῆς αἰτία θεός, ὡς δοκεῖ καὶ τοῖς θεολόγοις, συναγωγὸς οὖσα τῶν δύο πατέρων καὶ ἀπὸ τῶν ἑαυτῆς λαγόνων τὴν τῆς ψυχῆς προϊεμένη ζωήν. … il faut lui donner un rang intermédiaire, et cela à bon droit, pour qu’elle imite aussi les causes toutes premières qui la produisent. Car, parmi les dieux aussi, la Déesse qui est cause de l’Âme a rang intermédiaire, selon l’avis aussi des Théologiens, puisqu’elle fait le lien entre les deux Pères et qu’elle projette hors de ses flancs la vie de l’Âme.

Conformément à la relation de l’archétype avec son reflet, ces épithètes sont associées tant à Hécate qu’à l’âme ; par exemple chez Proclus, In Timaeum II 246, 19-20 [E. Diehl] : Ἀμφίστομος γὰρ ἡ ψυχὴ καὶ ἀμφιπρόσωπος κατὰ τὸ παράδειγμα τὸ ἑαυτῆς […] Car l’Âme, conformément à son modèle, est « à double bouche » et « à double visage » […]

38. L’animation par l’âme du monde s’étend à « la lumière, au feu, à l’éther et aux mondes ». Il semble naturel de concevoir cette énumération comme en correspondance avec ἕν, νοῦς, ψυχή, σῶμα, même si ce n’est pas dans un sens absolu. En effet, φάος et πῦρ (ἐμπύριον) seraient ontologiquement supérieurs à l’âme et, de ce fait, ils ne pourraient pas être animés par elle (voir infra, p. 86). Cependant, selon le schéma du macrocosme et du microcosme, une référence aux dieux et aux hommes individuels à l’intérieur du cosmos (et par conséquent sous l’âme du monde) serait possible. À l’homme s’ajoute, au-delà de σῶμα, ψυχή et νοῦς, un autre élément, la « fleur de l’intellect » (OC 1, 1), τὸ ἐν ἡμῖν ἕν ; voir aussi infra, p. 96-97.

81

Les Oracles Chaldaïques Proclus explique par ailleurs (In Timaeum II 130, 20-28 [E. Diehl]) 39 : […] νοητὴ μὲν οὖσα ὡς πρὸς τὰ γενητά, γενητὴ δὲ ὡς πρὸς τὰ νοητὰ καὶ οὕτως ἐν τῷ μέσῳ τὰ ἄκρα δεικνύουσα, μιμουμένη καὶ ταύτῃ τὴν αἰτίαν αὐτῆς, ἀμφιφαὴς καὶ ἀμφιπρόσωπος οὖσα, καὶ τοῦ μὲν παντὸς ἔχουσα τοὺς οἴακας, ὑποδεχομένη δὲ τοῖς ἑαυτῆς κόλποις τὰς ἀπὸ τῶν νοητῶν προόδους εἰς αὐτήν, καὶ πληρουμένη μὲν ἀπὸ τῆς νοερᾶς ζωῆς, προϊεμένη δὲ καὶ αὐτὴ τοὺς ὀχετοὺς τῆς σωματοειδοῦς ζωῆς καὶ συνέχουσα τὸ κέντρον τῆς προόδου τῶν ὄντων ἁπάντων ἐν ἑαυτῇ. […] intelligible eu égard aux êtres devenus, devenue eu égard aux Intelligibles et manifestant ainsi les extrêmes dans sa condition mitoyenne, imitant en cela aussi sa propre cause puisqu’elle est « à double lumière » et à « double face », tenant d’une part le gouvernail de l’Univers, recevant d’autre part en son sein les émanations qui, des Intelligibles, sont venues jusqu’à elle, remplie d’une part de la vie intellective, projetant d’autre part les « canaux » de la vie corporéiforme et contenant en elle-même le « centre » de la procession de tous les êtres.

En complément à la représentation du démiurge qui sème, qui forme le cosmos au moyen des idées 40, le discours métaphorique des « canaux » décrit ici l’animation du cosmos au moyen de l’image de l’irrigation 41. OC 51 forme avec deux autres fragments un groupe thématique dans lequel il est question d’autres naissances imputables à Hécate. OC 52 dit : Λαιῇς ἐν λαγόσιν Ἑκάτης ἀρετῆς πέλε πηγή, ἔνδον ὅλη μίμνουσα τὸ παρθένον οὐ προϊεῖσα. Au flanc gauche d’Hécate réside la source de la vertu, qui reste toute à l’intérieur, sans perdre sa virginité.

Ce fragment ajoute à l’âme la vertu. Il va de soi qu’il faut voir dans cette dernière une entité accompagnatrice de l’âme, et active à l’échelle cosmique, comme le propose Lewy 42. La liaison entre âme et vertu n’a jusqu’ici pas encore été expliquée de manière satisfaisante. Peut-être existe-t-il un rapport avec Platon, Timée 34c4 - 35a1 :

39. À partir de ce texte, des Places isole l’expression ἀμφιπρόσωπος comme OC 189. 40. OC 108 ; voir supra, p. 66-67. 41. Qui semble venir de Platon, Timée 43d1. Comme autre métaphore, cf. aussi les sillons des champs dans OC 36, 2 : ἀμειλίκτου πυρὸς ὁλκοῖς. Le mot ὀχετός est dans les OC un terminus technicus (cf. aussi OC 75 αὐλών) ; il est en particulier utilisé à propos des voies de la descente et de l’ascension de l’âme individuelle (OC 2, 4 ; 66 ; 110, 1 ; voir infra, p. 98 et 120-121). 42. H. leWy, Chaldaean Oracles…, p. 88-90 ; l’affirmation : « The term might apply to the nature of the moon » (p. 89) en lien avec une interprétation d’Hécate comme déesse de la lune n’est pas très claire.

82

Cosmologie Ὁ δὲ καὶ γενέσει καὶ ἀρετῇ προτέραν καὶ πρεσβυτέραν ψυχὴν σώματος ὡς δεσπότιν καὶ ἄρξουσαν ἀρξομένου συνεστήσατο ἐκ τῶνδέ τε καὶ τοιῷδε τρόπῳ. Mais le Dieu, lui, a formé l’Âme avant le corps ; il l’a faite plus ancienne que le corps par l’âge et par la vertu, pour commander en maîtresse et le corps pour obéir. Voici de quels éléments et de quelle façon.

Néanmoins, on ne peut guère voir là davantage qu’une association potentielle. Βλύζει ψυχῆς λιβάς (OC 51) pourrait toutefois être interprété comme la description d’une γένεσις, de sorte qu’il existerait, comme chez Platon, une sorte de parallélisme. Le motif de la virginité est interprété par Lewy comme une image de la pureté par rapport à la matière ; il paraît pourtant plus évident de développer l’explication à partir du contraste entre ἔνδον ὅλη μίμνουσα et, formulé négativement, τὸ παρθένον οὐ προϊεῖσα. La source de la vertu est une entité qui trouve sa place en Hécate, dans le πύριος κόσμος. La vertu même sort d’Hécate, mais, ce faisant, elle ne reste pas « entière ». Cela correspond au déploiement des éléments distincts à partir du tout, du particulier à partir du général, une notion caractéristique de la conception du monde chaldaïque, que nous avons déjà vue 43. Tout comme OC 52 décrit la naissance de l’ἀρετή, OC 54 parle de la naissance de la φύσις (Proclus, In Parmenidem, p. 821, 5-7 [V. Cousin]) : Θεολόγοι δὲ καὶ πηγὴν αὐτῆς ἐν τῇ ζῳογόνῳ θεᾷ προϋπέστησαν· νώτοις δ’ 44 ἀμφὶ θεᾶς φύσις ἄπλετος ᾐώρηται. Or, les Théologiens ont fait préexister la source de la nature dans la déesse vivifiante : sur le dos de la déesse une nature immense est soulevée.

Le lien entre ψυχή et φύσις, âme et nature, est plus facile à établir. Dans le néoplatonisme, la partie inférieure de l’âme peut, depuis Plotin, être désignée comme φύσις 45 : tout porte à croire que les OC utilisaient déjà le mot dans un

43. Supra, p. 67-71. 44. Le texte présente à l’endroit cité ici γάρ ; nous éditons δ’ d’après Proclus, In Rem publicam II 150, 21 [g. Kroll]. 45. Cf. H. J. krämer, Der Ursprung der Geistmetaphysik, Amsterdam 1964, p. 296-297, n. 407 ; W. deuSe, Untersuchungen zur mittelplatonischen und neuplatonischen Seelenlehre, Mayence 1983, p. 120-121 (contre la conception de φύσις comme quatrième hypostase chez Plotin, références bibliographiques à l’appui) ; F. romano, « Natura e anima in Plotino », dans M.-O. goulet-cazé, G. madec, D. o’Brien (éd.), ΣΟΦΙΗΣ ΜΑΙΗΤΟΡΕΣ – « Chercheurs de sagesse », Hommage à Jean Pépin, Paris 1992, p. 275-296, notamment p. 287 et p. 293-295, avec la n. 34.

83

Les Oracles Chaldaïques sens analogue. La position νώτοις δ’ ἀμφί peut également indiquer l’infériorité de la φύσις par rapport à la déesse. Dans OC 70, la φύσις apparaît en tant que force cosmique : Ἄρχει γὰρ φύσις ἀκαμάτη κόσμων τε καὶ ἔργων, οὐρανὸς ὄφρα θέῃ δρόμον ἀΐδιον κατασύρων, καὶ ταχὺς ἠέλιος περὶ κέντρον ὅπως ἐθὰς ἔλθῃ. Car la nature infatigable règne sur les mondes et sur toute créature, pour que le Ciel coure en entraînant sa course éternelle et que le soleil rapide s’avance autour du centre selon son habitude.

Ici, la φύσις exerce une action équivalente à l’effet vivifiant de l’âme. Dans ce cadre, les réalités nommées, qui sont entraînées par l’élan, sont placées en dessous de la sphère intelligible. Dans d’autres contextes, on associe à la φύσις le domaine sublunaire ; dans ce cas, ce sont ses caractéristiques négatives qui dominent 46. Le détail anatomique qui caractérise OC 51.52.54 a mené à l’hypothèse selon laquelle la description se rapportait à une statue d’Hécate 47. Il est également possible qu’il s’agisse simplement d’une représentation imaginaire du corps divin, peut-être dans un contexte visionnaire 48. Mais qu’ils aient ou non pour objet une statue, les fragments pourraient appartenir à un ensemble plus détaillé, nommant d’autres particularités anatomiques ; toujours est-il que Proclus et Damascius mentionnent également κρόταφοι, χεῖρες et μέτωπον et, conjointement à cela, la ceinture et la couronne d’Hécate 49. Pour terminer, il reste à confirmer que la fonction de l’âme est représentée de façon complémentaire à celle de l’intellect. Si celui-ci donne forme et structure au cosmos grâce à l’action des idées, l’âme les inonde de vie. 8. La doctrine chaldaïque des trois mondes : ἐμπύριος, αἰθέριος, ὑλαῖος κόσμος L’une des particularités de l’image du monde chaldaïque consiste à distinguer trois mondes 50. Cela est clairement décrit chez Proclus, In Timaeum II 57, 9-12 [E. Diehl] :

Voir infra, p. 106-107. Cf. H. leWy, Chaldaean Oracles…, p. 88-94. Voir infra, p. 117-118. Proclus, In Timaeum II 260, 26-27 [E. Diehl] ; Damascius, De principiis III 38, 3-6 ; 39, 4-8 [L. G. Westerink – J. Combès]. Cf. aussi Psellos, Philosophica minora II 38, p. 135, 17-18 ; 40, p. 149, 20 [D. J. O’Meara]. 50. Cf. aussi Proclus, In Timaeum I 454, 24 [E. Diehl] ; Damascius, In Parmenidem II 35, 20-23 [L. G. Westerink – J. Combès – A.-Ph. Segonds] et H. Seng, ΚΟΣΜΑΓΟΙ…, p. 75-82.

46. 47. 48. 49.

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Cosmologie Τί οὖν ; φαίη τις ἂν τῶν ἐκ τῆς ὑπερορίου θεοσοφίας ὡρμημένων καὶ τὰ πάντα διαιρουμένων εἰς ἐμπύριον αἰθέριον ὑλαῖον. « Quoi donc ? » pourrait bien demander l’un de ces gens qui, ayant pris leur point de départ dans la Théosophie étrangère, divisent l’Univers en région empyrée, région éthérée, région matérielle.

Bien qu’il n’existe pas de fragments correspondants, les fondements de la doctrine des trois mondes peuvent être déduits des témoignages conservés. D’après eux, le πύριος ou ἐμπύριος 51 κόσμος constitue le royaume intelligible des idées, tandis que le ὑλαῖος κόσμος est le monde matériel terrestre. La troisième zone de l’αἰθέριος κόσμος se distingue d’eux en tant que région des astres, qui occupe une position médiane. Sans doute ce système constitue-til une transposition spécifique de l’idée selon laquelle les étoiles sont, d’une part, des corps visibles et donc matériels et, de l’autre, des êtres intelligibles. Une telle position intermédiaire apparaît aussi dans l’idée aristotélicienne d’éther : « au iie siècle de notre ère, l’éther n’apparaissait pas comme un élément matériel banal, mais comme une sorte de “corps incorporel” […]. Au vrai, la cinquième nature dépasse la dualité du sensible et de l’intelligible ; elle peut constituer l’étoffe commune des astres et des âmes […] » 52. Mais une autre correspondance avec Aristote peut être trouvée : d’après lui, « le dessein de la nature est que les phases de vie des êtres sublunaires s’alignent en une suite étagée vers la course du soleil, le soleil et les étoiles renvoyant à leur tour à des causes encore supérieures » 53. Le plus souvent, pourtant, on distingue dans l’exégèse des OC sept κόσμοι, un ἐμπύριος, trois αἰθέριοι et trois ὑλαῖοι. La donnée est particulièrement claire chez Psellos, Philosophica minora II 39, p. 146, 9-12 [D. J. O’Meara] 54 : Ἑπτά φασι σωματικοὺς κόσμους, ἐμπύριον ἕνα καὶ πρῶτον, καὶ τρεῖς μετ’ αὐτὸν αἰθερίους, ἔπειτα τρεῖς ὑλαίους, ὧν ὁ ἔσχατος χθόνιος εἴρηται καὶ μισοφαής, ὅστις ἐστὶν ὁ ὑπὸ σελήνην τόπος, ἔχων ἐν ἑαυτῷ καὶ τὴν ὕλην ἣν καλοῦσι βυθόν. Ils affirment sept mondes corporels, l’un igné et premier, et après lui trois (mondes) éthérés, ensuite trois (mondes) matériels, dont le dernier est dit terrestre et ennemi de la lumière : c’est le lieu sublunaire, qui a aussi en lui la matière, qu’ils appellent abîme.

51. OC 5, 3-4 = 33, 2 : πυρίου. Psellos, Philosophica minora II 41, p. 152, 4 [D. J. O’Meara] donne ἔμπυρον (ἐμπύριον n’apparaît que dans le Parisinus graecus 1772, cf. les notes chez O’Meara). 52. J. PéPin, Théologie cosmique et théologie chrétienne, Paris 1964, p. 246-247. 53. H. haPP, Hyle. Studien zum aristotelischen Materiebegriff, Berlin 1971, p. 510 avec référence à Aristote, De generatione animalium 778a1-6. 54. Presque identique à Theologica I 23 A 1-4. Pour βυθός, cf. aussi OC 163, 2 (voir infra, p. 107).

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Les Oracles Chaldaïques Deux fragments semblent être importants pour comprendre cet élargissement. En OC 51, 3, il est dit de l’âme du monde qu’elle anime : […] φάος πῦρ αἰθέρα κόσμους. […] lumière, feu, éther, mondes.

Une interprétation cosmologique ne semble pas conciliable avec les hypothèses formulées sur la hiérarchie chaldaïque des êtres 55. En effet, si la lumière se laisse assimiler au Père en tant qu’entité supérieure à tout, y compris au πύριος κόσμος, l’âme est subordonnée au domaine du feu, si bien qu’il est difficilement concevable de lui attribuer une action vivifiante sur celui-ci, et surtout sur la lumière. Le pluriel des “mondes” est en outre particulièrement problématique, car il est évident que c’est un monde matériel unique qui doit être placé après le feu et l’éther ; peut-être faut-il songer aux domaines échelonnés des quatre éléments. Il se pourrait donc que l’énumération quadripartite ne soit pas à comprendre dans un sens cosmologique. Cela ne crée pas de problème pour l’interprétation néoplatonicienne de cet oracle, car la différenciation multiple de la hiérarchie de l’être selon les néoplatoniciens autorise un agencement correspondant 56. L’expression στερεώματα chez Damascius, In Parmenidem II 33, 11-18 [L. G. Westerink – J. Combès – A.-Ph. Segonds] nous fournit une autre indication : Ἀλλὰ τῶν τελεταρχῶν ἐστιν ὑπόβασις ἑβδομαδική, διὰ τῶν ἑπτὰ χωροῦσα στερεωμάτων, τοῦ μὲν ἐμπυρίου τελετάρχου τριάδα ἐμπύριον ἀφ’ ἑαυτοῦ προβαλλομένου, τοῦ δὲ αἰθερίου τριάδας αἰθερίους, τοῦ δὲ ὑλαίου τρεῖς ὁμοίως ὑλαίας· παντὶ γὰρ ἐν κόσμῳ λάμπει τριὰς ἧς μονὰς ἄρχει, κατὰ τὸ λόγιον (OC 27). C’est qu’il y a une dégression hebdomadique des Télétarques, qui s’avance à travers les sept firmaments : le Télétarque empyrée projette à partir de luimême une triade empyrée, le Télétarque éthéré triades éthérées et le Télétarque matériel, pareillement, trois triades matérielles : Car en tout monde brille une triade qu’une monade commande, selon l’Oracle.

Les στερεώματα viennent de OC 57 : Ἑπτὰ γὰρ ἐξώγκωσε πατὴρ στερεώματα κόσμων. Le Père souffla les sept firmaments des mondes.

55. Voir supra, p. 81, n. 38. 56. Cf. également H. Seng, ΚΟΣΜΑΓΟΙ…, p. 85-99.

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Cosmologie À l’origine, c’étaient sans aucun doute les sept sphères des planètes qui étaient visées ici ; cela nous amène directement au point suivant. 9. Structures et forces du ciel Le domaine de l’éther est structuré par cinq κέντρα, qui fournissent parallèlement au monde terrestre un système de coordonnées, Simplicius, In Aristotelis Physica, Corollarium de loco, p. 614, 3-4 [H. Diels] 57 : […] τὰ λόγιά φησι τὰ κέντρα τοῦ ὑλαίου κόσμου ἐν τῷ ὑπὲρ αὐτὸν αἰθέρι πεπηγέναι. […] les oracles disent que les “centres” du monde matériel sont fixés dans l’éther, au-dessus de lui.

Parmi eux, quatre κέντρα désignent sur la trajectoire du zodiaque des points de repère astrologiques qui définissent le thème de naissance 58 ; s’y ajoute un cinquième κέντρον au milieu du pôle, qui permet de repérer l’axe céleste, OC 65 (Proclus, In Timaeum II 107, 6-11 [E. Diehl]) : Μέχρι γὰρ τοῦ κέντρου πρόεισιν ὁ τῆς ζῳογονίας ὀχετός, ὡς καὶ τὰ λόγιά φησι, διαλεγόμενα περὶ τοῦ μέσου τῶν πέντε κέντρων ἄνωθεν διήκοντος διαμπὰξ ἐπὶ τὸ καταντικρὺ διὰ τοῦ κέντρου τῆς γῆς· καὶ πέμπτον μέσον ἄλλο πυρίοχον, ἔνθα κάτεισιν μέχρι  59 ὑλαίων ὀχετῶν ζωηφόριον πῦρ. Car c’est jusqu’au centre que s’avance le « canal de la vivification », comme disent les Oracles lorsqu’ils traitent du canal au milieu des cinq centres lequel, venant d’en haut, va d’un bout à l’autre jusqu’au terme opposé en passant à travers le centre de la Terre : « Et il y a, en cinquième, un autre canal conducteur de Feu, par où le Feu porteur de vie descend jusqu’aux canaux matériels ».

L’axe est décrit exactement d’après l’exemple de Platon, République 616b4e3, qui a recours à l’image du fuseau de la Nécessité, dont la tige (ἠλακάτη) traverse de part en part (διαμπερές) le milieu du huitième des pesons (σφόνδυλοι) emboîtés les uns dans les autres (616e2-3). La « colonne de lumière » de Platon (616b4-6) devient dans OC 65 ζωηφόριον πῦρ. La représentation des différentes sphères célestes qui est ainsi décrite ne se retrouve cependant pas seulement chez Platon. Elle appartient à l’image du monde généralement répandue dans l’Antiquité. Le classement habituel comprend le firmament des astres fixes en tant que sphère extérieure, ainsi que les

57. Cf. également Proclus, In Rem publicam II 44, 1-2 [g. Kroll]. 58. H. G. liddell, R. Scott, H. S. JoneS, A Greek-English lexicon, … κέντρον 9. 59. Correction métrique de G. kroll, De oraculis Chaldaicis 34 ; on trouve dans le texte transmis la leçon μέχρις (éditée par Diehl).

