Série Droit de la propriété industrielle: Volume 1 Les principes de protection des dessins et modèles dans les pays du Marché Commun 9783111656540, 9783111272313

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Série Droit de la propriété industrielle: Volume 1 Les principes de protection des dessins et modèles dans les pays du Marché Commun
 9783111656540, 9783111272313

Table of contents :
Préface
Introduction
Première Partie. La Diversité des Sources de Protection des Dessins et Modèles (Protection Spécifique et Protection Par le Droit D’auteur)
Chapitre Premier. Le Cumul de Protection en Droit Français
Chapitre II. Le Système du Cumul Restrictif Ou Partiel en Droit Allemand
Chapitre III. Le Système de Non-Cumul de Protection en Droit Italien
Chapitre IV. L’unité de Protection en L’absence de Législation Spécifique
Chapitre V. Notions sur les Systèmes de Protection des Dessins et Modèles Aux États-Unis et en Grande-Bretagne
Chapitre VI. Incidence de la Diversité des Systèmes sur le Régime International
Deuxième Partie. La Protection Spécifique des Dessins et Modèles
Chapitre Premier. L’objet de la Protection Dans les Différentes Législations
Chapitre II. La Distinction des Dessins et Modèles et des Inventions Brevetables
Chapitre III. Les Concepts de Nouveauté et D’originalité en Droit Français
Chapitre IV. La Condition de Nouveauté Dans les Autres Législations
Chapitre V. Caractères et Modalités du Dépôt des Dessins et Modèles
Appendice
Conclusion
Bibliographie
Abreviations
Annexe
Table des Matières

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Les principes de protection des dessins et modèles dans les pays du Marché Commun

PUBLICATIONS

DE

LA

FACULTÉ

DE

ET DES SCIENCES ÉCONOMIQUES DE

Collection du Centre de Recherche

DROIT

GRENOBLE

Juridique

SÉRIE DROIT DE L A PROPRIÉTÉ

INDUSTRIELLE

Volume N° 1

Les volumes de la série " Droit d e la propriété industrielle " sont publiés par le Centre d e Recherche Juridique créé en 1964 au sein de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Grenoble. Ces volumes présentent des ouvrages de membres du corps professoral, des travaux de colloques et des thèses de doctorat

préparés

dans

le cadre

de

la section

" Droit

de

la propriété industrielle " de ce Centre.

Université de Grenoble

OUVRAGE

PUBLIÉ DE

AVEC LA

LE

CONCOURS

RECHERCHE

DU

CENTRE

SCIENTIFIQUE

Paris . Éditions M O U T O N . La Haye

NATIONAL

PUBLICATIONS DE LA FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES ÉCONOMIQUES DE GRENOBLE

Les principes de protection des dessins et modèles dans les pays du Marché Commun par Maric-Angèle

PEROT-MOREL

Docteur en Droit Chargée de recherche au C . N. R . S. Préface Professeur Doyen

de Henri

DESBOIS

à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques honoraire et Professeur

de

Paris

honoraire de la Faculté de Droit

et des Sciences Économiques

de

Grenoble

Paris . Éditions M O U T O N . La Haye

©

Mouton & C i e . 1968

PRÉFACE En 1960, « le Comité de coordination des législations en matière de propriété industrielle » chargeait un sous-comité de mettre à l'étude un projet de réglementation uniforme du statut des dessins et modèles dans le cadre des pays du Marché Commun. M. Roscioni élabora un rapport remarquable, dont les conclusions étaient telles que l'heure parut n'avoir pas encore sonné d'en venir à la rédaction d'un projet de textes. Les divergences, en effet, sont plus grandes encore entre les législations nationales sur ce terrain que dans le domaine des brevets d'invention ou des marques : le problème dit de l' « unité de l'art » constitue la principale pierre d'achoppement. — Depuis cette époque, les esprits ne sont pas demeurés inactifs ; les spécialistes, loin de se décourager, se sont mis en quête de moyens qui permettent de sortir du labyrinthe. L'ouvrage que Mme Pérot-Morel offre à la curiosité et à la sagacité des lecteurs est animé par cet état d'esprit, car, sans dissimuler ou atténuer le moins du monde les difficultés de la route, elle exprime le ferme espoir qu'un jour, plus ou moins proche, le terme du voyage sera atteint. La méthode qu'elle a choisie est adaptée aux circonstances actuelles ; avant de suggérer et de construire, d'abord mettre en relief les contrastes et en dresser l'inventaire. Tout naturellement, l'évocation des controverses, qui opposent partisans et adversaires de l'unité de l'art, occupe la première place dans l'ordre de ses développements. Elle ne s'est pas contentée de procéder à une étude attentive de la littérature ; elle a tenu à consulter les personnalités étrangères les mieux qualifiées pour l'informer de l'état du problème dans leurs pays respectifs. C'est ainsi qu'en Italie elle a reçu le meilleur accueil à l'Office de la Propriété industrielle comme à la Faculté de Droit, et qu'à Munich M. le Professeur Ulmer, Directeur de l'Institut Max-Planck, a accepté de prendre connaissance des pages relatives au droit allemand et de présenter des observations qui ont permis d'éviter des contresens. L'enchaînement des chapitres de la Première partie facilite l'exposé des divers points de vue et permet de constater qu'il ne suffit pas de rejeter le cumul des protections, l'une, spécifique, propre aux dessins et modèles, l'autre empruntée aux règles générales du Droit d'auteur, pour découvrir le bon chemin : encore faut-il dégager un critère précis, commode, qui permette de qualifier les créations considérées, de décider si elles relèvent du régime général ou du régime spécial. Si les juristes allemands éprouvent de grandes difficultés au moment de préciser par comparaison avec l' « Erfindungshôhe » du Droit des brevets, la notion de « Gestaltungshôhe » à laquelle ils recourent volontiers pour discerner,

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Préface

parmi les dessins et modèles, ceux qui peuvent accéder au statut de la propriété artistique dans le cadre d'un système de « cumul partiel », les Italiens qui demeurent attachés au non-cumul sont obligés de faire assaut d'ingéniosité et de subtilité pour proposer une ligne de démarcation entre le domaine d'application du statut général et celui du régime particulier. Mme Pérot-Morel a eu le mérite d'analyser avec conscience et clarté une jurisprudence dont les nuances donnent un aliment de choix à la casuistique, mais sont de nature à inspirer des appréhensions aux justiciables. Le critère mis en avant est fourni par la notion de « dissociabilité » et la fameuse salière de Benvenuto Cellini fait volontiers les frais de la démonstration : elle aurait pu être placée sous l'égide de la propriété artistique, parce que la forme, que l'artiste a conçue et exécutée, pouvait être appliquée à d'autres articles d'utilité, tels qu'une bonbonnière ou un cendrier, tandis que la configuration d'une chaussure ou d'un vêtement est inséparable de l'objet auquel elle a été appropriée. Mais voici que, le 22 octobre 1956, la Cour de Cassation a admis au bénéfice des droits d'auteur des sachets de semences sur lesquels étaient reproduites des fleurs et données des indications relatives aux modes de culture : ne pourrait-on objecter que la combinaison de ces conseils et d'une décoration florale rendait les petits sacs impropres à tout emploi autre que l'empaquetage des graines de fleurs ? En filigrane, le lecteur ne peut s'empêcher d'apercevoir un jugement de valeur artistique : ces sachets, aussi modestes qu'ils soient, ont vocation à la qualité d'objets de collection, dès qu'ils présentent, dans la conception et l'exécution, une originalité qui leur confère un intérêt esthétique, indépendamment de toute destination publicitaire. Mais alors, en toute objectivité, il faut reconnaître que l'appréciation risque d'être contingente, et même fluctuante, car, au fil des années, l'objet le plus humble pourra bénéficier d'une promotion sous l'aiguillon de la curiosité. En réaction contre un système que caractérise l'incertitude, un courant de pensée paraît se développer dans le sens de la simplicité ; le régime spécifique s'appliquerait, abstraction faite de la valeur intrinsèque, à tous les dessins et modèles qui sont créés spécialement pour l'ornementation d'objets d'utilité destinés à être reproduits en nombre, et même à ceux qui, plus ou moins longtemps après avoir été exécutés, font l'objet d'une application industrielle. Cette perspective évoque le système britannique dont Mme Pérot-Morel a raison d'esquisser les lignes de force, malgré que, ce faisant, elle franchisse les limites géographiques de son propos initial ; personne ne lui fera grief d'avoir porté ses regards jusqu'aux Etats-Unis, la variété des termes de comparaison étant de nature à faciliter le choix d'une conclusion judicieuse. — La quiétude d'esprit fait défaut, même dans les pays où n'existe aucune protection spécifique : les hésitations et les doutes ne sont pas épargnés

Préface

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à la Belgique, car les tribunaux ont tendance à apprécier le degré d'originalité ou de nouveauté des dessins ou modèles litigieux avant de les investir des droits d'auteur. On conçoit dès lors que, dans les relations internationales, le problème prenne les dimensions de la quadrature du cercle : ni la Convention de Paris, ni celle de Berne ou de Genève ne l'ont résolu. La Conférence de Stockholm a laissé pendante la question cruciale, car l'art. 7, § 4 nouveau, dispose que la durée de protection ne pourra être inférieure « à une période de vingt ans pour les œuvres des arts appliqués protégés en tant qu'oeuvres artistiques », ce qui laisse aux législations nationales la possibilité d'admettre ou d'écarter l'assimilation. De même l'art. 2, § 7, maintient l'option, se contentant d'ajouter au dispositif antérieur que, dans les états dont la législation ne donne pas l'hospitalité à un régime spécifique, les œuvres protégées uniquement comme dessins et modèles au pays d'origine devront être traitées comme des œuvres d'art, afin qu'elles ne soient pas exposées à y être démunies de toute protection. — C'est sur cette constatation, empruntée à la plus récente actualité, que s'achève l'ample tour d'horizon que Mme PérotMorel a accompli avec le plus grand soin. Le lecteur ne s'étonnera pas que la description des divergences ne soit pas aussitôt suivie de propositions qui tendent, sinon à les supprimer, du moins à les réduire. A juste titre, Mme Pérot-Morel a estimé que le tableau des réalités contemporaines serait incomplet si, après avoir décrit les diverses solutions qui ont été apportées de lege lata au problème que posent les rapports entre le Droit d'auteur et le statut spécifique des dessins et modèles, elle n'avait immédiatement montré que l'uniformité ne règne pas non plus entre les législations nationales des pays du Marché Commun quant à l'aménagement du statut particulier. Ici, une longue durée, là, au contraire, une période limitée à un petit nombre d'années ; dans un pays, les intéressés ont toute latitude pour assortir le dépôt du secret, dans l'autre la publicité apparaît comme l'une des pièces maîtresses de l'édifice. Puis les controverses rebondissent autour des notions de nouveauté et d'originalité ; la préférence est donnée tantôt à l'une, tantôt à l'autre, sans que, pour autant, un tiers parti renonce à exiger la réunion de l'une et de l'autre. La question de l'examen préalable défraie encore la discussion. — Ces divergences et ces controverses ne manquent pas de retentir sur l'intérêt qui s'attache au problème fondamental, c'est-à-dire au dilemme de l'unité ou de la dualité de l'art. Les pays qui professent la thèse de l'unité sont incités à s'y tenir fermement attachés, se représentant que le statut spécifique se diversifie en une variété de systèmes nationaux, entre lesquels il sera malaisé de réaliser un accord. En face d'autant de difficultés, il serait surprenant, il aurait même été fâcheux que Mme Pérot-Morel, au terme de son ouvrage, eût proposé des

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Préface

panacées : l'esprit scientifique ne s'accommode pas des solutions simplistes, à l'emporte-pièce. Du moins, au fil de ses développements comme dans la conclusion, émergent des préférences. Les conceptions, qui font appel à des notions aussi subtiles que la « Gestaltungshôhe » ou la « dissociabilité » ont, comme les médailles de la meilleure frappe, un avers et un revers : en contrepartie de l'ingéniosité des analyses qu'elles ont inspirées, elles portent le poids d'une nécessaire imprécision. Le besoin de simplicité, de sécurité, qu'éprouvent les usagers, incite à prendre en considération, non les caractères intrinsèques, mais la destination de l'œuvre. Cette voie n'a, cependant, pas l'avantage de ne traverser que de plats pays. Car, ainsi que Mme Pérot-Morel ne manque pas de se le demander, comment traiter le tableau qui a été peint pour prendre place dans la galerie d'un collectionneur, puis qui vient à être utilisé pour l'ornementation d'un papier de tenture ? Il est tentant de répondre que cette affectation nouvelle ouvre une bifurcation : cette toile demeurera soumise au régime de la propriété artistique, quand il s'agira d'en réaliser des reproductions photographiques pour l'illustration de cartes postales ou d'ouvrages ; le statut propre aux dessins et modèles, au contraire, entrera en feu lorsque ce tableau servira de sujet pour la décoration d'objets d'utilité ; à ce second point de vue, on déduira que la reproduction deviendra libre et gratuite après la révolution du délai de protection propre au régime spécifique quant à l'application qui en aura été faite, c'est-à-dire, par exemple, pour la décoration de papiers peints, à l'exclusion des tapisseries pour lesquelles l'artiste n'en aurait pas autorisé l'emploi. — Une telle idée est ingénieuse, mais elle paraît présenter une faille car, en de nombreux cas, l'application industrielle implique une transposition, une adaptation qui, comme telle, donne naissance à une œuvre originale au second degré, c'est-à-dire au dessin ou au modèle proprement dit. Dès lors, c'est cette création dérivée qui devrait donner prise au statut spécifique, non l'œuvre d'art antécédente. — Puis une sélection rigide, qui serait faite du point de vue de la destination, contemporaine de la création ou subséquente, ne risque-t-elle pas de faire des victimes, les « sans grade », ces modestes artisans que la concentration industrielle n'a pas condamnés à mort et qui ne peuvent de leurs propres ressources subvenir aux frais de dépôts de plus en plus dispendieux ? L'unité de l'art vient à leur secours. Pour en faire table rase, il ne suffit pas d'avancer qu'elle risque de faire des dupes, les créateurs, qui ont accompli un dépôt inefficace ou ont omis de le renouveler, se retranchant, à la surprise du public, dans la forteresse de la propriété artistique. Seuls sont étonnés ceux qui méconnaissent les soubassements du système de l'unité : dans l'esprit de ses fondateurs, comme de ses défenseurs, celui-ci s'analyse en un régime

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de protection « facultatif, spécial, complémentaire », qui, comme tel, n'élimine pas le droit commun de la propriété artistique. Mme Pérot-Morel a eu le mérite d'exposer en toute objectivité les conceptions antagonistes, d'en présenter les mérites et les inconvénients respectifs. Personne ne lira sans intérêt cet ouvrage ; chacun y puisera des sujets de méditation, des éléments de décision. Henri

DESBOIS,

Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Paris, Doyen honoraire de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Grenoble.

INTRODUCTION

Introduction

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1. L'importance des créations de forme s'appliquant à des objets industriels n'est plus à souligner dans un monde où l'aspect des choses conditionne le plus souvent leur succès commercial. L'industrie dans la civilisation la plus mécanisée ne vit pas seulement de technique. Revanche de l'esprit sur un siècle que l'on dit matérialiste, l'esthétique accompagne de plus en plus le fonctionnel. L'objet le plus courant a ses exigences de beauté. L'usager n'attend pas de lui la seule satisfaction d'un besoin matériel ; il lui plaît de pouvoir aimer les choses pour elles-mêmes, quelle que soit leur affectation utilitaire. L'œuvre d'art appliquée à l'industrie, ou plus largement les dessins et modèles industriels sont des créations de l'esprit qui ont précisément pour but de répondre à ce besoin croissant qu'éprouve, par suite, l'industrie moderne de flatter le goût du public à travers la forme et la présentation des objets les plus usuels. La nécessité de s'attacher à l'aspect de toute fabrication nouvelle développe chaque jour, dans les secteurs industriels les plus divers, des créations de nature esthétique, jusque-là cantonnées dans les métiers d'art ou les industries de luxe. Il suffit d'évoquer l'attrait que représente pour la clientèle la ligne d'une carrosserie d'automobile pour s'apercevoir que les choix sont souvent davantage déterminés par la considération de la forme que par les qualités techniques de l'objet. Il n'est guère d'industrie où les innovations en ce domaine ne soient aujourd'hui un facteur indispensable de la réussite commerciale. Ce que les Anglais appellent le « sales appeal » du produit mérite donc, par son importance économique, une place de choix dans les préoccupations du juriste. Le droit privatif qu'engendrent, en effet, de telles créations s'impose avec la même force et la même évidence que pour toute œuvre artistique ou imaginative, et aspire à une protection efficace, assurée par un statut juridique adéquat, répondant aux impératifs spécifiques de cette nouvelle forme d'art. La plupart des législations y pourvoient, soit en organisant, avec des modalités plus ou moins diverses, un régime spécial des dessins et modèles industriels, soit en les assimilant à des créations artistiques protégées par le droit d'auteur. La question, toutefois, n'est pas seulement d'ordre interne. Toute œuvre de l'esprit possède une vocation naturelle et nécessaire à l'universalité ; les créations intellectuelles n'ont pas de frontières. A fortiori, lorsque se trouvent intéressés de vastes secteurs commerciaux, la protection, pour

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Introduction

conserver une portée véritable, doit pouvoir s'étendre sur le plan international. L'exigence d'une reconnaissance uniforme du droit devient surtout, particulièrement impérieuse, dans les pays européens dont les intérêts économiques tendent à devenir communs. Le problème, que l'on a vu surgir en matière de propriété industrielle dès l'apparition de la Communauté Economique Européenne, n'épargne pas les dessins et modèles industriels. Les créateurs d'oeuvres ornementales ou de forme, appliquées à l'industrie, ressentent également, avec de plus en plus d'urgence, la nécessité d'une protection commune, adaptée aux besoins modernes du commerce et de l'industrie, leur assurant une sécurité que ne puisse désormais compromettre la disparité des législations nationales. Mais la matière se heurte, il est vrai, à des difficultés d'un ordre tout particulier. 2. Situées au carrefour de l'art et de l'industrie, ces créations que l'on désigne communément sous le nom générique de dessins et modèles industriels souffrent d'une nature hybride qui les écartèle entre des statuts juridiques différents. Le concept, en lui-même, recèle tout d'abord une ambiguïté gênante. Les dessins et modèles industriels sont, sans doute, des créations ornementales qui accompagnent l'aspect technique ou pratique d'un objet industriel, soit en s'incorporant au produit lui-même, soit en se surajoutant à celui-ci. Destinée à agrémenter l'objet et à le rendre plus attrayant aux yeux du public, la création vise essentiellement à accroître la valeur commerciale d'un bien. Elle se rattache donc, du fait même de sa destination et de son mode de reproduction, aux droits de propriété industrielle. Mais derrière l'essence industrielle de l'œuvre, se profile en même temps l'effort créateur qui, par sa nature même, et quels que soient la valeur et le mérite du résultat atteint, relève incontestablement du domaine de l'art. Cette dualité de nature se traduit suffisamment dans l'expression couramment utilisée « d'art appliqué à l'industrie » ou simplement « d'œuvres des arts appliqués ». Une telle terminologie ne fait d'ailleurs qu'augmenter la confusion de la matière, car elle ne recouvre pas toujours le même concept. Si elle englobe, en France, indistinctement tout dessin ou modèle industriel, elle conduit, au contraire, en d'autres pays, à opérer une discrimination entre les créations ornementales : font alors seules partie des arts appliqués celles qui possèdent un caractère artistique suffisamment marqué pour accéder à la propriété artistique ; les dessins et modèles proprement dits en sont, au contraire, exclus en raison de leur nature spécifiquement industrielle et relèvent d'un régime autonome.

Introduction

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La notion n'est donc pas homogène et conduit à des acceptions variables selon que l'on accepte de mêler sans restriction, ou avec des nuances diverses, l'art et l'industrie. 3. L'époque est, sans aucun doute, révolue où l'antinomie paraissait irréductible entre l'art et le commerce, de sorte que certaines décisions jurisprudentielles pouvaient affirmer que « l'art finit là où commence l'industrie 1 ». Pendant longtemps, il est vrai, l'art a cru déchoir en se mettant au service d'objets destinés à des fonctions utilitaires. Si Michel-Ange, Raphaël ou Benvenuto Cellini consentirent, exceptionnellement, à mettre leur inspiration dans la composition de certains objets usuels tels que salières ou chandeliers, d'une manière générale, l'artiste, jusqu'à la période moderne, s'est cantonné dans le domaine de l'art pur, c'est-à-dire de l'art qui se suffit à lui-même et procède d'une élaboration abstraite, indépendante de toute considération tenant à l'aspect matériel ou utilitaire des choses. Sur le plan philosophique, cette conception de l'art pour l'art faisait écho à celle de Nietzsche, selon laquelle « l'art ne tolère pas le réel 2 ». Mais les révolutions, souvent hostiles à la création artistique, ont fait naître, au contraire, l'idée d'un art socialement utile 3 . Le développement industriel devait ensuite accroître rapidement cette tendance. A l'époque moderne, l'inspiration artistique, ou plus modestement de nature esthétique, se glisse partout, se mêle aux objets les plus usuels, s'associe de la manière la plus étroite à l'utile et au fonctionnel, s'efforçant, sans doute, de lutter ainsi contre l'envahissement de la civilisation technique. Il y a certes des secteurs, tels que celui de la mode ou des industries de luxe, où la considération de la forme, de l'élégance des lignes, de l'ornementation a toujours eu une importance déterminante pour le consommateur. Mais cet attrait pour l'aspect esthétique des choses tend aujourd'hui à se généraliser et les fabricants s'empressent de mettre à profit ces aspirations nouvelles. Les productions les plus banales rivalisent d'ingéniosité dans leur présentation, par d'originales combinaisons de lignes, de couleurs ou de forme. Les modèles se renouvellent à un rythme de plus en plus 1. Cf. FAUCHILLE, « Traité des dessins et modèles », 1882, et la jurisprudence citée p. 46. V. également DELFOSSE, « La Protection en Belgique des dessins et modèles appartenant à des étrangers », dans Rev. Ing. Cous., 1962, p. 121 et s. 2. Idée dont Camus a rétabli la juste portée, montrant que la répugnance de l'artiste devant le réel n'est qu'une attitude de révolte et non de négation. « Pour créer la beauté, il doit en même temps refuser le réel et exalter certains de ces aspects. L'art conteste le réel mais ne se dérobe pas à lui ». Cf. CAMUS, « L'homme révolté ». 3. Conception défendue notamment par les saint-simoniens.

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accéléré dans tous les secteurs industriels, posant en termes nouveaux et de plus en plus urgents, le problème de la protection de leur créateur. 4. La spécificité de ces créations tient essentiellement à leur caractère industriel, c'est-à-dire à la possibilité d'une reproduction, mécanique ou autre, permettant de commercialiser un objet qui, en lui-même, ne fait qu'exprimer une idée esthétique par l'intermédiaire d'une forme 4 . On voudrait alors pouvoir nuancer le concept sur le plan juridique et dégager des catégories précises offrant une délimitation plus nette de la protection. D'aucuns tentent de le faire en séparant la notion « d'oeuvre des arts appliqués » de celle de « dessins et modèles industriels 5 ». Il est certain que ce qu'il est convenu d'appeler « l'esthétique industrielle » peut apparaître comme une discipline distincte en raison de certains caractères particuliers qu'on a, à juste titre, soulignés, tels que l'aspect utilitaire, l'intervention du machinisme, la recherche de la rentabilité et surtout la reproduction en grande série entraînant incontestablement une certaine dévalorisation de l'œuvre Il est indéniable aussi, que les créations qui relèvent de l'art industriel ont leurs exigences juridiques propres, notamment en ce qui concerne la durée de la protection, la preuve du droit et l'efficacité des sanctions. Mais, si justifiable que soit une distinction de cette nature sur le terrain de l'opportunité, elle se heurte à l'impossibilité de tracer une ligne de démarcation rationnelle et précise entre l'art proprement dit et l'art industriel. L'appartenance des créations ornementales ou de forme au double domaine de l'art et de l'industrie leur vaut généralement d'être négligées à la fois sur le terrain des droits d'auteur et sur celui de la propriété industrielle. Le désintéressement du législateur à l'égard des dessins et modèles industriels est manifeste et général. Les premières lois concernant l'ensemble de la matière n'apparaissent guère qu'à la fin du siècle dernier, alors que les brevets d'invention et les marques de fabrique possédaient depuis longtemps déjà, en certains pays, un statut particulier. Bon nombre de législations modernes ne se sont pas encore préoccupées de la question et, malgré les engagements pris dans certaines conventions internationales 7 , 4. Sur cette idée, cf. notamment JACKSON, « La législation en matière de dessins industriels », dans Prop. ind., 1963, p. 105. 5. La notion d'art appliqué pourrait d'ailleurs englober des œuvres qui sont incorporées à des objets autres que des objets industriels. V. à ce sujet HEPP, « La Protection internationale des arts appliqués », dans Rev. int. dr. aut., 1957, p. 115. 6. Sur la notion d'esthétique industrielle, v. notamment Bouju, « Fondement et incertitudes de la protection des dessins et modèles », dans L'Usine Nouvelle, mars 1965, p. 17, et mai 1965, p. 45. 7. V. « Convention internationale d'Union de Paris », 1883, infra, l r e partie, chap. V.

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n'ont pas encore organisé de régime de protection spécifique. Les législations existantes, même parmi les plus récentes, sont, pour leur part, imparfaites ou confuses et appellent toutes d'impératives réformes. Les dessins et modèles font ainsi quelque peu figure de « parents pauvres » parmi les droits dits de propriété intellectuelle. Cet effacement tient peut-être, il est vrai, en partie tout au moins, à l'aspect juridique du droit qui n'a ni la précision, ni la consistance des autres droits de propriété industrielle. Il en résulte, comme on l'a très justement observé, que la protection, en cette matière, ne peut avoir « un aspect aussi parfait et aussi achevé que celle des brevets ou des marques 8 ». Elle semble, en principe, davantage inspirée par l'idée générale de concurrence déloyale que par le désir d'assurer le respect d'un droit privatif déterminé. La tendance est particulièrement nette en droit français et se manifeste notamment dans la répression et l'appréciation de la contrefaçon 9 . Quelle que soit, néanmoins, la place particulière qu'occupent ainsi, en raison de leur nature, les créations d'art industriel, il n'en demeure pas moins que l'organisation de leur statut juridique et l'efficacité de leur protection se font de jour en jour plus pressantes. « Le domaine des arts appliqués à l'industrie », écrit notamment M. Plaisant, « est l'un de ceux en lesquels se posent les questions les plus actuelles et les plus urgentes. Dans un monde en pleine évolution à raison des progrès rapides que subissent les techniques, l'esthétique industrielle n'échappe pas au sort commun ; dans tous les pays, quelles que soient les règles appliquées, des revendications s'élèvent pour obtenir une protection plus complète 1 0 . » Il est certain que le développement des créations de forme dans la plupart des secteurs industriels leur confère aujourd'hui une importance économique de premier plan au sein de l'entreprise moderne. Les intérêts en jeu, sans égaler sans doute ceux qui se débattent dans le domaine des brevets ou des marques, sont souvent considérables. Il est superflu de souligner l'importance des investissements que suppose la création de certains prototypes industriels, les frais de lancement énormes qui sont souvent engagés pour diffuser un modèle par tous les moyens dont dispose la publicité moderne, enfin les pertes parfois irrémédiables subies par les entreprises du fait des imitations, dans un domaine où la contrefaçon sévit à l'état endémique. D'après une enquête effectuée pour la haute couture et les industries de créations saisonnières françaises dans le cadre de 8. Cf. ROUBIER, « Le Droit de la propriété industrielle », 1954, t. I I , p. 394 et s. 9. Sur cette conception et ses manifestations en droit français, cf. ROUBIER, op. cit., t. I, p. 346. 10. Cf. R. PLAISANT, « La Protection des arts appliqués, besoins nouveaux, idées nouvelles », dans Prop. ind., 1957, p. 160, 1 " partie, et p. 192, 2' partie.

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la Communauté Economique Européenne, il apparaît que le manque à gagner subi chaque année par ces industries à la suite des contrefaçons qui se produisent dans le monde entier, sans pouvoir être réprimées, s'élève à plus de trente milliards de francs anciens 1 1 . 5. Cette situation économique explique l'intense mouvement de réforme qui se dessine actuellement dans les législations nationales 1 2 et, surtout, l'intérêt croissant que suscite la matière sur le plan international. Les deux grandes unions internationales concernant la propriété industrielle et le droit d'auteur font déjà, l'une et l'autre, une certaine place aux créations d'art industriel. La Convention d'Union de Paris du 20 mars 1883 posant les bases d'un régime international de la propriété industrielle s'applique expressément aux dessins et modèles et contient à leur sujet quelques dispositions particulières. L'union internationale de Berne, de son côté, étend aujourd'hui ses dispositions, depuis la conférence de révision de Bruxelles du 26 juin 1948, aux œuvres des arts appliqués. Il en est de même de la Convention Universelle de Genève sur le droit d'auteur du 6 septembre 1952. Enfin et surtout, dans le cadre d'une convention plus restreinte, l'Arrangement de La Haye du 6 novembre 1925, une disposition importante a été prise avec l'organisation d'un dépôt international des dessins et modèles aujourd'hui modifiée par le nouvel Arrangement de La Haye du 28 novembre 1960, non encore en vigueur 13 . Néanmoins, ces tentatives internationales, malgré le progrès qu'elles représentent, ne touchent pas au fond du droit : elles se bornent à édicter quelques principes généraux qui n'entament pas les législations nationales, ou organisent, comme l'Arrangement de La Haye, une règle de procédure uniforme ne présentant que l'intérêt pratique, certes déjà considérable en soi, de supprimer la multiplicité des formalités dans les pays adhérents. En dépit des efforts déployés en de nombreux congrès internationaux, en particulier par l'Association Internationale pour la protection de la propriété industrielle et l'Association littéraire et artistique internationale, les difficultés propres à la matière ont empêché jusqu'ici toute uniformisation des concepts et des principes de protection 1 4 . 11. Cf. LEGREZ, « La haute couture et les industries de créations françaises dans la C. E. E . », dans Kev. du Marché Commun, 1959, n° 12, p. 123. 12. Sur les divers projets nationaux actuellement à l'étude, v. BOGSCH, « Vers une protection plus efficace des dessins aux Etats-Unis d'Amérique », dans Prop. ind., 1959, p. 53. 13. Sur la teneur des conventions internationales et les problèmes qui s'y rapportent, v. infra, 1 " partie, chap. V. 14. Sur les travaux effectués par les différents congrès internationaux et les propositions présentées, v. infra, Appendice, 2 e partie.

Introduction

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Les chevauchements, inévitables en ce domaine, de la propriété artistique et industrielle sont, en effet, envisagés de manière fort contradictoire selon l'optique dans laquelle se place chaque législation. L'opposition entre les différents droits est, de ce fait, plus accusée et plus fondamentale que dans les autres branches de la propriété industrielle. Les divergences ne portent plus seulement sur les modalités techniques de la réglementation, mais sur les bases mêmes de la protection. Peu de matières offrent une pareille diversité dans les principes. La gamme des options oscille ici entre le refus systématique d'établir une ligne de partage quelconque entre le domaine artistique et les créations de forme industrielle, et le désir d'assurer une autonomie juridique absolue à ces dernières. La première tendance conduit d'ailleurs elle-même à des solutions très différentes : on peut, en effet, soit considérer comme suffisante la législation établie en matière de propriété artistique et s'en tenir à un régime de protection unique, soit admettre, parallèlement au statut des droits d'auteur et cumulativement avec lui, une législation spécifique répondant aux impératifs particuliers des créations d'art industriel. La seconde tendance aboutit, au contraire, à l'établissement d'un régime spécial et exclusif de toute autre protection. Des conceptions intermédiaires mêlent, en outre, les deux points de vue et admettent un certain rattachement à la propriété artistique, avec possibilité d'une double protection, selon le niveau artistique de la création. Les principaux facteurs qui alimentent ces contradictions sont à la fois d'ordre idéologique et pratique. En France, notamment, la tradition incline à maintenir la thèse de l'unité de l'art et le système du cumul pur et simple des protections. Mais il s'y mêle, en outre, certaines considérations pratiques, tel que le souci de permettre la réparation de certaines erreurs ou négligences en offrant, à côté du régime spécifique, un système de protection plus souple et dépouillé de toute formalité 15 . Ces orientations profondément divergentes donnent au statut des dessins et modèles une physionomie très variable d'un pays à un autre. La position adoptée, quant au principe de protection, se répercute sur l'ensemble de la réglementation, en particulier sur la question primordiale de l'existence d'une formalité pour la reconnaissance du droit. En effet, l'admission d'un régime de protection autonome des dessins et modèles suppose, dans toutes les législations, l'accomplissement d'un dépôt ou d'un enregistrement de la création. La protection sur le terrain des droits d'auteur ne requiert, au contraire, l'exigence d'aucune forme. La grande variété de solutions concernant la délimitation des objets 15. Sur le principe de l'unité de l'art en droit français, cf. H. DESBOIS, « Le Droit d'auteur en France », 1966, 2° éd., p. 98 et s.

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protégés, les conditions et les modalités de la protection, en particulier sa durée, reflète également la diversité d'inspiration des législations. Le malaise industriel qu'engendre la disparité des systèmes sur le plan international devient une gêne particulièrement grave dans le cadre de la Communauté Economique Européenne. Le besoin d'harmonisation législative qu'éprouvent si vivement, on le sait, les partenaires du Marché Commun en matière de brevets et de marques, se retrouve avec la même acuité dans le domaine des dessins et modèles industriels malgré leur importance économique apparemment plus réduite. Mais, pour mieux apercevoir la question, il convient peut-être de rappeler brièvement en quels termes particuliers se pose le problème général de la propriété industrielle dans le Traité de Rome. 6. On a souvent souligné l'antinomie qui semble exister entre les objectifs du Traité de Rome instituant la Communauté Economique Européenne et les droits de propriété industrielle qui, par les positions monopolistiques qu'ils engendrent, constituent incontestablement des entraves à la concurrence et à la libre circulation des richesses. Mais en dépit de ce qu'on a pu appeler le « divorce technique 16 » entre l'existence du Marché Commun et les institutions dérivant de la propriété industrielle, la nécessité de leur maintien et de leur protection dans le monde industriel moderne devait conduire à formuler à leur égard une réserve expresse. Le Traité de Rome, dans son article 36, les place formellement en dehors de son champ d'application, déclarant que les dispositions qui condamnent certaines restrictions dans les échanges, ne s'appliquent pas aux restrictions justifiées « par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé ou de la vie des personnes et des animaux... ou par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale ». Le principe est donc celui d'un abandon total de la réglementation de la propriété industrielle à la souveraineté des législations nationales. La répercussion en est grande sur le plan des relations communautaires : L'organisation et le régime de protection de ces institutions, vitales pour l'industrie et décisives dans la compétition internationale, sont ainsi entièrement livrés à la liberté des états. I l n'est pas dans notre propos d'épiloguer sur la portée de cette disposition ni sur sa délicate conciliation avec les règles relatives à la concur16. Cf. GOLDMAN, « Propriété industrielle et Marché Commun », rapport de synthèse, colloque du Centre de préparation à la gestion des entreprises de l'Université de Grenoble des 6 et 7 décembre 1963.

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rence posées par les articles 85 et 86 du Traité de Rome 1 7 . Il suffit de rappeler les difficultés que devaient entraîner à cet égard, et particulièrement en matière de brevets d'invention, les divergences des législations nationales et les inégalités profondes qui en résultaient entre les pays membres du Marché Commun 1 8 . Certes, l'article 36 du Traité se termine par une sorte de restriction à l'usage abusif que les états pourraient faire de leur liberté : « Toutes ces interdictions ou restrictions (c'est-à-dire, notamment, celles qui résultent des législations nationales en matière de propriété industrielle) ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée dans le commerce entre les états membres. » Mais cette condamnation de principe, à laquelle il est difficile de donner une portée précise en la matière, ne suffit pas à résoudre les problèmes que pose la coexistence des législations nationales dans un domaine qui affecte nécessairement la liberté des échanges et de la concurrence et, par conséquent, la réalisation même des objectifs du traité. La nécessité d'adapter le droit aux impératifs nouveaux que faisait surgir l'existence de la Communauté Economique Européenne a mis rapidement la propriété industrielle au rang des préoccupations urgentes. Des projets de Convention Européenne, orientés vers l'établissement d'un droit supra-national et la création d'un titre européen valable sur l'ensemble des territoires de la Communauté, ont tenté d'élaborer des solutions adéquates. Mais l'attention ne s'est guère portée jusqu'alors que sur les deux branches de la propriété industrielle où les problèmes paraissaient les plus pressants : les brevets d'invention et les marques de fabrique ou de commerce. Tous les efforts se sont polarisés d'abord, comme il se devait en raison de l'importance économique de la matière, sur la protection des inventions, et dès 1962 un avant-projet de brevet européen était publié et approuvé par la Commission de la Communauté 1 9 .

17. Sur les rapports de la propriété industrielle avec la réglementation de la concurrence dans le Marché Commun et sur les critères proposés pour déterminer les stipulations contractuelles permises dans les contrats intéressant la propriété industrielle, v. « Le traité de la C. E. E., art. 85, et les droits de propriété industrielle », rapport Plaisant, et « Droits de la propriété industrielle et concurrence », rapport Lassier, colloque précité. 18. Sur l'opportunité de l'harmonisation des législations en matière de propriété industrielle dans le cadre du Marché Commun, cf. G. FINNISS, dans Revue du Marché Commun, 1959, p.

15.

19. L'abandon actuel du projet résulte, non de son élaboration juridique qui semblait achevée, mais de difficultés politiques concernant certaines questions, telles que l'accessibilité pour les pays tiers, dont les implications économiques réveillent les divergences d'intérêt.

