Tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines: Partie 2, Tome 2 Science juridique. Philisophie [Reprint 2021 ed.] 9783112417324, 9783112417317

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Tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines: Partie 2, Tome 2 Science juridique. Philisophie [Reprint 2021 ed.]
 9783112417324, 9783112417317

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Tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines Deuxième partie ¡Tome Science

juridique

Philosophie

second:

Tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines Deuxième partiel Tome second: Science juridique Philosophie Sous la direction de

Jacques Havet

Moutan Éditeur/Unesco Paris LaHaye -New York mcmlxxviii

ISBN: 90-279-7703-8 (Mouton, La Haye) 2-7193-0809-1 (Mouton, Paris) 92-3-201013-5 (Unesco, Paris) © 1978, Unesco, place de Fontenoy, Paris Imprimé par NICI, Gand, Belgique

Table des matières générale

TOME I Préface, par Amadou-Mahtar M'BOW, Directeur Général de l'Unesco

XIII

Avant-propos, par Jacques HAVET, rapporteur général

xxi

I. Les sciences anthropologiques et historiques

1

Chapitre I.

L'anthropologie sociale et culturelle (Maurice FREEDMAN) 3 Chapitre II. L'archéologie et la préhistoire (Sigfried J. DE LAET) 195 Chapitre III. L'histoire (Geoffrey BARRACLOUGH) 249 II. L'esthétique et les sciences de l'art (Mikel DUFRENNE)

529

Chapitre IV. L'art et la science de l'art aujourd'hui Chapitre V. L'étude actuelle des principaux problèmes esthétiques et des différents arts

543 747

TOME II m . La science juridique (Viktor KNAPP)

965

Chapitre VI. La science juridique

967

IV. La philosophie (Paul RICOEUR)

1125

Chapitre VII. La pensée et les ordres de réalité Chapitre VIII. Le langage, l'action, l'humanisme Index

1137 1379 1623

Table des matières du tome second m . LA SCIENCE JURIDIQUE CHAPITRE VI. LA SCIENCE JURIDIQUE (Viktor KNAPP)

967

AVANT-PROPOS

969

SECTION I. CONSIDÉRATIONS D'ORDRE GÉNÉRAL

974

I.

La notion des tendances de la recherche en science juridique

974

II.

Notion de la science juridique

978

III.

La géographie juridique

983

SECTION II. LES GRANDS COURANTS THÉORIQUES CONTEMPORAINS

994

I.

Introduction (observations générales)

994

II.

Pays occidentaux 1. Théories dualistes (le droit naturel) 2. Théories limitant l'objet de la connaissance juridique au droit en vigueur 3. Théories sociologiques

998 999 1005 1008

Pays socialistes (la théorie marxiste-léniniste du droit)

1014

III.

SECTION III. TENDANCES PRINCIPALES

I.

Introduction (observations générales)

1024

II.

Méthodologie 1024 1. L'application des méthodes sociologiques 1025 2. Le droit comparé 1027 (a) Problèmes généraux 1027 (b) Tendances actuelles 1034 3. L'étude de l'applicabilité au domaine de la science juridique des méthodes empruntées aux sciences exactes 1042 (a) Problèmes généraux 1042 (b) Tendances actuelles 1045

Table des matières du tome second

VIII

III.

Histoire du droit 1. L'objet de l'histoire du droit 2. Le droit romain 3. His tor ia magistra vitae

1049 1049 1050 1501

IV.

Le droit et Vhomme 1. Introduction (observations générales) 2. Le droit au service de l'homme 3. Ethnologie juridique

1052 1052 1053 1058

V.

Le droit et la pratique démocratique

1059

VI.

Acculturation du droit 1. L'acculturation du droit dans les pays ayant récemment accédé à l'indépendance 2. Problèmes spécifiques de l'acculturation du droit musulman 3. Problèmes spécifiques de l'acculturation du droit au Japon 4. Les enclaves indigènes

1062 1064 1069 1072 1073

VII. Tendances actuelles intéressant le domaine des rapports internationaux 1. Le droit international et les problèmes actuels de la politique internationale 2. L'adaptation du droit interne aux normes du droit international

1078

VIII. Tendances nouvelles dues à l'essor des sciences de la nature et des techniques permises par ces progrès scientifiques

1079

1. Tendances actuelles intéressant le domaine du droit international et dues à l'essor des sciences de la nature : le droit spatial 2. Incidences et problèmes juridiques des greffes d'organes

1080 1084

EPILOGUE

1074 1074

1089

1. Conclusions et perspectives 2. Liaisons interdisciplinaires 3. Epilogue de l'Epilogue ANNEXE BIBLIOGRAPHIQUE

1089 1093 1098 1100

I.

Bibliographies juridiques

1100

II.

Liste des ouvrages cités

1101

Table des matières du tome second

ix

IV. LA PHILOSOPHIE (Paul RICOEUR) AVANT-PROPOS: LA PHILOSOPHIE ET LES PHILOSOPHIES AUJOURD'HUI

1127

CHAPITRE VII. LA PENSÉE ET LES ORDRES DE RÉALITÉ

1137

SECTION I. L'HOMME ET SES SAVOIRS: PENSER

1138

A. Philosophie de la logique §1. Logique et mathématiques §2. La philosophie mathématique § 3. La philosophie de la logique: problèmes de fondement § 4. La logique des sciences § 5. Logique et ontologie dans la pensée indienne et japonaise contemporaine B. Logique de la philosophie Introduction § 1. Philosophie analytique: la tâche d'élucidation § 2. Le type analytique (suite): démarche transcendantale § 3. Philosophie synthétique: les systèmes non marxistes § 4. Le type synthétique (suite) : logique et dialectique dans le matérialisme dialectique §5. Logique de la philosophie et formalisation § 6. La signification philosophique de l'histoire de la philosophie

1140 1140 1147 1154 1159 1162 1165 1165 1165 1175 1177 1180 1188 1190

SECTION II. L'HOMME ET LA RÉALITÉ NATURELLE

1204

A. Epistémologie des sciences de la nature § 1. Loi et théorie §2. La probabilité § 3. L'induction § 4. Logique de la découverte

1205 1206 1210 1215 1220

B. Théorie de la réalité naturelle 1223 § 1. Le référent du discours scientifique 1225 § 2. Les catégories de la réalité 1230 (a) Les notions d'événement et de temps 1230 (b) La notion d'espace 1232 (c) L'idée de cause 1234 § 3. Les niveaux de la réalité 1238 (a) L'organisation biologique 1238 (b) La conscience 1241 § 4. Le concept de réalité naturelle dans le matérialisme dialectique 1250 § 5. Philosophie de la nature 1257 § 6. Langage et ontologie 1265 § 7. Phénoménologie et ontologie 1273

X

Table des matières du tome second

SECTION III. L'HOMME ET LA RÉALITÉ SOCIALE

1282

A. La logique de l'explication § 1. La logique de l'explication dans les sciences sociales (a) L'objet des sciences sociales (b) L'explication (c) Neutralité et valeur (d) Rationalité e) Le problème distinctif de la connaissance dans les sciences sociales § 2. La logique de l'explication en psychologie a) Le behaviorisme b) Physicalisme ancien et nouveau c) Structuralisme génétique § 3. La psychanalyse et les sciences humaines §4. Epistémologie des sciences historiques a) Les philosophes de langue anglaise b) La philosophie soviétique c) Les travaux de langue française B. Philosophie sociale et politique Introduction § 1. Philosophie du droit et philosophie politique a) Philosophie du droit b) Philosophie politique § 2. Le matérialisme historique a) La théorie du reflet b) Le rapport de la conscience individuelle et de la conscience sociale § 3. L'homme et la réalité sociale dans une anthropologie philosophique a) Liberté et institutions b) Pouvoir et violence c) Violence et discours

1283 1283 1283 1286 1291 1293 1295 1297 1297 1304 1306 1309 1318 1322 1327 1333 1337 1337 1338 1338 1346 1356 1357 1358 1366 1366 1372 1375

CHAPITRE VIII. LE LANGAGE, L'ACTION, L'HUMANISME} 1379 SECTION IV. L'HOMME ET LE LANGAGE

1381

A. Epistémologie de la linguistique § 1. Linguistique structurale et linguistique transformationnelle § 2. Linguistique et sémiologie § 3. Linguistique et sciences humaines § 4. Linguistique et sciences de la nature B. Philosophies du langage Introduction § 1. La conception « analytique » § 2. Phénoménologie du langage

1381 1381 1388 1390 1393 1395 1395 1397 1403

Table des matières du tome second § 3. § 4. § 5. § 6.

Le marxisme et les problèmes philosophiques du langage Le structuralisme philosophique Le courant « herméneutique »: l'interprétation du langage Langage et ontologie selon les penseurs récents de l'Orient

xi 1406 1413 1418 1424

SECTION v . L'HOMME ET L'ACTION

1428

A. Théorie du discours pratique § 1. Théorie de la décision et des jeux §2. Logique du discours pratique : logique déontique § 3. Le raisonnement pratique et la théorie de l'argumentation B. Les philosophies de l'action § 1. La philosophie «analytique» et les problèmes de l'action humaine § 2. La liberté et la philosophie des « valeurs » § 3. Théorie et pratique dans la philosophie du marxisme

1429 1429 1438 1446 1450 1451 1462 1474

SECTION VI. L'HOMME ET LE FONDEMENT DE L'HUMANISME

1485

A. L'homme selon les pensées de l'Orient B. L'homme selon les pensées de l'Occident § 1. La conception analytique de l'homme et de l'humanisme et « the concept of mind » § 2. Le marxisme et la discussion sur l'humanisme § 3. La discussion sur l'humanisme dans la philosophie « continentale » C. La philosophie de la religion Introduction §1. L'ontologie-théologie : tradition et renouveau § 2. La critique de la religion dans la « philosophie analytique » § 3. La philosophie de la religion à l'école des sciences de l'homme § 4. « Jeux de langage » et « actes de discours » religieux § 5. L'herméneutique du langage religieux Conclusion: l'humanisme à la recherche de son fondement

1486 1492 1492 1497 1507 1528 1528 1529 1532 1537 1540 1542 1548

LISTE DES OUVRAGES CITES

1549

INDEX

1623

III. La science juridique

CHAPITRE V I

La science juridique VIKTOR KNAPP Professeur à l'Université Charles, Prague, Membre titulaire de l'Académie tchécoslovaque des sciences.

TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS SECTION I. CONSIDÉRATIONS D'ORDRE GÉNÉRAL

I. II. III.

La notion des tendances de la recherche en science juridique Notion de la science juridique La géographie juridique

SECTION II. LES GRANDS COURANTS THÉORIQUES CONTEMPORAINS

I. II.

III.

Introduction (observations générales) Pays occidentaux 1. Théories dualistes (le droit naturel) 2. Théories limitant l'objet de la connaissance juridique au droit en vigueur 3. Théories sociologiques Pays socialistes (la théorie marxiste-léniniste du droit)

SECTION III. TENDANCES PRINCIPALES

I. II.

Introduction (observations générales) Méthodologie 1. L'application des méthodes sociologiques 2. Le droit comparé (a) Problèmes généraux (b) Tendances actuelles 3. L'étude de l'applicabilité au domaine de la science juridique des méthodes empruntées aux sciences exactes (a) Problèmes généraux (b) Tendances actuelles

969 974

974 978 983 994

994 998 999 1005 1008 1014 1024

1024 1024 1025 1027 1027 1034 1042 1042 1045

968

Viktor Knapp

III.

Histoire du droit 1. L'objet de l'histoire du droit 2. Le droit romain 3. His tor ia magistra vitae IV. Le droit et l'homme 1. Introduction (observations générales) 2. Le droit au service de l'homme 3. Ethnologie juridique V. Le droit et la pratique démocratique VI. Acculturation du droit 1. L'acculturation du droit dans les pays ayant récemment accédé à l'indépendance 2. Problèmes spécifiques de l'acculturation du droit musulman 3. Problèmes spécifiques de l'acculturation du droit au Japon 4. Les enclaves indigènes VII. Tendances actuelles intéressant le domaine des rapports internationaux 1. Le droit international et les problèmes actuels de la politique internationale 2. L'adaptation du droit interne aux normes du droit international VIII. Tendances nouvelles dues à l'essor des sciences de la nature et des techniques permises par ces progrès scientifiques 1. Tendances actuelles intéressant le domaine du droit international et dues à l'essor des sciences de la nature: le droit spatial 2. Incidences et problèmes juridiques des greffes d'organes ÉPILOGUE

1. Conclusions et perspectives 2. Liaisons interdisciplinaires 3. Epilogue de l'Epilogue ANNEXE BIBLIOGRAPHIQUE

I. II.

Bibliographies juridiques Liste des ouvrages cités

1049 1049 1050 1051 1052 1052 1053 1058 1059 1062 1064 1069 1072 1073 1074 1074 1078 1079 1080 1084 1089

1089 1093 1098 1100

1100 1101

La science

juridique

969

AVANT-PROPOS

L a conception de la présente étude des tendances de la recherche en science juridique a fait, dans ses grandes lignes, l'objet d'un premier examen à la faveur d'une réunion d'experts qui s'est tenue à l'Unesco à Paris du 7 au 13 juillet 1967. Sur la base de cette discussion, le rapporteur international, alors désigné, établit un questionnaire sous forme de projet et, après avoir pris en considération les suggestions formulées par les rapporteurs associés internationaux 1 , distribua ce questionnaire à un certain nombre de « c o r respondants nationaux», dont chacun fut invité à présenter, en liaison avec les différentes rubriques du questionnaire, un tableau des principales tendances de la recherche juridique dans le cadre de son pays et, éventuellement, des pays voisins et à fournir une liste sélective d'illustrations bibliographiques. Il a reçu les réponses de 17 correspondants nationaux. 2 Outre les réponses au questionnaire, sept «contributions spéciales» ont été rédigées 3 à l'invitation de l'Unesco. Cinq commissions nationales 1. — Dr Allah Buksh K. BROHI, ancien ministre, avocat (Karachi, Pakistan); Professeur Hilding EEK (Université de Stockholm, Suède); Professeur F. H. LAWSON (Université de Lancaster, Royaume-Uni); Professeur Max RHEINSTEIN (Université de Chicago, Etats-Unis); Professeur André TUNC (Université de Paris, France). 2. — Dr Allah Buksh K. BROHI (Pakistan); —• Comité interacadémique du Conseil des Académies de la R. S. F. de Yougoslavie (président: Professeur Lado VAVPETIC); — Conseil national des recherches de l'Italie (rapporteur: Professeur Massimo Severo — — — —

GIANNINI);

— Professeur René DAVID (France) ; — Professeur Hilding EEK (Suède), assisté par les professeurs T. OPSAHL (Norvège) et H. JOKELA (Finlande), pour l'ensemble des pays nordiques (avec le concours des commissions nationales pour l'Unesco intéressées); — Professeur Hector Fix ZAMUDIO (Mexique); — Dr Ahmad bin Mohd. IBRAHIM (Singapour), pour la Malaisie et Singapour; — Institut des Sciences de l'Etat et du Droit de l'Académie des Sciences de l'U.R.S.S.; — Mr. Justice Adeyinka MORGAN (Nigeria); —. Professeur Zoltan PÉTERI (Hongrie); — M. Edilbert RAZAFINDRALAMBO (Madagascar); — Professeur Max RHEINSTEIN (Etats-Unis); — Professeur G. S. SHARMA (Inde); — Professeur Kenneth R. SIMMONDS (Royaume-Uni); — Professeur Seydou Madani SY (Sénégal); — Professeur UKAI Nobushige (Japon); — Professeur Reinhold ZIPPELIUS (Rép. Féd. d'Allemagne). 3. — Professeur Norberto BOBBIO (Italie): «L'objet de la science juridique»; — Professeur René DAVID (France): «Géographie juridique»; — Professeur Hilding EEK (Suède): «Coercion versus voluntary submission to law»; — Professeur Viktor KNAPP et Dr Vladimir VRECION (Tchécoslovaquie): «L'applicabilité des méthodes de la cybernétique au droit et à l'administration»; — M. Y. LINANT DE BELLEFONDS (France) : «Les tendances actuelles du droit comparé en pays d'Islam»; — Professeur Radomir LUKIC (Yougoslavie): «Rapport entre l'histoire du droit et l'histoire des théories juridiques et politiques»;

970

Viktor Knapp

pour l'Unesco, celles de la Belgique, de l'Inde, du Japon, de la République arabe d'Egypte et de la R. S. S. d'Ukraine, ont bien voulu faire parvenir au rapporteur international des contributions écrites, rédigées respectivement par l'Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique; par les professeurs B. S. MURTY et T. S. RAMA R A O ; par le professeur AOMI Junichi; par les professeurs Sarawat ANIS, Soufi Abou TALEB, Salah Eldin ABDEL-WAHAB, Fouad EL-ATTAR et Abdel Moneim EL-BADRAWI; et par l'Académie des Sciences de la R. S. S. d'Ukraine. La Commission nationale de l'U.R.S.S. lui a fourni le texte d'un essai du professeur Zinovi CERNILOVSKIJ (Tchernilovsky) sur le thème: «Le niveau actuel des connaissances sur l'origine et le rôle de l'Etat». Enfin, un certain nombre de contributions spontanées et de commentaires divers ont également facilité le travail du rapporteur en complétant son information et l'éventail des points de vue exprimés: il convient de mentionner, notamment, les apports du professeur F. H. LAWSON, déjà nommé parmi les rapporteurs associés, et à cette époque secrétaire général de l'Association internationale des sciences juridiques, qui a bien voulu rédiger des réponses détaillées au questionnaire, en particulier pour les pays du Common Law, de M . le juge J. MALHERBE (Lyon, France) et du R. P. François Russo (Paris). 4 Le présent exposé, rédigé par le rapporteur international, s'appuie sur les réponses au questionnaire, sur les contributions spéciales, sur les contributions des commissions nationales et sur ces différents apports; mais ne se borne pas à en proposer une compilation. L'auteur a choisi la matière, il a remanié la structure initialement envisagée et il a en outre inséré certains développements inspirés par sa propre connaissance de tendances actuelles dont les documents reçus ne faisaient pas état. S'il est apparu nécessaire de remanier la structure qui avait été initialement envisagée pour cette étude, c'est surtout parce que les réponses au questionnaire ont montré que l'éventail des questions proposées était trop large et qu'en ce qui concerne un grand nombre d'entre elles il n'existe pas, dans la science juridique contemporaine, de tendances de la recherche qui soient assez significatives pour mériter d'être mentionnées. C'est pourquoi les rubriques ont fait l'objet d'un choix tendant à centrer l'étude sur les tendances les plus notables. Le manuscrit a été soumis en projet à l'examen des rapporteurs associés; l'auteur a tenu, en outre, à solliciter les observations de ses amis le professeur — Professeur Jean POIRIER (France): «Situation actuelle et programme de travail de l'ethnologie juridique». 4. Les réponses de MM. Fix Zamudio, Giannini, Péteri et Rheinstein, et les contributions de MM. Aomi, Knapp et Vrecion, Poirier, Cernilovskij (Tchernilovsky), ainsi qu'une compilation des contributions des auteurs de la République arabe d'Egypte élaborée par MM. Abdel-Hamid et Tageldin ont été publiées dans la Revue internationale des Sciences sociales (Unesco), XXII (3), 1970 (numéro spécial: Tendances de la science juridique), en vertu d'une sélection effectuée par la rédaction de cette revue, et engageant sa seule responsabilité.

La science juridique

971

V. M. CHIKVADZE (Tchkhikvadzé), membre correspondant de l'Académie des sciences de l ' U . R . S . S . , et l'académicien Imre SZABÓ, directeur de l'Institut de l'Etat et du Droit de l'Académie hongroise des Sciences. En mettant au point la version finale de son manuscrit, l'auteur a tenu compte de toutes les observations ou suggestions ainsi recueillies. Ces principes de mise en œuvre confèrent au présent travail un caractère spécifique; et ceci d'autant plus que, tout en étant l'ouvrage de son auteur, cet exposé résulte d'une coopération poussée avec les rapporteurs associés, qui se sont prononcés sur toutes les versions successives du manuscrit et qui ont recommandé de nombreux changements et compléments. Ceci est d'autant plus important que l'auteur - le lecteur le reconnaîtra bientôt - est marxiste et parle en marxiste, tandis que les rapporteurs associés ne partagent pas cette conception théorique. Il a donc souvent été nécessaire que l'auteur s'efforçât, dans l'esprit des recommandations formulées, pour l'ouvrage entier, par les deux réunions convoquées par l'Unesco en juillet 19675 et en juin 1969, de rechercher des formulations qui, sans abandon, bien sûr, de ses propres convictions philosophiques, pussent être acceptables pour ses cinq collègues. Conformément aux recommandations des réunions mentionnées, l'auteur a pris soin de s'abstenir de toute prise de position polémique à l'endroit des opinions de ses rapporteurs associés (auxquels, au demeurant, il voue un respect et une estime tout particuliers) ; sans pour autant, bien entendu, dissimuler les différences qui séparent ses conceptions des leurs, il a cherché essentiellement à présenter au lecteur, suivant l'intention de l'Unesco, un tableau fidèle des tendances principales qui se manifestent effectivement de nos jours dans la science juridique - compte tenu du fait que, le droit étant déterminé par le système social et économique du pays où il est en vigueur, le tableau même des tendances principales de la recherche en science juridique est influencé à son tour, comme en témoignent d'ailleurs les réponses à notre questionnaire, par la division du monde contemporain en grands systèmes socio-économiques séparés par de profondes divergences. Il s'ensuit que l'objet du présent exposé est plutôt de déceler, de décrire et de classifier ce qui se développe aujourd'hui dans la science juridique mondiale, que de résoudre par lui-même des problèmes scientifiques. C'est aussi pour cette raison qu'en proposant un tableau des tendances de la recherche juridique, l'auteur s'abstient, en règle générale, de se prononcer sur leur valeur et que, abstraction faite de l'aveu du point de départ idéologique qui vient d'être exposé, il n'exprime pas, à quelques exceptions près que le lecteur reconnaîtra sans difficulté, sa propre opinion scientifique sur les problèmes liés aux tendances exposées. Du fait que, tout en restant, comme il vient d'être dit, l'ouvrage de son auteur, le présent exposé s'alimente également aux observations des rapporteurs associés, aux réponses des correspondants nationaux, etc., il était également inévitable que les citations présentassent un caractère assez inhabituel: l'auteur n'a pu se contenter de se référer, comme on le fait d'ordi5. Cf. supra.

972

Viktor Knapp

naire, à des ouvrages dûment publiés; très souvent, il lui a paru nécessaire de citer même des documents non publiés: observations des rapporteurs associés, réponses des rapporteurs nationaux, etc. Etant donné que les réponses et contributions publiées dans la Revue internationale des Sciences sociales6 ont été raccourcies et remaniées, voire récrites en vue de cette publication, nous les citons en règle générale, elles aussi, d'après les manuscrits, qui sont déposés aux archives de l'Unesco; cependant, dans les cas où le passage visé figure dans la version publiée, nous en donnons également la référence précise pour la commodité du lecteur désireux de s'y reporter. 7 En ce qui concerne les références bibliographiques, il faut encore ajouter que la bibliographie concernant la matière dont s'occupe la présente étude est immense. Il était donc impossible d'en citer même un choix représentatif. Un tel choix aurait été d'autant plus difficile à réaliser que l'auteur ne saurait prétendre qu'il n'ignore pas certains ouvrages, même peut-être fort remarquables, qui ont pu être publiés dans les langues qui ne lui sont pas accessibles et dans les pays à propos desquels aucun renseignement bibliographique n'était fourni par les rapports nationaux. L'auteur le regrette d'autant plus qu'il appartient lui-même à un pays où l'on avait coutume d'évoquer, non sans amertume, le dicton: bohemica non leguntur, et il demande qu'on veuille bien l'excuser s'il a omis de citer tel ou tel ouvrage que le lecteur aurait souhaité trouver parmi les références bibliographiques. Pour garantir le maximum d'objectivité, l'auteur puise ces références en premier lieu dans les listes d'ouvrages qui lui ont été proposées par les rapporteurs nationaux. Cependant, ces listes étant conçues très différemment selon les cas, il était nécessaire d'y pratiquer une sélection, en règle générale très limitative. Dans certains cas, surtout lorsque les rapports nationaux ne comportent aucune référence bibliographique ou n'en donnent que de très succinctes, aussi bien que pour les ouvrages intéressant des domaines très spécialisés (tels, par exemple, le droit spatial, les incidences juridiques des greffes d'organes, l'applicabilité des méthodes exactes à la recherche juridique, etc.), l'auteur a eu recours à sa propre connaissance deladocumentation existante, ou bien, le cas échéant, il a consulté des spécialistes. En outre, du fait que le présent chapitre représente un travail de plus de cinq ans au cours desquels la production d'ouvrages de science juridique ne s'est nullement arrêtée, l'auteur s'est vu obligé de suivre, dans la mesure de ses possibilités, le développement de la littérature et de compléter l'Annexe bibliographique en choisissant lui-même un certain nombre d'ouvrages. Enfin, l'auteur a ajouté dans l'Annexe bibliographique et dans les notes de bas de pages certains ouvrages que les rapporteurs associés souhaitaient y voir figurer.

6. Voir ci-dessus, p. 970, note 4. 7. Dans les notes de bas de pages qui suivent, seuls les noms des auteurs cités d'après des ouvrages ou travaux publiés (lesquels figurent également, avec des références précises, dans l'Annexe bibliographique du chapitre) sont imprimés en capitales.