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Les Oracles Chaldaïques sphères des sept planètes, dont le soleil et la lune, qui sont disposées concentriquement à l’intérieur de la sphère des fixes. Pour la mention des sphères planétaires, nous avons vu OC 57. Pour celle des astres fixes, il nous faut nous référer aux écrits en prose de Julien, cités par Proclus. Le passage le plus explicite se trouve dans In Timaeum III 132, 28 - 133, 4 [E. Diehl] : Περὶ μέν γε τῶν ἀπλανῶν τῆς δημιουργίας λέγων φησίν· ἔπηξε δὲ καὶ πολὺν ὅμιλον ἀστέρων ἀπλανῶν μὴ τάσει ἐπιπόνῳ πονηρᾷ, πήξει δὲ πλάνην οὐκ ἐχούσῃ χρωμένων (τὴν ἐν τῷ αὐτῷ δήπου κατὰ τὰ αὐτὰ κίνησιν αὐτῶν δηλῶν διὰ τῆς πήξεως)· περὶ δὲ τῶν πλανωμένων, ὅτι ἓξ αὐτοὺς ὑπέστησεν ἕβδομον ἡλίου μεσεμβολήσας πῦρ, τὸ ἄτακτον αὐτῶν εὐτάκτοις ἀνακρεμάσας ζώναις, τὴν μὲν ἀνωμαλίαν ἣν ἔχουσι τῶν κινήσεων ἀταξίαν εἰπών, τὴν δὲ τῶν ἐπιτεταγμένων αὐτοῖς ζωνῶν εὐταξίαν κρατοῦσαν εἰς τάξιν περιάγειν τὴν ἀταξίαν παριστάς. Du moins dit-il, quand il traite de la création des astres fixes : « Il a fixé au Ciel une vaste assemblée d’astres inerrants [= fixes], qui ne peinent pas pour se tendre fautivement vers l’avant, mais restent fixés à leur place sans vagabondage », signifiant, je présume, par le mot « fixation », le mouvement au même lieu selon les mêmes points. Quand en revanche il traite des astres errants, il dit que Dieu les a créés au nombre de six « en insérant au milieu, comme septième, le feu du Soleil », cependant qu’« il a suspendu à des zones » bien ordonnées ce qu’il y a de mal ordonné dans ces astres. Par le « mal ordonné », il veut dire l’irrégularité que comportent dans leurs mouvements les astres errants, il montre que le bon ordre des zones qui président sur ces astres a pouvoir de convertir le désordre en ordre.

L’emploi de termes musicaux – τάσει, μεσεμβολήσας 60 – semble faire allusion à l’idée de l’harmonie des sphères. En complément à cela, OC 71 (Proclus, In Cratylum, p. 98, 14 [G. Pasquali]) dit du soleil (ou du dieu du soleil Apollon) : ἁρμονίᾳ φωτὸς γαυρούμενος… Tout fier de l’harmonie de la lumière.

Un peu plus haut, on lit dans le même contexte (Proclus, In Cratylum, p. 98, 3-4 [G. Pasquali]) : Ὁ ἥλιος φῶς διαδίδωσι τοῖς ἐν οὐρανῷ καταλάμπων καὶ χορηγῶν πᾶσι τῆς ἑνοποιοῦ δυνάμεως. Le soleil répartit la lumière entre les êtres du ciel en les éclairant et en leur apportant à tous sa puissance unificatrice.

À cela correspond aussi la désignation du soleil comme ταμίας πυρός – intendant du feu dans OC 60, 2. Le soleil prend en quelque sorte les traits d’un assistant démiurge. 60. Cf. chaque fois H. G. liddell, R. Scott, H. S. JoneS, A Greek-English lexicon.

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Cosmologie La position médiane, déjà mentionnée, du soleil apparaît également dans OC 58, cité par Proclus, In Rem publicam II 220, 11-15 [G. Kroll] : Ἀλλὰ τῶν παρὰ Χαλδαίοις θεουργῶν ἀκούσας, ὡς ἄρα ὁ θεὸς ἐμεσεμβόλησεν τὸν ἥλιον ἐν τοῖς ἑπτὰ καὶ ἀνεκρέμασεν ἀπ’ αὐτοῦ τὰς ἓξ ἄλλας ζώνας, καὶ τῶν θεῶν αὐτῶν, ὅτι τὸ ἡλιακὸν πῦρ κραδίης τόπῳ ἐστήριξεν. Néanmoins, comme j’ai appris des Théurges des Chaldéens, que « Dieu a intercalé le Soleil parmi les sept et a fait dépendre de lui les six autres “ceintures” planétaires », et, des Dieux eux-mêmes, que Dieu « a fixé » le feu solaire « à la place du cœur ».

Ici encore, Julien se prononce clairement en faveur d’une position possible du soleil. Dans l’Antiquité, deux dispositions possibles des sphères se font, il est vrai, concurrence : Ordre platonicien :

Lune Soleil Vénus Mercure Mars Jupiter Saturne

Ordre chaldaïque :

Lune Mercure Vénus Soleil Mars Jupiter Saturne

On explique cela par le fait que les trajectoires de Vénus et de Mercure passent entre la terre et le soleil. De ce fait, Vénus et Mercure se trouvent tantôt entre la terre et le soleil, tantôt, vus de la terre, derrière le soleil. Le fait que Julien choisisse de défendre la solution chaldaïque n’a rien de surprenant. Tout d’abord, l’importance secondaire des cinq véritables planètes par rapport au soleil et à la lune s’éclaircit dans le fragment composite OC 61, qui propose dans les six fragments déjà réunis par Proclus une série plus simple – « Éther, Soleil, Lune, Air » – et révèle ainsi la continuité entre sphère de l’Éther et cosmos matériel 61. Les désignations de ζωναῖοι et ἄζωνοι sont liées aux planètes et aux astres fixes. La tradition néoplatonicienne considère que les ἄζωνοι sont liés d’une façon particulière aux planètes, les ζωναῖοι aux astres fixes. Mais les ἄζωνοι sont placés au-dessus des ζωναῖοι, et les astres fixes sont situés au-dessus des planètes. Cela fait partie des contradictions de la tradition, mais aussi des indices attestant qu’originellement le rapport était entre les ζωναῖοι et les planètes d’une part, les ἄζωνοι et les astres fixes de l’autre. Dans ce contexte, les ζωναῖοι sont liés aux ζῶναι, “zones” ou, plus littéralement : “sangles” ou “ceintures”, autrement dit les trajectoires qui dessinent une ceinture, comme

61. Voir infra, p. 102.

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Les Oracles Chaldaïques on le lit dans la citation de Julien examinée plus haut ; par contre, les ἄζωνοι ne sont pas liés aux “zones”, mais ils sont l’ensemble des étoiles fixes, qui tourne autour de la terre, toujours de la même façon 62. Enfin, le terme de κοσμαγοί, qui n’est pas attesté dans un fragment explicite mais est régulièrement attribué aux OC à titre d’expression isolée, est d’usage dans la tradition néoplatonicienne tardive ; on le retrouve, par exemple chez Psellos, comme désignation de la triade ἅπαξ ἐπέκεινα, Ἑκάτη, δὶς ἐπέκεινα. Mais on lit déjà chez Damascius une mention rapide d’une triade des κοσμαγοί correspondant au genre intellectif 63. Psellos donne cependant une autre explication dans le cadre de son exégèse particulière, en dehors de son tour d’horizon systématique. Le texte des Philosophica minora II 38, p. 133, 8-9 D. J. O’Meara dit 64 : Δυνάμεις οἱ Χαλδαῖοι ἐν τῷ κόσμῳ τίθενται καὶ ὀνομάζουσιν αὐτὰς κοσμαγοὺς ὡς τὸν κόσμον ἀγούσας προνοητικαῖς κινήσεσιν. Les Chaldéens mettent des puissances dans l’univers et ils les nomment « cosmagogues » [« meneurs du monde »] parce qu’elles mènent le monde par des mouvements providentiels.

On peut difficilement comprendre cela autrement que comme une allusion aux astres ou aux divinités astrales. Le fait que, chez Synésios, les κοσμαγοί soient également nommés dans le même contexte que les ζωναῖοι et ἄζωνοι, là où l’on attend l’énumération des divinités astrales, indique sans doute la signification originelle de κοσμαγοί en tant qu’entités astrales, sans que l’on puisse toutefois rien dire de plus précis à ce sujet 65. Comme les astres passent pour divins, ils participent d’une façon particulière à la nature ignée de l’Intellect divin : c’est aux planètes que OC 125 semble faire référence (Michel Italikos, Epistula 17, p. 182, 18-21 [J. A. Cramer] = p. 190, 5-7 [P. Gautier]) 66 : Ὁ δὲ Δὶς παρ’ αὐτοῖς ἐπέκεινα μεταδίδωσι ἑαυτοῦ τοῖς κόσμοις καὶ κατασπείρει εὔλυτα φέγγη, ἵνα καὶ τοῖς ἐκείνων χρήσωμαι ῥήμασι. Dans leur système, le “Deux fois au-delà” se communique aux mondes et répand des lumières agiles, pour me servir moi aussi de leur propre langage.

OC 60, 1 désigne même le soleil comme :

62. Cf. H. Seng, ΚΟΣΜΑΓΟΙ…, p. 81-127. 63. Damascius, De principiis III 118, 4-8 [l. g. Westerink – J. Combès] ; l’auteur s’exprime avec prudence : εἴποι δ’ἄν τις ᾧ ταῦτα λέγειν ἀρέσκει = « celui à qui il plaît de dire cela pourrait affirmer… ». 64. Relié à OC 79 : Πᾶς ἴσχει κόσμος νοεροὺς ἀνοχῆας ἀκαμπεῖς = « tout monde a des supports intellectifs inflexibles ». 65. Cf. H. Seng, ΚΟΣΜΑΓΟΙ…, p. 37-74. 66. Michel Italikos, Lettres et discours, éd. P. gautier, Paris 1972. Cf. H. Seng, ΚΟΣΜΑΓΟΙ…, p. 179-180.

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Cosmologie πῦρ πυρὸς ἐξοχέτευμα… feu dérivation du feu…

Il est possible que l’analogie platonicienne du soleil, dans laquelle le soleil est désigné comme un descendant du Bien, autrement dit de l’idée du Bien comme principe suprême, soit ici sous-jacente 67. Le domaine éthéré est, par sa position intermédiaire entre le spirituel et le matériel, précisément associé à l’âme, à laquelle ce genre de position convient exactement 68. De ce fait, l’idée d’une suite ontologique intellect-âme-matière véhicule une représentation cosmologique ou du moins une analogie avec la structure du Monde. Les OC – ou leurs exégètes – peuvent remonter dans ce domaine au Timée de Platon, dans lequel la structure de l’âme du monde est décrite en concordance avec les caractéristiques essentielles du firmament 69. 10. La matière C’est précisément la lune qui forme selon la conception traditionnelle, et donc aussi chaldaïque, la frontière entre les sphères du ciel et de la terre, cette dernière étant du même coup qualifiée de sublunaire. Plusieurs aspects de la sphère sublunaire ont déjà été abordés 70. Elle est désignée comme cosmos “matériel” ou “chthonien” ; le premier qualificatif semble plutôt issu de l’exégèse néoplatonicienne, le second des OC eux-mêmes. Et elle est gouvernée par la φύσις en tant qu’aspect inférieur de l’âme du monde : la désignation négative de φύσις correspond à celle de χθόνιος κόσμος 71. Le monde a été créé à partir des quatre éléments, ainsi qu’il ressort de OC 67 : ἐκ πυρός, ἐξ ὕδατος καὶ γῆς καὶ παντρόφου αἴθρης. De feu, d’eau, de terre, d’éther qui nourrit tout.

Comme souvent dans le langage poétique, le mot αἴθρη, dont la meilleure traduction littérale est « éther », est utilisé dans le sens d’« air ». Du reste, l’ordre concret des éléments ne suscite aucun intérêt particulier dans les fragments conservés des OC ; on ne peut donc savoir si la répartition habituelle selon les domaines décroissants du feu, de l’air, de l’eau et de la terre s’applique ici 72.

67. 68. 69. 70. 71. 72.

République 508b12-13 : τὸν τοῦ ἀγαθοῦ ἔκγονον. Cf. H. Seng, ΚΟΣΜΑΓΟΙ…, p. 78-79. Cf. Timée 36b5-d7 ; voir aussi supra, p. 80. Voir supra, p. 85. Voir infra, p. 106-107. Cf. [Aristote], De mundo 392a5 - 393a8 et Psellos, Philosophica minora II 40, p. 150, 20-21 [D. J. O’Meara].

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Les Oracles Chaldaïques La matière en tant que telle est désignée dans la tradition chaldaïque par un mot rare et, par conséquent, caractéristique : πατρογενής, autrement dit « issue du Père ». Mais l’édition de OC 173 des Places offre la leçon : … τὴν πρωτογενῆ ὕλην… La matière primordiale.

Il reprend ainsi la formulation de Jean le Lydien (De mensibus II 11, p. 32, 1-4 [R. Wuensch]), d’après l’édition de Wuensch (Leipzig 1898) : Ἀφροδίτην δὲ ἄν τις εἴποι τὴν τοῦ παντὸς αἰσθητοῦ φύσιν, τουτέστι τὴν πρωτογενῆ ὕλην, ἣν καὶ Ἀστερίαν καὶ Οὐρανίαν καλεῖ τὰ λόγια. Aphrodite pourrait être interprétée comme la nature du tout sensible, c’est-àdire la matière primordiale, que les oracles nomment aussi Asteria et Urania 73.

Les témoignages hésitent il est vrai entre πρωτογενῆ et πατρογενῆ. Mais une analyse de la tradition manuscrite montre que πατρογενῆ doit être considéré comme la version la mieux attestée. Elle correspond non seulement à une autre attestation chez Jean le Lydien, mais aussi aux témoignages postérieurs 74. Il existe quant au contenu un lien étroit avec OC 34 : Ἔνθεν ἀποθρῴσκει γένεσις πολυποικίλου ὕλης· ἔνθεν συρόμενος πρηστὴρ ἀμυδροῖ πυρὸς ἄνθος κόσμων ἐνθρῴσκων κοιλώμασι· πάντα γὰρ ἔνθεν ἄρχεται εἰς τὸ κάτω τείνειν ἀκτῖνας ἀγητάς. C’est de là que jaillit la genèse de la matière aux multiples aspects ; de là que l’orage, s’élançant impétueux, atténue peu à peu la fleur de son feu en se jetant dans les cavités des mondes ; car c’est de là que toutes choses commencent à tendre vers le bas leurs rayons admirables.

Le fragment décrit la naissance de la matière et des idées, qui ont sur celle-ci une action pour ainsi dire fécondante ; il reprend ainsi, respectivement, la représentation platonicienne de la matière et des idées comme principes maternel et paternel du monde visible 75. Comme cela a été dit, OC 35 parle d’Hécate d’une façon qui rappelle les formules métaphoriques de la tradition platonicienne au sujet de la matière ; le parallélisme des descriptions est évident. L’orage qui se « jette dans les cavités du monde » correspond

73. Cf. aussi OC 216, 4. 74. Jean le Lydien, De mensibus IV 159, p. 175, 8-9 [R. Wuensch] ; Psellos, Philosophica minora II 40, p. 151, 9 [D. J. O’Meara] et Scripta minora II 130, 1 (Psellos, Scripta minora magnam partem adhuc inedita, éd. E. kurtz. Ex schedis eius relictis in lucem emisit f. drexl, II, Epistulae, Milan 1941) ; Jean Italos, Quaestiones Quodlibetales 71, p. 122, 17-18 (Jean Italos, Quaestiones Quodlibetales, éd. P. Joannou, Ettal 1956). Cf. en outre H. Seng, « Πατρογενὴς ὕλη ». 75. Voir aussi supra, p. 55 et n. 35.

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Cosmologie aux foudres qui, jaillissant du père, sont accueillies dans le sein d’Hécate. Pourtant, il est question dans OC 35 de la naissance du monde intelligible et dans OC 34 de la création du cosmos. Et de même que dans OC 35 les énergies intelligibles jaillissent du Père, énergies qui sont selon OC 37 à interpréter comme les idées générales, les idées particulières viennent dans OC 34 de l’Intellect. À l’action de celles-ci sur le cosmos, décrite dans OC 37 comme une invasion, correspond la représentation moins expressive de OC 34 ; à l’image des idées se brisant contre les corps cosmiques de OC 37, correspond l’assombrissement de la fleur du feu dans OC 34. La naissance d’Hécate à partir du Père dans OC 35 correspond par contre à celle de la matière à partir de l’Intellect démiurgique dans OC 34. Il est vrai que la mention de πατρογενής fait défaut dans OC 34 ; néanmoins, la naissance à partir de l’Intellect démiurgique, qui, comme nous l’avons vu, peut être désigné comme Père, la laisse probablement entrevoir. Il reste toutefois à s’interroger sur la plausibilité d’une telle hypothèse. Car la désignation d’Hécate comme πατρογενής trouve sa signification à travers le rapport au Père, entendu au sens prégnant. L’usage de la même expression pour nommer la naissance à partir de l’Intellect démiurgique apparaît au contraire presque anodin ou, si elle est employée en un sens analogique, elle peut n’être qu’un exemple de l’exégèse néoplatonicienne. Le soupçon que τὴν πατρογενῆ ὕλην (OC 173) ne constitue pas un fragment d’oracle véritable, mais seulement un témoignage se rapportant à OC 35, ne peut donc être écarté. Outre les mentions neutres de la matière 76, on trouve des descriptions très négatives du monde matériel en tant que séjour inférieur de l’âme, assorties de mises en garde à ceux qui sont tentés de se tourner vers lui. Ces mentions seront examinées dans le chapitre suivant. Pour conclure, je me contenterai de souligner une fois encore une tendance fondamentale. Nous avons vu, en lien avec la théologie et la métaphysique, combien la distinction entre le Père comme entité suprême, et l’Intellect démiurgique comme entité subordonnée, était fondamentale. Cette tendance n’a cessé de se vérifier dans le cadre de la cosmologie : la création du monde intelligible s’oppose à celle du monde matériel, les idées générales aux idées particulières ; Érôs en tant que force agissant d’une manière générale s’oppose aux συνοχεῖς ; et, enfin, Hécate comme réservoir qui accueille les énergies créatrices du Père dans OC 35 s’oppose à la matière comme entité qui accueille les idées venant du démiurge, dans OC 34. Indépendamment de tous les cas particuliers, dont certains peuvent nous sembler moins clairs, le principe systématique des oracles s’avère extraordinairement constant.

76. OC 5, 1 (voir supra, p. 43-44) ; OC 34, 1 (voir supra, p. 92).

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CHAPITRE III ÂME – HOMME – SALUT Avec le mouvement de descente des régions intelligibles de l’être vers la matière, nous avons anticipé la course de l’âme humaine dans la doctrine chaldaïque. En effet, la conception du monde des OC comporte l’idée d’une descente de l’âme à partir de son origine céleste, et de sa remontée une fois la vie sur terre terminée – une notion largement répandue dans l’Antiquité et qui caractérise en particulier la tradition platonicienne. Il existe néanmoins des spécificités proprement chaldaïques, qui méritent un examen ; mais au préalable, il convient de se pencher brièvement sur les formulations générales relatives à l’homme et à son âme 1. Elles permettent de dégager la classification suivante : 1. L’origine de l’homme 2. L’impulsion à la descente de l’âme 3. La descente de l’âme et son véhicule 4. Le point le plus bas 5. La théurgie comme ascension temporaire 6. Le retour de l’âme et de son véhicule 7. Le corps des théurges 1. L’origine de l’homme Nous trouvons une déclaration générale sur l’origine de l’homme dans OC 25 : Ταῦτα πατὴρ ἐνόησε, βροτὸς δέ οἱ ἐψύχωτο. Le Père eut cette pensée, et voilà qu’un mortel avait de lui reçu animation.

L’homme en tant qu’être animé naît d’une sorte d’acte de création divin ; l’acte concret est quant à lui posé par le démiurge. Psellos complète, à propos du rapport entre l’âme du monde et l’âme individuelle (Philosophica minora II 40, p. 150, 33 - 151, 1 [D. J. O’Meara]) :

1.

Sur la doctrine de l’âme dans les OC, cf. O. geudtner, Die Seelenlehre der chaldäischen Orakel, Meisenheim 1971.