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En matière de marques de fabrique, la perspective d'un futur droit européen a pris corps, également dans l'élaboration d'un projet distinct dont la réalisation ne devrait pas offrir d'ailleurs les mêmes difficultés que celle du brevet européen. Aucune tentative de ce genre, en revanche, n'a encore été ébauchée en matière de dessins et modèles industriels 20 . Bien que l'opportunité d'un régime uniforme y soit aussi vivement ressentie, le retard d'un projet de droit européen en la matière s'explique, sans doute, à la fois par le fait que la question n'intéresse pas au même titre tous les pays de la C. E. E., et par la crainte de ne pouvoir résorber les divergences fondamentales et les oppositions de principe. La question, toutefois, n'est pas restée totalement en dehors des préoccupations de la Communauté. Un sous-comité, spécialement chargé de l'étude des dessins et modèles fut créé, en 1960, au sein du Comité de coordination des législations nationales en matière de propriété industrielle 21. Deux remarquables rapports y furent présentés par M. le professeur Roscioni : le premier concernait la question du dépôt international des dessins et modèles en vue de l'attitude commune à adopter lors de la conférence de révision de l'accord de La Haye du 6 novembre 1925 ; le second, présenté après la conférence diplomatique de La Haye du 28 novembre 1960, avait pour but de poser les premières bases d'un avant-projet de convention européenne et mettait en relief, à cet effet, la diversité des conceptions nationales. Mais cet excellent travail de synthèse, permettant une première approche du problème, n'eut pas les suites qu'on en pouvait attendre. 7. Sans doute la difficulté de la matière découragea-t-elle toute tentative d'unification ou d'harmonisation des réglementations nationales. Il a semblé que tout effort entrepris en ce domaine était d'avance voué à l'échec du fait même de l'imbrication inextricable des principes de la propriété artistique et de la propriété industrielle, aggravée par l'impossibilité d'une formulation précise de l'objet de la protection. La tâche, d'autre part, ne s'est pas trouvée facilitée par l'exemple d'une loi nationale moderne satisfaisante, pouvant fournir une expérience ou une inspiration valable. En outre, les études juridiques elles-mêmes, souvent remarquablement approfondies sur des points particuliers, demeurent 20. Sur la question des dessins et modèles dans le Marché Commun, cf. H. DESBOIS, rapport au colloque de Grenoble précité. 21. Ce sous-comité était placé sous la présidence de M. l'Inspecteur général Finniss, alors directeur général de l'Institut National Français de la Propriété industrielle.

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dans la plupart des pays assez sporadiques et ne donnent pas toujours une vue suffisamment synthétique de la question. La confrontation des législations en présence est alors souvent faussée, de ce fait, par une connaissance insuffisante des systèmes. L'interprétation, particulièrement délicate en la matière, des opinions doctrinales ou des tendances jurisprudentielles entraîne parfois la déformation de certains concepts et empêche de donner aux divergences des législations leurs dimensions exactes. Les oppositions peuvent ainsi apparaître, à certains égards, plus difficiles à concilier qu'elles ne le sont en réalité. Seul un examen systématique et approfondi de chacune des législations intéressées peut permettre de mesurer l'importance des contradictions dans lesquelles se débattent péniblement des systèmes juridiques qui se voudraient plus proches. Ces considérations, à une époque où toutes les préoccupations se tournent vers l'avenir de l'Europe, nous ont semblé justifier la présente étude. Avant de poser les premiers jalons d'une convention européenne tendant à uniformiser le régime de protection des dessins et modèles, il peut paraître utile d'effectuer le recensement méthodique des divergences essentielles que révèlent les différents systèmes nationaux. Il n'est pas dans notre dessein, toutefois, d'entreprendre l'examen exhaustif du droit comparé des dessins et modèles dans les six législations en présence. Nous voudrions, au contraire, cantonner exclusivement nos investigations aux grandes oppositions doctrinales qui affectent les principes fondamentaux de la protection. Ainsi seront éliminées certaines questions, qui sont souvent parmi les plus importantes sur le plan pratique, mais qui n'offrent pas d'obstacles particuliers, semble-t-il, dans l'établissement d'un droit communautaire. D'une manière générale, tout ce qui touche aux effets du droit et à la mise en œuvre de sa sanction nous a semblé procéder, dans les législations spécifiques, de conceptions suffisamment proches pour qu'une étude comparative ne puisse que déboucher sur des points de détails sans intérêt substantiel pour fixer les bases de l'unification souhaitable. L'approfondissement des droits internes et leur confrontation respective ne s'imposent que dans la mesure où les divergences semblent irréductibles. Ceci explique la délimitation de ce travail et sa double direction axée, dans une première partie, sur les contradictions relatives à la nature même des régimes de protection et, dans une seconde partie, sur les différences conceptuelles concernant les modalités essentielles de la protection spécifique.

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Sans prétendre préconiser à cet égard des solutions d'avenir dont les implications économiques ou politiques risquent de dépasser la compétence du juriste, la recherche entreprise ne vise qu'à l'analyse objective du droit et n'a d'autre ambition que de procéder, sur le plan proprement juridique, à l'examen attentif des principes disparates qui président actuellement à la protection des dessins et modèles dans les pays du Marché Commun. Ce travail préliminaire, quelque modeste que soit son apport, nous a semblé susceptible d'offrir quelque intérêt, si l'on veut, dans la perspective d'un rapprochement des législations, faire œuvre utile et durable.

PREMIÈRE

PARTIE

LA DIVERSITÉ DES SOURCES DE PROTECTION DES DESSINS ET MODÈLES (Protection spécifique et protection par le droit d'auteur)

Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

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La diversité des sources mêmes de la protection des dessins et modèles industriels constitue, en la matière, un obstacle particulier à l'harmonisation des législations que ne rencontrent pas les autres droits de propriété industrielle. Lorsqu'on est en présence d'une invention ou d'une marque, on sait du moins sans incertitude à quelle branche juridique se rattache le droit qui en dérive. Chaque institution ne relève que d'une seule législation spécifique. Sur le plan international les difficultés ne proviennent alors que des divergences de réglementation à l'intérieur d'un statut aux contours bien définis, seul susceptible de s'appliquer au droit considéré. Il est par suite, sinon aisé, du moins relativement clair, de fixer les points sur lesquels devront porter les efforts d'uniformisation ou de coordination. Le problème, en matière de dessins et modèles, est tout autre. Dès qu'on l'aborde il décourage par l'ampleur des conflits apparemment inconciliables qui surgissent, au point de départ, sur des options fondamentales. En ce domaine, il ne s'agit plus seulement d'unifier les éléments essentiels de l'organisation d'un régime de protection spéciale, mais de s'accorder, d'abord, sur la nature même de cette protection. Le conflit dépasse les considérations proprement juridiques. Il met en jeu des conceptions d'ordre plus général ; il implique même, initialement, une prise de position d'ordre philosophique sur l'essence de l'art et l'étendue de son domaine. Ces difficultés tiennent à la nature particulière des dessins et modèles. S'ils constituent, comme les inventions et les œuvres artistiques, des créations de l'esprit, ils se placent en réalité au point de convergence de l'art et de l'industrie. Leur inspiration, comme on l'a déjà souligné, est en quelque sorte hybride. Elle relève, d'une part, du domaine de l'esthétique : l'œuvre dans sa manifestation concrète tend à créer une impression nouvelle, à susciter un certain sentiment du beau, ou tout au moins de l'agréable. Mais l'élément artistique n'existe pas à l'état pur. Il est appliqué à un produit industriel mis dans le commerce. La recherche esthétique poursuit en même temps une fin utilitaire. Elle tend à accroître la valeur économique d'un bien. C'est pourquoi, comme l'a dit si justement M. Desbois, les dessins et modèles ne sont pas, comme les autres droits de propriété industrielle, des « institutions définies, aux bords francs, qu'il est possible d'édifier, sinon en vase clos, tout au moins isolément, sans avoir à redouter des chevauchements, des contradictions avec d'autres réglementations 1 ». 1. Cf. H. DESBOJS, « Dessins et modèles et Marché Commun », Colloque Propriété industrielle et Marché Commun, tenu les 6 et 7 septembre 1963 à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Grenoble.

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

On est, en effet, dès l'abord en présence d'un système de protection qui oscille inévitablement entre les deux pôles d'attraction que constituent la propriété artistique d'une part, et la propriété industrielle de l'autre, et il n'y a pas, à priori, de raison décisive d'exclure l'une au profit de l'autre. « Il n'est pas possible, poursuit M. Desbois, d'isoler le régime des arts industriels de celui de la propriété artistique avec lequel il présente par nécessité des points de contact puisqu'il s'agit de créations afférentes à la forme des objets. Des relations de voisinage s'imposent donc à l'attention : il faut les organiser de manière à éviter les querelles de bornage, les conflits de frontière. » Cette organisation est précisément envisagée sous une optique fort différente selon les législations ; il existe ainsi, à la base même de la matière, des orientations décisives dont les divergences peuvent sembler irréductibles. Nous essaierons, dans cette première partie, de mesurer l'importance de ces contradictions en analysant successivement, pour les confronter ensuite, les différents systèmes retenus par chacun des pays actuellement membres de la Communauté Economique Européenne. Pour ne pas anticiper sur l'avenir, nous laisserons de côté la législation de la Grande-Bretagne dont nous indiquerons seulement, à titre comparatif, la position très particulière en ce domaine ainsi que celle des Etats-Unis. On peut, semble-t-il, pour la commodité de cette étude, répartir les principaux régimes juridiques en vigueur dans les pays du Marché Commun, en quatre catégories qui reposent chacune sur une option fondamentalement différentes : 1° Les systèmes qui admettent un cumul pur et simple de la protection à la fois sur le terrain de la propriété industrielle et sur celui du droit d'auteur (France). 2° Les systèmes qui n'acceptent ce cumul que sous certaines conditions qui en limitent la portée (Allemagne). 3° Les systèmes qui rejettent toute possibilité de cumul et n'admettent qu'une protection spécifique (Italie). 4° Les systèmes, enfin, qui n'adoptent qu'un seul mode de protection, soit parce qu'ils rattachent expressément les dessins et modèles à la propriété artistique (Belgique), soit parce qu'ils ne possèdent pas de législation propre aux dessins et modèles (Luxembourg, Pays-Bas).

CHAPITRE PREMIER

LE CUMUL DE PROTECTION EN DROIT FRANÇAIS

Section I Le principe de la coexistence de régimes dans le système français

1. La notion de cumul La loi du 14 juillet 1909, qui institue en France un régime spécifique des dessins et modèles, proclame, elle-même, en son article 1 " , la possibilité d'un cumul de protections : « Tout créateur d'un dessin ou modèle et ses ayants cause ont le droit exclusif d'exploiter, vendre ou faire vendre ce dessin ou modèle dans les conditions prévues par la présente loi, sans préjudice des droits qu'ils tiendraient d'autres dispositions légales et notamment de la loi des 19-24 juillet 1793, modifiée par la loi du 11 mars 1902. » Cette disposition réserve ainsi formellement à l'auteur d'un dessin ou modèle la faculté de se prévaloir d'un autre régime juridique pour assurer la protection de sa création. Les rédacteurs de la loi de 1909, songeant surtout à celui de la propriété artistique, ont cru bon de mentionner expressément la loi des 19-24 juillet 1793 qui régissait à l'époque la matière. Depuis lors, la loi du 11 mars 1957, portant réforme du droit de la propriété littéraire et artistique, a abrogé les textes antérieurs, si bien qu'il n'y a plus dans la loi de 1909 de référence explicite à la loi sur les droits d'auteur. Mais celle-ci est nécessairement englobée dans l'expression générale visant les « autres dispositions légales » que le législateur avait pris la précaution d'indiquer. Parmi ces autres dispositions légales susceptibles de fournir une protection aux dessins et modèles on pouvait, en effet, penser soit à l'article 1382 du code civil permettant de se placer sur le terrain de l'action en concurrence déloyale qui n'est, en droit français, qu'une application du principe général de responsabilité civile, soit éventuellement aux

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

dispositions particulières de la législation sur les marques dans l'hypothèse où la création peut constituer en même temps une marque de fabrique ou de commerce. Cette possibilité est aujourd'hui consacrée par la loi du 31 décembre 1964 sur les marques de fabrique, qui prévoit expressément que la forme des produits peut être utilisée à titre de marque. Ainsi la forme d'un flacon peut servir de marque à un parfumeur et bénéficiera, en ce cas, d'un double régime juridique. L'intérêt de la question est évident si l'on songe au nombre de produits (boissons gazeuses, sirops, par exemple) qui ne se sont diffusés que grâce à l'aspect particulier de leur conditionnement1. Il est donc bien acquis en droit français que le régime propre, institué pour les dessins et modèles, n'exclut pas les autres régimes de protection (sous réserve de la restriction apportée par l'article 2, al. 2, en ce qui concerne la loi sur les brevets d'invention) 2 . Néanmoins le cumul avec d'autres systèmes de protection est assez exceptionnel. Au contraire, il devient la règle et crée une dualité de statut avec la législation relative à la propriété littéraire et artistique. Mais il importe de bien s'entendre d'abord sur la notion même de cumul qui peut offrir plusieurs acceptions possibles : Elle signifie, en droit français, que l'auteur d'un dessin ou modèle peut invoquer, pour l'ensemble de sa création, soit plusieurs formes de protection simultanément, soit, à son choix, l'un ou l'autre de ces régimes. Mais on peut avoir une conception plus étroite du cumul et considérer, à l'exemple de certaines législations, que les divers régimes de protection « s'additionnent » les uns aux autres sans pour autant se superposer. En d'autres termes, dans une même création, certains éléments se trouveraient protégés par le régime des dessins et modèles et certains autres par la législation relative à la propriété artistique, mais on ne pourrait invoquer les deux régimes en même temps pour des caractéristiques identiques. Ainsi, dans un objet agrémenté d'un motif ornemental, la forme de l'objet serait protégée à titre de modèle, alors que le motif relèverait de la propriété artistique. Telle n'est pas la position du droit français qui admet la notion de cumul dans son acception la plus large 3 . 1. Sur la question, c f . DUSOLIER, « Condition de la protection en France des formes de bouteilles par le dépôt de modèle ou de marque de fabrique », dans R i v . d i r i t t o i n d u s t r i a l e , 1961, I, p. 341. 2. Sur l'exclusion de la protection à titre de modèle lorsque la forme est inséparable d'une invention, v. i n f r a , 2' partie, chap. II. 3. Sur la notion de cumul et les différentes conceptions possibles, v. MASSALISK et DUSOLIER (co-rapporteurs), « Rapport du groupe français de l'A. I. P. P. I. au Congrès de Berlin », dans A n n u a i r e d e l ' A . 1. P. P. I . , 1962, 1 " partie, n° 12, p. 152 et s.

Cumul de protection en droit français

33

Un tel système, qui permet donc à une seule et même création de bénéficier des avantages de chacune des législations peut, a priori, sembler illogique. Il est, en effet, singulier d'appliquer deux lois différentes à un même objet. Une telle solution peut sembler contraire à l'esprit cartésien qui préside généralement, en France, à la détermination des catégories juridiques 4 . L'idée de cumul des protections procède cependant d'une certaine conception idéologique de l'art à laquelle le droit français reste très attaché. Elle recouvre également des intérêts pratiques, non négligeables, qu'il importe d'abord de souligner pour mesurer la portée exacte du principe.

2. Les intérêts du système du cumul a. Intérêt

en ce qui concerne

le dépôt

des dessins

et

modèles.

Le système du cumul offre essentiellement l'avantage de corriger ce qu'il peut y avoir de trop rigoureux dans l'obligation du dépôt préalable qui conditionne l'application de la loi de 1909. La législation spécifique des dessins et modèles ne protège, en effet, que les créations qui ont fait l'objet d'un dépôt régulier au secrétariat du conseil des prud'hommes (ou à défaut au greffe du tribunal de commerce du domicile du déposant), suivant les modalités prévues par les articles 5 et suivants de la loi de 1909 (complétée sur ce point par un décret portant règlement d'administration publique du 26 juin 1911) 5 . La loi sur la propriété artistique ne contient, au contraire, aucune formalité de ce genre (la loi de 1793 comportait bien, il est vrai, dans son article 6, un certain dépôt à la Bibliothèque nationale ou au Cabinet des estampes de la République, mais il ne visait que les oeuvres littéraires et les gravures, et sa sanction n'avait qu'une portée assez limitée. Cette disposition fut d'ailleurs abrogée par la loi du 19 mai 1925) 6 . Tout en constituant un avantage appréciable sur le terrain de la preuve, le dépôt des dessins et modèles apparaît parfois comme une obligation assez lourde dans certaines industries où les fluctuations rapides et capricieuses de la mode entraînent un renouvellement constant de créations nouvelles. Le système du cumul permet alors, en l'absence de dépôt, de conserver le droit sur le terrain de la propriété artistique. Il réparera aussi certaines négligences ou ignorance des lois qui priveraient l'auteur 4. Cf. Jurisclasseur com., annexe, v. « Dessins et modèles », fasc. IV, n° 74, et fasc. III, introduction. 5. V. tnfra, 2° partie, chap. IV. 6 . Cf.

ROUBIER, op.

cit.,

t.

II, p.

410.

a

34

Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

de tout moyen de défense contre les usurpateurs malhonnêtes. Les conséquences de l'irrégularité ou de la nullité du dépôt s'en trouvent atténuées. b. Intérêt relatif à la durée de la

protection.

La différence de régime qui existe à cet égard entre les deux législations offre un avantage considérable sur le terrain de la propriété artistique. La loi de 1909, ne protégeant que les dessins et modèles régulièrement déposés, fait pour sa part dépendre la durée de la protection de celle du dépôt. Cette durée est en principe de cinq ans seulement à partir du jour où est effectué le dépôt. Toutefois, à l'expiration de ce premier délai, le dépôt peut être prorogé une première fois pour vingt ans et une deuxième fois pour vingt-cinq ans, ce qui fait que la durée de protection peut être au maximum de cinquante ans. La loi de 1793, modifiée par une loi du 14 juillet 1866, est sur ce point plus favorable. Le droit qui résulte de la propriété artistique profite, en effet, non seulement à son auteur sa vie durant, mais se prolonge encore cinquante ans après sa mort au profit de ses ayants droit. Cette disposition fut souvent critiquée en raison de l'incertitude de la durée qui en résulte, laquelle peut, notamment, être très longue si le droit appartient à une personne morale. Elle a été néanmoins reprise par la loi du 11 mars 1957 en son article 21 ainsi conçu : « L'auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d'exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d'en tirer un profit pécuniaire. « Au décès de l'auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l'année civile en cours et les cinquante années qui suivent. « Pour les œuvres de collaboration, l'année civile prise en considération est celle de la mort du dernier vivant des collaborateurs. » L'auteur d'un dessin ou modèle aura donc le plus grand intérêt à pouvoir invoquer le droit d'auteur qui subsiste après la disparition du droit que lui conférait le dépôt. Ses héritiers surtout pourront ainsi, en toute hypothèse, bénéficier d'une protection certaine de cinquante ans. c. Différences

concernant la procédure de saisie des objets

contrefaits.

L'auteur d'un dessin ou modèle peut également avoir intérêt à invoquer le droit d'auteur pour utiliser la procédure de contrefaçon que la législation sur la propriété artistique organise avec des modalités différentes. La loi du 11 mars 1957, reprenant à cet égard les dispositions de la loi de 1793, permet à celui qui veut saisir des objets constituant la reproduction illicite d'une œuvre protégée de s'adresser directement, et sans aucune formalité, à un commissaire de police ou, à défaut, au juge d'instance pour procéder à la saisie (article 66). L'un et l'autre ne peuvent

Cumul de protection en droit français

35

refuser leur assistance, car ils ne sont pas juges du bien fondé de la réclamation. Ils n'exercent qu'une vérification formelle sur la régularité apparente du titre et la qualité du demandeur 7 . L'autorisation du président du tribunal civil de grande instance disposant de certains pouvoirs d'appréciation n'est requise que « si la saisie doit avoir pour effet de retarder ou de suspendre des représentations ou des exécutions publiques en cours ou déjà annoncées », ce qui ne concerne pas, semble-t-il, la matière des arts appliqués. L'intéressé peut donc, en principe, mettre en jeu la procédure de saisie contrefaçon sans aucun contrôle judiciaire, sur simple réquisition 8 . En outre, la saisie peut être autorisée par le président du tribunal civil de grande instance, en dehors des heures légales prévues par l'article 1037 du code de procédure civile, pour des exemplaires constituant une reproduction illicite de l'œuvre, déjà fabriqués ou en cours de fabrication (art. 66, al. 5). Dans le cadre de la loi sur les dessins et modèles, l'auteur doit, au contraire, se conformer aux prescriptions de l'article 12 de la loi de 1909 qui prévoient le déclenchement de la procédure au moyen d'une requête adressée au président du tribunal civil de grande instance, lequel dispose ici de tout pouvoir d'appréciation pour l'examiner quant au fond. S'il autorise la saisie, il en déterminera d'ailleurs lui-même les modalités : il désignera expressément les personnes contre lesquelles elle doit être dirigée, les objets qui peuvent être saisis, les lieux où elle peut être pratiquée et nommera un huissier, généralement assisté d'un expert, pour y procéder. La confiscation des objets contrefaits ou des instruments ayant servi à la contrefaçon comporte également quelques différences de détails. Notamment, la loi de 1909 donne à cette mesure un caractère obligatoire pour les objets contrefaits et seulement facultatif pour les instruments ayant servi à la contrefaçon (art. 11, al. 5). L'article 427 du code pénal, qui prévoit également la confiscation au profit de la partie lésée en matière de propriété littéraire et artistique, ne contient pas la même restriction et la rend obligatoire aussi bien pour les objets eux-mêmes que pour les « planches, moules ou matrices des objets contrefaits ». D'autre part, la confiscation, dans la loi de 1909, peut être prononcée même en cas d'acquittement du prévenu, ce qui est d'ailleurs considéré comme une anomalie par certains auteurs 9 . 7. Pour une étude détaillée de la saisie contrefaçon en matière de droit d'auteur, cf. H.

DESBOIS, op.

cit.,

p.

78

et

s.

8. Il est vrai que cette procédure, qui a suscité certaines difficultés, est parfois déconseillée aux auteurs de créations d'art appliqué. Cf. GREFÏE et CASALONGA, « Traité des dessins et modèles », 1937, n° 211. 9 . Cf.

ROUBIER, op.

cit.,

t.

I, p.

470.

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

Enfin la disparition des effets de la saisie s'opère de manière plus ou moins brutale dans l'un et l'autre régime. Dans la loi de 1909, le demandeur est, en effet, tenu aux termes de l'article 12, alinéa 5, de se pourvoir devant le tribunal compétent, par la voie civile ou correctionnelle, dans le délai de quinzaine qui suit la saisie, augmenté d'un jour par 5 myriamètres de distance entre le lieu où se trouvent les objets décrits ou saisis et le domicile de la partie à poursuivre. A défaut d'assignation dans ce bref délai, la saisie est nulle de plein droit, sans préjudice des dommages-intérêts qui peuvent être alloués au saisi 10 . Le procès-verbal de saisie pourra seulement servir de preuve pour établir l'existence de la contrefaçon. La loi du 11 mars 1957, pour sa part, ne va pas jusqu'à sanctionner par une nullité de plein droit le défaut d'assignation immédiate. Elle laisse seulement au saisi la possibilité de demander au président du tribunal civil de grande instance, dans les trente jours à partir de la date du procès-verbal de saisie (ou de la date de l'ordonnance du président selon les cas), la mainlevée ou le cantonnement de la saisie, ou encore « d'autoriser la reprise de la fabrication ou celle des représentations ou exécutions publiques, sous l'autorité d'un administrateur constitué séquestre, pour le compte de qui il appartiendra, des produits de cette fabrication ou de cette exploitation » (article 67). Ces mesures peuvent être assorties d'une consignation à la charge du saisi pour garantir éventuellement le préjudice qui pourrait en résulter pour l'auteur (art. 67, al. 2). L'article 68 ajoute, en outre, que faute par le saisissant de se pourvoir dans les trente jours de la saisie, la mainlevée pourra être ordonnée à la demande du saisi ou du tiers saisi par le président du tribunal statuant en référé. Mais ce dernier conserve, même en ce cas, tout pouvoir d'appréciation et pourra refuser la mainlevée, compte tenu des circonstances et des excuses que peut avoir le saisissant. Ceci contraste par conséquent avec la rigueur de la caducité automatique de la loi de 1909 à propos de laquelle il a même été jugé qu'une assignation nulle ou portée devant un tribunal incompétent ne pouvait empêcher la nullité de se produire à l'expiration du délai de quinzaine 11 . d. Différences

concernant les sanctions de la

contrefaçon.

La répression pénale elle-même n'est pas identique sur les deux terrains. Les peines de la contrefaçon sont prévues en matière de propriété littéraire et artistique par les articles 425 à 429 du code pénal. La loi 10. Il a cependant été jugé qu'en l'absence de tout préjudice pour le saisi, un léger dépassement de ce délai n'entraîne pas la nullité de la saisie, en ce sens, Chambéry, 30 juin 1948, Annales, 1949, 68. 11. V . Paris, 25 novembre 1900, Annales, 1901, III, 12.

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du 11 mars 1957, unifiant le système de répression pour la reproduction illicite et la représentation, frappe le délit de contrefaçon d'une peine d'amende de 360 à 12 000 F. Sont assimilés à la contrefaçon et punis des mêmes peines, « l'exportation et l'importation des ouvrages contrefaits ». Le délit habituel aggrave, en outre, la sanction dont l'amende est portée de 800 à 20 000 F, laquelle peut s'accompagner d'un emprisonnement de 3 mois à 2 ans. Dans la loi du 14 juillet 1909, la contrefaçon des dessins et modèles est réprimée par l'article 10, frappant « toute atteinte portée sciemment aux droits garantis par la loi » d'une amende de 90 à 7 200 F et d'un emprisonnement de 1 mois à 6 mois si le délinquant est une personne ayant travaillé pour la partie lésée. A ces sanctions peuvent également s'ajouter, pendant une durée maximum de cinq ans, la privation du droit d'élection et d'éligibilité aux tribunaux de commerce, chambres de commerce et conseils de prud'hommes. La répression, en ce qui concerne les peines principales, est ainsi plus sévère, dans l'ensemble, sur le terrain de la propriété artistique que sur celui des dessins et modèles. e. Intérêt sur le plan des droits

successoraux.

La loi sur les dessins et modèles ne contient pas de dispositions particulières concernant les droits successoraux du conjoint survivant. La dévolution doit donc s'effectuer d'après les principes du droit commun (c'està-dire conformément à l'article 767 du code civil). Pour la propriété artistique, au contraire, la loi du 14 juillet 1866 instituait une réglementation spéciale des droits du conjoint survivant, prévoyant dans son article 1", alinéa 2, un droit de jouissance sur les droits de l'auteur pendant une durée de cinquante ans après le décès de celui-ci, situation d'autant plus enviable que cet usufruit était généralement considéré comme ne devant pas s'imputer sur l'usufruit ordinaire 12 . La loi du 11 mars 1957 a repris cette disposition en levant toute incertitude sur ce dernier point. L'article 24 précise aujourd'hui que pendant la période prévue à l'article 21 (c'est-à-dire les cinquante ans qui suivent le décès de l'auteur) « le conjoint survivant, contre lequel n'existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps bénéficie, quel que soit le régime matrimonial et indépendamment des droits d'usufruit qu'il tient de l'article 767 du code civil sur les autres biens de la succession, de l'usufruit du droit d'exploitation dont l'auteur n'aura pas disposé. Toutefois, si l'auteur laisse des héritiers à réserve, cet usufruit 12. Cf. PLANIOL et RIPERT, « Traité élémentaire de droit civil », t. II, n° 1879.

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est réduit au profit des héritiers, suivant les proportions et distinctions établies par les articles 913 et 915 du code civil. Ce droit s'éteint au cas où le conjoint contracte un nouveau mariage ». Le bénéfice de la propriété artistique constitue donc un avantage considérable dont pourra se prévaloir le conjoint survivant en matière de dessins et modèles grâce au principe du cumul. f. Intérêt

procédural.

Le système du cumul permet enfin d'invoquer pour la première fois en appel la loi sur la propriété artistique. La jurisprudence, poussant jusqu'au bout les conséquences logiques du principe, a plusieurs fois décidé qu'après avoir succombé en première instance sur le fondement de la loi de 1909, notamment en raison de la nullité du dépôt, le demandeur peut en appel invoquer pour la première fois la loi de 1793, et, a fortiori, aujourd'hui celle de 1957, les conclusions présentées sur le terrain de la propriété artistique ne pouvant être considérées comme une demande nouvelle au sens de l'article 464 du code de procédure civile 13 . La Cour d'Amiens, dans une affaire longtemps débattue, a en outre expressément affirmé qu'une condamnation prononcée par le premier juge en vertu de la seule loi de 1909 n'exclut pas que les faits puissent également tomber sous le coup de la loi de 1793, alors que, dans le dispositif du jugement, il n'a pas été statué de ce chef et que les motifs qui s'en sont expliqués ne constituent pas le soutien nécessaire du dispositif 14 . Néanmoins, les incidences pénales du principe du cumul demeurent extrêmement délicates. On peut notamment se demander si, lorsque le prévenu fait seul appel d'une condamnation fondée sur la loi de 1909, le juge peut, de son propre chef, donner une qualification plus grave fondée sur la législation du droit d'auteur, sans violer les principes du droit pénal 15 .

13. V. Cass. req., 27 déc. 1927, S, 1928, I, 137, note FG, dans Annales prop, ind., 1951, 83, Paris, 29 oct. 1935, dans Annales prop, ind., 1937, 255, Jurisclasseur com., annexe, fasc. IV, n " 78 et s. 14. Amiens, 4 mai 1962, J. C. P., 1962, II, 12821, note Aymond sur renvoi de la Cour de Cassation, crim. 2 mai 1961, J. C. P., 1961, II, 12242, note Aymond, approuvé par Cass. crim., 30 oct. 1963, J. C. P., 1964, II, 13950, note PLAISANT. 15. Sur les différents problèmes que pose, en droit pénal, le principe du cumul, cf. FRANÇON, note sous Cass. crim., 30 oct. 1963, D, 1964, 678.

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Section II La théorie de l'unité de l'art Confondre dans un même régime de protection les arts appliqués à l'industrie et les œuvres que l'on classe communément dans la catégorie des « Beaux-Arts » implique une prise de position particulière sur la nature même de l'Art. Il faut, en effet, partir de l'idée que l'art est voué à l'unité dans ses manifestations les plus diverses, qu'il ne peut se définir ni par le beau ni même par le sentiment esthétique qu'il tend à éveiller. « Qui rêvera jamais », écrivait déjà Pouillet, « d'établir une ligne de démarcation nette et définie entre le beau et ce qui ne l'est pas, ou, ce qui revient au même, entre ce qui est l'art et ce qui ne l'est pas ?... L'art n'a pas de limite ; il n'a ni commencement ni fin ; il n'est que l'expression de la création conçue par l'esprit humain 1 6 ». A une époque surtout, où l'art est si souvent rabaissé au niveau des productions commerciales et où, en sens inverse, l'industrie atteint parfois, par son effort vers la perfection des formes, un degré artistique incontestable, comment pourrait-on tracer avec une précision suffisante la frontière entre les deux domaines ? Mieux vaut dire que toute création de forme qui porte l'empreinte suffisante de la personnalité de son auteur, quelle que soit sa destination ou son utilité, relève indistinctement du domaine de l'art. On ne peut pas séparer l'art industriel de l'art proprement dit. Il n'y a pas de critère d'appréciation esthétique qui permette rationnellement de le faire. Devant les réticences d'une certaine doctrine, Pouillet, fervent défenseur de la thèse de l'unité de l'art, faisait à cet égard une observation très pertinente : « Chose singulière », remarquait-il, « tant qu'il s'agit d'apprécier une œuvre conçue sous l'inspiration d'une pensée purement abstraite et spéculative, tout le monde est d'accord sur le principe de l'unité de l'art, et avec raison, personne ne songe à exclure du domaine de l'art les œuvres les plus déconcertantes de certains artistes ; il se trouve même toujours des gens pour en exalter les mérites, souvent même d'autant plus qu'ils sont moins apparents ; mais dès qu'il s'agit d'une application de l'art, dès qu'une utilisation immédiate et directe de l'objet 16. POUILLET, « Traité théorique et pratique des dessins et modèles », 1911, p. 52.

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semble s'indiquer, alors les opinions les plus disparates se font jour et, la passion aidant, on arrive aux pires incohérences et aux contradictions les plus inattendues. Notre industrie d'art en a souffert depuis un siècle. Il était grand temps qu'une loi nouvelle vînt l'en délivrer 1 7 ». Pour cet auteur « l'idée simple et féconde » de l'unité de l'art est le seul moyen d'éliminer les difficultés que l'on rencontre lorsqu'on tente de préciser la nature des dessins et modèles. Mais si l'idée est aujourd'hui consacrée par la législation, elle n'a pas toujours rallié l'unanimité des suffrages et, sans vouloir refaire l'historique de la matière, il est bon de rappeler comment elle s'est progressivement enracinée dans les traditions juridiques françaises.

1. Apparition de la première loi sur les dessins et modèles Initialement, les dessins et modèles ne bénéficiaient pas en France d'un régime de protection spéciale. Seule la loi des 19-24 juillet 1793 protégeait en des termes assez larges toutes les productions « des auteurs d'écrits en tous genres, des compositeurs de musique, des peintres et des dessinateurs ». Certains en concluaient que les dessins et modèles industriels entraient dans le champ d'application de la loi, l'ancien régime ayant une conception très large des Beaux-Arts 1 8 . D'autres soutenaient, au contraire, que l'art industriel ne pouvait bénéficier de la loi 1 9 . Devant la portée incertaine de la loi, une réglementation autonome s'imposait. Elle fut obtenue par les fabricants lyonnais qui profitèrent d'une visite de l'Empereur Napoléon I e ' pour lui exprimer leurs doléances à cet égard. La loi du 18 mars 1806 eut alors pour but initial de leur donner satisfaction en organisant un dépôt des dessins sur tissu, aux archives d'un conseil des prud'hommes créé spécialement à cet effet. Mais cette loi reçut une extension progressive et s'appliqua bientôt à toutes les créations industrielles, aussi bien aux dessins proprement dits, seuls 17. POUILLET, op. cit., p . 51, note 1.

18. V. PRACHE, « Rapport à la Chambre des députés sur la loi du 14 juillet 1909 », annexe au procès-verbal de la séance du 10 avril 1908 ; PHILIPPON, « Dessins et modèles », p. 33, et « Notice historique sur la propriété des dessins de fabrique ». POUILLET, op. cit., p. 23. 19. Cf. VAUNOIS, « Les dessins et les modèles de fabrique », 1897, n° 13 ; FOURNIER, « Des transformations de la législation sur les dessins et modèles industriels », thèse, Paris, 1908, p. 29 ; RENOUARD, « Du droit industriel dans ses rapports avec le droit civil », p. 234.

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mentionnés dans le texte, qu'aux objets à trois dimensions, c'est-à-dire aux modèles 2 0 . Mais l'origine même de cette loi, qui en faisait un régime exceptionnel, marqua le début des tâtonnements de la jurisprudence dans la délimitation des domaines respectifs de la loi sur la propriété artistique et du nouveau régime des dessins et modèles.

2. Incertitude sur la portée de la loi A partir du moment où certains arrêts décidèrent d'établir une séparation tranchée entre les deux lois, les critères de distinction se multiplièrent, semant le doute dans les esprits et l'incohérence dans les décisions. Les plus fréquentes s'attachaient à la destination de l'œuvre estimant que l'usage industriel du dessin ou modèle en déterminait la nature et entraînait l'application exclusive de la loi de 1806 quelle que soit la valeur artistique de la création. Le critère de la destination fut notamment appliqué à des bijoux 2 1 , à des ouvrages de bronze 2 2 , à des affiches 23 . La proposition de loi Bozerian en 1879 tenta de faire consacrer sur le plan législatif le critère de la destination principale. Après avoir été adoptée par le Sénat, cette proposition fut repoussée par la commission spéciale chargée de son examen qui préconisait, au contraire, le critère de la prédominance du caractère esthétique 24 . D'autres décisions considéraient le caractère de la reproduction et, dès lors qu'elle était obtenue par des procédés mécaniques, l'excluaient de la protection artistique 25 . « Il importe peu », déclarait notamment la Cour de Paris, « que le dessin, originairement et pris en lui-même, puisse constituer un objet d'art ; dès qu'il est appliqué... à l'industrie, à l'aide d'un moyen industriel, il devient un dessin de fabrique 26 ». On invoquait aussi, parfois, le caractère simplement accessoire du dessin ou modèle, le soumettant exclusivement à la loi de 1806 lorsqu'il faisait 20. Sur la généralisation progressive du texte, v. MARQUIS, « La législation protectrice des dessins et modèles », thèse, Paris, 1909, p. 30 et s. Voir, également, l'avis du Conseil d'Etat de 1823 et l'ordonnance royale portant règlement sur le dépôt des dessins de fabrique du 17 août 1825 ; POUILLET, op.

21. 22. 23. 1891, 1870, 1904, 24. 25. 26.

cit.,

p. 30.

Cass., 18 août 1868, dans Annales prop. ind., 1869, 191. Cass., 8 juin 1860, dans Annales prop. ind., 1860, 394. Paris, 21 janvier 1892, dans Annales prop. ind., 1894, 48 ; v. également Cass. 14 mai dans Annales prop. ind., 1891, 328, pour des dessins sur sacs de café; Paris, 12 mars dans Annales prop. ind., 1870, 260 ; Paris, 13 mai 1904, dans Annales prop. ind., 152. V. « Rapport Galpin », Chambre des députés, 22 mars 1880. V. Cass., 30 décembre 1865, dans Annales prop. ind., 1867, 46. Cf. Paris, 22 avril 1875, dans Annales, 1883, 206.

