Psychosomatique et maladie d’Alzheimer 9782842542009

L'espace, le temps et des mots pour désignerles choses suffisent pour constituer les fondements du monde dans leque

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French Pages 163 [162] Year 2012

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Maladie de Lyme : Réalité ou imposture
Maladie de Lyme : Réalité ou imposture

Le professeur Éric Caumes dénonce une imposture majeure en matière de santé publique autour de la maladie de Lyme. Une poignée d’irréductibles surnommés les « Lyme docteurs » en a fait un problème sanitaire de premier ordre, pourtant sans commune mesure avec sa réalité. Éric Caumes démontre comment ce phénomène a cristallisé un véritable « mal de société » alimenté par des croyances souvent véhiculées par les réseaux sociaux et certains médias, en contradiction avec des faits scientifiquement établis. Ce livre est le témoignage d’un professeur devenu malgré lui un expert supposé de Lyme, en raison du nombre de patients qui venaient le consulter, se pensant atteints de cette maladie. En fait, près de 90 % d’entre eux avaient une autre pathologie et beaucoup étaient traités abusivement. Témoignage aussi et surtout d’un expert auprès des autorités de l’État, qui a assisté, au sein de ses différentes institutions, à une dérive dont il désigne les responsables, jusqu’à évoquer « un degré de compromission inédit ». Il révèle des manœuvres qu’il qualifie d’intimidation de la part de ces associations de Lyme, leurs pressions s’exerçant aussi sur les élus nationaux. Au prix d’une débauche d’examens inutiles et de traitements inappropriés et parfois dangereux, cette histoire est aussi celle de malades et de personnes en souffrance, victimes d’un manque d’écoute, pris en otages entre des associations, des médecins opportunistes et des politiques inefficaces.

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer
 9782842542009

Table of contents :
Préface
Partie I « Images de l’oubli » Différentes formes d’expression d’une femme atteinte de la maladie d’Alzheimer En Hommage à Mme M.
Partie II La thérapie relationnelle, dernière oeuvre d’auteur d’une femme de lettres, atteinte de la maladie d’Alzheimer « Traits de pinceaux, traits de plume »
Table des matières

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RECHERCHE EN PSYCHOSOMATIQUE

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

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RECHERCHE EN PSYCHOSOMATIQUE

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer Leila Al-Husseini Chantal Gombert

Préface Sami-Ali

Centre International de Psychosomatique Collection Recherche en psychosomatique dirigée par Sylvie Cady Dans la même collection Le cancer – novembre 2000 La dépression – février 2001 La dermatologie – mars 2001 La clinique de l’impasse – octobre 2002 Identité et psychosomatique – octobre 2003 Rythme et pathologie organique – février 2004 Psychosomatique : nouvelles perspectives – avril 2004 Médecine et psychosomatique – septembre 2005 Le lien psychosomatique. De l’affect au rythme corporel – février 2007 Soigner l’enfant psychosomatique – février 2008 Affect refoulé, affect libéré – mars 2008 Entre l’âme et le corps, les pathologies humaines – octobre 2008 Handicap, traumatisme et impasse – janvier 2009 Soigner l’allergie en psychosomatique – octobre 2009 Entre l’âme et le corps, douleur et maladie – août 2011 Psychosomatique de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte – janvier 2012 La psychomotricité relationnelle, mars 2012

Éditions EDK 25, rue Daviel 75013 Paris, France Tél. : 01 58 10 19 05 Fax : 01 43 29 32 62 [email protected] www.edk.fr © Éditions EDK, 2012 ISBN : 978-2-8425-4167-5 Il est interdit de reproduite intégralement ou partiellement le présent ouvrage – loi du 11 mars 1957 – sans autorisation de l’éditeur ou du Centre Français d’Exploitation du Droit de Copie (CFC), 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.

Recherche en psychosomatique. Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Sami-Ali

Préface      

      

pour constituer les fondements du monde dans lequel nous vivons. Sans doute faut-il aussi ajouter les liens affectifs qui donnent à ce monde sa dimension proprement humaine. Et c’est précisément tous ces repères essentiels qui se trouvent frontalement attaqués  

            cer, sauf peut-être l’attachement qui fait dire à ce père très âgé en             ! " 

 #  

je vous aime ». Considérée comme une pathologie neurologique à l’étiologie mystérieuse, la maladie d’Alzheimer est traitée exclusivement à coup de psychotropes qui s’avèrent parfois excessifs, voire dangereux, au détriment d’autres options possibles dont, en premier lieu, la psychosomatique relationnelle qui déplace l’intérêt de la mala   $ %        

le malade est pris dans une temporalité coïncidant avec son histoire et qui peut paraître paradoxale, en même temps qu’on introduit une causalité circulaire dans laquelle vient s’intégrer la causalité linéaire qui fonde toute la démarche médicale. En procédant ainsi,        &      '* + 

que nous ne faisons que restituer à la maladie son contexte relationnel, conformément à ce principe général qui stipule que l’organisme réagit comme un tout et que ce tout est l’unité1.

1. Voir Sami-Ali : Penser l’unité. La psychosomatique relationnelle. Paris, L’esprit du Temps, 2011.

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Que peut-il se produire alors si l’on choisit l’option relationnelle ? La maladie est ce qu’elle est mais elle est portée par le malade dont on s’emploie maintenant à explorer les potentialités face     !&          

vie. Le thérapeute doit donc affronter avec patience et lucidité une situation qui autrement peut inspirer un total désespoir, en se posant d’emblée la question : Quoi faire et comment ? C’est cette démarche novatrice que Leila Al-Husseini a choisi, !            /           /   ;   bli » rend compte. L’exposé ici est centré sur une seule observation, Madame M., grâce à une activité artistique, la peinture, qui devient 

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la surface de la rivière, chargés cependant de la beauté même de l’éphémère. Mais cela ne saurait se produire que dans la relation, une relation affective d’une tonalité particulière, alliant proximité et distance et ne perdant jamais de vue l’autonomie de l’autre, même diminué. Dans ce contexte où, au fur et à mesure, se libèrent des forces latentes agissant contre la dépression et la déchéance physique et mentale, les dialogues, combien émouvants, que la thérapeute engage avec sa patiente, femme cultivée de grande sensibilité, restituent justement ce qui se joue dans cette relation. En effet, au cours des promenades hebdomadaires dans le jardin du Home,     >      !    

comme si on revenait aux premiers temps d’apprentissage de la 

    

         

existaient parce qu’on les nomme, à l’image du Fiat créateur de Dieu. %     JO    ;   &  + !             !  &  

la mémoire », soulignant par là même le mouvement contraire qui pousse vers la vie, grâce au travail effectué à deux. Et c’est encore grâce à ce travail très spécial, qui place tout le processus de création dans la relation, qui se retrouve dans la très belle observation que Chantal Gombert rapporte ici. Il s’agit d’une femme poète et écrivain de langue bretonne jadis fort connue, Naïg Rozmor, qui émerge d’un long silence se confondant avec la perte inéluctable de la langue qui fait que le monde est ce qu’il est, et qui, quasiment par miracle, se met de nouveau à se souvenir de tout ce qui a fait la richesse et la beauté de son œuvre d’autrefois. 6

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Cela s’effectue par bribes, par surprise, à travers maintes hésitations, non cependant pour reproduire des choses du passé, dans leur existence littérale mais vraiment pour créer une autre réalité faisant un avec le rêve et incluant absolument tout, à commencer par la    J "   !    $ U  

 

pour une fois, selon le projet de surréalisme, la poésie était capable de transformer le monde dans lequel nous vivons. Comment ne pas être bouleversé par une telle puissance qui fait dire à cette femme extraordinaire à propos des tableaux-calligraphies qu’elle réalise, toujours accompagnés d’une phrase simple et inattendue, que ce      *  *  +$ W  ! J   

mort pressentie, qui traverse le silence ultime. Quelle autre illustration d’une relation thérapeutique, immensément ouverte à l’autre, devient créatrice ? M. Sami-Ali Paris, le 24 février 2012

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Partie I « Images de l’oubli » Différentes formes d’expression d’une femme atteinte de la maladie d’Alzheimer

En Hommage à Mme M.

Leila Al-Husseini Art-thérapeute, Psychologue

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Recherche en psychosomatique. Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Leila Al-Husseini

Avant-propos Leila Al-Husseini En souvenir de Mme M.

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portant sur les différentes formes d’expression observées chez  ;  ;$ +     

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Cet exposé a été présenté, début 2005, à la Faculté des Lettres – Section du Cinéma – à l’Université de Lausanne sous la direction du professeur François Albera. En cours d’élaboration, en 2004, il a été présenté dans le cadre d’un séminaire du professeur SamiAli, au Centre international de psychosomatique à Paris et une deuxième fois, début 2012, dans ce même cadre. Mes observations et mes recherches se poursuivent et, depuis dix années, mettent en évidence l’importance d’une approche relationnelle utilisant les couleurs et la peinture comme moyen d’expression privilégié et accessible aux personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer, fragilisées, effacées et coupées de leur vie. Mme M. est décédée en 2007. Son souvenir est toujours présent en moi comme le signe d’une profonde relation qui a pu se nouer malgré la maladie. Grâce à cette expérience, j’ai appris combien il est important et vital d’aller, avec une ouverture relationnelle sans préjugé et sans crainte, auprès de ces personnes qui ont perdu la mémoire, mais pas l’identité. C’est uniquement à travers cette ouverture que l’on peut se lier avec ces personnes et leur permettre de vivre le mieux possible avec leur handicap. La mémoire altérée, 11

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relation à l’autre. Combien de fois ai-je assisté à la manifestation de leur joie, à mon arrivée ou à celle de l’un de leurs proches ! Et combien leur peine était perceptible lorsque l’être attendu n’est pas venu. Créé en 2005, mon atelier de peinture a été mis à la disposition de tous les résidents du home de Mme M., permettant à ces personnes de s’appuyer sur la relation, d’exprimer leurs émotions à travers les couleurs et d’exister le temps d’une rencontre, le temps d’une peinture. Depuis l’ouverture de cet atelier d’art-thérapie, un espace a été réservé à l’exposition des œuvres ce qui permet à chacun de mon     !     $  

  

possible que dans une approche individuelle se focalisant sur la per     ]       !    

les dialogues, les dessins, les peintures et les photos du moment. Ce travail se développe d’une fois à l’autre et constitue, pour moi, une manière de construction de leur mémoire. Les cahiers sont devenus le témoin de la fragilité de leur vie intérieure sur le point de s’effacer sous la virulence de la maladie, mais aussi un support d’expression multiple face au néant de l’oubli. La peinture de Mme M., et celle des résidents, est une projection émotionnelle de leurs sensations et de leurs souvenirs fragmentés ; elle ne se rattache pas à la perception d’un objet précis mais à sa trace mnésique. Ici, la couleur devient lumière, pulsation et résonance chromatique de toute une vie. Comment ne pas s’émouvoir devant une telle expression picturale qui ne peut que nous bouleverser par sa naïveté et son authenticité ?

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Préliminaires Une démarche relationnelle Cette recherche est née d’une authentique relation, peu ordinaire. Celle que j’ai nouée avec une dame atteinte de la maladie d’Alzheimer. Il s’agira ici de présenter quelques observations et phénomènes importants qui gravitent et se recoupent autour de la mémoire et de sa perte. Sachant que l’essentiel d’une telle expérience ne pouvait "     /  

  &              $   

"      

laisser l’oubli obscurcir les lumières qui se sont allumées pour moi dans les méandres de cette relation avec ses multiples aspects évolutifs depuis deux ans, plusieurs heures par semaine. Cet exposé, fruit de l’observation directe, est tissé avec le souci permanent non de décrire froidement les choses, de disséquer et d’expliquer les faits particuliers, mais de faire ressortir quelques situations importantes, telles qu’elles se sont présentées à moi de _      

  >/!$ Ce sont autant d’expériences sensibles et vécues, déchiffrables par leurs propres contenus de nature relationnelle. En rapport étroit avec le corps, plusieurs formes d’expression, dont la peinture est la principale, seront explorées dans la relation. D’où la volonté de ne pas multiplier les interprétations autour des phénomènes et des  $ W    &        

   

témoigner du sens sans prétendre maîtriser tout l’arrière-plan auquel ils font appel. Ainsi je me suis placée d’emblée dans une relation à l’intérieur de laquelle je prends une part active, tentant en permanence de créer 13

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ou de reconstituer un lien avec une personne à qui la maladie a fait perdre la mémoire, l’autonomie, l’identité et les liens sociaux et, de plus en plus, ses capacités à s’exprimer par le langage verbal. Pourtant, une réalité psychique intérieure survit grâce à la relation. Elle n’est perceptible que dans ce cadre, et ne se ramène pas à la       !$          

ment avec Mme M. et son affectivité demeure accessible malgré l’imprévisibilité de sa situation. En rapport avec un cerveau qui se détériore matériellement et progressivement dans le sens inverse de l’évolution qui va de l’enfance à l’âge adulte, différents troubles spatio-temporels et cognitifs apparaissent chez Mme M. : troubles du langage, des gestes, de la reconnaissance des objets et troubles des fonctions exécutives dont il sera question dans la deuxième partie de cette étude. Une sorte de retour à l’enfance apparaît dans le comportement et dans la représentation de soi et du monde. L’écriture devient phonétique, des inversions se produisent dans la lecture (apéro, opéra). Le vocabulaire se restreint, la diction s’altère. Mais il persiste chez Mme M., un intérêt grandissant pour tout ce qui se rattache à la tendresse et à l’affection. Cet exposé tente de reproduire la dynamique de cette relation         &   J 

peu, à l’amélioration des possibilités thérapeutiques que l’on peut engager auprès des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. *    /  !      

personnes qui semblent amputées de leurs réalités substantielles et livrées aux virulences de la maladie.

Notes sur les conditions de cette recherche Dès le départ, j’ai été confrontée à une situation dominée par l’imprévisibilité, la précarité et la variabilité des phénomènes rencontrés. Autant de facteurs qui ont contribué à la complexité du travail et perturbé toute programmation préétablie : ce qui était valable hier ne l’est plus aujourd’hui et peut le redevenir demain. Reconnaître ce qu’il faut faire, et comment le faire, est devenu l’objectif principal de la relation nécessitant, de ma part, une sorte d’im!  >/!   

   &  / tale dans laquelle le bien-être de la personne constitue les limites. 14

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Chapitre 1 À propos de la démence de type Alzheimer Avant d’exposer l’histoire de la relation avec Mme M., il im            

           

de mieux appréhender le contexte de cette relation. {* 

      _  le terme démence désigne l’affaiblissement progressif de l’ensemble des           raisonnement et les perturbations des conduites qui en résultent. L’accès à la représentation symbolique et l’organisation programmée du comportement sont sous la dépendance du néocortex, notamment des zones d’association temporales, pariétales, et frontales. La démence manifeste la dissolution de ce niveau d’organisation : la régression des capacités intellectuelles et les perturbations des fonctions cognitives résultent le plus souvent d’une disparition des neurones et d’une dégradation des réseaux synaptiques intéressant des régions étendues du cortex de l’un et de l’autre hémisphère. Plus rarement, des lésions sous-corticales sont responsables d’une démence ». À noter que, dans cette maladie, les fonctions de perception (vision, audition, toucher) sont conservées intactes, jusqu’à la phase  $ U      &      

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Recherche en psychosomatique

motricité, ce sont les troubles de la mémoire qui restent les caractéristiques principales. Sans entrer dans une description neurologique, on peut dire que le support anatomopathologique de cette maladie est une mort               brillaires, de plaques séniles et de dépôt d’une protéine anormale. D’autres désordres graves ont été signalés en matière de multiples neurotransmetteurs, parmi eux l’acétylcholine. Ces anomalies sont localisées dans le cortex cérébral, dans l’ordre inverse de sa maturation au cours de la vie de l’individu depuis son enfance.

Conclusion La DTA (démence de type Alzheimer) est une maladie très grave dont l’issue est irrémédiable : la personne en meurt quelques années après l’apparition des premiers symptômes mais parfois vingt ans   $  Cette maladie bien que régulièrement vulgarisée par les    

                 !1 ». À caractère multidimensionnel, elle se situe au carrefour de plusieurs disciplines et nécessite donc une prise en charge à différents niveaux : sociaux, légaux et médicaux, etc. Car les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer se trouvent touchées gravement dans l’ensemble de leur fonctionnement, en raison de la perte d’autonomie et de la vulnérabilité croissante qui en découlent. Ils ont donc besoin de soins      /$ Ceci implique une dynamique relationnelle propre à chaque situation dont l’analyse est primordiale pour cerner les objectifs thérapeutiques appropriés où technicité et humanisme doivent se réconcilier et s’unir. Contrairement à ce qui se pratique actuellement dans ce domaine.

|$ $J}$  La maladie d’Alzheimer, état actuel des connaissances et perspectives, Paris, Masson, 2000, p. 3.

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

La problématique de la relation dans la maladie d’Alzheimer La maladie implique une dégénérescence irréversible du cerveau du sujet et une détérioration globale et progressive de ses fonctions mentales et physiques, entraînant la perte totale de son autonomie. Comment, dès lors, envisager la relation dans la maladie d’Alzheimer ? Comment dépasser cette réalité tragique et aller au-delà de l’aspect hermétique de la personne atteinte, quand le regard porté sur elle ne fait que l’enfermer davantage, alors que nous savons maintenant qu’une grande partie de sa dimension affective reste inaltérée, de même que ses perceptions auditive, visuelle et tactile. Quels sont les tâches et objectifs thérapeutiques et comment les réaliser ? Ce préalable nous permet d’introduire la particularité de l’engagement thérapeutique auprès d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer : il s’agit d’une impasse dont on ne peut ignorer les    $ {*           

rapport à une situation sans issue et elle doit s’inscrire dans une perspective relationnelle et multidisciplinaire avec, pour préoccupation commune, l’amélioration de la qualité de vie de la personne, en tenant compte de deux aspects importants : Le premier concerne le rapport de la personne avec son vécu dans sa continuité et sa globalité. En effet, ce rapport se trouve complètement altéré par la maladie et la perte de l’identité. Aussi, la personne ne peut-elle ni entreprendre ni appréhender une demande thérapeutique par elle-même. Le deuxième aspect concerne le rapport du thérapeute avec le sujet dans une situation paradoxale où tout est précaire et sans cesse à recréer. Or, l’action thérapeutique ne saurait exister que dans une relation qui s’inscrit dans la durée. Dès lors, comment établir l’histoire ou même parler d’une anamnèse dans le sens traditionnel du terme ?

Mme M. Dans le cas de Mme M., la plupart des informations initiales m’ont été communiquées par sa nièce et tutrice et quelques membres 17

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de sa famille ainsi que par son amie d’enfance. Elles concernent surtout l’étiologie de la maladie et sa prise en charge, mais laissent dans l’ombre toute la vie de Mme M. Il faut signaler que cette anamnèse sera en constante évolution. Au moment de notre première rencontre, Mme M. a 76 ans. Le diagnostic d’Alzheimer a été posé depuis 1 an et a été suivi d’une mise sous tutelle. La tutelle est exercée par sa nièce qui a tout mis en œuvre pour que Mme M. demeure chez elle. Deux accompagnatrices se sont occupées de sa tante en permanence. Mais la distance géographique entre le domicile de Mme M. et celui de son entourage ne facilitait pas la présence familiale. Douze mois après la mise en place de ce système de soins, Mme M. est entrée dans une phase dépressive qui a conduit à son hospitalisation dans une unité psychogériatrique pendant un mois. À la suite de cet épisode, Mme M. est devenue résidente d’un foyer spécialisé dans l’accueil de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Ce foyer se trouve dans sa région d’origine, à proximité de chez sa nièce et du reste de la famille. C’est dans ce lieu que je la rencontre plusieurs heures de suite, une fois par semaine. Avant sa maladie, Mme M. était une personne intelligente et cultivée, une femme ravissante et élégante, aux cheveux magni$ U           &    

renommée dans le domaine de l’art et de la culture en Suisse. Elle a reçu une très bonne formation dans la même école privée que sa mère, ses tantes et sa sœur aînée. Après ses études secondaires, Mme M. fait des études de langues à l’école d’interprètes. Pour parfaire l’anglais et l’italien, ces études ont été suivies d’un séjour d’une année en Angleterre et de plusieurs mois en Italie. Après la mort de sa mère, suite à une longue maladie, Mme M. a eu la responsabilité de la maison familiale qu’elle a assumée avec un grand sérieux. Elle est devenue le bras droit de son père qu’elle accompagnait dans toutes ses activités et ses nombreux voyages. Étant sa préférée, elle a reçu une grande partie de l’héritage familial. D’après cette amie, Mme M. était très dévouée à sa famille et a consacré sa vie à ses proches. Ainsi, elle reste présente auprès de son père malade jusqu’à la mort de ce dernier et, plus tard, elle s’occupe d’un frère diabétique, qui mourra dans un accident. Cet événement l’a beaucoup affectée, car il vient s’ajouter à la mort prématurée d’une sœur qu’elle aimait beaucoup (ces morts seront ! !      ! $  J’avais une mère 18

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

        », me dit Mme M. À la tête d’un grand héritage, elle a dû préserver le patrimoine. Mme M. a eu l’occasion de voir beaucoup d’expositions de pein  

              

 ! &   *     & +$ Malgré sa beauté, son intelligence et sa fortune, elle ne s’est pas

   !    



    

construire et où elle a collectionné des peintures. Parmi les tableaux qu’elle possède, quelques-uns sont de grands peintres, dont un ami de son père avec qui elle a développé une amitié. Le rapport de Mme M. à la peinture n’a rien d’anodin, bien qu’elle n’ait jamais peint avant la maladie. Ce que nous allons voir plus loin. Ce qui m’interpelle dans ces informations restreintes, c’est qu’elles laissent penser que Mme M. a dû consacrer sa vie aux  $ U 

   #        Le raisonnement               " ! #               A-t-elle eu vraiment le choix ? Et si oui, a-t-elle pu faire le bon choix ? Celui qui n’aurait pas été au détriment de sa propre subjectivité ? !

Première rencontre en « Gros plan » Cette rencontre m’a bouleversée et a suscité en moi des ques          $  



   €! `'     U    

où la conscience de soi se fait carrefour, qui ouvre de proche en proche à tous les lieux du langage ». Lorsque je la vois pour la première fois dans un après-midi piquant et glacial du début de l’hiver, Mme M est accompagnée par sa tutrice. Elle m’apparaît craintive et perdue. Son aspect troublant révèle une sorte d’égarement et d’étrangeté. Sa nièce me la présente et me communique des informations générales à son sujet, puis me dresse l’arbre généalogique de la famille. Durant ce contact, elle tente de faire participer activement sa parente   &  *   $        #   &curément que j’ai accepté par élan et presque sans savoir de quoi il s’agit vraiment, de m’engager dans une entreprise hasardeuse. 19

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En effet, dès que sa nièce quitte mon cabinet et me laisse seule avec Mme M. terriblement inquiète, je me trouve dans une situation &   

  $         

une vieille dame complètement déstabilisée par la disparition sou   *      !   !  $ 

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me souviens lui avoir caressé les épaules car un sentiment très fort     /        

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dominer. Lorsque Mme M semble plus calme, je lui demande si elle a envie de boire du thé. Elle accepte tout de suite, me suit des yeux pendant que je le prépare, et me dit qu’elle aimerait son thé avec un morceau de sucre. Quand je dépose la tasse devant elle sur la table, elle me remercie gentiment mais, à ma grande surprise, elle porte le thé bouillant   *!               