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Les Oracles Chaldaïques Τῶν δὲ ἡμετέρων, φασί, ψυχῶν αἴτια διττὰ πηγαῖα, ὅ τε πατρικὸς νοῦς καὶ ἡ πηγαία ψυχή· τὸν μὲν γὰρ πατέρα ἑλκύσαι αὐτὴν ἀπ’ ἐκείνης καὶ κελεῦσαι προελθεῖν, τὴν δὲ αὐτὸ τὸ εἶναι καὶ τὸ εἶδος ὑποστῆσαι. De nos âmes, disent-ils, il y a deux causes sources, l’intellect paternel et l’âme source ; car le Père tire l’âme [individuelle] de celle-là et lui enjoint d’en procéder ; tandis que l’âme source crée l’être même [de l’âme individuelle] et sa forme.

OC 94 s’inspire largement du Timée de Platon : […] νοῦν μὲν ψυχῇ, ἐνὶ σώματι δ’ ἀργῷ ἡμέας ἐγκατέθηκε πατὴρ ἀνδρῶν τε θεῶν τε. (Il a placé) l’intellect dans l’âme et, dans le corps paresseux, nous a logés nous-mêmes, Lui, le Père des hommes et des dieux.

Bien que controversé 2, le texte est irréprochable. L’intellect est logé dans l’âme ; l’âme – c’est-à-dire « nous » – dans les corps, et cela, sous l’action du Père des hommes et des dieux, que Proclus ne manque pas d’identifier explicitement avec Zeus 3. Le texte platonicien à mettre en parallèle est Timée 30b4-5 : Νοῦν μὲν ἐν ψυχῇ, ψυχὴν δ’ ἐν σώματι συνίστας τὸ πᾶν συνετεκταίνετο. C’est après avoir mis l’Intellect dans l’Âme et l’Âme dans le Corps, qu’il a façonné le monde.

Chez Platon, il est question de l’Âme du monde et de l’Univers ; les OC ont transposé le principe à l’humain, offrant ainsi une belle illustration de la correspondance entre macrocosme et microcosme. L’idée d’une insertion de l’âme dans le corps correspond à sa désignation en tant qu’enveloppe, OC 129 : Σώζετε καὶ τὸ πικρᾶς ὕλης περίβλημα βρότειον. Sauvez aussi l’enveloppe mortelle de l’amère matière.

On trouve chez Proclus la variante χθόνια περιβλήματα – « enveloppes chthoniennes 4 » ; la caractérisation négative de la matière est significative. À propos de l’âme, OC 44 nous apprend en outre :

2. 3. 4.

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G. kroll, De oraculis Chaldaicis, p. 47 conjecture tacitement pour le premier vers… νοῦν μὲν ψυχῇ, ἐνὶ σώματι ἀργῷ ; il est suivi par des Places. In Timaeum I 408, 21-22 ; cf. 318, 26-27 [E. Diehl]. Proclus, In Rem publicam II 159, 17-18 [G. Kroll] : τὰ χθόνια περιβλήματα τῶν ψυχῶν.

Âme – homme – salut […] ψυχαῖον σπινθῆρα δυσὶν κράσας ὁμονοίαις, νῷ καὶ πνεύματι 5 θείῳ, ἐφ’ οἷς τρίτον ἁγνὸν Ἔρωτα, συνδετικὸν πάντων ἐπιβήτορα σεμνόν, ἔθηκεν. (Le Père), mêlant l’étincelle de l’Âme aux deux éléments en harmonie, l’intellect et le souffle divin, auxquels il ajouta, en troisième, le chaste Amour, lien auguste apte à unifier toutes choses et à les saillir toutes.

Chez Platon et dans OC 94, l’âme accueille l’intellect ; dans OC 44, elle naît du mélange 6 – probablement effectué par le démiurge – de trois éléments entrant en harmonie. L’âme proprement dite, ou souffle de vie (πνεῦμα qui désigne l’âme du monde dans OC 35) 7 est accompagnée non seulement de l’intellect, mais aussi de l’étincelle de l’âme, ψυχαῖος σπινθήρ. Nous devons ici voir une correspondance avec νόου ἄνθος – fleur de l’intellect dans OC 1, 1 ; selon l’exégèse néoplatonicienne, elle représente en quelque sorte « l’un en nous » 8. De cette façon, ce serait tout bonnement la série des hypostases plotiniennes qui seraient réunies dans l’âme humaine. Exprimé dans cette forme précise, cela peut paraître anachronique ; mais il est plausible qu’il existe dans l’âme un pendant, non seulement de l’âme du monde et de l’intellect, mais aussi du Père chaldaïque comme entité suprême. On peut sans doute voir là une nouvelle correspondance entre macrocosme et microcosme. Enfin, en sa qualité de force liante, Ἔρως ne peut pas être absent de cette création par mélange 9. À côté de cette origine pour ainsi dire divine de l’homme, on trouve dans OC 106 l’insulte suivante : … τολμηρᾶς φύσεως, ἄνθρωπε, τέχνασμα. Ô homme, produit d’une nature audacieuse.

Nous avons déjà vu que la φύσις désignait l’aspect inférieur de l’âme du monde ; l’oracle renvoie ainsi, à nouveau par analogie, à la partie inférieure, irrationnelle, de l’âme humaine. Nous verrons bientôt combien la φύσις peut

5.

6. 7. 8.

9.

Des Places tranche en faveur de la variante νεύματι, attestée chez Jean le Lydien, De mensibus I 11, p. 3, 15 [R. Wuensch]. R. maJercik, dans The Chaldean Oracles, p. 161, argumente que l’emploi de πνεῦμα pour désigner le véhicule de l’âme parle contre πνεύματι ; πνεῦμα peut toutefois revêtir plusieurs significations dans les OC, ainsi que le montre également OC 35, 4. Le motif vient de Platon, Timée 35a1-b3. Voir supra, p. 53-54. Cf. Proclus, In Parmenidem, p. 1072, 8 [V. Cousin]. Voir aussi supra, p. 81, n. 38. M. tardieu, « ΨΥΧΑΙΟΣ ΣΠΙΝΘΗΡ. Histoire d’une métaphore dans la tradition platonicienne jusqu’à Eckhart », Revue d’études augustiniennes 21 (1975), p. 225-255, voit un rapport avec la gnose. La proposition de H. leWy, Chaldaean Oracles…, p. 179, n. 8, qui consiste à relier OC 29 (supra, p. 61) à OC 44, pose problème : dans OC 44, πνεῦμα est un ingrédient du mélange (Lewy lit d’ailleurs ici νεύματι, voir supra, p. 97, n. 5), dans OC 29, son résultat.

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Les Oracles Chaldaïques être décrite de manière négative. Mais dans un premier temps, il nous faut constater que l’homme est conçu de manière dialectique comme être d’origine céleste et de caractère terrestre. 2. L’impulsion à la descente de l’âme Tout comme la création de l’homme, la descente de l’âme est considérée sous des aspects contradictoires. D’un côté, elle est présentée comme une prestation de service temporaire ; dans ce cadre, les OC utilisent le verbe θητεύω, « travailler à gages », autrement dit « pour une durée limitée ». On le rencontre dans deux fragments. Le texte d’OC 110 (Psellos, Philosophica minora II 38, p. 131, 16-18 [D. J. O’Meara]) est incomplet et difficilement compréhensible ; nous l’étudierons de plus près par la suite 10 : Δίζηαι ψυχῆς ὀχετόν, ὅθεν ἢ τίνι τάξει σώματι θητεύσας ** ἐπὶ τάξιν αὖθις ἀναστήσεις, ἱερῷ λόγῳ ἔργον ἑνώσας. Tu cherches le canal de l’âme, d’où (elle est descendue) ou sous quel ordre […] après avoir travaillé à gages pour le corps ** à son ordre tu la relèveras en joignant l’acte à la parole sacrée.

Nous nous contenterons ici de déduire qu’un service doit être assuré pour le corps et que ce service est limité ; et qu’ensuite, une remontée de l’âme est envisagée. L’attitude relative à ce service est nommée dans OC 99 (Proclus, In Rem publicam II 99, 1-4 [G. Kroll]) : Καὶ οἱ θεοί φασιν τὴν γένεσιν ἐπιστρεφομένας (sc. τὰς ψυχὰς τὰς ἐφημέρους) θητεύειν, ἀλλ’ ἀδαμάστῳ τῷ αὐχένι θητευούσας ἀνάγεσθαι πάλιν ἐντεῦθεν καταλιπούσας τὴν γένεσιν. (Les âmes éphémères) dont les dieux disent que, tant qu’elles circulent dans la génésis, « elles servent comme mercenaires », mais que, « si elles servent d’une nuque indomptée », elles quittent la génésis et remontent là-haut à partir d’ici-bas.

Les limites de la citation ne sont pas claires ; le deuxième début d’hexamètre n’est en tout cas pas convaincant si l’on en juge par le fait que l’on ne pourrait pas articuler le vers selon les césures habituelles. Par contre, les trois étapes – identiques à ce que l’on lit dans OC 110 – de la descente, du service et

10. Voir infra, p. 120-121.

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Âme – homme – salut de la remontée sont clairement exprimées. Le contenu même du service n’est pas tout à fait clair 11. Peut-être l’idée a-t-elle été développée à partir de Platon, Phédon 62b2-c8 : dans ce passage, la vie terrestre de l’homme est décrite sans explication supplémentaire comme infligée par les dieux, et il est interdit de lui échapper 12. Il est vrai que les hommes y sont présentés comme des esclaves, alors que dans les OC ils sont décrits comme des salariés. Cela pourrait s’interpréter comme une sorte de réévaluation de l’idée de base. Le service est toujours limité par la durée de la vie terrestre ; mais à cela s’ajoute la possibilité d’une évolution psychique à laquelle se réfère l’attitude décrite par l’expression ἀδαμάστῳ τῷ αὐχένι, « d’une nuque indomptée ». Le motif en question est développé par Porphyre et Synésios 13. D’après ceux-ci, les âmes descendent sur terre comme des travailleurs à gages et courent le risque de succomber aux charmes de la matière comme on succombe à ceux d’une belle esclave ; pour être avec elle, on abandonne alors la liberté pour l’esclavage. OC 99 serait une mise en garde enjoignant de résister à cette tentation. Il est vrai que ceci n’est qu’une représentation de la descente. Plus souvent, on la figure comme une sorte de glissade ou de chute. La nature dialectique de l’existence humaine est donc reprise ici dans les mêmes termes que pour l’essence et l’origine de l’homme. On distingue en effet deux types de descentes. Dans le cas d’une mission divine, il y a service ; une descente sans une telle mission, motivée par la seule initiative autonome ou par la faiblesse, est considérée comme une chute. C’est à cette dernière que se rapportent– semble-t-il – les avertissements comme celui qui est exprimé dans OC 164 (tel que Psellos le transmet et le commente, Philosophica minora II 38, p. 132, 16-25 [D. J. O’Meara]) 14 :

11. Psellos, Philosophica minora II 41, p. 152, 10-11 [D. J. O’Meara] formule la mission possible de façon très vague : κοσμῆσαι τὴν περίγειον λῆξιν = « orner l’apanage terrestre ». Une comparaison est possible avec l’hermétique Asclepius (chap. 8, II 304, 20 - 306, 21 [Corpus Hermeticum, éd. A. D. nock, A.-J. feStugière, Paris 19925]), qui définit la mission de l’homme comme sa prestation culturelle (agriculture, architecture, navigation, organisation sociale, etc.). 12. Le verbe ἀποδιδράσκειν est utilisé fréquemment pour les soldats et les esclaves. 13. Cf. O. geudtner, Die Seelenlehre der chaldäischen Orakel, p. 27-29, et Synésios de Cyrène, I sogni [De insomniis], éd. D. SuSanetti, Bari 1992, p. 139-146. 14. Cf. aussi OC 163, cité infra, p. 107, avec une introduction identique (μηδὲ κάτω νεύσῃς) et Proclus, In Timaeum III 325, 31 - 326, 2 [E. Diehl], cité supra, p. 38. Jamblique, De mysteriis II 7, p. 84, 14-17 [G. Parthey] = p. 63, 23-25 [H. D. Saffrey – A.-Ph. Segonds – A. Lecerf] utilise des formulations qui semblent attester une combinaison (OC 134.163.172) comme chez Proclus, dans le contexte d’une chute de l’âme, qu’il oppose à l’ascension de l’âme dans le rituel théurgique ; ainsi : ἡ δὲ κάτω νεύουσα (μηδὲ κάτω νεύσῃς, OC 163, 1 ; 164, 1) δεσμῶν καὶ κολάσεων ἐπισύρεται (κατασύρονται OC 172 ; cf. σύρων κατά, OC 164) σημεῖα… καὶ ταραχαῖς ὕλης ἀνωμάλοις κατέχεται (λάβρον ὕλης, OC 134, 1 ; σκολιοῖσι ῥεέθροις, OC 172 – pour le texte, voir supra, p. 38) = « enfin, l’âme qui incline vers le bas traîne avec elle des signes de liens et de châtiments, elle est… retenue dans les agitations irrégulières de la matière ».

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Les Oracles Chaldaïques Μηδὲ κάτω νεύσῃς· κρημνὸς κατὰ γῆς ὑπόκειται, ἑπταπόρου σύρων κατὰ βαθμίδος, ὑφ’ ἣν ὁ τῆς ἀνάγκης θρόνος ἐστίν. Ἐξήγησις. τὴν μετὰ θεοῦ οὖσαν ψυχὴν τὸ λόγιον νουθετεῖ ἐκείνῳ μόνῳ προσέχειν τὸν νοῦν καὶ μὴ κάτω τὴν ῥοπὴν ποιεῖσθαι· πολὺς γὰρ ὁ ἀπὸ θεοῦ κατὰ γῆς κρημνός, ‛σύρων’ τὰς ψυχὰς διὰ τῆς ‛ἑπταπόρου βαθμίδος’. ἑπτάπορος δὲ βαθμὶς αἱ τῶν ἑπτὰ πλανητῶν σφαῖραί εἰσιν. νεύσασα γοῦν ἄνωθεν ἡ ψυχὴ φέρεται ἐπὶ γῆν διὰ τῶν ἑπτὰ τούτων σφαιρῶν. ἡ δὲ ἀπὸ τῶν ἑπτὰ κύκλων ὡς διὰ βαθμίδος κάθοδος ἐπὶ τὸν θρόνον ἄγει τῆς ἀνάγκης· οὗ δὴ γενομένη ἡ ψυχὴ τὸν περίγειον κόσμον ποθεῖν ἀναγκάζεται. « Ne te penche pas vers le bas ; un précipice gît sous terre, qui tire (l’âme) loin du seuil aux sept voies », au pied duquel est le trône de la Nécessité. À l’âme qui est avec Dieu, l’oracle donne l’avis de porter sur lui seul son attention et de ne pas s’incliner vers le bas ; car le précipice est vaste qui va de Dieu à la terre, entraînant les âmes à travers le seuil aux sept voies. Le seuil aux sept voies, ce sont les sphères des sept planètes. Ainsi, quand l’âme s’est inclinée d’en haut, elle est portée jusque sur la terre à travers ces sept sphères. Or la descente depuis les sept cercles conduit comme à travers un seuil au trône de la Nécessité ; quand l’âme s’y trouve installée, elle se voit contrainte de désirer le monde terrestre.

Κατὰ γῆς pose un problème d’ordre linguistique. Dans le texte des oracles, des Places traduit « sous terre » ; il est manifestement motivé en cela par l’absence de mouvement dans le verbe ὑπόκειται. Pourtant, l’idée de gouffre souterrain ne correspond pas bien à la représentation d’une descente à travers les sphères des planètes. La construction ὁ ἀπὸ θεοῦ κατὰ γῆς κρημνός, présente chez Psellos dans le sens de « qui va de Dieu à la terre », s’accorde en tout cas avec la signification qui doit être attribuée à ἑπταπόρου σύρων κατὰ βαθμίδος. Dans cette perspective, le siège originel des âmes se situe dans la sphère des astres fixes, au-dessus des planètes. Cela correspond aussi à ce qui est dit dans OC 35, 4, à savoir que l’âme du monde se trouve au-dessus des astres : […] ἠδὲ κραταιὸν πνεῦμα πόλων πυρίων ἐπέκεινα. […] et le souffle puissant au-delà des pôles ignés 15.

Les âmes individuelles sont localisées immédiatement en dessous, dans la sphère céleste la plus élevée. Les descriptions de la descente chez les néoplatoniciens le sous-entendent également.

15. Voir supra, p. 79.

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Âme – homme – salut 3. La descente de l’âme et son véhicule Pendant la descente, les âmes peuvent prendre différents statuts avant leur entrée dans le monde matériel. Il faut en particulier nommer le statut d’ange, vis-à-vis duquel les âmes des théurges présentent une proximité particulière 16 ; ici, les OC ont recours à la terminologie de la tradition judéo-chrétienne. Lors de la descente, l’âme subit un changement caractéristique : elle accroche des particules de sphères en les traversant et elle les accumule, couche par couche, autour d’elle, comme une enveloppe : c’est ce que l’on nomme le véhicule de l’âme. La formulation apparaît dans OC 120 (Hiéroclès, In Aureum Carmen, p. 112, 8-9 [F. W. Koehler]) 17 : […] τὸ αὐγοειδὲς ἡμῶν σῶμα, ὃ καὶ « ψυχῆς λεπτὸν ὄχημα » οἱ χρησμοὶ καλοῦσιν. […] notre corps lumineux, que les oracles appellent aussi « subtil véhicule de l’âme ».

L’éclat de ce corps s’explique par sa nature éthérée : il provient en effet des sphères des planètes. Il n’est donc pas complètement immatériel, mais n’est pas non plus constitué de matière terrestre. L’idée d’un tel corps d’origine céleste se rencontre d’ailleurs également sous diverses variantes 18. En outre, l’expression πνεῦμα est courante dans la tradition chaldaïque. Ainsi Synésios utilise-t-il pour désigner le corps planétaire des âmes non seulement l’image habituelle du véhicule, mais aussi les expressions de « pneuma psychique » ou « âme pneumatique », De insomniis 7, p. 156, 8-9 [N. Terzaghi] 19 : […] τό γέ τοι πνεῦμα τοῦτο τὸ ψυχικόν, ὃ καὶ πνευματικὴν ψυχὴν προσηγόρευσαν οἱ εὐδαίμονες […]

16. Cf. Olympiodore, In Phaedonem [Olympiodore, In Phaedonem, éd. L. G. WeSterink, The Greek Commentaries on Plato’s Phaedo I, Amsterdam – Oxford – New York 1976], 10, 14, 8-10 (OC 138) : ἀλλὰ μὴν οὐδὲ τὰς τῶν θεουργῶν ψυχὰς βούλεται μένειν ἀεὶ ἐν τῷ νοητῷ, ἀλλὰ καὶ κατιέναι εἰς γένεσιν, περὶ ὧν φησιν τὸ λόγιον· ἀγγελικῷ ἐνὶ χώρῳ = « Il veut assurément dire que même les âmes des théurges ne demeurent pas toujours dans l’intelligible, mais qu’elles descendent elles aussi dans le monde du devenir ; à leur sujet, l’oracle dit : “dans le domaine des anges” ». Dans les fragments conservés, il n’est question d’anges qu’en rapport avec les théurges ; cf. aussi Proclus, In Rem publicam II 154, 17-19 [G. Kroll] (OC 137) : θέει ἄγγελος ἐν δυνάμει ζῶν, φησὶν τὸ λόγιον, ὅστις ἐστὶν ὡς ἀληθῶς ἱερατικός = « Quiconque est vraiment hiératique brille tel un ange vivant dans la puissance, dit l’Oracle ». Cf. en outre Psellos, Philosophica minora I 46, 43-51 (supra, p. 24) concernant l’âme archangélique du jeune Julien. 17. Hiéroclès, In Aureum Pythagoreorum Carmen commentarius, éd. F. W. koehler, Stuttgart 1974. 18. Cf. A. kehl, « Gewand (der Seele) », Reallexikon für Antike und Christentum X (1978), col. 945-1025. 19. Synésios de Cyrène, Opuscules I, éd. J. lamoureux, N. auJoulat, Paris 2004.

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Les Oracles Chaldaïques […] cet esprit psychique que les hommes bienheureux nomment même âme pneumatique […]

Dans le contexte de cette citation, Synésios cite à plusieurs reprises les OC 20, de sorte que le rapport avec la tradition chaldaïque est assuré. Il est d’ailleurs confirmé par le témoignage d’Augustin, qui mentionne plusieurs fois la spiritalis anima dans sa polémique avec Porphyre et son De regressu animae, d’influence chaldaïque 21. Comme fragment d’oracle renfermant l’expression, on peut citer OC 104 : τοὐπίπεδον. la surface.