La science juridique

973

Rappelons encore que le présent exposé n'a pas pour objet de décrire l'état actuel de la science juridique dans le monde et de dresser un état des problèmes dont elle traite : conformément à la conception de l'ouvrage dont il fait partie, son propos est strictement d'examiner les tendances principales qui se manifestent à l'heure actuelle dans la science juridique. Cet exposé n'a pas non plus un caractère encyclopédique, et telle n'est aucunement son ambition. Les tendances de la recherche sont déterminées plutôt par les questions que par les réponses. C'est pourquoi on s'est proposé en premier lieu d'attirer l'attention du lecteur sur les questions et les problèmes propres à mettre en relief les tendances actuelles de la recherche dans le domaine de la science juridique; mais on n'a pas toujours tenté d'y adjoindre un survol encyclopédique des solutions qui leur sont apportées. Avant de clore cet avant-propos, l'auteur tient à exprimer ses plus vifs remerciements et sa gratitude sincère au rapporteur général, M. Jacques Havet, qui lui a prêté un concours inestimable, et à tous ceux qui ont contribué à son travail par leurs conseils, suggestions et critiques, par leurs réponses, informations et appréciations - aux rapporteurs associés internationaux, aux correspondants nationaux, aux auteurs des contributions spéciales, aux différents collaborateurs bénévoles, aux commissions nationales pour l'Unesco qui ont bien voulu apporter une contribution à l'enquête, ainsi qu'au professeur Chikvadze et à l'académicien Szabô pour l'examen critique de la première version du manuscrit. Etant donné la gamme très étendue de problèmes faisant l'objet du présent travail, l'auteur s'est en outre adressé à maintes reprises à ses collègues de Prague pour leur demander aide et conseils, notamment aux professeurs Vladimir KOPAL (pour les rubriques VII/1 et VIII/1) et Pavel KALENSKY (pour la rubrique VII/2); à eux aussi il exprime ses chaleureux remerciements.

974

Viktor Knapp

Section I. CONSIDÉRATIONS D'ORDRE GÉNÉRAL

I . LA NOTION DES TENDANCES DE LA RECHERCHE EN SCIENCE JURIDIQUE

1. La notion même de tendance revêt des sens différents et les tendances qui se manifestent à une certaine époque dans une science donnée peuvent être et sont d'ordres très variés. C'est ainsi qu'on peut surtout constater, à telle ou telle époque et dans telle ou telle science, des tendances à la stagnation, à l'immobilité, une certaine prédilection à poursuivre les recherches dans l'enceinte d'horizons déjà reconnus, en ayant recours à des méthodes déjà éprouvées. Ailleurs, au contraire, on voit se manifester une tendance dynamique, un effort pour modifier les opinions régnantes, pour étendre le champ de vision d'une discipline scientifique, pour fonder des démarches et des approches nouvelles et mettre au point des méthodes inédites. Ce sont ces tendances dynamiques, telles qu'elles se manifestent dans l'évolution de la science juridique actuelle, que nous nous proposons d'étudier; nous allons essayer de montrer vers quoi tend la recherche et surtout de dégager les éléments nouveaux qui se manifestent dans la science juridique, et cela même si ces éléments ne sont pas encore dominants ni même très affirmés, s'ils ne font encore que se dessiner à l'état naissant - dans la mesure, du moins, où l'on peut détecter les premiers signes du surgissement d'une novation dans la recherche. Cependant, en tentant de déceler les tendances nouvelles de la recherche dans le domaine de la science juridique, il importe de garder à l'esprit certaines conditions spécifiques du développement de notre science. C'est, tout d'abord, que la science juridique opère en règle générale à l'aide de notions qui présentent un degré élevé d'abstraction (et cela, à notre avis, même si elle a pour objet un case law) et qui, même si leurs contours se modifient souvent, n'en conservent pas moins la forme abstraite sous laquelle elles existent à travers les âges et survivent dans une certaine mesure aux formations sociales.8 Il faut aussi tenir compte du fait que les conditions dans lesquelles se 8.

ENGELS,

Ludwig Feuerbach,

chap. 4.

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développe la science juridique sont bien différentes de celles qui président au développement des sciences de la nature, et qu'on ne saurait s'attendre, dans notre discipline, à des découvertes analogues à celles des sciences de la nature. En revanche, comme nous le verrons plus loin, l'essor des sciences exactes et des sciences de la nature, qui influe sur le développement des rapports sociaux, commence à influencer considérablement la science juridique et à y engendrer des tendances nouvelles. Notons aussi un autre facteur spécifique dans la recherche juridique: l'influence assez forte des traditions de la «façon de penser» juridique. Cette «déformation professionnelle» des juristes est d'une importance considérable: ce qu'on appelle la «façon juridique de penser» - que celle-ci provienne des traditions du droit romain ou de celles du Common Law est une arme particulièrement efficace dans la pratique juridique (arme que l'on peut comparer au doigté dont a besoin un chirurgien); mais pour un chercheur en matière juridique, la «pensée juridique» traditionnelle constitue irn élément conservateur qui freine la recherche d'horizons nouveaux au-delà des limites classiques de la «pensée juridique» (limites à l'intérieur desquelles, nous osons l'affirmer, il n'est guère probable qu'on en découvre de nouveaux et d'importants). Cependant, tous ces caractères particuliers du développement de la science juridique n'ont nullement empêché que, depuis la fin du 19e siècle, celle-ci ait connu un puissant essor, qui représente F«arrière-plan» historique des tendances actuelles offertes à notre examen. Il est indubitable que, comme nous le verrons, la science juridique que nous connaissons aujourd'hui ressemble très peu à ce qu'elle était il y a cent ans et que c'est surtout sur les plans philosophique et méthodologique que notre discipline a connu, depuis la fin du 19e siècle, les changements les plus profonds et les plus importants. Cependant, même en ce qui concerne la recherche intéressant le droit positif - domaine dans lequel, pour les raisons susmentionnées, la science juridique est relativement conservatrice - , elle ne vit pas seulement des acquis du passé: il convient de reconnaître que certaines tendances nouvelles (souvent audacieuses et même conquérantes) s'y manifestent de nos jours; mais elles ne se font pas sentir uniformément sur toute son étendue (laquelle, d'ailleurs, comme nous allons le voir, n'est déterminée que de manière assez vague), mais se manifestent seulement dans la solution de certains problèmes ou dans les limites de branches ou cantons particuliers de la science juridique. Par exemple, l'essor puissant de la recherche dans le domaine du droit comparé, dont nous nous occuperons ci-dessous de façon plus détaillée, compte au nombre des tendances les plus marquées de la science juridique contemporaine; cependant, en Europe continentale, cette tendance est visiblement plus forte dans le domaine du droit privé que dans celui du droit public 9 , tandis que dans les pays du Common Law le centre de gravité 9. Cela ne signifie nullement que le droit public comparé soit négligé en Europe continentale; cette branche d'étude y existe aussi, bien qu'elle n'y ait pas la même vigueur que le comparatisme en matière de droit privé. En ce qui concerne le droit public comparé,

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du droit comparé se situe plutôt dans le domaine du droit administratif. 10 On trouve un autre exemple de ce caractère partiel de certaines orientations nouvelles dans les pays où prédomine jusqu'à l'heure actuelle une conception positiviste de la connaissance du droit et où, néanmoins, une inspiration sociologique s'impose très souvent dans la recherche touchant les problèmes relatifs au droit du travail, au droit de la famille et au droit pénal, ceux-ci étant si étroitement liés aux problèmes sociaux qu'on ne peut envisager d'en mener à bien l'étude sans faire intervenir ces derniers. Les limites assignées au présent exposé nous interdisent de faire place à toute sorte de variations de détail. Aussi n'avons-nous pas l'intention de mettre en lumière chacun des changements d'opinions, voire de conceptions, qui ont pu intervenir dans les différentes branches des études juridiques; tout ce que nous nous proposons de faire, c'est d'étendre notre examen à des tendances qui, encore qu'elles se manifestent seulement dans la solution de certains problèmes ou dans une seule branche de la science juridique, méritent d'être considérées comme d'une importance dépassant les limites de ce problème ou de ce secteur et, de ce fait, doivent être comptées au nombre des «tendances actuelles de la recherche juridique», au sens plénier de cette expression. Nous avons jugé que cet avertissement préliminaire était nécessaire pour que le lecteur soit averti d'emblée que non seulement la présente étude ne fournit pas un tableau proprement descriptif de l'état actuel de la science juridique, mais qu'elle ne fait même pas mention de certaines branches étendues et assurément respectables de cette science (elle les passe sous silence dans le cas où aucune des tendances nouvelles importantes de la recherche ne s'y manifeste), alors qu'au contraire elle traite en détail de plusieurs questions qui n'ont pas, jusqu'à présent, sensiblement influencé la science juridique mondiale, mais dans lesquelles certaines tendances et perspectives nouvelles se manifestent pourtant très nettement. 2. La question reste posée de savoir d'où proviennent ces tendances nouvelles. Depuis longtemps, à partir du moment où la science juridique est devenue science socialen, on admet, d'après l'opinion dominante, que les tendances de la science juridique ne sont nullement fortuites ni déterminées par le seul épanouissement de l'esprit humain, mais qu'elles sont dérivées voir, par exemple, le recueil Vergleichung im öffentlichen Recht (1964); ROZMARYN, «Quelques questions de la théorie des constitutions socialistes» (1965); JOVICIC, Savremeni federalizam. Uporednopravna studija (1973); etc. Rappelons aussi la série des travaux de droit public comparé, «Cas concrets d'administration comparée», éditée par l'Institut international des Sciences administratives à Bruxelles. Mentionnons également le colloque organisé par l'Association internationale des sciences juridiques à Moscou en septembre 1970 sur l'influence du fédéralisme sur le développement des systèmes juridiques (voir Le Fédéralisme et le développement des ordres juridiquesIFederalism and the Development of Legal Systems, 1971). Voir aussi Livre du centenaire de la Société de Législation comparée, 1.1, section IV («Les apports du droit comparé au droit public français») (1969). 10. Lawson, Observations. 11. Voir plus loin, Section II, titre II, 3, p. 1008 sq., et Section III, titre II,l,p,1025itf.

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de l'évolution sociale et qu'elles agissent elles-mêmes en retour sur cette dernière. Cependant, il ressort de ce que nous avons déjà dit que l'opinion dominante dont nous venons de faire état est loin d'être homogène et que les conditions sociales déterminant les tendances de la science juridique sont conçues différemment en fonction des différentes conceptions de l'évolution de la société elle-même. Il faut aussi se garder de simplifier cette idée fondamentale. On ne saurait donc se contenter, même dans l'optique marxisteléniniste, de l'affirmation que les tendances de la science juridique sont déterminées par la base sociale12: car celle-ci ne détermine que les traits fondamentaux de la superstructure sociale; il faut encore se demander s'il n'existe pas - à l'intérieur de ce cadre général - d'autres éléments qui contribuent à déterminer les différentes tendances de la recherche. Ceux-ci existent à notre avis et, étant à leur tour également déterminés par la base sociale, ils sont assez divers, voire assez hétérogènes. C'est surtout et en premier lieu la politique qui influe sur le contenu et sur la forme du droit et même sur la science juridique. Citons à ce propos les réponses au questionnaire élaborées par l'Institut de l'Etat et du Droit de l'Académie des Sciences de l'U.R.S.S. : on y lit que, en ce qui concerne les principes, on peut même constater une «unité de la politique et du droit concernant certaines parties de leur contenu et de leurs buts, l'identité de certaines de leurs fonctions visant à la mise en ordre du système social, une certaine coïncidence des sphères de leur action, etc.» 13 Le droit et la science juridique et leur développement sont influencés aussi par les différentes conceptions philosophiques (par l'encadrement philosophique de la notion du droit, etc.), dans certains pays par la religion, par des données ethniques, par l'essor des sciences sociales, et même, comme mention en a déjà été faite, par l'essor des sciences de la nature, etc. Nous reviendrons, dans la deuxième et dans la troisième section du présent exposé, sur certains de ces éléments, en tant qu'ils influencent les grands courants théoriques et les tendances principales de la science juridique contemporaine. 3. Avant de poursuivre, nous voudrions ajouter encore quelques mots sur l'action en retour des tendances de la science juridique sur l'évolution sociale. Les tendances de la recherche en science juridique étant déterminées, en dernière analyse, par des données sociales, visent à leur tour certains buts sociaux, elles influencent non seulement le développement de la pensée juridique mais même, intentionnellement ou inconsciemment, le développement de l'Etat et du droit (du système donné de démocratie, de législation, d'application du droit, etc.). Il est évident que, dans un monde divisé en systèmes sociaux et économiques différents, même les tendances du développement de la science juridique reflètent les différences, voire les antagonismes sociaux et idéologi12. Voir Section II, titre III, p. 1014 sq. 13. Réponses, p. 8.

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ques du monde contemporain. (Nous serons obligés d'y revenir fréquemment dans la présente étude.) Sans préjudice du dynamisme ou de l'immobilisme que peuvent refléter les tendances sur le plan proprement scientifique, on peut distinguer, du point de vue de leur action sociale, entre celles qui servent le progrès de la société et celles qui le freinent, qui le ralentissent. Cela signifie que certaines tendances du développement de la pensée juridique peuvent servir le perfectionnement de la société, tandis que d'autres tendent à conserver ce qui s'oppose au progrès social. Cependant, il est évident que même l'évaluation de ce qui est progressiste et de ce qui est conservateur ou réactionnaire dépend des points de départ antagoniques dont mention a été faite, et que le point de vue marxiste-léniniste15 est, à ce propos, opposé à tout point de vue lié à une conception non marxiste de la science juridique. 16 4. Cependant nous avons déjà souligné que la présente étude excluait la polémique. C'est pourquoi, sans dissimuler que le point de vue marxisteléniniste est le nôtre, nous nous bornons ici à avertir le lecteur de l'action sociale des tendances de la science juridique et des différences d'appréciation dont elles font l'objet à cet égard, du fait de l'opposition entre les différentes conceptions de la société entière et de son développement. Avant d'esquisser les grands courants et les tendances principales de la recherche en science juridique de nos jours, il nous faut encore examiner deux questions préalables qui jouent un rôle important pour la naissance et pour l'orientation des tendances de notre science en différents contextes, et qui sont, à leur tour, un miroir de ces dernières: la notion de la science juridique elle-même, et ce qu'on appelle parfois «géographie juridique».

II.

NOTION DE LA SCIENCE JURIDIQUE

1. La notion de la science juridique est assez peu claire et il faut reconnaître qu'on ne peut donner à cette notion «ni contenu déterminé, ni limites précises».17 14. Cette idée est bien connue des marxistes; cependant on la trouve aussi dans la littérature non marxiste. On lit, par exemple, dans l'ouvrage de CARBONNIER, Flexible droit (1969), p. 123, que «dans une économie libérale et capitaliste, l'ordre juridique est forcément capitaliste et libéral ...». 15. Un des buts de la science juridique marxiste-léniniste est une lutte idéologique contre les tendances réactionnaires dans la science juridique; cf. Chikvadze, Observations (point 1): «... pour le développement progressif de la science [se. juridique, V. K.], il est très important de déceler non seulement les tendances positives de ce développement, mais aussi ce qui l'empêche, ce qui s'oppose comme ancien au nouveau, comme réactionnaire au démocratique, etc. » Nous reviendrons plus loin sur ce problème [Section II, titre III, 6 (a) (iv), p. 1020], lorsque nous passerons en revue les tendances principales qui sont considérées du point de vue marxiste-léniniste comme freinant le progrès social. 16. Cf., par exemple, la conception de M. Rheinstein de l'action du droit en faveur du progrès social; voir surtout ci-dessous, Section III, titre IV, 2 (a), p. 1052-1056. 17. Bobbio, «L'objet de la science juridique», contribution spéciale.

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Même la terminologie est loin d'être unifiée: on emploie tantôt le singulier (la science juridique), tantôt le pluriel (les sciences juridiques), divergence qui, dans certains cas, peut être imputable à une négligence d'expression ou à de simples conventions de langage, mais qui, assez souvent, traduit une véritable différence de conception. Dans ce dernier cas on entend, sous la notion de sciences juridiques au pluriel, (a) soit les sciences diverses qui s'attachent toutes au droit, mais en l'abordant de différents points de vue: on distinguera ainsi, par exemple, la dogmatique, la politique, la sociologie juridiques, etc.; (b) soit les sciences qui traitent des différentes branches du droit (droit constitutionnel, administratif, civil, pénal, international, etc.), de la philosophie (ou, le cas échéant, de la théorie générale) du droit, du droit comparé, etc.; (c) soit encore l'ensemble constitué par la science juridique et la science de l'Etat (Staatslehre), la science juridique, au singulier, étant conçue comme une science générale qui englobe respectivement les sciences juridiques spéciales mentionnées cidessus. Dans la présente étude nous emploierons l'expression de «science juridique» au singulier pour désigner la science générale qui englobe toutes les recherches juridiques spéciales. 2. Les obstacles auxquels se heurtent les tentatives pour donner une définition de la science juridique sont multiples. Ils proviennent tout d'abord et au premier chef de l'incertitude qui règne quant à l'objet de cette science. (a) Une diversité considérable d'opinions existe en ce qui concerne la portée assignée à la connaissance que la science juridique se propose d'engendrer, c'est-à-dire - en simplifiant quelque peu - la question de savoir si le but de la science juridique est limité à l'analyse et à l'interprétation du droit en vigueur (conception positiviste) ou s'il englobe la modification du droit en vigueur, ce qui implique que notre science ne se borne pas à l'accepter comme un objet donné, mais entend œuvrer en faveur de son évolution, de sa transformation, surtout par l'étude de lege ferenda, par le changement de l'interprétation, etc. (conception sociologique). Nous verrons plus tard que cette dernière conception est devenue dominante dans la science juridique contemporaine. (b) Il existe également depuis longtemps une large diversité d'opinions quant à l'étendue (aux limites) à assigner à la science juridique, et notamment quant à la question de savoir si la science juridique est une science qui s'occupe exclusivement de la connaissance du droit ou si sa compétence s'étend aussi à la connaissance de l'Etat, ce qui, dans l'affirmative, fait d'elle une science de l'Etat et du droit. 18 Une autre difficulté pèse encore sur les tentatives pour définir la science juridique: c'est l'ambiguïté du mot «science» lui-même. Il est bien connu 18. Cf. supra, sub 1 (c).

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que le sens du mot français «science» ne correspond que très approximativement au sens du mot allemand Wissenschaft, à celui du mot russe nauka, ou à celui du mot anglais science. Alors que les mots Wissenschaft et nauka signifient, sans aucun doute et sans danger d'équivoque, la science en général, le «Savoir», le mot français «science» demeure chargé d'une certaine ambiguïté dans la mesure où il désigne aussi bien les sciences en général que les sciences exactes et naturelles en particulier; quant au mot anglais science, il est apparemment tellement lié à l'idée de science exacte ou naturelle (natural science) que l'expression légal science est suspecte de traduire une conception de la science juridique en tant que «science» entendue stricto sensu, c'est-à-dire une volonté d'introduire dans la science juridique les méthodes mêmes qui ont valu leurs réussites aux sciences de la nature. (C'est la raison pour laquelle Max Rheinstein a préféré ne pas employer dans ses réponses au questionnaire l'expression de légal science et l'a remplacée par celle de légal learning.) Cependant, la différence entre la conception «continentale» de la science juridique et celle des pays du Common Law est encore plus profonde, et elle résulte dans une large mesure de la différence qui sépare les conceptions du droit lui-même dans ces deux systèmes.19 Dans les pays de tradition «continentale», la science juridique est considérée comme un domaine réservé aux savants juristes «professionnels» (professeurs de droit, chercheurs) tandis que les praticiens (juges, avocats, administrateurs) reçoivent les résultats de la recherche scientifique «professionnelle» et se réfèrent, en les acceptant ou, le cas échéant, en les rejetant, aux opinions publiées dans la littérature scientifique, laquelle influe ainsi sur la pratique (sur la législation et sur l'application du droit). Au contraire, dans les pays du Common Law, ce sont en premier lieu les praticiens - juges, avocats (barristers), administrateurs - qui développent la pensée juridique, donc la science juridique; la vocation des universitaires étant, outre l'enseignement du droit, d'aider les praticiens par la critique et en suggérant des approches nouvelles.20 Le rôle des universitaires (academic lawyers) par rapport aux praticiens est donc, dans les pays du Common Law, bien différent de ce que l'on trouve dans les pays du droit «continental»; et la limite entre la science et la pratique juridiques est, dans les pays du Common Law, beaucoup moins marquée que dans les pays où la science juridique s'est développée sous l'influence des traditions de l'Europe continentale. Notons cependant que, comme nous le rappelle Rheinstein 21 , cette différence entre la position de la science juridique dans les pays de Common Law d'une part et dans les pays du droit continental d'autre part, tout en restant très importante, s'est atténuée au cours d'une évolution relativement récente, et continue à s'atténuer. On peut observer dans les pays de Common Law un mouvement d'intérêt remarquable de la science juridique pour 19. Voir plus loin, sub III, 4, p. 988 sq. 20. Lawson, Observations. Cf. RHEINSTEIN, «Die Rechtshonoratioren und ihr Einfluss auf Charakter und Funktion der Rechtsordnungen» (1970). 21. Rheinstein, Observations on the new statement, p. 1,2.

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l'étude du droit positif (la dogmatique juridique), type de recherche qui, traditionnellement, était en Angleterre moins développé que la philosophie, la théorie générale et l'histoire du droit. 22 Cet intérêt de la science juridique pour l'examen du droit positif est sans doute aussi l'une des raisons qui ont contribué à accroître le rôle de la science juridique dans les pays de Common Law, y compris les pays en voie de développement. (Nous ferons mention plus loin de l'importance qui est attribuée, dans ces pays, à l'enseignement du droit.) Au contraire, on décèle un certain affaiblissement du rôle joué par la science du droit dans la vie juridique des pays de tradition «continentale», où ce rôle était habituellement prépondérant. En conséquence, en traitant des tendances de la science juridique, nous ne nous bornerons pas à la science juridique «académique», mais tenterons de déceler les tendances principales de la pensée juridique sans préjudice de leur origine. 3. En ce qui concerne la question de savoir si l'objet de la science juridique est exclusivement le droit (soit positif, soit «naturel», ou éventuellement les deux) ou si sa compétence s'étend à la fois à l'étude du droit et à celle de l'Etat, on rencontre depuis longtemps les conceptions suivantes. (a) Selon la première, la science juridique englobe tacitement aussi la recherche relative à l'Etat: cette conception appartient surtout à la tradition française; elle se rencontre également dans les pays qui ont reçu l'influence de la tradition française, aussi bien d'ailleurs que celle de la tradition allemande, pour laquelle Vallgemeine Staatslehre a été et continue d'être considérée en règle générale comme partie intégrante de la science juridique. 23 (b) D'après une deuxième conception, la connaissance du droit d'un côté et celle de l'Etat de l'autre sont sans doute très étroitement liées l'une à l'autre, cependant l'une n'englobe pas l'autre, mais on construit une science de l'Etat et du droit: c'est typiquement le cas des pays socialistes 24 , bien que la terminologie n'y soit pas uniforme ni toujours parfaitement explicite. L'expression en usage en U.R.S.S., par exemple, est pravovaja nauka (la science juridique), encore qu'il ne fasse pas de doute qu'on entend par là la science de l'Etat et du droit. 2 5 En revanche, en Tchécoslovaquie, en Hongrie et en Bulgarie, par exemple, on emploie constamment l'expression «science de l'Etat et du droit». Cependant, sans égard aux différences terminologiques, on peut constater que la conception marxiste-léniniste considère la science de l'Etat et du droit comme une science qui reflète 22. Cf. LAWSON, «Doctrinal writing. A foreign element in English law?» (1969). 23. Cf. René David dans ses réponses au questionnaire: «La connaissance de l'Etat fait, selon la tradition française, partie de la science juridique»; cf. aussi Zur Einheit der Rechts- und Staatswissenschaften (1967). 24. Cf. ARZANOV, Gosudarstvo ipravo v ih otnosenii (1960). 25. On trouve un témoignage de ce fait dans le titre officiel et complet de l'Institut spécialisé de l'Académie des Sciences de l'U.R.S.S. destiné à la recherche juridique : «Institut de l'Etat et du Droit de l'Académie des Sciences de l'U.R.S.S.».

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l'unité de l'Etat et du droit dans la vie sociale et les examine dans leurs rapports mutuels. 26 (c) Selon une troisième conception, la recherche relative à l'Etat est soit placée hors de la science juridique et considérée comme faisant l'objet des sciences politiques (political science, political philosophy, etc.), soit partagée entre celles-ci et la science juridique. C'est surtout en Angleterre et dans les pays où cette recherche s'est développée sous l'influence anglaise que la recherche relative à l'Etat est nettement séparée de la science juridique; mais il convient également de noter qu'en Italie la doctrine générale de l'Etat (dottrina generale dello stato), qui est d'ailleurs manifestement influencée par la conception allemande de Yallgemeine Staatslehre, n'en est pas moins conçue comme une science autonome, extérieure à la science juridique; on pourrait encore citer d'autres exemples de cette séparation des deux disciplines : les pays scandinaves, etc. La répartition de la recherche relative à l'Etat entre la science juridique et les sciences politiques est encore plus répandue et elle représente, comme nous verrons tout de suite, surtout dans le domaine du droit «continental», une des tendances contemporaines. Parmi les pays du Common Law, cette tendance est très répandue aux Etats-Unis, où la recherche relative à l'Etat est partagée entre plusieurs branches des sciences sociales, les problèmes de l'Etat étant étudiés surtout par les politologues (political scientists) qui examinent la vie politique de la société donnée, par les théoriciens de la politique (political theorists) qui s'efforcent d'élaborer l'idéal de l'Etat, et par les juristes. Les trois conceptions subsistent dans le monde contemporain; cependant, le centre de gravité se déplace, comme nous l'avons déjà mentionné, vers la troisième. L'Etat contemporain a cessé, depuis longtemps, de n'être que l'Etat-veilleur de nuit, son rôle et son intervention dans la société s'intensifient, notamment sur le plan de la vie politique et économique intérieure, aussi bien que dans le domaine des relations étrangères. La fonction sociale de l'Etat se fait de plus en plus complexe, si bien que la science juridique, même définie comme science de l'Etat et du droit, est devenue trop étroite pour pouvoir embrasser toute la complexité des fonctions et des activités qui incombent de nos jours à l'Etat. Ce fait a donné naissance à une tendance de plus en plus forte à la mise en œuvre d'une recherche pluridisciplinaire relative à l'Etat, à ses institutions et à leurs fonctions, etc., dont nous reparlerons dans notre Epilogue; pour les mêmes raisons, la recherche concernant l'Etat tend assez souvent (surtout dans les pays occidentaux) à acquérir une autonomie plus ou moins large par rapport à la science juridique; en même temps elle tend assez fréquemment à jouer un rôle actif dans la vie politique. La connaissance de l'Etat, tout en continuant en règle générale (dans les pays où il en était ainsi jusqu'à présent) à être considérée comme étant du ressort de la science juridique ou, le cas échéant, de la 26. Cf. Réponses de l'Institut de l'Etat et du Droit de l'Académie des Sciences de l'U.R.S.S au questionnaire, p. 1,3.