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corps avec un objet destiné à l'industrie. C'était, notamment, le critère préconisé par Philippon 2 7 estimant que l'objet auquel s'incorpore l'œuvre artistique a déjà une existence indépendante et une valeur commerciale qui provient de son utilité et que le caractère artistique qui ne fait que s'y ajouter peut, sans doute, en élever le prix mais ne doit pas en changer la nature 28 . Enfin le critère était souvent déduit de la seule intention de l'auteur selon qu'il avait recherché principalement l'agrément du public ou la commercialisation de l'objet 2 9 . C'est pourquoi certains auteurs proposaient même une distinction plus radicale fondée uniquement sur la qualité des personnes : si le dessin ou modèle était réalisé par un fabricant ou un industriel, il devait relever de la loi de 1806 ; s'il était, au contraire, l'œuvre d'un artiste, il ne pouvait dépendre que de la loi de 1793 3 0 . En réalité, les tribunaux, pour apprécier le caractère industriel artistique des dessins et modèles, ne pouvaient se défendre de porter jugement de valeur sur le mérite artistique de l'œuvre 3 1 . La Cour Cassation laissait d'ailleurs la question à l'appréciation souveraine juges du fond 32 .

ou un de des

Ce fut pour mettre un frein à l'arbitraire des décisions en ce domaine qu'une loi du 11 mars 1902 vint ajouter à l'article 1 " de la loi de 1793 l'alinéa suivant : « Les mêmes droits appartiendront aux sculpteurs et dessinateurs d'ornement, quels que soient le mérite et la destination de l'œuvre. » Le but de la loi était ainsi fort net : il visait à étendre la protection de la loi de 1793 à toutes les manifestations de l'art, même industriel, quelle que soit leur valeur esthétique. Le substitut Guillemin le soulignait en des termes pleins d'humour dans un discours s'adressant aux magistrats après le vote de la loi. « La loi de 1902, disait-il, dans sa sollicitude pour la magistrature a eu pitié de ses lumières. Elle lui a décerné un brevet de capacité simple, en lui disant, ne péchez plus... Elle a singulièrement simplifié la tâche que vous avez à remplir. Vous ne jugerez plus, a-t-elle 27. PHILIPPON, « Traité de la propriété des dessins et modèles industriels », 1880. 28. En ce sens, Cass. 17 janvier 1882 : S, 1883, I, 305 ; D , 1883, I, 119, pour des encriers, coupes et objets divers avec sujet en bronze. 29. Sur la jurisprudence de l'époque, v. MARQUIS, op. cit., p. 40 et s. ; POUILLET, op. cit., p. 3 9 et s. 30. Cf. VAUNOIS, « Des dessins et modèles de fabrique », 1898, n° s 39 et s. ; CHABAUD, « L e droit des auteurs, des artistes et des fabricants », 1908, p. 115. 31. V. notamment Cass. crim., 3 mars 1898, dans Annales prop. ind., 1899, 72 ; Paris, 17 novembre 1900 : D , 1901, II, 336 ; Cass. 27 janvier 1903 : D , 1903, I, 488 ; Angers, 19 janvier 1904, dans Annales prop. ind., 1904, 66. 32. Cass. crim., 14 juin 1891 : S, 1891, I , 493 ; 3 mars 1898 précité.

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dit, la valeur artistique des œuvres ni d'après leur destination ni d'après leur mérite, vous les jugiez trop mal... » La loi nouvelle fut d'ailleurs considérée comme interprétative, bien que la distinction ait été fermement maintenue jusqu'en 1902 entre les œuvres d'art pur et les œuvres d'art appliqué à l'industrie. Elle devenait ainsi rétroactive et s'appliquait même aux créations industrielles antérieures 8 3 . Toute discrimination semblait donc désormais condamnée entre l'art industriel et l'art proprement dit. La théorie de l'unité de l'art faisait ainsi disparaître les incertitudes antérieures et s'implantait très profondément dans le système français.

3. Appréciation critique du principe de l'unité de l'art Certains auteurs ont essayé cependant de réduire la portée du principe de l'unité de l'art qui venait ainsi d'être proclamé. M. Chabaud, en particulier, soutient l'idée selon laquelle la loi, malgré la formule adoptée, n'écarterait pas pour autant toute préoccupation relative à la nature artistique de l'œuvre 3 4 . Rejetant l'interprétation généralement donnée au texte nouveau 3 5 , cet auteur objecte qu'il est inexact de vouloir faire du mot « mérite » utilisé par le législateur, le synonyme de « caractère artistique ». « Le mérite, écrit-il, n'est qu'une qualité qui peut appartenir ou faire défaut à des productions diverses et dont la présence ou l'absence ne changent en rien la nature de ces productions 3 6 . » Invoquant le titre même de la loi sur la propriété artistique, il en déduit qu'elle ne peut s'appliquer qu'à des productions présentant un certain caractère artistique. Or celui-ci doit continuer à être recherché d'après la notion communément admise qui l'attache à toute œuvre qui éveille un sentiment esthétique ou qui, du moins, tend à susciter un tel sentiment. Le législateur aurait voulu simplement écarter toute appréciation subjective sur la valeur de l'élément artistique (car une œuvre peut être dépourvue de tout mérite sans perdre pour autant le droit à la protection), mais il n'aurait pas éliminé la prise en considération de la nature artistique de l'œuvre qui implique une recherche d'un autre ordre. Ce qui compte pour qualifier la création d'artistique, ce n'est pas le résultat 33. V. p. 257. 34. Cf. 35. V. et Claro

ROUBIER, « Le droit transitoire, conflits de lois dans le temps », 1960, 2 e éd., CHABAUD, « La protection légale des dessins et modèles », 1913, p. 65 et s. notamment POUILLET, « Traité de la propriété littéraire et artistique par Maillard ».

3 6 . CHABAUD, op.

cit.,

p.

66.

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obtenu mais l'effet recherché par l'auteur. Dès lors qu'il a créé dans le seul but d'obtenir une réaction d'ordre esthétique, il y a œuvre artistique au sens de la loi. Il est certain qu'ainsi présentée l'objection ne manque pas de poids. Mais comment appréciera-t-on la nature artistique sans revenir aux errements passés ? où trouver le frein modérateur qui permettra de soustraire les justiciables à la fantaisie des tribunaux ? La qualification même de l'œuvre d'art implique une appréciation subjective qui est du même ordre que celle du mérite. Lorsqu'il s'agit de faire le départ entre ce qui est artistique et ce qui ne l'est pas, il est impossible de se départir de tout jugement de valeur. Et même si cela était, la question n'en serait pas résolue pour autant de manière plus objective. La nature artistique de la création ne pourrait être déterminée qu'en fonction de l'impression esthétique, bonne ou mauvaise, qu'elle est susceptible de produire. Or rien n'est évidemment plus subjectif que la réceptivité de chacun aux formes et à l'aspect des objets extérieurs. Ce qui engendre l'impression la plus pénétrante chez les uns, ne trouve pas le moindre écho chez les autres. C'est pourquoi la thèse de l'unité de l'Art, plus proche peut-être des réalités pratiques, a fini par remporter tous les suffrages 3 7 . Certains auteurs, tout en la trouvant contestable sur le plan juridique, ont fini par l'accepter pour des raisons pratiques. C'est ainsi que MM. Greffe et Casalonga, après l'avoir rejetée dans la première édition de leur traité sur les dessins et modèles, en admettent finalement l'idée, faute de pouvoir trouver un critère de discrimination satisfaisant. Il est significatif de rapporter les raisons qui justifient le revirement de ces auteurs : « Les critiques que nous nous sommes attirées, écrivent-ils, et surtout la dernière évolution de la jurisprudence nous ont amenés à convenir que dans la pratique la distinction entre ce qui est artistique et ce qui ne l'est pas est absolument irréalisable dans un grand nombre de cas. » Q u e le législateur ait voulu cette distinction, c'est l'évidence même, quoique prétendent les partisans de la thèse dite de l'unité de l'Art. Mais il n'avait pas dit sur quel critérium reposerait la distinction et surtout il n'avait pas prévu les difficultés auxquelles les tribunaux et les intéressés se heurteraient. Quant aux divers critériums proposés par les auteurs ayant admis cette distinction, il faut reconnaître qu'ils ont tous de trop graves défauts... 37. C f . notamment

ROUBIER, op.

cit.,

t. I I , p . 3 9 9 e t s. ; G R E F F E e t CASALONGA,

«

Traité

des dessins et modèles », 2E éd. ; DUSOLIER et SAINT-GAL, « Protection et défense des dessins et modèles », 1964, chap. B 1 ; H . DESBOIS, « Le Droit d'auteur », p. 109 et s. ; FERNAND-JACQ, note dans Annales prop. ind., 1922, I, 63.

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Nous n'accepterions pas davantage, poursuivent ces auteurs, de laisser au juge le soin et le droit de décider si une œuvre est ou non artistique, ce serait trop arbitraire et incertain. Et puis les justiciables doivent connaître leurs droits. Il faut que d'avance ils soient renseignés aussi exactement que possible sur ce qui est défendu ou permis 3S. » Certes, des arguments parfois spécieux ont été avancés pour justifier la thèse du cumul. C'est ainsi qu'on a invoqué, à l'origine, un argument d'analogie fort discutable avec le système admis en matière de marques de fabrique ou de commerce 39. Les marques, a-t-on dit, peuvent, elles aussi, être défendues soit par la loi de 1857, soit par un recours à l'article 1382 du code civil. Mais une telle comparaison ne peut se soutenir en la matière. Le cumul de l'article 1382 avec la loi de 1857 n'est pas sur le même plan que celui des protections de la propriété artistique et des dessins et modèles. Dans le premier cas, il s'agit seulement d'un principe général qui vient compléter les lacunes d'une réglementation spéciale, alors que dans le second nous sommes en présence de deux lois spécifiques qui organisent le statut particulier de certaines créations intellectuelles et dont le champ d'application correspond nécessairement à des considérations qui leur sont propres 40 . En réalité, le système du cumul pour l'ensemble de la doctrine française ne se justifie pas, il s'impose. Il est la seule attitude logique, semble-t-il, devant l'impossibilité de tracer objectivement, et en fonction de critères valables, la frontière de l'art pur et de l'art appliqué à l'industrie.

3 8 . GREFFE e t

CASALONGA, op.

cit.,

p.

16 e t

17 ; v. é g a l e m e n t

DUSOLIER,

«

RIPIA

»,

1958, p. 97, qui, après avoir rappelé les objections contre le système du cumul, s'incline devant la difficulté de trouver un critère valable pour opposer ce qui est « utilitaire » à ce qui est « artistique ». 39. Cf. MAILLARD, « Congrès de Lille 1902 », dans Bull. Ass. franç., 1902, I I , 385. 40. Sur cette critique, cf. CHABAUD, op. cit., p. 81-82.

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Section III Application jurisprudentielle du principe de l'unité de l'art

1. La jurisprudence postérieure à la loi de 1902 La proclamation du principe de l'unité de l'art par la loi de 1902 ne levait pas, cependant, toute incertitude sur les domaines d'application respectifs des lois de 1793 et de 1909. On pouvait encore hésiter sur la coïncidence exacte des deux régimes de protection. En fait, on continuait à se demander si toute création de forme, relevant de la loi de 1909, pouvait entrer dans le cadre de la loi de 1793 et bénéficier de la double protection. Il n'est pas sans intérêt de rappeler à cet égard les tâtonnements de la jurisprudence pour en dégager, si possible, son orientation actuelle. Dès l'entrée en vigueur de la loi de 1902, quelques tribunaux se montrèrent réticents pour admettre l'identité absolue du champ d'application des deux lois. Continuant à s'attacher à la recherche d'un élément artistique intrinsèque à la création, certaines décisions excluaient, par exemple, de la protection artistique, des caractères d'imprimerie, exigeant que « l'objet créé fût une production artistique, c'est-à-dire destinée à devenir pour le public une source de jouissance artistique 41 ». La Cour de Paris déclarait, notamment, que le régime des dessins et modèles était seul applicable à des modèles d'alambics et d'acidimètres, car la loi sur la propriété artistique requiert des préoccupations esthétiques n'existant pas en l'espèce 42 . De même pour un boîtier de montre extra-plate, une juridiction estimait qu'une telle création relevait « du domaine de la mode ou de la vogue » et non du domaine artistique 43 . Toutes les créations inspirées par la mode se voyaient d'ailleurs, en principe, refuser la protection artistique 4 4 . La jurisprudence maintint sa position en cette matière jusque vers 1920 ; ce n'est qu'en 1934 que la Cour de Cassation consacra formellement la solution inverse 46 . 41. Trib. civ. Seine, 10 février 1905, dans Annales prop. ini., 1905, 352 ; Trib. corr. Seine, 9 décembre 1903 : D, 1905, II, 415. 42. Paris, 26 janvier 1906, dans Annales, 1907, I, 119. 43. Trib. com. Seine, 23 mai 1907, dans Annales prop. ind., 1908, 28. 44. Sur l'évolution de la jurisprudence en matière de créations de mode, v. infra, section V, p. 58 et s. 45. Cass. crim., 8 décembre 1934, DH, 1935, 85, dans Annales prop. ind., 1937, 251.

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En d'autres domaines, quelques décisions continuaient à marquer leur réticence. On peut notamment relever un arrêt de la Cour de Paris du 22 janvier 1924 excluant le bénéfice de la protection artistique pour des fleurs artificielles en coquillages, au motif que ces créations ne sont pas des œuvres de sculpture ou de dessin, seules protégées par la loi de 1793, et « qu'il est excessif de prétendre que toute production de l'intelligence est protégée comme une œuvre d'art par la loi de 1793-1902 ; qu'il résulte de la combinaison des articles 1, 3, 5 et 7 de cette loi que la propriété artistique dont elle reconnaît et protège le droit privatif est celle qui a pour objet, indépendamment du mérite d'exécution et du but auquel l'œuvre est destinée, une production de l'esprit ou du génie qui appartient aux Beaux-Arts 4 6 ». Mais, parallèlement, une jurisprudence plus libérale se développait, faisant accéder à la propriété artistique les créations de forme apparemment les plus étrangères au domaine de l'art 4 T . Après la loi de 1909, la tendance s'affirmera de plus en plus dans le sens d'une concordance totale des deux régimes de protection 48 . La Cour de Cassation consacra cette évolution par des arrêts dépourvus de toute ambiguïté. C'est ainsi qu'elle déclarait le 9 juillet 1931 que la protection de la propriété artistique doit être admise pour tout dessin d'ornement, « même industriel et sans caractère d'art 4 9 », affirmation renouvelée de la manière la plus formelle par un arrêt du 30 mars 1938 décidant que les deux régimes de protection s'appliquent, en raison de la généralité des termes de ces deux lois, « à toutes les manifestations de l'activité créatrice 5 0 ».

46. Paris, 22 janvier 1924, dans Gaz. Pal., 1924, II, 438. Pour une vue plus complète de cette jurisprudence, v. ROUBIER, op. cit., t. II, p. 407 et s. ; Jurisclasseur précité, fasc. IV, n " 3 5 et s. 47. V. notamment : Paris, 25 mai 1903, dans Annales prop. ind., 1904, 93, pour des dessins de prospectus représentant des fourneaux ; Paris, 27 janvier 1906, dans Annales prop. ind., 1907, 119, pour des dessins d'appareils servant à l'illustration de notices pour le traitement des vins. 48. V. à titre d'exemples : Paris, 3 juin 1927, dans Annales prop. ind., 1927, 290, pour une rampe d'escalier ; Paris, 29 juin 1929, dans Annales prop. ind., 1932, 296, pour un catalogue présentant un caractère d'originalité ; Cass. crim., 9 juillet 1931, dans Annales prop. ind., 1932, 324, et la note, pour des dessins sur tissus ; Montpellier, 25 mars 1927, dans Annales prop. ind., 1927, 294, pour des dessins d'une grande banalité encadrant des titres de valeurs mobilières ; Trib. civ. Seine, 19 juillet 1921, dans Annales prop. ind., 1922, 62, note Fernand-Jacq, pour un modèle de buanderie ayant une physionomie particulière en raison de sa forme et de ses ornements ; Trib. com. Guéret, 23 mai 1911, dans Annales prop. ind., 1913, 10, pour un modèle de banc scolaire ; Paris, 20 novembre 1934, dans Annales, 1937, 278 ; Paris, 14 décembre 1934, dans Annales, 1936, 56. 49. Cass. crim., 9 juillet 1931, dans Annales prop. ind., 1932, 324 et la note. 50. Cass. crim., 30 mars 1938, D. H., 1938, 324.

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

Cette orientation de la jurisprudence qui semblait déjà décisive n'a pu, semble-t-il, que se trouver renforcée et définitivement acquise depuis la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique.

2. Position du problème après la loi du 11 mars 1957 La loi du 11 mars 1957, refondant le droit de la propriété littéraire et artistique, a semblé mettre un terme à toute hésitation quant au domaine d'application respectif des deux régimes de protection. On a vu dans l'article 2 du nouveau texte l'aplanissement de toutes les difficultés anciennes. La loi, dans sa rédaction nouvelle, protège en effet « les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ». Ainsi le texte, non seulement reprend la formule ancienne du mérite et de la destination, mais y ajoute, en outre, la protection de toutes les formes d'expression, ce qui lève, semble-t-il, toute équivoque en ce qui concerne les dessins et modèles industriels et la prise en considération du caractère artistique de l'œuvre. Le doute est d'autant moins permis que l'article 3, dans la longue énumération qu'il donne des œuvres de l'esprit susceptibles d'être protégées au titre des droits d'auteur, mentionne expressément et sans aucune réserve « les œuvres des arts appliqués 51 ». On a pu faire observer, il est vrai, non sans raison, que le texte n'apporte, en fait, rien de véritablement nouveau. Il affirme seulement « avec plus de netteté que par le passé... la généralité du domaine de la propriété artistique, et plus particulièrement son application en matière d'arts appliqués 52 ». D'une manière générale, le législateur de 1957 a eu la prudence de ne pas enfermer le champ d'application de la loi nouvelle dans les limites d'une formulation rigide. « La loi du 11 mars 1957, écrit M. Desbois, ne contient aucune pierre de touche, aucun critère auquel les juges puissent recourir au moment de décider si la production litigieuse relève du régime des droits d'auteur. Le législateur a préféré procéder par voie d'exemples énoncés dans une liste non limitative plutôt que de définitions 63 . » En protégeant indistinctement toute création, indépendamment de son genre et de sa forme d'expression, et abstraction faite du mérite et de 51. Cf. H. DESBOIS, « Commentaire de la loi du 11 mars 1957 », D, 1957, législ., p. 350 et s. ; GREFFE, Jurisdasseur commercial, annexe, v. « Dessins et modèles », fase. IV, n° 73 et s. ; DUSOLIER et SAINT-GAL, « Protection et défense des dessins et modèles », chap. B 2 ; P.

ROUBIER e t

A.

CHAVANNE, o b s .

d a n s Rev.

trim.

dr.

52. Cf. MOUSSERON, note sous Paris 17 mars 1962, J. 53. Cf. H . DESBOIS, commentaire précité.

com.,

C. P.,

1960,

356.

1963, I I , 13401.

Cumul de protection en droit français

49

la destination, le législateur, poursuit M. Desbois, « renouvelle un acte de foi à l'égard de la conception dite de l'unité dans le domaine des arts ». Il n'est guère douteux, en effet, que la loi nouvelle ne vienne renforcer l'orientation antérieure de la jurisprudence qui, dans son dernier état, repoussait expressément tout critère de distinction tiré de la nature artistique de l'œuvre pour lui substituer la notion d'originalité. On peut notamment citer deux arrêts de la Cour de Paris du 1 " avril 1957 qui, à propos d'oeuvres photographiques, déclaraient que la protection des droits d'auteur doit être accordée à « celles qui, en raison de leur caractère original ou documentaire et de l'empreinte personnelle que leur auteur a su leur communiquer, sont assimilables aux autres créations de l'esprit protégeables dans le cadre de la loi de 1793 64 ». La Cour de Cassation confirmait d'ailleurs cette position, dans un arrêt du 23 juin 1959, affirmant à son tour que « l'effort intellectuel » de l'auteur est la seule « empreinte indispensable pour donner à l'œuvre le caractère d'individualité nécessaire pour qu'il y ait création 5 5 ». Certes, une telle conception aboutit à une extension illimitée de la loi sur la propriété artistique. Toute création de forme est bien, comme le disait un arrêt ancien, « le résultat d'une conception de l'esprit née de la pensée de son auteur avant d'être réalisée 5 6 ». On a pu regretter cette extension qui aboutit à protéger n'importe quelle création de forme, même s'agissant des objets les plus courants et les plus utilitaires, et dans lesquels, écrit M. Plaisant, « on cherche vainement l'originalité esthétique sur laquelle se fonde la propriété littéraire et artistique 5 7 ». S'agissant notamment d'un panier à salade en matière plastique, la Cour de Cassation, rejetant un pourvoi formé contre la Cour d'Appel d'Amiens, a pu estimer que l'emploi d'une telle matière apporte à cet objet « une présentation nouvelle et originelle agréable à l'œil, se distinguant nettement de celle antérieurement connue et qu'il s'agit là d'une idée créatrice susceptible d'être protégée », la forme n'étant pas au surplus, en l'espèce, inséparable du caractère fonctionnel du panier à salade et du résultat industriel recherché 58 . Les exemples d'un tel libéralisme ne manquent pas dans la jurisprudence française. Il suffit de citer la protection accordée à titre de modèle à la 54. Paris, 1 " avril 1957, D, 1957, 436. 55. Cass., 23 juin 1959, D, 1959, 384 ; v. également Paris, 6 juin 1934 ; Trib. civ. Seine, 31 mai 1944, D , 1946, p.

117, note H .

DESBOIS.

56. Amiens, 20 avril 1912, dans Annales, 1913, 10. 57. R. PLAISANT, note sous Cass. crim., 30 octobre 1963, }. C. P., 1964, II, 13950. 58. Cass. crim. précité, sur renvoi Cass. crim., 2 mai 1961, J- C. P., II, 12242, et Cour d'Amiens, 4 mai 1962, J. C. P., I, 1962, J. C. P., II, 12821, Àymond.

50

Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

forme hexagonale d'une tête de graisseur 5 9 , de même pour un modèle de douille et de culot de lampe 60 , ou pour un porte-bagages de scooter 61 . Depuis 1957, peu d'arrêts encore ont eu à appliquer ces solutions dans le cadre de la loi nouvelle. La première décision qui ait eu à le faire à notre connaissance est un arrêt de la Cour de Paris du 17 mars 1962 62 , rendu à propos d'un lit-fauteuil de relaxation dont le modèle déposé était nul par suite de l'impossibilité de discerner sur la photographie jointe au dossier, les caractéristiques de forme de l'objet. Ecartant de ce chef l'application de la loi de 1909, l'arrêt retient celle du 11 mars 1957 dès lors qu'une telle création constitue un « groupement d'éléments de forme gratuite et indépendante d'un effet technique » et alors même que cette forme utilitaire constituait en même temps une invention brevetable. Moins intéressant à cet égard, mais aussi net en ce qui concerne l'application de la loi de 1957, est un autre arrêt de la Cour de Paris 63 , décidant qu'une brosse à cheveux dont la forme particulière, mince et effilée, répond, non pas à des préoccupations utilitaires, mais à une recherche d'originalité et de nouveauté dans l'aspect, constitue en raison de sa seule originalité une œuvre des arts appliqués protégée à ce titre par la loi de 1957 64 . La Cour de Cassation vient, à son tour, de confirmer ce point de vue dans l'un de ses derniers arrêts concernant l'application de la loi du 11 mars 1957 à des dessins afférents à une automobile à l'étude, parus dans un journal automobile. « Attendu, dit la Cour, que l'art. 2 de ladite loi énonce que ses dispostions protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ; que l'art. 3 précise que sont considérées notamment comme œuvres de l'esprit au sens de ladite loi les œuvres des arts appliqués ; qu'ainsi la loi du 11 mars 1957 est applicable à un dessin qui, comme en l'espèce, présente un caractère de recherche esthétique et de nouveauté, même si ce dessin a pour destination une application industrielle 8 5 . » La jurisprudence ne semble donc pas devoir modifier sa tendance traditionnelle dans le cadre de la loi de 1957, et le principe de l'application 59. Cass., 27 février 1957, dans Prop. ind., 1957, 398. 60. Cass., 16 janvier 1957, dans Annales prop. ind., 1957, 304. 61. Paris, 8 déc. 1959, D, 1962, 163, note Greffe ; v. également Angers, 10 oct. 1960, D, 1961, 79, note Greffe ; Cass. crim., 10 oct. 1961, D, 1961, 53 ; Douai, 19 janvier 1962, J. C. P., 12.645, note Greffe. 62. Paris, 17 mars 1962, J. C. P., 1963, 13401, note de J.-M. Mousseron. 63. Paris, 23 nov. 1963, D, 1964, 291, note Greffe. 64. V. aussi Aix-en-Provence, 21 octobre 1965, D 1966-70, note Greffe, admettant que les compositions publicitaires peuvent être protégées par la loi de 1957 comme toute création, le jugement infirmé en ayant, au contraire, réservé l'application aux œuvres picturales. 65. Cass. crim., 22 juin 1967, Gaz. Pal., 27 octobre 1967.

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indistincte du régime des droits d'auteur à toute création de forme appliquée à l'industrie paraît toujours aussi solidement établi. La solution, qu'on peut donc considérer comme restant celle du droit positif français, ne rallie cependant pas l'unanimité de la doctrine qui la juge souvent « trop absolue et non conforme à la réalité 6 6 ». On a pu faire observer que l'interprétation des textes ne devait pas conduire nécessairement à poser le principe de l'identité absolue du domaine d'application des deux lois. Pour certains auteurs, le critère retenu par la loi de 1909 pour admettre la protection n'est pas le même que celui qu'adopte la loi sur la propriété artistique. Cette dernière s'attacherait à l'originalité esthétique alors que la première ne prend en considération que la nouveauté. O r il est certain, constate notamment M . Plaisant, qu'une création « peut être nouvelle du point de vue commercial sans présenter aucune originalité esthétique ; tel est le cas lorsqu'une création artistique pure est transposée sans modification sensible dans le domaine des arts appliqués ». Le cumul ne devrait par suite être admis que d'une manière limitée. On éviterait ainsi une « confusion des genres qui est contraire tant à la logique qu'à la technique de la bonne interprétation 67 ». M. Duchemin se range à son tour au même point de vue et rejette l'idée d'une coïncidence totale des deux lois, estimant qu'il y a des cas où les lois de 1793-1902, qui n'exigent pas la nouveauté comme la loi de 1909, peuvent être seules invoquées, celui par exemple d'un tissu qui serait une copie comportant un élément de personnalité de l'auteur de la copie 6 8 . C'est aussi la thèse éminemment soutenue par M. Desbois qui, après avoir mis en relief la différence entre la nouveauté des dessins et modèles et l'originalité requise en matière de droit d'auteur, conclut que « si toute œuvre d'art appliquée à l'industrie, tout dessin ou modèle bénéficie du régime des droits d'auteur selon la loi du 11 mars 1957, il n'est pas certain que par voie de réciprocité toute œuvre qui donne prise au statut de la propriété artistique puisse être placée sous l'égide de la loi du 14 juillet 1909 69 ». Il est à remarquer toutefois que ces conceptions n'entament pas réellement la thèse de l'unité de l'art ; ce n'est qu'à travers la condition de 66. Cf. R. PLAISANT, article précité, dans Droit d'auteur, 1957, p. 163. L'auteur observe que le libéralisme de la jurisprudence la conduit parfois, en retour, à faire preuve d'une certaine rigueur dans l'appréciation de la contrefaçon. 67. Ci. PLAISANT, « La Protection des œuvres d'art appliqué à l'industrie », dans Rev. droit d'auteur, 1964, p. 96. 68. Cf. DUCHEMIN, « La Protection des modèles d'art appliqué à l'industrie », dans Rev. intera, dr. auteur, 1953, 101. 69. Cf. H. DESBOIS, « Le droit d'auteur », 2' éd., p. 105-107.

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nouveauté qu'on parvient à découvrir quelques raisons de différencier le champ d'application des deux lois. La jurisprudence, pour sa part, reste fermement attachée au principe du cumul pur et simple, qu'elle pousse, nous l'avons vu, dans ses conséquences les plus extrêmes. On ne peut guère citer, à l'encontre de cette orientation qui semble décisive, qu'un seul arrêt de la Cour d'Appel de Paris qui rejette l'application de la loi sur la propriété artistique pour des pièces détachées servant au montage de stores, au motif qu'elles n'offrent pas un caractère ornemental qui les rapproche des créations artistiques. Les termes de l'arrêt sont, à cet égard, intéressants à relever : « Considérant, dit la Cour, qu'appliquer les règles tutélaires de la propriété littéraire et artistique à toutes les créations de dessins industriels sous le seul prétexte qu'ils concernent des objets de forme nouvelle et originale serait aller à l'encontre de la logique et du bon sens ; « Que la loi est claire et se suffit à elle-même ; que manifestement le législateur n'a voulu protéger par les lois de 1793 et 1902 que les créations de caractère artistique et rien de plus ; « Qu'il n'est pas superflu d'ajouter qu'en matière de monopole, assorti d'une sanction pénale, on doit, plus qu'en toute autre matière, se garder d'une extension abusive de la l o i 7 0 . » Mais de telles décisions demeurent, pour l'instant, tout à fait dissidentes. Tout en dénonçant les abus auxquels conduit parfois le système du cumul pur et simple de protection, on s'accorde à lui reconnaître l'avantage de la simplicité et surtout l'intérêt de permettre l'élimination des appréciations fantaisistes et arbitraires qu'implique inévitablement la recherche de l'élément artistique.

Section IV Autres problèmes de frontières résultant de la coexistence des différents

régimes de protection

S'il apparaît aujourd'hui à peu près certain que le domaine de la loi de 1909 se trouve intégralement absorbé dans celui de la loi de 1957, ce serait une faute de logique que d'en conclure à l'identité nécessaire de leur 70. Paris, 21 novembre 1958, dans Prop. ind., 1959, p. 51.

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champ d'application. Certes, la loi sur les droits d'auteur protège tout ce qui entre dans le cadre de la législation des dessins et modèles, mais ceci ne suffit pas à trancher deux questions que l'on peut encore, à juste titre, se poser et qui soulèvent, semble-t-il, de délicats problèmes de frontière.

1. Le cumul de la loi sur la propriété artistique et de la législation sur les brevets d'invention On peut tout d'abord se demander si la protection des droits d'auteur peut être accordée lorsque celle des dessins et modèles se trouve exclue au profit du régime des brevets. La loi de 1909 a, en effet, expressément prévu dans son article 2, al. 2 e , le non-cumul de ses dispositions avec celles de la loi sur les brevets en cas d'inséparabilité des éléments de forme et des éléments de l'invention : « Si le même objet peut être considéré comme un dessin ou modèle nouveau et comme une invention brevetable et si les éléments constitutifs de la nouveauté de dessin sont inséparables de ceux de l'invention, ledit objet ne peut être protégé que conformément à la loi du 5 juillet 1844 71 . » Rien n'autorise dans les textes à étendre cette disposition à la loi de 1957 qui ne comporte aucune réserve de ce genre. Le principe du cumul entre les lois sur la propriété artistique et celle des dessins et modèles ne justifie pas leur assimilation au regard d'une condition qui n'est expressément posée que pour cette dernière 7 2 . Néanmoins, la plupart des auteurs rejettent sans hésitation l'idée d'une solution différente pour la protection conférée au titre des droits d'auteurs. Cela va de soi pour ceux qui, tirant argument de la rédaction même du titre de la loi, n'admettent son application que pour les dessins et modèles présentant un certain caractère artistique 7 3 . On peut, en effet, estimer qu'il ne saurait y avoir de nature véritablement artistique si la forme est indissociablement liée à la production d'un résultat industriel, encore qu'une telle affirmation soit peut-être discutable dans certaines hypothèses. Mais, même parmi les défenseurs de la théorie de l'unité de l'art, l'idée demeure que les créations de forme à caractère utilitaire qui ne peuvent 71. Sur la distinction des brevets d'invention et des dessins et modèles et le critère permettant d'apprécier l'inséparabilité, v. infra, 2 e partie, chap. II. 72. Cf. la note précitée de J.-M. MOUSSERON, J. C. P., 1963, II, 13401 ; Contra, P. GREFFE, note sous crim., 8 mars 1962, D, 1962, 502. 73. Cf. notamment P. CARTERON, « Les confins du modèle et du brevet d'invention », Mélanges Plaisant, p. 21 ; P. MATHÉLY, « Commentaire analytique de la loi du 11 mars 1957 », dans Annales prop. ind., 1958, 43.

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être protégées par le droit des dessins et modèles, en raison de leur caractère indissociable d'une invention industrielle, ne peuvent l'être davantage par celui de la propriété artistique. Tel est notamment le point de vue de Roubier se fondant sur l'idée que les deux lois ont un domaine identique et ne protègent que des créations ornementales 7 4 . M. Desbois aboutit à la même réponse négative, bien qu'il ne retienne pas l'identité du champ d'application des deux législations : « Aucune création de forme utilitaire, écrit-il, qui relève du régime des brevets d'invention ne peut bénéficier de la protection des dessins et modèles, ni des droits d'auteurs 7 5 . » La jurisprudence admet le même point de vue en se référant généralement à l'art. 2, al. 2 e , de la loi de 1909 que les décisions estiment applicable par analogie à la loi sur la propriété artistique 7 6 . Seuls quelques arrêts « décrochent, comme l'observe M. Mousseron, les rapports entre propriété artistique et brevets de l'inutile référence à l'art. 2 , al. 2 e 7 7 ». On est sans doute en présence d'une règle purement jurisprudentielle dont le fondement ne repose, en réalité, sur aucun texte. L'application rigoureusement logique du principe du cumul entre les lois sur la propriété artistique et les dessins et modèles devrait, au contraire, conduire à la solution inverse. Comme le fait observer M. Chabaud (qui y voit d'ailleurs une critique supplémentaire à la théorie du cumul), puisque la loi sur la propriété artistique ne prévoit nulle part que l'élément artistique de l'œuvre puisse être indissociable des éléments constitutifs d'une invention brevetable, rien ne doit empêcher celui qui se voit privé d'un dépôt au titre des dessins et modèles de requérir la protection sur le terrain de la loi de 1957 7 8 . En réalité, l'exclusion de la loi de 1957 repose sur le postulat qu'une forme dont la destination est utilitaire ne peut en même temps remplir les exigences d'ordre esthétique que requiert la loi sur la propriété artistique. Mais toute la question est précisément de savoir si certaines formes de caractère ornemental ne peuvent pas être indissolublement liées à un résultat industriel. La chose ne paraît pas, a priori, inconcevable. Prenons 74. Cf.

ROUBIER,

75. C f .

H.

op. cit., t. II, p. 405, note 1.

DESBOIS,

op.

cit.,

p.

123.

76. V. notamment Cass. crim., 31 octobre 1962, dans Bull, cass., n° 301, p. 10 novembre 1930, dans Annales propr. ittd., 1930, 119 ; Paris, 4 juin 1958, prop. ind., 1959, 281. 77. Cf. note précitée sous Paris, 17 mars 1962 ; v. également Cass. crim., 30 précité, note R. PLAISANT. 78. Cf. CHABAUD, « La protection légale des dessins et modèles », 1913, p.

625 ; Rennes, dans Annales octobre 1963, 179.

Cumul de protection en droit français

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par exemple l'affaire classique des cartes à jouer à bouts arrondis et dorés pour lesquelles la brevetabilité a été admise 79 . Il y a bien là, incontestablement, un effet ornemental nouveau. Une telle création de forme présente indéniablement un intérêt pour le goût et suscite une impression esthétique nouvelle. Néanmoins, elle ne peut être protégée à titre de modèle et ne constitue qu'une invention brevetable parce que le résultat utilitaire (en l'espèce la plus grande facilité de maniement des cartes, la diminution de l'usure et des risques de fraude) n'est obtenu que grâce à cette forme particulière. L'inséparabilité de la forme et du résultat est, ici, certaine et le régime des brevets doit sans doute l'emporter sur celui des dessins et modèles. Mais il n'empêche que l'effet esthétique et ornemental existe aussi à côté de l'avantage utilitaire. Peut-être n'a-t-il pas été recherché spécialement par le créateur, mais, même obtenu de manière fortuite, il n'en est pas moins acquis et la protection de la propriété artistique ne semble pas déplacée. On n'a pas, en effet, à retracer la genèse de la création pour savoir si le travail de l'auteur a été inspiré ou non par une pensée artistique (bien des effets artistiques sont le fruit du hasard et sont obtenus sans recherche intentionnelle). Il suffit, pour justifier la protection, qu'une création ornementale soit réalisée, quelles que soient les voies qui y ont conduit. L'idée ne paraît donc pas insoutenable, sur le terrain logique, d'admettre le bénéfice de la propriété artistique, alors qu'en raison de l'impossibilité de dissocier la forme de la fonction technique la protection à titre de modèle a disparu. Mais il est vrai que la justification profonde du non-cumul édicté par l'art. 2, al. 2 e , de la loi sur les dessins et modèles demeure la même au regard de la loi sur la propriété artistique : on ne veut pas permettre de tourner les dispositions de la loi sur les brevets par le biais d'une législation plus souple, conférant surtout une protection de plus longue durée. Cette raison est, a fortiori, valable pour le régime de la propriété artistique qui joue en l'absence de toute formalité et prolonge la protection au-delà de la vie de l'auteur. C'est sur cet argument que se fondent précisément certaines décisions 80 . Mais il n'en demeure pas moins que la solution, pour fidèle qu'elle soit à l'inspiration du législateur, pose une limite purement prétorienne au champ d'application de la loi de 1957.