… μὴ πνεῦμα μολύνῃς μηδὲ βαθύνῃς Ne souille pas le pneuma ni n’approfondis

Le πνεῦμα n’est pas réellement conçu comme corporel, du moins dans la première phase de son existence. Il le devient seulement par l’absorption de la matière au sens strict, décrite auparavant comme souillure. La deuxième partie de l’oracle exprime cette distinction de façon métaphorique : tout comme une surface devient corps par l’intervention de la « profondeur » qui est la troisième dimension, le πνεῦμα devient corps par altération au contact de la matière. Nous pouvons examiner comme attestation supplémentaire un passage du fragment composite OC 61 (Proclus, In Timaeum III 234, 26-30 [E. Diehl]) : […] τοῖς λογίοις ἐν τῇ καθόδῳ τὴν ψυχὴν λέγουσι συλλέγειν αὐτὸ λαμβάνουσαν αἴθρης μέρος ἠελίου τε σεληναίης τε καὶ ὅσα ἠέρι συννήχονται· […] les Oracles qui disent que, dans sa descente, l’âme collige les éléments du véhicule en prenant « une portion de l’éther et du soleil et de la lune et de tout ce qui flotte dans l’air ».

On parle ici des planètes en utilisant un raccourci remarquable : à côté de l’éther en tant que concept englobant, le soleil et la lune sont nommés à titre d’entités particulières ; vient ensuite l’air, qui appartient non pas aux sphères célestes mais déjà au monde terrestre matériel.

20. De insomniis 7, p. 158, 4-6 [N. Terzaghi] = OC 163, 1-3 ; De insomniis 9, p. 161, 15-16 [N. Terzaghi] = OC 158. 21. Voir supra, p. 25.

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Âme – homme – salut Proclus se réfère dans le contexte à Porphyre ; et effectivement, celui-ci semble avoir interprété le fragment d’oracle cité dans le sens d’une descente graduelle de l’âme (Sentences 29, p. 19, 4-13 [E. Lamberz]) 22 : Ὡς γὰρ ἂν διατεθῇ, εὑρίσκει σῶμα τάξει καὶ τόποις οἰκείοις διωρισμένον· διὸ καθαρώτερον μὲν διακειμένῃ σύμφυτον τὸ ἐγγὺς τοῦ ἀύλου σῶμα, ὅπερ ἐστὶ τὸ αἰθέριον, προελθούσῃ δὲ ἐκ λόγου εἰς φαντασίας προβολὴν σύμφυτον τὸ ἡλιοειδές, θηλυνθείσῃ δὲ καὶ παθαινομένῃ πρὸς τὸ εἶδος παράκειται τὸ σεληνοειδές, πεσούσῃ δὲ εἰς σώματα, ὅταν κατὰ τὸ αὐτῶν ἄμορφον στῇ εἶδος, ἐξ ὑγρῶν ἀναθυμιάσεων συνεστηκότα, ἄγνοια ἕπεται τοῦ ὄντος τελεία καὶ σκότωσις καὶ νηπιότης. C’est en effet en fonction de sa disposition qu’elle trouve un corps défini par le rang et les lieux qui lui sont propres : ainsi, quand sa condition est suffisamment pure, le corps proche de l’immatériel, plus précisément le corps éthéré, lui est connaturel ; quand elle s’avance hors de la raison pour projeter l’imagination, c’est le corps solaire qui lui est connaturel ; quand elle se féminise et se fait plus réceptive pour la forme sensible, le corps lunaire est à ses côtés ; mais quand elle est tombée dans les corps, quand elle s’adapte à la forme amorphe de ceux-ci, qui sont constitués d’exhalaisons humides, il s’ensuit pour elle l’ignorance parfaite de l’être, l’obscurcissement, la bêtise.

Il existe des correspondances claires entre quatre états distincts de l’âme et quatre corps spécifiques qui coïncident avec l’énumération en quatre temps donnée dans le fragment cité, où Porphyre considère l’air comme domaine initial du monde matériel et terrestre, et par conséquent le corps aérien comme le premier corps matériel, mais évite l’expression ὕλη, ce qui lui permet ensuite d’introduire une nouvelle distinction entre le πνεῦμα, ainsi qu’il désigne de façon prégnante le corps aérien et humide par la suite, et le corps de chair et de sang. On trouve un mode d’expression analogue chez Jamblique, De anima 38, p. 66, 13 [J. F. Finamore – J. M. Dillon] (Stobée I 385, 6-7 [C. Wachsmuth]), qui parle de αἰθέρια καὶ οὐράνια καὶ πνευματικὰ περιβλήματα ; manifestement, ἡλιοειδές et σεληνοειδὲς σῶμα / περίβλημα sont ici réunis en οὐράνια 23. L’expression de περιβλήματα correspond à la métaphore de l’habillement présente dans OC 129 concernant le corps terrestre. Psellos distingue également dans son commentaire de OC 104 deux χιτῶνες (« vêtements »), qu’il nomme πνευματικός et αὐγοειδής (« pneumatiques » et « lumineux »), tandis que

22. Porphyre, Sententiae ad intelligibilia ducentes, éd. E. lamBerz, Leipzig 1975 ; traduction d’après Porphyre, Sentences, éd. L. BriSSon, I-II, Paris 2005. Le passage tout entier est commenté dans le détail (y compris les questions relatives à la construction du texte) dans Porphyre, Sentences, éd. L. Brisson, II, p. 590-607. 23. Jamblique, De anima. Text, translation and commentary, éd. J. F. finamore, J. M. dillon, Leyde 2002.

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Les Oracles Chaldaïques Damascius ajoute en troisième lieu le corps matériel, qu’il nomme (d’après Platon, Phèdre 250c5-6) ὀστρέϊνον ou ὀστρεῶδες (« ostréeux » = le corps terrestre)  24. En outre, on trouve un développement supplémentaire chez Proclus, In Timaeum III 355, 11-18 [E. Diehl]. L’auteur décrit l’attribution du νοερόν, la faculté intellective, à partir des astres fixes, et celle du véhicule mortel de l’âme, c’est-à-dire du corps terrestre, à partir de la région sublunaire : Λέγειν τινὲς εἰώθασιν, ὡς τὸ μὲν νοερὸν αὐτοῦ τῇ ἀπλανεῖ τέτακται ἀνὰ λόγον, τοῦ δὲ λόγου τὸ μὲν θεωρητικὸν τῷ Κρόνῳ, τὸ δὲ πολιτικὸν Διί, τοῦ δὲ ἀλόγου τὸ μὲν θυμοειδὲς Ἄρεϊ, τὸ δὲ φωνητικὸν Ἑρμῇ, τὸ δὲ ἐπιθυμητικὸν Ἀφροδίτῃ, τὸ δὲ αἰσθητικὸν Ἡλίῳ, τὸ δὲ φυτικὸν Σελήνῃ, καὶ τὸ μὲν αὐγοειδὲς ὄχημα τῷ οὐρανῷ, τὸ δὲ θνητὸν τοῦτο τῷ ὑπὸ σελήνην. Certains ont coutume de dire que la partie intellective de l’homme correspond en rang à la sphère des fixes, que, dans la raison, la faculté contemplative correspond à Cronos, la faculté politique à Zeus, et que, dans la partie irrationnelle, l’irascible correspond à Arès, la faculté de langage à Hermès, le concupiscible à Aphrodite, la sensibilité au Soleil, le végétatif à la Lune, et enfin que le véhicule lumineux correspond au ciel, et ce corps mortel au monde sublunaire.

La concordance frappe avant tout dans le cas du soleil et de la lune. Bien que Proclus ne le cite pas, cette systématisation – qui correspond à la descente en sept étapes mentionnée dans OC 164 25 – semble remonter à Porphyre luimême 26. En effet, on trouve d’une part un passage très étroitement apparenté chez Macrobe (In somnium Scipionis I 12, 13-14), qui a généreusement utilisé Porphyre 27, et, d’autre part, chez Arnobe et Augustin, des déformations polémiques dirigées contre Porphyre. Les parties irrationnelles, comme θυμοειδές et ἐπιθυμητικόν sont faciles à interpréter de façon malintentionnée, comme des passions et des vices. La rhétorique correspondante est particulièrement enflée chez Arnobe (Adversus nationes II 16, p. 83, 16-21 [C. Marchesi]) : Ac dum ad corpora labimur et properamus humana, ex mundanis circulis secuntur nos causae, quibus mali simus et pessimi, cupiditatibus atque iracundia ferveamus, exerceamus in flagitiis vitam et in libidinem publicam venalium corporum prostitutione damnemur.

24. De principiis I 47, 5-7 [L. G. Westerink – J. Combès] ; In Phaedonem 1, 168, 5-7 ; 2, 141, 5-6 [Damascius, In Phaedonem, éd. L. G. WeSterink, The Greek Commentaries on Plato’s Phaedo II, Amsterdam – Oxford – New York 1977]. 25. Voir supra, p. 99-100. 26. Cf. 271F 67-70 [a. Smith]. 27. Cf. H. Seng, « Seele und Kosmos… ». On notera que Macrobe suit l’ordre chaldaïque des planètes, tandis que Proclus suit celui de Platon (voir supra, p. 89).

104

Âme – homme – salut Cependant, tandis que nous glissons, par une chute rapide, vers les corps humains, il sort des cercles du monde et s’attache à nous des forces, qui font que nous devenons mauvais et absolument vicieux, qu’en nous bouillonnent les convoitises et la colère, que nous passons la vie dans la débauche et sommes condamnés à servir à la lubricité publique, mettant nos corps en vente et les prostituant 28.

Mais c’est Augustin qui nous fournit à nouveau un renvoi aux Chaldéens dans sa discussion avec Porphyre 29 : Tu autem hoc didicisti non a Platone, sed a Chaldaeis magistris, ut in aetherias vel empyrias mundi sublimitates et firmamenta caelestia extolleres vitia humana […]. Mais toi, Porphyre, ce n’est pas de Platon, c’est des docteurs chaldéens que tu tiens cette idée d’exalter jusqu’au plus haut point du cosmos, éther ou empyrée, et jusqu’aux voûtes célestes, les tares humaines.

Il est vrai que l’on ne peut savoir si cette phrase d’Augustin se rapporte aux OC eux-mêmes ou à leur exégèse par Porphyre. La descente à travers les sphères mène, comme nous l’avons vu, au trône de la Nécessité (Ananké). Le texte de Psellos ne donne pas de citation métrique, autrement dit, littérale ; on ne peut donc pas non plus savoir avec certitude si le motif du trône est bel et bien d’origine chaldaïque. Quoi qu’il en soit, il est clair que l’idée remonte en fin de compte au mythe d’Er dans la République de Platon, où le trône d’Ananké est évoqué dans un contexte qui combine le panorama cosmique et les transmigrations des âmes dans l’au-delà (621a1). Εἱμαρμένη est conceptuellement très proche d’Ananké ; dans la pensée astrologique de l’Antiquité, elle désigne en particulier l’influence déterminante exercée par les astres eux-mêmes, ou les êtres dont ils signalent l’action, sur le monde sublunaire et le destin des humains. Psellos déclare, en proposant un texte non métrique, que l’on ne doit guère considérer comme un fragment mais plutôt comme un témoignage (OC 103 = Psellos, Philosophica minora II 38, p. 143, 19 - 144, 2 [D. J. O’Meara]) :

28. Arnobe, Adversus nationes libri VII, éd. C. marcheSi, Turin 19532. Trad. A.-J. feStugière, « La doctrine des “uiri noui” sur l’origine et le sort des âmes », dans Mémorial Lagrange, Paris 1940, p. 97-132 [= Hermétisme et mystique païenne, Paris 1967, p. 261-312], p. 105 [= p. 272]. 29. De civitate dei, X 27, p. 443, 31 - 444, 3 [Augustin, De civitate dei libri XXII, éd. B. domBart, A. kalB, Leipzig 19294 (réimpr. Darmstadt 1981)] = Porphyrios, De regressu animae, p. 32*, 5-6 [J. Bidez] = fr. 287F 1-3 [A. Smith]. Traduction : La Cité de Dieu, trad. fr. L. Jerphagnon, Paris 2000.

105

Les Oracles Chaldaïques Μὴ συναυξήσῃς τὴν εἱμαρμένην. Ἐξήγησις. εἱμαρμένην οἱ σοφώτεροι τῶν Ἑλλήνων τὴν φύσιν κατονομάζουσι, μᾶλλον δὲ τὸ πλήρωμα τῶν ἐλλάμψεων ὧν ἡ τῶν ὄντων φύσις εἰσδέχεται. ἔστι δὲ πρόνοια μὲν ἡ ἄμεσος ἀπὸ τοῦ θεοῦ εὐεργεσία, εἱμαρμένη δὲ ἡ διὰ τῆς τοῦ εἱρμοῦ τῶν ὄντων συμπλοκῆς τὰ ἡμέτερα κυβερνῶσα. καὶ ὑπὸ πρόνοιαν μὲν κείμεθα, ὅταν νοερῶς ἐνεργῶμεν, ὑπὸ δὲ εἱμαρμένην, ὅταν καὶ σωματικῶς. ‛μὴ’ οὖν, φησίν, ‛αὐξήσῃς τὴν εἱμαρμένην’ σαυτῷ, ἀλλ’ ὑπὲρ ταύτην γενοῦ καὶ ὑπὸ μόνῳ θεῷ κυβερνήθητι. N’ajoute pas au destin. Par destin les plus sages des Grecs désignent la nature, ou plutôt la plénitude des illuminations que reçoit la nature des êtres. Tandis que la Providence, elle, est la bienfaisance immédiate de Dieu, le destin gouverne notre vie en tressant la chaîne des êtres. Nous dépendons de la Providence quand nous agissons intellectivement ; du destin, quand nous agissons aussi corporellement. « N’ajoute donc pas », dit-il, à ton « destin », mais domine-le et ne te laisse gouverner que par Dieu.

La φύσις, conçue comme aspect inférieur de l’âme du monde, reçoit, selon le schéma désormais connu, les énergies décrites à la façon de lumières, désignées dans le commentaire de Psellos à OC 103 par le terme de ἐλλάμψεις = « illuminations » ; cela correspond à sa description comme force agissant sur le cosmos, dans le fragment OC 70, déjà examiné. Psellos établit un lien particulier entre la φύσις et le corps, auquel correspond dans le schéma de descente la région matérielle située en dessous de la lune. L’opposition de πρόνοια et φύσις se retrouve aussi dans le contexte d’OC 114 (Proclus, Theologia Platonica V 24, p. 87, 22 - 88, 1 [H. D. Saffrey – L. G. Westerink]) : […] τὸν Προμηθέα κοσμοῦντα τὸ τῶν ἀνθρώπων γένος καὶ προνοοῦντα τῆς λογικῆς ἡμῶν ζωῆς, ἵνα μὴ βαπτισθεῖσα χθονὸς οἴστροις καὶ ταῖς τῆς φύσεως ἀνάγκαις, ὥς φησί τις θεῶν, ἀπόληται […]. […] Prométhée voulant pourvoir la race humaine et prendre soin de notre vie rationnelle, pour que cette vie ne périsse pas engloutie dans les folles passions de la Terre et les fatalités de la Nature, comme le dit l’un des dieux […].

OC 102 (Proclus, Theologia Platonica V 32, p. 119, 12 [H. D. Saffrey – L. G. Westerink]) complète ce que nous avons déjà vu quant au rapport entre εἱμαρμένη et φύσις ; ici, c’est le terme neutre d’εἱμαρμένον qui est utilisé, si bien que la syntaxe est incertaine : Μὴ φύσιν ἐμβλέψῃς· εἱμαρμένον οὔνομα τῆσδε. Ne regarde pas la nature ; son nom est marqué par le destin ou son nom est « Destin » 30.

30. Première version d’après des Places, deuxième version d’après Majercik. Saffrey et Westerink traduisent : « Garde-toi de jeter les yeux sur la Nature, car son nom est Fatalité ».

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Âme – homme – salut Le lien étroit existant entre εἱμαρμένη, φύσις, région sublunaire et monde corporel nous sert de transition vers le point suivant. 4. Le point le plus bas Les exhortations à éviter une conversion vers le monde terrestre lors de la descente ont déjà révélé l’image négative de ce dernier 31. On en trouve une autre attestation dans OC 163 : Μηδὲ κάτω νεύσῃς εἰς τὸν μελαναυγέα κόσμον, ᾧ βυθὸς αἰὲν ἄμορφος ὑπέστρωται καὶ ἀειδής, ἀμφικνεφὴς ῥυπόων εἰδωλοχαρὴς ἀνόητος κρημνώδης σκολιὸς πηρὸν βάθος αἰὲν ἑλίσσων, αἰεὶ νυμφεύων ἀφανὲς δέμας ἀργὸν ἄπνευμον. Ne te penche pas vers le monde aux sombres reflets, que sous-tend un abîme éternellement amorphe et informe, cerné de ténèbres, sordide, friand d’images trompeuses, dénué d’Intellect regorgeant de précipices, tortueux, faisant sans cesse tourner une profondeur privée de membres épousant sans cesse un corps invisible, inerte, sans souffle de vie.

OC 134 met également en garde contre une inclination vers la vie terrestre 32 : Μηδ’ ἐπὶ μισοφαῆ κόσμον σπεύδειν λάβρον ὕλης, ἔνθα φόνος στάσιές τε καὶ ἀργαλέων φύσις ἀτμῶν αὐχμηραί τε νόσοι καὶ σήψιες ἔργα τε ῥευστά· ταῦτα χρεὼ φεύγειν τὸν ἐρᾶν μέλλοντα πατρὸς νοῦ. Ne pas se hâter non plus vers le monde hostile à la lumière, ce torrent de matière, où se trouvent meurtre, agitations et souffles infects, maladies desséchantes, putréfactions et écoulements : voilà ce que doit fuir qui veut aimer l’Intellect du Père.

À la fois reliées au monde matériel et à la matière en tant que telle, ces désignations correspondent à la conception platonicienne, et en particulier médio-platonicienne, de la matière 33. Celle-ci est en soi un substrat (ὑπέστρωται), passif (ἀργόν), sans forme (ἄμορφος, ἀειδής ; en ce sens

31. Cf. aussi L. Saudelli, « Monde, abîme, corps : le fragment 163 des Places (p. 62 Kroll) des Oracles chaldaïques », dans A. lecerf, L. Saudelli, H. Seng (éd.), Oracles chaldaïques : fragments et philosophie, p. 47-60, et H. Seng, « Πατρογενὴς ὕλη », paragr. 1. 32. OC 163 et OC 134 partagent, respectivement, cette mise en garde et cette interdiction en commun avec OC 164 ; voir à ce sujet, supra, p. 99, n.14. 33. Cf. Platon, Timée 51a7-b2 ; H. leWy, Chaldaean Oracles…, p. 295-298 ; H. Seng, « Die Kosmologie in den Chaldaeischen Orakeln », paragr. 9.

107

Les Oracles Chaldaïques également πηρόν « sans membres »), et donc uniquement corps potentiel (ἀφανὲς δέμας) ; ce ne sont pas des êtres réels, mais bien des illusions, qui apparaissent ici (εἰδωλοχαρής). Car en elle-même, elle ne possède ni intellect ni âme (ἀνόητος, ἄπνευμον) et, de ce fait, pas non plus de lumière divine ou spirituelle (μελαναυγέα, ἀμφικνεφής, μισοφαῆ) ; à la place, elle possède toutefois un mouvement propre désordonné (σκολιός, αἰὲν ἑλίσσων, λάβρον) 34. Il n’est pas question ici d’être, mais bien de devenir et de disparaître continus (αἰεὶ νυμφεύων avec implication de γένεσις, ἔργα ῥευστά), il n’y a rien d’existant, uniquement des reflets semblables à des ombres (εἰδωλοχαρής). Dans le cadre de ce mode d’expression imagé, on remarque aussi le mal concret de la vie terrestre dans OC 134, les motifs du monde souterrain dans OC 163 : gouffre et profondeur, obscurité, saleté (cf. aussi les émanations d’OC 134, 2), ombres fantomatiques ; ἀειδής renvoie de façon quasi étymologique à Ἅιδης. Cela correspond à l’ancienne conception selon laquelle la vie terrestre serait en réalité la mort et la mort, au contraire, la vraie vie. Il n’est pas possible d’établir si les OC vont jusqu’à parler explicitement d’Hadès en ce sens ; on ne trouve dans les fragments aucune référence à un monde souterrain (ou des morts) proprement dit. Pourtant, la désignation du monde terrestre comme Hadès apparaît dans la tradition chaldaïque. Psellos (Philosophica minora II 39, p. 148, 3-7 [D. J. O’Meara]) est édifiant à ce sujet : Τὸν δὲ ᾅδην πολλαχῶς καταμερίζουσι, καὶ νῦν μὲν αὐτὸν θεὸν ὀνομάζουσιν ἀρχηγὸν τῆς περιγείου λήξεως, νῦν δὲ τὸν ὑπὸ σελήνην τόπον ᾅδην φασί, νῦν δὲ τὴν μεσότητα τοῦ αἰθερίου κόσμου καὶ τοῦ ὑλαίου, νῦν δὲ τὴν ἄλογον ψυχήν […]. Quant à Hadès, ils le divisent de plusieurs façons : tantôt ils le nomment dieu chef de l’apanage terrestre, tantôt c’est pour eux le lieu sublunaire ; tantôt le milieu entre le monde éthéré et le monde matériel ; tantôt l’âme irrationnelle […].