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science de l'Etat et du droit, devient en même temps l'objet de la science politique, dont l'importance et le prestige montent indubitablement. La science politique commence donc à se constituer en tant que science autonome même dans les pays où, dans un passé peu éloigné, la notion d'une science politique était encore méconnue. (La science politique s'est constituée en discipline même dans certains pays socialistes quoique, du fait que la recherche politique y est considérée comme relevant du matérialisme historique, voire de la discipline nommée «communisme scientifique», l'attitude générale de ces pays à l'égard de l'existence autonome d'une science politique soit restée très réservée.)

I I I . LA GEOGRAPHIE JURIDIQUE

1. Nous avons déjà noté que les tendances du développement de la pensée juridique sont fortement influencées par ce qu'on pourrait appeler (et qu'on appelle parfois) «géographie juridique». Cependant, avant de poursuivre, nous croyons indiqué de clarifier le sens de l'expression un peu équivoque de «géographie juridique». Celle-ci peut désigner soit ce qu'on pourrait appeler avec plus de précision «géographie du droit», c'est-à-dire le fait (auquel nous reviendrons tout de suite) que le droit est différent dans différents pays (ou plutôt, dans différents groupes de pays), soit une «géographie» des différentes conceptions du droit, des différentes théories juridiques et ainsi de suite. Ce qui nous intéresse ici en premier lieu, c'est la «géographie du droit». Cependant, étant donné que les deux aspects se chevauchent et que l'expression «géographie juridique» est plus habituelle (voir, par exemple, la contribution spéciale de René David), nous emploierons ici constamment la notion de «géographie juridique», sans nous attacher à lui donner des contours absolument exacts. L'importance de la «géographie juridique» pour les tendances de la recherche en science juridique découle surtout du fait que, abstraction faite du droit international, et en premier lieu des principes généraux du droit international, le droit est toujours lié à un territoire et à une puissance étatique déterminés.27 Notons toutefois que ce fait peut donner lieu à des interprétations très différentes, selon la conception qu'on se fait de la science juridique ellemême. Nous partageons l'opinion de Szabô que, par exemple, la conception positiviste considère la science juridique, limitée dans l'acception positiviste à l'interprétation du droit en vigueur, comme une science «étroite27. Ceci n'est vrai, bien entendu, que du droit positif. Le droit naturel, pour autant qu'on en pose l'existence, n'est pas lié à un territoire déterminé. Une autre exception est constituée par le droit canon. Cependant, ce serait sortir du cadre de la présente étude que de tenter de résoudre le problème théorique du caractère du droit canon.

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ment et typiquement nationale en ce sens que son objet a toujours été le droit national d'un Etat donné». 2 8 La science juridique contemporaine, qui est devenue, pour la plus grande part, une science sociale (voir plus loin), admet, sans remettre pour cela en question le caractère territorial du droit 29 , une généralisation à partir des ordres juridiques des différents pays et une classification de ces ordres juridiques sur la base de données sociales, classification très souvent influencée par les intérêts politiques et économiques. Les mêmes intérêts politiques, voire économiques, ont engendré depuis longtemps une tendance à un effort orienté vers l'unification du droit; cependant, comme nous le verrons plus loin (dans la rubrique consacrée au droit comparé), les résultats obtenus demeurent jusqu'à présent assez modestes. L'histoire du droit nous offre maints témoignages du fait que le droit, déterminé par le territoire soumis à une puissance étatique donnée, tend plutôt à évoluer dans le sens d'une différenciation mutuelle des droits déjà unifiés que dans celui d'une unification des droits différents. Ce fut le cas des droits civils français et belge: sur la base du même Code civil, les droits appliqués en réalité dans les deux pays se sont notablement éloignés l'un de l'autre, pour ce qui est de certaines questions, de par l'action de la jurisprudence; le même phénomène s'est produit en Tchécoslovaquie par rapport au Code civil autrichien (ABGB) de 1811 qui fut en vigueur dans ce pays jusqu'à la fin de 1950, et aussi par rapport au droit polonais (les codes de la famille unifiés ont été valables en Tchécoslovaquie et en Pologne pendant une période de moins de quinze ans, de 1950 à 1964: or, le droit appliqué réellement par les tribunaux en Tchécoslovaquie d'une part et en Pologne d'autre part s'est nettement différencié déjà au cours de cette période pourtant relativement brève). 28. Observations {cf. aussi l'opinion de M. Rheinstein citée dans la note suivante). 29. Même les idées relatives à l'existence d'un droit supra-national et, le cas échéant, infra-national (idées que l'auteur du présent exposé ne partage nullement) ne séparent pas la réalité du droit de celle d'un territoire déterminé. La liaison du droit à un territoire et à une puissance étatique déterminés influe aussi sur la science juridique, encore qu'elle exerce sur celle-ci une influence moins marquée que sur le droit positif. Rheinstein remarque à ce propos, dans ses «Observations on the revised report» (point 6 b), que: «Jusqu'à une date récente, la science juridique s'est développée presque exclusivement dans des cadres nationaux isolés les uns des autres. Il y a eu autant de sciences du droit que de systèmes de droit. Les années récentes ont vu croître une science juridique supranationale qui est chose nouvelle ...» («Until recently legal science has almost exclusively been nationally isolated. There have been as many legal sciences as there have been legal systems. Recent years are witnessing the growth of a new supranational legal science ...»). Nous ne partageons cette opinion qu'en partie. La liaison instituée entre la science juridique et un ordre juridique déterminé n'est pleinement significative que pour le positivisme juridique (voir aussi l'opinion de Szabô, ci-dessus, dans le texte et note 28), elle ne l'est guère pour la science juridique dans ses variantes néo-kantienne, «naturelle», phénoménologique, etc. De l'autre côté, nous voudrions rappeler que l'évolution vers une science juridique supra-nationale est non seulement freinée par l'existence de conceptions différentes de la science juridique, dont les racines sont encore très profondes (voir plus loin, Section II, titres I et II), mais limitée par les divergences idéologiques qui séparent les pays de structure socio-économique différente.

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Par contre, comme Lawson nous le signale , le Common Law et VEquity étaient remarquablement uniformes dans l'ensemble du Commonwealth britannique et continuent à l'être même après l'accession des pays du Commonwealth à l'indépendance. En revanche, d'un pays du Commonwealth à l'autre, la législation diffère notablement dans le domaine du droit qu'on appelle, dans la terminologie continentale, «public»; mais elle reste, dans une large mesure, uniforme dans le domaine du «droit privé». 2. Cependant, même eu égard à tout ce qui vient d'être dit, on peut fonder l'exposé qui va suivre sur l'idée que nous avons placée en tête du présent chapitre, c'est-à-dire sur la constatation que le droit est lié à un territoire déterminé. Ce fait a donné naissance aux efforts de beaucoup de savants juristes pour élaborer une «géographie juridique», c'est-à-dire pour diviser le monde en plusieurs grandes «familles du droit». Nous n'avons pas l'intention ici de retracer tous ces efforts ni d'essayer, à la centaine de classifications existantes des grandes familles du droit, d'en ajouter une cent unième. Nous nous proposons seulement de présenter quelques remarques tendant à faire comprendre notre conception du classement et surtout à dégager certaines conclusions concernant l'influence et l'importance de la «géographie juridique» pour les tendances actuelles de la recherche dans le domaine de la science juridique. (a) Il faut dire d'abord que la notion même de «famille du droit», ou encore de «grande famille du droit», est assez vague et qu'assez vagues sont les critères de la détermination de ces entités. Il est vrai que la plupart des auteurs qui ont tenté de distinguer les «grandes familles du droit» ont pris pour base la conception des sources du droit et celle du droit privé, sans égard au droit public. Cependant le droit public permet, lui aussi, de grouper les Etats en «familles» et même en «grandes familles du droit», ces familles étant bien différentes de celles qu'on a pu distinguer sur la base du droit privé. 31 Par exemple, les pays latino-américains, pour une classification élaborée du point de vue des sources du droit et du droit privé, appartiennent sans aucun doute à la grande famille du droit continental, du Civil Law, et plus particulièrement à la famille nommée tantôt famille des droits romanistes, tantôt famille des droits romano-germaniques, etc., laquelle est opposée à la grande famille du Common Law. Mais en vertu d'une classification élaborée du point de vue du droit public et surtout du droit constitutionnel, une grande partie de ces pays appartiendraient à la famille du droit public représentée par les Etats-Unis, avec lesquels ils n'ont au demeurant aucune affinité sur le plan du droit privé. 30. Observations. 31. Cf. DAVID, R., Les grands systèmes de droit contemporains, 4E éd. (1971), p. 23; ROZMARYN, «Les grandes controverses du droit comparé» (1967); etc. Cf. aussi l'attitude assez réservée, à l'égard d'une classification exacte, de MALMSTRÔM qui écrit, dans «The system of legal systems» (1969): «... it is impossible to establish a uniform system of classification which is ideal from every point of view and implies a clear distinction between 'families' or 'groups'».

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(b) Les règles de droit ont existé, bien sûr, sous une forme plus ou moins développée dans le monde entier depuis un temps immémorial. Le droit fait partie de la civilisation de tous les pays et de tous les peuples. Cependant il est vrai que dans le domaine du droit privé le droit «d'exportation» a été le droit européen, soit continental, soit anglais (Common Law), auquel il convient d'ajouter, dans le domaine du droit public (constitutionnel), le droit des Etats-Unis. Le droit des continents extérieurs à l'Europe a subi l'influence du droit européen (à savoir, selon la situation politique, soit celle du droit «continental», soit celle du Common Law anglais), ce qui, pour ce qui est du droit privé, est vrai aussi des Etats-Unis. La transplantation du droit européen aux autres continents s'est effectuée de plusieurs manières différentes: — soit de manière à provoquer une rupture totale entre l'ancien droit traditionnel du pays et le droit nouveau, dans les cas où les colons ont apporté le droit de leur métropole ou, le cas échéant, ont créé un droit nouveau inspiré du modèle du droit métropolitain, ce droit nouveau ayant remplacé totalement le droit traditionnel du pays ; — soit de telle façon que le droit traditionnel a subsisté comme droit des indigènes, tandis que le droit importé de l'Europe constituait, pour nous en tenir à une formule très simplifiée, le droit des colonisateurs; — soit de telle façon que telle matière a été réglée par le droit «importé» qui a, dans ce domaine, totalement remplacé l'ancien droit du pays, tandis qu'une autre matière restait régie par le droit traditionnel qui, dans ce domaine, n'a subi aucune influence étrangère; — soit d'une autre façon encore, comme nous en ferons mention plus tard, par exemple en ce qui concerne la République sud-africaine, le Japon, etc. Dans le premier des cas susmentionnés, le droit s'est adapté aux données politiques, économiques, géographiques, etc., du pays récepteur et, tout en maintenant les traits caractéristiques du droit de l'ancienne métropole, il s'est éloigné assez nettement de ce dernier en ce qui concerne les détails. Dans le deuxième cas a eu lieu un processus d'acculturation par l'effet duquel l'ancien droit traditionnel du pays, en tant que droit moins élaboré, moins apte à résoudre les problèmes de plus en plus complexes que pose la société moderne, a reculé graduellement devant le droit importé de l'Europe (lequel, de son côté, s'est adapté naturellement lui aussi d'une manière analogue à celle du premier cas mentionné ci-dessus). Cette situation se perpétue et engendre à l'heure actuelle un des problèmes capitaux qui marquent la politique juridique des pays ayant récemment accédé à l'indépendance, donnant naissance à une tendance très importante de la recherche en science juridique, sur laquelle nous reviendrons ci-dessous avec plus de détails. Le troisième des cas mentionnés concerne les pays du droit musulman, auxquels nous reviendrons de façon plus détaillée dans la rubrique consacrée à l'acculturation du droit. 32

32. Cf. ci-dessous, Section III, titre VI, 2, p. 1069 sq.

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3. Les critères de la classification des «grandes familles» du droit diffèrent considérablement entre eux. L'histoire des essais de la classification des «grandes familles» du droit remonte au début du 20e siècle. Une des premières classifications vient de Esmein 33 , qui classe les législations (ou coutumes) des différents peuples d'après «la formation historique, la structure générale et les traits distinctifs»; la classification proposée par Lévy-Ullmann34 se fonde sur les différentes conceptions des sources du droit; celle de Arminjon-Nolde-Wolff 35 sur l'originalité du droit et sur les rapports de dérivation et de ressemblance; Schnitzer36 s'efforce de classifier le droit d'après les «grandes sphères culturelles» (grosse Kulturkreise)-, Zweigert37 d'après les «styles» juridiques (déterminés par l'origine historique du droit, par la façon spécifique de penser, par les institutions significatives, par le caractère des sources du droit et leur interprétation, et enfin par les données idéologiques). Malmström s'efforce, afin de rendre la classification plus souple, de commencer par classer le droit en familles fondamentales, et de subdiviser ensuite celles-ci.38 La classification aujourd'hui couramment acceptée dans le monde occidental est celle de René David 39 qui est fondée sur le critère idéologique et sur celui de la technique juridique, les deux critères devant être utilisés cumulativement.40 Il ressort du bref survol des critères de classification des familles du droit que nous venons de présenter au lecteur que, ou bien leurs auteurs cherchent leurs critères entièrement dans les données juridiques, ou bien (comme surtout David et Zweigert) ils prennent en considération même les données d'ordre social et idéologique, utilisant toutefois ces dernières cumulativement avec des critères qui appartiennent à un plan très différent. 33. «Le droit comparé et l'enseignement du droit» (1905). 34. «Sur les communications relatives au droit privé dans les pays étrangers» (1922). 35. Traité de droit comparé, t. I (1950), p. 47 sq. 36. Vergleichende Rechtslehre (1945, 1961), p. 86 sq. 37. «Zur Lehre von den Rechtskreisen» (1961). Le même auteur développe son idée de façon beaucoup plus détaillée dans ZWEIGERT et K Ö T Z , Einführung in die Rechtsvergleichung, 1.1 (1971), p. 67 sq. 38. «The system of legal systems» (1969) (voir aussi la note 31, p. 985). 39. Traité élémentaire de droit civil comparé (1950), p. 222 sq. ; Les grands systèmes de droit contemporains, p. 23 sq. dans la 4 e éd. (1971). 40. On lit à ce propos dans Les grands systèmes de droit contemporains, l è r e éd. (1964), p. 16: «Deux droits ne peuvent être considérés comme appartenant à une même famille, même s'ils utilisent les mêmes concepts et les mêmes techniques, lorsqu'ils s'appuient sur des principes d'ordre philosophique, politique ou économique opposés et qu'ils cherchent à réaliser deux types entièrement différents de société.» Cependant, dans la 4 e éd. (1971) des Grands systèmes, R . D A V I D s'abstient de définir les critères de classification, et il ajoute: «Ces discussions ont fait couler beaucoup d'encre; elles n'ont pas pourtant beaucoup de sens. La notion de 'famille de droits' ne correspond pas à une réalité biologique; on y recourt seulement à une fin didactique ...» (p. 22). Nous partageons l'opinion de cet auteur quant à la quantité d'encre utilisée pour ces discussions, pourtant nous voudrions faire remarquer que la notion de «famille de droits», tout en n'ayant naturellement rien de commun avec les réalités d'ordre biologique, correspond à une réalité sociale qui n'est pas moins objective que la réalité biologique. Ceci constitue, comme il ressortira de la suite de l'exposé, le point de départ théorique de notre conception.

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La science marxiste-léniniste s'oppose à de telles méthodes de classification. Choisissons, pour exposer ses objections, le classement le plus répandu de nos jours, c'est-à-dire celui de René David, qui distingue les familles: (a) romano-germanique, (b) socialiste, (c) du Common Law,

(d) des droits religieux et traditionnels. 41 Mais comment le droit socialiste entre-t-il dans ce système? Ce droit n'est nullement un produit des vicissitudes de l'histoire du droit (comme, par exemple, le fait que les colons français au Canada se sont établis au Québec et non pas au Saskatchewan); il est un produit de la révolution socialiste et il se distingue de Vensemble du droit non socialiste non pas tellement par la forme (la forme étant même dans certains cas assez semblable de part et d'autre), mais en premier lieu par ses racines et sa vocation sociales. La distinction qui sépare la «famille» (b) des familles (a), (c) et (d) est donc, à notre avis, qualitativement différente de celle qui sépare les familles (a), (c) et (d) les unes des autres. C'est la raison pour laquelle la science juridique marxiste-léniniste choisit comme point de départ de son classement du droit la distinction des ordres juridiques d'après leur type socio-historique. Il faudrait donc classer le droit sur deux plans : d'abord en droit socialiste et droit non socialiste42; puis, une fois posée cette classification selon le type socio-historique du droit, les deux groupes peuvent être subdivisés d'après le caractère des sources du droit, d'après la façon de penser, d'après la technique juridique, etc. 4. Notons toutefois que cette différenciation est beaucoup plus marquée au sein du droit non socialiste, où l'on peut, à notre avis, distinguer les «grandes familles», voire les «grands systèmes» du droit suivants: (a) les pays du droit «continental», c'est-à-dire du droit né sur le continent européen; système nommé aussi, comme nous avons vu, droit romano-germanique (en Angleterre Civil Law), mais dont la définition la plus exacte serait: système de droit qui s'est développé sur la base de la réception du droit romain 43 ; 41. Les grands systèmes ..., p. 23 sq. dans la 4E éd. (1971). Comparer la classification de ZWEIGERT et KÔTZ {cf. note 37, p. 987), qui distinguent les sphères du droit (Rechtskreise) romaniste, allemande, anglo-américaine, nordique, socialiste et autres (le droit de l'Extrême-Orient, le droit islamique et le droit hindou). 42. Nous nous rendons parfaitement compte que le groupe «non socialiste» est bien hétérogène, du fait qu'il englobe tant les pays capitalistes que les pays ayant récemment accédé à l'indépendance, ces derniers présentant aussi, à leur tour, un tableau politique multicolore. Cf. notamment CHIKVADZE et al., Marksistsko-leninskaja obSéaja teorija gosudarstva iprava, t. II (1971), chap. 9 et 10. Nous en reparlerons de façon plus détaillée dans les sections suivantes. 43. Le caractère distinctif du droit romain est contesté par EHRENZWEIG (Psychoanalytic Jurisprudence, 1971, § 88 sq.; «Malmstrôm's 'System of legal systems'», 1972, p. 74,75); voir aussi la note 47, p. 989.

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(b) le système du Common Law, c'est-à-dire le système caractérisé par l'existence du droit créé par le juge (judge-made law) englobant, outre l'Angleterre, les pays dont le droit s'est développé sur la base d'une réception directe du Common Law (et, le cas échéant, de VEquity) anglais, ou bien sous l'influence du droit et de la pensée juridique anglais; (c) le système du droit musulman qui, étant un système très élaboré et très spécifique, mérite, à notre avis, d'être considéré comme système autonome du droit, sur le même plan que le «droit continental» et le Common Law; (d) enfin, les pays dans lesquels les droits traditionnels fondés sur les coutumes ou les religions ancestrales subsistent encore. 44 Les deux piliers sur lesquels ce système s'appuie sont le droit continental et le Common Law. (Nous verrons plus loin que les droits traditionnels ou religieux sont, en règle générale, influencés soit par le droit continental, soit par le Common Law.) La différence fondamentale entre le système continental du droit et le Common Law ne réside pas seulement dans le fait que le premier est typiquement un système de droit écrit et l'autre typiquement un droit créé par le juge (judge-made law); d'après Rheinstein, la différence fondamentale réside dans l'opposition entre deux manières de penser, le droit continental étant fondé surtout sur la logique du syllogisme, tandis que le Common Law est fondé surtout sur la logique de l'analogie. 45 Cette différence est, certes, un peu simplifiée et, dans un pays donné, la manière de penser n'est pas toujours tellement univoque. Par exemple, même dans les pays du Common Law, l'application de la logique du syllogisme est sans doute nécessaire en matière de droit écrit (en ce qui a trait au Statute Law). Cependant, notre propre expérience confirme que, même en ce qui concerne l'application du droit écrit, le raisonnement d'un common lawyer est très différent de celui du juriste continental et que la distinction proposée par Rheinstein est vraiment une des distinctions générales qui s'imposent entre la conception continentale du droit et celle du Common Law. (Cette distinction pourrait d'ailleurs en outre faciliter le classement, soit parmi les pays du droit continental, soit parmi les pays de Common Law, des pays présentant un système mixte de droit, dont mention a été faite plus haut. 46 ) Notons aussi qu'une des différences les plus profondes qui séparent le droit du type continental et le Common Law réside dans l'administration de la justice. 47 Cette différence ne relève pas, bien entendu, de la science juridi44. Le lecteur n'a pas manqué de relever qu'en ce qui concerne le droit non socialiste, notre classement n'est pas très éloigné de celui de René David. 45. Rheinstein, Observations. Par contre, l'idée que deux systèmes du droit peuvent être distingués par la façon de penser est contestée par certains auteurs (cf., par exemple, MALMSTRÖM, «The system of legal systems», 1969, p. 143; EHRENZWEIG, «Malmström's 'System of legal systems'», 1972, p. 75, 76). En ce qui concerne la distinction entre droit continental (CivilLaw) et Common Law, voir aussi DAINOW, «Le droit civil et la Common Law» (1965). 46. Voir le point 2 (a), p. 985 ci-dessus. 4 7 . C'est aussi, grosso modo, l'opinion de EHRENZWEIG (Psychoanalytic Jurisprudence, 1971 § 112; «Malmström's 'System of legal systems'», 1972, p. 76) qui cependant, à la

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que, elle procède cependant d'une nette dualité de conceptions du droit, qui sans aucun doute contribue aussi à la différenciation entre la pensée juridique «continentale» d'un côté et celle du Common Law de l'autre. Parmi les traits essentiels qui distinguent le Common Law et le système continental, il convient encore de mentionner la différence entre les positions sociales qu'occupe respectivement le juriste dans ces deux groupes de pays, surtout en ce qui concerne le rapport entre les academic lawyers et les praticiens. 48 5. Les remarques qui précèdent n'épuisent cependant pas les problèmes que pose le choix des critères. Les réponses que nous a values notre questionnaire nous ont convaincu que la différence entre le droit continental et le Common Law est, sur le plan du droit privé, très profonde, au point d'être insurmontable, si l'on confronte l'Europe continentale à l'Angleterre et aux Etats-Unis; mais qu'en revanche elle se présente comme beaucoup moins radicale dans les pays ayant récemment accédé à l'indépendance. Les problèmes juridiques qui se posent à ces différents pays (même dans le domaine du droit privé) sont très semblables entre eux; ils s'imposent d'une façon très similaire aussi bien aux pays dont le droit moderne s'est formé sous l'influence du droit continental qu'aux pays appartenant à l'aire d'influence du Common Law, sans égard, donc, au fait que du point de vue d'une classification à base historique des pays de ce type figurent nécessairement sous deux «familles du droit» différentes. 6. Chacune des «grandes familles du droit» n'est nullement homogène. Par exemple, au sein de la famille dite «continentale» il est nécessaire de distinguer, sur le plan du droit privé, au moins les zones d'influence suivantes: la zone française (l'aire d'influence du Code civil français de 1804); la zone allemande (le BGB de 1896); la zone autrichienne (l'ABGB de 1811, dont l'histoire et même les sources philosophiques étaient bien différentes de celles du Code civil français, comme d'ailleurs du BGB allemand); la zone suisse (le Code civil de 1907 et le Code des obligations de 1911 qui entrèrent en vigueur le 1 er janvier 1912), chacune d'elles ayant engendré même une façon différente de penser. Il est bien connu que les intérêts et les conceptions de la science juridique, surtout en France, en Allemagne et en Autriche, étaient et continuent à être bien différents. Enfin, il ne faut pas oublier (comme on le fait trop souvent) les pays Scandinaves, qui constituent sans doute une zone spécifique du droit de type «continental». Vu l'affinité des traditions juridiques dans les pays scandinaves, même le développement de la pensée juridique a été semblable dans ces différents pays. 49 Ces pays se sont illustrés dans l'histoire de la science juridique par l'école différence de l'opinion de la majorité, considère le critère résidant dans la position du juge comme critère décisif («crucial différence») et s'oppose pratiquement à tous les autres critères généralement reconnus. 48. Voir plus haut, II, 2, p. 979-981. 49. Cette subdivision du système «romano-germanique» est très souvent négligée dans la littérature savante. On trouve une telle distinction surtout dans l'ouvrage précité de ZWEIGERT et KÔTZ (1971) (voir les notes 37, p. 987 et 41, p. 988); pour nous, il est

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dite du «réalisme scandinave» ou «école d'Upsal», qui fut représentée par les noms bien connus de Hägerström, Alf Ross, Lundstedt, Olivercrona, etc. 50 , et même à présent, les tendances de la science juridique (tendances qui demeurent plutôt positivistes, encore qu'avec des influences sociologiques très marquées) restent sinon identiques, du moins très semblables dans l'ensemble des pays scandinaves.51 En ce qui concerne le domaine du Common Law, il faut se rendre compte tout d'abord, comme nous le notons par ailleurs, que dans les pays de Common Law, c'est le droit écrit, la législation (Statute Law) qui gagne en importance relative, et que la législation présente des différences considérables d'un pays de Common Law à un autre. Par contre, le Common Law présente beaucoup moins de différences; cependant, quoiqu'il soit relativement stable, on peut néanmoins déceler en son sein certaines différences assez notables. La différence la plus profonde est celle qui sépare les deux zones géographiques du Common Law: la zone du Common Law anglais, qui s'est depuis longtemps répandu dans le Commonwealth britannique tout entier, et celle du Common Law des EtatsUnis, zone où le Common Law actuel s'est, au cours des siècles, éloigné assez fortement de son modèle anglais52, et où l'on préfère maintenant employer, au lieu de la notion du Common Law largo sensu, la notion de Y Anglo-American Law ou des Anglo-American Laws, la notion de Common Law n'étant plus employée que stricto sensu, c'est-à-dire dans son sens primitif, autrement dit a contrario d'Equity, etc. La zone du Common Law anglais, bien qu'on y trouve aussi certaines différences, est plus homogène que celle du Common Law des Etats-Unis, pays où l'on reconnaît, après une longue discussion résolue pratiquement en 1938 par une décision de la Cour fédérale (Erie Railroad Company v. Tompkins), l'existence du Common Law de chaque Etat fédéré et où, comme nous le rappelle Lawson 53 , la différence entre le droit des différents Etats est plus marquée que celle qui existe entre le Common Law des différents pays appartenant au Commonwealth britannique. Pour ce qui est système du droit islamique, il convient de souligner que l'aire géographique des pays appartenant à ce système n'est pas toujours identique à celle des pays d'Islam, voire des ethnies musulmanes. Il est des peuples qui se sont convertis à l'Islam en adoptant sa foi, mais non pas son droit: tels, par exemple, les Berbères de l'Afrique du Nord, qui ont cependant difficile de donner raison aux auteurs qui rangent le droit suisse et surtout le droit autrichien dans la sphère du droit (Rechtskreis) allemande. 50. On trouve une brève et pertinente caractérisation du «réalisme Scandinave» chez FRIEDMANN, dans Legal Theory (1960), p. 258 sq. 51. Eek, Réponses, 8-13; cf. aussi EEK, «Evolution et structure du droit Scandinave» (1961); VON EYBEN, «Inter-nordic legislative coopération» (1962); JORGENSEN, «Grundzüge der Entwicklung der skandinavischen Rechtswissenschaft» (1970); MUNCH-PETERSEN, «Main features of Scandinavian law» (1927); etc. 52. Cf., par exemple, KAHN-FREUND, Parallelen und Gegensätze im englischen und amerikanischen Privatrecht (1960). 53. Dans ses Observations concernant la deuxième version de notre exposé.