79. Cass., 26 janvier 1866, D, 1866, I, 357. 80. Notamment Paris, 4 juin 1958, précité.

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2. Le domaine de la loi sur les dessins et modèles recouvre-t-il celui de la loi sur la propriété artistique ? Une deuxième question vient à l'esprit lorsqu'on a admis que tout ce qui est protégé au titre des dessins et modèles l'est aussi au titre des droits d'auteur : celle de savoir si la réciproque peut être posée et si toutes les créations de forme bénéficiant de la propriété artistique peuvent également prétendre à la protection des dessins et modèles. En d'autres termes, suffit-il aux artistes d'accomplir les formalités de dépôt de la loi de 1909 pour bénéficier de ce régime ? M. Desbois, pour sa part, met en doute une telle possibilité, estimant que le domaine de la loi de 1909 n'est pas aussi large que celui des lois de 1793 et de 1957 sur la propriété artistique. Il n'y a pas en effet, à son sens, de contradiction à admettre « d'une part que toute création qui relève du statut des dessins et modèles peut être placée sous l'égide de la loi de 1793 et, d'autre part, que toute oeuvre protégée par la loi de 1793 n'est pas apte à bénéficier de celle de 1909 8 1 ». Il ne faut pas perdre de vue que le régime institué par la loi de 1909 au profit des dessins et modèles est un régime complémentaire et spécial qui se superpose au régime du droit commun que constitue la loi sur la propriété artistique. Il n'y a donc rien de surprenant à ce qu'il édicté une condition plus rigoureuse. Or, c'est précisément à travers l'exigence de la nouveauté que M. Desbois met en lumière cette condition particulière. La loi sur la propriété artistique n'exige pas la condition de nouveauté proprement dite. Seule est prise en considération l'originalité, c'est-à-dire le caractère personnel de l'exécution ou mieux, en matière d'art figuratif, « l'expression personnelle d'une vision ». Il en résulte que de simples copies peuvent bénéficier du droit d'auteur dans la mesure où elles comportent l'empreinte personnelle de l'auteur, ce qui n'implique pas autre chose que l'absence de reproduction mécanique 82 . L'article 2 de la loi de 1909 fait, au contraire, de la nouveauté la condition expresse de la protection au titre des dessins et modèles. Il est évident que si cette nouveauté est entendue de manière objective, au sens d'absence d'antériorité, elle réduit considérablement le domaine de la loi de 1909 par rapport à celui de la loi de 1957. Les reproductions serviles d'objets empruntés à la nature ou au domaine public échapperont à la 81. Cf. H. DESBOIS, Encyclopédie juridique Dalloz, di. com., v. Dessins n°' 133 et s. 82. Cf. H. DESBOIS, « Le droit d'auteur » , op. cit., p. 106.

et

modèles,

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protection des dessins et modèles mais bénéficieront de celle des droits d'auteur. Cette absence de réciprocité entre le champ d'application des deux lois s'explique et se justifie par l'inspiration même de la loi de 1909 : en instituant un régime de protection spéciale pour les arts appliqués à l'industrie, le législateur a entendu faire bénéficier ces créations, en raison même de leur destination commerciale, de certaines facilités de preuve qui n'existent pas en matière artistique. C'est pourquoi il a organisé en leur faveur le système du dépôt qui crée une présomption de propriété. « Mais cet avantage, écrit M. Desbois, entraîne une contrepartie. Les arts appliqués à l'industrie ont pour mission de porter à la disposition du plus grand nombre les agréments d'ordre esthétique : il est naturel que l'intérêt des bénéficiaires s'incline devant celui de la collectivité et que la protection soit soumise, dans le cadre de la loi du 14 juillet 1909, à plus de rigueur que sous l'empire de la législation de 1793. De là la condition particulière au régime des dessins et modèles et étrangère au domaine des droits d'auteur : une simple manifestation de personnalité suffira pour ceux-ci, la nouveauté sera exigée pour ceux-là 83 . » On peut néanmoins se demander si l'interprétation de la nouveauté en matière de dessins et modèles, telle qu'elle semble se dessiner dans la jurisprudence actuelle, sans rejoindre peut-être la conception du caractère personnel admise en matière de droit d'auteur, ne tend pas, du moins, à réduire cette différence qui assignerait un domaine plus limité à la loi de 1909 8 4 . Il n'en reste pas moins vrai que le principe de l'unité de l'art ne suppose pas nécessairement la coïncidence parfaite des systèmes de protection, et qu'à travers la condition de nouveauté il reste possible de découvrir quelques failles dans la concordance exacte des deux lois. Ainsi, le système du cumul pur et simple des protections auquel reste attaché le droit français, à la fois par tradition et par souci d'éviter des critères jugés trop dangereux par leur subjectivité, n'est pas, dans son apparente simplicité, exempt de toute difficulté. Il subsiste des franges d'incertitude qu'il importait de ne pas dissimuler dans le souci d'une confrontation impartiale avec les systèmes d'inspiration différente pratiqués dans les législations voisines des pays du Marché Commun.

83. H. DESBOIS, « Le droit d'auteur », p. 125. 84. V. l'évolution sur le concept de nouveauté, infra, 2* partie, chap. I I I .

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

Section V La triple protection des créations de mode Le système de cumul des protections se trouve, en outre, renforcé pour les créations saisonnières de couture et de mode qui bénéficient actuellement en France d'un triple régime : D'une part, comme tout dessin ou modèle, les créations de mode relèvent à la fois de la législation spécifique du 14 juillet 1909 et de la loi sur la propriété littéraire et artistique du 11 mars 1957. D'autre part, pour tenir compte des impératifs propres à ces créations essentiellement fugitives, une loi spéciale du 12 mars 1952 est venue renforcer la protection en instituant, en leur faveur, un régime particulier.

1. Evolution historique Longtemps, il est vrai, les créations de mode s'étaient vues refuser toute protection tant sur le terrain des dessins et modèles où la première loi du 18 mars 1806 leur avait été déclarée inapplicable 8 5 que sur le terrain du droit d'auteur où, malgré l'extension donnée à la loi des 19-24 juillet 1793 et l'élargissement apporté à son champ d'application par la loi du 11 mars 1902, la jurisprudence répugnait à les qualifier d'œuvre artistique 8 6 . Progressivement l'évolution se fit en leur faveur ; timidement d'abord, en établissant une distinction assez arbitraire entre les dessins ou modèles de haute couture dont le caractère artistique semblait plus facile à retenir et les créations de mode plus banales tels que les articles de confection, 85. Cf. en particulier trib. corr. Seine, 14 mai 1897, dans Annales, 1899, 118. « La loi de 1806, malgré son étendue d'application, ne protège pas les articles de mode dont les modèles sont éphémères comme la fantaisie qui les a créés. » De même, trib. civ. Seine, 5 juillet 1860, dans Annales, 1860, 3 9 6 ; Paris, 25 mai 1895, dans Annales, 1895, 152. 86. Cf. ALLARD et CARTERON, « La mode devant les tribunaux », n° 8, trib. civ. Seine, 7 févr. 1908, « Attendu que quels que soient l'élégance et le bon goût des robes, costumes et manteaux, on ne saurait, sans tomber dans l'abus de langage et l'hyperbole, les qualifier d'œuvres d'art et qu'il s'ensuit que si une protection est due au modèle déposé, ce ne peut être que celle de la loi de 1806 ». V. aussi dans le sens du refus de la protection, Cass. 15 mars 1845 ; trib. com. Seine, 23 juill. 1857, dans Annales, 1857, 317 ; trib. civ. Seine, 16 mai 1860, dans Annales, 1860, 425 ; Paris, 25 oct. 1905, dans Annales, 1906, 71 ; Paris, 11 mars 1909, dans Annales, 1909, 234.

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qui continuaient à être exclus du bénéfice de la loi sur la propriété artistique 87 . L'apparition de la loi de 1909 accéléra ce mouvement. Constituant désormais le droit commun des dessins et modèles, il ne pouvait être question d'en exclure les créations saisonnières qui répondaient incontestablement, comme toute création de forme, aux termes très généraux du nouveau texte. Avec le principe de l'unité de l'art qui s'affirme dès cette époque, entraînant l'identité du champ d'application des lois concernant les dessins et modèles et le droit d'auteur, la jurisprudence en vint à protéger indistinctement sur l'un et l'autre terrain, toute création de couture ou de mode revêtant un certain caractère d'originalité 88 . Cette double protection néanmoins semblait encore insuffisante. Dans le cadre de la loi de 1909, l'obligation du dépôt était, en particulier, inadapté à la matière. Le caractère éphémère des créations de mode les dispose mal, en effet, aux exigences et aux frais qu'implique une telle formalité. D'autre part, sur le terrain de la propriété artistique où leur protection est facilitée par l'absence de dépôt, les sanctions de la contrefaçon paraissaient trop douces dans un domaine où le pillage des modèles devient une entreprise systématique et organisée, occasionnant un préjudice irréparable aux créateurs. Ces considérations conduisirent à la proposition d'une loi spéciale dont le rapporteur, M. De Moro-Giafferri, soulignait la nécessité en brossant un tableau suggestif des procédés mis en œuvre pour réaliser les contrefaçons de modèles de mode. « Pendant le défilé des collections, observait-il, au salon de la couturière, une cliente négligemment précise sur un programme un point, des lignes que sa mémoire groupera ensuite. Il y a même des poudriers, des étuis à rouge, des broches et des bracelets qui 87. Cf. notamment Paris, 11 mars 1909, DP 1909, II, 157 ; trib. civ. Seine, 13 janv. 1 9 1 1 , dans L'Art et le Droit, 1 9 1 1 , p. 63 : « Attendu que si, avant la loi du 14 juillet 1909, les lois des 19-24 juillet 1793 pouvaient s'appliquer aux ouvrages de la mode qui constituaient des œuvres d'art, tels que des manteaux, ou robes de cour ou de théâtre, nettement spécialisés par la richesse des étoffes, par la diversité des ornements, par le style, et surtout par l'usage unique auquel ils étaient destinés, elles ne visaient point les modèles qu'au début de chaque saison les couturiers font pour leur clientèle. » Sur l'évolution vers la protection des créations de mode, cf. Colette PIAT, « La protection des créations dans le domaine de la couture et de la mode », 1959, éd. « Comment faire », p. 21 et s. V. aussi Hermine VALABRÈGNE, « La Propriété artistique en matière de mode », thèse, Caen, 1935 ; SIMON, « La haute couture », thèse, Paris, 1933. 88. V. Cass. crim., 9 nov. 1935, dans Annales, 1937, 251 ; 15 avril 1937, dans Gaz. Pal, 1937, II, 201 ; 30 mars 1938, dans Gaz. Pal., 1938, II, 34 ; Paris, 22 juin 1926, dans Annales, 1926, 175 ; 17 déc. 1931, dans Annales, 1933, 110 ; 18 juillet 1934, dans Gaz. Pal., 1934, II, 944 ; 9 novembre 1936, D H , 1937, 42 ; 6 et 11 janvier 1937, dans Annales, 1938, 226 ; trib. corr. Seine, 10 mars 1930, dans Gaz. Pal., 1930, I, 708 ; trib. corr. Seine, 2 5 mars 1954, D, 1954, 268 ; Lyon, 23 déc. 1954, D , 1955, 177, note Greffe.

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

contiennent des appareils à photographier. Le soir, dans l'atelier des contrefacteurs, des mains diligentes, rapidement, reproduiront le chefd'œuvre de l'artiste dépouillée. Quelques transformations, quelques déformations, une broderie supplémentaire, ou supprimée, pour invoquer s'il le faut une différence, et le modèle volé partira pour les marchés lointains qui l'achèteront à un prix vil... On conçoit que la balance d'avantages si importants et si faciles ne puisse pas être limitée au taux des amendes du code pénal. Nous avons le devoir d'organiser une protection efficace au double point de vue de l'échelle des peines et des méthodes d'action 89 . » Le texte, qui fut voté le 12 mars 1952, répondait aux préoccupations particulières des industries tributaires de la mode 90 . Ses dispositions, toutefois, s'ajoutent et complètent celles des deux lois fondamentales, dont l'interprétation jurisprudentielle subiste et ne peut que se trouver raffermie. Pour certains auteurs la justification essentielle de la loi réside d'ailleurs dans la crainte de voir renaître les hésitations qu'avait soulevées dans la pratique judiciaire la protection des créations de mode. Tel est notamment le point de vue de M. Plaisant qui considère que c'est surtout le principe de l'unité de l'art et les incertitudes qu'il fait naître qui légitime cette protection spéciale. « On peut penser, écrit-il, que les titulaires de droits sur les créations de mode redoutaient toujours une interprétation stricte refusant la protection pour défaut d'originalité à de nombreuses créations 91 . »

2. Conditions d'application de la loi du 12 mars 1 9 5 2 a. Objets

protégés.

Les créations visées par la loi sont précisées par l'article 2 qui définit les industries saisonnières de l'habillement et de la parure comme étant « celles qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits ». Le texte fournit ensuite une énumération de ces industries qui sont « notamment, la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique des tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture et les productions des paruriers et des bottiers ». 89. Rapport de M. DE MORO-GIAFFERRI, annexe au procès-verbal de séance de l'Assemblée Nationale du 26 juillet 1951. 90. Sur les raisons d'être de la protection spéciale de la loi de 1952, cf. VAUNOIS, « Droit d'auteur », 1953, 20 ; v. aussi Jurisclasseur com., annexe, Dessins et Modèles, fasc. VII, par François GREFFE, n°' 16 et s.

91. Cf. R. PLAISANT, « La Protection des arts appliqués, besoins nouveaux, idées nouvelles », dans Propr. ini., 1957, p. 163.

Cumul de protection en droit français

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Le domaine d'application de la loi apparaît ainsi extrêmement large, d'autant que l'énumération de l'article 2 ne saurait être considérée comme limitative en raison même de l'expression « notamment » par laquelle elle débute, indiquant ainsi qu'il ne s'agit que d'exemples. Cette possibilité d'extension à toutes les créations susceptibles de se développer dans le domaine de la mode est dans l'esprit de la législation de 1952 qui a entendu protéger non seulement les modèles de la haute couture « mais toute la production des industries annexes 9 2 ». Toutefois la jurisprudence a manifesté, à l'origine, une certaine réticence à cet égard par l'interprétation restrictive qu'elle a donnée à la formule même du texte. Io Le caractère

saisonnier.

C'est tout d'abord dans l'appréciation du caractère « saisonnier » qui figure expressément dans l'article 2 qu'elle a cru pouvoir réduire le champ d'application de la loi. Considérant que les industries saisonnières sont celles « qui renouvellent fréquemment la forme de leurs produits », les tribunaux en ont conclu que la protection spéciale établie par la loi ne pouvait subsister que pendant la durée d'une saison. Le terme « saisonnier » implique, disent certaines décisions, « une notion de brièveté, de fugacité 9 3 », de telle sorte que la protection légale « ne peut logiquement porter effet que durant un laps de temps relativement court 9 4 ». Ainsi a-t-il été jugé qu'au bout de 18 mois ou 2 ans, un modèle de vêtement n'est plus nouveau et tombe dans le domaine public 9 5 . On a fait très justement remarquer que la durée d'application de la loi, non prévue par le législateur, ne pouvait en tout cas porter atteinte à la durée normale du droit d'auteur (car la loi de 1952 déclare elle-même qu'elle joue « dans le cadre de la protection assurée aux droits d'auteur et aux dessins et modèles par la législation en vigueur » ; art. 1 e r ), pas plus qu'à la durée de la prescription pénale qui reste celle du droit commun, c'est-à-dire 3 ans pour les infractions délictuelles 9 6 . Une jurisprudence plus récente semble se départir de la rigueur initiale. Les décisions tendent à admettre aujourd'hui que la protection de la loi de 1952 subsiste tant que les modèles continuent à avoir les faveurs de la clientèle, ce qui revient à dire qu'ils sont protégés tant qu'ils sont susceptibles d'une exploitation effective. C'est ainsi qu'un arrêt de la Cour 92. Cf. BOUZAT, « Droit pénal des affaires », dans Rev. Irim. dr. com., C. PIAT,

93. 94. 95. 96.

op.

cit.,

p.

54.

Trib. corr. Seine, 12 janv. 1957, D, 1957, 142. Trib. com. Nice, 6 février 1953, D, 1953, 216. Trib. corr. Seine, 15 nov. 1957, D, 1958, som., p. 30. Cf. Jurisclasseur précité, fase. VII, n° 31-32.

1952, 652 ; et

62

Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

de Paris déclare en des termes très nets que « la protection de la loi, selon l'intention du législateur, manifestée dans les travaux préparatoires, s'étend au-delà des limites d'une simple saison afin de permettre au créateur de recueillir les fruits de son travail 97 ». Cet arrêt a été confirmé par la Cour de Cassation qui relève à son tour que « certaines créations de la mode répondant aux goûts et aux besoins de la clientèle maintiennent leur vogue pendant plusieurs années 98 ». Dans une autre espèce, elle consacre plus fermement encore le principe selon lequel les créations de mode doivent être protégées pendant tout le temps où le modèle conserve son originalité, la loi n'ayant nullement « restreint au seul temps d'une saison la durée de cette protection 9 9 ». 2° Le caractère

artistique.

La jurisprudence a également trouvé dans le terme de « création artistique » utilisé par le législateur une autre possibilité pour réduire la portée du texte. Cette expression figure, en effet, expressément dans l'article 3 qui vise la contrefaçon : « La reproduction par un tiers, non régulièrement autorisé par l'auteur ou ses ayants droit, d'une création artistique ressortissant au domaine des industries visées à l'article 2 constitue une contrefaçon. » Les tribunaux ont pu parfois en déduire l'exigence du caractère artistique pour la protection des créations de mode. Il a été jugé notamment que des articles de confection ne répondaient pas à cette condition, le caractère artistique ne pouvant résulter, selon les termes d'une décision, que « des qualités propres à un produit tenant à ses éléments intrinsèques et qui en font un objet exceptionnel, ne comportant aucune commune mesure avec les produits de même nature ou de même genre existant dans le commerce 100 ». On s'est élevé à juste titre contre une telle interprétation qui va, sans doute, à l'encontre de l'intention du législateur et remet en cause le principe de l'unité de l'art 1 0 1 . « La loi du 11 mars 1952, a-t-on fait observer, destinée essentiellement, ainsi que l'indiquaient ses auteurs, à protéger ce qu'on appelle communément l'article de Paris, n'était certes pas réservée aux créations artistiques stricto sensu ; il semble que le terme « artistique » ait simplement constitué une indication destinée à éliminer 97. Paris, 23 oct. 1958. 98. Cass., 7 octobre 1959, D, 1959, 596. 99. Cass., 12 mars 1958, D, 1958, 511, confirmant un arrêt de la Cour d'Aix du 27 oct 1953, D, 1953, 704. 100. Trib. corr. Seine, 15 novembre 1957, D , 1957, som., p. 3 0 . Dans le même sens, v. trib. corr. Seine, 12 janvier 1957, dans Gaz. Pal., 1957, I, 224 101. Cf. sur ce point Jurisclasseur précité, F . GREFFE, fasc. V I I , n° 44.

Cumul de protection en droit français

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les créations de caractère purement industriel, à moins que le législateur n'ait voulu établir une distinction entre la protection civile et la protection pénale des industries saisonnières puisque le terme « artistique » n'est employé que dans l'article 3 de la loi visant précisément la contrefaçon ; on peut regretter, en toute hypothèse, qu'il n'ait pas été suffisamment explicite, ouvrant ainsi les voies à une nouvelle jurisprudence rompant avec le droit prétorien antérieur 1 0 2 . » La Cour de Cassation semble toutefois réagir dans ses derniers arrêts contre une telle tendance en assimilant le caractère artistique à la condition d'originalité. « Attendu, dit-elle notamment, qu'il est vraiment prétendu que les modèles copiés n'étaient pas des créations originales protégées par la loi du 12 mars 1952 ; ... que les modèles étaient nouveaux, élégants et soignés, ce qui fait ressortir le caractère artistique au sens de la loi du 12 mars 1952 103 . » Il est probable, comme l'observe très justement M. François Greffe, que la difficulté particulière que l'on éprouve en la matière à apprécier l'originalité par suite de l'inspiration commune de tous les modèles en vogue, a pu inciter le législateur à se servir du terme « artistique » auquel il ne doit pas être prêté d'autre signification que celle d'une originalité plus stricte, peut-être, que dans le domaine habituel des dessins et modèles 104 . b. La condition de

nouveauté.

La condition de nouveauté exigée par la loi de 1952 pour bénéficier de la protection paraît, à la lecture du texte, plus rigoureuse que celle des dessins et modèles en général. L'alinéa 2 de l'article 3 précise, en effet, « qu'une reproduction, même déguisée sous une déformation d'ordre secondaire, suffit à constituer le délit, dès l'instant où l'originalité créatrice du modèle contrefait s'en trouve usurpée ». Cette rigueur semble contraster avec la jurisprudence antérieure qui tendait au contraire à se montrer plus libérale dans l'appréciation de la nouveauté des créations de mode, estimant que tous les modèles en vogue, 1 0 2 . C . PIAT, op.

cit.,

p.

59.

103. Cass., 7 octobre 1959, D, 1959, 597 ; dans le même sens, Cass. civ., 12 mars 1958, D, 1958, 511 ; Paris, 23 octobre 1958, D, 1958, 737, et Annales, 1959, p. 230, note C. PIAT ; Aix, 27 oct. 1953, dans Annales, 1953, p. 301, note R. PLAISANT. 104. Cf. François GREFFE, Jurisclasseur précité, fasc. VII, n° 50 : « C'est sans doute à cause de cette difficulté d'appréciation que le législateur s'est servi du terme « artistique », attirant ainsi l'attention du juriste. La mode, en effet, appartient dans une large mesure au domaine public. Pour reconnaître la nouveauté ou la refuser, il est nécessaire que la création se différencie très nettement de ses similaires sous peine d'attribuer à un seul ce qui est le bien de tous. »

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

contraints de s'inspirer des lignes générales de la mode, présentaient nécessairement une certaine ressemblance. La nouveauté était, en conséquence, recherchée dans les différences de détails, les particularités secondaires de la création 105 . En réalité, la loi de 1952 n'a pas modifié cette attitude. La nouveauté continue à s'apprécier, abstraction faite des imitations qui découlent de l'inspiration commune caractérisant les modèles, surtout dans le domaine de l'habillement, pendant la durée d'une saison. Il suffit de relever, à cet égard, les termes très nets d'un arrêt de la Cour de Lyon, admettant au bénéfice de la protection un modèle de chaussure que les premiers juges avaient estimé dépourvu de nouveauté. « S'il est plus particulièrement délicat, observe la Cour, d'appliquer ces principes (de la nouveauté) aux produits issus des industries saisonnières de l'habillement telle la chaussure, où les fabricants sont tenus de s'inspirer du goût du moment, il n'en demeure pas moins qu'un modèle, tout en participant à la ligne de la mode par ses caractéristiques générales, peut cependant présenter un caractère de nouveauté par le seul fait d'une conception plus harmonieuse, obtenue la plupart du temps au prix d'une organisation technique entraînant des frais considérables ; que pour rechercher cet élément fondamental de nouveauté, le juge ne saurait procéder de manière analytique en examinant le modèle dans ses éléments isolés, mais de façon synthétique en l'appréciant dans son ensemble, c'est-à-dire dans sa physionomie propre et par comparaison aux antériorités opposées 106 . » On en reste ainsi à une conception extrêmement relative de la nouveauté en ce domaine. La protection des articles de mode, comme l'a si bien souligné Roubier, « sera toujours gênée par ce fait que la mode, au sens propre du mot, a un caractère quelque peu collectif et que, pendant une période de temps correspondant à cette mode, les modèles ont bien toujours quelques ressemblances générales. On retombe alors dans cette idée que le genre ou le type de fabrication ne peut être protégé, mais seulement certains détails, car on ne pourra poursuivre un contrefacteur simplement parce qu'il aura suivi la mode ; il faudra une reproduction presque servile de la création envisagée pour qu'on puisse parler de contrefaçon 107 . 105. Cf. GREFFE et CASALONGA, op. cit., 2E éd., p. 85. Sur la jurisprudence illustrant cette tendance, v. notamment Paris, 18 juillet 1934, dans Gaz. Pal., 1934, II, 295, concl. av. gen. Guyenot; Trib. civ. Seine, 14 février 1922, dans Annales, 1922, 110; Trib. corr. Seine, 4 déc. 1911, la loi 5 déc. 1911 ; Trib. civ. Nice, 15 févr. 1922, dans Gaz. Trib., 5 sept. 1922 ; Paris, 31 oct. 1951, dans Annales, 1951, 297. 106. Lyon, 23 décembre 1954, D, 1955, 177, note Greffe, et Annales, 1955, p. 182 ; cf. C. PiAT, op. cit., p. 69. Dans le même sens, v. Aix précité, 27 oct. 1953 ; Paris, 28 juin 1955, dans Annales, 1955, 144 ; Paris, 3 janv. 1956, dans Annales, 1956, 262 ; Paris, 12 juin 1956, dans Annales, 1956, 258. 107. V . ROUBIER, op. cit.,

t. I I , p. 427.

Cumul de protection en droit français

65

c. L'absence de dépôt. La loi de 1952 ne fait aucune mention du dépôt pour les créations qu'elle entend protéger. Il ne semble guère douteux, malgré certaines affirmations contraires108, qu'on ait entendu soustraire les dessins et modèles de mode à cette obligation souvent lourde et peu pratique en un domaine où les créations n'ont qu'une durée très éphémère 1 0 9 . Le silence du législateur à cet égard s'explique peut-être par l'allusion qu'il fait au caractère artistique de la création, plaçant ainsi les conditions générales de la protection dans le cadre des lois de 1793-1902 sur la propriété artistique plutôt que dans celui de la loi de 1909 n o . La question d'ailleurs ne semble pas avoir été soulevée en jurisprudence. Rien ne permet de penser que cette formalité spéciale à la loi de 1909 ait été implicitement transposée dans la loi de 1952 dont le but a été, précisément, de renforcer et de faciliter la protection en tenant compte des impératifs propres aux industries de la mode. Le dépôt reste évidemment toujours possible et conserve son utilité sur le terrain de la preuve où il constitue une présomption d'antériorité dont l'intérêt n'a pas à être souligné sur le plan pratique.

3. Les règles spécifiques de la contrefaçon Les créations de mode sont, comme on l'a souligné, la terre d'élection de la contrefaçon. Des entreprises en vivent et la pratiquent de la manière la plus organisée, souvent d'ailleurs avec la complicité des employés de l'auteur. Des règles spéciales s'imposaient par suite, pour la réprimer plus efficacement. Ce fut là l'œuvre essentielle de la loi de 1952. La contrefaçon est, tout d'abord, définie d'une manière très large par l'article 2 qui envisage toute reproduction, même si celle-ci se dissimule sous des différences habiles. En outre, les faits assimilés à la contrefaçon sont précisés par l'article 4 qui, levant ainsi certaines hésitations qui avaient pu surgir sous l'empire de la loi de 1909, punit expressément la contrefaçon réalisée « en vue de la vente ainsi que l'exposition, la mise en vente, le débit, l'introduction sur le territoire douanier ou l'exportation de produits réputés contrefaits ». 108. Cf. en ce sens P. BOUZAT, précité, dans Rev. trim. dr. com., 1952, 652. 109. Cf.

ROUBIER e t CHA VANNE, d a n s Rev.

1 1 0 . Cf.

ROUBIER, traité, op.

p. 78.

cit.,

t . I I , p.

trim.

dr.

com.,

1 9 5 2 , p . 3 3 6 ; C . P U T , op.

428.

3

cit.,

66

Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

Le délit est constitué quel que soit le mode de reproduction et même s'il ne s'agit que de croquis ou patrons 1 1 1 . Outre une règle de compétence dérogatoire au droit commun permettant de saisir la juridiction du lieu où le demandeur possède son exploitation 1 1 2 , les dispositions les plus caractéristiques concernent l'organisation de la saisie-contrefaçon et l'aggravation des sanctions. Une procédure nouvelle de saisie est tout d'abord prévue par l'article 10 qui donne compétence au commissaire de police ou au juge de paix (aujourd'hui juge d'instance) sur simple réquisition de l'intéressé, supprimant ainsi la nécessité d'une ordonnance de référé. Ces règles, qui sont d'ailleurs les mêmes que celles de la saisie-contrefaçon dans la loi de 1793, se doublent de larges pouvoirs accordés au juge des référés (c'est-à-dire au président du tribunal de grande instance) qui peut rapporter la saisie ou en cantonner les effets, désigner un administrateur pour exploiter l'œuvre ou encore fixer un délai qui ne pourra pas excéder 30 jours pour saisir la juridiction compétente 1 1 3 . Mais c'est surtout dans la possibilité de pratiquer la saisie en dehors des heures ouvrables que se manifeste l'intérêt de la loi nouvelle. Pour les raisons exposées par le rapporteur de la l o i 1 1 4 , il fallait autoriser les saisies de nuit. Le juge d'instruction pourra donc, aux termes de l'article 10, al. 4, sur plainte avec constitution de partie civile, opérer en dehors des heures légales la saisie « des objets prétendus contrefaits et plus généralement de tous documents ou instruments ayant pu servir à la perpétration du délit ». La répression de la contrefaçon est également plus sévère. Les sanctions pénales sont considérablement aggravées. Les peines d'amende sont plus élevées : elles peuvent aller jusqu'à 12 000 F (ou 20 000 F en cas de récidive) et s'accompagner d'un emprisonnement de 3 mois à 2 ans (art. 425 du code pénal et art. 5 de la loi de 1952). La qualité d'employé constitue une circonstance aggravante qui fait encourir, outre l'amende, une peine de 1 à 3 ans de prison si le contrefacteur est, ou a été, depuis moins de 5 ans au service de l'auteur de la création contrefaite (art. 6). Tout provocateur est puni des mêmes peines. La loi prévoit également des sanctions complémentaires telles que la fermeture temporaire ou définitive des établissements exploités par les 111. V. notamment Paris, 21 février 1956, dans Annales, 1956, 243 ; Paris, 1 e r avril 1957, dans Gaz. Pal., 1957, II, 144. 112. Art. 4, al. 3 : « Le délit sera présumé commis au lieu où se trouve située l'exploitation de la partie lésée. » 113. Ces dispositions auraient l'avantage de dissiper les doutes qui avaient pu surgir en matière de contrefaçon artistique sur l'étendue des pouvoirs du juge des référés, cf. P. MATHELY, dans Annales, 1951, p. 43 ; Jurisclasseur précité, fasc. VII, n° 185. 114. Cf. DE MORO-GIAFFERRI, rapport précité.

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contrefacteurs ou même l'interdiction temporaire ou définitive d'exercer une activité professionnelle soit dans la profession où a été commis le délit, soit dans toutes les industries visées par la loi (art. 8). Enfin l'affichage et la publication du jugement peuvent être ordonnés par le tribunal à la requête de la partie civile (art. 9).

4. Le cumul des protections La loi de 1952 est, sans aucun doute, une loi supplétive, renforçant la protection déjà assurée par les lois de 1909 sur les dessins et modèles et de 1957 sur le droit d'auteur, et se superposant à ces dernières sans les éliminer. On se trouve ainsi en présence, pour les créations de mode, d'un cumul possible entre trois législations différentes. Toute solution contraire irait à l'encontre des termes mêmes du texte qui n'offrent aucune incertitude sur l'intention du législateur. L'article 1" place, en effet, la loi nouvelle « dans le cadre de la protection assurée aux droits d'auteur et aux dessins et modèles par la législation en vigueur » et déclare que « les produits issus des industries saisonnières de l'habillement et de la parure bénéficient, en outre, des dispositions de la présente loi ». La formule est donc dépourvue de toute ambiguïté ; il est certain que la loi de 1952 n'a pas été considérée par ses rédacteurs comme constituant le droit commun de la matière. Les créations de mode bénéficient d'abord, comme toute création de forme à caractère esthétique, du statut général des dessins et modèles et de la propriété artistique. Ce n'est que par l'effet d'une faveur supplémentaire qu'ils jouissent « en outre », selon l'expression même du texte, du renforcement de la protection qu'institue la législation spéciale de 1952. Telle est d'ailleurs l'opinion unanime de la doctrine 115 . Malgré les règles plus protectrices et les conditions plus souples de la loi de 1952, la question n'est pas sans intérêt en raison de la durée de cette protection spéciale qui, sans être actuellement réduite par la juris115. Cf. en ce sens H . DESBOIS, Rép. Dalloz, v. Dessins et Modèles, 1956, p. 731 ; ROUBIER et CHAVANNE : « Cette protection se cumule avec colles existant déjà : la loi du 14 juillet 1909 si le modèle était déposé, loi des 19-24 juillet 1793 et article 1382 s'il ne l'était pas » dans Rev. trim. dr. com., 1952, p. 336 ; Jurisclasseur précité, fase. V I I , n° s 59 et s. ; C. PIAT, op. cit., p. 38 : « Rien ne permettant de penser que le remplacement du texte de 1793 par la loi du 12 mars 1957 puisse porter atteinte à ce cumul, il y a donc lieu de considérer actuellement que si nous sommes en présence de trois textes d'esprit différent, ils sont tous trois en théorie cumulativement applicables dans le domaine qui nous préoccupe. » V. aussi note P. C. sous Cass., 12 mars 1958, S, 1958, 265, et note R. PLAISANT sous Aix, 27 oct. 1953, dans Annales, 1953, 301.

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

prudence au seul temps d'une saison, n'en demeure pas moins très brève et subordonnée à la vogue du modèle. Le principe du cumul des protections condamne, par suite, l'affirmation de certaines décisions déclarant qu'à l'expiration de ce délai, la création de mode tombe dans le domaine public. Il est, en effet, hors de doute que l'exclusivité subsiste sur le terrain des dessins et modèles si la création a fait l'objet d'un dépôt et, en toute hypothèse, sur celui de la propriété artistique. Les poursuites en contrefaçon demeurent, en conséquence, théoriquement possibles, soit 50 ans après le dépôt, soit même 50 ans après le décès de l'auteur. La jurisprudence, pour sa part, n'a pas hésité à consacrer cette conséquence logique du système de cumul absolu des protections. C'est ainsi que la Cour de Paris, après avoir rappelé que les dispositions de la loi de 1952 s'ajoutent aux législations antérieures, en déduit que « le caractère complétif de cette loi étant ainsi nettement affirmé, c'est à bon droit que le premier juge a déclaré que ces dispositions s'appliquent aux poursuites en saisie-contrefaçon engagées en vertu de la loi des 19-24 juillet 1793 pour des produits rentrant incontestablement dans la catégorie de ceux visés par ladite loi 118 ». Le principe du cumul ne semble donc pas soulever de difficultés particulières, bien qu'il aboutisse, en la matière, à l'établissement d'un triple régime de protection.

116. Décision citée dans Jurisclasseur précité, fasc. VII, n° 65.

CHAPITRE

II

LE SYSTÈME DU CUMUL RESTRICTIF OU PARTIEL EN DROIT ALLEMAND

La notion très générale de dessins ou modèles industriels recouvre, en droit allemand, des distinctions plus nuancées qu'en droit français selon le degré de l'élément artistique qui prévaut dans les diverses créations. Les « dessins et modèles de goût » (Geschmacksmuster), protégés par une législation spécifique, ne font pas nécessairement partie des « arts appliqués » soumis à la protection des droits d'auteur en matière d'oeuvres figuratives. La multiplicité des sources de protection pose, par suite, un délicat problème de frontières résultant de l'adoption d'un système de cumul partiel qui repose, en fait, sur des critères assez imprécis. Après avoir recensé les diverses législations susceptibles de s'appliquer en la matière, nous essaierons de présenter les principales conceptions doctrinales relatives au problème du cumul de protection, avant de voir comment la question est abordée et résolue par une jurisprudence dont les tâtonnements traduisent peut-être les incertitudes.

Section I Les législations susceptibles de s'appliquer en matière de dessins et modèles 1. La loi du 11 janvier 1876 concernant le droit d'auteur sur les dessins et modèles industriels Cette loi ancienne 1 , successivement modifiée le 21 octobre 1922 et le 18 juillet 1 9 5 3 2 et, dont on a dit qu'elle ne correspondait plus aux 1. Loi du 11 janvier 1876, dans Rec. gén., I, p. 51. 2. Sur ces modifications ultérieures, v. Prop, ind., 1951, p. 122, et 1954, p. 6. V. aussi les textes en annexe.

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conceptions idéologiques en matière de propriété industrielle 3 , offre un champ d'application très vaste par l'absence même de définition des dessins et modèles qu'elle entend protéger. L'article 1er de la loi se contente d'indiquer, en son alinéa 1", le contenu du droit de l'auteur d'un dessin ou modèle : « Le droit de reproduire, en totalité ou partiellement, un dessin ou modèle industriel appartient à l'auteur de l'œuvre. » L'alinéa 2e, sans préciser davantage la notion, énonce seulement la double condition que doit remplir l'objet de la création pour bénéficier de la protection : « Seront seuls considérés comme dessins ou modèles, aux termes de la présente loi, les produits nouveaux et originaux. » L'absence totale de définition des dessins et modèles dans la loi de 1876, d'après certains auteurs, aurait été intentionnelle, de manière à laisser toute latitude à la doctrine et à la jurisprudence pour en dégager la notion. Dambach, l'auteur du projet de la loi, le reconnaît ouvertement et se borne à indiquer qu'il faut comprendre par dessins ou modèles « tous les prototypes de forme d'objets industriels pour autant que ces prototypes soient simultanément destinés ou appropriés à satisfaire le goût ou les sentiments esthétiques 4 ». Il est toutefois certain, bien que la loi ne le dise pas expressément., qu'elle entend le mot « dessin », comme se référant à des formes à deux dimensions, c'est-à-dire les dessins au sens usuel, se traduisant sur une surface plane, par une combinaison de lignes ou de couleurs, l'expression « modèles », se rapportant à des formes plastiques ou formes à trois dimensions, ayant une configuration déterminée dans l'espace. Les deux notions ont été ensuite rassemblées dans la langue allemande sous l'expression unique de « Geschmacksmuster ». Le terme « industriel » qui accompagne les mots dessins et modèles dans la loi de 1876 doit être entendu au sens le plus large. Il signifie seulement que le dessin ou modèle doit être destiné à prendre corps dans des objets industriels qui ne sont pas nécessairement des objets ayant une destination utilitaire. Ils peuvent avoir un but purement décoratif sans perdre pour autant leur caractère industriel. Dans un rapport au Congrès de Londres de l'Association internationale pour la protection de la propriété industrielle de 1960, M. Heydt en 3. Cf. GREFFE et CASALONGA, « Traité des dessins et modèles », 2e éd., p. 236. 4. Cf. Ludwig HEYDT, « Rapport au nom du groupe allemand au Congrès de l'A.I.P.P.I. », Berlin, 1963, dans Annuaire de l'A.I.P.P.I., 1962, nouvelle série, n° 12, 1™ partie, question 3 4 A, p. 123 et s.