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!  #    "   &‚    ƒ    

je m’éclabousse au passage. Dans l’instant qui suit, je prends ses mains dans les miennes. Pour la première fois, nos regards s’accrochent, je la sens présente. Nous éclatons de rire et je lui dis en   "    „ !    J  † + U 



   Bien sûr, bien sûr ! » Dans cette même séance, je propose à cette patiente atypique de faire des dessins avec des craies et des papiers que je dispose devant elle. Elle me demande ce qu’elle doit dessiner, je lui réponds qu’elle peut faire ce qu’elle veut. Elle prend la craie de couleur verte, avec laquelle elle dessine quelques traits qui évoquent pour moi des branches et des feuilles. Ensuite, elle choisit une craie marron et fait presque la même esquisse. Quand je lui dis que je vois qu’elle !    &  

      C’est du domaine de l’impossible un arbre avec des souliers et un drapeau qui n’est pas très beau ». Le deuxième dessin qu’elle a voulu faire ce jour-là était une assiette avec des fruits. Mais au lieu de dessiner les fruits, elle écrit      pomme, cerise, abricot, poire. » Son dessin m’évoque certaines œuvres de Magritte lorsqu’il remplace des objets par leurs noms. 20

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Un troisième dessin a attiré mon attention. Mme M. voulait dessiner un papillon. De ce dernier, on ne voit que les ailes dessinées en blanc, à la place du corps de l’insecte il y a un vide. Vide ou espace d’un objet rendu présent à travers son absence. Elle me dit à propos     c’est les ailes d’un papillon ».             

tremblantes, prêtes souvent à se dissiper, à disparaître dans le fond. Ils créent des espaces bidimensionnels, faisant penser à ceux des petits enfants. Et leur incohérence est probablement due à une projection sensorielle altérée par la maladie.

La démarche de la relation À tout moment, les capacités et les limites de Mme M., imposées par son état, sont prises en compte pour ne pas accroître chez elle un sentiment d’échec. À chaque séance, il faut bien garder à l’esprit qu’en exigeant trop d’elle, on risque de l’épuiser et de la frustrer. Mais il ne faut pas non plus proposer des objectifs trop banals parce qu’alors ils ne seront d’aucun intérêt pour la stimuler et risquent au contraire de l’ennuyer. L’évaluation des capacités et le choix judicieux d’une activité appropriée constituent donc un souci permanent dans la relation. D’où le recours à de multiples formes et stratégies relationnelles et créatives : promenade, peinture, chant, conversation, lecture et sieste ! ‡            +   J mêmes, mais plutôt d’accompagner jusqu’au bout la personne dans ses tentatives de mettre en œuvre l’une ou l’autre de ces activités qui améliorent son quotidien.

La promenade Généralement, à mon arrivée à l’institution, je trouve Mme M. dans un salon, à sa place habituelle, en train de boire son café. Elle manifeste une grande joie à ma rencontre, bien qu’elle oublie chaque fois mon nom. Nous échangeons quelques impressions : 21

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d’où je viens ? Est-ce que tout va bien ? Ensuite, je lui propose une promenade, qu’elle accepte souvent avec enthousiasme. Nous  # 

"     ! 

 ! lage au milieu du vignoble. Village ensoleillé toute l’année, avec  #    # >   &    

abricotiers, des pommiers, des cerisiers et d’autres espèces. Dans cette région idyllique entourée de montagnes, les couleurs sont à la fête toute l’année. Au cours de ces promenades, devenues rituelles, les saisons se sont succédées, toutes plus belles les unes que les autres. Cela continue à représenter pour Mme M., comme pour moi, des moments privilégiés et riches d’émotions, et donne lieu à des commentaires et des réactions spontanées de sa part. Car souvent ces moments font surgir des remarques aussi lucides qu’inattendues        Une aventure raisonnée n’est plus une aventure +    L’arbre, c’est une décoration de la nature. » Chaque chose revêt une sorte de gravité qui reste pour moi souvent énig   & $  Ça m’étonne ! » dit-elle devant les montagnes si proches et imposantes, devant les vignes. Elle reste clouée au passage des enfants, les suit des yeux avec un regard fasciné et ému, son corps semble s’animer et elle me fait remarquer que les     des petits pieds », etc. Il faut dire que ces promenades sont d’inépuisables sources d’émotions, les sensations qui en découlent, les couleurs, et parfois  &#    ˆ   >    / J   

rencontres avec des passants et des animaux, oiseaux ou insectes. Tout cela semble activer et stimuler l’attention de Mme M. et raviver ses souvenirs d’enfance, mais semble aussi offrir des sujets pour les séances de peinture qui suivent. Ces sorties avec Mme M. m’ont permis de porter un autre regard sur la nature, et d’adopter un autre rythme, en rapport avec le $   

 ! 

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fois, sous une nouvelle lumière, et comment convertir le temps en espace : lorsqu’on regarde comme on respire, beaucoup de choses deviennent soudainement visibles. ;  ;$  &     $  #  

le sens de l’humour avec elle pour la rassurer. Car bien qu’elle adore se promener, elle peut d’un coup s’inquiéter et je vois alors apparaître sur son visage la grimace de l’angoisse. Elle veut retourner à l’intérieur sous n’importe quel prétexte : il va pleuvoir, on ne saura 22

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

pas revenir, une voiture peut nous renverser, ou on peut glisser sur la neige, par exemple. Mais dès que je la réconforte en mettant mon bras sur ses épaules, elle est parfaitement soulagée. D’un coup, elle redevient joyeuse et intéressée. Parfois, pour mieux activer son attention, je lui fais croire que je ne connais pas certaines choses évi    c’est quoi ce blanc sur les montagnes ? » Ou je feins de prendre un lézard que nous croisons pour un crocodile et un chien pour un ours, etc. C’est elle qui me corrige alors en éclatant de rire. Elle est très aimable avec les passants et salue toujours la première. Sa joie est manifeste quand il s’agit d’enfants, son visage s’anime et elle leur adresse des salutations et des paroles aimables. Le plus extraordinaire, c’est qu’elle peut garder le souvenir d’avoir vu un enfant après notre retour à l’institution : et elle se pose des questions à son propos : pourquoi est-il seul ? Où sont les parents ? Etc. Cependant, elle oublie presque tout le reste ! Le thème de l’enfant est constant chez elle, ainsi que celui du chat (elle se souvient de son chat qu’on a dû piquer lors de son hospitalisation car il était malade et trop vieux). Elle manifeste beaucoup d’intérêt pour tous les chats errants et veut être sûre qu’ils ne manquent de rien ou qu’ils ne sont pas malades. Souvent ses souvenirs sont provoqués par ce que nous voyons en marchant sur le chemin. Pendant l’été et l’automne, elle a pris l’habitude de cueillir toute sorte de fruits et de les manger immédiatement avec un heureux appétit et une grande joie. Lorsqu’il m’arrive parfois de lui signaler que nous n’avons pas le droit de prendre le raisin des vignerons 

 _    &  *       %  faim +  &   &             »     Il y en a assez pour tout le monde ».             ! 

#  $ %   >*       

nature de l’homme qu’est le désir, et la recherche de sa satisfaction. Réalité que la maladie n’a pas encore altérée. Il me semble qu’elle arrive à avoir une image instinctive de notre parcours, car j’ai souvent remarqué qu’elle réagit correctement devant les multiples détours en choisissant les bons chemins. Parfois, elle manifeste subitement l’envie d’aller dans sa ville natale invisible de l’endroit où nous sommes, quoique proche. Là aussi, elle 23

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indique de la main la bonne direction, alors que, dans le foyer, elle n’arrive pas à se repérer dans les différents étages : elle rentre dans la chambre qui correspond à la sienne, quel que soit le niveau où   !$                              

à descendre et monter avec aisance les escaliers ou à marcher normalement sur une route.   !  &!   & &    `' '2 lorsqu’il raconte dans Elégie pour Iris, comment il a accompagné sa 

         $  ‰   &  

d’Alzheimer, Iris est arrivée quelque part. Moi aussi. »

Notes sur la méthodologie de la présentation des œuvres À présent, cet exposé va tenter de présenter les différentes activités de la relation à partir d’une lecture qui tient compte de la complexité des formes d’expression dans leur différence, mais aussi dans leur unité.

Les peintures et dessins Il n’a pas été facile de sélectionner les dessins et peintures que je vais présenter. Ils font partie en effet d’un ensemble de plus de trois cents. Ces œuvres sont chargées de sentiments en formes et images et témoignent de l’état intérieur de Mme M. Devant la diversité et la variété de ces peintures, j’ai cherché à établir des classements au niveau de l’expression et de la thématique. Il est évident que malgré la diversité de cette dernière on trouve une certaine unité de style et d’esprit.      /  ;  ;   

semble lui permettre la préservation de certains acquis techniques, comme l’utilisation du matériau. De l’objet fragmentaire, incom      ;  ;$  !   '   /$

L’évolution de ses peintures ne répond pas nécessairement à un seul X$  `' ' Élégie pour Iris, Paris, Éditions de l’Olivier/Le Seuil, 2001.

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critère temporel linéaire : on peut observer des régressions et des lassitudes liées à la maladie qui progresse mais aussi à des moments &# !    

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par exemple où Mme M. était fatiguée et désorientée. Les peintures effectuées à cette époque présentent un caractère lacunaire et pauvre. Mais celles qui suivent cette période sont plus riches et plus complexes. Du point de vue thématique, j’ai déjà mentionné qu’elle peint !  #    

    &   >

les chats, et les oiseaux, mais aussi d’autres sujets comme la montagne, sans oublier des peintures qui peuvent s’inscrire selon moi, dans l’informel. Tout ce qu’elle exprime est lumineux car elle n’aime pas les couleurs sombres qui sont pour elle liées à la mort, comme elle me l’a répété plusieurs fois, ce qui m’a amené à éviter de porter des habits sombres lors de ma visite au home. D’autre part, elle préfère les couleurs liquides, plus faciles à utiliser.

La séance Il faut noter que la séance de peinture se nourrit et se prépare souvent pendant la promenade à pied. Cette séance se déroule dans sa chambre, devant une table, où je suis assise à côté d’elle ; je lui propose plusieurs genres de couleurs : crayons, pastels, gouaches et aquarelles et des feuilles blanches. À chaque fois, elle manifeste sa joie devant ces matériaux.     #     !  $

‰   ;  ;$ !       

c’est ainsi qu’elle commence en partant d’une idée simple, un arbre par exemple, qui se développe à partir d’une première touche en couleur. Ici la couleur est toujours l’âme par quoi la peinture prend forme. Pendant ces réalisations, elle communique ses impressions et parfois les écrit à côté du dessin. Les mots et les phrases évoqués se rapportent au sujet de sa peinture ou au destinataire de cette dernière. Très contente quand je lui manifeste mon appréciation qu’elle attend, elle devient alors plus impliquée dans sa gestualité. Mme M. a un rapport affectif aux couleurs, rapport qui persiste malgré l’évolution de sa maladie. Ce dont on se rend compte lorsqu’elle fait à 25

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propos de ses peintures des commentaires qui dérivent parfois vers les sujets les plus inattendus. L’émotion est toujours présente dans sa voix, surtout lorsqu’elle

    !       ' (     robe bleue et des souliers noirs, ma mère avait une chemise blanche     » ou lorsqu’elle émet à leur sujet des affects cor  

       le noir c’est woop et ça fait peur (elle fait une grimace de peur et recule),     tatata ! » (elle sourit et lève ses bras). Il nous arrive de chanter de vieilles chansons qu’elle connaît #  Œ$ U            +

         $     sard son goût pour les chansons. Cette activité, devenue habituelle, attire dans sa chambre quelques-uns des autres résidents, eux aussi atteints d’Alzheimer.

         !  !    

lui procure un certain bien-être. Car lorsqu’elle peint Mme M. retrouve spontanément son être profond et l’étonnement de l’enfance. Elle vit ces moments en dehors des aléas de sa maladie et en dehors   $ U  

     &     Qu’est       † +  Où est X ? +  Pourquoi tel ou tel ne me visite pas ? +  Où est ta voiture ? », etc. 26

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!    Œ!   /  

après la prise en charge. La première représente un petit animal qu’elle nomme Charlie    

    C’est rigolo, c’est plutôt un homme ». Dans ce dessin, ce qui attire mon attention c’est qu’il montre pour la première fois un animal entier auquel elle prête la posture d’un homme. La deuxième montre un sapin de Noël avec de jolies branches.        C’est rigolo ! ». Ce qui caractérise ce dessin, ce sont les nuances des couleurs et des traits qu’elle exécute avec joie et émotion. La troisième mérite l’attention et l’on remarque, pour la première fois, un rapport à la couleur en soi, car lorsqu’elle l’exécute en appuyant sur la craie, elle obtient une texture épaisse qui dégage une sorte d’énergie. Devant ce résultat, elle reste un moment silencieuse, puis elle écrit correctement avec un feutre bleu : au-dessus   ciel bleu et l’herbe verte +   c’est un peu curieux » au-dessous. Cette peinture et l’émerveillement qui se lit sur le visage de Mme M. laissent entrevoir, malgré la maladie, une vie intérieure qui a réussi à ramener un bout du ciel bleu et de l’herbe verte sur le papier, en plein hiver, et cela, à travers une projection portée par l’émotion. D’où peut-être, son étonnement qu’elle exprime par le 

    C’est un peu curieux ».

Trois autres peintures dans lesquelles Mme M. a utilisé plusieurs techniques : crayons, craies et aquarelles. Ce qui est nouveau ici, c’est qu’elle a fait des paysages et non de simples objets. Ces peintures sont effectuées dans sa chambre au retour d’une promenade. Le premier représente des arbres aux formes différentes dont le feuillage évoque plutôt des plantes. Un ciel bleu qui laisse apparaître 27

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un soleil timide (nous étions en hiver). Le résultat lui procure un       $ %         ')   de fête : Amour ; marchez à pied. +$ U  &   Arbre-Feuilles ». À noter que la graphie manifeste quelques altérations. Le deuxième dessin est fait directement avec le pinceau. Il représente des arbres avec plusieurs nuances de vert et un seul arbre avec du brun. Le fond avec des touches bleues est réalisé à la craie à laquelle s’ajoutent des coups de pinceau à l’aquarelle, bleue également.

% #J      !   #'  /    Le ciel bleu qui prend le temps d’être très beau, il peut être orageux mais très beau ». Le paysage, qu’elle a peint avec les nuances du bleu clair au bleu foncé, et les arbres évoquent, pour moi, une métaphore condensée du temps qui passe. Peu après, avec ces mêmes 28

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couleurs, Mme M. réalise une peinture dans laquelle se dressent les & &   &      

  vert et bleu ». Cette           $

Regardons une autre peinture anthropomorphique de Mme M. U       >     >$ U  

alignées en pleine terre, sous un ciel bleu. Elle écrit au-dessous :  C’est tout beau et bon, c’est le printemps ». Des deux plantes de gauche, on dirait deux personnes qui marchent ou qui dansent, tandis que celle de droite ressemble plutôt à un arbre, derrière lequel   !  *   ;  ;$ /    C’est la lune ».

En réalité, on retrouve dans plusieurs œuvres de Mme M. cet aspect anthropomorphique qui témoigne d’une projection renvoyant    !         !$ 

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souvent remarqué ce phénomène en l’observant pendant qu’elle exécute ses peintures. Elle dit par exemple d’un dessin qu’elle ef       C’est un tronc qui chante » ou d’un chat de         

    Le pauvre, il a peur d’oublier son chemin » m’explique-t-elle très émue. Elle peut             Celui-ci est plus fort que les souvenirs », etc. Il est vrai que l’oubli est un thème tragique et omniprésent dans     Untel m’a complètement oubliée +   On ne peut    *+    &     oublié ton nom », etc. Le thème de l’oubli chez Mme M. est évoqué souvent avec une grande angoisse. Probablement celle de la perte de sa propre iden  $   !         +  le chat est rêveur, on ne peut pas interpréter son rêve », etc.

Un dessin intéressant, qui m’évoque un cerveau à moins que ce soit un demi-cerneau ! U             

  

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 !   * & +   

  

  !  >   On garde tellement les choses qu’on    +/  #+/ ».

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Voici brièvement l’évolution du paysage chez Mme M. en rapport avec le temps qui passe. Le premier dessin représente un paysage qu’elle a peint avec des craies en mars de l’année précédente. Il montre un ciel bleu, des montagnes et des arbres qu’on peut voir de la fenêtre du salon     $ J       ciel, montagne et verdure » et son nom à côté. Ce dessin dépouillé mais très expressif a été réalisé rapidement. Les traits sont nerveux et sont ceux d’une esquisse. Il faut noter que tous les paysages ou presque, qu’elle a faits à travers la fenêtre, reproduisent le même espace sur la feuille en laissant souvent la partie du bas vide.

Le deuxième paysage est fait pendant le mois de mai avec des craies et de la gouache. Les couleurs sont chaudes, très accentuées     $ U    &   0   dans le ciel nuageux. »

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Le troisième est une peinture qu’elle a réalisée dans un moment d’une grande fébrilité. C’est le mois de novembre, les couleurs d’automne ne laissent personne indifférent. Elle me dit avec un air      On    + ».

Le quatrième paysage est à l’aquarelle, il est peint avec les doigts, le pinceau et la craie. Ici aussi l’émotion est visible même      

       fermentation d’un problème, il faut faire les choses avec soin ». Ce paysage est peint début février de cette année. Mais quel problème ? Et quelles choses ?

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Cette série de paysages se termine par une peinture qu’elle a effectuée dans un silence poignant. Elle représente une montagne couverte de neige et un ciel bleu qui semble glacial car il contraste avec le blanc autour. En assistant à la réalisation de cette peinture, et face au visage triste de Mme M., un sentiment d’une froideur de nature métaphysique m’a gagnée corps et âme, je ne sais pas comment l’expliquer.

   * &*!        

dans l’informel. Dans la première peinture, il est question de moti! ;  ;$   !  

   $  ! 

feuille en petits carrés pour lui donner l’impression que la tâche est plus facile. Ensuite, je lui demande de choisir une couleur pour chaque carré et un mot ou un commentaire. Cet exercice l’amuse et lui donne envie de faire avec les couleurs une deuxième peinture        & < Ž  '   #'/$

Une troisième peinture est réalisée à partir d’un collage. Un morceau de tissu en soie rouge se trouvant par hasard dans le matériel attire son attention. Elle le dépose avec une grande tendresse 33

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sur la feuille et le caresse. Lorsque je lui propose de le coller, elle est ravie et elle l’entoure comme pour le protéger avec des tracés de plusieurs couleurs à la craie. Cet exercice me montre qu’elle n’a  &             >   

y a quatre mois. Sachant que je ne peux m’étendre longuement sur tous les phénomènes à la fois, je me limite à ceux qui nous intéressent dans le cadre ce travail. Deux œuvres évoquent pour moi la dimension poétique et la sensibilité de Mme M.   *

      !   / > & $ U 

  ƒ                   » puis elle s’arrête et me regarde. C’est alors que je lui dis spontané    U   &  !     _     +$ 

   + _     &    $

La deuxième peinture est faite de trois tracés ondulés à l’aqua  !  $ U   J  la virgule entre temps – ca veux diRe en tendan le printemps -, M. »   

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sa poésie qui m’intéresse et qui témoigne du fait que Mme M. a toujours un lien avec son imaginaire. Ici, il y a une projection dans le temps puisqu’il s’agit d’attendre le printemps alors que nous sommes en hiver. Il ne sera pas aisé de savoir si la représentation d’un objet incom               !  

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de ses troubles cognitifs liés à l’agnosie (la reconnaissance des objets) ou d’un trait de style esthétique. Comme je l’ai mentionné plus haut, Mme M. est très cultivée en matière de peinture, et continue à s’émouvoir devant les tableaux que sa nièce a mis dans sa chambre. Cependant, elle reste critique envers ses propres peintures et me    Ce n’est rien du tout, c’est décoratif ! ». Comment dès lors interpréter son expression picturale ? Peut-on vraiment la ramener uniquement aux conséquences de la maladie à cause d’une simple lecture de la forme ? Alors dans ce cas peut-on ramener la peinture de Dubuffet ou de Fautrier à une défaillance cognitive ? Dans ces peintures l’espace, est souvent agencé en l’absence totale de toute profondeur, aux seules dimensions haut-bas et droitegauche. Les objets sont médiatisés par une projection qui les convertit en images du corps. Ils sont fragiles et ont parfois une identité  $ ‰   

#  #     

de son identité et en lutte ultime contre son effacement dans une situation qui a tout d’une réelle impasse irrémédiable, irréversible.

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Les conversations Il s’agit de présenter quelques entretiens tels qu’ils sont, retranscrits d’enregistrements sonores réalisés pendant la promenade habituelle en dehors du Home, ou dans la chambre de Mme M. Ces entretiens démontrent que l’univers affectif et relationnel de Mme M. est toujours accessible dans la relation, celle-ci lui permettant de revenir à son vécu et aux choses de sa vie qui se répètent, mais #    $ % !  >*  !  /

d’ancrage de l’être de Mme M. : les personnes proches, les lieux ai                 >  $

Février 2004 Leila (L) : Est-ce que tu penses à Martigny parfois ? Mme M : C’est sûr que nous étions longtemps là-bas. L : C’est bien la ville où tu es née, la ville de ton enfance ? Mme M : Oui, c’est sûr. L : Tu penses à qui ? Mme M : À Claude qui surveillait ça beaucoup pour ne pas aller à droite et à gauche. L : Il avait quel âge ? Mme M : Hein ? L : Il avait quel âge à ce moment-là ? Mme M : Comment, aujourd’hui ? Aujourd’hui je ne vois pas, c’est étonnant (rire). L : Non, pas aujourd’hui, mais quand vous étiez à Martigny ? Mme M : C’est une question d’âge… L : Il a quel âge maintenant Claude ? Mme M : Oh, je ne sais pas son âge. L : Est-ce que tu connais ton âge, toi ? ;  ;     !    ’$ L : Vieille, mais belle, tu es mince, tu as de beaux cheveux. Mme M : (rire) qu’on peut tirer avec… L : Tu aimes bien être ici ? Mme M : Quand il y a du soleil, oui, et en ce moment il y a du soleil, beaucoup de soleil que la vieille tricote comme Van Gogh. L : Qu’est-ce qu’elle faisait la vieille et que faisait Van Gogh ? Mme M : Il travaillait beaucoup avec ça (montrant des couleurs sur la table). Il était quelquefois comme blessé et il travaillait beaucoup. 36

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L : Quel genre de toiles peignait Van Gogh ? Mme M : Il faisait un peu tout, le ciel avec des couleurs un peu jaune. L : Oui, c’est vrai. Est-ce que tu connais d’autres peintres que Van Gogh que tu aimes beaucoup ? Mme M : Il n’en a pas beaucoup qui font des choses… Qui… (rire)… L : Qu’est-ce que tu aimes le plus à Martigny ? Mme M : Il n’y a pas grand chose à Martigny. L : Tu préfères Lausanne ? Mme M : C’était l’équivalent un peu… très jolie… mais j’ai raté (rire). L : Tu habitais à Chailly ou à Epalinges ? Mme M : Plutôt Epalinges. Parce que là-bas c’était ouvert, il y avait beaucoup de monde qui tricotait. Tu as été là-bas ? L : Oui, on y voit le lac et les montagnes. Mme M : Oui, c’est vrai, c’était l’intérêt qu’il y a… L : un beau paysage, bien sûr. Est-ce que tu te rappelles de Camille ? Mme M : Elle avait des bigoudis et elle tricotait. L : Elle est ta meilleure amie, n’est-ce pas ? Mme M : Oui… L : Et tu faisais quoi avec elle quand vous étiez enfants ? Tu as des souvenirs de Camille ? Mme M : Oui bien sûr, c’est le tricotage. L : Le tricotage… Qu’est-ce que tu as avec le tricotage ? Mme M : (rire) Il y avait toutes les couleurs, il y avait le noir, le #      Ž      “ +  

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confortable. L : Ce que je porte ? Mme M : Oui. L : Pour moi, la première qualité des habits c’est le confort, les couleurs et les formes viennent après. Mme M : Oui, bien sûr. L : Quel genre d’habits tu aimais quand tu étais enfant ? Mme M : Des habits tricotés (rire). L : Qu’est ce qui te fait rire autant ? Mme M : le tricotage et la surveillance (rire). L : Bon, bon on arrête pour aujourd’hui.