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conservé leurs coutumes tribales (même pour ce qui est du statut de la famille), les Yoruba du Nigeria occidental qui, quoique étant musulmans, n'appliquent pas, eux non plus, le droit musulman; un même phénomène s'est produit en Indonésie, pays qui s'est converti à l'Islam tout en conservant en grande partie son droit coutumier (Adat). 5 4 La géographie des pays appliquant le droit musulman est déterminée par leur adhésion à l'une des écoles du droit musulman. On sait que le droit musulman est actuellement divisé en quatre écoles (rites) sunnites (orthodoxes), à savoir les écoles hanafite, malékite, chaféite et hanbalite. A part les écoles orthodoxes, il existe aussi un droit chiite (divisé lui aussi en différentes écoles), qui est cependant beaucoup moins répandu et moins important que le droit sunnite. Les différentes écoles juridiques orthodoxes ont longtemps coexisté sur le même territoire; cependant, à l'époque actuelle, l'appartenance aux différentes écoles détermine la configuration géographique interne de la région du droit musulman: les pays qui étaient soumis à l'Empire turc sont devenus, du point de vue de leur droit positif, hanafites (de même que le Pakistan, le Bangla-Desh et la partie musulmane de l'Inde); les pays musulmans de l'Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie et Libye) ainsi que de l'Afrique occidentale appliquent le droit malékite-, le droit islamique qui est appliqué, mis à part le droit Adat, en Indonésie est un droit de l'école chaféite; enfin, l'école hanbalite prévaut en Arabie Séoudite. Tout ceci ne concerne, bien entendu, que le Statut personnel 55 ; en ce qui concerne le Statut réel, lequel est régi, comme nous le verrons, par les droits d'inspiration européenne, les pays d'Islam se rattachent soit au domaine du «droit continental», soit à celui du Common Law. Le système qu'il nous reste à considérer, c'est-à-dire le système que nous avons appelé la famille du droit traditionnel, est absolument hétérogène et, de plus, cette famille et les deux familles «continentale» (romano-germanique) et du Common Law se chevauchent. Presque tous les pays de droit traditionnel sont en même temps 56 , soit des pays de droit écrit du type continental, soit des pays de Common Law. Cependant, en dépit de cette différence tenant aux influences historiques reçues, il existe, comme nous l'avons déjà indiqué, des problèmes qui sont communs aux pays ayant récemment accédé à l'indépendance, et cette communauté de problèmes justifie la position d'une catégorie particulière: la famille des pays de droit traditionnel ou, le cas échéant, religieux. 54. Linant de Bellefonds, «Les tendances actuelles du droit comparé en pays d'Islam» («contribution spéciale»), p. 7. En Indonésie, ce n'est que pour certaines institutions du Statut personnel, surtout le waqf (bien de mainmorte) et, partiellement, le mariage, qu'on applique le droit musulman de l'école chaféite (voir plus loin), le reste étant régi par le droit coutumier Adat. Le rapport entre l'application du droit musulman et le droit Adat varie selon les régions. Tout cela place l'Indonésie dans une situation très spéciale dans l'ensemble du monde appliquant le droit islamique {cf. TER H A A R , Adatrecht in Indonesia, 1962). 55. Voir plus loin. 56. Cf. supra, sub 2 (b), p. 986.

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Il faut toutefois noter que, depuis leur accession à l'indépendance, ce n'est plus seulement le droit « continental » ou, le cas échéant, le Common Law qui influent sur le développement du droit moderne de ces pays. Beaucoup de pays ayant récemment accédé à l'indépendance s'inspirent (comme nous le verrons plus loin), pour l'édification de leur propre ordre juridique, des principes marxistes-léninistes du droit, c'est-à-dire du droit des pays socialistes. De sorte que la ligne de partage entre le droit socialiste et le droit non socialiste est, dans certains de ces pays, moins marquée que dans les pays où règne l'ancienne tradition juridique. 7. On pourrait pousser plus avant l'examen des « grandes familles du droit ». Tel n'est pas, cependant, le propos de la présente étude. Nous avons seulement voulu avertir le lecteur que la « géographie juridique », en tant que fait historique, socio-politique et idéologique, influe considérablement sur les tendances actuelles de la science juridique dans le monde, tout d'abord en raison de l'existence de deux principaux types socio-historiques du droit (socialiste et non socialiste), mais aussi du fait de l'existence, à l'intérieur de ce dernier, de plusieurs familles du droit différentes qui, bien que leurs contours et les critères de leur classification soient parfois assez flous, représentent une réalité qu'on ne peut ignorer lorsqu'on parle des tendances principales de la recherche dans le domaine de la science juridique contemporaine.

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994 Section II. LES GRANDS PORAINS

COURANTS THÉORIQUES CONTEM-

I. INTRODUCTION (OBSERVATIONS GÉNÉRALES)

1. Les grands courants théoriques de la science juridique contemporaine viennent bien entendu du passé, qu'il s'agisse d'un passé éloigné ou récent. 57 La période historique la plus intéressante du point de vue du développement de la science juridique contemporaine a été la seconde moitié du 19e siècle, qui - exception faite de la naissance de la conception marxiste du droit, dont nous traiterons plus loin - fut caractérisée par l'existence de deux tendances rivales: celle du positivisme juridique se limitant plus ou moins à l'interprétation du droit en vigueur (du droit positif) et celle de la philosophie spéculative du droit.58 La science juridique oscillait entre ces deux tendances. La philosophie du droit, représentée alors en premier lieu par le néo-kantisme qui est devenu (au moins en Allemagne) la théorie dominante pendant plusieurs dizaines d'années, s'intéressait très peu au droit positif, et s'occupait surtout des problèmes ontologiques, épistémologiques et méthodologiques du droit. Il en ressort que, en contrepartie, son influence sur le plan de la recherche relative au droit positif et sur celui de la pratique juridique est demeurée très limitée, ce domaine étant alors dominé par le positivisme qui s'opposait énergiquement à toute forme de néo-kantisme (et en même temps aux théories du «droit naturel»). On peut donc dire sans exagération que ce fut une période de floraison du néo-kantisme dans l'ombre du positivisme. Cependant, le néo-kantisme qui, sur le plan philosophique, résista victorieusement aux assauts de tous ses rivaux théoriques, succomba aux atteintes du temps, aux conséquences du vieillissement, à l'évidence de sa propre stérilité. La voie du néo-kantisme est devenue une impasse qui ne permettait ni d'aller plus loin, ni d'élargir les horizons de la science juridique. Depuis la deuxième guerre mondiale il a pratiquement disparu de la scène, et avec 57. Pour une vue d'ensemble de l'histoire de la pensée juridique, citons à titre d'exemples: BRIMO, Les grands courants de la philosophie du droit et de l'Etat (1968); FRIEDMANN, Légal Theory (1960); KECEKJAN et FEDKIN, Istorijapolitiieskih

graphies citées dans ces ouvrages. 58. Szabô, Observations.

ucenij(1960); et les biblio-

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lui le rôle prépondérant de la philosophie du droit dans la science juridique en général. Le positivisme juridique, bien que plus tenace que le néo-kantisme (nous aurons à y revenir), a subi, lui aussi, une défaite théorique et méthodologique. L'abandon du positivisme juridique fut l'événement le plus significatif de l'histoire de la science juridique de la fin du 19e siècle et du premier tiers du 20e, l'événement qui détermina dans une large mesure les tendances principales du développement contemporain de notre discipline.59 La maladie mortelle dont souffrait le positivisme était sa conception de l'objet de la connaissance juridique. La conception positiviste limitant la science juridique à la connaissance de la seule règle du droit (créée par le législateur, par le juge, par la coutume, etc.) est tellement étroite qu'elle ne permet pas la connaissance du droit en tant que phénomène social, et qu'elle limite la science juridique à l'interprétation du droit en vigueur, en l'empêchant de prendre part au processus de sa création. Le courant puissant qui s'est élevé contre le positivisme - un courant demandant aux savants juristes non seulement de connaître le droit en vigueur, mais de le concevoir comme un phénomène social et d'agir sur son développement et par là sur le développement social en général - est celui auquel, grosso modo, on pourrait donner le nom de courant sociologique. La science juridique, qui oscillait auparavant, comme nous l'avons noté, entre le positivisme et la philosophie spéculative, s'est détachée, pour l'essentiel, de ces deux extrêmes et est devenue une science sociale.60 Le courant sociologique s'est répandu en Europe, surtout en Allemagne où il était représenté par l'école sociologique d'Eugen Ehrlich, par la Freirechtsschule (l'école du Droit libre), par YInteressenjurisprudenz - dont on constate de nos jours une certaine renaissance dans la R. F. A. - , par différentes tentatives pour concevoir le droit en termes matérialistes (Radbruch, Stammler, etc.), pour le déterminer par ses objectifs (Zweck im Recht de Rudolf von Ihering), par la typologie de Max Weber, etc.; en France, on trouve des éléments d'inspiration sociologique dans l'œuvre de François Gény, dans celle de Léon Duguit, etc. La transformation méthodologique a constitué aussi l'événement qui a affecté de la manière la plus décisive la science juridique des Etats-Unis au début du 20e siècle, époque à laquelle cette science, naturellement beaucoup plus jeune que la science juridique européenne, a pris sa place dans l'histoire mondiale de la pensée juridique. Positiviste d'abord, elle fut représentée par deux personnages remarquables: J. Ch. Gray et O. W. Holmes, ce dernier surtout ayant déjà introduit dans la méthodologie juridique certains éléments d'ordre sociologique. La période suivante vit naître et triompher un courant antipositiviste très puissant qui reçut en règle générale le nom de Sociological Jurisprudence ou, plus simplement, de New Jurisprudence-, cette tendance fut représentée 59. Rheinstein, Observations. 60. Rheinstein, Observations; Szabó, Observations.

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surtout par les noms de Roscoe Pound, de B. M. Cardozo, de K. Llewellyn, de J. Frank, etc. (Les deux derniers ont, au moins pendant un certain temps, appelé leur conception le «réalisme juridique». 61 ) L'extension universelle du courant sociologique en science juridique est attestée par l'existence de l'école sociologique japonaise représentée par les noms de Suehiro, de Wagatsuma, etc. (Notons aussi l'influence directe du «réalisme juridique» américain sur la science juridique japonaise. 62 ) Un événement historique de grande portée - celui qui, au jugement de l'auteur, a eu, entre tous, une importance décisive au cours de la «révolution méthodologique» dont nous parlons - fut la naissance de la science juridique marxiste-léniniste du droit. Ses origines remontent aux œuvres composées par Marx et Engels un peu avant le milieu du 19e siècle (Kritik des hegelschen Staatsrechts, 1843; Zur Kritik der hegelschen Rechtsphilosophie, Einleitung, 1843, 1844; Das philosophische Manifest der historischen Rechtsschule, 1842; mais surtout Manifest der Kommunistischen Partei, 1848, etc.) et développées par Lénine au cours du premier quart du 20e siècle.63 Elaborée en doctrine cohérente, sur les bases de la philosophie marxiste-léniniste, par les juristes soviétiques après la première guerre mondiale, elle s'est répandue après la deuxième guerre mondiale dans le monde socialiste tout entier et même au-delà de ses frontières. La science juridique marxiste-léniniste s'oppose consciemment à toute autre théorie juridique : elle est une doctrine militante qui, à la différence de toutes les autres théories juridiques contemporaines, se fonde sur l'idée de la division de la société en classes sociales (nous en reparlerons plus loin de façon plus détaillée) et tend consciemment à servir les intérêts de la classe ouvrière mondiale. 2. Comment classer les tendances principales qui se manifestent dans la science juridique contemporaine, et qui sont issues du développement historique que nous venons d'esquisser très brièvement? Où trouver les critères d'un tel classement? Il est évident que ces critères ne sont nullement fortuits et qu'ils dépendent du point de départ philosophique de celui qui entreprend le classement. 61. CARDOZO, The Nature of the Judicial Process (1921); du même, The Paradoxes of the Legal Science (1928); CASPER, Juristischer Realismus und politische Theorie im amerikanischen

Rechtsdenken

( 1 9 6 7 ) ; FRANK, Law

and the Modern

Mind

( 1 9 3 0 , 1 9 6 3 ) ; HOWE,

Justice Oliver Wendeil Holmes (1957-1963); LERNER (ed.), The Mind and Faith of Mr. Justice Holmes (1945); LLEWELLYN, «A realistic jurisprudence. The next step» (1930); du même, Jurisprudence, Realism in Theory and Practice (1962); POUND, «The need for a sociological jurisprudence» (1909); du même, «Soziologische Jurisprudenz in Amerika» (1925); REICH, «.Sociological Jurisprudence» und «.Legal Realism» im Rechtsdenken Amerikas (1967); RHEINSTEIN, «Karl Nickerson Llewellyn, 1893-1962» (1962). Cf. aussi «Symposium on social science approaches to the judicial process» (1966). 62. Aomi, Contribution de la Commission nationale du Japon pour l'Unesco, p. 21 sq. (cf. AOMI, «Japan», 1970, p. 389-390/«Japon», p. 429). 63. Cf. aussi CHIKVADZE, «Rol' V. I. Lenina v sozdanii sovetskogo socialisti&skogo prava» (1957); du même, «Lenin, Oktjabr' i juridiöeskaja nauka» (1967); ROZIN, Vozniknovenie marksistskogo ucenija o gosudarstve iprave (1967); etc.

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Aujourd'hui, l'on admet généralement que les critères du classement résident dans l'histoire de la pensée juridique. Cependant, c'est justement dans l'évaluation de cette histoire que les opinions se séparent et que le point de départ philosophique joue le rôle décisif. D'un côté, ce que l'on considère comme la grande césure entre le passé et le présent de la science juridique, c'est l'abandon du positivisme et la transformation de la science juridique en science sociale. Telle est, pour l'essentiel, la position de Max Rheinstein 64 , qui range au sein des théories sociologiques du droit, comme une parmi d'autres, même la science juridique marxisteléniniste. 65 Par contre, la conception marxiste-léniniste du développement de la pensée juridique considère même la science juridique (non marxiste) sociologiquement orientée comme le résultat du développement de la pensée juridique bourgeoise en Europe et aux Etats-Unis aux 19e et 20e siècles.66 Bien qu'elle ne méconnaisse nullement les différences qui séparent les écoles positivistes, néo-kantiennes, etc., du droit d'un côté et l'école sociologique (avec ses diverses variantes) de l'autre, non plus que les racines historiques et sociales de ces différences, elle considère toutes ces écoles comme l'héritage du même de cujus, c'est-à-dire de la pensée juridique bourgeoise, et c'est entre la science juridique marxiste-léniniste et les autres qu'elle place la grande et infranchissable césure. C'est suivant ce classement - lequel correspond grosso modo à la division politique du monde contemporain (nous disons grosso modo parce que nous nous rendons parfaitement compte des problèmes spécifiques du développement des pays ayant récemment accédé à l'indépendance) - que nous distinguerons, dans l'exposé qui suit, les grands courants théoriques qui se manifestent dans la science juridique non marxiste, c'est-à-dire ceux qui dominent dans les pays qu'on appelle - avec peu de précision - occidentaux, et les courants principaux qui se manifestent dans la science juridique marxiste-léniniste et qui représentent la conception théorique du droit dominante dans les pays socialistes. Cependant, avant d'aborder l'exposé des grands courants théoriques, nous voudrions dire, pour éviter tout risque de malentendu, que la césure idéologi64. Voir plus loin, Section III, titre II, 1, p. 1025 sq. 65. «Le développement et l'expansion de la théorie marxiste-léniniste du droit représentent naturellement un événement de grande importance. Mais ne doit-on pas considérer que cette théorie constitue une branche particulière de la théorie sociologique ... ? C'est l'essor de l'approche sociologique du droit qui a été la tendance la plus importante de la science juridique moderne, sous sa forme marxiste-léniniste aussi bien que dans ses variantes américaine et européenne-continentale» (Observations, 5) («The development and spread of the Marxist-Leninist theory of law is of course an event of great importance. But is it not that that theory constitutes a particular branch of the sociological theory ... ? The rise of the sociological approach to the law has been the most important trend in modern legal science, in its Marxist-Leninist form as well as in its American and in its European-Continental variants»). Cf. aussi BRIMO qui range la doctrine marxiste au sein d'un même courant avec les doctrines sociologiques et même positivistes, etc. (Lesgrands courants ..., 1968, p. 217 sq.). 66. Chikvadze, Observations, point 3.

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que profonde et infranchissable qui sépare la science juridique marxisteléniniste et les autres, ne signifie nullement qu'aucune communication entre elles ne serait possible sur le plan théorique. L'expérience, à laquelle nous reviendrons encore, témoigne de ce que, même si la science juridique marxiste-léniniste et les autres sont irréconciliables sur le plan idéologique, cette opposition n'exclut ni l'intelligence mutuelle des motivations et des positions (laquelle ne suppose évidemment pas l'adhésion), ni une coopération internationale en matière de pensée et de science juridiques (congrès, colloques, entreprises communes, etc.), notamment en ce qui concerne le vaste domaine du droit comparé, le régime juridique du commerce extérieur, les problèmes juridiques de la paix, ainsi que les incidences juridiques de l'essor des sciences exactes et naturelles (par exemple le droit spatial, les problèmes juridiques qu'implique l'utilisation pacifique de l'énergie atomique, ceux que soulèvent les greffes d'organes, l'applicabilité à la science juridique des méthodes empruntées à la cybernétique, etc.) et ainsi de suite.

II. PAYS OCCIDENTAUX

Pour le classement des grands courants théoriques qui sont vivants de nos jours dans la science juridique des pays occidentaux, nous retiendrons comme point de départ la solution qui est donnée au problème épistémologique fondamental, le problème du rapport entre le droit et la société humaine. C'est de cette conception que dépend la réponse à la question de savoir de quelle manière on peut connaître le droit, soit comme un phénomène social (donc par l'intermédiaire de la connaissance des rapports sociaux auxquels le droit est lié), soit indépendamment des rapports sociaux donnés. Telle est indubitablement la question épistémologique fondamentale. Cependant, afin d'être en mesure de mieux élucider les grands courants théoriques qui se manifestent dans la science juridique contemporaine, il sera plus utile de poser la question d'une autre façon et de la combiner avec la question «génétique» (d'ailleurs très ancienne et même plus ancienne) qui est la suivante: d'où vient le droit? Sous cet angle, on peut répartir les conceptions de la notion du droit, et sur la base de celle-ci les grands courants théoriques, en plusieurs catégories. En nous fondant sur ce critère nous pouvons distinguer de la façon suivante les courants théoriques les plus significatifs qui animent la science juridique contemporaine dans les pays occidentaux. (a) Le plus ancien et le plus persistant est représenté par les théories dualistes, c'est-à-dire par des théories manifestant une certaine reconnaissance du «droit naturel» ou, en d'autres termes, acceptant l'hypothèse du dualisme du «droit donné» (droit positif) d'un côté et du «droit naturel» de l'autre côté. (b) Les théories limitant l'objet de la connaissance juridique au droit en vigueur et s'opposant à la fois au dualisme du droit naturel et aussi à toute recherche «métajuridique», c'est-à-dire aux essais pour lier la con-

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naissance scientifique du droit à la connaissance des données sociales qui le déterminent et à la connaissance de l'action sociale du droit. (c) Les théories sociologiques, dont l'éventail est très large, mais qui possèdent ce dénominateur commun de considérer le droit comme un produit social, comme un ordre issu de la société humaine et agissant au sein de celle-ci. Notons toutefois que cette catégorisation est loin d'épuiser toutes les innombrables théories qui ont jamais existé ou qui se proposent aujourd'hui; elle tend seulement à soumettre à une classification celles d'entre les théories qui sont encore actives, qui exercent une influence importante sur les tendances évolutives actuelles de la science juridique et sont elles-mêmes une manifestation de ces tendances. 1. Théories dualistes (le droit naturel) (a) Les théories du droit naturel s'intéressent à l'origine du droit, non pas, cependant, de celui que les hommes se sont donné en fait, mais d'un autre droit, d'un droit supérieur. Il s'ensuit qu'elles cherchent l'origine du droit en dehors de la société: dans les Idées (Platon), dans la création divine (version théologique du droit naturel), dans la puissance de la raison humaine (version rationaliste du droit naturel), pour nous borner à quelques exemples typiques. Elles se distinguent par une ténacité remarquable et, cent fois vaincues, cent fois elles sont revenues dans l'arène de la science juridique : on parle, à juste titre, de 1'«éternel retour» du droit naturel. 67 Les différentes conceptions du droit naturel changent, bien sûr, d'aspect, mais ce qui leur reste commun (et ce qui explique leur ténacité) c'est leur volonté de compléter, voire de corriger le droit en vigueur, lequel, comme le démontre une expérience millénaire, est bien souvent imparfait, incomplet et inéquitable, par un droit différent meilleur, plus complet et plus juste. Cependant, à l'intérieur de ce cadre commun, de multiples et importantes différences ont continué et continuent à séparer les diverses écoles du droit naturel et, de plus, la notion du droit naturel elle-même est assez floue. Ainsi, par exemple, pour Zippelius 68 , à la différence de la conception assez large de la 67. ROMMEN, Die ewige Wiederkehr des Naturrechts (1947). Cf. BRIMO, Les grands courants ... (1968), p. 395 sq.\ HAINES, The Revival of Natural Law Concepts (1930); PÉTERI, «O nekotoryh èertah doktriny 'vozrozdennogo' estestvennogo prava» (1963, 1969); SEIDLER, «Odrodzenie prawa natury v amerykañskiej jurisprudencji» (1961); SERRANO VILLAFAÑE, «L'apport du droit naturel au droit positif» (1957); etc. Cf. aussi «Works on the survival of natural law», in Bibliography of German Law (1964), p. 58 sq. Après la deuxième guerre mondiale, le droit naturel a exercé un attrait même sur certains auteurs qui étaient auparavant très éloignés de cette position doctrinale. Ainsi, par exemple, un des représentants les plus réputés de la théorie des valeurs (de l'école néo-kantienne dite d'Allemagne du Sud), G. RADBRUCH, est considéré, surtout à cause de son étude «Gesetzliches Unrecht und übergesetzliches Recht» (1946), comme un représentant de la renaissance du droit naturel après la deuxième guerre mondiale. 68. ZIPPELIUS, Das Wesen des Rechts (1969), p. 72.