Système du cumul restrictif ou partiel en droit allemand

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proposait la définition suivante, reprise, en 1963, au Congrès de Berlin : « Les dessins et les modèles sont des prototypes pour des objets industriels destinés et aptes à influencer le sens des formes et des couleurs ou l'un des deux. » Il entendait souligner par là que l'objet de la protection est moins le dessin ou le modèle dans sa réalisation concrète que la « conception idéale » de celui-ci qui se manifeste, non seulement dans le modèle original, mais encore dans les objets industriels réalisés à partir de ce prototype. En d'autres termes, la loi protège aussi bien le dessin ou modèle original, c'est-à-dire ce qui est « applicable » à des objets industriels, que le dessin ou modèle déjà « appliqué » et incorporé à ces mêmes objets industriels B . Il est, d'autre part, certain que la loi n'englobe que les dessins et modèles qui constituent une création sur le plan esthétique. Seuls bénéficient du régime institué par la loi de 1876, selon la terminologie habituelle utilisée par la jurisprudence, les « dessins et modèles de goût », c'est-à-dire susceptibles de produire une impression de nature esthétique par la forme ou par la couleur 6 . C'est ce qui distingue le modèle de goût du modèle d'utilité (Gebrauchsmuster) réglementé spécialement par les lois du 5 mai 1936, du 18 juillet 1953 7 et, plus récemment, par la loi du 9 mai 1961. La législation allemande, dans le but d'encourager les petites inventions portant sur des objets d'emploi pratique ou sur des améliorations de la technique courante, a, en effet, institué à leur profit une sorte de petit brevet d'invention qui ne comporte pas d'examen préalable et dont la durée de protection n'est que de trois ans. Ce régime particulier était rendu nécessaire par les conditions rigoureuses de la brevetabilité ordinaire, spécialement par l'exigence de ce qu'on désigne par l'expression « Erfindungshohe », c'est-à-dire une activité inventive atteignant un niveau suffisant. Le modèle d'utilité, comme le modèle de goût, est bien une création de forme, mais celle-ci est exclusivement commandée par la recherche d'un résultat fonctionnel ou technique. Lorsque le but de la forme est purement utilitaire et indépendant de tout effet d'ordre esthétique, la protection ne pourra être obtenue que sur le terrain des modèles d'utilité. La distinction entre les modèles de goût et les modèles d'utilité revêt par conséquent une importance de premier plan, bien qu'elle soit plus aisée dans les définitions théoriques 5. Cf. rapport HEYDT, Congrès de Berlin précité, p. 124. 6. V. notamment PINZGER, « Das deutsche Geschmacksmusterrecht », 1932, p. 29. 7. Cf. Prop. ind., 1954, p. 5.

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

que dans les applications pratiques 8 . La différence réside en somme dans l'élément de nouveauté qui se situe dans le domaine fonctionnel pour les modèles d'utilité, dans le domaine de l'esthétique pour les modèles de goût 9 . Les deux systèmes de protection ne sont cependant pas exclusifs l'un de l'autre dans la mesure où la forme, tout en poursuivant l'obtention d'un résultat fonctionnel, s'accompagne en même temps d'une certaine recherche d'ordre esthétique. Toutefois, la protection par les deux législations ne peut être envisagée que s'il existe une certaine indépendance entre les éléments techniques et les éléments esthétiques 10 . Si la forme, en dépit de son caractère esthétique, ne peut être réalisée d'une autre manière sans nuire à la fonction technique ou utilitaire de l'objet, la protection de la loi de 1 8 7 6 s'efface devant celle des modèles d'utilité 1 1 . Le critère est en somme assez proche de celui de « l'inséparabilité » de la forme et du résultat qu'adopte le droit français pour faire prévaloir le régime des brevets d'invention sur celui des dessins et modèles 1 2 . E n définitive, la loi du 11 janvier 1 8 7 6 n'offre pas, en elle-même, de difficultés particulières d'interprétation. La notion de dessins et modèles industriels qui en détermine le champ d'application n'est limitée que par le caractère ornemental ou esthétique de la création. La portée de la loi est ainsi à peu près la même que celle de la loi française sur les dessins et modèles du 14 juillet 1909 1 3 . 8. PINZGER, op. cit., et RGZ, vol. 40, p. 104, estime que la distinction repose « sur le fait de savoir si la forme d'un modèle destiné à être appliqué à des objets utilitaires (en surface, ou dans l'espace) a pour but l'utilité (Gebrauch) de l'objet ou si cette forme est destinée à agir sur le sens esthétique de l'observateur ou de l'usager ». De même SELIGSOHN, « Patentgesetz und Gesetz, betreffend den Schutz von Gebrauchsmustern », 1901, p. 373. « La différence entre le modèle de goût et le modèle d'utilité réside dans le fait que le premier exerce, par une forme nouvelle, une action sur le sens de la beauté (c'est le cas par exemple des broderies et des tapisseries), alors que, dans le second, la conformation nouvelle est destinée à viser un but utilitaire (par exemple un perfectionnement à une grille de cheminée destiné à éviter la chute du charbon ou une valise d'échantillons dans laquelle une disposition particulière permettrait un meilleur emploi de l'espace utile et une meilleure exposition du contenu) », cités par GREFFE et CASALONGA, op. cit., p. 264. 9. RIEZLER, « Deutsches Urheber-und Erfinderrecht ». 1909, p. 463. 10. C f .

DUSOLIER

et

SAINT-GAL,

op.

cit.,

chap.

O3 ;

GREFFE

et

CASALONGA,

op.

cit.,

n° 339, p. 263. 11. Cf. HEYDT, rapport précité, dans lequel il est précisé que la double protection ne peut bénéficier à un même objet industriel que « lorsque la forme sert bien une fonction technique et que cette fonction est assurée d'une manière particulière sur le plan esthétique, mais qu'elle n'est pas commandée exclusivement par cette fonction technique et que l'idée technique incorporée dans l'objet est susceptible d'être réalisée d'une autre manière sans que cela influe sur son effet ». 12. V. supra, chap. II, 2 e partie. 13. PINZGER notamment adopte une conception des dessins et modèles industriels à peu près identique à la conception française, cf. op. cit., p. 11 et s.

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Mais les difficultés surgissent lorsqu'on veut séparer parmi les dessins et modèles industriels ceux qui ne sont protégés que par la loi de 1876, de ceux qui peuvent, en outre, entrer dans la catégorie des arts appliqués que protège le régime spécial de la propriété artistique.

2. La loi sur le droit d'auteur La loi organisant la protection du droit d'auteur est actuellement celle du 9 septembre 1965 14 . Elle prévoit expressément que les produits des arts appliqués à l'industrie sont considérés comme des œuvres d'art bénéficiant de cette législation. Sans définir précisément ce qu'elle entend par œuvres des arts appliqués, la loi énonce seulement dans son article 2 que seront protégées « les œuvres des arts figuratifs, y compris les œuvres d'architecture et des arts appliqués, ainsi que les projets de ces œuvres ». Il reste donc à savoir dans quelle mesure les dessins et modèles industriels peuvent être considérés comme œuvres des arts appliqués. Le problème ne se posait pas initialement, car l'exclusion des œuvres d'art appliqué était expressément prévue par l'ancienne législation relative à la propriété artistique. La loi du 9 janvier 1876 qui régissait antérieurement le droit d'auteur en matière d'oeuvre d'art (sœur jumelle de celle du 11 janvier 1876 sur les dessins et modèles) réservait formellement son domaine d'application aux œuvres d'art pur. La loi du 11 janvier 1876 s'appliquait donc seule à tous les dessins et modèles industriels, quelle que soit l'importance de leur caractère artistique. Bien plus, pour délimiter plus rigoureusement la séparation entre les deux régimes, la loi du 9 janvier précisait, en outre, que la seule reproduction industrielle d'une œuvre d'art lui faisait perdre le bénéfice de la législation sur la propriété artistique. L'article 14 de la loi était en effet à cet égard tout à fait formel : « Lorsque l'auteur d'une œuvre d'art permet que celle-ci soit reproduite sur des œuvres de l'industrie, des fabriques, des artisans ou des manufactures, il ne jouit pas de protection contre les autres reproductions sur des œuvres de l'industrie... aux termes de la présente loi, mais seulement aux termes de la loi concernant le droit d'auteur sur les dessins et modèles. » Mais cette disposition souleva l'indignation des intéressés. Il paraissait fâcheux d'établir une cloison étanche entre les œuvres d'art pur et celles 14. Loi sur le droit d'auteur et les droits apparentés du 9 septembre 1965, v. texte dans Rev. droit d'auteur, 1965, p. 258.

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de l'art appliqué, et plus encore de faire dépendre le caractère artistique de la reproduction industrielle de l'œuvre. On aboutissait ainsi à traiter moins bien des dessins et modèles de grande valeur artistique que des œuvres soi-disant d'art pur, mais d'une insignifiante médiocrité, qui bénéficiaient par suite d'une protection de plus longue durée 15 . Une évolution, identique à celle que l'on connut en France pour les mêmes raisons 16 , ne tarda pas à se dessiner et donna naissance à la loi nouvelle du 9 janvier 1907 qui remplaçait celle de 1876 et étendait expressément son champ d'application aux œuvres des arts appliqués. La loi plus récente du 9 septembre 1965, qui a modifié le régime de la propriété littéraire et artistique, n'apporte aucun changement sur ce point. Elle précise seulement, à la fin de l'énumération qu'elle donne des œuvres protégées, que les œuvres au sens de cette loi sont des créations intellectuelles et personnelles. Les œuvres bénéficiant du droit d'auteur doivent donc présenter quelque chose d'original et de nouveau. L'individualité de l'œuvre est décisive. Un commentaire de la loi précise que le cumul de protection par les deux régimes est ainsi rendu possible pour les dessins et modèles industriels qui présentent les caractères d'une œuvre d'art appliqué, en dépit des problèmes que pose ce cumul du fait des conditions différentes de la protection et de sa durée 1 7 .

3. Loi sur les marques de fabrique ou de commerce du 5 mai 1936 La législation sur les marques ne contient pas de dispositions expresses sur les dessins et modèles, mais il ne semble pas douteux qu'un dessin ou modèle qui constitue en même temps une marque puisse être protégé à ce titre dans la mesure où les conditions exigées en matière de marque se trouvent effectivement remplies, en particulier celle du caractère distinctif. Il est évident qu'une telle protection n'exclura pas celle de la loi de 1876. La création pourra seulement être déposée à la fois à titre de marque et à titre de dessin ou modèle et bénéficiera cumulativement des deux régimes 18 . 15. 16. 17. 18.

Cf. V. Cf. La

HEYDT, rapport précité, p. 125. supra, chap. I. DERINGER, commentaire de la loi, éd. Heidelberg, 1965. solution est la même qu'en droit français, v. supra, chap. I.

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4. Loi sur la concurrence déloyale du 7 juin 1909 Comme en droit français, la notion de concurrence déloyale qui constitue, comme on l'a dit, à la fois « la somme et le complément de toute la réglementation sur les droits de propriété industrielle 19 », offre une source de protection supplémentaire en matière de dessins et modèles. Le droit allemand de la concurrence déloyale, toutefois, à la différence du système français, ne renvoie pas aux principes généraux du droit, mais repose sur une législation spéciale, la loi du 7 juin 1909 2 0 . L'article 1 " de ce texte donne un champ d'application très vaste à la concurrence déloyale : « Toute personne qui, dans un acte de concurrence, commet en affaires des actes contraires aux usages honnêtes, peut être assignée en cessation de ces actes et en dommages-intérêts 2 1 . » Par sa généralité, ce texte peut sans aucun doute s'appliquer à des agissements concernant des objets qui constituent soit des œuvres d'art appliqué, soit des dessins et modèles. Mais il ne suffira pas à interdire la reproduction de ces créations lorsque les conditions de la protection spécifique ne sont pas remplies (notamment absence de dépôt pour un dessin ou modèle, ou dépôt expiré). Il faut que s'y ajoute des circonstances supplémentaires contraires aux usages honnêtes du commerce qu'exige la loi de 1909 pour la mise en jeu de l'action en concurrence déloyale. Ces circonstances pourront être trouvées dans toute manoeuvre de tromperie ou d'abus de confiance 2 2 . Il suffit, en somme, que la contrefaçon révèle une mauvaise foi caractérisée.

19. Cf. Yves SAINT-GAL, « Protection et défense des marques de fabrique et concurrence déloyale », éd. Delmas, 1962, chap. 2. 20. Loi du 7 juin 1909, dans Prop, ind., 1909, p. 169. 21. Des sanctions pénales sont prévues dans certains cas. Le demandeur peut également obtenir des mesures provisionnelles qui ne préjudicient pas au fond, ainsi que la publication du jugement. 22. Cf. Bulletin du droit d'auteur de ¡'UNESCO précité, et GRUR, 1957, p. 408 et 525.

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Section II La délimitation du domaine respectif de la loi sur le droit d'auteur, et de la loi sur les dessins et modèles de goût

1. Le principe du cumul partiel L e principe même du cumul de protection, lorsque les dessins et modèles remplissent à la fois les conditions exigées par la loi du 11 janvier 1876 et par la législation du droit d'auteur, semble aujourd'hui admis de manière à peu près unanime 2 3 . On considère généralement, tant en doctrine qu'en jurisprudence 2 4 , que les deux systèmes de protection, tout en étant indépendants l'un de l'autre 2 5 , ne s'excluent pas nécessairement. Dès la promulgation de la loi de 1907 les commentateurs de ce texte affirmaient déjà qu'il devenait désormais possible qu'une même œuvre profitât de la protection d'après les deux l o i s 2 6 . La position ne semble pas avoir changé avec la loi de 1965. Celui qui dépose un dessin ou modèle conformément à la loi de 1876 ne perd donc pas pour autant le droit de se prévaloir du régime du droit d'auteur. Le système, en droit allemand (en dépit de la réticence de quelques auteurs), est bien, en ce sens, cumulatif. Mais il reste à savoir quelle est l'étendue de ce cumul. Tout ce qui est protégé en tant que « Geschmacksmuster » doit-il être protégé, en même temps, au titre de la propriété artistique ? La conception de l'unité de l'art qui conduirait, comme en droit français, à repousser toute distinction entre les dessins et modèles industriels et les œuvres des arts appliqués, est généralement rejetée par la doctrine allemande. Seuls de rares auteurs estiment impossible toute démarcation précise entre les deux notions. Riezler, notamment, considère que l'on ne peut pas tracer de ligne délimitative entre la loi sur la propriété artistique 2 3 . Cf.

DUSOLIER

et

SAINT-GAL,

op.

cit.,

chap.

O6 ;

ULMER,

DA,

1957,

p.

13 ;

REIMER,

y éd., chap. 39 ; HEYDT, rapport précité, p. 125. 24. Trib. du Reich, 17 avril 1930, DA, 1930, p. 104, 2 déc. 1933 ; DA, 1935, p. 116. 2 5 . FURLER, « Das Geschmacksmustergesetz », p. 52.

26. Cf. ALLFELD, « Kommentar zum KUG », 1908, p. 38-39.

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et celle des modèles de goût, et que tous les objets qui peuvent bénéficier de la protection des dessins et modèles sont également protégés par la loi sur la propriété artistique 27 . De même Hempel admet qu'une différence de degré artistique peut être établie entre les oeuvres d'art pur et les œuvres d'art appliqué, mais qu'il est impossible, à l'intérieur des arts appliqués, de distinguer les dessins et modèles de goût qui n'en font pas partie 28 . Mais cette conception reste isolée. Elle s'est d'ailleurs trouvée très vite en contradiction avec la jurisprudence du Reichsgericht (ancien tribunal du Reich) qui, après avoir, dans ses premières décisions, estimé que l'élément esthétique requis pour le dessin et modèle de goût suffisait à lui conférer le caractère artistique29, prit très nettement position en sens contraire. Les décisions postérieures ont, en effet, posé d'une manière très ferme le principe selon lequel les créations d'art industriel envisagées par la loi sur le droit d'auteur ne devraient pas englober tous les dessins et modèles de goût, mais seulement ceux qui peuvent être considérés comme des œuvres d'art appliqué, en fonction de leur degré artistique30. Toute la difficulté réside alors dans l'appréciation de cet élément artistique qui doit, en somme, se surajouter à l'élément proprement esthétique pour que le dessin ou modèle devienne une création des arts appliqués au sens de la loi sur le droit d'auteur.

2. Critères d'appréciation de l'élément artistique caractérisant les œuvres des arts appliqués Prétendre établir une différence de nature entre l'élément esthétique d'une œuvre et son élément proprement artistique ne pouvait qu'entraîner les auteurs vers des conceptions assez subtiles, relevant d'une philosophie très particulière de l'art et dont la traduction est souvent inapte à saisir les véritables nuances. Nous essaierons néanmoins de présenter celles qui nous paraissent les plus caractéristiques. a. La conception de Köhler. Kohler a tenté, l'un des premiers, d'approfondir la distinction entre les dessins et modèles, et les œuvres d'art appliqué bénéficiant de la propriété 27. 28. 29. 30.

RIEZLER, « Deutsches Urheber-und Erfinderrecht », 1909, p. 459. HEMPEL, « Der Muster-und Kunstschutz », 1921, p. 30-31. Cf. Trib. du Ketch, RGZ, vol. 124, p. 172. Cf. jurisprudence, infra, p. 82 et s.

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artistique 31 . Sa théorie, très abstraite, part d'une idée assez originale de l'art, englobant à la fois l'art pur et l'art appliqué. Toute création de nature artistique comporte ce qu'il appelle une « Weltschopfungsidee » dont la traduction est malaisée, mais qui suggère l'existence d'une idée derrière l'apparence des choses. Il semble que Kohler ait voulu entendre par là (mais nous donnons cette interprétation sous toutes réserves) que l'œuvre n'évoque pas seulement les choses telles qu'elles existent dans la nature ; elle implique, en outre, une idée qui s'incorpore à la forme et dépasse en quelque sorte la matière. Les dessins et modèles sont, au contraire, des créations de nature différente. Elles ne s'apparentent ni avec ce qui est purement artistique ni avec ce qui est purement technique mais se situent, en somme, à michemin entre l'art et la technique. Il s'agit soit de formes (objets à trois dimensions), soit de dessins (objets à deux dimensions) qui sont susceptibles de procurer une impression esthétique ou d'augmenter l'utilité d'un objet (car Kohler englobe les modèles de goût et les modèles d'utilité dans la même notion). Ces créations se traduisent donc par une forme corporelle qui est destinée uniquement à agir sur le sens du goût ou sur l'usage d'un objet. Par là les dessins et modèles se distinguent à la fois des inventions brevetables et de l'art proprement dit. Dans les inventions brevetables, la forme n'a d'importance qu'au regard de l'utilisation fonctionnelle. Elles se caractérisent par ce qu'il désigne au moyen de l'expression « Naturkràfteidee » qui recèle l'idée d'une mise en jeu des forces de la nature. On se sert seulement de la forme pour obtenir un résultat technique, préalablement établi par la pensée. Les dessins et modèles, même d'utilité, ne comportent pas cette idée de domination des forces extérieures. La même opposition peut être établie d'après cet auteur, entre les créations artistiques à travers la notion de « Weltschopfungsidee ». Dans les dessins et modèles de goût, la forme en tant que telle est simplement agréable au sens, mais il n'y a rien de plus. L'impression esthétique existe seule. Dès qu'il y a incorporation d'une idée à la forme on se trouve, au contraire, en présence d'une œuvre de nature artistique. La destination de l'objet, précise l'auteur, ne change rien à cette nature. Il n'y a pas lieu de tenir compte, notamment, de sa reproduction industrielle comme le faisait l'ancienne loi de 1876 sur la propriété artistique et comme l'avait admis, à une certaine époque, une partie de la jurisprudence française 3 2 . 31. KOHLER, « Musterrecht, Geschmacks-und Gebrauchsmusterrecht ». 32. V. jurisprudence citée supra, chap. I.

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En définitive (bien qu'il soit très délicat d'affirmer que telle est bien la pensée de l'auteur), il semble que le critère de délimitation proposé par Köhler soit le suivant : Pour savoir si un dessin ou modèle peut ou non être élevé au rang des œuvres des arts appliqués et bénéficier par suite de la protection de la propriété artistique, il faut rechercher si la forme existe à l'état pur, c'est-à-dire si elle se borne à produire un simple effet esthétique (auquel cas elle ne relève que de la législation des dessins et modèles), ou si, en plus de cet effet esthétique, elle correspond à une représentation idéale des choses qui tend à agir sur la pensée et non seulement sur les sens. Si une telle conception de l'art apparaît parfaitement défendable sur le plan philosophique, on voit mal, néanmoins, l'utilisation pratique du critère qui s'en dégage. b. La conception de Trotter

.

33

Cet auteur suggère, pour sa part, qu'une double distinction devrait être, en réalité, établie, d'une part entre l'art pur et les arts appliqués et, d'autre part, entre les arts appliqués et les dessins et modèles. Mais il observe que les arts appliqués et les dessins et modèles sont plus proches les uns des autres que les arts appliqués de l'art pur. C'est en effet entre ces deux dernières notions que, partant d'une conception assez proche de celle de Köhler, il place « l'idée » qui doit s'ajouter à la forme pour caractériser l'œuvre d'art pur et qu'il désigne, à son tour, par l'expression « innere Schichten 3 4 ». Ceci est donc sans intérêt sur le plan juridique puisque, aux termes mêmes de la loi, les arts appliqués bénéficient du régime de la propriété artistique au même titre que les œuvres d'art pur. Ce point de vue ne fait guère avancer le problème de la délimitation entre les arts appliqués et les dessins et modèles dont le critère reste à préciser. Pour y parvenir, Troller élimine d'abord le critère tiré de l'originalité de l'œuvre qu'avait essayé d'utiliser la jurisprudence suisse sans grands résultats pratiques. Pour lui, l'originalité ne peut commander une différence de nature : la création est seulement plus ou moins originale selon que la forme a été créée par l'auteur en empruntant plus ou moins d'éléments aux formes déjà connues. Il faut reconnaître que la ligne de démarcation entre les arts appliqués et les dessins et modèles ne trouve pas de fondement dans le domaine de l'esthétique. L'auteur admet que, rationnellement, il faudrait ou bien 3 3 . TROLLER, « Immaterialgüterrecht », vol. I , 1959. 3 4 . TROLLER, op. cit., p. 427.

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que la distinction fût établie sur un critère purement juridique posé par le législateur lui-même et indépendant de l'esthétique (comme en GrandeBretagne ou en Italie), ou bien renoncer purement et simplement à la distinction en se ralliant au principe de l'unité de l'art, à l'exemple de la France ou de la Belgique. Mais comme il n'y a pas pour l'instant de critère extra-esthétique ni dans la loi, ni dans la pratique, et que, d'autre part, la distinction subsiste, il faut essayer de résoudre au mieux la question en partant de considérations esthétiques. Il convient surtout, à son point de vue, de se demander si les formes considérées (dont il faut, bien entendu, exclure les formes purement utilitaires) ont une véritable autonomie, si elles s'intègrent dans une unité originale, visuelle et durable. Pour accéder à la propriété artistique, l'auteur doit produire une « individualité esthétique », c'est-à-dire, selon la définition qu'en a donnée le tribunal fédéral suisse, « quelque chose d'original ayant son cachet propre » (par exemple un couvert ou un meuble si sa forme ne s'impose pas par son but fonctionnel et se présente comme une unité). Il faut, au contraire, rejeter la création, en tant qu'œuvre d'art, si elle ne porte que sur des modifications d'éléments déjà connus, sans constituer une unité. C'est, en somme, le critère que l'on peut appeler de l'autonomie de la forme que préconise ainsi Troller. Il reconnaît toutefois que ce critère n'élimine pas toutes les difficultés, mais il estime qu'il permet néanmoins, faute d'un critère plus juridique, d'échapper à l'appréciation purement subjective et arbitraire de la qualité de l'œuvre. c. Critère reposant sur le caractère « objectif » des dessins et modèles. Pour certains auteurs, il y aurait entre les dessins et modèles ordinaires relevant exclusivement de la loi de 1876 et les œuvres d'arts appliqués, une opposition saisissable à travers le caractère d'individualité ou de personnalité qui distinguerait la création de nature artistique. C'est en particulier la conception de M. Hoffmann 35 . Pour cet auteur, le dessin ou modèle ordinaire se caractérise essentiellement par son aspect « objectif ». Il ne comporte pas une création originale méritant en elle-même la protection. L'original n'a de valeur propre que par sa fonction, c'est-à-dire par sa possibilité de reproduction industrielle. 35. HOFFMANN, « Der Einzelne und die Allgemeinheit im Urheberrecht und im gewerblichen Rechtschutz », dans Juristische Wochenschrift, 1936, p. 153. V. aussi note à propos de RG, 2 déc. 1933, JW, 1934, p. 690.

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Ce qu'on peut appeler le caractère de personnalité ferait donc défaut aux dessins et modèles et les priverait par là même de la protection de la propriété artistique. Il est, certes, assez difficile, comme le constatent MM. Greffe et Casalonga dans leur traité sur les dessins et modèles 36 , de saisir très exactement l'idée suggérée par Hoffmann. Ces auteurs estiment, pour leur part, qu'il faut entendre « par la personnalité caractérisant l'œuvre d'art, l'originalité qui est la marque de l'individualité de l'auteur ». Ils identifient par conséquent la notion d'individualité à celle d'originalité et la rattachent d'autre part à l'idée d'indépendance de l'élément artistique. Le dessin ou modèle de goût n'a pas d'individualité en ce sens que l'élément artistique qu'il peut contenir ne se détache pas de la fonction. « Il semble en effet, écrivent-ils, que dans ce dernier l'élément artistique soit lié à la fonction ou à la destination de l'objet auquel le modèle doit s'appliquer, alors que l'œuvre d'art figuratif possède le caractère d'indépendance et d'individualité qui est la condition nécessaire pour être considérée comme une œuvre d'art 3 7 . » Il est possible cependant que la conception d'Hoffmann ait été dans une certaine mesure influencée par la théorie de l'art soutenue par Kohler et qu'il ait voulu faire allusion, dans le critère qu'il préconise, à cette idée qui, en matière d'oeuvre d'art, s'incorpore à la forme et la marque d'une empreinte personnelle. Ceci permettrait de mieux comprendre l'opposition qu'il établit entre le caractère objectif du dessin ou modèle et le caractère individuel de l'œuvre d'art appliqué. C'est parce que cette dernière n'est pas seulement la création d'une forme en tant que telle, mais « l'objectivation d'un sujet idéalisé », qu'elle se marque d'une subjectivité ou d'un caractère personnel qui lui vaut d'accéder à la propriété artistique. d. Critère du niveau

artistique.

Rejetant la distinction entre les termes « esthétique » et « artistique » qui ne fait qu'augmenter la complexité de la matière, la plupart des auteurs recherchent seulement la délimitation des dessins et modèles et des œuvres d'art appliqué dans le degré de l'élément artistique contenu dans chacune de ces créations. Il n'est plus question de s'aventurer dans des spéculations philosophiques hasardeuses pour dire où commence et où finit l'art proprement dit. Il est possible que l'art soit partout, même dans la création de forme la plus technique, car l'art, dit notamment 36. GREFFE et CASALONGA, « Traité des dessins et des modèles », 1937, 2 e éd., p. 242. 3 7 . Cf.

G R E F F E e t CASALONGA, op.

cit.,

p.

243.

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Hennsler, « est avant tout l'expression du changement de notre temps », il peut donc s'exprimer aujourd'hui dans le rôle dominant de la technique 38 . L'art existe, sans doute, dans toute activité permettant de réaliser une forme destinée à produire une impression visuelle sur le sens esthétique. Mais il importe de savoir à partir de quel moment il doit bénéficier d'une protection spéciale. Ce n'est plus qu'une question de limite qui peut être placée à un niveau plus ou moins élevé selon les conceptions adoptées. C'est pourquoi M. le professeur Ulmer notamment, après avoir critiqué la considération de l'élément esthétique, rapproche le « niveau artistique », qui peut seul rationnellement servir de critère, du « niveau inventif » retenu en matière de brevet 3 9 . On connaît, en effet, l'exigence du droit allemand pour admettre la brevetabilité des inventions : il ajoute aux conditions objectives admises dans la plupart des législations (nouveauté et résultat industriel), une condition subjective relative à l'importance de l'idée inventive. L'invention doit présenter une hauteur inventive suffisante désignée par le terme « Erfindungshohe » pour être admise à la brevetabilité. La notion qui entre en jeu pour déterminer ce qui fait ou non partie des arts appliqués peut en être rapprochée. M. Ulmer préconise par suite l'expression de « Gestaltungshóhe », parallèle à celle des brevets. C'est, en définitive, dans la recherche de ce « niveau artistique suffisant » que se révèlent les tâtonnements et les incertitudes de la jurisprudence dont on peut rassembler les décisions les plus caractéristiques.

Section III L'appréciation jurisprudentielle du « niveau artistique » L'une des premières décisions de principe ayant formellement adopté le critère du niveau artistique pour opérer la distinction entre les œuvres des arts appliqués pouvant bénéficier de la propriété artistique et les dessins et modèles ne relevant que du régime de la loi de 1876, semble être un arrêt de l'ancien tribunal du Reich du 10 juin 1911 4 0 . 38. Aus!., 39. 40.

HENNSLER, « Rechtsschutz der industriellen Formgebung in Deutschland », dans GRUR 1959, p. 13. ULMER, « Der Schutz der industriellen Formgebung », GRUR Ausl., 1959, p. 1. Reichsgericht, 10 juin 1911, RGZ, vol. 76, p. 339.

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La loi sur la propriété artistique était, en l'espèce, réclamée pour échapper à l'expiration du dépôt qui avait été effectué conformément à la loi de 1876. La création, dont la protection était réclamée, consistait en caractères d'imprimerie destinés à un usage scolaire. Une expertise avait eu lieu niant le caractère artistique, mais ce n'était pas sur cette constatation que se fondait la Cour. Peu importait à ses yeux qu'un certain caractère artistique existât, encore fallait-il que ce caractère atteignît un degré suffisant. C'était établir ainsi, à l'intérieur même de l'art, une barrière en deçà de laquelle l'élément artistique n'apparaît pas d'une importance telle que la protection puisse se justifier 41 . En fait, l'appréciation de ce niveau artistique supérieur, désormais retenu par la jurisprudence, fut généralement confiée à des commissions d'experts. Les chambres d'experts qui avaient été instituées à une certaine époque, de manière générale, mais qui furent supprimées en 1965, étaient, en principe, appelées à se prononcer sur la question. Les expertises privées qui doublaient habituellement cet examen étaient d'ailleurs souvent en contradiction avec ce dernier et augmentaient l'embarras des juges, comme en témoigne une affaire caractéristique tranchée par la première chambre civile du tribunal du Reich le 17 avril 1929 42 . Il s'agissait de faire admettre à la protection de la propriété artistique des modèles de couverts de table dont l'originalité consistait en ce que le manche des cuillères, fourchettes et couteaux, objets du modèle, se trouvait divisé dans le sens de la longueur en plusieurs surfaces de grandeurs inégales, disposées en éventail, et produisant un certain effet esthétique. La chambre des experts leur reconnaissait le caractère d'œuvre d'art, considérant que le modèle en question était « une solution de bon goût donnée sous une forme originale artistiquement combinée ». Deux expertises privées, confiées à des experts renommés, concluaient, pour leur part, l'une dans le même sens que la chambre des experts, l'autre pour le rejet catégorique du caractère artistique. Les premiers juges et la Cour d'Appel avaient suivi la chambre des experts, estimant que « toute création intellectuelle et personnelle qui est produite par une activité permettant de réaliser une forme avec les moyens produits par l'art, et ayant pour but d'éveiller le sens artistique par la contemplation, est une œuvre des arts figuratifs, même si, à côté de son but esthétique, elle poursuit en même temps un but pratique ». 41. Cette décision est en particulier approuvée par PINZGER, op. cit., p. 30, 31, et ULMER, op. cit., p. 130. 42. Reichsgericht, 17 avril 1929, GRUR, 1929, 733, RGZ, vol. 124, p. 68. Décision r a p p o r t é e p a r GREFFE et CASALONGA, op.

cit.,

p . 240.

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

Le tribunal du Reich, saisi à son tour de la question, se reconnaissait compétent pour contrôler la notion du niveau artistique suffisant, précisant toutefois que l'essentiel doit en être laissé à l'appréciation des juges du fait. En l'espèce, cette haute juridiction déclarait qu'elle ne trouvait aucune raison de droit pour s'opposer à la solution donnée par la Cour d'Appel. L'accès à la propriété artistique, d'après cette décision et quelques autres qui ont suivi le même courant, était en définitive assez largement admis. C'est ainsi qu'à l'époque où ils écrivaient leur ouvrage, MM. Greffe et Casalonga pouvaient noter la générosité de la jurisprudence dans l'attribution du caractère artistique « de telle sorte qu'en fait le cumul était assez souvent admis ». Mais ce libéralisme fut attaqué par certains auteurs qui firent observer qu'en étendant le domaine de la propriété artistique à la manière de l'arrêt du 17 avril 1929, on supprime pratiquement toute différence avec la protection des dessins et modèles. C'est pourquoi, sans doute, l'évolution postérieure s'est effectuée dans un sens plus restrictif. La jurisprudence a tout d'abord mis l'accent sur l'idée d'indépendance de l'élément artistique. Il ne suffit pas que le caractère artistique existe et atteigne un certain degré, mais il faut encore que ce caractère apparaisse comme détaché de la fonction utilitaire. L'un des arrêts les plus caractéristiques à cet égard est celui de la première chambre civile du tribunal du Reich du 14 janvier 1933 43 . La propriété artistique était invoquée, en l'espèce, pour des poignées de porte conçues par un architecte célèbre, dont les lignes simples se caractérisaient par une tige recourbée à angle droit et terminée par une pomme cylindrique. Le défendeur faisait valoir que l'élément esthétique était ainsi inséparable de la fonction utilitaire et ne pouvait permettre la protection de la propriété artistique. La chambre des experts, appelée à se prononcer, faisait ressortir l'harmonie délicate et bien étudiée des proportions et dimensions des différentes parties de l'objet et en concluait à la nature artistique de l'oeuvre. Mais la Cour d'Appel estimait, pour sa part, que l'originalité artistique de la poignée ne s'exprimait que dans des formes simples « dépourvues intentionnellement de tout ornement superflu », et correspondant strictement à l'usage qu'on en voulait faire. L'élément artistique et l'élément fonctionnel étaient en quelque sorte fondus dans une même unité et la forme, répondant ainsi exclusivement à la fonction, ne pouvait être protégée en tant qu'œuvre d'art. Le tribunal 43. Reichsgericht, 14 janvier 1933, RGZ, vol. 139, p. 214.

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du Reich refusa à son tour la protection artistique, insistant à nouveau sur l'idée selon laquelle l'élément artistique doit être séparé de l'utilité. Ce qui est seulement fonctionnel peut, il est vrai, à un certain point de vue, avoir un caractère artistique, mais la forme résulte alors de l'utilité elle-même et ne peut être protégée au titre de la propriété artistique, faute de l'indépendance nécessaire. La décision de la Cour suprême est, d'autre part, intéressante par la directive qu'elle donne en ce qui concerne l'appréciation du caractère artistique. Il faut, déclare-t-elle, pour effectuer cette recherche se référer au jugement moyen des gens cultivés ou instruits, familiers des choses de l'art et faisant preuve d'une certaine sensibilité dans ce domaine. Un critère analogue sera repris dans la plupart des décisions ultérieures. La Cour de Düsseldorf, par exemple, pour nier le caractère artistique d'un modèle de lampe électrique, se reporte à l'impression produite sur des personnes moyennement douées de sens artistique et ayant certaines connaissances en la matière 44 . Mais la Cour fédérale modifie ensuite quelque peu la formule initiale et parle, d'une manière générale, de la référence aux conceptions communes existant en matière artistique. Ainsi dans un arrêt du 12 juin 1937 rejetant la propriété artistique pour des dessins de tissage, sans se référer aux quatre expertises qui avaient eu lieu sur la question, cette juridiction déclare qu'il faut « un niveau esthétique tel que d'après les conceptions régnant dans la vie courante, on puisse encore parler d'art ». Cette décision précise, en outre, que la notion d'art est une notion de droit et que la frontière, par rapport aux dessins et modèles, ne doit pas être placée à un niveau trop bas 4 5 . Tous les arrêts, à partir de cette époque, mettent l'accent sur la rigueur dont il faut faire preuve dans l'appréciation du degré artistique. Ceci correspond, observe le Reichsgericht le 12 septembre 1939, à l'esprit même de la loi de 1907 48 . Cette dernière décision se montre toutefois hostile à l'appréciation selon les conceptions de la vie courante. Elle estime qu'il y a la, une illusion, on ne peut pas se référer en la matière à un jugement collectif émanant des couches populaires parce qu'un tel jugement n'existe pas dans la réalité. On ne peut que faire appel à l'homme moyennement doué en matière artistique et suffisamment familiarisé avec les choses de l'art. 44. Oberlandesgericht Düsseldorf, 23 avril 1954, GRUR, 1954, p. 417. 45. RG, 12 juin 1937, RGZ, vol. 155, p. 199 ; GRUR, 1937, p. 821. 46. RG, 12 septembre 1939 ; GRUR, 1940, p. 59. Il s'agissait en l'espèce de couverts de table dont le modèle avait été déposé. Le tribunal du Reich estime qu'en raison de leur originalité et de leur nouveauté, le jugement moyen des gens familiers aux choses de l'art conduirait à leur reconnaître un caractère esthétique suffisant.