Psellos signale quatre variantes qui ne proviennent pas tant des oracles eux-mêmes que de leur exégèse ; des variantes intimement liées, qu’il s’agisse de la région sublunaire, du dieu correspondant à cette région, ou de l’âme irrationnelle, dont l’état correspond au monde matériel, comme nous l’avons vu chez Porphyre ; le milieu entre cosmos éthéré et monde matériel, c’est-à-dire la sphère lunaire, doit plutôt coïncider avec les frontières de l’Hadès. À la notion d’Hadès s’applique bien le terme χθών, qui signifie « terre », mais auquel est aussi associée la notion de « souterrain » comme désignation de tout ce qui est terrestre et matériel, ainsi que nous l’a appris OC 114. En guise de complément, nous disposons de OC 113 ; le motif de la bride fait allusion à l’attelage de l’âme dans le Phèdre de Platon :

34. Voir aussi supra, p. 38.

108

Âme – homme – salut χρὴ δὲ χαλινῶσαι ψυχὴν βροτὸν ὄντα νοητόν, ὄφρα μὴ ἐγκύρσῃ χθονὶ δυσμόρῳ, ἀλλὰ σαωθῇ. Il faut, quand on est un mortel doué d’Intellect, brider son âme, pour qu’elle ne se heurte pas à la terre maudite, mais trouve son salut.

L’adjectif χθόνιος, dérivé de χθών, désigne les démons. On en trouve une première attestation dans OC 90 (Psellos, Philosophica minora II 38, p. 138, 26-28 [D. J. O’Meara]) : Ἐκ δ’ ἄρα κόλπων γαίης θρῴσκουσιν χθόνιοι κύνες οὔποτ’ ἀληθὲς σῆμα βροτῷ δεικνύντες. Du sein de la terre bondissent des chiens terrestres qui jamais ne montrent signe véridique à un mortel.

Manifestement, ces démons ont leur séjour habituel sous terre 35. On peut aussi se référer à OC 135. Ce fragment est également intéressant du point de vue philologique. Regardons d’abord la version transmise par Proclus, In Alcibiadem, p. 40, 2-6 [F. Creuzer] : Διὸ καὶ οἱ θεοὶ παρακελεύονται μὴ πρότερον εἰς ἐκείνους (sc. δαίμονας) βλέπειν πρὶν ταῖς ἀπὸ τῶν τελετῶν φραχθῶμεν δυνάμεσιν· οὐ γὰρ χρὴ κείνους σε βλέπειν πρὶν σῶμα τελεσθῇς. καὶ διὰ τοῦτο τὰ λόγια προστίθησιν, ὅτι τὰς ψυχὰς θέλγοντες ἀεὶ [τῶν] τελετῶν ἀπάγουσιν. C’est pourquoi les Dieux recommandent de ne pas tourner le regard vers les mauvais démons avant que nous ne soyons protégés par les puissances produites par les Initiations : Car tu ne dois pas tourner tes regards vers eux avant que ton corps ne soit initié, et c’est pourquoi les Oracles ajoutent : Flattant les âmes, sans cesse ils les détournent des mystères.

À cela s’ajoute un scholion dans le manuscrit Parisinus Graecus 1853, publié par H. D. Saffrey 36 : ἄλλο περὶ κακοποιῶν δαιμόνων· ὄντες γὰρ χθόνιοι χαλεποὶ κύνες εἰσὶν ἀναιδεῖς καὶ ψυχὰς θέλγοντες ἀεὶ τελετῶν ἀπάγουσιν.

35. Sur l’image des chiens et de leur rapport traditionnel avec Hécate, cf. S. I. JohnSton, Hekate Soteira. A study of Hekate’s roles in the Chaldean Oracles and related literature, Atlanta 1990, p. 134-142. 36. H. D. Saffrey, « Nouveaux Oracles chaldaïques dans les scholies du Paris. Gr. 1853 », Revue de philologie 43 (1969), p. 59-72 : p. 67.

109

Les Oracles Chaldaïques Un autre (oracle) concernant les démons malfaisants : en effet, comme ils sont terrestres, ces chiens méchants sont impudents et, en charmant les âmes, ils les détournent à chaque fois des rites.

Ici, on voit clairement que Proclus cite deux morceaux qui ne sont pas directement liés, en les connectant par une remarque intermédiaire (un procédé que nous avons déjà constaté à maintes reprises). Rien n’indique que le premier vers de Proclus forme avec les deux vers du scholion un texte continu ; le fait qu’il soit absent à cet endroit tendrait plutôt à prouver l’inverse. D’un point de vue méthodologique, il est donc problématique de rétablir un texte continu, comme le fait des Places, ou d’ajouter chez Proclus le vers manquant comme le fait Majercik. OC 88, où ce n’est pas χθών, mais ὕλη, qui est employé, appartient au même contexte : Ἡ φύσις πείθει πιστεύειν εἶναι τοὺς δαίμονας ἁγνούς, καὶ τὰ κακῆς ὕλης βλαστήματα χρηστὰ καὶ ἐσθλά. La nature persuade de croire que les démons sont purs, et les germes de la matière mauvaise, utiles et précieux.

La φύσις apparaît ici comme puissance illusoire, qui trompe les hommes sur la véritable essence et, donc, la dangerosité des démons. La tromperie attribuée aux démons comprend l’attachement pour le matériel, qui implique un détournement vis-à-vis du spirituel. Dans cette optique, les πάθη / passions, en raison desquelles l’homme est mis en danger pendant sa vie terrestre, sont associées à la fois aux démons et à la matière, c’est-à-dire à la terre même 37. Comme nous l’avons déjà vu dans diverses attestations, les démons sont particulièrement dangereux lors du rituel ; nous nous penchons sur celui-ci dans le point suivant. 5. La théurgie comme ascension temporaire La notion de théurgie est étroitement liée aux rites des OC et de la tradition chaldaïque ; dans quelle mesure les attestations plus tardives autorisent des conclusions sur les pratiques originelles, cela reste il est vrai incertain. Nous avons déjà vu que Julien le Théurge était considéré comme l’auteur des

37. Cf. aussi OC 114 avec la variante d’expression χθονὸς οἴστροις = « les passions terrestres », litt. les « aiguillons », et OC 161 ainsi que son commentaire chez Psellos, Philosophica minora II 38, p. 139, 18-26 [D. J. O’Meara].

110

Âme – homme – salut OC et que, de ce fait, ceux-ci pouvaient aussi être cités en qualité de paroles de théurges. L’expression θεουργοί apparaît dans OC 153 ; il s’agit de la plus ancienne attestation du mot 38 : οὐ γὰρ ὑφ’ εἱμαρτὴν ἀγέλην πίπτουσι θεουργοί. Car les théurges ne rentrent pas dans le troupeau voué à la fatalité.

Selon ce texte, les théurges occupent parmi les hommes (dont la plupart sont également assimilés à un troupeau dans OC 154) une position exceptionnelle : ils ne sont pas soumis à l’Heimarménè. Comme nous l’avons vu, celleci se rapporte à la réalité terrestre et corporelle ; les théurges échappent à son influence dans la mesure où ils sont tournés vers le divin 39. Le terme θεουργός, composé à partir de θεός et de ἔργον ou ἐργάζομαι, est compris dans le sens d’une action exercée sur les dieux ; même si ce sont les dieux qui accomplissent l’œuvre proprement dite, celle-ci est suscitée par les théurges. L’idée d’une contrainte véritable exercée sur les dieux est largement répandue dans l’Antiquité ; les papyrus magiques en offrent de nombreux exemples. Quelques attestations se rencontrent dans des fragments dont l’attribution aux OC remonte à Nicola Terzaghi ; des Places les présente comme dubia sous les numéros 219-225, et de fait ils proviennent de l’écrit de Porphyre sur la philosophie tirée des oracles (De philosophia ex oraculis haurienda), qui ne se rapporte pas, pour autant que l’on sache, aux OC. Nous ne pouvons être certains que OC 97, 1-2 renferme l’idée de contrainte exercée sur les dieux (Psellos, Philosophica minora II 38, p. 136, 24-25 [D. J. O’Meara]) : Ψυχὴ μερόπων θεὸν ἄγξει ἐς αὑτήν, οὐδὲν θνητὸν ἔχουσα ὅλη μεμέθυσται. L’âme des hommes serrera Dieu en elle-même ; sans avoir rien de mortel, elle est entièrement enivrée.

38. I. tanaSeanu-döBler, Theurgy in Late Antiquity, p. 21, fait remarquer l’attestation dans l’Onomastikon de Julius Pollux, I, 14, à peu près contemporain (entre 166 et 176 après J.-C.). La conjecture θεουργοί, proposée par Gale dans son édition de Nicomaque de Gérase (le passage se trouve dans Musici scriptores Graeci, éd. C. JanuS, Leipzig 1895, p. 277, 5-9), est en outre généralement admise. Le rapport chronologique aux OC est contesté ; les pratiques décrites chez Nicomaque sont à interpréter comme rituel théurgique. Cf. aussi H. Seng, ΚΟΣΜΑΓΟΙ…, p. 104 n. 392, et H. Seng, « Langage… », n. 11 avec contexte. 39. L’idée selon laquelle une élite spirituelle pourrait échapper au pouvoir de l’Heimarménè apparaît aussi dans la littérature hermétique (par ex. dans fr. 20, IV 117-118 [A. D. nock – A.-J. feStugière] ; cf. aussi Jamblique, De mysteriis VIII 6, p. 268, 14 - 269, 12 [G. Parthey] = p. 198, 22 - 199, 12 [H. D. Saffrey – A.-Ph. Segonds – A. Lecerf], qui se réfère aux Ἑρμαϊκὰ νοήματα ; et Corpus Hermeticum XII 9, I 177, 17-19 [A. D. Nock – A.-J. Festugière]), et dans la gnose (par ex. dans Excerpta ex Theodoto, 69-74.76.78 [Clément d’Alexandrie, Excerpta ex Theodoto, éd. F. Sagnard, Paris 1948 (réimpr. 1970)]; cf. aussi les éclaircissements à ce sujet de F. Sagnard, p. 224-228, et de M. tardieu, « La Gnose Valentinienne et les Oracles Chaldaïques », p. 194-237 : p. 222-225).

111

Les Oracles Chaldaïques Psellos explicite (Philosophica minora II 38, p. 137, 1-4 [D. J. O’Meara]) : Τὸ θεῖον, φησί, πῦρ ἡ ψυχὴ βιάζεται εἰς ἑαυτὴν (τοῦτο γάρ ἐστι τὸ ‛ἄγχει’) διὰ τῆς ἀθανασίας καὶ τῆς καθαρότητος. τότε γὰρ ‛ὅλη μεμέθυσται’, τοῦτ’ ἔστι, πληροῦται κρείττονος ζωῆς καὶ ἐλλάμψεως καὶ οἷον ἐξίσταται ἑαυτῆς. L’âme, dit-il, presse en elle-même le feu divin (c’est ce que veut dire « serrer ») par l’immortalité et la pureté. Car alors elle est tout entière enivrée, c’est-àdire remplie de vie et d’illumination supérieures, et on dirait qu’elle sort d’ellemême (elle paraît en extase).

Peut-être est-ce seulement à l’état de possession d’un médium qu’il est fait allusion ici de manière expressive. En tout cas, le « détachement », corrélatif au changement d’état du médium et de la divinité, conçu dans le fragment non authentique 225 de manière rituelle, est interprété de manière rationaliste dans OC 141 40 : Ἔκλυσίς ἐστι θεοῦ νωθρὸς βροτὸς ἐς τάδε νεύων. C’est une libération de Dieu qu’un mortel nonchalant incliné vers ce monde.

Peut-être faut-il donc voir l’action théurgique sur les dieux moins comme une contrainte exercée sur eux que comme une communication soutenue par un rituel 41. La pureté compte, de façon caractéristique, parmi les conditions préliminaires du rituel. En général, deux aspects y sont liés. L’un est la pureté éthique qui n’est, il est vrai, pas reliée exclusivement au rituel, mais fait partie des objectifs habituels de la vie philosophique. Dans OC 107, l’orientation éthique et la fausse religiosité, en particulier la mantique, sont opposées ; le fragment conclut par une injonction à abandonner les pratiques divinatoires et leurs objets (v. 9-11) 42 : Φεῦγε σὺ ταῦτα, μέλλων εὐσεβίης ἱερὸν παράδεισον ἀνοίγειν, ἔνθ’ ἀρετὴ σοφία τε καὶ εὐνομία συνάγονται.

40. Cf. aussi OC 163 et OC 164 (supra, p. 99-100 et 107) où on lit la formule μηδὲ κάτω νεύσῃς. 41. Cf. H. leWy, Chaldaean Oracles…, p. 198-199. 42. Cf. aussi l’interprétation de M. tardieu, « Le paradis chaldaïque », dans A. lecerf, L. Saudelli, h. Seng (éd.), Oracles chaldaïques : fragments et philosophie, p. 15-29. Le rejet de la mantique en tant que voie du salut apparaît aussi, en partie avec des expressions similaires, dans OC 217 (dubium chez des Places), dont l’authenticité est défendue par H. leWy, Chaldaean Oracles…, p. 31 n. 87 contre Kroll, qui la conteste sans donner ses raisons (dans Proclus, In Rem publicam II 126) ; il est question de paradis dans OC 107 (et 165) et d’Olympe dans OC 217. Les théurges n’étant pas soumis à l’Heimarménè, qui se manifeste dans les astres (voir supra, p. 111 avec la n. 39), l’absurdité de la mantique astrologique est évidente.

112

Âme – homme – salut Fuis-les pour ton compte, si tu veux (t’)ouvrir le paradis sacré de la piété, où vertu, sagesse et bonnes lois se rencontrent.

Les vertus nommées ici sont les vertus classiques. L’exégèse néoplatonicienne en recense toutefois toute une hiérarchie. Celles qui sont spécialement liées au rituel et, de ce fait, à l’ascension de l’âme, sont les vertus cathartiques et anagogiques ; Proclus, In Timaeum I 212, 21-22 [E. Diehl] nomme à ce sujet (OC 46 ; le texte exact de l’oracle reste obscur) : […] πίστιν καὶ ἀλήθειαν καὶ ἔρωτα, ταύτην ἐκείνην τὴν τριάδα, καὶ ἐλπίδα τῶν ἀγαθῶν […]. […] la Foi, la Vérité, l’Amour, cette admirable triade, et l’espérance des (vrais) biens […].

L’origine chaldaïque de la triade est confirmée par Psellos, Philosophica minora II 40, p. 149, 30 - 150, 1 [D. J. O’Meara] ; OC 47 semble se référer à l’espérance : Ἐλπὶς δὲ τρεφέτω σε πυρήοχος… Et que l’espérance chargée de feu te nourrisse.

On ignore si la triade et l’espérance en tant que quatrième entité, sont déjà liées dans les OC ou si elles le sont seulement dans l’exégèse néoplatonicienne. Au sujet de la hiérarchie des vertus, il n’existe pas non plus d’unanimité. Porphyre fournit la première attestation qui, partant de πίστις, monte par ἀλήθεια et ἔρως vers ἐλπίς ; à partir de Jamblique, la série monte en partant de ἔρως par ἀλήθεια vers πίστις et ἐλπίς, qui sont si étroitement liés que les deux peuvent finalement aussi être nommés dans l’ordre inverse 43. Si la position de l’ἐλπίς au sommet ne fait pas de doute et doit certainement aussi être admise pour les OC mêmes (pour peu qu’un rapport systématique existe dans cette liste), on ne sait pas si la triade est rangée en ordre ascendant ou descendant. Le fait que la première variante soit attestée en premier constitue un argument en sa faveur ; il y en a un autre, à savoir que la future position, au sommet, de la πίστις, est peut-être liée à un contexte polémique antichrétien, susceptible de donner lieu à une réinterprétation 44.

43. Jamblique, De mysteriis V 26 p. 238, 15 - 239, 13 [G. Parthey] = p. 177, 21 - 178, 10 [H. D. Saffrey – A.-Ph. Segonds – A. Lecerf], cf. Ph. hoffmann, « Erôs, Alètheia, Pistis ... et Elpis : Tétrade chaldaïque, triade néoplatonicienne (OC 46 des Places, p. 26 Kroll) », dans H. Seng, M. tardieu (éd.), Die Chaldaeischen Orakel…, Heidelberg 2010, p. 255-324 : p. 293. 44. Les deux fragments ont été interprétés de façon approfondie dans Ph. hoffmann, « La triade chaldaïque ἔρως, ἀλήθεια, πίστις : de Proclus à Simplicius », dans A.-Ph. SegondS, C. Steel (éd.), Proclus et la Théologie Platonicienne, Louvain – Paris 2000, p. 459-489, et « Erôs, Alètheia,

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Les Oracles Chaldaïques L’autre forme de pureté est cultuelle et rituelle. Un exemple nous en est offert par OC 133 (Proclus, In Cratylum, p. 101, 3-8 [G. Pasquali]) : Διὸ καὶ ὁ θεουργὸς ὁ τῆς τελετῆς τούτου προκαθηγούμενος ἀπὸ τῶν καθάρσεων ἄρχεται καὶ τῶν περιρράνσεων· αὐτὸς δ’ ἐν πρώτοις ἱερεὺς πυρὸς ἔργα κυβερνῶν κύματι ῥαινέσθω παγερῷ βαρυηχέος ἅλμης, ὥς φησι τὸ λόγιον περὶ αὐτοῦ. C’est pourquoi le théurge qui préside l’initiation aux mystères de ce dieu (Apollon) commence également par les purifications et les aspersions : et, surtout, que le prêtre en personne, quand il règle les œuvres du feu, les arrose du flot glacé de la mer au bruit sourd, comme dit l’oracle à son propos.

Le « flot glacé de la mer au bruit sourd » pourrait désigner l’eau glacée, mais en fait, il ne signifie probablement rien d’autre que le sel 45. Cette consécration du corps présentait une fonction apotropaïque : nous avons vu dans OC 135 qu’une procédure de ce genre était utilisée pour se protéger des démons, qui perturbent le rituel. Psellos mentionne l’emploi rituel de pierres et d’herbes à des fins de purification dans Philosophica minora II 38, p. 132, 12-14 [D. J. O’Meara]. Un moyen spécifique de défense est cité dans OC 149 (Psellos, Philosophica minora II 38, p. 144, 28-29 [D. J. O’Meara]) : Ἡνίκα δ’ ἐρχόμενον δαίμονα πρόσγειον ἀθρήσῃς, θῦε λίθον μνούζιριν ἐπαυδῶν… Quand tu verras approcher un démon terrestre, sacrifie la pierre mnouziris, en disant en outre…

Michel Tardieu a interprété la pierre mnouziris comme l’agathe indienne, provenant de Mouziris, principal port de la côte sud-ouest (auj. Cranganore, ou Kodungallur, dans la région du Kérala) 46. Son utilisation pour des fumigations est attestée chez Pline (Naturalis historia 37, 142). On retiendra dans notre contexte que le culte chaldaïque comportait des actes sacrificiels. Ces rites utilisaient également d’autres objets pour repousser les démons (Psellos, Philosophica minora I 19, 167-171) 47 :

Pistis ... et Elpis… ». Pour les détails, nous renvoyons surtout au dernier article cité, qui se prononce en outre en faveur d’une tétrade originelle. 45. Cf. S. I. JohnSton, Hekate Soteira, p. 81 n. 14, et P. chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, nouvelle édition, Paris 2009, p. 862 concernant παγερός : « froid, gelé, coagulé » ; cf. aussi πάγος = « sel » (P. chantraine, Dictionnaire étymologique…, p. 862 ; H. G. liddell, R. Scott, H. S. JoneS, A Greek-English lexicon, … πάγος 3). 46. Concernant les détails (y compris la critique du texte), cf. M. tardieu, « L’oracle de la pierre mnouziris », dans H. Seng, M. tardieu (éd.), Die Chaldaeischen Orakel …, p. 93-108. 47. Psellos, Autobiografia. Encomio per la madre, éd. U. criScuolo, Naples 1989, 1788-1789, mentionne en outre l’emploi de corail et de diamant comme amulettes.