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notion du droit naturel que nous venons de présenter, toute théorie reconnaissant la validité de principes de la justice indépendants du droit positif ne mérite pas pour autant d'être considérée comme théorie du droit naturel: encore faut-il pour cela qu'en outre elle détermine un critère de ce qui est juste. (b) Une des écoles les plus puissantes au 18e et au début du 19e siècle fut l'école rationaliste du droit naturel. La conception qu'elle défendit, qui représente alors un progrès incontestable de la pensée juridique, n'était pourtant pas des plus favorables à l'action créatrice de la science juridique. On trouvera un témoignage de cette aversion à l'endroit du rôle créateur de la science juridique dans l'histoire de la science juridique en Autriche au début du 19e siècle, telle qu'elle fut représentée en premier lieu par le brillant juriste Franz von Zeiller. 69 Cette école du droit naturel animée par Zeiller a créé le Code civil autrichien (ABGB) de 1811, monument remarquable de la pensée juridique de l'époque. L'école rationaliste de Zeiller fut donc elle-même une force éminemment créatrice, tout en se défendant de l'être. Pour prendre la mesure de ce paradoxe, il suffit de se reporter au Code civil autrichien lui-même, en particulier à ses articles 16 et 7 qui peuvent être considérés comme une «profession de foi» de l'ABGB. D'après l'article 16 tout homme possède des droits innés (angeborene Rechte) reconnaissables par la seule raison', l'article 7 concerne les lacunes du droit et statue que le juge, s'il est dans l'incapacité de résoudre un cas en s'appuyant sur le texte de la loi, soit en s'en tenant à son sens naturel, soit même en recourant à l'analogie, doit décider d'après les principes naturels du droit: c'est donc le droit naturel qu'il applique alors. Il s'ensuit que ni la science juridique, ni le juge ne créent ni ne peuvent jamais créer le droit; ils se bornent à le reconnaître. Cette conception mena, après la promulgation de l'ABGB, à un rejet complet, à une négation de la science juridique pour une période assez considérable. Le Code issu de la connaissance des «droits innés», donc appuyé sur la «seule raison», a été considéré comme ratio scripta et la science juridique remplacée par une simple exégèse du texte de la loi. Il n'est donc pas surprenant que la conception rationaliste du droit naturel, qui a joué en Europe un rôle tellement important vers la fin du 18e siècle et au début du 19e, se soit évanouie, après avoir rempli sa tâche historique, sans avoir de postérité, et rien, à notre jugement, ne porte à croire qu'on puisse s'attendre à sa résurrection. (c) Cependant, bien que les temps actuels ne soient pas favorables non seulement à la conception rationaliste du droit naturel, mais même à la doctrine du droit naturel en général, on peut déceler certaines tendances nouvelles qui semblent annoncer une renaissance de cette dernière et témoignent d'un intérêt croissant pour le droit naturel. Rappelons que le «droit naturel» fut un des sujets traités au VII e Congrès international de

69. Das natürliche Privatrecht

(1819).

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droit comparé (Upsal, 1966) , un des trois thèmes du symposium organisé en 1963 à New York par le New York University Institute of Philosophy71, etc. Cependant, il nous paraît un peu exagéré de dire, comme le fait Thieme dans son rapport général au congrès d'Upsal, que «l'époque du droit naturel est une des plus récentes, qui domine encore notre temps». 72 Le droit naturel, encore que son influence ne soit pas négligeable, est loin de jouer un rôle prépondérant dans les courants actuels de la pensée juridique. Il est vrai que la renaissance du droit naturel dont nous sommes témoins est une réaction contre le positivisme juridique, «qui a échoué, qui n'a pas été capable de trouver une solution aux maux créés par ses propres conséquences»73; cependant le vrai vainqueur du positivisme ne fut pas vraiment le droit naturel mais, comme nous le verrons plus tard, la conception sociologique, qui s'oppose aussi bien au positivisme qu'au droit naturel. Il faut se rendre compte aussi que le droit naturel est soumis aux critiques de nombreux auteurs et qu'il est rejeté non seulement par les partisans de la conception sociologique du droit, mais de différents points de vue.74 Ajoutons encore que certaines conceptions actuelles du droit naturel s'écartent notablement de la notion du droit naturel dans son acception classique (c'est-à-dire comme droit superposé au droit «humain»), et que ce qu'on appelle aujourd'hui «droit naturel» n'a parfois que des liens tellement relâchés avec le dualisme classique qu'il est permis de se demander si l'on peut considérer comme doctrines du droit naturel certaines conceptions dualistes dont nous parlerons ci-dessous. (d) La renaissance du droit naturel (dans l'acception assez vaste que nous avons retenue) se manifeste notamment par les tendances suivantes. (i) Sous sa forme «pure», le droit naturel s'affirme dans la science juridique contemporaine presque uniquement comme droit naturel catholique. Le courant le plus puissant au sein de cette tendance est le courant néo-

70. Rapports généraux au VIIe Congrès international de Droit comparé, Uppsala, 1966 (1968) {cf. THIEME, «L'apport du droit naturel au droit positif», p. 74 sq., et la bibliographie citée dans cet exposé). 7 1 . HOOK (éd.), Law and Philosophy

( 1 9 6 4 ) , p. 105 sq.

72. Rapports généraux (1968), p. 79. 73. SERRANO VILLAFANE, « L ' a p p o r t d u droit naturel . . . » (1957), p. 73.

74. Cf. par exemple Rheinstein, Réponses, 4: «... pour la grande masse des savants juristes américains, cette expression [JC. le droit naturel, V. K.] est suspecte. Elle est trop chargée du souvenir des abus du passé» («... to the bulk of American legal scholars the term is suspect. It is too reminiscent of past abuses»). Cf. aussi la critique adressée au droit naturel par BOBBIO, Giusnaturalismo e positivismo giuridico (1965) et la bibliographie qui y est citée, et par ZIPPELIUS, Das Wesen des Rechts (1969), p. 79 sq. Il est évident que le droit naturel dans n'importe quelle acception est nécessairement rejeté par la doctrine marxiste-léniniste du droit. Cf., par exemple, SEIDLER qui considère la renaissance du droit naturel aux Etats-Unis comme un apport aux théories impérialistes du droit (Doktryny prawne imperializmu, 1957); cf. aussi NASCHITZ, «'Le problème du droit naturel' à la lumière de la philosophie marxiste du droit» (1966); PÉTERI, «Influence of natural law on positive law» (1966); etc.

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scolastique (surtout dans l'acception thomiste). Une certaine renaissance de la conception catholique du droit naturel, opposant, aux termes d'une conception très nettement dualiste, le droit créé par les hommes et le droit naturel divin, est la seule à pouvoir être considérée comme une renaissance authentique de la conception classique du droit naturel. Cependant, il ne s'agit pas d'une «renaissance» dans toute la force du terme, l'Eglise catholique n'ayant jamais renoncé à cette conception dualiste du droit. Si l'on peut parler d'une renaissance de cette dernière, c'est donc seulement en ce sens que son influence s'affirme dans certains pays tels que, par exemple, les Etats-Unis 76 , la République fédérale d'Allemagne77, l'Espagne 78 , l'Italie 79 , l'Autriche 80 , etc.; on en trouve aussi des traces au Japon 81 et, bien entendu, dans beaucoup d'autres pays. (ii) Dans les pays imbus d'un respect traditionnel pour le droit écrit (notamment en France et en Italie), on peut noter qu'il se manifeste actuellement une certaine réaction contre l'omnipotence de la lex scripta-, on y constate des tendances de pensée visant à soumettre cette dernière à une évaluation critique. Or, il est impossible de procéder à une telle évaluation du droit positif à partir de lui-même (le droit positif est tautologique : n'est juste que ce qui correspond au droit positif). 82 D'où la tendance à rechercher un critère d'estimation en dehors du droit positif et à démontrer en même temps que le droit n'est pas seulement ce qui a été créé par le législateur, mais qu'il englobe d'autres normes juridiques, normes établies par les juges, normes coutumières, principes généralement reconnus du comportement de l'homme, standards juridiques, etc., tout cela étant parfois appelé également «droit naturel». Cette manière de voir, qui est d'ailleurs assez proche des conceptions sociologisantes du droit, n'est pas très répandue; sa force ne réside pas dans le nombre des auteurs qui en sont partisans, mais dans l'estime dont ils jouissent sur le plan de la valeur scientifique. Ce sont, par exemple, en France André Tune et René David : le premier rappelle la tendance actuelle à la reconnaissance des principes généraux de la justice (tel le sentiment 7 5 . SERRANO VILLAFANE, op. cit. ( 1 9 5 7 ) , p. 7 3 ; Rheinstein, Réponses, 4 (cf. RHEINSTEIN, «United States of America» 1 9 7 0 , p. 450/«Etats-Unis d'Amérique», p. 4 9 1 - 4 9 2 ) ; Aomi, Contribution de la Commission nationale japonaise, p. 10 (cf. AOMI, «Japan», 1970, p. 383/«Japon», p. 422); etc. 76. Cf. ROMMEN, «In defense of natural law» (1964); cf. aussi Natural Law Institute Proceedings (1947-1951); également Rheinstein, Réponses, p. 4 et les ouvrages qui y sont cités (cf. RHEINSTEIN, «United States of America», 1970, p. 450 et 451/«Etats-Unis d'Amérique», p. 491-492; et notes 61 et 72 dans les deux versions). 77. Zippelius, Réponses, p. 1-3 et les ouvrages qui y sont cités. 7 8 . SERRANO VILLAFANE, op. cit.

(1957).

79. PASSERIN D'ENTRÈVES, The Natural Law (1950); également Giannini, Réponses, 1 (cf. GIANNINI, «Italie», 1970, p. 462 sq.).

Cf. KNOLL, Katholische Kirche und scholastisches Naturrecht ( 1 9 6 2 ) . Chez Kotaro TANAKA (cité d'après Aomi, Contribution, p. 1 0 ; cf. AOMI, «Japan», 1970, p. 383/«Japon», p. 422). 82. L'auteur du présent exposé a présenté un examen détaillé de ce problème dans son ouvrage: Filosofickêproblémy socialistického prâva (1967). 80.

81.

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généralisé de la dignité de chaque homme, de l'égalité des hommes, etc.) 83 ; tandis que le second invoque le droit naturel pour s'opposer au positivisme et reconnaît, expressis verbis, que le droit naturel ressortit à la morale. 84 C'est une attitude analogue qu'adopte, en Italie, Norberto Bobbio qui écrit: «Si, en recourant à l'expression 'droit naturel', on entend indiquer toutes les normes dont la validité ne dérive pas directement de leur dépendance à l'égard d'une autorité déléguée pour produire les normes du système, on est pleinement autorisé à dire que l'objet de la science juridique, entendue comme une recherche du droit vivant, et non seulement comme l'interprétation du droit déjà établi, est aussi le 'droit naturel'». 85 Les pays scandinaves ont vu récemment renaître l'idée du droit naturel dans l'œuvre de F. Castberg. 86 Cependant, quoique celui-ci parle expressément du droit naturel, il semble que même cette théorie s'apparente davantage aux conceptions de R. David, A. Tune et N. Bobbio qu'aux théories «classiques» du droit naturel, l'idée centrale de Castberg étant la reconnaissance et l'applicabilité des jugements de valeur dans le domaine du droit (et, bien entendu, de la pensée juridique), surtout en ce qui concerne les questions sur lesquelles le droit positif se tait (dans les cas de «lacunes du droit»). 87 Aux Etats-Unis, on trouve une conception analogue chez Fuller88, etc. (iii) Le droit naturel et, le cas échéant, la justice naturelle jouent un rôle extrêmement important dans le processus actuel de l'acculturation du droit dans beaucoup de pays, en premier lieu dans les pays ayant récemment accédé à l'indépendance, mais aussi dans d'autres pays où s'impose un processus d'acculturation en matière juridique. Cependant, comme nous le verrons plus loin, dans ce cas il ne s'agit pas d'un droit naturel dans le sens classique (conforme à la conception générale du droit naturel connue dans l'histoire européenne du droit). Il s'agit d'un droit naturel (d'une justice naturelle) sui generis. Dans les cas de ce genre, ce qu'on appelle droit naturel n'est rien d'autre que l'application des principes généraux adoptés, voire établis par les tribunaux et appliqués à titre de sources du droit. Il est évident que la science juridique est susceptible de jouer un rôle très actif lors de l'élaboration de tels principes généraux. (iv) Nous conclurons donc, en récapitulant l'exposé qui précède, qu'en ce qui concerne le droit naturel (la justice naturelle), les tendances suivantes s'affirment aujourd'hui dans la science juridique : 83. Observations; notons aussi que la nature des principes généraux du droit a fait l'objet des discussions au VI e Congrès international de Droit comparé à Hambourg en 1962 {cf. Rapports généraux, 1964). 84. Réponses. 85. Dans sa contribution spéciale, «L'objet de la science juridique». 86. Cf. CASTBERG, Forelesninger over rettsfilosofi (1965); du même auteur, Naturrett og menneskerettigheter (1967) (en version anglaise, «Natural law and human rights», 1968); et, du même, en français, La philosophie du droit (1970). 87. Opsahl, in Eek, Réponses, 6, 7. 88. FULLER, The Morality

of Law (1969).

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— l'invocation du droit naturel en tant que réaction contre le positivisme et contre la foi en l'omnipotence de la lex scripta, soit par le regain de l'influence de la doctrine catholique (surtout néo-scolastique) du droit naturel, soit par le recours, formulé d'ailleurs en termes assez vagues jusqu'à présent, aux principes généraux de la morale en tant que sources du droit; — le recours au droit naturel comme moyen important d'acculturation juridique, surtout lors de la formation de l'ordre juridique des pays ayant récemment accédé à l'indépendance. (e) Nous avons jusqu'à présent envisagé le «droit naturel» comme l'objet des tendances actuelles de la recherche dans notre discipline. Mais la conception du droit n'est pas seulement un thème d'application pour les tendances de la recherche; elle se présente en outre comme l'une des présuppositions ou des conditions de celles-ci, et la conception du droit naturel n'y fait pas exception. Nous devons donc nous poser la question suivante : les théories actuelles du droit naturel sont-elles susceptibles de stimuler, et, si oui, dans quelle mesure, certaines tendances nouvelles de la recherche juridique en général? Ce qu'on peut dire à ce sujet se réduit à peu de chose. Pour ce qui est de la conception catholique du droit naturel, qui donne lieu à des recherches ininterrompues depuis des siècles, il n'est, à notre avis, guère vraisemblable qu'elle apporte quelque chose de véritablement nouveau. On peut attacher une certaine importance aux opinions évoquées au point (d) (ii), en ce qu'elles favorisent l'extension des horizons et des intérêts de la science juridique et sont un stimulant pour les recherches concernant les différents instruments juridiques ou touchant les facteurs sociaux qui échappent au champ de vision de la science juridique, dans la mesure où celle-ci se bornerait uniquement à la connaissance du droit écrit. (Cette extension nous paraît cependant dépendre plutôt de l'essor de la conception sociologique du droit, dont nous aurons à reparler, que des opinions théoriques mentionnées sous (d) (ii).) C'est surtout la conception du droit naturel mentionnée sous (d) (iii) qu'on peut considérer comme une des sources importantes de tendances nouvelles dans la recherche juridique. Ce courant se manifeste jusqu'à présent de façon plutôt empirique, mais il a d'ores et déjà eu pour conséquence un accroissement indiscutable de l'intérêt apporté à l'ethnologie et à l'anthropologie juridiques dans leurs conceptions nouvelles; il a aussi introduit certains éléments et intérêts nouveaux dans le domaine du droit comparé. On pourrait cependant attendre beaucoup plus de lui, s'il était pratiqué de façon plus théorique et plus complexe, moins strictement subordonnée à la solution de problèmes et de cas concrets; on pourrait surtout attendre de lui une contribution d'importance considérable à l'étude complexe du «droit du développement», qui représente, comme nous le verrons, une des tendances de premier plan de la science juridique contemporaine.

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2. Théories limitant l'objet de la connaissance juridique au droit en vigueur (a) Cette catégorie englobe les théories qui - n'hésitons pas à le dire au risque d'être taxé de sévérité excessive - ne s'intéressent pas du tout à l'origine du droit, mais uniquement au fait que le droit existe ou, éventuellement, qu'il est valable. Il est évident, et la chose se passe de commentaires, qu'au point de vue épistémologique ces théories ne sauraient tenir compte des facteurs sociaux - ne s'intéressant pas à l'origine sociale du droit, elles ne peuvent pas, dans son étude, recourir aux éléments sociaux. Il est étonnant (mais en réalité tout à fait logique) qu'à l'intérieur de cette catégorie se donnent la main des doctrines diamétralement opposées, des adversaires par ailleurs irréconciliables, tels que, d'un côté, le positivisme juridique et, de l'autre, la tendance extrême du néo-kantisme juridique, soit, en d'autres termes, sous ses formes variées, la doctrine pure du droit {reine Rechtslehré) de Kelsen, appelée parfois aussi théorie normative. Ces deux théories ont représenté jadis des tendances nouvelles très importantes, des vagues puissantes soulevées par des formes neuves de la pensée dans la science juridique: le positivisme dans la seconde moitié du 19e siècle en réaction contre le néo-kantisme, et le néo-kantisme (sous son aspect normativiste) dans le premier tiers du 20e siècle en réaction contre le positivisme, tous deux s'étant opposés à la pénétration du droit par les tendances sociologisantes. 89 Or, il est bientôt apparu que les horizons de la «doctrine pure du droit» étaient assez limités, la grande vague que cette doctrine a soulevée a reflué et la reine Rechtslehre s'est bientôt usée et épuisée, de telle sorte qu'à présent elle ne peut plus être comptée au nombre des tendances principales de la science juridique vivante. 90 Le positivisme juridique, dont les racines peuvent être trouvées dès l'œuvre de J. Austin (premier tiers du 19e siècle), est beaucoup plus tenace et il conserve, au moins dans certains pays (par exemple dans les pays Scandinaves, dans les pays latino-américains et dans beaucoup d'autres), des positions assez solides. Le positivisme juridique, dont les liens avec la 89. En ce qui concerne la «doctrine pure du droit», cf. le chef-d'œuvre de cette école, la Reine Rechtslehre de Hans KELSEN ( 1 9 3 4 ) ; cf. aussi, du même auteur, Grenzen zwischen juristischer und soziologischer Methode (1911). 90. Elle n'est cependant pas morte: on en trouve des vestiges, et l'on relève même les signes d'une certaine renaissance de cette conception, dans des pays où le courant dominant est bien différent. Ainsi, par exemple, dans la R. F. d'Allemagne, où la science juridique tend visiblement vers le «sociologisme», dans les pays latino-américains, où la science juridique demeure pour l'essentiel positiviste, etc. Dans la R. F. d'Allemagne, c'est surtout dans la revue Rechtstheorie éditée depuis 1970 à Berlin-Ouest qu'on décèle la tendance vers la renaissance de la «doctrine pure du droit» (cf. l'article de WALTER, «Der gegenwärtige Stand der reinen Rechtslehre», dans le 1 er volume de ce périodique); pour ce qui est de l'Amérique latine, cf., par exemple, CARVALHO, A posiçào filosoficojuridica de Kelsen (1953); FELIÚ, El mundo jurídico visto por Kelsen (1956); GUTIÉRREZ, La teoría pura del derecho de Hans Kelsen (1958); PERALTA GARCÍA, En torno al idealismo crítico. Un ensayo sobre Kelsen(\951)\ PINO M U Ñ O Z , El estudio sobre la teoría del derecho (1959); etc.

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philosophie positive d'Auguste Comte sont d'ailleurs très relâchés, n'est pas très favorable au raisonnement théorique: il tend plutôt à interpréter le droit en vigueur qu'à s'occuper des problèmes généraux du droit, et même de la science juridique. Il est d'ailleurs digne de remarquer que, nous osons le dire, le positivisme n'a créé depuis Bergbohm 91 aucun ouvrage théorique représentatif qui puisse être considéré comme programme théorique ou philosophique du positivisme contemporain. Il est cependant très intéressant de constater que les dernières années ont vu renaître un mouvement positiviste dans le pays où la défaite du positivisme juridique paraissait la plus profonde et la plus complète, à savoir aux EtatsUnis. L'apparition de ce mouvement a été signalée par un article remarqué de R. S. Summers, qui se présentait, plus ou moins, comme le programme, voire comme le manifeste d'une nouvelle école. 92 Le groupe des New Analytical Jurists, représenté, outre R. S. Summers, par H. L. A. Hart, R. Dworkin, M. Cohen, etc., est assez hétérogène; néanmoins on peut dire que ce groupe, en dépit de toutes les différences de conception qui séparent les auteurs nommés New Analytical Jurists, s'inspire du positivisme classique de J. Austin. Cependant, malgré ces témoignages d'une certaine renaissance du positivisme aux Etats-Unis, on peut constater que, de nos jours, le positivisme constitue plutôt une façon de traiter le droit, ou une certaine attitude dans l'examen scientifique du droit, qu'une école de pensée au vrai sens du terme. Bien que conservant, comme nous l'avons indiqué, certaines positions assez fortes, et bien que gagnant des positions nouvelles (les New Analytical Jurists), il se trouve, à notre avis, sur son déclin, ayant été refoulé par les conceptions sociologiques ou sociologisantes du droit, et il n'est guère probable qu'on puisse attendre du positivisme juridique un apport nouveau à la science juridique. (b) On peut ranger également dans la présente catégorie la «méthode juridique» élaborée en Italie et considérée dans la littérature contemporaine (surtout dans la littérature juridique des Etats-Unis) comme «style italien» spécifique.93 Le choix de l'expression «méthode juridique» manifestait la volonté délibérée de conférer à la science juridique une rigueur accrue, et selon des voies qui lui fussent propres, en la distinguant plus soigneusement d'une part des études sociologiques, économiques et politologiques, d'autre part de cet ensemble de démarches scientifiques qu'en Italie, au siècle dernier, on appelait «science de la législation» (à la suite des penseurs Jurisprudenz und Rechtsphilosophie ( 1 8 9 2 ) . «The new analytical jurists» ( 1 9 6 6 ) . 93. Le texte ci-après a été emprunté, avec quelques modifications et en résumant certains développements, aux réponses au questionnaire élaborées par les soins du Consiglio nazionale delle Ricerche (auteur: Prof. M. S. Giannini) (cf. GIANNINI, «Italie», 1970 p. 463-464). En ce qui concerne le «style italien» (bien qu'il y soit conçu d'une façon un peu différente), cf. aussi CAPPELLETTI, MERRYMAN et PERILLO, The Italian Légal System (1967), chap. 5, 6 et 7. 9 1 . BERGBOHM, 9 2 . SUMMERS,

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méridionaux du 18 siècle, Genovesi, Filangieri, Pagano et autres), alors qu'aujourd'hui on préfère leur donner le nom de «politique législative». Plus particulièrement, les champions de la nouvelle méthodologie dirigeaient leurs attaques contre la science juridique française, dans laquelle ils voyaient un mélange d'éléments juridiques et non juridiques; vis-à-vis des sciences juridiques d'autres pays, ils adoptaient également une attitude polémique, mais en donnant à leur argumentation un contenu différent. Par exemple, en ce qui concerne la science allemande, laquelle était alors en position dominante, ils estimaient qu'il fallait critiquer sa propension à faire un usage excessif de concepts abstraits en leur conférant une valeur prétendument universelle, tandis qu'à l'égard de la science des pays de Common Law, ils dénonçaient l'excès inverse: celui qui consistait à s'en remettre trop volontiers à des concepts empiriques et liés à la contingence des situations historiques et positives. Cette nouvelle perspective méthodologique rénova profondément toutes les disciplines juridiques en Italie, car elle finit par être acceptée par les chercheurs qui se spécialisaient dans l'étude du droit positif en ses diverses manifestations. En effet, les accusations le plus souvent portées par les juristes dans leurs critiques et leurs polémiques mutuelles étaient celles de «sociologisme», de «politicisme», etc. Souvent, bien entendu, de telles accusations étaient sans fondement, mais il n'en reste pas moins que le risque d'encourir des blâmes de ce genre a joué, dans l'évolution de la science juridique italienne, le rôle d'un puissant facteur d'intimidation et de dissuasion, et que, de ce fait, la recherche juridique n'a cessé d'être maintenue dans les limites d'une rigueur scientifique très surveillée. Cependant, on le comprendra aisément, déterminer avec une exactitude scientifique le cadre de la «méthode juridique» était une tâche autrement malaisée. En effet, si, au niveau empirique, la distinction entre science juridique, sociologie, science politique, sciences économiques, politique législative peut sembler relativement facile, elle l'est beaucoup moins si l'on s'élève, comme il en a été question ci-dessus, au niveau épistémologique. De fait, c'est bien l'exacte délimitation des frontières qui séparent la science juridique des autres sciences, et l'exacte définition des moyens que le juriste doit employer pour l'étude de la réalité sur laquelle porte sa science, qui ont alimenté les longues discussions dont la «méthode juridique» a fait l'objet. Il faut dire tout de suite qu'on ne s'est jamais mis d'accord sur ces problèmes et qu'en conséquence, à l'intérieur même de la «méthode juridique», plusieurs courants ont fini par se déterminer. Ou plutôt, pour être tout à fait précis, il faudrait dire que la «méthode juridique» ayant été acceptée par l'ensemble de la science juridique italienne, on a vu cette unanimité se segmenter ultérieurement en des courants particuliers qui, tous, se réclament du commun dénominateur de la «méthode juridique». Le point qui a soulevé le plus de désaccord concerne le problème que l'on appelle couramment «déontique», en d'autres termes, la question de ce que doit savoir et de ce que doit faire le juriste. A ce point de vue il existe un

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premier courant selon lequel le juriste n'est pas tenu d'être informé de ce qui se produit dans les disciplines sociologiques, politiques, etc., de même qu'il n'est pas tenu de connaître les techniques de la politique législative. S'il s'occupe aussi de ces autres disciplines, c'est tant mieux pour lui en tant qu'individu, pourvu que, dans son rôle de juriste, il oublie si possible de la façon la plus absolue ce qu'il en sait. De sorte que, selon les partisans de cette ligne de pensée, le phénomène juridique consiste en un quid qui peut être scientifiquement recherché de façon absolue, donc - peut-on dire en un phénomène que rien ne rattache à d'autres disciplines, sauf précisément la science du droit. Ce courant a fini par adopter une position très voisine de celle de la «doctrine pure du droit». Cependant les juristes italiens se sont au contraire, pour la plupart, regroupés en deux autres courants, d'après lesquels les ponts avec les autres disciplines doivent être maintenus; ces deux courants se distinguent comme suit: tandis que, pour le premier, le juriste doit «connaître» les autres disciplines, aussi bien théoriques, comme la sociologie, la science politique, etc., que pratiques, comme la politique législative, mais doit toutefois s'abstenir de les utiliser dans ses travaux juridiques, le second maintient au contraire que le juriste doit nécessairement et simultanément réaliser des travaux dans les autres disciplines également; mais, toujours en hommage à la règle de la «méthode juridique», dans son activité de juriste il se voit interdire de mêler les disciplines. 94

3. Théories sociologiques (a) A la différence de la conception positiviste et de la conception dualiste du droit, la conception sociologique voit dans le droit essentiellement un phénomène social. Elle le considère à la fois comme un produit de la vie sociale et comme une force qui se fait sentir dans la société. Pour la conception sociologique, il n'existe aucune frontière épistémologique infranchissable entre l'être (Sein) et le devoir-être (Sollen); chacun des deux termes réagit sur l'autre et la connaissance du premier est la condition de la connaissance du second. On sait que la conception sociologique du droit se distingue par une histoire assez longue et assez variée dont mention a été faite plus haut. Etant le reflet du grand changement du «climat» social qui prit naissance en Europe au milieu du 19e siècle et de l'essor du capitalisme industriel, la tendance sociologisante est devenue la tendance la plus forte et la plus répandue de la science juridique contemporaine. Il ne s'agit pas cependant mis à part les Etats-Unis où l'on peut suivre une ligne de filiation directe depuis la New Jurisprudence des années 20 et 30 jusqu'à nos jours - d'une continuation directe des écoles sociologiques anciennes, ni d'un simple héritage reçu de leurs représentants. 94. Ici se termine le texte emprunté aux Réponses rédigées par le professeur Giannini.