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La Cour fédérale reprend cependant la formule ancienne dans un arrêt du 27 novembre 1956 concernant des lettres d'imprimerie spécialement conçues par un artiste pour le titre d'un journal 4 7 . La Cour refuse d'emblée la propriété artistique sans recourir à aucune expertise. I l est vrai que les juges étaient peut-être, en l'espèce, plus enclins à la sévérité du fait qu'aucun dépôt de modèle n'avait été effectué et que, seule, la protection de la loi de 1907 pouvait se poser. Comme le remarque, en effet, Pinzger, l'auteur d'un dessin ou modèle a toujours le plus grand intérêt à déposer son modèle conformément à la loi de 1876, car il y a tout lieu de penser qu'il obtiendra plus facilement le bénéfice de la propriété artistique lorsque le dépôt viendra à expiration que lorsque cette formalité n'aura pas été accomplie 48 . La Cour rappelle d'abord, dans cette espèce, que ce n'est pas la destination de l'objet à un but utilitaire qui s'oppose à la reconnaissance de la propriété artistique, et que peu importe, par ailleurs, que son contenu esthétique se manifeste dans les lignes mêmes de l'objet et non pas dans un ornement qui se surajoute à celui-ci. Puis elle pose à nouveau très fermement le principe selon lequel les œuvres d'art exigent par rapport aux dessins et modèles un degré esthétique supérieur. Cette sorte « d'excédent esthétique », pour reprendre la formule utilisée, nécessaire pour faire admettre la protection de la loi de 1907 « doit être tel que d'après les conceptions de la vie courante on puisse encore parler d'art ». Et, une fois de plus, la jurisprudence insiste sur la sévérité dont il faut faire preuve à cet égard. La frontière entre la propriété artistique et les dessins et modèles, dit en substance la Cour, ne doit pas être placée trop bas. Il faut établir une échelle rigoureuse d'appréciation pour savoir si une forme, originale au point de vue du goût, suffit pour attribuer la qualité d'oeuvre d'art à un objet de l'art appliqué. M. Troller a vivement critiqué cette référence à l'opinion commune pour apprécier le niveau artistique d'une œuvre. C'est, à son point de vue, un critère vide de sens. Dans la vie courante, fait-il observer, personne ne s'occupe de la distinction des arts appliqués et des dessins et modèles, et ceux qui s'intéressent à l'art ne réfléchissent pas non plus à de telles distinctions. Le juge doit donc procéder en se référant à une personne qu'il imagine lui-même et qu'il situe dans un cercle de personnes également imaginaire. Certes, la référence à un jugement collectif peut parfois se concevoir. Ainsi en matière de marques de fabrique ou de commerce l'appréciation 47. BGH, 27 novembre 1956, « Europarpost-Titelschriftbild » ; BGZ, 22, 209 ; GRUR,

1 9 5 7 , p. 2 9 1 . 4 8 . PINZGER, G R U R ,

1934,

p.

396-400.

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de la confusion possible peut très bien s'effectuer par rapport à l'impression produite dans un cercle de consommateurs donné. Mais pour les dessins et modèles l'opinion commune est un leurre. Seuls les juristes s'occupent de la distinction 4 9 . Néanmoins, la jurisprudence moderne reste fidèle à ce critère de délimitation. La même formule est encore reproduite dans un arrêt du 9 décembre 1958, si bien que l'on peut y voir un principe assez solidement établi. Malgré quelques décisions qui ont admis la propriété artistique dans des domaines où elle était jusque-là refusée, notamment en ce qui concerne les créations de modes et de haute couture à propos desquelles la Cour fédérale, sans employer d'ailleurs l'expression d'art appliqué, les admet au bénéfice de la propriété artistique dès lors que les modèles présentent un cachet suffisamment individuel et original r>0 , on peut dire que l'évolution actuelle semble manifester une tendance de plus en plus restrictive dans la qualification des œuvres d'art appliqué. On ne trouve guère qu'une espèce relativement récente qui, de prime abord, permettrait peut-être d'en douter. La Cour fédérale, dans un arrêt du 27 février 1961, a en effet admis l'application de la loi de 1907 pour une chaise métallique composée d'éléments en tube extrêmement simples dont le modèle avait été réalisé aux alentours de 1 9 3 0 5 1 . Or ces éléments étaient devenus d'un usage très courant en 1961 et l'auteur se voyait contester, à cette époque, le bénéfice de la propriété artistique par un tiers qui soutenait que la banalité actuelle de la création faisait disparaître tout caractère artistique. Mais la Cour fédérale débouta ce dernier, déclarant que pour apprécier le degré artistique d'un modèle il convenait de se reporter à la date où l'objet avait été créé. Il serait illogique de tenir compte de l'évolution esthétique postérieure qui a d'ailleurs pu être conditionnée par cette création elle-même. La Cour ne se prononçait, par conséquent, que sur l'époque de l'appréciation et ne pouvait, d'autre part, refuser le bénéfice de la propriété artistique, le modèle en question ayant été antérieurement reconnu comme une œuvre des arts appliqués par la Cour du Reich en 1932. Cette décision ne peut donc pas être citée comme contraire au courant qui semble actuellement se dessiner en faveur d'un niveau de plus en plus élevé du degré artistique nécessaire à l'application de la loi sur le droit d'auteur. L'orientation jurisprudentielle ne semble pas susceptible d'être modifiée, à cet égard, par l'intervention de la loi du 9 septembre 1965, laquelle 4 9 . T R O L L E R , op.

cit.

50. BGH, 14 déc. 1954 ; BGHZ, 16, 4 ; GRUR, 1955, p. 445. 51. BGH, 27 février 1961 ; GRUR, 1961, p. 635.

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se borne à reprendre dans son énumération la mention des arts appliqués, sans apporter de précisions nouvelles quant à cette notion. En définitive, si le système du cumul de protection existe en droit allemand comme en droit français, sa portée se trouve beaucoup plus restreinte du fait du cloisonnement que l'on tente d'établir entre les dessins et modèles qui font partie des œuvres des arts appliqués et ceux qui, faute d'un élément artistique suffisant, ne relèvent que de la loi de 1876. Les créations d'art industriel qui bénéficieront du double régime de protection ne seront par suite qu'une minorité. La protection au titre de la propriété artistique paraît, en effet, d'après la jurisprudence dont nous avons pu avoir connaissance, devenir si exceptionnelle en la matière qu'elle a pu faire dire à un auteur qu'elle prend actuellement « la valeur de rareté d'un corbeau blanc 9 2 ».

52. Cf. HENNSLER, note concernant l'artêt de la Cour fédérale du 9 décembre 1958, GRUR, 1959, p. 290.

CHAPITRE

III

LE SYSTÈME DE NON-CUMUL DE PROTECTION EN DROIT ITALIEN

L'Italie se range parmi les systèmes juridiques qui n'admettent qu'une seule source de protection pour les dessins et modèles industriels. Mais on sait qu'il existe des pays où une telle solution résulte des nécessités mêmes de la législation en vigueur, soit parce qu'il y a eu, comme en Belgique, fusion de la réglementation des dessins et modèles avec celle des droits d'auteur, de telle sorte qu'il n'y a plus aujourd'hui qu'une seule législation applicable, soit parce que les dessins et modèles ont toujours été ignorés du législateur, comme au Luxembourg et aux Pays-Bas où la protection ne peut, par suite, être envisagée que par assimilation à la propriété artistique. Tel n'est pas le cas de l'Italie qui connaît à la fois une législation propre à la propriété littéraire et artistique, et un régime de protection spécifique des dessins et modèles industriels. Le système de non-cumul des protections repose ici sur une conception rigoureusement dualiste de l'art. C'est au nom de ce principe que le législateur repousse formellement toute possibilité d'application cumulative des différents régimes de protection. Les dessins et modèles industriels, qu'il importe ici de distinguer soigneusement des œuvres d'art appliqué, ne peuvent donc relever que de leur législation spécifique.

Section I La protection spécifique des dessins et modèles industriels A côté des dessins et modèles ornementaux de caractère industriel, le droit italien connaît, en outre, le concept de modèle d'utilité. Cette notion, admise également en droit allemand sans qu'elle y ait toutefois la même portée, a une incidence profonde sur la conception des dessins et modèles.

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Le système englobe, en effet, dans la notion générale de dessins et modèles industriels, tout ce qui, en affectant la forme ou l'aspect des choses, est susceptible d'influer sur la valeur d'un objet ou d'un produit industriel, soit sur un plan purement fonctionnel en améliorant sa commodité d'usage ou d'emploi, soit sur le plan esthétique en rendant l'objet plus agréable aux yeux du public, par une forme ou une ornementation particulière. Ces deux sortes de créations dont la nature est fort dissemblable, les unes étant de caractère technique, les autres d'inspiration artistique ou tout au moins esthétique, ont, en réalité, un but commun, celui de rendre l'objet industriel plus désirable pour le consommateur et d'en augmenter, par suite, la valeur commerciale. C'est cette finalité identique que retient le législateur pour ranger les deux concepts dans une même catégorie juridique et les soumettre à un régime de protection semblable. Le décret royal du 25 août 1940 contenant les dispositions législatives relatives aux brevets pour modèles industriels concerne, en effet, à la fois les modèles d'utilité et les modèles et dessins d'ornement. L'opportunité de cette assimilation pour deux formes de création, indiscutablement très différentes dans leur essence, est parfois vivement critiquée. Certains auteurs souhaitent une législation séparée pour mieux tenir compte des impératifs propres à chaque catégorie 1 . C'est également, en ce sens, que semble s'orienter le comité d'études qui met actuellement en chantier la refonte de la matière. La législation en vigueur se borne à donner une définition distincte de ces deux sortes de créations. Les dessins et modèles ornementaux sont définis par l'art. 5, al. 1, du décret royal de 1940 comme étant « tout modèle ou dessin nouveau propre à conférer à un produit industriel déterminé une ornementation spéciale, soit par la forme, soit par une combinaison particulière de lignes, de couleurs ou d'autres éléments ». Les modèles d'utilité sont visés, à leur tour, par l'art. 2, al. 1, du même texte qui précise que « peuvent faire l'objet d'un brevet pour modèle d'utilité, les modèles nouveaux propres à conférer à des machines ou parties de machines, à des instruments, ustensiles ou objets d'usage en général, une efficacité ou une facilité d'application ou d'emploi particulier, tels que les modèles nouveaux consistant en une conformation, disposition, configuration ou combinaison particulières des parties ». Ces définitions sont reprises par les articles 2592 et 2593 du code civil. 1. V. notamment SALA, « Rassegna di dottrina in tema di disegni e modelli industriali », dans Riv. dir. ind., 1954, I, p. 276, en particulier p. 290.

Système de non-cumul de protection en droit italien

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Les dessins et modèles ornementaux et les modèles d'utilité sont ainsi régis par les mêmes dispositions en ce qui concerne les modalités d'application de leur protection. Toutefois le texte renvoie dans son article 1" aux dispositions concernant les brevets d'invention édictées par le décret royal du 29 juin 1939, sous réserve seulement des dispositions particulières prévues par le décret sur les modèles industriels. L'assimilation, inspirée par le caractère technique des modèles d'utilité, entraîne ainsi dans son sillage les dessins et modèles d'ornement. Un brevet pour dessin ou modèle ornemental pourra donc être délivré dans les mêmes conditions qu'un brevet pour modèle d'utilité. Cependant, la nouveauté qu'exige le texte est entendue par la jurisprudence et la doctrine comme une création nouvelle dans le domaine de l'esthétique 2 . Il est, en effet, évident qu'une telle condition ne peut être appréciée d'une manière rigoureusement identique dans les deux domaines. L'appréciation concrète que permet le caractère technique d'une création telle que l'invention industrielle ou le modèle d'utilité fait de la nouveauté une notion objective et absolue. En matière de création esthétique, on ne peut, au contraire, exiger qu'une nouveauté beaucoup plus relative, dont l'appréciation a nécessairement quelque chose de subjectif et qui tend souvent à se confondre avec la simple originalité. Cependant, le principe selon lequel toute divulgation antérieure au dépôt, en quelque lieu que ce soit, met obstacle à la nouveauté, expressément posé en matière d'invention par l'art. 15 du décret du 29 juin 1939, doit être nécessairement étendu, faute de disposition contraire, aux brevets de modèles industriels et, par conséquent, aussi bien aux modèles d'ornement qu'aux modèles d'utilité. Le modèle d'utilité n'est pas toujours facile à distinguer du modèle d'ornement, car l'innovation utilitaire qui caractérise le modèle s'accompagne bien souvent d'une forme originale qui relève du domaine de l'esthétique 3 . Il est encore bien plus malaisé de le séparer de l'invention proprement dite, car le modèle d'utilité n'est qu'une invention de second ordre qui s'applique à des objets déjà connus pour leur conférer une efficacité spéciale d'application ou d'emploi. L'idée inventive n'en est pas totalement exclue et la ligne de démarcation reste très difficile à préciser entre des créations qui, en réalité, diffèrent moins dans leur essence que dans le degré d'activité inventive qu'elles présupposent La délimitation 2. Cf. ASCARELLI, « Teoria della concorrenza e dei beni immateriali », p. 522-527. Sur le caractère absolu ou relatif de la nouveauté, v. supra, chap. III, 2 e partie. 3. Cf. SORDELLI, « Manifestazione e finalità di forme di prodotti e protezzione giuridica », dans Riv. trini, dir. civ., 1958, I, p. 217. 4. Sur la distinction entre les brevets d'invention et les modèles d'utilité et les critères proposés, v. infra, chap. II, 2' partie. Cf. GRECO, « A propos de la distinction entre invention

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est cependant indispensable puisque le régime de protection des modèles d'utilité se sépare de celui des brevets d'invention sur les points particuliers qui sont envisagés par le décret du 25 août 1940. La distinction entre les modèles ornementaux et les modèles d'utilité, qui peut apparaître superflue du fait qu'un texte unique leur est applicable, est en réalité rendue nécessaire par l'art. 8 du décret qui énonce la règle selon laquelle il est impossible de cumuler dans un même titre la protection pour les deux sortes de modèles : « Si la forme ou le dessin confèrent à un objet un caractère ornemental nouveau et en augmentent d'autre part l'utilité aux termes de l'art. 2, il peut être demandé en même temps un brevet pour modèle et dessin d'ornement et un brevet pour modèle d'utilité. En revanche, les deux formes de protection ne peuvent pas être cumulées dans le même brevet. » Il est donc impossible, aux termes de ce texte, d'obtenir par un même titre, à la fois la protection pour modèle d'utilité et pour modèle d'ornement. Si le choix s'avère souvent difficile en raison de la combinaison fréquente des éléments esthétiques avec le but utilitaire, il reste néanmoins possible de requérir les deux formes de protection dans deux titres distincts. Il n'y a pas alors véritablement cumul de protection puisque chaque titre protège des éléments différents. On peut tout au plus parler de cumul par addition, ce qui signifie que divers éléments d'un même objet sont soumis à des protections différentes, mais non d'un cumul pur et simple ou, comme on l'a dit, d'un cumul par superposition 5 . On peut néanmoins se demander quelle est la portée pratique de l'interdiction du cumul pour les modèles d'utilité et les dessins ou modèles d'ornement. Les deux sortes de création sont, en effet, soumises à la même loi, c'est-à-dire au décret du 25 août 1940 sur les modèles industriels. Leur régime de protection est identique : la durée de protection de quatre ans, non renouvelable, à partir du dépôt de la demande (qui est d'ailleurs la protection la plus courte existant dans les pays du Marché Commun) s'applique dans l'un et l'autre cas. Les formalités de demande et de délivrance sont identiques. Le brevet (qui signifie en réalité titre de dépôt) est délivré sans examen préalable, la procédure d'examen dont parle le texte dans ses articles 28 et suivants ne concernant que le contrôle de la demande au point de vue formel. Il est de même admis, nous l'avons dit, que l'usage du modèle avant le dépôt, qu'il s'agisse d'un modèle d'utilité ou d'un modèle d'ornement entraîne la nullité de celui-ci et modèle d'utilité dans le droit italien », dans Mélanges Roubier, t. II, p. 467 ; ASCARELLI, op. cit, p. 670 et s. ; ROTONDI, « Diritto industriale », 1965, p. 303 et s. ; SENA, dans Riv. dit. com., 1 9 5 4 , II, p. 2 5 1 . 5. Cf. DUSOLIER et SAINT-GAL, « Protection et défense des dessins et modèles », précité, chap. OLE, note 52.

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par assimilation à la divulgation en matière de brevet d'invention. On peut également rappeler que, toujours en application des règles relatives aux brevets d'invention (art. 54 du décret du 29 juin 1939), on étend à tous les modèles industriels (d'utilité ou d'ornement) l'obligation d'exploitation dans les trois ans qui suivent la date du dépôt, exploitation qui, d'après la jurisprudence, doit même être proportionnée aux besoins du pays 6 et se trouve sanctionnée par la déchéance. Les règles de protection apparaissant ainsi, en tous points semblables, on voit mal de prime abord en quoi pourrait consister l'intérêt du cumul de protection que la loi interdit, dans un même titre. L'exigence d'un double titre pour les éléments techniques et les éléments ornementaux se justifie sans doute essentiellement au point de vue fiscal en raison d'une double perception des taxes. Mais peut-être pourrait-on chercher aussi, sur le plan juridique, un intérêt effectif dans l'étendue du monopole que confère chacune de ces créations. L'art. 2592 c. civ. accorde, en effet, au titulaire d'un brevet pour modèle d'utilité « le droit exclusif d'exécuter l'invention, d'en disposer et de faire le commerce des produits auxquels elle se rapporte », tandis que l'art. 2593 définit le monopole résultant d'un brevet pour modèle d'ornement comme étant « le droit exclusif d'exécuter le dessin ou modèle, d'en disposer et de faire le commerce des produits le reproduisant ». Mais la rédaction distincte des deux textes ne semble pas, en réalité, recouvrir de véritables différences pratiques. La commission des Recours applique cependant très strictement le principe de la nécessité d'une protection séparée 7 . A la réflexion, la règle n'est peut-être pas aussi dépourvue d'intérêt qu'elle peut apparaître. Les deux brevets peuvent, en effet, avoir une utilité différente. Il ne faut pas oublier qu'ils ne portent pas sur le même objet : l'un protège une amélioration technique, l'autre une création ornementale. Il est donc dans l'intérêt même de l'auteur de posséder deux titres. Pour traiter avec un industriel intéressé par l'aspect technique, il conviendra de pouvoir utiliser un brevet pour modèle d'utilité, alors que le brevet pour modèle d'ornement servira seul dans d'autres négociations, par exemple avec une maison de modes. D'autres intérêts juridiques peuvent également apparaître du fait même que les deux brevets concernent des éléments différents par nature. Il peut arriver en particulier que l'un des brevets soit nul, alors que l'autre conserve sa pleine efficacité. En effet, bien que les conditions de 6. Cf. notamment Trib. Milan, 19 févr. 1953, Rassegna. dir. ind., 1953, 192. 7. V. notamment Comm. des recours, 26 juin 1962, sentenza 80/62, « l'une et l'autre protection ne peuvent se cumuler dans un seul brevet ».

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

validité exigées soient les mêmes pour chaque brevet, elles le sont au regard de l'objet protégé et cet objet est, par définition, différent. La nouveauté, par exemple, pourra être acquise au point de vue ornemental, alors que des antériorités certaines existent sur le plan technique. L'existence d'un titre unique empêcherait dans cette hypothèse de sanctionner la nullité du brevet pour modèle d'utilité. La nécessité de prendre deux brevets différents se double, en outre, d'une seconde précaution de la loi : les deux titres doivent être demandés simultanément et non successivement. Cette exigence se conçoit, semble-t-il, pour éviter la fraude qui pourrait consister, de la part des demandeurs, à prendre un premier brevet pour modèle d'utilité, puis postérieurement un second brevet pour modèle d'ornement afin d'avoir une deuxième date postérieure et d'augmenter ainsi la durée extrêmement brève de quatre ans des brevets pour modèles industriels. Mais à côté des dessins et modèles ornementaux qui obéissent ainsi à une législation spécifique, le droit italien distingue la notion d'oeuvre d'art appliqué où l'élément artistique l'emporte sur le caractère industriel parce qu'il peut être dissocié de ce dernier et relève par là, exclusivement, de la protection des droits d'auteur.

Section II La protection

des œuvres

d'art

appliqué

Les créations ornementales dans lesquelles le caractère artistique prédomine ne sont pas exclues de la propriété artistique du seul fait qu'elles sont appliquées à un objet industriel ou utilitaire. La loi sur le droit d'auteur du 22 avril 1941 fait, en effet, entrer expressément dans son champ d'application les œuvres d'art appliqué à l'industrie dans la mesure où leur valeur artistique peut être distinguée du caractère industriel du produit auquel elles sont associées (art. 2, al. 4). Mais les protections demeurent rigoureusement séparées. Le système du non-cumul, dans son acception la plus stricte, est formellement posé par la loi elle-même. Le décret du 25 août 1940, après avoir défini les dessins et modèles qui peuvent faire l'objet d'un brevet, déclare en effet expressément dans l'alinéa 2 de son article 5 que « les dispositions relatives au droit d'auteur ne sont pas applicables auxdits modèles et dessins ».

Système de non-cumul de protection en droit italien

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Le texte ne reprend pas la règle pour les modèles d'utilité mais elle est, a fortiori, la même. On voit mal d'ailleurs comment ces créations pourraient prétendre à la protection des droits d'auteur, la forme étant ici, par hypothèse, inséparable de la fonction technique. Un cloisonnement rigide existe donc, en droit italien, entre les deux modes de protection qui ne peuvent en aucun cas se chevaucher ni se cumuler. Tous les auteurs n'ont pas été unanimes, il est vrai, à rejeter aussi catégoriquement la conception de l'unité de l'art. On peut, notamment, relever l'opinion de Stolfi qui reconnaît avec Pouillet « qu'on ne peut tracer avec précision la ligne où finit l'art et où commence l'industrie », et que ne peuvent être admis comme éléments distinctifs ni la destination de l'œuvre qui peut changer après sa création, ni son mérite qui est purement subjectif. Les dessins et modèles sont, à son avis, des formes intermédiaires entre les œuvres artistiques et les droits de propriété industrielle, qui révèlent plus ou moins la personnalité de l'auteur et peuvent, de ce fait, jouir tant de la protection de la loi spéciale que de celle des droits d'auteur 8 . Même après la promulgation de la loi, on trouve encore des réticences mal dissimulées dans la doctrine. Certains n'hésitent pas à affirmer que la protection autonome accordée par la loi nouvelle aux dessins et modèles ornementaux est le fruit d'une politique législative et d'une distinction artificielle opérée entre l'art pur et l'art industriel 9 . La règle de l'interdiction du cumul entre la protection des droits d'auteur et celle des dessins et modèles ornementaux s'explique sans doute essentiellement par la différence très marquée des deux régimes. En particulier, la durée de protection extrêmement réduite, nous l'avons dit, pour les dessins et modèles d'ornement, contraste singulièrement avec la protection très longue de la propriété artistique qui subsiste pendant toute la vie de l'auteur et se prolonge encore, comme en droit français, cinquante ans après la mort de ce dernier. La possibilité du cumul favoriserait le maintien d'un monopole que, dans l'intérêt du commerce et de l'industrie, le droit italien a voulu très bref. L'absence de formalité pour bénéficier du droit d'auteur permettrait également de remédier à l'irrégularité ou à la nullité d'un dépôt de modèle industriel. 8. Cf. STOLFI, « La proprietà intelletuale », 1915, t. I, p. 335 et s. Sur la question v. aussi VIDARI, « Cours de droit industriel », p. 143 ; MUSATTI, « Opere dell'ingegno, disegni e modelli di fabbrica », dans Riv. dir. cor»., 1915, t. II, p. 161 ; DE SANCTIS, « Disegni e modelli ornamentali nelle legge di reforma delle private industriale e dei marchi », dans Riv. dir. d'aut., 1934, p. 482. 9. Cf. Di FRANCO, « Nozione teorica e disciplina legale dell'arte applicata all'industria », dans Riv. dir. d'aut., 1940, p. 269 ; voir aussi SALA, « Rassegna di dottrina in tema di disegni e modelli industriali », dans Riv. dir. ind., 1954, t. I, p. 276.

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La nécessité est ainsi apparue évidente, en droit italien, d'établir avec netteté une distinction qui conditionne un statut fort différent. Certains auraient voulu faire dépendre le tracé d'une frontière précise entre les deux sortes de créations, du seul caractère industriel. Un critère d'application facile semblait pouvoir être adopté en partant de l'idée selon laquelle le droit de la propriété artistique protège le domaine du « beau », alors que le droit de la propriété industrielle protège celui de « l'utile 1 0 ». On a proposé notamment de déduire le caractère industriel de l'idée de reproduction : l'œuvre artistique est, par essence, une création autonome et unique tandis que le dessin ou modèle industriel est appelé à être multiplié en objets similaires et nombreux u . Pour rendre le critère plus précis on a proposé de s'attacher au nombre d'exemplaires reproduits, à l'exemple du droit anglais. On a tenté également de retenir le caractère industriel à partir du but poursuivi par l'auteur : les œuvres qui relèvent de l'art seraient exclusivement celles qui ont pour but essentiel d'agir sur le sens esthétique au moyen de leur seule contemplation ; au contraire, les dessins et modèles seraient des formes nouvelles dont le but est de rendre l'objet plus attirant pour le public par l'intermédiaire de l'art 1 2 . Mais tenant compte d'une réalité plus complexe le législateur a repoussé ces critères dangereux qui aboutissent à exclure de la protection des œuvres d'art, des objets conçus par des artistes célèbres, idée qui avait soulevé, en France, on le sait, la colère de Victor Hugo lors d'un débat à l'Assemblée. L'Italie, terre des arts, ne pouvait choisir une solution aussi brutale. C'est pourquoi les œuvres d'art appliqué à l'industrie n'ont pas été éliminées systématiquement du champ de la protection des droits d'auteur. On estime, d'une part, que les œuvres d'art pur peuvent continuer à bénéficier du régime de la propriété artistique alors même qu'elles seraient utilisées à des fins industrielles et que, d'autre part, les œuvres d'art appliqué à l'industrie peuvent être également protégées au titre des droits d'auteur si l'élément artistique l'emporte sur le caractère utilitaire 1 3 . 10. Cf GHIRON, cité par DE SANCTIS, « Lettre d'Italie », dans Droit d'auteur, 1955, p. 124. 1 1 . MUSATTI, a r t . précité, p.

161.

12. BIAMONTI, « Sulla natura e sui limiti della tutela giuridica dei lavori d'arte applicata all'industria e dei disegni e modelli ornamentali », dans Riv. dir. d'autore, 1932, p. 443. Sur ces différents critères, v. SALA, art. précité, dans Riv. dir. ind., 1954, t. I, p. 276. BONASI-BENUCCI, « Tutela della forma nel diritto industriale », p. 231-232. L'auteur analyse méthodiquement tous les critères proposés et en conclut qu'ils sont inspirés par une idée commune. C'est, en définitive, le degré du niveau artistique qui est décisif pour l'attribution ou non du droit d'auteur. Ceux qui préconisent le critère du but ou de la destination s'attachent, en fait, au résultat plus qu'à l'intention de l'auteur. 13. En particulier comme arrêt de principe, Cass., 25 janvier 1933, dans Prop. ind., 1933, p. 174.

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L'œuvre artistique doit, en quelque sorte, pouvoir conserver sa valeur autonome par rapport au caractère industriel de l'objet auquel elle se trouve incorporée 1 4 . Toute la distinction repose, en définitive, sur l'idée d'une divisibilité possible entre l'œuvre d'art et les éléments matériels du produit industriel. Si l'élément artistique est inhérent à l'objet de telle sorte qu'il ne puisse être envisagé isolément, la création ne pourra bénéficier que de la loi sur les dessins et modèles industriels 1 5 . Cependant, malgré la rigidité du principe de non-cumul des protections, la règle a pu être interprétée par une doctrine autorisée comme n'excluant pas nécessairement la protection du droit d'auteur pour des créations qui, déposées comme dessin ou modèle ornemental, s'avèrent, en fait, être des œuvres d'art appliqué à l'industrie. C'est notamment l'opinion de MM. Fabiani et De Sanctis, pour lesquels le droit de revendiquer la protection des droits d'auteur n'est pas exclu lorsque l'œuvre appartient effectivement à la catégorie des œuvres artistiques spécifiées au § 4 de l'art. 2 de la loi sur la propriété artistique 1 8 . Ceci ne constitue, en effet, aucune dérogation véritable à l'interdiction du cumul. Il ne s'agit pas de faire jouer simultanément les deux modes de protection. Ce n'est qu'un moyen de réparer l'erreur commise, ce qui n'aboutit pas au maintien de la validité du brevet de dessin ou de modèle, mais seulement à la substitution de la législation sur le droit d'auteur qui était, en réalité, seule applicable. Toutefois, la question semble plus délicate lorsqu'on prétend faire rétablir la véritable qualification de l'œuvre après l'expiration du brevet de modèle. On a pu se demander si l'utilisation de la forme peut continuer à être interdite aux tiers sur le terrain des droits d'auteur, alors que la création est tombée dans le domaine public en vertu de la loi sur les modèles. La solution qui semble s'imposer est de refuser une telle 14. Cf. ASCARELLI, « Teoria della concorrenza e dei beni immateriali », p. 528, et jurisprudence citée. 15. Cf. Bulletin U. N. E. S. C. O., Droit d'auteur, 1958-59 ; DE SANCTIS, « Lettre d'Italie », DA, 1956, p. 127. « Les œuvres d'art pur rentrent dans le cadre de la loi sur le droit d'auteur, même si elles viennent à être utilisées pour décorer des objets industriels ; y entrent également les œuvres d'art appliqué à des produits industriels toutes les fois que leur valeur artistique prévaut sur le caractère utilitaire du produit. Au contraire, les dessins et modèles qui pour ainsi dire contribuent au caractère esthétique d'un produit industriel relèvent uniquement de la loi spéciale sur les dessins et modèles industriels. » Du même auteur, « L'Arte industriale e la sua tutela nei rapporti intemazionali », dans Riv. dir. ind., 1 9 5 5 , p. 2 7 6 . 16. Cf. FABIANI, « Le nuove tendenze per una disciplina internazionale dell'arte applicata e dei disegni e modelli industriali », dans Riv. dr. di autore, 1966, p. 451 ; DE SANCTIS, « L'arte industriale e la sua tutela nei rapporti internazionali », dans Riv. dir. ind., 1955, p. 277 ; « Lettre d'Italie », dans Droit d'auteur, 1956, p. 127 ; AULETTA, « Commentario al Codice civile », livre V, 1956, p. 326.

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possibilité lorsque la création a été effectivement utilisée à titre de modèle 17 . Il a pu sembler inadmissible que la protection de la forme puisse se prolonger après l'expiration du brevet, dans les limites du droit d'auteur, en raison de la mauvaise qualification initiale de l'œuvre. On a d'ailleurs fait observer que le brevet de modèle pourrait être interprété comme une renonciation définitive à une protection plus grande et différente de celle qu'il confère. Ainsi la forme pourrait être librement imitée après l'expiration du brevet, même si l'œuvre était, en réalité, une création d'art appliqué relevant du droit d'auteur. Mais il faut peutêtre à ceci apporter la réserve que fait en pareille hypothèse le droit anglais dont les conceptions sont assez proches 1 8 , c'est-à-dire que l'auteur conserve tout de même une exclusivité sur l'œuvre originaire, en ce sens qu'il peut encore invoquer la protection du droit d'auteur pour des imitations qui ne se concrétisent pas dans une application industrielle identique 1 9 . Le système de non-cumul de protection consacré par le droit italien repose donc tout entier sur la distinction fondamentale entre les dessins et modèles d'ornement et les œuvres d'art appliqué à l'industrie, la ligne de démarcation étant déterminée par un critère que définit le législateur lui-même dans l'art. 2, al. 4, de la loi du 22 avril 1941 : il y a œuvre d'art appliqué entraînant l'application exclusive du droit d'auteur quand la valeur créative du dessin ou modèle peut être séparée du produit industriel auquel il est appliqué. On aboutit ainsi à distinguer, en définitive, trois catégories de créations esthétiques industrielles : — Les dessins et modèles ornementaux protégeables par la seule législation des dessins et modèles industriels ; — Les œuvres d'art appliqué qui ne peuvent pas être distinguées du produit industriel et qui, quelle que soit l'importance de leur valeur créative artistique, sont soumises au même statut juridique que les précédentes ; 17. Cf. BONASI-BENUCCI, « Tutela della forma nel diritto industriale », 1963, p. 221. On trouve cependant dans « Giurisprudenza sistematica civile e commerciale », par BOUTET et DONI, 1966, p. 250 et s., l'opinion suivante : « Bien que la loi déclare expressément que les dispositions sur le droit d'auteur ne sont pas applicables aux dessins et modèles ornementaux, on doit au contraire admettre, en l'absence d'une disposition contraire, que l'œuvre d'art peut être protégée également comme modèle et que la protection du droit d'auteur continue à avoir effet lorsque expire la protection de durée plus réduite résultant du brevet de modèle. » 18. Loi anglaise sur le droit d'auteur, 1956, art. 10 ; cf. RUSSEL-CLARK, « Copyright in industriai designs », 1960, p. 97 ; RUBINSTEIN, « Droit d'auteur », 1957, p. 277. 19. Sur la question, v. BONASI-BENUCCI, op. cit., p. 222-223.

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— Les œuvres d'art appliqué dont l'élément artistique peut être, au contraire, dissocié du caractère industriel de l'objet auquel elles sont associées et qui, de ce fait, ont seules accès à la protection des droits d'auteur. Toute la question tourne, par conséquent, autour de l'appréciation de cette possibilité de dissociation. Ce critère, qui a pu être considéré avec quelque faveur sur le plan international, semble en effet, de prime abord, pouvoir remettre un certain ordre dans une question sur laquelle trébuchent depuis longtemps toutes les législations nationales 2 0 . Mais il importe, avant de porter un jugement de valeur, de l'analyser avec quelque attention pour dégager sa portée exacte dans l'interprétation qui lui a été donnée par la jurisprudence et la doctrine italiennes afin d'en déceler les difficultés d'application pratique.

Section I I I La notion de « dissociation » dans la qualification de l'œuvre d'art appliqué à l'industrie Bien avant l'intervention de la loi du 22 avril 1941, doctrine et jurisprudence avaient déjà dégagé la notion de « dissociabilité », que les auteurs italiens appellent d'un terme peut-être plus suggestif la « scindibilità », et la présentaient comme le critère le plus satisfaisant pour la détermination des œuvres d'art appliqué. M. Piola Caselli est l'un des premiers, semble-t-il, à l'avoir formulé d'une manière très nette : « Il faut entendre par œuvre d'art appliqué, écrit-il, une œuvre telle qu'elle puisse se concevoir comme œuvre d'art pur en la dissociant des éléments matériels qui lui donnent le caractère de produit industriel 21 . » M. Ghiron souligne également que la fonction utili20. Sur les difficultés qu'entraîne la conception italienne sur le plan international (nécessité d'envisager des accords bilatéraux avec les pays ayant une conception opposée), v. R. PLAISANT, « La Protection des arts appliqués, besoins nouveaux, idées nouvelles », dans D. A., 1957, p. 192. 21. Cf. Piola CASELLI, « Trattato del diritto di autore », 1927, p. 109 ; « L'allaciamento della protezione dell'arte industriale con la protezione del diritto di autore », dans Riv. dir. aut., 1940, 15, où l'auteur s'élève contre la théorie de l'unité de l'art en préconisant la protection des œuvres d'art appliqué sur le seul terrain du droit d'auteur.

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taire des objets auxquels s'incorpore un ornement n'exclut pas systématiquement l'œuvre d'art ; mais pour que l'ornement accède à la dignité artistique, il faut que l'autonomie artistique subsiste : si cette autonomie n'existe pas, l'embellissement de l'objet n'entre pas dans le domaine de l'art mais reste dans celui plus modeste du dessin ou modèle ornemental 22 . La jurisprudence avait, de son côté, très vite retenu ce critère qui semblait d'application plus facile et plus équitable que celui de la destination industrielle ou de la simple reproduction mécanique 23 . La Cour de Cassation l'avait elle-même consacré en termes très nets dans un arrêt du 25 janvier 1933 déclarant, à propos de figurines en bois qui servaient à orner des bouchons de liège, que « la protection découlant de la loi sur le droit d'auteur peut être revendiquée lorsque la manifestation artistique est à tel point indépendante des éléments matériels qui constituent le produit industriel qu'elle peut être considérée comme une œuvre distincte, et que la protection à titre de dessin ou de modèle industriel doit être accordée lorsque l'élément artistique constitue une partie intégrante du produit auquel il confère un aspect esthétique 24 ». Utilisant à nouveau ce critère, elle refusait, au contraire, la protection du droit d'auteur à des dessins ornant le dos de cartes à jouer, au motif que la séparation des éléments artistiques et industriels ne pouvait être opérée en l'espèce. « L'ornementation, dit la Cour Suprême, est ici un élément non dissociable de la matérialité du produit, privé d'existence et de valeur autonome 25 . » Elle le confirmait à nouveau à propos de dessins de caractères typographiques, la manifestation esthétique étant alors intimement liée à l'utilisation industrielle du produit 26 . C'est également la même idée d'autonomie du caractère artistique qui se dégage du rapport établi par la Commission ministérielle au sujet de la loi sur la propriété artistique du 22 avril 1941. On y trouve notamment l'exemple suivant : « Dans un chandelier sculpté par Benvenuto Cellini, la valeur de l'œuvre artistique prévaut sur le caractère industriel de l'objet sculpté, comme dans un domaine plus modeste les produits de la 22. GHIRON, « Corso di diritto industriale », 1937, t. II, p. 386 et s. ; v. aussi, « Vigente disciplina dei modelli industriali », dans Rassegna propr. ind., 1951, p. 133 et Riv. prop. tnt. e ind., 1952, p. 43. 23. Cf. « Giurisprudenza sistematica », op. cit., p. 250 et s. Sur les autres critères, v., en doctrine, GRECO, « Lezioni di diritto industriale », p. 263 ; ASCARELLI, « Teoria della concorrenza e dei beni immateriali », p. 677 ; AULETTA, « Commentario del codice civile », p. 326, mettant l'accent sur la valeur créative ; CORRADO, « Opere dell'ingegno », p. 176, en faveur du critère de la destination. 24. Cass., 25 janvier 1933, dans Prop. ind., 1933, p. 174 ; v. aussi Cass., 20 décembre, 1937, dans Foro, it., 1938, I, 563. 25. Cass., 10 juin 1938, dans Giurisprudenza comparata, 1942, p. 201. 26. Cass., 9 novembre 1937, dans Riv. dir. di autore, 1938, 39.