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Mars 2004 Dans la chambre L : Qu’est-ce qu’il fait comme travail Claude ? Mme M : Il travaille pour lui. L : Comme quoi ? Mme M : Pour lui-même. L : Quand il était jeune… Il était… Mme M : Il était rapide. L : Ah ! À l’école il était le meilleur ? ;  ;   $ L : À quel moment il a choisi son métier ? Tu te rappelles ? Mme M : Non, ils ont tout payé. L : Qui ? Mme M : Tout le monde. Il fallait station par station. Il fallait présenter à la dame. L : Quelle dame ? La dame de tout à l’heure, la Directrice ? Mme M : Oui. L : C’est un tableau de Palézieux, n’est-ce pas ? Mme M : Oui. L : C’est un très beau tableau et ça date de 1945. Ça fait longtemps. Tu aimes ce tableau ? Mme M : Il n’est pas mal. L : Quel tableau tu aimes le plus ? Mme M : Les chéries qui sont toutes nues. L : Tu as toujours eu ce tableau dans ta chambre ? Mme M : Il était accroché quelque part. C’est une chose qui était faite disons. Et puis, c’est pas trop refait. L : C’est pas trop refait, parce que c’est un tableau à l’huile ? Il a été fait par qui ? Mme M : Claude. L : Palézieux… Il s’appelle Claude ? Mme M : On peut l’appeler Claude. L : Ah oui, si tu veux. Et là-bas le tableau c’est de Edmond Bille ? La dame dans ce tableau, c’est qui ? Mme M : Comment ? L : La dame dans le tableau ? Est-ce que c’est une dame connue ? Mme M : C’est une dame qu’il a connu comme ça. L : Qu’est-ce qu’elle faisait dans la vie ? Mme M : Elle trotte. L : Qu’est-ce que tu aimes le plus dans cette chambre ? 38

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un tableau). L : Pourquoi ? Mme M : À tirer les traits.        † %   $     

beaucoup comme tableau, non ? Mme M : Oui, regarde ces dames. L : Tu aimerais être avec ces dames. Mme M : (rire) Elles sont pas mal ces dames. Elles sont dans l’eau et puis elles regardent. L : C’est dans quelle région, tu penses ? Mme M : C’est à Martigny. L : Les dames osaient se déshabiller comme ça ? Mme M : Oui, dans une chambre (rire). L : Mais ces femmes sont déshabillées en plein air ! Mme M : Elles sont déshabillées disons. L : Ce sont de vrais modèles ou plutôt des femmes imaginées par le peintre ? Mme M : C’est plutôt des modèles. L : Comment il était physiquement Palézieux ? Mme M : Claude ? L : Non le peintre Palézieux ? Mme M : Il était gentil, il faisait attention, il peignait déjà un peu et regardait de très près ce qu’il faut dire et pas dire. L : Dans la peinture ? Mme M : Dans la peinture, oui. L : Et quand tu le rencontrais, qu’est ce qu’il racontait ? Mme M : Il riait chaque fois (rire) L : Il aimait rire ? Mme : Oui il aimait rire.   % ' $          ! 

n’est-ce-pas ? Mme M : Absolument. L : Quelle qualité tu aimes le plus chez les gens ? ;  ;    Prade »   ” J  _ !    Prade » Mme M : ça veut dire marcher un peu, puis aujourd’hui on a marché un peu. L : Oui on a bien marché. Mme M : Il n’y avait pas de vent, rien du tout… 39

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L : Non, il n’y avait pas de vent et il y avait du soleil. Maintenant il fait tellement beau et c’est le printemps qui commence. Mme M : Oui. L : Tu aimes cette chambre de plus en plus ? Mme M : Et bien, il y a des jolies choses. Regarde bien ça (en indiquant l’armoire), ce grand four. L : Le four ? (rire) ça c’est l’armoire, ce n’est pas un grand four (rire). Tu plaisantes ? Et puis qu’est-ce qu’il y a d’autre qui est pratique ? Mme M : Comment ? L : Qu’est-ce qui est beau et pratique dans cette chambre ? Mme M : C’est pour arranger les vêtements, disons, pour que ça    _ !  J  + ’  $ L : Quand tu vivais à Epalinges dans ta villa, est-ce que tu avais une femme de ménage ? Mme M : Non. L : Peut-être qu’une femme venait de temps en temps. Tu aimais que ça soit toujours propre ? Mme M : Comment ? L : Tu aimais la propreté ? Mme M : Oui. L : Dans le salon qu’est-ce qu’il y avait ? Mme M : Il y avait toutes sortes des choses. L : Des canapés, de quelle couleur ? Mme M : Des verts,… des tableaux. L : Des livres ?… Mme M : ça en tout cas. L : Quel genre de livres tu aimais lire ? Mme M : Ceux qui font rire (rire). L : Qui font rire et qui font penser quand même ?… Est-ce que tu voyais des gens ou tu restais toute seule ? Mme M : Comment ? L : Tu restais souvent seule à la maison ? Ou bien tu avais des amis qui venaient ? Mme M : Il y avait des allers-retours. L : Allers-retours ? Mme M : À Martigny. L : Et à Lausanne aussi ? Mme M : Oui, et à Lausanne aussi. L : Tu achetais à la Migros à Epalinges ? Mme M : Comment ? 40

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L : Il y avait la Migros là-bas ou la Coop ? Mme M : Il y avait les deux. L : Tu faisais tes courses avec un petit panier ? (rire) M-N m’a dit qu’elle est venue une fois chez toi, qu’elle a mangé avec toi et que tu lui as montré des jolies choses. Tu lui as aussi acheté des blouses en soie. Mme M : (silence, une expression triste sur son visage). L : M-N, ta nièce. L : Tu te rappelles de M-N ? Mme M : Oui. *

*

*

Fin avril 2004 L : Est-ce que tu as passé un bon week-end ? ;  ;       $ L : Tu n’es pas sortie du tout ? Mme M : Non. L : Il ne pleuvait pas. Mme M : Non, il ne pleuvait pas. L : Pourquoi tu n’es pas sortie alors ? Mme M : Comment ? L : Pourquoi tu n’es pas sortie ? Mme M : … L : Mais ce n’est pas désagréable, tu es d’accord ? Mme M : Comment ? L : Il ne fait pas très froid. Est-ce qu’il fait très froid pour toi ? Mme M : Non. C’est supportable. L : C’est supportable. Qu’est-ce qu’elle est belle la nature aujourd’hui ! Mme M : Plus un coup de vent.   }  !

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plus de couleurs, plus de feuilles. Mme M : Tu as froid ? L : Pas beaucoup. Mme M : Pas beaucoup ? (rires). L : Un tout petit peu. C’est supportable. Mme M : … L : On va monter de ce côté et on va compter les couleurs qu’on voit. 41

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Mme M : Les couleurs ?… (rire) Où est Marie-T ? L : Elle n’est pas ici. Mme M : Elle est où ? L : À Martigny. Mme M : Oui, c’est un peu loin. L : Oui, c’est un peu loin. Alors, combien de couleurs on peut voir dans ce jardin ? Mme M : Comment ?    >          > † Mme M : Un peu violet. L : Violet, et l’autre qui est là, c’est blanc. Et ça ? ;  ;  $ L : Bravo ! Et puis, cette couleur du petit arbre là-bas ? ;  ;           $ L : Et ça, c’est de quelle couleur ? Mme M : Il y a du jaune. L : Oui, et puis il y a du vert. Tu vois combien le printemps amène de jolies couleurs ? ça c’est beau. Mme M : Oui, tu n’avais pas ouvert cette porte la dernière fois ici ? L : L’autre fois ? Si, mais une autre porte. Et ça, c’est de quelle couleur ? Mme M : C’est rose. L : Rose. Quelle est ta couleur préférée ? Mme M : Rose, j’adore. L : Bien. ;  ;   

 $ L : C’est le vent qui nous coiffe, c’est mieux. C’est agréable, hein ? Et puis on entend des oiseaux. Mme M : Où ? L : Quelque part. Mme M : Hein ? L : A Martigny. Mme M : A Martigny ? Tu as une voiture ? L : Si j’avais une voiture, qu’est-ce que tu voudrais faire ? Mme M : Le retour. L : Où ? Où tu aurais envie d’aller ? Mme M : Quelqu’un a dû planquer ta voiture. L : Mais tu aimerais aller où ? Mme M : À Martigny. L : À Martigny chez qui ? Mme M : (silence). 42

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L : Chez Claude ? Mme M : Claude. L : Oui. Ça te manque Martigny ? Mme M : Martigny oui. Parce que ce n’est pas prêt, disons… C’est des machines ! (Elle parle des machines de construction à côté desquelles nous venons de passer.)   –   

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     $ Mme M : On a les mêmes souliers ! L : Oui, on a les mêmes, oui. C’est confortable, hein ? Mme M : Oui. (Nous continuons à marcher quelques minutes sans parler)   ” 

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montagnes tu vois ? Mme M : Oui. Beaucoup moins. L : Marie-T est venue cette semaine ? ;  ;      !$ L : Claude non plus ? Mme M : Claude non plus L : Ah. Où est-ce qu’il habite ? Mme M : Là-bas. L : C’est où là-bas ? … Mme M : À Martigny L : Tu as froid, non ? ;  ;      $ L : Un tout petit peu ? Attends que je te couvre un peu avec mon écharpe… c’est mieux comme ça. Mme M : Merci c’est gentil…     — Mme M : À avoir chaud. L : Oui. C’est mieux comme ça, n’est-ce pas ? Mme M : … L : Tu veux rentrer ? Mme M : Non, non. Toi, tu n’as pas froid ? L : Non, il y a un peu de vent. Mais il ne fait pas très froid, pour moi c’est agréable, je n’aime pas trop la chaleur. (On entend quelqu’un chanter) Mme M : Souvenir ! L : Souvenir ? Pourquoi as-tu pensé au souvenir ? 43

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Mme M : La boîte. L : Qui enregistre des souvenirs, c’est vrai. C’est bien. Tu as beaucoup de souvenirs ? Mme M : Oui… Beaucoup de souvenirs avec Claude. L : Quels souvenirs ? Mme M : Il trottait beaucoup. L : Pendant l’été ou pendant toute l’année ? Mme M : Oui. L : Pendant l’été ? Et tu allais avec lui et tu jouais dans les champs ? Mme M : Oui. L : Tu jouais à quoi ? Mme M : (silence) L : Tu jouais à quoi avec Claude ? Mme M : À des jeux. S’il y avait quelqu’un pour protéger disons, ça allait bien. L : Pour protéger qui ? Claude ou toi ? Mme M : Claude. L : De quel danger ? Mme M : Comment ? L : De quel danger ? Il fallait se protéger ? Il fallait se protéger de quoi ? Mme M : … L : Et qui disait qu’il fallait faire attention ? La maman ou le papa ? Mme M : Les deux. L : Est-ce que Claude était sage quand il était enfant ? Mme M : Pas quand il était enfant mais ce n’est pas la question d’âge. L : Tous les enfants ne sont pas sages, n’est-ce pas ? Mme M : Oui. L : Généralement, à quel âge on peut devenir sage ? Mme M : (rire) À quel âge… L : Il n’y a pas d’âge pour la sagesse ! Est-ce que tu penses que je suis sage ? Mme M : Non (rire). L : (rire) Non ? Et toi ? Mme M : Pas du tout. L : C’est ennuyeux de devenir très, très sage, n’est-ce pas ? Mme M : Oui. L : C’est bien de garder un tout petit peu de l’enfant. De vouloir vivre des aventures. Ne pas devenir trop sage… c’est mieux n’estce pas ? 44

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Mme M : Oui. L : Qu’est-ce qu’ils font les enfants que les adultes ne font plus ? Mme M : … Pour perdre un frère c’est choquant. L : Oui, perdre un frère c’est très choquant. M : Et puis on a peur … Quelques fois, vraiment, ça crée un choc. L : Oui et c’est très triste la perte d’un frère. Mme M : Oui. L : Toi, tu as perdu un frère que tu aimais beaucoup ? Mme M : Claude, Claude. L : Claude ou Guy ? (Claude est vivant) Mme M : Les deux. L : Tu les as perdus ? Et maintenant, tu donnes ton amour à qui ? Mme M : Les deux. L : Comment elle était ta sœur ? Mme M : Elle était anxieuse. L : Tout le temps ? Mme M : Oui. L : Oui, pourquoi elle était anxieuse ? Mme M : … L : Elle était jolie ? Mme M : Comment ? L : Elle était jolie ? Mme M : Oui. L : Avec des cheveux comment ? Mme M : Elle avait des chaussures qui sont solides. L : Ses cheveux… Mme M : Ah, ses cheveux (rire). L : (rire) des cheveux comment, noirs ou … ? Mme M : Plutôt blonds. L : Blonds, et les yeux ? Mme C : Les yeux ? Bleus, quoi. Les yeux d’une blonde. L : D’une blonde oui. Elle ressemblait à qui, à ta maman ou à ton papa ? Mme M : Maman plutôt. L : Mais ta maman avait des yeux noirs, tu m’as dit. Mme M : Oui. Ou bien des choses en rose. L : Elle s’habillait en rose ? Mme M : Oui. L : Oui, et tu as beaucoup pleuré quand elle est décédée ? Mme M : Bien sûr, parce qu’elle était gentille (très émue). L : C’est vrai ? 45

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Mme M : Oui. L : Oui, elle t’aimait beaucoup ! Et là tu es devenue très triste ? Estce qu’il y avait une autre sœur qui t’aimait, qui te protégeait ? Mme M : Plutôt un frère. L : C’était qui ? Mme M : Claude. L : Et Claude a pleuré ? Mme M : Il n’allait pas pleurer mais cela le secouait de voir qu’elle était malade. L : Oui, et surtout quand elle est décédée. C’est pour cela que tu es venue vivre toute seule à Lausanne après ? Mme M : Il y avait un manque. L : Il y avait toujours un manque chez toi ? Manque de tendresse, manque d’amour… Mme M : Oui. L : Oui, est-ce que tu trouves que ta vie, maintenant, est meilleure que ta vie d’avant ? Mme M : Comment ? L : Est-ce que maintenant tu as beaucoup de manque ? Mme M : Plus ou moins. Claude, il me manque aussi. L : Est-ce qu’il y a des gens ici que tu aimes bien, et avec lesquels tu es amie ? Mme M : Les gens qui viennent. Et qui bavardent. L : Tu es en amitié avec moi ? Mme M : Plutôt. L : Oui. Donc quand je ne viens pas je te manque ? Mme C : Oui ça m’inquiète (rire). L : Pourquoi ça t’inquiète ? Mme M : Parce qu’il y a une personne qui peut tomber… L : Ne t’inquiète pas, je fais attention à moi-même pour ne pas tomber. Mme M : Non. L : Et je vais toujours venir te voir. Mme M : Oui.   ‡           J  †

Qu’est-ce que tu aimes faire ? Mme M : L’apprentitude. L : L’apprentitude (silence). La peinture plutôt ? Mme M : Oui. L : la peinture et le bavardage n’est-ce pas ? Mme M : Oui, le bavardage. 46

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L : Marie-T te manque ? Mme M : ça dépend comment elle réagit. L : Pourquoi ? Mme M : Elle est des fois fatiguée. L : Elle est fatiguée, oui, parce qu’elle travaille beaucoup. Mme M : Oui. L : Et M.N, tu te rappelles de M.N ? Mme M : Oui. L : Un peu moins ? M.N c’est ta nièce, n’est-ce pas ? Et elle venait te voir parfois ? Mme M : À Martigny ou à …. L : à Lausanne. Mme M : Oui. L : Elle ne te manque pas ? Mme M : … L : Et puis il y avait ton amie, n’est-ce pas ? Mme M : Claude ? L : Non, il y a une amie qui habite à Yverdon, Camille, tu ne te rappelles pas de Camille ? Mme M : Non. L : C’est ton amie. Vous étiez ensemble à l’école. Mme M : À l’école, j’ai oublié. L : Tu te rappelles de l’école ? Mme M : un peu. L : Quel souvenir de là-bas ? Mme M : Qu’il faut fermer les portes (rire). L : Qu’il faut fermer les portes ? Mme M : Oui. L : Pourquoi ? Mme M : Les portes, les portes quand elles sont ouvertes et quand il y a un courant d’air. L : Ah, c’est ça…. À cause du froid ? Mme M : Non, c’est-à-dire c’est moins froid qu’avant. L : Il fait moins froid qu’avant, et puis il y a le soleil. Mme M : Oui. L : Tu veux te reposer un peu ? Mme M : Oui, un tout petit peu. L : Repose-toi, on va arrêter de parler.

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Septembre 2004 L : Nous sommes lundi 13 septembre. L’automne commence bientôt n’est-ce pas ? Mme M : … (silence). L : Tu vois le chat là-bas ? Mme M : Le chat. Oui, il grandira (elle rit… silence). L : Il fait bon aujourd’hui, il fait beau. Mme M : Mais très froid. L : Un peu frais. Quand tu marcheras un peu plus, tu te sentiras mieux (silence). Tu aimes marcher ? Mme M : Comment ? L : Tu aimes marcher comme ça ? Mme M : Oui, quand on va lentement. L : Oui, ça c’est bien. Mme M : Oui. L : Qu’est-ce qu’on va chanter ? ;  ;      ’$   ™      & ’# >  Au clair de la Lune » et lui demande) : c’est quoi ? Mme M : Des arbres. L : Et ce fruit, c’est quoi ? (montrant les grappes de vignes). Mme M : C’est des cloches. L : Des raisins. Ça ressemble aux cloches peut-être. Tu aimes les raisins ? Mme M : Oui.    ! 

    $ U _   † ’  

    >$ ;  ;  %  &  >$ L : De quelle couleur ? Mme M : C’est blanc. L : Et ça ? Mme M : Rose. L : C’est vrai. Et ça ? (montrant des poiriers et des pommiers pleins de fruits). Mme M : Pour manger. L : C’est vrai. Ce sont des fruits à manger. Tu as envie de manger des fruits ? Mme M : Oui.   – !   J&$  !     >$ š !  pillon là ? 48

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Mme M : Un peu proche, oui (rire). L : Tu as froid encore ? Mme M : Au bout du nez (rire). L : Et ça c’est quoi ? Mme M : Aucune idée. L : C’est un poirier. Il y a beaucoup de poires par terre et c’est dommage de laisser les fruits comme ça. N’est-ce pas ? Beaucoup de fruits par terre. Tu vois ? Mme M : Il y a trois voitures. L : Où ? Mme M : Là, devant la maison… c’est beaucoup pour une seule maison. L : De quelle couleur ces voitures ? Mme M : Là c’est rouge, ça c’est gris. L : Toi, tu conduis ? Mme M : … (silence). L : Tu sais conduire une voiture ? Mme M : C’est possible. L : Tu aimerais maintenant conduire une voiture ? Mme M : Oui. L : Si j’amène la prochaine fois une voiture, tu vas la conduire pour aller où ? Mme M : Où tu veux. L : Ça serait une bonne idée avec Marie-T. Avec la voiture de Marie-T. Elle a deux voitures. Comment conduit-on une voiture, ça commence comment et qu’est-ce qu’il faut faire ? Mme M : Bien regarder, il y a des endroits où on ne renverse pas les gens. L : C’est vrai. Et puis, comment fait-on pour conduire la voiture ? Mme M : Il faut faire attention pour ne pas prendre les gens sur son chemin et conduire convenablement. L : Convenablement. Oui, c’est vrai. Il ne faut pas appuyer beaucoup sur l’accélérateur parce que ça peut aller très vite. Quand tu conduisais, tu ne conduisais pas très vite ? Mme M : Bien sûr que non. On va s’arrêter, prendre la voiture et ça y est, c’est fait. L : Prendre une voiture ? Mais ça ne nous appartient pas ! Tu ne peux pas prendre une voiture qui ne t’appartient pas. Mme M : Non. L : Tu aimerais te reposer un moment ? Mme M : Si on peut. 49

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L : On va trouver un lieu où on peut s’asseoir. Tu as envie de t’asseoir, un petit moment comme ça ici ? (montrant un banc public). ‡  * &$ š      #

 † Mme M : Oui, je crois qu’ils ont mis une personne dans l’eau (elle montre, sous les arbres, une vieille baignoire pleine d’eau dans la  >   $ L : Qui ? Ici ? Pour faire quoi ? Mme M : … (silence). L : Pour prendre un bain ? Mme M : Oui. L : C’est étrange, un bain sous les arbres. Mme M : Non, c’est en bas (montrant la baignoire). *

*

*

L : C’est le 20 septembre aujourd’hui. Il fait beau ? Mme M : (silence). L : Tu trouves qu’il fait beau ou un peu froid ? Comment tu te sens ? Mme M : Comment ? L : Est-ce que tu as froid ? Est-ce que tu as chaud ? ;  ;     $

L : Tu n’as pas froid et il fait beau. Il fait très, très beau en fait. Estce que le soleil ne te tape pas trop dans les yeux ? Mme M : … (silence). L : Donc, tu as eu ton anniversaire, ce samedi ? Et Marie-T est venue avec Claude pour faire la fête avec toi ? Où êtes-vous allés ? ;  ;     $ L : Tu as oublié, dans un restaurant je pense. Oui. Mme M : Mais il y a combien de temps ? L : Il y a trois jours. Mme M : Hein ? L : On est lundi, hier c’était dimanche, avant-hier c’était samedi. Ils sont venus te chercher et tu as mangé avec eux. C’est ce que m’a   *$

Mme M : En voiture ? L : Sûrement, ça fait longtemps que tu n’as pas vu Claude ? Mme M : Oui. L : Il tient beaucoup à toi je pense, mais il ne pouvait pas venir parce que sa femme a eu un accident et que c’est elle qui conduit. Chaque fois qu’il vient c’est elle qui l’accompagne. Mme M : Elle a eu un accident comment ? 50

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L : Oh, je ne sais pas. Mme M : Et puis pourquoi ? (elle semble inquiète). L : Elle est tombée, elle s’est fait mal à la jambe. On lui a mis un plâtre. Et puis… Claude ne peut pas venir tout seul, il ne sait pas conduire, lui. Mais Marie-T vient te voir toutes les semaines. Mme M : oui.

Sieste et souvenirs ;"  

 *     ! #   

le vécu intérieur de Mme M., il demeure très important pour moi de         !     $    

une attention toute particulière à son bien-être. Cela en observant ses réactions et ses affects pendant les différentes activités. En effet, dès qu’elle montre des signes de fatigue, je lui propose d’arrêter pour se détendre un instant sur son lit. Au début de son arrivée au '          *     ! 

 #    &   

 $    

rassurer en lui tenant la main. Généralement, elle ferme les yeux pendant quelques minutes et, quand elle se réveille, elle semble détendue et souriante. C’est le moment privilégié de nos conversations et de mes questions concernant son vécu. Ce qui nous ramène ! / !  ;  ;$   !     /tion répétitive. La maladie et la mort de sa mère sur lesquelles elle ! !   Ma mère est morte un vendredi, ça m’a frappé    0  3  +*  fragile de santé. J’étais préparée, on déduit cette chose tragique,     +       *+      +   !   +  !       +      ! 0 — +      mère était faible. Elle se faisait du souci pour nous. Elle voulait faire bien les choses et elle s’occupait bien de nous. C’est pour cela qu’elle a perdu ses forces. Mon père l’aimait et il se faisait      +     45(la mère est

   ! 