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Dans la science juridique contemporaine il n'existe pas d'école sociologique du droit; il s'agit d'une véritable tendance, sans programme déterminé, sans chef-d'œuvre du type de la Grundlegung der Soziologie des Rechts d'Eugen Ehrlich 95 ; tendance qui se présente plutôt comme spontanée, et qui est déterminée par les besoins de la société contemporaine, divisée en deux grands systèmes socio-économiques, caractérisée par le processus de décolonisation qui s'achève en l'espace d'une génération, d'une société qui est témoin de l'épanouissement sans précédent de ce qu'on a coutume d'appeler la révolution scientifique et technique, bref d'une société qui ne peut se contenter du droit en tant que miroir passif des rapports sociaux, mais qui emploie consciemment le droit comme moyen au service de la transformation sociale. (b) La notion de la sociologie juridique est assez large, et elle manque d'exactitude. On discute beaucoup sur la question de savoir si ce type d'étude constitue une branche autonome de la science juridique (l'une des «sciences juridiques»), ou une branche de la sociologie générale, ou s'il doit être considéré seulement comme une méthode de la recherche juridique, etc. Sans vouloir nous immiscer dans ces discussions, nous nous attacherons dans le présent exposé aux aspects méthodologiques de la question. Du point de vue méthodologique, la tendance sociologique procède de la thèse que la connaissance scientifique du droit ne saurait jamais se borner à la connaissance (à l'analyse) de la norme juridique, mais (i) que la science juridique aborde la connaissance du droit (compte tenu des différentes nuances des tendances sociologiques) par la voie de la connaissance des données sociales qui déterminent le droit, du milieu social d'où le droit tire sa naissance ou dans lequel il existe comme un «droit vivant», etc.; (ii) que l'étude sociologique du droit exige que l'on procède également à l'examen de l'action exercée par le droit sur la société. La sociologie juridique regarde donc le droit comme un organisme vivant, dont on doit connaître non seulement l'existence (et, le cas échéant, la validité), mais aussi l'origine et l'action effective dans la société. Il existe donc une tension incessante et féconde entre l'«être» et le «devoir-être», 95. Ceci ne veut pas dire qu'il n'existe pas d'ouvrages traitant des problèmes théoriques de la sociologie du droit. Il en existe beaucoup et leur géographie est assez large. Citons à titre d'exemples: A L L E N , Law in the Making (1927, 1958); CARBONNIER, Flexible droit (1969); du même auteur, Sociologie juridique (1972); ECKHOFF, «Sociology of law in Scandinavia» (1960); FAROOQI, «Sociological factors and the law» (1969); G E I G E R , Vorstudien zu einer Soziologie des Rechts (1947); G O R I C A R , «Filosofska in socioloska problematika v nasi teorii drzave in prave» (1953); L É V Y - B R U H L , Sociologie du droit (1961). On trouve, bien entendu, dans d'autres pays aussi des ouvrages traitant de la sociologie du droit: par exemple, en Italie, les études de N. Bobbio, R. Orestano et M. S. Giannini dans la revue Jus, 1957; au Japon, les ouvrages de Takeyoshi Kawashima et de Michitaka Kaino; etc. Rappelons aussi le Colloque international de Sociologie du Droit et de la Justice organisé à Bruxelles en avril 1969 (voir Actes du Colloque, 1970). Cf. POCAR et L O S A N O , Sociology of Law 1960-1970. A Bibliographical Survey (1970). Voir également K U L C S Â R , «Sociologizm v burzuaznoj teorii prava» (1963, 1969).

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entre la société et le droit qui y prend naissance et y agit, une tension mutuelle dont la connaissance est une condition indispensable de celle du droit. Ceci n'est, bien entendu, qu'une définition très générale du courant sociologique contemporain; on trouve, à l'intérieur de ce dernier, plusieurs conceptions qu'on pourrait grosso modo diviser en deux grandes catégories : la sociologie théorique du droit, qui s'efforce de concevoir les problèmes généraux du droit en termes sociologiques (c'est-à-dire d'élaborer une théorie sociologique du droit), et la sociologie juridique appliquée qui, sans tendre à élaborer une théorie sociologique du droit, traite du droit positif en employant des méthodes sociologiques. Cette distinction (qui est, bien sûr, loin d'être exhaustive) trouve son corollaire aux Etats-Unis où l'on distingue la connaissance sociologique du droit (sociological jurisprudence, voir plus haut) en tant que façon de penser, méthodologie juridique appliquée aussi bien dans la science que dans la pratique juridiques, et la sociologie du droit (sociology of law) en tant que branche de l'activité scientifique considérant et examinant le droit comme un phénomène social. 96 Les tendances qui s'exercent en faveur du traitement sociologique du droit aux Etats-Unis vont parfois jusqu'à l'acceptation du postulat, évoqué par Max Rheinstein, de «l'intégration du droit avec les sciences sociales, dont des auteurs aussi en vue que Huntington Cairns ou Jerome Hall se sont faits les avocats». 97 Les tendances sociologisantes, souvent inspirées, consciemment ou inconsciemment, par le marxisme (même sans avoir accepté ses points de départ philosophiques) 98 , sont très répandues. Elles sont, par exemple, très fortes au Japon. Elles se manifestent aussi dans la République fédérale d'Allemagne, où la détermination mutuelle du droit constitutionnel et des données sociales constitue l'un des objets principaux de Yallgemeine Staatslehre (théorie générale de l'Etat) 9 9 , les tendances sociologisantes s'y manifestent aussi sur le plan de la genetische Interessenjurisprudenz et dans la

96. Voir la note 61, p. 996. 97. Réponses, 7: «... the postulate of the integration of the law with the social sciences as voiced by such protagonists as Huntington Cairns or Jerome Hall» (cf. RHEINSTEIN, «United States of America», 1970, p. 449/«Etats-Unis d'Amérique», p. 491; et note 49 dans les deux versions). 98. Cf., par exemple, CARBONNIER, Flexible droit (1969), p. 151 : «Sur nos conceptions de la propriété s'étend désormais - même quand nous nous en défendons, même quand nous n'en avons pas conscience - la grande ombre législative venue de l'Est» (voir ibid., p. 183: « ... une analyse avec laquelle le marxisme nous a rendus familiers»). Cf. aussi B. S. Murty, Observations, 2, qui constate: «... la pensée socialiste marxiste, qui est vraisemblablement destinée à acquérir une popularité considérable au cours des prochaines décennies ...» («... Marxian socialist thinking, which is likely to become considerably popular in the decades to come ...»); HAZARD, «Marxist models for West African law» (1969); du même auteur: «La familia de sistemas jurídicos de inspiración marxista en Africa» (1967). Notons cependant que l'intérêt pour l'œuvre de Karl Marx remonte, dans la science juridique, à l'entre-deux-guerres (par exemple, en Suède, Hâgerstrôm, Lundstedt) et même au début du 20 e siècle (par exemple Krímár en Bohême). 99. Zippelius, Réponses, 2.

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doctrine nommée kausales Rechtsdenken, la pensée juridique causale. 100 La science juridique de la R. F. A., comme nous le signale Rheinstein, présente en outre actuellement un autre courant, qui est lié au problème de la création du droit par le juge; nous y reviendrons bientôt. En France, l'étude sociologique du droit a été généralement conduite, jusqu'ici, par des philosophes qui n'étaient pas juristes, et dans un langage que les juristes ne comprenaient qu'avec difficulté; cependant, à présent, même en France une évolution est en cours à ce sujet, les juristes ayant pris conscience de la nécessité d'étudier les aspects sociologiques du droit. 101 La tendance sociologisante est moins nette en Italie, encore que le «style italien» lui-même ne soit pas dépourvu, comme nous l'avons vu, de tout élément sociologique; quant à Norberto Bobbio, il considère, de manière comparable à celle des auteurs américains évoqués plus haut 102 , comme l'une des «expressions les plus importantes de la 'vocation' de la science du droit de nos jours ... la rupture de la ligne de démarcation entre l'activité du juriste et celle du sociologue avec, pour conséquence, la tendance à transformer le juriste en 'social scientist'». 103 Une des tendances sociologisantes est liée, comme nous le signale Rheinstein, à l'accroissement, dans les pays du droit écrit, de la participation des juges à la création du droit. Cependant, ce phénomène engendre nécessairement le danger d'arbitraire dans l'application du droit. La science juridique s'efforce, en conséquence, de parer à ce danger en élaborant des directives pour guider les tribunaux qui ne sont pas encore accoutumés à la création du droit sur une grande échelle.104 C'est, d'après Rheinstein, dans la R. F. d'Allemagne que ce courant est le plus notable. 105 Cependant, ce courant a suscité dans ce pays, comme l'affirme Rheinstein 106 , un Methodenstreit - une discussion sur la méthode - dans lequel s'opposent le courant qui vient d'être mentionné et un courant soulignant au contraire la Gesetzestreue - la fidélité à la loi ou bien, dirions-nous, la légalité - et qui donc élève contre l'accentuation de l'élément volitif Methodenlehre der Rechtswissenschaft ( 1 9 6 0 , 1 9 6 9 ) , p. 4 7 sq. David, Réponses, 3 . C'est surtout l'œuvre de H . LÉVY-BRUHL et celle de J. C A R BONNIER qui, à présent, représentent le courant sociologique dans la science juridique française. 102. Voir la note 97 de la p. 1010. 103. Bobbio, «L'objet de la science juridique» (contribution spéciale), 12. 104. Rheinstein, Observations on the Revised Report, I, 7a: «Judicial law-making necessarily implies the danger of arbitrariness. Efforts are there under way to work out directives for the guidance of courts which have so far not been accustomed to large-scale judicial law-making». 105. Rheinstein cite à titre d'exemples: LARENZ, Methodenlehre der Rechtswissenschaft (1960, 1969); ESSER, Grundsatz und Norm in der richterlichen Fortbildung des Privatrechts (1956); RAMM, Einführung in das Privatrecht. Allgemeiner Teil des BGB (1969). En revanche, la science juridique marxiste-léniniste soumet cette tendance à une analyse critique et la considère comme un signe de la décadence du principe de la légalité dans les pays capitalistes (voir ci-dessous III, (a) (iv), p. 1020, et la note 129). 106. Dans la conférence qu'il a faite devant la Société d'Etudes juridiques de la Cour suprême de la R. F. A. (cité d'après les notes manuscrites fournies par l'auteur). 1 0 0 . LARENZ, 101.

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de la décision judiciaire l'élément herméneutique de celle-ci et tend vers la création d'une nouvelle dogmatique juridique. (c) Outre ce que nous avons déjà dit de la Sociological Jurisprudence aux Etats-Unis, il nous faut ajouter encore une observation générale concernant l'emploi de la méthode sociologique dans le domaine du Common Law, domaine où celle-ci pose des problèmes spécifiques. Le régime du Common Law présente une situation paradoxale : favorable aux tendances sociologiques de la science juridique, il leur est en même temps défavorable, selon les points de vue auxquels on se place. Il est vrai que le droit créé par les juges est plus dynamique que le droit écrit et que la frontière entre le law in the making - le droit en voie de création - et le droit positif est beaucoup moins nette dans le domaine du Common Law que dans celui du droit écrit. C'est ce qui, sous le régime du Common Law, permet au juge, en tant que créateur du droit, de réagir de façon plus souple et plus sensible aux données sociales. Il est, sans doute, vrai également que «la question de l'utilisation consciente du droit comme instrument de changement social est un aspect important de la discussion de la doctrine du précédent». 107 Telles sont, brièvement exposées, les conditions qui, dans le système du Common Law, sont favorables à la pénétration des tendances sociologisantes. Ce qui s'oppose à ces tendances, c'est le conservatisme du Common Law, représenté surtout par la règle stare decisis. Il est vrai que cette règle était moins rigide aux Etats-Unis, où la Cour suprême fédérale n'a jamais hésité à modifier, si besoin, ses propres précédents, et que même les tribunaux anglais qui, dans le monde du Common Law, étaient les plus conservateurs qui fussent, ont toujours su trouver, malgré la règle stare decisis, des moyens d'assurer la transformation du droit en fonction de l'évolution sociale. Il n'en demeure pas moins vrai que, du fait de la règle stare decisis, le Common Law (surtout dans sa version anglaise) est devenu au cours des siècles un droit en réalité beaucoup plus figé que le droit français dans lequel, malgré le fameux article 5 du Code civil interdisant aux juges de se prononcer sur les causes qui leur sont soumises «par voie de disposition générale et réglementaire», la jurisprudence et même la science juridique jouent un rôle très important dans le processus de l'adaptation de la loi aux données sociales. Il faut donc, sur ce point encore, tomber d'accord avec Lawson qui constate, à propos du Common Law: «Le droit est sans aucun doute déterminé dans une large mesure par les données sociales et leur évolution historique, mais nombre des éléments qu'il est difficile d'expliquer par les conditions sociales modernes représentent des survivances d'époques antérieures, où ils avaient une raison d'être. En d'autres termes, une bonne partie de l'édifice du droit est quelque peu périmée». 108 La connaissance

107. Lawson, Réponses, 2: «The question of using law consciously as an instrument of social change is an important part of the discussion of the doctrine of precedent». 108. Lawson, Réponses, 1 : «Law is certainly determined largely by social data and by their historic evolution, but much that is not easily explained by modern social conditions

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scientifique des changements sociaux déterminant le droit, et en particulier des changements des conditions d'ordre idéologique et technique, a été l'une des causes de l'abandon par les tribunaux américains et surtout par la Cour suprême des Etats-Unis de l'application rigide de la règle stare decisis, les tribunaux américains étant disposés à s'écarter, en cas de besoin, même de précédents très anciens. 109 La règle stare decisis a été nécessairement modifiée dans les pays de Common Law ayant récemment accédé à l'indépendance, du fait que le processus inévitable d'acculturation du droit, permettant la naissance d'un nouveau droit propre à chaque pays, s'oppose à l'application rigide de la règle stare decisis héritée de l'ancienne métropole. Et, dernier point qui n'est pas le moins important, les nécessités sociales ont eu pour effet d'atténuer la règle stare decisis même dans son pays d'origine, en Angleterre, où elle a cessé d'être obligatoire, du moins en ce qui concerne la jurisprudence de la Chambre des Lords. Les motifs de ce changement sont bien intéressants du point de vue de notre analyse. Ils reflètent à la fois le respect qui s'attache aux droits acquis et le culte qui est voué à la stabilité de la jurisprudence, mais aussi les concessions qui sont faites aux nécessités du développement du droit. Voici ces motifs, tels que les énonce le Lord Chancelier en date du 26 juillet 1966: «Les Lords considèrent la règle du précédent comme un fondement indispensable pour dire le droit et l'appliquer aux cas d'espèce. La règle offre, tout au moins dans une certaine mesure, une certitude sur laquelle les individus peuvent tabler dans la conduite de leurs affaires, ainsi qu'une base pour une évolution ordonnée des règles de droit. Les Lords reconnaissent cependant qu'une adhésion trop rigoureuse à la règle du précédent peut conduire à de l'injustice dans un cas déterminé, et aussi freiner indûment l'évolution appropriée du droit. Ils se proposent, par conséquent, de modifier leur pratique actuelle et, tout en tenant les décisions antérieures de cette Chambre pour des précédents normalement obligatoires, de s'écarter d'une décision ancienne quand il apparaîtra justifié de le faire. A cet égard, ils ne perdront pas de vue le danger de troubler rétroactivement les bases sur lesquelles des contrats et des règlements intéressant les établissements patrimoniaux ont été conclus et mises au point des formules d'actes propres à limiter l'incidence des droits fiscaux, ainsi que le particulier besoin de certitude du droit pénal. La présente déclaration n'entend pas porter atteinte à l'application de la règle du précédent ailleurs que dans cette Chambre». 110 has survived from earlier ages in which it had a rational basis. In other words quite a fair amount of law is somewhat out of date». 109. Voir page précédente. 110. «Their Lordships regard the use of precedent as an indispensable foundation upon which to decide what is the law and its application to individual cases. It provides at least

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A titre de témoignage du fait que, même en Angleterre (ainsi qu'au Canada et en Australie), on ne croit plus que les méthodes traditionnelles suffisent à adapter le droit aux besoins sociaux, on peut signaler aussi la vocation très large des commissions juridiques (Law Commissions) officielles existant dans ces pays et ayant, autant que nous sachions, le pouvoir de proposer les codifications. (d) Dans les pays ayant récemment accédé à l'indépendance, les tendances sociologisantes se présentent, en règle générale, sous les espèces de problèmes d'acculturation en matière juridique. En revanche, les problèmes afférents à 1'«acculturation du droit», tout en restant des problèmes sociologiques, ne se posent pas seulement aux pays ayant récemment accédé à l'indépendance; la «géographie» de ces problèmes est plus large et englobe aussi certains pays qui jouissent depuis longtemps de l'indépendance, voire, à certains égards, les pays où la «modernisation» du droit a été depuis longtemps menée à bien. Le problème de l'acculturation du droit présente un caractère tout à fait spécifique: aussi en traiterons-nous séparément dans la section suivante.

I I I . PAYS SOCIALISTES (LA THÉORIE MARXISTE-LÉNINISTE DU DROIT)

1. La science juridique marxiste-léniniste se fonde sur la philosophie marxiste-léniniste; elle regarde l'Etat et le droit sous l'angle de la conception marxiste-léniniste du monde et elle applique comme méthode le matérialisme dialectique, et plus particulièrement le matérialisme historique. Il est toutefois vrai que ni Marx, ni Engels, ni Lénine ne se sont jamais proposé d'élaborer une nouvelle théorie juridique. Cependant tous trois (Marx et Lénine d'autant plus qu'ils étaient, comme il est bien connu, juristes de formation) se sont très souvent occupés, dans les différents contextes politiques et économiques, des problèmes philosophiques du droit, de telle sorte que leur œuvre offrait une base solide pour une nouvelle conception du droit et une nouvelle méthodologie juridique, bref, pour l'édification de la science juridique marxiste-léniniste. Celle-ci a pris naissance en Russie soviétique, elle est devenue l'école some degree of certainty upon which individuals can rely in the conduct of their affairs, as well as a basis of orderly development of legal rules. Their Lordships nevertheless recognize that too rigid adherence to precedent may lead to injustice in a particular case and also unduly restrict the proper development of law. They propose therefore to modify their present practice and, while treating former decisions of this House as normally binding, to depart from a previous decision when it appears right to do so. In this connection they will bear in mind the danger of disturbing retrospectively the basis on which contracts, settlements of property and fiscal arrangements have been entered into and also the especial need for certainty as to the criminal law. This announcement is not intended to affect the use of precedent elsewhere than in this House» ([1966] 1 W. L. R. [ = Weekly Law Reports] 1234 et [1966] 3 All E. R. [ = All England Law Reports] 77).

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généralement reconnue en U.R.S.S. et, après la deuxième guerre mondiale, également dans les autres pays socialistes. Une école marxiste assez forte de science juridique existe aussi au Japon 111 , et l'influence de la conception marxiste du droit se manifeste également sous des formes diverses dans la science juridique de certains pays européens, etc., ainsi que dans le développement du droit de certains pays africains. 112 2. Il découle de ce qui vient d'être exposé que le point de départ de la science juridique marxiste-léniniste réside dans la conception philosophique de la société humaine. Le marxisme-léninisme envisage celle-ci comme une structure complexe dans laquelle le rôle primordial revient aux classes sociales et au rapport entre celles-ci, tel qu'il s'est constitué au cours de l'histoire et qu'il détermine le caractère de la société. Il faut toutefois ajouter que cette conception de la société humaine et de son développement englobe nécessairement aussi la reconnaissance du rôle historique du prolétariat (de la classe ouvrière). L'Etat et le droit sont conçus par la science juridique marxiste-léniniste comme une production sociale en ce sens qu'ils sont tous deux produits par la classe dominante (ou bien, à un certain degré de l'évolution de la société socialiste, par le peuple entier). C'est de cette thèse que découle l'approche historique qui caractérise la conception marxiste-léniniste du droit: le droit évolue de façon historique, et ce non pas comme une création indépendante, relevant du seul pouvoir de l'esprit humain, mais en fonction de l'évolution de la société, ce qui signifie que le développement historique du droit en tant qu'élément de la superstructure sociale est déterminé par le développement de la base sociale, c'est-à-dire, en fin de compte, par l'évolution des rapports économiques au sein de la société. 113 Tel est, brièvement, l'encadrement philosophique du droit du point de vue de la philosophie marxiste-léniniste. 3. Un des traits caractéristiques de la science juridique marxiste-léniniste est la liaison épistémologique indissoluble entre la connaissance de l'Etat et celle du droit. (Un témoignage de cette liaison est la terminologie déjà mentionnée, qui a souvent recours à l'expression de «science de l'Etat et du droit».) Ce fait n'est nullement fortuit; il découle de ce que, d'après la conception marxiste-léniniste, le droit est toujours dérivé de l'Etat; il s'agit donc toujours d'un droit étatique. La science marxiste-léniniste du droit est, de ce point de vue, strictement moniste et hostile à toute idée d'un droit naturel ayant sa source hors de l'Etat (ou bien, a fortiori, hors de la société humaine). Comme on vient de l'indiquer, le marxisme-léninisme considère l'Etat comme une organisation émanant de la classe dominante (ou, à un certain stade de l'évolution de la société socialiste, comme une organisation émanant du peuple entier). Dans la société divisée en classes antagonistes, l'Etat est un moyen, entre les mains de la classe dominante, pour la suppression 111. Représentée par les noms de Fujita, Hirano, Numata, etc. 112. Voir note 98, p. 1010. 113. Voir plus loin, sous 5, p. 1016-1017.

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de la classe antagonique (ou, le cas échéant, des classes antagoniques). Même après la liquidation politique et économique de la bourgeoisie en tant que classe sociale dans la société socialiste, l'Etat reste l'organisme utilisé par la classe dominante (ou, le cas échéant, par le peuple entier) pour protéger la société socialiste contre les éléments subversifs qui subsistent dans le pays ou qui peuvent y pénétrer de l'étranger; en outre, comme il va de soi, l'Etat socialiste est aussi un moyen de protection de la société contre les individus antisociaux dans le sens criminel du terme. Un élément de force, de contrainte est donc toujours impliqué dans la notion marxisteléniniste de l'Etat. Le droit est un moyen de la contrainte étatique. Comme tel, il est conçu comme l'expression de la volonté de la classe dominante, d'une volonté, bien entendu, qui n'est pas indéterminée mais déterminée par les conditions matérielles de vie de la société donnée. 1 1 4 C'est là le point de départ de la conception marxiste-léniniste du droit. Il s'ensuit que du point de vue méthodologique et épistémologique, le droit n'est pas, en tant qu'objet de la connaissance scientifique, quelque chose d'indépendant; il n'est reconnaissable qu'au sein d'une double interaction entre la réalité sociale et la réalité juridique : par la connaissance des données sociales qui le déterminent et par la connaissance de son action en retour sur la société. 4. Etant moniste dans le sens susmentionné, la science juridique marxisteléniniste ne se borne pas, cependant, à une recherche positiviste relative au seul droit en vigueur (droit positif). Elle englobe nécessairement l'étude du rapport entre l'«être» et le «devoir-être», considérant ce rapport non seulement comme un rapport relevant de la logique, mais l'examinant dans des contextes plus larges. Le rapport entre l'«être» et le «devoir-être» est conçu en même temps comme un rapport entre «existant» et «possible», entre «présent» et «futur», etc. L'idée du «devoir-être» englobe aussi «l'idéal de la justice en tant que mesure sociale et éthique pour l'évaluation du droit et de ses institutions». Cependant le lien entre l'«être» etle«devoirêtre» est toujours déterminé, en fin de compte, par le lien entre la base et la superstructure sociales (voir plus loin) et les principes et idéaux éthiques (comme par exemple celui de la justice) proviennent toujours «de la réalité sociale et non pas d'un 'droit naturel' éternel et inchangeable». 115 5. Nous venons de faire mention du rapport entre la base et la superstructure sociales, qui représente l'épine dorsale de la conception marxisteléniniste de la société humaine et de son développement historique. Le droit comme élément de la superstructure sociale est déterminé, en fin de compte, par la base sociale et par son développement, c'est-à-dire (pour avoir recours à une formulation simplifiée) par les conditions matérielles (les rapports économiques) propres à la société donnée, lesquelles impliquent aussi les rapports fondamentaux de classes. 114. M A R X - E N G E L S , Manifest der Kommutiistischen Partei, chap. 2 . 115. Les citations données entre guillemets ont été tirées des Réponses (p. 5) de l'Institut de l'Etat et du Droit de l'Académie des Sciences de l'U.R.S.S.