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taille du bois et de la céramique, bien qu'appliqués à des objets d'usage commun, peuvent conserver leur valeur autonome d'oeuvre artistique. » Dès lors la doctrine se concentre sur le concept de « dissociabilité », qui peut être entendu de deux manières fort différentes. On peut, en effet, l'interpréter dans un sens matériel en exigeant la possibilité d'une véritable scission entre l'œuvre artistique et le produit industriel, conception très étroite qui aboutit à restreindre à l'extrême le domaine des œuvres d'art appliqué susceptibles de relever du droit d'auteur. Mais on peut l'entendre, au contraire, dans un sens purement conceptuel, en s'attachant seulement à la possibilité d'une distinction idéale et abstraite entre l'élément artistique et l'objet industriel dans lequel il se concrétise. La doctrine s'est très vite ralliée à la conception idéale de la « dissociabilité 27 ». Cette interprétation, qui semble d'ailleurs corroborée par le rapport de la commission ministérielle précité, a été défendue notamment par M. Roscioni dans un rapport au Comité de coordination des législations de la C. E. E. La dissociation, affirme-t-il, ne doit pas être envisagée comme une possibilité matérielle. « Il suffit qu'une dissociabilité existe dans un sens purement idéal ou conceptuel pour que puissent être remplies les conditions de la protection sur la base du droit d'auteur 28 . » C'est également la conception retenue par M. Rotondi qui rappelle la distinction proposée par Pouillet entre le modèle artistique et le modèle ornemental d'après la nature même de l'œuvre, le premier s'attachant à l'impression esthétique, le second à la transformation d'un produit et indique que la délimitation doit s'opérer en recherchant si la forme nouvelle peut se concevoir comme existant « idéalement en dehors du produit dans lequel elle est réalisée 29 ». Reprenant l'exemple de la fameuse salière de Benvenuto Cellini, il montre qu'elle conserve sa valeur autonome d'oeuvre d'art parce que sa configuration artistique pourrait servir à tout autre objet (par exemple à un centre de table, un encrier, une bonbonnière) avec ou sans finalité pratique. Au contraire, la forme d'un vêtement ou d'une chaussure n'est pas dissociable du produit et ne peut par suite bénéficier que de la protection spéciale des dessins et 27. Cf. notamment Piola CASELLI, art. précité, dans Riv. dir. di aut., 1940, 15 ; VERCELLONE, dans Riv. dir. com., 1958, II, 172, note sous Cass., 22 oct. 1956 ; DE GREGORIO, « Corso di diritto commerciale », 1952, p. 110 et s. ; GHIRON, « La tutela dell'arte applicata all'industria », Giurisprudenza cass. civile, 1946, t. I, p. 248 et s. ; GRECO, op. cit., p. 172 et s. et p. 541 insistant sur la nécessité d'apprécier cette dissociation en fonction de la prédominance de la valeur artistique ou, au contraire, de la prédominance de l'emploi industriel ; FABIANI, « La protection des œuvres des arts appliqués et des dessins et modèles ornementaux dans la législation italienne », rapport présenté à l'ALAI (commission des arts appliqués), 1964. 28. Cf. ROSCIONI, « Rapport au Comité de coordination des législations de la C. E. E. sur les problèmes du droit des dessins et modèles », 1961, p. 46. 29. Cf. ROTONDI, « Diritto industriale », 1965, 5' édition.

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modèles. Mais dans la recherche de cette dissociation idéale il n'y a pas lieu de tenir compte du niveau artistique plus ou moins élevé de l'œuvre. Tous les dessins et modèles, quels que soient leur valeur ou leur mérite, peuvent être protégés comme des œuvres d'art si l'élément artistique se détache suffisamment du produit pour conserver une autonomie certaine. A la suite de cette doctrine, la Cour de Cassation a pris à son tour une position très nette dans le sens de la « scindibilità » idéale dont la notion se trouve précisée et éclaircie dans un arrêt du 22 octobre 1956 qui mérite de retenir l'attention 30. Il s'agissait en l'espèce de sachets pour semences de fleurs sur lesquels étaient reproduits des dessins de fleurs en couleurs ainsi que des indications sur leurs caractéristiques et leur mode de culture. Une action en contrefaçon sur le terrain du droit d'auteur avait été intentée par l'entreprise propriétaire du modèle contre une maison concurrente utilisant des sachets identiques. La Cour d'Appel de Milan avait pour sa part repoussé une telle demande en estimant que les dessins en question tendaient à satisfaire une exigence précise et subordonnée de publicité et ne conservaient aucune utilité après la cessation de cet usage, les sachets étant destinés à être détruits. La valeur artistique supposée de l'œuvre figurative ne lui semblait pas répondre, de ce fait, à l'exigence de dissociabilité du produit industriel imposée par l'art. 2 de la loi sur le droit d'auteur. La Cour de Cassation a, pour sa part, formellement condamné cette position en consacrant d'une manière très explicite le concept de la dissociation idéale. Elle souligne d'abord, à nouveau, la distinction nécessaire entre les œuvres d'art appliqué à l'industrie et les dessins et modèles ornementaux. Les premières, parce qu'elles conservent leur individualité artistique, et pour cette seule raison, s'opposent aux dessins et modèles qui tendent seulement à rendre plus esthétique et plus agréable le produit mais n'ont pas de valeur représentative autonome. Dans l'appréciation de la dissociabilité, seule doit entrer en ligne de compte la possibilité de concevoir l'œuvre indépendamment des éléments matériels, auxquels elle est liée. La Cour de Cassation condamne la Cour d'Appel de s'être arrêtée à la considération de but publicitaire et à l'impossibilité matérielle d'utiliser les dessins après l'emploi auquel ils étaient destinés. De tels arguments ne sont pas pertinents à son sens, car la valeur artistique est indépendante de la finalité poursuivie et, d'autre part, l'utilisation ultérieure de l'œuvre n'a pas à être considérée.

30. Cass., 22 oct. 1956, Affaire Franchi c/ Cellerino, dans Riv. prop. int. e ind., 1956, p. 238, et la note non signée dans Riv. dir. aut., 1956, p. 532 ; Droit d'auteur, 1957, p. 168 DE SANCTIS, « Lettre d'Italie ».

Système de non-cumul de protection en droit italien

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Les directives données dans cette espèce par la Cour Suprême sont donc en elles-mêmes très claires. En présence d'une œuvre d'art appliqué il suffit de se demander si cette œuvre contient une représentation artistique susceptible de conserver son autonomie lorsqu'on fait abstraction du produit industriel auquel elle est associée. Le commentateur de cet arrêt fait cependant très justement observer que le principe ainsi posé, malgré sa clarté et sa précision, reste d'application difficile et souvent incertaine. Il n'est pas douteux que si la valeur artistique de l'œuvre est suffisamment élevée et prédominante par rapport aux éléments matériels du produit, il sera alors naturel de concevoir la création artistique en elle-même et d'en conclure, par suite, que la dissociation existe. L'auteur prend l'exemple de cartons publicitaires illustrés de dessins de Toulouse-Lautrec : il ne pourrait être question à son sens de leur refuser l'accès à la propriété artistique. Mais, la plupart du temps, l'autonomie de l'œuvre artistique ne sera pas aussi évidente. Ainsi dans l'exemple cité précédemment où la Cour de Cassation refusait la protection des droits d'auteur aux dessins illustrant le dos des cartes à jouer, l'application du concept de dissociation idéale ne devrait pas conduire nécessairement à ce résultat. Il est très possible de concevoir un tel dessin dans son individualité figurative, indépendamment du produit industriel 31 . L'appréciation purement subjective, à laquelle conduit le critère de dissociation ainsi entendu, tend à élargir considérablement le domaine des œuvres d'art appliqué protégées par le droit d'auteur. En fait, actuellement, observe M. Fabiani, la jurisprudence italienne, « une fois reconnue la valeur de création artistique de l'œuvre d'art appliqué à l'industrie, admet, en général, la dissociabilité idéale du caractère industriel du produit 32 ». D'autres auteurs avaient également entrevu cet aboutissement inévitable du concept. Certains ont insisté dès l'apparition du critère sur la nécessité d'apprécier, en pratique, la dissociabilité en fonction de la prédominance de la valeur artistique 3 S . M. Auletta, dans son commentaire de la loi, observe notamment que la dissociabilité n'est autre que la manifestation ou la preuve de l'existence d'une véritable création artistique. Lorsque cette « creatività » existe, elle fait surgir d'elle-même la protection des droits d'auteur. Toute la distinction entre les œuvres d'art appliqué et les dessins et modèles ornementaux se fonde en réalité sur cette notion beaucoup plus que sur l'idée de dissociabilité 34 . 31. Cf. note précitée dans Riv. prop. int. e ind., 1956, p. 238. 32. Cf. FABIANI, « La protection des œuvres des arts appliqués et des dessins et modèles ornementaux dans la législation italienne », rapport précité, 1964. 33. Cf.

GRECO, op.

cit.,

p. 172 et s. et p. 5 4 1 .

34. AULETTA, Commentario précité, p. 325 et s.

104

Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

Mais on sait que la jurisprudence italienne est sévère en ce qui concerne l'exigence d'une création artistique sur le terrain des droits d'auteur. Une doctrine autorisée rejetait même totalement de la protection du droit d'auteur toutes les œuvres figuratives ayant un but industriel 35 . Dans cet esprit, la jurisprudence a notamment exclu des illustrations d'horaires ferroviaires, des catalogues, des calendriers, des recueils d'adresses d'abonnés au téléphone, des programmes d'exécution musicale, des images religieuses banales, de la petite publicité journalistique, etc. La conception restrictive de la création artistique est d'ailleurs encouragée par la loi italienne qui ne contient pas la formule que l'on retrouve en d'autres législations, et notamment dans la loi française, selon laquelle les œuvres susceptibles d'être protégées par le droit d'auteur le sont « quels que soient leur mérite et leur destination 36 ». Quoi qu'il en soit, la prise en considération de la valeur artistique de l'œuvre figurative semble bien conditionner, en définitive, l'appréciation de la dissociabilité. C'est ce qu'estime notamment M. Bonasi-Benucci pour lequel, dans la jurisprudence, « le jugement sur la dissociabilité a toujours été fortement influencé (sinon uniquement déterminé) par l'évaluation du degré de valeur artistique de la forme considéré en soi 37 ». On a pu néanmoins essayer de combiner, dans une certaine mesure, les deux idées pour aboutir à un critère plus nuancé qu'on a précisé de la manière suivante : les œuvres d'art appliqué à l'industrie sont celles pour lesquelles la forme ou la combinaison de lignes ou de couleurs peut se concevoir et être l'objet d'une valeur esthétique sans tenir compte de l'objet industriel auquel elle est appliquée, c'est-à-dire quand elle pourrait conserver la même valeur artistique, même si elle était exécutée en d'autres matières ; on parlera, au contraire, de dessin ou modèle ornemental quand cette forme ou combinaison ne peut être conçue autrement que comme une qualité esthétique du produit considéré 38 . Par application de cette idée on pourra juger, par exemple, qu'un dessin brodé sur un tapis peut avoir une valeur comme dessin en soi, et conserver cette valeur même s'il est exécuté sur un autre objet. De même la cariatide qui soutient l'arc d'un portail est une œuvre de sculpture qui conserve sa valeur, même 35. Piola CASELLI, « Droit d'auteur ». 36. C'est pourquoi la loi a dû prévoir dans un titre particulier les droits appelés connexes ou voisins des droits d'auteur. Il en est ainsi pour les plans d'ingénieurs et pour tous travaux qui constituent des solutions originales de problèmes techniques. La protection consiste en un droit à « récompense équitable » qui n'est accordée que si l'oeuvre contient une mention particulière de réserve et à condition d'en avoir effectué le dépôt administratif (art. 11 et 99 du règlement d'application de la loi). 3 7 . C f . BONASI-BENUCCI,

op.

cit.,

p.

244.

38. Cf. VERCELLONE, « Arte figurativa e modelli o disegni ornamentali », dans Riv. dir. com., 1958, t. II, p. 172, note sous l'arrêt de la Cour de Cassation du 22 octobre 1956.

Système de non-cumul de protection en droit italien

105

si elle est exécutée pour un autre objet et sans avoir de fonction architecturale. Au contraire, le dessin d'un tissu consistant en une combinaison de lignes originales restera toujours un dessin de tissu, le résultat esthétique ne pouvant être atteint que par les fils d'une matière textile. On ne peut donc l'imaginer que sous l'aspect esthétique d'un tissu. Ou encore, la carrosserie nouvelle d'une automobile restera toujours, et seulement, une forme de voiture ; elle ne peut être appréciée qu'en tant que qualité esthétique d'un objet déterminé, non comme une création esthétique en elle-même 39 . C'est bien au fond cette idée qui semble avoir dicté les solutions pour les créations de modes et de haute couture. Si original et artistique que soit le modèle nouveau, il ne peut s'abstraire du vêtement ou de l'objet dont il n'est que la qualité esthétique. La Cour de Milan l'a exprimé très clairement en refusant de considérer comme une œuvre de l'art appliqué un modèle de bourse. La dissociabilité suppose que le modèle puisse être considéré comme la manifestation de l'œuvre d'art, « laquelle s'oppose dans son individualité aux structures fonctionnelles du modèle 40 ». Mais en dépit de ses efforts pour parvenir à un critère suffisamment précis, la jurisprudence procède par tâtonnements successifs et la cohésion de la matière est loin d'être parfaite. Des travaux en cours mettent d'ailleurs en évidence les difficultés du système italien 4 1 . C'est ainsi que la ligue internationale contre la concurrence déloyale, lors du congrès de Milan des 9-10 nov. 1955 concernant la protection de l'art appliqué à l'industrie, émettait le vœu suivant : « 1° Que la défense des dessins et modèles ornementaux fasse l'objet d'une disposition de loi qui régisse exclusivement une telle matière. 2° Que ladite disposition perfectionne la coordination avec la loi en vigueur sur le droit d'auteur du 22 avril 1941, dans le but de délimiter avec une plus grande précision et clarté le champ d'application des deux protections, ayant toutes deux pour but la protection des créations de forme : que cependant, en tenant compte du principe de la soi-disant « dissociabilité » contenu dans la loi sur le droit d'auteur (art. 2, § 4), soit réservée en conséquence la tutelle de la loi sur les dessins et modèles ornementaux uniquement à ces détails de forme plastique ou à ces combi39. Exemples cités par VERCELLONE, note précitée. 40. Cour d'appel de Milan, 16 février 1962, dans Riv. dir. aut., 1963, p. 509. 41. Cf. R. PLAISANT, art. précité, dans D. A., 1957, p. 192.

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

naisons de lignes ou de couleurs qui servent à donner au produit industriel un ornement spécial ne constituant pas une œuvre artistique autonome dissociable du produit lui-même. 3° Que la demande de protection de l'œuvre en tant que modèle ou dessin ornemental n'empêche pas la revendication de la protection de la loi sur le droit d'auteur au cas où, éventuellement, l'œuvre en aurait les caractéristiques 4 2 . » En vue d'étudier ces suggestions, un Comité spécial d'étude fut constitué sous l'égide de la société italienne des auteurs. Il avait pour mission d'élaborer le texte d'un avant-projet de loi pour la protection des dessins et modèles ornementaux indépendants de la législation des dessins et modèles d'utilité. L'idée essentielle était surtout de détacher les deux réglementations dont la fusion comporte plus d'inconvénients que d'avantages. Mais en ce qui concerne la distinction avec les œuvres d'art appliqué à l'industrie, le principe du non-cumul reste maintenu et le concept d'inséparabilité est interprété conformément aux directives données précédemment par la jurisprudence. Seule la possibilité d'invoquer la loi sur le droit d'auteur est expressément consacrée, pour des raisons d'équité, lorsque la création protégée à tort sur le terrain des dessins et modèles ornementaux présente en réalité toutes les caractéristiques d'une œuvre d'art appliqué dissociable. Mais, en ce cas toutefois, l'intérêt légitime des tiers de bonne foi, qui auraient utilisé le modèle déposé pour d'autres produits industriels ou qui l'auraient reproduit après l'expiration du brevet, se trouve sauvegardé par l'octroi d'une licence légale leur permettant de poursuivre l'exploitation du modèle désormais soumis à une protection plus étendue 4 3 . La refonte législative du système de protection des dessins et modèles ornementaux reste à l'ordre du jour. Elle est actuellement confiée à une commission spéciale constituée auprès du Ministère du Commerce et de l'Industrie. En ce qui concerne le critère de dissociabilité, il semble qu'une tendance actuelle se dessine en faveur de son remplacement par une distinction fondée sur la prédominance du caractère industriel de l'œuvre. 42. Cf. Travaux du Congrès de Milan, 9-10 novembre MM. BARBIERI, SORDELLI, DE SANCTIS, ce dernier rapporté dans 43. Cf. Rapport de MM. FABIANI et DE SANCTIS sur les « national et international pour la protection de l'art industriel d'études de l'Institut de droit comparé des 20-25 juin 1960.

1955, avec les rapports de Riv. dir. ind., 1955, n°s 3, 4. Etudes en cours sur le plan », présenté à la 2 e réunion

Système de non-cumul de protection en droit italien

107

La Commission des Recours, peu de temps après la consécration par la Cour de Cassation du concept de dissociation idéale dans l'arrêt de 1956, n'a pas hésité, pour sa part, à rattacher la notion à l'existence d'une fabrication industrielle. « L'indissociabilité, affirme-t-elle, présuppose la possibilité d'une fabrication en série des objets, en opposition avec une fabrication individualisée de chaque objet isolément, même si une telle fabrication implique le recours à des critères identiques 4 4 . » C'est dans la même optique que se situe l'orientation nouvelle que préconise M. Bonasi-Benucci en suggérant l'abandon pur et simple de cette distinction complexe, pour laquelle aucun critère satisfaisant ne peut être trouvé, entre les œuvres d'art appliqué dissociables du produit industriel et celles qui ne le sont pas. La seule destination industrielle de l'œuvre devrait, à son sens, suffire à la soustraire entièrement au droit d'auteur 4 5 . On oppose, remarque-t-il, à cette protection unique un respect exagéré pour le droit des auteurs qui ne trouve que rarement une justification dans le secteur particulier des arts appliqués. La valeur intrinsèque de la forme appliquée à l'industrie est souvent très modeste et ne justifie pas la protection trop longue et trop large du droit d'auteur dont l'absence de formalité est, en outre, préjudiciable aux intérêts du commerce. L'auteur estime que la reproduction en série d'une œuvre artistique associée à un produit industriel influe inévitablement sur le jugement de valeur. L'œuvre d'art plastique est, dit-il, « par son essence même unique (ou tout au moins rare) et doit rester telle ». Du fait même de sa multiplication, elle subit une certaine dévalorisation même dans son contenu intrinsèque, elle perd son contenu émotif, on peut même dire qu'elle « se vulgarise ». Pour répondre aux exigences de la production industrielle de masse, il conviendrait donc, à son avis, d'unifier le système de protection « pour toutes les œuvres artistiques ou décoratives, sans distinction de valeur, dès lors qu'elles sont créées spécialement pour l'industrie ou même lorsqu'elles sont appliquées postérieurement avec un procédé d'adaptation de l'œuvre originale ». Une difficulté pourrait, il est vrai, surgir dans cette seconde hypothèse : l'œuvre pourrait ainsi avoir, en fait, une période de vie comme œuvre d'art pur jusqu'à son utilisation industrielle. Mais ce n'est pas, pour cet auteur, une objection déterminante. Rien n'empêcherait d'admettre un changement de protection à partir du moment où l'œuvre change de caractère. La protection spéciale et plus limitée qui découle de son caractère 44. Commission des recours, 17 mai 1957, sentenze n° 800. 45. Cf. BONASI-BENUCCI, « Forma del prodotto e sua tutela », dans Riv. dir. ind., t. I, p. 426 ; v. aussi « Tutela della forma nel diritto industriale », op. cit., p. 251.

1958,

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

industriel se substituerait simplement à la protection du droit d'auteur dont elle bénéficiait jusque-là. Cette uniformisation du système à travers l'idée de destination et de reproduction industrielle, qui rejoint la conception anglaise fondée sur le nombre d'exemplaires reproduits, est présentée comme une simplification souhaitable du système qui permettrait, en outre, de surmonter les difficultés actuelles d'une solution internationale uniforme 4 6 .

Section IV La protection des dessins et modèles sur d'autres terrains juridiques 1. La protection par le biais de la concurrence déloyale L'impossibilité d'appliquer aux dessins et modèles ornementaux la législation plus souple et plus longue des droits d'auteur conduit tout naturellement à chercher une protection subsidiaire à travers d'autres voies juridiques. La théorie générale de la concurrence déloyale, par son esprit et par son but, semblait a priori particulièrement apte à remplir ce rôle. Le Code Civil italien, contrairement à la législation française qui ne réprime la concurrence déloyale qu'à travers les principes de la responsabilité civile, contient une réglementation spéciale de la matière dans les articles 2598 à 2601. Ces dispositions visent, en substance, tout acte qui tend à produire une confusion avec le nom ou les signes distinctifs légitimement utilisés par autrui ou avec les produits ou l'activité d'un concurrent. Sont également sanctionnés les agissements de ceux qui imitent servilement les produits d'un concurrent ou qui utilisent directement ou indirectement tout autre moyen non conforme aux principes de la correction professionnelle et susceptible d'occasionner un dommage au commerce d'autrui. L'ampleur et la souplesse des formules de la loi sont telles qu'elles permettent de réprimer, en fait, tout acte contraire à la probité commerciale. Le recours à ces dispositions permettrait donc d'obtenir une protection efficace des dessins et modèles industriels en l'absence de toute 46. Cf.

BONASI-BENUCCI,

art. précité.

Système de non-cumul de protection en droit italien

109

formalité puisqu'elle se traduit par l'interdiction de la continuation des actes dommageables et, éventuellement, l'attribution de dommages-intérêts. Mais la loi réserve expressément le cas des dessins et modèles brevetés et décide que leur contrefaçon ne relève que du décret relatif aux modèles industriels. Cette solution se conçoit tant que le brevet est en vigueur, le recours à la concurrence déloyale étant, en ce cas, superflu. Mais la question reste posée après l'expiration de la validité du brevet de modèle ou encore dans l'hypothèse où celui-ci étant déclaré nul, le dessin ou modèle retombe dans le domaine public. La disparition du monopole empêche-t-elle alors de poursuivre encore les tiers sur le terrain de la concurrence déloyale ? Le problème se pose avec d'autant plus d'acuité, en droit italien, que la durée de 4 ans des dépôts de modèles est extrêmement brève et fait surgir très rapidement une telle situation. La doctrine est assez partagée sur la question 47 . Contre l'admission de la concurrence déloyale on fait valoir qu'on ne peut pas prolonger par ce biais un monopole au-delà des limites de la durée fixée par la loi spéciale. Mais on objecte aussi, en sens inverse, que les deux systèmes de protection ne sont pas de même nature ; chacun obéit à ses règles propres. De plus, la protection qui résulte de la concurrence déloyale est celle du droit commun, et M. Franceschelli fait très justement observer que l'institution du brevet pour modèle d'ornement serait une « institution piège » si elle aboutissait à faire perdre une protection à laquelle l'auteur aurait droit s'il n'avait pas déposé son modèle 48. La jurisprudence actuelle semble résoudre la question en admettant le recours à la concurrence déloyale pour imitation servile, mais dans la mesure seulement où cette imitation est susceptible d'engendrer une confusion dans l'esprit du public. Par suite, ne peuvent pas, en principe, être librement imités, après l'expiration du brevet, les éléments intrinsèques d'un produit qui se réfèrent à l'aspect formel de celui-ci ou les éléments extrinsèques ayant 47. Voir sur la question BIAMONTI, « La protezione pratica delle opere d'arte applicata », dans Riv. dir. aut., 1930, p. 562 ; DE SANCTIS, « In tema di concorrenza sleale a mezzo di reproduzione servile di opere dell'arte applicata », dans Riv. dir. aut., 1938, p. 40 ; Bulletin UNESCO, Droit d'auteur, 1958-1959 ; BARBIERI, dans Riv. dir. aut., 1955, p. 203 ; LUZZATI, « L'œuvre d'art appliqué à l'industrie », dans Rassegna prof, ind., lett. e art., 1956, p. 252 ; ROSCIONI, rapport précité, p. 48 ; GHIRON, « Giurisprudenza completa cass. civ. », 1951, p. 3 ; SALA, « Rassegna di dottrina in tema di disegni e modelli », dans Riv. dir. ind., 1954, t. I, p. 276 ; AULETTA, Commentario précité, p. 350 ; GRECO, « Corso di diritto commerciale », 1952, p. 250. 48. Cf. FRANCESCHELLI, « Imitazione servile di prodotti già coperti da brevetto per modello d'ornamento », note sous Cass., 29 janvier 1960, dans Riv. dir. ind., 1960, t. II, p. 121.

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

une individualité propre permettant de distinguer le produit des autres 49 . En revanche, la concurrence déloyale doit être écartée lorsque les éléments de forme concernent des caractéristiques de structure nécessaire du produit ou des éléments de sa substance. C'est ce que précisait notamment la Cour de Cassation dans l'arrêt du 22 octobre 1956 précédemment analysé, dans lequel la concurrence déloyale était invoquée à titre subsidiaire. Seuls, affirmait-elle, les éléments substantiels ou fonctionnels d'un produit, c'est-à-dire ceux qui sont nécessaires pour atteindre un but déterminé, peuvent être librement imités en l'absence d'un brevet, mais non pas les éléments de forme ayant une efficacité individuelle 50 . Dans un arrêt plus récent du 29 janvier 1960, la Cour de Cassation pose très nettement le principe selon lequel la concurrence déloyale peut être retenue pour imitation servile, après l'expiration d'un brevet, lorsqu'il s'agit, non de l'imitation des éléments extérieurs du produit afin d'en exploiter la valeur esthétique (car le modèle est tombé dans le domaine public), mais de l'imitation du modèle tout entier si cette imitation est de nature à créer une confusion entre la copie et le produit original 51 . Ainsi l'imitation servile, à elle seule, n'est pas suffisante pour permettre de recourir à la concurrence déloyale ; encore faut-il qu'elle se présente comme un moyen capable d'opérer dans le public une confusion effective avec les produits concurrents 52 . Cependant, même avec cette condition restrictive, le recours à la concurrence déloyale constitue, en de nombreuses hypothèses, un moyen de protection subsidiaire des dessins et modèles ornementaux, susceptibles d'atténuer dans une certaine mesure la rigueur du système italien.

2. La protection résultant des marques de forme La distinction entre les marques et les modèles est, certes, très claire : elle résulte de la finalité même de la création, les modèles ornementaux ayant pour but de rendre l'objet plus agréable dans son aspect esthétique 49. Cf. ROTONDI, « Diritto industriale », précité, p. 435. En ce sens, Trib. Cuneo, 27 mai 1953, note Teofilato, Giust. civ., 1953, 1952. 50. Cf. Cass. civ., 22 oct. 1956, précité. 51. Cass., 29 janvier 1960, dans Riv. dir. ind., 1960, t. II, p. 121, note Franceschelli, précitée. 52. Parmi les décisions les plus récentes, v. Trib. Milan, 17 novembre 1966, dans Riv. dir. aut., 1966. Comp. avec Cass., 10 août 1960, et Cass., 15 juillet 1963, Giust. civ., 1963, t. I, p. 221.

Système de non-cumul de protection en droit italien

111

alors que les marques visent seulement à identifier le produit 5 3 . Néanmoins la forme peut être à la fois ornementale et distinctive. Il se peut, en effet, qu'un dessin ou modèle, tout en conférant au produit industriel un nouvel aspect ornemental, constitue en même temps une marque de forme, c'est-à-dire un signe distinctif portant sur la forme ou l'aspect extérieur destiné à individualiser le produit (ainsi les récipients de certains produits sont souvent utilisés à titre de marque). Il semble alors certain que la création de forme puisse bénéficier, en pareil cas, à la fois d'un brevet pour modèle industriel et d'un « brevet » pour marque d'entreprise conformément au décret du 21 juin 1942, car la notion de marque comprend, en droit italien, « non seulement les dessins qui peuvent être apposés sur les marchandises mais aussi les marques de forme 54 ». La jurisprudence admet, pour sa part, sans hésitation semble-t-il, que la forme non essentielle et nécessaire d'un produit peut avoir une protection différente au regard des effets de la propriété industrielle, selon le but pour lequel elle est utilisée 5 5 . Elle accorde également la protection pour marque de fabrique à des créations qui relèvent du droit d'auteur, par exemple pour le titre d'une publication périodique qui lui sert en même temps de marque. La commission des recours approuve pleinement cette position en relevant que les exemples de pluralité de normes protectrices ne manquent pas pour un même bien juridique et que la loi pénale en prévoit même expressément la possibilité en réglant le concours des infractions 56 . Il n'en résulte pas cependant un véritable cumul des protections sur le plan proprement juridique. Il est certain, comme le souligne M. BonasiBenucci, que les lois sur les marques ne protègent la forme du produit que dans sa fonction distinctive et ne s'étendent pas à sa fonction ornementale. Cependant, lorsque la forme assume en même temps le rôle de marque, la protection accordée à la fonction distinctive finit, en fait, par bénéficier à la fonction ornementale en raison de l'unité d'expression formelle de ces deux fonctions 5 7 . L'exclusivité de la marque pourra ainsi compléter et prolonger utilement la protection du modèle après l'expiration du monopole. 53. Cf. ROTONDI, op. cit., p. 96 ; BROCK, « Les marques de forme », dans Riv. dir. 1952, t. I, p. 58 ; BONASI-BENUCCI, « Forma del prodotto e sua tutela », dans Riv. dir. 1 9 5 8 , t. I, p. 4 2 6 . 5 4 . Cf.

ASCARELLI, op.

cit.,

p . 6 7 8 ; ROSCIONI, r a p p o r t p r é c i t é , p .

48.

ind., ind.,

55. Trib. Milan, 7 janvier 1958 ; Commission des recours, 18 juin 1955, sent. n° 695. 56. Commission des recours, 19 janvier 1951, sent. n° 235. 57. Cf. BONASI-BENUCCI, art. précité, p. 443, sur le rapport entre les marques de forme et les modèles, voir aussi SORDELLI, « Relazione tra marchio e forma di prodotto ai fini di non confondibilità », dans Riv. dir. ind., 1958, t. II, p. 442.

CHAPITRE I V

L'UNITÉ D E PROTECTION E N D E LÉGISLATION

L'ABSENCE

SPÉCIFIQUE

Section I L'unité

de législation

dans

le système

belge

1. La réforme de 1935 Dans un désir d'unification le droit belge s'est rallié depuis 1935 à un système de protection unique assuré exclusivement par la législation sur les droits d'auteur. Tout régime de protection spécifique des dessins et modèles a été expressément aboli par l'arrêté royal du 29 janvier 1935 réglant les mesures relatives à la protection des dessins et modèles industriels 1 . Le texte en est extrêmement concis et se borne, après avoir donné une définition des dessins et modèles, à les soumettre au régime de la propriété artistique et à abroger l'ancienne loi du 18 mars 1806 sur les dessins et modèles : Art. 1" : « Tous dessins et modèles, c'est-à-dire toutes combinaisons de lignes, de figures, de couleurs ou de formes plastiques, dessinées, appliquées, gravées, sculptées, repoussées, moulées, tissées, brodées, etc., ayant pour but de donner à un produit un aspect nouveau ou une forme originale, sont soumis aux dispositions de la loi du 22 mars 1886 sur le droit d'auteur. Art. 2 : La durée de la protection est de cinquante ans à dater de la création pour les œuvres créées pour compte d'une personne morale. Art. 3 : Un dépôt facultatif sera organisé par arrêté royal. 1. Arrêté royal du 29 janvier 1935, n° 91, texte publié dans la Propriété 1935, p. 29.

industrielle,

114

Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

Art. 4 : Les articles 14 à 19 de la loi du 18 mars 1806 modifiée par la loi du 30 décembre 1925 et par l'arrêté royal du 30 juin 1933, ainsi que les articles 425 à 428 du code pénal de 1810 sont abrogés pour l'avenir. Toutefois, les dépôts de dessins et modèles industriels régulièrement effectués sous l'empire des dispositions reprises ci-dessus continueront à produire leurs effets. Dispositions transitoires : Art. 5 : En attendant qu'il en soit disposé autrement, les dépôts facultatifs de dessins et modèles industriels pourront être effectués et seront reçus aux greffes des conseils de prud'hommes compétents. Le dépôt en est effectué et le procès-verbal en est dressé conformément aux dispositions actuellement en vigueur. Ainsi la législation nouvelle étend le statut de la propriété artistique à tous les dessins et modèles industriels sans aucune considération de leur caractère artistique. Ces créations ne peuvent plus prétendre désormais à aucune protection spéciale au titre de la propriété industrielle (sauf à titre transitoire pour les dépôts de dessins et modèles régulièrement effectués sous l'empire des dispositions antérieures, art. 4, al. 2). Le principe de l'unité de l'art se trouve ici poussé jusqu'en ses conséquences les plus extrêmes : il n'aboutit plus seulement, comme en France, à une dualité de régimes mais à la fusion pure et simple des systèmes de protection au sein de la législation la plus généreuse et la moins formaliste, c'est-à-dire celle de la propriété artistique.

2. La législation antérieure et son interprétation Jusqu'à la réforme de 1935 qui confère actuellement à la Belgique une position assez isolée en matière de dessins et modèles, son système juridique, qu'il n'est pas sans intérêt de rappeler, était à peu près analogue au système français. La loi spéciale du 18 mars 1806 (qui était d'ailleurs la loi française instituant en matière de dessins et modèles un Conseil de prud'hommes à Lyon) régissait les dessins et modèles de fabrique sans s'opposer toutefois à l'application du régime de protection plus libéral institué par la loi du 22 mars 1886 pour les créations artistiques 2 . Les auteurs anciens avaient vainement cherché un critère satis2. Ce système subsiste sans doute pour les dessins et modèles déposés avant la loi de 1935 et qui, du fait de la très longue durée de protection, se trouvent actuellement encore protégés conformément à l'ancienne législation.

Unité de protection en l'absence de législation spécifique

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faisant pour séparer le domaine d'application respectif des deux lois. On avait tout d'abord estimé, en théorie, que le caractère industriel devait être déterminé par la destination de l'objet. Dès lors que le dessin ou modèle était reproduit par des moyens industriels, la loi de 1806 devait être seule applicable 3 . Mais, très vite, doctrine et jurisprudence sont revenues sur cette opinion, reconnaissant que la théorie de la destination ne peut donner satisfaction et qu'il convient de s'attacher essentiellement au caractère de l'œuvre. La Cour de Cassation proclamait pour sa part que le mode de reproduction d'une œuvre ne saurait lui enlever son caractère originaire 4 . Les tribunaux s'efforcèrent alors de déterminer le champ d'application des deux lois en s'attachant à la définition de l'objet. La Cour de Bruxelles déclarait notamment que les termes de la loi du 18 mars 1806 sur les dessins et modèles devaient s'entendre dans un sens large et qu'il convenait de les appliquer à toutes les combinaisons, dispositions, arrangements de figures, juxtaposition de lignes, ou agencements de couleurs qui donnent au produit un cachet de nouveauté, après avoir exigé de leur auteur un effort d'imagination ou de conception 5 , ou encore que « la loi de 1806 a eu en vue de protéger les dessins et modèles appliqués à l'industrie en tant qu'ils affectent la forme extérieure des objets, leur ornementation ou leur décoration et que, par un cachet d'originalité, ils les individualisent comme produits fabriqués 6 ». On estimait néanmoins que le cumul de protection n'était pas impossible, les textes ne l'écartant pas expressément, et qu'un dessin ou modèle pouvait avoir à la fois le caractère artistique et industriel 7 . En fait l'interprétation de la loi du 22 mars 1886 sur le droit d'auteur fut très libérale. Les tribunaux l'appliquaient pratiquement à toutes les créations de forme. La doctrine encourageait cette tendance, estimant que la loi devait protéger toutes les œuvres d'art sans considération de leur mérite et sans aucune distinction à établir. « L'effort ou le résultat le plus minime sont placés par le législateur sur le même pied que l'œuvre du plus grand génie. Dès qu'une œuvre porte en elle une parcelle d'art si pauvre et si chétive soit-elle, elle a droit à la protection de la loi de 1886. D'autre part, il importe peu que cette œuvre soit destinée à l'indus3. Cf. Pandectes Belges, v. « Dessins et modèles de fabrique », n os 5 et s. 4. Cass., 21 févr. 1889, Pasic., 1889, I, 128. 5. C. de Bruxelles, 19 juill. 1887, Pan. Per., 1888, n° 13. 6. C. de Bruxelles, 23 nov. 1896, Pan. Per., 1897, n° 55 ; v. également Trib. com. Bruxelles, 23 janv. 1904 ; Pan. Per., 1904, n° 1092 ; C. de Bruxelles, 30 déc. 1896, Pan. Per., 1897, n° 50. 7. Cf. ANSPACH et COPPIETERS, « Dessins et modèles industriels, propriété intellectuelle, droit belge », 1905, p. 24 et 25.