        +  lorsqu’on est petit on est très attaché en général à son père ou à sa mère. J’étais attachée beaucoup à ma mère. Elle avait des cheveux noirs et à l’époque on avait le fer à boucler les cheveux. Elle était très 51

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gentille et s’inquiétait de tout. Elle faisait un effort pour que ça     +       

       + *  * ». Mme M. évoque le thème de l’oubli et semble consciente de       On oublie parce qu’on est fatigué parfois. Ça fait       + +  Il faut être       + * (elle parle de son frère qui est mort dans un accident) n’était pas prudent +$  J’étais enfant comme tous les enfants. Soit on s’adapte vite à une situation soit    +&  

    6                      +         *       * *+*                  + &  

       donnait sur la rue et il fallait faire attention et rester sur le trottoir. 78               veillaient les enfants. Il y avait des femmes qui passaient avec des poussettes de bébés … Etc. » Mme M. me dit une fois avec une vive      C’est trop triste de voir mourir ses parents ! Même si on comprend la mort, on ne l’accepte pas et ça fait peur. »

Commentaires sur le chapitre 1 Ce qui revient toujours dans ses souvenirs, c’est la fatigue et l’angoisse. Angoisse qui englobe tout ce qui reste de sa vie dans sa mémoire et qui se prolonge dans le présent et apparaît chaque fois lors d’une séparation d’avec une personne de sa famille ou d’avec

$ {    *      &    

d’une détresse qui la dévaste corps et âme. ‡     !          ; 

M. a augmenté sous l’effet de sa maladie ou à cause de son expérience de vie qui est marquée par la perte des personnes chères. Particulièrement celle de sa mère qui semble l’avoir marquée jusqu’à l’empêcher d’avoir elle-même des enfants. Mais encore     Œ   *   

    Sa mort fait peur       +        *   Il travaillait beaucoup, il est mort plusieurs fois ». Mme M. m’avoue 52

Recherche en psychosomatique. Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

        

/    Il y avait beaucoup   9             +    … » me dit-elle sur un ton ému qui me laisse penser qu’elle garde toujours une fêlure de la perte de sa mère. La fragilité de l’enfant dont elle parle ne peut être que la sienne propre. Il faut souligner que le fait de pouvoir exprimer ses affects reconnus et reçus par la thérapeute dans la relation a permis à Mme M. de garder un lien avec son corps, lieu par excellence où les affects prennent leurs racines et d’où émerge l’univers de l’enfance. Ce travail d’expression n’aurait pu avoir le moindre succès s’il ne s’était pas engagé dès le départ dans une démarche fondamentalement relationnelle qui a mis en évidence que les capacités affectives et relationnelles de la personne restent opérantes dans cette maladie. Il a pu améliorer le quotidien de Mme M. En effet, elle n’a pas connu, jusqu’à présent, de grave détérioration de son état, elle est capable parfois de se projeter dans le futur et de garder quelques traces d’un événement récent. Attentive, patiente et tolérante envers les autres résidents, son aspect est celui d’une personne en bonne santé.

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Chapitre 2 Introduction Cette partie s’inscrit sous le signe de la détérioration de la mémoire de Mme M., actualisant une situation au bord du néant. Elle doit rendre compte d’une communication qui passe de moins en moins par la parole à cause de l’évolution de son état. Cette partie de l’exposé est consacrée à la problématique de l’affect et de la représentation et se situe à la limite du corps réel et du corps imaginaire du sujet. L’espace relationnel reste déterminant de la constitution ultime de l’espace et du temps du sujet – certes provisoires – mais primordiaux pour toute représentation et toute existence du sujet. La présentation de cette période tente de considérer un ensemble   *  >*       &    nement cérébral de Mme M. et se manifestent par l’aphasie (troubles du langage), l’apraxie (troubles du geste), l’agnosie (troubles de la connaissance de l’espace). C’est à travers une lecture des productions et des entretiens qui couvrent toute la durée de la relation avec Mme M. pendant deux ans et dans un contexte qui comporte de nombreuses incertitudes, que je dois trouver des liens susceptibles d’éclairer et de comprendre ces formes particulières de l’expression de cette personne dans son ultime fragilité. Comment poser les problèmes et envisager l’unité de cet être dans ce cas extrême ? 55

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Mon approche fait appel à l’esthétique, à la théorie relationnelle de Sami-Ali3 (pour laquelle toute pathologie humaine participe simultanément, à des degrés variables, du psychique et du somatique). et à la neurobiologie (qui traite les fonctions cognitives dans leurs rapports avec les différentes structures cérébrales concernées). L’accomplissement de toutes les activités humaines (le langage, l’activité gestuelle, la connaissance du corps ou celle du monde extérieur, etc.) engage le cerveau dans son ensemble. Prenons par exemple le langage et le cerveau de l’homme. D’après la neuropsychologie4 « L’histoire du langage établit deux principes fondamentaux : – L’activité de langage fait intervenir tout l’encéphale, des dispositifs élémentaires du tronc cérébral aux réseaux synap       ( – L’activité de langage repose à tous les niveaux sur une relation établie entre l’expression et la perception. Cette relation trouve son achèvement dans le néocortex associatif de l’homme. Les deux pôles autour desquels s’organisent les dispositifs corticaux du langage sont l’aire de Broca et la zone de Heschl. L’aire de Broca est la zone motrice qui assure le contrôle phonétique de l’expression. La zone de Heschl est la zone réceptive où le message est décodé en fonction de ses constituants phonétiques. Autour de ces deux zones, le cortex s’organise pour constituer deux systèmes.  !@+G/ 8 tème assure la rétention immédiate du message auditif. Il inscrit les relations entre les schèmes perceptivo-moteurs du langage et   !*              et de l’espace. Les connexions avec les régions voisines du cortex temporal, du cortex pariétal, du cortex occipital sont le support de ces acquisitions.       est le niveau le plus élevé des mécanismes qui contrôlent la vocalisation. Comme l’aire motrice supplémentaire, il appartient au lobe frontal. Sa fonction est tournée

3. Sami-Ali est thérapeute, professeur émérite à l’université Paris VII et dirige actuellement le Centre international de psychosomatique (CIPS) qu’il a créé. Auteur de nombreux ouvrages dans les domaines clinique et esthétique. Voir bibliographie. 4. Le manuel de neurobiologie. Activités de langage : les aphasies, pp. 147-161.

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 (  @+GK  8 *   système antérieur, expressif, les relations sont incessantes.  tions dans les phénomènes aphasiques observés au niveau de l’expression orale et écrite, ainsi qu’au niveau de la compréhension du langage oral et du langage écrit. En effet, les perturbations varient d’un moment à l’autre et ne s’inscrivent pas dans une progression linéaire. Elles sont inséparables du contexte émotionnel dans lequel se trouve le sujet.

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à effectuer certains mouvements précis de la langue ou des lèvres et, depuis deux mois, elle peine à avaler sa salive, ce qui altère son expression et fait qu’elle parle de moins en moins. Cet obstacle

  ‚   '    >/    tion qui n’est pas le seul à être défaillant, d’autres fonctions que nous évoquerons plus loin étant également atteintes. Il n’est pas aisé de savoir si une gêne psychologique accompagne ce handicap. Comme beaucoup d’autres phénomènes, l’auto-perception par ces malades de leur propre état nous échappe, alors que, chaque fois que je l’incite à avaler sa salive, je perçois sur son visage une sorte de souffrance. Sur le plan phonémique concernant l’agencement des phonèmes dans le mot : la détérioration touche par exemple des mots très fa      +     +   + !   +$

;         ’  / 

   ›  culté de trouver les mots) que son aphasie est la plus prononcée et cela touche aussi bien les mots du quotidien que les noms de per   / $    '   >     

jours elle oublie tous les noms des membres de sa famille – excepté celui d’un de ses frères – et d’autres jours elle se souvient de plusieurs d’entre eux. L’agraphie aphasique est, dans l’écriture, la manifestation des troubles cités à propos du langage oral. Les anomalies observées dans l’écriture doivent être considérées dans leur rapport à la détérioration cognitive du cerveau, mais peut-être aussi comme des 59

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signes d’une régression psycho-affective chez la personne atteinte. Il faut dire que, chez elle, l’altération du langage oral ainsi que celle du langage écrit ne se font pas nécessairement au même degré, ni au même moment. Certains des troubles de Mme M. semblent transitoires comme on peut le constater en regardant simplement  /            $ {/

exemples frappants : À la claire fontaine et Au clair de la lune qui sont les chansons favorites de Mme M. À la manière d’occuper l’espace de la page, la graphie, l’orthographe on remarque des différences considérables. Quant au prénom de son frère, Claude, il passe par tous les états imaginables : Klod, Klaude, Clode, Clod pour redevenir soudain normal, Claude. Il n’est pas certain que les autres troubles, ceux de l’activité gestuelle et ceux de la connaissance de l’espace, associés à l’évolution de la maladie d’Alzheimer chez Mme M., soient aussi facilement repérables que dans l’aphasie car ils sont moins immédiatement perceptibles. Et, dans leur cas, on peut se demander où est la limite entre le handicap neurologique qui entrave le mouvement et les circonstances de vie : le sujet est en effet amené à vivre dans un contexte qui – dans le but entre autres d’assurer sa survie – ne lui laisse que peu de marge de manœuvre et dans lequel il est assisté en permanence, parfois même excessivement. Essayons de suivre l’interprétation de la neurobiologie6 de l’activité gestuelle.  Le geste est, pour l’organisme, le moyen d’agir sur le monde ex 0 #(#N manipulation. T    ! ;            N     nomiser pour revêtir un sens arbitraire (salut militaire) : c’est le geste symbolique. À un degré supérieur d’abstraction, les activités graphiques et la représentation symbolique de l’espace sous-tendent une représentation conceptuelle des relations spatiales : ce sont les activités spatio-constructives. Manipulation, activité gestuelle symbolique, activité spatioconstructive sont les étapes d’un processus dont la psychologie génétique permet de suivre le développement chez l’enfant. Car ces trois connaissances sont étroitement liées à la maturation 6. Le manuel de neurobiologie, pp. 158-170.

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  $ {*       &   Le geste élémentaire prend sa place dans une chaîne ordonnée qui constitue une action. Le déroulement satisfaisant de l’action fait intervenir tout l’encéphale. Comme pour le langage, la dialectique du cerveau antérieur qui gère l’intention et du cerveau postérieur où s’inscrit la représentation est indispensable […] les deux hémisphères cérébraux sont concernés par ces acquisitions. Néanmoins la préférence manuelle montre que leur participation    À propos de la sémiologie de l’apraxie, les mêmes auteurs poursuivent : « La spécialisation régionale du cortex cérébral permet de comprendre que des lésions limitées puissent perturber gravement l’utilisation du geste comme moyen d’action ou de représentation alors qu’il n’existe aucun désordre élémentaire du mouvement. C’est ce type de perturbation que l’on désigne sous le nom d’apraxie. Des manifestations de l’apraxie dans la vie quotidienne peuvent !          &    ! 

nagères, de l’écriture ; échec pour l’ouverture d’une porte, la fermeture d’un robinet, le maniement du levier de vitesse. En vérité, la conservation relative des gestes automatiques et quotidiens cache souvent l’apraxie. » Principaux aspects de l’apraxie comme les présente le manuel de neurobiologie. – L’apraxie mélo-cinétique est une désorganisation du mouvement proche des troubles moteurs élémentaires. Elle se manifeste par une réduction de la spontanéité motrice. – L’apraxie dynamique se manifeste par l’impossibilité de ré         – L’apraxie idéomotrice se manifeste dans les gestes ne com                  d’exercer sur ordre le salut militaire ou de mimer le geste d’utilisation d’un marteau. La formulation du geste est approximative. – L’apraxie idéatoire se manifeste lors de l’utilisation des ob      9    8   un briquet, ou plus complexes : faire un paquet, allumer une bougie. Lorsque le trouble est sévère, il perturbe les gestes  9      du sa valeur d’utilisation (agnosie de l’utilisation). Le patient tente d’écrire avec une paire de ciseau. 61

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– L’apraxie constructive apparaît dans les activités graphiques et dans certaines exigeant le maniement des relations spatiales. L’écriture est perturbée : utilisation défectueuse de la           – L’apraxie de l’habillage. Ces aspects de l’apraxie ne sont pas tous observés chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, tandis que l’apraxie '    !     &     

et concernent directement ces patients. Au début de la prise en charge de Mme M., il y a deux ans, ces troubles n’attiraient pas beaucoup mon attention car elle gardait une certaine aisance dans ses gestes, excepté durant les moments où, parfois, ses mains tremblaient en effectuant des mouvements pour boire son thé, son café ou pendant qu’elle dessinait ou mangeait, par exemple. Mais cette situation n’était ni constante ni invalidante. Depuis quelques mois, j’observe chez Mme M. une incapacité à utiliser simultanément ses deux mains pour manger. En effet, elle

                

ler la fourchette et le couteau en même temps. Elle se sert uniquement de sa main droite, la gauche restant immobile et posée sur sa jambe gauche, comme paralysée. Des aliments comme le riz et les =    *      !    

par une main tremblante, sont l’objet d’une lutte impressionnante au cours de laquelle elle multiplie les tentatives pour les prendre grain par grain, une par une, avec une persévérance et une patience bouleversantes. Dans cette situation, elle semble tellement absorbée et attentive, tout occupée à alterner fourchette et couteau, elle pose l’un lentement pour se saisir tout aussi lentement de l’autre. Mais prendre les aliments avec la fourchette n’est pas aussi compliqué que de couper des morceaux de viande avec une seule main. Avant cette phase, lors de mon arrivée au home, je la trouvai au salon, buvant tranquillement son café en m’attendant. Désormais, elle est encore à table, terminant lentement son repas, repas devant lequel elle semble absorbée, mais sans joie. Cette attitude à table est très commune à la majorité des résidents, tous enfermés dans leur bulle et qui semblent coupés de toute possibilité d’échange avec leurs voisins, y compris au niveau du regard. {        $ ;  ;$

ne peut plus s’habiller sans aide, pour sortir se promener avec moi. Elle doit faire plusieurs tentatives avant de réussir à boutonner sa 62

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

veste par exemple, ou à mettre ses chaussettes, ses souliers et nouer ses lacets. Il m’est pénible de la voir multiplier les efforts pour manger, se laver les mains, se brosser les dents et se coiffer. Mais ces efforts sont aussi toujours source d’étonnement. Où puise-t-elle cette ténacité ? Durant ces moments, je me retiens de l’aider trop vite sachant qu’il est vital pour elle d’exercer ces gestes toute seule et autant qu’elle le peut. Gestes habituellement simples, mais devenus           ! $ % &! 

soulignent les forces énormes déployées par ces personnes pour s’adapter et survivre. Alors que nous tenons habituellement pour évidentes des choses aussi simples qu’éplucher une orange, boire son café, marcher avec légèreté dans l’air du matin. Examinons à présent les autres troubles, ceux de l’agnosie, qui portent sur la connaissance du corps, la connaissance de l’espace et celle des objets. Ces connaissances sont des acquisitions soumises à un développement, fonction de l’expérience et de l’éducation. Connaître c’est pouvoir reconnaître, c’est confronter toute nouvelle expérience perceptive à l’ensemble des expériences antérieures où se fondent les convergences multisensorielles visuo-somesthésiques mais aussi auditives, olfactives et qui sous-tendent l’élaboration des connaissances. Toute connaissance est inséparable d’une  $             

visuels de la perception en un seul schème sensori-moteur, c’est-àdire l’ensemble de la personne corps et esprit. {*     &   @+G                     5 séparé de l’action par laquelle l’organisme explore les qualités       

   (  @+GT                 que le cortex associatif situé à leur voisinage où se matérialisent sous forme de complexes synaptiques les schèmes perceptivo-mo  7W      *      !8!*               le lobe frontal intervient de façon déterminante pour assurer la mobilité des schèmes et permettre une stratégie de l’exploration. Chacun des deux hémisphères sous-tend des capacités cognitives élaborées. Cependant, le langage acquiert, à un certain moment du développement, un rôle dominant dans la connaissance différen    9 W 

  ; et 63

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  # WY     entre les dispositifs du langage et les autres structures où se sont élaborés les schèmes sensori-moteurs. Pour cette raison, l’hémisphère dominant pour le langage l’est également pour la plupart des       En effet, toujours d’après les auteurs du manuel, la connaissance             nité d’informations sensorielles qui engagent le cerveau dans son ensemble. Le processus est automatique, dépendant des structures sous-corticales limbiques et du cortex cérébral. Néanmoins, chaque hémisphère traite l’information spatiale sur un mode qui lui est propre. L’hémisphère gauche procède à une analyse de détails dont l’achèvement est la toponymie et il fonde sa reconnaissance des lieux sur une construction logique faisant appel aux acquisitions didactiques. L’hémisphère droit procède à une évaluation globale de l’espace aboutissant à une reconnaissance intuitive, fondée sur la !!         !  # $ Or, toute connaissance et toute acquisition reposent sur la capacité du système nerveux central de garder une trace mnésique de   !    &   *   &  

expériences et actions antérieures. Bien qu’il soit possible d’établir une description générale de ces multiples atteintes cognitives que sont l’aphasie, l’agnosie et l’apraxie, il demeure important de les considérer et de les observer dans chacun des contextes précis qui les constitue. Lequel change d’un sujet à un autre. Il reste à dire que les troubles mnésiques7 de Mme M., dans cette phase avancée de sa maladie, commencent à porter non seulement sur les faits récents (comme il y a deux ans, au début de la prise en charge) mais aussi sur les faits anciens. Les souvenirs d’époques 7. Dans Le sens de la mémoire ’W   Ÿ      |¡¡¡ J€!

et Marc Tadié citent quelques exemples de structures et réseaux impliqués dans     !    

      les lésions histologiques constatées sont souvent localisées aux circuits d’association reliant les aires de perception aux aires de la mise en mémoire, de l’affectivité et surtout de  @+G   #                          8   entre les aires d’association permettant de relier perception, mise en mémoire et  

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

de plus en plus lointaines, jusqu’à la jeunesse ou l’enfance, s’ef >              

intellectuelles.

Les œuvres Dans la première partie de cet exposé, j’ai évoqué l’ensemble   !            * $ 

 mite ici aux phénomènes apparus surtout durant la deuxième année       *   >*     

l’écriture et les entretiens. Mes observations ne prétendent pas être généralisables à tous      $    &    

extérieures et mes impressions intérieures faites de très nombreuses images pour commenter les éléments les plus marquants des peintures de Mme M. Il me semble utile de commencer par l’interprétation qu’a faite Sami-Ali8 des peintures de Mme. M. lors de ma présentation du thème de la relation thérapeutique dans la maladie d’Alzheimer, au Centre international de psychosomatique CIPS (Paris, mars 2003). ‡           

 Y      #     4  #  9            Y                  corps propre comme schéma de représentation. Il y a un passage de  #  8             %       $ & >  /

paysages et dessins abstraits : images réalisées sur environ deux ans. Elles sont sélectionnées parmi des centaines et divisées en cinq catégories, présentées dans un ordre chronologique, pour faciliter la lecture en perspective de l’évolution de l’état de Mme M.

8. La totalité de ces commentaires a été retranscrite à partir d’un enregistrement sonore et n’a pas été revue par l’auteur. Ces commentaires se trouvent dans les annexes.

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Peintures et dessins sont souvent accompagnés d’un texte qui les explique et qu’elle commente avec moi pendant la séance.

Les arbres  Un grand arbre avec des feuilles et des refeuilles », me dit-elle un jour devant un dessin. L’arbre, motif qu’elle préfère dessiner spontanément, est pour elle un être à part entière sur lequel elle #          &   seul, le pauvre, il a froid, il est content, etc. ». Mais il continue aussi à être quelque     on peut monter s’il est bien développé, dont on peut cueillir les fruits ou qu’on peut décorer quand il s’agit d’un sapin, ou encore arroser avec de l’eau. Et les arbres ne sont pas     Il n’y a pas de prototype, mais la nièce reconnaît tous les arbres peints comme étant des arbres du Valais. Ils ne sont semblables, ni par la forme, ni par la couleur, ni par la taille : allant de l’arbre entier et bien dessiné sous un ciel bleu et planté en terre, à la miniature méconnaissable qui ressemble plutôt à un petit bâton et ne garde de l’objet que le brun et le vert. Haut, bas, droite, gauche, les coordonnées de l’espace varient, et la taille de l’objet ainsi que son cadrage changent d’une œuvre à l’autre. Certains arbres ont une identité incertaine reconnue par  J "    Un  45+». D’autres confondent la partie et le tout (ce qui se retrouvera dans d’autres thèmes) comme

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

dans le dessin où l’arbre prend la forme d’une feuille ou dans celui où ce que l’on perçoit comme une branche est désigné par Mme M. comme étant une feuille.

À propos du premier dessin, on peut faire plusieurs remarques : d’abord, la partie gauche de l’arbre est complètement dénudée tandis que, sur la droite, poussent des feuilles de différents types. Ensuite,     &         Au pied du ciel l’arbre pousse mais n’a pas besoin de parler ». On peut donc vivre sans parler. Le deuxième occupe la moitié supérieure de la page. Accompagné    Petit Papa Noël +   &  $ 

 

représente deux arbres. A-t-il la tête dans le ciel ou n’a-t-il pas de tête ? Comme le petit papa Noël de la chanson, le sapin lui aussi descend du ciel (orthographié : Niel). Un troisième occupe la moitié gauche de la page. Il semble sans ancrage et seul un tronc vert soutient une partie supérieure bleue 67

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dont on ignore s’il s’agit du ciel ou du feuillage. Cet arbre m’a fait penser à une peinture de Matisse, avec cette différence que, chez le peintre, la masse est rose, et chez Mme M., elle est bleue. Réalisé en contre-plongée et comme à partir du point de vue d’un d’enfant, le quatrième arbre attire mon attention. Il est à remarquer la disproportion entre la partie visible du tronc, assez gros, et le peu de feuillage qu’il porte. Il fait penser à ces platanes dont les branches repoussent après une taille sévère, avec ce paradoxe qu’ils semblent porter deux vies en même temps : l’une jeune et fraîche, l’autre vieille. Le feuillage qui repousse évoque-t-il, pour Mme M., l’espoir d’un renouveau après les nombreuses pertes qu’elle a connues ? Si nous prenons ce dessin comme projection de soi, nous pou!    >*    &      

tête avec le corps d’une part, et le rapport de celui-ci avec l’espace d’autre part.  Un arbre peut-être », écrit-elle à côté d’un drôle d’arbre rouge orangé fragile et sans consistance qui semble s’arracher à la terre et sur le point de se perdre dans un décor mouvementé. Décor barré sur la droite d’un trait vertical bleu, tracé là comme pour le soutenir dans sa chute. Les limites du sujet et de l’objet se confondent.

™     ;  ;$   !    de montagne » dont le traitement du trait évoque la peinture chinoise. Mme M. a fait beaucoup de voyages en Chine et aimait la peinture chinoise. Ces arbres fournissent la preuve que ce qu’elle vit et sent, dans son propre corps, (oublis, incohérences, disparitions, etc.) est à l’origine de ses projections picturales. Ce n’est qu’au terme d’une 68

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longue observation que j’ai réalisé le lien qui existe entre un sujet en perte continue de soi et un monde qui se dérobe à lui en permanence.

Les animaux      

   ;  ;$    maux en général lors des séances de peinture. Du dessin que j’ai fait d’un chat, son animal préféré, elle dit :           

    “gentil” ça veut dire qu’il est content, s’il est “méchant” ça veut dire qu’il a        ». D’un autre dessin de chat réalisé par elle et moi, Mme M. com     /      7  0   

!    +ça c’est impossible ! »  %               seau » avait-elle écrit devant l’un de ses dessins d’oiseau. L’image d’un perroquet sur une branche suscite de Mme M. ce 

    Un perroquet sur une branche est content d’avoir la     !(  

"  #   un    0 6  3     +   5          +       N’évoque-t-elle pas ici à la fois son désir de liberté et sa fragilité ?  Un chat qui ne fait rien », me dit Mme M., qui écrit cette phrase, quasi illisible, au-dessous du dessin d’un chat qu’elle vient 69

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de faire au crayon. Chat en position d’attente, ramassé en boule, la queue posée du côté droit, il regarde frontalement devant lui. ”    *        $ U

regardant ce dessin à plusieurs reprises, j’ai remarqué que si l’on observe les traits qui font le contour des yeux, ce chat semble vieux 

 $   !

 "       

du vieux chat de Mme M. auquel elle était très attachée et qui avait été piqué avant son entrée dans le home. Un autre chat, dans la même position, est réalisé avec une craie marron. La différence est remarquable, ce dernier ayant l’air malicieux et content. À côté de son dessin, Mme M. écrit en jaune  est un chat qui miaule +$   !     

cette séance de très bonne humeur et qu’elle a pu caresser le chat de l’institution avant de faire la peinture. A-t-elle gardé des souvenirs vivants de ce chat ?