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Âme – homme – salut Οὐ γὰρ πειστέον ταῖς Χαλδαϊκαῖς ληρωδίαις, ὡς ἔστι τι δαιμόνων γένος τόν τε ἀδάμαντα λίθον φοβούμενον καὶ τὸ κουράλιον καὶ τὸ ἀνδροφόνον ξίφος καὶ τὸν κεραυνόν 48, ἃ δὴ καὶ οἱ ἀποτρεπόμενοι τὸ τοιοῦτον γένος Χαλδαῖοι μάντεις ἐν ταῖς ἀνιέροις αὐτῶν πράξεσι τοῖς βωμοῖς ἐπιφέρουσιν. Car on ne doit pas croire le stupide commérage des Chaldéens selon lequel il existerait une lignée de démons qui craignent le diamant, le corail et l’épée avec laquelle un homme a été tué, ainsi que la céraunie ; il est vrai que les voyants chaldéens déposent ces objets sur les autels pour repousser cette sorte de démons lors de leurs rituels profanes.

Outre les actions cultuelles, le rituel comportait aussi des paroles, ainsi que nous l’avons vu dans OC 110 : ἱερῷ λόγῳ ἔργον ἑνώσας – en joignant l’acte à la parole sacrée. Ces paroles devaient entre autres inclure des énumérations de noms divins exotiques que l’on connaît surtout par les papyrus magiques 49 ; en effet, OC 150 (un texte non métrique, autrement dit non original, assorti d’une explication de Psellos, Philosophica minora II 38, p. 132, 26 - 133, 6 [D. J. O’Meara]) remarque : Χαλδαϊκὸν λόγιον. ὀνόματα βάρβαρα μήποτ’ ἀλλάξῃς. Ἐξήγησις. τοῦτ’ ἔστιν· εἰσὶν ὀνόματα παρ’ ἑκάστοις ἔθνεσι θεοπαράδοτα, δύναμιν ἐν ταῖς τελεταῖς ἄρρητον ἔχοντα· μὴ οὖν μεταλλάξῃς αὐτὰ εἰς τὴν Ἑλληνικὴν διάλεκτον, οἷον τὸ Σεραφεὶμ καὶ τὸ Χερουβεὶμ καὶ τὸ Μιχαὴλ καὶ τὸ Γαβριήλ. οὕτω μὲν γὰρ λεγόμενα κατὰ τὴν Ἑβραϊκὴν διάλεκτον ἐνέργειαν ἐν ταῖς τελεταῖς ἔχει ἄρρητον· ἀμειφθέντα δὲ ἐν τοῖς Ἑλληνικοῖς ὀνόμασιν ἐξασθενεῖ. ἐγὼ δὲ οὔτε τὰς Χαλδαϊκὰς δέχομαι τελετὰς οὔτε τῷ δόγματι πάνυ προστίθεμαι. ἀνεκάλυψα δέ σοι μόνον τοῦ λόγου τὴν κρυφιότητα. Oracle chaldaïque. Ne change jamais les noms barbares. Explication : c’est-à-dire : il y a chez chaque peuple des noms livrés par Dieu, qui ont dans les rites une force ineffable. Ne les transpose donc pas en grec : Séraphim, par exemple, ou Chérubim, Michel, Gabriel. Car ainsi prononcés selon l’hébreu, ils ont dans les rites une action ineffable ; changés en noms grecs, ils perdent leur force. Pour moi, je n’admets pas les rites chaldaïques et je n’adhère pas à cette foi. Mais je t’ai seulement dévoilé l’obscurité de leur doctrine.

48. Ce n’est semble-t-il pas de l’éclair (κεραυνός) qu’il est question, mais de la « pierre de l’éclair », κεραύνιος (céraunie). 49. Cf. l’analyse approfondie et le classement historico-religieux que donne M. zago, « “Non cambiare mai i nomi barbari” (Oracoli Caldaici, fr. 150 des Places) », dans H. Seng, M. tardieu (éd.), Die Chaldaeischen Orakel…, Heidelberg 2010, p. 109-143. P. C. miller, « In Praise of Nonsense », dans A. H. armStrong (éd.), Classical Mediterranean Spirituality. Egyptian, Greek, Roman, Londres 1986, p. 481-505 est fondamental ; R. L. gordon, « Zauberworte », Der Neue Pauly XII 2 (2002), col. 701-704 est instructif également.

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Les Oracles Chaldaïques On voit ici très nettement que Psellos non seulement explique, mais commente à l’aide d’un exemple chrétien (pour nous, il serait évidemment bien plus intéressant d’avoir quelques exemples chaldaïques), ce qui signifie qu’il légitime jusqu’à un certain point le procédé et la référence à celui-ci ; mais à la fin, il se distancie des rites et des conceptions chaldaïques et souligne le côté purement scientifique de ses explications. J’ai déjà fait allusion au contexte historique intellectuel de Byzance au xie siècle et au danger de passer pour hérétique. Deux niveaux de texte peuvent en quelque sorte être distingués : la référence à la tradition chaldaïque (en caractères romains) et les explications de Psellos (en italiques), qui dominent très largement. La véritable limite entre les deux reste, il est vrai, hypothétique. Le rituel chaldaïque comporte également des sphères, ou toupies, du type de celles qui étaient utilisées dans la magie amoureuse populaire (on en trouve un exemple dans la deuxième idylle de Théocrite). L’une des expressions pour désigner cet objet est ἴυγξ (mentionnée aussi dans le fragment – non authentique – OC 223), mot qui a subi dans la tradition chaldaïque un glissement sémantique ; nous y reviendrons très bientôt 50. Psellos utilise une autre désignation dans Philosophica minora II 38, p. 133, 16-22 [D. J. O’Meara] (= OC 206) – étant donné l’absence de métrique, il ne s’agit pas d’un fragment : Χαλδαϊκὸν λόγιον. ἐνέργει περὶ τὸν Ἑκατικὸν στρόφαλον. Ἐξήγησις. ὁ Ἑκατικὸς στρόφαλος σφαῖρά ἐστι χρυσῆ, μέσον σάπφειρον περικλείουσα, διὰ ταυρείου στρεφομένη ἱμάντος, δι’ ὅλης αὐτῆς ἔχουσα χαρακτῆρας· ἣν δὴ στρέφοντες ἐποιοῦντο τὰς ἐπικλήσεις. καὶ τὰ τοιαῦτα καλεῖν εἰώθασιν ἴυγγας, εἴτε σφαιρικὸν ἔχοιεν εἴτε τρίγωνον εἴτε ἄλλο τι σχῆμα. ἃ δὴ δονοῦντες τοὺς ἀσήμους ἢ κτηνώδεις ἐξεφώνουν ἤχους, γελῶντες καὶ τὸν ἀέρα μαστίζοντες. Oracle chaldaïque. Agis sur la roue d’Hécate. Explication : la roue d’Hécate est une sphère d’or, qui renferme au milieu un saphir, tourne par le moyen d’une lanière de taureau et porte des caractères sur toute sa surface ; c’est en la tournant qu’on faisait les invocations. Et on a coutume d’appeler iynges ces instruments, que la forme en soit sphérique, triangulaire ou d’autre sorte. En les faisant tournoyer, on émettait des cris sans signification ou bestiaux, tout en riant et fouettant l’air.

Une fois encore, deux descriptions du rituel sont mises en parallèle. La première est sobre et pratique, la seconde polémique et caricaturale. Dans la première description, les invocations, ἐπικλήσεις, semblent désigner précisément,

50. Voir infra, p. 124, et cf. S. I. JohnSton, Hekate Soteira, p. 90-110.

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Âme – homme – salut ou du moins englober, ce qui dans OC 150 porte le nom d’ὀνόματα βάρβαρα. Elles semblent également incluses dans ce que Psellos nomme dans la seconde description ἀσήμους ἢ κτηνώδεις ἤχους 51. Le mot ἄσημος est traduit chez des Places (p. 170-171) par « indistinct » ; néanmoins, sa teneur sémantique peut être cernée de façon plus précise. Ces sons sont dépourvus de signification, ce ne sont pas des signes linguistiques, des « signifiants » renvoyant à des « signifiés » 52. Cela décrit exactement la catégorie des ὀνόματα βάρβαρα, qui consiste par exemple en suites vocales déterminées, que l’on ne peut identifier à des noms de dieu, même si elles en dérivent (comme les variations sur Ι, Α et Ω). Elles n’acquièrent une valeur linguistique que s’il s’agit de sons actifs, utilisés comme épiclèses. Il en va de même pour les χαρακτῆρες apparaissant sur la roue – ou toupie – d’Hécate et sur les ἴυγγες. L’expression désigne le plus souvent des figures à structure géométrique ; il est possible que la forme ronde, triangulaire ou autre, qui est mentionnée par Psellos, doive être mise en rapport avec ces figures et que son attribution aux ἴυγγες soit une méprise. Il n’est pas possible de savoir s’il faut comprendre χαρακτῆρες dans le sens de signes possédant la structure qui associe « signifiant » et « signifié ». Mais dans le cas de ces « caractères » également, tout est une question d’activité. Celle-ci correspond selon toute vraisemblance à la fonction des épiclèses et consiste par conséquent à provoquer la rencontre avec les dieux. Chez les adeptes du rituel, ces sons, en particulier en cas de répétition de longue durée et en association avec le bourdonnement de la toupie, pouvaient probablement mener à un état de transe ; le rire participait peut-être aussi à l’état extatique. L’idée de répétition apparaît aussi dans la formulation qui introduit l’oracle suivant chez Psellos, OC 147 (Philosophica minora II 38, p. 134, 4-7 [D. J. O’Meara]) : Πολλάκις ἢν λέξῃς μοι, ἀθρήσεις πάντα λέοντα. Οὔτε γὰρ οὐράνιος κυρτὸς τότε φαίνεται ὄγκος, ἀστέρες οὐ λάμπουσι, τὸ μήνης φῶς κεκάλυπται, χθὼν οὐχ ἕστηκεν· βλέπεται δὲ πάντα κεραυνοῖς. Si tu me le dis souvent, tu verras tout en forme de lion ; alors la masse voûtée du ciel n’apparaît pas, les astres ne brillent pas, la lumière de la lune reste cachée, la terre ne tient pas sur ses bases, et tout est éclairé par la foudre.

51. Mais il pourrait aussi être question de claquements de langue et de sifflements, de hurlements et de soupirs tels qu’ils sont par exemple décrits chez Nicomaque de Gérase (voir supra, p. 111, n. 38). Sur la roue d’Hécate, cf. aussi Marinus, Vita Procli 28, 8-10, p. 33 [H. D. Saffrey – A.-Ph. Segonds – C. Luna], et note 4 ad loc. (p. 153-154). 52. Cf. M. zago, « “Non cambiare mai i nomi barbari”… », p. 127-128.

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Les Oracles Chaldaïques Le sommet du rituel est constitué par des phénomènes lumineux d’ordre épiphanique et par des expériences de transe ; des effets de lumière, produits par la rotation des toupies avec des surfaces métalliques lisses, des pierres précieuses et des χαρακτῆρες, sont utilisés pour favoriser un état extatique. Une voix divine peut également être impliquée, ainsi que le dit OC 148 : Ἡνίκα βλέψῃς μορφῆς ἄτερ εὐίερον πῦρ λαμπόμενον σκιρτηδὸν ὅλου κατὰ βένθεα κόσμου, κλῦθι πυρὸς φωνήν. Quand tu auras vu le feu sacro-saint briller sans forme, en bondissant, dans les abîmes du monde entier, écoute la voix du feu.

La description de l’apparition lumineuse ressemble de façon frappante à l’épiphanie de l’âme du monde dans le rituel théurgique décrit par Jamblique 53. Serait-ce la voix de cette dernière qui parle ici ? Parmi les rares tournures à la première personne auxquelles se réfèrent les OC, on trouve tout de même deux désignations de l’âme du monde, OC 38 et OC 53 54. La description des rites théurgiques en tant que πυρὸς ἔργα prend également, à la lumière de cette description et d’autres, une valeur plus que symbolique. Il est difficile de ne pas penser à ce propos à l’interrogation des dieux par les Julien 55. Sans doute faudrait-il également penser à la révélation des ὀνόματα βάρβαρα telle que Proclus, In Cratylum, p. 72, 10-15 [G. Pasquali] l’explique : Οὕτω καὶ τοῖς ἐπὶ Μάρκου γενομένοις θεουργοῖς οἱ θεοὶ καὶ νοητὰς καὶ νοερὰς τάξεις ἐκφαίνοντες, ὀνόματα τῶν θείων διακόσμων ἐξαγγελτικὰ τῆς ἰδιότητος αὐτῶν παραδεδώκασιν, οἷς καλοῦντες ἐκεῖνοι τοὺς θεοὺς ἐν ταῖς προσηκούσαις θεραπείαις τῆς παρ’ αὐτῶν εὐηκοΐας ἐτύγχανον. Ainsi, à l’époque de Marc-Aurèle, les dieux ont-ils également révélé aux théurges les degrés intelligibles et intellectifs de l’ordre du monde et leur ontils transmis les noms des diacosmes divins, qui expriment leur propriété. En appelant les dieux par ces noms dans les rituels appropriés, ceux-là (i. e. les théurges) ont obtenu de la part des dieux une écoute complaisante.

53. De mysteriis II 7 p. 84, 6-9 [G. Parthey] = p. 63, 13-17 [H. D. Saffrey – A.-Ph. Segonds – A. Lecerf] : ψυχῆς δὲ τῆς μὲν ὅλης καὶ ἐν οὐδενὶ τῶν κατὰ μέρος εἴδει κατεχομένης πῦρ ὁρᾶται ἀνείδεον περὶ ὅλον τὸν κόσμον ἐνδεικνύμενον τὴν ὅλην καὶ μίαν καὶ ἄτομον καὶ ἀνείδεον τοῦ παντὸς ψυχήν = « dans le cas de l’âme universelle et qui n’est enfermée dans aucune espèce d’êtres particuliers, on voit un feu sans forme, qui fait voir dans le monde entier l’âme universelle du Tout, unique, indivise et sans forme ». 54. Voir supra, p. 80. H. leWy, Chaldaean Oracles…, p. 244 n. 63, interprète le passage de Jamblique cité dans la note 53 dans le même sens, mais assimile il est vrai l’âme du monde à Hécate ; cf. en outre S. I. JohnSton, Hekate Soteira, p. 111-132. 55. Voir supra, p. 24.

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Âme – homme – salut D’après le témoignage de Proclus, l’importance fondamentale des degrés ici nommés de la hiérarchie des êtres apparaît lors de l’ascension de l’âme, In Parmenidem, p. 990, 27-37 [V. Cousin] 56 : Καὶ γὰρ ἐπὶ θεωρίας καὶ ἐπὶ τελεστικῆς [καὶ] τοῦτό ἐστι τὸ ποιοῦν ἀσφαλῆ καὶ ἄπταιστον ἡμῖν τὴν ἄνοδον, ἡ ἐν τάξει πρόοδος· ὡς γοῦν φησι καὶ τὸ Λόγιον· Οὐδενὸς εἵνεκεν ἄλλου ἀποστρέφεται θεὸς ἄνδρα, καὶ ζώσῃ δυνάμει κενεὰς ἐπιπέμπει ἀταρπούς (OC 136), ὡς ὅταν ἀτάκτως καὶ πλημμελῶς ἐπὶ τὰ θειότατα τῶν θεωρημάτων ἢ τῶν ἔργων καί, τὸ λεγόμενον, ἀμυήτοις στόμασιν ἢ ἀνίπτοις ποσὶ ποιησώμεθα τὴν ἄνοδον. De fait, aussi bien dans la contemplation que dans la télestique, ce qui nous rend l’ascension assurée et infaillible, c’est de procéder dans l’ordre ; comme le dit, en tout cas, l’oracle : Pour aucune autre raison le Dieu ne se détourne de l’homme, et par une Puissance vivante ne l’envoie sur des sentiers vides, comme lorsque nous faisons la remontée vers les spéculations ou les actes les plus divins irrégulièrement et sans ordre et, comme l’on dit, avec une bouche qui n’est pas initiée ou bien des pieds non lavés.

Ce qui importe ici, c’est la mise en parallèle de la théurgie et de la méditation philosophique : toutes deux sont conçues comme des ascensions. Car si les épiclèses et les descriptions de phénomènes lumineux semblent plutôt renvoyer à l’action divine à travers une descente des dieux, l’expérience vécue par les théurges est également décrite en termes d’ascension ; il est vrai qu’il s’agit à chaque fois de formes de rapprochement entre l’homme et Dieu. Les exégètes des oracles affirment que ce rapprochement décrit de manière physique a également, au niveau symbolique, valeur de rapprochement ontologique ; c’est en particulier le cas de Jamblique dans sa discussion avec Porphyre. Ce dernier se montre plus réticent vis-à-vis de la théurgie ; certains passages du De regressu animae le montrent bien 57. Jamblique, par contre, souligne que l’idée d’un appel, ou d’une autre action sur les dieux, serait fausse ; le rôle de la théurgie, conçue comme action des dieux, consiste bien plutôt à placer l’âme humaine dans un état de plus grande proximité avec les dieux, cf. Jamblique, De mysteriis I 12, p. 41, 4-8 [G. Parthey] = p. 31, 9-14 [H. D. Saffrey – A.-Ph. Segonds – A. Lecerf] :

56. Proclus, Commentaire sur le « Parménide » de Platon V, livre V, éd. C. luna, A.-Ph. SegondS, Paris 2014. 57. Cf. Porphyre, De regressu animae, p. 27*, 21-24 [J. Bidez] = 288F [A. Smith]; p. 32*, 5-21 [J. Bidez] = 287F [A. Smith]; p. 42*, 6 - 43, 10 [J. Bidez] = 284F - 302bF [A. Smith], et I. tanaSeanu-döBler, « “Nur der Weise ist Priester” : Rituale und Ritualkritik bei Porphyrios », p. 139-141.

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Les Oracles Chaldaïques Ἀφθόνως οἱ θεοὶ τὸ φῶς ἐπιλάμπουσιν εὐμενεῖς ὄντες καὶ ἵλεῳ τοῖς θεουργοῖς, τάς τε ψυχὰς αὐτῶν εἰς ἑαυτοὺς ἀνακαλούμενοι καὶ τὴν ἕνωσιν αὐταῖς τὴν πρὸς ἑαυτοὺς χορηγοῦντες, ἐθίζοντές τε αὐτὰς καὶ ἔτι ἐν σώματι οὔσας ἀφίστασθαι τῶν σωμάτων. Les dieux, parce qu’ils sont bienveillants et propices aux théurges, font briller sur eux la lumière avec générosité, rappellent vers eux leurs âmes et leur accordent l’union avec eux, et ils habituent leurs âmes, alors qu’elles sont encore incarnées, à quitter le corps.

En quittant les corps, les âmes tendent pour ainsi dire nues vers le divin, OC 116 58 : οὐ γὰρ ἐφικτὰ τὰ θεῖα βροτοῖς τοῖς σῶμα νοοῦσιν, ἀλλ’ ὅσσοι γυμνῆτες ἄνω σπεύδουσι πρὸς ὕψος. Car le divin n’est pas accessible aux mortels qui pensent selon le corps, mais à ceux qui, nus, se hâtent vers les hauteurs.

La notion d’ascension de l’âme théurgique vient ainsi compléter les deux modes de séparation du corps et de l’âme distingués par Porphyre (Sentences 9, p. 4, 3-5 [E. Lamberz]) 59 : Ὁ θάνατος διπλοῦς, ὁ μὲν οὖν συνεγνωσμένος λυομένου τοῦ σώματος ἀπὸ τῆς ψυχῆς, ὁ δὲ τῶν φιλοσόφων λυομένης τῆς ψυχῆς ἀπὸ τοῦ σώματος. La mort est de deux sortes : celle, bien sûr, connue de tous, où le corps est détaché de l’âme, et celle des philosophes, où l’âme se détache du corps.

Cela explique que, au cas par cas, il ne soit pas toujours facile de voir clairement de quelle sorte d’ascension de l’âme il est question dans les fragments chaldaïques et les témoignages. L’idée selon laquelle l’ascension se ferait à travers des « canaux », en l’occurrence ceux par lesquels les âmes sont descendues, est typiquement chaldaïque. Il en était question dans OC 110, auquel il faut à nouveau se référer ici ; on note d’une part le lien établi entre ὅθεν, « d’où », et αὖθις ἀναστήσεις, « tu la relèveras » – qui indique une correspondance claire, même si le verbe « monter », exigé d’un point de vue sémantique, manque –, d’autre part, l’association de l’ascension et de la théurgie qui est ici décrite sommairement par la combinaison de la parole et de l’acte (Psellos, Philosophica minora II 38, p. 131, 16-18 [D. J. O’Meara]) :

58. Sur le corps comme enveloppe, voir supra, p. 96 ; sur le thème de la hâte, voir infra, p. 122-123. 59. Cf. aussi R. thiel, « Zur Duplizität des Todes im neuplatonischen Denken », dans W. ameling (éd.), Topographie des Jenseits. Studien zur Geschichte des Todes in Kaiserzeit und Spätantike, Stuttgart 2011, p. 181-193 : p. 191-192.