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Les éléments sociaux (et, en fin de compte, la base sociale) qui déterminent le droit sont le moteur qui provoque le développement historique du droit et son adaptation aux changements des données sociales par lesquelles il est déterminé. Le droit, de son côté, en tant que partie de la superstructure sociale, influe sur la société par laquelle il est déterminé, et sur son développement historique. Un moment d'une grande portée dans cette interaction mutuelle est celui de la révolution sociale par laquelle les forces révolutionnaires détruisent la structure actuelle de la société et la remplacent par une structure nouvelle correspondant à leurs intérêts, ce qui signifie aussi la destruction du droit ancien (même s'il demeure formellement en vigueur) 116 et la naissance d'un droit nouveau, d'un droit d'une qualité différente. Un témoignage ad oculos de ce processus est la révolution prolétarienne qui, ayant anéanti le droit ancien, engendre un droit nouveau, un droit de type socialiste. 6. Ces éclaircissements nous ont paru nécessaires pour expliquer ce qui est le fondement invariable de la conception marxiste-léniniste du droit 1 1 7 et pour faire comprendre à l'intérieur de quelles limites des tendances nouvelles se manifestent au sein de la science marxiste-léniniste de l'Etat et du droit. Les tendances significatives qui se manifestent au sein de cette dernière en U.R.S.S., et également, pour la plupart d'entre elles, dans les autres pays socialistes, sont les suivantes. 118 (a) Problèmes relevant de la théorie générale de l'Etat et du droit La science juridique marxiste-léniniste s'est opposée, depuis son origine, à la philosophie idéaliste du droit, et a élaboré elle-même une théorie générale de l'Etat et du droit qui, fondée sur la philosophie marxiste-léniniste, englobe l'étude des problèmes généraux de l'Etat et du droit, y compris leurs aspects philosophiques, sociologiques, éthiques, etc., ainsi que l'étude des problèmes d'ordre méthodologique. 119 116. ENGELS, Ludwig Feuerbach, chap. 4. 117. Voir AJLEKSEEV, Obscaja teorija socialisticeskogo prava (1963); B R A T U S et al., Obscaja teorija sovetskogo prava (1966); C H I K V A D Z E et al., Marksistsko-leninskaja obscaja teorija gosudarstva i prava ( 4 vol., 1970-1971-1972-1973); D E N I S O V et al., Teorija gosudarstva i prava (1967); R O M A S K I N et al., Teorija gosudarstva i prava (1962); S Z A B Ö , A jogelmélet alapjai (1971)(version française, Les fondements de la thêoriedu droit, 1973); etc. 118. En les décrivant, nous nous appuyons dans une large mesure sur les Réponses de l'Institut de l'Etat et du Droit de l'Académie des Sciences de l'U.R.S.S. ainsi que sur les Observations de Chikvadze. 119. En ce qui concerne la conception de la théorie générale de l'Etat et du droit, cf., par exemple, C H I K V A D Z E et al., Marksistsko-leninskaja obscaja teorija gosudarstva i prava, vol. I ( 1 9 7 0 ) , chap. 3 ; D E N I S O V et al., Teorija gosudarstva i prava ( 1 9 6 7 ) ; IOFFE et SARGORODSKIJ, Voprosy teoriiprava ( 1 9 6 1 ) ; KERIMOV, «O predmete obsCej teorii gosudarstva i prava» ( 1 9 5 7 ) ; N A S C H I T Z , «Nekotorye soobrazenija o sootnoäenii filosofii prava i obsCej teorii prava» ( 1 9 6 8 ) ; ROMASKIN et al., Teorija gosudarstva i prava ( 1 9 6 2 ) ; S Z A B Ô , «Gegenstand der marxistisch-leninistischen Rechtstheorie» ( 1 9 6 8 ) ; W R Ô B L E W S K I , «Zagadnienia przedmiotu i metody teorii panstwa i prawa» ( 1 9 6 1 ) ; etc.

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On peut détecter, au sein de la théorie générale de l'Etat et du droit, certains problèmes qui retiennent l'attention des chercheurs et dont l'étude peut être, à juste titre, considérée comme témoignage des tendances actuelles relevant de ce domaine: (i) Une tendance très marquée se manifeste depuis quelques années: elle consiste en l'étude intensive des problèmes méthodologiques. 120 Il est bien connu que la méthodologie générale et fondamentale du marxisme-léninisme est le matérialisme dialectique, et plus particulièrement le matérialisme historique, ce dernier étant l'application du matérialisme dialectique à la connaissance de la société humaine. 121 Cependant dans le cadre de cette méthodologie générale, on constate, au sein des sciences spéciales, y compris de la science juridique, un vif mouvement tendant à la solution des problèmes méthodologiques qui se posent spécifiquement à chacune, et à la recherche de méthodes nouvelles. Une des tendances les plus importantes qui se manifestent dans ce cadre est l'intérêt accru pour la solution des problèmes relatifs à l'application de la méthode sociologique aux recherches relevant de la science de l'Etat et du droit ou, selon l'expression que préfèrent notamment les auteurs soviétiques, de l'étude sociologique concrète de la réalité. 122 Le but principal de l'étude sociologique concrète de la réalité est de déceler l'efficacité de la législation, des méthodes d'administration étatique et sociale, etc. Cette étude englobe aussi la recherche relative aux problèmes concrets de la détermination sociale des règles du droit et, d'autre part, 120. Cf. ALEKSEEV, KERIMOV et NEDBAJLO, « Metodologiceskie problemy pravovedenija» (1954); EHRLICH, S., «Kilka uwag w sprawie metodologii nauk prawnych» (1964); KAZIMIRCUK, Pravo i metody ego izucenija (1965); KERIMOV, «Grundfragen der Methodologie zur Erforschung staatlicher und rechtlicher Erscheinungen» (1957); OPALEK, Metodologiczne problemy prawoznawstwa (1962); STROGOVIC, «Metodologiöeskie voprosy juridiieskoj nauki» (1965); Metody badania prawa. Materialy sympozjum Warszawa 28-29IV1971 (1973); etc. 121. La littérature traitant du matérialisme dialectique et historique est extrêmement abondante; citons, à titre d'exemples, SPIRKIN, Kurs marksistskoj filosofii ( 2 E éd., 1 9 6 6 ) ; MAKAROV, POPOV et TERJAEV (eds.), Marksistsko-leninskaja filosofija. Istoriceskij materializm ( 1 9 7 0 ) ; VOSTRIKOV et al., Marksistsko-leninskaja filosofija. Dialekticeskij materializm ( 1 9 7 0 ) ; KELLE et OSIPOV, «Matérialisme historique, théorie sociologique et recherche sociale en U.R.S.S.» ( 1 9 6 8 ) . Voir aussi, dans le présent ouvrage, «La Philosophie», par Paul Ricœur, notamment Section III, «L'homme et la réalité sociale», sous-section B, § 2, p.

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122. On préfère utiliser cette expression afin d'éviter de placer la sociologie sur le même plan que le matérialisme historique comme science sociale fondamentale, et pour faire ressortir que la sociologie n'est qu'une des méthodes utilisées dans le cadre du matérialisme historique. En ce qui concerne l'étude sociologique concrète de la réalité, cf. CHIKVADZE et al., Marksistsko-leninskaja obscaja teorija gosudarstva iprava, 1 . 1 ( 1 9 7 0 ) , 1 I I / 3 ; l'ouvrage précité de KAZIMIRCUK ( 1 9 6 5 ) ; AFANAS'EV, Naucnoe upravlenie obscestvom ( 1 9 6 8 ) , p. 3 3 sq.; etc. On parle cependant aussi dans la littérature juridique de l'U.R.S.S. de la recherche sociologique dans le domaine du droit: cf. VEJNGOLD, Pravo kak sociologiceskaja kategorija ( 1 9 6 2 ) ; du même auteur, Nekapitalisticeskoe razvitie i social'naja volja ( 1 9 7 0 ) . Cf. aussi KELLE et OSIPOV, «Matérialisme historique, théorie sociologique et recherche sociale en U.R.S.S.» ( 1 9 6 8 ) .

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de leur action sociale; l'étude de la fonction des corps représentatifs populaires 123 et des activités de leurs membres (des députés), de l'administration de l'économie nationale en général et de celle des entreprises en particulier; l'étude de l'organisation de l'agriculture, etc. Outre l'étude sociologique concrète de la réalité, un problème qui, sur le plan méthodologique, retient l'attention de la science juridique marxisteléniniste est celui de l'applicabilité des méthodes empruntées aux sciences exactes, en premier lieu à la cybernétique; il faut également citer le large usage qu'elle fait de la méthode comparative. 124 (ii) Depuis 1958, l'évolution de la science marxiste-léniniste du droit a vu se ranimer aussi l'intérêt porté au problème du système du droit et en particulier à la question de l'existence d'un droit économique autonome et indépendant du droit civil. La controverse au sujet du système du droit et en particulier de l'existence du droit économique commença en U.R.S.S. dans les années 30 et les discussions alors très acharnées aboutirent, en 1938, au rejet de l'opinion favorable à l'autonomie du droit économique qui prévalait auparavant. En 1958 la controverse a repris en U.R.S.S. 125 et a gagné aussi la plupart des autres pays socialistes de l'Europe. Cette controverse, qui a illustré l'une des tendances les plus vigoureuses entre 1958 et 1964, s'est lentement assoupie: mais, n'ayant pas abouti à une solution généralement reconnue, elle est loin d'être terminée et elle mérite encore d'être mentionnée parmi les tendances actuelles de la science juridique marxiste-léniniste. Ajoutons encore que la discussion relative au problème du droit économique a exercé certains effets sur la pratique, surtout en ce qui concerne la législation, du fait que la reconnaissance d'un droit économique indépendant du droit civil exige une conception tout à fait nouvelle du Code civil, et la création d'un Code économique distinct du Code civil (comme ce fut le cas en Tchécoslovaquie en 1964). Nonobstant ces conséquences, il nous semble que l'attention consacrée aux problèmes du système du droit a parfois été un peu excessive. 123. Les corps représentatifs suprêmes (le Soviet suprême en U.R.S.S., la Diète en Pologne, l'Assemblée fédérale en Tchécoslovaquie, etc.) sont (bien que leur caractère soit bien différent) des corollaires de ce que sont les parlements dans les pays occidentaux; les corps représentatifs locaux sont les organes du pouvoir et de l'administration étatiques dans les unités territoriales - régions, districts, arrondissements, villes, communes, etc. tous élus par le peuple et responsables devant leurs électeurs. 124. Voir ci-dessous, Section III, titre II p. 1024 sq.. 125. La discussion a repris à l'automne de 1956 dans la revue Sovetskoe gosudarstvo i pravo de Moscou. Une vue d'ensemble de cette discussion est offerte dans l'ouvrage de SVOBODA, La notion du droit économique (1966) (voir aussi la bibliographie qui y est citée). La notion du «droit économique» ne se limite cependant pas aux seuls pays socialistes. Elle existe aussi, bien que dans un sens assez différent, dans les pays occidentaux: voir Begriff undPrinzipien des Wirtschaftsrechts (1971); voir aussi l'ouvrage précité de SVOBODA (1966). En ce qui concerne les problèmes généraux du système du droit, cf. ALEKSEEV, Obslie teoriceskie problemy sistemy sovetskogo prava (1961); voir aussi les ouvrages cités in Literature on Soviet Law. Index of Bibliography (1960), p. 34 sq. Cf. aussi ROT, Jednosc ipodialy systemu prawa socjalistycznego (1971).

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(iii) Les dernières années ont vu renaître aussi l'intérêt pour les rapports entre la philosophie et la science juridique 126 , voire pour les problèmes philosophiques du droit eux-mêmes, surtout ceux qui concernent la notion du droit 1 2 7 , l'existence ou même la validité du droit, la connaissance du droit (problèmes épistémologiques), la valeur du droit (problèmes axiologiques), etc. 128 (iv) La science juridique marxiste-léniniste étant, comme nous l'avons dit, une science militante, une tendance qui lui est immanente est la polémique tant contre les théories non marxistes du droit, que contre les théories qui tendent à la déformation du marxisme-léninisme dans la science juridique. 1 2 9 En ce qui concerne les théories non marxistes, la science juridique marxisteléniniste ne se contente pas de critiquer leurs points de départ et conceptions théoriques: elle vise aussi leurs incidences pratiques, et elle soumet à une analyse critique les théories tendant directement ou indirectement à l'affaiblissement de la démocratie, de la légalité, etc., comme, par exemple, les théories qui, dans les pays de droit écrit, rappelant la Freirechtsschule (l'école du Droit libre) du début du 20e siècle, sous-estiment la loi, et plaident en faveur de la création du droit par le juge, les théories qui justifient les législations extraordinaires, les théories qui tendent à l'affaiblissement du rôle du Parlement en faveur de l'Exécutif, etc. Une attention particulière est consacrée à la contre-polémique contre les théories ouvertement anticommunistes qui s'expriment dans la littérature juridique des pays occidentaux. De l'autre côté, la science juridique marxiste-léniniste considère comme une de ses tâches importantes de dévoiler toutes les déformations, voire les déviations du marxisme-léninisme dans la science juridique, déformations ou déviations qui, surtout sous la forme du révisionnisme, se rencontrent non seulement dans la littérature des pays occidentaux mais pénètrent de temps en temps même la littérature juridique des pays socialistes.

126. Cf. STROGOVIC, «Filosofija i pravovedenie» ( 1965) ; CHIKVADZE et al., Marksistskoleninskaja obscaja teorijagosudarstva i prava, 1.1 (1970), Introduction, § 1. 127. L'ouvrage représentatif paru dans cc domaine au cours des dernières années est le livre de SZABÔ, A szocialista jog (1963) (version russe, Socialisticeskoe pravo, 1964). 128. KNAPP, Filosofické problémy socialistického prdva (1967), et l'article du même auteur, «La philosophie du droit dans les pays socialistes» (1971); voir aussi la bibliographie qui y est citée. 129. Cf., à titre d'exemples, Kritika burzuazno-reformistskih i revizionistskih teorii v voprosah gosudarstva i prava (1960); KULCSÂR et al., Kritikai tanulmânyok a modem polgâri jogelméletrôl (1963, 1969); CHIKVADZE et Zivs, Protiv sovremennogo reformizma i revizionizma v voprose o gosudarstve (1959); CHIKVADZE et al., Marksistsko-leninskaja obscaja teorija gosudarstva i prava, vol. II (1971), chap. 11 ; IVANOV (ed.), Gosudarstvennomonopolisticeskij kapitalizm i burzuaznoe pravo (1969); KERIMOV, Staatslehre und Revisionismus (1959); SEIDLER, Doktryny prawne imperializmu (1957); TUMANOV, Kritika sovremennoj burzuaznoj teorii prava (1957); Zivs, Krizis burzuaznoj zakonnosti v sovremennyh imperialisticeskih gosudarstvah (1958); ALEKSANDRENKO, Burzuaznyj federalizm (1962); POPOV, Kritika na savremenija burzuazen praven normativizm (1964); etc.

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(b) L'étude de l'Etat socialiste (i) Une des tendances les plus importantes qui se manifestent au sein de la science juridique marxiste-léniniste en U.R.S.S., ainsi que dans les autres pays socialistes, est la recherche relative au développement de la démocratie socialiste130, étude qui fait d'ailleurs, en ce qui concerne les principes et problèmes fondamentaux, l'objet d'une coopération multilatérale entre les institutions de recherche des pays socialistes européens. 131 Nous reviendrons ci-dessous, avec plus de détails, sur les problèmes de la démocratie 132 ; ajoutons seulement pour l'instant que l'étude de la démocratie socialiste est conçue en termes très larges; elle englobe aussi l'étude de problèmes spécifiques de la démocratie socialiste, tels que ceux qui intéressent l'administration de l'économie nationale (comme, par exemple, les méthodes juridiques de la planification, de la gestion des entreprises, leur position juridique à l'égard de la propriété socialiste, et ainsi de suite), ainsi que les incidences juridiques, sociales et politiques de la révolution scientifique et technique 133 aussi bien dans les rapports internes que dans les rapports extérieurs des pays socialistes (comme, par exemple, l'influence de la révolution scientifique et technique sur le développement de l'Etat et du droit socialistes, son influence sur le développement des formes et des méthodes de la pratique démocratique dans les pays socialistes, sur la réglementation juridique de l'économie nationale, sur les problèmes juridiques du commerce et de la coopération économique extérieurs, etc.). (ii) La science juridique marxiste-léniniste s'efforce de donner des 130. CHIKVADZE et al., Marksistsko-leninskaja obscaja teorija gosudarstva iprava, vol. II (1971), chap. 4; CHIKVADZE, Gosudarstvo, demokratija, zakonnost' (1967); CHIKVADZE (ed.), The Soviet State and Law (1969); KOTOK, «Socialisticeskij demokratizm sovetskogo gosudarstva» (1957); LOOSE, «Zur Dialektik der Höherentwicklung der Arbeiterklasse und der sozialistischen Demokratie» (1971); POLAK ,Zur Dialektik in der Staatslehre (3 e éd., 1963); SZABÔ, « La démocratie socialiste et le droit » (1966); VINTU, « La démocratie représentative en Roumanie» (1972); WEICHELT, Der sozialistische Staat Hauptinstrument der Arbeiterklasse zur Gestaltung der sozialistischen Gesellschaft (1972); etc. 131. Les Instituts des Sciences juridiques des Académies des Sciences de l'U.R.S.S., de Bulgarie, de Hongrie, de Pologne, de Roumanie et de Tchécoslovaquie, ainsi que l'Académie des Sciences de l'Etat et du Droit «Walter Ulbricht» de la R. D. A., ont retenu, lors de la réunion de leurs directeurs tenue à Prague les 3-5 mars 1970, le thème «Le socialisme et la démocratie» comme un des sujets de leur étude coordonnée. 132. Cf. Section III, titre V, p. 1059 sq. 133. Cf., par exemple, Pravovye voprosy naucno-tehniceskogoprogressa v SSSR (1967); cf. aussi BOBOTOV, «Vlijanie nauCno-tehniCeskogo progressa na pravovoje regulirovanie» (1972); RYBICKI, «L'administration publique dans l'Etat socialiste face à la révolution scientifique et technologique» (1972). Notons aussi que la réunion des directeurs des instituts mentionnée dans la note 131 ci-dessus a retenu également comme thèmes de coopération multilatérale deux autres sujets qui se trouvent en relation étroite avec le précédent et témoignent comme lui d'une tendance très marquée du développement actuel de la science juridique marxiste-léniniste, à savoir: «Questions juridiques afférentes aux réformes économiques» et «L'Etat et le droit socialistes et la révolution scientifique et technique».

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fondements scientifiques à l'administration étatique. A l'époque du grand essor scientifique et technique contemporain, les tâches de l'Etat socialiste en vue du développement politique, économique, social et culturel de la société socialiste deviennent de plus en plus complexes, ce qui rend aussi le rôle de l'administration étatique plus complexe et exige qu'elle s'appuie sur des bases scientifiques solides. Les efforts vers cet objectif, ayant un caractère interdisciplinaire, englobent aussi la science juridique et représentent une des tendances importantes de son développement actuel. (c) Légalité socialiste et problèmes relatifs à l'ordre juridique La science juridique marxiste-léniniste continue à s'occuper de la légalité socialiste 134 sous ses multiples aspects généraux relevant de la théorie générale de l'Etat et du droit, de l'étude des droits de l'homme, de l'étude de la démocratie socialiste 135 , etc. ; ainsi que sous ses aspects plus particuliers, comme, par exemple, la lutte contre la criminalité, la légalité au sein des rapports économiques, etc. Une tendance très marquée, dans le cadre de la recherche portant sur la légalité socialiste, est représentée par l'intérêt que porte la science juridique, surtout celle de l'U.R.S.S., à la recherche relative au perfectionnement, à l'élaboration du système et à la codification de la législation de l'Union soviétique et des républiques fédérées. 136 Cette recherche englobe l'étude des moyens de perfectionner la technique législative, celle de la promulgation des normes juridiques, celle de la terminologie juridique, celle du processus législatif, etc. Elle englobe aussi les travaux tendant à l'élaboration d'un système scientifique des normes juridiques de l'Union soviétique et des républiques fédérées 137 (étude qui s'apparente à celle des problèmes 134. KERIMOV, Obespecenie zakonnosti v SSSR (1955); du même auteur, «Fragen der Theorie der sozialistischen Gesetzlichkeit» (1957); NEDBAJLO, «Sovetskaja socialistiCeskaja zakonnost'» (1954); PIONTKOVSKU, «Ukreplenie socialistiöeskoj zakonnosti» (1955); STROGOVIC, Osnovnye voprosy sovetskoj socialisticeskoj zakonnosti (1966); STROGOVIC (ed.), Pravovye garantii zakonnosti v SSSR (1962); OPALEK et ZAKRZEWSKI, Z zagadnieft praworzadnosci socjalistycznej (1962); etc. En ce qui concerne la différence entre la légalité socialiste et la légalité bourgeoise, cf. WEYL, La justice et l'homme (1962). 135. Voir plus loin, Section III, titre V, p. 1060-1061. 136. Il existe un institut spécialisé pour l'étude de ces questions, l'Institut fédéral de Recherches relatives à la Législation soviétique (Vsesojuznyj nauCno-issledovatel'skij institut sovetskogo zakonodatel'stva) à Moscou. Les problèmes de la création et du perfectionnement du droit retiennent cependant aussi l'attention de la science juridique d'autres pays socialistes: cf., par exemple, ARLT, «Zur marxistisch-leninistischen Theorie von der Schaffung und Verwirklichung des sozialistischen Rechts» ( 1 9 7 1 ) ; CETERCHI, «Le rôle de la dialectique matérialiste dans la pratique du droit» ( 1 9 7 1 ) ; K N A P P , «La technique de la réforme du droit dans les pays socialistes» ( 1 9 7 0 ) ; etc. 1 3 7 . BRATUS et al., Teoreticeskie voprosy sistematizacii sovetskogo zakonodatel'stva ( 1 9 6 2 ) ; CHIKVADZE (ed.), Voprosy kodifikacii ( 1 9 5 7 ) ; KERIMOV, Kodifikacija i zakonodatel'naja tehnika ( 1 9 6 2 ) ; du même auteur, Fragen der Gesetzgebungstechnik ( 1 9 5 8 ) ; KERIMOV (ed.), Zakonodatel'naja tehnika ( 1 9 6 5 ) . Cf. aussi le recueil Voprosy kodifikacii sovetskogo prava ( 1 9 5 7 ) .

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théoriques du système du droit socialiste dont mention a été faite plus haut) ; l'étude du rapport mutuel entre la législation sur le plan fédéral (sur le plan de l'Union) et la législation sur le plan de chaque République 138 ; l'étude des questions relatives au perfectionnement des différentes branches de la législation eu égard aux besoins et aux conséquences de la réforme économique (il s'agit surtout de problèmes relevant du droit civil, du droit dit économique, du droit du travail, du droit agraire, de la législation relative au régime juridique des eaux, des forêts, des mines, etc.); l'étude et la généralisation des expériences liées à la législation des pays étrangers, surtout socialistes; etc. (d) L'exposé qui précède n'épuise nullement les tendances actuelles qui se manifestent au sein de la science juridique marxiste-léniniste. L'éventail des intérêts de celle-ci est beaucoup plus large et englobe pratiquement toutes les questions dont nous parlerons ci-après. Ici, nous nous sommes limité, à titre d'exemple, à quelques problèmes d'une grande portée. Nous attirerons cependant encore l'attention du lecteur dans les développements suivants sur les tendances qui se font jour dans la science juridique marxiste-léniniste.

138. Cf. SAMOSCENKO et al., Sootnosenie obscesojuznogo i respublikanskogo zakonodatel'stva

(1967).

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Section III. T E N D A N C E S P R I N C I P A L E S

I. INTRODUCTION (OBSERVATIONS GÉNÉRALES)

Les grands courants théoriques dont mention a été faite dans la section précédente représentent l'encadrement général des tendances principales de la recherche scientifique dans la science juridique contemporaine et reflètent eux-mêmes à leur tour ces tendances. En particulier, les tendances principales peuvent être classées grosso moclo d'après trois critères, à savoir 1. les tendances dues aux besoins du développement de la science juridique elle-même, surtout les tendances qui se manifestent dans le domaine méthodologique et au sein de l'histoire du droit; 2. les tendances influencées par les intérêts politiques et économiques; 3. les tendances dues à l'essor des sciences exactes et, le cas échéant, à celui des sciences de la nature. Il est, bien sûr, inutile de souligner que ce classement est loin d'être exact; les influences qui donnent naissance aux différentes tendances ou qui les stimulent se superposent et le présent classement n ' a d'autre objet que de rendre plus aisée la mise en lumière des tendances principales qui se manifestent dans la science juridique contemporaine et d'en faciliter la compréhension.

I I . MÉTHODOLOGIE

(a) La méthodologie de la science juridique est l'un des domaines dans lesquels les tendances actuelles des recherches de notre discipline se manifestent de façon particulièrement remarquable. 1 3 9 Cependant, c'est surtout dans ce domaine que l'encadrement général dû aux grands courants théoriques joue un rôle important. On peut dire sans exagérer que ce qui a défini 139. L'intérêt porté aux problèmes méthodologiques est cependant un trait typiquement «continental»: Lawson nous avertit (Observations, p. 1) que «pour ce qui est du moins des juristes anglais, les questions de méthodologie suscitent en eux une profonde aversion» («English lawyers at least find methodology extremely repellent»).