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

À partir d’une photo qui la représente avec son père et son chien, photo noir/blanc que j’ai eue par sa nièce, je lui demande de faire un $        ;  ;$    Ž 



       /        & 

père et elle-même, comme je le lui dis. Elle devait avoir trente ans peut-être et l’image la montre joyeuse et insouciante, habillée d’un élégant manteau dans un paysage hivernal valaisan. Le père, à côté d’elle, a l’air sérieux avec son chapeau et ses habits qui disent une certaine aisance. Malgré ses efforts, Mme M. n’arrive pas à copier les personnages de la photo, /     *    a l’air de pleurnicher ». Sa propre silhouette, portant un parapluie, est réduite à une ligne verticale, à côté de ce qui est supposé être son père qui, lui, apparaît sans visage, sans mains et sans pieds. Seuls sont représentés, le chapeau et le costume : elle s’efface et le père devient anonyme. Ce que dit Sami-Ali9           L’espace est donc une surface régie par la relation de dedans-dehors et dans         #      

         Le phénomène de la détérioration des fonctions cognitives se voit dans les dessins et représentations des animaux. En effet, la plupart de ceux-ci montrent des manques, des déformations et parfois des mutations de leurs corps, laissant des formes incertaines, inachevées,  &     >  

   & ‰ J 10 :  /       Z 9. Sami-Ali, Le Banal, Paris, Gallimard, 1980, p. 109. 10. Ibid., p. 110.

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Cette détérioration qui caractérise habituellement les peintures et dessins de Mme M. et qui apparaît dans quelques exemples frap  &  >   /     !

inquiétant. Comme dans le cas de cet oiseau à moitié grignoté et aux   $ J      

    

 %   ! > †  %         + me répond-elle. ”      >   ! † {  !  

pleine terre, elles sont en tout cas très nombreuses dans ses dessins. Et, comme dans le cas des arbres, elles sont très diverses en couleur            > &       c’est rare », au tournesol inspiré du couvercle de la boîte de craies représentant la fameuse peinture de Van Gogh. Il est vrai qu’elle n’a pas besoin de chercher ce motif très loin. Mme M. le trouve soit au cours de nos promenades, soit dans sa chambre (elle reçoit souvent  >   *      *  home, toujours >$ {     '    > &    !  J 

     >    

 + (commentaire rédigé sans aucune faute d’orthographe) qui dissèquent un mouvement de chute et font penser à certaines œuvres futuristes, dans tous ses dessins Mme M. a préservé, sans confusion, un rapport très !! / >  /  $ U J    > 

pour elle des objets relationnels (qu’elle les reçoive ou qu’elle les

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

          >  >* 

que rarement la détérioration qui touche souvent les autres thèmes, malgré l’avancée de sa maladie.

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Le paysage abstrait  '            mel, surtout lorsqu’il inclut des maisons. Impossible à saisir, la mai Ž     >    <    

dehors se confondent. Mme M. se montre très contrariée quand elle est confrontée à des formes géométriques et rencontre une grande      $    &   

incapables de délimiter un espace. Mais les couleurs continuent à véhiculer l’émotion et la symbolique de l’objet : comme dans   8    où sept couleurs sont utilisées, avec des    '       vert pour le    Dans certains de ces paysages, on assiste à un éclatement du point de vue du sujet ayant pour conséquences que l’objet perd ses contours et pivote dans un espace sans limites.

Affect et représentation Le deuil et autres expériences émotionnelles &

    *       

observé de certains résidents du home. Ils ont attiré mon attention par leur gestualité et m’ont permis d’imaginer quel avait pu être leur métier (une projection que l’on fait immanquablement avec ces personnes, remontant le temps dans une tentative de se les représenter avant la maladie). En discutant avec la directrice et d’autres personnes qui travaillent auprès de ces résidents, mes observations se sont révélées être presque toutes exactes. Par exemple, la femme à qui j’attribuais le métier d’institutrice l’était bel et bien ; tout 

   * ;  `$  

 ;$ $ % 

nière presque théâtrale d’entrer en contact avec le monde qui m’a permis de voir que ce qui semblait être une sorte de délire corporel répétitif, n’était rien d’autre que les gestes propres à une activité passée. Il s’est écoulé plusieurs mois depuis le début de ces observations. ¢

   *  $  ! !  ! $ U 

portait autour du cou une sorte de pièce de tissu jaune qui n’était qu’une serviette en papier qu’elle avait plié soigneusement pour s’en faire un col. Elle avait insisté pour que je voie son invention 74

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

    &  *$ }    ;  `$    

une part d’elle-même dont elle a vraiment voulu que je sois témoin : son identité professionnelle. Quelques jours auparavant, elle avait           *    

 $ ¢    &      

  

           Π 

coudre, deviennent impossibles pour les malades d’Alzheimer, sur      $ –  &        !

;  `   *$ Ÿ!        ˆ

ses mots s’évanouissaient avant de franchir ses lèvres –, elle arrivait pourtant à chanter avec Mme M. et moi, À la claire fontaine, chaque fois que j’arrivais dans le home.  !  &Ž               

couture avait accompagné Mme B. jusqu’au home. Au cours d’un de nos derniers entretiens (une semaine avant sa mort), j’ai senti que cette boîte contenait toute son histoire tandis que Mme B la caressait, le regard chargé d’émotion. Le phénomène est également étonnant s’agissant du menuisier, qui, d’habitude, est taciturne et manifeste un comportement plutôt ' $  # < #          !

lui sur le thème de son métier. Deux minutes avant que commence   !     & !  " $   & 

restant à côté de lui et en regardant dehors, moi aussi. ˆ £     ;$ $ † Après quelques commentaires de ma part à propos de la beauté     &     *     / 

  

    oui, oui, il n’y a pas de neige ». Lorsqu’un camion transportant un grand sapin passe (nous 

 /   ! „¤  ;$ $      

   Père Noël qui arrive ! ». –&   * „¤   il faut laisser un verre de rouge » dit-il, il ne répond pas tout de suite à mes questions concernant les meubles en bois. Mais il entre petit à petit dans le jeu décri!  &     "   qu’il ne faut pas salir » insiste J $ – 

&      # +7     pareils ». La conversation devient normale, utilisant un vocabulaire de plus en plus précis, lié à son métier de jadis : vernis, scie, dé $ ;    !     

& +         3!8      en rond par-là  + U     

  



portes, fenêtres, armoires, bois de chêne, etc. 75

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Lorsque je lui fais remarquer qu’il aime beaucoup son métier, ;$ $    Tous les métiers, il faut les aimer ». Et plus tard,  #     £ ! &  ! +   !

     ‡ '   !     +&    +  ##  0  »…          _   " de l’usine avec des spéciales machines ». Et, en touchant les tables du doigt : « ça c’est du vernis spécial qui devient solide. » Néanmoins, lorsqu’il s’agit de dessiner la machine à découper il est complètement démuni devant la feuille et ne parvient qu’à une ébauche incompréhensible alors que ses gestes, eux, sont parfaitement clairs. À propos d’un autre exemple où j’aborde Mme I., l’institutrice, dans un moment où elle s’adonne à sa frénésie de ranger des livres, voici la partie compréhensible de notre dialogue. Car Mme I. parle très bas, avec une diction altérée. Moi : Il me semble que c’est intéressant ce que vous êtes en train de faire. Elle : /            +   !   !      #+ – Vous avez enseigné à des petits enfants ? – À cinq ans dès la première année. – Quel beau métier ! \% #  ( + – Vous deviez leur apprendre à lire et à chanter ? \7       *+ Elle continue à ranger ses livres et à parler d’une voix très &  

   J "              

comprendre. \&   #@+]G+   !  – Quelles choses ? – Tous les soucis… Mme M., qui assiste à la scène, reste muette devant le miroir que constitue Mme I. : elle est comme frappée par cet autre qui est soi-même. L’état altéré de cette femme et son impossibilité de marcher sans soutien (Mme I. avance courbée, avec des mouvements    "            

sa diction altérée : tout ce qu’elle voit dans l’interaction entre Mme I. et moi, alors qu’elle est devenue observatrice du phénomène, lui renvoie quelque chose qui la rend très émue et triste. Lorsque nous sortons de la chambre, elle est silencieuse et veut dormir. 76

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Ce phénomène nous amène à évoquer comment Mme M. a vécu une autre expérience douloureuse : le deuil. En effet, en deux ans, quatre personnes sont mortes dans le home. Des événements dont tous les résidents sont en général informés et dont ils ne pourraient de toute manière pas manquer de s’apercevoir, vu leur petit nombre et les allers et venues qui entourent la mort : arrivée du prêtre, de la famille, etc. On peut se demander comment ces personnes vivent la disparition de l’un d’entre eux. À plusieurs reprises, Mme M. m’avait semblé triste, repliée   J "     !$  !  ' &

d’efforts pour la convaincre de sortir, sans comprendre l’énigme de cette chute dans l’apathie et je pensais, comme le décrit la litté     ! !&   

 $ 

compris tardivement, à l’occasion de la mort de son amie la couturière, qui m’a aussi touchée, que Mme M. était restée affectée par ce deuil bien qu’elle ait semblé avoir oublié l’événement au niveau de sa conscience. Une semaine après, alors que je la serrais dans

 &         

   oui, oui » et a montré du soulagement à voir son émotion reconnue et partagée. Au début de cette année, une autre dame est décédée. On a proposé aux résidents de venir la voir sur son lit de mort, ce que j’ai fait moi-même aussi, étant par hasard dans le home. Et pour la première fois, j’ai assisté non sans effort à cette expérience : quelques résidents, marqués par les ravages de la vieillesse et de la maladie,

    !    *  Ž 

pas lourds dans une marche funèbre impressionnante sont arrivés les uns après les autres. Une détresse indicible et tellement bouleversante se lisait sur leurs visages. Dans cette scène étrange, est apparue une vieille dame en pleurs, dévastée par l’émotion. Une  *

     %  !   &   funte. Elle est aussi sa cousine ». L’air accablé, la dame a monté    '       &   *

les quelques marches qui la séparaient de la chambre. Lorsqu’elle  !          

  ler à sa cousine qui semblait comme endormie, les bras refermés sur son ours en peluche. La vieille pleurait et parlait à la défunte. ‰     & $   

 

      +  + ». Cependant, l’image de la cousine morte était celle d’une enfant endormie. Ce jour-ci, Mme M. n’a pas voulu voir la dame morte comme ont fait les autres résidents. Ce nouveau décès a-t-il ravivé le souvenir 77

Recherche en psychosomatique

        † Ÿ  J      

propre mort ? À partir de cette expérience, j’ai commencé à penser que les signes inexplicables de sa dépression suite à ces événements ont continué à l’affecter et à résonner dans son corps plusieurs jours, sans qu’elle puisse l’exprimer par le langage. En effet, lorsqu’une   *   * #     %    

 

cette dame, la semaine passée, n’est-ce pas ? », à mon grand éton   

    Quelle dame ? » Et pourtant toute son attitude corporelle disait la tristesse. L’événement a donc disparu de sa mémoire mais son corps en a gardé les traces mnésiques. C’est ce que la dernière partie de cet exposé s’efforcera de développer.

Commentaires et conclusion Encore une fois, nous sommes devant les manifestations d’une mémoire particulière, qui ne peut être ignorée même si nous ne par!  !    $        

donc : comment parler d’une mémoire existante chez des personnes                  

 

  †  =  &       

 doxale et incohérente. Néanmoins, l’hypothèse qu’une mémoire particulière apparte    /       $  

tout d’abord qu’au commencement de ce travail j’avais une connaissance rudimentaire de la maladie d’Alzheimer, ce que la première rencontre avec Mme M. illustre bien.      # !     

de la manière dont les choses allaient se développer ni des conséquences que cette aventure auraient sur Mme M. et sur moi-même. Par ailleurs, j’avais une profonde conviction que toute maladie est relationnelle et qu’elle exprime une rupture de l’unité âme-corps. Mon engagement thérapeutique se reposait donc sur le fait que tout est relationnel et qu’il importe de trouver les liens entre les aspects de la vie de la personne et sa maladie pour tenter de comprendre son unité. Ayant une double appartenance à l’art et à la thérapie, j’ai naturellement tendance à enjamber les frontières entre les différentes approches esthétique et neurobiologique, et je m’oppose depuis toujours à l’idée selon laquelle un thérapeute doit se limiter à sa discipline. 78

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

La ligne directrice de ce travail était donc la relation dont on a vu qu’elle sous-tend toutes les représentations et les productions de Mme M. Deux phénomènes majeurs, qui doivent être commentés, s’actualisent dans cette relation : la mémoire du corps et la régression. Cet exposé nous en fournit de nombreux exemples. Prenons d’abord la régression : on la voit à l’œuvre dans le comportement de Mme M. vis-à-vis des règles et des interdits lorsqu’elle s’empare de raisins dans les vignes pour les manger ou lorsqu’elle dessine et s’émeut devant le dessin représentant un sapin de Noël, très lumineux et décoré, par exemple. Et quand les autres malades  #     À la claire fontaine +   Au clair de la lune », ils semblent vivre avec une joie manifeste les rythmes rassurants de leur enfance. Comment ne pas parler devant une telle scène d’un retour à l’enfance qui, comme on l’a vu, correspond au niveau neurologique à une détérioration du cerveau, allant de l’âge adulte à l’enfance, dans   !  !  $ %   

 sement dans leur cas un voyage sans retour : car c’est là tout ce qu’il leur reste. Aussi, par rapport au langage, l’écriture de Mme M. régresse-telle au niveau d’avant l’apprentissage scolaire, réalité qui s’accompagne parfois d’un comportement relationnel également régressif. ”  ;$ $  *JJ*     /  

frappant de la régression. Il me montre une photo de son arrière  J  

    Me voilà sur la photo » et lorsque je lui

      J "   !   Non, c’est moi ici », répète-t-il, vexé, en montrant de nouveau le bébé. À propos maintenant de la mémoire du corps, on peut s’interroger sur la connaissance que nous en avons. La destruction du cerveau – avec ses aires associatives nécessaires à la mémoire – n’abo      *  !  $ {    

certain que celle-ci siège uniquement dans le cerveau. Les exemples avec la couturière, le menuisier et l’institutrice montrent que certains souvenirs sont exprimés par des gestes peut-être coupés de la conscience, puisque certaines de ces personnes ont cessé de savoir qui elles sont et ont oublié jusqu’au nom de leurs proches. Mais il me semble que la perte de l’identité au niveau de la conscience n’entraîne pas automatiquement l’équivalent au niveau du corps. 79

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Celui-ci continue à être pourvu d’une sensibilité liée à son passé. La *  ;  ;$

          riée, sa tante fait la même grimace et le même geste de la main qu’elle a toujours fait.  !  ! ;$ $      &

illustration (comme d’ailleurs le cas de la couturière et de l’institutrice également décrits). Les va-et-vient entre le sujet et la matière comme contact sensitif, comme déjà-vu, comme expérience du monde ne peuvent réactiver ses souvenirs qu’à travers la rela    $  =      ;$ $ J J    !

des gestes techniques très précis comme lorsqu’il montre comment on rabote le bois pour le préparer au vernis, gardant un sens de        4# » et un sens précis de l’observation lorsqu’il me fait remarquer que certains meubles sont des produits industriels. Et cela bien qu’il soit considéré comme étant à une étape avancée de la maladie. C’est donc la relation à l’autre et le contact avec l’objet (ici, le bois) qui rendent possible ce retour de gestes professionnels et ces réminiscences à travers lesquelles la mémoire du corps efface la distance entre passé et présent. Cette mémoire devient ainsi une planche de salut pour le sujet confronté à la perte perpétuelle du monde qui fuit. C’est elle qui lui permet d’exprimer les affects enracinés dans son corps. ‡   &      &!   raître prétentieux. Si j’écris ainsi, c’est que j’ai découvert que mes constatations concernant la mémoire du corps correspondent à des          $

Dans un colloque de dermatologie et de psychosomatique, organisé par la Faculté de médecine et le Centre International de psychosomatique, à Paris en mars 2001 à la Sorbonne, le professeur Sami-Ali11    La peau pour moi renvoie d’abord à une réalité biologique et tout particulièrement à la relation singulière qui existe   8 *   (@+G        point de vue de l’embryologie12, à un moment donné de l’évolution, autour de la troisième semaine de grossesse, l’ectoblaste s’enkyste pour former le système nerveux. On dirait un chef-d’œuvre de la peinture chinoise où un seul trait constitue la surface et la 11. Sami-Ali, La dermatologie, Paris, EDK, 2001, pp. 6-7. |X$ $ } Embryologie humaine. Paris, Maloine, 1993, p. 223.

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profondeur, le visible et l’invisible. Ainsi le système nerveux dérive  *  @+GK   8 * nerveux est intimement lié au système immunitaire, on comprend             En ce sens, il devient pertinent de réunir dans le même concept ces différents aspects pour parler du  système neuro-immuno-cutané13 », pourvu d’un seul langage commun. @+GK               entre la peau et la mémoire. Non pas que la peau puisse porter la trace d’une expérience passée, mais qu’elle se trouve au contraire dans une relation privilégiée avec le cerveau, comme l’a récemment montré Damasio14 à propos des patients qui, par suite d’une lésion frontale, ont perdu la possibilité de reconnaître les visages. Cette reconnaissance constitue en effet une fonction spécialisée, puisque  #      &   Ž     triques aussi complexes que le visage, semblable au visage, mais pas le visage. Et cette reconnaissance englobe les visages connus et inconnus, sans la moindre différence. On soumet maintenant les sujets qui présentent cette anomalie à l’expérience suivante : on présente une série de photos de visages familiers et étrangers, tout en mesurant la conductivité de la peau. Or, chose étrange, alors qu’il n’y a aucune perception consciente correspondante, il s’avère que   !     

    !   $ U  

      !     liarité du visage. Tout se passe ainsi comme si c’était la peau qui se souvient en lieu et place du cerveau. On est déjà dans un carrefour où les cloisonnements habituels tombent pour laisser apparaître une réalité originelle. C’est ce que le poète mexicain Octavio Paz sug*9 ! ^  _              ` Mes observations se limitant à Mme M. et, très partiellement, à quelques autres personnes atteintes d’Alzheimer, ne m’autorisent pas à généraliser les phénomènes observés à l’ensemble des malades. Néanmoins, je voudrais conclure ce travail sur une scène chargée de sens et j’espère, ainsi, pouvoir communiquer de quelque façon l’ineffable émotion que j’ai ressentie en y assistant.

13. L. Misery, Le système neuro-immuno-cutané. Nouv. Dermatol. 1997, pp. 6-21. 14. A.R. Damasio, Le sentiment même de soi. } –  & |¡¡¡ $ X¡¥$

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Recherche en psychosomatique

Voici comment les choses se sont déroulées il y a presque un an.   ! ! ;  ;$       

sa chambre, au foyer, lorsque soudain son amie la couturière a fait irruption. Elle manifestait des signes de panique, n’arrivait pas à parler et semblait avoir la gorge nouée d’émotion. Elle avait à la main une brochure sur l’Alzheimer et insistait pour nous montrer le

     +    $  !   ;  ;$  



      Calmez-vous, calmez-vous, sûrement vous avez un corps et un nom. Je suis sûre que vous avez une famille qui s’occupe bien de vous. + %    ;  ;$  J " 

     

      $  !  

ces paroles justes ont réussi à tranquilliser son amie effrayée. Et lorsque celle-ci est sortie de la chambre en laissant la brochure derrière elle sur la table, c’est Mme M. qui, soudainement m’a semblé envahie d’un grand désarroi. Pour la première fois, j’ai alors engagé avec elle un dialogue à propos de la maladie, car j’étais certaine à ce moment que Mme M., tout comme son amie, en avait sa propre représentation. – C’est quoi l’Alzheimer ? – /  . – Pourquoi ? – Elle ne dort pas. – Est-ce que ça veut dire que l’on perd sa mémoire ? – Oui. ˆ U J       

  † \j 5*  – Est-ce qu’on peut faire un effort pour préserver la mémoire ? – Oui mais c’est un problème pour une personne seule qui fait un effort pour ses problèmes. ˆ ”    

         † – Le fait de ne pas pouvoir faire les choses. – Quelles choses ? – J’aimais être avec Claude quand il était de bonne humeur.

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 }    +$

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Recherche en psychosomatique

Bibliographie &  ;  ¢'    Biologie moléculaire. Paris, Dunod, 2000. ` J} L’œil pense. Essai sur les arts primitifs contemporains. Paris, Balland, 1993. `' '  Élégie pour Iris, traduit de l’anglais par Paule Guivarch. Paris, Éditions de l’Olivier, 1999. Benasayag Miguel, Charlton Edith, Cette douce certitude du pire. Pour une théorie critique de l’engagement. Paris, La Découverte, 1991. Blanc Marcel (dir.), La recherche en neurobiologie. Paris, Seuil, La Recherche, 1988. `  Le documentaire. L’autre face du cinéma. Paris, Cahiers du Cinéma, Sceren-CNDP, 2002. Burnet Macfarlane, Le programme et l’erreur. Une histoire naturelle de la mort et de l’hérédité, traduit de l’anglais par M.B. Latman. Paris, Albin Michel, 1982. % &  ; ; { O Neurologie. Paris, Masson, 2000. Campion Dominique, Hannequin Didier, La maladie d’Alzheimer. Paris, Flammarion, 2002. Foucault Michel, Les mots et les choses. Paris, Gallimard, 1966. Gauthier Guy, Le documentaire, un autre cinéma. Paris, Nathan, 1995.   W Du  temps ». Paris, Éditions Grasset et Fasquelle, 2001. Ledoux Michel, Corps et création. Paris, Les Belles Lettres, 1992. Lemaire Patrick, Le vieillissement cognitif. Paris, PUF, 1999. ;{ ' Théâtres du corps. Paris, Gallimard, 1989. Merleau-Ponty Maurice, Le visible et l’invisible. Paris, Gallimard, 1964. Mirabel-Sarron Christine, Rivière Bernard, Précis de thérapie cognitive. Paris, Dunod, 1993. ¢  J%  ‰¦ ¦   ‰¦ ¦ { %  J% 

Biologie cellulaire. Paris, Dunod, 2001. Sami-Ali, L’espace imaginaire. Paris, Gallimard, 1974. Sami-Ali, Le banal. Paris, Gallimard, 1980. Sami-Ali, Le visuel et le tactile. Essai sur la psychose et l’allergie. Paris, Dunod, 1984. Sami-Ali, Penser le somatique. Paris, Dunod, 1987. Sami-Ali, Le corps, l’espace et le temps. Paris, Dunod, 1990. Sami-Ali, Le Rêve et l’affect. Une théorie du somatique. Paris, Dunod, 1997. Sami-Ali, Corps réel, corps imaginaire. Paris, Dunod, 1998. Sami-Ali, L’impasse relationnelle. Temporalité et cancer. Paris, Dunod, 2000. Sami-Ali, L’impasse dans la psychose et l’allergie. Paris, Dunod, 2001. Sami-Ali, T . Une étude psychanalytique. Paris, Dunod, 2004. Suter Martin, Small Word. Paris, Bourgois, 1997. š J€!  ; Le sens de la mémoire. Paris, Gallimard, 1999.

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer Trocmé-Fabre Hélène, &     . Paris, Éditions d’Organisation, 1987. Varela Francisco, Thompson Evan, Rosch Eleanor, L’inscription corporelle de l’esprit, traduit de l’anglais par Véronique Havelange. Paris, Seuil, 1993.

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Partie II La thérapie relationnelle, dernière œuvre d’auteur d’une femme de lettres, atteinte de la maladie d’Alzheimer |   (  

Le bonheur me tient par la main

Chantal Gombert Psychologue et psychothérapeute

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Recherche en psychosomatique. Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

La thérapie relationnelle, une dernière œuvre d’auteur An tenvalan nozvezh a zoug enni ur beure treuzwelus

La plus sombre nuit porte en son sein une aube transparente

Poème de Naïg Rozmor

Avant-propos À l’appui de cette thérapie relationnelle qui touche à la fois à la créativité et à l’ethno-psychosomatique, mon exposé va tenter de montrer comment une femme de lettres, atteinte de la maladie d’Alzheimer, va progressivement sortir de la dépression, se réenchanter en renouant avec sa plume et créer une dernière œuvre d’auteur. Avant de développer davantage mon propos, je tiens à souligner la chance que j’ai eue de rencontrer Naïg Rozmor. C’est un  &/ /  !  !$       

l’enchantement qu’elle m’apporte et l’énergie qu’elle m’a transmise au travers du travail que nous avons réalisé ensemble et que      ! #$     

      

!    &    

nication sous son nom d’auteur ainsi que ses amis bretonnants qui aujourd’hui portent avec moi la publication en français/breton de son dernier recueil poétique.