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Âme – homme – salut Δίζηαι ψυχῆς ὀχετόν, ὅθεν ἢ τίνι τάξει σώματι θητεύσας ** ἐπὶ τάξιν αὖθις ἀναστήσεις, ἱερῷ λόγῳ ἔργον ἑνώσας. Tu cherches le canal de l’âme, d’où (elle est descendue) ou sous quel ordre […] après avoir travaillé à gages pour le corps ** à son ordre tu la relèveras en joignant l’acte à la parole sacrée.

Tandis que l’âme s’élève à travers le canal, le feu divin vient à sa rencontre et elle s’unit à lui (OC 66) : μιγνυμένων δ’ ὀχετῶν πυρὸς ἀφθίτου ἔργα τελοῦσα. exécutant quand se mêlent les canaux du feu impérissable les œuvres 60.

La formulation de OC 121 correspond aussi à ce rapprochement réciproque : τῷ πυρὶ γὰρ βροτὸς ἐμπελάσας φάος ἕξει. Le mortel qui se sera approché du Feu tiendra de Dieu la Lumière.

L’âme, qui a oublié son origine lors de son passage dans le monde terrestre (conformément à la théorie platonicienne), doit se souvenir et prononcer le bon mot de passe, OC 109 61 : Ἀλλ’ οὐκ εἰσδέχεται κείνης τὸ θέλειν πατρικὸς νοῦς, μέχρις ἂν ἐξέλθῃ λήθης καὶ ῥῆμα λαλήσῃ μνήμην ἐνθεμένη πατρικοῦ συνθήματος ἁγνοῦ. Mais l’Intellect paternel ne reçoit pas la volonté de l’âme que celle-ci ne soit sortie de l’oubli et n’ait proféré une parole, en se remémorant le pur symbole paternel.

Le thème des mots de passe est répandu dans les représentations antiques de l’ascension de l’âme ; souvent, ils servent de légitimation face aux gardiens, voire aux démons, qui barrent la route à l’âme qui ne connaît pas le bon mot 62.

60. Des Places, dans Oracles chaldaïques, p. 135, n. 1, discute la construction et conclut : « À moins que πυρὸς ἀφθίτου ne dépende, ἀπὸ κοινοῦ, à la fois d’ὀχετῶν et d’ἔργα : la traduction essaie de garder cette ambiguïté ». 61. Les analyses de la terminologie néoplatonicienne, appliquées surtout à Jamblique et à Proclus, voient dans συνθήματα et σύμβολα des entités certes très proches, mais pas identiques, aussi bien dans le contexte de la démiurgie que dans celui de la théurgie; cf. D. cohen, « Σύνθημα et σύμβολον dans le néoplatonisme tardif et leurs rapports avec les notions aristotéliciennes d’εἶδος, de μορφή et de σχῆμα », dans M. Broze, B. decharneux, S. delcomminette (éd.), Ἀλλ’ εὖ μοι κατάλεξον – « Mais raconte-moi en détail », Mélanges de philosophie et de philologie offerts à Lambros Couloubaritsis, Paris 2008, p. 543-556, avec bibliographie supplémentaire. Dans les OC mêmes, σύμβολον n’apparaît que dans le premier contexte, σύνθημα que dans le second. 62. Cf. par ex. O. geudtner, Die Seelenlehre der chaldäischen Orakel, p. 48-50 ; M. tardieu, « La Gnose Valentinienne… », p. 220-221 ; The Chaldean Oracles, éd. R. maJercik, p. 141 ;

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Les Oracles Chaldaïques Nous ne sommes pas en mesure d’assurer que c’est aussi le cas dans les OC (alors qu’inversement, le rôle secourable des anges est attesté dans OC 122). Le témoignage d’Arnobe contient une indication qui va dans ce sens, même s’il ne nomme pas explicitement les OC (Adversus nationes II 62, p. 138, 5-13 [C. Marchesi]) 63 : Neque illud obrepat aut spe vobis aeria blandiatur, quod ab sciolis nonnullis et plurimum sibi adrogantibus dicitur, deo esse se gnatos nec fati obnoxios legibus, si vitam restrictius egerint, aulam sibi eius patere, ac post hominis functionem prohibente se nullo tamquam in sedem referri patritam ; neque quod magi spondent, commendaticias habere se preces quibus emollitae nescio quae potestates vias faciles praebeant ad caelum contendentibus subvolare. Ne laissez pas s’insinuer dans vos esprits et vous caresser d’espoirs aussi légers que l’air ni ce que disent certains demi-savants, qui n’ont pas maigres prétentions, que, nés de Dieu, ils ne sont pas assujettis aux lois de la Destinée, que, s’ils ont vécu sous d’étroites règles, la cour divine leur est ouverte, et qu’après avoir accompli leur tâche d’hommes, ils retourneront, sans que nul ne les en empêche, à ce qui est comme leur maison paternelle ; ni ce que garantissent les mages, qu’ils ont des prières de recommandation grâce auxquelles ils amollissent je ne sais quelles puissances et les inclinent à faciliter le voyage aux âmes qui luttent pour s’envoler au ciel.

On reconnaît ici clairement des motifs chaldaïques : que les théurges ne soient pas soumis à l’Heimarménè, nous le savons par OC 153 64 ; le lieu vers lequel l’âme tend après la mort est nommé dans OC 202 : πανδεκτικὴ αὐλή. cour ouverte à tous.

Le service de l’homme correspond à ce que OC 99 et 110 désignent comme θητεύειν ; ἀδαμάστῳ τῷ αὐχένι, dans OC 99, pourrait être décrit par les mots si vitam restrictius egerint. Les commendaticiae preces sont à relier à συνθήματα ; le motif de la hâte, enfin, apparaît non seulement dans OC 116, comme nous l’avons déjà vu 65, mais aussi, dans OC 115 :

I. tanaSeanu-döBler, Theurgy in Late Antiquity, p. 30-32, avec les attestations citées dans chaque cas. 63. Traduction : A.-J. feStugière, « La doctrine des “uiri noui”… », p. 119 = [p. 291-292]. Il vise principalement Porphyre, qui se réfère aux OC. Cf. P. courcelle, « Les sages de Porphyre et les “viri novi” d’Arnobe », Revue des études latines 31 (1953), p. 257-271, et d’autres données chez H. Seng, ΚΟΣΜΑΓΟΙ…, p. 151-156. 64. Voir supra, p. 111. 65. Voir supra, p. 120.

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Âme – homme – salut Χρή σε σπεύδειν πρὸς τὸ φάος καὶ πρὸς Πατρὸς αὐγάς, ἔνθεν ἐπέμφθη σοι ψυχὴ πολὺν ἑσσαμένη νοῦν. Il te faut t’empresser vers la Lumière, vers les rayons du Père, d’où l’âme t’a été envoyée, revêtue de beaucoup d’intellect.

Une chose est sûre : le πατρικὸς νοῦς réagit dans OC 109 à la connaissance ou à la non-connaissance du σύνθημα. Dans OC 2, l’âme doit non pas exprimer le σύνθημα, mais en prendre conscience : Ἑσσάμενον πάντευχον ἀκμὴν φωτὸς κελάδοντος, ἀλκῇ τριγλώχινι νόον ψυχήν θ’ ὁπλίσαντα, πᾶν τριάδος σύνθημα βαλεῖν φρενὶ μηδ’ ἐπιφοιτᾶν ἐμπυρίοις σποράδην ὀχετοῖς, ἀλλὰ στιβαρηδόν. Équipé de pied en cap de la vigueur d’une lumière retentissante, armé, intellect et âme, du glaive à trois pointes, jette dans ton esprit tout le symbole de la triade et ne fréquente pas des canaux de feu en te dispersant, mais en te concentrant.

Ici, il est à la fois question des canaux et de la concentration mentale ; la métaphore pourrait désigner le processus de la pensée et de la méditation. Damascius identifie le but de la cognition dans OC 2 à celui dont il est question dans OC 1 66. Dans ce dernier oracle, OC 1, nous avons interprété le Père chaldaïque comme une entité placée encore plus haut que la pensée discursive. Il est néanmoins possible que cette interprétation ne soit pas complètement correcte chez Damascius. Alors que pour Damascius OC 2 décrit la connaissance la plus haute (ἡ ὡς ἀληθῶς νοητὴ γνῶσις), l’expression πᾶν τριάδος σύνθημα fait davantage croire à une référence à la « première » triade, dont les composantes peuvent être désignées par le nom de πατέρες, ce qui convient à OC 109. L’expression métaphorique classique de l’ascension comprend notamment le motif des ailes de l’âme, inspiré du Phèdre de Platon. La métaphore du feu, que nous avons déjà souvent rencontrée, laisse supposer qu’une formulation correspondante chez Proclus est d’origine chaldaïque, OC 85 (Proclus, Theologia Platonica IV 39, p. 111, 18-19 [H. D. Saffrey – L. G. Westerink]) : Ὁ μὲν πρῶτος (sc. τελετάρχης) […] ἡνιοχεῖ τὸν ταρσὸν τοῦ πυρός […]. Le premier (télétarque) […] tient les rênes de l’aile du feu […].

66. Damascius, De principiis II 105, 1 - 106, 15 [L. G. Westerink – J. Combès], cite OC 1 (p. 105, 3-13) et OC 2 (p. 106, 6-9) dans un même développement sur l’Intelligible et sur la connaissance de l’Intelligible, qui est connaissance pure, première et au sens absolu, et au sens le plus propre, « parce qu’elle a la plus étroite communauté de nature avec l’objet connu » (p. 106, 2 : διότι μάλιστα τῷ γνωστῷ συμπέφυκεν).

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Les Oracles Chaldaïques La formulation combine le motif avec une autre image du Phèdre, celle de l’attelage de l’âme et de sa maîtrise. Nous avons déjà rencontré 67 une référence au Phèdre dans le cadre de la descente ; ici, il est utilisé en lien avec l’ascension 68. La référence à τελετάρχης est également intéressante. Le mot signifie « maître de la consécration », ou « directeur des rites ». Il pourrait aussi bien désigner un prêtre, comme le ἱερεὺς πυρὸς ἔργα κυβερνῶν – « le prêtre qui règle les œuvres du feu » dans OC 133 –, qu’une entité céleste associée au rituel humain. En faveur de la seconde possibilité, on peut non seulement invoquer le fait que dans les systèmes du néoplatonisme tardif, les τελετάρχαι sont conçus comme des entités métaphysiques (tout comme dans l’endroit cité de Proclus), mais aussi leur combinaison avec les συνοχεῖς, d’OC 177, Damascius, De principiis III 117, 9-10 [L. G. Westerink – J. Combès] 69 : Οἱ μὲν τελετάρχαι συνείληνται τοῖς συνοχεῦσι κατὰ τὸ λόγιον. Les télétarques sont joints aux assembleurs, selon l’oracle.

Le contexte pratique est facile à comprendre. Les συνοχεῖς sont des entités cosmiques, qui garantissent la cohérence du monde 70. Un tel contexte est fondamental pour la pensée de la théurgie, autrement dit pour l’idée d’une action sur les dieux – de même d’ailleurs que pour la magie. Les pratiques rituelles reposent sur le fait que des animaux, des plantes, des pierres, etc., déterminés sont liés de façon particulière à certains dieux ; cette façon de voir explique probablement l’attribution du saphir à Hécate dans OC 206, et la mention par Psellos des pierres et des herbes destinées à la purification du véhicule de l’âme 71. Le lien établi entre συνοχεῖς et τελετάρχαι, qui repose sur l’étroite parenté entre συνέχεια cosmique, théurgie et ascension de l’âme, fournit à l’exégèse néoplatonicienne un indice permettant d’assembler les deux triades des « télétarques » et des « assembleurs » (ou « mainteneurs ») avec une triade supplémentaire de ἴυγγες pour former une ennéade métaphysique, ainsi que cela a été très largement attesté. Les ἴυγγες appartiennent comme nous l’avons vu au contexte de la théurgie ; rien ne prouve que, dans les oracles, l’expression désignait déjà aussi des entités intelligibles, comme c’est le cas dans le néoplatonisme.

67. 68. 69. 70. 71.

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Voir supra, p. 108-109. Cf. aussi OC 127. Le texte de l’oracle est incertain ; cf. l’apparat critique de Westerink – Combès. Voir supra, p. 76-78. Voir supra, p. 114-116.

Âme – homme – salut 6. Le retour de l’âme et de son véhicule Il n’est pas toujours facile de savoir si les descriptions de l’ascension de l’âme appartiennent à un contexte rituel ou post mortem, ou encore si elles désignent de façon purement métaphorique l’acte de la méditation. On trouve cependant des énoncés sur le destin post mortem de l’homme. Comme nous l’avons vu, Proclus relie une partie de l’oracle composite OC 61 à l’ascension de l’âme ; ce faisant, il n’identifie pas explicitement le véhicule avec l’âme irrationnelle mais il établit entre eux un parallèle des plus étroits 72. Toujours dans le même contexte, il attribue à Porphyre le point de vue selon lequel la remontée s’accompagnerait d’une dissolution du véhicule. Cela revient pratiquement à interpréter ce passage comme une déclaration sur ce qu’il advient de l’homme après la mort. Psellos se réfère à l’âme irrationnelle – et, du même coup, à nouveau au πνεῦμα – dans Philosophica minora II 38, p. 126, 15 [D. J. O’Meara], dans le vers isolé OC 158, v. 2 73 : Ἔστι καὶ εἰδώλῳ μερὶς εἰς τόπον ἀμφιφάοντα. L’image aussi a sa part dans la région cernée de lumière.

Il explique ensuite la notion d’εἴδωλον comme réalité secondaire, dérivée d’une autre placée plus haut, et il commente (Philosophica minora II 38, p. 127, 11-14 [D. J. O’Meara]) : Λέγει οὖν τὸ λόγιον, ὅτι οὐ μόνον ἡ λογικὴ ψυχὴ ἀποκληροῦται εἰς τὸν ὑπὲρ σελήνην τόπον τὸν ἀμφιφαῆ, ἀλλὰ μερίς ἐστι καὶ τῷ εἰδώλῳ αὐτῆς, ἤτοι τῇ ἀλόγῳ ψυχῇ, εἰς τὸν ἀμφιφαῆ τόπον ἀποκληρωθῆναι, ὅταν διαυγὴς καὶ καθαρὰ ἐξέλθοι τοῦ σώματος. L’oracle dit donc que non seulement l’âme rationnelle hérite un lot dans la région supralunaire cernée de lumière, mais que son image, c’est-à-dire l’âme irrationnelle, a elle aussi pour son partage d’hériter la région cernée de lumière, quand brillante et pure elle sera sortie du corps.

Le retour de l’âme dans la sphère de l’éther englobe donc aussi le retour du πνεῦμα, conformément à la logique inhérente à la descente et à la remontée. Au sujet du corps du défunt, par contre, l’information donnée est radicale (Psellos, Philosophica minora II 38, p. 138, 8 [D. J. O’Meara] = OC 157) : Σὸν ἀγγεῖον θῆρες χθονὸς οἰκήσουσιν. Ton vase sera la demeure des bêtes terrestres.

72. Cf. Proclus, In Timaeum III 234, 8-32 [e. Diehl] 73. Pour lire la citation complète, légèrement différente, de Synésios, voir p. 127-128.

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Les Oracles Chaldaïques En revanche, le contraire est impossible. Une réincarnation future dans un animal, idée répandue dans la tradition platonicienne 74, est exclue 75 (Proclus, In Rem publicam II 336, 27 - 337, 3 [G. Kroll] = OC 160) : ὅτι δὲ παρὰ φύσιν ταῖς ἀνθρωπίναις ψυχαῖς ἡ εἰς τὰ ἄλογα μετάβασις, οὐ τὰ λόγια μόνον διδάσκει λέγοντα θεσμὸν ἀπαὶ μακάρων εἶναι τοῦτον ἄλυτον, τὴν ἀνθρώπου ψυχὴν αὖτις ἐπ’ ἀνθρώπων περάαν βίον, οὐκ ἐπὶ θηρῶν. Que d’autre part le passage dans les bêtes soit, pour les âmes humaines, contre nature, les Oracles ne sont pas seuls à l’enseigner, qui disent : « C’est là un décret indissoluble de la part des dieux bienheureux », que l’âme humaine « accomplisse une nouvelle vie chez les hommes, non chez les bêtes ».

Impossible de décider ici s’il se produit d’abord une ascension, à laquelle succède une nouvelle descente, ou si l’âme, dont la conduite sur terre laisse apparaître comme possible une future réincarnation dans un animal, ne quitte pas la région terrestre ou sublunaire avant une nouvelle incorporation dans un être humain. 7. Le corps des théurges Nous avons déjà vu qu’après la mort, les âmes n’étaient pas toutes promises au même sort. Il reste maintenant à se demander s’il en va de même pour les corps. En effet, l’information concernant la précarité de la chair pourrait valoir pour le commun des mortels, mais pas pour les théurges. Plusieurs fragments d’oracles semblent aller dans ce sens 76. Commençons par OC 128 (Psellos, Philosophica minora II 38, p. 138, 16-17 [D. J. O’Meara]) : […] ἐκτείνας πύριον νοῦν ἔργον ἐπ’ εὐσεβίης ῥευστὸν καὶ σῶμα σαώσεις. […] si tu étends un intellect embrasé à l’œuvre de piété, tu sauveras même le corps fluent.

À en croire ce fragment, les rites théurgiques bénéficient également au corps. Dans OC 129, la promesse s’accompagne d’une sommation : Σώζετε καὶ τὸ πικρᾶς ὕλης περίβλημα βρότειον. Sauvez aussi l’enveloppe mortelle de l’amère matière.

74. Cf. comme attestations classiques : Platon, Timée 42c2-4 et République 619e6 - 620d5. 75. Idem dans Corpus Hermeticum X 19, I 122, 17 - 123, 4 [A. D. Nock – A.-J. Festugière]. 76. Cf., plus en détail, H. Seng, « Der Körper des Theurgen ».

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Âme – homme – salut Il est naturel de voir dans « l’enveloppe mortelle de l’amère matière » le corps terrestre ; nous avons déjà rencontré la métaphore des « vêtements chthoniens des âmes » pour le désigner 77. Les deux fragments sont traditionnellement associés à la santé du corps 78, qui serait favorisée par une orientation de l’âme vers le divin. Néanmoins, un rapport originel avec le destin du corps après la mort semble s’imposer ; et c’est en particulier du corps du théurge qu’il s’agit, comme il ressort de OC 128. Voici comment Psellos explique OC 158, 1 (Philosophica minora II 38, p. 127, 24 - 128, 8 [D. J. O’Meara], légèrement abrégé) : μηδὲ τὸ τῆς ὕλης σκύβαλον κρημνῷ καταλείψῃς. Ἐξήγησις· ὕλης σκύβαλόν φησι τὸ λόγιον τὸ τοῦ ἀνθρώπου σῶμα τὸ ἐκ τεττάρων στοιχείων συγκείμενον καὶ ὡσπερ ἐν διδασκαλίας λόγῳ καὶ παραινέσεώς φησι πρὸς τὸν διδασκόμενον, ὅτι· ‛μὴ μόνον τὴν ψυχήν σου πρὸς τὸν θεὸν μετεώρισον καὶ τῆς βιωτικῆς συγχύσεως ὑπερτέραν ποίησον, ἀλλ’, εἰ δυνατόν, μηδὲ αὐτὸ τὸ σῶμα ὅπερ ἠμφίεσαι καὶ ὅπερ σκύβαλόν ἐστι τῆς ὕλης… εἰς τὸν περίγειον καταλείψῃς κόσμον’… παραινεῖ οὖν ἵνα καὶ αὐτὸ τὸ σῶμα, ὅπερ φησὶν ‛ὕλης σκύβαλον’, πυρὶ θείῳ ἐκδαπανήσωμεν ἢ ἀπολεπτύναντες εἰς αἰθέρα κουφίσωμεν ἢ μετεωρισθῶμεν ὑπὸ θεοῦ εἰς τόπον ἄυλον καὶ ἀσώματον, ἢ ἐνσώματον μὲν αἰθέριον δὲ ἢ οὐράνιον· οὗ δὴ τετύχηκεν ὅ τε Θεσβίτης Ἡλίας καὶ πρὸ τούτου Ἐνώχ. Et ne laisse pas au précipice le déchet de la matière. Explication : Ce que l’oracle appelle « déchet de la matière », c’est le corps de l’homme, composé de quatre éléments ; et, comme en un discours d’instruction et d’exhortation, il dit au disciple : « N’élève pas seulement ton âme à Dieu, pour lui faire dominer la confusion de cette vie ; mais, s’il se peut, le corps même dont tu es revêtu et qui est le déchet de la matière… ne le laisse pas à ce monde terrestre »… Il nous exhorte donc à consumer au feu divin le corps même, qu’il appelle « déchet de la matière », ou à l’amaigrir pour l’élever jusqu’à l’éther, ou à nous laisser transporter par Dieu en un lieu immatériel et incorporel, ou corporel mais éthéré, ou céleste, comme celui qu’ont obtenu Élie le Thesbite et avant lui Énoch.