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trie. Elle n'en conserve pas moins son caractère initial d'oeuvre d'art et sa destination ou son emploi ne peuvent avoir pour effet de la soustraire à la protection de la loi sur le droit d'auteur 8 . » La Cour de Bruxelles s'exprimait en termes analogues à propos de modèles d'abat-jour : « Toute œuvre dénotant de la part de son auteur un effort vers une création personnelle et originale et, dans sa réalisation, une tendance vers un idéal esthétique, peut être qualifiée d'œuvre d'art ; l'expression œuvre d'art peut s'appliquer à toute œuvre même d'utilité pratique qui joint aux recherches du confort moderne la marque d'une création personnelle et un effort vers le beau, cet effort fût-il même réalisé seulement par l'agencement heureux et nouveau d'éléments connus 9 . » En définitive, dans la plupart des cas, les dessins et modèles industriels pouvaient prétendre, sous l'ancien régime, comme dans le système français actuel, à la protection cumulative des deux lois. Le décret de 1935 en supprimant la législation spécifique des dessins et modèles, n'a donc fait, selon l'opinion de certains, que consacrer la tendance générale de la jurisprudence belge qui, par l'extension qu'elle donnait à la loi sur les droits d'auteurs, permettait pratiquement à tous les dessins et modèles de fabrique, régulièrement déposés conformément à l'ancienne loi du 18 mars 1806, d'en bénéficier.

3. Appréciation du système actuel Le système de protection unique adopté par l'arrêté royal de 1935 séduit, de prime abord, par la simplification qu'il apporte au droit des dessins et modèles industriels. Pour cette raison il a trouvé des défenseurs fervents, notamment M. Coppieters de Gibson qui, lors d'un Congrès de l'association littéraire et artistique internationale de 1956, soulignait vigoureusement les inconvénients de la dualité de protection 10 . Par l'application d'une seule et même loi à toutes les créations de l'art appliqué on supprime surtout l'appréciation délicate et nécessairement arbitraire du caractère artistique de l'œuvre qui ne comporte aucun 8. Les Novelles. Droits intellectuels, 1936, v. Dessins et modèles, n° 56 ; ANSPACH et COPPIETERS, op. cit., p. 23-24 ; COPPIETERS, Art appliqué, n°s 10 et 11. Pandectes précités, v. Dessins et modèles, n° 17. 9. Bruxelles, 2 juin et 28 juill. 1922, Pan. Per., 1923, p. 4 4 ; v. aussi Bruxelles, 27 déc. 1911, Rev. pratique de droit industriel, 1912, t. II, p. 1, et 1913, t. II, p. 41 (pour des garnitures de plaques de propreté). 10. Cf. COPPIETERS et GIBSON, « Rapport au Congrès de l'Association littéraire et artistique internationale tenu à Amsterdam du 3 au 9 sept. 1956 », rapporté par R. PLAISANT, « La Protection des arts appliqués », dans Revue du droit d'auteur, 1957, p. 161.

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critère objectif et qui transforme les tribunaux en « jurys d'art ». « En réalité, déclare M. Coppieters de Gibson, tout dessin et modèle, qu'il soit industriel ou artistique, ayant en pratique pour but et pour effet de donner à un objet ou à un produit un aspect caractéristique et nouveau, est le résultat d'un effort de son créateur pour faire une œuvre originale et pour traduire dans un objet matériel une conception personnelle. La tendance du créateur d'un dessin ou modèle est aussi de réaliser des objets ou produits plus plaisants ou plus agréables à l'aspect, objets ou produits dont on peut dès lors dire que la présentation nouvelle qui leur est donnée est le fruit d'un effort vers le beau, ce qui doit faire admettre que toute création de la forme revêt un caractère plus ou moins artistique. » L'auteur fait observer que l'unification réalisée à travers la législation sur le droit d'auteur apparaît comme étant la plus effective et la plus efficace en raison de l'absence de formalités que souhaitent, en particulier, certaines industries. Il n'y a pas d'autres preuves à rapporter que celle du fait et de la date de la création, cette preuve pouvant d'ailleurs être facilitée par l'existence d'un dépôt facultatif. La longue durée de la protection de 50 ans prenant cours soit à la mort de l'auteur, soit à la date de la création si le dessin ou modèle appartient à une personne morale lui apparaît également souhaitable. En réalité, la faveur avec laquelle semble avoir été accueillie la réforme dans les milieux intéressés s'explique sans doute, surtout, par la simplification qu'elle réalise : Il est évidemment pratique pour l'industrie, comme le soulignait le rapport au Roi de l'arrêté du 29 janvier 1935, que toutes les créations de forme soient protégées par la même loi « depuis les plus sublimes jusqu'aux plus humbles » et que se trouve ainsi supprimée « l'artificielle barrière entre le dessin œuvre d'art pur et le dessin travail purement intellectuel 11 ». Néanmoins, le système de protection unique ne saurait rallier tous les suffrages. Parmi ses détracteurs les plus résolus, M. Gaspar en a fait une pertinente critique dont on ne saurait mieux faire que d'extraire le passage suivant 1 2 : « On sait, écrit cet auteur, que les artistes se sont plaints de voir les modèles, pour peu qu'ils présentent une touche, si faible soit-elle, d'originalité, assimilés à l'œuvre d'art la plus transcendante. On sait également à quelles conséquences regrettables le régime de 1935 a conduit, c'est-à-dire à protéger pendant une durée excessive de petites créations appliquées à des objets utilitaires, au refus des tribunaux de considérer 11. Rapport au Roi de l'arrêté royal du 29 janv. 1935 sur la protection des dessins et modèles industriels, Ing. Cons., 1935, p. 50. Novelles belges, v. Dessins et Modèles, n° 195, p. 58. 12. Florent GASPAR, dans Ing. Cons., 1963, p. 360.

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que les modèles relèvent encore de la propriété industrielle régie par la Convention d'Union de Paris, laquelle les mentionne pourtant explicitement au caractère non obligatoire du dépôt, qui prive les tiers d'un utile moyen d'information. Au demeurant la difficulté d'application tant soulignée est inéluctable ; pourquoi vouloir supprimer la question de savoir si une création relève du droit d'auteur ou seulement de la législation sur les modèles, alors que ce type de question subsistera toujours, même s'il n'y a qu'un genre de protection ? En effet s'il n'y a plus, par exemple, que la protection du droit d'auteur, on n'écartera pas la question de savoir si telle création controversée relève de cette protection unique, ou ne peut y prétendre, faute d'une nouveauté ou originalité suffisante 1S. » Ces objections, qui ne manquent pas de poids, ont été souvent reprises, notamment celle de la trop longue durée de protection. Il est certain que, dans un domaine où des facteurs tels que la mode rendent certaines créations très éphémères, ceci n'aboutit souvent qu'à une restriction bien inutile du domaine public qui risque de paralyser dangereusement le commerce et l'industrie 1 4 . Mais ce sont surtout les difficultés d'ordre international que suscite l'interprétation du nouveau système qui prêtent particulièrement le flanc à la critique.

4. Les difficultés sur le plan international En plaçant les dessins et modèles hors du domaine de la propriété industrielle, la nouvelle législation belge faisait naître un problème d'ordre international. Il s'agissait de savoir à quelle convention internationale il fallait se référer pour les dessins et modèles des étrangers en Belgique. On sait qu'en la matière, dans les pays qui admettent le système du cumul de protection, deux conventions peuvent être appliquées : celle de Berne sur les droits d'auteur et la Convention d'Union de Paris relative à la propriété industrielle. Avec le régime de protection exclusive sur le terrain des droits d'auteur il était permis de se demander si la solution nouvelle, adoptée sur le plan interne, excluait désormais tout recours à la Convention de Paris et si, seule, la convention de Berne pouvait 13. Florent GASPAR, art. précité, p. 370. 14. Cf. notamment Robert PLAISANT, « La Protection des arts appliqués », dans Propriété industrielle, 1957, p. 161. V. également les critiques adressées au système lors des travaux de l'Association nationale belge pour la protection de la propriété industrielle. Assemblée générale 21 mars 1961, dans Ing. Com., 1961, p. 235-236.

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être invoquée en Belgique par les étrangers 1 5 . La question n'était pas sans intérêt et sans conséquence grave sur le plan international. L'application de la Convention de Berne, en effet, n'offre pas toujours, en la matière, les mêmes avantages que la Convention de Paris. D'abord il ne faut pas oublier que les deux Conventions n'ont pas été signées par les mêmes pays. Certains, comme les Etats-Unis notamment, sont parties à la Convention d'Union de Paris mais n'ont pas ratifié celle de Berne. Admettre que la Convention de Paris devient inapplicable du fait de la modification de la législation interne en Belgique revient donc à les dépouiller de toute protection dans ce pays en matière de dessins et modèles, ou plus exactement à les soumettre à la condition générale des étrangers. Or ceux-ci ne peuvent invoquer la loi belge de 1886 sur le droit d'auteur que s'ils satisfont à la double condition de réciprocité posée par l'article 38 de ce texte, c'est-à-dire réciprocité quant à la durée de protection 1 8 et réciprocité quant à l'étendue de la protection 1 7 . D'autre part, pour les pays qui peuvent invoquer la Convention de Berne, l'application de ce texte peut aboutir à une protection assez réduite en raison du principe de réciprocité qui s'y trouve posé, lequel s'oppose précisément au principe de l'assimilation au national consacré par la Convention d'Union de Paris. Le régime exclusif des droits d'auteur, transposé sur le plan international, n'est donc pas sans inconvénient pour les ressortissants étrangers bénéficiant jusqu'alors des dispositions de la Convention de Paris. C'est néanmoins dans le sens de l'exclusion de cette dernière que s'est prononcée la jurisprudence belge. Par un arrêt du 5 juillet 1953, la Cour d'Appel de Bruxelles décidait qu'en vertu de l'arrêté-loi du 2 9 janvier 1935, les dessins et modèles des étrangers ne pouvaient plus prétendre en Belgique à la protection résultant de la Convention de Paris et que les nationaux, non signataires de la Convention de Berne, ne pouvaient être protégés que sous les conditions de réciprocité prévues par l'art. 38

15. Cf. Guy DELFOSSE, « La Protection en Belgique des dessins et modèles appartenant à des étrangers », dans Rev. Ing. Cons., 1962, p. 121. 16. Les dessins et modèles étrangers ne sont pas protégés en Belgique pour une durée plus longue que celle qui existe dans leur propre pays (la réciprocité s'apprécie par rapport à la nationalité de l'auteur et non par rapport à celle du modèle qui peut être différente puisque la Convention de Berne prévoit que la nationalité du modèle peut être le pays de sa première publication). 17. La protection accordée en Belgique se mesure à l'étendue de la protection qui serait accordée à un modèle belge dans le pays de l'intéressé (cette restriction est toutefois entendue avec une certaine souplesse et ne joue que si le modèle étranger a déjà été publié une première fois ailleurs qu'en Belgique). Sur ces problèmes de réciprocité et sur la situation générale des étrangers, cf. DELFOSSE, art. précité, p. 138-139.

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de la loi du 22 mars 1 8 8 6 1 8 . La Cour de Cassation, confirmant cette décision, posait en termes décisifs les principes suivants : 1° « Que sans plus tenir compte de leur destination ou de leur emploi, éventuellement industriel, l'arrêté de 1935 a soumis tous les dessins et modèles au régime du droit d'auteur en ne considérant l'œuvre que dans son caractère artistique au sens extensif » ; 2° « Qu'ainsi le législateur... a exclu la notion de propriété industrielle » ; 3° « Que les dessins et modèles n'étant plus protégés en tant que propriété industrielle... les adhérents à la Convention d'Union de Paris ne trouvent pas dans l'art. 2 de cette Convention le droit de revendiquer l'application de ces prescriptions 1 9 ». Une telle solution, permettant à un état d'échapper à ses engagements internationaux du seul fait de la modification de sa législation interne, devait entraîner les réactions les plus opposées. Certains l'ont approuvée, estimant qu'elle est seule conforme aux intentions du législateur de 1935 et que la Belgique ne viole pas davantage la Convention de Paris que des pays tels que la Hollande ou le Luxembourg qui n'ont établi aucune protection pour les créations de forme. On fait observer également que le dépôt d'un dessin ou modèle étranger ne saurait être susceptible d'accroître sa protection en Belgique, car cette formalité ne subsiste qu'à titre facultatif (aussi bien d'ailleurs pour les créations proprement artistiques que pour les dessins et modèles). Le dépôt n'ayant d'autre but aujourd'hui que de faciliter la preuve, et n'étant pas attributif de droit, ne saurait conférer à l'étranger plus de droits que n'en obtient le national 20 . Mais on a aussi vivement ressenti combien cette position mettait en cause le respect par la Belgique de ses obligations internationales. Il est indéniable qu'en adhérant à la Convention de Paris, elle s'était engagée à garantir à tous les ressortissants de l'Union la protection de leurs différents droits de propriété industrielle parmi lesquels se trouvaient compris les dessins et modèles. M. Gaspar s'est, en particulier, vigoureu18. Bruxelles, 5 juillet 1953, dans Rev. Ing. Cous., 1954, p. 21, et trib. corr., 12 juill. 1952, et dans Rev. Ing. Cons., 1954, p. 23 ; note critique F. GASPAR, dans Rev. Ing. Cons., 1954, p. 1. 19. Cass., 20 décembre 1954, dans Rev. Ing. Cons., 1955, p. 35, et dans Journal des Tribunaux, 1955, p. 382, obs. Smolders. V. aussi Liège, 10 nov. 1954, dans Journal des Tribunaux, 1955, p. 385, et dans Rev. Ing. Cons., 1955, p. 185, 1956, p. 16. Bruxelles, 25 févr. 1959, dans Journal des Tribunaux, 1959, p. 690. 20. Cf. G. DELFOSSE, étude précitée, dans Rev. Ing. Cons., 1962, p. 132. En sens contraire, v. SMOLDERS, obs. précitée, dans Journal des Tribunaux, 1955, p. 382.

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sement insurgé contre la décision de la Cour de Cassation : « Il n'est pas croyable, écrit-il, que les modèles aient pu, furtivement, sans dénonciation, se soustraire à la Convention de Paris. « Ce qui fut, est et reste un modèle — et continue d'être appelé ainsi par les spécialistes aussi bien que par les profanes, ce qui prouve à suffisance qu'il ne s'agit pas d'un vestige d'un temps révolu mais d'une réalité encore bien vivante — ne bénéficierait plus chez nous du régime formellement et explicitement prévu par la Convention de Paris ? et ce, sous prétexte qu'une loi nationale belge a renvoyé les modèles à d'autres objets pour les modalités de protection à leur reconnaître ? Ce serait mettre la sécurité des Conventions internationales à la merci de convenances particulières ou accessoires d'assimilation, de classement et de vocabulaire 21 ! » Il est évident que le rattachement des dessins et modèles au droit d'auteur n'a pas fait disparaître pour autant leur réalité distincte. On continue à parler de dessins et modèles. Ils demeurent des entités différentes des créations artistiques proprement dites. De plus, cet auteur souligne que le législateur de 1935 lui-même a donné des dessins et modèles une définition distincte et les a soumis à un régime parfois spécial, notamment en ce qui concerne le dépôt facultatif. C'est donc qu'il a voulu donner à ces créations à peu près la même protection qu'au droit d'auteur, mais sans prétendre éliminer cette catégorie qui continue à se ranger dans le domaine de la propriété industrielle. A ces arguments juridiques fort pertinents s'ajoute surtout la condamnation de l'attitude belge sur le plan international. On a vivement dénoncé la position rétrograde de la Belgique qui consacre encore la primauté du droit interne sur les conventions internationales. En d'autres pays une telle difficulté n'aurait pu surgir en raison de l'admission du principe inverse de la supériorité des traités sur les lois internes. En France notamment, l'art. 26 de la Constitution prévoit que les actes diplomatiques, régulièrement ratifiés et publiés, ont force de loi, même lorsqu'ils sont contraires à des lois internes. Certains magistrats belges, conscients de la position critiquable de leur pays à cet égard, ont conclu eux-mêmes à la nécessité d'un revirement de jurisprudence 22 . En dehors de la question du respect des engagements internationaux, la solution belge peut encore soulever d'autres problèmes dans l'application des dispositions conventionnelles. On peut notamment se demander 21. F. GASPAR, obs. précitée, dans Rev. Ing. Cons., 1954, p. 1, et 1955, p. 1, 75 et 141. 22. Cf. ROMMEL, vice-président du tribunal de première instance de Courtrai, étude sur le droit des étrangers en Belgique en matière de dessins et modèles industriels, parue dans la publication du « Centre international des Magistrats », 1961.

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si les Belges qui veulent se prévaloir du droit de priorité prévu par la Convention de Paris, dans un pays où les dessins et modèles sont soumis à une loi spéciale prescrivant le dépôt obligatoire, peuvent invoquer le dépôt facultatif effectué en Belgique conformément à l'arrêté de 1935. On trouve une réponse affirmative dans certains ouvrages 23. La solution semble cependant discutable si on considère que les dessins et modèles, en droit belge, n'entrent plus dans le cadre de la propriété industrielle.

5. Les tendances actuelles du droit belge Les difficultés et les critiques que suscite le système de protection unique par le droit d'auteur semblent amorcer un certain mouvement en faveur de l'abandon de ce régime. On peut, à cet égard, signaler les travaux de l'Association nationale belge pour la protection de la propriété industrielle. La commission étudiant le droit des dessins et modèles avait d'abord rédigé en 1960 un rapport préconisant la restauration de la double protection (c'est-à-dire à la fois par le droit d'auteur et par une législation propre aux dessins et modèles), ainsi que le caractère attributif du dépôt 2 4 . Mais cette proposition fut mal accueillie par l'Assemblée générale de cette association, dont certains membres très attachés au système de protection unique faisaient valoir surtout les avantages pratiques d'une protection sans dépôt 2 5 . La commission ayant demandé que la question soit réexaminée en partant de la législation existante, un nouveau rapport fut présenté, maintenant l'assimilation des dessins et modèles industriels aux œuvres d'art, mais sous réserve d'une réduction de la durée de protection et proposant, en outre, un critère objectif pour la définition du dessin ou modèle tiré du nombre d'exemplaires reproduits. Le rapport préconisait également la reconnaissance du caractère attributif du dépôt. Mais ce fut surtout à la suite du projet de la loi uniforme des pays du Bénélux en matière de dessins et modèles que s'accentua la tendance à délaisser le système de 1935. Les travaux de la commission prirent désormais pour point de départ les dispositions de ce projet plutôt que le droit positif national destiné, de ce fait, à disparaître à plus ou moins brève échéance. 23. V. notamment Novelles, Dessins et modèles, n° 133. 24. Sur ces travaux, v. Rev. I/ig. Cons., 1961, p. 235-236. 25. Assemblée générale du 21 mars 1961, Rev. Ing. Cons., précitée, MM. COPPIETERS et FRANCOTTE s'insurgent contre la tendance à abandonner le système actuel de protection unique et sans dépôt.

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Or le projet de loi Bénélux institue en matière de dessins et modèles un régime spécifique qui se distingue du régime des droits d'auteur essentiellement par le dépôt obligatoire 26 . Il n'exclut pas, d'autre part, la possibilité du cumul de protection pour les dessins et modèles ayant un « caractère artistique marqué ». L'article 21 dispose, en effet, qu'un « dessin ou modèle qui a un caractère artistique marqué peut être protégé à la fois par la présente loi et par les lois relatives au droit d'auteur, si les conditions d'application de ces deux législations sont réunies ». Le système du cumul est donc expressément consacré. Mais, conformément à la tendance qui semble s'affirmer en Allemagne et dans les pays nordiques, c'est une solution de cumul partiel ou limité qui est adoptée. Le principe de l'unité de l'art n'est pas posé, comme en France, d'une manière absolue. Les créations d'art industriel ne sont pas à priori exclues de la propriété artistique, mais elles ne peuvent y prétendre qu'à la condition de révéler un caractère artistique suffisant. Le texte prévoit, en outre, l'extinction prématurée du droit d'auteur en même temps que le droit sur le dessin ou modèle (lequel ne peut excéder une durée totale de 15 ans divisée en trois périodes de 5 ans, avec renouvellement sur simple demande) lorsque les deux droits appartiennent au même titulaire et que celui-ci n'a pas effectué une déclaration spéciale pour maintenir son droit d'auteur. S'inspirant de ces dispositions qui ne sauraient tarder à régir les relations des pays du Bénélux, la commission belge tend à se rallier aujourd'hui au système de la double protection, mais en imposant à celui qui veut cumuler les deux formes de protection l'obligation de se conformer aux règles des dessins et modèles industriels. Elle réserve toutefois à l'auteur d'un dessin ou modèle la faculté de maintenir son droit au titre des droits d'auteur à l'expiration de la protection spécifique, au moyen d'une déclaration spéciale 27 . Les conditions de forme de la protection, actuellement préconisées, sont également calquées sur celles du projet de loi uniforme : caractère attributif du dépôt, publicité du dépôt avec possibilité pour le déposant de demander le secret pendant une certaine période, non exigence de la mention du dépôt sur le produit, etc. 26. V. la publication du projet, dans Rev. Ing. Cons., 1963, p. 183. Parmi les études relatives à la matière, cf. Florent GASPAR, quelques observations sur le projet Bénélux relatif aux modèles, dans Rev. lng. Cons., 1963, p. 360. V. également rapport du groupe néerlandais à la réunion de Salzbourg de l'A. I. P. P. I., 1964 (rapport GERBRANDY). Rapport DESBOIS à la Commission spéciale de l'A. L. A. I. ; R. PLAISANT, « La protection des œuvres d'art appliqué à l'industrie », dans Droit d'auteur, 1964, p. 96 ; LIMPERG, « Projet de loi néerlandais et projet de loi uniforme Bénélux sur les dessins et modèles industriels », dans Rev. int. du droit d'auteur, 1964, p. 131. 27. V. rapport de M' Antoine Braun à l'Assemblée générale du 28 janvier 1964, dans Rev. lng. Cons., 1964, p. 45.

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Il y a donc tout lieu de penser que le système de protection unique qui isole actuellement la Belgique en matière de dessins et modèles, et l'oppose à ses partenaires du Marché Commun, est en voie de disparition prochaine.

Section I I L'absence de législation aux Pays-Bas, au Luxembourg et dans les états associés au Marché Commun Il existe enfin des pays qui ne connaissent aucune réglementation des dessins et modèles, la matière n'ayant jamais été envisagée par le législateur. Tel est le cas des Pays-Bas et du Luxembourg ainsi que de deux états actuellement associés au Marché Commun : la Grèce et la Turquie. Ceci n'est pas sans susciter de graves difficultés sur le plan international pour l'application de certaines conventions. C'est ainsi que l'Arrangement de La Haye du 6 novembre 1925 concernant le dépôt international des dessins et modèles industriels, révisé à Londres le 2 juin 1934, ne peut trouver à s'appliquer dans ces pays. Cet Arrangement a cependant été signé par les Pays-Bas (non par le Luxembourg), mais en l'absence de toute législation nationale sur la matière il ne saurait y produire d'efïets 2 8 . Le Nouvel Arrangement de La Haye du 28 novembre 1960, non encore en vigueur, auquel adhère désormais le Luxembourg, laisse subsister la même situation. La seule protection que puissent trouver dans ces états les dessins et modèles industriels est celle de la propriété artistique, dans la mesure où les créations de forme peuvent être considérées comme des œuvres de l'art appliqué. Mais, à la différence du droit belge, aucun texte ne les renvoie à cette législation. Ils ne sont donc englobés dans le domaine des droits d'auteur qu'à la condition de posséder le caractère habituel de l'œuvre d'art. C'est ainsi que la loi hollandaise du 23 septembre 1912 sur le droit d'auteur, dans l'énumération que donne son article 10 des diverses œuvres protégées par cette réglementation, envisage seulement dans son dernier alinéa « les œuvres d'art appliqué à l'industrie et, en général, 28. C. de Cassation, 26 avril 1935, dans Prop. ind., 1935, p. 147, Markenschutz uni Wettbewerb, 1935, p. 297. Trib. Zutphen, 30 oct. 1932, confirmé par Cour d'Arnheim, 6 juin 1934. Cf. DUSOLIER et SAINT-GAL, « Protection et défense des dessins et modèles », éd. Delmas, 1964, chap. O 2 1 .

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toute production du domaine littéraire, scientifique ou artistique, quel qu'en soit le mode ou la forme de reproduction 29 . Il en est de même dans la loi luxembourgeoise concernant les œuvres littéraires et artistiques du 10 mai 1898. La définition des œuvres protégées se termine par une formule très générale qui permet d'y inclure les dessins et modèles présentant un caractère artistique : L'expression « œuvres littéraires ou artistiques » comprend... toute production quelconque du domaine littéraire, scientifique ou artistique qui pourrait être publiée de quelque manière et sous quelque forme que ce soit » (art. 1"). La protection qui est assurée, dans ces deux législations, pendant la vie de l'auteur et cinquante ans après son décès, ne bénéficie donc qu'aux créations de forme révélant un caractère artistique certain, ce qui ne protège en définitive qu'un nombre très insuffisant de dessins et modèles. Les Pays-Bas, conscients de cette lacune, ont institué depuis 1953 une Commission consultative sous le contrôle du Ministre de la Justice et du Secrétaire d'Etat aux Affaires économiques, chargée d'examiner la question de la protection spécifique des dessins et modèles industriels 30 . Le texte d'un avant-projet de loi a été élaboré par cette commission en 1958. Il prévoit une protection spéciale fondée sur le dépôt et admet la possibilité du cumul avec la protection actuelle du droit d'auteur. Mais aucun projet de loi n'a encore été, à notre connaissance, déposé. L'appréciation du caractère artistique nécessaire à la protection du dessin ou modèle dans ces législations est donc livrée à l'arbitraire des tribunaux. Ils semblent, à cet égard, faire preuve parfois d'une assez grande rigueur. Aux Pays-Bas notamment, ils exigent que le degré artistique de l'œuvre atteigne un certain niveau ainsi que son caractère d'originalité et d'individualité. La jurisprudence a, par exemple, refusé la protection à des modèles de chaussures estimant que la combinaison des formes, des lignes et des couleurs ne dépassait pas le simple niveau du bon goût 3 1 . De même l'absence d'originalité et de caractère artistique a été opposée à un dessin de rayures sur tissu de coton 32 . 29. Loi du 23 sept. 1912, publiée dans le Droit d'Auteur, 1912, p. 146, ainsi que dans l'ouvrage de DUSOLIER et SAINT-GAL, op. cit., chap. R21. Sur le droit des Pays-Bas : cf. HIRSCH-BALLIN, « La protection des arts appliqués à l'industrie aux Pays-Bas », dans Rev. int. dr. d'auteur, 1962, p. 232 ; CROON et SANDERS, « Der Schutz von Geschmackmustern in Holland », GRUR, 1958, p. 299 ; LIMPERG, « Le droit de modèle aux Pays-Bas », dans Rev. int. dr. d'auteur, 1958, t. XXI, p. 27. 30. Cette commission fut d'abord présidée par le professeur Meyers auquel succéda le professeur Bodenhausen. 31. Cour de La Haye, 9 février 1942, dans Nederland jurisprudence, 1942, p. 371. 32. Cour d'Amsterdam, 12 novembre 1953, dans N. }., 1954, p. 126.

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Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

« La fonction essentielle du créateur de produits industriels artistiques, dit la Cour de Rotterdam, consiste à trouver à des problèmes techniques une solution qui donne satisfaction au sentiment esthétique33. » C'est pourquoi les tribunaux éliminent les créations dont la forme est commandée par le résultat fonctionnel et non par le souci de la recherche artistique 34 . La jurisprudence dégage, en outre, en cette matière, le principe selon lequel la protection du droit d'auteur ne peut être accordée à une œuvre d'art appliqué à l'industrie que si sa réalisation dépasse la compétence technique ordinaire d'un professionnel35. Cette attitude réservée de la jurisprudence hollandaise s'explique d'ailleurs, comme le note M. Hirsch-Ballin, par le désir d'aboutir à une législation spécifique des dessins et modèles. « La jurisprudence, écrit-il, ne se montre pas très encline à accorder la protection du droit d'auteur aux produits des arts appliqués à l'industrie, et cette hésitation est encouragée par les efforts déployés par certains cercles, désireux de faire adopter une législation spéciale, comme en témoigne un projet de loi récent. Cette législation proposée placerait la protection des produits en question sur le terrain de la propriété industrielle et affaiblirait donc inévitablement la protection de ces produits industriels en ce qui concerne la propriété artistique. Si, à l'avenir, deux législations coexistent, on verra se manifester une tendance à réserver la protection de la loi sur le droit d'auteur aux dessins et modèles dont le caractère d'oeuvre d'art prima facie est évident, et par cela ne peut être ni méconnu, ni nié 38 . » Le régime des droits d'auteur, dans son champ d'application habituel, n'est donc guère susceptible d'apporter une protection suffisamment étendue aux dessins et modèles industriels. Il est vrai que ceux-ci, comme dans la plupart des législations, peuvent être également protégés par le biais d'une action en concurrence déloyale. Mais les conditions requises pour agir sur ce terrain sont plus difficiles à mettre en œuvre. Le risque de confusion est apprécié de manière plus rigoureuse et ne doit pas être commandé par la nécessité d'atteindre un résultat fonctionnel37. Les principes sont les mêmes en Grèce et en Turquie, Etats associés au Marché Commun. Ces deux pays ne connaissent pas davantage de loi sur les dessins et modèles, mais possèdent l'un et l'autre une loi sur le 33. 34. 35. 1938, 36. Rev. 37.

Rotterdam, 24 décembre 1947, ARB, 1949, p. 57. V. Cour d'Amsterdam, 14 mars 1935, dans N. }., 1936, p. 37. Hertogenbosch, 15 mars 1935, dans N. /., 1936, p. 13 ; 26 juin 1936, dans N. /., p. 69 ; Cour de La Haye, 24 mars 1938, dans N. ]., 1939, p. 50. HIRSCH-BALLIN, « La Protection des arts appliqués à l'industrie aux Pays-Bas », dans int. Cf.

d'auteur, d'auteur,

dr.

aut.,

1 9 6 2 , n" 3 6 - 3 7 , p. 232.

DUSOLIER et

SAINT-GAL,

op.

cit.,

chap.

O21,

1964, p. 99 ; HIRSCH-BALLIN, art. précité ; 1964, p. 131.

note 7 4 ;

R.

PLAISANT, dans

LIMPERG, dans Rev.

int.

du

Droit

droit

Unité de protection en l'absence de législation spécifique

127

droit d'auteur (loi du 13 juillet 1920 modifiée le 6 août 1929 pour la Grèce, loi du 10 décembre 1951 pour la Turquie) 3 8 . Toutefois la question de l'application de la législation du droit d'auteur aux dessins et modèles a été controversée en Grèce, mais semble actuellement admise par la jurisprudence récente 3 9 . La Turquie protège pour sa part les dessins et modèles sur cette base dans la mesure où leur caractère artistique est suffisant. Elle admettait également jusqu'ici la protection des dessins et modèles à titre de marques de fabrique ou dans le cadre de la législation des brevets comme modèles d'utilité. Mais l'administration refuse aujourd'hui l'enregistrement des dessins et modèles par ce biais ; la question a d'ailleurs suscité certains litiges 40 . Les difficultés résultant de l'absence de législation dans les pays du Bénélux sont, pour leur part, appelées à disparaître dans un proche avenir. Un projet de loi néerlandais sur les dessins et modèles est actuellement à l'étude. D'autre part, le projet de loi uniforme des pays du Bénélux, dont le texte a fait l'objet de travaux approfondis et qui s'inspire des mêmes tendances que le projet de loi sur les marques, est sur le point de réaliser un grand progrès 4 1 . Déjà approuvé par le Conseil interparlementaire des trois états, il établira sans doute prochainement un régime identique, en matière de dessins et modèles, entre les pays dont la législation (soit par le système de protection exclusive par le droit d'auteur, soit par l'absence de toute réglementation) offre le plus d'inconvénients dans le cadre du Marché Commun 4 2 .

38. V. texte Droit d'auteur, l'étude et doit 1952, p. 85. 39. Cf. Trib. chap. O 2 1 , note 4 0 . Cf.

de la loi grecque, dans Droit d'auteur, 1921, p. 26, et modification, dans 1930, p. 88. Un projet de loi sur les dessins et modèles est cependant à être soumis au Parlement. V. texte de la loi turque, dans Droit d'auteur, corr. d'Athènes, 13 févr. 1962, cité par DUSOLIER et SAINT-GAL, op. 78.

DUSOLIER e t SAINT-GAL, op.

cit.,

note 79.

cit.,

41. V. supra et les références citées. 42. L'adoption du projet ne se heurte plus qu'à l'hésitation des trois gouvernements en ce qui concerne la dispense de l'obligation de dépôt pour certaines industries (notamment les articles de modes), question qui nécessite la consultation des industries intéressées (cf. Florent GASPAR, « Commentaire du projet », dans Rev. Ing. Cons., 1963, p. 360).

CHAPITRE

V

NOTIONS SUR LES SYSTÈMES DE PROTECTION DES DESSINS ET MODÈLES AUX ÉTATS-UNIS ET EN GRANDE-BRETAGNE En dehors des pays du Marché Commun, nous donnons simplement à titre comparatif quelques indications sommaires sur les systèmes en vigueur aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.

Section I La protection des dessins aux Etats-Unis

et modèles

industriels

La protection de la propriété industrielle et du droit d'auteur possède aux Etats-Unis une base constitutionnelle. L'article 1" de la Constitution de 1787 donne en effet mission au Congrès, dans son alinéa 8, de « promouvoir le progrès de la science et des arts appliqués en accordant pour un temps limité aux auteurs et aux inventeurs un droit exclusif sur leurs écrits et découvertes respectives ». Mais il est remarquable de constater que dans un pays aussi fortement industrialisé, la protection des dessins et modèles reste extrêmement réduite. La considération de la liberté du commerce et de la concurrence l'emporte sur celle de protection de l'auteur 1 .

1. Protection par la législation des brevets Malgré les propositions faites en vue d'établir une protection spécifique des dessins et modèles, la législation américaine ne comporte pas encore de réglementation spéciale en la matière 2 . 1. Cf. R. PLAISANT, art. précité, dans Droit d'auteur, 1964, p. 104. 2. Cf. projet de loi sur les dessins et modèles, art. A. BOGSCH, dans Droit d'auteur, 1961, p. 268. V. aussi Ruy JACKSON, « La législation en matière de dessins industriels », dans Prop. ind., 1963, p. 105.

5

130

Protection spécifique et protection par le droit d'auteur

Des lois très anciennes avaient, il est vrai, organisé un régime autonome. La première loi régissant la matière fut celle du 29 août 1842 qui accordait une protection spéciale de sept ans à toute personne ayant « inventé ou créé un dessin ou modèle nouveau et original ». Puis la loi du 2 mars 1861 modifia la durée en trois périodes successives de trois ans et demi, sept ans ou quatorze ans selon le choix de l'auteur 3 . Mais la loi sur les brevets d'invention du 7 juillet 1870 remplaça les lois antérieures par une législation unique s'appliquant expressément aux dessins et modèles aussi bien qu'aux inventions techniques (art. 71 à 76 visant les dessins et modèles). Ce n'est donc aujourd'hui que dans le cadre de la loi fédérale actuelle sur les brevets d'invention du 19 juillet 1952, qu'une protection est envisagée par l'article 171 de ce texte ainsi conçu : « Quiconque invente un dessin nouveau, original et ornemental pour un objet fabriqué, peut obtenir un brevet aux conditions posées par le présent titre. Les dispositions du présent titre relatives aux brevets d'invention seront applicables aux brevets pour dessins, à moins qu'il n'en soit disposé autrement. » La définition même des objets protégés ressort assez clairement de ce texte. Par l'exigence du caractère ornemental que la loi ajoute expressément à la condition de nouveauté et d'originalité, elle réserve, sans nul doute, la protection à la forme extérieure, à l'apparence proprement dite de l'objet. « En aucun cas la protection ne peut s'étendre à la structure ou aux éléments internes de l'objet protégé, ni à son application pratique ou au procédé ou à la méthode ayant servi à sa protection 4 . » Le dessin ou modèle doit, en outre, s'appliquer, selon les termes du texte, à un « objet fabriqué ». Mais l'expression doit être entendue au sens le plus large. Il s'agit de tout objet fabriqué par l'homme, indépendamment de son caractère industriel ou de sa destination commerciale. La reproduction en série de l'objet fabriqué n'est pas prise en considération 6 . L'objet n'échappe pas davantage à la protection du fait de sa structure interne ou de sa complication technique 6 . 3. Sur l'évolution historique de la matière, v. B. HUDSON, dans ]oumal of Patent Office Society, mai 1948, vol. X X X , n° 5, p. 380. 4. Cf. H. SECRÉTAN, « La protection des dessins et modèles industriels et des œuvres d'art appliqué aux Etats-Unis et en Suisse », thèse, Lausanne, 1964, p. 46. 5. Un modèle même exécuté une seule fois a été jugé protégeable : Crier, v. INNÉS, 170 F . 324 . 2 d . Cir., 1909 (pour un monument funéraire) ; International Mausoleum Co. v. SIEVERT, 213 F . 225 . 6th, Cir., 1911 (pour un mausolée). Décisions citées par SECRÉTAN, op. cit., p. 47. 6. Cf. notamment Court of Customs and Patent Appeals, 37 F . 2