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presque chaque courant théorique dans la science juridique, c'est la solution des problèmes méthodologiques qu'il proposait et l'emploi qu'il faisait de certaines méthodes. Il s'ensuit que, pour la logique de l'exposé, les tendances fondamentales qui se manifestent sur le plan méthodologique ont déjà été traitées par nous dans la deuxième section, où nous avons passé en revue les grands courants théoriques de la science juridique contemporaine. En conséquence, afin de ne pas répéter ici ce qui a déjà été dit, nous nous bornerons à certains problèmes choisis, mais en même temps nous ne nous limiterons plus, dans la présente section, aux problèmes méthodologiques stricto sensu, c'est-à-dire aux problèmes qui se posent sur le plan de la théorie des méthodes-, nous nous occuperons en même temps et, dans certains cas, en premier lieu, des problèmes qui concernent les méthodes elles-mêmes et leur application; autrement dit, sous le titre de «méthodologie», nous ne nous bornerons pas à esquisser les problèmes d'ordre purement méthodologique, mais nous nous efforcerons en même temps de présenter au lecteur un tableau des tendances principales qui intéressent l'application des méthodes. (b) Partant de ce point de vue, nous nous proposons, dans la présente section, de traiter de l'application — des méthodes sociologiques (méthodes empruntées à la sociologie empirique) ; — de la méthode comparative; — des méthodes empruntées aux sciences exactes. Les méthodes qui viennent d'être mentionnées ne se trouvent pas sur le même plan et ne sont pas de même portée. Bien entendu, toutes sont subordonnées aux grandes conceptions méthodologiques dominantes et s'appuient sur elles; cependant, les méthodes sociologiques sont générales tandis que les deux autres sont spécifiques, si bien que les méthodes sociologiques se superposent aux autres. En outre, l'emploi des méthodes empruntées à la sociologie empirique revêt une signification essentielle pour le courant théorique le plus important de la science juridique contemporaine dans les pays occidentaux 140 , tandis que les deux autres méthodes mentionnées ne déterminent elles-mêmes aucun grand courant (dans le sens dans lequel nous entendons la notion de «courant théorique» ci-dessus, dans la deuxième section).

1. L'application des méthodes sociologiques (a) Bien que, comme nous venons de le dire, elle ait une signification essentielle pour le courant sociologique de la science juridique 141 , l'application des méthodes sociologiques, c'est-à-dire des méthodes empruntées à la sociologie empirique, ne coïncide pas entièrement avec ce courant. 140. C'est la raison pour laquelle, dans la présente section elle-même, suivant la recommandation de Rheinstein, nous revenons brièvement sur les méthodes sociologiques. 141. Voir plus haut, Section II, titre II, 3, p. 1009.

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Comme nous l'avons déjà vu, il faut distinguer nettement entre la conception théorique de la société humaine et les méthodes qui servent la recherche relative aux données et faits sociaux; il est donc nécessaire de faire une distinction entre les points de départ philosophique, méthodologique, etc., de la recherche et les méthodes que le chercheur emploie. Il s'ensuit que les méthodes sociologiques dont se sert la science juridique peuvent être (et sont souvent) similaires, alors que les déductions théoriques qu'on tire des faits ainsi établis peuvent être profondément différentes selon les conceptions théoriques de la société. Telle, par exemple, la différence qui sépare les théories sociologiques dont nous avons parlé plus haut 1 4 2 de la théorie marxiste-léniniste. L'emploi de méthodes empruntées à la sociologie empirique dépasse donc les limites des théories sociologiques dont nous avons fait état. On peut d'ailleurs imaginer une application de méthodes sociologiques, même au sein d'autres courants théoriques que ceux-là. Aucun obstacle théorique n'empêche, par exemple, les théories du droit naturel, les théories phénoménologiques, etc., d'avoir recours, dans le cadre de leurméthodeprincipale, à des méthodes empruntées à la sociologie empirique. (Par contre, il est impossible d'imaginer l'emploi de méthodes sociologiques au sein du positivisme juridique, ou au sein de la «doctrine pure du droit», par exemple, étant donné que ces théories sont nettement et par définition «antisociologiques».) (b) Revenons cependant aux théories sociologiques du droit, dont nous avons parlé précédemment, et pour lesquelles l'application des méthodes sociologiques a une signification essentielle. Pour ces théories, les méthodes sociologiques ne sont pas des méthodes subordonnées à une autre méthode principale: elles sont elles-mêmes la méthode principale de ce courant théorique et leur emploi représente un véritable événement méthodologique. Citons à ce propos Rheinstein qui, en nous recommandant de rappeler au lecteur, même dans la présente section, l'importance du recours aux méthodes sociologiques, constate: « 1. que la tendance la plus significative et ayant la plus grande portée dans la science juridique contemporaine est l'évolution vers la recherche sociologique dans le domaine du droit, et 2. que cette évolution est universelle et qu'elle est surtout très marquée aux Etats-Unis, dans les pays scandinaves, dans la R. F. d'Allemagne et au Japon». 1 4 3 142. Dans la Section II, titre II, 3, p. 1008-1014. 143. Rheinstein, Observations on the new statement, p. 13: « 1. that the most significant and most far-reaching trend in present légal learning is the shift toward sociological jurisprudence, and 2. that this shift is universal and quite particularly marked in the United States, the Scandinavian countries, the Fédéral Republic of Germany and Japan». Nous ne doutons pas que la tendance sociologique ou au moins sociologisante ne soit, en effet, la tendance la plus importante dans la science juridique des pays occidentaux et qu'elle ne soit, en ces pays, très répandue; nous sommes cependant au regret de devoir

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Par conséquent, ce qui est caractéristique de la conception sociologique du droit, ce sont les travaux qui impliquent l'emploi de méthodes empruntées à la sociologie générale, telles que, par exemple: examen de rapports statistiques, entrevues, recherches sur place, comparaison des faits sociaux, etc., travaux que la terminologie de langue anglaise désigne par l'expression de légal fact research. (c) Nous avons vu 1 4 4 que même la science juridique marxiste-léniniste utilise de plus en plus largement les méthodes sociologiques (méthodes de l'«étude sociologique concrète de la réalité»). Les méthodes appliquées dans le cadre de cette étude sont par exemple: l'analyse de données statistiques; l'analyse sur place de certaines activités (celles des corps représentatifs, des entreprises, etc.) ou, le cas échéant, l'élaboration et l'analyse de «modèles» de telles activités; l'organisation d'enquêtes; l'analyse de l'opinion publique, etc. L'étude sociologique concrète de la réalité englobe aussi (surtout en U.R.S.S.) l'emploi de l'essai social 145 , par exemple au cours de la préparation de projets de règles juridiques; avant l'introduction de nouvelles méthodes d'administration; etc. (d) Pour le reste, nous renvoyons le lecteur à la Section II, titres II, 3 et III.

2. Le droit comparé (a) Problèmes généraux (i) L'origine du «droit comparé» remonte à un siècle environ: la Société de Législation comparée de Paris a célébré en 1969 le centenaire de sa fondation. 1 4 6 Cependant l'étude moderne du droit comparé ne date que du début du 20 e siècle (le premier Congrès de Droit comparé a eu lieu à Paris en 1900), époque où ses fondements ont été posés par les Français Raymond Saleilles et Edouard Lambert 1 4 7 , elle a commencé à susciter un véritable constater que les sources dont nous disposons ne nous permettent pas de partager entièrement l'opinion exposée ci-dessus, au point 2, par notre collègue (voir notre exposé dans la Section II, titre II, p. 1010-1014). 144. Section II, titre III, p. 1018 sq. 145. Il est évident que l'essai social pose beaucoup de problèmes théoriques: cf. l'ouvrage déjà cité de KAZIMIRCUK, Pravo i metody ego izucenija (1965); cf. aussi GOLOVKO, «Nauinyj èksperiment v gosudarstvennom stroitel'stve» (1966); NIKITINSKIJ, «ZnaCenie èksperimenta v normotvorôeskoj dejatel'nosti» (1967); PANICKOV, «Social'nyj èksperiment i nauônoe rukovodstvo razvitiem socialisticeskogo obsôestva» (1967); etc. 146. La Société de Législation comparée a publié, à l'occasion de son centième anniversaire, un recueil en deux volumes intitulé Livre du Centenaire de la Société de Législation comparée (1969-1971). Cependant, on trouve dès l'Antiquité des témoignages d'une étude comparative du droit {cf. DAVID, R., Les grands systèmes de droit contemporains, p. 3 dans la 4 e éd. (1971): «La comparaison des droits, envisagés dans leur diversité géographique, est chose aussi ancienne que la science du droit elle-même.»). 147. Cf. ANCEL, «La tendance universaliste dans la doctrine comparative française au début du xx e siècle» (1954); du même, Utilité et méthodes du droit comparé (1971).

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intérêt de la part de la science juridique entre les deux guerres ( L é v y - U l l m a n n en France, Rabel en Allemagne, Gutteridge en Angleterre, Y n t e m a aux Etats-Unis, etc.) et c'est seulement depuis la deuxième guerre mondiale q u ' o n peut noter s o n épanouissement sur u n plan vraiment universel. 1 4 8 U n e des causes de ce développement est sans doute, c o m m e n o u s le rappelle A . T u n e 1 4 9 , l'essor rapide de la révolution scientifique et technique depuis la deuxième guerre mondiale et surtout le développement des c o m m u n i c a tions qui, e n «raccourcissant» les distances, accélère énormément le transfert des informations, facilite les rapports entre les Etats et par conséquent p o s e aussi des problèmes n o u v e a u x concernant les rapports entre leurs droits respectifs. Cependant, à notre avis, ce sont avant tout les changements politiques survenus depuis la deuxième guerre mondiale, a u premier rang desquels la coexistence des systèmes socialiste et n o n socialiste du droit et le processus de la décolonisation, qui o n t enrichi et continuent à enrichir de nouveaux aspects le droit comparé et qui lui ouvrent de n o u v e a u x h o r i z o n s . 1 5 0 Les intérêts politiques liés a u x rapports mutuels entre les d e u x

Cf. aussi CONSTANTINESCO, «Les éléments déterminants en tant que critères fondant la science des droits comparés» (1967), qui fait remonter (p. 235) l'origine du droit comparé au premier tiers du 19e siècle; voir aussi TILLE et FAJZIEV, «IZ istorii sravnitel'nogo pravovedenija» (1970). Voir également Buts et méthodes du droit comparé (sous presse). 148. Le lecteur trouvera une véritable vue d'ensemble des comparatistes contemporains et des sujets qui retiennent aujourd'hui l'intérêt du droit comparé dans plusieurs volumes de mélanges publiés en l'honneur des comparatistes les plus renommés; citons à titre d'exemples quelques-uns de ceux qui ont paru au cours de la dernière dizaine d'années: XXth Century Comparative and Conflicts Law (en l'honneur de Hessel Yntema), Leyde, 1961; Essays in Jurisprudence in Honor of Roscoe Pound, Indianapolis, 1962; Liber amicorum Baron Louis Fredericq, Gand, 1965; Libro-Homenaje a la memoria de Roberto Goldschmidt, Caracas, 1967; Etudes juridiques en l'honneur du professeur Traian R. lonasco, Bucarest, 1968; lus privatum gentium (en l'honneur de Max Rheinstein), Tübingen, 1969; Miscellanea W. J. Ganshof van der Meersch, Bruxelles, 1972; Mélanges de droit comparé en l'honneur du doyen Â. Malmström, Stockholm, 1972; il convient de mentionner également deux ouvrages plus anciens: Introduction à l'étude du droit comparé. Recueil d'études en l'honneur d'Edouard Lambert, Paris, 1938, et Festschrift für Ernst Rabel, Tübingen, 1954. Une image des intérêts du droit comparé contemporain est aussi offerte par les Congrès internationaux de Droit comparé, les colloques organisés par l'Association internationale des Sciences juridiques, etc., auxquels nous aurons recours à maintes reprises, ainsi que par les recueils édités à l'occasion des anniversaires des organismes s'occupant de droit comparé, tels, par exemple, Problèmes contemporains de droit comparé (anniversaire de l'Institut japonais de Droit comparé), Tokyo, 1962; Recueil des travaux relatifs au droit étranger et droit comparé (10e anniversaire de l'Institut de Droit comparé de Belgrade), Belgrade, 1966; numéro spécial du Boletin mexicano de Derecho comparado (25e anniversaire de l'Institut de Droit comparé de Mexico), Mexico, 1968; Livre du Centenaire de la Société de Législation comparée, Paris, 1969-1971, 2 vol. 149. Tune (Observations concernant la deuxième version du présent travail) considère ces faits comme la cause principale de l'essor du droit comparé depuis la deuxième guerre mondiale. 150. Cf. Buts et méthodes du droit comparé (1973); ANCEL, «Les buts actuels de la recherche comparative» (1972); GRAVESON, «Philosophy and function of comparative law» (1958); RODIÈRE (ed.), Introduction au droit comparé (1967); SZABÔ, «Sravnitel'noe

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grands systèmes socio-politiques du monde contemporain (à la nécessité pour eux de se comprendre mutuellement, surtout dans le domaine du commerce extérieur, et, en même temps, à leur lutte idéologique)151; au processus de décolonisation et à la naissance de dizaines d'Etats nouveaux, à la formation de groupements régionaux (économiques et politiques) d'Etats, etc., ont fourni l'occasion, pour le droit comparé, d'un essor sans précédent qui représente aujourd'hui l'une des tendances les plus importantes de la recherche dans le domaine de la science juridique. 152 L'intérêt soutenu qui s'attache à la recherche en matière de droit comparé se manifeste de manière tangible par l'établissement et le fonctionnement de nombreux instituts soit spécialisés153 (tels l'Institut de Droit comparé de la Faculté de Droit de l'Université de Paris, le Max-PlanckInstitut für ausländisches und internationales Privatrecht à Hambourg, le British Institute of International and Comparative Law à Londres, l'Institut de Droit comparé de Belgrade, l'Institut für ausländisches Recht und Rechtsvergleichung der Deutschen Akademie für Staats- und Rechtswissenschaft «Walter Ulbricht» à Potsdam-Babelsberg, l'Instituto de Derecho comparado à Barcelone, etc.), soit destinés à la recherche juridique en général, mais consacrant une partie importante de leurs activités au droit comparé (tels surtout les Instituts de l'Etat et du Droit de l'Académie des Sciences de l'U.R.S.S. et des Académies des Sciences de Hongrie, de Roumanie, de Tchécoslovaquie, etc.), instituts qui, avec les chaires et instituts de droit comparé que comportent de nombreuses facultés de droit dans le monde entier, et avec une faculté spéciale (la Faculté internationale pour l'Enseignement du Droit comparé de Strasbourg), représentent le cadre institutionnel de la recherche et de l'enseignement dans ce domaine. On verra un autre témoignage de cet intérêt dans l'existence de l'Académie internationale de Droit comparé et du Comité international de Droit comparé (ce dernier faisant en même temps fonction de comité exécutif pour l'Association internationale des Sciences juridiques) qui stimulent les recherches de ce type par l'organisation de colloques, de tables rondes, de pravovedenie» (1963, 1969); du même, «Law theory and comparative law» (1972); Szabô, Observations; etc. 151. Le rôle du droit comparé comme moyen de la lutte contre les idéologies bourgeoises est souligné surtout par Zivs, «O metode sravnitel'nogo issledovanija v nauke o gosudarstve i prave» (1964), p. 23 et 31 sq. 152. L'intérêt pour le droit comparé qui est dû aux nécessités de la vie économique de la société contemporaine pénètre de plus en plus aussi les milieux de praticiens; A. Tune nous informe (dans ses Observations concernant la deuxième version du présent travail) d'une «incitation aux études comparatives qui, venant de l'existence de la Communauté économique européenne, apparaît même dans les journaux des praticiens (La Gazette du Palais)». Voir aussi Livre du Centenaire de la Société de Législation comparée, t. 1: Un siècle de droit comparé en France. Les apports du droit comparé au droit positif français (1969), section VII: «Les apports du droit comparé à la pratique juridique française». 153. Rappelons que l'Association internationale des Sciences juridiques a organisé en 1954 un Colloque sur «Le rôle et les fonctions des Instituts et Centres de droit comparé». Cf. aussi DAVID, R., «La coopération internationale en matière de droit comparé» (1972).

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conférences, etc. Rappelons aussi l'élaboration, actuellement en cours sous le patronage du Comité international de Droit comparé, d'un ouvrage fondamental intéressant cette discipline, Y Encyclopédie internationale de Droit comparé, qui ne comportera pas moins de seize tomes. (ii) L'intérêt que suscite la recherche en matière de droit comparé représente donc, en lui-même, l'une des tendances actuelles les plus notables de la science juridique mondiale. Cependant, le «droit comparé» n'est pas une discipline homogène ni uniforme. Les intérêts des comparatistes varient et l'on peut constater aussi une certaine diversité de tendances au sein du droit comparé lui-même. Avant d'aborder la mise en évidence de ces tendances, il est cependant nécessaire de se poser une question préalable, celle de savoir en quoi consiste le «droit comparé». L'expression «droit comparé» est une particularité des langues française et anglaise (comparative law) et des langues dont la terminologie juridique s'est formée sous l'influence française. Par contre, elle n'existe pas en allemand (on ne peut pas dire vergleichendes Recht, ni verglichenes Recht, l'équivalent de «droit comparé» étant soit Rechtsvergleichung, soit vergleichende Rechtslehre), et une telle expression serait également dépourvue de sens en russe, comme d'ailleurs dans la langue maternelle de l'auteur de la présente étude, où la seule formule admissible est «la science comparative du droit», etc. Qu'est-ce donc que le «droit comparé»? Que signifie cette notion? Il est, bien sûr, plus facile de dire ce qu'elle ne signifie pas. Il est hors de doute que par la notion du «droit comparé» on n'entend pas désigner un «droit comparé», et cela tout simplement parce qu'il n'existe rien de tel. Il existe un droit français, un droit anglais, un droit soviétique, etc. qui, bien sûr, peuvent être comparés les uns avec les autres, mais il n'existe pas un «droit comparé» comme tel, en tant qu'objet de la recherche juridique. La comparaison est une mise en relation, c'est-à-dire qu'elle suppose (comme toute comparaison) au moins deux éléments, un comparatum et un comparandum mutuellement liés par un tertium comparationis. Même du point de vue de l'objet de la connaissance, il ne s'agit donc pas d'un «droit comparé», mais de deux droits (au moins) comparés (entre eux). En réalité, l'expression «droit comparé» ne désigne rien d'autre que la science comparative du droit ou, tout simplement, la recherche ou la méthode comparative en matière juridique, c'est-à-dire un type de recherche qui utilise comme méthode principale la comparaison des systèmes juridiques ou encore des ordres juridiques des différents pays, des institutions et des principes fondamentaux des droits des différents pays (ou bien du même pays ou du même système de droit: le droit comparé interne) 154 , etc. Tel est, esquissé à grands traits, le sens de la notion du «droit comparé». 154. Le problème du «droit comparé interne» est très important en U.R.S.S., où il fait l'objet d'une attention soutenue de la part de la science juridique. Cf. Sostojanie i zadaci sravnitel'nogo izucenija zakonodatel'stva sojuznyh respublik (1970). Cf. aussi KNAPP, «Quelques problèmes méthodologiques dans la science du droit comparé» (1968); Linant de Bellefonds, Contribution spéciale, p. 1.

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Cependant, il faut encore ajouter que le «droit comparé» pose beaucoup de problèmes méthodologiques 1 5 5 et qu'il n'est nullement une méthode isolée. La méthode comparative est appliquée, comme nous l'avons déjà dit, dans le cadre général de la conception méthodologique de la science juridique. On peut donc imaginer un «droit comparé» positiviste 1 5 6 (bien que le positivisme ne soit pas très favorable à la méthode comparative) 1 5 7 , un «droit comparé» encadré par la conception du droit naturel 1 5 8 , un «droit comparé» conçu du point de vue sociologique (c'est-à-dire l'emploi de la méthode comparative au sein de la méthodologie sociologique), ce qui constitue le courant dominant de l'époque actuelle 1 5 9 , et, bien entendu, aussi un droit comparé marxiste-léniniste, qui représente «une réalisation particulière concrète de l'application de la méthode du matérialisme dialectique dans les recherches relatives aux questions de l'Etat et du droit». 1 6 0 (iii) Il ressort de ce qui vient d'être dit que l'interprétation de la notion de «droit comparé» n'est pas univoque. Il ne s'agit pas d'une simple différence de terminologie, mais d'une question qui fait depuis longtemps l'objet de discussions. La question se pose de savoir si le «droit comparé» est une branche autonome de la science juridique qui se définit par l'emploi de la méthode comparative, ou si ce n'est que la méthode comparative elle155. Cf., par exemple, ANCEL, «Méthode comparative et droit comparé» (1965); du même, Utilité et méthodes du droit comparé (1971); Zivs, «O metode sravnitel'nogo issledovanija v nauke o gosudarstve i prave» (1964); CHIKVADZE et Zivs, «Sravnitel'noe pravovedenie v praktike mezdunarodnogo nauSnogo sotrudniôestva» (1966); des mêmes, «L'évolution de la science juridique et du droit comparé en U.R.S.S.» (1971); CONSTANTINESCO, «Les éléments déterminants en tant que critères fondant la science des droits comparés» (1967); KAZIMIRÎUK, Pravo i me tody ... (1965), p. 91 sq.; KNAPP, «Quelques

problèmes méthodologiques dans la science du droit comparé» (1968) ;MAYDA,« Quelques réflexions critiques sur le droit comparé contemporain» (1970); SCHMITTHOFF, «The science of comparative law» (1941); SZABÔ, «La science comparative du droit» (1964); du même, «Law theory and comparative law» (1972); TILLE et FAJZIEV, «Sravnitel'nyj metod v pravovoj nauke» (1969); TILLE et SVEKOV, Sravnitel'nyj metod V juridiieskih disciplinah

(1973); etc.

156. Le positivisme a joué un rôle important lors de la naissance du droit comparé: un des représentants de la conception positiviste du droit comparé a été, à notre avis, l'Anglais Gutteridge. 157. Voir plus haut. 158. Cf. CALEWAERT, «Natuurrecht en rechtsvergelijking» (1965).

159. Cf. DAVID, R., Les grands systèmes de droit contemporains, p. 14 sq. dans la 4 e éd. (1971); DROBNIG, «Rechtsvergleichung und Rechtssoziologie» (1953); CARBONNIER, «L'apport du droit comparé à la sociologie juridique» (1969); KALENSKY, «Les méthodes de la recherche sociologique en droit comparé» (1970); TERRÉ, «Les méthodes de recherche sociologique en droit comparé» (1970); «Les méthodes de recherche sociologique en droit comparé» (VIIIe Congrès international de Droit comparé, Pescara, 1970; rapporteur général: R.Lukic; voir Rapports généraux au VIIIe C./.D.C., àparaître). Ç/-. aussi Réponses de l'Institut de l'Etat et du Droit de l'Académie des Sciences de l'U.R.S.S., 40: «La comparaison des institutions juridiques n'est possible qu'à la condition de combiner les analyses juridique et sociologique». 160. Zivs, «O metode sravnitel'nogo issledovanija v nauke o gosudarstve i prave» (1964), p. 25. Il est intéressant de noter qu'ENGELS fait mention du droit comparé dès 1891 (dans sa lettre à Kautsky du 13 juin 1891): cf. FAJZIEV, «F. Engels o sravnitel'nom metode issledovanija estestvennyh i obSëestvennyh nauk» (1970).

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Viktor Knapp

même, autrement dit si le «droit comparé» constitue une branche de la science juridique à côté des autres branches, comme c'est le cas, par exemple, pour la philosophie du droit (ou, le cas échéant, pour la théorie générale de l'Etat et du droit) ou pour les disciplines de la science juridique qui s'occupent des droits constitutionnel, administratif, civil, pénal, etc., ou si le «droit comparé» n'est qu'une méthode employée par toutes les disciplines de la science juridique. L'opinion dominante à ce propos est que le «droit comparé» n'est qu'une méthode. Cette opinion est partagée par la plupart des auteurs marxistesléninistes.161 Quant à la science juridique non marxiste, quoiqu'elle se soit montrée beaucoup moins préoccupée par les aspects théoriques de cette question, il est cependant hors de doute qu'elle partage cette opinion elle aussi. Ceci s'est manifesté très nettement, par exemple, au colloque international qui a eu lieu du 9 au 11 septembre 1969 à Budapest 162 , où la plupart des participants (de l'Est comme de l'Ouest) ont soutenu l'opinion que le «droit comparé» n'est qu'une méthode. Pour élucider avec une totale exactitude la notion de «droit comparé», il faudrait, en tenant compte des circonstances et de l'opinion propres à chaque auteur, parler tantôt de la science comparative du droit, tantôt de l'application de la méthode comparative dans la science juridique. Cependant les buts poursuivis par la présente étude n'exigent pas une exactitude aussi poussée; nous continuerons donc, pour rendre hommage aux traditions vénérables de la science juridique française, à parler du «droit comparé», et cela désormais sans guillemets. (iv) Il est bon d'ajouter quelques mots sur le champ d'application du droit comparé. La question de savoir si, et dans quelle mesure, le droit comparé englobe aussi l'étude du droit étranger donne lieu à de fréquentes discussions. A première vue, y répondre par l'affirmative paraît contradictoire: qu'on définisse le droit comparé par l'emploi de la comparaison comme méthode principale ou qu'on le ramène à la méthode comparative elle-même, dans l'un comme dans l'autre cas, on ne peut admettre en même temps qu'il englobe une simple étude du droit étranger exclusive de toute comparaison. Cependant, les opinions des comparatistes à ce propos sont bien différentes entre elles. Certains distinguent très nettement entre le droit comparé stricto sensu et (sans sous-estimer son importance) l'étude du droit étranger, tandis que la majorité soutient l'opinion que le droit comparé englobe aussi la recherche relative au droit étranger. Cette position engendre toute161. Cf. surtout les ouvrages de Zivs, de CHIKVADZE et Zivs, et de SZABÔ cités dans la note 155 de la p. 1031, etc. La même position a été prise par les rapporteurs généraux soviétiques (MM. Zivs et Krutogolov) à la table ronde organisée à Paris le 3 mai 1963 : voir LYON-CAEN, «Table ronde sur les études et les recherches de droit comparé en U.R.S.S.» (1964), p. 70 («Rejet du droit comparé comme branche du droit autonome»). 162. Cf. «Tendencies and functions of comparative law in contemporary society»