Évidemment, les références vétéro-testamentaires permettant une légimitation chrétienne ne dérivent pas des OC eux-mêmes ; Psellos semble les avoir ajoutées lui-même. Mais la possibilité d’une telle élévation est aussi indiquée par le commentaire à OC 158 de Synésios qui, contrairement à Psellos, cite les deux vers combinés. Le texte dit, de façon légèrement abrégée (De insomniis 9, p. 161, 12 - 162, 5 ; 162, 12-18 [N. Terzaghi]) :

77. Voir supra, p. 96, n. 4 : τὰ χθόνια περιβλήματα τῶν ψυχῶν. 78. OC 128 dans ľexégèse de Psellos, Philosophica minora II 38, p. 138, 18-21 [D. J. O’Meara] ; OC 129 chez l’empereur Julien, Oratio V [VIII] 178d.

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Les Oracles Chaldaïques Ῥεψάσης μὲν κάτω ψυχῆς, ἔλεγεν ὁ λόγος, ὅτι ἐβαρύνθη τε καὶ ἔδυ, μέχρις ἐγκύρσῃ τῷ μελαναυγεῖ καὶ ἀμφικνεφεῖ χώρῳ· ἀνιούσῃ δὲ συνέπεται μέχρις οὗ δύναμις ἕπεσθαι· δύναται δὲ μέχρις ἂν εἰς πλεῖστον τὸ ἀντικείμενον ἥκῃ. ἄκουε γὰρ καὶ περὶ τούτου τῶν λογίων λεγόντων· οὐδὲ τὸ τῆς ὕλης κρημνῷ σκύβαλον καταλείψει, ἀλλὰ καὶ εἰδώλῳ μερὶς εἰς τόπον ἀμφιφάοντα· οὗτος δὲ ἀντίθεσιν ἔχει πρὸς τὸν ἀμφικνεφῆ. καίτοι τι καὶ πλέον τις ἂν ἐν τούτοις ὀξυωπήσειεν· οὐ γὰρ μόνην εἰς τὰς σφαίρας ἀνάγειν ἔοικε τὴν ἐκεῖθεν ἥκουσαν φύσιν, ἀλλὰ εἴ τι καὶ τῆς πυρὸς καὶ τῆς ἀέρος ἀκρότητος εἰς τὴν εἰδωλικὴν φύσιν ἔσπασε κατιοῦσα, πρὶν τὸ γήινον ἀμφιέσασθαι κέλυφος, καὶ τοῦτο, φησί, τῇ κρείττονι μερίδι συναναπέμπει· ὕλης γὰρ σκύβαλον οὐκ ἂν εἴη τὸ θεσπέσιον σῶμα […]· τάχ’ ἂν καὶ τὰ χείρω μὴ ἀντιτείναντα πρὸς τὴν ἐνέργειαν τῆς ψυχῆς […] συνεξαιθεροῖτο ἂν καὶ συναναπέμποιτο, εἰ μὴ μέχρι παντός, ἀλλά τοι διαβαίνοι τὴν τῶν στοιχείων ἀκρότητα, καὶ γεύσαιτ’ ἂν τοῦ ἀμφιφαοῦς. Lorsque l’âme est descendue, affirmait notre traité, il (= le pneuma) s’est alourdi et a plongé jusqu’à ce qu’il tombe sur le lieu aux sombres reflets et cerné de ténèbres ; mais quand elle remonte, il l’accompagne jusqu’à l’endroit où il peut la suivre : or il le peut jusqu’à ce qu’il atteigne le lieu le plus opposé au précédent. Écoute aussi, en effet, ce que disent à son propos les Oracles : « Et tu ne laisseras pas au précipice le déchet de la matière ; Mais l’image aussi a sa part dans la région cernée de lumière ». Cette région se trouve diamétralement opposée à la région cernée de ténèbres. Cependant, un œil exercé pourrait découvrir dans ces vers quelque chose de plus : en effet, l’âme ne paraît pas faire remonter dans les sphères célestes sa nature seule, qui vient d’en haut, mais si dans sa descente elle a attiré quelques particules des « sommets » du feu et de l’air, sur la nature fantomatique, avant de revêtir la carapace terreuse, elle fait remonter, disent les Oracles, ces parcelles avec la meilleure partie d’elle-même : le corps divin ne saurait être, en effet, le déchet de la matière […] ; peut-être les mauvais éléments ne s’opposeraient-ils plus à l’action de l’âme […] et (peut-être ces mauvais éléments) se changeraient-ils avec le pneuma en une substance pleinement éthérée et seraient-ils envoyés vers le ciel avec ce dernier, sinon complètement, du moins jusqu’à franchir le « sommet » des quatre éléments, et goûteraient-ils ainsi au séjour cerné de lumière.

Synésios offre ici une double interprétation : d’une part, les vers oraculaires lui servent à prouver la thèse selon laquelle le pneuma pourrait après la mort acquérir une part dans le domaine lumineux de l’au-delà (i. e. dans les sphères célestes), d’autre part, il rapporte l’expression σκύβαλον non pas au pneuma, mais à quelque chose de terrestre ou de matériel 79. Selon son exégèse, le feu et

79. De même, les oracles, ainsi que, selon l’empereur Julien, Oratio V [VIII] 175b, et Jean le Lydien, De mensibus I 12, p. 6, 11-14 [r. Wuensch], les Chaldéens, font aller le domaine du σκύβαλον exactement jusqu’à la lune.

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Âme – homme – salut l’air, dans leur forme la plus élevée (ἀκρότης) 80, peuvent aussi acquérir leur part dans le cosmos supralunaire. Synésios distingue à ce sujet un premier pneuma, issu des sphères et désigné comme θεσπέσιον σῶμα, corps divin (p. 162, 5 [N. Terzaghi]), d’un εἴδωλον élargi, qui a intégré en lui des éléments matériels – σκύβαλον. Cette interprétation de Synésios, qui propose des différenciations subtiles, et la retenue de son expression 81, s’expliquent probablement par le conflit entre la logique inhérente au système néoplatonicien, qui exclut une telle transformation d’éléments matériels, et d’autre part l’évidence exégétique 82. On ne peut donc pas savoir de façon certaine comment l’idée d’un corps matériel dans l’au-delà s’intègre à la conception du monde des OC, ou s’il faut l’attribuer à une influence juive ou chrétienne. Résumons ce qui vient d’être dit. L’âme humaine voyage depuis son lieu d’origine céleste jusqu’au monde sublunaire, qui est décrit à la façon d’un monde souterrain. Lors de cette descente, elle revêt bientôt un corps éthéré, nommé véhicule de l’âme ou pneuma. Cette enveloppe semi-matérielle permet à l’âme de s’associer au corps. Son séjour dans le domaine matériel est temporaire ; cependant, elle court le risque de tomber sous le charme de la matière et de ne pas retrouver le chemin du retour. Aussi longtemps que l’âme séjourne sur terre, elle peut s’élever vers le divin à travers la méditation philosophique ou à travers des rituels théurgiques au cours desquels elle peut entrer en état de transe. Fondamentalement, il n’existe pas de différence entre ces processus et l’ascension de l’âme après la mort ; de ce fait, les mentions d’ascensions ne sont pas toujours faciles à interpréter. Le retour de l’âme dans le domaine céleste implique aussi le retour de son véhicule ; une ascension d’éléments du corps matériel ne semble même pas exclue dans certains cas.

80. Synésios se réfère à l’idée selon laquelle les régions de l’air et du feu sont les plus élevées dans le monde sublunaire, et sont surmontées par l’éther ; cf. par exemple [Aristote], De mundo 392a5 - 393a8. Dans un contexte où il y a une possible inspiration chaldaïque, Marius Victorinus, In Arium 1, 61, qualifie l’air et le feu de summitates τῆς ὕλης. 81. De insomniis 10, p. 163, 1-2 [n. Terzaghi]. 82. Cf. aussi P. hadot, Porphyre et Victorinus, I, p. 403, notes 1 et 5.

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CONCLUSION La tradition fragmentaire des OC ne cesse de poser de nouveaux problèmes à la compréhension ; de nombreuses questions restent sans réponse, et souvent l’interprétation ne peut avoir qu’une valeur très provisoire. La forme et la structure originales de l’œuvre restent incertaines ; toutefois, il est clair que la pensée des OC couvre un vaste ensemble de thèmes, allant des principes de la métaphysique à la doctrine de l’âme et à la pratique rituelle, en passant par la cosmologie. La question du rapport au cosmos est particulièrement importante pour la détermination des entités transcendantes et de leurs liens mutuels. Le monde des idées, compris comme Dynamis du Père et reçu par Hécate, est présenté comme igné (ou empyré), et le ciel des astres comme éthéré : il est réparti entre la sphère des étoiles fixes et les sept sphères planétaires – le soleil occupant, au centre de ce système, la « position du cœur ». Le domaine sublunaire, également qualifié de “chthonien”, intéresse moins par sa forme physique que par son caractère matériel, au regard duquel il est décrit dans les mêmes termes qu’un monde souterrain. La doctrine de l’âme, et en particulier l’idée de l’ascension de celle-ci et de son véhicule, sont étroitement liées à ces représentations de la structure du monde ; enfin, cette doctrine se reflète également dans la pratique rituelle. Dans ce cadre, une importance fondamentale est accordée à l’idée de structures et de processus analogues aux différents niveaux de l’existence, au schéma de correspondance du macrocosme et du microcosme et au concept de sympathie cosmique – toutes notions qui revêtent une importance cruciale. Avec cette onto-cosmologie étagée, c’est un principe essentiel du Timée de Platon, dont l’influence est également perceptible dans les détails, qui se trouve ici repris et développé de façon créative.

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143

INDEX DES FRAGMENTS (OC) CITÉS

(citations textuelles – partielles et intégrales – en italiques) OC 1

42-43 ; 55 ; 60 ; 74 n. 23 ; 81 n. 38 ; 97 ; 123 ; 123 n. 66

OC 2

82 n. 41 ; 123 ; 123 n. 66

OC 3

43 ; 72

OC 4

43 ; 45 ; 66

OC 5

43-44 ; 45 ; 46 ; 51 ; 57 ; 66 n. 8 ; 72 ; 85 n. 51 ; 93 n. 76

OC 6

72 ; 72 n. 19 ; 72-73 n. 21 ; 73

OC 7

42 ; 45 ; 48 ; 51 ; 58 ; 66 ; 66 n. 8

OC 8

46-47 ; 50 ; 51 ; 67 ; 71

OC 10

41

OC 11

42 ; 57 n. 39

OC 13

45 n. 7 ; 69-70

OC 18

57 n. 40

OC 20

80 n. 37

OC 21

41

OC 23

57 ; 60 ; 76 ; 76 n. 29

OC 25

95

OC 27

57 ; 57 n. 39 ; 58 ; 86

OC 28

60

OC 29

61 ; 97 n. 9

OC 30

45 ; 60 ; 69 ; 76 ; 76 n. 29

OC 31

59 ; 60

OC 32

52-53 ; 72 ; 76 n. 29 ; 77

OC 33

85 n. 51

OC 34

92 ; 93 ; 93 n. 76

OC 35

53-54 ; 65 ; 71 ; 73 ; 78-79 ; 92 ; 93 ; 97 ; 97 n. 5 ; 100

OC 36

82 n. 41

OC 37

20 ; 67-68 ; 69 ; 70 ; 71 ; 73 ; 79 n. 33 ; 93

145

Les Oracles Chaldaïques OC 38

67 ; 71 ; 80 ; 118

OC 39

66 ; 66 n. 8 ; 69 ; 73-74 ; 75 ; 76

OC 40

70

OC 42

74 ; 77-78

OC 44

96-97 ; 97 n. 9

OC 46

113

OC 47

113

OC 49

64 ; 65 ; 66 ; 69 ; 77

OC 50

52 ; 55 ; 57 ; 66

OC 51

55 ; 81 ; 82 ; 83 ; 84 ; 86

OC 52

55 ; 82 ; 83 ; 84

OC 53

67 ; 71 ; 80 ; 118

OC 54

83 ; 84

OC 56

54 ; 65 n. 6 ; 69

OC 57

86 ; 88

OC 58

89

OC 60

88 ; 90-91

OC 61

89 ; 102 ; 125

OC 65

87

OC 66

82 n. 41 ; 121

OC 67

91

OC 68

46

OC 70

84 ; 106

OC 71

88

OC 74

70

OC 75

82 n. 41

OC 79

90 n. 64

OC 80

76 n. 29 ; 78

OC 82

76 n. 29 ; 77

OC 83

77

OC 84

76 n. 29 ; 77

OC 85

123

OC 88

110

OC 90

109

OC 94

96 ; 97

OC 96

72 ; 80-81

OC 97

111

146

Index des fragments (OC) cités OC 99

98 ; 99 ; 122

OC 102

106

OC 103

105-106

OC 104

102 ; 103

OC 106

97

OC 107

112-113 ; 112 n. 42

OC 108

66-67 ; 82 n. 40

OC 109

121 ; 123

OC 110

82 n. 41 ; 98 ; 115 ; 120 ; 122

OC 113

108-109

OC 114

106 ; 108 ; 110 n. 37

OC 115

122-123

OC 116

120 ; 122

OC 120

101

OC 121

121

OC 122

122

OC 125

90

OC 127

124 n. 68

OC 128

126 ; 127 ; 127 n. 78

OC 129

96 ; 103 ; 126 ; 127 n. 78

OC 133

114 ; 124

OC 134

38 ; 99 n. 14 ; 107 ; 107 n. 32 ;108

OC 135

109 ; 114

OC 136

119

OC 137

101 n. 16

OC 138

101 n. 16

OC 141

112

OC 147

26 ; 117

OC 148

118

OC 149

114

OC 150

115 ; 117

OC 153

111 ; 122

OC 154

111

OC 157

125

OC 158

28 ; 102 n. 20 ; 125 ; 127

OC 160

126

OC 161

110 n. 37

147

Les Oracles Chaldaïques OC 163

17 ; 99 n. 14 ; 102 n. 20 ; 107 ; 107 n. 32 ; 108 ; 112 n. 40

OC 164

99-100 ; 99 n. 14 ; 104 ; 107 n. 32 ; 112 n. 40

OC 165

67 ; 112 n. 42

OC 169

48

OC 172

38 ; 39 ; 70 ; 99 n. 14

OC 173

92 ; 93

OC 177

76 n. 29 ; 124

OC 180

38

OC 181

38

OC 185

45

OC 189

82 n. 39

OC 202

122

OC 207

76 n. 29

OC 206

116 ; 124

OC 211

21 n. 11

OC 212

21 n. 11

OC 216

92 n. 73

OC 217

21 n. 11 ; 112 n. 42

OC 218

28

OC 219

111

OC 220

111

OC 221

111

OC 222

111

OC 223

111 ; 116

OC 224

111

OC 225

111 ; 112

148

TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos

7

Préface

9

Avertissement

17

Introduction. Un livre sacré de l’Antiquité tardive

19

Chapitre I. Théologie et métaphysique 1. Monisme 2. Πατήρ, δύναμις et νοῦς 3. Ἅπαξ ἐπέκεινα, Ἑκάτη, δὶς ἐπέκεινα 4. Triadologie

Chapitre II. Cosmologie 1. Αἰών 2. L’expression νοῦς πατρικός 3. Ἰδέαι, πηγαί et ἀρχαί 4. Ὑπεζωκώς τις ὑμὴν νοερὸς et ὑπεζωκὸς πυρὸς ἄνθος 5. Ἔρως 6. Συνοχεῖς 7. L’âme du monde 8. La doctrine chaldaïque des trois mondes : ἐμπύριος, αἰθέριος, ὑλαῖος κόσμος 9. Structures et forces du ciel 10. La matière

Chapitre III. Âme – homme – salut 1. L’origine de l’homme 2. L’impulsion à la descente de l’âme 3. La descente de l’âme et son véhicule 4. Le point le plus bas 5. La théurgie comme ascension temporaire 6. Le retour de l’âme et de son véhicule 7. Le corps des théurges

41 41 42 47 56 63 63 66 67 71 73 76 78 84 87 91 95 95 98 101 107 110 125 126

Conclusion

131

Bibliographie

133

Index des fragments (OC) cités

145

149

BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES, SCIENCES RELIGIEUSES

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vol. 113 S. Mimouni (dir.) Apocryphité. Histoire d’un concept transversal aux religions du Livre 333 p., 2002, ISBN 978-2-503-51349-2 vol. 114 F. Gautier La retraite et le sacerdoce chez Grégoire de Nazianze iv + 460 p., 2002, ISBN 978-2-503-51354-6 vol. 115 M. Milot Laïcité dans le Nouveau Monde. Le cas du Québec 181 p., 2002, ISBN 978-2-503-52205-0 vol. 116 F. Randaxhe, V. Zuber (éd.) Laïcité-démocratie : des relations ambiguës x + 170 p., 2003, ISBN 978-2-503-52176-3 vol. 117 N. Belayche, S. Mimouni (dir.) Les communautés religieuses dans le monde gréco-romain. Essais de définition 351 p., 2003, ISBN 978-2-503-52204-3 vol. 118 S. Lévi La doctrine du sacrifice dans les Brahmanas xvi + 208 p., 2003, ISBN 978-2-503-51534-2 vol. 119 J. R. Armogathe, J.-P. Willaime (éd.) Les mutations contemporaines du religieux viii + 128 p., 2003, ISBN 978-2-503-51428-4 vol. 120 F. Randaxhe L’être amish, entre tradition et modernité 256 p., 2004, ISBN 978-2-503-51588-5 vol. 121 S. Fath (dir.) Le protestantisme évangélique. Un christianisme de conversion xii + 379 p., 2004, ISBN 978-2-503-51587-8 vol. 122 Alain Le Boulluec (dir.) À la recherche des villes saintes viii + 184 p., 2004, ISBN 978-2-503-51589-2 vol. 123 I. Guermeur Les cultes d’Amon hors de Thèbes. Recherches de géographie religieuse xii + 664 p., 38 ill. n&b, 155x240, 2005, ISBN 978-2-503-51427-7

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vol. 162 M. Tardieu, A. van den Kerchove, M. Zago (éd.) Noms barbares I Formes et contextes d’une pratique magique env. 368 p., 2013 vol. 163 (Série “Histoire et prosopographie” n° 10) R. Gerald Hobbs, A. Noblesse-Rocher (éd.) Bible, histoire et société. Mélanges offerts à Bernard Roussel env. 388 p., 2013 vol. 164 P. Bourdeau, Ph. Hoffmann, Nguyen Hong Duong (éd.) Pluralisme religieux : une comparaison franco-vietnamienne. Actes du colloque organisé à Hanoi les 5-7 octobre 2007 env. 306 p., 2013 vol. 165 (Série “Histoire et prosopographie” n° 11) M. A. Amir-Moezzi (éd.) Islam : identité et altérité. Hommage à Guy Monnot, O.P. env. 430 p., 2013 vol. 166 S. Bogevska Les églises rupestres de la région des lacs d’Ohrid et de Prespa, milieu du xiiie-milieu du xvie siècle 831 p., 2015 vol. 167 B. Bakouche (éd.) Science et exégèse. Les interprétations antiques et médiévales du récit biblique de la création des éléments (Genèse 1, 1-8) 398 p., 2015 vol. 168 K. Berthelot, R. Naiweld, D. Stökl Ben Ezra (éd.) L’identité à travers l’éthique. Nouvelles perspectives sur la formation des identités collectives dans le monde greco-romain 207 p., 2015 vol. 170 H. Seng Un livre sacré de l’Antiquité tardive : les Oracles chaldaïques 160 p., 2016

À paraître vol. 169 A. Guellati La notion d’auteur en islam classique 2015

vol. 171 Cl. Zamagni L’extrait des Questions et réponses d’Eusèbe de Césarée : un commentaire 2016 vol. 172 C. Ando Religion et gouvernement dans l’Empire romain 2016 vol. 173 Ph. Bobichon Controverse judéo-chrétienne en Ashkenaz (xiiie siècle). Florilèges polémiques : hébreu, latin, ancien français (Paris, BnF Hébreu 712, fol. 56v-57v et 66v-68v) 2016 vol. 174 V. Züber, P. Cabanel, R. Liogier (éd.) Croire, s’engager, chercher. Autour de Jean Baubérot, du protestantisme à la laïcité 2016 vol. 175 N. Belayche (éd.) Puissances divines en comparaison ou à l’épreuve du comparatisme 2016