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Recherche en psychosomatique

Le contexte ethnopsychosomatique de la thérapie : Bretagne chrétienne et Bretagne laïque Le travail de recherche clinique que je présente ici est avant tout un travail de femmes, typique de la Bretagne. Pour être compris, il doit être resitué dans son contexte ethnopsychosomatique. /  &   „   `     sément dans cette région du Haut Léon appelée par les militants      §‡§e *      "  +$ Un peu de sociologie régionale et historique s’impose, car ma pratique professionnelle ne peut être déconnectée du cadre socioculturel dans lequel elle s’exerce. Ainsi la thérapie de Naïg Rozmor, qui touche à la fois à l’ethnopsychosomatique relationnelle et à la créativité, est tout entière irriguée de l’histoire locale. Sur cette terre léonarde, rurale et bretonnante, l’emprise religieuse était très forte, quasiment tyrannique. Pour illustrer cette emprise des curés de Paroisse sur la population, il faut rappeler que la danse était interdite dans les mariages car source de péchés potentiels et de transgression de l’ordre mo $                !   La lanterne bleue » :   |¨     &'       & 

Penzé, nous étions très excitées. Le bal avait à la fois l’odeur de péché et l’attrait du paradis. Malgré la gêne que nous éprouvions en     !    !   



si nous l’avions trompé, rien ne nous arrêtait. Au bal, nous trouvions à la fois l’ivresse du désir inassouvi, le plaisir de transgresser un interdit et la sensibilité de goûter au vrai monde, celui des hommes. » Dans ses ouvrages, Anne Guillou plante ses personnages dans un décor où on sent bien le pays léonard et sa culture. Le bien et le mal, le paradis et l’enfer s’entrechoquent. Les êtres      !        

!          $

Aujourd’hui, la croyance et l’imaginaire populaires sont encore            $ Le sens du devoir, le service à autrui et le souci du regard des autres sont omniprésents dans les rapports humains.  Le Cheval d’orgueil +  } ª O    La légende de la Mort » d’Anatole Le Braz, qui sont des ouvrages de référence, 90

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donnent une idée assez précise de cette emprise de l’Église qui a existé dans ce pays breton pendant des siècles et de l’imaginaire        !   !    

maintenir un ordre moral, familial et social. Dans le Haut Léon, la pratique religieuse comme l’usage de la langue bretonne font toujours partie de la vie des familles. La célébration des pardons (fêtes des Saints Patrons), comme le haut niveau de fréquentation des écoles bretonnes (Skol Diwan), sont des marqueurs très forts de l’identité culturelle. Les hommes d’Église étaient dans le passé de puissants propriétaires terriens et les fermiers étaient continuellement à la merci d’une expulsion arbitraire. Le clergé régentait les alliances matrimoniales, le choix des écoles pour les enfants. À la génération des parents de Naïg, dans les années 1930, c’était toujours la féodalité dans les faits. Le statut de fermage et de métayage n’existait pas. Il n’a été voté qu’en 1945 après bien des combats. Naïg avait 10 ans quand son père avait été chassé des terres qu’il louait et cultivait par un curé de paroisse peu scrupuleux qui voulait y installer son neveu. Expulsés et ruinés, ses parents, ses grands parents et ses trois petites sœurs ont connu par la suite de longues années de misère. Pour situer le personnage de Naïg, il faut savoir qu’à 18 ans à peine, lors du procès engagé par la cause pay    & &   +  |¡ZY        ! 

juges défendre les intérêts bafoués de son père. L’affaire avait fait jurisprudence. Naïg Rozmor a écrit des années plus tard une pièce autobio     Ar Mestr +   ;Ž  +    

puissants curés, orgueilleux et tyranniques. Il faut préciser que Naïg Rozmor a grandi au cœur des ruptures de son monde paysan et à une époque où, après la guerre de 14-18,  &   &          nale s’est beaucoup accéléré. Pendant que se met en place le système scolaire français, la Bretagne catholique poursuit son œuvre d’éducation féminine austère et répressive en rappelant l’omniprésence du péché. Les mères supérieures éduquent à l’obéissance au recteur, au maître et au mari

      $  #       !

de servante et de mère de famille.          – 

 &  

venait ensuite… s’il venait ». 91

Recherche en psychosomatique

{  ƒ     

     &  +

   #   &          

par les idées républicaines. Les professeurs y enseignent les mêmes valeurs domestiques de travail, de soumission et de devoir que les religieuses mais la diversité sociale ouvre davantage sur le débat et les échanges. Pour échapper autant à l’asservissement imposé par les vertus religieuses que par les vertus républicaines qui voulaient en faire des mères laborieuses et des ménagères accomplies, quelques 

  &  §§e siècle, les plus audacieuses, ont décidé de prendre leur destinée en mains. Naïg Rozmor est l’une de ces pionnières qui a pris le risque de s’émanciper par l’écriture de la domination masculine, religieuse et & $ {           Pour en    +         Ÿ

était dangereux car écrire c’était accéder à l’autonomie de l’expression. La lecture, oui mais seulement ce qui était nécessaire : s’enivrer de lecture, c’était du temps perdu et cela entraînait au rêve et aux mauvaises pensées ». La petite Naïg était, fort heureusement pour elle, douée et indisciplinée. C’est grâce à cette précocité d’indépendance qu’elle a su braver et transgresser les interdits du patriarcat de son époque pour devenir une femme écrivain en langue bretonne, bien connue localement. Issue du milieu rural et élevée dans sa langue maternelle, le breton, elle s’est intéressée très vite à la littérature grâce au français. Le &   &      

     nale, n’a pas été pour elle, un handicap mais une providence. Naïg y a gagné sa liberté de pensée et d’écriture. Elle s’est construite dans ses deux langues et elle les a conservées aujourd’hui, autant l’une que l’autre. Bilingue et attachée à ses deux cultures, celle de la terre et celle des livres, son identité s’en est trouvée enrichie. On voit se créer dans la Bretagne bretonnante des années 1950, des cercles celtiques qui se donnent pour but de remettre au goût du jour les chants, les danses et les coutumes du monde paysan. {            &   +   

se revendiquant du mouvement culturel associé. Certains politisent les revendications identitaires, les poussant jusqu’à une dérive terroriste s’inspirant de l’IRA irlandaise. Hors de cette mouvance, Naïg Rozmor a fait partie d’une communauté d’artistes bretonnants sans jamais manifester de revendication indépendantiste. 92

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Elle a écrit pour la justice et l’amour de sa langue, de sa terre et des siens.

Une thérapie relationnelle d’un genre unique Naïg Rozmor a aujourd’hui 88 ans et elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Nous nous connaissons depuis huit ans et, depuis plus d’un an, nous avons engagé ensemble une thérapie relationnelle autour de la peinture qui, dès le début, a pris un tournant totalement inédit. –              

marginalité » (Cf. Le facteur Cheval de Sami-Ali), au-delà de tout ' *      $ ‰ J      –  prend ou on ne comprend pas… La parole poétique dispense de se demander ce qu’elle veut dire. Elle dit et d’emblée, elle est dans l’affect ». Il n’y a en effet rien à comprendre dans les traits de pinceaux et de plume de Naïg, en dehors du fait que l’imaginaire poétique ne se déploie que dans la relation.  %           +  „

Rozmor en parlant de la maison qui l’a vue naître. Mon histoire avec Naïg a eu, elle aussi, son point de départ. Cette rencontre de femmes, inattendue et tout à fait improbable, est née, comme par enchantement, autour d’une activité de peinture qui se voulait à l’origine ludique et récréative. Cet atelier de peinture, construit dans l’espace de rendez-vous réguliers, et occupé tantôt par la parole, tantôt par l’acte calligraphique, est devenu très vite incontournable. Il suit toujours son cours aujourd’hui. Dès le début, Naïg s’est installée dans son atelier et s’est mise au travail avec joie comme elle le faisait autrefois chez elle dans sa bibliothèque. Sous l’action du pinceau, l’impulsion créative a instantanément rejailli et a donné vie à un travail de plume tout à fait extraordinaire. Quand j’ai rencontré Naïg dans la chambre de la maison de re   <         !  ¨¨   sée, démantibulée et décousue par une mauvaise grippe dont elle ne !'    +$ U       !    !'geait dans des rêves qui n’avaient plus ni passé, ni lendemain. 93

Recherche en psychosomatique

Cette thérapie relationnelle est d’un genre unique car elle a très vite pris la forme d’une dernière œuvre d’auteur En femme éclairée et inspirée, Naïg, qui avait pressenti bien avant moi l’intérêt de ce dernier travail poétique, m’en a même >  #      /    /   š 

  _ +

J        *  *  +$ Actuellement, une édition esthétique et poétique de son travail est en train de voir le jour grâce au soutien inconditionnel des compagnons de route bretonnants de Naïg que j’ai contactés et retrouvés. On est, dans cette thérapie, à l’articulation de la parole et de la peinture. La parole et le pinceau s’articulent, s’entraînent, se combinent, l’un précédant ou suivant l’autre et réciproquement. Chaque peinture calligraphique est unique. Chaque petit poème est unique. Chaque tableau est une composition libre, nouvelle à chaque fois. L’œuvre de l’artiste, prend naissance dans la relation, dans une relation qui s’est construite à deux dès le début et qui n’a cessé de se renforcer depuis. Chaque geste est une création, une lutte contre la disparition, un rempart contre la conscience diffuse d’une vie qui se referme sur elle-même. L’auteur vit l’instant. Ce qui       &     $ U  !  

trait de pinceau », concept développé par le peintre et théoricien  ‰ $ %     %   Œ   

 

reproduit en écho… l’habileté ne relève pas de la technique mais de l’opération de l’esprit ». Le travail du pinceau et celui de la plume ne suivent pas de logique, ni de progression raisonnée. Ils n’obéissent à aucune règle. Par ce travail fabuleux et délicat où l’affect et l’imaginaire se retrouvent intimement liés, cette femme intelligente et malicieuse sort de la dépression et élabore l’absence et la disparition au travers de moi.     !   !        + 

qu’oubliée, effacée, l’esprit et l’affect ont réémergé quasi spontanément pour créer un mouvement créatif, pour recréer la vie. Ce travail de femmes, où la création renait par la relation, pour sauver de la noyade, est inédit. Il ouvre un champ clinique nouveau pour des patients dont la pathologie organique les prive de leurs capacités à se représenter le monde, à y exister, et dont les thérapeutiques lourdes les éloignent un peu plus encore du monde des vivants. C’est dans une relation de cœur à cœur, où l’on donne tout 94

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et où l’on reçoit tout que le travail poétique se remet en mouvement.    „           #

    ’   &   &=  +  `   ‰  

un bâton, je te le donne, si tu n’en as pas je te le prends »). Comme   ‰ J          

    +$ %  Œ!        '     ! 

femme écrivain, pourrait être rapprochée, dans des registres dif    50 dessins pour assassiner la magie » d’Antonin    

  Par des traits » d’Henri Michaux ou   Palais idéal » du Facteur Cheval. Que l’on soit conforme, fou, rêveur ou Alzheimer, la création existe et il n’y a rien à comprendre     $ –  

   ‰ J      tique de la marginalité ». {  !  Huit manières de rêver le Facteur Cheval », ‰ J       Œ!        !

de compréhension rationnelle nous confrontant à l’énigme d‘une création dont la règle est précisément l’absence de règles, faisant un avec l’espace imaginaire ». Nous sommes effectivement en pré  Œ!    ! —    ! 

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réalité et livrés à eux-mêmes sans repères spatio-temporels… »  {   ! 

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     #  

ma providence », explique Naïg. On peut réellement penser, qu’au travers de ses traits de pinceau bondissants et de ses textes délicieux et impertinents, le charme de la plume a une nouvelle fois agi. L’inspiration et l’imaginaire, chez Naïg, jaillissent, émergent dans les moments de relation à deux, par petites touches de couleurs. Entre les silences et les murmures, les souvenirs du passé se frayent un chemin dans le labyrinthe d’une mémoire désormais teintée en clair-obscur. L’histoire répétée, revisitée à différentes strates, jamais la même, toujours poussée plus loin, permet de renouer avec une &# !          # +    $ Le rêve et la plume ont toujours accompagné la jeune Naïg, le rêve et la plume sauvent à nouveau, du naufrage et de l’enfermement, la femme poète au crépuscule de sa vie. Cette dernière œuvre poétique, calligraphiée et parlée dans un français, enraciné dans le breton, est à mon sens extrêmement touchante et optimiste. Elle est le miroir d’une femme intelligente et aimante, diminuée certes par la maladie mais restée habitée par la poésie, sa compagne de vie depuis le berceau. 95

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Ses derniers traits de pinceaux et de plume, sont un hymne à la vie et à l’amour !   !       #   & cueillir si l’on veut ! » nous dit-elle.

La pathologie organique  On n’est pas là pour disparaître », est le livre d’une romancière, Olivia Rosenthal.           >*      ' 

qu’est la maladie d’Alzheimer. On sait d’emblée qu’il en va de la perte de l’autre et de la perte de soi ! Ce titre résonne aussi comme un SOS qui peut être entendu par tout homme ou toute femme, confronté(e) à l’effacement intolérable de l’un des siens. C’est aussi un appel au secours auquel va tenter de répondre le thérapeute, ce même thérapeute qui veut croire obstinément que tant qu’il y a de la vie, il y a de la relation, et qui refuse de capituler face à un naufragé, corps et âme, en perdition. Ceux qui ont accompagné des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer savent que nous ne tenons pas toujours la barre quand nous prenons la mer et que nous naviguons sans boussole, et sans cap bien précis. Paradoxalement, le voyage nous amène souvent assez loin et si les récits de navigation sont parfois décousus, il en sort toujours quelques beaux témoignages et quelques belles surprises. Chez Naïg, la maladie touche le corps, la pensée, la mémoire,        !/    

 —   

décousue, démantibulée, je cloche ! Avec moi, il y a beaucoup de ' 

  #   &   #  # & +  „$ La parole n’est plus spontanée. Elle ne se déploie avec sa puissance évocatrice que dans l’espace de la relation thérapeutique créée à deux. Avec le personnel soignant, Naïg reste silencieuse et passive. Elle fonctionne dans l’adaptation, dans une temporalité réglée sur les rythmes de la maison médicalisée où elle vit. La pensée et l’imaginaire ne s’élaborent que dans le cadre de l’atelier de peinture. Naïg ne reconnaît sans pouvoir les nommer que les familiers de son nouvel univers médicalisé. Elle ne reconnaît plus ses amis artistes ni ses proches même si elle leur dit qu’elle les aime. 96

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      ! !    $

Aujourd’hui, Naïg ne marche plus et a du mal à mobiliser ses mains, ce qui m’oblige en permanence à faire preuve d’imagination pour adapter l’atelier de peinture et perpétuer le geste graphique. Naïg n’a plus le sens de la lecture ni celui de l’écriture au sens adaptatif du terme. Elle a perdu l’initiative du geste et la notion d’espace et fait appel à moi pour se repérer sur la page. Sa voix, comme tout son être, s’efface, et c’est à peine si on l’entend. ;  

     „      _ vient petit à l’intérieur », il n’est pas question pour elle de capituler. Si chaque trait de pinceau est à chaque fois un vrai tour de force, il est aussi une lutte acharnée contre la disparition. Naïg y retrouve un sentiment d’existence et du sens à sa vie. L’enjeu pour le thérapeute, outillé de sa seule boîte à pinceaux       !      &    tant » (Sami-Ali). Il est de se frayer un passage dans le labyrinthe kaléidoscopique d’une mémoire altérée, prise dans l’organicité de la maladie et d’en faire réémerger l’affect. Il est de dénouer les      !   &     

de pertes multiples en facilitant la résurgence de l’acte créatif. Le thérapeute porté par cette extraordinaire croisade poétique et humaine ne peut dans sa démarche et sa course contre la montre qu’avancer en croyant. Il pose un véritable acte de foi.

L’anamnèse Naïg Rozmor est née le 3 septembre 1923. Elle vit en maison de retraite depuis avril 2008. Elle y est entrée un an après le décès de  Œ         

elle à domicile depuis des années. Un syndrome de glissement et un & 

      #         

médicalisée.       *      '   $  vaillais alors dans un service d’aide psychologique à domicile et j’étais venue lui proposer un soutien compte tenu du fardeau que représentait pour elle la prise en charge de sa sœur très dépendante. À l’époque, „     ! 

  =      +$ U 

    

    !    

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Recherche en psychosomatique

mettre en scène comme par le passé. C’est des heures durant, alors que je l’écoutais avec plaisir et fascination, qu’elle racontait sa vie de 

  ! !    > &'   $ Aujourd’hui, ce n’est plus son immense bibliothèque qui campe le décor de nos discussions mais une chambre banale de résidence médicalisée, qui pour elle n’existe pas, tout comme le temps qui n’existe plus et ne s’écoule plus, car, selon elle, c’est une bonne           !/ +$ ‰  

  „   #   "!$     

que ça comme circulation » dit-elle. C’est par petits bouts que j’ai reconstruit l’histoire de Naïg au !  !    > !    J $ 

chance pour moi, c’est que Naïg était autrefois une conteuse talentueuse et qu’elle aime, encore aujourd’hui, se raconter, dans ses bons

  $              +    

 {* =  ¬    &      #!  ‚   

             $  

après le repas me cacher dans un coin de grenier et je remplissais des cahiers d’écoliers jusqu’à ce que ma mère m’appelle pour l’accompa /  $      & $ ; *  

un agriculteur sans terres. C’était un homme bon, intelligent, curieux, ouvert sur le monde. Il aimait les relations ! Il avait appris le français à la guerre de 14-18 pour “baragouiner” (bara  &   

pain et gwin le vin) avec ses camarades de régiment qui comme lui venaient de province et ne parlaient que leur langue maternelle ou leur dialecte. Quand je le voyais parler en français avec des promeneurs de la ville sur le bord de son champ, mon père devenait pour moi un étranger que je ne reconnaissais pas. Il m’apparaissait comme un homme d’exception ! Il m’a inspirée ! C’était un homme strict, droit ! Le respect et le travail ont été la base de mon éducation ! Il s’est tué à la tâche mais n’a jamais capitulé ». En effet, chassé de ses terres et ruiné par un curé peu scrupuleux qui refusait de lui rembourser les frais engagés pour réparer ses hangars, il a redressé sa situa    &$      !  '  !  ! 

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ma doublure ! Dans ma vie, je me suis occupée des autres sans dou           $ ; Œ Ž   

la polio très jeune et je l’ai toujours entourée de mon affection comme ma mère l’avait fait avant moi. Nous avons toujours vécu ensemble. 98

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

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est décédée en 2007). Mon mari qui était militaire était très souvent absent, ce qui m’a très vite libérée de mes devoirs conjugaux pour !!

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 Œ  + ‰       

l’âge de 27 ans. Son corps n’a jamais été retrouvé et il est resté sans sépulture. Les confusions d’identité, d’espace et de temps sont nombreuses entre sa sœur restée avec elle jusqu’à sa mort du fait de son handi     # 

   *     

perdue précocement dans des conditions mystérieuses, probablement noyée. Naïg Rozmor a écrit tout un recueil de pensées sur la mort. Elle /             $ U  

venir, je l’attends ! » Elle a écrit un très beau poème qui parle de la          &  +$  *   Œ 

lecture d’un courrier des autorités judiciaires lui annonçant après 30                 

en 1982 et la perte de ses activités littéraires l’ont anéantie et broyée en quelques mois. C’est probablement dans ce contexte hautement traumatique que se sont constituées l’impasse dépressive et l’entrée dans la maladie d’Alzheimer. À ces multiples tragédies, s’est ajouté le départ de sa maison… cette maison familiale qui avait abrité sa !    —  

        

révolution française Les premiers mois en maison de retraite, Naïg a déambulé, s’est bagarrée et a apostrophé les soignants qui la retenaient contre son gré, puis un jour, elle a lâché prise et a abdiqué. Son quotidien est !       $ U  *  !    

loin d’être tirée d’affaire avec cette mauvaise grippe ! » Alors que la langue maternelle, la plus ancienne et la plus investie tout au long de la vie de l’auteur est le breton, le français a été également conservé. C’est rappelons-le, le français qui a permis à Naïg d’étudier, de passer son bac et de devenir écrivain. Naïg est à l’aise dans  / $ U   !        &  

en français selon ses visiteurs ». Écrivain en langue bretonne, Naïg Rozmor a produit une trentaine d’ouvrages, de poèmes, contes, nouvelles et pièces de théâtre. U   &    &/ /  $  &&    

&         &  #      » de Rabindranath Tagore, un des plus grands poètes contemporains 99

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indiens. Naïg entre en poésie par cette grande porte. Elle traduira en breton 90 de ses poèmes, en particulier ceux qui célèbrent l’amour sous toutes ses formes et l’Amour universel. En découvrant sa route des Indes et la pensée hindouiste, Naïg se dégage de l’austérité de son éducation léonarde et sa poésie ne cessera d’être soutenue par une quête de simplicité et de vérité, visant, comme son premier Guide, l’unité de toute chose. Naïg Rozmor a été une anticonformiste par tempérament mais elle est toujours restée proche par le cœur de ses racines paysannes et chrétiennes. Femme de culture laïque et anticléricale audacieuse, elle n’a pas craint de dénoncer les puissants et leurs abus. Traductrice en breton des poètes minoritaires opprimés de par le monde, auteur de poèmes d’amour et de pièces de théâtre, chroniqueuse de récits d’actualité locale, actrice enjouée, sa curiosité l’a ouverte à tous les genres artistiques. Elle a monté avec ses amis &      Ar Vro Bagan » qui se produit toujours localement. Elle a été aussi un auteur de contes et de chansons pour enfants, une femme de radio et de télévision, animée d’une verve comique. Elle est toujours aujourd’hui une belle âme, aimante et généreuse, enthousiaste et portée à la gaieté. Naïg Rozmor ne s’est pas enrichie grâce à sa plume mais sa plume a embelli sa vie. Elle a oublié aujourd’hui la totalité de son œuvre.

Le cadre méthodologique de la thérapie ¯ L’enregistrement des entretiens a été réalisé à l’aide d’un petit micro qui n’a cessé d’intriguer Naïg à chacun de nos rendezvous et qui a donné lieu à des commentaires amusants. ¯ L’adaptation du cadre technique (matériel, fréquence, durée des séances, improvisation…) a suivi l’évolution de la maladie et a été une préoccupation permanente. ¯ L’atelier de fortune, les pinceaux, les petits pots de couleurs, les supports ont été au centre de la création. Sans cette mise en situation ritualisée qui rappelait le passé de l’écrivain et redonnait un cadre, l’impulsion créative n’aurait jamais pu jaillir. Pourquoi la peinture ? La peinture est un geste graphique primitif, le premier geste graphique chez l’enfant qui préexiste à l’écriture, 100

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

qui continue à exister même si on ne l’utilise pas et qui reste conservé chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

La thérapie, une dernière œuvre d’auteur La thérapie s’est élaborée dès le départ comme un livre. Présenter ce travail de thérapie relationnelle sous une autre forme qu’un recueil composé de chapitres et de calligraphies n’aurait pas eu de sens. La thérapie et la création ne font qu’un et existent l’une par rapport à l’autre. Elles suivent un rythme propre qui est celui trouvé par deux femmes, devenues familières et connectées par la même croyance au rêve et à l’imaginaire.  /         + ! /    „

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mieux que ça ! ». Son amour pour les livres a animé sa vie. Nous travaillons ensemble, rappelons-le, à la réalisation de sa dernière Œ!  $ ‰ #         #   

chroniqueuse qui enregistre ses interviews. Naïg Rozmor écrit chapitre après chapitre son dernier livre poétique et autobiographique. Chaque chapitre correspond à une rencontre, à un vagabondage    >=    #          

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forme physique ou de vigilance. Les calligraphies uniques ou groupées, qui surgissent comme des rêves au détour de chaque balade,     +     $ U  

de ces moments de rencontres et de dialogues intimes. Elles sont comme le parler poétique qui lui répond en écho, des instantanés nourris par le plaisir et l’émotion inspirés par l’autre. Les traits de pinceau comme les traits de plume suivent le rythme des affects. La couleur, le mouvement, la force ou la légèreté du geste, le phrasé gai, nostalgique ou piquant créent une musique, un tempo qui engage au partage sans conditions.  %      _  *    ‰ #!  

souvenirs, je les aurais utilisés pour m’en sortir. C’est un joli service que tu me rends » répète souvent Naïg. Elle explique par là ce   !   $ ‡       +  

recueillir et de tout rassembler du puzzle qui lui est livré en vrac. Il est de redonner de l’unité. „

   '    #   

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Avec cet élan que tu introduis, je m’échappe. Mes évasions sont des petits peu, mais elles me font du bien. Il y a quelque chose de mystérieux qui passe entre nous. On n’a pas besoin d’en connaître les détails, c’est comme un partage ! Ma grippe (l’enfermement Alzheimer) est partie. Ce qui reste c’est la vieillesse mais nous sommes à deux pour la secouer. Ca va en réveiller quelques-uns ce petit livre là. Des gens ont dû penser que je n’existais plus. Ils vont se dire : Mais elle est vivante ! » Voici donc, issu du socle breton léonard, le début de ce travail de femmes peu banal, recueilli depuis janvier 2011.

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Chapitre 1 - Calligraphie 1/1

Peinture à deux, composée d’une palette de couleurs, rose, vert, bleu et jaune d’or.

Le cadre, le contexte Mise en place de l’atelier de fortune dans la chambre de la maison de retraite. Présentation du matériel de peinture, des petits pots de couleur, des pinceaux, du micro d’enregistrement. Naïg mani          +    !   $

Dialogues Naïg :     †  

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été trop longtemps malade avec cette mauvaise grippe. Aujourd’hui, # !  #    ; Œ   $ U    

son, je crois… Chantal : –  '     &  †     

vous, vous aimiez écrire. Vous avez écrit de très belles choses. Dans la peinture, comme dans l’écriture, il y a du rêve, de l’imaginaire, de l’évasion.

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Naïg :     

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dans mes rêves. La première peinture à deux s’effectue dans un instant qui a tout du sacré. Naïg : Où je dois aller ? Où je vais ? &   !    _     pinceau, poursuit le mouvement, épaissit le trait, tente une courbe, un ovale, change de couleur, sollicitant mon avis à chaque trait de pinceau, comme un enfant qui apprend à marcher et qui s’appuie  *_ *    #W    . Naïg :  !   $ %   *   

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très commandés ! Nous sommes des vieux clous. Ce n’est pas trop barbouillé ? Chantal : C’est avant tout un divertissement et vous vous en sortez très bien. Naïg : C’est un joli service que tu me rends, tu reviendras ?

Commentaires Naïg accroche tout de suite à l’exercice proposé et manifeste son plaisir de renouer avec l’imaginaire qui l’a constituée. Elle s’appuie 

 

    & $ La feuille blanche, surface de représentation renvoie au corps réel, malade, inerte, privé de ses potentialités de repérage spatial (le haut, le bas, la droite, la gauche s’équivalent). Le corps imaginaire, à l’inverse, s’anime comme par enchantement sous l’effet de l’impulsion créatrice.

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Chapitre 2 - Calligraphie 1/2

Anne Corre, Naïg Rozmor (rouge vif).

Le cadre, le contexte }       '    +    ment pour donner plus de confort et faciliter le travail de la main. Naïg est surprise et touchée par cette attention particulière.

Dialogues Naïg : C’est ton mari qui l’a fabriqué ? Il est doué de ses mains. Je la guide, la rassure. Elle choisit un rouge vif. Elle se lance. La respiration est suspendue – l’effort de concentration est soutenu – _

     # lisé lors de la première séance. Elle hésite, s’en remet à moi pour choisir le bon pinceau, la couleur et poser le premier trait de pinceau avec une fébrilité intense. Elle est au cœur de l’exercice créatif et mène sa tâche à son terme sans ciller et sans me solliciter. C’est l’avènement de la toute première calligraphie, la première     / 4  !  pose et s’imposera par la suite comme un style propre, une signa       ! !  105

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certes, par sa maladie mais pourvue de toutes ses potentialités imaginatives comme par le passé. Naïg : Naïg, c’est le petit nom qu’on me donnait à la ferme. C’était plus court, c’était plus simple. Anne, c’était trop commun. Chantal : C’est extrêmement touchant ce qui vient de se passer au bout de votre pinceau ! Naïg : Naïg de Rozmor, c’est mon nom de plume, mais je n’ai jamais eu la     J  !    ¢  _ !     

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 '$ Chantal : C’est une jolie musique, Rozmor ! S’ensuit, un monologue sur ses pertes cognitives, son sentiment d’enfermement physique et psychique. Naïg :  

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partie, je crois. Elle n’a pas demandé la permission. On a du mal à en parler. On ne peut pas changer ça. On ne peut pas supprimer ça ! Chantal : Vous avez eu trois enfants…

Commentaires La première calligraphie renvoie à l’origine, à l’identité, le nom de naissance et le nom de plume, deux identités qui n’en font qu’une. L’imaginaire créatif relié aux affects, et rendu possible grâce à la relation installée entre nous, permet une résurgence de la mémoire. Naïg redécouvre son identité, son passé, ses plaisirs et ses chagrins.        !   &    &$

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chapitre 2 - Calligraphie 2/2

Une paresseuse tombée du lit appelle sa maman (rose, noir et vert).

Le cadre, le contexte Chaque acte de création est un instant unique de pure émotion. Naïg rentre à l’intérieur d’elle-même, puise au plus profond de son être, de son cœur, de son âme. Le monde extérieur n’existe plus. Détaché de toute contrainte, le pinceau s’active de lui-même, a une vie propre. Chaque nouveau jaillissement est une surprise pour moi. „         &      man ». L’alchimie créative permet l’écriture poétique. À noter que l’écriture adaptative est perdue depuis longtemps.

Dialogues Chantal : C’est très touchant et c’est très amusant aussi ! Naïg : Ce n’est pas de la haute littérature et j’aimerais mieux dominer la page ! La paresseuse c’est moi, je fainéante.

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Chantal : C’est le début de quelque chose de précieux qui démarre et qui reprend vie. Naïg : š         &     $ °

m’amusait. Ça me manque ! L’écriture, c’était mon petit béguin ! Ça sortait comme ça. Ça se décrochait de mon cœur. Elle a embelli

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cachais dans le grenier pour écrire. Ce n’était pas du travail, c’était interdit à la maison ! Sur la page, je suis dans mon milieu naturel. Quand je reprends la plume, les mots résonnent dans ma tête. Ça jaillit tout seul ! Ça me rajeunit, et aussitôt j’ai envie d’écrire. Ça !   —   !/    $ °

  



vie. C’est un joli service que tu me rends. Tu as eu une bonne idée.

Commentaires U      & /       ceau », simultanément créé et oublié, Naïg revisite, sans le savoir, ce que le peintre et théoricien chinois, Shi Tao développait sur la peinture chinoise dans son Traité sur l’Esthétique de la littérature. {     ‰   } ¢'ª   Les propos sur la peinture du Moine Citrouille-Amère » il est écrit :  T     #                

      ‚    (  ne s’interrompe, ainsi la motivation spirituelle précédait le pinceau évoluant dans la sphère spirituelle, l’esprit détaché mais l’intention bien arrêtée, grâce à quoi l’inspiration se fera inépuisable et le         « Le premier travail du peintre est de développer en lui cette     ƒ +       #       ƒ 

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chapitre 3 - Calligraphie 1/3

La nuit, les animaux se reposent et nous regardent dormir (jaune).

Le cadre, le contexte Chaque séance nécessite une installation de plusieurs minutes. Le fauteuil contraint la motricité, le bras et la main sont raides et perturbent la mise en route mais Naïg se soumet de bonne grâce à ces préambules. Elle est de plus en plus souriante et attend chacune de mes visites avec impatience. Notre petit atelier installé, nous pouvons commencer. Naïg produira 3 compositions de rang.

Dialogues Naïg : Aujourd’hui, les mots résonnent bien dans ma tête ! Nous choisissons ensemble les pinceaux, les couleurs. Nous créons un tempo à deux. _      !!     9        (           Naïg : Oui, la nuit, c’est le repos des corps. On dort et on rêve ! 109

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Chantal : C’est très beau ! La nuit, tout le monde rêve ! Naïg :       ! $ „     &" $ ‡ 

fallait pas battre une bête devant moi. Les gens qui passaient leur colère dessus, c’était idiot !

Commentaires Quand elle crée, Naïg ne ressent plus de la même façon la gêne et la lourdeur de son poignet relatives à la maladie d’Alzheimer. Le corps réel, douloureux s’efface et le corps imaginaire, doué d’une nouvelle vitalité se met à danser comme le pinceau sur la page. La parole et le pinceau s’articulent, se combinent, l’un précédant ou suivant l’autre et réciproquement pour le plus grand bonheur de Naïg.

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chapitre 3 - Calligraphie 2/3

Le camélia sera de plus en plus beau et de plus en plus fort (rose fuchsia).

Le cadre, le contexte Même séance. Deuxième composition. Naïg est en forme, je relance la discussion.

Dialogues Chantal : £ !$  !   ¨ $   !    #  ! !  Œ

   !!  !$ 

me souviens de votre maison, de votre jardin, de votre camélia ma— £

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Naïg : ‡            $ ‡    

l’histoire de la maison. Il est très vieux. Chantal : Vous voulez écrire quelque chose sur ce camélia ? _      9         

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Chantal : Il traverse le temps ce camélia ! C’est très beau, c’est de la poésie. Vous êtes en train de retrouver votre plume ! Naïg : Le pinceau titube comme moi mais il danse et il m’entraîne. Dans les mariages, pour danser, il fallait ramper… Les femmes n’avaient pas le droit de dévoiler leur cheville. Ce n’était pas gai… Chantal : Et le pinceau entraîne la pensée. Naïg : Tu as bien observé. Comment tu t’appelles ?

Commentaires La relation d’attachement créée amène une proximité, une complicité, et rend à nouveau possibles la subjectivité et le jaillissement de l’imaginaire. Naïg est le pinceau et le pinceau est Naïg, l’un entraînant l’autre. ‡            &   $ 

mots se combinent aux couleurs, au mouvement, au rythme. C’est un tout !

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chapitre 3 - Calligraphie 3/3

La mer me remplit de douceur. La mer est ma voisine, elle pourrait être mon amie (bleu).

Le cadre, le contexte Même séance. Troisième composition.

Dialogues _ *       9 remplit de douceur. La mer est ma voisine, elle pourrait être mon  Naïg : Ce n’est pas très lisible, ce que j’écris là ! Les mots se noient. Avec moi, il y a beaucoup de noyades. Les mots, je ne les oublie pas, je les enjambe. Chantal : C’est très poétique ce que vous dites là ! Et dans ce tableau tout en bleu, tout est dit ! La mer et vous, ne faites qu’un ! Naïg :   

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suivre et on comprend ce qu’on peut.

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Chantal : C’est formidable ce que vous dites là. La poésie, vous la portez en vous. Votre talent de plume, il est là ! Naïg : L’inspiration, c’est de la joie, c’est une visite. Elle vient toute seule me voir et à moi de la saisir ! Chantal : %

 !  !     ! "   

petite ! Naïg : Ca tient compagnie. Aujourd’hui, c’est des petits restes. Comment tu t’appelles ?

Commentaires Le réenchantement de créer à nouveau se partage avec l’autre. La parole est poétique, la plume est esthétique. L’esprit reprend de sa vigueur et dévoile toute la malice et l’impertinence de Naïg. La musique de l’âme renaît et c’est aussi agréable pour celle qui la joue que pour celle qui l’écoute. Sami-Ali nous dit à propos du mot et de l’affect dans la langue

     –           fectuer immédiatement. La parole poétique procède de la même façon dans la mesure où en disant, elle dispense de se demander ce qu’elle veut dire. Elle dit et d’emblée, elle est dans l’affect. » (Penser l’unité) Dans le parler poétique de Naïg, tout est présent, tout est dit. Il n’y a rien de plus à expliquer.

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chapitre 4 - Calligraphie 1/3

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Le cadre, le contexte L’adaptation technique à la rigidité motrice qui gagne du ter   !   !/

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  si, comme à chaque fois, le livret de ses précédentes productions qu’elle redécouvre avec émerveillement. À chaque séance, Naïg, très curieuse, requestionne sur la présence du micro.

Dialogues Naïg : C’est quoi cette petite chose ? Chantal : C’est ma troisième oreille ! Naïg : Elle nous écoute, c’est bien. Chantal : Y a-t-il quelque chose qui vous plairait de raconter ou de peindre aujourd’hui ?

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Recherche en psychosomatique

Naïg : % > 

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grippe. Chantal : Tout à l’heure, vous me disiez que la première personne qui compte dans la vie, c’est la maman. Naïg : Oui, je crois… et on l’aime. Les parents, on les aime, ça continue, _    $   ! $ ’„       

parents, accrochés en face d’elle sur le mur). Ils restent dans notre Œ      $ ; Œ  #       

morte. On ne me le dit pas (effacement de la mémoire). Le départ 

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matin. Tu ne te fatigues pas à faire ton métier ? Chantal :     # $     



 # _  ment en retour. Naïg :  * !       # _ 

fatigue. Chantal : Et écrire ? Naïg : Écrire me libère. Ici (en maison de retraite), on supporte. Même quand on gémit, on supporte. On fait de son mieux. Chantal : Chez vous la résignation l’emporte sur la colère. Naïg :   !       

      $ _    (    9&

 #     

116

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Naïg :        & $ ;     &$ ‡   

rustiques mais ils savaient nous faire passer leurs idées. Le travail était en première ligne.

Commentaires L’enfermement de la maladie et de l’institution sont pesantes 

          $ š    &

travail » était une obligation sociale et culturelle que Naïg a bien intégrée. Ça l’aide probablement à supporter sa situation actuelle et ça l’a aidée à structurer son travail de plume. Elle s’y reprend !  /      # & + 

     !reusement, une lettre ou un mot. ‰      š       +  

aussi au socle culturel des femmes de ce pays. Devoir et service, deux valeurs léonardes incontournables.

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Chapitre 4 - Calligraphie 2/3

  %   # !/    #   ’  #$

Le cadre, le contexte Même séance. Deuxième composition libre.

Dialogues Naïg :    < † %

    †

Le pinceau s’active sur la feuille dans un acte d’improvisation pure :    %   # !/    #   +$ Chantal : C’est vraiment touchant ! Moi aussi, je vous aime !

Commentaires Tout est dit. L’autre fait exister.  (  (Hallâj). La composition est lumineuse. Le trait de pinceau assuré. Shi Tao écrit : / ƒ      !+ L’habileté ne relève pas de la technique mais de l’opération de   Nos esprits comme nos cœurs sont reliés et Naïg met notre lien en images. Cette thérapie est inédite et ne ressemble à rien de connu pour moi. Naïg pourrait-elle puiser cette richesse en elle si je n’étais pas aussi curieuse et touchée de ce qu’elle cache au fond    &Ž  +$ {  !

      *  

se montre passive. 118

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Dans ces moments de jaillissement pictural, il est étonnant d’ob!  &       >  

   deur du poignet. ‰ š          ! +   « La main survole le papier sans prendre aucun appui. Main, doigts, pin         +     prolongement naturel du bras entier, la force qui meut le pinceau, part de l’épaule, ce qui donne au moindre trait une incomparable     

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Chapitre 4 - Calligraphie 3/3

Ce vendredi je suis heureuse avec mon amie, c’est l’évasion (mauve).

Le cadre, le contexte Même séance. Troisième composition.

Dialogues Naïg : Il n’y a pas d’ébullition à l’intérieur. Il n’y a pas grand-chose. Si #!  ! #      

  $  

trouve rien. _  #!       peu de cette mémoire perdue, effacée par la maladie organique. Je        /   

    #_

   

   _        Chantal :  !    '       &    # /

!  $ 

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 &&  *

de votre bureau, de vos livres sur les étagères, de vos cahiers… Naïg : Dans les armoires, il y avait plus de livres que de linge ! ;    

  

 #

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   &$    = $

120

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chantal : Vos pièces de théâtre sont toujours jouées en breton. Vous êtes née à une époque où à l’école on n’avait pas le droit de parler breton. Naïg : À l’école, c’était interdit mais il était impossible de l’enlever complètement. Ils voulaient nous purger des langues anciennes mais  !   *  ! $  !    



j’avais peur de ceux qui nous gouvernaient. Ce n’était pas facile parce qu’on n’était pas soutenus ! Pour moi, tu comptes beaucoup ! /     #

  ! _   à travers moi. Naïg : Que puis-je écrire pour toi ? Avec toi, c’est du repos ! Chantal : Pour moi aussi. Ici, avec vous, je me pose. On laisse couler le temps, les mots, les émotions sans les forcer. Naïg : C’est ça qui compte car ici, nous allons tous vers la mort ! Chantal : Tout le monde va vers la mort. Naïg : C’est la loi ! Chantal : Mais pour l’instant, il reste encore du temps pour se voir. Naïg : Pour s’aimer ! _        9/

       (on est lundi).

121

Recherche en psychosomatique

Commentaires      !$   &     >



sans douleur. La vie qui s’échappe, la mort, sont élaborées mais avec fatalité. La vie peut continuer à s’écouler. L’horizon reste ouvert. Il peut l’être, je demeure là avec mes pinceaux.

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chapitre 5 - Calligraphie 1/1

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Le cadre, le contexte Toujours le même rituel d’installation de l’atelier et de visualisation du livret de calligraphies. Toujours le même enchantement car Naïg perd ce qu’elle crée à l’instant où elle le crée. Événement particulier : la maison familiale a été vidée pour y effectuer des travaux en vue d’une vente. Naïg en a une perception >

    !  $

Dialogues Naïg :     #$    J   $

  *  En discutant, nous remettons ensemble, les mots, les images, les     

 _        9„  /! Z†   4]&  

Commentaires Le choc de la perte annoncée de la maison, vide, dessèche le cœur et l’esprit. Naïg a de la peine et se raccroche à l’essentiel, l’affection que nous partageons.

123

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La panne d’inspiration la désole autant pour elle que pour moi. Naïg a bien compris depuis le début que notre relation allait bien J     $ „ !   & $  š

  

#  ! +$     &     !    

 !    $       ment ses derniers récits de femme et de poète.

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chapitre 6 - Calligraphie 1/1

Bonjour Chantale chérie (rose perlé, bleu, vert, jaune, noir sur fond orange)

Le cadre, le contexte       !       

pour perpétuer l’impulsion calligraphique mais surtout, avouons-le,        „ 

     

de merveilleux sourires. Ce divertissement est devenu un jeu entre $            $

Dialogues Chantal : Ça vous tente d’essayer ces feuilles de couleurs ? Naïg : Cet orange sera lumineux. Choisis le pinceau ! Commence toi ! Chantal : Allez, on se lance ! On pourrait mettre des petites touches de couleurs comme cela. Naïg : On dirait des petits pas.

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Chantal : Vous voulez mettre vos pas dans les miens ? Pour moi, ces petits pas sont un peu ceux que nous avons faits ensemble… Naïg : Oui, il y en a eu des petits pas de faits. Comment tu t’appelles ? %   #

    $      # 

le trouvais pas. _             9„  /! !Z Naïg : š  #    &  #   &$      #     —        ’„

déplace son regard sur la galerie des portraits de ses parents et de sa famille). On ne me dit rien. On me laisse dans le mystère. Ce n’est pas bien… Autrefois, je me sentais nécessaire pour les autres.  

       #  

  !     Chantal : Qu’est-ce qui vous inspirait ? Naïg :    $              

cédaient pas. Chantal : Vos parents vous ont éveillé à ce manque de gentillesse des gens ? Naïg : Le travail était en première ligne. Chantal : C’est si important le travail ? Naïg : Si on éloigne le travail, on se fait dévorer.

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chantal : Et si on est privé d’amour ? Naïg : –

    #    > ! $    

quel mal ça fait et je m’imagine pas en donner. Mon père était bon. Il avait appris le français à la guerre. Il fallait se comprendre entre soldats… Le français était nécessaire sinon je ne sais pas comment on aurait abordé les examens. Chantal : Vous avez choisi d’écrire en breton ? Naïg : Oui. Le français, je n’aurais pas pu l’utiliser de bonne heure. Le breton est venu tout seul. C’était plus vrai. Ca bondissait sous la plume. Chantal : Tous ces mots étaient en vous depuis l’enfance, prêts à bondir ? Naïg : ‡  >   %       š     # 

 $

Tu dois être à l’aise dans ton métier. Tu me redonnes de la vigueur. C’est un beau cadeau que tu me fais ! Et puis, tu conserves tout !

Commentaires Naïg se réjouit de sa vitalité retrouvée. Elle explique son bilinguisme, ses deux langues, ses deux cultures. Le breton, sa langue

      /    &  +    

dès le plus jeune âge de prendre la plume sans attendre. Quant au français, il est venu plus tard grâce à l’école et lui a permis d’étudier ses chers livres, de passer ses examens et de s’élever socialement. Il est intéressant de noter que le parler français de Naïg, si imagé, est truffé d’expressions et de mots bretonnisants. Un auteur breton, linguiste, Hervé Lossec a édité en 2010 un     *        &   +  

remporté un vif succès. Il explique comment à partir de l’éradication brutale et massive du breton à l’école après la Première Guerre

      ! 

       &  

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 "   + ’}$$ O   Le Cheval d’orgueil), ont dû apprendre le français sans passer par le breton. Les petits bretonnants étaient mis à l’amende, humiliés, bien souvent par des instituteurs zélés, mais, à la maison, dans le bourg, les parents et grands parents continuaient à parler en breton. ;"      &   }$$ O        _

manquait vraiment de force. Tenez, seulement pour les injures… En breton, nous disposons d’un arsenal de termes dont chacun se rap             lectuelle de l’adversaire et le frappe comme un caillou ». De cette situation paradoxale et historique, il en est resté aujourd’hui un parler vernaculaire collectif, chargé d’un inconscient affectif très fort. Les bretonnismes émaillent les conversations quo   _ 

 ;     

prose sans le savoir. Ces bretonnismes signent l’imprégnation du breton d’antan et l’appartenance à une culture bretonne largement défendue aujourd’hui.

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Chapitre 7 - Calligraphie 1/1

Des idées, je n’en cueille pas beaucoup ! (bleu) Quand je te vois, mon cœur bouillonne parce que je t’aime (rose vif).

Le cadre, le contexte Événement particulier : la fête des mères Dialogues Chantal : £ !  #  > †

Naïg : %

   

       "  

*  Naïg choisit son pinceau et moi la couleur, elle s’applique en silence :T        Z†      ƒ     K  (  _                charges et de ses chagrins de mère. Elle parle de la disparition              la musique. Naïg : Elle aurait à peu près ton âge ! 129

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Commentaires Le clair-obscur de la mémoire détériorée permet un jeu de cachecache subtil avec la douleur. Ma présence-absence auprès de Naïg depuis plusieurs mois, et l’attachement qui nous relie désormais, font que je suis tour à tour      Œ  

*    $

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Chapitre 8 - Calligraphie 1/2

Anne Corre se souvient de son passé il est beau (bleu, rouge sur fond orange).

Le cadre, le contexte    /    !         

séances et que Naïg redécouvre avec délices comme une première fois.

Dialogues Naïg :  

  #  '$    # !

/ 

Chantal : 

 #$ £ !'    &/ & /  !

avez réalisés ! Naïg : Sans ma plume, je n’aurais pas fait centenaire ! (Naïg a 88 ans). Chantal : Vous en avez écrit de bien belles choses et des poèmes d’amour aussi. Naïg : Quelquefois, en attendant le sommeil, j’étais en train d’écrire dans ma tête. Ca me tenait compagnie et pour le matin, il y avait 131

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 *   ! !        $

L’inspiration venait seule et c’était amusant ! Chantal : D’où venait-elle ? Naïg : De loin. Toute petite, je voulais aligner les mots pour les faire chan $       $

Chantal : Vous avez écrit sur la société, la religion, les injustices. Naïg : Mon père avait quitté la religion de bonne heure. Les curés étaient des hommes de pouvoir et d’argent qui voulaient faire cracher les paysans. *_  !  8             ‡ˆ‰‰_  *  Š #   9Ar Mestr/ Le Maître. Chantal : Vous avez essayé de faire gagner le juste et le bon ? Naïg : Toujours, avec acharnement. Voir le bon sinon on crève ! Chantal : On a aussi parlé ensemble d’autres injustices comme la disparition de Gwenaëlle. Naïg :    

  $  ±¤  !   

blanc ». Elle faisait passer ses sentiments dans ses instruments de musique. Sa réputation la précédait. Elle est partie trop tôt sans demander la permission. Chantal : £     !  ! 

       

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Naïg : Elle est encore là. On ne peut pas supprimer çà ! _      )     9‹ /  

      

Commentaires Depuis la naissance, Naïg a été une femme engagée, courageuse, aimante. Elle ne s’est jamais dérobée face à l’adversité comme beaucoup de femmes de sa génération. Elle s’est consolée avec sa plume. La cohérence de sa pensée est étonnante comme la force de ses mots. Le temps du deuil est derrière. Elle est en paix mais elle n’a pas oublié. „    *         Al labous gwenn. L’oiseau blanc Un oiseau blanc sur le bord de mon cœur chantait Y    !    Il s’est envolé mon petit oiseau blanc Un oiseau noir est venu à sa place. Il avait entendu l’appel des îles merveilleuses Les îles des mers du nord, |      Là où il n’y a ni nuit ni chagrin. L’oiseau noir ne pourra nourrir l’amour K       Il reviendra mon petit oiseau blanc En tressaillant quand viendra mon tour.

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Chapitre 8 - Calligraphie 2/2

Lundi 11 juillet avec Chantale je suis heureuse (rouge).

Le cadre, le contexte Naïg a trouvé un titre fabuleux pour le livret de ses calligraphies et me le propose. Comme à chaque fois, je suis sidérée par l’esprit connecté, pertinent et laborieux de Naïg qui ne laisse rien passer de l’essentiel. Elle reste un auteur qui a gardé dans sa mémoire diffuse du passé l’importance de la production littéraire et de l’édition.

Dialogues Naïg : š !   #  !  _       nières d’un poète » Chantal : %  * &  $    $

Naïg : Œ' 

 _     5   4 mère en particulier). Elle était lugubre, je n’aurais pas eu envie de lui raconter ma vie. Avec mes parents, la générosité était à table dès  ! $    _ &  $ %     

mode. Comme eux, j’ai porté mon paquet mais il ne me fallait pas trop gratter dans les tiroirs. Dans les grandes épreuves, la plume a été ma providence.

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chantal :   !  $ {  !     

Naïg : 

     #    *  ! 

je revenais souvent en arrière, elles étaient toniques pour moi. Bien souvent, je me sens décousue. Nous sommes tous des décousus. On se compose par petits morceaux. _ #! Naïg : Quel jour sommes-nous ? Ces crayons sont dociles, ils nous portent. Ils sont plus intelligents que nous !   /!    !  . Chantal : Ca me touche toutes ces belles choses sur moi, pour moi ! Naïg :   

  '     &  $  ! 

vie nous enlève nos rêves. Quand on sommeille, on s’évade vers un monde de liberté ! Les mots ont des directions mystérieuses. On les trouve au fond de nous. Ils nous attendent. C’est comme les rêves, c’est notre habitude depuis qu’on est nés. On ne va pas cracher dessus ! Nous rions ensemble car nous partageons le même amour pour l’imaginaire et le rêve.

Commentaires Naïg revient sans cesse, comme un leitmotiv, sur l’importance pour elle de continuer à rêver. Chaque réveil la confronte au vide de son individu car personne dans ses longues journées en institution ne vient rêver avec elle. Dans l’espace de la thérapie relationnelle créé à deux, chaque nouveau geste créatif, unique en soi, est une lutte contre la disparition de son imaginaire, contre la perte de son "    $       "!  $

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Chapitre 9 - Calligraphie 1/2

Le temps est merdique Attention, Martine, ne te laisse pas surprendre (rouge sur fond rose).

Le cadre, le contexte Présentation du livret de compositions calligraphiées avec le  $    *  *  +$

Dialogues Naïg : C’est moi qui ai fait tout ça ! Tout de suite nous passons à la peinture. « Le temps est merdique. ‹  %      Z Naïg : C’est barbouillé aujourd’hui ! La mer se fâche quand il y a du vent. La mer obéit, se soumet sans raison apparente. Quand la tempête est mauvaise, les animaux sont très excités. Ils savent que quelque chose de contrariant arrive. Les gens de la terre n’ont pas d’instruction mais ils ont des connaissances internes. Mon père avait ces connaissances mais il se tuait à la tâche. Quand j’ai pu, je me suis tournée vers les livres. Mes connaissances, c’est grâce à mon français, grâce à l’école. À la maison, j’ai été désobéissante, tri  ! $ ‡   ! !$    

libre d’écrire. Il fallait l’autorisation. Lire ce n’était pas productif. On nous apprenait ce qui pouvait rapporter.

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chantal : Aujourd’hui, les enfants sont plus dans le divertissement que dans le travail. Naïg : Le monde a changé. Il en avait besoin.

Commentaires Naïg a des connaissances internes qui lui viennent de la terre, de son père et sa poésie s’en est largement inspirée mais elle s’est donnée en lui désobéissant d’autres connaissances littéraires, qui lui ont permis de rompre avec ses racines et de prendre en main sa destinée de femme. Nourriture de la terre, nourriture de l’esprit, Naïg s’est enrichie des deux. Zhang Zao nous livre : « Je n’ai pour maître que la Nature au!     ƒ Z

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Chapitre 9 - Calligraphie 2/2

   ! !  !  &  !*

 # 

et que j’aimais beaucoup (violet sur fond bleu pâle).

Le cadre, le contexte Même séance, deuxième composition

Dialogues Chantal : Est-ce que ça vous tente d’écrire quelque chose sur l’éducation ? _    (   (            9  & suis heureuse d’avoir travaillé avec de bons guides sévères et que     Naïg : Mes parents n’auraient pas aimé que je reste assise comme ça ! Chantal :     ! ' &  !   

Naïg : (Rires) Quand j’allais au lit, j’étais libre de rêver ! Ça, on ne pouvait pas

  !$      $    

je savais que ça donnerait quelque chose. Chantal : La petite Naïg était futée ! 138

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Naïg : Tu peux faire quelque chose avec tout ça. Ca n’est pas très rangé ! C’est bon d’être portée ! Chantal : C’est un beau compliment ! Naïg : U           —  ' 

*

je suis née de la terre mais j’ai toujours préféré les livres. On se 

/       $   # 

les comptines aux cantiques. Après la guerre, on avait besoin de ressusciter, de rire. On m’a commandé des danses, des chansons. On ne pouvait pas aller au bal sans permission, c’était l’Enfer si on se risquait ! Ce que je déplorais le plus dans cette ville, c’était la   $ ; *  !       $ 

lui dois beaucoup.

Commentaires Le père de Naïg a toujours fonctionné dans l’adaptation, la conformité pour échapper à la misère de sa classe sociale. Naïg s’est différenciée à la génération suivante et si elle a fonctionné      !        &  +

elle a surtout fonctionné dans l’imaginaire pour ne plus subir, ne plus se soumettre comme elle avait vu son père le faire. Ce qui est étonnant, c’est de constater combien les souvenirs fondateurs de son identité sont restés intacts malgré les avancées de la maladie d’Alzheimer.

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Chapitre 10 - Calligraphie 1/1

Une route de pluie qui apporte de la joie durable (vert sur fond jaune).

Le cadre, le contexte La maladie a progressé. Naïg ne sait plus comment se lever pour pivoter du lit au fauteuil. Elle est plus ralentie, plus raide et en a conscience. Ses 88 ans fêtés par ses proches ont accentué son sentiment de perte de forces, de pesanteur. Le déballage de mon petit matériel lui décroche un sourire.

Dialogues Naïg : U 

  #    

 $     &lée. Quand on me demande quelque chose, je ne sais plus où je vais trouver ça ! Chantal : Vous parlez de vos trous de mémoire, de vos éclipses. Naïg : Des éclipses abyssales, tu veux dire ! Chantal : £ !  #  >$

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Naïg :      $      !   $   

fait de recherches pour ça, je le constate. Tu vois la bleue, elle s’en !$ U     



    ¨¨ $ % #  tant. S’il y a des miettes encore, qu’elles viennent ! À 88 ans, il faut cueillir encore mais je sais que l’âge tourne. Chantal : Ca vous fait peur ? Naïg :         #    !  

#  $  ! #       $

Chantal : Votre route n’est pas achevée. Nous avons encore du travail à faire  & $ –        $    

première. )  !Œ    *       

  == _  9Y       Chantal : Dans votre vie, il y a eu plus de pluie ou de soleil ? Naïg : Il y eu du soleil car je savais chasser la pluie. Si la pluie venait quand même, je la foutais dehors ! Aujourd’hui, il me faut être soutenue. Seule, je ne peux plus. Tu es là !

Commentaires Naïg lutte contre la situation d’impasse dans laquelle la mala    $ U         ‰  #  /

  +$ „

         +$ % 

lui qu’elle puise sa force et sa raison de vivre.

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Chapitre 11 - Calligraphie 1/2

C’est ici le point de départ de notre histoire (bleu sur fond jaune).

Le cadre, le contexte Événement particulier : La mise en vente de sa maison. „       

  !   

un vieux copain mais sans imagination ».

Dialogues Naïg :                

#$   ! 

  — 

     

plus usée. Chantal : „        $ –   "  _  

l’intérieur de la boîte, il y encore de belles choses ! Naïg : Ca devient petit ! Chantal : Ca vous tente de faire un peu de peinture ? 142

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Naïg :   &    $ %  '  ! !  š 

qu’à écrire ! Chantal : On parlait tout à l’heure de votre maison. Si on la dessinait, cette niche ! Naïg : Une niche chaleureuse, alors ! Chantal : On pourrait peindre comme un toit de maison ! _      K9/    !  Chantal : Ca, c’est bien vrai ! Vous avez des souvenirs de l’intérieur, du décor de votre maison ? Naïg : Mon père aimait beaucoup son horloge. Il mangeait face à la pendule. Il était réglé sur la pendule. Il la surveillait. Le pain c’était la base du repas et c’était le fruit de son travail. Ma mère était près du fourneau, elle avait l’œil sur tout. Nous les enfants, on se taisait !  |Y   ' !     /     gortozen », le repas qui permet d’attendre. Chantal : Votre mère aimait la belle vaisselle, le beau linge ? Naïg : Elle aimait la netteté surtout. Ca devait être impeccable. Ça nous habite après toute notre vie.

Commentaires Naïg est par nature une optimiste. Elle garde le beau en elle et   $ !     #           +  _

repart ! 143

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Naïg vénérait son père, le pilier et l’âme de la maison. Dans un   *         '  

coupaient le pain de la famille. Naïg a aujourd’hui oublié ce poème, comme l’ensemble de son œuvre.

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Chapitre 11 - Calligraphie 2/2

La vie nous sourit depuis le premier jour. Il faut bien l’accueillir si l’on veut (mauve).

Le cadre, le contexte Même séance. Deuxième composition.

Dialogues Naïg : Dis-moi, aide-moi parce que je suis molle ! Chantal : Vous avez parlé du point de départ de notre histoire… Naïg : Oui !         7       . Chantal : C’est très beau et cette couleur est très douce ! Naïg :   &  $ ¢ J  !    !  # 

une bêtise… La vie, il faut la faire aboutir comme un projet. On a des appels mais, quelquefois, on est paresseux. Il ne faut pas se laisser dévorer par la paresse. Il faut se botter ! š  !  &     & 

 !$  

pas trop bafouillé ?

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Chantal : Pour moi, c’est un très joli bafouillage !

Commentaires Naïg est une femme douce, intelligente et elle est inspirée par la sagesse de toute une vie. Elle m’offre ses dernières pensées, ses     $ U   &  !  #     " 

paresseuse » et, qu’à mon tour, je saurai tirer le meilleur parti de son travail pour saluer son talent, son humanité. N’est-ce pas comme un message qui m’est adressé, une requête ?

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chapitre 12 - Calligraphie 1/1

Bonjour à Chantale chérie. Tu m’inspires le bonheur ! (bleu sur fond rose vif).

Le cadre, le contexte Événement particulier : Naïg est installée dans un fauteuil   +$ U              $ U  

oublié qu’elle ne savait plus marcher et a tenté un déplacement risqué. Elle est restée 10 jours à l’hôpital et depuis elle est très fatiguée et ralentie. Dès qu’elle me voit, elle me sourit. Elle parle d’une voix      $   

  

   

lit sans rien changer à nos habitudes.

Dialogues Naïg : Tu vois où j’en suis ! À l’hôpital, on est traités comme des chiffons. –       /      &     $

 ! ' # 

 '/      $ 

m’excuse d’être comme ça et de ne rien te donner de mieux. Chantal : Ce n’est pas un souci. Vous avez été très choquée par votre chute et vous avez besoin de récupérer. Il faudra être patiente. Naïg : Tu as raison ! Donne-moi cette jolie feuille rose.

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|    _         s’illumine. Elle est dans son élément. Elle ne s’avoue pas vain      !    9„  #/! !|    ! Z Chantal : C’est si doux et si délicat, Naïg ! Merci ! (nous nous embrassons). Entre nous deux, il y a plus que de l’amitié, vous savez. Nous sommes un peu comme deux âmes sœurs ! Naïg : C’est ça. Nous sommes des âmes sœurs sur le tard ! & #_  (  ! rie de portraits. Nous rions ensemble à propos de la grand-mère  (  *  &    *

Commentaires La pathologie organique a désormais franchi un nouveau cap depuis la chute et l’hospitalisation de Naïg. Le temps est compté

 „     & !$   &    ƒ 

avec mes pinceaux et mes petits pots de couleurs. Quoi qu’il arrive, deux âmes sœurs restent reliées.

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chapitre 13 – Calligraphie 1/1

   ’&    #$

Le cadre, le contexte L’atelier de peinture opère toujours avec la même magie. Il est indissociable de la relation et du lien affectif. Sans lui, il ne se passerait rien. L’atelier d’aujourd’hui et celui d’hier ont la même valeur évocatrice et déclenchent le geste poétique.

Dialogues Chantal : De quelle couleur est votre humeur aujourd’hui ? „      *  

  #      K(      + Ce travail de plume, je ne l’ai pas senti ! C’était instinctif ! C’est sorti tout seul, je n’ai pas souffert ! Chantal : C’est de la joie comme par le passé ? Naïg : Pour ma main, c’était léger, c’était de la joie ! Mais, pour mon père, il n’y avait que par la main qu’il y avait du pain, c’était très dur !

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Recherche en psychosomatique

Chantal : £

!     !     *  +$ Naïg : ‡  '   _         

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comme circulation ! Tu habites où ? Chantal : &    XY   #  _  #    

deux cultures. Naïg : On a les mêmes amours. Le niçois, ça m’intéresse. Toi aussi, tu as grandi dans deux langues, ça alimente. On l’a pour la vie ! Tu parles la même langue que moi. La langue du cœur ! Ce que tu as ramassé là, ça ne pèse pas lourd mais ça va accompagner mes enfants et ceux qui me sont chers quand je serai partie.

Commentaires Quelle que soit la langue que l’on parle, l’unité entre deux êtres se construit par le cœur. L’humanité de Naïg est sans cesse tournée !  $   #   +     !  

à tous ceux qu’elle a aimés depuis son enfance.

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chapitre 14 – Calligraphie 1/1

Nous avons nos histoires collées aux talons (rouge sur fond bleu).

Le cadre, le contexte Naïg semble bien remise de sa chute et se montre exceptionnel    !$     #       #  

qu’ils ont été touchés de découvrir son travail poétique. Cette nouvelle déclenche un trait de pinceau et de plume inattendus. Naïg ouvre un chapitre audacieux mais douloureux de son histoire.

Dialogues Naïg : Ar Mestr a laissé des traces. Ils ont grincé. Ca remettait en question leur pouvoir, leurs richesses, leurs habits. Ils se croyaient impre& $ %  *     $     

le risque que je prenais. Ca me courra aux talons jusqu’à la mort, jusqu’à mes derniers jours. Voilà ce qu’on pouvait faire aux paysans, ils ont souffert de ça. Chantal : C’est du vécu ! Il fallait être courageuse pour vous lancer dans cette entreprise. Naïg š   _       $   !'   pact, ce n’était pas du courage. 151

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Commentaires Naïg a agi toute sa vie en fonction de ses convictions intimes. Cette pièce de théâtre autobiographique était une satire à l’encontre des puissants hommes d’église qui avaient tout pouvoir sur les fermiers. Naïg a subi à l’époque une cabale médiatique et sa pièce a été censurée à ses débuts. La résurgence de cet épisode de vie, par un trait de pinceau particulièrement maîtrisé, est étonnante de cohérence et de puissance.  !       !  *      vait, comme la révolte d’une mère qui n’a pas pu enterrer son enfant se tracent et se règlent par la plume et le pinceau. Révolte et douleur sont mêlées dans les deux situations qui se font écho. La peinture poétique est ici un équivalent de rêve et donne la possibilité d’une sortie d’impasse en rapport avec l’abandon. L’histoire retrouvée, colle aux talons mais redonne une unité, une existence. On peut à juste titre, au travers de ce jaillissement pictural étonnant suivi de tout son développement explicatif, s’interroger sur        !       > 

mémoire et la subjectivité. La chose inouïe ici, c’est que la mémoire de cette pièce de théâtre, que l’on pouvait penser oubliée comme toutes les autres, fait un retour en force dans un présent maîtrisé et conscientisé.

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Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

Chapitre 15 – Calligraphie 1/1

  

   !

  $

C’était une belle époque (bleu sur fond rouge).

Le cadre, le contexte „         >*  

extrême fragilité. Il faut désormais tendre l’oreille pour saisir son >$  !/          

  

mouvement. Le geste calligraphique est plus lourd, laborieux, mais il jaillit néanmoins, révélant une force et une volonté incroyables.   >  +      

      „

   !    /  # 

parvenir le livret de son travail poétique. Elle écoute attentivement. Elle est émue et curieuse de leurs réactions.

Dialogues Chantal :    !       !      

scène ! Naïg :  =   

 $   & _$ %   

de l’improvisation, c’était plus étudié !

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Recherche en psychosomatique

Chantal : Vous avez répandu beaucoup de joie et de bonne humeur autour de vous. Naïg : La vie n’est pas drôle tous les jours. Il faut de la gaieté. Il faut continuer à rouler sa carriole. Si tu ne le fais pas, tu crèves ! Chantal : Vous avez roulé votre carriole avec vos amis ! Ils me l’ont raconté et c’était joyeux ! Naïg : On était agrippés, on s’aimait ! C’était une belle époque ! Chantal : Vos amis ont été touchés par ce petit livret de poésie que nous réalisons ensemble. Ils aimeraient participer à en faire une belle édition. Ils vous aiment ! Naïg : Ils en ont parlé ? Tout ce que tu fais là pour moi, ça nous rapproche.       š   $  &    nuer. Notre amitié est sincère. Elle n’est pas éphémère.

Commentaires et conclusion } „   #        

sa carriole » dans l’espace de notre petit atelier comme elle le faisait autrefois avec sa troupe d’amis. Tant que la carriole de l’amitié joyeuse et de la créativité roulera, la vie s’écoulera, heureuse.     * +       & 

Naïg. L’éphémère est certainement ce qui inquiète le plus Naïg, menacée chaque jour un peu plus par la disparition et l’effacement. Elle lutte contre cet éphémère de la présence, de ma présence et me *          š !  

pars pas, je te garderai… ». L’éphémère de la relation, de la création, du rêve est pour Naïg son dernier point d’ancrage au monde. Fragile et unique, il est assuré par l’autre, l’amie thérapeute qui, par sa présence affectueuse 154

Psychosomatique et maladie d’Alzheimer

et sa réceptivité inconditionnelle, restaure l’auteur dans sa dignité créative, crée la permanence du lien et redonne une unité. Naïg Rozmor aurait probablement beaucoup aimé ce poème de Sami-Ali. Désert à perte de vue Méditer ce qui se manifeste : Ultime présence de l’éphémère Vide où tout ce donne Dans l’éblouissement de l’instant.

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Bibliographie Arthaud Antonin, 50 dessins pour assassiner la magie. Paris, Gallimard, 2004. Audibert Agnès, La femme en Bretagne. Paris, Gisserot, 1993. Guillou Anne, ^     . Morlaix, Skol Vreizh, 2007. Guillou Anne, La lanterne bleue. Rennes, Coop Breizh, 1995.   J}       &      „ ¢ $ Hallaj, Poèmes mystiques. Arles, Actes Sud, 1985. O  } ª Le cheval d’orgueil. Paris, Plon, 1975. ³  J} ` ‰' ! ¢  „ Silences de femmes. Brest, Emgleo Breizh, 2003 Lao Tseu, Le livre de la Voie et de la Vertu. Paris, Mille et Une Nuits, 1996. Lossec Hervé, Les Bretonnismes. Morlaix, Skol Vreizh, 2010. Michaux Henri, Par des traits. Saint Clément de Rivière, Fata Morgana, 1984 Rickmans Pierre, Traduction et commentaire de Shitao, Les propos sur la peinture du Moine Citrouille-Amère. Paris, Plon, 1998. Rosenthal Olivia, On n’est pas là pour disparaître. Verticales. Paris, Gallimard, 2007. Rozmor Naïg, Mondo Cane, Brest, Emgleo Breizh, 1997. Rozmor Naïg, Tagore. Brud Nevez, 1985. Rozmor Naïg, An Ograou Strink$ š>! ;J! |¡¨¨$ Sami-Ali, Huit manières de rêver le facteur Cheval, Essai sur l’esthétique de la marginalité. Noville sur Mehaigne, Esperluète, 2010. Sami-Ali, Penser l’Unité. Paris, L’Esprit du Temps, 2011 Simon Bernard, Naïg R. Rozmor, Mavez Mad Ar Chench. Brud Nevez, 1990.

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Table des matières Préface (Sami-Ali) .......................................................................5 Partie I « Images de l’oubli » Différentes formes d’expression d’une femme atteinte de la maladie d’Alzheimer En Hommage à Mme M.

Leila Al-Husseini Avant-propos ..............................................................................11 Préliminaires ..............................................................................13 Une démarche relationnelle ......................................................13 Notes sur les conditions de cette recherche ..............................14 Chapitre 1 ...................................................................................15 À propos de la démence de type Alzheimer .............................15 Conclusion ................................................................................16 La problématique de la relation dans la maladie d’Alzheimer .17 Mme M. ....................................................................................17 } *     Gros plan » ........................................19 La démarche de la relation ........................................................21 La promenade ..........................................................................21 Notes sur la méthodologie de la présentation des œuvres ........24 Les peintures et dessins ............................................................24 La séance...................................................................................25 Les conversations .....................................................................36 Sieste et souvenirs .....................................................................51 Commentaires sur le chapitre 1 ................................................52 Chapitre 2 ...................................................................................55 Introduction ...............................................................................55 Les œuvres ...............................................................................65 Les arbres .................................................................................66 Les animaux ..............................................................................69  > ...................................................................................72 159

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Le paysage abstrait....................................................................74 Affect et représentation .............................................................74 Commentaires et conclusion .....................................................78 Bibliographie ..............................................................................84 Partie II La thérapie relationnelle, dernière œuvre d’auteur d’une femme de lettres, atteinte de la maladie d’Alzheimer « Traits de pinceaux, traits de plume »

Chantal Gombert Avant-propos ..............................................................................89 Le contexte ethnopsychosomatique de la thérapie : Bretagne chrétienne et Bretagne laïque ...................................90 Une thérapie relationnelle d’un genre unique ..........................93 La pathologie organique ..........................................................96 L’anamnèse ..............................................................................97 Le cadre méthodologique de la thérapie .................................100 La thérapie, une dernière œuvre d’auteur ..............................101 Bibliographie ............................................................................157

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